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Comité International des Pénalistes Francophones

Journées
Sous la direction de
Delphine BRACH-THIEL et Ann JACOBS

La responsabilité pénale
de la personne morale

Enjeux et avenir
La responsabilité pénale
de la personne morale
Enjeux et avenir
Comité International des Pénalistes Francophones

La présente collection se destine à la publication des travaux du Comité des Péna-


listes francophones. Elle comprend notamment les actes des congrès
internationaux organisés par le Comité.

COMITÉ DE LECTURE
Kazumasa AKAIKE
Professeur à l’Université Ryukoku de Kyoto (Japon)
Vice-Président du Comité des pénalistes francophones
Delphine BRACH-THIEL
Maître de Conférences HDR à l’Université de Lorraine (France)
Membre de l’Institut François Gény (EA 7301)
Jean-Paul CÉRÉ
Maître de Conférences à l’Université de Pau (France)
Vice-Président de l’Association Française de Droit Pénal
Président du Comité International des pénalistes francophones
Ann JACOBS
Professeur à l’Université de Liège (Belgique)
Directrice de l’Unité de droit pénal et de procédure pénale
Carlos Eduardo JAPIASSÚ
Professeur à l’Université d’État de Rio de Janeiro (Brésil)
Président de l’Association Brésilienne de Droit Pénal
Secrétaire général adjoint de l’Association Internationale de Droit Pénal
Vice-Président du Comité International des pénalistes francophones
Leonid GOLOVKO
Professeur à l’Université d’État de Moscou Lomonossov (Russie)
Vice-Président du Comité International des pénalistes francophones
Khaly NIANG
Avocat au Barreau de Paris
Président de l’Académie Internationale des Hautes Études sur la Sécu-
rité, Dakar (Sénégal)
Vice-Président du Comité International des pénalistes francophones
Sous la direction de
Delphine BRACH-THIEL et Ann JACOBS

LA RESPONSABILITE PENALE
DE LA PERSONNE MORALE
Enjeux et avenir

L’Harmattan
Les auteurs

Delphine BRACH-THIEL, Maître de conférences HDR à l’Université de


Lorraine
Loïc de GRAËVE, Maître de conférences à l’Université de Lorraine
Ann JACOBS, Professeur à l’Université de Liège
Jérôme LASSERRE CAPDEVILLE, Maître de conférences HDR à l’Université de
Strasbourg
Sabrina LAVRIC, Maître de conférences à l’Université de Lorraine
Adrien MASSET, Professeur à l’Université de Liège, Avocat aux barreaux
de Verviers et Liège
Jean-Christophe SAINT-PAU, Professeur à l’Université de Bordeaux
Patrick THEVISSEN, Assistant à l’Université de Liège, Avocat au barreau
d’Eupen
Véronique TRUILLET, Substitut du procureur général de Liège
Julien WALTHER, Maître de conférences HDR à l’Université de Lorraine

Avec le concours de l’Institut François Gény


Avant-Propos

La naissance du Comité international des pénalistes francophones à


Pau en 2010 a suscité diverses initiatives, dont l’organisation de
Journées franco-belges de droit pénal par les Université de Lorraine
et de Liège.
Le présent ouvrage rassemble les actes de la troisième journée con-
sacrée à la responsabilité pénale de la personne morale, qui s’est
tenue à Metz en mars 2014.
Cette journée a eu pour objectif de mettre en perspective le droit
français et le droit belge concernant un sujet d’actualité, la responsa-
bilité pénale des personnes morales, ne cessant de faire l’objet de
commentaires au regard de la jurisprudence, fluctuante ou ambiguë
– c’est selon – de la Cour de cassation.
À cet égard, le point de vue belge s’avère riche d’enseignements car
le droit pénal belge apparaît en la matière proche, sans être similaire.
Or, vingt ans après l’avènement en France d’un nouveau type de
responsabilité pénale, et alors même que le contentieux ne se tarit
point tant les problèmes juridiques posés sont loin d’être réglés, il
était opportun de s’interroger sur les enjeux en la matière et l’avenir
de la responsabilité pénale de la personne morale. Le regard croisé
stimule les échanges, tout en les rendant extrêmement féconds.
Telles sont les questions qui ont été abordées au cours de cette jour-
née d’étude et qui se retrouvent condensées dans le présent
ouvrage.

Delphine BRACH-THIEL
Maître de conférences à l’Université de Lorraine
Membre de l’Institut François Gény – ISCRIMED (EA 7301)
La responsabilité pénale de la personne morale
en France. Genèse et objectifs

Delphine BRACH-THIEL
Maître de conférences HDR à l’Université de Lorraine
Membre de l’Institut François Gény – ISCRIMED (EA 7301)

