Le Droit Administratif Et Mutation
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ciée au C.N.R.S., le
C.U.R.A.P.P. est un centre
de recherche spécialisé en
science politique et en
science administrative.
Orienté vers l'étude de la
fonction de l'État dans
la société contemporaine,
il s'intéresse aux divers
aspects du fonctionnement
de l'État et de l'adminis-
tration, tant en France qu'à
l'étranger, et aussi bien au
niveau national qu'au niveau
local.
C.U.R.A.P.R
Adresse: Faculté de droit et
des sciences politiques
et sociales
Rue Solomon Mahlangu
80025 Amiens Cedex
Tél.: (22) 82.74.53.
Directeur:
Jacques CHEVALLIER
Responsable
administrative
Corinne ROBINSON
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LE DROIT ADMINISTRATIF
ENMUTATION
jacques chevallier
gilles j. guglielmi
danièle lochak
yves poirmeur
emmanuelle fayet
marie-christine kessler
françoise dubois
maurice enguéléguélé
géraldine lefèvre
marc loiselle
benoît mercuzot
domenico menna
nicole decoopman
myriam bachir-benlahsen
danièle bourcier
PUBLICATIONS ANTERIEURES
PRÉSENTATION
Mais dans les années soixante encore, le Conseil d'Etat sera fortement secoué
par les retombées de l'affaire Canal. Contrairement à certaines idées reçues,
le systèmefrançais de droit administratifn'a doncjamais relevé de l'ordre de
l'évidence ; la crise actuelle paraît dès lors relever d'un phénomène cyclique.
Cette interprétation, qui explique la sérénité avec laquelle les profes-
sionnels du champ du droit administratifont d'abord accueilli lefeu croisé de
critiques dont celui-ci était la cible, n'emporte cependant pas la conviction : la
"crise du droit administratif', telle qu'elle s'est développée récemment, com-
porte en effet des aspects nouveaux, qui excluent toute idée de simple répéti-
tion compulsive. Déjà, le mouvement de contestation du droit administratifa
pris une coloration différente. Sans doute, retrouve-t-on dans les approches
managériale et néo-libérale, qui en réalité s'entrecroisent et s'appuient réci-
proquement (F. Dubois, M. Enguéléguélé, G. Lefèvre, M. Loiselle), trace des
critiques traditionnelles formulées à l'encontre d'un droit administratif, perçu
comme droit de dérogation et de privilège : le droit administratifconstituerait
un cadre excessivement rigide, un véritable carcan, qui serait un obstacle à la
modernisation nécessaire de l'admtnt*stration ; irréversiblement marqué du
sceau de l'unilatéralité, il serait l'instrument de la mise en tutelle de la société
par l'Etat. L'important est pourtant que ce mouvement de contestation
émane, non seulement des professionnels de la politique et des intellectuels,
mais encore de la doctrine administrative elle-même ; et la circulation de ces
représentations d'un champ à l'autre contribue à les conforter et à les objec-
tiver : le droit administratif a subi ainsi un déficit de légitimité dont on ne
saurait sous-estimer l'importance. Ce mouvement de contestation est surtout
doublé d'un ensemble de mutations concrètes dans la structuration de l'ordre
juridique, qui touchent au statut mêmedu droit administratifet réduisent son
autonomie. La plus spectaculaire de ces mutations résulte de la consolidation
du droit constitutionnel à la faveur du développement de la jurisprudence
constitutionnelle :jusqu'alors parent pauvre du droit public, le droit constitu-
tionnel paraît désormais en voie d'imposer sa suprématie sur le droit adminis-
tratif ; subordonné et encadré par le droit constitutionnel, celui-ci tend à
apparaître comme un simple droit d'application et le juge administratif
semble s'effacer devant un juge constitutionnel omniprésent. La théorie des
"principes généraux du droit" a ainsi perdu beaucoup de sa substance à par-
tir d u moment où le C o n s e i l c o n s t i t u t i o n n e l a consacré l'existence de "prin-
cipes à v a l e u r constitutionnelle". Mais le d r o i t a d m i n i s t r a t i f a s u b i a u s s i le
contrecoup de l'essor d u droit communautaire, dont les r è g l e s v i e n n e n t de
p l u s en p l u s se s u p e r p o s e r a u x règles n a t i o n a l e s ; et son c h a m p d ' a p p l i c a t i o n
