ARBITRAGE

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Droit maritime et arbitrage font-ils encore bon ménage ?

Colloque Société de Législation Comparée


Sections « Arbitrage ADR » et « Droit maritime »
Lundi 1er avril 2019

Propos introductifs :

La priorité chronologique donnée à l’arbitre, sauf clause d’arbitrage manifestement


inapplicable, résulte de l’effet négatif du principe compétence-compétence tel que posé par
l’ancien article 1458 Al. 2 de Code de procédure civile, aujourd’hui devenu d’article 1448 du
Code de procédure civile.
Cette règle n’est pas teintée du particularisme du droit maritime et les difficultés auxquelles
elle donne lieu concernent tous les domaines du droit commercial international.
En effet, ce principe très favorable au développement de l’arbitrage a été poussé à l’extrême,
voire à l’excès.
Selon M. le Professeur Bonnassies, il est contraire au principe d’autonomie du juge judiciaire,
qui est lui-même un principe à valeur constitutionnelle.

La jurisprudence de la Cour de cassation démontre une application de ce principe, d’une


manière quasi mécanique.
Il semble désormais que le principe compétence-compétence soit réservé aux juridictions
arbitrales et refusé de manière quasi automatique aux juridictions judiciaires.
Par l’effet d’une véritable déviance procédurale, d’aucun peut alléguer une clause
compromissoire, comme on allègue une créance maritime en matière de saisie conservatoire
de navire régit par la Convention de Bruxelles de 1952.
Or, en matière de saisie conservatoire de navire, le texte existe un texte.
En matière d’arbitrage international, il n’en existe pas.
Se pose, en conséquence, une véritable question de légalité constitutionnelle de l’article 1448
du Code de procédure civile.
Les alertes en la matière ont été données par des arrêts déjà anciens dénommés « Lendos »1 et
« Pella »2 ; dont les effets ont été amoindris par l’arrêt « Front Comor »3 de la CJCE.

1
Cass. Civ 1er, 22 novembre 2005 DMF janv. 2006 page 16
2
Cass. Com., 21 février 2006 navire Pella DMF mai 2006 page 379
3
16 février 2009 DMF mars 2009 page 2011
1
La contrepartie de cette jurisprudence est à l’encontre des effets recherchés en matière
maritime car elle a pour conséquence la fuite des arbitrages à Londres et dessaisissement des
juges judiciaires français.
Le moyen de contourner cette difficulté est de promouvoir l’arbitrage maritime en France,
notamment en matière de conflit du droit du travail opposant les gens de mer à leurs
armateurs, particulièrement dans le domaine de la grande plaisance.
En conclusion, il est urgent d’améliorer le droit français de l’arbitrage maritime et d’en
étendre son domaine d’application à des domaines d’activité en pleine expansion alors que
d’autres domaines d’activités tels que l’affrètement ou le transport maritime connaissent une
forte baisse de contentieux.
Je laisse la parole à Me le Prado, Avocat à la Cour de cassation et au Conseil d’Etat et
membre de la section maritime de la SLC.

2
1

LA JURISPRUDENCE DE LA COUR DE CASSATION SUR LE PRINCIPE


COMPETENCE-COMPETENCE DANS SON ASPECT NEGATIF

On constate depuis un certain nombre d’années une diminution du contentieux du


droit maritime devant les juridictions françaises.

Certains, dont Philippe Delebecque et, à mon avis, à juste titre, s’en émeuvent.

Diminution à laquelle la jurisprudence de la Cour de cassation n’est peut-être pas


étrangère.

Je pense d’abord à sa jurisprudence portant sur la question de l’opposabilité des


clauses attributives de compétence puisque, comme vous le savez, c’est en définitive
la position de la première Chambre civile qui a pris le pas sur celle de la Chambre
commerciale et qui conduit au renvoi devant les juridictions étrangères de
nombreuses affaires intéressant le droit maritime.

Sa jurisprudence sur l’arbitrage et plus précisément sur le principe compétence-


compétence y contribue-t-elle aussi ?

C’est sans doute cette question qui a conduit les organisateurs de cette rencontre à
retenir le thème suivant : « droit maritime et arbitrage font-ils encore bon ménage ? ».

Henri Motulsky, dans son traité sur l’arbitrage, resté malheureusement inachevé,
définissait ainsi l’arbitrage : l’arbitrage est une justice, une justice privée, une justice
privée d’origine normalement conventionnelle1.

L’origine de cette justice privée est soit une clause d’arbitrage, une clause
compromissoire figurant au contrat qui lie les parties, soit un accord ex post de
soumettre le litige opposant ces parties à l’arbitrage.

C’est de la combinaison de ces définitions qu’est né le principe « compétence-


compétence », principe selon lequel l’arbitre est seul compétent pour statuer sur sa
propre compétence, c'est-à-dire, a contrario, principe selon lequel le juge étatique ne
peut pas se prononcer sur cette question.

Vous m’avez demandé d’évoquer les inquiétudes que suscite la jurisprudence de la


Cour de cassation sur ce principe dans son aspect négatif.

Le titre de mon intervention est :

« La jurisprudence inquiétante de la Cour de cassation sur le principe compétence-


compétence ».

1 H. Motulsky, Ecrits, Etudes et notes sur l’arbitrage, préf. B. Goldman et Ph. Fouchard, Dalloz 1974,
p. 5 s.
2

J’aurais, à dire vrai, si j’avais défini moi-même le titre de mon intervention, ajouté un
point d’interrogation à ce titre.

Je vous propose, d’abord, de vous rappeler ce qu’est ce principe en droit français et


de vous exposer la jurisprudence de la Cour de cassation sur sa mise en œuvre (1).

Dans un second temps, ensuite, je m’interrogerai sur les inquiétudes que pourrait
susciter cette jurisprudence (2).

1. La mise en œuvre du principe compétence-compétence par la Cour de


cassation

Je rappellerai le principe lui-même, puis les tempéraments, qu’apporte ou n’apporte


pas, la Cour de cassation, à une mise en œuvre automatique, systématique du
principe.

1.1. Le principe compétence-compétence

L’arbitrage est une justice, l’arbitre est un juge.

Il en découle la face positive du principe compétence-compétence : c’est à l’arbitre


qu’il appartient de se prononcer sur sa compétence.

Mais il en découle également la face négative de ce principe.

Cette compétence de l’arbitre est exclusive de celle du juge étatique.

D’où vient ce principe compétence-compétence en droit français ?

Il était posé indirectement par l’article 1458 ancien du code de procédure civile : « si
le tribunal arbitral n’est pas encore saisi, la juridiction doit également se déclarer
incompétente, à moins que la convention d’arbitrage ne soit manifestement nulle ».

Autre texte, l’article 1466 ancien du code de procédure civile :

« si devant l’arbitre, l’une des parties conteste dans son principe ou son étendue le
pouvoir juridictionnel de l’arbitre, il appartient à celui-ci de statuer sur la validité ou les
limites de son investiture ».

C’est de ces textes que la Cour de cassation a déduit le principe compétence-


compétence.

Sa première expression se trouve dans un arrêt de la deuxième Chambre civile du 6


mai 19712.

2
Civ. 2ème, 6 mai 1971, pourvoi n° 70-10592, Bull. II, n° 171.
3

La Cour de cassation y a jugé que « toute juridiction même d’exception, étant juge de
sa propre compétence, l’arbitre a le pouvoir et le devoir, avant tout examen des
demandes des parties, de vérifier si, au regard de la convention d’arbitrage, il est
compétent pour connaitre du différend qui lui est soumis ».

C’est ensuite la première Chambre civile, dans un arrêt du 5 janvier 1999 qui a cité le
principe « selon lequel il appartient à l'arbitre de statuer sur sa propre
compétence »3.

Et notre première Chambre civile, dans le même arrêt, a également abordé la face
négative du principe : elle a censuré la cour d'appel qui avait annulé une clause
compromissoire ; elle a jugé qu’elle n'était pas saisie du litige soumis au tribunal
arbitral et qu’elle devait laisser l'arbitre statuer sur sa propre compétence en vertu du
principe.

Cette face négative du principe a été réaffirmée dans un arrêt de la première


Chambre civile du 26 juin 20014 : elle nous dit que le principe compétence-
compétence « consacre la priorité de la compétence arbitrale pour statuer sur
l'existence, la validité et l'étendue de la convention d'arbitrage ».

