Nos Ancêtres Les Arabes...

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Nos ancêtres les Arabes... »

Civilisations
Revue internationale d’anthropologie et de sciences humaines

53 | 2005

Musiques "populaires"
Varia

« Nos ancêtres les Arabes... »


Généalogies d’Afrique musulmane

Xavier Luffin
p. 177-209
https://doi.org/10.4000/civilisations.613

Résumés
Français English
De nombreuses traditions orales et écrites d’Afrique subsaharienne musulmane se
rapportent à l’origine arabe de certaines populations, clans, tribus ou familles. Quel
que soit le degré de véracité de ces généalogies, et malgré des contre-exemples, il
est intéressant de constater que l’islam est donc très souvent associé à une certaine
vision de l’arabité. Plusieurs facteurs sont à l’origine de cette interprétation  : la
recherche d’un certain prestige d’ordre religieux ou social, ou encore une
légitimation historique et/ou politique, l’identification de l’africanité à l’esclavage.
Cette quête d’arabité doit bien sûr être relativisée, d’abord parce qu’elle n’est pas
systématique, ensuite parce qu’elle se retrouve aussi ailleurs dans le monde
musulman. Elle tient toutefois une place relativement importante en Afrique
subsaharienne.

Many oral and written sources in Muslim Subsaharian Africa deal with the Arab
origin of various peoples, clans, tribes or families. Though this claim to an Arab
origin is not systematic, and may in many cases be true, it is relevant to note that
Islam in Africa is often related to Arabity. Various factors may explain this process :
a claim to a religious or social prestige, a kind of political and/or social legitimacy,
the identification of Africanity with slavery. Of course, this claim to an Arab
genealogy has to be qualified, first because it is not systematic, then because it
occurs elsewhere in the Muslim world. It has, however, a particular importance in
Subsaharian Africa.

Texte intégral

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1 Quiconque se penche sur les généalogies et les mythes fondateurs en Afrique


musulmane constate que de nombreux peuples – ou quelquefois, de manière plus
restrictive, certains de leurs clans ou de leurs familles – revendiquent des origines
arabes. Ils fondent souvent cette assertion sur un récit plus ou moins légendaire,
relatant tantôt l’arrivée d’un ancêtre arabe qui aurait épousé une princesse locale,
tantôt l’installation de quelque famille prestigieuse, venue de la péninsule arabique
ou du Levant. Cette tradition s’observe de l’est à l’ouest du continent. Il est vrai que
les liens entre le monde arabe et l’Afrique sont très anciens et remontent dans
certaines régions à la période pré-islamique. Dans des pays comme le Soudan,
l’Ethiopie ou la Somalie, Arabes et Africains se sont incontestablement mêlés, et
l’origine arabe de certaines grandes familles africaines ne fait pas de doute. Dans
d’autres cas, leurs origines arabes sont plus obscures, mais tout autant mises en
avant, avec plus ou moins d’insistance.
2 L’objectif de cet article n’est nullement de déterminer quel peuple ou quelle
famille du continent africain est effectivement d’origine arabe et lequel ne l’est pas.
Ce serait impossible dans de nombreux cas, mais surtout inutile. Nous tenterons
plutôt de comprendre pourquoi certains insistent tant sur leurs origines arabes,
pourquoi les uns les mêlent à leur passé africain, tandis que les autres y voient un
élément qui exclut leur africanité.
3 En outre, certains musulmans du continent noir assument bien sûr parfaitement
leur identité africaine, sans recourir à une quelconque généalogie arabe. Nous ne
prétendons donc pas, par les exemples qui suivent, résumer l’Histoire de l’Afrique
musulmane à une simple quête d’arabité. Mais l’étendue des cas, dans le temps
comme dans l’espace, mérite tout de même qu’on s’y attarde.

1. Le récit de l’ancêtre arabe : quelques


exemples
4 En Afrique de l’Est, plusieurs traditions établissent un lien « physique » entre la
présence de l’islam sur le continent et le monde arabe, situé de l’autre côté de la
mer. En Somalie par exemple, de nombreuses tribus clament des origines arabes,
en particulier dans le nord du pays. Ainsi, la tradition de l’ancêtre Darood1 est
commune à plusieurs tribus, appartenant toutes au clan à qui il laissa son nom : un
jour, Darood est chassé d’Arabie et il traverse la mer pour se rendre sur la côte
somalienne. Arrivé au pied d’un arbre, il creuse un puits. Doombiro, la fille de Dir,
souverain local, fait connaissance avec cet étranger. Mais Dir constate au retour de
sa fille que le troupeau est mieux abreuvé que d’habitude et il décide de la suivre
pour en connaître la raison. Darood, voyant le père de Doombiro arriver, couvre le
puits d’une grosse pierre et se cache dans l’arbre. Dir essaie sans succès d’ouvrir le
puits, alors Darood lui propose un marché  : il descendra de l’arbre et ouvrira le
puits à condition qu’il puisse épouser sa fille. C’est ainsi que Darood épousa
Doombiro et fut a l’origine de certains clans somaliens (Mansur, 1995  : 118). La
même histoire, qui est peut-être la déformation d’une tradition pré-islamique, se
retrouve chez les Oromo d’Ethiopie, apparentés aux Somali.
5 Un autre grand clan somali, celui des Isaq, tient aussi pour ancêtre éponyme un
voyageur venu de la Péninsule arabique et répondant au nom de Shaykh Ishāq bin
Ahmad. Les ancêtres d’Ishāq seraient originaires d’Irak, mais se seraient installés à
Médine, puis au Yémen, dans le Hadramawt. Un jour, Ishāq vit Dieu en rêve, qui lui
ordonna de répandre l’islam au-delà des mers. Il traversa alors le Golfe d’Aden en
voguant sur son tapis de prière et il s’installa en Somalie (Bader, 2000 : 105; Hrbek
et El Fasi, 1997 : 90).

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6 Au Soudan, certains peuples musulmans tentent de se rattacher à Ja’al – ou à un


Ja’alī (tribu arabe du Soudan) qui aurait épousé une princesse locale : c’est le cas de
certains clans Bejja des Bānī ‘Amr et d’autres clans du Dārfūr et du Wadāy (Holt et
Daly, 1988 : 5). Selon des généalogies compilées à partir du siècle dernier – mais
qui lui sont antérieures  – les Funj –  un important royaume de la région  –
revendiquaient une origine ummayyade2 .
7 En Ethiopie, les communautés musulmanes enracinèrent leurs origines dans la
région de la Mecque, comme la dynastie qui régna sur le royaume de Shoa, du 9e au
13e siècle, et qui prétendait descendre des Banū Makhzūm, puissant clan
qurayshite – les Quraysh étant la tribu dont était issue le Prophète. La dynastie qui
lui succéda, celle des Waslama, revendiquait elle aussi une lointaine ascendance
arabe (Hinds, 1991 : 139a; Cerulli, 1997 : 407 sq.).
8 Sur la côte swahili, en Afrique orientale, plusieurs traditions orales mais aussi des
chroniques locales comme celle de Lamu rapportent que des hommes envoyés par
le calife ummayyade ‘Abd al-Malik (685-705) s’installèrent dans la région, ou qu’au
contraire deux frères de la famille arabe des Julanda, après leur défaite contre le
même calife, vinrent s’y réfugier. D’autres traditions font état de familles yéménites
et omanaises établies dans la région depuis des temps reculés (Allibert, 1988 : 112).
9 En poursuivant vers le sud, on constate qu’aux îles Comores – qui présentent de
nombreuses affinités avec le monde swahili – plusieurs traditions orales mettent en
évidence les familles arabes qui s’y seraient installées : tantôt des Ummayyades, qui
auraient fondé les villes de Domoni et Ntsaweni, tantôt des Irakiens ou des Arabes
de la Péninsule arabique, voire des Iraniens venus de Shiraz (Allibert, 1988  : 113
sq.; Lafon, 1988-89 : 99).
10 Encore plus bas, à Madagascar, les communautés musulmanes installées depuis
de nombreux siècles sur les côtes orientale et occidentale de l’île insistent sur leur
ascendance arabe : les Antanosy par exemple considèrent que leur ancêtre Raminia
est arrivé de la Mecque (Esoavelomandroso, 1991  :  368). Quant aux
Zafikazimambo, ils rapportent qu’à une époque reculée, le Calife de la Mecque
envoya leurs ancêtres sur l’île, embarqués dans de grands canots, afin d’instruire la
population locale. Le prince de Matatana accepta de donner sa fille en mariage au
chef de cette délégation arabe, à la condition que leur descendance portât le nom de
la fille en question, Kazimambo (Allibert, 1988 : 115).
11 Dans cette autre aire culturelle que constituent la région subsaharienne et
l’Afrique de l’Ouest, des récits similaires circulent. Ainsi, de nombreuses
populations musulmanes du Tchad, arabophones ou non, revendiquent une origine
yéménite  : c’est le cas des Juhayna (répartis entre le Soudan et le Tchad, nous y
reviendrons plus loin), des Bagirmi, des Tamagra…3.
12 Shaykh Jedda, un Palestinien d’origine tchadienne rencontré en 1995 dans le
«  Quartier Africain  »4 de Jérusalem, dont il était alors le mukhtār, insistait lui
aussi sur le fait qu’il était né au Tchad d’une famille « arabe pure », arrivée il y a
plusieurs générations de la Péninsule arabique et portant le même nom que la
célèbre ville saoudienne.
13 La tradition est ancienne dans la région du Tchad, puisque chez les Zaghāwa, la
dynastie des Sēfuwa, qui domina la région du Kānem (Tchad) dès le 11e siècle,
prétendait avoir pour ancêtre le héros yéménite Sayf Bin Dhī Yazān. Ce cas-ci est
intéressant car parallèlement à leur généalogie arabe, certains souverains Sēfuwa
ne renièrent pas non plus leurs origines locales, à la fois pour enraciner la légitimité
de leur présence dans le Kānem et pour récupérer le passé des Duguwa, qui avaient
créé dans la région un État apparemment fortement structuré (Lange, 1991  : 167
sq.).
14 D’après Babou Condé, un griot du Haut-Niger qui a livré sa version de l’Histoire
de l’ancien Mali à Camara Laye, il existait autrefois entre la Guinée et le Mali le
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royaume de Tabon. Ce royaume aurait été fondé dès le 7e siècle par un certain
Abdoul Wakass, venu d’Arabie. Après avoir traversé l’Egypte, il serait allé plus à
l’Ouest jusqu’à arriver chez les Tabonka. Ceux-ci en firent leur roi car il était lettré
et connaissait l’arabe. Abdoul Wakass épousa alors une fille de la famille Camara et
unifia le pays (Laye, 1978 : 33).
15 La dynastie songhay des Dia, quant à elle, prétendait venir du Yémen. Selon une
légende, deux frères étrangers seraient arrivés dans la région de Kukia, ancienne
capitale de l’empire songhay. L’aîné aurait affronté le Démon du fleuve qui régnait
alors sur la région et l’aurait vaincu. Il serait alors devenu le roi de la région et
aurait ainsi fondé la dynastie des Dia. Ce dernier terme serait une déformation du
premier mot de la phrase suivante : jā’ [min al-Yaman], « il est venu du Yémen ».
Une légende similaire aurait également cours dans le Kordofan, le Ghana, le
Bornou et le Wadāy (Diop, 1987 : 162).
16 Au Nigeria, certains Yoruba convertis à l’islam prétendent avoir pour ancêtre un
certain Lamurudu (probablement une déformation de Nimrūd) qui aurait régné à
la Mecque. Selon d’autres, comme le Sultan Muhammad Bello (1779-1837), les
ancêtres des Yoruba auraient été chassés d’Irak par un certain Ya’rub Ibn Qahtān et
forcés de traverser l’Egypte, le Soudan, l’Ethiopie puis d’errer toujours plus à
l’Ouest pour finalement arriver au Nigeria. Le même Ya’rub serait d’ailleurs à
l’origine de l’ethnonyme Yoruba5.
17 Chez les Haoussa du Nigeria, certaines traditions se rapportent également à
Lamurudu cité plus haut, mais une légende plus répandue soutient que leur ancêtre
commun est le prince Bayajida, déformation de l’arabe Abū Yazīd. Ce dernier,
originaire de Bagdad, aurait tué un serpent qui terrorisait la reine locale, Daura.
Celle-ci accepta alors de l’épouser et lui donna un fils, Bawogari. Puis Bayajida eut
un autre fils d’une concubine, Karbogari. Chacun des fils eurent eux-mêmes sept
fils, chacun à l’origine d’un des quatorze royaumes de la région. Cette légende se
retrouve dans la tradition orale, mais aussi dans la Chronique de Kano, un
manuscrit arabe local remontant au 17e siècle qui relate l’histoire de cette ville en se
basant sur les traditions locales6. L’origine arabe des Haoussa, justifiée par ces
traditions, fut en outre relayée ultérieurement par les chercheurs occidentaux, qui
considéraient que cette légende reflétait une réalité historique (Adamou, 1991  :
179).
18 Au Sénégal également, le lien de certains peuples –  ou de certaines familles  –
avec les Arabes est souvent mis en évidence. Dans le royaume wolof du Walo, le roi
était choisi au sein de trois lignages maternels  : maure, sereer-lebu ou peul-
mandingue (Diouf, 1994 : 30).
19 Lors d’un voyage en Mauritanie en 1995, une Maure nous livra l’explication
suivante concernant l’origine de la tribu peule des humr al-julūd, littéralement les
«  Peaux-Rouges  »  : selon elle, il s’agirait des descendants de guerriers arabes.
Ayant perdu le contact avec les autres Maures de la région, ils se seraient métissés
avec des femmes peules et auraient adopté leur langue. C’est pourquoi ils ne
seraient pas noirs mais de teint cuivré… et auraient des facilités évidentes pour
apprendre l’arabe, resté présent quelque part dans leur esprit.
20 La liste des exemples précités n’est pas exhaustive et l’on pourrait bien sûr
continuer à énumérer les histoires et traditions locales se rattachant aux origines
arabes des populations africaines musulmanes. Mais cela n’est pas l’objectif de cet
article, nous n’avons voulu citer que quelques cas particulièrement représentatifs
de ces traditions.
21 Il est intéressant de noter d’emblée que si l’ancêtre arabe revendiqué dans les cas
précités peut être originaire de pays assez divers – l’Irak, l’Egypte… – la péninsule
arabique est la région la plus récurrente. En fait, cette région est considérée comme
le berceau de la culture arabe, on l’appelle d’ailleurs jazīrat al-’arab, la « péninsule
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des Arabes ». Les traditions arabes rapportent en effet que les ancêtres de tous les
Arabes sont Qahtān et ‘Adnān : les descendants du premier peuplaient le Yémen et
ceux du second le Hijāz, ensuite il se sont dispersés dans les autres régions (Al Hūt,
1979 (1955) : 165 sq.). En outre, c’est dans la péninsule arabique que l’islam a été
révélé et que se trouvent ses principaux lieux saints. Avoir un ancêtre venu de la
Péninsule arabique renforce donc doublement la qualité de cette origine arabe tant
revendiquée.

