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Acquisition et interaction en

langue étrangère
23  (2005)
Recherche sur l'acquisition des langues étrangères et didactique du FLE

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Muriel Molinié
Retracer son apprentissage : pour quoi
faire ?
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Référence électronique
Muriel Molinié, « Retracer son apprentissage : pour quoi faire ? », Acquisition et interaction en langue
étrangère [En ligne], 23 | 2005, mis en ligne le 15 décembre 2008, consulté le 27 novembre 2013. URL : http://
aile.revues.org/1712

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Retracer son apprentissage : pour quoi faire ? 2

Muriel Molinié

Retracer son apprentissage : pour quoi


faire ?
Pagination de l'édition papier : p. 137-152

1 Cet article vise à comprendre quelques-uns des processus d’acquisition d’une langue en
contexte exolingue à travers le récit qu’en font deux apprenants de langue dans les « Journaux
d’apprentissage » qu’ils ont écrits à la fin de leur séjour Erasmus en France. Ce séjour de six
mois s’insère dans la durée de leur existence qui, comme le scande le slogan de notre société
cognitive («  Apprendre tout au long de la vie  »), doit être associée à une pratique sociale
singulière : apprendre, tout en évaluant soi-même la portée de cet apprentissage. Ce processus
de normalisation sociale des apprentissages se reflète dans les trois questions qui structurent
ces textes : qu’ai-je appris ? comment ai-je appris ? pour quoi faire ?
2 Je consacrerai donc cet article à l’analyse des processus d’acquisition en interaction, (D.
Veronique, 1994), des activités réflexives en situation de communication exolingue, (M.-
T. Vasseur, 1993 ; J. Arditty, 1996), tels que Kukua et Markus les racontent. J’envisagerai
ces « journaux » sous l’angle de la reconnaissance sociale et culturelle que les deux auteurs
attendent de leurs apprentissages. Dans la lignée de l’anthropologie narrative (F. Rastier,
1999), l’écriture réflexive mise en œuvre dans ces textes sera envisagée comme un acte que
l’apprenant adresse socialement à lui-même autant qu’aux autres, afin de se/leur signaler que
son travail d’apprendre à l’étranger s’inscrit dans l’itinéraire de ses interactions sociales  :
passées, présentes et à venir.

1. Deux parcours acquisitionnels contrastés


3 Les textes intitulés par Kukua  : «  Kukua contre Kukua, Journal d’apprentissage  » et par
Markus : « Journal d’apprentissage de Markus W., Un habitus pour 9 mois », sont consacrés
au récit des interactions, vécues de manière positive ou négative, et ayant eu un effet
sur les acquisitions linguistiques des deux étudiants. Je décris ailleurs (Molinié, 2004), le
cadre didactique dans lequel ils furent produits, les activités effectuées en amont et les
consignes qui en ont orienté les contenus2. Disons brièvement ici que ces textes font l’objet
d’un guidage interactionnel entre l’apprenant, l’enseignante et le groupe de pairs pendant
treize semaines, d’un travail de correction, d’une présentation orale adressée au groupe et à
l’enseignant qui note l’ensemble des productions selon des critères négociés avec le groupe.
Cette proposition de travail intitulée «  journal d’apprentissage  », repose sur l’hypothèse
selon laquelle tout travail acquisitionnel comporte un aspect inter — psychique, (qui se
construit au contact des partenaires avec lesquels l’apprenant parvient à collaborer), et une
dimension intra — psychique qui s’élabore par intériorisation, parallèlement à ce travail de co-
construction (Vygotsky, in Schneuwly & Bronckart, 1985 : 111). La rédaction d’un « journal »
permettrait d’établir un continuum entre ces deux dimensions, de stimuler les capacités
cognitives de l’apprenant à circuler de l’une à l’autre, ou encore à développer sa « conscience
d’apprenant  » en développant ses capacités réflexives (Vasseur & Grandcolas, 1997). Les
étudiants s’emparent diversement de ce type de proposition de travail et leurs productions
fournissent un corpus très riche qui me permet depuis 1994 d’analyser les composantes socio-
linguistiques de leurs processus d’acquisition en contexte semi-guidé.
4 Profondément dialogiques, (c’est-à-dire polyphoniques, co-construits avec des partenaires,
adressés à des pairs et évalués par un enseignant), les textes retenus pour cet article devraient
idéalement donner lieu à une analyse multi-référentielle. Je n’y rechercherai pas les traces
d’un processus longitudinal d’appropriation du système linguistique. En effet, contrairement
à ce que le terme « journal » connote : une écriture au jour le jour, ces textes ont été écrits
en fin de séjour. Ils ne portent donc pas la trace des différentes étapes de la construction de
l’interlangue de leurs auteurs. En revanche, ils donnent accès aux représentations que les deux

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sujets se font du lien entre leurs pratiques interactionnelles et leur acquisition. En analysant
leur « dire » singulier, on comprendra mieux comment ils mènent leur projet acquisitionnel
en dépit de leurs difficultés interactionnelles. Ceci afin d’enrichir la connaissance que nous
avons aujourd’hui des relations entre interaction, acquisition et activités réflexives.

