Cadrage Théorique de La Perspective Actionnelle

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名古屋外国語大学外国語学部紀要第47号(2014.8)

L’enseignement du français au Japon :


mérites et limites de la perspective
actionnelle

Jérôme PACCOUD

Mots-clés : perspective actionnelle, tâche, acquisition-apprentissage

1. Introduction :
Ces dernières années ont vu l’apanage des méthodes d’enseignement
basées sur la communication. Avec l’aval des travaux du Conseil de L’Eu-
rope et présentée comme une nouveauté, quel manuel de Français Langue
Etrangère ne propose pas une tâche finale à la fin de chaque unité ? La
perspective actionnelle, référence actuelle et annoncée dans la plupart des
manuels de FLE – au moins produits en France – comme la solution passe-
partout, est-elle vraiment la solution universelle ? C’est à cette question
que le présent article va tenter de répondre dans le cadre de l’exploitation
des tâches proposées au sein d’un public d’apprenants japonais dans une
université au Japon. Après s’être penchés sur ses origines, son adéquation
avec le public, l’institution et le type de cours dispensés, nous dégagerons
certaines constantes relatives à l’exploitation de cette approche, en ferons
ressortir les écueils afin de proposer une série d’adaptations susceptibles
de mieux correspondre au contexte présenté. Le présent article abordera
dans une première partie les aspects théoriques et historiques de ce type

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d’approche, puis les confrontera à des expériences de classe menées dans


cette université. Dans une dernière partie, quelques pistes seront proposées
quant à l’exploitation et à l’adaptation des manuels présents sur le marché.

2. Origine et apparition de la perspective actionnelle


Née des travaux menés par Chomskyi, elle est un des deux principaux
pans de l’histoire de la didactique. Le structuralisme, issu des travaux
de Saussure puis Skinner, théorie exerçant alors une forte influence et
qui se définissait par l’idée que « chaque langue constitue un système de
structures complexes imbriquées les unes dans les autres »ii, allait bientôt
être remis en question. Ainsi, Chomsky annonçait un tout autre point de
vue se définissant dans les termes suivants: « tout être humain possède
une capacité innée à décrypter et à comprendre un code langagier grâce
à une fonction intellectuelle spécifique »iii, cette affirmation faisant suite à
des travaux axés sur l’observation de jeunes enfants en cours d’acquisition
de leur langue maternelle. En les opposant au cas d’apprenants en langue
étrangère en institution, il allait découvrir que leur maîtrise de la langue
maternelle s’effectuait en trois années et ce, sans avoir suivi de cours.
Ce constat allait conduire les chercheurs et notamment Chomsky, à faire
prendre un grand virage à l’orientation pédagogique de l’époque. Il mar-
querait le début des méthodes constructivistesiv et avec lui des années plus
tard, de l’approche communicative. Cette dernière, suivie à son tour de la
perspective actionnelle que nous connaissons actuellement.
A l’occasion de cette découverte, le concept d’apprentissage allait de plus
être bousculé par celui d’acquisition. Il est utile de rappeler les définitions
de ces deux notions en citant les travaux de J-F de Pietro et B. Shneuwlyv
et ceux de B.Pyvi. Ce dernier situe l’acquisition comme « le développe-
ment spontané, naturel et autonome des connaissances d’une langue » et

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l’apprentissage comme « une construction artificielle caractérisée par la


mise en place de contraintes externes – notamment métalinguistiques et
pédagogiques qui ont pour effet de dérégler l’acquisition sous le fallacieux
prétexte de l’améliorer ou de l’accélérer ». Nous nous rapprocherons de la
vision plus modérée de J-F de Pietro et B. Shneuwly chez qui ces deux
concepts ne sont pas à mettre en opposition mais bien dépendants.

2.2 Définition de la perspective actionnelle


Ainsi, la perspective actionnelle est issue de l’approche communicative
dont elle reprend les principes à savoir un enseignement basé sur le sens
et le contexte de l’énoncé ; approche qui se revendique à l’opposé des
méthodes précédentes basées principalement sur l’analyse de la langue et
de sa structure (le structuralisme).
En accord avec J-P Cuq, nous pensons qu’il ne s’agit pas d’une révolution
mais plus raisonnablement d’une évolution de l’approche communicative.
« Elle n’apparaît pas en rupture méthodologique avec le courant commu-
nicatif mais en est son prolongement le plus actuel »vii. Celle-ci en reprend
les principes en y ajoutant la notion récurrente de « tâche ».
Comme pour l’approche communicative, l’apprentissage est centré sur
l’apprenant et les documents utilisés sont majoritairement authentiques. Le
sens des énoncés est privilégié à la forme. La compréhension et la production
orales et écrites sont abordées dans un souci d’acquisition de la compétence
de communication. Dans la perspective actionnelle, la communication est
au service de l’action, ce qui diffère de l’approche communicative où il
s’agissait plus de communiquer pour communiquer.
Selon la définition du Cadre commun de référence, l’apprenant est
considéré comme un acteur social ayant à accomplir des tâches dans un
domaine d’action particulier. Dans cette perspective, la classe devient une

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micro-société dans laquelle chaque apprenant se positionne comme usager


de la langue cible.
Le but de cette approche est de créer une passerelle entre l’univers
de la classe et la langue telle qu’elle est pratiquée dans son environne-
ment naturel. L’objectif ultime étant de former des locuteurs plus à même
d’interagir dans la société.