La personne morale est pénalement responsable de ses actes. Au-


trement dit, elle tue, vole, ment, viole. Or, comment l’expliquer, alors
que la personne morale n’est fondamentalement qu’une fiction juri-
dique, un être immatériel qu’on imagine difficilement tuer, voler,
mentir, violer ? Et alors qu’on l’imagine encore plus difficilement être
incarcérée pour cela.
Le principe de la responsabilité pénale de la personne morale, en
France, est gravé dans le marbre depuis la réforme du code pénal de
1992, entrée en vigueur au 1er mars 1994. 20 ans donc… Déjà
20 ans… Seulement 20 années… Car le chemin a été long et sinueux
pour y arriver. Ce n’était en effet pas évident.
Comment est-on passé d’un droit pénal français, conçu en 1810,
comme un droit fondé sur la responsabilité morale du délinquant, la
responsabilité du fait personnel1, à un droit pénal qui admet la res-
ponsabilité pénale d’un être immatériel, donc censé commettre des
infractions ? Le principe était pourtant simple et clair : « on est res-
ponsable de son fait personnel et un groupement, en tant que tel, ne
peut pas être responsable pénalement »2. Or, le principe est toujours
celui de la responsabilité du fait personnel, appliqué néanmoins au-
jourd’hui à la personne morale. Pourquoi avons-nous eu besoin de
modifier la loi pénale et consacrer une responsabilité pénale de la
personne morale ? Que souhaitait le législateur de l’époque, et in fine
le résultat est-il à la hauteur de ces objectifs ? Ce sont ces deux
points que nous allons expliciter dans ce propos introductif.

1 ème
MERLE et VITU, Traité de droit criminel, t.1, 6 éd., n° 97.
2
BOULOC, « La responsabilité pénale des entreprises en droit français », RIDC 1994,
p. 669 et s., op. cit., p. 670.
8 La responsabilité pénale de la personne morale

I. La genèse du principe
Si l’ancien droit connaissait la responsabilité pénale des groupe-
ments, à travers celle des « communautés de villes, bourgs et
villages, corps et compagnies »3, les révolutionnaires l’ont supprimée.
Le code pénal de 1810 a confirmé ce mouvement en s’orientant vers
l’unique responsabilité des seules personnes physiques, membres du
groupement.
C’est donc uniquement l’importante évolution de l’organisation de la
société moderne au cours des siècles et le constat de l’importance
qu’avaient pris les personnes morales, qui expliquent l’évolution des
pensées et des théories en la matière. Cette évolution trouvera en-
suite sa consécration législative.

A. L’évolution de la pensée
Il a fallu passer de la théorie initiale de la fiction à celle plus moderne
de la réalité. Selon cette théorie de la fiction qui avait cours en 1810,
la personne morale est un être fictif, elle n’a ni corps, ni âme en de-
hors des membres qui la composent. C’est une création de la loi.
Il n’y a pas de personnalité morale sans que la loi ne le décide. Quant
à la théorie de la réalité, il s’agit de mettre en avant une conception
plus sociologique de la personne morale. Les groupements ont une
personnalité juridique, notamment lorsqu’ils défendent des intérêts
collectifs distincts des intérêts individuels des membres qui la com-
posent. Le juge civil a d’ailleurs consacré cette théorie dans un arrêt
du 28 janvier 19544, qui constitue au demeurant une étape majeure
jalonnant le long chemin sinueux menant à la responsabilité pénale
de la personne morale. En effet, si l’on part du postulat que « le prin-
cipe de l’irresponsabilité pénale des personnes morales repose
essentiellement sur le dogme de la fiction, alors que la théorie de la
réalité postule l’affirmation de la responsabilité pénale »5, la position
du juge civil, clairement exprimée dans cet arrêt, marque un impor-
tant basculement.

3
Ordonnance royale de 1670, titre 21, POTHIER, Procédure criminelle, n° 185-186.
4
Cass. civ. 28 janvier 1954, D. 1954.217, note G. LEVASSEUR.
5
R. BERNARDINI, Rep. Pén., V° Personne morale, 2010, n° 7.
Genèse et objectifs 9
Les arguments en faveur de l’irresponsabilité pénale de la personne
morale ne résistent alors plus à l’analyse. À ceux qui pensaient qu’un
être moral ne pouvait commettre une infraction, il a été répondu que
c’est méconnaître la réalité, car le groupement est souvent le cadre
de la commission d’une infraction et intervient même fréquemment
« comme cause, moyen ou bénéficiaire des faits délictueux »6. À ceux
qui pensaient que les personnes morales n’avaient pas de volonté
propre, il a été opposé notamment les infractions purement maté-
rielles7. À ceux qui avançaient l’argument du principe de spécialité de
la personne morale, qui n’agit que dans le cadre de son objet social, il
a été répondu que des infractions peuvent être commises dans le
cadre du fonctionnement même de ses institutions. À ceux qui met-
taient en avant le principe de la personnalité des peines8, ainsi que la
spécificité des sanctions pénales, il a été répondu que des sanctions
déjà existantes peuvent être appliquées au groupement, et que de
nouvelles sanctions peuvent être créées. Par ailleurs, si sanctionner
pénalement une personne morale aurait des répercussions sur les
salariés ou les actionnaires minoritaires par exemple, il en va de
même lorsqu’une sanction pénale est prononcée contre une per-
sonne physique : elle peut également avoir des répercussions sur sa
famille ou sur ses créanciers.

