La Confrérie de La Dague Noir Tome 2-L-Ama..
La Confrérie de La Dague Noir Tome 2-L-Ama..
La Confrérie de La Dague Noir Tome 2-L-Ama..
Tome 2
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
(Lover Eternal de J. R. Ward)
Depuis toute éternité, les vampires mènent une guerre sans merci contre la Lessening Société, des
égorgeurs aux ordres de l’Omega, le mal absolu.
Contre eux se trouvent six Guerriers : la Confrérie de la Dague Noire. Qui vit en autarcie depuis
que le Roi Aveugle, Kohler, a repris ses droits héréditaires.
Le directeur de la Lessening Société, Mr X, se donne pour but de décimer la Confrérie afin de
massacrer ensuite les Civils vampires en toute impunité.
Rhage est le plus puissant des Frères et son physique exceptionnel lui assure un succès sans pareil
auprès des femmes, humaines ou vampires. Il est aussi victime d’une malédiction imposée par la
Vierge Scribe, la toute puissante déité responsable de l’existence des vampires : Il est en effet est
possédé par une bête féroce qui se libère lorsqu’il est sous tension.
Mary Luce est une courageuse humaine en phase terminale de cancer qui a d’autres soucis en tête
qu’une aventure à court terme. Mais elle cèdera à sa fascination pour cet "homme" hors du commun.
Autres personnages : Les cinq autres membres de la Confrérie (Kohler, Tohrment, Viscs, Zadiste
et Fhurie) ; les shellanes des guerriers : Beth et Wellsie ; l’ex-inspecteur Butch O’Neal, qui vit avec
les Frères ; et quelques vampires civils : Marissa et son frère, Havers, le médecin-vampire ; Bella,
une femelle vampire amie de Marie ; et John Matthew, un orphelin vampire que recueillera la
Confrérie...
1
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
2
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Appel : Période de fertilité des vampires femelles (durée moyenne de deux jours), accompagnée
d’intenses pulsions sexuelles. En règle générale, l’appel survient environ cinq ans après la transition
d’une femelle, puis une fois tous les dix ans. Tous les vampires mâles sont réceptifs à proximité d’un
vampire femelle pendant cette période, qui peut s’avérer dangereuse, caractérisée par des conflits et
des combats entre des mâles rivaux, si la femelle n’a pas de compagnon attitré.
Au-delà : dimension intemporelle où les morts retrouvent leurs êtres chers et passent l’éternité.
Cohntehst : Défi lancé par un mâle à un autre et réglé par les armes pour posséder une femelle.
Confrérie de la Dague Noire : Organisation de guerriers vampires chargés de protéger leur race
contre la Lessening Société. Des unions sélectives leur ont conféré une force physique et mentale hors
du commun, ainsi que des capacités de guérison rapide. Les membres sont admis dans la Confrérie par
cooptation. Agressifs, indépendants et secrets par nature, les Frères vivent à l’écart et entretiennent peu
de contacts avec les autres castes, sauf quand ils doivent se nourrir. Ils font l’objet de nombreuses
légendes et d’une vénération dans la société des vampires. Seules de très graves blessures peuvent leur
ôter la vie.
Dhunhd : Enfer
Doggen : Serviteur d’une espèce particulière parmi les vampires, qui obéit à des pratiques
anciennes et suit un code d’habillement et de conduite extrêmement formel. Les doggens peuvent
s’exposer à la lumière du jour, mais vieillissent relativement vite. Leur espérance de vie est d’environ
cinq cents ans.
Élues : Vampires femelles au service de la Vierge Scribe. Elles ont un haut statut social, mais leur
orientation est plus spirituelle que temporelle. Elles ont peu d’interaction avec la population civile, ou
les mâles en général, mais peuvent s’unir à des Frères pour assurer leur descendance. Elles possèdent
des capacités de divination. Dans le passé, elles avaient pour mission de satisfaire les besoins (sang ou
sexe) des membres célibataires de la Confrérie, mais cette pratique est tombée en désuétude.
Esclave de sang : Vampire mâle ou femelle assujetti à un autre vampire pour ses besoins en sang.
Tombée en désuétude, cette pratique n’a cependant pas été proscrite.
Fakata : Tenue de cérémonie pour l’Autre Côté, sorte de pyjama de soie blanche.
Ghardien : Tuteur, avec différents degrés d’autorité. Le plus puissant est celui d’une sehcluse.
3
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Hellren : Vampire mâle dans un couple. Un mâle peut avoir plusieurs compagnes.
Lheage : Terme de respect dans un couple aux pratiques sexuelles particulières, utilisé par la
soumise envers son maître.
Lessening Société : Organisation de tueurs à la solde de l’Omega. Ses membres sont les lessers.
Lesser : Membre de la Lessening Société. Ex-humain devenu non-vivant, qui a vendu son âme à
l’Omega. Il est chargé par son maître d’exterminer les vampires. Seul un coup de poignard en pleine
poitrine le fait disparaître. Il est impuissant et n’a nul besoin de s’alimenter ni de boire. Avec le temps,
il perd toute pigmentation (cheveux, peau, iris). Il dégage une odeur de talc très caractéristique. Initié
par l’Omega, un lesser conserve dans une jarre de céramique le cœur qui lui a été ôté. Son sang
devient celui de son maître, noir et huileux.
Lewlhen : Cadeau.
Mhis : Brouillard né d’un champ d’illusion destiné à protéger un territoire physiquement délimité.
Newling : Vierge.
Omega: Force mystique et malveillante cherchant à exterminer l’espèce des vampires par rancune
contre la Vierge Scribe, sa sœur. Il existe dans une dimension intemporelle, le Dhunhd, et jouit de
pouvoirs extrêmement puissants, mais pas de celui de création.
Phearsom : Terme faisant référence à la puissance des organes sexuels d’un mâle. La traduction
littérale donnerait quelque chose du genre « capable de séduire une femelle. »
Première famille : Roi et reine des vampires, ainsi que leur descendance éventuelle.
Princeps : Noble. Le plus haut rang de l’aristocratie, après la Première Famille et les Élues. Titre
obtenu uniquement héréditaire, qui ne peut être conféré.
Pyrocant : Personne qui provoque une faiblesse ou un risque chez un mâle. Il peut s’agir d’une
faiblesse interne, une addiction par exemple, ou externe, comme un(e) amant(e).
Rahlman : Sauveur.
4
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Rhyte : Forme d’expiation d’une faute accordée par un offenseur permettant à un offensé de laver
son honneur. Lorsqu’ il est accepté, l’offensé choisit l’arme et frappe l’offenseur, qui ne se défend pas.
Sehclusion : Statut conféré par le roi à une femelle à la requête de sa famille qui la place sous la
tutelle exclusive de son ghardien, en général le mâle le plus âgé de la maison. Le tuteur a toute autorité
pour déterminer le mode de vie de la sehcluse, sa liberté et ses interactions avec le monde extérieur.
Shellane : Vampire femelle d’un couple. En règle générale, elle n’a qu’un seul compagnon, en
raison du caractère extrêmement possessif des vampires mâles.
Sympathe : Espèce particulière parmi les vampires qui se caractérise entre autres par l’aptitude et
le goût de manipuler les émotions d’autrui pour en obtenir l’énergie. Au cours des siècles, ils ont été
rejetés et même parfois massacrés par les autres vampires. Ils sont en voie d’extinction.
Trahyner : Terme de respect mutuel et d’affection entre mâles. Littéralement « ami très cher ».
La Tombe : Caveau sacré de la Confrérie de la Dague Noire, utilisé pour les cérémonies et le
stockage des jarres de céramique récupérées sur les lessers éliminés. S’y déroulent en particulier les
initiations, les passages vers l’Au-delà et diverses mesures disciplinaires. L’accès à la Tombe est
réservé aux membres de la Confrérie, à la Vierge Scribe et aux futurs initiés.
Transition : Moment critique où un vampire mâle ou femelle devient adulte, (vers vingt-cinq ans)
et acquiert ses caractéristiques raciales. C’est la première fois où se pratique un échange de sang entre
vampire. Certains n’y survivent pas, notamment les mâles. Avant leur transition, les mâles pré-trans
n’ont aucune force physique, ni de maturité sexuelle et sont incapables de se dématérialiser.
Vampire : Membre d’une race distincte, avec des caractéristiques génétiques qui ne s’obtiennent
en aucun cas par morsure ou autre. Après leur transition, les vampires ne peuvent plus s’exposer à la
lumière du jour et doivent boire du sang à intervalles réguliers sur un vampire du sexe opposé. Le sang
humain n’a sur eux qu’un effet à très court terme. Ils peuvent se dématérialiser à volonté, mais dans
certaines conditions. Ils ont la faculté d’effacer les souvenirs récents des humains. Leur espérance de
vie est d’environ mille ans. Parfois, un vampire se reproduit avec un humain, et un sang-mêlé ne subit
pas forcément la transition.
Vierge scribe : Force mystique œuvrant comme conseiller du roi, gardienne des archives vampires
et pourvoyeuse de privilèges. Existe dans une dimension intemporelle, l’Autre Côté, entourée des
Élues. Ses pouvoirs sont immenses. Elle est capable d’un unique acte de création, et a ainsi conféré
aux vampires leur existence et privilège. D’où sa guerre avec l’Omega, son frère.
Wahlker : Survivant(e).
5
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
6
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Chapitre 1
7
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Et il avait le net sentiment que ce son cœur allait en prendre un sacré coup.
— C’est une femelle de valeur, remarqua V.
Bien sûr. Et ça expliquait sans doute qu’elle ne lui retourne pas ses appels. Un
ancien-flic accro au Scotch n’était pas exactement le rêve pour une femme—
humaine ou vampire. Et qu’ils ne soient pas de la même espèce n’arrangeait
rien.
— Bon, Rhage et moi allons vider quelques godets au Cyclope ce soir. Tu
pourras nous y retrouver quand tu auras—
Ils se retournèrent tous les deux en entendant des coups sonores. Comme si
quelqu’un matraquait la porte avec un bélier.
Viscs resserra sa serviette.
— Bon sang, il faut que le joli-cœur apprenne à utiliser la sonnette.
— Va-le-lui dire. Moi, il ne m’écoute pas.
— Rhage n’écoute jamais personne, dit Viscs en fonçant vers l’entrée.
Alors que le tambourinement s’arrêtait, Butch étudia le choix de ses cravates.
Il opta pour une Brioni bleu pâle, baissa le col de sa chemise blanche et enroula
le cordon de soie autour de son cou. En avançant vers le salon, il entendit
discuter Rhage et Viscs malgré le boucan de "RU Still Down" du rappeur 2Pac.
Butch se mit à rire. Bon sang, la vie l’avait trimballé de droite à gauche,
parfois dans des endroits franchement degueu, mais il n’aurait jamais pu
s’imaginer vivre avec six guerriers vampires. Ou participer plus ou moins à leur
combat pour protéger une race secrète menacée d’extinction. Pourtant, il faisait
bel et bien partie de la Confrérie de la Dague Noire. Et Rhage, Viscs et lui
formaient un sacré trio.
Rhage dormait dans le manoir de l’autre côté de la cour avec le reste de la
Confrérie, mais le mec passait tout son temps libre dans la maison de gardien où
habitaient V et Butch. La Piaule, comme l’endroit était surnommé, était géniale
comparée aux trous où Butch avait vécu autrefois. V et lui avaient chacun une
chambre et une salle de bain, et partageaient une kitchenette et un salon décoré
comme une chambre d’étudiant résolument moderne : Deux grands canapés en
cuir, une TV à écran plasma, un baby-foot, des équipements sportifs partout.
Lorsque Butch entra dans la pièce de séjour, il remarqua que Rhage était déjà
équipé pour la nuit : Un long manteau en cuir noir qui lui tombait des épaules
aux chevilles, un débardeur noir et un pantalon de cuir noir. Avec ses bottes de
combat, le vampire faisait près de deux mètres, et était positivement magnifique.
Même un 100% hétéro comme Butch pouvait remarquer ça.
8
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
9
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
l’été passé, la Confrérie avait décidé de regrouper ses forces et tous les Frères
étaient venus habiter ici.
Lorsque Viscs retourna dans sa chambre, Rhage sortit une sucette de sa
poche, arracha le papier et se colla le truc dans la bouche. Butch sentait peser sur
lui le regard du Frère, aussi il ne fut pas étonné que l’autre lui tombe dessus :
— Ne me dis pas que tu t’es fait tout beau pour aller au Cyclope, Cop. Tu
t’es vraiment mis sur ton trente-et-un. Cravate, boutons de manchettes— Et ces
trucs sont tout neuf, non ?
Butch lissa la Brioni sur sa poitrine et prit la veste Tom Ford assortie à son
pantalon noir. Il ne voulait pas reparler de son histoire avec Marissa. Il avait déjà
été assez difficile de l’évoquer avec Viscs. De plus, il n’avait pas grand-chose à
dire, non ?
Elle m’a mis sur le cul lorsque je l’ai rencontrée mais elle m’évite depuis
trois semaines. Et au lieu de lui ficher la paix, je vais encore aller la supplier
comme un minable.
Oui, c’est vraiment le genre de truc qu’il avait envie de raconter à Super-
Tombeur, même si le mec était un bon copain.
Rhage fit rouler sa sucette dans sa bouche.
— Dis-moi un truc. Pourquoi tu t’emmerdes avec ces fringues, mec ? Tu ne
te sers jamais de ton matos. Je t’ai toujours vu refuser les femelles qui viennent
te voir au bar. Tu te réserves pour le mariage ?
— Ouaip. Exactement. Je garde mon attirail au chaud jusqu’à ce que j’arrive
à l’autel.
— Allez, je suis vraiment curieux de savoir. Tu penses à quelqu’un en
particulier ? (Quand seul le silence lui répondit, le vampire se mit à rire.) Je la
connais ?
Butch lui envoya un long regard, cherchant à évaluer s’il valait mieux
répondre que se taire pour couper court à d’autres questions. Probablement pas.
Une fois Rhage lancé, il n’arrêtait que quand il en avait envie. Il mettait autant
d’énergie à parler qu’à tuer.
Rhage secoua tristement la tête.
— Elle ne veut pas de toi ?
— C’est ce que je vais savoir ce soir.
Butch vérifia l’argent qu’il avait sur lui. Seize ans dans la police ne lui avaient
pas vraiment donné de quoi frimer. Mais maintenant qu’il traînait avec la
Confrérie, il avait tant de fric qu’il n’arrivait même pas à le claquer assez vite.
— Tu as de la chance, Cop.
10
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Marie Luce entra dans son garage, coupa le moteur de sa Civic et regarda les
pelles à neige accrochées à des pitons en face d’elle.
Elle était fatiguée, bien que sa journée n’ait pas été si terrible. Répondre au
téléphone et remplir des papiers chez un avocat n’avait rien d’épuisant, ni
physiquement, ni mentalement. Elle ne devrait pas être aussi exténuée.
Mais c’était peut-être justement le problème : Elle n’exerçait pas réellement
son cerveau, aussi elle s’ennuyait.
Était-il temps de retourner avec les enfants ? Après tout, c’était ce qu’elle
avait appris à faire. Ce qu’elle aimait faire. Travailler avec ses patients autistes
et les aider à découvrir un moyen de communiquer, voilà qui offrait toutes sortes
de récompenses, personnelles et professionnelles. Et cette pause de deux ans
n’avait pas été un choix de sa part.
Peut-être pourrait-elle rappeler le centre pour voir s’ils avaient une
ouverture ? Et même si ce n’était pas le cas, elle pourrait laisser sa candidature
au cas où quelque chose se présente.
Oui, c’est ce qu’elle ferait dès demain. Il n’y avait aucune raison d’attendre
davantage.
Mary attrapa son sac et sortit de la voiture. Dès que la porte du garage se
referma, elle fit le tour jusqu’à l’entrée de sa maison et ramassa son courrier.
Elle regarda rapidement les factures, puis s’arrêta pour aspirer par le nez l’air
11
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
froid de cette nuit d’octobre. Qui lui fit vibrer les sinus. Il y avait un bon mois
que l’automne avait succédé à l’été, le changement de saisons intervenant juste
après qu’un front d’air froid arrive du Canada.
Elle aimait bien l’automne. Et l’appréciait tout particulièrement au nord de
New-York.
Effectivement, Caldwell, la ville où elle était née et où elle mourrait très
probablement, était située à plus d’une heure au nord de Manhattan. Coupée en
deux par le fleuve Hudson— « Caldie », comme disaient les locaux—
ressemblait à toutes les petites villes des États-Unis. Avec des secteurs riches,
d’autres pauvres, et certains franchement dangereux. Des grandes surfaces et des
McDonald. Des musées et les bibliothèques. Des faubourgs bourgeois entourant
un centre-ville en perdition. Trois hôpitaux, deux lycées, et même un parc où
s’érigeait une statue de George Washington.
Elle renversa la tête et regarda les étoiles, réalisant qu’il ne lui viendrait
jamais à l’idée de partir. Mais elle ne savait trop si c’était par loyauté ou par
manque d’imagination.
Peut-être était-ce à cause de sa maison, pensa-t-elle en revenant vers la porte
d’entrée. La ferme aménagée était située à l’extrémité d’une ancienne propriété
agricole, et elle avait fait une offre un quart d’heure après être entrée là avec
l’agent immobilier. L’intérieur était intime et chaleureux. Et… charmant.
C’était pour ça qu’elle avait acheté les lieux quatre ans auparavant, juste après
le décès de sa mère. Elle avait eu besoin de quelque chose de charmant, et d’un
nouveau décor. La ferme était tout ce que la maison où elle avait grandi n’était
pas. Ici, le plancher de pin avait la chaude couleur du miel, un vernis clair et
sans taches. Et ses meubles flambant neuf venaient de chez Crate et Barrel—
elle n’avait rien d’ancien ou de défraîchi. Les tapis au sol étaient en sisal (NdT :
Plante originaire du Mexique d’où on extrait une fibre pour la fabrication de
cordage, de tissus grossiers, de tapis.) Et tout le reste, des housses jusqu’aux
rideaux, des murs aux plafonds, était d’un blanc crémeux.
C’était son aversion pour l’obscurité qui avait guidé sa décoration. Et après
tout, en n’utilisant que des variations de beige, tout était bien assorti non ?
Elle déposa ses clés et son sac dans la cuisine et vérifia son téléphone. Le
répondeur indiqua : « Vous avez… deux… nouveaux messages »
— Hey, Mary, c’est Bill. Écoute, je vais accepter ton offre. Si tu peux
prendre ma place à la hotline ce soir pour quelques heures, ça m’arrangerait
bien. Si tu ne me rappelles pas, je considère que c’est bon. Merci encore.
Elle effaça le message avec un « bip ».
12
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
13
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
14
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Chapitre 2
15
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
C’est ça, dis-moi aussi bonne nuit, sombre connard, pensa O tout en
commençant à nettoyer la cave.
Vue de la rue, la minable petite baraque où ils travaillaient n’avait rien de
remarquable, coincée entre un immeuble condamné et la carcasse noircie de ce
qui avait été un restaurant barbecue. Et puis le quartier, mélange de taudis et de
commerces minables, était parfait pour eux. Les gens se terraient la nuit, et le
bruit d’un coup de feu était aussi courant qu’une alarme de voiture. Aussi
personne ne s’étonnait d’entendre quelques hurlements.
De plus, il était facile d’aller et venir discrètement. Vu la fréquentation du
coin, tous les lampadaires de la rue avaient été fracassés et la lumière qui
provenait des autres logements était négligeable. Autre avantage, la cave de la
maison avait une entrée directe sur l’arrière. Y faire entrer ou sortir un corps
dans un sac ne posait aucun problème.
Même si quelqu’un voyait quelque chose, éliminer le témoin ne prendrait
qu’un instant. Et personne ne serait surpris. Ici, les petits cons trouvaient vite le
chemin du cimetière. Outre taper sur les bonnes femmes ou boire de la bière,
mourir était la seule spécialité des gens du coin.
O ramassa un couteau et nettoya le sang noir de E qui maculait la lame.
La cave n’était pas bien grande, le plafond assez bas, mais il y avait de la
place pour la vieille table qu’ils utilisaient pour travailler et l’établi délabré où
ils gardaient leurs instruments. Pourtant, O n’était pas satisfait. Il était lui
impossible de garder longtemps un vampire en toute sécurité, et ça voulait dire
qu’il perdait un important moyen de persuasion. Le temps avait un impact
important sur les facultés mentales et physiques d’un prisonnier. Bien utilisé, le
passage des jours était aussi puissant pour faire parler un civil qu’un outil
capable de lui briser les os.
O aurait voulu quelque chose d’isolé dans les bois, assez grand pour
appréhender plusieurs captifs. Vu que les vampires devenaient fumée à la
moindre lueur du jour, il fallait les protéger du soleil. Mais si on se contentait de
les enfermer, il y avait le risque qu’ils se dématérialisent sous votre nez. Il fallait
du fer pour les garder—
Il entendit claquer une porte au dessus, puis des pas descendre les escaliers.
M. X apparut sous la lumière de l’ampoule nue.
Le directeur des lessers faisait un mètre quatre-vingt-dix et était bâti comme
un linebacker (NdT : Joueur en défense de football américain.) Et comme tout
lesser depuis longtemps dans la Société, il était complètement délavé. Ses
cheveux et sa peau étaient blanchâtres, ses iris aussi pâles qu’une vitre opaque.
16
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
17
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
18
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Par les petites fenêtres, on voyait les néons rouges, bleus et jaunes qui
signalaient des pubs de bière, Coors, Bud Light ou Michelob.
Les gens du coin ne buvaient pas de Corona ni de Heineken.
En sortant de la voiture, Rhage avait le corps tendu, la peau hypersensible et
les muscles noués. Il s’étira, cherchant à détendre ses bras. Mais ne fut pas
surpris de ne ressentir aucun soulagement. Ce soir, il ressentait lourdement le
poids de sa malédiction, et la situation allait vite devenir critique. S’il ne trouvait
pas rapidement un moyen de se calmer, il risquait un sérieux problème. Merde,
c’est lui qui allait devenir le sérieux problème.
Merci beaucoup à vous, Vierge Scribe.
Il était déjà difficile qu’il soit né hyperactif avec un pouvoir physique
excessif, un excité doté d’une force qu’il n’avait su ni apprécier ni maîtriser.
Mais ensuite, il avait contrarié la femelle mystique qui dirigeait leur race. Elle
n’avait été que trop heureuse d’ajouter un poids à son fardeau héréditaire.
Désormais, s’il ne décompressait pas de façon régulière, il risquait le pire.
Le combat et le sexe étaient ses deux options pour faire baisser la pression, et
il en usait comme un diabétique de son insuline. Avec une orgie de chaque, il
réussissait généralement à rester en ligne, même si parfois ça ne suffisait pas. Et
dans ce cas, le danger était réel pour tout le monde, lui y compris.
Seigneur, il en avait tellement marre d’être coincé dans ce corps, soumis à ces
demandes incessantes, toujours à essayer de ne pas plonger dans un gouffre sans
fond. Bien sûr, sa tronche et sa force avaient de quoi faire tomber raide, mais il
les aurait échangés pour devenir un maigre et affreux quidam si ça avait pu lui
apporter la paix. Il ne savait plus à quoi ressemblaient la détente et la sérénité. Il
avait même parfois du mal à se reconnaître.
La désintégration de son être avait démarré assez vite. Quelques années après
sa malédiction, il avait cessé d’espérer la paix, s’efforçant juste de ne pas nuire à
autrui. Et peu à peu, il s’était senti mourir intérieurement. Maintenant, un siècle
après, il vivait le plus souvent comme anesthésié, rien de plus qu’une enveloppe
vide dans un joli emballage.
Il était lucide et n’essayait pas de nier la menace qu’il représentait. Parce que
personne n’était en sécurité près de lui. Et ça le tuait, bien plus que la douleur
physique qu’il devait subir quand sa malédiction lui échappait. Il vivait dans la
terreur permanente de blesser l’un de ses Frères. Ou Butch, depuis ce dernier
mois.
Rhage fit le tour du 4x4 et regarda l’humain à travers le pare-brise. Qui aurait
cru qu’il se sentirait un jour aussi proche d’un homo sapiens ?
19
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
20
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
punition, avant que la bête ne fasse plus partie de lui. Pourquoi lui faudrait-il en
plus apprendre qu’il ne vivrait peut-être pas assez longtemps pour être libéré de
ce foutu truc ?
— Rhage.
— Quoi ?
— Je vais te dire une chose. Celle qui t’es destinée approche. Et tu la
rencontreras bientôt.
Rhage se mit à rire.
— Oh, c’est vrai ? Et à quoi ressemble cette femelle ? Je les préfère—
— Je vois une vierge.
Rhage ressentit un frisson glacé lui parcourir l’échine. Et sursauta.
— Tu te fous de moi ?
— Regarde-moi. Tu penses vraiment que je te mens ?
Viscs s’arrêta un moment, puis il ouvrit la porte, libérant un relent de bière et
de corps humains mêlés aux pulsations d’une vieille chanson des Guns N’
Roses.
Alors qu’ils entraient, Rhage marmonna :
— Parfois, tu me fiches la trouille, mon Frère. Vraiment.
21
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
22
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Chapitre 3
Pavlov avait raison, pensa Mary en conduisant jusqu’au centre ville. Parce
que sa réaction de panique en écoutant le message du cabinet du docteur Delia
Croce avait été un conditionnement et non pas un raisonnement logique.
« D’autres analyses », ça pouvait dire n’importe quoi. Et bien qu’elle associe la
moindre demande provenant d’un praticien à une catastrophe, elle ne pouvait
deviner son futur. Elle n’avait aucune idée de ce qui n’allait pas, ni même que ce
soit le cas. Après tout, il y avait bientôt deux ans qu’elle était en rémission, et
elle se sentait plutôt bien. Bien sûr, elle se fatiguait vite, mais c’était normal,
non ? Entre son travail et son activité bénévole, elle était pas mal occupée.
Elle prendrait rendez-vous au cabinet le lendemain à la première heure. Pour
l’instant, elle allait juste travailler et remplacer Bill à la hotline de « SOS-
Suicide ».
Elle sentit son anxiété décroître lorsqu’elle prit une profonde inspiration. Les
prochaines vingt-quatre heures seraient une épreuve d’endurance, elle avait les
nerfs noués par l’expectative et le cerveau en ébullition. Le truc était de gérer les
phases de la panique, garder des forces pour le retour de sa peur.
Elle gara sa Civic dans un parking de la 10° Rue et marcha d’un pas rapide
jusqu’à un immeuble de cinq étages. Pas mal défraîchi, le bâtiment résultait
d’une tentative datant des années 1970 qui avait tenté d’insérer un îlot
professionnel dans un « environnement à risques ». L’optimisme n’avait pas
payé et le quartier minable abritait désormais des bureaux bien protégés et des
appartements bas de gamme.
Mary s’arrêta un moment à l’entrée pour faire un signe de la main à deux
policiers dans une voiture de patrouille.
Le quartier général de SOS-Suicide était au premier étage, et elle leva les
yeux vers les fenêtres éclairées. Lors de son premier contact, elle avait appelé
l’association. Trois ans plus tard, elle répondait aux appels trois nuits par
semaine, le mardi, vendredi et samedi. Elle couvrait aussi les vacances et
dépannait les autres en cas de besoin.
Personne ne savait qu’elle avait un jour téléphoné. Personne ne savait non
plus qu’elle avait eu une leucémie. Et si elle devait à nouveau entrer en guerre
contre son propre sang, elle avait bien l’intention de ne pas le divulguer.
23
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
24
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
— J’ai entendu pas mal sonner ce soir, mais les autres ne vont plus loin que
donner leurs noms. Mais toi, tu étais toute recroquevillée sur ton téléphone.
— Oui, en fait—
— Écoute, les flics sont revenus tout à l’heure. Le seul truc à faire serait de
vérifier toutes les cabines de la ville et je ne pense pas qu’ils acceptent d’aller
aussi loin.
— Je te l’ai déjà dit, je n’ai pas le sentiment de courir un risque.
— Tu ne peux pas en être sûre.
— Allez, Rhonda, il y a maintenant neuf mois que ça dure, non ? Si
quelqu’un devait me sauter dessus, ça serait déjà arrivé. Et j’aimerais vraiment
pouvoir aider—
— C’est un autre truc qui me turlupine. Tu as trop envie de protéger cet
inconnu. Ça devient personnel.
— Non, pas du tout. Mais il appelle pour une raison que j’aimerais découvrir.
— Mary, arrête. Et écoute-toi. (Rhonda s’approcha, tira une chaise pour
s’asseoir puis continua en baissant la voix :) C’est… un peu difficile de te dire
ça. Mais je pense que tu devrais faire une pause.
Mary recula.
— Quoi ?
— Tu viens ici bien trop souvent.
— Je travaille le même temps que les autres.
— Mais tu dépasses toujours tes horaires, et tu fais tous les remplacements.
Tu es bien trop impliquée. Je sais que tu as pris la place de Bill ce soir, mais je
veux que tu partes dès qu’il reviendra. Et je ne veux plus te revoir avant au
moins quinze jours. Tu as besoin de faire une pause. C’est un boulot difficile et
épuisant, et il faut du recul pour bien le faire.
— Pas maintenant, Rhonda, je t’en prie. Pas maintenant. J’ai besoin d’être là.
— Ce n’est pas le bon endroit pour régler des problèmes personnels, répondit
Rhonda en serrant gentiment la main de Mary, et tu le sais très bien. Tu es l’une
des meilleures volontaires de l’équipe, et je veux que tu reviennes. Mais pas
avant que tu te sois un peu éclairci les idées.
— Je n’en aurais peut-être pas le temps, marmonna Mary entre ses dents.
— Quoi ?
Mary secoua la tête et se força à sourire.
— Rien. Tu as raison, bien sûr. Je partirai dès que Bill reviendra.
Lorsque Bill arriva une heure plus tard, Mary sortit de l’immeuble deux
minutes après.
25
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Une fois rentrée chez elle, elle referma sa porte et s’appuya contre le panneau
de bois, écoutant le silence. Cet horrible et étouffant silence.
Seigneur, elle aurait donné n’importe quoi pour retourner à la hotline. Elle
avait besoin d’entendre les voix calmes des autres bénévoles. Et les sonneries
des téléphones. Et le bourdonnement des néons du plafond…
Parce que sans ces distractions, son cerveau vibrait déjà d’images horribles :
Un lit d’hôpital. Des seringues. Des sacs de fluides suspendus à côté d’elle. Et
l’affreux cliché d’elle à nouveau chauve, la peau grise et les yeux vitreux,
jusqu’à ce qu’elle ne se ressemble plus. Jusqu’à ce qu’elle ne soit plus elle-
même.
Et elle se souvint de ce que l’on ressentait en cessant d’être une personne.
Après que les médecins aient commencé sa chimiothérapie, elle avait vite
sombré dans la sous-classe des faibles et des malades, ne devenant pour autrui
qu’un pitoyable rappel de la mortalité humaine. Une triste image de la maladie
en phase terminale.
Mary traversa le salon en courant, arriva dans la cuisine et ouvrit en grand la
porte arrière. Elle émergea dehors dans la nuit, respirant avec difficulté sous le
coup de la terreur, mais le choc de l’air glacé la calma peu à peu.
Tu ne sais pas si quelque chose ne va pas. Tu ne sais pas si…
Elle se répéta plusieurs fois ce mantra, essayant de calmer son accès de
panique aveugle, puis elle se dirigea vers son bassin.
Qui n’était rien d’autre qu’une grande baignoire dont l’eau sombre, épaissie et
ralentie par le froid, ressemblait à de l’huile sous la lueur de la lune. Elle s’assit,
enleva ses chaussures et chaussettes, et plongea les pieds dans les profondeurs
gelées. Malgré l’engourdissement, elle les laissa immergés, souhaitant avoir le
cran de plonger tout entière et d’aller s’accrocher à la grille du fond. Peut-être
qu’en y restant assez longtemps, elle pourrait enfin ne plus rien ressentir.
Elle pensa à sa mère. Et à la façon dont Cissy Luce était morte dans son
propre lit, dans la maison qu’elles avaient toujours considéré comme leur foyer.
Elle se rappelait si bien de cette chambre, de la façon dont la lumière pénétrait
à travers les rideaux de dentelle pour atterrir en pointillés sur les objets comme
une chute de neige. Elle revit les murs jaune pâle, la moquette blanc cassé,
l’odeur de muscade et de gingembre du pot-pourri. Et le crucifix au dessus du
lit. Et la grande icône de la Vierge posée à terre dans un coin.
Ces souvenirs étaient si douloureux que Mary se força à revoir la chambre
après l’épreuve, après la maladie et la mort, après que la maison ait été nettoyée
pour être vendue. Elle la revit la nuit précédent son départ définitif. Nette.
26
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
27
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Il secoua la tête.
— Je voudrais juste rester un moment avec vous. Je peux me mettre de
l’autre côté de la piscine si vous voulez.
Il devait avoir l’habitude que les gens lui disent de s’écarter d’eux.
— Non, dit-elle. (Il hocha la tête et se détourna.) Attends, assois-toi plutôt à
côté de moi.
Il s’approcha lentement, comme s’il attendait à ce qu’elle change d’avis. Mais
elle ne fit que se rasseoir et remettre ses pieds dans l’eau, aussi il enleva ses
chaussures usées, roula son pantalon en loques et s’installa à un mètre d’elle.
Seigneur, il était vraiment petit.
Lorsqu’il glissa les pieds dans l’eau, il sourit.
— C’est froid, indiqua-t-il.
— Tu veux un sweater ?
Il secoua la tête et agita ses pieds en rond dans l’eau.
— Comment t’appelles-tu ?
— John Matthew.
Mary eut un sourire en pensant qu’ils avaient un point en commun.
— Deux prophètes du Nouveau testament.
— Ce sont les nonnes qui m’ont donné ces noms.
— Les nonnes ?
Il y eut un long silence, comme s’il pesait ce qu’il allait lui répondre.
— Tu viens d’un orphelinat ? insista-t-elle gentiment. (Elle se souvint qu’il
en existait encore un en ville, géré par Notre Dame de Grâce.)
— Je suis né dans des toilettes à la gare routière. Le gardien qui m’a trouvé
m’a remis à Notre Dame. Et les nonnes m’ont donné mon nom.
Mary réussit à cacher sa grimace.
— Ah. Et où vis-tu maintenant ? Tu as été adopté ?
Il secoua la tête.
— Dans une famille d’accueil alors ?
Pitié, Seigneur, faites qu’il ait une famille d’accueil. Une gentille famille, qui
lui procure abri et nourriture. De braves gens qui s’occupent bien de lui, même
si ses parents l’ont abandonné.
Quand il ne répondit pas, elle examina de plus près ses vêtements défraîchis et
l’expression trop âgée de son visage. Il ne semblait pas avoir eu la vie facile.
Il finit par esquisser quelques mots : « Je vis dans la 10° Rue. »
Ce qui signifiait que soit il squattait un immeuble condamné, soit il louait un
trou-à-rats. C’était un vrai miracle qu’il réussisse à rester aussi propre.
28
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
29
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
30
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Chapitre 4
Rhage aperçut la première fille qu’il voulait ce soir. Une blonde humaine, très
excitée et disponible. Comme toutes les autres alignées au bar, elle lui envoyait
des signaux répétés. Remuait les fesses, secouait ses cheveux.
— Tu as quelque chose en vue ? demanda Viscs d’un ton laconique.
Rhage hocha la tête et fit à la femelle un signe de l’index. Elle obéit aussitôt à
son appel. Il aimait ça chez une humaine.
Il suivait du regard le balancement de ses hanches lorsqu’un autre corps ferme
et musclé se plaça devant lui. Il releva les yeux et dut se forcer à ne pas
grimacer.
Caith était de sa race, une belle plante avec des cheveux noirs et des yeux
sombres. Mais elle pourchassait les Frères en s’offrant sans vergogne. Á la voir
frétiller autour d’eux, Rhage avait l’impression qu’elle les voyait comme des
trophées à exhiber. Et c’était énervant.
En ce qui le concernait, elle n’était qu’une garce sans intérêt.
— Hey, Viscs, dit-elle d’une voix rauque et sensuelle.
— Bonsoir Caith, dit V qui sirotait de la Grey Goose. (NdT : Vodka distillée
en France et considérée comme un produit de luxe aux États-Unis.) Comment
va ?
— Je me demande ce que tu deviens.
Rhage regarda derrière Caith. Grâce au ciel, la blonde ne craignait pas la
compétition. Et approchait toujours de leur table.
— Tu comptes me dire bonsoir, Rhage ? insista Caith.
— Seulement si tu te pousses. Tu me bloques la vue.
La femelle se mit à rire.
— Une autre de ces gonzesses que tu consommes par milliers. Quelle chance
elle a !
— Tu es jalouse, Caith ?
— Oui. (Les yeux avides glissèrent le long de son corps.) Tu veux venir avec
Viscs et moi ?
Lorsqu’elle tendit la main pour toucher ses cheveux, Rhage lui agrippa le
poignet.
— N’y pense même pas.
31
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Á quinze kilomètres de là, près du bassin dans la cour, John, Bella et Mary
passaient un super bon moment.
Mary éclata de rire en regardant John.
— Tu n’es pas sérieux ?
— Si. Je suis revenu en douce par la porte arrière du cinéma.
— Que dit-il ? demanda Bella avec un sourire.
— Qu’il a vu quatre fois de suite Matrix le jour où le film est sorti.
Bella éclata de rire
— John, je suis désolée de te l’apprendre, mais c’est vraiment consternant.
Il lui offrit un sourire béat, tout en rougissant un peu.
32
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
33
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Avant que Mary n’ait pu répondre, elle avait déjà filé à travers la prairie. Dès
qu’elle fut hors de portée, John releva les yeux sur Mary. Son visage était encore
tout crispé.
— Je devrais m’en aller.
— Tu as mal à la tête ?
John poussa son poing fermé entre ses sourcils.
— C’est comme si j’avais mangé trop vite de la glace.
— Quand as-tu dîné ?
Il haussa les épaules.
— Sais pas.
Le pauvre gosse faisait sans doute une crise d’hypoglycémie.
— Écoute, viens plutôt grignoter un morceau avec moi dans la cuisine. J’ai à
peine eu le temps de déjeuner et ça fait plus de huit heures de ça.
La fierté du garçon le poussa à refuser fermement.
— Je n’ai pas faim.
— Alors viens t’asseoir avec moi pendant que je mange, dit Mary qui
espérait pouvoir le pousser à avaler quelque chose.
John se leva et tendit la main pour aider la jeune femme à se relever. Elle
accepta la paume étroite et s’y appuya de manière à lui faire sentir une partie de
son poids. Puis ils se dirigèrent ensemble vers la porte arrière, chaussures à la
main, leurs pieds nus laissant des traces humides sur les pierres froides qui
entouraient le bassin.
Bella entra en trombe dans sa cuisine et se retrouva à ne pas savoir quoi faire.
Elle avait quitté les deux autres sans avoir aucun plan précis. Mais il lui fallait
réagir.
John était un problème. Un sérieux problème.
Elle n’arrivait pas à croire qu’elle ait pu ne pas le reconnaître immédiatement
pour ce qu’il était. C’est vrai qu’il n’avait pas encore passé sa transition. Et puis,
comment imaginer qu’un vampire soit dans la cour de Mary ?
Bella eut soudain envie de rire. Elle-même était bien dans la cour de Mary,
aussi pourquoi un autre de sa race n’y serait-il pas aussi ?
Elle mit les mains sur ses hanches et fixa le sol. Qu’allait-elle bien pouvoir
faire ? En sondant l’esprit de John, elle n’y avait trouvé aucun souvenir de ses
parents, ni de leur race ou de leurs traditions. Le garçon ne savait rien du tout. Il
n’avait aucune idée de ce qu’il était réellement, ni surtout de ce qu’il allait
34
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
devenir. Et il était vrai qu’il ne comprenait pas le sens des symboles qu’il avait
gravés.
Elle-même les avait déchiffrés. Ils signifiaient : « Tehrror » en Langage
Ancien. Un nom de guerrier.
Comment ce gosse avait-il pu se perdre dans le monde humain ? Et combien
de temps avait-il encore avant sa transition ? Il semblait avoir plus de vingt ans,
aussi il avait probablement quelques années encore devant lui. Mais si elle se
trompait, s’il était plus près de vingt-cinq ans, il courait un risque immédiat. S’il
n’y avait pas une femelle vampire auprès de lui pour l’aider pendant la
transition, il en mourrait.
La première idée de Bella fut d’appeler son frère. Rehvenge savait toujours
comment gérer une situation inattendue. Le problème est qu’une fois impliqué,
le mâle avait tendance à en faire trop. Et à terroriser ceux auxquels il s’adressait.
Havers— elle pourrait sans doute appeler Havers pour l’aider. En tant que
médecin, il saurait déterminer l’âge exact du garçon, et combien de temps il
restait avant la transition. Et peut-être que John pourrait rester à la clinique
jusqu’à ce que son futur s’éclaircisse.
Sauf qu’il n’était pas malade. C’était un mâle pré-trans— et donc
physiquement faible— mais elle n’avait senti aucune maladie en lui. Et Havers
dirigeait un centre médical, pas une maison d’accueil.
De plus, pourquoi ce nom ? Ce nom de guerrier—
Bingo.
Elle quitta la cuisine pour le salon pour chercher le carnet d’adresses qu’elle
gardait sur son bureau. Tout à la fin, à la dernière page, elle avait écrit un
numéro qui avait circulé dix ans auparavant. D’après la rumeur, c’était celui de
la Confrérie de la Dague Noire. Les guerriers de la race.
Ils sauraient quoi faire du garçon qui portait le nom d’un d’entre eux. Peut-
être même le prendraient-il avec eux.
Elle avait les paumes moites en composant le numéro, s’attendant plus ou
moins à ce qu’il n’y ait personne, ou bien quelqu’un qui l’enverrait au diable.
Tout au contraire, une voix électronique lui répondit et demanda de laisser un
message. Il y eut un « bip ».
— Heu… Mon nom est Bella. Et je cherche à joindre la Confrérie. J’ai
besoin… d’aide.
Elle laissa son numéro et raccrocha sans rien ajouter. Si ce n’était pas le bon
numéro, elle préférait ne laisser aucun détail sur la boîte vocale d’un humain.
35
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Elle regarda par la fenêtre, au delà de la prairie, et vit les lumières de chez
Mary. Elle n’avait aucune idée du temps que ça prendrait pour qu’elle obtienne
une réponse— du moins si elle en recevait une. Peut-être devrait-elle chercher à
savoir où vivait le gosse ? Et comment il avait rencontré Mary ?
Seigneur, Mary. Son affreuse maladie était revenue. Bella l’avait sentie et
hésitait à en parler quand Mary avait évoqué ses contrôles du trimestre quelques
jours auparavant. Elle était venue ce soir pour savoir ce qu’il en était. Espérant
pouvoir aider la femelle d’une façon ou d’une autre.
D’un pas rapide, elle revint vers la porte-fenêtre face à la pelouse. Il fallait
qu’elle en apprenne davantage sur John et—
Le téléphone sonna.
Si vite ? Impossible.
Elle se pencha de l’autre côté du comptoir pour attraper le combiné de la
cuisine.
— Allo ?
— Bella ? (Une voix de mâle, basse. Autoritaire.)
— Oui.
— Vous nous avez appelés.
Bon sang de bois. Ça avait marché.
Elle s’éclaircit la voix. En tant que civile, elle connaissait tout sur la
Confrérie : Le nom des Frères, leurs réputations, leurs triomphes, et leur
légende. Mais elle n’en avait jamais rencontré aucun. Et il était un peu difficile
de croire que là, dans sa cuisine, elle parlait avec un guerrier.
Va droit au but, s’exhorta-t-elle.
— Je… ah. J’ai un problème. (Et elle expliqua au mâle ce qu’elle savait au
sujet de John.)
Il y eut un silence.
— Vous nous l’amènerez demain soir.
Mince alors. Dans quoi s’était-elle fourrée au juste ?
— Heu, il est muet. Il entend mais ne parle pas. Il a besoin de quelqu’un pour
traduire ce qu’il dit.
— Amenez aussi un interprète.
Elle se demanda ce que Mary penserait de pénétrer dans leur monde.
— La femelle qu’il a utilisée ce soir est humaine.
— Nous nous occuperons de vider sa mémoire.
— Comment puis-je vous trouver ?
— Nous enverrons une voiture vous chercher. Á 21 heures.
36
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
37
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
38
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Chapitre 5
39
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
40
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
ils n’étaient plus vraiment vivants. Á leur regard, on réalisait que les égorgeurs
n’étaient que des machines sans âme. Et ils puaient que c’en était pas croyable.
Mais Butch n’avait jamais pu supporter l’odeur du talc.
Dans la clairière, les lessers s’étaient mis en position, la main dans leurs
blousons alors que Rhage arrivait sur eux comme un train à pleine vitesse. Il
tomba sur le groupe sans même prendre la peine de sortir une arme, comme
animé d’une envie suicidaire.
Seigneur, le mec était dingue. Et l’un des égorgeurs avait son arme prête.
Butch arma le Glock pour suivre l’action, mais son angle de tir n’était pas
bon. Puis il réalisa qu’il n’avait pas besoin de couvrir les arrières.
Rhage se chargeait parfaitement des lessers à lui tout seul, animé d’une force
animale et de reflexes étonnants. Il pratiquait une sorte de mélange hybride
d’arts martiaux, les pans de son long manteau voltigeant tandis qu’il assommait
un crâne ou écrasait un torse. Á la fois létal et splendide dans le clair de lune, il
avait le visage figé dans un rictus tandis qu’il réglait leur compte à ces lessers.
Un hurlement retentit sur la droite et Butch se retourna d’un bond. V avait
intercepté un lesser qui tentait de s’enfuir et le Frère était tombé comme un tank
sur le mec.
Laissant les vampires s’occuper du Fight Club, Butch s’approcha de l’arbre
où, pendu à une branche, se trouvait un autre lesser. Qui avait été méchamment
travaillé.
Butch détacha la corde et fit descendre le corps inerte, vérifiant derrière lui
quand les coups et les grognements se faisaient plus sonores. Trois nouveaux
lessers s’étaient joints à la bataille mais il ne s’inquiétait pas pour ses potes.
Il s’agenouilla devant l’égorgeur massacré et fouilla dans ses poches. Il sortait
un portefeuille quand l’affreux bruit d’un coup de feu retentit. Et il vit Rhage
tomber en arrière. Raide.
Butch ne réfléchit même pas. Il se mit en position de tir et visa le lesser qui
s’apprêtait à tirer une deuxième balle dans le corps étendu. Mais il n’eut jamais
l’occasion d’appuyer sur sa gâchette. De nulle part surgit un brillant éclair blanc
comme si une bombe H venait d’exploser. La nuit devint jour et toute la clairière
fut éclairée : Les arbres roussis par l’automne, l’espace dégagé qu’ils
encerclaient.
Lorsque la lumière s’éteignit, Butch entendit quelqu’un arriver vers lui en
courant. Il reconnut V et baissa son flingue.
— Cop ! Fonce dans la bagnole ! hurla le vampire qui pédalait comme un
dératé.
41
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
— Mais il y a Rhage—
Butch ne put poursuivre sa phrase. Viscs le heurta de plein fouet, le souleva
du sol et l’emporta. Il ne s’arrêta pas avant d’être arrivé à l’Escalade où il les
enferma tous les deux.
Butch se tourna vers le Frère.
— Je ne partirai pas sans Rhage.
Un rugissement terrifiant retentit dans la nuit, et Butch tourna très lentement
la tête.
Il vit la bête dans la clairière. Deux mètres cinquante de haut. Ça ressemblait à
un dragon, avec des dents comme un T-Rex et d’impressionnantes griffes
coupantes. La chose luisait sous la lumière lunaire, son corps puissant et sa
longue queue couverts d’écailles violet iridescent et vert pâle.
— Merde, mais c’est quoi ce truc ? chuchota Butch en vérifiant aussitôt la
fermeture des portes.
— C’est Rhage qui est de mauvais poil.
Le monstre poussa un hurlement et fonça sur les lessers qui tombèrent comme
des jouets. Et… Bon Dieu ! Il n’allait rien rester de ces égorgeurs. Même pas un
os.
Butch commençait à avoir du mal à respirer. Hyperventilation, pensa-t-il.
Vaguement, il entendit le bruit d’un briquet et regarda de l’autre côté du
siège. Le visage de V apparut dans la lumière jaune tandis qu’il allumait un
roulé d’une main frémissante. Quand le Frère souffla, l’arôme du tabac turc se
répandit dans la voiture.
— Et depuis quand est-il… (Quand Butch se tourna pour regarder la bête
dans la clairière, il perdit la suite de son discours.)
— Rhage a contrarié la Vierge Scribe et du coup, elle l’a maudit. En lui
collant deux siècles d’enfer. Chaque fois qu’il s’énerve, pfutt, il se transforme.
La douleur peut le faire virer. Ou la colère. Ou encore la frustration physique, si
tu vois ce que je veux dire.
Butch leva un sourcil. Et dire qu’il s’était flanqué un peu plus tôt entre le mec
et une fille qu’il pelotait. C’était bien la dernière fois qu’il se laissait aller à une
connerie pareille.
Tandis que le carnage se poursuivait, Butch eut de plus en plus l’impression
de regarder à la télé un film de science-fiction— sans le son. Mince, une telle
violence échappait vraiment à son expérience. Durant ses années dans la police à
la Criminelle, il avait vu de nombreux cadavres, dont certains dans un état
42
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
franchement degueu. Mais il n’avait jamais assisté aux premières loges à un tel
massacre, et le choc qu’il en ressentait enlevait à l’expérience sa réalité.
Dieu merci !
Mais il devait admettre que la bête avait un sacré style. La façon dont elle
envoyait cet égorgeur en l’air avant de le récupérer entre ses… Brrr.
— Et ça arrive souvent ? demanda-t-il.
— Trop souvent. C’est pour ça qu’il a tellement besoin de sexe. Ça le calme.
Et je t’assure qu’il ne faut jamais jouer au con avec la bête. Elle ne fait aucune
distinction entre un ami et un ennemi, et pour elle, tout se mange. On ne peut
qu’attendre que ça passe pour s’occuper de lui.
Quelque chose arriva sur le capot de l’Escalade et y rebondit. Seigneur, était-
ce une tête ? Non, une botte. La bête ne devait pas aimer le goût du plastique.
— Comment ça, s’occuper de lui ?
— Imagine dans quel état tu serais avec tous les os de ton corps fracassés ? Il
revit sa transition quand ce truc émerge, et ensuite, il est dans un sale état.
Assez rapidement, la clairière fut débarrassée des lessers. Avec un autre
rugissement assourdissant, la bête étudia les alentours, cherchant des
adversaires. Quand elle ne trouva plus d’égorgeurs, elle se retourna vers
l’Escalade.
— Elle pourrait rentrer dans la voiture ? demanda Butch.
— Si elle le veut vraiment, oui. Mais je ne pense pas qu’elle ait encore très
faim.
— Génial… et s’il lui reste un peu de place pour de la compote hein ?
marmonna Butch.
La bête secoua la tête, sa crinière noire remuant dans le clair de lune. Puis elle
hurla et fonça vers eux, debout sur ses pattes arrière. Le tambourinement
rappelait le tonnerre et les tremblements de terre.
Butch vérifia encore la fermeture des portes. Puis envisagea de se cacher sous
un siège sans se soucier du ridicule.
La bête s’arrêta près du 4x4 et s’accroupit. Elle était assez proche pour que
son souffle couvre de buée la vitre de Butch. C’était franchement hideux. Des
yeux blancs étrécis. Des babines féroces. Des dents énormes plantées dans des
mâchoires sorties du pire des cauchemars. Et du sang noir dégouttait de la
gueule et coulait jusqu’au poitrail comme de l’huile de vidange.
La bête tendit ses puissants avant-bras.
43
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Seigneur. Elle avait des griffes aussi longues que des dagues. De quoi
renvoyer le matos de Freddy Krueger (NdT : Personnage de fiction incarné par
Robert Englund en 1984 dans Les Griffes de la nuit,) au rang de cure-dents.
Mais Rhage était là-dedans. Quelque part.
Butch posa sa main sur la vitre, comme pour atteindre le Frère.
La créature pencha la tête, clignant ses yeux blancs. Puis elle poussa une
profonde inspiration et le grand corps se mit à trembler. Un autre cri perçant
sortit de sa gorge et traversa la nuit. Il y eut alors un nouvel éclair et Rhage
apparut, nu et enroulé sur lui-même sur le sol.
Butch ouvrit la porte et s’agenouilla près de son ami.
Sur l’herbe sale, Rhage tremblait incoerciblement, la peau moite, les yeux
fermés, la bouche articulant des mots inaudibles. Il avait du sang noir partout sur
le visage et les cheveux, sur la poitrine. Et son ventre était grotesquement
distendu. Et il avait un petit trou net à l’épaule, là où la balle l’avait atteint.
Butch enleva sa veste et l’enroula sur le vampire. Puis il se pencha pour tenter
de comprendre les mots marmonnés.
— Qu’y a-t-il ?
— Blessé ? Toi… V ?
— Non, on va très bien.
Rhage sembla se détendre un peu.
— Ramène-moi…. S’il te plait. Á la maison. Ramène-moi.
— Ne t’inquiète plus de rien. On va s’occuper de toi.
O traversa rapidement les bois, fuyant le plus vite possible les lieux du
carnage. Sa voiture était garée plus loin sur la route, à environ un kilomètre. Il
avait encore quelques minutes avant d’y arriver, mais personne ne semblait le
poursuivre.
Il s’était sauvé dès que cet éclair avait explosé dans la clairière, sachant
parfaitement que rien de bon ne suivait ce genre de chose. Il avait cru qu’il
s’agissait d’une fuite de gaz ou d’une bombe quelconque, mais ensuite il avait
entendu le rugissement. Et il avait regardé en arrière avant de se figer net.
Quelque chose avait massacré les autres lessers, les écrasant comme des
mouches.
Une bête. Venue d’on ne sait où.
44
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Il ne s’était pas attardé à regarder et, tout en courant, il vérifia une fois encore
qu’il n’était pas suivi. Le chemin était vide et il voyait sa voiture devant lui.
Quand il y arriva, il se jeta dedans, tourna la clé et mit les gaz.
La première chose à faire était de s’éloigner de la scène. Un massacre pareil
allait attirer l’attention, à cause de la lumière, ou du bruit, ou des dégâts laissés
en évidence. La seconde chose était de prévoir une défense. M. X allait être
sacrément énervé. Tout l’escadron des Primes d’O y était passé, ainsi que les
autres lessers qu’il avait invités à assister à la punition d’E. Six égorgeurs
disparus en moins d’une demi-heure.
Bon sang, il ne savait même pas quel genre de monstre les avait détruits. Il
venait de suspendre à un arbre le corps d’E quand l’Escalade s’était arrêté au
bord de la route. Et un guerrier blond en était sorti, si grand et si rapide qu’il ne
pouvait être qu’un membre de la Confrérie. Il y avait eu un autre mâle avec lui,
tout aussi létal, et même un humain— bien qu’O ne puisse imaginer ce que
faisait le mec avec les deux Frères.
Le combat avait duré quelques minutes. O s’était attaqué au guerrier blond
mais les quelques coups de poings qu’il lui avait envoyés n’avaient eu aucun
impact sur la force du vampire. Ils étaient en plein corps à corps quand un autre
lesser avait tiré. O avait roulé à terre, évitant de justesse d’être lui-même touché.
En relevant les yeux, il avait vu le vampire se tenir l’épaule et tomber comme
une masse.
O lui avait sauté dessus, souhaitant le tuer lui-même, mais il avait été
repoussé par le lesser qui avait tiré et désirait aussi liquider le vampire. Cet idiot
avait agrippé la jambe d’O, les envoyant bouler au sol tous les deux.
Puis il y avait eu l’explosion lumineuse et le monstre était apparu. Était-il
possible que la chose ait émergé du guerrier blond ? Bon sang, c’était une arme
d’enfer.
O revit le guerrier, se rappelant chaque aspect du mâle, la couleur de ses yeux,
les vêtements qu’il portait, la façon dont il bougeait. Avoir une bonne
description de ce Frère était important pour mener à bien les interrogatoires de la
Société. Des questions précises rendaient les prisonniers plus à même de fournir
des réponses intéressantes.
Et ce qu’ils recherchaient étaient justement des renseignements sur les Frères.
Après des décennies passées à tuer les civils, la priorité des lessers était
désormais de détruire la Confrérie. Parce que sans ses guerriers, la race des
vampires resterait complètement vulnérable et alors les lessers pourraient enfin
éradiquer leur espèce.
45
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
O se gara dans le parking d’un centre de laser game, pensant que le seul point
positif de la soirée avait été la façon lente dont il avait tué E. Passer ses nerfs sur
le corps de l’égorgeur avait été aussi bon que de boire une bière fraîche en plein
été. Satisfaisant. Calmant.
Mais après ce qui était arrivé ensuite, il était à nouveau crispé.
O ouvrit son téléphone et tapa un numéro spécial. Il n’avait aucune raison
d’attendre d’être rentré pour faire son rapport. La réaction de M. X serait encore
pire si les nouvelles tardaient.
— Nous avons un problème, dit-il quand l’autre décrocha.
Cinq minutes après, il raccrocha, fit tourner sa fourgonnette et retourna vers la
cambrousse.
M. X avait demandé à le voir. Dans sa cabane au milieu des bois.
46
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Chapitre 6
Rhage ne voyait que des ombres, ses yeux n’étant plus aptes à fonctionner. Il
détestait perdre ainsi ses facultés et faisait de son mieux pour suivre les
mouvements des deux silhouettes qui bougeaient près de lui. Il sentit des mains
l’agripper sous les bras et aux chevilles, et poussa un grognement.
— Du calme, Rhage, c’est juste pour une seconde, d’accord ? dit V.
Une vague de douleur le traversa lorsque son corps fut soulevé du sol et
emporté jusqu’à l’arrière de l’Escalade. Où on l’étendit. Il entendit claquer les
portières. Puis le moteur se mit en route avec un ronronnement sourd.
Il avait si froid que ses dents claquaient, aussi il essaya de relever ce qui
pesait sur ses épaules. Ses mains manquaient de coordination mais quelqu’un
l’aida à resserrer contre lui ce qu’il supposait être un manteau.
— Il n’y en a pas pour longtemps, mon grand.
Butch. C’était Butch.
Quand Rhage essaya de parler, il fut dégouté de la puanteur qui s’attardait
dans sa bouche.
— Non, reste tranquille, Hollywood. Tout va bien. V et moi te ramenons à la
maison.
La voiture démarra avec quelques cahots lorsqu’ils quittèrent le bas-côté pour
revenir sur la route. Et il poussa un gémissement. C’était minable, mais il ne put
le retenir. Il avait l’impression que son corps avait été massacré à coups de batte
de base-ball.
Et la douleur qu’il ressentait dans ses os et muscles n’était rien par rapport à
celle qui ravageait son estomac. Il espéra arriver jusqu’au manoir sans vomir
dans la voiture de V, mais sans en être certain. Ses glandes salivaires
fonctionnaient à plein régime, et il devait déglutir en permanence. Ce qui rendait
sa nausée encore plus insupportable. Et lui donnait envie de…
Il tenta de quitter cette spirale infernale, de respirer lentement par le nez.
— Tu tiens le coup, Hollywood ?
— Veux... une douche. En arri… vant.
— Promis, mon pote.
Rhage réalisa qu’il avait dû s’évanouir parce qu’il ne reprit conscience qu’en
sortant de la voiture. Il entendit des voix familières. Celles de V et de Butch. Et
un grondement rauque qui ne pouvait appartenir qu’à Kohler.
47
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Il sombra à nouveau. Et quand il revint à lui, il sentit un truc froid dans son
dos.
— Tu peux rester debout un moment ? demanda Butch.
Rhage s’y efforça, et fut reconnaissant que ses cuisses supportent son poids.
Et maintenant qu’il n’était plus dans la voiture, sa nausée allait un peu mieux.
Il entendit couler de l’eau, et sentit peu après le jet chaud qui aspergeait son
corps.
— Ça va, Rhage ? C’est pas trop chaud ? (La voix de Butch. Toute proche.)
Le flic était avec lui dans la douche. Et l’odeur du tabac turc flottait alentour,
ce qui indiquait aussi la présence de V dans la salle de bain.
— Hollywood ? Est-ce que c’est trop chaud ?
— Non. (Il chercha le savon à tâtons.) Vois rien.
— T’as de la chance. Je te raconte pas à quoi on ressemble à poil tous les
deux. Franchement, autant que je sois le seul à être traumatisé à vie.
Rhage eut un faible sourire et sentit un gant savonner son visage, puis son cou
et sa poitrine.
Bon sang, c’était divin. Il tendit la tête en arrière et laissa le savon et l’eau
emporter les relents laissés par la bête.