2. Variantes : origines persanes et


berbères
22 Si l’ascendance arabe est de loin la plus recherchée, il arrive aussi que certaines
familles d’Afrique de l’Est se prêtent des origines persanes. Ainsi, selon les
chroniques swahili, notamment la Chronique de Kilwa, le premier sultan de la ville
était un Persan originaire de Shiraz qui avait épousé une princesse locale. Plus tard,
les familles de négociants s’attribuèrent le même type de généalogie arabe ou
persane, de manière à s’élever socialement (Matveiev, 1991 : 293).
23 En Somalie, plusieurs tribus se réclament aussi d’une origine persane, en
particulier sur la côte, dans la région des Banādir (du persan bandar, « port »). Par
exemple, la tribu des Shanshiyya tire son nom d’une région d’Iran, tandis qu’à
Mogadiscio un quartier ancien habité à l’origine par des marchands iraniens portait
le nom de Shangani (qu’on retrouve aussi sur la côte swahili), du nom d’un quartier
de Nishapur (Mukhtar, 1995 : 5).
24 Aux Comores également, on raconte qu’il y a bien longtemps un Iranien,
contraint de fuir sa ville natale de Shiraz, se réfugia avec ses six fils sur l’île
d’Anjouan (Allibert, 1988 : 114).
25 En Afrique de l’Est, les références à cette ascendance persane est ancienne – on
en recense dès le début du 16e siècle – et on attribue en outre à ces Shirazi toute
une série d’innovations, telles que l’utilisation de la pierre comme matériau de
construction, la fabrication de la chaux, le tissage du coton... (Freeman-Grenville,
1998 : 499 ab.).
26 En Afrique de l’Ouest, il existe également une tradition, certes moins répandue,
liant certains peuples aux Berbères. Makhtar Diouf voit dans les Peuls des
descendants de Berbères sahariens (Diouf, 1994  : 26), tandis que selon certaines
traditions d’Afrique occidentale, le Royaume des Songhay aurait été fondé par deux
Berbères qui auraient été accueillis par la population locale, qui finit par choisir ses
rois parmi leurs fils (Stamm, 1993 : 40).

3. Les raisons de la quête d’arabité

3.1. Islam et arabité


27 Mais pourquoi revendiquer un ancêtre arabe  ? Cela confère-t-il un prestige
particulier, une certaine légitimité ?
28 De manière générale, on peut bien sûr mettre en avant le besoin d’un mythe des
origines, constant dans l’ensemble des civilisations. En Europe comme ailleurs, de
nombreux Etats ont exagéré ou altéré leur Histoire, voire tout bonnement créé des
mythes afin de prouver l’ancienneté de leur culture et son rayonnement. Cela leur a
permis de mieux asseoir leur légitimité, souvent même leur supériorité culturelle et

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politique  : exaltation des origines franques par la noblesse française,


réappropriation de son passé païen par la Grèce moderne…
29 En Afrique, on retrouve le même processus. En dehors du monde musulman, les
Amharas chrétiens d’Ethiopie par exemple ont eux aussi insisté sur leurs origines
solomonides – la dynastie royale serait issue de l’union entre le Roi Salomon et la
Reine de Saba  – dans le même but d’acquérir un certain prestige grâce à des
ancêtres illustres, cités dans les Ecritures. Mais la quête d’arabité prend toutefois
des formes particulières, pour des raisons propres à l’islam d’une part, à l’Histoire
de l’Afrique d’autre part.
30 L’islam en tant que religion ne fait pas de différence entre les Arabes et les autres
musulmans, ni même entre les peuples de manière générale. Le Qur’ān insiste à
maintes reprises sur l’universalité de son message, et certains hadīth7 mettent
même l’accent sur l’égalité entre les races par rapport à la religion. A titre
d’exemple, citons un hadīth célèbre : bu’ithtu ilā al-ahmar wa-l-aswad, soit « J’ai
été envoyé auprès des Blancs comme auprès des Noirs »8.
31 Pourtant, un élément de taille confère aux Arabes un rôle particulier  dans
l’Histoire de l’islam : même si son message se veut universel, le Qur’ān a été révélé
en arabe à un prophète arabe. La langue coranique est d’ailleurs considérée comme
le seul miracle dans la religion musulmane. On parle de l’i’jāz, l’inimitabilité du
Qur’ān9. Par la force des choses, les Arabes furent les premiers à propager l’islam et
à gouverner l’umma, la communauté des croyants, même si cette situation changea
par la suite. Les Arabes ont donc une place particulière non pas dans l’islam – qui
est clair sur ce point – mais dans sa diffusion. Dans le cas d’individus ou de familles
– car les traditions précitées s’appliquent parfois à un peuple, parfois à une famille
ou à un clan  – une généalogie garantissant une origine arabe offre donc des
avantages à la fois politiques et religieux.
32 Les origines arabes d’un clan lui donnent une assise politique plus importante
dans l’imaginaire populaire. On a vu aussi que dans certains cas –  le Sénégal par
exemple – avoir une origine déterminée est même un pré-requis pour prétendre au
pouvoir. Le pouvoir politique est donc lié à une certaine noblesse des origines, liée
ici au prestige de l’arabité, que démontrent bien les « mythes royaux » haoussa ou
yoruba.

3.2. Le nasab
33 Un autre élément à ne pas sous-estimer pour tenter de comprendre ce
phénomène est l’importance du nasab, c’est-à-dire la filiation, la généalogie, chez
les Arabes eux-mêmes. Le nasab constitue effectivement le principe fondamental
de l’organisation sociale chez les Arabes et il a donné lieu, dès l’avènement de
l’islam, à une importante littérature. Parmi les nombreux ouvrages de généalogie, le
plus important fut rédigé par Hishām Al-Kalbī, au 8e siècle : le Jamharat al-nasab.
Avec l’arrivée de nombreuses populations non-arabes au sein de l’umma
musulmane, l’intérêt pour le nasab se verra consolidé et permettra notamment de
déterminer le degré de « noblesse » d’une famille (Rosenthal, 1993 : 967b à 969a).
34 Mais ces généalogies sont souvent falsifiées. L’Historien Yāqūt (13e siècle)
rapporte qu’al-Jāhiz, célèbre écrivain du 9e siècle sur lequel nous reviendrons plus
loin, aurait proposé à un linguiste d’origine persane de lui forger une généalogie le
rattachant à une tribu bédouine, afin d’encore renforcer sa notoriété en tant que
connaisseur de la langue arabe (Touati, 2000 : 77).
35 Au siècle suivant, le célèbre Ibn Khaldūn consacra quelques pages de son fameux
ouvrage, al-Muqaddima («  l’Introduction  ») à critiquer le comportement de
nombreux clans ou chefs de clans arabes qui «  prétendent à des généalogies

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éclatantes. Ils voudraient descendre de familles célèbres pour leur bravoure, leur
noblesse ou leur renom  »10. Et de citer ensuite de nombreux exemples de
généalogies arabes douteuses, en particulier auprès des Zanāta, une tribu berbère
importante à l’époque, en insistant sur le fait que ces chefs de tribus berbères
cherchent par ces généalogies une légitimité politique. Ailleurs, il défend l’origine
shérifienne (voir plus loin) –  contestée par certains de ses contemporains  – de
l’imām al-Mahdī, fondateur de la dynastie des Almohades (Ibn Khaldūn, éd. non
datée : 39 sq.).
36 D’autre part, dans son étude sur la poésie anté-islamique, l’auteur égyptien Taha
Hussein (1889-1973) considère que plusieurs poèmes prestigieux considérés
généralement comme remontant à cette époque reculée auraient en réalité été
composés à l’époque islamique. L’une des raisons de cette imposture aurait été de
prêter à certains clans et tribus arabes un prestige particulier, notamment au
niveau de leur ascendance (Hussein, 1996).
37 Le recours à des généalogies ou a des récits permettant de prouver la qualité de
son arabité s’observe donc d’emblée au sein du monde arabe lui-même.
38 Le phénomène se retrouve d’ailleurs dans le monde arabe à l’époque
contemporaine. Un exemple récent est celui des Bahārna, à Bahrein. La population
de ce pays est composée principalement de trois groupes «  socio-ethniques  », les
deux concepts étant liés dans la vision des Bahrayni de leur propre identité  : les
‘Arab, c’est-à-dire les Arabes, qui sont Sunnites, les ‘Ajam, Shī’ites d’origine
iranienne relativement récente, et les Bahārna. Ces derniers, également Shī’ites, se
considèrent comme les premiers occupants du pays, tandis que les Sunnites leur
prêtent –  péjorativement  – une origine iranienne. Par réaction, certains Bahārna
insistent sur une tradition qui rappelle que les Bahārna sont venus il y a très
longtemps du Yémen, pays si souvent invoqué pour marquer la pureté de son
arabité (Holes, 1980 : 73).
39 Mais l’importance de la généalogie dans la société arabo-musulmane recoupe
dans de nombreux cas une habitude similaire en Afrique. En Somalie par exemple,
M. H.  Mukhtar relève que l’abtirsiinyo, équivalent du nasab en somali, revêt la
même importance chez les clans nomades. Ils insistent plus que les sédentaires sur
leur généalogie – mémorisée dès l’enfance – et donc sur leur arabité, puisque ces
généalogies remontent très souvent à un ancêtre arabe (Mukhtar, 1995 : 17). Ainsi,
si la généalogie était certainement déjà importante dans la tradition orale de
nombreux peuples africains avant leur conversion à l’islam, l’influence du nasab
arabe a dû contribuer à conserver ou à renforcer cette pratique.

