Extrait
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Journées
Sous la direction de
Delphine BRACH-THIEL et Ann JACOBS
La responsabilité pénale
de la personne morale
Enjeux et avenir
La responsabilité pénale
de la personne morale
Enjeux et avenir
Comité International des Pénalistes Francophones
COMITÉ DE LECTURE
Kazumasa AKAIKE
Professeur à l’Université Ryukoku de Kyoto (Japon)
Vice-Président du Comité des pénalistes francophones
Delphine BRACH-THIEL
Maître de Conférences HDR à l’Université de Lorraine (France)
Membre de l’Institut François Gény (EA 7301)
Jean-Paul CÉRÉ
Maître de Conférences à l’Université de Pau (France)
Vice-Président de l’Association Française de Droit Pénal
Président du Comité International des pénalistes francophones
Ann JACOBS
Professeur à l’Université de Liège (Belgique)
Directrice de l’Unité de droit pénal et de procédure pénale
Carlos Eduardo JAPIASSÚ
Professeur à l’Université d’État de Rio de Janeiro (Brésil)
Président de l’Association Brésilienne de Droit Pénal
Secrétaire général adjoint de l’Association Internationale de Droit Pénal
Vice-Président du Comité International des pénalistes francophones
Leonid GOLOVKO
Professeur à l’Université d’État de Moscou Lomonossov (Russie)
Vice-Président du Comité International des pénalistes francophones
Khaly NIANG
Avocat au Barreau de Paris
Président de l’Académie Internationale des Hautes Études sur la Sécu-
rité, Dakar (Sénégal)
Vice-Président du Comité International des pénalistes francophones
Sous la direction de
Delphine BRACH-THIEL et Ann JACOBS
LA RESPONSABILITE PENALE
DE LA PERSONNE MORALE
Enjeux et avenir
L’Harmattan
Les auteurs
Delphine BRACH-THIEL
Maître de conférences à l’Université de Lorraine
Membre de l’Institut François Gény – ISCRIMED (EA 7301)
La responsabilité pénale de la personne morale
en France. Genèse et objectifs
Delphine BRACH-THIEL
Maître de conférences HDR à l’Université de Lorraine
Membre de l’Institut François Gény – ISCRIMED (EA 7301)
1 ème
MERLE et VITU, Traité de droit criminel, t.1, 6 éd., n° 97.
2
BOULOC, « La responsabilité pénale des entreprises en droit français », RIDC 1994,
p. 669 et s., op. cit., p. 670.
8 La responsabilité pénale de la personne morale
I. La genèse du principe
Si l’ancien droit connaissait la responsabilité pénale des groupe-
ments, à travers celle des « communautés de villes, bourgs et
villages, corps et compagnies »3, les révolutionnaires l’ont supprimée.
Le code pénal de 1810 a confirmé ce mouvement en s’orientant vers
l’unique responsabilité des seules personnes physiques, membres du
groupement.
C’est donc uniquement l’importante évolution de l’organisation de la
société moderne au cours des siècles et le constat de l’importance
qu’avaient pris les personnes morales, qui expliquent l’évolution des
pensées et des théories en la matière. Cette évolution trouvera en-
suite sa consécration législative.
A. L’évolution de la pensée
Il a fallu passer de la théorie initiale de la fiction à celle plus moderne
de la réalité. Selon cette théorie de la fiction qui avait cours en 1810,
la personne morale est un être fictif, elle n’a ni corps, ni âme en de-
hors des membres qui la composent. C’est une création de la loi.
Il n’y a pas de personnalité morale sans que la loi ne le décide. Quant
à la théorie de la réalité, il s’agit de mettre en avant une conception
plus sociologique de la personne morale. Les groupements ont une
personnalité juridique, notamment lorsqu’ils défendent des intérêts
collectifs distincts des intérêts individuels des membres qui la com-
posent. Le juge civil a d’ailleurs consacré cette théorie dans un arrêt
du 28 janvier 19544, qui constitue au demeurant une étape majeure
jalonnant le long chemin sinueux menant à la responsabilité pénale
de la personne morale. En effet, si l’on part du postulat que « le prin-
cipe de l’irresponsabilité pénale des personnes morales repose
essentiellement sur le dogme de la fiction, alors que la théorie de la
réalité postule l’affirmation de la responsabilité pénale »5, la position
du juge civil, clairement exprimée dans cet arrêt, marque un impor-
tant basculement.
3
Ordonnance royale de 1670, titre 21, POTHIER, Procédure criminelle, n° 185-186.