La douche s’arrêta bien trop tôt à son goût. Une serviette fut enroulée autour
de ses hanches tandis qu’une autre le séchait.
— Tu as besoin d’autre chose avant de retrouver ton pieu ? demanda Butch.
— Alka-Seltzer. Placard.
— V, apporte-lui un peu de cette merde, tu veux bien ? (Le bras de Butch
soutint Rhage par la taille.) Appuie-toi sur moi, mon pote. Très bien— Waouh.
Bon sang, on va te mettre au régime.
Rhage traversa péniblement le marbre de la salle de bain, puis la moquette de
sa chambre.
— Voilà, mon grand. Tu es arrivé. Au dodo.
Oh, oui. Dodo. C’était une grande idée.
— Et devine qui voilà ? C’est Viscs la nounou.
Rhage sentit qu’on lui soulevait la tête et qu’un verre s’approchait de ses
lèvres. Quand il eut avalé tout ce qu’il pouvait, il s’effondra à nouveau sur ses
oreillers. Il s’apprêtait à perdre conscience quand il entendit Butch parler d’une
voix assourdie :
— Au moins, cette balle est passée tout droit sans faire de dégâts. Mais il n’a
vraiment pas l’air en forme.
48
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
49
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
50
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Chapitre 7
51
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
couche de peinture neuve— tandis que Fhurie avait un vrai style et une élégance
innée. Le mec était létal, sans le moindre doute, mais il était également raffiné
jusqu’au bout des ongles.
Cette impression ne venait pas seulement des super habits qu’il portait— pour
ce soir, un pull en cashmere noir et un pantalon de serge. Le Frère arborait par
ailleurs la plus magnifique chevelure que Butch ait jamais vue. Les lourdes
mèches blondes, rousses et châtaines étaient outrageusement splendides et
presque féminines. Et pour achever le tableau, il possédait de curieuses prunelles
aussi jaunes et brillantes que de l’or au soleil.
Qu’un tel mâle ait fait vœu de chasteté était un véritable mystère.
La claudication de Fhurie se devinait à peine tandis qu’il s’approchait du bar
pour se servir un porto. Butch savait pourtant que le mec avait perdu en partie sa
jambe gauche quelque part, autrefois. Il avait un membre artificiel, mais ça ne
diminuait en rien son efficacité au combat.
Butch se retourna parce que quelqu’un d’autre pénétrait dans la pièce.
Ah. Dommage que le jumeau de Fhurie ait décidé de paraître ce soir. En
silence, Zadiste alla dans le coin le plus éloigné et y resta, à l’écart des autres. Et
Butch s’en trouvait fort bien. Parce que ce Frère-là lui foutait vraiment la
trouille.
Il avait un visage couturé et des yeux vitreux mais, niveau bizarrerie, ce
n’était que la partie immergée de son iceberg. Avec son crâne rasé, ses tatouages
au cou et aux poignets, et ses piercings, il représentait une vraie menace, comme
une bombe prête à exploser. Et il suintait la haine par tous les pores, ce qui
ajoutait à l’effet inquiétant qu’il produisait. En jargon policier, Zadiste possédait
trois caractéristiques des plus dangereuses : Glacé. Vicieux. Et imprévisible.
D’après ce que Butch en savait, Zadiste avait été enlevé à sa famille étant
enfant, et vendu comme esclave. Le siècle qu’il avait passé en captivité l’avait
vidé de tout sentiment humain— euh, vampire. Son corps massacré contenait
mal la violence de sa nature tourmentée. Et il valait mieux éviter de se trouver
sur son chemin.
Alors que des pas lourds arrivaient dans le couloir, les Frères firent silence.
Peu après, Kohler apparut entre les deux battants de la porte.
C’était un vrai cauchemar, un énorme vampire aux longs cheveux noirs et aux
lèvres cruelles. Il portait en permanence d’épaisses lunettes qui dissimulaient ses
yeux, et c’était la dernière personne au monde qu’on avait envie de contrarier.
Malgré ça, Butch avait en ce salopard une confiance aveugle, surtout s’il
s’agissait d’affronter ensemble un danger. Le Frère avait un maintien royal— ce
52
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
qui était logique : Il était le Roi Aveugle. Le dernier des vampires au sang
parfaitement pur de la planète. Et aussi le dirigeant héréditaire de la race.
Kohler jeta un coup d’œil vers Butch.
— Tu t’es bien occupé de Rhage, ce soir. Je t’en remercie.
— Il en aurait fait de même pour moi.
— Bien entendu. (Kohler avança jusqu’à son bureau et s’y assit, croisant les
bras sur son torse.) Bon, voilà ce qu’il en est. Havers a reçu un civil à la clinique
ce soir : Un mâle, battu quasiment à mort. Qui a juste eu le temps de dire avoir
été torturé par des lessers. Ils l’ont interrogé sur la Confrérie, l’endroit où nous
vivons, ce qu’il savait à notre sujet.
— Encore un, marmonna Tohr.
— Oui, on peut en déduire que c’est la nouvelle stratégie de la Société. Le
mâle a décrit un endroit spécifiquement installé en centre d’interrogatoire
poussé. Malheureusement, il est mort sans en donner la localisation. (Kohler
regarda Viscs.) Je veux que tu ailles voir la famille de ce civil, V, et que tu leur
dises que sa mort sera vengée. Toi, Fhurie, va chez Havers et parle à l’infirmière
qui a reçu le témoignage du mâle. Regarde si tu peux savoir où ils l’ont choppé
ou comment il s’est échappé. Je ne veux pas que ces salopards continuent à
bousiller mes civils.
— Ils massacrent aussi les leurs, intervint Viscs. Nous avons trouvé un lesser
suspendu à un arbre en rentrant ce soir. Avec les autres qui regardaient.
— Qu’est-ce qu’ils avaient fait au mec ?
— Plein de choses, dit Butch. Et il ne respirait plus. Ont-ils l’habitude de
faire ça entre eux ?
— Non. Pas que je sache.
— Alors c’est une sacrée coïncidence, tu ne trouves pas ? Un civil qui
s’évade ce soir d’un centre de torture et juste après, un lesser qui apparait en
pièces détachées.
— Je suis d’accord avec toi, Cop. (Kohler se tourna vers Viscs.) Tu as trouvé
quelque chose sur ces lessers ? Ou bien Rhage avait-il tout nettoyé ?
— Il ne restait rien, dit Viscs en secouant la tête.
— Si, dit Butch qui prit dans sa poche le portefeuille qu’il avait enlevé au
lesser. J’ai trouvé ça sur celui qu’ils avaient pendu. (Il l’ouvrit et en sortit un
permis de conduire.) Guy Essen. Hey, il habitait dans mon ancien immeuble. Pas
à dire, on ne connait rien de ses propres voisins.
— J’irai fouiller son appartement, proposa Tohr.
Butch lui tendit le portefeuille et les Frères se levèrent, prêts à partir.
53
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
54
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
55
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
56
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Chapitre 8
— Ah, Bella, je crois que la voiture est arrivée, dit Mary en lâchant le rideau
qui retomba en place. Sauf si un dictateur du tiers-monde s’est égaré à Caldwell.
John alla vérifier par la fenêtre et fit des signes frénétiques :
— Waouh. Super bagnole ! C’est une Mercedes. Avec des vitres teintées à
l’épreuve des balles.
Lorsque le trio quitta la maison de Bella pour avancer vers la limousine, un
vieux monsieur vêtu d’un uniforme noir en émergea côté conducteur et
s’approcha pour les saluer. C’était un peu étrange, mais il était du genre affable.
Avec sa peau ridée, ses longues oreilles et ses bajoues, il avait l’air d’avoir
fondu mais, vu son air radieux, il était parfaitement heureux de cet état de
désintégration.
— Je m’appelle Fritz, dit le petit homme en s’inclinant. Je suis votre
chauffeur.
Il leur ouvrit la porte arrière et Bella se glissa à l’intérieur. John fut le suivant,
puis Mary s’installa contre la portière et Fritz referma la porte. Une seconde
après, ils étaient en route.
Tandis que la Mercedes s’éloignait de la ferme, Mary essaya de voir où ils
allaient mais les vitres étaient trop foncées. Elle eut l’impression qu’ils
montaient vers le nord, sans en être certaine.
— Où va-t-on au juste, Bella ?
— Pas très loin.
Mary sentit le manque de conviction de son amie. En fait, Bella paraissait
tendue depuis que Mary et John l’avaient rejointe ce soir.
— Tu ne sais pas où on nous emmène ?
— Si, bien sûr. (Bella sourit à John.) Nous allons rencontrer les mâles les
plus fabuleux que tu aies jamais vus.
Mary sentit une oppression lui serrer la poitrine, comme si son instinct lui
envoyait une sorte de signal. Et elle regretta soudain de ne pas avoir pris sa
propre voiture.
Vingt minutes après, la Mercedes ralentit puis s’arrêta. Repartit lentement et
s’arrêta encore. Et la manœuvre se répéta plusieurs fois à intervalles réguliers.
Ensuite, Fritz baissa sa vitre et parla dans un interphone. Ils avancèrent encore
quelques minutes avant de s’arrêter. Et le moteur fut coupé.
57
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
58
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
59
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
fermement déterminé à arriver jusqu’à la salle de gym pour sauter sur un vélo
d’entraînement et rester là-dessus jusqu’à—
Il se figea, les sens aux aguets. Même s’il n’y voyait que pouic, il était certain
de ne pas être seul dans le couloir. Il y avait quelqu’un pas loin, sur sa gauche.
Et c’était un étranger.
Il se retourna d’un bond et arracha la silhouette de son recoin, l’agrippant par
la gorge pour la plaquer sur le mur opposé. Il réalisa trop tard que c’était une
femelle dont le cri aigu lui fit honte. Il relâcha un peu sa prise mais sans la
libérer complètement.
Sous sa paume, le cou mince était chaud et doux. Et il sentait un pouls battre à
une vitesse frénétique à cause de la pression du sang qui remontait du cœur.
Rhage se pencha en avant et inspira longuement. Avant d’avoir un brusque
recul.
Seigneur. C’était une humaine. Et elle était malade. Mourante même.
— Qui êtes-vous ? demanda-t-il. Et comment êtes-vous entrée ici ?
Elle ne répondit pas. Et elle respirait trop vite. Il l’avait terrifiée et l’odeur de
sa peur lui monta au nez, un peu âcre comme un feu de bois.
— Je ne veux pas vous faire mal, dit Rhage d’une voix plus douce. Mais
vous ne devriez pas être ici et je veux savoir qui vous êtes.
Il sentit la gorge de l’humaine onduler dans sa main, comme si elle essayait
d’avaler.
— Je m’appelle… Mary. Et je suis venue avec une amie.
Rhage arrêta de respirer. Et son cœur rata un battement, puis reprit sur un
rythme plus lent.
— Répétez-moi ça, murmura-t-il.
— Ah. Je m’appelle Mary Luce. Et je suis une amie de Bella… et nous
sommes venues ici avec un garçon, John Matthews. Nous avons étés invités.
Rhage eut un long frisson, comme si un courant d’air chaud courait sur sa
peau. La musique de sa voix, le rythme de son discours, le son de ses mots…
tout passait en lui, le calmait, l’apaisait. L’enserrait doucement.
Il ferma les yeux.
— Dites-moi encore quelque chose.
— Quoi ? demanda-t-elle étonnée.
— Parlez. Parlez-moi. Je veux entendre votre voix.
Elle resta silencieuse, et il s’apprêtait à répéter sa demande quand elle dit :
— Vous n’avez pas l’air bien. Auriez-vous besoin de voir un médecin ?
60
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
61
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
62
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Mary prit une profonde inspiration quand la main de l’homme se détendit sur
sa gorge.
Il faut faire attention aux vœux que l’on fait, pensa-t-elle en se souvenant
combien elle avait souhaité subjuguer un homme Bon, mais l’expérience n’était
pas ce qu’elle avait imaginé. Elle était réduite à l’impuissance. Par ce corps viril
pressé contre elle. Par la tension sexuelle qu’il exsudait. Par le dangereux
pouvoir qu’il pouvait exercer s’il décidait à nouveau de l’étrangler.
— Je veux savoir où tu habites, dit l’homme.
Quand elle ne répondit pas, il ondula des hanches et elle sentit une énorme
érection appuyer contre son estomac.
Mary ferma les yeux. Et essaya de ne pas imaginer ce qu’elle ressentirait si
son sexe était en elle tandis qu’il ondulait ainsi.
Il baissa la tête et elle sentit ses lèvres sur sa gorge, puis ses dents qui la
mordillaient.
— Où habites-tu, insista-t-il.
Il y eut une caresse douce et humide. Sa langue. Qui courait le long de son
cou.
— Tu finiras bien par me le dire, murmura-t-il. Mais prends ton temps. Je ne
suis pas pressé.
Il s’écarta d’elle un moment, puis revint appuyer ses hanches entre les jambes
de Mary, tout contre son sexe. Et la main qu’il avait posée sur son cou glissa
jusqu’à sa poitrine, entre ses deux seins.
— Ton cœur bat très vite, Mary.
— C’est parce que j’ai peur.
— Peur ? Tu ne ressens pas que ça. Et regarde un peu où tu as mis tes mains.
Grillée. Elle était accrochée aux bras de l’homme, à ses biceps. Pour l’attirer à
elle. Et elle avait les ongles plantés en lui.
Dès qu’elle le relâcha, il fronça les sourcils.
— J’aime que tu fasses ça. Ne t’arrête pas.
Une porte s’ouvrit derrière eux.
63
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
64
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
— Le garçon ? insista-t-il.
— John est là, répondit Bella.
— Alors allons-y.
Il ouvrit la porte et s’y adossa, laissant Mary et Bella se faufiler contre lui
pour passer. Il ne les regarda pas et fixa son attention sur John, qui lui renvoya
son regard, les yeux un peu plissés comme pour déterminer le caractère du
soldat.
Quand ils furent tous assis à table, l’homme s’adressa à Bella :
— C’est vous qui nous avez appelés ?
— Oui. Voici Mary Luce. Et John. John Matthews.
— Je suis Tohrment. (Il regarda à nouveau John.) Comment vas-tu, fils ?
John répondit par signes, et Mary dut s’éclaircir la voix avant de traduire.
— Il dit qu’il va bien. Et il vous salue aussi.
— Parfait, répondit l’homme avec un léger sourire. (Il se tourna vers Bella.)
Je veux que vous attendiez dans le couloir. Je viendrai vous voir après avoir
parlé au garçon. (Et quand Bella parut hésiter, l’homme ajouta calmement :) Ce
n’était pas une suggestion.
Une fois Bella sortie, le mec tourna sa chaise vers John et s’adossa
confortablement en étirant ses longues jambes.
— Alors, dis-moi un peu, où as-tu grandi ?
John remua les mains, et Mary traduisit :
— Ici, en ville. D’abord dans un orphelinat. Puis chez différentes familles
d’accueil.
— Tu ne sais rien de tes parents ?
John secoua la tête.
— Bella m’a parlé de ton bracelet avec des inscriptions. Peux-tu me le
montrer ?
John tira sa manche et tendit le bras. L’homme lui saisit le poignet.
— Super travail, fils. C’est toi qui as fait ça ?
John hocha la tête.
— Et où as-tu pris l’idée de ces dessins ?
John enleva son bras de l’étreinte de l’homme pour répondre. Quand il
s’arrêta, Mary traduisit :
— Il dit qu’il en a rêvé.
— Vraiment ? J’aimerais en savoir plus sur ce rêve, si tu veux bien.
L’homme avait repris sa pose détendue, mais son regard était pénétrant.
65
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Je t’en foutrais des arts martiaux, pensa Mary. Il ne s’agissait pas de leçons
de karaté. C’était un véritable interrogatoire.
Lorsqu’elle vit John hésiter, elle aurait aimé pouvoir se lever et partir avec lui.
Mais elle avait la certitude que le gosse n’accepterait pas. Il était tombé sous
l’emprise de l’autre homme, et arborait une expression à la fois concentrée et
intense.
— Tout va bien, fils. Parle et ne t’inquiète pas, dit l’homme.
John leva les mains, et Mary traduisit en même temps.
— Euh… il dit qu’il s’est vu dans un endroit sombre. Á genoux devant un
autel. Et derrière, il y avait un mur avec des centaines de lignes gravées dans la
pierre— Attends, John, va doucement. Je ne peux pas transcrire aussi vite.
(Mary se concentra sur les mains du garçon.) Il dit que dans ses rêves, il avance
pour toucher une ligne où était gravé ce qu’il a recopié.
L’homme fronça les sourcils.
Quand John baissa les yeux, comme embarrassé, le soldat le rassura une
nouvelle fois :
— Ne t’inquiète pas, fils. C’est bon. Dis-moi encore, as-tu parfois
l’impression que tu éprouves des trucs bizarres ? Ou encore que tu es différent
des autres ?
Mary s’agita dans son siège, de plus en plus troublée par la façon dont
l’entretien se déroulait. Il était évident que John allait répondre à toutes les
questions qu’on lui poserait, mais elle ne savait rien de cet homme après tout. Et
même Bella, qui les avait entraînés ici, n’avait pas semblé très à son aise.
Mary leva les mains, prête à donner à John un avertissement muet, mais le
garçon ouvrit alors sa chemise, écarta un côté et montra une cicatrice sur son
pectoral gauche.
L’homme se pencha en avant, étudia la marque, puis recula.
— Où as-tu eu ça ?
John fit quelques signes.
— Il dit qu’il est né avec.
— Y a-t-il autre chose ? demanda l’homme.
John jeta un coup d’œil en direction de Mary. Puis prit une profonde
inspiration et se lança :
— Dans mes rêves, il y a du sang. Je vois des canines. Et je… mors.
Mary écarquilla les yeux avant de pouvoir s’en empêcher.
John la regarda avec inquiétude.
66
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
67
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
68
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Chapitre 9
Bella s’appuya contre le mur du couloir et se mit à tresser des mèches de ses
cheveux, quelque chose qu’elle faisait souvent pour calmer sa nervosité.
Elle avait entendu dire que les membres de la Confrérie constituait presque
une race à part, mais elle n’y avait jamais vraiment cru. Jusqu’à ce soir. Ces
deux mâles étaient vraiment impressionnants— et pas seulement au niveau
physique. Ils irradiaient le pouvoir et l’agressivité. Mince, à côté d’eux, son
propre frère semblait un enfant de chœur, alors que Rehvenge était le mâle le
plus étonnant qu’elle ait jamais rencontré, niveau brutalité.
Mon Dieu, qu’avait-elle fait à Mary et à John en les amenant ici ? Elle ne
s’inquiétait pas trop pour le garçon, mais bien davantage pour Mary. Vu la façon
dont le guerrier blond s’était comporté avec elle, son amie était dans de sales
draps. Il y aurait eu de quoi faire bouillir un océan avec la chaleur sexuelle que
le mâle émettait. Et les membres de la Confrérie de la Dague Noire n’avaient
pas pour habitude d’accepter la moindre contrainte. D’après ce qu’elle avait
entendu dire, quand l’un d’eux désirait une femelle, il la prenait.
Dieu merci, personne ne parlait de viol à leur sujet. D’ailleurs, à son avis, ils
n’en avaient pas besoin. Le corps de ces guerriers bâtis pour l’endurance
inspirait un désir immédiat chez une femelle. Être prise par l’un d’entre eux, se
trouver confrontée à tant de force brute devait être une expérience
extraordinaire.
Mais Mary était humaine, aussi ne voyait-elle peut-être pas les choses de la
même façon.
De plus en plus tendue, Bella regarda le long couloir désert. Si elle restait
plantée là plus longtemps, elle allait avoir des nœuds plein les cheveux. Elle
secoua la tête et s’en alla au hasard, à l’aventure. Quand elle entendit au loin un
bruit sourd et rythmé, elle suivit le tambourinement jusqu’à de lourdes portes en
fer. Elle les ouvrit et pénétra à l’intérieur.
Le gymnase avait la taille d’un terrain de baseball professionnel, et son
plancher en bois était luisant de cire. D’épais matelas bleus étaient étendus ça et
là, et des lumières brillaient au plafond dans un treillis métallique. Une estrade
de gradins montait sur la gauche, et dessous étaient suspendus des punching-
balls.
69
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Un splendide mâle s’exerçait sur l’un d’eux qu’il matraquait férocement. Dos
à la porte, il rebondissait sur la pointe des pieds, vif et gracieux, lançant coup
après coup, plongeant ou esquivant, secouant sans relâche l’énorme sac qu’il
frappait si fort qu’il l’envoyait presque à l’horizontale.
Elle ne voyait pas son visage, mais il devait être impressionnant. Il avait les
cheveux presque rasés, d’un brun clair, et portait un col-roulé noir et collant et
de souples pantalons de sport en nylon noir. Et aussi un harnais qui se croisait
sur son dos puissant.
Derrière elle, la porte claqua en se refermant.
D’un geste violent, le mâle sortit une dague noire de son harnais et la plongea
dans le sac en cuir, qu’il éventra. Et tandis que le sable et le rembourrage
s’écoulaient de la plaie béante, le guerrier se retourna d’un bond.
La main de Bella s’envola jusqu’à sa bouche. Il avait un visage terrifiant,
comme si quelqu’un l’avait coupé en deux avec une lame. La profonde cicatrice
commençait sur le front, courait le long du nez et de la joue, et finissait sur la
bouche en tordant la lèvre supérieure.
Le grand corps semblait figé dans une attente létale, animé seulement par les
profondes inspirations de la poitrine. Sous les paupières étrécies, les yeux étaient
noirs et glacés, clignant à peine. Puis ils s’entrouvrirent imperceptiblement.
Ce mâle la voulait, pensa Bella. Et ne savait pas trop comment réagir à ça.
Mais tout à coup, l’attente et l’expectative furent oubliées. Et Bella fut
terrifiée de la colère glacée qui envahissait le mâle. Gardant les yeux fixés sur
lui, elle recula jusqu’à la porte où elle appuya en vain sur la barre métallique.
Quand rien ne bougea, elle eut la sensation que c’est lui qui en bloquait
volontairement l’ouverture— pour la coincer à l’intérieur.
Le mâle la regarda s’acharner un moment avant de s’approcher. Et pendant
qu’il traversait les matelas, il jouait avec sa dague noire, la jetant en l’air avant
de la récupérer par la poignée. Dans un mouvement régulier, répétitif et
hypnotique. Qu’elle suivit des yeux.
— Je ne sais pas ce que tu fous là, dit-il d’une voix lente Á part bousiller
mon entraînement.
Tandis que les yeux noirs examinaient son visage et son corps, Bella eut la
sensation que l’hostilité du mâle devenait palpable, mais il émettait aussi une
chaleur primitive, une sorte de menace sexuelle à laquelle elle n’aurait vraiment
pas dû réagir aussi fort.
— Je suis désolée. Je ne savais pas…
— Tu ne savais pas quoi, femelle ?
70
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Seigneur, il était vraiment tout près à présent. Et il était bien plus grand
qu’elle. Elle se colla à la porte.
— Je suis désolée—
Le mâle plaqua ses deux mains sur le panneau métallique, de chaque côté de
la tête de Bella. Qui regarda nerveusement la dague qu’il tenait toujours, puis
oublia l’arme quand il se pencha en avant. Il s’arrêta juste avant de la toucher.
Elle inspira longuement, et son odeur l’envahit toute entière, comme un feu
brûlant qui passait dans ses narines et à travers tout son corps. Jamais elle
n’avait rien ressenti une telle sensation. Et elle s’anima en réponse, anxieuse,
impatiente.
— Tu es désolée ? dit-il en pencha la tête de côté, les yeux fixés sur sa gorge.
(Son sourire cruel exhiba de longues canines très blanches.) Oui, je peux le
croire.
— Je suis vraiment désolée.
— Prouve-le.
— Comment ? croassa-t-elle.
— Mets-toi d’abord à genoux. J’entendrai ensuite tes excuses.
Une porte s’ouvrit avec fracas à l’autre bout du gymnase.
— Oh, Seigneur… Bas les pattes ! (Un autre mâle arrivait au pas de course à
travers les matelas, et il avait des cheveux magnifiques.) Arrête, Z. Fiche-lui la
paix.
Le mâle balafré se pencha vers Bella et approcha sa bouche abîmée tout près
de son oreille. Et elle sentit quelque chose presser sur son sternum. Son doigt.
— Sauvée de justesse, femelle. Tu t’en sors bien.
Il s’écarta et sortit. La porte claqua sur lui au moment où l’autre mâle arrivait
auprès de Bella.
— Ça va ?
Bella regarda le punching-ball éventré. Elle avait du mal à retrouver son
souffle, mais elle ne savait pas trop si sa tension provenait de la peur ou du désir
sexuel. Un mélange des deux probablement.
— Oui, répondit-elle. Je pense. Qui était-ce ?
Le mâle ouvrit la porte et, sans lui répondre, il la ramena devant la pièce d’où
elle était partie.
— Il serait plus prudent que vous restiez ici, d’accord ?
Excellent conseil, pensa Bella quand elle se retrouva seule.
71
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
72
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Chapitre 10
73
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
74
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
75
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Comment diable le saurait-elle ? Mais elle se souvint que Mary avait un jour
évoqué un rendez-vous avec l’un de ses collègues au restaurant… C’était quel
nom déjà ?
— Au TGI Fridays (NdT : Chaîne de restaurants aux États-Unis), dit-elle.
C’est square Lucas.
— Parfait. Dites-lui de m’y retrouver ce soir à 20 heures.
— Quel nom porterez-vous ?
— Dites-lui… que je m’appelle Ollie. Ollie Wood.
— Guerrier ?
— Oui ?
— Je vous en prie…
— Ne vous inquiétez pas pour elle, Bella. (La voix se fit plus douce.) Je la
traiterai bien.
Et la ligne fut coupée.
76
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
O avait du mal à regarder le mec dans ses habits habituels, un bloc à la main,
prêt apparemment à une nouvelle journée de travail. Vu la façon dont lui-même
avait passé les dernières vingt-quatre heures, même la normalité paraissait
vaguement dangereuse.
M. X eut un léger sourire.
— Alors ? Êtes-vous prêt à signer un nouveau contrat avec moi ? Á rentrer
dans le rang et à vous y tenir… pour que ceci n’arrive plus jamais ?
M. O était bien trop épuisé pour discuter. Il retrouverait bientôt son énergie
habituelle— il en était certain— mais pour l’instant, il rêvait juste d’eau et de
savon. Et d’un brin de solitude.
— Qu’avez-vous à me dire ? demanda M. X.
— Oui, sensei.
O était prêt à tout faire, à tout dire, pour pouvoir foutre le camp loin de ce
pieu… De cette piaule… De cette baraque.
— Il y a des vêtements dans le placard. Vous êtes en état de conduire ?
— Oui. Je vais… très bien.
O pensa à la douche qui l’attendait chez lui, avec des petits carreaux beiges et
blancs. Propre. Si parfaitement propre. Comme lui-même le serait à nouveau une
fois passé là-dedans.
— Faites bien attention, M. O. Quand vous retournerez travailler, rappelez-
vous ce que vous avez subi. Soyez en colère et reportez ça sur vos prisonniers.
Je peux être déçu par certaines de vos initiatives, mais ne me forcez pas à vous
mépriser parce que vous devenez mou. Est-ce bien compris ?
— Oui, sensei.
M. X se détourna, puis jeta un dernier coup d’œil derrière lui.
— Je pense savoir pourquoi l’Omega vous a laissé vivre. Il était plein de
compliments à votre sujet en partant. Peut-être qu’il aimerait revenir vous voir…
Dois-je le prévenir que ça vous plairait aussi ?
Á cette idée, O faillit s’étrangler. Et ne réussit pas à étouffer son
gémissement.
— C’est bien ce que je pensais, dit M. X avec un ricanement.
77
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
78
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Chapitre 11
Mary se gara dans le parking du TGI Fridays. Elle regarda les voitures et les
monospaces autour d’elle, se demandant comment elle avait pu accepter de dîner
avec un inconnu. Elle se rappelait bien que Bella avait téléphoné le matin-même
et l’avait convaincue, mais les détails lui échappaient.
Tant pis, elle n’avait pas grand-chose à perdre. Le lendemain matin, elle
devait aller chez son médecin pour ses nouveaux contrôles et ça la perturbait
tant qu’elle était pas mal dans le brouillard. La nuit dernière, par exemple. Elle
aurait juré être allée quelque part avec John et Bella, sauf que toute la soirée
était pour elle un grand trou noir. Et aujourd’hui même au bureau, elle n’avait
cessé de faire des erreurs, ou de rêvasser dans le vide.
En sortant de la Civic, elle se reprit mentalement du mieux qu’elle put. Elle
devait au moins à ce pauvre homme qu’elle allait rencontrer de faire l’effort
d’être attentive, mais rien de plus. Elle avait bien précisé à Bella que la soirée ne
serait qu’amicale. Un simple dîner où chacun payait sa note. Et puis salut, à la
prochaine.
Ce qui était sa politique habituelle en fait, même si elle n’avait pas eu cette
roulette-russe médicale qui pesait sur sa tête. Outre le fait qu’elle était peut-être
à nouveau malade, elle n’avait plus l’énergie ou l’entraînement nécessaire pour
ces trucs de rendez-vous. Et pas envie de s’y remettre. Qui avait besoin de ces
complications émotionnelles ? La plupart des hommes de son âge— en général
déjà mariés— ne cherchaient qu’une brève aventure, et elle n’était pas du genre
marrant ou détendu. Non, elle était trop sérieuse, à la fois par nature et par
expérience, hélas.
Du coup, elle n’avait pas fait d’effort vestimentaire. Elle avait simplement
attaché les cheveux en une queue-de-cheval maintenue sur le haut de sa tête par
un chouchou. Dans son pull en laine d’Écosse écrue, elle était emmitouflée mais
bien au chaud. Son pantalon vert kaki était ample et confortable, et elle ne
portait pas de talons. Elle ressemblait probablement à la mère de famille qu’elle
ne serait jamais.
En pénétrant dans le restaurant, elle fut accueillie par une hôtesse qui
l’installa dans une stalle au fond de la salle. Lorsqu’elle posa son sac par terre,
Mary sentit une odeur de poivre vert et d’oignions et releva les yeux. Une
serveuse passait près d’elle avec une assiette brûlante.
79
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
80
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
estrogènes prirent l’offensive. Elle repoussa ses cheveux en arrière pour faire
remarquer leur couleur, et ondula si fort des hanches qu’elle risquait de se
déboiter un os.
Ne t’inquiète pas, cocotte, pensa Mary. Je suis sûre qu’il t’a repérée.
En avançant vers le fond du restaurant, l’homme semblait examiner chaque
table au passage. Et Mary se demanda avec qui il allait dîner.
Ah. Deux tables avant elle, il y avait une blonde assise toute seule. Elle portait
un pull bleu et mousseux collé à la peau— un truc genre angora qui soulignait
des seins d’enfer. Et la femme frémissait manifestement d’anticipation en
regardant le mec arriver vers elle.
Bingo. Ken et Barbie.
Mais cet homme n’avait rien d’un Ken. En le voyant marcher, on devinait
qu’il n’était pas seulement un joli physique malgré son apparence. Il y avait en
lui quelque chose… d’animal. Qui détonnait vraiment parmi les autres.
En fait, il avançait comme un dangereux prédateur, les épaules bougeant
souplement au rythme de ses pas, le regard aux aguets. Mary eut la curieuse
impression que, s’il le désirait, il pourrait éliminer à mains nues tous les autres
clients.
Se forçant à détourner le regard, elle fixa son verre d’eau pour ne pas faire
comme toutes les autres qui le dévisageaient avec des yeux ronds.
Si. Merde. Elle releva les yeux.
Il avait dépassé la blonde et s’arrêtait devant une brune assise de l’autre côté
de la travée, face à Mary. Ravie, la femme lui offrit un grand sourire. Ce qui se
comprenait.
— Hey, dit l’homme.
Incroyable. Même sa voix était splendide. Un grondement rauque et sensuel.
— Hey, répondit-elle.
— Vous n’êtes pas Mary. (La voix de l’homme était devenue plus sèche.)
Mary se raidit. Oh, non.
— Je serai qui vous voudrez, dit la brune.
— Je cherche Mary Luce.
Oh… merde. Mary s’éclaircit la voix, souhaitant désespérément être ailleurs
ou devenir quelqu’un d’autre.
— Je suis… ah, je suis Mary Luce.
L’homme se retourna. Et un regard brillant d’un incroyable gris-bleu plongea
dans le sien. Le grand corps se figea net.
Mary baissa rapidement les yeux, remuant sa paille dans son verre.
81
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
82
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Quand il fut certain qu’elle n’allait pas filer, il s’assit et essaya de caler ses
longues jambes sous la table. Mais quand elle le regarda, il oublia
immédiatement le problème de ses genoux.
Bon Dieu ! Ses yeux ne correspondaient en rien à la douceur mélodieuse de sa
voix. Elle avait un regard de guerrier.
D’un gris métallique, cernés de longs cils aussi foncés que ses cheveux, ses
yeux étaient graves, sérieux. C’était un regard qui rappelait celui des mâles qui
avaient combattu et survécu à une bataille. Un regard magnifique et d’une force
incroyable.
— Oh, que oui ! Je vais dîner avec vous. (La voix de Rhage vibrait de
ferveur.)
Les yeux gris qui le fixaient eurent un éclair, puis s’étrécirent.
— Par charité ?
— Pardon ?
Une serveuse approcha lentement et posa avec soin un verre d’eau en face de
lui. Rhage sentit la réponse sensuelle de la nouvelle arrivante pendant qu’elle
étudiait avidement son visage et son corps, et ça l’ennuya.
— Salut, dit la serveuse. Je m’appelle Ambre. Que puis-je vous servir à
boire ?
— De l’eau, ça ira très bien. Et vous, Mary, souhaitez-vous quelque chose ?
— Non merci.
— Voulez-vous que je vous parle de nos spécialités ? fit la serveuse se
rapprochant de lui.
— Allez-y.
Pendant qu’elle récitait sa liste, Rhage ne quitta pas Mary des yeux. Mais
sacré bon sang, pourquoi ne le regardait-elle pas ?
Ambre s’éclaircit la voix. Deux fois.
— Vous ne voulez vraiment pas une bière ? Ou un truc plus fort ? Comme
par exemple—
— Ça va aller, merci. Revenez tout à l’heure pour prendre la commande.
Ambre finit par comprendre et s’éloigna. Dès qu’ils se retrouvèrent seuls,
Mary reprit :
— Si vous voulez, je peux vraiment—
— Vous aurais-je donné l’impression de ne pas vouloir dîner avec vous ?
Elle posa la main sur le menu posé devant elle, suivant du doigt un des plats
présentés. Puis elle le repoussa nerveusement.
— Vous me regardez tout le temps.
83
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
84
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
que vous m’avez snobé tout à l’heure quand j’ai essayé d’être poli, je vais devoir
tout recommencer.
Quand elle ne répondit pas, il tendit la main vers la sienne à travers la table.
Et, avant qu’elle ne puisse régir, il avait attiré le bras de Mary pour déposer un
baiser sur ses doigts. En même temps, il inspira un grand coup.
La réponse de son corps à son odeur fut immédiate et brutale : Il sentit son
sexe pousser contre le cuir de son pantalon, dur et exigeant. Il s’agita pour
trouver une position plus confortable.
Seigneur, vivement qu’il puisse la ramener chez elle et être seul avec elle !
85
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
86
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Chapitre 12
Mary cessa de respirer quand Ollie lui prit la main. Peut-être rêvait-elle ? Oui,
sûrement. Parce qu’il était trop beau. Trop attirant. Et semblait bien trop
intéressé par elle pour que ce soit réel.
Lorsque la serveuse revint, elle se colla aussi près d’Ollie que possible— à
moins de s’asseoir sur ses genoux. Mary remarqua que la fille avait ravivé le
rouge brillant de sa bouche pulpeuse. Qui ressemblait maintenant à une pub pour
un truc appelé « Rose baiser ». Ou « Corail exotique ». Ou n’importe quel autre
nom tout aussi ridicule.
Mary secoua la tête, étonnée d’en être crispée.
— Que puis-je vous offrir ? demanda la serveuse à Ollie.
Il regarda Mary en levant un sourcil interrogateur. Elle secoua la tête, et reprit
le menu pour faire son choix.
— Bon, voyons un peu tout ça, dit-il en ouvrant son propre menu. Je vais
prendre des pâtes au poulet Alfredo. Un steak la new-yorkaise. Bleu. Un
cheeseburger, bleu aussi. Une double portion de frites. Et pour commencer
quelques nachos (NdT : Tortillas de bœuf ou de poulet couvertes de cheddar
fondu). Avec plein de trucs dessus. Et une double portion aussi.
Mary ne put que le dévisager avec des yeux ronds tandis qu’il refermait le
menu et attendait qu’elle passe sa commande.
Même la serveuse paraissait surprise.
— C’est pour vous et votre sœur tout ça ?
Comme si une obligation familiale était la seule raison qui pouvait
contraindre un mec comme lui à dîner avec une femme comme elle, pensa Mary.
Et zut…
— Non, c’est juste pour moi. Et elle n’est pas ma sœur. Et pour vous, Mary ?
— Je… ah. Je vais juste prendre une salade César pendant qu’on vous
apportera votre— (mangeoire ?) — assiette.
La serveuse ramassa les deux menus et s’en alla.
— Alors, Mary, parlez-moi un peu de votre vie.
— Pourquoi ne parlerions pas plutôt de la vôtre ?
— Parce que je veux entendre votre voix.
Mary se raidit soudain, et une vague réminiscence émergea du fond de son
subconscient.
87
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
88
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
89
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
— Ils sont juste différents. Et ils appréhendent le monde d’une toute autre
façon. Après tout, la normalité n’est qu’une notion qui s’applique à la majorité,
mais ce n’est pas la seule façon d’être, ou de vivre— (Elle s’arrêta net en
remarquant qu’il avait fermé les yeux.) Je vous ennuie, hein ?
Il releva lentement les paupières.
— J’adore vous entendre parler.
Mary avala de justesse un hoquet. Parce que les yeux gris-bleu d’Ollie
semblaient anormalement brillants, presque iridescents.
Il devait porter des lentilles, pensa-t-elle. Les gens normaux n’avaient pas des
prunelles d’une couleur aussi étonnante.
— Vous ne craignez pas la différence, pas vrai ? murmura-t-il.
— Non.
— Tant mieux.
Pour une raison incompréhensible, elle se trouva à lui sourire.
— J’avais raison, dit-il d’une voix rauque.
— Comment ça ?
— Vous êtes adorable quand vous souriez.
Elle détourna le regard.
— Qu’est-ce qu’il y a ? dit-il.
— Je vous en prie, ne me faites pas un numéro de charme. Je préfère encore
les banalités.
— Je ne cherche pas à vous faire du charme, je suis juste sincère. Et, d’après
mes Frères, c’est dans ma nature. Ils n’arrêtent pas de me répéter que je parle
avant de réfléchir.
Seigneur. Il y en avait d’autres comme lui ? Ça devait faire une sacrée photo
de famille pour envoyer des cartes de vœux à Noël.
— Combien de frères avez-vous ?
— Cinq. Nous ne sommes plus que six Frères depuis que nous avons perdu
l’un des nôtres. (Et il but longuement, comme s’il ne souhaitait pas qu’elle lise
dans ses yeux.)
— Je suis désolée, dit-elle doucement.
— Merci. C’est assez récent. Et il me manque terriblement.
La serveuse arriva chargée d’un lourd plateau. Quand plusieurs assiettes
furent alignées devant Ollie, Mary reçut sa salade, puis la femme s’attarda à leur
table… jusqu’à ce qu’Ollie la remercie avec une certaine insistance.
Il commença par les pâtes au poulet, planta sa fourchette dans les fettucine,
tourna pour les enrouler puis porta l’ensemble à sa bouche d’un geste preste. Il
90
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
mâcha en plissant les yeux avant d’ajouter un peu de sel à son plat. Puis il goûta
le steak où il mit davantage de poivre. Il croqua ensuite dans le cheeseburger. Il
avait le sandwich à la main quand il fronça les sourcils et le reposa dans son
assiette pour prendre ses couverts, et le couper délicatement.
Il mangeait avec des manières parfaites. Et même distinguées.
Tout à coup, il regarda Mary.
— Quoi ? dit-il.
— Désolée. Je, ah… (Elle pinailla dans sa salade, puis céda à son envie de le
regarder manger.)
— Si vous continuez à me dévisager ainsi, ça va me faire rougir, dit-il d’une
voix rauque.
— Je suis désolée.
— Moi pas. J’aime sentir vos yeux posés sur moi.
Le corps de Mary s’échauffa d’un seul coup. Et sous le coup de l’émotion,
elle fit tomber un crouton sur ses genoux. Brillant !
— Alors, dites-moi pourquoi vous me fixez ainsi ? demanda-t-il.
Elle utilisa sa serviette pour éponger la tache sur son pantalon.
— Vous avez des manières parfaites, dit-elle.
— La nourriture est un des plaisirs de la vie. Ça vaut la peine de le savourer.
Elle se demanda quels autres plaisirs il prenait le temps de savourer.
Lentement. Profondément. Il devait avoir une vie amoureuse plus que bien
remplie. Et être une bête au lit. Avec son corps puissant, sa peau dorée et ses
longs doigts fuselés.
Mary se sentit soudain la gorge sèche et plongea vers son verre d’eau.
— Est-ce que vous mangez toujours… autant ?
— J’ai un peu mal à l’estomac ces derniers temps, aussi j’y vais mollo. (Il
rajouta du sel dans ses pâtes.) Bon, vous travailliez avec des enfants autistes, et
maintenant dans un cabinet d’avocat. Et que faites-vous de votre temps libre ?
Pour vous détendre ? Vous amuser ?
— La cuisine.
— C’est vrai ? Moi, j’aime manger.
Elle essaya de ne pas l’imaginer assis à sa table. Et fronça les sourcils.
— Vous êtes encore en colère ?
— Non, fit-elle en agitant la main.
— Si. Parce que l’idée de faire la cuisine pour moi vous dérange, pas vrai ?
91
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Avec une telle franchise, elle avait le sentiment qu’il répondrait à tout ce
qu’elle lui dirait sans rien cacher de ce qu’il pensait ou éprouvait. Était-ce une
qualité ou pas ?
— Ollie, vous ne mettez jamais aucun filtre entre votre cerveau et votre
bouche ?
— Non. (Il termina ses pâtes Alfredo et repoussa son assiette. Puis s’attaqua
au steak.) Parlez-moi de vos parents.
Elle inspira longuement.
— Ma mère est morte il y a quatre ans. Et mon père a été tué quand j’avais
deux ans. Il s’est trouvé au mauvais endroit au mauvais moment, comme on dit.
Il se figea.
— Ça a dû être dur pour vous. De les perdre tous les deux.
— Oui.
— Mes parents sont morts aussi. Mais eux, au moins, avaient atteint un âge
avancé. Avez-vous des frères ou des sœurs ?
— Non. Il ne restait que ma mère et moi. Et maintenant, je suis toute seule.
Il y eut un long silence.
— Et comment avez-vous connu John ?
— John… Oh, John Matthew ? Bella vous a parlé de lui ?
— D’une certaine façon.
— En fait, je ne le connais pas vraiment. Il vient juste d’arriver dans ma vie.
Je pense que c’est un gosse spécial, même si les choses n’ont pas été faciles pour
lui.
— Vous connaissez ses parents ?
— Il m’a dit ne pas en avoir.
— Savez-vous où il habite ?
— Je connais juste le quartier. Et ce n’est pas un coin très sûr.
— Et vous voudriez le sauver, Mary, pas vrai ?
Quelle curieuse question, pensa-t-elle.
— Je ne pense pas qu’il ait besoin d’être sauvé, mais j’aimerais devenir son
amie. Vraiment. Pourtant, je le connais à peine. Il s’est juste présenté une nuit
chez moi par hasard.
Ollie hocha la tête, comme si elle avait donné la bonne réponse.
— Comment avez-vous connu Bella ? demanda-t-elle.
— Pourquoi ne mangez-vous pas votre salade ? Vous ne l’aimez pas ?
Elle baissa les yeux vers son assiette.
— Je n’ai pas très faim.
92
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
— En êtes-vous certaine ?
— Oui.
Dès qu’il eut fini son cheeseburger et ses frites, il tendit la main vers le menu.
— Vous préféreriez un dessert ? demanda-t-il.
— Non, pas ce soir.
— Vous devriez manger davantage.
— J’ai bien déjeuné à midi.
— Je ne vous crois pas.
— Et comment le sauriez-vous ? dit Mary en croisant les bras sur ses seins.
— Parce que je sens votre faim.
Elle cessa de respirer. Bon sang, les yeux d’Ollie recommençaient à étinceler.
Si bleus. Si brillants. D’une couleur profonde et envoûtante, comme la mer. Un
océan où plonger. Où se noyer. Où mourir…
— Comment sauriez-vous que j’ai… faim ? demanda-t-elle avec
l’impression étrange d’entrer dans une autre dimension
— J’ai raison, non ? (La voix d’Ollie était si basse qu’elle n’était plus qu’un
ronronnement.) Alors quelle importance de savoir pourquoi ?
Fort heureusement, la serveuse arriva pour ramasser les assiettes, ce qui cassa
l’ambiance. Le temps qu’Ollie commande une tarte aux pommes, un brownie au
chocolat et du café, Mary se sentait de retour sur la planète.
— Vous faites quoi comme métier ? demanda-t-elle.
— Différents trucs.
— Acteur ? Mannequin ?
— Non. (Il éclata de rire.) Je suis peut-être décoratif, mais je préfère avoir un
vrai métier, me rendre utile.
— Et comment ça "utile" ?
— Je pense que vous pourriez me considérer comme un soldat.
— Oh, vous êtes dans l’armée ?
— En quelque sorte.
Bon, ça expliquait au moins l’aura de danger qui l’entourait. Et son assurance
physique. Et ses yeux toujours aux aguets.
— Dans quelle branche ? (Les Marines, pensa-elle. Ou peut-être les SEAL. Il
ne pouvait que faire partie d’un corps d’élite.)
Le visage d’Ollie se ferma.
— Juste un soldat.
Mary perçut soudain un parfum musqué. C’était l’hôtesse rousse qui
approchait de leur table.
93
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
94
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
95
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
96
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Chapitre 13
97
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
désirait, et c’est sans doute ça qui l’avait excité, mais il n’aurait pas dû l’être au
point de devenir dangereux.
Et merde. Peut-être avait-il mal interprété sa réaction. Peut-être cette curieuse
vibration n’avait-elle été qu’une réponse à une attraction sexuelle comme il n’en
avait jamais connue… Ce qui ne signifiait pas grand-chose : En général, il ne
ressentait rien d’autre que le besoin basique de soulager sa tension sexuelle.
Il pensa aux femelles qu’il avait connues. Elles étaient innombrables mais
sans importance. Des corps sans visage et sans nom dans lesquels il trouvait un
bref soulagement, jamais un véritable plaisir. Il les touchait et les embrassait
mais uniquement pour les plier à ses besoins. Il les utilisait.
Bien sûr qu’il le faisait ! Il n’avait jamais fait que ça.
Aussi, même s’il n’avait pas été troublé par ce bourdonnement qu’il avait
ressenti en embrassant Mary, il l’aurait quand même laissée tranquille dans le
parking du restaurant. Avec son adorable voix, ses yeux graves et sa bouche
tremblante, elle méritait mieux que d’être un autre nom sur sa liste. Et la
prendre, même si elle le voulait bien, serait comme profaner quelque chose
d’intègre. Quelque chose qui méritait mieux que ce qu’il avait à offrir.
Lorsque son téléphone portable sonna, il le sortit de sa poche et vérifia d’où
venait l’appel. Il poussa un juron mais répondit quand même.
— Salut, Tohr. J’allais te téléphoner.
— J’ai vu filer ta voiture. Tu vas voir cette humaine ?
— C’est déjà fait.
— Ça a été plutôt rapide. Elle a dû être gentille avec toi.
Rhage serra les dents. Pour une fois, il ne trouva rien à répondre du tac au tac.
— Je lui ai parlé du gosse. Il n’y aura aucun problème. Elle l’aime bien et a
envie de l’aider, mais s’il disparait, elle ne fera pas de foin. Elle le connait à
peine.
— Beau boulot, Hollywood. Où vas-tu ?
— J’avais juste envie de rouler.
— Oh. (La voix de Tohr se fit plus gentille.) Tu détestes ne pas pouvoir te
battre, pas vrai ?
— Toi aussi.
— C’est vrai. Mais ne t’inquiète pas, tu pourras recommencer dès demain
soir. En attendant, tu peux toujours aller te distraire au Cyclope. (Tohr gloussa.)
Au fait, j’ai entendu parler de ces deux sœurs que tu as levées il y a quelques
nuits, l’une après l’autre. Bon sang, c’est incroyable ce que tu arrives à faire.
— Oui. Tohr ? Tu peux me rendre un service ?
98
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
99
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
100
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Chapitre 14
Mary se retourna dans son lit et rejeta d’un coup de pied ses draps et
couvertures. Encore à moitié endormie, elle allongea les jambes et tenta de se
détendre.
Quelle chaleur ! Zut, elle avait dû oublier de baisser le thermostat. Mais
lorsqu’une horrible suspicion envahit sa conscience, son cerveau se remit en
marche sous le coup de la terreur. La fièvre. Elle avait de la température.
Et merde… Elle ne connaissait que trop les symptômes : Les bouffées de
chaleur, l’énervement latent, les articulations douloureuses. Et son réveil
annonçait : « 04:18 A.M. ». C’était à la même heure qu’elle avait eu ses
poussées de fièvre la première fois.
Elle tendit le bras et ouvrit la fenêtre derrière son lit. L’air froid qui envahit
aussitôt la chambre l’apaisa, calma son agitation. Peu après, la fièvre céda et
Mary fut inondée de sueur.
Peut-être n’était-ce qu’un simple rhume ? Après tout, avec ses antécédents,
elle était plus soumise que les autres au moindre coup de froid, non ?
Mais que ce soit une rhinopharyngite ou une rechute, elle n’avait aucune
chance de se rendormir. Aussi elle enfila un peignoir de flanelle sur son long
tee-shirt et descendit au rez-de-chaussée. Sur le chemin de la cuisine, elle alluma
partout jusqu’à ce que la ferme soit toute illuminée.
Elle fonça droit vers la cafetière. Après tout, répondre à son courrier ou se
préparer au long week-end du mémorial de Christophe Colomb était mieux que
rester au lit en comptant les heures jusqu’à son rendez-vous chez le docteur.
Dans cinq heures et trente-cinq minutes.
Mon Dieu, qu’elle détestait ce genre d’attente !
Elle remplit le bac à eau de sa machine Krups et alla jusqu’au placard
chercher la boîte de café. Qui était presque vide. Elle avait une autre en réserve,
aussi elle prit son ouvre-boîte et—
Elle n’était pas seule.
Mary se pencha par-dessus l’évier pour regarder la fenêtre. Il n’y avait aucune
lumière au dehors, et elle n’y voyait pas grand-chose, aussi elle alla jusqu’à la
porte arrière pour allumer sous le porche.
— Seigneur Dieu !
Une énorme silhouette sombre était apparue derrière la vitre.
101
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Mary fit un mouvement vers son téléphone, mais s’arrêta net en voyant briller
les cheveux blonds d’Ollie. Qui leva la main pour la saluer.
— Hey. (La voix était assourdie par la vitre.)
Mary se serra le ventre à deux bras.
— Mais qu’est-ce que vous faites là ?
Il haussa les épaules.
— J’avais envie de vous voir.
— Pourquoi ? Et pourquoi maintenant ?
Un autre haussement.
— Ça m’a pris comme ça.
— Vous êtes cinglé ?
— Oui.
Elle faillit sourire. Puis se souvint qu’elle était seule, sans voisin proche, et
qu’il était presque aussi grand que sa maison.
— Comment m’avez-vous trouvée ? (Bella lui avait peut-être dit où elle
habitait.)
— Est-ce que je pourrais entrer ? Ou si vous préférez, vous pourriez sortir.
— Ollie, il est presque 5 heures du matin.
— Je sais. Mais vous êtes réveillée, et moi aussi.
Seigneur, il était vraiment gigantesque dans tout ce cuir noir, et son visage
dissimulé dans l’ombre paraissait plus menaçant que magnifique.
Et pourtant, elle envisageait d’ouvrir sa porte ? Manifestement, il n’était pas
le seul à être cinglé.
— Ollie, je ne crois pas que ce soit une bonne idée.
Il la regarda longuement à travers la vitre.
— Alors, pourrions-nous au moins continuer à parler comme ça ?
Mary le regarda, sidérée. Même si elle ne le laissait pas entrer, le mec était
prêt à parler avec elle à travers une vitre— comme un criminel recevant une
visite dans sa prison ?
— Ollie, ne le prenez pas mal, mais il y a au moins un millier de femmes
dans les environs qui non seulement vous laisseraient rentrer chez elles, mais en
plus vous proposeraient leurs lits. Pourquoi n’allez-vous pas voir l’une d’entre
elles en me laissant tranquille ?
— Parce qu’elles ne sont pas vous.
L’ombre sur son visage empêchait Mary de distinguer ses yeux, mais d’après
le ton de sa voix, il était parfaitement sincère.
102
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
103
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Mais elle l’examina ensuite— ce qui lui fit oublier ce stupide manteau. Il
portait un tee-shirt noir qui laissait nus ses bras incroyablement musclés. Il avait
une poitrine large et bien sculptée, un estomac dur où tous les muscles étaient en
relief. Et de longues jambes, des cuisses puissantes—
— Vous aimez ce que vous voyez ? demanda-t-il d’une voix lente, tranquille.
Oh, ça oui. Mais il n’était pas question qu’elle le dise à voix haute. Elle
repartit vers la cuisine.
— Comment prenez-vous votre café ?
Elle reprit sa boîte, perça le couvercle et tourna énergiquement la vis de
l’ouvre-boîte. Le couvercle tomba au sol et elle se pencha pour le ramasser.
— Je vous ai posé une question, dit-il à son oreille.
Elle fit un bond nerveux et se coupa le pouce contre l’arrête métallique. Avec
un gémissement, elle leva la main pour regarder de plus près la profonde entaille
qui saignait abondamment.
Ollie poussa un juron furieux.
— Je ne voulais pas vous faire peur.
— Je survivrai.
Elle ouvrit le robinet mais avant qu’elle puisse mettre sa main sous le jet, il lui
agrippa le poignet.
— Laissez-moi voir ça. (Sans lui donner le temps de protester, il se pencha
vers son doigt.) Mince, c’est profond.
Puis il mit le pouce sanglant dans sa bouche et aspira doucement.
Mary poussa un cri, tétanisée par la sensation humide et brûlante. Puis elle
sentit la caresse de sa langue. Quand il la relâcha, elle ne put que le regarder,
sidérée.
— Oh… Mary, dit-il tristement.
Elle était trop choquée pour s’étonner de son changement d’humeur.
— Vous n’auriez pas dû faire ça !
— Pourquoi ?
Parce que c’était trop bon.
— Comment êtes-vous sûr que je n’ai pas le SIDA ou une autre infection ?
Il haussa les épaules.
— Même si c’était le cas, ça ne changerait rien.
Elle pâlit tout à coup en pensant qu’elle venait de mettre une blessure ouverte
dans sa bouche.
— Non, Mary. Je ne suis absolument pas malade.
— Alors pourquoi avez-vous—
104
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
105
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Elle sentit une lourde main se poser sur son épaule. Et s’en écarta aussitôt
avec un son étranglé. Il était la force et la santé personnifiées. Il évoquait le sexe
le plus primitif qui soit. Il représentait tout ce qu’elle n’aurait jamais. Et il était
vivant tandis qu’elle… elle allait être à nouveau malade.
Elle avança jusqu’à la porte qu’elle ouvrit en grand.
— Partez, d’accord ? Je vous en prie, laissez-moi seule.
— Je n’ai pas envie de partir.
— Dehors ! (Mais il resta planté à la regarder.) Écoutez, je n’ai vraiment pas
besoin d’un chien errant dont je ne peux pas me débarrasser. Pourquoi n’iriez-
vous pas ennuyer quelqu’un d’autre ?
Le grand corps se figea. Et durant un moment, elle eut l’impression qu’il allait
dire quelque chose de désagréable ou de violent. Mais il se contenta de ramasser
son manteau et de le jeter sur son épaule en se dirigeant vers la porte. Sans la
regarder.
Génial. Maintenant, en plus, elle se sentait odieuse.
— Ollie ? Ollie, attendez— (Elle lui prit la main.) Je suis désolée, Ollie—
— Ne m’appelez pas comme ça ! aboya-t-il.
Lorsqu’il arracha sa main de la sienne, elle avança pour se mettre devant lui.
Puis souhaita vraiment ne pas l’avoir fait. Il avait le regard opaque. Des yeux
comme de la glace.
— Désolé de vous avoir offensée, cracha-t-il d’un ton dur. J’imagine que
c’est inacceptable à vos yeux que quelqu’un souhaite mieux vous connaître.
— Ollie—
Il la repoussa sans difficulté.
— Si vous dites ça une fois de plus, je plante mon poing dans votre mur.
Puis il sortit, et marcha droit vers la forêt qui bordait sa propriété.
Sur une impulsion, Mary enfila de vieilles chaussures de sport, attrapa sa
veste et sortit à son tour. Elle traversa la pelouse en courant, criant son nom. Et
ne s’arrêta pas avant d’avoir atteint la lisière des arbres.
Elle n’entendait aucun son, ni branche repoussée, si brindille qui craquait, ni
les pas lourds d’un homme immense qui marchait. Et pourtant, c’est bien par là
qu’il était parti, non ?
— Ollie ? cria-t-elle.
Elle attendit longtemps avant de revenir sur ses pas et rentrer chez elle.
106
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Chapitre 15
107
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
En entrant, les autres l’examinèrent aussi et froncèrent les sourcils devant ses
cheveux sombres. C’était le signe révélateur d’une nouvelle recrue, le bas de
l’échelle dans la Société. Il était très rare de voir un nouveau accepté à une
réunion d’hommes plus aguerris. Qu’ils aillent se faire foutre !
O croisa le regard de chaque mec, marquant clairement que s’ils voulaient lui
rentrer dedans, il serait très heureux de leur rendre la politesse.
En affrontant ainsi une menace physique, il recouvra son agressivité
coutumière. C’était comme renaître régénéré après une bonne nuit de sommeil,
et il savoura la sensation. Il retrouvait en lui ce besoin inné de dominer par la
force. Ce qui le rassura aussi : Il était resté le même. L’Omega ne l’avait pas
détruit après tout.
La réunion ne dura pas longtemps. Il ne s’agissait que de banalités. Une
rapide présentation. Le rappel qu’ils devaient tous vérifier leur » mails tous les
matins. Et un topo sur la nouvelle politique de « persuasion » — c.à.d. des
renseignements extirpés aux vampires sous la torture— récemment mise en
place par la Société, avec des quotas attribués à chacun, tant pour les prisonniers
à faire que pour les meurtres à commettre.
Quand ce fut terminé, O fut le premier à foncer vers la porte.
M. X s’interposa sur son passage.
— Restez là. (Les yeux pâles l’examinèrent à la recherche d’une crainte
quelconque.)
O hocha la tête, et prit une pose nonchalante.
— Bien sûr, sensei. Tout ce que vous voudrez.
Par-dessus l’épaule du directeur, O regarda les autres sortir, se comportant
entre eux comme de parfaits étrangers. Aucune parole ne fut échangée. Chacun
gardait le regard fixé droit devant. Pas un lesser n’effleura son voisin, même par
hasard. Apparemment, ils ne se connaissaient pas, aussi ils devaient avoir été
rappelés de différents districts.
Ce qui signifiait que M. X rassemblait ses troupes.
Lorsque la porte se referma derrière le dernier, O sentit sa peau se crisper de
terreur, mais il n’en exprima rien extérieurement.
M. X l’examina de haut en bas. Puis avança vers l’ordinateur portable posé
sur la table de la cuisine, et le mit en route. Comme s’il avait soudain une
arrière-pensée, il annonça :
— Vous êtes désormais responsable de ces deux escadrons. Et je veux que
vous les entraîniez aux techniques de persuasion que nous utilisons. Je veux les
108
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
voir travailler par équipes. (Il leva les yeux de son écran luminescent.) Et je
veux aussi qu’ils continuent à respirer, c’est bien compris ?
O fronça les sourcils.
— Pourquoi ne pas l’avoir annoncé pendant qu’ils étaient là ?
— Ne me dites pas que vous avez besoin de ce genre de soutien ?
Devant le ton moqueur du directeur, O étrécit les yeux.
— Non. Je peux parfaitement m’occuper seul de ces mecs.
— Vous y avez intérêt.
— C’est tout ?
— Sûrement pas. Mais pour l’instant, vous pouvez partir.