Et c’est dans un arrêt du 28 novembre 20065, que la première Chambre civile a


utilisé, pour la première fois, le terme « compétence-compétence ».

Voilà pour l’historique du principe.

Il en découle que si le juge étatique se prononce sur l’investiture du tribunal arbitral, il


commet un excès de pouvoir.

La deuxième Chambre civile l’a affirmé dans un arrêt du 27 juin 20026 ou encore, la
première chambre civile, dans un arrêt plus récent du 12 février 20147.

J’ajouterai enfin que ce principe compétence-compétence a été consacré par le


pouvoir réglementaire.

C’est le décret du 13 janvier 2011, à l’origine l’article 1448 du code de procédure


civile.

Cet article énonce, s’agissant de l’arbitrage interne :

3
Civ. 1ère, 5 janvier 1999, pourvoi n° 96-21430, Bull. I, n° 2.
4
Civ. 1ère, 26 juin 2001, pourvoi n° 99-17120, Bull. I, n° 183.
5
Civ. 1ère, 28 novembre 2006, pourvoi n° 04-10384, Bull. I, n° 513.
6
Civ. 2ème, 27 juin 2002, pourvoi n° 01-13935, Bull. II, n° 146.
7
Civ. 1ère, 12 février 2014, pourvoi n° 13-10346, Bull. I, n° 23.
4

« Lorsqu'un litige relevant d'une convention d'arbitrage est porté devant une
juridiction de l'Etat, celle-ci se déclare incompétente sauf si le tribunal arbitral n'est
pas encore saisi et si la convention d'arbitrage est manifestement nulle ou
manifestement inapplicable ».

Cette disposition est également applicable à l’arbitrage international, c’est l’article


1506.

Dans le même ordre d’idée, l’article 1465 du code de procédure civile prévoit que « le
tribunal arbitral est seul compétent pour statuer sur les contestations relatives à son
pouvoir juridictionnel ».

Là encore, l’article 1506 décline ce même principe pour l’arbitrage international.

Voici donc pour la genèse de notre principe.

Encore une fois, ce principe dans son aspect positif consacre la compétence de
l’arbitre pour statuer sur sa propre compétence ou plus exactement sur son
investiture.

Mais négativement, ce principe interdit au juge étatique de statuer sur cette même
compétence ou cette même investiture.

A dire vrai, le terme de compétence ne me semble pas tout à fait exact pour
expliquer l’éviction du juge national ; il ne s’agit pas tant de la compétence de l’arbitre
que de son pouvoir juridictionnel.

Et le contrôle par l’arbitre de sa propre compétence porte non seulement sur son
étendue, au regard de la convention de l’arbitrage, mais également sur la licéité, sur
la validité de cette même convention.

Je vous citerai le professeur Loquin8 :

« Le droit de l’arbitrage, non seulement autorise les arbitres à vérifier les limites de
leur investiture, c'est-à-dire l'étendue de leurs pouvoirs par rapport à la convention
d'arbitrage, mais aussi, et c’est là la nouveauté, la validité de leur investiture, c'est-à-
dire soit l'existence même de la convention d'arbitrage, soit sa licéité ou sa nullité ».

Voici pour le principe compétence-compétence, dans ses aspects positif et négatif, et


pour son fondement.

1.2. Mais ce principe comporte des tempéraments

Tempéraments que l’on trouve dans l’article 1448 du code de procédure civile
puisque la compétence du juge étatique est écartée, sauf nous dit-il, si la convention
d’arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable.
8
E. Loquin, J.-Cl. Procédure civile, fasc. 1034, n° 54.
5

Et dès avant ce texte, la Cour de cassation avait admis ce tempérament.

Dans un arrêt de la première Chambre civile du 1er décembre 19999, elle a ainsi jugé
que « la nullité manifeste de la convention d'arbitrage est seule de nature à faire
obstacle à l’application du principe compétence-compétence ».

Et elle a repris dans de nombreux arrêts ultérieurs la formule selon laquelle le


principe compétence-compétence est celui « selon lequel il appartient à l'arbitre, par
priorité, de statuer sur sa propre compétence, sauf nullité ou inapplicabilité
manifestes de la convention d'arbitrage »10.

Ce tempérament, cette dérogation, pourraient ou auraient dû en tout cas permettre


un certain équilibre dans le contrôle par le juge étatique de la mise en œuvre de la
convention d’arbitrage.

2. Les inquiétudes que pourraient susciter la jurisprudence

Il existe, il est vrai, un malaise lié à la mise en œuvre par la Cour de cassation de ce
tempérament qu’elle a elle-même admise dans un premier temps, puis qui a été
consacré par l’article 1448 du code de procédure civile.

Malaise qui a conduit sans doute les organisateurs de notre rencontre à qualifier
d’« inquiétante » la jurisprudence de la Cour de cassation sur la mise en œuvre de
ce principe dans son aspect négatif.

D’où vient ce malaise ?

Il tient à la conception extrêmement restrictive qu’a la Cour de cassation de cette


dérogation.

Rares, voire rarissimes sont les arrêts dans lesquels la Cour de cassation a accepté
d’admettre qu’une convention d’arbitrage pouvait être manifestement nulle ou
manifestement inapplicable.

S’agissant de la nullité manifeste, il faut que celle-ci ressorte à l’évidence ou encore


« saute aux yeux », suivant l’expression du professeur Loquin11.

Et pour reprendre les termes du professeur Loquin, la Cour de cassation s’est


attachée à interpréter très étroitement la notion d’inapplicabilité manifeste de la
clause d’arbitrage.

9
Civ. 1ère, 1er décembre 1999, pourvoi n° 97-21488, Bull. I, n° 325.
10
Civ. 1ère, 16 mars 2004, pourvoi n° 01-12493, Bull. I, n° 82 ; Civ. 1ère, 30 mars 2004, pourvoi n° 01-
17800, Bull. I, n° 96 ; Civ. 1ère, 8 novembre 2005, pourvoi n° 02-18512, Bull. I, n° 402 ; Com. 23 avril
2013, pourvoi n° 12-12101, Bull. IV, n° 67.
11
E. Loquin, JCl. Procédure civile, fasc. 1034, n° 99.
6

En réalité, la Cour de cassation censure la plupart du temps les cours d'appel qui
admettent le caractère manifeste de la nullité ou de l'inapplicabilité de la clause
d'arbitrage.

Réciproquement, elle rejette la plupart du temps les pourvois faisant grief à ces
mêmes juges d’appel d’avoir refusé de retenir la nullité ou l’inapplicabilité manifestes
de la clause d’arbitrage.

Un exemple parmi de nombreux autres, un arrêt récent du 19 décembre 2018 de la


première Chambre civile12.

Une péniche avait endommagé un ouvrage géré par l’établissement voie navigable
de France.

La cour d'appel avait jugé que la juridiction étatique était incompétente pour
connaitre de la demande indemnitaire formée par Voie navigable de France en
raison de la clause d’arbitrage stipulée dans la police d’assurance souscrite par le
propriétaire de la péniche.

Le pourvoi reprochait à la cour d'appel d’avoir opposé au tiers lésé cette convention
d’arbitrage à laquelle il n’était pas partie.

Pour autant, le pourvoi a été rejeté, par application du principe compétence-


compétence.

La Cour de cassation a approuvé les motifs de la cour d’appel selon lesquels « la


clause compromissoire n'était pas manifestement inapplicable dès lors qu'accessoire
du droit d'action, elle était opposable aux victimes exerçant l'action directe contre les
assureurs ».

Quelques chiffres au-delà cet exemple.

Chiffres concernant d’abord l’année 2018.

La Cour de cassation a rendu sept arrêts sur la validité au sens large de la clause
d’arbitrage.

Parmi ces sept arrêts, celui du 19 décembre 2018 que je viens de vous citer.

Les six autres arrêts ont, soit censuré des cours d'appel qui avaient retenu la
compétence de la juridiction étatique, soit rejeté les pourvois contre des arrêts de
cours d’appel qui avaient fait application des clauses d’arbitrage.

Je vous en citerai seulement certains pour illustrer mon propos.

