Pomespourlenfa 00 Brau

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q.l-
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POÈMES POUR i;enfange
OUVRAGES DE MARCEL BRAUNSCHVIG :

Le Sentiment du beau et le Sentiment poétique. Essai sur


l'esthétique des vers. Paris, Alcaii, 1904 3 76

L'Art et l'Enfant. Essai sur l'éducation esthétique (dans la


Bibliothèque des Parents et des Maîtres. Paris, Henri
Didier; Toulouse, Edouard Privât, 1907), 3^ édition, revue
et aug'mentée, 1910 3 5o

DE M. ET M°^« MARCEL BRAUNSCHVIG :

Littérature enfantine : I. Poèmes pour l'Enfance {2^^^ édi-

tion) .

— 11. Récits en prose pour l'Enfance.

Chacun des deux volumes, relié demi-toile (éd. classique).. . . 2 80


— broché, papier de luxe 3 5o
— relié peau souple 5 »
/; / o

LITTÉRATURE ENFANTINE
A I, 'usage du foyer, de l'École et du lycée

Poèmes
Pour l'Enfance
RECUEILLIS ET ANNOTES

PAR

Marcel BRAUNSCHVIG
ANCIEN ÉLÈVE DE LKCOLE NORMALE SUPÉRIEURE
DOCTEUR ES LETTRES
PROFESSEUR DE PREMIERE AU LYCÉE DE TOULOUSE

ET

M'iie Marcel BRAUNSCHVIG

(6i'ie MILLE.)

TOULOUSE PARIS
EDOUARD PRIVAT HKXRI DIDIER
EDITEUR ÉDITEUR
RUE DES ARTS, 14 KUE DE LA SORBONNE t)

/<oltB;x
Droits de tradiicfion et de reproduction réservés pour tom pays.

673
/9;io
^
PRÉFACE
PREFACE.

Alix Parents et aux Maîtres,

Frappé de la médiocrité littéraire d'un trop


grand nombre de recueils poétiques mis entre les

mains des enfants^ nous avions exprimé, y a il

quelques années*, le souhait de voir composer à


leur usage une anthologie qui comprendrait des
poésies vraiment belles, accessibles à de jeunes
esprits. Notre vœu n'ayant pas été exaucé, nous
avons tâché de le réaliser nous-même, avec la

collaboration d'une jeune mère déjà soucieuse de


l'éducation future de son fils.

Comme nous l'avons dit ailleurs, nous ne croyons


pas que l'enfant soit en état de comprendre ce

I. Dans la ire édition de L'Art et l'Enfant, essai sur Védu-


cation est/tétique (Didier, Paris; Privât, Toulouse, ^907, p- 3i5).

II
X IMIKFACE.

([iTil y a crcssoiillcllciucnl |)()«''li(jiio dans la ])0(''-

sio. Il n'a pas oiicorc en le Icnips, dans sa courte


exisUMice, (Tamasser (*n son ànie assez de souve-
nii-s |)onr (pie les vers, avec lenr mystérieux pou-
voir d'évocation, y viennent réveiller les échos du
passé. Et la poésie de l'avenir, peuplée de visions
riantes on sombres, ne lui est pas moins fermée;
car il vit d'une vie instantanée, perdu tout entier
dans la perception du présent. Mais si la sonorité
poétique des mots ne })eut ainsi retentir avec am-
plitude dans son cœur insuffisamment élarg-i par
la vie, il serait, selon nous, inexact de penser que
l'enfant fût tout à fait incapable de sentir, même
confusément, le charme des beaux vers. y a tel
11

vers, d'une harmonie très douce, qu'il aimera ré-


péter sans fin, parce qu'il caresse délicieusement
son oreille ; tel autre, d'une mélancolie pénétrante,
qu'il ne pourra prononcer sans un vague émoi de
son âme. Nous nous rappelons nous-méme qu'étant
enfant, nous ne pouvions réciter certaines poésies^
sans aussitôt sentir nos yeux se mouiller de larmes
et parfois un frisson agiter tout notre être. Nous
aurions été, sans doute, bien embarrassé pour
expliquer ce que nous éprouvions alors : c'étaient

pourtant comme les ondes expirantes du senti-


PREFACE. XI

'iiient poéli({no qui parvenaient alTail)lies juscprà

notre âme enfantine.


Nons sommes donc ])ersna(lé qn'cn apprenant
(le l)onne lieiire à Tenfant de heanx vers, — dont
il ne saisit paseomplètement la valeur poétiqnc,
ini lui donne une sorte d'avant-g-ont des joies

esthétiques, qn'il connaîtra pins tard dans leur


plénitude, lîabituez-le, dès Tage le plus tendre, à
.«•oûter de la poésie au moins ce qu'il peut : c'est

If plus sûr moyen de le mettre à même d'en appré-


cier plus tard fout ce qui/ doit. Tel vers, appris à
liuit ou dix ans, il ne le sentira pleinement peut-
être qu'à vingt ou trente ans. En tous cas, sa
mémoire j ciu cours de ses jeunes années, se sera
enrichie de vers qui, un jour, y chanteront har-
monieusement. N'est-il pas déplorable, au con-
traire, quand on est à l'âge d'homme^ de retrouver
parfois dans ses souvenirs d'enfant des platitudes
apprises à l'école, qui, toute notre vie^ demeurent
adhérentes à notre esprit comme une poussière
indélébile?
Malheureusement^ la difficulté est grande de
découvrir parmi nos poètes une abondante collec-
tion de beaux vers qui conviennent aux enfants.
De tels vers doivent, en effet, remplir tant de con-
XII PRKFACE.

(litions! Il l'aiil d'abord que la langue on soil sim-


ple, (jirellc ne conlicnnc pas de tours eoinplicjiiés
ni d'expressions rares; il faut ensuite que la pen-
sée en soil lucide, dépourvue de toute nuance
subtile el de toute image aux contours indécis,,

nullement surcliargée de souvenirs bistoriquesqui


exigent des connaissances érudites, ni de dévelop-
pements pbilosopbiques qui réclament la maturité
de l'esprit ; il faut enfin que les intentions en
soient absolument saines et qu'ils ne contiennent
pas seulement, comme il est naturel, la moindre
expression inconvenante ni la moindre allusion
perverse, mais même le moindre mot qui fût de
nature à troubler la sérénité candide de Tenfance.

Où trouver des vers qui soient ainsi faits, à tous


égards, pour les enfants? Notre poésie française,
il faut l'avouer, est en g-énéral peu propre à Ten-
fance. Nos poètes du Moyen âge et du seizième
siècle sont, par le seul arcbaïsme de leur langue,
interdits aux jeunes intelligences. Nos poètes clas-

siques, qui étaient avant tout des psychologues,


supposent, pour être compris^ une connaissance
déjà très étendue de la vie. La Fontaine est à peu
près le seul; parmi eux, dont l'œuvre —soit et

encore dans une certaine mesure seulement — à


PRÉFACE. XIII

la portée des esprits euFantins. Pour nos poêles


roinanti(jues, — à [)arl Victor IIiii*o à (jni une
parlie très ini[)ortante, il est vrai, de son œuvre a
valu le surnom de « [)oète de l'enfance », — ils

oui presque tous une àine inquiète et troublée,


dont Tag-itation et la mélancolie ne sont i^uère
appropriées à d'innocentes petites âmes. Enfin,
nos poètes contemporains, à quelques exceptions
près, ont trop recherché les subtilités du senti-
ment et les raffinements de la pensée pour deve-
nir la nourriture des cerveaux puérils.
Je sais bien que, malgré tout, dans notre poé-
sie du dix-neuvième siècle, l'enfant tient une
g-rande place, qu'il n'avait pas auparavant. Mais
encore faut-il distinguer entre les poésies compo-
sées sur les enfants et les poésies composées /)o«r
les enfants. Or, parmi les premières, il en est peu
qui conviennent à l'enfant. Elles parlent g'éné-

ralement de lui d'une façon spirituelle ou gra-


cieuse. Mais, d'une part, les mots et gestes en-
fantins ([u'elle note sont surtout plaisants à nos
yeux, et le sont beaucoup moins aux yeux de
l'enfant qui n'a pas conscience de lui-même ; et,

d'autre part, le charme poétique, que par évoca-


tion de notre propre passé lointain revêt pour nous
XIV PRÉFACE.

le s[)ertacl(' de l'en lance, donieiire lellre morle


pour rciifaut (|Lii cuire à pelue daus rexislcuce..
Quaul aux poésies écrites à ruileulLon des enfants,,

pour des raisons dilTéreutes elles ne paraissent


guère leur convenir davantage. Car, sous prétexte
de s'abaisser au niveau de l'intelligence enfantine,
ces auteurs font trop souvent des vers d'une pau-
vreté littéraire aflligeante. D'ailleurs, leurs inven-
tions puériles, n'imitant que fort mal la fraîche
naïveté des enfants, déplaisent d'ordinaire à ces
derniers par leur plate niaiserie. Saus compter que
le ton moralisateur, qu'on se croit presque tou-
jours obligé de prendre quand on s'adresse aux
petits, les rebute également : ils flairent vite le

pédant et bouchent leurs oreilles à ces ennuyeuses,

leçons.
Ce n'est donc pas sans peine que nous sommes
arrivés à cueillir, dans notre poésie française du
dix-neuvième siècle, une gerbe suffisante de bel-
les poésies, qui répondent à toutes les exigences
que nous venons d'énumérer plus haut. Xous avons
eu d'autant plus de difficultés qu'en vertu des lois
qui régissent chez nous la propriété littéraire, nous
ne disposions pas, mallieureusement, de toute notre
liberté d'action. Qu'on ne s'étomie donc pas si
PREFACE. XV

lous les poètes lUodcrnCvS, qui aiiraiciil mérilé dy


prendre place, ne fi^-iirenl pas dans noire anllio-
I6g"ie! Qu'on ne s'élonne [)as non [)lus si chaque
poète ne s'y trouve [)as iiécessaireinenL représenté

en proportion de sa renommée littéraire! Nous


avons eu beaucoup moins en vue la variété des

auteurs que la variété des matières. Mais, comme


nous nous sommes efYorcés d'élargir le plus possi-
ble le champ où devait s'exercer notre choix, il se

trouve finalement que nous avons puisé dans


soixante-quatre poètes pour conq:>oser ce recueil,
que nous offrons aux enfants des écoles comme
à ceux des lycées, aux petits garçons comme
aux petites filles.

Si la préoccupation esthétique est celle qui nous


a conslanmient guidés dans le choix des morceaux,
ce qui a présidé à leur classement , c'est le désir

de suivre dans la mesure du possible l'évolution


même de rame enfantine. Tant que l'enfant est
tout petit, il ne peut g-uère s'intéresser qu'à lui-

même, aux diverses occupations de ses journées,


oisives en apparence, mais au fond si bien rem-
plies. Commence-t-il à savoir sortir de lui? 11

étend alors sa sympathie aux êtres qui vivent


dans son entourag-e, membres de sa famille ou
XVI PIIIÎFACE.

betcs (1(^ la maison. (Vcst Tépoquo — si fiii*ilivp —


où sa naïveté charmante se traduit en d'ex(juises
réflexions im[)révues, fruits de son expérience
encore bien incomplète et de sa loi>'i(pie déjà Irop
inflexible. Mais voici le cercle de son existence
qui s'élargit : du milieu familial, il passe dans le

milieu scolaire. Dès ce moment, son activité se

précise : juscju'ici, sa seule besog-ne était le jeu;


maintenant, il va disting"uer entre la besogne
ennuyeuse qu'est à ses yeux le « travail » et le

travail agréable qui est pour lui le a jeu » ; et ces

deux modes de son activité se partag-eront désor-

mais son temps. Dans la fréquentation de ses


pareils^ les autres enfants, il commencera à faire

l'apprentissage de la vie; et comme s'initier à la

vie^ c'est, hélas ! s'initier à la souffrance, il ne lar-

dera pas à éprouver ses premières tristesses.


Cependant, l'enfant grandit. Il va promener sur
le monde a son regard étonné et ravi » et mar-
cher chaque jour de découverte en découverte. Il

découvrira le monde bariolé des plantes, si mysté-


rieux en sa muette immobilité, et celui des ani-
maux, aux volontés obscures, aux pensées enve-
loppées. Il contemplera la nature et ses aspects
changeants selon les heures des jours et les sai-
PRKFACE. XVir

s(ins (le ramiéc. Se i-a[)[)roeliant de plus en pins


des réalih's de la vie liiiinaiiie, il entreverra (l(^jà

comme par nne éclia[)pée i-apide les donlenrs de


Texislence, cjne la pitié senle console, et en même
temps comprendra, [)ar le spectacle de la société,
rnche active et bonrdonnanle, la sainte loi dn tra-
vail qui s'impose à tous. Bientôt, enfin, il prendra
conscience qu'il n'est pas seulement uni aux
autres hommes par les liens de la commune souf-
france et d'une solidarité laborieuse, mais encore
que des attaches plus subtiles le relient aux cho-
ses inanimées qui Tenvironnent, aux objets que
leur charme ou leur utilité lui rend familiers, au
coin de terre où il est né et où restent fixés ses
plus chers souvenirs, à sa patrie dont le long- passé
se déploie devant son imagination enchantée en
scènes g-lorieuses ou tragiques...
C'est justement parce qu'il s'efforce de suivre
ainsi pas à pas le déroulement de la vie enfantine,
que notre recueil de poésies, nous semble-t-il,
peut suffire pour la durée entière des études de
l'enfant, depuis l'âg-e de cinq à six ans jusqu'à
i'âg-e de douze ou treize ans. A moins que l'on ne
trouve que i6o pièces de vers, dont quelques-unes
pourtant assez longues, soient un bagag-e insuffi-
XVIII PRÉFACE.

sani pour toute la Ira versée scolaire... Mais^


d'abord, nous avons eu soin de dresser pour clia-
(jue cliapitre une liste supplénienlaire de poésies,
où sont inscriles, iiotauiinent, celles (jue nous
n'avons pas pu insérer dans le cours de l'ouvrag^e.
Puis, si nous n'avons pas cru devoir reproduire
dans notre recueil un cerlain nondjre de morceaux
très connus, — justement parce qu'on les trouve
partout, — on aurait tort, à notre avis, de s'abs-
tenir de les faire apprendre aux enfants. Bien des
générations enfantines ont eu beau réciter ces
vers, ils n'en sont pas moins nouveaux pour les
enfants d'aujourd'hui, s'ils ne le sont plus pour
leurs maîtres. Il n'est pas mauvais, après tout, que,
de génération en génération, les enfants d'un
même pays apprennent les mêmes vers, comme ils
s'amusent aux mêmes jeux. Anatole France a dé-
licieusement parlé quelque part^ de deux enfants
qui chantent sur la route, en allant à l'école, « une
vieille chanson qu'ont chantée leurs grand' mères
quand elles étaient des petites filles et que chante-
ront un jour les enfants de leurs enfants ». Si la

chanson peut ainsi servir de lien aux générations


successives, il en est de même des poésies : d'avoir

I. Anatole France : JVos Enfants (Paris, Hachette, p. 20).


PUKFACK. \l\

appris les mêmes vers, cela raUacho en (piel(jue

t'aeon les siéiiératioiis (pii viennent à celles (|ui s'en

vont; cela assure, poiiri'ait-on dire, la conlinuité

de la pallie.

Au surplus^ un recueil de fables demeure^ à

nos veux, Tindispensahle complément de noire


recueil de poèmes. La fable intéresse l'enfant,

parce qu'elle représente une action et que ses per-


sonnages habituels, les animaux, lui sont en i^éné-
ral familiers. Quoi qu'en ail dit J.-J. Rouss au,
les fables de La Fontaine surtout seront toujours
un livre à mettre entre les mains des enfants^ — à

condition simplement qu^on en fasse un choix à


leur intention el un choix gradué. Il est très vi-ai

que, même parmi les plus sinq)les, on rencontre


certaines expressions difficiles à comprendre : au
maître de les expliquer! 11 est très vrai encore
que, m^Miie avec le commentaire du maître, le

sens profond des fables échappe bien souvent à


l'enfant ; mais nen est-il pas ainsi d'autres ouvra-
ges, pourtant regardés comme les a classiques »

de l'enfance, Bon Quichotte, Rohinson Criisoë,

Les Voyages de Gulliver? Et surtout on ne peul


oublier que, grâce à leur morale vivante, les fables
ne cesseront jamais d'avoir pour mission d'incul-
\X PREFACE.

quer aux cnFaiils los |)remi(M*cs notions du devoir.


Les ral)les conservent donc leur place niarfjuée
dans l'éducation enFantine. Mais, s'il s'ai^-it d'éveil-

ler dans les jeunes ànies le sentiment j)oéti([ue, il

est besoin d'autre chose ; et c'est alors que devient


nécessaire un recueil de poèmes.
D'ailleurs, si dans un recueil de fables c'est la

préoccupation morale qui domine, et dans un re-


cueil de poèmes la préoccupation esthétique, il va
sans dire que les fables, celles de La Fontaine en
particulier, pourront elles aussi contribuer à éveil-
ler le sentiment poétique de l'enfant, et ([ue nous-
mêmes, sans vouloir faire œuvre morale, nous
n'en croyons pas moins avoir fait œuvre morali-
satrice. Car n'est-il pas vrai qu'en inspirant aux
enfants le goût des pures émotions poétiques, on
les détourne de la frivolité de leurs pensées ordi-
naires, on les arrache à la vulgarité de leurs spec-
tacles quotidiens? Notre crainte serait même, pour
avoir tâché de faire un livre poétique, d'avoir fait
un livre par instants un peu sérieux. La poésie,
en effet, ne s'allie guère à la gaieté ; elle s'accom-
pagne plutôt, au contraire, d'une certaine tris-

tesse, ou tout au moins d'une certaine gravité de


sentiment et de pensée.
PRÉFACE. X\I

Après avoir exposé clans quoi esprit el dans


(pielle intention cet ouvrage a été conij)osé, il

nous reste à remercier tous ceux qui l'ont rendu


possible en nous accordant les autorisations néces-
saires. Nous remercions donc les poètes, ({ui ont

bien voulu nous laisser puiser dans leurs œuvres,


et les liériliers de ceux dont il nous a été égale-
ment possible de reproduire des vers plus ou
moins nombreux. Nous exprimons aussi notre re-
connaissance aux éditeurs qui nous ont libérale:
ment permis d'insérer dans notre recueil quelques
fragments des œuvres dont ils ont la propriété : à

MM. Delagrave, Fayard, Fasquelle, Fisclibacher,


Ernest Flammarion, Garnier, Hachette^ HetzeJ,
Juven, Nathan, Ollendorf, Perrin, Plon-Nourrit,
ainsi qu'à la Société du Mercure de France et à la
Société française d'imprimerie et de librairie. Nous
regrettons de n'avoir pas été autorisés à donner
ici des extraits de Leconte de Lisle, Sully-Prud-
Iiomme, André Tlieuriet, José-Maria de Ilérédia
et de quelques autres poètes contemporains.
Nous devons également aux auteurs quelques
mots d'excuse ou d'explication pour les coupures
et changements de titre, que nous avons jugés
nécessaires. Nous n'ignorons pas que les écri-
WII PRKFACE.

vains aiincnl (jiToii pi-rsciilc toujoiiis leur peiisre

iiitéi^rah*. Mais no serait-il pas très r('i»Te11al)!e

q\io parfois ])()iir une stioplie, un vers, — (pTil

est l'acile de supprimer sans (Jiniiniier en rien

la valenr d'une poésie, — on s'interdise de citer

telle ou telle (ruvre d'exeelleîiis poètes? One les

auteurs veuillent donc nous ])ardonner si nous


nous sommes permis, à l'occasion, de modifier un
titre pour rendre plus explicite le sens d'une poé-
sie, ou bien de pratiquer des coupures dans un
poème afin d'en élaguer des passages difficiles ou
peu appropriés à des enfants, ou afin de ramener
ces morceaux aux proportions désirables.

Du moins pouvons -no us donner l'assurance


— pour finir — qu'en composant ce livre, nous
avons été uniquement g-uidés par le désir de ren-
dre service à la fois aux poètes et aux enfants. S'il
est vrai, comme l'a dit Sully-Prudliomme, que

Le délice éternel que le poète éprouve.


C'est un soir de durée au cœur des amoureux,

n'est-il pas plus juste encore d'ajouter que la plus


touchante manifestation de l'immortalité des poè-
tes est d'entendre à chaque génération quelques-
uns d^ leurs vers sur les lèvres balbutiantes des
PRKFACE. X'XIII

<?nfants? C'est retle claiF'o vision dos visai»*('s d'en-


Fants, lisanl sur los genoux de leurs mères ou sur

les hanes de TtM'ole enil)ellie les meilleurs vers de


nos poètes, que nous avons eue sans cesse sous les

yeux en préparant ce modeste ouvrage. Puissent-


ils — un peu grâce à lui — acquérir, dès leurs
tendres années, le goût salutaire de la poésie, qui

dans la vie la plus monotone et la plus terne fait

passer comme un souffle de vivifiante fraîcheur, et

ouvre dans l'existence la plus murée une échappée


lumineuse vers le rêve et vers l'idéal!

M. B.
QUELQUES CONSEILS

SUR

L'ART DE DIRE LES VERS

III
OUELOUES CONSEILS
SUR

L'ART DE DIHK LES VERS

I. — De l'utilité d'une bonne diction.

Il ne suffit pas que les enfants apprennent de beaux


vers ; encore faut-il qu'ils sachent bien les dire.

C'est vraiment pitié que d'entendre massacrer les

vers, comme il arrive souvent dans les réunions de


famille, où l'on veut à toute force, pour les donner
en spectacle, faire réciter dos poésies à des enfants
mal doués et parfois beaucoup trop jeunes, et comme
il arrive fréquemment aussi dans les écoles elles-mê-

mes, où nous sommes accueillis dès le seuil par une


sorte de mélopée traînante et nasillarde. Condamner
l'enfant à pratiquer de tels excercices, c'est vouloir lui
ôter à jamais le goût de la poésie.

Que d'avantag'es, au contraire, peut donner aux


enfants l'habitude de bien dire les vers ! N'est-ce pas
XXVIII QUELQUES CONSEILS

tout d'abord le meilleur moyen de les contraindre à


reg-arder les textes avec attention, puisqu'il est néces-
saire de bien comprendre les morceaux pour bien les

réciter? De plus, les vers qu'ils auront ainsi appris


avec intelligence, ils les retiendront avec facilité et

aimeront, plus tard, à les redire.

Ajoutez qu'en s'accoutumantà bien réciter les vers,

les enfants s'habitueront à parler avec pureté. Or, on


ne saurait trop engager les parents à donner de bonne
heure à leurs enfants une élocution correcte et, si Ton
peut, élégante. Que de femmes à l'aspect charmant
perdent tout attrait, dès qu'elles ouvrent la bouche!
Et que d'hommes, en apparence distingués par leurs
manières, souvent même très instruits, nous choquent
par la vulgarité de leur parole!
Si l'on surveille avec soin la diction des enfants,
on pourra les corriger de la plupart de leurs défauts
d'élocution : de ceux qu'ils doivent au pays où ils vi-

vent (comme l'accent méridional) ; de ceux qui pro-


viennent de mauvaises habitudes d'articulation (comme
le bredouillement, le balbutiement, la précipitation du
débit); et même, dans une certaine mesure, de ceux
qui tiennent à de véritables vices de conformation des
organes vocaux, tels que le sessaiement (s dure pour
ch), le zézaiement (z pour J ou (/), le jotacisme (J
pour s), le chuintement (ch pour ç ou y), le lambda-
I
cisme (/ pour r ow n).
SUR L ART DE DIRE LES VERS. XXIX

Cède bonne diclion, dont rulililc est incontestable,

n'est malheureusement pas facile à obtenir des en-


fants. Ils ont presque tous, en elfet, des tendances à
dire mal. Mais leurs défauts se ressemblent. La plu-
part disent d'une façon inintelligente, mécaniquement,
sans avoir l'air de comprendre; ils ne mettent aucune
expression et paraissent ne pas sentir la poésie ; et,

s'ils semblent saisir à peu près le rythme des alexan-


drins, qu'ils récitent d'ailleurs avec monotonie, les

rythmes plus savants leur échappent toujours.


Le tort des parents et des maîtres est tantôt d'at-
tacher trop peu d'importance à la diction et d'exiger
seulement des enfants une mémoire impeccable, tan-
tôt de croire que, pour bien dire, il faut avoir des
qualités innées, qui, par conséquent, ne s'acquièrent
pas. Il est très vrai qu'on est plus ou moins doué ; et

la preuve en est que parfois de tout petits enfants,


sans avoir jamais reçu de conseils, disent naturelle-
ment bien. Mais il ne faut pas oublier que la diction

est avant tout un art. Les parents et les maîtres de-


vront donc le connaître, au moins dans ses éléments,
pour en inculquer les principes aux enfants.
Ce n'est point dans une courte introduction que
nous pouvons faire une étude complète de l'art de
dire. Il existe d'ailleurs d'assez nombreux ouvrages',

I. Tels que : Legouvé, L'Art de la lecture; Dupont- Vernon,


XXX QUELQUES CONSEILS

que coiisuUeroiit avec profit ceux (jui veulent éludier


sérieusement la question. Ici nous nous bornerons à
donner quelques conseils très brefs.

II. — Notions préparatoires à l'étude de la diction.

Avant d'exposer les principes essentiels de Fart de


la diction, il nous paraît utile de formuler quelques
préceptes généraux au sujet de la mémoire, du main-
tien et de la voix.

1° La mémoire. — En premier lieu, préoccupons-


nous de la façon dont les enfants apprennent leurs
leçons. C^est un point très important. En effet, si les

enfants disent en général d'une manière inintelligente,


c'est qu'ils emploient le plus souvent, pour graver les
vers dans leur mémoire, des procédés mécaniques
tout à fait ridicules. Par exemple, ils répètent plu-
sieurs fois les mots isolément et les rapprochent en-
suite les uns des autres, sans souci de la ponctuation
ni du sens. Ils croient aussi que bien savoir une leçon,
c'est être en état de la réciter tout d'un trait, le plus

L'Art de bien dire (Paris, Ollendorf); G. Berr et Pv. Delbost,


Les trois dictions (édition de la Revue Bleue)] L. Favre, Traité
de diction; Léoa Brémont, L'Art de dire les vers (Paris, Fas-
(juelle) Jean Biaise, VArt de dire (Paris, Colin); Jean Biaise,.
;

Récits à dire et comment les dire (Paris, Colin); Georges Le Roy^


La diction française par les teœtes (Paris, Delapiane).

I
SUR I. ART I)K DIRE LES VERS. XXXI

vite possible. Monirons-Ieur, au contraire, que, pour


hiou retenir un morceau, il faut :

a) Qu'ils lisent d'abord une fois très attentivement


l'ensemble du passag^e, pour se pénétrer du sens gé-
néral ;

/>) Qu'ils examinent ensuite le texte en détail, afin


de n'y laisser subsister aucune obscurité ;

c) Qu'ils répètent plusieurs fois le morceau par


fragments, dont chacun ait un sens, et en y mettant
le ton voulu ;

cl) Qu'ils répètent enfin plusieurs fois la poésie en-

tière, mais pas d'une façon machinale, c'est-à-dire


sans jamais perdre de vue la sig-nification des vers.
Il est bon que les parents et les maîtres appliquent
eux-mêmes celte méthode, lorsqu'ils apprennent des
vers aux commençants qui ne savent pas lire; car
ceux-ci la conserveront, quand ils seront en âge de
travailler tout seuls. Et, à ce propos, qu'on nous per-
mette de blâmer un procédé en usag^e dans quelques
classes enfantines : pour apprendre des vers aux tout
petits, le maître ou la maîtresse les leur fait répéter
en chœur après eux. C'est ainsi que les enfants pren-
nent ce ton uniforme de mélopée, qui donne à leur
diction la monotonie, dont ils ne pourront plus se
débarrasser.
2° Le maintien. — Il faut aussi veiller à ce que les

enfants aient un bon maintien pendant qu'ils récitent.


XXXII QUELQUES CONSEILS

Exij^eons qu'ils se tiennent debout, en laissant à leur


corps une pose naturelle, qu'ils ne se penclienl pas en
avant et ne se balancent pas sur leurs jambes. Ne leur
faisons pas non plus croiser les bras, comme on le

fait parfois : cette habitude, devenue chez eux un be-


soin, serait ridicule hors de l'école ou du collège.
Il ne serait peut-être pas mauvais, de temps en
temps, de faire réciter les élèves sur l'estrade de la

classe; ils prendraient ainsi plus d'assurance et les

timides arriveraient vite à ne plus avoir cette fausse


honte qui les paralyse. Et surtout nous croyons tout
à fait inutile de faire faire des gestes aux enfants,
sauf quand ils jouent de petites comédies. Evitons
qu'ils n'aient l'aspect de pantins articulés; et n'ou-
blions jamais que, dans la diction des vers^ deux qua-
lités sont essentielles : la grâce et le naturel.

3° La voix. — Une des questions dont il convient


de se soucier le plus, c'est celle de la voix. Les en-
fants ne savent pas ménager ni conduire cet organe,
aussi sensible et délicat qu'un instrument. Apprenons-
leur à bien poser la voix, c'est-à-dire à savoir prendre
le registre convenable, qui, pour la diction, est pres-

que toujours le registre médium, intermédiaire entre


la voix de tête, trop aiguë, et la voix de poitrine, trop
grave. Apprenons-leur aussi à ménager leur souffle,
à faire des pauses, à respirer en temps voulu, en te-

nant le plus grand compte de la ponctuation. S'ils ont


SUR L ART DK DIRK LES VERS. XXXIII

des défauts org^aniques, il faudra les soumettre à des


exercices spéciaux ; on arrivera de la sorte à corrij^er

notamment la raucilé, le nasillement, le chevrote-


ment... Nous n'avons point ici à insister sur ces dé-
fauts et sur les moyens de les corrig^er; car ce serait
entrer dans des considérations qui relèvent de la

médecine. Nous indiquerons seulement aux parents et

aux maîtres que ces maladies de la voix, ainsi que


celles de la prononciation, sont traitées à Paris, à
Vlnstltiit de larijngologie et orthophonie^ dirig"é par
le docteur Natier et l'abbé Rousselot, et à V Institut
des bègues^ dirig-é par le docteur Chervin.

III. — Principes généraux de diction.

\l\\ç^ bonne diction nous paraît devoir posséder


trois qualités dominantes : la correction, rintellig"ence
et le charme.
1° De la correction de la diction. — Deux éléments
fondamentaux entrent dans une diction correcte-:
la prononciation et l'articulation. On les confond sou-
vent, et cependant ils sont tout à faits distincts : ainsi
les Méridionaux articulent bien, mais prononcent mal;
et dans le Nord, on voit des g-ens qui, tout en ayant
une prononciation très juste, ont une articulation qui
laisse à désirer. Une bonne prononciation consiste à
XXXIV QUELQUES CONSEILS

donner aux voyelles leurs sons exacts et à observer


les différences d'accents ; bien articuler, an contraire^
c'est détacher avec netteté les syllabes, c'est l'aire sentir

la présence de toutes les consonnes. C'est grâce à


l'articulation que le langage se dessine clairement, c'est

grâce à la prononciation qu'il prend couleur et vie.

Pour donner aux entants la pureté de la pronon-


ciation, il faudra leur faire connaître les différentes

formes que revêtent les voyelles et les niodifications

que leur font subir les accents. Elles sont brèves ou


longues, suivant que la voix glisse ou appuie sur le
son (par exemple, sont brèves les voyelles suivies
d'une consonne double, comme bosse, lasse, tresse ;

sont longues les voyelles surmontées d'un accent cir-

conflexe, comme rêue, flûte, île). Elles sont ouvertes

ou fermées, selon qu'on les prononce en ouvrant plus


ou moins la bouche (par exemple, sont ouvertes les

voyelles surmontées d'un accent grave, comme brève,


grève; sont fermées les voyelles surmontées d'un ac-
cent aigu, comme bonté, rivalité).
Quant à la netteté de l'articulaticn, on l'obtiendra
des enfants tout d'abord en veillante ce qu'ils ouvrent
suffisamment la bouche et à ce qu'ils desserrent les

dents quand ils parlent. Si, de plus, il y a ielle ou


telle consonne qu'ils articulent mal, il conviendra de
leur apprendre le mécanisme de leur formation. Par
exemple, on leur enseignera que Vr doit être articulée
SUR L ART DL: DIRE LES VKRS. XXXV
avec le soiniiiel de la lanj^iie et la partie antérieure du
palais, et (ju'il faut éviter dans l'articulation de celle
lettre, soit le (jrasscyeinent^ c'est-à-dire 1'/' guttural,
soit le roulement^ c'est-à-dire 1'/' purement lin^^ual.

Enfin, un bon exercice pour habituer les enfants à


articuler convenablement est de les obliger à lire à
haute voix, en martelant toutes les syllabes.

2" De r intelligence dans la diction. — Une diction


est intelligente, si celui qui dit, pénétrant pleinement
la pensée de l'auteur, la rend claire et vivante à ceux
qui l'écoutent. Rien ne contribue plus à assurer la

clarté de la diction que de bien observer la ponctua-


tion. Il faudra donc apprendre aux enfants à s'arrêter
plus ou moins, suivant qu'ils rencontreront dans le

texte un point, un point et virgule ou une simple vir-

gule. On devra leur apprendre aussi quel est le nMe


des autres signes de ponctuation, qui déjà fournissent
eux-mêmes des indications précieuses pour l'expres-
sion. Ainsi les points suspensifs indiquent une inter-

ruption involontaire de la pensée ou bien une réti-

cence; les deux points annoncent une énumération ou


une explication ; le point d'interrogation est placé
après une question et le point d'exclamation sert à
marquer la surprise, la joie ou l'indignation ; les pa-
renthèses détachent des mots ayant un sens à part;
le tiret désigne un changement d'interlocuteur et les

guillemets enclavent une citation.


XXXVI QUELQUES CONSEILS

Ce (jiii donne de la vie à la diclion, c'est l'expres-

sion, (|ui déî^age le caractère propre du morceau par


le ton j^énéral de la voix et en fait ressortir les nuan-
ces j)ar ses diverses inllexions. On engag'e j^énérale-
ment les enfants à réciter comme ils parlent. Le con-
seil n'est bon que dans une certaine mesure. Sans
doute, il faut toujours éviter l'emphase déclamatoire ;

mais encore faut-il que le ton s'adapte aux différentes


formes littéraires des morceaux, ainsi qu'aux senti-
ments qu'ils expriment. Par exemple, pour réciter

une poésie narrative, on prendra le ton dont on ra-


conterait une anecdote dans la vie courante; pour
donner à un dialogue l'impression de la conversation,
on recherchera l'enjouement et la vivacité des répli-
ques. S'agit-il d'une description? Le ton devra être
simple, presque uniforme. S'agit-il d'un morceau
d'éloquence ? H faudra donner à la voix toute son
ampleur et prendre un accent passionné. Pour ce qui
est des sentiments, il est impossible de donner des
conseils précis ; car il en existe une variété infinie. Le
meilleur moyen d'apprendre à exprimer des émotions
est de les éprouver soi-même. L'intonation juste jail-

lira toujours d'une sensibilité vibrante.


Quant aux nuances particulières, on les rendra en
mettant en valeur, grâce aux inflexions de la voix, tel

ou tel vers, ou bien tel ou tel mot. Divers procédés


peuvent être employés pour souligner ces nuances :
SUR l\vRT DK dire les vers. XXXVII

011 appuiera sur uu mol ou sur une syllabe du mot ;

le débit sera ralenti ou accéléré, le timbre assourdi


ou renforcé ; souvent même il suffira de faire précéder
ou suivre d'une pause le mot sur lequel on veut in-

sister.
3^ Le charme de la diction, — : Correcte el intelli-

gente, une diction est presque toujours siire d'inté-


resser ; mais si elle veut vraiment plaire, elle doit

s'accompagner d'une dernière qualité : le charme.


C'est la qualité la plus rare et la plus difficile à acqué-
rir; car elle tient à ce qu'il y a de plus intime dans la
personnalité de celui qui récite. Tout comme la grâce
du visage est le reflet de l'âme, le charme de la dic-

tion en est pour ainsi dire la résonance. Cependant,


il est toujours possible de rendre notre diction plus
élégante, en nous attachant à mettre en relief certains
des éléments de la versification qui concourent à la

valeur esthétique de la poésie.


Ce qui frappe d'abord notre oreille, lorsqu'une belle
poésie est bien dite, c'est une impression de mouve-
ment, analogue à celle qui se dégage d'un morceau de
musique. Ce mouvement ne fait qu'exprimer le sen-
timent qu'a voulu rendre le poète. C'est ainsi que des
sentiments violents, comme la colère^, l'allégresse,

l'impatience, se traduisent par un mouvement rapide ;

d'autres plus calmes, comme la tristesse, le regret, la

tendresse, par un mouvement plus lent. Au lecteur ou


XXXVIII QUELQUES CONSEILS

au diseur de reclierclier (jiielle est, pour chaque


poésie, celte allure g-énérale du sentiment exprimé.
Il convient aussi de faire sentir le rythme decharpje
vers, — c'est-à-dire la rég-nlarilé qui provient de la

répartition des mots en un certain nombre de groupes


de syllabes, — en marquant les césures par des pauses
et en soulignant les rimes par la voix. Car il ne faut
pas, sous prétexte de naturel, transformer par la dic-
tion la poésie en prose. Mais on ne doit pas non plus,
pour marquer le rythme, donner à la récitation des

vers l'apparence d'un chant machinalement balancé.


Tachons de faire apparaître, au contraire, toute la
variété et toute la souplesse des vers français, surtout
des vers alexandrins, que certains déclarent monoto-
nes, et qui pourtant, aux mains de bons poètes, sont
susceptibles de combinaisons rythmiques si multiples.
Ce qui contribue encore beaucoup au charme de la

diction, c'est de rendre la douceur et la mélodie du


vers. Pour cela, il est souhaitable d'avoir une voix
naturellement souple, sonore et bien timbrée. L'édu-
cation, d'ailleurs, peut beaucoup, sinon pour donner
à qui ne l'a pas une voix mélodieuse, du moins pour
perfectionner l'ag-rément naturel de la voix, pour at-

ténuer sa rudesse native et surtout pour la préserver


de la vulgarité acquise. Plus particulièrement, certai-
nes habitudes sont à recommander à ceux qui récitent
•des vers : celle de faire — avec discrétion, cela va
SUR L AHT 1)1-: l)II\i: LES VKKS. WXI.V

de soi, — les liaisons entre les mots; celle fie ïiùrn

•entendre, par un accompai5"nement assourdi de la

voix, les e muets qui les terminent ; celle, enfin, de


souligner, sans exagération bien entendu, les allité-

rations et les assonances, c'est-à-dire les répétitions


dans un vers d'une même consonne ou d'une même
voyelle, sources inépuisables d'harmonie imitalive.

Telles nous semblent être, brièvement exposées,


les idées directrices de l'art de la diction. Mais, plus
encore que la théorie, c'est la pratique qui importe.
Pour arriver à bien dire, de fréquents exercices sont
nécessaires. Aussi conseillerons-nous aux parents et
aux maîtres d'obliger les enfants à apprendre chaque
jour quelques vers, en exigeant qu'ils les récitent avec
soin. Ces leçons, devenues attrayantes par l'effort

même qu'ils feront pour les bien dire, auront d'abord


pour résultat de développer leur mémoire. Et s'ils ne
parviennent pas tous à dire les vers à la [)erfection,

tous, du moins, devront à ces exercices d'avoir appris


à mieux comprendre et à goûter davantage la poésie.
Le profit est donc certain. Voilà pourquoi il nous a
paru si utile d'attirer l'attention des pédagogues sur
celte étude de la diction, trop souvent négligée dans
l'éducation enfantine.
LIVRE I

LA VIE DE L'ENFANT
CHAPITRE 1

Xa Journée des petits.

Détachés du sein de la mère,


De leurs petits pieds incertains
Ils vont reconnaître la terre
Et pressent tout de leurs deux mains.

(Sllly-Prldhomme.)
CONTENU DU CHAPITRE

1. Le rayon rose (M"'^ de Pressensé).

2. Bobo (Maurice Morel),


3. La soupe (Louis Ratisbonne).
[\. La promenade (M"'® de Pressensé).

5. Le coucher (Louis Ratisbonne),


6. Le g-oûler d'un enfant (Mn^e Desbordes-Yalmore).
7. Le g-rand Lustukru (Théodore Botrel).
8. Le vieil homme tout noir (Jean Richepin).

9. L'enfant qui dort (Victor Hugo).


10. Rêve de Noël (M"'e Rosemonde Rostand).

LISTE SUPPLEMENTAIRE

Mme pE Pressensé. . . La cachette [Nineite).


— Le programme de la journée [Ninette).
— Le jardin {La journée du petit Jean).
Jean Aicard Le berceau {La chanson de V enfant).
Louis BouiLHET A une petite fille élevée au bord de la mer
{Festons et Astragales).
Anatole Le Braz .... Berceuse d'Armorique {La chanson de la
Bi^etagne).
Anatole France Le bain de l'enfant, fragment {Poésies).
L.V JOURNEE DES PETITS. .»

1. — LE RAYON ROSE.

C'est le matin... Un rayon rose


Glisse de la persienne '
close
Jusqu'au lit blanc,
Un rayon rose qui se joue
Dans les cheveux et sur la joue
Du petit Jean.

L'enfant entr'ouvre une paupière,


Puis il laisse entrer la lumière

Dans ses yeux bleus.


Il reg-arde, et se m ^t à rire,
Car le rayon semble lui dire :

(( Soyons joyeux ! »

Parmi les fleurs de l'aubépine


L'abeille bourdonne et butine^
Son miel doré,
Et déjà la vive alouette
A fait sa toilette proprette
Au bord du pré.

1. Persienne : sorte de volet ou de contrevent placé à l'exté-


rieur d'une fenêtre.
2. Butine : recueille le suc des fleurs qui lui sert à faire le
miel.
G LA VIE UE l'enfant.

C'est le inatiiî... Tout est en f'(He.

Chaque (leur relève sa tète


*

Humide encor,
Et Jean, qui dans sou lit frétille',

Demande tout bas qu'on l'habille.


Mais maman dort...

Oui, tout dort dans la chambre close^


Tout, excepté le rayon rose
Oui va dansant,
Et deux yeux bleus pleins de malice
Qui le suivent dans son caprice^,
Deux yeux d'enfant.

(M'"e DE PuEssENSÉ, Lci Journée du petit Jean..


Fischbacher.)

1. Frétille : s'agite vivement (ce mot s'emploie surtout pour-


dësig-ner les mouvements agiles des poissons).
2. Dans son caprice dans ses mouvements
: fantaisistes.
LV JOLRNKK DKS PETITS,

2. — BOBO !

La main saigne, bébé crie.


Bébé coLirl éperduraeut '
:

Il faut retrouver maman,


Pour que la main soil guérie.

Maman paraît, toujours prompte!


Bébé sent son petit cœur
Gros d'une mer de douleur"
Dont le niveau baisse et monte.

Mais maman souffle et console :

Et, parce qu'elle a soufflé,

Le bobo, miracle ailé ^ !

Part en sourire "'^


et s'envole.

(Maurice Mouel, L'Ame de l'enfance.


Perrin et C'e.)

1 . Éperdument avec agitation.


:

2. Mer de douleur le chagrin : de l'enfant, qui tantôt aug-


mente et tantôt diminue, est comparé aux vagues de la mer qui
s'avancent, puis se retirent.
3. Miracle ailé : le mal de l'enfant, que la maman guérit,
disparaît comme par enchantement, aussi vite que s'envole un
oiseau.
4- En sourire : laissant bébé souriant.
8 LA vu: DE i/knfant.

:5. — LA SOUPE

A la soupe toujours, Paul, c'était sou défaut,


Faisait mille façons'. C'était froid ou bien chaud;
(Jn avait trop rempli l'assiette;

On avait mal mis sa serviette;

il avait mal au pied, à la gorge, à la tête;


Il était trop bas ou trop haut;
Il n'était pas bien sur sa chaise ;

Enfin la soupe était mauvaise,


Et d'ailleurs il n'avait pas faim.
Peut Paul n'aimait pas la soupe, c'est certain.
« Si vous voulez grandir, lui dit un jour sa bonne,
11 faut aimer, monsieur, tout ce que Ton vous donne.
— Eh bien ! je le promets, ma bonne, tu verras...
Mais ne me donne plus ce que je n'aime pas ! »

(L. Ratisbonne^ La Comédie enfantine.


Helzel.)

1 . Faire des façons : refuser en donnant de mauvaises rai-


sons.
I.A JOUHNEE DES PETITS. «)

i. _ LA PROMENADE.

Jean lient la main de sa mère


Tout joyeux, les yeux brillants.

C'est qu'elle a dit : « Allons faire


Une promenade aux champs. »

Ils ont traversé la route,

Ils ont pris '


par le sentier.

Voilà la vache qui broute,


Tout près d'eux sans s'effrayer.

Plus loin sont les grandes herbes,


Où l'on peut cueillir encor
Le sainfoin ^ rose et les gerbes
De fleurs blanches au cœur d'or^.

Parmi les blés, que la brise

En vagues fait onduler'^,

Jean veut cueillir à sa guise

Les fleurs qu'il voit s'y mêler.

i . Ils ont pris par : ils sont passés par.


2. Sainfoin : plante ({ui sert à la nourriture des bestiaux.
;5. Fleurs blanches au cœur d'or ce sont les pâquerettes. :

4- Onduler s'au,iter avec un mouvement de va-et-vient,


:

comme des Ilots.


I > LA VIE I)K L ENFANT.

Coquelicot écarlalc'
Et hluct lenlent sa main;
Mais maman défend qu'on gâte
Le beau blé qui fait le pain.

Bientôt l'enfant se console.


Un sentier de fin gazon
Bordé de fleurs, d'herbes folles^,
Les conduit près d'un buisson^.

Oh ! qu'il est beau ! Chaque branche


Est un vrai bouquet de roi.
Plus d'une vers eux se penche
Et semble dire : Prends-moi !

(M"»e DE Pressensé, La Journée du petit Jean.


Fischbacher.)

1. Écarlate : d'un roug-e vif.