t e n d à se r é d u i r e i n s e n s i b l e m e n t d u f a i t d e la p l u s l a r g e s o u m i s s i o n d e l ' a d m i -
nistration a u droit commun et d e l ' a t t é n u a t i o n du caractère dérogatoire de
ses r è g l e s . E n f i n , le p o i d s c r o i s s a n t d e s s o u r c e s é c r i t e s m o d i f i e l ' é q u i l i b r e d ' u n
d r o i t d o n t l ' e s s o r e t le p r e s t i g e a v a i e n t é t é liés d e p u i s C o r m e n i n à s o n o r i g i n e
jurisprudentielle (G. Guglielmi). Cette dimension nouvelle de la crise d u droit
a d m i n i s t r a t i f est illustrée p a r les f o r c e s centrifuges qui affectent la commu-
nauté des administrativistes (Y. Poirmeur, E. Fayet), mais surtout p a r les
m o u v e m e n t s de d é p a r t d u Conseil d ' E t a t qui se sont s p e c t a c u l a i r e m e n t ampli-
fiés a u cours des a n n é e s q u a t r e vingt (M.C. Kessler) : ces stratégies de recon-
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Jacques CHEVALLIER
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I. L'ÉVOLUTION
DU CHAMP DU DROIT ADMINISTRATIF
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LE DROIT ADMINISTRATIF
ENTRE SCIENCE ADMINISTRATIVE
ET DROIT CONSTITUTIONNEL
PAR
Jacques CHEVALLIER
ProfesseuràDirecteur
l'Université
duC.Panthéon-Assas
U.R.A.P.P. (Paris 2)
I - L'HÉGÉMONIE DUDROITADMINISTRATIF
L'idée selon laquelle le droit administratif a été jusqu'à une période récen-
te la discipline-reine, autour de laquelle gravitaient tous les savoirs adminis-
tratifs et se trouvait polarisé le droit public entier, est devenue un véritable
lieu commun. Les explications de cette suprématie sont nombreuses : le presti-
ge d'un Conseil d'Etat ayant résisté à toutes les secousses et construisant de
toutes pièces un droit spécifique ; la continuité administrative s'opposant à la
discontinuité constitutionnelle ; l'accent mis sur les garanties juridiques et
l'exigence de limitation de l'Etat par le droit ; mais aussi l'enracinement pro-
fond d'un droit apparu sous la Monarchie absolue, qui elle-même n'avait fait
que laïciser certaines techniques administratives de l'Eglise. Cette thèse doit
être cependant assortie de certaines nuances et correctifs : l'hégémonie du
droit administratif, entretenue par la faiblesse constitutive du droit constitu-
tionnel qui lui permet d'apparaître comme le noyau dur du droit public, ne
s'établit réellement qu'à la fin du XIXème siècle, lorsque la conjugaison d'une
jurisprudence audacieuse et de travaux doctrinaux d'envergure lui confére ses
lettres de noblesse ; jusqu'alors la juridiction administrative avait été l'objet
d'une contestation permanente2 , au point que son existence était apparue à
plusieurs reprises menacée, et les controverses renaîtront encore périodique-
ment au cours du XXème siècle3. Par ailleurs, cette hégémonie, lentement
conquise (A) comporte des zones de fragilité (B).
A) Affirmation
L'hégémonie du droit administratif résulte de la consolidation progressive,
tout au long du XIXème siècle, d'un champ que l'héritage impérial rendait
pourtant vulnérable : le renforcement de l'indépendance du juge administratif
et les progrès de la jurisprudence allaient se conjuguer avec un travail de sys-
tématisation doctrinal, débouchant sur la constitution d'une véritable discipli-
ne ; doté d'une solide armature jurisprudentielle et conceptuelle, le droit
administratif pouvait prétendre ramener à lui une science administrative qui
avait manifesté quelques velléités d'émancipation et apparaître comme l'élé-
ment stable du droit public.
1) La monopolisation des savoirs administratifs
a) En dépit de ses racines historiques et de l'appui qu'il trouvait dans
l'existence d'une juridiction administrative, la position du droit administratif
est restée précaire jusqu'aux années 1870 : non seulement le droit administra-
tif éprouve alors bien des difficultés à franchir les étapes lui permettant
d'accéder au statut de "droit" à part entière, en confortant sa "juridicité",
2. Lochak (D.), "QueUe légitimité pour le juge administratif ?", in Droit et politique, PUF
1993, p. 141.