12
Civ. 1ère, 19 décembre 2018, pourvoi n° 17-28951.
7

Un arrêt du 14 novembre 201813 par lequel la Chambre commerciale a censuré une


cour d'appel qui avait refusé d’appliquer la clause compromissoire stipulée dans un
contrat de cession d’actions, au motif que la demande de garantie de la société
cessionnaire était fondée sur des dissimulations, lesquelles constituaient un litige qui
ne relevaient pas du tribunal arbitral.

Cassation car la cour d'appel n’a pas caractérisé que la convention d'arbitrage était
manifestement nulle ou inapplicable.

Deuxième arrêt du 10 octobre 201814, arrêt de rejet cette fois.

La Cour de cassation a approuvé une cour d'appel qui avait soumis à la clause
d’arbitrage un litige afférent à l’évaluation de parts sociales.

D’après la Cour de cassation, le caractère d'ordre public de l'article 1843-4 du code


civil qui régit cette matière n'excluait pas l'arbitrabilité du litige.

Et la circonstance que la clause d’arbitrage accorde aux arbitres le pouvoir de


procéder eux-mêmes à l’évaluation et de trancher le litige, contrairement au pouvoir
de l'expert nommé en application de l'article 1843-4 du code civil, ne rend pas la
clause manifestement inapplicable ou nulle.

Derniers arrêts de l’année 2018 que je vous citerai, des arrêts du 11 avril15.

La Cour de cassation a censuré les cours d’appel qui avaient condamné une société
cessionnaire d’actions à garantir la société cédante des condamnations prononcées
au bénéfice de ses salariés en réparation de leur préjudice d’anxiété lié à l’amiante.

La société cessionnaire s’était prévalue de la clause d’arbitrage stipulée dans le


traité de cession.

La cour d’appel avait refusé d’en faire application au motif que ce traité réglait
seulement les conditions et les garanties de la vente et de l’achat du capital social.

Cassation dans la mesure où notre Cour suprême considère que cette clause
d’arbitrage stipulée dans le purchase agreement n’était pas manifestement
inapplicable en l’occurrence.

En somme, tout au long de l’année 2018, aucune clause d’arbitrage n’a paru aux
yeux de la Cour de cassation manifestement nulle ou inapplicable.

Passons à l’année 2017, pour vérifier si la moisson est plus riche.

13
Com. 14 novembre 2018, pourvoi n° 17-10184.
14
Com. 10 octobre 2018, pourvoi n° 16-22215, publié au bull.
15
Civ. 1ère, 11 avril 2018, pourvois n° 17-17999 et a. (série de 11 arrêts identiques).
8

Quatre arrêts seulement ont été rendus.

Tous, sauf un seul, vont dans le même sens.

Je vous en citerai un du 13 septembre 2017 à titre d’exemple16.

Un groupement d’intérêt économique en charge de la réalisation d’une ligne


ferroviaire, passe deux contrats de sous-traitance, le second stipulant une clause
compromissoire.

Le sous-traitant agit à l’encontre du donneur d’ordre principal.

La cour d'appel refuse d’appliquer la clause compromissoire, aux motifs que le sous-
traitant n’est pas contractuellement lié au donneur d’ordre principal.

Cassation, car la cour d'appel a dû procéder à un examen approfondi des relations


contractuelles entre les parties pour refuser l'extension de la convention d'arbitrage
et elle a donc statué par des motifs impropres à caractériser l'inapplicabilité
manifeste de la clause compromissoire.

Ce n’est que dans un arrêt du 1er juin 201717 que la Cour de cassation a admis
qu’une clause d’arbitrage était manifestement inapplicable.

Deux contrats de cession conclus successivement avaient pour objet un transfert de


titres sociaux, et stipulaient une clause d’arbitrage.

Puis, les parties ont conclu un contrat tripartite, lequel ne stipulait plus de clause
d’arbitrage, mais une clause de compétence.

La cour d'appel a retenu que les clauses d’arbitrage des deux premiers contrats
étaient opposables au dernier cessionnaire, dans le litige l’opposant au cédant, ayant
conclu le premier contrat.

Cassation : la cour d'appel ne pouvait statuer ainsi « alors qu’aucune clause


compromissoire ne liait les sociétés […] et que le contrat tripartite contenait une
clause attributive de juridiction ».

Je vous ferai grâce du détail des autres arrêts de l’année 2017.

Essayons l’année 2016 au cours de laquelle huit arrêts ont été rendus.

Là encore, qu’il s’agisse d’arrêts de cassation ou de rejet, c’est le refus d’admettre


l’inapplicabilité manifeste ou la nullité qui prévaut.

16
Civ. 1ère, 13 septembre 2017, pourvoi n° 16-22326.
17
Civ. 1ère, 1er juin 2017, pourvoi n° 16-11487.
9

L’impression se dégage donc que les dérogations au principe compétence-


compétence, d’abord posées par la jurisprudence, puis par le code de procédure
civile, en son article 1448, ne sont que rarement mises en œuvre.

Je citerai le professeur Clay, dans une chronique parue au Recueil Dalloz 201718,
faisant la recension de tous les arrêts de la Cour de cassation ayant admis la nullité
ou l’inapplicabilité manifeste d’une clause d’arbitrage :

« Neuf. C'est le nombre de fois où la Cour de cassation a reconnu qu'une clause


compromissoire était manifestement nulle ou manifestement inapplicable ; ce chiffre
ridiculement faible au regard du nombre de fois où l'inverse a été allégué a de quoi
refroidir les velléités de ceux qui, contre toute évidence, invoquent une telle
sanction ».

En somme, ce principe compétence-compétence se trouve revêtu d’une portée


absolue en raison de la conception très restrictive que se fait la Cour de cassation du
caractère manifestement inapplicable ou nulle de la convention d’arbitrage.

Je vous citerai encore le professeur Clay, dans sa chronique cette fois-ci parue au
Dalloz 201819 :

« Enfin, on dira un mot, en matière internationale cette fois, de la force du mot


arbitrage.

Tel un talisman, il suffit qu'il figure dans le contrat pour que la convention d'arbitrage
n'apparaisse pas manifestement nulle ou inapplicable.

Par sa seule mention, la clause compromissoire n'est pas manifestement nulle ou


inapplicable et peut être mise en œuvre car elle montre la volonté des parties de
recourir à l'arbitrage ».

Et Thomas Clay continue en ajoutant que le simple mot arbitrage suffit pour basculer
dans la justice arbitrale et qu’il s’agit bien d'un mot magique.

Or, faire d’une règle de droit une formule magique n’est peut-être pas de bonne
pratique.

Et le refus d’écarter une clause d’arbitrage peut aboutir à des situations inextricables
pour les parties.

Cette application, trop systématique, revient à appliquer à des parties des clauses
d’arbitrage, pourtant sans doute inapplicables, au seul motif que leur inapplicabilité
n’est pas suffisamment manifeste.

18
T. Clay, D. 2017. 2559.
19
T. Clay, D. 2018.2448.
10

On en prendra pour exemple l’arrêt précité du 10 octobre 2018, soumettant à


l’arbitrage l’évaluation des parts sociales.

Comme l’a souligné le professeur Moury20, les parties à l’arbitrage se heurteront à la


lettre de l’article 1843-4 du code civil, qui impose le recours à l’expertise pour évaluer
les parts sociales, l’expert devant être désigné par les parties ou, à défaut, par le
président du tribunal statuant en la forme des référés.

On peut donc se demander si l’arbitre pourra désigner lui-même l’expert, pouvoir que
ne lui reconnait pas l’article 1843-4 du code civil.

On peut encore se demander si l’arbitre peut procéder lui-même à l’évaluation des


parts sociales, alors que l’article 1843-4 du code civil la confie à un expert et
exclusivement à un expert.

Le professeur Moury en conclut : « Le résultat conduit probablement à reculer pour


mieux sauter ».

Si l’arbitre retient sa compétence, il commettra lui-même, suivant le professeur


Moury, un excès de pouvoir.

Restera alors aux parties à faire annuler la sentence.

C’est soumettre les parties à une véritable impasse.

En définitive, des clauses d’arbitrage peut-être inapplicables sont donc opposées aux
parties, pour la seule raison que leur inapplicabilité n’est pas manifeste.

Il est alors renvoyé au tribunal arbitral pour statuer sur sa propre compétence.