1.1 Qu’ai-je appris ?


1.1.1 Des motivations distinctes
5 Quelles peuvent être les motivations sur lesquelles repose l’effort cognitif dont attestent ces
textes ? Soulignons tout d’abord les contrastes importants entre les deux productions. Dans
le processus jamais achevé de leur construction identitaire, ni le séjour en France, ni la
rédaction d’un texte sur les apprentissages effectués dans le cadre de ce séjour, ne revêtent,
pour eux deux, le même sens. Chez Kukua, (étudiante britannique), le critère mobilisé pour
évaluer le degré de réussite de son séjour Erasmus est celui de sa compétence linguistique.
C’est ce critère qui, à son retour en Grande-Bretagne, attestera de sa conformité avec les
normes d’évaluation en vigueur dans son système éducatif. Kukua ne perd jamais de vue cette
finalité institutionnelle : faire reconnaître dans le monde éducatif et professionnel britannique
le bagage linguistique qu’elle aura constitué en France. C’est ici que réside sa motivation
réflexive : elle s’implique dans un travail d’écriture sur son séjour en France parce qu’elle
pressent que ce travail l’aidera à apprivoiser ce qui, dans son vécu exolingue, lui paraît difficile
à évaluer à l’aide du seul critère d’acquisition linguistique  : à rendre l’étrangeté de cette
expérience connaissable et susceptible d’être reconnue.
6 Quant à Markus, son cursus de formation le conduit à mener son analyse des processus
d’acquisition de la langue étrangère avec les outils de la sociolinguistique. Cette expérience
est progressivement perçue comme pouvant être interprétée avec les concepts de sa discipline
(il prépare un diplôme de sociologie en Allemagne). L’attrait de l’écriture réflexive est lié,
pour lui, à cette finalité : comprendre ce qu’il vit sur le plan de l’expérience sociolinguistique
pour en enrichir sa compréhension sociologique des phénomènes sociaux.
7 Les réponses de Markus et de Kukua à la première question « qu’ai-je appris ? » et à la seconde
(« comment ai-je fait pour apprendre ? ») se ressemblent : ils ont continué à apprendre la langue
étrangère en investissant la situation de contact et l’activité interactionnelle de manière à ce
que des apprentissages sociaux, linguistiques et culturels soient possibles. En revanche, sur la
troisième question (Que vais-je faire de mes acquis une fois rentré chez moi ?) leurs textes
divergent. Comment vont-ils faire reconnaître ou transférer leurs acquis dans de nouveaux
contextes sociaux, linguistiques et culturels ? Kukua établit une distinction entre ce qui l’a
aidée à progresser sur le plan psycho-socio-affectif, ce qui est évalué par ses pairs et ce
qui fera l’objet d’une évaluation institutionnelle : la dimension linguistique. Le journal est
pour Kukua le moyen de commencer à relier ses divers apprentissages. Markus, lui, établit
un continuum entre les diverses dimensions de son acquisition. Bien avant de retourner en
Allemagne, il transfère déjà ses expériences sociolinguistiques vers son domaine de recherche :
la sociologie. Cette dynamique est accélérée par la relation qu’il instaure entre lecture et
écriture : la lecture de Langage et pouvoir symbolique (Pierre Bourdieu) et l’écriture de son
« Journal d’apprentissage ». Ainsi expérimente-t-il et valide-t-il en France (via le cours de
français) ce qui est central dans l’habitus d’un sociologue bourdieusien : sa capacité d’auto-
analyse et de réflexivité.

1.1.2 Toute interaction n’est pas acquisitionelle


8 Si elle en avait eu connaissance, Kukua aurait fait sienne cette hypothèse de Claire Kramsch
(1984), selon laquelle :
On peut s’attendre à ce que la différence d’aptitude à acquérir une langue étrangère soit liée
à l’aptitude à engager et mener des conversations dans cette langue malgré des connaissances
lexicales et grammaticales imparfaites.
9 Car Kukua à son arrivée en France était « tres excité de decouvrir (sa) nouvelle vie et de parler
francais le plus souvent que possible3». À tel point qu’elle investit la course en taxi sur le trajet
qui va de l’aéroport à l’université comme une situation propice à conversation et donc (dans