O avança vers la porte, sachant parfaitement qu’il y aurait autre chose avant
qu’il ne puisse sortir. Aussi une fois la main sur la poignée, il s’immobilisa.
— Auriez-vous quelque chose à me dire ? murmura M. X. Je croyais que
vous vouliez partir.
O fit le tour de la pièce du regard, cherchant une excuse à son hésitation.
— Avec le vampire qui s’est échappé, nous ne pouvons plus utiliser la
maison en ville pour torturer les prisonniers. Nous aurons besoin d’un nouveau
centre, en plus de la remise là-derrière.
— J’en suis bien conscient. Sinon, pourquoi vous aurais-je envoyé en
reconnaissance ?
Ah, c’était ça le plan.
— Le terrain que j’ai visité hier n’avait aucun intérêt. Trop inondable, et trop
près des routes. Auriez-vous une autre parcelle en vue ?
— Je vous enverrai par mail une liste détaillée. Et jusqu’à ce que je décide où
nous construirons quelque chose, c’est ici que vous amènerez les prisonniers.
— Il n’y a pas assez de place dans la remise pour avoir une audience.
— Je parlais de la chambre là-derrière. Elle est assez grande, comme vous
l’avez constaté.
O déglutit rapidement, et réussit à contrôler sa voix :
— Si vous voulez que je leur enseigne quelques trucs, il me faudra plus de
place.
— Vous commencerez petit jusqu’à ce que nous construisions plus grand.
Est-ce assez précis comme ordre ou voulez-vous un dessin ?
Génial. Pas question d’insister. O ouvrit la porte.
— Je crois que vous avez oublié quelque chose, M. O.
Merde. Il eut l’impression que sa peau se recroquevillait, devenait trop étroite
pour son corps.
109
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
— Quoi, sensei ?
— Je veux vous entendre me remercier pour votre promotion.
— Merci, sensei, dit O la mâchoire rigide.
— Ne me décevez pas, fiston.
Ouais, papy. Va te faire foutre.
O s’inclina et quitta rapidement les lieux. Monter dans sa fourgonnette pour
s’éloigner de là fut un grand plaisir. Mieux que ça encore : C’était comme une
libération, merde.
Sur le chemin de chez lui, O s’arrêta dans une pharmacie, et il ne lui fallut pas
longtemps pour trouver ce dont il avait besoin. Dix minutes plus tard, il
refermait sa porte et désactivait son système de surveillance. Il vivait dans une
petite maison à un étage dans un quartier peu animé de la ville. Une localisation
qui était une bonne couverture. La plupart de ses voisins étaient âgés, et ceux qui
n’avaient pas de cartes vertes (NdT : Étrangers sans permis de séjour) avaient
plusieurs boulots au noir. Personne ne l’embêtait.
Pendant qu’il montait dans sa chambre à l’étage, il trouva curieusement
réconfortant d’entendre le son de ses pas sur le plancher nu résonner dans les
pièces vides. Mais la maison n’était pas un foyer, et ne l’avait jamais été. C’était
juste un baraquement. Un matelas et un fauteuil, c’était tout ce qu’il possédait
niveau mobilier. Des volets épais protégeaient toutes les fenêtres pour en
bloquer la vue. Il n’y avait dans les placards que des armes et des uniformes.
Dans la cuisine complètement vide, les appareils ménagers n’avaient jamais
servi depuis qu’il s’était installé là.
Il se déshabilla et emmena son arme dans la salle de bain avec le sac de la
pharmacie. Se penchant vers le miroir, il surveilla la racine de ses cheveux. Et y
vit quelques millimètres de blanc.
Ça avait commencé un an auparavant. Légèrement au départ, sur le dessus,
puis ça s’était répandu de mèche en mèche. Ses tempes avaient résisté, mais
elles aussi blanchissaient à présent.
Il utilisait une teinture— Clairol Hydrience, No. 48, couleur « Sable Cove »—
pour régler le problème et retrouver sa couleur naturelle. Il avait commencé avec
un truc pour homme, mais très vite découvert que les produits féminins étaient
bien plus efficaces et que leur effet durait plus longtemps.
Il ouvrit la boîte et ne prit pas la peine de mettre les gants en plastique. Il vida
le tube de couleur dans la bouteille souple, secoua le tout, puis répartit le
mélange sur sa tête, raie par raie. Il détestait l’odeur chimique du produit. Et tout
le procédé. Mais l’idée de se délaver le rendait malade.
110
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
111
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Une émotion violente monta en lui, une sorte de panique mêlée de regret. Il
voulait revenir en arrière. Il voulait… tout effacer. Recommencer. Annuler ce
marché où il avait perdu son âme, un échange qui lui avait paru si tentant. Et
qui, en réalité, était une forme d’enfer. Il était devenu un fantôme qui vivait et
respirait. Et tuait. Il n’était plus un homme mais une chose.
O s’habilla avec des mains tremblantes, et fila jusqu’à sa fourgonnette.
Lorsqu’il arriva au centre-ville, il n’arrivait plus à penser de façon rationnelle. Il
se gara dans la rue du Commerce et commença à arpenter les ruelles. Il lui fallut
un certain temps pour trouver ce qu’il cherchait.
La pute avait de longs cheveux noirs. Et tant qu’on ne regardait pas ses dents
de trop près, elle ressemblait un peu à ce que Jennifer avait été.
Il sortit 50 dollars et l’emmena derrière une benne à ordures.
— Je veux que tu m’appelles David, dit-il.
— Bien sûr. (Elle eut un sourire et déboutonna son manteau, exhibant ses
seins nus.) Et comment veux-tu appeler—
Il lui mit la main sur la bouche et serra violemment. Et ne s’arrêta pas avant
qu’elle ait les yeux vitreux.
— Dis mon nom, ordonna-t-il.
Il relâcha sa prise et attendit. Mais lorsqu’elle ne fit que respirer péniblement,
il sortit un couteau et le pressa contre la gorge de la fille.
— Dis mon nom.
— David, marmonna-t-elle.
— Dis que tu m’aimes. (Quand elle hésita, il appuya sa lame sur son cou. Le
sang jaillit et coula doucement sur le métal brillant.) Dis-le.
Les seins plats qui ressemblaient si peu à ceux de Jennifer se soulevèrent de
façon saccadée.
— Je t’ai… t’aime.
Il ferma les yeux. La voix n’allait pas du tout. Elle n’allait pas lui apporter ce
dont il avait besoin. La colère d’O explosa alors de façon incontrôlable.
112
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Chapitre 16
Rhage souleva la barre de poids de sa poitrine, les dents serrées dans un rictus
féroce. Il avait le corps vibrant de tension, et la sueur dégoulinait de tous ses
pores.
— Ça fait cinq de plus, annonça Butch.
Rhage reposa la lourde barre sur son support et entendit le truc résonner
sourdement tandis que les poids s’entrechoquaient avant de s’immobiliser.
— Rajoute vingt kilos.
Butch se pencha au dessus de la barre.
— Mec, tu as déjà un changement de deux-cent-quarante.
— Et j’ai besoin de vingt de plus.
Les yeux noisette s’étrécirent.
— Du calme, Hollywood. Si tu veux te bousiller la santé, c’est ton problème.
Mais ne m’arrache pas la tête pour autant.
— Désolé.
Rhage se rassit sur le banc d’entraînement et étira ses bras avec une grimace.
Il était 9 heures du matin. Depuis deux heures que le flic et lui étaient dans la
salle de gym, il n’avait plus un seul muscle qui ne soit pas douloureux à hurler,
mais il était très loin d’en avoir terminé. Il cherchait une complète exténuation
physique, du genre à s’assommer complètement.
— Tu les as mis ? marmonna-t-il.
— Laisse-moi serrer les fixations. Voilà. Tu peux y aller.
Rhage se recoucha, leva la barre de son support et la remit sur sa poitrine. Il
contrôla sa respiration et se remit à faire des pompes en cadence.
Chien. Errant.
Chien. Errant.
Chien. Errant.
Il réussit à maîtriser la barre jusqu’à la toute dernière poussée, où Butch dut
s’interposer pour l’aider.
— T’as fini ? demanda le flic tandis que la barre retombait en place.
Rhage s’assit et chercha à reprendre son souffle, les avant-bras posés sur les
genoux.
— Non. Je vais faire une dernière série.
113
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Butch passa devant lui, tordant un coin du tee-shirt qu’il venait de récupérer.
Grâce à tout l’exercice qu’ils faisaient régulièrement, le mec avait une poitrine
bardée de muscles et des bras de plus en plus épais, mais il avait été plutôt
costaud dès le départ. Même s’il ne pouvait pas lever les mêmes poids que
Rhage, c’était un véritable bulldozer— pour un humain.
— Tu es dans une sacrée forme, Cop.
— Ça va, dit Butch avec un grand sourire. J’espère que cette douche qu’on a
prise ensemble ne t’a pas donné des idées.
Rhage lui jeta une serviette à la tête.
— Je disais juste que tu as perdu ta petite bedaine de buveur de bière.
— C’était une grosse bedaine de buveur de scotch, (Butch caressa ses
abdominaux,) et elle ne me manque pas. Et maintenant, avoue-moi tout :
Pourquoi es-tu aussi à cran ce matin ?
— Tu as envie de parler de Marissa ?
— Pas vraiment. (Le visage de l’humain s’était durci.)
— Alors tu pourras comprendre que je n’ai rien à raconter.
— Parce que c’est à cause d’une femme ? (Les sourcils de Butch s’étaient
levés.) D’une femme en particulier ?
— Je croyais qu’on n’en parlait pas ?
Le flic croisa les bras sur sa poitrine en fronçant les sourcils. Un peu comme
s’il examinait son jeu et se demandait s’il prenait ou non le risque de doubler la
mise. Il se lança d’une voix sèche et rapide :
— J’ai craqué dur pour Marissa. Mais elle ne veut pas me voir. Tu vois que
l’histoire n’est pas bien longue. Alors, à toi maintenant, parle-moi de ton
problème.
— Oh. (Rhage ne peut s’empêcher de sourire.) C’est presque un soulagement
de savoir que je ne suis pas le seul qu’on a envoyé sur les roses.
— Je veux des détails, pas des généralités.
— La femelle m’a viré de chez elle ce matin, après avoir massacré mon ego.
— Quel genre d’arme elle avait ?
— Une comparaison humiliante entre moi et un sous-produit de la race
canine.
— Oups. (Butch tirailla son tee-shirt dans l’autre sens.) Du coup, bien
entendu, tu ne rêves que de retourner la voir ?
— Absolument.
— C’est consternant.
— Je sais.
114
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
— Mais je crois que je te bats. (Le flic secoua la tête.) La nuit passée, je…
ah… je suis allé jusqu’à la maison du frère de Marissa. En fait, je crois que
l’Escalade y est allé tout seul parce que je n’en ai même pas eu conscience. Et la
dernière chose dont j’ai besoin est bien de tomber sur elle. T’imagines ?
— Laisse-moi deviner. Tu as attendu pas loin dans l’espoir d’apercevoir—
— Dans les buissons, Rhage. J’étais assis dans les buissons. Sous la fenêtre
de sa chambre.
— Waouh. C’est…
— Ouais. Dans mon ancienne vie, je me serais arrêté pour harcèlement. Tu
sais, je crois vraiment qu’on devrait parler d’autre chose.
— Excellente idée. Finis ton histoire sur ce civil qui s’est échappé de chez les
lessers.
Butch s’adossa au mur en béton et, un bras posé sur la poitrine, il se mit à
étirer ses muscles.
— Bon, alors Fhurie est allé interroger l’infirmière qui l’a soigné à son
arrivée. Le mec était dans un sale état, mais il a quand même pu dire qu’on
l’avait interrogé au sujet de vous-autres, les Frères. Pour savoir où vous viviez.
Ce que vous faisiez. Il n’a pas pu fournir l’adresse exacte de l’endroit où il avait
été torturé, mais ce devait être quelque part en ville parce que c’est là qu’il a été
découvert et Dieu sait qu’il n’a pas pu aller loin. Oh, et aussi il ne cessait de
marmonner des lettres : X, O, E.
— C’est comme ça que les lessers s’appellent entre eux.
— Compris. Ça fait très 007, non ? (Quand Butch se mit à dénouer les
muscles de son autre bras, son épaule craqua à l’articulation.) N’importe, tu sais
aussi que j’ai récupéré le portefeuille du lesser qui a été pendu à cet arbre l’autre
soir. Et quand Tohr a été fouiller son appart, tout avait été nettoyé, comme si les
autres savaient déjà qu’il ne reviendrait plus.
— Et l’urne ?
— D’après Tohr, elle avait disparu.
— Alors ce sont certainement les lessers qui ont vidé les lieux.
— Qu’est-ce qu’il y a dans ces trucs au fait ?
— Le cœur.
— Berk. Mais ça vaut mieux qu’un autre morceau, vu que quelqu’un m’a dit
que les lessers n’en avaient plus l’usage. (Butch laissa retomber son bras et siffla
entre ses dents, un petit son destiné à souligner son processus mental.) Tu sais,
tout ça commence à être plus clair. Tu te souviens de l’enquête que je menais
115
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
l’été dernier sur ces prostituées retrouvées mortes dans les ruelles ? Ces filles
avaient une morsure dans le cou et une sacrée dose d’héroïne dans le sang.
— C’était les copines de Zadiste, mec. C’est sur elles qu’il boit— sur des
humaines. Et c’est un véritable mystère qu’il réussisse à rester en vie avec un
sang aussi pauvre.
— Il prétend que ce n’est pas lui.
— Et tu penses vraiment qu’on peut le croire ? (Rhage roula des yeux.)
— Mais s’il dit la vérité— Hey, écoute-moi un peu, Hollywood. Si on croit
Zadiste, alors j’ai une autre explication.
— Laquelle ?
— Des appâts. Tu ferais comment pour enlever un vampire ? Tu mets un
appât, mec. Avec plein de sang. Et tu attends qu’un civil se pointe. Après tu le
drogues, et tu l’emportes où tu veux. J’ai trouvé des fléchettes sur les lieux des
crimes, avec le genre de tranquillisant qu’on utilise pour assommer un animal.
— Seigneur.
— Et tu sais quoi ? J’ai écouté ce matin la fréquence de la police. Une autre
prostituée a été retrouvée morte dans une ruelle, pas très loin de l’endroit où les
autres ont été tuées. J’ai demandé à V de pirater les fichiers des flics, et leur
rapport indique que la fille a eu la gorge tranchée.
— Tu as parlé de ça à Kohler et à Tohr ?
— Non.
— Tu devrais.
— Écoute, (l’humain se redressa,) je ne sais pas trop s’ils veulent que je
participe à tout ça. Et je ne tiens pas me mêler de ce qui ne me regarde pas. Je ne
suis pas des vôtres.
— Mais ta place est avec nous. Du moins, c’est ce que V affirme.
Butch fronça les sourcils.
— C’est vrai ?
— Ouais. Et c’est pour ça que nous t’avons ramené ici au lieu de… Tu sais.
— M’enterrer ? dit l’humain avec un demi-sourire.
Rhage se racla la gorge.
— Ça n’aurait amusé personne. Sauf Z, peut-être. Mais non, même pas, rien
ne l’amuse… Et tu sais, Cop, tu es vraiment devenu—
La voix furieuse de Tohrment les interrompit.
— Hollywood ! Bordel !
116
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
117
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
— Rien. Rien du tout. Elle ne sait pas qui je suis, et je ne sais pas comment
elle a obtenu notre numéro. C’est peut-être la civile qui le lui a donné.
— Regarde-moi, mon Frère. Arrête de bouger, et regarde-moi.
Rhage se figea, et releva les yeux.
— Pourquoi n’as-tu pas effacé sa mémoire ? Tu sais bien que, plus
longtemps ça dure, plus il est difficile de faire un travail correct. Pourquoi n’as-
tu pas réglé ça quand tu en as eu l’opportunité ? (Le silence s’éternisa, et Tohr
secoua la tête.) Ne me dis pas que tu ressens quelque chose pour elle ?
— Qu’est-ce que ça peut te faire ?
— Je considère que c’est un oui. Seigneur, mon Frère… Mais à quoi tu
penses ? Tu sais bien que tu ne peux pas être impliqué avec une humaine. Et
surtout pas celle-ci, à cause du garçon. (Le regard de Tohr se fit plus dur.) Je
vais te redonner un ordre formel : Pour la dernière fois, je veux que tu effaces
tout souvenir de toi de la mémoire de cette femelle, et que tu ne la revoies
jamais.
— Je t’ai déjà dit qu’elle ne savait pas qui—
— Tu n’essaies pas de négocier avec moi, Rhage ? Tu ne peux pas être assez
fou pour tenter ça ?
Rhage lui lança un mauvais regard.
— Tu veux vraiment qu’on remette le couvert ? Parce que cette fois, je ne
laisserai pas le flic m’arrêter.
— Tu l’as déjà embrassée, ton humaine ? Elle a vu tes canines ? (Lorsque
Rhage ferma les yeux en poussant un juron, le ton de Tohr se fit plus calme.) Un
peu de lucidité, voyons. On n’a pas besoin de ce genre de complication, et tu
n’auras que des ennuis si tu choisis de désobéir à mes ordres pour revoir cette
femelle. Je ne cherche pas à casser ton coup pour le plaisir, Rhage. Je ne veux
que protéger tout le monde. Et surtout elle. C’est aussi ce que tu dois faire, mon
Frère.
Protéger tout le monde. Et surtout elle.
Rhage se pencha en avant et agrippa ses chevilles. Il tira si fort sur ses
tendons qu’il réussit presque à les arracher de ses jambes.
Protéger Mary.
— Je m’en occupe, dit-il enfin.
118
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
En levant les yeux, Mary ne reconnut pas l’infirmière, qui paraissait très jeune
dans sa souple blouse rose— à peine sortie de l’école, sans doute. Et son sourire
à fossettes la rajeunissait encore.
— Madame Luce ? (La jeune fille rectifia sa prise sur l’épais dossier qu’elle
avait dans les bras.)
Mary prit son sac en bandoulière sur l’épaule et se leva, puis quitta la salle
d’attente à la suite l’infirmière. Qui parcourut la moitié du long couloir aux murs
chamois avant de s’arrêter devant la salle de soins.
— Je vais d’abord prendre votre température et vérifier votre poids.
L’infirmière sourit encore, puis s’activa avec le thermomètre et la balance.
Elle était efficace, gentille, et rapide.
— Vous avez perdu du poids, Madame Luce, dit-elle en notant quelque chose
dans son dossier. Mangez-vous régulièrement ?
— Comme d’habitude.
— Venez par ici, la porte à gauche.
Les salles d’examen étaient toutes les mêmes. Une reproduction de Monet
accrochée au mur, une petite fenêtre aux stores baissés, un bureau avec des
tracts médicaux et un ordinateur. Sur la table d’examen, un drap de papier blanc
était étalé. Il y avait un lavabo dans l’angle, avec diverses bouteilles alignées à
côté. Et un container Biohazard (NdT : Symbole de danger biologique, un cercle
surchargé de trois croissants noirs.)
Mary lutta contre une brusque envie de vomir.
— Le docteur Delia Croce voudra prendre votre tension et votre pouls.
(L’infirmière tendit à Mary un carré plié sous plastique.) Veuillez vous
déshabiller, madame Luce, je reviens dans un instant.
La chemise d’hôpital était aussi la même qu’autrefois. En fin coton bleu, avec
un petit dessin rose. Et deux cordons. Mary ne savait jamais dans quel sens la
mettre. Et peut-être l’enfilait-elle à l’envers. Aujourd’hui, elle choisit de
l’attacher par devant.
Quand elle fut changée, elle monta sur la table en laissant pendre ses pieds au
bout. Elle avait froid sans ses vêtements. Elle les regarda, nettement pliés sur la
chaise près du bureau. Elle aurait donné n’importe quoi pour pouvoir les
remettre.
Elle entendit un sifflement, puis la sonnerie de son téléphone portable qui se
déclenchait dans son sac. Elle se releva et traversa la pièce en chaussettes. Elle
ne reconnut pas le numéro en vérifiant son écran, mais elle répondit cependant.
— Allo ?
119
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
— Mary.
Le son de cette profonde voix mâle la fit chanceler de soulagement. Elle
n’avait pas été certaine qu’Ollie lui retournerait son appel.
— Hey. Merci de me rappeler, Ollie. (Elle regarda autour d’elle, cherchant à
s’asseoir n’importe où sauf sur la table d’examen. Elle finit par pousser ses
habits et se mettre sur la chaise.) Je voulais m’excuser pour la nuit derrière. Je
suis—
Il y eut un coup à la porte, et l’infirmière passa la tête.
— Excusez-moi, avez-vous rapporté les radios que vous aviez prises en
juillet dernier ?
— Oui. Elles doivent être dans mon dossier. (L’infirmière referma la porte et
Mary reprit sa conversation avec Ollie :.) Désolée.
— Où êtes-vous ?
— Je, ah… (Elle s’éclaircit la voix.) C’est sans importance. Je voulais juste
que vous sachiez que je regrette terriblement ce que je vous ai dit.
Il y eut un très long silence.
— J’ai paniqué, dit-elle encore.
— Pourquoi ?
— Parce que vous me faisiez… Que je me sentais… Je ne sais pas trop…
(Mary tirailla le bas de sa chemise. Et soudain, les mots jaillirent d’eux-
mêmes :) J’ai eu un cancer, Ollie, et je crois que ça revient.
— Je sais.
— Oh. Alors Bella vous en a parlé… (Elle attendit sa confirmation mais il
resta silencieux, aussi elle prit une profonde inspiration et continua :) Je ne veux
pas utiliser la leucémie comme excuse pour la façon dont je me suis comportée.
C’est juste que…ah, je suis dans état horrible en ce moment. Et mes émotions ne
sont pas très stables. Aussi vous avoir chez moi— et être à ce point attirée par
vous— ça a déclenché quelque chose. J’ai craqué.
— Je comprends.
Curieusement, elle eut le sentiment que c’était le cas.
Mais ces longs silences étaient difficiles à endurer. Elle se sentait un peu
ridicule de le maintenir en ligne trop longtemps.
— Voilà, c’est tout ce que je voulais dire.
— Je viendrai vous chercher à 20 heures ce soir. Chez vous.
Elle s’agrippa au téléphone. Elle avait tellement envie de le revoir.
— Je vous attendrai.
120
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
121
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
122
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Chapitre 17
123
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
124
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Elle enleva sa pince et déroula ses mèches du bout des doigts. Puis elle resta
immobile et figée. La nuit était si calme, pensa-t-elle. Et c’était bien pour ça
qu’elle adorait cette petite ferme isolée, en pleine campagne. Où elle n’avait
aucun voisin, à part Bella.
Ce qui lui rappela qu’elle avait oublié d’appeler son amie, pour lui parler de
son dîner avec Ollie. Il est vrai qu’elle avait eu une journée… difficile. Mais elle
lui téléphonerait demain… avec deux dîners à lui raconter.
Elle vit une voiture tourner dans l’allée, à huit cents mètres de là, puis
accélérer avec un rugissement puissant qu’elle entendit parfaitement. Si elle
n’avait pas vu deux phares trouer la nuit, elle aurait cru que c’était une Harley
qui arrivait.
En face d’elle, s’arrêta une magnifique voiture de sport— elle crut reconnaître
une GTO— d’un violet profond. Un modèle brillant, bruyant, tape-à-l’œil… Un
vrai truc de mec, destiné à quelqu’un qui ne craignait pas d’attirer l’attention
partout où il allait.
Ollie sortit côté conducteur, et fit le tour du capot. Il portait un somptueux
costume noir avec une chemise noire à col ouvert. Ses cheveux brossés en
arrière retombaient en mèches épaisse sur sa nuque. Il avait tout d’un fantasme
sexuel, à la fois puissant et mystérieux.
Sauf que l’expression qu’il arborait n’avait rien d’agréable. Il avait les yeux
durs, les lèvres serrées, la mâchoire bloquée.
Pourtant, il sourit en s’approchant de Mary.
— Vous n’avez pas attaché vos cheveux.
— Comme je vous l’avais promis.
Il esquissa le geste de la toucher, puis sembla hésiter.
— Êtes-vous prête ? demanda-t-il.
— Où allons-nous ?
— J’ai réservé à l’Excellence, répondit-il.
Puis il laissa retomber sa main et détourna le regard, restant silencieux et figé.
Oh… zut.
— Ollie ? Êtes-vous certain de vouloir sortir ce soir ? Vous avez l’air à cran
et franchement, je ne suis pas trop en forme moi non plus.
Il s’écarta d’elle et regarda le sol, mâchoires serrées.
— Nous pouvons repousser ça à un autre jour, insista-t-elle, pensant qu’il
était trop gentil pour la laisser tomber sans vouloir lui offrir une contrepartie. Ce
n’est pas—
125
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
126
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
— Ouaip.
— Êtes-vous le plus jeune parmi vos frères ?
— Ça ne marche pas comme ça. Nous ne sommes pas nés de la même
femelle. Ce n’est pas ce qui nous a rendu Frères.
Il avait parfois une curieuse façon de s’exprimer.
— Avez-vous tous été adoptés dans la même famille ?
Il secoua la tête, puis demanda :
— Auriez-vous froid ?
— Non. (Elle baissa les yeux sur ses mains croisées sur ses genoux. Elle les
serrait fort. Et ses épaules étaient nouées. C’est sans doute pour ça qu’il croyait
qu’elle avait froid. Elle tenta de se détendre.) Je suis très bien.
Elle regarda à travers le pare-brise. Au milieu de la route, la double ligne
jaune brillait dans la lumière des phares. Et la forêt était dense de chaque côté,
poussant jusqu’au bord de l’asphalte. Avec l’obscurité ambiante, ça formait
comme un tunnel, presque hypnotique. Et Mary avait l’impression que la Route
22 s’étirait à l’infini.
— Ça monte à combien une voiture comme ça ?
— Très vite.
— Montrez-moi.
Elle sentit les yeux d’Ollie se poser sur elle. Puis la voiture accéléra comme si
elle s’apprêtait à décoller pour se mettre sur orbite.
Le moteur rugissait comme s’il était vivant, la carrosserie vibrait et les arbres
disparurent dans un brouillard. Ils allaient de plus en plus vite mais Ollie était
parfaitement à l’aise, et contrôlait son véhicule à chaque tournant, le remettant
immédiatement dans l’axe.
Quand il ralentit, elle posa la main sur son bras.
— Non. Ne vous arrêtez pas.
Un bref instant, il hésita. Puis il tendit le bras pour allumer la stéréo à plein
volume et Dream Weaver, un vieux tube des années 70, résonna dans
l’habitacle. Ensuite, Ollie remit les gaz et libéra toute la puissance de la voiture,
les emportant à une vitesse affolante sur la route déserte.
Mary baissa sa vitre. L’air nocturne entra en sifflant, emmêla ses cheveux et
gela ses joues. Elle eut l’impression de libérer le verrou l’avait tétanisée depuis
qu’elle avait quitté le cabinet médical le matin même. Elle pencha la tête à
l’extérieur, dans le vent glacé qui la giflait. Et se mit à rire. Elle entendit le fond
d’hystérie dans sa voix, mais elle s’en fichait.
Elle laissa cet homme étrange l’emporter où il le voulait.
127
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
128
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
129
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
130
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Chapitre 18
131
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Et ce n’était pas le seul problème qu’il devait affronter, parce que la vibration
sous sa peau était de retour, pas mal titillée par les images trop explicites qu’il
venait d’évoquer, par l’odeur de Mary, et même le simple bruit de sa respiration.
Il entendait le bruissement du sang de sa femelle qui pulsait dans ses veines.
Et il voulait goûter ce nectar… Boire à sa veine.
Mary se tourna vers lui.
— Ollie, êtes-vous—
— Il faut que je vous dise quelque chose. (Sa voix était rauque et cassée.)
Je suis un vampire. Et je suis un guerrier. Et je suis aussi une bête
dangereuse.
Á la fin de la soirée, vous oublierez m’avoir jamais rencontré. Et la seule idée
de disparaître de vos souvenirs me fait l’effet d’un coup de poignard.
— Ollie ? Qu’y a-t-il ?
Rhage entendit la voix de Tohr : Pour protéger tout le monde. Et surtout
Mary.
— Rien, dit-il en libérant sa ceinture avant de sortir de la voiture. Rien du
tout.
Il fit le tour pour lui ouvrir la porte, lui offrant une main pour l’aider à sortir.
Lorsqu’elle posa sa paume fraîche contre la sienne, il baissa les paupières. La
voir dérouler ainsi ses bras et ses jambes provoquait une tension dans tous les
muscles de son corps, et il sentit monter un sourd grondement du fond de sa
gorge. Et il était un beau salaud, parce qu’au lieu de s’écarter d’elle, il la laissa
s’approcher si près que leurs deux corps se touchaient presque. La vibration sous
sa peau augmenta de volume, en même temps que flambait son désir pour elle. Il
sut qu’il devait détourner son regard parce que ses prunelles devaient déjà luire.
Mais il n’y réussit pas.
— Ollie ? dit-elle d’une petite voix. Vos yeux…
Il baissa les paupières.
— Désolé. Venez dîner, je vous—
Elle enleva sa main.
— Je n’ai pas envie de dîner.
La première impulsion de Rhage fut de discuter pour tenter de la convaincre,
mais il ne voulait pas la forcer. Et puis, moins ils passaient de temps ensemble,
moins il aurait de souvenirs à effacer.
Merde, il aurait dû faire ça dès qu’il était arrivé chez elle.
— Alors je vais vous raccompagner.
132
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
133
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
134
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Il la mordilla jusqu’à ce qu’elle cède, puis sa langue glissa en elle une caresse
de velours humide qui envoya une décharge dans tout le corps de Mary. Elle
sentit une tension brûlante entre les jambes. Et s’appuya contre lui, la chaleur
s’accentuant quand ses seins entrèrent en contact avec la dure poitrine. Elle
s’agrippa aux épaule d’Ollie, essayant de se coller plus encore à ce corps si
tentant.
Elle y réussit un moment. Mais soudain, il s’écarta, mettant un espace entre
eux bien qu’il ait gardé sa bouche sur la sienne. Elle se demanda s’il
l’embrassait encore pour cacher le fait qu’il s’était éloigné d’elle. Ou peut-être
essayait-il juste de calmer les choses par degré, parce qu’il la trouvait trop
agressive, ou un truc du genre…
Elle tourna la tête sur le coté.
— Qu’y a-t-il ? demanda-t-il. Vous sembliez aimer ça.
— Oui, mais pas vous apparemment.
Il l’empêcha de reculer, simplement en refusant de lâcher son cou.
— Pas moi ? Je n’ai aucune envie de m’arrêter, Mary. (Son pouce caressa la
peau de la gorge tendre, puis se pressa sur sa mâchoire et lui renversa la tête.)
J’aime que tu sois en feu. Assez pour ne penser à rien d’autre qu’à moi. Assez
pour ne sentir rien d’autre que ce que je te fais. Je te veux brûlante de désir.
Il baissa la tête et reprit sa bouche, plongeant profond, l’emportant avec lui
dans une vague de passion. Il explora en détail les moindres recoins de sa
bouche, jusqu’à ce qu’il ne reste plus un seul endroit en elle qu’il n’ait pas
caressé de la langue. Puis le baiser changea, sa langue plongea et se retira, dans
un rythme aussi vieux que le monde qui la fit encore plus se liquéfier pour lui.
— C’est ça, Mary, dit-il contre sa bouche. Laisse-toi aller. Je sens monter ta
passion. Tu es merveilleuse.
Il baissa les mains et les glissa sous les pans de la veste de Mary, le long de
ses clavicules. Et elle sentit qu’elle perdait la tête. S’il lui avait demandé
d’enlever ses vêtements, elle l’aurait fait. S’il lui avait demandé de se coucher
par terre et d’écarter les jambes, elle l’aurait fait aussi. N’importe quoi. Elle était
prête à lui offrir tout ce qu’il voulait d’elle, du moment qu’il ne cesse pas de
l’embrasser.
— Je veux te toucher, dit-il. Ce ne sera pas assez. Je n’en aurai jamais assez,
mais je veux quand même te toucher et…
Il insinua ses doigts sous le pull col-roulé, de plus en plus bas—
Le corps de Mary eut un violent sursaut quand la main baladeuse trouva ses
seins et leurs pointes dressées.
135
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
136
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Elle sentit les doigts d’Ollie bouger à travers le tissu de sa jupe, chercher… et
trouver infailliblement le bon endroit. Une onde de plaisir la traversa.
— Je veux te voir jouir, dit-il. Là, maintenant.
Elle poussa un gémissement, et réalisa soudain que si elle-même était proche
de l’orgasme, Ollie était parfaitement lucide et détaché, comme s’il ne ressentait
rien du plaisir qu’il lui procurait. Il avait gardé une respiration était régulière, la
voix posée, le corps détendu.
— Non, dit-elle en se débattant.
La main d’Ollie arrêta ses caresses.
— Quoi ?
— Je ne veux pas.
— Tu es sûre ?
— Oui.
Il la relâcha instantanément et recula. Et elle essaya de reprendre son souffle
tandis qu’il restait calmement en face d’elle.
Une acceptation indifférente était dure à digérer, et Mary se demanda
pourquoi il avait agi ainsi. Peut-être prenait-il son pied en restant aux
commandes ? Nom d’un chien, mettre une femme dans un tel état devait
procurer un super sentiment de pouvoir. Et ça expliquait aussi qu’il reste avec
elle au lieu de chercher des femmes plus voyantes. Après tout, il devait être
facile de rester détaché avec une femme moche.
La honte qu’elle ressentit à cette idée lui comprima la poitrine.
— Je veux rentrer, dit-elle les larmes aux yeux. Je veux rentrer chez moi.
Il inspira profondément.
— Mary—
— N’essaye même pas de t’excuser. Ça me rendrait malade—
Ollie fronça soudain les sourcils, et renifla une fois ou deux.
Mary avait aussi le nez qui picotait. Á cause d’une odeur dans l’air.
Douceâtre. Comme un adoucisseur pour le linge. Ou du talc peut-être ?
La main d’Ollie se resserra sur le haut de son bras.
— Mary, mets-toi par terre. Tout de suite.
— Pourquoi ? Qu’est-ce—
— Mets-toi par terre. (Il la mit à genoux de force.) Et protège ta tête.
Il pivota ensuite, lui tournant le dos, les pieds écartés, les mains en avant. Elle
regarda entre ses jambes et vit deux hommes arriver d’un bosquet d’érables. Ils
portaient des pantalons de sport noirs et avaient une peau blafarde qui brillait
137
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
138
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
retrouver son souffle, quelqu’un lui agrippa les bras avec brutalité et partit en
courant en la traînant derrière lui. Par terre.
Le corps meurtri, les dents claquantes, elle réussit malgré tout à relever la
tête— ce qui envoya une douleur atroce dans sa colonne vertébrale. Avec un
horrible soulagement, elle vit Ollie se débarrasser déjà du corps sans vie de son
agresseur, et arriver au pas de course pour la récupérer. Ses jambes puissantes
avalaient rapidement la distance tandis que son long manteau noir flottait
derrière lui. Il avait son coureau à la main, et ses yeux luminescents brillaient
dans la nuit, comme des lampes au xénon. Il avait tout de la mort en marche.
Merci Seigneur !
Mais un autre homme en noir se jeta sur lui par derrière.
Pendant qu’Ollie se battait avec le mec, Mary se rappela ses cours d’auto-
défense et se tortilla jusqu’à ce que son assaillant doive rectifier sa prise. Dès
qu’elle sentit se relâcher l’étau sur ses poignets, elle tira aussi fort que possible.
L’homme se tourna et la récupéra facilement, mais sa prise était moins bien
assurée cette fois, aussi elle tira encore et le força à s’arrêter. Il avança vers elle.
Elle fit la grimace, se préparant à recevoir un coup, mais espérant quand
même que ça donnerait à Ollie le temps de la rejoindre.
Mais aucun coup n’arriva. Au contraire, l’homme poussa un hurlement de
douleur et tomba en avant en plein sur elle, l’étouffant complètement. La
panique et l’affolement donnèrent à Mary la force de repousser ce poids mort.
Qui roula inerte sur le côté. Avec la dague d’Ollie plantée dans son œil gauche.
Trop choquée pour crier, Mary se releva et s’enfuit aussi vite que possible.
Elle était certaine qu’elle allait être rattrapée et mourir.
Lorsqu’elle aperçut enfin les lumières du restaurant, elle fut si contente de
retrouver le parking et de sentir l’asphalte sous ses pieds qu’elle eut envie de
pleurer sous le coup du soulagement.
Du moins, jusqu’à ce qu’elle voie Ollie planté en face d’elle, comme apparu
de nulle part. Elle dérapa en s’arrêtant, essoufflée, la tête vide, incapable de
comprendre comment il avait pu arriver là avant elle. Et lorsque ses genoux
cédèrent sous elle, elle s’appuya contre une voiture au hasard.
— Viens, rentrons à la maison, dit-il d’une voix brusque.
Soudain glacée de terreur, elle se souvint qu’il avait cassé le cou d’un homme.
Et planté sa lame noire dans l’œil d’un autre. Elle le revit en plein combat,
calme, détaché, létal.
Oui, il était… la mort. La mort violente dans un joli emballage.
139
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
140
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
141
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
142
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Chapitre 19
143
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
144
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
145
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
aussi portes et fenêtres. Tout était verrouillé. L’endroit était sûr. Tout au moins
le rez-de-chaussée.
— Voulez-vous manger quelque chose ? demanda-t-elle.
— Non, merci.
— Je n’ai pas faim non plus.
— Qu’y a-t-il à l’étage, Mary ?
— Euh… ma chambre ?
— Pourriez-vous me faire visiter ? (Il voulait surtout vérifier la sécurité de
l’étage.)
— Tout à l’heure. Voyons, il n’y a rien à voir. Euh… oh… Zut. (Elle cessa
de déambuler et le regarda, les mains aux hanches.) Pour vous dire la vérité, je
n’ai jamais reçu un homme dans cette maison alors je suis un peu rouillée niveau
hospitalité.
Il laissa tomber son sac. Bien qu’il soit tendu et prêt à en découdre, il lui
restait assez d’attention pour être tout attendri par ce qu’elle venait de dire.
L’idée qu’aucun autre mâle n’ait été admis dans l’espace privé de Mary était si
agréable qu’il sentit sa poitrine s’élargir d’émotion.
— Je trouve que vous êtes parfaite, murmura-t-il.
Puis il tendit la main et lui caressa la joue du pouce, pensant à tout ce qu’il
aimerait faire avec elle dans sa chambre.
Son corps réagit immédiatement, et l’étrange vibration intérieure se concentra
le long de sa colonne vertébrale.
Il se força à laisser retomber sa main.
— Je dois passer un coup de fil, dit-il. Puis-je m’isoler un moment au
premier ?
— Bien sûr. Je vous… attends là.
— Je n’en ai pas pour longtemps.
Tout en escaladant les marches deux par deux, il sortit son téléphone de sa
poche. Ce foutu truc était tout fissuré— sans doute à cause du coup de pied d’un
des lessers— mais il marchait encore. Quand il obtint la boîte vocale de Kohler,
Rhage laissa juste un bref message, espérant que le roi le rappelle en vitesse.
Après avoir vérifié l’étage, il redescendit et trouva Mary sur le canapé, les
jambes pliées sous elle.
— Qu’allons-nous regarder ? demanda-t-il tout en vérifiant par la fenêtre
qu’aucune face blafarde ne soit en vue.
— Pourquoi êtes-vous en train d’examiner tout ?
— Désolé. Juste une vielle habitude.
146
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
147
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
148
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
— Je n’ai pas dit ça pour vous embêter, dit-elle gênée. Je voulais juste…
vous rassurer.
— Mary, je ne sais quoi vous dire. (Parce que la vérité la terrifierait. Et qu’il
ne lui avait déjà que trop menti.)
— Ne dites rien. Et j’aurais sûrement dû me taire aussi. Mais je suis contente
que vous soyez là. En ami. Et j’ai adoré cette promenade dans votre voiture.
J’aime bien bavarder avec vous. Je n’attends rien d’autre, vous savez. Vous êtes
génial comme ami.
Rhage inspira avec difficulté. Durant toute sa vie adulte, aucune femelle ne
l’avait jamais considéré comme un ami. Ni apprécié sa compagnie pour autre
chose que du sexe.
En Langage Ancien, il chuchota : « Je suis à court de mots, ma femelle. Parce
que rien de ce que je dirais ne serait digne de ce que tu mérites. »
— C’est en quelle langue ?
— Celle de ma naissance.
— Ça ressemble à du français, mais pas tout à fait. (Elle pencha la tête, et le
regarda.) Il y a comme une résonnance slave. Est-ce du hongrois ?
Il hocha la tête.
— En quelque sorte.
— Qu’avez-vous dit ?
— Que j’aime aussi être avec vous.
Elle eut un sourire et laissa retomber sa tête.
Dès qu’elle s’endormit, il ouvrit son sac et vérifia que ses armes étaient
chargées. Puis il arpenta la maison en éteignant toutes les lumières. Quand
l’obscurité fut complète, sa vision nocturne s’ajusta, et ses autres sens devinrent
plus aigus. Il vérifia les bois derrière la maison. Et les champs sur la droite. La
grande ferme au-delà, à bonne distance. Et l’allée de devant.
Il écouta longuement, notant les pas des animaux nocturnes sur l’herbe, et le
frottement du vent sur les volets en bois de la ferme. Lorsque la température
extérieure chuta peu après, il vérifia les fermetures de la vieille maison, testant
les options pour une effraction. Il ne cessa de déambuler de droite à gauche—
jusqu’à ce qu’il soit prêt à exploser de frustration.
Il vérifia son téléphone. Qui était bien allumé, avec du réseau et de la batterie.
Il jura. Marcha encore un peu.
Le film s’arrêta. Il le remit en route, au cas où Mary se réveillerait et
demanderait à savoir pourquoi il était encore là. Puis il retourna faire un tour
d’inspection.
149
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
150
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Chapitre 20
Quand John Matthew quitta le bar Chez Moe où il travaillait en tant que
commis de cuisine, il était soucieux au sujet de Mary. Mardi, elle n’était pas
venue travailler à la hotline, et c’était rare de sa part. Il espérait la voir ce soir. Il
était déjà minuit et demi, et elle avait encore une demi-heure avant d’avoir fini,
aussi il était certain de l’attraper à temps. Du moins, si elle était là.
Il accéléra le pas, et arriva dix minutes après à son appartement. Bien qu’il
n’ait eu aucun problème en chemin, l’immeuble où il vivait était toujours
bruyant. Dès la porte d’entrée, il entendit un homme beugler des insultes
vulgaires et sans portée, avec le manque de cohérence des ivrognes. Plus loin,
une femme protestait contre de la musique trop forte. Et la réponse furibonde
qu’elle obtint de son interlocuteur donnait à penser que le mec était armé.
John traversa le palier et monta l’escalier sordide, puis s’enferma à double
tour dans sa petite chambre.
L’endroit serait bientôt condamné pour insalubrité. Par endroit, le plancher
était couvert de linoléum et ailleurs de moquette, mais la distinction n’était pas
flagrante. Le lino était si usé qu’on en voyait la trame, et la moquette était
presque fossilisée.
Les vitres étaient opaques de crasse, ce qui était plutôt un bon point car les
rideaux devenaient superflus. Dans la salle de bain, la douche et le lavabo
fonctionnaient, mais l’évier du coin-cuisine était bouché depuis l’arrivée de
John. Après avoir versé du Destop— sans résultat notoire— il avait préféré ne
pas bricoler la plomberie. Il ne tenait pas vraiment à découvrir ce qu’il y restait
bloqué dans le conduit.
Comme tous les vendredis, il ouvrit la fenêtre à peine arrivé, et regarda de
l’autre côté de la rue. Les bureaux de SOS-Suicide étaient illuminés, mais Mary
ne se trouvait pas à la table qu’elle utilisait d’ordinaire.
John fronça les sourcils. Peut-être était-elle malade ? Elle avait paru épuisée
quand il avait été chez elle.
Demain, il irait en vélo là où elle habitait pour vérifier, pensa-t-il.
Il était vraiment content d’avoir enfin eu le courage de s’approcher d’elle.
Elle avait été gentille, plus encore en personne qu’au téléphone. Et quelle chance
pour lui qu’elle connaisse le LSM. Comme un signe du destin.
Il referma sa fenêtre, approcha du frigo et enleva la corde qui maintenait la
porte fermée. Il y avait à l’intérieur un pack de yaourts liquides à la vanille. Il en
151
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
prit deux, puis rattacha la corde. D’après lui, il avait le seul appartement sans
cafards de tout l’immeuble, mais c’était juste parce qu’il ne gardait jamais de
vraie nourriture. Il n’arrivait pas à avaler des trucs comme ça.
Il s’assit sur son matelas et s’appuya contre le mur. Le restaurant avait été
bondé ce soir, et il avait les épaules horriblement douloureuses. Il sirota la
première bouteille, espérant que son estomac soit plus calme ce soir. Puis il
ramassa le dernier numéro de Muscles & Fitness. Qu’il avait déjà lu deux fois.
Il contempla la couverture. Les muscles du mec gonflaient sous sa peau
bronzée, formant un énorme paquet de biceps, triceps, pectoraux et abdominaux
hypertrophiés. Et pour mettre un tel physique en valeur, l’athlète avait une fille
en maillot jaune minimaliste enroulée comme une écharpe autour de lui.
Il y avait des années que John dévorait tout ce qui concernait le bodybuilding,
et il avait économisé des mois durant pour acheter une petite paire d’haltères. Il
s’entraînait avec six jours par semaine. Sans le moindre résultat. Il n’arrêtait pas
de pomper, il voulait désespérément être plus fort, et il ne gagnait pas un
gramme de muscles.
Évidemment, sa façon de manger était un problème. Les yaourts étaient la
seule chose qu’il pouvait avaler sans être malade, et ils ne contenaient pas
beaucoup de calories. Mais il n’y avait pas que la nourriture, la génétique était
une vraie saloperie parfois. Á vingt-trois ans, John dépassait à peine un mètre
soixante, et ne pesait que quarante-six kilos. Il n’avait jamais eu besoin de se
raser. N’avait pas un poil sur le corps. Et n’avait jamais eu une érection.
Un— Gamin— Faible. Et pire que tout : Rien n’évoluait. Il avait gardé la
même taille depuis dix ans.
La monotonie de son existence le minait, l’épuisait, le dégoûtait. Il avait
perdu tout espoir de devenir un homme, et cette triste acceptation le vieillissait.
Il se sentait un vieillard dans un corps d’enfant, comme si sa tête n’avait rien en
commun avec le reste de son corps.
Mais il avait un soulagement secret : Il adorait dormir. Dans ses rêves, il se
voyait combattre, fort, décidé, et… viril. La nuit, quand ses yeux se fermaient, il
devenait invincible avec ses dagues à la main, un tueur qui utilisait ses dons
naturels pour de nobles raisons. Et il n’était pas seul dans la bataille. Il était
entouré par d’autres hommes comme lui— des guerriers, des frères— tous d’une
loyauté à toute épreuve.
Et durant ces visions, il faisait aussi l’amour à des femmes, de vraies beautés
qui poussaient des cris étranges pendant qu’il pénétrait leurs corps offerts.
Parfois, il s’en trouvait plus d’une avec lui, et il les prenait avec force et
152
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
puissance, parce qu’elles aimaient ça… et lui aussi. Ses amantes s’agrippaient à
son dos, plantant leurs ongles dans sa peau tout en se tordant sous lui, ondulant
des hanches sous les coups de boutoirs qu’il leur procurait. Il entendait les
rugissements qu’il poussait quand le plaisir l’envahissait, quand tout son corps
se contractait sous les spasmes qui le vidaient en elles, dans la chaleur humide
de leurs ventres avides. Et après l’amour, dans un acte d’une sauvagerie inouïe,
il buvait leur sang, et elles le sien. Et les draps blancs se teintaient de rouge. Une
fois ses désirs assouvis et sa violence calmée, il serrait tendrement les femmes
contre lui, et elles le regardaient avec de grands yeux brillants d’adoration. La
paix et l’harmonie qui l’envahissaient alors étaient comme une bénédiction.
Malheureusement, John finissait toujours par se réveiller le matin suivant.
Dans la vie réelle, il n’avait aucun espoir de défendre ou de battre qui que se
soit, pas avec la constitution qu’il avait. Et il n’avait jamais embrassé une
femme. N’en avait jamais eu l’opportunité. Le sexe opposé réagissait envers lui
de deux façons : Les femmes plus âgées que lui le traitaient comme un enfant, et
celles de son âge l’ignoraient. Il souffrait des deux réactions, la première lui
rappelait sa petitesse, la seconde lui enlevait tout espoir de pouvoir trouver un
jour quelqu’un à protéger.
C’était ce qu’il espérait d’une femme. Il avait un incroyable besoin de la
protéger, de la chérir, d’empêcher qu’on lui nuise. Un appel qui correspondait
bien peu à ses aptitudes physiques.
De plus, quelle femme voudrait jamais de lui ? Il était tellement fluet. Son
jean ne lui tenait pas aux hanches. Son tee-shirt creusait sa poitrine étroite et
soulignait ses os proéminents. Et il se chaussait en taille enfant.
John sentit la frustration habituelle monter en lui, mais il ne savait pas trop ce
qui le contrariait. Bien sûr, il aimait les femmes. Et il aurait voulu les toucher—
parce que leurs peaux semblaient si douces, et qu’elles sentaient si bon— mais
qu’elle importance, vu qu’il n’avait jamais ressenti la moindre excitation
sexuelle, pas même en se réveillant en pleine nuit au beau milieu d’un rêve
torride ? Il était anormal. Mi-homme, mi-enfant. Un hermaphrodite sans
l’équipement adéquat.
Une seule chose était certaine : Il n’était pas attiré par les hommes. Il en avait
eu suffisamment à ses trousses depuis des années, lui offrant de la drogue, de
l’argent ou des menaces pour l’emmener dans un coin discret ou le faire monter
dans une voiture. Il avait toujours réussi à leur échapper.
Du moins presque toujours… jusqu’à l’hiver précédent. En janvier, il avait
été menacé d’un couteau dans l’escalier de l’immeuble où il habitait alors.
153
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
154
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Au bout du couloir, il y eut une dispute bruyante qui monta vite en intensité,
et se termina avec un bruit de verre brisé.
— Allez, fils. J’aimerais un peu d’intimité pour te parler.
John chercha au fond de lui voir si ses instincts l’avertissaient d’un danger.
Mais il n’en trouva aucun. Bien que cet homme soit immense et
incontestablement armé. Un homme comme lui l’était toujours.
John enleva la chaîne et recula, baissant aussi son arme.
L’homme entra et referma la porte derrière lui.
— Tu te souviens de notre entrevue, pas vrai ?
John hocha la tête, se demandant pourquoi ce souvenir lui était revenu aussi
brutalement. Et pourquoi il avait eu une telle migraine en même temps.
— Et tu te souviens de quoi nous avions parlé ? Au sujet de l’entraînement
que je te proposais ?
John remit le cran de sureté en place. Il se souvenait de tout et la curiosité qui
l’avait frappé alors lui revint en force. En même temps qu’une envie irrésistible.
— Alors, que dirais-tu de nous rejoindre et travailler avec nous ? Et avant
que tu ne me répondes que tu es trop faible, je connais beaucoup de garçons qui
sont exactement comme toi. En fait, tu feras partie d’un groupe de jeunes mâles
du même âge et de la même stature que toi.
Gardant les yeux fixés sur l’étranger, John rangea son arme dans sa poche
arrière et se pencha vers son lit. Il en sortit un carnet de papier et un stylo, puis
écrivit : « Je n’ai pas de $. »
Quand il lui montra le carnet, l’autre le lut et répondit :
— Tu n’as pas à t’inquiéter pour ça.
— Si, écrivit John, puis il tendit son papier.
— C’est moi qui dirige ce centre, et j’ai besoin d’aide pour la paperasserie.
Tu pourras travailler pour moi et payer tes frais. Tu sais utiliser un ordinateur ?
John secoua la tête, se sentant idiot. Il ne savait que débarrasser des assiettes
et des verres et les laver. Et ce mec n’avait pas besoin d’un commis de cuisine.
— Bon, j’ai un Frère qui est super-doué pour ce genre de trucs. Il
t’apprendra. (L’homme eut un sourire.) Tu pourras travailler. Tu pourras
t’entraîner. Tout ira bien. Et j’ai aussi parlé à ma shellane. Elle serait très
heureuse que tu vives avec nous pendant que tu suivras ton entraînement.
John baissa les yeux, soudain inquiet. C’était une vraie bouée de sauvetage en
plein naufrage, pas à dire, mais pourquoi au juste ce mec tenait-il tant à le
sauver ?
— Tu veux savoir pourquoi je fais ça pour toi ?
155
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
156
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Chapitre 21
Mary eut un réveil brutal lorsqu’un hurlement épouvantable retentit dans son
salon, bouleversant la quiétude du petit matin. Elle se releva d’un bond mais
retomba aussitôt parce que le canapé bascula vers l’avant en se décollant du
mur.
Dans la pâle lumière de l’aube qui inondait la pièce, elle vit le sac de Rhage
posé au sol. Et La veste de son costume.
Puis elle réalisa qu’il venait de sauter derrière le canapé.
— Les rideaux ! hurla-t-il. Fermez tous les rideaux !
Il y avait une telle douleur dans sa voix qu’elle oublia sa confusion pour
courir d’un bout à l’autre de la pièce. Une fois les fenêtres aveuglées, il ne resta
que plus la lumière qui provenait de porte de la cuisine.
— La porte aussi… (La voix de Rhage se cassa.) Pas de soleil.
Elle la referma aussitôt. Il faisait maintenant complètement sombre dans la
pièce, à part la faible luminosité de la télévision encore en marche.
— Votre salle de bain a-t-elle une fenêtre ? demanda Rhage d’une voix
rauque.
— Non. Mais que se passe-t-il, Rhage ? (Elle voulut se pencher pour regarder
derrière le canapé.)
— Ne vous approchez pas de moi.
Les mots étaient comme étranglés. Et il proféra ensuite une belle série
d’obscénités.
— Mais qu’est-ce que vous avez ?
— Laissez-moi juste… reprendre mon souffle. J’ai besoin de rester seul un
moment.
Elle fit quand même le tour du canapé. Dans la pénombre, elle ne pouvait rien
distinguer d’autre qu’une grande silhouette effondrée.
— Rhage, qu’est-ce qui ne va pas ?
— Rien.
— On ne dirait pas. (Seigneur, que les hommes étaient pénibles à toujours
vouloir jouer les durs !) C’est à cause du soleil ? Vous êtes allergique ?
Il eut un rire rauque.
— Oui, on peut dire ça. Non ! Mary, arrêtez. Ne vous approchez pas.
— Pourquoi ?
157
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
158
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
159
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
160
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
161
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
162
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Aussitôt, elle poussa un cri étranglé et mit les deux mains sur ses tempes en
clignant des yeux. Il sut qu’il devait s’expliquer et vite. Il n’allait pas lui falloir
longtemps pour revivre toute la scène et sauter à la conclusion qu’il était un
dangereux assassin à éviter à tout prix.
— Mary, je devais vous ramener chez vous pour pouvoir vous protéger
tandis que j’attendais une réponse de mes Frères. Qui n’est toujours pas arrivée
d’ailleurs, merde. Ces gens qui nous ont attaqués, ce ne sont pas des humains, et
ils sont très dangereux.
Elle tomba lourdement en arrière, comme si ses genoux avaient lâché. Elle
avait les yeux opaques et écarquillés, et secoua plusieurs fois la tête.
— Vous avez tué deux hommes, dit-elle d’une voix éteinte. Vous avez cassé
le cou du premier, et l’autre…
Rhage se mit à jurer.
— Je suis absolument navré de vous avoir mêlée à tout ça, et encore plus
navré que vous soyez désormais en danger. Je n’aurais pas dû effacer vos
souvenirs—
Elle lui jeta un regard mauvais.
— Ne le refaites plus jamais.
Il aurait vraiment aimé pouvoir le lui promettre.
— Je ne le referai pas, sauf si c’est nécessaire pour vous protéger. Vous en
savez beaucoup sur moi à présent, et ça vous fait courir un risque.
— M’avez-vous enlevé d’autres souvenirs ?
— Oui. Nous nous sommes rencontrés une première fois au centre
d’entraînement. La nuit où vous êtes venue avec John et Bella.
— Quand ça ?
— Il y a quelques jours. Je peux vous les rendre eux-aussi.
— Attendez... (Elle fronça les sourcils.) Pourquoi ne pas m’avoir refait tout
oublier à votre sujet ? Comme cette première fois ?
Aurait-elle préféré ça ? Sans doute.
— J’allais le faire. Après le dîner.
Elle détourna les yeux.
— Vous avez changé d’avis à cause de ce qui s’est passé dans le parc ?
— Et aussi… (Jusqu’où pouvait-il aller ? Voulait-il vraiment qu’elle sache ce
qu’il éprouvait pour elle ? Non, pensa-il. Elle était déjà sous le choc. Il n’était
pas nécessaire de rajouter à ça qu’un mâle vampire s’était dédié à elle.) Parce
que je ne voulais pas forcer votre intimité.
163
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Dans le silence qui suivit, il la vit réfléchit aux derniers événements, aux
diverses implications, à la réalité inouïe de la situation. Puis il sentit un doux
parfum sensuel et sut qu’elle se rappelait leur baiser.
Mais elle fronça soudain les sourcils, grimaça un peu, et la fragrance
s’évapora.
— Mary, dans le parc, si je me suis écarté—
Elle leva les mains pour l’interrompre.
— C’est sans importance. Je veux juste savoir ce que nous allons faire à
présent, dit-elle en levant sur lui des yeux gris fermes et directs.
Et il comprit qu’elle était prête à tout.
— Vous êtes… incroyable.
— Pourquoi ? demanda-t-elle les sourcils levés.
— Vous supportez plutôt bien le choc, et surtout après avoir appris ce que je
suis.
Elle repoussa une mèche de ses cheveux derrière son oreille, et le dévisagea
un moment.
— En fait, ce n’est pas tellement surprenant. Enfin, si… bien sûr, mais… je
savais depuis le début que vous étiez différent. Simplement, je ne savais pas que
vous étiez un… Dites-vous aussi vampire ?
Il hocha la tête.
— Un vampire, répéta-t-elle en étudiant les sonorités du mot. Mais vous ne
m’avez jamais fait mal, ni peur— du moins, pas vraiment. Et puis, vous savez,
j’ai déjà vécu des choses étranges. Parce que je suis morte, cliniquement parlant,
à deux reprises. Une première fois quand j’ai fait un arrêt cardiaque pendant une
greffe osseuse. Et la seconde fois, c’était au cours d’une pneumonie, parce que
mes poumons se sont remplis d’eau.
» Je... ah, je ne suis pas certaine de l’endroit où je suis allée, ni pourquoi je
suis revenue, mais je sais qu’il existe quelque chose après la mort. Pas un
paradis avec des petits anges et tout le tralala, juste une lumière blanche. Je ne
savais pas ce que c’était la première fois. Mais la seconde, j’y suis allée tout
droit. Et je ne sais pas pourquoi je suis revenue—
Elle rougit et cessa de parler, gênée de ce qu’elle lui avait révélé.
— Vous êtes allée dans l’Au-delà ? dit-il émerveillé.
— L’Au-delà ?
Il hocha la tête.
— C’est ainsi que nous l’appelons.
Elle secoua la tête, refusant manifestement de continuer sur le sujet.
164
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
165
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
— Non, ça va. (Il ne laisserait jamais Mary toute seule.) Á plus tard, mec.
— Rhage—
Il raccrocha. Le téléphone se remit aussitôt à sonner. Il vérifia sur l’écran qui
l’appelait, puis laissa Tohr passer sur le répondeur. Il reposait le truc à côté de
lui quand son estomac se mit soudain à gargouiller.
— Voudriez-vous quelque chose à manger ? demanda Mary.
Il le regarda un long moment, abasourdi. Puis il se souvint qu’elle était
humaine, et ne pouvait connaître la signification intime de l’offre qu’elle venait
de lui faire. Malgré ça, l’idée qu’elle l’honore en lui offrant des plats préparés de
sa main le laissait sans voix.
— Fermez les yeux, demanda-t-il.
Elle se raidit, mais obéit, et baissa les paupières.
Il se pencha et l’embrassa légèrement sur les lèvres.
Lorsque les beaux yeux gris s’ouvrirent en grand, Rhage s’était déjà reculé.
— J’adorerais que vous me prépariez quelque chose, Mary. Merci.
166
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Chapitre 22
167
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
reste rien. Cette impulsion le tenta si fort qu’il en fut même surpris. Il n’avait
aucun scrupule à détruire la propriété d’autrui, mais il était avant tout un
assassin, pas un vandale. Il ne comprenait pas ce qui le motivait.
