Balzac
Balzac
Balzac
José-Luis Diaz
2012/1 n° 13 | pages 61 à 83
ISSN 0084-6473
ISBN 9782130617310
DOI 10.3917/balz.013.0061
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Ce que Balzac
fait au fantastique
1. L’expression ne devient courante qu’après 1850. Voir par exemple l’usage
qu’en fait Proudhon en 1852 : « En littérature, en poésie, en peinture, dans l’art
dramatique – inutile de citer la danse –, nous en sommes à l’école fantaisiste,
dernier mot du romantisme ; et nous voyons ce qu’elle produit » (La Révolu-
tion sociale démontrée par le coup d’état du 2 décembre, Paris, Garnier frères, 1852,
p. 111).
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2. L’expression date de la même époque. En 1855, elle figure par exemple
dans Les Nuits d’octobre de Nerval (La Bohème galante, Paris, Michel Lévy, 1855,
p. 228).
3. Ce qu’indique entre autres telles formules employées au fil de la plume
par Mme de Girardin : « Un valet de pied bizarre, vêtu d’une livrée, non seu‑
lement de fantaisie, mais je dirais même fantastique, vint ouvrir la portière »
(La Canne de M. de Balzac, Paris, Dumont, 1836, p. 125).
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7. Voir entre autres : Victor Joly et M. Jacob, Le Juif errant, mystification
fantastique en trois tableaux, Théâtre des Folies-Dramatiques, 25 octobre 1834 ;
Charles Dupeuty et Charles-Louis-François Desnoyer, Les Filles de l’enfer, vau-
deville fantastique en quatre actes et six tableaux, Théâtre de l’Ambigu-comique,
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pas, mes amis, une voix qui s’élève et retentit dans la postérité
de la semaine prochaine, une voix qui crie : “Délivrez-nous
du fantastique, Seigneur, car le fantastique est ennuyeux”12. »
Dès mai 1832, un critique de La Caricature, qui garde quel‑
que chance d’être Balzac lui-même, détecte dans Indiana « une
réaction de la vérité contre le fantastique, du temps présent
contre le moyen âge, du drame intime contre la bizarrerie des
incidents à la mode, de l’actualité simple contre l’exagération du
genre historique13 ». À Musset et à Pagello étrangement ligués,
Sand fait dire dans ses Lettres d’un voyageur qu’ils n’aiment pas le
fantastique, « éponge trempée dans les brouillards du Nord14 ».
Mais même des desservants aussi notoirement compromis dans
cette mode que Janin ou Nodier participent eux aussi à cette
retombée. Nodier, auteur non seulement de contes fantas‑
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18. À Janin qui vient de faire paraître des Contes fantastiques, un critique de
L’Artiste reproche d’avoir « eu le tort d’étiqueter ses livres d’un titre vulgaire,
insignifiant, prétentieux, commun à tous ; d’un titre qui appartient à Hoffmann
et que peut prendre M. de Balzac, le grand preneur » ([Anon.], « Contes fantasti-
ques, par M. Jules Janin », L’Artiste, 28 octobre 1832, 13e livr., t. IV, p. 148).
19. Jules Janin, article « Fantastique », Dictionnaire de la conversation et de la
lecture, Paris, Belin-Mandar, t. XXVI, 1836, p. 299.
20. Balzac n’a sans doute pas lu d’emblée Hoffmann, autrement que par
bribes. Et il est légitime de tenir pour vrais, à cet égard, les propos d’une lettre
où il avoue l’avoir lu tardivement, non sans quelque déception (à Mme Hanska,
2 novembre 1833, LHB, t. I, p. 84). Sur ce rapport en partie négatif à
Hoffmann, voir Maurice Bardèche, Balzac romancier. La Formation de l’art du
roman chez Balzac jusqu’à la publication du « Père Goriot » [1940], Slatkine reprints,
1967, p. 326 et suivantes.
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21. Le fantastique n’y est pas référé à Hoffmann, mais à Crabbe, loué pour
avoir su « personnifier un être fantastique, nommé la Vie dans la Mort » dans une
« fable aussi vraie que fantastique » (Pl., t. XI, p. 1054).
22. « Littérature. Le Chef-d’œuvre inconnu. I », L’Artiste, 31 juillet 1831, t. I,
p. 319.
23. Ibid., p. 321.
24. « Je retournai chez moi stupéfait. Ce petit vieillard sec avait grandi. Il
s’était changé à mes yeux en une image fantastique : j’avais vu le pouvoir de l’or
personnifié » (Scènes de la vie privée, Paris, Mame et Delaunay-Vallée, Levavas‑
seur, 1830, repris dans Nouvelles et contes, éd. Isabelle Tournier, Paris, Gallimard,
« Quarto », 2005, t. I, p. 234).