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sa logique), à acquisition : au cours de « la voyage, je jouais bien le role d’etudiante etrangere
enthousiaste qui voulait parler a propos de n’importe quel sujet juste pour parler ». La certitude
que rien ne remplace la pratique conversationnelle pour acquérir une langue, la conviction
qu’elle sait mener ce type d’interaction, la confiance en ses capacités interactionnelles font
partie du bagage de Kukua :
En Angleterre, dans la compagnie de mes camarades en cours, j’etais plutot a l’aise de parler en
francais avec eux si c’etait necessaire, donc j’etais sure que je gererait bien tout seul pendant une
année en France. C’etait avec ces idées en tete que je suis parti de mon pays, et c’etait avec cette
confiance que je parlais le francais avec le conducteur.
10 Kukua est persuadée d’une part qu’elle interagit correctement et, d’autre part, que c’est
en parlant qu’on apprend une langue étrangère. Elle en conclut qu’en France, elle pourra
apprendre la langue puisqu’elle sait bien converser, qu’elle pourra apprendre la langue dans
le cadre de ses interactions conversationnelles. Elle en possède la preuve  : cela se passait
déjà comme ça avec ses camarades bilingues en Grande-Bretagne. Le chemin allant du statut
d’apprenant à celui d’interlocuteur a déjà été parcouru par Kukua en situation endolingue. En
revanche, le chemin à parcourir entre le statut d’apprenant alloglotte et celui d’interlocuteur
en situation exolingue reste à effectuer. Parcours ardu qui, dès son arrivée à destination,
commence par une interaction conflictuelle. En effet, au moment de régler sa course, Kukua
s’aperçoit qu’elle a oublié de changer ses livres sterling en euros ! Le chauffeur est furieux (il
ne « cessait pas de crier ») et, dès « (sa) premiere soirée dans le pays » Kukua doit « (se) disputer
en francais ». Tout ceci dans un contexte vécu comme hostile : Kukua découvre la résidence
universitaire dans laquelle elle va devoir vivre : « L’endroit avait l’air tres deprimant a cause
des poubelles plein partout et les fenetres des batiments sales ». Tout est réuni pour que cet
épisode soit « pire qu’un cauchemar ! ». La solution pratique vient de ses compatriotes anglais
qui, arrivant à ce moment-là, prêtent l’argent nécessaire au règlement de la course. Satisfaite,
« Malgre tout ce qui m’est arrivée, je m’en suis sortie », Kukua est également épuisée : « j’avais
l’impression que j’ai passé le partiel le plus difficile dans ma vie ». Une série d’épreuves vont
ainsi ponctuer les trois premiers mois de la vie de Kukua : une période au cours de laquelle
elle ne parvient pas à transformer comme elle le voudrait les situations interactionnelles en
situations acquisitionnelles.

1.1.3 Un impossible travail d’ajustement


11 Elle découvre peu à peu le contraste entre parler français afin de pratiquer cette langue, avec
des pairs en milieu anglophone, lorsqu’on est soi-même anglophone, avec un fort contrat
didactique et parler français dans un pays où cette langue est dominante, avec des locuteurs
francophones inconnus, dans des interactions sociales diverses, dont le point commun est
qu’elles ne reposent pas sur un contrat didactique.
12 Ses interlocuteurs sourient en repérant son accent anglais et l’un d’entre eux, constatant la
dissymétrie de leurs répertoires verbaux, passe à l’anglais, gérant la tâche interactionnelle sans
se soucier le moins du monde de l’acquisition de Kukua  ! Celle-ci s’évalue négativement
comme n’étant pas à la hauteur de son objectif : « Je ne supportais pas du tout cela parce
qu’au debut je voulais plus que d’autre chose que les gens me prenaient pour une francaise ».
Elle ne décode pas les mimiques de ses interlocuteurs ou bien interprète leurs réactions à
l’aune de cet objectif  : «  Pour moi, je savais que j’avais raté si le vendeur se mettait a
repondre en anglais ». Elle se juge comme étant dans l’incapacité de développer ses ressources
pragmatiques et interactionnelles (parler plus fort, reformuler, etc.) pour poursuivre l’échange
avec ses interlocuteurs. Ainsi, « chaque coup de fil durait cinq fois plus longue a cause des
malentendus » et des malentendus similaires se reproduisaient dans des endroits où « il faut
commander quelque chose » :
Par exemple, en achetant une baguette, tout simplement, j aurais du me repeter deux ou trois fois.
Dans ma tete, j étais tous les temps sure de ce que je disais et c’etait eux qui etaient sourds ! J’ai
meme pas pensé du fait que c’etait peut etre parce que je ne parlais pas assez fort.
13 La conséquence est immédiate : Kukua perd la maîtrise d’elle-même :

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En plus, j’ai trouvé que des que j ai du ouvrir ma bouche pour commander quelque chose, c’etait
evident au vendeur que je suis anglaise, donc parfois, j ai constate que cela a leur fait sourire, et je
ne comprenais pas pourqoui. C’etait comme si chaque fois, je me suis trompé de ce qui je voulais
dire. En consuquence de tout cela, chaque fois, je me suis enervée et cela s est vu !
14 Ne supportant plus ces situations, Kukua cesse complètement d’interagir en français, reste
avec ses amis anglais ou prend elle-même l’initiative de parler anglais avec les Français qu’elle
rencontre.
15 Le coût psychique de cet « impossible travail d’ajustement » (Arditty & Vasseur, 96 : 59)
est important : « chaque fois j’ai été décu et a vrai dire, petit a petit, cela entrainait un vrai
manque d’assurance chez moi. Pendant quelques semaines je detestais de parler en francais
devant beaucoup du monde ». Kukua prend une position de recul et, à l’occasion de l’achat
d’un téléviseur, elle demande à un ami « francais qui parle bien anglais, de poser tous les
questions necessaires au vendeur et repondre pour moi, comme un traducteur, meme si je
savais moi meme comment m’exprimer en francais ». Elle doit alors affronter un nouveau
conflit : celui-ci est cognitif. Certes, elle épargne sa face vis-à-vis des Français, mais elle ne
la sauve ni vis-à-vis d’elle-même, ni de ses ami(e) s anglais. Pire, elle risque de la perdre
complètement lorsque, revenue en Grande Bretagne, elle ne pourra pas se prévaloir auprès
d’eux d’un apprentissage réussi. Ainsi, lorsqu’elle téléphone à ses amis anglais qui passent
eux aussi une année à l’étranger et qu’ils échangent les dernières phrases qu’ils ont apprises :
« Parfois j’avais de l’honte parce que je n’avais pas appris grande chose. Ma plus grande crainte
etait de rentrer en Angleterre avec ma classe ayant fait le plus moins progrès parmi tout le monde ».
16 Cette perspective la déprime, comme elle l’expliquera lors de la soutenance orale de son
«  Journal  », où elle montre sur un transparent une courbe indiquant qu’entre septembre et
novembre, plus elle parlait anglais, plus son moral baissait.