B. La consécration législative du principe


Quelques lois éparses ont précédé les travaux parlementaires visant
à réformer le code pénal. Peuvent notamment être citées une or-
donnance du 5 mai 1945 visant à sanctionner les entreprises de
presse ayant collaboré avec l’ennemi9, une loi du 2 janvier 197010
concernant l’activité des agents immobiliers, personnes physiques ou

6
Obs. sous cass. crim. 2 décembre 1997, n° 96-85484 in Les grands arrêts du droit
ème
pénal général, par J. PRADEL et A. VARINARD, 8 éd. Dalloz, 2012, p. 505.
7
Voir notamment R. BERNARDINI, op. cit., n° 19.
8
Art. 121-1 du code pénal : « nul n’est responsable que de son propre fait ». C’est un
principe à valeur constitutionnelle : Cons. constit. 16 juin 1989, D. 1999.589, note
Y. MAYAUD.
9
Ordonnance n° 45920 : les entreprises de presse peuvent alors être poursuivies
comme auteur ou complice.
10
Loi n° 70-9 du 2 janvier 1970, relative à l’exercice de l’activité d’agent immobilier.
Les articles 1 et 16 autorisent poursuites et condamnations pénales à l’encontre des
personnes morales.
10 La responsabilité pénale de la personne morale

morales, et puis surtout en droit du travail, depuis 1976, les anciens


articles L. 263-2-1 et L. 263-3-1 du code du travail11.
Beaucoup plus ambitieux était le projet de la commission de révision
du code pénal, mise en place en 1974, ayant pour objectif de créer un
code « nouveau dans sa projection sur l’avenir ». L’avènement d’un
principe de responsabilité pénale des personnes morales participait
nécessairement à la réalisation de cette ambition. La commission
s’était appuyée sur la théorie de la réalité et l’analyse jurispruden-
tielle de 1954 pour consacrer la responsabilité du groupement, mais
uniquement le groupement dont « l’activité est de nature commer-
ciale, industrielle ou financière ».
L’avant-projet de loi avait quant à lui proposé de retenir la responsa-
bilité pénale des personnes morales, quelle que soit leur nature12.
Finalement le projet de loi, déposé en février 1986, pour être repris
en 1989, présenté pour la première fois à la commission du Sénat, a
limité la responsabilité pénale de la personne morale au « domaine
des activités commerciales, industrielles et financières », parce que,
a-t-on dit, ce sont ces activités qui sont le plus souvent à l’origine des
infractions13. Or, cette limite à la responsabilité pénale des personnes
morales n’apparaîtra plus dans le texte voté en première lecture par
le Parlement. Le Sénat étant réputé hostile à la mise en place de
cette responsabilité, un texte différent de celui de l’Assemblée natio-
nale sera donc finalement proposé le 10 avril 199014. Il comporte la
version qui a été promulguée en 1992 : les personnes morales sont
pénalement responsables « dans les cas prévus par la loi ou le règle-
ment ». L’objectif était de ne pas inquiéter outre mesure les
opposants à une extension trop large de la responsabilité pénale des
personnes morales. C’est donc dans un contexte légèrement tendu,
puisqu’il a fallu une commission mixte paritaire pour mettre d’accord
les deux assemblées, qu’a été créé le nouvel article 121-2 du code
pénal, disposant à l’époque : « les personnes morales, à l’exclusion
de l’État, sont responsables pénalement, dans les cas prévus par la loi
ou par le règlement, des infractions commises pour leur compte, par

11
Aujourd’hui, les articles L. 4741-2 et L. 4741-11 du code du travail. L’employeur peut
prendre en charge tout ou partie des amendes prononcées contre les employés en cas
d’infractions ayant entraîné la mort ou des blessures par imprudence.
12
Art. 30 de l’avant-projet de loi.
13
M. ARPAILLANGE, Garde des Sceaux, JO, débats parlementaires, 10 mai 1989, p. 554.
14
Proposition du rapporteur M. R UDLOFF.
Genèse et objectifs 11
leurs organes ou représentants »15. Quid de l’objectif du législateur
de l’époque ? L’article 121-2 du code pénal a-t-il permis de
l’atteindre ?

II. Les objectifs de la consécration d’un tel principe


Que souhaitait le législateur de 1992 en créant en France une nou-
velle hypothèse de responsabilité pénale, venant s’ajouter à la
responsabilité pénale des personnes physiques16 ? Ajouter sans re-
trancher apparemment. L’idée était d’alléger la responsabilité pénale
du chef d’entreprise. Or, il n’aura pas suffi d’un texte nouveau, issu
de compromis, pour tout bouleverser. Il aura fallu remettre l’ouvrage
sur le métier, pour essayer d’y parvenir.

A. Alléger la responsabilité pénale du chef d’entreprise


Selon l’exposé des motifs du projet de code pénal de 1986, il fallait
faire disparaître « la présomption de responsabilité pénale qui pèse
en fait sur des dirigeants à propos d’infractions dont ils ignorent par-
fois l’existence »17. Les débats parlementaires18 ont également fait
apparaître l’idée selon laquelle la responsabilité pénale de la per-
sonne morale devait permettre d’éviter ce qui était parfois perçu
comme une injustice, à savoir la poursuite pénale du chef
d’entreprise, simplement parce qu’il était le responsable de
l’entreprise. Notamment par exemple en cas d’atteintes involontaires
contre l’intégrité physique qui peuvent être le résultat d’une multi-
tude de manquements, de multiples fautes plus ou moins liées, d’une
sorte de fait collectif qui conduit dramatiquement à un accident.
Il ne fallait pas pour autant que les personnes physiques puissent se
cacher derrière l’être moral et s’exonérer ainsi de toute responsabili-
té, notamment en cas d’infractions intentionnelles. Ainsi, la création
de la responsabilité pénale de la personne morale devait permettre

