La Phonologie Séance 4

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La phonologie N.

ARBAOUI
Séance 4 2020-2021

La phonologie
Séance 4

La phonologie générative et transformationnelle

La phonologie générative est née officiellement en 1968, avec la publication par


Noam Chomsky et Morris Halle de l’ouvrage intitulé The Sound Pattern of
English. Cet ouvrage est la première tentative de théorisation globale en
phonologie générative. Ce qu’on appelle maintenant le modèle SPE est un
ensemble de règles formelles, de représentations et de mesures d’évaluation des
grammaires.
Le modèle SPE constitue une véritable rupture par rapport aux approches
phonologiques précédentes. Son programme ambitieux consiste à déterminer
dans quelle mesure les systèmes phonologiques des langues du monde se
ressemblent.
On peut caractériser l’avènement de la phonologie générative par deux
contributions importantes : l’introduction des règles et des représentations
phonologiques. Une représentation phonologique est organisée autour de deux
axes de production de la parole : l’axe syntagmatique qui donne l’ordre de
succession des éléments et l’axe paradigmatique qui donne la composition
interne des matrices segmentales. La représentation du mot [bato] « bateau »,
par exemple, sera comme suit :
+conson. -conson. + conson. - conson.
-vocalique +vocalique -vocalique +vocalique
-continu +bas -continu -bas
+labial … … …
…..

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Comme vous pouvez le remarquer, ce ne sont pas les phonèmes qui sont les
constituants ultimes des représentations phonologiques, mais les traits. Chaque
matrice de traits est constituée de traits binaires qui définissent le segment.
Certains traits sont distinctifs, d’autres redondants.
L’adoption des traits est due à trois considérations : (1) étant donné que
l’inventaire phonémique diffère d’une langue à l’autre, il est difficile
d’envisager une théorie universelle basée sur les phonèmes. (2) il est souvent
plus économique de représenter un trait (dans une règle par exemple) qu’un
phonème ou un groupe de phonème. (3) le recours aux traits est nécessaire pour
l’expression de certaines généralisations ou de certaines règles phonologiques.
Le système de traits proposé par Chomsky et Hallé, inspiré par Jakobson
connaitra des changements et des remaniements. Nous étudierons la dernière
version.
Rappelons que Jakobson était le premier à avoir instauré un système de traits.
Pour lui, « toutes les oppositions existant entre les phonèmes d’une langue
donnée peuvent se ramener à des oppositions binaires, simples et
indécomposables, de traits distinctifs ». Cela signifie donc que tous les
phonèmes de n’importe quelle langue se laissent décomposer en traits distinctifs
eux-mêmes indivisibles (les éléments primitifs, atomiques de la phonologie).
Ainsi, le phonème est considéré comme un faisceau de traits distinctifs (des
éléments différentiels et simultanés) et le système des phonèmes est aperçu
comme étant un réseau de traits distinctifs organisés en opposition binaires. Les
éléments constitutifs des phonèmes se présentent sous forme d’oppositions
binaires (ex : [-voisé]/ [+voisé]).
La notion des traits binaires proposée par Jakobson vient de l’influence des
ingénieurs de la communication (binary digits, ou bits).

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Ainsi l’intérêt des traits pour l’analyse phonologique réside dans:


Leur capacité à décrire adéquatement la structure interne des segments : un
segment est une matrice de traits.
Leur capacité à caractériser des classes naturelles de segments (ex. les fricatives
les [+cont], les occlusives les [-cont], les sonantes les [+son]).
Leur capacité à décrire toutes les oppositions rencontrées dans les langues du
monde (ex. voisé/non-voisé) et ainsi les inventaires de segments de ces langues.
Leur capacité à définir les systèmes phonologiques en termes phonétiques,
chaque trait correspondant à une réalité phonétique (ex. voisé : vibration des
cordes vocales).
Leur capacité à produire de réelles généralisations quant aux processus, quant à
la structure des langues et quant à l’organisation du langage humain
(l’économie, la simplification des descriptions).

L’inventaire des trais distinctifs est présumé universel. Tous les humains ont le
même dispositif audio-phonatoire. Chaque langue sélectionne un nombre limité
de traits dans cet inventaire. Certains traits sont sélectionnés par toutes les
langues (ex : [±haut], [±sonant], [±voisé]).
Tous les traits distinctifs sont binaires (modèle classique). Chaque trait définit
deux classes naturelles de segments.