2. Folles : qui poussent librement, en tous sens.


3. Buisson : toufFe d'arbrisseaux sauvages.
LA JOURNEE DES PETITS. I I

5. — LE GOUTER.

(( Tiens, Laurelte, voici du gâteau pour vous deux;


Bien fralernellemenl '
partage avec ton frère. »

L'innocente", levant les yeux :

« Bien fraternellemeni, comment est-ce donc, mère?


— Puisqu'il faut t'enseigner la loi-^

C'est, fùt-on méine un peu gourmande,


Des deux parts donner la plus grande
Et garder la moindre pour soi. »

Laure comprit et dit : « Tiens, Paul, partage, toi. »

(Louis Ratisbonne, Les petites Femmes.


Delaorave.) '

1 . Fraternellement comme il convient entre frères.


:

2. L'innocente la petite fille pleine de naïveté.


:

3. T'enseigner la loi t'expiiciuer ce qui doit se faire.


:
12 LA VIE DE L ENFANT.

G. — LE COUCHER D'UN ENFANT.

« Couchez-vous, petit Paul ! Il pleut ; c'est nuit; c'est l'heure

Les loups sont au rempart', le chien vient d'aboyer;


La cloche a dit : Dormez! et l'ange i^ardien^ pleure,

Ouand les enfants si tard font du bruit au foyer -\ n

— (( Je ne veux pas toujours aller dormir! et j'aime


A faire élinceler mon sabre au feu du soir;
Et je tuerai les loups; je les tuerai moi-même. »

Et le petit méchant, tour nu, vint se rasseoir...

La lune qui s'enfuit toute paie et fâchée

Dit : Quel est cet enfant qui ne dort pas encor?


Dans son lit de nuage elle est déjà couchée,
Au fond d'un cercle noir la voilà qui s'endort.

Le petit mendiant perdu seul à cette heure,

Rôdant "^
avec ses pieds las et froids, doux martyr^ !

Dans la rue isolée où sa misère pleure,


Mon Dieu! qu'il aimerait un lit pour s'y blottir*^!

1. Rempart anir élevé qui eutoure une ville.


:

•2. L'ange gardien créature céleste qui protège


: l'enfant.
3. Au foyer à la maison.:

4- Rôder marcher sans but.


:

5. Martyr être qui subit de


: g-randes souffrances.
6. Se blottir : se mettre en un endroit, en y tenant le moins
de place possible.
LA JOURNÉE DES PETITS. I
.'^

El Paul, qui regardait encor sa hello épce,


Se coucha doucement en pliant ses liahits;

Et sa mère bientôt ne fut plus occupée


Qu'à baiser ses yeux clos, par un ange assoupiN'.

(Mi'io Desbohdes-Valmore.)

. Assoupis : à moitié endormis.


5
/| LA VIE DE l'enfant.

7. — LE GlUND LUSTUKRU'.

Entendez-vous dans la [)laine

Ce bruit venant jusqu'à nous?


On dirait un bruit de chaîne
Se traînant sur les cailloux-.

C'est le g-rand Lustukru qui passe,


Oui repasse et s'en ira

Emportant dans sa besace^


Tous les petits g"âs^

Oui ne donnent pas!

Quelle est cette voix démente"^


Oui traverse nos volets-^?
Non, ce n'est pas la tourmente^
Oui joi:e avec les galets^.

1 . Lustukru : personnage légendaire destiné à faire peur aux


enfants ; sorte de croquemitaine.
2. Besace long sac à deux poches.
:

3. Gâs enfants.
:

[\. Voix démente cris très forts, comme en poussent


: les fous.

5. Volets : fermetures de bois d'une fenêtre.


0. Tourmente : tempête sur la mer.
7. Galets : cailloux polis et ronds, que les flots rejettent sur le
rivaere.
LA JOUHNÉE DES PETIT?. l5

C'est le grand Lusdikru (jui gronde,


Qui gronde... et hieniot rira
En ramassant à la ronde
'

Tous les petits gâs


Oui ne dorment pas!

Oui donc gémit de la sorte,

Dans l'enclos^, tout près d'ici?

Faudra-t-il donc que je sorte

Pour voir qui soupire ainsi?


C'est le g^rand Lustukru qui pleure :

Il a faim et mangera
Crus-lout-vifs^, sans pain ni beurre,
Tous les petits gâs
Oui ne dorment pas!

Oui voulez-vous que je mette


Dans le sac au vilain vieux?...
Mon Doric et ma Jeannette"^
Viennent de fermer les yeux :

1. A la ronde eu faisant sou tour dans


: les environs.
2. Enclos terrain clôturé,
:

3. Crus-tout-vifs : sans faire cuire leur chair.


4. Doric et Jeannette : noms des deux enfauts du poète.
i6 LA vu: DE l'enfant.

Allez vous-en, méchant homme,


Guérir' ailleurs vos repas!
Puisqu'ils font leur petit somme,
Non, vous n'aurez pas
Mes deux petits g-às !

(Théodore Botuel, Chansons en sabots.)

I. Quérir : chercher.
LA JOURNEE DES PETITS. I7

8. _ LE VIEIL HOMME TOUT NOII\'.

Chantez ! la nuit sera brève.


Il était une fois un vieil homme tout noir;
Il avait un manteau fait de rève^,
Un chapeau fait de brume du soir^.
Chantez ! la nuit sera brève.

Chantez! la nuit sera douce.


Le vieil homme tout noir en silence est venu;
On eût dit qu'il marchait sur la mousse ^

A pas lents et furtifs^ et pied nu.


Chantez ! la nuit sera douce.

Chantez! la nuit sera belle.


Le vieil homme sourit à l'enfant qui s'endort.
Viens fermer sa paupière rebelle^,
Sable fin du sommeil, sable d'or !

Chantez! la nuit sera belle.

1. Le vieil hDinms tout noir : il s'agit du farii3u>: petit vici


lard, (|ui, dit-on, vient le soir, sans du sable qu'on le voie, jeter

dans yeux des enfants pour les endormir.


les
2. Fait de rêve vague et flottant, comme l'est un rêve.
:

3. Fait de brume du soir ayant l'aspect d'un brouillard,


:

c'est-à-dire de couleur sombre.


:

4. La mousse plante verte, qui forme comme un tapis, sur


:

lequel la marche est douce et silencieuse.


5. Furtif : en cachette.
C. Rebelle : qui résiste au sommeil.

2
i8 LA vu: DE l'knfant.

Chantez ! la nuit sera i)iève.


Le vieil homme tout noir en silence a passé,
Et voilà sur les ailes '
du rêve
Que l'enfant clans l'azur est bercé !

Chantez! la nuit sera brève.

(Jean Hichkimn, Par le Glaive.


Fasquclle.)

I. Sur les ailes du rêve : le rêve est comparé à un oiseau, sur


les ailes duquel l'esprit s'envole.
L\ JOURNEK DES PETITS. I ()

9. — L'EXFANT OUI D(3UT.

Dans l'alcox e '


sombre,
Près d'un humble auteP,
L'enfant dort à l'ombre
Du lit maternel.
Tandis qu'il repose,

Sa paupière rose,
Pour la terre close.

S'ouvre pour le ciel.

Il fait bien des rêves.


Il voit par moments
Le sable des g-rèves^
Plein de diamants,
Des soleils de flammes,
Et de belles dames
Oui portent des âmes"*"

Dans leurs bras charmants.

1. Alcôve partie enfoncée de la chambre où se trouve le liJ.


:

2. Autel : table charo-ée d'objets religieux.


3. Grèves rivag-es de la mer.
:

4. Ames : les Ames, qui sont invisibles, se trouvent représen-


tées ici d'une façon matérielle, comme dans les images reli-
gieuses.
20 LA vu: I)F^. L ENFANT.

Songe qui renclianlc!


H voit des ruisseaux ;

Une voix qui clianlc


Sort du fond des eaux.
Ses sœurs sont plus belles,
Son père est près d'elles,

Sa mère a des ailes

Comme les oiseaux.

(Victor Hugo, F^es Feuilles d'automne,


Helzel.)
LA JOURNEE DES PETITS. 2 1

10. — RÊVE DE NOËL.

Ainsi qu'ils le font chaque année,


En papillotes', les pieds nus,
Devant la grande cheminée
Les bébés roses sont venus.

A minuit, chez les enfants sages.


Le joli Jésus, qu'à genoux
On adore sur les images,
Va, les mains pleines de joujoux,

Du haut de son ciel bleu descendre;


Et de crainte d'être oubliés.
Les bébés roses, dans la cendre.
Ont mis tous leurs petits souliers.

Derrière une biiche, ils ont même.


Tandis qu'on ne les voyait pas.

Mis, par précaution suprême"^,


Lo! rs nrîi's rl;;'î',:Ff"ons et leurs bas.

1 . Papillotes : morceaux de papiers autour desquels on


enroule les cheveux pour les friser.
2. Suprême : dernière.
'2 2 LA VIK DL L KNFANT.

IHiis, leurs paupières se soûl cluses-


A rombre des rideaux amis...
Les bébés blonds, les Ijébés roses,

En riant se soiTt endormis.

El jusqu'à riieure où l'aubo '


enlève
Les étoiles du firmament',
Ils ont fait un si joli rêve
Qu'ils riaient encore en dormant.

Ils rêvaient d'un pays ma;»ique^


Où l'alphabet fût interdit.
Les arbres étaient d'angéliquc^,
Les maisons de sucre candi %

Et sur les trottoirs de réglisse,


On rencontrait, — c'était charmant T

Des bonshommes de pain d'épice


Oui vous saluaient gravement.

Dans ce doux pays de féerie^,

A Guignol on va chaque jour,


Et l'on voit sur l'herbe fleurie
Los lî^nins ioiuT du tambour I

1. Aube première clarté du


: jour.
2. Firmament ciel. :

3. Magique merveilleux.
:

/\. Angélique plante dont on fait confire la tige.


:

5. Sucre candi sucre cristallisé.


:

0. Pays de féerie où l'on voit des spectacles extraordinaires^


:

où l'on rencontre des personnages surnaturels.


LA JOURNEE DKS PF^TITS. 2.'^)

Sur (le li;ni((»s escarpolettes',


Bercé par les an«j;-cs, on dorl.
Là, tous les chiens ont des roulettes,
Tous les moutons des cornes d'or.

Mais, comme venait d'apparaître


En personne le Chat Botté",
Le jour, entrant par la fenêtre,

A mis fin au rêve enchanté...

Alors, en d'adorables poses 3,

S'étiranf^ sur leurs oreillers,


Les bébés blonds, les bébés roses.
En riant, se sont éveillés.

(Rosemonde Rostand, Les Pipeaux.)

1. Escarpolettes : bal:in(;oircs.
2. Le Chat Botté : personnag-e fameux d'un conte de fée, de
Perrault.
3. Adorables poses : attitudes gracieuses que irennenl les

enfants.
l\. S'étirer : s'étendre, s'allonger.
CHAPITRE II

La Famille.

Pas légers d'un enfaut dans la maison pensive.


(M»* Cécile Périn.)
CONTENU DU CIIAPITJIE

1. Tout doux (()('lavc iViHi:i\T).

2. Mère et enfant (M"»" Sopliic IIuk).


8. La sd'iir aînée (Victor de Lapuade).
4. Le grand frère (M'ie H.-S. Bhès).

5. Les petites sœurs (Victor de Laprade).


G, Visite matinale (Victor Hugo).
7. La soirée en famille (Jean Aicard).

8. L'enfant et l'aïeule (Victor Hugo).


9. Le fuseau de ma g-rand'mère (E. Plouvier).
10. A ma mère (Théodore de Banville).

LISTE SUPPLÉMENTAIRE

Mme Sophie Hue Petite mère, c'est loi {Les //laiernel/cs)..


JeaQ AiGA[\D Ma mère {Le livre des petits).
Maurice MoREL Les deux petits souliers (.4 l'ombre du
fof/er).
— mou petit (A l'ombi'e du foj/er).
Alexandre Dcmas fils. tJne petite-fille à sa g-rand'niaman {Poé-
sies).
Louis Ratisbonne ... . L'enfant et la grand'mère {Comédie en-
J'(tutine).
LA FAMILLE.

j. _ TOUT DOUX'.

Quand j'clais pelil, tout pelil,

Je dormais dans un petit lit.

Ma mère cliantait en cadence" :

« Petit mignon^ endormez-vous!


Endormez-vous, le berceau danse
Tout doux, tout doux! »

Lorsque je pleurais dans ses l)ras,

Maman, marchant à petits pas.

Me dorlotait^ avec tendresse :

« Petit mignon, consolez-vous!


Consolez-vous, on vous caresse
Tout doux ! loul doux ! »

Quand ses cheveux seront tout blancs^


Quand ses genoux seront tremblants,
Pauvre mère, aujourd'liui si vive!
C'est moi qui gagnerai des sous
En travaillant, pour qu'elle vive

Tout doux ! tout doux !

(Octave AuBEUT, Le Livre rose el bleu.

F. Nalhaii.)

1. Tout doux doucenient.


:

2. En cadence en mesure.
:

3. Me dorlotait : m'entourait de petits soins.


i-A vn: j)F-: l enfant.

-^
MÈRE ET ENFANT.

(( Je possède, dit la mère,


Deux hleuels d'un bleu si doux
Que ceux des champs sont jaloux.
Oui devine le mystère'?... »

L'enfant dit en riant : « Oh moi, ! je m'y connais :

Mes deux yeux sont tes deux bleuets. »

« J'ai toujours, fraîche et vermeille.


Une fleur qui sait parler,

Et sourire et m'appeler :

C'est bien une autre merveille^. »

L'enfant dit en touchant ses lèvres : « M'y voici ^ !

Ta fleur sait l'embrasser aussi. »

(( J'ai, sans qu'on y prenne garde.


Un collier qui n'est pas d'or,

Mais plus précieux encor.


Mon cou nuit et jour le g-arde. »

« Ton collier, dit l'enfant, je ne m'y trompe pas,


Est fait de mes deux petits bras. »

1. Le mystère : le secret.
2. Merveille : fait extraordinaire.
3. M'y voici : je comprends.
I.V FAMILLE. 2()

« Je possède une autre cliose


Sans laquelle je mourrais,
Quand même je g^arderais

Collier, bleuets, fleur qui cause... •

— L'enfant dit, tout ému d'amour et de bonheur :

(( Cette fois, mère, c'est mon cœur. »

(M'"e Sophie Hue, Les Maternelles.


Plihon et Hommay.)
M) LA vif: de l knfant.

3. — LA S(j:Ull AINEE.

Elle avait ses cinq ans à peine,

Qu'on admirait dans la maison,


Dans la maison bruyante et [)leine,

Sa bonne humeur et sa raison.

Toujours à bien faire occupée,

Ferme et vaillante avec douceur,


Elle aimait, au lieu de sa poupée.

Elle aimait sa petite sœur.

Elle veillait à ses toilettes

Comme une petite maman.


Présidait '
aux jeux, aux emplettes^.
Aux surprises du jour de l'An.

Mais c'est quand vint le petit frère.


C'est alors qu'il fallait la voir !

Comme elle était heureuse et fière

De bercer l'enfant chaque soir !

1 . Présidait : dirigeait de ses conseils.


2. Emplettes : achats.
Alors elle était grande et sage,

Jionne aux plus sérieux emplois '

Ce n'était point un l)adina<5"e ",

Elle avait sept ans cette l'ois !

Quelle prudence maternelle


Aux premiers pas du gros bébé !

Jamais en trottinaîit^ près d'elle

Le cher petit n'était tombé!


(V. DE Lapuade, Le Livre d'un père.
Hetzel.)

1. Emplois tondions.
:

2. Badinage jeu.
:

3. Trottinant marchant
: vite et à petits pas.
,)'.>. LA VIF-: I)K L LM.VNT.

4. — LE GRAXD FRERE.

,rai vu Renc qui se pencliail


Sur le berceau du pelit frère;
Je l'ai loug-temps rej^ardé faire...
Voici, je crois, ce qu'il pensait :

« Fripon \ tu m'as pris ma couchette


Auprès du grand lit de maman;
Et puis tu veux que je le prête

Ma place dans ses bras, souvent.

« El lu m'as aussi pris ma bonne;


C'est à tes cris qu'elle obéit,
Fripon !... Mais va, je te pardonne,
A te voir si faible et petit.

« Oui, je te pardonne et je l'aime,

El je saurais le prolég^er

Si des méclianls, un g-éanl' même,


Une fois venaient l'attaquer. »

(Mlle H. -S. Brès, Vers et pi'ose pour les petits.


F. Nathan.)

1. Fripon injure pour rire,


:

2. Géant homme de taille extraordinaire.


:
LA r.VMIM.F. '.V,\

5. - LES PETITES S(EUIIS.

Elles vont la main dans la main.


On ne les voit jamais qu'ensemble;
Sans que l'une à l'autre ressemble,

Toujours sur le même chemin


Elles vont, la main dans la main.

Deux fleurs sur une seule branche !

S'embrassant toujours d'un côté',


Môme quand l'arbre est agité;

L'une étant rose et l'autre blanche,


Deux fleurs sur une seule branche !

L'une veut tout ce que veut l'autre,

Dans l'étude ou dans le plaisir;

Chacune oubliant son désir,

Pour leur bonheur ou pour le nôtre.


L'une veut tout ce que veut l'autre.

I . S'embrassant toujours d'un côté : le poète dans celte


strophe compare les deux enfants à des fleurs, sans oublier
qu'elles sont de petites filles; de là cette expression un peu obs-
cure, parce qu'elle s'applique à moitié à des personnes, à moitié
à des choses.
34 i-A vii: DK i/enfant.

Jamais (h; j)l(Mirs ni de (juerollos,


Au sal<)M pas j)l(is qu'an herccau ;

Les l.tijoiix après le eerceau,


Tout gaîmenl se [)ac(ai5-e ciUrc elles...

Jamais de pleurs ni de querelles.

Elles vont la main dans la main,


On ne les voit jamais qu'ensemble;
Sans que Tnne à l'autre ressemble;

Toujours sur le même chemin


Elles vont, la main dans la main.

(V. DE f^vpRADE, Le Livre d'an père


Hetzel.)
F.A FAMUJ.K. .'^rï

0. _ VISITE MATINALE.

Elle avait pris ce pli', clans son àçe enfanlin,


De \enir dans ma chainhre un pen chacpie malin.
Je rallcndais ainsi qu'un rayon qu'on espère.
Elle enirait et disait : « Bonjour, mon petit père! »

Prenait ma plume, ouvrait mes livres, s'asseyait


Sur mou lit, dérang-eait mes papiers, et riait;
Puis soudain s'en allait comme un oiseau qni passe.
Alors je reprenais, la tête un peu moins lasse,

Mou œuvre interrompue, et tout en écrivant.


Parmi mes manuscrits^, je rencontrais souvent
Quelque arabesque^ folle et qu'elle avait tracée,

El mainte page blanche entre ses mains froissée.

(Victor Hugo, Les Contemplai ions.


Hetzel.)

1. Ce pli cette habitude.


:

2. Manuscrits pn[)iers sur lesquels le poète écrivait ses vers.


:

3. Arabesqur folle entrelacement capricieux de liarnes qui ne


:

forment aucun dessin reconnaissable.


36 LA vir i)i: l'enfant.

7. — LA SOIREE EN FAMILLE.

Lorsque l'on est encor petit et que vient l'heure


Où le jour n'est plus là, sans qu'il fasse encor nuit.
Quelle joie ! Au dehors c'est l'hiver, le vent pleure;

Au dedans le feu clair danse et flambe à grand bruit.

— (( N'allumez pas encor la lampe. Chut ! silence !

Grand'mère, contez-nous FOgresse ou rOiseaii bleu, »

Dans l'horloge de bois le tic-tac' se balance;

Le grillon fait son cri, le chat dort près du feu.

La troupe des enfants, assise en rond, écoute;


« Ah que ! ce conte est beau, qu'il fait peur et plaisir-' ! »

Mais la soupe est fumante allons, quoi


; qu'il en coûle'^,
L'histoire s'entendra demain plus à loisir.

1 L'ogresse
. Les ogres et les ogresses sont, dans les contes
:

de fées, des personnages méchants qui mangent les petits enfants.


2. Le tic-tac le poète appelle ainsi le balancier lui-même, qui
:

fait entendre ce bruit.


3. Peur et plaisir : ces histoires effrayantes font peur aux
enfants qui s'intéressent à elles comme si elles étaient arrivées;

mais leur peur n'est pas désagréable, parce qu'ils savent qu'elle
est sans cause réelle.

4. Quoi qu'il en coûte : malgré le regret qu'ils ont d'interrom-


pre ce récit émouvant.
I,.V FAMII.LR. .'^7

La lampe est arrivée en même temps. Tout brillci.

Qu'il fait 1)1^11 \i\ re, autour de ces plais réchauftauls,


Dans l'ordre et dans la paix de l'honuète famille,
A la table où vous rit une troupe d'enfauls!

(J, Au;vr\i), Li (^Ikiiisoii de renf<inf.


l'i.imiii.irioii.)
'^S I.V ME DE i/kNFANT

8. — L'EXFANT ET L'AIEL'LE.

L'culant, voya?U l'aïeule à filer occupée,


Veut faire une quenouille' à sa grande poupée.
L'aïeule s'assoupit" un peu; c'est le moment.
L'enfant vieni par derrière et tire doucement
Un brin de la quenouille où le fuseau^ tournoie,
Puis s'enfuit triomphante, emportant avec joie
La helle laine d'or que le safran""^ jaunit,

Autant qu'en pourrait prendre un oiseau pour son nid.

(Victor Hugo, Les Coiilentplations.


Hetzel.)

1 . Quenouille : petit bàlon entouré vers le haut de chanvre ou


(le liu avec lequel on file.

2. S'assoupit : s'endort à demi.


3. Fuseau : petit instrument de bois qui sert à filer à la que-
nouille.
4- Safran : plante avec laquelle on obtient une belle couleur
jaune.
I.V lAMIM.I.. '">()

9. — LE FUSEAU DE MA GRAND'MERE.

Ah! le 1)011 temps qui s'écoulait


Dans le moiiliu de mon grand-père!
Pour la veillée, on s'assemblait
Près du fauteuil de ma grand'mère.
Ce que i^rand-père racontait,
Comme en silence on l'écoutait !

Et comme alors g-aîment trottait


Le vieux fuseau ^
de ma "land'mère !...

Le vieux moulin de mon g'rand-père,


Tout comme lui, s'est abatlu;
Le vieux fuseau de ma g'rand'mère
A la muraille est suspendu.
Et vous, couchés sous l'herbe épaisse,
Comme au n ieux temps encore unis",
Je crois vous voir quand le jour baisse;
Et tout en larmes, je redis :

1. Fuseau : voir à la page précédente, noie 3.


2. Unis : ensemble dans la mort, comme ils l'étaient dans
la vie.
/»<) LA VIE DE l'enfant.

Ah ! le l)()n hMTips (jiii s'écoulait


Dans le moulin de mon grand-père!
Pour la veillée, on s'assemblait
Près du fauteuil de ma g-rand'mèrc.
Ce que g-rand-père racontait,
Gomme en silence on l'écoulait!
Et comme alors gaîment trottait
Le vieux fuseau de ma grand'mère.

(E. I^LOuviER, Les refrains du (linKinche.


Coulon-Pineau.)
L.v iamiijj:. 4i

10. _ A M\ MHllE.

Lorsque, ma sœur c( moi, dans les forets profondes,


Nous avions déchire nos pieds sur les cailloux,
En nous baisant au front, tu nous appelais fous,
Après avoir nutudil '
nos coursas vagabondes^.

Puis, comme un vent d'été confond les fraîches ondes


De deux petits ruisseaux sur un lit calme et doux,
Lorsque tu nous tenais tous deux sur tes §"enoux,

Tu mêlais en riant nos chevelures blondes.

Et pendant bien longtemps nous restions là blottis^,

Heureux, et tu disais parfois : « chers petits!


Un jour vous serez grands et moi je serai vieille ! »

Les jours se sont enfuis d'un vol mystérieux^,


Mais toujours la jeunesse éclatante et vermeille
Fleurit dans ton sourire et brille dans tes yeux.

(Théodore de Banville, Roses de Xoël.


Fiisfjuelle.)

1. Maudire prononcer des paroles de


: blàine et de re2;ret.
2. Vagabondes en tous sens.
:

3. Blottis : étroitement serrés dans ses bras.


4- Mystérieux : sans (ju'on s'en aperçoive.
CHAPITRE 111

Les Animaux familiers.

Ils ont de graves tAte-à-^tête


Avec le chien de la maison ;

Ils voient coui ir moindre bête-


la

Dans les profondeuis du gazon.

(Sully- Prudhom ME.)


CONTENU DU CHAPITRE

1. Le Coq (Jean Aicard).


2. L;i Poule (Jean Aicard).
3. La Souris (M"^« G. Mesureur).
4. La Mouche (M'"^ de Pressensé).
5. L'enterrement d'une fourmi (Maurice Rollinat),
(). Les petits lapins (Jean Aicard).
7. Ma Chienne (Victor Hugo).
8. Le boii cheval gris (Victor de Laprade).
9. L'Ane (Jean Aicard).
10. La Vache (Victor Hugo).

LISTE SUPPLEMENTAIRE

LvM.VRTiNE Le Chien (le retour du maître) [Joceltjn).


François Coppée. Mort d'oiseaux [Promenades et intérieurs]
. .

Maurice Rjllinat. Le Minet (Poésies).


Jean Aicard Le Chien [Le livre des petits).
— Le petit poulet {Le livre des petits)
Maurice Morel., Les Papillons {Violettes et primevères).
. .

— Le Grillon {Violettes et primevères).


LtS ANIMAUX FAMILIERS. l\^>

1. — LE COQ.

C'est moi le coq! coquerico!


Ma créle *
sur mon bec se dresse,
Roug^e comme un coquelicot.

Je fais la tiuerre à la paresse.

Je chante avant le jour : Del)0ut ! coquerico !

Ma queue, arrondie en panache",


Est verte avec des reflets d'or.
Gare à mon bec, si l'on me fâche !

Et j'ai deux éperons' encor,


J'ai mes deux éperons et ma queue en panache!

Je réveille la basse-cour,
A mon cri de guerre accourue !

J'appelle, avant le point du jour.


Le laboureur à sa charrue;
Je dis à tous Debout! debout! voici
: le jour!

(^Jean Aicard, Le Lirre des petits.


Delncrave.)

1. Crête : morceau de chair, rouge et dentelé, qu'a le coq


sur la tète.

2. Panache : touffe de plumes.


3. Éperons : il s'agit des ergots, petits ono-Ies pointus qui se
trouvent derrière les pattes du coq.
V) I.A VIK DE l'kNFANT.

2. _ LA POl'I.E.

Coït, coK, coU, codé! dit la poule,


Mes poussins me suivent en foule.

Cotl, cott, je leur donne à mang-er;

Je les défends dans le danger.

Qu'un rat, qu'un serpent dans la haie'


Les menace!... Rien ne m'effiaie.

L'autre jour, j'ai fait fuir un chien :

Une mère n'a peur de rien.

Cott, codé! Sans jamais me taire,

Des ongles je gratte la terre :

Tous picorent^ autour de moi


Un ver, un grain, n'importe quoi.

Cott, codé! Ce qu'ils n'osent prendre


Mon bec le prend pour le leur rendre.

S'ils sont fatigués, je m'assieds :

Voyez sous moi leurs petits pieds.

1. Haie clôture formée pai'cTes branches entrelacées.


:

2. Picorent prennent avec leur bec.


:
LES ANIMAUX FAMILIERS. 47
Colt, codé! Tous eu rihainhellc
'

Dorment, bien au chaud, sous uiou aile.

Petit (M)(|, j)ar la poule aidi'.

Deviendra urand, colt, cott, codé!

(JtMu AicAUL), L*' livre, des i»'ll/s.

D(Ma«^ravc.)

I. En ribambelle : à la suite les uns des autres.


48 LA \Fi: DK l/i:M'AN'r.

8. — LA SOURIS.

La souris, liuml)lc cl pelitc,

Oui tressaille' au moiudre bruit,


Pour déguerpir^ de son giie^,

Attend Tombre de la nuit.

Le silence la décide

A s'élancer de son trou ;

Bientôt sa course rapide


Sur le parquet fait frou-frou^.

Elle court, va, vient, furète^.

Ronge un chiffon de papier;


Se réfugie, inquiète.
Dans les cendres du foyer.

A son manège^ insolite''

L'enfant vient de s'éveiller


Et pris de peur il s'ag"ite

Frissonnant sur l'oreiller.

1. Tressaille : s agile.

2. Déguerpir : s'en aller sans qu'on la voie.


3. Gîte : endroit où elle se cache.
4. Frou-frou : bruit qui imile le froissement des feuilles ou
des étoffes.
5. Furète : fouille.

6. Manège : allées et venues.

7. Insolite : inaccoutumé.
LES AMMVÎX FAMILIERS. 49
El la pauvre vai^aboiule,
Bravant la trappe' et le chat,

Prend plaisir, dans son ébat',


A l'aire trembler le monde!
(Mra<î G. Meslreuu, Fiinies roses.
Lemcrrc.)

1. Trappe \)\vii;c.
:

2. Ebat auitaliou.
:
50 I.A VI K DE i/kNKAM.

4. — LA MOUCHE,

mouche noire,
Petite

Gourmande qui veux Loire


Mon lait blanc,
Pauvre mouche inquiète'
Oui cours sur mon assiette

En tremblant,

Ne crains rien... je t'invite.

Tu peux venir bien vite,

Sans remords.
Ma lasse en porcelaine
Est pleine, toute pleine,
Jusqu'au bord.

Seulement, soil^ prudente !

^
Dans ce lait qui te tente

Ne va pas,
Petitemouche noire,
Tomber, pour le mieux boire,
Morte, hélas !

1. Inquiète : qui n'est jamais en repos.


2. Te tente : te fait eavie.
LES ANIMAUX FAMILIERS. f) I

Je veux te faire fèlo '


!

Prends donc la çouUelelte"


S'il le plaîl,

mouche noire,
Petile

Gourmande qui veux boire


Mon bon lail.

(M"" DE PaESSENsÉ, La Journée du peut Jpdn.


Fischbacher.)

I. Faire fête : bien accueillir.


^. Gouttelette : jietite goutte.
52 LA Mi: I)i: l/liNFANT.

5. _ L'ENTEIlKEiMEXT D'LNE FOURMI.

Les l'ourniis soiil en grand émoi' :

L'âme ^ du nid, la reine est morte!


Au bas d'une très vieille porte,

Sous un chêne, va le convoi^.

Le vent cing'le''^ sur le sol froid

La nombreuse et fragile escorte -\

Les fourmis sont en grand émoi :

L'âme du nid, la reine est morte !

Un tout petit je ne sais quoi^


Glisse, tiré par la plus forte :

C'est le corbillard^ qui transporte


La défunte au caveau^ du roi.

Les fourmis sont en grand émoi!

(Maurice Rollinat.
Fasquelle.)

1. Émoi : agitation.
2. L'âme : celle qui dirige.
3. Convoi : cortège funèbre.
4- Cingle : frappe en fouettant.
5. Escorte troupe. :

6. Un je ne sais quoi chose indéfinissable. :

7. Corbillard char sur lequel on transporte


: les mortes.
8. Caveau : endroit où l'on enterre..
LES ANIMAI X FA^IILIERS. 53

6. — LES PETITS LAPINS.

Los petits lapins prudents


Dressent toujours une oreille;
Cette long^ue oreille — veille,

Quand ils remuent leur nez en faisant voir leurs dents.

Des feuilles de choux, des raves ',

Ils en manderaient toujours!


Dans un coin des basses-cours,
Assis sur leur derrière ils vous ont des airs tiraves.

Et l'on dirait des garçons,


Des garçons ou des fillettes,

C>u des messieurs à lunettes.

Oui lisent leur journal ou disent leurs leçons.

Mais si vous faites un sieste,

Le lapin, comme un éclair,

Sa petite queue en l'air,

Disparaît dans un trou sans demander son reste ".

(Jean Aicvrd. Le Livre des pet ils.


Dela2:rnve.)

1. Raves phinte potag-cre de la même famille <jiie le navet.


:

2. Sans demander son reste partir précipitamment sj:ns


:

explication.
54 LA vu: Dii l'enfant.

7. _ MA CHIEiNNE.

Ma chienne, la Choug"na, n'est pas, certe, une bêlef


Nous rentrons. Sous mes mains fourrant' sa grosse tête,,

Elle sent un sermon" venir, et se tient coi^.


Je la prends par l'oreille, et je lui dis : — Pourquoi
Te comportes-tu^ mal, Chougna, devant le monde?
Pourquoi, quand nous sortons, — il faut que je te gronde î

Cours-tu, jappant^, hurlant, à travers les buissons.


Après les jeunes chiens et les petits garçons?
Pourquoi ne vois-lu pas un coq sans le poursuivre ?
Si bien que, moi, j'ai l'air d'avoir une chienne ivre^l
Cela nous fait mal voir"^, les gens sont irrités.

Je te connais beaucoup de bonnes qualités.


Fidèle, réservée^, intelligente, affable^;
Mais vraiment, quand tu sors, tu n'es pas raisonnable.

(Victor Hugo.)

1. Fourrant : cachant.
2. Sermon longue remontrance.
:

3. Se tient coi ne dit rien. :

4- Te comportes-tu : te tiens-tu.

5. Jappant aboyant.:

0. Ivre : qui a trop bu.


7. Mal voir : jug^er défavorablement.
8. Réservée : discrète, n'attirant pas l'attention.

9. Affable : accueillante.
LES ANIMAUX FAMILIERS. 55

8. — LE BOX CHEVAL GRIS.

(extrait.)

Bon cheval gris, si doux, si sag'e.

Toi qui portais, quatre à la fois,

Mes chers petits et leur bag-ag-e.

Tandis qu'à pied, le lon^- du bois.

Je suivais l'heureux équipa^-e '...

Bon cheval gris, si doux, si sage,


Tu mérites plus d'une page
Dans nos histoires d'autrefois.

Bien loin, bien loin par les vallées.

Sur les hauts plateaux verdoyants.


Que d'heures scaîment écoulées
A l'air vif, sous les cieux brillants,
Et combien d'étapes' doublées
Grâce à tes pieds sûrs et vaillants.

1. L'équipage : ce mot désio;ne ici la troupe des enfants assis


sur le cheval,
2. Doubler une étape : franchir la distance d'un lieu à un autre.
56 KA vu: DK l'enfant.

Lorsqu'ils Irotlaicut dans la hriiyère,

Comme jadis les cju;ilre |)reii\',

Sur la luoulurc^ coutumière


Aucun n'était las ou peureux.
Celui qui demeurait à terre
Se suspendait à ta crinière -\

DarKs les sentiers durs et pierreux.

Quand tu croyais reprendre haleine'^


Sur un g"azon fin et luisant,

A l'ombre, au bord de la fontaine


Où l'on goûtait en s'amusant,

Quelque aîné désobéissant,


Pour faire, tout seul et sans g"êne,
Un temps de galop dans la plaine.

Sautait sur ton dos complaisant;


Ou bien durant une heure entière,

Les quatre preux


1. allusion aux quatre fils Aymon, vail-
:

du Moyen âge, quie la légende représentait souvent


lants chevaliers
montés sur le même cheval, le fameux Dcujard.
2. Monture hête sur laquelle on monte.
:

3. Crinière crins qui se trouvent sur le cou du cheval.


:

4- Reprendre haleine te reposer. :


LES ANIMAUX FAMILIERS. 5'J

ChanlanI, ii;ml iVuw rire fou,

Tonio la l)lon(lc fourmilière',


Qui' par (k'\au(, qui par derrière,

Grimpait de les pieds à Ion cou.

Aussi, que de mains empressées.


Au retour du bon cheval gris,
T'apportaient du foin par brassées^.
Et l'offraient, à l'envi'^ dressées.

Ta part de sucre et de pain bis-"" !

{V. DE Lapiiade, Le Livre (Van père.


Hetzel.)

1. Fourmilière : la Iroupe d'cnlants.


2. Qui... qui... : les uns, les autres.
3. Par brassées : autant (juc pouvaient en eontcnir k-urs 1 ras.

4- A l'envi : à qui mieux mieux.


5. Pain bis : pain tic seigle.
58 LA VIK DE l'enfant.

9. — L'ANE.

Hi ! Iian ! que mon âne est béte !

Il voudrait faire à sa tête'.


Gomment? en ne faisant rien!
Ah quel ane que mon ane
! !

Mon un ane qui tlàne


àne,
N'est pas un âne de bien" !

Voyons, ma bonne bourrique,


Je vais laisser là la trique^
Dont je t'ai trop caressé!
Tiens, lu veux? je t'embrasse!... le

Sois âne de bonne g^râce "^


!

Hi... mon travail est pressé.

Que mon âne est ridicule !

J'avance, et lui, qui recule,


Fait tout ce que je défends !

Gueux- d'âne! je te condamne


A g^arder ta tête d'âne
Qui fait rire les enfants !

(Jean Aigaho, Le Livre des petits.


Dcîn^Tavc.)

1. Faire à sa tête faire ses volontés. :

2. Ane de bien dans le même sens qu'on


: dit : un homme de-
bien, c'est-à-dire : qui fait son devoir.
3. Trique : içros bâton.
4- De bonne grâce : volontiers.
5. Gueux coquin.
:
LES ANIMAUX FAMILIERS. ;)(>

10. — LA VACHE.
r lie vache était là tout à l'Iieure arrêtée.

Superbe^ énorme, rousse et de blanc tachetée,


Douce comme une biche' avec ses jeunes faons ^,

Elle avait sous le ventre un beau groupe d'enfants,


D'enfants aux dents de marbre-, aux cheveux en broussailles*.
Frais, et plus charbonnés -'
que de vieilles murailles,

Oui, bruyants, tous ensemble à g-rands cris appelant


D'autres qui, tout petits, se hâtaient en tremblant,
Dérobant^ sans pitié quelque laitière absente,

Sous leur bouche joyeuse et peut-être blessante

Et sous leurs doigts pressant le lait par mille trous,.

Tiraient le pis" fécond de la mère au poil roux.


Elle, bonne et puissante et de son trésor pleine,
Sous leurs mains par moments faisant frémir à peine
Son beau flanc plusombré ^ qu'un flanc de léopard ^^
Distraite, regardait vaguement quelque part.
(\ icior FIrno, L^s Vcn'.r iniérieui-es. Hetzcl.)

1. Bictie : femelle du cerf,


2. Faons petits d'une biche,
:

3. Dents de marbre blanches comme le marbre.


:

4- Cheveux en broussailles embrouillés. :

5. Charbonnés noircis. :

6. Dérober prendre en cachette le bien d'autrui.


:

7. Pis : mamelle.
8. Ombré : couvert de taches brunes.
g. Léopard : quadrupède carnassier du i^enre chat, au pelao;-e
tacheté.
CHAPITRE IV'

Réflexions enfantines.

— Embrasse-moi bien fort, aussi fort que lu m".iirres.


— Oli1non, répond l'enfanl, je te ferais trop mai.

(Adolphe Garcassonne.)
CONTENU DU CIIAPITKK

1. Fleurs (Charles Fuster).


2. La colère de Rose (Louis Ratisbonne).
3. L'observation de Gcorg"ette (Adolphe Carcassonne).
4 Le front (Louis Ratisbonne).
5. Moralité d'un drame (Charles Fuster).
(). La Cicatrice (Victor Hugo).
7. Politesse (Charles Fuster).

J^. Jeanne au pain sec (Victor Hugo).


(). Les étoiles (Jules Jouy).

10. Au Jardin des Plantes (Victor Hugo).

LISTE SUPPLÉMENTAIRE

Louis Ratisbonne Plus [La Comédie enfantine).


— Qui a fait le monde? [La Comédie en-
fantine).
Amélie Perronnet Presque {L'Art d'être grand'mère).
Adolphe Carcassonne. . Extraits des Répliques enfantines.
RKFLEXIONS ENFANTINES. 63

1. — FLEUIIS.

L'enfant toml)e; elle est seule, et ne dit pas un mot.


On l'aperçoit, on court, on clame'.
Du moment qu'on la plaint, elle pousse un sanglot,
Un sanglot à vous fendre" Tàme.

(( Tu t'es fait du bobo, certes, je le vois bien !

Tu te taisais pourtant, mig-nonne;


Tu n'avais donc pas mal, que^ tu ne disais rien?
— Mais puisqu'il n'y avait personne! »

(Charles Fuster, Les Enfants. Fischbacher.)

1 . Clamer pousser de grands cris.


:

2. Fendre l'âme causer beaucoup de


: peine.
3. Que dans le sens de « puisque ».
:
(i/l LV \ IK l)K L KNFV.NT.

LA GOLLllE DE ROSE.

(( As-tu fini tes cris, Rose? vas-tu te taire?... »

La faire taire, ali oui! fermez donc un cratère' !

Quel clommag-e pourtant! De ces yeux doux et bleus


Voir jaillir cet éclair farouche^ !

Entendre ainsi mu^ir^ cette petite bouche !

Exhaler ''^
ces cris furieux.
Quand on est toute fraîche et qu'on s'appelle Rose !

Enfin, elle a fini, je crois, c'est bien heureux!


(( Non, je n'ai pas encor fini... Je me repose!,.. »

(Louis RvTisBONXE, Les petites femmes.


Delag'rave.)

1. Cratère : l'auteur compare la bouche de l'enfant à l'ouver-


'
ture d'un volcan.
Farouche effrayant.
2. :

Mugir mot qui s'emploie d'habitude pour désigner


3. : les cris

des bœufs et des vaches.


4. Exhaler donner un libre cours à.
:
RÉFI. EXIONS ENFANTINES. 65

3. — L'OBSERVATION DE GEORGETTE.

La petite Georgelte est dans son petit lit;

Sa mère est là; déjà la veilleuse' pâlit;

Et, malgré des appels pleins de sollicitude',


Le sommeil ne vient pas comme il vient d'habitude.
Geneviève, la bonne, entre au bout d'un moment;
Mais, n'y voyant pas clair, ou dans un mouvement
Trop rapide, elle heurte ^ un meuble qui culbute'^
Et fait un grand bruit dans sa chute;
L'enfant, levant la tète alors sur l'oreiller.
Dit en menaçant^ de sa main mignonne :

« Tu ne fais pas attention, ma bonne.


Et tu ne comprends pas que tu vas m'éveiller. »

(Adolphe Carcassonne, Répliques enfantines.


Ollcndorf.)

1. Veilleuse : petite lampe dont on se sert la nuit pour éclai-


rer une chambre.
2. Appels pleins de sollicitude : invitations tendres et pres-
santes,
3. Heurte : pousse brusquement.
4. Culbute : tombe avec violence.
5. Menaçant faisant un e^este de reproche.
:
00 LA Vil-: i)K l'k.nfant.

4. — LE 1 KONT.

Max se frottait le front : <( Quel est ce blanchissag-e?

Lui demande sa sœur. As-tu donc le front noir?


— J'étais un peu méchant; maman pourrait le voir.

C'est écrit sur mon front quand je ne suis pas sage. »


Et Max frotte encor davantage.
Il croit qu'en essuyant les marques s'en iront.
Pas du tout; son front devient rouge.
Et sa mère, en entrant, dit, avant qu'il ne bouge :

(( Max vient d'être méchant : c'est écrit sur son front! »

(Louis Ratisbonne, La Comédie enfantine. Hetzel.)


RÉFLEXIONS ENFANTINES. 67

5. _ MORALITÉ D'UN DRAME.

On raconte à Bébé l'histoire


Du Chaperon rouge et du loup;
Elle va l'attrister beaucoup,

Sans doute, et hanter' sa mémoire.

Les beaux chers veux se mouilleront,


Car ce loup, dont l'âme est amère'.
Tout en digérant^ la g-rand'mère,
Mange le petit Chaperon.

C'est une hécatombe'^ complète...


Bébé bat des mains, rit beaucoup;
Puis : «Oh le gentil petit loup!
!

Il n'a pas mangé la galette^ » !

(Charles Fuster, Les Enfants. Fischbacher.)

1. Hanter sa mémoire : se présenter souvent à son esprit.


2. Amère : cruelle.
3. Tout en digérant la grand'mère : pendant que la grand'-
inère est clans son estomac.
4- Hécatombe : meurtre de plusieurs personnes.
5. La galette : le gâteau ((jue le petit Chaperon portait à sa

-grand'mère).
68 LA mi: de l'enfant.

6. — LA CICATRICE.

Une croiUe assez laide est sur la cicalrice'.

Jeanne l'arrache, et saig^ne, et c'est là son caprice^;


Elle arrive, montrant son doigt presque en lambeau^.
« J'ai, me dit-elle, ôté la peau de mon bobo. »

Je la gronde, elle pleure, et, la voyant en larmes.


Je deviens plaf^. « Faisons la paix, je rends les armes ^^
Jeanne, à condition que tu me souriras. »

Alors la douce enfant s'est jetée en mes bras,


Et m'a dit, de son air indulgent et suprême^ :

« Je ne me ferai plus de mal, puisque je t'aime. »

(Victor Huco, L'Art d'être grand-père. Hetzcl.)

1. Cicatrice : trace qui reste d'une blessure.


2. Son caprice : l'idée qu'elle a imaginée.
3. En lambeau : dont la chair est déchirée.
l\. Je deviens plat : je m'humilie.
5. Rendre les armes : s'avouer vaincu.
6. Suprême : le plus exquis, celui qui exprime le plus haut
degré de grâce et de bonté.
RÉFLEXIONS ENFANTINES. 69

/ . POLITESSE.

Chez la fillette et ses parents


Deux messieurs viennent en visite;

Pour les traiter selon leurs rang-s \


Il faut qu'on les reçoive vite.

Mais les parents ne sont point prêts ;

On dit à la fillette tendre :

((Va d'abord... Nous irons après...


Toi, lâche de les faire attendre. »

Il s'agit de les amuser ;

Elle voudrait, certes, mais n'ose


Leur offrir son meilleur baiser;
Car. vraiment, c'est trop peu de chose.

Alors, la fillette aux yeux doux,


Oue nul obstacle ne rebute",
Dit : (( Bonjour, Messieurs! Voulez-vous
Que je vous fasse une culbute^? »

(Charles Fuster, Les Enfants. Fischbacher.)