3. Gentot (M.), Ibid, p. 153 et Caillosse (J.), "Sur les enjeux idéologiques et politiques du
droit administratif. Aperçus du problème à la lumière du changement", AJDA 1982, p. 361.
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10. Burdeau (F.), "Les tribulations de la science administrative en France. Essai d'expli-
cation", Mélanges Langrod, Editions d'organisation 1980, pp. Il ss.
Il. Burdeau (F.), Histoire de l'administrationfrançaise du XVIIIème au XXèmesiècles,
Montchrestien 1989, pp. 299ss.
12. Commele dit Macarel, "La science administrative a pour but de rechercher à la sour-
ce mêmedes besoins, les règles de la viepratique des nations, les principes généraux qui doi-
vent les régir". De mêmepour Vivien, "la science administrative a pour point de départ la
société tout entière ; elle recherche etproclame les règles quipeuvent enassurer le bien-être et
la prospérité".
13. Voirle projet Salvandy de création de facultés desciences politiques et administratives
en 1845 - projet auquel s'opposeront les facultés de droit -, puis l'expérience très brève de
l'école d'administration en 1848.
14. Chevallier (J.), L'élaboration historique du principe de séparation de la juridiction
administrative et de l'administration active, LGDJ 1970.
15. Les décrets du 28 décembre 1880 et du 24juillet 1884 augmentent l'importance du
droit public et de l'économie politique, dont l'enseignement a été rendu obligatoire en 1877.
Voir Gatti-Montain (J.), in L'administration dans son droit, Publisud 1985, pp. 121 ss et Le
systèmed'enseignement du droit en France, PUL 1987.
16. Voir Gonod (P.), Edouard Laferrière : unjuriste au service de la République, Thèse
Paris 1, janvier 1992 (multig.).
17. Lepremier est le Précis de droit administratifde M.Hauriou de 1892.
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18. Voir Lavigne (P.), "Les manuels de droit administratif pour les étudiants des facultés
de 1829 à 1922", Annales d'Histoire desfacultés de droit, 1985, n° 2, pp. 125 ss.
19. La critique acerbe que M. Hauriou fait de C.J. Bonnin (in "Droit administratif",
Répertoire Béquet 1897) est symptomatique : pour Hauriou, Bonnin était "de l'espèce redou-
table des idéologues qui réduisent tout en idées abstraites et mettent ces idées au service de la
force pure" ; dans cette perspective, "le droit n'existe pas, il n'y a que la loi, elle-même oeuvre
d'un gouvernement autoritaire".
20. Leur opposition avait eu raison des différentes velléités de création de "facultés de
sciences politiques et administratives".
21. Voir Favre (P.), Naissances de la science politique en France (1870-1914), Fayard,
Coll. L'Espace du politique, 1989, pp. 67 ss.
22. Burdeau (F.), Mélanges Langrod préc.
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23. Voir sur ce point Guglielmi (G.-J.), op. cit. pp. 326 ss.
24. "C'est dans le droit administratifque le droit public respire, s'applique, se montre ou
doit se monter visible aux regards".
25. Pour Serrigny (Traité de droit publicfrançais, 1846, p. 95), "le droit administratifest
placé dans les bas degrés du droit public : celui-ci pose les principes, et l'autre embrasse les
règles qui regardent l'exécution et les conséquences".
26. Pour Aucoc, le droit public "transforme les règles d'organisation de la société,
contient les garanties établies pour assurer la libre jouissance desfacultés de chaque citoyen
et les sacrifices imposés à chaque citoyen en vue de la collection des intérêts privés quiforment
l'intérêt public".
27. Guglielmi (G.-J.), op. cit. p. 332.
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B) Suprématie
La suprématie du droit administratif dans le champ des savoirs relatifs à
l'Etat ne sera pas véritablement contestée jusqu'aux années soixante, en dépit
de multiples éléments de perturbation : l'avènement de l'Etat providence et la
diversification du droit applicable à ses différents éléments constitutifs ; la
consolidation du droit constitutionnel à travers la production de vastes syn-
thèses théoriques ; les retombées des secousses constitutionnelles qui modifient
la place du droit administratif ; la renaissance après la seconde guerre mon-
diale d'une science politique qui se prétend porteuse d'un savoir nouveau sur
l'Etat. Solidement arrimée à la jurisprudence du Conseil d'Etat, encensé par
des cohortes de thuriféraires, le droit administratif paraît être, non seulement
un des éléments fondateurs de la conception française de l'Etat, mais encore
un modèle à suivre pour les pays étrangers.-
1) Laprééminence dupoint de vuejuridique
a) La prétention du droit administratif à devenir le seul savoir utile à la
pratique administrative sera étayée par la construction, d'abord en Allemagne
à la fin du XIXème siècle, puis en France au début du XXèmede la théorie de
"l'Etat de droit"30. A la différence de "l'Etat de police", l'Etat de droit
34. Redor (M.-J.), Del'Etat légal à l'Etat de droit. L'évolution des conceptions de la doc-
trine publicistefrançaise (1879-1914), Economica 1992.