1.2 Comment ai-je fini par apprendre ?


1.2.1 Déroger à la règle
17 Au cours de cette période, Kukua apprend à ses dépens que la recette qui lui avait été transmise
par « beaucoup de gens » selon laquelle « en passant une année dans un pays étranger vous
pouvez parler la langue couramment » est une illusion. Est également fausse la « méthode »
qui se résumerait à l’aphorisme suivant : c’est en parlant avec les natifs que l’on apprend à
parler couramment leur langue. C’est pourtant ce mythe d’un apprentissage spontané de la L2
par immersion, bain de langue et pression fonctionnelle des situations et des besoins (Arditty
& Vasseur, 1996  : 72) qui stimulera sa recherche de nouvelles interactions avec les natifs
pour finalement mettre en place avec trois personnes un contrat didactique dans le cadre d’une
relation chaleureuse.
18 En attendant, en novembre Kukua se sent « frustrée » : elle estime qu’elle ne progresse pas
dans la langue cible parce qu’elle se sent mal à l’aise avec les Français. Elle décide alors de
se déplacer « sans le soutien constant de (ses) amis anglais » et de rechercher activement le
contact avec les Français… quitte à communiquer avec eux en anglais ! Le besoin de parler
pour s’intégrer à un groupe social est semble-t-il en train de prendre le pas sur le seul besoin
de parler la langue cible pour l’apprendre. « Meme si je commencais a frequenter beauoup
les soirées francaises, je cherchais toujours les gens qui savaient parler anglais aussi (au cas
ou !) ».C’est ce qui se produit avec Nicolas, un Français rencontré dans une fête. Kukua justifie
le recours à l’anglais de deux façons. Premièrement Nicolas parle suffisamment bien l’anglais
et donc cela ne «  dérange  » pas Kukua de communiquer avec lui dans cette langue. «  La
deuxieme raison etait parce que j’avais l’impression que j’hesitais trop en parlant en francais
parce que je reflechissais trop de ce que je voulais dire ». Kukua privilégie donc la qualité
intellectuelle de la relation et renonce à instrumentaliser son interlocuteur francophone pour
parler français à tout prix avec lui. Le recours à l’anglais pour communiquer signale que son
besoin de relation sociale est moteur par rapport au seul besoin de « pratiquer son français ».

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1.2.2 Une socialisation sur mesure


19 Nicolas propose alors une autre ‘méthode’ pour établir une collaboration efficace avec Kukua.
Tout d’abord, il respecte la ‘face’ de la jeune anglaise en lui assurant qu’elle parle bien et il
l’incite à s’exprimer plus souvent et plus longtemps en français. De façon plus didactique, il
partage avec elle ses savoirs linguistiques et métalinguistiques et répond aux questions que
Kukua lui pose « au sujet de la grammaire ou la pronunciation d’une certaine chose ».
20 Cette activité métalinguistique est bientôt relayée par les parents de Nicolas qui, « puisqu’ils
sont enseignants tous les deux, m’aidaient quand j’avais des difficultés avec la grammaire
francaise  ». Cette relation s’insère dans un contexte de partage de savoirs culturels et
d’intégration de Kukua à la vie familiale : « J’ai passé des heures a table avec eux en discutant
des sujets vraiment variés. Ils m’ont fait decouvert la culture francaise de prendre son temps a
table et comment les repas font une partie integrale de la vie familale en France ». Ils ouvrent
son horizon sur « la campagne francaise » et soutiennent son objectif : « Ils veulent avant
tout que je parle autant que possible ». Bref, le soutien de cette famille « m’a vraiment aidé
cette année ».
21 Avec eux, elle peut enfin combiner son aspiration à être prise pour une Française (ce qui est
une manière de dire son désir d’intégration : elle ne supporte pas d’être regardée comme une
étrangère) et son ambition normative : elle souhaite maîtriser la norme du français standard.
Elle se méfie de l’argot et si elle estime s’être enrichie avec le français non scolaire que lui
transmet Nicolas, elle apprécie plus que tout les corrections grammaticales avec lesquelles lui
et ses parents tentent d’étancher sa soif de (sur) conformité grammaticale.
22 Kukua apprécie cette socialisation qu’étayent son petit ami et la famille de celui-ci. C’est un
dispositif de guidance idéal qui lui permet de combiner acquisition et socialisation4. Cette
socialisation apprenante convient à Kukua parce qu’elle lui permet de satisfaire à la fois son
besoin d’appartenance communautaire et son besoin d’atteindre son objectif linguistique de
perfectionnement en français standard.
23 Kukua est passée du déni de son statut allophone à une représentation plus nuancée selon
laquelle une interaction n’est acquisitionnelle pour elle que si le natif (expert) corrige ses
erreurs. Elle supporte désormais la dissymétrie de l’échange exolingue, à condition que le
natif réponde à sa demande (de plus en plus explicitée) d’améliorer la qualité grammaticale
de son français tout en lui reconnaissant un statut d’interlocutrice à part entière. Elle parvient
à vivre positivement la relation dissymétrique de la communication exolingue lorsqu’elle
accepte d’assumer la responsabilité de son apprentissage et qu’elle parvient à partager avec
ses interlocuteurs privilégiés (Nicolas et ses parents) la gestion d’une interaction dans laquelle
ses partenaires focalisent leur attention tant sur la correction formelle que sur le contenu, le
tout dans un climat de confiance.