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Présentation ordonnée des traits distinctifs


(Système classique, légèrement amendé par L. J. Van der Veen)

Les traits de classe supérieure (ou majeure) (angl. « Major Class


Features »)
Ces traits, au nombre de trois, permettent de répartir les segments en
catégories majeures : celle des consonnes, celle des obstruantes, celle des
approximantes.

[±consonantique] : Ce trait correspond à la présence ou non d’une


constriction significative, partielle ou totale, dans le conduit supraglottique.
Sont [+cons] : les obstruantes, les nasales et les liquides (i.e. latérales,
vibrantes et battues), et sont [–cons] : les voyelles et les glides (i.e.
approximantes centrales).
« SPE » sont [–cons] : les semi-voyelles, l’occlusive glottale [ʔ] et la
fricative glottale [h]. Dans le cas de ces laryngales (ou glottales), le lieu de
rétrécissement ne se trouve pas dans le conduit vocal. [Chez beaucoup
de chercheurs, ces consonnes sont [+cons].]

[±sonant] : Ce trait correspond à la qualité de résonance d’un son, en fonction


du degré de constriction. Les segments [+son] possèdent une résonance et non
pas du bruit. Du point de vue acoustique, il s’agit de segments à formants. Du
point de vue articulatoire, les segments [+son] ont une pression d'air relative
égale en aval et en amont du rétrécissement, alors que les segments [–son]
attestent une montée de cette pression près du rétrécissement.
Sont [+son] : les voyelles, les glides, les liquides et les nasales, et [–son] : les
obstruantes (= occlusives, fricatives et affriquées).

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N.B. 1 Les segments [+son] s’accompagnent naturellement de voisement (ce


dernier étant spontané du fait de la configuration du conduit vocal). Il
faut un ajustement laryngé spécial pour empêcher le voisement. Pas de
voisement spontané (i.e. naturel) pour les [–son] (= obstruantes). Le statut de
[+voisé] est spécial pour les obstruantes (cf. elles induisent des
assimilations de voisement dans les obstruantes adjacentes, alors que les
sonantes ne le font pas).
N.B. 2 Les sonantes : (1) constituent dans beaucoup de langues les seuls
segments qui puissent terminer une syllabe, (2) peuvent facilement porter un
ton.

[±approximant] : Un segment [+approx] se caractérise par l’absence de


constriction suffisante pour occasionner un bruit de friction.
Sont alors [+approx] : les approximantes latérales et centrales, et les
voyelles. Sont [–approx] : les obstruantes, les consonnes nasales, les
vibrantes et les battues.

Les trois spécifications [–cons, +son, +approx] définissent non


seulement les voyelles, mais aussi les semi-voyelles (ou semi-consonnes).
Dans la version initiale de la théorie, on exprimait la différence entre ces
deux catégories à l’aide du trait [±syllabique]. Un segment [+syll] constituait
le sommet (i.e. le centre, le noyau ou le nucléus) d’une syllabe. Etaient
[+syll] : les voyelles et les consonnes syllabiques. Tout le reste, y
compris les glides bien entendu, était [–syll]. N.B. Le trait [±syllabique]
est actuellement abandonné. Dans la plupart des théories contemporaines, la
syllabicité d’un segment est fonction de sa position relative dans la
syllabe en tant que constituant prosodique.

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Les traits laryngaux (angl. « Laryngeal » ou « Source Features »)


Ces traits expriment les différentes positions des cordes vocales et l’utilisation
que peuvent en faire les langues.

[±voisé] : Un segment produit ou non avec les cordes vocales en état de


vibration. Dans beaucoup de langues ce trait n’est distinctif que pour les
obstruantes, les sonantes étant toujours voisées. Certaines langues attestent
toutefois des oppositions entre sonantes voisées et non voisées, comme le
toda (langue dravidienne) : [kal̥ ] ‘perle’ et [kal] ‘étudier’.

[±aspiré] Un segment se caractérisant par la présence ou l’absence d’un


écartement important au niveau des cordes vocales.
Sont [+asp] : les segments aspirés, les occlusives murmurées et la
fricative glottale. Tous les autres sont [–asp]. (On utilise aussi [±écarté].) Il
est à noter que ce trait correspond à un état des cordes vocales différent
du voisement et qu’il englobe différents phénomènes articulatoires.