3.3. Les Ashrāf


40 Certaines généalogies se doublent d’une dimension particulière  : le
«  shérifisme  »11, c’est-à-dire le fait de descendre du Prophète Muhammad et par
conséquent de porter le titre de sharīf.
41 Dans certains cas, le fait de se rattacher à la famille du Prophète rehausse encore
l’origine arabe d’une famille, d’une tribu ou même d’un peuple. Dans d’autres, il ne
s’agit aucunement de rechercher une respectabilité grâce à origine arabe, mais
uniquement d’acquérir la notoriété d’appartenir à la famille du Prophète, de celui
qui a été choisi pour révéler le Qur’ān aux hommes.
42 Cette pratique n’est pas spécifique à l’Afrique noire, puisque de nombreuses
familles arabes, au Maghreb comme au Proche-Orient, revendiquent des liens de
parenté avec le Prophète. En Asie du Sud-est, il existe également des familles
revendiquant des origines qurayshites, les Sada, de même que les Mawlānā en
Inde. Cette tendance semble toutefois particulièrement répandue en Afrique.

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L’historien sénégalais Cheikh Anta Diop a relevé et critiqué le phénomène dans le


chef de l’un de ses oncles qui prétendait que seul vingt ancêtres le séparaient de
Muhammad (Diop, 1987 : 162 et 177).
43 Par ailleurs, être sharīf (pl. ashrāf) donne à une personne – ou à un clan – une
certaine légitimité pour gouverner, dans la même optique que les «  mythes
royaux » que nous avons évoqués plus haut. En Erythrée par exemple, les Tigréens
musulmans considèrent qu’ils descendent de la tribu arabe des Quraysh, dont est
également issue le Prophète Muhammad. Selon leur tradition, il y avait dans cette
tribu deux frères, Zubayd et Zayd, du clan des Mu’āwiyya. Le premier est resté dans
le « Bilād al-’Arab » – ici la péninsule arabique – tandis que le second a traversé la
mer Rouge et s’est installé en Erythrée. Il eut six fils, ancêtres éponymes des six
tribus tigréennes musulmanes (Rodin, 1995 : 16).
44 Dans d’autres cas, il s’agit de gagner un prestige qui n’a pas spécialement
d’objectif politique, mais plutôt spirituel : le fait de descendre des Quraysh, donc de
la famille du Prophète, confère évidemment une aura particulière à un individu.
Quelquefois, on prête à ces descendants des pouvoirs particuliers  : les ashrāf de
Somalie, qui revendiquent une filiation avec Fātima et ‘Alī, seraient dès la
naissance dotés de la baraka, interprétée comme un pouvoir «  quasi divin  »
(Mukhtar, 1995 : 6).
45 Concernant l’Afrique de l’Ouest, Cheikh Anta Diop décrit bien les pouvoirs
similaires qu’on y prête aux ashrāf  : leurs vêtements, le sol qu’ils foulent ou les
objets qu’ils touchent sont ainsi bénis. leur regard, le fait de leur serrer la main
revêt un caractère salvateur (Diop, 1987 : 177).

3.4. La place de l’Afrique dans l’Histoire


musulmane
46 Un autre élément à prendre en considération dans l’analyse de ces traditions
généalogiques est la place qu’occupe l’Afrique dans l’Histoire du monde arabo-
musulman. La présence de l’islam en Afrique remonte à la naissance de cette
religion, puisque le Prophète Muhammad lui-même aurait envoyé une partie de ses
hommes en Ethiopie. Mais contrairement à d’autres peuples convertis à la nouvelle
religion, les Africains – en tant que peuples – n’ont pas été considérés des acteurs
directs de la nouvelle civilisation arabo-musulmane. Cela ne signifie évidemment
pas que les Africains n’ont aucunement participé à l’Histoire et à la civilisation
islamiques, chacun sait que des royaumes musulmans de première importance ont
existé en Afrique de l’Ouest comme en Afrique de l’Est. Mais l’impact qu’ont eu ces
royaumes dans la perception de l’Histoire par les musulmans eux-mêmes reste
marginal, lorsqu’on le compare à la place qu’occupent l’Andalousie ou le Proche-
Orient par exemple. Ceci est vrai sur le plan politique comme sur le plan culturel.
47 Une nuance importante doit être établie ici  : la littérature arabo-musulmane
reconnaît à de nombreux Africains – en tant qu’individus – un rôle important dans
la civilisation arabo-musulmane, et ce dès les premiers temps  : poètes, héros
militaires, intellectuels… Jāhiz, un célèbre auteur du 8e siècle, leur a d’ailleurs
consacré un opuscule, le Fakhr as-Sūdān ‘alā al-Baydān. Par contre, alors que les
historiens arabes ont consacré maints ouvrages à l’apport des cultures grecque,
persane, indienne à l’Histoire universelle en général et à l’Histoire du monde
arabo-musulman en particulier, la place laissée aux royaumes africains et à leur
legs est bien plus maigre, hormis l’Ethiopie et la Nubie, qui jouissent d’une place
particulière et qui sont d’ailleurs désignés par un nom distinct des « Africains » en
général  : les Habash et les Nūba sont en effet souvent considérés comme une
catégorie à part des Zunūj.
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48 Mais en tant qu’entités – pour ne pas utiliser le terme anachronique et ambigu de


« nations » – les autres cultures ont joué un rôle dans le monde arabo-musulman
que les cultures africaines n’ont pas joué.
49 Sur le plan politique d’abord, il faut citer dès le lendemain des premières
conquêtes le rôle des nouveaux convertis d’origine non-arabe – les mawālī – dans
le renforcement de l’umma : de nombreux Iraniens et Grecs, après leur conversion
à l’islam, participèrent activement à l’élaboration de la civilisation arabo-
musulmane, les uns comme membres de l’administration, les autres comme
intellectuels. L’absorption d’un grand nombre de ces convertis dès les premières
décennies de l’islam donnera lieu dès le 8e siècle à la shu’ūbiyya, phénomène
culturel complexe impliquant notamment une certaine forme de revendication
culturelle des mawālī par rapports aux Arabes « de souche » (Gibb, 1963).
50 Plus tard, les Iraniens comme les Turcs créeront des empires musulmans
étendus, comprenant des régions autrefois contrôlées par des Arabes, voire même
les terres ancestrales de ces derniers. Parallèlement, certains peuples africains
créeront également des royaumes importants, d’ailleurs parfois cités par les auteurs
arabes, mais ils resteront géographiquement marginaux, cantonnés à l’Afrique, et
ne menaceront jamais d’empiéter sur les territoires d’origine des Arabes.
51 En outre, l’importante production scientifique de certaines civilisations leur
conféra manifestement un aura particulier  : elles sont vues comme des sociétés
raffinées, bien organisées, produisant des philosophes, des historiens, des
scientifiques. A titre d’exemple, l’historien du 11e siècle Abū al-Qāsim Al-Andalusī,
dans son ouvrage Kitāb tabaqāt al-umam –  »  Le Livre de la classification des
nations » – range les divers peuples de la terre parmi ceux qui ont apporté quelque
chose aux sciences et ceux qui n’y ont rien apporté. Les premiers sont les Indiens,
les Iraniens, les Chaldéens, les Grecs, les Byzantins, les Egyptiens, les Arabes et les
Juifs. Les seconds comprennent  les Chinois,les Turcs,  les  peuples de l’extrême
Nord comme les Slaves et les Bulgares et de l’extrême Sud, en l’occurrence les
Africains, mais aussi les Berbères (Abū Qāsim al-Andalusī, 1912 : 8 sq.).
52 Plus tard, au 14e siècle, Ibn Khaldūn insistera dans sa Muqaddima sur le fait que
la plupart des savants musulmans ne sont pas des Arabes mais des étrangers – en
particulier des Iraniens – ce qu’il attribuera à l’oralité et au caractère nomade de la
culture arabe avant et aux premiers temps de l’islam (Ibn Khaldūn : 950 sq.). Avant
lui, al-Jāhiz avait déjà soulevé l’importance de l’écriture et les avantages qu’elle
offre en ce qui concerne la conservation du savoir (Anghelescu, 1995 : 57 sq.).
53 Ici intervient donc un nouvel élément : la force de l’écrit sur l’oralité. Les Persans
et les Indiens comme les Grecs ont laissé une importante littérature composée
avant l’avènement de l’islam, dont une grande partie sera d’ailleurs traduite en
arabe. L’écrit permet à une culture de continuer à exister, de laisser un témoin,
d’autant plus fort qu’il provient de la culture en question et pas d’un œil extérieur.
Or, certains royaumes africains antérieurs à la pénétration de l’islam dans le
continent étaient très étendus et bien organisés, mais ils ne laissèrent pas ou peu de
traces écrites, qui auraient permis d’en témoigner et d’être reprises auprès des
observateurs arabes.
54 Dans le même ordre d’idée, la différence sur le plan de la culture matérielle  –
  architecture, beaux-arts…  – entre la culture arabe et ses prédécesseurs iraniens,
grecs ou autres d’une part, et les cultures africaines a également joué un rôle dans
la dépréciation par certains Africains de leur propre culture. En effet, cette
différence sur le plan matériel fut perçue quelquefois comme un élément
d’infériorité. Ainsi, il est révélateur qu’en kiswahili le terme  ku-staarabu  ou son
synonyme ku-staarabika, dérivé de l’arabe ista’raba («  s’arabiser  », en arabe),
signifie « être ou devenir intelligent, sage, instruit, civilisé » Quant au sens originel
du terme, « s’arabiser », il est passé au second plan. D’autres termes, dérivés de ce
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verbe, font partie du même champ sémantique  : ustaarabu  : civilisation  »,


mstaarabu  : «  homme civilisé, bien éduqué, au comportement correct  » (Heylen,
1977 : 153; Lenselaer, 1983 : 498). Les Swahili, Africains islamisés vivant sur la côte
orientale de Tanzanie et du Kenya, ont tôt fait de se distinguer des Africains de
l’intérieur des terres. Par la religion qu’ils ont adoptée, mais aussi par le nouveau
mode de vie qu’ils ont en même temps acquis  : vie citadine, occupation
commerciale, supériorité matérielle, différence d’habillement, nouveau style
d’habitat… Dès lors, de nombreux Swahili ont eux aussi recours à des généalogies
leur permettant de se désigner comme Warabu –  »  Arabes  » en kiswahili  – ou
Shirazi, c’est-à-dire Persans, des commerçants venus d’Iran et notamment de la
ville de Shiraz s’étant installés il y a plusieurs siècles sur la côte orientale de
l’Afrique (Khalid, 1977 : 52, 73).
55 Tenter de mesurer le degré de civilisation d’un peuple par ses seules réalisations
matérielles ou littéraires –  faisant fi de la richesse de ses traditions orales par
exemple – ne peut assurément conduire qu’à un jugement tronqué. Mais le fait est
que de tels jugements étaient bien ancrés dans l’imaginaire des Arabes qui étaient
en contact avec les Africains. En tout cas, la maigre place qu’ils accordaient à ces
derniers dans l’Histoire participe certainement à l’explication de cette mise en
évidence de leurs origines arabes, alors que ce phénomène est très peu observable
chez d’autres peuples musulmans non-arabes, comme les Persans ou les Turcs, qui
insistent au contraire sur leur spécificité.