1.2.3 Les étapes


24 Les conditions ayant favorisé les processus d’acquisition de Kukua ont été progressivement
mises en place selon les étapes suivantes :

1. Kukua arrive en France persuadée de maîtriser l’interaction sociale nécessaire à


l’apprentissage de la langue en situation, langue qu’elle estime bien maîtriser.
2. Elle n’arrive pas à se faire comprendre dans les boutiques et doit faire face à de nombreux
malentendus.
3. Elle refuse l’étayage proposé par un natif qui passe à l’anglais : ce changement de code
est ressenti comme négatif parce qu’il lui prouve que cet homme l’a reconnue comme
Anglaise alors qu’elle souhaite être prise pour une Française.
4. Elle refuse d’interagir en français.
5. Elle fait appel à un ami bilingue pour acheter un téléviseur et assiste muette, à
l’interaction alors qu’elle comprend tout.
6. Elle est frustrée de ne pas parler « français ».
7. Elle sort dans des fêtes et rencontre Nicolas avec qui elle parle anglais.
8. Nicolas lui dit qu’elle parle bien français et lui propose de parler plus dans cette langue.
9. Nicolas se centre à la fois sur le message et sur le code : il « corrige ses fautes ».

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10. Avec Nicolas, Kukua apprend à parler « l’argot ». Elle estime qu’elle augmente ainsi
sa compétence en français.
11. Un contrat didactique est instauré par Kukua avec les parents enseignants de Nicolas qui
l’accueillent chez eux à plusieurs reprises. Grâce à eux, elle se sent en relation avec la
culture française.
12. Elle repart en Angleterre en faisant un bilan mitigé : elle regrette d’avoir autant tardé à
parler, elle constate cependant ses progrès, elle aborde son retour en ayant conscience de
ne plus douter de ses compétences. Elle a donc développé sa capacité à auto-apprécier
celles-ci :

« Les experiences que j’ai vecu cette année ont ete positives et negatives aussi. Parfois, je regrette
d’attendre aussi longtemps de parler, pourtant je suis satisfaite que j’ai fait du progres et je vais
rentrer a mon université comme quelqu’un beaucoup plus sure de ses compétences ».