1. Leurs rangs leurs conditions.


:

2. Ne rebute ue décourno-e.
:

3. Culbute : saut qui consiste à faire en l'air un tour sur soi-


même.
7<> I-V VIK DE L ENFANT.

8. — JEAXXE Al PAIN SEC.

Jeanne était au pain sec dans le cahinet noir


Pour un crime' quelconque; et, manquant au devoir,
J'allai voir la proscrite^ en pleine forfaiture-^,

Et lui glissai dans l'ombre un pot de confiture


Contraire aux lois ^ Tous ceux sur qui, dans ma cité^>

Repose le salut de la société^,


S'indignèrent, et Jeanne a dit d'une voix douce :

(( Je ne toucherai plus mon nez avec mon pouce ;

Je ne me ferai plus griffer par le minet, w

Mais on s'est écrié : « Cette enfant vous connaît;


Elle sait à quel point vous êtes faible et lâche.

Elle vous voit toujours rire quand on se fâche.

Pas de gouvernement^ possible. A chaque instant


L'ordre est troublé par vous; le pouvoir se détend^;

1 . Crime manière exag'érée de désigner


: ici une faute légère.
2. La proscrite la bannie, condamnée à
: l'isolement.
3. En pleine forfaiture eo me mettant gravement en faute.
:

4- Contraire aux lois en dépit de la défense.


:

5. Dans ma cité le : poète compare sa famille à une ville.


6. Le salut de la société : l'intérêt de tous les membres de la
famille.

7. Pas de gouvernement possible : il n'y a pas moyen de


diriger la cité.

8. Se détend : s'affaiblit.
REFLEXIONS ENFANTINES. 7I

Plus (le rèi^le. L'eiifaiit n'a j»lns [icii (jiii l'airele.

Vous démolissez (oui. » Va j'ai baissé la létc,


El j'ai (lit : (( .!<' n'ai rien à répondre à cela,

J'ai (orl. Oui, c'esl avec ces induI^enccs-là

Qu'on a toujours conduil les peuples à leur perle'.

Qu'on me meUc au pain sec. — Vous le méritez, certe.


On vous y niellra. » Jeanne, alors, dans son coin noir,
M'a dit tout bas, levant ses yeux si beaux à voir.

Pleins de l'autorité^ des douces créatures :

« Eh bien, moi, je t'irai porter des confitures. »

(Victor Hugo, L'Art cVèire grand-père. Hetzel.)

1. A leur perte : à leur ruine.


2. L'autorité : le pouvoir.
7'-i I A mi: de l enfant.

9. — LES ETOILES.

Gustave, un auiusant blondin '

Aux yeux vifs, à la mine ouverte",


Chez sa mère, au fond du jardin,
Fit une étrange découverte.
Un soir, par une de ces nuits
Où le ciel scintille^, sans voiles'^,
En regardant le fond du puits,
Gustave y compta trente étoiles.

Il eut bien voulu les pécher-'',


Mais d'aller dormir c'était l'heure;

Donc, à reg-ret, pour se coucher.

L'enfant regagna sa demeure.


Dans le petit lit de satin ^,

Pour le gamin la nuit fut brève.

Car, jusqu'au lendemain matin.


Il vit ses étoiles en rêve.

1. Blondin : enfant aux cheveux blonds>


2. Ouverte : fi-anche et sincère.
3. Scintille : brille de la lueur tremblante des étoiles.
4. Sans voiles : sans nuages.
5. Les pêcher : les retirer de l'eau.
0. J)d satin : recouvert d'étoîTe de sole très douce au toucher
RÉFLEXIONS ENFANTINES. ']'^

Au pelil jour, il s'en revint

Au puits couleinpier la merv(MlIe.


Il chercha partout, mais en vain,
Les trente étoiles de la veille.

Au logis, il revint s'asseoir,


Les paupières de pleurs mouillées :

<( Petite mère, viens donc voir ;

Les étoiles se sont noyées. »

(Jules JouY, La Muse à Bébé. E. Flammarion.)


74 l'A \\E f)K l'kMANI

10. — AL JAKIJIN DES PLANTES.

CE Ql'l-: DIT LE Pl'KLIC.

GL\(^ ANS.

Les lions, c'est des loups.

SIX ANS.

C'est très méchant, les bêtes.

CINO ANS.
Oui.
SIX ANS.

Les petits oiseaux ce sont des malhonnêtes '


;

Ils sont des sales.


CINQ ANS.

Oui.

SIX ANS, regardant les serpents.

Les serpents...

CINQ ANS, les examinant-

C'est en peau.
SIX ANS.

Prends g"arde au singe, il va te prendre ton chapeau.

I . Malhonnêtes : mal élevés.


RÉFLEXIONS ENFANTINES. 7S

CINQ ANS, regardant le tigre.

Encore un lou[) î

SIX ANS.

Viens voir l'ours avant (ju'on le couche..

CINQ ANS, regardant l'ours.

Joli!
SIX ANS.

Ça g-rimpe.

CINQ ANS, regardant réléphant.

Il a des cornes '


dans la bouche.

SIX ANS.

Moi, j'aime l'éléphant, c'est gios.

SEPT ANS, surrenant et les arrachant à la contemplation de


l'éléphant.
Allons ! Venez !

Vous voyez bien qu'il va vous battre avec son nez'.

(Victor Hlgo, L'Art d'être grand-père. Hetzel.)

1. Des cornes : il s'nçit des défenses de l'éléphaut, sortes de


osses dents en i^"oire.

2. Son nez : sa trompe.


CHAPITRE V

A l'École.

Marchez vers le savoir ; car vous serez un jour,


Humbles petits cerveaux, le cerveau de la France

(Jacques Normand.)
.

CONTENU DU UIIAPITJIE

1 L'école maternelle (Gustave Zidler).


2. La maîtresse d'école (Victor de Laprade).
3. Le départ pour l'école (Jacques Normand),
4- Le panier du g-oûter (Jean Aicard).

5. L'école buissonnière (Gustave Zidler).


6. La sortie de l'école (M'"« G. Mesureur).
7. Le retour à la maison (H. Durand) .

8. Distribution de prix (M^^e G. Mesureur).


9. Les vacances [départ du coUèg'e] (Henri Chanta voine).
10. En vacances [arrivée à la m.aison] (Brizeux).

LISTE SUPPLEMENTAIRE

François Coppée. . . Entrée à l'école {Poésies complètes).


Victor DE Laprade. Travaillons {Le livre d'un père).
Sully-Prudhomme . Songe d'écolier {Le prisme).
Eugène Manuel, . . L'école {Poèmes populaires).
A L r.CùLE.
79

1. — i;ecole maternelle.

Oh ! la (loure et charmante école,


Oui redresse', instruit et console,

Mais sans gronder,


Où des bébés la troupe folle

Peut gambader" !

Jamais d'ennui ni de paresse!


Rien ici qu'amour, allé^^resse-^.

Chaleur du nid !

Rien que baisers, main qui caresse.


Voix qui bénit !

Rondes et chants à perdre haleine*!


Vile é^avez la pièce pleine,

Chiffons et fleurs.

Cubes de buis-% balles de laine,


Remède aux pleurs !

1. Redresse : corris-e.
2. Gambader : sauter crime fa(;on désordonnée.
3. Allégresse : joie très vive qui éclate au dehors.
l\. A perdre haleine ; les enfants s'amusent avec un tel entrain
qu'ils en perdent la respiration.
5. Buis : bois très dur.
8o LA VIE DE l'eMANT.

Fêles des yeux! jolis romaines!


Sonnez, refrains ! Belles ima^^es
Aux Ions mignarcis',
Où les corbeaux ont des fromag-es
Pour les renards.

On Uicole, on barbouille, on taille :

Bâtons, papiers peints, brins de paille

Valent leur prix^ !

L^école est un champ de batailJe

Plein de débris !

(Gtistave Zidler, La légende des écoliers


de France. Hetzel.)

1. Mignards gracieux.
:

2. Valent leur prix sont appréciés.


:
A l'École. 8i

2. _ LA MAÎTRESSE D'ÉCOLE.

Elle aimait, entre tous, de son amour de mère,


Ceux dont l'âme innocente attend une lumière'.
Les petits révoltés, les rôdeurs de buissons
Préféraient à leurs jeux ses charmantes leçons.

Les marmots hérissés^ avant horreur du livre,

Quand elle ouvrait le sien, quittaient tout pour la suivre.


C'était près d'elle à qui^ se ferait écolier;

Tout enfant chérissait son toit hospitalier ''^.

Plus de grossiers ébats, de rixes-, de maraude^.


Oh ! les beaux jours d'hiver, dans la salle bien chaude,
A chanter doucement les antiques noëls,
A se faire conter des contes éternels,

A s'empresser autour du vieux livre d'imag^es,


A changer mille fois de plaisirs et d'ouvrages,
A mêler la prière entre les jeux divers.
Et même à réciter des fables et des vers.
(Victor ûE LvpRADE, Pernette. Didier et C'e.)

1. Attend une lumière : a besoin d'être éclairée.


2. Hérissés : mal pci^-nés.
3. A
qui se ferait écolier tous les enfants qui l'approchaient
:

se disputaient jalousement le plaisir d'être son élève.


4- Hospitalier : où l'on est bien accueilli.
5. Rixes : querelles accompag'nées d'injures et de coups.
0. Maraude : vol de fruits.

6
82 LA VII': DE l'enfant.

8. — LE DEPART POUR L'ECOLE.

« C'est riieure de la classe, a dit la mère, en route ! »

Les yeux pleins de sommeil, les petits écoliers


S'habillent à tâtons', mettant leurs gros souliers...
Et les voilà partis, grignotant^ une croûte.

Qu'il fait froid, ce matin! Les arbres, en déroute^,


Se courbent sous le vent qui ciiigle''^ les halliers^;
Et la neige, poudrant^ les sillons réguliers,
S'attarde sur la terre et la recouvre toute.

Oui! l'école est bien loin et l'hiver est bien dur!


Marchez, pourtant, marchez d'un pas vaillant et sûr,
Enfants, vers le Devoir, le Travail, l'Espérance...

Chacun, pour le pays, doit peiner à son tour...


Marchez vers le Savoir; car vous serez, un jour^
Humbles petits cerveaux, le cerveau de la France !

(Jacques Normand, Les Visions sincères.


Calmann-Lévy.)

1. A tâtons : avec des gestes incertains (non parce qu'on n'y


voit pas, mais parce que les yeux des enfants sont encore mal
ouverts).
2. Grignoter : mang-er en rongeant, comme font les souris.

3. En déroute : les arbres, courbés par le vent, ont l'air de fuir.


4- Qui cingle voir page 52, note 4-
:

5. Les halliers touffes épaisses de buissons.


:

6. Poudrant répandant sur les chemins comme une poudre


:

blanche.
A l'kcoli:. 83

4. — LE PANIER Dl (iOriER.

Mes livres ficelés l^adaiU sur mon éoliine',

J'allais par les sentiers à l'école voisine,

Le long;- du petit bois, puis le long- du marais^.


Tous les matins, j'allais ainsi, plein de reg'rets,
Triste, quoique distrait pour un frelon ^ qui vole,
Portant dans mon panier mon «"outer à l'école.

Cher petit panier blanc qui pendait à mon bras!


Comme je regardais dedans à chaque pas.
Et comme j'y song-eais tout le long- de la route!
Eh quoi ! par gourmandise? hélas! un peu sans doute
Mais surtout par plaisir d'avoir dans mon panier y

A l'école où j'étais tout un jour prisonnier.


Quelque chose qui vînt de la maison chérie
(Jean Aicvrd, La Chanson de l'enfanf.
E. Flammarion.)

1. Échine : dos.
2. Marais : terrain l)as où s'accumulent des eaux dormantes.
3. Frelon : sorte de grosse guêpe.
84 I-A VIE DE l'enfant.

5. — L'ECOLE BUISSONMEUE'.

Il est vrai qu'à cueillir muguet', sauge ^, épervière'^,

Aubépiue ou myrlilie-, à semer la rivière

De canots^ de papier flottants sans savoir où,


A troubler les lézards endormis dans leur trou,
A visiter les nids du vieil arbre qui plie,

On s'attarde parfois, et parfois on oublie


La classe le matin, et le soir la maison.
Tout conspire^, d'ailleurs, pour cette trahison :

Le ciel, dont le sourire à la paresse invite,


L'ivresse de l'air pur, le temps qui fuit plus vite,
La route qui s'allonge en détours singuliers.
Tu fus toujours trompeur, chemin des Ecoliers !

(Gustave Zidler, La Légende des écoliei's


de France. Hetzel.)

1 . Faire l'école buissonnière : se promener au lieu d'aller en


classe.
2. Muguet : petite fleur blanche en forme de clochette.
3. Sauge : fleur roug-e en forme de lèvres.
4- Épervière : fleur jaune en forme de couronne.
5. Myrtille : petites baies noires, acides et rafraîchissantes.
6. Canots petits bateaux.
:

7. Conspire tout a l'air de s'entendre pour conseiller à


: l'en-
fant de manquer à son devoir.
A l'École. 8."]

6. _ LA SORTIE DE L'ECOLE.

Petits enfants, qui revenez,

Par les rudes froids, de l'école.

L'onglée '
aux doigts, la goutte au nez,
Eparpillez-vous, troupe folle.

De vos pas le g-alop bruyant


Anime la place déserte.
Prenez vos ébats en fuvant;
Chers oiseaux, la ca§"e est ouverte.

Essoufflés', les cheveux au vent.


Portant sous le bras rotre livre,

Vous courez, en vous poursuivant.


Sur les ruisseaux couverts de givre ^.

Je lis, dans vos yeux satisfaits,

Que vous avez eu du courag^e,

Et que vos devoirs sont bien faits :

- Cœur content fait joyeux visage.

1. L'onglée : ensrourdissement douloureux provoqué par le

froid.
2. Essoufflés : ayant perdu la respiration à force de courir.
3. Givre : sorte de glace que forme, en se déposant, un brouil-
lard froid et épais.
86 LA VIF DE i/eNFANT.

El j'exalle '
volrc gaîlé,
Qui vous fait trouver l)on de vivre^
Alors qu'un maître vous délivre
Et vous rend à la liberté !

(M"'«^ G. Mesureuh, Rimes roses. Lemerre»)

1. Jexalte : je loue gTandenieiit.


A l/l-COLK. 8j

7. — LE REÏOUII A LA MAISON.

Quand Técolier revient, au bout de la journée,


Vers le toit paternel, qui fume à l'horizon,
Sa tache d'écolier à peine terminée.
Le devoir filial l'ai tend à la maison.

Sa mère, pauvre veuve, au travail résig-née,

A reconnu le bruit des pas de son garçon ;

Elle quille* son banc près de la cheminée,


Où brûle tristement quelque maigre tison'.

Elle court vers son fils, et le serre et l'embrasse;


Et puis cent questions^ des choses de la classe :

« A-t-il bien travaillé? le maître est-il content? h

Et l'enfant, tout joyeux des baisers de sa mère,


Des bons points mérités fait le compte sincère :

Le pauvre toit s'égaie et rit en l'écoutant.

(H. DuKAND, La Poésie de Vécole. Société française


d'Imprimerie et de Librairie.)

1. Tison morceau de bois brûlé en partie.


:

2. Cent questions sous-entendu « elle lui pose


: ».
88 lA vu: 1)10 l'knfant.

8. _ DISTRIBUTION DE PRIX.

Quel beau jour! Un soleil iiilense,

Des drapeaux, des disques' d'honneur;


Et la solennité^ commence
Dans une joyeuse rumeur^.

Sur les gradins, sur les banquettes,


Des visag-es électrisés"^,

Des lignes de petites têtes


Aux cheveux blonds et bruns, frisés.

Après la harangue^ du maire,


Et les bravos accoutumés,
C'est la musique militaire

Saluant les noms proclamés.

Si les uns, de succès avides,


Sont vantés comme des héros.
Les autres s'en vont les mains vides,
La tête basse et le cœur gros.

1 . Disques : plaques rondes.


2. La solennité : cérémonie publicjue qui se fait avec éclat.

3. Rumeur : bruit sourd.


/]. Êlectrisés : vivement animés.
5. Harangue : discours solennel.
A l'i':c()li:. 89
Pour doux mois ils (juilleiil lécole,
Trisles, jusqu'au prochain retour.
Vite, un baiser, qu'on les console,

Ils auront leur revanche un jour.

(Mme G. Mesureur, Rimes roses. Lemerre.)


90 Lx vif: dk l knfant.

9. — LES VACANCES.
(départ du C0LLÈ(JE.)

Vous partirez bientôt pour un heureux voyag^e,


Vous briserez gaîmeut le mur de la prison,
Vous vous envolerez vers un libre horizon,
Et, comme des oiseaux échappés de leur cage,
Vous reverrez le lieu natal, ville ou village,

El vous retrouverez le seuil de la maison.

Je viens vous dire adieu sur la porte enlr'ouverte.


Adieu, pour quelques-uns; pour d'autres, au revoir...
Rassurez-vous, pourtant, je ne veux rien prévoir,
Sinon que celte cour sera bientôt déserte;

Dehors l'air est plus vif et la feuille plus verte,


La liberté vous lente ^
et vous l'aurez ce soir.

Ce soir vous dormirez d'un sommeil sans contrainte^^


Vous vous réveillerez demain... quand vous voudrez^
Les jeux brillants, l'esprit en fête, et vous irez

Des bras de votre mère et de sa douce étreinte^.


Dissipés sans remords, et vagabonds sans crainte,
Revoir les vieux amis que vous reconnaîtrez.

1. Vous tente vous attire.


:

2. Sans contrainte en liberté.


:

3. Étreinte embrassements.
:
A L KCOLK. 91

Ces vieux amis, ce sont les coteaux et les plaines,

L^Océan dont le hruil sourd et mystérieux


Est comme un long^ soupir qui monte vers les cieux,

Et les grandes forêts dont les branches sont pleines-


Du doux frémissement des légères haleines
'

Et du concert des nids elfarés" ou joyeux.

(Henri Chamvvoine.)

1 . Haleines : souffles des vents.


2. Effarés : troublés par la frayeur.
()2 KA VIE DE L ENFANT.

10. — EN VACANCES.
(arrivée a la maison.)

O mes beau temps des vacances!


frères, voici le
Le mois d'août, appelé par dix mois d'espérances!...
Monotone la veille, et vide, la maison
S'anime ; un rayon d'or luit sur chaque cloison '
;

Le couvert s'élargit^; comme des fruits d'automne,


D'enfants beaux et vermeils la table se couronne;
Et puis mille babils -\ mille g"ais entretiens,
Un fou rire, et souvent de lon^^s pleurs pour des riens.
Mais plus tard, lorsqu'on touche aux soirs gris de septembre,
En cercle réunis dans la plus g-rande chambre.
C'est alors qu'il est doux de veiller au foyer '^!
On roule près du feu la table de noyer;
On chacun prend son cahier, son volume;
s'assied;
Grand silence on n'entend que le bruit de la plume,
!

Le feuillet qui se tourne, ou le châtaig-ner vert


Oui craque, et l'on se croit au milieu de l'hiver.

(Brizeux, Marie.)

1. Cloison : mur.
2. Le couvert s'élargit : le nombre des convives augmente
autour de la table.

3. Et puis mille babils : Et puis (ce sont) mille conversations


sur des sujets insignifiants.
4- Foyer endroit où l'on
: fait du feu, et — plus généralement,
comme ici — la maison familiale elle-même.
CHAPITRE VI

Récréations.

C'est toi le cheval. Bien. Tu traînes la charrette,


Moi. je suis le cocher. A gauche; à droite; arrête.
Jouons aux quatre coins. Non, à CoIin-Maillard.

(Victor Hugo.)
CONTENU DU CIIAPn J\K

1. Ronde (M'»e Cécile Perin).

2. Le ballon (M'»e G. Mesureur).


3. La visite (Louis Ratisbonne).
4. Joueurs de billes (Maurice Morel).
5'. La leçon à la poupée (Jean Aicard).
6. La chanson de la toupie (Jérôme Doucet).
7. La corde (M'"^^ Cécile Périn).
8. La bulle (Albert Samain).
9. Contes de fées (Jean Richepin).
10. La boule de neige (Charles Fuster).

LISTE SUPPLÉMENTAIRE

Tictor Hugo Chanson de grand-père [L'Art (Vètre grand-


père) .

Anaïs Ség\las. Les enfjints aux Tuileries [Enfantines).


. . .

Jacques NonM\.ND. Les pâtés de sable [Les moineaux francs).


.

Clovls Hugues .... La ronde des poupées [Les évocations).


Ch. Grandmougin. Moulins d'enfant [Chansons du village).
.
RÉCRÉATIONS. ()5

1. _ RONDE.

Sous les arbres du parc frivole '

Tournent les rondes des enfanls,


Et de leur rvllime', ins^éniimenl 3,

Un peu de bonheur vrai s'envole.

Tournent les rondes des enfants...


Rose ou blanche Li mousseline
S'enroule autour des jambes fines,
Petits plis et petits volants.

Rose ou blanche la mousseline,


Dans l'ombre où rit du soleil blond,
S'enroule, entraînant les rayons
Lég"ers de la joie enfantine.

Dans l'ombre où rit du soleil blond.


Minois "^
jolis et g-ràces frêles 5,

Sans but, sans souci, sans querelles.


Pour le plaisir tournent en rond...
(M'iie Cécile Périn, Les Pas légers. Sansot et C'e.)

1. Frivole : où I'oq s'amuse.


2. Rythme musique cadencée.
:

3. Ingénument de ÏM^on naïve. :

4- Minois : visa2:es.
5. Frêles : délicates.
gG LA VIK DK l'enfant.

2. — LE J3ALL0N.

Au bout d'un fil l'enfant promène


El retient son frêle ballon,
Comme une bulle de savon
Que l'air capricieux '
entraîne.

Son visage est émerveillé,

Tandis qu'il contemple avec joie


Le globe au fin tissu de soie,
Par un rayon ensoleillé.

Mais le souffle du vent qui passe


Rompt le câble ^ trop délicat.
Et le léger aérostat^
Monte librement dans l'espace.

Alors, en le regardant fuir.

L'enfant demeure sans parole.


Et le voilà qui se désole
De ne pouvoir le ressaisir.

(Mme G. Mesureur, Xos Enfants. Lemerre.)

1. Capricieux dont la direction varie.


:

2. Le câble la corde.
:

3. Aérostat le ballon.
:
RECREATIONS. 97

3. _ LA VISITE.

« La Dame! \\\\ joli jeu ! Jouons-y, Marguerite!


— La Visite, plutôt? —
Eh bien, mais c'est cela,
Quand on joue à la Dame, on joue à la Visite.
Allons, c'est moi qui viens chez toi, qui loges là!...
Bonjour, chère Madame. — Eh ! bonjour, chère amie.
Que vous êtes aimable et me semblez jolie !

Vous avez un chapeau vraiment délicieux.


Est-il de Laure ou de Barème ? '


Mon Dieu, non, je l'ai fait moi-même.
- Vous êtes une fée^ et... vous allez bien ; Mieux. ! —
— Comment, mieux? Vous avez été malade, chère?
— Non, fatiguée un peu par mon dernier^ chéri :

J'ai voulu le nourrir. Vous savez, on est mère !

— Et votre autre petit? — Oh! l'autre était nourri

Par mon mari. »

(Louis Ratisbonxe, Les Peti les femmes.


Del a grave.)

1. De Laure ou de Barème : noms supposés de grandes mo-


distes.
2. Vous êtes une fée : vous êtes adroite comme une fée.

3. Mon dernier : mon dernier enfant.


()8 LA VJK Dr; i/enfant.

4. — JOUEURS DE BILLES.

Assis sur jarrets élastiques',


Les joueurs, quelques-uns dehoul,
Ont tous des reg^ards électriques^,
Qui roulent, une bille au bout.

Parfois une grêle nuée^,


S'amassant sur les coups douteux,
Pleut en cris ou crève en huées;
Puis soudain, ciel et calme ])Ieus.

Attention ! le joueur vise


D'un doigt à distance appliqué;
Son regard sur le but s'aiguise :

Le doigt part... Rires... Coup manqué!

A l'autre ! c'est un joueur pire :

De nouveau, le gosier bouché


Attend l'occasion de rire :

Le rire rate... Il a toucjjé !

(Maurice Mouel, L'Ame de V Enfance.


Perrin et Cie.)

1. Assis sur jarrets élastiques : l'eiiPant, qui joue aux billes,


est assis sur le muscle de sa jambe, comme sur uq ressort très
souple.
2. Regards électriques, qui roulent : les y«ux vifs et animés
des eafants sont si étroitement attachés sur les billes qu'ils sem-
blent rouler à leur suite.
3. Une grêle nuée : les contestations qui se produisent au
sujet des coups douteux sont comparés à un nuage menaçant.
RECREATIONS. ()9

5. — LA LEÇON A LA POUPEE.

Je vous trouve, ina poupée,


Bien souvent inoccupée.

11 faut vous prendre le bras


Pour vous faire faire un pas!

Vous souriez d'un air bête


Sans même tourner la télé.

Vous dites toujours : a Demain ! »

Jamais une aii^uille en main !

Vous n'aimez que la toilette;

C'est laid, d'être si coquette!

Prenez un peu ce balai,


Et balayez, s'il vous plaît !

Lavez-moi cette vaisselle,

Vivement, Mademoiselle !

Ecumez le pot-au-feu
'
!

Remuez-vous donc un peu !

I. Écumer : enlever l'écume qui se forme sur le bouillon.

l ^. M.
i<>() LA vif: de l enfant.

Mon mari, votre bon père,


Travaille assez, lui, j'espère !

En rentrant, il doit avoir

Sa soupe chaude, le soir.

Reg'ardez notre voisine


Comme elle tient sa cuisine,

Sa chambre, son linge et tout!...

Vous devriez rougir beaucoup.

Une fille adroite et sag'e


Aide sa mère, à votre âge;

Et je vous battrais, je crois.


Si vous n'étiez pas de bois !

(Jean Aicard, Le Livre des pclits.


Delagrave.)
RECRKATIONS. loi

(5. _ LA CHANSON UE LA TOUPIE.

Quand la corde, comme un serpent,


Sur la toupie esl enroulée.
Le gamin la lance en frappant
A la volée.

Elle va, vient, trottine', court,


L'air affairé', cherchant sa place,

Puis, enfin, lasse.


S'arrête court ^.

Et, tel un heureux qui dig^ère,

Pris de somnolence légère,


Toupie alors, tout doucement,
Ronfle en dormant^,
Elle rêve :

« Terre, dis-moi, sais-tu ceci?


Ainsi que toi, je tourne aussi
Sans trêve.

1 . Trottiner : marcher vite et à petit pas.


2. L'air affairé : paraissant avoir beaucoup d'occupations,
3. Court : brusquement.
102 LA vu: I)K L ENFANT.

Mais (juand lu vas roiler au loin,


Bohémienne ',

Vois (juellc tenue est la mienne :

Sagement, je reste en mon coin.


Puis, lu n'es qu'une masse énorme
Sans forme,
Moi, j'ai le profil^ d'un bouquet
Coquel... »

Toupie, à ces mots, en sourdine ^^


Se moque, rit et se dandine"^

D'un air si sot,

Qu'elle trébuclie^, tombe et roule,

Comme une boule.


Jusqu'au ruisseau.

(Jérôme Doucet, Im Chanson des choses.


Henry May.)

1. Bohémienne : vas^abonde.
2. Le profil : la forme extérieure.
3. En sourdine : en cachcue,
4. Se dandine : se balance avec nonchalance.
5. Trébuche : fait un faux pas.
IVÉCIVÉATIOXS. lO'i

7. — LA CORDE.

La corde tourne en la lumière ;

Fillette, saute vers Tazur ^


;

Fais vibrer" ta jeunesse claire


Et l'éclat de ton rire pur...

Fillette, saute en la lumière.

Ainsi qu'un arc-en-ciel lég-er,

Tourne la corde frémissante.


Semble-l-il pas qu'elle ait touché
Du soleil, la corde qui tremble
Ainsi qu'un arc-en-ciel lé^er?

Ton âme s'envole, s'envole...

O fdiette, un peu d'idéaP


Brille aux rayons blonds de la corde.
Brille en ton regard virginal^...
Ton âme s'envole, s'envole...

(M'iie Cécile Périn, Les Pas légers.


Saasot et Ci3.)

1. L'azur : le bleu du ciel.

2. Vibrer : résouDer.
3. Un peu d'idéal brille... : un peu de rêve, auquel l'àme
aspire, semble briller dans la corde baig-née de soleil.
4. Virginal : innocent et pur.
io4 'A MF': i)K i/enfant.

8. — LA BULLE.

Balhylle, dans cour où i:;"Ioussc la volaille,


la '

Sur l'ccuelle' penché, souffle dans une paille;


L'eau savonneuse mousse et bouillonne à grand hruil,
Et déhorde. L'enfant, qui s'épuise sans fruit ^,

Sent venir à sa bouche une âcreté"^ saline.


Plus heureuse, une bulle à la fin se dessine,
Et, conduite avec art, s'allonge, se distend
Et s'arrondit, enfin, en un globe éclatant.
L'enfant souffle toujours; elle s'accroît encore;
Elle a les cent couleurs dn prisme^ et de l'aurore.
Et reflète aux parois de son mince cristal^
Les arbres, la maison, la route et le cheval...
Prête à se détacher, merveilleuse, elle brille!

L'enfant retient son souffle, et voici qu'elle oscille'.

Et monte doucement, vert {)âle et rose clair,


Comme un frêle prodige étincelant dans l'air!

(Albert Samain, AihX Jlancs du vase. Société


du Mercure de France.)

I. Glousse ce mot désigne le cri de la poule qui veut couver


:

ou qui appelle ses petits.


•2. Écuelle vase creux.
:

3. Sans fruit vainement.


:

[\. Acreté goût piquant.


:

5. Prisme solide triangulaire, en verre ou en cristal, qui sert


:

à décomposer les rayons lumineux.


G. Son mince cristal la bulle de savon ressemble à un globe
:

de verre très fin et très limpide.


7. Oscille : se balance.
RÉCRÉATIONS. I o5

9. _ CONTES DE FEES.

(fragment.)

« Il était une Fois... » Ou jouait ; ou s'arrête;


Tous les joujoux lâchés quilteut la main distraite;

Ou s'assoit, bouche bée", eu faisant des yeux ronds.


Grand'mère, qui tricote à petits g-estes prompts,
D'une petite voix commence son ramage,
Et l'on reste, à l'ouïr", sage comme une image.
Le conte ([u'elle dit, cerle, ou le connaissait.
C'est le Chaperon-Rouge, ou le Petit Poucet,

La Belle au bois dormant, le Chat botté. Peau d'âne,


Cendrillon, les Souhaits, Barbe-Bleue et Sœur Anne,
Et Riquet à la houppe, et bien d'autres encor.
Certe, on en sait [)ar cœur l'histoire, le décor ^,
Les répliques; mais comme on aime à les entendre,
Au clievrotemenl ^ doux, monotonement tendre
De grand'mère, qui conte en tricotant son bas,
Et semble quelque fée, elle aussi, de là-bas!

I. Bée : ouverte.
•2. Ouïr : entendre.
3. Décor endroit où se passe l'action.
:

4- Chevrotement tremblemcQt de la voix.


:
H)(') LA VIK DK l'kMANT.

Soi-même, à ce là-has, comme on y va, sincère!


Ouand c'est le loup qui parle, ou bien l'ocre, on se serre
L'un contre l'autre; on voit leurs yeux rou;çes ardents,

Le trou blanc qu'ouvrent dans la nuit leurs grandes dents.


Pauvre Chaperon-Rouge, avec son pot de beurre !

Heureux Petit Poucet, lui ! Sa chance est meilleure ;

Mais il l'a joliment méritée, en efl'et ;

Et s'il coupe le cou de l'ogre, c'est bien fait!

(Jean Richepin, Mes Paradis. FasqucUe.)


KtC:iU:ATfONS. lo

10. _ LA BOULE DE XEKJE.


(fi\a(jment.)

Les yeux roug"is et l'écliiiie' courbée,


Noirs sur ce blanc, couraient les gens frileux'.
Tout un long- jour la neige était tombée.
Et des glaçons argentaient les toits bleus.

L'n garçonnet fit une énorme boule;


Puis, un instant, il parut soucieux.
Qu'en ferait-il? On les lançait en foule,
Soit clans le dos des gens, soit dans leurs yeux.

Où la jeter? La nuit froide et tranquille


Baignait d'azur les arbres et les toits ;

Les astres clairs veillaient sur la grand' ville :

L'enfant sourit en resserrant les doigts.

Quand sous les doigts la boule fut bien dure,


Il se dressa brusquement, la brandit^.
Puis la jeta dans la nuit calme et pure...
Au fond du ciel la boule se perdit.

1. L'échiné le dos. :

2. Frileux qui craignent


: le froid.

3. Brandir : a2:iter dans sa main un objet avant de le lancer


i<)(S i.A Nii: i)K i/enfant.

.le la suivis des yeux quelques secondes :

Elle filait, inoiilail, filait encor;


Elle alleignil les lénèbres profondes,
— La boule allait cherclier les aslres d'or,

J'ai su depuis qu'en ce temps-là, les an^es,


Les beaux p"tils si frêles et si doux
Etaient navrés '
de tristesses élrang-es :

Les chérubins^ n'avaient pas de joujoux.

Au Paradis, l'un rêvait de la foire,


L'autre pensait à des soldats de plomb;
Le souvenir pleurait dans leur mémoire :

Pour des enfants perdus, le temps est long*.

Mais qu'est-ce donc qui traverse l'espace?


Oui, qu'est-ce donc qui vient vers les petits?
Les plus peureux se parlent à voix basse...
Vite, en avant! Les plus g-rands sont partis.

« Mais c'est bien ça! — Vois-tu? — Que ledisais-je?


— Arrivez tous! Vous ne savez donc pas?
C'est une boule, une boule de neige,
— C'est un joujou qui nous vient de là-bas ! »

1. Navrés affligés.
:

2. Chérubin autre nom pour


: désig-ner les anges.
RKCKKATIONS. Hnj

Coiniue on la [)rend cl comme on la caresse,


La boule blanche arrivée au saint lien!

On s'allendrit, on s'appelle, on se presse :

C'est un tumulte' à troubler le bon Dieu.

Pour admirer, chaque petit se penche;


Il pleure, il ril, il rcve en s'endormant.
— Et depuis lors, au ciel, la boule blanche
De mains en mains passe éternellement.

(Charles Fuster, Les Enfants. Fisclibaclier.)

Tumulte : ag-itation.
CHAPITRE VII

Portraits d'enfants.

Car, Enfant, vous avez pour vous


Mieux que la force qui nous ble?so.
La majesté des grands yeux doux,
Le droit divin de la faiblesse.

(Louis BOl ILHET.)


CONTENU DU CHAPITRE

1. Protlig-alité (M"'*' G. Mesureur).


2. La lune (Victor Hugo).
3. Frère et sœur (Maurice Rollinat).
l\. La petite fille (M"ie G. Mesureur).
5. Les petits fauteuils (Maurice Rollinat).
(T. La vitrine du pâtissier (Maurice Morel).
7. Petit marin (M"ie (} Mesureur).
8. L'enfant à la coquille (Philippe Godet).

9 Deux héros (M'"^ Rosemonde Rostand).


10. Sur une barricade (Victor Hugo).

LISTE SUPPLEMENTAIRE

Alphonse Daudet Aux petits enfants (Les amoureuses).


Victor Hugo Lorsque l'enfant paraît {Les feuilles
d'automne).
Sully-Prudhomme La terre et l'enfant [Les solitudes).
Mme Desbordes- Valmore. . La grande petite fille.
Maurice MoREL Touche-à-tout [Violettes et prime-
vères) .
.

PORTRAITS d'enfants. Ii3

1. _ PRODIGALITÉ'.

Le pelit mendiant, pieds nus, suit son chemin;


De villai!;e en villaj^e il va tendre la main.
Traînant à ses côtés son bàlon et sa miche ^,
Car le rare passant d'aumône est assez chichî 3.

Devenu forcément philosophe "^


et rêveur.

Il marche d'un pas lent dans l'air plein de saveur,

Ecoutant les oiseaux qui se cherchent querelle.


Comme il est fatig"ué, près d'une passerelle ^

Il s'assied. Devaiit lui, les canards fendent l'eau.

Tout en donnant la chasse au moindre vermisseau ^\


Alors, cassant son pain, lentement, miette à miette,
Au milieu de leurs rang-s empressés il le jette 1

Car ce déshérité, prodig'ue et généreux.


Se donne le plaisir de faire des heureux.
(Mii»e G. MiisuREun, Nos Enfants. Lemerre.)

1 Prodigalité : action de dépenser sans prévoyance ce qu'on


possède.
2. Miche : pain rond.
3. Chiche avare.:

4- Philosophe détaché des biens de ce monde.


:

5. Passerelle : pont étroit.


6. Vermisseau : petit ver de terre.
Il4 I^A VIK DE l'lNFANT.

2. — LA LUNE.

Jeanne songeait, sur l'herbe assise, grave el rose;


Je m'approchai : « Dis-moi si tu veux quelque chose,
Jeanne? » Car j'obéis à ces charmants amours,
Je les guette' et je cherche à comprendre toujours
Tout ce qui peut passer par ces divines têtes.

Jeanne m'a répondu : « Je voudrais voir des bêtes. »


Alors je lui montrai dans l'herbe une fourmi :

« Vois! » Mais Jeanne ne fut contente qu'à demi.


« Non, les bêtes, c'est gros », me dit-elle

« Je n'ai pas d'éléphant sous la main, répondis-je.


Veux-tu quelque autre chose? ô Jeanne! on te le doit;

Parle. » Alors Jeanne au ciel leva son petit doigt :

« Ça », dit-elle. C'était l'heure où le soir commence.


Je vis à l'horizon surgir la lune immense.

(Victor Hugo, L'Art cVètre grand-père. Heizel.)

I. Je les guette : je les observe attentivement pour deviner ce


(ju'ils désirent.
PORTHAirS 1> K.NFA.MS. I ! :>

3. — FKÈIŒ EP SŒL II.

Frère et sœur, les peliols, se teiianl par la main,


Vont au rylhme' pressé de leurs bras qu'ils balancent ;

Des hauteurs et des fonds" de i^^rands souffles s'élancent ;

Devant eux le soir lourd assombrit le chemin.

Survient Torag'e, avec tout l'espace qui çronde,


Avec le rouj^e éclair qui les drape ^ de sang-,

Les barbouille de flamme en les éblouissant;


Enfin, la nuit les perd dans la foret profonde.

Ils ont peur des lou{»s; mais bientôt


Ils s'endorment. Et, diî là-haut,

La Lune, qui verdit ses nuages de marbre ""^j

Admire en les gazant- ces deux êtres humains


Sommeillant la main dans la main.
Si petits sous les si grands arbres.
(Maurice Rollinat. Fasquelle.)

1 . Rythme : mouvement cadencé.


2. Fonds : endroits creux.
3. Qui les drape de sang dont la lueur paraît les couvrir
:

d'un manteau rouvre.


4- Qui verdit ses nuages de marbre qui colore d'une teinte
:

verte ses nuages veinés comme le marbre.


5. En les gazant la clarté de la lune semble envelopper les
:

deux enfants comme d'une étoffe fine et transparente.


irO LA VIF-: i)i: l'km-ant.

4. — LA PETITE FILLE.

Elle est toute petite, et déjà, pour son âge,


Elle a des qualités de femme de ménag-e.
Elle prend une aiguille et me dit « Bébé coud. : »

En lissant ses cheveux, qui bouclent sur son cou.

Elle a des airs coquets de grande demoiselle;


Si nOus nous promenons, pour me montrer son zèle',
Elle porte en chemin sa pelle avec son seau
Et relève sa robe en passant un ruisseau;
C'est plaisant, son jupon étant si court qu'il cache
A peine ses genoux. Elle abhorre^ une tache;
Très studieuse, elle ouvre un livre et fait semblant
De lire; elle noircit d'encre le papier blanc;
Sans savoir la valeur des sous, elle les nomme
El les met dans sa poche en fillette économe.
Gomme pour un baiser son cœur est réjoui.

Je la crois douce et tendre; enfin, charme inouï^.


Ses goûts seront constants : voici deux ans qu'elle aime
Le chocolat au lait et la tarte à la crème.
(Mme G. Mesureur.)

1. Zèle bonne volonlé.


:

2. Abhorrer avoir en horreur.


:

3. Charme inouï : qualité telle qu'on n'a jamais vu la pareille.


PORTRAITS D ENFANTS. I I

5. — LES PETITS FAUTEUILS.

(fragments.)

Assis le long du mur dans leurs petits fauteuils,


Les deux babjs', chaussés de boltinettes bleues,
Reg-ardenl moutonner" des bois de plusieurs lieues.
Où l'automne a déjà tendu ses demi-deuils^.

Auprès du minet, g-rave et doux comme un apôtre"^,

Côle à côte ils sont là, les jumeaux^ ébaubis^,


Tous deux si ressemblants de visage et d'habits

Que leur mère s'y trompe et les prend l'un pour l'autre

1. Baby mot: anglais é(juivnlent du mot français « bébé ».


2. Moutonner : ce terme, qu'on emploie en général pour dési-
gner les flots de la mer agités et blanchissants, indique ici le

mouvement ondoyant des arbres secoués par le vent.


3. Ses demi-deuils les feuilles mortes sont comparées à des
:

vêtements de couleur sombre, que l'on porte dans la dernière


période d'un deuil.
4- Apôtre : on désigne sous le nom d'apôtres les premiers dis-
ciples de Jésus-Christ qui prêchèrent la relig^ion chrétienne, et,
d'une façon plus générale, les p.ersonnes qui répandent avec ar-
deur de grandes et belles idées.
5. Jumeaux : enfants qui sont nés ensemble.
0. Ébaubis : étonnés.
ii8 i.A vu: DE l'enfant.

Tout ravis quand leuis veux icncoiilrcnt par liasard


La inonclie qui bourdonne el qui l'ail la navette',
On les voit se pâmer ^, rire, et sur leur havettc
Saliver^ de bonheur à l'aspect d'un lézard...

La poule, sans jeler un g-loussemenf* d'alarme,


Regarde ses poussins se risquer autour d'eux,

Et le chien, accroupi, les surveille tous deux


D'un œil mélancolique on tremblole^ une larme...

Mais voilà que chacun, penchant son joli cou.


Ferme à demi ses jeux dont la paupière tremble;
Une même langueur ^ les fait bâiller ensemble.
Et tous deux à la fois s'endorment tout à coup.

Cependant qu'au-dessus de la terre anxieuse^


Le soleil se dérobe au fond des cieux plombés^
Et que le crépuscule, embrumant^ les bébés,
Verse à leur doux sommeil sa paix silencieuse.
(Maurice Rollinat. Fasquelle.)

1. Faire la navette : faire le va-et-vient, comme fait l'instru-

ment du même nom avec lequel on tire le fil.

2. Se pâmer : manifester une grande joie.


3. Saliver : baver.
t\. Gloussement cri de la poule qui appelle ses petits.
:

5. Où tremblote une larme où pend une larme qui va tomber.


:

6. Langueur : appesantissement.
7. Anxieuse soucieuse à l'approche de la nuit.
:

8. Plombés couleur blanc bleuâtre tirant sur le


: gris.
9. Embrumant : enveloppant de brouillards.
POHTKAITS I) KNFANTS. I H)

6. — LA VITRINE DU PATISSIER.

Taries, éclairs', biscuits faits pour d'épais couleaux,


Celte vilrine est là qui crève^ de gâteaux
Et fait, aux yeux de tous, déborder sur la rue
Des flots de confiture et de crème incong-rue^.
Tout passant qui reg-arde est par elle tenté.

Or, voici qu'un gamin, qui passait à côté,


Regarde : le voilà cloué net. Pauvre gosse!
Sa tête c'est des poils piqués sur une bosse.
Ses pieds plongent dans de formidables ''^
souliers
Usés. Quelques haillons^ joignent la tête aux pieds.
Il est là. Son regard misérable s'accroche
Et mendie. On le sent qui torture^ sa poche
Pour lui faire suer^ deux sous qui n'y sont pas.
O regard nu^, honteux, lâche et qui dit tout bas :

1 . Éclairs : sortes de g-àteaux allongés et remplis de crème.


2. Crève éclate, tant elle est pleine.
:

3. Incongrue si abondante qu'elle attire trop l'attention.


:

4- Formidables beaucoup trop grands pour lui.


:

5. Haillons vieux morceaux d'étoffes.


:

6. Torture tourne et retourne sans relâche.


:

7. Pour lui faire suer pour en faire sortir avec effort.


:

8. Nu : qui se laisse voir tel qu'il est.


I2() LA VIF I)i: i/kNFANT.

« Celui-ci ! celui-là ! non : les deux ! » La vitrine

Y passe tout entière cl lui la dé^luline',


Et son nez. où la concupiscence^ reluit,

Renifle^ ces gâteaux qui ne sont pas [)our lui.

(Maurice Mouel, A l'Ombre du foyer. Société


française (riinpi'iincrie et de librairie.)

1. La déglutine l'avale (en imagination).


:

2. Concupiscence désir violent.


:

3. Renifle : aspire fortement des narines.


PORTRAITS D ENFANTS. 12 1

PETIT MARIN

Un moussaillon '
du port sur la roule pierreuse
S'en allait, les pieds nus et les cheveux au venl.
H sanglotait tout liaut, d'une voix douloureuse.
Et, triste, j'écoutais sa plainte en le suivant.

Quatre ans à peine et seul, je frémis, oh! misère!


Peut-être l'avait-on battu, le cher mig"non.
Et, m'approchant de lui : « Petit, que fait la mère?
Pourquoi pleurer ainsi? tu souffres, dis Ion nom.

Réponds-moi, je pourrais te consoler sur l'heure.

Veux-tu qu'au prochain Lourg^' nous achetions du pain?


Aimes-tu les çàleaux? j'en ai dans ma demeure. »

Mais lui, pleurant plus fort : « Non, non, je n'ai pas faim ! »

Je serrai contre moi ce fils de mendiante.


Sa douleur apaisée, il sourit, l'orphelin.

Et, jugeant tout à coup ma mine confiante".


