L'analyse: Engéographiehumaine

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l'analyse patial

engéographiehumaine

'U Il 0:0
Peter Haggett,
né en 1933, a enseigné au Collège univer-
sitaire de Londres et à l'Université de
Cambridge où il entreprit une série de cours
sur les aspects nouveaux de la recherche
géographique; ceux-ci furent d'ailleurs
l'ébauche de certains chapitres de cet ou-
vrage. Il rencontra Brian J.L. Berry à
l'occasion d'un séminaire de science régio-
nale à l'Université de Berkeley. Revenu ~n
Grande-Bretagne, il fut plusieurs années
professeur à l'Université de Bristol. Depuis
1 973,ilest professeuràl'Université d'Oxford.

Auteur de nombreux articles de géographie


quantitative, il a rédigé en collaboration
avec R. Chorley trois ouvrages sur la
«nouvelle géographie». Il vient de publier
à Londres Geography. A modern synthests.

La traduction française a été établie par


Hubert Fréchou, maître de recherches à
l'O.R.S.T.O.M.
Yanalyse spatiale
en géographie humaine
Peter Haggett

l'analyse spatiale
en géographiehumaine
traduction de
Hubert Fréchou

Armand Colin
1°3 bd Saint-Michel, Paris 5 e
Cet ouvrage a été publié en Grande-Bretagne sous le titre
Locationa/ Ana/ysis in Human Geography
par Edward Arnold Ud. La traduction a été établie d'après la 4" édition (1968)

© Librairie Armand Colin, Paris, 1973.


PRÉFACE

Peter Haggett expose lui-même, dans l'avant-propos, de quelle façon il a élaboré


ce livre. Il a senti la nécessité de transmettre en un ouvrage accessible l'énorme masse
de publications consacrées aux tendances récentes de la géographie. Beaucoup d'entre
elles, dispersées, pas toujours imprimées, étaient d'un abord décourageant, désorien-
taient le lecteur. Il était indispensable et urgent d'ordonner les connaissances, de
présenter les méthodes et les techniques, de faire comprendre pourquoi était né et
grandissait ce courant puissant de pensée et de recherche qui se présentait en novateur.
Locational Analysis in Human Geography a été le premier manuel de cette
« nouvelle » géographie, ce qui explique son audience considérable et les raisons de
cette édition française.
Depuis la première édition anglaise, la bibliographie du sujet s'est amplifiée dans
des proportions stupéfiantes; les revues, les bibliographies, les manuels, les thèmes
de recherche, les techniques se sont multipliés, précisés 1. Mais les qualités du présent
ouvrage demeurent. C'est d'abord un souci de continuité avec la pensée géographique
des cent dernières années. Les références aux précurseurs du XIXe siècle, aux fondateurs
de la géographie moderne, aux géographes de l'entre-deux-guerres, parmi lesquels
les français ne sont pas les moins cités, sont nombreuses.
C'est ensuite la démonstration que la pensée géographique, les concepts du géo-
graphe ne doivent jamais être placés au second plan derrière les techniques mathé-
matiques. Ces techniques sont mises au service d'une approche, d'une conception
de la géographie qu'aucun géographe ne saurait récuser.
La géographie humaine a toujours été sensible à deux optiques, complémentaires
mais contrastées :

1. C'est la raison des compléments bibliographiques de l'édition française.

5
PRÉFACE

L'une prend comme objet principal de ses recherches les hommes, étudiant les
populations, leurs structures sociales, leurs genres de vie : c'est la géographie de
l'homme - habitant.
L'autre considère davantage l'espace habité par les hommes. Ce courant s'est
exprimé par l'analyse des localisations, des paysages, de l'organisation de l'espace.
La présence des hommes dans un milieu aux composantes spatiales nécessairement
spécifiques, aux contenus écologiques précis, entraîne des localisations, des lieux
de peuplement d'industries, de villes, l'établissement de trames administratives,
de réseaux et de pôles de développement économique, de commandement, les uns
et les autres concourant à une organisation territoriale. L'espace n'est plus seulement
un support de phénomènes mais un agent physique dont les éléments, distances,
gradients, rythmes jouent un rôle important.
Reprenant sous une forme moderne des concepts présents dans la géographie
traditionnelle, la « nouvelle» géographie leur donne une vigueur neuve, une portée
mal perçue auparavant parce qu'elle s'appuie sur des outils méthodologiques
perfectionnés. Au service de cette analyse spatiale, des méthodes quantitatives sont
utilisées; elles aussi ne sont pas totalement inédites, car le chiffre et la mesure n'ont
jamais été absents de la géographie, mais les applications en étaient fragmentaires,
isolées.
La mesure, la comparaison des mesures, les corrélations, la pondération des compo-
santes d'une structure spatiale, la connaissance des facteurs et du poids respectif
de ces facteurs dans la différenciation et l'organisation d'un territoire représentent
un progrès scientifique considérable.
A la géographie collectrice de faits, typologique, exceptionnaliste, empirique,
inductive, les recherches dont Peter Haggett fait état substituent une géographie
théorique, déductive, recherchant la logique, les régularités, les principes de différen-
ciation et d'organisation, identifiant des structures spatiales, dégageant des modèles
et des séquences d'organisation territoriale.
Par la nouveauté de cette analyse géographique, l'espace devient compréhensible,
s'organise; toutes les pièces d'un puzzle considérées comme isolées trouvent leurs
explications de localisation, de forme, d'intensité sous les effets combinés des données
naturelles, de l 'histoire des volontés et des possibilités humaines et des contraintes
inhérentes à tout espace, s'exprimant en distances, en accessibilité, en coûts.
Comme nous l'avons dit, rien n'est totalement nouveau dans cette optique, mais
les interprétations permises par les techniques quantitatives sont véritablement neuves
et scientifiques.
La science ne progresse pas continûment et régulièrement, et tout progrès porte
en lui des erreurs, des outrances inévitables. Mais les exagérations, les enthousiasmes
incompétents ne doivent pas masquer la réalité du progrès.
Le progrès réside dans l'emploi d'un outil mathématique précieux et non dans
l'emploi de n'importe quelle technique, utilisée pour elle-même sans souci du point
d'application, considéré comme secondaire ou subordonné aux exigences du traite-
ment. On a déjà perçu à l'étranger les dangers de ce jeu mathématique pur sacrifiant
la problématique à la méthodologie.

6
Préface

Le progrès réside dans la possibilité de mieux saisir la réalité géographique, d'accéder


à une géographie générale authentique, c'est-à-dire elle-même synthétique et spatiale,
et de ne plus se contenter d'une géographie qui ne devient générale qu'en se décompo-
sant en éléments simples.
Le plus grand danger serait que par méfiance, par manque de formation et par refus
de s'ouvrir à ces concepts, à ces techniques, la géographie se divisât et s'opposât en une
géographie quantitative et une géographie traditionnelle. Car la géographie plus que
toute autre science n'existe et ne progressera que nourrie par ce double courant
conjugué, tant le logique et l'illogique, le déterminé et le non-déterminé, le quanti-
fiable et le non-quantifiable, le prévisible et le non-prévisible se mélangent dans
chaque fait géographique.
Sept ans après la parution de ce livre, on peut déjà mesurer à quel point
la « nouvelle» géographie a influencé la totalité de la géographie : le vocabulaire de
la géographie a changé; la façon de poser les problèmes, de raisonner en termes de
mesure s'impose davantage d'année en année, consciemment ou inconsciemment.
L'ouvrage de P. Haggett permet au lecteur de mieux apprécier la nouveauté des
apports, de mieux comprendre la nature des méthodes et des techniques quantitatives.
Son but n'est pas d'introduire à la totalité des recherches déjà entreprises dans ce
domaine, mai'> d'éveiller la curiosité du lecteur, de lui donner envie de prolonger
cette initiation à l'étude logique et mathématique de l'organisation de l'espace
terrestre.
Philippe PINCHEMEL.

7
AVANT-PROPOS

La disparition d'Auguste Uisch, mort en 1945 à 39 ans, a sérieusement retardé


les études sur l'organisation de l'espace. A l'évidence, et ses derniers travaux le
révèlent, il se savait au seuil d'une nouvelle « percée» scientifique. Isolé par la guerre
des données américaines, desquelles il attendait beaucoup pour vérifier ses théories,
ne voulant pas sacrifier la réalité scientifique à la séduction intellectuelle, il contempla
une récolte qu'il ne pouvait moissonner lui-même.
Depuis la mort de L6sch, les méthodes d'analyse de l'espace géographique ont
considérablement progressé. Aux États-Unis, une équipe d'économistes conduite
par Isard et des équipes de géographes animées par des maîtres tels que Garrison
et Berry ont exploré ce domaine nouveau; en Suède, l'école de Hiigerstrand a relancé
les études diachroniques. Ces développements ont tout à la fois stimulé et troublé
les géographes anglais: stimulé parce qu'ils promettaient de rajeunir une géographie
humaine traditionnelle, attachée à l'étude des régions ou des produits, ou subdivisée
en branches telles que la « géographie économique », la « géographie médicale »;
troublé à cause de l'emploi croissant des méthodes mathématiques, ou de l'intrusion
de notions inconnues et difficiles à assimiler.
C'est à mon retour à Cambridge, en 1957, que je pris une plus vive conscience de
ce problème, et de son importance pour les géographes débutants. J'entrepris ainsi,
non sans hésitations, une série de cours où j'essayai d'exposer mes idées sur les aspects
nouveaux de la recherche géographique, tant en ce qui concerne les concepts que la
méthode. Mon collègue, Richard Chorley, m'incita à rédiger ces cours; c'est ainsi
que commencèrent à émerger, de notes maintes fois feuilletées et relues, les chapitres
du présent ouvrage, qui conserve la marque de ses origines. Je suis très reconnais-
sant à Madame Marion Clegg, qui m'a beaucoup aidé à rendre le texte lisible, et
à Mademoiselle Gillian Seymour, qui a mis au point les nombreuses illustrations.

9
AVANT-PROPOS

Pendant les années d'élaboration de ce livre, la recherche a continué à progresser;


des synthèses importantes ont été publiées. Cet ouvrage est moins un essai achevé
et longuement médité qu'un « reportage» sur une bataille en cours; il ne paraît
pas possible, actuellement, de faire autre chose; peut-être faudra-t-il attendre vingt
ans de plus avant de pouvoir envisager une mise en forme comparable à celle de Losch.
Pendant mes études, j'ai toujours bénéficié de l'enseignement de maîtres excep-
tionnels. Autrefois. mon père m'apprit à connaître les paysages de son cher Somerset.
Les finances familiales et le rationnement de l'essence nous obligeaient à suivre le
précepte de Carl Sauer, selon lequel mieux vaut se déplacer lentement. Cette petite
région, tout comme la Souabe natale de Losch, semblait illustrer la plupart des 'grands
problèmes de localisation et suggérer des réponses. Plus tard, ces premières expé-
riences ont été enrichies par de brefs voyages à travers les paysages plus amples du
Sud de l'Europe, du Brésil et de l'Ouest des États-Unis. Harold Storey m'a incité
à étudier la géographie à l'Université, et à préparer Cambridge. Là, j'eus la chance
d'arriver à St. Catharine's College la même année que le professeur A. A. L. Caesar,
et d'étudier sous sa direction aux côtés de condisciples de talents: Michael Chisholm,
Peter Hall, Gerald Manners et Ken Warren. Tout ce que nous avons écrit, y compris
ce livre, porte la marque de son extraordinaire capacité d'analyse critique et d'orga-
nisation logique.
Au cours de ma carrière, mes dettes intellectuelles sont devenues de plus en plus
lourdes, au point qu'il me serait impossible de mentionner tous ceux qui m'ont
aidé. Mes collègues Richard Chorley et Tony Wrigley n'ont pas cessé de me conseiller
et de m'encourager; sans leur exemple, le présent ouvrage aurait pu rester à l'état
de projet. Je dois aussi beaucoup à David Stoddart, pour son talent à trouver des
sources inattendues; à Christopher Board et David Harvey, qui ont bien voulu relire
et commenter certaines parties; à Michael Chisholm et Jay Vance, qui m'ont aidé
à éclaircir ma pensée sur bien des points; et à Brian Berry qui, à son séminaire de
science régionale de Berkeley, en 1962, me fit saisir combien j'avais encore à apprendre
sur les méthodes quantitatives.
Je dédie ce livre à ma femme, Brenda, en témoignage d'affection et de respect.
Presque tout le pénible travail de rédaction a été fait à la maison; elle a su, tout
en s'occupant de quatre très jeunes enfants, ménager les périodes calmes dont un
mari a besoin pour affronter la machine à écrire; seuls, ceux qui ont vécu semblable
expérience mesureront l'étendue de ma dette envers elle.
Peter HAGGETT.
Stapleford, Cambridgeshire. Printemps 1965.

10
A la recherche de l'ordre Chapitre l
La géographie
Systèmes et modèles
Déterminisme et probabilisme

GÉNÉRALITÉS

Tout écrit, géographique ou autre, reflète inévitablement les conceptions et l'expé-


rience de l'auteur, et le lecteur de ce livre de géographie humaine s'en rendra compte
rapidement. Par exemple, nous nous appuyons en grande partie sur des recherches
menées dans le monde occidental, en particulier dans le Nord-Ouest de l'Europe et
en Amérique du Nord et du Sud : ni les sources soviétiques, ni les sources africaines
et asiatiques n'ont été pleinement exploitées, les premières en raison de l'obstacle
linguistique et les autres à cause de la rareté relative des recherches. Mais certains
résultats obtenus pour l'Afrique et l'Asie (cf par exemple: Ukwu, 1965; Guna-
wardena, 1964) donnent à penser que les formes de localisation des phénomènes
sociaux n'y sont peut-être pas fondamentalement différentes de ce qu'elles sont
chez nous.
Un deuxième parti pris est manifeste dans ce livre : la prépondérance accordée
à l'analyse quantitative. Ici aussi, on peut trouver une justification rationnelle :
le besoin, fondamental, d'introduire plus de précision dans l'analyse géographique.
Si, faisant l'histoire du développement de la géographie, on considère rétrospecti-
vement les années 1960 comme une décennie d'« extravagance mathématique»,
on peut tout au moins trouver quelque réconfort dans le fait que toutes les sciences
naturelles et sociales sont passées, ou passent, par une phase de ce genre (Woolf, 1961);
il faut être conscient aussi bien des possibilités que des dangers de cette tendance.
Ce chapitre essaie de présenter quelques-uns des postulats fondamentaux sur les-
quels sont construits les neuf autres chapitres, et qui tiennent à la nécessité de recher-
cher structure et ordre dans la géographie, à la nature de la géographie elle-même,
aux systèmes de localisation étudiés et aux modèles créés pour les décrire, et au
type d'explication employé pour interpréter les résultats.

11
1. A LA RECHERCHE DE L'ORDRE

La plupart des questions fondamentales de la géographie humaine n'appellent


pas de réponse simple. Quand on se demande, à propos d'une région donnée, si
l'habitat y est réparti selon une disposition prévisible, si les zones d'utilisation du
sol y sont concentriques, si sa croissance est cyclique, la réponse dépend en grande
partie du type d'ordre que l'on est disposé à chercher et à admettre. L'ordre et le
chaos ne ressortent pas de la nature mais de l'esprit humain: selon le mot de Sigwart,
« il y a plus d'ordre dans le monde qu'il n'y paraît à première vue; on ne découvre cette
vérité que lorsqu'on cherche cet ordre» (Hanson, 1958, p. 204). Chorley (1962) a
attiré l'attention sur l'exemple donné par Postan à ce propos: si Newton, après avoir
reçu la pomme sur la tête, « s'était posé la question qui va de soi: pourquoi cette
pomme, parmi toutes les autres, a-t-elle choisi cet instant précis pour tomber juste
sur ma tête, il aurait pu écrire l'histoire d'une pomme. Au lieu de cela, il s'est demandé
pourquoi les pommes tombent, et il a créé la théorie de la gravitation. Ce n'est pas
la pomme qui a décidé, c'est Newton» (Postan, 1948, p. 406).
En psychologie, des tests montrent que l'ordre est fondé, non sur la géométrie
de l'objet que l'on voit, mais sur le système d'organisation dans lequel il est placé;
ceci est d'une très grande importance pour la géographie. Car la géographie, parmi
toutes les sciences, a traditionnellement mis l'accent sur le fait de « voir ». Combien
de fois, sur le terrain, n'a-t-on pas demandé aux géographes de « voir» un niveau
d'érosion ou de « reconnaître» un type d'habitat. L'« œil qui voit », dont S. W.
Wooldridge aimait à parler, fait nécessairement partie de notre équipement scien-
tifique, car structure et ordre résident dans le fait de savoir ce qu'on doit chercher,
et comment le chercher.

Les traditions exceptionnalistes en géographie

Dans ce livre, l'accent est mis sur les questions que pose l'ordre, l'ordre des loca-
lisations étudiées par la géographie humaine. La première partie présente les compo-
santes de l'organisation de l'espace géographique : mouvements, réseaux, nœuds,
hiérarchies et surfaces; la seconde partie expose les méthodes et les techniques
d'analyse. Cette approche s'écarte sensiblement de la démarche traditionnelle de
la géographie humaine (Brunhes, 1925; Vidal de la Blache, 1922), préoccupée de
poser des questions de nature biographique sur les phénomènes observés. En effet,
après avoir examiné, de façon très approfondie, l'évolution historique de cette dis-
cipline, Hartshorne constate, dans son ouvrage classique, The Nature of Geography,
qu'« il n'est nécessaire d'élaborer aucune proposition universelle, sinon cette loi
générale de la géographie que chaque région est unique» (Hartshorne, 1939, p. 468).
Ce concept d'unicité, que la géographie partage avec l'histoire, exerce une forte
emprise sur l'enseignement de la géographie, à tous les niveaux; il installe inévi-
tablement dans l'esprit des étudiants la conviction que la région A doit absolument
être différente de la région B.

12
A la recherche de l'ordre

Huckleberry Finn partageait cette convictIOn. Au cours d'une de ses escapades


en bateau volant, il s'écrie: « Nous sommes juste au-dessus de l'Illinois... l'Illinois
est vert, l'Indiana est rose... C'est vrai, je l'ai vu sur la carte : il est rose» (Twain,
1896, chap. 3). L'explication que Tom Sawyer donne patiemment du travail du
géographe : « ... il doit les colorier pour que tu puisses les distinguer dès que tu les
regardes, n'est-ce pas? », semble résumer le rôle traditionnel de l'analyse géogra-
phique : différencier la surface de la terre, y faire un tri et la diviser en secteurs de
caractéristiques « semblables ». Quelques-unes des méthodes utilisées pour opérer
cette différenciation sont exposées au chapitre 9.
Ce concept de différenciation a conduit à l'élaboration des grandes synthèses
régionales qui ont assuré la position actuelle de la géographie dans le monde uni-
versitaire. Les ouvrages classiques - ceux de Vidal de la Blache sur La France de
l'Est (1917), de Carl Sauer sur les Ozarks (1920), d'Isaiah Bowman sur les Andes
du Pérou méridional (1916), ou de Robert Gradmann sur le Sud de l'Allemagne
(1931) - font partie d'un patrimoine de monographies régionales où se combinent
la finesse des observations et le talent littéraire. Notre thèse n'est pas que de telles
études ont été mal orientées, mais que leur réussite même a conduit les géographes
à négliger les études comparatives, tout aussi nécessaires. La différenciation régio-
nale a dominé la géographie trop exclusivement, aux dépens de l'intégration spatiale.
Pour des raisons métaphysiques, Schaefer (1953) et Bunge (1962) ont trouvé peu
satisfaisante l'approche fondée sur 1'« unicité ». Tous deux, en accord avec Postan,
avancent l'idée que l'unicité est un point de vue, et non une propriété inhérente
aux régions. Bunge (1962, pp. 7-13) va plus loin, en soutenant qu'il n'existe aucun
compromis possible sur la question de l'unicité. Soit l'exemple banal de deux bâtons
de craie blanche, que l'on imagine placés sur un pupitre. Examinés de près, ils
n'apparaissent pas exactement identiques. Donc les qualifier tous deux de « bâtons
de craie blanche» est sûrement une erreur. Pour être exact, il faudrait identifier
chaque bâton par une appellation unique; mais, en pratique, on affecte ces deux
objets à une même classe appelée « craie blanche ». Agir autrement, c'est abandon-
ner tous les termes descriptifs, et être réduit à dire, selon le mot de Bunge : « les
choses sont ainsi ». Une telle démission intellectuelle est inacceptable; aussi bien
dans la vie quotidienne que dans la réflexion scientifique, nous classons constam-
ment des phénomènes uniques. Ce qu'on gagne par ces classements peut l'emporter
ou non sur ce qu'on perd en précision; la science invente constamment des caté-
gories nouvelles, plus efficaces: tentative sans fin de diviser la réalité et de l'éti-
queter de manière de plus en plus précise.
Quand on s'intéresse à 1'« unique », on ne peut guère que contempler son unicité.
D'où la situation actuelle, peu satisfaisante : les recherches systématiques (géné-
rales) et la géographie régionale, fondée sur l'idée d'unicité, collaborent difficilement.
Bunge fait fi de tout compromis de ce genre; pour lui, la géographie générale doit se
mouvoir dans les sphères de la théorie, et la géographie régionale s'orienter vers les
études génériques, et ne plus reposer sur l'idée d'unicité. Selon le mot de Schaefer,
la géographie régionale doit devenir la partie expérimentale d'un domaine essentiel-
lement théorique.

13
Échelle et théorie

La validité de la conception monographique est liée à l'échelle de l'analyse régio-


nale. Il existe évidemment des limites absolues à la taille de la terre elle-même; autre-
ment dit, la « population» géographique (chap. 7, section 1) est finie. A la limite,
par conséquent, l'étude du monde doit nécessairement s'intéresser à 1'« unique »,
puisque le monde est tiré d'une population d'un seul individu! Par contre, l'étude
« régionale» d'un petit village peut s'appliquer à un nombre de cas excédant cer-
tainement le million.
Certains aspects de ce qu'impliquent ces changements de taille sont indiqués sur
la figure 1. 1. Sur le plan horizontal sont représentés deux faits logiquement conco-
mitants du changement d'échelle: l'augmentation du nombre des cas potentiels et
la diminution de leur complexité, à mesure que les régions deviennent plus petites.

!:>.
THÉORIE
DÉDUCTIVE

Fig. 1.1 - Ce qu'implique l'échelle pour l'analyse géographique.

Source: HAGGETT et CHORLEY, in CHORLEY et HAGGETT, 1965-A, p. 367.

Ces variations, à leur tour, entraînent les changements représentés sur le plan vertical:
la comparabilité augmente, les cas se multiplient et par conséquent les résultats
deviennent de plus en plus significatifs à mesure que les régions deviennent plus
petites; au contraire, lorsque les régions deviennent plus grandes, il y a moins de cas
à comparer, et les explications doivent, de plus en plus, reposer sur des analo-
gies externes.
L'étude des groupements de population, faite à l'échelle mondiale (Nord-Ouest
de l'Europe, Inde, etc.), a été caractérisée par l'application, assez spéculative, de modèles
climatiques ou historiques (Spate, 1952), en même temps que par la diversité des

14
A la recherche de l'ordre

interprétations. A l'inverse, l'étude des groupements urbains (ici, les cas potentiels
sont nombreux) a été caractérisée par l'observation comparative et par l'application
de modèles de peuplement inductifs (Christaller, 1933), en même temps que par
une moindre diversité d'interprétations. Notre confiance dans les causalités externes
pour expliquer des caractéristiques macro-régionales peut s'opposer à ce qui se
passe pour les régions plus petites; dans leur cas, il apparaît sans aucun doute que
la géographie se suffit davantage à elle-même, tant dans ses aspects physiques qu 'hu-
mains. La persistance des effets d'échelle et le problème que pose le besoin de se
référer, pour des régions de tailles différentes, à une unité de mesure commune
donnent à penser qu'un étalon de comparaison pourrait être utile dans toutes les
situations (Chorley et Haggett, 1965, chap. 18).
Les géographes s'intéressent à des sujets d'étude dont la taille va de celle des
continents (environ 1 à 10 millions de miles carrés) à celle des communes (environ
1 à 10 miles carrés) et même à celle d'unités encore plus petites; bien qu'on ait aban-
donné une grande partie des anciennes unités de surface, les différences entre les
quatre unités traditionnelles (miles carrés, kilomètres carrés, acres et hectares) sont
assez grandes pour rendre difficiles les comparaisons. Certes, on peut en pratique
utiliser des étalons naturels traditionnels (par exemple, 1 million d'acres équivaut
à la surface du comté de Somerset; 100000 miles carrés équivalent à la surface de
l'État du Colorado, et ainsi de suite); ou bien on peut convertir rapidement les dif-
férentes unités, au moyen de tables (Amiran et Schick, 1961), mais cette méthode
reste peu commode et difficile.
Un diagramme linéaire publié par Brillouin (1964, p. 85) donne, en valeurs vraies,
une idée de l'éventail des sujets auxquels s'intéresse la recherche géographique
(fig. 1.2 C). Ce diagramme consiste en une échelle logarithmique qui va de 10 30 à
10-50 cm; il inclut la distance la plus grande et la distance la plus petite que l'on ait
mesurées jusqu'ici (soit, respectivement, environ 1027 et 10- 13 cm). A l'intérieur de
cette gamme, la partie à laquelle s'intéressent les géographes occupe une position
médiane, qui va de 4,01 X 10 9 cm (la circonférence de la terre) à 103 cm environ.
U ne question se pose : peut-on utiliser des unités réelles quelconques pour définir
l'éventail des sujets auxquels s'intéresse la géographie, et pour remplacer les unités
traditionnelles, arbitraires, actuellement en usage? Brillouin (1964, p. 32) a avancé
l'idée que l'on pourrait utiliser comme base une distance linéaire minimale réelle
(le fentometer) définie pratiquement comme étant la distance en deçà de laquelle
aucune onde ou aucun autre moyen de mesure n'existe, qui pourrait être employé
comme étalon. Aussi adéquat que puisse être cet étalon naturel pour les sciences
physiques, il y a là une bonne occasion de considérer une unité également fonda-
mentale - la surface de la terre - comme l'étalon naturel approprié à la mesure
en géographie.
Haggett, Ch orley et Stoddart (1965) ont proposé un étalon de mesure géographique
fondé sur la surface de la terre (Ga), et une échelle de mesure (l'échelle G), obtenue
en divisant cette surface-étalon, successivement, par les puissances de 10. Le tableau
1.1 montre la progression générale des valeurs de G, tandis que la figure 1.2 repré-
sente la relation entre l'échelle G et les étalons traditionnels de mesure des surfaces.

15
ÉTALONS TRADITIONNELS ÉTALONS NATURELS
Ci) ÉCHELLE LINÉAIRE ® ÉCHELLES LOGARITHMIQUES o ÉCHELLE DE
~ BRILLOUIN
@ ÉCHELLE-G
~ 10'° années-lumières

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10" 10' - 1 0 hectares (9,71)
o 10' 10 - 1 0 acres (10,10)
10. 2
10'z 100

Fig. 1.2 - Relation entre l'échelle G et les mesures traditionnelles. L'échelle de Brillouin (C) est linéaire, et ne peut donc être
comparée directement aux échelles A, B et D. Les chiffres entre parenthèses placés à la suite des régions indiquées sur
"échelle D donnent les valeurs G propres à ces régions.
Source: HAGGETT, CHORLEY et STODDART, 1965, p. 845.
A la recherche de l'ordre

TABLEAU 1.1

CALCUL DES VALEURS DE G

Divisions Surface
Valeurs de G de la surface en miles carrés
de la terre (Ga)

o Ga 1,968 . 10 8
1 Ga (10)-1 1,968' 10'
2 Ga (10)-2 1,968' 106
3 Ga (10)-3 1,968 . 105
n Ga (10)-n 1,968 . 10(8 - n)

Source: P. HAGGETT, R. J. CHORLEY et D. R. STODDART,


1965, p. 846.

La valeur de G peut être obtenue par application de la formule générale

G = log (Ga/Ra)

dans laquelle Ga (la surface de la terre) et Ra (la surface de la région étudiée) sont
mesurées avec la même unité de surface (l'acre, par exemple). En pratique, il est
plus commode de calculer la valeur de G en soustrayant le logarithme de la surface
de la terre. Le tableau 1.2 donne les constantes correspondant aux quatre unités de
surface habituellement employées.

TABLEAU 1.2

CALCUL DES VALEURS DE G CORRESPONDANT


AUX UNITÉS DE SURFACE COURANTES

Unités de surface Formule convenant au calcul


traditionnelles de G

Miles carrés . . 8,2941 - log Ra (mile2)


Kilomètres carrés 8,7074 - log Ra (km2 )
Acres . 11,1003 - log Ra (acre)
Hectares . 10,7074 - log Ra (ha)

Source : Ibid., p. 846.

L'avantage de l'échelle G, en tant que système de référence géographique, provient


de quatre caractéristiques : 1° elle emploie un étalon naturel, la surface de la terre,
de préférence aux étalons arbitraires existants; 2° du fait qu'elle est logarithmique,
elle réduit une très vaste étendue de valeurs à une échelle simple, qui va par exemple
de 0 (la terre) à 10 (approximativement, la surface de Trafalgar Square) et même à
des unités plus petites; 3° elle permet de comparer facilement l'importance relative

17
GÉNÉRALITÉS

des surfaces, en ce sens que des régions dont les surfaces sont dans un rapport de
1 à 10 ont sur l'échelle G des valeurs différant d'une unité, des régions dont les sur-
faces sont dans un rapport de 1 à 100 ont sur l'échelle G des valeurs différant de 2
unités, et ainsi de suite; 4° elle simplifie la situation actuelle, rendue confuse par
la diversité des étalons traditionnels (fig. 1.2 B), et lui substitue une échelle plus
simple de valeurs naturelles (fig. 1.2 D).
L'application de l'échelle G aux aires géographiques existantes fait apparaître
quelques résultats intéressants (fig. 1.2 D). Les valeurs obtenues pour les continents
vont de G = 1,06 à G = 1,83; elles aident à rectifier certaines idées fausses que
l'on se fait de leur taille, tant à cause de la projection de Mercator que par suite de
leur accessibilité relative (cf par exemple l'observation de Hiigerstrand selon laquelle
on sous-estime la taille des régions « éloignées », tandis qu'on exagère la taille relative
des régions proches). Il existe cependant des implications plus fondamentales concer-
nant dans son ensemble le caractère propre de la recherche géographique.
Une comparaison (fig. 1.3) entre deux études régionales importantes fait apparaître
l'une des nombreuses potentialités que présente l'échelle G en matière d'illustration
et même d'analyse. L'étude de Broek (1932) sur la vallée de Santa Clara (Californie)
apparaît ici (fig. 1. 3 A) sous la forme suivante : trois périodes historiques, signi-
ficatives pour cette région, sont reliées par de courts segments structuraux; pour
ces périodes, les aspects physiques et économiques de l'aire étudiée sont articulés
de façon à constituer une étude vraiment régionale. Bien que l'auteur donne quelques
informations à l'échelle du ranch, l'échelle spatiale de l'étude, pour toutes les périodes
historiques, est essentiellement celle de la vallée de Santa Clara, soit 600 miles carrés
(G = 5,52). Ceci contraste avec l'étude classique de Vidal de la Blache sur
la France de l'Est (1917) représentée de la même manière sur la figure 1.3 B.
Ici, dans les limites définies par les deux coupures que constituent la révolution
agricole du Néolithique et la révolution industrielle en France, la région d'Alsace-
Lorraine est étudiée dans le cadre d'un continuum temporel. Passant, dans cette
étude bien équilibrée, de cette échelle (G = 4,12) au niveau, inférieur, du dépar-
tement (G # 6), Vidal de la Blache intègre les aspects physiques et humains de l'Est·
de la France, en mettant l'accent plus fortement que Broek sur l'aspect sociologique.
La question de savoir si ces différences de taille des régions ont une significa~ion
plus profonde est à débattre, mais il est peut-être intéressant de noter que les dif-
férences de dimension sont d'une importance capitale en physique classique, où
des variations d'une seule dimension (par exemple la longueur) peuvent être associées
à des variations disproportionnées de surface, de masse, de viscosité, et ainsi de suite.
Ces problèmes de « similitude» ont aussi une importance cruciale en biologie; dans
ce domaine, D'Arcy Thompson (1917) consacre une part considérable de son ouvrage
On Growth and Form à étudier la question de la taille dans le dessin des formes zoo-
logiques et botaniques. Étant donné que les géographes font appel, de plus en plus,
à des modèles physiques et à leurs dérivés en biologie, ils devront être de plus en
plus conscients des dangers que présentent les « anachronismes spatiaux ou dimen-
sionnels », s'il est permis d'employer cette expression. Pour conserver les principes
de similitude propres aux « modèles de gravitation» utilisés en géographie économique

18
1800
-l
m
s:"tI
Cf) 1810

+
B

Néolithique
-l
m
s:"tI
Cf)

~ " M
Géologie Physiographie Etudes Economie Sociologie
régionales
PHYSIQUE HUMAIN
Fig. 1.3 - Comparaison des études régionales de Broek (1932) et de Vidal de la Blache
(1917) rapportées à l'échelle G, à la gamme des questions traitées et à la longueur de
la période envisagée.
Source: HAGGETT, CHORlEY et STODDART, 1965, p. 846.

(chap. 2, section 2), il est peut-être nécessaire de repenser, à des niveaux spatiaux
différents, les mesures de distances (longueurs), de limites (périmètres), de popu-
lations (masses) introduites dans ces modèles.

2. LA GÉOGRAPHIE
La géographie a longtemps été une épine dans le pied des responsables scolaires
et universitaires. Sa place naturelle est-elle dans la section scientifique ou dans la
section littéraire de l'enseignement secondaire? De même, au niveau des universités,
elle a été classée de façons diverses : soit comme une « science de la terre» (à Cam-
bridge, elle fait partie de la faculté de Géographie et de Géologie, qui comprend la
géophysique, la minéralogie et la pétrographie), soit comme une « science sociale»
(il en est ainsi dans la plupart des universités des États-Unis), soit, moins couramment,
comme une « science géométrique », situation qu'elle occupait au temps des Grecs
et que des chercheurs, en particulier les membres du groupe interuniversitaire de
géographes mathématiciens du Michigan, aimeraient rétablir.
« Situer» la géographie dans la structure formelle de l'enseignement est difficile
en raison: Iode la pluralité des conceptions de la géographie dans le passé; 2° du
débat actuel sur le domaine propre de la géographie.

19
Les conceptions de la géographie
Certains géographes ou groupes de géographes ont eu des conceptions différentes
du domaine de la géographie, aux divers stades de son évolution. Le point de vue
le plus largement adopté est probablement celui qui, selon Hartshorne, caractérise
l'attitude traditionnelle des géographes : la différenciation de l'espace. Il existe
cependant un certain nombre de « déviations» par rapport à ce point de vue : la
géographie conçue comme science de la surface de la terre, la géographie conçue
comme étude des relations entre 1'homme et le milieu naturel, et la géographie conçue
comme étude de la localisation des phénomènes à la surface de la terre. Ces trois
grandes tendances sont appelées ici l'école du paysage, l'école écologique et l'école
de la localisation.

LA DIFFÉRENCIATION DE L'ESPACE

La géographie a une existence distincte et identifiable, en tant que matière d'ensei-


gnement, depuis plus de deux mille ans. Même avant que les Grecs l'aient introduite
explicitement dans l'enseignement, la curiosité fondamentale de l'homme, qui veut
savoir ce qu'il y a « derrière la montagne », l'a nécessairement conduit à transmettre
ses expériences et ses hypothèses sur la forme de la surface de la terre. L'élargisse-
ment ultérieur des connaissances à l'époque des grandes découvertes, l'essor des
grandes sociétés d'exploration au XIXe siècle (Royal Geographical Society fondée
à Londres en 1833, sociétés semblables créées à Paris, Berlin et New York), l'accent
mis actuellement sur les techniques d'enquête rapides et précises, sont autant de
manifestations d'un besoin profond : organiser la connaissance de la surface de la
terre. Hartshorne a énoncé de façon explicite ce rôle historique dans la définition
suivante : « La géographie a pour tâche de donner une description et une interpré-
tation précises, ordonnées et rationnelles du caractère variable de la surface de la
terre» (Hartshorne, 1959, p. 21). Hartshorne soutient que, pour accomplir cette
tâche considérable, les géographes s'intéressent avant tout à la définition de régions
(region construction), à ce qu'il appelle la différenciation spatiale de la surface de la
terre (cf supra, pp. 12-13).
Il n'est guère douteux que la définition de Hartshorne représente l'un des communs
dénominateurs de la plupart des travaux géographiques, depuis les Grecs. Mais
l'un des plus intéressants parmi les débats qui se déroulent actuellement dans le
monde de la géographie ne porte pas sur l'exactitude du point de vue de Hartshorne
à propos de la nature de la géographie dans le passé; il s'agit plutôt de savoir si ce
passé doit orienter l'avenir de la géographie. Pour Hartshorne, c'est seulement en
soumettant nos tendances personnelles à l'acquis considérable de la géographie
depuis des siècles que nous pourrions parvenir à une conception équilibrée et cohé-
rente : « Si nous voulons ne pas perdre la piste, '" nous devons d'abord regarder
derrière nous, pour voir dans quelle direction la piste a conduit» (Hartshorne,
1939, p. 31). Par la critique des textes, il a montré l'ampleur des variations des points
de vue exprimés par les spécialistes et la nécessité de distinguer ce que les géographes
prétendaient faire de ce qu'ils faisaient effectivement.

20
La géographie

La contestation la plus vive de ce point de vue est ven ue de Bunge (1962), qui
a essayé de déduire logiquement la nature de la géographie d'une série de postulats.
Comme Losch (1954), Bunge s'intéresse à ce qui devrait être plutôt qu'à ce qui
est. Dans son approche, il ignore volontairement ce qu'ont affirmé les grands géo-
graphes du passé, car « les grands hommes du passé pourraient maintenant, au
vu de ce qui s'est passé plus récemment, avoir des opinions différentes de celles
qu'ils professaient» (Bunge, 1962, p. 1). En fait, ni Hartshorne ni Bunge ne s'en
tiennent à la démarche inductive ou à la démarche déductive dans toute leur pureté;
chacun poursuit sa recherche en se référant à des exemples concrets ou à des argu-
ments logiques.

L'ÉCOLE DU PAYSAGE

Le concept de « paysage» (en anglais: landscape) a été longtemps rendu confus


par les deux significations que les Allemands, dans l'usage courant, attachent au
terme, en apparence correspondant, de Landschaft. La pensée de cette école s'est
inspirée en grande partie d'ouvrages allemands, et une confusion semble avoir résulté
de l'emploi du mot Landschaft, qui signifie soit le paysage (landscape), au sens d'aspect
général d'une partie de la surface visible de la terre, soit une région (en anglais :
region) limitée de la surface de la terre. Dans la première acception, les termes
Landschaft et paysage (landscape) sont synonymes; dans la seconde, le terme qui
convient pour traduire Landschaft est région (region). Hartshorne (1939, pp. 149-
158) a habilement mis à jour l'existence de cette confusion dans les publications
allemandes - par exemple les différents usages du même terme par Passarge et par
Schlüter - et le transfert inévitable d'une partie de cette confusion dans les publi-
cations américaines, en particulier par l'intermédiaire de l'important essai de Carl
Sauer sur la morphologie du paysage (( The Morphology of Landscape », 1925).
Sauer soutenait qu'il est possible d'analyser un paysage en deux composantes
distinctes : le « paysage naturel» (natural landscape, Urlandschaft), et le « paysage
culturel» (cultural landscape, Kulturlandschaft). Par paysage naturel, il entendait
le paysage originel, antérieur à l'entrée en scène de l'homme; par paysage culturel,
le paysage transformé par l'homme. L'essai de Sauer a eu pour résultat principal
d'appliquer à l'étude du paysage culturelles méthodes morphologiques, si fécondes
dans l'analyse du paysage naturel; cet enseignement a été repris par Miller (1949).
Avant l'essai de Sauer (1925), le rôle de l'homme comme agent morphologique
avait déjà été reconnu, notamment par George Perkins Marsh (1864), mais c'est
au sein de 1'« école de Berkeley» (dont Clark a parlé dans: James, Jones et Wright,
1954, p. 86) que Sauer a rassemblé un groupe de spécialistes qui, comme Broek
(The Santa Clara Valley, 1932), ont organisé leurs travaux autour du thème de
l'évolution du paysage. L'ouvrage Man's Role in Changing the Earth (Thomas, 1956),
compte rendu d'un symposium international dans lequel Sauer a joué un rôle essentiel,
donne l'image la plus nette de la force et de la vitalité de ce thème important dans le
développement de la géographie humaine.

21
GÉNÉRALITÉS

L'ÉCOLE ÉCOLOGIQUE

La conception de la géographie comme étude des relations entre la terre et l'homme


a longtemps occupé une position centrale, aussi bien dans l'enseignement secondaire
que dans l'enseignement supérieur, en Angleterre. Paradoxalement, cette conception
est née dans un pays - l'Allemagne - où elle n'a joué par la suite qu'un rôle mineur
dans le développement de la pensée géographique. Les conceptions de Ratzel sur
1'« anthropogéographie» paraissent avoir eu une influence, indirecte mais forte,
sur le Français Vidal de la Blache et, plus encore, sur l'Américaine Ellen Semple.
L'ouvrage de cette dernière, Influences of Geographical Environment (1911), a contri-
bué de façon décisive à répandre dans tout le monde anglophone l'idée que l'étude
des « influences géographiques» est un but essentiel de la recherche géographique.
Une tendance distincte et moins extrémiste de cette école du milieu (environ-
mental school) s'est développée autour de H. H. Barrows, à l'université de Chicago.
Cet auteur considère la géographie comme une «écologie humaine» (Barrows, 1923),
une discipline d'où la géographie physique est en grande partie éliminée : la géo-
graphie devient une science sociale qui s'intéresse aux relations entre les sociétés
humaines et le milieu physique (physical environment). Hartshorne (1939, p. 123)
avance l'idée que, selon cette conception, la géographie se situe par rapport aux
sciences sociales exactement de même que l'écologie botanique par rapport aux sciences
biologiques. II est certain que la ligne de démarcation entre cette conception de la
géographie humaine et les travaux de sociologues comme MacKenzie (1933) et
Hawley (1950) est bien fragile; des recueils d'articles consacrés à l'écologie humaine
(comme celui publié sous la direction de Theodorson en 1961) contiennent des contri-
butions aussi bien de sociologues que de géographes. Pahl (in Chorley et Haggett,
1965, chap. 5) a montré la convergence des axes de pensée des sociologues et des
géographes en Grande-Bretagne, et Stoddart (1965) a noté combien est répandue,
en géographie, l'application des concepts bio-écologiques (par exemple le concept
d'écosystème).
C'est peut-être en France, cependant, que la conception écologique de la géo-
graphie humaine a eu le plus d'influence. Deux des ouvrages les plus déterminants
qui aient été publiés jusqu'à présent sur la géographie humaine, La Géographie
humaine de Jean Brunhes (1925) et les Principes de géographie humaine de Vidal de
la Blache (1922), centrent sur les relations entre l'homme et le milieu l'étude des
« faits essentiels» de l'occupation de la surface de la terre par l'homme; Max. Sorre,
dans ses Fondements de la géographie humaine (1947-1952, 1961), a suivi la même
tendance. La minutie avec laquelle ces trois savants ont traité un grand nombre
d'exemples régionaux et leur conception philosophique générale de l'homme comme
élément d'un ensemble fortement articulé, le milieu, permettent de les considérer
comme les pierres angulaires sur lesquelles s'est édifiée en grande partie la géo-
graphie humaine.
L'ÉCOLE DE LA LOCALISATION
Le point de vue selon lequel la géographie est essentiellement une science de la
répartition est un troisième thème sur lequel on revient souvent. Bunge (1962, 1964)

22
La géographie

a récemment mis l'accent sur la forte dépendance de la géographie à l'égard des


concepts de la géométrie et de la topologie; mais il y a déjà près d'un siècle que
Marthe (1878) a défini le domaine de la géographie comme l'étude de la question :
« où sont les choses? ». Il est certain que la polarisation de l'intérêt sur la localisation
et la répartition est la marque de tout écrit géographique; ce thème revient souvent
dans les exposés méthodologiques (cf par exemple de Geer, 1923) et les articles
liminaires (cf par exemple Watson, 1955).
Toutefois, le courant le plus puissant de la « théorie» de la localisation est issu
davantage de l'économie que de la géographie humaine. Les deux premiers classiques
de la théorie de la localisation, les ouvrages de von Thünen (1875) sur la localisation
en agriculture et de Weber (1909) sur la localisation dans l'industrie, étaient essen-
tiellement consacrés à la localisation des phénomènes économiques; ceux qui ont
fait des recherches à la même époque ou plus tard, comme Launhardt, Predôhl,
Ohlin, Palander, Hoover, Lôsch et Isard, ont visé surtout à « améliorer les cadres
spatiaux et régionaux des sciences sociales, spécialement de l'économie» (Isard,
1956, p. VIII). Néanmoins, les excellentes mises au point, sur ce thème, des spécia-
listes anglo-saxons (Hoover, 1948; Isard, 1956), allemands (Boustedt et Ranz, 1957)
et français (Ponsard, 1955), ont encouragé les géographes à appliquer, élaborer et
affiner les concepts spatiaux. L'ouvrage de Bunge, Theoretical Geography (1962)
montre jusqu'où est allée cette influence.
Reconnaître ce rôle fondamental des concepts liés à la localisation en géographie
humaine n'est pas diminuer son importance pour les sciences systématiques. Des
ouvrages comme l'Atlas of the British Flora (Perring et Walters, 1962) ou le National
Atlas of Disease Mortality in the United Kingdom (Howe, 1963) montrent l'impor-
tance des études de répartition pour deux disciplines systématiques, la botanique
et la médecine. Hettner a vu clairement les dangers qu'il y aurait à considérer la
localisation comme un concept exclusivement géographique: « La distribution d'après
l'emplacement constitue une propriété de tout objet ... on doit donc toujours en
tenir compte dans la recherche et dans l'exposition des résultats» (Hettner, 1905;
cité par Hartshorne, 1939, p. 127). La liaison simple et apparemment satisfaisante
entre l 'histoire, étude du « quand », et la géographie, étude du « où », ne rend pleine-
ment justice ni à l'une ni à l'autre discipline.

Essai d'intégration par la théorie des ensembles

On peut mettre sur le même plan la diversité des points de vue en géographie et
les diversités semblables existant dans d'autres disciplines. En économie aussi, les
conceptions classificatoire et fonctionnaliste (Robbins, 1935) ont suscité bien des
débats, et la conclusion désabusée de Vining : « l'économie, c'est ce que font les
économistes », rend un son familier aux oreilles des géographes. Cependant, le
désir de codifier et d'intégrer les divers points de vue demeure; nous allons essayer,
en utilisant la théorie des ensembles à son stade élémentaire, d'intégrer au moins
quelques-unes des diverses écoles géographiques.

23
GÉNÉRALITÉS

Chacun des trois groupes de sciences dans lesquels la géographie a été placée
(cf p. 19) peut être considéré comme un ensemble, et chaque discipline distincte
comme un élément de cet ensemble. Trois ensembles peuvent être définis : celui des
sciences de la terre (0:), celui des sciences sociales ({J) et celui des sciences géomé-
triques (y). A l'ensemble 0: appartiennent la géographie (l), la géologie (2) et d'autres
sciences de la terre; ce qu'on peut écrire ainsi

0: = {l, 2}
On peut définir de même les deux autres ensembles

{J {1,3}
Y {1,4}

3 étant la démographie et les autres sciences sociales, 4 étant la topologie et les autres
sciences géométriques; une représentation graphique à l'aide des diagrammes de
Venn est donnée par la figure 1.4 A.
On peut aussi représenter les relations existant entre deux ensembles quelconques
en faisant se chevaucher les diagrammes. Ainsi, la géographie appartient par défi-
nition aux deux ensembles 0: et {J; sa position est indiquée dans la partie en brisé de
la figure 1.4 B. Le chevauchement par paires des trois ensembles montre aussi que
la conception de la géographie comme écologie humaine «( l'homme en relation
avec son milieu ») (5) se situe là où se chevauchent les ensembles 0: et {J, la géomor-
phologie (6) et la cartographie et la topographie (7) là où se chevauchent les ensembles
0: et y, et l'analyse des localisations (8) là où se chevauchent les ensembles {J et y.
On peut noter ainsi ces intersections :

o:n{J {l, 5}
o:ny {l, 6, 7}
{Jny {l, 8}

Des relations plus complexes entre les trois ensembles sont représentées sur la
figure 1.4 C, la géographie (1) occupant la position centrale, à l'intersection des
trois ensembles; autrement dit

o:n{Jny = {l}

tandis que les disciplines apparentées, géomorphologie, écologie humaine, carto-


graphie et topographie, analyse des localisations occupent les intersections de deux
ensembles entourant l'intersection de trois ensembles.
Ce type d'analyse n'est pas présenté ici comme capable de résoudre les problèmes
de définition de la géographie; l'analyse ci-dessus, si elle est correcte, indique seule-
ment pourquoi il est si difficile de « situer» la géographie, ou de la définir simple-
ment. La définir comme « étude de la surface de la terre », ou comme « étude de
l'homme en relation avec son milieu », ou comme « science de la répartition », ou

24
Ensemble ~

.1 .3

Fig. 1.4 - Essai de définition de la géographie dans le langage de la théorie des


ensembles : A. Ensembles primitifs. - B. Intersections des ensembles pris deux
par deux. - C. Intersection des trois ensembles.

comme « étude de la différenciation de l'espace », permet seulement de saisir une part


de sa complexité réelle. La géographie ne se définit pas uniquement par référence à
ce qu'elle étudie ou à la façon dont elle l'étudie, mais par l'intersection de ces deux
points de vue. C'est ce que Sauer (1952, p. 1) a appelé « curiosité convergente» et
qui a produit des techniques, des traditions et des œuvres originales.

L'abandon de l'esprit géoxnétrique en géographie


Actuellement, la tradition géométrique est probablement la plus faible des trois
tendances représentées sur la figure 104; pourtant, elle était à la base de la conception

25
GÉNÉRALITÉS

que les Grecs avaient de la discipline géographique, et les tentatives les plus réussies
de construction de modèles géographiques procèdent en grande partie de ce type
d'analyse. La géométrie des hexagones de Christaller, celle des courbes littorales
de Lewis, celle des surfaces d'érosion de Wooldridge, celle des ondes de diffusion
de Hagerstrand, celle des projections de Breisemeister, s'imposent à l'esprit. D'un
certain point de vue, une grande partie des travaux statistiques relatifs à l'analyse
de régression (cf pp. 327-333), et aux surfaces généralisées (cf pp. 303-309)
représente seulement des géométries plus abstraites. Les travaux géographiques
les plus passionnants des années 1960 résultent en grande partie d'applications de
géométries de niveau élevé; par exemple, l'application de la géométrie multidimen-
sionnelle aux modèles d'habitat (Dacey, 1964), et l'application de la théorie des
graphes et de la topologie à l'analyse des réseaux (Kansky, 1963). Quand on réfléchit
à l'histoire de la géographie, il est intéressant de noter que la séparation, de plus
'en plus marquée, entre la géomorphologie et la géographie humaine s'est peut-être
produite juste au moment où chacune a le plus à offrir à l'autre. Dans son article « The
Morphology of Landscape », Sauer (1925) a établi des parallèles fondamentaux entre
l'une et l'autre; malheureusement, comme Board (Chorley et Haggett, 1965, chap.
10) l'a montré si clairement, ceux qui se sont inspirés de cet article important de Sauer
ont tenu compte de « paysage» et négligé « morphologie ». La surface topogra-
phique n'est que l'une des nombreuses surfaces à trois dimensions que les géo-
graphes analysent, et aucune raison fondamentale n'empêche par exemple d'employer
des procédés très semblables pour analyser le relief et les surfaces de densité de popu-
lation (chap. 6, section 1). Non seulement la géométrie offre une chance de souder les
différents aspects de la géographie humaine et de la géographie physique en une
association nouvelle et efficace, mais elle redonne à la cartographie un rôle central
par rapport à l'une et à l'autre.

Science régionale et géographie


La position d'une discipline récente, la « science régionale », dont les connexions
sont vigoureuses avec les études de localisation, la géographie, l'écologie humaine
et les sciences sociales (notamment l'économie) est représentée sur la figure 1.4 C
par une zone en grisé. Les études régionales ont prospéré en Amérique du Nord
depuis la seconde guerre mondiale. Selon une enquête récente (Perloff, 1957), environ
140 universités des États-Unis ont établi des programmes d'études régionales, tandis
que deux nouvelles institutions, la Regional Science Association et Resources for
the Future, ont donné à la recherche régionale une ampleur nouvelle. En Grande-
Bretagne, les comités Hayter et Parry, qui s'intéressent à l'étude de l'Afrique, de
l'Asie et de l'Amérique latine, ont fondé de nouveaux centres de recherche régionale,
tel celui de Cambridge, consacré à l'Asie méridionale.
Ces études régionales traitent de nombreuses questions et intéressent plusieurs
disciplines universitaires; mais c'est la science économique, plus précisément l'éco-
nométrie, qui a pris le rôle prééminent. Le premier manuel important de science
régionale, Methods of Regional Analysis (Isard, Bramhall, Carrothers, Cumberland,

26
Systèmes et modèles

Moses, Price et Schooler, 1960), est essentiellement consacré aux régions économiques.
Les auteurs considèrent que le problème principal est le comportement économique
d'une région (p. 413) : de quelles activités a-t-elle besoin pour que soient atténuées
les fluctuations de l'emploi; comment peut-elle tirer le meilleur parti de ses res-
sources naturelles, qui sont souvent maigres? Des questions de ce genre attirent
fortement l'attention sur le développement économique; Fisher (1955, p.6) a résumé
cette façon de voir en ces mots: « la région la plus utile ... est ce qu'on pourrait
appeler la région de développement économique ».
L'intérêt que les économistes portent actuellement aux régions constitue-t-il une
déviation durable, ou bien est-ce qu'à l'avenir « l'économie régionale peut devenir de
plus en plus difficile à distinguer du reste de l'économie »? (Meyer, 1963, p. 48).
Cette question reste posée. Quelle que soit, à long terme, l'importance de cette ten-
dance pour l'économie, son effet sur la géographie a été celui d'un catalyseur. Les
spécialistes de géographie économique et de géographie régionale ont été, soit soumis
à l'influence des publications des économistes, soit incités à participer à des recherches
régionales interdisciplinaires d'un niveau très élevé. Comme l'indique Garrison
(1959-1960), le travail accompli aux frontières des deux disciplines a été extrêmement
fécond, suscitant à la fois des idées et des techniques nouvelles, qui sont déjà mises
en application dans les publications de quelques écoles géographiques. La nature
et le rythme de cette révolution ne sauraient échapper à quiconque se tient au cou-
rant des thèses publiées depuis 1948 par le département de géographie de l'univer-
sité de Chicago.

3. SYSTÈMES ET MODÈLES

La géographie humaine et la théorie générale des systèmes

Au cours de la dernière décennie, la biologie et les sciences du comportement


ont manifesté un intérêt croissant pour la théorie générale des systèmes (Bertalanffy,
1951). Quelques tentatives ont été faites (notamment par Ch orley, 1962) pour intro-
duire les concepts de cette théorie dans la géomorphologie et la géographie physique,
et on ne voit pas pourquoi le concept de système ne pourrait pas être étendu à la
géographie humaine. Nous allons en examiner la possibilité.

LA NATURE DES SYSTÈMES

Qu'est-ce qu'un système? Selon une définition peu preCIse citée par Chorley,
c'est « un ensemble d'objets, assorti de relations entre ces objets et leurs attributs»
(Hall et Fagen, 1956, p. 18). Dans le langage de tous les jours, on parle, en plom-
berie, d'un « système d'eau chaude» dans lequel l'ensemble des objets (chaudières,
tuyaux, cylindres, etc.) est lié, par l'intermédiaire de la circulation de l'eau, avec un
apport d'énergie sous forme de chaleur. En géomorphologie, on peut parler d'un

27
GÉNÉRALITÉS

« système d'érosion» dans lequel l'ensemble des objets (lignes de partage des eaux,
versants, cours d'eau) est lié, par l'intermédiaire de la circulation de l'eau et des sédi-
ments, avec un apport d'énergie sous forme d'averses.
En géographie humaine, l'équivalent le plus proche est sans doute la région pola-
risée (chap. 9, section 1), dans laquelle l'ensemble des objets (villes, villages, exploi-
tations agricoles, etc.) est lié par des mouvements ou 'flux (d'argent, de migrants,
de marchandises, etc.), et où les apports d'énergie résultent des besoins biologiques
et sociaux de la communauté. Cette idée existe implicitement dans la plus grande
partie de la théorie des places centrales (cf pp. 137-143), bien que quelques auteurs
seulement (notamment Vining, 1953, et Curry, 1964-B) se soient référés au concept
de « système» pour en faire la description.
Il est donc clair que les systèmes sont des portions, arbitrairement délimitées, du
monde réel, qui possèdent des connexions fonctionnelles. Von Bertalanffy (1951) dis-
tingue les systèmes fermés et les systèmes ouverts. Les systèmes fermés possèdent
des limites définissables à travers lesquelles aucun échange d'énergie n'a lieu, mais,
comme on n'a guère de chances, de par leur définition, d'en rencontrer au cours
d'études géographiques (sauf dans le cas limite où l'on étudie le monde entier),
il n'en sera pas question ici.

LES RÉGIONS POLARISÉES (ou NODALES) EN TANT QUE SYSTÈMES OUVERTS

Dans la première partie de ce livre, nous adoptons le point de vue selon lequel il
est possible de considérer les régions polarisées comme des systèmes ouverts (Phil-
brick, 1957; Nystuen et Dacey, 1961) : l'étude des mouvements (chap. 2) conduit
à l'examen des canaux le long desquels les mouvements se produisent, et qui forment
le réseau (chap. 3), à l'examen des nœuds de ce réseau (chap. 4) et de leur organisation
selon une hiérarchie (chap. 5); finalement sont intégrées au système les zones inter-
stitielles considérées comme des surfaces (chap. 6). On peut se représenter plus claire-
ment cette progression, qui va des flux d'énergie aux formes topographiques iden-
tifiables, grâce à la figure 1.5, où l'on peut, à la place de leurs équivalents géométriques
abstraits, mettre des formes géographiques plus familières : routes, habitat, hiérar-
chie urbaine, zones d'utilisation du sol. Des sceptiques considèrent encore la région
polarisée comme une pure construction de l'esprit; pourtant, Dickinson (1964,
pp. 227-434) a examiné en détail les régions urbaines existant aux États-Unis et
en Europe occidentale, et Caesar (1955, 1964) a montré la force de la polarisation
à l'intérieur de régions aussi dissemblables par la taille que le bloc communiste
d'Europe orientale et le Nord-Est de l'Angleterre.
Si on veut considérer les régions polarisées comme des systèmes ouverts, il faut
d'abord définir les critères qui permettent d'identifier de tels systèmes, puis vérifier
s'ils existent dans le système régional. Selon Chorley (1962, pp. 3-8), les systèmes
ouverts possèdent certaines des six caractéristiques suivantes : 1° leur entretien et
leur conservation nécessitent un apport d'énergie. En même temps, ils ont la capa-
cité: 2° d'atteindre un « état stable» dans lequel des ajustements de forme répondent
aux entrées et aux sorties d'énergie et de matière; 3° de se régler eux-mêmes, par des

28
.. '
.,
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Fig. 1.5 - Étapes de l'analyse des systèmes reglonaux : A. Mouvements. - B.


Réseaux. - C. Nœuds. - D. Hiérarchies. - E. Surfaces.

ajustements homéostatiques; 4° de conserver des grandeurs optimales pendant un


certain temps; 5° de conserver leur organisation et leur forme dans le temps au lieu
de tendre (comme font les systèmes fermés) vers l'entropie maximale; 6° d'avoir
un comportement « équifinal », en ce sens que des conditions initiales différentes
peuvent conduire à des résultats finaux identiques.
Il est certain que les géographes rencontrent dans leurs systèmes régionaux cer-
taines de ces six caractéristiques. L'organisation régionale a besoin d'être entretenue
par des flux constants d'hommes, de marchandises, d'argent, d'informations; à un
excès de flux vers l'intérieur du système peuvent répondre des changements de forme
(développement des villes ou expansion urbaine), de même qu'une diminution des
mouvements peut entraîner des contractions, faire mourir des villes. Il est clair que
les deux premières conditions sont satisfaites. Il en est de même pour la troisième
condition: la région urbaine se conforme au principe de Le Châtelier, en ce sens que
la zone d'attraction de la ville peut s'étendre ou se contracter, en réponse à une
augmentation ou à une diminution des flux. Selon Berry et Garrison (1 958-c), la
région urbaine satisferait la quatrième et la cinquième condition, en ce sens que la
forme des relations entre le rang et la taille des villes (chap. 4, section 2) tend à
être relativement constante, dans le temps comme dans l'espace. Enfin, le fait que les
grandes villes visent de plus en plus à acquérir la même forme, d'un continent à
l'autre, donne à penser que le système ouvert urbain est capable d'avoir un
comportement « équifinal ».
Considérer la région comme un système ouvert présente l'avantage d'attirer l'at-
tention sur les liens entre forme et processus, et de mettre la géographie au rang
d'autres sciences, biologiques et sociales, dont la réflexion s'organise de cette manière.

29
GÉNÉRALITÉS

Des échanges entre spécialistes qui étudient les « écosystèmes» à tous les niveaux
devraient s'avérer profitables (cf. par exemple Thomas, 1956, pp. 677-806).

La construction de :modèles en géographie hu:maine

Dans la langue anglaise courante, le terme model (modèle) est employé dans trois
sens différents au moins. Substantif, le mot implique l'idée de représentation;
adjectif, il comporte celle d'idéal; verbe, il signifie faire voir. En français également
quand nous parlons d'un « modèle» réduit de chemin de fer ou d'un époux « modèle »,
nous employons le même mot dans des sens différents. Ackoff (Ackoff, Gupta et
Minas, 1962) a proposé que l'on introduise dans l'usage scientifique du terme une
part de chacune des trois significations; en construisant un modèle (model building)
on crée une représentation idéalisée de la réalité afin de faire apparaître certaines de
ses propriétés.
Le recours aux modèles est rendu nécessaire par la complexité de la réalité. Ils
constituent un support conceptuel, et, comme tels, fournissent au professeur une
image de la réalité simplifiée et apparemment rationnelle, et au chercheur une source
d'hypothèses de travail à mettre à l'épreuve de la réalité. Les modèles ne commu-
niquent pas toute la vérité, mais une part, utile et intelligible, de la vérité.

LES TYPES DE MODÈLES

Ackoff (Ackoff et al., 1962) a proposé une classification simple en trois catégories :
les modèles iconiques, analogiques et symboliques. Chacune de ces catégories corres-
pond à un degré d'abstraction plus élevé que la précédente. Les modèles iconiques
reproduisent les propriétés à une échelle différente; les modèles analogiques repré-
sentent une propriété par une autre; les modèles symboliques expriment les propriétés
par des symboles. On peut faire une comparaison très simple avec le système routier
d'une région: des photographies aériennes figureraient le premier degré d'abstrac-
tion (modèle iconique); des cartes, sur lesquelles les routes seraient figurées par des
traits d'épaisseur et de couleur différentes, correspondraient au deuxième degré
d'abstraction (modèle analogique); une expression mathématique, la densité des
routes, représenterait le troisième degré d'abstraction (modèle symbolique). A chaque
stade, on perd de l'information, et le modèle devient plus abstrait mais plus général.
Chorley (1964), poursuivant cette opération de classification, a créé un « modèle
de modèles» (fig. 1.6), qu'il a illustré d'exemples tirés de la géographie physique et
humaine. Son modèle consiste en un organigramme dans lequel une série de « stades»
(Al à A 6 ) sont reliés par des transformations (Tl à T 6 ). Chaque stade correspond à
un certain aspect du monde réel: modèle, observation ou conclusion; chaque trans-
formation relie ces stades par une opération (formation de concepts, raisonnement
mathématique, interprétation statistique, etc.) qui constitue un progrès, ou une véri-
fication, dans la marche du raisonnement.
La première partie de la figure 1.6 est relati ve à l'opération d'abstraction par laquelle
on simplifie le monde réel, si complexe, afin de le rendre plus intelligible. Chorley

30
Systèmes et modèles

soutient que si cette opération est difficile, c'est en grande partie parce que, tout en
perdant d'énormes quantités d'informations, on introduit des « bruits parasites»;
un tableau de Cézanne constitue un modèle abstrait d'un paysage, dans lequell'inten-
sité du « brouillage » (coups de pinceau, etc.) est forte, tandis qu'un Ruysdaël est
moins simplifié mais beaucoup moins « brouillé)) (Chorley, 1964, p. 132). Les modèles
réussis sont ceux qui parviennent à simplifier beaucoup sans introduire de parasites.

Al
Partie du
monde réel

Tl Conceptualisation

Modèle A2
conceptuel
c::
0 (modèle --------+--------
.~< thèorique)

CIl
.0
<l: T2 Simplification Raisonnement direct
(modèle verbal)
Ta
A3
Modèle simplifiè
--------~--------
Estimation