2. Le parcours acquisitionnel de Markus


2.1 Polysémie du verbe « apprendre »
2.1.1 Les risques et les difficultés d’apprendre
25 « Je n’ai pas appris la langue française à l’école mais dans le cadre d’un cours à distance ».
C’est par ces mots que commence le « Journal d’apprentissage de Markus W : un habitus pour
9 mois », nous indiquant par là que sa compétence à apprendre est marquée par une expérience
initiale : l’enseignement à distance. Ceci lui a donné l’occasion d’expérimenter une première
manière d’apprendre : « les leçons consistaient en cahiers que je devais remplir et quelques
cassettes qui démontraient la prononciation ».
26 En présentiel, il découvre ensuite une seconde manière de s’y prendre pour apprendre en
interaction, en milieu guidé :
Après plusieurs mois j’avais mon premier cours en présentiel avec un professeur qui préférait un
enseignement très drôle et vif. Il avait l’habitude de se précipiter sur un élève perplexe et de lui
poser un tas de questions auxquelles sa victime devait répondre spontanément.
27 L’interaction est rapide, elle bouscule les habitudes des apprenants qui n’étaient « pas du tout
habitués à parler le français et surtout à réagir si vite » et la vivent comme un « grand défi ».
28 La situation d’interaction est une « situation embarrassante » où l’on risque de perdre la face si
l’on ne répond pas rapidement : « on s’est efforcé de répondre plus rapidement pour échapper
aux plaisanteries que le professeur faisait pleuvoir sur ceux qui balbutiaient d’une manière
maladroite ».
29 Quelques années plus tard, Markus installé dans le train qui le conduit à Paris confirme
l’intérêt de poursuivre cet apprentissage en France, non pas pour des raisons strictement
pratiques (se faire comprendre des Français) mais pour d’autres raisons, que l’anecdote
suivante laisse entrevoir. Dans ce train, il fait connaissance avec une jeune Française qui
travaille en Allemagne, près de la ville où il habite :
Elle me racontait qu’elle y vivait depuis plusieurs mois et qu’elle ne faisait aucun effort pour
apprendre la langue allemande parce que l’anglais suffisait pour communiquer avec les gens dans
l’auberge où elle a trouvé un poste.
En l’écoutant, je me demandais pourquoi j’avais appris le français s’il est évidemment suffisant
de maîtriser l’anglais pour vivre n’importe où en Europe. Je me souvenais de la peine que la
grammaire et la prononciation m’avaient coûté et je me demandais si toute mon ambition avait été
inutile. Mais dès le moment où j’ai quitté le train j’étais convaincu que le français est absolument
indispensable si on veut vivre en France.
30 Le parcours acquisitionnel de Markus est marqué par deux manières d’apprendre et, lorsqu’il
arrive en France, il prend conscience que le bénéfice que l’on tire du fait de parler la langue
des autochtones n’est pas à rechercher seulement sur le plan fonctionnel car pour satisfaire
ce besoin-là l’anglais pourrait suffire. Si le français est « absolument indispensable », c’est
précisément pour pouvoir vivre une vie sociale irréductible à la seule dimension utilitaire.

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Retracer son apprentissage : pour quoi faire ? 8

2.2 « Profiter de mon vécu pour en enrichir mon savoir théorique »


2.2.1 La mise en œuvre de techniques réflexives
31 Le « Journal d’apprentissage » de Markus s’apparente au « journal de terrain » d’un chercheur
en sciences sociales. C’est dire combien la réflexivité de cet étudiant est déjà au cœur de
sa disposition à apprendre. Ce jeune sociologue, lecteur de Bourdieu (chez qui il a trouvé
«  une description plus générale et systématique de (ses) expériences personnelles en tant
qu’étranger »), fait de ses interactions en situation exolingue le terrain privilégié sur lequel
exercer sa capacité à observer le « rôle important de la langue dans le positionnement des
individus dans la hiérarchie sociale ». Ce « journal » est le support qui lui permet d’effectuer un
va-et-vient entre les concepts et la vie afin, comme il le dit lui-même, d’apprendre à « profiter
de (son) vécu pour en enrichir son savoir théorique » :
(la) lecture (de Bourdieu) m’a incité à choisir cet auteur comme thème principal de mon examen
final en sociologie que je vais passer à mon retour en Allemagne et où j’espère pouvoir profiter
de mon vécu pour en enrichir mon savoir théorique.
32 Son « journal » est donc aussi un Essai : l’observation, le dévoilement et la théorisation des
faits sous-jacents à l’interaction sociale y sont combinés à l’analyse de sa propre implication
dans celle-ci.
33 Il met tout d’abord en œuvre la composante métalinguistique de sa réflexivité. Concernant le
code de la langue, il note par exemple :
Un moment clé de mon apprentissage du français était certainement le moment où j’ai compris que
le petit mot « ne » qui fait partie de la négation écrite est rarement utilisé dans une conversation
parlée.
34 Cette observation, vraisemblablement faite au cours d’une interaction en situation exolingue,
est transférée sur le plan intrapsychique pour effectuer un réexamen de son propre parler.
35 La mise en relation entre le fait observé et sa propre interlangue par le biais de la réflexion
le conduit à une seconde observation  : «  Cette découverte […] m’a montré que presque
toutes mes connaissances étaient fondées sur la langue écrite qui diffère souvent de la langue
parlée ». Il en tire une décision déterminante pour la suite de son séjour : « A partir de ce
moment-là, j’étais convaincu que je devrais me détacher un peu de ma formation scolaire pour
améliorer ma capacité de faire une conversation quotidienne ». Dans ce but, il s’emploie à
acquérir (en interactions) « plusieurs niveaux de langue qui sont adaptés à la situation dans
laquelle je me trouve et aux gens avec lesquels je parle ». Il tire donc d’une micro-observation
(sur l’absence de double négation en français oral), une auto-évaluation de ses propres
connaissances linguistiques. Ceci le conduit à une série de décisions pragmatiques  : l’une
des priorités de son apprentissage sera de satisfaire son « besoin » de variations linguistiques
pour s’ajuster à la diversité des situations et des interlocuteurs francophones. Son observation
particularisante se conclut sur une dimension généralisante  : «  Ainsi j’ai compris que le
français n’est pas une langue homogène et monolithique mais diversifiée et riche en nuances
auxquelles il faut faire attention ».