2.3 Définition de la tâche


Souvent présenté comme une nouveauté dans les manuels de FLE, le
concept de tâche remonte en réalité à plus de soixante-dix ans. En effet,
on trouve à cette date les travaux de Devewviii basés sur l’apprentissage
par la tâche ou « learning by doing » (1930/1940). Ce type d’apprentissage
est par ailleurs très en vogue depuis une quinzaine d’année dans les pays
anglo-saxons. Dans l’approche par les tâches (task based approach), la tâche
est définie par « une partie du travail de classe dans lequel les apprenants
comprennent, manipulent, produisent et communiquent entre eux dans la
langue cible en centrant leur attention plus sur le sens que sur la forme »,
ce qui peut finalement être considéré comme une définition incomplète,
dans le sens où Purenix propose de ne pas limiter le concept de tâche à ce
qui a valeur d’action sociale.
Il suggère d’aborder les différenciations et superpositions entre action
sociale et tâche scolaire dès lors qu’une unité de sens apparaît dans une
activité très scolaire, grammaticale, et s’il est possible de la repérer à
l’intérieur de cette activité, on peut alors parler de « tâche ».
Ainsi, pour illustrer cette idée, Puren conseille de travailler sur le rapport
entre tâche et action et de typologiser les tâches selon plusieurs entrées
autour d’un même corpus.
De facto, si l’on souhaite travailler sur la notice de montage d’un appareil

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électronique, il sera possible de traiter cette tâche orientée produit, procédure,


langue, action, communication, processus.

3. Cadre commun de référence pour les langues et générali-


sation de la perspective actionnelle
Comme nous venons de le voir, la perspective actionnelle est devenue
progressivement la norme en matière de pédagogie et d’évaluation. Le
CECRx, que nous ne présenterons pas dans cette partie, justifie en ces termes
la nécessité d’une telle approche : « un Cadre de référence pour l’appren-
tissage, l’enseignement et l’évaluation des langues vivantes, transparent,
cohérent et aussi exhaustif que possible, doit se situer par rapport à une
représentation d’ensemble très générale de l’usage et de l’apprentissage des
langues. La perspective privilégiée ici est, très généralement aussi, de type
actionnel en ce qu’elle considère avant tout l’apprenant et l’usager d’une
langue comme des acteurs sociaux ayant à accomplir des tâches (qui ne
sont pas seulement langagières) dans des circonstances et un environnement
donnés, à l’intérieur d’un domaine d’action particulier. »xi Il est clairement
indiqué ici le caractère très généraliste de cette démarche et l’on peut d’ores
et déjà s’interroger quant à l’universalité de la démarche mise en place.
« Les actes de parole se réalisent dans des activités langagières, celles-
ci s’inscrivent elles-mêmes à l’intérieur d’actions en contexte social qui
seules leur donnent leur pleine signification. Il y a « tâche » dans la mesure
où l’action est le fait d’un (ou de plusieurs) sujet(s) qui y mobilise (nt)
stratégiquement les compétences dont il(s) dispose (nt) en vue de parvenir
à un résultat déterminé. La perspective actionnelle prend donc aussi en
compte les ressources cognitives, affectives, volitives et l’ensemble des
capacités que possède et met en œuvre l’acteur social. »
Dans cette seconde partie de l’explication, on s’attardera sur l’aspect

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cognitif, affectif et volitif cités en y ajoutant l’aspect socioculturel. En


effet, comment ne pas prendre en compte ce dernier dans le traitement
et la réalisation d’une tâche lorsqu’on sait qu’un apprenant italien à titre
d’exemple, ne se comportera pas de la même façon qu’un apprenant japonais.
Il ne s’agit pas dans ce cas de différences comportementales justifiées par
des performances linguistiques inégales, mais plutôt par « ce qui se fait »
et « ce qui ne se fait pas, qui peut être apparenté à de l’impolitesse » dans
le pays d’origine de l’apprenant japonais.
Pour illustrer notre propos, dans une conversation entre deux locuteurs
japonais, les tours de paroles sont distribués différemment de ceux de
locuteurs italiens ou d’une langue latine. La parole n’est jamais coupée
et les silences sont présents. Alors que le locuteur italien va chercher à
meubler ce silence, signe d’un malaise dans la conversation ; le locuteur
japonais va volontairement le conserver, signe d’une profonde réflexion sur
ce qui a été ou va être dit. On note en outre l’existence de répétitions, de
reprises pour souligner l’intérêt porté à la question ou sa complexité. De
tels comportements sembleraient a contrario étranges ou peu naturels entre
des interlocuteurs italiens. Enfin, alors que le « non » sera facilement utilisé
pour s’opposer à une demande chez le locuteur italien, son homologue
japonais préférera l’hésitation « C’est un peu… » pour faire part de son
refus et ne pas blesser la personne avec une réponse trop abrupte.
Les travaux du Conseil de l’Europe trouvent leur légitimité dans la néces-
sité à l’époque, et encore aujourd’hui, de « fournir une base commune
pour la comparaison des objectifs, des méthodes et des qualifications dans
l’apprentissage des langues afin de faciliter la mobilité personnelle et pro-
fessionnelle en Europe. Il doit également servir d’instrument de référence
pour la coordination des politiques linguistiques des pays membres pour
une Europe multilingue et multiculturelle. »xii On le voit ici, les travaux