— Je veux utiliser votre fourgonnette, dit U, et je vais louer une remorque à
accrocher derrière. Avec ça, je devrais pouvoir ramener tout le chargement du
bois des bardeaux et des plaques de toit. Pas besoin que les mecs de chez Home
Dépôt en sachent trop sur nous.
— Et pour mes unités de stockage ?
— Je sais exactement ce que vous voulez, et où les trouver.
Il y eut un « bip » électronique.
— C’est quoi ce bordel ? demanda O
— Un rappel pour la vérification de 9 heures, dit U en sortant son Blackberry
dont il tripota le petit couvercle avec ses doigts épais. Vous voulez que je vérifie
aussi vos mails ?
— Oui.
Pendant ce temps, O l’examinait. Le lesser, qui faisait partie de la Société
depuis cent-soixante-quinze ans, était pâle comme du papier mâché. Un mec
calme et dégourdi. Pas aussi agressif que certains, mais néanmoins efficace.
— Vous êtes un bon élément, U.
L’autre eut un petit sourire en relevant les yeux de son Blackberry.
— Je sais. J’aime le boulot bien fait. En parlant de ça, qui allez-vous mettre
dans mon équipe ?
— Les deux escadrons de Primes.
— Vous allez bloquer tout le monde deux nuits de suite ?
— Deux nuits et deux jours. Nous dormirons par roulement sur le site.
— Très bien. (U revint à son écran, et tripota la molette pour faire défiler ses
mails.) Oh… merde. M. X ne va pas être content.
O étrécit les yeux.
— Pourquoi ça,
— C’est un mail général destiné aux Betas. Je suppose que je suis toujours
sur la liste.
— Et ?
— Un groupe de Betas est tombé sur un membre de la Confrérie hier soir
dans le parc. Trois sur cinq sont portés disparus. Á ce qu’il parait, le guerrier
était avec une humaine.
— Ils les baisent de temps à autre.
— Ah. Ils ont du bol.
168
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Plantée devant son fourneau, Mary pensait à la façon dont Rhage l’avait
regardée. Elle ne comprenait pas pourquoi il avait été si surpris par son offre de
préparer le petit déjeuner, mais il avait pris ça comme un merveilleux cadeau.
Elle retourna son omelette, puis étudia le contenu de son frigo. Elle sortit une
boîte étanche de fruits émincés et les versa dans un bol. Mais ça ne faisait pas
grand-chose, aussi elle y ajouta une banane en tranches.
En reposant le couteau, elle effleura ses lèvres du doigt. Il n’y avait rien eu de
sexuel dans le dernier baiser qu’il lui avait donné. Juste de la gratitude. Dans le
parc, la rencontre avait été plus chaude, et pourtant Rhage s’était aussi tenu à
distance. Oui, la passion ne flambait que d’un seul côté. Le sien.
Les vampires couchaient-ils avec des humaines ? Peut-être était-ce pour ça
qu’il restait si composé, peut-être n’était-ce pas de sa part un simple petit jeu de
pouvoir.
Mais il y avait eu cet épisode avec l’hôtesse d’accueil au TGI Fridays. Il avait
incontestablement examiné l’autre femme d’un œil expert— et pas pour lui
acheter une nouvelle robe. Donc, il pouvait manifestement s’intéresser à une
autre espèce que la sienne. Mais pas à elle. Une amitié. Juste ça.
Quand l’omelette fut prête, elle beurra quelques toasts, puis enroula une
fourchette dans une serviette, mit l’ensemble sous son coude, et emporta
l’assiette et le bol dans le salon. Elle referma vite la porte derrière elle avant
d’avancer vers le canapé.
Waouh.
Rhage avait enlevé sa chemise et s’était assis, le dos appuyé au mur. Il
inspectait ses brûlures. Á la lueur de la bougie, elle eut un bon aperçu de
puissantes épaules, de bras épais, d’une poitrine dure, d’un ventre plat. Et de
cette peau glabre et dorée qui enveloppait tous ces muscles.
Tout en essayant de garder bonne contenance, elle déposa ce qu’elle apportait
sur le sol près de lui, puis s’assit un peu plus loin. Pour ne pas continuer à le
dévorer des yeux, elle étudia plutôt son expression tandis qu’il examinait la
nourriture, sans bouger, ni parler.
— Je ne savais pas trop ce que vous aimiez, dit-elle.
Il releva les yeux sur elle, puis se tourna un peu pour lui faire face. De front,
son visage était encore plus beau que de profil. Et ses épaules étaient si larges
qu’elles prenaient tout l’espace entre le canapé et le mur. Une curieuse cicatrice
ronde en forme d’étoile se voyait sur son pectoral gauche, comme un signe
distinctif. Et elle trouva ça étrangement attirant
169
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Après un moment, vu qu’il ne faisait rien d’autre que la regarder, elle tendit la
main vers l’assiette.
— Je vais vous préparer autre chose si—
Mais il posa sa main sur son poignet pour l’arrêter.
— C’est parfait.
— Vous n’avez même pas goûté le—
— C’est vous qui l’avez préparé. Ça me suffit. (Quand il sortit la fourchette
de la serviette, elle regarda les tendons qui gonflaient son avant-bras.) Mary ?
— Mmm ?
— J’aimerais que vous mangiez de ma main, dit-il, et son estomac émit un
sourd grondement.
— Non, ça va. Je prendrai quelque chose plus tard… Pourquoi faites-vous
cette tête-là ?
Il se frotta le front, comme pour lisser son expression mécontente.
— Désolé. Vous ne pouvez pas savoir.
— Savoir quoi ?
— D’où je viens, quand un mâle offre à une femelle de la nourriture de sa
main, c’est une forme de respect. De respect et… d’affection.
— Mais vous avez faim.
Il tira l’assiette vers lui et découpa un petit bout de toast, puis posa
délicatement dessus un morceau d’omelette de la même taille.
— Mary, je vous en prie. Prenez ce que je vous offre.
Il tendit son long bras vers elle. Et ses yeux gris-bleu étaient presque
hypnotiques. Cédant à leur appel, elle se pencha, ouvrit la bouche. Dès qu’elle
referma ses lèvres sur la nourriture qu’elle avait préparée pour lui, il gronda son
approbation. Et quand elle avala, il lui prépara une autre bouchée— un autre
bout de toast du bout des doigts.
— Et vous ne prenez rien ? dit-elle
— Pas avant que vous n’ayez terminé.
— Et si je mange tout ?
— Rien ne pourrait me plaire davantage que de vous savoir bien nourrie.
Une amitié, se répéta-t-elle fermement. Rien de plus.
— Mary, mangez, je vous en prie.
Devant son insistance, elle ouvrit à nouveau la bouche, et il garda les yeux
fixés sur ses lèvres même après qu’elle se fut écartée.
Bon sang de bois. Elle n’avait pas le sentiment que ce n’était qu’amical.
170
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
171
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
172
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
— Non, répondit-elle.
— Alors pourquoi vous êtes-vous soudain refermée comme ça ? (Il plongea
son regard en elle.) Mary, dites-moi ce qui se passe ?
Il semblait réellement perplexe, et elle trouvait ça gonflé. La pensait-il réduite
à accepter sa charité en guise de sexualité ?
— Écoutez, Rhage, je vous trouve très sympa d’accepter d’aller aussi loin au
nom de l’amitié, mais je n’ai pas besoin qu’on me prenne en pitié, d’accord ?
— Vous aimiez ce que je faisais, je l’ai senti. Je le sens encore d’ailleurs.
— Mais zut à la fin, ça vous amuse de me rendre ridicule ? Parce que je vais
vous dire un truc, de mon côté, ce n’est pas drôle du tout d’être la seule à
m’exciter avec un mec qui à l’air aussi intéressé par moi que par un journal
politique. C’est… c’est nul, voilà, et je ne veux plus en parler.
Le néon lumineux de son regard s’étrécit soudain.
— Vous pensez que je n’ai pas envie de vous ?
— Oh, désolée si j’ai raté ce qui se passait de votre côté. C’est vrai que vous
aviez l’air si passionné par mon contact.
Elle ne put croire la vitesse à laquelle il bougea. Un moment, il était assis dos
contre le mur, et la seconde suivante, il l’avait renversée au sol. Il lui écarta les
jambes de ses cuisses et se coucha sur elle. Pressant la dure masse de son
érection tout contre son sexe.
Il emmêla sa main dans ses cheveux épars, lui tira la tête en arrière, la faisant
s’arquer contre lui. Et il approcha sa bouche de son oreille.
— Tu sens ça, Mary ? (Il se frotta contre elle, la faisant flamber de désir.) Tu
me sens ? Et ça veut dire quoi, à ton avis ?
Elle avait du mal à respirer. Et elle était complètement trempée, prête à le
laisser plonger en elle, profondément.
— Dis-moi ce que ça veut dire, insista-t-il. (Et quand elle ne répondit pas, il
lui suça le cou jusqu’à ce qu’elle se torde, puis il lui mordilla le lobe de l’oreille.
Une petite punition qui la fit gémir.) Je veux t’entendre me le dire. Pour que
l’effet que tu me fais soit bien clair entre nous.
Il lui plaça une main sous les reins, la plaquant davantage, et son érection
trouva soudain le bon endroit. Elle sentait la chaleur battre en lui malgré
l’épaisseur de leurs vêtements.
— Dis-le, Mary. (Il se frotta plus fort, et elle gémit.)
— Tu me veux, bredouilla-t-elle.
— Ne l’oublie plus jamais, d’accord ?
173
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Il lâcha ses cheveux et reprit sa bouche avec une sorte de désespoir. Et tandis
qu’il s’appesantissait, elle sentit ses mains et son corps partout sur elle, sa
langue dans sa bouche, son sexe contre son ventre. Sa chaleur, son odeur
masculine, son énorme érection étaient les promesses d’une rencontre violente et
pleine de passion.
Mais alors il s’écarta, roula sur lui-même, et retourna contre le mur. Et il était
à nouveau sous contrôle. La respiration égale, le corps figé.
Elle s’agita faiblement, essayant de se rappeler comment ses bras et ses
jambes étaient censés fonctionner.
— Je ne suis pas un homme, Mary, même si par moment, j’en ai l’air. Tu
n’as pas idée de ce que j’aimerais te faire. Je voudrais mettre ma tête entre tes
jambes, et te lécher jusqu’à ce que tu hurles mon nom. Et je voudrais te prendre
comme un fou, et voir tes yeux changer de couleur sous le feu de la passion. Et
jouir tout au fond de toi. Ensuite ? Je voudrais tout recommencer, et te prendre
de toutes les façons imaginables et au-delà. Par derrière. Debout contre un mur.
Ou assise sur mes genoux. Je voudrais te prendre jusqu’à ne plus pouvoir
respirer.
» (Son regard était calme, le ton de sa voix d’une honnêteté brutale.) Mais je
ne peux pas. Si je ne ressentais rien pour toi, ce serait différent. Ce serait plus
facile. Il y a un problème dans mon corps, et demeurer parfaitement contrôlé est
la seule façon que j’aie de pouvoir rester en ta compagnie. Sinon, je vais perdre
la tête, et la dernière chose que je veux est te faire peur. Ou pire, te blesser.
Durant son discours, l’esprit de Mary avait été envahi par des visions torrides
de tout ce qu’il décrivait, et son corps était à nouveau en feu. Il inspira
longuement, et poussa un sourd grondement, comme s’il sentait son émoi et s’en
délectait.
— Oh, Mary. Me laisserais-tu au moins te toucher ? Me laisserais-tu te
mener au plaisir ?
Elle aurait voulu accepter, mais ce qu’il suggérait était difficile. Parce qu’il lui
faudrait se déshabiller, exhiber son corps aux yeux de Rhage, même à la lueur
d’une bougie. Il y avait des années que personne ne l’avait vue nue, sauf les
médecins et les infirmières. Qui étaient les seuls à savoir ce que la maladie avait
laissé d’elle en reculant. Elle ne put s’empêcher de penser à toutes les femmes
magnifiques qu’il avait dû connaître.
— Je ne suis pas… comme celles dont tu as l’habitude, dit-elle doucement.
Je ne suis pas… belle. (Il fronça les sourcils, mais elle secoua la tête.) Non, je
sais ce que je dis.
174
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
175
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Tout le temps où elle pleura, Rhage la serra contre lui, la câlinant, lui frottant
le dos de bas en haut. Elle n’eut aucune idée du temps qu’il lui fallut pour se
calmer, mais peu à peu la crise s’apaisa, et elle prit conscience qu’il lui parlait.
Des sonorités complètement étrangères, des mots indéchiffrables, mais le ton de
sa voix… était adorable. Et cette gentillesse était une tentation à laquelle elle
devait résister.
Elle ne pouvait pas baisser sa garde et accepter un réconfort. Sa vie dépendait
de sa force d’âme, et elle venait déjà de céder aux pleurs. La pente était
glissante. Si elle s’effondrait, elle en aurait pour des jours. Et la seule chose qui
lui avait permis de s’en tirer la première fois, était cette armature d’acier qu’elle
avait forgée au fond d’elle-même. Si elle perdait ça, elle ne pourrait pas lutter
contre le retour de sa maladie.
Mary s’essuya les yeux. Plus jamais, se dit-elle. Elle ne voulait plus
s’effondrer ainsi devant lui. Elle se racla la gorge, et esquissa un sourire
— Alors. Comme rabat-joie, c’était plutôt réussi, non ?
Il répondit quelque chose dans sa langue étrangère, mais quand elle secoua la
tête, il passa à l’anglais :
— Tu peux pleurer autant que tu veux.
— Je ne veux plus pleurer, dit-elle, les yeux fixés sur la poitrine nue de
Rhage.
Non, ce qu’elle voulait vraiment— là, maintenant— c’était coucher avec lui.
Sa crise étant passée, son corps répondait à nouveau à la tentation qu’il
représentait, et vu qu’il avait déjà vu le pire de ses cicatrices sans être
traumatisé, elle se sentait plus détendue.
— Tu as encore envie de m’embrasser après tout ça ? demanda-t-elle.
— Oui.
Sans se donner le temps de réfléchir, elle l’agrippa par les épaules et le tira
vers elle. Il sembla hésiter un moment, surpris sans doute de sa résolution, puis
il l’embrassa à pleine bouche. Longuement et profondément. Comme s’il avait
compris qu’elle en avait besoin. Et elle se retrouva bientôt nue, son pyjama
enlevé, sa culotte aussi.
Il la caressa de la tête aux cuisses, et elle remuait contre lui, le corps ondulant,
follement désireuse de sentir la peau de Rhage frotter contre ses seins. Le souple
tissu de son pantalon était doux contre son ventre et sur ses jambes. Elle était
affolée de désir, la tête en feu. Il lui mordilla le cou et les clavicules, puis
descendit peu à peu. Elle releva la tête et le regarda quand il effleura de la
176
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
177
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Elle en était restée le souffle coupé. Puis elle poussa un cri quand il descendit
le long de son corps, posa les mains sur ses cuisses et les écarta. Elle essaya de
se raidir.
— Ne m’en empêche pas, Mary. (Il embrassa non nombril, puis ses hanches,
et l’ouvrit davantage.) J’ai besoin de te goûter encore. Je veux avoir ton parfum
tout au fond de ma gorge.
— Rhage je— Oh, mon Dieu.
Il avait plongé sa langue en elle, une caresse brûlante et délicieuse qui
chamboula son processus mental. Il releva la tête et la regarda. Puis se remit à
l’œuvre.
— Tu me tues, dit-il tandis que son souffle la chatouillait intolérablement.
Puis il se frotta contre elle, et sa barbe irrita sa peau hypersensible de façon
délicieuse. Elle referma les yeux, avec le sentiment très net de se dissoudre.
Rhage la mordilla, prit dans sa bouche sa chair palpitante, la suça, l’embrassa,
la caressa de la langue et des lèvres. Lorsqu’elle se tendit en arc de cercle, une
main de Rhage vint par en-dessous lui soutenir les reins tandis que l’autre
appuyait sur son vente. Il la maintint en place, empêchant son corps tressautant
d’échapper à sa bouche impitoyable.
— Regarde-moi, Mary. Regarde ce que je te fais.
Elle obéit, et eut un aperçu de sa langue rose qui la parcourait toute entière—
vision qui suffit à la faire basculer. Et il la caressait encore, accompagnant ses
spasmes et ses cris étranglés. Il semblait n’y avoir aucune limite à son
attention… ou à sa technique.
Elle finit par tendre la main vers lui, ayant besoin de sentir son sexe en elle. Il
lui résista sans difficulté, puis fit quelque chose de pernicieux avec ses canines.
Et elle explosa encore, avec Rhage toujours entre ses jambes, ses yeux brillants
fixés sur elle.
Quand ce fut finit, elle murmura son nom d’une voix enrouée. Mais d’un
mouvement souple, il se mit soudain debout et s’écarta. Et elle poussa un cri
d’étonnement en voyant son dos.
Il y avait là un magnifique tatouage étalé sur toute la surface. Le dessin
représentait une sorte de dragon, une créature terrifiante avec une queue et
quatre membres ornés de griffes acérées, un corps puissant et sinueux. Lovée de
travers, la bête avait des yeux d’un blanc laiteux et presque vivants. Lorsque
Rhage se mit à déambuler dans la pièce, le tatouage bougea en suivant les
ondulations des muscles sous la peau— comme s’il s’ébrouait, se réveillait.
Comme s’il voulait s’échapper.
178
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
179
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
180
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Chapitre 23
181
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Une fois calmé, il rouvrit les yeux et regarda ses mains. Qui ne tremblaient
plus. Et un rapide coup d’œil dans le miroir montra que ses pupilles avaient
repris leur couleur noire habituelle. Il s’accouda au lavabo, la tête appuyée sur
ses bras.
Depuis le jour de sa malédiction, le sexe avait été un outil efficace pour gérer
la bête. En prenant une femelle, il s’excitait juste assez pour obtenir un
soulagement temporaire, mais pas au point de devenir dangereux. Jamais.
Avec Mary, c’était différent. Et il ne pensait pas pouvoir se contrôler assez
pour la prendre— encore moins s’abandonner au plaisir auprès d’elle. Avec
cette foutue vibration qu’elle provoquait en lui, sa sexualité devenait un champ
de mines. Il inspira longuement. Le seul point positif était que la reprise en main
avait été assez rapide. Une fois éloigné d’elle, son système nerveux se remettait
à fonctionner normalement.
Grâce au ciel.
Rhage utilisa les toilettes, puis se lava les mains et la figure avant de se sécher
soigneusement. Quand il ouvrit la porte, il se crispa un peu, craignant que la
sensation ne revienne dès qu’il reverrait Mary.
Ce fut le cas.
Elle était assise sur le canapé, vêtue d’un pantalon souple et d’une veste
polaire. La lueur de la bougie accentuait l’inquiétude inscrite sur son visage.
— Hey, dit-il.
— Comment vas-tu ?
— Ça va. (Il se frotta les joues.) Désolé pour mon absence momentanée.
Elle écarquilla les yeux.
— Quoi ? demanda-t-il.
— Il est presque 18 heures, Rhage. Tu es resté enfermé là-dedans toute la
journée.
Rhage se mit à jurer. Merde, tu parles d’une rapide reprise en main.
— Je n’ai pas réalisé que j’étais parti aussi longtemps.
— Je… ah, j’ai essayé de te parler une fois ou deux. Je m’inquiétais
terriblement… et puis quelqu’un t’a appelé. Roth ?
— Kohler ?
— C’est ça. Ton téléphone n’arrêtait pas de sonner, alors j’ai fini par
répondre. (Elle baissa les yeux.) Tu es sûr que ça va ?
— Maintenant, oui.
Elle inspira longuement puis expira, mais ça n’aida en rien la crispation de ses
épaules.
182
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
— Mary, je… (Que pouvait-il lui dire qui ne rende pas les choses encore plus
difficiles ?)
— C’est bon. Je ne comprends pas ce qui c’est passé, mais c’est bon.
Il s’approcha du canapé pour s’asseoir à côté d’elle.
— Écouta, Mary, je veux que tu viennes avec moi ce soir. Je veux t’emmener
quelque part où tu seras en sécurité. Les lessers— ces gens qui nous ont attaqués
dans le parc— ils vont probablement te chercher, et c’est ici qu’ils regarderont
en premier. Tu vas devenir leur cible parce qu’ils t’ont vue avec moi.
— Où irions-nous ?
— Là où j’habite. (Du moins si Kohler les acceptait.) C’est trop dangereux
pour toi de rester ici, parce que si les égorgeurs sont à ta poursuite, ils ne vont
pas tarder— Ça peut vouloir dire cette nuit-même. Viens passer quelques jours
avec moi jusqu’à ce que je trouve comment arranger ça.
Pour le moment, il ne voyait aucune solution possible à long terme, mais il
finirait bien par avoir une idée. Elle était sous sa responsabilité depuis qu’il
l’avait mêlée à leur guerre, et il n’allait pas la laisser tomber.
— Fais-moi confiance. Juste pour quelques jours.
Mary prépara un sac de voyage, pensant qu’elle était sans doute folle. De
partir ainsi, Dieu sait où. Avec un vampire.
Mais elle avait confiance en Rhage. Il était trop honnête pour mentir et trop
intelligent pour sous-estimer la menace. Quant à elle, son prochain rendez-vous
médical avec les spécialistes n’était pas avant mercredi après-midi. Elle s’était
libérée toute la semaine au cabinet. Et Rhonda l’avait renvoyée de la hotline.
Aussi, elle ne manquerait rien.
Quand elle redescendit au salon, Rhage se tourna vers elle, et lui prit son sac
des mains. Elle examina de plus près la veste noire qu’il portait et remarqua les
poches gonflées— détail auquel elle n’avait pas prêté attention jusque-là.
— Tu es armé ? demanda-t-elle.
Il hocha la tête.
— Avec quoi ? (Quand il ne fit que la regarder, elle leva les yeux au ciel.) Tu
as raison. Il vaut sans doute mieux que je n’en sache rien. On peut y aller.
Ils s’engagèrent en silence sur la Route 22, entre la campagne profonde et les
derniers faubourgs de Caldwell. C’était une région vallonnée, couverte de bois
touffus dont les arbres bordaient la route. Il n’y avait aucun éclairage public. Ils
croisèrent quelque rares voitures et de nombreux cerfs.
183
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
184
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
185
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
186
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Serrée contre Rhage, Mary jeta un œil de côté, et vit qu’une femme
descendait les escaliers. Qui semblait parfaitement normale, avec de longs
cheveux, un jeans, et un col roulé blanc. Elle portait dans les bras un chat noir
qui ronronnait comme une machine à coudre. Et lorsqu’elle traversa la masse
agglutinée des hommes, ils s’écartèrent tous de son passage.
— Rhage, je suis bien contente que tu sois revenu sain et sauf à la maison. Et
Kohler ne devrait pas tarder à descendre. (Elle indiqua du doigt la pièce d’où les
hommes étaient sortis.) Vous-autres, retournez là-dedans. Allez ! Et si vous
voulez jouer, faites un billard. Le dîner sera servi dans une demi-heure. Butch,
tu me ranges ce ballon, d’accord ?
Elle les expédia facilement, comme s’ils n’étaient pas tous d’énormes brutes
dangereuses. Et le seul qui resta fut celui à la coupe militaire. Il était plus calme
à présent.
— Il y aura des répercussions, mon Frère, dit-il en regardant Rhage.
Le visage de Rhage se durcit, et il s’exprima à nouveau dans son langage
inconnu.
La femme brune s’approcha de Mary, tout en continuant à caresser son chat.
— Ne vous inquiétez pas, dit-elle. Tout va s’arranger. Je suis Beth au fait, et
voici Boo.
Mary prit une grande inspiration, faisant instinctivement confiance à la seule
femme qu’elle découvrait dans cette jungle de testostérone.
— Mary. Mary Luce.
Beth lui tendit la main. Et sourit. La pointe de ses canines apparut.
Un vampire. Mary sentit le sol sous ses pieds perdre de sa stabilité.
— Elle fait un malaise, cria Beth en se jetant en avant. Rhage !
Des bras fort vinrent soutenir Mary à la taille lorsque ses genoux cédèrent
sous elle. Et la dernière chose qu’elle entendit avant de perdre conscience fut :
« Je la monte dans ma chambre. »
Peu après, Rhage étendit Mary sur son lit, et alluma une lampe de chevet.
Avait-il commis une épouvantable erreur en la ramenant au manoir ?
Quand elle s’agita et rouvrit les yeux, il lui dit :
— Tu ne risques rien ici.
— C’est ça.
— Et si je te dis que je vais faire en sorte que tu ne risques rien, ça te va ?
187
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
— Oui. Là, je te crois. (Elle esquissa un sourire.) Je suis désolée d’avoir été
aussi bête. Je n’ai pas l’habitude de tomber dans les pommes, tu sais.
— C’est bien compréhensible. Écoute, je dois parler à mes Frères. Referme
bien la porte derrière moi, d’accord ? Et je suis le seul à avoir la clé, aussi tu ne
risques rien ici.
— Ces mecs n’avaient pas très contents de me voir.
— C’est leur problème.
Il lui écarta les cheveux en arrière, les passant doucement derrière ses oreilles.
Il aurait voulu l’embrasser, mais il se releva.
Elle était à l’endroit où il voulait la voir : Dans son grand lit, nichée dans la
montagne des oreillers qu’il aimait avoir autour de lui pour dormir. Il voulait la
garder là demain et après-demain et…
Non, ce n’était pas une erreur, pensa-t-il. Elle était à sa vraie place.
— Rhage, pourquoi fais-tu ça pour moi ? Tu ne me dois rien, tu sais, et tu me
connais à peine.
Parce que tu es à moi, pensa-t-il. Il garda pour lui cette vérité profonde, et se
pencha pour lui caresser la joue du doigt.
— Je n’en ai pas pour longtemps.
— Rhage—
— Laisse-moi m’occuper de tout. Et surtout ne t’inquiète pas.
Il referma la porte derrière lui et la verrouilla avant de retourner dans le
couloir. Tous les autres Frères l’attendaient en haut des escaliers, Kohler au
premier rang. Le roi avait l’air sombre, ses yeux noirs cachés derrière d’épaisses
lunettes.
— Où veux-tu faire ça ? demanda Rhage.
— Dans mon bureau.
Lorsqu’ils furent tous entrés dans la pièce si solennelle, Kohler alla jusqu’à
son bureau où il prit place. Tohr le suivit et se tint derrière lui, à sa droite. Fhurie
et Z s’adossèrent au mur tapissé de soie. Viscs s’installa dans un large fauteuil à
oreillette, près de la cheminée, et alluma un roulé.
Kohler secoua la tête.
— Rhage, tu es dans une sacrée merde cette fois. Tu as violé un ordre formel.
Deux fois. Et tu nous ramènes cette humaine ici, dans cette maison, alors que tu
sais parfaitement qu’il est interdit—
— Elle est en danger—
Le roi écrasa son poing sur le bureau, faisant voltiger le meuble en l’air.
— Je te conseille fortement de ne pas m’interrompre.
188
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Rhage serra les molaires, grinçant si fort qu’il en eut mal. Et il dut faire un
effort pour énoncer les mots qui lui venaient d’ordinaire si aisément :
— Je ne voulais pas t’offenser, monseigneur.
— Comme je le disais, tu as désobéi à Tohr, et aggravé ton cas en amenant
ici une humaine. Mais bordel, à quoi tu penses ? Tu n’es pas complètement idiot
malgré ton comportement actuel. Merde. Elle vient d’un autre monde, et elle
représente un risque inacceptable pour nous. Et tu sais que les mémoires trop
ancrées sont difficiles à éradiquer sans laisser un traumatisme permanent. Elle
peut déjà représenter un risque inacceptable.
Rhage sentit le grondement monter dans sa poitrine, et réussit à peine à le
restreindre. Mais l’odeur de sa colère traversa néanmoins la pièce, et tous en
furent conscients.
— Elle ne sera pas mise à mort à cause de moi !
— Ce ne n’est plus de ton ressort. En l’amenant ici, tu l’as placée sous ma
juridiction.
Cette fois, Rhage montra les dents.
— Dans ce cas, je m’en vais, et je l’emmène avec moi.
Les sourcils de Kohler apparurent au-dessus de ses lunettes.
— L’heure n’est pas aux menaces, mon Frère.
— Aux menaces ? Je suis foutrement sérieux. (Il essaya de se calmer en se
frottant le visage, et respira profondément.) Écoute, la nuit passée, dans le parc,
nous sommes tombés sur plusieurs lessers. Elle a été attaquée, et j’ai dû laisser
filer au moins un de nos agresseurs pour la sauver. Elle a perdu son sac dans
l’affaire. Donc, si un des lessers a survécu, tu sais très bien qu’il a récupéré ce
satané truc. Et même si je nettoie sa mémoire, sa maison n’est plus sûre, et je ne
la laisserai jamais se faire embarquer par la Société. Si elle et moi ne pouvons
pas rester ici, et si la seule façon de la garder saine et sauve est de partir avec
elle, alors je le ferai. Sans hésiter.
Kohler fronça les sourcils.
— Tu réalises qu’en choisissant cette femelle, tu renonces à la Confrérie ?
Rhage poussa un long soupir. Seigneur. Il n’avait pas pensé que la situation
irait jusque là. Mais apparemment, c’était le cas.
Incapable de rester en place, il avança jusqu’à l’une des fenêtres qui
montaient du sol au plafond, et regarda à l’extérieur. Il vit la terrasse, les jardins,
la piscine et l’immense étendue des pelouses au-delà. Mais ce n’est pas le
paysage bien entretenu qui retenait son attention, c’était la sécurité qu’offrait le
manoir.
189
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
190
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Une fois Rhage parti, et Mary attendit d’être assez en forme pour se relever,
puis elle sortit du lit et vérifia la porte. Qui était solide et verrouillée, aussi se
sentit-elle raisonnablement en sécurité. Elle vit un interrupteur sur la gauche,
l’appuya et la chambre se trouva toute illuminée.
Bon sang de bois. On se serait cru au château de Windsor.
191
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
De lourds rideaux en brocard de soie étaient pendus devant les fenêtres, dans
des tons rouge et or. Le lit, un meuble ancien du XVIIème siècle anglais, avait un
baldaquin de satin et de velours. Le sol était couvert de tapis d’Aubusson, les
murs de peintures antiques—
Seigneur Dieu, cette « Madone à l’Enfant » était-elle bien un Rubens ?
Mais tout ne sortait pas d’une vente de chez Sotheby. L’écran plasma était
résolument moderne, et l’équipement stéréo aurait pu animer un match de Super
Bowl. Quant à l’ordinateur, la NASA devait avoir le même. Et sur le sol, traînait
une Xbox. Elle parcourut les titres des livres en cuir rangés sur une étagère où
plusieurs volumes étaient en langues étrangères. Elle se sentit fière et pleine
d’admiration pour Rhage— du moins jusqu’à ce qu’elle tombe sur sa collection
de DVD. Quelle calamité !
Une collection des Austin Power. Et tous les Alien… Et les Dents de la mer.
Et aussi Godzilla. Godzilla, et encore Godzilla… jusqu’au bout de l’étagère. Elle
se baissa et trouva les films d’horreur : Vendredi 13, Halloween, Le cauchemar
de la rue d’Elm. Bon, au moins ces titres là n’avaient pas eu de suite. Mais il
avait toute la série des Evil Dead. C’était à se demander comment il n’était pas
devenu aveugle avec des trucs pareils.
Mary alla dans la salle de bain, alluma les lampes. Et vit un jacuzzi aussi
vaste que son salon, posé sur un sol de marbre. Sacré endroit pour se faire une
beauté, pensa-t-elle.
Elle entendit la porte s’ouvrir et fut soulagée d’entendre la voix de Rhage qui
l’appelait.
— Je suis là, j’inspectais ta baignoire. (Elle retourna dans la chambre.) Que
s’est-il passé ?
— Tout va bien.
Tu es sûr ? Voulut-elle demander parce qu’elle le sentait tendu et préoccupé.
Mais alors, il disparut dans sa penderie.
— Tu peux rester ici, continua-t-il. Ne t’inquiète pas.
— Mais…
— Il n’y a pas de mais.
— Rhage, que s’est-il passé ?
— Je dois sortir ce soir avec mes Frères. (Il ressortit de la penderie sans sa
veste et l’emmena jusqu’à son lit où il la fit asseoir à côté de lui.) Les doggens—
ce sont nos serviteurs— savent que tu es là. Ils sont incroyablement fidèles et
serviables, et tu n’as rien à craindre d’eux. Fritz, qui dirige la maison,
192
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
193
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Elle oublia le film devant ces larges épaules à admirer, tous ces muscles, cette
serviette qui lui moulait les reins. Et le tatouage— cette sinueuse et féroce
créature aux yeux blancs.
— Des jumeaux, Basil, ce sont des jumeaux, cita Rhage avec une parfaite
intonation et au moment exact de la réplique.
Il lui adressa un clin d’œil et disparut dans sa penderie.
Sans pouvoir s’en empêcher, elle le suivit et s’adossa à l’un des battants,
essayant de prendre une pose nonchalante. Il était de dos et enfilait un pantalon
de cuir noir (sans sous-vêtement !) Le tatouage remua tandis qu’il ajustait sa
fermeture.
Elle poussa un soupir. Quel homme— Euh, vampire. N’importe.
Il lui jeta un coup d’œil.
— Tu vas bien ? (En fait, non… tout à coup, elle avait chaud partout.)
Mary ?
— Je vais très bien. (Elle baissa les yeux comme prise d’un intérêt soudain
pour la série de chaussures qui s’alignait sur le sol.) Je vais faire une overdose
de tes DVD jusqu’à en tomber dans le coma.
Lorsqu’il se pencha pour enfiler des chaussettes, elle caressa du regard sa
peau lisse. Si douce. Si dorée. Si nue—
— Pour dormir, dit-il, tu prendras le lit, et je me mettrai par terre.
Mais non, elle le voulait avec elle dans ce grand lit, pensa-t-elle
— Ne sois pas idiot, Rhage. Nous sommes adultes. Et ton lit est assez grand
pour dormir à six.
— Tu crois ? (Il hésita.) Très bien, je te promets de ne pas ronfler.
Et peux-tu aussi me promettre de mettre tes mains partout sur moi ?
Il enfila un tee-shirt noir à manches courtes et une paire de lourdes bottes de
combats. Puis il s’arrêta devant un coffre-fort métallique encastré contre le mur
du fond. Et la regarda.
— Mary, tu peux sortir un moment ? J’ai besoin d’une minute. D’accord ?
Elle rougit et se détourna.
— Désolée, je ne voulais pas être indiscrète—
Il lui prit la main.
— Ce n’est pas ça. Mais je ne crois pas que tu vas aimer ce que vas voir.
Comme si elle pouvait encore être choquée après tout ce qu’elle avait vécu
aujourd’hui ?
— Vas-y, murmura-t-elle. Fais… ce que tu as à faire.
194
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Rhage lui caressa le poignet du pouce tout en ouvrant son coffre. Puis il en
sortit un harnais de cuir qu’il passa sur ses épaules et attacha sous ses pectoraux.
Il mit ensuite une ceinture de cuir, comme celle des flics, avec un holster— mais
sans rien dedans.
Il lui jeta un coup d’œil, puis sélectionna ses armes.
Deux longues dagues noires qu’il croisa sur sa poitrine, poignées vers le bas.
Un revolver à l’éclat mat dont il vérifia le chargeur d’un geste sûr, avant de
l’accrocher à ses hanches. Des étoiles ninja— comme celles utilisées dans les
arts martiaux— deux gros chargeurs de munitions qu’il flanqua dans sa ceinture.
Et un autre couteau, très mince, qu’il cacha quelque part sur lui.
Il prit sur un cintre un long manteau noir qu’il enfila sur tout ça, tâtant ses
poches. Il sortit du coffre un autre revolver, le vérifia avant de le cacher dans les
plis du manteau. Il mit d’autres étoiles ninja dans ses poches. Et encore un
couteau.
Quand il lui fit face, elle recula, horrifiée.
— Mary, ne me regarde pas comme un étranger. C’est toujours moi là-
dessous.
Mais elle ne s’arrêta pas avant d’atteindre le lit.
— Tu es un étranger, murmura-t-elle.
Le visage de Rhage se durcit, et sa voix se fit sèche.
— Je reviendrai avant l’aube.
Il la quitta sans un regard en arrière.
Mary ne sut pas combien de temps elle resta assise, les yeux dans le vide.
Mais ensuite elle se décida, se pencha en avant, et prit le téléphone.
195
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
196
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Chapitre 24
Bella ouvrit son four, jeta un œil sur son dîner, puis abandonna tout espoir.
Archi-foutu.
Elle prit une paire de maniques et sortit le pain de viande. Le pauvre truc avait
débordé du plat. Le dessus était noir, avec des crevasses desséchées. C’était
manifestement immangeable. L’avenir de ce truc serait dans le bâtiment. Encore
quelques dizaines et Bella pourrait envisager de construire un mur autour de la
terrasse.
En refermant la porte du four d’un coup de hanche, elle aurait juré que le truc
hautement sophistiqué la regardait d’un air méprisant. D’ailleurs, l’animosité
était réciproque. Quand son frère avait installé la ferme pour elle, il avait
commandé le nec plus ultra des appareils ménagers, parce que c’était toujours
ainsi que Rehvenge agissait. Et il n’avait aucunement tenu compte du fait
qu’elle aurait préféré un décor plus intime en gardant à la ferme son aspect
ancien et confortable. Elle n’avait pas davantage évité un plein chargement
d’instruments électroniques destinés à la protéger— la condition formelle pour
que son frère accepte qu’elle emménage seule. Et il avait transformé sa maison
en un mausolée à l’épreuve du feu et des balles, aussi imprenable qu’une
banque. Ah, la joie d’avoir un frère autoritaire et intransigeant, avec une
mentalité de bouledogue.
Elle reprit son plat et approchait de la porte-fenêtre qui donnait sur l’arrière
quand son téléphone sonna.
En répondant, elle espéra que ce n’était pas Rehvenge.
— Allo ?
Un bref silence, puis : « Bella ? »
— Mary ! J’ai cherché à te joindre tout à l’heure. Attends juste une
minute, je dois sortir ce truc. (Elle posa le combiné, ouvrit la fenêtre et jeta à
l’extérieur le contenu malodorant, puis prit le temps de faire couler de l’eau dans
le plat avant de récupérer son combiné.) Comment vas-tu ?
— Bella, (la voix de l’humaine était tendue,) j’ai vraiment besoin que tu me
dises un truc.
— Ce que tu veux, Mary. Que se passe-t-il ?
— Es-tu… aussi comme eux ?
Bella tomba lourdement sur une chaise de sa cuisine.
197
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
198
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
— Oui. Et sa transition ne va pas tarder. C’est à cause de lui que je m’ai été
mêlée à tout ça. Il va mourir s’il reste seul le jour où le change arrivera. Il aura
besoin d’une femelle de notre race.
— Et tu as su pour John la nuit où tu l’as rencontré chez moi ?
— Oui. (Bella choisit ses mots avec soin.) Mary, le guerrier… t’a-t-il bien
traitée ? A-t-il été… gentil avec toi ?
— Il s’occupe très bien de moi. Et il me protège. Mais je ne comprends pas
pourquoi.
Bella eut un soupir, parce qu’elle pensait avoir la réponse. Vu la fixation du
Frère pour cette humaine, il s’était probablement dédié à elle.
— Je reviendrai bientôt à la maison, dit Mary. D’ici quelques jours.
Bella n’y croyait pas un seul instant. Mary était désormais bien plus
impliquée dans leur monde qu’elle ne le réalisait.
199
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Ils devaient hurler pour couvrir le bruit des marteaux, mais ce n’était pas un
problème par ici. Ils se trouvaient au milieu de trente hectares de terrain désert, à
une demi-heure du centre de Caldwell. Á l’ouest de la propriété, un marécage
servait d’écoulement à l’un des bras mort de l’Hudson. Au nord et à l’est,
s’étendait la montagne Big Notch, un énorme tas de pierres arides qui
n’intéressait pas les randonneurs ou les grimpeurs parce que c’était un nid de
serpents à sonnettes— que les touristes appréciaient peu. Le seul accès était par
le sud, mais c’était la cambrousse, avec de rares fermes décaties. Les péquenots
qui y vivaient n’étaient pas trop du genre à vadrouiller.
— Ça prend forme, dit M. X. Montrez-moi où seront vos unités de stockage.
— Là. (O pointa une section du sol.) Nous recevrons le matériel nécessaire
demain matin. Et d’ici vingt-quatre heures, nous serons prêts à recevoir des
visiteurs.
— Vous avez été plutôt efficace, fiston.
Bordel, O détestait cette façon déconnante qu’avait le mec de s’exprimer.
Vraiment.
— Merci, sensei, dit-il.
— Maintenant, raccompagnez-moi jusqu’à ma voiture. (Lorsqu’ils furent un
peu éloignés des hommes au travail, M. X ajouta :) Dites-moi, avez-vous des
contacts avec les Betas ?
— Pas vraiment, dit O sans laisser son regard dévier.
— En avez-vous récemment rencontré quelques-uns ?
Merde, où le directeur voulait-il en venir avec ça ?
— Non.
— Pas même la nuit dernière ?
— Non, je vous l’ai déjà dit. Je ne fréquente pas les Betas. (O fronça les
sourcils. Il savait qu’il ferait montre d’une sorte de faiblesse en demandant des
explications, mais tout à coup, il s’en foutait.) Pourquoi ?
— Parce que ces Betas qui ont disparu dans le parc la nuit passée avaient des
possibilités intéressantes. Je détesterais l’idée que vous cherchiez à éliminer une
éventuelle compétition.
— Un Frère—
— Oui, il semble qu’un membre de la Confrérie les ait attaqués. C’est exact.
Curieux pourtant, parce que les Frères terminent toujours proprement leur travail
en poignardant les corps pour les désintégrer. Or, la nuit passée, les Betas ont
juste été laissés pour morts. Suffisamment abimés pour ne pas pouvoir répondre
200
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
aux questions du groupe qui est allé à leur rescousse. Aussi, personne ne sait
exactement ce qui s’est passé.
— Je n’étais pas dans le parc, et vous le savez.
— Vraiment ?
— Bon sang—
— Restez poli. Et faites bien attention à vous. (Les pâles yeux de M. X
s’étrécirent avec un éclat menaçant.) Vous savez qui viendra si je dois à nouveau
resserrer votre collier, non ? Maintenant, retournez au boulot. Je vous verrai à
l’aube, avec les autres Primes, pour un compte-rendu.
— Je pensais que les mails servaient justement à ça, dit O les dents serrées.
— Á partir de maintenant, je veux vous rencontrer tous les jours, en
personne, vous et vos hommes.
Quand le monospace s’éloigna, O resta un moment à fixer la nuit, écoutant les
bruits de la construction derrière lui. Il aurait dû être fou de rage. Au lieu de ça,
il n’était que… fatigué. Il ne lui restait plus aucun enthousiasme pour son
boulot. Et il se foutait même des conneries de X. Il avait perdu la foi.
Mary vérifia une nouvelle fois le réveil : « 01 h 56 A.M. » Encore des heures
à attendre avant l’aube, et elle n’avait aucune chance de s’endormir. Dès qu’elle
fermait les yeux, elle revoyait toutes ces armes accrochées au corps de Rhage.
Elle roula sur le dos. L’idée de ne jamais le revoir était si horrible qu’elle
refusa de s’attarder sur ses sentiments. Elle les acceptait tout simplement, les
endurait, et espérait un peu de repos.
Seigneur, elle aurait voulu revenir au moment où ils s’étaient séparés. Elle
aurait voulu le serrer fort dans ses bras. Et lui demander de faire attention à lui,
même si elle ne savait rien des combats alors que lui était, elle l’espérait, un
maître en la matière. Elle voulait juste qu’il revienne entier—
Soudain, il y eut le bruit d’un verrou qui tournait puis la porte s’ouvrit en
grand. Et la tête de Rhage apparut, ses cheveux blonds reflétant la lumière du
couloir.
Mary bondit hors du lit, traversa la chambre en courant et se jeta sur lui.
— Waouh, que… (Il la rattrapa et la souleva d’un bras, serrée contre lui,
tandis qu’il avançait et refermait la porte sur eux. Quand il la relâcha, elle glissa
le long du corps dur.) Tu vas bien ?
Lorsque ses pieds touchèrent le sol, Mary reprit contact avec la réalité. Et ne
sut quoi répondre.
201
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
— Mary ?
— Ah, oui… Oui, je vais bien. (Elle s’écarta, regarda autour d’elle, clignant
des yeux à plusieurs reprises.) C’est juste que… ah. Je vais me recoucher.
— Ne bouge pas, femelle. (Rhage enleva son manteau, son harnais et sa
ceinture.) Reviens ici tout de suite. J’adore ta façon de m’accueillir.
Il lui ouvrit grand les bras et elle s’y jeta à nouveau, se collant contre lui. Il
était chaud et sentait merveilleusement bon, l’air frais et la saine transpiration.
— Je ne pensais pas te trouver éveillée, murmura-t-il en lui frottant le dos de
bas en haut.
— Pouvais pas dormir.
— Je t’ai dit que tu ne risquais plus rien, Mary. (Les doigts de Rhage
trouvèrent la base de sa nuque et la massèrent doucement.) Mince, tu es
sacrément tendue. Tu es sûre que ça va ?
— Oui.
La main se figea.
— Tu ne réponds jamais la vérité, pas vrai ?
— Mais si. (D’une certaine façon.)
La main reprit ses mouvements.
— Pourrais-tu me promettre quelque chose ?
— Quoi ?
— Si un jour ça ne va pas, dis-le-moi sincèrement. (La voix se fit doucement
moqueuse :) Je sais que tu es un vaillant petit guerrier, aussi je ne m’y attends
pas trop. C’est promis ?
— C’est promis, dit-elle.
Lorsqu’il lui releva le menton du doigt, ses yeux étaient graves.
— N’oublie pas cette promesse. (Puis il l’embrassa sur la joue.) Je descends
dans la cuisine pour grignoter un morceau. Tu viens avec moi ? La maison est
tranquille. Les autres Frères sont encore dehors.
— Oui, laisse-moi me changer.
— Prends une de mes polaires. (Il alla jusqu’à sa commode et sortit quelque
chose de noir, très doux, et aussi immense qu’une bâche.) J’aime l’idée que tu
portes mes vêtements.
Il l’aida à l’enfiler, et la regarda. Son sourire exprimait une satisfaction toute
masculine. Et un air de propriétaire.
Ce qui le rendait encore plus beau.
Lorsqu’ils eurent fini de manger, Rhage eut du mal à se concentrer une fois
remonté dans la chambre. Il sentait la vibration de son corps devenir de pire en
202
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
pire. Et son excitation sexuelle était à son comble : Il était si tendu et brûlant que
son sang bouillonnait presque.
Quand Mary s’installa dans le lit, il alla prendre une douche froide et se
demanda s’il ne ferait pas aussi bien de se soulager avant de retourner vers elle.
Son sexe était dur, douloureux, et la sensation de l’eau qui coulait sur sa peau lui
faisait penser aux mains de Mary. Il s’empoigna et se souvint de sa bouche
posée sur elle, du goût qu’elle avait tandis qu’il caressait sa chair la plus intime.
Il trouva un bref soulagement en moins d’une minute.
Mais il réalisa vite que l’épisode n’avait fait que l’énerver davantage. Comme
si son corps savait parfaitement que la vraie femelle était juste derrière la porte,
et n’avait aucune envie de se laisser distraire par un souvenir.
Avec un juron, il se sécha, puis farfouilla au hasard dans son placard. Il bénit
Fritz d’avoir eu la prévoyance d’y laisser un pyjama— merci Seigneur !— qu’il
n’avait jamais mis. Il l’enfila, puis ajouta un peignoir pour faire bonne mesure.
Il grimaça, se sentant engoncé et mal à l’aise. Mais c’était le but de la
manœuvre.
Il ouvrit la porte de la chambre.
— Il fait assez chaud pour toi ? demanda-t-il en allumant mentalement une
bougie tout en coupant l’électricité.
— Oui, c’est parfait.
Pour lui la température était quasiment tropicale. Et dès qu’il approcha du lit,
il étouffa encore plus. Il s’assit le plus loin d’elle possible.
— Au fait, Mary, d’ici une heure environ, tu vas entendre les volets se fermer
pour la journée. Il y a un rail à l’extérieur des fenêtres. Le bruit n’est pas très
fort, mais je ne veux pas que tu aies peur.
— Merci.
Rhage s’étendit sur la couette et croisa les chevilles. Sa peau hypersensible le
démangeait de partout. Et puis rien n’allait : La chambre trop chaude, le pyjama,
le peignoir… Il avait l’impression d’être un paquet cadeau, enrubanné et serré
dans un joli tissu. Très désagréable sensation.
— Tu dors tout habillé ? demanda-t-elle.
— Toujours.
— Ton peignoir a encore son étiquette, annonça-t-elle.
— C’est pour me souvenir la taille si j’en veux un autre. Voilà !
Il roula sur le côté en lui tournant le dos. Mais ça n’allait pas du tout, alors il
retomba à plat et fixa le plafond. Une minute plus tard, il essayait sur le ventre.
— Rhage ? (Dans la pénombre, sa voix était douce, adorable.)
203
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
— Quoi ?
— Tu dors nu, pas vrai ?
— Oui.
— Alors enlève ces vêtements ridicules. Ça ne me gêne pas.
— Je ne veux pas que tu te sentes… mal à l’aise.
— Ce qui me rend mal à l’aise, c’est que tu gigotes sans arrêt. J’ai
l’impression d’être dans une essoreuse à salade.
Il faillit rire de son ton sérieux, mais il était trop énervé. Et puis, la douleur
qui lui broyait le bas-ventre nuisait nettement à son sens de l’humour.
Et merde, comment avait-il pu croire que s’emmitoufler allait tout arranger ?
Il avait perdu la tête. Il la désirait si fort qu’à part une côte de maille, rien ne
ferait la moindre différence.
Il se releva et se déshabilla, le dos tourné. Puis il réussit, par une manœuvre
subtile, à se glisser dans le lit sans qu’elle puisse apercevoir la monstrueuse
érection qu’il arborait. Elle n’avait pas besoin de ça. Il resta un moment allongé
sur le côté, au bord du lit, présentant son dos à Mary.
— Je peux le toucher ? demanda-t-elle soudain.
Le sexe de Rhage eut un violent sursaut, comme pour signaler son parfait
accord avec cette idée.
— Toucher quoi ?
— Ton tatouage ? J’ai très envie de… le toucher.
Seigneur, elle s’était rapprochée, et cette voix qu’elle avait— cette voix
douce, magnifique— était une pure magie. Mais le bourdonnement en lui devint
si violent qu’il avait l’impression d’avoir un marteau-piqueur au creux de
l’estomac.
Quand il ne répondit pas, elle murmura d’un ton contraint :
— Ce n’est pas grave. Excuse—
— Non. C’est juste… (Merde. Il détestait cette réserve dans la voix de
Mary.) C’est bon. Fais comme tu veux.
Il entendit le froissement des draps, puis il y eut un mouvement du matelas. Et
elle posa ses doigts sur son épaule. Il essaya du mieux qu’il put de cacher son
frémissement.
— Où as-tu fait ça ? chuchota-t-elle en suivant la ligne du maudit dragon.
C’est un travail si extraordinaire.
Tout le corps de Rhage devint attentif… parce qu’il ressentait exactement ce
qu’elle faisait à la bête. Il savait qu’elle touchait la jambe gauche, en remontant,
et sentait la même caresse vibrante sur sa propre cuisse.
204
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Il ferma les yeux, écartelé entre le plaisir intense de sentir la main de Mary sur
lui et la certitude qu’il allait provoquer un désastre. La vibration, le
bourdonnement— tout en lui était au bord de l’implosion, prêt à réveiller la part
la plus sombre et la plus destructive de son être.
Il inspira entre ses dents serrées lorsqu’elle caressa le flanc de la bête.
— Ta peau est si douce, dit-elle en passa la main sur son échine.
Figé de terreur, incapable de respirer, il s’accrocha aux derniers lambeaux de
son self-control.
— Et tu sais… (Elle enleva sa main.) C’est superbe, je trouve.
Il lui sauta dessus avant même de savoir qu’il avait bougé. Et de tout son
poids. Il força les jambes de Mary de ses cuisses dures, lui tira les bras au-dessus
de la tête, et plongea sur sa bouche. Et tandis qu’elle s’arquait contre lui, il lui
arracha sa chemise de nuit. Il allait la prendre. Là maintenant, dans son propre
lit, juste comme il l’avait rêvé. Et elle allait être parfaite.
Les cuisses grandes ouvertes pour mieux l’accueillir, elle l’appelait
doucement, son nom sortant de sa bouche dans un gémissement rauque. Le son
le fit trembler, sa vision changea, et la pulsation de ses membres devint encore
pire. Le désir le consumait, lui enlevait tout ce qui était civilisé et il n’était plus
qu’un instinct primitif et sauvage. Il était…
Comme toujours au plus fort de sa violence, la malédiction choisit de se
rappeler à lui. Une folle terreur lui donna la force de s’écarter d’elle et de sortir
d’un bond du lit. Il recula en trébuchant, jusqu’à heurter violemment quelque
chose avec son dos. Le mur.
— Rhage ?
Il glissa par terre, et mit son visage dans ses bras tremblants, cachant ses yeux
devenus blancs. Son corps tout entier vibrait tellement que les mots sortaient par
à coup.
— Je suis… fou. C’est pas… Merde. Peux pas… Dois m’en aller.
— Pourquoi ? Je ne voulais pas que tu arrêtes—
Il lui coupa la parole.
— Je crève d’envie de te prendre, Mary. J’ai tant besoin… de toi. Mais je ne
peux pas faire ça. Je ne le ferai pas.
— Rhage, dit-elle sèchement, comme pour se faire entendre. Dis-moi
pourquoi.
— Tu ne voudrais pas de moi. Crois-moi, tu ne voudrais pas de moi si tu
savais.
— Ne dis pas ça.
205
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Il ne pouvait pas lui expliquer que sa bête était prête à émerger. Il préférait
qu’elle soit en colère contre lui plutôt que terrifiée.
— J’ai déjà sauté au moins huit femelles cette semaine.
Il y eut un très long silence
— Oh, fit-elle enfin. Ben dis donc.
— Je ne te mentirai pas. Jamais. Alors je vais être clair. J’ai connu
d’innombrables femelles dont je n’ai rien à foutre. C’était juste pour le sexe. Et
je ne veux pas que tu puisses un jour penser que je t’utilise aussi comme elles.
Il sentait que ses pupilles étaient redevenues noires, aussi il put la regarder.
— J’espère que tu t’es protégé durant ces rencontres, marmonna-t-elle.
— Juste quand la femelle me le demandait.
Elle écarquilla les yeux.
— Et sinon ?
— Je ne risque pas d’attraper un rhume, pas plus que le SIDA, l’hépatite B,
ou une autre MST. Et pas parce que je suis déjà malade, Mary. Nous sommes
immunisés contre les infections des humains.
Elle tira les draps pour se couvrir.
— Comment sais-tu que tu ne les as pas mises enceintes ? Est-il possible
pour une humaine et un vampire...
— Les sangs-mêlés sont assez rares, mais ça peut arriver. Je sais quand une
femelle est fertile. Je le sens. Si c’est le cas, je ne la touche pas, même sous
préservatif. Le jour où j’aurai des enfants, ils naîtront en sécurité dans mon
monde. Et leur mère comptera pour moi.
Mary détourna les yeux tandis que son visage prenait un air hagard, presque
hanté. Il vérifia ce qu’elle regardait. C’était la « Madone à l’Enfant » au dessus
de la commode.
— Je suis heureuse que tu m’aies parlé, dit-elle enfin. Mais pourquoi ces
femmes doivent-elles des étrangères, Rhage ? Pourquoi ne peux-tu être avec
quelqu’un… Non, laisse tomber. Ça ne me regarde pas.
— Je préfèrerais être avec toi, Mary. Ne pas te prendre est pour moi… une
torture. Je te désire tellement que je... (Il poussa un long soupir.) Mais peux-tu
honnêtement me dire que tu le veux encore à présent ? Alors que… merde,
même si c’est le cas, il y aura d’autres femelles. Parce que, comme je te l’ai déjà
expliqué, tu me troubles trop. Et que j’ai peur de perdre la tête, de ne plus me
contrôler. Tu as sur moi un effet que personne d’autre n’a jamais eu.
Il y eut un autre très long silence. Qu’elle finit par rompre :
206
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
207
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
208
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Chapitre 25
Tandis que la pâle clarté de la lune filtrait à travers la forêt, O releva le Toro
Dingo, évitant le tas de terre qu’il venait juste d’excaver.
— Vous êtes d’accord pour mettre les tuyaux ? Cria U.
— Oui. Faites-en descendre un. Voyons si ça rentre.
Un tronçon de tuyau d’égout en tôle ondulée métallique, un mètre de diamètre
environ sur deux de long, fut descendu dans le trou et placé debout, en position
verticale. Et il y rentrait parfaitement.
— On va en préparer deux autres, dit O
Vingt minutes plus tard, les trois tuyaux étaient alignés. O utilisa le Dingo
pour repousser la terre tout autour tandis que deux autres lessers tenaient les
tronçons en place.
— Ça a l’air bon, dit U en approchant. Sacrément bon. Mais on fera
comment pour descendre les civils là-dedans ?
— Avec un système de harnais. (O coupa le moteur du Dingo et alla jeter un
coup d’œil dans l’un des tuyaux. Il faudra les acheter chez Dick Sports où ils
vendent du matériel d’escalade. Nous sommes assez forts pour soulever les
civils même complètement inertes— évanouis, drogués ou épuisés. D’ailleurs,
avec la douleur, ils ne se débattent pas beaucoup.
— C’est une idée géniale, marmonna U. Mais c’est sûr qu’ils y resteront ?
— Oui, il y aura des couvercles en métal grillagés, avec un poids au centre.
(O leva les yeux vers le ciel.) Et pour le toit ? Combien de temps encore ?
— On a juste le dernier mur à monter, puis les bardeaux extérieurs à poser, et
les lucarnes à découper. La couverture ne prendra pas longtemps et les trois
premiers murs sont déjà finis. Je vais aussi ranger les outils à l’intérieur, acheter
une table et c’est tout bon pour demain soir.
— Vous aurez mis les protections nécessaires sur les lucarnes ?
— Oui. Des trucs rétractables qu’on peut positionner comme on veut.
Voilà qui allait être très pratique. Un rayon de soleil était la meilleures des
femmes de ménage pour un lesser. Avec ça, un éclair et pouf. Plus rien : Ni
sang, ni morceaux de vampire à nettoyer.
O désigna sa fourgonnette.
— Je vais ramener le Toro jusqu’à l’agence de location. vous avez besoin
d’autre chose en ville ?
209
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
210
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
sang froid. Et lorsqu’il était arrivé sur la côte est, pour fuir la police, il en
connaissait un sacré morceau, niveau meurtre.
C’était juste après que Jennifer ait disparu, quand la douleur le rendait fou. Il
était comme un chien enragé qui avait besoin de mordre pour évacuer la rage qui
le rongeait à vif. Tomber sur la Lessening Société lui avait semblé miraculeux,
et chasser les vampires lui avait donné un dérivatif sur lequel se concentrer pour
exorciser son agonie.
Mais aujourd’hui, les avantages semblaient se dissoudre, et O se sentait vidé.
Tout comme il l’avait été cinq ans auparavant à Sioux City… juste avant de
tomber sur Jennifer.
Du moins, c’était presque la même chose, pensa-t-il en se garant devant
l’agence de location. Parce qu’il était encore vivant à l’époque.
— Tu es sortie de la baignoire ?
Mary se mit à rire, et changea le téléphone d’oreille tout en se renfonçant dans
les oreillers. Il était environ 16 heures.
— Oui, Rhage.
Elle n’avait jamais vécu de journée aussi luxueusement oisive. Á dormir. Á se
faire servir des plateaux dans sa chambre. Ou apporter des livres et des
magazines. Et à profiter du jacuzzi.
C’était comme passer une journée au spa. Du moins un spa où le téléphone ne
cessait de sonner. Elle n’arrivait même plus à décompter le nombre de fois où
Rhage l’avait appelée.
— Fritz t’a apporté ce que je lui avais demandé ?
— Comment a-t-il réussi à trouver des fraises fraîches au mois d’octobre ?
— Nous avons de bons fournisseurs.
— Et les fleurs sont magnifiques. (Elle regarda le bouquet qui mélangeait des
roses, des digitales pourpres, des delphiniums et des tulipes. Le printemps et
l’été dans un vase de cristal.) Merci.
— Je suis heureux que tu les aimes. J’aurais voulu sortir et les choisir moi-
même. J’aurais sélectionné les plus belles pour toi. J’ai demandé à Fritz les plus
brillantes. Les plus odorantes.
— Il a bien accompli sa mission.
Elle entendit des voix mâles en arrière-fond, puis la voix de Rhage un peu
assourdie.