[±glottal(isé)] : Un segment caractérisé ainsi est glottalisé ou non.


Mécanisme d’air glottalique (ingressif ou éjecté). Aussi [±(glotte)
resserré(e)].
Sont [+glottal] : les consonnes implosives, les consonnes glottalisées
(éjectives), les consonnes laryngalisées (sorte de voix craquelée), les
voyelles glottalisées et l’occlusive glottale.
Il est à noter que ce trait est articulatoirement hétérogène.

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Les traits de mode (d’articulation) (angl. «Manner of Articulation


Features»)
Ces traits expriment la manière dont le flux d’air s’écoule.

[±continu] : Dans le cas des segments [+cont], la constriction principale du


conduit vocal n’est pas assez étroite pour bloquer le passage du flux d’air.
Sont [–cont] : les occlusives, les affriquées, les latérales, les consonnes
nasales, les battues.

[±latéral] : Un segment produit ou non par un contact au niveau de la partie


centrale de la langue et par un rabaissement d’un ou de deux côtés de la
langue donnant lieu à un écoulement latéral du flux d’air.
Les fricatives latérales et affriquées latérales présentent également ce
trait.

[±nasal] : Un segment produit ou non avec le voile du palais rabaissé.


Sont [+nas] : les consonnes nasales, les semi-consonnes nasalisées et les
voyelles nasalisées.

[±strident] : Un segment possédant cette propriété se caractérise par une


plus grande quantité de bruit dans les plus hautes fréquences du spectre
provoqué par une petite cavité en amont de la constriction. Passage
forcé du flux d’air à travers une ouverture fortement rétrécie au centre
du conduit vocal. [On utilise (utilisait) aussi [±sibilant].]
Seules des fricatives et des affriquées peuvent être [+strid]. Pour les
autres catégories de segments ce trait n’est pas pertinent. Il est à noter
que les fricatives interdentales [θ, ð] et les fricatives bilabiales [ɸ, β] sont
[–strid]. Sont [+strid] : [s, z] et [ʃ, ʒ].

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[±relâchement retardé] : Dans le cas d’un segment [+rel ret], le relâchement


de l’occlusion n’est pas instantané, mais se produit avec un certain retard.
Un terme articulatoirement plus approprié serait « relâchement prolongé ».
Sont [+rel ret] : les consonnes affriquées.
N.B. Dans les modèles contemporains, ce trait est devenu superflu,
parce que les affriquées sont désormais représentées à l’aide d’une hiérarchie
de traits.

[±succion vélaire] : Click vs non-clicks. Mécanisme d’air mis en œuvre : air


vélaire (ou buccal) ingressif.

Les traits de lieu (d’articulation) (angl. « Place of Articulation Features


ou « Tongue Body Features »)
Ces traits expriment les lieux d’articulation des segments consonantiques et la
position de la langue pour les segments vocaliques. Dans les versions les
plus récentes de la théorie, quatre traits monovalents (unaires ou privatifs)
spécifient les lieux d’articulation principaux :
[LABIAL], [CORONAL], [DORSAL] et [RADICAL]. La présence d’un trait
monovalent est indiquée par un « √ » dans la grille. Des traits binaires sont
utilisés pour indiquer des distinctions de lieu plus fines à l’intérieur de ces
zones principales.

[LABIAL] : Un segment produit avec une ou deux lèvres. Les sons qui
sont [LAB] peuvent être spécifiés [±rond] (ci-après).
[±rond] Un segment produit avec un arrondissement des lèvres, donc
toutes les voyelles qui sont spécifiées [LAB], les semi-voyelles

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arrondies, les consonnes labialisées. Les segments [–rond] ne présentent


pas d’arrondissement labial, comme [p, b, m]. Par contre, un segment
tel que [bʷ] est [+rond].