2.2.2 Combiner différents paramètres


36 «  Faire attention  », voici donc la méthode que Markus met en pratique de manière quasi
clinique  : il fait attention aussi bien au comportement de ses interlocuteurs qu’à l’effet
que produit sur lui-même la dissymétrie des situations exolingues. Il exerce ses capacités
de réflexivité méta-locutoire pour analyser quelles sont les conditions de réception et de
production physique du message lorsqu’on est soi-même un interlocuteur allophone. Il est
attentif aux sensations que lui procure la prononciation quotidienne de cette langue  : «  le
sentiment douloureux mais très instructif d’être restreint ou même bloqué dans son articulation
devient presque quotidien ».
37 Ce « malaise », pour reprendre un terme utilisé par Kukua, se double du sentiment de perdre la
maîtrise du déroulement de l’échange : « Tout à coup la langue semble s’opposer au désir de
s’exprimer, elle représente un outil peu performant et fiable et fait d’une simple conversation
une aventure avec une issue plus ou moins incertaine ».

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38 Cela le conduit à se laisser guider par l’interlocuteur et à coopérer en adoptant un rôle différent
de celui qu’il endossait en langue maternelle.
Cela a pour conséquence un changement de l’attitude personnelle qui atteint parfois une ampleur
étonnante. Dans des situations où on avait l’habitude d’agir avec assurance, sans hésiter et d’une
façon assez dominante on devient soudainement beaucoup plus prudent, calme et réservé.
39 Perte de contrôle sur l’organisation et la planification de son discours, sur l’organisation
dialogique de l’événement communicatif et sur la régulation de cet événement sont imbriqués :
Au lieu de prendre l’initiative on se laisse souvent guider et se contente de réagir. En somme, le
rôle qu’on joue est dans la plupart des cas un rôle plus passif, obéissant et coopératif que celui
qu’on joue normalement. Surtout on essaie d’éviter les conflits et les querelles parce qu’on sait
bien que si on n’a pas la compétence linguistique de présenter ses arguments sous une forme
plaisante et si on ne possède pas tous ces jeux de mots et ces tournures qui rendent un discours
impressionnant et convainquant, on aura du mal à s’imposer contre une personne qui est habile et
expérimentée dans ce domaine. Il en résulte une attitude plus humble et moins exigeante et parfois
on préfère se taire où on était habitué à intervenir ou à contester.
40 Les formulations méta-langagières de Markus s’appliquent donc au code, à l’organisation du
discours, aux conditions de réception et de production physique du message, à l’organisation
dialogique de l’événement communicatif et à la régulation de cet événement. Mais ce qui est
plus original, c’est sa capacité à observer, analyser, théoriser et mettre en relation les différents
paramètres de son vécu interactionnel, à la manière d’un socioanalyste se prenant donc lui-
même comme sujet/objet de sa recherche.

Conclusion
41 Cet article avait pour objectif de montrer comment les activités interactionnelles retracées
par Kukua et Markus sont orientées vers des apprentissages linguistiques, qui eux-mêmes
s’organisent selon des finalités sociales de transfert et de reconnaissance dans le système
éducatif britannique pour l’une, allemand pour l’autre. L’étude des deux textes fait apparaître
une réflexivité méta-langagière à l’intérieur d’une narration qui répond à des finalités de
clarification des enjeux sociaux de cet apprentissage. À ce titre, on peut voir dans ces
textes, une activité narrative de remémoration. Les expériences classiques (Bartlett, 1932) ont
démontré que la mémoire façonne les événements passés de trois manières complémentaires :
la simplification (elle élimine), l’accentuation (elle promeut certains détails ou les exagère) et
la mise en cohérence (on souligne la propension des sujets à fixer le sens de leurs souvenirs).
La mise en récit des processus d’acquisition est, elle aussi, un art de mémoire fondé sur
la sélection, la valorisation et la mise en ordre des événements ayant rythmé ce processus
(Rastier, 1999). Pour quoi faire ?
42 Par le biais des normes sémantiques qui l’organisent, la narration impose aux événements
qu’elle relate les normes sociales en cours. En ce sens, la compétence narrative est également
facteur de socialisation. En effet, la rédaction de leurs ‘journaux’ permet à Markus et à
Kukua de situer leurs apprentissages à l’interface des processus biographiques relatés et des
mécanismes structurels de reconnaissance de leurs acquis.
43 Les notions de «  parcours  » ou de «  trajectoire  », sous-jacentes à tout travail consistant
à retracer un processus acquisitionnel, permettent d’analyser les interactions entre leurs
systèmes subjectifs (leurs attentes légitimes : à quoi puis-je prétendre étant donné ce que j’ai
fait ?) et le système des opportunités objectives (que puis-je espérer étant donné l’évolution
probable de mes études). Ces notions permettent de mieux penser la place « de la socialisation
latente, informelle, interactive, par rapport à celle de la socialisation institutionnelle,
formalisée dans des programmes, des circulaires et des cursus officiels » (Dubar, 1998 : 977).
Ceci semble éclairer la place objective et subjective qu’occupe dans la vie des sujets le séjour
linguistique et éducatif, cet entre-deux potentiellement acquisitionnel.

Bibliographie
ARDITTY, J. & M-T. VASSEUR 1996. Les activités réflexives en situation de communication
exolingue : réflexions sur 15 ans de recherche. AILE n° 8, 57-89.