4
Cass. civ. 28 janvier 1954, D. 1954.217, note G. LEVASSEUR.
5
R. BERNARDINI, Rep. Pén., V° Personne morale, 2010, n° 7.
Genèse et objectifs 9
Les arguments en faveur de l’irresponsabilité pénale de la personne
morale ne résistent alors plus à l’analyse. À ceux qui pensaient qu’un
être moral ne pouvait commettre une infraction, il a été répondu que
c’est méconnaître la réalité, car le groupement est souvent le cadre
de la commission d’une infraction et intervient même fréquemment
« comme cause, moyen ou bénéficiaire des faits délictueux »6. À ceux
qui pensaient que les personnes morales n’avaient pas de volonté
propre, il a été opposé notamment les infractions purement maté-
rielles7. À ceux qui avançaient l’argument du principe de spécialité de
la personne morale, qui n’agit que dans le cadre de son objet social, il
a été répondu que des infractions peuvent être commises dans le
cadre du fonctionnement même de ses institutions. À ceux qui met-
taient en avant le principe de la personnalité des peines8, ainsi que la
spécificité des sanctions pénales, il a été répondu que des sanctions
déjà existantes peuvent être appliquées au groupement, et que de
nouvelles sanctions peuvent être créées. Par ailleurs, si sanctionner
pénalement une personne morale aurait des répercussions sur les
salariés ou les actionnaires minoritaires par exemple, il en va de
même lorsqu’une sanction pénale est prononcée contre une per-
sonne physique : elle peut également avoir des répercussions sur sa
famille ou sur ses créanciers.
6
Obs. sous cass. crim. 2 décembre 1997, n° 96-85484 in Les grands arrêts du droit
ème
pénal général, par J. PRADEL et A. VARINARD, 8 éd. Dalloz, 2012, p. 505.
7
Voir notamment R. BERNARDINI, op. cit., n° 19.
8
Art. 121-1 du code pénal : « nul n’est responsable que de son propre fait ». C’est un
principe à valeur constitutionnelle : Cons. constit. 16 juin 1989, D. 1999.589, note
Y. MAYAUD.
9
Ordonnance n° 45920 : les entreprises de presse peuvent alors être poursuivies
comme auteur ou complice.
10
Loi n° 70-9 du 2 janvier 1970, relative à l’exercice de l’activité d’agent immobilier.
Les articles 1 et 16 autorisent poursuites et condamnations pénales à l’encontre des
personnes morales.
10 La responsabilité pénale de la personne morale
11
Aujourd’hui, les articles L. 4741-2 et L. 4741-11 du code du travail. L’employeur peut
prendre en charge tout ou partie des amendes prononcées contre les employés en cas
d’infractions ayant entraîné la mort ou des blessures par imprudence.
12
Art. 30 de l’avant-projet de loi.
13
M. ARPAILLANGE, Garde des Sceaux, JO, débats parlementaires, 10 mai 1989, p. 554.
14
Proposition du rapporteur M. R UDLOFF.
Genèse et objectifs 11
leurs organes ou représentants »15. Quid de l’objectif du législateur
de l’époque ? L’article 121-2 du code pénal a-t-il permis de
l’atteindre ?
15 er
Il figure dans le livre 1 du nouveau code pénal, adopté par la loi du 22 juillet 1992.
Cette nouvelle disposition, avec le reste du nouveau code pénal, est entrée en vigueur
er
le 1 mars 1994.
16
La théorie du substratum humain implique ipso facto la possibilité, au moins théo-
rique, d’un cumul des poursuites entre personnes physiques et personnes morales,
puisqu’un être physique aura dû accomplir l’infraction dans tous ses éléments consti-
tutifs.
17
Exposé des motifs du projet de loi de février 1986, p. 6.
18
Ex. intervention Hyest, JOAN 12 octobre 1989, p. 3405.
12 La responsabilité pénale de la personne morale
19
B. DE LAMY et M. SEGONDS, J-Cl. pénal des affaires, fasc. 7, Notions fondamentales,
2004, n° 43.
20
V. aussi J. PRADEL et A. VARINARD, supra note 6, p. 524.
21
Par exemple, la très importante loi n° 2001-504 du 12 juin 2001 renforçant la pré-
vention et la répression des mouvements sectaires portant atteinte aux droits de
l’homme et aux libertés fondamentales.
22
Art. 54 de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004.
Genèse et objectifs 13
pénal douanier, en matière d’urbanisme ou en droit pénal des socié-
tés, et évidemment en droit pénal du travail.