[CORONAL] : Un segment produit ou non avec un soulèvement de la


lame de la langue. Exemple : [t] et [ʒ] sont [COR]. Les consonnes
palatales sont également [COR], à l'exception des fricatives palatales qui
sont [DORSAL]. [N.B. Certains linguistes considèrent que toutes les
consonnes palatales sont [DORSAL].]
[±antérieur] : Un segment produit ou non avec une obstruction située
à l’avant de la région alvéo-palatale (les incisives + les alvéoles versus
la région située derrière les alvéoles). Ex : [l] et [s] sont [+ant] et [ʃ] est [–
ant].
[±apical] : Un segment produit ou non avec la pointe de la langue.
Les segments articulés avec la lame sont [–apic]. Les consonnes
dentales également. Ce trait est distinctif dans beaucoup de langues
australiennes qui opposent une occlusive apicale à une occlusive
laminale. Les segments alvéolaires et les segments rétroflexes sont
[+apic]. [Le trait [±apical] remplace actuellement celui qui suit (et qui
faisait partie de l’inventaire initial).]
[±distribué] : Un segment [+distr] est produit avec une obstruction
qui s’étend sur une région importante, le long du centre du conduit
buccal et dans le sens du flux d’air.
Sont [+distr] : les fricatives bilabiales, les fricatives (lamino) alvéolaires,
les fricatives (lamino)-alvéopalatales.
Sont [–distr] : les fricatives labiodentales, les fricatives (inter)dentales et les
fricatives rétroflexes.

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[DORSAL] : Un segment articulé au niveau du dorsum (dos de la langue).


Les fricatives palatales et les segments vélaires et uvulaires sont [DORS].
[±arrière] : Un segment produit ou non par une rétraction de la masse de la
langue. Les voyelles antérieures sont [–arr] et les voyelles centrales et
postérieures de même que les consonnes vélaires et uvulaires [+arr].
[±haut] : Un segment produit ou non par une élévation de la masse
du dos de la langue.
Sont [+haut] : les voyelles hautes, les consonnes palatales comme [ç]
et
les consonnes vélaires. Les uvulaires par contre, de même que les voyelles
d’aperture moyenne et basse, sont [–haut].
[±bas] : Un segment produit ou non par un abaissement de la masse
du dos de la langue (dorsum). Ce trait n’est distinctif que pour les
voyelles.
Les sons palataux, vélaires et uvulaires sont toujours [–bas].
[±tendu] : Les sons [+tendu] comme [i e u o] sont articulés avec une
position de la langue qui est plus éloignée du centre de l’espace
vocalique que des segments [–tendu] comme [ɪ ɛ ʊ ɔ]. Ce trait est souvent
remplacé par le trait [±ATR] : « Advanced Tongue Root Position » (i.e.
position avancée de la racine de la langue).

[RADICAL] : Un segment articulé au niveau de la racine de la langue.


Les sons pharyngaux comme [ħ ʕ] sont [RAD]. On trouve aussi le terme
[GUTTURAL].
N.B. Il est à noter à ce propos que les segments laryngaux n’ont pas de trait
de lieu. Aucun des articulateurs n’est impliqué dans leur production.
[Position non partagée par Spencer et d’autres pour qui ces sons sont
[GUTTURAL].]

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Les traits prosodiques ou suprasegmentaux (angl.«Prosodic Features»)


Il est à noter que les traits prosodiques ou suprasegmentaux n’ont que
fort peu retenu l’attention des premiers générativistes.

[±accent] : Ce trait concerne l’accentuation.


N.B. Actuellement traité en termes métriques.
[±long] : Ce trait concerne la longueur d’un segment.
N.B. Actuellement traité en termes de positions de temps dans un squelette.

+ Plusieurs traits tonals (pas pris en compte ici, parce que totalement
abandonnés de nos jours). La phonologie autosegmentale permet de mieux
traiter les langues à tons.
N.B. Il existe plusieurs propositions de systèmes de traits. On relève des
différences plus ou moins importantes entre ces propositions. Somme toute,
on est encore assez loin d’un système de traits distinctifs universel. Comment
interpréter cet état de choses ?
Ex. Spencer (96) ajoute [±approx] (cf. aussi Kenstowicz (1994 : 34) et enlève
[±syll] (la disparition de ce dernier étant liée à son analyse de la syllabe). Ceci
traduit une position critique à l’égard du modèle « SPE ». Il privilégie
également des traits non binaires (unitaires) pour les lieux : [LABIAL],
[CORONAL], [DORSAL] et [GUTTURAL].
Un système assez différent a été proposé par Ladefoged (1975 et 1982 : A
Course in Phonetics). Ce système reste beaucoup plus proche de la phonétique
articulatoire habituelle.
La plupart des traits font l’objet d’un large consensus. De certains traits
la pertinence est discutée. Pour ces derniers, les solutions retenues ne sont pas
toujours les mêmes.

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