15 er
Il figure dans le livre 1 du nouveau code pénal, adopté par la loi du 22 juillet 1992.
Cette nouvelle disposition, avec le reste du nouveau code pénal, est entrée en vigueur
er
le 1 mars 1994.
16
La théorie du substratum humain implique ipso facto la possibilité, au moins théo-
rique, d’un cumul des poursuites entre personnes physiques et personnes morales,
puisqu’un être physique aura dû accomplir l’infraction dans tous ses éléments consti-
tutifs.
17
Exposé des motifs du projet de loi de février 1986, p. 6.
18
Ex. intervention Hyest, JOAN 12 octobre 1989, p. 3405.
12 La responsabilité pénale de la personne morale

d’alléger la responsabilité pénale des dirigeants sociaux, sans la faire


disparaître19. La traduction juridique consiste en une possibilité de
cumuler les poursuites à la fois contre la personne physique et la
personne morale. Le principe de la possibilité d’un cumul s’est donc
imposé, notamment au nom de l’équité20. Mais il est, entre autres, la
cause de l’échec du législateur. En effet, après le 1er mars 1994, la
pratique des parquets a peu évolué et peu de personnes morales ont
été poursuivies. Il a donc fallu admettre que le texte, tel qu’il a été
voté en 1992, ne permettait pas – ou trop peu – de remplir le cahier
des charges.

B. Les modifications législatives nécessaires


La première version de l’article 121-2 du code pénal n’avait admis la
responsabilité pénale des personnes morales uniquement dans les
« cas prévus par la loi ou le règlement ». Elle avait donc consacré un
principe de spécialité, au terme duquel la responsabilité pénale de la
personne morale ne pouvait pas être engagée pour toutes les infrac-
tions. Or, au lendemain de l’avènement de ce grand principe,
beaucoup d’infractions étaient restées en dehors du champ d’impact
de cette nouvelle responsabilité, notamment celles définies par des
textes extérieurs au code pénal, par exemple la plupart des incrimi-
nations que l’on trouvait dans le code du travail. C’est l’une des
causes du peu de succès qu’a rencontré ce nouveau principe.
Par conséquent, le législateur s’est ensuite employé à limiter le
champ du principe de spécialité, en étendant par vagues succes-
sives21 les possibilités de rechercher la responsabilité pénale de la
personne morale. Le point d’orgue de ce mouvement a été la loi
Perben II qui a mis fin, purement et simplement, au principe de spé-
cialité22. Cette réforme est entrée en vigueur le 31 décembre 2005 et
est indubitablement de nature à permettre davantage de poursuites
contre la personne morale, notamment en droit pénal fiscal, en droit

19
B. DE LAMY et M. SEGONDS, J-Cl. pénal des affaires, fasc. 7, Notions fondamentales,
2004, n° 43.
20
V. aussi J. PRADEL et A. VARINARD, supra note 6, p. 524.
21
Par exemple, la très importante loi n° 2001-504 du 12 juin 2001 renforçant la pré-
vention et la répression des mouvements sectaires portant atteinte aux droits de
l’homme et aux libertés fondamentales.
22
Art. 54 de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004.
Genèse et objectifs 13
pénal douanier, en matière d’urbanisme ou en droit pénal des socié-
tés, et évidemment en droit pénal du travail.
Pour autant, c’est surtout la loi Fauchon du 10 juillet 200023 qui a
apporté un véritable coup de fouet visant à propulser la responsabili-
té pénale de la personne morale et à alléger celle des personnes
physiques. Si elle ne concerne que les délits non intentionnels – mais
il s’agit en la matière de l’essentiel du contentieux – elle opère une
véritable distinction sur le terrain de la causalité entre les décideurs
personnes physiques et la personne morale. Elle a donc créé une
véritable responsabilité pénale de substitution de la personne mo-
rale, en cas de faute légère, conformément à la volonté initiale du
législateur.
Quid de l’avenir ? S’« il est tout aussi difficile de punir un être imma-
tériel que de déjeuner avec lui »24, il faut convenir que la
responsabilité pénale de la personne morale fait désormais partie du
paysage juridique français, et c’est heureux.
Le 29 septembre 2014

23
Loi n° 2000-647 du 10 juillet 2000 tendant à préciser la définition des délits non
intentionnels.
24
J. PRADEL et A. VARINARD, supra note 6, p. 531.
Retour sur la genèse de la responsabilité des
personnes morales en droit belge