— Cop ? Je peux aller dans ta chambre ? J’ai besoin d’un peu d’intimité.
211
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
212
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Chapitre 26
Rhage tapa du pied dans ses lourdes bottes et regarda la forêt alentour d’un air
furieux. Rien. Pas un son. Pas la moindre odeur de lesser. Aucun signe indiquant
que quelqu’un ait traversé ces bois tranquilles depuis des années. Et ça avait été
la même chose pour tous les autres endroits qu’ils avaient inspectés.
— Mais bordel, qu’est-ce qu’on fout là ? marmonna-t-il.
Merde, il connaissait déjà la réponse. La nuit, précédente Tohr était tombé sur
un lesser dans un coin paumé de la Route 22. L’égorgeur s’était barré à travers
bois sur un VTT, mais il avait égaré un intéressant petit papier en s’enfuyant :
Une liste de grandes parcelles de terrain actuellement en vente aux alentours de
Caldwell.
Toute la journée, Butch et V avaient vérifié quelles propriétés du même genre
avaient été vendues au cours des douze derniers mois, aussi bien par les notaires
en ville que dans les bourgs avoisinants. Ils avaient ainsi établi une liste d’une
cinquantaine de terrains. Rhage et V avaient déjà inspectés cinq d’entre eux, et
les jumeaux en vérifiaient d’autres de leur côté. Pendant ce temps, Butch était à
la Piaule, prenant note de leurs différents rapports de terrain, pour établir une
carte détaillée, cherchant à définir une structure. Il faudrait encore quelques
nuits pour vérifier tous les terrains, parce qu’il y avait aussi les patrouilles à
maintenir en ville. Et Rhage tenait à surveiller la ferme de Mary.
Il arpenta encore un peu les bois, espérant qu’une ombre devienne soudain un
lesser. Il commençait à détester toutes ces branches. Et le souffle du vent entre
elles qui créait des illusions.
— Mais où sont donc ces salopards ?
— Du calme, Hollywood. (V se frotta la barbe, puis tira sur sa casquette des
Red Sox.) Mec, tu es sacrément nerveux ce soir.
Nerveux décrivait mal son état. Il vibrait avec intensité qui lui donnait le
tournis. Il avait espéré que s’éloigner toute la journée de Mary l’aiderait. Il avait
prévu pouvoir se battre ce soir pour défouler son énergie. Il avait aussi compté
sur le manque de sommeil pour le calmer.
Oui, pas à dire : C’était brillant comme résultat. Il désirait Mary avec un
désespoir fanatique qui n’avait plus rien à voir avec sa proximité. Il n’avait pas
vu la queue d’un lesser. Et ne pas dormir depuis quarante-huit heures le rendait
encore plus agressif.
213
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Pire, il était maintenant 3 heures du matin. Trop tard pour le combat dont il
avait désespérément besoin. Bon sang—
— Rhage. (V agitait sa main gantée devant ses yeux.) Tu es toujours avec
moi, mon Frère ?
— Désolé. Quoi ?
Il se frotta les yeux. Le visage. Les bras. En fait, sa peau le démangeait de
partout. Il avait l’impression d’être couvert de fourmis rouges.
— Tu es sacrément à cran.
— Je vais très bien.
— Alors pourquoi tu te frottes les bras comme ça ?
Rhage cessa immédiatement. Et se mit alors à malaxer ses cuisses.
— Il faut aller au Cyclope, dit V calmement. Tu es trop tendu. Il te faut une
femelle.
— Bordel, non !
— Fhurie m’a raconté dans quel état il t’avait retrouvé dans le couloir.
— Vous êtes de vraies commères, les mecs. C’est pas croyable.
— Si tu ne peux pas prendre ta femelle et que tu ne trouves pas d’adversaire,
quelles sont tes options ?
— Ça n’est comme d’habitude. (Il se tordit le cou, essayant de détendre ses
épaules et sa nuque.) Je viens juste de me transformer. Ça ne peut pas revenir
aussi vite—
— Entre ce qu’on veut et ce qu’on obtient, c’est toujours le choix le plus
merdique qui gagne. Tu es en zone rouge, mon Frère. Et tu sais quoi faire pour
en sortir, pas vrai ?
214
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
215
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
216
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Chapitre 27
Á 3 h 30, John Matthew marcha depuis Chez Moe jusqu’à chez lui en suivant
la voiture d’une patrouille de police. Il détestait ces heures du petit matin. Assis
dans son appartement, il était comme dans une cage, mais il ne pouvait pas non
plus rester aussi tard dans les rues. Et pourtant… Seigneur, il était si énervé ces
derniers temps qu’il avait presque le goût de son agitation dans sa bouche. Et le
fait de ne pouvoir parler à personne rendait la situation encore pire.
Il avait réellement besoin d’un conseil. Depuis le départ de Tohrment, il avait
la tête à l’envers, à sans arrêt se demander s’il avait fait le bon choix. Il ne
cessait de se répéter que oui, mais ça ne l’empêchait pas d’avoir des regrets.
Il aurait souhaité revoir Mary. Il était allé jusque chez elle, mais tout était
fermé et éteint. Et elle n’était pas revenue à la hotline. Elle avait disparu. Il
s’inquiétait pour elle, ce qui n’arrangeait pas son état.
En approchant de son immeuble, il vit une fourgonnette garée devant. La
plage arrière était pleine de cartons, comme si quelqu’un emménageait.
Curieuse heure pour ce genre de choses, pensa-t-il en regardant le
chargement. Il remarqua alors que personne ne montait la garde à côté et espéra
que le propriétaire revienne vite. Sinon, il allait se faire piquer toutes ses
affaires.
John entra dans son immeuble et prit les escaliers, ignorant les mégots, les
canettes vides et les emballages de chips jetés ça et là. Quand il arriva sur le
palier du premier, il plissa soudain les yeux. Il y avait un truc renversé partout.
D’un rouge sombre…
Du sang.
En reculant dans l’escalier, il regarda sa porte. Avec une tâche éclaboussée au
milieu, comme si quelqu’un avait eu la tête… Mais il vit par terre les tessons
d’une bouteille verte. Du vin rouge. Ce n’était que du vin rouge. Un couple
d’ivrognes vivait dans l’appartement d’à côté, et ils avaient dû se battre dans le
couloir.
Il sentit ses épaules se détendre.
— Excuse-moi, dit quelqu’un dans l’escalier, au-dessus de lui.
John se poussa et leva les yeux. Et tout son corps se figea.
217
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
L’homme était très grand, vêtu d’un pantalon de treillis noir et d’un blouson
de cuir. Ses cheveux et sa peau étaient extrêmement pâles, et ses yeux délavés
avaient un reflet bizarre.
Mauvais. Non-vivant. Ennemi.
Cet homme était son ennemi.
— Y’a un sacré bordel par ici, dit le mec avant de regarder soudain John d’un
air suspicieux. T’as un problème ?
John secoua la tête avec énergie, et baissa les yeux. Son premier instinct fut
de s’enfermer dans son appartement, mais il ne voulait pas que le mec sache où
il habitait.
L’autre ricana.
— Tu m’as l’air un peu pâlichon, gamin.
John redescendit les escaliers à toute allure, puis sortit dans la rue. Il courut
jusqu’au coin, tourna à gauche, et continua jusqu’à ce qu’il ne puisse plus
avancer, le souffle coupé. Haletant, il se cacha entre une benne à ordures et un
immeuble de briques.
Dans ses rêves, il combattait des hommes pâles. Des fantômes aux vêtements
noirs et sans âme.
Son ennemi.
Il tremblait si fort qu’il eut du mal à glisser sa main dans sa poche. Il en sortit
25 cents, et serra la pièce jusqu’à ce qu’elle s’incruste dans sa paume. Quand il
eut récupéré son souffle, il se pencha pour jeter un œil dans la ruelle. Personne.
Aucun bruit de pas lourds résonnant sur l’asphalte.
Son ennemi ne l’avait pas reconnu.
John quitta l’abri de la benne et avança jusqu’au coin de la rue suivante.
Le téléphone public était couvert de graffitis et ne payait pas de mine, mais
John savait qu’il fonctionnait parce qu’il avait déjà appelé Mary de là. Plusieurs
fois. Il mit la pièce dans la fente et tapa les numéros que Tohr lui avait donnés.
Dès la première sonnerie, une voix électronique répéta les numéros.
John attendit le « bip », puis siffla.
218
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Chapitre 28
Juste avant l’aube, Mary entendit des voix. Puis la porte s’ouvrit. Son cœur
sombra dans sa poitrine en voyant Rhage dans l’entrebâillement. Elle entendit
quelqu’un dire dans le couloir :
— Mec, sacré combat dans ce bar, ce soir. Tu étais dans une forme
éblouissante.
— Je sais, marmonna Rhage.
— Tu as été dément, Hollywood. Et je ne parle pas que de tes poings. Cette
femelle que tu—
— Á plus tard, Fhurie.
La porte se referma, et la lumière de la penderie s’alluma. D’après les
cliquètements métalliques, il devait enlever ses armes. En ressortant, il poussa
un soupir douloureux.
Mary fit semblant de dormir quand le bruit de ses pas approcha en hésitant du
lit, puis elle l’entendit aller vers la salle de bain. Lorsque la douche se mit en
route, elle imagina tout ce qu’il nettoyait de son corps. Le sexe. La bagarre.
Le sexe surtout.
Elle se couvrit le visage à deux mains. Elle allait rentrer chez elle dès le lever
du jour. Elle allait emballer ses affaires et partir. Il ne pouvait l’obliger à rester.
Il n’était pas responsable d’elle… même s’il se l’imaginait.
L’eau cessa de couler.
Le silence sembla aspirer tout l’oxygène de la chambre. Mary essaya de rester
calme. S’étouffa. S’asphyxia… Puis elle rejeta les couvertures et fonça vers la
porte. Les mains agrippées à la poignée, elle essaya de libérer le verrou, tirant
dessus jusqu’à ce que la tête lui tourne.
— Mary, dit Rhage, juste derrière elle.
Elle fit un bond et tira plus fort.
— Laisse-moi sortir. Je veux sortir… Je ne peux pas rester dans cette
chambre. Je ne peux pas… rester là. Pas avec toi. (Lorsqu’elle sentit les mains
de Rhage sur ses épaules, elle hurla :) Ne me touche pas.
Elle s’écarta de lui et recula en vacillant jusqu’au coin le plus éloigné de la
pièce, puis réalisa qu’elle ne pouvait aller plus loin. Ni sortir puisqu’il était
devant la porte. D’ailleurs, elle eut le sentiment que c’est lui qui avait bloqué les
verrous exprès.
219
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Coincée, elle serra ses deux bras autour d’elle et se colla le dos au mur pour
pouvoir rester debout. Elle ne savait pas ce qu’elle ferait s’il la touchait encore.
Mais Rhage n’essaya même pas.
Il s’assit sur le lit, une serviette autour des hanches, les cheveux humides. Il
passa une main tremblante sur son visage, le long de sa mâchoire. Il avait une
mine épouvantable, mais son corps restait la plus belle œuvre d’art que Mary ait
jamais vue. Elle évoqua d’autres femmes posant leurs mains sur ces larges
épaules, comme elle-même l’avait fait. Et elle le vit caresser d’autres corps,
comme il avait caressé le sien.
Elle était écartelée entre l’envie de remercier le ciel de n’avoir pas couché
avec lui, et une exaspération sans nom parce qu’il avait refusé de le faire. Il
prenait toutes les autres femmes— mais pas elle.
— Combien ? demanda-t-elle d’une voix si rauque que les mots portaient à
peine. J’espère au moins que c’était bon pour toi ? Je n’ai pas besoin de te
demander si elles ont aimé. Après tout, je sais que tu es doué.
— Mary… ma douce, murmura-t-il. Si tu me laissais juste te tenir. Seigneur,
je pourrais tuer pour pouvoir te tenir contre moi.
— Ne t’approche plus jamais de moi, cracha-t-elle, furieuse. Dis-moi
combien elles étaient ? Quatre ? Plus ?
— Tu veux vraiment des détails ? (Sa voix était calme, triste à pleurer. Et
soudain il laissa tomber sa tête, comme si son cou ne la soutenait plus. Il avait
l’air d’un homme détruit.) Je ne peux plus… Je ne le ferai plus. Je trouverai un
autre moyen.
— De prendre ton pied ? aboya-t-elle. Vu qu’avec moi, c’est fichu, pourquoi
n’essaies-tu pas de te branler ?
Il poussa un long soupir.
— Ce dessin…. sur mon dos. Il fait partie de moi.
— Je m’en fiche. Je veux rentrer chez moi.
Il tourna la tête vers elle.
— Non.
— Si !
— Je te laisserai la chambre. Tu n’auras pas à me revoir. Mais tu ne partiras
pas.
— Et comment vas-tu m’en empêcher ? Tu vas m’enfermer ?
— Si je dois le faire, certainement.
Elle recula.
— Tu n’es pas sérieux.
220
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
221
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
222
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
223
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Mais Mary cessa de le regarder pour ne plus penser qu’à ses propres
réactions. Fixant son attention sur l’endroit où leurs deux corps se joignaient,
elle s’agrippa aux épaules de Rhage et se souleva doucement. La friction envoya
comme un choc électrique, une décharge de plaisir qui aida à le recevoir plus
aisément en elle. Elle ondula sur son sexe, encore et encore, dans un rythme lent
et sensuel, chaque va-et-vient augmentant son plaisir et la réponse érotique de
son corps.
Avec de plus en plus d’assurance, elle le chevaucha et prit ce qu’elle
voulait de lui : Sa force et sa dureté, sa chaleur et sa taille, jusqu’à ce que toute
cette énergie sauvage forme un nœud au plus profond d’elle-même. Alors
seulement, elle ouvrit les yeux et le regarda.
Il était l’image même de l’homme en pleine extase. Le corps en sueur, la tête
renversée, le menton levé, les cheveux épars sur l’oreiller, les lèvres
entrouvertes. Et il la regardait aussi, entre ses paupières mi-closes, avec un
regard lourd qui s’attardait sur ses seins et son ventre, là où il s’enfonçait en elle.
Comme s’il était subjugué par elle.
Elle referma les yeux, repoussant l’image de cette adoration… qui lui donnait
l’étrange envie de pleurer. Pas le bon moment pour ça. Elle ne voulait plus
penser qu’à l’orgasme qui arrivait. Dont elle était si proche.
Il ne lui fallut pas longtemps pour exploser. L’onde de plaisir la traversa avec
la force d’un ouragan, la rendant soudain sourde et aveugle, arrêtant le battement
de son cœur et le souffle de ses poumons… Elle ne fut plus que sensations.
Jusqu’à ce qu’elle s’écroule sur lui.
Sa respiration se calma peu à peu, et elle prit conscience qu’il lui caressait
doucement le dos tout en lui chuchotant des mots tendres.
Elle avait si honte que des larmes amères lui brûlèrent les yeux.
Quoi qu’il ait fait ce soir, rien ne justifiait la façon dont elle l’avait utilisé.
Elle avait été en colère, d’accord, mais elle avait cherché son plaisir d’une façon
impersonnelle et égoïste— sans même vouloir le regarder. Elle l’avait traité avec
autant de considération qu’un vibromasseur.
— Je suis désolée, Rhage. Je suis… tellement…
Elle fit le geste de se soulever, puis réalisa qu’il était toujours planté en elle.
Et qu’il n’avait même pas joui.
C’était horrible. Tout cet épisode était horrible.
Les mains de Rhage s’agrippèrent aux cuisses de Mary.
— Ne regrette jamais ce que nous faisons ensemble.
Elle le regarda bien en face.
224
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
225
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
l’empêcher. Si tu me laisse continuer, cette odeur sera partout sur toi : Sur ta
peau, tes cheveux. Et en toi aussi.
Il s’enfonça profondément, et elle s’arqua de plaisir, laissant la chaleur
envahir son corps.
— Je ne pourrai jamais revivre ce qui s’est passé ce soir, gémit-elle plus pour
elle-même que pour lui.
Il se figea, puis prit la main de Mary et la posa sur son cœur.
— Je te le jure sur mon sang, Mary. Ça n’arrivera plus jamais.
Ses yeux étaient graves, et le serment de ceux qui comptaient. Mais le
soulagement qu’elle ressentit se mêla d’un trouble profond.
— Je ne veux pas t’aimer, dit-elle. Je ne peux pas me le permettre.
— Je sais. Ce n’est pas grave. Je t’aime assez pour nous deux. (Il plongea à
nouveau en elle.)
— Tu ne me connais même pas, protesta-t-elle en le mordillant à l’épaule,
puis elle lécha sa clavicule et le goût de sa peau s’attarda sur sa langue, avec
cette fragrance spéciale qui n’appartenait qu’à lui.
— Bien sûr que si. (Il s’écarta un peu d’elle pour la regarder dans les yeux,
avec une conviction primitive et passionnée.) Je sais que tu m’as protégé quand
le soleil m’a rendu faible et sans défense. Je sais que tu m’as soigné alors que tu
avais peur. Je sais que tu m’as offert de la nourriture que tu as préparée toi-
même. Je sais que tu as le courage d’un guerrier, que tu es une survivante, une
wahlker. Et je sais que ta voix est le son le plus merveilleux que j’aie jamais
entendu. (Il l’embrassa doucement.) Je sais tout de toi, Mary, et tout ce que je
vois est adorable. Tout ce que je vois est à moi.
— Je ne suis pas à toi, chuchota-t-elle.
Le rejet ne sembla pas l’abattre.
— Très bien. Si je ne peux t’avoir, alors c’est toi qui prendras de moi ce que
tu veux. Choisis. Tu peux prendre tout, ou seulement une moitié, ou même un
petit bout. Ce que tu veux. Mais je t’en prie : Prends quelque chose.
Elle leva la main vers son visage, caressant les traits parfaits, les méplats de
ses joues et de ses mâchoires.
— As-tu peur de la douleur ? demanda-t-elle.
— Non. La seule chose qui me fasse peur, c’est l’idée de te perdre. (Il
regarda sa bouche.) Alors, dis-moi, veux-tu que je me retire ? Je le ferai si tu me
le demandes.
— Non, reste.
226
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Mary garda les yeux ouverts en levant la tête pour l’embrasser, et c’est elle
qui le caressa de sa langue cette fois.
Il frissonna et se mit à aller et venir en elle dans un rythme aussi vieux que le
monde, son sexe se retirant presque complètement avant de replonger au plus
profond.
— Tu es… si parfaite, dit-il en ponctuant les mots de coups de rein. Tu es
faite… pour moi, Mary.
La fragrance épicée émergea à nouveau de sa peau, et l’odeur s’intensifia
tandis qu’il continuait à lui faire l’amour… jusqu’à ce que, pour Mary, le monde
entier se réduise à Rhage : Son odeur, son goût, sa présence en elle.
Elle hurla son nom en jouissant, et le sentit basculer en même temps qu’elle,
le grand corps ruant dans le sien, grognant et criant son plaisir.
Quand il s’immobilisa, il roula sur lui-même pour se mettre de côté. Et il la
garda serrée contre lui, si près qu’elle entendait battre son cœur dans sa poitrine.
Elle ferma les yeux et s’endormit avec un épuisement qui était presque de
l’inconscience.
227
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
228
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Chapitre 29
En fin d’après-midi, alors que le soleil se couchait et que les volets qui
avaient scellé les fenêtres se relevaient, Mary décida qu’elle pourrait vite
s’habituer à être dorlotée par Rhage. Mais pas à manger autant. Avec un petit
rire, elle repoussa la fourchette garnie de pommes de terre qu’il approchait de sa
bouche
— Non, je n’en peux plus, dit-elle en se laissant retomber sur les oreillers.
Une bouchée de plus et je vais exploser.
Il lui sourit, enleva le plateau et le déposa sur la table de chevet, puis se rassit
à côté d’elle. Il était resté absent presque toute la journée— à travailler pensait-
elle— et elle avait apprécié pouvoir dormir et récupérer. Elle était de plus en
plus fatiguée, et c’était dû à sa maladie. Elle se sentait replonger, savait que son
corps luttait pour conserver ses fonctions vitales, que les petites douleurs et
crampes qu’elle ressentait ici et là ne feraient que s’aggraver. Et sa peau se
marquait de bleus à une vitesse alarmante. En les voyant, Rhage avait été
horrifié, persuadé qu’il avait été trop brutal pendant l’amour. Elle avait eu du
mal à le convaincre que ce n’était pas de sa faute.
Mary préféra penser à Rhage pour oublier sa maladie. Et le rendez-vous
médical qui approchait. Lui-aussi avait une sale mine, ce qui le rendait nerveux
au lieu de l’épuiser. Le pauvre n’arrivait pas à rester tranquille. Même assis à
côté d’elle sur le lit, il se grattait la cuisse à deux mains, comme s’il avait des
démangeaisons féroces. Les vampires souffraient-ils d’intoxications alimentaires
ou de varicelle ? Elle s’apprêtait à lui poser la question lorsqu’il parla :
— Mary, me laisserais-tu faire quelque chose ?
Elle n’avait pas vraiment l’esprit au sexe, mais elle regarda les muscles qui
tendaient son tee-shirt.
— Je dois deviner ?
Il émit un sourd grondement.
— Ne me regarde pas comme ça.
— Pourquoi pas ?
— Parce que ça me donne envie de te sauter dessus.
— Fais-le.
229
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Les pupilles de Rhage devinrent blanches. C’était d’un effet étrange. Elles
avaient été noires la minute précédente, et soudain une vive lumière brillait au
centre de ses prunelles.
— Comment fais-tu ça ? demanda-t-elle.
Les lourdes épaules se voutèrent et Rhage se pencha, bras sur les cuisses,
comme pour se contenir. Puis il se releva d’un bond et arpenta la pièce. Elle
sentait l’énergie qui vibrait en lui, émanait de lui, et tourbillonnait autour de lui.
— Rhage ?
— Ne t’inquiète pas.
— Vu le ton de ta voix, ce n’est pas très convainquant.
Il sourit et secoua la tête.
— Non, ça va. Et pour ce que je voulais te demander, j’aimerais consulter un
médecin de notre race. Pourrais-tu lui montrer ton dossier médical ? Notre
science peut peut-être t’aider.
Mary fronça les sourcils. Un médecin vampire ? Voilà une alternative
inattendue.
— D’accord. Mais je ne sais pas comment obtenir une copie—
— Mon Frère V est un véritable génie en informatique. Il peut entrer dans
n’importe quel système et ton dossier est très certainement en ligne. Tu n’as
qu’à me donner le nom et l’adresse de tes toubibs. Et les dates des interventions
aussi, si tu les connais.
Il prit un stylo et un papier, et elle lui indiqua où elle avait été soignée, et le
nom de ses différents docteurs. Il nota tout, puis regarda fixement la feuille
devant lui.
— Quoi ? demanda-t-elle.
— Il y en a tant. (Il leva les yeux sur elle.) Que t’ont-ils fait, Mary.
Sa première impulsion fut de tout lui dire : Qu’elle avait subi deux
chimiothérapies, et aussi une greffe de moelle dont elle avait failli mourir. Puis
elle se souvint de la nuit précédente, lorsque ses émotions avaient été trop
violentes, trop incontrôlées. En ce moment, elle était aussi instable qu’une
cartouche de dynamite, et sa maladie était comme une allumette qui se
rapprochait. Elle ne pouvait baisser sa garde émotionnelle, parce que rien de bon
n’en découlerait. Il n’y avait qu’à voir comment elle avait déjà réagi. Deux fois.
D’abord, elle avait sangloté comme une folle en s’accrochant à lui. Ensuite…
disons qu’elle n’avait pas fait que lui mordre la bouche.
Elle haussa les épaules et choisit de mentir, se détestant de le faire.
230
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Rhage se leva et alla ouvrir la porte, prêt à envoyer au diable celui qui
l’interrompait. Il avait le sentiment que Mary et lui étaient à un point charnière,
et il voulait crever l’abcès.
C’était Tohr. Qui affichait un air hagard.
— Bordel, mais qu’est-ce qui t’arrive ? demanda Rhage en sortant dans le
couloir sans refermer la porte derrière lui.
Tohr renifla l’air qui émanait de la chambre.
— Seigneur. Tu l’as marquée comme tienne ?
— Et ça te gêne ?
— Non. D’un côté, ça rend les choses plus faciles. La Vierge Scribe a rendu
son arrêt.
— Je t’écoute.
— Il faudrait que les autres Frères soient—
— Bordel, Tohr, je veux savoir maintenant.
Le Frère s’exprima en Langage Ancien. Et quand il se tut, Rhage inspira
longuement.
— Donne-moi dix minutes.
Tohr hocha la tête.
— Nous serons dans le bureau de Kohler.
Rhage revint dans la chambre.
— Écoute, je dois sortir avec mes Frères. Et je ne rentrerai peut-être pas cette
nuit. (Elle se raidit et détourna les yeux.) Mary, ça n’a rien à voir avec d’autres
femelles. Je te le jure. Promets-moi seulement d’être là quand je reviendrai.
(Lorsqu’elle hésita, il approcha et lui caressa la joue.). Tu m’as dit que ton
rendez-vous n’était pas avant mercredi. Qu’est-ce qu’une autre nuit ? Tu
pourrais reprendre un bain dans le jacuzzi. Je sais que tu aimes ça.
231
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
232
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Kohler se releva de derrière son bureau, aussi rigide que Tohr l’avait été.
Derrière les verres sombres de ses lunettes, Rhage sentit les yeux perçants du
roi, bien qu’ils restent invisibles.
— Mon Frère.
— Monseigneur, répondit Rhage en inclinant la tête.
— Tu portes cet habit comme si tu voulais rester parmi nous.
— Bien entendu.
Kohler hocha la tête.
— Alors voici les conditions. La Vierge Scribe a déclaré que tu avais
gravement offensé la Confrérie, d’abord en défiants les ordres de Tohr, ensuite
en amenant une humaine parmi nous. Je vais être franc, Rhage, elle a voulu
modifier ma décision concernant Mary. Et que l’humaine s’en aille.
— Je partirai alors avec elle.
— Je lui ai dit que tu le ferais.
— Ça a dû lui plaire, dit Rhage amèrement. Il y a des années qu’elle cherche
à se débarrasser de moi.
— Bien, tu as le choix, mon Frère. Si tu veux rester parmi nous, et si
l’humaine doit demeurer sous notre protection, entre ces murs, la Vierge Scribe
exige que tu proposes un rythe.
C’était la voie rituelle pour expier une offense. Une punition logique en
quelque sorte. Quand un rythe était proposé par l’offenseur et accepté par
l’offensé, le premier donnait au second le choix de l’arme à utiliser contre lui
sans qu’il ait droit de se défendre. Ce pouvait être un couteau, un coup-de-poing
américain, un revolver—n’importe quelle arme en fait, à condition que la
blessure infligée ne soit pas mortelle.
— J’accepte de proposer un rythe, dit Rhage.
— Ce doit être à chacun d’entre nous.
Il y eut un grognement collectif dans la pièce. Et quelqu’un marmonna : « Et
merde. »
— J’accepte de proposer tous ces rythes.
— Qu’il en soit ainsi, mon Frère.
— Mais— (La voix de Rhage se fit dure) — je ne les propose que si j’ai
l’assurance que Mary pourra rester ici aussi longtemps que je le voudrai.
— Oui, ça fait partie de mon accord avec la Vierge Scribe. Et tu dois savoir
qu’elle n’a fini par accepter que quand je lui ai dit que tu voulais prendre cette
humaine comme shellane. Je pense que Sa Grâce a été choquée que tu envisages
233
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
une telle union. (Kohler regarda derrière lui.) Tohrment, c’est à toi de choisir
l’arme que nous utiliserons tous.
— L’étrier d’armes, répondit Tohr à voix basse.
Oh, merde. Il allait déguster, pensa Rhage.
Il y eut d’autres protestations marmonnées.
— Qu’il en soit ainsi, dit Kohler.
— Et la bête ? demanda Rhage. Elle risque de sortir au premier coup que je
recevrai.
— La Vierge Scribe sera présente. Elle dit avoir un moyen de contrôler ça.
Bien sûr. N’était-ce pas elle qui lui avait collé ce foutu sort après tout ?
— On va faire ça ce soir, non ? (Rhage regarda les autres.) Il n’y a aucune
raison d’attendre.
— Nous irons à la Tombe.
— Très bien. Alors allons-y, autant qu’on en finisse.
Zadiste fut le premier à sortir, tandis que les autres Frères se levaient et, d’une
voix calme, mettaient au point quelques points de logistique. Tohr avait besoin
d’une robe, est-ce que quelqu’un en avait une à lui prêter ? Fhurie annonça qu’il
apporterait l’arme désignée. Et Viscs proposa l’Escalade pour les trimbaler tous
jusque là-bas.
Bonne idée, pensa Rhage. Parce qu’ils auraient besoin d’un véhicule pour
pouvoir ramener son corps à la fin du rythe.
— Mes Frères ? dit-il.
Ils arrêtèrent tous de parler, et même de bouger. Et il les regarda l’un après
l’autre, notant leurs visages figés et leur expression sinistre. Ils détestaient ce
qu’ils devaient accomplir, et il les comprenait parfaitement. Blesser
délibérément l’un d’entre eux lui aurait été insupportable. Il préférait nettement
être celui qui recevrait les coups.
— J’ai une requête à vous adresser. Ne me ramenez pas ici ce soir,
d’accord ? Quand ce sera fini, emmenez-moi ailleurs. Je ne veux pas que Mary
me voie.
Viscs intervint :
— Tu pourras rester à la Piaule. Butch et moi prendrons soin de toi.
— Oh. (Rhage eut un sourire.) Deux fois en moins d’une semaine ? Après ça,
vous pourrez vous reconvertir en infirmières.
V lui envoya une claque sur l’épaule avant de sortir. Tohr le suivit avec le
même geste. Et Fhurie en passant le serra dans une étreinte bourrue.
Avant de quitter le bureau, Kohler s’arrêta un moment devant lui.
234
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
235
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
— Espèce de salaud, je suis toujours convaincu que c’est toi qui bricoles ma
GTO.
Une fois le mouvement lancé, ils se mirent à échanger plusieurs anecdotes
concernant Rhage, jusqu’à ce que le volume sonore soit assez fort pour que
personne ne s’entende plus.
Laissant ses Frères se détendre, Rhage s’adossa contre son siège et regarda la
nuit au dehors. Il espérait que la Vierge Scribe savait ce qu’elle faisait, parce que
si la bête sortait ce soir dans la Tombe, ça allait être un massacre. Et les Frères
auraient sans doute à le tuer au final.
Á cette idée, il fronça les sourcils et chercha Kohler. Qui se trouvait derrière
lui. Il le savait parce que le roi avait un diamant noir au doigt.
Rhage se pencha et chuchota :
— Ta majesté, pourrais-tu me rendre un service ?
Kohler se rapprocha et répondit d’une voix grave et très calme :
— Bien entendu.
— Si je ne… m’en sors pas ce soir— quelle qu’en soit la raison— veille pour
moi sur Mary, je t’en supplie.
Le capuchon s’inclina. Et en Langage Ancien, le roi prononça :
— Selon ton vœu, j’en fais le serment. Je le considérerai comme ma sœur de
sang et la protégerai comme toute femelle de ma famille.
— Merci. (Rhage poussa un long soupir.) C’est… parfait.
Peu après, Viscs gara l’Escalade dans une petite clairière. Ils sortirent et
restèrent un moment silencieux, les sens aux aguets. Écoutant. Regardant autour
d’eux. Reniflant l’air alentour.
Tout bien considéré, la nuit était agréable, et l’endroit serein. Une brise
soufflait à travers les innombrables branches et troncs des arbres de la forêt,
apportant un parfum naturel de terre et de pin. Au dessus d’eux, la lune pleine
apparaissait entre les nuages d’un blanc de lait.
Au signal de Kohler, ils avancèrent d’une centaine de mètres vers une caverne
qui s’ouvrait à flanc de montagne. L’endroit n’avait rien de particulier, même à
l’intérieur. Il fallait savoir où chercher pour trouver la petite fissure dans la paroi
du fond. Et connaître le mécanisme qui faisait basculer le lourd linteau de pierre.
Tandis qu’ils pénétraient dans le ventre de la terre, le rocher se referma
derrière eux sur un léger chuintement. Il y avait des torches sur le mur, et elles
s’allumèrent avec un crépitement sifflant tandis que les flammes montaient et
jetaient alentour leur lueur dorée et tremblotante.
236
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Ils marchèrent encore, suivant une pente douce sur le sol pierreux qui était
frais sous leurs pieds nus. Une fois arrivés, ils enlevèrent leurs robes et ouvrirent
une lourde porte à deux battants renforcés d’acier. Le couloir au-delà faisait
quinze mètres de long, six mètres sous plafond, et les murs étaient recouverts
d’étagères. Qui contenaient des milliers de jarres et/ou d’urnes en céramique, de
toutes tailles et de toutes formes, qui se reflétaient dans la lumière. Chacune
d’entre elles contenait le cœur d’un lesser, cet organe que l’Omega leur arrachait
du corps au cours de leur intronisation dans la Société. Tout au long de
l’existence d’un lesser en tant qu’égorgeur, l’urne était sa seule possession
personnelle. Et la Confrérie s’efforçait de les récupérer après chaque exécution.
Au bout du couloir, il y avait d’autres portes. Déjà ouvertes.
Le sanctum sanctorum de la Confrérie avait été creusé dans le roc et recouvert
de marbre noir dans les années 1700, juste après la première migration, quand
les vampires d’Europe avaient traversé l’océan. La salle était immense, avec un
plafond couvert de stalactites qui ressemblaient à des dagues. D’énormes
chandelles, épaisses comme le bras d’un mâle et longues comme sa jambe,
étaient plantées sur des socles d’acier, leurs flammes aussi puissantes que celles
des torches.
Sur l’avant se trouvait une estrade accessible par quelques marches. L’autel
planté dessus était constitué d’un énorme bloc de pierre qui avait été apporté du
Vieux Pays, son poids maintenu à l’horizontale par deux linteaux de roche
vaguement dégrossis.
Au centre de l’autel, un crâne était posé.
Á l’arrière, sur le mur de marbre, étaient gravés tous les noms des Frères qui
avaient existé dans la Confrérie, depuis le tout premier dont le crâne était sur
l’autel. Les inscriptions couvraient différents panneaux sur la totalité de la
surface, sauf un espace laissé vierge au centre. Cette portion, de deux mètres de
large environ, montait du sol au plafond. Au centre, à un mètre cinquante du sol,
deux épais pitons de pierre surgissaient du mur, placés de façon à ce qu’un mâle
puisse se mettre entre eux et s’y accrocher pour se maintenir en place.
L’odeur à l’intérieur du sanctuaire était familière : Celle de la terre humide
mêlée à la cire d’abeille des chandelles.
— Bienvenue à vous, guerriers de la Confrérie.
Tous se retournèrent vers la voix.
Au coin le plus éloigné de la caverne, la Vierge Scribe était une petite
silhouette qui flottait au dessus du sol, enveloppée de lourds voiles noirs. Rien
n’était visible, pas même son visage, mais de sous l’ourlet de son épaisse robe
237
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
longue, une vive lumière jaillissait comme une eau courante s’échappant d’une
cascade.
Elle glissa vers eux, et s’immobilisa en face de Kohler.
— Guerrier.
Le roi s’inclina.
— Vierge Scribe.
Elle les salua chacun tour à tour, gardant Rhage pour la fin.
— Rhage, fils de Tohrture.
— Vierge Scribe, répondit-il selon la coutume, en inclinant la tête.
— Comment te portes-tu ?
— Parfaitement bien. (Du moins, serait-ce le cas une fois ce rituel derrière
lui.)
— Tu as été plutôt occupé ces temps derniers, n’est-ce pas ? Toujours à
ouvrir de nouvelles brèches, selon ton habitude. Dommage que ce ne soit pas
dirigé vers de plus louables intentions. (Elle eut un rire crispé.) En quelque sorte,
ce n’est pas surprenant que tu finisses ici. Tu es bien conscient, n’est-ce pas, que
c’est le premier rythe qui aura lieu dans la Confrérie ?
Pas vraiment, pensa-t-il. Tohr avait refusé un rythe que voulait lui proposer
Kohler en juillet dernier.
Mais il ne voyait pas l’intérêt de le lui signaler.
— Guerrier, es-tu prêt à subir ce que tu as proposé ?
— Je le suis. (Il choisit ses mots avec soin, sachant que rien n’autorisait
jamais quiconque à poser une question à la Vierge Scribe. Du moins, pas sans
risques.) Je voudrais vous prier de ne pas me laisser devenir un danger pour mes
Frères.
Elle répondit d’une voix plus dure :
— C’est dangereusement proche d’une demande.
— Je ne voulais pas vous offenser.
Elle émit un doux rire, à peine audible.
Pas à dire, elle devait beaucoup s’amuser de tout ça. Elle n’avait jamais pu
l’encadrer, mais il pouvait difficilement l’en blâmer. Il avait donné de très
bonnes raisons à son antipathie.
— Tu ne voulais pas m’offenser, guerrier ? (Les voiles bougèrent, comme si
elle secouait la tête.) Tout au contraire, tu n’as jamais hésité devant une offense
quand il s’agissait d’obtenir ce que tu voulais, et voilà ce qui a toujours été ton
problème. C’est également ce qui nous amène ici ce soir. (Elle se détourna.)
Avez-vous apporté l’arme ?
238
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Fhurie posa le sac, l’ouvrit, et en sortit l’étrier d’armes. Qui était constitué
d’un manche en bois de soixante centimètres de long, avec une poignée
recouverte de cuir noirci par la sueur d’innombrables paumes. Á l’autre
extrémité pendaient trois chaînes d’acier sombre, chacune d’elles lestée d’une
boule métallique hérissée de pointes.
L’étrier d’armes— ou goupillon— était une ancienne arme médiévale dérivée
du fléau d’armes, un truc dangereux et vicieux, mais Tohr avait agi à bon
escient. Pour que le rituel soit efficace, les Frères ne devaient pas épargner
Rhage, ni dans le choix de l’arme, ni dans leur façon d’en user. La moindre
faiblesse ferait injure à l’intégrité de la tradition, à la pénitence offerte, à la
chance d’obtenir un plein pardon.
— Qu’il en soit ainsi, dit-elle. Mets-toi en place, Rhage, fils de Tohrture.
Il avança, monta les escaliers deux par deux. Lorsqu’il dépassa l’autel, il
regarda le crâne sacré, dont la lumière soulignait les orbites vides et les longues
canines. Il se plaça ensuite contre le mur de marbre noir, s’agrippa aux pitons de
pierre, et sentit la douceur de la pierre froide dans son dos.
La Vierge Scribe flotta jusqu’à lui et leva le bras. Lorsque la manche tomba,
un arc de lumière vive apparut, en forme de main. Une sorte de vibration
électrique traversa Rhage, et il sentit quelque chose remuer en lui, comme si ses
organes internes avaient été rangés différemment.
— Vous pouvez commencer le rituel.
Les Frères s’alignèrent, leurs corps nus rayonnant de force, leurs visages
sévères se creusant de sombres rides. Kohler prit l’étrier d’armes que Fhurie lui
tendait, et avança le premier. Dès qu’il bougea, les trois chaines de l’arme
cliquetèrent entre elles, un son aussi doux que le chant d’un oiseau.
— Mon Frère, dit le roi doucement.
— Monseigneur.
Rhage fixa les lunettes noires tandis que Kohler balançait le goupillon en
cercle pour amorcer le mouvement. Un sifflement monta dans l’air et enfla
lorsque l’arme retomba. Les chaines frappèrent Rhage en pleine poitrine, puis
les pointes le déchirèrent, vidant l’air de ses poumons. En s’agrippant aux
pitons, il réussit à garder la tête droite tandis que sa vision s’assombrissait avant
de revenir.
Tohr fut le suivant, et son coup secoua Rhage si fort que ses genoux lâchèrent
un moment avant qu’il puisse se redresser. Viscs et Fhurie suivirent.
Avant chaque coup, il rencontrait le regard triste de ses Frères, espérant les
aider et apaiser leur angoisse, mais quand Fhurie se détourna, Rhage ne pouvait
239
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
plus lever la tête. Il la laissa donc tomber sur une épaule, regardant le sang
dégouliner de sa poitrine, recouvrir ses cuisses et ses pieds. Une énorme flaque
se formait déjà sur le sol, reflétant la lumière des chandelles. Cette vue sinistre
lui fit tourner la tête. Déterminé à rester debout, il bloqua ses coudes pour que ce
soit ses articulations et non ses muscles qui le retiennent en place.
Il y eut ensuite une accalmie, et il fut vaguement conscient d’une dispute à
voix basse. Il cligna des yeux pour voir ce qui se passait.
Fhurie tendait l’étrier d’armes à Zadiste qui reculait et refusait le truc avec
une sorte de panique. Z avait les poings levés et les piercings sur sa poitrine
brillaient d’éclats tandis qu’il respirait trop vite. Le Frère avait le visage
cendreux et anormalement brillant.
Fhurie parlait avec insistance, puis voulut prendre le bras de Zadiste qui
s’écarta d’un mouvement nerveux. Mais Fhurie ne cédait pas. Et alors qu’ils
tournaient en cercle en une danse étrange, le dos nu de Zadiste apparut en pleine
lumière— marqué de très anciennes cicatrices de coups de fouet.
Ça n’allait pas marcher, pensa Rhage. Zadiste était comme un animal acculé,
prêt à péter un câble. Il devait bien y avoir une autre façon de l’atteindre.
Rhage prit une profonde inspiration et ouvrit la bouche, mais ne réussit pas à
émettre un son. Il essaya encore.
— Zadiste… (Sa voix cassée fit tourner toutes les têtes vers lui.) Fais-le, Z…
Peux plus… tenir très longtemps.
— Non, je—
Fhurie coupa son jumeau.
— Tu dois—
— Non ! Fous-moi la paix, bordel.
Z fila vers la porte, mais la Vierge Scribe l’intercepta, le forçant à s’arrêter net
pour ne pas la heurter. Il resta coincé par la petite silhouette, les jambes
frémissantes, les épaules secouées de spasmes. Elle lui parla à voix basse, mais
les mots ne portèrent pas jusqu’à Rhage, perdu dans un brouillard douloureux.
La Vierge Scribe fit un geste vers Fhurie, qui lui tendit l’étrier d’armes.
Quand elle l’eut, elle prit la main de Z et posa la poignée recouverte de cuir dans
sa paume. Puis elle lui désigna l’autel. Zadiste baissa la tête. Et remonta les
marches comme un automate.
Quand Rhage regarda le Frère, il eut presque envie de suggérer qu’un autre
prenne sa place. Les yeux noirs de Zadiste étaient écarquillés, entièrement
blancs autour des iris. Et sa gorge était agitée de mouvement nerveux comme
s’il ravalait un hurlement.
240
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
241
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
242
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Chapitre 30
Mary était descendue dans la salle de billard, et parlait avec Fritz de l’histoire
du manoir quand les oreilles du doggen perçurent un son qu’elle n’avait pas
entendu.
— Je pense que les maîtres sont de retour, dit-il.
Elle approcha de la fenêtre et vit des phares arriver dans la cour.
L’Escalade s’arrêta, les portières s’ouvrirent et les hommes sortirent. Avec
leurs capuchons baissés, elle reconnut ceux qu’elle avait rencontrés la nuit de
son arrivée. Celui avec une barbe et des tatouages à la tempe. Celui aux
magnifiques cheveux. Le balafré qui l’avait terrorisée, et le militaire. Le seul
qu’elle n’avait jamais vu était celui avec de longs cheveux noirs et des lunettes.
Mon Dieu. Ils avaient une expression sinistre. Quelqu’un avait-il été blessé ?
Et elle chercha Rhage des yeux, essayant de ne pas paniquer.
Le groupe fit le tour jusqu’à l’arrière de l’Escalade au moment où quelqu’un
sortit de la maison de gardien, laissant la porte ouverte. Mary reconnut le nouvel
arrivant comme celui qui avait joué au ballon dans l’entrée, le premier soir.
Avec ces énormes corps attroupés devant le 4x4, il était difficile de savoir ce
qu’ils faisaient. Mais ils semblaient porter quelque chose de lourd.
Des cheveux blonds accrochèrent la lumière.
Rhage. Inconscient. Et ils emmenaient son corps vers la porte ouverte.
Mary était sortie du manoir avant même de réaliser qu’elle courait.
— Rhage ! Arrêtez. Attendez. (L’air froid lui perçait les poumons.) Rhage !
Au son de sa voix, le blessé eut un sursaut et tendit vers elle une main molle.
Les hommes qui le soutenaient s’étaient arrêtés. Il y eut quelques jurons.
— Rhage ! (Elle s’arrêta si vite que les graviers grincèrent sous ses pieds.)
Que… Oh… Seigneur.
Il y avait du sang sur son visage, et ses yeux étaient vitreux sous l’effet de la
douleur.
— Rhage…
Il ouvrit la bouche. Essaya de parler. Mais aucun son ne sortit.
— Merde, dit l’un des hommes. Maintenant, on peut aussi bien le monter
dans sa chambre.
— Bien sûr, s’écria Mary. Comment a-t-il été blessé ? Est-ce en combattant ?
243
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
244
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Mary suivit d’un regard haineux leurs dos puissants pendant qu’ils
s’éloignaient tous vers la porte. Ces salopards de… monstres.
— Mary ? murmura Rhage. Mary.
Elle chercha à retrouver son calme. S’énerver contre ces truands n’aiderait pas
Rhage à présent.
Elle baissa les yeux sur lui, étouffa sa colère, et demanda calmement :
— Veux-tu que j’appelle ce médecin vampire dont tu m’as parlé ?
— Non.
Elle aurait voulu lui dire d’arrêter de jouer aux durs— le genre de conneries
que les hommes aimaient tant— mais elle sentit qu’il allait protester, et il n’avait
vraiment pas besoin de s’agiter pour le moment.
— Tu préfères enlever cette robe ou la garder ?
— L’enlever, si me voir ne te dérange pas.
— Ne t’inquiète pas pour moi.
Elle finit de détacher la ceinture, et lui ôta du corps la lourde soie noire—
ayant envie de hurler chaque fois qu’un mouvement le faisait grogner de
douleur. Quand ce fut fini, et que le vêtement fut enfin enlevé de dessous lui, il y
avait du sang qui coulait de côté sous ses pansements.
Sa magnifique couette allait être fichue, pensa-t-elle, tout en s’en foutant
complètement.
— Tu as perdu beaucoup de sang. (Elle roula la robe épaisse.)
— Je sais
Il ferma les yeux, la tête profondément enfoncée dans l’oreiller. Son corps nu
avait de violents spasmes de douleur, un tremblement qui commençait aux
cuisses et remontait sur son ventre et sa poitrine, faisant vibrer le matelas.
Elle alla jeter la robe dans la baignoire et revint.
— Ont-ils nettoyé ces blessures avant de mettre ces pansements ?
— Je ne sais pas.
— Il faudra quand même vérifier.
— Donne-moi une heure. Quand le saignement se sera arrêté. (Il prit une
respiration difficile et fit une grimace.) Mary… ils devaient le faire.
— Quoi ? dit-elle en se penchant en avant.
— Ils devaient le faire. Je ne suis pas… (Une autre inspiration, un autre
gémissement.) Ne sois pas en colère contre eux.
Compte là-dessus.
— Mary, dit-il plus fermement, ses yeux tristes fixés sur elle. Je ne leur ai
pas laissé le choix.
245
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
— Qu’as-tu fait ?
— C’est fini. Et tu ne dois pas leur en vouloir. (Son regard se voila à
nouveau.)
Elle avait la ferme intention de penser ce qu’elle voulait de ces sinistres
salauds.
— Mary ?
— Ne t’inquiète pas. (Elle lui caressa la joue, souhaitant pouvoir laver le
sang de son visage. Mais quand il grimaça à son contact, elle retira sa main.) Je
t’en prie, laisse-moi faire quelque chose pour t’aider.
— Parle-moi. Ou lis-moi quelque chose…
Il y avait quelques livres contemporains dans les étagères près du désastre
culturel de ses DVD, et elle se pencha sur les couvertures. Elle prit un Harry
Potter, le tome 2, et tira un fauteuil près du lit. Il fut un peu difficile au début de
se concentrer sur sa lecture parce qu’elle ne cessait de lever les yeux pour
contrôler la respiration de Rhage, mis elle finit par trouver un rythme, et lui
aussi. Son souffle se fit plus calme, et les spasmes cessèrent peu à peu.
Quand il fut endormi, elle referma le livre. Il avait le front tout plissé, les
lèvres pâles et serrées. Elle détestait que sa souffrance soit encore aussi forte,
même en étant endormi.
Mary se sentit reculer dans le passé. De plusieurs années.
Elle revit sa mère dans sa chambre aux murs jaunes. Sentit le désinfectant.
Entendit les respirations difficiles, de plus en plus laborieuses.
Et voilà que ça recommençait, pensa-t-elle. Elle se retrouvait à côté du lit
d’un malade. Devant une souffrance qu’elle était impuissante à guérir.
Elle regarda autour d’elle, et ses yeux tombèrent sur la « Madone et l’Enfant »
au-dessus de la commode. Dans son contexte, la peinture était une œuvre d’art,
et non une icône. Une toile digne de figurer dans un musée qui n’était accrochée
là que pour la décoration.
Aussi, elle n’avait aucune raison de détester ce truc, ni d’en avoir peur.
La vierge de la chambre de sa mère avait été très différente. Mary l’avait eue
en horreur, et dès que le corps de Cissy Luce avait quitté la maison, elle avait
descendu la statue de plâtre dans le garage. Elle aurait voulu la briser, mais n’en
avait pas eu le cœur.
Aussi, le lendemain matin, elle l’avait apportée à Notre Dame et l’y avait
laissée. Avec le crucifix. Et elle se souvenait encore de son sentiment de
triomphe en quittant le parking de l’église, comme si elle avait fait un bras
d’honneur à Dieu— le seul sentiment agréable qu’elle ait ressenti depuis bien
246
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
longtemps. Mais le soulagement n’avait pas duré. Une fois revenue dans la
maison, tout ce qu’elle avait vu dans la chambre avait été la trace de la croix sur
le mur, et la marque du socle de la statue dans la poussière du sol.
Et deux ans après, à la date exacte du jour où elle s’était débarrassée de ces
objets, on lui avait diagnostiqué une leucémie.
En toute logique, elle savait qu’elle n’avait pas été maudite à cause de son
geste. Il y avait 365 jours sur un calendrier, et c’était comme lancer une bille à la
roulette que savoir sur lequel d’entre eux tomberait l’annonce de sa maladie.
Mais au fond de son cœur, parfois, elle pensait différemment. Ce qui la faisait
haïr Dieu encore davantage.
Merde… Il n’avait pas eu le temps de faire un miracle pour sauver sa mère
qui avait été croyante. Mais il avait pris le temps de punir une pécheresse
comme elle, pas vrai ?
— Tu me fais un bien fou, dit Rhage.
Elle sursauta et le regarda, puis oublia le passé pour lui prendre la main.
— Comment te sens-tu ?
— Mieux. Ta voix est un vrai baume.
Comme pour sa mère autrefois, pensa-t-elle, qui elle aussi aimait le son de sa
voix.
— Veux-tu boire quelque chose ? demanda-t-elle.
— Á quoi pensais-tu, juste là maintenant ?
— Á rien.
Il ferma les yeux.
— Tu veux que j’essaie de te nettoyer un peu de ce sang ? demanda-t-elle
peu après.
Quand il haussa les épaules, elle alla jusqu’à la salle de bain et en revint avec
un gant mouillé d’eau tiède et une serviette sèche. Elle nettoya son visage et
passa doucement autour de son bandage.
— Je vais te les enlever, d’accord ?
Il hocha la tête, et elle retira soigneusement les sparadraps de sa peau. Puis
elle attrapa la gaze et ôta tout le paquet.
Mary eut un frisson, et sentit la bile remonter dans sa gorge. Il avait été
fouetté. C’était la seule explication à de telles marques.
— Oh… Rhage. (Des larmes brouillèrent sa vision, mais elle ne les laissa pas
tomber.) Je vais changer ton pansement. C’est trop… à vif pour que je puisse
faire autre chose pour l’instant. Où gardes-tu—
— Dans la salle de bain. Il y a un grand placard à droite du miroir.
247
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Une fois en face dudit placard qui montait du sol au plafond, elle fut sidérée
par la quantité de produits médicaux qu’il avait en stock. Des trousses de
chirurgie. Des bandes plâtrées pour réduire une fracture. Toutes sortes de
bandages. Du sparadrap. Elle prit ce dont elle pensait avoir besoin et revint près
de lui. Elle déchira l’emballage stérile de grandes compresses apaisantes, les
posa sur sa poitrine et son estomac, en pensant qu’elle pouvait aussi bien les
laisser ainsi. Il n’était pas question qu’elle lui demande encore de se soulever du
matelas pour lui passer une bande autour du corps, et même les coller
demanderait trop de manipulations.
Lorsqu’elle effleura le pansement en bas à gauche, il eut un violent sursaut.
Elle le regarda.
— Je t’ai fait mal ?
— Drôle de question.
— Pardon ?
Il ouvrit les yeux et lui jeta un regard attentif.
— Tu ne t’en rends même pas compte, pas vrai ?
Manifestement non.
— Rhage, mais de quoi parles-tu ? Tu veux quelque chose ?
— Je veux que tu me parles.
— Très bien. Laisse-moi d’abord finir ça.
Dès que ce fut le cas, elle reprit son livre mais il jura comme un charretier.
Étonnée, elle lui prit la main.
— Je ne comprends pas ce que tu veux.
— Ce n’est pourtant pas bien difficile. (La voix était faible mais indignée.)
Mary, quand me laisseras-tu partager—
Il y eut un coup à la porte. Et ils jetèrent le même regard furieux dans sa
direction.
— Je reviens, dit-elle.
En ouvrant la porte, elle vit le barbu de l’autre côté. Il portait un plateau
rempli de nourriture en équilibre sur une main.
— Au fait, je m’appelle Viscs, dit-il. Est-il réveillé ?
— Hey, V, dit Rhage.
Viscs passa devant Mary et alla poser son plateau sur la commode. Puis il se
dirigea vers le lit, et Mary souhaita désespérément être aussi grande que lui pour
pouvoir le flanquer dehors.
Le mec posa une hanche contre le rebord du lit.
— Comment va, Hollywood ?
248
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
— Ça va.
— Tu as fait déjà moins mal ?
— Oui.
— Alors c’est que tout cicatrise bien.
— Ça ne sera jamais assez rapide.
Quand Rhage ferma les yeux, l’air épuisé, Viscs le regarda un moment, les
lèvres serrées.
— Je reviendrai plus tard, mon Frère. D’accord ?
— Merci, mec.
Le barbu se détourna et croisa les yeux de Mary, ce qui ne dut pas être facile.
Elle souhaitait férocement pouvoir lui infliger la douleur qu’il avait causée. Et
elle savait que son désir de vengeance devait se lire sur son visage.
— Un vrai pitbull, hein, murmura Viscs.
— S’il est votre frère, pourquoi lui avoir fait ça ?
— Mary, laisse tomber, l’interrompit Rhage d’une voix rauque. Je t’ai dit—
— Tu ne m’as rien dit du tout.
Elle serra les paupières. Ce n’était pas juste de lui hurler dessus alors qu’il
était à moitié mort avec une poitrine déchiquetée.
— Peut-être que vous devriez vider ça, dit Viscs.
Mary croisa ses bras sur sa poitrine.
— Voilà une bonne idée. Pourquoi ne pas tout me raconter ? M’aider à
comprendre pourquoi vous lui avez fait ça ?
Rhage intervint :
— Mary, je ne veux pas que tu—
— Alors dis-le-moi. Si tu ne veux pas que je les haïsse, explique-moi.
Viscs regarda vers le lit, et Rhage dut lui faire un signe d’acceptation
quelconque parce que le mec expliqua :
— Il a trahi la Confrérie pour être avec vous. Il devait expier sa faute s’il
voulait pouvoir rester et vous garder ici.
Mary cessa de respirer. C’était pour elle ? Á cause d’elle ?
Oh Seigneur. Il s’était laissé fouetté jusqu’au sang pour elle…
Et si je te dis que je vais faire en sorte que tu ne risques rien, ça te va ?
Elle n’avait absolument aucune expérience de ce genre de sacrifice. De la
souffrance qu’il endurait pour elle. De ce qui lui avait été infligé par ses propres
Frères… Des gens qui étaient censés tenir à lui.
— Je ne peux pas… Je me sens un peu… Excusez-moi.
249
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Elle recula, espérant pouvoir se retirer dans la salle de bain, mais Rhage fit
immédiatement le geste de se lever, comme s’il comptait venir avec elle.
— Non, tu restes là, Rhage. (Elle revint vers lui, s’assit sur le fauteuil à côté
du lit et lui caressa les cheveux.) Reste tranquille. Chut… Ne bouge plus. Reste
calme, mon grand.
Dès qu’il se détendit, elle regarda Viscs.
— Je ne comprends pas.
— Comment le pourriez-vous ?
Les yeux du vampire étaient fixés sur elle, et la profondeur de ce lumineux
regard d’argent était presque effrayante. Elle se concentra un moment sur le
tatouage qui le marquait à la tempe, puis revint vers Rhage. Et continua à lui
caresser le front en murmurant jusqu’à ce qu’il s’endorme.
— J’espère que ça vous a fait quelque chose de lui faire subir une chose
pareille, dit-elle ensuite à mi-voix, sachant que Viscs était toujours là. Dites-moi
au moins que vous en avez souffert.
Elle entendit un froissement de tissu. Quand elle tourna la tête, elle vit qu’il
avait ouvert sa chemise. Sur la poitrine musclée, il avait une profonde entaille
toute fraîche, comme si une lame l’avait coupé en deux.
— Ça nous a tous tué, dit-il sombrement.
— Bien fait.
Le vampire eut un sourire féroce.
— Vous nous comprenez mieux que vous le pensez. Au fait,ce qu’il y a sur
le plateau n’est pas que pour lui. J’en ai aussi apporté pour vous.
C’est ça. Elle ne voulait rien d’aucun d’entre eux.
— Merci. Je veillerai à ce qu’il mange dès qu’il se réveillera.
Avant de sortir, Viscs s’arrêta un moment.
— Lui avez-vous expliqué pour votre nom ?
Elle tourna la tête.
— Quoi ?
— Rhage. Le sait-il ?
Elle eut des frissons dans la nuque.
— Bien sûr qu’il connait mon nom.
— Mais pas le pourquoi. Vous devriez le lui dire. (Viscs fronça les sourcils.)
Non, je ne l’ai pas appris sur Internet. Comment le pourrais-je ?
Seigneur, c’était exactement ce qu’elle avait pensé.
— Vous lisez dans les esprits ?
— Quand je le veux. Et parfois aussi sans pouvoir m’en empêcher.
250
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
251
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
252
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
— Et tu pourrais supporter l’idée d’être nue dans cette salle de bain avec moi
à côté ?
Pas vraiment. Elle haussa les épaules.
— C’est à vous de voir. Mais s’il se réveille, il préfèrera vous avoir plutôt
qu’être seul.
— Tu me laisses le champ libre alors ?
— Vous entrez ou pas ? (Quand il ne répondit pas, elle dit :) Ça n’a pas dû
être facile pour vous ce soir.
La lèvre tordue se releva sur un rictus.
— Tu es bien la seule à penser que je ne prends pas mon pied en blessant les
gens. Serais-tu une sorte de mère Teresa ? Á toujours chercher le bon chez les
gros méchants loups et autres conneries du genre ?
— Vous n’avez pas choisi d’avoir cette cicatrice sur le visage, pas vrai ? Et je
suis prête à parier que ce n’est pas la seule que vous portez, même si c’est la
plus visible. Alors, comme je l’ai dit, ça n’a pas dû être facile pour vous ce soir.
Les yeux noirs s’étrécirent et devinrent menaçants, et un courant d’air glacé
traversa la pièce, comme s’il l’avait émis vers elle.
— Attention, femelle. Le courage est parfois dangereux.
Elle avança vers lui.
— Vous savez quoi ? Cette histoire de douche, c’est un mensonge. Je voulais
juste vous laisser un moment tranquille avec lui, parce qu’il est évident que vous
en avez envie, sinon vous ne resteriez pas planté dans ce couloir si
manifestement mal à l’aise. Alors soit vous acceptez soit vous partez, mais dans
les deux cas, j’aimerais bien que vous n’essayiez pas de me faire peur.
Pour le moment, elle se fichait complètement de le provoquer. Il est vrai
qu’elle était stressée, épuisée, vidée, et du coup elle ne raisonnait plus de façon
cohérente.
— Que décidez-vous ? insista-t-elle.
Le vampire entra et referma la porte, et la chambre devint encore plus froide
avec lui à l’intérieur. La menace qui émanait de lui était si tangible que Mary la
ressentit comme des mains qui s’étendaient vers elle, jusqu’à la toucher.