4. Le rejet de la culture africaine


56 Jusqu’ici, nous avons passé en revue des exemples d’arabisation dont l’objectif
était la mise en valeur d’un ancêtre glorieux, la recherche d’une légitimité politique
ou d’un pouvoir spirituel ou encore le rattachement à une sphère culturelle jugée
plus valorisante. Mais ces généalogies ne remettent guère en cause le passé non-
arabe des peuples concernés : de nombreux Somali se disent d’origine arabe, cela
ne les empêche pas de conserver leur langue et leurs propres traditions, tout
comme les Tigréens ou les Haoussa. La recherche d’origines arabes par un clan
voire par un peuple entier peut revêtir une forme beaucoup plus complexe : le rejet
de l’africanité.
57 Le cas du Soudan est particulièrement révélateur  : il s’agit d’un pays où se
côtoient de nombreux peuples, de confessions diverses, où se parle un important
nombre de langues. Cette variété est toutefois beaucoup plus forte dans le sud du
pays, le nord présentant à première vue une dimension plus uniforme. En effet,
même s’il y a des régions où on parle le nubien, le tigréen, le bedawi ou d’autres
langues encore, l’arabe y est de loin la langue dominante, tout comme l’islam y est
largement majoritaire. La plupart des tribus arabophones installées dans le Nord
du pays offrent une grande variété de types physiques, où les traits africains sont
souvent très présents, mais elles se considèrent toutes comme arabes. Jacques
Berque a résumé en une phrase brillante la situation culturelle dans le Nord du
pays  : «  les Soudanais du Nord vivent une africanité sans négritude. Ils se voient
arabes et nullement noirs, mais «  rouges  »; les Nègres, selon eux, tendent au
« jaune »(Berque, 1999 : 210).
58 Encore une fois, la généalogie joue un grand rôle pour justifier, «  légitimer  »
l’arabité des gens du Nord : Barābra, Ja’aliyyīn (sing. : Ja’alī), Juhayna, tous disent
avoir un ancêtre arabe notoire. L’ancêtre le plus sollicité est manifestement
Ibrāhīm Ja’al –  éponyme des Ja’aliyyīn  – lui-même un descendant d’al-’Abbās,
oncle du Prophète Muhammad. En réalité, il semble que de nombreuses tribus du
Nord sont en fait constituées de Nubiens, arabisés au fil du temps par les mariages

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avec des Arabes. Le système matriarcal qui avait cours dans les royaumes nubiens
facilita grandement leur arabisation  : en effet, les descendants des Arabes qui se
mariaient avec des femmes locales obtenaient petit à petit le pouvoir, puisqu’il
passait aux fils par l’intermédiaire de leurs mères (Abd Al-Rahim,1973 : 31).
59 Certaines tribus des Barābra, comme les Sukkut et les Mahas, ont pourtant
conservé leur propre langue, un des nombreux dialectes du nubien, vestige de leurs
origines réelles. Les Juhayna eux disent descendre d’une tribu d’Arabie, qui émigra
d’abord en Egypte puis au Soudan, tout comme les Rufā’a (Holt et Daly, 1988 : 3
sq.).
60 Ce processus continua encore pendant la période coloniale  : de nombreuses
sources britanniques des 19e et 20e siècles parlent de detribalized Africans à
propos des Africains qui s’étaient convertis à l’islam et qui, par la même occasion,
abandonnaient l’ensemble de leur culturer ancestrale  : langue, coutumes, village
d’origine et même liens familiaux12.
61 Au Kenya et en Tanzanie, certains Swahili se qualifient eux-mêmes de Warabu,
«  Arabes  », selon que leur père, leur grand-père, leur arrière-grand-père ou un
ancêtre plus lointain est originaire de la Péninsule arabique (Khalid, 1977  : 53).
Dans ce cas, il ne s’agit donc plus seulement de revendiquer un lointain ancêtre
arabe, mais bien de se considérer comme Arabes à part entière, en reniant
totalement ou largement ses origines africaines. Pourquoi la recherche de l’arabité
s’accompagne-t-elle ici d’un rejet de la culture africaine ? Plusieurs pistes peuvent
être dégagées.

4.1. L’arabisation comme phénomène général


62 Tout d’abord, un élément d’ordre général, justement souligné par Mazrui (1973 :
31), doit être considéré ici. L’arabisation n’a pas accompagné l’islamisation
uniquement au Soudan ou en Mauritanie. Le cas du Proche-Orient et de l’Egypte
est particulièrement parlant : lors de la conquête de cette région – à l’exception de
la Syrie – les Arabes venus de la péninsule étaient bien sûr inférieurs en nombre
aux autochtones, et ceux-ci avaient derrière eux un passé culturel aussi ancien que
riche et varié. Pourtant, après quelques siècles, parfois après quelques générations,
la grande majorité des musulmans du Proche-Orient se considéraient comme
Arabes, et non comme « Byzantins musulmans », par exemple, pour oser un terme
irréaliste. Parallèlement, les autochtones qui conservèrent leur foi chrétienne
gardaient aussi souvent – pas toujours – leur identité culturelle et linguistique non-
arabe ou « pré-arabe ». C’est le cas des Assyro-Chaldéens et des Coptes.
63 Le lien entre islam et arabité est donc particulièrement fort et l’arabisation du
Nord du Soudan participe –  en partie  – d’un phénomène général d’acculturation
observé ailleurs depuis les premiers temps de l’islam. Notons que plus tard, un
phénomène similaire sera observable dans l’Empire ottoman  : un chrétien se
convertissant à l’islam –  qu’il soit Grec, Slave ou Albanais  – devient musulman,
mais aussi Turc, la religion musulmane dans les Balkans étant alors intimement
liée à la population qui l’apportait.

4.2. Le concept de Jāhiliyya


64 L’avènement de l’islam constitue pour les Musulmans leur nouvelle référence
chronologique. Il y a désormais ce qui était avant l’islam –  période nommée
Jāhiliyya, qui signifie « l’époque de l’ignorance » – et le monde après la révélation
divine.

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65 Les Arabes musulmans se sont largement désintéressés de ce passé non-


islamique, même s’ils y font encore référence dans le domaine de la poésie par
exemple  : les Mu’allaqāt, poèmes rédigés durant la Jāhiliyya restent en effet la
référence incontournable en la matière. Ceci n’est pas sans rappeler le dilemme de
Dante qui doit placer Homère parmi les hôtes des Enfers, en sa qualité de païen. Il
semble toutefois qu’ils aient gommé toute référence à la religion pré-islamique
dans l’oeuvre de ces poètes – à moins qu’il s’agisse là d’une preuve de leur
rédaction relativement tardive (Anghelescu, 1995 : 33 sq.).
66 Le passé anté-islamique des Arabes est donc largement proscrit et on y fait
rarement référence, sauf s’il est lié à un passage du Qur’ān  : l’expédition du roi
éthiopien Abrāhā au Yémen, quelques traditions judéo-chrétiennes… Il ne refera
surface qu’avec l’avènement du nationalisme arabe. C’est alors que les Irakiens et
les Egyptiens par exemple récupéreront respectivement leur passé akkadien et
pharaonique, auquel jusque là seuls les Européens s’intéressaient13.
67 Par ailleurs, l’islam tolère les ahl al-kitāb, les «  Gens du Livre  » –  juifs et
chrétiens (et dans une certaine mesure zoroastriens) – et leur conversion à l’islam
n’est pas obligatoire, en théorie du moins. Par contre, les tenants des autres
religions qui n’ont pas de Livre révélé et qui ne croient pas en l’Unicité de Dieu sont
méprisés. Or, si le christianisme –  et le judaïsme  – étaient certes présents en
Ethiopie et au Soudan, les religions traditionnelles y étaient généralement plus
répandues. Pour un Soudanais musulman, substituer à ses racines dinka ou nuer
une origine arabe permet donc d’effacer un passé honteux sur le plan spirituel.

4.3. L’esclavage
68 Nous avons déjà insisté sur le fait que la religion musulmane ne différencie pas
les peuples selon une échelle de valeur. Pourtant, l’image des Africains dans le
monde musulman est souvent associée à l’esclavage, quoi qu’en disent certains. En
effet, quelques auteurs considèrent que si l’esclavage a été pratiqué par les
musulmans, il n’aurait en tout cas pas visé spécifiquement les Africains. Par
ailleurs, selon eux la notion d’esclavage ne serait pas la même qu’en Occident, se
rapprochant même dans certains cas de liens quasi familiaux : Khalid par exemple
va jusqu’à définir la ‘ubūdiyya – qu’il se refuse à traduire par «  esclavage  » –
comme une institution où le ’abd (« l’esclave») est adopté par un maître et soumis à
un contrat de travail et où les restrictions de sa liberté sont atténuées par la sécurité
sociale dont il bénéficie...14 Cette théorie, mélange de romantisme, de
paternalisme, de « relativisme culturel » et de récupération politique, arrange à la
fois certains intellectuels arabes, africains et européens. Elle est pourtant assez
éloignée de la vérité.
69 Sans entrer dans les détails, il est vrai que l’islam a amélioré le statut des
esclaves, notamment en favorisant leur affranchissement et en interdisant
l’asservissement de musulmans – en théorie du moins, car cette règle ne fut pas
toujours respectée15. Il est vrai aussi que le cas des Mamlūk, ces dynasties
d’esclaves d’origine turque ou caucasienne qui dirigèrent l’Egypte du 13e au 16e
siècle, constituent un phénomène propre à l’islam. Mais cela ne fait pas de l’esclave
un homme comme les autres  : un esclave, pour les musulmans comme pour les
autres cultures qui eurent recours cette pratique, appartient à son maître. Par
ailleurs, l’esclavage était une pratique largement répandue dans le monde
musulman, quels que soient les préceptes de la religion à son égard. Dans son
analyse de la fameuse révolte des esclaves africains dans le sud de l’Irak (9e siècle),
l’historien arabe contemporain Faysal al-Sāmir fait clairement la différence entre