25. Mais notons que ce personnage n’est qu’indirectement promu au fan‑
tastique : « Sans être précisément un vampire, une goule, un homme artificiel,
une espèce de Faust ou de Robin des bois, il participait, au dire des gens amis
du fantastique, de toutes ces natures anthropomorphes » (« Sarrasine. Ire partie »,
Revue de Paris, 21 novembre 1831, t. XX, p. 155). Remarquons aussi que, plutôt
que sur Hoffmann, Balzac appuie son fantastique sur Byron et sur Ann Rad‑
cliffe. La « mystérieuse famille » à laquelle appartient ce « personnage étrange »
a « l’attrait d’un poème de lord Byron ». Elle offre « un perpétuel intérêt de
curiosité assez semblable à celui des romans d’Anne Radcliffe » (ibid., p. 154).
26. « En ce moment, un rire satanique échappait à ce fantastique person‑
nage, et se dessinait sur ses lèvres froides, tendues par un faux râtelier » (La Peau
de chagrin, Paris, Gosselin et Canel, 1831, t. II, p. 140).
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27. Ainsi de Pauline dans La Peau de chagrin, « délicieuse comme les fan‑
tastiques figures de Westall » (Pl., t. X, p. 235). Dans Eugénie Grandet (décem‑
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40. « Lettre à Charles Nodier sur son article intitulé : “De la palingénésie
humaine et de la résurrection” », Revue de Paris, 21 octobre 1832. Balzac y
admire la « moquerie fantastique » de Nodier, mais sa complicité avec lui se
scelle autour de la fantaisie et du diabolique : « Vous excuserez […] mes fol‑
les fantaisies, vous si obéissant aux tentations diaboliques des passions et des
caprices » (Revue de Paris, t. XLIII, p. 169 et p. 179, et OD, t. II, p. 1204 et
p. 1213).
41. « Lorsque je lus le fantastique portrait que Charles Nodier nous a tracé
du colonel Oudet, j’ai retrouvé mes propres sensations dans chacune de ses
phrases élégantes et passionnées », Une conversation entre onze heures et minuit,
dans Contes bruns, 1832 (Balzac, Nouvelles et contes, éd. I. Tournier, op. cit., t. I,
p. 1126). Ce texte sera repris dans Autre étude de femme (Pl., t. III, p. 704).
42. « Aperçu des publications. La Peau de chagrin, par M. de Balzac », L’Ar-
tiste, 14 août 1831, t. II, p. 18-19.
43. « M. de Balzac », Revue des Deux Mondes, 1er novembre 1831,
pp. 313-322.
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44. « Pensées de Jean-Paul », Le Temps, 17 mai-6 juin 1831, repris dans
Œuvres complètes en prose, éd. M. Allem, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la
Pléiade », 1960, pp. 874-881.
45. « La Peau de chagrin, publiée en 1831, ouvre la nouvelle et la véritable
série des romans de M. de Balzac. […] L’auteur s’est évidemment préoccupé
d’Hoffmann qui faisait alors son apparition parmi nous » (« Poètes et roman‑
ciers de la France. XVI. M. de Balzac, La Recherche de l’absolu », Revue des Deux
Mondes, 1er novembre 1834, t. IV, p. 448).
46. Voir à leur égard les propos d’Isabelle Tournier, op. cit., t. I, p. 605 :
« Conte fantastique ? l’expression est un alibi commode, à la mode, passe-par‑
tout invoqué pour couvrir cette histoire trop réelle, et pour ouvrir par anti‑
phrase à l’innovation. »
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47. « Sarrasine. Ire partie », Revue de Paris, 21 novembre 1831, t. XX,
p. 155.
48. Le même sentiment de rivalité que Balzac exprime vis-à-vis de la pein‑
ture. Mais avec une note de patriotisme en plus.
49. « Vous accusez peut-être légèrement la jeune littérature de viser à l’imi‑
tation des chefs-d’œuvre étrangers – Croyez-vous que le fantastique d’Hoffmann,
n’est pas virtuellement dans Micromégas, qui lui-même était déjà dans Cyrano
de Bergerac, où Voltaire l’a pris – Les genres appartiennent à tout le monde, et
les Allemands n’ont pas plus le privilège de la lune que nous celui du soleil, et
l’Écosse celui des brouillards ossianiques – Qui peut se flatter d’être inventeur.
Je ne me suis vraiment pas inspiré d’Hoffmann, que je n’ai connu qu’après avoir
pensé mon ouvrage » (vers le 20 août 1831, Corr. Pl., t. I, pp. 386-387).
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les deux Contes fantastiques déceptifs, « Zéro » et « Tout », publiés par La Sil-
houette. Et, en novembre, l’épigraphe de Sarrasine.