Lorsqu’elle entendit le verrou tourner, elle commença à avoir vraiment peur.
— Je ne fais pas qu’essayer, dit-il très calmement.
— Quoi ? fit-elle d’une voix étranglée.
— De te faire peur. Tu as peur. (Il sourit. Et exhiba des canines encore plus
grandes que celles de Rhage.) Je sens ta peur, femelle. C’est comme de la
peinture, ça picote le nez.
253
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Lorsque Mary recula, il avança sur elle, comme un prédateur sur sa proie.
— Hmm… et j’aime ton odeur. Je l’ai aimée dès le premier moment où je
t’ai vue.
Elle s’affola et recula plus vite, les mains en arrière, espérant trouver le lit.
Mais au lieu de ça, elle s’empêtra dans les lourds rideaux de l’une des fenêtres.
Le vampire balafré l’avait coincée. Même s’il n’était pas aussi lourd et musclé
que Rhage, il n’y avait aucun doute sur le fait qu’il était létal. Ses yeux glacés
indiquaient à Mary tout ce qu’elle avait besoin de savoir sur ses capacités à tuer.
Avec un juron, elle baissa la tête, et se rendit. Elle ne pouvait rien faire pour
se défendre s’il voulait l’attaquer. Et Rhage non plus, dans son état actuel. Elle
haïssait être ainsi sans défense, mais parfois la vie ne vous laissait pas le choix.
Lorsque le vampire se pencha vers elle, elle ferma les yeux.
Il inspira longuement, puis expira dans un soupir.
— Prenez votre douche, femelle. Je n’avais pas envie de le blesser plus tôt
dans la nuit, et rien n’a changé. Et je n’ai pas plus l’intention d’être désagréable
avec vous. S’il vous arrivait quelque chose, son agonie serait infiniment pire
qu’elle ne l’est déjà.
Elle vacilla de soulagement quand il se détourna— et le vit frémir lorsqu’il
regarda Rhage.
— Quel est votre nom ? demanda-t-elle.
Il leva un sourcil vers elle, puis reporta son attention sur Rhage.
— Je suis le mal, au cas où vous ne l’auriez pas compris.
— Je vous demande votre nom, pas votre vocation.
— Être un salaud serait plus comme une addiction, en fait. Et je m’appelle
Zadiste.
— Bien… Enchantée de vous connaître, Zadiste.
— Très polie en plus, se moqua-t-il.
— D’accord, alors essayons autre chose : Merci de ne pas m’avoir tuée
quand vous pouviez le faire. Ça vous va ?
Il se retourna et la regarda. Ses paupières étaient comme des volets posés sur
ses yeux, ne laissant passer qu’une nuit profonde sans la moindre lumière. Avec
son crâne aux cheveux ras et sa cicatrice, il était la personnification même de
l’agressivité, de la violence— de la douleur aussi. Mais quand il la regarda à la
lueur de la chandelle, il y eut comme un éclat d’humanité en lui. Si bref et subtil
qu’elle ne put même pas définir comment elle le reconnut.
— Vous êtes une femelle extraordinaire, dit-il doucement. (Et avant qu’elle
ne puisse dire autre chose, il leva la main.) Non. Laissez-moi avec mon Frère.
254
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Sans un mot, Mary alla dans la salle de bain. Et resta assez longtemps sous la
douche pour que sa peau soit toute plissée. L’air était si embué qu’il en devenait
presque opaque. Quand elle sortit, elle dut remettre les mêmes vêtements parce
qu’elle avait oublié d’emporté une rechange. Puis elle ouvrit doucement la porte
de la chambre.
Zadiste était assis sur le lit, ses larges épaules courbées en avant, les bras
serrés autour de lui-même. Penché sur le corps de Rhage endormi, il était aussi
près de lui que possible sans pourtant le toucher. Et il se balançait d’avant en
arrière, en chantant.
La voix du vampire montait et descendait, passant d’une octave à l’autre avec
une tessiture inimaginable. Magnifique. Sublime. Et Rhage était détendu et
relaxé comme il ne l’avait jamais été.
Mary traversa la pièce et sortit dans le couloir, laissant les deux hommes
ensemble.
255
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
256
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Chapitre 31
258
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Jamais, avec aucune des femelles qu’il avait connues depuis sa malédiction,
il n’avait accepté une telle intimité. Il ne l’avait pas voulue. Il n’avait déjà pas
aimé le contact de leurs mains au dessus de la ceinture, alors en dessous …
Mais là, c’était Mary.
La brûlante succion de sa bouche— mais plus encore la réalisation qu’il
s’agissait d’elle— rendit Rhage faible et à sa merci. Elle leva les yeux et le
regarda se tordre de plaisir. Quand il se renversa en arrière, elle s’étala
davantage sur lui pour le prendre plus profondément. Il lui saisit la tête à deux
mains, le corps arqué sous le rythme qu’elle lui imposait.
Juste avant d’exploser, il s’écarta, ne souhaitant pas en finir si vite.
— Viens par là, dit-il en l’attirant sur son ventre et sa poitrine, puis la
faisant tomber sur le dos. Je ne veux jouir qu’en toi.
Il l’embrassa, la main posée sur la douce colonne de son cou, puis descendit
le long de son corps, s’arrêtant un moment au niveau du cœur. Il l’entendit
battre fort, comme un oiseau affolé. Il pressa ses lèvres sur le sternum de Mary,
puis avança jusqu’à son sein. Il en aspira la crête dressée, passa le bras sous elle
pour mieux la soulever vers lui.
Elle faisait d’incroyables petits bruits étranglés, au plus profond de sa gorge,
et Rhage leva la tête pour voir l’expression de son visage. Elle avait les yeux
fermés, les dents serrées. Il laissa courir sa bouche le long du ventre de Mary,
s’attarda à mordiller son nombril, puis descendit vers ses hanches. Il la fit se
tourner sur le ventre, lui écarta les jambes et posa la main sur son sexe. La
douceur soyeuse et humide qui l’accueillit le fit trembler, et il embrassa son dos
et ses reins.
Tout en glissant un doigt en elle, il découvrit ses canines et lui mordilla
l’échine. Elle gémit et arqua son corps pour mieux s’offrir. Il s’arrêta à son
épaule, repoussa les cheveux de son cou. Et gronda en regardant la gorge
offerte. Il la sentit se tendre et chuchota :
— Ne t’inquiète pas. je ne te ferai aucun mal.
— Je n’ai pas peur.
Elle leva les hanches et resserra ses muscles internes autour de la main de
Rhage.
Il poussa un feulement sous l’assaut du désir qui le traversait. Puis se mit à
haleter, ce qui l’inquiéta brièvement. Mais il n’y eut aucune vibration ni
bourdonnement maudit pour interférer dans son plaisir. Juste lui et elle.
Ensemble. Á faire l’amour.
Mais soudain, il eut envie d’autre chose venant d’elle.
259
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
— Pardonne-moi, Mary.
— De quoi ?
— J’ai envie de goûter… ton sang, dit-il à son oreille.
Elle frissonna mais quand il sentit son ventre s’inonder, il sut que ce n’était
pas de peur.
— Tu veux vraiment… faire ça ? demanda-t-elle.
— Oh, que oui ! (Il posa sa bouche sur la gorge blanche. Suça sa peau,
crevant d’envie d’en faire davantage.) J’adorerais prendre ta veine.
— Je me suis demandé l’effet que ça faisait. (Sa voix était lourde de désir,
presque tentée. Elle allait le laisser faire ?) Ça fait mal ?
— Juste un peu au début, mais ensuite c’est… sexuel. Tu sentiras mon
plaisir quand je te prendrai. Et je ferai très attention. J’irai tout doucement.
— Je sais.
Enivré de visions érotiques, il découvrit ses canines. Il se voyait déjà les
planter en elle. Aspirer son sang. L’avaler. Avoir son goût en lui. Et partager
une parfaite communion lorsqu’elle ferait la même chose. Il lui donnerait tout
ce qu’elle voulait et elle—
Ferait la même chose ?
Rhage s’écarta. Mais bordel, à quoi il jouait ? Elle était humaine, bon sang
de bois. Elle ne buvait pas de sang.
Il posa son front sur l’épaule de Mary. Et se souvint qu’elle n’était pas
seulement humaine, elle était aussi malade. Il lécha ses canines, tentant de les
faire se rétracter.
— Rhage ? Tu vas le faire… ah. Tu sais ?
— Je ne crois pas. C’est plus prudent de m’en abstenir.
— Sincèrement, je n’ai pas peur.
— Oh, Mary, je sais. Tu n’as peur de rien. (Et son courage était l’une des
raisons pour lesquelles il l’avait choisie.) Mais je préfère aimer ton corps que
lui prendre ce qu’il ne peut me donner.
Dans une série de mouvements rapides, il se positionna au-dessus d’elle et
lui releva les hanches pour la prendre par derrière, s’enfonçant profondément
en elle. Une vague de chaleur rugit en lui quand elle se cambra pour répondre à
son invasion, et il plaça un bras entre ses seins pour la maintenir. De la main, il
lui tourna aussi le menton pour pouvoir l’embrasser.
Elle avait la bouche brûlante et avide, et il commença de lents va-et-vient, un
grognement ponctuant chaque mouvement. Elle était si incroyablement étroite,
serrée comme un étau sur son sexe. Il réussit à se contrôler durant quelques
260
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Mary serra Rhage contre elle lorsqu’il il trembla une fois encore, son grand
corps ruant sous les vagues de plaisir, sa respiration haletante. Un grondement
sourd émanait de sa poitrine et elle sentit le jet brûlant au fond de son ventre.
C’était une forme d’intimité incroyable d’être si détendue quand lui était
toujours en proie à un orgasme à répétition. Sa concentration n’étant plus
troublée par le plaisir, elle ressentait le moindre spasme du grand corps pesant
sur elle, chaque frémissement de son sexe en elle. Elle sut exactement quand
une autre éjaculation se prépara, la sentit monter en lui, dans son ventre, dans
261
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
ses cuisses. Et quand ça arriva, elle entendit sa respiration se bloquer, son torse
se durcir, et ses hanches se remirent à la marteler.
Cette fois, il renversa la tête, les lèvres ouvertes, les canines longues, les
yeux fermés. Et quand tous les muscles de son corps se contractèrent, elle en
ressentit la sensation au plus profond d’elle-même.
Il ouvrit des yeux étincelants.
— Je suis désolé, Mary. (Un autre spasme le secoua, et il fit de son mieux
pour continuer à parler.) Jamais… ressenti ça… avant. J’arrive pas… à
m’arrêter. Bon sang.
Il poussa un feulement sourd, mélange d’excuse et d’extase.
Elle sourit, puis caressa son dos lisse de haut en bas, sentant les muscles
épais se durcir quand le bas de son corps recommença sa danse contre elle. Elle
était saturée de plaisir, et délicieusement meurtrie de toute cette brûlante
activité. Et la merveilleuse odeur épicée de Rhage était lourde autour d’eux—
sa marque sur elle.
Il poussa sur ses bras, comme s’il allait se retirer d’elle.
— Que fais-tu ? dit-elle en enroulant ses bras et ses jambes autour de lui
pour le garder en place.
— Mais je… t’écrase. (Sa respiration était toujours laborieuse.)
— Je suis très bien.
— Oh, Mary…
Il s’arqua contre elle, le cou durci, la tête en arrière, les épaules gonflées.
Seigneur, qu’il était superbe. Adorable aussi.
Puis il s’effondra de tout son poids, le corps vidé de ses forces. Il pesait une
tonne, bien plus qu’elle ne pouvait le supporter en continuant à respirer.
Heureusement, il roula un peu de côté, l’emportant avec lui. Elle entendit le
tambourinement violent de son cœur, puis peu à peu, le bruit se calma.
— Je t’ai fait mal ? demanda-t-il, la voix rauque.
— Pas du tout.
Il l’embrassa et se retira d’elle, puis alla jusqu’à la salle de bain. Il en revint
avec une serviette qu’il passa délicatement entre les jambes de Mary.
— Tu veux prendre une douche ? dit-il. J’ai… ah, je t’ai comme qui dirait…
inondée.
— Mais non. Et j’ai juste envie de rester tranquille pour le moment.
— Je ne peux pas expliquer ce qui s’est passé. (Il fronça les sourcils en
remontant draps et couvertures pour les couvrir.) En fait… je crois savoir.
262
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
263
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
— Je serai partie. (Il prit une expression féroce, mais elle ne lui laissa pas le
temps de parler.) Rhage, il est temps que je rentre chez moi.
— Sûrement pas.
— Réfléchis un peu. As-tu vraiment cru que je pourrais rester
ici éternellement ?
— C’est ce que je veux. Alors oui.
— Mais j’ai ma maison, mes affaires, ma—
— Je peux les faire amener ici. Tout.
Elle secoua la tête.
— Il faut que je rentre.
— Ce n’est pas prudent. Tu cours un risque
— Alors je vais m’en occuper : Je ferai installer une alarme. Je vais
apprendre à tirer… je ne sais pas. Mais je dois retrouver ma vraie vie. (Il ferma
les yeux.) Rhage, regarde-moi. Regarde-moi, insista-t-elle en lui serrant la
main. J’ai des choses à faire. Et je dois les faire dans mon monde.
Il serra les lèvres d’un air buté.
— Laisseras-tu au moins Viscs t’installer un système d’alarme ?
— Oui.
— Et tu reviendras me voir ?
— Oh. (Elle inspira longuement.) Et si je refuse ?
— Alors c’est moi qui viendrai.
— Je ne pense pas—
— Je te l’ai déjà dit : Tu penses trop.
Il l’embrassa. Mais avant que sa langue ne puisse à nouveau lui faire perdre
la tête, elle le repoussa.
— Rhage, ça n’est pas possible. Ce qu’il y a entre nous… n’est pas possible.
Je ne… peux pas.
Il roula sur le dos, et mit un bras sous sa tête. Il avait la mâchoire serrée, et
les tendons de son cou s’étaient raidis.
Elle détestait ça, vraiment. Mais il valait mieux l’exprimer une fois pour
toute.
— Je te remercie de tout ce que tu as fait pour moi. De ton sacrifice pour me
garder en sécurité—
— Pourquoi as-tu été si en colère la nuit où je suis sorti dans ce bar ?
— Pardon ?
— Pourquoi ça te touchait tant que je sois allé voir d’autres femelles ? Ou
alors, tu voulais juste un peu de brutalité pour pimenter la chose et cherché une
264
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
bonne raison l’obtenir ? (Lorsqu’il la regarda, le bleu de son regard était aussi
dur qu’un néon, si brillant qu’elle ne put le supporter.) La prochaine fois, tu
n’as qu’à le demander. Je peux baiser de n’importe quelle façon.
Oh Seigneur. Elle n’avait pas voulu le mettre en colère.
— Rhage—
— Tu sais, c’était plutôt bandant de te voir jouer à la dominatrice. J’aime
bien le petit côté sadique aussi. Voir mon sang sur les lèvres. Hmm.
Sa voix glacée était horrible. Et son regard mort encore pire.
— Je suis désolée, dit-elle encore, mais—
— En fait, même d’y repenser, ça me fait de l’effet. Curieux d’ailleurs
quand on pense à ce qui vient juste de se passer, non ?
— Et tu verrais quoi au juste comme futur pour nous deux ?
— Ça, on ne le saura jamais. Mais tu restes au moins jusqu’à la nuit, non ?
Parce que tu as besoin que je te raccompagne. Alors pourquoi ne pas voir si on
peut s’activer encore un peu, histoire que tu ne perdes pas ton temps. (Il mit la
main sous les couvertures.) Tu es sacrément bonne, tu sais, je suis déjà aussi
dur qu’une batte de baseball.
— As-tu la moindre idée de ce que vont être les six prochains mois pour
moi ?
— Non, et je n’aurai pas la chance de le savoir, pas vrai ? Alors si on
baisait ? Puisque le sexe est tout ce que tu veux de moi. Tu sais, je suis prêt à
prendre ce que tu me laisses. C’est pathétique non ?
— Rhage ! cria-t-elle pour le faire taire.
— Mary ! répéta-t-il sur le même ton, pour se moquer d’elle. Désolé, tu
trouves que je parle trop ? Tu préfères que j’utilise ma bouche autrement ? Tu
veux que je fasse quoi avec ? Que je t’embrasse ? Que je te suce ? Où ? Sur les
seins. Non attends, je sais. Oui, plus bas. Et je sais te faire jouir, non ?
Elle laissa tomber sa tête dans ses mains.
— Je ne veux pas partir comme ça. Sur une dispute.
— Mais tu ne laisseras pas ce petit détail t’arrêter, hein ? Non, bien sûr,
super-Mary doit retourner dans son monde—
— Pour être malade, Rhage ! Je m’en vais pour être malade, d’accord ? Je
vois mes docteurs demain. Et je ne m’attends pas vraiment à m’amuser en
rentrant chez moi.
Il la regarda.
— Et tu ne me crois pas digne de rester avec toi ?
— Quoi ?
265
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
266
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Chapitre 22
267
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
— Suis pas certain… il y a le barbu. Viscs. Et puis, elle aime bien le guerrier
blond aussi… mais il ne veut pas.
Le guerrier blond ? Celui de la bête ?
— Quand a-t-elle vu le guerrier blond pour la dernière fois ? (Seuls de
vagues gargouillements lui répondirent.) Quoi ? Je n’ai rien compris.
Le mâle sembla faire un effort, puis soudain son corps se tordit et sa bouche
s’ouvrit comme s’il n’arrivait plus à respirer.
— Allez, marmonna O, tu n’as pas si mal que ça.
Merde, cet étau n’était que de la gnognotte, et il n’avait pas encore commencé
à travailler le mec. Et pourtant, dix minutes après, le vampire était mort.
O resta planté devant le cadavre sans comprendre ce qui venait d’arriver.
La porte du centre s’ouvrit et U entra.
— Alors ? Comment ça se présente ?
— Le civil vient de claquer, mais je ne sais pas pourquoi. Bon sang, j’avais à
peine commencé.
O retira l’étau de la main du mâle et jeta le truc sur l’établi où les autres outils
étaient alignés. Et tout en regardant le cadavre sur la table, il se retrouva soudain
presque nauséeux.
— Si vous lui avez cassé un os, ça a pu provoquer une embolie.
— Quoi ? Hein ? Oh… Non, je n’en étais qu’à la main. Avec un os à la
cuisse, c’est possible, mais pas au doigt.
— On s’en fout. Ça peut partir de n’importe où. Si ça remonte aux poumons,
hein ? Ça bloque tout, et c’est foutu.
— Il n’arrivait plus à respirer.
— Alors c’est sûrement ça.
— Dommage. Parce que sa sœur se fait sauter par les Frères, et j’aurais bien
aimé en savoir plus.
— Il a donné son adresse ?
— Non. Ce con s’est fait piquer son portefeuille la nuit d’avant que je le
chope. Pendant qu’il était ivre mort dans une ruelle. Mais il m’a donné le nom
de plusieurs bars : Les habituels au centre ville, mais aussi le Cyclope.
U fronça les sourcils tout en sortant son flingue pour en inspecter le canon.
— Vous êtes sûr qu’il n’a pas balancé n’importe quel bobard pour vous faire
arrêter ? Le Cyclope n’est pas très loin d’ici, et ces salopards de la Confrérie
préfèrent en général le plein centre, pas vrai ? C’est toujours là qu’on les trouve.
268
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
269
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
— Il parait que vous avez rencontré l’Omega ? (En entendant ce nom, les
yeux de O clignèrent. U le remarqua, mais se méprit heureusement sur la
signification du geste.) Merde, vous l’avez vraiment vu. Donc vous allez devenir
l’assistant de X ? C’est ça ?
O ravala la bile qui lui rongeait les tripes.
— C’est au sensei de répondre à ça.
— Ouais, c’est ça. Je vais certainement poser la question. Mais vous, par
contre, je ne vois pas pourquoi vous vous en cachez.
Vu qu’O en savait encore moins que l’autre lesser, il n’avait pas vraiment le
choix.
Quel merdier. Dire que si peu de temps auparavant, l’idée de devenir
l’assistant du directeur l’aurait vraiment fait flipper.
U se dirigea vers la porte.
— Bon, où et quand voulez-vous que nous commencions ?
— Ici. Et maintenant.
— Très bien. Qu’avez-vous en tête ?
— Nous allons retourner en ville. Je voulais appeler les autres pour leur
donner une leçon ce soir, mais je ne sais plus où est mon manuel.
U hocha la tête.
— On peut aller en chercher un autre.
270
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
temps normal, il percevait des sons à près de mille cinq cents mètres. Ce soir, il
devait faire un effort pour entendre les gens parler dans la file d’attente.
Bien sûr, cette dernière scène avec Mary l’avait énervé— se faire virer par la
femelle qu’on aime avait de quoi secouer un mâle. Mais, ces changements
physiologiques n’avaient rien à voir avec ses émotions à la con.
En fait, il savait ce qui n’allait pas : La bête n’était pas avec lui cette nuit.
Ça aurait dû être un soulagement. Être libéré de ce foutu machin, même à
court terme, était une bénédiction sans pareille. Sauf qu’il avait pris l’habitude
d’utiliser les instincts aiguisés de la créature. Merde, déjà l’idée qu’il avait établi
une sorte de symbiose avec sa malédiction était un véritable choc, en plus il
n’appréciait pas du tout sa vulnérabilité actuelle. Ce n’est pas qu’il doute de lui-
même au corps-à-corps, ni de ses talents avec une dague. Non, c’est juste que la
bête lui donnait une meilleure connaissance de son environnement. Ça lui
manquait ce soir. De plus, la monstruosité était un bon atout en cas de pépins.
Quand tout le reste avait raté, on lâchait la créature sur les ennemis.
— Regarde qui voilà, marmonna V dans la nuit.
Deux lessers descendaient la rue du Commerce, leurs cheveux blancs brillant
sous le reflet des phares d’une voiture qui passait. Comme des marionnettes
animées par le même fil, ils tournèrent la tête à l’unisson vers Viscs et lui. Puis
ralentirent. Et s’arrêtèrent.
V laissa tomber sa cigarette, qu’il écrasa sous sa botte.
— Il y a beaucoup trop de témoins.
Les membres de la Société eurent probablement la même idée, car ils ne firent
aucun mouvement agressif. La curieuse règle qui régissait la guerre entre les
vampires et les lessers les coinçait dans une impasse. Mais la discrétion vis-à-vis
des homos sapiens était essentielle, et les deux ennemis tenaient également à
garder le secret de leur existence. Ce qui leur interdisait de se battre sous les
yeux des gens dans la file d’attente.
Les Frères et les lessers se dévisagèrent d’un air féroce, et aucun humain
n’eut la moindre idée de ce qui se passait. Mais les vampires parmi eux réagirent
différemment. Sentant le danger, ils se retournèrent et commencèrent à
s’agiter— comme s’ils envisageaient de fuir. Rhage leur jeta un regard féroce, et
secoua la tête. La meilleure place pour eux était au milieu du public, et il espéra
fortement que les civils le comprennent.
Mais ces quatre crétins détalèrent.
Les foutus lessers eurent un sourire mauvais, avant de filer à toute blinde
derrière leurs proies.
271
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
272
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
273
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
274
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Chapitre 33
Mary remplit son sac de voyage sous le regard attentif de Fritz. Le majordome
mourrait d’envie de l’aider, et s’agitait d’un pied sur l’autre, très malheureux
qu’elle fasse ce qu’il considérait être son travail.
— Je suis prête, dit-elle enfin, bien que ce ne soit pas le cas.
Fritz eut un sourire heureux à l’idée d’avoir désormais un rôle à tenir, puis il
la guida de l’autre côté de la galerie, au fond du couloir jusqu’à une chambre qui
donnait sur les jardins à l’arrière de la maison. Elle reconnut qu’il était d’une
discrétion exemplaire. S’il trouvait étrange de la voir quitter la chambre de
Rhage, il ne le montra pas. Et la traitait avec la même courtoisie que
précédemment.
Dès qu’elle se retrouva seule, elle envisagea ses options. Elle voulait rentrer
chez elle, mais pas au point de se montrer idiote. Les hommes du parc avaient
été dangereux. Et même si elle avait besoin de retrouver son indépendance, elle
ne désirait pas mourir pour autant. De plus, combien de temps faudrait-il pour
mettre un système d’alarme chez elle ? Peut-être que Viscs s’en occupait déjà.
Elle pensa à son rendez-vous du lendemain chez le médecin. Rhage avait dit
qu’elle pourrait y aller. Même furieux contre elle, elle savait qu’il ne l’en
empêcherait pas. C’est sans doute Fritz qui l’emmènerait à l’hôpital, pensa-t-
elle. En lui faisant faire le tour de la maison, le doggen lui avait aussi expliqué
qu’il pouvait sortir en plein jour.
Mary regarda son sac. Bien qu’elle souhaite s’en aller, elle ne pouvait pas
laisser les choses en l’état avec Rhage. Peut-être se serait-il calmé en revenant ?
Après tout, elle-même se sentait plus raisonnable à présent.
Elle entrouvrit donc la porte de sa chambre, juste assez pour le voir passer dès
qu’il reviendrait. Puis elle s’assit sur le lit et attendit.
Très vite, elle devint anxieuse et toute crispée, aussi elle prit le téléphone.
Quand Bella répondit, ce fut un vrai soulagement d’entendre une voix amicale.
Elles bavardèrent un moment puis, quand elle s’en sentit le courage, Mary
annonça son retour chez elle dès que sa maison serait mise sous alarme. Elle fut
reconnaissante à Bella de ne pas insister pour avoir des détails.
Au bout d’un moment, il y eut un creux dans la conversation.
— Mary, puis-je te demander quelque chose ?
— Bien sûr.
275
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Á 1 heure du matin, John Matthew quitta Chez Moe pour rentrer chez lui,
perdu dans ses pensées. Tohrment n’était pas revenu. Peut-être ne reviendrait-il
jamais. Peut-être avait-il perdu sa chance de partir avec lui ?
Tout en marchant dans la nuit froide, John était rongé d’inquiétude, et son
besoin de quitter son immeuble avait atteint la zone d’alerte.
Il avait si peur que ses rêves en étaient atteints. Avant d’aller bosser, il avait
fait une petite sieste, et ses cauchemars avaient été terrifiants : Des hommes aux
cheveux blancs qui le poursuivaient, l’attrapaient et l’enfermaient dans un
endroit sombre et souterrain.
Lorsqu’il approcha de la porte de son studio, il avait déjà sa clé dans la main,
aussi il ne perdit pas de temps. Il se jeta à l’intérieur et s’enferma du mieux qu’il
put, tournant les deux verrous, enclenchant la chaîne. Il aurait aimé avoir aussi
un œilleton pour savoir ce qui se passait dans le couloir.
Il savait qu’il devrait manger, mais il n’en avait pas le courage. Et puis les
yaourts liquides ne lui disaient rien. Il s’assit sur son lit, espérant que ses
maigres forces reviennent. Il allait en avoir besoin. Dès demain, il chercherait un
autre endroit où habiter. Il lui fallait se sauver.
Bon sang, il regrettait de ne pas être parti avec Tohrment quand il en avait eu
la—
Il y eut un coup à la porte. John leva la tête, espoir et terreur se mêlant...
— Fils ? C’est moi, Tohrment. Ouvre la porte.
John se rua en avant, ouvrit les verrous et se jeta presque sur lui.
Les sourcils de Tohrment se relevèrent au-dessus de ses yeux bleu marine.
— Que se passe-t-il, John ? Tu as un problème ?
276
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Il n’était pas certain qu’il devait parler du mec délavé qu’il avait rencontré
dans l’escalier. Au final, il préféra se taire. Il ne pouvait risquer que Tohrment
change d’avis à son sujet en constatant que celui qu’il comptait emmener avait
une tendance paranoïaque.
— Fils ?
John alla chercher son carnet pendant que Tohrment refermait la porte.
— Je suis content que vous soyez revenu. Merci.
Tohrment lut et dit :
— J’aurais dû venir plus tôt mais la nuit dernière j’ai eu… un imprévu. Que
je ne pouvais pas reporter. Alors, as-tu repensé à notre—
John hocha la tête et écrivit rapidement :
— Je veux venir.
— Tant mieux, fils. (Tohrment eut un sourire.) C’est mieux pour toi.
John prit enfin une profonde inspiration, terriblement soulagé.
— Voilà comment nous allons procéder : Je reviendrai te chercher demain
soir. Je ne peux pas t’emmener tout de suite parce que je serai sorti toute la nuit.
John ravala son accès de panique. Allez, se dit-il. Qu’est-ce qu’un jour de
plus, après tout ?
277
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
278
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
279
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
280
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Chapitre 34
281
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Bella remonta au rez-de-chaussée dès que la nuit fut tombée, ouvrant la porte
de sa cuisine avec un plaisir immense. Maintenant que les jours raccourcissaient,
elle avait beaucoup plus de temps pour profiter de sa liberté. Il n’était que 18
heures, et il faisait nuit noire. Chouette.
Elle hésitait entre se faire un toast ou quelques pancakes quand elle vit des
lumières de l’autre côté de la prairie. Il y avait quelqu’un dans la maison de
Mary. Probablement les Frères qui devaient installer son système d’alarme.
Ce qui signifiait qu’en y allant, elle reverrait peut-être le guerrier balafré.
Elle n’avait cessé de penser à Zadiste depuis qu’elle l’avait rencontré, et son
journal intime était rempli de ses spéculations concernant le mâle. Il était
tellement… primitif. Après avoir été couvée toute sa vie par son frère, elle
mourait d’envie d’expérimenter une telle sauvagerie. Surtout au niveau sexuel.
Et Dieu sait que Zadiste correspondait parfaitement à ce genre d’attente.
Elle enfila un manteau, échangea ses chaussons contre des baskets et traversa
en courant la prairie, avant de ralentir en approchant par l’arrière. Elle n’avait
pas la moindre envie de rencontrer un lesser—
— Mary, mais que fais-tu là ?
En levant les yeux de la chaise longue dans laquelle elle s’était étendue,
l’humaine lui parut sonnée. Bien qu’il fasse plutôt froid, elle ne portait qu’un
sweater et un jeans.
— Oh… Hey, Bella. Comment va ?
282
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
283
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
284
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
285
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Elle s’appuya contre les oreillers, et il remarqua les cernes noirs qu’elle avait
sous les yeux, la pâleur de ses lèvres…. Et le fait qu’elle ne se battait même pas.
Ne demande pas, se dit-il. Et merde.
— Que s’est-il passé cet après-midi ?
— J’avais juste besoin de rester un peu seule.
— Je ne te demande pas pourquoi tu as planté Fritz. On verra ça plus tard. Je
veux savoir ce que t’a dit le docteur.
— Oh, oui. Ça.
Il la regarda pendant qu’elle tripotait le bord de la couverture. Et quand elle
resta silencieuse, il eut envie de hurler. De jeter des objets. De brûler quelque
chose.
— Alors ? grinça-t-il.
— Ce n’est pas du tout que je ne te crois pas digne.
Mais de quoi parlait-elle ? Oh, oui, de cette charmante petite conversation
qu’ils avaient eue la veille concernant sa maladie à venir. Merde, elle était à
nouveau en pleine échappatoire.
— C’est grave ou pas, Mary ? Et n’envisage même pas de me mentir.
Elle le regarda enfin.
— Ils veulent que je commence une chimio la semaine prochaine.
Rhage exhala lentement. Bon, ça devait faire cet effet d’être écorché vif.
Il s’assit sur le bord du lit, et referma mentalement la porte.
— Ça va marcher ?
— Je pense. Je dois revoir mon docteur d’ici quelques jours, après qu’elle ait
rencontré des collègues à elle. La grande question est de savoir quelle quantité
de traitement je peux accepter, aussi ils m’ont prélevé du sang pour vérifier
l’état de mon foie et de mes reins. Je leur ai dit que je prendrai tout ce qu’ils me
donneront.
Il se frotta la figure.
— Seigneur Dieu.
— J’ai regardé ma mère mourir, dit-elle doucement. C’était horrible de la
voir peu à peu perdre toutes ses facultés, et souffrir autant. Á la fin, ce n’était
même plus elle, elle n’agissait plus pareil. Elle était déjà partie mais son corps
refusait de lâcher ses fonctions les plus basiques. Je ne sais pas si je vais en
arriver là, mais ça ne va pas être facile.
Bon sang, il avait tellement mal.
— Et tu ne veux pas que je voie ça.
286
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
287
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
288
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
289
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
290
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Chapitre 35
O releva le couvercle grillagé posé sur l’un des tuyaux d’égout et dirigea sa
lampe électrique dans le trou. Le jeune mâle à l’intérieur était celui qu’il avait
attrapé la nuit précédente et ramené dans la fourgonnette. Le vampire vivait
toujours : Il avait passé la journée sans problème. Le système de stockage
s’avérait parfaitement efficace.
La porte du centre s’ouvrit avec fracas. Et M. X entra, les bottes claquantes, la
mine arrogante.
— Il a survécu ?
— Oui, répondit O en remettant le couvercle.
— Parfait.
— Je m’apprêtais à le sortir.
— Pas maintenant, fiston. Je veux que vous alliez rendre une petite visite à
ces membres-là, dit M. X en lui tendant une liste de noms écrits sur un papier.
Le système par mail a son utilité, mais aussi ses limites. Je reçois confirmation
de ces Betas— pourtant, d’après leurs escadrons, ça fait plusieurs jours que
personne ne les a revus.
O sentit s’éveiller un instinct qui lui conseillait de faire attention. Alors que
M. X l’avait accusé il y a peu d’avoir tué des Betas dans le parc, le directeur
l’envoyait maintenant vérifier leur état de santé ?
— Ça vous pose un problème, M. O ?
— Non. Aucun problème.
— Autre chose, j’ai trois nouvelles recrues qui seront intronisées dans une
dizaine de jours. Voulez-vous y assister ? C’est un sacré spectacle quand on n’y
participe pas directement.
— Non. (O secoua la tête.) J’ai du boulot à faire ici.
M. X eut un sourire.
— Vous craignez que votre présence ne distraie l’Omega ?
— Je ne pense pas que l’Omega soit du genre à être distrait.
— Vous avez tort. Il ne cesse de parler de vous.
O savait parfaitement que l’autre devait lui raconter des conneries pour le
faire flipper, mais son corps n’en réagit pas moins violemment. Il sentit ses
genoux fléchir et une sueur froide émaner de tous ses pores.
— Je m’occupe de cette liste, dit-il en récupérant son blouson et ses clés.
291
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
— Faites-le, fiston, dit M. X, les yeux brillants. Je vais jouer un moment avec
notre invité.
— Comme vous voulez, sensei.
— Alors maintenant, j’habite ici, murmura Mary quand Rhage referma sur
eux la porte de sa chambre.
Elle sentit ses bras lui entourer la taille par derrière, et attirer son dos contre
lui. Elle jeta un œil vers le réveil et vit qu’ils avaient quitté Bella à peine une
heure et demi plus tôt. Et pourtant, sa vie avait irrévocablement changé.
— Oui, tu habites ici, dit-il. Avec moi.
Il y avait trois lourds cartons posés contre le mur, contenant ses vêtements,
une sélection de DVD, quelques photos. Avec Viscs, Butch et Fritz venus pour
les aider, ça n’avait pas pris longtemps d’emballer ses affaires, de les mettre
dans l’Escalade et de rentrer au manoir. Plus tard, Rhage et elle retourneraient
chercher le reste. Le lendemain, elle enverrait sa démission au cabinet d’avocat.
Et préviendrait une agence pour mettre la ferme en vente.
Voilà, c’était définitif. Elle s’installait avec Rhage et tournait la page sur son
ancienne vie.
— Il faudrait que je vide tout ça, dit-elle. Que je m’installe.
Rhage lui prit les mains et la poussa en direction du lit.
— Je préfère que tu te reposes. Tu as l’air fatiguée d’être debout.
Pendant qu’elle s’étendait, il enleva son long manteau, puis retira le harnais
avec ses dagues, sa ceinture et ses armes. Il vint ensuite se coucher près d’elle,
créant un creux dans le matelas qui la fit rouler contre lui. Toutes les lampes
s’éteignirent d’un coup, plongeant la chambre dans l’obscurité.
— Tu es sûr d’être prêt pour ça ? demanda-t-elle quand ses yeux furent
ajustés à la lueur qui venait des fenêtres. Pour tout mes… trucs ?
— Ne me force pas à être grossier.
— D’accord. (Elle rit.) C’est juste que—
— Mary, je t’aime. En ce qui te concerne, je suis prêt à tout.
Elle posa la main sur le visage de Rhage, et ils restèrent silencieux, savourant
le fait de respirer ensemble.
Elle allait s’endormir quand il dit :
— Mary, maintenant que tu es revenue, il faut que je prenne la veine d’une
Élue. J’ai appelée la directrix pendant que nous étions chez toi, pour convenir
d’un rendez-vous.
292
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Elle se raidit. Mais merde, elle vivait avec un vampire à qui elle ne pouvait
offrir son propre sang, aussi ils devaient bien trouver un autre moyen de gérer le
problème.
— Quand viendra-t-elle ?
— Cette nuit. Et je veux que tu restes avec moi. Du moins, si tu peux le
supporter.
Comment ça se passait ? se demanda-t-elle. Prendrait-il la femme dans ses
bras pour boire à son cou ? Même s’ils ne couchaient pas ensemble, Mary n’était
pas certaine de vouloir assister à ça.
Il lui embrassa la main.
— Crois-moi, ce serait mieux que tu sois là.
— Et si je ne peux pas… ah, supporter—
— Je ne te forcerai pas à regarder. C’est juste que… ah, il y a une intimité
obligatoire dans ce genre d’échange, et je pense que toi et moi serions plus à
l’aise si tu es dans la pièce. Comme ça, tu sauras exactement comment ça se
passe. Il n’y aura aucun nuage entre nous.
Elle hocha la tête.
— Très bien.
Il inspira longuement.
— Je ne peux pas changer ce que je suis. Ni ce que ça implique.
— Tu sais, dit Mary en lui caressant la poitrine, même si ça me fait un peu
peur, je préfèrerais que ce soit moi.
— Oh, Mary, moi aussi.
John vérifia sa montre. Tohrment devrait arriver d’ici cinq minutes. Aussi il
ferait aussi bien de commencer à descendre. Il souleva sa valise à deux mains et
avança vers la porte, espérant qu’il ne croiserait pas l’homme pâle en chemin ou
pendant qu’il attendait dans la rue. Mais John tenait à rencontrer Tohrment
dehors. Quelque part, le geste était important pour lui
Une fois sur le trottoir, il releva les yeux vers les deux fenêtres d’où il avait
fixé le monde extérieur tant d’heures durant. Il avait laissé derrière lui son
matelas et ses haltères, ainsi que son dépôt de garantie et le loyer du mois
prochain pour compenser l’interruption de son bail. Dès l’arrivée de Tohrment,
il remonterait une dernière fois chercher son vélo. Á part ça, il en avait terminé
avec cet endroit.
293
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
294
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
295
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
pas rouler les yeux au ciel, ou jouer au macho en faisant des commentaires à la
con sur la mauvaise humeur des femmes.
— Wellsie dit qu’elle espère vraiment te rencontrer, fils. Elle aimerait que tu
restes avec nous.
Très bien… C’est d’accord.
John fit confiance à son instinct, qui lui affirma que, malgré son apparence,
Tohrment représentait la sécurité. Aussi, il souleva péniblement sa valise et
s’approcha de la voiture.
— C’est tout ce que tu as ?
John s’empourpra et hocha la tête.
— Tu n’as pas à être gêné, fils, dit Tohrment gentiment. Tu es avec moi
désormais.
L’homme tendit la main et récupéra la valise comme si elle ne pesait rien,
puis il la jeta sur le siège arrière.
Pendant que Tohrment retournait derrière le volant, John réalisa qu’il oubliait
son vélo. Il tapa sur le capot pour attirer l’attention, puis fit un geste vers
l’immeuble, l’index en l’air.
— Tu as besoin d’une minute ?
John hocha la tête et remonta jusqu’à son appartement. Il prit le vélo et laissa
les clés sur le comptoir, puis jeta un dernier coup d’œil autour de lui. Au
moment de quitter les lieux, il en réalisait le côté minable, mais quand même…
c’était ce qu’il avait pu s’offrir de mieux avec le peu qu’il avait. Sur une
impulsion, il prit son stylo dans sa poche arrière, ouvrit la porte branlante du
placard et écrivit son nom à l’intérieur.
Ensuite, il emmena son vélo dans le couloir, referma la porte, et redescendit
rapidement l’escalier.
296
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Chapitre 36
297
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
298
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Mary leva une main jusqu’à sa bouche. Que cette femme se considère ainsi
comme un simple objet était sidérant.
Manifestement, Rhage était tout aussi troublé par la réponse de l’Élue. Il
secoua la tête, en silence.
— Voulez-vous qu’une autre vienne me remplacer, demanda doucement
Layla.
— Je ne veux plus rien du tout, marmonna-t-il.
— Alors pourquoi avoir fait appel aux Élues si vous n’aviez pas l’intention
de mener à terme cet échange ?
— Je ne pensais pas que ce serait aussi compliqué.
— Compliqué ? (La voix de Layla se fit plus grave.) Je vous demande bien
pardon, messire, mais je ne vois pas en quoi je vous ai déplu.
— Ce n’est pas ça, dit-il, et je ne voulais pas t’offenser. Ma compagne… est
humaine. Et je ne peux pas boire sur elle.
— Elle peut partager les plaisirs avec nous. Je serai honorée de la servir.
— Mais non, ce n’est pas… Elle n’est pas là pour… Il n’est pas question que
nous— (Sidéré, Rhage se sentit rougir.) Mary est ici parce que c’est la seule et
unique femelle que je veux, mais je dois prendre une autre veine, comprends-
tu ? (Il poussa une exclamation furieuse et se remit debout.) Ça ne marchera
jamais. Ça ne va pas du tout.
Layla releva vivement les yeux.
— Vous devez prendre une veine, avez-vous dit, messire, et elle ne peut vous
offrir la sienne. Je suis là. Je suis à votre service. Laissez-moi vous offrir ce dont
vous avez besoin. Pourquoi le refuseriez-vous ? Voulez-vous attendre jusqu’à ce
que la soif vous consume et que vous deveniez dangereux pour votre
compagne ?
Rhage se passa la main dans les cheveux. En agrippa une poignée. Et tira
violemment dessus.
Layla croisa les jambes, sa robe s’ouvrant haut sur sa cuisse parfaite. Ainsi
installée sur ce lit somptueux, elle présentait une image époustouflante, à la fois
réservée et incroyablement sensuelle.
— Avez-vous oublié toutes les anciennes traditions, guerrier ? Elles datent de
bien longtemps, je le sais, mais comment pouvez-vous trouver inconvenant que
je vous offre mes services ? C’est l’un de mes devoirs, et j’en suis honorée.
(Layla secoua la tête.) Du moins, autrefois, moi et mes sœurs étions utilisées
pour servir la Confrérie. Mais les Élues ont été délaissées au cours des derniers
299
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
siècles. Personne ne fait plus appel à nous. Nous sommes oubliées. Négligées.
Inutiles. Quand vous avez pris contact, nous en avons toutes été enchantées.
— Je suis désolé, dit Rhage en regardant Mary, mais ce n’est pas—
— C’est à cause d’elle, n’est-il pas vrai ? murmura Layla. Vous vous
inquiétez de ce qu’une humaine pensera en vous voyant à mon poignet.
— Elle n’a pas l’habitude de nos coutumes.
La femme tendit le bras vers Mary.
— Maîtresse, venez vous asseoir près de moi, pour qu’il puisse vous voir en
buvant. Pour qu’il puisse vous toucher et vous sentir. Pour que vous fassiez
partie du rituel. Sinon, il me refusera, et où ceci vous mènera-t-il ?
Il y eut un long silence, Mary resta immobile, et la femme eut un mouvement
d’impatience.
— Si vous ne venez pas, il ne boira pas, insista-t-elle. Vous devez faire ça
pour lui.
— Voilà, c’est là, dit Tohrment en garant le Range devant une maison
moderne et élégante
Ils se trouvaient dans un quartier que John connaissait mal. Les demeures
étaient à l’écart des rues, éloignées les unes des autres, protégées par de lourdes
grilles de fer et des pelouses soignées. Par ici, les arbres n’étaient pas seulement
des érables ou des chênes, mais des essences rares dont il ne connaissait même
pas les noms.
John ferma les yeux, soudain amèrement conscient d’avoir une chemise avec
un bouton décousu. Peut-être que s’il gardait son bras devant, la femme de
Tohrment ne le remarquerait pas.
Seigneur… et s’ils avaient des enfants ? Ils allaient se foutre de lui…
— Avez-vous des enfants ? indiqua John par gestes sans réfléchir.
— Qu’est-ce qu’il y a, fils ?
John farfouilla dans ses poches pour trouver un bout de papier. Puis il sortit
son stylo et gribouilla quelques mots avant de tourner la feuille.
Tohrment se figea, et regarda sa maison comme s’il craignait ce qui se
trouvait à l’intérieur.
— Nous en aurons un— du moins je l’espère— dans un peu plus d’un an.
Wellsie est enceinte, mais nos femelles ont des grossesses très difficiles et
dangereuses. (Tohrment secoua la tête, puis serra les lèvres.) Quand tu seras plus
300
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
301
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
John plissa le nez. Et son estomac se tordit. Bon sang, il ne pourrait jamais
avaler ce genre de truc. Et si la femme de Tohrment se vexait… ?
Une magnifique rousse arrivait vers eux : Au moins un mètre quatre-vingt, la
peau aussi blanche et délicate que de la porcelaine. Elle portait une légère robe
jaune, et ses cheveux étaient vraiment incroyables, de longues mèches qui
flottaient souplement jusqu’au bas de son dos
John posa vite la main devant son bouton manquant.
— Comment va, mon hellren ? dit la femme en leva la tête pour embrasser
Tohrment.
— Bien, leelane. Wellsie, voici John Matthew. John, voici, ma shellane.
— Je suis heureuse de te connaître, John, dit-elle en lui tendant la main.
Bienvenue chez nous. J’espère que tu te plairas ici.
John serra la main offerte, puis replaça vite la sienne sur sa chemise.
— Le dîner est prêt, les hommes. Passons à table.
La cuisine était agréable, avec des placards couleur cerise et un comptoir en
granit gris. Les appareils ménagers étaient d’un noir brillant. Il y avait trois
couverts préparés sur une table ronde, verre-et-acier, dans une alcôve vitrée.
Tout était flambant neuf.
— Asseyez-vous tous les deux, dit Wellsie. J’apporte les plats.
John regarda l’évier— en porcelaine blanche, avec de gracieux robinets de
cuivre.
— Tu veux te laver les mains ? dit-elle. Vas-y.
Il y avait une barre de savon et un petit essuie-mains, et il fit attention à se
nettoyer soigneusement, y compris sous les ongles. Puis Tohrment et lui
s’assirent, tandis que Wellsie apportait des plats et des bols remplis de
nourriture. Enchiladas. Quesadillas. Puis elle retourna en chercher davantage.
— Ah, j’adore ça, dit Tohrment en se servant abondamment. Wellsie, ça a
l’air super.
John examina ce qu’il y avait sur la table, certain qu’il ne pourrait rien avaler.
Peut-être pourrait-il prétendre qu’il avait déjà mangé…
Mais Wellsie posa alors devant lui un bol rempli de riz blanc assez compact,
accompagné d’une sauce jaune. L’arôme était délicat, appétissant.
— Ça fera du bien à ton estomac, dit-elle. J’ai mis du gingembre. Et puis
cette sauce est pleine de glucides pour t’aider à regagner quelques kilos. Comme
dessert, j’ai fait un pudding à la banane. Ça devrait descendre facilement, et
c’est aussi plein de calories.
302
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
John regarda la nourriture. Elle savait. Elle savait qu’il ne pouvait pas manger
normalement. Et elle lui avait préparé un plat spécial.
Le bol devint flou sous ses yeux. Il cligna plusieurs fois. De plus en plus vite.
Il serra les lèvres, puis crispa ses mains jusqu’à ce que ses doigts deviennent
blancs. Il n’allait pas se mettre à pleurer comme un bébé. Il refusait de se
ridiculiser ainsi.
— Tohr ? dit Wellsie d’une voix calme. Tu peux nous laisser une minute ?
Il y eut le bruit d’une chaise repoussée, puis John sentit une lourde main se
poser sur son épaule, brièvement. Le poids disparut, et des pas lourds quittèrent
la pièce.
— C’est bon, tu peux te détendre. Il est parti.
John ferma les yeux et vacilla, laissant les larmes couler sur ses joues. Wellsie
tira une chaise à côté de lui. Et lui frotta le dos, d’un mouvement doux et
réconfortant.
Il se sentit soudain incroyablement béni que Tohrment soit venu le chercher,
juste à temps. Que cette maison qui l’accueillait soit propre et claire. Que
Wellsie lui ait concocté un plat spécial, bien adapté à son estomac capricieux.
Qu’ils l’aient laissé garder sa fierté.
John sentit que Wellsie l’attirait contre elle, puis le serrait fort. Le berçait.
Comme une plante asséchée recevant enfin de l’eau, il s’imprégna d’une telle
gentillesse.
Peu après, il releva la tête et sentit qu’on lui mettait une serviette dans la
main. Il s’essuya les yeux, se redressa et regarda Wellsie. Qui lui souriait.
— Ça va mieux ?
Il hocha la tête.
— Je peux rappeler Tohr ?
Il hocha à nouveau la tête, puis ramassa sa fourchette. Dès qu’il goûta le riz, il
eut un gémissement d’extase. C’était un peu épicé mais au lieu des crampes
douloureuses auxquelles il était accoutumé, il ressentait un merveilleux
soulagement dans ses tripes. Comme si ce truc avait été calibré exprès pour son
système digestif.
Il n’osa pas relever les yeux quand Tohrment et Wellsie revinrent, et fut
soulagé de les entendre discuter tranquillement. De courses à faire. D’amis. De
divers projets.
Il termina son riz et jeta un œil vers le fourneau, au cas où il en resterait.
Avant même qu’il puisse poser la question. Wellsie prit le bol et alla le remplir.
303
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
304
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Chapitre 37
Mary regarda fixement la paume tendue de l’Élue, puis jeta un coup d’œil
vers Rhage. Qui affichait un air sombre, et paraissait crispé.
— Ne voulez-vous pas l’aider ? demanda Layla.
Mary inspira profondément, puis avança et plaça délibérément sa main dans
celle qu’on lui offrait.
Layla tira légèrement pour la faire asseoir, puis esquissa un sourire.
— Je comprends que vous soyez nerveuse mais ne vous inquiétez pas, ce sera
rapide. Ensuite, je partirai et vous resterez seulement tous les deux. Vous
pourrez m’oublier très vite.
— Comment pouvez-vous accepter d’être ainsi… exploitée ? dit Mary.
— J’offre seulement ce qui est nécessaire, dit Layla, un peu surprise. Je ne
me sens pas exploitée. Et comment se refuser à la Confrérie ? Les Frères nous
protègent et nous permettent de vivre. Ils nous donnent leurs filles pour
maintenir nos traditions… du moins ils le faisaient dans le passé. Notre nombre
diminue parce que les guerriers ne viennent plus à nous. Nous avons
désespérément besoin d’enfants mais la loi nous interdit d’autres géniteurs que
les Frères. (Elle regarda Rhage.) C’est pourquoi j’ai été sélectionnée ce soir, je
suis proche de ma période fertile et j’espérais que vous me prendriez.
— Je ne le ferai pas, dit Rhage doucement.
— Je sais. Mais je tiens néanmoins à vous servir.
Mary ferma les yeux, rêvant de l’enfant que Rhage pourrait donner à une
femme. Elle posa la main sur son ventre plat et l’imagina gonflé du poids d’un
bébé. Ce devait être une joie sans pareille, elle en était certaine. Parce que la
douleur d’en être privée était intolérable.
— Alors, guerrier, que décidez-vous ? Prendrez-vous ce que je suis heureuse
de vous offrir ? Ou choisirez-vous le risque de blesser votre compagne ?
Mary vit Rhage hésiter. Mais elle avait déjà compris que la seule solution
possible était là, en face d’eux. Il avait besoin de boire.
— Bois, ordonna-t-elle.
— Mary ? (Il la regardait attentivement.)
— Je veux que tu prennes sa veine. Maintenant.
— Tu es sûre ?
— Oui.
305
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
306
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
d’échange auquel elle assistait entre lui et l’Élue. Leurs deux corps étaient
détendus et calmes. Et n’exprimaient aucune passion.
Layla leva les yeux et lui sourit.
— Il a presque fini. Et tout s’est bien passé.
Quand ce fut terminé, Rhage releva la tête et se positionna plus franchement
contre Mary, les bras autour de sa taille, le visage posé sur sa cuisse. Elle ne
voyait pas son expression mais ses muscles étaient souples, sa respiration
régulière.
Elle regarda le poignet de Layla. Qui avait la marque rouge d’une succion et
deux entailles qui saignaient peu.
— Il a besoin d’un moment pour récupérer, dit Layla.
Elle lécha ses blessures avant de dérouler sa manche. Puis elle se leva.
— Merci, dit Mary qui frottait le dos de Rhage.
— Ce fut mon plaisir.
— Reviendrez-vous quand il aura à nouveau besoin de vous ?
— Vous le voudriez ? Vous me demanderiez personnellement ?
Mary se raidit un peu devant tant d’enthousiasme.
— Oui, je pense.
Layla parut enchantée d’une telle distinction.
— Maîtresse, dit-elle rayonnante avant de s’incliner profondément. Ce sera
un plaisir et un honneur pour moi que de vous servir. Le guerrier sait comment
me convoquer. Je répondrai à votre appel.
Et elle quitta la pièce d’un pas dansant.
Dès que la porte fut refermée, Mary se pencha et embrassa Rhage sur
l’épaule. Il s’étira un peu. Puis souleva la tête pour s’essuyer la bouche, comme
s’il ne souhaitait pas qu’elle puisse voir une trace de sang sur lui.
Quand il la regarda enfin, ses yeux étaient mi-clos et son brillant regard gris-
bleu légèrement troublé.
— Hey, dit-elle en repoussant ses cheveux en arrière.
Il lui adressa le merveilleux sourire qui le faisait paraître angélique.
— Hey.
— Alors ? demanda-t-elle en caressant du pouce la lèvre renflée du vampire.
C’était bon ? (Quand il hésita, elle insista :) Et sois franc.
— Oui. Mais j’aurais préféré être avec toi. Et je n’ai pensé qu’à toi tout du
long.
307
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
308
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
John entra. Les murs et le plafond étaient bleu nuit, et il y avait un grand lit
avec un bois-de-lit ciré et d’énormes oreillers. Il y avait aussi un bureau et un
fauteuil assorti. Et des portes fenêtres qui ouvraient sur une terrasse.
— Ta salle de bain est par là, dit Tohrment en allumant une autre pièce.
John passa la tête et vit beaucoup de marbre bleu nuit et… waouh, une douche
à quatre jets.
— Si tu as besoin de quoi que ce soit, Wellsie reste là et moi, je serai rentré
vers 4 heures. Toutes les nuits, c’est l’heure à laquelle nous nous retrouvons au
salon à. Si tu veux quelque chose durant la journée, prends le téléphone et tape
le 1. Nous serons toujours heureux de t’avoir. Oh, et nous avons aussi deux
doggens— des domestiques— dans la maison. Sal et Regine. Qui savent que tu
vis désormais avec nous. Ils arrivent vers 5 heures. Si tu veux sortir, demande et
ils t’emmèneront où tu veux.
John alla jusqu’au lit et toucha du doigt une taie d’oreiller. Le tissu était si
doux qu’il pouvait à peine le sentir.
— Tu seras bien avec nous, fils. Il te faudra un peu de temps pour t’habituer,
mais tu seras bien.
John regarda Tohrment de l’autre côté de la chambre. Il rassembla son
courage, puis avança jusqu’à lui et ouvrit la bouche en grand. Et montra celle de
l’homme.
— Tu es sûr que tu veux faire ça maintenant ?
Quand John hocha la tête, Tohrment écarta doucement les lèvres. Et exhiba
deux énormes canines très blanches.
Ben… merde alors.
John déglutit avec difficulté et mit deux doigts dans sa propre bouche.
— Oui, tu les auras bientôt. D’ici deux ans, je pense. (Tohrment alla s’asseoir
sur le lit et posa ses coudes sur ses genoux.) Nous changeons aux alentours de
vingt-cinq ans. Et tu vas avoir besoin de boire pour survivre à ta transition. Et je
ne parle pas de lait, fils.
John leva les sourcils, se demandant qui allait lui donner ça.
— Nous te trouverons une femelle pour t’aider à ce moment-là. Et nous
t’expliquerons aussi le processus. Ce n’est pas de la tarte, mais une fois que c’est
passé, tu seras si fort que tu trouveras que ça valait le coup.
Les yeux de John s’écarquillèrent en étudiant l’imposante stature de
Tohrment. Soudain, il écarta grand les bras, aussi bien en largeur qu’en hauteur,
puis se montra du pouce.
— Oui, tu auras la même taille que moi.
309
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
310
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
311
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
312
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Chapitre 38
313
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
314
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
— Hey. Oui. Je voulais te dire que Mary s’est installée ici de façon
définitive.
— Je sais. Fritz m’a dit hier qu’il avait rapporté ses affaires.
— Hm-hm. Dis-moi, ça te pose un problème si j’organise une petite fête ce
soir ? Je veux que Mary revoie son amie Bella et je pensais que la Confrérie
pourrait apparaître dans toute sa gloire. Tu sais, en costume et tout ça. Peut-être
que Wellsie acceptera aussi de venir. Mary vit avec moi, mais elle a besoin de
voir du monde. Je ne veux pas qu’elle se sente isolée.
— Excellente idée. Beth voulait qu’on aille ce soir en ville mais—
— Ne change rien à tes projets. C’est juste un truc à l’improviste.
— En fait, ma shellane tient beaucoup à sortir. Elle adore m’avoir pour elle
toute seule. Et je… ah, j’aime bien la trouver dans cet état d’esprit. Si tu vois
pourquoi.
Rhage eut un sourire parce que le corps de Kohler venait d’émettre un élan de
chaleur explicite.
— Oui, je vois.
Il y eut un silence, puis le roi demanda :
— Mon Frère, y a-t-il autre chose ?
— Ah, oui. Mary ne va pas tarder à être très malade. Je sortirai avec les
autres aussi longtemps que possible mais vers la fin—
— Bien sûr. Tu feras ce que tu dois faire.
— Merci.
Kohler secoua la tête.
— Tu sais un truc— tu es un mâle de valeur. Vraiment.
— Oui, ben garde ça pour toi. Après tout, j’ai ma réputation de sale con à
protéger.
— Je pense que Tohr ferait ce genre de chose. Fhurie, bien sûr. Peut-être V.
Rhage fronça les sourcils.
— Á t’entendre, c’est un sacrifice. Mais bon sang, Kohler, je l’aime.
— C’est ça le sacrifice. Tu l’aimes alors que tu sais qu’elle va partir pour
l’Au-delà.
— Elle ne partira nulle part. (Rhage serra les dents.) Elle va s’en sortir. Ça va
être dur, mais elle va s’en sortir.
— Excuse-moi, dit le roi en inclinant la tête. Bien sûr.
Rhage baissa les yeux. Il ne savait que faire de ces excuses parce qu’il n’en
recevait jamais. En général, c’est lui qui les offrait. De plus, chaque fois qu’il
évoquait la mort de Mary, ça allumait un incendie dans sa cage thoracique.
315
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
— Á plus tard, monseigneur, dit-il. (Il valait mieux qu’il se barre avant de se
ridiculiser en devenant émotif.)
Mais quand il releva les yeux, il rencontra les yeux de Kohler— pour la
première fois de sa vie parce que le Roi n’enlevait jamais ses lunettes. Ne l’avait
jamais fait.
Rhage cessa de respirer, hypnotisé par les incroyables prunelles d’un vert-
argent iridescent. Qui étaient presque sans pupilles, à peine deux points noirs. Et
il y avait tant de chaleur dans ce lumineux regard aveugle fixé droit sur lui que
c’en était bouleversant.
— Je suis fier de t’appeler mon Frère, dit le roi.
Rhage sentit deux bras épais l’étreindre et le serrer contre une poitrine d’acier.
Il se raidit, puis laissa sa tête tomber sur la massive épaule.
— Kohler ?
— Oui ?
Rhage ouvrit la bouche, tenta de parler, et n’y réussit pas.
La voix grave du roi répondit dans le silence :
— Nous serons tous là pour toi. N’hésite pas à demander, tu recevras toute
l’aide nécessaire. Et quand le temps sera venu, elle aura droit à tous les honneurs
d’une pleine cérémonie de l’Au-delà, comme le mérite la shellane d’un guerrier.
Rhage serra très fort les paupières.
— Merci monseigneur.