Pour conter son secret, il eut un air câlin ''^
:

1. Moussaillon : petit mousse.


2. Bourg : village important.
3. Confiante inspirant : la confiance.
4- Câlin caressant.
:
122 LA VIE DE l'eNFANT.

(( Si j'avais un baleau qui vog^ue sur la lame',


,1e ne pleurerais plus, je serais bien heureux;
Un bateau de bois blanc, c'est l)eau ! dites, madame;
Ou les paye cinq sous, et je n'en ai que deux. »

C'était là son regret, le sujet de sa peine.


Alors, comme une fée' exauçant son désir,

J'entrai chez le marchand et je lui fis choisir

Un beau bateau qui fut digne du capitaine.

(Mme G. Mesureur, Rimes roses. Lemerrc.)

1 . Lame : vaoïie de la mer.


2. Fée : être fantastique, doué d'un pouvoir surnaturel.
PORTRAITS d'enfants. I
2,'>

8. — L'ENFANT A LA COQUILLE.

Dans le t^rand salon la petite fille

A pris à deux mains la blanche coquille;


Elle la retourne en ses petits doigts,

Puis elle la met près de son oreille;

Et la blonde enfant soudain s'émerveille'


D'ouïr' vaguement chanter une voix.

Son œil bleu s'anime; elle est curieuse :

(( D'où viens-tu, dis-moi, voix mystérieuse^,.


Soupir étouffé d'un être inconnu? »

L'enfant cherche encor, sa tête se penche,


Interroge en vain la coquille blanche,

Oui poursuit tout bas son chant continu.

— Enfant, la coquille un jour fut tirée

De la orande mer, la mer azurée,


La mer insondable ""^
aux profondes eaux,
La mer qui parfois se met en colère

El qui se refuse à rendre à la terre

Les petits marins et les grands vaisseaux.

1. S'émerveille : s'étonne, pleine d'admiration.


2. Ouïr : entendre.
3. Mystérieuse dont l'orig-ine est cachée.
:

/|. Insondable dont on ne peut mesurer la profondeur^


:
1 2f\ LA VIE DK L* ENFANT.

Et quand, pour trouver la nacre' (jui brille,

L'avide pôcheur pèche une coquille,


Elle se souvient des gouffres amers.
Sitôt qu'on la met piès de son oreille.

On entend ^^émii" une voix, pareille

A la grande voix des vents et des mers.

Du sourd Océan c'est la plainte vague;


Des marins perdus, que roule la vague,
C'est l'appel lointain sur les vastes eaux...

... Songe, enfant, parfois, à la plainte amère


Des petits marins qui, loin de leur mère,
Vont bien loin, bien loin, sur les grands vaisseaux.

(Philippe Godet, Les Réalités. Fischbacher.)

I. Nacre substance dure


: et arg-entée qu'on trouve dans un
certain nombre de co(juiIles.
PORTRAITS D ENFANTS. IliO

9. — DEUX HÉROS'.

A peine réveillés, cliacuii d'eux s'ég^osille '


;

El l'on enlend crier : « Lorsque je serai g"rand,

Moi, je serai le Cid^! — Moi, je serai Roland^!


Et l'on me coupera mes long-s cheveux de fille !

— Moi, je m'habillerai loul en acier qui brille !

— Moi, mettrai tous mes ennemis sur


je le flanc ^ !

— Moi, mon cheval sera loul noir! — Le mien tout blanc !

— Moi, j'aurai Roncevaux — Moi, ! j'aurai la Caslille^^ ! »

Et, pendant toute la journée, on peut les voir


Splendides, furieux et fous!... Mais, vers le soir,
L'héroïque duo^ n'«sl pas reconnaissable ;

1. Héros : personnages qui accomplissent des aclions extraor-


dinaires.
2. S'égosille : crie très fort.
3. Le Cid célèbre chevalier espagnol qui s'illustra en combat-
:

tant les Maures; ses exploits ont été représentés au théâtre dans
la tragédie de Corneille qui porte son nom.

4- Roland neveu de Charlemagne, mort à Roncevaux en lut-


:

tant contre les Sarrasins.


5. Mettre sur le flanc : mettre hors de combat.
6. La Gastille province d'tlspaone qui vit naître le Cid.
:

7. Duo propos échanges entre deux personnes qui se répon-


:

dent l'une à l'autre presque en même temps.


1 'i6 LA vri: i)i: l'knfant.

I^^l, tandis qu'oubliant ses trop justes courroux,


lloland met ses deux poin«^s dans ses yeux pleins de sable
'

Le Cid, en big"oudis', s'endort sur mes genoux !

(Rosemonde Rostand.)

1. Sable voir pag-e 17, note i.


:

2. Bigoudis sortes d'cpini^les autour des(jucllcs on enroule


:

les cheveux pour les friser.


PORTRAITS D*ENFANTS. [2

10. — SLR UNE BARRICADE ».

Juin 187» 2.

Sur une barricade, au milieu des pavés


Souillés^ d'un sang coupable et d'un sang- pur lavés,
Un enfant de douze ans est pris avec des hommes.
(( Es-tu de ceux-là, toi? » L'enfant dit : « Nous en sommes.
— C'est bon, dit l'officier, on va te fusiller.

Attends ton tour. » L'enfant voit des éclairs briller,


Et tous ses compagnons tomber sous la muraille.
Il dit à l'officier : « Permettez-vous que j'aille

Rapporter cette montre à ma mère chez nous?


— Tu veux — Je revenir. — Ces voyous^
t'enfuir? vais
•Ont peur! Où loges-tu? — Là, près de fontaine; la

Et je vais revenir. Monsieur le capitaine.

Barricade
1. amoncellement d'objets divers destine à barrer
:

une rue.
2. Juin 1871 l'épisode raconte ici est un épisode de la Com-
:

mune. Après la guerre de 1870-71 et la défaite de la France, Paris


fut en proie à des insurrections, qui turent réprimées par l'armée.
L'enfant, dont il est question dans ce morceau, a été arrêté avec

les insurgés, qui sont tour à tour fusillés.


3. Souillés : salis.

'h- Voyous : enfants mal élevés, (jui rôdent dans les rjes.
128 LA viK i)i: l'enfant.

— Va-t-eii, drôle'. » L'enl'anl s'en va. — l^iège^ grossier.

El les soldats riaient avec leur officier,

Et les mourants mêlaient à ce rire leur râle^;


Mais le rire cessa; car, soudain, l'enfant pâle.
Brusquement reparu, fier comme Viala ''^,

Vint s'adosser au mur et leur dit : « Me voilà! »

La mort stupide eut lion te, et l'officier fit grâce.

(Victor Hugo, L'Année terrible. Hetzel.)

1. Drôle mauvais sujet.


:

2. Piège tromperie.
:

3. Râle son rauque ({ui précède


: la mort et qui est produit par
la difficulté de la respiration.

l\. Viala : enfant célèbre par son héroïsme; né à Avignon


en 1780, il fut tué par les royalistes sur les bords de la Durance
en 1798.
CHAPITRE VIII

Premières tristesses.

Car déjà la douleur sacrée


M'avait posé son crêpe noir.

(Sully-Pbcdhomme.)
CONTENU DU GJlAPrmK

1. Poupée cassée (Mn^^ q. Mesureur).


2. Désespoir (Victor Hugo).
3. Chagrin d'enfant (M'"e G. Mesureur).
4. La découverte de bébé (Charles Fuster).
5: Soirs (Fernand Gregh).
6. Les moineaux (François Fabié).
7. Premier départ (Jean Richepin).
8. L'enfance qui travaille (Victor Hugo).
9. Le départ du fils (Brizetjx).

10. La grand'mère (Victor Hugo).

LISTE SUPPLEMENTAIRE

Sully-Prudhomme. Première solitude [Les soJ il iules).


— Le premier deuil [Les soliliides).
phe.mii;hi:s tristesses. Di

1. — l^OUPEE CASSEE.

Elle n'a point jeté de cris,

Mais de stupeur' elle est frappée;


A terre gisent^ les débris

De la tète de sa poupée.

Et, navrante-' réalité,

La poupée a l'air d'une morte;


L'inerte corps décapité^
S'étend au Ira vers de la porte.

Elle n'ose pas le touclier.

Ce cher cadavre la fascine^;


Dans mes bras elle vient cacher
Les pleurs qui pondent sa poitrine.

C'est bien une ardente douleur,


L'éclat d'un sanglot véritable;
Et je sens que son petit cœur
Juge le mal iiréparable.

1. Stupeur : état d'une personne qu'une douleur subite rcn


immol)lIe et comme hébétée.
2. Gisent : sor.t étendus.
3. Navrante : (jui cause une vive affliction,

''l- Décapité : sans tête.


-"). La fascine : attire tous ses regards.
l32 LA vu: DE l'KxNFANT.

Mais son chaî^'^rin va s'apaiser,


Heureuse celle qui console !

Je vais, au doux prix d'un baiser,


Lui racheter nne autre idole'.
(M'iio (i. Meslueuh, /{i/ncs roses. Lcnicrre.)

I. Idole : objet que l'on aime avec une sorte de culte.


PREMIÈRES TRISTESSES. I 33

2. — DESESPOIR.

Mais, lorsque j'arrivais chez ma mère, souvent.


Grâce au hasard taquin' qui joue avec l'enfant,
J'avais de g^rands chagrins et de g^randes colères.
Je ne retrouvais pUis, près des ifs^ séculaires^.
Le beau petit jardin par moi-même arraug'é.
Un gros chieu, en passant, avait tout ravagé.
Ou quelqu'un dans ma chambre avait ouvert mes cag^es.
Et mes oiseaux étaient partis pour les bocages'^.

Et, joyeux, s'en étaient allés de fleur en fleur


Ohercher la liberté bien loin, — ou l'oiseleur \
Ciel! alors j'accourais, roug-e, éperdu^, rapide,

Maudissant le g-rand chien, le jardinier stupide,


Et l'infâme'^ oiseleur et son hideux^ lacet ^,
Furieux ! — D'un regard ma mère m'apaisait.
(Victor IIuGo, Les Rayons et les Ombres. Helzel.)

1 . Taquin : contrariant.
2. Ifs : arbres toujours verts, aux feuilles longues et étroites.
3. Séculaires Agés de plus d'un siècle.
:

4. Bocages : bosquets, petits bois.


5. Oiseleur : celui qui fait métier de prendre et d'élever les
oiseaux.
6. Éperdu : violemment açité.

7. Infâme : haïssable, odieux.


8. Hideux : horrible.
9. Lacet : sorte de filet.
I 1^1 LA \IK I)K l'enfant.

3. — C11A(JIUX D'EXFAXT.

Uiiaiid sa mère est |)arlie, il a souri, le traître',

Proiïieltaiit d'être sai^e et de ne [)()iiit pleurer;


H cacliail sou cliagrin, et ne laissait paraître
Un un regret, (jui semblait à peine Fenieurer'.

Il est l'unique objet des soins de la servante,


Dont le sûr dévoûinent écarte tout dang-er;
Dans son doux lit il peut dormir sans épouvante
Et, jusqu'au lendemain, faiie un song-e léger.

L'enfant n'a pas usé du pouvoir de ses larmes


Pour retenir, d'un mot, sa mère auprès de lui ;

Il ne se plaindra pas; il a trouvé des charmes


A g-arder pour lui seul son douloureux ennui.

Mais si ses yeux sont clos, innocent stratagème^,


Si son corps est blotti^ mol édredon %
sous le

Il sanglote tout l)as, il sent combien il aime,


Souffrant de ce départ comme d'un abandon.

1. Traître m3t volontairement exagéré, qui désigae


: ici i'en-

i.mt (jui cache son chaa^i-in.


2. Effleurer atteindre légèrement.
:

3 Stratagème : ruse.
4 Blotti : replié sur lui-même.
5. Ldredon : couvre-pied garni de duvet.
IMIK.MIKUKS TKISTESSKS. l7)

Kieii ne le dislraira, ni le conte frivole',

Ni les refrains naïfs, ni l'album en couleur;


Ce soir, il ne veut pas que sa peine s'envole,
Et, martyr' org-uei lieux, il chérit sa douleur.

Pendant (jue la servante à son chevet- sommeille,


H sait Tàpre ^ plaisir de se sacrifier;
Et, triste, en attendant sa mère, l'enfant veille...

Gomme il mentait pourtant! à qui donc se fier?


(M'ue G. Meslrklr, Rimes roses. Lernerre.)

1. Frivole : desliué à l'amuser.


2. Martyr subissant avec
: résii:;nalion de cruelles soufFrances.
3. Chevet tète du lit.
:

4- Apre amer.
:
l'M) I.A VIK 1)K l'kNFANT.

4. — LA DECOUVERTE DE J3EHE,

(fragment.)

Bébé ne savait pas ([u'eii la poilrine fcèle',


Pour un être chéri qui vous blesse^ ou qui part,
S'éveillât nue voix douce et surnaturelle^,

Et qu'on pût avoir mal sans bobo nulle [)art.

Ce soir, papa grondait, et maman s'est sauvée^


Dans sa chambre, où la suit le petit, tout peureux,
Elle a dit à Bébé : « Va! je suis énervée"^... »

Et c'est comme un silence obscur qui pèse entre eux.

La mère, cependant, fiévreuse, machinale^,


Arrache des rubans, déchire des billets,

Brûle de vieilles fleurs, en reste toute pâle.


Près du petit, tout rouge et les yeux inquiets.

I. Frêle : frag-ile.

2. Blesse du mal.
: fait

3. Surnaturelle qui vient on ne sait d'où.


:

4. Énervée dans un état d'agitation.


:

5. Machinale faisant des mouvements sans


: le vouloir.
PRKMIKRF.S TRISTESSES.

Et tout à coup Bébé seul là, sous sa meiioile,


Qucl(jue chose qui bal, tantôt avec lenteur.
Tantôt plus fort, et qui palpite", et qui sanijlolL' :

De le sentir blessé, Bébé trouve son cœur.

Lon;»tein[)s il reste là, sa frimousse étonnée


Du tic-tac réij:ulier qu'il touche, qu'il entend.

Puis il s'en va, rêveur : il sera, la journée,

Fier de sa découverte, et malheureux pourtant.

(Charles Flster, Les Enfants. Fisclibachcr. )

1 . Qui palpite : <iui fait des mouvements violents et irrécruliers.


i38 \.\ vir, DE t/knfant.

5. _ SOIRS.

Parfois, quand le soleil baissait dans les grands chônes,


Et que l'azur lég-er à travers les rameaux
Palissait, et qu'au foud du val', dans les hameaux^,
Les cloches s'en volaient des ég"lises prochaines,

Nous écoulions tous deux, retenant nos haleines^,


Grincer sur les pavés l'essieu^ des chariots,
Oui s'en venaient, avec des heurts et des cahots %
Des champs brumeux, sur tous les longs chemins des plaines.

Et nous sentant soudain captifs^ dans la Maison,


Tandis qu'au loin de nous montaient de l'horizon
Les cloches et ces bruils de grands chars sur les routes,

Nous pleurions seuls, perdus dans l'ombre des feuillées''.

Et nos pleurs sur nos mains tombaient à tièdes g"Outtes.

Et nous nous caressions avec nos mains mouillées.


(Fernand GaEC.H, La Maison de l'enfance.
Calniann-Lévj.)

1 . Val : vallée.
2. Hameau : petite ag-oflomération de maisons.
3. Haleine : souffle de la respiration.
4- Essieu : pièce de fer qui passe dans le moyeu, partie cen-
trale des roues.
5. Cahot : saut d'une voiture sur un chemin raboteux, inégal»
G. Captif : prisonnier.
7. Feuilles : feuillage.
FREMIÈUKS TRISTESSES. l3(|

6. — LES MOINEAUX.

La neig"e tombe par les rues


El les moineaux, an bord du loil,

Pleurent les graines disparues.


(( J'ai faim ! » dil l'iin; l'autre : « J'ai froid ! »

(( Là-bas, dans la cour du collège,


Frères, allons glaner' le pain.
Que toujours jelle —ô sacrilège"! —
Quelque écolier qui n'a plus faim. »

A cet avis, la bande entière


S'égrène ^ en poussant de grands cris.

Et s'en vient garnir la gouttière*^

Du vieux collège aux pignons^ gris.

1. Glaner le pain ramasser les miettes de pain, comme ou


:

ramasse dans un champ les épis de blé qu'ont laissés les moisson-
neurs.
2. Sacrilège : action de faire un usai>e impie de ce qui est

sacré.
3. S'égrène s'éparpille, se disperse çà et là.
:

l\. Gouttière petit canal i[ui re<;oit l'eau des toits.


:

.").
Pignon dius une maison à deux toits, partie supérieure du
:

mur qui se termine en pointe.


1^0 LA vu: DK i/kniant.

C'est riieurc va^^ue où, dans Fctude,


Pr^s du pocle an lourd roidleincnt,
Les écoliers, de lassitude.
S'endorment sur le rudiment'.

Un seul, auprès de la fenêtre,


— Petit rêveur au fin museau, —
Se plaint que le sort l'ait fait naître
Ecolier, et non pas oiseau.

Le coude posé sur le livre,

Il suit son rêve vaporeux^.


Et voit les moineaux sous le g-ivre^.

En se disant : « Sont-ils heureux! »

Il ne sent point qu'il est atroce


''^

De fouler pieds nus le g"résil-\

De redouter le chat féroce.

Et le lacet *^, et le fusil ;

1 . Rudiment : livre qui contient les premières notions, notam-


ment de la langue latine.

2. Vaporeux : très vague.


3. Givre : page 85, note 3.
voir
/|. Atroce extrêmement
: pénible,
ô. Grésil grêle:blanche et menue.

6. Lacet : filet.
pui:mii;i\i:s tuistesses. i4i

De voir voler la cliènevière ',

Et d'attendre que le fermier


Mène ses bœufs à la rivière,

Pour i^ratter un peu de fumier;

Puis, le soir, la faim aux entrailles,


De n'avoir que le vieux clocher
Ou quelque trou dans les murailles
Du noir couvent pour se nicher^;

Avec les cauchemars-'' sans nombre


Que la faim procure, la nuit.

Et le hibou ^, — milan- de l'ombre, —


Dont l'aile ne fait point de bruit...

Non ; il ne voit, l'écolier blême.


Que des ailes et l'horizon;

Pour le captif, tout le problème


Est de sortir de sa prison.

1. Chènevière terrain où
: l'on a semé le chanvre; la graine
du chanvre est le chènevis.
2. Se nicher s'abriter.
:

3. Cauchemars : rêves effrayants.


4. Hibou : oiseau nocturne.
5. Milan : oiseau de proie.
l42 LA VIE DE l'enfant.

II ne voit que vertes feuillées,


Que chanvres murs, que seigles d'or,
'

Ou'interminal)les ^azouillces
Par les doux soirs de fructidor^.

La misère? — mais il la brave,


L'hiver? — il déleste l'été.

Les ennemis? — il est très brave :

Du pain noir et la liberté!...

(François Fabié, La Poésie des hètes.


Lemerrc.)

I. Gazouillées : gazouillements.
'2. Fructidor : mois des fruits, douzième mois du calendrier
répu])licain (i8 aoùt-iô septembre).
PREMIÈRRS TRISTKSSES. I 4-^

7. _ PREMIER DÉPART.

Quand s'entr'ouvrent les yeux '


des marguerites hlanches,
Quand le bourgeon" tremblant palpite au bout des branches,
Quand les lapins frileux^ commencent, le matin,
A sortir du terrier"* pour courir dans le thym-.
Quand les premiers oiseaux chantant leurs chansonnettes
Font, dans le ciel plus pur, vibrer leurs voix plus nettes,
A l'époque où le monde heureux se rajeunit,

Les petits mendiants doivent quitter leur nid.


Ils sortent de la hutte ^ où, comme des marmottes",
Ils ont dormi l'hiver auprès d'un feu de mottes^,
Cependant que la mère attisait le brasier^

Et tressait en chantant des corbillons d'osier'^.

1. Les yeux : le poète désii^-ne ainsi le cœur jaune de la mar-


guerite.
2. Bourgeon : boulon qui pousse aux ai'bres.
3. Frileux : qui craig-ncnt le froid.
4- Terrier : trou dans la terre, où se retirent certains animaux.
5. Thym : plante odorilérante.
0. Hutte : petite cabane.
-. Marmotte : quadrupède rongeur qui reste endormi pendant
l'hiver.
8. Mottes : petites masses plates et rondes, g-énéralcmenl faites
avec l'écorce de certains arbres, et servant de combustible.
9. Attisait le brasier : excitait le feu.
10. Corbillons d'osier : petites corbeilles faites avec des tiges
d'osier tressées.
l/|4 lA VIE DK i/eNFANT.

(resl à vendre ces i)lancs hocliels' aux verts losan^i^'es^

Qu'ils vont g-ag-ner leur pain, les pauvres petits anges.


Le père est mort depuis quatre mois. La maison
Est trop clière à louer, et, pour cette raison,

La mère chez autrui va devenir servante.


On se retrouvera pour la saison suivante.
Quand on aura gagné quelque argent cet été.
En attendant, chacun s'en va de son côté.
Les petits prennent leur baluchon^ sur l'épaule
Et mettent leurs sabots au bout garni de tôle'^.

Et quand la mère, avec des sanglots dans la voix,

A baisé le dernier une dernière fois.

Ils partent, se tenant par la main, d'un air grave.


L'aîné siffle un refrain pour paraître plus brave;
Mais il sent de gros pleurs lui rouler dans les yeux.
Il ne pleure^a pas; car c'est lui le plus vieux.

Car le long des chemins voici qu'ils sont en marche.


Et l'enfant de douze ans devient un patriarche^.
(Jean Richepin, La Chanson des gueux.
Fasquelie.)

1. Hochets : objets de peu de valeur.


2. Losange : figure géométrique dont les quatre côtés sont
égaux, et qui a deux angles aigus et deux angles obtus.
3. Baluchon paquet grossièrement arrangé.
:

4. Tôle feuille de fer.


:

5. Patriarche chef de famille^ généralement


: très vieux.
PREMIKRES TRISTESSES. I 4'^>

8. _ LEXFAXCE Ol'I Tl\A VAILLE.

Où vonl tous ces eiifanls dont pas un seul ue ril ?

Ces doux êtres peusifs (jue la fièvre maigrit?


Ces filles de huit aus qu'où voit cheuiiner seules?
Ils s'eu voul travailler quiuze heures sous des meules' ;

Ils voul, de Taub.' au soir, faire éteruelleuieut


Daus la uièuie prison le même mouvement,
Accrou{)is" sous les dents d'une machine sombre,
Monstre lîideux qni nuiche-^on ne sait quoi dans l'ombre.
Innocents dans un bag"ne \ an£;es dans un enfer,
Ils Ira vaillent. Toul esl d'airain, toul est de fer-\

Jamais on ne s'arrête et jamais on ne joue.


Aussi, quelle pâleur! la cendre^ est sur leur joue.

1. Meules : pierres lourdes et rondes qui servent à Ijroyer ou


à aii;'aiser.
2. Accroupis : d:ins la position d'une personne assise sur ses
talons et repliée sur elle-même.
3. Mâcher : broyer avec les dents.
4. Bagnelieu où étaient enfermés autrefois
: les forrats, cri-
minels condamnés aux travaux forcés.
5. Tout est d'airain, tout est de fer : le poète veut dire que
dans les usines où travaillent ces enfants la vie est très dure.
6. La cendre : la pâleur de leur teint fait apparaître leurs
joues comme couvertes de cendre.
10
l/\{) LA VIK 1)K l'enfant.

11 l'ail à peine jour, ils sont tléjà l)ien las'.

Ils ne comprennent rien à leur destin, hélas !

Ils semblent dire à Dieu : a Petits comme nous sommes,


Notre Père, voyez ce que nous font les hommes! »

(N'ictor HcGo, Les (Jonfe//i/}/(/t{o/is, Mclnitcliolid.


Helzei.)

1. Las : tali^ués.
PREMIÈRES TIUSTESSES. I /|
7

9. — LE DEPART Dr FILS.

Je crois Fenlendre encor, quand, sa main sur mon bras,


Autour des verts remparts nous allions pas à pas :

« Oui, quand tu pars, mon fils, oui, c'est un vide immens »,

Un morne' et froid désert où la nuit recommence;


Ma fidèle maison, le jardin, mes amours,
Tout cela n'est plus rien ; et j'en ai pour huit jours.
J'en ai pour tous ces mois d'octobre et de novembre,
Mon fds, à te chercher partout de chambre en chambre ;

— Song-e à mes longs ennuis ! — et, lasse enfin d'errer,


Je tombe sur ma chaise et me mets à pleurer.
Ah! souvent je l'ai dit : Dans une humble cabane.
Plutôt filer son chanvre, obscure paysanne!
Du moins on est ensemble, et le jour, dans les champs,
Quand on lève la tète, on peut voir ses enfants.
Mais le savoir, l'orgueil, mille folles chimères"
V^ous rendent tous ingrats, et vous quittez vos mères.
Que nous sert, o mon Dieu! noire fécondité^,
Si le toit paternel est p:ir eux^ déserté;

1. Morne : triste.
2. Chimères : vains oi)jcts à la poursuite desquels on s'élance.
3. Fécondité le : fait d'avoir beaucoup d'enfants.
4- Par eux par : les eofants.
I 48 i.A mi: dk f/knfant.

Si, quand nous viendra l'âge (et bientôt j'en vois l'Iieurej,

Parents abandonnés, veufs' dans noire demeure.


Tournant languissamment^ les yeux autour de nous.
Seuls nous nous retrouverons, tristes et vieux époux? »

Alors elle se tut. Sentant mon cœur se fondre^.

J'essuyais à l'écart mes pleurs pour lui répondre.

(lÎRizEL'x, Mai- le.)

1. Veufs : ici dans le sens de « sans enfanls ».

2. Languissamment : mélancoliciuemenl.
3. Se fondre : se briser.
PREMIÈRES TRISTESSES. I
49

10. — LA GRAND^MERE.

(( Dors-lu?... Réveille-toi, mère de notre mère!


D'ordinaire, en dormant, la bouche remuait;
Car ton sommeil, souvent, ressemble à ta prière.

Mais, ce soir, on dirait la madone de pierre' :

Ta lèvre est immobile et ton souffle est muet.

Pourquoi courber ton front plus bas (jue de coutume?


Quel mal t'avons-nous fait pour ne plus nous chérir?
Vois, la lampe pâlit, l'âtre^ scintille et fume;
Si tu ne parles pas, le feu qui se consume.
Et- la lampe, et nous deux, nous allons tous mourir.

Tu nous trouveras morts près de la lampe éteinte;


Alors, que diras-tu quand tu l'éveilleras?
Tes enfants, à leur tour, seront sourds à ta plainte.

Pour nous rendre à la vie, en invoquant ta sainte.

Il faudra bien longtemps nous serrer dans tes bras!...

1. La madone de pierre : la statue de la Sainte Vierge.


2. L'âtre : le foyer de la cheminée.
I.)() LA VIK DE L ENFANT.

Monlre-nous donc la Jiihic '


et les belles inia;^i;es,

I.e ciel d'or, les saints i)leus, les saintes à genoux,


I /Enfant Jésns, la crèclie^, et le bœuf, et les mages ^;
l'ais-nons lire du doigt, dans le milieu des [)ages,
lu peu de ce latin qui j)arle à Dieu de nous...

1 )ien ! que tes bras sont froids! rouvre les yeux... Naguère
Tu nous parlais d'un monde où nous mènent nos pas,
Va (le ciel, et de tombe, et de vie éphémère ''^;

Tu parlais de la mort!... Dis-nous, ô notre mère!


Oii'est-ce donc que la mort? — Tu ne nous réponds pas... »

Leur gémissante voix longtemps se plaignit seule.


! a jeune aube parut sans réveiller l'aïeule.

La cloche frappa l'air de ses funèbres coups;


L't, le soir, un passant, par la porte entr'ouverte,
Vil, devant le saint livre et la couche déserte,

Les deux petits enfants qui priaient à g^enoux.


(Victor Hugo, Odes et Ballades. Hetzel.)

1. Bible : livre qui contient les Ecritures Saintes.


La crèche mang-colre à
2. : l'usage des animaux, où Jésus fut
déposé quand il naquit.
3. Les mages : il s'agit des trois rois qui vinrent d'Orient
lîeihléem pour adorer Jésus à sa naissance.
11. Ephémère : de courte durée.
LIVRE II

LA DECOUVERTE DU MONDE
CHAPITRE I

Le monde des Plantes

O fleuis, vous qui couvrez la terre


Comme dun splendide manteau...
(Maurice BoucHon.)

<> vous qui, dans la pai.v et la grâce fleuris.


Animez et les cliauips et vos forêts natales,
Enfants silencieux des races végétales,
Beau.v a bres, de rosée et de soleil nourris.

(Anatole France.)
co>;tf^:m: du ciiAiMniE

1 . Pi'inievères (M'"^' ]>e Pressensé).


2. Le 1)011 ton d'or (Théodore Botrel).

3. Le liseron (Maurice Rollinat).

4- Botanique (Paul Arosa).


5. La chanson de la fleur (Jérôme Doucet).
G. L'esprit des fleurs (Louis Bouilhet).

7. Les premières cerises (Alexandre Piédagnel).


8. La chanson du cerisier (Jean Aicard).
f). La mort d'un chêne (Victor de Laprade).
10. Hvmne aux arbres (Adolphe Retté).

LISTE SUPPLEMENTAIRE

Théophile Gautier. La fleur qui fait le prinîcmps {Emaux et


Camées).
— Camélia et Pâquerette {Emaux et Camées),
Albert Mérat Les fleurs de Paris {Poèmes de Paris).
— Les fleurs de pommier {Au Jil de Veau).
— Les lilas {Au fil de Veau).
André Theuriet. . , Le chanvre {La vie rustique).
Maurice Bouchor. . Les fleurs.
U: MONDE DKS PLANTES. U).»

1. _ PRIMEVERES.

L'air est lég-er, le soleil brille

Dans un ciel de mars attiédi;


'

L'eau claire ruisselle et babille

Sous l'herbe du pré reverdi.

Tout renaît, loul vit, tout lespire,

Et la nature à son réveil


Semble s'essayer à sourire

A ce doux ravon de soleil.

Déjà la sève^ à chaque branche.


Faisant gonfler le bourgeon noir,
Monte de la terre et s'épanche

Dans l'arbre frémissant d'espoir.

^
Déjà, joyeuse avant-courrière
Du printemps que nous pressentons'^,
Une touffe de primevère
Enir'ouvre ses pâles boutons.

1. Babille l'eau, par ses clapotements, est comparée à unr


:

personne qui parle d'une façon continue.


2. La sève liquide qui sert à la nutrition des plantes.
:

3. Avant-courrière qui annonce l'arrivée.


:

4. Nous pressentons nous sentons venir.


:
l5() LA DKCOMVKU lie DU MONDF':.

(]e n'est ciicoi" (ju'uiic promesse,


ï/liiver est j)r<)m|)t à revenir.

Peliles lleiirs, rien ne vous presse,

Un souille ponrrait vous flétrir.

Il faut (pie le soleil déplif se

Lentement, sous son chaud rayon.


Chaque feuille du vert calice'

Oui vous sert de molle prison.

Alors, belles touffes fleuries,


En voyant briller vos yeux d'or
Dans l'herbe verte des prairies.
Nous dirons L'hiver est bien mort.
:

(M'»e DE PuEssENSÉ, Nimite. Fischbaclier.)

I . Calice : enveloppe extérieure des fleurs.


LE MONDE DES PLANTES. I.jy

2. — LE BOUTON D'Oll.

Dédaigneux des fleurs de jardins,


Je respecte les fleurs niysli(|ues '
;

Mais j'adore les fleurs rustiques


Pour qui vous u'avez que dédains;
El ma préférée est encor,
Entre toutes, l'humble fleurette,
Landerirette' !

Oui s'a()pelle le boulon d'oi-.

Dès que la jeune Aurore a lui,

Il met le nez à sa l'eue Ire :

Dans les brins d'herbe on le voit naître,


Dans l'herbe haute comme lui. —
Ai-je raison? Avez-vous toit?
Vous préférez la violette,

Landerirette!
Moi, j'aime mieux le bouton d'or.

Sitôt que le vent souffle un peu.


J'admire le i^rand blé qui bouge :

Le pavot m'y paraît trop rouge,


Le bliiet m'y semble trop bleu.

1. Mystiques : .luxquelL's ou aUrilme un sens caché.


2. Landerirette : ces syllabes, qui n'ont pas de sens, forment
une sorte de rc-rraiii.
158 LA DKCOUVERTF'] DU MONOK.

Avec son Cd'ur en siinilor',

J'aime prcsfjiK^ la pàqueretle,


Laiiderirelte !

Mais j'aime mieux le bouton d'or.

Les ipH-aiids lis, avant leur trépas,


Avaient des §"ràces souveraines :

Reines des fleurs sont fleurs de reines"...


Les roses? Oui, je ne dis pas.
Mais elles embaument bien fort.

Et moi j'aime une odeur discrète,


Landerirette !

Oui, j'aime mieux le bouton d'or.

Et puis, et puis, que vous dirai-je?


'
C'est la fleur de toute saison; '

Chez nous on la trouve à foison^ :

On dirait que Dieu la protéine.

Et puis, c'est le soleil d'Armor^,


Qui dore ainsi sa collerette^,

Landeiirette !

Et puis,... j'aijue le bouton d'or.


(Théodore Botrel.)

1. Similor alliage de cuivre et de zinc qui a l'aspect de l'or.


:

2. Fleurs de reines car le lys est l'emblème de la royauté.


:

3. A foison en grande quanlité.


:

4- D'Armor de Bretagne.
:

5. Sa collerette sa corolle qui a la forme d'un petit col.


:
LK MONDi: DKS PI.ANTES. I Hç)

3. — LK LlSi:iU)x\.

Le liseron' esl un calice^


Qui se balance à lleur-^ de sol ;

L'éphémère'^ y suspend son vol,


Et la coccinelle^ s'v ;»iisse.
s'

Le champignon rugueux et lisse,

Parfois lui sert de parasol^;


Le liseron'^esl un calice

Oui se balance à fleur de sol.

Or, quand les champs sont au supplice'^.

Brûlés par un ciel espagnol^.


Il tend toujours son petit bol
Afin que l'averse l'emplisse :

Le liseron est un calice.

(Maurice Rollinat. Fasquelle.)

1 . Liseron : plante o-rlmpante, dont les fleurs sont en entonnoir.


2. Calice : vase dont on se sert pour la messe.
3. A fleur de sol : tout près du sol.

4- Ephémère : insecte qui ne vit qu'un jour,


5. Coccinelle : insecte connu sous le nom de « bète à bon
Dieu ».

0. Parasol sorte d'ombrelle qui protège du soleil.


:

7- Sont au supplice souffrent par suite de la sécheresse.


:

8. Espagnol dont la chaleur rappelle la chaleur de l'Espagne.


:
iGo LA DKCOUVERTE DU MONDE.

1. — BOTAMQUE'.

Enfaiils, prenez bien g.u'de aux (leurs (juevous cueillez !

Prenez la marguerite, dont vous efï'euillez

La corolle" de neige entre vos doigls agiles,

La {)ervenche^ azurée, aux pétales fragiles,


L'hunible myosotis, la sauge '^
au xœur pourpré^,
L'exquise violette et le bleuet des prés.
Eiifants, dans les jardins, cueillez à pleines g-erbes

La verveine embaumée, et les g-rands lis superbes,


Le glaïeul ^^
odorant où le frelon'' s'endort,
Et, dans les g"azons verts, les jaunes boutons d'or.
Dans les grands bois, cueillez le blanc muguet qui semble.
Lorsque le vent l'agite, une perle (}ui tremble;
Cueillez, 'près de l'étang, l'iris bleu des roseaux
Et les clairs nénuphars^, qui dorment sur les eaUxV :

1. Botanique : étude des planîcs.


2. La corojle : la partie la plus voyante de la fleur, (jui enve-

loppe les étamines et le pistil; elle est formée j)ar la réunion des
pétales.
3. Pervenche plante à la corolle bleue.
:

4- Sauge fleur rouge en forme de lèvres.


:

5. Pourpré couleur roug-e foncé.


:

G. Glaïeul : plante à feuilles longues et étroites, dont les fleurs


sont en forme d'entonnoir.
7. Frelon : sorte de içrosse guêpe.
8. Nénuphars : plantes aquatiques, à fleurs jaunes ou blanches.
Li: Mo.NDi: iji:s i>i.ami:s. iGf

Ces lleurs-Ià, prenez-les, enfanis, ce sont les vôtres,

Votre ànie peut s'y niiiMM*' ; laissez-nous les autres.

Car la triste pensée, an mantean de velours.


Le souri", dont le vent balance le front lourd,

La f^lycine \ (pn ineurl dans la main (pii la cueille,

Le froid camélia '^j l'enivrant chèvrefeuille -%

La digitale'' amère aux lobes '^


diaprés^.
L'aubépine épineuse et les œillets poivrés^.

Les chardons '°, trop nombreux toujours dans les corbeilles,

Le noir pavot mortel", qui fait peur aux abeilles,


La rose, enfin, qui blesse aussitôt qu'on la prend.

Toutes ces fleurs, enfants, ne sont pas vos pareilles,


El vous les cueillerez lorsque vous serez j^rands.

(Paul Arosa, L'Ame Iieiwense. Stock.)

1 S'y mirer
. s'y contempler.
:

2. Souci fleur jaune, d'une odeur forte.


:

3. Glycine plante o-rimpante dont les fleurs, bleues ou blan-


:

ches, sont en forme de grappe.


l\. Camélia fleur d'une blancheur très pure.
:

5. Chèvrefeuille arbrisseau grimpant, aux fleurs très odo-


:

rantes, dont le parfum porte à la tète.


G. Digitale plante dont les fleurs ont la forme d'un doigt.
:

7. Lobes parties découpées d'une fleur.


:

8. Diaprés aux diverses couleurs.


:

9. Poivrés dont l'odeur très forte semble piquer comme celle


:

du poivre.
10. Chardons : plantes à feuilles épineuses et à fleurs mauves.
11. Mortel : qui peut causer la mort par le pouvoir qu'il a
d'endormir.

U
l(»2 F.A DKCOUN KUTi: IJU .MONHK.

5. — LA CHANSON DM LA KLEUH.

Les fleurs au hoiil des li^^es vertes,


Eulr'(ju\(M'les,

Sont des l)rûle-j)arfums discrets;


De leur cœur moule une fumée
Invisible, mais parfumée,
Et troublante comme un secret.

Les fleurs au liout des liges vertes,

Eulr'ouverles,
Sont les auberges' du grand ciel,

Où la genl^ insecte se grise ^,


Où l'abeille à la robe grise
Vient puiser le suc de son miel.

Les fleurs au bout des tiges vertes,


Gi'and'ouverles"'^

Sur la palette^ du bon Dieu,


Sout les couleurs dont il décore
Le soleil couchant ou l'aurore.
Et fait le bonbeur de tant d'veux.

1. Auberge : endroit où l'on trouve à boire et à manger.


2. La gent : la race.
3. Se grise s'enivre.
:

4- Grand'ouvertes régulièrement : il faudrait dire « grandes


ouvertes ».

5. Palette : petile planche sur laquelle les peintres placent


leurs couleurs.
LK .MO.Xni: HKS IM.A.NTES. 1 03

La lleiir, sur sa ti^e coupée,


Dans l'caii trompée,
Uocliise '
en noire apparlenient,
Le matin si fraîche, à l'orée'

Lanî^uit, soullre, et, décolorée,

Ouand vient le soir, meurt tristement.


(Jérùnic Doi CKT, Iai C/ianson des choses.
Henry May.)

1 . Recluse : enfermée.
2. A l'orée : ce mot, qui dans l'expression « l'orée d'un bois »

sii>:niHe u la limite d'un bois », paraît désii^ner ici la partie du


jour intermédiaire entre le matin et le soir.
i64 l'A i)i':couvi;ini: ix mondi:.

0. _ L'ESPIUT' DES FLEURS.

Syl[)lie" lég^er, fils des molles losées,


J'aime à bondir sur les g-azons en lleiirs,

Et l'arc-en-ciel aux leinles irisées^


Fait à mon front chatoyer'' ses couleurs;
Sur un brin d'herbe, en passant, je me pose,
Et, sous mes pieds, bourdonnent-'' les sillons;
J'ai, pour tunique, une feuille de rose,
, J'ai, pour voler, l'aile des papillons.

Quand du matin glissent les brises folles,


Dès que l'oiseau commence ses chansons.
Avec mes doigts j'entr'ouvre les corolles,
Et doucement j'éveille les buissons :

« Debout debout » Tout frémit, et la plaine,


! !

Et le lac bleu, dont je rase^ le bord


Avec mon char de roseaux verts, qu'entraîne
Un scarabée'^ à la cuirasse d'or.

1. L'esprit : être imno-inairc qu'on suppose habiter dans les

fleurs.
2. Sylphe : non donné à certains « esprits ».
3. Irisé : ce mot s'emploie pour désigner les nuances de l'arc-
en-ciel.
4. Chatoyer briller avec des: reflets chanoeants.
5. Bourdonnent les sillons : les sillons retentissent du bruit
des insectes.
6. Raser effleurer en passant.
:

7. Scarabée insecte dont les ailes sont recouvertes par des


:

étuis cornés.
I.i: MONDi: DI.S IM.ANTKS. I OT»

« Dehoiil! (Iclxml !... » Les sveltcs '

denioisellos"
DanseiU on loiul sur les blancs nénuphars,
Au grand soleil hruissent^ mes deux ailes,
Aux ttols d'azur se plongent mes regards.
Quand vient le soir, cl que les fleurs sont closes,
Du ver luisant je m'éclaire en chemin.
Et vais frapper à la porte des roses.
Pour m'endormir dans mon lit de salin...

(Louis BoLiLiiET, Festons et Astrcifjales,


Le m erre.)

1. Sveltes à la taille mince.


:

2. Demoiselle nom vulo-aire de la libellule.


:

3. Bruissent font entendre un bruit léger.


:
I
') » LA DKCOUVICKTI': DU MONDK.

7. — LliS l>KEiMlElll::S CEIUSES.

Au llàiicur, le lont^ du marché,


Mai, qui sourit, fait des surprises;
Par hasard, ni'élaul approché,
J'ai vu les preiuières ceiises !

Ces beaux fruits rouds, brillants, charnus ',

Sur des lits épais de fougère,


Pour nous tenler, sont revenus
Avec la fraise bocagère^.

Dès ce soir, les petits enfants

Aux lèvres pures et vermeilles,


Après leur dîner, ^tiiomphants,
Se mettront des pendants d'oreilles.

Plus tard, dépouillant les buissons,


Et barbouillés du jus des mûres,
Ils iront jaser 3, gais pinsons,

A l'ombre des vertes ramures '^.

1 . Charnus dont la chair est épaisse.


:

2. Bocagère qu'on trouve dans les bocages ou


:
petits bois.

3. Jaser parler beaucoup et à propos de rien.


:

/[. Ramures : branches dos arbres.


LE MONDE DKS PLANTES. 167

Mais mon C(inir se serre. — PuiiiMjuoi?


— Je son^e à ma lointaine enfîiiice,

Aux rires de si bon aloi ',

Pleins de naïve insouciance.

En ce lemps, ma mèie à son cou


Me prenait (o douceurs exquises!)
El, très fier d'un bouquet d'un sou,
J'avais les premières cerises !

(Alexandre Piédagnel.)

I. De si bon aloi : de bonne (juaiilé, c'est-à-dire franchemeni


ioveux.
i68 L\ i)i:(:()iJVKiiri: ixi MONDr:.

8. — I.A CIl.WSOX ]){' CKRISIFJl.

Au j)riii(cinps Dieu dil : a Qu'on rnclle la lahle


Pour le petil vei-. » Et le cerisier
V^oit verdir partout son tronc respectable,
Que, feuille par feuille, enfin par millier,
Ses feuilles bientôt couvrent tout entier.

Et le petit ver, qui dormait encore.


S'éveille et se met à manger gaîment.
Sa bouche travaille. Oli ! comme il dévore!
(( Que c'est bon, dit-il (il est si gourmand !),

On en mangerait éternellement ! »

Alors le bon Dieu dit : « Çà', pour l'abeille.

Qu'on mette la table! » Et l'arbre fleurit.


Blanc d'une blancheur fraîche et sans pareille...
Fleurs sur fleurs partout... C'est une merveille..
Dans ses mille fleurs le printemps sourit.

L'abeille l'a vu, de loin, dès l'aurore;


Le premier rayon du jour l'y conduit.
<( Allons boire! allons! dit son vol sonore.
Oh la liqueur fraîche^ Et comme elle luit
! !

Dans la coupe en fleur que le soleil dore. »

I .
Çà : interjection, qui, comme « or rà », invite à agir avec
rapidité.
•2. La liqueur fraîche : c'est le suc des fleurs.
LK MOMU; I)i:S PLANTKS. 1 ()()

\j\Hc \i(Mi(, Dieu dit : « Mes oiscjuix oui l'aiin ;

Pour roiscau, vovons, (ju'on ineKc la (al)le!

El sous mille IViiils Taphrcî plie culiu...

La cerise esl rou^e, elle esl déleelable ', »

Et l'oiseau la |)i(|ue avec son bec (in !

« Oli ! oh! d'il l'oiseau, les belles cerises!... »

Et de l'une à l'aulre il va voletant.


(( Cix me rend la force, elles sont exquises,
Je sentais mon cœur faiblir en chantant... »

El le bon IJieu dit, un matin d'automne :

« Erdevez la table! » El le vent accourt,


Va vent de montagne, au bruit monotone...
La feuille jaunit, tombe et tourbillonne...

Le jour qui s'en va reviendra plus court.

Et le bon Dieu dit : <( Couvrez ce qui l'esle ! »

Et voici la neig"e... Adieu les semis'!


Adieu la verdure et le bleu céleste!
Sous le tapis blanc (jue l'hiver a mis
Tous les cerisiers se sont endormis.

(Jean Aicard, Le livre des petits. Delagrave.)

1. Délectable délicieuse. :

2. Semis jeunes tiges issues de graines.


:
^

FyO L\ i)i;(:()i:\'r:irrK rx .niondi:.

(). _ LA MOKT D'UX CHÈXE.