35. Chevallier (J.), "Les fondements idéologiques du droit administratif français", in
Variations autour de l'idéologie de l'intérêt général, PUF 1979.
36. Redor (M.-J.), op. cit.
37. François (B.), "Justice constitutionnelle et démocratie constitutionnelle", in Droit et
politique, PUF 1993, p. 58.
38. Favre (P.), op. cit.
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ne suffit pas seulement pour eux d'être de bons juristes39 . Ensuite, une
réflexion sur les problèmes d'organisation interne et de gestion des services,
largement ouverte aux acquis du Business management, se développe en
marge de l'Université : illustrée par les noms de Chardon et surtout de Fayol,
elle préfigure la renaissance de la science administrative. Enfin, dans les facul-
tés de droit elles-mêmes, la prééminence du droit administratif n'exclut pas un
intérêt plus large pour les sciences administratives et politiques, dont témoi-
gnent les travaux de Larnaude mais aussi de Duguit et d'Hauriou : certes, cet
intérêt traduit souvent une volonté d'annexion au droit de la science politique
naissante40 ; cependant, l'interrogation sur les fondements sociologiques de
l'action administrative est bien présente dans ces travaux et l'introduction
progressive d'enseignements relevant des sciences sociales, notamment à la
faveur de la réforme des études de droit de 1954, montre bien une prise de
conscience des limites de la dogmatique juridique, renforcée par le développe-
ment de la science politique après la seconde guerre mondiale. Le monopole du
savoir juridique dans le champ des études administratives est donc loin d'être
total : le droit administratif coexiste avec d'autres disciplines ; néanmoins,
celles-ci restent marginales et périphériques par rapport à un droit ancré dans
ses certitudes, doté d'un grand prestige et assuré par sa forte structuration
d'une place de choix au coeur du droit public.
2) Le droit administratifcommeseul vrai droit
a) La prééminence du droit administratif au sein du droit public s'explique
par un ensemble de caractéristiques intrinsèques, mais qui elles-mêmes ren-
voient à la configuration particulière du champ social qui garantit sa produc-
tion et sa reproduction. La cohérence, à la fois synchronique et diachronique,
du droit administatif n'est pas en effet le produit d'une génération spontanée :
elle résulte de l'intervention d'agents actifs de systématisation, gardiens de la
continuité de la permanence des significations, qui travaillent à résorber les
dissonnances et à assurer le maintien de l'harmonie d'ensemble41.
Le droit administratif a été marqué dès l'origine par son caractère juris-
prudentiel : en l'absence de textes généraux, c'est le juge administratif qui a
été amené à forger les grands principes autour desquels il a été construit ; ce
mode de production jurisprudentiel a contribué à établir la juridicité d'un
droit dont les règles étaient apparemment, non seulement indépendantes des
39. On voit ainsi s'esquisser deux circuits durables de recrutement des fonctionnaires :
l'école libre, qui prépare à la haute fonction publique, à partir d'une formation non exclusi-
vement juridique ; les facultés de droit, qui préparent aux emplois administratifs moyens, en
privilégiant l'acquisition de connaissances juridiques - prééminence du droit qui répond à des
considérations instrumentales mais aussi symboliques (Verrier (P.-E.), "Les statues de la fonc-
tion publique : les juristes et leurs prédateurs dans le système administratif", PMP 1985, n° 3,
pp. 1ss).
40. Pour Duguit, "cette prétendue science politique n'est autre chose que le droit constitu-
tionnel, c'est-à-dire une branche de la science générale du droit".
41. Voir sur cet aspect, Chevallier (J.), "Changement politique et droit administratif", in
Les usages sociaux du droit, PUF, 1989, pp. 293 ss.