Patrick THEVISSEN
Assistant à l’Université de Liège
Avocat au Barreau d’Eupen

Peu de questions – en tout cas de questions juridiques – ont autant


donné lieu à controverses, à travers les âges, que celle de savoir si
une personne morale doit répondre pénalement des faits infraction-
nels commis dans le cadre de ses activités ou pour son compte. La
problématique est probablement aussi ancienne et universelle que
l’est la notion de personne morale elle-même.
Bien que l’on retrouve, dans l’histoire, quelques occurrences de sanc-
tions pénales infligées à des groupements – ainsi, pour prendre un
exemple « belge », lorsque Charles Quint, en répression d’une révolte
de la cité, fit condamner la ville de Gand – au demeurant sa ville
natale – pour infidélité et lèse-majesté et qu’à titre de sanction col-
lective les remparts furent détruits, une amende dut être versée et la
ville perdit ses privilèges1 – il semble qu’à travers les siècles, ce soit la
règle de l’absence de responsabilité pénale des personnes morales
qui ait eu valeur de principe.
Avec le développement toujours plus important des activités écono-
miques et de l’industrialisation, cette position a progressivement été
remise en question au point d’aboutir à ce qu’aujourd’hui, ce soit le
principe inverse – celui de la responsabilité pénale – qui est large-
ment reconnu.
C’est qu’au sein des personnes morales, les situations susceptibles
d’« intéresser » ou d’« émouvoir » le droit pénal ne manquent pas :
du défaut de prévoyance dans le déroulement des opérations de
production d’une entreprise causant des lésions corporelles involon-
taires à un ouvrier à l’organisation d’un groupe de sociétés
structurées pour frauder la TVA en passant par toutes sortes

1
J. VAN HOUTTE, « Strafbaarheid van juridische personen ? », Rechtsk. T. 1933, p. 423.
16 La responsabilité pénale de la personne morale

d’opérations plus ou moins obscures visant à se procurer, sur le mar-


ché, une position indue d’avantage par rapport aux concurrents, les
hypothèses d’atteintes aux intérêts de la Société, de la communauté
citoyenne dans laquelle nous évoluons tous, sont légion. Est-il envi-
sageable que du seul fait que l’auteur de l’infraction est non une
personne physique identifiée mais un être juridique désincarné, il y
ait impunité ?
Le caractère relativement récent de la responsabilisation pénale des
personnes morales alors que les phénomènes de trouble social sont
pourtant très anciens est symptomatique de ce que la responsabilité
pénale des personnes morales n’est pas, en soi, une évidence. Il n’est
donc pas vain d’examiner de plus près les thèses défendues au fil du
temps par les plus éminents juristes, d’autant que certains malaises
actuels dans la gestion de la responsabilité pénale des personnes
morales trouvent, en partie, leur origine dans le fait que toutes les
controverses soulevées au fil du temps n’ont pas toujours été solu-
tionnées de manière totalement satisfaisante.
Le « retour sur la genèse de la responsabilité pénale des personnes
morales en droit belge » – puisque tel est notre sujet – requerrait, en
principe, aussi un retour sur l’histoire et la genèse du droit pénal
français avec lequel le droit belge présente non seulement des liens
de filiation directe – rappelons qu’au temps des grandes codifications
napoléoniennes la Belgique était française – mais encore partage une
même généalogie romano-germanique. Dès lors que ces aspects ont
déjà été traités par d’autres intervenants à cette journée d’étude,
nous ne réitérerons pas l’exercice et nous nous contenterons de
renvoyer à ces travaux tout en soulignant néanmoins l’existence de
ces racines communes et l’importance de leur influence sur notre
droit belge d’aujourd’hui.
La remontée dans le temps que nous pratiquerons se limitera donc à
l’époque de l’indépendance de la Belgique, en 1830, au moment où
naît, à proprement parler, le droit belge. C’est à peu près à cet ins-
tant que s’anime le débat sur la responsabilité pénale des personnes
morales.
Historiquement on relève trois stades dans l’évolution vers la respon-
sabilité pénale des personnes morales.
La responsabilité des personnes morales en droit belge 17

I. La première époque : la position traditionnelle


Au lendemain de la Révolution française – qui avait démantelé les
corporations, aboli les privilèges et libéralisé le commerce – l’idée
dominante retenue dans les législations consistait à n’admettre de
responsabilité pénale, au sens strict du terme, que dans le chef de
personnes physiques. Seuls des êtres de chair et de sang étaient
susceptibles d’encourir une telle responsabilité. A contrario – bien
qu’aucun texte légal de l’époque ne l’exprime de manière ouverte –
c’est l’irresponsabilité pénale des personnes morales qui était ainsi
proclamée et les entités collectives, dans l’hypothèse d’une infraction
commise dans le cadre de leurs activités, restaient à l’écart des pour-
suites du Ministère public. Seules les personnes physiques par
lesquelles le groupement avait agi (organes, mandataires ou prépo-
sés) répondaient des faits illicites.
Telle était également la position adoptée par la Cour de cassation de
Belgique : étaient individuellement poursuivis, ès qualité, les « prési-
dent et membres du conseil d’administration (d’une) Société
anonyme » pour n’avoir pas respecté le prescrit d’un règlement ur-
banistique lors de l’édification, par la société qu’ils dirigeaient, de
bâtiments industriels, propriété de l’entreprise. La décision
d’instance qui relaxait les prévenus au motif que « les travaux dont il
s’agit ont été effectués pour compte de (la Société), propriétaire, et
non pour compte des inculpés précités (…) », fut cassée par la Cour
de cassation : « l’obligation d’obtenir autorisation de bâtir et de se
conformer aux conditions de cette autorisation pèse, en ordre princi-
pal, sur le propriétaire ; lorsque, comme en l’espèce, le propriétaire
est une société commerciale, être fictif, dépourvu de volonté intelli-
gente et libre, les obligations légales sanctionnées, en cas de
contravention, par des peines, que l’octroi de l’autorisation entraîne,
pèsent personnellement et individuellement sur ses représentants
légaux qui l’ont sollicité et auxquels incombe le devoir d’en assurer
l’accomplissement ; dans ces circonstances, il appartient au juge du
fond de déterminer, à l’aide des éléments de la cause, quels sont les
représentants légaux de la société auxquels la contravention peut
être imputée ; d’où suit que le jugement dénoncé a contrevenu aux
dispositions légales visées au pourvoi, en négligeant de se livrer à
cette recherche et en décidant à tort que les défendeurs échappent à
toute imputabilité par cela seul qu’ils ne sont pas personnellement
18 La responsabilité pénale de la personne morale