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Retracer son apprentissage : pour quoi faire ? 10

BARTLETT, F.1932. Remembering. Cambridge, Cambridge University Press.


DUBAR, C.1998. Socialisation, Dictionnaire encyclopédique de l’éducation et de la formation. Nathan
Université, 974-977.
HUDELOT, C. & M-T. VASSEUR 1997. Peut-on se passer de la notion d’étayage pour rendre compte
de l’élaboration langagière en L1 & en L2 ? Calap n° 15, 109-135.
KRAMSCH, C. 1984. Interaction et discours dans la classe de langue. Hatier.
MOLINIE, M.  2004. Écrire un journal d’apprentissage  : vers une compétence biographique de
l’apprenant, Textes littéraires et enseignement du français, Dialogue et culture n°  49.Bruxelles,
Fédération internationale des professeurs de français, 169-176.
RASTIER, F. 1999. Action et récit, in La logique des situations, Nouveaux regards sur l’écologie des
activités sociales. EHESS, Paris, 173-198.
SCHNEUWLY B. & J-P. BRONCKART 1985. Vygotsky aujourd’hui. Neuchâtel, Delachaux et Niestlé.
VASSEUR, M-T. & B.  GRANDCOLAS 1997. Conscience d’enseignant, Conscience d’apprenant.
Socrates/Lingua Action A n° 25043-CP-2-97-FR-Lingua-La.

Notes
1 Université de Cergy-Pontoise, UFR Lettres et Sciences Humaines, Dépt. Lettres Modernes.
[email protected]
2 J’ai publié les supports de ces activités dans un manuel de français langue étrangère : Unités 2 et 7,
Campus 3, (2003). Costanzo, Molinié, Pécheur, CLE International.
3 Le texte de Kukua est reproduit ici tel qu’il fut saisi par l’étudiante (sur un clavier ne comportant pas
les accents) et remis à l’enseignante en fin de séjour.
4 Parmi l’ensemble des définitions de la « socialisation », ce modèle semble correspondre à la définition
qu’en donne Robert Lafon dans le Vocabulaire de psychopédagogie de l’enfant : « Intégration de l’enfant
à la société […] par le jeu des moyens de communication, du langage et de la culture, conformément aux
habitudes, aux mœurs, aux croyances et aux idéaux du milieu où il se développe ».

Pour citer cet article

Référence électronique

Muriel Molinié, « Retracer son apprentissage : pour quoi faire ? », Acquisition et interaction en langue
étrangère [En ligne], 23 | 2005, mis en ligne le 15 décembre 2008, consulté le 27 novembre 2013.
URL : http://aile.revues.org/1712

Référence papier

Muriel Molinié, « Retracer son apprentissage : pour quoi faire ? », Acquisition et interaction
en langue étrangère, 23 | 2005, 137-152.

À propos de l'auteur
Muriel Molinié
Centre de Recherche Texte-Histoire & DILTEC

Droits d'auteur
© Tous droits réservés

Résumés
 
Qu’ai-je appris  ? Comment ai-je appris  ? Pour quoi faire  ? Ces questions structurent les
« Journaux d’apprentissage » écrits par deux apprenants de langue pendant la durée de leur

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séjour Erasmus en France. Les réponses formulées par Kukua et Markus à ces trois questions
conduisent à l’hypothèse suivante : à travers le récit de leur apprentissage de langue en situation
exolingue, ces apprenants explicitent les enjeux sociaux liés à l’acte d’apprendre. Vue sous
cet angle, l’écriture réflexive est un acte que l’apprenant adresse à lui-même et aux autres,
dans le but d’inscrire l’acquisition de la langue et le travail d’apprendre dans le continuum de
ses apprentissages sociaux passés, présents et à venir. Pour cela, le récit sélectionne, valorise
et met en ordre les événements. Par les normes sémantiques qui l’organisent, il impose aux
événements qu’il relate les normes sociales selon lesquelles  : a) une interaction peut être
promue au statut d’acquisition et b) l’acquisition d’une langue peut attester d’une compétence
à apprendre tout au long de la vie. En ce sens, l’acte de retracer son apprentissage a aussi une
fonction de socialisation.
 
What did I learn? How did I learn it? What was it all for? Such questions underlie the « Learner
diaries » written by two language students during their Erasmus programme in France. The
answers offered by Kukua and Markus to the above questions suggest that within their account
of their « exolingual » experience lies a description of the social stakes of learning as well as
the methods by which they attempt to make themselves understood.
Taken as such, reflective writing is itself a social undertaking that a learner does in order to
incorporate the learning process and the effort required within the general context of his or her
socialialisation. For this reason the learners select, highlight and order the events they have
experienced. The semantic norms that organize the narration impose social norms upon the
events recounted. In this sense, the transformation of their experience into narrative syntax
also has a socialising function.

Entrées d'index

Mots-clés :  acquisition, interaction, réflexivité, représention, récit de vie, narration,


socialisation, parcours, biographie
Keywords :  acquisition, interaction, reflexivity, representation, biography, narrative,
socialization

Notes de la rédaction Muriel Molinie1

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