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les préceptes de l’islam par rapport au statut légal de l’esclave et la réalité sociale
que celui-ci vivait au quotidien (al-Sāmir, 2000 : 19 sq.).
70 Bien sûr, le monde musulman n’a pas « inventé » l’esclavage : il existait dans le
Monde antique et à Byzance, puis aux Amériques à partir du 16e siècle. De
nombreuses sources médiévales arabes évoquent la pratique de l’esclavage chez les
Africains avant l’arrivée des musulmans. Al-Maqdisī par exemple, au 10e siècle,
rapporte que ce sont les Zunūj –  les Africains  – qui vendent leur semblables aux
marchands d’esclaves, tandis qu’Ibn Battūta, au 14e siècle, décrit la présence
d’esclaves auprès des dignitaires qu’il rencontra au Bilād as-Sūdān (Al-Maqdisī,
1903 : 69; Ibn Battūta, 1990 : 393 sq.). Mais le fait est que si les Africains n’étaient
pas les seuls à être asservis –  contrairement à ce qui se passait en Amérique du
Nord avant l’abolition de l’esclavage  – ils ont malgré tout fini par constituer la
principale source d’esclaves dans le monde musulman, à tel point que la langue
arabe a souvent associé la peau noire et la condition d’esclave  : le terme ‘abd –
«  esclave, serviteur  » a en effet très tôt servi à désigner les Africains de manière
générale. ‘Antara ibn Shaddād, par exemple, l’un des auteurs des Mu’allaqāt,
célèbres poèmes de l’époque pré-islamique, comparait la robe d’un chameau à la
peau d’un esclave, sans préciser l’origine de ce dernier (al-Zawzānī,1985). L’auteur
– lui-même de mère africaine – voulant mettre en évidence la couleur noire de ce
chameau, il va de soi pour lui qu’un ‘abd est noir de peau. On peut relever d’autres
exemples au cours des siècles. Jusqu’à présent, le terme ‘abd et son pluriel ‘abīd
sont couramment employés au Proche-Orient, dans la langue quotidienne, pour
signifier «  Africain  ». Au Yémen, on désigne par le terme akhdām – serviteurs –
une population arabophone, d’origine africaine, qui vit en paria dans de
nombreuses villes du pays. Certains voient en eux des descendants d’esclaves, selon
d’autres il s’agit d’Africains installés au fil du temps dans le pays. Une tradition
locale prétend qu’ils sont les descendants de l’armée d’Abrāhā, ce roi éthiopien qui
avait envahi le Yémen au 7e siècle. Quelle que soit leur origine, le terme qui les
désigne est en tous les cas manifestement péjoratif – et leur condition sociale pour
le moins marginale.
71 En Mauritanie, le terme «  harrātīn  », associé aux esclaves et aux affranchis
d’origine africaine joue également sur l’association entre couleur de peau et
condition servile  : à l’origine, ce mot d’origine arabe s’appliquait à un type de
métier – le laboureur – qui en est finalement venu à signifier esclave et mulâtre. La
couleur de peau foncée serait dès lors associée aux travaux des champs (et à la
servilité). En berbère du Moyen-Atlas, ce terme aurait dépassé le champ
sémantique de la complexion humaine, puisqu’il désignerait également une variété
de datte brune, entérinant son sens plus large (Monteil, 1989 : 44).
72 Il est intéressant de noter que la métonymie existe aussi dans l’autre sens. C’est-
à-dire que mentionner uniquement l’adjectif «  noir  » peut suffire pour signifier
«  esclave  ». A titre d’exemple, Ibn Rushd (12e siècle) dans son Fasl al-maqāl se
réfère à un hadīth rapporté par Muslim, relatant une discussion entre le Prophète
et une esclave. Or Ibn Rushd mentionne uniquement la couleur de cette femme  :
« wa li-dhalika qāla, ‘alay-hi as-salāmu, fi’s-sawdā’« , soit « et c’est pourquoi (le
Prophète) dit, que la Paix soit sur lui, à la Noire (…)  ». La suite de la phrase
indique qu’on parle bien d’une esclave, puisque le Prophète propose de l’affranchir
en raison de sa foi « a’tiq-ha ! fa inna-hā mu’minatun », soit «  Affranchis-la, car
c’est une croyante »(Averroès, 1996 : 143 qui cite un hadīth rapporté par Muslim).
L’auteur ne ressent donc pas ici l’utilité de préciser la qualité d’esclave de cette
femme, mentionner la couleur de sa peau semble suffire pour comprendre sa
condition.
73 Certains auteurs vont plus loin en considérant que les Africains sont prédestinés
à l’esclavage. Ibn Khaldūn lui-même considère que « les Africains sont en général
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soumis à l’esclavage, du fait de leur faible degré d’humanité et de leur proximité de


l’état animal»16. Plus tard, le souverain marocain Mūlāy Ismā’īl ( 1668-1727)
considérait que l’ensemble des Noirs établis dans son territoire devaient être
considérés comme des esclaves. Encore au 19e siècle, voire même au début du
siècle suivant, de nombreux Arabes du Maghreb considéraient que le simple fait
d’être noir de peau suffisait à justifier la mise en servitude d’un individu – ce qui
donna d’ailleurs lieu à des discussions juridiques, notamment au Maroc (Hunwick
et Troutt Powell, 2002 : 42).
74 Ainsi, si les Africains ne furent pas les seuls à subir l’esclavage dans le monde
musulman, ils sont en tout cas les seuls à y être associés de manière « naturelle ».
Or, le rejet le plus total de l’africanité se retrouve généralement dans les zones où
l’esclavage a connu un développement important et où son abolition est récente,
voire pas encore totalement effective. On a évoqué plus haut le cas des tribus arabes
du Nord du Soudan, qui mettent en évidence leurs origines arabes au détriment de
leurs origines nubiennes. Mais il s’agit de tribus d’hommes libres. Ailleurs,
revendiquer des origines arabes efface tout doute sur les origines serviles –
 forcément honteuses – de la personne concernée. C’est le cas de certains Harratīn
de Mauritanie, arabophones, coupés culturellement de leurs racines africaines et
marqués par la honte de la servilité. C’est aussi le cas chez certains peuples du
centre et du sud du Soudan, où le clivage Africain/Arabe et esclave/homme libre est
particulièrement marqué, certains associant même la résistance du Sud du pays
avant le condominium anglo-égyptien à une lutte contre l’esclavage (Deng, 1995  :
74 sq.).
75 En Somalie également, l’esclavage a joué un rôle dans le façonnement de
l’identité, mis en évidence par plusieurs chercheurs. Ainsi les Gosha de la vallée de
Jubba, bien que musulmans et somalophones, sont considérés par les nomades
comme un groupe ethnico-social différent, parce qu’ils sont cultivateurs, mais
surtout descendants d’esclaves, souvent d’origine oromo. Les Somaliens les
appellent jareer, terme péjoratif lié à leurs traits africains, et font donc la triple
équation entre esclave, infidèle et noir17.

4.4. La différence physique


76 Notons aussi que le racisme par rapport à la couleur de la peau, d’ailleurs souvent
difficile à dissocier de l’esclavage, a certainement joué un rôle dans le rejet de
l’africanité. Certains historiens, comme A.  Mazrui, A.  M.  Mazrui et I. N.  Shariff,
prétendent que cette forme de racisme est inexistante dans la mentalité arabo-
islamique. Selon eux, la différenciation des hommes selon leur couleur de peau ou
même le concept de «  métis  » (half-caste) seraient étrangers à cette mentalité
(Mazrui, 1964  : 22; Mazrui, 1973  : 47 sq,; Mazrui et Shariff, 1993  : 10-11). Ils
semblent négliger de nombreuses sources que nous allons aborder maintenant. En
effet, si ce racisme n’est bien sûr pas exclusif, il n’empêche qu’il est présent, dans le
monde arabe comme en Occident. On en arrive à la complexité du concept même
de racisme  : la peur ou le simple étonnement par rapport à la différence,
notamment physique. La peau noire étonne, fascine, rebute. En tout cas son degré
de différence, associé à d’autres caractères physiques (cheveux crépus…) ne laisse
pas indifférent. Le poète du 10e siècle al-Mutanabbī, par exemple, dans un poème
satirique visant Abū al-Misk, souverain égyptien d’origine nubienne, utilise les
caractères physiques du personnage – couleur de la peau, grosses lèvres… – pour se
moquer de lui, tout en rappelant ses origines serviles18.
77 Bernard Lewis, qui s’est penché sur la notion de racisme dans le monde arabo-
musulman, a rassemblé de nombreux exemples des préjugés raciaux dont étaient