Pour autant, c’est surtout la loi Fauchon du 10 juillet 200023 qui a
apporté un véritable coup de fouet visant à propulser la responsabili-
té pénale de la personne morale et à alléger celle des personnes
physiques. Si elle ne concerne que les délits non intentionnels – mais
il s’agit en la matière de l’essentiel du contentieux – elle opère une
véritable distinction sur le terrain de la causalité entre les décideurs
personnes physiques et la personne morale. Elle a donc créé une
véritable responsabilité pénale de substitution de la personne mo-
rale, en cas de faute légère, conformément à la volonté initiale du
législateur.
Quid de l’avenir ? S’« il est tout aussi difficile de punir un être imma-
tériel que de déjeuner avec lui »24, il faut convenir que la
responsabilité pénale de la personne morale fait désormais partie du
paysage juridique français, et c’est heureux.
Le 29 septembre 2014
23
Loi n° 2000-647 du 10 juillet 2000 tendant à préciser la définition des délits non
intentionnels.
24
J. PRADEL et A. VARINARD, supra note 6, p. 531.
Retour sur la genèse de la responsabilité des
personnes morales en droit belge
Patrick THEVISSEN
Assistant à l’Université de Liège
Avocat au Barreau d’Eupen
1
J. VAN HOUTTE, « Strafbaarheid van juridische personen ? », Rechtsk. T. 1933, p. 423.
16 La responsabilité pénale de la personne morale
2
Cass., 13 février 1905, Pas. 1905, I, p. 127.
La responsabilité des personnes morales en droit belge 19
autonomes sont insusceptibles à la fois d’agir seules et de manifester
une intention qui leur est propre, l’imputation matérielle et morale
de l’infraction est impossible.
C’est ainsi que l’adage s’est imposé que Societas delinquere non po-
test, l’absence de faculté de discernement et la nécessaire
dépendance à l’égard de leurs organes rendant absurde toute idée de
culpabilité des personnes morales.
3
Le revirement est opéré par Cass., 8 avril 1946, Pas. 1946, I, p. 136.
4
Cass., 16 décembre 1948.
La responsabilité des personnes morales en droit belge 23
est auteur de l’infraction »5. En d’autres mots Societas delinquere
potest, sed puniri non potest. Un revirement… en demi-teinte.
B. La pénologie repensée
Dès lors que les nouvelles bases idéologiques de l’imputabilité des
infractions étaient posées par l’adoption de la théorie de la réalité
technique, les arguments relatifs aux peines ont également dû être
reconsidérés et ce, sous un jour nouveau.
Même dans la théorie classique de la fiction, la faiblesse de
l’argument relatif à l’applicabilité des peines traditionnelles aux per-
sonnes morales avait déjà été évoquée. Ce n’est pas ce motif qui a
été déterminant d’autant que des formes adaptées de sanction ont
très vite été identifiées : mesures répressives affectant la réputation
des entreprises (stigmatisation sociale par publication des condam-
nations), mesures affectant leur patrimoine (amendes, confiscations,
interdictions de faire appel public à l’épargne), mesures affectant
l’activité de l’entité (interdiction d’exercer), mesures affectant
l’existence même de la société (dissolution). De surcroît, une forme
atténuée de responsabilité et de sanction pénale existait déjà à
charge des personnes morales par la reconnaissance, dans nombre
de lois anciennes, de l’existence d’une responsabilité civile des per-
sonnes morales pour les amendes prononcées à l’encontre de leurs
organes, dirigeants ou préposés. En fin de compte, le « coût » de
l’infraction était ainsi à charge de l’entreprise, c’était elle qui en souf-
frait les conséquences pécuniaires.
C’est surtout le principe de personnalité des peines qui a été invoqué
pour chercher à tenir en échec la responsabilité pénale pleine et
entière des personnes morales. Mais à y songer, est-ce le propre de
la sanction collective que d’atteindre des tiers irréprochables ? Toute
peine infligée n’atteint-elle pas d’une manière ou d’une autre, direc-
tement ou indirectement des individus innocents ? Comme l’a
rappelé Donnedieu de Vabres, « il est dans la nécessité des choses
que l’infliction d’une peine ait des répercussions sur des tiers inno-
cents. Quand un chef de famille est frappé, sa femme, ses enfants en
subissent les conséquences matérielles et morales ». Pour autant on
ne peut abandonner toute répression. Telle n’est d’ailleurs pas
5
Cass., 8 avril 1946, Pas. 1946, I, p. 136.
24 La responsabilité pénale de la personne morale