Uiiand riionimc te frap[)a de sa làclie c()t;née ',

roi, qu'hier le mont portait avec or^^-ueil,


Mon âme, au premier coup, retentit indig^née,
Et dans \i\ forêt sainte il se fit un çrand deuil.

Un murmure éclata sous ses ombres paisibles;


J'entendis des sanglols et des bruits menaçants;
Je vis errer des bois les hôtes invisibles",
Pour te défendre, hélas ! contre l'homme impuissants.

Tout un peuple effrayé partit de ton feuillage.

Et mille oiseaux chanteurs, troublés dans leurs amours


Planèrent sur ton front comme un pale nuage,
Pei'cant de cris aigus tes gémissements sourds.

Le flot, triste, hésita dans l'urne^ des fontaines;


Le haut du mont Irembla sous les pins chancelants,.
Et l'aquilon'^ roula dans les gorges^ lointaines
L'écho des grands soupirs arrachés à les flancs.

1. Cognée inslrument tranchant en forme de hache.


:

2. Les hôtes invisibles des bois le poète désigne ainsi sans


:

doute les divinités léo-endaires qui, d'après la mythologie antique^


peuplaient les forêts.
3. Urne : sorte de vase où l'eau tombe,
/j. Aquilon : vent du Nord.
.5. Gorges : étroits pr^ssngi^cs entre deux montagnes.
I.K MONDE l)i:s IM.ANTKS. I7I

Va clmlo lahoura ', (^oimiM' un ('(hij) de loniKMrr,


lu arpent (oui entier sur le sol paternel;
Et quand son sein meurtri reeut ton corps, la terre

Eut un rugissement terrible et solennel...

O ehène, je comprends ta puissante agonie^!


Dans sa paix, dans sa force, il est dur de mourir;
A voir crouler ta tète, au printemps rajeunie,
Je devine, o géant, ce que tu dois soulï'rir.

(V. DE LvpiiADEj Odes et Poèmes.)

1 . Laboura déchira (la terre).


:

2. Arpent ancienne mesure pour la surface des champs.


:

3. Agonie dernière lutte contre la mort.


:
l"]'! l.\ DliCOUX i:iM IC DU ."MONDi:.

10. _ IIVMNE AUX AKIillES.

Louons les aihrcs (l'(Mre beaux et de bruire'


Si doucement dans les vergers et dans les bois :

Rameaux éoliens^ où le ramier-^ soupire,


J3ranclies frôlant les tuiles brunes des vieux toits,

Célébrons-les tous à la fois.

Il est des pommiers retombants


Dont le feuillage fait comme un feu d'artifice'^,
Il est des peupliers inquiets ^ qui frémissent
Au plus léger souffle du vent.

Parmi les rocs, les pins sévères


Epandent^ un grave murmure.
Les saules gracieux trempent dans les rivières

Leur ondovaute^ chevelure.

1. Bruire : rendre un son confus.


2. Rameaux éoliens : sortes d'instruments qui vibrent au
souffle du vent, comme les harpes éoliennes.
3. Ramier : pli^-eon sauvag-e.

4- Comme un feu d'artifice : les branches des pommiers, qui


penchent vers la terre, sont comparées à des fusées qui retom-
bent en pluies d'étincelles.
5. Inquiets : prompts à s'agiter.
G. Épandent : jettent çà et là.
7. Ondoyante : flottante.
LE MONDK DES PLANTKS. I ^'^

Les acacias du jardin


BalaiiceiU an soleil leurs grappes embaumées.
Les ormes bieuveillanls, qui bordent les chemins,
Tendent leurs bras velus de mousse veloutée.

Les bouleaux ont des robes d'argent où l'aurore


A laissé le reflet de sa face rieuse;
Les tilleuls cliucholeurs tremblent, les sycomores'
Sont pleins d'ombres mystérieuses.

Les hêtres tressaillants s'entrelacent, les frênes

Semblent llamber au crépuscule;


Quand la nuit tombe, un grand rêve circule
Dans la frondaison '
pensive des chênes.

Aimons les arbres, qui nous aiment,


Unissons notre voix à leur voix fraternelle.
Répétons avec eux les strophes d'un poème
Où chantera la vie universelle.

(Adolphe Retté, Liunières (rdnfjuilles.


Edition de La Plume.)

1 . Sycomore : arbre à larges feuilles semblables à celles de la


vigne.
2. Frondaison : feuillaoe.
CHAPITRE II

La vie des Bétes.

Un peu dme voisine et soMir, bien qu'endormie.


(1

Un peu de chair pareille, un peu de vie amie...


(Fernnnd Gregh.)

Le Dieu qui les couvrit d'une éternelle enfance


Leur donna la jiitié de ihorame pour défense.
L'œil pour le supplier, la voix pour l'attendrir.

(.\rmand Svlvrstre.)
COMIIM J)l CHAPITRE

1. La limace (AIjoI Bonnaud).


2. La Girenouille (Albert Samain).
3. ]^a chanson des crapauds (François Fabié).
4. La chouette (Paul Guigou).
5. Le chant des hirondelles (Abel Bonxard).
('). La chatte noire (François Fabié).
7. Le taureau (Brizeux).
8. La cavale du désert (A. de Musset).
9. La mort du loup (A. de Vigny).
10, La mort du lion (Jean Richepin).

LISTE SUPPLEMENTAIRE

Leconte de Lisle L'albatros {Poèmes tragiques).


— Les éléphants {Poèmes barbares).
Mme Ackermann L'abeille{Premières poésies).
Sully-Prudhomme Le cygne {Les solitudes).
José Maria de Hérédia. Epigramme funéraire {Les Trophées).
Théophile Gautier Ce que disent les hirondelles {Emau.r
et Camées).
Anatole France La mort d'une libellule.
lA \i:: i)!:s u;:i!:s. 177

1. — LA LIMACE.

Je glisse avec lenleur el, dans mes promenades,


Je galonné d'arg-enl '
les placides^ salades;

Je me prélasse' aux plis de leurs feuilles, le soir,

Pleine d'aise, sous l'eau que verse l'arrosoir.


Les gouttes, sous mon poids, roulent en lourdes houles.
Quel bonheur! mais je crains d'être jetée aux poules,
Si je ne fuis les doigts terreux'^ du jardinier.
La nuit, je règne en paix dans l'enclos^ printanier.
Les salades toujours sont là. Visqueuse^ et brune,
Je les brode '^
el je les découpe au clair de lune.
Me hissant sur les choux pleins de perles^, je vais
Traîner nîcs fds de bave au fond de leurs cœurs frais.

I . Je gaionne d'argent il s'ag-lt de : la traînée longue el étroite


<jie laisse la bave de la limace.
•2. Placides paisibles.
:

3. Se prélasser prendre un air important


: et saiisfait.

4. Terreux : couverts de terre.


5. Enclos : espace de terrain clôturé.
0. Visqueux gluant. :

7. Je les brode je Fais des dessins sur


: elles.
8. Perles ce sont les gouUes d'eau.
:

12
178 LA DKCOUVKUTi: DU MONDE.

Alors le jardinier ni'()ul)lic cl fait un somme.


Mais (juaiul il rcvicFd Noir ses piaules, le honliomme,
Au lieu (l'en admirer les gracieux contours,
Crie et j^^i'onde, et me cherche avec des jurons sourds.

(Al)cl lîONNVKo, Ij's Fdiniliei's, Société Fran(;aise


d'imprimerie cl de librairie )
LA MK DES BtTES. I yt)

L\ (IKFXoniJ.E.

En ramassanl un iViiil dans riiei'he ({u'olle fouille,

Gliloris vient d'enlievoir la petite gTenouille

Oui, peureuse et craignant justement pour son sort',


Dans l'ombre se détend soudain comme un ressoil,

Et, rapide, écartant et rapprochant les paltes.

Saute dans les fraisiers et, parmi les tomates.


Se hâte vers la mare", où, flairant-' le dang-er,

Ses sœurs, Tune après l'autre, à la hâte ont plonj^é.


Dix fois déjà Chloris, à la chasse animée,
L'a prise sous sa main, brusquement refermée;
Mais plus adroite qu'elle et plus prompte, dix fois

La petite i^renouille a glissé dans ses doig'ts ;

Chloris la tient enfin ; Chloris chante victoire !

Curieuse, elle observe et n'est pas sans émoi*


A l'étrange contact du corps vivant et froid.

1. Pour son sort pour sa vie. :

2. Mare petite étendue d'eau dormante.


:

3. Flairant sentant. :

/]. Émoi émotion.


:
l8(> LA DKCOIJN I;M IK DU MONHi;.

Le petile grenouille eu Ireriihlaiil la regarde,


Et Gliioris, dont la main lenlenienl se hasarïic;^

A pilié de sentir, alïblé '


pai- la peur,
Si fort entre ses doigl"s l)atlre le petit cœur.

(All)crt Sam VIN, An.r Jlanrs dn vase.


Société (lu Mcrcui'f de Fi-diiro.)

I. Affolé : vivomcnl troublé,


!.A vu: DHS b:*:tks. i8i

3. — LA CHANSON DES CRAPAUDS.

Eu juillet, — quaud la uuit euveloppe la berg^e


'

Des chemius creux par où revieuuent les Iroupeaux,


El que la luue, au loin, du sein des bois émerge', —
On enlend chauler les crapauds;

Non point de cette voix enrouée - et colère


Dont ils font, au printemps, retentir les fossés,

Mais d'une voix d'arg-ent, mélancolique et claire,

Comme un bruit d'écus entassés.

« Touc-touc, touc-touc, touc-louc )), chantent-ils sur deux noies


Que l'on peut aisément traduire par sol, mi;
Et le buisson voisin, tout char§-é de linottes^,
Répèle et s'éveille à demi,

1. La berge : le bord escarpé, le talus.


2. Émerge : surçrit.

3. Enroué : rau([ue.
4. Linotte : petit oiseau au plumage gris, au chant agréable.
.

l82 LA DKCOUVKKTR DU MONDi:.

Tandis que les grillons, fils de la terre brune,

(irisés par les foins murs aux ca|)ileux' encens.


Ecoulent ce concert dont le lustre^ est la lune
Et les lampions-^ les \ers luisants.

Aux moissonneurs courbés qui rentrent au village,


— Leur faucille pendue au cou, l'air plein d'ennui, —
Aux gros bœufs dont les taons^ font frémir le pelage 5,
Les crapauds disent : a Bonne nuit! »

Aux faneurs^' moins lassés qui montent des prairies


Et de leurs gais propos emplissent le chemin,
Les crapauds, enfoncés dans les mottes^ fleuries,

Disent : « A demain ! à demain ! »

Mais lin pas lourd s'entend..., le maître se retire.


Quelle riche moisson ! A ses yeux éblouis
Tout brille, et les crapauds en chœur semblent lui dire :

« Que de louis ^ ! que de louis! »

1 Capiteux encens parfums qui portent à la tête.


:

2. Lustre chandelier de cristal à plusieurs branches, qui ré-


:

j)and une vive clarté.


3. Lampions godets dans lesquels on met du suif avec une
:

mèche et qui servent aux illuminations.


t\. Taon grosse mouche.
:

5. Pelage la peau. :

6. Faneurs ceux qui tournent et retournent l'herbe d'un pré


:

fauché, pour qu'elle sèche.


7. Mottes petites masses de terre.
:

8. Louis pièces d'or de 20 francs.


:
i.A VII-: ni:s hktks. i83

Puis toiil s'cikIoiI : le ver Inisaiil [)airiii la roiicc,

Le î^rilloM dans son Irou, l'oiseau sui* son buisson;


A [)eine si Télani^' solitaire se fronce
'

Sous le saut furlif" du poisson.

Et Ton n'entend plus rien ([ue la source qui pleure,


Et les crapauds (jui vont bercer notre sommeil
En chantant leur chanson discrète, jusqu'à l'heure
Où les coqs sonneront l'éveil.

(François Fabié, La Poésie (1rs hèles.

Lemcrre.)

1. Se fronce : se plisse.
2. Furtif : qui se fait à la dérobée.
l84 LA DKCOUVKHTK DU MONDK.

4. _ LA CHOUETTE.

L'oiseau nocturne eu la nuit des bois,

L'oiseau sinistre a crié trois fois.

Comme tout est solitaire !

Quand la chouette a gémi sous Tif,


Le noir silence semble plainlif,

Empli d'un poignant mystère^.

Ce cri faible et sauvage, (jui sort

De la ramée-' et qui sent la mort.


Résonne par les champs vides.

Roulant l'horreur douce des grands bois.

C'est la plainte des choses sans voix


De leurs souffrances timides ^

1. If : arbre toujours vert, à feuilles longues et étroites.

2. Empli d'un poignant mystère : paraissant contenir quelque


chose de caché, qui cause une impression pénible d'angoisse.
3. Ramée branches des arbres.
:

4- De leurs souffrances timides la phrase signifie que le


:

cride la chouette est comme la plainte exhalée par les choses


muettes au sujet de leurs souffrances qu'elles n'osent exprimer.
I A VIK DES nÈTES. l85

11 (lil la Kiiulc '


aux rcjiicici's " louHiis,

Le carrefour des cliemins perdus,


Et, sous l'aslre maléfique -'',

La maison maudite, aux murs croulauls,


Où la vieille % avec des signes leiils,

Va cueillir l'Iierhe maj^ique -\

(Paul Gligou, Sous iu lune (Vautomne.


Pion, Nourrit et C'*^.)

1. Lande : vaste étendue de terre rnculle.


2. Ronciers endroits plantés de ronces.
:

.». Maléfique dont rifjfluence est mauvaise.


:

'\. La vieille il s'açil de la sorcière.


:

5. Magique qui sert aux opérations de


: la nias^ie pour obtenir
des effets merveilleux.
iSC) LX DÉCOUVKUIK DU MONDE.

5. — LE CHANT DES lilllOXDELLES.


(fiia(;mknt.)

Nous nous parlons de loul cl du ^oùl (|ii'a le vent.

Perçantes, nous criblons' l'air en nous poursuivant.


Tous les autres oiseaux sont terrestres; les roses
Retiennent à plaisir les linottes encloses^;
Le moineau semble un rat, et les chardonnerets
Ont tous les entrelacs ^ des branchages pour rêts"*^.

Nous, nous remuons l'air comme des fourches gaies.


Nous volons; on dirait qu'ils tombent; dans les haies
Ils s'abattent : ils font de petits sauts brisés.
Nous sommes les oiseaux qu'on ne voit pas posés.
D'en haut, nous dédaignons tout l'embarras des branches,
Nous saVons ce que c'est qu'être libres et franches,
Pour avoir vu la mer que brochent^ les dauphins^.
Nous faisons de grands cris pour' des moustiques fins.

1. Cribler : dans le sens de « faire des trous comme en ont


les cribles ».
2. Encloses enfermées.
:

3. Entrelacs entrelacements.
:

l\. Rets Hlets pour prendre les oiseaux.


:

5. Brochent : le va-et-vient des dauphins, qui plong-ent puis


remontent à la surface, rappelle le mouvement de l'aiguille qui
fait passer dans une étoffe des fils d'or ou de soie.

6. Dauphins gros poissons du genre des cétacés.


:

7. Nous faisons de grands cris pour... nous poussons des :

cris de joie chaque fois que nous attrapons des moustiques.


L.V \IK DES BÈTES. I
87
Nous nioissoiiiioiis l'azur avec nos ailes creuses'.
Sans regrel, quautl raulonine amène les macreuses',
Nous fuyons, et d'un houl du monde à l'autre bout

Nous avons nos deux niils et le soleil parloul.


Nous remuons encor la torpeur"' de septembre,
Lorsque Thomme demeure un peu plus dans sa chambre-
Quand, dehors, les vieillards ne restent plus assis.
Lorsque le jour s'endort sur les toils indécis.

Les g"uêpes du jardin préfèrent la cuisine.

Un malin, le vent frais court, le rosier lésine ^

Quelques roses, l'air fin luil sur le vieux rempart;


Le beau temps est léger comme un homme qui part.
Alors, quand la maison des treilles se dégage.
Avec lui nous parlons, étant son seul bagage.
Nous poursuivons l'azur comme un vermeil fuyard :

Nous aimons bien ton toit, mais pas sous le brouillard.


(Abel I3oNNARD, Les Familiers. Société française
d'imprimerie et de librairie.)

1. Creuses : les ailes recourbées des hirondelles semblent fau-


cher l'espace.
2. Macreuse oiseau de mer du
: g-enrc canard.
3. La torpeur de septembre : le va-et-vient des hirondelles
anime le ciel tranquille et lourd de septembre.
4. Lésine donne chichement (ce verbe est employé
: ici avec
un complément direct).
l88 LA DKCOHN r,in K l)(J MONDK.

0. _ L.\ CHATTE NOIRE.

Dans le moulin de Roiipeyrac',


Se lieiil assise sur sou sac

Une chatte couleur d'ébène';


Il est bieu ceilain qu'elle dort :

Ses yeux ne sont que deux fils d'or


Et ses g-rifTes sont dans leur gaine ^.

Pourtant, ne vous y fiez pas


Et irollinez un peu plus bas,
Rats qui courez par les trémies^,
Si vous ne voulez, tout à coup,
Sentir entrer dans votre cou
Toutes ces grilïes endormies.

I. Roupeyrac : dans l'Aveyron.


•2. Couleur d'ébène noir. :

3. Gaine partie qui enveloppe


:
les griffes et leur sert d'étui.

t\.Trémie : sorte d'auge carrée, très étroite par le bas, d'où


le blé tombe petit à petit entre les meules d'un moulin à farine.
I.V MK DES HKTES. 1 89
tiLii'cloz-Noiis (le d(^iiiior Tassaiil

Au grain (jiii dort dans le boisseau '


!

Car, si la Noifc se réveille,

Demain, en sacrani ', le meunier


Trouvera roni^e, au farinier-',

La l'arine blanche la veille.

Soyez discrets, soyez prudents!


N'allez pas aiguiser vos dents
Sur le sac où dort l'assassine.
Car elle bondirait soudain,
Et vous lui crieriez, bien en vain :

« Cousine! cousine! oli ! cousine!... »

Près du moulin, dans le verger,


Au soleil, ou voit s'alloni>er
Une chatte couleur d'ébène;
Il est Ijien certain qu'elle dort :

Ses yeux ne soûl (pie deux fils d'or,

Et ses griffes sont dans lei.r gaine.

1. Boisseau : ancienne mesure de capacité' pour les matières


sèches, comme les o-raines.

2. En sacrant : en prononçant des j'.irons.


3. Fariniar : ce mot désigne ici Tendroil où se trouve la farine.
IQO 1 A DliCOnVKKTK DU .\IO.\l)I<:.

lN)urlanl, ne vous v liez pas

Et vololcz un jx'ii moins l)as,

Moineaux, pillards de cliènevières '


!

Va\ s'éveillant, elle pourrait.

Pour se dégourdir le jarret",

Vous faire mordie la poussière.

Cliardoniiercls au beau pourpoint 3,

Dans ce verger ne nichez point;


O roitelet, ô roug^e-§org-e.
Pinson, liôle du vieux poirier.

Ecoutez donc!... J'entends crier


Des oisillons que l'on égorge...

Cest bien la châtie noire, hélas!


Elle rôdait par les lilas,

Ainsi qu'un tigre dans les jungles'^,


Et, flairant quelque fin souper.
Jusqu'au nid elle a dû grimper.
Gare à ses dents! Gare à ses ongles!

1. Chènevière : voir pngc i/|i, note i.

2. Jarret : partie de la jambe située derrière l'articulation du


i^enou..,

3. Pourpoint vêtement (jui, autrefois, couvrait la partie supé-


:

rieure du corps, depuis le cou jusqu'à la ceinture.


4- Jungles on appelle ainsi, dans l'Inde, de vastes espaces
:

couverts de hautes herbes, de roseaux et d'arbres.


l.A ME DES «ETES. K) I

Sous le moulin, dans le ruisseau,


Se tient, assise au bord de l'eau,

Une chatte couleur d'ébène ;

Il est bieîi certain qu'elle dort :

Ses yeux ne sont que deux fils d'or


Et ses griffes sont dans leur gaine.

Pourtant, ne vous y fiez pas,


Et gardez-vous, dans vos ébats.
De trop approcher de la rive.
Goujons dorés et bleus barbeaux',
Si vous ne voulez, dans le dos,
Sentir une griffe furtive !

Certe, elle n'aime pas le bain,


La chatte noire! mais enfin.
Pour y harponner' une truite,
Elle se risque qiiehjuef'ois

A se mouiller un peu les doigts,

Comme le diable en l'eau bénite^.

1. Barbeaux poissons d'eau douce.


:

2. Harponner accrocher avec ses dents, comme on accroche


:

les çros poissons, surtout la baleine, avec une pique munie de


crocs recouvbjs.
3. Comms le diable en l'eau bénite : avec autant de répul-
->ion que le diable toucherait de Feau bénite.
i()'i LA I)l':c()l;^ KUTE du mundi:.

Kl jHiis, son nez rose paraît


Plus rose encore, e( l'on dirait

l ne houclie de jeune lille,

Lorsque d'un I)eau poisson lienddanl,

Oirelle dévore en grommelant ',

La queue' à sa lèvre frélilie'.

A Roupeyrac, dans le bois noir,


On voit souvent g-lisser, le soir,
Une chatte couleur d'ébène;
Elle passe, ouvrant ses veux d'or.
Aussi discrète que la mort.
Aussi farouche, aussi soudaine.

En face du chasseur transi-'.

Elle vient à l'afFiit^ aussi.

Dans riierhe, où sa robe se mouille,

Elle fait face au braconnier -\

Et bien souvent c'est ce dernier


''\
Oui de la foièt sort bredouille

1. Grommelant : murmuranl entre ses dents.


2. Frétille : s'agite vivement.
3. Transi eny-ourdi.
:

4- Vient à l'affût vient g-ueîter le gibier.


:

5. Braconnier personne qui chasse par fraude.


:

0. Sort bredouille sort sans avoir rien tué.


:
K.V NIH DKS UKTES. nj.{

'

Ainsi, i;iii'(l(' à vdus, lap(M*eaux


A peine aussi rusés (jue gros!
La clialle noire a, sur la paille,

Dos nourrissons, vF-ais chenapans"


Qui pourraient bien, à vos dépens,
Demain malin faire ripaille^;

Puis, pour leurs jeux extravagants''^,


Dans voire peau tailler des gants ^

Ou Irajiiei" leur immense j)roie

Tout un Joui' par le corridor :

Tel Achille traînant Hector^


Autour des murailles de Tioie !

Il est minuit, la ferme dort.


Seule, ouvrant ses deux grands yeux d'or,
Près du fover, la châtie veille

Et songe, en passant proprement


Sa patte alternalivement
Derrière l'une et l'autre oreille.

1. Lapereau : pc(it Inpin.


2. Chenapan : vaurien.
3. Faire ripaille : faire bonne chère.
/|. Extravagants : (pleins de bizarrerie.
5. Tailler des gants : plaisanterie pour dire ([u'ils déchiquète-
ront sa ])L'au,

G. Tel Achille traînant Hector allusion à un épisode de


: la

guerre de Troie, raconté dans l'Iliade.

13
194 '^'^ DKCOUVKHTI': DU MO.NDF-:.

Parfois elle s'arrèle un [)eii,

Pour rej^a fder du chèiie eu feu


S'enfuir des gioupes (réiincelles,
Ou pour écouler la chanson
Du gaz qui filtre '
du tison,

Et qu'elle [)reud pour uu bruit d'ailes.

D'ailleurs, Milord, le chien d'arrèl".


Qui rêve aussi de la foret,

(ilapit-^ à l'a u Ire coin de l'àlre;


Et la chalie, l'air anxieux,

Ne ferme qu'à moitié les ycwx


Et se tient prête à le combattre.

Mais voilà que ses nourrissons


Accourent... Des doigts polissons
Peiî^nent sa queue électrisée ^
Elle avertit les imprudents,

Puis gronde, puis montre les dents,


Puis rugit, en mère offensée;

1 . Filtre : s'échappe.
2. Chien d'arrêt : chien qui arrête le gibier.
?>. Glapir crier (en parlant des jeunes chiens).
:

';. Électrisée d'où semblent jaillir des éliucelles.


:
I.V Ml-: DES BKTES, K);)

Enfin, après un vit" juron,


Klle leur distribue en rond
Oualre ou cincj j^illcs nuUcrnclles,
El, le silence élant complet.

Leur tend ses flancs charg-és de lait.

En refermant ses deux prunelles.

(Fran(;ois Fabik, La Po(^sie des hèles.


LonioiTe.)
. ^

196 LA l)l':(JOUVEI\TE DU MONDK.

LE TAl'UEAU.

Au-dessous de Ker-J3arz', dans la prairie immense


Qui, courant vers l'izolc', au grand cliemin commence,
Le loup entra la nuil, et, son coup achevé,
Partit, repu de chair et de sang abreuvé.
l'n taureau (pour le frère et l'ami qu'il regrette,

Quel homme ferait mieux que n'a fait cette bête?),

A l'instant où le monstre à travers les palus

S'échappait et, d'un bond, franchissait le talus '^,

Le taureau, survenant à la fatale borne.


Dans le ventre du loup plongea sa double corne;
Et là, durant deux jours, au-dessus du fossé.
Comme au bout d'une fourche il le retint fixé!

Et les chevaux, les bœufs, les vaches, les cavales


S'attroupaient pêle-mêle, et tous, par intervalles.
Du côté des maisons galopaient pesamment
Et poussaient à la fois un long mugissement.

1Ker-Barz le mot « ker » sert, en Bretagne, à désig-ner soit


:

une maison, soit, comme ici, un hameau.


2. Izôle rivière qui se jette, près de Ouimperlé, dans l'Ellé.
:

3. Palus terrains marécageux.


:

4. Talus : amas de terre en pente.


I.A VIE DES BÊTES. . I97

I^c viilai'e acc(jiirLil; sur sa noble coïKjiuHe


L'immobile taureau tenait encor sa tête;
Mais il s'était usé par un si rude effort :

Il releva son front et puis il tomba mort.

(Brizelx, Les Bretons.)


I )> LA DKCOIVKUTK DU MONDi:.

8. — LA CAVALE Dl' DESEKT.

Lors(|ue, dans le dcserl, la cavale' sauvage,

Après Irois jours de marche, attend un jour d'orage,


Pour boire l'eau du ciel sur ses palmiers poudreux.
Le soleil est de plomb, les palmiers, eu silence.
Sous leur ciel embrasé peuclieut leurs longs cheveux;
Elle cherche son puits dans le désert immense :

Le soleil l'a séché; sur le rocher brûlant.


Les lions hérissés dorment en grommelant".
Elle se sent fléchir; ses narines, qui saignent,

S'enfoncent dans le sable, et le sable altéré


Vient boire avidement son sang décoloré.
Alors elle se couche, et ses grands yeux s'éteignent ;

Et le pâle désert roule sur son enfant


Les llols silencieux de son linceul mouvant^.

Elle ne savait pas, lorsque les caravanes

Avec leurs chameliers"^ passaient sous les platanes,

1. Cavale : jument.
2. En grommelant en faisant entendre de sourds murmures.
:

3. Linceul mouvant le sable est comparé à la toile dont on


:

ensevelit les morts.


4- Chamelier : celui qui conduit les chameaux.
LA \\\: i)i:s fu:tes. 199
(Jifello ii'a\ait (ju'à suinil' ci (\ud i)aissei" le Iront,

Pour trouver à Biij^dad '


de fraîches écuries,
Des ràleliers" dorés, des luzernes fleuries

Et des j)uits dont le ciel n'a jamais vu le fond.

(A. DE jMlsset, liolla.)

1. Bagdad : ville de la Turquie d'Asie, sur le Tigre.


2. Râtelier : cndroil où dans une écurie ou niel le foin cl la

paille.
'200 LA DKCOUVEKTE DU MO.NDK.

9. _ LA Moirr \)V LOUP.

Le loii[) N iciit et s'assied, les deux janil)es dressées,

Par leurs ongles crochus dans le sable enfoncées.


11 est jugé perdu, puisqu'il était surpris,

Sa retraite coupée et tous ses chemins pris '


;

Alors il a saisi, dans si gueule brûlante,


Du chien le plus hardi la gorge pantelante"
Et n'a pas desserré ses mâchoires de fer.

Malgré nos coups de feu qui Iraversaient sa chair


Et nos couteaux aigus qui, comme des tenailles,
Se croisaient en plongeant dans ses larges entrailles,

Jusqu'au dernier moment où le chien étranglé.


Mort longtemps avant lui, sous ses pieds a roulé.
Le loup le quitte alors et puis il nous regarde.
Les couteaux lui restaient au flanc jusqu'à la garde^,
Le clouaient au gazon tout baigné dans son sang;
Nos fusils l'entouraient en sinistre croissant '^.

1. Retraite coupée... chemins pris... étant cerné de toutes :

parts, il ne peut ni rebrousser chemin ni s'élancer en avant.

2. Pantelante encore palpitante.


:

3. Jusqu'à la garde jusqu'à la poignée,


:

/j. En croissant en arc de cercle.


:
LA VIE DES HETES. 20I

Il MOUS rej^arde encore; ensuite, il se recouche,

Toul en léchanl le san^' répandu sur sa bouche,


El, sans daivi'ner savoir comment il a péri,

Ilefermant ses grands jeux, meurt sans jeter un cri.

(Alfred de Vignv, Les Destinées. Delagrave,


édilion défini tive.)
'H)'2 LA I)l'](:onVi:R TK DU MONDK.

10. _ LA MOllT DU LlUX.

Loin, loin, loiijoiirs plus loin, la nier morle des sables


S'étalait sans limite, et rien ne remuait
Sur l'immobilité des llols infranchissables,
Sous l'immobilité de l'air lourd et muet.

Seul, un lion vivait dans cette solitude;


Sur ce grand tapis d'or il vautrait' son corps roux^
Gomme du désert morne il avait l'habitude,
Sous le ciel sans clémence il rêvait sans courroux.

Il a vu tant de jours pareils! Pas une ride^


Dans l'implacable azur et les lointains dormants!
Il a vu tant de jours où l'arène^ torride
Fait d'une caravane un chemin d'ossements.

Il a vu les Bédouins^ au capuchon de laine.

Eux, les fils du désert, dans le désert mourir.


Il a vu les chevaux tomber, manquant d'haleine,
Et les chiens vers les puits ne pouvant plus courir.

1. Vautrait : roulait.
2. Pas une ride :pas la moindre interruption (nuage ou acci-
<lent de terrain) dans l'uniformité du ciel et du désert.
3. Arène torride sable brûlant. :

4- Bédouins Arabes du désert.


:
(Jiiaiiil le soleil a bu 1 eau verte des cileriics,

Il a vu les chameaux, qui savent tout l)ra\er,

Alloui^er leur €;Tand col, et fernier leurs yeux ternes,


Et se nieltre à i^enoux pour ne {)lus se lever.

Il a vu t(jul cela, lui, le \ienx lion l'auve".

Il a vu tout cela; pourlaul, il n'a pas fui.

Ce pays de la soif, celle plaine âpre et chauve,


Ce cimetière en feu, c'est sa pairie, à lui.

Tout à coup, le simoun' s'élance. Il siffle, il passe,


Prend le sable à poig-née, y creuse des sillons.
Et, d'un crêpe -^
de cendre obscurcissant l'espace,
Disperse le désert au veut des tourbillons.

Alors, le vieux lion secoua sa crinière.


Sur ses jarrets raidis se dressa brusquement
Et, comme un fier salut à son heure dernière,
.lela le rauque appel de son rug"issement.

Le désert entendit rouler ce coup de foudre,


Fit répondre au simoun un hurlement d'adieu ''^,

Puis sur son enfant mort sema son sable en poudre,


El dans son lit profond retomba du ciel bleu.

1. Fauve : dont la couleur lire sur le roux.


2. Simoun : vent brùlaut qui sjuffle ea Afrique du Midi au
Nord.
3. Crêpe : voile noir.
4- Hurlement d'adieu : le hurlement du vent est comme
l'adieu du désert qui répond au deruier rugissement du lion.
:n)l^ i.A DKCOUVKK n: uu mondk.

Nul ne saura jamais où dort le roi des sables.


Nul ne profan(^ra sa haule majesté;
I/océan du désert aux ilols infranchissables
A caché ce tombeau dans son immensité.

(Jean Hichepin.)
CHAPITRE III

Aspects de la Nature

Enfants, aimez les champs, les vallons, les fontaine*


Les (•li<=mins que le soir emplit de voix lointaines.

(Victor Hi GO.)
CONTENU \)i: CIIAIMTUE

1. La m(M' (Brizeux).

2. En torôt (Henri ue Régnier).


3. La neige (Jean RicnEPiN).
4. Ce qnc dit le vent (Jean Rameau).
5. Hymne an jour (Jean Vignaud).
(). Ocle au soleil (Edmond Rostand).
7. L'étoile du soir (A. de Musset).
8. La chaiîson du rayon de lune (Gny de ]\L\upassant).
9. Étoiles filantes (Jean Richepin).

10. Moisson nocturne (Louis Bouilhet).

LISTE SUPPLÉMENTAIRE

Théophile Gautier Premier sourire du printemps {Emaii.r


et Camées),

André Theluiet Les bois [Le chemin des bois).


José Maria de Hérédia. Soleil couchant [Les Trophées).
P. Verlaine L'heure du berg-er [Paysages tristes).
François Fabié Pour hi pluie [Le clocher).
Leconte de Lisle Juin; Xox Midi, fraç^ment [Poèmes an-
;

tiques).
Guy DE Mvupassaxt. . . Nuit de neio'e.
ASPECTS DK LA NATURE. 207

1. _ LA MER.

Hàtons-noiis ! le soleil nous brûle sur ces roches !

Ne seiis-Ui pas d'ici les values toutes proches?


Et la mer! l'entends-lu? Vois-tu tous ces pécheurs?
N'entends-tu pas les cris et les bras des nai^eurs?
Ah ! rendez-moi la nier (H les bruits du rivage :

C'est là que s'éveilla nu)n enfance sauvaî^e ;

Dans ces iïols, orag^eux coiume mon avenir,


Se reflètent' ma vie et (oui mon sou\enirî
La mer! J'aime la mer miii^issante et houleuse-.
Ou, comme en un bassin une liqueur huileuse \
La mer calme et d'ari^enl î Sur ses iïancs '
écun.eux
Quel plaisir de descendre et de bondir comme eux,
Ou, mollement bercé, retenant son haleine,
De céder comme une algue au -^
flux^ qui vous entraîne !

1. Se reflètent apparaissent comme dans un miroir.


:

2. Houleuse où de «rosses vag-ucs sont soulevées.


:

3. Liqueur huileuse licjuide gras qui présente une surface


:

unie.
4. Flancs la mer agitée est comparée à un animal
: ({ui bondit.
5. Algue plante marine.
:

6. Flux ; mouvement de la mer vers le rivage.


2o8 I.A DKCOUN KUIK DU MO.NDi:.

Alors on ne voit plus (jue l'oiido cl que les c'rmix.

Les iiuaî^cs doiés [)assaiil silencieux,

Et les oiseaux de mer, tous allon^eanl la lèle

Et jetant un ni sourd en sii^ne de tempête...

(BnizEux, Marie.)
Asj»;;(:rs di-: i>.v NvriJUK 209

2. — EX FORET,

On quitte la grand'roule et l'on prend le sonlier


Où ilotle un l)on parfum d'arôme '
forestier.

Dans le gazon taché du rose des bruyères


Surgissent çà et là des ajoncs^ et des pierres.

Vn tout petit ruisseau que verdit le cresson ^

Frôle '•^
riierbe, en glissant, d'un rapide frisson.

Xiil horizon. Le Ion»' de cette sente ^ étroite,

Une futaie^ à gauche, un haut taillis^ à droite.

Uien ne trouble la paix et le repos du lieu;


Au-dessus, un ruban très mince de ciel bleu

1. Arôme : ce qui s'exhale des substances odorantes.


2. Ajoncs arbustes épineux.
:

3. Cresson plante verte qui croît dans les eaux courantes.


:

4. Frôle d'un frisson communique, en la touchant légère-


:

ment à son passage, un faible tremblement.


5. Sente petit chemin.
:

6. Futaie forêt de grands arbres.


:

7. Taillis bois que l'on coupe de temps en temps.


:

14
2I() LA DKCOUVEUTK DU .MONDE.

Oue Ira verso parfois, déranjgé dans son gîle,

Un oiseau \olelanl, (jui siflle dans sa liiite.

Puis c'esl, plus loin, une clairière' à l'abandon,


Où noircissent encor des places" à cliaihou;

Des Jiôtres chevelus se dresseni, en un groupe.


Des arbres éparg-nés à la dernière coupe;

De grands troncs débités^ s'étagenl^ en monceau;


C'est tout auprès que prend sa source le ruisseau

Oui longe le sentier et traverse la route ;

11 sort d'un bassin rond qui filtre^ goutte à goutte,

Où tremble, reflété comme dans un miroir,


L'œil vacillant^ et clair de l'éloile du soir.

(Henri de Régnier, Premiers poèmes,


Société du Mercure de France.)

1. Clairière : endroit dég-arni d'arbres dans une forêt.


Places à charbon
2. : endroits où l'on a brûlé des arbres pour
en extraire du charbon.
3. Débités réduits en planches.
:

4- S'étagent sont superposés.


:

5. Qui filtre d'où l'eau tombe.


:

6. Vacillant : qui remue.


ASPECTS DE LA NATURE. 211

3. — LA NEIGE.

La neii*"e à flocons hlémcs '


tombe,
Tombe, lombe, en mois tourbillons,
Lis effeuillé sur une tombe,
La neige à flocons blêmes tombe.
Pour qui fait-on cette hécatombe^,
Hécatombe de pa[)illons?
La nei^e à flocons blêmes tombe,
Tombe, tombe, en mois tourbillons.

Toute blanche dans la nuit brune,


La neig^e tombe en voletant.
pâquerettes, une à une,
Toutes blanches, dans la nuit brune
Qui donc là-haut plume' la lune!
frais duvet! Flocons flottants!
Toute blanche dans la nuit brune,
La neio'e tombe en voletant.

1 . Blêmes très
: pâles.
2. Hécatombe : sacrifice d'animnux que les païens faisaient
en l'honneur (les dieux.
3. Plume la lune à cause de
s-i blancheur la lune est com-
:

parée à un grand oiseau dont on arracherait les plumes.


2 12 LA DKCOL'VERTE DU MONDK.

La neii^c loinhc, iTionolone,

Monotoiiemeiil, par les deux,


Dans le silence qui chantonne',

La neige lombe, monotone.


Et file, tisse, ourle ^ et festonne-^

Un suaire'' silencieux.

La nei^^e tombe, monotone,


Monotonement, par les cieux.

(Jean Richepin.)

1. Le silence qui chantonne : ex|)rcssion hardie qui signifie


que même dans le sileace de la nature on entend encore de
vai^ues bruits.
2. Ourler replier le bord d'une étofFe en le cousant.
:

3. Festonner orner les bords d'une étoffe en y brodant des


:

découpures.
t\. Suaire : drap dans lequel on ensevelit les morts.
.

ASPECTS DE L\ NATURE. 2l3

4. — CE QUE DIT LE VENT.

La nuit est noire et le ciel froid.

Paysannets '
au lit élroil,

Dormez! car la résine^ est morte!


Le hibou ^eint^ sur les buissons,
Et le vent llùte ^ des chansons
Dans les trous de la vieille porte.

Hou-hou-hou-hou ! hu-hu-hu-hu !

Ouel effravant tolui-bohu\


Quelles sinistres mélopées^ !

Quelles gammes, quels crescendos^ !

Paysannets, plong-ez vos dos


Sous les couvertures râpées^!

1 Paysannets petits paysans.


:

2. Résine matière visqueuse et inflammable qui découle de


:

certains arbres, comme le pin, et qui peut servir à l'éclairage.


3. Geint : gémit.
4- Flûte : fait entendre en soufflant.
5. Tohu-bohu : tumulte confus.
0. Mélopées : airs mélancoliques et traînants.

7- Crescendos : sons qui vont en augmentant.


8. Râpé usé.
:
2l4 lA DÉCOUVKKTK DU MONDE.
Savez-vous ce qu'il dit, le veut,

Le vent qui passe eu soulevant


La paille au front de vos chauniines '
?

Oh ! ne parle-t-il pas de inori,


D'o^Te qui vient, de loup qui mord,
Et de malheurs, et de lamines?...

Or, tandis que les petits gueux ^,

Cherchent le sens des vents foug-ueux^,


II pleut... Pourquoi? Nul ne le sait!

Mais les enfants pensent que c'est


Le ciel qui comprend^ et qui pleure!

(Jcau Rameau.)

1 . Chaumine petite chaumière.


:

1'. Gueux indigents réduits à mendier.


:

;'>. Le sens des vents fougueux : ce que veut dire le bruit des
vents en fureur,
4- Qui comprend : qui comprend leur détresse.
ASPECTS DE LA NATURE. 2l5

5. _ HYMNE AU M>IR.
O jour qui fais joyeux les lionimes et les bêles,
Tous, nous le saluons avec nos meilleurs chants;
Grâce à loi, nous partons dispos comme à des fêles
Vers les rudes travaux des villes et des champs.

La ville, le malin, déverse par les rues


Ses remous' incessants d'immenses flots humains.
Au hameau, le passag-e alerte des charrues
Réveille les maisons qui bordent les chemins.

A tous ces bruits le chant des animaux se mêle;


Le bœuf mu£^it de joie en reg-açnant ses prés;
Dans l'air le cri plaintif du blanc mouton qui bêle
Répond au dur appel des icrands coqs diaprés'.

De la plaine déserte au bois fait tie mvstère-''

S'élèvent jusfju'an ciel la rumeur du béliui,

Kt le canlifjue^ ardent et jeune de la terre

Que célèbre la voix des hommes au travail.


(Jean \'ign vud, L'Accueil. Ollendorf.)

1. Remous : la foule des travailleurs est comparée aux ondes


tournoyantes produites par le refoulement de l'eau.
2, Diaprés : aux plumes de plusieurs couleurs.
3, Mystère : attrait de ce qui est caché.
4. Cantique : chant.
210 LA ni':GOUVEI\TE DU MONDE.

6. _ ODE AU SOLEIL.
(chant du coq a l'aurore.)

Toi qui sèches les pleurs '


des moindres g^i'aminées',
Oui fais d'une fleur morle un vivant papillon,
Lorsqu'on voit, s'effeuillanl comme des destinées^,
Trembler au vent des Pyrénées
Les amandiers du Roussillon.

Je t'adore! Soleil! ô toi dont la lumière,


Pour bénir chaque front et mûrir chaque miel
Entrant dans chaque fleur et dans chaque chaumière,
Se divise et demeure entière
Ainsi que l'amour maternel !

Je te chante et tu peux m'accepter pour ton prêtre "^y

Toi qui viens dans la cuve où trempe un savon bleu,


Et qui choisis souvent, quand tu vas disparaître.
L'humble vitre d'une fenêtre
Pour lancer ton dernier adieu !

1 . Les pleurs : ce sont les g'outtes de rosée.


2. Graminées : plantes dont la tige est en chaume, comme le

blé, le gazon...
3. S'effeuillant comme des destinées : les amandiers, dont le
vent effeuille les pétales blancs des fleurs, sont comparés à des
vies humaines dont les jours s'envolent un à un.
4. Pour ton prêtre pour être celui qui célébrera ton
: culte.
ASPECTS DE L\ NATURE. 217
Tu lais tourner les tournesols' du j)resbylère ',

Luire le frère d'or^ que j'ai sur le clocher,


Et quand pai' les tilleuls lu \iens a\ec mystère,
Tu fais bouger des ronds "^ par terre
Si beaux (|u'oiî n'ose [)Ius marcher!

Tu chang^es en émail ^ le vernis de la cruche,


Tu fais un étendard en séchant un torchon;
La meule a, grâce à toi, de l'or sur sa capuche ^%
Et sa petite sœur la ruche
A de l'or sur son capuchon !

Gloire à toi sur les prés ! Gloire à toi dans les vignes !

Sois béni parmi l'herbe et contre les portails!

Dans les yeux des lézards et sur l'aile des cygnes!


toi qui fais les grandes lignes''
Et qui fais les petits détails !

1. Tournesols fleurs ({ui se tournent vers le soleil.


:

2. Presbytère habitation du curé.


:

3. Le frère d'or beaucoup de clochers sont surmontés d'un


:

coq en métal doré.


4. Tu fais bouger des ronds : le soleil, en passant à travers
le feuillag-e, dessine par terre des ronds lumineux.
5. Tu changes en émail : la simple couche de peinture dont
la cruche est enduite prend, sous le reflet du soleil, l'aspect de
l'émail, substance j)lus éclatante.
0. Capuche : coifl'ure pointue de la meule.
Les grandes lignes... et les petits détails
7. le soleil :

découpe les grandes lignes des choses et fait ressortir plus clai-
rement leurs détails.
2i8 LA Di':(:ouvi:i\TK nu monde.

C'esl loi qui, découpant la sœur jumelle et sombre


Oui se couche et s'allong-e au pied de ce qui luit,

De loul ce qui nous charme as su doubler le nombre,.


A chaque objet donnant une ombre
Souvent plus charmante que lui !

Je t'adore. Soleil! Tu mets dans l'air des roses',


Des flammes" dans la source, un Dieu^ dans le buisson 1

Tu prends un arbre obscur et tu rapothéoses"^ !

Soleil ! loi sans qui les choses


Ne seraient que ce qu'elles sont-^ !

(Ed. Rostand, Chan/ecler, acte I. Fasquelle.)

1. Des roses des lueurs qui rappellent la couleur des roses,


:

2. Des flammes dans la source les rayons du soleil tom-


:

bant sur l'eau y font apparaître des reflets rouges qui ressem-
blent à des flammes.
3.Un Dieu dans le buisson allusion au buisson ardent sous
:

la forme duquel Dieu se montra un jour à Moïse.


4- Tu l'apothéoses : tu le transfii^ures en l'embellissant.
5. Ne seraient que ce qu'elles sont : seraient dépourvues de
la beauté que tu leur ajoutes.
ASPECTS DK LA NATl I\E. 2I(^j

7. — L'ETOILE DU SOIR.