Mais si une clause est inapplicable, sans l’être manifestement, on fait subir aux
parties une saisine inutile de l’arbitre, ce qui recule d’autant la solution du litige.

J’ajouterai, pour en terminer, qu’on peut s’interroger sur l’articulation que la Cour de
cassation devra opérer entre cette mise en œuvre du principe compétence-
compétence et le nouvel article 2062 du code civil, issu de la loi du 18 novembre
2016 de modernisation de la justice du 21ème siècle, dont je rappellerai les termes :

« La clause compromissoire doit avoir été acceptée par la partie à laquelle on


l'oppose, à moins que celle-ci n'ait succédé aux droits et obligations de la partie qui
l'a initialement acceptée.

Lorsque l'une des parties n'a pas contracté dans le cadre de son activité
professionnelle, la clause ne peut pas lui être opposée ».

20 J. Moury, RTD com. 2018. 959.


Le principe « Kompetenz-Kompetenz» dans son effet
négatif : position des juridictions allemandes

Dr. Olaf Hartenstein, D.E.A., LL.M.


Rechtsanwalt/associé au cabinet d’avocats ARNECKE SIBETH DABELSTEIN à Hambourg

Introduction

La conférence aujourd’hui me fait particulièrement plaisir : D’une part, je suis ancien élève de
l’Institut de Droit Comparé de Paris et membre de la Société de Législation Comparé, et,
d’autre part, depuis longtemps avocat en droit maritime, ce qui me permet de pratiquer
quotidiennement le contentieux et l’arbitrage. Le sujet de notre conférence réunit
parfaitement ces deux aspects.
Le principe de « Kompetenz-Kompetenz» de l’arbitre se prête, à mon avis, particulièrement
bien à une approche de droit comparé : Nos ordres juridiques, et particulièrement le droit
français et le droit allemand, partent, comme on le verra, de principes communs, et en droit
français on utilise même le terme allemand de « Kompetenz-Kompetenz » – mais nous
arrivons tout de même à des résultats bien différents.
Par le principe de « Kompetenz-Kompetenz » on entend généralement le principe selon lequel
un tribunal arbitral a compétence – et il faut ajouter : au moins provisoire – pour statuer sur
sa propre compétence, principalement donc sur la validité et l’opposabilité de la convention
d’arbitrage ou clause compromissoire. Cette compétence de l’arbitre constitue l’« effet
positif » du principe. L’éventuel « effet négatif », en revanche, décrit l’autre côté de la
médaille : c’est la question de savoir dans quelle mesure les juridictions étatiques peuvent
encore se prononcer sur la validité ou l’opposabilité d’une convention d’arbitrage – ou s’ils
doivent toujours renvoyer les parties devant les arbitres pour répondre à ces questions.
L’objet de ma présentation est la position des juridictions allemandes. Evidemment, les juges
étatiques allemands sont constitutionnellement liés par la loi. Avant d’analyser, dans une
deuxième partie, quelques arrêts de cours allemandes, il convient donc de vous présenter,
dans une première partie, le cadre législatif sur lequel est fondé cette jurisprudence.

1
Première partie : Le cadre législatif de la jurisprudence

En droit allemand, l’arbitrage fait l’objet du 10ième livre du code de procédure civile, la
« Zivilprozessordnung », dite « ZPO ». Ce 10ième livre de la ZPO, donc la loi allemande
concernant l’arbitrage, a été profondément reformée il y a à peu près 20 ans. Cette réforme
de 1997, entrée en vigueur en 1998, concernait aussi le principe « Kompetenz-Kompetenz ».
L’un des objectifs de la réforme était de mieux aligner le droit allemand au niveau
international. Avant de regarder de plus près les règles de la ZPO, il convient donc de dire
quelques mots sur les instruments internationaux qui ont une influence sur le droit allemand.

1ière section : Les instruments internationaux


Il y a deux sortes d’instruments internationaux qui ont eu une influence sur le droit allemand
d’arbitrage : des conventions internationales et la loi type de la CNUDCI.

(1) Les conventions internationales


En matière d’arbitrage, deux conventions internationales sont en force en Allemagne, celle de
New York et celle de Genève.

a.) La convention de New York (1958)


Tout d’abord, l’Allemagne fait partie des Etats membres de la convention des Nations Unies
de New York de 1958 qui a été ratifiée par un grand nombre d’Etats et qui a une très grande
portée pratique à l’échelle internationale, comme en Allemagne.
Quant au sujet de l’éventuel « effet négatif » du principe de Kompetenz-Kompetenz, l’article II
alinéa 3 de la convention de New York prévoit le suivant :
« Le tribunal d’un État contractant, saisi d’un litige sur une question au sujet de laquelle
les parties ont conclu une convention [d’arbitrage], renverra les parties à l’arbitrage, à
la demande de l’une d’elles, à moins qu’il ne constate que ladite convention est
caduque, inopérante ou non susceptible d’être appliquée. »
C’est cette dernière partie de la phrase (« à moins qu’il ne constate… ») qui est importante ici,
et on remarquera que la convention de New York, à la différence du droit français, ne parle
pas de nullité « manifeste ». Néanmoins, au niveau international, la portée de cette dernière
partie de la phrase fait objet d’interprétations différentes : Les uns soutiennent que cette
partie de la phrase ne permet qu’un examen « prima facie » de la validité de la clause
compromissoire par le juge étatique. D’autres défendent que le juge étatique peut – ou même
doit – véritablement examiner le bien-fondé la validité de la clause compromissoire. Nous
reviendrons sur ce débat « dans sa version allemande ».

2
b.) La convention de Genève (1961)
Mais voyons d’abord la deuxième convention internationale en matière d’arbitrage en vigueur
en Allemagne, c’est la convention européenne de Genève de 1961. Elle est généralement
d’une moindre portée puisqu’il n’y a que des Etats européens qui y adhèrent et la convention
ne s’applique, en matière de commerce international, que si les deux parties ont leurs sièges
dans deux Etats membres différents.
Mais pour la question concernée ici, cette convention de Genève est importante, puisque son
article VI alinéa 3 prévoit expressément le suivant :
« Lorsque […] les tribunaux judiciaires des États contractants, saisis […] d'une demande
portant sur […] une demande en constatation de l'inexistence, de la nullité ou de la
caducité de la convention d'arbitrage, surseoiront, sauf motifs graves, à statuer sur la
compétence de l'arbitre jusqu'au prononcé de la sentence arbitrale. »
On notera la différence avec la convention de New York.
Et on se rappellera que les deux conventions sont en force en Allemagne.
Ceci dit, les deux n’étaient plus tellement « nouvelles » quand la réforme de 1997 a été
entreprise. Ce qui était beaucoup plus récent, à l’époque, c’est la loi type de la CNUDCI.

(2) La loi type CNUDCI de 1985


La loi type de la CNUDCI n’a pas force de loi, elle sert juste de modèle, de recommandation
aux législateurs. L’Allemagne s’en est servi comme modèle, elle ne l’a pas simplement
transposé en droit allemand, mais le législateur allemand a assez étroitement suivi les
recommandations de la CNUDCI.
En ce qui concerne un éventuel « effet négatif » du principe Kompetenz-Kompetenz, la loi type
de la CNUDCI, dans son article 8 alinéa 1 prononce la recommandation suivante :
« Le tribunal saisi d'un différend sur une question faisant l'objet d'une convention
d'arbitrage renverra les parties à l'arbitrage si l'une d'entre elles le demande […], à
moins qu'il ne constate que ladite convention est caduque, inopérante ou non
susceptible d'être exécutée. »
C’est donc très similaire à ce que contient la convention de New York.

3
2ième section : Les règles de la ZPO allemande
Le législateur allemand, dans sa réforme de 1997, a respecté les conventions internationales
et s’est aussi servi de la loi type comme modèle. Mais il a expressément voulu reformer la
situation concernant le principe Kompetenz-Kompetenz.
Il y a plusieurs articles (« paragraphes ») dans le nouveau 10ième livre de la ZPO qui traitent de
la « répartition des pouvoirs » entre les arbitres et les juges. Regardons d’abord ce que la loi
reformée attribue aux arbitres (« l’effet positif ») et puis ce qu’elle attribue aux juges
(l’éventuel « effet négatif »).