l -----------+---------_.
,
T3M T3E T3T
• CIl

~~
::1::1
0"-
.- '"
;;;c::
Système
mathèmatique
A4M Conlitruction A4E
eœerlmentale
Fait naturel A4T
analo9ue
E- (Modèles ( odèles hModeles
.",'" déterministes ou
stochastiques)
1 à l'échelle istoriques
-Ex 1 ou analogiques) ou analogiques)
"'::1
E~
c::
CIl",
T4M
Raisonnem~nt
mathématique
'" Expérimentation Observation
~E , T4E T4T
~~~ 1
0a.
::Ex ASE AST
'" Conclusions ASM " Résultats
mathématiques Observation observés
logiques dans la nature

~{'e-"
.~
TSM
Interprétation
théorique TSE Interwétation
statIstIque TST
Rétro-
application

Ae
Conclusions sur
le monde réel

Fig. 1.6 - Un modèle de modèles.

Source: CHORLEY, 1964, p. 129.

31
GÉNÉRALITÉS

Avec la deuxième partie de la figure 1.6, on aborde la division en trois grandes


catégories de modèles : modèles mathématiques, expérimentaux et naturels. On
pourrait donner : 1° comme exemples de modèles mathématiques, en géographie
humaine, les équations prenant en compte la distance (Isard, 1956), ou 1'« équation
de continuité» de Beckmann (1952), dans lesquelles des caractéristiques du sys-
tème étudié sont remplacées par des symboles abstraits et soumises au raisonnement
mathématique; 2° comme exemples de modèles expérimentaux, l'emploi, dans la
théorie des migrations de Hotelling, d'une analogie avec les flux de chaleur (Hotel-
ling, 1921, cité par Bunge, 1962, p. 115), ou la machine à poids et à poulies de Weber
(1909) qui, dans sa théorie sur la localisation de l'industrie, emploie des structures
matérielles pour simuler certains aspects de la réalité; 3° comme exemple de modèles
naturels, l'analogie établie par Garrison entre l'expansion d'une calotte glaciaire
et la croissance urbaine (citée par Chorley, 1964, p. 136); ici, la réalité étudiée est
remplacée par un fait naturel analogue considéré comme plus simple ou d'accès
plus facile. Dans chaque cas, le problème consiste : à donner aux faits étudiés une
forme analogique, sous laquelle ils sont soit plus simples, soit plus accessibles, soit
plus faciles à maîtriser et à mesurer; à étudier le problème sous la forme de cette
analogie ou modèle; et à réappliquer les résultats de l'étude au système initial. Les
modèles constituent donc des fragments de systèmes conceptualisés, tout comme
les systèmes représentent des fragments du monde réel arbitrairement isolés.

LES TECHNIQUES DE CONSTRUCTION DE MODÈLES

En géographie économique, la construction de modèles a progressé selon deux


voies distinctes et complémentaires. Première voie : le chercheur aborde « furti-
vement» un problème; il pose d'abord des postulats très simples et introduit peu à
peu des complications, en se rapprochant toujours davantage de la réalité. Ainsi
procède Thünen (1875) dans le modèle d'utilisation du sol qu'il présente dans son
livre Der Isolierte Staat (chap. 6, section 2). Dans cet « État isolé », il suppose d'abord
l'existence d'une seule ville, d'une plaine uniforme horizontale, d'un seul moyen de
transport, et d'autres faits tout aussi simples; dans cette situation simple, il peut
calculer des gradients élémentaires de rente du sol, desquels résulte une succession
convaincante d'« anneaux» d'utilisation du sol. Mais Thünen brouille ensuite
cette image en réintroduisant les objets mêmes qu'il avait tout d'abord supposés
inactifs : sols de nature différente, marchés entre lesquels on peut choisir, moyens
de transport divers. Alors, la symétrie annulaire du schéma initial fait place à une
mosaïque irrégulière, beaucoup plus semblable au plan que l'on observe en étudiant
l'utilisation du sol. Cependant, le modèle de Thünen a joué son rôle; selon Ackoff,
il a « fait apparaître certaines propriétés i} du paysage économique.
La seconde méthode consiste à transformer la réalité par une série de générali-
sations simplificatrices. Ainsi procède Taaffe (Taaffe, Morrill et Gould, 1963) dans
son modèle de développement des voies de communication (chap. 3, pp. 93-96). Il
expose d'abord l 'histoire du développement des voies de communication au Ghana
pendant la période d'exploitation coloniale. A partir du schéma ghanéen, il identifie

32
Systèmes et modèles

une série de stades successifs : au premier, des comptoirs commerciaux sont épar-
pillés le long de la côte; au dernier, on est dans une phase d'interconnexion: partout
sont établies des liaisons, dont certaines sont prioritaires. Finalement, Taaffe formalise
cette évolution en une suite de quatre stades, commune au Ghana (où il l'a observée)
et à d'autres pays en voie de développement comme le Nigeria, l'Afrique orientale,
la Malaisie, le Brésil.
Les modèles de ce genre, élaborés par induction à partir d'observations, ne sont
pas tous nés au sein même de la géographie. Certains des plus réussis sont fondés
sur des concepts empruntés à d'autres disciplines, particulièrement à la physique.
C'est ainsi que Zipf (1949) a essayé de transposer 1'« élastique divin» (Newton)
de la gravitation aux phénomènes sociaux; sa formule PiPi/djj, qui mesure l'inter-
action entre deux villes de masses Pi et P j , séparées par une distance djj, est une
extension directe de la physique de Newton. Une fois modifiée par le concept affiné
de distance dû à Isard (1960) et par l'introduction des « occasions interposées» de
Stouffer (1962), la formule de Zipf s'est révélée être un instrument de prévision très
efficace dans l'étude des courants de circulation qui se créent entre des points (chap.
2, section 2). Moins largement connu est l'emprunt fait par Léisch (1954, p. 184),
qui a établi un rapport entre, d'une part, 1'« inflexion» présentée par les voies de
communication lorsqu'elles traversent des contrées dont la résistance et les avantages
diffèrent et, d'autre part, la formule du sinus valable pour la réfraction de la lumière
et du son (chap. 3, pp. 75-77). Certes, de tels emprunts peuvent présenter des dangers;
mais ils constituent une abondante source d'hypothèses, dont on peut posément
tester la pertinence à l'égard des problèmes de géographie économique. Un livre
tel que On Growth and Form, de D'Arcy Thompson (1917), montre combien de dis-
ciplines trouvent un terrain commun dans l'étude de la morphologie; on peut encore
s'inspirer de ses exposés sur les structures cristallines ou sur la formation des rayons
de miel, comme Bunge (1964) l'a mis en lumière. Ces modèles sont étudiés à fond
dans la première partie du présent ouvrage et dans Models in Geography, de Chorley
et Haggett (1967).

LE RÔLE DES MODÈLES

Pour Bacon, dans Novum Organum, la théorie scientifique consiste en « anticI-


pations téméraires et prématurées ». On pourra soutenir que la plupart des modèles
décrits dans la première moitié du présent ouvrage correspondent à cette définition :
ils sont tous grossiers, pleins d'exceptions, plus faciles à réfuter qu'à défendre. Mais
alors, dira-t-on, pourquoi se fatiguer à créer des modèles au lieu d'étudier directe-
ment les « faits» qui relèvent de la géographie humaine? La réponse est que la cons-
truction de modèles est inévitable, économique et stimulante :
10 Construire des modèles est inévitable, parce qu'il n'existe pas de ligne de démar-
cation bien fixée entre faits et croyances; selon le mot de Skilling « la croyance en
un univers de choses réelles n'est qu'une croyance ... une croyance hautement pro-
bable sans aucun doute, mais qui n'en est pas moins une croyance» (1964, p. 394 A).

33
GÉNÉRALITÉS

Sont des modèles, les théories, les lois, les équations ou les intuitions qui énoncent
nos croyances sur l'univers que nous pensons voir.
2° Construire des modèles est économique, parce que cela permet de transmettre
ce qu'il y a de général dans l'information sous une forme très condensée. De même
que pour les règles du pluriel' des adjectifs, en français, il peut exister des exceptions;
mais la règle n'en est pas moins un moyen de progresser dans l'apprentissage de
la langue. Chorley et Haggett (1 965-A, pp. 360-364) ont exposé cette utilisation
pédagogique des modèles.
3° Construire des modèles est stimulant, en ce sens que, du fait même des géné-
ralisations trop poussées que cela implique, les points où un perfectionnement est
nécessaire apparaissent clairement. La construction et la mise à l'épreuve des modèles
ont autant d'importance pour la géographie que pour l'aéronautique; le vol d'essai
d'une hypothèse n'est pas moins palpitant ni moins dangereux que le vol d'essai
d'un prototype Concorde. L'un et J'autre conduisent à de nouvelles recherches et à
des modifications.
En un mot, le rôle des modèles en géographie est de codifier les résultats déjà obtenus
et de susciter de nouvelles recherches. Il se peut que le stock actuel de modèles soit
peu engageant, mais, comme l'a écrit Lôsch, « le chemin de la science ne passe-t-il
pas souvent sur de précaires passerelles, que nous sommes tous prêts à emprunter,
pourvu qu'elles nous permettent de poursuivre notre route? ». Lôsch espérait que
ses travaux sur les régions ouvriraient « une voie dans un pays riche mais presque
inconnu» (Losch, 1954, p. 100); cet espoir a été comblé.

4. DÉTERMINISME ET PROBABILISME

L'abandon du déterminisme en géographie humaine

Dans l'atmosphère d'optimisme où baigna la science après le triomphe que fut


la démonstration, par Newton, des lois de la gravitation, on fit bien des rêves dérai-
sonnables au sujet de la prévision scientifique. Le mathématicien français Laplace
avança l'idée qu'i! était théoriquement possible de définir le destin de chaque atome
de l'univers, aussi bien dans l'avenir que dans le passé. Certes, chacun pensait que
ce ne serait possible que dans un avenir très lointain, mais que c'était un but vers
lequel la science pouvait lentement progresser. En géographie, cet optimisme s'est
exprimé dans la théorie du déterminisme géographique, selon laquelle on peut prévoir
le comportement des hommes par référence au milieu physique. Les prétentions
excessives, les échecs cuisants, le débat sur le « possibilisme » sont un moment de
l'histoire du développement de la géographie (cf Hartshorne, 1939, pp. 56-60) qui'
ne fait guère honneur aux talents d'observation des géographes, sans parler de leur
capacité de jugement.
Les réactions contre les excès du déterminisme géographique ont été à la fois
négatives et positives. Aspect négatif: son abandon a conduit au rejet quasi systé-
matique de toute théorie (cf section 1); par suite, ce que les géographes ont publié
est devenu plus précis, mais aussi infiniment moins intéressant. La description a été

34
Déterminisme et probabilisme

substituée à l'hypothèse, la répétition au débat. Aspect positif: les géographes se


sont attaqués aux complications des systèmes régionaux sans jamais se fier à ces
clefs simples que fournissent les relations de cause à effet. L'analyse qu'a faite Meinig
(1962) du réseau ferroviaire du bassin de la Columbia, dans le Nord-Ouest des États-
Unis, en est un bon exemple. La figure 1. 7 B représente les voies ferrées construites
par la compagnie Northern Pacific Railroad pendant la seconde moitié du XI xe
siècle. Par rapport aux conditions actuelles, le tracé de ces voies obéit à une logique
satisfaisante : le relief et les villes, jouant le rôle de barrières ou d'aimants, façonnent
la géométrie sinueuse du réseau. Mais, comme Meinig le souligne, une telle logique
est en grande partie illusoire. La plupart des villes ont été les produits du chemin
de fer, plutôt que les causes de son tracé; elles sont nées après lui, non avant. En

Fig. 1.7 - Opposition entre les tracés de voies ferrées qui ont
été proposés (A) et ceux qui ont été effectivement aménagés (B)
par la compagnie Northern Pacific Railroad, dans un secteur du
Nord-Ouest des États-Unis (G = 3,7).
Source: MEINIG, 1962, p. 413.

ce qui concerne le caractère rigoureux de l'influence du relief, la carte des projets


de tracés, construite à partir des dossiers des ingénieurs-conseils de la compagnie
(fig. 1.7 A) fait apparaître un enchevêtrement de tracés qui étaient tous, sur un plan
strictement technique, des concurrents sérieux pour le tracé définitif. Meinig affirme
que pour « expliquer» la raison pour laquelle tel tracé a été choisi, tel autre écarté,
il faudrait entreprendre une analyse psychologique des décisions du conseil d'admi-
nistration de la compagnie. En effet, quand on examine en détailla plupart des aspects
du comportement humain auxquels s'intéresse la géographie (par exemple les migra-
tions, les localisations industrielles, le choix de l'utilisation du sol), on risque fort
de « se perdre dans le maquis des processus de décision» (Meinig, 1962, p. 413).
Le point de vue de Meinig est confirmé par Morrill (1963) dans une étude sur la
localisation des villes dans le centre de la Suède; Morrill avance l'idée que 1'homme
n'est pas toujours capable de faire des distinctions entre des options de valeur égale,
et qu'il ne peut pas toujours identifier les localisations optimales, à supposer qu'elles
existent. Morrill soutient qu'il y a dans la structure du comportement humain des incer-
titudes fondamentales qu'il est tout simplement impossible d'écarter. Ces difficultés
sont multipliées par l'existence de deux autres sources d'indétermination : d'une

35
GÉNÉRALITÉS

part le grand nombre d'options d'égale valeur, d'autre part l'incapacité de prendre
en compte la myriade de très petits effets produits par de nombreuses petites causes.
Il existe dans le centre de la Suède beaucoup plus de sites urbains potentiels que de
villes, de sorte que le site à lui seul ne suffit jamais à expliquer une localisation urbaine
en un point; c'est au contraire un très grand nombre de facteurs qui contribuent
à la croissance urbaine, chaque facteur s'enchaînant aux autres en un dédale de
causalités secondaires. Si Newton avait raison, en principe, de dire qu'un papillon
qui se pose ébranle la terre, il est également vrai que l'effet net de telles causes infi-
nitésimales peut être considéré comme aléatoire. A moins de suivre saint Thomas
d'Aquin dans la métaphysique de la « cause première », on peut seulement avoir
l'espoir de démêler quelques-uns des principaux fils, dans chaque situation; quant
au reste, on ne peut que le considérer comme une sorte de bruit de fond, comme un
mouvement brownien.

Lois norInatives et lois probabilistes

L'INCIDENCE DU PRINCIPE D'INCERTITUDE

Une des raisons fondamentales de douter de la possibilité d'étendre les interpré-


tations par relations de cause à effet à l'univers du comportement humain nous est
donnée par la microphysique ou physique quantique. Quand Max Planck eut décou-
vert, en 1900, que l'énergie, comme la matière, n'est pas continue, mais se manifeste
sous forme de petits grains ou quanta, la recherche, tant théorique qu'empirique,
dans cette branche de la physique buta sur des problèmes de plus en plus ardus.
Il s'avéra impossible d'appliquer de rigides lois mécanistes à ces particules si petites,
et c'est un physicien allemand, Heisenberg, qui en 1927 traduisit ce problème en un
principe formel, le principe d'incertitude, selon lequel toutes les observations sur la
nature comportent en définitive, par essence, une part d'incertitude. Si on essaie
de mesurer la localisation d'une particule de façon plus précise, on doit sacrifier
une part de précision dans la mesure du temps; si on estime sa vitesse de façon plus
précise, on est moins sûr de sa position.
Bien que les expériences de Heisenberg aient été par la suite l'objet de révisions,
ce principe, contemporain de la diffusion des conceptions de Francis Galton et Karl
Pearson sur la statistique probabiliste, a joué un rôle très important dans le débat
métaphysique sur la nécessité. Le remplacement des lois normatives (du latin norma =
règle) par le concept de tendance probabiliste a permis de considérer le comportement
humain d'une façon tout à fait nouvelle, qui concilie libre-arbitre et déterminisme. A
la vérité, il se peut que l'opposition de ces deux points de vue extrêmes soit fondée
sur un malentendu relatif à l'échelle des phénomènes considérés. Selon Bronowski
(1960, p. 93) : « le déplacement d'un groupe social soumis à une pression matérielle
est semblable à l'écoulement d'un gaz; en moyenne, les individus obéissent à la pres-
sion; mais, à tout moment, chaque individu peut, comme un atome de gaz, traverser
ou remonter le courant. »
Cette idée que les lois physiques n'ont pas un caractère déterministe, mais ne sont

36
Déterminisme et probabilisme

que des approximations statistiques, d'une très forte probabilité, fondées sur des
populations extrêmement grandes - mais finies - a été assimilée assez lentement
par les sciences sociales. Comme Kates (1962) l'a soutenu dans une étude sur le rôle
du hasard dans l'aménagement des plaines d'inondation, ni la conception freudienne
de l'homme conduit par des impulsions intérieures en grande partie inconnues,
ni les principes rigides de l'économie classique (l'Homo economicus se pliant à toutes
les menues oscillations du marché des valeurs) ne fournissent un cadre satisfaisant
à l'étude du comportement des hommes en matière de localisation. Les deux points
de vue ont été attaqués de l'intérieur et semblent rétrospectivement « aussi erronés
que les tentatives des premiers physiciens pour tout expliquer par référence aux
quatre éléments, ou que celles des premiers médecins pour expliquer le tempérament
par référence aux quatre humeurs» (Kendall, 1960, p. 7).
Simon (1957, pp. 196-200) a attiré l'attention sur l'alternative que constituent
deux modèles de comportement individuel, le modèle d'optimisation et le modèle de
satisfaction. Le concept d'optimisation a été introduit implicitement dans la géo-
graphie humaine par l'intermédiaire du postulat sur lequel reposent les modèles
tels que ceux de von Thünen, Weber, Christaller et L6sch et selon lequel les indi-
vidus ou les groupes se répartiraient dans l'espace de façon à optimiser l'ensemble
existant des ressources et des demandes. Simon a soutenu, et Wolpert (1964) a démon-
tré (voir au chapitre 6, pp. 205-206 l'exposé de ses résultats concernant l'exploitation
agricole en Suède), que le modèle d'optimisation est assez peu satisfaisant. L'opti-
misation exige que l'individu ou le groupe soient informés et prennent leurs décisions
le plus parfaitement possible, et il est tout à fait évident que, individuellement ou
collectivement, les hommes n'agissent absolument pas, et même ne peuvent pas
agir à ce niveau de perfection, à cause des incertitudes relatives au temps. Simon
remplacerait volontiers ce modèle par un modèle de satisfaction fondé sur le postu-
lat suivant : laies hommes ordonnent les diverses lignes de conduite possibles pré-
sentes à leur conscience sur une échelle de préférences; 2 0 ils choisissent dans cet
ensemble la ligne qui satisfera un ensemble de besoins. Évidemment, ce choix est
souvent sub-optimal, car « l'optimisation exige des opérations dont la complexité
dépasse de plusieurs ordres de grandeur celle des opérations exigées par la satis-
faction» (March et Simon, 1958, p. 140).

L'APPARITION DES MODÈLES STOCHASTIQUES

La démonstration de l'insuffisance des modèles normatifs classiques de compor-


tement humain a fait place nette à l'idée que la rationalité de l 'homme est limitée;
ainsi a été stimulée la recherche d'autres types de modèles de comportement. La
percée s'est produite en économie, à l'occasion de la seconde guerre mondiale.
C'est dans ce domaine que la fusion des mathématiques, de l'économie et de la logis-
tique suscita l'apparition de la théorie des jeux, illustrée notamment par un livre
remarquable, The Theory of Games and Economic Behaviour (Von Neumann et
Morgenstern, 1944). Dans cet ouvrage, le principe d'incertitude est introduit de
façon rigoureuse dans la science économique, par l'intermédiaire de la théorie mathé-

37
GÉNÉRALITÉS

matique des jeux. Le formalisme de l'offre, de la demande et de la connaissance


parfaite est remplacé par une théorie plus solide et, du point de vue mathématique,
plus élégante, la théorie des probabilités, dans laquelle les incertitudes (par exemple
celles concernant le marché, les prix, la production) sont les seules constantes. Il
s'agit ici, évidemment, du monde que, en tant qu'individus, les hommes connaissent:
un monde qui n'est pas entièrement rationnel, ni entièrement chaotique, mais qui est
un mélange probabiliste de choix, de calculs et de hasard.
L'isolement de la géographie humaine dans le monde universitaire a retardé les
effets du principe d'indétermination dans cette discipline. C'est seulement en 1957
que Neyman a présenté une théorie de la croissance dans laquelle le hasard ou les
processus stochastiques (du grec stokhos = but que l'on vise, conjecture) jouent
un rôle majeur. La théorie elle-même (chap. 2, section 4) est abstraite et s'applique
aussi bien aux galaxies (Neyman, Scott et Shane, 1956) qu'aux populations animales
(Neyman et Scott, 1957). On peut penser que Losch, s'il avait été encore en vie,
aurait adopté ces idées avec enthousiasme; il écrivait en 1940 : « Je doute fort que
les principes fondamentaux de la théorie de la localisation diffèrent beaucoup entre
la zoologie, la botanique et l'économie» (Losch, 1954, p. 185). La diffusion de
modèles tels que ceux de Neyman dans la recherche géographique tend à effacer
les vieilles lignes de partage entre sujets d'étude et à créer de nouveaux domaines
de travail en commun.
En Suède, Hagerstrand et ses collègues ont déjà commencé à travailler à l'appli-
cation de modèles stochastiques de Monte-Carlo à l'étude des migrations (Hager-
strand, 1953; MorrilI, 1963). Les méthodes de la théorie des jeux ont été appliquées
aux problèmes de localisation, à propos des villes aussi bien que de l'espace rural
(Stevens, 1961; Gould, 1963). Curry CI 964) est allé encore plus loin, en appliquant
des procédés purement aléatoires à l'élaboration de types de répartition de l'habitat
correspondant à des degrés différents de spécialisation industrielle. Certaines de ces
théories sont passées en revue dans les chapitres suivants (chap. 2, section 4; 4,
section 1; 6, section 3; 10, section 3), mais le nombre de celles qui ont été élaborées
jusqu'à présent en géographie humaine reste malheureusement réduit, et l'étude
de certains modèles (par exemple des chaînes de Markov) commence à peine.

.38
PREMIÈRE PARTIE

Les modèles de structure


des localisations

«Les idées hardies et les anticipations injustifiées


sont nécessaires pour interpréter la nature: la réflexion
théorique est notre seul organe, notre seul outil
pour appréhender la réalité. Nous devons en courir le
risque; ceux d'entre nous qui ne veulent pas exposer
leurs idées au feu de la critique ne jouent pas le jeu
scientifique. »
(Karl POPPER, The Logic of Scientific Discovery,
1959, p. 280.)
Mouvement
Mouvement
et morphologie
et distance : le concept d'interaction
Chapitre 2
Mouvement et surface : les concepts de champ et de territoire
Mouvement et temps : le concept de diffusion

LES MOUVEMENTS

Une des difficultés de l'analyse des systèmes régionaux intégrés (chap. l, section 3)
est le fait qu'il n'existe pas de point d'entrée évident ou unique. A vrai dire, plus le
système est intégré, plus il est difficile de le dissocier. Ainsi, dans le cas de régions
polarisées, il est tout aussi logique de commencer par l'étude du peuplement que
par celle des voies de communication. Comme Isard le fait observer : « le labyrinthe
des interdépendances, dans la réalité, est vraiment redoutable, leur nombre infini,
leur circularité incontestable. Cependant, il faut les disséquer ... quel que soit le point
par où l'on doive entrer dans leur cercle ». Pour pénétrer dans ce cercle, nous avons
choisi l'étude des mouvements.
Ce chapitre expose les divers types de mouvements qui importent dans la cons-
truction des autres composantes du système régional, et passe en revue quelques-
uns des modèles élaborés pour décrire leur organisation. L'idée de mouvements
conduit à l'examen des champs naturels qu'ils créent, et aux territoires « non
naturels» définis pour délimiter des champs qui se chevauchent. Nous introduisons
aussi, à ce stade, l'idée de diffusion, extension logique du mouvement dans le temps,
en essayant de montrer le lien entre ses points d'application, séparés dans la suite
de ce livre.

41
1. MOUVEMENT ET MORPHOLOGIE

Le mouvement est un aspect de l'organisation régionale sur lequel on a trop peu


insisté en géographie humaine. Crowe (1938) critiquait ses collègues géographes pour
l'intérêt excessif qu'ils portaient aux éléments statiques de la surface de la terre. La
géographie, se demandait-il, doit-elle s'intéresser seulement à la distribution de
l' Homo dormiens? Depuis ces critiques, la recherche géographique a identifié
un nombre croissant de types de mouvements et de circulations (Capot-Rey, 1947;
études de migrations de l'école de Lund - Hannerberg, Hagerstrand et Odeving,
1957). Dans cette perspective, la population humaine est considérée non comme une
caractéristique statique (les cartes par points de l'analyse géographique traditionnelle)
mais comme un complexe de particules oscillantes, avec de courtes boucles reliant
les lieux de résidence, de travail et de loisir, et des boucles plus longues joignant
de vieux foyers à des aires nouvelles de migration. On peut considérer de même
d'autres composantes du système régional - les zones agricoles sous l'angle des
mouvements de transport, ou la croissance urbaine sous l'angle des migrations
quotidiennes (Kain, 1962). Chacun de ces types de mouvement laisse sa marque par-
ticulière sur la face de la terre. Bunge a suggéré que les processus physiques et sociaux
laissent des traces comparables : « les cours d'eau de Davis transportent les maté-
riaux terrestres vers la mer et laissent dans le solI 'entaille des vallées; les produits
agricoles de Thünen sont emportés vers le marché et laissent leur marque sur la
terre sous forme d'anneaux de culture; les innovations agricoles progressent à travers
l'Europe, comme les fronts glaciaires, formant les régions de progrès agricole de
Hagerstrand et les moraines terminales» (Bunge, 1962, p. 196).
Ce dualisme entre géographie physique et géographie humaine ressortit à un parallé-
lisme beaucoup plus large entre mouvement et géométrie. Dans ce domaine, D'Arcy
Thompson (1917) a essayé de montrer comment des concepts mathématiques (par
exemple : grandeur et transformation) et des principes de dynamique (par exemple :
l'énergie disponible) contribuent à expliquer les formes biologiques. Comme Henri
Fabre, un autre biologiste, Thompson était fasciné par la régularité et la perfection
mathématique d'une alvéole d'abeille ou d'une aile de libellule, qu'il rapprochait
dans les notions fondamentales de géométrie et de mouvement. Une aptitude sem-
blable à reconnaître des liens entre des domaines traditionnellement séparés se retrouve
chez l'un des plus grands théoriciens de la localisation, August L6sch, qui voyait
des parallélismes fondamentaux entre formes biologiques et formes économiques.
L6sch (1954, p. 184) a attiré l'attention sur ce qu'il appelle, d'un terme pompeux,
lex parsimoniae ou « loi du moindre effort ». Ce concept suggère que les événements
naturels atteignent leur but par le plus court chemin. Il apparaît d'abord en physique
au XVIIIe siècle avec l'œuvre de Lagrange, en tant que principe de moindre action,
et réapparaît dans l'analyse des systèmes en tant que concept d'énergie potentielle
minimale, dans la recherche opérationnelle en tant que chemins optimaux de mou-
vement et dans les sciences sociales en tant que « principe du moindre effort» (Zipf,
1949).
Nous aurons recours au « moindre mouvement» comme modèle explicatif en bien

42
Mouvement et distance : le concept d'interaction

des sections de la première partie de ce livre : la géométrie des formes du peuple-


ment (chap. 4, section 1), ou de la répartition de l'industrie (chap. 5, section 4), ou
des zones agricoles (chap. 6, section 2), obéit à des distributions régulières et souvent
symétriques. Dès 1883, Mach (1942) soutenait que les « formes d'équilibre» sont
souvent symétriques et régulières, et que, en terme de mécanique, elles correspondent
à un maximum ou à un minimum de travail. La figure 2.1 représente une application
pratique du concept de travail minimal, modifié par le point de vue probabiliste
exposé dans la section 4 du chapitre 1. Si on suppose un plan uniforme, le chemin

Chemin
optimum

Courbe d'effort
croissant
1
1
1
1
1

a.

Fig. 2.1 - Chemins optima entre deux centres, du point de vue du calcul
des probabilités.

de moindre effort entre les points IX et {J est représenté par la ligne en tireté sur la
figure 2.1 A. Cependant, on peut soutenir (en s'appuyant par exemple sur les résul-
tats obtenus par Meinig sur le tracé des voies ferrées dans le Nord-Ouest des États-
Unis (cf. pp. 35 et 82-83) que les itinéraires réels s'écartent des chemins optimaux
(en termes de distance) pour toute une série de raisons, rationnelles et irrationnelles.
Des exemples d'itinéraires réels sont représentés par le faisceau de lignes qui relie
IX et {J. En faisant une coupe transversale, de X à Y, perpendiculairement au chemin
le plus court, on peut montrer que, plus les itinéraires s'écartent du chemin optimal,
plus augmente la quantité de travail à fournir, mesurée en distance parcourue. Ceci
est représenté par une parabole sur la figure 2.1 B. On peut soupçonner que les iti-
néraires réels tendront à fluctuer autour de l'optimum, de façon aléatoire, selon une
distribution de Laplace-Gauss centrée sur le chemin de moindre effort (courbe
en trait plein sur la fig. 2.1 B).

2. MOUVEMENT ET DISTANCE: LE CONCEPT D'INTERACTION

L'effet d'atténuation produit par la distance sur le mouvement a été reconnu


intuitivement par des sociétés situées à tous les niveaux de développement; depuis
au moins quatre-vingts ans (travaux de Ravenstein (1885-1889) en Angleterre et
d'Andersson (1897) en Suède) cet effet est étudié scientifiquement. Les observations

43
LES MOUVEMENTS

de Ravenstein sur les relations entre la distance et le volume des migrations sont
apparues si frappantes que l'on a essayé bien des fois d'exprimer cette liaison sous
une forme générale, souvent mathématique. Ces tentatives ont été discutées en détail
par Hiigerstrand (1957, pp. 112-154) et par Isard (1960, pp. 493-568). Nous allons
brièvement passer en revue quelques-uns des modèles les plus importants, et ce
qu'ils impliquent du point de vue de la localisation. D'autres modèles, qui se rapportent
plus logiquement à l'étude des champs et des territoires, seront présentés plus loin.

ttudes régionales des taux de décroissance

Les études menées sur les relations entre mouvements et distance sont très diverses,
à la fois du point de vue des mouvements étudiés et du point de vue des distances
concernées. La figure 2.2 rassemble trois exemples typiques de mouvements de

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Fig. 2.2 - Taux de décroissance des mouvements: A. Voyages de camions


autour de Chicago. - B. Expéditions par voie ferrée de classe 1, aux États-
Unis, en 1949. - C. Fret maritime mondial, en 1925.
Sources: HELVIG, 1964, p. 78; ZIPF, 1949.

44
Mouvement et distance : le concept d'interaction

transport, à trois échelles différentes. Dans le premier (fig. 2.2 C), le volume du fret
transporté entre vingt-cinq régions, par voie océanique, en 1925, est rapporté gra-
phiquement à la distance. Malgré le caractère limité des données, la diminution
continue des mouvements en fonction de la distance, jusqu'à 13 000 miles, apparaît
clairement. Pour un espace plus limité, les États-Unis, la figure 2.2 B montre égale-
ment la diminution du tonnage des expéditions de classe l, par voie ferrée, en 1949,
en fonction de la distance, qui va jusqu'à 1 500 miles. Pour une aire encore plus petite,
la région de Chicago, He1vig (1964) a montré que le nombre des voyages de camions
est, lui aussi, lié à la distance, dans une zone de 350 miles alentour (fig. 2.2 A).
Nombre d'études analogues ont été menées sur des mouvements autres que les
mouvements de fret. L'étude de Dihl (1957) sur les contacts entre la ville de Vasteras,
en Suède et le reste de ce pays est typique; Dihl a cartographié les mouvements
de population, le trafic de voyageurs, le trafic téléphonique, les abonnements aux
journaux, les relations d'affaires, les relations nouées dans le commerce de détail,
et le trafic de marchandises. Malgré des différences mineures, par exemple entre
des mouvements dus aux relations privées et ceux dus aux relations d'affaires, ou
entre une période et la période suivante, Dahl a constaté que la diminution générale
du mouvement avec la distance était confirmée de façon frappante. A côté d'études
régionales de ce genre existent quelques études systématiques. Dans un livre curieux,
Human Behaviour and the Principle of Least Effort, Zipf (1949) a réuni des douzaines
d'exemples variés de mouvements, dont la plupart concernent les États-Unis. Plus
récemment, Isard (1956, pp. 55-76), dans la préface de son livre Location and
Space Economy, a passé en revue des études semblables sur la distance et le mouvement.

Les modèles élémentaires d'interaction

Les modèles proposés pour expliquer les taux de décroissance décrits ci-dessus
sont de deux sortes : les uns s'inspirent d'analogies physiques, les autres sont des
tentatives empiriques pour rassembler des résultats de détail en une formule mathé-
matique générale.

LES MODÈLES DÉDUCTIFS: ANALOGIES AVEC LA GRAVITATION ET L'ABSORPTION

Le domaine de la gravitation a fourni aux géographes un de leurs emprunts les


plus productifs à la physique. Reilly (1929) a tiré directement de la théorie de Newton
(Sears et Zemansky, 1964, p. 103) l'idée que le mouvement entre deux centres serait
proportionnel au produit de leurs populations et inversement proportionnel au carré
de la distance qui les sépare; ce que l'on peut formuler ainsi
Mij = PiPj (dij )-2

Dans cette formule, Mij est l'interaction entre les centres i et j, Pi et Pj les masses
des deux centres, et du la distance qui les sépare. Comme Carrothers (1956) l'a montré
dans un exposé historique, les concepts liés à la gravitation ont été rapidement
adoptés, tant en Europe qu'en Amérique du Nord. Deux spécialistes américains

45
LES MOUVEMENTS

des sciences sociales, Stewart (1947) et Zipf (1949), ont étudié les interactions concer-
nant une vaste gamme de phénomènes sociaux (migrations, trafic de fret, échange
d'information, etc.) selon les termes de la formule de la gravitation, en employant
une variante de la formule de Reilly :

La différence entre l'exposant - 2 utilisé par Reilly et l'exposant - 1 utilisé par


Stewart et Zipf a été analysée par Hagerstrand (1957, pp. 118-119) qui suggère qu'elle
peut traduire des différences existant réellement entre l'Europe et l'Amérique du
Nord. Il est bien possible que l'Europe, moins développée, ait des gradients de mou-
vement plus forts que l'Amérique du Nord.
On a aussi employé, pour étudier les taux de décroissance, une analogie avec
l'absorption. Johnsson (1952) a avancé l'idée que l'émigration à partir d'un centre
pouvait être comparée à l'émission d'un rayon lumineux. La lumière est absorbée
graduellement par le milieu, proportionnellement au flux par unité de distance. De
même, on peut penser qu'une population qui migre est graduellement absorbée
par les régions dans lesquelles elle se déplace. On peut transcrire cette idée par la
formule

où Mx est le pourcentage d'immigration dans un centre à partir d'une zone située


à une distance X, k une constante, et a le coefficient d'absorption. Selon Hagerstrand,
la courbe calculée à partir de l'équation d'absorption peut, si on l'applique à des
données sur des mouvements, donner un meilleur ajustement qu'un simple modèle
de gravitation. Cependant, les difficultés que l'on rencontre pour calculer la courbe
et pour la comparer à d'autres résultats la rendent beaucoup moins utile que la
formule de la gravitation.

LES MODÈLES INDUCTIFS : AJUSTEMENT DE COURBES

Une méthode assez différente a été employée pour analyser des mouvements de
migration en Scandinavie. Kant (1946), étudiant l'immigration dans la ville estonienne
de Tartu, a proposé une formule du type de celle de Pareto :

M = a D- b

où M est le nombre de migrants ramené à une population type, D la distance, a et b


des constantes. La figure 2.3 A représente une telle formule ajustée à l'émigration
observée à partir de la ville d'Asby (Suède) pendant la période 1860-1869, les valeurs
étant
M = 2,1· 10 6 D- 3
(Hagerstrand, 1957, p. 113).
Dans des études faites par la suite en Suède, beaucoup d'expressions semblables
ont été calculées au moyen de formules du type Pareto, et l'intérêt s'est particuliè-

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Distance, en km Valeur de l'exposant b

Fig. 2.3 - A. ~migration à partir d'Asby (Sud de la Suède) de 1860


à 1939. - B. Histogramme des valeurs de l'exposant dans les for-
mules du type de celle de Pareto ajustées à des données sur les
migrations, pour un choix de communes suédoises.
Source: HÂGERSTRAND, 1957, pp. 114-115.

rement porté sur la valeur de l'exposant b. Dans les études passées en revue par
Hâgerstrand, elle varie de 0,4 à 3,3. Les basses valeurs de b indiquent un gradient
faible, avec un champ de mouvement étendu, et se rencontrent plus couramment
dans les études sur des mouvements observés au xx e siècle; les valeurs élevées de b,
qui indiquent un fort gradient et un champ de mouvement restreint, sont plus carac-
téristiques des migrations du XIX e siècle. Il est clair que les valeurs obtenues pour b
s'étendent largement autour de la valeur 2 prévue par la « loi du carré inverse »,
mais il est peut-être significatif que dans cet échantillon (représenté sous la forme
d'un histogramme de fréquences sur la figure 2.3 B) la classe modale ait justement
cette valeur. Fait significatif, la valeur moyenne, pour toutes les études, est 1,94.
Les études régionales sur les migrations donnent à penser que 1'hypothèse du carré
inverse, si elle ne fournit pas la solution unique, est néanmoins une approximation
très utile.

Les modèles d'interaction modifiés

DIFFICULTÉS DU MODÈLE DE GRAVITATION

En principe, les formules de gravitation semblent offrir un guide simple et efficace,


pour prévoir les mouvements entre régions. Dans la pratique, elles se heurtent à
un certain nombre de difficultés. En effet, plusieurs points ne sont pas clairs : com-
ment définir les différentes parties de l'expression, comment les relier l'une à l'autre?
Examinons le problème tel qu'il se pose pour chaque composante : la masse, la
distance, et les relations entre masse et distance.
10 La masse est traditionnellement assimilée à la taille de la population, dans

47
LES MOUVEMENTS

beaucoup d'applications du modèle de gravitation. La population a un avantage


primordial, la commodité, car on peut aisément obtenir des données sur la taille
de la plupart des groupes de population du monde. D'un autre côté, la population
peut dissimuler des différences importantes entre régions, et on a recommandé
l'emploi d'un système de pondération. Même du point de vue des concepts physiques
originaux, cette pondération peut être justifiée, car, ainsi qu'Isard l'écrit : « De
même que les poids de molécules d'éléments différents sont inégaux, de même les
poids de catégories diverses de gens devraient être différents. Le paysan chinois
moyen n'apporte pas la même contribution ... que le citadin des États-Unis» (Isard
et al., 1960, p. 506). Des poids, définis empiriquement, de 0,8 pour la population
du Deep South, 2 pour la population du Far- West, et 1 pour la population des autres
régions des États-Unis indiquent approximativement ce que pourrait être l'étendue
de tels « multiplicateurs» régionaux. Autre possibilité : la multiplication de la
population de chaque groupement par son revenu moyen par tête apparaît comme
une amélioration intéressante du système de pondération d'Isard, bien qu'elle ne
fournisse pas une solution unique. En pratique, dans les études d'interaction, on a
utilisé, pour mesurer la masse, des indices tels que la production de marchandises
(Warntz, 1959) ou les ventes au détail (Dunn, 1956).
2° La distance aussi peut être mesurée de plusieurs façons. La mesure traditionnelle
est simplement celle de la distance en ligne droite ou à vol d'oiseau entre deux points.
Bunge (1962, p. 52) a montré par des exemples que la distance est une fonction
beaucoup plus complexe, mais Yeates (1963) a constaté que la distance à vol d'oiseau
peut être un instrument de mesure utile dans les régions rurales pourvues d'un bon
réseau routier. Pour étudier les migrations quotidiennes, le temps, plutôt que la dis-.
tance, pourrait être la mesure adéquate, de courtes distances dans les zones urbaines
équivalant à des distances plus longues dans les zones rurales. Là où différents
moyens de transport existent, la difficulté devient plus grande. Sur ce point, Harris
(1954) a suggéré que 100 miles par camion (à 4 cents par tonne-mile) pourraient
équivaloir à 160 miles par voie ferrée (à 2,5 cents par tonne-mile) ou à 1 600 miles
par bateau (à 0,25 cent par tonne-mile); cependant, même ces pondérations sont
compliquées par les coûts terminaux et les frais de livraison à destination.
Pour Vining (1949) et Huff (1960), la vision qu'a le migrant de l'éloignement et de
la distance peut ne pas être une vision géographique simple; on peut considérer des
zones proches comme fortement différenciées et des zones éloignées comme uni-
formes; une telle façon de voir est renforcée par le caractère curviligne des liaisons
entre les coûts de transport et la distance. Selon Hiigerstrand (1957), il est possible
de généraliser à la fois la vision psychologique et la vision économique de la distance
dans une transformation logarithmique de la distance. Il emploie une projection
logarithmique azimuthale centrée sur le lieu de migration, Asby, dans le Centre de
la Suède (IX), pour suggérer l'impression qu'a le migrant de la distance. Le contraste
entre la carte traditionnelle de Suède (fig. 2.4 A) et la carte transformée selon la
projection logarithmique azimuthale (fig. 2.4 B) montre le changement radical subi
par les relations spatiales: f3 et y indiquent la localisation de Stockholm et de Goteborg
sur les deux cartes, et 15 la localisation approximative des États-Unis sur la seconde.

48
-s

Fig. 2.4 - A. Carte de Suède traditionnelle (G= 3,1). -


B. Transformation en une carte à distance logarithmique
azimuthale centrée sur Asby.
Source: HÂGERSTRAND, 1957, p. 54.

3° Les relations entre masse et distance posent le troisième problème difficile. Les
fonctions assez simples, proposées tant dans les modèles de gravitation que dans les
modèles de Pareto, correspondent à une liaison linéaire sur papier bilogarithmique.
Mais il est également possible d'ajuster une fonction quadratique, plutôt qu'une
fonction linéaire, à un ensemble de données d'interaction; ceci doit modifier notre
idée de l'effet d'atténuation dû à la distance (Isard et al., 1960, p. 510). Helvig (1964)
a corroboré ce point de vue dans une étude sur les mouvements de camions dans la
région de Chicago. Il adopte une forme quadratique pour le modèle familier masse-
distance, à savoir
MtJ = 0,42 [JPtPJ/dIJ2]2 + 4,9 [JPIPJ/diJ 2] + 160
II justifie cette formule nouvelle et plus complexe de façon tout à fait empirique
elle donne un meilleur ajustement aux taux de décroissance du mouvement particulier
qu'il étudie.
Il existe évidemment plusieurs façons d'adapter le modèle de gravitation, pour le
rendre plus valable dans des études empiriques. Bien d'autres doutes demeurent,
cependant, sur son utilité dans des situations complexes (Beckerman, 1956).

AFFINEMENTS DU MODÈLE DE GRAVITATION

Nous sommes familiarisés, en théorie économique, avec le concept push-pull


d'offre et de demande. Ullman (in Thomas, 1956, pp. 862-880) a cartographié la
tendance des flux matériels à se mouvoir des aires d'abondance vers les aires de
rareté; Bunge (1962, pp. 121-122) suggère que l'on peut ici reconnaître un principe

49
LES MOUVEMENTS

plus général, le principe d'auto-répulsion tiré par Hotelling (1921) de la théorie


mathématique de la conduction de la chaleur. Goodrich (1936), dans une étude
sur les migrations (Migration and Economie Opportunity), a tracé les mouvements
de population qui, à l'intérieur des États-Unis, vont des régions « peu attrayantes»
vers des régions « attrayantes ».
Quelle est l'importance d'une telle complémentarité régionale dans la modification
des relations de type gravitation? Kariel (1963) a appliqué la méthode d'analyse
multivariée à l'étude de l'accroissement de population dû au bilan net des migra-
tions, aux États-Unis, pendant la décennie 1950-1960. Comme le montre le tableau
2.1, quatre facteurs ont été testés par Kariel : trois facteurs mesuraient l'attractivité
(augmentation du nombre des emplois dans l'industrie, revenu familial médian,
proportion de membres des professions libérales et de techniciens dans la popu-
lation); le facteur taille était exprimé en effectif de main-d'œuvre employée. La

TABLEAU 2.1

MODÈLES DE COMPLÉMENTARITÉ ET MOUVEMENTS MIGRATOIRES 1

Hypothèses Décomposition de la variance

Complémentarité:
Augmentation du nombre des emplois dans l'industrie 12 %
Revenu familial médian. . . . . . . . . . . 12 %
Membres des professions libérales et techniciens 10%
Taille:
Effectif de la main-d'œuvre employée . . . . . 44%
Ensemble des quatre facteurs . . . . . . . . . 47%
Ensemble des quatre facteurs, plus ajustement aux données cli-
matiques . 55%
1. États-Unis, 1950-1960.
Source: H. G. KARIEL, in Annals of the Association of American Geographers, 1963, p. 210.

proportion de la variation « expliquée» par les quatre hypothèses a été mesurée


par le coefficient de détermination. Ceci a confirmé de façon frappante, dans la
détermination du volume des migrations, l'importance du facteur taille, qui était
près de quatre fois plus grande que celle de chacun des trois autres facteurs. Même
si on tient compte du fait, rappelé par Kariel, qu'il y avait à l'époque de l'étude
des crises locales à court terme capables d'influer sur les résultats (par exemple
dans l'industrie automobile dans la région de Detroit) le résultat obtenu par Kariel
est important, car il confirme la valeur du modèle de gravitation.
Isard a essayé d'introduire cette complémentarité de régions dans le modèle de
gravitation simple défini par l'inverse de la distance. Ce qu'on peut écrire:
Mij = (Pjjdij)f(Zi)
Dans cette formule, Mij, Pj et dij sont définis comme précédemment (cf p. 45), et

50
Mouvement et surface .. les concepts de champ et de territoire

f (Zi) est une fonction de Zi, Zi mesurant la force d'attraction dirigée vers i (Isard
et al., 1960, p. 68). Il reste à définir en détailla « force d'attraction» dont nous pou-
vons seulement, ici, signaler la variabilité. Par exemple, dans les études sur les migra-
tions, il semble clair que les agréments en général et le climat en particulier jouent
un rôle croissant dans les migrations intérieures des pays les plus développés (Ullman,
1949). Ceci ajoute du poids à ce que Kariel a trouvé : le « seuil d'explication» géné-
ral est élevé de 8 % (tableau 2.1) quand on ajuste les résultats de façon à prendre
en compte l'attrait climatique en opposant des zones situées au nord et au sud de
l'isotherme moyen d'hiver 7°2.

3. MOUVEMENT ET SURFACE : LES CONCEPTS DE CHAMP ET DE


TERRITOIRE

Les aires continues de mouvement: le concept de champ

La conception des interactions présentée ci-dessus est évidemment très simplifiée


les mouvements, en fait, ne se produisent pas le long d'une ligne à une dimension,
mais sur une surface à deux dimensions. En géographie humaine, nous sommes
familiarisés avec de telles surfaces, sous bien des formes - la « zone d'influence»
d'une ville, 1'« arrière-pays» d'un port, le « champ de migration» d'une commune.
Toutes ont en commun le fait de l'interaction entre un centre et sa périphérie: nous les
désignerons par le terme commun de champ.

LA TAILLE DES CHAMPS

Les graphiques exprimant les relations entre mouvement et distance sont fréquem-
ment tracés sur papier bilogarithmique; ainsi, l'origine du mouvement n'est jamais
au point zéro. Ce fait souligne une caractéristique fondamentale des champs d'inter-
action : ce sont théoriquement des distributions continues, avec une diminution très
rapide près de leur centre et une diminution très lente, presque asymptotique, vers la
périphérie. On peut les appeler, en jargon statistique, « distributions leptocurtiques
log-normales à deux variables », ou, de façon plus imagée, les comparer aux pics
escarpés de la surface d'un gâteau d'anniversaire que l'on vient de glacer.
A cause de leur nature continue, on ne peut pas toujours définir la taille des champs
par leurs limites absolues; mais on peut procéder à une généralisation utile en sub-
stituant le concept de champ moyen à celui de champ maximal ou potentiel. Ainsi,
considérant la diffusion d'un journal local, on a des chances de constater que son
champ est immense (quelques exemplaires sont envoyés à des émigrés, en Argentine
ou à Madagascar), mais que son champ moyen est très petit : peut-être n'a-t-il pas
plus de vingt kilomètres de diamètre. A propos de la région de la baie de San Francisco,
Vance (1962, p. 509) a montré que, si environ 17 %des clients des centres de commerce
régionaux venaient de distances supérieures à dix miles, la moitié des clients habitaient
à moins de trois miles du centre. De même, bien que 1 % des visiteurs du parc national
de Shenandoah vienne de plus de 2 000 miles, son champ moyen a un rayon inférieur
à 300 miles (Clawson, Held et Stoddard, 1960, p. 171).

51
LES MOUVEMENTS

A propos des champs moyens, deux idées générales se dégagent :


10 La taille des champs moyens varie avec la « transportabilité » de ce qui est mis
en mouvement. Ullman (in Thomas, 1956, pp. 862-880) a montré qu'aux États-Unis
les différents produits se déplacent plus ou moins facilement, et que le «frottement»
se manifeste par les coûts de transport relatifs. Son atlas de mouvements de mar-
chandises (Ullman, 1957) montre clairement le contraste entre les produits. Duerr
(1960, p. 167) a essayé de définir plus rigoureusement le concept de transportabilité
employé par Ullman, en soutenant que l'on peut mesurer la transportabilité par la
valeur spécifique d'un produit, c'est-à-dire sa valeur par unité de poids ou de volume.

TABLEAU 2.2

TRANSPORTABILITÉ RELATIVE DE TROIS PRODUITS

Type 1 Type 3
Type 2 !
Bois en grumes (bois (poteaux de
(bois de pulpe)
de placage) mine)

Valeur spécifique (en dollars, par tonne) 150 20 5


Trajet ferroviaire maximal (en miles) 400 100 25
Source: W. A. DUERR, Fundamentals of Forestry Economies, 1960, p. 167.

Comme le montre le tableau 2.2, les produits de faible valeur (par exemple les poteaux
de mine) se déplacent normalement sur de courtes distances, tandis que les produits
de grande valeur (par exemple les bois de placage) se déplacent sur des distances
relativement longues. Christaller (1933) a avancé la même idée fondamentale dans
son concept de« portée d'un bien ». De même les produits de faible valeur spécifique
(par exemple les produits forestiers) tendent à se grouper près de la ville dans le
paysage idéal de Thünen (chap. 6, section 2).
20 La taille des champs moyens varie dans le temps. Un accroissement rapide de
la mobilité est un des traits dominants du mouvement en notre siècle. Les champs
moyens liés aux mouvements de l'information, de la population et des biens ont
grandi régulièrement, à mesure que les innovations techniques réduisaient le coût
relatif de la distance. Chisholm (1962, pp. 171-197) a rassemblé plusieurs exemples
de cette tendance, montrant par exemple que le coût réel de la navigation océanique
s'est abaissé d'environ trois cinquièmes entre 1876 et 1955, ou que les coûts de trans-
port par voie ferrée en Nouvelle-Zélande ont diminué d'environ un quart entre
1884 et 1956.
A propos du Royaume-Uni, le Jack Report (Ministère du Transport, 1961) a
montré la diminution relative du coût des services d'autocars ruraux. Sur la figure
2.5 A on peut constater l'augmentation des tarifs de chemin de fer et d'autocars,
pendant la période 1938-1960, par rapport à l'indice général des prix à la consomma-
tion. Malgré des augmentations récentes, le coût des deux services est resté bien
au-dessous de l'indice général des prix. Un second enseignement du Jack Report

52
Mouvement et surface : les concepts de champ et de territoire

(figure 2.5 B) concerne l'augmentation relative des tarifs d'autocar, pendant la même
période, pour trois distances (5, 10 et 15 miles) : l'augmentation a été moindre pour
les longues distances que pour les courtes, de sorte que le coût relatif des voyages
à longue distance a été particulièrement réduit.

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à la consommation
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1940 1950 1960 1950 1960

Fig. 2.5 - Exemples de changements, dans le temps, de coûts de mouve-


ments : A. Transports de voyageurs en Grande-Bretagne. - B. Autocars
en Écosse.
Source: Ministry of Transport, 1961, pp. 66-67.

Le résultat de l'abaissement des coûts relatifs des mouvements apparaît dans


l'élargissement de la portée des interactions de toutes sortes. En ce qui concerne le
trafic des voyageurs, la distance moyenne parcourue aux États-Unis en 1906 était
de 631 miles (tableau 2.3). En un demi-siècle, cette distance a été multipliée par huit,
dépassant 5000 miles; cependant, la cause principale, ici, a été moins la réduction
du coût des moyens de transport traditionnels que l'introduction de moyens entiè-
rement nouveaux, notamment l'automobile. Vance (1960) a cartographié cet agran-
dissement de la zone d'interaction, pour la ville de Natick (Massachusetts).

TABLEAU 2.3

ÉVOLUTION DES MODES DE TRANSPORT, AUX ÉTATS-UNIS

1906 1956

Longueur des voyages en miles, par tête . . . . . . . . . . . . . . . . . 631 5080


Modes de transport: proportion du total des distances parcourues (en %)
Lignes aériennes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2,6
Automobiles . . . . . . 0,6 87,0
Voies navigables intérieures 1,5 0,2
Autocars interurbains 3,0
Transports publics locaux 51,0 3,9
Chemins de fer . . . . . 46,9 3,3

Source: M. CLAWSON, R. B. HELD et C. H. STODDARD, Land for the Future, 1960, pp. 534-536.

53
LES MOUVEMENTS

Cet accroissement de la portée des interactions a rendu encore plus difficile le


problème déjà complexe du chevauchement des champs et de leur définition. Tra-
ditionnellement, on a essayé de délimiter des champs sur la base de mesures variées.
Theodorson (1961, pp. 511-594) a rassemblé une collection d'études typiques de
délimitation de champs, dans lesquelles la circulation des journaux, les commerces
de gros, les migrations pendulaires, les appels téléphoniques, les opérations bancaires,
les services d'autocars, etc., ont été utilisés avec plus ou moins de succès. On n'a
guère essayé de tester la valeur comparée des diverses mesures, et aucune conclusion
générale ne définit les meilleurs indices. Ceux-ci, vraisemblablement, varient beaucoup
dans le temps: les aires des services locaux d'autocars ont été largement employées
pour délimiter des champs en Angleterre et au Pays de Galles (cf par exemple
Green, 1950), mais leur importance est nettement en voie de diminution. L'augmen-
tation stupéfiante de l'importance des voyages en automobile aux États-Unis est
bien connue (tableau 2.3); dans la Grande-Bretagne d'après-guerre, 1'« explosion»
automobile a introduit un élément nouveau, que l'on n'a pas pleinement compris,
dans les schémas d'interaction de ce pays. Il est certain que, lorsqu'on emploie
plusieurs indices pour représenter graphiquement les interactions autour du même
centre, le résultat le plus probable est une « guirlande» de lignes entrelacées, comme
sur la figure 2.6 A. La coïncidence exacte des limites, qui de toute façon sont arbi-

Fig. 2.6 - Types de champs de mouvement : C. Champ tron-


qué. - D. Champ distordu. - E. Champ fragmenté.

traires, est très rare; si on veut définir un champ par une limite synthétique unique,
une solution de compromis telle que la ligne médiane peut suffire, quand on ne
recherche pas une exactitude parfaite. D'autres solutions de compromis sont discutées
au chapitre 9 (pp. 275-276).

LA FORME DES CHAMPS

Si on admet qu'une certaine ligne, si arbitraire et sujette à variation dans le temps


soit-elle, peut être tracée autour d'un centre pour délimiter son champ, on peut faire
quelques observations sur la forme de ce champ. En réalité, on fait alors une coupe

54
Mouvement et surface : les concepts de champ et de territoire

à travers la distribution de densité (parallèlement au plan sur lequel elle s'étend);


théoriquement, il ne devrait donc exister de champs de forme circulaire que si la
conception initiale (champs d'interaction de forme « conique ») est correcte. En
fait, les études régionales empiriques ne font pas apparaître de champs vraiment cir-
culaires; la forme la plus commune tend à être une figure fermée irrégulière sem-
blable à une amibe. Davis (1926, p. 106) a décrit les champs comme ayant des
« contours grossièrement circulaires », et on n'a guère travaillé, depuis lors, à mesurer
leur forme avec plus de précision. Il est certain que la plupart des champs sont proches
du cercle (fig. 2.6 B) et qu'on pourrait faire une place à des variations aléatoires
(lobes, ondes et indentations) dans une théorie qui admettrait un « brouillage»
aléatoire de la forme régulière. Beckmann (1958) a montré comment un facteur
aléatoire permet de concilier la hiérarchie en paliers de Christaller avec la distribution
log-normale (cf pp. 141-142), et on pourrait à ce propos lui emprunter son argu-
mentation et l'appliquer à la forme des champs.
Il existe cependant des déviations, par rapport à la forme théorique, qui sont
plus sérieuses et plus persistantes. Certains champs sont brusquement tronqués,
d'autres distordus d'une façon systématique, d'autres encore fragmentés. Ces formes
non symétriques demandent une explication d'un type différent :
10 Une forme typique de champ tronqué est représentée sur la figure 2.6 C. L'exemple
peut-être le plus saisissant et le mieux connu de ce type est tiré d'une étude sur la
localisation des comptes bancaires d'El Paso faite par Losch (1954, p. 448). Losch
a pu montrer, à propos d'une banque américaine située sur la frontière des États-
Unis et du Mexique, qu'en 1914 le rayon de son champ était, du côté du Mexique,
seulement la moitié de ce qu'il était du côté des États-Unis.
Mackay (1 958-A) a donné une indication semblable sur l'effet déformant des frontières
politiques. Il a comparé les interactions observées entre Montréal et des villes situées

10 5 10 5

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2
10 3 \0 4 10'

Interactions théoriques [1,8 P ~"ft,0,9]

Fig. 2.7 - Effet de la limite entre le Québec et l'Ontario sur les


interactions, autour de la ville de Montréal.
Source ; MACKA Y, 195B-A, p. 5.

55
LES MOUVEMENTS

tout autour (mesurées par le trafic téléphonique à longue distance) aux interactions
théoriques données par l'emploi d'une formule non linéaire Pjd. Ses résultats montrent
que le trafic entre Montréal et d'autres villes situées dans la province de Québec
(fig. 2.7 A) était de cinq à dix fois plus grand que le trafic entre Montréal et des villes
ayant des valeurs Pjd comparables et situées dans la province voisine, l'Ontario
(fig. 2.7 B). La force avec laquelle la limite de provinces bloquait l'extension du
champ de Montréal était elle-même surpassée par l'effet de blocage de la frontière
internationale, vers le sud. Le trafic avec des villes comparables situées aux États-
Unis était réduit à un cinquantième du trafic intérieur du Québec. La technique
de Mackay permet de mesurer de façon assez claire l'effet de frontières sur le façon-
nement des champs, et il pourrait être utile d'étendre son emploi à d'autres régions.
La troncation peut, cependant, ne pas être seulement un effet des données politiques.
Vance (1962) a montré comment les aires commerciales de onze centres de commerce
régionaux situés dans la région de la baie de San Francisco sont modifiées par la
direction nord-sud des Coastal Ranges, et plus précisément par les droits de péage,
relativement élevés, payés pour la traversée des indentations de la baie elle-même.
Un modèle graphique général, qui prend en compte l'effet de blocage de facteurs
physiques et politiques, a été imaginé par L6sch (1954, p. 341). Quand la limite est
politique, marquée par des augmentations de tarif, le champ potentiel de centre IX
est limité par la distance x, mais la forme réelle du champ tronqué peut varier. La
forme probable est représentée par la figure 2.8 A, si la frontière politique peut être
traversée en tous ses points, par la figure 2.8 B, si elle peut être traversée seulement
en un point {3 (poste de douane). Si la limite n'est pas une frontière politique, mais
une caractéristique naturelle (par exemple une rivière) présentant un seul point de
passage {3, le champ aura probablement la même forme que celui de la figure 2.8 C.

Fig. 2.8 - Effet de frontières sur la taille d'un champ centré sur rl.

Source : lOSCH, 1954, p. 341.

2° La forme des champs distordus peut varier davantage. Applebaum et Cohen


(1961, p. 81) décrivent les aires d'influence des centres commerciaux excentriques
comme ayant une forme parabolique étirée à partir du quartier central des affaires
(C.B.D.). De même, Park (1929) a pu montrer que les champs de diffusion des jour-
naux, dans une partie du centre des États-Unis (Dakota du Sud), s'étiraient asymé-
triquement, à partir des aires de concurrence intense. La figure 2.6 D représente
un cas général de ces types de champs distordus.

56
Mouvement et surface : les concepts de champ et de territoire

Cette asymétrie peut sans doute être en partie conciliée avec les idées d'Isard et
Getis (cf. infra, pp. 64-67) : selon ces auteurs, les champs peuvent apparaître distordus
simplement parce qu'ils sont les transformations de champs qui, rapportés à un
espace non géographique, sont réguliers. Dans le cas particulier des champs de
migration, le sociologue StoufIer (1940) a soutenu que, théoriquement, il ne devrait
en aucun cas exister de champs circulaires, parce qu'il n 'y a pas de liaison détermi-
niste nécessaire entre les migrations et la distance géographique. Son hypothèse
peut être énoncée ainsi :

Dans cette formule, Mij est l'interaction théorique entre la localisation i et la loca-
lisation j, N j le nombre d'occasions situées en j, Nij le nombre d'occasions situées
dans la zone interposée entre i et j, et k une constante. Ce modèle, le modèle des
occasions interposées, affirme que la valeur de l'interaction, sur une distance géo-
graphique donnée, est directement proportionnelle aux occasions situées à cette
distance, mais inversement proportionnelle au nombre d'occasions interposées. Ce
modèle a été employé par Isbell (1944) et par Folger (1953) dans des études menées
sur les migrations intérieures en Suède et dans la vallée du Tennessee (Est des États-
Unis). Dans les deux cas, le modèle des occasions interposées a fourni des prévisions
meilleures que le simple modèle de gravitation.
Le modèle de StoufIer donne une explication adéquate des champs distordus
(fig. 2.6 D), qui tient compte à la fois de la réduction du côté intérieur du champ
(les occasions interposées situées dans le centre plus important entament la surface
potentielle du champ) et de l'extension de son côté extérieur (l'absence d'occasions
interposées laisse au centre du champ la liberté d'étendre son influence de ce côté).
Des modèles plus sophistiqués sont évidemment nécessaires; néanmoins, l'introduc-
tion des champs distordus dans les modèles généraux d'interaction a permis quelque
progrès.
30 Les champs fragmentés consistent en une aire centrale d'un seul tenant et un
ou plusieurs « écarts» qui lui sont fortement liés. La figure 2.6 E suggère la forme
générale d'un tel champ. Hagerstrand (1957, pp. 126-154) a rassemblé plusieurs
exemples régionaux de ce type de champ, à propos de mouvements de migration.
Un des exemples les plus frappants est celui du Varmland, dans le centre de la Suède.
Cette région était le point de départ principal de migrants qui allaient dans des
régions proches et dans une région éloignée de 400 kilomètres, mais pas dans les
régions intermédiaires. D'autres cas de discontinuités semblables sont présentés
par les migrations vers Paris et vers Budapest, au niveau national, et par les concen-
trations d'immigrants allemands dans de petites régions bien particulières d'Amé-
rique du Nord, au niveau international (Johnson, 1941).
Hâgerstrand a constaté que trois facteurs sont communs à tous ces cas: 10 l'impor-
tance de la chaîne d'informations que constituent les relations personnelles; 2° la
division des migrants en éléments actifs et passifs, ces derniers suivant les voies
bien définies qu'ont tracées les premiers; 3° le facteur hasard dans le choix initial
des régions. Il n'était pas possible de construire un « modèle de feedback » compré-

57
LES MOUVEMENTS

hensif, pour tenir compte de l'ensemble des trois éléments, mais Hagerstrand a pro-
posé un modèle à court terme, défini par l'expression

où Mtj est le nombre des personnes qui migrent de i à j, Vj les disponibilités en j,


Ii le niveau d'information, au point de départ i, sur ces disponibilités, Pj la population
du lieu de destination j, et k une constante. Autrement dit, le volume des migrations
est lié à la densité des disponibilités du lieu de destination et au niveau d'information
sur cette densité. La distance, ici, est introduite indirectement, par l'intermédiaire
du niveau d'information, car on dispose vraisemblablement de plus d'informations
sur des lieux très proches que sur des lieux très éloignés. Hagerstrand a testé son
modèle avec des données sur les migrations en Suède, en employant les méthodes
de Monte-Carlo (chap. 10, section 3) pour simuler le choix aléatoire de régions
et leur croissance relative. Une indication sur la remarquable réussite relative du
modèle de feedback est donnée par le tableau 2.4, où ses prévisions sont comparées
à celles d'un modèle simple d'occasions interposées.

TABLEAU 2.4

COMPARAISON ENTRE LE MODÈLE DES OCCASIONS INTERPOSÉES


ET LE MODÈLE DE « FEEDBACK » A PROPOS DE LA PRÉVISION
DE MIGRATIONS 1

Zones de distance (en km)

0-19 20-39 40-59 60-79 80-99

Migrations observées 86 132 42 18 12


Migrations prévues par le modèle :
- des occasions interposées . 105 89 39 2 29 29
- de feedback 89 2
131 2 41 2 17 2 13 2
1

1. Dadesjô, Suède, 1946-1950.


2. Estimations dont l'ècart par rapport aux migrations observées est inférieur à 10 %'

Source: T. HAGERSTRAND, in Lund Studies in Geography, 13, 1957, pp. 125, 133.

Les aires liInitées de mouvement : le concept de territoire


Les champs continus, variables dans le temps, sont la forme dominante d'orga-
nisation des systèmes régionaux, mais ils posent des problèmes administratifs si
ardus que les sociétés établissent des limites (à la place des continuités) et des terri-
toires bien distincts qui ne se chevauchent pas (à la place des champs indistincts et qui
se chevauchent). Les aires politiques sont une réponse évidente à ce problème, mais
non la seule : le diocèse ecclésiastique en Angleterre, l'oblast de planification en

58
Mouvement et surface : les concepts de champ et de territoire

Russie soviétique, l'aire tribale chez les Amérindiens du Brésil sont autant de réponses
à ce problème commun. Certes, il existe des différences entre la paroisse et l'État,
mais l'un et l'autre comportent la notion de propriété, et nous les désignons ici
par le terme général de territoire. Ce concept de territoire se rencontre couramment
en biologie (Howard, 1920; Wynne-Edwards, 1962).

THÉORIE ÉLÉMENTAIRE DU PAVAGE

Quand il s'agit de territoires distincts, le problème fondamental consiste à répartir


efficacement des surfaces entre des centres concurrents; l'efficacité peut se définir de
deux façons : l'efficacité de mouvement, mesurée par la distance entre le centre et
les secteurs périphériques, à l'intérieur du territoire, et l'efficacité des limites, mesurée
par le périmètre du territoire. Ce second critère, important en pratique car il repré-
sente des frais de clôture pour l'exploitation agricole ou des frais de défense pour
l'État, n'est pas pertinent quand il s'agit de champs continus.
Trois principes géométriques ont de l'importance, dans l'application de ces critères
d'énergie minimale à la division d'une surface (Coxeter, 1961) :
10 Les polygones réguliers sont des formes plus économiques que les polygones
irréguliers. Soit par exemple le polygone à quatre côtés; s'il s'agit d'un carré d'un kilo-
mètre carré, le mouvement le plus long (c'est-à-dire le mouvement allant du centre
au point le plus éloigné situé dans le carré) est de 0,707 km; le périmètre est de 4 km.
Si on transforme ce carré en un rectangle de surface égale mais dont deux côtés sont
deux fois plus longs que les autres, le mouvement le plus long atteint l,b3l km,
et le périmètre 5 km. L'expérience montre que plus le contraste est grand entre les
côtés du rectangle, moins ce dernier est économique, tant du point de vue de l'acces-
sibilité à partir du centre que du point de vue de la longueur du périmètre.

0 ® 09

Pavagel
régulier
(treillis) 1
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3 4 5
n = 5 n = 00
Périmètre, en km

Fig. 2.9 - Efficacité de divers types de polygones réguliers. en liaison avec


la distance au centre et la longueur du périmètre.

59
LES MO UVEMENTS

2° Les cercles sont les plus économiques des polygones réguliers. Si on imagine
une suite de polygones réguliers commençant par le triangle (3 angles) : le carré
(4 angles), le pentagone (5 angles), l'hexagone (6 angles), etc., on augmente d'un,
à chaque étape, le nombre de côtés et de sommets. Le cas limite est évidemment
celui du cercle, que l'on peut considérer comme un polygone régulier ayant un
nombre infini de côtés et de sommets. Si on examine cette suite (fig. 2.9 A), on cons-
tate, à surface constante, que l'accessibilité à partir du centre, mesurée par la distance
radiale maximale, s'améliore, et que le périmètre diminue. La liaison entre ces deux
paramètres est représentée graphiquement par la figure 2.9 B; il est important de
noter que les progrès ne sont pas réguliers : l'efficacité du carré est à peu près égale
à la moitié de celle du cercle, et l'efficacité du décagone est à peu près égale à 90 %
de celle du cercle.
3° Les hexagones sont les polygones réguliers permettant le meilleur pavage d'une
surface, celui qui minimise les coûts de mouvement et de limites. La figure 2.10 illustre
le problème que pose Je pavage d'une surface donnée par des champs circulaires

Fig. 2.10 - Formation d'un pavage à partir de centres,


au cours de la colonisation d'une plaine, aboutissant à des
territoires hexagonaux.
Source: LbsCH, 1954, p. 110.

le grisé montre son inefficacité, mesurée par les surfaces inutilisées qui s'étendent
entre les cercles. Le problème du remplissage d'un plan par les polygones réguliers
de surface égale a d'abord été étudié au début du XVIIe siècle par Kepler, qui a indiqué
l'existence de trois solutions : le triangle équilatéral, le carré et l'hexagone régulier.
De ces trois mosaïques régulières (Coxeter, 1961, pp. 61-64), l'hexagone conserve

60
Afouvement et surface : les concepts de champ et de territoire

au mieux les avantages du cercle. En effet, comme le montre la figure 2.9 B, l'effi-
cacité de l'hexagone (n = 6) est à peu près égale aux quatre cinquièmes de celle du
cercle, du point de vue de la distance radiale maximale et du point de vue du périmètre.
Depuis les Grecs, les hexagones ont fasciné les naturalistes et les mathématiciens;
le concept de symétrie hexagonale a joué un rôle clé dans le développement de la
cristallographie, et Thompson (1961, pp. 102-125) a montré son importance dans
l'ensemble des sciences biologiques. Il n'est donc pas surprenant que les deux prin-
cipaux ouvrages théoriques sur les types d'habitat et leurs domaines de subsistance,
Die Zentralen Orte in Süddeutschland, de Christaller (1933, Baskin, 1957) et Die
Riiumliche Ordnung der Wirtschaft, de L6sch (1940; 1954), aient employé l'hexagone
comme module pour leurs modèles de structure de l'habitat. Ces derniers sont
discutés au chapitre 5.
ÉTUDES RÉGIONALES DE PAVAGES
Malgré la grande importance théorique de l'hexagone, on a rarement recherché
l'existence réelle de dispositions en hexagones. Les cartes de territoires tels que
comtés, communes ou États donnent une impression d'irrégularité et de complexité.
A titre de vérification, un échantillon de 100 comtés d'un pays, le Brésil, a été tiré
en employant la méthode des nombres au hasard, et ses caractéristiques de pavage
étudiées. Puisque ce pays avait, en 1960, quelque 2800 comtés (municipios) et puisque,
à la différence des États-Unis qui ont leur système de township and range (cf. pp. 103-
104), il n'a pas disposé ses unités administratives selon des lignes géométriques,
le Brésil représente, pour une telle vérification, un échantillon que l'on peut raison-
nablement considérer comme sans biais.
Un indice simple de forme, S, a été employé pour mesurer les caractéristiques
de forme de l'échantillon brésilien :
S = (1,27 A)/1 2
Dans cette formule, A est la surface du comté en km 2, et 1 la longueur du grand
axe du comté, défini comme étant le segment de droite joignant les deux points du
périmètre les plus distants l'un de l'autre. Le multiplicateur (1,27) règle l'indice de
façon qu'il ait la valeur 1 pour un cercle, et des valeurs allant de 1 à zéro en général.
20
Pavage Pavage
carré hexagonal
,'"'"
Ë
o
U\O
'"
"0

.Ci'"
E
zo 0 "----'--_ _. L - -'-- - - ' -_ _- ' - - ' -_ _- ' - - '

o ~o O~ o~ o~ ~
Indice de forme, S

Fig. 2.11 - Caractéristiques de forme d'un échantillon de


100 comtés du Brésil. Les parties de la distribution sont rappor·
tées aux pavages réguliers.

61
LES MOUVEMENTS

Les valeurs réelles obtenues par cette méthode sont représentées sur la figure 2.11;
elles vont de valeurs aussi faibles que 0,06 (pour des comtés très allongés) à des
valeurs aussi élevées que 0,93 (pour des comtés compacts, quasi circulaires). Dans
ce système de mesure, les valeurs obtenues pour les trois pavages réguliers (ou treillis)
sont: 0,42 pour le pavage triangulaire, 0,64 pour le pavage carré et 0,83 pour le pavage
hexagonal; des lignes limites sont interpolées sur la figure 2.11, de façon à diviser
la distribution en trois parties définies par rapport à ces valeurs. Les résultats sug-
gèrent avec force la nature, généralement allongée, des comtés. Cependant, la possi-
bilité d'une correspondance des limites entre pavages avec des solutions de conti-
nuité existant dans la distribution de fréquences peut suggérer que les formes tendent
à se grouper autour des trois mosaïques possibles proposées par Kepler.
Une deuxième caractéristique associée à la mosaïque hexagonale régulière est le
nombre de contacts entre un territoire quelconque et les territoires adjacents. Dans
un système hexagonal régulier, le nombre de contacts serait évidemment 6, étant donné
qu'une aire serait contiguë à ses 6 voisines, dont chacune aurait à son tour 6 voisines.
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Nombre de contacts Densité de population

Fig. 2.12 - A. Histogramme des nombres de contacts de 100 comtés du Brésil. - B. liaison
entre les nombres de contacts et la densité de population.

Les comtés qui touchent les côtes et les frontières internationales, ayant des champs
tronqués, ont été éliminés de l'échantillon; les 84 comtés restants ont été examinés
et leurs nombres de contacts enregistrés. La courbe de fréquence des résultats (fig.
2.12 A) montre que près d'un comté sur trois a exactement six voisins, bien que le
nombre de contacts varie de deux à quatorze. Le nombre de contacts moyen de
l'échantillon est 5,71. Ce résultat est, de façon frappante, proche du nombre 6 corres-
pondant à 1'hexagone proposé par Christaller et L6sch; ce fait donne à penser qu'on
s'est peut-être trop hâté de critiquer, le trouvant trop théorique, le système hexa-

62
Mouvement et surface : les concepts de champ et de territoire

gonaI. Des comptages préliminaires d'aires administratives, en France et en Chine,


confirment que le chiffre obtenu pour le Brésil n'est pas exceptionnel, mais on devra
pousser plus loin les recherches pour être sûr d'avoir isolé une constante de l'orga-
nisation territoriale.
Dans l'échantillon brésilien, les comtés ayant une forte densité de population
formaient un pavage plus serré et avaient donc un nombre de contacts plus grand
que les aires faiblement peuplées. La figure 2.12 B représente graphiquement la liaison
entre l'indice de contacts (nombre de contacts/surface du comté) et la densité de
population de chaque comté; elle est positive. Cette liaison a été étudiée, pour une
période de quatre-vingt-dix ans, pour un des États du Brésil (Santa Catarina) : à
mesure que la densité de population augmentait, les comtés sont devenus plus petits
(fig. 2.13) et les nombres de contacts se sont élevés de 3,50 en 1872 à 5,22 en 1960.
Le fait que les nombres sont faibles, pour cette dernière période, par rapport à ceux
obtenus pour le reste du Brésil, est dû à la nature de l'échantillon : tous les comtés
(y compris ceux qui sont situés sur les côtes et sur les limites d'États) ont été étudiés.
Reste à voir jusqu'à quel point on peut interpréter de façon rationnelle l'augmen-
tation, dans le temps, de la conformité avec la théorie de 1'« énergie minimale ».

Fig. 2.13 - Progression de la division territoriale d'un carré échan-


tillon (G = 4,9) situé dans l'État de Santa Catarina, Brésil: A. 1872.
- B. 1907. - C. 1930. - D. 1960.
Source: BUCHÉLE, 1958.

63
LES MOUVEMENTS

LES MODIFICATIONS DU MODÈLE HEXAGONAL

Isard (1956) a montré que le schéma régulier, formé d'hexagones de surface égale,
proposé par Christaller et Losch, a peu de chances de se réaliser en pratique. Par
suite de la forte densité de population postulée par Losch dans le noyau central,
la taille de l'aire de marché doit vraisemblablement y être plus petite; loin du noyau
central, elle doit être plus grande. Isard a présenté un dessin (fig. 2.14) qui conserve
autant que possible les hypothèses du système de Losch, mais qui introduit cette
idée de centres définissant un pavage plus serré près du point de polarisation général.

fig. 2.14 - Système de lerritoires hexagonaux, modifiés par l'existence d'une


agglomération, selon Losch.
Source : ISARD. 1956. p. 272.

On éprouve la plus grande difficulté à se servir de la forme hexagonale, et, comme


la figure le montre, il est impossible de conserver à la fois 1'hexagone et les « éco-
nomies d'urbanisation ». Pour Isard, l'hexagone est un pur concept, comme la
« concurrence parfaite» des économistes. Il perd sa signification, en tant que forme
spatiale, dès que les inéluctables forces d'agglomération - elles-mêmes inhérentes
au système de Losch - peuvent agir.
Une confirmation du changement de la taille des territoires avec l'éloignement
des centres urbains de forte densité est fournie par le Brésil. En employant le même
échantillon de 100 comtés brésiliens (cf. supra, pp. 61-63), on a étudié la relation

64
Mouvement et surface : les concepts de champ et de territoire

entre la taille des territoires et la densité de population. On a ainsi constaté que la


distribution des surfaces des comtés était approximativement log-normale, allant
de quelques très grandes surfaces (par exemple, Sena Madureira, dans le territoire
d'Acre, en haute Amazonie, a une surface de 46 000 km 2) à des surfaces aussi faibles
que celles des circonscriptions de Londres, dans la région de Rio de Janeiro. La taille
des comtés est en corrélation assez forte, mais inverse, avec la densité de population
(fig. 2.15), de sorte que les champs étendus se rencontrent dans les régions faiblement
peuplées, tandis que les petits champs caractérisent les régions de population dense.

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Densité de population, en hab. / km 2

Fig. 2.15 - Liaison entre la taille et la densité de population de 100 comtés du Brésil.
choisis par échantillonnage.

D 'ailleurs, c~ phénomène n'apparaît pas comme limité au Brésil : les cartes des
comtés des Etats-Unis, ou les cartes des paroisses de Grande-Bretagne, indiquent
une tendance généralement semblable.
Une deuxième confirmation de la modification proposée par Isard est donnée
par une étude de Getis (1963) sur la partie sud-est de la ville de Tacoma, située aux
États-Unis. Getis a étudié la répartition des magasins dans cette aire urbaine, en
se référant à la théorie de la localisation; il a constaté que le schéma géographique
« normal» présenté par les divisions régulières du système de township and range

65
LES MOUVEMENTS

(fig. 2.16 A) ne suggérait guère l'existence de constantes dans la répartition des


magasins dans l'ensemble de l'aire. Il a calculé le montant des revenus, pour chacune
des 48 cases situées dans cette aire, et dessiné une carte (fig. 2.16 B) où la taille de
chaque case est proportionnelle à la somme des revenus de ses habitants. Ainsi,
la case IX, où les revenus sont élevés, a une grande surface, et la case {3, où les revenus
sont bas, a une petite surface. Sur cette carte, la répartition des magasins se montre
beaucoup plus régulière.

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Fig. 2.16 - Transformation de cartes traditionnelles en espace de revenus et espace de popu-


lation ; A et B. Transformation d'un secteur échantillon (G = 7,2) de la ville de Tacoma,
aux ~tats-Unis, en carte d'espace de revenus. - C et D. Transformation du Sud de l'Angle-
terre (G = 3,8) en carte d'espace de p'opulation.
Sources: GETIS, 1963, pp. 18,20; The Times, Londres, 19 octobre 1964, p. 18.

Il est clair que la taille et la forme générale des deux cartes sont les mêmes: seules
ont changé les divisions internes, les cases. Getis a réalisé une transformation de
l'espace normal, ou géographique, en un espace de revenus. Comme Tobler (1963)

66
Mouvement et temps : le concept de diffusion

l'a montré, il existe plusieurs projections ou transformations de ce genre, qui pourraient


s'avérer utiles pour tester la théorie de la localisation. A propos d'un espace de
population concernant le Sud de la Grande-Bretagne, la figure 2.16 C représente
la forme géographique familière, et la figure 2.16 D une transformation de cette
forme, faite sur la base du nombre des citoyens inscrits dans les districts électoraux
en 1964; le changement relatif de la taille des comtés de Norfolk (y) et de Londres
(b) montre l'importance de la distorsion; dans ce cas, on a conservé la contiguïté
entre districts électoraux, mais on a admis une distorsion des contours de l'aire
représentée.
On a pu soutenir, tant d'après l'étude d'Isard que d'après celle de Getis, qu'il
ne faut pas s'attendre, en général, à voir des territoires hexagonaux réguliers à la
surface de la terre, car ils se rapportent non à l'espace géographique, mais à l'espace
de population ou à l'espace de revenus. On peut donc penser que les hexagones
sont latents dans la plupart des manifestations de l'organisation humaine, mais que
c'est seulement par des transformations appropriées de l'espace géographique qu'on
a des chances de rendre leur forme visible.

4. MOUVEMENT ET TEMPS : LE CONCEPT DE DIFFUSION

ttudes régionales de diffusion

L'étude des phénomènes de diffusion représente une part importante de la recherche


géographique des cent dernières années. Exposant le développement de la géographie
historique aux États-Unis, Clark (in James, Jones et Wright, 1954, p. 86) a indiqué
l'importance prise à cet égard par 1'« école de Berkeley», sous l'impulsion de
Carl Sauer. Sauer lui-même a fourni une importante étude de diffusion, à l'échelle
mondiale, avec son ouvrage : Agricultural Origins and Dispersals; ses élèves (par
exemple Stanislawski (1946), qui a étudié la diffusion de la ville à plan en damier
à travers les Amériques) ont suivi la trace de l'homme et de ses innovations dans
un vaste cadre spatial et temporel.
C'est aux États-Unis que l'historien Frederick Jackson Turner a développé son
grand thème de la (( frontière » dans l'histoire américaine, thème repris par Webb
(1927) dans son étude régionale classique sur les prairies du centre des États-Unis,
The Great Plains. La thèse de Turner sur la frontière était simple. Il voyait la marée
des innovations progressant inexorablement du centre vers l'extérieur : « Arrêtez-
vous au col du Cumberland, et observez le cortège de la civilisation, marchant à la
file indienne - le bison suivant la piste vers les sources salées, l'Indien, le chasseur-
marchand de fourrures, l'éleveur de bétail, l'agriculteur-pionnier - et la frontière
est passée. Arrêtez-vous au South Pass, dans les Rocheuses, un siècle plus tard,
et voyez le même cortège, passant à intervalles plus grands» (Turner, 1920, p. 12).
Gulley (1959) et Mikesell (1960) ont montré comment les idées de Turner se sont
répandues rapidement hors de l'Amérique du Nord. Elles ont été appliquées avec
enthousiasme, mais sans discernement, à des mouvements aussi dissemblables que

67
LES MOUVEMENTS

la colonisation de la Sibérie par les Russes et l'occupation de l'Europe par les


Romains, et ont largement couvert, dans le temps et l'espace, les migrations humaines.
Comme le cycle davisien en géomorphologie, le concept de frontière a été affaibli
par son extension à des aspects de l'évolution historique qui allaient bien au-delà
de son champ d'application; au cours des dernières années, il a subi de sévères cri-
tiques de la part d 'historiens. Néanmoins, il a joué un rôle important dans le déve-
loppement de la géographie humaine, entre les deux guerres mondiales. Aux États-
Unis, Isaiah Bowman a animé une école active, qui s'est intéressée aux fronts pion-
niers situés dans diverses parties du monde; les résultats, publiés par l'Americ-
an Geographical Society, par exemple The Pioneer Fringe (Bowman, 1931) et
Pioneer Settlement (Joerg, 1932), sont devenus des classiques de cette période. Après
la guerre, la puissante vague d'urbanisation a entraîné un affaiblissement de l'intérêt
pour l'extension du peuplement rural, à quelques remarquables exceptions près
(cf. par exemple Parsons, 1949; Farmer, 1957).
De leur côté, les sociologues se sont intéressés à la propagation des idées dans
une société, au rôle des leaders dans le lancement des innovations, et au problème
de la résistance au changement. Rogers (1962) a passé en revue quelques centaines
d'études de ce genre, dont une grande part est consacrée à l'innovation technique
dans les communautés agricoles des États-Unis, mais dont certaines remontent
dans le passé jusqu'à inclure les vitesses de diffusion au Néolithique (Edmondson,
1961). La liaison entre ce type d'étude sociologique (très proche des études de marché
et de résistance aux ventes), la recherche historique de l'école de Turner et les études
géographiques sur la diffusion faites par l'école de Berkeley, a été établie par un
groupe de géographes suédois.

Les modèles de diffusion


Les travaux faits en Suède sont particulièrement importants en géographie humaine,
tant pour leurs résultats de détail, trouvés empiriquement dans une des régions
d'Europe où les mouvements de population ont été enregistrés le plus longtemps
et avec le plus de précision, que pour leur contenu théorique. En gros, deux sortes
de modèles ont été élaborés: un modèle inductif, qui essaie d'organiser l'information
existante autour de la forme géographique des ondes de diffusion, et un modèle
stochastique, qui propose un mécanisme propre à les expliquer.

LES MODÈLES INDUCTIFS

Hagerstrand (1952) a proposé un modèle à quatre stades pour étudier le passage


de ce qu'il appelle les « ondes d'innovation» (innovationsforloppet). A partir des
cartes isarithmiques de la diffusion de diverses innovations en Suède, allant des
lignes d'autobus (Godlund, 1956) aux méthodes agricoles, il a construit une série
de profils transversaux. L'étude des profils a suggéré l'existence de certains schémas,
qui se répètent dans le processus de diffusion. La figure 2.17 A représente un profil,
où le taux d'innovation, c'est-à-dire la proportion de la population possédant l'élé-

68
Mouvement et temps : le concept de diffusion

ment nouvellement introduit, est porté en ordonnée, sur l'échelle logarithmique,


la distance étant portée en abscisse; le point oc est le centre d'innovation, et les points
fJ et y sont des localisations de plus en plus éloignées de ce centre.

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Fig. 2.17 - Profils hypothétiques (A) et réels (B) d'ondes d'innovation.


Source: HÂGERSTRAND, 1952, pp. n, 17.

Les quatre stades sont indiq ués par les profils 1 à IV sur la figure 2.17 A : le stade
1, appelé stade primaire, montre le début du processus de diffusion, avec un fort
contraste entre les centres innovateurs et les zones éloignées; le stade Il, ou stade
de diffusion, représente le processus de diffusion proprement dit, dans lequel existe
un fort effet centrifuge, avec la création de nouveaux centres en croissance rapide
dans les zones éloignées et une diminution des forts contrastes régionaux du stade 1;
au stade III, ou stade de condensation, l'augmentation relative est égale dans les trois
localisations; au stade IV, ou stade de saturation, il existe une augmentation générale
mais lente, asymptotique, vers le maximum réalisable dans les conditions existantes.
La figure 2.17 B, illustration de ce processus, représente la diffusion d'une innovation
récente (les récepteurs radio) le long d'un profil allant de Malmo à Hassleholm,
dans le Sud de la Suède, entre 1925 et 1947. Le stade de saturation paraît atteint
vers 1945.

LES MODÈLES STOCHASTIQUES

Le modèle des ondes d'innovation de Hagerstrand VISaIt, en grande partie, à


constituer une synthèse descriptive des nombreux cas particuliers de mouvements
de diffusion dans le temps décrits par les historiens et les sociologues. Depuis 1952,
Hagerstrand a continué à étudier les ondes de diffusion, en employant des méthodes
dynamiques de simulation, parmi lesquelles la méthode de Monte-Carlo joue un
rôle important. Ce modèle de feedback a été discuté de façon générale ci-dessus
(pp. 57-58); les fondements de la méthode de Monte-Carlo sont exposés dans la
section 3 du chapitre 10.

69
LES MOUVEMENTS

Le modèle stochastique de diffusion qui est peut-être le plus simple a son origine
dans les travaux de Neyman et Scott (1957). Ces derniers présentent l'idée que la
distribution spatiale d'une population sur un « plan d'habitat}) de base dépend
du jeu réciproque de quatre forces : 1° la distribution aléatoire de « centres de grou-
pement }) où naissent les enfants d'une génération; 2° la variation aléatoire du nombre
des enfants; 3° les mécanismes aléatoires de dispersion; 4° le mécanisme aléatoire
de survie jusqu'à un moment fixé à l'avance. Critiquant cette démarche, Skellam
a fait remarquer que ce processus aléatoire conduirait, à la longue, à une distri-
bution leptocurtique normale, et qu'il est nécessaire d'introduire un mécanisme
dépendant de la densité, pour empêcher la formation de densités excessives dans le
centre.
Ce procédé stochastique d'étude des processus de diffusion a des implications
importantes en dehors de la géographie humaine. La Mathematical Theory of Epi-
demies, de Bailey (1957), emploie la théorie des probabilités pour prévoir la pro-
pagation des maladies, et Hagerstrand (1953, 1957) utilise des techniques semblables
pour rendre compte de la propagation des idées. La figure 2.18 représente six stades
de la diffusion de l'information, d'après un modèle de propagation aléatoire. Dans

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Source: HÂGERSTRAND, 1953; BUNGE, 1962, p. 118.

ce cas, le schéma, bien que théorique, ressemble fort aux schémas historiques réels
de diffusion (du peuplement, des voies de communication, des zones d'utilisation)
décrits dans les chapitres suivants.

70
Mouvement et temps : le concept de diffusion

U ne des plus intéressantes applications des idées de Hagerstrand sur les ondes de
diffusion a été faite par Yuill (1965), qui a employé la méthode de simulation de
Monte-Carlo, programmée pour un ordinateur I.R.M. 7090. Yuill a étudié l'effet
de quatre types d'obstacles sur la diffusion de l'information à l'intérieur d'une
matrice de quelque 540 cases, en employant une grille mobile de 9 cases (à comparer
avec la grille mobile de 25 cases représentée sur la figure 4.7). La figure 2.19 A repré-
sente la grille mobile de 9 cases, où les cases-obstacles sont en pointillé, les émetteurs
représentés par de gros points, et la diffusion (c'est-à-dire l'émission de l'information)
par des flèches. Quatre types de cases-obstacles sont envisagés, et rangés par ordre
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Longueur de l'obstacle. en cases

Fig. 2.19- A. Quatre types de cases obstacles employés dans le modèle de simulation.
- B. Ondes de diffusion passant à travers une ouverture pratiquée dans un obstacle
en forme de barre. - C. Ondes de diffusion passant autour d'un obstacle en forme
de barre. - D. Vitesses de reconstitution autour d'obstacles en forme de barres.
Source : YUILL, 1965, pp. 19, 25, 29.

décroissant d'après leur efficacité en tant qu'obstacles: le type l, obstacle « très


absorbant », absorbe la diffusion et détruit les émetteurs; le type II, obstacle « absor-
bant », absorbe la diffusion mais n'affecte pas les émetteurs; le type III, obstacle

71
LES MOUVEMENTS

« réfléchissant », n'absorbe pas la diffusion mais permet à l'émetteur de lancer


une nouvelle diffusion au cours de la même génération (voir les flèches); le type IV,
obstacle « directement réfléchissant» ou « miroir », n'absorbe pas la diffusion
mais la réfléchit vers la plus proche des cases accessibles à l'émetteur. Chaque situa-
tion a été programmée séparément, et les résultats portés sur un graphique par
l'imprimante de l'ordinateur. La figure 2.19 B représente la progression d'une onde
linéaire de diffusion à travers un trou pratiqué dans un obstacle en forme de barre;
la « vitesse de reconstitution» (c'est-à-dire le nombre de générations, f o, fI' ... fn)
a été enregistrée, pour différents types d'obstacles et différentes largeurs du trou;
dans le cas représenté, la forme du front de l'onde est reconstituée à peu près à la
onzième génération (tu)' Une variante de l'obstacle en forme de barre est représentée
sur la figure 2.19 C : l'onde de diffusion passe autour d'une barre, et se reforme au
bout de neuf générations environ. Ici, la vitesse de reconstitution est directement
liée à la fois à la longueur et au type de l'obstacle; la courbe correspondant au
type l (obstacle très absorbant) contraste fortement avec celles qui correspondent
aux trois autres types (fig. 2.19 D).
Bien que les résultats obtenus aient été limités par le nombre des postulats et par
la taille de l'ordinateur, cette étude de Yuill a révélé les possibilités passionnantes
de la simulation, qui intéressent directement les spécialistes de géographie historique.
On a longtemps discuté du rôle des Appalaches, des Blue Mountains, ou de la Serra
do Mar comme freins des mouvements d'expansion du peuplement vers l'intérieur,
à partir des lignes de base que constituaient les côtes américaine, australienne et
brésilienne; l'étude de Yuill permet de penser qu'il est possible d'élaborer des modèles
de simulation plus compliqués, qui pourraient donner des réponses plus précises
à ces questions. A l'aide de pondérations plus complexes calculées d'après le milieu
(cf. par exemple Chorley et Haggett, 1965-A, p. 113), on peut employer une série
de modèles de simulation complexes, ajustés à des conditions différentes, réelles
ou hypothétiques, à peu près de la même façon que les modèles hydrologiques expé-
rimentaux d'estuaires et de deltas.

72
La localisation des voies de communication
La densité des réseaux
Chapitre 3
Les modèles de transformation des réseaux

LES RÉSEAUX

Beaucoup des mouvements considérés au chapitre 2 ne sont pas bornés, en ce sens


qu'ils peuvent s'écouler librement dans n'importe quelle direction; en fait, la plupart
des mouvements sont limités, « canalisés» d'une façon ou d'une autre. Ainsi, même
les routes aériennes sont, comme Warntz l'a montré à propos de l'Atlantique-Nord
(1961), partiellement « canalisées », et la plupart des mouvements suivent des voies
précises : routes, oléoducs, fils téléphoniques... Ces caractéristiques elles-mêmes
posent des problèmes de localisation distincts, considérés ici comme faisant partie
d'une catégorie générale, celle des problèmes de réseaux. Parmi les publications
concernant la localisation des réseaux, on trouve des études anciennes classiques
(par exemple celle de Lalanne, 1863), mais ce thème a été curieusement négligé dans
les ouvrages traitant de la théorie de la localisation. Actuellement, il est de plus en
plus étudié, tant en géographie humaine qu'en géographie physique.

73
1. LA LOCALISATION DES VOIES DE COMMUNICATION

La théorie des voies de communication est une des parties les moins élaborées
de la théorie de la localisation; dans ces pages, nous essayons de coordonner quelques
fragments plutôt que d'exposer un système complet. Nous étudierons d'abord la
localisation de la composante la plus simple, la voie isolée, puis la forme du réseau
de voies.

La localisation de la voie isolée

Supposons la construction d'une voie de communication entre deux points de


peuplement rx et {J. La réponse intuitive au problème de localisation : « où construire
la voie de communication? » est tout simplement : « joindre les points par une ligne
droite» (fig. 3.1 A). Cependant, quand on observe la localisation réelle des voies
de communication, on constate qu'à très peu d'exceptions près toutes celles qui
joignent des centres peuplés suivent un tracé plus ou moins complexe, qui présente
des déviations, au moins légères, par rapport à la solution géométrique constituée
par la ligne droite. Deux types de déviations ont été particulièrement soulignés
dans la théorie de la localisation.

LES DÉVIATIONS POSITIVES

Un premier type de déviation - l'allongement de l'itinéraire afin de collecter


plus de fret - , appelé ici déviation positive, a été étudié dans un ouvrage ancien
de Wellington, The Economie Theory of the Location of Rai/ways (1887). Wellington,
ingénieur des mines, a travaillé pendant quelque temps, au cours du troisième quart
du XIXe siècle, à l'organisation du système de voies ferrées, au Mexique, et s'est
particulièrement intéressé aux divers tracés possibles entre la capitale Mexico et le
port de Veracruz, situé sur le golfe du Mexique (Wellington, 1886).
La difficulté principale, dans ce cas, résidait dans l'estimation des conséquences
du fait qu'on rattacherait ou non à la ligne les petits centres situés entre Mexico
et Veracruz, le long du tracé général. Le dilemme, représenté sur la figure 3.1, est
essentiellement un problème d'optimisation de la relation entre la longueur de la voie
ferrée (optimum: la plus courte) et le montant du trafic (optimum : le plus grand).
A partir des données rassemblées, Wellington a avancé trois propositions fonda-
mentales : 1° si tous les points intermédiaires ont la même capacité de production,
et s'ils sont espacés également, le trafic varie comme le carré du nombre de points
desservis; 2° si tous les points intermédiaires sont de « petites villes de province»
dépourvues de voie ferrée concurrente, placer la gare à l'écart d'une ville a pour
conséquence de réduire le revenu brut de 10 % pour chaque mile de distance entre
la gare et le centre de la ville; 3° si les points intermédiaires sont de « grandes villes
industrielles» pourvues de possibilités ferroviaires concurrentes, la perte est encore
plus rapide : réduction de 25 % pour chaque mile de distance entre la gare et le
centre de la ville.

74
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Longueur: 1.46 Trafic: 1

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Longueur: 1 Trafic: 0,61 Longueur: 1,32 Trafic: 0,85

Fig. 3.1 - Tracés possibles entre deux points. méconnaissant les centres intermédiaires (A). mini-
misant la longueur (6). maximisant le trafic (C). et optimisant la longueur et le trafic (D).

Les solutions extrêmes du problème, posé dans l'abstrait, sont: minimiser la lon-
gueur de la ligne (fig. 3.1 B), ou maximiser le trafic (fig. 3.1 C). Si on suppose à la
fois que la distance en ligne droite, de CL à {J, est égale à l, et que le trafic maximal en
provenance des villes intermédiaires (cercles creux) et des villes industrielles( cercles
pleins) est égal à l, alors la première solution réduit le trafic à 0,61, et la seconde
fait passer la longueur de la voie ferrée à 1,46. Un compromis entre ces deux solutions
(fig. 3.1 D), obtenu en reliant seulement les centres industriels, maintient le trafic
à 0,85 et fait passer la longueur de la voie ferrée à 1,32 seulement.
L'intérêt de cette étude ancienne réside moins dans les résultats concrets que dans
l'illustration du type de problème rencontré lors de la construction des voies de
communication. Les statistiques utilisées par Wellington étaient d'une exactitude
douteuse, même pour le Mexique du XIX e siècle, et leur emploi, comme celui des
distances radiales de Thünen (chap. 6, section 2), vaut surtout à titre d'exemple.
D'autre part, c'est surtout au milieu et à la fin du XIX e siècle que se posait le pro-
blème de la localisation des voies ferrées, plutôt que de nos jours; peut-être est-ce
dans ce contexte historique qu'il faudrait examiner les principes de la localisation
des voies ferrées dans la plupart des systèmes ferroviaires existant dans le monde.

LES DÉVIATIONS NÉGATIVES

Le deuxième type de déviation, appelé ici déviation négative, doit son existence
à la nécessité d'éviter certains obstacles ou de minimiser la distance parcourue à travers
des zones où les transports coûtent cher.
August Losch (1954, p. 184) a discuté de l'application des « lois de la réfraction»
à l'étude de la localisation des voies de communication. La figure 3.2 représente
deux applications typiques de la loi de Snell (Sears et Zemansky, 1964, p. 842) dans
un contexte simplifié. Le problème est de trouver un itinéraire tel qu'un produit
puisse être expédié à un prix aussi bas que possible du lieu ri.. au lieu ~, et de localiser
un port sur la côte, que l'on suppose partout favorable à la construction d'un port.

75
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fig. 3.2 - Lois de la réfraction appliquées à la localisation des itinéraires.
Source: LOSCH, 19S4, p. 184.

L'itinéraire direct de a. à ~ franchit la côte en y (fig. 3.2 A). Si on introduit un facteur


concret, le coût du transport, on sait qu'il n'est pas le même par voie de terre et
par voie maritime. Losch montre que la localisation du port correspondant aux
moindres coûts de transport est le .point où :

ft sin x - /2 sin y = 0

Dans cette formule, x et y sont les angles que les deux voies de transport font avec
la côte, ft et /2 les tarifs de transport. On obtient ainsi le site portuaire correspondant
aux moindres coûts, , (fig. 3.2 C). Plus le coût de transport par chemin de fer est
élevé par rapport au fret maritime, plus la localisation du port se rapproche de 15;
inversement, si le fret maritime augmente, le point optimal de transbordement se
déplace vers e (fig. 3.2 B).
La figure 3.3 représente une application plus complexe du même principe de réfrac-
tion : il s'agit du problème du choix, entre ex et {J, d'un itinéraire qui doit franchir
une chaîne de montagnes (figurée en grisé). Ici encore, le coût par kilomètre de la
voie de communication est beaucoup plus faible en plaine qu'en montagne, de sorte

fig. 3.3 - Cas d'itinéraire réfracté.


Source: LtlSCH, 1954, p. 186.

76
La localisation des voies de communication

que le tracé direct n'est pas le moins cher. Plus est élevé le coût de la traversée de
la zone montagneuse (ou plus est grand 1'« indice de réfraction» dans l'analogie
faite par L6sch), plus le tracé de moindre effort est dévié vers le sud (fig. 3.3 B).
Ici encore, la localisation finale de compromis (fig. 3.3 C) dépend des coûts de cons-
truction et d'utilisation dans les deux milieux, plaine et montagne.
De peur que cet exemple ne semble trop théorique, L6sch rappelle le « détour-
nement» par la route du cap Horn, au XIXe siècle, d'une grande partie du commerce
entre la côte est des États-Vnis et la Californie; ce détour ajoutait quelque 15000 km
à la distance en ligne droite, par voie de terre, à travers les États-V nis. V n cas abso-
lument semblable s'est présenté au Xxe siècle : le projet de canal à travers l'isthme
de l'Amérique Centrale. Deux itinéraires principaux étaient envisagés, l'un par le
Nicaragua, l'autre par le Panama; c'est l'itinéraire septentrional (Nicaragua) qui
aurait le plus réduit la distance par mer entre l'Est et l'Ouest des États-Vnis, mais
cette économie était insignifiante, comparée à l'économie sur les coûts de construc-
tion obtenue en choisissant le Panama, où l'isthme est plus étroit. Ici encore, le
rapport des coûts a été déterminant. Si le coût du transport maritime avait été beau-
coup plus élevé, les avantages d'un itinéraire plus septentrional auraient pu être
décisifs. Du fait que des navires autres que ceux des États-V nis devaient utiliser le
canal, la décision était beaucoup moins facile à prendre en réalité, mais l'idée de
L6sch reste, fondamentalement, valable. Specht (1959) a attiré l'attention sur les
coûts de traversée par ferry et sur ses conséquences, telles que 1'« inflexion» des
itinéraires autour du lac Michigan; un exemple à plus petite échelle, mais tout aussi
pertinent, est l'orientation des ponts traversant des voies ferrées. A moins qu'une
route ne soit extrêmement importante, le pont franchit la voie ferrée à angle droit
ou presque droit, en déviant par rapport à la direction générale de la route de chaque
côté du pont. L6sch dirait que c'est la conséquence du très fort pouvoir de réfrac-
tion ou d'inflexion qu'ont les coûts de construction sur le tracé rectiligne de la route.
L6sch voit, dans le parallèle évident entre la loi économique et la formule de
réfraction de la lumière et du son, moins le signe que le comportement des hommes
se conforme à des principes de physique, qu'un principe général de moindre résis-
tance (chap. 2, section 1) : « Toute l'histoire des sciences de la nature, écrit-il, est
parcourue par le principe du moyen le plus simple ou de la moindre résistance (lex
parsimoniae); il s'agit de l'hypothèse selon laquelle les phénomènes naturels atteignent
leur but par le chemin le plus court» (L6sch, 1954, p. 184).
Des études empiriques de voies de communication particulières, comme celle de
Vance (1961) sur le contraste entre les tracés de la piste de l'Oregon et de la ligne
de l'Vnion Pacific à travers les montagnes Rocheuses, ou comme celle de Monbeig
(1952) sur les voies de communication qui traversent la Serra do Mar dans le Sud-Est
du Brésil, montrent qu'en aucun cas la localisation ne fut aussi simple que la géo-
métrie de Lûsch ne le suggère, mais il est tout aussi vrai que jamais son influence
ne paraît absente.

77
La localisation des réseaux de voies

LES CONCEPTS DE DISTANCE MINIMALE

Bunge (1962) s'est beaucoup inspiré des concepts de la partie la plus fondamentale
de la géométrie, la topologie, pour mettre en lumière les caractéristiques des réseaux
de transport. Il avance l'idée que, s'il est aisé de construire une voie de communi-
cation qui relie cinq centres, la question de « l'itinéraire le plus court» ne peut être
résolue aussi simplement que dans les problèmes examinés ci-dessus, relatifs à deux
points seulement. La figure 3.4 illustre l'affirmation de Bunge : six réseaux de lignes
ont été tracés, dont chacun représente une réponse différente à cette question.

Fig. 3.4 - Définitions possibles de réseaux de distance


minimale.
Source: BUNGE, 1962, pp. 183-189.

Le premier réseau est le réseau de distance minimale qui permet de partir d'un
point particulier et d'aller en tous les autres en faisant le plus petit parcours total :
solution qualifiée par Bunge de « réseau Paul Revere ». La figure 3.4 B représente
un problème de distance semblable, le problème du circuit le plus court passant
par cinq points : « problème du voyageur de commerce ». Les deux définitions sui-
vantes (figures 3.4 C et 3.4 D) sont données pour des réseaux plus complets; la
première pour une liaison hiérarchique entre un point déterminé et tous les autres,
et la seconde pour un réseau complet reliant chaque point à tous les autres. Si on
examine cette dernière solution, elle apparaît comme la réponse complète à notre
problème de réseau, en ce sens qu'on y trouve toutes les lignes possibles utilisées
dans les trois solutions précédentes. Quant (1960) et d'autres auteurs font cer-

78
La localisation des voies de communicat,lfI,

tainement cette supposition quand ils considèrent qu'un réseau de transport optimal
comporte des liaisons assurant une connexion totale du réseau.
Toutefois, comme Bunge le fait observer, l'ensemble le plus court de lignes reliant
les cinq points ne comporte en fait aucun des éléments représentés sur les schémas
précédents; cette solution est représentée sur la figure 3.4 E. On peut la trouver
analytiquement, ou en utilisant des modèles analogiques de type mécanique ou de
type « bulles de savon» (Miehle, 1958; Silk, 1965); les intersections qu'elle présente
ne coïncident avec aucun des points initialement définis. Enfin, la figure 3.4 F illustre
le cas topologique général d'un réseau de lignes reliant cinq points, tel que Beckmann
l'a présenté (Bunge, 1962, p. 189). L'étude de ce dernier schéma montre que les deux
cas précédents - le réseau totalement connecté (D) et le réseau de liaisons le plus
court (E) - ne sont que des cas limites particuliers du réseau général de Beckmann.

LES APPLICATIONS PRATIQUES DES PLANS DE RÉSEAU OPTIMAL

Parmi les définitions simples de réseaux de distance minimale, celle du type « voya-
geur de commerce» (fig. 3.4 B) a très souvent attiré l'attention. S'il est facile de
trouver la solution quand il s'agit seulement de cinq points, les problèmes de calcul
deviennent énormes pour des nombres plus grands de points. Par exemple, il y a
479002000 solutions au problème de la figure 3.5 : quel est le circuit le plus court
reliant les treize villes de l'Ouest des États-Unis représentées sur la figure? Une

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Fig. 3.5 - Circuit le plus court passant par treize
grandes villes de l'Ouest des États-Unis.
Source: DANTZIG, FULKERSON et JOHNSON, 1954,
p. 219.

seule de ces lignes, celle que représente la figure 3.5 B, est la solution optimale. Le
terme général (le nombre total de solutions) est donné par la formule : (N - 1) !,
où N est le nombre de points, de sorte que pour une centaine de villes le nombre
de solutions possibles s'élève au chiffre astronomique de 9,3 X 10158 • Le calcul de
telles solutions (fait couramment à l'aide d'ordinateurs très rapides) est important
pour des entreprises telles que des compagnies pétrolières, qui ont à expédier régu-
lièrement des produits, par la route, à des centaines de dépôts locaux; on étudie
intensivement les chemins et réseaux optimaux (Flood, 1956; Garrison, 1959-1960)
pour trouver des solutions pratiques à ces problèmes de localisation d'itinéraires.

79
!'ES RÉSEAUX

La classification de Bunge et Beckmann a aussi de nombreuses possibilités d'appli-


cation pratique dans la construction des voies de communication; ceci apparaît
tout à fait pertinent si on remplace les symboles topologiques abstraits que sont
les points et les lignes par les faits concrets que sont les villes et les voies ferrées.
La solution D de la figure 3.4 représente le plan de voies ferrées qui entraîne les
moindres coûts pour l'usager (c'est-à-dire les trajets les plus courts et les plus com-
modes en direction et à partir de chacune des cinq villes), tandis que la solution E
est la moins coûteuse du point de vue du constructeur (c'est-à-dire : correspond à
la longueur minimale de voies ferrées reliant les cinq villes).
Selon Bunge (1962, p. 187), le plan retenu, en fait, pour la construction de voies
ferrées dépend du rapport entre ces deux coûts, le coût pour l'usager et le coût pour
le constructeur. Là où de grandes villes sont groupées, selon lui, les grands flux de
trafic engendrés entre elles donnent l'avantage au plan correspondant au moindre
coût pour l'usager, plan que l'on peut observer dans le réseau ferroviaire du Nord-
Est des États-Unis (Ullman, 1949). Lorsque les villes sont distantes l'une de l'autre
et le trafic peu important, les coûts de construction l'emportent et les plans corres-
pondant au moindre coût pour le constructeur s'imposent. Ici encore, on peut consi-
dérer que le plan des voies ferrées de l'Ouest des États-Unis (tout en admettant
qu'il est fortement influencé par le relief) est de ce type, bien que des analyses détail-
lées (comme celle de Thomas, 1960, sur la ligne de Denver et du Rio Grande) donnent
à penser que d'autres facteurs tendent à masquer ce fait.
Une autre application pratique du type de problème de minimisation posé par
Bunge s'observe dans l'aménagement des réseaux routiers dans les zones rurales.
Dans les régions où l'on organise, suivant un plan, un nouveau peuplement agricole,
comme dans les polders hollandais, il y a au moins deux distances à minimiser
(Chisholm, 1962, pp. 136-138) : 10 la distance intérieure, des bâtiments de la ferme
aux champs; 20 la distance extérieure, de l'exploitation aux services publics (routes,
adduction d'eau, électricité).
Si on suppose que, à cause du cadastre et pour des raisons de fonctionnement,