Pale éloile du soir, messagère loinlaine,


Dont le front sort brillaril des voiles du couchanl
De ton palais dazur, au sein du firmament,
Que reg"ardes-lu dans la plaine?
La tempête s'éloiî'iie et les vents sont calmés.
La forêt, qui frémit, pleure sur la bruyère;
Le phalène '
doré, dans sa course légère.
Traverse les prés embaumés.
Que cherches-tu sur la terre endormie?
Mais déjà sur les monts je te vois t'abaisser,
Tu fuis en souriant, mélancolique amie,
Et ton tremblant regard est près de s'effacer.

Etoile qui descends sur la verte colline,


Triste larme d'argent" du manteau de la nuit,

Toi que regarde au loin le pâtre qui chemine.


Tandis que pas à pas son long troupeau le suit

1. Phalène : papillon nocturne.


2. Larmes d'argent du manteau de la nuit le ciel noir où
:

brillent les étoiles est comparé à un drap mortuaire parsemé


d'ornenicnts ars^entés eu forme de larmes.
220 LA DliCOUVKRli: DU MONDi:.

Ktoile, on (Vn vas-lu dans celle nuit immense?


(Cherches-tu sur hi rive nn lit dans h's roseaux?
Ou l'en vas-tu si belle, à l'Iienre du silence,

Tomber comme une perle au sein profond des eaux?

(A. DE Musset, Extrait du Sdule,


Pre/n ières poésies .
)
ASPECTS DK LA NATHUK. 22 1

8. — LA CHANSON DU RAYON DE LUXE.


(fragments.)

Siiis-tu qui je suis? — Le rayon de lune.


vSais-tu d'où je viens — Reg'arde
^^ là-liaut.

Ma mère' est brillante el la nuit est brune.


Je rampe sous l'arbre et glisse sur l'eau;

Je m'étends sur l'herbe et cours sur la dune^;


Je grimpe au mur noir, au tronc du bouleau,
Comme un maraudeur^ qui cherche fortune.
Je n'ai jamais froid; je n'ai jamais chaud

Ma mère soulève
Les flots écumeux ;

Alors je me lève,

Et sur chaque grève "^

J'agite mes feux.


Puis j'endors la sève
Par le bois ombreux ;

Et ma clarté brève,

1. Ma mère : c'est la lune.


2. Dune monticule de sable au bord de la mer.
:

3. Maraudeur celui qui escalade les murs et s'introduit dans


:

les jardins pour y voler des fruits.


4. Grève lieu sablonneux et uni
: le long de la mer.
222 LA nr:couvrKïi: ni: mondi:.

Dans les chemins creux


I^arfois semble un glaive
Au passant peureux.
Je donne le rêve
Aux esprits joyeux,
Un instant de trêve
Aux cœurs malheureux.

Sais-tu qui je suis? — Le rayon de lune.


Et sais-tu pourquoi je viens de là-haut?
Sous les arbres noirs la nuit était brune;

Tu pouvais te perdre et glisser dans l'eau,

Errer par les bois, vag-uer '


sur la dune.
Te heurter dans l'ombre au tronc du bouleau.
Je veux te montrer la roule opportune";
Et voilà pourquoi je viens de là-haut.

(G'iy DE MvuPASSANT, Des Vers. Charpentier.)

1 . Vaguer aller à l'avenlure.


:

2. La route opportune la l)on:ie : route.


ASPECTS DE LA NATURE. 223

0. — ETOILES FILANTES,

Il pleut, il [)leut, hergère,


Tout là-haut, tout là-bas;
La pluie est si légère
Que Ton ne rentend pas.

Il pleut! cela traverse


Tout le ciel et s'enfuit.

Il pleut! C'est une averse'


D'étoiles dans la nuit.

Il pleut! il pleut! Peut-être


Au firmament qui dort
Ufi soleil vient de naître
Comme un papillon d'or.

Il ])ieut ! Ces étincelles


Pour nous font flamboyer
La poudre de ses ailes,
Qu'il vient de dé[)loyer.

I. Averse : pluie subite et abondante.


2 24 LA DÉCOUVERTI-: DU MONDK.

11 pleut, il pleul, mon anij;"e


'
!

Courons là-bas ! Je veux


De celle poudre él range
Poudrer tes blonds cheveux.

(Jean Uichkpin, Les Caresses, Fasquelle.)

I. Mon ange : terme cl 'affection, souvent applujué aux enfants.


ASPECTS DE LA NATURE. 220

10 _ MOISSON NOCTURNE.

Quand, pareilles aux hlés murs,


Les étoiles toutes blondes
Ont couvert des cieux obscurs
Les solitudes profondes,

La nuit' se met en chemin.


Moissonneuse à la peau brune.
Oui, pour faucille, à sa main
Tient le croissant de la lune;

Par le vaste firmament


Elle fauche, à perdre haleine.

Les épis de diamant,


Oui se couchent sur la plaine.

Mais le temps la presse fort,


La besog-ne est malaisée.

Et sur*la terre qui dort


Sa sueur tombe en rosée;

1 . La nuit se met en chemin : la nuit est ici représentée sous


l»^s traits d'une femir.e.

15
•À'À(y L\ Di'xouvKim-: du monde.

Dans son ^rand sac (ont i^oiiHtî

Elle emporte les javelles'.

Oui, comme des grains de l)l('',

Vont semant leurs élincelles;

Puis, (juand revient le jour hieu.


Elle court, traînant ses voiles,

Dans les greniers du I)on Dieu


Tasser^ ses gerbes d'étoiles.

(Louis DouiLiiET, Fcsions oL Astrarjales.


Lemerre.)

1. Javelles : |)oii>'nécs d'épis.

2. Tasser : ranger en tas.


CHAPITRE IV

Souffrance et Pitié

Ces enfants n'aiii-aicnt pas dû naitrc,


L'enfance est Irop dw.f pour eux I

(Su LLY-PriD HOMME.)

La vie avec le choc des passions contiaircs

Vous attend ; soyez bons, soyez vrais, soyez frères.

(Victor Hi;go.)
CONTENU DU GliAlMTUE

1. Petits mendiants (Victor Hugo).


2. L'eau (jui dort (Eugène Manuel).
3. Les petits ramoneurs (Henri Murgeu).
4. Sur la mort d'une cousine de sept ans (Hég^ésippe
MOREAU).
5. Petit Paul (Victor Hugo).
C. Le baiser (M"'^ de Pressensé).
7. Colin-maillard (Jean Aicard).
8. Anmône (A. de Musset).

9. L'enfant cruel (A. Dumas fils).

10. Le crapaud (Victor Hugo).

LISTE supple:mentaire

Alexandre Guiraud. Le petit Savoyard.


Paul BouRGET La mort d'un enfant.
Eugène Manuel .... L'enfant martyr.
Clovis Hugues Le goûter des enfants.
^

SOl'FFIlANCi: I:T IMTIK. A'iÇ^

1. _ PETITS MENDIANTS.

Après avoii' donné son aninonc au plus jeune,


Pensif, il s'arrêla pour les voir. — Ln long jeûne'
Avait maio-ri leur joue, avait fltiri leur front.
Ils s'étaient tous les quatre à terre assis en rond,
Puis, s'élant partag-é, comme feraient des anges,
Un morceau de pain noir ramassé dans nos fanges^,
Ils mangeaient; mais d'un air simorne et si navré
Qu'en les voyant ainsi toute femme eut pleuré.
C'est qu'ils étaient perdus sur la terre où nous sommes,
Et tout seuls, quatre enfants, dans la foule des hommes!
— Oui, sans père ni mère ! — Et pas même un grenier.
Pas d'abri. Tous pieds nus ; excepté le dernier
Qui traînait, pauvre amour, sous son pied qui chancelle'^,
De vieux souliers trop grands noués d'une ficelle.

1 . Jeûne privation d'aliments.


:

2. Fanges boues.:

3. Navré profondément affligé.


:

4. Qui chancelle : qui n'est pas solide.


'2'.Ui LA DÉGOUVEKIE UU MONDK.

Dans des fossés, la nuil, ils (lormeiil bien souvent.

Aussi, comme ils oui iVoid, le matin, en plein vent,


Quand l'arbre, frissonnant au cri de l'alouette,
Dresse sur un ciel clair sa noire silhouette' !

(Victor Hugo, Les Raijons et 1rs Oinhi-cs.


Hetzel.)

I. Sa silhouette : son profil,


SOUFFRANCE ET l'ITlÉ. '2'^

L'EAT OUI DORT,

Au fond du parc, près de l'clang,


Un pelit être rose cl blanc

Dans riieihe joue;


Couvant' des yeux son séraphin',
La mère de baisers sans tin
Couvre sa joue.

Depuis le malin, sans ennui.


Elle est assise auprès de lui,

Rêve et Ta dm ire,
L'attire en riant sur son sein,

Ou l'atlire vers le bassin,


Pour qu'il s'y mire.

« Regarde, enfant, reg"arde encor


Dans le miroir de l'eau qui dort
Ce doux visage ;

Sais-tu quel est ce front charmant,


Qui prête son rayonnement^
Au paysag-e ?

1. Couvant des yeux regardant avec tendresse.


:

2. Son séraphin: terme d'à fteclion; les séraphins sont des anges.
3. Son rayonnement sa vive clarté.
:
'2^2 I.A DKCOUVKUTK DU MONDP:.
N'csl-cc point, un IV^re jiiincau
Oui vient vers loi, du fond de l'eau,

En sens contraire?
Viens, penche-loi sur son clieinin.
Fais-lui sig^ne, tends-lui la main
Au petit frère ! »

II.

Il a voulu revoir encor,

Dans le miroir de l'eau qui dort,


Le pelit frère.

Sourire et lui tendre la main,


Le voir venir sur son chemin
En sens contraire.

Il a cherché son compag^non,


Penché vers lui son front mig-non,
Sa tête blonde;
Il veut lui dire des secrets.
Plus près, plus près, toujours plus près.
Dans l'eau profonde.

Il s'approche, il va déposer
Sur sa lèvre un nouveau baiser
De bouche à bouche ;

Oh ! le froid baiser ! c'est la mort


Qui le donne; et l'eau qui dort
Ferme sa couche.
SOUFFRANCK KT PITIK. 2'.V,*)

lis sont cns(Miible sous les eaii\,

lierccs parmi les verts roseaux,


Le corps et l'ombre ;

Et la uière au bord du talus '

Reste assise, et ne quitte plus


La place sombre.

(Kug-ène Manuel, Poésies du /ot/er et de Véade.


Calmann-Lévy.)

I. Talus : voir pat»'o 19C), noie l\.


234 J-^ DKCOUNKKTi: DU MONUK.

8. — LES PETITS KAMONEUllS.

DtMix [)elils rainoiieui's s'en vont

Transis' de froid et dans la brume'


Cherchant au loin un l(jit qui fume,
Deux petits ramoneurs s'en vont

Transis de froid et dans la brume.

Hélas! se ferment les maisons,


Pour eux est close chaque porle,
Leur es[)érance est bientôt morte.
Hélas ! se ferment les maisons.

On les traite de vagabonds.


Et partout, chassés de la sorte,

Pour eux se ferment les maisons,


Pour eux est close chaque porte.

Ils ont demandé vainement,


Sans trouver d'âme charitable.
Un morceau de pain seulement.
Ils l'ont demandé vainement.
Lu fermier leur a brusquement
Refusé même son étable;
Ils ont demandé vainement,
Sans trouver d'âme charitable !

1. Transis : tout engourdis.


2. Brume : brouillard épais.
SOIFFRANCE ET PITIÉ. 2^;

Tous les tleux ils se sont couclics


Dans lin fossé de la ;;iand'ionle.

Dormir chasse la laiin sans doute.


Tous les deux ils se sont couchés
L Mil près de l'aulre, raf)prochés,
A l'abri du poiil, sous la voùle;
Tous les (l(Mi\ ils se sont couchés
Dans un lossé de la i»Tand'route.

La nei^e leur a fait iiii lit

Aussi l)lanc (|u'iin manteau d'hermine '


;.

J.a nuit lentement s'achemine,

El la neige leur fait un lit.

Doucement, elle ensevelit

Les deux enfants dans la ravine".


La nei^e leur a fait un lit

Aussi blanc qu'un manteau d'hermine.

La Mort les a pris doucement,


Sans même elFaroucher '
leur rêve.
La nuit a du leur send)Ier brève,
La Mort les a pris doucement.

1. Hermine : fourrure blanche.


2. Ravine : lit creusé par un petit cours d'eau pluviale tom-
bant d'un lieu élevé,
3. Effaroucher : faire fuir en elTi;;vant.
2l^{) LA DLCOUVERTK DU MONDK.

A leurs peines, en ce moment,


Elle a mis, par ^ràce, une trêve';
La Mort les a pris doucement
Sans même effaroucher leur rêve.

(Henri Mlrger.)

Trêve : relAche.
SOUFFRANCE KT IMTIK. 'i.'^y

4. — SUI\ LA MORT
D'UNE COUSINE DE SEPT ANS

Hélas! si j'avais su, lorsque ma voix qui prêche'


T'ennuyait de leçons, que sur loi, rose et fraîche.
Le noir oiseau des morts' planait inaperçu;
Que la fièvre guettait sa proie, et que la porte
Où tu jouais hier te verrait passer morte...

Hélas ! si j'avais su !...

Je t'aurais fait, enfant, Texislence bien douce;


Sous chacun de tes pas j'aurais mis de la mousse^;
Tes ris'^ auraient sonné chacun de tes instants;
Et j'aurais fait tenir dans la petire vie

Un trésor de bonheur immense... à faire envie

Aux heureux de cent ans!

Loin des bancs où pâlit l'enfance prisonnière.

Nous aurions fait tous deux l'école buissonnière-^

1. Qui prêche qui donne des conseils sur un ton grave.


:

2. Le noir oiseau des morts la mort est comparée à un


:

oiseau qui guette sa proie.


3. J'aurais mis de la mousse : pour rendre ta marche plus
douce et ta vie plus agréable.
4- Ris : rires.
5. L'école buissonnière : voir page 84, note i.
'2',\S I.A DKCOUN Kin'K 1)1? MONDK.

Dans les Ixus j)l('ins de clianls, de paiTurri ol d'ainDiir;

J'aiii'ais vi(l('' Icui's nids pour (Mnj)lir la corhL'illo ;

Et je t'aurais donné ()lus de llcurs (ju'iiiie abeille

N'en peut voir en un jour.

Puis, quand l(* vieux Janvier, les épaules dra[»ées


D'un long- manteau de neige el suivi de poupées,
De magots', de pantins, niiruiit sonnant, accourt;
Au milieu des cadeaux (pii pleurent pour étrenne,
Je t'aurais fait asseoir comme une jeuue reine
Au milieu de sa cour.

[Mais je ne savais pas... et je prêchais encore;


Sur de ton avenir, je le pressais d'éclore^,

Quand tout à coup pleurant un long espoir déçu,


De tes petites mains je vis tomber le livre;
Tu cessas à la fois de m'entendre et de vivre...
Hélas ! si j'avais su !

(Hégésippe Moreau, Myosotis.)

1.Magots figures grotesques de porcelaine.


:

2. Je le pressais d'éclore je hâtais, en l'instruisant par mes


:

levons, le moment où lu ne serais plus une enfant.


SOUFFRANCE ET IMTlÉ. 2.'5()

5. _ PETIT PAUL'.

On retrouva renfaiit le lendemain matin. '

On se souvint des cris perdus dans le lointain;

Quelqu'un même avait ri, croyant, dans les nuées,


Entendre, à travers l'ombre où flottent des huées",
On ne sait quelle voix du \ent crier : Papa!
Papa! Tout le village, énni, s'en occupa.

Et l'on chercha; l'enfant était au cimelièi'C.


Calme comme la nuit, blême comme la pierre,

Il était étendu de\ant l'entrée, et froid :

Gomment avait-il [)u jusfju'à ce triste endroit

Venir, seul dans la plaine où pas un feu ne brille?


Une de ses deux mains tenait encor la grille;

On voyait qu'il avait essayé de l'ouvrir.


Il sentait là quelqu'un pouvant le secourir;

1. Petit Paul : enfant qui avait perdu sa mère, ef dont le père


s'était remarie. Il fut confié aux soins de son içrand-père. Celui-ci

une fois mort, petit Paul revint près de sa marâtre, qui le fit
souffrir. Un jour on le trouva mort à la porte du cimetière, où
était enferré son grand-père.
2. Huées : cris de dérision poussés contre quelqu'un par une
foule.
[>J\0 LA DKCOUVRRTE DU MONDE.

Il avjiil appelé dans l'oiuhre solitaiic,


Longtemps; puis il était tombé mort sur la terie,
A quelques pas du vieux grand-père, son ami.
N'ayant pu l'éveiller, il s'était endormi,

{\ Hugo, La Lér/mt/c drs Siècles.


.

Hetzel.)
SOUFFRANCE F-:T IMTIK. 'Af\l

0. — LE BAISER.

NineUe a mis fine chaussure,

Robe l)Ianche avec rubans bleus,


Un larg-e nœud à sa ceinture...
La joie éclate dans ses yeux.

Elle rencontre une fillette.

Pale et maigre sous ses haillons,


Qui reste immobile et muette,
La suivant de ses yeux profonds.

— « Oh ! maman; la pauvre petite!...

Permets-moi de la consoler ! »

Et Xinette s'en va bien vile


Sécher les pleurs qui vont couler.

Mais l'enfant détourne la tète,

Repousse sa main et se tait.

Xinette, surprise, inquiète,


Lui dit : « Mais que t'ai-je donc fait?

Veux-tu mon mouchoir de batiste'?


Veux-tu des gâteaux?... ou du pain?...
Oh! seulement ne sois plus triste!... »

L'enfant répond : « Je n'ai pas faiFU. »

Batiste : toile de lin très fine.

16
'2l\2 I-A DKCOlJVKRTIi; DU MONDK.

Elle lient dans sa main IVrrriée

Une ci'onle de \ien\ pain his '

Elle n'es( d(^nc pas an'.nnéc.

Xinette a l'air triste et snrprîs.

(( ,1e vois qne rien ne peut le plaire

El je ne puis pas le forcer %


Mais lu voudras bien, je l'espère,

Au moins me laisser l'embrasser. »

Le regard de l'enfant s'éclaire.

Quelle joie un mot peut causer!


« Ah ! depuis la mort de ma mère
Je n'ai pas reçu de baiseï". »

(M'uc DE Phessensé, Ninette.


Flsclibacher.)

1. Pain bis : pain de seigle, de couleur l)rune.


2. Te forcer : sous-enlendu : à accepter mes cadeaux.
SOUFFRANCE ET PITIÉ. '2f\'.\

7. _ COLIX-MAILLARD'.

Un enfant frèle cl blond, dont la mine éveillée

l^aisse voii* des pâleurs, quoicju'un peu barbouillée'.


Conduit le [)auvre aveug-le et marche à petits pas.

A l'angle du chemin ils vont s'asseoir, là-bas,


Muets, l'un contre l'autre, et jamais ne demandent.
Ils ne poursuivent pas notre aumône, ils rattendenl.
Il faut les plaindre, enfants; ils sont si malheureux !

Etc'cst touchant de voir comment ils s'aiment entr'eux,


Et de voir ce g-arçon de huit ans, dont l'enfance
Aurait encor besoin de g'uide et de défense.
Si petit ! attentif aux pierres du chemin,
Surveiller un \ieil homme et lui donner la main.

Le sourire à la lèvre ou les pleurs sur la joue,


Fils de pauvre ou de riche, il faut que l'enfant joue;
C'est pourquoi, l'autre jour, l'enfant pâle à l'œil bleu

Avait naïvement imag^iné ce jeu


De courir tout autour de l'aveugle débile^.
Oui, sur la terre assis, posant là sa sébile"*^,

Colin-Maillard jeu dans lequel l'un des joueurs a les yeux


1 . :

bandés et cherche à saisir les autres en les poursuivant à tâtons.


2. Barbouillée salie. :

3. Débile faible.
:

/j. Sébile récipient pour recevoir


: les aumônes.
2/|4 I^A DKCOIJVERTK DU MONDK.

A (Iroile, h •^auclie, vite, éleiulaiil les deux hi'as,

Chercliait à le saisir selon le bruit des pas.


L'enfant, (jue chaque erreur du pauvre aveugle amuse,
S'éloigne plusieurs fois d'un petit air de ruse,
Sur la pointe du pied, sans souffler, doucement,
Et le vieillard écoute, immobile, un moment...
Puis, troublé tout à coup d'un si [)rofond silence.
Il appelle; l'enfant rit alors et s'élance.
Accourt et vient tomber dans les bras du vieillard;
Et l'aveugle riait d'être colin-maillard.

Moi, j'admirais Tenfant, dont la candeur' suprême


Peut jouer ^, sans l'accroître, avec la douleur même,
Et qui fait naître au cœur d'un malheureux pareil

La gaîté, le bon rire et l'oubli du soleiP !

(Jean Aicard, La Chanson de Veiifant.


Flammarion.)

1 . La candeur suprême : l'innocence naïve arrivée à son plus


haut degré de charme.
Peut jouer, sans l'accroître...
2. le spectacle de la joie :

environnante augmente d'habitude la douleur de ceux qui souf-


frent; mais ici la îçaîté naïve de l'enfant a au contraire pour
effet de consoler le malheureux vieillard.
3. L'oubli du soleil : l'aveugle oublie qu'il ne voit pas la

lumière.
SOUFFRANCE FT PITIK. 2/15

8. — AUMONE.

Une bonne passa, qui lenail un enfant.


Je crus m'apercevoir que le pauvre innocent^
Avait dans ses grands yeux quelque mélancolie.
Ayant toujours aimé cet âge à la folie,

Et ne pouvant souffrir de le voir maltraité,


Je fus à la rencontre, et m'enquis^ de la bonne
Quel motif de colère ou de sévérité
Avait du chérubin ^ dérobé la gaîté.

« Quoiqu'il ait fait d'abord, je veux qu'on lui pardonne,


Lui dis-je, et ce qu'il veut, je veux qu'on le lui donne. »

(C'est mon opinion de gâter les enfants.)

Le marmot là-dessus, m'accueillant d'un sourire.


D'abord à me répondre hésita quelque temps ;

Puis il tendit la main et finit par me dire :

« Qu'il n'avait pas de quoi donner aux mendiants. »

Le ton dont il le dit, je ne peux pas l'écrire.

1 . Innocent : être pur et candide.


2. M'enquis : m'informai.
3. Chérubin : ce terme, qui désigne une sorte d'ange, sert
aussi à désigner un charmant enfant.
'2l\i\ LA DÉCOUVERTE DU MONDE.

J'avais eiicor, je crois, deux cens dans ma bourse :

C'était, en vérité, mon unique ressource.


Le seul verre de vin pour mon prochain dîné ;

Je les tirai bien vite, et je les lui donnai.

(A. DE Musset, Une bonne fortune.)


SOUFFRANCE ET IMTIK. 2l\'J

9. — L'ENFANT CRUEL.

Enfant, vous avez pris un oiseau clans un champ,


Et vous voilà joyeux, et vous criez victoire!
Et le pauvre petit, dans une ca^^^e noire,

Se plaint, et vous prenez sa plainte pour un chant.

Il va vous amuser ainsi jusqu'à demain;


Et pour ce court plaisir vous lui coupez les ailes.

Tout en l'emprisonnant entre ces barreaux g-rêles,

Pour qu'il ne vole pas plus haut que votre main.

Et vous le regardez ainsi, depuis une heure,


Meurtrir son petit bec dans son étroit cachot,
fcourir aux quatre coins, voler de bas en haut.
Avec le cri plaintif de toute àme qui pleure.

Et pourtant vous semez sa cage de muguets


Et de toutes les fleurs, ses anciennes compagnes;
Mais cela ne vaut pas l'air des vastes campagnes
Et les chansons du soir dans le fond des bosquets.
2f[S LA DKCOnVKH [!•: DU M()S\)l].

Vous ne savez donc pas, eiilant, (piel saint mystère'


En hecquclant partout remplit l'oiseau pieux^?
Les petits sont dans l'arbre au fond du nid joyeux;
Pour vous, c'est un oiseau; mais pour eux, c'est un père!

(Alexandre Dumas fils, Péc/iés i/c j'eiuiessf.)

I . Mystère dans le sens de fonction sacrée.


: :

^. Pieux animé d'un sentiment d'amour paternel.


:
SOUFFRANCE ET PITIÉ. 2^9

10. - LE CRAPAUD.
(fragments.)

Les enfants l'aperçurent


El ciièrent : « Tuons ce vilain animal,
Et, puisqu'il est si laid, faisons-lui bien du mal! »

El chacun d'eux, riant, — l'enfant rit quand il tue, —


Se mit à le piquer d'une branche pointue,
Et le sang-, sang- affreux, de toutes parts coulait
Sur ce pauvre être ayant pour crime d'être laid;
Il fuyait; il avait une palie arrachée;
t'n eiifant le frappait d'une pelle ébréchée '
;

Son front saignait ; son œil pendait; dans le genél'


Et la ronce, effroyable à voir, il cheminait.
II respirait toujours; sans abri, sans asile.

Il rampait; on eût dit que la mort difficile-

Le trouvait si hideux qu'elle le refusait;


Les enfants le voulaient saisir dans un lacet ^.

Mais il leur échappa, glissant le long des haies;


L'ornière "^
était béante, il y traîna ses plaies

1 . Ébrécliée : dont la lame est endomraasi'ée.


2. Genêt : arbuste à fleurs jaunes.
.').
Difficile : exig-eante.
]. Lacet : filet.

't. Ornière : creux de la route formé par les roues des voitures.
'iBo LA découvfrtf; du monde.

Et s'y plongea sangla iil, hrisô, le crâne ouvert,


Sentant quelque fraîcheur dans ce cloaque' vert,
Lavant la cruauté de l'homme en cette boue;
Et les enfants, avec le printemps' sur la joue,
Blonds, charmants, ne s'étaient jamais lant divertis.
Tous parlaient à la fois, et les g-rands aux petits

Criaient : « Viens voir! dis donc, Adolphe, dis donc, Pierre


Allons pour l'achever prendre une grosse pierre ! »

Un des enfants revint, apportant un pavé


Pesant, mais pour le mal aisément soulevé,
Et dit : (( Nous allons voir comment cela va faire. »

Or, en ce même instant, juste à ce point de terre,

Le hasard amenait un chariot très lourd

Traîné par un vieux âne éclopé^, maigre et sourd;


Cet âne harassé, boiteux et lamentable.
Après un jour de marche approchait de l'étable.

Les enfants, entendant cette roue et ce pas,

Se tournèrent bruyants et virent la charrette :

— « Ne mets pas le pavé sur le crapaud. Arrête ! »

Crièrent-ils. « Vois-tu, la voiture descend


Et va passer dessus; c'est bien plus amusant. »

1. Cloaque eau croupissante.


:

2. Le printemps la fraîcheur de : la jeunesse, printemps de la


vie.
3. Éclopé : estropié.
SOL I FRANCK KT PlTIi:. 2.)I

Tous rot;arcIaionl.

Soiulaiii, avanranl dans roriiière


Où le monslre aUciulail sa lorlurc clcniicrc,

LVine vit le crapaud, e(, triste, — hélas! penché


Sur un plus triste, — lourd, Fonipu ', morne, écorché,
11 seinbla le flairer' avec sa tète basse;
Ce forçat-, ce damné ^ ce [>atienl-^ fit grâce;
Il rassembla sa force éteinte, et, roidissant
Sa chaîne et son licou ^ sur ses muscles en sang,
Hagard' il détourna la roue inexorable,
Laissant derrière lui vivre ce misérable;

Puis, sous un coup de fouet, il reprit son chemin.

Alors, lâchant la pierre échappée à sa main.


Un des enfants, — celui qui conte cette histoire, —
Sous la voùle infinie à la fois bleue et noii^e.

Entendit une voix qui lui disait : « Sois bon ! »

(Victor Hugo, La Légende des Siècles,


Hetzel.)

1. Rompu : accablé de latiguc.


2. Flairer : sentir par l'odorat.
3. Forçat : condamné à de durs travaux.
[\. Damné : qui souffre comme en enfer.
5. Patient : qui est soumis à la torture.
G. Licou : lien qu'on met au cou des bètes de somme.
7. Hagard : ayant l'air égare.
CHAPITRE V

Les Travailleurs.

Je eonnuâ mon bonheur, et qu'au monde où nous somme?


Nul ne peut se vanter de se passer des liomines;
Et depuis ce jour-là je les ai tous aimés.

(Slli.y-Prldhomme )
. .

GONTEiNU Ï)V CIIAIMTUE

1 Les imHiors (Jean Aicard).


2. A un vieux jardinier (R. Périé").

3. Les vendangeurs (Victor de Laphade).


.4. La moisson promise (Lamartine).
5. La clianson du marteau sur l'enclume (Jérôme Doucet).
(). Le lavoir (Pierre Dupont).
7. Marchande des mes (Jean Ricuepin).
8. Le pêcheur (Victor Hugo).

9. Les mineurs de New^castle (A. Barbier).


ïo. Le mineur (Maurice Magre).

LISTE SUPPLÉMENTAIKI^

Victor Hugo Saisoa des semailles : Le soir [Les chansons


des l'iies et des bois).
Joseph Altran. ... La fenaison [La vie rurale).
André Theuriet. La clianson (ki vannier [Le chemin des
, . bois).
Albert Mérat La fileuse [Les souvenirs)
ClovisHugues L'outil.
Sully-Prudhomme . Un songe (Les ép renues).
Jean Aicard Le foroeron {Le livre des petits).
Maurice BoucHOR. . La chanson du pécheur [Chants pour les
écoles).
LES I H \\ VILLKUKS. 'l,).y

1. — LES METIERS.

Sans le paysan, aurais-tu du pain?


C'est avec le blé qu'on fait la farine;

L'honinie et les enfants, tous mourraient de faim,


Si, dans la vallée et sur la colline.

On ne labourait et soir et matin !

Sans le boulang-er, qui ferait la miche'?


Sans le bûcheron, — roi de la forêt, —
Sans poutres', comment est-ce qu'on ferait
La maison du pauvre et celle du riche?
— ]\lême notre chien n'aurail pas sa niche M

Où dormirais-tu, dis, sans le maçon?


C'est si bon d'avoir sa chaude maison.
Où l'on est à table, ensemble, en famille!
Oui cuirait la soupe, au feu qui pétille,

Sans le charbonnier qui fil le charbon?

1. Miche : gros pain" rond.


2. Poutres «rosses pièces de bois
: taillées à angles droit.
3. Niche petite cabane portative.
:
256 LA DKCOUVERTf-: DU MONDK.
Sans le tisserand, (jui i'erail la loile?

El sans le laillciir, qui coudraiL l'Iiahil?


Il ne fail pas cliaud, à la i)elle éloile!

Irions-nous tout nus, le jour- (M la nuit?


Et l'hiver surtout, quand 1(î nez bleuit?

Aimez les métiers, le mien, — et les vôtres!


On voit bien des sots, pas un sot métier;
Et toute la terre est comme un chantier'
Où chaque métier sert à tous les autres,

Et tout travailleur sert le monde entier.

(Jean Aicard, Le Livre des pelits. Delagravc.)

I. Chantier : vaste atelier où l'on travaille.


.

LKS TI\AVAILIJ:rHS. 2.^7

2. _ A L'X VIEUX JARDINIER

S'il est en ce bas monde un homme que j'envie,

C'est loi, vieux jardinier du chàleau, dont la vie

Aussi modesie, aussi paisible que les fleurs,

Passera sans avoir connu d'autres malheurs


Que ceux de ton jardiu, le hàle '
et la gelée.

De ton jardin? Mais oui. Sauf la piste' sablée


Où ciiTulent les chiens, la livrée^ et les gens
Et que peignent^ toujours des râteaux dilig-ents,

Tout ce vaste domaine est à toi sans partage, —


Non par contrat de vente ou par droit d'héritag-e.
D'autres ont acheté, tu possèdes-^ pour eux.
Les maîtres, dont on voit le g^roupe paresseux
S'essayer vers le soir aux promenades lentes.

Savent-ils seulement le nom latin des plantes?

1. Hâle : chaud qui dessèche


air et flétrit les plantes.

2. Piste : chemin bien tracé.


3. La livrée : les domestiques.
4. Peignent : ce mot dépeint le mouvement du râteau, analo-
gue à celui d'un pei2:ne.
5. Tu possèdes pour eux : le vrai possesseur du jardin n'est
pas le maître, qui l'a acheté ou qui en a hérité, mais le jardinier,
qui, lui du moins, en apprécie la beauté et le charme.

17
258 LA DKCOUVKRTi: DU MONDK.

Ici nul mieux (juc; toi ne connaît le métier,


Habile à j^ouverner la serre' et le fruitier^,

Apte aux travaux iny^rats comme aux soins poétiques,


Egalement excjuis dans toul(\s les prati(jues^

Du maître jardinier, par qui les Horaisons"^

Alternent avec art de saisons en saisons,


Jusqu'à ce que l'hiver, eiï'euillant nos corbeilles 5,

Dans la ruche muette enciorme les abeilles.

Avec cela, jamais dans la simplicités^

Tu n'as laissé la bêche oisive. Il t'est resté,

Du temps où tu n'étais (pi'un travailleur de terre.

Un besoin de piocher, peut-être héréditaire''.


Et qui fait qu'en été tu sautes de ton lit

A l'heure blanche où l'aube au fond du ciel pâlit,

Lorsque les nids, sentant la fraîcheur des rosées.


Réveillent leurs chansons par la nuit reposées.
Tranquille alors, tout seul dans ton cjin préféré.
Tu bêches. Le jardin, lentement coloré
Par le jour qui se lève et sa lueur croissante.
S'anime autour de toi d'une vie innocente.

1. Serre : Heu couvert où Ton met les phintes à l'abri du froid.


2. Fruitier : endroit planté d'arbres fruitiers.
3. Exquis dans toutes les pratiques : qui excelle dans tous
les travaux.
l\. Floraisons : épanouissements des fleurs.
Corbeille
5. espace de terre couvert de fleurs, disposé en
:

forme de corbeille au milieu d'un gazon.


6. Simplicité : modestie. «

7- Héréditaire : qui provient de tes ancêtres.


LES THAVAILLEURS. 259

Les calices fermés se rouvrent maiiilenaiil.


Tii lourd frelon '
s'envole et part en bourdonnant,
D'un vol encor inoiiillé', liors d'une Heur déclose-''.

Le cétoine ^ eu or vert s'a'^ite dans la rose.

Tu bêches. Par nionienls lu l'arréles. Sens-tu


Le charme de celle heure? A-t-elle la verlu
D'épanouir aussi sous sa douceur nouvelle
Un vieux sonî»e endormi dans ta vieille cervelle?
Je ne sais — lu n'es pas un rêveur — mais je v(jis

Qu'en prenant une prise - il t'arrive parfois

De rester immobile une minute entière


Avant de refermer l'antique tabatière.

(R. PÉRIÉ.)

1. Frelon sorte de s^rosse çuêpe.


:

2. D'un vol encore mouillé les ailes de l'insecte sont humi-


:

des à cause de la rosée du malin.


3. Déclose entr'ouverle.
:

4- Cétoine insecte du genre des coléoptères, dont les deux


:

ailes supérieures sont en forme d'étui.


5. Prise : pincée de tabac.
aGo LA DÉCOUVERTE DU MONDE.

:]. — LES VENDANGEURS.

L'horizon s'éclaircil en de vag'ues roug^eurs,


Et le soleil levant conduit les vendangeurs.
Avec des cris joyeux ils entrent dans la vigne;
Chacun, dans le sillon que le maître désig'ne,
Serpe' en mains, sous l'arbusle a posé son panier.
Honte à qui reste en route et finit le dernier;
Les rires, les clameurs stimulent sa paresse.
Aussi comme chacun dans sa g"aîté se presse!
Presque au milieu du champ déjà brille là-bas

Plus d'un rouge corsage entre les échalas^.


Voici qu'un lièvre part, on a vu ses oreilles.
La grive 3 au cri perçant fuit et rase les treilles"^.

Malgré les rires fous, les chants à pleine voix,


Tout panier s'est déjà vidé^ plus d'une fois.

1. Serpe instrument recourbé et tranchant.


:

2. Échalas pieux plantés en terre pour soutenir la vig-ne.


:

3. Grive oiseau du genre merle, au plumage à la fois brun


:

et blanc.
4. Treilles : vignes élevées contre un mur ou un treillage.
5. S'est déjà vidé : chaque fois qu'un panier est plein, on en
verse le contenu dans des chars.
I.ES TH.VVAILLEURS. :>A)l

El l)ien lies chars, ployant sous riicurcusc \cihlaiiije,


Escortés' (les eiifaiils, sont partis pour la i^ran^c^.
Au pas leut des taureaux les voilà revenus,
Rapportant tout l'essaim^ des marmots aux pieds nus.
On descend, et la troupe à g-rand bruit s'éparpille,

Va des chars aux paniers, revient, saute et g-iappille *,

Près des ceps-^ oubliés se livre des combats.


Qu'il est doux de les voir, si vifs dans leurs ébats,
Préludant^ par des pleurs à de folles risées.

Tout empourprés du jus des g-rappes écrasées!

[y. DE LvpRADE, Franz.)

1. Escortés : accompai>-nés.
2. Grange : bâtiment où l'on met à l'abri les récoltes.
3. L'essaim : la troupe.
4. Grappiller : cueillir ce qui reste de raisins dans* une vi^ne
après la veiidang'e.

5. Ceps pieds de vii>ne.


:

6. Préluder commencer par une chose pour en venir


: à une
autre.
•aC)2 la dkcouvkrtk du monijk.

4. — LA iMOISSOX PROMISE.

Aux corbeilles de jonc puisant à pleine main,

En nuag-e poudreux la femme épand '


le grain;
Les enfants, enfonçant les pas dans son ornière%
Sur sa trace, en jouant, ramassent la poussière.
Que de leur main étroite ils 1 tissent retomber,
El que les passereaux^ viennent leur dérober.
Le fromenf^ ré[)andu, l'homme attelle la herse \
Le sillon raboteux*^ la cahote" et la berce;
En g'roupe sur ce char^ les enfants réunis
Elfacent sous leur poids les sillons aplanis 9.

Le jour tombe, et le soir sous les herbes s'essuie '°;

Et les vents chauds d'automne amèneront la pluie;

1. Épand : jette çà et là.


2. Ornière ce mot désig-ne ici les marques des pas.
:

3. Passereaux moineaux. :

4- Le froment la meilleure esj)ècc de blé.


:

5. Herse instrument d'agriculture (jui a plusieurs rangées de


:

dents.
G. Raboteux : inégal.

7. La cahote : lui fait faire des sauts.


8. Ce char : c'est la herse qu'on vient d'atteler.
(). Aplanis : rendus unis.
10. S'essuie :
y dépose son humidité.
LES TKA\ AILLKUHS. 20,'^

El les neiges il'liiver, sous leur liède lapis,


(.^ouvriroiil d'un nianleau ch^ diivel' les épis;

Et les soleils dorés eu j


uiuiroul les herbes;
El les filles des champs viendronl nouer les gerbes,
Et, tressant sur leurs fronts les bleuets, les pavots,
Iront danser en chœur autour des las nouveaux;
Et la meule broiera le froment sous les pierres;

El, choisissant la ileur", la femme des chaumières,


Levée avant le jour pour battre le levain^.

De ses pelils enfants aura pélri le pain;

Et les oiseaux du ciel, le chien, le misérable.


Ramasseront en {)aix les miettes de la table.

(Lamartine, Jocelyn, 9c époque. Hachette.)

Manteau de duvet
£ . : les flocons de neige sont comparés à
une espèce de colon.
2. La fleur : la partie la plus fine.
3. Le levain : la pâte aigrie qui lait lever et fermenter la pâte
du pain.
•jAWi la DKCOUVERTli: DU MONDK.

5. — LA CHANSON DU MARTEAU
SUR L'ENCLUME.

La forg"e a des aspects d'enfer.


'

Le lourd soufflet de cuir attise

Les charbons où, roug^e cerise,

Scintille un large bloc de fer.


^
Et le forgeron, dont le torse
De bronze est superbe de force,
Le saisit comme en un étau-^
Dans sa pince : l'ombre s'allume.
Lui le pétrit sous son marteau
Qui chante en frappant sur Tenclume.

Que faire de toi, masse étincelante.


D'où le feu jaillit en gerbes au choc?
Ping ! — tu deviendras le robuste soc

De quelque charrue à la marche lente.

1. Attise : fait mieux brûler.


2. Torse : buste, partie supérieure du corps.
3. Étau : instrument pour serrer les objets.
LES TRAVAILLEURS. 26ÎJ

Oiie faire de toi, lame longue et mince?


Piiî^'-! — tu seras faux; tu seras le fer

Devant (}iii [diera l'épi lourd et fier,

Comme un conilisan (jni salue un prince.

Que faire de toi, parcelle' ég-arée


Que Ton oubliait? Tu seras bientôt,
Ping- ! — en quelques coups, lame de couteau,
Pour couper le pain à croûte dorée.

Et toi, pur acier, part la mieux trempée'.


Ping- ! — je te ferai deux rudes tranchants ;

Car tu défendras nos maisons, nos champs


Et notre vieux nom : tu seras l'épée.

Ainsi devient le bloc qui fume,


Epée ou soc, faux ou couteau.
Aux coups répétés du marteau
Oui chante en frappant sur l'enclume.

(Jérôme Dolcet, La Chanson des choses.


Henry May.)

1. Parcelle : petit morceau,


2. Tremper : action de plong-er l'acier tout roug-e dans l'eau
froide, afin de lui donner plus de dureté et de résistance.
:^(i(> LA DKCOUVKHTi: DU MONDE.

6. — LE LAVOIR

Tous les jours, moins le dimanche,


On entend le gai battoir'
Battre la lessive blanche
Dans l'eau verte du lavoir.

Une rigole" en vieux chêne


Au lavoir amène l'eau

De la colline prochaine
Où se tient caché lecho,

L'écho qui jase et babille

Et redit tous nos lazzis-^;


Car nous lavons en famille
Tout le linge du pays.

Tous les jours, etc..

La margelle'' est une pierre


Aussi lisse qu'un miroir;
Un vieux toit fourni^ de lierre
Tient à l'abri le lavoir;

X. Battoir : petite planche ou palette qui sert à battre le linge.

2. Rigole : il s'ag-it ici d'une conduite en bois par où l'eau arrive.


3.Nos lazzis nos moqueries sur les gens dont on
: lave le linge.

V La margalle le rebord du lavoir.


:

5. Fourni de : tout recouvert de.


LES TRAVAILLEURS. 2O7

De Tiiis les feuilles vives'

Y dardenl' leurs dards pointus;


Pour einbaumer nos lessives

Sa racine a des vertus.

Tous les jours, etc..

La vieille branlant^ mâchoire,


Oui se souvient de cent ans,
Conte aux jeunes quelque histoire
Aussi vieille que le temps;
C'est Satan qui se démène^
Dans le corps d'un vieux crapaud,
Ou bien c'est quelque àme en peine ^

Oui, la nuit, vient troubler l'eau.

Tous les jours, moins le dimanche.


On entend le gai battoir
Battre la lessive blanche
Dans l'eau verte du lavoir.

(Pierre Dlpont, Chants et Poésies.


Garnier frères.)

1 . Vives hérissées et touff jes.


:

2. Y dardent y lancent.
:

3. Branlant remuant, par suite d'un tremblement que cause-


:

la vieillesse.

4. Se démène se débat.:

T). Am3 en peine àme errante : et qui soufFre.


268 LA DECOUVERTE DU MONDE.

7. _ MARCMAXDE DES RUES.


(fha(;mknt.)

C'esl ce malin avant le jour


Que la vieille a l'ail son lour.
Elle a marché deux ou trois lieues

Hors du faubourg-, dans les banlieues,


Jusqu'à Clamart ^
ou jusqu'à Sceaux.
Elle est bien lasse sous sa hotte"!

Et l'on ne vend qu'un sou la jjotte

Du mouron^ poiu' les p' tifs oiseaux.

Les petits^, trouvant le temps long-,

Traînent, en allant, leur talon.


La sœur fait la g-rimace au frère
Qui, sans la voir, pour se distraire,

Trempe ses pieds dans les ruisseaux,


Tandis qu'au cinquième^ peut-être,
On demande par la fenêtre
Du mouron pour les p'tits oiseaux.

1 . Clamart, Sceaux deux petites localités des environs de Paris.


:

2. Hotte panier d'osier qu'on porte sur le dos à l'aide de


:

bretelles.
3. Mouron : petite plante qui sert à la nourriture des oiseaux.
4. Les petits les enfants qui accompao-nent la vieille.
:

T). Au cinquième au cinquième étaoe d'une maison.


:
Li:S TRAVAILLEURS. 2()()

IMais la grand ni ôro a vu cela;

Un son par-ci, deux sous par là !

C'est elle encor, la pauvre vieille,

Qui le mieux des trois tend l'oreille,

Et dont les jambes en fuseaux ',

Quand à mouler (juelqu'un l'invile,

Savent apporter le plus vite


Du mouron pour les p'tits oiseaux.

Un sou par-là, deux sous par-ci !

La bonne femme dit merci.


C'est avec les gros sous de cuivre

Que l'on achète de quoi vivre,

Et qu'elle, la peau sur les os,

Peut donner, à l'heure où l'on dîne,


A son bambin, à sa bambine.
Du mouron pour les ptits oiseaux.

(Jean Richepin, La Chanson des Gueu.r.


Fasquelle.)

I. Jambes en fuseaux : ayant la forme de fuseaux, minces


et allono-ëes.
j

2'jo [la découverte du :m()M)i:.

8. — LE PEClll-ri\.

L'homme est en mer. Depuis l'enfance matelot,


11 livre au hasard' sombre une rude bataille.
Pluie ou bourrasque", il faut qu'il sorte, il faut qu'il aille
Car les petits enfants ont faim. Il part le soir,

Quand l'eau profonde monte aux marches du musoir^.


11 gouverne à lui seul sa barque à quatre voiles.

La femme est au logis, cousant les vieilles toiles,


'5

Remmaillant"^ les filets, préparant l'hameçon,'y


Surveillant l'àtre-'' où bout la soupe de poisson.
^5
Puis priant Dieu sitôt que les cinq enfants dorment.
Lui seul, battu des flots qui toujours se reforment.
Il s'en va dans l'abîme^ et s'en va dans la nuit.