propriétaires de l’immeuble appartenant à la société qu’ils adminis-


trent »2.
Les arguments avancés historiquement pour écarter l’idée d’une
responsabilité pénale des personnes morales étaient tirés, d’une
part, de l’impossibilité pratique d’imputer une quelconque infraction
à un être non individuel et, d’autre part, de l’inapplicabilité et/ou
l’inefficacité des peines à l’égard d’êtres moraux.

A. L’imputabilité du fait à l’agent


N’agissant que par l’entremise de personnes physiques dont le con-
cours est indispensable à toute action, les êtres moraux, dépourvus
de toute réalité corporelle, paraissent incapables de commettre par
eux-mêmes des infractions.
Certes l’agent par lequel l’acte est posé se rend personnellement
coupable du fait délictueux, mais ceci n’est pas suffisant pour impu-
ter l’état infractionnel à la personne morale elle-même : celle-ci reste
avant tout une création du droit, un instrument dont usent – et par-
fois abusent – les individus.
De plus, dépourvue d’intelligence et de volonté propres, la personne
morale est ontologiquement incapable d’agir de manière répréhen-
sible. Derrière l’apparence d’autonomie collective du groupement se
cache en fait la diversité des intentions et des choix individuels qui
s’agrègent ponctuellement. Comme l’a souligné avec force Savigny,
« la personne juridique (…) n’étant qu’un être abstrait (…), la réalité
de son existence se fonde sur les déterminations d’un certain
nombre de représentants, qui, en vertu d’une fiction, sont considérés
comme ses déterminations propres. Une semblable représentation
(…) exclut la volonté proprement dite ». Ainsi la faute ne peut être
imputée à l’être abstrait car seuls les individus concrets par lesquels
la personne morale agit jouissent d’une volonté libre et faillible, eux
seuls se révèlent susceptibles de reproches et peuvent donc être
punis.
Dès lors que l’infraction pénale suppose l’existence d’un fait infrac-
tionnel – actus reus – et d’une attitude intellectuelle fautive – mens
rea – puisque les personnes morales en tant qu’êtres distincts et

2
Cass., 13 février 1905, Pas. 1905, I, p. 127.
La responsabilité des personnes morales en droit belge 19
autonomes sont insusceptibles à la fois d’agir seules et de manifester
une intention qui leur est propre, l’imputation matérielle et morale
de l’infraction est impossible.
C’est ainsi que l’adage s’est imposé que Societas delinquere non po-
test, l’absence de faculté de discernement et la nécessaire
dépendance à l’égard de leurs organes rendant absurde toute idée de
culpabilité des personnes morales.

B. Les difficultés de la répression des personnes morales


Outre l’inaptitude des personnes morales à délinquer, la doctrine
traditionnelle mettait en avant la circonstance que les êtres moraux
étaient insusceptibles de subir utilement une peine. Ainsi les per-
sonnes morales se trouvaient-elles à la fois à l’abri du crime, mais
aussi du châtiment.
L’argumentation reposait sur deux types d’obstacles dans le domaine
de la répression : d’une part les peines classiques se révélaient inap-
plicables aux personnes morales, d’autre part, même à supposer
qu’elles fussent envisageables, elles frapperaient nécessairement des
personnes physiques étrangères à l’infraction réprimée.

1. L’impossibilité de punir une personne morale


Il est certain que les peines traditionnelles de l’époque,
l’emprisonnement et la peine capitale, étaient inexécutables à
l’endroit des personnes morales puisqu’il est impossible de con-
traindre par corps une entité par nature incorporelle. L’argument
relevait de l’évidence même.
En revanche, d’autres types de peines comme l’amende, la confisca-
tion ou le retrait de certains droits demeuraient possibles. Si l’on ne
peut atteindre la personne morale dans sa chair, rien n’empêche de
la frapper dans son patrimoine ou dans ses activités. L’argument de
l’impossibilité de punir une personne morale s’avérait donc peu con-
vaincant.

2. Le problème de la personnalité des peines


Plus délicate était la question de la personnalité des peines car punir
un être collectif revient à traiter indistinctement tous ses membres,
en atteignant donc aussi ceux d’entre eux qui n’ont en rien participé
à l’infraction réprimée. Comment rendre compte de ce geste de ré-
20 La responsabilité pénale de la personne morale