l'exploitation agricole doit être organisée à l'intérieur de limites rectangulaires, la
figure 3.6 représente quatre manières possibles de disposer les bâtiments, les routes
et les limites des exploitations. Dans les deux premiers cas (fig. 3.6 A et 3.6 B), les
unités d'exploitation sont carrées, et la situation optimale des bâtiments (du point
de vue de l'agriculteur) est le centre du carré; mais cette solution a le désavantage
d'exiger deux miles de route pour desservir les quatre fermes situées dans un ensemble
de un mile carré. Le second cas présente un avantage marginal sur le premier : la
surface de l'exploitation est moins divisée par la voie publique; mais ceci est partiel-
lement compensé par le fait que des parties de ces exploitations de 160 acres sont à
plus d'un quart de mile de la voie de desserte publique la plus proche. Ces zones moins
accessibles sont figurées en grisé sur les schémas.
Dans le troisième cas (fig. 3.6 C), la forme carrée de l'exploitation est conservée,
mais les bâtiments sont éloignés de leur localisation optimale au centre. La longueur
de la route qui dessert quatre fermes est réduite de moitié, à un mile, mais les trans-
ports à travers champs à l'intérieur de l'exploitation sont allongés. Cette tendance

80
La localisation des voies de communication

va plus loin dans le quatrième cas (fig. 3.6 D); l'unité d'exploitation y est transformée
en une bande rectangulaire moins commode, et les bâtiments ont une situation excen-
trique (sur la route), mais la longueur totale de la route qui dessert quatre fermes
est de nouveau réduite, de moitié, à 0,5 mile seulement (on suppose que de telles
fermes sont situées sur le côté sud de la route).

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Fig. 3.6 - Définitions possibles de réseaux routiers ruraux de distance minimale.


Les zones situées à plus d'un quart de mile des routes sont en grisé.
Source: CHISHOLM, 1962, p. 156.

Il est possible d'obtenir des combinaisons plus complexes de limites, de routes


et de fermes, en introduisant un autre facteur à maximiser, la taille du groupe d'habi-
tations. Dans les deux premiers cas, la maison isolée constitue le module d'habitat;
mais, dans les troisième et quatrième cas, les maisons se groupent par deux. Si on
les déplace de façon à les situer en des angles de leurs domaines, l'unité d'habitat
s'élève à quatre maisons. De ce principe de « contact social» résultent des variantes
des figures 3.6 C et 3.6 D, qui se révèlent être les solutions adoptées en pratique.
Les exemples concrets que sont les polders hollandais, les plans de remembrement
en Allemagne de l'Ouest, le peuplement en « rangs» au Canada (Mead et Brown,
1962), la colonisation en bandes au Japon (Inouye, in V.G.I., 1964, p. 308) et dans le
Sud du Brésil (Monbeig, 1952), apparaissent conformes à ce schéma modifié.

81
LES RÉSEAUX

LES FACTEURS POLITIQUES

C. H. Cooley, dans une remarquable étude, déjà ancienne, sur la théorie des
transports, a souligné l'importance des facteurs politiques dans l'explication des
plans des voies de communication, et avancé l'idée que « l'aspect politique de la
question prend de l'importance avec le temps» (Cooley, 1894, p. 53). Ce thème est
repris dans une étude récente de Wolfe, Transportation and PoUlies (1963). Il est
certain que, dans le domaine de la construction des voies ferrées, la relation entre
la ligne du Canadian-Pacific et l'État canadien, ou la relation entre le Transsibérien
et l'État russe, ont valeur de symbole, même si ces voies ferrées ont eu des consé-
quences moins décisives qu'on ne le pensait autrefois. Dans le détail, le plan des
réseaux de voies de communication peut traduire des différences politiques, impor-
tantes ou mineures. Sur la figure 3.7, l'effet d'« alignement» produit sur les voies
ferrées (fig. 3.7 A) par la frontière qui sépare les États-Unis du Canada (représenté
en grisé) est mis en parallèle avec l'effet de « blocage» produit sur le plan des routes
(fig. 3.7 B) par la limite secondaire qui sépare l'Ontario du Québec (en grisé).

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Fig. 3.7 - Troncation de réseaux par des limites de territoires: A. Réseau


ferroviaire d'un carré échantillon (G = 3,9) sur les confins du Canada et
des ~tats·Unis. - B. Réseau routier d'un carré échantillon (G = 5,3) sur les
confins de l'Ontario et du Québec au Canada.
Source: WOLFE, 1963, pp. 184, 185.

Meinig (1962) a étudié la géographie historique de deux réseaux ferroviaires :


1° une entreprise entièrement dirigée par l'État, dans le Sud de l'Australie; 2° un
réseau que plusieurs compagnies privées ont construit et fait fonctionner dans le
Nord-Ouest des États-Unis. Meinig a choisi ces réseaux, pour en faire l'étude compa-
rative, parce qu'ils ont été construits et se sont développés à peu près à la même
époque, parce que tous deux sont situés dans des régions de culture du blé, et parce
que tous deux ont été en grande partie conçus pour l'expédition de céréales vers
des ports maritimes.

82
La localisation des voies de communication

Meinig relève un certain nombre de traits communs aux deux réseaux ferro-
viaires. Tous deux se sont étendus à peu près au même rythme, l'un en réponse à
une pression politique et à l'idée de service public, l'autre en réponse à des possi.
bilités de profit. Tous deux ont été compliqués par des changements dans l'orien-
tation générale du commerce vers les différents ports, et leurs deux tracés ont subi
la pression des communautés locales. Dans les deux cas, aussi, le nombre des variantes
de tracés possibles dépassait toujours celui des voies qui pouvaient matériellement
être construites, et les décisions étaient prises dans un cadre restreint (cf fig. 1.7).
Les différences entre le réseau d'État et le réseau privé se révèlent d'autant plus
frappantes. Meinig met au premier plan le fait que les itinéraires et les services existent,
ou non, en double. Dans le bassin de la Columbia, les liaisons entre les centres d'expé-
ditions de l'intérieur et les ports maritimes sont couramment doublées, et l'expéditeur
est placé devant un choix entre des services concurrents à destination de ports dif-
férents. De telles possibilités de choix sont totalement absentes dans le Sud de
l'Australie. En outre, la zone d'attraction de chaque ligne, dans le Sud de l'Australie,
reste stable, ce qui contraste avec la « piraterie» et les « invasions» de territoires
constamment observées dans le bassin de la Columbia. Une telle inconstance du
réseau privé, selon Meinig, explique la reconversion rapide du système du bassin
de la Columbia à un écartement de voie uniforme et son développement ultérieur;
au contraire, le système du Sud de l'Australie est resté divisé en zones d'attraction
relativement étanches, dont chacune est desservie par une ligne ayant son écarte-
ment propre. Avec le développement de la réglementation gouvernementale, aux
États-Unis, les contrastes initiaux entre modes d'organisation s'affaiblissent quelque
peu de nos jours.

Les effets de la géométrie des réseaux

La connaissance des relations entre la géométrie des réseaux et le développement


des ressources régionales a fait de grands progrès grâce aux recherches de Garrison
(1960) et de Kansky (1963). Ces auteurs ont imaginé une série d'indices de forme
des réseaux fondés sur une branche des mathématiques, la théorie des graphes, qui
permet de comparer de façon précise la « connexité» et la « forme» des réseaux.
Ces indices sont discutés en détail au chapitre 8.
Deux exemples illustrant les résultats obtenus par Kansky sont donnés sur la
figure 3.8, qui représente les relations entre les réseaux ferroviaires d'un échan-
tillon de vingt-cinq pays et leur niveau général de développement économique. Sur
le premier graphique (fig. 3.8 A), la consommation d'énergie (axe des y) est rapportée
à un indice de connexité, l'indice {3 (axe des x). Les systèmes ferroviaires des pays
très développés, comme la France, ont des indices de connexité élevés, tandis que
ceux des pays sous-développés, comme le Nigeria, ont de faibles indices de connexité.
Sur le second graphique (fig. 3.8 B), un autre indice de développement, le produit
national brut par tête (axe des y), est rapporté à un indice de forme du réseau, l'indice
7t (axe des x). Ici encore, la France, dont l'indice de forme a une valeur élevée (la
forme du réseau étant proche du cercle), contraste vivement avec le Nigeria, dont

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Fig. 3.8 - Relalions entre des indices topologiques de connexité (A) et de forme
(B) de réseaux ferroviaires, et des indices de développement économique.
Source: KANSKY, 1963, p. 42.

le système ferroviaire est allongé. Les deux graphiques manifestent une tendance
puissante et cohérente, qui est statistiquement significative, et qui suggère avec force
que la géométrie de certains réseaux de voies de communication peut être en rapport
très étroit avec le développement général des ressources régionales. S'il en est ainsi,
il faut modifier légèrement les vues de Cooley sur l'influence des facteurs purement
politiques; selon nous, ils peuvent jouer un rôle très important pour des voies de
communication considérées isolément, mais, plus généralement, le plan suggère
l'importance de facteurs plus purement économiques.
L'emploi de la théorie des graphes dans l'analyse des réseaux s'est aussi montré
utile pour l'étude de la position de localités particulières dans un système de voies
de communication. En utilisant une mesure d'accessibilité, l'indice de Shimbel-
Katz, Garrison (1960, pp. 131-135) a pu analyser l'accessibilité relative de quarante-
cinq localités situées dans le Sud-Est des États-Unis et reliées les unes aux autres
par un réseau de grandes routes, 1'« Interstate Highway System» (fig. 3.9 A). Les
localités ont été choisies en partie d'après des critères de taille et en partie d'après
leur position topologique (par exemple : à l'extrémité d'une voie de communication).
La localisation des localités peu accessibles est peut-être prévisible, mais l'indice
de Shimbel-Katz révèle une répartition intéressante et inattendue des localités dont
l'accessibilité est élevée. La raison de ce contraste se trouve en partie dans le fait
que la théorie des graphes met l'accent sur la propriété topologique du réseau, sa
connexité, plutôt que sur ses dimensions (cf pp. 266-269). Kansky (1963) a rappelé
que, dans une perspective topologique, les chemins de fer de Sardaigne apparaissent,

84
®

Fig. 3.9 - A. Réseau des grandes routes dans le Sud-Est des États-Unis (G = 2,7). -
B et C. Simplification graphique du réseau ferroviaire de la Sardaigne (G = 4,3).
Sources: GARRISON, 1960, p. 132; KANSKY, 1963, p. 8.

non comme sur la figure 3.9 B, mais plutôt comme sur la figure 3.9 C. Les avantages
que ce modèle plus abstrait présente du point de vue de l'analyse doivent évidemment
être mis en balance avec la perte d'autres détails significatifs.
Hoover (1948, pp. 301-302) a démontré que le tracé des voies de communication
peut influer fortement sur les conditions de la lutte entre sources d'approvisionnement
et lieux de destination pour la localisation des industries (chap. 5, section 4). La
figure 3.10 A représente un système de transport théorique, avec une série de villes
le long des voies de communication. Deux villes, IX et 0, sont des sources d'approvi-
sionnement en matières premières, charbon et bois respectivement, pour la fabri-
cation d'un produit industriel. Hoover suppose que les coûts de transport, par kilo-
mètre (compte non tenu des économies réalisables dans les transports à longue
distance), sont entre eux, pour le bois, le charbon et le produit fini, comme les nombres
2, 3 et 4. Il poursuit en démontrant que la question de la localisation « la
moins coûteuse» est une question mal posée, car « dans ces conditions, il n'existe pas
de localisation optimale unique de l'usine, ni même de type unique d'orientation.
Un certain nombre de possibilités d'orientation peuvent se présenter, selon l'ordre
dans lequel les sources d'approvisionnement et le marché sont placés sur le système
de voies de communication» (Hoover, 1948, p. 301).
Cette indétermination est illustrée par les figures 3.10 B à 3.10 F, où l'on suppose
la production localisée en cinq points du système, qui sont, dans les deux premiers
cas, les sources d'approvisionnement - charbon (fig. 3.10 B) ou bois (fig. 3.10 C) -

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Fig. 3.10 - Effet de la géométrie du réseau sur la localisation d'installations industrielles. Les traits
forts indiquent les parties du réseau les mieux desservies à partir de chacun des cinq points d'implan-
tation potentiels.

Source : HOOVER, 1948, p. 41.

86
La densité des réseaux de voies

et, dans les trois derniers cas, des nœuds du système. Aucun point n'est optimal
pour l'ensemble du système, et le meilleur, en ce sens qu'il dessert la plus grande
longueur de voies de communication, est le point de jonction ~, sur la figure 3.10 D.
En pratique, la localisation en de tels points de jonction est favorisée lorsque les
sources d'approvisionnement en matières premières et les lieux de destination des
produits sont dispersés, ce qui arrive couram!TIent. Elle est également avantagée
par les tarifs de transport du type « transit intérieur», selon lesquels les produits
transformés en un point quelconque d'un itinéraire ne subissent qu'un seul tarif
de passage, alors qu'autrement ils subissent deux tarifs calculés chacun pour un
trajet plus court mais plus élevés au total (Alexander, 1963, p. 476).

2. LA DENSITÉ DES RÉSEAUX DE VOIES

Avec du recul, les caractéristiques propres d'un réseau de voies s'estompent, et


on observe simplement une répartition de densités : le réseau est très dense dans
certains secteurs, très clairsemé dans d'autres. Pour aborder ce problème, nous
partirons de l'échelle locale, celle du réseau des rues d'une ville et d'une petite cir-
conscription; puis, passant par l'échelle de la région et celle de l'État, nous aboutirons
à l'échelle mondiale.

Le niveau local

L'examen des cartes à grande échelle ou des plans représentant des zones urbaines
ou rurales révèle habituellement des différences assez fortes dans la densité des
voies de communication. Les villages, avec une répartition plus dense, ressortent
par rapport à la campagne environnante; en ville, les secteurs vraiment urbains
(même dans les villes américaines à plan géométrique) se détachent, grâce à la répar-
tition plus dense de leurs rues, par rapport au réseau moins serré de leurs banlieues.
Récemment, les observations qualitatives de ce genre ont été fortement corro-
borées par une étude minutieuse de Borchert (1961) sur le plan des routes dans la
région des « villes-jumelles» de Minneapolis et Saint-Paul. Au lieu de mesurer la
densité des routes par leur longueur par unité de surface, Borchert a élaboré une
technique de mesure simple, qui consiste à compter tous les points de jonction sur
la carte. Il a constaté que la densité des points de jonction était en corrélation si
forte avec la longueur de routes (coefficient de corrélation égal à + 0,99) qu'il était
possible, et utile, de la substituer à la mesure, traditionnelle et plus lente, de la lon-
gueur. Les résultats obtenus par Borchert sont résumés sur la figure 3.11 A, qui montre
la très forte liaison existant, dans la région de Minneapolis et Saint-Paul, entre la
densité de la population, mesurée par le nombre de logements individuels (axe des y),
et la densité du réseau, mesurée par le nombre d'intersections (axe des x). Le plan,
nettement concentrique, des zones de densité du réseau, autour des centres des deux
villes, est représenté sur la figure 3.11 B.

87
3

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120
Inlersecrlülls dl' roules, piH mile (:cHrt:

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Fig. 3.11 - Densité des réseaux routiers dans et autour de Minneapolis et Saint-Paul, aux ~tats­
Unis: A. Relation entre le réseau et la densité des logements. - B. Zones concentriques de densité
du réseau (G = 5,1). - C. Carré échantillon (G = 7) pris dans le réseau, avec des lignes d'égale
densité.
Source : BORCHERT, 1961, pp. 50-56.

Le niveau régional

Au niveau régional, une étude très approfondie de la distribution de la densité


des routes au Ghana et au Nigeria a été faite par Taaffe (Taaffe, MorriU et Gould,
1963). Ayant mesuré, pour chacune des trente sous-régions du Ghana et des cin-
quante sous-régions du Nigeria, la densité des routes de classes l et 2, Taaffe la rap-
porte en premier lieu à la population et à la surface de chaque unité. En faisant
une analyse de régression, il trouve que la variable population « explique» environ
50 % des variations de la densité des routes, tant au Ghana qu'au Nigeria. Puis,
en introduisant la surface, en plus de la population, dans une analyse de régression
multiple, il trouve que le seuil d'explication s'élève respectivement à 75 et à 80 %'

88
La densité des réseaux de voies

Taaffe poursuit en proposant quatre autres variables moins importantes, sus-


ceptibles d'aider à résoudre le problème des différences « inexpliquées» existant
entre les densités réelles et les valeurs théoriques qu'ont les densités d'après l'analyse
de régression. Les quatre variables sont l'hostilité du milieu, la concurrence entre
le rail et la route, les localisations intermédiaires et les rapports avec l'ordre dans
lequel a lieu le développement économique.
L 'hostilité du milieu, thème familier et fondamental de la géographie, est illustrée
au Ghana par la faiblesse de la densité des voies de communication dans les terres
marécageuses du district de la Volta et dans le secteur où l'escarpement de Mampong
restreint fortement le développement des voies secondaires. La concurrence du rail
est un facteur plus complexe, en ce sens qu'il est possible de soutenir soit que les
voies ferrées réduisent le besoin de routes en fournissant une autre forme de trans-
port, soit que les voies ferrées stimulent la construction de routes, en encourageant
les productions destinées au commerce interrégional. Le second point de vue paraît
l'emporter en ce qui concerne le Ghana et le Nigeria.
Taaffe constate que les sous-régions qui sont dans une situation intermédiaire,
entre deux grandes zones fortement peuplées, ont des densités bien supérieures aux
densités théoriques calculées d'après leur population et leur surface seulement. La
densité des routes est en association positive avec le degré d'activité commerciale :
les régions les plus productives ont un réseau routier plus dense que les régions moins
évoluées. Une anomalie apparaît dans ce mode de répartition : dans les régions
minières, qui sont grandement tributaires des transports par rail, la relation entre
la mise en valeur des ressources et la densité des routes n'est pas vérifiée.

Le niveau international

Comparer les densités des réseaux de pays différents, au niveau mondial, soulève
des problèmes ardus; il s'agit de la définition pratique des voies de communication
(chap. 7, section 1). Non seulement les problèmes de définition se multiplient (dif-
férences entre chemins de fer à une ou plusieurs voies, ou entre chemins ruraux et
autoroutes à plusieurs voies), mais des informations semblables sont enregistrées
et classées de façons très différentes. Ginsburg a essayé de normaliser ces chiffres
établis de façon discordante dans son Atlas of Economie Development (1961) et les
résultats qu'il a obtenus seront employés ici comme base de discussion.
Deux cartes de l'atlas de Ginsburg sont très importantes : la carte de densité
des voies ferrées (XXIV) et la carte de densité des routes (XXIX). Sur l'une et l'autre,
la densité est conçue comme égale à la longueur des voies de communication par
100 km 2 ; l'auteur souligne cependant qu'il existe plusieurs autres façons, aussi
valables, de représenter la densité (par exemple par rapport à la population, ou par
rapport à la population et à la distance). Pour notre propos, la densité par unité
de surface fournit un paramètre plus fondamental, en ce sens qu'elle représente
l'existence réelle, sur le terrain, de voies de communication spécialisées, quelle que
soit l'intensité de l'utilisation de ces voies.

89
TABLEAU 3.1

DISTRIBUTION DE LA DENSITÉ DES VOIES DE COMMUNICATION 1

Routes Voies ferrées

Nombre de pays comparés . . . . . . . 126 134


Densité mondiale moyenne, en km/100 km 2 10,3 0,95
Densité maximale, en km/100 km2 . • • . 302,0 17,90
Densité minimale, en km/100 km 2 • • • • • • • • • 0,0 0,00
Pays où la densité est inférieure à la moyenne mondiale 64% 67%

1. Données mondiales pour 1956-1957.

Source: N. GINSBURG, At/as of Economic Deve/opment, 1961, pp. 60, 70.

Les caractéristiques fondamentales de répartition dans le monde sont présentées,


sous forme résumée, sur le tableau 3.1. La densité des routes, établie par compilation
à partir de sources diverses et à l'aide de statistiques assez peu normalisées, a pour
moyenne mondiale 10,3 km/lOO km 2 , soit environ dix fois la moyenne obtenue pour
la densité des voies ferrées. L'intervalle entre les valeurs maximales et les valeurs
moyennes est cependant beaucoup plus grand dans le cas des routes; le réseau routier
de la Belgique, signalée comme ayant la plus forte densité, est à peu près trente fois
plus dense que la moyenne mondiale, tandis que le réseau ferroviaire le plus dense,
celui du Luxembourg, n'est qu'à peu près vingt fois plus dense que la moyenne
mondiale. A l'autre extrémité de la distribution, un seul pays, le Groenland, est
signalé comme ayant une densité de routes nulle, et vingt-sept pays n'ont aucune
voie ferrée. La distribution est donc très dissymétrique : quelques pays ont des
réseaux très denses, beaucoup ont des réseaux très clairsemés. Près des deux tiers
des pays ont des densités inférieures à la moyenne mondiale.
Les réseaux de transport font partie - on peut le démontrer - de « l'infrastruc-
ture » du développement, et la distribution des pays selon la densité de leurs réseaux
peut raisonnablement être rapprochée de leur niveau général de développement
économique. Il est possible, et utile, d'étudier cette hypothèse en adoptant l'échelle
de développement économique et démographique élaborée par Berry (1960) sur
la base des valeurs indiquées dans l'atlas de Ginsburg (1961, pp. 110-119). La cons-
truction de cette échelle est expliquée plus loin, à propos de l'analyse en composantes
principales (cf. pp. 251-253); disons brièvement qu'il s'agit d'une échelle calculée
à partir de quarante-trois indices distincts du développement économique : les
pays sont portés sur un graphique selon une échelle démographique (axe des x, qui
est le plus court) et selon une échelle technologique (axe des y, qui est le plus long).
Quelque quatre-vingt-quinze pays sont distribués sur cette échelle (fig. 3.12); les
pays très développés figurent en haut et à gauche de l'échelle, les pays les plus pauvres
en bas et à droite.
On superpose à cette échelle la distribution des pays selon la densité, forte ou
faible, de leurs réseaux routiers et ferroviaires : les dix premiers pays, dont les réseaux

90
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2
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x x x x

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x X
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0 20 0 0 20
X
X g. 028
x X o
30
0 29

Fig. 3.12 - Relation entre la densité des réseaux routiers (A) et


ferroviaires (B) de divers pays, et 1'« échelle de développement»
de Berry.
Source: BERRY, 1960, p. 91.

91
LES RÉSEAUX

sont très denses, sont représentés par de grands cercles pleins, et les dix derniers,
dont les réseaux sont les moins denses, par de grands cercles creux. La position des
États-Unis sur cette échelle est marquée par un astérisque, pour référence.
Les dix pays qui ont les réseaux routiers les plus denses apparaissent groupés
(fig. 3.12 A) vers l'extrémité de l'échelle qui correspond à un grand développement.
Neuf d'entre eux sont des pays d'Europe: Royaume-Uni (1), Allemagne de l'Ouest
(2), Belgique (3), France (4), Suisse (5), Pays-Bas (6), Danemark (7), Pologne (8),
et Irlande (10). Seul, un autre pays, Hong Kong (11), fait exception. Les seuls pays
très développés qui aient des réseaux routiers de densité relativement modeste sont
les États-Unis, le Canada et la Suède. La répartition des densités des réseaux ferro-
viaires (fig. 3.12 B) se conforme, d'une façon générale, au même schéma : les pays
d'Europe occupent les premiers rangs. Sept des pays mentionnés ci-dessus réap-
paraissent, accompagnés par deux pays d'Europe de l'Est, la Tchécoslovaquie (21)
et la Hongrie (22), et par un État d'Extrême-Orient, Taïwan (23). La position appa-
remment anormale de Taïwan traduit le rang relativement élevé que tiennent, en ce
qui concerne la densité des voies ferrées, plusieurs pays d'Asie du Sud-Est, comme
l'Inde et la Birmanie, où les chemins de fer se sont développés grâce à l'administra-
tion coloniale britannique, ou comme le Japon et son ancienne colonie Taïwan, où
le développement des transports a été délibérément axé sur le réseau ferroviaire.
A l'autre extrémité de l'échelle, la position des pays qui ont les réseaux les moins
denses est difficile à définir, à cause de l'absence de la plupart des pays très sous-
développés dans l'échelle de développement économique et démographique de Berry.
On ne dispose pas d'un nombre suffisant de données pour les situer avec précision
sur l'échelle, et les « dix pays dont les réseaux sont les moins denses» sont tirés de
la population plus restreinte formée par les quatre-vingt-quinze pays qui figurent
sur l'échelle. Néanmoins, la répartition, telle qu'elle apparaît, est intéressante. En
ce qui concerne la densité des voies ferrées (fig. 3.12 B), les pays où elle est la plus
faible se groupent, de façon frappante, en bas de l'échelle de développement. Six des
sept pays ainsi placés sont des États africains : le Soudan (25), l'Éthiopie (28), la
Libye (30), le Libéria (20), la Gambie (27), et l'ancienne Afrique équatoriale française
(26); avec eux se trouve l'Afghanistan (29). Les anciens pays coloniaux plus
développés ayant des réseaux ferroviaires très peu denses sont le Surinam (14) et la
Guyana (15), pourvus l'un et l'autre d'excellentes rivières navigables, et, seule ano-
malie majeure, l'Islande (24).
En ce qui concerne la densité des routes, la répartition des pays où elle est la plus
faible n'est pas aussi claire. Des pays relativement développés et de surface très
grande, l'U.R.S.S. (9) et le Brésil (12), constituent des anomalies remarquables,
tandis qu'à l'extrémité inférieure de l'échelle le Libéria est seul à représenter le groupe
des pays d'Afrique remarqué sur la carte de densité des voies ferrées. Le Surinam
et la Guyana sont ici au centre d'un groupe d'États tropicaux non africains, placés
un peu au-dessous du milieu de l'échelle de développement: Costa Rica (13), l'Équa-
teur (16) et la Bolivie (18), États américains et l'Iran (19) et l'ancien Bornéo britan-
nique (17), pays d'Asie. D'une façon générale, la répartition de la densité des routes
est moins facile à interpréter, ce qui traduit en partie la grande variabilité de la

92
Les modèles de transformation des réseaux

définition des « routes ». Les différences entre les parties inférieures des deux échelles
(rail et route) donnent à penser que des chemins de fer ont servi à suppléer les
routes, et que dans d'autres cas, comme en Guyana, la navigation fluviale et côtière
a servi à compléter routes et chemins de fer.

3. LES MODÈLES DE TRANSFORMATION DES RÉSEAUX

Le développement des routes, des chemins de fer, des canaux, etc., est étroitement
lié au processus global de croissance économique et de développement régional.
Nous considérerons ici quelques modèles assez simplifiés de transformation de réseaux,
et nous examinerons la nature des changements associés à de telles transformations.

Le développement des voies de communication dans les régions sous-


développées

ExposÉ DU MODÈLE

Nous devons à Taaffe, Morrill et Gould (1963) une des rares tentatives faites
pour rassembler les constantes générales de la diffusion des voies de communication
à l'intérieur d'un pays. A partir de l'étude du cas spécifique du développement des
transports au Ghana et au Nigeria, et d'une étude moins approfondie concernant
le Brésil, l'Afrique orientale britannique et la Malaisie, ces auteurs proposent une
suite de quatre phases de développement (fig. 3.13).
Première phase : des petits ports et des comptoirs commerciaux sont éparpillés
le long de la côte de la région en voie de développement (fig. 3.13 A). Chaque petit
port possède une petite aire commerciale à l'intérieur du pays, mais il y a peu de
contacts le long de la côte, sauf, à l'occasion, par l'intermédiaire de bateaux de
pêche et de commerçants qui passent irrégulièrement. Des groupes d'indigènes sont
installés autour de chaque poste de commerce européen. Les auteurs identifient
cette phase, au Nigeria et au Ghana, comme s'étant déroulée du xv e à la fin du
XIX e siècle.

Deuxième phase : quelques lignes de pénétration importantes apparaissent, des


centres de commerce intérieurs naissent aux terminus, et les ports côtiers pourvus
de liaisons avec l'intérieur grandissent inégalement (fig. 3.13 B). Les ports côtiers
se développant, leur hinterland local s'étend lui aussi, et des voies de communication
tracées en diagonale commencent à converger vers eux. Cette phase s'identifie,
au Ghana et au Nigeria, avec le développement des grands axes de communication
à l'intérieur du pays. Il apparaît que ces axes ont été construits pour trois raisons
majeures : 10 pour établir des liaisons, politiques et militaires, entre un centre admi-
nistratif situé sur la côte et la zone qu'il commandait à l'intérieur du pays (par exemple,
au Ghana, on désirait atteindre Koumassi, capitale des Achantis rebelles); 20 pour
écouler les ressources minières exploitables, comme le charbon d'Enugu au Nigeria;

93
LES RÉSEAUX

3° pour drainer des régions capables de produire des denrées agricoles exportables,
comme les régions cacaoyères situées au nord d'Accra. Bien que chaque raison ait
joué un rôle, celle de l'exploitation des mines a été déterminante dans la construction
des chemins de fer en Afrique; les exemples de l'Ouganda (ligne du cuivre de Kasese),
du Cameroun (ligne de la bauxite de l'Adamaoua) et de la Mauritanie (ligne du
minerai de fer de Fort-Gouraud), donnent à penser que cette phase n'est pas encore
terminée.

@__l-----1--~ __

Fig. 3.13 - Modèle diachronique à quatre phases de développement


d'un réseau situé dans un pays sous-développé.
Source: TAAFFE, MORRILL et GOULD, 1963, p. 504.

Troisième phase : des voies secondaires se développent, et on voit apparaître des


interconnexions latérales (fig. 3.13 C). En même temps, l'extension des principales
têtes de lignes situées sur la côte se poursuit, accompagnée de captures commerciales.
Des centres intermédiaires grandissent, entre les têtes de ligne de la côte et les ter-
minus de l'intérieur. Taaffe et ses collaborateurs (1963, pp. 511-514) présentent une
série de cartes retraçant le développement des routes au Ghana et au Nigeria depuis
1920, pour donner une idée de l'établissement de liaisons latérales entre des lignes
de pénétration et d'exploitation antérieurement non reliées.

94
Les modèles de transformation des réseaux

Quatrième phase : ce processus de liaison et de concentration se répète, et des


« liaisons hautement prioritaires» (indiquées par un trait plus épais sur la figure
3.13 D) apparaissent entre les centres les plus importants. Les routes pourvues du
meilleur revêtement et les liaisons ferroviaires et aériennes les plus fréquentes suivront
ces « rues principales» qui relient les trois plus grands centres. L'accroissement
du trafic dans le « triangle» sud du Ghana donne à penser qu'un développement
de ce genre s'y produit.

VALIDITÉ DU MODÈLE

Le modèle de Taaffe fournit un tableau résumé très utile de certaines constantes


observables lors du développement des systèmes de voies de communication inté-
rieures dans les régions côtières des pays coloniaux. L'analyse historique minutieuse
du développement des transports au Ghana faite par Gould (1960) a fourni une base
concrète et solide à l'élaboration du modèle.
Deux questions doivent être présentes à l'esprit quand on emploie le modèle :
10 jusqu'à quel point le modèle est-il applicable, en dehors de l'Afrique occidentale
en particulier et des régions d'exploitation de type colonial en général; 20 jusqu'à
quel point la division en stades successifs est-elle justifiée? On peut faire une compa-
raison suggestive avec le développement de certaines voies de communication,
comme le système de voies ferrées qui converge vers les villes de Sao Paulo (ex:) et

, /

\. //-y-_/
aC)/// 1869
1889
,

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/
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1955

Fig. 3.14 - Étapes du développement du réseau ferroviaire, dans le Sud-Est


du Brésil (G = 2,8).

95
LES RÉSEAUX

de Rio de Janeiro (fJ) dans le Sud-Est du Brésil. Les cartes montrent l'état du sys-
tème ferroviaire en 1869 (fig. 3.14 A), en 1889 (fig. 3.14 B) et en 1955 (fig. 3.14 C);
on peut facilement y voir les faits caractéristiques d'extension et d'embranchement
que mentionne le modèle de Taaffe. Des cartes semblables d'anciennes régions
coloniales, comme l'Ouest des États-Unis, présentent un schéma assez identique.
A vrai dire, ce schéma suggère implicitement l'idée d'une onde de diffusion sem-
blable à l'innovationsforloppet de Hagerstrand (1953) plutôt que d'un processus par
étapes. Ce qui donne sa plus grande valeur à cette suite de quatre phases, comme
aux « étapes de la croissance économique» de Rostow (1960), c'est le fait qu'elle
stimule l'étude du développement; il y aura probablement bien des débats univer-
sitaires sur le nombre d'étapes à reconnaître et, éventuellement, sur les points de
rupture significatifs.

Les substitutions de voies de communication dans les régions développées

RECHERCHE D'UN MODÈLE

Si le modèle précédent a des possibilités d'application plus larges que celles qui
étaient visées tout d'abord, le problème de la construction d'un modèle général de
développement des voies de communication dans les régions développées reste posé.
Dans ce cas, on peut supposer qu'un système de voies de communication fonctionne
déjà, et on s'intéresse à la façon dont les réseaux s'ajustent aux transformations
techniques survenues dans les transports et à l'élargissement des cercles d'interaction
qui accompagne l'élévation des niveaux sodo-économiques.
Le besoin de changer d'itinéraire se manifeste parfois dans le trafic routier; d'où
des problèmes, dont certains ont été soulevés dans le Buchanan Report (Ministère
du Transport, 1963, pp. 71-136). Ce rapport insiste sur le fait que les « lignes de
désir » (c'est-à-dire les lignes joignant les points de départ et de destination des
mouvements) s'allongent et sont fort gênées par les voies de communication exis-
tantes; celles-ci, en effet, ont été tracées de façon à correspondre à d'anciennes lignes
de désir de plus courte portée. C'est avec lenteur que le plan ancien se transforme,
à mesure que l'on construit de nouvelles routes, des autoroutes et des rocades autour
des centres de peuplement.
Une tentative pour concilier ce schéma d'évolution avec un paysage théorique
de Losch (Losch, 1954, p. 127) est représentée sur la figure 3.15. Tout d'abord, la
figure 3.15 A représente un paysage idéal de Losch, dans lequel des lignes de désir
relient chaque point de peuplement au voisin, d'où un réseau de sentiers entre-
croisés; ce type de plan est encore perceptible sur des cartes de régions rurales d'Afrique
tropicale. A la deuxième étape (fig. 3.15 B), le niveau économique s'est élevé, d'où
un allongement de la distance d'interaction et une réduction de moitié du nombre
des centres majeurs; il reste une série de petits centres, laissés de côté par les grandes
voies et reliés par les petites. A la troisième étape (fig. 3.15 C), le niveau d'interac-
tion s'est encore élevé, et il existe un nouvel ensemble d'itinéraires optima, un nouvel
ensemble, réduit, de grands centres, et un ensemble plus grand de centres laissés
de côté par les grands axes.

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Fig. 3.15 - Développement d'un réseau par substitution


de voies de communication reliant des centres dont l'impor-
tance varie, dans un paysage de Losch.

La différence principale entre le modèle de Losch et celui de Buchanan est que le


premier admet que de nouvelles voies de communication seront créées pour faire
face aux nouvelles demandes qui se manifestent entre les centres en voie d'émer-
gence. Selon les observations de Buchanan, ce trafic à longue distance est maintenu
de force dans les artères existantes, qui sont de petite capacité; d'où la lenteur des
déplacements, la confusion des lignes de désir, les taux d'accidents élevés, etc.
L'apparition de voies de communication de catégorie supérieure est observable en
Grande-Bretagne, aussi bien dans le nouveau plan autoroutier que dans la révision
du réseau ferroviaire.

LES EFFETS DES SUBSTITUTIONS

La façon exacte dont se produisent les substitutions de voies de communication


dans les régions développées n'est pas claire; mais l'effet de telles transformations
est d'une importance extrême. Un certain nombre d'études sur les effets des grandes
routes ont été faites aux États-Unis par des géographes, sous le titre général de
highway impact studies.
L'une des plus importantes de ces études, Highway Development and Geographie
Change (Garrison, Berry, Marble, Nystuen et Morrill, 1959), a recherché l'effet
de ces transformations des itinéraires sur la hiérarchie des villes. Un exemple typique
est celui de l'effet produit par la construction d'une rocade sur le commerce et les
fonctions de deux petites villes américaines, Everett (IX) et Marysville (13), situées à
quelque trente miles au nord de Seattle, dans l'État de Washington, sur la grande
route (U.S. 99) qui se dirige vers la frontière du Canada. La figure 3.16 A représente
la situation antérieure au mois d'octobre 1954 : la grande route traverse Marysville.

97
LES RÉSEAUX

La figure 3.16 B illustre la situation postérieure à cette date : le trafic, dévié vers
une route d'accès limitée à quatre voies, contourne cette localité.
A

~
Fig. 3.16 - Rocade contournant Marysville.
Source: GARRISON, BERRY, MARBLE, NYSTUEN el MORRILL,1959, p.102.

Les effets de ce nouvel itinéraire sur le trafic ont été nets et conformes aux pré-
visions. Dans l'année qui a suivi la construction de la rocade, le trafic traversant
Marysville est tombé à environ un tiers de son volume antérieur (environ 5 400
véhicules par jour, contre 14000). Les effets sur les fonctions de la ville ont été
moins évidents. Sur ce point, Garrison a constaté que la chute du trafic de transit
a fait de Marysville un centre de commerce local plus attirant, à tel point que les
ventes correspondant aux « fonctions de premier et de second ordre» ont atteint
121 % des quantités vendues avant la construction de la rocade. D'autre part, comme
il est désormais plus facile d'aller à Everett (qui est une plus grande ville) à partir
des zones rurales qui entourent Marysville, les « fonctions de troisième ordre»
de Marysville sont tombées à 83 % de leur niveau antérieur, tandis que ce dernier
s'élevait à Everett. Par contre, Marysville, débarrassée de l'intense circulation de
transit, est devenue une localité plus agréable à habiter; les loyers des terrains libres
ont augmenté, et une vague de prospérité semble prévisible dans la construction de
logements. L'étude de Garrison met bien en évidence l'effet de la transformation
de la structure des voies de communication sur la réorientation de l'offre et de la
demande et sur leur réajustement. Les habitants font de plus longs parcours sur la
nouvelle grande route, pour aller à Everett satisfaire leurs besoins d'ordre plus élevé,
mais Marysville est devenue un centre local plus agréable. A travers ces changements,
il apparaît que le système urbain se réorganise lui-même, face aux tensions et aux
contraintes exercées sur lui; ce qui se passe est conforme à ce qui a été proposé ci-
dessus (pp. 27-34) comme caractéristique du comportement d'un système ouvert.
Les études comparables sont moins courantes en Angleterre; cependant, quelques
tentatives intéressantes ont été faites, pour prévoir les effets qu'aurait le raccour-
cissement de certains itinéraires par la construction de ponts sur des estuaires.
Woodward (1963) a montré les conséquences probables de la construction d'un
pont routier sur la Tamar : l'extension de la sphère d'influence de la ville de Plymouth
dans les zones adjacentes du Sud-Est de la Cornouailles. Une conséquence parti-
culièrement remarquable, envisagée dans les plans régionaux, concerne la localité
située, sur la rivière, directement en face de la grande ville. La population de cette
localité, Saltash, était en 1960 de 7 500 habitants environ, et avait jusqu'alors aug-
menté lentement. Comme l'indique le tableau 3.2, les plans prévoient que cette
situation changera radicalement, dans les douze années à venir, quand la petite
ville commencera à intensifier sa fonction de dortoir de la grande cité. Des cas aussi
frappants d'expansion urbaine consécutive à la construction d'un pont se sont pro-
duits autour de la baie de San Francisco, dans l'Ouest des États-Unis.

98
TABLEAU 3.2

EFFETS DE L'AMÉLIORATION DES LIAISONS SUR L'EXPANSION URBAINE 1

1 Avant la liaison Après la liaison


(1939-1959) (1959-1971)

Estimation de la population à la fin de chaque période 7450 12000


Évolution annuelle moyenne de la population ;
- par accroissement naturel . . . . . . . . . . . 9 17
- par suite des migrations. . . . . . . . . . . . . . . 34 363

1. Évolution de la zone de Saltash consécutive à la construction du pont routier de la Tamar à Plymouth


dans le Sud-Ouest de l'Angleterre.

Source: M.!. J. WOODWARD, Geographical Effects of Building the Tamar Road Bridge, 1963, p. 23.

Si l'importance des substitutions de voies de communication, et de leur dévelop-


pement, est indubitable aux niveaux local et régional, elle a été quelque peu contro-
versée au niveau national. Le point de vue classique sur l'importance des voies ferrées
dans la croissance économique a été récemment réaffirmé par Rostow (1960, p. 55);
selon cet auteur, le décollage (ou take-off, l'une des étapes critiques de la croissance
économique) a été déclenché, aux États-Unis, par le développement rapide du sys-
tème ferroviaire pendant la période 1850-1890. Rostow considère les chemins de fer
comme un secteur pilote, qui engendre une croissance secondaire d'autres secteurs
tels que le charbon, le fer, la mécanique. Ce point de vue a été mis en question dans
une étude d'économétrie très minutieuse de Fogel (1964); ce dernier montre que,
à l'échelle interrégionale, les économies imputables aux chemins de fer (par opposi-
tion à l'extension possible du système voies d'eau - routes carrossables) étaient
en 1890 étonnamment faibles - seulement 0,60 % du produit national brut des
États-Unis. Fogel soutient que les gains dus aux chemins de fer ont été beaucoup
plus faibles qu'on ne le croit traditionnellement, que beaucoup de voies ferrées,
construites trop tôt, étaient anti-économiques; les chemins de fer ont certes fait
partie de la révolution industrielle américaine mais ils n'en ont pas été une condition
préalable.

Le développement des voies de communication et les modèles de diffusion

L'étude des voies de communication entre dans le cadre général des modèles de
diffusion. Étudiant le problème à l'échelle locale, Borchert (1961) a retracé le déve-
loppement de zones de densité des voies de communication autour des villes de
Saint-Paul et Minneapolis, en distinguant les densités fortes, moyennes et faibles.
Il a cartographié la position de chaque limite de densité en 1900, en 1940 et en 1956,
et sa position telle qu'il la prévoyait pour 1980. Cette prévision est fondée sur la
vitesse de l'expansion antérieure dans une direction donnée et sur des estimations

99
LES RÉSEAUX

de la population des zones urbaines. Borchert a supposé que l'expansion, à un moment


quelconque, se faisait perpendiculairement à la limite de densité; à partir de cette
hypothèse, il a tracé des vecteurs dirigés vers l'extérieur. Aux endroits où, par suite
de l'irrégularité des contours de la limite de densité, la limite prévue pour 1980 se
trouvait projetée dans un secteur déjà occupé, ou sur un type de terrain impropre à
l'habitat, Borchert a reporté la surface « en surplus» à un secteur périphérique qui
convenait mieux, de par son accessibilité et la nature du terrain.
Taaffe, Morrill et Gould (1963, pp. 51 1-5 13) ont cartographié les états successifs
du développement des routes au Ghana en 1922 (fig. 3.17 A), en 1937, soit après
un intervalle de quinze ans (fig. 3.17 B), et en 1957, soit après un nouvel intervalle
de vingt ans (fig. 3.17 C). Sur chaque carte, les surfaces où la densité des routes est

Fig. 3.17 - Diffusion de la zone de forte densité du réseau routier


au Ghana (G = 3,3).
Source: TAAFFE, MORRILL el GOULD, 1963. p. 512.

forte (supérieure à 16 miles par 100 miles carrés) sont figurées en grisé. La régula-
rité avec laquelle se propagent les classes de densité des grandes routes donne à
penser qu'il serait possible de faire des prévisions à court terme, à partir des prin-
cipes définis par Borchert. Sur cette base, il apparaît que l'augmentation de la densité
des voies de communication est plus probable entre deux nœuds qu'en n'importe
quel autre secteur comparable du Ghana; ce résultat est conforme à ce qu'indiquent
les modèles d'interaction présentés dans la section 2 du chapitre 2. Godlund (1956,
pp. 22-26) a cartographié des formes de diffusion comparables, à propos de la den-
sité des services d'autocars en Suède.
Les résultats obtenus sur le développement des voies de communication, qu'ils
soient énoncés en termes de réseaux ou de limites de densité, semblent indiquer qu'il
serait possible, et utile, d'appliquer à ce thème des modèles de simulation fondés
sur la méthode de Monte-Carlo. Morrill (1963) a introduit des itinéraires de trans-
port simulés dans son étude sur la croissance démographique et urbaine dans le
Sud de la Suède, et Kansky (1963) a tenté de « prévoir» le plan du réseau ferroviaire
de la Sicile en employant des techniques de simulation et des indices de la théorie
des graphes. Les principes de ces modèles de simulation prospectifs sont discutés
au chapitre 10 (pp. 338-344).

100
La morphologie de l'habitat Chapitre 4
Les groupements de population : la distribution des tailles
La taille et l'espacement des groupements

LES NŒUDS

De même que l'étude des mouvements amène à considérer les réseaux, l'étude des
réseaux amène à considérer les nœuds qui se trouvent sur ces réseaux. Le mot « nœuds»
est employé ici pour désigner les points de jonction ou sommets du réseau, et, en
tant que tel, il sert de terme collectif incluant d'autres mots - pôles, villes, places
centrales, hameaux, groupements de population - qui ont tous des significations
distinctes. On peut identifier des nœuds à tous les niveaux de l'organisation régionale,
de la macrorégion, qui a pour nœud une aire métropolitaine, à la microrégion, qui a
pour nœud une ferme.
Nous examinerons dans ce chapitre la distribution de ces nœuds à la fois du point
de vue de leur importance et du point de vue de leur disposition dans l'espace; dans
le chapitre suivant, nous étudierons leur organisation hiérarchique.

101
1. LA MORPHOLOGIE DE L'HABITAT

L'aspect de la répartition des populations humaines à la surface de la terre est


comparable à un ciel étoilé: on y distingue aisément des galaxies et des constellations,
formées de groupements de population d'importance très inégale (cf section 2).
Les quelques grands centres métropolitains ressortent nettement, tandis qu'à l'autre
extrémité de l'échelle une myriade de petites communautés rurales se trouve à l'extrême
limite de notre capacité de discernement statistique.

TABLEAU 4.1

TYPES DE CLASSIFICATION DE L'HABITAT

Nœuds
1

1 1 1
Classification Classification Classification
morphologique d'après l'effectif fonctionnelle
(formes d'habitat) de la population (par ex. : places
(par ex. : métropole centrales,
grande ville, petite places non centrales
1 ville, village, hameau) (Christaller, 1963»
\ 1
Habitat Habitat
urbain rural
1

1 ~
Irrégulier Régulier
(par ex. : Weiler, (par ex. : Rundling,
Drubbel, Dorf, Strassendorf,
Haufendorf) Angerdorf)

Pour discuter du dispositif fondamental des groupements nodaux, il est commode


de partir de son expression morphologique, la répartition de l'habitat (tableau 4.1).
Bien qu'il représente seulement, comme Hagerstrand l'a soutenu (1957, p. 27), le
« centre de gravité» de mouvements continuels de la population, l'habitat traduit
concrètement l'occupation de la surface de la terre par l'homme. En tant que tel, il
constitue un élément essentiel du paysage, et son étude est au cœur de la géographie
humaine. Dans les exposés d'ensemble, aussi bien anciens (par exemple celui de
Jean Brunhes, 1925) que contemporains (par exemple celui d'Emrys Jones, 1964), la
répartition de l'habitat occupe une place privilégiée.

La répartition de l'habitat en treillis réguliers

On a vu ci-dessus (chap. 2, section 3) que l'hexagone est la forme géométrique


la plus économique pour répartir également une surface entre un certain nombre
de points. En raisonnant de même, on peut montrer que les centres de ces hexagones,

102
La morphologie de l'habitat

les centres nodaux ou points de polarisation, doivent former un treiIIis triangulaire


régulier pour satisfaire aux mêmes exigences d'énergie minimale (fig. 4.1 A).
Cette disposition des unités d 'habitat en triangles réguliers a été employée par
Christaller (1933) quand il a élaboré pour la première fois la théorie des places cen-
trales, et par Lüsch (1938, 1954) quand il a par la suite poussé plus loin l'élaboration
du modèle de Christaller (chap. 5, section 1). On pourrait donc s'attendre, pour des
raisons théoriques, à constater que les unités d 'habitat se disposent selon un treillis
triangulaire. Cependant, Lüsch (1954, p. 133) a signalé les difficultés pratiques que
soulève l'adoption de ce dispositif, et avancé l'idée qu'il est possible d'adopter le
treillis carré, lorsqu'on organise, suivant un plan, de nouvelles aires de peuplement.
Les carrés, comme le montre la figure 2.9 B, ne sont qu'un peu moins « efficaces»
que les hexagones, et constituent une forme de remplacement très utile.

LES DONNÉES QUALITATIVES

Les types de répartition de 1'habitat décrits par les géographes européens n'indiquent
guère l'existence de treillis réguliers. A vrai dire, l'attention s'est portée plus particu-
lièrement sur la forme des unités d'habitat prises isolément, plutôt que sur leur mode
de répartition en général. Alors qu'une typologie complexe des formes de villages
a été élaborée, particulièrement dans les publications allemandes (tableau 4.1 ; cf par
exemple Meitzen, 1895, résumé par Pfeifer, in Thomas, 1956, pp. 240-277), la descrip-
tion du mode de répartition n'a guère dépassé la dichotomie simple: habitat dispersé-
habitat groupé. Certaines formes géométriques régulières se laissent identifier de
façon nette. La « centuriation » romaine ou la façon dont les nouveaux villages sont
disposés sur les terres vierges asséchées des polders hollandais sont de modestes
exemples de treillis réguliers situés en Europe; mais les principaux exemples se situent
outre-mer, dans les aires de colonisation européenne.
Dans le cas le plus remarquable, celui du township and range system américain,
un système régulier de subdivisions carrées a été dessiné sur une surface de quelque
deux millions de miles carrés, soit la plus grande partie du Centre et du sud des
États- Unis. Pattison (1957) a décrit les diverses solutions proposées à partir de 1785
pour résoudre le problème du partage des terres inoccupées des Territoires de l'Ouest.
La difficulté que constituait la convergence des méridiens posait des problèmes
d'arpentage, et ce n'est qu'au XIX B siècle qu'un plan relativement uniforme a été
adopté. Le système rectiligne, avec ses divisions emboîtées, toutes carrées, - townships
(surface: trente-six miles carrés), sections (un mile carré), quarts de section (160 acres),
- a fourni le moule dans lequel s'est coulée la société complexe qui a colonisé l'Ouest.
En 1862, à un moment critique de l'occupation des terres, le Homestead Act (loi sur
les Fermes) a fait du quart de section J'étalon d'exploitation agricole; bien qu'il ait
été révisé par la suite, le plan qui en est résulté a marqué vigoureusement des paysages
aussi dissemblables que ceux de l'Oklahoma et de l'Alaska. Mead et Brown (1962)
donnent quelques exemples excellents des relations entre le système de township and
range d'une part, et les routes, l'habitat et l'utilisation du sol d'autre part, en diverses
régions des États-Unis.

103
LES NŒUDS

Au cours du siècle écoulé depuis que le système de township and range a été imposé,
la rigidité de ses lignes géométriques a été quelque peu brouillée. Johnson (1957),
étudiant le bassin de la Whitewater, dans le Minnesota, a montré la façon dont les
concessions d'un quart de section primitives, celles de 1853-1854, ont été elles-mêmes
formées par combinaison irrégulière d'unités contiguës de quarante acres, pour essayer
d'adapter les limites des exploitations aux caractéristiques fondamentales du sol et
du relief de chaque région. Depuis lors, à la suite d'abandons, de reventes, de regrou-
pements, le plan a continué à s'adapter. Comme on l'a montré au chapitre 3, l'accessi-
bilité aux grandes routes a joué un rôle majeur dans la localisation de la ferme à
l'intérieur du quart de section (fig. 3.6), et une répartition linéaire de l'habitat s'est
étendue, le long des routes, sur de vastes surfaces. Kollmorgen et Jenks (1951) ont
confirmé cette tendance, à propos d'une autre région partagée en quarts de section,
l'Ouest du Kansas, où ils ont constaté que la surface des exploitations a été multi-
pliée par cinq depuis 1890, les nouvelles fermes étant disposées en lignes le long des
grandes routes qui vont de l'est à l'ouest, c'est-à-dire selon la direction principale de
la circulation.

LES DONNÉES QUANTITATIVES

Dacey (1962) a analysé la distribution des hameaux, des villages et des villes dans
une région des États-Unis où la colonisation a été soumise au système de township
and range. Il a choisi un secteur du Sud-Ouest du Wisconsin, déjà étudié par Brush
(1953) et contenant quelque 235 unités d'habitat, qu'il a réparties en trois strates:
hameaux (61 % du total des unités d'habitat), villages (31 %), villes (8 %). Dacey a
employé la technique d' « analyse du plus proche voisinage» (chap. 8, section 2)
pour comparer la répartition observée avec trois distributions théoriques : la distri-
bution hexagonale régulière, la distribution aléatoire et la distribution en groupes

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Fig. 4.1 - Répartitions typiques: régulière (A), aléatoire (B), groupée (C).
Source: GREIG-SMITH, 1964, p. 12.

(fig. 4.1). Le tableau 4.2 présente la relation existant entre la répartition observée
et les distributions théoriques, en indiquant les valeurs D qui mesurent les différences
entre le premier et les autres : de fortes valeurs D indiquent de fortes différences,

104
La morphologie de l'habitat

et vice versa. La comparaison des chiffres des trois colonnes montre clairement que
la répartition des unités d 'habitat, dans cette région, est proche d'une distribution
aléatoire (plutôt que d'une distribution régulière ou groupée). Cependant, il existe
quelques différences entre les trois niveaux de stratification de 1'habitat : le plus haut
degré de régularité est observé pour les hameaux. Par conséquent, l'étude de Dacey
incite à penser que, même dans une région où le sol a été partagé selon un plan,
le mode prédominant de répartition des unités d 'habitat se révèle aléatoire, mais que
l'ancien dispositif régulier persiste davantage au niveau des plus petites unités d'habitat
(les hameaux) qu'à celui des unités des catégories supérieures.

TABLEAU 4.2

DISTRIBUTIONS RÉELLE ET THÉORIQUE DES UNITÉS D'HABITAT 1

Hameaux Villages Villes

Différence entre la distribution observée et les distributions théo-


riques :
- distribution hexagonale régulière 5,41 6,31 5,81
- distribution aléatoire 1,79 1,57 2,73
- distribution en groupes. 13,39 15,21 15,52

1. Sud-Ouest du Wisconsin (États-Unis).

Source: M. F. OACEY, in Lund Studies, 1962, p. 71.

La méthode du plus proche voisinage a également été employée par King (1962)
dans une étude comparative faite sur un échantillon de vingt secteurs des États-Unis.
Dans chaque secteur, King a repéré toutes les localités de caractère urbain, et mesuré
les distances en ligne droite entre chaque ville et la ville voisine la plus proche (sans
tenir compte de leur taille). Le nombre de villes variait de 177, dans le secteur échan-
tillon de Pennsylvanie, à 23, dans le secteur échantillon du Nouveau-Mexique. En
comparant les espacements observés aux espacements théoriques correspondant à
une distribution aléatoire, King a calculé l'indice de plus proche voisinage, Rn. Les
valeurs de Rn s'étendent de zéro (groupement de tous les points en une seule locali-
sation) à 2,15 (treillis triangulaire régulier), en passant par 1 (distribution aléatoire
uniforme). Les valeurs de Rn obtenues pour les vingt secteurs échantillons sont portées
sur la figure 4.2 B : leur étendue est faible, allant de 0,70 dans le cas du secteur échan-
tillon de l'Utah, où la distribution est relativement groupée, à 1,38 pour le secteur
échantillon du Missouri, où la répartition est assez régulière. La distribution réelle
dans ces deux secteurs est représentée sur la figure 4.2 C. Ainsi, la principale conclusion
à tirer de l'étude de King est qu'elle confirme le point de vue selon lequel la répartition
des unités de peuplement aux États-Unis n'est pas régulière, mais proche d'une
distribution aléatoire.

105
® Distribution
régulière

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Groupements

Fig. 4.2 - A. Répartition à l'intérieur des États-Unis des secteurs échantillons étudiés (G = 1,8).
- B. Échelle des valeurs de Rn' - C. Unités d'habitat groupées, dans le secteur échantillon de
l'Utah (G = 4,7); contraste avec la régularité de la répartition des unités d'habitat dans le secteur
échantillon du Missouri (G = 4,8).
Source : KING, 1962, pp. 3-4,

La répartition irrégulière de l'habitat


La faillite du treillis régulier comme modèle de distribution de l'habitat n'est guère
surprenante. Le treillis régulier, comme l'hexagone, est un concept purement théo-
rique; dans la réalité, il est nécessairement distordu pour diverses raisons.

EFFETS DE DISTORSION DUS À LA PRÉSENCE D'UN CENTRE URBAIN

U ne des plus graves insuffisances du système d 'hexagones réguliers de L6sch est


son incapacité à faire la part des variations, inévitables, de la taille des hexagones.
L6sch a postulé l'existence d'une forte densité de population près du centre de son
aire de marché, mais n'a pas réussi à ajuster son réseau hexagonal (fig. 5.8) de façon
à l'accorder avec elle. Ce problème n'a pas encore été résolu; mais Isard, on l'a vu
(1956, p, 272), a tenté une modification graphique, les hexagones devenant régulière-
ment plus petits à mesure qu'ils se situent plus près du centre (fig. 2.14). Théorique-
ment, les unités d'habitat doivent donc être plus serrées autour des grands centres
urbains que dans les parties plus écartées d'une région.

106
La morphologie de l'habitat

Une des plus intéressantes confirmations de cette tendance est fournie par un
ouvrage de Bogue (1949), The Structure of the Metropolitan Community, dans lequel
l'auteur analyse la répartition de la population autour de soixante-sept grandes villes
des États-Unis. Bogue présente les résultats obtenus sous la forme de profils généra-
lisés allant de la ville à la périphérie rurale, jusqu'à 300 miles de la ville. Ces profils
suggèrent quatre conclusions générales :
10 La population urbaine diminue, quand la distance par rapport à la ville prise
comme centre augmente. Cette variation décrit à peu près une ligne droite sur papier
bilogarithmique sur tous les graphiques de la figure 4.3, la densité de population

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Distance par rapport ft la métropole la plus proche. en miles

Fig. 4.3 - Variations des densités de population urbaine. par régions (A, B. C) et par types
de secteurs (D. E, F), aux États-Unis.
Source: BOGUE. 1949. pp. 47. 58.

10?
LES NŒUDS

urbaine, représentée par une ligne brisée, est portée en ordonnée, la distance par
rapport à la métropole la plus proche en abscisse. A 25 miles de la ville-centre, la
densité est supérieure à 200 habitants par mile carré; à 250 miles, elle tombe à environ
4 par mile carré.
2° La densité et son taux de diminution en fonction de la distance varient selon
la taille de la ville-centre. Bogue a constaté que, pour les quatre métropoles qui ont
plus de 500 000 habitants, la densité de population urbaine, à 25 miles du centre,
était environ huit fois plus forte que pour les cinquante-trois villes dont la population
est inférieure à ce niveau; mais la différence diminue quand la distance par rapport
à la métropole est plus grande.
3° La densité et son taux de diminution diffèrent selon les régions des États-Unis.
Le contraste entre le Nord-Est (fig. 4.3 A), le Sud (fig. 4.3 B) et l'Ouest (fig. 4.3 C)
ressort nettement: le Nord-Est a une densité générale forte et un taux de décroissance
rapide, le Sud a une densité plus faible et un taux de décroissance irrégulier, et l'Ouest
a un taux de décroissan,ce extrêmement rapide.
4° La densité et son taux de diminution diffèrent selon les directions. Bogue a
partagé les zones d'influence des soixante-sept villes en secteurs de trois types :
secteurs routiers, secteurs sous-dominants et secteurs locaux. Il a délimité douze secteurs
de trente degrés sur un calque transparent, qu'il a fait pivoter autour du centre de
la grande ville, jusqu'à obtenir le « meilleur ajustement» avec les principales routes
allant de cette ville aux autres grandes aires métropolitaines (fig. 4.4 B). Il a classé

Fig. 4.4 - Étapes de la classification des zones qui entourent les


villes en types de secteurs.
Source: BOGUE, 1949. p. 25.

lOS
La morphologie de l'habita

les secteurs contenant une route principale comme secteurs routiers, ceux contenant
au moins une ville de 25 000 habitants ou plus comme secteurs sous-dominants,
et les secteurs restants comme secteurs locaux. Dans chaque cas, il a mesuré la popu-
lation urbaine et a affecté chaque comté à un ou plusieurs secteurs. A cause de la
convergence des limites de secteurs, Bogue n'a pas appliqué cette façon de procéder
près de la ville, et a noté les différences entre secteurs seulement pour les zones situées
à plus de 25 miles du centre. La figure 4.4 représente les étapes de la délimitation des
secteurs, pour l'une des villes, Memphis (Tennessee) : les secteurs routiers sont figurés
en blanc, les secteurs sous-dominants en noir et les secteurs locaux en grisé.
L'examen des tendances de la densité, dans les trois types de secteurs (fig. 4.3 D,
E, F), montre que la population urbaine la plus dense est celle des secteurs sous-
dominants. Dans les secteurs routiers, l'extension de l 'habitat urbain le long des
grandes routes qui joignent les métropoles est moins forte qu'on pouvait l'escompter;
dans les secteurs locaux, le niveau de la densité est bien inférieur à celui des deux autres
types.

EFFETS DE DISTORSION DUS À LA LOCALISATION DES RESSOURCES

L 'hypothèse du treillis triangulaire de l 'habitat implique que les ressources dont


chaque unité d'habitat a besoin sont partout disponibles. Si, cependant, pour une
unité d 'habitat assez simple, le village, on dresse la liste de ses besoins traditionnels -
terres de culture, eau, matériaux de construction, combustible, etc. - , il est évident
que ces ressources sont en fait strictement localisées. L'analyse complète du problème
de la localisation d'énergie minimale, dans le cas où les ressources sont localisées en
certains endroits, ne sera présentée qu'au chapitre suivant (5, section 4); mais il est
clair que les différents besoins vont exercer une attraction différente sur la localisation
de l'habitat, et que le treillis régulier subira une distorsion, dont la figure 4.5 donne
une idée. Dans le premier cas, sept unités d 'habitat sont distribuées régulièrement
sur des surfaces où les ressources sont uniformément réparties (fig. 4.5 A). Dans le
deuxième est introduite une ressource située uniquement dans un secteur, figuré en
grisé (fig. 4.5 B). Dans l 'hypothèse que toutes les unités d'habitat doivent avoir accès
à cette ressource, mais qu'elles vont s'éloigner le moins possible des positions définies
par le treillis, on obtient un ensemble de nouvelles localisations, et aussi des change-
ments du découpage en territoires déterminés par la méthode d'analyse de Thiessen
(cf. pp. 277-278). Dans le troisième cas, une ressource est supposée répartie linéaire-
ment (par exemple un cours d'eau, une voie de communication) et on calcule un chan-
gement adéquat de la localisation des unités d'habitat (fig. 4.5 C). Dans le dernier cas,
on suppose une ressource ponctuelle (par exemple un puits, un site défensif) et les
déplacements qui en résultent (fig. 4.5 D).
Ces quatre cas sont évidemment hypothétiques; dans la réalité, des distorsions
aussi nettement définies n'apparaissent pas. Néanmoins, si on les compare au tableau
des formes d 'habitat identifiées par les spécialistes européens (Jones, 1964, pp. 123-
127), un certain nombre de similitudes apparaissent. On peut reconnaître sur la
figure 4.5 A quelques caractéristiques de 1'habitat rural dispersé (Einzelhof); sur

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Fig. 4.5 - Série des types de répartition de l'habitat associés


à une source de plus en plus strictement localisée.

la figure 4.5 C des traits qui rappellent le Waldhufendorf, le Strassendorf ou le Marsch-


hufendorf, c'est-à-dire des villages en ligne dont le degré d'organisation et l'environ-
nement diffèrent; sur la figure 4.5 D, le Rundling, avec son parcellaire rayonnant,
ou le Haufendorf, avec son plan irrégulier d'openfield. Le développement réel des
types régionaux de répartition de l'habitat résulte évidemment de l'action de variables
multiples; les contraintes sociales y jouent un rôle aussi grand que celui du milieu.
Cependant, des considérations géométriques élémentaires, même très modifiées,
jouent un rôle dans cet ensemble.

Effets de distorsion dus à l'évolution historique

LES MODÈLES D'ÉVOLUTION DE L'HABITAT DANS LE TEMPS

L'un des problèmes posés par les modèles d'habitat de Christaller et de Losch
vient de leur caractère essentiellement statique; dans la réalité, le facteur temps
complique la hiérarchie des places centrales. Ainsi, dans des régions telles que l'Est
des États-Unis ou l'Est du Brésil, la hiérarchie de l'habitat est bien marquée dans les
aires de peuplement ancien; dans les aires plus récemment peuplées, cette hiérarchie
est encore en pleine évolution. Nous allons examiner ici deux orientations théoriques
majeures, dans lesquelles le facteur temps est introduit explicitement : celle des
modèles déterministes et celle des modèles probabilistes.

110
La morphologie de l'habitat

1° Une des rares tentatives faites pour placer l'expansion du peuplement dans un
cadre déterministe est due à Bylund (1960). Une étude historique sur la colonisation
du centre de la Laponie suédoise avant 1867 a conduit cet auteur à considérer la
façon dont les « vagues» de peuplement se déplaçaient dans cette région; il a créé
quatre modèles simples d'évolution (fig. 4.6). Pour chacun de ceux-ci, les hypothèses

Développement A 8
de la colonisation

• origine

() l"~ phase

<D 2' phase

o 3' phase

Fig. 4.6 - Modèles théoriques de diffusion du peuplement.


Source: BYLUND, 1960, p. 226.

de base sont les suivantes : 1° les conditions physiques du pays sont identiques dans
tous ses secteurs (peuplés ou vides); 2° tant que les secteurs proches des « foyers»
de migration n'ont pas été occupés, les secteurs plus éloignés ne sont pas colonisés.
La seule différence majeure entre les quatre modèles réside dans le nombre et la loca-
lisation des « foyers »; il est clair que l'expansion est supposée avoir lieu à partir d'une
localisation côtière dans les cas A et D, à partir d'une localisation à l'intérieur des
terres dans les cas B et C.
Comme Thünen (chap. 6, section 2), Bylund essaie de réintroduire la réalité dans
son modèle en faisant varier les conditions physiques du pays, l'accès aux routes,
et le nombre des cultivateurs migrants qui, à chaque génération, s'en vont fonder
de nouvelles fermes. La comparaison entre un modèle beaucoup plus affiné et les
documents historiques concernant la paroisse d'Arvidsjaur de 1775 à 1867 fait appa-

III
LES NŒUDS

raître une concordance suffisante pour suggérer qu'il serait intéressant de pousser
la recherche sur ce type thünenien de modèle de croissance.
2° On peut aborder autrement l'étude de l'évolution du peuplement, en se plaçant
dans un cadre probabiliste. Dans ce cas, la croissance est simulée par des processus
aléatoires (technique dite de Monte-Carlo discutée au chapitre 10, section 3) qui sont,
chacun à leur tour, limités par un cadre que définissent certaines « règles» fondées
sur l'observation empirique du comportement des hommes en matière de peuplement.
Morrill (1962) fournit un exemple typique de cette façon d'aborder l'évolution du
peuplement. Il considère d'abord un point de peuplement initial, et observe l'édifica-
tion, autour de ce centre fondateur, d'une hiérarchie de l'habitat déterminée par une
suite de nombres au hasard. Ces nombres peuvent être donnés par un dé, par un ordi-
nateur, ou par des tables (cf par exemple: Fisher et Yates, Statistical Tables, 1957,
pp. 126-131). Les trois règles fondamentales suivies par MorriU sont les suivantes :
1° Pour chaque période ou génération (To, Tl' T 2, . . . , T n), chaque localité, selon son
rang d'origine, produit au moins un émigrant, le nombre total des émigrants de
chaque localité étant proportionnel à la taille de celle-ci. 2° Toute localité peut recevoir
des immigrants plus d'une fois, et s'agrandir, pourvu que soit respectée la « règle de
compatibilité de distance» qui limite la taille d'une localité en fonction de la distance
qui la sépare de localités plus grandes (par exemple, un point de peuplement situé
à cinq cases de distance du point origine peut s'accroître jusqu'à cinq, puis il stagne).
3° La longueur et la direction du déplacement de chaque migrant sont déterminées
par les nombres d'une matrice de probabilité (fig. 4.7 A) fondée sur l'étude empirique,
faite par Kulldorff (1955) et Hagerstrand (1957), de mouvements locaux de population
en Suède.
La figure 4.7 B présente un exemple simple, donné par MorriU, de la croissance
d'une hiérarchie comprenant six unités de peuplement (A, B, ... , F). La séquence
commence par l'unité de peuplement isolée A, située au bord de la mer. Les nombres
®
B
:
1
2-
3
4- 8-
7 9 10 o 3
-A
11 - 13 - 19- 29- 35-
12 18 28 34 36
'\ C~ /
37- 41-
Lto 50
51 - 61-
60 6Lt
F~/t
65- 67- 73- 83- 89-
66 72 82 88 90
91 92- 94- 98-
93 97 99 100
Ef4
Fig. 4.7 - A. Matrice de probabilité donnant les distances et les
directions. - B. Exemple de séquence de simulation utilisant la
méthode de Monte-Carlo.
Source: MORRILL, 1962, p. 112.

112
La morphologie de l'habitat

entre parenthèses sont des nombres au hasard. Première génération: CI 0) - impossi-


bilité (dans la mer); (22) - localisation d'une nouvelle unité de peuplement, B;
A atteint la taille « deux ». Deuxième génération: (24) - impossibilité (B ne peut pas
dépasser la taille « un », étant distant de A d'une case seulement); (42) - localisation
d'une nouvelle unité de peuplement, C; A atteint la taille « trois ». Troisième géné-
ration: (37) - localisation d'une nouvelle unité de peuplement, D; A atteint la
taille « quatre », mais B et C sont trop proches de A pour pouvoir s'accroître encore.
Quatrième génération: (96) - localisation d'une nouvelle unité de peuplement, E;
(77) - localisation d'une nouvelle unité de peuplement, F (N.B. : la matrice est
centrée sur D, qui est point d'origine de la création de F); A atteint la taille « cinq »;
D atteint la taille « deux ». A la fin de cette séquence, qui utilise sept nombres au
hasard (10, 22, 24, 42, 37, 96 et 77) et la matrice de probabilité de la figure 4.7 A,
une hiérarchie comprenant six unités de peuplement s'est formée; elle comporte
une seule grande unité de peuplement (A, dont la taille est « cinq»), une seule unité
moyenne (D, dont la taille est « deux ») et quatre unités plus petites (B, C, E et F,
dont la taille est « un »).
En suivant ces règles et en recentrant à chaque opération la matrice sur l'unité
de peuplement dont les migrants sont originaires, on peut édifier peu à peu une hiérar-
chie qui simule un schéma général de répartition des unités de peuplement (mais pas
leur localisation exacte) (fig. 4.8). Des hiérarchies et des rapports entre rang et taille
se trouvent ainsi établis, même s'ils sont (comme dans la réalité) imparfaits et asy-
métriques.
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1
1
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Fig. 4.8 - Répartition du peuplement obtenue par simulation (méthode de Monte-


Carlo).
Source: MORRILL, 1962, p. 119.

113
LES NŒUDS

LES SCHÉMAS DE DIFFUSION OBSERVÉS

Décrire dans leur complexité les schémas des processus réels de diffusion est un
problème de recherche historique qui exige une vaste documentation. Mitchell (1954),
dans une savante reconstitution de l'évolution du peuplement de l'East Anglia, a
regroupé des éléments d'information hétérogènes : noms de lieux, architecture reli-
gieuse, photographies aériennes. Sandner (1961), dans une remarquable enquête sur
l'expansion de la colonisation espagnole à Costa Rica, se fonde davantage sur des
documents d'archives et, pour les périodes plus récentes, sur les recensements. Ces
deux études, et d'autres du même genre, ont cherché à identifier des phases distinctes
dans les processus de peuplement; par exemple, Mitchell distingue le peuplement
primaire des vallées et le peuplement secondaire des interfluves et Sandner décrit
le processus par lequel les « foyers» de migration servent de base pour des créations
ultérieures.
Chisholm (1962) a avancé l'idée que la diffusion d'unités de peuplement nouvelles
et plus petites autour d'unités plus anciennes et plus grandes peut être liée à quatre
grands types de changements : 1° transformations, socio-économiques, du système
de tenure des terres; 2° disparition du besoin de s'agglomérer pour se défendre;
3° élimination de facteurs, tels que les maladies, qui, précédemment, empêchaient
le peuplement d'une contrée; 4° améliorations techniques apportées à l'approvision-
nement en eau. Dans les régions industrialisées, les plus importantes ont peut-être
été les transformations des systèmes de tenure des terres. Hoskins, dans son ouvrage
The Making of the English Landscape (1955, p. 157), a discuté l'effet produit par les
« enclosures» sur de grandes étendues de terre, en Angleterre, entre 1750 et 1850.
Des fermes isolées et des domaines remembrés se sont alors substitués aux villages
nucléaires et aux terres partagées en bandes et soumises aux pratiques communau-
taires; dans le langage de la figure 4.5, on est retourné du type D au type A. A propos
du Japon, Inouye a retracé le lent fractionnement de villages linéaires (type C de la
figure 4.5) en formes plus dispersées. Pour le village de Kamitome, près de Tokyo,
il a pu, grâce à la continuité de la documentation concernant les fermes et les tenures,
retracer en détail l'évolution depuis la fin du XVIIe siècle: à mesure que la population
augmentait, la largeur des exploitations en forme de bandes diminuait progressive-
ment, les nouvelles fermes se pressant le long de la route, conformément à la tradition,
jusqu'au moment où le bord de la route s'est trouvé saturé. Alors, dans l'impossibilité
de rétrécir davantage les bandes, les nouvelles fermes ont été installées à l'écart de la
route (V.G.I., 1964).
Les nouveaux schémas de répartition des fermes dans le Sud de l'Italie, et les nou-
veaux plans de colonisation dans la « zone sèche» de Ceylan (Farmer, 1957), pré-
sentent des exemples des deuxième et troisième facteurs de dispersion de Chisholm.
L'évolution technique, quatrième facteur de dispersion, a évidemment agi dans deux
directions : tandis que le fil de fer barbelé et le moulin à vent métallique permettaient
la dispersion du peuplement agricole des Grandes Plaines (Webb, 1927), des change-
ments techniques ultérieurs, notamment l'automobile et la moissonneuse-batteuse,
autorisaient le développement de l'agriculture absentéiste (cf. pp. 181-182).

114
Les groupements de population : la distribution des tailles

Chisholm (1957) a fourni des données sur cet aspect de la concentration économique.
Il a calculé, pour l'Angleterre et le Pays de Galles en 1956, le coût du ramassage du
lait, des fermes au dépôt local d'où partent les chargements de gros vers la ville.
Les variations du coût de ramassage suivaient de près celles du nombre de gallons
collectés par mile parcouru par le camion. Pour les parcours de faible densité (cinq
gallons par mile/camion), le coût du ramassage atteignait 3,8 pence par gallon,
alors que pour les parcours de forte densité (40 gallons par mile/camion), il était
seulement de 0,6 penny par gallon. La faible densité de certains parcours résulte de la
combinaison de deux faits : l'éparpillement de petites fermes et la faiblesse de la
production de lait par ferme; il est clair que collecter dans ces secteurs revient environ
six fois plus cher que dans les secteurs de forte densité. Il en va de même pour la
plupart des fournitures de services aux habitats largement éparpillés. L'électrification,
l'adduction d'eau et le système d'égouts, le téléphone et les services postaux, les routes
et les transports coûtent plus cher dans de tels secteurs.

2. LES GROUPEMENTS DE POPULATION : LA DISTRIBUTION DES


TAILLES

Bien qu'il soit commode de considérer la population du monde comme répartie


en une série de groupements discrets et isolés, il faut reconnaître que cette conception
est quelque peu factice. La définition qu'on donne d'un groupement dépend largement
de la façon dont on trace ses limites et dont on définit le terme «isolé ». Ainsi Inouye
(U.G .1., 1964) définit une unité d 'habitat isolée comme étant située à 150 mètres au
moins de l'unité la plus proche. Bien entendu, il faut adopter un étalon artificiel de
ce genre, mais il faut être prêt à le modifier quand il s'agit d'unités d'habitat plus
importantes. Trouver une définition efficace de « la ville» est un problème complexe
qui sera discuté au chapitre 7. Nous utiliserons l'excellente enquête faite par l'Interna-
tional Urban Research Unit de l'université de Californie (Berkeley), qui a essayé de
normaliser, pour le monde entier, la définition des « aires métropolitaines » (Interna-
tional Urban Research, 1959).
L'examen des informations disponibles sur les grands groupements, ceux qui ont
la taille d'une ville, donne une impression de remarquable régularité. De même qu'un
résea u de drainage est régulièrement ramifié (Leopold, Wolman et Miller, 1964),
de même chaque groupement occupe une place définie dans la hiérarchie des villes,
le système entier apparaissant comme « une chaîne, presque une chaîne féodale de
vassalité, dans laquelle une ville peut être tributaire d'un centre plus grand et être
cependant la métropole d'une assez grande région » (Careless, 1954, p. 17). Comme
le montre le tableau 4.3, il existe relativement peu de grandes villes, beaucoup de villes
de taille moyenne, et une armée de petites villes, que l'on établisse des statistiques à
l'échelle du monde, d'un seul pays (par exemple les États-Unis), ou d'une seule région
de ce pays (par exemple le Texas) : aux trois échelles, l'effectif des groupements est
manifestement fonction directe de leur taille. Ce fait, qui indique l'existence de liaisons
assez régulières, a suscité un certain nombre de recherches visant à définir les rapports
entre l'effectif et la taille.

115
TABLEAU 4.3

DISTRIBUTION DES VILLES D'APRÈS LEUR TAILLE l

Texas États-Unis Monde 2

Villes de 100000 à 250 000 habitants 6 65 565


Villes de 250 000 à 500000 habitants 3 23 163
Villes de 500000 à 1 000000 d'habitants 1 13 86
Villes de plus d'l 000000 d'habitants 1 5 53

1. Données pour le début de la décennie 1950-1960.


2. Quarante pays.

Sources: International Urban Research, The World's Metropolitan Areas, 1959; B.J.L. BERRY, in Economie
Development and Cultural Change, 9, 1961, p. 588.

Les relations entre le rang et la taille


Il y a plus d'un demi-siècle qu'Auerbach (1913) a noté l'existence d'une liaison
régulière entre la taille des villes et leur rang. On peut formaliser cette liaison en
l'appelant règle de la taille selon le rang,. cette règle s'énonce par la formule
P n = Pl (n)-l

Dans cette formule, P n est la population de la ville qui a le nième rang, toutes les
villes d'une région étant rangées selon l'effectif de leur population, par ordre décrois-
sant; Pl est la population de la plus grande ville (la ville première). Théoriquement,
par conséquent, la population de la cinquième ville devrait être exactement égale à
un cinquième de la population de la plus grande ville, si la règle de la taille selon le
rang décrivait parfaitement la liaison. Isard (1956, p. 58) a montré qu'aux États-Unis,
en 1940, Pl (la population de New York) étant égale à 11 690 000, la valeur de P s
devait être égale à 2 338 000. En fait, la population de la cinquième ville, Boston,
était de 2351000.
Stewart (1958) a souligné que cette règle est un résultat empirique, non une propo-
sition théorique ou logique. Christaller et L6sch se sont l'un et l'autre intéressés,
dans leurs modèles théoriques, à la détermination de catégories d'après les fonctions
plutôt que d'après la taille (chap. 5, section 1). Mais Beckmann (1958) a montré
comment, par introduction d'un facteur aléatoire, les échelons discrets de la hiérarchie
de Christaller peuvent se fondre en une distribution des tailles des villes selon leurs
rangs. Il n'en faut pas moins apprécier l'utilité de cette «règle» par l'aide qu'elle
apporte quand il s'agit de tirer une idée générale d'observations sur la distribution
de la population.
Il est plus facile d'obtenir des données sur les niveaux supérieurs de la hiérarchie
des villes, et il n'est pas étonnant que l'intérêt se soit porté principalement sur l'appli-
cation de la règle aux grandes villes. Stewart (1958) a étudié le rapport entre la popu-
lation de la première ville (Pl) et celle de la deuxième (P2), dans un échantillon de
soixante-douze pays. Il a constaté que les rapports (P2 /PI ) ne se groupaient pas autour

116
Les groupements de population : la distribution des tailles

de la valeur 0,50, qui est la valeur théorique selon la règle, mais que, pour l'ensemble
de l'échantillon, la valeur médiane du rapport était 0,31 (autrement dit, la taille carac-
téristique de la deuxième ville était égale à un tiers de la taille de la première). Les
valeurs du rapport s'étendaient de 0,65 (valeur atteinte pour des pays tels que le
Canada) à 0,06 (pour l'Uruguay). Stewart n'a guère découvert de constantes dans la
distribution de ces rapports, sinon la tendance des grands pays à avoir des rapports
de valeur élevée. Pour six de ces pays (Australie, Brésil, Canada, Inde, États-Unis
et U.R.S.S.), il a aussi calculé les rapports P 2 / Pl au niveau des diverses divisions admi-
nistratives (États, provinces, etc.). Les valeurs obtenues s'étendaient de 0,43 (valeur
médiane obtenue pour les États-Unis) à 0,07; cette dernière valeur, remarquablement
basse, étant celle de l'Australie, où cinq États sur six sont, chacun, fortement dominés
par un grand centre urbain. Ici, encore, au niveau provincial, les résultats donnent
à penser que les rapports sont de valeur inférieure à la valeur théorique prévue par
la règle de la taille selon le rang.
Les résultats fondés sur les deux principales villes sont évidemment très variables.
Plusieurs auteurs (Zipf, 1949; Stewart, 1958; Gibbs, 1961, pp. 438-451) ont poursuivi
l'étude de cette liaison en descendant plus bas dans la gamme des villes. La figure 4.9 A

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2
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Fig. 4.9 - A. Valeur médiane des rapports de la population des 2", 3",4" et 5" villes à la population de
la 1'" ville. - B. Évolution de la distribution des villes d'après leur taille, en Suède et aux États-Unis.
Sources: STEWART, 1958, pp. 228, 231; ZIPF, 1949.

117
LES NŒUDS

présente les rapports obtenus pour les cinq plus grandes villes, dans un certain nombre
de pays très différents les uns des autres: pour les États-Unis, leurs valeurs concordent
assez étroitement avec la suite théorique (1; 0,50; 0,33; 0,25; 0,20), tandis que la
divergence est très nette pour l'Australie. En étendant l'étude de la liaison entre le
rang et la taille à toute la gamme des villes pour lesquelles on dispose de données,
on obtient des courbes semblables à celles de la figure 4.9 B, qui présentent deux cas
opposés: celui des États-Unis (en traits continus), dans lequel les courbes sont rela-
tivement rectilignes, et qui confirme la forme générale de la règle de la taille selon
le rang, et celui de la Suède (en tireté), où la courbe est en forme d'S. La comparaison
des courbes des deux pays fait apparaître une linéarité de plus en plus nette avec le
temps dans le cas des États-Unis, mais une irrégularité de plus en plus marquée dans
le cas de la Suède. Ici encore, les deux cas suggèrent l'existence d'une certaine variation
de la distribution des villes selon leur taille, aussi bien dans l'espace que dans le temps.

Caractère général de la liaison: distributions log-norIllales

LA FORME DE LA DISTRIBUTION

Le fait que la règle de la taille selon le rang apparaît sous la forme d'une droite sur
papier bilogarithmique (fig. 4.9 B) incite à penser qu'il est possible de la considérer
simplement comme une partie d'une distribution logarithmique tronquée. Abordant
ainsi le problème, Berry (1961-A) a étudié la distribution des villes d'après leur taille
dans trente-huit pays choisis de façon à représenter équitablement toutes les parties
du monde, sauf l'Afrique (qui était sous-représentée). Les pays de l'échantillon s'éche-
lonnaient, du point de vue de leur taille, de la Russie soviétique au Salvador; les
données utilisées concernaient le début de la décennie 1950-1960. La population
statistique étudiée consistait en 4 187 villes de plus de 20 000 habitants; cependant,
pour quelques pays, notamment la France, les données concernant les classes infé-
rieures n'étaient pas disponibles.
Pour chaque pays, Berry a porté en ordonnée le nombre des villes, en pourcentages
cumulés, et en abscisse la taille des villes. Il a porté les ordonnées sur une échelle
gaussienne, et les abscisses sur une échelle logarithmique; dans ces conditions, une
distribution log-normale doit apparaître simplement sous la forme d'une ligne droite.
En employant ce type de graphique, Berry a identifié deux types principaux de distri-
bution des villes selon leur taille, et une classe intermédiaire. Il a classé treize pays,
sur trente-huit, comme ayant une distribution log-normale (correspondant à la règle
de la taille selon le rang); parmi eux se trouvent aussi bien des pays très développés
comme les États-Unis (a) que des pays sous-développés comme la Corée (h); aussi
bien de grands pays comme la Chine (c) que de petits pays comme le Salvador (d)
(fig. 4.10 A). Berry a classé quinze autres pays comme ayant une distribution prima-
tiale, présentant un intervalle bien marqué entre la ou les villes placées en tête de la
distribution et les villes plus petites. Tous les pays de ce groupe sont petits, mais les
caractéristiques de leurs courbes varient beaucoup : sur la courbe de la Thaïlande (a)

118
60
50
40
Distributions log-normales Distributions primatiales ®
30

20

10

§"
" 2
.~
Cl
j!
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13
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40 Distributions intermédiaires Distribution mondiale ®
" 30
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ir. 20

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5 la 50 100 5 10 50 100
Taille des villes, en dizaines de milliers d'habitants

Fig. 4.10 - Formes de distributions des villes selon leur taille.


Source: BERRY, 1961-A, pp. 575-578.

rien ne rappelle la courbe log-normale, tandis que sur celle du Danemark (b) des
traces de la distribution log-normale réapparaissent dans la partie inférieure de la
gamme des tailles, et que celle du Japon ne présente qu'une petite cassure par rapport
au modèle log-normal.
Entre ces deux classes, Berry identifie une distribution intermédiaire, qui concerne
neuf pays, parmi lesquels des pays comme l'Angleterre et le Pays de Galles (a),
où « les villes premières sont surajoutées au sommet d'une distribution log-normale
complète aplatie» (Berry, 1961-A, p. 576), ou comme l'Australie (b), où les petites
villes manquent à la courbe log-normale, ou comme le Portugal (c), dont la distri-
bution curieusement « biseautée » présente une section moyenne log-normale
(fig. 4.10 C). La superposition des courbes de l'ensemble des trente-huit pays
(fig. 4.10 D) fait apparaître leur caractère général: il existe une tendance bien marquée,
au niveau mondial, vers le modèle log-normal.

119
LES NŒUDS

L'INTERPRÉTATION DES FORMES DE LA LIAISON ENTRE TAILLE ET NOMBRE DES LOCALITÉS

Que signifient les différences observées entre ces diverses formes de la distribution
des villes selon leur taille? Berry propose deux groupes d'hypothèses.
IoLe premier groupe d'hypothèses contient des idées qui semblent logiques dans
l'abstrait, mais que l'observation empirique n'a pas confirmées. On peut par exemple
proposer une hypothèse d'urbanisation selon laquelle le type de distribution est lié
au degré d'urbanisation. Cependant, si on rapporte graphiquement le degré d'urba-
nisation, mesuré par la proportion de la population totale d'un pays vivant dans des
villes de 200 000 habitants ou plus, à la distribution des villes selon leur taille, on ne
constate aucune liaison. Par exemple, on rencontre le modèle primatial aussi bien
dans des pays très urbanisés (comme les Pays-Bas ou le Japon) que dans des pays en
grande partie ruraux (comme le Mexique ou la Thaïlande). Il en va de même en ce
qui concerne le modèle log-normal.
Une deuxième hypothèse, l'hypothèse de développement économique, a aussi été
testée, et s'est également révélée inefficace. Dans ce cas, la distribution des villes
selon leur taille est rapportée au degré de développement économique, qui est mesuré
d'après une échelle calculée par Berry (1960) à partir de quarante-trois indices de
développement économique (cf ci-dessus pp. 90-93). Si le développement écono-
mique et la distribution des villes selon leur taille sont liés, on doit théoriquement
trouver tous les pays ayant une distribution primatiale à une extrémité de l'échelle
et tous les pays ayant une distribution log-normale à l'autre extrémité. En
fait, comme la figure 4.11 le montre, la répartition est essentiellement aléatoire.
o

••• •••o. o.•


0
• o

Pays moins • .0 0 • Pays plus
développés ---------'---------"'-0"-------"------+-.---..,,.------.... développés

• • • 0 o~ •
o

• •
o
Distribution log-normale
Distribution primatiale

Fig. 4.11 - Répartition, sur l'échelle de développement de Berry, des pays à distribution log-
normale et des pays à distribution primatiale.
Source: BERRY, 1961-A, p. 586.

Les pays ayant une distribution primatiale (représentés par des cercles creux) et les
pays ayant une distribution log-normale (représentés par des cercles pleins) sont
répartis irrégulièrement, sans qu'il existe un groupement préférentiel en un point
quelconque de l'échelle de développement. On peut donc conclure que l'hypothèse
de développement économique ne peut être retenue.
20 Le second groupe d'hypothèses contient des idées qui semblent moins logiques
et certainement moins claires dans l'abstrait, mais que confirment les données dispo-
nibles. Simon (1955) a proposé une hypothèse stochastique de caractère général,
dont les implications sont importantes pour les distributions log-normale et primatiale.

120
Les groupements de population : la distribution des tailles

Il aborde l'étude de la distribution des villes selon leur taille du point de vue de la
théorie générale des systèmes (chap. 1, section 3), en soutenant que, du fait de sa
stabilité dans l'espace et le temps, la liaison entre le rang et la taille des villes peut être
considérée comme un phénomène d'état stable, c'est-à-dire un état d'entropie dans
lequel la distribution est soumise à une myriade de petites forces aléatoires. Simon
a rapproché la règle de la taille selon le rang d'une formulation probabiliste que Yule
a employée en 1924 pour expliquer la distribution des espèces biologiques, et dans
laquelle la distribution log-normale est présentée comme cas limite de processus
stochastiques de croissance. Berry et Garrison (1958-c) ont testé le modèle de Simon
à propos de la distribution des villes selon leur taille dans l'État de Washington
aux États-Unis et, comme le tableau 4.4 le montre, l'approximation obtenue est assez
bonne.
TABLEAU 4.4

DISTRIBUTION OBSERVÉE DES VILLES SELON LEUR TAILLE


ET DISTRIBUTION THÉORIQUE D'APRÈS LE MODÈLE DE SIMON 1

Nombre d'habitants (x 10 4 )
Nombre de villes
0,5 1,5 1
2,5 3,5

Nombre observé . 36 12 7 5
Nombre théorique (d'après le modèle de Simon) : 1
36 14 9 6
1 1

1. État de Washington, États-Unis, 1950.

Source: B. J. L. BERRY et W. L. GARRISON, in Annois of the Association of American Geographers, 1958,


p. 89.

En ce qui concerne les deux modèles de distribution par pays, modèle log-normal
et modèle primatial, Berry (1961-A) a soutenu que la démarche de Simon implique
deux groupes d'hypothèses secondaires. Premier groupe : les modèles log-normaux
sont le produit de l'urbanisation, dans des pays qui : (a) sont plus grands que la
moyenne, (b) ont une longue tradition d'urbanisation, (c) sont économiquement
et politiquement complexes. Parmi les treize pays de ce groupe, les États-Unis et
le Brésil vérifient l'hypothèse a, l'Inde, la Chine et les six pays d'Europe vérifient
l'hypothèse b, et il est possible que l'Afrique du Sud vérifie l'hypothèse c. Évidem-
ment, certains pays vérifient les trois hypothèses; il apparaît, par contre, que deux
pays du groupe log-normal, la Corée et le Salvador, n'en vérifient aucune.
Deuxième groupe d 'hypothèses secondaires : on peut soutenir que les modèles
primatiaux sont le produit du développement des villes dans des pays : (a) qui sont
plus petits que la moyenne, (b) dont l'urbanisation est récente, (c) qui sont, économi-
quement ou politiquement, simples. Il est certain que les quinze pays de ce groupe
sont de taille petite à moyenne, et que, dans certains, apparaît clairement l'effet d'un
petit nombre de forces puissantes. Ainsi, les capitales du Portugal, de l'Espagne, de
l'Autriche et des Pays-Bas se sont développées de façon à desservir des Empires
plutôt qu'en harmonie avec la hiérarchie urbaine locale: par exemple, la taille de

121
LES NŒUDS

Vienne est logique dans le cadre de l'Empire austro-hongrois plutôt que dans celui
de l'Autriche contemporaine. D'autres pays possèdent soit un secteur commercial
d'exportation superposé à un système agricole traditionnel (par exemple l'économie
« dualiste» de Ceylan), soit un vigoureux système d'exportation de produits primaires
(par exemple l'Uruguay), soit une seule viIJe « occidentalisée» (par exemple la Thaï-
lande).

La partie inférieure de la distribution : un problème non résolu

Une des difficultés que soulèvent les deux façons de considérer le continuum formé
par les tailles des unités de peuplement (règle de la taille selon le rang et distribution
log-normale tronquée) est que l'une et l'autre s'appliquent mal à l'extrémité inférieure
de la distribution. Selon les deux règles, le nombre des unités de peuplement devrait
continuer à croître à mesure que leur taille décroît, de sorte que, théoriquement, il
devrait exister non seulement plus de villages que de villes, mais plus de hameaux
que de villages, plus de maisons isolées que de hameaux. Les mêmes postulats sont
sous-jacents aux idées présentées par Christaller et Losch sur la hiérarchie fonction-
nelle (chap. 5, section 1). Mais on sait que cette liaison n'est pas universellement
valable: il peut se faire que les maisons isolées ne soient pas plus nombreuses que les
hameaux.
Gunawardena (1964) a étudié la répartition de l'habitat dans le Sud de Ceylan,
et a pu décomposer le peuplement en groupes distincts, au niveau du quartier de
village. La distribution des unités d'habitat selon leur taille, portée sur papier bilo-

Échantillon de 40 pays
(N=4,187)

"", .... - .... ,


l ,
l ,
'" \
Zone sèche,
N ~ 430 \
,
\
\

1 1"
"" 1 1
10 10 2 10 3 10 4
Taille des unités d'habitat

Fig. 4.12 - Distributions de fréquences de la taille des unités d'habitat dans la zone
humide el dans la zone sèche du Sud de Ceylan.
Source: GUNAWARDENA, 1964, p. 167.

122
La taille et l'espacement des groupements

garithmique (fig. 4.12), présente, tant pour la zone humide que pour la zone sèche,
une courbe caractéristique, d'après laquelle il est possible de considérer cette distri-
bution comme log-normale. Ces résultats donnent à penser que les études faites
jusqu'à présent sur les grands groupements de population n'ont, en fait, décrit qu'une
partie (la partie supérieure ou urbaine) du continuum formé par les unité s d'habitat.
En effet, si on porte les données du tableau 4.3 sur le graphique de Gunawardena,
elles décrivent en gros une parallèle à la partie supérieure des distributions caracté-
ristiques des deux zones. Il peut donc être nécessaire d'examiner la partie inférieure,
celle qui correspond aux « quartiers de villages », pour voir si la règle de la taille selon
le rang peut y être inversée, à peu près comme, Hjülstrom l'a constaté, la liaison entre
la taille des particules et la sensibilité à l'érosion s'inverse dans les classes inférieures
de dimension, parce que les particules très petites forment des agrégats (Scheidegger,
1961, p. 135). Il est difficile d'obtenir des données à ce niveau, ce qui pose des pro-
blèmes particuliers; des enquêtes sur le terrain sont probablement nécessaires, plutôt
que l'exploitation secondaire de recensements, pour clarifier les liaisons intéressantes
existant, à ce niveau assez peu connu, entre le nombre et la taille des groupements.

3. LA TAILLE ET L'ESPACEMENT DES GROUPEMENTS

L'espacement de groupements discrets

Supposons, sans tenir compte des résultats obtenus par Gunawardena (cf ci-dessus),
que la règle de la taille selon le rang soit effectivement valable; alors, théoriquement,
l'espacement des unités d 'habitat devrait être régi en grande partie par leur taille.
Les grandes unités d 'habitat seraient largement espacées, les petites peu espacées.
A propos de types discrets de peuplement, Christaller (1933) et L6sch (1954) ont
montré que cette proposition peut être valable, au moins pour des régions bien déter-
minées. Dans le Sud de l'Allemagne, Christaller a examiné en détailla hiérarchie des
petites villes et des villages situés autour des cinq grandes capitales régionales (Franc-
fort, Munich, Nuremberg, Strasbourg et Stuttgart) : alors que la distance qui sépare
celles-ci est de 178 kilomètres, la distance qui sépare les chefs-lieux de provinces plus
petites est de 108 kilomètres seulement, celle qui sépare les chefs-lieux d'arrondisse-
ment de 21 kilomètres, et celle qui sépare les villages de 7 kilomètres. Les observations
de Losch concernant l'Iowa, dans le centre des États-Unis, sont représentées par la
figure 4.13, qui suggère l'existence d'une liaison étroite entre la taille et l'espacement,
pour trois classes de localités, qui ont de 300 à 1 000 habitants (fig. 4.13 A), de 1 000
à 4 000 habitants (fig. 4.13 B) et de 4 000 à 20000 habitants (fig. 4.13 C). Cette figure
donne aussi à penser que l'espacement est d'autant plus variable que la taille augmente.
Depuis les années 1930, à ces résultats se sont ajoutés des travaux tels que celui
de Brush et Bracey (1955), qui ont comparé les centres ruraux du Sud-Ouest du Wis-
consin (États-Unis) et ceux du Sud de l'Angleterre. Ces auteurs ont constaté qu'en
dépit des différences bien marquées (en ce qui concerne la densité de population,

123
50

N = 415
®
N = 152
CD
N = 39

40

" 30
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~
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0-

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o 20 o 20 40 60
Espacement des villes, en kilomètres

Fig. 4.13 - Histogrammes des distances, en ligne droite, qui séparent les petites villes (A), les villes
moyennes (B) et les grandes villes (C), dans l'Iowa.
Source : LbSCH, 1954, p. 391.

les fonctions économiques et 1'histoire politique et sociale) existant entre les deux
régions, l'une et l'autre présentaient deux niveaux distincts de places centrales :
des centres de catégorie supérieure disposés à des intervalles de 21 miles, et des centres
de catégorie inférieure disposés à des intervalles de 8 à 10 miles.
Des liaisons quelque peu différentes ont été découvertes par Bouse (1953), dans
une étude sur les villes de taille moyenne appartenant à ces deux mêmes sociétés
industrielles. Bouse a défini les villes de taille moyenne comme ayant de 20000 à
100000 habitants, et étudié leur distribution en Angleterre, au Pays de Galles, et
dans la partie occidentale de la grande zone industrielle (manufacturing belt) des
États-Unis (Illinois, Indiana, Michigan, Ohio et Pennsylvanie). Comme le montre
le tableau 4.5, les deux aires étudiées avaient des effectifs de population à peu près
comparables, mais, dans cette région des États-Unis, la densité de population était
deux fois moins forte, et les villes de taille moyenne environ trois fois moins nom-
breuses, qu'en Angleterre et au Pays de Galles. Dans les deux cas, la distance séparant
les villes augmente généralement avec la taille des villes; mais ces distances sont
très inférieures aux valeurs obtenues par Christaller. Selon ce dernier, les intervalles

124
TABLEAU 4.5
ESPACEMENT DES VILLES DANS DEUX RÉGIONS INDUSTRIELLES

Angleterre
États-Unis
Pays de Galles
(1950)
(1951)

Population (en millions d'habitants) 43,8 37,5


Densité (en habitants par mile carré) 134 63
Nombre de villes de taille moyenne . 316 123
Espacement moyen des villes de taille moyenne, en miles :
- villes de 20 à 30000 habitants . . . 6,1 14,6
- villes de 40 à 50000 habitants . . . . . . . . . 7,9 28,3
- villes de 75 à 100000 habitants. . . . . . . . . 10,0 38,0

Source: J. W. HOUSE, in Planning Outlook, 1953, p. 63.

entre villes de 30 000 habitants sont d'environ 38 miles dans le Sud de l'Allemagne;
en Angleterre et au Pays de Galles, le chiffre correspondant est d'environ 7 miles,
et, aux États-Unis, d'environ 25 miles. Les différences entre ces résultats proviennent
en grande partie des caractéristiques de l'industrie dans ces dernières régions. Il est
difficile de donner des définitions exactes, les classifications employées dans les recen-
sements étant très différentes. Environ la moitié des villes britanniques sont des villes
minières et industrielles, dont beaucoup sont encore agglomérées sur les gisements
de houille qui sont à l'origine de leur localisation. Aux États-Unis, les villes sont moins
spécialisées, et, s'étant développées plus tard, moins concentrées sur les gisements.
Le niveau atteint par l'industrialisation et l'époque à laquelle elle a eu lieu ont donc
modifié profondément les caractéristiques d'espacement.

L'espaceInent, fonction continue


LA DÉFINITION DE L 'ESPACEMENT

A côté des études sur les caractéristiques moyennes des groupements de population,
il en est qui considèrent l'espacement comme une fonction continue. Dans ces der-
nières, la méthode d'analyse dépend de la définition adoptée pour l' « espacement»;
dans la plupart des cas, l'espacement est mesuré par la distance en ligne droite entre
une unité d'habitat et ses « plus proches voisines de même taille ». Cependant, comme
Thomas (1961) le fait remarquer, ceci ne signifie pas nécessairement que les popula-
tions des deux villes ont exactement la même taille, mais plutôt qu'elles ont approxi-
mativement la même taille. Thomas introduit le concept de probabilité, qui donne
beaucoup plus de précision au choix de la taille que l'on qualifie d' « approximati-
vement la même ». Il montre, à partir d'un échantillon dont la distribution est proche
d'une courbe log-log-normale, qu'en adoptant un seuil de confiance donné (par
exemple 95 %) on peut définir l'intervalle numérique dans lequel se trouvera, théori-
quement, la localité voisine la plus proche ayant « la même population ». La formule
générale peut être écrite ainsi :
Si - xE; ,,:;;; Ni ,,:;;; Si + xE,

125
LES NŒUDS

Dans cette formule, Si est la population de la localité échantillon, Ni la population


de la plus proche voisine, E i l'erreur aléatoire et x l'écart-type de la loi normale
associée au seuil de confiance choisi (Thomas, 1961, p. 405). En termes simples:
si la localité échantillon a une population de 105 habitants, on peut définir, pour la
plus proche voisine, la « même population» comme comprise entre 72 et 159 habi-
tants. Toute différence de population comprise entre ces limites peut être considérée
comme due au hasard, et négligée. Le fait que les limites sont disposées asymétrique-
ment de part et d'autre de 105 est dû aux caractéristiques de la courbe log-log-normale
correspondant à la « population» étudiée (les villes de l'Iowa).

L'ESPACEMENT ET LA TAILLE DES GROUPEMENTS

Utilisant cette définition, Thomas (1961) a étudié la liaison entre la population


et l'espacement, pour quatre-vingt-neuf localités échantillons situées dans l'Iowa
(fig. 4.14). L'étude statistique fait apparaître, conformément à la théorie, une asso-
ciation positive entre le logarithme de la distance et l'effectif de population; mais la
proportion de la variation des distances « expliquée » par les variations d'effectifs
n'est que d'un tiers environ (R2 = 0,35). Dans une étude complémentaire, Thomas
(1962) vérifie ces résultats, obtenus à partir des effectifs de population de 1950, en

Fig. 4.14 - Plus proches voisines d'unités d'habitat échantillons, dans l'Iowa (G = 3,5).
Les liaisons avec des unités d'habitat situées à l'extérieur de "État nesont pas représentées.
Source : THOMAS, 1961, p. 408.

126
La taille et l'espacement des groupements

faisant les mêmes calculs sur les cinq premiers recensements du xx e siècle. Il constate
une stabilité étonnante de la liaison entre la distance et la taille. C'est seulement pour
le recensement de 1900 que le degré de corrélation présente une différence marquée
avec celui obtenu pour le recensement de 1950; même dans ce cas, la liaison s'avère
statistiquement significative, au seuil de confiance de 95 %' Thomas compare également
les distances séparant les villes échantillons de leurs voisines de « même taille» (hypo-
thèse 1) aux distances séparant les villes échantillons de leur voisine « de même ou
de plus grande taille» (hypothèse 2).

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/
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8 0/

° + 0,5 + 1,0 - 0,5 °


Coefficient de corrélation hypothèse 1
+ 0,5 + 1,0

Fig. 4.15 - Corrélations entre deux hypothèses possibles sur la liaison entre la taille des villes
et leur espacement.
Sources: THOMAS, 1962, p. 27; GIBBS, 1961, p. 458.

Sur la figure 4.15 A, les valeurs des coefficients de corrélation obtenues d'après la
première hypothèse sont rapportées à celles obtenues d'après la seconde. Les coeffi-
cients sont statistiquement significatifs pour les deux ensembles de valeurs (seuil de
confiance: 95 %), mais la liaison la plus forte est toujours celle obtenue pour la seconde
hypothèse. Il est clair que, dans l'Iowa, la taille des localités est étroitement liée à
l'espacement, et que cette liaison est valable dans un sens hiérarchique, puisque les
localités échantillons sont encore plus étroitement liées à leurs voisines quand celles-ci
sont plus grandes. Reste à voir si la convergence dans le temps des deux ensembles de
liaisons traduit une intégration croissante des relations entre les unités de peuplement.
Gibbs (1961, pp. 451-459) a confirmé les hypothèses de Thomas, en étudiant
l'espacement des plus grandes villes de six pays (Brésil, Canada, France, Italie,
Mexique et Pays-Bas). Il a trouvé (fig. 4.15 B) un coefficient de corrélation plus élevé
entre la taille d'une aire métropolitaine et la distance qui la sépare de l'aire métropo-
litaine supérieure la plus proche, qu'entre sa taille et la distance qui la sépare de l'aire
métropolitaine la plus proche. Il est remarquable qu'en dépit des différences entre
les valeurs du coefficient (d'un pays à l'autre) ces valeurs soient toujours plus élevées
pour la deuxième liaison.

127
LES NŒUDS

L'ESPACEMENT, FONCTION COMPLEXE

Dans l'une des rares études où l'espacement ait été traité dans un contexte plus
large, King (1961) a étudié plusieurs hypothèses en employant l'analyse de régression
multiple. Considérant l'espacement comme fonction de la taille d'une localité, de sa
structure de l'emploi, et des caractéristiques de la zone dans laquelle elle était située,
King a tiré au hasard, dans le recensement fait aux États-Unis en 1950, un échantillon
de 200 localités dont la taille variait de 5 habitants (Slaughter Beach, Delaware) à
près de 500000 habitants (Seattle, Washington). Il a déterminé la « plus proche
voisine » de chaque localité échantillon en utilisant la définition probabiliste de
Thomas (voir plus haut, p. 125), et fait une analyse de corrélation de l'espacement
considéré comme fonction. Le tableau 4.6 indique que la liaison qu'il a découverte,
bien que statistiquement significative, n'expliquait qu'environ 2 % des différences
d'espacement. Le partage de l'échantillon en deux catégories, celle des places centrales
et celle des places non centrales montre que la possibilité de prévoir l'espacement
est plus grande pour la première catégorie que pour la seconde. De même, un partage
des localités entre cinq grandes zones agricoles met en évidence des différences impor-
tantes entre les régions des États-Unis. Dans les Grandes Plaines et au Far-West, le
seuil d'explication s'élève nettement, dépassant 40 %; il dépasse 20 % dans le Corn
Belt; ceci donne à penser que les constantes décrites par Losch (1954, pp. 389-393)
pourraient être moins caractéristiques de l'ensemble des États-Unis qu'on ne l'a
souvent supposé.

TABLEAU 4.6

LIAISONS ENTRE L'ESPACEMENT DES LOCALITÉS ET D'AUTRES VARIABLESl

Hypothèse simple 1 Hypothèse multiple


(taille des localités) (six facteurs)

Coefficients de détermination (R2)


2 2
Résultats pour l'ensemble du pays 0,02 0,25
Classification des centres:
2
Places centrales . . . . . . . 0,09 0,26 2
Places non centrales . . . . . 0,01 0,42 2
Classification en régions agricoles
Zone de pâturage et de blé . . 0,42 2 067 2
2
Zone d'agriculture spécialisée " . . . . . . .. 0,01 0:20
Zone d'agriculture non spécialisée . . . 0,07 0,67 2
Zone d'élevage et de céréales fourragères 0,22 2 0,34 2
2
Zone de production laitière . . . 0,04 2 0,36

1. États-Unis, en 1950.
2. Significatif au niveau de confiance de 95 %'

Source: L. J. KING, in Annals of the Association of American Geographers, 1961, pp. 227-231.

128
La taille et l'espacement des groupements

Ainsi, sauf dans le cas de quelques régions, l'emploi des effectifs de population
pour prévoir l'espacement des localités n'a guère donné de résultats positifs. King a
testé ensuite cinq autres hypothèses relatives aux caractéristiques de la région dans
laquelle la localité est située, et à sa structure de l'emploi. Il soutient que les localités
d'une taille donnée doivent probablement être plus largement espacées lorsque :
1° la densité de population rurale est faible; 2° l'agriculture est extensive; 3° la pro-
duction agricole est faible; 4° la densité de la population totale est faible; 5° la pro-
portion de ceux qui, dans la localité elle-même, travaillent dans l'industrie est faible.
Par une analyse de régression, il montre que chacune de ces cinq variables compte
plus que la taille des localités pour prévoir leur espacement, mais qu'une seule d'entre
elles, la densité de la population totale, peut expliquer plus de 10 % des différences.
A vrai dire, l'action simultanée des six variables ne peut expliquer qu'un quart des
différences d'espacement; mais, ici encore, les résultats sont meilleurs pour certaines
zones agricoles (dernière colonne du tableau 4.6). Il est évidemment très difficile de
construire des modèles prévoyant avec précision les espacements, pour un territoire
aussi grand que les États-Unis, où l'histoire des progrès du peuplement a été très
dissemblable d'une région à l'autre. Dans l'avenir, des recherches employant les
techniques d'analyse multivariée et comportant l'introduction de facteurs historiques
dans le modèle permettront d'expliquer logiquement les fortes différences observées
dans les caractéristiques d'espacement des localités urbaines.

129
Chapitre 5 Les hiérarchies fonctionnelles des unités de peuplement
La place des centres spécialisés dans la hiérarchie
Les distorsions dues aux dimensions des établissements