(1) La compétence, souvent « provisoire », de l’arbitre


La ZPO, dans son § 1040 alinéa 1er, prévoit expressément que le tribunal arbitral a la
compétence de décider s’il a compétence, et donc si la clause compromissoire est valable et
opposable. Mais cette décision de l’arbitre sera, d’une certaine manière, provisoire, car
l’alinéa 3 prévoit aussi que si l’une des parties invoque la nullité de la clause compromissoire,
le tribunal arbitral va, « de manière régulière », rendre une sentence intermédiaire – contre
laquelle chacune des parties peut déposer une requête devant la cour étatique pour qu’elle
décide si cette sentence intermédiaire des arbitres sur leur propre compétence est valable ou
non.
Il faut préciser que le tribunal arbitral peut rendre une telle sentence intermédiaire sur sa
propre compétence, et le fait régulièrement, mais n’y est pas obligé.
Et même s’il en rend une, la procédure d’arbitrage peut continuer pendant la procédure
devant la cour étatique – et peut même mener à une sentence finale.
Enfin, une fois la sentence finale du tribunal arbitral rendue, chacune des parties peut en
demander l’annulation par la cour étatique au motif de l’invalidité de la clause
compromissoire, mais pour cela il y a des délais à respecter.

(2) La compétence des juridictions étatiques


Dans le sens propre du mot, le terme « Kompetenz-Kompetenz » signifie la compétence « de
dernier ressort » : La Kompetenz-Kompetenz est attribuée à celui qui décide en dernier et non
pas à celui qui rend une décision provisoire. Puisque dans le système de droit allemand les
juridictions étatiques peuvent annuler une sentence arbitrale au motif que le tribunal
d’arbitrage n’avait pas compétence, la Kompetenz-Kompetenz au sens propre du mot serait
donc, dans le système allemand, en principe attribué à l’Etat et non pas aux arbitres.
Il y a certainement un « effet négatif » de la clause d’arbitrage en droit allemand : De manière
similaire au texte de la convention de New York, le § 1032 ZPO prévoit que si un tribunal
étatique est saisi d’une affaire qui fait l’objet d’une clause d’arbitrage, le tribunal doit, si le
défendeur le demande, débouter la demande, à moins que le juge « constate » que la clause

4
d’arbitrage est nulle, inopposable ou impraticable. Mais regardons donc la jurisprudence
allemande et sa façon d’appliquer cette loi et le degré de contrôle nécessaire.

Deuxième partie : La jurisprudence des cours allemandes

Comme nous l’avons vu, la codification actuelle repose sur une réforme de 1997, et le
législateur s’est aussi clairement prononcé sur le principe Kompetenz-Kompetenz. Il faudra
alors distinguer la jurisprudence avant la réforme que je présenterai dans une première
section, et la jurisprudence après la réforme qui fera l’objet de la deuxième section.

1ière section : Avant la réforme de 1997


Avant la réforme, il y avait une jurisprudence assez constante, y compris la jurisprudence de
la Cour Fédérale (« Bundesgerichtshof » ou « BGH ») qui est bien résumée dans un arrêt du
BGH du 26 mai 1988. Dans cet arrêt, le BGH traitait un cas dans lequel les parties avaient
conclu :

• un contrat
• avec une clause compromissoire (désignant la chambre de commerce de Genève
comme arbitre)
• ainsi qu’une clause supplémentaire par laquelle les parties déterminaient que ce serait
uniquement au tribunal arbitral de statuer sur sa compétence.
De telles clauses étaient très répandues à l’époque.
Le Bundesgerichtshof, dans son arrêt de 1988, statua les deux principes suivants :

(1) La compétence de statuer sur la clause compromissoire


La clause supplémentaire, dite clause de Kompetenz-Kompetenz, confère aux arbitres la
compétence de statuer sur leur propre compétence. Elle a donc l’effet négatif puisque les
juridictions étatiques ne peuvent plus en décider : C’est aux arbitres seuls de décider s’ils ont
compétence ou non.

(2) La compétence de statuer sur la clause dite clause de Kompetenz-


Kompetenz
En revanche, ladite clause supplémentaire, dite clause de Kompetenz-Kompetenz, doit elle-
même être valable et opposable. Et ce concernant, le BGH a aussi clairement statué que seul
le juge étatique pouvait décider si la clause de Kompetenz-Kompetenz elle-même était valable
et opposable. En l’occurrence, elle l’était. Cela a changé, pourtant, avec la réforme de 1997.

5
2ième section : Depuis la réforme de 1997
Depuis la réforme de 1997, il y a eu quelques arrêts de Cours d’appels (Oberlandesgerichte,
OLG) ainsi que du Bundesgerichtshof qui touchent le sujet. Il y a notamment eu un arrêt de
principe du BGH du 13 janvier 2005, et puis une multitude d’arrêts qui traitent de détails et
enfin un arrêt qui fait exception au principe.

(1) L’arrêt de principe de la Cour Fédérale du 13 janvier 2005


La demanderesse avait initié une action devant le tribunal étatique contre le défendeur, une
banque, qui invoquait une clause compromissoire – doublée d’une clause supplémentaire dite
clause de Kompetenz-Kompetenz comme on l’a vu supra.
Le tribunal de première instance ainsi que la cour d’appel avaient rejeté la demande au motif
que la clause Kompetenz-Kompetenz était valide et c’était donc aux seuls arbitres de décider
sur leur propre compétence.
Le Bundesgerichtshof, quant à lui, rejeta également la demande, mais uniquement après avoir
déclaré nulle la clause Kompetenz-Kompetenz et après avoir donc examiné lui-même la clause
compromissoire – qu’il trouva suffisante en l’espèce.
Depuis cet arrêt du Bundesgerichtshof, il est accepté qu’une clause contractuelle de
Kompetenz-Kompetenz est nulle en droit allemand et n’a donc pas d’effet négatif sur la
compétence des juridictions étatiques qui doivent eux-mêmes examiner la validité et
l’opposabilité de la clause d’arbitrage.
C’est, en effet, le législateur allemand même qui avait expressément favorisé cette approche
dans les travaux préparatoires de la loi de réforme de 1997.

(2) Les détails – et l’exception

a.) Des arrêts qui traitent de quelques détails du nouveau principe


Par arrêt du 24 juillet 2014, le BGH a précisé que même si la clause supplémentaire de
Kompetenz-Kompetenz dans un contrat était nulle, ceci ne mènerait pas automatiquement à
la nullité de la clause compromissoire.
Quelques jours plus tôt, dans un obiter dictum de l’arrêt du 18 juin 2014, le BGH avait
mentionné que la décision d’une juridiction étatique en faveur de la validité d’une clause
d’arbitrage liait l’arbitre, celui-ci ne pourrait donc pas, à son tour, décider que la clause est
nulle.
Si, en revanche, l’arbitre est plus rapide et décide en premier, c’est-à-dire, avant la juridiction
étatique, qu’une clause compromissoire est valide, cette sentence arbitrale peut devenir
définitive et opposable, à moins que la partie qui invoque la nullité de la clause respecte tous
les délais et moyens de procédure pour la voir infirmée.

6
b.) L’arrêt de la Cour d’Appel de Munich qui admet une exception au principe
Contrairement à la jurisprudence susmentionnée, la Cour d’Appel de Munich a récemment
trouvé une solution différente.
Les faits étaient les suivants : Une société hongroise avait introduit une procédure d’arbitrage
à Munich contre son cocontractant, une société autrichienne. Cette dernière demandait à la
Cour de Munich de dire qu’à défaut d’une clause d’arbitrage valable, le tribunal d’arbitrage
n’avait pas compétence.
L’arrêt qu’a rendu la Cour d’Appel de Munich dans cette affaire, un arrêt du 24 novembre
2016, peut surprendre un peu car il semble contredire la jurisprudence susmentionnée du
BGH : La Cour de Munich a effectivement renvoyé les parties devant l’arbitre afin que celui-ci
décide en premier s’il a compétence ou non.
Pourtant, le raisonnement de la Cour de Munich était net : En l’occurrence, c’était la
convention de Genève de 1961 qui s’appliquait, et l’article VI alinéa 3 de cette convention
prévoyait, d’après la Cour, que le tribunal judiciaire doit attendre la décision de l’arbitre.
On peut ajouter que la Cour de Munich avait permis la révision devant BGH, mais je n’ai pas
pu trouver de trace d’un tel moyen. L’arrêt de Munich semble donc être devenu définitif et
avoir acquis force de chose jugée.