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42. Bourdieu (P.), "La force du droit : éléments pour une sociologie du champ juridique ,
ARSS n° 64, septembre 1986, p. 3.
43. François (B.), "Du juridictionnel au juridique. Travail juridique, construction juris-
prudentielle du droit et montée en généralité", in Droit et politique, PUF 1993, p. 211.
44. Gazier (F.), "Le choeur à deux vois de la doctrine et de la jurisprudence", EDCE 1956,
p. 156.
45. Rivero (J.), "Apologie pour les faiseurs de systèmes", Dalloz 1951,1, pp. 97 ss.
46. François (B.), in Droit et politique, op. cit. p. 204.
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50. Reynaud (P.), "Des droits del'homme àl'Etat dedroit :les droits del'hommeet leurs
garanties chezles théoriciensfrançais classiques dedroit public", Droits n°2,1985, pp. 61ss.
51. Pisier (E.), "Léon Duguit et le contrôle de la constitutionnalité des lois. Paradoxes
pour paradoxes", MélangesDuverger, PUF 1987, pp. 189ss.
52. in Mélanges Waline, LGDJ1974, p. 777.
53. François (B.), "Une revendication dejuridiction. Compétence et justice dans le droit
constitutionnel dela VèmeRépublique", Politix, n° 1O-1l,1990, p. 95.
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II - LACRISE DUDROITADMINISTRATIF
La crise du droit administratif résulte à la fois de facteurs intrinsèques et
extrinsèques : tandis que le jeu de croyances sur lequel il s'appuyait et mettait
son institution à l'abri de toute critique a eu tendance à s'effriter, il a subi la
concurrence de plus en plus agressive d'une science administrative,
s'appuyant sur les acquis de la sociologie, et d'un droit constitutionnel, trou-
vant enfin dans la jurisprudence constitutionnelle le moyen de sa reconnais-
sance dans le champ du savoir juridique ; les deux aspects s'alimentent
réciproquement, dans la mesure où l'affaiblissement des certitudes entourant
le droit administratif laisse la place libre à de nouveaux savoirs qui, en s'affir-
54. L. Duguit (L.), Traité de droit constitutionnel, 3ème éd., Fontemoing, 1927,pp. 680ss.
55. Dans le même sens, voir les définitions que M. Hauriou donne respectivement du droit
constitutionnel (Précis de droit constitutionnel, 2ème éd., Sirey 1929, pp. 215 ss) et du droit
administratif (Précis du droit administratif et du droit public, llème éd.., Sirey, 1927, p. 22).
56. Vedel (G.), "Les bases constitutionnelles du droit administratif", EDCE n° 8.
57. Vedel (G.), Mélanges Waline, préc. p. 793.
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A) Dépassement
Le droit administratif s'est trouvé soumis à un tir croisé : tandis que
l'approche exclusivement juridique des phénomènes administratifs était remi-
se en cause sous l'effet du renouveau de la science administrative et de la mise
en avant de considérations d'efficacité, l'étoile du droit administratif commen-
çait à pâlir du fait de l'essor d'un droit constitutionnel armé de certitudes
nouvelles ; critiqué, tantôt pour excès de droit, tantôt pour défaut de droit, le
droit administratif a subi un double déficit de légitimité.
1) Les limites du droit administratif
Pendant de longues années, le droit administratif a pu apparaître comme
l'instrument privilégié, sinon exclusif, de connaissance de la réalité adminis-
trative. Le retour à partir des années soixante59 à un point de vue plus large
montre la prise de conscience des limites du droit administratif sur le plan
cognitif.
Le droit administratif verra d'abord remise en cause sa prétention à occu-
58. Comme l'écrit justement J.J. Bienvenu ("Le droit administratif : une crise sans catas-
trophe", Droits n° 4, 1986, p. 93), "depuis trente ans, la crise est devenue pour la doctrine le
mode de description privilégié de l'état du droit administratif, au point que l'on serait tenté
d'écrire : la crise est l'expression du droit administratif' ...
59. Les deux table-rondes organisées par l'Institut français des sciences administratives, le
13 janvier 1968 (La recherche administrative en France, Cahiers IFSA n° 3, Ed. Cujas, 1968)
et le 16 mai 1981 (Voir Chevallier (J.), in RFAP n° 19, 1981, pp. 129 ss), permettent de mesu-
rer l'évolution de la science administrative pendant cette période.