Les distorsions dues à la localisation des ressources

LES HIÉRARCHIES

La question capitale de l'organisation hiérarchique des unités de peuplement


n'a pas été traitée dans le chapitre précédent. Les deux grands théoriciens allemands
de la localisation, Christaller et Losch, ont élaboré quelques modèles assez complexes
pour expliquer et illustrer leurs conceptions des hiérarchies spatiales. Nous allons
examiner ces modèles, en même temps que les observations empiriques qui les
confirment ou les infirment. La seconde moitié du chapitre est consacrée au cas des
centres industriels qui « distordent» la hiérarchie régulière. En suggérant que cette
distorsion est un fait moins fondamental qu'on ne le prétend parfois, nous essaierons
de situer les modèles de localisation des industries, notamment celui de Weber, dans
le cadre général de la localisation du peuplement.

130
1. LES HIÉRARCHIES FONCTIONNELLES DES UNITÉS DE PEUPLE-
MENT

La taille et la fonction des groupeInents

Un fait a été établi depuis des décennies par les études sur les places centrales, et
depuis toujours par l'expérience quotidienne : les grands centres de population
possèdent une gamme de marchandises, de services et de fonctions plus étendue que
celle des petits centres. En dépit de cet accord général, l'intérêt porté à la liaison
entre taille et fonction n'a pas faibli. Il s'est plutôt tourné vers l'étude de cas aberrants,
qui paraissent infirmer la règle, et vers l'étude de la forme exacte de la liaison entre
taille et fonction.

LES LIAISONS CONTINUES ENTRE TAILLE ET fONCTION

Des chercheurs ont essayé de définir la forme précise de la liaison entre l'effectif
de la population d'une unité de peuplement et la gamme de ses fonctions. La figure 5.1
présente deux ensembles de résultats obtenus dans des régions du monde occidental
et du monde non occidental. Tout d'abord, ceux de Stafford (1963), qui, en étudiant
les fonctions d'un petit échantillon de localités du Sud de l'Illinois, a découvert
une corrélation positive (r = 0,89) entre la population et la gamme des fonctions
(fig. 5.1 A). Des résultats assez semblables, avec des liaisons positives fortes, ont été
trouvés à propos d'autres régions du monde occidental: King (1962) a obtenu un
coefficient de 0,82 pour le district de Canterbury (Nouvelle-Zélande); Berry et Garrison


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o 2000 4000 10 3 104 10~
Taille des unités de peuplement

Fig. 5.1 ---: Liaison entre la gamme des fonctions et la taille des unités de peuplement, dans le Sud de
l'Illinois (Etats-Unis) (A) et dans le Sud de Ceylan (B). L'échelle de l'axe des ordonnées est arithmétique
sur le premier graphique, logarithmique sur le second.
Sources: STAFFORD, 1963, p. 170; GUNAWARDENA, 1964.

131
LES HIÉRARCHIES

(1958-B), une valeur un peu plus faible (0,75) pour le comté de Snohomish (État
de Washington, États-Unis).
Dans le monde non occidental, Gunawardena (1964) a trouvé, pour la partie sud
de Ceylan, une liaison curviligne et positive semblable. La figure 5.1 B représente
les résultats obtenus en rapportant le nombre des établissements de services à la taille
des unités de peuplement (r = 0,91). Des coefficients semblables ont été obtenus en
rapportant à la taille des unités de peuplement le nombre des magasins (0,89) et
celui des établissements de détail (0,87).
Ces deux ensembles de résultats ont été acquis à propos de régions à dominante
rurale, mais, selon Ullman et Dacey (1962), on peut raisonnablement les étendre
aux localités plus grandes et aux villes. Les fortes corrélations positives suggèrent :
lOque les grands centres possèdent une gamme de services beaucoup plus importante
que les petits centres; 20 que la liaison entre la taille et la gamme des fonctions est
curviligne : à mesure que la population de l'unité de peuplement croît, le nombre
des fonctions nouvelles suscitées par un effectif additionnel donné diminue.

LES LIAISONS DISCONTINUES : LE PROBLÈME DES SEUILS

Théoriquement (cf p. 137), la liaison entre taille et fonction devrait présenter des
« paliers» plutôt qu'être continue. Les données disponibles ne permettent pas de
conclure, mais un certain nombre d'études sur les seuils et les discontinuités jettent
quelque lumière sur cette hypothèse. Selon Haggett et Gunawardena (1964) on peut
considérer comme seuil d'une fonction quelconque le point central de sa « zone
d'apparition ». Pour une fonction donnée Fi, il existe un niveau inférieur d'effectif
de la population, tel qu'aucune unité de peuplement de cette taille ne possède Fi;
inversement, il existe un niveau supérieur d'effectif de la population, tel que toutes
les unités de peuplement de cette taille possèdent Fi. En appliquant une technique

30

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2 3 1 4 5
1
Effectif de la population
1
1

o 200 400 600 800 1000

Fig. 5.2 - Détermination graphique des seuils de population (Tso ) corres-


pondant aux fonctions des localités. selon la méthode de Reed-Muench (1938).
Source: HAGGETT el GUNAWARDENA, 1964, p. 8.

132
Les hiérarchies fonctionnelles des unités de peuplement

inspirée de la méthode de Reed-Muench employée en biochimie, on peut mesurer


le point central de cette zone d'apparition, ce qui donne le seuil médian d'effectif
de la population T so . La figure 5.2 montre comment déterminer T so en pratique. Le
nombre des localités qui possèdent la fonction Fi et le nombre de celles qui ne la
possèdent pas sont portés en ordonnée, et l'effectif de population des localités (celles-ci
étant groupées en classes) est porté en abscisse. Le point où les deux courbes se coupent
donne la valeur de Tr,o, qu'on lit sur l'échelle des abscisses. En utilisant cette technique,
Gunawardena (1964) a déterminé les seuils correspondant à un certain nombre de
fonctions possédées par les localités de la partie sud de Ceylan. Le tableau 5.1 présente,
pour quelques fonctions prises comme exemples, l'étendue des valeurs de T 50 • Les
fonctions supérieures (par exemple les tribunaux) ont des seuils médians presque
vingt fois plus élevés que certaines fonctions d'ordre inférieur (par exemple les écoles
primaires); d'autre part, les deux principales zones climatiques (zone humide et zone
sèche) présentent des contrastes vigoureux.

TABLEAU 5.1

SEUILS MÉDIANS CORRESPONDANT A QUELQUES FONCTIONS 1

Services Izane humide Zone sèche Rapport


------------------
Écoles primaires 515 260 0,50
Bureaux de poste 1 590 565 0,36
Marchés et foires 2870 1 300 0,45
Écoles secondaires 3400 1 190 0,35
Hôpitaux . 5250 1 260 0,24
Tribunaux . 9200 2370 0,26

1. Sud de Ceylan.

Source: K. A. GUNAWARDENA, Service Centres in Southem Ceylon (Thèse de l'université de Cambridge),


1964, p. 180.

Les résultats obtenus par Gunawardena sont importants, car ils confirment, à
propos d'une région du monde non occidental, la hiérarchie des seuils dont un ouvrage
plus ancien de Berry et Garrison (1958-A, B) avait établi l'existence aux États-Unis.
D'ailleurs, Bunge (1962, p. 146) avait critiqué ces observations sur les seuils aux
États- Unis pour les raisons suivantes : 10 il s'agit de seuils définis pour la population
d'une localité, non pour la population de sa zone d'attraction; 20 l'existence des
usagers des grandes routes est ignorée, alors qu'ils contribuent pour une grande part
à la formation des véritables populations seuils dans les localités des États-Unis.
A propos du Sud de Ceylan, Gunawardena a pu montrer que la population de la ville
était en corrélation significative avec la population totale de sa zone d'attraction,
pour toutes les fonctions étudiées. Dans le Sud de Ceylan, la mobilité est si réduite,
du moins comparativement aux États-Unis, que la circulation de transit ne contribue
que faiblement à la formation de la population seuil.

133
LES HIÉRARCHIES

La connaissance des discontinuités existant dans le continuum des unités de peu-


plement a fait de grands progrès grâce à une série d'enquêtes sur le terrain soigneuse-
ment dirigées par Berry (1967). Pour l'une des cinq régions choisies, le Sud-Ouest de
l'Iowa (région-laboratoire classique où Losch avait déjà travaillé), des résultats
préliminaires ont été publiés par Berry, Barnum et Tennant (1962); on peut y recon-
naître effectivement des hiérarchies à échelons discrets dans une région au sujet de
laquelle Losch lui-même écrivait : « Je ne vois pas comment on pourrait éliminer
les effets de la liaison entre taille et nombre pour découvrir d'éventuels groupements»
(Losch, 1954, p. 433). Berry a découvert des discontinuités, dans la suite des unités
de peuplement de la région étudiée, en faisant une enquête directe par questionnaire
et en soumettant les résultats à l'analyse factorielle (cf. pp. 251-253). Les unités de
peuplement ont été groupées par l'analyse factorielle en trois classes distinctes :
villes, possédant plus de 55 fonctions; bourgs, possédant de 28 à 50 fonctions; villages,
possédant de 10 à 25 fonctions. Les hameaux n'ont pas été inclus dans l'analyse
factorielle, mais la figure 5.3 A montre qu'ils occupent un échelon distinct dans la

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1
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Hameaux
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a 50 100 10 3 10 4
Fonctions Nombre total d'habitants désservis

Fig. 5.3 - Hiérarchie des unités de peuplement, dans le Sud-Ouest de l'Iowa, aux États-Unis, déter-
minée pour quatre classes de places centrales.
Source: BERRY, BARNUM et TENNANT, 1962, pp. 79, aD.

hiérarchie fonctionnelle. Sur ce graphique, le nombre des établissements correspon-


dant à une fonction (boutiques, garages, etc.) est porté en ordonnée, et le nombre des
fonctions en abscisse. Pour les trois classes supérieures d'unités de peuplement, la

134
Les hiérarchies fonctionnelles des unités de peuplement

figure 5.3 B fait apparaître les positions distinctes qu'occupent les villages, les bourgs
et les villes quant à la liaison entre l'aire commerciale (en miles carrés) et la population
desservie (l'échelle des deux axes de coordonnées est logarithmique). L'avantage
de ce graphique est de faciliter la détermination du seuil et de l'aire d'influence maxi-
male de chaque classe de la hiérarchie des unités de peuplement : sur la figure 5.3 B,
des flèches indiquent ces valeurs, pour les villes.
Du point de vue théorique, les études du type de celle de Berry sur le Sud-Ouest
de l'Iowa, ou de celle de Mayfield (1962) sur le Nord de l'Inde, permettent d'interpréter
les petites ruptures existant dans la distribution des tailles des unités de peuplement
en termes de hiérarchie fonctionnelle. La question reste posée, de savoir si de telles
études, de par leur rigidité mathématique, perdent en partie le caractère régional
d'études plus traditionnelles (Smailes, 1946). Il est certain qu'elles se fondent sur
la masse impressionnante d'écrits consacrés antérieurement à l'étude de la hiérarchie
des unités de peuplement; des classiques tels que l'ouvrage de Bracey sur un comté
anglais, Social Provision in Rural Wiltshire (1952), donnent un aperçu de l'efficacité
et de la souplesse d'une approche moins théorique.

Treillis et fonctions k

On a montré (chap. 4, section 1) que la disposition des unités de peuplement en


treillis triangulaire - chaque centre ayant autour de lui un champ hexagonal parti-
culier - constitue la division optimale de l'espace, dans un milieu non différencié.
Pour introduire la notion de hiérarchie des unités de peuplement, selon laquelle
certaines unités remplissent des fonctions spécialisées au bénéfice des autres, il faut
transformer ce modèle simple.
La disposition des champs hexagonaux peut être modifiée de diverses façons
(fig. 5.4) par simple changement de l'orientation du réseau hexagonal et de la taille
de chaque case hexagonale. Sur les neuf diagrammes de la figure, les places centrales
qui remplissent des fonctions spécialisées sont représentées par des cercles doubles;
les centres subordonnés sont représentés par des cercles creux s'ils sont situés à
l'intérieur du champ d'une place centrale et par des cercles pleins s'ils sont situés
sur le périmètre d'un tel champ.
Dans ce système, le nombre des unités de peuplement desservies par chaque place
centrale est appelé, à la suite de Christaller (1933), indice k. Sur le premier diagramme
de la figure 5.4, la valeur de k, pour chaque place centrale, est égale à 3, c'est-à-dire
à la place centrale elle-même, plus 1/3 des six unités d 'habitat situées à la limite de
son champ; on prend la proportion 1/3 parce que chaque centre subordonné est
partagé entre trois places centrales, comme l'indiquent les flèches. Sur le diagramme
suivant, le réseau hexagonal a subi une rotation de 90 degrés, de sorte que les unités
de peuplement situées sur la limite sont partagées entre deux places centrales seule-
ment, et que la valeur de k s'élève à 4. En poursuivant ce processus d'orientation et
d'agrandissement du réseau, on constate que les neuf champs les plus petits possible
donnent une série discontinue de valeurs de k : 3,4,7,9, 12, 13, 16, 19,21.

135
K ' 3 K 4 K 7

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0

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0 0 0

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K ' 9 K , 12 K ' 13

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0 0 0 0 0

0 @ 0 @

0 0 0 0 0

0 0 0 0 0 0 0

K , 16 K , 19 K , 21

Fig. 5.4 - Les neuf plus petits territoires hexagonaux d'un paysage de Lbsch.
Source : lOSCH, 1954, p. 118.

Il existe donc un certain nombre de solutions au problème des hiérarchies hexago-


nales, chacune avec une valeur de l'indice k; mais Christaller et L6sch ont montré
que toutes les solutions possibles ne sont pas également probables. Si l'on porte en
abscisse sur un graphique (fig. 5.5) le nombre des unités desservies, et en ordonnée
la distance radiale maximale (c'est-à-dire la distance entre la place centrale et le centre
subordonné le plus éloigné), des irrégularités se révèlent. Si on juge d'après ce gra-
phique l'efficacité de chaque solution (c'est-à-dire le rapport entre le nombre d'unités

136
Les hiérarchies fonctionnelles des unités de peuplement

desservies et la distance parcourue), il est clair que la cinquième solution (k = 12)


est extrêmement inefficace, alors que la troisième solution (k = 7), la sixième (k = 13)
et la huitième (k = 19) sont très efficaces. Ces trois cas ont aussi l'avantage de ne
comporter que des centres subordonnés indivis (aucun centre satellite n'est partagé
entre deux places centrales ou plus), ce qui, d'après L6sch (1954, p. 120, n. 16),
constitue une solution stable, tant politiquement qu'économiquement, donc une solu-
tion qui a des chances de se réaliser en pratique.

K = 19

QJ
ë<i Unités de peuplement partagées
E2
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K= 7 /
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/' /' de peuplement indivises

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o 5 10 15 20 25
Nombre d'unités de peuplement desservies

Fig. 5.5 - Efficacité relative des territoires hexagonaux cartographiés sur la figure 5.4,

Par des raisonnements de ce genre, on peut voir qu'un treillis régulier d'unités de
peuplement conduit: 10 à une série discontinue de nombres exprimant des solutions
du problème des places centrales; 20 à des irrégularités dans l'efficacité relative de
ces solutions. C'est sur ces nombres fondamentaux du système hexagonal, les valeurs
de l'indice k, que Christaller et L6sch ont édifié leurs hiérarchies de places centrales.

Les hiérarchies de places centrales



Cette section est consacrée aux modèles de places centrales de Christaller (1933)
et de L6sch (1940, 1954), mais l'exposé est limité à la géométrie des localisations,
et à ce qu'elle implique pour la structure de la répartition de l'habitat. Des analyses
critiques des postulats économiques sous-jacents à ces modèles ont été faites, en ce
qui concerne Christaller, par Baskin (1957), par Berry et Pred (1961, pp. 3-18), et,
en ce qui concerne L6sch, par Valvanis (1955) et Beckmann (1955).

137
LES HIÉRARCHIES

LA HIÉRARCHIE À INDICE FIXE DE CHRISTALLER

Christaller (1933) a élaboré une série de hiérarchies de places centrales fondées sur
le postulat que, dans une région quelconque, la valeur de k, une fois adoptée, est
fixée : elle s'applique indistinctement aux relations entre fermes et villages, villages
et bourgs, bourgs et villes, en passant par tous les niveaux de la hiérarchie des places
centrales. La figure 5.6 A représente une hiérarchie très simple, à trois niveaux,
fondée sur le postulat que k = 4 : il existe une strate inférieure de villages subordon-
nés, sur laquelle est édifiée une strate de bourgs, sur laquelle est édifiée la strate supé-
rieure des villes centres. La hiérarchie complète correspondant à k = 4 se conforme

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Fig. 5.6 - Hiérarchies à trois niveaux, correspondant à deux


systèmes réguliers à indice fixe.

à une progression géométrique régulière (1, 4, 16, 64, ... ); la hiérarchie correspondant
à la solution suivante, k = 7, se conforme à une progression du même type (l, 7,
49,343, ... ) (fig. 5.6 B). Le terme général, qui permet d'obtenir le nombre des loca-
lités situées à chaque niveau, dans une hiérarchie où la valeur de k est fixée, est :
Nt = Kt. Dans cette formule, N est le nombre de centres subordonnés et t le niveau
de la hiérarchie. Selon cette formule, dans une hiérarchie où k = 7, une place centrale
devrait théoriquement dominer 2 ~l (7 4) centres subordonnés situés au quatrième
niveau de cette hiérarchie.
Christaller a vu les avantages que présente l'indivision des centres subordonnés,
mais, selon lui, elle serait réalisée par groupement des centres en « nids)} plutôt
que par adoption des limites hexagonales optimales représentées sur la figure 5.4.
I! envisage trois cas :
10 Lorsque l'approvisionnement des centres subordonnés à partir des places

138
Les hiérarchies fonctionnelles des unités de peuplement

centrales doit se faire sur un trajet aussi court que possible (primauté du fait com-
mercial) , une hiérarchie où k = 3 est indiquée, puisqu'elle maximise le nombre
des places centrales. Pour surmonter la difficulté que posent les centres subordonnés
partagés, Christaller avance l'idée que des liaisons seront établies avec seulement
deux des six centres subordonnés les plus proches (fig. 5.7 A), et que ceci donnera
naissance à une hiérarchie en nids symétrique.

Fig. 5.7 - Les trois schémas de formation de « nids» dans le paysage de Christaller.

2 0 Lorsque le coût de construction des réseaux de transport l'emporte (primauté


de la circulation), une hiérarchie où k = 4 est indiquée, puisque «autant de localités
importantes que possible sont situées sur une seule voie de circulation reliant des
villes plus grandes, la voie étant construite au moindre coût possible» (Berry et
Pred, 1961, p. 16). Des liaisons seront établies avec seulement trois des six plus proches
centres subordonnés (fig. 5.7 B), ce qui donne naissance à un schéma différent de
groupement en nids.
30 Lorsque la netteté des divisions administratives importe (primauté de la
fonction administrative), une hiérarchie où k = 7 est indiquée : des liaisons s'éta-
blissent entre une place centrale et les six centres subordonnés les plus proches
(fig. 5.7 C).
Les résultats d'une étude sur l'Iowa (Berry, Barnum et Tennant, 1962, pp. 105-106)
donnent à penser que, si le groupement en nids existe dans la réalité, il peut être
plus irrégulier que le modèle de Christaller ne l'indique.

LES HIÉRARCHIES À INDICE VARIABLE DE LOSCH

Losch (1954) a utilisé une unité hexagonale semblable pour construire ses paysages
théoriques, mais il a amélioré et élargi la formule de Christaller. La différence majeure
entre les deux démarches est la suivante : Losch considère le postulat selon lequel
la valeur de k est fixée comme un cas limite particulier; il emploie toutes les solutions
hexagonales, non seulement les neuf représentées sur la figure 5.4, mais aussi d'autres,
obtenues en poussant plus loin le même raisonnement. En superposant les réseaux,
centrés sur un seul point, d 'hexagones de toutes tailles, et en les faisant tourner
autour de ce point, il obtient six secteurs possédant beaucoup de centres de production,
et six autres en possédant peu (fig. 5.8). Suivant ce dispositif, « tous les réseaux ont
un centre en commun... le nombre maximal de localisations coïncide... la somme des

139
Fig. 5.8 - Paysage de Lbsch simplifié, présentant des systèmes de réseaux hexagonaux.
Source : ISARD, 1956, p. 270.

distances minimales entre les localisations industrielles est minimale, et par conséquent
non seulement les expéditions mais aussi les lignes de transport sont réduites au
minimum» (Losch, 1954, p. 124). Comme la figure 5.91e montre, la rotation engendre
de fortes variations dans le schéma de répartition, à la fois d'un secteur à l'autre et
suivant la distance par rapport à la métropole. Ici, le centre métropolitain est le
centre de 150 champs distincts. Les points sur lesquels sont centrés plus de quatre
ou plus de huit champs sont représentés par deux modèles plus gros de cercles noirs
sur la figure 5.9 C.

140
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Fig. 5.9 - Paysage de Lësch présentant des secteurs alternativement riches


et pauvres en villes (A); la répartition des grandes villes (B); la répartition
de tous les centres à l'intérieur d'un secteur (C).
Source: LOSCH, 1954, p. 127.

Bien que Losch ait utilisé la même unité de base, hexagonale, et le même indice k
que Christaller, la hiérarchie qu'il a élaborée est nettement différente. La hiérarchie
de Christaller consiste en un certain nombre de paliers ou niveaux bien définis, tels
que : 10 toutes les places centrales situées à un niveau particulier ont la même taille
et les mêmes fonctions; 20 les places centrales de catégorie supérieure comportent
toutes les fonctions possédées par les places centrales plus petites. Au contraire, la
hiérarchie de Losch est beaucoup moins rigide. Elle consiste en une suite presque
continue de centres plutôt qu'en des niveaux distincts, de sorte que : Iodes unités
de peuplement de même taille n'ont pas nécessairement les mêmes fonctions (par
exemple, un centre qui dessert sept unités de peuplement peut être soit une place cen-
trale d'un réseau tel que k = 7, soit seulement le point en lequel coïncident deux
réseaux, l'un tel que k = 3, l'autre tel que k = 4); 20 les grandes places centrales ne
possèdent pas nécessairement toutes les fonctions des places centrales plus petites.
De bien des façons, le système de Losch - du moins une fois adapté aux concen-
trations et aux répartitions irrégulières de ressources (cf. pp. 109-110) - fournit
un schéma qui s'accorde à la réalité mieux que celui de Christaller. Du modèle à
indice variable de Losch résulte une distribution plus continue, présentant des dévia-
tions assez faibles par rapport à la distribution logarithmique, Vining (1955) a critiqué
avec vigueur l'indice fixe de Christaller, disant qu'il conduit à une distribution « en
paliers» des villes selon la taille, plutôt qu'à la distribution continue que l'on observe
en réalité (chap. 4, section 2). Par contre, Beckmann (1958) a défendu le modèle de
Christaller, le trouvant à la fois plus simple et plus satisfaisant du point de vue théo-
rique; il pense que ce modèle n'est peut-être pas en désaccord avec les distributions

141
LES HIÉRARCHIES

observées des villes selon leur taille, si on admet l'introduction d'un facteur aléatoire;
ce facteur peut suffire à brouiller les paliers rigides de la hiérarchie, transformant
celle-ci en une suite continue conforme à la règle de la taille selon le rang.

LES VALEURS DE k : OBSERVATIONS EMPIRIQUES

L'un des sous-produits des recherches sur les seuils, dont on a rendu compte plus haut
(pp. 132-135), est l'étude : 10 du concept de niveaux de la hiérarchie, 2 0 des relations
entre ces niveaux, représentées par les valeurs de l'indice k. Il est certain que les études
dans lesquelles des niveaux ont été reconnus ne manquent pas, et même, depuis que
Christaller (1933, 1950) a établi sa hiérarchie à sept niveaux allant du hameau à la
ville d'importance mondiale, on a peut-être reconnu autant de niveaux en géographie
humaine que de surfaces d'érosion en géographie physique! La difficulté fondamen-
tale de telles études est la définition des « solutions de continuité» soit dans la suite
des fonctions soit sur le terrain. En pratiq ue, il faut établir des divisions plus ou moins
arbitraires. C'est ainsi que Bracey (1962), étudiant les villages-centres du Somerset
(Angleterre), reconnaît des villages de première, de deuxième et de troisième caté-
gorie (fig. 5.10); mais il fonde cette classification sur un continuum (le nombre des

Villages
e du premier ordre o Centre urbain
• du second ordre
• du troiSième ordre
non classé

Chaque centre blanc indique l'extension d'une ville,


ou d'un village industriel.


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Fig. 5.10 - Hiérarchie des villages - centres dans le Somerset (G = 5,1). dans le Sud-Ouest de
l'Angleterre.
Source : BRACEY, 1962, p. 176.

142
La place des centres spécialisés dans la hiérarchie

magasins), en établissant des coupures à cinq, dix et vingt boutiques. Des techniques
perfectionnées permettent de définir des coupures significatives (par exemple l'analyse
factorielle, utilisée par Berry, Barnum et Tennant (1962»; elles aident à venir à
bout de cette difficulté, en fournissant des tests objectifs.
En utilisant des méthodes de classification homogènes, on peut suivre les variations,
d'une région à l'autre, des relations entre les différents niveaux. Ainsi Gunawardena
(1964), qui a identifié quatre niveaux fonctionnels dans la hiérarchie des unités d'habi-
tat du Sud de Ceylan, a pu montrer que les valeurs de k s'étendaient, selon les pro-
vinces, de 1,6 à Il. Cette variation est peut-être plus importante et plus caractéristique
que cet autre résultat : la classe modale était k = 3, ce qui concorde exactement
avec ce que Christaller appelle la « primauté du fait commercial ».

2. LA PLACE DES CENTRES SPÉCIALISÉS DANS LA HIÉRARCHIE

Le concept de spécialisation

A insi bien des données confirment l'existence de dispositifs réguliers d'unités de


peuplement avec des hiérarchies bien fixées. Cependant, de nombreux cas semblent
contredire ces règles. Les groupements de villes minières dans le Nord de l'Angle-
terre, ou de petites villes cotonnières sur le Piémont appalachien, paraissent relever
d'un ordre moins régulier, qui serait greffé sur le système « normal » des places
centrales. Thomas Hardy pressentait cette différence, quand il écrivait à propos de
Casterbridge : « le pôle, le foyer, le centre nerveux de la vie du pays d'alentour;
différent des nombreuses petites villes industrielles qui sont comme des corps étrangers
déposés, tels des blocs erratiques sur la plaine, dans un monde de verdure avec lequel
ils n'ont rien en commun» (Hardy, 1886, p. 73).
Les statistiques permettent aujourd 'hui d'introduire quelque précision dans cette
distinction. Alexandersson (1956) a étudié un groupe de villes des États-Unis, et
mesuré leur structure de l'emploi selon les catégories du recensement de 1950. Pour
864 villes de 10000 habitants ou plus, il a constaté que certaines fonctions existaient
dans toutes les villes (types lIbiqllistes), tandis que d'autres se rencontraient dans
très peu de villes (types sporadiques). Le tableau 5.2 présente un essai de classement
des trente-six groupes d'activités : trois groupes d'activités industrielles (la construc-
tion, l'imprimerie et l'édition, et les industries alimentaires) sont ubiquistes, mais
les groupes d'activités industrielles sont, en grande majorité, plus ou moins spora-
diques, c'est-à-dire qu'ils se répartissent, irrégulièrement, dans tout le système urbain.
Un cas extrême d'industrie sporadique est l'industrie automobile, qui est absente
de plus de la moitié des villes, mais qui domine dans un très petit nombre, par exemple
à Flint (Michigan), domaine de la Buick Motor Corporation. Cette distribution
caractéristique est représentée par la courbe A sur la figure 5.11, où le nombre de
villes (en abscisse) est rapporté à la proportion de la main-d'œuvre employée (en

143
TABLEAU 5.2

CLASSIFICATION DES ACTIVITÉS URBAINES 1

Activités urbaines (36)

,-----------1 1

Indust~ies (16) Services (20)

Il ~--I 1 l,
-1
Sporadiques (13), Transports (5) Commerce (4) Divers (ll)
c'est-à-dire présentes par ex.
seulement dans quelques villes par ex. magasins par ex. hôpitaux
de 10 000 habitants ou plus chemin, de fer d'alimentation \

1 l-----
1 1 1 .

: - - - - 1- - - - - ' - - - - Il

Non conformistes Excentriques, 1


par ex. : usines par ex. - - - - - - , ----
d'automobiles, mines, bois
filat ures de coton,
etc. Ubiquistes (23),
c'est-à-dire présentes dans
toutes les villes de 10 000
habitants ou plus

1. États-Unis, 1950.
Source: G. ALEXANDERSSON, The Industrial Structure of American Cities, 1956.

60

~ 40
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IS
'c
<:
'n;
E

.....
--- - r - - - - -- ------ A : Commerce de détail

- - -- -.....
B : Industrie automobile ..... ,
1
o
o 200 400 600 800
Nombre de villes de plus de 10.000 habitants

Fig. 5. 11 - Courbes des effectifs cumulés des travailleurs de deux activités,


rapportés à la structure urbaine des États-Unis en 1950.
Source: ALEXANDERSSON, 1956. pp. 49, 106.

144
La place des centres spécialisés dans la hiérarchie

ordonnée). C'est une courbe tout à fait différente (B, sur la figure 5.11) que présente
une activité typiquement ubiquiste, le commerce de détail, qui se rencontre dans
toutes les villes : il n'existe aucune ville où soit employé dans ce groupe d'activité
soit moins de 5 % soit plus de 21 % de la main-d'œuvre.
Bien que les résultats obtenus par Alexandersson ne s'appliquent qu'à un pays
et à un instant donnés, il est significatif que l'activité sporadique (l'industrie) soit
un élément régressif de la structure urbaine, même dans un pays très industrialisé.
Dans deux sur trois des villes de cet échantillon, l'industrie employait moins de la
moitié de la main-d'œuvre : dans aucune ville, si spécialisée soit-elle, l'industrie
n'utilisait plus de 80 % de la population active, et cette proportion apparaît comme
une limite extrême.

Les observations de concordance


D'après les travaux d'Alexandersson, on s'attendrait à ce que l'industrie, activité
sporadique, fasse apparaître des divergences très marquées par rapport aux constantes
observables dans la distribution des villes. Cependant, certaines observations indiquent
que l'industrie coïncide assez étroitement avec la distribution générale de la population
urbaine.

LA CONCORDANCE DANS L'ESPACE

Bogue (1949) a choisi d'étudier l'industrie, qui est l'une des principales « activités
de base» de la population urbaine localisée autour de soixante-sept villes des États-
Unis (cf pp. 107-109). Il mesure les variations de l'importance de l'industrie en
fonction de la distance par rapport aux villes à l'aide d'indices tirés du Census of
Manufactures (1940). La distribution absolue est représentée sur la figure 5.12 A par
un indice a (valeur ajoutée) et la distribution relative sur la figure 5.12 B par trois
indices c, d et e (respectivement : valeur ajoutée par personne, nombre d'employés
pour 1000 habitants, nombre d'établissements pour 1000 habitants). Sur les deux
graphiques, les valeurs des indices sont portées en ordonnée, les distances en abscisse;
l'échelle des deux axes est logarithmique.
La liaison entre la diminution de l'importance de l'industrie et la distance par
rapport à la ville apparaît nettement: la courbe a présente une baisse rapide, beaucoup
plus accentuée que celle de la courbe b qui représente la densité de population
(fig. 5.12 A); la décroissance est rapide jusqu'à environ trente miles de la métropole,
ainsi qu'au-delà de soixante-cinq miles environ. Entre ces deux points, il y a un palier,
correspondant à une partie de la zone d'influence de la métropole où tendent à se
concentrer de grandes villes très spécialisées.
Les courbes des indices per capita montrent que l'industrie, non seulement décroît
en même temps que la densité de population, mais se « dilue » dans la population
dans les zones éloignées. La comparaison entre la courbe du nombre des établis-
sements et celle du nombre des employés montre que la taille moyenne des établis-
sements diminue quand on s'éloigne de la métropole (cf pp. 156-159).

145
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Distance par rapport il la métropole la plus proche, en miles

Fig. 5.12 - Spécialisation dans l'industrie, rapportée à la dis-


tance par rapport à la métropole. États-Unis, 1940.
Source: BOGUE, 1949, pp. 32, 184.

Bien que les villes-centres elles-mêmes ne soient pas très spécialisées, la taille d'une
ville-centre peut avoir beaucoup d'effet sur le degré de spécialisation dans sa zone
d'influence: les très grandes villes (plus de 500000 habitants, en 1940) sont relative-
ment plus spécialisées que les villes plus petites, et dans leur zone d'influence le niveau
d'industrialisation est partout plus élevé.
Si on se réfère à la classification de Bogue (cf. pp. 107-109) en trois types de
secteurs (secteurs routiers, sous-dominants et locaux), on constate que les indices
d'industrialisation sont nettement plus bas dans les secteurs locaux que dans les deux
autres types (tableau 5.3). Cependant, un décalage significatif apparaît sur tous les
indices : leurs valeurs sont légèrement plus fortes pour les secteurs sous-dominants

TABLEAU 5.3

SPÉCIALISATION DANS L'INDUSTRIE, SELON LES TYPES DE SECTEURS 1

1
Secteur
Secteur sous- Secteur
Indices d'intensité de l'industrialisation routier local
dominant

Valeur ajoutée, par personne, en dollars. 164 171 107


Nombre d'employés, pour 1 000 habitants 55 65 41
Nombre d'établissements, pour 1 000 habitants 1,08 1,12 0,96

1. États-Unis, 1940.

Source: D. J. BOGUE, The Structure of the Metropolitan Community, 1949, p. 186.

146
La place des celltres spécialisés dans la hiérarchie

que pour les secteurs routiers. A la différence des trois autres « activités de base »,
l'industrie se concentre fortement dans les secteurs sous-dominants. A la limite de
la portée de la métropole, à environ 250 miles de la ville la plus proche, le niveau
d'industrialisation se révèle plus élevé dans le secteur local que dans le secteur routier.
Le renversement de la tendance générale à cette distance extrême semble indiquer
que la métropole est assez éloignée et inaccessible pour que des « poches» industrielles
locales puissent exister.

LA CONCORDANCE DANS LE TEMPS

L'instabilité et l'excentricité retiennent plus l'attention que la stabilité et l'unifor-


mité. Ainsi, l'essor rapide de centres très spécialisés (<< boom» des villes minières)
est à l'origine de passionnantes études de géographie historique, comme par exemple
l'étude de MacCaskill (1962, pp. 143-169) sur les centres nés de la ruée vers l'or dans
l'île sud de la Nouvelle-Zélande, ou celle de Goldthwait (1927) sur une ville en déclin
de Nouvelle-Angleterre.
Tous les centres spécialisés ne présentent pas un tel cycle d'activité. Plus fréquem-
ment, les unités de peuplement « mûrissent» à mesure que la source initiale d'emplois
détermine la création d'autres emplois moins liés à une localisation spécifique. Dans
l'une des premières études sur les « multiplicateurs d'emplois », Barford (1938) a
étudié les effets de l'installation d'une fabrique d'allumettes sur une petite commu-
nauté danoise, et retracé la réaction en chaîne déclenchée dans le domaine de l'emploi.
Dans des études analogues (cf Isard et al, 1960, pp. 189-205), on a essayé de mesurer
l'effet de l'introduction d'un type d'emploi sur les autres secteurs de l'économie
locale. Ainsi, Isard et Kuenne (1953) ont évalué les conséquences possibles, pour
la région de New York-Philadelphie, de l'existence d'une aciérie intégrée à Trenton
(New Jersey). En utilisant la méthode d'input-output, ils ont pu suivre la chaîne des
ramifications (aciérie, industries utilisant l'acier, activités de service, population)
et mesurer leurs effets sur le nombre d'emplois. Ils ont, par exemple, estimé l'expansion
dans l'industrie du fer blanc à un dixième - soit 923 travailleurs de plus. Cette
expansion, à son tour, créait des demandes de logements, de magasins de détail, etc.
Les résultats d'ensemble obtenus par Isard et Kuenne sont présentés sur le tableau 5.4 :
au bout de six cycles d'expansion, l'aciérie, employant directement 12 000 travailleurs,
devait, d'après les calculs, provoquer la création d'environ 159000 emplois nouveaux.
Les estimations d'effets multiplicateurs de ce genre sont vraisemblablement faussées
par les réactions en chaîne exercées sur d'autres régions (dans l'exemple ci-dessus,
sur des régions situées à l'extérieur de l'aire de New York-Philadelphie); le problème
d'une telle « rétroaction interrégionale» apporte des difficultés de calcul supplé-
mentaires. Du strict point de vue de la localisation, on voudrait en savoir davantage
sur la grandeur des multiplicateurs régionaux propres à des types particuliers d'acti-
vités, et sur les niveaux auxq uels une ville ou une région franchit le seuil critique du
« décollage» (take-off). Les études économiques sur les problèmes du décollage ont
été faites à l'échelle nationale (Rostow, 1960; 1963); elles pourraient aussi bien s'appli-
quer à des aires géographiques plus restreintes.

147
TABLEAU 5.4

RÉPERCUSSIONS DIRECTES ET INDIRECTES


DE LA CRÉATION D'UNE ACIÉRIE 1

Nouveaux Effet
emplois multiplicateur

Secteurs
Primaire (sidérurgie). . . . . . . . . . II 666 1,0
Secondaire (reste de la métallurgie du fer) 77 014 6,6
Tertiaire (autres activités) 70089 6,0
Total . 158769 13,6

1. Région industrielle de New York-Philadelphie (États-Unis).

Source: W. ISARD et R. E. KUENNE, in Review of Economies and Statistics, 1953, p. 297.

Les problèmes de discordance

La discordance, c'est-à-dire l'existence de centres qui n'entrent pas dans la hiérar-


chie, soulève des problèmes théoriques et des problèmes pratiques.

LA SPÉCIALISATION DES CENTRES : PROBLÈMES THÉORIQUES

La concordance d'activités spécialisées avec la hiérarchie des unités de peuple-


ment ayant été mise en évidence (cf section 2), on peut raisonnablement s'interroger
sur la signification des centres extérieurs à cette hiérarchie. Si le grand centre urbain
peut comporter toutes les fonctions centrales dont a besoin le territoire environnant,
il n'y a apparemment pas de place, dans le cadre de la théorie des places centrales,
pour les centres industriels spécialisés. Curry (1962) a cependant montré que le facteur
temps, étudié dans la perspective de la théorie des files d'attente (queuing theory) ,
peut jouer un certain rôle en maintenant la plus grande place centrale un peu au-
dessous de son maximum théorique; autrement dit, le plus grand centre peut, en fait,
ne pas posséder toute la gamme des fonctions dont le territoire dépendant a besoin.
En employant ici le modèle de Curry, nous lui donnons une extension qui dépasse
de beaucoup ce à quoi il s'appliquait à l'origine (les centres de services à l'intérieur
des villes), et une application plus générale. La théorie est fondée sur quatre postulats:
1° Il existe un ordre des biens, qui dépend de l'effectif de population indispensable
pour qu'existe un marché. Les biens de premier ordre nécessitent, comme marché,
toute la population du territoire considéré; les biens de second ordre réclament la
moitié de cette population; les biens de troisième ordre, le tiers, et ainsi de suite.
2° A cet ordre des biens correspond un ordre des centres. Cet ordre, qui va des
grands centres de premier ordre aux petits centres de dixième ordre, forme l'axe des
abscisses des graphiques de la figure 5.13.

148
La place des centres spécialisés dans la hiérarchie

3° Il existe une gamme d'importance des stocks, correspondant à l'ordre des centres
et telle que chaque centre d'un certain échelon a besoin d'approvisionnements infé-
rieurs d'un tiers à ceux d'un centre d'ordre immédiatement supérieur. Curry justifie
ce postulat par des raisonnements mathématiques faits sur des sections choisies au
hasard dans un continuum: c'est, reconnaît-il, une approximation très grossière de
la réalité. La figure 5.13 A montre la forme de la courbe représentant la gamme
d'importance des stocks. Le nombre relatif de déplacements faits pour des achats
pendant un intervalle de temps donné, ou fréquence des déplacements, est égal au
carré de l'ordre des centres. Ceci concorde grosso modo avec ce qu'on connaît des
comportements en matière de déplacements (par exemple : on se déplace une fois
par semaine pour aller à l'épicerie, une fois par mois pour aller au théâtre, de temps
en temps pour acheter des meubles); mais la forme exacte de la courbe (fig. 5.13 A)
est probablement plus complexe.

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Ordre des centres

Fig. 5.13 - Modèle théorique d'optimisation des mouvements dans un système de places
centrales.
Source: CURRY, 1962, p. 41.

4° En multipliant l'importance des stocks par la fréquence des déplacements, on


obtient un indice de mouvement (fig. 5.13 B).
L'importance de l'indice de mouvement est indiquée par la forme « bossue» de
la courbe de la figure 5.13 B. Le point le plus bas de la courbe se trouve au début,
au-dessus du centre de premier ordre; l'indice atteint son maximum au-dessus du
centre de cinquième ordre; puis il s'abaisse lentement en direction du centre de dixième
ordre. Le maximum de la courbe peut être interprété comme le plafond du dévelop-
pement de la hiérarchie des places centrales dans un territoire donné. Au-delà de ce
point, cela ne vaut pas la peine de tenir des stocks puisque la demande (mesurée par
la fréquence des déplacements) est trop faible, et que les biens spécialisés (c'est-à-dire
du premier au quatrième ordre) sont produits dans un petit nombre de centres, et
expédiés vers les centres de cinquième ordre à mesure que les demandes occasionnelles

149
LES HIÉRARCHIES

se manifestent. En deçà de ce point, la hiérarchie des places centrales s'étend en une


série ininterrompue, le volume de la demande locale suffisant à l'entretenir.
Il est encore trop tôt pour dire dans quelle mesure ce modèle est susceptible d'appli-
cations. Certes, plusieurs des postulats sur lesquels il se fonde sont peu solides, mais
ils paraissent constituer des approximations raisonnables de faits observés dans les
comportements sociaux et économiques. Cette théorie implique qu'un grand centre
particulier a peu de chances d'émerger comme place centrale de premier ordre, mais
que ses fonctions peuvent être remplies par des centres d'un ordre inférieur appro-
visionnés à partir de quelques centres spécialisés (qui n'appartiennent pas à la hiérar-
chie). Ces implications sont importantes; elles donnent à penser que, même dans un
paysage théorique doté d'une hiérarchie régulière de places centrales, des centres
spécialisés ont des chances d'apparaître, en dehors du réseau régulier. On ne sait pas
si ces fonctions spécialisées sont localisées dans de petits centres spécialisés, ou
partagées entre les cinq centres de cinquième ordre. Burton (1963-B, p. 285) a attiré
l'attention sur la ville dispersée,. il désigne ainsi un groupe de villes qui, « bien que
séparées par des étendues de terres vouées à l'agriculture, fonctionnent ensemble,
du point de vue économiq ue, comme une unité urbaine unique ». Il a relevé l'existence
de telles villes dans le Sud de l'Illinois et sur le cours inférieur du Rio Grande (États-
Unis), dans le Sud de l'Ontario (Canada), dans la région de Salzgitter (Allemagne de
l'Ouest), et dans la région de Derby-Chesterfield-Nottingham (Centre de l'Angleterre).
Ces villes dispersées signifient-elles que la hiérarchie des places centrales, dans ces
régions, est tronquée, et que sa partie supérieure est remplacée par un groupe de
villes d'ordre inférieur dotées d'activités spécialisées complémentaires? Elles peuvent
aussi bien devoir leur existence à des modalités, purement locales, de l'évolution du
peuplement.

LA SPÉCIALISATION DES CENTRES : PROBLÈMES DE DÉFINITION

Le raisonnement théorique discuté ci-dessus met en lumière la nécessité d'une défi-


nition efficace du « centre spécialisé ». L'ouvrage de Moser et Scott, British Towns
(1961), montre bien l'ampleur de la gamme des caractéristiques qùi définissent un
centre, et la façon dont on peut, par l'analyse factorielle (cf. pp. 251-253), les
décomposer en quelques dimensions plus commodes à traiter. Du point de vue de la
discordance de ces centres spécialisés avec la hiérarchie des places centrales, le pro-
blème est un peu plus simple; deux directions de recherches se présentent: la première
est l'utilisation de données locales; la seconde, l'utilisation de comparaisons entre des
données locales et des données régionales.
IoLe premier groupe d'études sur la classification des centres a pour fondement
l'idée que la fonction d'un centre peut être partagée en deux composantes distinctes:
d'une part les services destinés aux habitants, d'autre part les services destinés à la
population extérieure au centre. Le vocabulaire anglais désignant ces deux aspects
est varié: city-serving et city-forming, self-production et exchange-production, secondary
et primary, non-basic et basic. En français, les expressions banal et spécifique ont été
proposées (Carrière et Pinchemel, 1963, p. 249).

150
La place des centres spécialisés dans la hiérarchie

Isard et al. (1960, pp. 189-205) ont rédigé un compte rendu des études faites sur
cette question. Déterminer la façon de partager la population d'un centre en éléments
spécifiques et banaux pose des problèmes techniques ardus, et, parmi les études
entreprises sur cette question, on ne compte qu'un petit nombre de monographies
de villes, et pas d'étude comparative à l'échelle nationale. Le tableau 5.5 donne un
exemple d'étude locale de ce type, concernant la ville de Wichita, au Kansas. Il montre
que l'industrie minière, qui satisfait surtout des besoins extérieurs à la ville, a un
caractère nettement spécifique, tandis que l'imprimerie, qui satisfait des besoins en
grande partie locaux, est une activité banale. Malgré la somme de travail considérable
qu'ont demandée de telles études, on peut douter de la possibilité, et de l'utilité, de
classer ainsi bien des activités « mixtes ».

TABLEAU 5.5

CALCUL DE RAPPORTS SPÉCIFIQUE-BANAL 1

Catégorie d'emploi

Total Mines Imprimerie

Marché desservi :
- spécifique (national, régional, mondial) 29250 900 514
- banal (local) 59325 71 120O
Rapports spécifique-banal 2,02 0,08 2,34
Multiplicateur de l'emploi 3,02 1,08 3,34

1. Wichita, États-Unis, 1950.


Source: W. ISARD et al., Methods of Regional Analysis, 1960, p. 191.

2° Le second groupe d'études a pour fondement des comparaisons entre les données
concernant une ville particulière et un repère établi à l'échelon national ou régional.
Alexandersson (1956, p. 16) a passé en revue un certain nombre de tentatives faites
en Suède et aux États-Unis. Un exemple typique est l'indice de spécialisation S,
donné par la formule :

où Si est l'indice de spécialisation de la ville de rang i dans l'activité N, Ni le pour-


centage de la main-d' œuvre de cette ville qui est employé dans cette activité, et N j le
même pourcentage dans l'ensemble du pays. Ainsi Detroit, dont 28 % de la main-
d'œuvre travaille dans l'industrie automobile, a, par rapport à une moyenne nationale
de 1,5 %seulement, un indice de spécialisation de 17,6 pour cette activité. Malheureuse-
ment, cet indice est très sensible aux changements de définition de l'aire-repère,
c'est-à-dire au fait que la comparaison est établie à l'échelle du pays, de la région ou
de l'État.

151
LES HIÉRARCHIES

Cette difficulté a conduit à faire des études plus fines, dans lesquelles on tient compte
de la taille d'un centre pour définir son degré de spécialisation. A l'occasion d'une
étude menée aux Pays-Bas, Klaasen, Torman et Koyck (1949) ont élaboré une tech-
nique dérivée de la méthode « spécifique-banal » qu'Ullman et Dacey (1962) ont
adovtée aux États-Unis. En comparant les effectifs de main-d'œuvre travaillant
dans des ensembles de villes du même ordre de grandeur, on peut estimer que la
proportion la plus faible que l'on ait trouvée pour une activité, dans l'une quelconque
des villes, représente le minimum exigé, c'est-à-dire le niveau le plus bas qu'une ville
d'une taille donnée doive maintenir pour cette activité.
Ullman et Dacey ont étudié de cette façon quatorze activités, pour des villes des
États-Unis réparties en six classes de taille. Parmi les quatorze villes de plus d'un
million d'habitants, Washington (D.C.), où 2,3 % de la main-d'œuvre était employée
dans l'industrie des biens durables, représentait le minimum dans cette partie du
tableau. D'où la supposition que le minimum exigé pour une ville de plus d'un

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Pourcentage minimal de la main-d'œuvre

Fig. 5.14 - Classification des centres par la méthode du minimum exigé:


droites de régression. États-Unis. 1950.
Source: ULLMANN et DACEY, 1962, p. 129.

million d 'habitants était égal à 2,3 %' Ullman et Dacey ont calculé les minima sem-
blables correspondant à chaque activité et à chaque classe de villes, rapporté graphi-
quement les deux paramètres l'un à l'autre, et calculé les droites de régression pour
faire apparaître les liaisons moyennes. Comme le montre la figure 5.14, le minimum
exigé variait selon les activités (comparer par exemple le commerce de détail et l'indus-
trie), mais, pour chaque activité, les minima augmentaient toujours avec la taille des
villes. Dans certains cas, par exemple celui des professions libérales, la liaison était
nettement marquée; dans d'autres cas, par exemple celui des institutions financières,
elle était moins significative.

152
La place des centres spécialisés dans la hiérarchie

Les droites de régression correspondant aux divers groupes d'activités sont ensuite
utilisées pour calculer le minimum théorique correspondant à une ville d'une taille
donnée; ainsi, dans la région de la baie de San Francisco, peuplée de 2 680 000 habi-
tants en 1950, au moins 3,6 % de la main-d'œuvre sont, théoriquement, employés
dans l'industrie des biens durables; en fait (tableau 5.6), la proportion est de 9,6 %'
Les écarts entre les valeurs théoriques et les valeurs observées, pour chaque activité,
peuvent être combinés, ce qui donne un indice unique de spécialisation S, calculé ainsi:

Dans cette formule, i désigne chacun des quatorze secteurs d'activité, Pi le pourcentage
de la main-d'œuvre employé dans chacun des secteurs, et Mi le pourcentage minimum
théorique correspondant à la taille de la ville (Ullman et Dacey, 1962, p. 137). Dans
l'ensemble, les résultats suggèrent l'existence d'une forte liaison entre la taille des
villes et leur spécialisation. La somme de tous les minima calculés pour les quatorze
activités s'étend de 24 % (localités de 2 500 à 3 000 habitants) à 49 % (villes de 300 000
à 800000 habitants). Plus la ville est grande, plus augmente le nombre d'activités
spécialisées qu'elle peut entretenir dans les « niches écologiques » de la structure
de sa population, et, ainsi, plus la ville peut se suffire à elle-même. Ce résultat est
logique, car, au niveau le plus bas, la famille ne peut rien se vendre à elle-même,
tandis qu'au niveau le plus élevé, la population totale du monde (soit environ trois
milliards d'habitants) ne peut vendre qu'à elle-même.

TABLEAU 5.6

ESTIMATION DES MINIMA

Industries
Autres
des biens
industries
durables

Paramètres de l'emploi:
Région de la baie de San Francisco (pourcentage observé) 9,6 % 10,0 ~~
Minimum exigé pour une région de cette taille (théorique) 3,6 ~.,~ 5,5 %
Exd:s par rapport au minimum exigé . . . . + 6,0 ~. ~ + 4,4 %
Source: E. L. ULLMAN et M. F. OACEY, in Lund Studies in Geography, 1962, p. 131.

Pour les cinquante-six villes de plus de 300000 habitants existant aux États-Unis
en 1950, l'indice variait de 15,2 à 1,4. Les villes pour lesquelles la valeur de l'indice
était forte étaient des centres très spécialisés, comme la villè de l'acier, Youngstown
(8,5); au contraire, pour des centres commerciaux plus équilibrés, comme Dallas et
Denver, les valeurs étaient faibles (autour de 1,5).

153
3. LES DISTORSIONS DUES AUX DIMENSIONS DES ÉTABLISSEMENTS

Malgré la concordance évidente des activités industrielles avec la structure urbaine,


des centres liés à des spécialisations et que nous appelons ici « non conformistes»
(tableau 5.2) échappent aux principes de régularité des systèmes urbains. Le théoricien
allemand de la localisation, Weber, dans son livre Über den Standort der Industrien
(1909; Friedrich, 1929), posait en principe que les activités industrielles spécialisées
sont situées près de leurs sources d'approvisionnement (input sources) (autrement
dit, sont « orientées vers les matières premières »), à moins que d'autres facteurs ne
causent des déviations. Ici, au contraire, nous partons de l'idée que les activités indus-
trielles sont localisées près des lieux de destination de leurs produits (output desti-
nation) (autrement dit, sont « orientées vers le marché »), à moins que d'autres facteurs
ne causent des déviations. Le problème de la concentration a été discuté en détail par
Isard (1956, pp. 172-187; Isard et al., 1960, pp. 400-409) et par Hoover (1948, chap. 8).

La taille des établissements

Si l'importance des économies d'échelle dans la production industrielle est un fait


bien établi, en théorie, pour l'industrie en général, il n'en va pas de même au niveau
des diverses activités industrielles. L'étude empirique de Bain (1954) sur l'industrie
aux États-Unis constitue une exception; la figure 5.15, fondée sur ses résultats,
essaie de montrer combien l'importance des économies d'échelle diffère entre quatre
types d'activité industrielle; l'augmentation relative des coûts, au-dessus d'un mini-
mum estimé (zéro sur l'axe des y), est rapportée à une mesure-étalon de la taille des
établissements, leur part de la capacité nationale de production dans une industrie

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Importance relative de l'établissement. en pourcentage de la capacité nationale

Fig. 5.15 - Liaison entre les coûts de production et l'importance des établissements.
Source: BAIN, 1954, p. 25.

154
Les distorsions dues aux dimensions des établissements

donnée (axe des x). Les courbes relatives à ces industries prises à titre d'exemples
montrent que, dans une industrie comme celle de la rayonne, les petits établissements
fonctionnent avec un très sérieux handicap (les coûts de production sont plus élevés
d'un quart dans ceux qui représentent moins de 1 % de la capacité nationale), mais
qu'une industrie comme la fabrication de cigarettes est assez peu affectée par les
différences de taille des établissements.
Isard et Schooler (1955) ont montré, à propos de l'industrie pétrochimique, l'impor-
tance prépondérante des économies d'échelle. Pour deux localisations possibles,
Monroe, sur la côte du golfe du Mexique, et Cincinnatti, dans la grande zone indus-
trielle (Industrial Belt) des États-Unis, ils calculent le coût de trois composantes
importantes - les transports, la main-d'œuvre, l'énergie - de la fabrication d'un
produit pétrochimique (le glycol éthylénique). La différence des coûts est calculée
en cents, pour la fabrication de 100 livres de produit (tableau 5.7). Elle est importante
surtout en ce qui concerne le transport par voie ferrée : à peu près cinq fois plus que
la différence maximale concernant la main-d'œuvre, dix fois plus que la différence
maximale concernant l'énergie. Mais ces composantes sont toutes trois rendues insi-
gnifiantes par la différence énorme qui existe, dans les coûts de production, entre
grands et petits établissements, et qui est plus de six fois supérieure à la différence
correspondant au coût de transport par voie ferrée. Dans ces conditions, les diffé-
rences de taille entre établissements deviennent le facteur dominant, et « éclipsent
complètement toutes les autres différences de coût, considérées une à une ou ensemble»
(Isard et al., 1960, p. 240).

TABLEAU 5.7

DIFFÉRENCES DE COÛT, DANS UNE INDUSTRIE PÉTROCHIMIQUE 1

Différence de coût,
en cents par
100 livres

Transport:
- par péniches. . . . . . . 0,13
- par voie ferrée . . . . . . 0,60
Coût de la main-d'œuvre (différence maximale) 0,12
Coût de l'énergie (différence maximale) 0,06
Économies d'échelle (grands et petits établissements) 3,98

1. Entre Monroe (Louisiane) et Cincinnatti (Ohio).

Source: W. ISARD et E. W. SCHOOLER, Location Factors in the Petrochemical Industry, 1955, pp. 19,22-24.

On peut avancer que la taille des établissements influe sur leur localisation; le
nombre potentiel de sites ou de communautés capables d'accueillir un très grand
établissement est en effet inférieur au nombre de ceux qui peuvent en accueillir un
petit. Il est certain que les données sur la distribution des établissements selon leur
taille donnent à penser que les grands établissements sont moins nombreux et moins

155
LES HIÉRARCHIES

répandus que les petits. La figure 5.16 présente, d'après le recensement industriel
fait au Portugal en 1950, un exemple concret qui suggère que la taille des établisse-
ments et leur extension géographique ne sont pas sans rapport.

Fig. 5.16 - Distribution des établissements employant plus de 100 travailleurs (A),
plus de 400 (B), plus de 1 600 (C), au Portugal (G = 3,8), en 1950. Les croix indi-
quent la localisation de 5 % des établissements de chaque catégorie; en grisé,
les districts sans établissement de cette catégorie.

Florence (1953) a constaté l'existence d'une très forte connexion entre la « taille
d'établissement prédominant dans une industrie» et le degré de dispersion: les indus-
tries caractérisées par de petits établissements présentent une tendance à la dispersion.
Le tableau 5.8 illustre la relation entre la taille, définie en trois classes (petits, moyens
et grands établissements), et le degré de localisation, mesuré par un coefficient de
localisation; il s'agit des industries de Grande-Bretagne et des États-Unis à la fin
des années 1930. A l'évidence, les industries caractérisées par de petits établissements
sont le moins étroitement localisées. Ces industries sont dispersées pour diverses
raisons, avant tout parce qu'elles accompagnent la dispersion de la population elle-
même. Exemples remarquables : les industries où les contacts entre le fabricant et le
client doivent être directs, et où l'exécution du travail peut entraîner un certain nombre
d'allées et venues; l'imprimerie est un cas classique. D'autres industries, comme le
bâtiment, exigent des contacts personnels, et sont largement disséminées en petites
entreprises.

156
TABLEAU 5.8

TAILLE DES ÉTABLISSEMENTS ET DEGRÉ DE LOCALISATION 1

Degré de localisation

Bas 1
Moyen 1
Élevé
1

Industries où prédominent:
- les grands établissements. 9% 10% 13 %
- les moyens établissements 6% 4 0/
/0 11%
- les petits établissements 29% 8% 10%

1. Royaume-Uni, 1935; États-Unis, 1939.

Source: P. S. FLORENCE, The Logic of British and American lndustry, 1953, p. 71.

Du point de vue de l'industrie elle-même plutôt que de celui des localisations poten-
tielles, Bain (1954) a montré que la distribution des grands établissements est limitée
de deux façons: par le coût absolu du plus petit établissement économiquement viable,
et par la proportion du marché qu'un tel établissement détient. Le tableau 5.9 montre

TABLEAU 5.9
ESTIMATION DE LA TAILLE MINIMALE
DE L'UNITÉ INDUSTRIELLE EFFICACE 1

Total des capitaux nécessaires


(en millions de dollars)

1 à 10 10 à 100 100àl000

Proportion de la capacité de produc-


tion nationale représentée par un
établissement efficace :
0,1 - 0,5 % Minoterie (3)
Chaussures (2)
Conserves (3)
0,5 - 1 % Ciment (25)
1-5% Pneumatiques (30) Raffinage de pé-
trole (225)
Acier (665)
5 -10% Rayonne (135)
Automobiles
(500)
10 - 50 % Machines à écrire Tracteurs (125)
(?)
~--~~--~~~---~------------~----~-----'-~-----~-

1. Échantillon des industries des États-Unis, autour de 1951.


Les chiffres entre parenthèses donnent la plus haute estimation, en millions de dollars, du capital nècessaire
à un établissement isolé efficace.

Source: J. S. BAIN, in American Economie Review, 1954, p. 36.

157
LES HIÉRARCHIES

les résultats qu'il a obtenus; les industries sont classées en quatre groupes définis
sur une échelle logarithmique, de sorte que, pour les établissements de la première
catégorie, les investissements nécessaires sont à peu près cent fois plus grands que
pour ceux de la troisième, et ainsi de suite. La production qui exige les plus gros inves-
tissements est celle de l'acier (665 millions de dollars), tandis que la fabrication de
chaussures réclame seulement 2 millions de dollars.
Quand l'apport de capitaux est très réduit, comme dans la plupart des pays sous-
développés, ce coût minimal absolu peut limiter la diffusion des établissements très
coûteux, et tend à les localiser en un seul centre spécialisé dans le système urbain du
pays. La lenteur de la diffusion des aciéries intégrées (Pounds, 1959), pour qui le
minimum initial est très élevé, est un exemple typique de cette limitation; cependant,
cette répartition théorique est quelque peu faussée par des raisons de prestige national.
Si un seul établissement économiquement viable représente une très petite part
de la capacité de production totale, on peut soutenir que ses chances de dispersion
sont plus grandes que dans le cas inverse. D'après les travaux de Bain, cette part
de la capacité de production nationale varie amplement d'une industrie à l'autre.
Le tableau 5.9 implique qu'il suffit, pour la fabrication des machines à écrire, de
trois ou quatre établissements réellement efficaces pour desservir l'en sem ble du marché
des États-Unis, mais qu'il faut environ 500 établissements fabriquant des conserves
de viande. Évidemment, le nombre réel des entreprises dépasse de beaucoup ces minima
économiques, mais ceci est dû en grande partie à 1'héritage du passé, et le processus
de concentration est plus rapide, précisément, dans les industries où un établissement
efficace peut desservir une très grande part du marché total.
Il résulte de cette situation que, dans certaines industries, on ne peut fonder un
nouvel établissement que si on peut compter sur la « capture» d'une part importante
du marché existant, et qu'il faut « voir grand» si on veut éviter de produire à des
coûts largement supérieurs à ceux des concurrents en place. Des tentatives de péné-
tration dans des marchés bien établis peuvent se heurter aux décisions relatives
à la fixation des prix prises par les producteurs en place; Rodgers (1952) a décrit
ce processus, à propos de l'industrie de l'acier. Au contraire, pour les industries
dans lesquelles les petits établissements sont efficaces, et n'ont besoin que d'une
petite part du marché, la dispersion des établissements peut être très rapide, à mesure
que se manifestent les demandes nouvelles de la population locale. L'effet de la taille
des établissements, mesuré en chiffres absolus ou relatifs, est clair : limitation ou
dispersion des activités spécialisées dans le réseau des villes.
Il se peut que l'industrie chimique, étudiée par Isard et Schooler (1955) constitue
un cas extrême; mais bien des observations empiriques incitent à penser que la taille
moyenne de l'unité de production, dans l'ensemble de l'industrie, va croissant.
Chisholm (1962, p. 192) a montré que, de 1924 à 1954, en Grande-Bretagne, l'effectif
moyen des établissements industriels employant plus de dix travailleurs a augmenté
de moitié, passant de 87 à 134. Florence (1953), dans une étude comparative des
industries britannique et américaine, a ajouté que cette tendance était encore plus
forte dans cette dernière. L'importance de l'évolution est quelque peu masquée par
les statistiques d'effectifs de la main-d' œuvre, car, par suite de l'automatisation,

158
Les distorsions dues aux dimensions des établissements

une part plus importante de la production provient de grands établissements très peu
nombreux. La tendance à l'augmentation de la taille est réelle, non seulement dans
les industries où le nombre des emplois augmente (industries automobile et aéronau-
tique) mais aussi dans les industries (minoteries) où le nombre total d'emplois diminue.

La concentration des établissements en « agrégats )) régionaux

Les industries dont le degré de localisation est le plus élevé ne sont pas, comme on
pourrait s'y attendre, caractérisées par de grands établissements mais par des établis-
sements moyens. Certes, les grands établissements sont plus étroitement localisés
que les petits, mais les cas les plus remarquables de localisation très concentrée -
industrie du coton, de la laine, industrie automobile - sont généralement caractérisés
par des établissements de taille moyenne (tableau 5.10). Il se peut que ce haut degré
de localisation d'une industrie soit dû au fait que les établissements forment ensemble
une seule grande unité de production. La différence réside en ce que les économies
d'échelles sont internes dans le cas du grand établissement unique, externes dans le
cas de l' « agrégat» étroitement localisé d'établissements.

TABLEAU 5.10

GROUPEMENT DES INDUSTRIES D'APRÈS LEURS FORMES DE LOCALISATION

Coefficient 1
Degré de Forme de localisation Exemple
de localisation concentration

Fort Élevé Agrégats Industrie du coton


Moyen Modéré Dépendant de points d'extraction très Sidérurgie
localisés
Variable Variable 1. Liée Machines textiles
2. Libre Machines électriques
Faible Faible 1. Dépendant de points d'extraction Briqueterie
dispersés
2. Résidentielle Boulangerie

Source: P. S. FLORENCE, op. cil., 1953, p. 40.

Birmingham et la concentration du « Pays Noir» (Black Country), dans le centre


de l'Angleterre, fournissent des exemples de ce que Florence a appelé « agrégats
industriels» (industrial swarming). Parmi les dix-sept grandes activités industrielles
localisées dans cette région, douze sont des industries métallurgiques fortement liées
les unes aux autres. Florence (1944) a identifié quatre types d'intégration de ces indus-
tries métallurgiques : 10 intégration verticale (par exemple liaisons entre l'affinage
des métaux non ferreux et la production d'articles de quincaillerie non ferreux);
2° intégration convergente (par exemple les fabrications de boulons, de tôles, de pneu-
matiques... convergent pour approvisionner l'industrie de montage d'automobiles);

159
LES HIÉRARCHIES

3° intégration diagonale (par exemple les fonderies et manufactures d'outils desservent


un certain nombre d'industries locales); 4° intégration indirecte (par exemple les
industries alimentaires, dont la main-d' œuvre, surtout féminine, tend à équilibrer
les emplois masculins prépondérants dans les industries métallurgiques).
A l'intérieur de cet enchaînement général, on peut discerner des complexes encore
plus étroitement localisés de petits établissements intégrés. Wise (1949) a décrit en
détail l'évolution des quartiers des joailliers et des armuriers à Birmingham, où deux
douzaines d'établissements de joaillerie peuvent se trouver dans la même rue, avec
une douzaine d'établissements intégrés traitant l'or en barres, les pierres précieuses,
etc.
L'explication rationnelle de cette localisation extrême ne réside pas dans la répar-
tition actuelle des ressources. Les réserves naturelles de charbon et de fer sont presq ue
épuisées, et les liaisons par voie d'eau sont limitées à quelques canaux étriqués.
Comme Florence le montre, il s'agit d'un cas de limitation de la localisation par
elle-même : « l'ensemble du complexe d'industries associées de Birmingham et du
Pays Noir aurait probablement pu s'épanouir en n'importe quel autre lieu, dans
la mesure où ce lieu n'aurait pas été trop éloigné du centre du pays» (Florence, 1953,
p. 88). Toutes ces industries forment un ensemble fortement lié qui n'a guère de
rapports avec les conditions naturelles.
Des résultats semblables, concernant les États-Unis, ont été présentés par MacCarty,
Book et Knos (1956); dans une étude sur l'industrie des machines-outils, ils ont testé
trois hypothèses, entre lesquelles il s'agissait de choisir, par analyse de régression,
et ont trouvé qu'une hypothèse d'agrégation donnait les résultats les plus signifi-
catifs : le proverbe « Qui se ressemble s'assemble» résumerait bien le comportement
de l'industrie en matière de localisation.

Foyers aléatoires : le problème des centres « non conformistes ))

Les économies d'échelle, qu'il s'agisse des économies internes de l'établissement


ou des économies externes de l'agrégat régional, peuvent expliquer la localisation
relative des activités spécialisées; elles n'en expliquent pas la localisation absolue.
Nous touchons ici au cœur d'un ensemble de problèmes non résolu (le cas de « Morris
à Oxford », de « Ford à Detroit» ou de « Carnegie à Pittsburgh ») : pourquoi telle
ville, plutôt que d'autres villes apparemment semblables, s'est-elle avérée une bonne
rampe de lancement pour une grande aventure industrielle? La réponse se trouve
probablement hors du champ de la géographie humaine, dans l'étude des personnalités
et de l'opportunisme industriel; cependant, quelques manuels - notamment celui
de Paterson (1960), dans un excellent exposé sur l'industrie aux États- Unis - effleurent
ces problèmes. On peut soutenir qu'il existe des limites bien marquées, à l'intérieur
desquelles les taux de natalité d'entreprises industrielles ont des chances d'être élevés
(Beesley, 1955), mais il n'est, probablement, pas possible de circonscrire beaucoup
plus étroitement ces localisations. Le problème des foyers aléatoires autour desquels
s'est développée une si grande part de l'esprit d'entreprise, dans les pays industriels,

160
Les distorsions dues à la localisation des ressources

reste une des questions de localisation qui intriguent le plus les spécialistes de géogra-
phie historique et les théoriciens de la localisation.
Si importantes soient-elles, ces concentrations ont pour effet de distordre, non de
détruire la hiérarchie urbaine. Même les pays très industrialisés, comme le Royaume-
Uni, où se trouvent d'importants groupements de centres non conformistes, pré-
sentent une distribution des villes selon leur taille qui, comme Berry (1961-A) l'a
montré, ne diffère pas tellement de celle des pays où la population est plus rurale et
où, en même temps, la distribution des villes concorde mieux avec la hiérarchie idéale
des places centrales.

4. LES DISTORSIONS DUES A LA LOCALISATION DES RESSOURCES

S'il est admis que l'industrie est généralement concentrée dans les villes, et que des
différences de spécialisation, dues au hasard ou à l'importance des établissements,
peuvent modifier la hiérarchie urbaine, certains centres spécialisés se maintiennent
cependant en des localisations apparemment « excentriques ». Nous allons examiner
quelques-uns des modèles qui ont été proposés pour expliquer ces localisations aber-
rantes (Isard, 1956, pp. 91-119; Isard et al., 1960, pp. 375-412; Hoover, 1948, chap. 2
à 5).

La IniniInisation du InouveInent : l'analyse de Weber

L'un des modèles classiques de localisation permettant d'aborder le problème


des localisations excentriques est celui d'Alfred Weber. Dans son livre Über den
Standort der Industrien (1909; Friedrich, 1929), Weber a proposé une théorie cohé-
rente de la localisation des industries qui, en dépit de quelques inconvénients théo-
riques et pratiques, fournit un point de départ intéressant. Cette théorie est illustrée
ici par des données empiriques concernant une industrie que Weber aurait pu consi-
dérer comme un exemple classique de son système : l'industrie de la fonderie du zinc
(Cotterill, 1950).
La thèse de Weber est que les sites industriels sont choisis, ceteris paribus, de façon
à minimiser les mouvements qui ne sont pas nécessaires; autrement dit, les sites repré-
sentent des positions d'énergie minimale. On peut concevoir le mouvement comme
constitué par trois composantes distinctes : la distance à couvrir, le poids des matières
premières à apporter (inputs) ou des produits à expédier (outputs), et l'effort ou coût
du transport de ces matières et produits par unité de distance (cf Isard, 1956, pp. 81-90).
On peut combiner les deux premières composantes, distance et poids, pour obtenir
un « input » brut de mouvement mesurable en tonnes/miles; on peut combiner cet
indice avec l'effort pour obtenir un « input» net de mouvement mesurable en dollars/
tonnes/miles. Pour plus de commodité, ce dernier indice de mouvement est désigné
par la lettre Q.

161
LES HIÉRARCHIES

Le tableau 5.11 présente le calcul des inputs nets de mouvement, pour l'industrie
prise ici comme exemple. On y voit comment le tonnage d'abord, les coûts de transport
ensuite, modifient le total de mouvement par unité de distance, pour les quatre princi-
pales matières premières introduites dans la fonderie (inputs), et pour son principal
produit (output). Le contraste le plus frappant oppose le charbon de chauffe et

TABLEAU 5.11

CALCUL DES « INPUTS» NETS DE MOUVEMENT l

Loca-
1

Distance Poids 1 Tarif de trans-I Input net


lisation (en miles) (t ) port (en dollars de mouve-
en onnes par tonne/mile) ment Q

Outputs:
Zinc en plaques. € l,DO 0,54 2,10 1,14
Inputs:
Concentrés de zinc IX 1,00 1,00 1,00 1,00
Charbon de réduction ~ 1,00 0,37 1,10 0,41
Charbon de chauffe y 1,00 1,08 1,10 1,19
Argile réfractaire il 1,00 0,10 0,50 0,05
Total des inputs. - 2,55 - 2,65

1. Industrie prise comme exemple : la fonderie du zinc.

Source: C. H. CoTTERILL, lndustrial Plant Location, 1950, pp. 62, 78, 87, 110.

l'argile réfractaire; le transport du premier, pour la même distance-étalon, représente


un input net de mouvement à peu près vingt-quatre fois plus grand; ce contraste
s'explique par le fait que le charbon entre en plus grande quantité dans le processus
de production, et par le fait que ses tarifs de transport sont plus élevés. Bien entendu,
le calcul a été très simplifié : en pratique, comme l'indique la figure 6.10, la courbe
qui représente les variations des tarifs de transport tend à être convexe et à former
des paliers (Alexander, Brown et Dahlberg, 1958; Alexander, 1963, pp. 473-475),
mais l'input net de mouvement permet d'estimer grosso modo le mouvement relatif
que l'on essaie de minimiser.

LA MINIMISA TION DU MOUVEMENT DANS UN CAS COMPORTANT DEUX POINTS

Le concept d'input net de mouvement peut être utilisé de façon très simple dans
le cas où l'on distingue deux points: on rapporte les mouvements dirigés vers l'éta-
blissement, ou mouvements de rassemblement, Qa, aux mouvements accomplis à
partir de l'établissement par les produits finis, ou mouvements de distribution, Qb.
On obtient ainsi un indice d'orientation, V, qui est ici égal à

Quand la valeur de V dépasse l, l'établissement est orienté vers ses sources de matières
premières; quand V est inférieur à l, l'établissement est orienté vers ses débouchés.

162
300 c-

G)
7
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200 .' ~ /
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100 a / /

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100 o 100

200

100
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/" .

/"
o ,/"
o 100 o 100
Distance supposée de la source à la destination

Fig. 5.17 - Analyse de Weber: orientation vers le marché ou lieu de destination (A, B): orientation
vers la source de matières premières (C. D).

Dans l'exemple concret choisi (tableau 5.11), la somme des quatre mouvements
de rassemblement (2,65) et l'unique mouvement de distribution (1,14) donnent un
indice d'orientation égal à 2,32, selon lequel l'industrie étudiée est fondamentalement
orientée vers ses sources de matières premières. On peut représenter très clairement
cette situation par un graphique sur lequel on porte les valeurs des inputs nets de
mouvement propres à l'industrie étudiée, la distance de la source de matières pre-
mières au lieu de destination des produits étant supposée égale à 100 miles. Sur la
figure 5.17 A, on voit que le mouvement total augmente à mesure que la localisation
de l'usine est déplacée d'un point C( proche de la source de matières premières vers
un point fJ proche de la destination des produits fabriqués. Le terme général de l'indice

163
LES HIÉRARCHIES

net de mouvement est indiqué sur la figure 5.17 B, où la droite en trait plein représente
la somme des mouvements centripètes de rassemblement et des mouvements centri-
fuges de distribution. Ce graphique montre clairement que la localisation à la source
de matières premières est, dans ce cas, la position d'énergie minimale.
Si les rapports étaient exactement inversés, c'est-à-dire si l'indice d'orientation V
était égal à 0,43, la localisation serait également inversée. Les figures 5.17 C et 5.17 D
présentent les solutions correspondant à cette situation; dans ce cas, la localisation en
f3 est plus logique : la position d'énergie minimale, la plus efficace, est au lieu de
destination des produits.
Weber (1909) a utilisé un rapport simple de poids pour calculer son propre indice
d'orientation, un coefficient de poids obtenu en divisant le poids des matières premières
rassemblées (inputs), y compris le charbon, par le poids des produits distribués
(outputs). Cet « indice de matières premières », qui attribue des valeurs caractéris-
tiques aux diverses branches industrielles (par exemple 4,0 aux hauts fourneaux et
1,3 aux fabriques de tuyaux, dans la sidérurgie), lui a permis de diviser les industries
en deux groupes, selon l'orientation de leurs localisations, vers les matières premières
ou vers le marché, et lui a fourni la base de la distinction, commode bien que vague,
entre « industrie lourde» et « industrie légère ». Cet indice est discuté en détail dans
le livre de Friedrich (1929, pp. 48-75).
Smith (1955) a testé l'efficacité de l'indice de Weber en l'appliquant à l'étude de
soixante-cinq industries britanniques. Il a constaté que l'indice de matières premières
distinguait assez bien les industries localisées près des sources de matières premières
(par exemple le traitement des betteraves sucrières, dans les régions d'Angleterre
consacrées principalement à l'agriculture) des industries manifestement non localisées
près des sources de matières premières, mais que la corrélation n'était nullement
parfaite. Les résultats étaient plus clairs si le poids du charbon était éliminé des calculs
(tableau 5.12). Mais Smith, ne se contentant pas des résultats donnés par l'indice
de matières premières, a poursuivi sa recherche en examinant d'autres indices suscep-

TABLEAU 5.12

INDICE DE MATIÈRES PREMIÈRES DE WEBER


ET MODES DE LOCALISATION CARACTÉRISTIQUES 1

Indice de matières premières 2

inférieur compris entre supérieur


à 1,0 1,0 et 2,0 à 2,0

Nombre d'industries
- localisées près des matières premières 2 17 3
- non localisées près des matières premières 16 14 1

1. Grande-Bretagne, 1948.
2. Charbon non compris.

Source: W. SMITH, « The Location of Industry », Institute of British Geographers, Publications, 1955, p. 8.

164
Les distorsions dues à la localisation des ressources

tibles de donner une classification utile des localisations des industries. Trois de ces
indices (Smith, 1953, appendice C) étaient au moins aussi discriminants que l'indice
de Weber: 1° le poids de matières par ouvrier (ce rapport avait des valeurs plusieurs
centaines de fois plus grandes pour les hauts fourneaux que pour la fabrication des
voitures); 2° la quantité d'énergie électrique utilisée per capita; 3° le pourcentage
de main-d'œuvre masculine dans le total des effectifs employés. A des valeurs très
élevées de ces indices correspondaient des localisations nettement orientées vers les
sources de matières premières.
D'autres chercheurs, comme Duerr (1960), ont proposé d'autres indices, tels que
la valeur spécifique (valeur d'un produit, divisée par son poids), permettant d'obtenir
une classification des activités industrielles d'après leurs localisations. Mais ces indices,
comme ceux de Weber et de Smith, se sont avérés valables surtout pour les cas extrêmes
de comportement en matière de localisation, plutôt que pour les cas de localisation
intermédiaire entre la source et la destination. MacCarty (MacCarty et al., 1956,
pp. 81-121) a défini la liaison existant, aux États-Unis, entre la localisation de l'indus-
trie des machines-outils et celle d'industries métallurgiques connexes. Comme la
+ 1,0

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c::;:;
.g 5 + 0,8
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+ 0,4
Véhicules à moteur
Stade primitif Dernier stade
1 1

2 3 4 5
Suite de la "fabrication dans les industries métallurgiques

Fig",5.18 - Application d:hypothèses de liaison à la localisation de l'industrie


des machines-outils aux Etats-Unis.
Source: MACCARTY, HOOK el KNOS, 1956, p. 109.

figure 5,18 le montre, cette industrie n'est fortement liée ni au stade primitif du travail
des métaux (par exemple aux hauts fourneaux) ni au stade ultime de la transformation
(par exemple au montage des automobiles). Entre ces deux extrêmes, elle est en forte
corrélation avec les stades intermédiaires de la chaîne des industries métallurgiques,
la liaison la plus étroite (r = +0,910) étant établie avec l'industrie de l'acier ouvré.

165
LES HIÉRARCHIES

LA MINIMISATION DU MOUVEMENT DANS UN CAS COMPORTANT n POINTS

La multiplicité des sources de matières premières et des lieux de destination des


produits est la règle plutôt que l'exception, et les cas comportant deux points consi-
dérés ci-dessus ne s'appliquent guère aux localisations réelles. Weber, pleinement
conscient de ce problème, a élaboré des méthodes adaptées au traitement de situations
comportant trois, quatre et n points.
Voici comment résoudre un problème comportant cinq points, qui correspondent
aux cinq composantes de l'industrie de la fonderie du zinc (tableau 5.11). On suppose
(fig. 5.19 A) que les cinq points, a (lieu d'origine du concentré de zinc), (3 (lieu d'origine
du charbon de réduction), y (lieu d'origine du charbon de chauffe), c5 (lieu d'origine
de l'argile réfractaire), et e (lieu de destination du zinc en plaques), sont localisés au
hasard; il s'agit de trouver, pour y implanter la fonderie, le point qui minimise l'input
net de mouvement constitué par le rassemblement des quatre matières premières
et l'expédition du produit fini à son point de destination.

a
0 1,14
E

@1'

1
0,05
3

CD

Fig. 5.19 - Stades de la recherche d 'une localisation optimale pa r analyse vectorielle.

On choisit à titre d'essai (fig. 5.19 B) un point de localisation Tl à l'intérieur du


polygone formé par les droites qui relient les cinq points; dans le langage de Weber,
ce point est à l'intérieur du « tableau de forces de localisation ». On mesure ensuite
les distances qui séparent ce point d'essai des cinq points a, (3, ... , e, et on pondère
ces distances par les valeurs des poids à transporter et des tarifs de transport, de
façon à obtenir une série de vecteurs qui rayonnent à partir de Tl (fig. 5.19 C). La
longueur de chaque vecteur est proportionnelle à l'input net de mouvement (Q),
de sorte que, par exemple, le segment tracé vers le lieu d'origine du charbon de
chauffe (y) est beaucoup plus long que le segment tracé vers le lieu d'origine de
l'argile réfractaire (c5).

166
Les distorsions dues à la localisation des ressources

On peut résoudre le diagramme de forces représenté par les vecteurs de la


figure 5.19 C de plusieurs façons : en employant un modèle mécanique (Cotterill,
1950, p. 67), ou algébriquement (Pick, in Friedrich, 1929, pp. 226-252), ou graphi-
quement. On a utilisé ici la méthode graphique; illustrée par la figure 5.19 D, elle
consiste simplement à faire la somme géométrique des vecteurs, en construisant un
polygone de forces à partir duquel on peut déterminer la résultante (Sears et Zemansky,
1964, pp. 9-16). Le point de mouvement minimal est situé sur la droite passant par
l'extrémité du vecteur résultant et par le point d'essai Tl' On peut trouver sa locali-
sation exacte en répétant la même opération à partir d'un deuxième point, T 2 , et
vérifier cette localisation à partir d'un troisième point d'essai, T 3 • Comme la
figure 5.19 E le montre, les droites résultantes obtenues à partir de chacun des trois
points se coupent en un point unique. Ce point, M sur la figure 5.19 F, est la locali-
sation optimale de l'usine, du point de vue des coûts de mouvement; c'est en ce point
que les forces de localisation sont « en équilibre ».

CRITIQUE DE LA MÉTHODE DE MINIMISATION DU MOUVEMENT

Un certain nombre d'arguments techniques peuvent être opposés au raisonnement


de Weber, pour des raisons purement économiques: ils ont été exposés par Isard
(1956) et par Greenhut (1956, pp. 8-16); mais, même du point de vue géométrique,
l'insuffisance de cette méthode apparaît lorsque les lieux d'origine et de destination
deviennent plus nombreux et changent.
Tout aussi importante est l'évolution technique, qui réduit l'importance des coûts
de transport dans l'analyse des localisations, et qu'on peut définir sommairement
ainsi : 1° la diminution progressive des coûts de transport par rapport au total des
coûts de production; 2° la réduction progressive du poids des matières premières
nécessaires à la fabrication d'un produit donné, grâce à l'amélioration des techniques,
d'où la diminution du poids à transporter; 3° le fait que l'abaissement des coûts de
transport est plus rapide pour les marchandises en vrac que pour les produits finis.
Les facteurs l, 2 et 3 ont pour effet de rendre moins nécessaires les localisations
excentriques, et de placer encore plus rigoureusement l'industrie dans le cadre de la
hiérarchie urbaine. Cette tendance est encore renforcée par deux autres éléments de
changement; 4° le fait que l'expansion des derniers stades de la fabrication (qui
tendent à être orientés vers le marché) est plus grande que celle des premiers stades;
5° l'augmentation du poids des motifs non économiques dans la prise des décisions
concernant les localisations (politique sociale ou politique de défense au niveau
gouvernemental, par exemple).
La meilleure façon de donner aux modèles de mouvement la place qui leur revient,
vis-à-vis des autres facteurs qui influent sur les formes de répartition de l'industrie,
est à rechercher dans les nombreuses monographies d'industries publiées depuis 1950.
Alexander (1963, pp. 288-463), étudiant six importants groupes d'industries, a fait
une mise au point contenant des bibliographies très complètes; de son côté, Lindbergh
(1953) a mis à l'épreuve les thèses de Weber à propos d'une industrie particulière,
l'industrie suédoise du papier.

167
Les irrégularités de l'espace de localisation

Dans l'analyse des coûts de mouvement faite ci-dessus, on a supposé que les coûts
de production locaux (main-d' œuvre, énergie et eau sont les exemples traditionnels)
étaient partout les mêmes. Weber avait une conscience aiguë du caractère peu réaliste
de cette idée d'espace de localisation uniforme, et il a essayé, avec son « coefficient
de main-d' œuvre », d'introduire dans l'analyse l'effet de ces irrégularités.
L'idée qu'il existe des irrégularités, régionales et locales, dans la surface de coûts,
peut être rattachée à la discussion, menée ci-dessus, des problèmes de mouvement
comportant deux points. En ajoutant aux diagrammes des figures 5.17 A et 5.17 B
une surface de coûts irrégulière (dont une section est représentée en grisé sur
la figure 5.20), on peut saisir la façon dont la modification régulière des inputs de

300 r
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/
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w 200
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r
100 0 100
Distances supposées de la source li la destinatÎon

Fig. 5.20 - Effet des irrégularités de la surface de ressources locales sur le cas d'orien-
tation vers le marché représenté sur la figure 5.17-A, B.

mouvement est déformée par ces irrégularités locales. Cel1es-ci suffisent, sur la
figure 5.20 A, à inverser les avantages des sites a et p, et, sur la figure 5.20 B, à gauchir
la surface d'effort minimal à tel point que la localisation optimale est déplacée de
l'origine au point a.
Il est clair que l'importance des irrégularités de l'espace de localisation varie avec
l'ampleur des irrégularités de la surface de coût locale, et avec l'importance relative
de ces différences locales dans la structure globale des coûts propre à cette industrie.
Greenhut (1956, pp. 123-139) et Isard (1956, pp. 126-142) ont passé en revue ces
variations locales des coûts de fabrication.

Les substitutions locales d'Il inputs »)


Quand on lit les ouvrages courants sur la « localisation des industries », il est diffi-
cile d'éviter de se placer dans la perspective d'un corn portement uniforme à l'intérieur

168
Les distorsions dues à la localisation des ressources

d'une industrie. L'expression « une industrie'» n'est pourtant, Florence (1953, pp. 15-
21) l'a fait remarquer, rien de plus qu'un terme collectif commode pour désigner
des établissements dont les types de produits peuvent varier énormément, ou qui
peuvent produire des objets semblables en employant des procédés différents. Par
exemple, les complexes pétrochimiques, si leur localisation est telle qu'ils disposent
de gaz naturel à bon marché, utiliseront habituellement de plus grandes quantités de
gaz que de mazout; à l'inverse, en des localisations où le mazout coûte moins cher
que le gaz naturel, le premier peut être substitué au second. En chaque localisation
particulière peut exister une structure locale des facteurs de coût, dont la pondération
peut représenter une économie considérable par rapport aux combinaisons fixes que
l'on suppose exister quand on analyse « une industrie» (Luttrell, 1962).

UN EXEMPLE THÉORIQUE DE SUBSTITUTION

Isard (Isard et al., 1960, pp. 415-419) a donné un bon exemple théorique de substi-
tution. Il envisage une localisation pour laquelle on a le choix entre deux activités indus-
trielles rémunératrices, 1 et II. Chaque activité combine différemment l'utilisation
de quatre ressources de base (eau, sol, main-d'œuvre, capitaux), et ces ressources
n'existent qu'en quantités limitées. Les ressources nécessaires à chacune des deux
activités et le total des ressources disponibles sont tels que le tableau 5.13 les présente.

TABLEAU 5.13

EXEMPLE THÉORIQUE DE RESSOURCES NÉCESSAIRES A DEUX ACTIVITÉS


SOLUTION PAR PROGRAMME LINÉAIRE SIMPLE

Unités de ressources exigées 1 Total des unités


disponibles en une
par l'activité 1 par l'activité II localisation donnée

Ressources :
Eau (a) . 0,5 0,6 6,0
Sol (b) . . 0,2 0,15 1,8
Main-d'œuvre (c) 0,4 0,2 3,0
Capitaux (d) 3,0 2,0 24,0
--
Source: W. ISARD et al., op. cil., 1960, p. 146.

Le problème fondamental de substitution se pose ici entre les deux activités. Faut-il
consacrer toutes les ressources locales à l'activité 1, ou à l'activité II, ou à une combi-
naison de 1 et II? Selon Isard, dans cette situation simplifiée, le problème peut être
résolu très simplement par programmation linéaire. Une solution graphique est pré-
sentée par la figure 5.21, où, sur tous les graphiques, l'activité 1 (en ordonnée) est
rapportée à l'activité II (en abscisse).

169
15
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Fig. 5.21 - Étapes de la solution graphique d'un programme linéaire simple à quatre facteurs.
Source : ISARD et al., 1960, p. 417.

Chacune des quatre premières courbes indique la solution graphique pour une
seule ressource. En ce qui concerne l'eau, les six unités disponibles peuvent être
entièrement consacrées à l'activité l, ce qui donne 12 unités d'input (6 divisé par 0,5),
à porter sur l'axe des ordonnées; ou bien elles peuvent être entièrement consacrées
à l'activité II, ce qui donne 10 unités d'input (6 divisé par 0,6), à porter sur l'axe des
abscisses. La droite qui joint les deux points ainsi obtenus (fig. 5.21 A) représente
toutes les combinaisons possibles de 1 et II qui épuisent exactement les six unités
disponibles. Toutes les combinaisons représentées par les points situés au-dessous
de la droite, dans 'la surface en grisé, sont techniquement réalisables puisqu'il y a
assez d'eau, mais inefficaces puisqu'elles n'utilisent pas toute l'eau. A l'inverse, les
combinaisons représentées par les points situés au-dessus de la droite sont technique-
ment impossibles, en cette localisation, parce qu'elles demandent des quantités d'eau
supérieures à la quantité localement disponible. A chacune des trois autres ressources
correspond sa courbe particulière; les trois courbes sont tracées sur les figures 5.21 B,
C, D.
Il est clair que, pour résoudre le problème, il faut prendre en considération les
quatre ressources à la fois; on peut superposer simplement les courbes caractéristiques
de chacune des ressources. La figure 5.21 F représente la superposition des droites
correspondant aux disponibilités en eau (a) et en sol (b). Ici, la surface en grisé (ab)
représente les combinaisons qu'on peut adopter en tenant compte des deux ressources,
et la courbe en trait épais représente les combinaisons les plus efficaces. Sur le même
graphique, la surface a représente les combinaisons possibles du point de vue des

170
Les distorsions dues à la localisation des ressources

ressources en eau mais impossibles du point de vue des disponibilités en sol; la sur-
face b représente le point de vue inverse.
Sur la figure 5.21 G, le processus de combinaison est poursuivi, de façon à tenir
compte de toutes les ressources; d'où un polygone convexe, l' «enveloppe convexe»
des mathématiciens (Isard et al., 1960, p. 418), dont les points définissent toutes les
solutions efficaces. A l'intérieur de l'enveloppe se trouvent les points représentant
des solutions possibles mais inefficaces (surface abcd), tandis qu'à l'extérieur se
trouvent les solutions impossibles. On sait, de toute façon, que toutes les solutions
efficaces sont quelque part sur l'enveloppe convexe; il reste à déterminer la solution
la plus efficace.
Sur la figure 5.21 E, des droites d'égal revenu sont tracées en diagonale; leurs
valeurs croissent à partir de l'origine. Le point correspondant à la solution la plus
efficace est celui où l'enveloppe coupe la droite d'égal revenu ayant la valeur la plus
forte : il s'agit du point z, sur la diagonale de revenu 10,5 (fig. 5.21 H). Le point z
correspond manifestement à une combinaison des deux activités; on peut relever ses
coordonnées: 3,00 sur l'axe des y, et 7,5 sur l'axe des x. En d'autres termes, le parti
à prendre le plus efficace, pour la localisation donnée et le cortège de ressources qui
le caractérise, est le suivant : porter l'effort principal sur l'activité II (7,5 unités, ou
71 %), mais en maintenant un certain niveau de production dans l'activité 1 (3 unités,
ou 29 %).
L'exemple pris par Isard était évidemment un exemple simple, et c'est le problème
posé par un ensemble beaucoup plus complexe de ressources et d'activités qu'il
faudrait résoudre dans la pratique (Vajda, 1961). Cependant, le principe suivant
demeure : puisqu'il est vraisemblable que les localisations, du point de vue du site
et de la situation, offrent des ressources locales différentes, il est également vraisem-
blable qu'en chaq ue localisation on devra adopter (soit par raisonnement scientifique,
soit par essais et erreurs) ce « panachage» d'activités qui permet de tirer largement
profit des ressources d'accès facile et d'épargner les ressources rares.

UN EXEMPLE CONCRET DE SUBSTITUTION

Cotterill (1950) a opposé les combinaisons de facteurs adoptées par deux établis-
sements spécialisés dans la fonderie et situés en des localisations différentes, l'une
dans la grande zone du gaz (Gas Belt), au Texas, et l'autre dans le bassin houiller
de l'Illinois, près de Chicago. Les deux fonderies ont les mêmes productions, mais
les structures de leurs coûts de production sont différentes. Le tableau 5.14 indique
sommairement les principales composantes des coûts, pour les deux fonderies.
Les données font ressortir l'avantage considérable dont la fonderie la plus éloignée,
ceBe du Gas Belt, dispose en ce qui concerne les quatre éléments du coût de production.
Les deux tiers de cet avantage proviennent du moindre coût des matières premières,
et un quart du coût de la main-d'œuvre, moindre dans cette région écartée. Étant
donné que l'avantage global de la fonderie du Gas Belt, du fait de sa localisation,
par rapport à celle de l'Illinois, est de l'ordre de 4 contre 3, on peut légitimement
se demander pourquoi la seconde continue à produire.

171
TABLEAU 5.14

COUTS DE PRODUCTION DANS DEUX FONDERIES


SITUÉES DANS DES RÉGIONS DIFFÉRENTES 1

1 Origine de l'avantage
Éléments du coût, coût relatif 2 , Illinois « Gas Bell » 1 du « Gas Bell ))
(% de l'avantage total)
-------------1----1----1------ 1

Coût des matières premières . . . 1,70 0,59 70,0


Coût de la main-d'œuvre 1,43 0,70 22,3
Coût du combustible et de l'énergie 1,72 0,58 7,5
Coût des transports . . . . . . . 1,02 0,98 (),2

1. Centre des États-Unis, 1948.


2. L'égalité des coûts donnerait la valeur 1,0 aux deux régions.

Source: C. H. COTTERILL, op. cil., 1950, p. 134.

Selon Cotterill, la réponse se trouve dans le fait que l'établissement de l'Illinois


vend des sous-produits, notamment de l'acide sulfurique, ce dont l'établissement du
Gas Belt, du fait de sa localisation, ne peut profiter. La production d'acide sulfurique
entraîne une forte économie sur la consommation d'eau (une unité contre trois);
l'acide ne peut pas être jeté n'importe où à cause de ses propriétés corrosives, et
c'est un produit de faible valeur spécifique, qui ne peut supporter le coût du transport
sur une longue distance. Compte tenu de tous ces faits, l'acide sulfurique est un
produit fortement orienté vers le marché, qui ne peut être produit économiquement
que dans une grande région industrielle ou près d'elle. Grâce à la vente de sous-
produits, le déficit net de la fonderie de l'Illinois est transformé en un bénéfice qui
lui permet de se maintenir en cet endroit près du marché. Il est clair que le même
produit peut être fabriqué à partir de combinaisons de facteurs différentes, de sorte
que l'établissement de corrélations simples entre la localisation d'une certaine pro-
duction et une série type de facteurs de production (inputs) constitue une simplifica-
tion abusive.

172
Surfaces et gradients
Les modèles de mouvement minimal
Chapitre 6
Les distorsions de gradients réguliers

LES SURFACES

Nous avons considéré jusqu'à présent l'ossature du système régional (le réseau
des voies de communication et la hiérarchie des nœuds) et les mouvements qui en
assurent la cohésion. Mais la plus grande partie de la surface de la terre consiste en
zones interstitielles, situées autour de l'ossature, et que l'on étudie traditionnellement
du point de vue de l'utilisation du sol. Nous considérons ici ces zones non comme une
mosaïque complexe de catégories d'utilisation du sol, mais comme des surfaces de
densité. Sous cette forme plus abstraite, il est possible de saisir l'unité d'un certain
nombre de phénomènes et de concepts différents, par exemple le taux de décroissance
de la densité de population autour des villes et le modèle annulaire de Thünen.

173
1. SURFACES ET GRADIENTS

La nature des surfaces

Envisager la population soit comme une série de groupements distincts de tailles


différentes, soit, par généralisation, comme une surface continue de densité de popu-
lation, est en grande partie une question d'échelle. Les courbes d'égale densité de
population peuvent être considérées comme des courbes de niveau démographique,
analogues aux courbes de niveau d'une carte topographique; on pourrait même
présenter des modèles à trois dimensions de répartition de la population, comme on
présente des modèles de relief. Une telle surface peut être conçue statistiquement
comme une « surface de réaction» dans laquelle l'altitude (c'est-à-dire la densité
de population) varie en réponse à l'action de facteurs déterminants. La représentation

Fig. 6.1 - Transformation d'une distribution discontinue de l'utilisation du


sol (A) en une surface continue représentée par des isarithmes (B); tendances
de la distribution à "échelle régionale (C) et résidus locaux (D). Carré échan-
tillon (G = 4,7) de la forêt de sobreiros située dans le bassin du Tage et du Sado.
dans le Centre du Portugal. Les intervalles entre les courbes sont de cinq degrés,
et les surfaces situées au-dessus de la moyenne sont représentées en grisé.
Source: HAGGETT, 1961-B, p. 20.

174
Surfaces et gradients

de distributions géographiques dépend de conventions cartographiques autant que


de la nature propre des phénomènes à illustrer; il est ainsi facile de transformer le
plan d'utilisation du sol présenté sur la figure 6.1 A, c'est-à-dire la répartition des
forêts de chênes-lièges dans le centre du Portugal (Haggett, 1961-B), en une surface
de densité (fig. 6.1 B) ou en une surface encore plus généralisée (fig. 6.1 C); il suffit
de choisir des techniques cartographiques différentes. Les techniques adoptées pour
ces cartes sont discutées au chapitre 9 (pp. 301-302).
D'un point de vue analytique, il est plus facile de travailler sur une coupe à deux
dimensions tranchant la surface que sur la surface à trois dimensions elle-même.
On peut ainsi imaginer des coupes traversant en diagonale les deux premières figures
(6.1 A et 6.1 B) : la première présenterait une suite discontinue de secteurs couverts
ou non par un type particulier de forêt, la seconde une pente continue mais variable.
Dans la discussion ci-après, nous désignerons le premier type de représentation par
l'expression distribution en paliers, dans laquelle la hauteur des paliers varie avec les
caractéristiques (l'intensité) du type d'utilisation du sol. Nous désignerons le second
type par l'expression distribution de densité: dans ce cas, des pentes distinctes peuvent
être reconnues et étudiées.

Les pentes : gradients de densité

LES PENTES DANS LES ZONES URBAINES

L'étude de la forme des gradients de densité autour des villes a suscité de l'intérêt
depuis que Thünen, en 1826, a traité ce sujet (Thünen, 1875); mais c'est un article
polémique récent de Clark (1951) qui a de nouveau attiré l'attention sur ces phéno-
mènes. Clark, ayant étudié les gradients de densité de population autour de trente-
six villes échelonnées de Los Angeles à Budapest et de 1801 à 1950, soutient la thèse
que, dans ces villes, les densités de population décroissent exponentiellement, et que
cette règle générale apparaît comme valable, aussi bien dans l'espace que dans le
temps. On peut exprimer cette règle générale par la formule
Pd = Po e- bd
où Pd est la densité de population à une distance donnée (d) du centre, b le gradient
de densité, et Po la densité au centre, obtenue par extrapolation. A propos de cette
formule, deux points méritent d'être notés : 1° par densité de population, on entend
la densité de la « population résidente»; 2° la densité au centre est obtenue par extra-
polation des pentes calculées à partir des densités des zones périphériques. Cette
convention permet de surmonter le fait que, semblable à un cône volcanique, la
ville, en son centre, a une faible population résidentielle (la résidence étant définie
comme le lieu où chaque habitant passe la nuit).
La discussion porte sur deux points : les variations du niveau de la densité au
centre (c'est-à-dire la hauteur du cône extrapolé) et les variations des gradients de
densité (c'est-à-dire la forme des pentes, vers l'extérieur) :
1° Très peu d'études traitent directement de la densité au centre (Po), en grande

175
LES SURFACES

partie parce qu'elle s'est avérée très difficile à définir. Winsborough (1961) a surmonté
cette difficulté, indirectement, en démontrant que la densité au centre (Po) est fonction
de la densité de population globale de l'ensemble de la ville (P), indépendamment
du gradient de densité b. Ce résultat implique qu'il est possible d'obtenir une valeur
approchée de la densité au centre en étudiant la densité globale de la ville. Winsbo-
rough a trouvé une association positive et significative entre cette densité globale P
d'une part, et d'autre part l'âge de la ville (mesuré d'après la proportion de logements
anciens), la taille de la ville, et la proportion de la population employée dans l'indus-
trie. Ainsi, théoriquement, les villes importantes, anciennes, industrielles, devraient
avoir des densités globales de population assez fortes.
D'autres études ont partiellement confirmé l'action des deux premières variables
(âge et taille) de la liaison. Berry, Simmons et Tennant (1963, p. 397) ont introduit
la variable âge dans un modèle fonctionnel des densités au centre exprimé par la
formule:

Po = 0,53 + 0,63 A - 3,50 b- 1


où A est l'âge et b le gradient. L'âge (mesuré par le nombre d'années écoulées depuis
que la ville a atteint une population de 50000 habitants) et le gradient étaient l'un
et l'autre statistiquement significatifs, au seuil de confiance de 99 %' Ensemble,
les deux facteurs expliquaient 61 % de la variance des densités de population au
centre, Po.
Le rôle de la taille a également été étudié, par Clawson, Held et Stoddard (1960,
p. 84). Selon ces auteurs, il se produit une augmentation régulière de la densité quand
la taille de la ville s'accroît. Ils observent que les plus grandes villes des États-Unis
(celles de plus de 250000 habitants) contiennent 40 % de la population urbaine,
mais couvrent seulement 19 % du sol urbain. La figure 6.2 représente la densité de
toutes les zones urbanisées des États-Unis en 1950, et montre l'existence d'une liaison

15

..

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OL--------'------------'-------------J
10 3
Taille (population)

Fig. 6.2 - Liaison entre la densité de population (x 1 000) des villes, et leur taille. États-
Unis, 1950.
Source : CLAWSON, HELD et STODDARD, 1960, p. 83.

176
Surfaces et gradients

assez cohérente entre la densité (portée en ordonnée) et la taille de la ville (portée en


abscisse, selon une échelle logarithmique). Cette liaison est valable, que le calcul de
la densité soit fondé sur l'aire administrative de la ville ou sur la surface réellement
urbanisée. Sur le graphique, les points sont assez dispersés autour de la droite de
régression, ce qui fait apparaître l'influence, sur la liaison entre la taille et la densité, de
facteurs « perturbateurs» tels que la fonction et l'âge; les towns de N ouvelle-Angle-
terre ont, par exemple, des densités typiquement faibles, qu'elles doivent à l'ampleur
de leurs limites, qui englobent des étendues de terres agricoles et de forêts (chap. 7,
section 1).
2° On a davantage étudié la forme du gradient (b). Berry (Berry et al., 1963) passe
en revue une vingtaine d'études fondées sur près de cent cas pris dans toutes les parties
du monde et connues d'après des recensements s'étendant sur 159 ans. Le degré
d'ajustement est variable, mais aucune preuve n'a encore été présentée à l'encontre
de l'affirmation de Clark selon laquelle une fonction exponentielle négative serait
un bon modèle descriptif du taux de décroissance de la densité autour des villes. En
dépit de différences portant sur les vraies valeurs de la densité et de la distance,
les graphiques faits pour Hyderabad en Inde (fig. 6.3 A) et pour Chicago aux États-
Unis (fig. 6.3 B) présentent des tendances semblables.

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Distance, â partir du centre de la ville, en miles

Fig. 6.3 - Liaison entre la densité et la distance: cas de Hyderabad, en Inde (A), et
de Chicago, aux États-Unis (B).
Source: BERRY, SIMMONS et TENNANT, 1963, pp. 392, 394.

L'intérêt s'est donc déplacé, dans l'étude des gradients, vers la logique des varia-
tions du gradient. Muth (1962) a fait, pour les États-Unis, une analyse de régression,
en rapportant le gradient de densité à onze variables susceptibles d'être explicatives;
parmi ces variables, deux seulement, la taille de l'aire métropolitaine (S.M.A.) et la
proportion de l'industrie installée hors de la partie centrale de l'aire, étaient en liaison
significative avec le gradient b. Berry et al. (1963, pp. 398-399) ont, à leur tour, employé

177
LES SURFACES

la même technique en rapportant les gradients de cinquante-six villes des États-Unis


à trois variables: la taille de la ville (M), la distorsion de sa forme (S), et la répartition
de l'industrie (I). L'équation obtenue
log b = 3,08 - 0,31 log M - 1,0 log S + 0,41 log 1
montre que, seule, la variable taille est statistiquement significative (au seuil de
confiance de 95 %), et que 40 % seulement des variations des gradients sont ainsi
expliqués.
La mesure de la distorsion de la forme a été inspirée pour une observation géomé-
trique simple : ceteris paribus, le gradient de densité devrait théoriquement s'aplanir,
à mesure que l'irrégularité de la forme s'accroît, « parce que des zones qui seraient
normalement occupées par certaines densités ne sont plus disponibles, et que les
modes d'utilisation du sol qui coïncident de préférence avec ces densités doivent
aller ailleurs, vers le site disponible le plus proche)) (Berry et al., 1963, p. 398). Les
distorsions de la forme le~ plus fortes ont été relevées pour des villes situées a'u bord
d'une mer ou d'un lac; les effets de relief sont moins marqués.

LES PENTES DANS LES ZONES RURALES

Nous avons déjà noté les résultats de l'importante enquête de Bogue (1949), fondés
sur l'étude des gradients autour de soixante-cinq villes des États-Unis (cf. pp. 107-
109). Le profil général de ces pentes périphériques est conforme à la décroissance
exponentielle qui, d'après Clark (1951), caractérise les zones internes de la ville,
mais cette forme se prolonge jusqu'à plus de 300 miles de celle-ci. Les tendances de
la population urbaine ayant déjà été étudiées (fig. 4.3), ainsi que celles de la population
employée dans l'industrie (fig. 5.12), il ne sera maintenant question que de la densité
de la population rurale agricole, c'est-à-dire de l'élément qui, à première vue, est le
plus faiblement lié à une organisation spatiale polarisée.
La forme générale du gradient de la population rurale agricole est plus convexe
que celle de la densité de l'ensemble de la population. Sur les cent premiers miles,
la densité est d'environ 20 habitants par mile carré, et sa décroissance assez faible;
de 100 à 300 miles environ, le gradient est plus abrupt, et la densité tombe à environ
4 par mile carré. Le gradient est très peu modifié par la taille de la ville-centre (alors
que la taille est un facteur important quand il s'agit des gradients de la population
urbaine et de la population employée dans l'industrie). Il subit davantage l'influence
de la division de l'espace en secteurs : dans les secteurs sous-dominants, où sont les
grands centres secondaires, le niveau de la densité dépasse la moyenne; il est moindre
dans les secteurs routiers et locaux (définis sur la figure 4.4).
Les différences les plus frappantes affectant le gradient de densité sont peut-être
celles que l'on peut observer entre les grandes régions des États-Unis. Les gradients
modérés du Sud (fig. 6.4 A), la décroissance plus rapide du Nord-Est, où les densités
de population agricole présentent un creux caractéristique dans les zones proches des
villes (fig. 6.4 B), et la pente très raide des gradients de l'Ouest (fig. 6.4 C), soulignent
les différences fondamentales qui existent, du point de vue des ressources agricoles,
entre ces trois régions (Paterson, 1960).

178
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Distance. à partir de la métropole la plus proche. en miles

Fig. 6.4 - Liaison entre la distance et la densité de la population rurale agricole, dans les
grandes divisions régionales des États-Unis, en 1940.
Source: BOGUE, 1949, p. 58.

Les discontinuités : zones d'utilisation du sol

Bien que la classification de la surface de la terre en zones d'utilisation différente


du sol soit une tâche traditionnelle de la géographie, aucun des divers schémas éla-
borés depuis 1892 (Fox, 1956) n'est parvenu à établir une échelle quantitative de
mesure (chap. 8, section 1). En dépit des propositions du congrès de l'Union géogra-
phique internationale tenu à Lisbonne en 1949 pour l'établissement d'un système
de classification à l'échelle du monde, on n'a guère progressé dans cette direction.
Les contributions essentielles restent les monographies régionales, par exemple
l'étude de Board sur la région littorale de l'Afrique du Sud (1962).
La présentation des données sur l'utilisation du sol sous forme de classes (par
exemple: forêts, cultures), plutôt que sous forme numérique, signifie que l'on considère
le passage d'une classe à une autre comme une « rupture» ou comme un « palier»
plutôt que comme un gradient. Chisholm (1962) a rassemblé une collection remar-
quable d'études empiriques, où ces types d'utilisation du sol sont rapportés direc-
tement à des quantités continues (par exemple, la distance à partir d'un point de
peuplement). Les exemples s'échelonnent, d'après leur taille, de la ferme à la ville
d'importance mondiale, dans le temps, du Moyen Age à l'époque contemporaine
et, dans l'espace, de la Guyana à la Russie soviétique.
L'un des exemples les plus intéressants cité par Chisholm (1962, pp. 61-64) est
celui des zones d'utilisation du sol autour d'un village de Sicile, Canicatti. Sur les
figures 6.5 A à 6.5 C, le pourcentage de sol utilisé est rapporté graphiquement à la
distance par rapport au centre du village; ceci pour trois types importants d'utilisation

179
LES SURFACES

du sol : les vignes, les olivettes et la terre cultivable non irriguée. Les vignes occupent
environ 6 % de la surface étudiée, et sont fortement concentrées dans la zone interne
(à moins de quatre kilomètres du centre), tandis que les oliviers sont le plus fortement