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victimes les Africains et les Arabes d’origine africaine dans la littérature, depuis les
poèmes des Aghribat al-’Arab –  »  les Corbeaux des Arabes  », poètes arabes
d’origine africaine de la Jāhiliyya et des premiers temps de l’islam, comme ‘Antara,
Suhaym, Nusayb ibn Rabah ou Abū Dulāma – aux « Mille et une nuits », en passant
par la poésie d’al-Mutanabbī. Il reprend également de nombreuses sources
historiques arabes considérant les Africains de manière peu élogieuse  : faible
intelligence, odeur désagréable, cannibalisme, mœurs sexuelles débridées, nudité…
Certains comme Sa،īd Al-Andalusī, considèrent même que les Noirs sont plus
proches des bêtes que des humains (Lewis, 1982 : 17 sq.).
78 Plus récemment, Brahim Diop a également réuni de manière convaincante
plusieurs sources arabes où les préjugés liés à la couleur de la peau donnent des
Africains une image extrêmement négative : al-Hamdānī (10e siècle) compare leur
comportement à celui des bêtes sauvages, tandis qu’Ibn Butlān (11e siècle)
considère que «  plus leur peau est basanée, plus ils sont laids et incapables (…),
leurs lèvres épaisses sont signe de stupidité et leurs yeux noirs indiquent la
lâcheté  ». Bien d’autres auteurs soulignent la laideur physique et l’absence de
moralité des Africains (Diop, 1999 : 61 et 69 sq.; Lewis, 1983).
79 Sans pouvoir en quantifier l’importance, cette notion de différence par rapport à
soi a certainement joué un rôle dans la mise en esclavage des Africains, par les
Arabes comme par les Européens : il s’agit pour eux de gens physiquement « très »
différents – de manière subjective bien sûr – à qui l’on prête des mœurs et un mode
de vie tout aussi différents.
80 Un passage de la Muqaddima d’Ibn Khaldūn est révélateur à ce sujet : il traite de
l’influence du climat sur la mentalité de l’homme, théorie inspirée de certains
philosophes grecs, et explique que l’iqlīm (les géographes arabes, s’inspirant de
leurs prédécesseurs grecs, divisaient le monde en sept parties, désignées par ce
nom) idéal est celui où vivent les Arabes. Au plus on s’en éloigne, au plus on
constate que les hommes qui y vivent sont « plus proches des animaux, vivent dans
des cavernes, ignorent la religion, s’habillant de peaux d’animaux ou même restent
nus…  ». La couleur de la peau est directement associée à cette répartition
climatique. Cela dit, les Africains et leur peau noire ne sont pas les seuls concernés
par cet état de barbarie, puisqu’en s’éloignant du climat idéal par le Nord, on
rencontre d’autres sauvages que sont les Slaves et autres Européens (Ibn Khaldūn :
58 à 62).
81 La diffusion de certaines traditions populaires racistes, étrangères à l’Islam,
renforceront encore cette honte liée à la couleur de la peau. C’est le cas de la
«  Malédiction de Hām  », qu’on retrouve chez les chrétiens comme chez les
musulmans. Dans la tradition judéo-chrétienne (Genèse, IX, 25) comme en islam,
on raconte que Noé (Nūh chez les Arabes) avait lancé une malédiction sur son fils
Cham (Hām chez les Arabes), qui retomba sur toute sa descendance. Bien que les
sources religieuses, qu’elles soient judéo-chrétiennes ou musulmanes, ne
mentionnent aucunement la couleur de peau de Hām, des traditions historiques
postérieures ajoutèrent qu’il était Noir et que cela faisait partie de la malédiction
(Cohen, 1971 : 107 a-b). Désormais, Hām et sa descendance seraient les esclaves de
leurs frères. Cette exégèse cautionnait l’esclavage des Africains en lui donnant une
origine divine, ce que s’empressèrent d’utiliser les marchands d’esclaves arabes et
européens. Encore une fois, si cette théorie n’est nullement avalisée par la religion
musulmane, elle est en tout cas largement relayée par de nombreux auteurs arabes.
Ibn Khaldūn, par contre, critique cette légende avec véhémence, expliquant ensuite
que la noirceur de la peau des Africains est due à l’influence du climat sur la
physionomie. Ahmad Bābā, juriste de Tombouctou du 17e siècle et lui-même
africain, reprendra les mêmes arguments pour critiquer cette légende justifiant la
mise en esclavage des Africains (Ibn Khaldūn : 130sq, Mbow, 1999 : 99 sq.).
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82 La dépréciation des Africains sur base de la couleur de leur peau atteint son
paroxysme avec certaines croyances véhiculées dans le monde musulman, selon
lesquelles un Noir, une fois arrivé au Paradis, devient Blanc, comme s’il s’agissait
d’une récompense (Lewis, 1982 : 44). Dans le même ordre d’idée, le poète Suhaym,
cité plus haut, considérait que « si sa peau est noire, son caractère lui, est blanc »
(Lewis, 1982 : 29). De telles considérations se retrouvent aussi dans les poèmes de
‘Antara, qui fait régulièrement allusion à la couleur de sa peau et à la perception
qu’avaient ses contemporains des Africains (voir le Dīwān de ‘Antara).
83 Cette dépréciation de l’africanité dans ses caractéristiques physiques a été
partiellement assimilée par certains Africains : on a parlé plus haut des Gosha de
Somalie et du terme jareer, qui les désigne péjorativement. Précisons que jareer,
qui fait référence à leurs cheveux crépus, les traits de leurs visage et leur peau
noire, s’oppose aux termes jileec (doux) et bilis, qui sont eux appliqués aux Somali
«  purs  », et que le premier terme renvoie clairement à l’africanité, opposée à
l’arabité des Somali (Besteman, 1995  : 47 sq.). Une légende qui a cours parmi les
clans sédentaires somaliens fait d’ailleurs des Somaliens aux traits africains les
descendants d’un géant malfaisant. Ce dernier, nommé Geeddi Abaabow, faisait
régner la terreur sur le clan des Eelay et exerçait le droit de cuissage sur les jeunes
filles. Pour sauver la virginité de sa sœur, un certain Kuma fit en sorte de gagner la
confiance du géant. Il réussit à scier les dix arcs dont se servait le despote pour tuer
ses ennemis, puis il ouvrit les portes de son palais afin que les Eelay puissent
l’investir. Avant de mourir, Geeddi Abaabow aurait dit  aux esclaves africains qui
étaient présents : « Que tous ceux qui ont la peau noire, les lèvres épaisses, le nez
aplati, les cheveux crépus, des grandes mains, des grands pieds et une grande
verge, sachent qu’ils sont ma descendance » (Bader, 2000 : 98).
84 On retrouve des histoires similaires en Afrique de l’Ouest. A titre d’exemple, il
existe auprès de certains marabouts sarakollé du Sénégal –  désireux encore une
fois de légitimer leur science  – une étymologie populaire expliquant leur
ethnonyme  : il viendrait de deux termes soninke, «  sere  » –  qui signifie une
personne  – et «  xulle  », c’est-à-dire blanc, prêtant ainsi une ascendance blanche
(Drame, 1996 : 66).
85 Mais le phénomène dépasse le monde musulman. Ainsi, certains Amhara
d’Ethiopie tiennent eux aussi à se distinguer physiquement des Africains. Dans l’un
de ses romans, D.  Worku fait lire à l’un de ses personnages «  La Révélation de
Marie », qui interdirait aux fidèles éthiopiens de fauter avec « des musulmans, des
Gallas [Oromos], des Falashas ou des Africains » (Worku, 1981 : 26). Toujours en
Ethiopie, il semble que les Shankilla, habitant dans l’Ouest du pays, soient dénigrés
tant par les Amhara que par les Oromo à cause de leur couleur foncée (Baxter,
1994 : 173). On pourrait encore multiplier les exemples.
86 On retrouve même ce comportement en dehors du continent africain, en fait
partout où l’africanité  est liée à l’esclavage  : en Amérique latine, le concept de
blanqueamiento a fortement contribué à l’effacement des traits culturels africains,
et ce jusqu’à nos jours. Ainsi, les Africain(e)s amélioraient leur statut social –
 parfois même légal – en épousant des Européens (Philips, 1996 : 6 sq.). Au Brésil,
où la présence africaine est a priori la plus marquée en Amérique latine,
l’avancement social semble lui aussi souvent lié à l’éclaircissement de la peau. A la
fin des années cinquante, un journaliste américain effectua un reportage de six
semaines dans la communauté afro-américaine des états du Sud. Ce reportage était
d’autant plus spectaculaire que Griffin «  se transforma  » en Noir, à l’aide d’un
traitement médical, dans le but de vivre les problèmes de la communauté noire de
l’intérieur. Au fil de son voyage, il rencontra plusieurs individus éprouvant de la
honte, voire un rejet de leurs origines africaines, parfois accompagné de la mise en
valeur d’origines européennes, feintes ou réelles. C’est ainsi qu’un homme âgé au
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teint très foncé lui explique que les Noirs eux-mêmes « ont plus de considération
pour un mulâtre, avec des cheveux aplatis, lissés  ». Ailleurs, après avoir discuté
avec plusieurs interlocuteurs afro-américains, l’auteur réalise que ceux-ci souffrent
d’une double discrimination : celle des autres, mais aussi la leur, « le mépris qu’ils
ont pour cette noirceur associée à leurs tourments ». Plus tard, lors d’un voyage en
bus, il croise un Noir proférant des insultes racistes à l’encontre des autres
voyageurs afro-américains, avant d’annoncer « avec fierté [qu’il n’est] pas un Noir
de race pure », mais qu’il a des origines française, portugaise et indienne (Griffin,
1962 : 52 sq, 67 sq, 89 sq.).
87 Les causes de ce rejet de l’africanité sont complexes, mais elles sont bien sûr liés
à la honte de l’origine servile et au statut social inférieur conféré aux Noirs après
l’abolition de l’esclavage. La vision négative de l’apparence physique est liée aussi à
toute une série de théories racistes pseudo-scientifiques au caractère encore plus
insidieux – infériorité intellectuelle et morale des Africains, influence du climat sur
la personnalité et les moeurs…  – qui renforce encore cette impression. Notons
qu’un tel sentiment est observable au sein de toute communauté brimée, mise
socialement au ban de la société. Ainsi, le phénomène de la « haine de soi » dans la
communauté juive, porté à son paroxysme par Otto Weininger, Juif autrichien qui
écrivit un virulent ouvrage sur l’infériorité morale et intellectuelle des Juifs, a
également déjà été mise en évidence (Lewis, 1987 : 123).
88 Quant au concept de « métissage », qu’A. Mazrui considère comme étranger à la
mentalité arabo-islamique, il suffit d’ouvrir le Lisān al-’Arab, dictionnaire
remontant au 13e siècle, et de regarder la définition de termes comme khilāsī, hajīn
ou muwallad pour se rendre compte que ce concept est présent depuis longtemps
dans la mentalité arabe, même s’il est toutefois vrai que dans de nombreux cas, la
descendance d’un Arabe et d’une Africaine sera considérée comme arabe. Le Lisān
al-’Arab explique que khilāsīest dérivé du verbe khalas, qui signifie  notamment  :
être en partie tel et en partie tel, mais surtout en ce qui concerne les couleurs. Le
mot décrit également les cheveux grisonnants, plus exactement le mélange entre
des cheveux noirs et des cheveux blancs (nous dirions « poivre et sel »). Le khals
est un pâturage où les herbes fraîches et vertes côtoient les herbes desséchées,
jaunies. C’est aussi une tache blanche sur un fond noir. Enfin, khilāsi décrit une
personne née d’un père blanc et d’une mère noire ou bien d’un père noir et d’une
mère blanche (Ibn Manzūr, 1992, 6) : 65).
89 Quant au terme hajīn, il signifie aujourd’hui « métis ». Mais le sens premier de ce
terme donné par le Lisān al-’arab est littéralement  :  »  Arabe né d’une captive
(imma), naissance honteuse car il est élevé par sa mère ». Une autre définition est
«  fils d’un Arabe et d’une non-arabe. Cela se dit de quelqu’un dont la couleur
blanche a rougi, car les Arabes appellent les étrangers les «  Rouges  » (hamrā)  »
(Ibn Manzūr, 1992, (13)  : 531). Ainsi, non seulement la notion de métis existe
depuis longtemps, mais en plus on y retrouve l’association de la femme non-arabe
et de la captive. Le terme hajīn garde en tout cas aujourd’hui une connotation
négative (Wehr, 1961 : 1020).
90 Le mot muwallad, lui est intéressant car il ne fait aucunement référence à la
couleur de la peau. Il s’agit d’un substantif dérivé du verbe wallada  : accoucher,
engendrer, élever (un enfant). Le premier sens du terme muwallad est donc « né,
produit, généré, élevé  ». Il peut également signifier «  né parmi les Arabes, élevé
parmi leurs enfants et selon leurs coutumes », tandis que talīd, de la même racine,
signifie « celui qui est né en terre étrangère (‘ajam) mais qui a été apporté et élevé
en terre arabe  » (Ibn Manzūr, 1992, (3)  : 469). Le terme muwallad est encore
couramment utilisé actuellement, par exemple au Yémen pour décrire les enfants
nés d’un père arabe et d’une mère éthiopienne ou somalienne. Un autre terme issu
de la même racine, walīd, signifie, enfant, avec quelquefois le sens précis d’esclave
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né dans la maison du maître. Dans ce cas, il semble donc que le terme mette
l’accent sur l’aspect biologique, puis socio-culturel du métissage.