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64. Loschak (D.), "La science administrative et le droit", MélangesLangrod 1980,p. 49.
65. Encesens, Caillosse (J.), "La décentralisation, moded'emploi", RDP1988, n° 5, pp.
1229ss.
66. Caillosse (J.), "L'administration française doit-elle s'évader du droit administratif
pour relever le défi del'efficience ?", PMP1989,n°2, p. 163et aussi"Variations sur lemodè-
lejuridique d'administration. Lamodernisation del'Etat", AJDA1991,p. 759.
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Tout va changer à partir des années soixante dix : les critiques ma-
nagériale et néo-libérale du droit administratif vont en effet être relayées au
sein du champ juridique lui-même ; le "choeur à deux voix" de la jurispruden-
ce et de la doctrine est perturbé par le développement d'analyses sans com-
plaisance sur les vertus du système français de droit administratif. On
constate d'abord le déclin relatif du pouvoir normatif du juge administratif80 :
alors que le juge avait construit de toutes pièces au fil de sa jurisprudence un
édifice majestueux, dont les principes généraux du droit constituaient le plus
beau fleuron, on assisterait au tarissement des "grands arrêts"81, les règles du
jeu étant désormais fixées et le droit écrit occupant une place croissante ; le
juge administratif paraît être voué à la gestion de l'acquis et la jurisprudence
redevenir une simple "source supplétive". Si cette thèse du déclin du "pouvoir
jurisprudentiel" est compensée par le constat d'une ascension d'un "pouvoir
juridictionnel", par lequel le juge étendrait son contrôle sur l'administration,
elle prend une portée nouvelle à partir du moment où ce contrôle lui-même
sera l'objet de sévères critiques, dont on trouve un parfait condensé dans le
numéro spécial consacré en 1988 par la revue Pouvoirs au droit administratif :
la capacité du juge administratif de satisfaire l'attente des justiciables est mise
en doute, notamment du fait de la durée excessive des instances et des compli-
cations procédurales, la révérence à l'égard du pouvoir administratif dénon-
cée et surtout l'efficacité de la protection contre l'arbitraire administratif mise
en doute, compte tenu de l'existence d'importantes "zones de non-droit" et de
"pratiques confinant au déni de justice"82. Enfin, le tabou ultime est violé à
partir du moment où c'est "l'indépendance du Conseil d'Etat statuant au
contentieux"83 qui est suspectée : cette fois c'est la constitution même du droit
77. Rivero (J.), "Le Huron au Palais Royal", Dalloz 1962, I, pp. 37 ss.
78. Weil (P.), "Le Conseil d'Etat statuant au contentieux : politique jurisprudentielle ou
jurisprudence politique", Annales de la Faculté de droit d'Aix en Provence 1959, pp. 281 ss -
problématique qui sera reprise par Loschak (D.), Le rôle politique du Conseil d'Etat, LGDJ
1972.
79. De Laubadère (A.), "Réflexions sur la crise du droit administratif', Dalloz 1952, I,
pp.5 ss.
80. Linotte (D.), "Déclin de pouvoir jurisprudentiel et ascension du pouvoir juridiction-
nel", AJDA 1980, pp. 632 ss - et les nuances de S. Rials ("Sur une distinction contestable et un
trop réel déclin", AJDA 1981, pp. 115 ss).
81. Robert (J.), "Conseil d'Etat et Conseil constitutionnel : propos et variations", RDP
1987, pp. 1151 ss - diagnostic critiqué par S. Hubac et Y. Robineau (in Pouvoirs n° 46, 1988,
pp. 113)) pour qui le juge administratif continuerait à créer des règles là où les enjeux poli-
tiques et sociaux sont importants.
82.Voir notamment Loschak (D.), "Le droit administratif, rempart contre l'arbitraire ?",
pp. 43 ss.
83. Dupeyroux (O.), RDP 1983, n° 3, pp. 565 ss.
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84. François (B.), "Le juge, le droit et la politique : éléments d'une analyse politiste",
RFDC 1990, n° l,p. 64.
85. François (B.), Politix préc. p. 98 et "La Constitution du droit ?" in La doctrine juri-
dique, PUF 1993.
86. Poirmeur (Y.), Rosenberg (D.), "La doctrine constitutionnelle et le constitutionnalis-
me français", in Les usages sociaux du droit, PUF 1989, pp. 234 ss.
87. François (B.), Politix préc. p. 105.
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