Plus tard durant la nuit, Mary était dans la salle de bain, à sécher et brosser ses
cheveux. Quand elle eut terminé, elle se regarda dans la glace et donna du
volume à ses mèches brunes. Elles étaient douces sous ses doigts, et leur couleur
chatoyante avait des reflets rouges et dorés.
Elle refusa de s’imaginer à nouveau chauve. Repoussa fermement cette idée
de sa tête. Dieu sait qu’elle aurait tout le temps d’y penser quand ça arriverait.
— Tu es aussi belle qu’hier, dit Rhage en émergeant de la douche.
Et pendant qu’il se séchait, il vint derrière elle et souffla un baiser à son reflet.
Elle sourit.
— Merci d’avoir invité Bella et John ce soir. Elle est devenue une vraie amie
pour moi. Et je m’inquiétais au sujet du garçon.
— Je ne veux pas que tu perdes contact avec tes amis sous prétexte que tu vis
ici. De plus, la Confrérie a besoin de se civiliser de temps en temps. Ce sera très
bon pour nous.
316
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
— Je trouve gentil que Wellsie et Tohrment aient pris John chez eux.
— Oui, ils sont super ces deux-là.
Quand Rhage quitta la salle de bain, Mary eut la sensation que les yeux de son
tatouage la regardaient fixement. L’effet était étrange, mais pas désagréable.
C’était le regard d’un chien de garde, une bête féroce qui souhaitait être
caressée. Elle alla s’asseoir sur le rebord du lit.
— Hey, je suis désolée de t’avoir réveillé ce matin. Quand la fièvre arrive, je
n’arrête pas de bouger et me retourner.
Rhage ressortit de la penderie, attachant la fermeture de son pantalon noir.
— Tu ne m’as pas gêné mais… n’y a-t-il rien à faire pour cette fièvre ?
— Non, pas vraiment. Tu sais, je peux aller dans une autre chambre si tu
veux être tranquille. (Elle rit devant le regard qu’il lui lança.) D’accord, je n’irai
pas.
— J’avais espéré que Havers pourrait faire quelque chose pour t’aider.
— C’est pas grave. C’est gentil à toi d’avoir essayé.
— Quand revois-tu ton oncologue ?
— Bientôt, mais ne parlons plus de ça, d’accord ? Ce soir, pensons plutôt à la
vie. Je me sens bien et je ne veux pas en perdre une seule minute.
La bouche de Rhage esquissa un sourire, et ses yeux brillèrent d’approbation
et de respect.
Et elle avait pensé l’écarter de sa vie ? pensa Mary. Quelle idiote !
Elle lui rendit son sourire, évoquant déjà la fin de la soirée, quand ils se
retrouveraient seuls, tous les deux. Dans l’obscurité. Sans rien pour les séparer.
Lorsqu’il retourna dans la penderie, elle le suivit, pensant profiter des
quelques minutes qui leur restaient avant de descendre. Il étudiait ses chemises
alignées sur des cintres, et elle lui posa la main dans le dos, juste sur l’épaule de
la bête tatouée.
Il eut un sursaut et s’écarta.
— Tu as mal ? demanda-t-elle.
Alors qu’elle s’approchait à nouveau, il l’évita, et ils se tournèrent encore un
moment.
— Rhage—
— Il faut se dépêcher sinon on va être en retard.
Il avait la voix rauque, et les muscles de sa poitrine tressautaient.
— Qu’est-ce que tu as au dos ?
Il arracha une chemise à un cintre, l’enfila, puis la boutonna rapidement.
— Mon dos va très bien.
317
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Il lui planta un baiser rapide sur la joue et détala. Une fois dans la chambre, il
ouvrit la porte qui donnait dans le couloir, puis ramassa sa montre posée sur la
commode et l’accrocha à son poignet. Il avait les mains qui tremblaient.
Alors que Mary allait à nouveau s’enquérir de ce qui n’allait pas chez Rhage,
Fhurie apparut devant leur porte.
— Hey, mon Frère. Bonsoir Mary, dit l’homme avec un sourire. Nous
descendons ensemble ?
Mary dissimula sa frustration. Mais décida que s’il devait y avoir une
interruption, elle n’aurait pu en demander une plus agréable à voir. Les
magnifiques cheveux de Fhurie étaient étalés autour de ses larges épaules, et il
était remarquablement vêtu. Á tomber raide, littéralement. Son costume à fines
rayures était bleu-nuit, et sa chemise d’un rose très pâle découvrait son cou épais
et curieusement bronzé. Il portait des mocassins étincelants et ses poignets de
chemise arboraient des boutons de manchettes en or. Il avait aussi un diamant au
petit doigt.
Le Frère était tiptop. Et Mary pensa serait bien assorti avec Bella.
— Dites-moi, Fhurie, avez-vous déjà rencontré Bella ?
Le mec joua un moment avec sa pochette à la boutonnière, même si le truc
était parfaitement en place.
— Oui, je l’ai déjà croisée. La nuit où vous-même et le gosse êtes venus au
centre.
— Elle sera là ce soir.
— Oui… ah, je sais.
— Et elle est libre en ce moment.
En plus, Fhurie rougissait, pensa-t-elle, amusée. C’était adorable.
— Il s’en fout, dit Rhage tout en mettant un petit revolver sous sa ceinture,
dans son dos.
Mary lui jeta un regard mauvais, ce qu’il ne remarqua même pas parce qu’il
enfilait sa veste.
— Vous êtes célibataire, pas vrai ? demanda-t-elle à Fhurie.
— Oh ça oui, il l’est, dit Rhage.
— Rhage, tu pourrais te taire et le laisser répondre. Alors Fhurie, si vous êtes
libres tous les deux, pourquoi ne pas inviter Bella à dîner un de ces jours ?
— Ah, dit Fhurie en lissant les revers de sa veste tout en rougissant
davantage, je ne sais pas trop.
— C’est une fille absolument fabuleuse et—
Rhage secoua la tête et la propulsa dans le couloir.
318
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Bella entra au manoir guidée par le doggen qui avait été la chercher chez elle
pour la conduire jusqu’à la Confrérie. Elle fut sidérée en regardant autour d’elle.
319
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
320
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
321
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Bella vit les yeux noirs parcourir son corps de haut en bas, suivre les lignes de
son fin chemiser de soie, de sa jupe serrée. Quand ils revinrent vers son visage,
ils se fixèrent sur sa bouche.
— Vas-tu répondre, femelle ? aboya-t-il
— Bella, murmura-t-elle machinalement. Je m’appelle Bella.
Les yeux de Zadiste se firent menaçants.
— As-tu trouvé mon frère beau ?
— Ah… oui, il est certainement attrayant.
— Attrayant. Oui, c’est le mot. Dis-moi, ça te dit de coucher avec moi ?
Un feu soudain naquit en elle, allumé par ces mots crus et la façon dont il la
dévisageait avec du sexe plein les yeux. Puis elle réalisa ce qu’il avait dit.
— Je suis désolée, je ne comprends pas—
— Mon jumeau a fait un vœu de chasteté qu’il applique à la lettre. Aussi j’ai
peur d’être ton seul moyen de l’approcher. (Il eut un ricanement.) Mais je serais
un pauvre substitut, pas vrai ?
Bella posa une main sur son cou, le cerveau soudain envahi d’images d’elle-
même sous le corps de Zadiste pendant qu’il la prenait sauvagement. Á quoi
ressemblerait une telle possession ? Son côté obscur désirait le savoir.
Oh Seigneur. Juste d’y penser la faisait déjà trembler.
Zadiste eu un rire sans joie.
— Je t’ai choquée ? Désolé. J’essayais juste de t’aider. C’est vraiment dur
parfois de vouloir quelque chose sans pouvoir l’obtenir. (Il posa les yeux sur son
cou.) Mais je n’ai jamais ce genre de problème.
Lorsqu’elle déglutit avec difficulté, il suivit des yeux le mouvement de sa
gorge.
— Quel problème ? chuchota-t-elle.
— Ce que je veux, je le prends.
Oui, pensa-t-elle. J’imagine que c’est ce que tu fais.
Elle eut une vision torride— l’imagina la regarder pendant qu’il lui faisait
l’amour, leurs deux corps imbriqués, leurs deux visages tout près l’un de l’autre.
Plongée dans son fantasme, elle leva le bras. Elle aurait voulu suivre du doigt
cette cicatrice, jusqu’à sa bouche. Et connaître le gout de ses lèvres.
Mais Zadiste eut un brusque écart pour éviter le contact, les yeux étincelants
comme si elle l’avait surpris. L’expression disparut rapidement. D’une voix dure
et glacée, il la prévint :
— Fais attention, femelle. Je mords.
— Pourquoi ne voulez-vous pas prononcer mon nom ?
322
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
323
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
324
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Chapitre 39
O se gara en épi devant la tour où vivait C et leva les yeux. Cette monstruosité
monolithique était l’une des plus hautes constructions de Caldwell, un luxueux
agglomérat qui datait de l’époque où quelques promoteurs avaient tenté de
rentabiliser les bords du fleuve. L’appartement de C était au vingt-cinquième
étage, avec vue sur l’Hudson.
Prétentieux. Ridicule mais prétentieux.
La plupart des lessers vivaient dans des trous-à-rats parce que la Société ne
souhaitait pas dépenser son fric autrement que pour la guerre contre les
vampires. Si C avait un style plus flamboyant, c’est qu’il le payait lui-même. Il
avait été trader avant de rejoindre les lessers dans les années 70, et s’était
arrangé pour garder ses fonds. Le mec était une combinaison assez inhabituelle :
Un dilettante aux tendances de serial-killer.
Vu qu’il était plus de 22 heures, le portier était parti, aussi il fut facile à O de
forcer le verrou électronique de la porte principale. Il prit ensuite l’ascenseur
verre-et-acier jusqu’au vingt-sixième étage, et redescendit un niveau à pied, plus
par habitude que par nécessité. Il n’avait aucune raison de penser que quiconque
s’intéressait à lui. Ni à ce qu’il faisait, ni où il allait. De plus, l’immeuble était
mort à cette heure de la nuit, ces sous-merdes de petits richards qui habitaient là
devaient se shooter à l’ecstasy (NdT : Mélange de plantes psychotropes
stimulantes) au ZeroSum au centre ville.
Il frappa à la porte de C.
C’était la cinquième adresse qu’il vérifiait, d’après la liste que M. X lui avait
remise des membres qui ne donnaient plus signe de vie. Et c’était sa première
visite de la nuit. La veille, il avait eu un certain succès. L’un des égorgeurs avait
momentanément quitté l’état, ayant un coup de main à donner à un pote à lui qui
vivait dans le District de Columbia. Deux autres absents vivaient ensemble. Ils
s’étaient battus entre eux et récupéraient de leurs blessures. Ils seraient à
nouveau opérationnels d’ici un jour ou deux. Le dernier lesser avait été en
parfaite santé mais le fumier préférait se la couler douce devant la télé qu’aller
bosser. Sa santé avait été nettement moins florissante après le départ d’O. Il
faudrait au mec une bonne semaine pour se remettre de l’accident infortuné qu’il
avait rencontré, mais la visite avait néanmoins servi à réaligner ses priorités.
Curieux de voir ce que deux rotules pétées pouvaient faire à un mec.
325
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
O frappa encore, puis força le verrou. Dès qu’il ouvrit la porte, il eut un recul
involontaire. Oh merde. Ça puait sévère. Un relent d’ordures en décomposition.
Il alla jusqu’à la cuisine. Mais la pestilence n’était pas due aux poubelles.
C’était C.
Le lesser était tombé à plat ventre sur le carrelage, une flaque de sang noir
étalée sous lui. Á portée de main, il y avait quelques bandages, une aiguille et un
fil, comme s’il avait tenté de se soigner lui-même. Près de la trousse de premiers
soins, gisait son Blackberry dont le clavier était couvert de sang.
Il y avait aussi un sac de femme.
O fit rouler le corps inerte sur le dos. Le lesser avait eu la gorge tranchée—
une sacrée entaille. Et vu la façon dont la peau était cautérisée, la blessure avait
été causée par ces saloperies de lames noires de la Confrérie. Merde, il ne savait
pas ce qu’ils foutaient dans leur alliage, mais sur un lesser, ça rongeait une
blessure comme de l’acide.
La gorge de C émit un son guttural, démontrant qu’être mort avait différents
stades, en fait. Puis il remua un couteau qu’il tenait dans la main. Il avait
quelques coupures peu profondes sur sa chemise, comme s’il avait tenté de se
poignarder lui-même sans avoir la force de le faire proprement.
— Tu es dans un sale état, mec, dit O en écartant la lame du pied.
Puis il s’accroupit, et regarda l’autre tourner de l’œil. Étalé comme ça, sur le
dos, les jambes animées de spasmes, il ressemblait à un insecte épinglé.
O tourna son attention vers le sac.
— Tu as changé de vocation, C ?
Il ramassa le truc et le fouilla. Flacon de médicaments. Mouchoirs. Tampons
périodiques. Téléphone portable.
Oh, portefeuille.
Il en sortit un permis de conduire et examina la photo de sa détentrice.
Cheveux bruns. Yeux gris. Impossible de dire si la propriétaire était humaine ou
vampire. L’adresse était sur la Route 22, en pleine cambrousse.
— Dis-moi si j’ai bien compris la situation, dit-il après une brève réflexion.
Tu as rencontré un des Frères, dans le parc sans doute. Et le guerrier était avec
une humaine. Le combat a mal tourné pour toi et tu t’es barré après avoir été
poignardé. En emportant ce sac. Tu comptais finir plus tard le boulot sur la
copine du mâle, mais ta blessure était trop importante et une fois arrivé ici, tu
n’as pas pu te relever. Du coup, tu es resté là depuis le combat. C’est ça ?
O jeta le portefeuille dans le sac et regarda à nouveau le lesser. Qui avait les
yeux vitreux, des billes de marbre clair dans le sac vide de son crâne.
326
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Mary avança vers Rhage, une main dans le dos pendant qu’elle attendait le
bon moment. Il jouait au billard, et Butch et lui faisaient équipe.
Contre V et Fhurie.
En les regardant, elle décida qu’elle aimait bien les Frères. Même Zadiste,
malgré son côté sombre. Ils étaient tous aux petits soins pour elle, et lui montrait
une sorte de respect— et même de déférence— qu’elle comprenait mal. Et
qu’elle n’était pas sûre de mériter.
Rhage lui adressa un clin d’œil tout en se penchant sur la table pour assurer
son prochain coup.
— C’est parce que vous tenez à lui, dit quelqu’un à son oreille.
Elle sursauta. Viscs était juste derrière elle.
— De quoi parlez-vous ?
— C’est ce qui explique notre comportement. Et avant que vous me disiez de
ne pas lire dans vos pensées, je ne l’ai pas fait exprès. C’était trop bruyant pour
l’éviter. (Le vampire avala cul-sec son verre de vodka.) Mais c’est pourquoi
nous vous avons acceptée. En le traitant bien, vous honorez chacun d’entre nous.
Á ce moment, Rhage leva les yeux et fronça les sourcils. Il se redressa pour
faire le tour de la table et aller vers Mary, en jetant un regard mauvais à Viscs.
Qui se mit à rire.
— Du calme, Hollywood. Elle n’a d’yeux que pour toi.
Mais Rhage grogna en serrant Mary contre lui.
— N’oublie pas ça, et tu pourras garder tes bras et jambes accrochés au bon
endroit.
— Tu sais, je ne t’ai jamais vu aussi possessif auparavant.
327
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
328
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Rhage pâlit, puis chancela, le corps tout frissonnant, les yeux clignotant
comme un aveugle.
— Désolé. Bon sang, Fhurie, je ne me suis même pas rendu compte que je—
Dans la pièce, les autres mâles avaient tout arrêté et s’approchaient pour
l’encercler.
— Á quel point en es-tu exactement ? demanda Fhurie.
— Faites sortir les femelles, ordonna quelqu’un. Emmenez-les à l’étage.
Il y eut un bruit de pas lorsque plusieurs personnes quittèrent la pièce, puis
Viscs prit le bras de Mary, et le serra pour l’entraîner.
— Venez avec moi.
— Non. (Elle se débattit.) Arrêtez. Je veux rester avec lui.
Au son de sa voix, Rhage se tourna vers elle. Et immédiatement il reprit son
curieux regard fixe. Puis les yeux blancs se fixèrent férocement sur Viscs. Les
lèvres de Rhage se relevèrent sur ses dents, il feula comme un fauve enragé.
— V, lâche-la, dit Fhurie. Tout de suite.
Viscs laissa retomber sa main, mais il insista :
— Mary, il faut que vous sortiez.
Qu’ils aillent tous faire foutre, pensa-t-elle.
— Rhage ? Dit-elle doucement. Rhage, qu’est-ce que tu as ?
Il secoua la tête et détourna le regard, reculant jusqu’au manteau en marbre de
la cheminée. Il avait le visage en nage lorsqu’il s’agrippa à la pierre, les doigts
serrés comme s’il cherchait à arracher ce foutu machin du mur.
Le temps sembla s’immobiliser tandis qu’il luttait contre lui-même, respirant
à grands coups, bras et jambes tremblant sous la tension qu’il s’imposait. Puis il
chancela, et sembla enfin se détendre. Quel que soit le combat qu’il avait mené,
il l’avait gagné. Mais de justesse.
Lorsqu’il releva les yeux, ils étaient redevenus normaux, bien que son visage
soit encore livide.
— Je suis désolé, mes Frères, marmonna-t-il.
Puis il jeta un coup d’œil vers Mary. Ouvrit la bouche. Mais au lieu de parler,
il baissa la tête, comme terrassé de honte.
Mary traversa le bouclier des corps mâles qui entouraient Rhage et posa ses
deux mains sur le visage du vampire qu’elle aimait.
Il eut un hoquet de surprise, et elle l’embrassa sur la bouche.
— Tu en es où avec la cerise ? dit-elle doucement. Allez, montre-moi.
329
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
330
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Chapitre 40
Bella le regardait fixement. Elle n’aurait pas dû mais elle n’arrivait pas à s’en
empêcher. Elle ne voyait que lui. Zadiste.
Et pas parce qu’il participait à la soirée. Sauf pendant l’épisode avec Rhage,
Zadiste était resté à l’écart des autres. Sans parler à personne. Il ne buvait rien.
Ne mangeait rien. Planté près de l’une des hautes fenêtres, il était aussi raide
qu’une statue. Et elle trouvait cette immobilité fascinante. Il ne semblait même
pas respirer. Seuls ses yeux noirs vivaient. Et l’évitaient ostensiblement.
Bella donna une pause à leur petite guerre des nerfs en allant se chercher un
verre de vin. La salle de billard était une pièce luxueuse, assez sombre, tapissée
de soie vert mousse ornée de dorures, avec des rideaux noir et or. Dans le coin
où le bar était installé, il faisait encore plus sombre, et elle y resta un moment,
comme à l’abri.
De là, peut-être pourrait-elle l’examiner plus discrètement.
Au cours des derniers jours, elle avait posé quelques questions et entendu
chacune des histoires qui circulaient au sujet de Zadiste. Les rumeurs étaient
particulièrement horribles, surtout celles qui concernaient sa façon de traiter les
femelles : On disait qu’il les tuait pour s’amuser. En fait, il était difficile de
savoir ce qu’il y avait de vrai dans de tels racontars. L’aspect dangereux du mâle
incitait les gens à parler. Elle avait déjà vécu ça avec son frère. Il y a des années
que la glymera chuchotait des choses sur Rehvenge. Et ce n’était que des
mensonges.
Les ragots qu’elle avait entendus étaient parfois absurdes. Voyons, on
racontait que Zadiste vivait de sang humain, pris sur des prostituées. Ce n’était
pas possible, physiologiquement parlant, sauf s’il buvait toutes les nuits. Et
comment le guerrier pourrait-il être aussi fort avec un aussi faible substitut ?
Lorsque Bella se détourna du bar pour examiner la salle, Zadiste avait
disparu.
Elle jeta un œil dans le grand hall. Elle ne l’avait même pas vu s’éloigner.
Peut-être s’était-il dématérialisé—
— Tu me cherches ?
Elle fit un bond et tourna la tête. Juste derrière elle, Zadiste frottait une
Granny Smith sur son tee-shirt. Tout en portant le fruit à sa bouche, il fixait des
yeux la gorge de Bella.
331
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
— Zadiste…
— Pour une femelle de l’aristocratie, t’es vachement mal-élevée, tu sais. (Il
découvrit ses canines et mordit dans la pomme verte avec un craquement sec.)
Ta mère ne t’a pas appris qu’on ne devait pas fixer ainsi les gens ?
Elle regardait fixement le mouvement de ses mâchoires. Et nom d’un chien,
voir remuer ces lèvres dures lui coupait le souffle.
— Je ne voulais pas vous offenser.
— Tu l’as fait pourtant. et tu as aussi sacrément secoué mon cher frangin.
— Quoi ?
Les yeux de Zadiste étudièrent le visage qu’elle levait vers lui, puis les longs
cheveux sombres. Et il croqua à nouveau dans sa pomme.
— Fhurie t’aime bien. Je crois même qu’il est attiré par toi. C’est la première
fois, depuis que je le connais. En général, il ne s’occupe pas des femelles.
Curieux, elle n’avait rien remarqué du tout concernant Fhurie. Mais bien sûr,
elle ne pensait qu’à Zadiste.
— Je ne pense pas que Fhurie—
— Il n’arrête pas de te mater. Pendant que tu me regardes, lui te dévore des
yeux. Et pas parce qu’il s’inquiète de toi. C’est ton corps qui l’intéresse, femelle.
(Zadiste pencha la tête de côté.) Tu sais, je me suis peut-être gouré. Peut-être
que tu pourrais lui faire rompre son vœu de chasteté. Merde, tu es assez belle
pour ça, et il peut encore bander.
Elle s’empourpra.
— Zadiste, vous devriez savoir que je… ah, je vous trouve—
— Horrible, pas vrai ? C’est un peu comme un accident de voiture, (il croqua
encore sa pomme,) quand c’est horrible, on ne peut pas s’empêcher de regarder.
Je comprends cette fascination, mais il faut que ça s’arrête. Occupe-toi plutôt
Fhurie maintenant, c’est clair ?
— Non. Je veux vous regarder. J’aime vous regarder.
Il étrécit les yeux.
— Sûrement pas.
— Si.
— Personne n’aime me regarder. Même pas moi.
— Vous n’êtes pas affreux, Zadiste.
Il ricana, et passa délibérément son doigt le long de sa cicatrice.
— Oui, ce truc est vraiment génial. C’est aussi bandant qu’un putain de
mensonge.
332
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
333
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Lorsque la porte claqua, elle se retrouva dans le noir. Puis elle fut retournée et
poussée en avant, le visage collé contre le mur. Une bougie s’alluma.
— Bordel, mais c’est pas vrai. Qu’est-ce que tu fous là ?
Elle essayait de retrouver son souffle, mais avec l’avant-bras de Zadiste qui la
poussait au milieu du dos, elle n’arrivait plus à faire fonctionner ses poumons.
— Je… ah, je pensais qu’on… pouvait parler.
— Vraiment ? Et c’est pour ça que tu m’as poursuivi jusque-là ? Pour
parler ?
— Oui, je pensais—
Une lourde main se posa sur sa nuque.
— Je ne parle pas avec une femelle assez conne pour me courir derrière.
Mais je vais te montrer ce que je peux lui faire.
Il glissa un bras contre son ventre et lui décolla les hanches du mur. Puis il lui
appuya la nuque vers le sol. Déséquilibrée, elle s’accrocha à une moulure du
lambris pour ne pas tomber.
Une énorme érection se frotta contre son sexe. Elle en reperdit le souffle.
Alors qu’un plaisir fou lui inondait le ventre, elle sentit la poitrine du mâle
peser contre son dos. Il arracha son chemisier de sa jupe, passa sa main dessous
et la posa sur son ventre, le couvrant entièrement avec ses doigts écartés et sa
large paume.
— Une femelle comme toi devrait être avec un autre aristocrate. Ou alors tu
cherches le danger en te frottant à mes cicatrices et ma réputation ? (Quand elle
ne répondit rien, il marmonna :) Oui, j’imagine.
D’un mouvement rapide, il releva le soutien-gorge et lui empoigna le sein.
Aux prises d’un désir primitif, elle sursauta avec un gémissement. Il eut un rire
bref.
— Trop rapide ? (Il lui pinça la pointe du sein entre deux doigts, mêlant
plaisir et douleur. Elle cria.) C’est trop brutal pour toi ? Je vais faire plus
attention mais après tout, je suis un sauvage. Et c’est ce que tu cherchais, pas
vrai ?
Mais ce n’était ni trop rapide ni trop brutal. Et elle adorait la sensation. Elle le
voulait en elle, là, maintenant. Elle voulait rompre les règles, elle voulait le
danger et l’excitation, la chaleur et la puissance. Et Zadiste était tout ça à la fois.
Et elle était prête pour lui, surtout quand il lui releva la jupe sur les hanches. Il
n’avait plus qu’à écarter le string qu’elle portait pour s’enfoncer en elle.
Profondément.
334
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
335
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Aucune femelle n’avait réagi ainsi pour lui depuis plus d’un siècle— depuis
qu’il n’était plus esclave de sang. Et en ce temps-là… il ne l’avait pas voulu. Au
contraire, il avait appris à redouter le désir d’une femelle.
Il essaya de se concentrer sur le présent. Sur cette salle de bain… mais le
passé revint le hanter…
Il se revit dans cette cellule, attaché et abusé. Il se souvint des mains de la
Maîtresse sur son corps, de l’odeur du baume dont elle devait l’enduire pour
provoquer en lui une érection. Et ensuite, lorsqu’elle le chevauchait, avec son
corps agité de soubresauts jusqu’à obtenir la jouissance qu’elle recherchait. Et à
la fin, quand elle le mordait et buvait le sang qu’il ne voulait pas lui donner.
Tout lui revenait. Les viols. Les humiliations. Des décennies de souffrance
jusqu’à ce qu’il perde la notion du temps. Jusqu’à ce qu’il se perde lui-même.
Jusqu’à ce qu’il soit comme mort malgré le battement de son cœur et le souffle
de ses poumons.
Il entendit un son étrange. Et réalisa qu’il gémissait.
Oh… Bella.
Il s’essuya le front du bras. Bella. Comme il avait eu honte devant elle de ses
cicatrices et de sa laideur. De son corps ruiné et de sa sombre nature.
Durant la soirée, elle avait parlé à ses Frères et aux autres femelles, gracieuse,
aimable et rieuse. Son aisance en société indiquait la vie facile qu’elle avait
menée. Sans connaître ni parole méchante ni geste désagréable sans doute. Sans
recevoir ni cruauté ni violence certainement. C’était une femelle de valeur, pas
comme ces minables prostituées qui constituaient son lot habituel— les
humaines aigries dont il buvait.
Il ne l’avait pas crue quand elle avait affirmé vouloir coucher avec lui, mais
c’était la vérité. Et la signification de cette soyeuse humidité. Les femelles
pouvaient mentir sur beaucoup de choses, mais pas sur une telle réaction
physique. Jamais.
Zadiste eut un frisson. Quand il l’avait penchée en avant pour lui peloter les
seins, il n’avait rien prévu de plus malgré ses menaces. Il pensait juste lui faire
peur pour qu’elle lui fiche la paix. La bousculer un peu avant de la renvoyer en
bas.
Mais elle l’avait désiré.
La sensation de plonger la main entre ses cuisses. Elle avait été si… douce.
Incroyablement chaude, tendre et humide. La première femelle qu’il ait jamais
touchée dans cet état pour lui. Il n’avait pas su quoi faire et, sous le coup de
336
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
l’émotion, le souvenir de la Maîtresse lui était revenu. Il avait revu son visage
tandis que son corps pesait sur lui.
La Maîtresse avait toujours été excitée en venant le voir. Elle avait fait en
sorte qu’il le sache, mais sans jamais se mettre à portée de ses mains. C’était
plutôt intelligent de sa part. Après ce qu’elle lui avait fait subir, il l’aurait tuée
s’il en avait eu la possibilité. L’aurait mise en pièces comme un chien enragé, et
elle le savait. Le danger potentiel qu’il représentait avait été pour elle un plaisir
de plus.
Il repensa à l’attraction de Bella pour lui. Née du même motif, sans doute.
Mêler sexe et pouvoir. Abuser d’un esclave enchaîné.
Ou dans le cas de Bella, avoir une aventure avec un mâle dangereux.
Á cette idée, son estomac se souleva, et il replongea vers les toilettes.
— Je pensais que vous vous étiez juste montré cruel envers moi, dit Bella
derrière lui. Je ne savais pas que je vous rendais réellement malade.
Bordel. Il n’avait pas verrouillé sa porte.
Mais il n’avait jamais pensé qu’elle puisse revenir.
Bella serra ses deux bras autour d’elle-même. Voilà qui dépassait les pires
créations de son imagination. Zadiste était vautré à moitié nu en face des
toilettes, son tee-shirt enroulé sur la main, secoué de spasmes secs et nerveux.
Pendant qu’il jurait, elle regarda son corps. Seigneur Dieu, son dos. Sur toute
la surface, il était marqué d’anciennes cicatrices— de coups de fouet à ce qu’il
semblait— qui, comme son visage, n’avaient pas spontanément disparu. Elle
n’arrivait pas à comprendre pourquoi.
— Pourquoi êtes-vous revenue ? demanda-t-il, sa voix renvoyant un curieux
écho dans le bol de porcelaine.
— Je… ah, je voulais vous engueuler.
— Ça ne vous gêne pas si je finis d’abord de vomir ?
L’eau gargouilla lorsqu’il tira la chasse.
— Ça va ?
— Oui, je fais ça juste pour me marrer.
En avançant dans la salle de bain, elle eut la vague impression que la pièce
était anormalement vide. Blanche. Impersonnelle.
En un clin d’œil, Zadiste se releva et lui fit face.
Manifestement puissants, ses muscles étaient striés de fibres visibles. Pour un
guerrier— et même juste pour un mâle vampire— il était mince, presque
337
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
338
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
339
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
souvent. Elle examina les bandes tatouées sur son cou et ses poignets. Et les
cicatrices. Détruit. Pas brisé.
Bien qu’elle ait honte de l’admettre à présent, c’est sa sauvagerie qui l’avait
attirée. Ça faisait un tel contraste avec ce qu’elle avait connu toute sa vie. Cette
menace l’avait rendu dangereux. Excitant. Attirant. Mais ce n’était qu’un
fantasme.
La réalité était différente.
Le mâle avait souffert. Et il n’y avait rien d’excitant à ça.
Elle ramassa une serviette et, s’approchant de lui, la posa doucement sur le
corps exposé. Il fit un bond, puis s’y accrocha. Et lorsqu’il releva les yeux sur
elle, le blanc autour des iris noirs était devenu rouge sang. Mais il ne pleurait
pas. Elle avait du se tromper au sujet de ce sanglot.
— Je vous en supplie… laissez-moi, dit-il.
— Je voudrais—
— Partez. Maintenant. Ne voulez rien. N’attendez pas. Partez. Et ne vous
approchez plus jamais de moi. Jurez-le. Jurez-le.
— Je vous… le promets.
Bella quitta la chambre en courant. Une fois dans le couloir, elle s’arrêta et
rectifia l’ordre de ses cheveux, essayant de discipliner leur masse. Elle sentait
son string déchiré sous sa jupe et le laissa en place. Elle n’avait pas d’autre
endroit où le mettre.
Lorsqu’elle redescendit, la soirée était toujours aussi animée, mais elle se
sentait complètement décalée— épuisée, drainée. Elle s’approcha de Mary et lui
fit ses adieux, puis chercha un doggen pour la ramener chez elle.
Zadiste entra alors dans la pièce. Il s’était changé et portait un ensemble de
sport en nylon blanc. Il avait aussi un sac à la main. Sans la regarder, il alla
jusqu’à Fhurie, qui lui tournait le dos à quelque mètres de là.
Quand Fhurie se retourna et vit le sac, il recula.
— Non, Z. Je ne veux pas—
— Soit tu le fais, frangin, soit je vais chercher quelqu’un d’autre.
Zadiste lui tendit le sac.
Fhurie le regarda un moment. Avant de le prendre d’une main qui tremblait.
Et ils sortirent ensemble.
340
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Chapitre 41
341
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
— Mon Frère, dit Rhage en avançant vers lui. Veux-tu que nous montions
ensemble, pour parler un peu ?
— Oh oui. (Ses yeux glissèrent vers Mary, puis se détournèrent.) Ah… Non.
Ça va. Je… Pas de problème. La fête est finie ?
Lorsque Rhage lui enleva son sac des mains, il vit que la chemise rose de
Fhurie en émergeait, coincée dans la fermeture éclair.
— Allez, viens avec moi. Je t’accompagne.
— Tu devrais plutôt rester avec ta femelle.
— Elle comprend. Viens avec moi, mon Frère.
— Oh, alors d’accord. (Les épaules de Fhurie se voutèrent.) Oui, je crois
que… Je préfère ne pas rester seul pour le moment.
Quand Rhage revint enfin dans sa chambre, il savait que Mary devait s’être
endormie, aussi il referma la porte très doucement.
Il y avait une chandelle allumée sur la table de chevet, et il vit que le lit était
tout en désordre. Mary avait repoussé la couette et jeté tous les oreillers. Elle
était sur le dos, son adorable chemise en soie crème enroulée à la taille, très haut
sur les cuisses.
Il n’avait jamais vu ce vêtement auparavant, et comprit qu’elle la portait pour
lui ce soir. Parce qu’elle avait voulu que la nuit soit spéciale. La regarder ainsi le
coupait en deux, et même si la vibration commençait à monter, il s’assit sur le
bord du lit. Il avait besoin d’être près d’elle.
Il ne savait pas comment Fhurie pouvait vivre ainsi. Le seul et unique être que
le Frère aimait avait voulu saigner ce soir, et avait exigé de recevoir cette
douloureuse punition. Et Fhurie avait répondu à la demande. Accepté de prendre
sur lui le poids de ce désespoir. C’était une sorte de transfert. Et maintenant,
Zadiste devait sans doute dormir, tandis que Fhurie serait détruit des jours
durant.
C’était un mâle courageux, loyal et solide, entièrement dévoué à Z. Mais
expier la culpabilité du sort autrefois échu à son jumeau le tuait à petit feu.
Comment pouvait-on supporter de massacrer un être aimé parce que c’était la
seule chose qu’il attendait de vous ?
— Tu sens bon, murmura Mary, en se retournant de côté, lovée sur elle-
même. On dirait une odeur de cigare.
342
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
343
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Elle lui prit les mains pour les poser sur ses seins. Et même en se disant qu’il
ne devrait pas céder à la tentation, il la caressa doucement, son pouce cerclant la
pointe dressée.
— Oh, oui. Comme ça, dit-elle en cambrant le dos
Il se pencha vers le cou offert, lécha la veine qu’on devinait sous la peau. Il
avait terriblement envie de boire sur elle, surtout lorsqu’elle serra sa tête contre
elle comme si elle le devinait. Comme si elle aussi en avait envie. Il n’avait pas
besoin de sang. Il voulait juste que Mary soit dans son corps, dans ses tripes,
dans son propre sang. Il la voulait en lui de toutes les manières possibles. Et
aurait aimé pouvoir lui offrir la même chose.
Elle l’enveloppa de ses bras serrés et le tira vers elle, essayant de le faire
tomber sur le matelas. Et il la laissa faire. Elle était sous lui à présent, et il
sentait l’odeur enivrante de son désir.
Rhage ferma les yeux. Il ne pouvait lui résister. Mais il ne pouvait arrêter non
plus la pulsion qui battait sauvagement en lui. Coincé entre ces deux sensations,
il l’embrassa, et pria.
344
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
passa la langue dessus, et fit un petit bruit appréciateur, comme s’il en savourait
le goût.
Elle ferma les yeux, le corps en feu.
— C’est quoi le problème ? demanda-t-elle la voix rauque.
— Il n’y a aucun problème, à mon avis. (Il passa ses doigts sur le sexe offert,
caressant la chair hypersensible.) Tu n’aimes pas ?
— Bien sûr que si.
— Alors laisse-moi continuer. (Et son pouce commença de savants petits
cercles.)
Mais avant qu’il puisse laisser retomber sa tête, elle referma les jambes sur sa
main.
— Pourquoi ne veux-tu pas que je te touche ? demanda-t-elle.
— Tu me touches, (il remua ses doigts,) je suis là.
Elle n’arrivait pas à croire qu’elle puisse encore parler tellement elle avait
chaud.
— Non, pas vraiment.
Elle essaya de s’écarter de lui pour s’asseoir mais il tendit le bras. Sa lourde
paume se posa sur la poitrine de Mary, et la repoussa sur le lit, bien à plat.
— Je n’ai pas fini, grogna-t-il.
— Je veux te toucher aussi.
Son regard flamba brièvement. Puis la lueur s’éteignit et une curieuse émotion
passa sur le visage de Rhage. De la peur ? Elle n’en fut pas certaine parce qu’il
baissa vite la tête. Pour lui embrasser le ventre, frottant contre elle sa joue, sa
mâchoire, sa bouche.
— J’aime ta chaleur, ton goût, ta douceur. Laisse-moi te mener au plaisir,
Mary.
Les mots douchèrent son excitation. Et elle se souvint les avoir déjà entendus.
Tout au début.
Les lèvres de Rhage remuèrent sur son ventre, déjà presque au but.
— Non. Arrête Rhage. (Il obéit.) Je ne veux pas de sexe unilatéral. Je ne
veux pas d’un esclave sexuel. Je veux que nous fassions l’amour— mais
ensemble.
La bouche de Rhage se durcit. Et il bondit hors du lit. Allait-il la quitter ?
Mais il s’agenouilla juste sur le plancher, les deux bras posés sur le lit, la tête
baissée. Comme s’il cherchait à retrouver son contrôle.
Elle tendit une jambe et lui toucha le front du pied.
— Ne me dis pas que tu vas refuser, murmura-t-elle.
345
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Il leva les yeux sur elle. Vu sa position, ses yeux étaient deux fentes étrécies,
et son regard brillant était aussi puissant qu’une lumière au néon.
Elle se cambra, les jambes ouvertes, lui indiquant sans un mot ce qu’elle
désirait éperdument. Et lui aussi.
Puis elle retint son souffle.
D’un seul mouvement puissant, fluide et implacable, Rhage bondit et atterrit
sur elle, entre ses cuisses. Il ouvrit son pantalon et—
Merci, Seigneur.
Elle explosa immédiatement, le corps secoué de spasmes, contractée autour de
ce pieu qui l’écartelait. Quand les frissons diminuèrent, elle le sentit trembler au-
dessus d’elle, en elle. Elle s’apprêtait à lui demander d’arrêter de tant se
maîtriser autant quand elle réalisa que le problème n’était pas là. Il semblait
avoir une sorte de crise nerveuse, et tous ses muscles étaient soumis à une
violente vibration.
— Rhage ? dit-elle en cherchant à voir son visage.
Il la regarda. De ses pupilles blanches et lumineuses.
Pour le calmer, elle lui caressa le dos et sentit quelque chose de curieux sur sa
peau. Comme un dessin en relief.
— Rhage, il y a quelque chose sur ton—
Il quitta le lit d’un seul bond et fonça droit vers la porte.
— Rhage ?
Elle remit sa chemise de nuit et courut derrière lui.
Dans le couloir, il s’était arrêté pour rattacher son pantalon et en voyant son
dos nu, Mary faillit hurler. Le tatouage était vivant. La bête avait relevé la tête et
le dessin tout entier semblait remuer.
Et alors que Rhage était parfaitement immobile, comme figé, le grand dragon
se redressa et la regarda bien en face, les yeux fixés sur elle, son grand corps
ondulant sous lui.
Comme s’il cherchait à sortir.
— Rhage !
346
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
douches collectives. Il alluma l’eau, s’assit sur le carrelage et resta planté sous le
jet glacé.
Tout devenait horriblement clair. Les vibrations. Le bourdonnement. Qui
arrivaient toujours à proximité de Mary, surtout s’il était excité.
Comment diable ne l’avait-il pas compris plus tôt ? Peut-être n’avait-il pas
voulu le faire. Être avec Mary était différent parce que… il n’était pas le seul à
vouloir lui faire l’amour. La bête le voulait aussi.
La bête voulait sortir pour la prendre.
347
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
348
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Chapitre 42
Une fois revenue chez elle, Bella ne put se calmer. Après avoir fiévreusement
rempli son journal une heure durant, elle enfila un jeans, un sweat-shirt et sa
parka. Et sortit pour s’éclaircir les idées. Le vent avait de brusques rafales qui
créaient des sortes de tourbillon dans l’air froid.
Elle remonta la fermeture éclair de sa veste et marcha à travers l’herbe épaisse
de la prairie. Zadiste. Elle ne pouvait fermer les yeux sans retrouver cette image
de lui— étalé sur le dos, dans la salle de bain. Détruit. Pas brisé.
Elle s’arrêta net et regarda la neige tomber.
Elle avait promis de ne plus jamais l’ennuyer, mais ce n’était pas un serment
qu’elle voulait tenir. Malgré tout, elle voulait le revoir. Être avec lui.
Elle aperçut alors quelqu’un qui marchait autour de la maison de Mary. Elle
se raidit, effrayée, jusqu’à ce qu’elle remarque les cheveux noirs de l’intrus. Ce
n’était donc pas un lesser. Il s’agissait sans doute de Viscs qui travaillait à
l’installation de l’alarme. Elle agita la main et se dirigea vers lui.
Elle avait parlé au guerrier au cours de la soirée, et le trouvait fascinant. Il
avait le genre d’esprit vif qui tendait à étouffer toute répartie chez un
interlocuteur mais le Frère était un sacré lot. Très intelligent, puissant,
incroyablement sensuel. Le genre de mâle qui donnait envie d’avoir des petits
juste pour garder son ADN dans la race.
Elle se demanda pourquoi il portait un gant de cuir. Et d’où venaient les
tatouages qu’il avait sur la tempe. Peut-être pourrait-elle satisfaire sa curiosité.
— Je pensais que vous auriez déjà fini, dit-elle en arrivant sur la terrasse.
Pourquoi Mary—
Le mâle immense qui s’avança vers elle n’était pas Viscs. Et il n’était pas
vivant.
— Jennifer ? dit le lesser en la regardant sidéré.
Bella resta figée une brève seconde. Puis elle virevolta et s’enfuit à toute
allure à travers la prairie. Elle ne trébucha pas, n’hésita pas. Elle était vive et
rapide, malgré sa terreur. Si elle arrivait jusque chez elle, elle pourrait s’y
enfermer. Même si le lesser cassait les vitres, elle se barricaderait dans son sous-
sol imprenable, appellerait Rehvenge et s’enfuirait par le tunnel souterrain qui
sortait à l’autre bout de sa propriété.
349
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Le lesser était sur ses talons— elle entendait ses pas lourds et le frottement de
ses vêtements— mais il ne gagnait pas sur elle. Et tout le temps qu’ils mirent à
traverser l’herbe gelée qui craquait sous eux, elle garda les yeux fixés sur les
lumières accueillantes de sa maison. Si proches. Bella chercha dans ses
dernières réserves et accéléra.
La première douleur la heurta à la cuisse. La seconde dans le milieu du dos, à
travers sa parka. Ses mouvements ralentirent, ses pieds devenant soudain
insensibles. Et la distance qui lui restait à parcourir parut s’éloigner jusqu’à
l’infini. Le temps qu’elle arrive à sa porte de derrière, elle chancelait. Une fois à
l’intérieur, ses doigts gourds n’arrivaient plus à tirer le verrou.
Et lorsqu’elle se tourna vers l’escalier qui descendait à sa chambre, les portes-
fenêtres explosèrent, mais le bruit fut comme étouffé, lointain et cotonneux.
Une main lui agrippa l’épaule.
Malgré la léthargie qui l’envahissait, le besoin de se défendre fut une
impulsion violente, aussi elle pivota et envoya son poing fermé dans le visage du
lesser. Il en fut un moment sonné mais ensuite il la cogna, l’envoyant
valdinguer. Elle tomba. Il la releva et la frappa encore, sa main ouverte lui
écrasant la pommette. Et sous la force du coup, l’arrière de son crâne heurta le
carrelage. Elle ne sentit rien du tout. Ni la claque, ni le choc. De ce fait, rien ne
l’empêcha de le mordre au bras.
Ils continuèrent à se battre dans la cuisine, renversant la table, cassant les
chaises. Elle se libéra de sa prise en attrapant tout ce qui lui tombait sous la main
pour le frapper avec. Puis la tête vide, la respiration sifflante, elle rampa pour
s’écarter. Mais à quelques centimètres de la porte, son corps s’écroula.
Étendue à terre, elle restait consciente tout en étant incapable de bouger. Elle
eut la vague impression que quelque chose coulait sur ses yeux. Son sang
probablement, ou celui du lesser.
Son champ de vision changea lorsqu’il la fit rouler sur le dos. Et elle aperçut
le visage de son agresseur. De cheveux noirs. Des yeux d’un brun délavé.
Seigneur Dieu.
L’égorgeur sanglotait lorsqu’il souleva son corps inerte pour le serrer dans ses
bras épais. Et la dernière chose qu’elle vit avant de perdre conscience fut ses
larmes qui tombaient sur elle.
Mais elle ne sentait rien.
350
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
351
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
352
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Chapitre 43
353
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
354
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Mary appuya son dos contre les lourdes portes de cuivre et leva les yeux. Le
ciel au-dessus d’elle était bleu et immense, et l’air gardait la fraîcheur de la
chute de neige de la nuit passée, si précoce pour la saison. Elle aurait voulu
arpenter les jardins avant la tombée du jour, mais la chaleur du soleil, qu’elle
sentait à travers sa parka, la rendait un peu léthargique. Ou peut-être n’était-ce
que de la fatigue. Elle n’avait pas pu se rendormir après que Rhage se soit enfui
de leur chambre la nuit dernière, et avait attendu en vain toute la journée qu’il
revienne.
Elle ne comprenait pas ce qui s’était passé entre eux. N’était même plus sûre
de ce qu’elle avait cru voir sur son dos. Pour l’amour du ciel, les tatouages
n’émergeaient pas de la peau des gens. Pas plus qu’ils ne bougeaient comme
s’ils étaient vivants. Du moins, pas dans le monde humain.
Mais Rhage n’était pas la seule cause de son insomnie. Il était temps pour elle
de savoir ce que les médecins allait lui faire. Son rendez-vous avec le docteur
Delia Croce était le lendemain, et ensuite… elle saurait à quel point ses
nouveaux traitements seraient contraignants.
Seigneur… Il fallait qu’elle en parle à Rhage. Pour le préparer, si possible.
Elle eut froid dès que le soleil disparut.
En se redressant, elle s’étira avant de rentrer dans le sas. Une fois les portes
refermées, elle montra son visage à la caméra pour faire ouvrir les portes
intérieures.
Elle trouva Rhage assis par terre dans le grand hall, juste à côté de l’entrée,
sur la droite. Á sa vue, il se releva lentement.
— Hey, ma femelle. Je t’attendais.
Elle eut un sourire un peu timide, puis agita son livre.
— J’ai voulu te prévenir et te dire où j’allais. Mais tu as laissé ton téléphone
portable dans la chambre quand tu es—
— Mary, écoute, au sujet de la nuit passée—
— Attends, avant qu’on parle de ça, (elle leva les mains,) il faut que je te
dise… (Elle prit une profonde inspiration.) Je dois retourner à l’hôpital demain.
Pour ma dernière consultation avant le début du traitement.
Il fronça tellement les sourcils qu’ils remontèrent au milieu de son front.
— Quel hôpital ?
— Saint Francis.
— Quelle heure ?
— Dans l’après-midi.
— Je veux que tu sois accompagnée.
355
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
— Un doggen ?
— Non. (Il secoua la tête.) Butch. Le flic est doué avec un flingue et je veux
que tu sois protégée. Mary, il faut que je te parle. Monte avec moi.
Elle hocha la tête et prit la main qu’il lui tendait, le laissant la guider jusqu’à
l’étage. Quand ils furent dans leur chambre, elle s’assit sur le lit pendant qu’il
arpentait la pièce.
Ils parlèrent un moment du rendez-vous du lendemain, et il apparut vite que
Rhage était bien mieux préparé qu’elle-même. Aussi le sujet s’épuisa vite. Et le
silence s’éternisa.
— Rhage, explique-moi ce qui est arrivé la nuit passée. (Quand il hésita, elle
insista :) Quoi que ce soit, nous le gèrerons ensemble. Et tu peux tout me dire.
Il arrêta de marcher. Et lui fit face.
— Je suis dangereux.
— Non. (Elle secoua la tête.) Bien sûr que non.
— Tu sais ce qu’il y a dans mon dos ?
Avec un frisson soudain, elle revit le tatouage qui bougeait—
Assez, s’ordonna-t-elle. Ce n’est pas possible. Ce devait être une illusion créée
par un mouvement de Rhage, sa respiration ou autre chose. Ce qui expliquait
que la bête ait semblé se dresser.
— Mary, ça fait partie de moi. Cette bête. C’est en moi. (Il se frotta la
poitrine, puis les bras. Et ensuite les cuisses.) J’essaie de la contrôler, autant que
possible. Mais des fois… Je ne veux pas te faire mal. Mais je ne sais plus quoi
faire. Même là, maintenant, d’être avec toi, je… Merde, ça ne va pas du tout.
Il tendit vers elle des mains qui tremblaient, et il avait l’air ravagé.
— Je dois toujours me battre parce que ça me calme, continua-t-il. Et c’est
aussi à ça que me servaient les femelles. Je les prenais juste pour obtenir un
soulagement qui m’aidait à garder la bête en cage. Mais je ne peux plus
maintenant, aussi je deviens instable. Et la nuit dernière, j’ai failli craquer. Deux
fois.
— Attends un peu. Mais de quoi tu parles ? Je suis là. Tu peux faire l’amour
avec moi.
— Non, je ne peux pas, dit-il les dents serrées. Je ne peux plus… coucher
avec toi.
Sidérée, elle le regarda fixement.
— Tu veux dire que tu ne le feras plus ?
— Jamais.
356
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
— Mais c’est dingue. Tu me veux. (Son regard se fixa sur l’énorme bosse de
son pantalon.) Je vois bien dans quel état tu es. Et je sens aussi que tu me veux.
Et soudain les yeux de Rhage cessèrent de clignoter. Et devinrent blancs.
— Pourquoi tes yeux changent-ils comme ça ?
— Parce que ce truc… devient vivant.
Lorsqu’elle l’examina avec des yeux ronds, la respiration de Rhage changea.
Et prit un rythme étrange, deux brèves inspirations, une longue expiration. Deux
brefs halètements, un long soupir.
Elle tenta de comprendre ce qu’il voulait dire. Et n’y parvint pas. Ce devait
être une sorte de dédoublement de personnalité, pensa-t-elle, un alter ego un peu
violent sans doute.
— Mary, je ne peux… pas coucher… avec toi parce que… quand je suis avec
toi, ce truc veut sortir. (Deux brefs halètements). Il veut…
— Quoi exactement ?
— Toi, dit-il en reculant. Mary, il te veut. Il veut te prendre. Tu comprends ?
Mon… autre côté veux te prendre. Il faut que… je m’en aille.
— Attends ! (Il se figea près de la porte. Et la regarda.) Laisse-le m’avoir.
Rhage en resta bouche bée.
— Tu es folle ?
Non, pas du tout. Ils avaient déjà fait l’amour avec une passion désespérée qui
confinait parfois à la violence. Elle avait expérimenté la puissance de sa
pénétration. Si son autre personnalité était du même genre, elle pensait s’en
arranger.
— Laisse-toi aller. Et ça ira.
Deux brefs halètements, un long soupir.
— Mary, tu ne sais pas… ce que tu dis, bordel.
Elle essaya de comprendre.
— Pourquoi qu’est-ce que je risque ? Tu vas me mordre ?
Quand il ne fit que la fixer de ses yeux blancs, elle eut un frisson de peur.
Peut-être avait-elle touché le cœur du problème.
Bon, elle devait vraiment être folle.
— On va t’attacher, dit-elle.
Il secoua la tête et trébucha en s’agrippant à la poignée de la porte.
— Je ne veux pas courir ce risque.
— Attends ! Sais-tu exactement ce qui va arriver ?
— Non.
Il se grattait le cou et les épaules comme si sa peau le démangeait.
357
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
358
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
— Je ne vois pas en quoi la monogamie vous choque tellement, les mecs, dit
Butch en s’asseyant, avant d’ouvrir sa bière. Tu t’es trouvé une fille super
chouette, Hollywood. Mary est quelqu’un de bien.
V secoua la tête.
— Tu te rappelles ce que tu as vu dans cette clairière, Cop ? Tu voudrais
vraiment voir un truc pareil approcher d’une femelle que tu aimes ?
Butch reposa sa bière sans même la boire. Et ses yeux examinèrent le corps de
Rhage. De haut en bas.
— Merde, ça va nous faire un sacré chargement de ferraille, marmonna-t-il.
359
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
360
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Chapitre 44
Lorsque les volets se relevèrent pour la nuit, Zadiste quitta son grabat et,
entièrement nu, traversa la chambre dans laquelle il vivait.
Ce qui était arrivé la nuit précédente avec Bella le tuait littéralement. Il aurait
voulu aller la voir pour s’excuser— mais comment présenter ça ?
361
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
362
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Chapitre 45
Mary arpentait la galerie, juste devant la porte de la chambre. Elle n’avait pas
pu supporter de regarder V et Butch manipuler toutes ces chaînes. Parce que
savoir qu’ils allaient attacher Rhage pour qu’il couche avec elle… C’était à la
fois érotique et terrifiante.
La porte se rouvrit.
Les yeux de Butch évitaient les siens.
— Il est prêt.
Viscs sortit derrière lui. Il allumait un roulé. Dont il tira une longue bouffée.
— On va rester en bas, dans le hall. Au cas où vous auriez besoin de nous.
Son premier instinct fut de refuser, de leur dire de partir. C’était plutôt gênant
qu’ils soient juste là quand elle et Rhage… Après tout, l’intimité est aussi bien
un état d’esprit qu’une porte fermée sur un endroit privé.
Puis elle repensa à l’énorme quantité de fer qu’ils avaient apportée. Pas du
tout ce qu’elle avait prévu au départ. Elle avait pensé à une corde. Des menottes
peut-être. Mais pas le genre de chaîne nécessaire pour soulever un tank
— Vous êtes sûrs de devoir attendre ? demanda-t-elle.
Ils hochèrent tous les deux la tête.
— Ça, je vous l’assure, marmonna Butch.
Mary rentra dans la chambre et referma la porte. Il y avait des bougies
allumées de chaque côté du lit où Rhage était étendu nu, les bras tirés au dessus
de la tête, les jambes si écartées qu’elles en étaient presque écartelées. Les
lourdes chaînes enroulées à ses poignets et à ses chevilles s’accrochaient aux
épais montants de chêne du lit.
Lorsqu’il leva la tête, son brillant regard gris-bleu perça la pénombre.
— Tu es sûre de vouloir faire ça ?
En fait, non, plus tellement.
— Tu dois être très mal.
— Pas vraiment (Sa tête retomba.) Mais j’avoue que je préfère être attaché à
ces bois de lit fixes qu’à quatre chevaux qui tireraient de côtés différents.
Elle examina le corps immense étalé sur le lit comme pour un sacrifice sexuel.
Non d’un chien. C’est vrai ? Elle allait vraiment—
Arrête, se dit-elle. Ne le laisse pas attendre plus longtemps que nécessaire.
Dès que ce sera fait, il comprendra que tout va bien. Et on pourra oublier ça.
363
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Mary jeta ses chaussures, enleva sa polaire et son col-roulé, puis retira son
jeans.
La tête de Rhage s’était redressée. Et quand elle fit glisser ses sous-vêtements,
son sexe réagit pour elle. S’allongea. Et Mary le regarda se transformer, durcir,
épaissir, grandir. Pendant cette spectaculaire érection, le corps de Rhage se
couvrit d’un voile de sueur. Et la peau glabre brilla à la lueur des chandelles.
— Mary…
Ses pupilles étaient devenues blanches. Il se mit à feuler, ondulant des
hanches. Et son sexe remua sensuellement sur son ventre, le gland épais
touchant son nombril. Soudain, les bras de Rhage se relevèrent et tirèrent sur les
liens. Les chaînes cliquetèrent, se tendirent.
— Ça va ? demanda-t-elle.
— Seigneur, Mary… Je te veux. Je crève de désir pour toi.
Prenant son courage à deux mains, elle approcha du lit, pencha la tête et
l’embrassa. Puis elle monta sur le matelas. Et sur lui.
Dès qu’elle l’enjamba, il se tordit sous elle, donna des coups de rein.
Elle prit dans sa main le sexe épais et essaya de le mettre en elle. Mais n’y
réussit pas. Il était énorme et elle pas vraiment prête. Elle eut mal. Elle essaya
encore, et grimaça involontairement.
— Tu n’es pas prête pour moi, dit Rhage.
Il se cambra encore. Et tandis qu’elle tentait toujours de faire pénétrer le gland
renflé, il poussa une sorte de feulement rauque et sauvage.
— Ça va aller, dit-elle. Il faut juste que—
— Viens là. (Et soudain sa voix avait changé. Elle était plus grave.)
Embrasse-moi, Mary.
Elle se pencha et obéit, essayant de se mettre en condition. Ça ne marcha pas.
Il rompit le contact, comme s’il le savait.
— Monte plus haut, dit-il. Donne-moi tes seins. Mets-les dans ma bouche.
Elle se courba, ce qui porta sa poitrine à portée des lèvres de Rhage. Dès
qu’elle sentit la douce succion, son corps répondit. Elle ferma les yeux de
soulagement et savoura la montée du plaisir tandis que la chaleur l’envahissait
tout entière.
Rhage reconnut le changement parce que son feulement s’intensifia, une sorte
de vibration dans l’air, comme un bourdonnement. Et tandis qu’il la caressait,
son corps ondulait sous elle. Les chaînes remuèrent, le son métallique rendant
une musique étrange. Un nouvel accès de sueur couvrit le grand corps, et la
fragrance de son désir devint lourde dans l’air.
364
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
— Mary, laisse-moi te goûter. (Sa voix était si rauque que les mots étaient
presque distordus.) Ta douceur. Ton sexe. Laisse-moi te dévorer.
Elle baissa les yeux sur lui, et vit les deux orbes blancs qui la fixaient. Il y
avait une qualité hypnotique en eux, une érotique prière qu’elle ne put refuser—
même si elle savait que ce n’était pas uniquement Rhage qui lui faisait cette
demande.
Elle rampa sur son corps et s’arrêta un moment. L’intimité du geste était
presque choquante, surtout quand il était attaché.
— Plus près, Mary. (Même sa façon de prononcer son nom était différente.)
Assieds-toi sur ma bouche.
Elle remonta encore et essaya maladroitement de s’installer. Elle termina avec
un genou posé sur sa poitrine et l’autre sur son épaule. Il tendit le cou, essayant
de capturer sa chair avec ses lèvres.
Son gémissement quand il y parvint vibra contre Mary, et elle planta la main
sur le mur pour se retenir. La plaisir lui fit oublier ses inhibitions tandis qu’il la
léchait et la suçait. Quand le ventre de Mary s’inonda, Rhage poussa un
véritable grondement et les chaînes remuèrent tellement que le bois du lit
protesta. Pendant que les bras puissants tiraient contre les liens, leurs muscles
étaient devenus rigides, leurs doigts écartés et courbés ressemblaient à des
griffes.
— Voilà, dit-il, contre elle, je sens que tu vas jouir. (Sa voix se cassa et
devint un grognement.)
Elle hurla son orgasme et retomba mollement de côté, une jambe sur le visage
de Rhage. Dès que les spasmes cessèrent, elle le regarda. Les pupilles blanches
étaient écarquillées d’émerveillement et de passion. Il était subjugué par elle et
sa respiration rauque soulevait la large poitrine, deux brefs halètements, un long
soupir.
— Prends-moi maintenant, Mary.
Les mots étaient bas. Brouillés. Pas ceux de Rhage. Mais elle n’avait pas
peur, et ne ressentait aucune trahison à son égard. Elle ne savait pas au juste ce
qui émanait de lui, mais ça n’avait rien de malveillant et ce n’était pas non plus
étranger. Elle avait sentie cette… chose en lui depuis le début et il n’avait
aucune crainte à avoir. Dans ses yeux maintenant, comme dans la salle de
billard, elle sentait une présence qui la regardait à travers Rhage— mais c’était
lui quand même.
Elle redescendit le long de son corps et lorsqu’elle prit son sexe, il la pénétra
profondément.
365
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Rhage leva les hanches, puis poussa un autre rugissement tandis qu’il se
mettait à la marteler. Á coups de reins violents et réguliers, et de plus en plus
fort, ce qui créait de délicieuses sensations. Pour éviter d’être éjectée, elle dut se
mettre à quatre pattes.