4.5. L’africanité de l’autre


91 Le rejet de l’africanité revêt encore une autre dimension  : cette africanité, prise
dans le sens de «  non-arabité  », est quelquefois utilisée par un peuple ou une
communauté pour en discréditer une autre, pour expliquer son statut de paria.
92 Le cas des Midgo des Tumaallo et des Yibro, en Somalie, est assez révélateur. Il
s’agit de communautés, appelées sab dans le Nord du pays et bon dans le Sud,
situées au bas de l’échelle sociale dans la société somali  : ils exercent des
professions jugées dégradantes, le droit coutumier leur attribue un statut
discriminatoire, ils sont exclus des généalogies que nous avons déjà invoquées, ils
sont généralement méprisés par les autres clans. Les Somali avancent diverses
explications à cette discrimination : tantôt les ancêtres des sab/bon auraient utilisé
une arme impure, tantôt ils auraient violé un interdit alimentaire. Une autre
justification de leur statut est particulièrement intéressante  : ils seraient les
descendants d’un chef ayant refusé ou combattu l’islam. Ainsi, certaines traditions
rapportent que les Migdo sont les descendants d’un certain Abu Jahhal, un
Chrétien qui combattit le Prophète Muhammad lui-même. Plusieurs variantes
d’une même légende, largement répandue en Somalie, font état de l’affrontement
entre Yussuf Kawneyn, appelé aussi Aw Barkhadle, saint homme venu d’Arabie ou
d’Egypte, quelquefois considéré comme un Qurayshī, et Maxamed Xaniif, tantôt
guérisseur venu d’Egypte, tantôt roi. Le premier aurait introduit l’islam en Somalie,
tandis que le second dut s’effacer devant le pouvoir du nouveau venu (Bader,
2000 : 36 sq, 83 sq.).
93 Mais il est intéressant d’observer que si ces parias de la société somali sont exclus
des généalogies des clans somali, eux-mêmes en tout cas se prêtent bien des
origines nobles. Ainsi, ils se considèrent souvent Somali de haute naissance, mais
ils seraient rejetés parce qu’à la suite d’une migration, ils auraient été accueillis par
des tribus ignorant tout de leurs origines. Certains clans sab/bon revendiquent
même eux aussi des origines arabes. C’est le cas des Xoryeelo qui prétendent venir
d’Oman, mais aussi des Ugaslabe et des Yaxar, qui prétendent venir de la Péninsule
arabique. Certains Yibro se disent même d’origine juive (Bader, 2000 : 27; 40; 133).
94 Le cas des akhdām, au Yémen, est assez semblable. Il s’agit de communautés
arabophones d’origine africaine qui vivent encore aujourd’hui dans des bidonvilles
en périphérie des villes. Considérés comme de véritables parias, ils vivent
essentiellement de la mendicité et de petits métiers. Les origines des akhdām sont
assez obscures, mais leur nom «  esclaves, serviteurs  » traduit une origine servile,
qui expliquerait leur place de paria encore dans la société actuelle. Pourtant, des
traditions yéménites qui circulent encore aujourd’hui leur prêtent une généalogie
bien particulière : il s’agirait des descendants d’Abrāhā, roi éthiopien de la période
pré-islamique, qui envahit la péninsule arabique, accompagné de son armée et
d’éléphants, et qui tenta notamment d’envahir La Mecque. Après sa défaite, Abrāhā
– dont parle la 105e sourate (al-Fīl, «  l’Eléphant  ») du Coran – aurait été bouté
hors de la Péninsule. Les soldats qui n’auraient pas pu le suivre se seraient installés
au Yémen, où ils seraient toutefois restés au ban de la société (Rouaud, 1979 : 146
sq.).

4.6. Influences européennes

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95 Un dernier aspect à aborder est l’influence de la colonisation européenne et des


théories raciales/racistes qui l’accompagnèrent. Les fantasmes alimentés depuis
des siècles sur ces terres inexplorées, et encore une fois la différence physique et le
décalage matériel de leurs civilisations par rapport au contexte européen
persuadèrent les Européens qu’ils avaient affaire à des sauvages.
96 Ces préjugés raciaux, aussi extrêmes que tenaces, poussèrent les « explorateurs »
européens, puis les missionnaires et les colons qui leur succédèrent, à remettre
systématiquement en question l’africanité des populations qu’ils rencontraient et
qui ne « collaient » pas à la description du parfait sauvage.
97 C’est ainsi que les premiers Européens à pénétrer dans la région des Grands Lacs
furent profondément étonnés du degré d’organisation et de culture –  selon leurs
propres critères – des populations avec lesquels ils entraient en contact. Plutôt que
de revoir leurs préjugés sur l’infériorité naturelle des Africains, ils leur parut plus
réaliste d’imaginer des migrations de populations blanches qui se seraient mêlées
autrefois aux Africains. Ils développèrent alors la théorie de l’origine hamitique,
sémitique, voire caucasienne des Tutsi au Rwanda et au Burundi et des Hima en
Ouganda, destinés à régner respectivement sur les Hutu et les Ira, qui seraient eux
de purs Bantous19. Répétées par de nombreux observateurs occidentaux, ces
théories furent petit à petit intériorisées par les Africains eux-mêmes. Ainsi, au
Rwanda et au Burundi, les intellectuels tutsi commencèrent à mettre en avant leurs
origines éthiopiennes, les Hutu faisant de même avec leurs origines bantoues
(Chrétien, 1999 : 281 sq.). Chacun connaît aujourd’hui les tristes conséquences de
ces thèses, qui n’avaient pourtant aucun fondement historique ou linguistique ou
aucun écho dans les traditions locales.
98 Au 19e siècle, ces théories étaient appliquées partout où l’Afrique «  étonnait  »,
faisant fi de toute cohérence géographique ou historique. Ainsi certains chercheurs
attribuèrent aux Phéniciens l’édification des constructions en pierre du Zimbabwe,
tant il paraissait impensable que des Noirs aient pu réaliser de tels chefs-d’œuvre.
Pour certains, il était tout aussi inconcevable que l’art et l’architecture de l’Egypte
pharaonique soient le fait d’Africains. Il fallait donc soit nier l’africanité de cette
civilisation – quel qu’en soit le degré – soit nier le statut de civilisation à la culture
pharaonique… (Bernal, 1996 : 499, 938).
99 De manière générale, l’origine « sémitique » de ces peuples africains « civilisés »
était la théorie la plus souvent avancée. Parce que l’Ethiopie était
géographiquement proche, mais aussi sans doute parce que les explorateurs
européens en Afrique centrale se voyaient systématiquement devancés par les
marchands arabes dans chaque région où ils pénétraient20.
100 L’Encyclopedia Britannica de 1911 expliquait que «  les Swahili sont le résultat
d’un long croisement entre Nègres et Arabes (…). Leur énergie et leur intelligence,
dérivées de leur sang sémitique, leur ont permis de jouer un rôle prépondérant
dans le développement du commerce et des industries » (Mazrui et Shariff, 1994 :
29).
101 Cette manie de chercher une origine arabe derrière chaque trait culturel
«  appréciable  » –  selon les critères des observateurs européens de l’époque  –
conduisit même certains linguistes à arabiser le kiswahili plus qu’il ne l’était. En
effet, le kiswahili a été standardisé par les Européens, qui d’abord choisirent
arbitrairement comme modèle la variante parlée à Zanzibar – plus arabisée sur le
plan lexical, et qui ensuite créèrent les néologismes qui leur étaient nécessaires sur
base de l’arabe (Mazrui et Shariff, 1994 : 55 sq.; Khalid, 1977 : 113 sq.). Un exemple
particulier et lourd de sens est celui du mot ustaarabu, dont nous avons déjà parlé
plus haut, qui signifie « culture » en kiswahili, mais qui dérive de l’arabe ista’raba,
«  s’arabiser  ». Selon Khalid, ce mot n’était à l’origine utilisé spécifiquement qu’à
Zanzibar et de plus il ne fut introduit que tardivement dans le vocabulaire, au début
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de ce siècle. Par contre il existe deux autres termes en kiswahili pour désigner la
culture et qui ne font pas référence à l’arabité  : tamadunu, de l’arabe tamaddun,
« culture, civilisation », et ungwana (Khalid, 1977 : 91).
102 En Afrique de l’Ouest, ce sont les Peuls à qui les chercheurs occidentaux ont prêté
quantité d’origines : égyptiennes, malaises, indonésiennes, dravidiennes, romaines,
hamites, éthiopiennes et même juives ! (Drame, 1996 : 142)
103 Mais le plus significatif est que nombre de ces théories importées d’Europe ont
été largement ou en partie intériorisés par les Africains eux-mêmes, malgré leur
inexistence, dans la plupart des cas dans les traditions locales.
104 Hormis l’influence de ces théories, le colonialisme a aussi eu une incidence plus
directe sur l’identité en Afrique. Selon Mazrui et Shariff, les Britanniques ont
volontairement mis en évidence les origines arabes des Swahili dans le but
d’associer aux yeux des Africains les Arabes et l’islam à l’esclavage d’une part, les
Européens et le christianisme à la liberté. Ils prennent pour exemple le livre de
J. Mbotela, Uhuru wa Matumwa, « La libération des esclaves ». Ce livre, écrit en
kiswahili en 1934, qui dépeint les musulmans comme des esclavagistes et les
Européens comme des libérateurs, devint un ouvrage scolaire de référence au
Kenya (Mazrui et Shariff, 1994  : 35). Cet argument est intéressant, même s’il est
dommage qu’encore une fois les deux auteurs tentent parallèlement de minimiser
l’importance de l’esclavage pratiqué en Afrique par les Arabes.
105 Dans le cas particulier des musulmans de la côte de l’Afrique Orientale, le
système de taxation et les opportunités d’emploi offertes aux non-Africains
jouèrent également un rôle dans l’évolution de leur identité. En 1901,
l’administration britannique soumit les «  natives  » du Kenya à une taxe
particulière, appelée «  native hut tax  ». Dans un premier temps, les Swahili
devaient s’y soumettre au même titre que les Africains. De ce fait, de nombreux
Swahili décidèrent peu à peu de revendiquer un statut d’étranger – en mettant en
exergue leurs origines arabes ou asiatiques – afin d’échapper aux désavantages du
système de taxation (Mazrui, 1994  : 37). Parallèlement, les musulmans qui se
définissaient comme Arabes et non plus comme Africains, étaient associés aux
Asiatiques et accédaient de ce fait à un statut social plus élevé, mais aussi à une
rémunération plus élevée pour un même travail. Ceci aurait poussé de nombreux
musulmans africains de la région à revendiquer une ascendance arabe (Mazrui,
1973 : 68).
106 Mais la présence coloniale eut aussi des répercussions indirectes sur la question
identitaire des musulmans d’Afrique. Si l’on en croit Muhammad Al-Nuwayhī, si les
premières générations de poètes soudanais de l’époque moderne se montrèrent
particulièrement liés aux valeurs de l’islam et à la littérature arabe classique, au
détriment de la culture africaine qui était pratiquement exclue de leur intérêt, ce fut
à cause du sentiment d’humiliation des Soudanais après leur défaite contre les
forces anglo-égyptiennes, qui avaient besoin d’être rassurés psychologiquement.
Or, ils ne pouvaient trouver ce réconfort ni dans le passé de l’Afrique, ni dans les
réalités de l’Afrique contemporaine. C’est pourquoi ils tournèrent le dos à l’Afrique
pour regarder plutôt vers le passé glorieux du monde arabo-musulman (Abd Al-
Rahim, 1973 : 38).

4.7. Islamisme, arabisme et pragmatisme politique


107 A l’époque contemporaine, l’influence de certains mouvements islamistes
constitue un dernier élément favorisant les thèses arabisantes développées par
certains Etats ou partis politiques africains. En effet, l’islamisme politique
entretient parfois des rapports assez étroits avec la question identitaire arabe.