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du Conseil étaient destinés à un usage sinon en Europe, du moins pour


l’Europe. N’est-il dès lors pas risqué de suivre à la lettre ses préconisations
et les prendre comme « parole d’évangile » dans un cadre aussi éloigné
géographiquement, linguistiquement et surtout socio-culturellement que
celui du Japon ?
L’émergence de la perspective actionnelle, dans laquelle les compétences
sont définies en termes de « savoir, savoir-faire et attitudes que l’usager
se forge au fil de son expérience et qui lui permettent de faire face aux
exigences de communication (…) dans divers contextes de la vie sociale. »xiii
trouvent tout à fait leur place dans un cours de langues dans lequel on prépare
les apprenants et attend d’eux une relative autonomie. Cette perspective
semble par conséquent fournir aux étudiants leur permettant par exemple,
de poursuivre leur cursus en France ou dans un pays francophone.
Pour clore ce chapitre, Le titre « Cadre Européen » n’a vocation de duper
personne et nous amène à spéculer, vers l’avènement possible mais sans
doute lointain, d’un Cadre Mondial Commun de Référence pour les langues.
Nous sommes à l’ère de la mondialisation et des nouvelles technologies
de communication. Internet et les progrès réalisés dans les domaines du
transport favorisent les échanges internationaux et de nombreuses personnes
travaillent désormais à l’étranger ou en rapport avec l’étranger.
A ce titre, la demande et la nécessité de la maîtrise d’une ou plusieurs
langues étrangères parlées entre les pays n’ont sans doute jamais été aussi
fortes.

3.1 Les compétences décrites dans le CECR


En considération de la complexité des activités communicatives, le CECR
recense et précise l’ensemble des compétences en question en les dis-
tinguant entre compétences individuelles et compétences communicatives

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langagières :
(1) Les compétences généralesxiv
- 
Savoir (connaissance du monde, savoir socioculturel, prise de
conscience interculturelle) ;
- Aptitude et savoir-faire (aptitudes pratiques et savoir-faire, aptitudes
et savoir- faire interculturels ;
- Savoir-être (attitudes, motivations, valeurs, croyances, styles cognitifs,
traits de la personnalité) ;
- Savoir apprendre (conscience de la langue et de la communication,
conscience et aptitudes phonétiques, aptitudes à l’étude et à la décou-
verte).
(2) Les compétences communicatives langagières
- Compétence linguistique (lexicale, grammaticale, sémantique, pho-
nologique, orthographique, orthoépique) ;
- Compétence sociolinguistique (marqueur de relations sociales, règles
de politesse, expression de la sagesse populaire, différences de registre,
dialecte et accent) ;
- Compétence pragmatique (compétence discursive, fonctionnelle et
des schémas interactionnels et transactionnels).
- Une prise en compte de la différence culturelle.
Comme l’annonce le CECRxv, l’apprenant va progressivement devenir un
usager de la langue. Il ne va pas perdre la compétence qu’il a dans sa langue
et culture maternelles mais devient plurilingue et acquiert l’interculturalité.
Il faut également tenir compte comme le montre Robert xvi, en dehors
des difficultés linguistiques et culturelles que représente l’apprentissage
du français pour les apprenants asiatiques, la spécificité de leurs habitudes
d’apprentissage.xvii
Ces travaux présentent néanmoins un intérêt certain et un outil relati-

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vement ouvertxviii.

4. Le profil d’apprenants : définition du public visé


Ayant expérimenté cette approche auprès de différents publics, nous avons
fait le choix pour ce travail de nous concentrer sur un public captif de
jeunes adultes de langue maternelle japonaise suivant un cursus universitaire.
Le type de cours dispensés est donc semi-intensif, et suit une progression
sur deux semestres, à raison de deux fois 90 minutes hebdomadaires. Il
s’agit d’étudiants de première et deuxième année. La classe est composée
d’une vingtaine de personnes et les cours sont dispensés en français par
un enseignant natif. Ces étudiants suivent par ailleurs des cours – dont la
durée et la fréquence sont identiques – axés plus spécifiquement sur la
grammaire et la traduction avec des professeurs japonais.
Dans ce contexte, il est déjà possible de déceler des profils d’apprenants
variés. Pour la plupart, le choix de cet apprentissage est le fruit d’un réel
intérêt pour le français et la culture francophone ou plus généralement, un
désir d’ouverture vers l’étranger. Pour d’autres, il est davantage le résultat
d’une orientation plus aléatoire ; le placement se faisant par rapport aux
résultats obtenus lors des examens d’entrée. L’acceptation dans un dépar-
tement de langue anglaise est plus exigeante que celle dans le département
de langue française ou chinoise, par exemple.
Au même titre que l’éloignement avec la langue cible et la difficulté
impliquée, on prendra soin d’intégrer ce paramètre dans notre réflexion.
La motivation étant un des éléments essentiels à l’apprentissage efficace
d’une langue, on peut dès à présent se préparer à rencontrer des disparités
entre les étudiants dans leur parcours vers la maîtrise du français.