Le grondement monta jusqu’à devenir sauvage, il claquait ses hanches contre
elle en tremblant de tout son corps. L’urgence augmenta comme un orage prêt à
exploser. Et soudain il se cambra sur le matelas, le lit craquant sous la traction
de ses membres sur les chaînes. Lorsqu’il ouvrit les yeux, la lumière blanche
fusa dans la chambre, l’éclairant comme en plein jour. Et Mary sentit au fond
d’elle-même les violents contractions de son plaisir, ce qui déclencha son propre
orgasme.
Quand ce fut terminé, elle retomba sur sa poitrine, molle comme une poupée
de chiffon. Ils étaient tous les deux trop épuisés pour faire autre chose que
respirer. Elle normalement, lui selon son rythme étrange— Deux brefs
halètements, un long soupir.
Elle leva la tête et le regarda. Deux pupilles blanches se fixèrent sur elle avec
une totale adoration.
— Ma Mary, dit la voix.
Puis il y eut comme un bref choc électrique qui traversa tout le corps de Mary
et chargea l’atmosphère d’étincelles statiques. Toutes les lampes de la pièce
s’éclairèrent. Elle poussa un cri bref et regarda autour d’elle, mais la vibration
disparut aussitôt.
Elle baissa les yeux. Les iris de Rhage étaient redevenus normaux, d’un gris-
bleu étincelant.
— Mary ? dit-il d’une voix troublée, quelque peu indistincte.
Elle dut respirer une fois ou deux avant de pouvoir parler.
— Tu es revenu.
— Et tu vas bien. (Il leva les bras, et plia les doigts.) Je n’ai pas changé.
— Comment ça "changé" ?
— Je n’ai pas… tu sais, je voyais et ressentais tout même pendant qu’il était
avec moi. Tu étais floue, mais je savais que tu allais bien. C’est la première fois
que je me souviens de quelque chose.
Elle ne comprit pas ce qu’il racontait mais vit que les chaînes avaient déchiré
la chair à vif.
— Je peux t’enlever tout ça ?
— Oui. Merci.
366
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Il fallut un bout de temps pour le libérer. Quand ce fut fait, il se massa les
poignets et les chevilles et regarda attentivement Mary— comme pour vérifier
encore une fois que tout allait bien.
Elle chercha un peignoir.
— Je vais dire à Butch et V qu’ils peuvent rentrer, dit-elle.
— Je m’en charge.
Il alla jusqu’à la porte et passa la tête au dehors.
Pendant qu’il parlait avec les deux autres, elle regarda le tatouage sur son dos.
Et elle aurait pu jurer que la bête lui souriait.
Bon, elle devenait dingue. Pas à dire.
Elle sauta sur le lit et tira les couvertures sur elle.
Rhage referma la porte et s’y adossa. Il avait encore l’air tendu, malgré ce qui
venait de se passer.
— Après tout ça, dit-il, as-tu… peur de moi ?
— Non
— Tu n’as pas eu peur non plus de ce… truc ?
Elle lui tendit les bras.
— Viens ici. Je veux te tenir. On dirait que toi, tu as eu la frousse.
Il s’approcha lentement du lit, comme s’il ne voulait pas qu’elle se sente
oppressée ou bousculée. Elle fit des mains un petit geste impatient pour le faire
accélérer.
Rhage se coucha près d’elle mais ne la prit pas dans ses bras.
Elle attendit une seconde, puis se rapprocha et s’enroula autour de lui, le
caressant partout. Quand elle lui toucha la taille, près de la queue du dragon,
Rhage fit la grimace et s’écarta.
Il ne la voulait pas près de son tatouage, pensa-t-elle.
— Tourne-toi, dit-elle. Mets-toi sur le ventre.
Lorsqu’il secoua la tête, elle poussa sur ses épaules. Et c’était comme essayer
de bouger un piano.
— Allez, zut, Rhage. Tourne-toi.
Il obéit de mauvaise grâce, et se retourna en marmonnant de sombres
imprécations.
Elle lui caressa toute la longueur du dos, en plein sur le dragon.
Les muscles de Rhage se contractèrent mais d’une façon étrange. Non pas si
étrange, en fait : Chaque partie du dragon qu’elle touchait faisait réagir la partie
équivalente du corps de Rhage. Incroyable.
Elle caressa encore son dos, et il ondula sous sa paume, comme un gros félin.
367
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
368
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
369
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
370
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Chapitre 46
Bella prit une profonde inspiration, et sentit la poussière. Seigneur que sa tête
lui faisait mal. Et ses genoux aussi. Ils étaient appuyés contre quelque chose de
dur. Et de froid.
Elle ouvrit les yeux. Le noir. L’obscurité. Le néant.
Elle essaya de lever une main mais son coude heurta une paroi bosselée. Il y
avait la même chose dans son dos, devant elle, sur les côtés. Elle rebondit tout
autour du petit espace, de plus en plus paniquée. Ouvrant la bouche, elle haleta
sans pouvoir respirer. Il n’y avait pas d’air. Juste cette odeur de terre humide qui
lui bouchait le nez… Elle—
Hurla.
Et quelque chose bougea au-dessus d’elle. Quand elle leva la tête, un jet de
lumière l’aveugla.
— Tu es prête à sortir ? dit doucement une voix d’homme.
Et tout lui revint : La poursuite à travers la prairie pour revenir chez elle, le
combat avec le lesser, l’inconscience.
Elle sentit un choc léger et, par un harnais attaché à sa poitrine, elle fut hissée
hors de ce qu’elle réalisa être un tuyau planté à même le sol. Quand elle regarda
affolée autour d’elle, elle n’avait aucune idée de l’endroit où elle était. La pièce
n’était pas très grande, avec des murs bruts. Sans fenêtre, juste deux vasistas
couverts d’un drap noir dans le plafond bas. Trois ampoules nues pendaient à
des fils électriques. Il régnait une odeur douceâtre, mélange de sciure de bois et
de lessers.
Quand elle vit la table chirurgicale et les dizaines de couteaux et de marteaux
alignés, elle frissonna si fort qu’elle s’étouffa.
— Ne t’inquiète pas de tout ça, dit le lesser. Ce n’est pas pour toi tant que tu
es sage.
Il enfouit ses mains dans les cheveux de Bella et les étala sur les épaules.
— Tu vas prendre une douche maintenant, et tu vas nettoyer ça. Tu vas
nettoyer ça pour moi.
Il se pencha et ramassa un paquet de vêtements. Quand il les lui flanqua dans
les bras, elle réalisa qu’ils lui appartenaient.
371
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
— Si tu es sage, tu les mettras. Mais pas avant que tu sois propre. (Il la
poussa vers une porte ouverte, juste au moment où un téléphone sonna.) Va dans
la douche. Maintenant.
Trop effrayée pour discuter, elle vacilla dans une salle de bain rustique qui
n’avait pas de toilettes. Elle referma la porte et fit couler l’eau avec des mains
qui tremblaient. Mais quand elle se retourna, elle vit que le lesser avait ouvert la
porte et la regardait.
Il cacha de la main le bas de son combiné.
— Enlève tes vêtements. Maintenant.
Elle jeta un coup d’œil vers les couteaux. Et la bile lui remonta dans la gorge
tandis qu’elle se déshabillait. Quand ce fut fait, elle se couvrit des deux mains, et
trembla.
Le lesser raccrocha et posa son téléphone.
— Ne te cache pas. Enlève tes mains.
Elle recula, en secouant la tête.
— Enlève-les.
— Je vous en prie, ne—
Il fit deux pas et la gifla en pleine figure, l’envoyant s’écraser contre le mur.
Puis il l’agrippa.
— Regarde-moi. Regarde-moi. (Ses yeux luisaient d’excitation quand elle
obéit.) C’est tellement bon de te revoir !
Il la serra contre lui. Et la puanteur de son odeur douceâtre l’enveloppa toute.
Butch faisait une super escorte, pensa Mary quand ils quittèrent l’aile
d’oncologie de l’hôpital Saint Francis. Avec son manteau de lainage noir, son
chapeau des années 40 et ses lunettes de soleil d’enfer, il ressemblait à un très
élégant garde du corps.
Ce qu’il était. Elle savait qu’il était armé jusqu’aux dents parce que Rhage
avait tout inspecté avant de les laisser tous les deux quitter la maison.
— Vous avez besoin d’autre chose ? demanda Butch quand ils furent
ressortis.
— Non, merci. On peut rentrer.
L’après-midi avait été épuisant et décevant. Le docteur Delia Croce était
toujours en consultation avec ses collègues, aussi elle avait juste demandé à
Mary de passer un IRM et divers autres examens. Dont une prise de sang parce
qu’ils voulaient étudier les fonctions de son foie.
372
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
373
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
— Si vous faites ça, je dirai à Rhage que vous m’avez tripotée partout.
— C’est pas vrai ! (Butch avait les yeux hors de la tête.) Vous êtes aussi
manipulatrice que lui.
— Pas encore, mais je m’entraîne. Bon maintenant, vous venez ou j’y vais
toute seule ?
Il marmonna une obscénité croustillante et sortit son arme.
— Je n’aime pas ça.
— J’en prends note. Écoutez, je veux juste être sûre que ça va. On en aura
pour dix minutes.
Pendant qu’ils traversaient la prairie, Butch examina les alentours, les yeux
aux aguets. En approchant de la ferme, Mary vit que la porte-fenêtre à l’arrière
battait au gré du vent, ce qui reflétait les rayons du soleil.
— Restez bien collée à moi, dit Butch en arrivant sur la pelouse.
La porte s’ouvrit en grand.
— Et merde, marmonna-t-il.
Les gonds avaient été défoncés et plusieurs carreaux manquaient.
Ils entrèrent prudemment dans la cuisine.
— Oh mon Dieu ! s’écria Mary effondrée.
Les chaises étaient renversées. Il y avait partout de la vaisselle cassée— des
tasses, des assiettes. Une lampe gisait fracassée. Á côté de traces de brûlure sur
le sol dallé traînait une substance noire et quelque peu huileuse.
Quand elle se pencha pour voir ce que c’était, Butch dit :
— Surtout n’y touchez pas. C’est du sang de lesser.
Elle ferma les yeux. Ces hommes du parc avaient enlevé Bella.
— Sa chambre est au sous-sol ? demanda Butch.
— C’est ce qu’elle m’a dit.
Ils descendirent jusqu’au cellier et trouvèrent la porte de la chambre grand
ouverte. Quelques tiroirs de la commode étaient entrebâillés, comme si
quelqu’un avait rapidement emballé des affaires. Ce qui paraissait étrange.
Butch ouvrit son téléphone portable quand ils remontèrent dans la cuisine.
— V ? Il y a eu une effraction chez Bella. (Il regarda les taches de sang noir
sur une chaise renversée.) Elle s’est bien battue, mais je pense que les lessers
l’ont embarquée.
— Tout en enfilant un pantalon de cuir, Rhage colla son téléphone entre son
oreille et son épaule. « Cop ? Passe-moi Mary. »
374
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
375
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
376
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Tandis que le corps rebondissait sur la terrasse, Zadiste sauta derrière lui par
l’ouverture, les dents découvertes, le visage défiguré par l’agressivité. Il se jeta
sur le lesser, attrapant le mec par les cheveux pour le soulever du sol.
— Où est-elle ? grogna le Frère.
Quand l’autre ne répondit pas, Zadiste déplaça sa prise et le mordit
violemment à l’épaule, à travers le cuir de son blouson. L’égorgeur hurla de
douleur.
Rhage ne s’attarda pas pour la suite du spectacle. Il entraîna Mary de l’autre
côté de la maison, où il tomba sur deux autres lessers. Il la repoussa derrière lui,
la protégeant de son corps tandis qu’il sortait son arme. Il était à peine en
position quand un tir partit de la droite. Les balles volèrent à son oreille,
rebondirent sur le mur de la maison et le frappèrent au bras et à la cuisse—
Il n’avait jamais été si content de voir émerger la bête. Il se jeta dans le vortex
avec un rugissement, accueillant la transformation : L’éclair de chaleur et la
violente explosion de ses muscles et os.
377
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Quelqu’un hurla :
— Zadiste, arrête ! Il nous les faut vivants.
Le combat continua une dizaine de minutes. Puis il n’y eut plus que le bruit
d’une respiration : Deux brefs halètements, un long soupir.
Elle leva les yeux. La bête se penchait au-dessus les buissons où elle était
cachée, et le brillant regard blanc était dirigé sur elle. Tétanisée, Mary fixa la
gueule énorme, la mâchoire ouverte sur un sacré paquet de dents pointues, la
crinière qui retombait sur le front haut. Il y avait du sang noir qui dégouttait sur
le large poitrail.
— Où est-elle ? Où est Mary ? (La voix de V provenait du coin de la
maison.) Mary ? Oh… Merde !
La tête de la bête virevolta quand V et Zadiste s’approchèrent.
— Je vais distraire la bestiole, dit Zadiste. Toi, tu récupères la femelle.
La bête tourna en même temps que les Frères et se plaça en position
d’attaque, les griffes levées, la tête dressée, la queue battante. Et les muscles de
ses cuisses frémissaient.
Zadiste avança tandis que V faisait le tour vers Mary.
La bête grogna et montra les dents.
Aussitôt, Z jeta un juron agressif dans sa direction.
— Oui, et que peux-tu me faire que je n’ai pas déjà vécu ?
— Zadiste ! Non ! s’écria Mary en se relevant.
Sa voix les figea tous comme un tableau : Zadiste qui avançait. La bête qui
s’apprêtait à plonger. Viscs qui se glissait derrière elle. Ils la regardèrent une
brève seconde. Puis reprirent leurs positions respectives et se faisant face les uns
les autres.
— Reculez, dit Mary d’une voix sifflante. Ça va mal finir. Et vous ne faites
que l’énerver.
— Mary, il faut que vous vous écartiez. (Le ton de Viscs était calme et
paternaliste, du style "soyez raisonnable" qu’on utiliserait après un accident de
voiture)
— Elle ne me fera rien, mais vous, elle va vous mettre en pièces. Reculez.
Personne ne l’écouta.
— Seigneur, que les héros sont fatigants, marmonna-t-elle. Foutez le camp !
Cette fois, elle retint leur attention. Les deux Frères s’immobilisèrent. Et la
bête la regarda par-dessus son épaule.
— Hey, fit-elle en sortant des buissons. C’est moi, Mary.
378
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
379
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Peu après, elle sentit un frottement contre son dos. La bête la poussait du
museau.
Elle roula sur elle-même et regarda les yeux blancs.
— Je vais très bien. Mais j’aurais quelques critiques à faire sur tes manières à
table.
La bête feula et s’allongea sur le sol à côté de Mary, posant la tête sur ses
pattes étendues. Il y eut un brillant éclair de lumière et Rhage réapparut dans la
même position. Couvert de sang noir, il frissonnait de froid.
Elle enlevait déjà son manteau quand les Frères arrivèrent. Chacun d’entre
eux retira sa veste pour la poser aussi sur Rhage.
— Mary ? croassa-t-il.
— Je suis là. Tout va bien. Tu m’as sauvée— Vous m’avez sauvée tous les
deux.
380
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Chapitre 47
Butch n’y aurait jamais cru s’il n’en avait pas été témoin. Mais Mary avait bel
et bien apprivoisé la bête furieuse. Bon sang, cette femme était douée. Et avait
un sacré cran aussi. Elle avait vu les égorgeurs se faire bouffer, et s’était quand
même avancée pour aller caresser cette horrible bestiole. Lui n’aurait jamais eu
les cojones de faire un truc pareil.
Mary releva les yeux et indiqua le corps de Rhage.
— Pourriez-vous m’aider à le mettre dans la voiture ?
Butch se pencha immédiatement pour soulever les jambes du vampire tandis
que Zadiste et Viscs prenaient un bras chacun. Ensemble, ils l’emportèrent
jusqu’à la Mercedes pour l’installer à l’arrière.
— Je ne peux pas le reconduire, dit Mary. Je ne connais pas la route.
V fit le tour pour s’installer au volant.
— Je vais vous ramener. Je serai de retour d’ici vingt minutes.
— Fais bien attention à eux, murmura Butch.
Quand il se retourna, il vit que Fhurie et Tohr le fixaient avec une expectative
qu’il avait appris à reconnaître.
Sans même y penser, il endossa immédiatement son ancien rôle d’inspecteur à
la Criminelle, et prit l’enquête en main.
— Je vais récapituler ce qu’on a pour l’instant. (Il les emmena à l’arrière de
la ferme de Mary et désigna des taches noirâtres sur le sol.) Vous voyez ces
brûlures ? Les lessers ont ramené Bella ici après l’avoir attaquée chez elle. Elle
saignait, et quand le soleil est sorti, son sang a brûlé et a laissé ces marques. Et
pourquoi ont-ils dû la transporter à travers champs ? Je pense que ces égorgeurs
étaient venus à la recherche de Mary. Pour une raison quelconque, ils sont
tombés sur Bella. Ici-même. Elle a dû s’enfuir et réussir à retourner chez elle, où
il y a eu combat. Ensuite, les lessers ont dû revenir parce que c’est ici qu’était
leur voiture. Suivez-moi, les mecs.
Il fit le tour de la maison jusque dans le chemin où une Ford Explorer était
garée près du trottoir.
— Bella a été pour eux un bonus inattendu mais aujourd’hui, ils sont revenus
finir le boulot et chercher Mary. Je demanderai à V de vérifier les plaques de
cette voiture, d’accord ? (Butch leva les yeux vers le ciel où des flocons blancs
voltigeaient doucement.) Avec cette merde, on ne verra plus rien des indices
381
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
laissés à l’extérieur. Je vais fouiller le 4x4 pendant que vous nettoyez les corps
de ces lessers. Je n’ai pas besoin de vous demander de récupérer tout ce que
vous pouvez, portefeuilles, Blackberry, téléphones. Donnez-les à V quand il
reviendra. Et ne touchez à rien dans les baraques avant que j’aie terminé
l’analyse des lieux.
Les deux Frères s’éloignèrent et Butch passa l’Explorer au crible. Le temps
qu’il finisse, les Frères avaient désintégré les non-vivants.
— Il n’y a rien là-dedans, mais ce 4x4 est au nom d’un certain Ustead. (Il
tendit la carte grise à Fhurie.) L’adresse est probablement fausse, mais l’un de
vous pourrait-il quand même vérifier ? Moi, je vais retourner chez Bella.
Tohr regarda sa montre.
— Nous allons passer chez cet Ustead, puis faire nos rondes habituelles. Tu
n’as plus besoin de nous ?
— Non, c’est mieux si j’analyse le terrain tout seul.
Mais le Frère ne bougea pas. Et examina l’humain avec attention.
— Tu as ce qu’il faut au moins, Cop ? Parce que les lessers peuvent revenir à
tout moment. Aucun de ceux-là ne s’en est sorti mais un de leurs petits copains
finira par se pointer pour vérifier pourquoi ils ne reviennent pas.
— C’est bon. (Il sortit son arme et vérifia le chargeur.) Mais j’ai vidé mes
prunes. Tu en aurais d’autres ?
Fhurie sortit son Beretta.
— Prends ça. Il est plein.
Et Tohr ne voulut pas s’en aller avant de coller à Butch l’un des siens.
Un des flingues rangé dans son holster et l’autre à la main, Butch traversa la
prairie en courant. Il avait le corps vibrant d’énergie et transpirait à peine malgré
sa course. Son cerveau était aussi vif que l’air froid de la nuit, établissant déjà la
liste précise de ce qu’il allait devoir faire, et des diverses options quant à
l’endroit où Bella avait été emmenée.
Lorsqu’il tourna vers l’arrière de la maison, il aperçut un mouvement à
l’intérieur. Il s’aplatit contre un mur près de la porte-fenêtre éclatée et enleva la
sureté du Beretta. Dans la cuisine, il y eut le bruit de pas lourds sur de la
vaisselle écrasée, comme du popcorn éclatant dans une poêle. Quelqu’un
marchait là-dedans.
Quelqu’un d’imposant.
Butch attendit que l’intrus se rapproche, puis bondit dans l’entrebâillement,
les deux mains sur son arme pointée en avant, à hauteur d’homme.
— Ce n’est que moi, Cop, marmonna Z.
382
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
383
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
384
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
385
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
et j’ai compris que l’inconscience était une forme de cruauté. Parce que je
n’avais jamais voulu de mal à personne, je croyais que ça suffisait à m’absoudre
de tout, mais cette nuit-là j’ai su que j’avais eu tort. Si je n’avais pas donné mon
fusil à cette femelle, l’oiseau n’aurait pas été tué. Même si ce n’était pas moi qui
avais tiré, la responsabilité était mienne.
» (Il se racla la gorge.) Cette effraie était une bête innocente. Si fragile, si
petite dans ma main. Pendant qu’elle saignait et mourait, je me suis senti…
minable. Je pensais à l’enterrer quand la Vierge Scribe est apparue. Livide. Elle
était livide de rage. Elle aime beaucoup les oiseaux et en plus, l’effraie est son
emblème sacré, sa représentation. Elle m’a arraché le cadavre des mains, l’a
ranimé et renvoyé dans le ciel nocturne. Je ne peux pas t’exprimer le
soulagement que j’ai ressenti en la voyant voler. Comme si mon ardoise avait
été effacée, comme si j’étais pardonné. Mais alors, la Vierge Scribe s’est tournée
vers moi. Pour me maudire. Et depuis, chaque fois que je perds mon contrôle, la
bête émerge. D’une certaine façon, c’est une punition parfaite. Ça m’a appris à
réguler mon énergie et mes humeurs. Á respecter les conséquences possibles de
mes actes. Á comprendre le pouvoir qui est en moi d’une façon que je n’aurais
jamais pu acquérir autrement.
» (Il eut un rire bref.) La Vierge Scribe me hait, mais elle m’a fait un sacré
cadeau. N’importe… voilà comment c’est arrivé. J’ai tué un oiseau et gagné une
bête en échange. Simple et compliqué à la fois, pas vrai ?
Rhage poussa un très long soupir. Et elle sentit ses remords aussi clairement
que s’ils étaient les siens propres.
— Oui, dit-elle en lui caressant l’épaule.
— La bonne nouvelle, ajouta-t-il, c’est que je n’en ai plus que pour quatre-
vingt-onze ans. Ensuite, la bête partira.
Il fronça les sourcils à cette idée.
Curieux, pensa-t-elle, il parait un peu inquiet à cette perspective.
— Elle te manquera, pas vrai ? dit-elle
— Non. Non, je… Ça sera beaucoup mieux, je t’assure.
Mais il n’en semblait pas convaincu.
386
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Chapitre 48
387
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Dans la soirée, Mary essayait de respirer normalement alors que Rhage et elle
montaient dans l’ascenseur jusqu’au sixième étage de l’hôpital. Á cette heure
tardive, Saint Francis était plus calme, mais restait quand même une fourmilière.
La réceptionniste allait s’en aller. Elle enfila un manteau cerise avant de
refermer la porte à clé derrière elle. Cinq minutes après, le docteur Delia Croce
pénétrait dans la salle d’attente.
388
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
389
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
390
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Tout comme le mur en crépi qui entourait la cour. Ou la fontaine dont l’eau avait
été purgée pour l’hiver—
Il se figea. Puis écarquilla les yeux.
Lentement, il se tourna et leva la tête vers les fenêtres obscures de sa
chambre.
Ayant désormais une tâche à accomplir, il se mit à courir comme un dératé
jusqu’au sas qui ouvrait dans le manoir.
Couchée sur son lit d’hôpital, Mary tenta courageusement d’offrir un sourire à
Butch. Qui était assis dans un coin, avec son chapeau et ses lunettes sombres.
Juste avant que Rhage ne s’en aille, il était arrivé pour veiller sur elle et
s’assurer qu’elle ne risque rien jusqu’à la nuit.
— Ne vous occupez pas de moi, dit-il doucement comme s’il sentait son
désarroi. Faites juste ce que vous avez à faire.
Elle hocha la tête et regarda par la fenêtre. L’intraveineuse dans son bras
n’était pas douloureuse. Mais elle était tellement sonnée qu’elle n’aurait
probablement rien senti même si on lui avait enfoncé un clou avec un marteau.
Merde de merde. Cette fois, c’était fichu. La réalité impitoyable de son décès
était proche. Sans porte de sortie. Rien à tenter, aucune bataille à livrer. La mort
n’était plus un simple concept mais une finalité terriblement proche.
Elle ne ressentait aucune paix. Aucune acceptation de son sort. Juste de la…
rage. Elle ne voulait pas partir. Elle ne voulait pas quitter celui qu’elle aimait. Ni
abandonner le foutoir merveilleux qu’était la vie.
Qu’on empêche ça, pensa-t-elle. Que quelqu’un... empêche ça. Elle ferma les
yeux. Sur l’écran noir de ses paupières, elle vit le visage de Rhage. Dans son
esprit, elle lui caressa la joue, sentit la chaleur de sa peau, la fermeté de son
ossature. Et des mots commencèrent à défiler dans sa tête, venus d’un endroit
qu’elle ne reconnut pas, allant… nulle part sans doute.
Je ne veux pas partir. Je ne veux pas le quitter. Je vous en prie.
Dieu, laissez-moi rester avec lui et l’aimer un peu plus longtemps. Je promets
de ne plus perdre une seule minute. Je ne le laisserai jamais… Dieu, par pitié.
Empêchez ça…
Mary se mit à pleurer quand elle comprit qu’elle priait, suppliait de tout son
être, jetant son cœur dans la balance. Et alors qu’elle en appelait à un Dieu
auquel elle ne croyait même pas, une curieuse révélation naquit au milieu de son
désespoir.
391
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Voilà pourquoi sa mère avait prié. Cissy n’avait pas voulu quitter la scène, ni
laisser le manège tourner sans elle. Elle n’avait pas voulu abandonner Mary.
Plus encore que la fin de la vie, c’est la séparation imminente d’avec l’amour
qui avait maintenu sa foi jusqu’au dernier moment. L’espoir de passer plus de
temps à chérir sa fille avait poussé sa mère à manier ses chapelets et à regarder
le visage de ses statues tout en envoyant des messages dans l’éther.
Pourquoi les prières se cantonnaient-elle au ciel ? En fait, il y avait une
certaine logique. Même si le corps n’avait plus d’options, le cœur souhaitait
trouver le moyen d’exister encore, de ressentir la chaleur et la force de l’amour
terrestre. De plus, le désir de s’élever était dans la nature de l’âme humaine,
aussi voyait-elle plutôt son futur séjour au firmament. D’ailleurs, il y avait tant
de merveilleux cadeaux qui tombaient du ciel, comme la pluie au printemps, la
brise fraîche en été, les rayons du soleil en automne, ou la neige en hiver.
Mary ouvrit les yeux. Les cligna un peu pour éclaircir sa vision, puis se
concentra sur l’aube qui naissait dans un nid de hauts immeubles derrière sa
fenêtre, à l’est de la ville.
Seigneur… Je vous en supplie.
Laissez-moi avec lui.
Ne me séparez pas de lui.
392
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Chapitre 49
Rhage entra en courant dans la maison, arracha son manteau sans cesser de
marteler la mosaïque du grand hall avant d’escalader les escaliers quatre à
quatre. Une fois dans sa chambre, il jeta sa montre et enfila un souple fakata de
soie blanche, la tenue requise pour se rendre de l’Autre Côté. Ensuite, il saisit
une boîte en laque dissimulée sur la plus haute étagère de son placard et alla
s’agenouiller au milieu de sa chambre. Il ouvrit la boîte, en sortit un rang de
perles en marbre noir qu’il enfila autour du cou.
Il s’assit sur ses talons, posa ses paumes ouvertes sur ses cuisses, et ferma les
yeux. Tout en respirant lentement, il laissa son corps se détendre jusqu’à ce que
seuls ses os et non ses muscles le maintiennent en place. Il vida son esprit du
mieux qu’il put et attendit, suppliant d’obtenir une audience de la seule personne
capable de sauver Mary.
Les perles chauffèrent soudain sur sa poitrine.
Quand il rouvrit les yeux, il se trouvait dans une lumineuse cour intérieure en
marbre blanc. Où la fontaine centrale coulait avec une eau vive et chantante qui
jaillissait en hauteur avant de retomber dans une large cuve. Dans le coin,
fleurissait un arbre blanc, et les oiseaux chanteurs posés sur ses branches étaient
les seules couleurs de cette scène immaculée.
— Á quoi dois-je ce rare plaisir ? dit la Vierge Scribe derrière lui. Tu n’es
certainement pas venu au sujet de ta bête, guerrier. Si je me rappelle bien, il te
reste encore quelque temps à passer avec elle.
Rhage resta à genoux, la tête basse, incapable de parler. Il ne savait même pas
par où commencer.
— Un tel silence, guerrier, murmura la Vierge Scribe, est inhabituel de ta
part.
— Je cherche à présenter mes mots du mieux possible.
— Sage idée, guerrier. Très sage même vu ce que tu viens chercher ici.
— Vous le savez ?
— Pas de question, aboya-t-elle. En vérité, je suis lasse de le répéter sans
cesse à la Confrérie. Peut-être, à ton retour, rappelleras-tu aux autres les règles
de l’étiquette.
— Je vous présente mes excuses.
L’ourlet des longs voiles noirs apparut dans la ligne de vision de Rhage.
393
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
394
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
d’accepter ou non ce cadeau. Mais si je lui fais cette proposition, elle oubliera
ton existence. Et qu’elle y consente ou non, tu resteras à jamais écarté d’elle. De
plus, elle sera oubliée par tous ceux qui l’ont rencontrée, lessers y compris. Toi
seul te souviendras d’elle. Et si jamais tu l’approches dans l’avenir, elle mourra
immédiatement.
Rhage vacilla et tomba en arrière, se retenant de la main. Sa gorge était si
serrée qu’il mit un long moment avant de pouvoir formuler ses mots.
— Vous me haïssez à ce point.
Il ressentit un léger choc électrique et réalisa que la Vierge Scribe lui avait
effleuré l’épaule.
— Non, guerrier. J’aime mes enfants. La punition de la bête était pour
t’apprendre à te contrôler, à maîtriser tes limites, à admettre les conséquences de
tes actes.
Il leva les yeux vers elle, sans se soucier de ce qu’elle pourrait lire en eux : La
haine, la douleur, l’envie d’exploser.
— Vous me prenez bien plus que la vie. (Sa voix tremblait.)
— C’est le point justement, dit-elle d’une voix incroyablement gentille. Le
yin et le yang, guerrier. Ta vie métaphorique en échange de la sienne. La
balance doit être maintenue. Si je sauve cette humaine, ton sacrifice doit être à la
mesure du cadeau. Pour l’équilibre.
Il baissa la tête.
Et hurla. Hurla jusqu’à ce que tout le sang lui soit monté au visage. Jusqu’à
ce que ses yeux soient si douloureux qu’ils sortaient presque de son crâne.
Jusqu’à ce que sa voix se casse.
Quand la crise se calma, il vit la Vierge scribe en face de lui, sa robe flottant
autour d’elle, une statue noire sur le marbre blanc.
— Guerrier, si je le pouvais, je t’aurais épargné.
Elle avait la voix si triste qu’il faillit la croire.
— Faites-le, dit-il la gorge en feu. Donnez-lui le choix. Je préfère qu’elle
vive heureuse sans me connaître plutôt que la voir mourir.
— Qu’il en soit ainsi.
— Je vous en supplie… Laissez-moi lui dire au-revoir. Une dernière fois.
La Vierge Scribe secoua la tête.
Rhage ressentit une telle douleur qu’il n’aurait pas été surpris de voir son
corps se mettre à saigner.
— Je vous en sup—
— C’est maintenant ou jamais.
395
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Il eut un long frisson. Ferma les yeux. Sentit la mort entrer en lui aussi
certainement que si son cœur s’arrêtait de battre.
— Alors c’est maintenant, dit-il.
396
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Chapitre 50
397
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
— Rhage, mon Frère ? dit le roi en se levant. Que peut-on faire pour toi ?
Rhage se retourna, regarda tour à tour chacun des mâles dans la pièce,
finissant par Kohler.
— Je ne peux pas sortir cette nuit.
— Bien entendu. Nous resterons aussi porter le deuil avec toi.
— Non, dit aussitôt Rhage. Il y a Bella quelque part. Retrouvez-la. Ne la
laissez pas… s’en aller elle-aussi.
— Mais ne pouvons-nous rien faire pour toi ?
— Je ne peux pas… penser, ni me concentrer. Je ne peux rien faire en fait…
(Ses yeux dérivèrent jusqu’à Zadiste.) Comment peux-tu vivre avec ça ? La
colère. La douleur. Le…
Z s’agita, mal à l’aise, les yeux au sol.
Rhage secoua la tête, puis tourna le dos aux autres.
Et le silence pesa lourd dans la pièce.
Alors Zadiste avança jusqu’à Rhage d’un pas lent, comme hésitant. Quand il
se trouva à côté de son Frère, il ne dit rien. Ne leva pas la main. Ne fit pas un
bruit. Il croisa juste les bras, se pencha un peu, et posa son épaule contre celle de
l’autre mâle.
Qui eut un sursaut surpris. Les deux vampires se regardèrent. Puis ensemble,
reportèrent les yeux sur la fenêtre aveugle.
— Continuez, dit Rhage d’une voix éteinte.
Kohler se rassit derrière son bureau. Soupira. Et Butch se remit à parler.
398
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Il ouvrit la penderie et effleura les robes, les chemisiers, les sweaters alignés
sur leurs cintres. En se penchant, il inspira longuement. Le parfum de la femelle
s’attardait, et cette odeur lui brûla les poumons.
Ces foutus salopards allaient saigner pour ce qu’ils avaient fait. Il allait les
étriper à mains nues jusqu’à ce que leur sang s’écoule comme un fleuve sans fin.
La soif de vengeance battait fort dans ses veines lorsqu’il approcha du lit et
s’y assit. D’un geste prudent, comme s’il craignait que les montants ne
s’effondrent, il s’étendit de tout son long et posa la tête sur les oreillers. Il vit un
carnet à spirale sur le côté, et s’en saisit. Une fine écriture couvrait les pages.
Il était illettré, et ne put rien déchiffrer, mais les mots étaient bien formés, leur
ensemble formant un adorable motif sur le papier.
Sur une page au hasard, il remarqua le seul mot qu’il reconnaissait.
Zadiste.
Elle avait écrit son nom. Il feuilleta les autres pages plus attentivement. Elle
avait très souvent écrit son nom ces derniers temps. Il grimaça en imaginant ce
qu’elle disait de lui.
Refermant le journal, il le remit à l’endroit exact où il l’avait pris. Puis tourna
la tête. Il y avait un ruban sur la table de chevet, comme si elle l’avait enlevé
avant de se coucher. Il le ramassa et entoura le satin noir autour de son doigt.
Butch apparut en bas des escaliers.
Z fit un bond hors du lit comme s’il avait été surpris en flagrant délit. Ce qui
était le cas, en quelque sorte. Il n’aurait jamais dû violer l’espace privé de Bella.
Au moins, Butch semblait aussi gêné que lui de cette rencontre inopinée.
— Bordel, mais qu’est-ce que tu fiche ici, Cop ?
— Je voulais réexaminer les lieux. Mais à ce que je vois, tu es plutôt doué en
femme de ménage.
Zadiste lui jeta un regard mauvais.
— Qu’est-ce que ça peut te foutre à toi ? Pourquoi serais-tu concerné par
l’enlèvement d’une de nos femelles ?
— C’est important.
— Ce n’est pas ton monde. Mais le nôtre.
— Excuse-moi, mec, dit Butch en colère, mais vu ta réputation, je me
demande aussi ce que ça peut te foutre à toi.
— Je fais mon boulot.
— Oui, c’est ça. Et c’est pour faire ton boulot que tu t’es pieuté dans son lit ?
Que tu as tout nettoyé ? Et que tu serres si fort ce ruban que tu en as les jointures
blanches ?
399
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Zadiste baissa les yeux et relâcha lentement sa prise. Puis il jeta à l’humain un
autre regard féroce.
— Ne me fais pas chier, Cop. Tu n’aimerais pas les conséquences.
Butch se mit à jurer comme un charretier.
— Écoute, Z, dit-il enfin, je veux juste aider à la retrouver. J’ai eu… C’est
important pour moi, d’accord ? Je ne supporte pas qu’on brutalise une femme.
J’ai une histoire personnelle avec ce genre de conneries.
Zadiste enfonça le ruban de satin dans sa poche et se rapprocha l’humain, puis
fit un cercle autour de lui. L’autre se mit aussitôt en position de défense,
s’attendant à une attaque.
Z s’arrêta en face du mec.
— Les lessers l’ont probablement déjà tuée, pas vrai ?
— Peut-être.
— Probablement.
Z se pencha en avant et inspira. Il ne sentait aucune peur chez cet humain,
même si le grand corps tendu était prêt à se battre. Voilà un point positif. Le flic
aurait besoin de couilles s’il voulait jouer dans le bac à sable de la Confrérie. En
plein enfer.
— Dis-moi un truc, marmonna Z, est-ce que tu m’aiderais à massacrer les
lessers qui l’ont enlevée ? Tu arriverais à faire ça, Cop ? Parce que…
franchement, ce truc me fout vraiment en rogne. Ça va saigner.
Les yeux noisette s’étrécirent.
— Tes ennemis sont aussi mes ennemis.
— Je ne suis rien pour toi.
— Tu te goures, mec. La Confrérie m’a aidé. Et je suis réglo avec mes potes.
Z évalua le mâle du regard. D’après ce qui émanait de lui, Butch pensait ce
qu’il disait. Il le pensait à fond.
— Je ne suis pas du genre reconnaissant, dit Z.
— Je sais.
Z prit sur lui, et tendit la main. Il ressentait le besoin soudain de sceller
physiquement ce pacte entre eux— même s’il allait détester le contact.
Heureusement, l’humain fut ferme mais bref. Il devait savoir combien le geste
avait coûté à Z.
— Nous allons les poursuivre ensemble, dit ensuite le flic.
Z hocha la tête. Et ils remontèrent l’escalier l’un derrière l’autre.
400
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Chapitre 51
Mary fit un signe de la main dès qu’elle vit la grosse Mercedes s’arrêter en
face de l’hôpital. Elle courut si vite pour s’en approcher que Fritz avait à peine
émergé du siège conducteur qu’elle sautait déjà dans la voiture.
— Merci, Fritz. Dites-moi, est-ce que Rhage va bien ? Je l’ai appelé au
moins six fois et il ne décroche pas son téléphone.
— Le maître va bien. Je l’ai vu cet après-midi.
— Parfait. (Elle adressa un grand sourire au doggen.) Il n’est que 20 heures,
aussi je pense qu’il n’est pas encore sorti.
Fritz démarra et s’inséra dans la circulation.
— Avez-vous besoin de quelque chose—
Mary se jeta en avant et serra le petit vieillard dans ses bras, puis l’embrassa
sur la joue.
— Ramenez-moi à la maison, Fritz. Le plus vite possible. Sans respecter
aucune limitation de vitesse.
— Madame ?
— Oh, je vous en prie, Fritz. Roulez aussi vite que possible !
Le doggen était tout ému de tant d’attention, mais il récupéra vite et appuya
sur l’accélérateur.
Mary attacha sa ceinture, baissa la visière et se regarda dans le petit miroir
éclairé. Elle avait les mains qui tremblaient en les posant sur ses joues, et un rire
nerveux lui échappa quand la voiture prit un tournant si brusque qu’elle fut
projetée contre la portière.
Et elle rit encore plus fort quand des sirènes hurlèrent derrière eux.
— Je vous prie de m’excuser, madame, dit le doggen en la regardant, mais si
je dois éviter la police, vous risquez d’être bousculée.
— Foncez, Fritz. Á toute blinde.
Le doggen tourna quelque chose, et toutes les lumières intérieures et
extérieures de la voiture s’éteignirent. Puis la Mercedes rugit, et Mary se souvint
de cette folle promenade avec la GTO de Rhage dans la montagne.
Sauf qu’alors, ils avaient gardé les phares.
Elle s’accrocha à sa ceinture et hurla pour couvrit le hurlement des pneus :
— Dites-moi, Fritz, j’espère que votre vision nocturne est parfaite.
401
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Fritz lui sourit, aussi calme que s’ils bavardaient tranquillement dans la
cuisine.
— Oui, madame.
Avec un brusque écart à gauche, il évita de justesse d’emplafonner un
monospace puis il prit un raccourci à travers une allée. Un brusque coup de frein
pour ne pas écraser un piéton, et la voiture repartit à fond dès que le passage se
libéra. En émergeant de la ruelle, Fritz coupa la route d’un taxi, et passa au ras
d’un bus. Puis il obligea un 4x4 presque aussi énorme que le Queen Elizabeth II
à lui céder le passage.
Pas à dire, ce petit vieux savait manier un volant.
Ensuite il se gara le long du trottoir, en plein milieu d’un boulevard. Juste
comme ça.
Derrière eux, les sirènes s’approchaient.
— Fritz, ils vont nous—
Les deux cars de police, lancés à pleine vitesse, les dépassèrent sans s’arrêter.
— Encore un moment, madame.
Un autre car descendit la rue, sirènes hurlantes.
Fritz démarra derrière lui, et continua sa route, aussi vite qu’auparavant.
— Superbe manœuvre, Fritz.
— Sans vouloir vous offenser, madame, il est assez facile de manipuler un
esprit humain.
Tandis qu’il accélérait, elle éclata de rire et pianota nerveusement sur
l’accoudoir. Le voyage sembla sans fin.
Quand ils arrivèrent aux premières portes de l’enceinte, Mary vibrait
d’excitation et d’énervement. Dès que la Mercedes se gara dans la cour devant la
maison, elle jaillit de la voiture, sans même penser à refermer sa porte.
— Merci, Fritz, cria-t-elle par dessus son épaule.
— De rien, madame, répondit-il derrière elle.
Elle fit irruption dans le sas, traversa le grand hall et escalada l’escalier en
courant, tourna en dérapant dans le couloir et détala. Lorsque son sac qui
tressautait sur son épaule envoya valser une lampe, elle virevolta et récupéra le
truc de justesse avant qu’il ne s’écrase au sol.
Elle riait comme une folle en ouvrant la porte de leur chambre—
Et s’arrêta net, sidérée.
Au centre de la pièce, Rage était nu, agenouillé sur une sorte de dalle noire. Il
semblait en transe, avec des linges blancs attachés autour du cou et aux poignets.
Et du sang dégouttait sur le tapis, mais elle n’arrivait pas voir d’où il venait.
402
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
En regardant son visage, elle eut la sensation qu’il avait pris plusieurs
décennies depuis qu’elle l’avait quitté.
— Rhage ?
Ses yeux s’ouvrirent lentement. Opaques. Douloureux. Il cligna une fois ou
deux, puis fronça les sourcils.
— Rhage ? Mais qu’est-ce qu’il y a ?
Au son de sa voix, il sembla reprendre conscience.
— Que fais-tu— (Il s’arrêta. Et secoua la tête comme pour s’éclaircir les
idées.) Que fais-tu ici ?
— Je suis guérie ! cria-t-elle. C’est un miracle !
Lorsqu’elle courut vers lui, il se releva et s’écarta d’un bond, les mains
dressées pour la tenir à distance tout en jetant un regard traqué autour de lui.
— Va-t-en. Elle va te tuer. Elle va tout te reprendre. Oh Seigneur, Mary, va-
t-en loin de moi.
Mary se figea net.
— Mais de quoi tu parles ?
— Tu as accepté, pas vrai ?
— Comment sais-tu… ? Comment peux-tu connaître ce rêve étrange ?
— As-tu accepté le cadeau ?
Seigneur. Il avait perdu l’esprit. Il était nu et tremblant, livide aussi, avec du
sang qui coulait de ses tibias écorchés.
— Calme-toi, Rhage. (Zut, ce n’est pas du tout le retour qu’elle avait prévu.)
Je ne comprends pas cette histoire de cadeau. Mais écoute ça : Je me suis
endormie pendant un autre IRM, et quelque chose est arrivé à la machine. Ça a
explosé ou un truc comme ça— je ne sais pas trop mais ils ont parlé d’un éclair
de lumière. N’importe, quand ils m’ont sortie de là, ils ont refait des analyses et
tout est parfait. Je suis guérie. Personne ne comprend rien à ce qui s’est passé.
C’est comme si la leucémie avait disparu et que mon foie s’était régénéré de lui-
même. Ils ont parlé d’un miracle médical.
Á nouveau, le bonheur l’envahissait tout entière. Du moins jusqu’à ce que
Rhage lui prenne les mains et les serre assez fort pour lui faire mal.
— Tu dois partir maintenant. Tu ne peux pas rester. Tu dois partir. Et ne
jamais revenir ici.
— Quoi ?
Il commença à la pousser hors de la chambre, puis la souleva carrément quand
elle résista.
— Mais qu’est-ce que tu fais ? Rhage, je ne veux pas—
403
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
— Tu dois partir.
— Guerrier, tu peux arrêter maintenant.
La voix laconique les figea tous les deux.
Mary tourna la tête. Une petite silhouette en noir était apparue au coin de la
pièce, et une brillante lumière émergeait sous la robe flottante.
— Mon rêve, chuchota Mary. Vous êtes la femme de mon rêve.
Elle sentit les bras de Rhage qui l’écrasaient contre lui, puis l’écartaient.
— Je n’ai pas été la chercher, Vierge Scribe. Je vous le jure. Je n’ai pas—
— Sois tranquille, guerrier, je sais que tu as tenu ta part du marché. (La petite
silhouette flotta vers eux sans le moindre mouvement, juste une lente glissade
immobile.) Et tout est bien. Tu avais juste oublié un petit détail au sujet de la
situation, quelque chose que je n’ai su que plus tard en m’approchant d’elle
— Quoi ?
— Tu as omis de me dire qu’elle ne pouvait porter d’enfant.
— Je ne le savais pas, dit Rhage en regardant Mary.
Qui hocha la tête et serra ses deux bras autour de son ventre.
— C’est exact. Les traitements m’ont rendue stérile.
Les voiles noirs s’agitèrent légèrement.
— Viens ici, femelle. Je veux te toucher à présent.
Mary avança comme dans un rêve éveillé, et une main nitescente apparut sous
la soie noire. Dès que cette paume effleura la sienne, elle ressentit un courant
électrique et brûlant.
La voix de l’autre femme était basse et décidée :
— Je regrette que tu aies perdu la possibilité de donner la vie. J’ai toujours
été soutenue par la joie de ma création, et je suis chagrinée que tu ne puisses
jamais tenir la chair de ta chair dans tes bras, que tu ne voies pas tes yeux dans
le visage d’un nouveau-né, qu’il te soit impossible de mêler tes cellules à celles
du mâle que tu aimes. Ce que tu as perdu est un sacrifice suffisant. Te prendre
en plus le guerrier serait… excessif. Comme je te l’ai dit, je t’offre la vie
éternelle jusqu’à ce que tu décides de passer dans l’Au-delà de ton propre choix.
Et j’ai le sentiment que ce sera le jour où le guerrier partira pour son dernier
voyage.
Elle relâcha la main de Mary. Qui sentit alors toute sa joie disparaître, et lutta
contre une violente envie de pleurer.
— Zut, dit-elle. Ce n’est qu’un rêve, bien sûr. J’aurais dû m’en douter. Rien
n’est—
Un rire léger et très féminin émergea des voiles noirs.
404
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
— Va vers ton guerrier, femelle. Sens la chaleur de son corps contre le tien,
et tu verras bien que tout est réel.
Mary se retourna, et vit que Rhage fixait la silhouette voilée d’un air
absolument stupéfait.
Elle fit quelques pas vers lui, puis l’entoura de ses bras, et sentit le cœur qui
battait sous la peau.
La forme noire disparut, et Rhage se mit à parler en langage Ancien, les mots
sortant si vite de sa bouche qu’elle ne les aurait probablement pas compris
même s’il s’était exprimé en anglais.
Il priait, comprit-elle. Des prières d’action de grâce.
Quand il s’interrompit enfin, il baissa les yeux sur elle.
— Oh Mary, laisse-moi t’embrasser.
— Attends, je n’ai rien compris. Pourrais-tu m’expliquer ce qui vient de se
passer ? Qui était-ce ?
— Plus tard. Je ne peux plus… penser… ni rien. En fait, je crois que je
devrais m’asseoir un moment. Je ne me sens pas très bien, et si je tombe dans les
pommes, je vais t’écraser.
Pour le soutenir, elle passa son épaule sous son aisselle et le retint par la taille.
Quand il s’effondra presque sur elle, elle grogna sous son poids.
Dès que Rhage fut allongé sur le lit, il arracha les linges blancs de son cou et
ses poignets. Et elle vit que des éclats brillants étaient mêlés au sang sur ses
tibias. Elle examina de plus près la dalle noire où il s’était agenouillé. Il y avait
les mêmes éclats dessus, comme du verre pilé. Ou des diamants ? Seigneur, pas
étonnant qu’il ait été déchiqueté.
— Mais tu faisais quoi au juste ?
— Je portais le deuil.
— Pourquoi ?
— Plus tard.
Il l’attira sur lui et la tint serrée très fort.
En sentant le corps dur respirer sous le sien, Mary se demanda comment de
tels miracles pouvaient arriver. Et il ne s’agissait pas d’un coup de bol inattendu,
non c’était le vrai truc incompréhensible et quasiment mystique. Elle revit les
médecins courir avec ses échantillons de sang et leurs analyses. Repensa au choc
électrique qui avait traversé sa main lorsque le fantôme voilé l’avait touchée.
Et elle se souvint aussi des prières désespérées qu’elle avait adressées au ciel
Oui, décida Mary. Parfois, les miracles arrivent ici-bas.
405
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
406
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Elle s’écarta.
— Quel genre de marché ?
— Mary, j’aurais tout accepté pour toi.
Elle le regarda, sidérée, puis ferma les yeux. C’est lui qui avait mis les choses
en route. C’est lui qui l’avait sauvée.
— Tu vois, il fallait que j’offre quelque chose en échange.
— Oh Seigneur, que je t’aime ! s’écria-t-elle avant de l’embrasser à pleine
bouche.
— Même si tu dois aussi vivre avec la bête ? Parce que la malédiction est
éternelle maintenant. Plus d’échappatoire.
— Comme je te l’ai déjà dit, je m’entends très bien avec elle. (Elle sourit)
Allez, c’est même plutôt sympa d’avoir un petit Godzilla personnel. Je vois ça
comme une sorte de bonus : Deux pour le prix d’un.
Les yeux de Rhage devinrent blancs et il la fit rouler sous lui. Puis posa la
bouche dans son cou.
— Tant mieux si tu l’aimes aussi, murmura-t-il passant les mains sous son
tee-shirt à la recherche de ses seins. Parce que nous sommes tous les deux fous
de toi, Mary. Pour aussi longtemps que tu voudras de nous.
— Alors ce sera éternellement, dit-elle en se laissant aller au tourbillon du
désir.
Dorénavant, il n’y avait plus que l’amour qui comptait.
FIN
407
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
408
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Le contexte : Á Caldwell dans l’état de New-York. Depuis toute éternité, les vampires mènent une
guerre sans merci contre la Lessening Société, les égorgeurs aux ordres de l’Omega, le mal absolu.
Les vampires sont organisés avec les Civils (dont l’élite aristocratique est la très fermée caste de la
Glymera), les Doggens (domestiques), et les Guerriers : La Confrérie de la Dague Noire.
Mais les Frères ne sont plus que sept et chacun d’eux porte une lourde croix...
Les héros : Kohler, le dernier des vampires de sang pur, est le roi légitime de la race. Depuis que
sa famille a été massacrée par les lessers, le guerrier poursuit sa vengeance en solitaire. Mais son Frère
Darius meurt assassiné, et Kohler se voit contraint de réaliser son dernier vœu...
Beth Marshall, la fille de Darius, est à moitié humaine et ignore tout de son ascendance paternelle.
Á sa transition, un mâle vampire doit se trouver près d’elle sinon elle mourra. C’est ainsi qu’elle
rencontre Kohler, qui l’initie à son nouvel état. Pour pouvoir vivre avec elle, le guerrier remuera toutes
les traditions de sa race, et acceptera enfin le rôle pour lequel il est né.
Autres personnages : Les six autres Frères (Darius, Tohrment, Viscs, Rhage, Zadiste et Fhurie) ;
Wellsie, la compagne de Tohrment ; l’inspecteur Butch O’Neal, un ami de Beth ; et deux membres de
la Glymera : Marissa, la compagne de Kohler, et son frère, Havers, le médecin-vampire...
Parmi les lessers : Mr X, le directeur, et Billy Riddle, une future recrue.
***
Le contexte : A Caldwell dans l’état de New-York, la Confrérie de la Dague Noire vit en autarcie
depuis que le Roi Aveugle, Kohler, a repris ses droits héréditaires.
Le directeur de la Lessening Société, Mr X, se donne pour but de décimer guerriers de la Confrérie
afin de massacrer ensuite les Civils vampires en toute impunité.
Les héros : Rhage est le plus puissant des Frères et son physique exceptionnel lui assure un succès
sans pareil auprès des femmes, humaines ou vampires. Il est aussi victime d’une malédiction imposée
par la Vierge Scribe, la toute puissante déité responsable de l’existence des vampires : Il est en effet
est possédé par une bête féroce qui se libère lorsqu’il est sous tension.
Mary Luce est une courageuse humaine en phase terminale de cancer qui a d’autres soucis en tête
qu’une aventure à court terme. Mais elle cèdera à sa fascination pour cet "homme" hors du commun.
Autres personnages : Les mêmes que précédemment ; Bella, une femelle vampire amie de Marie ;
et John Matthew, un orphelin vampire que recueillera la Confrérie...
Parmi les lessers : Mr O, un membre particulièrement violent…
***
409
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Les héros : Zadiste est le plus sombre des Frères. Enlevé enfant à sa famille, il a vécu esclave
durant des décennies. Son âme et son corps sont désormais brisés et son instabilité inquiète souvent
ses Frères, et en particulier son jumeau, Fhurie.
Bella est une aristocrate vampire déchue, ex-membre de la Glymera. Dès leur première rencontre,
elle a été fascinée par Zadiste, sa violence et son intensité. Lorsqu’il la délivre, ils apprendront
ensemble à oublier leur passé.
Autres personnages : Les mêmes que précédemment, mais aussi Rehvenge, le frère de Bella, alias
le Révérend, un vampire "sympathe" qui dirige le club ZeroSum (enfer de la drogue, de l’alcool et de
la prostitution) que fréquentent les Frères...
Parmi les lessers : Mr O, le nouveau directeur, est obsédé par Bella.
***
Les héros : Butch O’Neal a toujours été solitaire. Dans le nouveau monde qui est le sien, il est
rongé par sa passion pour une femelle vampire, Marissa, l’ex-compagne de Kohler. Il aimerait
participer aux combats mais ses capacités humaines ne le lui permettent pas. Lorsqu’il est enlevé et
torturé par les lessers, son endurance et sa loyauté vont être poussée aux toutes dernières extrémités.
Ce n’est pas sa vie qui est menacée mais sa santé mentale.
Marissa a été rejetée par la Glymera lorsqu’elle a rompu avec Kohler. Elle est courtisée par
Rehvenge, un noble vampire, et attirée par l’humain Butch qu’elle veille lorsqu’il est blessé, ce qui lui
vaut de se retrouver avec la Confrérie. Une véritable union est difficile entre ces deux êtres que tout
sépare mais Viscs, le vampire aux pouvoirs puissants, envisage une solution possible…
Autres personnages : Les mêmes que précédemment, mais aussi Lash, Qhuinn et Blaylock, les
condisciples de John Matthew au programme d’entraînement des jeunes vampires ; et Xhex, une
vampire sympathe employée par le Révérend au club ZeroSum.
Parmi les lessers : Mr X, le directeur et une nouvelle recrue, Van Dean, qui semble l’Élu de la
prédiction…
***
410
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Les héros : Viscs est le plus intelligent des Frères. En plus d’un don de double vue, il possède une
main aux incroyables capacités de destruction. Il est troublé d’avoir perdu la compagnie exclusive de
Butch, son ami humain, mais lorsqu’il apprend en plus que la Vierge Scribe compte sur lui pour
devenir le prochain Primâle, son univers déraille. Il a passé son enfance avec son géniteur, un guerrier
psychopathe qui lui a laissé de profondes cicatrices, physiques et morales.
Le docteur Jane Whitcomb découvre un "homme" grièvement blessé sur sa table d’opération.
Jamais elle n’a vu de telles anomalies internes. La Confrérie débarque le jour même pour récupérer
Viscs, effacer la mémoire des humains présents et enlever la jeune femme— sur l’ordre express du
vampire. Mais le futur Primâle espère-t-il vraiment avoir le droit de vivre auprès d’une humaine ?
Autres personnages : Les mêmes que précédemment, plus Manuel Manello, un humain médecin-
chef de l’hôpital St Francis et quelques Élues : Cormia, Layla, Amalia, et la directrix...
***
Le contexte : Á Caldwell dans l’état de New-York, la Confrérie de la Dague Noire est toujours en
guerre contre la Lessening Société. Pour étoffer leurs rangs, les Frères entraînent de futurs guerriers et
l’un d’eux, l’orphelin John Matthew, montre un fort potentiel. Il est le clone de Darius, le père de
Beth, jadis assassiné par Mr X.
Par ailleurs, Fhurie, devenu Primâle, a du mal à gérer ses nouvelles responsabilités...
Les héros : Fhurie, le plus altruiste des Frères, a passé sa vie à expier le fait que son jumeau ait été
enlevé et pas lui. Pour surmonter son attirance envers la compagne de son frère, Bella, il s’est proposé
à la place de Viscs en tant que Primâle. Il sombre dans la dépression et abuse de drogues de plus en
plus fortes. Son comportement devient si erratique qu’il finit par inquiéter ses Frères.
Cormia est une Élue qui apprécie peu son anonymat parmi la communauté. Elle est attirée par son
nouveau compagnon mais, trop habituée à obéir aveuglément, elle ne sait comment gérer ou exprimer
ses sentiments.
Par ailleurs, il y a des tensions parmi les apprentis guerriers et John Matthew vit de difficiles
moments.
***
411
LA MALÉDICTION DU VAMPIRE
Le contexte : Á Caldwell dans l’état de New-York, la Confrérie de la Dague Noire doit gérer une
guerre civile parmi les vampires car la Glymera cherche à faire assassiner le roi, Kohler. La tentative
ayant échouée, c’est le vampire sympathe Rehvenge qui devient le nouveau dirigeant de la Glymera.
Tout le monde ignore ses activités occultes et sa véritable nature.
De son côté, la Lessening Société trouve un nouveau meneur en la personne du fils inconnu de
l’Omega. Laissé pour mort en tant que vampire, celui-ci est ranimé par son père et réorganise aussitôt
les finances de la Société en devenant le nouveau fournisseur des drogues dures à Caldwell. Sa
connaissance du monde des vampires lui permet de faire des ravages parmi les Civils.
Les héros : Rehvenge est le demi-frère de Bella, la compagne de Zadiste. Il est aussi sympathe (un
manipulateur d’émotions) tare qu’il dissimule car ses pareils ont été quasiment exterminés. Il vit sous
influence médicamenteuse et rencontre ainsi une infirmière vampire, Ehlena, dont la fraîcheur et la
simplicité ne le laissent pas indifférent.
Ehlena mène une vie pauvre et difficile depuis que son père, malade, a été ruiné et chassé de la
Glymera. Suite aux morts violentes dues à la guerre, elle reçoit un héritage inattendu et découvre de
sombres secrets.
Une union est-elle possible entre eux alors que Rehvenge fait face à une guerre des gangs pour le
monopole de la drogue et que son passé risque de paraître au grand jour ?
Quant à John, Qhuinn et Blaylock, ils vivent leurs premières expériences d’adultes.
Autres personnages : Les mêmes que précédemment, la princesse sympathe et son époux, et
l’archange déchu, Lassiter... qui ramène Tohrment parmi la Confrérie
***
Le contexte : Á Caldwell dans l’état de New-York, la Confrérie de la Dague Noire devient plus
forte en engageant à ses côtés les soldats entraînés par les Frères ou Lassiter, un ange déchu. Quant à
John Matthew, il cherche à retrouver Xhex, sa compagne, enlevée par Lash.
De son côté, la Lessening Société s’organise autour du fils de l’Omega, un cocaïnomane
paranoïaque et dangereux, ennemi personnel de John.
Les héros : John Matthew est le guerrier Tehrror, un muet censé être le demi-frère de Beth, la
reine. De sa jeunesse pauvre, il garde un lourd secret qui pèse dans sa vie. Par ailleurs, si on le croit
fils de Darius, le Frère assassiné par les lessers, il est en réalité sa réincarnation, ce que lui-même
ignore.
Xhex est une demi-sympathe qui travaillait autrefois avec Rehvenge au ZeroSum. Après son
enlèvement, elle veut se venger de la Lessening Société et se joint aux Frères dans leur combat.
***
412