Dur labeur! tout est noir, tout est froid; rien ne kiit.

1. Au hasard sombre : c'est la puissance mystérieuse et re-


Joutable qui préside aux événements de noire vie, c'est le destin
avec ses périls inconnus.
2. Bourrasque : quand soufflent des tourbillons de vent très
violents.
3. Musoir pointe de la jetée.
:

4- Remmaillant rejoignant les mailles défaites.


:

5. Aire voir page i49j note 2.


:

6. Dans l'abîme la mer toute noire pendant la nuit


: est comme
un gouffre.
LES T1\A\ AILLi:UHS. 27 I

Dans les brisants', parmi les lames" en démence-^,


L'endroit bon à la pèche, et, sur la mer immense,
Le lieu mobile, obscnr, capricieux, changeant,
Où se plaît le poisson aux nayi^eoires d'argent.

Ce n'est qu'un point; c'est grand deux fois comme la chambre,


Or, la nuit, dans l'ondée^ et la brume^, en décembre.
Pour rencontrer ce point sur le désert mouvant,
Comme il faut calculer la marée ^ et le vent!

Comme il faut combiner sûrement les manœuvres^!


Les flots le long du bord glissent, vertes couleuvres;
Le gouffre roule et toid ses plis démesurés.
Et fait râler ^ d'horreur les agrès ^ effarés '°.

Lui songe à sa Jeannie^', au sein des mers glacées,


Et Jeannie en pleurant l'appelle; et leurs pensées
Se croisent dans la nuit, divins oiseaux du cœur.
Victor Hugo, Extrait des Pauvres (jens,
Légende des siècles. Hetzel.)

1. Brisants : écueils à fleur d'eau.


2. Lames i^rosses vaj^ues.
:

3. En démence déchaînées : (s'agitant comme des fous).


4. Ondée : grosse pluie.
5. Brume : brouillard épais.
0. Marée mouvement: alternatif des eaux de la mer.
7. Combiner sûrement les manœuvres : rég-ler sans la moin-
lire erreur tous les mouvements par lesquels on gouverne le bateau.
8. Fait râler : fait rendre un bruit sourd.

9. Agrès : tout ce qui constitue l'équipement d'un bateau,


niàts, voiles, cordages...
10. Efifarés : le poète prête aux agrès un sentiment d'effroi
«.levant la tempête.
11. Jeannie : nom de sa femme.
272 r,V DKCOl'VKU IK Di: .Mf)M)i:.

9. — LES MINEUPuS DE XEWCASTLE'.

Nous sommes les mineurs de la riche Angleterre;


Nous vivons comme taupes^ à six cents pieds ^ sous terre
Et là, le fer en main, tristement nous fouillons,
Nous arrachons la houille à la terre fangeuse'';
La nuit couvre nos reins de sa mante -^
brumeuse,
Et la mort, a ieux hibou, voie autour de nos fronis.

Malheur à l'apprenti qui, dans un jour d'ivresse,


Pose un pied chancelant sur la pierre traîtresse!
Au plus creux de ral)îme il roule pour toujours.
Malheur au pauvre vieux dont la jambe est inerte^!

Lorsque l'onde, en courroux de se voir découverte,


Envahit tout le gouffre, il périt sans secours.

1. Newcastle ville du nord de l'Angleterre, centre du com-


:

merce de la houille.
2. Taupes petits quadrupèdes qui vivent sous la terre.
:

3. Pied ancienne mesure de longueur d'environ 33 centi-


:

mètres.
4- Fangeuse pleine de boue.
:

5. Mante vêtement.
:

0. Inerte : incapable de se mouvoir avec rapidité.


LES TI\AN AILI-EURS. '2'j'.\

Malheur à rimpiiidciit, iiiallieur an Icinéraii'c,

Qui descend sans avoir la lampe salutaire


Qu'un ami des Immains' fit pour le noir mineur!
Car le mauvais esprit" (pii dans l'ombre le guette,
La hleuàtre vapeur^ sur lui soudain se jette
Et retend sur le sol, sans pouls '^
et sans chaleur.

Malheur, malheur à tous! car même sans reproche,


Lorsque chacun de nous fait sa tâche, une roche
Se détache souvent, au bruit seul du marteau;
Et plus d'un qui rêvait dans le fond de son âme
Aux cheveux blonds d'un fils, à l'œil bleu de sa femme,
Trouve au ventre du gouifre un éternel tombeau.

Et cependant c'est nous, pauvres ombres muettes.


Oui faisons circuler au-dessus de nos tètes

Le mouvement humain-^ avec tant de fracas;

C'est avec le trésor qu'au risque de la vie


Nous lirons de la terre, ô puissante industrie!
Que nous mettons en jeu tes gigantesques bras.
(A. Barbier, Poèmes. A. Fayard.)

1. Un ami des humains le chimiste anglais Davy qui inventa


:

en i8i5 la lampo de sûreté pour les mineurs.


2. Le mauvais esprit le ^énie malfaisant.
:

3. La bleuâtre vapeur c'est le çrisou.


:

/}. Pouls battement des artères, qui s'arrête à la mort.


:

").
Le mouvement humain il s'agit de l'activité industrielle,
:

qui existe grâce aux machines à vapeur alimentées parla houille.

18
2 74 L\ DECOUVEKTK DU MONDE.

10. — LE MINElJir.

Nous descendons avant que l'aurore ne nionle;


Les lueurs du salpêtre^ en nos yeux reflélées

Sont les seules lueurs de la mine profonde,


Et, lorsque nous sortons, le soleil s'est couché...

Si le vent du grisou glace mes os de peur,


Ou si le flot montant d'une mer^ souterraine
Sur les plages d'argile au loin déferle'' et meurt,
Qu'importe! travailleur, il faut creuser la terre!

Sais-tu que les humains ont besoin de charbon


Pour prolonger, là-bas, le souffle des chaudières.

Pour que les câbles^ crient et que les volants^ tournent,


Que les moteurs'' d'acier vivent dans la lumière.

1Le mineur Nous avons rapproché avec intention ce mor-


. :

ceau du précédent. Tous deux se complètent. Dans le premier


est surtout décrite la vie du mineur; dans le second sont plutôt
dépeints ses sentiments.
2. Salpêtre : substance blanche et scintillante.

3. Mer souterraine : les mineurs rencontrent parfois sous


terre des nappes d'eau qui risquent de les engloutir.
4. Déferle : se déroule et se brise avec fracas.
5. Câbles grosses cordes.
:

6. Volants pièces des machines en forme de roues.


:

7. Moteurs machines qui produisent le mouvement.


:
LES rilAVAILLEUHS. 27;)

Oiie les chemins de fer s'élancent, transportant


La force clans les vins, la pensée dans les livres,

Pour (jue les laboureurs viennent s'asseoir g'aîment


Autour du feu qui fait rêver et (pii fait vivre,

Et que les hauts-fourneaux', le soir, jettent au ciel,

Du fond rou§"e de leurs entrailles enllammées.


Cette mystérieuse et terrible fumée
Comme un g-rand témoin noir du travail éternel?...

Je saigne^ pour cela dans ce séjour des ombres;


Chaque lampe est un œil, chaque bruit une voix.
Des fantômes marchent au fond des couloirs sombres,
On dirait que des torturés crient sous des croix ^.

C'est du sang"^ qui jaillit du cœur des pierres tristes,

C'est un damné (jui raie en la rumeur^ du fer,

Et des faces de moris grimacent dans le schiste^'

Et la mine ressemble au pays de l'enfer...

1. Hauts-fourneaux fourneaux dans lesquels on


: fait fondre
à une haute température le minerai de fer.

2. Je saigne : (au sens fig-uré) je souffre.


3. Sous des croix : comme celles où l'on clouait jadis les
condamnés.
4- C'est du sang : il s'agit des étincelles que fait jaillir le choc
<lu fer sur les pierres.
5. En la rumeur du fer : c'est le bruit des coups que fait
entendre le fer en frappant le roc.
0. Schiste : roche feuilletée, telle que l'ardoise, qui présente
parfois des formes étrano-es et des dessins bizarres.
27^ • A l)l':COUVKI\TK DU MONDK.

Du soleil ma poitrine a besoin de


! lumière,
Mes yeux noircis voudraient mirer le heau ciel clair,

Je voudrais respirer les parfums de la terre

Et m'endormir bercé par des clianls d'arbres verts...

Là-haut, c'est un moulin avec des espaliers '

Il ouvrait dans le vent ses ailes éployées;


Ma mère m'y berça dans un berceau d'osier,
Elle avait des yeux bleus et des boucles dorées...

C'est le son merveilleux des cloches du dimanche.


Les histoires contées sur le seuil des maisons.
Les vêpres où penchait le vent des coiffes ^ blanches,
Et le soleil de Dieu brillant sur les moissons ;

Le clocher bienveillant comme un parent vieilli

Qu'on trouve et qui sourit après un long- voyage;


Le bouquet d'une enfant, le salut d'un ami
Et la chanson perdue d'un chanteur de passage...

— Hélas! lorsque je sors, triste et noir, du puits sombre.


Je ne peux plus savoir comme le monde est beau ;

Devant les cieux profonds, je reste comme un homme -^

Enterré tout vivant, qui sort de son tombeau...


(Maurice Magre, Le Poème de la jeunesse.)

1 . Espaliers : rang-ées d'arbres fruitiers.


Le vent des coiffes
2. il s'ag-it des coiffures des femmes,
:

qui s'agitent au moindre souffle.


3. Homme ce mot ne rime que bien faiblement avec « sombre ».
:
CHAPITRE VI

L'âme des Choses.

Objets inanimés, avcz-vous donc une âme


Qui s'attache à notre âme et la force d"aimer

(Lamartine.)
gonïkm; du chaimjhe

1. L'aig"iiille (Jean Aigaud).


2. La chanson des ailes du moulin (Jérôme Douget).
3. Le bruit des berceaux (Théodore Botrel).
4. La chanson des cloches (Jérôme Douget).
5. Le coffret (Georg-es Rodenbagh).
G. La chanson de la g'irouette (Jérôme Douget).
7. Les vieilles horloges (Louis Mergieh).
8. Le g^alet (Louis Bouiluet).

9. La source (Théophile Gautier).


10. La plainte du bois (Jean Righepin).

LISTE SUPPLÉMENTAIRE

Jérôme DoucEi' La chanson de la roue du moulin


{La chanson des choses).
]\Iiiie DE Pressensé La chanson de l'eau {La journée du
petit Jean).
Leconte de LisLE La chanson du rouet {Poèmes anti-
ques).
Emile Goudeau Ce que chante la houille.
Edmond Rostand A ma lampe {Les Musardises).
M«»e Rosemonde Rostand. Vieilles choses, fragment.
Victor Hugo La nature {Les Contemplations).
Sult.y-Prudhomme Les vaisseaux {Stances).
— Les vieilles maisons {Les Solitudes),
.

L AMK Di:S CHOSES. ^79

1. — L'AIGUILLE.

Je suis la pelile aig-uille.

Aux doig-ls de la jeune fille,

Et des mères de famille,


Je vais, je viens, je sautille.
Pour que le monde s'habille
Selon 1 âge et les saisons...

Nous cousons, nous cousons.

Les langes' et les layettes*.

Les mignonnes chemisettes,


Les coiffes et les cornettes^.

Nous les faisons très bien faites.


Pour les petites fillettes.

Et les tout petit g-arçons...


Nous cousons, nous cousons.

1 Langes : pièces d'étoffe dans lesquelles on enveloppe les


enfants au maillot.
2. Layettes : ling-es d'un enfant nouveau-né.
3. Cornettes : sortes de coiffures.
28o l.A DKCOUVERTE DU MONDK.
Dans la toile, dans la laine,

Dans la r,)be de futaine',


Dans le manlean de la reine,

Avec mon fil que j'entraîne,


Nuit et jour je me promène.
Et, dans toules les maisons,
Nous cousons, nous cousons.

(Jean Aicaivd, La Chanson des PeUls.


Dclagrave.)

1 . Futaine : étoffe pelucheuse de fil et de coton.


.

L*AME DES CHOSES. 28 1

2. — LA CHANSON DES AILES DU MOlLLV.

Tournons au ^ré du vent qui passe


Pour écraser le pur froment' !

Que nos quatre bras dans l'espace


Se démènent" joyeusement!

Avec un doux entêtement,


Eternel jeu de passe-passe-^,
Nous nous suivons et constamment
Tournons au ^ré du vent qui passe.

Donnez vos crains ! On les remplace


Par de la farine aisément.
Et notre ardeur n'est jamais lasse
Pour écraser le pur froment.

1 Froment : la meilleure espèce de blé.


2. Se démènent s'ag-itent.
:

3. Jeu de passe-passe les : ailes du moulin, eu tournant,


rappellent le jeu d'adresse qui consiste à faire passer des içobelets
les uns dans les autres.
282 LA DKCOlJVI'RTi: DU MONDK.

l^U'Fois MOUS (loniioiis 1111 inoniciil.

Mais que la hiso' nous tracasse,


Nous repartons subitement
Et nous tournons d'un air cocasse'
Au gré du vent.

(Jérôme DoucET, L(i C/ionson des choses.


Henry May.)

1. Bise : vent du nord.


2. Cocasse : pinisanl.
L*AME DES CHOSES. 28»^

3. — LE BRUIT DES BERCEAUX.

le doux bruit des Berceaux


Que bercent les mères,
Comme les brises légères

Bercent les roseaux !

les song-es doux, peuplés de chimères'.


Que ce bruit joli fait épanouir !

Au bruit des Berceaux que bercent les mères


Les anîJ:es du ciel doivent s'endormir.

le doux bruit des Berceaux


Que bercent les mères.
Comme le vent des clairières"
Berce les oiseaux !

La douce Chanson que, par les nuits claires,

A l'entour de moi j'écoule frémir!


Au bruit des Berceaux que bercent les mères
Tous les cœurs humains devraient s'endormir!

2. Clairières : voir page 210, noie i.

I. Chimères : itlëes irréalisables.


'iSll LA DKCOIJVICRTE DU MONDK.
O le doux ])ruit des Berceaux
Que bercenl les mères,
Comme les Vagues amères
Bercenl les Vaisseaux!
La peur de l'Orage et l'horreur des Guerres
llanlent' les Berceaux et les font gémir!
Au bruit des Berceaux que bercent les mères
La Haine et les Flots devraient s'endormir.

(Théodore Botrel, Chansons


de Jean-qui-c liante.)

I. Hantent les berceaux : se présentent souvent à l'esprit


(les mères auprès des berceaux.
i/a.mk des choses. 285

4. — LA CHAXSOX DES CLOCHES,

Toi dont la voix parle et chaule,


Cloche d'ég"lise ou de beffroi',
Sacrée ou non, douce ou méchanle,
toi dont la voix parle et chante.
Que leur dis-tu? Bonheur? ElTroi?

Ding-din-don, je sonne un baptême.


L'enfant ne sait la vie encor;
Chacun le choie" et chacun l'aime.
Ding'-din-don, je sonne un baptême.
C'est pourquoi j'ai pris ma voix d'or

Ding--don, je sonne un mariage.


Las" ! époux, l'amour est changeant î

Profitez de voire jeune âge.


Ding-don, je sonne un mariage.
C'est pourquoi j'ai ma voix d'argent !

1. Beffroi : tour où jadis on sonnait l'alarme dans les villes.


2. Choyer soi£;-ner avec tendresse.
:

3. Las abréviation de « hélas ».


:
28() LA DKCOUVKKTE DU MONDR.

l)'m<^', celui (jiic Ton [)()ilc en lerre,


Cœur naïf, esl inorl <le ehagriri.

Il enlre dans le grand nivslèi'c',

Ding', ccini qu'on porte en lerre.

C'est pourquoi j'ai ma voix d'airain!

loi dont la voix parle et chante,


Cloche d'ég^lise ou de beiîroi,

Sacrée ou non, douce on méchante,


toi dont la voix parle et chante.
Que leur dis-lu? Bonheur? EfïVoi?
(Jcrome Douckt, La Chanson des choses.
Henry May.)

I. Dans le grand mystère : dans l'inconnu qui suit la mort.


lAvME DES CHOSES. 287

5. - LE COFFRET.

Ma mère, pour ses jours de deuil el de souci,


Avail, dans uu tiroir secret de sa commode,
Va [)elit coffre en fer rouillé, de vieille mode.
Et ne me l'a fait voir que deux fois jusqu'ici.

€omme un cercueil, la hoîle est funèbre et massive ',,

Et contient des cheveux de ses parents défunts


Dans des sachets" jaunis aux pénétrants parfums,
Ou'elle vient quelquefois baiser le soir, pensive.

Ouand sont mortes mes sœurs blondes, on l'a rouvert


Pour y mettre des pleurs et deux boucles frisées.
Hélas! nous ne gardons d'elles, chaînes^ brisées,
Oue ces deux anneaux^ d'or dans ce coffret de fer.

I. Massive épaisse et lourde.


:

'2.Sachet petit coussin ou sac, où Ton met des parfums.


:

3. Chaînes brisées les individus sont souvent comparés à


:

Jes cliaînes ([ui relient les s'éiiérations passées aux "'énérations


ulures.
4. Anneaux d'or : ce sont les boucles blondes de leurs che-
veux.
288 LA DIÎCOLIVKKTK DU MUNDi:.

Et loi, puisque ton fronl vers le tombeau se penche,


() nu'ie, ({uand viendra l'inévilable jour

Où j'irai dans la boîle enfermer à mon tour


Un peu de tes cheveux, que la mèche soit blanche !

((îeorg'cs RoDENiiu;ii, Lrs l'/is/csses.)


l'ame des choses. 289

0. — LA CHANSON DE LA GIROUETTE.
En zinc, en fer, en cuivre, en tôle',
De forme drôle,
A la crele^ des toits, par cent.
Les g-irouettes
— Comme les miroirs d'alouettes —
Sans repos font les pirouettes^,

Pleurant, g-rinçant.

Que notre misérable vie,


Hélas! est peu digne d'envie!
Que nous avons donc de soucis !

Que de misères nous sont faites


Sur ces faîtes !

Les jours n'y sont point jours de fêtes.

Nos pauvres cœurs sont tout noircis

A l'haleine'^ des cheminées.


Tristes perchoirs de noirs corbeaux.
Bientôt, par la rouille minées^.
Nous nous effritons^ en lambeaux.

1. Tôle : fer réduit en feuille.


2. La crête le sommet, le faîte.
:

3. Font les pirouettes tournent sur elles-mêmes.


:

4. L'haleine des cheminées la fumée. :

5. Minées usées lentement.


:

6. Nous nous effritons en lambeaux nous sommes : détruites


morceau par morceau.

19
'J.i){) LA DKCOUVEllTK DU .MONDJ:.

Que voil-oii là-haul? In icrand clianip d'ardoises,


Piaillé de liijaiix.

Là-haul, (ju'eiUeiid-oii? Parini les chcneaux',


Les malous" se cliercliaiit des noises^.
L'été, c'est le soleil hiiilant;

L'hiver, la noii^e, duvet blanc,


La pluie ou la j^rèle qui cin^le"*^.

Eu lou(es saisons, c'est le vent


Nous faisant touniei' si S(juvenl,

Puis un beau jour nous enlevant


De noire tringle \
(Jérôme Doucet, La Chanson des choses.
Henry May.)

1. Chéneaux : conduits de bois ou de métal qui reçoivent les


c.mx des toits et les conduisent à la gouttière, par où elles des-
cendent.
2. Matous : chats mâles.
3. Noises querelles.
:

4- Cingle voir pag-e 02, note l\.


:

5. Tringle morceau de fer, autour duquel tourne


: la içirouette.
i;a.me des choses. 'M)t

7. — LES VIEILLES HORLOGES.

A les ouïr '


sonner, on dirait des aïeules
Qui, la quenouille^ aux doigts.
Le soir, au coin du feu, se parlent toutes seules

Des choses d'au! refois.

Oh! le timbre^ attristé de leur voix frêle et rare,

Oh ! les gémissements
De leur vieux, très vieux cœur, que Ton devine avare
De ses lents battements!

Tout cela souffre, tout cela gémit et pleure,

Comme l'eau qu'on entend,


Goutte à goutte, du toit fêlé"^ d'une demeure,
Choir 5 en se lamentant.

1. Ouïr entendre.
:

2. Quenouille voir pag:e 38, note i.


:

S. Le timbre c'est la qualité du son.


:

/|. Fêlé fendu.


:

5. Choir tomber.
:
•2iy2 LA DECOUVERTE DU MONDE.

C'est qu'à force d'avoir sonné des agonies,


Des adieux et des i^las',

Voici qu'il leur a piis (ies pi liés infinies

Pour les maux d'ici-has...

(Louis Mercieh, Le Poème de la maison.


Ccilmann-Lévy.)

I. Glas : sonnerie de cloches, qui annonce la mort d'une per-


onne.
l'aME mes CHOSES. 2()ii

8. — LE GALET'.

Rond, luisant et poli sous la vai^uc marine,

Océan, je l'ai pris parmi tes flols amers.


Ce caillou blanc avec sa frang-e^ purpurine.

Comme un bijou tombé du vaste écrin^ des mers.

Mille ans, il a roulé sur le bord de celle onde;


Les flots jaloux, mille ans, l'ont ramené vers toi;

Et peut-être. Océan, sous ta houle '^ profonde.


Tu ne l'avais poli que pour qu'il vînt à moi !

Je l'ai pris, ruisselant d'une écume embaumée


(Tel un avare prend un trésor), et joyeux,

mer, je l'emportai loin de la rive aimée.


Comme un g'a§"e^ d'ami qui nous fait des adieux.

1. Galet : caillou poli et rond que la mer rejette sur le rivage.


2. Frange purpurine : bordure de couleur pourpre.
3. Écrin ; coffret où l'on serre les bijoux.
4- Houle mouvement d'ondulation qu'ont
: les flots de la mer
agités par une tempête.
5. Gage d'ami : objet remis en témoignage d'amitié.
•2\)f\ LA DKCOl'VKUTK DU MONDK.

El depuis, (juand parfois je le contemple encore,


Frémissant ', ('perdu, je crois tenir soudain

Avec ses bruits, ses flots et sa trompe^ sonore.


Tout le i^rand Océan dans le fond de ma main!
(Louis BouiLHET, Festons cl Astrdtjales.
Lemerrc]

/. Frémissant, éperdu : plein de (rouljle et d'ag-itation,


•2. Trompe : sorte de Ironipelte.
i/a.mf-: drs cjiosks. 296

9. _ LA SOURCE.

Tout près (.lu lîic filtre' une source,


Entre deux pierres, dans un coin;
Allègrement^ l'eau prend sa course
Gomme pour s'en aller l)ien loin.

Elle murmure : « Oli ! quelle joie!


Sous la terre il faisait si noir!

Maintenant ma live verdoie,

Le ciel se mire à n^on miroir.

Les myosotis aux fleurs bleues

Me disent : « Ne m'oubliez pas ! »

Les libellules^ de leurs queues


M'égratig-nent dans leurs ébats ;

A ma coupe l'oiseau s'abreuve...


Oui sait? après quelques détours
Peut-être deviendrai-je un fleuve
l^aignant vallons, rochers et tours.

1. Filtrer : couler o-oulte à goutte.


2. Allègrement : joyeusement.
3. Libellule : insecte vulgairement appelé « demoiselle ».
2ijG LA i)i':(;onvKi\TK nu monde.

Je broderai' de in«)u cciiine

Ponts de pierre, quais de i^ranit,

Einporlant !e slearner^ cjui fume


A l'Océan où tout linil. »

Ainsi la jeune source jase 3,

Formant cent projets d'avenir;


Comme l'eau qui bout dans un. vase,
Son flot ne peut se contenir;

Mais le berceau touche à la tombe,


Le géant futur meurt petit :

Née à peine, la source tombe


Dans le grand lac qui l'engloutit.
(Théophile Gautier, Emaux et Cainêes.
Fasqueile.)

1 Je broderai de
. mon écume : mon écume, en se déposant,
fera des dessins.
2. Steamer mot anglais qui se prononce siimeiir
: et qui dési-
gne un bateau à vapeur.
3. Jase :parle avec abondance et légèreté.
LAME DES CHOSES. '2(
97

10. — LA PLAINTE DL' J^OIS.

Dans Tàlre flamboyant le feu sifHe et détone',

Et le vieux bois £;émit d'une voix monofone.


11 dit qu'il était né pour vivre dans l'air pur,
Pour se nourrir de terre et s'abreuver d'azur.

Pour grandir lentement el pousser chaque année


Plus haut, toujours plus haut, sa tète couronnée.
Pour parfumer avril de ses grappes de fleurs,

Pour abriter les nids et les oiseaux siffleurs,


Pour jeter dans le vent mille chansons joyeuses,
Pour vêtir t()ur à tour ses robes merveilleuses.
Son manteau de printemps de fins bourgeons couvert,
Et la pourpre en automne, et 1 hermine' en hiver.
Il dit que l'homme est dur, avare et sans entrailles,

D'avoir à coups de hache et par d'âpres entailles


Tué l'arbre; car l'arbre est un être vivant.

Et dans l'àtre en brasier^ le bois geint ^ et se tord.

bois, tu n'es pas sage et tu te plains à tort.

1. Détone : fait entendre un bruit d'explosion.


2. Hermine fourrure blanche.
:

3. En brasier où brillent des charbons incandescents.


:

l\. Geindre : ternir.


2()8 L\ DKcoiJN Kini: n(j mo.ndk.

Nos mains en le c()uj)aii( ne s(jiil pas assassines,


lilncliaîné, subissant Tenlrave' des racines,
Tu végétais" au mcine endroil, sans mouvement,
Et conjoint'^ à la tcrie insé[)aral)leinent.

Nous t'avons délivré du sol où tu le rives ^,

El le voilà flottant sur l'eau, voyant des rives


Avec leurs bateliers 5, leurs maisons, leurs chevaux.
O les cîeux différenls! les horizons nouveaux!
Que de biens inconnus tu vas enfin connaître!
Quel souffle d'aventure étrange te pénètre!
Mais tout cela n'est rien. Car lu rampes encor.
Qu'on le fende et le brûle, et qu'il prenne l'essor^'!

Et le feu furieux te dévore la fibre ^.

Ah! tu vis maintenant, lu vis, le voilà libre!

Plus haut que les parfums printaniers de tes fleurs,.

Plus haut que les chansons de tes oiseaux siffleurs,.

1. Subissant l'entrave : retenu par le lien.

2. Tu végétais : tu vivais d'une vie étroite et immobile.


3. Conjoint : uni.
l\. Oii tu te rives : où tu t'attaches solidement, comme un clou
dont on a rabattu et aplati la pointe sur l'autre côté de l'objet
qu'il traverse.
5. Bateliers : ceux qui conduisent les bateaux.
6. Qu'il prenne l'essor : qu'il s'envole.

7. Fibre : filaments entrelacés qui constituent la substance du


bois.
L ami: DKS (MIOSKS. 2()()

Plus liaiil (jiic les soupirs, plus liaul (pic mes paroles,
Dans la nue el l'espace infini tu l'envoies!

Vers ces roses va[)eurs où le soleil du soir

S'éleint comme une braise au fond d'un encensoir',


Vers ce firmamenl" bleu dont la gloire^ allumée
Absorbe avec amour ton àine de fumée,
Vers ce mystérieux el sid)lime lointain

Où viendra s'éveiller demain le frais matin,


Où luiront celle nuit les s[)lendeurs sidérales^.
Monte, monte toujours, déroule tes spirales",

Monte, évanouis-toi, fuis, disparais ! Voici


Que ton dernier ttocon flotte seul, aminci,
El se fend, se dissout, s'en va. Tu perds ton être,
Aucun œil à présent ne peut te reconnaître ;

Et toi qui regrettais le grand ciel et l'air pur,


vieux bois, tu deviens un morceau de l'azur.

(Jean Richepin, La Chanson des Gueux.


Fasquelle.)

1 Encensoir cassolette ou vase suspendu à de petites


. : ctiaînes?-
dont on se sert dans les églises pour brûler l'encens.
2. Firmament voûte du ciel. :

3. La gloire allumée la splendeur lumineuse.:

4- Sidérales : des astres.


r». Spirales : courbes qui voJt en s'ilargissant de plus en plus..
CHAPITRE VII

La Terre natale

O ne quittez jamais, c'est moi qui vor.s le dis,


Le devant de la porte où l'on jouait jadis.

(Brizei'x.)
CONT^]NU UU CIIAJMTIIE

1. Coniiais-tu mon beau villag"e (Fiédérlc Iîataille).

2. Ma maison (Catulle Mendès).


3. La terre (Jean Riciiepin).

4. L'exilé (Chateaubriand).

5. Souvenir d'enfance (Lamartine).


(). La Voulzie (Hég-ésippe Moreau).
7. La maison du Moustoir (Brizeux).
8. Retour (A. de Musset).
9. La chanson de là-bas (Théodore Botrel).

10. Hymne à la France (André Chénier).

LISTE SUPPLÉMENTAIRE

L vMARTiNE Milly ou la terre natale [Les Harmonies)


Brizeux Le pays {Marie).
Gabriel Vicaire. Bonheur bressan [Emaux bressans).
André Theuriet. Galette lorraine {Le livide de la paijse).
François Coppée. Le retour au pays natal {Poésies).
François Fabié. . Terre de France {La bonne terre).
— La glèbe [Le clocher).
LA TKailK NATALK. 'Att'/>

COXXAIS-Tl MON BEAU VJLLA(iE?

Connais-lu mon beau villay^e,

Oui se mire au clair ruisseau?


Encadré dans le feuillage,

On dirait un nid d'oiseau.


Ma maison, parmi l'ombragée,
Me comme un berceau.
sourit
Connais-lu mon beau villag^e,
Qui se mire au clair ruisseau?

Loin du bruit de la grand'ville,

A l'abri du vieux clocher,


Je cultive un champ fertile,

Un jardin près d'un verger,


Sans regret ni vœu stérile '

Mon bonheur vient s'y cacher,


Loin du bruit de la grand'villc,

A Tabri du vieux clocher.

I . Vœu stérile : souhait irréalisable.


3o4 I^A DÉCOUVERTK DU MONDE.
Quand la voix, cloche jui^ciitiiie ',

lletenlit dans nos vallons,


Appelant sur la colline

Les berg"ers el leurs moutons,


Moi, joyeux, je m'acliemine
En chantant vers mes sillons,

Quand ta voix, cloche argentine,


Retentit dans nos vallons.

Sous ton ciel, ô ma patrie.

Mon village est le plus beau!


Plein de lui, l'âme attendrie,
Je le vois dans ton drapeau.
Et je veux qu'il me sourie
Dans mes fds^ jusqu'au tombeau !

Sous le ciel de ma patrie,

Mon village est le plus beau!

(Frédéric Bataille, Choix de poésies.


Juven.)

i. Argentine : qui a le son clair de l'argent.


2. Dans mes fils : le poète unit dans un même amour non
seulement son village et sa patrie, mais encore son village et sa

famille.
LA TKaRK NATALE. \^iy:^

2. _ MA MAISON.

Ma maison sur le flanc du coteau, blanche et verte,

Ret^arde les soleils levants. Sa porte, ouverte


Comme par iin sourire afYable', dit : « Entrez! »

On ne sait de rjuel jour interne pénétrés,


Les carreaux de ses deux fenêtres ont des flammes
Douces, comme ces yeux qui révèlent des âmes.
Sa toiture est d'ardoise; on la voit de très loin,

Bleue et coquette, avec un vase à chaque coin,


Vase de terre, où s'ouvre une âpre' plante grasse.
Les sentiers du jardin circulent avec grâce.
Nettement limités de fraisiers ou de buis.
Le jour, sous les tilleuls, est très doux. Peu de bruits.
Beaucoup de fleurs : jasmins, tulipes, chèvrefeuille.
Tout est propre, riant, rangé. La errille accueille.

Le soir, dans son cristal calme, sous le rideau


Des arbres, un bassin où s'est tu le jet d'eau
Reflète, entre ses bords de luzerne et de menthes,
La lune aux cieux nageant, cygne des nuits dormantes.

1. Affable : bienveillant.
2. Apre : rude au toucher.
20
3()G LA DKCOUVKUTi: DU .MONDi:.

Si jYMais le [nissant qui gravit le rolcau,


Suant Télé, «celant Thivet-, sous son niaiiteau,
Triste toujours, — ear nul ne marche sur la terre

Sans qu'un souci, frivole espoir ou deuil ausière.


Ne mine', comme un ver le noyau, sa raison, —
Et si, hlanclie, au délour du sentier, ma maison
Dans sa sérénité m'apparaissait, subite,
Je m'écrierais : « C'est là que le bonheur habite! »

(C-alulle Mendks, Poésies.


l'^isquelle.)

I. Mine : consume peu à peu.


LA TERRE NATALE. '.\i)~^

3. — LA TERRE.

Chantons ânssi la vieille terre,

Elle a du bon :

C'est elle qui fait du charbon


Et le cidre qui désaltère.
Elle a du bon,
Chantons la terre î

Chantons aussi la vieille terre.

Mère du pain,
Mère du chêne et du sapin!
Elle a ses voix '
et son mystère
Mère du pain.
Chantons la terre !

Chantons aussi la vieille terre!

C'est la maison
Où, las du lointain horizon 3,

On repose en propriétaire.
C'est la maison.
Chantons la terre !

1. Ses voix : ce sont les bruits de la nature.


2. Son mystère ce qu'il y a de profond et de caché.
:

3. Las du lointain horizon fatiirué d'avoir vu du pays.


:
'ioH L.V DKCOUVEIITK DU MONDE.

Cliantoiis aussi la vieille terre!

Nos cliers pelils

Auprès de l'aire y sont blollis.


Quand ils pleureni, son feu fait laire
Nos chers [)elils.
Chantons la terre !

Chantons aussi la vieille terre !

Elle a des fleurs,


Elle a de g^ais oiseaux siffleurs

Qui font joyeux le plus austère;


Elle a des fleurs.

Chantons la terre !

Chantons aussi la vieille terre!

C'est le g-rand lit

Où, mort, on vous ensevelit;


Qui dort là n'est pas solitaire,
C/est le grand lit.

Chantons la lerre !

(J. RiGHEPiN, La mer. Fasquelle.)


LA TEKRE NAIALE. SoQ

4. _ L'EXILE.

Combien j'ai douce souvenance'


Du joli lieu de ma naissance !

Ma sœur, qu'ils étaient beaux, les jours


De France !

mon pays, sois mes amours,


Toujours !

Te souvienl-il que notre mère.


Au foyer de notre chaumière,
Nous pressait sur son cœur joyeux,
Ma chère ?

Et nous baisions ses blancs cheveux.


Tous deux.

Ma sœur, te souvient-il encore


Du château que baignait la Dcre"?
Et de celte tant vieille tour
Du More,
Où l'airain sonnait le retour

Du jour ?

1. Souvenance vieux mot qui avait le sens de « souvenir ».


:

2. La Dore rivière du Puy-de-Dôme qui se jette dans l'Allier.


:
.')IC> LA DKCOUVKRTli DU MO.N'Di:.

Te sonvi(Mil-iI du lar Iraïujuille

Qu'efllciirail riiiFondcllc a^ilc,

Du vent (jiii courhail le roseau


Mobile,
Et du soleil couchant sui' l'eau.

Si beau?

Oh! qui me rendra nrion Hélène',


Et ma montagne, et le grand chêne !

Leur souvenir fait tous les jours


Ma peine.
Mon pays sera mes amours
Toujours.
(Chateaubriand, Les Aventures du dernier
des Abencérages.)

I. Hélène : ancienne compagne de l'exilé.


LA TEHIU: NATALi:. SlI

5. — SOUVENIR D'ENPAXCE.

Oui, je reviens à toi, berceau de mon enfance,


Embrasser pour jamais les foyers protecteurs.

Loin de moi les cités et leur vaine opulence !

Je suis né parmi les pasteurs '


!

Enfant, j'aimais comme eux à suivre dans la plaine


Les ag-neaux pas <à pas, ég^arés jusqu'au soir;
A revenir comme eux baigner leur blanche laine
Dans l'eau courante du lavoir.

J'aimais à me suspendre aux lianes' légères,


A gravir dans les airs de rameaux en rameaux.
Pour ravir le premier, sous l'aile de leurs mères,
Les tendres œufs des tourtereaux.

J'aimais les voix du soir dans les airs répandues.


Le bruit lointain des chars g"émissant sous leur poids.
Et le sourd tintement des cloches suspendues
Au cou des chevreaux dans les bois.

(Lamartine, \oure/les Méditations, fraginent


des Préludes. Hachette.)

1.Pasteurs bergers.:

2. Lianes plantes grimpantes, qu'on trouve surtout dans


: les

forets d'Amérique.
3 1 '.>.
LA dkcouvkhtI': du .moxNijiî.

6. — LA VOULZIE'.

S'il est un nom bien doux fait pour la poésie,


Oh! dites, n'est-ce pas le nom de la Voulzie?
La Voulzie, est-ce un fleuve aux grandes îles? non ;

Mais, avec un murmure aussi doux que son nom,


Un tout petit ruisseau coulant visible à peine;
Un géant altéré le boirait d'une haleine;
Le nain vert Obéron^, jouant au bord des flots.

Sauterait par-dessus sans mouiller ses g^relots.


Mais j'aime la Voulzie et ses bois noirs de mûres,
Et dans son lit de fleurs ses bonds et ses murmures.
Enfant, j'ai bien souvent, à l'ombre des buissons.
Dans le langage humain traduit ses vagues sons ;

Pauvre écolier rêveur, et qu'on disait sauvage,


Quand mon pain à l'oiseau du rivage,
j'émieltais
L'onde semblait me dire « Espère, aux mauvais jours:

Dieu te rendra ton pain. » Dieu me le doit toujours — !

1. La Voulzie : petite rivière qui coule près de Provins et qui


se jette daus la Seine.
2. Obéron : roi des génies aériens dans la mytholog-ie Scandi-
nave.
.

LA TKIIIU: NAIAU;. Al'/)

C'était mon E^^érie', et rorarlo prospère

A toutes mes douleurs jetait ce mot : « Espère!


Espère et cliante! eiifanl, dont le hereeau lr«'inl)la".

Plus de frayeur : Camille-^ e( la mère soîiI là!

Moi, j'aurai poui* tes chants de lou^s échos... » Clliimère!

Le fossoyeur m'a pris et Camille et ma mère.


J'avais bien des amis ici-bas quand j'y vins,

Bluet éclos parmi les roses de Provins;


Du sommeil de la mort, du sommeil tpie j'envie,
Presque tous mainlenant dorment; et, dans la vie,

Le chemin, dont l'épine insulte à mes lambeaux,


Comme une voie antique'^ est bordée de tond)eaux...
Pourtant, je te pardonne, ô nîa Voulzie ! et même,
Triste, j'ai tant besoin d'un confident qui m'aime,
Me parle avec douceur et me trompe, qu'avant
De clore au jour nies yeux battus d'un si long vent,
Je veux faire à tes bords un saint pèlerinage,
Revoir tous les buissons si chers à mon jeune âge,
Dormir encor au bruit de tes roseaux chanteurs.
Et causer d'avenir avec tes flots menteurs.
(Hé^ésippe Moreau, Le Mr/osotis.)

1. Égérie : comme le boa roi de Rome Numa était, dit-on,


inspiré par la nymphe Eg-érie, ce nom a fini par signifier toute
inspiratrice.
2. Dont le berceau trembla : dont l'enfance fut craintive et
•menacée
3. Camille : nom
d'un petit ami du poète enfant.
4. Comme une voie antique les voies romaines, en particu-
:

lier la voie Appienne, étaient bordées de tombeaux.


3l/l LA DKCOUVEHTIC DU MONDK.

7. — LA MAISON BU MOUSTOIK '.

O maison du Moustoir! combien de fois, la nuit^

Ou quand j'erre le jour dans la foule et le bruit,

Tu m'apparais ! — Je vois les toits de ton village

Baig^nés à l'horizon dans des mers de feuillag^e,


Une grêle fumée au-dessus; dans un champ,
Une femme de loin appelant son enfant,
Ou bien un jeune pâtre assis près de sa vache,
Oui, tandis qu'indolente elle paît à l'attache".

Entonne un air breton si plaintif et si doux.


Qu'en le chantant ma voix vous ferait pleurer tous.
Oh ! les bruits, les odeurs, les murs gris des chaumières,.
Le petit sentier blanc et bordé de bruyères.
Tout renaît comme au temps où, pieds nus, sur le soir,.

J'escaladais la porte et courais au Moustoir;


Et dans ces souvenirs, où je me sens revivre,
Mon pauvre cœur troublé se délecte-^ et s'enivre!

Aussi, sans me lasser, tous les jours je revois

Le haut des toits de chaume et le bouquet de bois.

1. Moustoir :vieux mot, qui signifie « monastère ».

2. A l'attache retenue par un lien.


:

3. Se délecte : se réjouit.
1,A TEHIir NATALE. ,'W T)

Ail vieux puils, la scMvaiitt' allant emplir ses eiuclies,

Et le courlil '
en lleiir où bourdonneiil les riiehes,

Et l'aire" et le lavoir, el la graiig-e; eu un coin,


Les pommes par monceaux, el les meules cl(! foin,

Les «^rancis bœufs étendus aux portes de la crèche-,


El devant la maison un lit de paille fraîche.

Et j'entre, et c'est d'abord un silence profond,


Une nuit calme el noire; aux [ioutres du plafond
Un rayon de soleil seul darde sa lumière
El tout autour de Ici fait danser la poussière.
Chaque objet cependant s'éclaircit; à deux pas
Je vois le lit de chêne et son coffre'^, et plus bas
(Vers la porte, en tournant) sur le bahut -^
énorme^
Pêle-mèle bassins^, vases de toute forme,
Pain de seigle, laitage^ écuelles' de noyer;
Enfin, plus bas encor, sur le bord du foyer.
Assise à son louet, près du grillon qui crie.
Et dans l'ombre filant, je reconnais Marie ^.
(Biviziiux, Marie.)

1. Le courtil : petit jardin attCDant à une maison de paysan^


2. Aire : lieu où l'on bat le o-rain.
3. Crèche : endroit où mang-cnt les bêtes.
4. Cofifre : caisse sur laquelle le lit est dressé.
5. Bahut : coffre qui sert d'armoire.
6. Bassins i^rands plats creux en métal.
:

7. Écuelles sortes d'assiettes en bois.


:

8. Marie amie d'enfance du poète.


:
3l() LA DKCOUVKRTE DU MONDE.

8. — HETOUIl.

Heureux le voyageur (jue sa ville chérie

Voit rentrer dans le port, aux premiers feux du jour!


Qui salue à la fois le ciel et la patrie,

La vie et le bonheur, le soleil et l'amour !

— Reg-ardez, compag"nons, un navire s'avance.


La mer, qui l'emporta, le rapporte en cadence,
En écumant sous lui, comme un hardi coursier.
Oui, tout en se cabrant', sent son vieux cavalier.

Salut! qui que tu sois, toi dont la blanche voile


De ce large horizon accourt en palpitant !

Heureux quand tu reviens, si ton errante étoile^

T'a fait aimer la rive ! heureux si l'on t'attend !

Comme cœur bondit quand la terre natale.


le

Au moment du retour, commence à s'approcher,


El du vaste Océan sort^ avec son clocher!
Et quel tourment ''^
divin dans ce court intervalle,

1 . En se cabrant en se dressant sur les pieds de derrière.


:

2. Ton errante étoile ta destinée vagabonde.


:

3. Et du vaste Océan sort... à mesure qu'on approche du


:

rivage, on voit apparaître et grandir la terre, comme si elle sor-


tait peu à peu de l'Océan.
4- Tourment : ce mot désigne ici le sentiment douloureux
d'impatience.
LA TER HE NATALE. .) I
/

Où Ton sent (juVIh' arrive cl (jii'on va la toucher!

O patrie ! n paliie ! iiiefVahIe invslère '


!

Mot sublime' et lerrihlel inconcevable^ amour!


L'homme u'est-il donc né que pour un coin de terre,
Pour y bàlir son nid, et pour y vivre un jour?

(A. DE Musset, Œuvres posthumes.)

1. Ineffable mystère : où entre (juehiue chose d'obscur et

d'inexj)rlinal)le.
2. Mot sublime et terrible : (|ui inspire à la fois l'admiration
et la crainte.
3. Inconcevable : difficile à comprendre.
3rS i.A DKCoiJViCKT.': i)i; mond::.

9. — LA CHANSON DE LA-BAS.

Chez nous, le « chez nous » de là-has,


C/est loi, cher petit coin de terre,
Qui pars d'IIle-et-Vilaine, et vas

Finir avec le Finistère.

C'est toi Laïeule aux g-rands yeux doux


Des Celtes '
aux larges épaules,
Au cœur fort, aux longs cheveux roux,
Premiers fils des premières Gaules.

C'est toi la terre du granit


Et de l'immense et morne lande ^,

Pieuse Armor^, au sol béni


Par les grands Saints^ venus d'L-lande,

1. Celtes : premiers habitants de la Bretagne, d'origine ger-


manique.
2. Lande : vaste étendue de terre inculte.
3. Armor : abréviation d'Armorique, ancien nom de la Bre-
tagne.
4. Les grands saints : premiers prédicateurs chrétiens.
LA TERRE NATALE. 3 I ()

Où Ton rencontre à chaque pas


Des menhirs '
près des Christs en pierre,
Où le ciel est si bas, si bas,

Qu'on y voit monter sa prière.

(Théodore Botrel, Chansons de chez nous.)

I . Menhirs : énormes blocs de pierre, que Ton croit être des


monuments druidiques.
320 L\ DKCOUVEHTK DU MONDE.

10. — HYMNE A LA Fl\AXCE.

France! ô belle conlrée, o (erre généreuse,


Que les dieux complaisanls formaient pour être heureuse,
Tu ne sens point du nord les g-laçantes horreurs;
Le midi de ses feux t'éparg-ne les fureurs;

Tes arbres innocents n'ont point d'ombres mortelles ;

Ni des poisons épars dans tes herbes nouvelles


Ne trompent une main crédule, ni tes bois
Des tigres frémissants ne redoutent la voix;

Ni les vastes serpents ne traînent sur tes plantes


En longs cercles hideux leurs écailles sonnantes.
Les chênes, les sapins et les ormes épais
En utiles rameaux ombragent tes sommets.
Et de Beaune '
et d'Aï" les rives fortunées.
Et la riche Aquitaine, et les hauts Pyrénées,
Sous leurs bruyants pressoirs font couler en ruisseaux
Des vins délicieux mûris sur leurs coteaux.