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4.1 Le profil du professeur


On s’attardera ici sur la vision de l’enseignement du côté de l’ensei-
gnant comme de celui des apprenants. Comme l’affirme Cuq « l’enseignant
doit être conscient que le français qu’il enseigne n’est finalement que la
représentation qu’il se fait de cette norme, et aussi probablement celle que
l’institution pour laquelle il travaille lui demande de se faire. Dans certains
pays, au Japon par exemple, cette représentation est généralement plus
traditionnelle, plus marquée par l’écrit et par la littérature »xix.
Bien que la tendance soit à un léger changement, cette affirmation reste
d’actualité. Nous ajouterons également que l’enseignement traditionnel
japonais est davantage basé sur l’idée, proche de celle d’un cours magistral
dans lequel les étudiants écoutent le professeur mais n’interviennent pas.
Pour illustrer cette réalité, nous nous appuierons sur notre expérience en
Europe et au Japon au cours d’activités dans lesquelles il est question, après
avoir observé un corpus, d’en déduire une règle grammaticalexx, ou plus
généralement lors de négociations entre enseignant et apprenants.
S’agissant d’étudiants hispanophones, italophones ou de langue voisine à la
langue cible, l’enseignant peut être en droit d’espérer ce type de démarche,
de la part de ses étudiants. En effet grâce à la proximité linguistique de
ces langues, il est souvent possible, en s’appuyant sur les ressemblances
de deviner le sens du corpus. Il en va de même lors de l’utilisation de
documents authentiques dont les images formelles sont proches. Ces aides,
absentes en japonais, il nous semble beaucoup plus ardu de faire réaliser
ce travail à des étudiants japonais, qui plus est ne résident pas dans un
pays francophone, pour les raisons suivantes.
La première d’ordre linguistique puisque nous l’avons vu, le français et
le japonais ne sont pas des langues voisines. La seconde, culturelle car
au Japon, les étudiants ont traditionnellement pour rôle de littéralement

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« suivre l’enseignant ». Leur attribuer un rôle de professeur risque de les


décontenancer voire d’émettre des doutes quant aux compétences didactiques
et linguistiques de leur professeur.
Considérons enfin le choix de l’institution de confier les cours à un
professeur natif, vecteur d’une certaine image de la langue. On peut néan-
moins justifier une forme de surprise, d’étonnement chez les étudiants
inhabitués à communiquer avec un étranger aux méthodes éprouvées mais
jugées exotiques comme nous l’avons décrit précédemment. De la sorte, en
soumettant aux étudiants un travail en groupes dont le résultat débouche sur
une production commune, ce qui est la définition même d’une tâche, nous
sommes quelquefois confrontés à de la surprise de la part des étudiants.

5. Découverte de la tâche
Ces tâches ou activités ont pour intention louable de s’approcher au mieux
des réalités auxquelles les apprenants sont ou seront confrontés dans leur
parcours personnel ou professionnel. Elles ont par ailleurs comme objectifs
de satisfaire aux compétences discursives/actes de paroles définis par le
CECR et évalués dans les épreuves de types DELF.
Certaines activités semblent tout à fait pertinentes et proches des réalités
et du profil des apprenants; lorsqu’il s’agit d’acheter un billet de train ; de
faire des achats dans un magasin où encore de demander sa route. On peut
toutefois s’interroger sur le choix d’autres énoncés tels que préparer une fête
pour recevoir un haut responsable dans notre établissementxxi; organiser un
séjour pour des touristes étrangers, partir à la recherche d’un proche disparu
dans un pays étranger ou encore tomber en panne en pleine croisière…
L’adéquation de ces situations parfois farfelues et l’environnement immé-
diat des apprenants est d’ailleurs le centre de questionnements soulevés par
Castelloti et Nishiyama lors de débats sur la contextualisation du Cadre

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Commun de Référence pour les Langues. Ces derniers souhaitant voir


prendre en compte au delà de l’espace didactique et pédagogique des
dispositions qui intègrent les dimensions socio-économiques, politiques et
culturellesxxii. Cet aspect nous le verrons, sera plus amplement traité au
chapitre 5.2.
Pour refermer ce paragraphe et à titre informatif, voici la présentation du
projet par les concepteurs du manuel utilisé : « Le projet est un apprentis-
sage en profondeur d’un sujet, impliquant la motivation et l’engagement
de l’élève. Il permet la maîtrise d’une situation de vie qui implique des
actes de communication. Le projet de Scénario 1 a été conçu en plusieurs
épisodes dans lesquels diverses activités sont proposées comme des jeux
de rôles, des recherches d’informations… afin d’arriver à une production
finale telle qu’un article, une affiche, une page de guide touristique… A
la fin des cinq modules, les apprenants rassembleront chacune de leurs
productions et constitueront ensuite leur projet dans sa totalité. »

5.1 Projet annoncé et CECR


D’après les auteurs du manuel utilisé, il est proposé aux apprenants de créer
leur monde en français, d’adopter des identités de personnages virtuels, de
vivre des expériences pleines d’aventures à rédiger sous forme de scénarios.
Le manuel est défini comme appartenant à une approche actionnelle vivante
allant de pair avec la rigueur de l’apprentissage linguistique. L’ouvrage
s’adresse à des débutants de langue proche ou de LV2 et de faux débutants.
Celui-ci propose les 7 grandes lignes suivantesxxiii :
- apprendre le français à travers des situations de communication et
passer tout de suite à l’action ;
- acquérir les 4 compétences, une démarche pédagogique motivante et
une structure claire qui s’appuient sur des documents authentiques