représentés dans la zone moyenne (de deux à six kilomètres du centre). Le blé non
irrigué domine le paysage de la zone externe, mais, étant donné qu'il couvre juste
un peu plus de la moitié de la surface du sol, il est fortement représenté dans toutes
les zones, et occupe la moitié de la surface consacrée aux trois cultures même dans
la « zone urbaine» interne (à moins d'un kilomètre du centre). D'autres modes d'uti-
lisation du sol se montrent sensibles à la distance; ce sont les pâturages, les friches
et les taillis, tous caractéristiques des zones excentriques, et les citronniers, caracté-
ristiques des zones internes.

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20 20

o LI _J-......J._--'-_J----L_...L-......J._....J

8 o 2 4 6 8
Distance, à partir de Canicatti, en kilomètres

Fig. 6.5 - Relations entre l'utilisation du sol à Canicatti (Sicile) et la distance à partir du
centre du village.
Source : CHISHOLM, 1962, p. 63.

Pour expliquer le plan observé, Chisholm s'est reporté à des estimations, fournies
par l'Istituto Nazionale di Economia Agraria de Rome, des besoins annuels de
main-d' œuvre par hectare correspondant aux diverses cultures. Le tableau 6.1
fournit le nombre des journées de travail consacrées aux trois cultures représentées
sur la figure 6.5. Il est clair que les produits les moins exigeants sont situés le plus loin

180
TABLEAU 6.1

UTILISATION DU SOL, APPORTS (<< INPUTS ») DE MAIN-D'ŒUVRE


ET DISTANCE PAR RAPPORT A L'HABITAT 1

Vignes Olivettes Cultures


non irriguées
1

Input moyen de main-d 'œuvre (en journées de travail par


ha) 90 45 35
Distance modale à partir de Canicatti (en km) 1,5 2,5 6,5

1. Canicatti, Sicile.

Source: M. D. I. CHISHOLM, Rural SeUlement and Land Use, 1962, p. 63.

du centre; les terres consacrées au blé, mises périodiquement en jachère, ont de faibles
besoins en main-d'œuvre, et cèdent le pas aux vignes, qui sont soigneusement entre-
tenues et irriguées. Même dans le cadre d'une culture particulière, il apparaît que
les méthodes de culture deviennent moins intensives quand la distance augmente.
A une échelle plus petite, l'utilisation du sol varie avec la distance à partir de la
ferme; Chisholm allègue des constantes observées en Suède, en Finlande, aux Pays-
Bas et en Inde pour suggérer la généralité de ce phénomène. La décroissance des
taux d'occupation en fonction de l'éloignement par rapport à la ferme indique une
diminution des apports (inputs) de main-d' œuvre et de produits fertilisants; en
général, un seuil critique existe, à environ 1 kilomètre. Une extension intéressante
du concept de champ d'influence agricole est observable dans le Centre-Ouest des
États- Unis, où Kollmorgen et Jenks (1958) ont attiré l'attention sur le phénomène
des « agriculteurs non résidents» qui habitent à plus de trente miles de la limite du
comté où leur ferme est située. Le fait que ces agriculteurs, dont certains ont un domi-

TABLEAU 6.2

LIAISON ENTRE L'UTILISATION DU SOL


ET LE DOMICILE DE L'AGRICULTEUR 1

Résidents Non-
résidents

Superficie moyenne de l'exploitation (en acres) . 1280 730


Pourcentage de la surface consacré:
- aux cultures commerciales . . . . . . 14 60
- aux cultures fourragères . . . . . . . 25 21
- aux pâturages . . . . . . . . . . . 56 Il

1. Comté de Sully, Dakota du Sud, États-Unis, 1950.

Source: W. M. KOLLMORGEN et G. F. JENKS, in Annals of the Association of American Geographers, 1958


p. 34.

181
LES SURFACES

cile légal aussi lointain que Los Angeles, doivent se déplacer sur de longues distances
pour exercer leur activité agricole a des effets décisifs sur les techniques de culture,
et, par là, sur l'organisation de l'utilisation du sol. Comme l'indique le tableau 6.2,
dans ces exploitations qui sont plus petites que celles des agriculteurs résidents, plus
de la moitié de la surface est consacrée aux cultures commerciales, notamment en
blé. Les exploitations des agriculteurs non résidents sont des secteurs de grande
production de blé, dans des comtés, où, selon des usages locaux bien établis, pré-
domine un type d'exploitation fondé sur des cultures diversifiées et sur l'élevage
(les deux tiers de la surface sont consacrés aux pâturages et aux cultures fourragères).
Les études faites dans des zones rurales ont pour pendant des enquêtes sur l'uti-
lisation du sol dans des zones urbaines. Dickinson (1964, pp. 125-225) a résumé
un certain nombre d'études importantes concernant la structure générale des zones
d'utilisation du sol, aussi bien dans l'ensemble de la ville que dans les « régions natu-
relies» existant dans des parties déterminées de la ville. Bien qu'un grand nombre
de monographies exhaustives aient été publiées sur des villes, par exemple celle de
Jones (1960) sur Belfast ou celle d'Azevedo (1958) sur Sào Paulo, nous manquons
encore d'études comparatives. L'ouvrage de Bartholomew Land Use in American
Cities (1955) reste l'une des rares études où un échantillon de villes (dans ce cas,
cinquante-trois villes-centres et trente-trois « villes-satellites ») est proposé, en vue
de comparaisons directes. Tant qu'on n'aura pas analysé une plus grande masse
d'informations sur l'utilisation du sol dans les villes, on restera probablement dans
l'incapacité de vérifier ou de généraliser les divers modèles de croissance proposés
jusqu'à présent (cf pp. 199-204).

2. LES MODÈLES DE MOUVEMENT MINIMAL

La minimisation du mouvement: l'analyse de Thünen

Aux recherches de Weber sur la localisation dans l'industrie correspondent les


recherches antérieures d'un autre Allemand, Thünen, sur la localisation en agriculture.
Dans son œuvre majeure, Der Isolierte Staat in Beziehung auf Landwirtschaft (Thünen,
1875), dont la première édition a paru en 1826, Thünen a proposé une théorie cohé-
rente de la localisation dans l'agriculture, qui non seulement a servi de point de départ
à des analyses modernes plus fines (par exemple, l'ouvrage de Dunn, The Location of
Agricultural Production (1954», mais a incité Weber à étudier la localisation des indus-
tries. Les analyses de Thünen et de Weber ont beaucoup de points communs, car
tous deux se sont intéressés à la minimisation du mouvement; elles diffèrent fonda-
mentalement en ce que Weber cherche à localiser des points dans l'espace, et Thünen
à localiser des surfaces (Hoover, 1948, chap. 6; Isard, 1956, pp. 188-206; Chisholm,
1962, pp. 21-35).

182
Les modèles de mouvement minimal

LES RELATIONS GÉOMÉTRIQUES FONDAMENTALES

Les problèmes de localisation de surfaces conduisent à la géométrie plane (Bunge,


1964, pp. 8-11). Soit le problème simple: comment placer des surfaces finies le plus
près possible de points fixés à l'avance? La figure 6.6 présente quelques-uns des divers
schémas possibles. Dans chaque cas, la surface totale (A) est la même, et D est la
distance maximale entre le point ou la ligne fixés à l'avance et la partie la plus loin-
taine de la surface.

0~~
®~ ®@
Fig. 6.6 - Variantes géométriques de la structure
traditionnelle en anneaux de Thünen.

Dans le premier cas (fig. 6.6 A), il s'agit de disposer la surface le plus près possible
d'un seul point; c'est le problème classique de l' «État isolé» de Thünen, dans lequel
n'existe qu'un centre pourvu d'un marché: la solution est un cercle. Dans les cas
suivants, deux points sont substitués au point unique (fig. 6.6 B), puis un segment
aux deux points (fig. 6.6 C), et enfin un anneau au segment (fig. 6.6 D). Dans chaque
cas, le dessin géométrique revêt un aspect plus familier si la mer (en grisé) occupe
la moitié de la figure; on peut alors trouver des analogies entre les deux premiers
schémas et des zones agricoles entourant des ports côtiers; entre le troisième et une
zone entourant une voie ferrée de pénétration; entre le quatrième et des groupements
de population entourant le littoral d'une mer intérieure.
Le cas, traité par Thünen, du développement en anneaux ne représente qu'un
cas extrême, tiré d'un ensemble de problèmes dans lesquels des surfaces se groupent
le plus près possible d'un point ou d'une ligne. Le développement en anneaux est
discuté ci-après, parce qu'il est graphiquement simple et manifestement lié à la
hiérarchie des villes, non parce qu'il serait le seul possible.

LA FORMATION D'ANNEAUX

Lorsqu'il s'agit de placer une surface d'utilisation du sol le plus près possible d'un
seul point, une forme circulaire constitue, ceteris paribus, la solution de mouvement
minimal; la distance radiale maximale, du centre de la surface à sa périphérie, est

183
LES SURFACES

donnée par l'expression (Ain)!. Ce problème simple devient plus intéressant dans
l'hypothèse de différentes catégories d'utilisation du sol.

TABLEAU 6.3

CALCUL DES « INPUTS» NETS DE MOUVEMENT

1 Coûts de Résistance Inputs nets


Poids (en mou~e~ent Surface Rayon
au mou- de mouve-
tonnes/km2) (e~ u,:utes mo- nécessaire 1 maximal
vement ment
netalres par (en km 2) (en km) D
R .. 1

Q
tonne)

Utilisation du sol:
- type a . 3 1,0 3,0 100 5,64 16,9
- type b . 2 0,5 1,0 200 8,01 8,0
- type c . 1 2,0 2,0 300 9,76 19,5
- ensemble - - 1
- 600 13,82 -

Le tableau 6.3 présente un ensemble de données théoriques, qui illustre la solution


de ce type de problème. On suppose l'existence de trois types d'activité; on imagine
des quantités produites arbitraires (mesurées en tonnes par kilomètre carré) et des
coûts de mouvements arbitraires (mesurés en unités monétaires par tonne); on peut
ainsi faire des estimations de la résistance au mouvement (R m ). Les valeurs de R m
vont de 3 pour le type a, à 2 pour le type c et à 1 pour le type b. Les surfaces corres-
pondant aux trois types étant supposées, respectivement, de 100, 200 et 300 km 2 ,
on peut estimer la distance radiale maximale, mesurée à partir du centre (D) corres-
pondant à chaque type, et, en la combinant avec la résistance, calculer les inputs de
mouvement (Q). Sur les figures 6.7 A à 6.7 C, les inputs de mouvement correspondant
aux trois types (en ordonnée) sont rapportés graphiquement à la distance par rapport
a u centre (en abscisse).
Chaque type ayant des besoins de surfaces déterminés, on ne peut pas superposer
simplement ces besoins, comme le fait la figure 6.7 D. On peut cependant additionner
ces besoins de surfaces et calculer la distance radiale maximale correspondant au
total des surfaces nécessaires aux trois types, en utilisant la formule

dans laquelle Ai est la surface correspondant au type i; le total des Ai est 600 km 2 •
En supposant que la surface soit de forme circulaire, la distance radiale maximale
est de 13,82 km. Il reste à déterminer : 10 si les trois types d'utilisation du sol vont
former des anneaux distincts autour du centre; 20 comment vont se ranger les zones.
Avec les trois types, six dispositions (permutations) sont possibles : abc, acb, bac,
bca, cab, cba. Avec n zones, le nombre de permutations est ne!), de sorte qu'avec les
sept zones de Thünen (tableau 6.4), il existe 5 040 permutations.

184
20 1

0 ® 1
CD
/, /1
1
N
E
0<:
0
0
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1 1 ,. 1· ' . ' . ' l' . t 1

5 10 o 5 10 15
Distance à partir du centre, en kilomètres

Fig. 6.7 - Étapes de l'analyse d'inputs de mauvement théoriques, correspondant à des types d'utilisation
du sol.
Source : tableau 6.4.

L'examen de la figure 6.7 D montre que, dans la zone la plus proche du centre,
qui mesure 100 km 2 (en grisé), les inputs de mouvement correspondant au type a
sont plus grands que ceux qui correspondent aux deux autres types; dans la zone
suivante, qui mesure 300 km 2 (en grisé sur la figure 6.7 E), les inputs de mouvement
correspondant au type c sont plus grands que ceux qui correspondent au type b.
Manifestement, c'est le type a qui a le plus besoin d'être placé près du centre, si
les mouvements doivent être minimisés. Dans l'hypothèse d'un type homogène
d'activité agricole, il n'y a pas lieu, à ce stade, de penser que la localisation d'une
partie de ce type loin du centre présenterait des avantages : théoriquement, il devrait
donc exister une zone homogène de type a, formant une surface circulaire de 100 km 2
et ramassée autour du centre. Des raisonnements semblables s'appliquent aux deux
autres types; la disposition acb apparaît donc comme la plus logique des six possibles.
On peut facilement évaluer les avantages que la disposition acb possède sur les
autres, en rapportant graphiquement les inputs de mouvement cumulés, Q (cum.),

185
LES SURFACES

à la distance (fig. 6.8 A). La ligne brisée concave obtenue pour acb est au-dessous
de celle obtenue pour n'importe laquelle des cinq autres dispositions, l'intervalle
entre la courbe acb et la courbe de la disposition la plus coûteuse (bca) est représenté
par la surface en grisé de la figure 6.8 A. La structure en anneaux des deux disposi-
tions est représentée sur la figure 6.8 B.

80
10 ®
~
2
60 • b

o
<Ji
-<>
""5 Solution de mouvement maximum (b c a)
E

40

11 b

i 20 ~ 1
...
Solution de mouvement minimum (a c b)

~
1 .
1 c

o ----'-----"---=='-'
o 5 10 \5
Distance è partir du centre, en km

Fig. 6.8 - Effet des inputs de mouvement sur la disposition des anneaux d'utilisation du sol.

Les concepts employés ici sont analogues à ceux de Thünen. On peut mettre en
regard les inputs de mouvement et son concept de rente de situation (Bodenrente)
qu'il calculait à l'aide de l'expression :

L = E(p - a) - Efk.

Dans cette formule, L (variable dépendante) est la rente de situation par unité
de surface de sol, k (variable indépendante) est la distance, et E, p et a sont des cons-
tantes: E le rendement par unité de surface, p le prix du marché par unité de produit,
a le coût de production par unité de produit; f est le tarif de transport par unité
de distance (Dunn, 1954, p. 7). Le concept d'input de mouvement employé ici est
peut-être plus simple, en ce sens qu'il dispense de considérer explIcitement les cons-
tantes p (prix du marché) et a (coût de production) et leur substitue des hypothèses
sur la demande de produits en termes de surfaces (A).

186
Les modèles de mouvement minimal

L'ÉTAT ISOLÉ DE THÜNEN

Les schémas d'anneaux concentriques d'utilisation du sol caractéristiques de


l'État isolé théorique de Thünen sont du nombre de ceux qu'on trouve le plus cou-
ramment, dans les manuels, pour illustrer la théorie de la localisation. Les carac-
téristiques principales des zones définies par Thünen ont été résumées par Grotewald
(1959) et par Chisholm (1962, pp. 21-35); elles sont reproduites dans le tableau 6.4;
le plan d'utilisation du sol est formé d'enveloppes concentriques successives: d'abord,
à l'intérieur, des anneaux très étroits d'agriculture intensive (1) et de forêt (2); puis
une large bande d'agriculture de plus en plus extensive (3) et d'élevage (4); enfin,
au-delà, des terrains non exploités (5).

TABLEAU 6.4

« DER ISOLIERTE STAAT » (1826) : LES ANNEAUX D'UTILISATION DU SOL


DE THÜNEN

Surface : ~.~ 1Distance par Type Principal


Zone de la sur- rapport à la d'utilisation produit Système de production
face de l'État ville-centre du sol commercialisé

o 0,1 < 0,1 Industrie Produits Centre de commerce urbain


urbaine manufacturés de l'État; proche de mines
de fer et de charbon
0,1 -0,6 Agriculture Lait, légumes Production de lait inten-
intensive sive; cultures mara1chères;
fumure intensive; pas de
jachère.
2 3 0,6 - 3,5 Forêt Bois de feu et de Sylviculture à forts rende-
1
constructi on ments.
3a 3 3,6- 4,6 Seigle Rotation sur 6 ans : seigle
Pommes de terre (2), pommes de terre (1),
trèfle (1), orge (1), vesces
(1); pas de jachère; stabu-
lation hivernale.
3b 30 4,7 - 34 Agriculture \ Seigle Rotation sur 7 ans : pâtu-
rage (3), seigle (1), orge (1),

3c 25 34 - 44
\ """",, avoine (l), jachère (1)
Seigle; produits Système d'assolement trien-
de l'élevage nal : seigle, etc. (1), pâtu-
rage (l), jachère (1).
4 38 45 - 100 Élevage Produits Élevage prédominant; un
de l'élevage peu de seigle consommé
sur place.
5 1 > 100 Terrains non Néant Néant.
exploités

Cette conception était remarquable pour son époque, mais il faut rappeler ses
limites, relativement contradictoires : le caractère simplificateur des postulats d'Une
part, le caractère très empirique du contenu d'autre part.

187
LES SURFACES

1° Les postulats de Thünen peuvent être résumés en six points : 1° Il existe un


« État isolé» coupé du reste du monde et entouré de tous côtés par des déserts.
2° Cet État est dominé par une seule grande ville, qui est le seul marché urbain.
3° La ville est située au centre d'une vaste plaine privée de toute particularité, où
la fertilité du sol et les conditions de circulation sont supposées homogènes de sorte
que les coûts de production et de transport sont supposés les mêmes partout. 4° La
ville est approvisionnée par les agriculteurs, qui lui expédient des denrées agricoles,
en échange de produits de l'industrie. 5° Les produits agricoles sont transportés
par l'agriculteur lui-même, qui apporte sa propre production au marché en utilisant
un réseau dense de routes convergentes d'égale qualité; les coûts de transports sont
exactement proportionnels à la distance. 6° Le profit est maximisé par tous les agri-
culteurs, par ajustement automatique des cultures aux besoins du marché central.
Lôsch (1954, pp. 38-48) a fait remarquer que, même si ces hypothèses simpli-
ficatrices sont réalisées, la formation d'anneaux n'est pas inévitable. Il a démontré
que, étant donné deux cultures i et j, il existe dix-sept combinaisons possibles dans
lesquelles ou bien l'une des deux cultures l'emporte sur l'autre, ou bien toutes deux
sont pratiquées côte à côte, et seulement dix combinaisons dans lesquelles des anneaux
se forment. Pour que des anneaux se réalisent, dans l'ordre ij, autour du centre,
il faut que soient remplies les conditions exprimées par la formule

1 < {[E (p - a) a/[E (p - a) j]} < [Ei/EJ


où E, p et a sont définis comme dans la formule de Dunn indiquée ci-dessus (p. 186).
2° Le contenu, très empirique, de la théorie de Thünen ne peut être compris que
par référence à son arrière-plan. Johnson (1962) a décrit les premières années de la
vie de Thünen, et dit leur influence sur ses idées en matière de localisation. En 1810,
Johann Heinrich von Thünen, alors âgé de vingt-sept ans, acquiert son propre domaine
agricole, Tellow, près de la ville de Rostock, dans le Mecklembourg, sur la côte
allemande de la Baltique. Pendant les quarante années qui suivent, jusqu'à sa mort
en 1850, Thünen exploite ce domaine et, sans trêve, rassemble minutieusement
une masse de données sur les coûts et les revenus de ses opérations. Son livre s'inspire
largement de son expérience de la gestion et de la comptabilité de son domaine;
une grande partie de ses postulats, et toutes les constantes empiriques qu'il
a employées, se réfèrent à cette expérience strictement localisée.
Une grande partie de ce qui était nécessaire, dans le Mecklembourg du XIX e siècle,
semble maintenant étrange ou désuet. Manifestement, la modification la plus sérieuse
de la demande affecte la localisation de la deuxième zone de Thünen, celle qui produit
du bois d'œuvre et de chauffage (tableau 6.4); ce type d'utilisation du sol ne peut
plus exiger des sites très accessibles, proches des grands centres, dans les pays occi-
dentaux. Dans les pays tropicaux humides, cependant, la forêt soumise à une rotation,
fournissant du bois de chauffage et du charbon de bois, peut encore se trouver à
peu près dans la position indiquée par Thünen; Waibel (1958) a attiré l'attention
sur l'existence de cette répartition dans le Sud-Est du Brésil. Même dans des régions
très urbanisées, la demande de zones boisées destinées aux loisirs peut entraîner

188
Les modèles de mouvement minimal

leur persistance en des zones très accessibles. Gottmann (1961) a donné des exemples
de cette tendance, liée à la demande croissante de loisirs observable dans les zones
côtières très urbanisées de l'Est des États-Unis.

Critique des xnodèles de xnouvexnent

L'ÉVOLUTION DES COÛTS DE MOUVEMENT

Bien qu'il soit difficile de faire des comparaisons directes, on peut affirmer que la
tendance à long terme des coûts réels de transport a été à la baisse. Une suite d'inven-
tions techniques, l'adoption de carburants peu coûteux, et les économies d'échelle
obtenues grâce à l'augmentation constante des quantités mises en circulation, ont,
d'une façon générale, réduit la part des frais de transport dans l'ensemble des coûts
de production. Chisholm (1962, pp. 185-186) a suivi l'évolution des tarifs d'un moyen
de transport, la navigation maritime, et constaté que, déduction faite de l'inflation
universelle, le coût réel de la navigation maritime, entre 1876 et 1955, a diminué
des trois cinquièmes environ.
A mesure que le niveau général des coûts de transport s'abaisse, la mobilité rela-
tive des produits s'accroît, et on pourrait s'attendre à constater un élargissement
des anneaux de Thünen. Losch (1954, p. 51) a fait remarquer que, par suite de la
croissance d'un certain nombre de centres proches l'un de l'autre, les anneaux qui
entourent chaque centre doivent subir une distorsion vers l'extérieur. Il peut tout
simplement ne pas y avoir assez de place pour tous les anneaux, et les anneaux exté-
rieurs peuvent alors être déplacés vers la périphérie de l'État. Pour les anneaux
intérieurs, chaque ville reste donc le marché central, mais, pour les anneaux exté-
rieurs, c'est l'agrégat de villes qui, conjointement, constitue le centre (fig. 6.9 A).
Ce point a été mis en lumière par Jonasson, qui considère le Nord-Ouest de l'Europe

Fig. 6.9 - A. Fusion de structures en anneaux autour d'un groupement de centres. -


B. Lignes d'égale intensité de l'agriculture en Europe (G = 1,8).
Source: VALKENBURG el HELD. 1952, p. 102.

189
LES SURFACES

comme « une seule vaste conurbation .. , un seul centre géographique» (Jonasson,


1925, p. 290). Des cartes représentant le rendement moyen de huit cultures font
apparaître une remarquable liaison entre la diminution des rendements et l'aug-
mentation de la distance par rapport à cet agrégat (fig. 6.9 B).
Évidemment, ce mouvement ne s'arrête pas à la limite d'un État, encore moins
sur le rivage d'un continent. Backe (1942) a montré qu'on peut interpréter selon les
conceptions de Thünen le déplacement des systèmes d'utilisation du sol de faible
rapport vers la périphérie de l'Europe, observable depuis 1850 environ (il s'agit
notamment de l'élevage des moutons et de la culture du blé). A cette échelle, l'échelle
internationale, les mouvements de marchandises font évidemment partie de ce
continuum d'interactions dont il a été question au chapitre 2 (section 1); Ohlin
(1933), dans son étude classique sur le commerce, Interregional and International
Trade, place ces mouvements dans le cadre général de la théorie de la localisation.
A cette échel1e, il apparaîtrait alors que la réduction des coûts de transport a eu
pour effet de modifier l'échelle des anneaux de Thünen plutôt que d'altérer la valeur
propre du concept.
A l'autre extrémité de l'échelle, au niveau du champ et de la ferme, ou de la ferme
et du village, l'observation empirique donne à penser que l'effet d'anneau persiste
(Chisholm, 1962, pp. 47-75, 124-153). Ici, le mouvement continue à être mesuré en
termes de temps, en journées de travail, plutôt que d'après les coûts de transport,
de sorte que, le coût de la main-d' œuvre augmentant, on pourrait penser que les
coûts de mouvement prennent relativement plus d'importance, à moins qu'une
compensation ne soit apportée par des améliorations plus rapides des transports
intérieurs (tracteurs, jeeps, etc.).

LES MODIFICATIONS DES RELATIONS ENTRE LA DISTANCE ET LE MOUVEMENT

En étudiant les inputs de mouvement, on a supposé que la liaison entre le coût


du mouvement et la distance était linéaire. En réalité, on sait que les coûts de mouve-
ment sont en général: 1° de forme curviligne (convexe); 2° en paliers successifs plutôt
que continus; 3° différenciés, selon la marchandise, la quantité, la distance, la direc-
tion, l'expéditeur, la saison, et selon des variables particulières connexes (Troxel,
1955). Discuter en détail ce problème très complexe est hors de notre propos, mais
il est intéressant de faire apparaître la forme générale de la liaison entre les coûts
et la distance. A propos de Milwaukee (IX sur la figure 6.10 B), Alexander (1963,
p. 475) a montré la forme « en paliers» de la courbe des tarifs de transport par voie
ferrée (fig. 6.10 A) et la distorsion de la surface de coûts, qui s'élève inégalement,
selon les directions, à partir de la ville (fig. 6.10 B).
L'existence de différences entre coûts de transport, selon la nature des marchandises,
a été décrite dans un article plus ancien d'Alexander sur l'Illinois (1944), où il a
comparé le schéma de répartition des tarifs de transport par voie ferrée applicables
aux céréales expédiées à Chicago (f3 sur les figures 6.10 C et D) à celui des tarifs
applicables au bétail pour la même destination (fig. 6.10 D). Sur les deux cartes, les
interval1es entre les isarithmes correspondent à deux cents pour 100 livres; les surfaces

190
o 20 40 60 au
DlsUlflce, à partir de J, en miles

Fig. 6.10 - Variations, selon les directions, des coûts de transport par chemin de fer dans des
carrés échantillons. A-B : à l'ouest de Milwaukee, États-Unis (G = 4,3). - CoD : au sud-ouest
de Chicago, États-Unis (G = 3,9).
Sources: ALEXANDER, BROWN et DAHLBERG, 1958, p. 9; ALEXANDER, 1944, pp. 26-28.

où les tarifs dépassent treize cents sur la figure 6.10 C ou dix-huit cents sur
la figure 6.10 D sont en grisé, de façon à faire ressortir les zones de coût élevé. En
comparant les localisations de deux points, y et 0, situés à l'ouest et au sud-ouest
de Chicago, on constate que, bien que tous deux soient à la même distance de la ville
(environ 110 miles), le premier possède un avantage de localisation bien marqué en
ce qui concerne la production de bétail, le second en ce qui concerne la production
de céréales.

191
LES SURFACES

Ces exemples mettent en relief le changement radical qui s'est produit par rapport
à l'image idyllique de l'État de Thünen, où chaque agriculteur, avec son cheval et
sa voiture, apportait au marché sa propre production, et avait donc un intérêt direct
à minimiser ses déplacements personnels. Le passage des transports aux mains de
compagnies indépendantes a sapé la logique du postulat de minimisation, car on peut
soutenir que, ceteris paribus, l'objectif d'une compagnie de transport est la maxi-
misation du mouvement total, plutôt que sa minimisation. Troxel (1955) a étudié
quelques-unes des entraves qui sont opposées à cette incitation à la maximisation,
tant par la concurrence que par les pouvoirs publics. Néanmoins, le fait que les
transports ne soient plus aux mains des producteurs a une signification : l'économie
de l'ensemble du système de transport l'emporte sur celle du producteur individuel
et devient l'économie dominante.

3. LES DISTORSIONS DE GRADIENTS RÉGULIERS

Les distorsions dues à la localisation des ressources

LA VARIABILITÉ DES RESSOURCES

Praticien de l'exploitation du sol, Thünen savait que le plan d'utilisation du sol


est modifié non seulement par les coûts de transport, mais aussi par l'existence de

Fig. 6.11 - Distorsion de la structure en anneaux régullérc du paysage de Thünen (A)


par un deuxième centre, concurrent (6); par des itinéraires de transport (C); par la présence
de surfaces plus ou moins productives (0).

192
Les distorsions de gradients réguliers

sols plus ou moins bons, par les vicissitudes du climat, par l'aptitude de l'exploitant
à la gestion, etc. Il a donc présenté un schéma modifié, dans lequel les anneaux pri-
mitifs (fig. 6.11 A) sont déformés non seulement par la présence de centres concur-
rents (fig. 6.11 B) et de voies de communication permettant des transports moins coû-
teux (fig. 6.11 C), mais aussi par l'existence de qualités différentes de sols (fig. 6.11 D).
La confirmation empirique de l'étroitesse des relations entre les ressources natu-
relles et l'agriculture a été fournie par Hidore (1963); il a étudié la liaison entre les
« terrains plats» (dont la pente est inférieure à 3 %) et la culture commerciale des
céréales (fig. 6.12). Pour un échantillon de 730 comtés du Centre-Nord des États-

Fig. 6.12 - Liaison entre les sols horizontaux (A) et les sols cultivés (B)
dans le Centre-Nord des États-Unis (G = 2,7).
Source : HIDORE, 1963, pp. 85, 87.

Unis, il obtient ainsi un coefficient de corrélation, statistiquement significatif, égal à


+0,652; pour un État, l'Illinois, ce coefficient s'élève à +0,690. Le seul État présen-
tant une déviation importante est le Minnesota, où le pourcentage de terrains plats
est élevé, mais où les sols, formés sur le bord méridional du bouclier laurentien, sont
médiocres.
Ce type d'étude s'inscrit dans une tradition ancienne d'études écologiques, qui
ont constitué une part très importante des publications géographiques (cf. p. 22). A
l'échelle mondiale tout au moins, les facteurs bioclimatiques ont joué un rôle
majeur dans la mise en place des groupements de population (tableau 6.5), ce qui a
conduit les géographes à se consacrer trop exclusivement à ce thème. En effet, si
les contrastes zonaux de densité sont bien marqués, la comparaison entre les zones
qui se correspondent au nord et au sud de l'équateur (tableau 6.5) donne néanmoins
à penser que le schéma de répartition simple lié aux conditions naturelles a été forte-
ment déformé à la fois par la localisation des points d'origine de l'agriculture (Sauer,
1952) et par la diffusion du peuplement qui en a résulté. Toutefois, il faut reconnaître
l'ampleur de la variabilité des ressources, et son influence, directe et indirecte, sur
les systèmes régionaux, à tous les niveaux d'organisation, de la ferme à la région
urbaine. Étant donné le développement de la mécanisation et la facilité croissante

193
LES SURFACES

TABLEAU 6.5

DISTRIBUTION DES DENSITÉS DE POPULATION PAR ZONES BIOCLIMATIQUES


(1940)

Habitants Surface Densité


Zones bioclimatiques (en millions) (en millions
de km 2 ) (hab.fkm 2 )

Zone polaire boréale 0,2 5,2 0,04


Zone tempérée boréale 850 50,2 16,8
Zone subtropicale boréale 555 11,8 47,0
Zone tropicale . . . . . 726 47,7 15,2
Zone subtropicale australe 42 14,4 2,9
Zone tempérée australe 3 1,5 2,0
Zone polaire australe . . 16,0

Source: M. VAHL et J. HUMLUM, in Acta Jutlandica Aarsskrift for Aarhus Universitet, 1949, pp. 59-65.

des transports, il y a même quelques raisons de croire, avec Baker (1921), que les
différences latentes de conditions physiques pourraient jouer un rôle de plus en plus
important dans la détermination de l'utilisation du sol. Les ouvrages d'Alexander
(1963) et de Dickinson (1964) contiennent d'excellentes analyses de l'infl uence des
milieux naturels sur les principales branches de l'activité économiq ue et sur l'organi-
sation urbaine.

LES SUBSTITUTIONS D' « INPUTS» DE RESSOURCES


Comme en ce qui concerne les industries (chap. 5, section 4), des substitutions
modifient toutes les relations simples entre la localisation des ressources et celle
des zones agricoles. Gottmann (1961, p. 286) a présenté un cas intéressant de substitu-
tion concernant la production de lait, aux États-Unis. Il compare deux importantes
régions d'élevage laitier, la zone de la côte atlantique, proche du marché de Boston-
New York-Washington, et la zone du Wisconsin et du Minnesota, située dans le
Centre des États-Unis. Dans le langage de Thünen, la première zone se situerait
dans l'anneau intérieur intensif et la seconde dans l'anneau extérieur extensif. Dans
les deux régions, les unités d'exploitation ont à peu près la même taille (150 acres),
et le rendement par animal est à peu près le même; mais des contrastes frappants
s'observent, pour presque tous les autres inputs, en faveur de la zone de la côte atlan-
tique. Le nombre d'animaux par acre et les investissements en matériel mécanique
y sont plus élevés de 40 %; l'avantage est de 60 % en ce qui concerne les recettes par
unité de lait produite (output) et de 80 % pour les investissements en terres et en bâti-
ments. Du point de vue de l'utilisation du sol, les contrastes sont un peu moins
accusés; dans la zone intérieure, on cultive davantage de foin (+30 %) et moins
de céréales fourragères.
Le contraste entre les outputs des deux régions se ramène en partie à l'opposition

194
Les distorsions de gradients réguliers

entre les recettes tirées du lait frais et celles tirées du lait transformé (beurre, fromage,
etc.). Un certain nombre d'études, tant aux États-Unis qu'en Grande-Bretagne, ont
attiré l'attention sur la localisation caractéristique de zones de production de lait,
de beurre et de fromage qui se succèdent dans l'espace à partir du marché industrialo-
urbain (Chisholm, 1962).
Thünen a lui-même employé la notion de substitution dans l'analyse de la répar-
tition d'une culture, le seigle. Le tableau 6.4 indique que le seigle est cultivé dans
toute la zone agricole extérieure (3-4) mais qu'il n'est expédié au marché qu'à partir
de la zone 3. Les expéditions de seigle vers la ville-marché se font donc sur des distances
qui varient beaucoup, de 3,6 à 44 miles. En dépit d'un prix du seigle unique et de
coûts de transport par tonne uniformes, le seigle de la zone extérieure (3 c) peut concur-
rencer avec succès le seigle cultivé à une distance du marché à peu près dix fois moindre,
dans la zone intérieure (3 a).
Thünen montre que la zone extérieure ne peut concurrencer la zone intérieure qu'en
substituant au système de celle-ci un système d'exploitation (Betriebssystem) moins
efficace : la zone extérieure ne peut soutenir la concurrence que parce que les coûts
de production du seigle y sont moindres, ceci au prix du gaspillage que représente
un système dans lequel un tiers du sol est en jachère chaque année. En effet, en compa-
rant les systèmes de rotation des zones 3 a, 3 b et 3 c, on constate que la proportion
de sol en jachère augmente, passant de zéro à un septième puis à un tiers, en même
temps que la distance par rapport au marché (voir le tableau 6.4).
La zone intérieure reste la plus efficace, du point de vue de sa production globale,
car, ainsi que Losch l'a souligné : « c'est le total des profits qui compte; il n'existe
pas d'autre critère, fondé sur une seule culture » (Losch, 1954, p. 61). Comme à
propos de l'industrie du zinc (cf pp. 162, 171-172), il faut conclure que le seigle est
cultivé en des localisations variées où des substitutions de ressources locales rendent
profitable son introduction dans le système cultural.
Gould (1963) a abordé le problème de l'association des cultures en une combinaison
appropriée à une localisation donnée, en utilisant la théorie des jeux. Il a choisi
Jantilla, petit village de l'Ouest du Ghana, comme exemple caractéristique du pro-
blème des associations culturales dans le centre du pays, c'est-à-dire dans une zone à
pluviosité très variable. Dans ce cas, la « stratégie du milieu naturel» (pour employer
le langage de la théorie des jeux) dispose de deux tactiques: humidité ou sécheresse.
En face, la « stratégie des villageois » comporte cinq tactiques, susceptibles d'être
associées : ce sont leurs cinq cultures de base. Mais le rendement varie dans des
proportions considérables, selon ce qui est cultivé et selon les vicissitudes du climat
(tableau 6.6). Par exemple, l'igname est une culture spéculative, dont le rendement
est élevé quand l'année est pluvieuse, mais très bas (huit fois moindre) quand l'année
est sèche. Au contraire, le mil est une culture sur laquelle on peut compter: son rende-
ment diffère très peu entre une année sèche et une année pluvieuse. Le dilemme devant
lequel sont placés les villageois apparaît: doivent-ils tabler sur un temps pluvieux et
cultiver des 'plantes à fort rendement (mais en courant des risques), ou jouer la carte
de la sécurité en cultivant des plantes à rendement modéré, ou adopter une stratégie
mixte?

195
TABLEAU 6.6

RENDEMENT DES CULTURES CORRESPONDANT


AUX DIVERSES «STRATÉGIES» DU MILIEU NATURELl

Stratégies du milieu naturel


Rendement des cultures, par unité de surface
Année humide Année sèche

Igname 82 11
Maïs 61 49
Manioc 12 38
Mil. 43 32
Riz de montagne 30 71

1. Jantilla, au centre du Ghana.

Source: P. R. GOULD, in Annals of the Association of American Geographers, 1963, p. 292.

Pour ce cas où les hypothèses sont simples (2 x 5 tactiques), Gould montre com-
ment calculer la solution optimale. Sur la figure 6.13, le rendement de chaque culture
est porté sur deux axes verticaux distincts, dont l'un correspond à l'année sèche,
l'autre à l'année pluvieuse; les deux points ainsi obtenus sont joints par un segment

90 90 90
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70 70 70

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Stratégie du milieu

Fig. 6.13 - Stades de la détermination de la meilleure association culturale, pour un village du Ghana,
selon la théorie des jeux.
Source: GOULD, 1963, p. 292.

196
Les distorsions de gradients réguliers

de droite. Plus est forte la pente de ce segment, plus grande est la différence de rende-
ment entre les deux types d'années, et vice versa. La figure 6.13 A représente le segment
correspondant à la première culture, l'igname. Sur la figure 6.13 B est ajouté le segment
correspondant à la deuxième culture, le maïs; sur la figure 6.13 C sont ajoutés les
segments correspondant aux trois autres cultures. En se coupant, les segments font
apparaître les rendements les plus élevés - ceux de l'igname, du maïs et du riz de
montagne - sous la forme d'une ligne brisée concave (fig. 6.13 C). Le point le plus
bas de cette ligne (point d'équilibre, ou col), S, représente la combinaison optimale
de cultures, c'est-à-dire celle qui donnera en moyenne le plus haut rapport, pour
une série d'années bonnes et mauvaises. C'est, dans le langage de la théorie des jeux,
la solution minimax.
Le calcul de la part de chaque culture dans la solution minimax est indiqué sur
le tableau 6.7. On calcule, pour les deux cultures, la différence de rendement entre
année sèche et année pluvieuse (12 et 41). On retranche l'un de l'autre les deux résultats,
ce qui donne la différence comparative (112 - 141). Puis, pour chaque culture, on
divise la différence observée pour l'autre culture par la différence comparative, ce
qui donne les indices (différences proportionnelles : 1,4 et 0,4) qui représentent la
part de chaque culture, et à partir desquels on peut calculer les pourcentages.

TABLEAU 6.7

CALCUL DE LA CONTRE-STRATÉGIE OPTIMALE 1

Cultures possibles

Maïs 1 Riz de montagne

Rendements correspondant aux deux tactiques de la stratégie du


milieu naturel :
- année pluvieuse . . 30
- année sèche 71
Différence de rendement 41
Différence proportionnelle 112 ~ 41 1 = 0,4
Contre-stratégie optimale . 23 Ïo

1. Jantilla, au centre du Ghana.

Source : Ibid. p. 293.

Le rapport obtenu, 77 contre 23, pourrait être interprété à long terme de la façon
suivante : il faut cultiver tout le territoire du village en maïs pendant 77 années par
siècle, et en riz de montagne pendant les 23 autres années! En fait, on adopterait
évidemment la solution à court terme : cultiver chaque année du maïs sur les trois
quarts de la surface, et du riz sur un quart. Gould constate que les proportions calcu-
lées selon cette méthode concordent grosso modo avec l'organisation réelle de l'utili-
sation du sol dans la région de JantiIIa; ceci incite à penser que les habitants sont

197
LES SURFACES

parvenus à cette solution en suivant le sentier épineux des essais et des erreurs. Puisque,
dans ce cas, il faut traduire « erreurs », du point de vue humain, par « famine »,
l'importance pratique de la théorie des jeux, pour aborder les problèmes de substitu-
tion, est manifeste. Vajda (1961) a écrit une intéressante introduction à ce type d'ana-
lyse; les problèmes plus compliqués exigent le recours à un ordinateur.

Les distorsions dues à la concentration

Si les économies d'échelle n'ont pas encore affecté l'agriculture autant que l'industrie
(chap. 5, section 3), des signes montrent cependant, tout au moins dans les pays occi-
dentaux, qu'elles prennent progressivement une grande importance. Si cette tendance
persiste, les théories de la localisation concernant l'agriculture et l'industrie vont
vraisemblablement s'unifier, à mesure que l'agriculture, imitant l'industrie, adoptera
une structure associant des inputs élevés à une superficie cultivée réduite. Les élevages
industriels de poulets illustrent cette convergence croissante de l'industrie et de
l'agriculture.
Des différences d'intensité de l'utilisation du sol, entre exploitations de tailles diffé-
rentes, sont déjà visibles. Mead (1953), décrivant l'agriculture finlandaise, constate
que deux faits importants sont en corrélation avec l'accroissement de la taille des
exploitations : la diminution de la surface totale cultivée et la tendance à la spécia-
lisation dans les « cultures d'exportation ». Une enquête sur les exploitations agricoles,
faite dans la région d'Helsinki en 1944, a montré qu'environ un tiers de la surface
était cultivé dans les petites exploitations familiales (celles de moins de 36 hectares)
contre un quart seulement dans les exploitations de plus de 250 hectares. Le reste
de la surface de l'exploitation était généralement boisé. A propos de la seconde corré-
lation, Mead montre que dans les petites exploitations une forte proportion des
céréales panifiables est consommée à la ferme (90 % dans les exploitations de moins
de 10 hectares), mais que cette proportion diminue rapidement en raison inverse
de la taille: dans les exploitations de plus de 50 hectares, elle tombe à 5 % environ.
Dans les régions tropicales, la liaison entre grande unité de production et spécialisation
dans les cultures d'exportation est un fait bien établi. A propos de Ceylan, Farmer
(1957) a décrit l' « économie dualiste» composée d'un secteur de plantations et d'un
secteur traditionnel. Waibel (1958) a proposé une dichotomie semblable à propos du
Brésil.
Les économies d'échelle peuvent être équilibrées par des avantages de situation.
Assez proche de la notion d' « agrégats» industriels (Florence, 1953) est l'augmen-
tation du nombre des producteurs agricoles spécialisés qui réalisent des économies
en organisant en commun la commercialisation de leurs produits. La Californie
constitue un exemple classique : cette région, nettement favorisée par le climat,
s'est installée au premier rang des fournisseurs d'agrumes du Nord-Est des États-
Unis. L'importance des expéditions et la normalisation des produits lui ont permis
d'obtenir des compagnies ferroviaires des tarifs avantageux; ainsi la Californie a pu
vendre moins cher que des régions plus proches du marché, mais produisant moins,

198
Les distorsions de gradients réguliers

comme la Floride. L'avènement des transports routiers a permis un retour offensif


de la Floride sur le marché: ce mode de transport réduit l'importance des économies
d'échelle (Chisholm, 1962, p. 191).
Dans les pays occidentaux, la normalisation de la commercialisation des produits
progresse; elle devrait permettre l'apparition de nouvelles concentrations de type
californien. Certaines des curieuses concentrations qui se sont produites dans l'agri-
culture anglaise - comme celle de la culture de la rhubarbe dans le district occidental
du Yorkshire - peuvent s'expliquer aussi bien par des concentrations autour de
noyaux nés du hasard que par les particularités du milieu naturel.

Les distorsions dues à l'évolution dans le teIIlps

L'ÉVOLUTION DES PENTES

Le débat sur la nature des gradients de densité de population observables autour


et à l'intérieur des villes s'est étendu aux modes d'évolution de ces gradients dans le
temps. Clark (1951) a fait, sur révolution progressive des taux de décroissance de la
densité autour des villes, des études d'où l'on peut tirer deux idées générales impor-
tantes. D'une part: la croissance des villes s'accompagne d'une décroissance persis-
tante du gradient de densité, d'une tendance au « desserrement ». La figure 6.14 A
reproduit les résultats que Clark a obtenus à propos de Londres, pour la période
allant de 1801 à 1941; les résultats sont semblables en ce qui concerne Paris, Berlin,
Chicago, New York et Brisbane. D'autre part: la densité des secteurs centraux
augmente d'abord, diminue ensuite. La figure 6.14 B illustre cette tendance par
l'exemple de Cleveland (Ohio, États-Unis) tiré d'une étude de MacKenzie (1933;
Clawson et al., 1960, p. 504); elle montre : 1° l'augmentation continue de la popula-
tion totale de Cleveland (courbe en tireté) qui est passée d'un peu moins de 2 000 habi-
tants en 1830 à près d'un million vers 1930; 2° l'expansion continue des limites de
la ville, parallèle à son extension du centre vers la périphérie; 3° la succession carac-
téristique d'une augmentation et d'une diminution de la population dans la partie
centrale de la ville : à l'intérieur des limites définies en 1830, la population de Cleve-
land atteint son maximum vers 1870, puis décline et, vers 1930, son effectif est à peu
près le même qu'un siècle plus tôt.
Berry (Berry et al., 1963) a confirmé les résultats obtenus par Clark, en ce qui
concerne les villes des pays occidentaux; mais, selon lui, il est possible que ces résultats
ne soient pas applicables aux villes des autres pays. L'étude sur l'évolution de Calcutta
de 1881 à 1951 semble prouver que le gradient de densité y est resté plus ou moins
constant (c'est-à-dire qu'il n'y a eu aucune tendance au « desserrement ») et que la
densité n'a cessé d'augmenter dans le centre. Cette absence de formation de banlieues
et cette continuité de l'entassement dans la ville peuvent correspondre à des diffé-
rences temporaires (niveaux de vie, moyens de transport) ou à des différences de
morphologie urbaine d'un caractère plus permanent. Ces traits ne sont pas particu-
liers à Calcutta, mais communs aux villes d'Asie du Sud-Est en général. Berry a

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Pays occidentaux 1 Autres pays

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Distance, à partir du centre, en miles

Fig. 6.14 - A. liaisons entre la distance et la densité: cas de Londres, de 1801 à 1941. - B. Évo-
-
lution de la population de Cleveland, États-Unis. - C, D. Comparaisons, dans le temps, entre
villes des pays occidentaux et villes des autres pays.
Sources: BERRY et al., 1963, pp. -«>0, -«>3; MACKENZIE, 1933.

essayé de définir des règles générales concernant l'évolution des gradients liée à la
croissance urbaine (périodes t 1 , t2 , ••. , tn ), pour les pays occidentaux (fig. 6.14 C)
et pour les autres pays (fig. 6.14 D).

L'ÉVOLUTION DES ZONES ET SECTEURS

Par un curieux paradoxe, le modèle de zones d'utilisation du sol de Thünen, modèle


statique, a été élaboré d'abord pour les zones rurales, tandis que les principaux

200
Les distorsions de gradients réguliers

modèles dynamiques de formation (dans le temps) de discontinuités ont été élaborés


pour les zones urbaines. De même que le modèle de Thünen est applicable aux zones
urbaines aussi bien qu'aux zones rurales, de même l'application des modèles dyna-
miques peut être généralisée. Trois modèles, pris parmi les plus simples, sont présentés
ici :
IoLe modèle en zones concentriques (fig. 6.15 A) proposé par Burgess (1927)
est en grande partie fondé sur des recherches sur la croissance urbaine dans la région
de Chicago (Dickinson, 1964, pp. 131-144). Selon la théorie de Burgess, une ville
s'étend selon des directions radiales, à partir de son centre, de façon à former une
série de zones concentriques ou anneaux. A Chicago, cinq anneaux se succèdent,
du centre vers la périphérie : (a) un quartier central d'affaires (C.B.D.) à l'intérieur;
(h) une zone de transition entourant a, dans laquelle des quartiers résidentiels sont
« envahis» par les affaires et les activités du noyau central; (c) une zone où habitent
les classes laborieuses; (d) une zone résidentielle plus riche, avec maisons individuelles;

1 C B D
2 Industrie légère
3 Quartiers résidentiels de première catégorie
4 Quartiers résidentiels de deuxième catégorie
5 Quartiers résidentiels de troisième catégorie
6 Industrie lourde
7 Quartier d'affaires excentrique
8 Banlieue résidentielle
9 Banlieue industrielle
10 Zone de migrations quotidiennes

Fig. 6.15 - Relations entre zones et densité selon les modèles d'expansion urbaine:
modèle concentrique (A); modèle à secteurs (B); modèle polynucléaire (C).
Source: PRED, 1964, p, 167.

201
LES SURFACES

(e) une zone périphérique, d'où partent des migrations quotidiennes, et qui comprend
des banlieues et des villes-satellites. Burgess reconnaît que ce plan type annulaire
simple est, inévitablement, modifié par le relief, les voies de communication, etc.;
il considère néanmoins que chaque zone s'étend vers l'extérieur, en colonisant la
zone suivante, et que par conséquent l'extension radiale sur un large front est le
processus qui domine dans la formation du plan de l'aire urbaine.
Bien que les discussions sur le modèle de Burgess aient surtout concerné les zones
urbaines, il est également applicable aux zones rurales. Waibel (1958) a identifié
une série de zones qui se développent en demi-cercle autour des aires de colonisation
allemande ancienne, dans le Sud du Brésil. Au cours de 1'histoire de la colonisation
des Pampas argentines, des modes d'utilisation du sol de bon rapport (par exemple
la culture du blé) ont progressivement repoussé les modes d'utilisation de moi'ndre
rapport (par exemple l'élevage des moutons) vers les marges extérieures de la région
(James, 1959, pp. 324-355). La fusion du modèle statique de Thünen et du modèle
dynamique de Burgess pourrait fournir un instrument de description qu'il serait
intéressant d'appliquer à l'étude comparative de la colonisation européenne dans les
pays d'outre-mer (Thomas, 1956, pp. 721-762),
2° Hoyt (1939) a proposé un autre modèle spatial de croissance urbaine: le modèle
en secteurs (fig, 6.15 B). Cet auteur a été conduit par ses recherches sur le niveau des
loyers dans les villes américaines à soutenir que les différents types de zones résiden-
tielles tendent à croître en direction de l'extérieur, le long de rayons distincts, et que
le nouvel accroissement qui se produit sur l'arc extérieur d'un secteur tend à repro-
duire le caractère de l'accroissement précédent de ce secteur. Le modèle de Hoyt
constitue manifestement un perfectionnement du modèle plus ancien de Burgess,
en ce sens qu'il prend en considération à la fois la distance et la direction à partir du
centre de la ville; de ce fait, il répond à certaines des critiques faites contre le modèle
annulaire, par exemple celle liée au fait que le schéma de croissance de villes comme
Paris (Dickinson, 1964, pp. 144-152) est plutôt en étoile que circulaire.
Le modèle en secteurs est également applicable aux processus de croissance en milieu
rural. La figure 6.16 représente les périodes successives de l'expansion du front caféier,
dans le Sud-Est du Brésil (Monbeig, 1952; Stein, 1957); on y remarque la canalisation
de la zone de culture du caféier, le long de la vallée du Paraiba. La régularité de la
succession croissance-prospérité-abandon a suscité l'élaboration d'une variante du
modèle en secteurs, le modèle du « front creux» qui a remis en question ce que l'on
pensait de l'expansion du peuplement au Brésil (Haggett, 1961-A, p. 50). C'est par
une croissance en secteurs, définie à partir d'une ligne de base et non d'un centre,
que Sauer a interprété le développement des grandes zones agricoles de l'Est des
États-Unis; les caractéristiques des colons installés sur la ligne de base qu'était la
côte atlantique (des colons allemands en Pennsylvanie par exemple) ont été progres-
sivement transférées vers l'Ouest, à mesure que les pionniers pénétraient dans les
régions transappalachiennes.
3° Harris et Ullman (1945) ont proposé un modèle polynucléaire (fig. 6.15 C)
qui constitue une modification des deux modèles précédents, Selon ces auteurs, le
schéma de croissance est centré non sur un seul noyau urbain, mais sur plusieurs.

202
1830 1860

Fig. 6.16 - Suite d'étapes de trente ans dans la croissance et l'abandon (en
grisé) de la zone de culture du café, dans un carré échantillon (G = 4,5)
de l'État de Sao-Paulo, Brésil.

Le nombre de ces centres de croissance dépend à la fois des vicissitudes historiques


et des forces de localisation, qui rassemblent certaines fonctions mais en dispersent
d'autres. La question de savoir pourquoi certains secteurs deviennent d'actifs centres
de diffusion, tandis que d'autres stagnent, a été davantage étudiée en milieu rural
qu'en milieu urbain. Ainsi, Sauer (1952) a consacré un ouvrage paru dans les Bowman
Lectures au problème des foyers de l'agriculture situés tant dans l'Ancien que dans
le Nouveau Monde, et les résultats qu'il a obtenus, si sujets à controverse soient-ils,
ont ranimé le débat sur ce sujet. Spencer et Horvath (1963) ont fait des recherches
sur les points d'origine de trois zones agricoles modernes: le Corn Belt en Amérique
du Nord, la « zone du cocotier» aux Philippines et la « zone du caoutchouc» en
Mala'isie. Des modèles stochastiques de diffusion ont déjà été appliqués à l'évolution
des villes; par exemple, Morrill et Bunge (U.G.I., 1964, p. 329) ont étudié l'expansion
des ghettos noirs dans les villes américaines; ces modèles pourraient-ils être inversés,
de façon à donner quelques indications sur la localisation probable des noyaux d'où
part la croissance? En ce qui concerne la géographie botanique, Cain (1944) a précisé
certains des indices permettant de repérer de tels noyaux.

203
LES SURFACES

Les trois modèles - zones concentriques, secteurs, noyaux multiples - ne s'ex-


cluent évidemment pas l'un l'autre. On peut relever des traces de chacun d'eux dans
l'évolution des zones, aussi bien à la campagne qu'en ville. C'est ainsi que Garrison
(Garrison et al., 1959, p. 144) a proposé un modèle de croissance synthétique : un
processus de croissance radial, partant à la fois du centre principal et d'autres noyaux
secondaires, est recoupé par une croissance axiale, dont la poussée s'exerce vers la
périphérie, le long des lignes de transport issues du centre principal. Le « tri» pro-
gressif des activités et des résidences en zones sociales, économiques et techniques
distinctes est également inclus dans ce modèle général. Des observations sur le Sud
du Cambridgeshire, en Angleterre (fig. 6.17), vérifient ce point de vue; l'expansion de la
construction depuis la seconde guerre mondiale y présente trois gradients distincts :

100

"'"
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c:
'"
" ,'

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c:
10 •
"
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lil'"
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IL- ---'-- .L- ----'

o 5 10 15
Distance, en miles

Fig. 6.17 - Liaisons entre la distance et la croissance de l'urbanisation, dons le Sud du


Cambridgeshire, Angleterre.
Source : Enquête sur le terrain de D. E. KEEBLE et P. HAGGETT, 1964.

un gradient faible autour de la ville principale, en accord avec le modèle à zones


concentriques; un gradient plus accusé de part et d'autre des routes principales, en
accord avec le modèle à secteurs; un gradient très fort autour des villages écartés,
en accord avec le modèle à noyaux multiples. Manifestement, on a besoin des trois
modèles, non d'un seul, pour expliquer la croissance de cette zone d'utilisation du sol.
Ceci permet de penser qu'utiliser les modèles de localisation de façon éclectique
plutôt que sélective peut être la meilleure méthode d'analyse spatiale; par exemple,
Chapin et Weiss (1962, pp. 425-458) ont employé quelque treize variables, y compris
des mesures d'accessibilité, dans une analyse de régression multiple faite sur la crois-
sance urbaine autour d'un groupe de villes du piémont appalachien, en Caroline
(Sud-Est des États-Unis).

204
Les distorsions dues au comportement sub-optimal

Nous avons mentionné (chap. l, p. 37) l'opposition entre modèles d'optimi-


sation et modèles de satisfaction relatifs au comportement humain. Wolpert (1964)
a étudié la distribution de la productivité du travail agricole dans un échantillon
d'exploitations situées dans le Mellansverige, en Suède, et montré que la surface
représentant la productivité réelle (fig. 6.18 A) est située nettement au-dessous de
la surface représentant la productivité optimale (fig. 6.18 B). Wolpert a déterminé

®~"
~, r-'\

"~{~ :, "i 34 - 40
'-'.' 28 - 34
-28

Fig. 6.18 - Contraste entre la surface de productivité du travail agricole


réelle (de satisfaction) (A) et la surface potentielle (d'optimisation) (B), dans
le Mellansverige. en Suède (G = 4,0).
Source: WOLPERT, 1964. pp. 540, 541.

les valeurs optimales en employant la programmation linéaire, pour dix-sept exploi-


tations représentatives, et fait une interpolation, à partir d'une analyse de régression,
pour les cinq cents autres exploitations de l'échantillon. On peut mettre en doute
l'exactitude de chacune des valeurs ainsi obtenues, mais l'ampleur de l'intervalle
qui sépare les deux surfaces est trop grande et trop systématique pour s'expliquer de
façon satisfaisante. Les valeurs réelles ne dépassent 70 % de l'optimum que sur moins
de la moitié de la surface; dans quelques secteurs, la productivité descend à 40 %
de l'optimum. Wolpert décrit l'intervalle de façon assez détaillée, et conclut que les
principaux facteurs qui règlent son importance sont : 1° le simple fait que les agri-
culteurs suédois ne visent pas à atteindre un niveau optimal de productivité, mais
seulement un niveau satisfaisant (sub-optimal); 2° les variations régionales du niveau
de connaissance, liées aux décalages, dans le temps, de la diffusion de l'information
à partir de centres comme Stockholm et Uppsala (il s'agit par exemple de la diffusion
de pratiques agricoles recommandées); 3° l'incertitude en ce qui concerne les chances
qu'a telle ou telle association de cultures et d'élevage de s'avérer rémunératrice.
Ces incertitudes ne sont pas seulement relatives aux aléas climatiques ou aux maladies
des plantes ou des animaux; il s'agit aussi d'incertitudes personnelles (santé, argent)
et économiques (prix du marché). Comme Wolpert l'observe ironiquement, les agri-

205
LES SURFACES

culteurs, pourvus d'informations sur l'avenir, se seraient beaucoup plus rapprochés


de l'optimum théorique qu'ils ne l'ont fait en disposant seulement, ce qui est inévi-
ta ble, d'informations sur le passé.
Le spectre du comportement sub-optimal hante toute discussion sur les modèles
normatifs classiques dont il a été question ci-dessus, dans les chapitres 2 à 6; il fournit
une bonne occasion de rappeler l'avertissement donné à la fin du chapitre 1. Il est
manifestement indispensable que davantage de modèles de localisation soient fondés
sur le principe de satisfaction plutôt que sur le principe d'optimisation; une grande
partie du travail de recherche en cours vise à combler l'interval1e entre le monde
auquel on s'attend et le monde que l'on peut observer. La plupart des modèles exis-
tants, nous l'admettons volontiers, ont fait leur temps; mais c'est par des modèles
améliorés et plus compliqués qu'il est nécessaire de les remplacer, non par l'anarchie
de l'empirisme régional. Demander « des faits, rien que des faits », c'est demander
l'impossible. La géographie régionale a autant besoin de modèles que la géographie
générale, et c'est seulement par leur commune contribution à l'élaboration de régions
fondées sur des modèles (cf. Chorley et Haggett, 1965-A, chap. 18) que toutes deux
ont des chances de faire de rapides progrès.

206
SECONDE PARTIE

Les méthodes

« Ce n'est qu'après avoir reconnu ou soupçonné


une constante que l'on peut organiser l'expérimen-
tation : jusque-là il est peu utile de multiplier les
expériences... et l'accumulation de nombreuses obser-
vations n'est que gaspillage d'énergie, aussi bien
en physique qu'en cartographie. »

(Stephen TOULMIN, The Philosophy of Science, 1953,


pp. 111-112.)
Les populations géographiques
Les problèmes de « couverture»
Chapitre 7
L'irrégularité des unités spatiales de collecte

LA COLLECTE DES DONNÉES

Le progrès des modèles de localisation et d'organisation territoriale dont nous


avons exposé les lignes générales dans les chapitres 2 à 6 dépend en grande partie
de notre capacité à les mettre à l'épreuve des formes géographiques observables.
Des modèles théoriques nouveaux peuvent être élaborés, et le seront, sur des bases
déductives, mais nous avons peu de chance d'apprécier leur utilité, si nous ne pouvons
pas y introduire des données empiriques. Les quatre derniers chapitres de ce livre
sont consacrés aux façons de collecter, mesurer, classer et décrire l'information
géographique; non pour ajouter à l'abondante bibliographie déjà disponible, mais
afin de soumettre à un examen critique les concepts dont nous disposons. Il est très
facile, en géographie humaine, de collecter des informations; il est très difficile de
réunir des informations significatives, se rapportant à des problèmes de localisation
précis. C'est pourquoi la seconde partie de ce livre suit les chemins bien tracés de la
méthode expérimentale, partant de la collecte des données pour aboutir à la vérifi-
cation des hypothèses.

209
1. LES POPULATIONS GÉOGRAPHIQUES

Les sources d'information géographique

L'une des difficultés qui, dans le passé, a constamment pesé sur la collecte de données
géographiques est la sujétion à l'égard des sources de seconde main. Parmi les caté-
gories d'information présentées sur le tableau 7.1, aucune n'est plus importante que
celle des « documents d'archives»; elle comprend à la fois l'information enregistrée
directement en deux dimensions (par exemple des cartes, des photographies aériennes)
et l'information qui peut être transposée directement en deux dimensions (par exemple
des recensements). Il est difficile de faire des estimations précises, mais un contrôle
rapide des recherches de ce type publiées dans les revues de géographie au cours des
cinq dernières années permet de penser que cette source d'information représente
plus de 95 % de nos travaux.

TABLEAU 7.1

SOURCES D'INFORMATION EN GÉOGRAPHIE HUMAINE

Sources d'information

Observations Documents d'archives Recherche théorique


de terrain
1

Modèles Modèles
mathématiques analogiques
Mesures Observations
quantitatives qualitatives
1---1 1

Documents à Documents Modèles Modèles de


deux dimensions linéaires physiques simulation
de simulation de Monte Carlo

Cartes, photographies Recensements


aériennes

Source: D'après R. J. CHORLEY, in G. DURY, Essays in Geomorphology, 1965, p. 276.

Trois séries de conséquences résultent de cette dépendance: 10 les données, recueil-


lies à des fins non géographiques, sont, invariablement, plus ou moins inadaptées

210
Les populations géographiques

aux besoins de la recherche géographique; Gregor (1962) l'a montré à propos de la


Californie et Coppock (1955) à propos de données sur les paroisses britanniques;
2° nous sommes prisonniers du degré de précision initial de l'enquête, degré de préci-
sion dont Thatcher (1949, pp. 22-35) et Morgenstern (1963) ont montré qu'il pouvait
être très faible, et qui échappe de toute façon à notre contrôle direct; 3° les informations
sont données par « paquets » (par exemple par circonscriptions administratives)
qui sont incommodes et anachroniques et posent des problèmes extrêmement ardus
de cartographie et d'interprétation (Duncan, Cuzzort et Duncan, 1961). Certes, il
existe des façons de tourner certaines de ces difficultés (section 3) et nous continuerons,
dans le proche avenir, à utiliser comme sources d'information des sous-produits
d'autres travaux; mais il sera nécessaire d'explorer les autres sources possibles d'infor-
mation géographique.
Le présent chapitre est en grande partie consacré aux possibilités d'emploi des
méthodes de sondage en vue de recueillir une information qui soit significative du
point de vue des exigences particulières de nos recherches. Dans la mesure où l'emploi
de ces méthodes implique la collecte sur le terrain, il s'agit d'un retour à une tradition
qui était la marque de la géographie au XIXe siècle, et qui s'est maintenue fermement
dans l'enquête sur l'utilisation du sol (Land Utilization Sur vey) faite en Grande-
Bretagne dans les années 1930 (Board, in Chorley et Haggett, 1965-A, chap. 10). Tradi-
tionnellement, on a moins eu recours aux informations tirées d'une recherche théorique
où les conditions de localisation sont simulées soit par des modèles mathématiques,
soit par des modèles physiques, soit par des processus markoviens (chap. 10, section 3).
Entre ces deux sources d'information, le travail sur le terrain offre la meilleure solution
dans l'immédiat, en ce sens qu'il promet de fournir, tout au moins quand il est lié
à des plans expérimentaux rigoureux, une information pertinente sur l'applicabilité
des modèles de localisation existants. En même temps, il fournit des données que la
recherche théorique peut manipuler, tester et généraliser.
Pris dans son ensemble, le problème de l'information en géographie est un problème
complexe, qui a été quelque peu obscurci par des attitudes traditionnelles (par exemple
par le préjugé en faveur des données « exhaustives », contre les données d'échantillon)
et par une tendance à considérer ce problème dans le cadre de la seule géographie.
Le développement de la théorie de l'information au cours des vingt dernières années
montre que beaucoup de nos difficultés sont communes à la plupart des sciences,
et nous devons probablement élargir notre perspective en les plaçant dans un cadre
plus éclectique (Abramson, 1963).

La définition des populations géographiques

Une population (on dit aussi, parfois, un univers) peut être définie comme une col-
lection quelconque, finie ou infinie, d'objets particuliers (Kendall et Buckland, 1957,
p. 222). Une population géographique est donc une collection d'objets qui ont en
commun une certaine caractéristique géographique. Ainsi, on peut considérer les
comtés des États-Unis (non compris l'Alaska et les Hawaï) comme une population

211
LA COLLECTE DES DONNÉES

géographique dans laquelle il y a un nombre fini (3 074) d'individus. Bien que la


définition des individus de cette population soulève des difficultés (cf infra), la défi-
nition des populations est une opération ad hoc, régie par les objectifs de la recherche.
Krumbein (1960, p. 349) a montré que, lorsque les buts de l'étude ont été définis,
la population est définie.
La distinction essentielle, pour la plus grande partie de la recherche géographique,
est la distinction entre, d'une part, la population-cible, c'est-à-dire la population totale,
telle qu'on peut la concevoir, et, d'autre part, la population échantillonnée, c'est-à-dire
la population réelle, d'où sont tirés des échantillons (Cochran, Mosteller et Tukey,
1954). Si on veut vérifier la validité d'un concept relatif à la localisation, disons la
distribution de la taille des villes selon leur rang, la population-cible à propos de laquelle
on veut énoncer une règle générale ou une prévision peut être le monde. Mais la
population que l'on est, en fait, en mesure d'étudier est plus réduite, puisque, par
suite des insuffisances de recensements ou à cause de précautions d'ordre politique,
tous les pays du monde ne livrent pas des données appropriées. C'est ainsi que
Ginsburg (1961), dans son Atlas of Economie Development, a défini une population-
cible de 140 « pays ou unités administratives équivalentes ». Mais, pour la plupart
de ses 57 indices, la population échantillonnée n'était que d'une centaine de pays.
Même en ce qui concerne la densité de population, qui est l'indice le plus largement
disponible, la population échantillonnée (139 pays) était tout juste inférieure à la
population-cible.
Population-cible et population échantillonnée ne sont identiques que dans un
nombre relativement réduit de problèmes de recherche. La connaissance que nous
avons des ondes de diffusion est aussi fortement « biaisée» (faussée) par notre expé-
rience de la société « occidentale» que les conceptions de W. M. Davis sur les cycles
de l'érosion aride par son expérience du Sud-Ouest des États-Unis. Il faut souvent
avoir conscience de ce que l'on a affaire seulement à la sous-population accessible:
« cela devient une question de jugement de savoir si la population échantillonnée
et la population-cible sont assez proches l'une de l'autre pour que les conclusions
concernant la première puissent être appliquées sans restriction à la seconde »
(Krumbein, 1960, p. 353).

Définitions opérationnelles

La définition des individus composant une population géographique soulève des


difficultés complexes, mais propres à chaque cas, qui doivent être résolues par l'adop-
tion de définitions opérationnelles. Une définition opérationnelle est un ensemble
de règles ou de critères arbitraires, grâce auxquels les individus qui appartiennent
à une population peuvent être identifiés clairement. Il existe des exposés d'ensemble
de ce problème (par exemple, Morgenstern, 1963), mais il vaut peut-être mieux
exposer un cas particulier. L'habitat urbain constitue un exemple typique.

212
Les populations géographiques

NATURE DU PROBLÈME

Alexander (1963, p. 528) a montré que ce qu'on entend par « habitat urbain»
varie considérablement d'un pays à l'autre : au Danemark, on compte comme
urbaines toutes les unités d 'habitat de 250 habitants ou plus, tandis qu'en Espagne
et en Suisse on ne compte comme urbaines que celles de 10000 habitants ou plus.
En ce qui concerne les États-Unis, le Bureau du recensement publie des données pour
quatre types différents d' « aires de caractère urbain » (urban-like areas) qui sont
rangées approximativement d'après leur importance : 1° la localité urbaine (urban
place), c'est-à-dire n'importe quelle localité de 2500 habitants ou plus; 2° la munici-
palité urbaine (incorporated city), c'est-à-dire la ville de 2 500 habitants ou plus qui
constitue une entité politique particulière; 3° l'aire urbanisée (urbanized area), qui
est centrée sur une ville de 50 000 habitants ou plus et qui inclut la frange urbaine
entourant chaque ville; 4° l'aire métropolitaine (standard metropolitan area) qui
englobe un groupe de comtés contenant au moins une ville de 50000 habitants ou
plus, et dont la plus grande partie de la surface a un caractère non urbain.
Ces quatre catégories débordent largement l'une sur l'autre et ne s'excluent pas
mutuellement. Chacune donne une image différente de ce qu'est le paysage urbain
aux États-Unis, et chacune est valable dans des conditions particulières. A vrai dire,
comme l'ancienneté de la documentation diffère d'un type à l'autre, ce fait détermine
souvent le choix effectif de la définition à employer. On dispose généralement, pour
les municipalités, de données remontant à 1900, alors que pour les aires métropoli-
taines la documentation date d'après la seconde guerre mondiale, et pour les aires
urbanisées, seulement d'après 1950. En Grande-Bretagne, le problème de la défi-
nition de la ville est tout aussi ardu; Dickinson (1963, p. 68) a prouvé, par exemple,
que Liverpool peut être soit plus grande soit plus petite que Manchester, selon la
façon dont chacune des deux villes est délimitée.
Selon Davis et son groupe (International Urban Research, 1959, pp. 6-7), la ville
« naturelle» (c'est-à-dire l'aire urbanisée) peut être mal représentée, dans les recen-
sements, selon diverses façons présentées sous forme de schémas sur la figure 7.1;
la ville « naturelle» est en grisé et les unités statistiques du recensement sont marq uées
par des limites en trait plein.
Le premier de ces trois types de découpage (fig. 7.1 B) est celui de la ville « trop
étroitement délimitée » : les limites définies dans les statistiques sont plus étroites
que l'aire urbaine; en conséquence, celle-ci peut ne pas être séparée des districts ruraux
environnants, ou être démembrée entre d'autres villes définies dans les statistiques.
De tels types « trop étroitement délimités» se rencontrent couramment en Australie,
où de grandes aires urbaines sont divisées en municipalités, comtés, conseils, etc.
Ainsi, Sidney proprement dite n'avait que 193 100 habitants en 1955, alors que
l'ensemble de l'aire urbaine avait 1 869000 habitants.
Le deuxième type de découpage (fig. 7.1 A) est celui de la ville « trop largement
délimitée» : les limites définies dans les statistiques sont plus larges que l'aire urbaine
et peuvent contenir plus d'une aire urbaine. Aux Philippines, les limites administratives
et statistiques de la plupart des « villes» englobent à la fois de vastes zones rurales

213
~\

Fig, 7,1 - A, B, C. Relations possibles entre des unités statistiques et l'aire urbanisée
d'une ville. - D. Limites des communes dans un carré échantillon (G = 6,6)
du centre des Chiltern Hills, dans le Sud de l'Angleterre. - E. Terres qui sont
mal classées si on utilise les limites représentées en D.
Source: COPPOCK, 1960, p. 318.

et des localités de tailles diverses. La troisième possibilité, la ville « exactement déli-


mitée », où les limites administratives et politiques coïncident, représente l'idéal,
mais se rencontre rarement (fig. 7.1 C). Les villes du Pakistan paraissent les plus
proches de cet idéal.

TENTATIVES DE SOLUTION

Le problème de la normalisation des définitions des villes n'est pas résolu. Parmi les
solutions partielles qui ont été proposées, l'une des plus complexes est celle que le
Bureau du recensement des États-Unis (United States Census Bureau) utilise pour
définir les Standard Metropolitan Areas ou S.M.A., et qui tient compte de la densité
de population, des fonctions et du degré d'intégration (Office of Statistical Standards,
1958). La S.M.A. doit contenir au moins une ville de 50000 habitants ou plus, qui
constitue le noyau central. S'y ajoutent les comtés limitrophes qui ont un caractère

214
Les populations géographiques

« métropolitain » (c'est-à-dire qui renferment au moins 10 000 travailleurs non


agricoles, ou 10 % des emplois non agricoles de la S.M.A., ou dont 50 % au moins
de la population réside dans des circonscriptions administratives ayant une densité
de population de 150 habitants ou plus par mile carré et contiguës à la ville-centre.
De plus, les travailleurs non agricoles doivent former au moins les deux tiers du total
de la population active du comté. A ces règles strictes s'ajoutent des critères d'inté-
gration entre le comté qui constitue la ville-centre et les comtés périphériques, critères
fondés sur l'importance relative des migrations quotidiennes (par exemple 15 %
des travailleurs habitant dans un comté périphérique doivent travailler dans le comté
qui constitue la ville-centre) et sur les communications téléphoniques (le nomhre
mensuel des appels vers le comté qui constitue la ville-centre doit être au moins
quadruple du nombre des abonnés habitant dans le comté périphérique considéré).
Bien qu'il ait fallu prévoir des exceptions à ces règles (par exemple pour la Nouvelle-
Angleterre, qui pour des raisons historiques a un système administratif spécial,
le town system), ce que le Bureau du recensement a ainsi tenté de faire, avec beaucoup
de soin, a situé le problème de la définition des villes sur un plan nouveau. Cet essai
a conduit directement à des recherches comme celles du Groupe international de
recherches urbaines (International Urban Research Group) de Berkeley, qui a présenté
l'inventaire le plus complet qu'on ait fait jusqu'à présent de toutes les villes du monde,
définies de façon à permettre des comparaisons. La définition donnée par ce groupe
de l' « aire métropolitaine » atteint douze pages de discussion serrée (y compris
deux pages consacrées aux « cas difficiles ») (International Urban Research, 1959,
pp. 20-32).
On conçoit que d'autres solutions, moins complexes, aient été proposées. Grytzell
(1963) a utilisé une « échelle mobile» de la densité de population, et illustré sa méthode
de délimitation en prenant l'exemple de cinq grandes villes (New York, Londres,
Paris, Stockholm et Copenhague). Il démontre que si on fixe à l'avance un niveau
« urbain» de la densité de population, on laisse échapper d'importantes variations
régionales de la densité des aires urbaines, et que c'est la densité relative qui distingue
la ville des zones environnantes.
Ce problème des définitions opérationnelles, discuté ici à propos des aires urbaines,
s'étend en fait à toutes les populations géographiques. Le chevauchement des diverses
définitions possibles d'une ville présente des similitudes avec le problème de la non-
coïncidence des limites d'exploitations et des limites de communes que Coppock
(1955) a discuté en donnant l'exemple de la région des Chiltern Hills, dans le Sud de
l'Angleterre. Dans cette région (fig. 7. 1 D), les contours de l'unité territoriale pour
laquelle les statistiques agricoles semblent collectées (c'est-à-dire la paroisse) et ceux
de l'unité territoriale à laquelle elles se rapportent en fait (c'est-à-dire les terres appar-
tenant aux exploitations sises dans cette paroisse) peuvent présenter des divergences
considérables. Une proportion importante des terres des exploitations se trouve ainsi
à l'extérieur des limites des unités administratives dans le cadre desquelles elles sont
recensées et cartographiées (fig. 7.1 E).

215
2. LES PROBLÈMES DE « COUVERTURE ))

Le problème de la « couverture» est simple et immédiat. La surface de la terre est


si grande que - posons le problème sous une forme caricaturale - on pourrait
attribuer à chacun des 3 000 géographes professionnels (Meynen, 1960) une surface de
quelque 5 000 miles carrés pour ses recherches personnelles. Si nous pensons, avec
Hartshorne, que le dessein de la géographie est de « donner une description et une
interprétation précises, ordonnées et rationnelles du caractère variable de la surface
de la terre» (Hartshorne, 1959, p. 21), ce chiffre mesure grosso modo l'ampleur de la
tâche que nous nous assignons.
Ce problème n'est pas nouveau. Il est apparu dans toute son ampleur depuis
l'époque d'Ératosthène, et il est bien possible que nos prédécesseurs aient eu une
conscience plus vive de son importance. De nos jours, bien des isarithmes douteuses
se promènent, présomptueuses, à travers des zones que nos aînés, plus honnêtes,
auraient remplies de griffonnages héraldiques portant l'indication « Terra Incognita ».
Il y a en gros deux façons de venir à bout de ce problème: indirectement, en employant
des méthodes de sondage; directement, en accumulant les données.

Solution indirecte : les sondages

Depuis longtemps, on fait des études d'échantillons en géographie, tant dans la


recherche que dans l'enseignement. Platt (1942, 1959) avait une conscience aiguë de
ce « dilemme ancien et persistant : on essaie d'embrasser par la pensée de grandes
régions, tout en ne voyant qu'un petit secteur à la fois» (1942, p. 3); il a habilement
utilisé des études d'échantillons, faites sur le terrain, pour construire une série très
claire d'images des régions d'Amérique latine. De même, Highsmith (Highsmith,
Heintzelman, Jensen, Rudd et Tschirley, 1961) a employé une sélection, faite à
l'échelle mondiale, d'études d'échantillons comme base d'un très utile manuel de
géographie économique.
Il y a cependant une différence importante entre ces tentatives d'utilisation d'échan-
tillons en vue de tourner le problème de la couverture et la façon dont l'échantillonnage
ou sondage est maintenant employé dans la recherche. Il s'agit de la différence,
essentielle, entre le sondage par choix raisonné et le sondage aléatoire ou probabiliste.
Quand on fait un sondage par choix raisonné, on sélectionne des individus, qui,
pense-t-on, sont caractéristiques de la population dans son ensemble; ainsi, Platt
(1942) choisit une seule fazenda, comme représentative de la zone caféière de Sào
Paulo. La validité du choix dépend de l'habileté de celui qui le fait; elle prête géné-
ralement à discussion. Quand on fait un sondage probabiliste (tableau 7.2), on tire
des échantillons sur la base d'une théorie mathématique rigoureuse et, une fois
le plan de sondage adopté, des individus sont tirés de la population selon des règles
bien établies. Ne sont décrits ici que quelques exemples pris dans la vaste gamme des
plans de sondage; il existe d'excellents exposés généraux, faits par Cochran (1953)
et par Yates (1960), et un court exposé, très sérieux, des concepts relatifs aux sondages,
par Cochran, Mosteller et Tukey (1954).

216
Les problèmes de « couverture»

LA TAILLE DE L'ÉCHANTILLON

Plus un échantillon est grand, plus il a de chances de donner une idée exacte de
la population de laquelle il est tiré. La figure 7.2 montre l'exemple de deux échantil-
lons aléatoires de la proportion de terrains boisés dans les Midlands (Angleterre)
(Haggett, 1963, p. 112) : à mesure que la taille de l'échantillon (en abscisse) augmente,
la moyenne d'échantillon cumulée (en ordonnée) fluctue d'abord quelque peu, puis
se stabilise autour de la moyenne de la population, qui est comprise entre des limites
indiquées par les deux droites en tireté. Cependant, la liaison n'est pas simple ou
linéaire; à mesure que la taille de l'échantillon s'accroît, la précision augmente rapi-
dement tout d'abord, plus lentement ensuite, presque conformément à la loi des
rendements décroissants.

15

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5 10
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alo~----'-----------------'-------
w ~ 0 20 40
Nombre de cases de l'échantillon

Fig. 7.2 - Amélioration de la précision d'échantillons aléatoires stratifiés en fonction


du nombre d'observations.
Source: HAGGETT, 1963, p. 112.

La forme de la liaison entre la taille de l'échantillon et sa précision est connue,


en fait, pour les divers plans de sondage; d'où la possibilité d'estimer la taille de
l'échantillon qu'il faudra probablement tirer des informations réellement recueillies
au cours de l'enquête par sondage. Autrement dit, étant donné un budget limité,
on peut estimer la précision probable de l'enquête par sondage; inversement, étant
donné un seuil de précision fixé à l'avance, on peut estimer le coût (en temps nécessaire)
de l'enquête. Quand il s'agit d'un sondage aléatoire, il existe une règle simple :
ceteris paribus, l'erreur aléatoire d'échantillonnage est proportionnelle à la racine

217
Nombre d'observations limites de confiance à 95 %
(taille de l'échantillon) - - - - - - - - - - - - - de la proportion calculée
±O,Ol

5 000

1
1
~_----ï ± 0,02
1
1
1

1000
~ __---'I 1
± 0,03

1
~ _ _- - - - - , ± 0,04

500 1
~ -:I ± 0,05
1
1
__- - - - - , ± 0,06

~ __----± 1
0,07

100 :;::-1
:,:::'::\
50
::29:~n.}\
...... .
Si P ~ 0,2 et si la taille de
"échantillon est n = 250, dans
U1. sondage aléatoire à un degré.
,,' les limites de confiance à 95 %
Zone
dangereuse de la proportion calculée sont :
0,2 ± 0,05 ~ 0,15 et 0,25

la '-- '-- -'-- ---'- ---' L- _

0,1 0,2 0,3 0,4 0,5 p


Proportion de la modalité

Fig. 7.3 - Limites de confiance à 95 % de la proportion calculée. dans un


sondage aléatoire à un degré.
Source: BERRY. 1962. p. 3.

218
Les problèmes de «couverture}}

carrée du nombre d'observations. Cette importante règle de la racine carrée indique


donc que doubler le nombre d'observations ne revient pas à doubler la précision:
si la précision obtenue à partir de vingt-cinq observations est égale à dix unités, la
précision obtenue à partir de cinquante observations ne sera pas égale à cinq unités.
Un graphique (fig. 7.3) de Berry (1962) présente cette règle avec beaucoup de clarté:
la proportion d'un échantillon correspondant à une modalité donnée (par exemple
la proportion de terrains boisés, par rapport à la surface totale) est portée en abscisse;
le nombre d'observations de l'échantillon en ordonnée, sur une échelle logarithmique.
Supposons qu'on tire un échantillon aléatoire de 200 observations sur l'utilisation
du sol, et qu'on constate que 80 de ces observations correspondent à la modalité
« terrain boisé », on peut dire que la proportion de terrain boisé est égale à

P = 80 / 200 = 0,40.
Un ensemble de courbes est tracé sur le graphique. Chacune représente les limites
de confiance à 95 % de la proportion calculée; ces limites vont de ± 0,005 à ± 0,07.
Pour l'estimation « 40 % de terrain boisé» calculée sur 200 observations aléatoires,
les deux coordonnées (40 et 200) sont celles d'un point situé sur la courbe ± 0,07.
Ceci signifie que la véritable proportion de terrain boisé a 95 chances sur 100 d'être
comprise entre 0,33 et 0,47. Il Ya aussi, évidemment, une faible probabilité, 5 chances
sur 100, pour qu'elle soit en dehors de ces limites.
Si on augmente le nombre d'observations, ces limites de confiance se rapprochent.
Par exemple, avec 600 observations, les limites sont ± 0,04; avec 2000 observations,
elles sont ± 0,02. Cette liaison apparaît sur le graphique si on trace une droite parallèle
à l'axe des ordonnées, et si, en lisant de bas en haut, on note ses intersections avec
les courbes représentant des limites de confiance.
Il est évidemment dangereux d'estimer une proportion, soit lorsque la taille de
l'échantillon est trop petite, soit lorsque la proportion estimée est trop petite. Sur la
figure 7.3, la zone en grisé située dans la partie inférieure gauche du graphique repré-
sente la zone dangereuse (toujours pour le seuil de confiance de 95 %) où la limite
de confiance inférieure tombe au-dessous de zéro. Comme ceci entraîne une impos-
sibilité (on ne peut pas concevoir une proportion inférieure à zéro de terrains boisés),
il faut augmenter le nombre d'observations, ou accepter un seuil de confiance plus
bas. Comme Cochran (1953) l'a fait remarquer, l'emploi du sondage aléatoire en vue
de déterminer la proportion d'une modalité rare (par exemple les surfaces bâties,
dans une enquête sur l'utilisation du sol dans une zone rurale) ressemble à la recherche
d'une aiguille dans une botte de foin. Dans de tels cas, d'autres procédés de sondage,
plus complexes, peuvent être plus adéquats.

QUELQUES TYPES DE PLANS DE SONDAGE

Le choix d'un plan de sondage, dans l'analyse de localisation, dépend en grande


partie du type de distribution à étudier. Une enquête par sondage sur les mouvements

219
LA COLLECTE DES DONNÉES

de circulation dans un réseau de chemins ruraux ne demandera pas du tout le même


plan qu'une enquête par sondage sur les établissements industriels installés dans une
grande ville. Si on compare l'étude de Birch (1960) sur la cartographie agricole de
l'île de Man et celle de King (1961) sur l'espacement de l'habitat aux États-Unis,
on constate qu'ils ont tous deux employé des méthodes de sondage probabilistes,
mais que leurs plans de sondage étaient tout à fait différents. Yates (1960, pp. 20-] 01)
a discuté de façon très approfondie les considérations pratiques qui influent sur le
choix du plan de sondage, pour une gamme très étendue de distributions
géographiques.
Nous nous bornons ici à traiter un seul type de distribution géographique, mais il
s'agit d'un type important, l'utilisation du sol. C'est une distribution que l'on peut
considérer comme continue, et qu'on a eu tendance à étudier, dans le passé, par enquête
directe et complète plutôt que par échantillonnage. Divers types de plans de sondage
ont été élaborés pour ce genre de distribution (tableau 7.2); nous en présentons
quatre : le sondage aléatoire à un degré, le sondage stratifié, le sondage systématique
et le sondage systématique stratifié sans alignement. Deux autres méthodes, le sondage
à plusieurs degrés et le sondage multifactorie1, seront discutées dans les chapitres
ultérieurs (pp. 296-298 et 334-337). Le présent exposé est fondé sur ceux de Krum-
bein (1960), Berry (1962) et Quenouille (1949).

TABLEAU 7.2

LES PLANS DE SONDAGE

Systèmes de collecte
~ des données ~

Sondage par
choix raisonné
j Enquête complète

Sondages

Plans à plusieurs Plans systématiques


degrés stratifiés s:ms alignement

Source: P. HAGGETT. in R. J. CHORLEY et P. HAGGETT, Fran/lers in Geographical Teaching, 1965, p. 166.

220
Les problèmes de «couverture»

1a Sondage aléatoire à un degré : un échantillon de N individus est tiré de la


population, qui est une surface, selon une série de coordonnées aléatoires. La surface
est rapportée à deux axes rectangulaires; ceux-ci sont divisés en unités, qui sont numé-
rotées. Chaque localisation est choisie au moyen d'une paire de coordonnées aléatoires;
par exemple, des nombres au hasard 98 et 26 découlerait la localisation : 98 unités
vers le nord, 26 vers l'est. La figure 7.4 représente la localisation de vingt-quatre
points obtenus par sondage aléatoire à un degré fait sur la surface étudiée.

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Fig. 7.4 - Plans de sondage divers: aléatoire à un degré (A); aléatoire stratifié
(B); systématiq ue (C); systématique stratifié sans alignement (D).
Sources: KRUMBEIN, 1960, p. 361; BERRY, 1962, p. 7.

2 0 Sondage stratifié (OU avec stratification préalable) : la surface étudiée est divisée
en secteurs naturels (labours, terrains boisés, etc.) et les individus de l'échantillon
sont tirés, indépendamment, de chaque secteur. A l'intérieur de chaque secteur,
la localisation des points est déterminée par le même procédé aléatoire que dans le
sondage aléatoire à un degré. La figure 7.4 B représente un échantillon de ce genre,
comprenant vingt-quatre points. Dans cet exemple, on a pris dans chaque secteur un
nom bre d'individus proportionnel à sa surface : seize points dans le secteur de gauche

221
LA COLLECTE DES DONNÉES

(deux tiers de la surface totale) et huit points dans le secteur de droite (un tiers de la
surface totale). Cette méthode a été souvent employée dans la recherche géographique,
notamment par Wood (1955) dans une étude sur l'utilisation du sol dans l'Est du
Wisconsin (États- Unis).
3° Sondage systématique : on définit une grille de localisations régulièrement
espacées; il ya un individu en chaque localisation. La figure 7.4 C représente un cas
simple, comprenant vingt-cinq individus. La grille ici est un quadrillage et forme des
angles droits avec les côtés de la surface étudiée. L'origine de la grille est décidée
par tirage au hasard d'un point de la surface étudiée.
4° Sondage systématique stratifié sans alignement (fig. 7.4 D) : il s'agit d'un plan de
sondage mixte, élaboré par Berry (1962, p. 7) à partir des méthodes précédentes. Il
cumule les avantages théoriques du tirage aléatoire et de la stratification, et les avan-
tages pratiques des sondages systématiques. En évitant l'alignement des points, il
évite aussi la possibilité d'erreur causée par l'existence de périodicités dans les phéno-
mènes étudiés. Sa construction est représentée sur la figure 7.5, où la surface étudiée

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10 ®

x constante
Point-origine
de la grille 1
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Axe des x

Fig. 7.5 - Étapes de la construction d'un échantillon systématique stratifié


sans alignement.
Source: BERRY, 1962, p. 7.

222
Les problèmes de « couverture»

est partagée systématiquement de façon à former un damier régulier de secteurs carrés.


En commençant par le carré situé dans un angle, on détermine un point, J, en
employant des nombres au hasard (fig. 7.5 A); l'axe des x et l'axe des y du secteur
carré sont divisés en unités numérotées de zéro à neuf, de façon qu'un nombre au
hasard compris entre zéro et 99 définisse une position en coordonnées, par rapport
aux deux axes. La figure 7.5 B montre le remplissage de la ligne inférieure du plan:
la valeur de x est maintenue constante tout au long de la ligne, mais celle de y varie,
elle est tirée pour chaque carré d'une table de nombres au hasard. A mesure que
ces nombres, 2, 9, 8... sont tirés, les points montent et descendent par rapport à
l'axe des y mais restent dans la mêm.e position par rapport à l'axe des x. La figure
7.5 C représente le remplissage de la colonne de gauche: le même principe est observé,
mais ici c'est la valeur de y qui reste fixe et celle de x qui change. Quand la première
ligne et la première colonne sont remplies, on doit créer un nouveau point d'angle,
le point II, dont la localisation (voir la figure 7.5 D) est déterminée à partir de points
obtenus au cours de l'étape précédente. La coordonnée aléatoire x du point Xl et
la coordonnée aléatoire y du point YI définissent la localisation du point II. Celui-ci
sert alors de point de départ d'une nouvelle ligne et d'une nouvelle colonne, qui, à
leur tour, sont utilisées pour la création d'un nouveau point d'angle, le point III.
Ce processus continue jusqu'à ce que toutes les colonnes et toutes les lignes soient
pleines. Sur la figure 7.5 D, la surface est ainsi remplie par des cercles creux.
Berry (1962, pp. 10-11) a testé, sur des cas concrets, les différents types de plans de
sondage, afin de déterminer leur efficacité relative dans un échantillonnage concernant
l'utilisation du sol. Pour un secteur de dix miles carrés (Coon Creek), il a testé successi-
vement des échantillons systématiques stratifiés sans alignement (orientés de façon
aléatoire les uns par rapport aux autres) et des échantillons aléatoires stratifiés, en les
comparant à la variance théorique d'un échantillon aléatoire à un degré. Les résultats
(tableau 7.3) montrent la grande efficacité relative de l'échantillon systématique

TABLEAU 7.3

EFFICACITÉ COMPARÉE DES PLANS DE SONDAGE

Coon Creek Montfort

Caractéristiques des secteurs étudiés:


Surface (en miles carrés) . . . . 10 46
Type d'utilisation du sol étudié . Bois Cultures
Proportion de la surface totale 40,8 % 55,4 %
Nombre de points des échantillons 660 184
Efficacité relative des plans de sondage (variance)
Échantillon aléatoire à un degré (variance théorique) . 3,66 13,4
Échantillon aléatoire stratifié (variance observée). . . . . . . . 0,96 Il,3
Échantillon systématique (variance observée). . . . . . . . . . 12,8
Échantillon systématique stratifié sans alignement (variance observée) 0,17 10,2

Source: B. J. L. BERRY, Sampling, Coding, and Storing Flood Plain Data, 1962, pp. 10-11.

223
LA COLLECTE DES DONNÉES

stratifié: sa variance est 21,5 fois plus faible que celle de l'échantillon aléatoire à un
degré, et 5,6 fois plus faible que celle de l'échantillon aléatoire stratifié.
Berry a également appliqué ces tests comparatifs à un second secteur, d'environ
45 miles carrés (Montfort). Ici, les différences d'efficacité sont moins impressionnantes,
mais l'ordre reste le même: d'abord l'échantillon systématique stratifié sans aligne-
ment, puis l'échantillon aléatoire stratifié, puis l'échantillon aléatoire à un degré.
Le fait que les chiffres obtenus sont beaucoup plus grands dans le cas de Montfort
que dans le cas de Coon Creek peut s'expliquer parce que les types de structure spatiale
ne sont pas les mêmes - grandes parcelles boisées dans le cas de Coon Creek, petites
parcelles cultivées dans le cas de Montfort. Haggett et Board (1964) ont montré que
la précision des estimations de surfaces d'utilisation du sol fondées sur des échantillons
varie en fonction de la proportion de la surface qui est couverte par le phénomène
étudié, et en fonction du degré de fragmentation de cette surface.

DIVERSES UNITÉS DE SONDAGE POSSIBLES

Dans cette discussion des divers plans de sondage possibles, on a supposé que l'unité
de sondage était le point. Deux autres formes géométriques peuvent également être
appliquées : l'unité de sondage à deux dimensions ou quadrat (élément d'une grille,
généralement d'un quadrillage) et l'unité de sondage linéaire ou transect. Transects
et quadrats ont été utilisés traditionnellement dans des études géographiques, notam-
ment par Platt (1959), mais ce sont les botanistes qui en ont fait le plus grand usage
sur le terrain. Le quadrat, qui est la forme d'unité de sondage la plus couramment
employée en botanique, est habituellement de forme carrée, et sa taille varie de
quelques centimètres à plusieurs mètres. Comme le montre la figure 7.6, cette variation
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Fig. 7.6 - Relations entre la taille des quadrats, unités de


sondage, et le mode de répartition. Les sondages faits avec
ces unités indiquent: avec de petits quadrats (A et B) un groupe-
ment peu accentué des points; avec le quadrat intermédiaire (C)
un groupement très accentué; avec les grands quadrats (D et E)
une répartition régulière.
Source: KERSHAW, 1964, p. 104

224
Les problèmes de « couverture»

de la taille du quadrat a une influence notable sur les résultats obtenus (Kershaw,
1964, p. 30), mais on peut utiliser les fluctuations des résultats pour obtenir des infor-
mations importantes sur l'échelle de la distribution étudiée (Greig-Smith, 1964,
pp. 54-93). Des techniques semblables de décomposition des répartitions géogra-
phiques en composantes d'échelle sont discutées au chapitre 9.
Haggett (1963) a comparé l'efficacité du point, du quadrat et du transect pour la
détermination de la proportion de couvert forestier dans l'Ouest des Midlands, à
partir de cartes de l'Ordnance Survey. Dans cette région où il n'existe guère de couvert
forestier (environ 5 % de la surface du so1), la précision de la méthode des transects
(mesure de la longueur des intersections le long de lignes transversales) était bien
supérieure à celle des deux autres méthodes. Il serait intéressant de pousser plus loin
cette recherche sur les échantillons obtenus par transects, tant sur les cartes que sur le
terrain.

Solution directe: la couverture exhaustive

On dispose de nos jours de plus d'informations sur la surface de la terre qu'en toute
autre période antérieure. Le petit ruisseau de cartes et de recensements disponible
au début du siècle est devenu une rivière qui semble grossir exponentiellement de
décennie en décennie. Mais cette croissance est inégale, de sorte que les contrastes
interrégionaux tendent à devenir de plus en plus vifs dans le domaine de l'information.
Berry (in Ginsburg, 1961, p. 110) a même montré qu'un bas niveau de la documentation
va de pair avec l'état de sous-développement, au point qu'il semble exister une
liaison directe entre le développement économique et l'information. Même en ce qui
concerne la densité de population, des observations concernant le Brésil (fig. 2.15)
donnent à penser que les circonscriptions dans le cadre desquelles les données sont
enregistrées forment un filet à mailles beaucoup plus fines dans les régions de peuple-
ment dense que dans les régions relativement vides.
Les comparaisons entre époques différentes se heurtent aussi à des difficultés. Le
fait même de l'amélioration de l'information peut rendre impossibles des comparaisons
avec des périodes antérieures. La figure 2.13 montre, par étapes successives de trente
ans, la progression du découpage administratif d'une région où la population a
augmenté rapidement. On connaît beaucoup plus en détail cette région pour la dernière
période (1960) que pour la première (1870), mais le degré de précision d'une compa-
raison dépend uniquement du découpage administratif le moins poussé, c'est-à-dire
de celui de 1870. Dickinson (1963) a présenté des exemples de problèmes semblables
de découpage administratif et de changement de limites concernant l'Angleterre et
le Pays de Galles, et Hall (1962) a noté l'existence de ces problèmes en retraçant le
développement industriel de Londres à partir des données des recensements. En ce qui
concerne la couverture cartographique, Langbein et Hoyt (1959) ont montré que,
même aux États-Unis, il existe quelques lacunes curieuses, tant en ce qui concerne
l'étendue de la couverture que la mise à jour; les régions sommairement cartographiées
sont révisées moins souvent; la figure 7.7 représente la progression relative de la carto-
graphie de ce pays.

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1900 1960 1900 1960

Fig. 7.7 - Progression de la cartographie des États-Unis, de 1900 à 1960 : rééva-


luation de la surface cartographiée totale d'après l'échelle et l'ancienneté (A);
évolution des échelles des cartes produites (B).
Source: LANGBEIN et HOYT, 1959, p. 56.

Un élément d'importance capitale est venu s'ajouter à ces données « d'archives»


contenues dans les cartes et les recensements : le développement des couvertures
photographiques aériennes. L'histoire de la photographie aérienne remonte au moins
à 1858, mais la seconde guerre mondiale et la « guerre froide », qui l'a suivie, ont eu
pour effet l'achèvement et/ou la révision de la couverture photographique aérienne
de toute la surface de la terre. Des progrès rapides ont été réalisés tant dans les appareils
photographiques et les engins porteurs (appareils U 2, satellites) (Col weil, 1960),
que dans le dessin des cartes et l'interprétation, qui b.énéficient de l'emploi d'appareils
électroniques (Latham, 1962). Des changements plus révolutionnaires sont annoncés:
il s'agit de « systèmes de détection complètement automatiques », grâce auxquels les
informations sur la surface de la terre pourront être enregistrées par des satellites,
renvoyées à une base terrestre et rendues accessibles par enregistrement sur bandes
magnétiques (Lopik, 1962). Il semble possible, dans un avenir proche, de remplacer
la cartographie discontinue par l'enregistrement continu de certaines informations
simples (par exemple la répartition des glaces).

3. L'IRRÉGULARITÉ DES UNITÉS SPATIALES DE COLLECTE

Au chapitre 2 (section 3), nous avons évoqué la grande variabilité de la taille et de la


forme des territoires. Qu'ils soient États, comtés, communes, etc., ces territoires sont
les unités fondamentales dans le cadre desquelles la plupart des données statistiques
sont recueillies et publiées; ils constituent la plus courante des populations qu'étudient
les géographes (fig. 7.8 A, B). Dans certains pays, notamment en Suède, on examine
la possibilité d'enregistrer les données sur la population selon une grille de coordonnées
xy (Hiigerstrand, 1955) et un nombre croissant de géographes collectent leurs données
en employant les méthodes de sondage probabiliste décrites ci-dessus. Néanmoins,
il est probable qu'une très forte proportion de données de localisation essentielles

226
®
Tendance des comtés .....
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40

1900 1950

Fig. 7.8 - Contrastes produits par les différences de taille des unités de collecte: A. Pour-
centages de terres arables supérieures à 50 % de la surface totale, dons le district d' Amer-
sham (Sud de l'Angleterre) (G = 6,6), calculés par fermes (en noir) et par communes
(en grisé). - B. Indices de concentration de la population, aux États-Unis; calcul par
comtés et par États.
Sources: COPPOCK, 1960, p. 321; DUNCAN, CUZZORT, et DUNCAN, 1961, p. 86.

continueront à n'être disponibles que dans le cadre d'unités administratives, tout au


moins pendant les quelques décennies à venir. Nous examinerons ici: 10 ce que cette
irrégularité des unités spatiales de collecte implique pour l'analyse géographique;
20 comment on peut normaliser les observations recueillies dans leur cadre.

La distorsion des mesures de localisation

LES EFFETS SUR LES COMPARAISONS ENTRE RÉGIONS

L'assujettissement des observations aux caractéristiques des unités spatiales de


collecte est illustré par le calcul de la densité. Duncan a étudié une question apparem-
ment simple: quelle est la densité de population dans un secteur du cœur de Chicago
centré sur la 31 e Rue et sur Indiana Avenue? (Duncan et al., 1961, p. 35). Si le « voisi-
nage immédiat» est défini par un secteur de recensement de 0,024 mile carré (soit un
peu plus de 6 hectares), la réponse est 91 300 habitants par mile carré. Mais si le sens
du mot voisinage est élargi au point d'inclure l'aire de communauté locale d'environ
1,5 mile carré (soit près de 4 km 2 ), la densité de population est deux fois moins forte.
Il est clair qu'on ne peut échapper à une indétermination sur des chiffres de densités
qui dépendent d'unités de collecte variables. Quand il s'agit de densités comparables
(par exemple quand on compare des villes), la situation devient encore plus difficile.
Comme le montre le tableau 7.4, la densité de population de Chicago peut être soit
plus forte soit moins forte que celle de Detroit, selon la définition spatiale qu'on adopte

227
LA COLLECTE DES DONNÉES

pour les deux villes. Des comparaisons dans le temps présentent des contrastes encore
plus frappants: la population des États-Unis paraît devenir plus concentrée si on la
calcule par comtés, plus dispersée si on la calcule par États (fig. 7.8 B).

TABLEAU 7.4
DENSITÉS DE POPULATION URBAINE, CALCULÉES DANS LE CADRE
DE DIVERSES UNITÉS DE RECENSEMENT EN 1950

Nombre d'habitants par mile carré


Rapport
Chicago (C) Detroit (D)

Ville proprement dite I7 450 13249 0,76


Aire urbanisée 7713 6734 0,86
Aire métropolitaine (S.M.A.) 1 519 1 535 1,01

Source: O. D. DUNCAN, R. P. CUZZORT et B. DUNCAN, Statistical Geography, 1961, pp. 35-36.

Robinson (1956) a posé clairement le problème inhérent aux comparaisons de


densités en imaginant un exemple simple. Sur la figure 7.9, les régions A, B et C sont
identiq ues : elles ont la même surface et la même distribution des variables x et y,.
1

A -
x.
2 1 A -
x-
20 A - 2 1
1
@
2 1 2 x - 2
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1
A - 4 A - 8
A- 2 1
A- 2 A • ? 1 x 2 x- 2
1 1 y 4 y 4
x' 2 X- 2 X - 2
1 1
Y - 4 y 4 Y -4
1 1
----.,----- '- - ---r - - - - ----r----
A - 2 1 A - 2 A - 2
1
A A - 2 1 A - 2
2
x-4 1 X - 3 1 1
X 4 X 3 X - 4 X - 3
Y- 6
1

1
Y - 8 y - 6 1
1
y 8 y - 6 ,
1
- "6

r= +0,715 r= +0,875 r= + 0,500

Fig. 7.9 - « Régions» prises comme exemples pour une analyse de corrélation montrant l'effet
de changements de limites sur les coefficients de corrélation (r).
Source : ROBINSON, 1956, p. 234.

elles diffèrent seulement par le fait qu'elles sont plus ou moins subdivisées: le nombre
des divisions va de six (de taille égale) dans le premier cas à trois (de taille inégale)
dans le troisième cas. A partir des valeurs de x et y, on peut calculer le coefficient

228
L'irrégularité des unités spatiales de collecte

de corrélation r (Kendall et Buckland, 1957, p. 67) pour chacune des trois régions;
on obtient les valeurs + 0,715 (fig. 7.9 A), + 0,875 (fig. 7.9 B) et + 0,500 (fig. 7.9 C).
Il est clair que la valeur exacte du coefficient varie en fonction du degré de division,
bien que la distribution de x et de y soit la même dans les trois régions.
Comparer des mouvements soulève des difficultés semblables; le tableau 7.5 fait
apparaître des différences frappantes entre la Belgique et les Pays-Bas, en ce qui
concerne la proportion de migrants quotidiens en 1947 (Chisholm, 1960, p. 187).

TABLEAU 7.5

CONTRASTES APPARENTS CONCERNANT LES MIGRATIONS QUOTIDIENNES

Belgique (1947) Pays-Bas (1947)

Pourcentage de migrants quoditiens . . . . . . . . . 40,0 15,2


Taille moyenne (en hectares) des unités administratives 1 1 880 6670

1. Pondérée selon le nombre d'habitants de chaque unité administrative.

Source: M. D. 1. CHISLHOLM, in AnnoIs of the Association of American Geographers, 1960, p. 187.

A première vue, le contraste est manifeste. Mais si on considère d'une part les divisions
administratives pour lesquelles les chiffres sont calculés, d'autre part la définition
du migrant quotidien retenue pour les recensements, les différences commencent à
apparaître moins décisives. L'unité qui sert de base de calcul pour les Pays-Bas, la
gemeente, a une surface moyenne trois fois plus grande que l'unité belge, la commune.
En outre, à cause de la façon dont le migrant quotidien est défini dans les recensements
(un travailleur qui sort de l'unité territoriale dans laquelle il réside), plus l'unité de
collecte est petite, plus est grand l'effectif total apparent des migrants quotidiens.
Si l'on n'y prend garde, il est probable que de tels effets de « mirage» se produiront
plus couramment, à mesure qu'un plus grand nombre d'études quantitatives seront
faites par des géographes à partir de sources statistiq ues de seconde main. Le statis-
ticien M. G. Kendall a même donné l'avertissement suivant: pour certains coefficients
d'association géographique (cf pp. 263-265), on peut obtenir n'importe quelle
valeur choisie à l'avance, en jonglant avec les limites des unités de collecte
(Florence, 1944, p. 113). La question reste ouverte de savoir si des cartes médicales
détaillées (par exemple celles de Murray, 1962), où les indices de mortalité sont minu-
tieusement normalisés en ce qui concerne l'âge et le sexe, ne devraient pas être
également normalisées en ce qui concerne la taille des unités spatiales de collecte
dans le cadre desq uelles ils sont calculés. Il faut certainement s'assurer de nouveau
que certaines des zones qui, représentant de petits foyers de maladie dans le Lan-
cashire et le Yorkshire, apparaissent « malsaines » sur ces cartes, ne doivent rien
à la fragmentation du système de circonscriptions administratives locales.

229
LA COLLECTE DES DONNÉES

L'AMPLEUR DES VARIATIONS

Les comparaisons entre régions peuvent être plus ou moins faussées, selon la varia-
bilité des unités spatiales de collecte des données. MacCarty (MacCarty, Hook et
Knos, 1956, pp. 8-19) a étudié la variabilité de la surface des deux principales unités
statistiques des États-Unis (États et comtés) (tableau 7.6). En ce qui concerne les États,
les mesures de surface s'étendent de 71 289 miles carrés (Texas) à 289 miles carrés
(Rhode Island); les mesures sont fortement groupées autour de la surface moyenne,
qui est à peu près égale à 61 000 miles carrés. Quant aux 3074 comtés, MacCarty
les a numérotés en série, après avoir rangé les États dans l'ordre alphabétique, et en
a tiré 100 par la méthode des nombres au hasard. Dans cet échantillon, la différence
relative entre le plus grand comté et le plus petit est moins grande que dans le cas des
États: le comté de San Bernardino, en Californie (20 160 miles carrés) n'est qu'environ
200 fois plus grand que le comté d'Ohio, en Virginie occidentale, qui est le plus petit
(109 miles carrés). Dans le cas des États, le rapport correspondant est presque égal à
300. D'autre part, les comtés sont moins fortement groupés autour de la valeur
moyenne, et le coefficient de variation est plus de deux fois plus grand.
Quand on emploie, dans des études de corrélation, des valeurs correspondant à des
unités spatiales de collecte, des surfaces peuvent souvent se trouver traitées comme des
points. Ainsi, on peut employer des données, collectées par comtés, relatives à une
variable x (par exemple des aciéries) et à une seconde variable y (par exemple des
usines de construction d'automobiles), et les mettre en rapport par une série de tests
statistiques (chap. 10, section 2). Il est donc pertinent d'essayer de mesurer le degré
de « contraction» qu'entraîne le fait de considérer. des surfaces comme des points.
MacCarty a essayé de mesurer la contraction, en supposant que toutes ses unités
spatiales étaient carrées. Cette hypothèse étant posée, on peut prouver que la distance
moyenne entre toutes les paires possibles de points, à J'intérieur d'un carré, est donnée

TABLEAU 7.6

VARIABILITÉ DE LA TAILLE DES CIRCONSCRIPTIONS ADMINISTRATIVES 1

États Comtés

Nombre de circonscriptions . 48
Caractéristiques de surface (en miles carrés)
Moyenne arithmétique . 60757 1 356
Écart-type . 46861 2486
Coefficient de variation 67 % 183 %
Écartement moyen (en miles) 118 16

1. États-Unis, 1940.
2. Échantillon aléatoire.

Source: H. H. MACCARTY, J. C. HOOK et D. S. KNOS, The Measurement of Association in Industrial Geogra-


phy, 1956, pp. 13-15.

230
L'irrégularité des unités spatiales de collecte

par l'expression: d = 0,52 JA, où d est l'écartement moyen et A la surface du carré


(MacCarty et al., 1956, p. 14). Autrement dit, la distance est égale au côté du carré
multiplié par 0,52. Le tableau 7.6 résume les résultats obtenus par application de cette
formule aux États-Unis; il suggère que l'on peut considérer les États comme des
points à condition d'être prêt à accepter le fait que les aciéries et les usines de construc-
tion d'automobiles d'un État seront distantes les unes des autres de 118 miles en
moyenne, et considérées comme identiques. En ce qui concerne les comtés, le degré
de tolérance est moins élevé : environ 16 miles.
Chisholm (1960) a employé un autre type d'indice d'écartement, qui sert de base à
ses études sur les déplacements professionnels dans le Nord-Ouest de l'Europe. Si la
surface d'une circonscription est assimilée à celle d'un cercle, son diamètre d peut
être considéré comme égal à : d = 2 J A/n, A étant la surface de la circonscription.
Chisholm montre, à propos de chacun des sept Uinder de l'Allemagne de l'Ouest,
que le diamètre moyen de leurs subdivisions administratives (Gemeinde) varie de
3,1 à 4,3 kilomètres, mais que ceci cache des variations plus considérables: dans un
Land pris isolément, le Schleswig-Holstein, les diamètres des subdivisions varient de
3 à 16 kilomètres.

La normalisation des unités spatiales de collecte : types de solution

LA PONDÉRATION PAR LES SURFACES

La conscience du danger qu'il y a à ne pas tenir compte de la taille des unités de


recensement dans les études de corrélation a conduit deux auteurs, Robinson (1956)
et Thompson (1957), à proposer que les observations soient pondérées selon la taille
des unités spatiales dans lesquelles on les a recueillies. Ainsi, Robinson (1956, p. 236)
propose de remplacer la formule traditionnelle du calcul de l'écart-type, (1, c'est-à-dire:

par une formule qui tient compte directement des surfaces A, c'est-à-dire

Des exemples montrent que l'on peut ainsi obtenir les mêmes résultats, indépen-
damment du mode de division de la région. En employant des formules pondérées
pour le calcul du coefficient de corrélation, Robinson trouve des valeurs identiques
(r = + 0,715) pour chacune des trois « régions» de la figure 7.9.
Au premier abord, ceci semblerait la solution idéale. Il est certain que, si on calcule
des moyennes, des rapports ou des densités, dans le cadre de chaque circonscription,
cette formule fournit une correction de surface sûre, pour cette simple raison qu'elle