Conclusions
Je me permets de juste brièvement répéter les trois « résultats » de ma recherche :

(1) Au niveau international, il n’est pas sûr si les textes de la convention de New York et la
loi type CNUDCI confèrent une compétence provisoire ou définitive à l’arbitre, il y a
des avis différents sur cette question.

(2) En droit allemand, la « competence-competence » de l’arbitre a un caractère plutôt


provisoire – pourvu que les parties respectent tous les délais : Il n’y a normalement
pas d’effet négatif du principe Kompetenz-Kompetenz, ce principe n’empêchant pas
de manière rigoureuse les juridictions étatiques allemandes de se prononcer sur la
validité d’une clause d’arbitrage.

(3) Une exception doit pourtant être faite pour les cas d’espèce dans lesquels s’applique
la convention de Genève de 1961 : Dans de tels cas, les juridictions étatiques acceptent
plus facilement l’effet négatif du principe Kompetenz-Kompetenz.
1er avril 2019

* * *

7
Quelle place pour l’harmonisation internationale de l’arbitrage maritime?

Réflexions à partir du questionnaire du CMI (2015)

______________

Gaël Piette

Professeur à l’Université de Bordeaux

Société de Législation Comparée, 1er avril 2019

______________

En 2013, le CMI a constitué un groupe de travail consacré à l’arbitrage maritime. Le Comité


exécutif venait alors de prendre la décision de mettre un terme à l’organisation d’arbitrage maritime
internationale, conjointe entre le CMI et la Chambre de commerce internationale. Les règles de cette
organisation (ICC/CMI Rules, du 1 janvier 1978) n’avaient en effet jamais été utilisées.

Le groupe de travail avait pour mission d’examiner si le CMI a encore un rôle à jouer en
matière d’arbitrage maritime, et dans l’affirmative, de déterminer quelle doit être l’étendue de ce rôle.
Pour ce faire, le CMI a procédé selon sa méthode habituelle, à savoir en diffusant un questionnaire
aux associations nationales de droit maritime, afin de recueillir leurs sentiments sur cette
problématique.

Le questionnaire soulignait bien qu’il ne s’agissait pas d’envisager la création par le CMI d’un
nouveau centre d’arbitrage, qui viendrait concurrencer les institutions arbitrales nationales. Le
questionnaire commençait par exposer ses objectifs, en proposant 3 pistes, 3 champs d’investigation:

- une analyse comparée des règles et pratiques d’arbitrage, avec l’idée que le CMI, par
son site internet, pourrait servir de centre d’informations sur toute question relative à l’arbitrage
maritime.

- déterminer si l’arbitrage est une option valable de résolution des litiges maritimes
dans les pays dans lesquels le système juridictionnel étatique n’est pas techniquement satisfaisant. Le
CMI se proposait ici de fournir une assistance et faciliter le règlement des différends pour lesquels le
recours à un centre d’arbitrage serait considéré comme trop coûteux ou trop éloigné culturellement
ou géographiquement, et d’étudier la question de l’arbitrage à distance (e-arbitration)

- élaborer ses propres Règles modèles, si celles existantes (par exemple celles de la
CNUDCI) ou si les règlements des principales institutions d’arbitrage ne sont pas suffisamment
adaptés aux spécificités de l’arbitrage maritime.

Ensuite, 4 questions étaient posées aux associations nationales:

- Encourageriez-vous le CMI à jouer un rôle dans l’arbitrage maritime ?

1
- Dans l’affirmative, dans quelle mesure pensez-vous que le CMI devrait s’engager ?

- Soutiendriez-vous les 3 champs d’investigation susmentionnés, ou seulement


certains d’entre eux ?

- Avez-vous d’autres suggestions ? (question qui permet des réponses assez ouvertes)

Le site du CMI recense 15 réponses nationales1. Le contenu des réponses, et l’enthousiasme


des associations, est très variable. Finalement, le CMI a décidé de ne pas donner suite. Néanmoins,
les réponses présentent un intérêt certain, car elles contiennent des éléments très instructifs sur la
perception de l’arbitrage maritime par les États concernés.

La lecture du questionnaire laissait apparaître que le CMI se posait lui-même une importante
question, celle de savoir s’il faut harmoniser ou unifier l’arbitrage maritime (I) ? Les réponses
fournies montrent que la majorité s’est prononcée en faveur d’une fonction résiduelle du CMI en
matière d’arbitrage maritime (II).

I. Harmoniser ou unifier l’arbitrage maritime?

Si la question se pose, c’est parce que l’objet du CMI est « l’unification du droit maritime
dans tous ses aspects »2. Mais l’unification est un degré supplémentaire d’harmonisation:
l’harmonisation vise à mettre en accord des choses différentes quand l’unification rend les choses
uniformes, les standardise. Une harmonisation des systèmes juridiques intervient donc sur certains
points seulement, pour rendre ces systèmes compatibles, en les mettant en accord, en équilibre.
L’unification peut modifier les systèmes juridiques en profondeur, en vue de n’aboutir qu’à un
système juridique.

Or, l’harmonisation de l’arbitrage maritime est déjà considérable de par le monde (A). Les
réponses au questionnaire du CMI montrent que l’idée d’une unification est diversement appréciée
(B).

A. Une harmonisation déjà considérable

1
Argentine, Australie, Canada, Finlande, France, Allemagne, Grèce, Italie, Malte, Pays-Bas, Pologne, Roumanie,
Espagne, Royaume-Uni et USA.
2
Article 1er de ses statuts.
2
Le droit de l’arbitrage maritime n’est pas le droit maritime. Donc, la question de
l’harmonisation du droit de l’arbitrage maritime est indépendante de celle de l’harmonisation du droit
maritime.

Le droit de l’arbitrage maritime est une variété de droit de l’arbitrage. Il est le droit de
l’arbitrage spécialisé dans ce secteur d’activité économique qu’est le droit maritime. Or,
l’harmonisation du droit de l’arbitrage est déjà réalisée, dans une certaine mesure, par le biais de
textes internationaux ou régionaux. La Convention de New-York de 1958, malgré un périmètre bien
précis (reconnaissance et exécution des sentences étrangères) permet une certaine harmonisation. Il
en est de même de l’acte uniforme de l’OHADA sur l’arbitrage, de 2017, dans la limite de sa
compétence territoriale.

La loi-type de la CNUDCI sur l’arbitrage commercial international de 1985 amendée en 2006


est un instrument important d’harmonisation du droit de l’arbitrage. Il suffit de se référer à la note
explicative du secrétariat de la CNUDCI pour lire que cette loi-type vise « l’uniformité du droit relatif
aux procédures arbitrales et des besoins spécifiques de la pratique de l’arbitrage commercial
international », que « La Loi type constitue une base solide pour l’harmonisation et l’amélioration
voulues des législations nationales », ou encore que « La forme d’une loi type a été choisie comme
instrument d’harmonisation ».

Outre ces textes, il faut souligner que l’arbitrage doit respecter un certain nombre d’exigences,
celles concernant les grands principes du procès, qui sont communes à de nombreux systèmes
juridiques, ce qui est également une forme d’harmonisation.

Il découle de tout ceci que de nombreuses règles relatives à l’arbitrage sont largement
partagées à travers le monde: impartialité et indépendance des juges, respect du contradictoire,
principe compétence-compétence, modalités de constitution du tribunal arbitral, motivation de la
sentence notamment.

Le CMI, au travers de son questionnaire, se demandait s’il était nécessaire d’aller plus loin
vers une harmonisation de l’arbitrage maritime, voire une unification. Les réponses nationales
montrent à quel point une telle unification est diversement appréciée.

B. Une unification diversement appréciée

Sur les 15 associations nationales ayant répondu, seules 3 sont vraiment favorables à une
unification: la Grèce, la Roumanie et l’Espagne. Ces 3 associations se déclarent favorables à
encourager le CMI à jouer un rôle important en matière d’arbitrage maritime. Elles souhaitent
notamment que le CMI établisse ses propres règles-modèles, estimant par exemple que « plus il y a
d’options disponibles pour la résolution des litiges maritimes par arbitrage, mieux c’est pour

3
l’industrie en général » (réponse grecque). Dans le même ordre d’idée, l’association roumaine
souhaiterait que le CMI étudie les règles procédurales des principaux centres d’arbitrage, afin de faire
des recommandations lorsque ces règles ne sont pas bien adaptées aux spécificités de l’arbitrage
maritime.