59. Avec, là aussi, plus qu’un soupçon de patriotisme, qu’on retrouve
d’ailleurs dans la manière qu’a la critique d’opposer l’esprit à la française de
Janin aux « humourists anglais » et au « fantastique des Allemands » : « On a voulu
définir aussi le fantastique de J. Janin, et l’on s’est perdu dans toutes sortes de
comparaisons. Non, ce fantastique n’est pas, Dieu merci, le produit de la creuse
rêverie allemande […]. En dernière analyse, J. Janin ne ressemble qu’à J. Janin ;
son esprit est français, son style est français, et c’est pourquoi j’oppose plutôt
que je ne compare son originalité au fantastique des Allemands et à l’humour des
Anglais : aux uns Swift, Addison, Sterne, Ch. Lamb, parmi les humourists ; aux
autres Tieck et Hoffmann, parmi les rêveurs ; à nous J. Janin », « Album », Revue
de Paris, novembre 1832, t. XLIV, p. 64. De même, dans le rejet du fantastique
que manifeste Pagello, imité par Musset, il y a aussi un rejet de l’Allemagne :
« — Je n’aime pas les idées fantastiques, dit-il ; cela nous vient des Allemands,
et cela est tout à fait contraire au vrai beau que cherchaient les arts dans notre
vieille Italie » (G. Sand, Lettres d’un voyageur, op. cit., p. 90).
60. Commentant Une vie d’homme, croquis, de Gustave Albitte, le recenseur
de la Revue encyclopédique trouve qu’il ne manifeste pas « le scepticisme ironique
de M. Jules Janin, ou la fantaisie souvent amère de M. Balzac », octobre 1831,
t. LII, p. 237.
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73. Ibid.
74. L’ironie romantique, telle que Hegel et Kierkegaard l’ont définie,
d’après Friedrich Schlegel et Solger, est l’attitude purement esthétique d’un
artiste ludique et irresponsable qui, pratiquant la « négativité infinie et absolue »,
exerce son dédain souverain sur tout le donné, pour fonder sur ce refus absolu
de tous les contenus concrets et stables son pouvoir infini de mobilité spirituelle
(Hegel, Introduction à l’esthétique, Paris, Aubier-Montaigne, 1976, p. 136).
75. « Poètes et romanciers de la France. XVI. M. de Balzac, La Recherche de
l’absolu », Revue des Deux Mondes, 1er novembre 1834, t. IV, p. 448.
76. « Le fantastique demande à la vérité une virginité d’imagination et de
croyances qui manque aux littératures secondaires, et qui ne se reproduit chez
elles qu’à la suite de ces révolutions dont le passage renouvelle tout. […] Voilà
ce qui a rendu le fantastique si populaire en Europe depuis quelques années, et
ce qui en fait la seule littérature essentielle de l’âge de décadence ou de transi‑
tion où nous sommes parvenus » (Charles Nodier, « Du fantastique en littéra‑
ture », Revue de Paris, 28 novembre 1830, t. XX, p. 209).
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77. Petit bijou trop méconnu qu’il publia dans La Caricature (voir Pl., t. XII,
pp. 869-871).
78. Pl., t. V, p. 797.
79. Ibid., p. 795.
80. Pl., t. III, p. 50 : « Mais Paris est un véritable océan. Jetez-y la sonde,
vous n’en connaîtrez jamais la profondeur. Parcourez-le, décrivez-le : quelque
soin que vous mettiez à le parcourir, à le décrire, […] il s’y rencontrera toujours
un lieu vierge, un antre inconnu, des fleurs, des perles, des monstres, quelque
chose d’inouï, oublié par les plongeurs littéraires. La Maison Vauquer est une de
ces monstruosités curieuses » (Pl., t. III, p. 59).
81. « Histoire des Treize. I. Ferragus, chef des dévorans », Revue de Paris, 10 mars
1833, t. XLVIII, p. 156, et Pl., t. V, var. a de la p. 793.
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82. « Mais, quelque temps qu’il fasse, cette nature étrange offre toujours le
même spectacle : le monde fantastique d’Hoffmann le Berlinois est là » (Splen-
deurs et misères des courtisanes, Pl., t. VI, p. 447).
83. « Jamais le génie d’Hoffmann, ce chantre de l’impossible, n’a rien
inventé de plus fantastique. On ne se rend pas compte de ce qui passe dans les
charrettes. Les cartons baillent en laissant une traînée de poussière dans les rues.
Les tables montrant leurs quatre fers en l’air, les fauteuils rongés, les incroyables
ustensiles avec lesquels on administre la France, ont des physionomies effrayan‑
tes » (Les Employés, Pl., t. VII, p. 956).
84. « Ce que j’ai vu de plus beau dans ce genre de lutte, dit maître Desro‑
ches, peint, selon moi, Paris, pour des gens qui le pratiquent, beaucoup mieux
que tous les tableaux où l’on peint toujours un Paris fantastique » (Un homme
d’affaires, Pl., t. VII, p. 779).
85. Philarète Chasles, « Introduction » aux Romans et contes philosophiques,
septembre 1831, Pl., t. X, p. 1196.
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