fait disparaître la surface: il est évident qu'en prenant un indice tel que la densité
de population par mile carré et en le multipliant par un facteur de pondération qui
est la surface (c'est-à-dire par des miles carrés), on revient au point de départ: la

231
LA COLLECTE DES DONNÉES

population. Cependant, comme Duncan le fait remarquer (Duncan et al., 1961, p. 47),
un point est moins clair: comment pondérer selon des surfaces quand les indices ne
sont pas calculés à partir de surfaces?

LE GROUPEMENT D'UNITÉS DE COLLECTE

Lorsque les unités de collecte sont nombreuses et irrégulières, une contre-mesure


assez simple consiste à les grouper en unités spatiales moins nombreuses mais plus
régulières. Coppock (1960) a adopté une technique de ce genre pour étudier des
données recueillies dans le cadre des paroisses, dans les Chilterns (Angleterre). Dans
ce cas, non seulement les paroisses étaient de forme et de taille irrégulières, mais leurs
limites coupaient à angle droit les principales limites géologiques; d'autre part, les
exploitations agricoles possédaient elles-mêmes des terres à l'extérieur des paroisses
dans le cadre desquelles leurs surfaces étaient recensées. Constituer des groupes de
paroisses permettait, dans ce cas, d'obtenir des unités cartographiques plus régulières,
et, en même temps, de réduire l'acuité du problème du chevauchement des exploi-
tations (fig. 7.1 D) puisque, les unités étant plus étendues, la surface exploitée à l'exté-
rieur des limites de chaque groupe de paroisses était relativement beaucoup plus faible.
Il est cependant des cas (notamment celui des paroisses en forme de bandes des
Chilterns, qui coupent à angle droit les principales zones naturelles) où ce regroupe-
ment ne fournit qu'un très mince avantage.
Dans chaque cas, le problème consiste à obtenir la plus grande uniformité possible
des unités spatiales de collecte, tout en conservant l'essentiel des données initiales.
Selon Haggett (1964) le coefficient de variation peut être employé à la fois comme indice
des pertes de détails de l'information et comme indice de l'augmentation de l'unifor-
mité; la perte de détails n'est justifiée que si elle est moindre que l'augmentation de
l'uniformité. On obtient le coefficient de variation (Kendall et Buckland, 1957, p. 313)
en divisant l'écart-type (cr) d'une distribution par la moyenne arithmétique (x) et en
multipliant par 100. Le tableau 7.7 présente un bon exemple relatif à une analyse
de régression de données recueillies dans le cadre de comtés du Sud-Est du Brésil.

TABLEAU 7.7

GROUPEMENT D'UNITÉS ADMINISTRATIVES 1

Caractéristiques Comté \ Groupement


(municipio) de comtés

Nombre d'unités . 126 24


Surface moyenne (en miles carrés) 133 699
Coefficient de variation. . . 74,20 % 7,91 %
I. Sud-Est du Brésil, 1950.

Source: P. HAGGETT, in Geographical Journal, 1964, p. 373.

232
L'irrégularité des unités spatiales de collecte

Dans ce cas, les comtés, qui étaient 126 à l'origine, ont été assemblés en 24 groupes
de comtés, mais la perte de détails (81 %) était moindre que l'augmentation d'unifor-
mité (89 %) mesurée par comparaison des coefficients de variation. Quand les unités
de collecte sont toutes bien régulières, comme dans le cas des comtés du Middle
West américain (Weaver, 1956), la méthode n'est guère justifiée.
On pourra faire et tester plus vite ces assemblages quand des programmes d'ordi-
nateurs auront été élaborés pour la vérification rapide de toutes les possibilités de
combinaison et recombinaison d'unités contiguës. Eu égard à l'énormité du nombre
de combinaisons possibles, il n'est pas certain que celles qu'on a employées jusqu'à
présent soient les meilleures, du point de vue de l'uniformité de la taille des unités
spatiales obtenues.

L'ÉLIMINATION DES UNITÉS DE COLLECTE ABERRANTES

Les problèmes posés par l'inégalité des unités statistiques spatiales peuvent aussi
être réglés par l'élimination des unités aberrantes. Comme le tableau 7.8 le démontre,
le coefficient de variation calculé pour l'échantillon de 100 comtés pris par MacCarty
(MacCarty et al., 1956, p. 13) est réduit si on supprime le plus grand comté, celui
de San Bernardino. Si on élimine les quatre plus grands comtés (qui ont tous des
surfaces supérieures à 500 miles carrés), l'échantillon de 96 comtés restant présente
un coefficient de variation égal à 119 seulement. Ces résultats permettent de penser
que des améliorations peuvent être apportées par élimination des unités spatiales
aberrantes par leur grande taille, mais que le degré d'amélioration suit la loi des rende-
ments décroissants; autrement dit, les avantages à attendre de cette méthode dimi-
nuent assez vite, une fois que les valeurs exceptionnelles ont été éliminées. Le point
à partir duquel les avantages de la normalisation sont contrebalancés par la dimi-
nution de la taille de l'échantillon est à décider dans chaque cas.

TABLEAU 7.8

SOLUTION, PAR ÉLIMINATION, DU PROBLÈME DE L'IRRÉGULARITÉ


DES UNITÉS SPATIALES 1

Nombre de comtés éliminés


Coefficient de variation, pour les comtés restants
.
:118~ 1
130
4
119

I. Échantillon de 100 comtés aux États-Unis.

Source: H. H. MACCARTY, J. C. HOOK et D. S. KNOS. op. cit., 1956, p. 13.

L'EMPLOI DE GRILLES

Une des difficultés auxquelles on se heurte, quand on a affaire à des unités spatiales
. de collecte regroupées, est que les groupements ont eux-mêmes des formes, sinon des
tailles, très irrégulières. C'est pourquoi on a essayé de recueillir les informations,

233
LA COLLECTE DES DONNÉES

non plus dans le cadre de circonscriptions administratives, mais dans le cadre de


grilles régulières.
Un exemple éminent de ce genre de recherche est l'Atlas of the British Flora (Perring
et Walters, 1962), où les données sur la présence des plantes vasculaires indigènes
ont été collectées sur le terrain dans le cadre des carrés de 100 km 2 délimités par la
grille du British National Grid System. Ce système de grille a aussi été utilisé par
Johnson (1958) dans une étude sur la localisation de la population employée dans
l'industrie dans les Midlands de l'Ouest. Les systèmes de grille s'adaptent très bien
à la cartographie, et les cartes fioristiques (fig. 7.10) ont toutes été faites par ofllill:llL:Uf

Fig. 710 - CarIes, faites par ordinateur, représentant la distribution de quatre espèces
végétales par carrés de 10 x 10 km, dans le Sud de la Grande-Bretagne (G = 3,8).
Source: PERRING et WALTERS, 1962.

(Walters, 1957). Ceci mérite d'être pris en considération, à une époque où s'accroît
la production de cartes directement à partir de données mises sur rubans perforés
(Tobler, 1959). Ce système permet d'établir très facilement des comparaisons entre les
données initiales et la distribution de facteurs déterminants. II permet aussi de faire
de la micro-analyse, en divisant les carrés primitifs en carrés plus petits, ou de la
macro-analyse, en combinant les carrés en unités plus grandes.
Dans les deux exemples cités, les données étaient soit collectées directement dans le
cadre d'une grille régulière, soit localisées avec précision, ce qui permettait de les
affecter à tel ou tel carré de la grille. Lorsqu'on ne dispose de données que dans le

234
L'irrégularité des unités spatiales de collecte

cadre de circonscriptions administratives irrégulières, leur report à une grille est plus
compliqué. Robinson, Lindberg et Brinkman (1961, p. 214) ont employé une grille
hexagonale régulière dans une étude sur les tendances de la population dans les
Grandes Plaines des États-Unis (fig. 7.11). Pour reporter les données recueillies par
comté dans les cases de la grille, ils ont mesuré la proportion de la surface de chaque
hexagone que constituait chaque comté et multiplié cette proportion par la densité
de population du comté. La somme des chiffres ainsi obtenus donnait la densité de
population moyenne de l'unité hexagonale.

Fig. 7.11 - A. Grille hexagonale utilisée dans le Nord des Grandes Plaines (États-Unis)
(G = 2,9). - B. Détail de la grille, dans le Centre du Kansas (G = 4,4) montrant les rapports
entre la grille et les limites de comtés.
Source: ROBINSON, L1NDBERG el BRINKMAN, 1961, p. 214.

La figure 7.11 B montre un hexagone qui, centré sur le comté de Rice (Kansas),
inclut entièrement ce comté et le comté adjacent d'Ellsworth. II inclut aussi des parties
de sept autres comtés adjacents. Si on suppose que les densités moyennes de popu-
lation rurale agricole calculées pour chaque comté (les chiffres sont indiqués sur la
carte) sont valables, uniformément, sur toute la surface du comté, on peut multiplier
chacune de ces valeurs par un pourcentage égal à la proportion de la surface de 1'hexa-
gone représentée par le comté. Par exemple, le comté de MacPherson a une densité
de 9,1 habitants par mile carré, et constitue 12 % de la surface de l'hexagone: sa
contribution à la densité résultante de l'hexagone est égale à : 9,1 x 0,12 = 1,09.
La somme des produits ainsi calculés pour chaque comté donne, pour l'ensemble
de l'hexagone, une densité égale à 5,94 (tableau 7.9).
Cette méthode a été utilisée d'abord par Thiessen, en 1911, pour calculer les préci-
pitations moyennes sur les bassins-versants; son exactitude repose sur deux préalables:
1° l'uniformité de la densité de population (ou tout rapport ou indice semblable)
dans tout le comté; 2° le nombre des comtés rassemblés dans chaque hexagone.
Lorsque chaque hexagone contient un certain nombre de comtés entiers, l'hypothèse
d'uniformité devient moins limitative, car les comtés « fractionnés» entrent pour

235
TABLEAU 7.9

CALCUL DE LA DENSITÉ DE POPULATION MOYENNE DANS UN HEXAGONE 1

Densité de popu-
Proportion de Produit
Comtés lation rurale agricole
(a)
l'hexagone (b) a x b

Rice 5,5 0,17 0,93


Ellsworth 4,1 0,17 0,70
Reno 7,9 0,16 i 1,26
Barton 5,8 0,13 0,75
Stafford 4,6 0,12 0,55
MacPherson 9,1 0,12 1,09
Saline. 5,8 0,06 0,35
Lincoln 4,9 0,04 0,20
Russell 3,6 0,03 0,11
Total - 1,00 5,94

1. Le centre de l'hexagone est dans le comté de Rice, au centre du Kansas (États-Unis, 1950).

Source: A. H. ROBINSON, J. B. LINDBERG et L. W. BRINKMAN, in Annals of the Association of American


Geographers, 1961, p. 214.

une moins grande part dans le calcul de la valeur globale. Encore une fois, il s'agit
d'un problème d'optimisation, qu'il est possible de résoudre" par programmation
linéaire, et dans lequel jouent d'une part la taille de chaque unité de la grille (pour
laquelle on obtient un résultat d'autant plus sûr qu'elle est plus grande), d'autre part
le nombre de ces unités (nombre qu'il s'agit d'augmenter, en diminuant la taille des
hexagones).

L'AJUSTEMENT DE SURFACES

Il est évident que les méthodes précédentes (assemblage, élimination, grille géo-
métrique) entraînent obligatoirement une certaine perte de détails car les unités
obtenues après transformation sont moins nombreuses que les unités primitives. Le
problème suivant a été récemment posé: comment faire des cartes qui, après géné-
ralisation, conservent tous les points directeurs initiaux? On a pris conscience de ce
problème d'abord en météorologie, où les types de temps généraux doivent être carto-
graphiés à partir de stations d' 0 bservation dont la répartition est irrégulière et la
localisation souvent particulière (Holloway, 1958), et dans la prospection pétrolière,
où l'on peut avoir à cartographier les caractéristiques d'un bassin ou d'un faciès
à partir de renseignements obtenus par des puits ou des forages irrégulièrement
répartis. Krumbein (1959-8) a expliqué à l'aide d'exemples comment on peut utiliser
l'ordinateur pour calculer une formule algébrique décrivant la surface moyenne qui
« s'ajuste» le mieux aux points directeurs irrégulièrement répartis. Cette surface
polynomiale de « meilleur ajustement» emploie toutes les observations disponibles,
et en tire une image généralisée; elle est particulièrement importante quand il existe

236
L'irrégularité des unités spatiales de collecte

des lacunes dans la répartition spatiale des observations; par exemple, Whitten (1959)
l'a employée pour compléter la « stratigraphie fantôme» de zones cristallines non
relevées. Ses potentialités sont énormes en ce qui concerne la géographie humaine
(Chorley et Haggett, 1965-B) : les surfaces généralisées, de densité de population
par exemple, peuvent être calculées à partir d'une répartition très irrégulière des
« points directeurs », c'est-à-dire des centres de gravité des unités spatiales de collecte
irrégulières. Des exemples d'application de ce type d'analyse sont donnés au chapitre 9
(pp. 303-309).

237
Chapitre 8 La
les
description de la localisation absolue
systèmes cartographiques
La description de la localisation relative
les indices statistiques

LA DESCRIPTION

Nous examinons dans ce chapitre quelques-unes des techniques permettant de


décrire les structures spatiales révélées par les données collectées. Deux possibilités
se présentent : employer la méthode traditionnelle de description géographique,
la cartographie, et conserver ainsi cet élément essentiel qu'est la localisation absolue;
ou bien, pour employer les méthodes statistiques, mettre l'accent sur la localisation
relative, c'est-à-dire sur les relations entre les parties et l'ensemble de l'organisation
spatiale. Les techniques d'analyse statistique diffèrent selon la nature géométrique
des formes de localisation - point, ligne, surface - que nous examinerons successi-
vement.

238
1. LA DESCRIPTION DE LA LOCALISATION ABSOLUE: LES SYSTÈMES
CARTOGRAPHIQUES

Pour décrire la localisation absolue de données, l'une des méthodes les plus com-
modes et les plus couramment employées consiste à recourir à l'un des systèmes carto-
graphiques traditionnels. A vrai dire, le rôle des cartes et de leur analyse dans l'ensei-
gnement de la géographie, à l'école et à l 'U niversité, est si important qu'il est présomp-
tueux de tenter une présentation en un demi-chapitre. Mais d'excellents travaux
existent, qui exposent les systèmes cartographiques, notamment ceux de Robinson
(1960) et de Schmid et MacCannell (1955). Nous exposons ici quelques-unes des
difficultés d'utilisation des cartes traditionnelles pour décrire les schémas de localisa-
tion, notamment celles qui proviennent du niveau de mesure des données initiales,
du nombre des composantes à représenter sur la carte, et des problèmes familiers
d'échelle et de projection.

Niveaux de mesure et cartographie

Les types de cartes que les géographes peuvent dessiner sont directement subor-
donnés au niveau de mesure des données. La notion de « niveau de mesure» a des
applications fondamentales en statistique (tableau 10.5), mais son importance pour
la cartographie n'a généralement pas été perçue. Le principe de base de la théorie de
la mesure est qu'il existe quatre échelles - les échelles nominale, ordinale, d'inter-
valles et de rapports - dont les propriétés sont radicalement différentes (Siegel, 1956,
pp. 21-30).
Le niveau de mesure le plus bas est celui de l'échelle nominale ou classificatoire:
les nombres ou les symboles employés servent uniquement à identifier des objets
(par exemple des types d'utilisation du sol: bois, champs, etc.). La seule propriété
formelle des éléments d'une telle classe est l'équivalence (=), et la gamme d'opérations
cartographiques possibles est très limitée; la carte « nominale » (qualitative) n'est en
général qu'une mosaïque de secteurs différemment colorés ou grisés, chaque nuance
de grisé ou de couleur représentant une classe bien définie.
AI' échelle ordinale, nombres et symboles sont utilisés à la fois pour identifier des
objets et pour décrire leurs relations avec d'autres objets. Quand on identifie une route
comme « route de classe B » en Grande-Bretagne, non seulement on emploie un
symbole pour identifier une classe de route, mais on la met dans une certaine relation
(une « relation d'ordre ») avec d'autres routes placées à un échelon supérieur (par
exemple les autoroutes et les routes de classe A) ou inférieur (par exemple les routes
secondaires). 11 existe une différence formelle entre les échelles nominale et ordinale:
la seconde possède non seulement la relation d'équivalence (=) mais aussi la relation
« plus grand que » ou « plus petit que ». Les échelles ordinales se rencontrent couram-
ment dans les conventions cartographiques, où des symboles de taille différente
servent à indiquer des unités de peuplement classées selon leur taille (par exemple :
ville, bourg, village, hameau); ou des voies ferrées de classes différentes; ou des zones
d'agriculture plus ou moins intensive (par exemple: classe l, classe II... , classe n).

239
LA DESCRIPTION

La différence entre les deux échelles du niveau supérieur, l'échelle d'intervalles et


l'échelle de rapports, a une importance cruciale dans certaines opérations statistiques
(tableau 10.1); mais, comme la plupart des données spatiales sont mesurées selon
l'échelle de rapports, son importance est moindre en cartographie. La différence
fondamentale entre les deux échelles est la suivante ; dans l'échelle d'intervalles, il
n'existe pas de zéro absolu, alors que l'échelle de rapports comporte un zéro absolu.
Soit deux points situés sur une échelle de temps (par exemple :« en 1900 » et « en
1950») et sur une échelle de distance (par exemple: «à 1 900 miles» et« à 1 950 miles»
de Londres); les différences entre les deux points sont les mêmes, 50 ans et 50 miles,
mais alors qu'il est possible de dire, à propos de la mesure de distance, que
« 1 950 miles» est 1,02 fois plus grand que « 1900 miles », un énoncé semblable est impos-
sible au sujet des années 1900 et 1950, du fait que l'origine de l'échelle de temps est un
zéro parfaitement arbitraire. D'un point de vue mathématique (mais évidemment pas
d'un point de vue théologique), l'origine pourrait tout aussi bien être 1800, ce qui
rendrait la deuxième date une fois et demie plus grande que la première. Ainsi, dans
l'échelle d'intervalles, le rapport de deux points quelconques dépend de l'unité de
mesure; dans l'échelle de rapports, il est indépendant de l'unité de mesure. En termes
formalisés, les deux échelles satisfont aux propriétés : 1° équivalence; 2° ordre;
3° connaissance du rapport de deux intervalles quelconques (par exemple le rapport
de « de l'année 1850 à l'année 1875» à « de l'année 1900 à l'année 1950» est 1/2). Mais
l'échelle de rapports est seule à satisfaire à la propriété supplémentaire; 4° connais-
sance du rapport de deux valeurs quelconques de l'échelle.
La plupart des données géographiques sont mesurées au niveau le plus élevé,
celui de l'échelle de rapports; elles sont représentées, en cartographie, par des cartes
en isarithmes de faits tels que la densité de population, ou par des cartes de flux quand
il s'agit de l'importance de la circulation, ou par des cartes du peuplement où chaque
symbole est en rapport direct avec l'effectif de population. L'histoire de la recherche
géographique est aussi 1'histoire de l'élévation du niveau de mesure des données;
par exemple le remplacement des signes indiquant les « hauts» et les « bas» (échelle
ordinale) par les courbes de niveau tracées avec précision.
La figure 8.1 montre comment se traduisent, dans la méthode cartographique,
trois niveaux de mesure. Il s'agit de la répartition d'un type d'utilisation du sol (bois
par exemple) dans une surface de seize unités. A l'échelle nominale, la répartition
des bois est représentée par des « un » et des « zéro », qui signifient « présence» ou
« absence» (fig. 8.1 A). Aux échelles ordinale et de rapports, cette information est
appliquée aux seize sous-régions de la surface totale. Dans le premier cas (échelle
ordinale), les sous-régions sont rangées, de 1 à 16, selon la quantité de terrains boisés
existant à l'intérieur de leurs limites; des courbes d'égale valeur sont tracées à 4,5,
à 8,5 et à 12,5; les surfaces de valeur supérieure à 8,5 sont en grisé (fig. 8.1 B). Dans le
second cas, le pourcentage de chaque sous-région couvert par des bois est mesuré,
selon l'échelle de rapports; des courbes d'égale valeur sont tracées à 25, 50 et 75 %
et les surfaces où le pourcentage dépasse 50 sont en grisé (fig. 8.1 C). A mesure que
s'élève le niveau de mesure, la carte en isarithmes correspondante devient à la fois
plus complexe et plus précise; vue de la droite vers la gauche, la figure fait apparaître

240
@ ® ©
o o o 7 6 03 47 43 73

o 15 12 4 10 97 74 24 67

o o 3 13 9 5 \6 76 62 27

o o 2 8 14 16 12 56 85 99

Fig. 8.1 - Rapports entre les échelles de mesure nominale (A), ordinale (B) et de
rapports (C) et les isarithmes. Les surfaces situées au-dessus de la valeur moyenne
sont en grisé.

l'incidence de l'abaissement des niveaux de mesure, et la part d'erreur qui leur est
inhérente.

Les cartes à composante unique: surfaces définies par des isarithmes

La plupart des données spatiales, qu'il s'agisse d'implantation ponctuelle, linéaire


ou à deux dimensions, peuvent être converties, par l'intermédiaire de calculs de
densité, en une forme continue, et représentées par une carte en isarithmes. Une fois
sous cette forme, il est possible de les considérer, comme le fait Robinson (l961-B),
simplement comme une surface statistique, où la hauteur (par exemple la densité de
population rurale) varie à peu près de la même façon que l'altitude sur les cartes
topographiques. Alors, l'analyse morphométrique (traditionnellement restreinte aux
formes topographiques) peut être en grande partie applicable à la « topographie» de
toutes les surfaces définies par des isarithmes. L'étude conjointe, par les géomorpho-
logues et les géographes humains, de techniques communes d'analyse des surfaces
reste l'une des directions de recherche les plus prometteuses pour les années à venir.
Bien que de telles cartes en isarithmes aient trois dimensions, en ce sens qu'une
répartition (mesurée dans la dimension z) varie de façon continue par rapport à un
plan (dimensions x et y) nous en parlons ici comme de cartes à composante unique,
parce qu'une seule composante est cartographiée sur le plan de référence. Sur des
cartes de ce genre, la méthode la plus courante, pour représenter les variations dans

241
LA DESCRIPTION

la dimension z, consiste à employer des courbes d'égale valeur. Il est clair que des
cartes ainsi faites présupposent que la répartition est une variable continue; mais,
comme Warntz (1959) l'a montré, il est très avantageux, du point de vue théorique et
du point de vue pratique, de considérer ces variations comme continues, même si,
dans la réalité, elles apparaissent discontinues. A vrai dire, ce n'est pas la réalité, mais
plutôt le choix de l'échelle et du modèle particulier à tester qui conduit à considérer
la population soit comme formée de « quanta» discrets, soit comme un « potentiel»
continu.
Trois problèmes se posent à propos de l'interprétation des cartes en isarithmes :
le nombre des isarithmes, leur espacement, leurs rapports avec le système de points
directeurs.

LE NOMBRE DES ISARITHMES

Aucune réponse définitive ne peut être donnée à la question du nombre de courbes


à employer pour faire une carte en isarithmes; mais il semble logique qu'une relation
systématique existe entre ce nombre et le nombre de points directeurs. Une carte
aux isarithmes soigneusement tracées et établie à partir d'un petit nombre de points
directeurs donne une impression de précision qui n'est pas garantie par l'information
sur laquelle elle repose; inversement, employer très peu d'isarithmes quand les varia-
tions de la surface étudiée sont bien connues relève du gaspillage.
On peut faire référence à un problème semblable en statistique. Selon Brooks et
Carruthers (1953, p. 13), le nombre de classes, dans un histogramme, ne devrait pas
dépasser le quintuple du logarithme du nombre d'observations. En cartographie,
ceci signifierait qu'une carte faite à partir de 500 points directeurs ne devrait pas être
divisée en plus de 13 classes; pour représenter ces 13 classes, il faudrait évidemment
12 isarithmes. Comme Brooks et Carruthers l'indiquent, la relation qu'ils proposent
n'a rien de sacré; il s'agit simplement d'un rapport raisonnable entre la précision
de la carte et la masse des données disponibles, d'une règle approximative susceptible
d'être plus largement appliquée.
Cette sorte de règle a un aboutissement logique : le nombre de points directeurs est
déterminé par la valeur de l'intervalle entre isarithmes. Pour une carte à dix isarithmes,
par exemple, on peut soutenir, selon une règle inverse de la précédente, qu'il faudra
au moins 150 points directeurs.

L'ESPACEMENT DES ISARITHMES

Sur les cartes topographiques, les courbes de niveau sont normalement tracées
à intervalles de hauteur égaux, tout au moins en ce qui concerne les altitudes basses
et moyennes. Sur les cartes statistiques faites à partir de données spatiales, l'égalité
des intervalles peut ne pas présenter le même intérêt. Jenks et Coulson (1963) ont
étudié une région du Centre du Kansas, où la densité de population varie de 1,6
à 103,4 habitants par mile carré et où la concentration spatiale des fortes valeurs est
telle que des cartes à intervalles égaux ne donnent guère d'informations. Sur une

242
La description de la localisation absolue

telle carte, avec sept intervalles égaux, les limites de classe étant à 16,0, à 30,6, à
45,1, à 59,7, à 74,2 et à 88,7 habitants par mile carré, quatre classes seulement sont
réellement représentées sur la carte, tandis que plus de 90 % de la surface de la carte
est dans une seule classe.
Des problèmes de représentation de petits secteurs où les cotes sont de valeur
élevée, situés à l'intérieur de grandes étendues où les cotes sont de valeur faible, se
posent très couramment en géographie humaine, et ont soulevé un intérêt considé-
rable en cartographie. Selon Robinson (1960, pp. 190-194), le choix des intervalles
entre isarithmes est facilité par le tracé d'une courbe des fréquences cumulées rappor-
tant la première composante (la surface xy) à la seconde (les valeurs z). Pour ce
faire, il faut placer les unités de collecte des données (par exemple des comtés) dans
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Fig. 8.2 - A. Surface statistique lissée. - B. Graphique rapportant les valeurs z à la surface. - C. Carte
en isarithmes espacées de façon à former des surfaces égales. - D. Carte en isarithmes dont l'espacement
est déterminé par des intervalles égaux des valeurs z. - E. Carte en isarithmes dont l'espacement est
déterminé par des cassures significatives de la courbe B.
Source: JENKS, 1963, pp. 16, 19.

243
LA DESCRIPTION

l'ordre de leurs valeurs z (par exemple la densité de population des comtés), et faire
progressivement la somme de leurs surfaces, ce qui donne la courbe des fréquences
cumulées (fig. 8.2 B). Il existe trois manières de choisir les intervalles entre isarithmes :
1° répartir les valeurs z en classes de même amplitude; 2° répartir les valeurs xy (les
surfaces) en classes de même amplitude; 3° répartir les valeurs z en classes correspon-
dant aux sections de pente uniforme de la courbe. La première méthode (fig. 8.2 D)
présente l'avantage de l'uniformité et facilite les comparaisons entre régions; la
deuxième méthode (fig. 8.2 C) offre l'avantage de « répandre » l'information de
façon très régulière sur la carte mais elle rend difficiles les comparaisons entre régions.
La troisième méthode, qui utilise les cassures significatives de la courbe des fréq uences
cumulées (fig. 8.2 E), donne l'image la plus fine des variations locales, dans le détail,
mais elle n'a pas les qualités des deux méthodes précédentes : facilité des comparai-
sons, répartition régulière de l'information.
Une autre façon de choisir les intervalles entre isarithmes est peut-être la plus effi-
cace : considérer la répartition représentée par la carte comme une distribution statis-
tique de fréquences telle que l'on peut appliquer à la concentration spatiale (c'est-
à-dire la dissymétrie, en langage statistique) une transformation appropriée. Les
valeurs z transformées peuvent former une suite géométrique (par exemple 2, 4, 8, 16)
lorsque la localisation des fortes valeurs est concentrée à l'extrême, ou une suite en
arc-sinus (par exemple: 3, 12, 25,42, 59, 75, 88, 97 %) lorsque les valeurs se groupent
aux deux extrémités (Fisher et Yates, 1957, p. 70). Dans chaque cas, la transformation
est adaptée à la forme de la distribution, et, puisque les intervalles entre isarithmes
ainsi obtenus sont fondés sur une distribution mathématique connue, il est facile
de comparer avec d'autres cas.

LA DISPOSITION DES POINTS DIRECTEURS

La précision des cartes en isarithmes dépend évidemment de la précision initiale des


cotes et du nombre de cotes établies pour une surface donnée. Blumenstock (1953) a
traité ce problème en détail à propos des cartes météorologiques; son analyse est
valable pour toutes les cartes de phénomènes géographiques. Cependant, comme
Mackay (1953) l'a montré, la précision des isarithmes pose aussi des problèmes liés
non aux données initiales, mais à la disposition des points pour lesquels les données
sont enregistrées ou « points directeurs ». La figure 8.3 A représente les quatre valeurs
initiales, réparties en quatre points de croisement d'une grille, à partir desquelles il
s'agit de tracer par interpolation des isarithmes. A moins de disposer d'autres infor-
mations, on trace les isarithmes par interpolation géométrique, en supposant que le
gradient, entre deux points, est linéaire. Cela revient simplement à calculer une répar-
tition proportionnelle : par exemple, pour tracer une isarithme de valeur 20 entre des
points directeurs dont les valeurs respectives sont 16 et 25 %, et qui sont séparés par
une distance d, on la fait passer par un point situé sur le segment de droite joignant les
deux points directeurs à une distance du point de valeur 16 égale aux quatre neuvièmes
de d. Mais ce procédé n'est pas à toute épreuve. Les figures 8.3 B et 8.3 C représentent
deux interprétations possibles du tracé de l'isarithme 20 : les surfaces de valeur

244
La description de la localisation absolue

supérieure à 20 (en grisé) forment une crête qui traverse la carte en diagonale dans un
cas, deux crêtes séparées par un col étroit dans l'autre. Les deux interprétations
sont valables du point de vue de la méthode d'interpolation géométrique.

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33

Fig. 8.3 - Problèmes d'indétermination posés par l'interpolation d'isarithmes


entre quatre points directeurs formant une grille régulière.
Source: MACKAY, 1953.

II est possible de résoudre ce cas d'indétermination en supposant l'existence, au


centre du carré, d'un point directeur secondaire de valeur égale à la moyenne des
valeurs des quatre points d'angle, c'est-à-dire 23. Cette valeur permet de vérifier les
tracés d'isolignes des figures précédentes : la « crête» continue se trouve confirmée
(fig. 8.3 D). II convient de souligner que de tels cas d'indétermination proviennent
de l'emploi de treillis carrés pour la localisation des points directeurs (c'est le type
courant de cadre de référence, celui de la National Grid britannique); quand il est
possible de choisir une autre disposition des points directeurs, il est très avantageux
d'adopter une disposition triangulaire, qui supprime cet inconvénient. Reste à savoir
s'il vaut la peine d'adopter un dispositif plus complexe des unités spatiales de collecte,
sous la forme de losanges (fig. 8.4 B), d'hexagones (fig. 8.4 C) ou de rectangles décalés

Fig. 8.4 - Formes d'unités spatiales de collecte correspondant à des systèmes triangulaires
de points directeurs.
Source: MACKAY, 1953.

(fig. 8.4 D). Une étude récente sur les densités de population dans les Grandes Plaines
des États-Unis (Robinson et al., 1961) confirme l'efficacité du système hexagonal
(cf pp. 235-236).

245
Les cartes à plusieurs composantes

Quand il s'agit des variations spatiales, non d'une seule variable mais de toute une
série de variables, les problèmes cartographiques deviennent beaucoup plus ardus.
Certes, des procédés ingénieux permettent de superposer des cartes en isarithmes
simples - superposition de courbes de couleurs différentes, emploi de transparents
en matière plastique -, mais, très vite, la diminution de l'intelligibilité l'emporte
sur l'avantage d'avoir un document plus complet. Même les plus réussies de ces cartes,
comme les cartes des maladies en Inde établies par Learmonth et Pal (1959), par-
viennent rarement à représenter distinctement plus de deux facteurs.
C'est pourquoi la recherche s'est orientée vers les procédés qui consistent à décom-
poser les systèmes complexes à plusieurs dimensions, avant d'atteindre le stade de
la cartographie. De cette façon, la complexité statistique remplace la complexité
cartographique, mais les difficultés décrites ci-dessus sont tournées. Nous allons
décrire quatre des méthodes les plus efficaces.

LES GRAPHIQUES TRIANGULAIRES

Quand les phénomènes à cartographier peuvent être classés en trois composantes


exprimées en pourcentages, il est possible d'utiliser des diagrammes ou graphiques
triangulaires. La recherche sur graphiques triangulaires s'est développée en géologie .
les roches sédimentaires peuvent être décomposées en trois composantes (sable, limon,
argile) exprimées en pourcentage du poids total de l'échantillon. De même, il est pos-
sible d'étudier l'utilisation du sol en distinguant trois types qui se partagent l'a ire
étudiée (par exemple : bois, cultures, reste) et en mesurant la part de chaq ue tvpe
dans la surface totale.
Sur le graphique triangulaire de la figure 8.5 A, chacun des trois sommets représente
la valeur 100 % de chacune des trois composantes A, B et C, et les points situés à
l'intérieur du triangle représentent des combinaisons des trois composantes. Par
exemple, le point X représente une combinaison de 60 % de A, 20 %de B et 20 %de C.
Il est clair que plus le point est proche du centre du triangle, plus le mélange est équi-
libré, et que plus le point est proche de l'un des sommets du triangle, plus est marquée
la prépondérance d'une seule composante.
Les graphiques triangulaires ont été utilisés occasionnellement, dans des ouvrages
ne traitant pas de géologie, pour décrire des compositions. Selon Clark (I940), le
partage de la main-d'œuvre d'un pays entre les activités primaire, secondaire et
tertiaire peut fournir un indice sensible de la croissance économique, et la compo-
sition observée dans chaque région peut être indiquée par un point sur un graphique
triangulaire. Cependant, cette méthode n'est pas employée à la mesure de ses possi-
bilités.
Forgotson (I960) a décrit divers modes d'utilisation du graphique triangulaire qui
sont appliq ués en géologie et pourraient être introduits dans nos études. Pelto (I954)
est l'auteur d'une des techniques les plus simples, qui consiste à utiliser une fonction
classificatoire (ou relation d'équivalence) pour partager le triangle en sept classes

246
100

Y.
B C
100 100

IIC

Fig. 8.5 - Emploi de graphiques triangulaires pour la cartographie de systèmes à


trois com posantes.
B. Méthode de la fonction classificatoire. - C. Méthode de l'entropie. - D. Méthode
des écarts de composition.
Les cartes placées au-dessous de chaque graphique présentent l'application des
trois méthodes aux mêmes données de composition.
Source: FORGOTSON, 1960, pp. 88-95.

ou secteurs : trois secteurs à composante unique (A, B, C), trois secteurs à deux
composantes (AB, AC, BC), et un secteur à trois composantes (ABC). A l'intérieur
de chaque secteur, des lignes de pourcentage indiquent l'importance relative d'une
composante. Dans ce système, le point X de l'exemple ci-dessus tombe dans la classe A
et le point Y dans la classe BC (fig. 8.5 B). Une autre technique, due aussi à Pelto,
vise à déterminer des limites quantitatives de composition, et non des classes, en
utilisant le concept d'entropie. Le terme « entropie », ici, fait simplement référence
au degré de mélange des composantes; les fortes valeurs d'entropie se trouvent près
du centre du triangle, et les faibles valeurs près des trois sommets. Sur la figure 8.5 C
sont tracées les courbes correspondant aux valeurs 70 et 60 de l'entropie : X et Y
correspondent à des valeurs d'entropie assez semblables; Pelta suggère, quand on

247
LA DESCRIPTION

cartographie ces valeurs, de dessiner entre les isarithmes des grisés distincts, pour faire
ressortir les valeurs élevées correspondant aux trois sommets.
Krumbein (1955-A) a proposé une technique simple, celle des écarts de composition,
qui permet de cartographier la relation entre les points du triangle et un point de réfé-
rence donné. Ce point de référence peut être soit la composition moyenne de la
région étudiée, soit la composition optimale; sur la figure 8.5 D, c'est le point Z,
qui correspond à la composition: 80 % de A, 0 % de B, 20 % de C. Des courbes d'égale
valeur, qui sont des cercles concentriques, sont tracées de façon à faire apparaître
les écarts par rapport au point de référence. Cette technique présente un inconvé-
nient : elle montre la valeur des écarts, mais pas leur direction; il est donc nécessaire
de la comparer à des cartes faites à partir d'une fonction classificatoire. Des cartes
établies d'après ces trois méthodes - fondées sur une fonction classificatoire, sur le
concept d'entropie, sur le calcul d'écarts de composition - sont présentées à titre
d'exemple sur la figure 8.5, au-dessous des graphiques triangulaires correspondants.

L'INDICE DE COMBINAISON

Un problème typique de cartographie à plusieurs composantes se pose au géographe


qui travaille sur des mesures de surface. II peut avoir à étudier une gamme d'une dou-
zaine de cultures pratiquées selon des assolements (combinaisons) différents dans les
diverses parties de son aire d'étude. Comment présenter une telle diversité sur une
seule carte? Weaver (1954) a proposé un indice de combinaison des cultures, qui
permet de trier les cultures dominantes et d'éliminer les cultures secondaires. Weaver
étudiait la répartition des cultures dans le Middle West, aux États-Unis, et sa méthode
a été employée dans d'autres régions surtout à propos de l'agriculture (par exemple
par Thomas, en 1963, dans une étude sur l'agriculture au Pays de Galles pendant les
guerres napoléoniennes); mais cet indice n'est pas, en soi, limité aux faits agraires;
il peut s'appliquer à n'importe quelles données exprimant la distribution de plusieurs
composantes sous la forme de pourcentages; il est donc, ici, décrit simplement en
tant qu'indice de combinaison.
Le calcul de l'indice de combinaison est un procédé simple, qu'illustre la figure 8.6.
Le problème donné ici à titre d'exemple consiste à déterminer l'indice de combinaison
convenant à une paroisse du Breconshire où, en 1801, six cultures - blé, avoine,
orge, pois, pommes de terre et navets - couvraient l'ensemble des terres cultivées
selon les pourcentages respectifs suivants : 32,0; 31,5; 17,1; Il,7; 4,4 et 3,3 (Thomas,
1963, p. 81). La courbe caractéristique de la distribution de ces six cultures est la ligne
en tireté de la figure 8.6.
Le problème consiste à calculer le nombre des cultures qui, parmi les six existantes,
doivent être retenues pour faire la carte: faut-il indiquer cette paroisse comme une
unité à une culture (blé) ou comme une unité à quatre cultures (blé-avoine-orge-
pois)? Weaver répond à cette question en proposant une série de modèles: dans un
secteur modèle à une culture, 100 % des terres cultivées seraient consacrées à cette
culture, et 0 % aux autres; dans un secteur modèle à deux cultures, 50 % des terres
cultivées seraient consacrées à chacune des deux cultures, et 0 % aux autres; dans un

248
La description de la localisation absolue

secteur modèle à trois cultures, 33,3 % des terres cultivées seraient consacrées à
chacune des trois cultures, et 0 % aux autres; et ainsi de suite. Ces distributions
idéales sont représentées, sur la figure 8.6, par des courbes en trait plein ininterrompu.
Weaver, utilisant ces courbes idéales comme étalons, trouve ensuite, par comparaison,
laquelle ressemble le plus à la courbe représentant la distribution réelle. Pour faire
cette comparaison, il emploie la méthode statistique classique des « moindres carrés» :
il mesure les écarts (f) représentés par les segments verticaux sur la figure 8.6, les
élève au carré (p) et fait la somme des carrés (L:J2). Le modèle qui correspond le
mieux aux courbes réelles est celui pour lequel la somme des carrés est minimale.
Dans l'ensemble pris par Thomas, les valeurs obtenues successivement pour L: f2
forment une courbe en U caractéristique: les fortes valeurs sont aux extrémités (une
culture et six cultures). La valeur la plus faible, L: J2 = 356, incite à considérer cette
commune comme une unité à quatre cultures et à ne pas tenir compte des deux
cultures les moins pratiquées.

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Cultures rangées par ordre d'importance

Fig. 8.6 - Stades du calcul des indices de combinaison.


Source: THOMAS, 1963, p. 81.

On peut cartographier les indices de combinaison en représentant par des grisés les
nombres d'activités, la suite l, 2, 3, 4 ... n indiquant une série de combinaisons allant
de la monoculture à la diversité. En pratique, on désigne par des lettres les composantes
que sont les cultures (B pour le blé, A pour l'avoine, 0 pour l'orge...); ·les lettres

249
LA DESCRIPTION

correspondant à une combinaison (par exemple BAO) sont écrites sur chaque grisé.
Ou bien on prépare des cartes distinctes des principales combinaisons.
L'indice de combinaison permet de rendre moins confuse la cartographie de compo-
santes multiples, en distinguant éléments dominants et éléments secondaires. Il est
peut-être le plus utile lorsque peu de composantes ont de l'importance; son effi-
cacité est moindre quand il existe un équilibre presque parfait entre de nombreuses
composantes. Des problèmes semblables se posent en écologie botanique, quand il
s'agit de décrire et comparer des associations végétales complexes; il existe, semble-t-il,
un certain nombre d'indices botaniques dignes d'intérêt (Greig-Smith, 1964, pp. 1-19,
131-157) qu'il serait utile de tester à propos de problèmes géographiques comparables.

LA RÉDUCTION DES COMPOSANTES

Pour cartographier un phénomène complexe, comme le « niveau de développement»


d'un ensemble de régions, il peut être nécessaire d'employer un certain nombre de
mesures, plutôt qu'une seule. C'est ainsi que Ginsburg (1961), dans son Atlas of
Economie Development, emploie quelque quatre-vingt-dix indices distincts pour essayer
de cerner l'insaisissable concept de développement. Toute méthode de réduction de
telles mesures à un indice unique doit résoudre le problème de la comparabilité des
mesures, dont certaines peuvent s'étendre de 1 à 10 6 , d'autres de 0,98 à 1,02 : il est
évidemment nécessaire de réduire ces étendues différentes à un étalon unique pour
pouvoir faire des comparaisons.
En rangeant les régions, pour une mesure quelconque, de la valeur la plus forte
à la plus faible (rang l, 2, 3 ... n), on obtient cet étalon commun; en faisant la somme
des rangs occupés par chaque région, pour toutes les mesures, on obtient un indice
global. Le fait de ranger pose cependant un problème: on gaspille une grande partie
de l'information fournie par les opérations de mesure; 10,7; 6,2; 6,1 et 0,004 deviennent
simplement l, 2, 3 et 4, bien que, dans les mesures initiales, les intervalles apparaissent
très différents. Pour conserver les différences entre les intervalles qui séparent les
régions le long de l'échelle des mesures, Berry (l961-B) a proposé l'emploi de résultats
réduits ou valeurs w, qu'il est possible de calculer à l'aide de la formule

x
où Xi est la valeur de la mesure pour la région de rang i, la moyenne arithmétique
et Sx l'écart-type de la mesure en question. Ainsi, pour une observation quelconque,
la valeur w exprime l'écart à la moyenne, mesuré en prenant comme unité l'écart-
type.
Le procédé de sommation des rangs a été employé récemment, pour décrire des
variations régionales par la combinaison de plusieurs mesures, dans une étude sur
la « santé économique» de l'État de New York faite par Thompson, Sufrin, Gould
et Buck (1962, p. 5). Ces auteurs ont utilisé neuf indicateurs distincts de l'activité
économique de l'État, parmi lesquels figurent des indices comme le revenu par habitant
et le taux de chômage; ils ont rangé les cinquante-huit comtés, successivement, dans

250
La description de la localisation absolue

l'ordre donné par chacun des neuf indicateurs. Pour chaque comté, ils ont noté le
rang obtenu pour chaque indicateur et fait la somme des neuf rangs; puis ils ont de
nouveau rangé les comtés d'après les totaux obtenus, calculant ainsi un indice combiné.
Comme les auteurs le font remarquer, cette méthode implique de curieuses additions:
ainsi, la ville de New York a un bon rang (le 4 ü ), parmi les comtés, en ce qui concerne
les niveaux économiques mais un mauvais (le 46 e) en ce qui concerne les tendances
économiques. Au total, d'après cette méthode, cette ville occupe la 28 e position.
En conséquence, les auteurs concluent que la méthode donne des images assez exactes
des niveaux de développement atteints pour les diverses parties de l'État; mais, ne
pouvant trouver aucune logique mathématique pour fonder cette méthode, ils la
remplacent par une méthode plus sûre, l'analyse factorielle.

L'ANALYSE EN COMPOSANTES PRINCIPALES OU ANALYSE FACTORIELLE

Quand plusieurs composantes sont en jeu, l'un des plus puissants instruments de
la méthode statistique est l'analyse factorielle, qui attaque le problème au point
même où la réduction échoue, en tenant compte du fait que toutes les mesures n'ont
pas le même poids, et que plusieurs peuvent faire double emploi. Quand plusieurs
mesures font apparaître fondamentalement le même schéma de répartition des varia-
tions, on soupçonne intuitivement que certaines sont redondantes et qu'un schéma
plus fondamental est sous-jacent : la composante principale est une approximation
de ce « schéma fondamental ».
Exposer dans le détail ce qu'est l'analyse factorielle (Harman, 1960) serait très
compliqué et n'entre pas dans le cadre du présent ouvrage, mais il est possible de
donner une idée de la puissance de la méthode à partir d'un article de Berry (1960).
Ce dernier a fait une étude à l'échelle mondiale, portant sur 95 pays, dont chacun était
caractérisé par 43 indices de développement économique. En effectuant l'analyse facto-
rielle directe des indices préalablement ordonnés, il a pu ramener les 43 indices à

TABLEAU 8.1
ANALYSE FACTORIELLE DU DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE
DE QUATRE-VINGT-QUINZE PAYS

Variation expliquée
Composantes Interprétation
en pourcentages
en pourcentages
cumulés

F acteur 1 84,2 84,2 Axe technologique


F acteur II 4,2 88,4 Axe démographique
F acteur III 2,5 90,9 Axe du commerce inter-
national
F acteur IV 1,9 92,8 Axe de l'effectif
F acteur V 1,2 94,0 Terme d'erreur

Source : B. J. L. BERRY, « An Inductive Approach to the Regionalization of Economie Development »,


University of Chicago, Research Paper, 1960, p. 82.

251
LA DESCRIPTION

cinq facteurs fondamentaux ou « axes factoriels» (tableau 8.1) qui, ensemble, expli-
quaient 94 % des différences observées initialement entre les pays. L'axe technologique,
le plus important, expliquait à lui seul 84 % de ces différences. Il est clair que, grâce à
une telle analyse, Berry a tranché le nœud du problème de cartographie à plusieurs
composantes, en obtenant un indice unique, la composante principale, qui peut en
toute sécurité être substitué à un grand nombre d'indicateurs à partir desquels il
a été calculé.
Ainsi, l'analyse en composantes principales permet de tourner le problème difficile
posé par la cartographie de plusieurs indices, en substituant à ceux-ci des valeurs
uniques plus fondamentales qui peuvent être présentées simplement sous la forme de
cartes traditionnelles, en isarithmes ou par plages. Évidemment, la fiabilité de telles
cartes dépend de la part des variations qu'explique l'axe factoriel principal. Dans
l'étude sur l'État de New York dont il a été question ci-dessus (Thompson et al.,
1962), la composante principale (facteur 1) explique seulement 50,1 % des différences
entre les neuf indicateurs, mais, du fait que ce pourcentage est plus de trois fois plus
grand que celui obtenu pour n'importe quelle autre composante (facteur II : 15,7 %),
il faut le considérer comme l'indice unique le plus fondamental des différences régio-
nales du développement économique, à l'intérieur de cet État, qui ait été élaboré
jusqu'à présent.

Fig. 8.7 - Analyse factorielle appliquée au sud de l'Élal de New York, Élals-
Unis (G = 4,5).
Source: THOMPSON, SUFRIN, GOULD el BUCK, 1962, pp. 6-17.

252
La description de la localisation absolue

En illustration de la méthode, la figure 8.7 représente un fragment (10 comtés)


de la partie sud de l'État de New York; pour chacun des neuf indicateurs, les deux
premiers comtés sont en grisé (fig. 8.7 B), ce qui fait apparaître les variations du classe-
ment par rangs d'un indicateur à l'autre. Les deux comtés qui, dans cette région,
sont les premiers selon la composante principale (le facteur 1) sont représentés en
noir sur la figure 8.7 C; ce sont les comtés de Rockland (9) et de Westchester (10),
situés immédiatement au nord de la ville de New York, et qui occupent respectivement
le premier et le troisième rang pour l'ensemble de l'enquête, portant sur les cinquante-
huit comtés de l'État.

Les problèmes de la description cartographique

Bien que les cartes soient toujours la méthode la plus pratique de « stockage»
de l'information géographique, des signes indiquent qu'à l'avenir des données de plus
en plus nombreuses pourront être stockées par d'autres procédés.

LES CARTES COMME SYSTÈME DE STOCKAGE DE DONNÉES

Deux problèmes fondamentaux de la cartographie, le problème de l'échelle et


celui du système de projection, imposent des limites assez strictes à l'emploi des cartes
en vue de la description des formes géographiques. Selon Robinson (1960, p. 226),
il est impossible, à une distance de 45 centimètres, de voir clairement des symboles
de taille inférieure à un quart de millimètre. En termes de surface, cela signifie qu'il
est impossible de représenter une surface d'un kilomètre carré à une échelle inférieure
à l/l 000000 environ (Amiran et Schick, 1961, p. 165) : au-dessous de ce niveau,
il faut généraliser, d'une façon ou d'une autre.
Le système de projection prend une importance décisive lorsque les surfaces à
représenter sont trop grandes pour pouvoir être considérées comme planes; en pra-
tique, il s'agit des surfaces supérieures à 250 kilomètres carrés. Paradoxalement, le
problème ne vient pas du manque de systèmes de projection mais plutôt ete leur grand
nombre. Sauf à l'intérieur des séries nationales et des atlas nationaux, on a peu de
chances de trouver des cartes représentant une grande partie de la surface de la terre
et sur lesquelles les méridiens et les parallèles forment un réseau permettant des compa-
raisons directes.
Les cartes présentent néanmoins un certain nombre d'avantages importants.
Les formes de localisation sont portées sur un fond de carte qui donne des informations
secondaires importantes, notamment sur l'orientation, la fiabilité, les bases de réfé-
rence. Les coordonnées indiquées dans les marges, comme la latitude et la longitude
des cartes à petite échelle, et les carroyages des cartes à grande échelle, fournissent le
cadre de repérage le plus austère mais le plus précis à de telles doimées d'orientation;
s'y ajoutent ordinairement les côtes, les frontières politiques, les cours d'eau ou les
villes importantes situées dans l'aire représentée. Selon Bunge (1962, pp. 44-48),
certains de ces repères traditionnels pourraient être remplacés ou remis en question

253
LA DESCRIPTION

puisque, par exemple, les cours d'eau ont rarement, en ce qui concerne les localisa-
tions, le caractère significatif que la fréquence de leur emploi sur les cartes pourrait
impliquer. Le degré de fiabilité est indiqué par des informations sur la source d'erreur
inhérente aux phénomènes cartographiés; ainsi, Weaver (1956) a tracé des isarithmes
représentant des systèmes de culture sur des cartes administratives de comtés et de
townships dans les limites desquelles les données étaient collectées. Les bases de
référence sont des informations qui permettent de situer une carte dans une certaine
perspective; ainsi, Ginsburg (1961), dans son Atlas of Economie Development, a carto-
graphié des indices de développement économique sur des fonds de cartes représen-
tant, à l'échelle mondiale, la densité de population.

AUTRES SYSTÈMES DE STOCKAGE DE DONNÉES: LA CARTOGRAPHIE AUTOMATIQUE

Un des faits nouveaux les plus importants pour la géographie est le développement
de la cartographie automatique. Par ce système, les données sont stockées sur des
cartes perforées, sur des rubans magnétiques, etc., et peuvent être « traduites» en une
carte géographique représentant une caractéristique quelconque par un traceur de
courbes automatique. Les possibilités que recèlent de telles méthodes ont été discutées
par Tobler (1959). Un exemple remarquable en est l'Atlas of the British Flora (Perring
et Walters, 1962) qui a été fait à partir d'un jeu de cartes perforées, dont chacune
concerne l'une des 2000 espèces vasculaires existant en Grande-Bretagne et l'une des
cases de la National Grid. Les particularités de localisation, l'espèce (sa présence ou
son absence), l'habitat, la date de l'observation, le nom de l'observateur et d'autres
informations pertinentes ont été codées, et les 1 500000 éléments d'information
triés automatiquement. A un stade ultérieur de l'analyse, les données ont été intro-
duites dans un tabulateur automatique, qui imprimait un point, si l'espèce était pré-
sente, au lieu indiqué par les chiffres du système de référence de la grille (fig. 7.10).
Dans le cas de l'atlas de Perring et Walters, le problème des coordonnées géogra-
phiques est résolu simplement, par l'emploi du système de la National Grid. Des
systèmes semblables existent dans un certain nombre de pays, notamment en Suède.
Pour les études faites à l'échelle du monde, les systèmes de référence sphéroïdaux,
plus compliqués, fondés sur le repérage de la latitude et de la longitude, remplacent
obligatoirement les systèmes de coordonnées rectangulaires. La complexité du calcul
automatique des distances, des surfaces et des directions sur un système de référence
sphérique est encore accrue par l'écart existant entre la forme de la Terre et celle
d'une véritable sphère : la longueur d'un degré de méridien varie de 68,703 miles
terrestres (entre zéro et un degré de latitude) à 69,407 miles terrestres (entre 89 et
90 degrés de latitude). D'où l'usage de plus en plus courant de la projection transverse
de Mercator, qui fournit aux séries de cartes topographiques une base de projection
conforme. Principal avantage de cette projection : les déformations de l'échelle sont
uniformes le long des lignes parallèles au grand cercle qui sert d'étalon, ce qui permet
la construction d'un système de coordonnées xy rectangulaires, dans lequel « une
valeur x donnée aura une caractéristique d'échelle uniforme, pour une valeur y
quelconque» (Robinson, 1960, p. 91). Ce système a été largement employé aux

254
La description de la localisation relative

États- Unis pour l'établissement d'une série de projections identiques appliquées aux
latitudes moyennes, où chaque unité couvre une surface de 6 degrés de longitude
multipliés par 800 kilomètres.
En dehors de ces systèmes fondamentaux, des projections azimuthales ont donné
lieu à des applications intéressantes. Par exemple, dans l'une des études sur les migra-
tions passées en revue au chapitre 2 (fig. 2.4), l'information est stockée en termes de
distance (u) et de direction (v), u et v étant mesurées à partir du point de départ de
la migration. D'autres systèmes, tenant compte du temps de parcours et de la direction,
pourraient s'avérer utiles dans les études cartographiques de circulation (Bunge,
1962, p. 55).
Le codage des localisations géographiques en vue de la cartographie automatique
pose d'autres problèmes techniques, qui sortent du cadre de ce bref exposé. Un exemple
simple est la nécessité, au cours de la programmation, de substituer la convention
mathématique définissant la direction (l'origine, zéro degré, est à l'est, et on mesure les
angles dans le sens opposé à celui des aiguilles d 'une montre) à la convention géogra-
phique (l'origine, zéro degré, est au nord, et on mesure les angles dans le sens des
aiguilles d'une montre). Comme dans le cas du langage juridique, la traduction des
réalités géographiques en programmes d'ordinateur peut conduire à des définitions
pesantes mais précises. C'est ainsi que Nordbeck (1962) a été obligé d'employer
une définition de ses aires d'étude qui, à première vue, paraît très verbeuse. Dans une
étude sur la Suède, il ramène des aires, par approximation, à des polygones, dont il
numérote les sommets Pl' P 2 , ... , P n dans le sens inverse de celui des aiguilles d'une
montre, P n étant égal à Pl' Pl a la plus faible valeur de la coordonnée y, et, si cette
valeur n'est pas unique, Pl a la plus faible valeur de la coordonnée x. L'aire corres-
pondant à chaque polygone est alors définie comme étant la surface située à gauche
de toutes les lignes qui relient deux sommets consécutifs.

2. LA DESCRIPTION DE LA LOCALISATION RELATIVE LES INDICES


STATISTIQUES

Les aires contiguës

LA DESCRIPTION DE LA FORME

Quelques procédés de mesure simples ont été élaborés en géographie humaine pour
décrire avec concision les formes des phénomènes étudiés; mais une comparaison
avec d'autres disciplines montre qu'il est possible d'aller beaucoup plus loin dans cette
direction. D'ailleurs, les géographes ont en grande partie emprunté leurs concepts
fondamentaux relatifs à la forme à d'autres disciplines, par exemple à la pétrographie
sédimentaire, où la forme des particules a une signification primordiale du point
de vue dynamique. Dans ce domaine, des chercheurs tels que Krumbein (1941) et
Pettijohn (1957, pp. 54-68) ont élaboré une série d'indices de grand intérêt, qui per-
mettent de décrire avec concision les caractéristiques de forme, en trois dimensions,

255
@ VARIABLES

A Surface
P Périmètre
L Plus grand axe
Ra, Ri Rayons des cercles
circonscrit et inscrit

INDICES DE FORME

S, = A/O,2B2 P
S, ~ A/O,B66 L
S, = R;/Ro
S. = A/(O,5L)'7t

Fig, 8.8 - Variables utilisées dans les indices de forme; application aux aires urbaines,
Source: GIBBS, 1961, p, 101,

des particules, A partir de quelques variables fondamentales présentées sur la figure 8,8
(surface, périmètre, longueur du plus grand axe, rayons du cercle circonscrit le plus
petit et du cercle inscrit le plus grand) il est possible d'imaginer une série d'indices
deforme, Sur la figure 8.8 B sont définis trois indices simples, dans lesquels des mesures
sont rapportées l'une à l'autre par paires (surface et périmètre, surface et grand axe,
rayons des deux cercles), Dans chaque cas, l'indice de forme est modifié de façon
à permettre une comparaison facile avec un cercle, Ainsi, dans le premier indice de
forme, SI' le périmètre est multiplié par 0,282; dans le deuxième, S2, le grand axe
est multiplié par 0,866. Si la forme étudiée est un cercle, la valeur de chacun des trois
indices est 1,00; à mesure que les formes deviennent plus allongées et plus irrégulières,
les indices tendent vers zéro,
Gibbs (1961, pp, 99-106) a employé l'indice S4 pour décrire la forme des villes améri-
caines, Cet indice rapporte la surface du cercle qui aurait pour diamètre le plus grand
axe, soit (0,5 L)2 n, à la surface réelle, A, de sorte que la valeur 1,00 correspond à une
forme circulaire. La figure 8.8 C représente la forme de trois villes américaines (Ra-
leigh, Trenton et Charleston) : Raleigh est relativement proche d'un cercle (84 = 0,692)
et Charleston allongée (S4 = 0,173). En comparant les indices de forme calculés en
fonction de diverses définitions de la ville, Gibbs a montré que l'aire administrative

256
La description de la localisation relative

de la ville (S4 = 0,412) a une forme sensiblement plus proche du cercle que l'aire
urbanisée (S4 = 0,288).
Parmi les caractéristiques des répartitions géographiques, la forme est l'une des
plus difficiles à mesurer. Le problème est le suivant: en essayant de mesurer la forme,
et seulement la forme, on mesure aussi, involontairement, un certain nombre de
caractéristiques indésirables, notamment l'orientation. La description de formes se
fait couramment à l'aide de catégories subjectives (forme «circulaire », «en lacet )),
« en étoile ))), mais ces modèles géométriques sont peu nombreux et le choix peut
varier d'un observateur à l'autre. Bunge (1962, pp. 73-78) a discuté ces problèmes
en détail, et, pour les résoudre, proposé une méthode fondée sur deux théorèmes :
1° toute forme « simplement connexe )) (c'est-à-dire d'un seul tenant et sans trou)
peut être assimilée à un polygone d'un nombre quelconque de côtés, ces côtés étant de
longueur égale mais variable; 2° si on fait les sommes, selon une règle bien établie,
des distances entre tous les sommets du polygone, il existe un ensemble de sommes,
et un seul, qui définit de façon univoque la forme du polygone.

0 ® ,,
,
1
\
\

\
1

"- ---- ,--'


,,
'",,'" J

Fig. 8.9 - Étapes du calcul des sommes correspondant aux formes,


selon la méthode de Bunge.
Source: BUNGE, 1962, p. 77.

La figure 8.9 montre comment s'appliquent ces deux théorèmes: la forme initiale
(fig. 8.9 A) est assimilée, par approximation, à un polygone dont les six côtés sont
égaux (fig. 8.9 B). Les sommets de ce polygone sont numérotés de 1 à 6. Sur la figure
8.9 C, des segments sont tracés, joignant chaque sommet au second sommet suivant:
le premier sommet est joint au troisième, le second au quatrième, et ainsi de suite.
Ces segments sont mesurés; la somme de leurs longueurs donne le premier indice SSl'
et la somme des carrés de leurs longueurs donne le second indice SS12.
La figure 8.9 D représente l'étape suivante du processus de mesure: des segments

257
LA DESCRIPTION

joignent chaque sommet au troisième sommet suivant : le premier sommet est joint
au quatrième, et ainsi de suite. La somme des longueurs de ces segments donne le
troisième indice SS2' et la somme des carrés de ces longueurs donne le quatrième
indice SS22. Ce processus continue jusqu'à ce qu'on retombe sur les sommes déjà
obtenues une première fois, et que par conséquent « cet ensemble unique de toutes
les sommes ait été déterminé» (Bunge, 1962, p. 77). Quand le polygone a six côtés,
ces sommes sont au nombre de quatre : SSj'" SS22; quand le polygone a huit côtés,
elles sont au nombre de six : SSj'" SS3 2.
En mesurant toutes les formes que l'on veut avec, comme unité de longueur, la
longueur d'un côté du polygone correspondant à chacune, il est facile de comparer ces
formes, tant entre elles qu'avec des figures géométriques types. La figure 8.10 repré-
sente les courbes caractéristiques obtenues pour les sommes correspondant aux formes
de deux communes du Mexique étudiées par Bunge, en même temps que les courbes
correspondant à une forme géométrique type, l'hexagone régulier. Cette tentative

50
~

,/\
~
Q)
~
Cl

.
~
~

~
Cl
"
.Q
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Q)
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"
.Q .,
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y~
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E
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Q)
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0 Q)
Z1
l/l E
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0
l/l

0 2
S, 52 S3
S2
, S2
S2
3

Fig. 8.10 - Formes caractéristiques, et sommes qui leur correspondent.


Source : BUNGE, 1962, pp. 79-86.

intéressante de Bunge - créer des indices sans dimension - mérite d'être poussée
plus loin; d'autres auteurs (par exemple Boyce et Clark, 1964) ont proposé des indices
comparatifs simplifiés.

LES CARACTÉRISTIQUES DE VALEUR CENTRALE ET DE DISPERSION

Une deuxième série d'indices a été élaborée à partir de la théorie statIstIque;


ces indices appliquent, par extension, des caractéristiques statistiques bien connues,
par exemple la moyenne arithmétique, aux deux dimensions du plan. Cette idée n'est
pas nouvelle : dès 1892, Johnson a présenté une discussion sur les écarts des traces
de balles par rapport à un objectif, en considérant ces traces comme formant une
densité de probabilité distribuée sur une surface (Johnson, 1892); vers 1937, Sviat-
lovsky et EeUs ont publié un compte rendu très complet sur les recherches géogra-

258
La description de la localisation relative

phiques menées, en Russie notamment, selon les méthodes qui, depuis, ont été baptisées
« méthodes centrographiques ». L'importance de ce qui a été publié sur ces méthodes
et leur dépendance étroite à l'égard de la théorie statistique nous empêchent d'en
donner ici un compte rendu exhaustif; le lecteur se reportera au travail de Bachi
(1963). Nous allons simplement présenter quelques exemples des méthodes en usage.
Warntz et Neft (1960) ont montré comment appliquer aux deux dimensions du
plan trois caractéristiques familières de tendance centrale, la moyenne, la médiane
et le mode. Ils définissent le centre moyen d'une distribution comme étant le point
où la somme f R2. G (dA) est minimale; le centre médian est le point où la somme
l R.G (dA) est minimale. Dans ces deux expressions, G est la densité de population
dans une très petite portion de surface, dA, et R la distance entre chaque petite portion
de surface et le point moyen ou médian. On peut, de même, définir le mode comme
étant la position du point le plus élevé de la surface de densité.
Hart (1954) et Porter (1963) ont décrit des procédés pratiques de calcul des points
d'accessibilité minimale. La méthode de Hart consiste à faire une série d'approxima-
tions successives, en utilisant un gabarit formé de plusieurs cercles concentriques
dessinés sur un support transparent, et qui permet de compter les effectifs de popu-
lation situées à des distances déterminées du centre du gabarit. La méthode de Porter
est plus rapide, mais peut entraîner des erreurs considérables de localisation du point
(Court et Porter, 1964).
La figure 8.11 représente, au moyen d'isarithmes, la répartition du potentiel de
population aux États-Unis, en 1950; l'intervalle entre les courbes est de 50 unités,
et les valeurs de potentiel supérieures à 300 unités sont en grisé. Le centre moyen (IX)

Fig. 8.11 - Potentiels de population aux États-Unis


(G = 1,8); point moyen (IX), point médian (~) et mode (y)
de la dis!ri bution.
Source: WARNTZ et NEFT, 1960, p. 62.

est situé dans le Sud de l'Illinois, le centre médian (fJ) dans le Centre de l'Indiana,
et le centre modal (y) dans la ville de New York. La localisation des trois points fait
apparaître la grande sensibilité du centre moyen à l'existence de centres de population
éloignés, situés, dans le cas présent, sur la côte pacifique des États-Unis.

259
LA DESCRIPTION

Dans les descriptions statistiques de distributions de fréquence existent, à côté des


caractéristiques de tendance centrale, les caractéristiques de dispersion. Stewart
et Warntz (1958) ont proposé une caractéristique de dispersion commode, qu'ils
appellent le « rayon dynamique » d'une population, et qu'ils définissent par
l'expression :

où p est la population d'une très petite surface, d la distance entre elle et le centre
moyen (défini comme ci-dessus) et P la population totale. En 1950, le rayon dynamique
de la population des États-Unis, soit 150 700 000 habitants, était de 790 miles; sur
la figure 8.11, il est représenté par un cercle dont le centre est dans le Sud de l'Illinois.
Environ 69 % de la population des États-Unis habite à l'intérieur de ce cercle; Warntz
et Neft (1960, p. 66) font observer que, à mesure que le centre moyen se déplaçait
vers l'ouest le long du 3ge parallèle, le rayon dynamique s'agrandissait; ainsi, bien que
le centre modal soit resté à New York depuis 1840 et que l'intervalle entre le centre
moyen et le centre modal se soit agrandi, la distribution n'est pas devenue plus dissy-
métrique.

Les points et les aires discontinues


Traiter une distribution comme une surface continue ou comme un ensemble
cohérent de points séparés est largement une question d'échelle et de nature des
données. Il est possible de reformuler les caractéristiques de tendance centrale de
façon à les rendre applicables à un groupement de points; inversement, certains des
indices dont il va être question pourraient être rendus plus généraux, de façon à
permettre l'analyse de distributions continues. NéanIl}oins, il existe des catégories de
données, par exemple l'habitat et ses caractéristiques, qui posent des problèmes spé-
ciaux, et pour lesquelles on a élaboré des indices spéciaux; nous allons en présenter
deux groupes.

L'ANALYSE DU PLUS PROCHE VOISINAGE

En dépit de l'intérêt soutenu que les géographes européens ont porté à l'étude
quantitative de l'habitat rural (cf le bref compte rendu de Houston, 1953, pp. 81-85),
la plupart des tentatives d'introduction des méthodes statistiques et probabilistes
dans ce domaine sont assez récentes. Une importante étude écologique de Clark et
Evans (1954) sur l'analyse du plus proche voisinage apparaît comme le point de départ
de nombreuses recherches plus récentes sur les structures spatiales de l'habitat.
La méthode d'analyse de Clark et Evans est fondée sur la mesure de la distance
réelle, en ligne droite, qui sépare un point du point voisin le plus proche, et sur la
comparaison entre ces distances et celles qu'on trouverait théoriquement si les points
étaient distribués de façon aléatoire à l'intérieur de la même surface. La comparaison
est faite au moyen de l'indice de plus proche voisinage, Rn, obtenu par application
de la formule :
Rn = ]jObS 1{ 0,50 (AI N)-l}

260
La description de la localisation relative

OÙ ]jObS est la distance moyenne observée entre les points et leurs plus proches voisins,
A la surface et NIe nombre de points. Les valeurs de Rn varient de zéro (valeur obtenue
quand tous les points sont groupés ensemble en un seul lieu) à 2,15 (valeur obtenue
quand les points sont aussi éloignés que possible les uns des autres, et forment donc
une distribution en hexagones réguliers). Quand la valeur de Rn est l, la distribution
des points est aléatoire.
King (1962) a appliqué la méthode de Clark et Evans dans une étude sur l'habitat
urbain aux États-Unis. Les résultats qu'il a obtenus ont déjà été exposés, ainsi que leurs
implications quant à la théorie de la localisation (cf. pp. 104-106); mais il est bon
de se reporter à la figure 4.2 (p. 106), qui représente les valeurs de l'indice Rn : ces
valeurs s'étendent de 0,70 (distribution groupée, dans la région de Duchesne, Utah)
à) ,;38 (distribution à espacements réguliers, dans le Centre du Minnesota). Pour King,
la Valeur Rn = 1,00 n'est pas une ligne fondamentale de partage entre distribution
en groupes et espacement régulier, mais cet indice fournit une échelle continue, le long
de laquelle on peut situer les variations progressives des formes de localisation.
Dacey (1960) a employé l'analyse du plus proche voisinage pour étudier l'espace-
ment des villes le long des cours d'eau, dans les basses plaines du Centre des États-
Unis. Il a voulu vérifier l'idée que les grandes villes situées sur des cours d'eau sont
régulièrement espacées (Burghardt, 1959, p. 322) en lui appliquant la définition plus
rigoureuse que donne la statistique de l'espacement uniforme. Clark (1954, p. 124) a
démontré que, quand des points sont dispersés le long d'une ligne (comme les villes
le long du Mississipi, sur la figure 8.12) on peut distinguer des « paires réflexives »,
c'est-à-dire des groupes-de deux points dont chacun a l'autre pour voisin le plus proche;
sur la figure 8.12, où des flèches vont de chaque ville à la ville voisine la plus proche,
Nouvelle-Orléans St-Louis Minneapolis
• 0 0 0 0 o o • 00 0 00 0 00 •
a 13

~ f-I*--
14- .- ~

-- +- 1----
i4-
- --
-

~ of--
~

o1
MILE ~ 1
500
1
750
1
1000 1250
1 1

Fig. 8.12 - Étapes de l'analyse du plus proche voisinage; exemple des villes
situées sur le Mississipi, dans le Centre des États-Unis.
Source: DACEY, 1960, p. 60.

261
LA DESCRIPTION

apparaît l'exemple de Natchez (IX) et Vicksburg (fJ). De même, on peut distinguer des
paires réflexives de « deuxième plus proche voisinage» (deuxième série de flèches sur
la figure 8.12), des paires réflexives de « troisième plus proche voisinage» (troisième
série de flèches sur la figure 8.12) et ainsi de suite. Dans le cas des villes situées sur le
Mississipi, il existe cinq paires réflexives de premier plus proche voisinage (c'est-à-dire
dix « points réflexifs », trois paires réflexives de deuxième plus proche voisinage
(six points réflexifs) et deux paires réflexives de troisième plus proche voisinage (quatre
points réflexifs).
Clark a démontré que, théoriquement, si des points sont dispersés au hasard le
long d'une ligne, la proportion de points qui appartiennent à une paire réflexive de
nième ordre est (2/3)n. II distingue un espacement uniforme de points, réalisé quand la
proportion est supérieure à (2/3)n, et un espacement groupé, réalisé quand la propor-
tion est inférieure à (2/3)n : plus est grand l'écart par rapport à (2/3)n, plus est accentué
le groupement ou l'uniformité. Sur le tableau 8.2, la proportion de points réflexifs,
en ce qui concerne le premier plus proche voisinage, 10/17 ou 0,588, apparaît infé-
rieure à la proportion théorique correspondant à une situation aléatoire (2/3)1 ou
0,667, et le mode de répartition des villes situées sur le Mississipi est qualifié de « grou-
pé ». En ce qui concerne les plus proches voisinages de deuxième et troisième ordre,
les proportions sont, de même, inférieures à celles qui correspondent à une situation
aléatoire; ce fait confirme la qualification « groupement» ct non la qualification
« régularité» employée par Burghardt. Cependant, avant de conclure que l'analyse
mathématique de Dacey a infirmé l'interprétation qualitative de Burghardt, il faut
considérer que Dacey a défini ses dix-sept villes d'après l'effectif de population, alors
que Burghardt n'a pas défini strictement son échantillon. Une suite divertissante à
la discussion entre Burghardt et Dacey nous est donnée par Porter (1960) dans un
article intitulé « Earnest and the Orephagians », où il montre l'existence de certaines
conditions limitatives, possibles mais peu probables, dans lesquelles la méthode du
plus proche voisinage inverse complètement les concepts intuitifs de groupement et
de régularité.

TABLEAU 8.2

ANALYSE DU PLUS PROCHE VOISINAGE :


ESPACEMENT DE 17 VILLES SITUÉES SUR LE MISSISSIPI

Points réflexifs
-------------
Proportion Proportion
Nombre observée théorique Qualification

Plus proche voisinage:


- de premier ordre . 10 0,588 0,667 Groupement
- de deuxième ordre 6 0,353 0,444 Groupement
- de troisième ordre 4 0,235 0,296 Groupement

Source: M. F. DACEY, in Annals of the Association of American Geographers, 1960, pp. 60-61.

262
La description de la localisation relative

LES INDICES D'ASSOCIATION GÉOGRAPHIQUE

L'un des indices descriptifs que l'on rencontre le plus fréquemment dans les publi-
cations géographiques est le coefficient d'association géographique (G). Cet indice
a été présenté sous diverses appel1ations - « coefficient de liaison », « coefficient de
similarité» - depuis que Hoover (1936), l'a employé le premier à l'occasion de recher-
ches sur la localisation des industries. Le succès qu'il a obtenu semble dû au fait
qu'il est très facile à calculer. Fondamentalement, c'est une mesure du degré d'asso-
ciation entre deux phénomènes quelconques, dans un ensemble de régions géogra-
phiques.
La figure 8.13 A présente un exemple simple d'emploi du coefficient G. Deux distri-
butions sont comparées, cel1e de l'industrie lainière et cel1e de l'ensemble des industries
dans les onze standard regiolls de Grande-Bretagne. Dans les deux cas, la distribution
80

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Construction
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1- 1- _~ 1

ABCOEFGHIJK
RÉGIONS DISTRICTS

Fig. 8.13 - Calcul du coefficient d'association géographique: exemples de l'industrie


britannique (A) et de l'industrie portugaise (6 et C).

est mesurée par l'effectif de main-d' œuvre, qui est fractionné en pourcentages corres-
pondant à chaque région. Ainsi, la première région, A sur la figure 8.13 A, contient
),90 % de la main-d' œuvre de l'industrie lainière britannique et 25,20 % de la main-
j' œuvre de toutes les industries britanniques; l'effectif national total est dans chacun
ks deux cas 100 %. Les parts des onze régions, ainsi mesurées en pourcentages,
;ont portées sur le graphique de la figure 8.13 A, où le trait plein représente l'industrie
ainière, et le trait en tireté l'ensemble des industries. Les interval1es entre les deux
;ourbes indiquent la différence Cf;) propre à chaque région.

263
LA DESCRIPTION

On calcule le coefficient G en appliquant la formule


n

G= 1- CL
;~l
fi)/lOO

où E fi est la somme, calculée en valeur absolue, soit des déviations positives, soit des
déviations négatives. Il importe peu que l'on emploie l'une ou l'autre somme, car elles
sont égales en valeur absolue. Dans l'exemple représenté par la figure 8.13 A, une
seule région présente une déviation positive, la région G (circonscriptions est et ouest
du Yorkshire), où le pourcentage de l'industrie lainière (76,5 %) dépasse celui de l'en-
semble des industries (8,8 %) de 67,7 points.
L'étendue du coefficient va de zéro à 1; sa valeur est faible quand les deux distri-
butions comparées sont semblables, forte quand les deux distributions sont très dissem-
blables. La figure 8.13 représente aussi les courbes caractéristiques de deux industries
portugaises dont les distributions contrastent : l'industrie du bâtiment (fig. 8.13 B)
tend à être très dispersée, en ce sens qu'elle se conforme à la distribution générale de
la main-d'œuvre industrielle, et son coefficient G est de 0,17 seulement; à l'inverse,
l'industrie du ciment (fig. 8. 13 C) est géographiquement concentrée et son coefficient G
est de 0,72. Cet indice présente évidemment beaucoup d'intérêt: il permet de définir
des schémas de localisation en les situant sur une échelle continue; des chercheurs
comme Chisholm (1962, p. 93) l'ont employé avec beaucoup de succès dans des études
sur l'agriculture. A propos de l'Angleterre et du Pays de Galles, pour l'année 1956,
Chisholm a constaté qu'il pouvait situer les distributions de vingt-neuf cultures maraÎ-
chères le long d'une échelle continue allant de 0,39, valeur obtenue pour la laitue,
dont la distribution s'étend largement à la périphérie des villes, à 0,61, valeur obtenue
pour le céleri dont la culture est fortement concentrée sur les sols profonds et bien
drainés des Fens et de certains secteurs du Norfolk.
Le principal inconvénient du coefficient G est sa trop grande dépendance à l'égard
de la taille et du nombre des unités spatiales de collecte des données. Quand ces
unités sont peu nombreuses et grandes, les valeurs de G sont typiquement faibles;
quand elles sont nombreuses et petites, les valeurs de G sont typiquement fortes
(chap. 7, section 3). Par conséquent, comparer directement des coefficients calculés
à partir de distributions semblables pour des pays ou régions différents n'est pas
valable. Cette dépendance provient du fait que le coefficient G n'est pas une véritable
mesure de l'association (comme l'est le coefficient de corrélation de Pearson, r),
mais qu'il indique seulement « la proportion d'une variable à laquelle il faudrait
faire traverser les limites des unités statistiques pour rendre sa distribution identique
à celle de la deuxième variable» (MacCarty et al., 1956, p. 31). Ensuite, MacCarty
recherche dans quelle mesure on peut se fier à G et à r; la comparaison est au désavan-
tage de G. Il constate non seulement que G dépend beaucoup de la grandeur réelle des
valeurs comparées, mais qu'il ne donne aucune indication sur l'existence éventuelle
d'une forte association inverse (c'est-à-dire d'une forte association des fortes valeurs
d'une distribution avec les faibles valeurs d'une autre). Dans l'un des cas qu'il a
étudiés, le coefficient G avait une valeur de 0,744 pour deux distributions qui, selon

264
La description de la localisation absolue

le coefficient r de Pearson, étaient presque absolument non corrélées (r = 0,006)!


Thompson (1957) a proposé des modifications de l'indice primitif, mais il reste
nécessaire de manier avec beaucoup de prudence ce G ambigu. Certes, il donne une
description utile de la concentration des localisations à l'intérieur d'une région ou
d'un pays, mais il ne fournit qu'une base étroite à une comparaison entre régions
différentes ou, pour une région donnée, entre des époques différentes (sauf, unique-
ment, dans le cas où les limites intérieures n'ont pas changé). Il convient d'apporter
des restrictions semblables à l'emploi d'un indice moins couramment utilisé, dérivé
du coefficient d'association géographique, le quotient de localisation (L Q ), qui décrit
la situation représentée par la figure 8.12 A en comparant les valeurs obtenues pour
les deux distributions, région par région. Ainsi, pour la région A (Londres et Sud-
Est) où se trouve 0,9 %de l'industrie lainière, mais 25,2 %de l'ensemble de l'industrie,
le quotient de localisation est égal à 0,9/25,2, soit L Q = 0,04. Les quotients supérieurs
à 1 indiquent l'existence d'un « surplus» régional de l'industrie lainière; par exemple,
pour les circonscriptions est et ouest du Yorkshire (région G), la valeur du quotient
est 8,64.

Les réseaux de lignes

L'ANALYSE DES DIMENSIONS

La façon la plus simple de décrire les faits dont l'implantation est linéaire, comme les
itinéraires de transport, consiste à les considérer du point de vue de leurs dimensions.
Ainsi, on peut mesurer la longueur d'un système ferroviaire (L) et le rapporter à
la surface qu'il dessert (A), ce qui donne un rapport simple, la densité, exprimée en
longueur par unité de surface (L/A). Ginsburg (1961, p. 60) a cartographié de
cette façon les variations de la densité des voies ferrées dans le monde, en employant
comme indice le nombre de kilomètres de voie ferrée par cent kilomètres carrés de
surface. Il a constaté que les densités étaient fortes dans les pays d'Europe occidentale
(12,7 par exemple en Grande-Bretagne), alors qu'en Amérique la densité était à peu
près égale au tiers de ce chiffre aux États-Unis (4,47) et s'abaissait à 0,43 au Brésil
(chap. 3, section 2).
Un prolongement intéressant du rapport exprimant la densité (L/A) est son inverse,
le rapport A/L, qui représente la distance entre lignes voisines. En prenant la moitié
de cette distance et en écrivant la formule, pour faire les calculs, sous la forme 0,5 A/L,
on obtient une mesure moyenne de la longueur de parcours à travers champs, c'est-à-
dire de la distance entre une partie quelconque de la surface et la ligne de transport
la plus proche. Dans le cas des réseaux ferroviaires, on peut dire que la longueur
moyenne de parcours à travers champs est égale à 7,84 kilomètres en Grande-Bretagne,
à 22,4 kilomètres aux États-Unis et à 232 kilomètres au Brésil. De tels chiffres, évidem-
ment, masquent les grands contrastes de densité des voies ferrées existant entre les
régions, mais fournissent, dans les limites imposées par les données, un étalon de
comparaison intéressant.

265
LA DESCRIPTION

Il est évidemment possible, et nécessaire, de disposer de mesures plus complexes


des dimensions des réseaux de transport. Des variables supplémentaires, qui pondèrent
les lignes de transport soit d'après leur capacité potentielle (par exemple la largeur et le
type de revêtement d'une route) soit d'après leur utilisation effective (par exemple le
flux des marchandises, sur une voie ferrée, en tonnes), ont été couramment utilisées
dans des études faites à l'échelle d'un pays, comme celle d'Ullman (1949) sur les
chemins de fer aux États-Unis, mais il est généralement plus difficile de faire des compa-
raisons à l'échelle internationale. Quelles que soient exactement ces mesures, les
géographes ont là une bonne occasion de se familiariser avec les recherches parallèles
faites en géomorphologie, où l'étude des réseaux de cours d'eau a donné naissance
à une masse impressionnante de publications sur la mesure et la description des
phénomènes dont l'implantation est linéaire. Les recherches qui ont ouvert la voie, à
propos des réseaux de cours d'eau, sont celles d'un ingénieur, Robert Horton (1945),
qui, dans un article sous-titré « A Hydrophysical Approach to Quantitative Morpho-
logy », a présenté les concepts fondamentaux de longueur des cours d'eau, nombre
de cours d'eau, ordre des cours d'eau. Certains de ces concepts, même s'ils ont été
modifiés au cours des vingt dernières années de recherches (cf le compte rendu de
Leopold, Wolman et Miller, 1964, pp. 131-150), constituent une mine d'idées, en
grande partie inutilisée, pour l'analyse des dimensions de ces voies d'intérêt vital que
sont les routes, les chemins de fer et tous les itinéraires de ce genre.

CARACTÉRISTIQUES TOPOLOGIQUES fONDÉES SUR LA THÉORIE DES GRAPHES

Une autre façon d'aborder l'étude des réseaux de transport a été proposée par
Garrison (1960) et Kansky (1963), qui ont cherché à traiter le problème à partir de
la théorie mathématique des graphes. Kansky a proposé une quinzaine d'indices
plus ou moins complexes; nous n'en étudierons ici que quelques-uns, choisis soit parce
qu'ils sont considérés comme présentant un intérêt fondamental pour illustrer les
bases de la théorie des graphes soit parce que l'analyse empirique donne à penser
qu'ils sont assez étroitement liés à d'autres aspects du développement régional.
Il est possible de formaliser les réseaux de transport de façon à pouvoir reconnaître
des propriétés fondamentales et, grâce à celles-ci, ne pas aborder de front les réseaux
de transport eux-mêmes. Nous avons effleuré ce procédé de simplification au chapitre 3
(pp. 83-87), en montrant la façon dont le réseau ferroviaire de Sardaigne, tel qu'il se
présente de prime abord, peut être ramené à un schéma simple de points reliés par des
segments de droite (fig. 3.9).
La figure 8.14 A présente un exemple simple de réseau abstrait; il s'agit de deux
réseaux séparés (sous-graphes) Pl et P2' dont chacun est formé par une série d'itiné-
raires (arêtes) el' e2' ... , en, et qui relient une série de nœuds (sommets) VI' V 2' ... , V n _
On connaît aussi la distance mesurée le long de chaque itinéraire (longueur des arêtes,
ou valuation) de_ Ces quatre variables, P, e, V et de, constituent les éléments de base,
dont diverses combinaisons forment les indices plus complexes calculés par Kansky.
Par souci de commodité, ces indices sont groupés ici, simplement, en indices de
centralité, indices de connexité, indices de forme.

266
La description de la localisation absolue

IoLe premier indice de centralité, créé par Kônig en 1936, est appelé ici nombre
de Kônig (Kansky, 1963, pp. 28-29). Il est égal au nombre maximal d'arêtes consti-
tuant le chemin le plus court d'un sommet à un autre sommet quelconque du réseau.
Il est indiqué, pour chaque sommet, sur la figure 8.14 B. C'est donc un indice de
distance topologique, exprimée en nombre d'arêtes, et qui sous-entend que les sommets
dont le nombre de Kônig est petit (le sommet dont le nombre est 2 sur la figure 8.14 B)
occupent une position centrale dans le réseau de transport abstrait.

0 4

8 v,
e,

PI
v,
e.

e,
'1
V
5

PZ
e4

4
4

4
4

Fig. 8.14 - A. Variables fondamentales des réseaux: sommets (v), arêtes (e)
et sous-graphes (p). - B. Indice de centralité des sommets: nombres de Kënig.
Source: KANSKY, 1963, pp. 11, 28.

On saisit mieux la signification de cet indice en pensant aux arrêts et aux retards
que représentent les nœuds dans bien des mouvements de circulation (par exemple
dans les transports routiers); les points dont le nombre de Kônig est petit apparaissent
alors comme réellement « proches» du centre du réseau. En tout cas, on peut réintro-
duire dans les calculs la distance de évaluée en kilomètres, ou en temps, et reprendre
l'examen des nœuds dont le nombre de Kônig est petit, afin de choisir la position
centrale.
20 Le plus simple indice de connexité d'un réseau de transport est l'indice Beta,
ejv, qui rapporte, l'une à l'autre, deux des quatre variables fondamentales: e, le
nombre d'arêtes, et v, le nombre de sommets (Kansky, 1963, pp. 16-18). Sur la figure
3.15, le nombre de sommets reste constamment égal à sept, tandis que le nombre
des arêtes qui les relient augmente progressivement, passant de six à neuf. A mesure
que le nombre d'arêtes augmente, la connexité entre les sommets s'élève et l'indice
Beta passe progressivement de 0,86 à 1,00, puis à 1,14 et enfin à 1,28. Les valeurs de
l'indice s'étendent de zéro à 3, valeurs extrêmes; les valeurs inférieures à 1 caracté-
risent les arbres et les graphes non connexes (fig. 8.15 A), la valeur 1 un réseau compor-
tant un seul circuit (fig. 8.15 B), les valeurs comprises entre 1 et 3 un réseau complexe
(fig. 8.15 C et D). Des exemples concrets de variation de l'indice, concernant les
réseaux ferroviaires de dix-huit pays, sont donnés sur la figure 3.8.

267
o ®

/3 = 0, 86 /3, 1,00

/3 ' 1.14 /3 ' l, Z8

Fig. 8.15 - Comparaison de la connexité de réseaux, au moyen de


l'indice Beta.
Source: KANSKY, 1963, p. 11.

3° La forme d'un réseau est un concept plus difficile à saisir. Nous commençons
ici par le concept de « diamètre », qui est en soi un indice peu significatif pour carac-
tériser les réseaux de transport, mais qui permet de passer à un indice plus complexe
mais plus utile de la forme des réseaux. Le diamètre b mesure la longueur topologique
du graphe; il est égal au nombre d'arêtes constituant le chemin le plus court entre les
sommets les plus distants l'un de l'autre. Sur la figure 8.16, les valeurs du diamètre
varient de 2 à 4; elles augmentent en même temps que la longueur topologique du
graphe, mais diminuent quand les connections sont améliorées entre les sommets.
Ainsi, le troisième et le quatrième graphe de la série ont des diamètres différents,
bien que leur longueur topologique soit la même.

D D o Dl 8, 4

1) , 3 1) , 4

Fig. 8.16 - Calcul du diamètre de réseaux (1)).


Source: KANSKY, 1963, p. 13.

Liant ce diamètre b aux dimensions réelles du réseau, Kansky (1963, pp. 21-23) a
proposé un indice de forme n égal à Cid, C étant la longueur totale, en miles, du réseau
de transport, et d la longueur totale, en miles, de son diamètre. La figure 8.17 A

268
La description de la localisation absolue

représente un réseau dont la longueur totale, en miles, est C = 150. Le diamètre


de ce graphe, calculé comme sur la figure précédente, a pour valeur: <5 = 4. Cependant,
il n'existe pas un diamètre unique: six chemins satisfont au critère de diamètre mini-
mal : la localisation et la longueur de ces chemins sont indiquées sur la figure 8.17 B.
La longueur moyenne de ces six chemins diamètres est de 55 miles; l'indice de forme JI:
est donc égal à 150 divisé par 55, soit 2,73.

10

®
NIdl' 45
&;d z ' 45
NI d 3 ' 65

~! d4 ' 55
)VI
d 5 ' 65
Yv;
dG' 55

Fig. 8.17 - Calcul d'un indice de forme correspondant à un réseau de voies


imaginé.
Source: KANSKY, 1963, p. 23.

Dans la réalité, les indices de forme présentent des variations considérables. Dans
les pays développés, comme la France, ils peuvent être proches de 30, alors que dans les
pays sous-développés, comme la Bolivie, leur valeur, calculée pour les réseaux ferro-
viaires, peut être proche de 1; il est tout à fait clair que JI: constitue un indice sensible
de la situation économique d'un réseau de transport (fig. 3.8).

269
Chapitre 9 Le problème de l'identification des régions
Les problèmes de rattachement
Les problèmes d'échelle

LA DÉFINITION DES RÉGIONS

Si les régions sont traditionnellement un thème central de leurs études, les géographes
ont cependant toujours été curieusement réservés quant aux façons de définir les
régions. Cette réticence est regrettable, car c'est précisément dans ce domaine que la
géographie humaine a beaucoup à offrir aux autres sciences sociales, aux pouvoirs
publics et au monde des affaires. Des géographes ont déjà travaillé à améliorer la
répartition régionale des hôpitaux (Godlund, 1961) et des écoles (Yeates, 1963) et à
réviser les limites administratives locales. Ce chapitre rassemble les techniques
employées pour délimiter et regrouper les régions et aborde le probième, connexe
mais plus difficile, des composantes d'échelle dans la structure régionale.

270
1. LE PROBLÈME DE L'IDENTIFICATION DES RÉGIONS

Le concept de région

L'étude de la région est au centre de la géographie, et la plupart des « classiques» -


les ouvrages de Demangeon sur la Picardie, de Sauer sur les Ozarks, de Bowman sur
les Andes - sont des monographies régionales. Malgré de vives attaques lancées par
des auteurs très divers, notamment par Kimble (in Stamp et Wooldridge, 1951,
pp. 151-174) l'étude régionale reste l'une des façons les plus logiques et les plus satis-
faisantes d'organiser l'information géographique.
La plupart des systèmes de hiérarchie régionale élaborés jusqu'ici, celui de Passarge
par exemple (1929), peuvent être ramenés aux catégories générales définies par Whit-
tlesey (in James, Jones et Wright, 1954). Cet auteur distingue trois grandes catégories
de régions (tableau 9.1) définies d'après le nombre des critères employés pour déli-
miter la région; deux de ces catégories cependant, la région à caractéristique unique
et la région « totale », se rencontrent en fait beaucoup moins couramment que la
catégorie intermédiaire. Les régions à caractéristiques multiples se divisent en deux
catégories principales: les régions « homogènes» (<< formelles »), qui sont uniformes
dans toute leur étendue, et les régions « polarisées» ou « nodales», qui sont organisées
par rapport à un foyer central auquel elles sont liées par des voies de circulation.

TABLEAU 9.1

CATÉGORIES DE RÉGIONS

Unités régionales

Régions Régions Régions « totales »


à caractéristique à caractéristiques (( compages »)
unique multiples

Classes Région Région Hiérarchie des « compages »


spatiales polarisée homo- (localité... district... province...
gène royaume)

Source: D. WHITTLESEY, in P. E. JAMES. C. F. JONES, et J. K. WRIGHT, American Geography: lnventory


and Prospect, 1954, pp. 32-51.

Ces catégories, si utiles soient-elles, n'ont guère eu d'effet positif sur l'organisation
des publications géographiques; la plupart des géographes paraissent employer des
divisions ad hoc, destinées à répondre à des besoins spécifiques d'enseignement ou
de recherche.

271
LA DÉFINITION DES RÉGIONS

LES RÉGIONS, PROBLÈME TAXONOMIQUE

L'incertitude qui règne actuellement dans la réflexion des géographes sur la région
provient en grande partie de ce que nous avons appelé le point de vue « exceptionna-
liste» (chap. l, section 1). Bunge (1962, pp. 14-26) reproche au schéma de Whittlesey
de traiter les régions comme si les problèmes de classification qu'elles posent étaient
absolument spécifiques et insiste sur l'idée qu'ils constituent seulement l'aspect spatial
d'un problème de classification commun à toutes les sciences. On peut ainsi
cataloguer un certain nombre de termes couramment employés dans les publica-
tions géographiques et les ranger vis-à-vis de ceux qui leur correspondent dans une
classification de caractère général : « région à caractéristique unique » peut être
ramenée à « catégorie unique », « limite de région» à « limite de classe », « région
homogène» à « classe possédant une variance faible ». Bunge soutient que, loin de
déprécier la géographie régionale, cette démarche place la géographie aux côtés des
sciences de la nature, dont plusieurs sont passées par une phase taxonomique à un
certain moment de leur évolution (la chimie par exemple) ou bien continuent à porter
un grand intérêt à la taxonomie (la botanique par exemple). Des conventions admises
dans les recherches géographiques, comme le fait d'ignorer soit les océans soit les
étendues continentales du monde dans la plupart des systèmes de régionalisation
qui ne sont pas fondés sur le climat, peuvent être rapprochées des conventions admises
dans les sciences de la nature. En biologie, par exemple, on considère couramment
les « règnes» végétal et minéral comme séparés, alors même qu'ils font conjointement
partie de l'ensemble de la biologie.
Bunge a sans doute raison de placer la région dans l'ensemble des problèmes géné-
raux de classification; néanmoins, le problème difficile de la localisation absolue
demeure. De quelque façon qu'elles soient classées, les régions conservent un caractère
unique : leur localisation. II est certain que le Centre du Chili serait affecté à une
classe zonale méditerranéenne dans une classification faite du point de vue du climat
et de l'agriculture; il est tout aussi certain que cette région aurait des propriétés
uniques, du fait de sa localisation dans le Sud de l'Amérique du Sud.

LES RÉGIONS ET LA THÉORIE DES ENSEMBLES

L'établissement d'une relation entre la classification régionale et l'étude mathéma-


tique des ensembles (Fletcher, 1964, pp. 121-183) ouvre une voie inexplorée de l'étude
régionale. Quelques-unes des possibilités de cette méthode peuvent être montrées
sur les diagrammes de Venn (fig. 9.1 à 9.3) qui symbolisent les pays de l'hémisphère
américain. En appelant ensemble cette collection de pays et élément de l'ensemble
chaque pays pris à part, on peut faire apparaître, grâce aux diagrammes de Venn,
deux types de classification d'après la localisation. Une différenciation simple entre
deux groupes qui s'excluent mutuellement, par exemple l'Amérique du Nord et
l'Amérique du Sud, est représentée par les régions oc et fJ de la figure 9.1 A. D'autre
part, un type hiérarchique de classification régionale, par exemple « la Bolivie à
l'intérieur de l'Amérique du Sud, à l'intérieur de l'hémisphère américain », est repré-

272
®

Fig. 9.1 - Diagrammes de Venn : structure régionale comprenant deux


ensembles.

senté par les régions 0:, p et y de la figure 9.1 B. Dans une telle perspective, la carte
apparaît comme un type spécial de diagramme de Venn.
Un cas plus compliqué se présente lorsque les régions ne sont pas entièrement définies
à partir du seul critère de localisation. Soit un ensemble formé par cinq pays tropicaux,
et un second ensemble de onze pays sous-développés, combien d'éléments y a-t-il?

Fig. 9.2 - Possibilités d'intersection des ensembles régionaux oc et ~.


Source: FLETCHER. 1964. p. 12S.

La figure 9.2 montre, au moyen de diagrammes de Venn, qu'il existe théoriquement


six possibilités, qui vont du cas A, où les deux ensembles sont disjoints (aucun pays
tropical n'est sous-développé), au cas F, où l'ensemble des pays tropicaux est inclus
dans l'ensemble des onze pays sous-développés (les cinq pays tropicaux sont tous
sous-développés).
Des relations beaucoup plus complexes peuvent exister. En combinant les deux
exemples précédents, on obtient trois ensembles : les pays d'Amérique 0:, les pays
tropicaux p, les pays sous-développés y. On peut alors associer les trois ensembles
comme sur la figure 9.3 A. L'intersection des diagrammes de Venn fait apparaître
sept catégories dont les pays peuvent relever. Ainsi les États-Unis (1), qui appar-
tiennent à l'ensemble américain mais non aux ensembles tropical et sous-développé,
s'opposent à la Colombie (2), qui appartient à la fois aux ensembles américain, tropical

273
LA DÉFINITION DES RÉGIONS

Fig. 9.3 - Diagrammes de Venn : régions groupées en trois ensembles (A) et quatre
ensembles (8).

et sous-développé. Des pays tels que l'Ouganda (3), la Chine (4), le Chili (5), appar-
tiennent à d'autres parties du diagramme, tandis que le Royaume-Uni est à l'extérieur
de ces ensembles (mais appartient à l'ensemble plus grand formé par tous les pays
du monde). Les deux surfaces en grisé représentent des parties vides des ensembles,
c'est-à-dire: la les pays tropicaux non américains qui ne sont pas sous-développés;
20 les pays tropicaux américains qui ne sont pas sous-développés. Les implications
de ce résultat ont été en grande partie corroborés par Berry (1960) dans son étude
sur la distribution des pays économiquement attardés. La figure 9.3 B suggère la
possibilité de pousser plus loin l'élaboration de diagrammes de Venn, en intro-
duisant l'Amérique Centrale (en grisé) comme sous-ensemble distinct de l'ensemble
américain ex.
Ces relations sont habituellement exprimées par des symboles. Ainsi, on peut expri-
mer la figure 9.2 F par: {3 c y, ce qu'on lit: « {3 est inclus dans y ». Ce type symbolique
d'énoncé logique ne se rencontre guère dans les publications géographiques, mais
commence à être employé (cf. par exemple Kansky, 1963, pp. 122-127) dans les exposés
de recherches; il pourrait bien devenir le langage formalisé de nos théories, régionales
et autres, dont il permettrait de mettre en évidence les illogismes éventuels
(cf. pp. 343-344).

L'analyse qualitative : les superpositions de limites

Des régions comme le « Sud », aux États-Unis, ou le « Languedoc» en France,


peuvent être identifiées de façon informelle, presque intuitivement. Même aux États-
Unis, le provincialisme persiste dans les attitudes sociales, les comportements poli-
tiques et la littérature (Jensen, 1951), et ces régions définies par la conscience sociale
ont été employées par Paterson (1960) comme base de découpage régional, dans un
manuel sur l'Amérique du Nord. Au premier abord, de telles régions paraissent satis-
faisantes; mais elles ne restent distinctes qu'observées à une certaine distance; exami-
nées de près, elles se dissocient en une nouvelle série de « secteurs caractéristiques »
encore plus petits. Comme Wrigley le démontre (in Chorley et Haggett, 1965-A,

274
Le problème de l'identification des régions

chap. 1), Vidal de la Blache, à la fin de sa vie, considérait même les « pays}} de France,
pierres de touche de l'identité régionale, avec un scepticisme croissant.
Sinnhuber (1954) a étudié la gamme étendue des définitions de l'Europe centrale,
données sous diverses désignations (Central Europe, Mitteleuropa...). Puisant dans
quelque seize livres de géographie (de celui de Schjerning (1914) à celui de Gottmann
(1951 )), Sinnhuber montre la variété des définitions régionales (fig. 9.4 A). Fait sur-
prenant, des surfaces englobées dans le terme Europe centrale débordent les limites
de la carte : la péninsule ibérique est la seule partie de l'Europe qui n 'y ait pas été
rattachée par un auteur au moins! Inversement, la surface sur laquelle tous les auteurs
s'accordent est remarquablement petite: elle ne dépasse pas l'Autriche et la Bohême-
Moravie; cette surface est en grisé sur la figure 9.4 A.

Fig. 9.4 - Diverses définitions de l'Europe centrale (G = 2,6) d'après des


critères humains (A) et physiques (B). Les surfaces englobées dans toutes les
définitions sont en grisé.
Source : SINNHUBER, 1954, pp. 19, 24.

Le fait que ce noyau ne constitue pas lui-même une solution adéquate apparaît
sur la carte présentée en vis-à-vis (fig. 9.4 B), qui est réalisée d'après six conceptions
de l'Europe centrale énoncées dans des livres de géographie datant d'une période
comparable (1887 à 1937), mais fondées sur des critères physiques. Cette carte fait
apparaître, en même temps que des différences moindres entre les définitions, une
grande aire centrale qui englobe le noyau Autriche-Bohême-Moravie de l'analyse
précédente.
La superposition de limites présente un grand avantage: la simplicité. Elle n'exige
guère plus que de tracer ces limites sur un fond de carte. Green (1955) a utilisé ce
procédé pour traiter le problème de la démarcation des zones d'influence des deux
principales villes de la côte orientale des États-Unis, New York et Boston. Des tenta-
tives antérieures, celle de Park et Newcomb, fondée sur la circulation des journaux,
et celle du National Resources Committee avaient abouti à la définition de limites
très différentes: les premiers avaient placé l'État du Connecticut dans le champ de
Boston, le second en grande partie dans le champ de New York.
Pour résoudre ce problème, Green a cartographié séparément sept indicateurs

275
LA DÉFINITION DES RÉGIONS

relatifs aux transports, aux communications, à l'agriculture, aux loisirs, à l'industrie


et aux flux financiers. Plus précisément, ces indicateurs étaient les suivants : 1° achats
de tickets de chemin de fer; 2° estimation des transports de marchandises par camions;
3° circulation des journaux des métropoles; 4° appels téléphoniques à longue distance;
5° orIgine des vacanciers; 6° adresses des directeurs des principales entreprises indus-
trielles des métropoles; 7° correspondants, dans les métropoles, des banques régio-
nales. Ces sept indicateurs déterminent une série de courbes qui, évidemment, ne
coïncident pas (fig. 9.5). Green a fait la synthèse des résultats donnés par ces courbes,
en interpolant entre elles une limite médiane (en trait épais sur la figure 9.5). De plus,

Orientation vers A

\ Limite médiane
Exemples de limites données par les indices

Fig. 9.5 - Zone de chevauchement (en pointillé) définie par les essais de démar-
cation des champs d'influence urbaine de Boston et de New York dans le
Sud de la Nouvelle-Angleterre (G = 4,1).
Source: GREEN, 1955, pp. 284-300.

il a pu isoler une aire A totalement orientée, d'après tous les indicateurs, vers New
York, et une aire B orientée de même vers Boston. Cette étude de Green a montré,
de façon assez concluante, que le Connecticut, État traditionnellement rattaché
à la « Nouvelle-Angleterre », est presque totalement orienté vers New York.
Le procédé de la superposition de limites est d'un intérêt évident pour la détermi-
nation rapide du noyau central d'une région; mais un élément d'incertitude demeure
quant à la valeur de cette méthode pour le tracé de limites. Par exemple, en utilisant
une ligne médiane, on présuppose que toutes les limites particulières qu'elle repré-
sente sont de valeur égale en tant qu'éléments de délimitation régionale. On peut
aussi retenir certaines limites et en éliminer d'autres. Il est donc compréhensible que
la recherche géographique se soit tournée, au cours de la dernière décennie, vers
l'élaboration de méthodes plus sûres d'identification des régions.

276
L'analyse quantitative

Quatre méthodes quantitatives - les polygones de Thiessen, les calculs de mini-


misation de la distance, l'analyse discriminante et la théorie des graphes - sont expo-
sées ici; mais la recherche progresse si vite qu'on peut les considérer comme un simple
échantillon de la gamme des techniques possibles d'identification. Étant donné l'impor-
tance économique de la délimitation des régions, tant pour les pouvoirs publics que
pour les entreprises privées, un progrès rapide est assuré dans ce domaine, notam-
ment grâce à l'introduction des techniques de recherche opérationnelle et à l'emploi
des ordinateurs (Kao, 1963).

LES POLYGONES DE THIESSEN

Bogue (1949, p. 17) a utilisé un procédé entièrement géométrique pour délimiter


les aires d'influence des 67 centres métropolitains qu'il a définis à l'intérieur des
États-Unis. Ce procédé est fondé sur la méthode des « polygones de Thiessen »
employé par l'U.S. Weather Bureau pour dresser des cartes pluviométriques géné-
rales d'un bassin de réception, à partir des données enregistrées par un réseau de
stations météorologiques. La figure 9.6 illustre la méthode de tracé des limites :

0 0
0


0
• 0
0

0
0 0

Fig. 9.6 - Étapes de la construction de polygones de Thiessen autour de centres.


Source : KOPEC, 1963, p. 25.

1° on trace des segments de droite dont chacun joint un centre à chaque centre voisin;
2° on détermine le milieu de chacun de ces segments; 3° on trace la perpendiculaire
à chaque segment passant par son milieu; autour de chaque centre, ces perpendi-
culaires forment les limites d'un polygone; 4° on inclut chacun des comtés qui sont à
cheval sur ces limites dans le polygone où se trouve la plus grande partie de la surface
du comté.
La validité de la méthode repose sur deux hypothèses : 1° la surface située à l'inté-
rieur des limites d'un polygone est plus proche du centre inclus dans ce polygone
que de tout autre centre; ceci est une propriété géométrique simple du polygone de
Thiessen; 2° une métropole domine réellement tous les points dont, géométriquement,
elle est la plus proche. La seconde hypothèse est évidemment discutable, et Bogue

277
LA DÉFINITION DES RÉGIONS

ne l'a employée comme hypothèse de travail qu'en l'absence d'autres critères nettement
définis. Bogue, après avoir défini ses métropoles, leur attribue le même pouvoir
d'attraction sur le pays environnant. Que ceci soit vrai pour des villes aussi différentes
que New York et El Paso (Texas) semble contestable. L'emploi de lignes droites
pour joindre les villes à travers les États-Unis revient en réalité à définir des routes
aériennes, ce qui, selon Taaffe, constitue un élément valable de la hiérarchie urbaine.
En pratique, tracer des polygones de Thiessen prend beaucoup de temps, et, habi-
tuellement, on ne sait trop comment choisir les segments de liaison qui servent à
dessiner les limites du polygone autour d'un centre donné. Kopec (1963) a signalé
une autre méthode de construction, qui consiste à tracer des arcs de cercle de même
rayon à partir de centres voisins et à situer le côté d'un polygone en tirant une droite
passant par les points d'intersection des arcs. Cette méthode supprime la nécessité
de tracer les segments joignant les centres et réduit les chances d'erreur qui découlent
de l'emploi de diagonales inadéquates au cours de la construction.

LA MINIMISATION DE LA DISTANCE

On commence seulement à prendre conscience des conséquences que peut avoir


l'introduction de l'ordinateur quant aux problèmes de constitution d~ régions. A
l'aide d'un ordinateur IBM 709, Yeates (1963) a montré comment optimiser la distance
par rapport à un certain nombre de nœuds en employant une méthode de recherche
opérationnelle mise au point pour résoudre des problèmes de transport. Dans le
langage de l'économie, cette solution consiste à minimiser le coût de transport d'un
produit à partir d'un ensemble de points de production vers un certain nombre de
points de destination.
Yeates a illustré cette technique de délimitation de régions par l'exemple concret
suivant: comment minimiser le coût du transport d'enfants vers l'école? Plus préci-
sément, il s'agit du coût du transport des 2900 élèves habitant le comté de Grant
(Wisconsin) vers les treize high schools de ce comté. La localisation des écoles et des
districts scolaires dans la partie centrale de l'aire étudiée par Yeates est représentée
sur la figure 9.7 A.
Pour réduire l'ampleur des calculs, Yeates suppose les écoles et les domiciles des
élèves situés au centre du secteur d'un mile carré dans lequel ils sont localisés, et redes-
sine les limites des districts scolaires à partir de ce principe de simplification (fig. 9.7 B)
en annexant l'ensemble d'un secteur d'un mile carré à un district scolaire, s'il est en
majeure partie dans ce district. 754 secteurs étant occupés par les élèves des 13 écoles,
le problème se trouve ramené à une matrice de 754 lignes et 13 colonnes. A partir de
ces données, Yeates détermine les limites optimales par ordinateur, de telle sorte que:
10 la distance totale des domiciles aux écoles soit minimisée; 20 chaque école soit
remplie selon sa capacité (en 1961). Sous certaines réserves, le problème peut se
ramener à la résolution de l'expression algébrique :

2: 2:
" m
dij, X ij = minimum
i~l i~1

278
Fig. 9.7 - Technique de minimisation de la distance employée
pour la construction de limites optimales; carré échantillon du
comté de Grant (Wisconsin, États-Unis) (G = 5,5).
Source: YEATES, 1963, pp. 8, 9.

Dans cette formule, dii est la distance de la section i à n'importe quelle école j, et
Xij le nombre des élèves habitant dans la section i et affectés à l'école j.
Les limites qui résultent de cette opération de minimisation sont représentées sur
la figure 9.7 C. La comparaison avec les limites des districts scolaires simplifiés
fait apparaître des modifications et des chevauchements considérables. Les limites
définies pour l'école de Lancaster, oc, sur la figure 9.7 D, font apparaître un recul
(en grisé) au nord et au sud, mais une avancée importante (en noir) vers l'est, aux
dépens du district de l'école de Platteville, {3.
Quelle est l'importance des modifications apportées par Yeates? Deux facteurs
rendent l'analyse plus difficile : d'une part le fait que les limites théoriques sont
fondées sur la répartition des élèves au cours de la seule année 1961, alors que les
districts scolaires réels doivent rester fixes pendant des périodes plus longues; d'autre
part la difficulté qu'il y a à comparer la distance parcourue réellement, le long des
routes, par les élèves, et la distance à vol d'oiseau employée dans l'analyse théorique.
Le tableau 9.2 présente les résultats obtenus pour deux écoles prises comme exemples
dans l'aire étudiée, Boscobel et Platteville : une comparaison des distances, tant par la
route qu'à vol d'oiseau, indique des économies de l'ordre de 0,4 à 0,3 mile. En l'absence
de renseignements chiffrés sur les coûts de transport, une approximation grossière

279
TABLEAU 9.2

DISTANCES PARCOURUES, EN MILES, DANS LE CADRE DE DISTRICTS


DIFFÉREMMENT LIMITÉS 1

High school High school


de Boscobel de Platteville

Districts scolaires réels :


Distance moyenne jusqu'à l'école, par la route 6,7 6,4
Distance moyenne jusqu'à l'école, en ligne droite 5,5 5,6
Districts scolaires théoriques :
Distance moyenne jusqu'à l'école, en ligne droite. 5,1 5,3
Estimation de l'économie obtenue sur la distance en
ligne droite . . . . . . . . . . . . . . . . . 0,4 0,3

1. Comté de Grant, Wisconsin, États-Unis, 1961.