1. Beaune petite ville de la Côte-d'Or, à 38 kilomètres de


:

Dijon, renommée pour ses vins de Bourgogne.


2. Aï : petite ville de la Marne, voisine de Reims, réputée pour
ses vins de Champagne.
LA TFJ\I\i: NAIAU:. 32 f

[.a Provence odoraiilo cl de Zéj)liire' aimée


Respire sur les mers une haleine embaumée.
Au bord des flots couvrant, délicieux trésor,
L'orange et le citron de leur tuFiique d'or;
Et, plus loin, au penchant des collines pierreuses.
Forme la g-rasse olive aux liqueurs savoureuses.
Et ces réseaux^ légers, diaphanes^ habits.
Où la fraîche grenade enferme ses rubis ^.

Sur tes rochers toulTus la chèvre se hérisse %


Tes prés enflent de lait la féconde génisse.
Et lu vois tes brebis, sur le jeune gazon.
Epaissir le tissu de leur blanche toison.
Dans les fertiles champs voisins de la Touraine,
Dans ceux où l'Océan boit l'urne^ d*è la Seine,
S'élèvent pour le frein des coursiers belliqueux.
Ajoutez cet amas de fleuves tortueux :

L'indomptable Garonne aux vagues insensées.


Le Rhône impétueux, fds des Alpes glacées,

1. Zéphire vent tiède et léger du sud-ouest, ici personnifié


:

comme dans l'ancienne nnthologie.


2. Ces réseaux ce sont les peaux qui recouvrent dans la gre-
:

nade les ranimées de grains.


3. Diaphaues transparents. :

4- Rubis pierre précieuse d'un rouge vif.


:

5. Se hérisse se dresse.
:

6. L'urne de la Seine les eaux de la Seine. On


: représentait,
dans la mythologie antique, la source des fleuves sous les traits
d'une déesse tenant une urne penchée.

n
322 L\ DÉGOUVEUTE DU MONDE.

La Seine au Ilot royal', la Loire dans son sein


Incertaine^, et la Saône, et mille autres enfin
Qui nourrissent partout, sur tes nobles rivages.
Fleurs, moissons et vergers, et bois et pâlurages,
Rampent au pied des murs d'opulentes cités.

Sous les arches de pierre à grand bruit emportés.

(André Chénier, Hymnes.)

1. La Seine au flot royal : la Seine n'a pas toujours niérilé


celte réputation de fleuve calme et majestueux.
2. La Loire incertaine : parce qu'il lui est arrivé bien sou-
vent de changer de lit.
CHAPITRE VIII

A travers le Passé

Terre de France, terre entre toutes féconde,


Dont on a pu blesser, mais non tarir le sein,
Souche d'où part vibrant le glorieux essaim
Que, depuis trois mille ans, Dieu mène par le monde
A raccomplissement de quelque grand dessein.
(François Fabié.)
CONTENU DU CJIAPITJIE

1. La terre des aïeux (Gaston Armelix).


2. Roland à Roncevaux (A. ue Vigny).
3. La chanson des épées (Henri de Bornier).
[\. La mort de Jeanne d'Arc (Casimir Delà vigne).
5. Sur trois marches de marl)re ro:e (A. de Musset).
G. Les soldats de l'an II (Victor Hugo).

7. Les g-rog'nards de l'empire (Edmond Rostand).


8. Les souvenirs du peuple (Béranger).
9. La sortie (Victor Hugo).
10. La carte de France (Gustave Zidler).

LISTE SUPPLÉMENTAIRE

Aug'uste Barbier. . La cavale {ïambes).


Victor Hugo L'expiation [Les Châtimenls).
Alfred de ViGiNY. . . La frég-ale La Sérieuse, fragment [Livre
mode/'fie).
André Lemoyne. . . Le champ de bataille [Paysages de mer).
Sully-Prudhomme . Le gué [Poèmes).
— Fleurs de sang [Impressions de la guerre).
A v\\ \\ i:i\s i.i; l'ASSi;. :5:>.n

1. — LA TERRE DES AÏEUX.

Sous le ciel flamboya iil où blanchissent les nues,


Depuis les bords du Rhin jusqu'aux océans bleus,
Depuis la Cornouaille *
et les falaises nues
Jusqu'aux monts espagnols, jusqu'aux Alpes chenues^.
S'étend le grand pays, la Terre des Aïeux.

C'est pour ce beau pays qu'aux Champs Catalauniques^


Nos pères ont vaincu les hordes^ d'Attila 5,

Que Vercingétorix ^ ligua cent républiques


Pour secouer le joug- des Romains tyranniques
Et mourut dans les fers où César l'étrang-la.

1. Cornouaille : ancien pays de la Bretagne.


2. Chenues : blanchies par la neige.
3. Champs Catalauniques : plaines de la Champao-ne, où Attila
fut vaincu en /^ô\ par Aélius, Mérovée et Théodoric réunis.
4- Hordes : troupes indisciplinées.
5. roi des Huns, surnommé le Fléau de Dieu.
Attila :

Vercingétorix
0. chef g-aulois qui défendit l'indépendance
:

de son pays contre César, qu'il battit à Gerg-ovie. Battu à son


tour à Alésia (52 avant J.-C), il se livra à son vainqueur, qui le
fit jeter dans un cachot à Home, où il resta six ans captif.
En l\(j, il orna le char de triomphe de César et fut envoyé au
supplice.
.'^20 LA DKCOIJVEKTK DU MONDIC.

C'est pour lui, toujouis lui, (juc notre empereur (Iharle


Vainquit les Musulmans et dompta les Saxons,
Fonda la douce France et le royaume d'Arle;
Pour lui (ju'est mort Roland dont le trouvère' parle
Dans la vieille épopée et vin^t autres chansons.

C'est pour lui qu'à l'assaut la vaillante Pucelle^,


Transpercée, arracha la flèche de ses mains.
Pour lui qu'elle chassa les Anglais devant elle.

Que, livrée au bûcher dont la flamme étincelle,

iSa cendre fut jetée aux vents des grands chemins.

C'est pour lui que Salzbach^ vit succomber Turenne,


Que Yillars répandit son sang à Malplaquet ""^y

1. Trouvère : désigne ici les poètes du Moyen âge, en parti-


culier l'auteur de la Chanson de Roland.
2. La vaillante Pucelle Jeanne d'Arc avait
: été blessée devant
Paris, à l'assaut de la Porte Saint-Honoré ; elle tomba plus tard
entre les mains des Ang-lais, qui la firent brûler à Rouen en i[\Zi.
3. Salzbach c'est en combattant contre MonlecucuUi, général
:

autrichien, que Turenne fut tué par un boulet à Salzbach, ville


du grand-duché de Bade (1675).
4- Malplaquet hameau du département du Nord, célèbre par
:

la victoire que Marlborough et le prince Eugène remportèrent

sur le maréchal de Villars en 1709.


A TIIAVKIIS Li: 1»ASSK. '02^

Que Guise '


combaUil aux champs de la Lorraine,
Et que Gaston de Foi.x "
rendit Tànie à Ravenue,
Et que Bavard- tomba sous un coup de mousquef*.

C'est pour lui que luttaient les soldats de Jemmapes^,


Ces fiers républicains qui dressaient leur drapeau
Contre les empereurs, les rois et les satrapes^.
Et qui portaient au monde, étapes par étapes,
Ce cri de liberté qui fait frémir la peau.

C'est pour ce beau pays du chêne et du platane


Que les durs grenadiers du grand Napoléon,
Ayant franchi l'Europe avec leur marche crâne ^,

1. Guise : Tl s'agit de François de Guise, habile général qui


se rendit glorieux par la défense de Metz contre Charles-Quint
en i553.
2. Gaston de Foix vainqueur à Ravenne de l'armée hispano-
:

papale il périt en poursuivant les vaincus (i5i2).


;

3. Bayard après s'être illustré pendant les guerres de Char-


:

les VI II, Louis XII et François ler^ il fut tué à AbbiategTasso, en


Italie, en i524.
4-Mousquet : ancien fusil qu'on faisait partir à l'aide d'une
mèche allumée.
5. Jemmapes : ville de Belgique, connue par la victoire de
Dumouriez sur les Autrichiens en 1792.
6. Satrapes : désig-ne ici les grands seigneurs corrompus.
7. Crâne énergique
: et fière.
.'^2S I.A DKGOUVEHTK DU MONDK.

MouraienI à Mont-Saiiil-Jcan ', Sézannc\


à Leipsi^-^, à

Aucri de ((l\ciulez-v()iis! » répoiidanl toujours « Non »


!

(Gasloii AuMi:i.iN, Piv'Iude de L(i (îloire des vdiiiciis.


Vj. l'^lamniarion.)

1. Mont-Saint-Jean village l)elgc où eut lieu la halaille de


:

Waterloo (i8i5), (jue perdit Napoléon en combattant contre les


armées anglaise^ bcli^e, hanovriennc et prussienne, conunandées
par \\ ellin^ton et Blûchcr.
2. Leipsig où eut lieu, en i8i3, la bataille entre les Français
:

et les alliés. Les Fran(;ais, accablés sous le nond)re et trahis par


les Bavarois, Wurtembergeois et Saxons, durent battre en retraite.
3. Sézanne petite ville de la Marne, où, en i8i/|, l'armée de
:

Napoléon livra bataille contre les alliés, en se repliant sur Paris,


A TRAVERS LE PASSE. 329

2. _ HOLAXl) A ROXCEVAUX'.

Traii({uilles cependant, Charlemai:;iie et ses preux"


Descendaient la montagne et se parlaient entre eux.
A l'horizon déjà, pai* leurs eaux signalées,
De Luz-^ et d'Argelès se montrent les vallées...

Roland gardait les monts : tous passaient sans effroi.


Assis nonchalamment sur un noir palefroi ^

Oui marchait revêtu de housses ^ violettes,

Turpin *^
disait, tenant les saintes amulettes'' :

« Sire, on voit dans le ciel des nuages de feu;


Suspendez votre marche; il ne faut tenter'^ Dieu.

1 Roncevaux vallée des Basses-Pyrénées, où, eu 778, Tarrière-


. :

garde de l'armée de Charlemagne, commandée par son neveu


Roland, fut taillée en pièce par les Vascons.
2. Ses preux les vaillants chevaliers qui forment la suite de
:

l'empereur.
3. Luz et Argelès : vallées des Hautes-Pyrénées.
l\. Palefroi : cheval de parade.
5. Housses : couvertures que l'on met sur la croupe des che-
vaux.
6. Turpin archevêque qui accompagnait l'armée de Charle-
:

magne.
7. Amulettes objets auxquels on attribue une influence bien-
:

faisante et préservatrice.
8. Tenter Dieu : trop demander à Dieu, en accomplissant des
actions d'une hardiesse excessive.
33o LA DÉCOUVERTE DU MONDE.

l^ir inonsieur saint Denis, cerles ce sont des âmes


Oui passent dans les airs sur ces vapeurs de flammes.

« Deux éclairs ont relui, puis deux autres encor. »

Ici l'on entendit le son lointain du cor.


li'empereur étonné, se jetant en arrière.
Suspend du destrier' la marche aventurièi'c.

— (( Entendez-vous?» dit-il. — «Oui, ce sont des pasteurs


Rappelant les troupeaux épars sur les hauleurs,
Répondit l'archevêque, ou la voix étouffée
Du nain vert Obéron^ qui parle avec sa fée. »

Et l'empereur poursuit; mais son front soucieux


Est plus sombre et plus noir que l'orage des cieux.
Il craint la trahison; et, tandis qu'il y songe,
Le cor éclate et meurt, renaît et se prolonge.

— « Malheur ! c'est mon neveu Malheur car


! ! si Roland
Appelle à son secours, ce doit être en mourant.
Arrière, chevaliers, repassons la montagne!
Tremble encor sous nos pieds, sol trompeur de l'Espagne !

1. Destrier : cheval de bataille.


2. Obéron : voir page 3 12, note 2,
A TRAVKIIS LF: l'ASSh. 33 1

Sur le plus haut des monts s'arrèlent les chevaux;

L'écume les blanchit ; sous leurs pieds, Roncevaux


Des feux mourants du jour à peine se colore,

A l'horizon lointain fuit l'étendard du More'.

— (( Turpin, n'as-tu rien vu dans le fond du torrent? »

— « J'y vois deux chevaliers' : l'un mort, l'autre expirant,

Tous deux sont écrasés sous une roche noire;


Le plus fort, dans sa main, élève un cor d'ivoii'e;

Son âme, en s'exhalant, nous appela deux fois. »

Dieu ! que le son du cor est triste au fond des bois î

(Alfred de Vigny, Le Cor, ëdilion définitive.


Delagrave.)

1. Du More des musuhnans.


:

2. Deux chevaliers Olivier et Roland,


: dont l'amitié est célè-
bre.
',VS2 L\ DKCOUVKRTK DU MONDF:.

3. — LA CIIAXSOX J)i:S EPKES.

La France, dans ce siècle ', eut denx grandes épées,


Deux glaives, l'un royal cl l'aulrc féodal.

Dont les laines d'un llol di\in furent trempées;


L'une a pour nom Joyeuse, et l'autre Durandal.

Roland eut Durandal, Charlemagiie a Jo-yeuse,

Sœurs jumelles de gloire, héroïnes d'acier,


En qui vivait du fer l'àme mystérieuse.
Que pour son œuvre Dieu voulut s'associer.

Toutes les deux dans les mêlées


Entraient jetant leur rude éclair.
'
Et les bannières étoilées
Les suivaient en flottant dans l'air!

Quand elles faisaient leur ouvrage,


L'étranger frémissait de rage;
Sarrasins 3, Saxons, ou Danois,
Tourbe hurlante et carnassière,
Tombait dans la rouge poussière
De ces formidables tournois ''^.

1 . Dans ce siècle : c'est le huitième siècle.


2. Bannières étoilées : étendards parsemés d'étoiles.
3. Sarrasins : les Arabes.

4- Tournois : dans le sens général de « mêlées ».


A TKAN KUS LK VXSSÉ. 3.'^.S

Duraiiclal a coiujuis ri^]spai;iic ;

Joyeuse a doniplé le l^ombard '

Chacune à sa noble compagne


PouNail (lire : Wnc'i ma part !

Toutes les deux oui |)ar le monde


Puni, cliassé le crime immonde,
Vaincu les païens' en tout lieu;
Après mille et mille batailles.

Aucune d'elles n'a d'entailles,

Pas plus que le glaive de Dieu !

Hélas! la mtMiie fin ne leur est pas donnée;


Joyeuse est fière et libre après tant de combats;
Et quand Roland périt dans la sombre journée,
DurandaP des païens fut captive là-bas!

Elle est captive encore, et la France la pleure.


Mais le sort différent laisse l'honneur égal,
Et la France, attendant quelque chance meilleure.
Aime du même amour Joyeuse et Durandal !

(Henri de Borxier, La Fille de Roland, A. II, Se. V.


A. Fayard.)

1. Le Lombard peuple germanique établi en Italie.


:

2. Les païens ce mot désig-ne ici d'une façon g-énérale les


:

peuples non chrétiens.


3. Durandal l'épée de Roland, n'ayant pu être brisée, tondra
:

aux mains des musulmans.


-'^34 LA DKCOUVKRTE DU MONDE.

1. — LA MORT DE JEANNE D'ARC

Du Christ avec ardeur Jeanne baisait l'image;


Ses longs clieveux épars-flotlaienl au gré des vents;
Au pied de l'écliafaud, sans changer de visage,
Elle s'avançait à pas lents.

Tranquille, elle y monta : quand, debout sur le faîte.

Elle vit ce bûcher qui Fallait dévorer,

Les bourreaux en suspens^, la flamme déjà prête.


Sentant son cœur faillir, elle baissa la tête,
Et se mit à pleurer.

Ah! pleure, fille infortunée!


Ta jeunesse va se flétrir,
Dans sa fleur trop tôt moissonnée!
Adieu, beau ciel, il faut mourir.

Tu ne reverras plus tes riantes montagnes.


Le temple, le hameau, les champs de Vaucouleurs ^,

Et ta chaumière et tes compagnes.


Et ton père expirant sous le poids des douleurs.

1. Jeanne d'Arc brûlée à Rouen par les Anglais en i43i.


:

2. En suspens attendant le moment d'intervenir.


:

3. Vaucouleurs petite ville de la Meuse, où Jeanne vint trou-


:

ver le capitaine de Baudricourt pour lui demander de la conduire


au près du roi Charles VIL
A TRAVERS LE PASSÉ. 3.H5

Après quel(|ues instants d'un liorriblc silence,

Tout à coup le feu brille, il s'irrite, il s'élance...

Le cœur de la^'^uerrière alors s'est ranimé;


A travers les vapeurs d'une fumée ardente,
Jeanne, encor menaçante,
Montre aux Anglais son bras à demi consumé.
Pourquoi reculer d'épouvante,
Anglais? Son bias est désarmé.
La flamme l'environne, et sa voix expirante
Murmure encore : France, o mon roi bien-aimé !

(dasimir Delavigne, 5^ Messénienne.)


330 LA DKCOUVICUTI': IMJ MO.NDi:.

5._SUU TROIS MARCHES Dp] MAI\i5RE ROSE.


(fragment.)

Je ne crois pas que sur la terre


II soit un lieu d'arbres planté

Plus célébré, plus visité,

Mieux, fait, plus joli, mieux hanté',


Mieux exercé clans l'art de plaire,
Plus examiné, plus vanté.
Plus décrit, plus lu, plus chanté,
Que l'ennuveux parc de Versailles ".

dieux 3 ! ô bergers! ô rocailles !...

En ces lieux où l'en-iui repose.


Par respect^ aussi j'ai dormi.
Ce n'était, je crois, qu'à demi :

Je rêv^ais à quelque autre chose.


Mais vous souvient-il, mon ami.
De ces marches de marbre rose,

1. Hanté fréquenté.
:

2. Parc de Versailles : dessiné au dix-septième siècle par Lc-


nôtre. A. de Musset le trouvait ennuyeux sans doute à cause de
sa régularité. C'est le type de ce qu'on appelle « le jardin fran-
çais », tracé géométriquement.
3. Dieux, bergers : il s'agit des statues qui ornent les pièces
d'eaux.
4- Par respect aussi j'ai dormi : comme on se règle sur
l'attitude et l'aspect de ce qu'on vénère, le poète dit ironiquement
qu'il s'est endormi dans le parc, où tout semble sommeiller.
A TRAVERS LE l»ASSÉ. 3^7

Eli alla ni à la pièce d'eau


I)ii co[c (le rOraiiî^erie ',

A g"aiiclie, en sortant du cliàleau ?

C'élail par là, je le parie,

Que \enail le roi sans pareil'.


Le soir, au coucher du soleil,

Voir dans la foret, en silence,


Le jour s'enfuir et se cacher
(Si toutefois en sa présence

Le soleil osait se coucher)...

Dites-nous, marches g-racieuses,


Les rois, les princes, les prélats.

Et les marquis à grand fracas,


Et les belles ambitieuses,
Dont vous avez compté les pas;
Celles-là surtout, j'imagine.

En vous touchant ne pesaient pas.


Lorsque le velours ou l'hermine
Frôlaient vos contours délicats...
Marches qui savez notre histoire,

Aux pompeux de votre gloire.


jours
Quel heureux monde en ces bosquets.
Que de grands seigneurs, de laquais,
Que de duchesses, de caillettes -,

1. L'Orangerie serre où l'on abrite les orans^ers.


:

2. Le roi sans pareil c'est Louis XIV.


:

3. Caillettes {Personnes frivoles qui aiment à babiller.


:

O)
338 LA DÉGOUVEIITE DU MONDE.

De talons rou^-es ', de paillettes^,


Que (le soupirs, que de cS^(|uets,
Que de plumets-'' et de calottes'^.
De falbalas^ et de culoltes^,
Que de poudre sous ces berceaux ^, "'

Que de gens sans compter les sots !...


Est-ce ton avis, marbre rose?
Malgré moi, pourtant, je suppose
Que le hasard qui t'a mis là

Ne t'avait pas fait pour cela.

Aux pays oii le soleil brille.

Près d'un temple grec ou lalin.

Les beaux pieds d'une jeune fille,

Sentant la bruyère et le thym,


En te frappant de leurs sandales.
Auraient mieux réjoui tes dalles

Qu'une pantoufle de satin...


(A. DE Musset.)

1 . Talons rouges : les hommes de cour avaient à cette époque


des talons rouges à leurs souliers.
2. Paillettes : petites lames très minces, d'or ou d'argent,
qu'on applique sur les étoffes.

3. Plumets : bouquets de plumes qui ornaient les coiffures

des officiers.
4- Calottes coiff'ures plates à l'usage des ecclésiastifiues.
:

5. Falbalas sortes de volants qui ornaient les robes des femmes.


:

6. Culottes pantalons courts que l'on portait au dix-septième


:

siècle.

7. Poudre la mode au dix-septième siècle était de se poudrer.


:

8. Berceaux il s'agit des berceaux que forme le feuillage.


:
A TR.VVFHS LE PASSÉ. 3?)()

G. — LES SOLDATS DE L'AX II'.

Contre loiUe TEurope avec ses capitaines.


Avec ses fantassins couvrant au loin les plaines,
Avec ses cavaliers,

Tout entière debout comme une hvdre^ vivante.


Ils chantaient, ils allaient, l'àmc sans épouvante

Et les pieds sans souliers !

Au levant, au couchant, partout, au sud, au pôle^.


Avec de vieux fusils sonnant sur leur épaule.
Passant torrents et monts.
Sans repos, sans sommeil, coudes percés, sans vivres,

Ils allaient, fiers, joyeux, et soufflant dans des cuivres"^.


Ainsi que des démons !

1.Soldats de l'an II soldats des armées républicaines qui,


:

eu 1793-94 (i^ii II de l'ère révolutionnaire), luttèrent contre TEu-


rope coalisée, pour la défense du territoire français et le triomphe
des idées de Révolution.
la

2.Hydre serpent: fabuleux à sept têtes, qui repoussaient à


mesure qu'on les coupait. L'hydre de Lerne fut détruite par Her-
C'jle.

3. Au pôle : au nord.
4. Dans des cuivres : dans leurs clairons.
.')/|() LA DKCOUVKHTi: DU MONDK.

La Iil)eil(' siibliiiic cni[)lissait leurs pensées.

Flottes prises d'assaut, frontières cfî'acées


Sous leur pas S!)uverain,
(J France, tous les jours c'était quelque prodige.
Chocs, rencontres, combats; et Jouhert' sur l'Adige,
Et Marceau^ sur le llliin.

On battait l'avant-garde, on culbutait le centre;


Dans la pluie et la neige et de l'eau jusqu'au ventre.
On allait! en avant !

Et l'un offrait la paix, et l'autre ouvrait ses portes.


Et les trônes, roulant comme des feuilles mortes.
Se dispersaient au vent!

La Révolution leur criait : — Volontaires,


Mourez pour délivrer tous les peuples vos frères !

Contents, ils disaient oui.
— Allez, mes vieux soldats, mes généraux imberbes^ !

Et l'on voyait marcher ces va-nu-pieds superbes


Sur le monde ébloui !

1. Joubert : çëncral tué à de Novi (1799).


la bataille

2. Marceau : général qui se distingua en Vendée et à Fleurus,


et fut tué à Altenkirchen (1796), alors qu'il commandait l'armée
de Sambre-et-Meuse.
3. Généraux imberbes : la plupart des généraux de la Révo-
lution étaient très jeunes : Hoche mourut à vingt-neuf ans et

Marceau à vingt-sept.
A TRAVERS LE PASSE. ^f\ I

La tristesse et la peur leur élaient inconnues.


Ils eussent, sans nul doule, escaladé les nues,
Si ces audacieux,
En retournant les yeux dans leur course olympicjue'.
Avaient vu derrière eux la grande Képubli(jue
Montrant du doigt les cieux...

(Victor lIuG J, Les Châtiments.


Hetzcl.)

I . Olympique : (lui rappelait les courses fameuses des Jeux


01ynipi([ues, en Grèce.
'M[2 LA DÉCOUVERÏK DU MONDE.

7. — LES GROGXAUDS' DE L'EMPIRE.


Lli DUC, MAUMONT, FLAMBEAU*.

FLAMBEAU.

Et nous, les petits, les obscurs, les sans-grades,


Nous qui marchions fourbus, blessés, crottés, malades,
Sans espoirs de duchés ni de dotations^;

Nous qui marchions toujours et jamais n'avancions ;

Trop simples et trop gueux pour que l'espoir nous berne "^

Dé ce fameux bâton qu'on a dans sa giberne ^


^
;

Nous qui par tous les temps n'avons cessé d'aller.


Suant sans avoir peur, grelottant sans trembler.

1. Les Grognards : Napoléon appelait ainsi ses vieux soldats


dévoués, qui « oTog-naient, mais marchaient toujours «.
2. Le duc, Marmont, Flambeau cette scène se passe près de
:

Vienne, au château de Schœnbrunn, où, après la chute de Napo-


léon on relégua loin de la France son fils, le duc de Reichs-
1er,

tadt, « l'Aiglon ». Le duc de Marmont est un ancien général de


l'Empire qui a trahi Napoléon, et que pour ce motif on laisse aux
côtés du duc de Reichstadt. Quant à Flambeau, ancien soldat de
Napoléon, il s'est fait laquais pour pouvoir approcher le fils de
l'empereur.
3. Duchés et dotations récompenses en terre ou en argent
:

données par Napoléon à ceux des officiers qui se distinguaient à


son service.
4- Berner tromper.
:

5. Bâton le bâton de maréchal.


:

6. Giberne partie de l'équipement miUtaire où les soldats


:

mettent les cartouches.


A TRAVEIIS LE PASSE. 3^3

Ne nous soutenant plus qu'à force de trompette,


De fièvre et de chansons qu'en marchant on répète ;

Nous sur lesquels pendant dix-sept ans, song^ez-y, —


Sac, sabre, tourne-vis, pierres à feu, fusil,

— Ne parlons pas du poids toujours absent des vivres !

Ont fait le doux total de cinquante-huit livres;


Nous, qui coilfës d'ourson '
sous les ciels tropicaux,
Sous les neiges n'avions même plus de shakos",
Oui d'Espagne en Autriche exécutions des trottes^;
Nous (pii, pour arracher ainsi que des carottes
Nos jambes à la boue énorme des chemins,
Devions les empoig-ner quelquefois à deux mains;
Nous qui, pour notre loux n'ayant pas de jujube,
Prenions des bains de pied d'un jour dans le Danube;
Nous qui n'avions le temps, quand un bel officier

Arrivait au galop de chasse nous crier :

« L'ennemi nous attaque, il faut qu'on le repousse! »

Que de manger un blanc de corbeau sur le pouce"*,


Ou vivement, avec un peu de nei^e... encor.
De nous faire un sorbei ^
au sang de cheval mort;
Nous...

1. Coiffés d'ourson : portant les bonnets à poils.


2. Shakos : coiffures à visière que portent les soldats.
3. Trottes : marches au trot.

4- Manger un blanc de corbeau sur le pouce manger à la :

hâte, sans s'asseoir, un morceau de corbeau, dont la chair est


loin d'èlre blanche.
5. Sorbet : boisson glacée.
344 1-^^ DJÎiCOUN EUTE JJU MOMU;.

MARMONT.
Quel est donc ce laquais qui s'exprime en groç^nard ?

FLAMBEAU, /)rrnfin/ ht jiosi/ion rnilihiij'e.

Jean-Pierre-Séra[)l»in Flambeau, dil « le Flamhard »,

Ex-sergent grenadier vélile '


de la gardée
Né de papa breton et de maman picarde.
S'engage à quatorze ans, l'an VI \ deux germinar\
Baptême^ à Marengo, — galons de caporal
Le quinze fructidor, an XII. Bas de soie
El canne de sergent trempés de pleurs de joie.
Le quatorze juillet mil huit cent neuf, — ici,

— Car la garde habita Schœubrunn et Sans-Souci ^^


!

Au service de Sa Majesté Très Française.
Total des ans passés : seize; campagnes, seize.

Batailles : Austerlitz, Eylau, Somo-Sierra,

Eckmûlh, Essling, Wagram, Smolensk,... et caHera!

1. Vélite : nom d'un corps de chasseurs à pied sous Napo-


léon 1er.

2. Garde : corps de troupe atlaché à la personne de l'empe-


reur.
3. L'an VI : de l'ère révolutionnaire, qui date du 22 septem-
bre 1792. Le calendrier républicain, institué par la Convention,
fut aboli à partir du icr janvier 1806.
4. Germinal, fructidor septième mois (21 mars- 19 avril) et
:

douzième mois (18 août- 16 septembre) de l'année républicaine,


qui commençait le 22 septembre.
5. Baptême baptême du feu, première bataille.
:

G. Sans-Souci château royal de Prusse, près de Potsdam.


:
A TRAVERS LR l'ASSK. 'M\î^)

Faits (.rariiR's : Irciilc-clcux ; blessures, (juchjiics-inics.


Ne s'est hallii que pour la g-loirc et pour des prunes' !

MARMONT, (Kf dur.

*\'()us n'allez pas ainsi l'écouler jusqu'au boni !

l.E DUC.

Oui, vous avez raison, j)as ainsi, mais dehoul !

(// se Irue.)

MARMONT.
Monseigneur,...
LE DUC, à Marinoiit.

Diins le livre" aux sublin:ies cha[)ilres,

Majuscules-^, c'est vous qui composez les titres,

Et c'est sur vous toujours que s'arrêtent les yeux !

Mais les mille petites lettres ^.., ce sont eux!


Et vous ne seriez rien, sans l'armée humble et noire
Qu'il faut pour composer une pag"e d'Histoire !

(Edmond Rostand, L'Aiglon, acte II, scène ix.

Fasquelle.)

1. Pour des prunes pour rien.


:

2. Le livre aux sublimes chapitres : l'Histoire.


3. Majuscules ce sont les officiers.
:

4. Les mille petites lettres ce sont : les soldats obscurs.


'M\(j LA DÉCOUVEUTI-: l)V MONDE.

8. — LES SOUVENIRS DU PEUPLE.

On parlera do sa gloire
'

Sous le chaume bien longtemps.


L'humble loit, dans cinquante ans^
Ne connaîtra plus d'autre histoire.
Là viendront les villageois

Dire alors à quelque vieille :

Par des récits d'autrefois,

Mère, alorégez notre veille.

Bien, dit-on, qu'il nous ait nui,


Le peuple encor le révère,
Oui, le révère;
Parlez-nous de lui, gi^and'mère.
Parlez-nous de lui.

— Mes enfants, dans ce village,

Suivi de rois, il passa.


Voilà bren longtemps de ça :

Je venais d'entrer en ménage.


A pied grimpant le coteau
Où pour voir je m'étais mise,
Il avait petit chapeau
Avec redingote grise.

I . De sa gloire : de la gloire de Napoléon 1er.


A TUAVKHS LE PASSÉ. 347
Près de lui je me troublai.
Il nie (lit : « Bonjour, ma chère,
Bonjour, ma chère. »
— 11 vous a parlé, ^rand'mère!
Il vous a parlé !

— L'an d'après, moi, pauvre femme,


A Paris étant un jour.
Je le vis avec sa cour :

Il se rendait à Notre-Dame'.
Tous les cœurs étaient contents;
On admirait son cortège.
Chacun disait, : « Quel beau temps.
Le ciel toujours le protège. »

Son souriie était bien doux;


D'un fils' Dieu le rendait père.
Le rendait père !

— Quel beau jour pour vous, grand'mère l

Quel beau jour pour vous !

— Mais quand la pauvre Champagne


Fut en proie aux étrangers^.
Lui, bravant tous les dangers.
Semblait seul tenir la campagne.

1. A Notre-Dame : pour le baptême de son fils.

2. D'un fils : le roi de Rome, né en i8ii.


3. En proie aux étrangers : en i8i4, lors de l'invasion des-
alliés.
348 LA UKCUUVKRTK DU MONDf:.

In soii', (oui roinme aujourd'hui,


.rcutciids IVapjxM" à la j)<)rlc.

J'ouvre; I»om Dieu! c'était lui,

Suivi d'uue faible escorle,


II s'assoit où me voilà.

S'écriaiit : « Oh! quelle i^uei're î

Oh ! quelle guerre ! »

— Il s'est assis là, grand'inère?


Il s'est assis là !

— « J'ai faim >), dit-il; et bien vite


Je sers piquette' et pain bis;
Puis il sèche ses habits;
Même à dormir le feu l'invite.
Au réveil, voyant mes pleurs.
Il me dit : « Bonne espérance!
Je cours de tous ses malheurs.
Sous Paris, venger la France. »

Il part; et, comme un trésor,

J'ai depuis gardé son verre,


Gardé son verre.
— Vous l'avez encor, grand'mère?
Vous l'aviez encor !

I. Piquette : boisson obtenue en jetant de l'eau sur du marc


de raisin.
A TKAN I.I\S LK PASSK. ,'^49

— Lo voici. Mais à sa perte

Le héros fui eiUraîiié.

Lui, qu'un pape '


a couronné,
Est mort dans une île déserte'.
Long-temps aucun ne l'a cru;
On disait : « Il va paraître;
Par mer il est accouru;
L'élrang-er va voir son maître. »

Quand d'erreur on nous tira.

Ma douleur fut bien a m ère,


Fut bien amère !

— Dieu vous bénira, g^rand'mère !

Dieu vous bénira.


(BÉRANC.ER.)

1. Un pape : Pic VII.


2. Dans uns île déserte : à Sainle-Ilélène, en 1821.
35o LA découveutp: nu mondi:.

9. — LA SORÏIK'.

Janvier 1871.

L'aube froide blêmit, vaguement apparue.


Une foule défile en ordre dans la rue;
Je la suis, entraîné par ce grand bruit vivant
Que font les pas humains quand ils vont en avant;
Ce sont des citoyens parlant pour la bataille.

Purs soldats ! Dans les rangs, plus petit par la taille,

Mais égal par le cœur, l'enfant avec fierté

Tient par la main son père, et la femme à côté


Marche avec le fusil du mari sur l'épaule.

C'est la tradition des femmes de la Gaule


D'aider l'homme à porter l'armure, et d'être là,

Soit qu'on nargue^ César 3, soit qu'on brave Attila'^.

Que va-t-il se passer? L'enfant rit, et la femme


Ne pleure pas. Paris subit la guerre infâme,
Et les Parisiens sont d'accord sur ceci,
Que par la honte seule un peuple est obscurci,

1. La sortie : il s'ag-it d'une de ces attaques que tentèrent à


plusieurs reprises, en 1870-71, les Parisiens assiégés, pour repous-
:ser les Allemands.
2. Narguer : défier d'un air insolent.
3. César : voir page 325, note 6.
4. Attila : voir page 325, notes 3 et 5.
A TKAVEKS LE PASSÉ. 3.')!

Çiie les aïeux seront contents, quoi (jn'il arrive,

Et que Paris mourra pour (pie la France vive.


Nous garderons l'honneur; le reste, nous l'ofTrons.

Et l'on marche. Les veux sont indig-nés, les fronis

Sont pales; on y lit Foi, Gourag-e, F^amine.


Et la troupe à travers les carrefours chemine.
Tête haute, élevant son drapeau, saint haillon,
La famille est toujours mêlée au bataillon ;

On ne se. quittera que là-bas, aux barrières.


Ces hommes attendris et ces femmes guerrières
Chantent ; du genre huinain Paris défend les droits.

Lue ambulance' passe, et l'on songe à ces rois'


Dont le caprice fait ruisseler des rivières
De sang sur le pavé, derrière les civières -".

L'heure de la sortie approche; les tambours


Battent la marche en foule au fond des vieux faubourgs;
Tous se hâtent; malheur à toi qui nous assièges!
Ils ne redoutent pas les pièges, car les pièsres

Que trouvent les vaillants en allant devant eux


Font le vaincu superbe et le vainqueur honteux.
Ils arrivent aux murs, ils rejoignent l'armée.
Tout à coup, le vent chasse un flocon de fumée;

1 . Ambulance : voiture où l'on recueille les blessés.


2. A ces rois : qui décident des guerres.
3. Civières : brancards sur lesquels on transporte à la s'uerre
les morts et les blessés.
352 LA IJKCOIJVKUTK DU M(»M)K.

lïallc! c'esl le premier eou|) de canon. Allons!


Vm long' frémissement coiiil dans les bataillons.

I.c moment est venn, les portes sont ouvertes,

Sonnez clairons! Voici là-bas les plaines vertes,

J^es bois où ramj)e au loin l'invisible ennemi,


Et le traître horizon, immobile, endormi,
Tranquille, et plein pourtant de foudres et de flammes.
On entend des voix dire : a Adieu ! — Nos fusils, femmes ! )

Et les femmes, le front serein, le cœur brisé.

Leur rendent leur fusil après l'avoir baisé !

(V. Hugo, L'Année terrible.


Hetzel.)
A TRAVERS LE PASSÉ. 353

10. — LA CARTE DE FRANCE.

Tout est iiiii ! La Paix vient sourire au Printenij)s :

La trompette allemande éteint ses sonneries;


Nos toits n'abritent plus leurs hôtes insultants;
L'alouette a chanté dans nos moissons fleuries.

Mais pour d'autres se lève et pour d'autres renaît


Et le pampre^ d'Alsace et l'épi de Lorraine.
La France a vu trancher d'un coup de sabre net
Son fier manteau de reine !

Nous vous avons perdus, sommets, rocs de granit.


Collines de grès rose où penche le mélèze^.
Tours où dans le ciel bleu la cigogne a son nid.
Vieux donjons féodaux rêvant sur la falaise !

Adieu, rideaux des bois, fontaines de cristal,

Où viennent le matin les fdles des vallées,


Prés où paissent sans bruit les bœufs du Simmenthal ^,

Halliers'^ mystérieux dont on parle aux veillées!

1. Pampre : rameau de vigne chargé de feuilles et de fruits.


2. Mélèze : arbre résineux de la famille des conifères.
3. Simmenthal : vallée suisse renommée pour ses troupeaux.
4. Halliers : buissons épais.
23
354 LA DÉGOiJVF:nTE nu monde.

— Mais nous tous, écoliers au souvenir constant,


Nous t»ardons Td'il fixe sur loi, noire espérance,
Là-liaul, dans l'angle, à droite, où la tache' s'étend.
Chère carte de France !

(ZiDLEH, La Légende des écoliers dr France.


Hctzel.)

I. La tache : la tache sombre dont, en sienne de deuil, on


noircit sur la carte de France l'Alsace et la Lorraine.
LISTE ALPHABETIQUE DES AUTEURS
(Les numéros renvoient aux pages.)

Jean AicARD. . . . . . , La soirée en Jamille (30), Le coq (45),


La poule (46), Les petits lapins (53),
Uàne (58), Le panier du goûter (83),
La leçon à la poupée (99), La chanson
(lu cerisier (1O8), Colin-maillard (243),
Les métiers (aSô), L'aiguille (279).
Gaston Armelin. La terre des aïeux (325).
. . .

Paul Arosa Botanique (lOo).


Octave Albert Tout doujc (27),
Théod. DE Banville. A ma mère {^i).
Auguste Barbier. Les mineurs de. Xeu>casile (272).
. .

Frédéric Bataille. Connais-tu mon beau village'/ (3o3).


.

BÉRANGER Les souceuirs du peuple (346).


Abel BoNNARD La limace (177), Le chant des hirondelles
(18G).
Henri de Bornier. . La cJianson des épées {Z^2).
Théodore Botrel. . . Le grand Lustukru {il\), Le bouton d^or
(107), Le bruit des berceaux (283), La
chanson de là-bas (3 18).
Louis BouiLHET. . . . L'esprit des fleurs (i64). Moisson nocturne
(220), Le galet (293).
Mlle H. S. Brès Le grand frère (32).
Brizeux En vacances (92), Le départ du fils {^kl)>
Le taureau (196), La mer {2o-j), La mai-
son du Moustoir (3i4).
l\[)C) LISTi: AI.PIIAIJKTIQUK DES AUTEURS.

Adol. C.vncvssoNNF. IJobsPi'iuilion de (îecji'rjette (Gf)).

Henri (Iiiamavoink. Les vacances (90).


Cn\Ti:AuniuAM> L\'.ci7<'' ('^«'(j).

André Chkniek Ili/innc à la France (820).


Casimir Delavigne. La mort de Jeanne d^Arc (334).
Mme Desb.-Valmore. Le concher d'un enfant (12).
Jérôme Douget La chanson de la toupie (loi), La chanson
de la fleur (1O2), La chanson du mar-
teau sur l'enclume (264)> La chanson des
ailes du moulin (281), La chanson des
cloches (286), La chanson de la girouette
(289).
A. Dumas fils , L'enfant cruel (2/17).
Pierre Dupont Le lavoir (26G).
H. Durand Le retour « la maison (87).
François Fabié Les moineaux (iSg), La chanson des cra-
pauds (181), La chatte noire (188).
Charles FusTER Pleurs Moralité d'un drame (G7),
(63),
Politesse (69), La boule de neige (107),
La découverte de bébé (i3G).
Théophile Gautier.. La source (295).
Philippe Godet L'enfant à la coquille (i23).
Fernand Gregh. ... Soirs (loS).
Paul Guigou La chouette (i84).
Mme Sophie Hue. . . . Mère et enfant (28).
Victor Hugo L'enfant qui dort (19), Visite matinale
(35), L'enfant et l'aïeule (38), Ma
chienne (54), La vache (59), La cica-
trice (68), Jeanne au pain sec (70),
Au Jardin des Plantes {']^), La lune
(ii4). Sur une barricade (127), Déses-
poir (i33), IJ enfance qui travaille (i45),
La grand' mère (i49)j Petits mendiants
(229), Petit Paul (239), Le crapaud (249),
Le pêcheur (270), Les soldats de l'an II
(339), La sortie (35o).
Jules JouY Les étoiles (72).
,

LISTE ALPHABÉTIQUE DES AUTEURS. 3'^"]

La.maktine L(i /noisson promise (2O2), Souvenir d'cn-


/(uire (3i 1).

\'iclor DK Lai'k vDL. . La sœur iiinée (3o) , Les petites Sd'urs


(33), Lr Iton rheiuil ijris (55), La f/uii-
tresse d'école (81), Lu mort d'un r/irne
(170), Les vendangeurs (260).
Maurice Magre Le mineur (274).
Eus^ène Manuel. .L'eau qui dort (23 1).
, .

Guy DE Mal PASSANT. La chanson du raijon de lune (221).


Catulle Menons Ma maison (3o5).
Louis Mercier Les vieilles horloges (291).
Mme G. Mesureur. La souris (48), La sortie de l'école (85),
.

Distribution de prix (88), Le ballon


(96), Prodigalité (ii3), La petite fille
(116), Petit marin (121), Poupée cassée
(i3i). Chagrin d'enfant (i34).
Hëgésippe Moreau.. Sur la mort d'une cousine de sept ans
(237), La Voulzie (3 12).
Maurice Morel Bobo (7), Joueurs de billes (98), La vi-
du pâtissier (119).
trine
Henri Murger Les petits ramoneurs (234).
A. DE Musset La cavale du désert (198), L'étoile du soir
(219), Aumône (245), Retour (3i6), Sur
trois marches de marbre rose (336).
Jacques Normand. . . Le départ pour l'école (82).
R. Périé A un vieux jardinier (257).
Mme Cécile Périn. . . Ronde (95), La corde (io3).
Alex. PiÉDAGNEL. . . . Les premières cerises (166).
E. Plouvier Le fuseau de ma grand'mère (39).
Mme DE Pressensé . . Le rayon rose (5) La promenade (9)
,

La mouche (5o), Primevères (i55). Le


baiser (241).
Jean Rameau Ce que dit le vent (21 3).
Louis Ratisbonne. . La soupe (3), Le goûter (11), La colère
de Rose (64), Le front (06), La visite
(97)-
Henri de Régnier. . En foret (209).
358 LISTE ALPHABÉTIQUE DES AUTEURS.

Adolphe F\iiTTÉ Hymne aux arhres (172).


Jean Kiciieimn Le vieil homme fout noir (17), Contes de
fées (io5), Premier dépari (i/|3), La
mort du lion La
(202), neirje (21 ij, Etoi-
les filantes (223), Marchande des rues
(2G8), La plainte du hois (297), La terre
(3o7).
G. RoDENBAcn Le coffret (287).
Maurice Rollinat. . L'enterrement d'une fourmi (52), Frère et
sœur (iiTj), Les petits fauteuils (117),
Le liseron (iSg).
Edmond Rostand.. . Ode au (216), Les grognards de
soleil
l'Empire (342).
Mme Ros. Rostand.. Rêve de Noël (21), Deujc héros (126).
Albert Samain La bulle (io4), La grenouille (179).
Jean ViGNAUD Hymne au jour (216).
A. DE Vigny La mort du loup (200), Roland à Ronce-
vaux (329).
Gustave ZiDLER L'école maternelle (79), L'école huisson-
nière (84), La carte de France (353).
TABLE DES MATIERES

Pages.

Préface ix

Quelques c inseils sur l'art de dire les vers xxvii

LIVRE I.

LA VIE DE l'enfant.

Chapitri: I. — La journée des petits 3


— IL — La famille 25
— III. — Les animaux familiers 4^
— IN'. — Réflexions enfantines. . 6i
— V. — A l'école 77
— VI. — Récréations g3
— VII. — Portraits d'enfants m
— VIII. — Premières tristesses 129

LIVRE IL
LA DÉCOUVERTE DU MONDE.

Ch vHiTKE — Le monde des plantes


I. i53
— — La vie des bétes
II. 175
— — Aspects de nature
III. la 2o5
— IV. — Souffrance et pitié 227
— V. — Les travailleurs 253
— — L'àme des choses
\'l. 277
— VII. — La terre natale 3oi
— VIII. — A travers passé le 323
Liste alphabétioue des auteurs 35()

'loulonse. Imp. Doi'LADOURE FRIVat. rue S» lû>ine. 39. — 9505

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