L’association espagnole va même beaucoup plus loin, en indiquant que le CMI devrait créer
un système d'arbitrage spécialisé, qualifié et neutre, soit en fournissant des règles, des listes d'arbitres,
des lignes directrices, soit en agissant comme une institution d’arbitrage. L’association grecque, sans
aller aussi loin, estime que le CMI pourrait envisager de créer une liste d’arbitres parmi ses membres,
établir des honoraires d’arbitres, et même établir un secrétariat.

Les associations roumaine et espagnole encouragent également le CMI à constituer une base
de données des sentences, et de commentaires des sentences, un peu sur le modèle de ce que fait déjà
le CMI avec l’Université de Singapour pour la jurisprudence.

Outre ces 3, il faut tout de même relever que 5 autres associations se montrent favorables à ce
que le CMI conduise une analyse comparée des règles et pratiques d’arbitrage. Il s’agit de
l’Allemagne, l’Australie, la Finlande, l’Italie et Malte. Certes, une telle analyse n’aboutit pas
directement à l’unification, mais elle peut aller indirectement en ce sens. La publication des résultats
de cette analyse pourrait inciter certains systèmes juridiques ou certaines institutions d’arbitrage à
modifier leurs règles, leurs règlements, leurs pratiques.

Les autres associations se montrent opposées à l’unification. Leur position est très
remarquablement résumée par la réponse française: « l’objet du CMI est de contribuer à l’unification
du droit maritime, et non le règlement des litiges. Il est utopique de penser que les règles procédurales
d’arbitrage, dans les différents centres d’arbitrage, pourraient être uniformes. Ce n’est pas
souhaitable ». L’association australienne expose que la prolifération de règles ne serait pas un
progrès, l’association canadienne affirme ne pas voir l’intérêt de règles modèles du CMI, l’association
allemande souligne que le rôle du CMI ne doit pas être d’ajouter un nouveau jeu de règles, encore
moins de créer un centre d’arbitrage. Les associations italienne et néerlandaise remarquent également
que l’arbitrage maritime n’est pas si différent de l’arbitrage dans d’autres domaines.

En ce qui concerne la possibilité d’une analyse comparée des règles et pratiques d’arbitrage,
la réponse française met en évidence le danger que pourrait présenter une telle analyse. Le risque
serait en effet de créer une compétition entre les centres d’arbitrage concernés. Certains pourraient
être tentés d’être très actifs dans leur auto-promotion. Le CMI pourrait, in fine, être amené à faire une
évaluation des qualités et performances respectives, ce qui irait évidemment au-delà de son objet
statutaire.

Une majorité des associations se prononçant contre une unification internationale de


l’arbitrage maritime, la fonction du CMI en la matière apparaît finalement résiduelle (II).

4
II. Une fonction finalement résiduelle pour le CMI en matière d’arbitrage maritime

Les réponses des associations nationales s’accordent majoritairement sur une fonction: celle
d’information (A), certaines associations souhaitant également une fonction d’étude (B).

A. Une fonction d’information

Seules 3 associations nationales de droit maritime ont rejeté toutes les idées avancées par le
CMI dans son questionnaire: l’Argentine, les Pays-Bas et le Royaume-Uni. Leurs réponses sont assez
spéciales, revêtant importante une dimension auto-promotionnelle. Ainsi, l’association argentine
explique qu’elle dispose d’un comité d’arbitrage depuis 2005 (même s’il n’a à ce jour statué que dans
un dossier). L’association anglaise explique quant à elle que le droit anglais est pleinement
satisfaisant depuis l’Arbitration Act de 1996 et que la LMAA (London Maritime Arbitrators
Association) suffit. Enfin, nos amis néerlandais soulignent que leur système juridictionnel est plus
que satisfaisant, étant classé numéro 1 du World Justice Project Rule of Law Index, que le droit de
l’arbitrage néerlandais est moderne, datant de 2015, et que TAMARA (Transport and Maritime
Arbitration Rotterdam-Amsterdam) offre un excellent service, notamment en arbitrage électronique.

La réponse des USA s’inscrit dans une ligne proche, en manifestant très clairement le souci
de ne pas concurrencer certains centres d’arbitrage. Leur réponse précise que la LMAA et la SMA
(Society of Maritime Arbitrators) sont les centres les plus importants et qu’à l’heure où Singapour,
Houston et d’autres centres tentent d’accroître leur part de marché, « la dernière chose dont on a
besoin est un autre modèle concurrent ».

Hormis ces 3 réponses, les autres s’accordent à reconnaître l’intérêt que le CMI joue le rôle
d’un centre d’informations, d’un « hub d’informations » pour reprendre la formulation australienne.
La plupart des associations estiment que le CMI, à travers son site internet, pourrait fournir des
informations utiles. L’association états-unienne relève ainsi que des informations accessibles
permettraient aux sociétés de gagner du temps et de l’argent puisque leurs conseils passeraient moins
de temps à trouver les informations pertinentes dont leurs clients ont besoin. L’association canadienne
insiste sur un point très important: le fait qu’il est primordial que ces informations soient
régulièrement mises à jour. Effectivement, l’information ne vaut rien si elle n’est pas fiable.

Demeure néanmoins la question de savoir quelles seraient les informations qui devraient
figurer sur le site du CMI. Les associations ne répondent pas sur ce point (d’ailleurs non posé par le
questionnaire). Soit elles n’envisagent même pas la question, soit, pour 4 d’entre elles (réponses
allemande, italienne, maltaise et roumaine), elles se contentent de mentionner que l’information
pourrait porter sur tous les sujets d’intérêt concernant l’arbitrage maritime. C’est plutôt imprécis…

5
L’association française apporte un élément supplémentaire: le site du CMI pourrait fournir
une liste de tous les centres d’arbitrage disponibles, ainsi que leur règlement. Mais à le condition que
cette information soit neutre et objective, c’est-à-dire qu’elle ne s’accompagne d’aucun commentaire
ou jugement de valeur.

B. Une fonction d’étude ?

Outre les associations qui soutiennent l’idée précédemment évoquée d’une analyse comparée
des règles et pratiques d’arbitrage, 2 associations aimeraient confier au CMI la tâche d’étudier des
points précis de l’arbitrage maritime. L’association canadienne fait un lien très intéressant, dans sa
réponse, avec les problématiques relevées par l’ICMA, le Congrès International des Arbitres
Maritimes (judiciarisation de l’arbitrage, augmentation des délais et des coûts de l’arbitrage, etc.).
L’association canadienne explique que si les associations nationales étaient d’accord pour que le CMI
joue un rôle en matière d’arbitrage maritime, ces différentes problématiques seraient intéressantes à
étudier.

L’association polonaise, rejointe en cela par un point de vue minoritaire au sein de


l’association états-unienne, considère que le CMI pourrait se pencher sur la question de l’e-
arbitration, ou arbitrage électronique, à distance.

En conclusion, le questionnaire du CMI relatif à l’arbitrage maritime s’est révélé un coup


d’épée dans l’eau. Les associations nationales, majoritairement, estiment qu’il n’est pas de l’objet du
CMI d’intervenir en cette matière. Mais la grande diversité dans les réponses montrent aussi à quel
point la perception de l’arbitrage maritime peut varier d’un pays à un autre.

6
SLC

La Chambre arbitrale maritime de Paris a accueilli lundi 1er avril la section arbitrage de
la Société de Législation Comparée qu’anime Me Favarel sur le thème :
Droit maritime et arbitrage font-ils encore bon ménage ?

Une excellente occasion était ainsi donnée pour mieux faire connaître l’arbitrage
maritime dont l’Ordonnance de la Marine de 1681 faisait déjà état et qui a connu un
grand essor tout au long du XXème siècle, tout en étant toujours très actif en ce début de
XXIème siècle. L’arbitrage maritime est, par essence, un arbitrage professionnel et
international. La London Maritime Arbitration Association y occupe une place essentielle,
mais les autres Chambres, dont celle de Paris et de Hambourg, sont encore et toujours
très appréciées dans le monde maritime, celui des armateurs, des affréteurs, des
courtiers, des assureurs, des sociétés de classification, des consignataires, des
transitaires, des manutentionnaires et même, depuis quelque temps, des NVOCC (non
vessel operators common carriers).