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écrits et oraux ;
- une préparation au DELF et une évaluation des acquis intégrée ;
- une démarche actionnelle innovante et motivante, pour apprendre le
français autour de la création d’un scénario ;
- un apprentissage linguistique rigoureux ;
- une approche par compétences ;
- des documents riches et en phase avec l’actualité
Notre choix s’étant porté sur un manuel qui se destine principalement
aux étudiants débutants de langue proche, il est donc certainement plus
difficile d’accès qu’un ouvrage publié spécifiquement pour des Japonais.
Le fossé entre le niveau supposé en langue (A1/A2) décrit par le Cadre
et les activités proposées effectivement dans le manuel demeure malgré
tout difficile à expliquer.
Les tâches évoquant le naufrage d’un paquebot de croisière convoquent
ici un vocabulaire naval bien éloigné du niveau A1/A2 à qui s’adresse le
manuel utilisé, échantillon représentatif des pratiques actuelles. Voici pour
rappel le descriptif du CECR à cet égard.
Pour le niveau A1; ce qui correspond à un utilisateur débutant:
« Peut comprendre et utiliser des expressions familières et quotidiennes ainsi
que des énoncés très simples qui visent à satisfaire des besoins concrets.
Peut se présenter ou présenter quelqu’un et poser à une personne des ques-
tions la concernant – par exemple, sur son lieu d’habitation, ses relations,
ce qui lui appartient, etc. – et peut répondre au même type de questions.
Peut communiquer de façon simple si l’interlocuteur parle lentement et
distinctement et se montre coopératif. »
Pour le niveau immédiatement supérieur A2 ; qualifié également d’utilisateur
débutant:
« Peut comprendre des phrases isolées et des expressions fréquemment

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utilisées en relation avec des domaines immédiats de priorité (par exemple,


informations personnelles et familiales simples, achats, environnement
proche, travail). Peut communiquer lors de tâches simples et habituelles ne
demandant qu’un échange d’informations simples et directes sur des sujets
familiers et habituels. Peut décrire avec des moyens simples sa formation,
son environnement immédiat et évoquer des sujets qui correspondent à des
besoins immédiats. »
Comment justifier alors un tel décalage entre le descriptif et les manuels
autrement qu’en l’attribuant à l’imagination et la créativité débordante des
concepteurs de méthodes ?

5.2 Animation et observation d’activités de classe portant sur


une tâche
Lors des différentes tâches que nous avons proposées aux étudiants de
première, deuxième et troisième année tirées des manuels Scenario I et II,
plusieurs constantes ont été observées quant au traitement et à la réalisation
du travail demandé.
La première difficulté rencontrée était de comprendre la consigne.
Une fois cette première étape –que nous qualifierons d’accès à la consigne–
franchie, les étudiants savaient globalement ce que l’on attendait d’eux.
Nous nuancerons toutefois notre propos dans la mesure où un exemple
a souvent été nécessaire. S’ils ont compris, pourquoi les étudiants ont-
ils besoin d’un exemple pourrait-on se demander dans ce cas de figure.
Stratégies cognitives ou processus d’intégration propres sont certainement
les motifs qui les poussent à réclamer un exemple. Il peut s’agir de leur
donner confirmation de la bonne compréhension du message, de rassurer
les étudiants ou d’apporter un élément déclencheur apte à favoriser la
transition de la compréhension vers la production ; du passif vers l’actif.

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Le second point sur lequel nous allons nous exprimer porte cette fois
sur la pertinence même de la tâche. Loin de remettre en cause sa nécessité
dans le cas présent, nous portons notre réflexion sur la crédibilité et la
finalité de cette dernière ; point que nous avions soulevé précédemment
dans cette publication.
Pour illustrer ces propos, voici l’énoncé d’une tâche proposée dans le
manuel utilisé pour les classes plus avancées: « le paquebot sur lequel vous
naviguez vient de tomber en panne. Vous devez le quitter et emporter 6
objets avec vous ».xxiv Le but de cet énoncé est vraisemblablement d’impli-
quer chaque groupe dans une activité de communication authentique en
français dont l’enjeu semble basé sur la négociation. L’enseignant vertueux
serait dans l’attente de voir les apprenants discuter entre eux, un apprenant
sélectionnant un objet et justifiant son choix tandis qu’un autre le remettrait
en question estimant plus utile tel ou tel objet. C’est sans compter les
deux écueils découverts dans les classes au sein desquelles il a été traité.
Le premier, et l’on peut s’y attendre avant même d’avoir commencé
l’activité, concerne l’éloignement des réalités des étudiants et dont nous
remettons en cause la crédibilité. Combien de personnes ont été ou seront
confrontées à ce type de difficulté dans leur vie ? Les réactions dans la
classe étaient variées : si certains affichaient une volonté de participer et
se projeter avec une relative aisance, peu d’étudiants semblaient se prêter
au jeu, entrer dans la peau de leur personnage et agir dans cette situation
qui n’était pas la leur. Bien qu’elles traitent également des dispositifs mis
en ligne, les publications de F. Mangenot et F. Penilla xxv soulèvent une
question des plus pertinentes et qui trouve sa place dans notre constat :

“François Mangenot et Frédérique Penilla, dans leur article « Inter-


net, tâches et vie réelle », s’interrogent sur l’importance que revêt la

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plausibilité des tâches proposées aux apprenants. D’après eux, pour


que l’apprentissage ne devienne pas trop artificiel, les tâches devraient
présenter des intersections avec la vie réelle.”