pression collective qui, pour ne pas laisser un crime impuni, frappe


aveuglément tout le groupement et donc également ses membres
innocents ?
De plus, en condamnant une société commerciale à une amende
pour sanctionner son activité illicite et, le cas échéant, en menaçant
de la sorte son équilibre financier, ne punit-on pas indirectement
mais certainement ses actionnaires, ses fournisseurs et même son
personnel, pourtant rarement impliqués dans la perpétration des
délits ? Ce sont en définitive ceux-ci qui, bien plus que l’être désin-
carné contre lequel la peine est prononcée, supporteront en dernière
instance le poids des sanctions pénales.
Les fondements individualistes du droit répressif traduits par le prin-
cipe de la personnalité des peines supportent difficilement pareils
traitements globalisants où l’intérêt de chacun est sacrifié à
l’impératif pénal et où l’implication personnelle et fautive de l’agent
dans le complexe infractionnel passe au second plan.
Le principe de la personnalité des peines impose au contraire que
chaque membre d’une collectivité criminelle soit traité en fonction
de son comportement et de sa participation concrète dans le délit
poursuivi. Or, de deux choses l’une : « ou tous les membres de la
corporation ont commis le délit, et tous doivent être frappés d’une
peine distincte et proportionnée à la culpabilité de chacun… ou
quelques-uns d’entre eux seulement s’y sont associés et, s’il est juste
de punir ceux-là, il serait injuste de punir les autres membres ».
À y regarder de plus près, dans les deux cas, nul n’est besoin de viser
la personne morale elle-même ni de lui infliger une pénalité propre :
chaque fait illicite peut trouver dans le système répressif individuel
une riposte adéquate, mesurée et juste. Punir les êtres collectifs
serait donc en définitive à la fois injuste et inutile.
Sur base de ces arguments combinés, la responsabilité pénale des
personnes morales a longtemps été écartée.
La responsabilité des personnes morales en droit belge 21

II. La deuxième époque : la position en demi-teinte


Le principe selon lequel Societas delinquere non potest a néanmoins
progressivement été remis en question car l’irresponsabilité – et dès
lors l’impunité – des personnes morales pouvait avoir quelque chose
de choquant dans un contexte où les sociétés et groupements mo-
raux gagnaient de plus en plus en influence et importance. La
doctrine a dès lors cherché à permettre au droit pénal de se mettre
mieux en adéquation avec les réalités de la vie économique du mo-
ment et, pour ce faire, a repensé les standards établis. Il en est
résulté une nouvelle conception de la personnalité morale et une
nouvelle approche pénologique.

A. La personnalité morale repensée – la théorie de la réalité technique


On l’a dit, la théorie de la fiction de Savigny voyait la personne mo-
rale comme une construction juridique destinée exclusivement à
servir les intérêts particuliers de ses membres et animée par le seul
effet de la rencontre de volontés individuelles. Artificielles, ces créa-
tions du droit ne disposaient d’aucune autonomie à l’égard des
personnes physiques dont elles n’étaient que l’émanation.
Par nécessité pratique plus que par conviction théorique, la doctrine
va se départir progressivement de cette théorie de la fiction en déve-
loppant une nouvelle conception, plus holiste, de la personnalité
morale. Ainsi est apparu ce que l’on a connu sous le nom de théorie
de la réalité technique.
Suivant cette théorie, la personne morale, loin de se réduire à une
pure fiction, possède au contraire une consistance et une existence
réelles, distinctes de celles de ses membres. Une réalité que la loi se
contente de constater et d’organiser sur le plan juridique. Disposant
d’un psychisme collectif propre, c’est-à-dire non réductible à la
somme des psychismes individuels de ses membres, le groupement
personnalisé peut se déterminer librement et indépendamment des
intérêts des individus qui le composent. Il jouit d’une volonté auto-
nome et poursuit des objectifs dont la définition ne lui échappe pas.
Partant d’une analogie formelle entre l’être moral et l’être humain,
les tenants du réalisme induisent de l’expression des déterminations
collectives l’existence d’une volonté unique et personnelle dans le
chef du groupement.
22 La responsabilité pénale de la personne morale

Capable de faire des choix et d’exprimer ses priorités, la personne


morale serait en outre à même de poursuivre tant le bien que le mal,
autrement dit de s’engager consciemment et délibérément dans une
voie fautive. L’élément moral d’une infraction se trouverait dès lors
établi dans le chef du groupement et non plus uniquement des or-
ganes par lesquels ce groupement agit.
Cette nouvelle approche de la réalité technique de l’entreprise a
ouvert de nouvelles perspectives en droit pénal : en reconnaissant à
l’être moral – par analogie à ce qui vaut pour tout être physique –
une existence autonome et libre, l’imputation tant matérielle que
morale d’infractions à l’entité collective devenait juridiquement pos-
sible.
Au tournant de la Seconde Guerre mondiale3, la Cour de cassation de
Belgique va adopter cette nouvelle approche conceptuelle de la res-
ponsabilité pénale des personnes morales et abandonner l’adage
Societas delinquere non potest. Ainsi, par exemple, dans une affaire
d’homicide involontaire causé lors d’un exercice militaire de la Force
aérienne où était recherchée la responsabilité pénale de l’État belge,
personne morale. Adoptant les nouveaux critères d’appréciation, la
Cour de cassation statuera que « toute faute qui a pour résultat invo-
lontaire un homicide ou des lésions corporelles est érigé en délit par
les articles 418 à 420 du Code pénal ; l’acte accompli dans la sphère
de ses attributions, par l’organe d’une personne morale (en
l’occurrence l’État belge) est l’acte de la personne morale elle-
même »4.
Si le principe-même de la responsabilité pénale de la personne mo-
rale est ainsi reconnu, un tempérament important subsiste
néanmoins, car toute responsable qu’elle soit, la personne morale ne
peut faire l’objet d’aucune sanction : ayant certes la faculté de délin-
quer, elle n’a pas pour autant la faculté d’expier. Dans la
jurisprudence de la Cour de cassation, ceci se traduit comme suit :
« lorsqu’une infraction est commise par une société de commerce,
être moral, c’est la personne physique par laquelle la société a agi qui

3
Le revirement est opéré par Cass., 8 avril 1946, Pas. 1946, I, p. 136.
4
Cass., 16 décembre 1948.
La responsabilité des personnes morales en droit belge 23
est auteur de l’infraction »5. En d’autres mots Societas delinquere
potest, sed puniri non potest. Un revirement… en demi-teinte.