Après des propos introductifs de Me Favarel, Présidente de la section maritime de la


SLC, et de Me Castellane, Président de la section Arbitrage ADR de la SLC, croisant les
intérêts qui s’attachent à la connaissance du droit maritime et à la maîtrise de l’arbitrage
dans une perspective comparatiste, plusieurs orateurs et spécialistes sont intervenus
pour essayer de répondre à la question posée.

Me Didier Le Prado, avocat aux Conseils, a commencé par rappeler et développer la


jurisprudence de la Cour de cassation sur le principe compétence-compétence dans son
aspect négatif, en n’hésitant pas à qualifier cette jurisprudence d’ « inquiétante". En effet,
d’après cette jurisprudence, le juge étatique ne peut remettre en cause une clause
d’arbitrage stipulée dans une charte-partie, une « booking-note » ou tout autre
document maritime que si celle-ci est « manifestement nulle ou manifestement
inapplicable », autrement dit uniquement dans des situations exceptionnelles. Il en
résulte que pratiquement toutes les clauses d’arbitrage sont admises et que certaines
affaires qui pourraient rester en France partent pour d’autres cieux, le plus souvent
londoniens, d’autant plus que, le plus souvent, pour ne pas dire presque toujours, les
arbitres saisis reconnaîtront leur compétence. Me Le Prado a ainsi plaidé, d’une manière
très convaincante, pour un contrôle plus étroit des clauses d’arbitrage, étant précisé que
les exemples de clauses manifestement nulles ou manifestement inapplicables se
comptent, dans le monde maritime, comme du reste dans le monde des affaires en
général, sur le doigt de la main.

Me Olaf Hartenstein, avocat au Cabinet Arnecke Sibeth Dabelstein à Hambourg,


Président de la Commission Transport de l’UIA, est ensuite intervenu pour présenter
l’état du droit allemand sur le principe Kompetenz Kompetenz dans son aspect négatif.
L’exposé a clairement démontré combien la jurisprudence allemande, favorable à
l’aspect positif du principe compétence-compétence et donc à l’arbitrage en général,
était réservée à l’égard de son aspect négatif. En droit allemand, les juges étatiques
conservent leur compétence pour se prononcer sur le jeu des clauses d’arbitrage dès
l’instant que leur nullité est arguée par une partie ou que leur opposabilité est contestée.
A travers ses analyses très précises et documentées, Me Hartenstein a parfaitement mis
en relief les différences entre les deux jurisprudences, française et allemande, sur l’une
des questions les plus importantes du droit de l’arbitrage.

Le Professeur G. Piette, de l’Université de Bordeaux, a, peu après, été invité à présenter


le questionnaire de 2015 u Comité maritime international (CMI) adressé à ses membres
et plus précisément aux associations nationales du droit maritime, dont l’association
française du droit maritime. Le Professeur Piette a fait état des réponses données par
ces diverses associations : les unes étaient assez favorables à ce que le CMI prenne en
main la question de l’arbitrage maritime en vue de proposer des règles communes, sinon
une unification des règles en la matière, alors que d’autres, largement majoritaires, dont
l’association française n’ont pas manqué d’observer que l’unification n’avait pas
beaucoup de sens en la matière, en dehors des apports de la Convention de New York, ce
qui ne voulait pas dire que certaines réflexions comparatives ne méritaient pas d’être
engagées, ne serait-ce que pour mieux faire connaître les centres d’arbitrage et leur
« jurisprudence ».

Philippe Delebecque, Professeur à l’Université de Paris-I et Président de la CAMP, a, de


son côté, présenté la Chambre de Paris, en insistant sur quelques unes de ses
originalités : le système de liste comportant des professionnels du monde maritime, la
possibilité d’un second degré, sorte d’appel interne ou de voie d’achèvement du litige, et
les liens très étroits entretenus avec le monde de la marine marchande. Après un rapide
exposé sur le fonctionnement de la Chambre, M. Delebecque s’est efforcé de comparer,
au regard des questions de droit maritime, la justice étatique et justice arbitrale, avant
de discuter sur les avantages respectifs de l’arbitrage à Londres et de l’arbitrage à Paris.

Les nombreuses questions de la trentaine de personnes présentes, traduisant un intérêt


soutenu pour les affaires maritimes, ont alimenté un véritable débat sur l’institution
même de l’arbitrage et, il faut le dire, certaines de ses dérives, eu égard au contentieux
que l’arbitrage peut, parfois, susciter.

M. Delebecque, dans sa synthèse des travaux, est largement revenu sur cet aspect des
choses, en organisant ses propos autour des inquiétudes et des espoirs au cœur du
ménage droit maritime / arbitrage. Les raisons de s’inquiéter existent. Elles viennent, a-
t-il été répété, de cette jurisprudence qui valorise, parfois à l’excès, les clauses
d’arbitrage (le même phénomène étant observé à propos des clauses attributives de
juridiction dont la reconnaissance systématique contribue à assécher le contentieux
maritime français en créant, en conséquence, le risque d’appauvrir le droit maritime
français). Il suffit en effet qu’une clause d’arbitrage se profile à l’horizon pour que celle-
ci soit admise. Les inquiétudes proviennent aussi de ce que les « anti suit injunctions »
risquent de réapparaître avec le Brexit. On sait que ces mesures sont souvent utilisées
par des armateurs dont, sanctionnées pénalement (ce qui renvoie à une période d’un
autre âge) les chartes parties contiennent une clause d’arbitrage à Londres pour
dissuader les affréteurs de contester la clause. Si l’ASI a été très heureusement
condamnée par la CJUE, il n’est pas certain que cette jurisprudence ait un grand avenir,
compte tenu de la probabilité du Brexit. Les inquiétudes dont il a été question tout au
long de la réunion de la SLC s’expliquent, une fois encore, par le fait que l’on voit de plus
en plus le contentieux maritime quitter la France. L’observation se vérifie à travers la
jurisprudence sur les clauses attributives de compétence et celle dont Me Le Prado a fait
état. Aujourd’hui, plus de 80 % des affaires maritimes sont traitées à Londres. S’il n’est
pas question de discuter un seul instant les qualités des Anglais dans le shipping, il est
cependant permis de se demander si le déséquilibre actuel dans la répartition des
compétences est une bonne chose pour les opérateurs économiques et pour le monde
maritime lui-même qui doit rester multilatéral. Plus fondamentalement, la question
posée est de savoir si la jurisprudence qui valorise à l’excès les clauses d’arbitrage n’est
pas contreproductive. Favorise-t-on l’arbitrage lorsque l’on force le consentement des
intéressés qui ne sont qu’impliqués dans une opération et qui n’ont pas clairement
accepté la règle de l’arbitrage ? Il est permis d’en douter.

Malgré ces inquiétudes, les espoirs demeurent. D’abord, parce que l’on se rend compte
que les critiques que l’on peut nourrir sur l’arbitrage sont assez largement partagées, en
tout cas en dehors de l’Hexagone. En Afrique, au Maghreb, en Afrique, nombreux sont
ceux qui font preuve de rigueur et dénoncent le forçage du contrat et le recours à des
concepts ou des raisonnements qui entretiennent le contentieux, à l’exemple du principe
compétence-compétence dans son aspect négatif. D’autres motifs d’espoir viennent tout
simplement de la pratique elle-même qui, dans le monde maritime, a bien compris que
l’arbitrage, dûment accepté, pouvait gagner de nouveaux domaines en accompagnant
précisément les évolutions économiques et sociales : celui de la grande plaisance en est
un bon exemple, les litiges entre l’armateur et les membres de l’équipage étant légion et
appelant certainement un traitement souple et proche des réalités que seul l’arbitrage
peut apporter. Il en est d’autres, comme celui de la logistique qui ne cesse de prendre de
l’importance et dans lequel le savoir-faire continental est reconnu. C’est certainement en
prenant la mesure de ces changements et de ces évolutions que l’arbitrage et le droit
maritime pourront continuer à faire bon ménage.

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