La deuxième difficulté constatée concerne cette fois l’objectif de la


tâche. Si sur le papier les notions de négociation, de justification voire
de persuasion sont des actes de paroles que l’on rencontre tous les jours
dans nos sociétés, dans « l’univers classe » au moins, les choses ne se
passent pas ainsi. Pour preuve, lors du traitement de l’énoncé proposé dans
les trinômes. La négociation a rarement lieu dans les faits. La plupart du
temps, dans chaque groupe et pour d’obscures raisons (charisme, autorité,
popularité ?) un leader naturel est désigné ou se désigne.
Dès lors, les autres membres du groupe vont toujours se montrer en accord
avec lui, même s’ils sont en réalité d’un avis contraire. Devant l’harmonie
affichée, le rôle du professeur sera ici de (re)lancer le débat en jouant les
trouble-fête. L’idée sera de soumettre leur choix à des difficultés inattendues.
Il pourra leur demander pourquoi ils ont choisi avant de débarquer sur l’île
déserte une lampe de poche plutôt que des allumettes. Comment vont-ils
parvenir à allumer un feu ?
De surcroît, d’autres activités présentes dans le manuel proposent par
exemple de fabriquer le portrait d’une personne portée disparue. « Fabriquez
un portrait du disparu (découpez les différents éléments du portrait dans
des magazines (les yeux, les cheveux…). »xxvi
Ce travail de transition situé après la rédaction d’une fiche descriptive
trouve naturellement sa place dans l’activité où une des finalités est de
produire puis afficher un avis de recherche.
Sur un plan strictement didactique, l’objectif est de faire appel au vocabu-
laire étudié précédemment dans la leçon sur la description physique et morale

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d’une personne. D’un point de vue moins académique, on peut y entrevoir


une occasion de créer un moment de classe convivial dans une ambiance
décontractée ; chaque groupe réalisant en consultation son personnage.
Nous pouvons aussi y voir une activité quelque peu infantilisante risquant
de froisser l’orgueil de certains se demandant, alors qu’ils sont étudiants,
pourquoi leur professeur leur fait faire du collage et du découpage. Enfin,
la gestion du temps pour ce type de travail se révèle souvent délicate. En
effet, l’enseignant a défini une durée raisonnable pour mener à bien cette
activité, or la plupart des groupes, dans un souci du détail et de perfection
n’en est qu’au début de la réalisation. Cette tâche qui n’était au départ
qu’une micro activité se transforme en activité mobilisant la quasi-totalité
d’un cours dont le rapport investissement temps/résultat est discutable.

5.3 Traitement de la tâche


Lors de la formation des groupes et du début de l’activité de production
qui devrait susciter une discussion, un échange d’idées aboutissant à une
mise en commun, on constate que beaucoup d’étudiants travaillent chacun
de leur côté tandis qu’ils sont en binôme ou en trinôme. Ils commencent
la rédaction définissant les caractéristiques des personnages en interaction
dans la situation sans s’être concertés, sans avoir réellement pris part à
un débat. Ce débat réalisé au sein du groupe avait pour finalité de fixer
la structure narrative et définir les personnages de la tâche. La modifica-
tion de l’organisation spatiale de la classe, rapprochement et changement
d’orientation des tables n’aura pas suffi à générer une véritable discussion.
Vient ensuite la rédaction du dialogue. Plutôt que de faire chacun un
personnage, les apprenants recopient le même dialogue. On peut se ques-
tionner ici sur la façon de gérer, d’organiser la tâche, voire de remettre en
cause l’utilité de ce travail en groupes. Le rôle du professeur sera de les

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conseiller, de les guider, voire de leur attribuer un rôle dans le groupe de


travail. On peut également imputer ce manque d’autonomie à la découverte
d’une nouvelle façon de travailler susceptible de bousculer leurs habitudes,
la très grande liberté laissée ayant pour conséquence de les désorienter.
L’ambiance dans la classe ou l’hypothétique mésentente dans le groupe
pourrait aussi être incriminée – ce qui ne semblait néanmoins pas être le
cas. Le professeur, à son niveau, doit faire preuve de remise en question sur
sa pédagogie et les objectifs visés. Il s’avère parfois nécessaire d’adapter
ses exigences au niveau du groupe. Un cadrage et un minutage plus précis
mènent aussi à la réussite du projet. Une relative pression sur les étudiants
peut être salvatrice. Puisque les étudiants apprécient les défis entre groupes,
pourquoi ne pas organiser une petite compétition dans la classe ? Ce type de
stimuli est toujours le bienvenu pour motiver ces derniers. Enfin, l’expérience
de l’enseignant doit leur fournir des méthodes de travail ad hoc allant de
l’organisation dans le groupe à la recherche d’informations.

5.4 Réalisation de la tâche


Lors de la présentation de la production définitive, au demeurant de
qualité, un éloignement chez certains groupes vis-à-vis des consignes don-
nées au départ a été noté. Il pourrait être sanctionné d’un non-respect des
consignes dans une grille d’évaluation. Ce faisant, la consigne « vous êtes
étudiant en France, vous êtes perdu dans une ville française… » trouve
souvent pour réponse dans les jeux de rôle des adresses ou des lignes
de métro japonaises, ou encore des règlements en yens. Ce résultat est-il
le fruit d’une mauvaise compréhension des consignes, d’un oubli, d’un
choix délibéré des étudiants de s’approprier davantage le sujet et faire de
« leur production » une œuvre originale, de se démarquer du reste de la
classe ou plus simplement, de combler un certain manque de connaissances

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civilisationnelles par la représentation de leur réalité.