Source: M. YEATES, in Professional Geographer, 1963, p. 9.

indique que l'adoption éventuelle des limites revues et corrigées permettrait l'écono-
miser 3 à 4 000 dollars par an sur les transports scolaires.
La valeur de la méthode de Yeates a été confirmée par plusieurs auteurs, par exemple
Claesen (1964). Déjà le comté de Somerset (Angleterre), où se posaient des problèmes
ardus (écoliers dispersés dans la campagne et petit nombre d'écoles), a appliqué
avec succès ce type d'analyse à l'organisation des transports scolaires. Dans le domaine
de la localisation des industries, Garrison (1959, pp. 471-482) a montré que cette
méthode pouvait être appliquée à la réduction des coûts de distribution de produits
tels que le pétrole.

L'ANALYSE DISCRIMINANTE

Une méthode qui marque un nouveau progrès dans les techniques de tracé de
limites sera vraisemblablement de plus en plus employée à l'avenir : l'analyse discri-
minante. Sebestyen (1962, pp. 69-71) a indiqué comment employer cette méthode
pour établir les critères de classification à appliquer à des distributions géographiques
complexes. Soit deux phénomènes , et 1], distribués sur un plan selon un schéma
complexe comprenant quatre groupements (fig. 9.8 A). Sebestyen montre que l'on
peut calculer des courbes polynomiales de plus en plus complexes, qui, lorsqu'elles
sont superposées à la distribution, la partagent en secteurs dans lesquels doivent
théoriquement se trouver' et 1]. Un simple polynome du premier degré définit une
ligne droite (fig. 9.8 B); en revanche un polynome du sixième degré définit une courbe
complexe (fig. 9.8 D). Avec la droite, un tiers des points est mal classé, tandis qu'avec
la courbe complexe les deux distributions , et 1] sont classées avec exactitude. Il
existe des solutions intermédiaires, parmi lesquelles le polynome du second degré
(fig. 9.8 C) apparaît comme particulièrement efficace, en ce sens qu'il ne classe de

280
o ® :~R=1
31 .4 % mal classés

... ® .
...... • . . R=6~ ~
o % mal c1as.sé~••---..
,.'
•• ...=
TJ •••
'. ". ..... \ •
.'.
•• • li
•••• • ••• R= 2 e.. ...: ....
0.5 % mal classé
.... .e. . .. ... .'
~
. .. .
... .... .
'
..:
...
: e •• e.

.
.'. ,

...'
•• - • • • • •• "1
Ti .'. ··
Fig. 9.8 - Emploi d'une analyse discriminante de degré élevé pour classer une distri-
bution cartographique (~ et "1)) en régions distinctes.
Source: SEBESTYEN, 1962, pp. 69-71.

façon erronée que 0,5 % des distributions , et 'Yj, tout en constituant une solution
mathématiquement simple.
L'introduction de la cartographie automatique (Tobler, 1959) incite à penser que ce
type de procédé de classification, en dépit de la complexité des calculs qu'il nécessite,
peut être appliqué au problème du tracé probable d'une limite à travers des surfaces
pour lesquelles l'information est rare ou inexistante.

L'INTERPRÉTATION DES RÉGIONS PAR LA THÉORIE DES GRAPHES

Une des méthodes d'analyse qui ouvrent les plus grandes possibilités est la théorie
des graphes (Harary et Norman, 1953). Ses applications aux réseaux de transport
(cf. pp. 83-85) et à leur description quantitative (cf. pp. 266-269) ont été
exposées ci-dessus. Nystuen et Dacey (1961) ont montré comment employer la même
technique d'analyse pour définir les structures régionales : étant donné un ensemble
de villes réparties sur une surface et une mesure de leur association, comment cons-
truire une hiérarchie régionale?

281
LA DÉFINITION DES RÉGIONS

Le tableau 9.3 présente une matrice de flux pour un ensemble de villes (a, b, ...1) : les
nombres de la matrice mesurent le flux (par exemple le nombre d'appels téléphoniques)
observé d'une ville à l'autre. Le flux qui va de la ville d à la ville a est ainsi de 19 unités,
le flux qui va de la ville k à la ville i est de 12 unités, et ainsi de suite. Le rang de chaque
ville correspond au total des flux dirigés vers elle; ce total et le rang correspondant
sont indiqués en bas de chaque colonne; ainsi la ville b, avec un total de 337 unités,
est la première ville, j la deuxième, etc. Les relations hiérarchiques entre villes sont
déterminées par le plus grand des flux qui partent de chacune vers les autres; ces flux
les plus grands sont indiqués sur la matrice par des chiffres en caractères gras. Géné-
ralement le flux le plus grand va vers une ville de rang supérieur (flux nodal). Ainsi,
parmi les flux qui partent de a, le plus grand est celui qui va vers b (autrement dit :
a -+ b).
L'examen de la matrice montre cependant que, dans le cas de quatre villes (b, e, g
et j), le flux le plus grand va vers une ville de rang inférieur. Ces villes forment les
points terminaux du graphe.

TABLEAU 9.3

MATRICE DE FLUX ENTRE PAIRES DE VILLES 1

Vers la ville a b
------------
1 c d e f g h 1 i j k
_'1 Classe

A partir de la ville :
a 00 75 15 20 28 02 03 02 01 20 01 00 Satellite
b 69 00 45 50 58 12 20 03 06 35 04 02 Dominante
c 05 51 00 12 40 00 06 01 03 15 00 01 Satellite
d 19 57 14 00 30 07 06 02 Il 18 05 01 Satellite
e 07 40 48 26 00 07 10 02 37 39 12 06 Dominante
f 01 06 01 01 10 00 27 01 03 04 02 00 Satellite
g 02 16 03 03 13 31 00 03 18 08 03 01 Dominante
h 00 04 00 01 03 03 06 00 12 38 04 00 Satellite
i . 02 28 03 06 43 04 16 12 00 98 13 01 Satellite
j 07 40 10 08 40 05 17 34 98 00 35 12 Dominante
,
k.
.
01
00
08
02
02
00
01
00
18
07
00
00
06
01
05
00
12
01
30
06
00
12
15
00
Satellite
Satellite

Total 113 337 141 128 290 071 118 065 202 311 091 039
Rang 8 1 5 6 3 10 7 Il 4 1
2 9 12

1. Données imaginées.

Source: J. D. NYSTUEN et M. F. DACEY, in Regional Science Association, Papers and Proceedings, 1961,
p. 35.

En commençant par ces quatre points terminaux (fig. 9.9), on peut dessiner des
graphes sur lesquels les huit autres villes sont reliées, directement ou indirectement,
aux points terminaux, conformément au flux nodal partant de chaque ville. La struc-
ture hiérarchique qui résulte de cette opération décrit la structure nodale de la région
en distinguant quatre groupements (sous-graphes) d'importance différente.

282
.........

°e . .

Fig. 9.9 - Structure nodale correspondant à la matrice du


tableau 9.3, d'après la théorie des graphes.
Source: NYSTUEN et DACEY, 1961, p. 35.

Nystuen et Dacey (1961, pp. 38-42) ont choisi l'État de Washington pour donner
un exemple d'application de cette méthode à une région particulière. A propos de
quarante villes situées dans cet État ou tout près de lui (fig. 9.10 A), ils ont construit
une matrice en utilisant des statistiques de flux concernant le trafic téléphonique à
longue distance. Certaines villes, situées au nord de Seattle, ont été omises, faute de
données. L'analyse de la matrice, faite d'après la théorie des graphes, a fait apparaître:
1° une hiérarchie régionale importante centrée sur Seattle (~) et ramifiée en hiérarchies
______ 0 ---...1:)-,
,--
: o. 0 : 1
1 0 0 1 1
1 d

: 0 ~:\
ÇJ tV\
1 0 0 0
1 \
1 0 \
1 0 0 0 \
1 0 0 1
1 1
1 1
1 1
1 1 1

;()d·Q~'
Fig. 9.10 - Structure nodale de l'État de Washington, dans le Nord-Ouest
des États-Unis (G = 3,5) déterminée par analyse des flux entre villes fondée
sur la théorie des graphes.
Source: NYSTUEN et DACEY, 1961, p. 39.

283
LA DÉFINITION DES RÉGIONS

secondaires centrées sur Yakima (fJ) et Spokane (y); 2° un système séparé centré
sur Portland (0); 3° deux petits systèmes indépendants centrés sur Pasco (10) et Moses
Lake (C) (fig. 9.10 B). Les résultats concordent assez bien avec d'autres observations
empiriques sur l'organisation régionale de l'État, mais font ressortir un fait imprévu:
l'indépendance de deux petits systèmes intérieurs.
Quoique élémentaire, cette application fait apparaître l'utilité de la théorie des
graphes, qui permet de décider de la force relative des « liens» régionaux, et qui,
à partir de données empiriques adéquates, peut probablement s'appliquer à la défi-
nition des régions, tant pour les besoins de l'administration que pour ceux du monde
des affaires. De même que la méthode des « paires fondamentales », elle souffre
d'une dépendance trop étroite à l'égard des flux dominants (aux dépens de l'ensemble
des flux), mais des développements plus complexes de la théorie des graphes corrigeront
probablement ce défaut.

2. LES PROBLÈMES DE RATTACHEMENT

Nous avons vu ci-dessus comment identifier des régions en définissant successive-


ment leur noyau central et leurs limites. Cette méthode présente un intérêt particulier
quand il s'agit d'étudier des régions nodales dont le centre est bien établi: le problème
se ramène alors à identifier leurs limites. Mais on a plus souvent affaire à des unités
spatiales (États, comtés, etc.) dont les limites sont déjà établies; le problème est alors
un problème d'affectation : il s'agit de placer ces unités dans une classe régionale
donnée. Cette opération peut être faite soit par un simple procédé de classification
par lequel les unités semblables sont regroupées compte non tenu de leur localisation,
soit par un procédé plus complexe qui doit tenir compte à la fois de la localisation
et de la contiguïté des secteurs.

Les rn.éthodes générales de classification

L'ANALYSE DE LA DISTANCE DANS UN ESPACE À n DIMENSIONS

Dans la vie quotidienne, on groupe intuitivement les choses qui sont semblables
ou « proches» l'une de l'autre. Ainsi, on parle des « enfants» comme d'un groupe
composé d'individus proches l'un de l'autre par l'âge. Le mot « distance » n'est
employé dans un sens non géographique que lorsqu'il s'agit de distances le long d'une
échelle des âges. Berry (1958) a examiné plusieurs façons d'appliquer ce concept de
distance à la classification de caractères géographiques.
Le concept d'espace à n dimensions est présenté ici au moyen des trois points oc,
fJ et y de la figure 9.11. Dans le cas, simple, où il existe une seule dimension, représentée
par un seul axe orienté VI (fig. 9.11 A), oc et fJ sont proches l'un de l'autre. Ils restent
proches l'un de l'autre quand on ajoute une deuxième dimension, représentée par
l'axe orienté V2 (fig. 9.11 B). Quand on ajoute une troisième dimension, représentée

284
Les problèmes de rattachement

par l'axe orienté Va (fig. 9.11 C), les positions relatives apparaissent modifiées: fJ est
alors beaucoup plus proche de y que de oc. Il n'est pas possible de représenter graphi-
quement une quatrième dimension, un axe orienté V4' mais, mathématiquement,
on peut ajouter autant de dimensions que l'on veut, de façon à obtenir un espace
théorique à n dimensions.
V, v, VI
a
a
P.

P "f
@ 1
1
Y .y .13 1
1 1
1 .Y 1
Vz Vz
0 ®

Fig. 9.11 - Repérage de trois valeurs (ex, ~ et y) dans un


espace à une, à deux et à trois dimensions.

La distance entre deux points, dans un espace à n dimensions, est obtenue par appli-
cation de la règle bien connue du « carré de l'hypoténuse », qui peut être écrite sous
la forme condensée suivante

Dans cette formule, i = l, 2, ... , n, D est la distance entre les points x et y, Xi et Yi


les valeurs des coordonnées i; les axes orientés sont orthogonaux (Berry, 1958, p. 301).
Mahalanobis, Rao et Majumdar (1949) ont élaboré des calculs de distance généralisée
plus complexes, dans lesquels doivent être prises en compte à la fois la valeur moyenne
d'une région et la dispersion des unités qu'elle contient.
Le but de la classification est simplement dans ce cas de réunir en un seul groupe les
secteurs qui sont proches l'un de l'autre (homogènes) dans un espace à n dimensions,
et de distinguer les groupes qui sont éloignés l'un de l'autre (hétérogènes) dans cet
espace.
Berry (1961-B) a exposé très clairement l'emploi de cette technique en prenant
l'exemple des caractéristiques des activités de services dans les neuf grandes circons-
criptions du recensement des États-Unis de 1954 (fig. 9.12 B). Dans cette étude, il
s'est intéressé à six facteurs (définis, à partir d'une série de mesures, selon le procédé
exposé au chapitre 8, p. 251), et a calculé les « distances généralisées entre points»
(D2) dans un espace à 6 dimensions. Cette opération a montré que, parmi les neuf
circonscriptions, la Nouvelle-Angleterre (oc) et le Centre-Nord-Est (fJ) avaient le plus

285
Fig. 9.12 - Étapes du groupement en régions des circonscriptions de
recensement des États-Unis (G = 1,B) par analyse multivariée.
Source: BERRY, 1961-B, p. 272.

de caractéristiques communes (avec une valeur D2 de 0,69 seulement), alors que le


Centre-Sud-Est, c'est-à-dire le cœur du « Sud» (8) et la côte du Pacifique «() étaient
les plus dissemblables (avec une valeur D2 proche de 35). En mettant ensemble les
deux circonscriptions les plus « proches» (les plus semblables), Berry a ramené les
neuf unités à huit. Puis il a calculé les distances généralisées entre les huit régions
restantes, et rattaché la circonscription de la Moyenne Côte Atlantique (y) à la
région déjà formée par la Nouvelle-Angleterre et le Centre-Nord-Est. Par répétition
de ce processus, il a progressivement réduit le nombre des régions, jusqu'à ce que,
finalement, l'ensemble des États-Unis forme une seule région. Ces étapes successives
sont représentées par les neuf cartes de la figure 9.12 A. Il peut donc exister neuf
niveaux différents de division régionale des États-Unis. Chacune de ces divisions
est valable à son niveau particulier; mais laquelle est, globalement, la plus valable?
Berry (1961-B, p. 273) montre qu'au cours de ce processus on gagne progressivement

286
Les problèmes de rattachement

en généralité, et on perd en précision. On obtient une vision parfaite du détail avec les
neuf régions primitives, une excellente vue générale en considérant l'ensemble des
États-Unis comme une unité. Il est possible d'évaluer cette perte du détail, à chaque
étape, à l'aide de la distance généralisée mesurée auparavant (D2 des régions regrou-
pées) : elle va de zéro (avec les neuf circonscriptions) à 343,47 (avec une seule région).
La figure 9.13 représente cette perte progressive du détail : un arbre de classifi-
cation (ou hiérarchie de classification) fait apparaître la combinaison progressive des
régions telles qu'elles ont été formées, étape par étape, et cartographiées sur la figure
9.12 A; la perte du détail (mesurée par le D2 des régions regroupées) est portée sur
une échelle logarithmique, ce qui exagère la très faible perte du détail subie au cours
des cinq premières étapes du regroupement: 3,5 % seulement du détail ont été perdus
au cours de ces cinq étapes, ce qui signifie que l'on peut apprendre presque autant.
en considérant les États-Unis comme formés de quatre grandes régions qu'en les
considérant comme formés de neuf circonscriptions plus petites.
D' des régions regroupées
10 100 343.47
1
1

a
1

al I~
Il r
z 1 ~,
_' 8
I~a.
Q)
Q.
E <
o
~ ~ I~
co ~
~ '1
'Q)
c
'Q)
o t:J

0,1 1 10 100
Perte du détail, en %

Fig. 9.13 - Arbre de classification correspondant au regrou-


pement de régions de la figure 9.12; indication du pourcentage
de perte du détail.
Source: BERRY, 1961-B, pp. 272, 273.

Les résultats obtenus par Berry, représentés sur la figure 9.13, impliquent qu'il
faut choisir la division en régions qui correspond le mieux aux objectifs particuliers
de la recherche en cours, mais qu'il faut aussi être conscient du fait que l'efficacité
de ces divisions est relative. Supposons qu'il importe peu que les États-Unis soient
divisés, du point de vue de la répartition des activités de services, en deux, en trois
ou en quatre régions; alors l'analyse de la perte du détail faite ci-dessus donne à
penser qu'il est préférable de prendre quatre régions (3,5 % de perte seulement) ou
trois régions (10 % de perte) plutôt que deux (40 % de perte).

287
LA DÉFINITION DES RÉGIONS

L'EMPLOI DE LA VARIABLE KHI-CARRÉ (X2) DANS LES CLASSIFICATIONS

Lorsqu'on dispose seulement de données à l'échelle nominale, on peut recourir


à une technique autre que l'analyse factorielle. C'est ainsi que deux botanistes,
Williams et Lambert (1959-1962), ont employé la variable X2 à l'occasion de recherches
faites à l'université de Southampton avec un ordinateur Pégase. Le programme a
d'abord été conçu pour définir des régions écologiques à partir de données sur la
végétation recueillies carré par carré, dans le cadre d'une grille, mais, depuis, il a été
utilisé pour classer les villes de l'Est de l'Angleterre.
On obtient la variable X2 par application de la formule
k
2
X = L
j~l
(nj - Vj)2/ Vj

où un ensemble de n valeurs est distribué en k classes, de sorte que la fréquence


observée dans la classe j est nj et que la fréquence théorique dans la même classe est Vj
(Kendall et Buckland, 1957, p. 41). Gregory (1963, pp. 153-166) a donné des exemples
de calcul de X2 , et de son application à des problèmes géographiques.
Pour faire cette analyse, on commence par une série d'unités (régions, points de
peuplement, etc.) pour chacune desquelles on sait qu'un caractère est présent ou
absent. On peut convertir ce premier tableau, qui indique la répartition des caractères
par régions, en un second tableau dans lequel la liste des caractères est croisée avec
elle-même. Dans la case où la ligne du caractère A croise la colonne du caractère B,

Seuil de confiance de 95 %

CD
r f-------j

Somme maximum de X 2 _ _--"...


Fig. 9.14 - Division d'une distribution en dasses régionales, par la méthode de la somme des x.2 •
Source: WILLIAMS et LAMBERT, 1960, p. 692.

288
Les problèmes de rattachement

est portée une valeur de X2 , qui indique dans quelle mesure les deux caractères sont
associés. Si cette valeur est élevée, on a la preuve que les deux caractères ne sont pas
indépendants.
Williams a constaté qu'en additionnant les valeurs de X2 de chaque ligne (ou de
chaque colonne), on pouvait calculer une somme correspondant à chaque espèce
botanique, et aussi que l'espèce dont la colonne donnait la somme la plus élevée
constituait l'indicateur le plus efficace pour une division en régions. Ainsi, les carrés
de la grille peuvent être répartis en deux groupes, selon qu'ils possèdent ou non
l'espèce-indicateur (c'est-à-dire l'espèce présentant la somme maximale de valeurs X2 ).
Ensuite, les deux groupes peuvent de nouveau être scindés, d'après l'espèce présentant
la deuxième somme la plus élevée, et ainsi de suite. Le schéma général de regroupement
est représenté, par un exemple imaginé, sur la figure 9.14 : il s'agit d'une division
en cinq classes régionales, fondée sur la présence (+) ou l'absence (-) de quatre
espèces : IX, {J, Y et o.
Bien des techniques de classification n'ont pas encore été adaptées à la délimitation
de régions géographiques. Kershaw (1964, pp. 130-170) et Greig-Smith (1964, pp. 158-
209) ont exposé dans leurs grandes lignes les nombreuses techniques qu'emploient
les botanistes, et dont les spécialistes de géographie humaine n'ont pas encore plei-
nement exploré les possibilités.

Le rattachern.ent d'unités spatiales à des groupern.ents régionaux

Les méthodes brièvement exposées ci-dessus ne sont pas spécifiquement géogra-


phiques; elles ne font que classer les données géographiques. C'est le point de vue
qu'adoptent Hagood et Price (1952, p. 542) quand ils affirment, à propos d'une classi-
fication des États-Unis en régions agricoles : « la Californie ne peut pas être mise
dans la même région que le New Jersey, parce qu'elle en est séparée géographique-
ment ». De même, selon Bunge (1962, p. 16), c'est la prise en considération implicite
de la catégorie de localisation qui confère à l'étude de la surface de la terre son carac-
tère régional et non seulement typologique.
Quand on cherche à regrouper des régions contiguës, on doit faire une sorte de
comparaison progressive entre chaque unité spatiale et ses voisines. En fait, il s'agit
de savoir dans quelle mesure un secteur donné est assorti à ses voisins. Ainsi, dans le
cas de la Californie, il s'agirait de comparer cet État avec les États limitrophes,
l'Oregon, le Nevada et l'Arizona, mais non (tout au moins pendant les premières
étapes de l'analyse) avec le Missouri et l'Oklahoma.
Deux techniques, parmi celles qui ont été employées avec quelque succès dans ce
processus de comparaison, sont présentées ici: l'analyse de variance et l'analyse de
corrélation.

L'ANALYSE DE VARIANCE

La variation globale que présente un ensemble d'observations peut être mesurée


par sa variance, c'est-à-dire par la moyenne des carrés des écarts à la moyenne arith-

289
LA DÉFINITION DES RÉGIONS

métique. Dans certains cas, la variance peut être décomposée en termes liés à des
facteurs particuliers de variation. Des exemples d'application de ce type d'analyse
à des problèmes géographiques sont donnés dans le livre de Gregory (1963, pp. 133-
150) avec les indications nécessaires aux calculs.
Zobler (1958) a employé l'analyse de variance pour trancher la question suivante:
en ce qui concerne la population employée dans l'industrie (nombre des travailleurs
des industries primaires et de transformation en 1950), auquel des trois groupes
d'États limitrophes, formant chacun une région, faut-il rattacher l'État de Virginie:
la Moyenne Côte Atlantique, le Sud de la Côte Atlantique, ou le Centre-Sud-Est? Ces
trois régions sont représentées sur la figure 9.15 A, où la Virginie occidentale apparaît
en noir. L'étude des statistiques recueillies pour les États composant les trois régions
et pour la Virginie occidentale ne donne aucune indication permettant de décider à
quelle région l'État en question devrait être rattaché.
Zobler adopte donc une méthode plus rigoureuse, en partant du raisonnement
suivant: quand on construit des régions à partir d'unités plus petites (qui sont, ici,
des États), il existe deux facteurs de variation ; variation entre les États à l'intérieur
d'une région (variation intrarégionale) et variation entre les régions (variation inter-
régionale). Pour mesurer ces variations intra- et interrégionales, Zobler emploie
l'analyse de variance, en considérant trois cas : il rattache la Virginie occidentale,
tour à tour, à chacune des trois régions (tableau 9.4). Pour chaque cas, il divise la
« variance interrégionale », qui mesure les variations des régions par rapport à la
moyenne de toutes les régions, par la « variance intrarégionale » qui mesure les varia-
tions des États par rapport à leurs moyennes régionales respectives, de façon à obtenir
le rapport des variances ou rapport de Fisher-Snedecor (rapport F). Si les deux
variances sont égales, la valeur de ce rapport est 1; plus F est grand, plus sont impor-
tantes les différences interrégionales. En gros, le rapport des variances définit la mesure
dans laquelle l'opération de groupement a réussi à maintenir ensemble les États sem-
blables et à maintenir séparés les États dissemblables.

TABLEAU 9.4

UTILISATION DE L'ANALYSE DE VARIANCE POUR LE RATTACHEMENT


D'UNE RÉGION 1
1

Variance Variance Rapport des


interrégionale intrarégionale variances
(a) (b) F = afb

Rattachement de la Virginie occidentale


- à la Moyenne Côte Atlantique 46,09 8,91 5,17 2
- au Sud de la Côte Atlantique. 71,55 4,66 15,35 3
- au Centre-Sud-Est 72,13 4,57 15,78 3

1. Est des États-Unis, 1950.


2. Significatif au seuil de confiance de 95 %'
3. Significatif au seuil de confiance de 99,9 %'

Source: L. ZOBLER, in Annals of the Association of American Geographers, 1958, p. 146.

290
® F = 5,17
0,01 < P < 0,5

@ @
F = 15,35 F=15,78
P < 0,001 P < 0,001

Fig. 9.15 - Rattachement de la Virginie occidentale, four à tour,


à trois groupements régionaux du Sud-Est des États-Unis (G = 2,6);
rapports des variances correspondants.
Source : ZOBLER, 1958, p. 146.

Les résultats indiqués sur le tableau 9.4 montrent qu'il est sans doute possible de
rattacher la Virginie occidentale à l'une quelconque des trois régions, mais que la
meilleure solution consiste à l'unir aux États d'Alabama, du Mississipi, du Kentucky
et du Tennessee au sein de la circonscription du Centre-Sud-Est (fig. 9.15 D). Inverse-
ment, la plus mauvaise classification, d'après cette analyse, consisterait à la mettre
avec les États du New Jersey, de New York et de Pennsylvanie dans la circonscription
de la Moyenne Côte Atlantique (fig. 9.15 B).

291
LA DÉFINITION DES RÉGIONS

LA CORRÉLATION ET LES « LIENS» RÉGIONAUX

« Corrélation », en général, signifie association entre des données, quantitatives


ou qualitatives. La corrélation est mesurée par le coefficient de corrélation, qui varie
entre - 1 et 1; la valeur intermédiaire zéro indique une absence de corrélation,
et les deux valeurs extrêmes indiquent une corrélation totale, négative ou positive.
Kendall et Buckland (1957, p. 67) définissent un coefficient de corrélation généralisé,
r, tel que: s'il existe deux ensembles d'observations {Xl' .. X n} et {YI' .. Yn}, et
si une note est attribuée à chaque paire d'individus, soit ait (pour le groupe x) et bit
(pour le groupe y) :

Dans cette formule, I: est une sommation de toutes les valeurs de i et j (i i= j) variant
de 1 à n. Ce coefficient général en inclut d'autres, tels que les coefficients tau de Kendall,
rho de Spearman et r de Pearson. Des exemples de calcul du coefficient de corrélation
et de son application à des problèmes géographiques sont donnés dans le livre de
Gregory (1963, pp. 167-184).
Le problème étudié par M. J. Hagood (Hagood, 1943; Hagood et Price, 1952,
pp. 541-547) consistait à partager les États-Unis en six à douze groupements d'États
contigus; il fallait rendre chaque groupement d'États aussi homogène que possible,
compte tenu de quelque 104 variables tirées du recensement démographique et agri-
cole de 1940. Ces variables étaient partagées également en deux groupes principaux,
agriculture et population, qui étaient à leur tour divisés en sous-groupes (quinze au
total). La taille de ces groupes allait de douze variables (informations sur les cultures)
à cinq (informations sur l'appartenance raciale).
M. J. Hagood a utilisé ces variables pour établir le « profil démographique et
agricole» de chaque État. Elle a d'abord réduit les 104 variables de façon que la valeur
moyenne de chacune d'elles, pour les 48 États, soit égale à 50, et que l'écart-type soit
égal à la. Elle a ensuite calculé les coefficients de corrélation (r) entre les profils d'États
limitrophes.
Les coefficients obtenus varient beaucoup, allant de valeurs très fortes correspondant
à deux États semblables (par exemple l'Alabama et la Géorgie avaient un coefficient
de + 0,92) à des valeurs très faibles correspondant à deux États dissemblables (par
exemple l'Ohio et son voisin méridional, le Kentucky, avaient un coefficient de 0,01
seulement, ce qui donne à penser que la limite entre le Nord et le Sud reste fortement
marquée aux États-Unis). Une partie de la carte de Hagood, comprenant l3 États
du Nord des États-Unis, est reproduite sur la figure 9.16; les valeurs du coefficient
y sont figurées par des traits d'épaisseur variable, qui font apparaître l'armature des
« liens régionaux» entre États; ce schéma met en relief l'existence de liens vigoureux,
de direction nord-sud, entre le Montana et le Wyoming, entre les deux Dakota, le
Nebraska et le Kansas, et entre le Minnesota et le Wisconsin. En revanche, les liens
apparaissent assez faibles dans la direction est-ouest.

292
Valeurs des liens

> 0.65
0.33 à 0.65
- - - - ,,0.33

Fig. 9.16 - Schéma des liens. établis par calcul de corrélation. entre
États du Centre-Nord des États-Unis (G = 2.5)'.
Sources: HAGOOD et PRieE, 1952, p. 545.

En fait, M. J. Hagood a employé ces calculs de corrélation en supplément à un


indice comparatif unique, l' « indice combiné agricole-démographique », qu'elle a
calculé par analyse factorielle, à peu près comme Thompson et al. (1962) ont déterminé
un indice unique de santé économique pour étudier l'État de New York (chap. 8,
p. 252). Pour fixer les régions et leurs limites, M. J. Hagood a d'abord identifié,
facilement, des noyaux régionaux dont chacun forme le centre d'une région homogène.
Une fois ces noyaux bien établis, elle a affecté chacun des États marginaux à l'un
d'eux, en se fondant à la fois sur son indice combiné et sur les corrélations entre
États voisins.

TABLEAU 9.5

COEFFICIENTS DE CORRÉLATION ENTRE PROFILS DÉMOGRAPHIQUES


ET AGRICOLES 1

État État
type « noyau )) type « marginal ))
(Alabama) (Missouri)

Nombre d'États voisins 4 8


Coefficients de corrélation:
- corrélation maximale 0,92 0,45
- corrélation minimale . 0,44 0,08
- corrélation moyenne . 0,75 0,29

I. Pour les États limitrophes de l'Alabama et du Missouri, 1950.

Source: M. J. HAGOOD et D. O. PRIeE, Statistics for Sociologists, 1952, p. 545.

Cette distinction entre États appartenant au « noyau» et États « marginaux»


est mise en lumière par le tableau 9.5, d'où il ressort qu'en moyenne l'Alabama
ressemble aux États limitrophes presque trois fois plus que le Missouri. L'Alabama

293
LA DÉFINITION DES RÉGIONS

est manifestement situé en plein cœur du Sud et ressemble beaucoup à ses voisins,
alors que le Missouri est à la limite de quatre des six grandes régions identifiées par
M. J. Hagood. Le Missouri, ayant des liens plus forts avec l'Illinois qu'avec tout
autre État voisin, a finalement été rattaché à une « région des Grands Lacs ».
Nous pouvons donc constater que ces liens établis par calcul de corrélation ne
résolvent pas les problèmes de régionalisation, en ce sens qu'ils ne créent pas l'homo-
généité là où elle n'existe pas. Mais ils aident à prendre une décision dans des cas
di.fficiles, et à rendre claires aux yeux de l'observateur les raisons d'un choix, quelque
marginal que puisse être ce choix.

3. LES PROBLÈMES D'ÉCHELLE

La nature du problème de l'échelle

Les difficultés que soulève l'emploi de données correspondant à des unités spatiales
de taille différente ont été décrites au chapitre 7 (section 3); nous avions constaté
l'existence d'un dilemme fondamental : les généralisations faites à un certain niveau
ne sont pas nécessairement valables à un autre niveau, et les conclusions tirées à une
certaine échelle peuvent être sans valeur à une autre. Comme l'a affirmé MacCarty :
« Tout changement d'échelle amène à poser un problème nouveau, et rien ne permet
de présupposer que des liaisons existant à une échelle existent aussi à une autre »
(MacCarty et al., 1956, p. 16). Ce problème difficile a également été discuté à fond
par Duncan (Duncan et al., 1961, pp. 26 sq.).
L'étude de la localisation des industries fait apparaître des exemples concrets de
problèmes d'échelle. MacLaughlin et Robock (1949), dans leur étude sur la «migra-
tion» des établissements industriels vers le Sud des États- Unis, ont constaté la nécessité
de partager en deux groupes les raisons pour lesquelles les entreprises ont choisi
telle ou telle localisation : d'une part les raisons du choix du Sud en général (regional
zoning), d'autre part les raisons du choix d'une localité particulière (community
screening). Ainsi, le marché potentiel que constitue le Sud, considéré comme un fac-
teur au niveau régional, perd beaucoup de son importance au niveau local, où des
facteurs tels que les équipements sociaux (hôpitaux, écoles, etc.) peuvent jouer un
rôle plus décisif.
Nous avons étudié (Haggett, 1964) les problèmes d'échelle posés par l'analyse de
la localisation d'un type d'utilisation du sol, la forêt résiduelle, à propos de la répar-
tition des terrains boisés dans le Sud-Est du Brésil. Nous avons constaté qu'à l'échelon
régional (pour une surface à peu près équivalente à celle de la Virginie occidentale)
les deux facteurs dominants étaient la densité de la végétation forestière et le caractère
plus ou moins accidenté du relief (tableau 10.7). A l'échelon local (pour une surface
d'environ quarante miles carrés) le relief et l'accessibilité étaient les facteurs les plus
importants (tableau 10.10). Non seulement les résultats n'étaient pas semblables aux
deux niveaux, mais il a fallu employer des types d'analyse différents: les données

294
Les problèmes d'échelle

disponibles à un niveau ne pouvaient être obtenues à l'autre, et les techniques statis-


tiques applicables à un niveau étaient adéquates à l'autre.

L'échelle dans les hiérarchies régionales

Le fait que les problèmes d'échelle aient depuis longtemps préoccupé les géographes
est mis en évidence par le nombre des tentatives qu'ils ont réalisées pour définir les
régions par référence à leurs dimensions. En ce qui concerne les régions homogènes
(tableau 9.1), le système appliqué autrefois par Fennemann (1916) aux divisions
physiographiques des États-Unis, système identifiant de grandes divisions, des pro-
vinces et des secteurs, a eu beaucoup d'influence sur d'autres auteurs (tableau 9.6).

TABLEAU 9.6

TERMINOLOGIE ANGLAISE DES HIÉRARCHIES RÉGIONALES


ET ÉCHELLES CORRESPONDANTES

Surface Échelles
Fennemann Unstead Linton Whittlesey cartographiques
approximative 1
1
(en miles carrés) 1 1916 1933 1949 1954 convenant à
l'analyse 1

10° Site
10 Stow Stow Locality 1/10000
10' District Tract
Tract District 1/50000
103 Section Section
Sub-région Province 1/1 000000
104 Province Province
Minor region
10' Major division Major Realm 1/5000000
division
10 6 Major Continent
region

1. Whittlesey, 1954.

Source: P. HAGGETT, in R. J. CHORLEY et P. HAGGETT, Frontiers in Geographical Teaching, 1965.

Unstead (1933), dans un article intéressant sur les « systèmes de régions », a proposé
le schéma qui a complété, pour les échelons inférieurs, le système dont Fennemann
avait tracé les échelons supérieurs. Linton (1949) a intégré les deux systèmes précédents
dans un schéma à sept échelons, qui vont de l'unité la plus petite, le site, à la plus
grande, le continent. Plus récemment, Whittlesey (in James, Jones et Wright, 1954,
pp. 47-51) a présenté une hiérarchie des régions avec des indications détaillées sur
les échelles cartographiques convenant à leur étude et à leur présentation; il a fait
ensuite une étude sur la Rhodésie du Sud à titre d'application (Whittlesey, 1956).

295
LA DÉFINITION DES RÉGIONS

Au cours de la décennie écoulée depuis que Whittlesey a lancé un appel pour « com-
bler cette lacune de la réflexion géographique» (in James et al., 1954, p. 47), on n'a
guère travaillé dans ce sens. Parmi les rares articles importants publiés sur cette
question, un seul, celui de Bird (1956), a fait subir au schéma de Whittlesey l'épreuve
du terrain. De la comparaison, faite à deux échelles par Bird, entre deux presqu'îles
d'Europe occidentale, la Bretagne et la Cornouailles, il ressort qu'une étude générale
(ou à petite échelle) fait apparaître les deux régions comme semblables, mais qu'une
étude minutieuse (ou à grande échelle) montre que les deux presqu'îles diffèrent
presque du tout au tout dans le détail. Bien que Bird ait ainsi habilement mis en lumière
un problème géographique fondamental, et qui se pose très couramment, cet article
est passé presque inaperçu.
Un deuxième grand pas en avant, au cours de la période qui a suivi les articles de
Whittlesey, a été fait par Philbrick (1957), qui a publié un schéma très complet fondé
sur l'idée d'une hiérarchie de fonctions comprenant sept ordres. Il existe, correspon-
dant à chaque fonction, un point de polarisation, entouré de sa région fonctionnelle.
C'est ici que l'échelle est introduite, par l'intermédiaire du concept géométrique
d'emboîtement: chaque ordre de la hiérarchie s'ajuste dans l'ordre immédiatement
supérieur. Philbrick expose le cas théorique dans lequel chaque place centrale d'un
ordre donné commande par définition quatre places centrales de l'ordre immédiate-
ment inférieur. Il y a ainsi, dans une région de septième ordre, une suite de 4 centres
du sixième ordre, 16 du cinquième ordre, et ainsi de suite jusqu'au niveau terminal :
4096 centres de premier ordre. Dans son essai d'application de ce schéma à l'Est
des États-Unis, où New York et Chicago jouent le rôle de centres du septième et du
sixième ordre, Philbrick n'a réussi qu'en partie; mais cette tentative d'introduction
d'une composante d'échelle dans un système de régions nodales a joué un rôle pilote.

L'analyse en composantes d'échelle: les méthodes d'échantillonnage

Les géographes n'ont guère essayé d'employer des méthodes quantitatives pour
isoler et mesurer les composantes d'échelle. Dans cette section et la suivante, deux
façons d'aborder ce problème sont proposées: d'une part l'échantillonnage à plu-
sieurs degrés et l'analyse de variance, d'autre part la cartographie-filtre et une tech-
nique qui lui est étroitement liée, la cartographie des surfaces de tendance. Pour
exposer ces techniques, nous prendrons l'exemple d'une étude faite par nous (1961-B)
sur le Centre du Portugal, et nous nous référerons plus largement à des recherches
menées dans d'autres sciences de la terre, notamment en géophysique (Miller et
Kahn, 1962, pp. 390-439; Chorley et Haggett, 1965-B).

L'ÉCHANTILLONNAGE À PLUSIEURS DEGRÉS

Une façon d'aborder le problème des variations locales et régionales permet de


se passer d'une information complète couvrant toute la surface considérée: c'est la
technique de l'échantillonnage à plusieurs degrés (OIson et Potter, 1954; Krumbein,
1956). Elle est particulièrement valable dans les études de reconnaissance, où il est

296
Les problèmes d'échelle

nécessaire de couvrir une région aussi vaste que possible tout en restant attentif aux
variations locales.
Fondamentalement, la méthode d'échantillonnage à plusieurs degrés consiste à
diviser l'ensemble territorial étudié en quelques grandes régions de surface égale.
Plusieurs de ces grandes régions sont alors choisies au hasard et divisées en un certain
nombre de sous-régions. Plusieurs de ces sous-régions sont à leur tour retenues au
hasard et divisées; on continue ainsi jusqu'à ce qu'on ait atteint la plus petite unité
significative, ou jusqu'à ce qu'on cesse d'avoir des données. La figure 9.17 illustre
ce processus : un rectangle de 150 X 100 kilomètres est divisé en six « unités régio-
nales» carrées dont chacune mesure 50 kilomètres de côté; puis chacun de ces carrés
est subdivisé quatre fois, jusqu'au niveau des plus petites unités, qui sont des carrés
de 3,125 kilomètres de côté (tableau 9.7). En prélevant au hasard, à chaque niveau du

Fig. 9.17 - Étapes de l'élaboration d'un plan de sondage à quatre


degrés préparé pour une étude sur le bassin du Tage et du Sada, dans
le Centre du Portugal (G = 4,5).
Source: HAGGETT, 1961 - B, p. 7.

processus de division, deux carrés seulement parmi les quatre disponibles, on ne tire
pour les étudier que 96 de ces petites unités, sur un total possible de plus de 1 500 uni-
tés existant dans la surface primitive: la fraction de sondage est de 1/16. La localisation
des unités tirées est représentée par des points noirs sur la figure 9.17 B. Un sondage
ainsi fait garantit non seulement que toutes les parties de la région sont représentées,
mais que le temps passé sur le terrain à visiter chaque point est nettement inférieur
à celui que nécessiterait un sondage aléatoire à un degré au même taux de 1/16.

297
TABLEAU 9.7

PLAN DE SONDAGE A PLUSIEURS DEGRÉS POUR UNE ANALYSE


EN COMPOSANTES D'ÉCHELLE 1

Sous- Sous-
Région région District district Localité
1 II III IV V

Surface (en km 2 ) 2500 625 156 39 10


Nombre total de cases 6 24 96 384 1 536
Nombre de cases tirées au hasard 6 12 24 48 96
Taux de sondage 1 0,5 0,25 0,125 0,0625

1. Bassin du Tage et du Sada au Portugal.

Source: P. HAGGETT, Mu/ti/eve/ Variance Ana/ysis ofSobreiro Distribution in the Tagus-Sado Basin (inédit),
1961, pp. 9, 11.

L'ANALYSE DE VARIANCE DES RÉSULTATS

C'est principalement au stade de l'analyse que l'on a intérêt à collecter des données
dans un cadre défini par le processus exposé ci-dessus. Toute valeur « locale» X peut
alors être considérée comme résultant de la somme de la valeur moyenne et des
déviations indépendantes observables à chaque niveau du processus de division :
X = valeur moyenne de l'ensemble étudié (150 X 100 km)
+ déviation de la région (50 x 50 km) par rapport à la valeur moyenne de
l'ensemble
+ déviation de la sous-région (25 x 25 km) par rapport à la moyenne de la
région
+ déviation du district (12,5 X 12,5 km) par rapport à la moyenne de la sous-
région
+ déviation du sous-district (6,25 X 6,25 km) par rapport à la moyenne du
district
+ déviation de la localité (3,125 x 3,125 km) par rapport à la moyenne du
sous-district.
On suppose que toute observation isolée faite en un point de la surface de la terre
peut être considérée comme affectée d'une déviation par rapport à la valeur moyenne
du district dans lequel est situé ce point; on suppose de plus que cette moyenne du
district peut être considérée comme affectée d'une déviation par rapport à la moyenne
de la région dans laquelle est situé ce district. On peut continuer ainsi, en considérant
chaque valeur comme affectée d'une déviation par rapport au niveau immédiatement
supérieur.
Krumbein et Slack (1956) ont fait sur le Sud-Ouest de l'Illinois une étude géologique
qui éclaire ce point. Ils ont établi une hiérarchie à cinq échelons: l'échelon des régions
du Sud-Ouest de l'Illinois où affleure la houille (soit une surface de 150 X 25 miles
environ), celui du groupe de townships (18 X 18 miles), celui du township (6 X 6 miles),

298
Les problèmes d'échelle

celui de la mine et celui de l'unité de sondage. La figure 9.18 représente ces cinq éche-
lons, rangés par ordre de taille croissante le long de l'axe des y du graphique; la
valeur correspondante de la caractéristique étudiée est portée sur l'axe des x. La

Région

Groupe de townships

Township

Mine

Unité de sondage

2 3 4 5
Valeurs

Fig. 9.18 - Représentation graphique d'une analyse de variance.


Source: KRUMBEIN et SLACK, 1956, p. 757.

valeur obtenue pour l'unité de sondage (1) peut être considérée soit comme une valeur
isolée de 5,10, soit comme affectée d'une déviation de + 2,51 par rapport à la mine
d'où elle est tirée et dont la valeur moyenne est 2.59 (2). Cette valeur obtenue pour
la mine peut aussi être considérée comme affectée d'une déviation de +0,04 par
rapport au township (3) dans lequel la mine est située et dont la valeur moyenne est
de 2,55. Toutes les valeurs portées sur ce graphique peuvent être considérées comme
affectées de déviations par rapport à la moyenne régionale (5) du Sud-Ouest de l'Illi-
nois, qui est égale à 2,42.
Il est évidemment possible de remplacer le graphique par l'expression
5,10 = 2,42 + 0,67 + (-0,54) + 0,04 + 2,51
L'intérêt de ce type d'analyse réside en ce qu'il permet de séparer l'une de l'autre
les déviations correspondant à chaque échelon de la hiérarchie régionale, et, de plus,
de mesurer leur valeur. La figure 9.19 représente les résultats d'une analyse de la
structure de variabilité présentée par la répartition des forêts dans le Centre du Portu-
gal, analyse faite par Haggett à l'aide de cette technique; le plan initial est représenté
sur la figure 6.1 A. Le graphique indique le grand contraste existant entre l'augmenta-
tion de variabilité qui apparaît au troisième échelon, celui du district, et l'effet négli-
geable de l'échelon immédiatement supérieur. Dans cet exemple, l'analyse de variance
était faite sur la base du plan de sondage à plusieurs degrés représenté par la figure 9.17,
et les échelons de la hiérarchie régionale identifiés (l, II, ... , V) sont ceux qu'indique
le tableau 9.7 : le premier échelon (1) correspond à une surface de 2500 km 2 , tandis
que le cinquième échelon (V) correspond à une surface de 10 km 2 seulement.

299
400

ru

300

\
\
y \
~200 \
c
.~ \
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~ \
"IOO
~ \

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2 4
10 10 10

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0.
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2. l

a 5

o 33 '---------~-------'---------'----
la 10 2 103 10 4
Surface du Quadral, en km 2

Fig. 9.19 - A. Composantes d'échelle de la répartition des forêts dans le bassin


du Tage et du Sada. - B. Influence des affleurements du Mio-Pliocène sur cette
distribution, à chacune des 5 échelles.
Source: HAGGETT, 1961·8.

La première courbe (fig. 9.19 A) fait apparaître les grands contrastes de variabilité
entre les cinq échelons: les plus grandes différences s'observent aux premier, troi-
sième et cinquième échelons. L'examen des courbes suggère que la variabilité peut
être en rapport avec une série de facteurs agissant à des échelles différentes; la faiblesse
des gradients climatiques, dans l'aire étudiée, s'oppose par exemple à la brusquerie

300
Les problèmes d'échelle

des vanatIOns des conditions hydro-pédologiques à l'écart des plaines alluviales


d'inondation. L'action d'un de ces facteurs est étudiée sur la figure 9.19 B, où la courbe
représente les rapports de variance ou rapports F (Davies, 1958, p. 66) qui expriment
les différences entre carrés échantillons situés sur des affleurements du Mio-Pliocène
ou en dehors d'eux; le graphique indique que l'influence de ce facteur est significative
au seuil de 99 % au quatrième échelon, au seuil de 95 % au premier échelon, et non
significative aux autres échelons .
. L'application de l'analyse de variance à des hiérarchies régionales a été étendue
avec succès à des problèmes de géographie physique (Chorley, Stoddart, Haggett
et Slaymaker) : des périodicités « cachées» existant dans des couches de sable, d'une
longueur d'onde de 200 mètres, ont été décrites par la méthode statistique, avant
d'être identifiées sur des photographies aériennes obliques et sur le terrain.

L'analyse en composantes d'échelle : les méthodes cartographiques

Les méthodes cartographiques n'ont été que récemment utilisées pour séparer les
composantes d'échelle supérieure (échelle régionale) des composantes d'échelle
inférieure (échelle locale). Bien qu'il tire son origine de la prospection géophysique
et de la prévision météorologique, ce type de cartographie, la cartographie des sur-
faces de tendance, présente, quand on l'introduit dans l'analyse géographique,
de grandes possibilités que Chorley et Haggett (l965-B) ont étudiées en détail et sur
lesquelles nous ne nous étendrons pas ici. Nous allons simplement exposer trois
méthodes de complexité croissante - la méthode des cartes-filtres, la méthode des
plans de tendance et la méthode des surfaces de tendance d'ordre plus élevé - et
discuter le problème du choix entre ces méthodes.

LE FILTRAGE CARTOGRAPHIQUE

Les idées sur lesquelles repose la construction de cartes-filtres peuvent être saisies
à partir d'un exemple assez simple. La figure 6.1 montre les étapes de l'analyse en
composantes régionales et locales d'une distribution donnée, qui est ici la répartition
réelle des forêts dans un secteur du Centre du Portugal (fig. 6.1 A). Pour son étude
statistique, cette répartition peut être exprimée sous deux formes : le rapport surface
boisée/surface non boisée, soit 0,352, ou le pourcentage surface boisée/surface totale,
soit 26,3 %. En posant sur l'aire étudiée une grille rectangulaire, on peut calculer les
valeurs de ces rapports pour de petites surfaces (ici, des cases carrées de 40 km 2) et
tracer des isarithmes. La carte obtenue (fig. 6.1 B, p. 174) décrit complètement l'aire
étudiée, sous une forme bidimensionnelle. Comme une carte en courbes de niveau
représentant le relief, elle pourrait être transformée en une maquette à trois dimensions;
mais on peut de toute manière la concevoir comme une surface de tendance à trois
dimensions.

301
LA DÉFINITION DES RÉGIONS

La surface de la figure 6.1 B peut être considérée, statistiquement parlant, comme


une surface de réaction (Box, 1954); autrement dit, la hauteur (correspondant à la
proportion de couvert forestier) en un point quelconque peut être considérée comme
une réponse à l'action du complexe formé par « la géologie, la topographie, les parti-
cularités du climat, les données écologiques, les disparités économiques et l'histoire
locale et régionale» (Kastler, 1956, p. 82), qui, ensemble, déterminent la distribution
de la forêt. Les variations de la forme de la surface peuvent être considérées comme
des réactions aux variations spatiales de la puissance et de l'équilibre de ces facteurs
hypothétiques.
Il est permis de concevoir ces facteurs comme divisés en deux groupes, régional et
local. Les facteurs régionaux pourraient inclure des données telles que les périodes
végétatives, dont les variations tendent à être systématiques et lentes à travers l'aire
étudiée; on peut considérer que de tels facteurs régionaux donnent naissance aux
tendances générales qui se manifestent à grande échelle dans la surface de réaction.
Les facteurs locaux pourraient inclure des données telles que la composition des sols,
dont les variations sont relativement rapides dans l'espace; ces facteurs suscitent
des variations de la surface de réaction dont la distribution est désordonnée, ponctuelle.
La figure 6.1 C présente une carte de tendance régionale de l'aire étudiée. Pour la
construire, nous avons simplement tracé autour de chaque case de la grille un cercle
de rayon égal à 28,20 kilomètres, donc de surface égale à 2 500 km 2 , et calculé la
proportion de terrains boisés à l'intérieur de cette unité circulaire. Sur la « surface
2 500 » obtenue, les détails locaux sont perdus, mais les traits généraux de la réparti-
tion apparaissent clairement. Nettleton (1954, p. 10) a comparé l'effet de cette tech-
nique cartographique à celui d'un « filtre électrique qui laisse passer les courants de
certaines fréquences et retient les autres ». Les détails sont perdus, mais d'une façon
prévisible et contrôlable, et les comparaisons avec d'autres cartes faites d'après une
« grille» semblable sont plus sûres.
Un calcul rapide permet de filtrer les anomalies locales. Pour chaque case carrée
de 40 km 2 , on soustrait la valeur régionale (fig. 6.1 C) de la valeur locale (fig. 6.1 B).
A partir des résultats, on trace des isarithmes et on représente en grisé les valeurs
positives (c'est-à-dire les endroits où les valeurs locales sont supérieures aux valeurs
régionales) et on laisse en blanc les valeurs négatives (c'est-à-dire les endroits où les
valeurs régionales sont supérieures aux valeurs locales). D'où la figure 6.1 D, qui
représente l'action des facteurs locaux sous la forme d'une répartition de résidus
positifs et négatifs.
Il est évidemment possible de construire un nombre infini de cartes représentant
des surfaces de tendance; la nature des cartes obtenues varie selon la taille choisie
pour les mailles de la grille. Ainsi, la carte de tendance est une expression quantitative
d'un choix qualitatif. Mais on peut supprimer cet inconvénient, en annexant à la carte
la définition de la grille génératrice (de même que l'échelle et l'orientation sont tradi-
tionnellement indiquées sur une carte), et en normalisant la construction de telles
cartes par l'emploi de multiples de dimensions conventionnelles; l'unité de 100 km 2
semble être une base intéressante, tant en ce qui concerne son regroupement en mul-
tiples que sa division en unités plus petites.

302
Les problèmes d'échelle

LES PLANS DE TENDANCE

Le problème de l'ajustement de plans à des systèmes de points répartis dans l'espace


a longtemps piqué la curiosité des mathématiciens (par exemple Pearson, 1901).
Robinson et Caroe (in Garrison, 1967, pp. 252-276) ont élaboré une technique qui
permet de construire, pour une carte, une surface de meilleur ajustement qui est un
plan incliné et qui donne une idée générale de l'orientation et de l'inclinaison d'une
distribution. Ce plan de meilleur ajustement est simplement une extension logique à
un espace à trois dimensions de la droite de régression, bien connue, dont il sera
question au chapitre 10 (pp. 327-333). On calcule, pour un ensemble de points directeurs
régulièrement répartis sur une carte et à chacun desquels une valeur est affectée, deux
droites de régression dont les orientations géographiques sont perpendiculaires.
Ces deux droites définissent un plan, dont l'inclinaison et l'orientation peuvent être
calculées comme sur une carte géologique. Habituellement, on calcule les droites de
régression en disposant les points d'abord dans une direction nord-sud, puis dans une
direction est-ouest.
Nous avons employé (Haggett, 1964) un plan de tendance pour séparer les compo-
santes régionales et locales de la distribution des forêts dans le Sud-Est du Brésil.

Valeurs brutes Tendance régionale

2
@
Résidus positifs Résidus négatifs

Fig. 9.20 - Distribution des forêts dans le Sud-Est du Brésil (G = 3,9) : proportion observée;
tendance régionale; anomalies locales.
Source : HAGGETT, 1964, p. 372.

La distribution observée est représentée, sur la figure 9.20 A, par des isarithmes (à
intervalles de 10 unités); les surfaces où la proportion de forêts est inférieure à la valeur
moyenne de l'ensemble de la région sont en grisé. La tendance générale présentée
par cette distribution des forêts est indiquée par le plan d'ajustement (fig. 9.20 B)
qui s'abaisse vers l'intérieur des terres, plongeant perpendiculairement à la direction

303
LA DÉFINITION DES RÉGIONS

de la côte. Les surfaces où la proportion de forêts est supérieure à celle indiquée par
le plan, ou anomalies positives (fig. 9.20 C), comprennent les parties extrêmement
boisées de l'escarpement de la Serra do Mar et de la Serra da Mantiqueira. Les sur-
faces « déprimées» (fig. 9.20 D) de la répartition se trouvent dans le bassin peu arrosé
de Taubaté et dans la partie nord-ouest de la carte.

Fig. 9.21 - Calcul de plans de meilleur ajustement successifs, à partir d'une


carte en isarithmes représentant la répartition de forêts dans un carré échan-
tillon du bassin du Tage et du Sado (Centre du Portugal) (G = 4,7) :
A. Répartition observable, représentée par des isarithmes. - B. Plan de meilleur
ajustement. - C. Résidus, par rapport à la surface B. - D. Plans de meilleur
ajustement correspondant aux aires d'anomalie positive et négative.

La réduction de cartes en isarithmes à des plans de tendance permet de comparer


rapidement des répartitions géographiques exprimées chacune par une inclinaison
et une orientation. En ce qui concerne la répartition représentée par la figure 6.1,
l'application de plans successifs est un moyen de donner une description plus complète
de ses structures. A partir de la carte en isarithmes qui représente le pourcentage de

304
Les problèmes d'échelle

la surface qui est couvert par un type de forêt (fig. 6.1 B et fig. 9.21 A), le plan de
meilleur ajustement (fig. 9.21 B) et la surface de résidus (fig. 9.21 C) sont calculés
comme ci-dessus. Puis deux plans distincts sont ajustés aux résidus, d'une part à
ceux qui correspondent à la partie positive du premier plan, d'autre part à ceux qui
correspondent à sa partie négative; ces deux ensembles de résidus sont séparés par
la ligne en tireté de la figure 9.21 C, et les deux plans obtenus sont représentés sur la
figure 9.21 D. On peut continuer ainsi à ajuster des plans à des parties de plus en plus
petites de la carte, jusqu'à ce que les points directeurs deviennent trop peu nombreux
pour constituer une base acceptable de calcul d'une tendance. A chaque étape du
processus, le nombre de plans est doublé.
Cette analyse a été faite à titre d'expérience, mais il semble évident que la méthode
employée est susceptible d'applications plus larges. Elle fournit un moyen simple de
décrire une carte en isarithmes complexe, comme celle de la figure 9.21 A, en la rame-
nant à une série de vecteurs, comme sur la figure 9.21 D. Chaque vecteur ayant un
azimuth particulier (compris entre 0 et 360 degrés) et une inclinaison particulière
(comprise entre 0 et 90 degrés), la comparaison de répartitions, qui est habituellement
une affaire difficile et incertaine, est rendue beaucoup plus facile.

LES SURFACES QUADRATIQUES ET D'ORDRE SUPÉRIEUR

Le plan constitue seulement la première d'une série de surfaces ajustables à une


distribution statistique donnée : on peut, de même qu'on est passé de la droite de
régression linéaire au plan, passer de la courbe curviligne de régression à la surface
curviligne (fig. 9.22). L'introduction de nouveaux termes permet de construire une
série de surfaces polynomiales: la surface quadratique, la surface d'ordre 3, la surface
d'ordre 4, etc.
En pratique, on emploie rarement des surfaces d'ordre supérieur à trois. Il en est
ainsi en partie parce que la masse des calculs nécessaires devient trop considérable,
même avec un ordinateur, quand on applique des surfaces d'ordre élevé à un grand
nombre de données. Autre raison: à mesure que s'élève l'ordre d~ la surface, celle-ci
se rapproche rapidement des complexités de la surface de répartition observée.
Ce dernier fait est représenté graphiquement sur la figure 9.23, qui reproduit en
partie une série de surfaces d'ajustement que Krumbein (l959-B) a calculées, à l'aide
d'un ordinateur IBM 650, à partir de données géologiques sur la région de Wichita
(Kansas). Les valeurs observées sont représentées sur la figure 9.23 A, le plan d'ajus-
tement sur la figure 9.23 B et la surface quadratique d'ajustement sur la figure 9.23 C.
Il est clair que la surface polynomiale est beaucoup plus proche que le plan de la surface
initiale; mais le rapprochement progresse de moins en moins vite, quand 01) calcule
des surfaces d'ajustement d'ordre de plus en plus élevé. Étant donné la variance des
valeurs représentées par la surface initiale, on peut calculer que 78,2 %de cette variance
sont expliqués par la surface linéaire. L'introduction de la surface quadratique élève
le niveau d'explication à 85,1 %, c'est-à-dire d'un dixième seulement.
Une raison décisive de la popularité des surfaces d'ordre élevé est liée à la finalité

305
LINÉAIRE QUADRATIQUE ORDRE 3 ORDRE 4

Z Z Z Z
'J)
c
0
"iij
c
Q)

E

x
::l
Q)
0

U U
. U U
Z = 0 + bu Z = 0+ bu + cu 2 Z = 0 + bu + cu 2 + du' Z = 0+ bu+cu 2+du'+eu 4

'J)
c
o
"iij
c
Q)

E

'J)

'ë v
1-

Z = 0 + bu + Cy Z= 0+bu+cY+du 2 +euy Z· 0 + bu + "." ".. etc.


+ fy 2+ gu'+hu 2y + iuy2 + jy'

Fig. 9.22 - Correspondance entre courbes à deux dimensions et surfaces à trois dimensions.
Sources: CHORlEY el HAGGETT, 1965-B; KRUMBEIN, 1956.
Fig. 9.23 - Comparaison entre une surface représentant une répartition réelle (A)
et un plan ou surface d'ordre 1 (B) et une surface quadratique d'ordre 2 (c).
Source: KRUMBEIN, 1959-B, pp. 828-831.

des études dans lesquelles on les emploie. Ces surfaces servent parfois à « reconstruire»
des répartitions à partir de données fragmentaires (cas des « stratigraphies-fantômes»
de Whitten (1959», mais, plus souvent, à dégager les tendances régionales et à étudier
les déviations par rapport à ces tendances. Selon Krumbein (1956, p. 2193), les résidus
calculés à partir de surfaces linéaires, qui font ressortir les formes locales, peuvent
présenter plus d'intérêt que la carte initiale ou qu'une carte représentant une surface
de tendance d'ordre supérieur.

LE CHOIX D'UNE MÉTHODE

A travers l'exemple du bassin du Tage et du Sado (fig. 6.1 et 9.21), nous


avons vu comment s'applique une méthode utilisant des surfaces de tendance, le
filtrage cartographique, qui fait intervenir l'influence des points voisins. Mais cette
méthode n'apporte pas de solution unique au problème de la définition des tendances
régionales; d'autres méthodes emploient des surfaces de régression, linéaires ou
d'ordre supérieur. Nettleton (1954), Chorley et Haggett (l965-B) et Krumbein (1956)
ont exposé en détail ces méthodes et d'autres qu'il n'est pas question de résumer ici;
nous allons seulement donner quelques exemples.
Pour comparer les diverses méthodes utilisant des surfaces de tendance, Krumbein
(1956, pp. 2167-2177) les a appliquées à des données concernant la région du West
Brock, dans l'Oklahoma. Les valeurs observées sont représentées sur la figure 9.24 A
par des isarithmes séparées par des intervalles de 10 unités; les surfaces où les valeurs
sont supérieures à 40 unités sont en grisé. Les mêmes conventions sont appliquées
aux cartes de tendance régionale (fig. 9.24 B, D, F). Sur les cartes de résidus (fig. 9.24 C,
E, G), les intervalles entre isarithmes sont aussi de 10 unités, mais les surfaces en grisé
représentent les résidus positifs.

307
® .
Tendance réglOllah3 @RéSidUS

® CD

Fig. 9.24 - Comparaison des cartes de tendance régionale et de résidus faites


à partir de la distribution A par la méthode des profils (B, C), par la méthode
de régression (D, E) et par la méthode des valeurs théoriques (F, G).
Source : KRUMBEIN, 1956, pp. 2170-2176.

Krumbein a employé trois méthodes pour déterminer la tendance régionale :


la méthode des profils graphiques, la méthode de régression (ou analytique) et la
méthode des valeurs théoriques. La première consiste à utiliser une série de profils
tracés le long des lignes d'un quadrillage; Krumbein a tracé quatre profils est-ouest
et sept profils nord-sud; puis il a fait un lissage approximatif en essayant de s'en tenir
à un nombre minimal de points d'inflexion pour tracer les courbes lissées. Les prin-
cipes de la méthode de régression ont déjà été exposés, à propos de l'application de
surfaces linéaires ou d'ordre supérieur à des distributions; la surface de tendance
régionale représentée sur la figure 9.24 D est une combinaison des termes linéaire,
quadratique et cubique.

308
Les problèmes d'échelle

Enfin, la méthode des valeurs théoriques consiste à disposer en lignes et colonnes


les valeurs relevées sur un quadrillage appliqué à la distribution, puis à calculer leur
somme et leur moyenne pour chaque ligne (de l'est à l'ouest) et pour chaque colonne
(du nord au sud); la valeur théorique d'une case quelconque du quadrillage est obtenue
en faisant la somme des moyennes de la ligne et de la colonne auxquelles appartient
cette case, et en soustrayant de cette somme la moyenne globale de toutes les valeurs
du quadrillage.
De la comparaison des trois cartes de tendance régionale obtenues, il ressort que
les trois méthodes conduisent à des résultats graphiques, et par conséquent à des
interprétations, à peu près semblables. S'il est possible d'employer des tests objectifs
pour choisir la meilleure méthode, il n'en est pas moins vrai que la sûreté des résultats
obtenus est à peu près proportionnelle à la somme de travail dépensée dans les calculs.
Quand on a besoin de cartes détaillées permettant de faire des comparaisons très
précises entre différentes régions, il est recommandé de calculer la régression à l'aide
d'un ordinateur; mais lorsque la répartition étudiée est relativement simple, la méthode
graphique, plus rapide, donne des résultats assez proches de ceux de la méthode
analytique, plus minutieuse.

309
Chapitre 10 Les hypothèses en géographie humaine
Les tests statistiques
Les vérifications par analogies

LA VÉRIFICATION
DES HYPOTHÈSES

Construire, vérifier et reconstruire des hypothèses, c'est par ce lent cheminement


qu'a progressé la géographie humaine. Vérifier, notamment tester d'un point de vue
probabiliste, permet de refréner les excès théoriques de la première partie de ce livre
et d'ouvrir la voie à de nouvelles idées. A vrai dire, ce qu'on peut espérer de mieux
d'une théorie, c'est qu'elle conduise à une théorie meilleure. Le cycle de la recherche,
comme le cycle de l'azote, exige la mort de vieilles hypothèses et l'élaboration de
nouvelles; au moment où ce livre sera publié, ce qu'il propose sera déjà, inévitable-
ment, en partie caduc : l'effondrement des hypothèses est la marque du progrès.
La vérification a une importance particulière en géographie en ce sens que l'un des
rôles essentiels de cette discipline, par rapport aux autres sciences sociales, est de
soumettre les théories « générales» à des tests « régionaux ».
Ce chapitre donne un aperçu de quelques règles simples de vérification. Abordant
les méthodes statistiques en peu de pages, il paraîtra trop difficile aux uns, outra-
geusement simplifié aux autres. Le livre de Gregory (1963) fournit aux premiers une
introduction plus progressive; les seconds trouveront dans celui de Miller et Kahn
(1962) la plupart des applications de la statistique propres à l'analyse de localisation.

310
1. LES HYPOTHÈSES EN GÉOGRAPHIE HUMAINE

Après l'échec de l'enchaînement causal lieu-travail-société de Vidal de la Blache


(chap, l, section 2) et des hypothèses d'orientation vers les sources d'approvision-
nement de Weber (chap. 5, section 4), les géographes se sont prudemment consacrés
à collecter des faits; pendant un demi-siècle, ils ont accumulé des données plutôt que
créé des modèles pour rechercher leur signification. L'une des plus tristes conséquences
de l'abandon du déterminisme géographique a été le recul devant les risques que
comporte le lancement d 'hypothèses nouvelles.
La collecte des faits ne peut, d'elle-même, conduire à leur intelligence: Karl Popper
(1959, pp. 276-281) nous met en garde : une telle façon de procéder va à contre-
courant de la démarche classique de la science, qui donne la première place à la
formulation de théories. La phrase de Novalis citée en tête de l'ouvrage de Popper:
« Les théories sont des filets : qui les lance pêchera », exprime le rôle central attribué
par Popper à la théorie, qui représente à ses yeux la connaissance organisée, alors que
les faits seraient la connaissance inorganisée. Comme nous l'avons vu au chapitre
premier, il n'est pas possible de prouver qu'une théorie est vraie ou fausse en soi;
mais il est possible de la mettre à l'épreuve rigoureuse des faits connus, à l'aide de
techniq ues expérimentales bien définies.

Les Inodèles de vérification d'hypothèses

L'un des plus simples parmi les modèles de vérification d'hypothèses en géographie
humaine a été proposé par MacCarty (1956, p. 263); cet auteur plaide pour l'adoption
dans la recherche géographique d'une démarche séquentielle: définition des problèmes,
puis application d'hypothèses, puis évaluation de leur efficacité, enfin énoncé de
nouvelles hypothèses propres à expliquer les discordances. Plus précisément, on peut
formuler la démarche préconisée par MacCarty comme une série de cycles de
régression tels que ceux que présente le tableau 10.1. Au cours du premier
cycle (Cl)' le problème est défini, les données collectées, puis soumises à une analyse
statistiq ue, enfin transformées en cartes en isarithmes de la répartition étudiée (Y).
L'analyse de la carte de la répartition Y conduit à la formulation d'une hypothèse,
qui est destinée à rendre compte des irrégularités géographiques observables sur
la carte, et qui amorce le deuxième cycle (C2 ) par la définition d'une variable explicative
Xl' Des données relatives à Xl sont collectées, puis soumises à une analyse statistique,
et mises en rapport avec la répartition Y par une analyse de régression : à l'aide de
l'équation de régression Y = f (Xl)' les déviations de la distributi{m réelle Y par
rapport à la distribution théorique peuvent être mesurées. La carte de ces déviations
ou résidus marque la fin du deuxième cycle. L'analyse de la carte de résidus peut conduire
à une seconde hypothèse destinée à prendre en compte ce qui reste inexpliqué de la
répartition Y. Ainsi s'amorce le troisième cycle (C 3 ), qui commence par la définition
de la variable explicative X 2 • Comme le montre le tableau 10.1, ce troisième cycle est
semblable au deuxième et peut être prolongé par d'autres cycles (C4 à Cn ) jusqu'à
ce qu'un seuil d'explication satisfaisant soit atteint.

311
TABLEAU 10.1

MODÈLE DES CYCLES DE RÉGRESSION


DANS LA RECHERCHE GÉOGRAPHIQUE

Phase <l.
:2 Cartes en isarithmes Cartes en isarithmes ~ ?
D 0.
'...."
00
.8....
de la répartition
étudiée Y
des résid us (Y ~ Yc )

9
•1
1
1
1
1

U'" 1

Analyse des résidus Formulation éventuelle


(Y - Yc). d'hypothèses H 3 .• .Hn
Réduction

Phase
.g'"
::> 4 8 10 14
C
.~
3
:§ Analyse de régression Analyse de régression
Y = !(X l ). (Y - Yr) =! (X2 ).
"' Tests de signification Tests de signification
'"'>." de la tendance de la tendance
<;
1::
<t:
7a 7b 13a 13b

Analyse des données : Analyse des données : Analyse des données:


moyenne, variance, moyenne, variance, moyenne, variance,
dissymétrie. dissymétrie. dissymétrie.
Transformation (Y) Transformation (Xl) Transformation (X2 )
....
::> 1::
"'.-
-'" '...."
<'::>-
" '"
.... 2 6 12

0"", Coll~cte de
données X 2 •
Phase 1::_ Collecte de données Y. Collecte de données Xl'
"'-l Échantillonnage Échantillonnage Echantillonnage
B

1 5 11

Phase ;::;"' Choix du problème. Choix de la première Choix de la seconde


A Définition de Y hypothèse (Hl)' hypothèse (H2 )·
'E.'::
" "'
::> t;
Définition de Xl Définition de X 2
g.",
0
Premier cycle Deuxième cycle Troisième cycle

Thomas (1960) s'est inspiré d'une étude peu banale de MacCarty, restée inédite,
pour illustrer cette méthode. Dans cet article, intitulé « MacCarty on MacCarthy»,
MacCarty essaie d'expliquer la répartition (Y) des votes en faveur du sénateur Joseph
MacCarthy dans l'État de Wisconsin. Les données indiquent le pourcentage de voix
obtenu par le sénateur dans chaque secteur électoral de l'État. MacCarty examine

312
Les hypothèses en géographie humaine

d'abord l'hypothèse (Hl) selon laquelle MacCarthy a été élu principalement grâce
aux voix des agriculteurs. La variable indépendante Xl est le pourcentage de population
rurale de chaque secteur électoral. De l'analyse de régression Y = f (Xl)' il ressort
qu'environ un tiers de la variation totale du pourcentage de votes en faveur de Mac-
Carthy peut être attribué à ce facteur. La carte de résidus résultant de l'opération
y - Yc présente deux aires de fortes valeurs positives, situées l'une dans le Nord,
l'autre dans le Centre-Est de l'État (fig. 10.1 A). Dans ces deux aires, la prédiction
fondée sur 1'hypothèse Hl a donc considérablement sous-estimé l'importance véritable
des votes favorables à MacCarthy. De cette carte, MacCarty tire l'idée qu'un autre

Fig. 10.1 - A. Résidus positifs obtenus par analyse de régression, à partir


de la répartition des votes en faveur de MacCarthy dans le Wisconsin (G = 3,5).
- B. Deuxième hypothèse: distance par rapport à ex, domicile de MacCarthy.
Source : THOMAS, 1960, p. 45.

facteur est susceptible d'expliquer en partie la distribution des votes: la localisation


du domicile du sénateur à Appleton (IX sur la figure 10.1). D'où l'hypothèse H 2 ,
selon laquelle le pourcentage de voix en faveur de MacCarthy a augmenté avec la
proximité de cette ville. L'introduction de ce deuxième facteur X 2 dans l'analyse fait
monter le niveau d'explication d'un tiers à près d'un demi.
Le raisonnement de MacCarty suit l'une des méthodes classiques de la logique.
Dans son livre A System of Logic, J. S. Mill a fortement mis l'accent sur la méthode des
résidus, qui attire l'attention sur « l'impuissance des causes évidentes à rendre compte
de l'ensemble de l'effet» (Mill, 1874, p. 285), et qu'il considère comme la plus féconde
de ses méthodes de recherche des lois de la nature. Les cartes de résidus constituent
l'équivalent géographique des résidus de Mill.
En pratique, cependant, l'analyse séquentielle des problèmes géographiques est
de pratique moins courante que l'analyse parallèle. La seconde a beaucoup de points
communs avec la « méthode des hypothèses de travail multiples » de Chamberlin
(1897), selon laquelle diverses hypothèses sont examinées en même temps et non à la

313
LA VÉRIFICATION DES HYPOTHÈSES

suite l'une de l'autre, ce qui permet de décider de leur valeur relative. Cette démarche
est le fondement de la méthode d'analyse de régression multiple (cf pp. 330-333), que les
géographes utilisent largement de nos jours. Les deux démarches, séquentielle et
parallèle, mettent en application l'idée d 'hypothèses multiples. La première a pour
avantages la clarté du raisonnement et son caractère progressif; la seconde favorise
davantage l'induction et met en évidence la nature multiforme des problèmes géo-
graphiques.

Les origines des hypothèses : la m.éthode du Il fusil de chasse » ou des


Il Pléiades »

Comment naissent les hypothèses? Certaines jaillissent de l'imagination de tel ou


tel chercheur: le concept de « région-cœur» (heartland) de Mackinder (1904) ou la
hiérarchie des places centrales de Christaller (1933) peuvent être classés dans cette
catégorie. D'autres peuvent avoir leur origine dans l'observation de structures spa-
tiales répétées : le modèle de développement des réseaux de transport créé par Taaffe
(Taaffe et al., 1963) pourrait appartenir à cette catégorie « quasi inductive ». D'autres
encore proviennent de l'emprunt d'idées à des disciplines plus complexes mais dont
la démarche est parallèle. Bunge (1962) a montré comment les recherches faites dans
des disciplines aussi différentes de la géographie que la cristallographie, la biométrie
ou les télécommunications peuvent stimuler les hypothèses relatives à la localisation.
L'histoire révèle que les idées fondamentales de bien des sciences appliquées (y compris
la géographie) viennent d'un petit groupe de sciences pures centrées sur les mathé-
matiques et la logique (Ackerman, 1963, p. 430).
Alors que l'utilité de ces sciences pures n'apparaît qu'à la longue, les géographes
se trouvent souvent placés devant des problèmes plus immédiats. Est-il possible de
susciter des hypothèses dans un domaine particulier de la géographie? Oui, d'après
Miller et Kahn (1962, pp. 315-324), qui proposent ce qu'ils appellent la méthode du
« fusil de chasse» ou des « Pléiades» pour l'analyse de grandes masses de données
en l'absence d'hypothèses solides ou de conjectures à priori. Selon cette méthode,
tous les facteurs sont intercorrélés, et la matrice de corrélation sert à définir les struc-
tures significatives.
Un exemple d'emploi de cette méthode en géographie humaine est donné dans une
étude inédite (Haggett, 1959) sur les caractéristiques de la localisation des industries
au Portugal. Nous avons mesuré une série de onze variables (les indices A à K dont
la liste figure sur le tableau 10.2) dans un échantillon de vingt-huit industries, pour la
période 1950-1955. Chacune des onze variables a été mise en rapport avec chacune
des autres au moyen d'un coefficient de corrélation des rangs, le rho de Spearman,
R s (Siegel, 1956, pp. 202-213). On peut employer ce coefficient sans faire aucune
supposition sur la distribution de fréquences des données : on le calcule beaucoup
plus facilement que le coefficient de corrélation linéaire de Bravais-Pearson, r
(cf pp. 292-294) en appliquant la formule:

Rs = 1 - {( 6 ~ fi 2
)/(N3 - N) }

314
TABLEAU 10.2

MATRICE DE COEFFICIENTS DE CORRÉLATION DES RANGS 1

Variables: A B C D E F G H 1 J K

Coefficient de localisation (A) 1 + 0,72 - 0,02 + 0,19 + 0,15 - 0,09 + 0,43 + 0,13 - 0,15 -0,19 - 0,59
Quotient de localisation (B) 1 - 0,25 - 0,08 - 0,36 - 0,18 + 0,25 + 0,46 - 0,45 - 0,25 - 0,53
Espacement des établissements (C) 1 + 0,52 + 0,42 - 0,40 + 0,45 - 0,14 - 0,20 - 0,19 - 0,05
Taille des établissements (D) 1 + 0,79 + 0,19 + 0,25 -0,76 - 0,02 + 0,68 + 0,04
Concentration (E) 1 + 0,46 + 0,28 - 0,80 + 0,40 + 0,73 + 0,34
Investissements (F) . . . 1 + 0,34 - 0,01 + 0,27 + 0,06 + 0,56
Taille des entreprises (G) . 1 + 0,33 - 0,34 - 0,57 - 0,42

Rap-
( Carburant
M"iè,,, p"miè,,*oû" (H).
1coûts (1) . . . .
1 - 0,32 ' - 0,90
1 + 0,56
- 0,22
+ 0,55
ports Main-d'œuvre 1coûts (J) . . 1 + 0,38
Investissements 1coûts (K). . 1
1
1

1. Industries du Portugal, 1950-1955.


Source: P. HAGGETT, op. cit., 1959, p. 19.
LA VÉRIFICATION DES HYPOTHÈSES

où N est le nombre d'unités (ici, les industries) et fi la différence entre les rangs de
l'unité i relativement à deux variables. R s peut s'étendre de la valeur +
l, qui indique
un accord maximal entre les deux variables, à la valeur -l, qui indique un désaccord
total; les valeurs proches de zéro correspondent à des relations indéterminées entre
les deux variables.
Le tableau 10.2 est une matrice qui présente toutes les combinaisons possibles
des onze variables prises deux par deux. Les nombres indiqués dans chaque case de la
matrice sont les valeurs de R s . Mais, du fait que ces nombres ne mesurent que des
relations statistiques, il est essentiel de savoir dans quelle mesure les valeurs obtenues
correspondent aux prévisions théoriques que donnerait le calcul des probabilités.
Les chiffres en caractères gras du tableau 10.2 représentent les valeurs de R s dont la
différence avec zéro est significative au seuil de confiance de 95 % (cf. section 2).
On peut analyser ce tableau par référence à trois concepts : les paires fondamentales,
les groupements rho et les groupes F (OIson et Miller, 1958).
10 Une paire fondamentale est caractérisée par le fait que chacune de ses deux
variables est en corrélation plus forte avec l'autre qu'avec toute autre variable. Les
paires constituent des points de convergence des valeurs et leur rôle premier est un
rôle de « formateurs d'ensembles ». L'examen du tableau 10.2 fait apparaître que
la plus forte valeur de R s obtenue pour la variable J (part de la main-d'œuvre dans
les coûts globaux) est celle qui mesure la corrélation avec H (part des matières pre-
mières dans les coûts) et inversement. Ces deux variables forment donc une paire
fondamentale. Considérons une autre variable, C; sa plus forte valeur de R s est celle
qui mesure sa corrélation avec D; mais D (taille des établissements) est en corrélation
encore plus forte avec une autre variable, E. Toute variable qui, comme C dans le
cas présent, ne forme pas de paire fondamentale, est rattachée à la paire fondamentale
avec un élément de laquelle sa corrélation est la plus forte (ici, la paire DE), de façon
à former un ensemble.
Le tableau 10.3 présente les paires fondamentales et les ensembles dont elles forment
TABLEAU 10.3

PAIRES FONDAMENTALES, AU SEUIL DE CONFIANCE DE 95 % 1

Ensemble dëfini par corrélation Qualification

(1) H 1 G Ensemble des variables de coût

(2) E
- D C Ensemble des variables de dimension

(3) B
- A K-F Ensemble des variables de localisation

\
1. Industries du Portugal, 1950-1955.

Source : Ibid., p. 17.

316
Les hypothèses en géographie humaine

les noyaux. Les trois ensembles décelés sont les suivants : l'ensemble 1 (variables
de coût) dans lequel les variables coûts des matières premières et coûts de main-
d'œuvre sont en corrélation forte mais négative; l'ensemble 2 (variables de dimensions)
dans lequel les variables taille de l'établissement et concentration sont en forte corré-
lation positive; l'ensemble 3 (variables de localisation) dans lequel un groupe plus
important de variables se rattache à un axe formé par le coefficient et le quotient de
localisation.
2° L'analyse en paires fondamentales réduit le nombre des intersections et met
un peu d'ordre dans la matrice, mais elle présente l'inconvénient de ne pas décrire
tous les liens que la matrice fait apparaître. Par exemple, le tableau 10.2 montre que
A appartient à l'ensemble 1, mais qu'il est également lié (quoique moins fortement)
à B et à l'ensemble 3. Ce critère de corrélation maximale, qui est employé pour déter-
miner les ensembles dans l'analyse en paires fondamentales, peut être remplacé par
Première étape: seuil
de confiance de 99,9 %
/",..--------
Deuxième étape: seuil
de confiance de 99 %
,
--- ------
"\
\
1
1
"\ 1 1
1
,
1 1

,,
1 1

- - -- "" ,
1

............... E,'
,--------- ! ", ,
---
~
1

:'0
"
@': ~,
Troisième étape: seuil --------"
de confiance de 95 %
.... -------------
--- --,
1
.... ,
\
1
\
1
1
\
1 1
1 1

1
1
,1
1 1
1 1
1
1
\ 1
\ 1
\ 1
\ ,/
" ....
c
-------------
fig. 10.2 - Modifications des schémas de liaison entre les variables
des industries portugaises correspondant à un abaissement du seuil
de confiance.
Source : HAGGETT, 1959, p. 20.

317
LA VÉRIFICATION DES HYPOTHÈSES

le concept de groupement rho, qui fait apparaître tous les liens existant à un seuil de
confiance donné.
La figure 10.2 montre que les corrélations entre les variables sont beaucoup plus
complexes que ne le révèle l'analyse en paires fondamentales. Les trois ensembles
simples sont remplacés par deux groupements dont les liens internes sont solides
et qui sont en partie liés l'un à l'autre par une variable commune, J (coût du combus-
tible). Il est clair que les ensembles 1 et 2 se sont combinés en un groupement de quatre
variables (auxquels s'ajoutent trois variables annexes), tandis que l'ensemble 3 a
conservé son indépendance en formant un groupement de trois variables (auxquels
s'ajoutent deux variables annexes).
30 On appelle groupe F un groupe quelconque de variables entre lesquelles on
pense qu'il existe une liaison fonctionnelle. L'analyse des matrices de corrélation,
faite dans la perspective des groupes F, distingue d'une part les liaisons fonctionnelles
entre variables (par exemple entre les diverses variables de localisation), d'autre part

Groupe F
A . des variables
'. de localisation
.: . , . . ,"

' .. ' : >,'. B


.... ,'. : : ~ " ..~, ....
.' ..... :..: ..... ~~ .... '<,
..@:-:-:'
.
',',
.---.... " ' ,
','
, ,
, "
,, "
, '," " ',\
.. '. '... /
, . 1; ;

.
\. /~A0;"'-:'
H' )"'"/ / (, 1 . LIENS
. ., V' /. ·1. .'
. . . l'y <' 1/· '.
Groupe F . . ' . 1/ J( ,~/\. 1. . - - - très significatif
des variables. . . . . I~ ~ '<" 1" . , : - - - significatif
____ probablement
de coût ~. ",,/ ,'\\." .
significatif
/. : .. \~~ ..
-:-.---.~.

Fig. 10.3 - Analyse, par la méthode des groupes F, des schémas de liaison
présentés sur la figure 10.2.
Source: HAGGETT, 1959, p. 21.

les liens avec des variables indépendantes. Sur la figure 10.3, les onze variables ont
été classées en trois groupes F distincts : le groupe des « variables de localisation»
(A, B, C), le groupe des « variables de dimensions» (D, E, F, G), et le groupe des
« variables de coûtS» (H, J, J, K). Les variables étant groupées sur cette base quali-
tative, la distinction entre liaisons internes à un groupe et liens entre groupes apparaît
clairement.
L'analyse des industries portugaises faite selon cette méthode suggère deux hypo-
thèses principales : la taille des établissements est liée aux coûts; la localisation est

318
Les tests statistiques

liée aux investissements. En mettant en lumière les liaisons qui ont le plus d'impor-
tance et en éliminant celles dont les effets sont moindres, cette méthode fraye la voie
à l'application des techniques classiques de test d'hypothèses.
Au passif de la méthode du fusil de chasse, rappelons cependant qu'il peut exister
des liaisons entre une variable d'une part, plusieurs variables d'autre part. De telles
liaisons n'apparaissent pas sur la matrice de corrélation (tableau 10.2) qui mesure
seulement les liaisons entre variables prises deux par deux. Des techniq ues plus
compliquées sont nécessaires pour traiter ce problème plus difficile. Berry (1960)
a montré comment inverser une matrice et lui appliquer l'analyse canonique pour en
extraire la « structure latente ». C'est à partir d'un tableau croisé de quatre-vingt-
quinze pays et quarante-trois indices de développement économique qu'il a défini,
par le calcul, les composantes principales présentées sur le tableau 8.1 (p. 251) :
ces composantes conduisent à un certain nombre d'hypothèses relatives au dévelop-
pement économique.
L 'hypothèse tirée de l'imagination a des chances de conserver la première place
dans la recherche géographique; mais des techniques statistiques, plus ou moins
complexes et efficaces, sont susceptibles de suggérer des hypothèses de travail en
faisant apparaître l'organisation éventuellement latente dans les observations.

2. LES TESTS STATISTIQUES

Peu de vagues d'innovation ont déferlé sur la géographie avec plus de force et
avec des effets aussi décisifs que l'analyse statistique. En 1955, l'emploi de méthodes
statistiques dans la recherche géographique était une curiosité (sauf peut-être en
çlimatologie). Vers 1965, beaucoup d'articles faisant une large place à l'analyse
statistique étaient publiés dans de nombreuses revues américaines de géographie,
notamment dans les Annals of the Association of American Geographers,. même dans
les revues anglaises, plus conservatrices, se manifestaient discrètement des tendances à
l'emploi de ces méthodes. En outre, ont été publiés un manuel de statistique spéciale-
ment conçu pour les géographes (Gregory, 1963), une étude importante sur la carto-
graphie statistique (Duncan et al., 1961), une bibliographie exhaustive de la géogra-
phie mathématique (Anderson, 1963), et un symposium sur les méthodes quantitatives
en géographie (Garrison, 1967).
Il n'y a pas lieu de débattre ici du rôle à accorder à la statistique en géographie.
Les arguments en sa faveur ont été exposés avec force par Burton (1963-A), qui consi-
dère la « révolution quantitative» comme à la fois inévitable et irréversible. Quant
aux arguments contre l'emploi, ou plutôt contre l'emploi inconsidéré de la statistique,
Spate (1960) les a présentés dans un plaidoyer en faveur de l'analyse littéraire et
qualitative. Des escarmouches ont été engagées à propos des techniques elles-mêmes,
par Reynolds (1956) et Garrison (1956) sur la question de la statistique « géogra-
phique », et par Zobler (1958) et Mackay (1958-B) sur l'utilité de la variable X2 dans
le tracé des limites régionales. L'ardeur du débat provient en grande partie du manque
d'information et de compréhension, d'un côté comme de l'autre (Robinson, 1961-A).

319
LA VÉRIFICATION DES HYPOTHÈSES

La variété et la complexité des techniques statistiques sont telles que leur exposé
dépasse le cadre de cet ouvrage; nous nous contenterons d'énoncer les problèmes que
pose au départ l'application de tests statistiques aux populations géographiques,
et de présenter, à l'aide de cinq exemples, quelques-unes des possibilités de ces
méthodes. D'excellents manuels de statistique sont à la disposition de ceux qui vou-
draient aller plus loin. Le livre de Davies (1958) présente une introduction non mathé-
matique très claire aux procédés types et constitue un excellent formulaire; celui de
Siegel (1956) offre un tableau résumé des tests non paramétriques. Gregory (1963)
a écrit une introduction aux méthodes statistiques appliquées aux données géogra-
phiques; des manuels semblables concernent l'écologie (Greig-Smith, 1964; Kershaw,
1964) et la géologie (Miller et Kahn, 1962). Deux courts exposés généraux nous
semblent particulièrement intéressants, ceux de Strahler (1954) et de Chorley (in
Dury, 1965) sur les applications de la statistique à la géomorphologie; ces articles
font bien ressortir les problèmes, tant morphologiques que spatiaux, de l'analyse
géographique.

Les difficultés d'application des tests statistiques

Deux des difficultés fondamentales que rencontre tout essai d'application des
méthodes statistiques traditionnelles à la solution de problèmes géographiques ont
leur source dans la nature même des populations géographiques (chap. 7, section 1).
En effet, les mesures relatives à ces populations - taille des villes, pentes, etc. -
révèlent couramment des distributions qui ne sont pas « normales» au sens statistique
du terme (c'est-à-dire : ne suivent pas la loi de Laplace-Gauss), mais fortement
dissymétriques; d'autre part, le niveau de mesure (cf pp. 239-241) est souvent bas.

LA NATURE DES DISTRIBUTIONS GÉOGRAPHIQUES

Dans la plupart des tests statistiques, l'une des hypothèses fondamentales est que
les valeurs observées sont distribuées symétriquement de part et d'autre de la moyenne,
selon une fonction de densité normale représentée graphiquement par une courbe
en cloche (Davies, 1958, p. 15). On sait peu de chose sur la distribution statistique des
populations géographiques, mais les rares études déjà faites montrent clairement
que les données géographiques ne se conforment à une distribution exactement
normale que dans très peu de cas. Presque tous les indices dont les courbes cumu-
latives figurent dans l'atlas de Ginsburg ont une distribution fortement dissymétrique.
En présence d'une distribution non normale, il existe deux façons de tourner la
difficulté :
10 Employer la vaste gamme des tests statistiques assez simples, dits non paramé-
triques, dont l'application n'exige pas que la distribution des observations soit normale.
Siegel (1956) a présenté brièvement plusieurs tests de ce genre dans son livre Non-
parametric Statistics. Ces tests posent un problème : l'échelle des mesures utilisées
doit être au moins l'échelle ordinale; convertir à cette échelle les valeurs observées
initiales peut entraîner l'abandon d'une partie de l'information qu'elles contenaient.

320
Les tests statistiques

2° Analyser non les données initiales, mais une transformation adéquate de ces
données, de façon à stabiliser les variations et à rendre la distribution plus proche
de la normale; ainsi les tests paramétriques traditionnels peuvent être appliqués
sans difficulté. Le tableau 10.4 indique les transformations les plus usuelles et leur
effet sur les données initiales. Parmi elles, la plus couramment employée en géographie

TABLEAU 10.4

TRANSFORMATIONS EMPLOYÉES· POUR NORMALISER OU STABILISER


DES DONNÉES

Distribution Transformation Remarques

Normale . .
Log-normale Log X Normalise les données
Binomiale. Arc-sinus Stabilise la variance
Poisson. -JX Stabilise la variance
Gamma . . -JX ou log X Stabilise la variance

est la transformation logarithmique, qu'ont appliquée King (1961) dans une étude
sur l'espacement des villes aux États-Unis, et Haggett (1964) dans une étude sur la
distribution des forêts dans le Sud-Est du Brésil. Thomas (1962, p. 17) a utilisé une
extension de cette transformation, la transformation bilogarithmique : dans une
étude sur l'espacement des localités de l'Iowa, il a pris le logarithme du logarithme
des distances. Dans les études sur l'utilisation du sol, la transformation arc-sinus
présente un intérêt particulier; Krumbein (1957) a exposé en détail les arguments
en faveur de son adoption à la place de l'emploi direct de données qui se présentent
sous forme de pourcentages ou de rapports; en gros, elle a pour effet de stabiliser
la variance et de permettre l'emploi de plans d'expériences qui, autrement, seraient
inadaptés. La figure 10.4 représente le résultat de la conversion de données (en pour-
centages) relatives à la distribution des forêts au Portugal en unités angulaires par
application de la transformation arc-sinus. Des tables de conversion figurent dans
le livre de Fisher et Yates (1957, tableau X, p. 20).
Il n'est guère difficile de décider si la transformation arc-sinus est appropriée ou
non à un cas donné : elle est adéquate si les données en pourcentages sont fondées
sur l'observation de moins de 100 individus, ou s'il existe des valeurs inférieures à
30 % ou supérieures à 70 % (Jeffers, 1959, p. 74). Dans bien des cas, cependant, il
peut être bon de se demander quelle transformation est adéquate, ou même s'il est
nécessaire d'en faire une. Il est utile, à titre d'essai, de porter diverses transformations
sur du papier gausso-arithmétique, sur lequel une distribution normale est représentée
par une droite. Jeffers (1959, p. 75) a présenté une méthode rapide qui permet de
choisir la transformation adéquate en comparant la variance et la moyenne de l'échan-
tillon sur du papier bilogarithmique. En pratique, plusieurs tests sont assez robustes

321
30
20

10
a,... DONNÉES INITIALES
Forêts de sobceiro, en %
100

50

00 100 gL9----90.L-----'ao----'.,,1...0-G.l.O-5.l.0-4Q..l-.J.3O-21.-0-.J.10-------J1 0 ~
100 -g
<1>

DONNÉES TRANSFORMÉES ~
<1>
U>
Forêts, en unités angulaires n
50 3c:
ro:
<1>
L-_ _--'s::::..-----lL-..l-..1-..1-..1---'--------L_--'---- ---Jo !!'
<1>
gg gO 80 70 60 5040 30 20 10 1::>
100 ?f!.

1!~
DONNÉES IDÉALES
Distribution normale
50

o o
80 7060 5040 30 20 10

Fig. 10.4 - Transformation arc-sinus de données sur I·utilisation du sol.


Source: HAGGETT, 1961 - B.

pour être peu affectés par de faibles écarts par rapport à la loi normale; des transfor-
mations approchées suffisent donc.
Ainsi, des transformations permettent d'appliquer à des populations géographiques
non normales toute la gamme des tests paramétriques. Malheureusement, il faut
ensuite faire une nouvelle transformation des résultats de l'analyse statistique, pour
revenir à la forme initiale; cela peut être très difficile, et le chercheur isolé doit mettre
en balance, dans chaque cas, les avantages théoriques et les inconvénients pratiques
de ces opérations. Krumbein (1957) a néanmoins rappelé que le souci de conserver
telle ou telle forme de mesure (par exemple les pourcentages, dans l'étude de l'utili-
sation du sol) est souvent fondé plutôt sur la tradition que sur les qualités uniques ou
irremplaçables qu'aurait cette forme; par exemple, pour les mesures d'acidité, l'échelle
pH est couramment acceptée, bien qu'elle soit logarithmique et non arithmétique.

LE NIVEAU DE MESURE DES DONNÉES

Nous avons déjà vu (chap. 8, section 1) quelle relation existe entre la notion de
niveau de mesure et le choix des techniques appropriées au traitement d'un ensemble
de données géographiques; cette relation s'étend au choix des opérations statistiques.
Sur le tableau 10.5, les quatre échelles fondamentales de mesure (échelles nominale,
ordinale, d'intervalles et de rapports) sont croisées avec le nombre de composantes
étudiées. Quand il existe une seule composante, on ne s'intéresse qu'à un seul ensemble
d'individus, à un seul caractère ou variable (Xl); il s'agit par exemple de la distance
moyenne entre les unités d'habitat d'une région. Quand il existe deux composantes,
on met en relation deux caractères de ce genre, par exemple la distance entre unités

322
Les tests statistiques

d'habitat (Xl) et une variable que l'on suppose être un facteur de la première, comme
la densité de population (X2 ). n est visible que ce cas est plus difficile, car le second
caractère, X 2 , peut lui-même être mesuré à l'une des trois échelles: il est possible de
mettre en relation la distance Xl' qui est mesurée à l'échelle de rapports, avec une
composante X 2 qui peut être par exemple le type d'utilisation du sol (mesuré à l'échelle
nominale ou classificatoire) ou les périodes de peuplement (mesurées à l'échelle
ordinale) aussi bien que la densité de population (mesurée à l'échelle de rapports).
Ainsi, avec deux composantes, six combinaisons sont possibles; elles sont présentées
dans la deuxième partie du tableau 10.5. Quand il existe plusieurs composantes, on
met en relation plusieurs ensembles, plusieurs caractères ou variables, par exemple la
distance entre unités d'habitat (Xl) avec à la fois la densité de population (X2 ) et
d'autres caractères ou variables (Xa, ... , X n ).

TABLEAU 10.5

NIVEAUX DE MESURE ET OPÉRATIONS STATISTIQUES l

Échelles nomi- Échelles ordi- Échelles


nale, ordinale, nale, d'inter- d'intervalles ou Échelle
Composante Xl d'intervalles ou valles ou de de rapports
de rapports de rapports de rapports

Une seule composante


Fréquences Médiane Moyenne Moyenne
géométrique
Mode Centiles Variance Moyenne har-
monique
Coefficient
de variation

Deux composantes
Khi-carré Test U de Mann Comparaison de moyennes
Échelle nominale Whitney (par ex. test t de Student)
Coefficient de Comparaison de variances
contingence (par ex. test F de Fisher-Snedecor)
Corrélation des
Échelle ordinale rangs : rho de
Spearman, tau
de Kendall Coefficient de corrélation
Échelles d'inter- (par ex. de Bravais-Pearson)
valles et de rap-
ports Régression linéaire et non linéaire

Plusieurs composantes
Échelles d'inter- Analyse de va- Corrélation multiple
valles et de rap- riance
ports Analyse de co- Régression multiple
variance

1. Sur des échantillons seulement.

323
LA VÉRIFICA TlON DES HYPOTHÈSES

Dans le corps du tableau, quelques tests statistiques caractéristiques sont indiqués,


chacun à sa place; les livres de Gregory (1963) et de Miller et Kahn (1962) expliquent
en détail comment les calculer et les appliquer aux sciences de la terre. Le tableau fait
clairement apparaître qu'à toute modification du niveau de mesure et du nombre de
composantes correspond systématiquement un changement du nombre des techniques
statistiques applicables. La première partie du tableau montre qu'il est possible de
calculer seulement deux paramètres quand les données sont à l'échelle classificatoire,
mais au moins neuf quand elles sont à l'échelle de rapports. Puisque le nombre des
techniques applicables est également lié à la puissance des tests, la nécessité d'élever
progressivement le niveau de mesure des phénomènes de localisation apparaît d'elle-
même.

Les tests de comparaison simples


Il ne sera question ici que de deux tests de comparaison simples. Davies (1958,
pp. 69-95) et Gregory (1963, pp. 115-166) ont décrit de façon complète d'autres tests,
et Chorley (in Dury, 1965, pp. 275-387) a rassemblé un certain nombre d'exemples
de leur emploi.

PREMIER EXEMPLE : LA COMPARAISON DE MOYENNES

Un problème, très simple et très fréquent, est posé lorsque les données se présentent
sous forme de classes en ce qui concerne un des caractères, et sous forme de mesures
très précises en ce qui concerne l'autre.
La figure 10.5 offre un cas de ce genre : les données relatives à l'espacement des
localités sont à l'échelle nominale en ce qui concerne la variable indépendante (il
s'agit simplement d'une classification en deux aires géographiques, l'Iowa-Missouri
et le Black Belt du Texas), à l'échelle de rapports en ce qui concerne la variable
dépendante (les distances en kilomètres entre localités sont connues exactement,
dans les deux aires étudiées).
La comparaison des deux moyennes (Xl et X2 ) fait apparaître que la distance entre
les petites villes du Texas (20,5 km) est plus grande que la distance entre villes de
taille semblable de la région Iowa-Missouri (19,2 km). Mais la comparaison des deux
histogrammes fait naître un doute. En effet, non seulement le chevauchement des
deux distributions est considérable, mais le nombre des localités qui ont servi d'échan-
tillon pour le calcul des moyennes est presque trois fois plus grand en ce qui concerne
l 'Iowa- Missouri qu'en ce qui concerne le Texas. Dans ces conditions, la différence
entre les deux moyennes est-elle réellement significative, ou due au hasard?
Pour tester cette différence entre moyennes d'échantillons, on pose l'hypothèse
nulle suivante : il n'existe pas de différence réelle entre les moyennes des deux aires
étudiées. Cette hypothèse nulle peut être testée à l'aide de la variable t de Student,
qui est calculée ainsi

324
60
o Est du Texas
N ~o 67
X = 20,5
S = 5,80
® Iowa et
Missouri
N =203
X ~ 19,2
S ~ 6,85

'"
~ 40
<.>
.2
Q)
"0
x
Q)
1
.E
E
o
1
z 20 1

o 10 20 30 40 50 o 10 20 30 40 50
Distance entre les localités. en kilomètres

Fig. 10.5 - Histogrammes de l'espacement des localités, dans deux aires échan-
tillons du Centre des États-Unis.
Source: LbsCH, 1954, p. 392.

Dans cette formule, Xl et X 2 sont les moyennes du premier et du deuxième échantil-


lon, NI et N 2 les effectifs du premier et du deuxième échantillon, et Sp l' « estimateur
de la variance globale» (une valeur moyenne calculée à partir des écarts-types, S sur
la figure 10.5, et des effectifs NI et N 2 ).
Dans l'exemple étudié ici :

t = (20,5 - 19,2) / { 43,4 )(1/67) + (I/203)} = 0,219

La « table des valeurs de t » (Fisher et Yates, 1957, p. 44) montre qu'avec 268 degrés
de liberté (NI + N 2 - 2), la probabilité de la valeur obtenue pour t est comprise
entre 0,8 et 0,9. Cette probabilité est largement supérieure à celle (P < 0,05) qui
correspond au seuil d'acceptation le plus bas; 1'hypothèse nulle doit donc être retenue.
Autrement dit, la différence de 1,3 km observée entre l'espacement moyen des localités
du Texas et celui des localités de l'Iowa-Missouri peut être due au hasard: elle est
statistiquement non significative.

DEUXIÈME EXEMPLE : LA COMPARAISON DE RANGS

Un certain nombre de tests « non paramétriques» sont adaptés aux mesures qui
ne sont pas à l'échelle d'intervalles ou de rapports. L'un des plus puissants tests

325
LA VÉRIFICATION DES HYPOTHÈSES

d'association, utilisàble quand Xl est à l'échelle classificatoire et X 2 à l'échelle ordinale,


est le test U de Mann-Whitney. Pour un vaste échantillon (n 2 > 20), l'hypothèse
nulle est testée par la variable U qui est calculée ainsi, l'échantillon étant partagé
en deux groupes :

Dans cette formule, NI est l'effectif du plus petit des deux groupes, N 2 l'effectif du
plus grand, RI la somme des rangs donnés aux unités du groupe d'effectif NI (Siegel,
1956, pp. 116-127).
Le tableau 10.6 représente une série de mesures tirées (Haggett, 1961-A, p. 52) d'un
échantillon de 40 photographies aériennes du bassin de Fortaleza (État de Sào Paulo,
Brésil) : les photographies sont partagées en deux groupes correspondant à deux
types de terrain. Nous avons estimé, photo par photo, les surfaces cultivées, puis
rangé les valeurs obtenues de la plus forte (rang 1) à la plus faible (rang 40), en faisant
un seul rangement pour les deux groupes de photos.

TABLEAU 10.6

RANGEMENT DES ESTIMATIONS DE SURFACES CULTIVÉES l

Nombre
de photos Rangement des estimations
(N)

Types de terrain :
- fonds de vallées 10 1 2 3 6 8 10 14 16 18 33
- pentes . . . . 30 4 5 7 9 11 12 13 15 17 19 20 21 22 23 24 25
26 27 28 29 30 31 32 34 35 36 37 38 39 40

1. Bassin de Fortaleza dans le Sud-Est du Brésil.

Dans cet exemple :

U = 10 x 30+ 10(10+ 1)/2-111 = 244


Les méthodes qui permettent de déterminer le seuil de signification de la valeur
obtenue pour U dépendent de la taille de N 2 • Si N 2 est inférieur à huit, ou compris
entre neuf et vingt, le seuil de signification de la valeur de U peut être tiré des tables
de Mann-Whitney, qui sont reproduites dans le livre de Siegel (1956, table J, pp. 271-
273; table K, pp. 274-277). Mais si, comme dans l'exemple présenté ici, N2 est supé-
rieur à vingt, il faut calculer la variable z :

326
Les tests statistiques

et voir à quelle probabilité correspond cette valeur sur une table des valeurs de z
(Siegel, 1956, table A, p. 247). Dans l'exemple présenté ici :

z = {244 - 10 x 30/2} / J10 x 30 (1 °+ 30 + 1)/12 = 2,94


La table des valeurs de z indique que la probabilité correspondante est P = 0,0026
(Siegel, 1956, table A, p. 247). Cette valeur est comprise dans l'intervalle de confiance
0,01 > P > 0,001. On peut donc considérer que la liaison entre le type de terrain
et le degré de mise en culture est statistiquement significative, au seuil de confiance
de 99 %'
Le test de Mann-Whitney et quelques autres permettent de connaître la signifi-
cation de la différence entre sous-échantillons indépendants qui ne sont pas à l'échelle
d'intervalles ou de rapports. Parmi eux, le test de Kolmogorov-Smirnov et le test
de Wald-Wolfowitz aident à déterminer si deux échantillons appartiennent à des
populations statistiques qui diffèrent d'un point de vue quelconque, alors que le test
de Mann-Whitney est particulièrement sensible aux différences existant entre carac-
téristiques de tendance centrale. Pour bien choisir le test à utiliser dans une situation
donnée, il faut prendre en considération la puissance relative des tests aussi bien que
la taille des échantillons et la précision des mesures (Siegel, 1956, pp. 156-158).

Les comparaisons de tendances

Quand deux ou plusieurs ensembles de données sont collectés simultanément


pour un grand nombre de localisations, on peut vouloir rechercher les tendances
existant dans les relations entre ces ensembles. Pour traiter ce problème, la méthode
statistique traditionnelle est l'analyse de régression. Nous allons exposer brièvement
comment l'analyse de régression simple et l'analyse de régression multiple s'appliquent
à deux problèmes géographiques caractéristiques. Davies (1958, pp. 150-272) et
Gregory (1963, pp. 185-208) ont clairement résumé les principales étapes de ce type
d'analyse. L'ouvrage de référence sur l'analyse de régression multiple est celui d'Eze-
kiel et Fox (1959); mais, pour les géographes, il peut être plus utile de consulter
l'exposé très clair qu'a fait Krumbein (l959-A) sur l'application de cette méthode
au « tri» d'un groupe de facteurs dont dépend la solidité des plages. Duncan et al.
(1961, pp. 99-128) ont discuté les problèmes que pose l'application de l'analyse de
régression à des données spatiales, et Robinson (Robinson et Bryson, 1957; Robinson,
1962) a étudié le problème difficile de la comparaison statistique entre cartes de
tendances en isarithmes.

TROISIÈME EXEMPLE: L'ANALYSE DE RÉGRESSION SIMPLE

Le premier type de recherche d'une liaison entre deux variables mesurées à l'échelle
de rapports est la régression linéaire, par laquelle on essaie de définir la fonction qui
lie X et Y; dans l'expression Y = f (X), Y est considéré comme un « effet », X comme

327
LA VÉRIFICATION DES HYPOTHÈSES

une « cause », et f est un symbole qui signifie « fonction de ». Pour faire une recherche
de ce type, il faut avoir de fortes raisons logiques d'attribuer à une variable, plutôt
qu'à l'autre, le rôle de cause. Par exemple, il est possible de dire que de faibles chutes
de pluie peuvent être la cause d'une pénurie de blé, mais non l'inverse!
La figure 10.6 présente un exemple d'analyse de régression, dans lequel une ten-
dance est nettement affirmée. Les données utilisées sont les distances, mesurées par
Losch, entre les localités de 1 000 à 4 000 habitants situées dans une bande de 130 kilo-
mètres de large et 1 000 kilomètres de long qui s'étend de Chicago à la limite orientale
du Nebraska. Ces données sont portées sur le graphique de la figure 10.6 A : la
variable indépendante (la « cause ») est sur l'axe des x, la variable dépendante
(<< l'effet ») sur l'axe des y. Les points du graphique montrent que l'espacement croît
légèrement à mesure qu'augmente la distance à partir de Chicago; mais cette crois-
sance n'est pas régulière, et l'on a des raisons de penser que la situation décrite n'est
pas simple. Il s'agit donc de découvrir la forme dacte de la fonction qui lie X et Y,
et de vérifier, par un test, si la liaison trouvée est statistiquement significative.

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0 400 800 0 400 800 0 400 800
Distance par rapport à Chicago. en km (X)

Fig. 10.6 - Étapes de l'analyse de régression de l'espacement de localité (y) en fonction de la distance
par rapport à Chicago (x) : A. Graphique de dispersion. - B. Droite de régression ou de meilleur
ajustement. - C. Résidus obtenus par régression (y - Ye)'

Pour déterminer la fonction, on peut prendre la droite de régression ou droite de


meilleur ajustement, c'est-à-dire la droite qui s'ajuste le mieux aux points portés sur
le graphique (Gregory, 1963, pp. 185-208). L'équation générale de cette droite est
y = a + bX, a et b étant deux constantes. La constante a détermine la position de
l'intersection de la droite de régression avec l'axe des Y; la constante b, qui détermine
la pente de la droite, est appelée coefficient de régression. Sur la figure 10.6 B, la liaison
est positive; autrement dit, toute croissance de X est accompagnée par une croissance
de Y. On trouve tout aussi couramment une liaison négative : le coefficient de régres-
sion b est négatif, et la droite s'abaisse vers la droite du graphique.
Sur la figure 10.6 B, la droite de régression a été ajustée aux données de Losch
par la méthode des moindres carrés. La fonction qui lie l'espacement (Y) et la distance
par rapport à Chicago (X) est : Y = 95,0 + 0,142 X. Cette droite de régression ou
de meilleur ajustement est une approximation de la tendance présentée par les points

328
Les tests statistiques

de la figure 10.6 A, mais il est évident qu'aucun des points n'est réellement situé
sur la droite, et que plusieurs valeurs en sont à une certaine distance. D'où la nécessité
de décider, au moyen d'un test, si la liaison entre Yet X est statistiquement signifi-
cative, ou si elle n'est due qu'au hasard. L'examen du graphique fait apparaître
que trois facteurs sont d'une importance primordiale dans la détermination du seuil
de signification de la tendance : le nombre de points, la pente de la droite, et le degré
de dispersion des points de part et d'autre de la droite. Si le nombre de points est
très petit, ou si la droite a une pente très faible (si elle est presque parallèle à l'axe des
X), même un examen rapide du graphique permet de penser que la tendance est peu
marquée.
Dans l'exemple présenté ici, le nombre de points (N = 10) et la pente de la droite
(b = 0,142) sont déjà connus. Le degré de dispersion est mesuré par une caractéris-
tique appelée erreur type d'estimation, notée Sy.x, et calculée ainsi

Sy.x = JL, (Y - Y c)2 / (N - 2)

Dans cette formule, Y est l'ordonnée d'un point d'abscisse X, et Yc l'ordonnée de


la droite de régression pour la même abscisse X; on peut faire apparaître les diffé-
rences (Y - Yc) en traçant de courts segments parallèles à l'axe des y et joignant
les points à la droite de régression. Cette caractéristique est apparentée à l'écart-type,
puisqu'elle mesure la dispersion des valeurs de part et d'autre de la droite de régression.
Dans l'exemple présenté ici, le calcul donne: Sy.x = 26,9 km, ce qui signifie qu'envi-
ron deux tiers des valeurs Y doivent théoriquement différer de 27 km ou moins des
valeurs données par la droite de régression, quelle que soit la distance par rapport à
Chicago.
Les trois facteurs (nombre de points, pente, dispersion) étant connus, il est possible
de revenir au problème du seuil de signification de la tendance présentée par la
figure 10.6. Pour faire ce test, on pose une hypothèse nulle qui revient à adopter le
point de vue attentiste ou sceptique : « il n'existe aucune tendance liant l'espacement
des localités à la distance par rapport à Chicago », et on s'en tient à cette hypothèse
jusqu'à ce que se présentent des raisons de l'abandonner. L'hypothèse nulle est testée
au moyen de la variable t de Student que l'on calcule ainsi

Dans cette formule, J


1: (X - X)2 mesure la dispersion de toutes les valeurs X
autour de leur moyenne X. Dans l'exemple présenté ici :

t = 0,142 X 905,5 / 26,9 = 4,78

On se reporte alors à la table des valeurs de t (Fisher et Yates, 1957, p. 44) et on


constate, dans la ligne correspondant à huit degrés de liberté (N - 2), que cette valeur
se trouve entre les colonnes 0,01 et 0,001. Il n'existe donc qu'une très petite probabilité

329
LA VÉRIFICATION DES HYPOTHÈSES

(comprise entre 1/100 et 1/1 000) pour que cette liaison (la tendance à tester) soit
due au hasard. L'hypothèse nulle doit donc être rejetée; on peut considérer que la
pente de la droite qui représente la tendance (fig. 10.6 B) est statistiquement signifi-
cative, au seuil de confiance de 99 %'
Jusqu'ici, nous avons parlé de la régression linéaire: l'échelle des axes X et Yest
arithmétique, et la courbe de régression est une droite. Mais il existe d'autres fonctions,
qui peuvent produire un meilleur ajustement aux données portées sur le graphique.
La figure 10.7 en donne quatre exemples :
A - une fonction logarithme : Y = 1 + loglo (X + 2)
B - une fonction exponentielle: Y = 1 - 0,01 eX
C - une fonction puissance : Y = 10 X%
D - une fonction polynôme : Y = 10 - 5 X + X2

y y

3 ® 30 ®
20

10

o L-----'-_---L_ X
00 2 4 6
o 10 20
Y Y
@
~o
30

20 40

20

o L..-----'-_---L_ X X Fig. 10.7 - Liaisons non linéaires.


o 5 10 -5 0 +5 Sources: BROOKS et CARRUTHERS, 1953, p. 301.

Dans chacun de ces cas, la liaison entre X et Y n'est pas simplement linéaire. On peut
parfois « transformer» ces fonctions en graduant selon une échelle spéciale l'un des
deux axes du graphique, ou les deux. Mais, comme nous l'avons souligné ci-dessus
(p. 320), ces distributions « non normales» sont importantes pour nous, dans la mesure
où bien des distributions géographiques connues semblent être de ce type.

QUATRIÈME EXEMPLE: L'ANALYSE DE RÉGRESSION MULTIPLE

Lorsque - le cas est fréquent - un effet peut être expliqué non par une seule cause
mais par plusieurs, on a besoin d'un procédé de calcul permettant de lier cet effet (Y)
à un certain nombre de causes combinées (Xl' X 2 , ••• , X n ). Ce problème est résolu

330
Les tests statistiques

par l'analyse de régression multiple, qui consiste à rechercher les valeurs des cons-
tantes a, b, ... , z de l'équation :
y = a + bX + cXz + ... + zXn
1

Un exemple typique d'application de ce procédé à l'analyse des répartitions géo-


graphiques est l'étude de MacCarty et al. (1956) sur la distribution de l'industrie des
machines-outils dans les préfectures du Japon. L'équation de liaison obtenue est:
y = 0,68 Xl + 0,37 X + 0,42 X + 0,46 X
2 3 4 - 44,56
Dans cette formule, Y est l'industrie des machines-outils, Xl l'industrie de l'impri-
merie, X 2 l'industrie chimique, X 3 1'industrie de la filature et X4 1'industrie alimentaire.
Grâce à l'emploi de ce procédé, MacCarty a pu tester la validité d'un certain nombre
de théories précédemment émises pour expliquer la distribution géographique de
l'industrie.
Nous avons (Haggett, 1964) analysé la distribution des forêts (Y) dans le Sud-Est
du Brésil (fig. 9.20) en posant cinq hypothèses relatives à l'action de cinq facteurs
dont la liste figure sur le tableau 10.7. Chaque hypothèse a été testée par analyse de
régression simple; le niveau d'explication de la distribution des forêts atteint pour
chaque facteur est indiqué dans la colonne « réduction de la variance ». La variance
totale du pourcentage du sol occupé par la forêt étant réduite à 100 %, il est possible
d'exprimer en pourcentages les variances correspondant à chacun des cinq facteurs.

TABLEAU 10.7

FACTEURS ÉTUDIÉS DANS UNE ANALYSE DE RÉGRESSION MULTIPLE


DE LA RÉPARTITION DES FORÊTS 1

Facteurs '1 Transformation Liaison Réduction


de la variance

Indice de relief (Xl) Logarithmique Directe 38,4 %


Indice d'espacement de l'habitat (X 2 ) Logarithmique Directe 7,2 %
Indice de densité de population rurale (X 3 ) Logarithmique Inverse 19,4 %
Indice de densité de la végétation forestière (X4 ) Logarithmique Directe 47,5 %
Indice de valeur du sol (Xs ) Logarithmiq ue Inverse 13,2 %

I. Sud-Est du Brésil.

Source : P. HAGGETT, in Geographical Jal/mal, 1964, p. 374.

L'indice de densité de la végétation forestière (X4 ) et l'indice de relief (Xl)' pour


lesquels les valeurs obtenues sont respectivement de 47 et 38 %, apparaissent nette-
ment comme des facteurs très importants de la répartition des forêts.
Ce qui rend difficile l'interprétation des équations obtenues séparément pour
chaque facteur, c'est que chacune suggère une liaison simple; l'expérience donne

331
LA VÉRIFICATION DES HYPOTHÈSES

plutôt à penser que chaque facteur agit en tant qu'élément d'un complexe, le milieu.
L'analyse de régression multiple permet de combiner les facteurs par deux, par trois,