B. La pénologie repensée
Dès lors que les nouvelles bases idéologiques de l’imputabilité des
infractions étaient posées par l’adoption de la théorie de la réalité
technique, les arguments relatifs aux peines ont également dû être
reconsidérés et ce, sous un jour nouveau.
Même dans la théorie classique de la fiction, la faiblesse de
l’argument relatif à l’applicabilité des peines traditionnelles aux per-
sonnes morales avait déjà été évoquée. Ce n’est pas ce motif qui a
été déterminant d’autant que des formes adaptées de sanction ont
très vite été identifiées : mesures répressives affectant la réputation
des entreprises (stigmatisation sociale par publication des condam-
nations), mesures affectant leur patrimoine (amendes, confiscations,
interdictions de faire appel public à l’épargne), mesures affectant
l’activité de l’entité (interdiction d’exercer), mesures affectant
l’existence même de la société (dissolution). De surcroît, une forme
atténuée de responsabilité et de sanction pénale existait déjà à
charge des personnes morales par la reconnaissance, dans nombre
de lois anciennes, de l’existence d’une responsabilité civile des per-
sonnes morales pour les amendes prononcées à l’encontre de leurs
organes, dirigeants ou préposés. En fin de compte, le « coût » de
l’infraction était ainsi à charge de l’entreprise, c’était elle qui en souf-
frait les conséquences pécuniaires.
C’est surtout le principe de personnalité des peines qui a été invoqué
pour chercher à tenir en échec la responsabilité pénale pleine et
entière des personnes morales. Mais à y songer, est-ce le propre de
la sanction collective que d’atteindre des tiers irréprochables ? Toute
peine infligée n’atteint-elle pas d’une manière ou d’une autre, direc-
tement ou indirectement des individus innocents ? Comme l’a
rappelé Donnedieu de Vabres, « il est dans la nécessité des choses
que l’infliction d’une peine ait des répercussions sur des tiers inno-
cents. Quand un chef de famille est frappé, sa femme, ses enfants en
subissent les conséquences matérielles et morales ». Pour autant on
ne peut abandonner toute répression. Telle n’est d’ailleurs pas

5
Cass., 8 avril 1946, Pas. 1946, I, p. 136.
24 La responsabilité pénale de la personne morale

l’exigence du principe de personnalité des peines : il s’agit d’infliger la


sanction pénale directement et uniquement aux délinquants mais
non de tenir la répression en échec du seul fait de ses potentielles
répercussions sur autrui.
Or si depuis l’adoption de la théorie de la réalité technique des en-
treprises il est acquis que la personne morale est apte à délinquer,
puisque l’infraction lui est désormais imputable, n’est-il pas dans la
logique du principe de personnalité des peines d’appliquer la sanc-
tion précisément à l’être moral délinquant plutôt que de punir
individuellement ses dirigeants pour une faute qui est peut-être col-
lective. L’argument de ceux qui s’opposaient à la responsabilité
pénale des personnes morales devient ainsi, du fait du changement
conceptuel sur la capacité des entités à délinquer, l’argument des
partisans des responsabilités collectives.
Malgré des controverses doctrinales de plus en plus virulentes, la
Cour de cassation a persisté à prôner le principe Societas delinquere
potest sed puniri non potest.
La situation est donc celle-ci : 1° une personne morale peut com-
mettre un délit ; 2° elle ne peut cependant pas être punie en raison
de celui-ci ; 3° c’est la personne physique agissante — ou, dans le cas
d’un délit d’omission, la personne physique qui s’est abstenue ou qui
est restée inactive — qui est réputée avoir commis concrètement le
délit et qui doit faire l’objet de poursuites pénales.
Ce mécanisme de recherche de la personne physique agissante a très
vite montré son incapacité à donner pleine satisfaction : au sein des
structures des sociétés modernes, qui se caractérisent par un enche-
vêtrement de compétences horizontales et verticales, de délégations,
de mesures centralisatrices, de décisions individuelles et, surtout, de
décisions collégiales, l’identification de la personne physique respon-
sable soulève souvent de grosses difficultés pour ce qui est de
l’administration des preuves. De plus, si cette recherche et la consta-
tation judiciaire finale présentent certaines difficultés au sein des
petites entreprises, elles deviennent souvent impossibles au sein
d’entreprises modernes de grande dimension et multinationales dans
bien des cas. En effet, la direction de ces dernières est bien souvent
assurée non plus par une ou plusieurs personnes, mais par des
groupes de personnes, comme ceux qui forment les comités de direc-
tion, les comités d’organisation, dont la composition varie souvent et

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