5.5 Evaluation de la tâche


Comment évaluer une tâche, ou plus concrètement comment considérer
si le travail demandé est accompli selon des critères établis ? D’un point
de vue formel, les manuels utilisés ne proposent pas de grille d’évaluation
propre aux tâches présentes dans chaque leçon. Le professeur a donc toute
latitude d’en créer une s’inspirant des travaux du CECR en y ajoutant les
éléments relatifs au cadre situationnel et objectifs visés.
En revanche, la partie DELF figurant en fin d’unité est accompagnée
dans le guide pédagogique d’une grille d’évaluation spécifique à chaque
exercice. A ce titre, la production orale dont la consigne est : « Vous avez
vu cette annonce. Vous téléphonez. Vous posez des questions sur le travail,
les horaires et le salaire. M. Bertrand vous pose des questions sur vous.
Jouez la scène »xxvii. Son évaluation repose sur les 3 ensembles et 4 sous-
ensembles suivantsxxviii :

Adéquation au sujet (6 points)


-Capacité à parler de son parcours scolaire et professionnel (3 points)
-Capacité à poser des questions sur un travail (3 points)
-Compétence linguistique (4 points)
-Morphosyntaxique (2 points)
-Lexique adapté à la situation (1 point)
-Correction phonétique (1 point)
-Capacité à interagir (2 points)

Du point de vue de l’enseignant, il pourrait sembler naturel de prendre


en compte des aspects tels que la spontanéité, l’originalité, l’utilisation de

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gestes et/ou attitudes propres à la culture étudiée. Nous pourrons énumérer


de la sorte les savoir-être suivants : poignée de main lors des salutations,
se toucher le torse et non le nez pour se désigner, l’aisance et la façon
de s’approprier le personnage. Finalement, grâce aux travaux précédents
réalisés au cours du semestre, mettre en comparaison le niveau originel et
la progression de l’étudiant.
En dehors de toute considération d’évaluation sommative, le travail
spécifique sur tâches a permis aux étudiants de prendre confiance en eux
lorsqu’il s’agit de s’exprimer en langue étrangère. A cette occasion, certaines
expressions culturelles, nécessaires dans des situations de communication en
japonais ont été transférées en français dans les dialogues réalisés par les
étudiants. La notion de calque ou transfert négatif non pas par proximité
avec la langue source mais par la traduction de la langue source vers la
langue cible a ainsi fait ressortir des faits culturels différents en français
et en japonais. Ce type d’activité est donc propice à révéler puis corriger
ces « erreurs » ; erreurs qui n’auraient sans doute jamais été repérées lors
d’activités plus classiques de type structurel.
De cette façon, lors de questions ouvertes présentes dans les dialogues
rédigés par les étudiants ; des interrogations comme « que pensez-vous de
ce restaurant ? », l’interlocuteur répond par « oui » avant de répondre à la
question. Ce « oui » qui semble incongru en français est a contrario tout
à fait correct dans la conversation japonaise ; il pourrait être assimilé à
« Oui, j’ai bien reçu votre question, je vais y répondre ».
Le même constat a eu lieu durant une activité simulant une conversation
téléphonique entre amis. Celle-ci consistait à inviter quelqu’un au cinéma et
convenir avec lui de la date et l’heure. Immédiatement après que le locuteur
s’est présenté, son interlocuteur lui répond « ah, bonjour. Qu’est-ce qui se
passe/qu’est-ce qui t’arrive ? ». Là encore, ce type de réponse qui semble

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brutale et serait davantage utilisé dans une situation où l’appel télépho-


nique aurait lieu en pleine nuit et surprendrait, dérangerait un interlocuteur
soudainement paniqué n’est pas utilisé de la même façon en japonais. Ce
serait l’équivalent amical, s’il y en avait un en français de « quelle est la
raison de ton appel ? ».

Sur le plan culturel, on rencontre des consignes de tâches anodines, en


tout cas aux yeux de l’enseignant, qui sont de l’ordre de la découverte
lors de la mise en pratique pour les apprenants.
Une des consignes que l’on retrouve dans le manuel étudié mais commune
à d’autres publiés ces dernières années, concerne la compréhension puis
la rédaction d’une petite annonce qui va de vendre son véhicule à trouver
des colocataires pour partager une maison.
Ce type d’annonce relativement classique relève pourtant du mystère
chez bon nombre de nos apprenants. Ceci s’explique car au Japon la vente
de véhicules ne se fait pas entre particuliers mais auprès d’un spécialiste
de l’occasion. Dans le cas de la recherche d’un colocataire ; le schéma
location d’une grande maison que l’on partage à plusieurs n’existe pas.
Les logements étant plus petits, il est probable quelquefois de compter
dans la classe un(e) étudiant(e) vivant avec un colocataire bien que ce
mode de vie soit rare. Une présentation en amont d’une scène du film,
« L’auberge espagnole » qui décrit la cohabitation des colocataires, serait
un bon complément favorisant la mise en contexte de l’activité.
Il est à noter enfin que les étudiants sollicitent plus qu’à l’ordinaire
l’enseignant comparativement à d’autres phases de travail. Les « comment
dit-on … en français… ? Je voudrais dire… Est-ce que c’est correct ?
Est-ce que ça existe en France ? Est-ce que les Français…? » Sont parti-
culièrement présents.

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Ces interventions sont autant de preuves de l’intérêt et de la curiosité


portés la langue et la culture étudiées.
Elles peuvent favoriser la mise en place au tableau d’un corpus commun
ou l’ouverture d’une parenthèse culturelle dans la classe.
Nous ajouterons pour conclure ce chapitre que le véritable échec de
ces nouvelles méthodes se localise sur la tentative de transnationalisation,
d’un transfert interculturel imposé au public cible mais qui n’y répond
pas parce qu’il n’en comprend pas les codes. Ainsi, la volonté des auteurs
d’instiller dans les esprits des apprenants un rapport à la culture française
(plus que francophone, soyons honnêtes) par appels à des mises en contexte
imposées, brutales, ou surréalistes, risque de les placer au final dans une
certaine incompréhension.