par quatre ou par cinq, pour étudier leur action conjointe. Les résultats donnés par
les combinaisons par paires sont présentés sur la figure 10.8 : le niveau d'explication
est plus élevé que celui que l'on atteint en considérant chaque facteur isolément.
80

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X, Indice de relief

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....-.""."" X2: Indice d'espacement de l'habitat
01..<::..- --'- --'--- .1....- ---"- --'- _

o 10 20 30 40 50
Réduction de la variance par analyse de régression simple

Fig. 10.8 - Comparaison des résultats de l'analyse de régression simple et de l'analyse


de régression multiple: exemple de la répartition des forêts dans le Sud-Est du Brésil.
Source: HAGGETI, 1964, p. 374.

En étudiant l'action conjointe des cinq facteurs, on explique environ deux tiers des
variations régionales de la répartition des forêts.
Un procédé très intéressant et peut-être plus facile à comprendre permet de faire
apparaître les résultats de l'analyse de régression : la cartographie des résidus. Cette
technique a été exposée par Thomas (1960). La figure 10.9 en donne une illustration:
les aires en grisé et affectées du signe plus sont celles où le pourcentage de la surface
du sol réellement couvert par la forêt est supérieur au pourcentage qui serait atteint
si la répartition des forêts obéissait exactement à chacune des hypothèses; ce sont les
anomalies positives. De même, les aires en grisé et affectées du signe moins corres-
pondent aux anomalies négatives. Aux hypothèses qui fournissent une bonne « pré-
diction » de la répartition des forêts correspondent des cartes comportant des
« maxima» et des « minima» assez peu marqués; au contraire, les cartes comportant
des anomalies étendues indiquent de mauvais ajustements. Les résidus positifs sont,

332
{~~~
Y=f(X 4 )

1<".+:. ":1 Surfaces où le pourcentage réel dépasse de 10% ou plus le pourcentage prédit

r· .~:. :':.1 Surfaces où le pourcentage réel est inférieur de 10% ou plus 8U pourcentage prédit

Fig. 10.9 - Cartes de résidus du Sud-Est du Brésil (G = 3,9) : aires où le pour-


centage de forêts n'est pas « expliqué» par l'analyse de régression.
Source: HAGGETI, 1964, p. 375.

pour les six équations correspondant aux six hypothèses, localisés dans une bande
de trente miles, le long de la côte. A l'intérieur de cette bande littorale, certains noyaux
apparaissent et réapparaissent sur les cartes. Mais, sur la carte correspondant à 1'hypo-
thèse combinant les cinq facteurs, ces résidus positifs se contractent en deux petits
« maxima» de forme elliptique et dont le grand et le petit axes mesurent, respective-
ment, vingt et dix miles environ. Les résidus négatifs sont concentrés de façon sem-
blable, mais ils se localisent loin de la côte, autour de deux importants noyaux qui
réapparaissent d'une carte à l'autre. Ces aires d'anomalie négative sont divisées par
les hautes terres de l'escarpement de la Serra da Mantiqueira, et moins stables que
les résidus positifs, tant en ce qui concerne leur localisation que leur étendue. L'équa-
tion qui prend en compte les cinq facteurs ne laisse subsister qu'un « minimum»
qui s'enfonce comme un coin sur une profondeur de quarante miles en direction du
Sud-Ouest. Il est probable que les aires de résidus, tant positifs que négatifs, sont des
secteurs où agissent des facteurs qui n'ont pas été pris en compte dans l'analyse.
C'est évidemment ces aires qu'il vaudrait la peine d'étudier de près, cas par cas.

333
Les plans d'expérience

Les tests présentés dans les exemples ci-dessus se rapportent principalement aux
méthodes statistiques qui permettent d'extraire des informations de données géo-
graphiques préexistantes. Il sera question maintenant de plans d'expérience relatifs
à des localisations : successivement, des questions sont formulées, des tests statis-
tiques choisis, des observations faites sur le terrain. Quand on suit un plan d'expé-
rience, la collecte des données sur le terrain n'est faite qu'à un stade tardif du
processus de recherche. Krumbein (1955-n) a passé en revue les plans d'expérience
employés dans les sciences de la terre; Davies (1956), dans son livre The Design and
Analysis of Industrial Experiments, a présenté une mine d'idées et de techniques, qui
pourraient s'avérer en grande partie applicables aux études géographiques. L'étude
de Melton (1960) sur les relations entre les pentes et les facteurs locaux du milieu
est un exemple particulièrement intéressant d'application d'un plan d'expérience
à une situation observable sur le terrain.

CINQUIÈME EXEMPLE : LES EXPÉRIENCES FACTORIELLES

Nous avons (Haggett, 1964) utilisé un type élémentaire de plan d'expérience, le


plan factoriel, pour étudier la répartition des forêts dans un petit pays de 100 kilo-
mètres carrés du Sud-Est du Brésil, le bassin de Fortaleza. D'après une étude préli-
minaire, quatre facteurs -le relief (A), le sol (B), la taille des exploitations agricoles (C)

~:.:>:l··· ..... :... o


o ..::.:..::.::.::p:.;...:... .. +--..,
..;.;.
.... ...
...... :-.
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c oc

o
bc obc
b ob
b ob

fig.1D.1D - Étopes de 10 division d'une région. selon un plon d'expérience à trois facteurs.

334
Les tests statistiques

et leur accessibilité (D) - pouvaient être d'importants facteurs du milieu. Nous avons
testé chaque facteur à deux niveaux. Par exemple, le premier facteur, le relief, a été
défini par la pente (l'angle avec 1'horizontale) et une division en deux classes séparées
par une valeur critique a été établie : d'une part les pentes supérieures à 5 degrés
(1 sur la figure 10.10 A), d'autre part les pentes inférieures à 5 degrés (a). La
figure 10.10 A présente le partage, fait sur cette base, d'une aire théorique et d'une
aire réelle tirée de la région étudiée. Du point de vue du deuxième facteur, le sol, nous
avons aussi défini une division en deux classes : les sols sur micaschistes (b) et les
autres sols (1). Du croisement des deux premiers facteurs résultent quatre combinai-
sons possibles: l, a, b et ab (fig. 10.10 B). Le croisement avec les deux autres facteurs,
pour chacun desquels est également définie une division en deux classes, produit au
total 16 combinaisons (tableau 10.8), qui vont de la combinaison l, dans laquelle
aucun facteur n'a théoriquement d'effet positif sur le couvert forestier, à la combi-
naison abcd, dans laquelle les quatre facteurs agissent tous ensemble. Nous avons

TABLEAU 10.8

DÉFINITION DE COMBINAISONS DE FACTEURS 1

Facteur C .- Facteur D .-
Facteur A : Facteur B.- Taille Accessibilité
Relief Sol des exploitations des exploitations

abcd. Moins de 2 km
r abc. Moyenne ( abc. Plus de 2 km
ab. Sur micaschiste
l ab. Grande
abd.
( ab.
Moins de 2 km
Plus de 2 km
a. Pentes > 5° 1
acd. Moins de 2 km
f ac.
1

Moyenne ( ac. Plus de 2 km


a. Autres
l a. Grande ad.
( a.
Moins de 2 km
Plus de 2 km
1 !
bc. Moyenne bcd. Moins de 2 km
( bc. Plus de 2 km
b. Sur micaschiste { Moins de 2 km
b. Grande r bd.
\ b. Plus de 2 km
1. Pentes < 5° 1
1
cd. Moins de 2 km
f c. Moyenne ( c. Plus de 2 km
I. Autres
L. Grande
d.
( 1.
Moins de 2 km
Plus de 2 km
1

1. Bassin de Fortaleza, comté de Taubaté, Brésil.

Source: P. HAGGETT, art. cité, 1964, p. 369.

tracé, sur une carte à 1/10 000 du bassin de Fortaleza, les limites correspondant à
chacune des divisions en deux classes. L'entrecroisement de ces limites a permis de
définir plus de 100 secteurs, dont chacun appartient à l'un des 16 types de combinaisons
de facteurs. Pour chaque type, nous avons repéré sur la carte 16 points échantillons,

335
Fig. 10.11 - Localisation des points de sondage dans les secteurs définis par
combinaison de facteurs, dans le bassin de Fortaleza (G = 6,9), comté de
Taubaté, Brésil.
Source : HAGGETT, 1964, p. 368.

par la méthode des coordonnées aléatoires (cf pp. 221-222); au total, 256 points
ont été obtenus, dont la localisation par rapport aux secteurs définis par combinaison
de facteurs apparaît sur la figure 10.11. Nous avons reporté ces points sur des photo-
graphies aériennes à 1/25000, tracé autour d'eux des cercles équivalents à 2,50 acres
(environ 1 ha) et mesuré la proportion de terrain couverte par la forêt dans chaque
cercle.
TABLEAU 10.9
VARIATIONS DE LA RÉPARTITION DES FORÊTS DANS UNE CLASSIFICATION
FONDÉE SUR QUATRE FACTEURS 1

Accessibilité des exploitations (D)

Mauvaise (1) Bonne (d)


Relief (A) Sol (B)
Taille des exploitations (C) Taille des exploitations (C)

Grande (1) Moyenne (c) Grande (I) Moyenne (c)

Pentes < 5° (1) Autres (1) 12,9 (I) 23,6 (c) 19,4 (d) 10,0 (cd)
Sur mica-
schiste (b) 8,1 (b) 22,1 (bc) 30,1 (bd) 22,0 (bcd)

Pentes> 5° (a) Autres (1) 24,4 (a) 30,0 (ac) 31,3 (ad) 17,5 (acd)
Sur mica-
schiste (b) 8,2 (ab) 23,6 (abc) 37,5 (abd) 54,9 (abcd)
1 1 1

1. Bassin de Fortaleza, comté de Taubaté, Brésil.

Source : Ibid, p. 369.

336
Les tests statistiques

Les résultats de cette analyse sont présentés schématiquement dans le tableau 10.9;
il convient de noter que la proportion de sol couverte par la forêt pour chaque type
de combinaison de facteurs n 'y est pas indiquée sous la forme traditionnelle de pour-
centages de la surface totale, mais en unités angulaires. Il est en effet difficile d'intro-
duire des données en pourcentages dans une analyse statistique, particulièrement
lorsque les valeurs à traiter sont des pourcentages compris entre 0 et 30 %' D'où la
nécessité de convertir les valeurs initiales, exprimées en pourcentages, en une forme
plus stable, en les transformant en valeurs angulaires qui s'étendent de 0 à 90 degrés.
Les arguments en faveur d'une telle conversion ont été exposés ci-dessus (cf transfor-
mation arc-sinus pp. 321-322).

TABLEAU 10.10

FACTEURS DE VARIATION DE LA RÉPARTITION DES FORÊTS 1

Mesure de
l'effet Rapport F Signification
(en degrés)

Facteurs pris isolément :


Relief (A) + 9,8 9,3 Significatif 2
Sol (B) + 4,7 1,6 Non significatif
Taille des exploitations (C). + 4,0 1,2 Non significatif
Accessibilité des exploitations (D) + 8,7 8,2 Significatif 2
Interactions :
BD (sol x accessi bilité) 10,7 Significatif 2
Autres interactions du 1er ordre (paires) . 1,8 Non significatif
Interactions du 2e et du 3e ordre (ABC, ABD,
ABCD) - -

1. Bassin de Fortaleza, comté de Taubaté, Brésil.


2. Seuil de confiance: 95 %'

Source : Ibid., p. 370.

Nous avons analysé les résultats du tableau 10.9 en utilisant un procédé dû à Yates
(Davies, 1956, p. 283) (tableau 10.10). Dans la première partie de ce tableau, l'effet
de chaque facteur considéré isolément est présenté comme une valeur positive, expri-
mée en degrés. Il convient de noter que, si tous les facteurs agissent, deux seulement
(le relief et l'accessibilité des exploitations) ont un effet statistiquement significatif
au seuil de confiance de 95 %' Un point intéressant apparaît dans la deuxième partie
du tableau : la forte interaction des facteurs sol et accessibilité des exploitations
(BD); ceci donne à penser que les exploitations accessibles tendent à être localisées
sur les sols formés à partir du micaschiste; ainsi l'effet important de l'accessibilité
des exploitations sur la répartition des forêts englobe un facteur sol « caché ».
Le plan factoriel n'est que l'un des nombreux plans d'expériences qu'il est possible
d'employer en géographie. Des plans à plusieurs degrés ont déjà été utilisés dans

337
LA VÉRIFICA TION DES HYPOTHÈSES

l'analyse en composantes d'échelle (chap. 9), et la méthode des carrés latins dans
d'autres sciences de la terre (Krumbein, 1953). Haggett (1961-A) a employé un plan
d'expérience moins efficace, la méthode des comparaisons par paires, dans une étude
sur de petits bassins-versants, au Brésil: dans chaque paire, les deux bassins-versants
étaient semblables en ce qui concerne le climat, les roches, la pente, la surface et la
morphométrie, mais totalement différents à un point de vue : l'un des bassins était
couvert de forêts, l'autre défriché. David (1963), dans son livre The Method of
Paired Comparisons, a montré comment on peut, dans des conditions favorables,
utiliser cette « méthode par élimination» pour tester les facteurs qui subsistent.

3. LES VÉRIFICATIONS PAR ANALOGIES

Nous avons vu, à propos de la construction des modèles (chap. l, section 3), qu'il
existe, à côté des méthodes de recherche mathématiques et statistiques, des méthodes
utilisant des expériences et des analogies avec des phénomènes naturels pour corro-
borer les théories. On n'a guère fait appel à celles-ci en géographie, surtout en géogra-
phie humaine, mais des signes indiquent un changement à cet égard. Nous allons
examiner les aspects les plus intéressants des méthodes de simulation. Chorley (1964)
a passé en revue les applications de certaines d'entre elles.

La sim.ulation par analogie avec des phénom.ènes physiques

Dans les diverses branches de la géographie physique, la réalisation d'expériences


pose des problèmes de dimensions ardus; en géographie humaine, il est encore plus
difficile d'apprécier leur pertinence. Bunge (1962, pp. 109-119) a cependant montré
combien de telles expériences seraient utiles pour examiner les plus abstraites théories
spatiales relatives aux mouvements et à l'organisation régionale. Il expose comment
Enke (1951) a pu résoudre des problèmes d'équilibre spatial par une analogie avec
les circuits électriques, et comment Hotelling (1921) a pu présenter une théorie des
migrations humaines par référence à la propagation de la chaleur à travers une feuille
de cuivre. D'autres exemples incitent à penser que la dynamique des flux - théorie
des fluides en hydrodynamique, théorie cinétique des gaz - s'applique bien à la
solution des problèmes de mouvement qui se posent en géographie humaine.
Bunge (1964, pp. 33-35) a décrit une expérience de physique très simple, dans
laquelle le modèle des places centrales de ChristaJ1er et Losch est simulé au moyen
de barreaux aimantés flottants. Chaque barreau aimanté est encastré dans un bouchon
de liège, son pôle positif dirigé vers la partie supérieure du bouchon, dont l'autre
extrémité est plombée; ainsi tous les barreaux et bouchons ont, en flottant, la même
position. On peut soutenir que, théoriquement, puisque les pôles positifs se repoussent
mutuellement, les aimants flottants doivent tendre à se disposer de façon à maximiser
la distance entre eux. L'expérience consiste à laisser tomber simultanément vingt

338
Les vérifications par analogies

aimants de ce genre dans un réservoir circulaire en partie rempli d'eau, puis à enre-
gistrer la position de repos ou d'équilibre qu'ils occupent finalement. Cette opération
est répétée une centaine de fois.

TABLEAU 10.11

SIMULAnON DU MODÈLE DES PLACES CENTRALES


AU MOYEN D'AIMANTS FLOTTANTS

Carrés 1 Pentagones Hexagones Heptagones Autres

Proportion des essais (en %)


- avec point central 1 22 43 2 -
- sans point central . 1 4 25 - 2
Total 2 26 68 2 2
1

Source: W. BUNGE, Patterns of Location, 1964, p. 35.

Les résultats de cette expérience sont présentés sur le tableau 10.11, où chaque
forme obtenue est rattachée à la figure géométrique dont elle se rapproche le plus;
les polygones sont tous pris en compte, qu'ils aient ou non un point central. La
prédominance de la forme hexagonale ressort nettement de ce tableau. Près de la
moitié des épreuves ont pour résultat une forme semblable à celle du modèle de
Christaller et Losch : un hexagone avec un point central; de plus, un quart des
épreuves ont pour résultat une forme hexagonale sans point central. Ensemble,
hexagones et pentagones représentent 94 % des épreuves.
II est évidemment possible d'améliorer ce type d'expérience. Flemming (1964,
communication personnelle) a suggéré la possibilité de remplacer les aimants par
des boules positivement chargées, et d'introduire dans le modèle, en faisant varier
les charges, des différences de taille et d'espacement. En modifiant la pente et la forme
de la surface sur laquelle les boules se déplacent, il serait possible en outre d'étudier
le concept de « résistance}} du milieu local.

Les méthodes de simulation de Monte-Carlo

Nous avons déjà vu, à propos du modèle d'ondes de diffusion de Neyman et


Scott et des idées de Hiigerstrand sur l'évolution du peuplement (cf pp. 68-72 et
110-115), comment il est possible de simuler des répartitions géographiques à l'aide
de processus aléatoires. Garrison (1962, pp. 91-108) a exposé l'apport de ces méthodes
à la prévision de la croissance urbaine. Kansky (1963, pp. 128-147) a utilisé à la fois
des processus aléatoires et la théorie des graphes (cf. pp. 266-269) pour prévoir
(ou, comme dirait Kansky, post-voir) le plan du réseau ferroviaire de la Sicile en
1908; pour cela, il a fait entrer dans son raisonnement les résultats généraux de ses
recherches sur la géométrie des réseaux et les données, valables pour 1908, sur la

339
LA VÉRIFICATION DES HYPOTHÈSES

population et les revenus des treize villes principales de Sicile. De la comparaison du


réseau prévu (fig. 10.12 A) et du réseau existant réellement en 1908 (fig. 10.12 B),
il ressort que ce type de modèle de simulation commence à donner des résultats
encourageants.

Fig. 10.12 - Réseaux ferroviaires de la Sicile en 1908 : réseau obtenu par simulation
(A) et réseau réel (B) (G = 4,3).
Source: KANSKY, 1963. pp. 143, 146.

L'utilisation la plus ambitieuse des modèles stochastiques est peut-être l'appli-


cation faite par Morrill (1963) à l'étude de la croissance des villes de la région de
Viirnamo, dans le Sud de la Suède. Dans cette région en majeure partie forestière
dont la population, actuellement, atteint à peu près 250000 habitants, avec une
densité d'environ 50 habitants par mile carré, le développement industriel, commencé
vers 1865, est resté lent jusqu'en 1880. Morrill retrace la croissance démographique
de la région depuis 1860 d'après les données des recensements de 155 paroisses locales.
Il essaie ensuite de simuler cette croissance démographique et de prévoir la répartition
future de la population à l'aide des méthodes de Monte-Carlo (Hagerstrand, in
Centre international d'étude des problèmes humains, 1963, pp. 61-84).
Le modèle de Morrill définit une série de cycles de vingt ans, qui couvrent la période
de 1860 à 1980. Chaque cycle de simulation comprend six phases : 1° la répartition
de base (la situation en 1860, dans le cas du premier cycle) qui est connue en ce qui
concerne la population, les voies de communication, les industries, etc.; 2° l'attri-
bution de nouvelles voies de transport; 3° l'attribution d'activités non localisées
dans les places centrales (par exemple des industries); 4° l'attribution d'activités
localisées dans les places centrales; 5° l'attribution des gens qui migrent d'un secteur
à l'autre; 6° la situation à la fin du cycle (qui devient le point de départ du cycle
suivant).
Chaque phase du cycle est marquée par l' « attribution », soit de voies de commu-
nication, soit d'activités, soit d 'habitants. La façon dont ces attributions se font en
pratique peut être illustrée par l'exemple de la cinquième phase : attribution de
migrants. Morrill suppose que la propension à émigrer, c'est-à-dire le nombre théo-
rique des gens qui migrent à partir de chaque secteur, est fonction de la taille et des
caractères de la population de ce secteur (conditions de l'emploi, structure par âges,

340
Les vérifications par analogies

etc.). La probabilité de migration d'un secteur à l'autre est considérée comme fonction
de la distance entre ces deux secteurs, de la différence d'attrait des deux secteurs,
et de 1'histoire des contacts précédemment établis par migration. L'attrait relatif
est introduit dans le modèle sur la base des occasions d'emploi qui sont supposées
créées par les activités attribuées au cours des phases précédentes de la simulation.
La possibilité qu'a un migrant donné de suivre une direction particulière est supposée
être fonction inverse de la distance, la distance constituant un obstacle plus ou moins
surmontable selon le niveau de la technologie des transports et selon la composition
de la population (urbains, ruraux).

Fig. 10.13 - Étapes de l'attribution de migrants à différents secteurs, par la méthode de


Monte-Carlo.
Source: MORRILL, 1963, p. 13.

La figure 10.13 décrit le processus de migration à partir d'un secteur, représenté


en grisé, vers les autres. D'abord, l'attrait relatif de chacun des vingt-trois secteurs
de la région est pondéré d'après son potentiel de « probabilité de migration ». Les
valeurs obtenues s'étendent de 24 (centre industriel accessible) à 1 (secteur éloigné
et d'accès difficile) (fig. 10.13 B). Ces valeurs sont additionnées et transformées de
façon que leur total soit égal à 100. Sur la base des valeurs ainsi obtenues, qui sont
des « chances », une série de numéros dont la longueur est égale à ces chances est
affectée à chaque secteur (fig. 10.13 C). Le nombre des gens qui émigrent du secteur

341
LA VÉRIFICATION DES HYPOTHÈSES

considéré est alors choisi; il est égal à 20 dans l'ensemble présenté ici; 20 nombres
compris entre 1 et 100 sont tirés d'une table de nombres au hasard. Chacun d'eux
correspond à un numéro qui figure dans l'un des secteurs; les destinations des migrants
sont ainsi déterminées. La figure 10.13 D présente les migrations ainsi définies.
La répétition de ce processus secteur par secteur permet de déterminer les gains
nets ou les pertes nettes, et d'en déduire les tendances de l'évolution de la population
dues aux migrations. En faisant la somme des résultats des activités qui ont été
attribuées aux secteurs, et de ces modifications par migration, on peut calculer l'évo-
lution globale de la répartition de la population pendant une période donnée. La
nouvelle répartition devient la base d'un nouveau cycle de simulation correspondant
à la période suivante, et ainsi de suite.
La méthode employée par Morrill pour simuler l'évolution de la population
présente des avantages et des inconvénients. Les avantages que sont la grande sou-
plesse de la méthode et sa simplicité mathématique la rendent particulièrement inté-
ressante pour aborder des problèmes dont la solution n'est pas unique, mais comporte
un grand nombre de réponses possibles (par exemple: à quelle distance de leur foyer
d'origine les migrants iront-ils ?). En attribuant des probabilités aux diverses options
possibles - on sait par exemple que des localisations proches ont plus de chances
d'être choisies que des localisations très lointaines - , on peut déterminer le choix
final par un procédé de sondage employant les nombres au hasard. Puisque le choix
d'une localisation dépend en définitive de décisions préalables (qui sont prises en
compte par la « probabilité de migration ») l'événement aléatoire est lié à toute
l'histoire des décisions.
Un inconvénient de cette méthode - il ne s'agit probablement que d'un frein
temporaire - est le volume de calculs nécessaires. Morrill, dans son étude, distingue
155 secteurs, d'où 155 X 155 # 24000 tracés de migrations possibles et autant de
probabilités, qu'il faut entièrement recalculer pour chaque cycle de simulation. En
définitive, la solution est évidemment le traitement par ordinateur, avec un programme
englobant l'ensemble du processus de simulation.
Leopold et Langbein (1962) ont montré comment l'emploi de procédés aléatoires
permet de construire des hiérarchies régulières d'unités spatiales de tailles différentes:
ainsi, les mouvements aléatoires de particules d'eau (fig. 10.14 A) peuvent conduire
à la définition d'une hiérarchie régulière de captures (fig. 10.14 B). Ce modèle simule
des réseaux hydrographiques, mais il est clair que des modèles semblables pourraient
être appliqués à la géographie humaine, à propos des aires commerciales, des divisions
administratives, etc. De même, il serait sans doute possible d'adapter des modèles
de promenades aléatoires (fig. 10.14 C) au développement des itinéraires autour des
centres. En introduisant dans ce modèle une composante, la gravité, Leopold et
Langbein ont pu obtenir d'assez bonnes simulations de réseaux hydrographiques
(fig. 10.14 D); en y faisant entrer une autre composante, la force centrifuge, il serait
de même possible de simuler le développement de réseaux de voies de communication
autour de centres.

342
® a

Fig. 10.14 - A. Grille montrant J'établissement de liaisons entre des centres par
orientation aléatoire. - B. Division de l'espace qui en résulte. - C. Promenade
aléatoire comportant seize pas. - D. Application d'un modèle de trajet aléatoire
à l'évolution d'un réseau.
Sources: LEOPOLD et LANGBEIN, 1962, pp. 16, 18; KRUMBEIN, 1955-B, p. 10.

La simulation logique: les systèmes semi-axiomatiques

Personne n'a encore essayé de fonder une partie quelconque de la géographie sur
un ensemble d'axiomes desquels tout pourrait être déduit logiquement. Il est cepen-
dant des périodes, dans l 'histoire de toutes les branches de la connaissance, où le
désir d'axiomatiser domine : « lorsqu'un effort est fait pour coordonner et codifier
ce qui est déjà connu, pour mettre en ordre les fragments détachés et pour écarter
ce qui est sans importance ou de valeur douteuse» (Fletcher, 1964, p. 181). La seconde
moitié du xx e siècle sera probablement, pour la géographie, une de ces périodes
d'inventaire, au cours de laquelle les modèles seront révisés et généralisés.
L'axiomatique a pour objet la déduction rigoureuse d'une série de résultats à
partir de quelques axiomes (ou hypothèses de travail) en nombre minimal. Elle se
relie directement à la fois à la logique et aux mathématiques par l'algèbre de Boole

343
LA VÉRIFICATION DES HYPOTHÈSES

et l'algèbre des ensembles; nous avons déjà découvert quelques aspects de son emploi
à propos de la nature de la géographie (chap. 1, section 2) et de la structure régionale
(chap. 9, section 1). On peut définir l'axiomatique, de façon simple et pratique, par
l'expression calcul des propositions, qui résume l'union essentielle entre d'une part
les propositions qui découlent des résultats empiriques, d'autre part le traitement
de ces propositions par la logique mathématique. La question reste posée de savoir
dans quelle mesure la géographie peut répondre aux exigences d'un système axioma-
tique (tel que le définissent les logiciens); mais il est certain que les géographes peuvent
orienter leur travail en ce sens.
Kansky (1963, pp. 122-127) a, dans son étude sur les réseaux de transport, ouvert
la voie à un système semi-axiomatique valable pour la géographie humaine. Son
analyse comporte trois phases : définition rigoureuse de huit termes définissant les
composantes du système; énoncé de neuf axiomes en partie démontrés par des résultats
empiriques; déduction de quatre tendances de localisation, à partir des axiomes.
Ainsi, dans la première phase, le terme réseau est défini: « union de toutes les voies de
transport Ei », et symbolisé par l'expression algébrique

N = df. UEi

Dans la deuxième phase, Kansky a pu condenser son septième axiome (<< Quand le
réseau Ni se développe dans le réseau Nj, la longueur métrique des arêtes de Nj
(Ej) tend à être plus courte que la longueur métrique des arêtes de Ni (Ei) ») en la
forme symbolique :

Langer (1953), dans son livre An Introduction to Symbolic Logic, a montré que la réduc-
tion du langage à une forme symbolique entraîne rigidité et étrangeté, mais que ceci est
compensé, comme dans le cas du langage juridique, par une plus grande précision.
A la différence du langage juridique, les symboles peuvent être introduits dans des
équations que l'on peut soumettre à un traitement mathématique, afin de rechercher
les contradicti.ons éventuelles ou d'obtenir des relations insoupçonnées.
Certes, nous pouvons intuitivement nous défier d'un système qui menace de réduire
la phrase « Ophélie aime Hamlet » à H ~ 0; mais la rigueur de la méthode axioma-
tique a beaucoup d'attrait. A une époque où la géographie humaine accorde plus
d'attention à la mesure et à la quantification, la logique symbolique lui offre l'occasion
d'unir cette tendance aux modes de pensée traditionnels fondés sur le sens commun.
A long terme, c'est moins sur la complexité des techniques ou la minutie de l'obser-
vation que sur la force du raisonnement logique que sera jugée la géographie de notre
époque.

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358
Orientation bibliographique

Il a semblé utile de fournir au lecteur des indications bibliographiques complétant les


références qui précèdent, celles-ci correspondant à la première édition anglaise (1965).
1° Depuis cette édition, la littérature sur les nouveaux concepts de l'analyse géographique
et les méthodes quantitatives a connu un développement exceptionnel. La première partie
de cette bibliographie regroupe une liste d'ouvrages et de revues publiés récemment.
2° Les références ci-dessus sont presque exclusivement de langue anglaise. Si la litté-
rature de langue française est moins abondante, elle n'est pas inexistante, surtout si l'on
considère l'ensemble des sciences naturelles, humaines, économiques et le domaine des
mathématiques et des statistiques. Le lecteur trouvera des références utiles pour amorcer
une formation mathématique, se familiariser avec des méthodes auxquelles l'auteur fait
allusion et en apprécier les applications.
Cette seconde partie de l'orientation bibliographique est donc sélective. Elle ne contient
que des références, en langue française, d'imprimés, traitant des méthodes statistiques et
mathématiques, dans une perspective intéres~ant la recherche géographique au sens le plus
large, certes, mais dans l'optique de l'analyse spatiale. On trouvera donc très peu de réfé-
rences de travaux de mathématiques et de statistiques appliqués à un domaine de recherche
autre que le domaine spatial.

L'ouvrage de Peter Haggett a été suivi de plusieurs publications


ABLER R., ADAMS J. S., GOULD P., Spatial Organization. The geographer's view of the world,
Englewood Cliffs, Prentice Hall, 1971, 587 p.
BUNGE W., « Theoretical Geography », Lund Studies in Geography, seL C, General Mathe-
matical Geography, 1966, nO 1, 289 p. (nouvelle édition, révisée et augmentée).
CHORLEY R., HAGGETT P., Network Analysis in Geography, Londres, Arnold, 1969, 348 p.
CHORLEY R., HAGGETT P. (ed. by), Models in Geography, Londres, Methuen, 1967, 816 p.
Ce gros volume a été repris, avec des allégements importants, dans trois livres de la série
« University Paperbacks» :
1. Socio-Economic Models in Geography, 1968;
2. Integrated Models in Geography, 1969;
3. Physical and Information Models in Geography, 1969.
COLE J. P., KING C. A. M., Quantitative Geography. Techniques and theories in geography,
Londres, New York, Wiley and Sons, 1968, 692 p.
HAGGETT P., Geography. A modern synthesis, Londres, Harper and Row, 1972, 483 p.
KING L. J., Statistical Analysis in Geography, Englewood Cliffs, Prentice Hall, 1969, 288 p.
MORRILL R. L., The Spatial Organization of Society, Belmont (Californie), Duxbury Press,
1970, 251 p.
NEFT D. S., Statistical Analysis for Areal Distributions, Regional Science Research Institute,
Monograph Series, nO 2.

359
ORIENTATION BIBLIOGRAPHIQUE

TOYNE P., NEWBY P. T., Techniques in Human Geography, Londres, Macmillan, 1971, 187 p.
Chacun de ces ouvrages comporte évidemment des bibliographies abondantes. Si les
références sont fatalement les mêmes, leur présentation diffère. Il faut mettre à part l'ouvrage
de :
HARVEY D., Explanation in Geography, Londres, Arnold, 1969, 521 p., ouvrage de réflexion
épistémologique unique en son genre.
Les volumes de « Readings» sont nombreux. Ils réunissent des articles parus antérieu-
rement et dispersés dans les revues :
BERRY B. J. L., HORTON F. E., Geographie Perspectives on Urban Systems, Englewood
Cliffs, Prentice Hall, 1970, 564 p.
BERRY B. J. L., MARBLE D. F., Spatial Analysis : a reader in statistical geography, Engle-
wood Cliffs, Prentice Hall, 1968, 512 p.
DAVIES W. K. D. (ed. by), The Conceptual Revolution in Geography, University of London
Press, 1972, 394 p.
D'autres livres ont été publiés dans l'optique d'une présentation de ces nouveaux concepts
et méthodes aux professeurs de l'enseignement secondaire. Ils se présentent le plus souvent
sous la forme de recueils d'articles rédigés par de nombreux auteurs.
CHORLEY R., HAGGETT P., Frontiers in Geographical Teaching, Londres, Methuen, 1965,
385 p.; nouvelle édition, University Paperbacks, 1970.
COOKE R. U., JOHNSON J. H. (ed. by), Trends in Geography. An Introductory Survey, Per-
gamon Press, 1969, 287 p.
La plupart des revues étrangères font maintenant une large place à ces nouveaux courants
de recherche. Citons :
Annals of the Association of American Geographers.
Economie Geography, publié par l'Université de Clark, Worcester, Massachusetts, 4 numéros
par an.
Geographical Analysis, an international joumal of theoretical geography, publié par « The
Ohio State University Press », 4 numéros par an.
Land Economies, Madinson, Wisconsin, 4 numéros par an.
Lund Studies in Geography, ser. E, Human Geography; ser. C, General, Mathematical and
Regional Geography, publiées par le département de Géographie de l'Université royale de
Lund, Suède.
Regional Stl/dies, Journal of the Regional Studies Association, University of Reading,
Grande-Bretagne, 4 numéros par an.
Regional and Urban Economics-Operational Methodes, North Holland, 4 numéros par an.
The Annals of Regional Science, 2 numéros par an, publié en collaboration avec The Western
Regional Science Association et Western Washington State College.
et tout spécialement les deux publications de « The Regional Science Association»
Papers, 1 numéro par an.
Journal of Regional Science, 3 numéros par an.
Depuis 1969, Progress in Geography, International Reviews of Current Research (Arnold,
ed.) publie un volume annuel contenant des mises au point sur les différentes tendances de
la recherche géographique. Les quatre volumes déjà publiés confirment la qualité et l'éclec-
tisme de la revue.
Mais c'est surtout dans les « Seminar Papers» et les « Research Papers », publiés par
chaque université, que paraissent régulièrement les résultats des recherches en cours.

360
Orientation bibliographique

II

A. OUVRAGES D'INITIATION AUX STATISTIQUES ET AUX MATHÉMATIQUES

Ces ouvrages sont nombreux. Ceux qui ont été retenus sont accessibles au lecteur dépourvu
d'une formation préalable. Ils sont groupés en deux catégories : les ouvrages de base, d'al-
gèbre et d'analyse, et les ouvrages spécialisés. Le nombre d'astérisques est fonction de la
difficulté de ces ouvrages.
1. Ouvrages de base
- Algèbre et analyse
BARBUT M., Mathématiques des sciences humaines, 1. Combinatoire et algèbre, Paris, P.U.F.,
3e éd. 1971,255 p.; 2. Nombres et mesures, 1968,289 p.
BARBUT M., D'ADEMAR e., JULIEN B., LECLERC B., Mathématiques élémentaires et appli-
cations aux sciences sociales et à la statistique, Paris, P. U.F., à paraître.
BARBUT M., MONJARDET B.*, Ordre et classification, algèbre et combinatoire, Paris, Hachette,
1970, 2 tomes, 176 + 175 p.
COHEN V., Mathématiques pour les sciences sociales, Paris, P.U.F., 1971,282 p.
DEsPLAs M. *, Algèbre linéaire et applications économiques, Paris, Dalloz, 1971, 172 p.
GAUTHIER C., GIRARD G., GERLL D., THIERCE e., WARUSFEL A.*, ALEPHo/Algèbre, Paris,
Hachette, 1971, 194 p.; ALEPHo/Analyse, t. 1 : Calcul différentiel. Applications,
Paris, Hachette, 1971, 304 p.
LESIEUR L., JOULAIN C., LEFEBVRE J. **, Mathématiques, P.e. 1Te année et spéciales B.,
Paris, A. Colin, 1966, 2 vol. : Algèbre et géométrie, 496 p., Analyse, 445 p.; Mathéma-
tiques, P.e. 2 e année et spéciales B, Compléments d'analyse, statistique et probabilités,
1967, 528 p.
- Statistique et probabilité
BUI-TRONG-LIEU, Cours de probabilités et statistique à l'usage des étudiants des premiers
cycles M-SH, M-P, et P-C, Paris, Centre de documentation universitaire, 1971, 178 p.
CALOT G., Cours de statistique descriptive, Paris, Dunod, 1965, 519 p.
CHARTIER F., MORICE E., Méthode statistique, Paris, LN.S.E.E., 1954,2 tomes, 187 + 555 p.
CHAMBADAL L.*, Calcul des probabilités, Paris, Dunod, 1969, 136 p.
FOURGEAUD e., Statistique, licence ès sciences économiques, 2 e année, Paris, Dey, 1969,
168 p.; 3e année, 1970, 170 p.
GIRAULT M. *, Calcul des probabilités en vue des applications, Paris, Dunod, 3e éd. 1970, 210 p.
GUERBER L., Statistique descriptive, Paris, Dalloz, 1971, 156 p.
GUERBER L., HENNEQUIN P.-L., Initiation àla statistique, Paris, Association des professeurs
de mathématiques de l'enseignement public, 1967, 239 p.; Initiation aux probabilités,
Paris, Association des professeurs de mathématiques de l'enseignement public, 1970,
229 p.
HÉRAULT D.*, Éléments de théorie moderne des probabilités, Paris, Dunod, 1967,256 p.
LIORZOU A., Initiation pratique à la statistique, Paris, Gauthier-Villars, 2 e éd. 1966, 310 p.
MONJALLON A., Introduction à la méthode statistique, Paris, Librairie Vuibert, 1969, 279 p.
2. Ouvrages spécialisés
AIVAZIAN S.*, Étude statistique des dépendances, Paris, Éditions de Moscou, 1970,236 p.
BARBUT M., FOUGEAUD e. *, Éléments d'analyse mathématique des chroniques, Paris, Hachette,
1971, 208 p.

361
ORIENTATION BIBLIOGRAPHIQUE

BENZECRI P., Analyse des correspondances. Classification automatique. Nombreux exemples.


Polycopiés du Laboratoire de Statistique mathématique de l'université de Paris VI,
1966... (différents niveaux de difficultés).
BERGE C. **, Théorie des graphes et applications, Paris, Dunod, 1965, 280 p.
BERGE c., Théorie des graphes et des hypergraphes, Paris, Dunod, 1970, 400 p.
CARTWRIGHT D., HARARY F., NORMAN R. Z., Introduction à la théorie des graphes orientés,
Paris, Dunod, 1968, 437 p.
DENIAU c., OPPENHEIM G.*, Deux Méthodes d'analyse factorielle, Actes du colloque sur
l'analyse des données en architecture et en urbanisme, Paris, Institut de l'Environnement,
1972.
DENIAU c., LEROUX B., OPPENHEIM G., Cours d'analyse des données, Paris, 1972, Unité
d'enseignement et de recherche mathématiques de l'université René Descartes.
DESABIE J. **, Théorie et pratique des sondages, Paris, Dunod, 1966, 500 p.
DIDAY E.*, La Méthode des nuées dynamiques et la reconnaissance des formes, Paris, Institut
de recherche informatique appliquée, 1972, 68 p.
FÉNELON J.-P., LEBART L.*, Statistique et informatique appliquée, Paris, Dunod, 1971,432 p.
FREY L., Techniques ordinales en analyse des données. Algèbre et combinatoire, Paris, Hachette,
1971, 190 p.
GNEDENKO B. V., KHINTCHINE A. I. *, Introduction à la théorie des probabilités, Paris, Dunod,
1969, 168 p.
GUILBAUD G. T., Éléments de la théorie mathématique des jeux, Paris, Dunod, 1968, 152 p.
LERMAN I. c.*, Les Bases de la classification automatique, Paris, Gauthier-Villars, 1970,
118 p.
ORE O., Les Graphes et leurs applications, Paris, Dunod, 1970, 160 p.
Roy B., Algèbre moderne et théorie des graphes, Paris, Dunod, 1. Notions et résultats fonda-
mentaux, 1969, 518 p.; 2. Applications et problèmes spécifiques, 1970, 784 p.
TAKACS L.*, Processus stochastiques, Paris, Dunod, 1964,200 p.
TORTRAT A.*, Principes de statistique mathématique, Paris, Dunod, 1967, 180 p.
ULMO J. **, Étude fondamentale de la régression linéaire multiple, Paris, Institut de Statistiques
de l'université de Paris.
VAJDA S. *, Théorie des jeux et programmation linéaire, Paris, Dunod, 2 e éd. 1968, 272 p.
YAGLOM A. M., YAGLOM I. M.*, Probabilité et information, Paris, Dunod, 2e éd. 1969,332 p.

B. LES MÉTHODES STATISTIQUES ET MATHÉMATIQUES DANS LES DISCI-


PLINES VOISINES DE LA GÉOGRAPHIE

Dans ces disciplines, la réflexion sur l'introduction des méthodes statistiques et mathé-
matiques a déjà abouti à des manuels d'initiation ou à des ouvrages d'application de ces
méthodes. Quelques-uns d'entre eux sont mentionnés ci-dessous.

1. Sciences naturelles et biologiques


DAGNELIE P., « Contribution à l'étude des communautés végétales par l'analyse factorielle »,
Bulletin du service de la carte phytogéographique, 1960, nO 5, pp. 7-71 et 93-195.
GOUNOT M., Méthodes d'étude quantitative de la végétation, Paris, Masson, 1969, 314 p.
LAMOTTE M., Initiation aux méthodes statistiques en biologie, Paris, Masson, 2 e éd. 1971,
144 p.

362
Orientation bibliographique

2. Économie
GILLET M., Techniques de l'histoire économique. Exécution et commentaire de graphiques,
Paris, Centre de documentation universitaire, 1972, 2 fasc., 91 + 16 p.
MALINVAUD E., Méthodes statistiques de l'économétrie, Paris, Dunod, 1969,800 p.
PIATIER A., Statistique et observation économique, Paris, P.U.F., 1961, 972 p., 1. Méthodo-
logie, statistique .. 2. Économétrie, conjoncture, comptabilité nationale.

3. Sciences de l'homme
AUSTRUY J., « Méthodes mathématiques et sciences de l'homme », Revue économique,
1961, nO 3, pp. 414-439.
BOUDON R., L'Analyse mathématique des faits sociaux, Paris, Plon, 1967, 464 p.
BouDON R., Les Mathématiques en sociologie, Paris, P.U.F., 1971,272 p.
NAYRAC P., Composants et facteurs, méthodes pour le dégagement des concepts généraux en
psychologie quantitative, Paris, Hermann, 1951, 103 p.
REUCHLIN M., Les Méthodes quantitatives en psychologie, Paris, P. U.F., 1962, 455 p.
TRYSTRAM J.-P., Statistique et sociologie. Remarques sur la statistique des données quali-
tatives, Thèse complémentaire pour le doctorat ès lettres, Paris, 1955, 130 p.
Calcul et formalisation dans les sciences de l'homme, Conférences prononcées lors des Jour-
nées internationales d'études sur les méthodes de calcul dans les sciences de l'homme,
Rome, 4-8 juillet 1966, Paris, C.N.R.S., 1968, 325 p.
« Analyse de systèmes en sciences sociales », Revue française de sociologie, 1970, numéro
spécial.
Archéologie et calculateurs. Problèmes sémiologiques et mathématiques, Paris, Éditions du
C.N.R.S., 1969, 372 p.

C. LES MÉTHODES QUANTITATIVES EN GÉOGRAPHIE


Devant l'extension des nouvelles techniques de recherche et la généralisation du traite-
ment informatique des données, les géographes sont amenés à renouveler leur réflexion
sur la méthodologie des recherches dans leur propre discipline.

1. Propos sur l'emploi de méthodes quantitatives dans la recherche géographique


BEAUJEU-GARNIER J., La Géographie. Méthodes et perspectives, Paris, Masson, 1971, 144 p.;
chap. II : « La méthode géographique: critiques et perspectives », pp. 29-53.
BÉGUIN H., « Géographie humaine et mathématiques », Travaux géographiques de Liège,
1963, nO 147, pp. 65-91 (exemples d'application).
BRIÈRE R., « Le nombre en géographie », Revue de Géographie de Montréal, 1966, nO 1 et 2,
pp. 90-98 (exemples d'application).
BRUNET R., « Les nouveaux aspects de la recherche géographique: rupture ou raffinement
de la tradition? », L'Espace géographique, 1972, nO 2, pp. 73-77.
CLAVAL P., «La réflexion théorique en géographie et les méthodes d'analyse », L'Espace
géographique, 1972, nO 1, pp. 7-22.
FEL A., « Deux géographies humaines? », L'Espace géographique, 1972, nO 2, pp. 107-112.
FRENCH H. M., RACINE J. B., « Quantitative and qualitative geography : la nécessité d'un
dialogue », Travaux du département de géographie de l'université d'Ottawa, 1971, nO 1;
Éditions de l'université d'Ottawa, 1971, 216 p.

363
ORIENTATION BIBLIOGRAPHIQUE

GEORGE P., « Géographie quantitative, nouveau déterminisme? », Notiziaro di Geografia


economica, Universita di Roma, die. 1971, pp. 33-43.
GEORGE P., « L'illusion quantitative en géographie », in La Pensée géographique française
contemporaine, Mélanges offerts au professeur A. Meynier, Presses Universitaires de
Bretagne, 1972, pp. 121-131.
LABASSE J., « Quantitatif et qualitatif: réflexions d'un géographe », Norsk Geografisk Tidss-
krift, 1969, nO 4, pp. 185-192.
LIBAULTA., « L'interprétation des valeurs numériques dans la recherche géographique »,
Annales de Géographie, nO 320, mai-juin 1951, pp. 161-182 (les notions de statistique
permettant l'étude d'une distribution de points).
LIBAULT A., « La mathématique, méthode ou auxiliaire de la géographie », in Mélanges
offerts à Omer Tulippe, Paris, Gembloux, 1967, t. 2, pp. 523-534.
MARCHAND B., « L'usage des statistiques en géographie », L'Espace géographique, 1972,
nO 2, pp. 79-100 (rappel des principales utilisations des méthodes statistiques en géogra-
phie).
PREOBRAGENSKY V. S., « Modèles mathématiques en géographie », in La Géographie inter-
nationale, ouvrage publié à l'occasion du 22 e congrès international de Géographie, Uni-
versity of Toronto Press, 1972, t. 2, pp. 954-956.
RACINE J. B., « Nouvelle frontière pour la recherche géographique », Cahiers de Géographie
de Québec, 1969, nO 29, pp. 135-168 (une place importante est consacrée à l'analyse
factorielle).
RIMBERT S., « Aperçu sur la géographie théorique : une philosophie, des méthodes, des
techniques », L'Espace géographique, 1972, nO 2, pp. 101-106.
TULIPPE O., « L'outil mathématique au service de la géographie appliquée », Travaux
géographiques de Liège, nO 152, 1967, extrait de la Revue des Sciences économiques,
mars 1967, 9 p.

2. Ouvrages de méthodologie et d'initiation


BRUNET R., Les Phénomènes de discontinuité en géographie, Paris, Éditions du C.N.R.S.,
Mémoires et Documents, 1967, vol. 7, 117 p.
PÉDELABORDE P., Les Mathématiques élémentaires appliquées à la géographie physique,
Paris, Centre de documentation universitaire, 1970, 164 p.
PÉGUY c.-P., Éléments de statistique appliquée aux sciences géographiques (géographie
physique et géographie humaine), Paris, Centre de documentation universitaire, 1957,
201 p.
RACINE J. B., REYMOND H., L'Analyse quantitative en géographie, Paris, P. U.F., à paraître
(ouvrage consacré à l'ensemble des techniques d'analyse multivariée expérimentées à
l'occasion d'une étude sur la croissance du Grand Montréal).

D. ANALYSES SPATIALES ET MÉTHODES QUANTITATIVES

Dans des ouvrages récents consacrés à l'analyse urbaine, des économistes et géographes
français ont présenté les recherches théoriques et les travaux empiriques qui se sont déve-
loppés depuis l'après-guerre dans les pays anglo-saxons et en France : recherches sur les
places centrales et les régions économiques (Christaller, Losch), sur la relation rang-dimension
(Zipf), les localisations (Von Thünen, Weber), les modèles de gravité, la théorie de la base
économique et les multiplicateurs d'emploi.

364
Orientation bibliographique

1. Références générales

- Livres
BERRY B. J. L., Géographie des marchés et du commerce de détail, Paris, A. Colin, coll. « U2 »,
1971, 254 p.; traduction par B. Marchand de l'ouvrage publié aux États-Unis, Geography
of Market Centers and Retail Distribution, Englewood Cliffs, Prentice Hall, 1967.
BOUDEVILLE J. (dir.), L'Espace et les pôles de croissance, Paris, P.U.P., 1968, 232 p.
BOUDEVILLE J. (dir.), L'Univers rural et la planification, Paris, P.U.F., 1968, 216 p.
BOUDEVILLE J., Aménagement du territoire et planification, Paris, Genin, 1972, 280 p.
CLAVAL P., « Géographie générale des marchés », Cahiers de Géographie de Besançon,
nO 10, Paris, Les Belles Lettres, 1962, 360 p.
CLAVAL P., « Essai sur l'évolution de la géographie humaine », Cahiers de Géographie de
Besançon, nO 12, Paris, Les Belles Lettres, 1964, 162 p.; chap. IX : « Géographie et méthode
économique », pp. 131-145.
CLAVAL P., Régions, nations, grands espaces, Paris, Genin, 1968, 837 p.
CORONT-DuCLUZEAU F., La Formation de l'espace économique national, Paris, A. Colin,
1964, 252 p.
DERYCKE P.-H., L'Économie urbaine, Paris, P.U.P., 1970, 261 p.
GUYOT F., Essai d'économie urbaine, Paris, Librairie générale de Droit et de Jurisprudence,
1968, 375 p.
HOOVER E. M., La Localisation des activités économiques, Paris, Éditions ouvrières, 1955;
traduction par J. Alaurent de l'ouvrage publié aux États-Unis, The Location of Economie
Activity, 1948.
ISARD W., Méthode d'analyse régionale. Une introduction à la science régionale, t. 1 : Équilibre
économique,. t. 2 : Optimatisation, Paris, Dunod, 1972, 240 + 224 p. Traduction par
Sallez et Strawezynski.
LACHENE R., Contribution à l'analyse de l'espace économique, Thèse pour le doctorat de
sciences économiques, Paris, 1965,.177 p. ronéoté, Metra, 1965, série spéciale, nO 6,146 p.
PONSARD c., Économie et espace. Essai d'intégration du facteur spatial dans l'analyse écono-
mique, Paris, S.E.D.E.S., 1955, 467 p.
PONSARD c., Histoire des théories économiques spatiales, Paris, A. Colin, 202 p.
PROST M.-A., La Hiérarchie des villes en fonction de leurs activités de commerce et de service,
Paris, Gauthier-Villars, 1965, introduction et 1Te partie, pp. 11-59.
REPUSSARD M., Les Méthodes d'analyse urbaine, Bordeaux, Éd. Bière, 1966,216 p.
ROUSSELOT J.-P., La Théorie de l'Espace chez August Losch, Paris, thèse ès sciences écono-
miques, 1960, 278 p.
TERMOTE M., Migration et équilibre économique spatial, Université catholique de Louvain,
Faculté des Sciences économiques, sociales et politiques, Louvain, nouvelle série, 1969,
nO 54, 256 p.

Articles
ADAM H., « Méthodes statistiques et recherches corrélatives en géographie urbaine », Hommes
et Terres du Nord, 1965, nO 3, pp. 105-116 (analyse du livre de A. MOSER et W. SCOTT,
British Towns, a statistical study of their social and economic differences, et présentation
de quelques applications méthodologiques en France).
BAILLY A., « La théorie de la base économique: son histoire, son évolution », Revue géo-
graphique de l'Est, 1971, nO 3-4, pp. 299-317.

365
ORIENTATION BIBLIOGRAPHIQUE

CLAVAL P., « La théorie des lieux centraux », Revue géographique de l'Est, janv.-juin 1966,
pp. 131-152.
CLAVAL P., « La théorie des villes », Revue géographique de l'Est, janv.-juin 1968, pp. 3-56.
CLAVAL P., « La localisation des activités industrielles », Revue géographique de l'Est, janv.-
juin 1969, pp. 187-214.
DREYFUS J., « Recherche et aménagements urbains », Consommation, 1966, nO 1, 119 p.
(réflexion critique sur les études françaises d'aménagement urbain et analyse de la recher-
che urbaine aux États-Unis).
NEIL J. M., « Notes sur les localisations industrielles », Économies et Sociétés, Cahiers de
l'I.S.E.A., oct. 1966, pp. 31-96.
PONSARD c., « Graphes de transfert et analyse économique », Revue d'économie politique,
1972, nO 2.

2. Applications
Certains thèmes d'analyse spatiale ont été des domaines privilégiés d'application des
méthodes statistiques et mathématiques, ou tout au moins de recherches méthodologiques.
Une place à part est faite, dans la bibliographie, aux exemples de modèles et d'analyse
factorielle, et aux méthodes d'enquêtes par sondage.
L'ANALYSE RÉGIONALE
Pour un aperçu sur les études régionales effectuées par les géographes français
THIBAULT A., « L'analyse des espaces régionaux en France depuis le début du siècle »,
Annales de Géographie, nO 444, mars-avril 1972, pp. 129-170.
Pour une réflexion sur la notion de région :
BRUNET R., « Pour une théorie de la géographie régionale », in La Pensée géographique
française contemporaine, Mélanges offerts au professeur A. Meynier, Presses Universi-
taires de Bretagne, 1972, pp. 649-662.
CLAVAL P., JUILLARD E., Région et régionalisation dans la géographie française et d'autres
sciences sociales, Paris, Dalloz, 1967, 99 p.
JUILLARD É., « La région, essai de définition », Annales de Géographie, nO 387, sept.-oct.
1962, pp. 483-499.
et dans les Actes du congrès de l'Association de Science régionale de langue française,
consacré au « dialogue interdisciplinaire dans les sciences régionales », Bordeaux, 27-29 mars
1969, Revue juridique et économique du Sud-Ouest, 1969, nO 3, les communications de
BOUDEVILLE J., « L'économiste et la région du géographe », pp. 515-522.
CLAVAL P., « Les économistes, les géographes et la région », pp. 523-531.
MILHAU J., « Le rôle de l'économiste en matière de théorie et de politiques économiques
régionales », pp. 559-574.
ROCHEFORT M., « Les géographes face à la notion de région », pp. 507-513.
ROSENFELD F., « La statistique dans l'analyse et la programmation de l'économie régionale »,
pp. 533-548.
Trois ouvrages restent fondamentaux pour la méthodologie des études d'organisation
régionale, bien que leur formulation n'emprunte rien au langage mathématique :
DUGRAND R., Villes et campagnes en Bas-Languedoc, Paris, P.U.F., 1963, 638 p.
LABASSE J., Les Capitaux et la région, Paris, A. Colin, 1955, 532 p.
ROCHEFORT M., L'Organisation urbaine de l'Alsace, Paris, Les Belles Lettres, 1960, 384 p.

366
Orientation bibliographique

Comme exemple méthodologique, voir


BEAuD M., « Une analyse des disparités régionales de croissance. Composante régionale
et composante structurale de l'évolution de l'emploi régional en France entre 1954 et
1962 », et « Analyse régionale, structurale et planification régionale », Revue économique,
1966, nO 1, pp. 55-91; nO 2, pp. 264-287.
- Les zones d'influence
La détermination des zones d'attraction commerciale des centres urbains français a fait
l'objet d'une vaste enquête nationale, lancée par le professeur A. Piatier, directeur du Centre
d'étude des techniques économiques modernes, qui en a présenté le but et la méthode:
PIATIER A., « L'attraction commerciale des villes: une nouvelle méthode de mesure. L'enquête
d'essai menée dans le Loir-et-Cher », Revue juridique et économique du Sud-Ouest, série
économique, 1956, nO 4, pp. 575-601 (l'article a paru pour la 1re fois en italien, dans la
revue Studi di Mercato, juillet 1956).
Les enquêtes ont été menées en collaboration avec des organismes régionaux qui se sont
chargés de la publication des résultats. La liste de ces organismes est donnée en annexe
dans l'article de :
PIATIER A., « Les villes où les Français achètent », Les Informations, supplément au nO 1229
du 2 décembre 1968, pp. 6-27.
Voir encore :
BARBIER B., DELEFORTRIE-SOUBEYROUX N., STRAZZIERI A., « Les zones d'attraction commer-
ciale de la région Provence-Côte d'Azur-Corse », nO spécial de la Revue de la Chambre
de Commerce et d'Industrie de Marseille, 1965, 204 p.
CLAVAL F., « Contribution à l'étude des zones d'attraction commerciale des villes, à propos
d'une étude sur les villes du Doubs », Revue géographique de l'Est, janv.-juin 1968, pp. 129-
149.
ROUCLOUX J.-C, « Le rayonnement, la structure et la localisation du commerce de détail
à Soignies et à Braine-le-Comte », Bulletin de la Société belge d'études géographiques,
1966, nO 1, pp. 101-155.
Pour la délimitation des zones d'influence urbaine :
CHABOT G., « La détermination des courbes isochrones en géographie urbaine », in Congrès
international de Géographie, Amsterdam, 1938, t. II, section IlIa, pp. 110-113.
DussART F., « Les courbes isochrones de la ville de Liège pour 1958-1959 », Travaux du
Cercle des géographes liégeois, fasc. 112, 1959, pp. 59-68.
GOOSSENS M., « L'organisation urbaine du Nord-Est de la Belgique. Confrontation de quel-
ques méthodes », Bulletin de la Société belge d'études géographiques, 1963, nO 1, pp. 93-
164 (une partie de l'article est consacrée à la confrontation de plusieurs méthodes de
délimitation).
PIVETEAU J.-L., « Le « rang de voisinage» comme moyen d'approche de l'influence urbaine
et de l'environnement urbain. Application à la'région comprise entre Berne et Lausanne »,
Revue de Géographie de Lyon, 1968, nO 4, pp. 377-394.
SCHWAB R., « Une méthode pour l'étude des réseaux urbains: les statistiques téléphoniques »,
Bulletin de la Faculté des Lettres et Sciences humaines de Strasbourg, mars 1967, pp. 494-
505.
SCHWAB R., « Le réseau urbain de l'Alsace d'après les statistiques téléphoniques », Revue
géographique de l'Est, janv.-juin 1968, pp. 58-73.

367
ORIENTATION BIBLIOGRAPHIQUE

- La distribution spatiale
BAKER A. R. H., « Établissements ruraux sur la marge sud-ouest du Bassin Parisien, dans'
les premières années du XIX· siècle », Norois, 1968, nO 60, pp. 481-492 (étude des formes
d'une distribution).
CHIFFRE J., « Une nouvelle formule de dispersion de l'habitat rural: son application au
Nivernais », Revue géographique de l'Est, janv.-juin 1969, pp. 149-175.
FERRIER J.-P., Géographie, informatique et méthodes systématiques. Exemple d'application.
La répartition des activités industrielles dans la région Provence-Côte d'Azur, Marseille,
Centre régional de documentation pédagogique, 1971, 79 p.
MASSAM B. H., SEMPLE K., « Quelques commentaires sur l'analyse de la répartition
spatiale du peuplement de la Gaspésie et du bas Saint-Laurent », Cahiers de Géographie
de Québec, déc. 1971, nO 36, pp. 569-576 (utilisation de la méthode du plus proche voisin).
NADASDI 1., PRUS-YARNUTOWSKI S., « Exemples d'application de quelques méthodes mathé-
matiques à l'étude synthétique des mouvements migratoires internes définitifs en Bel-
gique », Bulletin de la Société géographique de Liège, 1968, nO 4, pp. 49-77.
NADASDI 1., « L'évolution séculaire (1821-1968) de la répartition et du développement de
la population au Grand Duché de Luxembourg », Bulletin de la Société géographique de
Liège, 1970, nO 6, pp. 145-168.

L 'ANALYSE URBAINE
Les premiers travaux de recherche statistique comparative sur un groupe de villes ont
fait l'objet d'une publication parue en 1959 :
GOZZI J., PINCHEMEL P., VAKILI A., « Niveaux optima des villes. Essai de définition d'après
l'analyse des structures urbaines du Nord et du Pas-de-Calais », Comité d'études régionales
économiques et sociales, cahier nO 11, Lille, 1959, 117 p.
Elle fut suivie d'une étude systématique des villes françaises de plus de 20000 habitants.
L'ouvrage, paru en 1963, contient de nombreux exemples de traitement statistique des
données de population urbaine, sur les thèmes de l'urbanisation, de la croissance urbaine,
des structures professionnelles et des fonctions :
CARRIÈRE F., PINCHEMEL P., Le Fait urbain en France, Paris, A. Colin, 1963, 375 p.
- Les hiérarchies
Les études de hiérarchie ont essentiellement concerné les agglomérations de population,
prenant en considération, soit seulement la taille de ces agglomérations mesurée par l'impor-
tance numérique de la population, soit la taille et la répartition fonctionnelle de la popu-
lation active.
Sur la relation rang-dimension (Zipf) :
ADAM H., loos A., « Une application de la règle « de la taille suivant le rang» (Rank Size
Rule) à l'étude des villes de la région du Nord », Hommes et Terres du Nord, 1964, nO 2,
pp. 77-83.
CHARLET J.-c., « Les agglomérations urbaines françaises de plus de 100000 habitants.
Quelques aspects de leur croissance », Hommes et Terres du Nord, 1967, nO 2, pp. 49-64.
Sur la relation taille-activités :
BAILLY A., BUEB J.-c., GUARY M., MATHIEU D., « Problèmes d'urbanisation dans la région
de Belfort-Montbéliard », Cahiers de Géographie de Besançon, 1967, nO 15, chap. : « La
structure commerciale de la région », pp. 67-75.

368
Orientation bibliographique

GRIFFON J.-M., « Les activités tertiaires », Consommation, 1963, nO 3, pp. 23-60.


Sur la hiérarchie fonctionnelle :
BABONAUX Y., Les Activités tertiaires spécifiques dans l'armature urbaine française, Paris,
Ministère de l'Équipement et du Logement, Direction de l'Aménagement foncier et de
l'Urbanisme, 1968, 2 1., 101 + 111 p.
BEREZOWSKI S., « Méthodologie de l'étude des lieux centraux en Pologne », Revue géogra-
phique de l'Est, juill.-sept. 1967, pp. 365-372.
DALMASSO É., Milan, capitale économique de l'Italie, Gap, Éd. Ophrys, 1971, pp. 186-188
(application de la méthode utilisée par J. Hautreux et M. Rochefort).
DAMETTE F., « Région, armature urbaine et taille des villes », La Vie urbaine, 1968, nO 4,
pp. 287-323.
DELSAUT P., « Hiérarchie des villes de la région du Nord d'après leur fonction de place
centrale », Hommes et Terres du Nord, 1966, nO 1, pp. 7-45 (la notion de centralité et diffé-
rentes méthodes d'étude).
GOOSSENS M., « L'organisation urbaine du Nord-Est de la Belgique. Confrontation de quel-
ques méthodes », Bulletin de la Société belge d'études géographiques, 1963, nO 1, pp. 93-164
(une partie de l'article est consacrée aux méthodes de classement hiérarchique des centres).
HAMELIN L.-E., CAYOUETTE G., DE KONINCK R., « Un indice de primatie appliqué à la
concurrence entre Montréal et Toronto », Revue de Géographie de Montréal, 1967, vol. XXI,
nO 2, pp. 389-396.
HAUTREUX J., ROCHEFORT M., La Fonction régionale dans l'armature urbaine française,
Paris, Commissariat général du plan d'équipement et de la productivité, 1964, 94 p.
HAUTREUX J., ROCHEFORT M., « Physionomie générale de l'armature urbaine française »,
Annales de Géographie, nO 406, nov.-déc. 1965, pp. 660-677.
JUILLARD É., Essai de hiérarchisation des centres urbains français actuels, Paris, Ministère
de la Construction, 1961, 15 p.
LE FILLATRE P., « La puissance économique des grandes agglomérations françaises, déduite
de l'étude des sièges et des succursales d'entreprises à établissements multiples », Études
et Conjoncture, 1964, nO 1, pp. 3-40.
MARTIN J.-P., « Taxe locale et hiérarchie urbaine », Revue géographique de l'Est, janv.-
juin 1968, pp. 74-87.
MASSONIE J.-P., « Hiérarchie des villes et des régions », Cahiers de Géographie de Besançon,
séminaires et notes de recherche, 1971, nO 1, 17 p.
MULLER J.-J., « Équipements tertiaires et centres en Basse-Normandie », Norois, 1971,
nO 69, pp. 69-85.
PROST M.-A., La Hiérarchie des villes en fonction de leurs activités de commerce et de service,
Paris, Gauthier-Villars, 1965, 2 e partie, pp. 161-321.
ROCHEFORT M., « Méthodes d'étude des réseaux urbains. Intérêt de l'analyse du secteur
tertiaire de la population active », Annales de Géographie, nO 354, mars-avril 1957, pp. 125-
143.
- La base économique des villes et les phénomènes d'induction
ANTOINE J.-c., « Recherches statistiques sur les structures économiques des agglomérations
françaises », Cahiers de l'I.S.E.A., série L, nO 11, 1962.
CAHEN L., PONSARD c., La Répartition fonctionnelle de la population des villes et son utili-
sation pour la détermination des multiplicateurs d'emploi. Complément : Recherche d'un
multiplicateur sectoriel pour l'agglomération de Lyon, Paris, Ministère de la Construction,
1963, 101 p.

369
ORIENTATION BIBLIOGRAPHIQUE

CARRÈRE P., Les Effets d'induction dans la croissance des grandes agglomérations, compte
rendu de la communication présentée au congrès international de la population, Belgrade,
20 août-lO sept. 1965.
CARRIÈRE F. et PINCHEMEL P., Le Fait urbain en France, Paris, A. Colin, 1963, pp. 263-290
(méthode dite des « deux taux »).
LE GUEN G., «La structure de la population active des agglomérations françaises de plus
de 20000 habitants. Méthode d'étude. Résultats », Annales de Géographie, nO 374, juilI.-
août 1960, pp. 355-370 (application de la méthode d'Alexandersson).
LEBEL N., VIGNAUX D., « Hiérarchie spatiale des activités en banlieue de Paris », Cahiers
de l'I.A. U.R.P., janv. 1971, vol. 22, 25 p.
PONSARD c., «Croissance des villes et structure des activités », Revue de l'économie du
Centre-Est, oct.-déc. 1963, pp. 53-59 (présentation de l'étude faite par le C.R.E.S.C.O.).
RACINE J. B., «Exurbanisation et métamorphisme péri-urbain. Introduction à l'étude de la
croissance du Grand Montréal », Revue de Géographie de Montréal, 1967, nO 2, pp. 313-
341 (application de la méthode des « deux taOlx »).
SAGET F., «Pour une stratégie de l'emploi industriel en milieu urbain. Une application :
le cas de Gien », Urbanisme, 1971, nO 1, pp. 42-48 (application de la théorie de la base).
- Les transports
BARBIER M., MERLIN P., « Le futur réseau de transports en région de Paris », Cahiers de
l'l.A.U.R.P., 1966, vol. 4-5, nO 4,58 + 40 p.
MERLIN P., « Les moyens de transport et le rythme d'urbanisation. Le cas particulier de
l'agglomération parisienne », Acta Geographica, 1966, nO 62-63, pp. 41-44.
MERLIN P., « Les transports urbains et leurs usagers en région de Paris », Cahiers de
l'l.A.U.R.P., 1966, vol. 4-5, nO 2, 20 + 54 + 56 p.
MERLIN P., Les Transports parisiens, Paris, Masson, 1966,495 p.

MODÈLES, ANALYSES FACTORIELLES, MÉTHODES D'ENQUÊTE


- Modèles
Pour une présentation générale de la notion et du processus d'élaboration des modèles,
voir:
ZEITOUN J., Modèles en urbanisme. Étude critique, Paris, Centre de recherche d'urbanisme,
1971, 226 p.
Les différents types de modèles expérimentés en recherche urbaine aux États-Unis sont
présentés dans :
DANET A., MERCADAL G., «Les modèles de développement spatial urbain », Économies
et Sociétés, Cahiers de l'I.S.E.A., juin 1968, pp. 1217-1235.
MERLIN P., « Modèles d'urbanisation », Cahiers de l'I.A.U.R.P., mai 1968, vol. 11, nO 1,
72 p.
RACINE J. B., « Le modèle américain », Annales de Géographie, nO 440, juillet-août 1971,
pp. 397-427.
Les modèles d'analyse spatiale dont les références suivent sont différenciés selon le thème
étudié:
1° Modèles de localisation et de différenciation spatiale :
BÉGUIN H., Modèles géographiques pour l'espace rural africain, Bruxelles, Académie royale
des sciences d'outre-mer, 1964, 74 p.

370
Orientation bibliographique

CHAÎNEAU A., « Un modèle d'analyse de l'espace économique français », Revue d'économie


politique, 1965, nO 1.
DI MEGLIO R., TAIEB F., « Un modèle de localisation des surfaces commerciales: Papriea »,
Urbanisme, 1971, nO 5, pp. 10-17.
FOGGIN P., « Les formes de l'utilisation du sol à Montréal », in Montréal, guide d'excursions,
22 e congrès international de géographie, Presses de l'Université de Montréal, 1972, pp. 32-
45.
LEMAY G., RACINE J. B., « L'analyse discriminatoire des correspondances typologiques
dans l'espace géographique », L'Espace géographique, 1972, nO 3, pp. 145-166.
MIZRAHI A., MIZRAHI A., RoscH G., « Les champs d'action des équipements hospitaliers »,
Consommation, 1963, nO 3, pp. 61-106.
PONSARD c., « Une application de la théorie des graphes à l'analyse de l'espace économique:
un modèle de localisation optimale de l'unité de production dans une structure de concur-
rence », Techniques économiques modernes, 1966, nO 4.
2° Modèles d'économie urbaine :
BOUDEVILLE J., « Modèle de croissance urbaine du Bassin Parisien », Économies et Sociétés,
Cahiers de l'I.S.E.A., juin 1968, pp. 1237-1248.
DUTAILLY J.-c., « Les valeurs foncières en région parisienne (recherche d'un modèle) »,
Cahiers de l'I.A.U.R.P., 1971, vol. 25.
FODOR L., «Les problèmes de la croissance industrielle à l'intérieur des métropoles »,
Bulletin de la Société languedocienne de géographie, janv.-mars 1969, pp. 67-84.
3° Modèles d'économie régionale :
BERNARD P., « Un modèle de croissance régionale », Cahiers de l'I.S.E.A., oct. 1963, pp. 57-
64.
Fox K. A., « Modèles relatifs à l'alimentation et à l'agriculture en tant que secteurs des
économies nationales et régionales », Cahiers de l'I.S.E.A., nov. 1963, pp. 3-44.
HEADY E. O., RANDHAWA N. S., «L'utilisation régionale du sol dans la planification du
développement agricole en Inde », Cahiers de l'I.S.E.A., janv. 1966, pp. 19-36.
LHERT J., « Un modèle théorique de régionalisation d'un tableau d'échanges interindustriels »,
Revue économique du Sud-Ouest, 1972, nO 1, pp. 83-118.
PONSARD c., « Essai d'interprétation topologique des systèmes interrégionaux. Les graphes
de transfert et l'analyse économique des systèmes interrégionaux », Revue économique,
1967, nO 3, pp. 353-373; nO 4, pp. 543-575.
PONSARD c., Un modèle topologique d'éqüilibre économique interrégional, Paris, Dunod,
1969, 140 p.
4° Modèles de migrations :
COURGEAU D., « Les champs migratoires en France », Travaux et documents de l'Institut
national d'études démographiques, nO 58, Paris, P.U.F., 1970, 158 p.
SOCIÉTÉ D'ÉCONOMIE ET DE MATHÉMATIQUE APPLIQUÉES, Modèle explicatif des migrations
intérieures en France, Paris, 1965, 84 p., 1967, 73 p.
TERMOTTE M., « Les modèles de migration », Recherches économiques de Louvain, 1967,
nO 4, pp. 413-444.
5° Modèles de transports :
BARBIER M., GOLBERG, HENRY, MARAIS, Modèles de trafic. Analyse bibliographique,
I.A. U.R.P., 1963, 81 p.

371
ORIENTATION BlBLIOGRAPHIQVE

BARBIER M., MOISDON J.-c., SCHAUVLIEGE J.-M., JOSEPH M.-D., « Investissement et tari-
fication des transports urbains. Un essai d'approche systématique », Cahiers de l'I.A. V.R.P.,
1969, vol. 17-18, nO 4, 44 p. (recherche sur les capacités de transports).
MALLET P., « Analyse du choix du mode de transport par les usagers en région parisienne »,
Cahiers de l'J.A.V.R.P., 1969, vol. 17-18, nO 2, 42 p.
MERLIN P., Les Transports parisiens, Paris, Masson, 1966,495 p. (une place à part est réservée
à l'influence des autoroutes).
- Analyses factorielles
Sur les méthodes et leurs applications
BALLADUR J.-P., « Analyse factorielle des correspondances », Annales de l'I.N.S.E.E.,
1970, nO 4, pp. 47-79 (analyse des correspondances-type Benzecri).
BOICHARD J., « Gestion agricole et géographie rurale », Revue de Géographie de Lyon, 1969,
nO 4, pp. 321-374 (méthodes d'analyse globale ou des comparaisons).
LABBÉ B., « L'analyse factorielle », Métra, 1965, nO 3, pp. 421-438.
RACINE J. B., « Modèles graphiques et mathématiques en géographie humaine. 1 : La trans-
formation des unités statistiques quantitatives en unités géographiques qualitatives;
2 : Les algorithmes de l'analyse typologique », Revue de Géographie de Montréal, 1971,
nO 4, pp. 323-358; 1972, nO 1, pp. 7-34.
VOLLE M. et al., « L'analyse arborescente », Annales de l'I.N.S.E.E., 1970, nO 4, pp. 81-99.
Des exemples :
BARBIER M., TAISNE-PLANTEVIN c., « Comparaison et classification des communes de
l'agglomération parisienne », Cahiers de l'J.A.V.R.P., 1965, vol. 3, 105 p. (analyse de
Spearman).
CEAUX J., RONCAYOLO M., « 1. La division sociale de l'espace urbain: méthodes et procédés
d'analyse; 2. L'analyse statistique des espaces urbains: quelques applications à Marseille »,
deux communications présentées au colloque sur « la division sociale de l'espace urbain »,
Bulletin de l'Association des géographes français, janv.-févr. 1972, pp. 5-30.
DALMASSO E., « Essai d'application de quelques méthodes statistiques à la région milanaise »,
Bulletin de l'Association des géographes français, nov.-déc. 1971, pp. 377-392.
GEIGER P. P., GUIMARAES M. R. de SILVA, STEFFAN E. R., « Application de la technique
d'analyse des composants principaux à l'étude des villes de la région Centre-Ouest du
Brésil », Cahiers de Géographie de Québec, sept. 1971, nO 35, pp. 191-212.
GREER-WOOTEN B., « Le modèle urbain », in Montréal, guide d'excursions, 22 e congrès
international de géographie, Presses de l'Université de Montréal, 1972, pp. 9-31 (étude
des transformations sociales à Montréal, entre 1951 et 1961).
LE BRAS H., « La mortalité actuelle en Europe. Présentation et représentation des données »,
Population, 1972, nO 2, pp. 271-293 (analyse en composantes principales et analyse des
correspondances).
Loux P., VIRVILLE M. de, « Le système social d'une région rurale, le Châtillonnais », Études
rurales, juilL-sept. 1969, pp. 5-135 (analyse des correspondances).
MEUNIER M., RACINE J. B., « La structure spatiale des États-Unis. Essai d'analyse statistique
multivariée », Cahiers de Géographie de Québec, sous presse.
OMNIUM TECHNIQUE D'AMÉNAGEMENT, Composantes de la fonction urbaine. Essai de typologie
des villes, Paris, D.A.T.A.R., avril 1970, 105 p.
RACINE J. B., « Les structures de l'utilisation du sol urbain sur la rive sud », in Montréal,
guide d'excursions, 22 e congrès international de géographie, Presses de l'Université de
Montréal, 1972, pp. 95-102.

372
Orientation bibliographique

- Méthodes d'enquête
Quelques exemples seulement sont donnés, de méthodes de collecte des informations et
d'enquêtes par sondage :
BELTRAMONE A., « Sur la mesure des migrations intérieures au moyen des données fournies
par les recensements », Population, 1962, nO 4, pp. 703-724.
CLERC P., « Grands ensembles et banlieues nouvelles », Travaux et documents de l'I.N.E.D.,
nO 49, Paris, P.U.F., 1967,471 p., chap. II : « L'enquête », pp. 37-63.
FLEURY M., HENRY L., « Pour connaitre la population de la France depuis Louis XIV.
Plan de travaux par sondage », Population, 1958, nO 4, pp. 663-686.
LAURENT c., « Les méthodes du service central des enquêtes et études statistiques (ministère
de l'Agriculture) », Économie rurale, 1966, nO 3, pp. 57-71.
POURCHER G., « Le peuplement de Paris », Travaux et documents de l'LN.E.D., nO 43, Paris,
P.U.F., 1964,310 p., chap. II : « La réalisation de l'enquête »; chap. III : « Le champ de
l'enquête », pp. 29-71.
TRYSTRAM J.-P., « Un langage de description des données statistiques », Bulletin du comité
français de cartographie, août-sept. 1970, pp. 114-117.

E. MÉTHODOLOGIE EN CARTOGRAPHIE ET TECHNIQUES CARTOGRA-


PHIQUES

La cartographie n'est pas seulement la représentation visualisée des localisations. C'est


aussi l'expression synthétique d'une masse d'informations dont le traitement et la traduction
graphique exigent une recherche méthodologique d'ensemble. Voir à ce sujet:
CLAVAL P., « La cartographie thématique comme méthode de recherche », Cahiers de Géo-
graphie de Besançon, 1969, nO 18, Paris, Les Belles Lettres, 125 p.
COMMISSION DE CARTOGRAPHIE THÉMATIQUE DU COMITÉ FRANÇAIS DE CARTOGRAPHIE, « La
cartographie thématique en France », rapport de la Commission pour la quatrième assem-
blée générale, Montréal, août 1972, Bulletin du Comité français de cartographie, juin
1972, pp. 53-86 (fait le point sur le rôle et les problèmes de la cartographie thématique
et présente quelques réalisations françaises).
BROMMER S. de, « Vers une cartographie moderne. Évolution des buts et des aspects »,
Bulletin du Comité français de cartographie, nov.-déc. 1969, pp. 250-258.

1. Méthodologie
BERTIN J., Sémiologie graphique, les diagrammes, les réseaux, les cartes, Paris-La Haye,
Mouton; Paris, Gauthier-Villars, 1967, 431 p. (ouvrage de base).
BERTIN J., « Graphique et mathématique. Généralisation du traitement graphique de l'in-
formation », Annales E.S.c., janv.-févr. 1969, pp. 70-101.
BERTIN J., VERGNEAULT F., « Traitement graphique d'une information: les marines royales
de France et de Grande-Bretagne (1697-1747) », Annales E.S.C., sept.-oct. 1967, pp. 993-
1004 (utilisation du fichier-image).
BRUNET R., « Les cartes des pentes », Revue géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest,
1963, nO 4, pp. 317-334.
DUFOUR J., « Essai de réalisation d'un fichier-image des exploitations agricoles en gestion
dans la Sarthe », in La Pensée géographique française contemporaine, Mélanges offerts
au professeur A. Meynier, Presses Universitaires de Bretagne, 1972, pp. 493-513.

373
ORIENTATION BIBLIOGRAPHIQUE

GRONOFf J.-D., « La zone herbagère des Ardennes. Analyse typologique par matrice ordon-
nable », Études rurales, 1971, nOS 43-44, pp. 170-214.
GUY M., « Le premier symposium sur les ensembles de traitement d'information géogra-
phique », Ottawa, 28 sept.-2 oct. 1970, Bulletin du Comité français de cartographie, 1971,
nO 1, pp. 287-296.
RIMBERT S., Leçons de cartographie thématique, Paris, S.E.D.E.S., 1968, 139 p.
RIMBERT S., « Essai méthodologique sur des stéréotypes régionaux au Canada », Cahiers
de Géographie de Québec, déc. 1971, nO 36, pp. 523-536 (étude comparée de résultats 0 btenus
à partir d'une méthode graphique et à partir d'une méthode statistique).
VERHASSELT Y., « Essai de mise au point d'une méthode rapide de mesure des longueurs
et des surfaces », Travaux de l'Université libre de Bruxelles, 1961, nO 1-4, pp. 131-144.

2. Cartographie automatique
BRUNET Y., «Les migrations alternantes: le cas de la petite Bourgogne. L'influence des
caractéristiques socio-économiques sur le comportement migratoire de la main-d'œuvre »,
Revue de Géographie de Montréal, 1971, nO 3, pp. 199-219 (utilisation du programme
SYMAP).
MIGNERON J.-G., « Cartographie automatique et traitement des données de planification »,
Revue de Géographie de Montréal, 1971, nO 4, pp. 359-371 (présentation du programme
SYMAP, étudié au Laboratory for Computer Graphies de l'Université Harvard).
RIMBERT S., « Vers une automatisation de la cartographie thématique », Revue de Géographie
de Montréal, 1969, nO 2, pp. 187-193 (historique de l'automatisation en cartographie).
STINE G. E., «Les systèmes d'automatisation employés en cartographie. Leur évolution.
Les projets d'avenir », Bulletin du Comité français de cartographie, 1967, nO 3, pp. 239-247.
La parution de 1'« Atlas de la France rurale» est un exemple d'utilisation systématique
de la cartographie automatique :
GROUPE DE SOCIOLOGIE RURALE, Atlas de la France rurale, Cahier de la Fondation nationale
des Sciences politiques, Paris, A. Colin, 1967, 176 p. (présentation critique dans Études
rurales, juill.-sept. 1967).
Les services administratifs adoptent progressivement ce mode de représentation des données
statistiques (LN.S.E.E., D.A.T.A.R., Ministère de l'Agriculture...). Voir notamment:
DEsPRE J.-F., JOLY R., « Représentation cartographique de la répartition régionale des
données économiques », Études et Conjoncture, 1960, nO 12, pp. 1102-1109.
GREINER P., «Méthode de représentation cartographique automatique sur ordinateur »,
Statistique agricole, supplément « série Études» nO 38, 1968, pp. 69-111.
GREINER P., BOITARD, « Le programme de cartographie automatique du ministère de l'Agri-
culture », Statistique agricole, supplément « série Études », nO 95, janv. 1972, 59 p.
«La cartographie automatique »,2000, 1967, nO 3, pp. 16-19.

3. La cartographie d'utilisation du sol


KLATZMANN J., La Localisation des cultures et des productions animales en France, Paris,
Imprimerie Nationale, 1955, 477 p. (carte synthétique des types d'utilisation du sol).
PERPILLOU A., «Essai d'établissement d'une carte d'utilisation du sol en France », Acta
Geographica, nO 18, 1952, pp. 110-115 (présentation de la méthode; article réédité en
1963).

374
Orientation bibliographique

PERPILLOU A., « L'utilisation agricole du sol en France et les transformations des paysages
ruraux », Acta Geographica, juin 1961, pp. 9-21 (étude de toutes les sources qui sont à
l'origine de la carte).
Cet article contient également les références des analyses et commentaires des cartes
d'utilisation du sol, établis entre 1953 et 1961 par P. Garenc, A. Perpillou, É. Juillard et
P. Angrand.
La carte « Utilisation agricole du sol en France. Seconde moitié du xx e siècle )), réalisée
par le Laboratoire de Géographie rurale de l'Institut de Géographie de Paris, dessinée
et imprimée par l'Institut Géographique National, a été publiée par le Centre national de
la Recherche scientifique en 1970.
La même méthode cartographique a été utilisée pour l'étude des structures agricoles :
BONNAMOUR J., BONTRON J.-c., MATHIEU N., « Évolution des structures agricoles en France.
Essais de recherche méthodologique et cartographique)), Bulletin de l'Association des
géographes français, janvAévr. 1969, pp. 291-309.

4. Procédés graphiques et cartographiques


Des essais d'expression cartographique seront trouvés dans l'Atlas de Paris et de la région
parisienne, et dans les atlas régionaux, dont la présentation est faite par :
BEAUJEU-GARNIER J., « Atlas nationaux et atlas régionaux )), Bulletin du Comité français
de cartographie, 1967, nO 2, pp. 199-201.
La liste des atlas régionaux déjà parus est donnée dans :
BARRIER M., « La cartographie des réseaux de communication dans les atlas régionaux
français », Revue de Géographie de Montréal, 1972, nO 1, pp. 105-113.
D'autres travaux d'analyse typologique ont généralisé l'emploi de quelques modes d'ex-
pression graphique :
- histogramme
BELLEVILLE G., Morphologie de la population active à Paris, Paris, A. Colin, 1962, 347 p.
BALLEY C., PINCHEMEL P., PUMAIN D., ROBIC M.-C., « Croissance urbaine et apports migra-
toires )), in compte rendu du colloque organisé par le C.N.R.S., L'Analyse interdisciplinaire
de la croissance urbaine, Toulouse, juin 1971, pp. 23-65.
- graphique triangulaire
FOURNIER P., « Répartition de la population active des départements français )), Acta Geo-
graphica, sept. 1959, pp. 22-26.
GUIBOURDENCHE H., « Groupes d'âge et activités dans les régions de programme )), Aména-
gement du territoire et développement régional, 1972, vol. V, pp. 279-341.
PINCHEMEL P., PUMAIN D., ROBIC M.-C., « Croissance urbaine et échanges migratoires.
Contribution méthodologique )), Revue de Géographie alpine, 1972, nO 2, pp. 203-224.
- silhouette
BONNAMOUR J., GILLETTE c., GUERMOND Y., « Typologie des systèmes d'exploitation agri-
cole utilisés en France. Essai méthodologique )), Annales de Géographie, nO 438, mars-avril
1971, pp. 144-166.
BONNAMOUR J., GILLETTE c., GUERMOND Y., « Les systèmes régionaux d'exploitation agri-
cole en France. Méthode d'analyse typologique)), Études rurales, 1971, nO 43-44, pp. 78-
168.

375
ORIENTATION BIBLIOGRAPHIQUE

PIVETEAU J.-L., « Quelques aspects de la structure urbaine de la Suisse », Cahiers de Géo-


graphie de Besançon, 1966, nO 14, pp. 115-132.
REYMOND H., « L'actualité des modèles graphiques en géographie humaine », Cahiers de
Géographie de Québec, 1968, nO 3, pp. 177-216.
- graphique à deux coordonnées
BENOIST J., « Évolution de la population cantonale régionale 1954-1962 », Hommes et
Terres du Nord, 1964, nO 2, pp. 84-91.
BENOIST J., « Évolution de la population des villes de la région du Nord 1954-1962 », Hommes
et Terres du Nord, 1965, nO l, pp. 72-78.
GUIBOURDENCHE H., « Commentaires de cartes et graphiques sur les premiers résultats du
recensement de 1968 dans les Alpes du Nord », Revue de Géographie alpine, 1970, nO l,
pp. 67-109.
SCHULTZ J., « L'organisation urbaine entre Sète et le Rhône: démographie », Bulletin de
la Société languedocienne de Géographie, oct.-déc. 1969, pp. 458-478.
- autres graphiques
DUBOSQ P., « La mobilité rurale en Aquitaine. Essai d'analyse logique », L'Espace géogra-
phique, 1972, nO 1, pp. 23-42.
DANIÈRE c., DUEESSET P., « Une carte nouvelle: le réseau urbain de la région Rhône-Alpes »,
Revue de Géographie de Lyon, 1970, nO 3, pp. 305-324.
GREER-WOOTEN B., « Le système urbain », in Montréal, guide d'excursions, 22 e congrès
international de géographie, Presses de l'Université de Montréal, 1972, pp. 157-169
(cartographie de flux).

376
Index

A BLUMENSTOCK D. 1., 244.


BOARD C., 26, 179, 211, 224.
BOGUE D. J., 107-109, 145-147, 178-179, 277-278.
ABRAMSON N., 211.
BORCHERT J. R., 87-88, 99-100.
absorption (modèles d'), 46.
BOUSTEDT O., 23.
ACKERMAN E. A., 314.
BOWMAN 1., 13, 68, 271.
ACKOFF R. L., 30, 32.
agrégats, 159-160, 198-199. Box G. E. P., 302.
BOYCE R. B., 258.
ajustement de courbes, de surfaces, 46-47, 49,
BRACEY H. E., 123-124, 135, 142-143.
88-89, 126-129, 152-153, 176-178, 236-237,
BRAMHALL D. F., 26.
303-309, 314, 327-333.
ALEXANDER J. W., 87, 162, 167, 190-191, 194,
Bravais-Pearson (coefficient de), 314-323.
BREISEMEISTER W., 26.
213.
BRILLOUIN L., 15-16.
ALEXANDERSSON G., 143-145, 151.
BROEK J. O. M., 18-19, 21.
AMIRAN D. H. K., 15, 253.
BRONOWSKI J., 36.
analogies, 338-344.
BROOKS C. E. P., 242, 330.
ANDERSON M., 319.
BRUNHES J., 12, 22, 102.
ANDERSSON T., 43.
BRUSH J. E., 104, 123-124.
angulaires (unités), 321-322, 337.
BRYSON R. A., 327.
anneaux (formation d'), 182-192.
BUCHANAN, 96-97.
ApPLEBAUM W., 56.
BUCHÉLE C., Jr., 63.
arc-sinus (transformation), 321-322, 337.
BUNGE W., 13, 21-23, 32-33, 42, 48-49, 70, 78-
association géographique (coefficient Gd'), 263-
265. 80, 133, 183,203,253-255,257-258,272,289,
AUERBACH F., 116.
314, 338-339.
BURGESS E. W., 201-202.
automatique (cartographie), 254-255.
BURGHARDT A. F., 261-262.
axiomatiques (systèmes), 343-344.
BURTON 1., 150, 319.
AZEVEDO A. de, 182.
BYLUND E., 111.

B C
BACH! R., 259.
BACKE H., 190. CAESAR A. A. L., 28.
BACON F., 33. CAIN S. A., 203.
BAILEY N. T. J., 70. CAPOT-REY R., 42.
BAIN J. S., 154-155, 157-158. CARELESS J. S. M., 115.
BAKER O. E., 194. CAROE L., 303.
banal (rapport spécifique), 150-151. carrés latins, 338.
BARFORD B., 147. CARRIÈRE F., 150.
BARROWS H. H., 22. CARROTHERS G. P., 26, 45.
BARTHOLOMEW H., 182. CARRUTHERS N., 242, 330.
BASKIN C. W., 61, 137. cartographiques (méthodes), 239-255, 301-309.
BECKERMAN W .• 49. centrale (caractéristiques de valeur), 258-259.
BECKMANN M. J., 32, 55, 79, 116, 137,141-142. centralité (indice de), 267.
BEESLEY M., 160. centrales (places), 102-103, 135-143, 338-339.
BERRY B. J. L., 29, 90-93, 97-98, 116, 118-122, centuriation, 103.
131-135,137,139,143,161,176-178,199-200, CHAMBERLIN T. C., 313.
218-225, 250-252, 274, 284-287, 319. champs, 51-58.
BERTALANFFY L. von, 27-28. CHAPIN F. S., Jr., 204.
BIRCH J. W., 220. CH!SHOLM M. D. 1., 52, 80-81, 114-115, 158,
BIRD J., 296. 179-182,187,189-190,195,199,229,231,264.

377
INDEX

CHORLEY R. J., 12, 14-19, 22, 26-34, 72, 206, DICKINSON R. E., 28, 182, 194, 201-202.
210-211,220,237,274,295-296,301,306-307, différenciation de l'espace, 20-21.
320, 324, 338. diffusion (modèles de), 67-72, 93-100, 110-115,
CHRISTALLER W., 15, 26, 37, 52, 55, 61-62, 64, 199-204.
103, 110, 116, 122-125, 130, 135-143,314,338- discontinuités, 132-135, 179-182.
339. discriminante (analyse), 280-281.
CLAESEN C. F., 280. dispersée (ville), 150,
CLARK A. H., 21, 67. dispersion (caractéristiques de), 260.
CLARK C., 175, 177-178, 199, 246. DUERR W. A., 52, 165.
CLARK P. J., 260-262. DUNCAN O. D., 211, 227-228, 232, 294, 319,327.
CLARK W. A. V., 258. DUNN E. S., 48, 182, 186, 188.
CLAWSON M., 51, 53, 176-177, 199. DURY G., 210, 320, 324.
COCHRAN W. G., 212, 216, 219.
COHEN S. B., 56.
COLWELL R. L., 226.
combinaison (indice de), 248-250. E
complémentarité (modèles de), 50-5I.
composantes (cartes à une, à plusieurs), 241-25I.
composantes d'échelle (analyse en), 296-309. échantillonnage (méthodes d'), 212, 216-225,
composantes principales (analyse en), 134-135, 296-298, 334-338.
251-253. échelle (problèmes d'), 294-309.
concentration économique, 154-161, 198-199. écologique (école), 22.
concentriques (anneaux), 182-192. EDMONSON M. S., 68.
concentriques (modèles de croissance en zones), EELLS W. C., 258.
201-202. élimination des unités aberrantes, 233.
connexité, 83-87, 267-268. ENKE S., 338.
contacts (nombre de), 62-63. ensembles (théorie des), 23-25, 272-274.
COOLE Y C. H., 82, 84. ERATOSTHÈNE, 216.
COPPOCK J. T., 211, 214-215, 227, 232. espace à n dimensions, 284-287.
corrélation (calculs de), 87, 126-127, 131-132, espace de revenus, de population, 66-67.
165, 193, 231-232, 264-265, 292-294, 314-319. espacement et taille des unités d'habitat, 123-129.
COTTERILL C. H., 161-162, 167, 171-172. État isolé, 182-189.
COULSON M. R. c., 242-243. EVANS F. C., 260-262.
COURT A., 259. exceptionnalisme, 12-13.
couverture (problèmes de), 216-226. EZEKIEL M., 327.
COXETER H. S. M., 59-6I. expérience (plans d'), 334-338.
croissance (modèles de), 200-204.
CROWE P. R., 42.
CUMBERLAND J. H., 26.
CURRY L., 28, 38, 148-150. F

F (groupes), 318-319.
factorielle (analyse), 134-135, 251-253.
D
factoriels (plans, expériences), 334-338.
FAGEN R. E., 27.
DACEY M. F., 26, 28, 104-105, 132, 152-153, FARMER B. H., 68, 114, 198.
261-262, 281-284. feedback (modèles de), 57-58.
DÂHL S., 45. FENNEMANN N. M., 295.
DANTZIG G., 79. files d'attente (théorie des), 148.
DAVID H. A., 338. filtrage cartographique, 301-302.
DAVIES O. L., 301, 320, 324, 327, 334, 337. FISHER J. L., 27.
DAVIS D. H., 55. FISHER R. A., 112, 244, 321, 323, 325, 329.
DAVIS W. M., 42, 68, 212. FLEMMING N., 339.
définitions opérationnelles, 212-215. FLETCHER T. J., 272-273, 343.
DEMANGEON A., 27I. FLOOD M. M., 79.
densité (gradients de), 107-109, 173-179, 199-200. FLORENCE P. S., 156-160, 169, 198,229.
densité des voies de communication (modèles FOGEL R. W., 99.
de), 87-93. FOLGER J., 57.
déterministes (modèles), 34-38. fonctionnelle (hiérarchie des unités de peuple-
DICKINSON G. C., 213, 225. ment), 113, 131-143.

378
Index

FORGOTSON J. M., 246-247. HAGGETT P., 14-19, 22, 26, 33-34, 72, 132-133,
forme des champs, territoires, aires géogra- 174-175, 202, 204, 206, 211, 217, 220, 224-
phiques, 54-67, 255-258. 225,232-233,237,274,294-301,303-307,314-
Fox J. W., 179. 319, 321-322, 326, 331-338.
Fox K. A., 327. HAGOOD M. J., 289, 292-294.
FREUD S., 37. HALL A. D., 27.
FRIEDRICH C. J., 154, 161, 164, 167. HALL P., 225.
« frontière », front pionnier, 67-68, 202. HANNERBERG D., 42.
frontières politiques (effets des), 55-56, 82. HANSON N. R., 12.
fusil de chasse (méthode du), 314-319. HARARY F., 281.
HARDY T., 143.
HARMAN H. H., 251.
G HARRIS C. D., 48, 202-203.
HART J. F., 259.
G (coefficient - d'association géographique), HARTSHORNE R., 12, 20-23, 34, 216.
263-265. HAWLEY A. H., 22.
G (échelle), 15-19. HEISENBERG W., 36.
GALTON P., 36. HELD C. C., 189.
GARRISON W. L., 27, 29, 32, 79, 83-85, 97-98, HELVIG M., 44-45, 49.
121, 131-133,204,266,280,303,319, 339. HETTNER A., 23.
GAUSS (distribution de), 43, 320-322. hexagones, 59-67, 106, 135-142, 235-236, 338-
GEER S. de, 23. 339.
géographie (définitions de la), 19-27. HIDORE J. J., 193.
géométrique (esprit - en géographie), 25-26. hiérarchie fonctionnelle des unités de peuple-
GETIS A., 57, 65-67. ment, 113, 131-143.
GIBBS J. P., 117-118, 127,256-257. HIGHSMITH R. M., 216.
GINSBURG N., 89-90, 212, 225, 250, 254, 265, HJULSTRÔM F., 123.
320. HOLLOWAY J. L., Jr., 236.
GODLUND S., 68, 100, 270. HOOVER E. M., 23, 85-87,154,161,182,263.
GOLDTHWAIT J. W., 147. HORTON R. E., 266.
GOODRICH C., 50. HORVATH R. J., 203.
GOTTMANN J., 189, 194-195, 275. HOSKINS W. G., 114.
GOULD P. R., 32-33, 38, 88-89, 93-96, 100, 195- HOTELLING H., 32, 50, 338.
198, 314. HOUSE J. W., 124-125.
gradients de densité, 175-179. HOUSTON J. M., 260.
GRADMANN R., 13. HOWARD E., 59.
graphes (théorie des), 83-85, 266-269, 281-284. HOWE G. M., 23.
gravitation (modèles de), 45-51. HoYT H., 202.
GREEN F. W. H., 54. HoYT W. G., 225-226.
GREEN H. L., 275-276. HUFF D. L., 48.
GREENHUT M. L., 167-168. HUMLUN J., 194.
GREGOR H. F., 211. hyrothèses en géographie humaine, 311-319.
GREGORY S., 288, 290, 292, 310, 319-320, 324,
327-328.
GREIG-SMITH P., 104, 225, 250, 289, 320.
grilles cartographiques, 233-236, 244-245, 254- l
255.
GROTEWALD A., 187.
groupement des unités de collecte, 232-233. identification des régions, 271-284.
groupements de population (taille des), 115-129. incertitude (principe d'), 35·38.
GRYTZELL K. G., 215. innovation (ondes d'), 68-72, 96, 319.
GULLEY J. L. M., 67. INOUYE S., 81, 114-115.
GUNAWARDENA K. A., 11, 122-123, 131-133, 143. interaction (modèles d'), 41-51.
International Urban Research, 115-116,213,215.
interposées (occasions), 57.
H irrégularité des unités spatiales de collecte, 226-
237.
habitat (répartition de l'), 102-115. ISARD W., 23, 26, 32-33, 41, 44-45, 48-51, 57,
HAGERSTRAND T., 18, 26, 38, 42, 44, 46-49, 57- 64-67, 106, 116, 147-148, 151, 154-155, 158,
58, 68-71, 96, 102, 112,226, 339-340. 161, 167-171, 182.

379
INDEX

isarithmes, 241-245. LAPLACE P., 34.


ISBELL E. c., 57. LATHAM J. P., 226.
isolé (État), 182-189. LAUNHARDT W., 23.
LEARMONTH A. T. A., 246.
LE CHÂTELIER, 29.
J LEOPOLD L. B., 115, 266, 342.
LEWIS W. V., 26.
Jack Report, 52-53. LiNDBERGH O., 167.
JAMES P. E., 21, 67, 202, 271, 295-296. linéaire (programmation), 169-171.
JEFFERS J. N. R., 321. LINTON D. L., 295.
JENKS G. F., 104, 181-182, 242-243. localisation (école de la), 22-23.
JENSEN M., 274. localisation (quotient de), 265.
jeux (théorie des), 37-38, 195-198. log-normale (distribution), 64-65, 118-122.
JOERG W. L. G., 68. LOPIK J. R. van, 226.
JOHNSON B. L. c., 234. LôscH A., 21, 23, 33-34, 37, 42, 55-56, 60-62,
JOHNSON H. B., 57, 104, 188. 64,75-77,96-97, 103, 106, 110, 116, 122-124,
JOHNSON W. W., 258. 128,130,134,136-143,188-189,195,325,328,
JOHNSSON O. H., 46. 338-339.
JONASSON O., 189-190. LUTTRELL W. F., 169.
JONES E., 102, 109, 182.

K M

k (fonctions), 135-143. MACCANNELL E. H., 239.


KAHN R. S., 296, 310, 314, 320, 324. MACCARTY H. H., 160, 165, 230-231, 233, 264,
KAIN J. F., 42. 294, 311-313, 331.
KANSKY K. F., 26, 83-85, 100, 266-269, 274, MACCASKILL M., 147.
339-340, 344. MACH E., 43.
KANT E., 46. MACKAY J. R., 55-56, 244-245, 319.
KAO R. c., 277. MACKENZIE R. D., 22, 199-200.
KA RIEL H. G., 50-51. MACKINDER H. J., 314.
KATES R. W., 37. MACLAUGHLIN G. E., 294.
KEEBLE D. E., 204. MAHALANOBIS P. c., 285.
KENDALL M. G., 37, 211, 229, 232, 288, 292, 323. Mann-Whitney (test de), 323, 325-327.
KEPLER J., 60, 62. MARBLE D. F., 97-98.
KERSHAW K. A., 224-225, 289, 320. MARCH J. G., 37.
khi-carré, 288-289. MARKOV (chaînes de), 38.
KiMBLE G. H. T., 271. MARSH G. P., 21.
KING L. J., 105-106, 128-129, 131,220,261,321. MARTHE F., 23.
KLAASEN L. H., 152. matières premières (indice des), 164-165.
KOLLMORGEN W. M., 104, 181-182. MAYFIELD R. c., 135.
KÔNIG D., 267. MEAD W. R., 81, 103, 198.
KOPEC R. J., 277-278. MEINIG D. W., 35, 43, 82-83.
KÔSTLER J., 302. MEITZEN A., 103.
KRUMBEIN W. c., 212, 220-221, 236, 248, 255, MELTON M. A., 334.
296, 298-299, 305-309, 321-322, 327, 334, 338, mesure (niveaux de), 239-241, 322-324.
343. MEYER J., 27.
KUENNE R. E., 147-148. MEYNEN E., 216.
KULLDüRF G., 112. MIEHLE W., 79.
MIKESELL M. W., 67.
MILL J. S., 313.
L MILUI{ A. A., 21.
MILLER R. L., 296, 310, 314, 316, 320, 324.
LAGRANGE J. L., 42. minimisation de la distance ou du mouvement,
LALANNE L., 73. 42-43, 74-81, 161-167, 182-192, 278-280.
LAMBERT J. M., 288-289. Ministère du Transport, 52-53, 96.
LANGBEIN W. B., 225-226,342. MITCHELL J. B., 114.
LANGER S. K., 344. modèles (les - en géographie), 30-38.
Laplace-Gauss (distribution de), 43, 320-322. MONBEIG P., 77, 81,202.

380
Index

Monte-Carlo (méthodes de), 38, 69-72, 100, PELTO C. R., 246-248.


112-113, 339-342. PERLOFF H. S., 26.
MORGENSTERN O., 37, 211-212. PERRING F. H., 23, 234, 254.
MORRILL R. L., 32-33, 35-36, 38, 88-89, 93-98, PETTIJOHN F. J., 255.
100,112-113,203,314,340-342. peuplement (répartition du), 102-115.
MOSER C. A., 150. PFEIFER G., 103.
MosEs L. N., 27. PHILBRICK A. K., 28, 296.
MUENCH H., 133. PICK G., 167.
multiplicateurs d'emplois, 147-148. PINCHEMEL P., 150.
MURRAY N., 229. places centrales, 102-103, 135-143, 338-339.
MUTH R. F., 177. PLANCK M., 36.
plans de tendance (ajustement de), 303-305.
PLATT R. S., 216, 224.
N Pléiades (méthode des), 314-319.
polarisées (régions), 28-30, 271.
NEFT D., 259-260. polynucléaire (modèle de croissance), 202-204.
NETTLETON L. L., 302, 307. PONSARD C., 23.
NEUMANN J. von, 37. POPPER K. R., 39, 311.
NEWTON 1., 12, 33-34, 36, 45. populations géographiques, 210-215.
NEYMAN J., 38, 70, 339. PORTER P. W., 259, 262.
nids (groupement des centres en), 138-139. POSTAN M., 12-13.
nodales (régions), 28-30, 271. POTTER P. E., 296.
non conformistes (centres), 160-161. POUNDS N. J. G., 158.
non paramétriques (tests), 320, 323, 325-327. PRED A., 137, 139, 201.
NORDBECK S., 255. PREDOHL A., 23.
normale (distribution), 43, 320-322. PRICE D. O., 27, 289, 292-294.
NORMAN R. Z., 281. primatiale (distribution), 118-122.
NOVALIS, 311. probabilistes (lois et modèles), 34-38,69-72,112-
NYSTUEN J. D., 28, 97-98, 281-284. 113, 120-121.
programmation linéaire, 169-171.
promenades aléatoires, 342-343.
o propositions (calcul des), 344.

obstacles à la diffusion, 71-72.


occasions interposées, 57.
Office of Slalislical Slandards, 214. Q
OHLIN B., 23, 190.
OLSON E. c., 316. QUANT R. E., 78-79.
OLSON J. S., 296. QUENOUILLE M. H., 220.
ondes d'innovation, 68-72, 96, 319.
optimisation (modèles d'), 37, 205-206.
ordinateurs, 71, 254-255, 278, 342.
R
P
rang (règle de la taille selon le), 115-123.
PAHL R. E., 22. RANZ H., 23.
paires fondamentales, 316-318. rattachement (problème du), 284-294.
paires (comparaisons par), 338. RATZEL F., 22.
PAL M. N., 246. RAVENSTEIN E. G., 43-44.
PALANDER T., 23. réaction (surfaces de), 174, 301-302.
PARETO V., 46-47, 49. REED L. J., 133.
PARK R. E., 56, 275. réfraction des itinéraires, 75-77.
PARSONS J. J., 68. régionale (science), 26-27.
PASSARGE S., 21, 271. régionales (hiérarchies), 295-296.
PATERSON J. H., 160, 178, 274. régionales (tendances), 294-309.
PATTISON W. D., 103. régionaux (<< liens »), 292-294.
pavage (théorie du), 59-63. régression (analyse de), 46-47, 49,88-89, 126-129,
paysage (école du), 21. 152-153, 176-178,236-237,303-309,314,327-
PEARSON K., 36, 292, 303, 314, 323. 333.

381
INDEX

régression (cycles de), 311-314. STANISLAWSKI D., 67.


REILLY W. J., 45-46. STEIN S. J., 202.
résidus (cartes de), 311-314, 332-333. STEVENS RH., 38.
ressources (effets de la localisation des), 109-110, STEWART C. T., Jr., 116-118.
161-172, 192-198. STEWART J. Q., 46, 260.
REYNOLDS R. R, 319. stochastiques (lois et modèles), 34-38, 69-72,
rho (groupements), 317-318. 112-113, 120-121.
ROBBINS L., 23. STODDART D. R., 15-19,22,301.
ROBINSON A. H., 228-229, 231, 235-236, 239, STOUFFER S. A., 33, 57.
241, 243-245, 253-254, 303, 319, 327. STRAHLER A. N., 320.
ROBOCK S. F., 294. Student (test de), 323-325, 329.
RODGERS A., 153, 158. substitutions, 96-99, 168-172, 194-198.
ROGERS E. M., 68. superposition de limites, 274-276.
RosTow W. W., 96, 99, 147. surfaces de tendance, 236-237, 301-309.
SVIATLOVSKY E. E., 258.
systèmes, 27-34, 41, 98.

S
T
SANDNER G., 114.
satisfaction (modèles de), 37, 205-206.
SAUER C. O., 13,21,25-26,67, 193,202-203,271. TAAFFE E. J., 32-33, 88-89,93-96, 100,278,314.
SCHAEFER F. K., 13. taille (règle de la - selon le rang), 115-123.
SCHEIDEGGER A. E., 123. taille et espacement des unités d'habitat, 123-
SCHICK A. P., 15, 253. 129.
SCHLUTER O., 21. taxonomie, 272..
SCHMID C. F., 239. tendance (surfaces de), 236-237, 301-309.
SCHOOLER E. W., 27, 155, 158. territoires, 58-67, 226-237.
SCOTT E. L., 38, 70, 339. tests statistiques, 319-338.
SCOTT W., 150. THATCHER W. S., 211.
SEARS F. W., 45, 75, 167. THEODORSON G. A., 22, 54.
SEBESTYEN G. S., 280-281. Thiessen (polygones de), 109, 235-236, 277-278.
secteurs péri-urbains, 108-109, 202. THOMAS D., 248-250.
SEMPLE E. C., 22. THOMAS E. N., 125-128, 312-313, 321, 332.
seuils, 132-135, 179-182. THOMAS F. H., 80.
ShimbeI-Katz (indice de), 84-85. THOMAS W. L., Jr., 21, 30, 49, 52, 103,202.
SIEGEL S., 239, 314, 320, 326-327. THOMPSON D'ARCY W., 18,33,42,61.
SIGWART, 12. THOMPSON J. W., 250-253, 293.
SILK J. A., 79. THOMPSON W. R., 231, 265.
similitude, 18. THÜNEN J. H. von, 23, 32, 37, 42,52,75,111,
SIMON H. A., 37, 120-121. 175, 182-195, 200-202.
simulation, 38, 69-72, 100, 112-113, 338-344. TOBLER W. R., 66-67, 234, 254, 281.
SINNHUBER K. A., 275. topologie, 24-25, 78-80, 83-85, 266-269.
SKELLAM J. G., 70. TOULMIN S., 207.
SKILLiNG H., 33. township and range, 65, 103-104.
SLACK H. A., 298-299. transformations algébriques, 321-322, 337.
SMAILES A. E., 135. transformations cartographiques, 65-67.
SMITH W., 164-165. treillis, 102-110, 135-137,244-245.
Snell (loi de), 75. triangulaires (graphiques), 246-248.
sondage (méthodes de), 212, 216-225, 296-298, TROXEL E., 190, 192.
334-338. TURNER F. J., 67-68.
SORRE M., 22. TWAIN M., 13.
SPATE O. H. K., 14, 319.
SPEARMAN C., 292, 314, 323.
U
SPECHT R. E., 77.
spécialisés (centres), 143-153. UKWU U. 1., 11.
spécifique (rapport - banal), 150-151. ULLMAN E. L., 49,51-52,80,132,152-153,202-
SPENCER J. E., 203. 203, 266.
STAFFORD H. A., Jr., 131. Union géographique internationale, 81,114-115,
STAMP L. D., 271. 203.

382
Index

unités spatiales de collecte des données, 226-237, WEBER A., 23, 32, 37, 130, 154, 161-168, 182,
264. 311.
UNSTEAD J. F., 295. WEISS S. F., 204.
utilisation du sol (zones d'), 173-206. WELLINGTON A. M., 74-75.
WHITTEN E. H. T., 237, 307.
WHITTLESEY D., 271-272, 295-296.
WILLIAMS W. T., 288-289.
v WINSBOROUGH H. H., 176.
VAHL M., 194. WISE M. J., 160.
WOLFE R. 1., 82.
VAJDA S., 171, 198.
WOLPERT J., 37, 205-206.
VALKENBURG S. van, 189. WOOD W. F., 222.
VALVANIS S., 137.
WOODWARD M. 1. J., 98-99.
valeur centrale (caractéristiques de), 258-259. WOOLDRIDGE S. W., 12, 26, 271.
VANCE J. E., Jr., 51, 53, 56, 77.
WOOLF H., 11.
variance (analyse de), 289-291,298-301, 334-337. WRIGLEY E. A., 274.
Venn (diagrammes de), 24-25, 272-274. WYNNE-EDWARDS V. c., 59.
VIDAL DE LA BLACHE P., 12-13, 18-19, 22, 275,
311.
VINING R., 23, 28, 48, 141.
voies de communication (densité des), 87-93.
voies de communication (localisation des), 35, y
43, 74-87.
voisinage (analyse du plus proche), 104-106, YATES F., 112,216,220,244,321,325,329,337.
260-262. YEATES M., 48, 270, 278-280.
YUILL R. S., 71-72.
YULE G. D., 121.
W

WAIBEL L., 188, 198, 202. Z


WALTERS S. M., 23, 234, 254.
WARNTZ W., 48, 73, 242, 259-260.
WATSON J. W., 23. ZEMANSKY M. W., 45, 75, 167.
WEAVER J. c., 233, 248, 254. ZIPF G. K., 33,42,44-46, 117-118.
WEBB W. P., 67, 114. ZOBLER L., 290-291, 319.

383
Table des matières

PRÉFACE. . . 5
AVANT-PROPOS 9

1. GÉNÉRALITÉS Il
1. A la recherche de l'ordre 12
Les traditions exceptionnalistes en géographie 12
Échelle et théorie 14
2. La géographie . . . 19
Les conceptions de la géographie. 20
La différenciation de l'espace, 20. - L'école du paysage 21. - L'école écologique,
22. - L'école de la localisation, 22.
Essai d'intégration par la théorie des ensembles . 23
L'abandon de l'esprit géométrique en géographie 25
Science régionale et géographie . . . . 26
3. Systèmes et modèles. . . . . . . .... 27
La géographie humaine et la théorie générale des systèmes. 27
La nature des systèmes, 27. - Les régions polarisées (ou nodales) en tant que
systèmes ouverts, 28.
La construction de modèles en géographie humaine . . . . . . . 30
Les types de modèles, 30. - Les techniques de construction de modèles, 32. -
Le rôle des modèles, 33.
4. Déterminisme et probabilisme 34
L'abandon du déterminisme en géographie humaine 34
Lois normatives et lois probabilistes 36
L'incidence du principe d'incertitude, 36. - L'apparition des modèles stochas-
tiques, 37.

PREMIÈRE PARTIE :

LES MODÈLES DE STRUCTURE DES LOCALISATIONS 39

2. LES MOUVEMENTS 41
1. Mouvement et morphologie 42
2. Mouvement et distance : le concept d'interaction 43
Études régionales des taux de décroissance . . 44
Les modèles élémentaires d'interaction . . . . 45
Les modèles déductifs : analogies avec la gravitation et l'absorption, 45. -
Les modèles inductifs : ajustement de courbes, 46.

385
TABLE DES MA TIÈRES

Les modèles d'interaction modifiés. . . . . . . . . . . . . . . 47


Difficultés du modèle de gravitation, 47. - Affinements du modèle de gravi-
tation, 49.
3. Mouvement et surface : les concepts de champ et de territoire 51
Les aires continues de mouvement : le concept de champ 51
La taille des champs, 51. - La forme des champs, 54.
Les aires limitées de mouvement : le concept de territoire 58
Théorie élémentaire du pavage, 59. - Études régionales de pavages, 61. -
Les modifications du modèle hexagonal, 64.
4. Mouvement et temps : le concept de diffusion 67
Études régionales de diffusion . . . . . . . 67
Les modèles de diffusion . . . . . . . . . 68
Les modèles inductifs, 68. - Les modèles stochastiques, 69.

3. LES RÉSEAUX . 73
1. La localisation des voies de communication. 74
La localisation de la voie isolée . . . . . 74
Les déviations positives, 74. - Les déviations négatives, 75.
La localisation des réseaux de voies . . . . . . . . 78
Les concepts de distance minimale, 78. - Les applications pratiques des plans
de réseau optimal, 79. - Les facteurs politiques, 82.
Les effets de la géométrie des réseaux 83
2. La densité des réseaux de voies 87
Le nivea u local. . . . 87
Le nivea u régional . . 88
Le nivea u international 89
3. Les modèles de transformation des réseaux. 93
Le développement des voies de communication dans les régions
sous-développées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93
Exposé du modèle, 93. - Validité du modèle, 95.
Les substitutions de voies de communication dans les régions déve-
loppées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96
Recherche d'un modèle, 96. - Les effets des substitutions, 97.
Le développement des voies de communication et les modèles de
diffusion. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99

4. LES NŒUDS 101


1. La morphologie de l'habitat 102
La répartition de l 'habitat en treillis réguliers 102
Les données qualitatives, 103. - Les données quantitatives, 104.
La répartition irrégulière de l'habitat. . . . . . . 106
Effets de distorsion dus à la présence d'un centre urbain, 106. - Effets de
distorsion dus à la localisation des ressources, 109.
Effets de distorsion dus à l'évolution historique . . . . . . . . . 110
Les modèles d'évolution de 1'habitat dans le temps, 110. - Les schémas de
diffusion observés, 114.

386
Table des matières

2. Les groupements de population : la distribution des tailles . . 115


Les relations entre le rang et la taille . . . . . . . 116
Caractère général de la liaison : distributions log-normales. 118
La forme de la distribution, 118. - L'interprétation des formes de la liaison
entre taille et nombre des localités, 120.
La partie inférieure de la distribution : un problème non résolu 122
3. La taille et l'espacement des groupements 123
L'espacement de groupements discrets 123
L'espacement, fonction continue . . . . 125
La définition de l'espacement, 125. - L'espacement et la taille des groupements
126. - L'espacement, fonction complexe, 128.

5. LES HIÉRARCHIES. . . . . . . . . . . . . 130


1. Les hiérarchies fonctionnelles des unités de peuplement 131
La taille et la fonction des groupements . . . . . . 131
Les liaisons continues entre taille et fonction, 131. - Les liaisons discontinues:
le problème des seuils, 132.
Treillis et fonctions k. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 135
Les hiérarchies de places centrales . . . . . . . . . . . . . . . 137
La hiérarchie à indice fixe de Christa 11er, 138. - Les hiérarchies à indice variable
de Losch, 139. - Les valeurs de k : observations empiriques, 142.
2. La place des centres spécialisés dans la hiérarchie 143
Le concept de spécialisation. . . . ..... 143
Les observations de concordance . . . . . 145
La concordance dans l'espace, 145. - La concordance dans Je temps, 147.
Les problèmes de discordance . . . . . . . . . . . . . . . . 148
La spécialisation des centres: problèmes théoriques, 148. - La spécialisation des
centres : problèmes de définition, 150.
3. Les distorsions dues aux dimensions des établissements . . . . . . 154
La taille des établissements . . . . . . . . . . . . . . . . . 154
La concentration des établissements en « agrégats » reglOnaux 159
Foyers aléatoires : le problème des centres « non conformistes » 160
4. Les distorsions dues à la localisation des ressources . . . . 161
La minimisation du mouvement : l'analyse de Weber . . . 161
La minimisation du mouvement dans un cas comportant deux points, 162. -
La minimisation du mouvement dans un cas comportant n points, 166. -
Critique de la méthode de minimisation du mouvement, 167.
Les irrégularités de l'espace de localisation . . . . . . . . . . . 168
Les substitutions locales d'« inputs» . . . . . . . . . . . . . . 168
Un exemple théorique de substitution, 169. - Un exemple concret de substi-
tution, 171.

6. LES SURFACES. 173


1. Surfaces et gradients 174
La nature des surfaces 174

387
TABLE DES MATIÈRES

Les pentes : gradients de densité. . . . . . . . . . . . . . . . 175


Les pentes dans les zones urbaines, 175. - Les pentes dans les zones rurales, 178.
Les discontinuités : zones d'utilisation du sol. . . . . 179
2. Les modèles de mouvement minimal 182
La minimisation du mouvement: l'analyse de Thünen. 182
Les relations géométriques fondamentales, 183. - La formation d'anneaux,
183. - L'État isolé de Thünen, 187.
Critique des modèles de mouvement . . . . . . . . . . . . . . 189
L'évolution des coûts de mouvement, 189. - Les modifications des relations
entre la distance et le mouvement, 190.
3. Les distorsions de gradients réguliers . . . . . . . . . . . . . . 192
Les distorsions dues à la localisation des ressources . . . . . . . 192
La variabilité des ressources, 192. - Les substitutions d'« inputs» de ressources,
194.
Les distorsions dues à la concentration. . . . . . . . . 198
Les distorsions dues à l'évolution dans le temps. . . . . 199
L'évolution des pentes, 199. - L'évolution des zones et secteurs, 200.
Les distorsions dues au comportement sub-optimal 205

SECONDE PARTIE
LES MÉTHODES 207

7. LA COLLECTE DES DONNÉES . . . . . . . . 209


1. Les populations géographiques . . . . . 210
Les sources d'information géographique. 210
La définition des populations géographiques. 211
Définitions opérationnelles. . . . . . . . . 212
Nature du problème, 213. - Tentatives de solution, 214.
2. Les problèmes de (( couverture». . . . . . . . . . . . . . . . . 216
Solution indirecte : les sondages. . . . . . . . . . . . . . . . 216
La taille de l'échantillon, 217. - Quelques types de plans de sondage, 219. -
Diverses unités de sondage possibles, 224.
Solution directe : la couverture exhaustive 225
3. L'irrégularité des unités spatiales de collecte 226
La distorsion des mesures de localisation . 227
Les effets sur les comparaisons entre régions, 227. - L'ampleur des variations,
230.
La normalisation des unités spatiales de collecte types de
solution . . . . . . . . . . .. .... 231
La pondération par les surfaces, 231. - Le groupement d'unités de collecte, 232.
- L'élimination des unités de collecte aberrantes, 233. - L'emploi de grilles,
233. - L'ajustement de surfaces, 236.

8. LA DESCRIPTION. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 238
1. La description de la localisation absolue : les systèmes cartographiques 239
Niveaux de mesure et cartographie 239

388
Table des matières

Les cartes à composante unique surfaces définies par des


isarithmes . . . . . . . . . . . . 241
Le nombre des isarithmes, 242. - L'espacement des isarithmes, 242. - La
disposition des points directeurs, 244.
Les cartes à plusieurs composantes 246
Les graphiques triangulaires, 246. - L'indice de combinaison, 248. - La
réduction des composantes, 250. - L'analyse en composantes principales ou
analyse factorielle, 25l.
Les problèmes de la description cartographique . . . . . . . . . 253
Les cartes comme système de stockage de données, 253. - Autres systèmes
de stockage de données : la cartographie automatique, 254.
2. La description de la localisation relative : les indices statistiques . . 255
Les aires contiguës . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 255
La description de la forme, 255. - Les caractéristiques de valeur centrale et de
dispersion, 258.
Les points et les aires discontinues. . . . . . . . . . . . . . . 260
L'analyse du plus proche voisinage, 260. - Les indices d'association géogra-
phique, 263.
Les réseaux de lignes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 265
L'analyse des dimensions, 265. - Caractéristiques topologiques fondées sur la
théorie des graphes, 266.

9. LA DÉFINITION DES RÉGIONS . . . . 270


1. Le problème de l'identification des régions. 271
Le concept de région. . . . . . . . . 271
Les régions, problème taxonomique, 272. - Les régions et la théorie des
ensembles, 272.
L'analyse qualitative : les superpositions de limites 274
L'analyse quantitative. . . . . . . . . . . . . . 277
Les polygones de Thiessen, 277. - La minimisation de la distance, 278. -
L'analyse discriminante, 280. - L'interprétation des régions par la théorie
des graphes, 28l.
2. Les problèmes de rattachement. . . . . . . . . . . . 284
Les méthodes générales de classification. . . . . . . . 284
L'analyse de la distance dans un espace à n dimensions, 284. - L'emploi de
la variable khi-carré (X 2 ) dans les classifications, 288.
Le rattachement d'unités spatiales à des groupements régionaux. . 289
L'analyse de variance, 289. - La corrélation et les « liens» régionaux, 292.
3. Les problèmes d'échelle . . . . . . . . 294
La nature du problème de l'échelle 294
L'échelle dans les hiérarchies régionales. 295
L'analyse en composantes d'échelle : les méthodes d'échantillonnage 296
L'échantillonnage à plusieurs degrés, 296. - L'analyse de variance des résultats,
298.
L'analyse en composantes d'échelle : les méthodes cartographiques 301
Le filtrage cartographique, 301. - Les plans de tendance, 303. - Les surfaces
quadratiques et d'ordre supérieur, 305. - Le choix d'une méthode, 307.

10. LA VÉRIFICATION DES HYPOTHÈSES . . . . 310


1. Les hypothèses en géographie humaine. 311

389
TA.BLE DES MATIÈRES

Les modèles de vérification d'hypothèses 311


Les origines des hypothèses : la méthode du « fusil de chasse» ou
des « Pléiades » • • • • • • • 314
2. Les tests statistiques. . . . . . . . . . . . 319
Les difficultés d'application des tests statistiques 320
La nature des distributions géographiques, 320. - Le niveau de mesure des
données, 322.
Les tests de comparaison simples . . . . . . . . . . . . . . . 324
Premier exemple : la comparaison de moyennes, 324. - Deuxième exemple :
la comparaison de rangs, 325.
Les comparaisons de tendances . . . . . . . . . . . . . . . . 327
Troisième exemple : l'analyse de régression simple, 327. - Quatrième exemple:
l'analyse de régression multiple, 330.
Les plans d'expérience . . . . . . . . . 334
Cinquième exemple : les expériences factorielles, 334.
3. Les vérifications par analogies . . . . . . 338
La simulation par analogie avec des phénomènes physiques 338
Les méthodes de simulation de Monte-Carlo . . 339
La simulation logique : les systèmes semi-axiomatiques 343
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 345
ORIENTAnON BIBLIOGRAPHIQUE 359
INDEX . . • 377

390
Berger-Levrault, Nancy. - 778649-4-1973
Dépôt légal : 2 e trimestre 1973
nO A. Colin : 6274
Cet ouvrage est publié dans la collection
« U », série « Géographie », que dirige
Philippe Pinchemel, Professeur à l'Univer-
sité de Pa ris 1.

Récemment paru dans cette série:


Brian J.L. Berry: Géographie des marchés et
du commerce de détail. U2 no 188.
Sous l'impulsion de géographes et d'économistes, anglo-saxons et suédois notam-
ment, les méthodes d'analyse de l'espace se sont profondément modifiées depuis une
trentaine d'années. L'emploi de techniques mathématiques a fait naître un courant
de pensée et de recherche novateur.
A la géographie collectrice de faits, ces recherches substituent une « nouvelle
géographie », théorique, déductive, identifiant des structures spatiales et dégageant
des modèles d'organisation territoriale.
Cet ouvrage, traduit de l'anglais, regroupe en les ordonnant des idées dispersées
jusque-là dans de nombreuses et souvent obscures publications. La première partie
décrit les principaux modèles théoriques, tant classiques, comme ceux de Thünen,
Weber, Christaller et Lôsch, que modernes, tels ceux de Isard, Garrison, Berry et
Hàgerstrand et insiste sur la symétrie géométrique discernable à l'intérieur des
systèmes régionaux. Les techniques quantitatives au service de l'analyse spatiale
sont présentées dans la seconde partie, qui comporte un chapitre spécial sur le délicat
problème de la définition des régions.
La bibliographie de plus de 450 références, datant de la première édition anglaise
de l'ouvrage en 1965, a fai t l'objet d'un complément qui met particulièrement l'accent
sur les pu blications récen tes de langue française.

K. 4506

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