6. Conclusion et pistes possibles d’amélioration


La perspective actionnelle, comme d’autres approches avant elle, pro-
pose des solutions innovantes et réalistes dont il serait dommage de faire
l’impasse. Les tâches abordées peuvent être réemployés au cours d’un futur
séjour, dans des situations diverses. Ce qui est en revanche plus perturbant
serait de vouloir faire table rase du passé, sous couvert d’offrir plus de liberté
et de créativité à l’apprenant dans l’optique de présenter cette approche
comme La solution, adaptée à tous les types de publics. Faire du contexte
de chaque tâche une évidence socioculturelle relève de la gageure.
Nous pensons qu’il serait judicieux de mieux prendre en compte les
spécificités du public concerné aussi bien d’un point de vue enseignement/
apprentissage que culturel. Proposer des adaptations notamment sur la per-
tinence et les choix des tâches à réaliser afin de faire plus facilement le
lien entre ce qui est appris/enseigné en classe et ce à quoi les étudiants
risquent d’être confrontés dans leur expérience francophone future serait

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également un atout supplémentaire.


Sur un plan lexical et culturel, la clarté des consignes serait facilitée en y
apportant en plus de l’aide au vocabulaire, une comparaison des situations
de communication en France et au Japon. Ainsi, la prise en compte des
savoir-être et savoir-agir dans les cultures respectives formerait des locuteurs
à un niveau de communication plus authentique.
En outre, un guidage plus ciblé permettrait aux apprenants de mieux définir
la situation et ce qui leur est demandé. Donner plus de contraintes, offrirait
paradoxalement plus de liberté, tout en favorisant un gain de confiance
chez les étudiants.
Pour finir, il nous semble judicieux qu’en plus de l’enseignant, les éditeurs
de manuels prennent conscience de cette réalité au Japon afin de proposer
des produits plus proches et plus accessibles à ce type de public.

Bibliographie
i
Chomsky N., Le Langage et la pensée (1968), Payot, coll. « Essais ».
ii
Travaux du Cercle linguistique de Prague, p. 10, Prague, (1929). Cité par Benveniste
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iii
Chomsky N., Le Langage et la pensée (1968), Payot, coll. « Essais ».
iv
Puren C. Histoire de la didactique des langues-cultures et histoire des idées.
Octobre 2007 p. 127–143.
v
De pietro J-F et Sheuwly B. Pour une didactique de l’oral, ou : l’enseignement/
apprentissage est-il une macroséquence potentiellement acquisitionnelle ?,Etudes de
linguistique appliquée, nº 120, Didactique des langues étrangères et recherche sur
l’acquisition, 2000, p. 462.
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bilingue. (1994) Peter lang.
vii
J-P. Cuq et I. Gruca Cours de didactique du francais langue étrangère et seconde.
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viii
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Puren C. conférence sur « L’évolution des perspectives actionnelle et culturelle en
didactique des langues-cultures » université de Strasbourg 2002.
x
Conseil de l’Europe Cadre commun de référence pour les langues Didier (2005).
xi
Conseil de l’Europe Cadre commun de référence pour les langues Didier (2005).
xii
Symposium intergouvernemental (Ruschlikon 1991).
xiii
CECR Avertissement 2, p.v5.
xiv
CECR p. 81–101.
xv
CECR p. 40.
xvi
Robert J-M. (2009) Manière d’apprendre, pour des stratégies d’apprentissage
différenciées. Hachette.
xvii
Ecrit privilégié par rapport à l’oral, recherche de compétence linguistique plus que
de compétence de communication, peu de participation, malaise devant l’interaction,
etc.
xviii
Coste.D. (2007) Le cadre européen commun de référence des langues contex-
tualisation et/ou standardisation : <http:/francparler.org/dossier/cecr_perspectives.
htm#coste>, le 15/05/2011.
xix
Cuq J-P. et Gruca I. Cours de didactique du francais langue étrangère et seconde.
Pug. (2005).
xx
Connexions 2 Loiseau Y., Mérieux R. (2004). Hachette. Observez les énoncés
suivants, que remarquez vous ? Déduisez-en la règle de grammaire.
xxi
Latitudes 1 Mérieux R., Loiseau Y.(2008).Hachette. Tâche finale p. 53.
xxii
Castelloti V. et Nishiyama N. (dir) (2011) Des contextualisations du CECR : le
cas de l’Asie de l’Est. Le français dans le monde, Recherches et applications 50.
xxiii
Scénario 1 Dubois A-L., Lerolle M., Gallon F., Culioli M. Turpide E. (2008)
note des auteurs p. 3.
xxiv
Scenario 1 tâche finale.
xxv
F. Mangenot et F. Penilla, « Internet, tâches et vie réelle » p. 82–90 Evelyne
Rosen (dir.). (2008). Hachette.La perspective actionnelle et l’approche par les tâches
en classe de langue, Le français dans le monde. Recherche et applications, Nº 45,
janvier 2009.
xxvi
Scénario 1 p. 39.
xxvii
Scénario 1 p. 87.
xxviii
Scénario 1, Guide pédagogique. Culioli M., Turbide E.,Leguiff J., Lamandé N.
(2008) Hachette p. 92.

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