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108 Il faut dire que le nationalisme arabe lui-même, centré au départ sur la
communauté de langue et élaboré notamment par des intellectuels arabes
chrétiens, a peu à peu intégré l’islam comme l’une de ses caractéristiques
fondamentales. Ainsi, la plupart des mouvements nationalistes arabes faisaient
malgré tout référence à l’islam, au moins comme sphère culturelle (Carré, 1993).
Après l’échec du nationalisme arabe comme idéologie porteuse au Proche-Orient –
 on songe au nassérisme, aux organisations comme l’OLP – certains mouvements
islamistes ont pris le relais. Mais à leur tour, ils ont souvent récupéré une
dimension nationaliste, comme le marxisme l’avait déjà fait ailleurs (Munson,
2000 : 10).
109 En Afrique, le régime islamiste de Khartoum considère que le Soudan est une
république arabe et islamique. Même si, comme on l’a vu, la question de
l’opposition entre l’arabité et l’africanité remonte bien avant le régime actuel, ce
dernier a en tout cas nettement tranché pour la première comme identité nationale.
Un autre exemple est celui de l’Erythrée, où les islamistes insistent à dessein sur
l’ancienneté de la présence arabe dans le pays, tentant même d’arabiser certains
aspects africains de la culture du pays. C’est ainsi qu’ils soutiennent que les Bānī
‘Āmir, répartis entre l’Erythrée et le Soudan et parlant une langue distincte de
l’arabe – le bedawi, langue couchitique – constituent un peuple d’origine arabe, qui
serait originaire du Sud de la péninsule arabique et dont des tribus apparentées
vivraient encore actuellement au Yémen. Leur arabité aurait continuée à être
assurée à travers les siècles par les migrations successives d’Arabes traversant la
Mer Rouge (Khayr, 13/1/1997  : 7). Ils lient parallèlement la reconnaissance de
l’arabe comme une langue officielle du pays au discours islamiste (Yāsīn
Muhammad ‘Abdallah, 6/1/1997 : 8).
110 Quant au Tchad, les références du Frolinat dans les années soixante, puis des
autres mouvements « arabisants », à l’arabité du pays ou tout au moins à la langue
arabe, reflètent elles aussi des simplifications et des raccourcis historiques,
identifiant l’ancienneté de l’usage de l’arabe dans le pays à une uniformisation
culturelle tronquée (Jullien de Pommerol,1997 : 75).
111  Notons que cette tendance dépasse l’Afrique noire. En Algérie par exemple, les
Kabyles furent dès l’indépendance visés par l’amalgame fait par le pouvoir entre
arabité et islam –  amalgame juxtaposé sans difficulté au discours nationaliste et
socialiste du FLN – facilitant notamment le refus de toute velléité de revendication
autonomiste ou indépendantiste (Yefsah, 1992 : 106 sq.).
112 Dans le même ordre d’idée, la quête d’arabité de certains Africains musulmans
relève plutôt du pragmatisme politique. Dans le cas de l’Erythrée, rappelons que
pendant la guerre d’indépendance menée contre l’Ethiopie, le Front de Libération
Erythréen (FLE) jouait sur le thème de l’arabité de l’Erythrée dans l’espoir de
trouver un soutien financier ou au moins diplomatique de la part du monde arabe.
Après l’accession de l’Erythrée à l’Indépendance, le gouvernement d’Isaias
Afewerki a joué sur le statut de la langue arabe et surtout sur l’adhésion de son pays
à la Ligue arabe, au gré de l’état de ses relations diplomatiques avec les pays arabes
(Luffin, 1997 : 11 sq.).
113 Par ailleurs, d’aucuns affirment, même parmi les Somaliens, que si la Somalie est
membre de la Ligue arabe, c’est moins par fibre «  nationale  » que par intérêt
économique. Dans le même ordre d’idée, en 1996 une tribu somalienne qui fuyait le
chaos politique de la région, revendiquait des origines yéménites –  leurs ancêtres
auraient émigré de la péninsule arabique et se seraient installés en Afrique voici
quelques siècles – et demandait au Yémen de la laisser s’installer sur son territoire.
114 Dans le cas du Soudan où cohabitent une multitude de peuples différents, il est
évident que l’arabisation culturelle qui accompagne l’islamisation du pays a apporté
un haut degré d’unité culturelle et de cohésion sociale, comme on l’observe dans le
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Nord du pays et comparativement à la partie méridionale du pays (Abd Al-Rahim,


1973  : 34). Au Tchad, l’adoption de plus en plus large de l’arabe vernaculaire
comme langue véhiculaire –  perdant par la même occasion son caractère
«  ethnique  »  – entraîne lui aussi des avantages similaires, dans un pays où le
gouvernement reconnaît officiellement pas moins de 108 langues (Jullien de
Pommerol, 1997 : 51 sq.).
115 Enfin, il arrive que certains Africains revendiquent quelque origine prestigieuse
pour se défendre contre l’arabisation ou simplement pour contrer le poids politique
de leurs adversaires. Ainsi, à Zanzibar, dans les années cinquante, des activistes
africains créèrent le « Parti Afro-Shirazi », référence explicite à leur africanité d’une
part, et à une civilisation qui n’avait rien à envier à celle des Omanais d’autre part.
Cette organisation politique, qui mènera la révolution de 1964, prit ouvertement
position contre le pouvoir colonial britannique mais surtout contre les Arabes
d’origine omanaise, qui détenaient le pouvoir politique et économique (Freeman-
Grenville, 1998  : 499b). De même, certains Dinka du Sud du Soudan considèrent
qu’ils descendent des Ja،alīn, tribu arabe du Nord du pays, ce qui leur permet
d’établir la légitimité de leur présence dans la région sur base des mêmes critères
que le gouvernement (Al-Wasat, 13/11/2000 : 6).

5. Mise en valeur de l’africanité

5.1. Dans la culture arabe


116 Malgré les exemples cités plus haut, la couleur noire de la peau ne fut pas
systématiquement péjorative chez les Arabes, selon les époques et les lieux. Elle fut
parfois même considérée comme un indice de beauté… voire de pureté. Ainsi
le Lisān al-’Arab, encore une fois,  précise que si le terme  akhdar –  couramment
traduit par « vert » – désigne généralement les Africains, il peut aussi désigner les
Arabes eux-mêmes.
117 Voici ce que nous apprend cet ouvrage :

« Akhdar : le premier sens de ce terme est « vert » (…). S’agissant de la


couleur de la peau, il est synonyme d’as-sumra (terme désignant une
peau foncée ou noire).

Al-Lahabī a dit :

« Je suis le Vert, qui me connaît ?

Vert de peau dans la maisonnée des Arabes ».

L’homme veut dire par ces vers : je suis pur, car la couleur de la peau
des Arabes est noire.

Il y a deux explications données à ce vers. La première est qu’il sous-


entend la noirceur de la peau. Selon Abū Tālib le grammairien, il veut
dire qu’il fait partie des Arabes purs et authentiques car le noir est la
complexion la plus répandue chez les Arabes.

Selon Ibn Barrī, al-Jawharī a attribué ce vers à Al-Fadl Bin al-’Abbās


bin ‘Utbātī Bin Abī Lahabī, qui par « vert » voulait dire la couleur
foncée. Il veut ainsi souligner la pureté de sa filiation et dire qu’il est
un Arabe authentique. Car on décrit la couleur des Arabes par le noir
et celle des ‘Ajam21 par le rouge (…). C’est dans ce sens aussi qu’il faut
comprendre les paroles de Miskīn ad-Dārimī :

Je suis Miskīn, pour ceux qui me connaissent,

Ma couleur est noire (akhdar), c’est la couleur des Arabes (…) »

(Ibn Manzūr, 1992, (4) : 245 sq.).

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118 Ainsi, la couleur de peau foncée, voire noire, serait associée ici à l’arabité dans ce
qu’elle a d’authentique. Un autre passage du Lisān al-’Arab renforce cette idée. Il
s’agit de l’interprétation à donner au hadīth « j’ai [le Qur’ān] été envoyé à l’homme
rouge et à l’homme noir  », que nous avons déjà cité plus haut. L’ouvrage précise
qu’il faut entendre par « Noirs » les Arabes et par « Rouges » les ‘Ajam, c’est-à-dire
les non-arabes (Ibn Manzūr, 1992, (13) : 431).
119 Plusieurs auteurs arabes ont également insisté sur l’association entre la peau
foncée et l’arabité authentique. Certaines anecdotes dépeignent même des
linguistes arabes, tel Kisā’ī, grand grammairien du 9e siècle, heureux de voir foncer
leur peau, car cela leur faisait ressembler aux Bédouins, qu’ils adulaient. Un autre
linguiste, qui aimait qu’on le surnomme « le Bédouin » ou « le Noir », allait jusqu’à
s’enduire la peau d’huile afin de bronzer et de mériter son surnom22.
120 L’association entre arabité et africanité ou peau foncée se retrouve dans d’autres
langues, probablement par contamination de l’arabe. Ainsi, il est intéressant de
noter qu’en turc le sens premier du terme Arap signifie forcément « Arabe », dont
il s’agit d’ailleurs de la simple transcription (selon D’Herbelot, les Turcs appelaient
anciennement les habitants de l’intérieur de la Libye Kara Arap, «  les Arabes
Noirs », pour les distinguer des Arabes au teint plus clair (D’Herbelot, 1697 : 522)).
Mais en turc, Arap désigne aussi quelqu’un ayant la peau très foncée ou noire. Le
terme se retrouve également dans des expressions où le sens de « noir, africain »
est évident. C’est le cas d’arap köle ou arap cariye, qui désignent l’esclave non pas
arabe mais bien africain, ou d’arap saçı, littéralement «  chevelure d’arabe  », qui
désigne les cheveux crépus, et par extension une histoire embrouillée (!) (Tuğlacı,
1984  : 49) Le terme zenc, translittération de l’arabe zanj, existe également pour
désigner les Africains. Le grec moderne, qui connaît le terme araps depuis
longtemps, en a certainement emprunté le même double sens au turc, puisqu’il
signifie également soit Arabe, soit Africain.
121 En outre, plusieurs auteurs arabes – à des époques et dans des contextes certes
assez divers  – ont rédigé des opuscules faisant l’éloge des Noirs  : le Tanwīr al-
ghabash fī fadl as-Sūdān wa’l-Habash, de Ibn al-Jawzī (12e siècle), le At-tirāz al-
mankūsh fī mahāsin al-hubūsh, de Muhammad ibn al-Bāqī (16e siècle (Histoire
générale de l’Afrique, (1997  : 404. Mais l’ouvrage le plus connu est sans doute le
Fakhr as-Sūdān ‘ala al-Baydān d’al-Jāhiz, cité plus haut, qui met en valeur les
personnalités noires ayant joué un rôle dans le monde arabo-islamique, mais aussi
les nombreuses expressions où la couleur noire a un sens positif23 Cela dit, ce livre
est assez équivoque, étant donné les préjugés très défavorables aux Africains que
l’on retrouve dans le reste de l’œuvre d’al-Jāhiz, comme le Kitāb al-Bukhalā’, le
Kitāb al-hayawān ou le al-bayān wa’l-tabyīn (Lewis, 1982 : 35 sq).
122 Plus proche de nous, l’écrivain contemporain soudanais Tayyib Sālih précise la
noirceur de la peau est considérée comme un critère de beauté par certains de ses
compatriotes, qui composent même des chants sur le thème du «  beau garçon
noir »24.

5.2. En Afrique
123 Si la quête d’arabité revêt une importance particulière en Afrique musulmane,
elle n’est bien sûr pas systématique. En effet, certaines communautés ou certains
peuples assument totalement le fait d’être à la fois musulmans et africains, sans
nécessairement gommer ce dernier trait au profit d’une éventuelle ascendance
arabe. Il serait donc extrêmement réducteur de considérer que chaque peuple
africain musulman se prête systématiquement des origines arabes.

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124 En Erythrée par exemple, l’intellectuel Muhammad ‘Uthmān Abū Bakr a


consacré un imposant ouvrage à l’Histoire de sa patrie. S’il met souvent l’accent sur
l’arabité de son pays, il ne lui donne pas pour autant un caractère exclusif. Selon
lui, l’Erythrée moderne est le résultat de la rencontre de plusieurs cultures,
notamment la culture arabe  : il rappelle que le tigrinya et le tigré font partie des
langues sémitiques, au même titre que l’arabe. Il souligne l’ancienneté des rapports
entre les populations arabes de la péninsule arabique et la côte nord-est de
l’Afrique. Il signale également que plusieurs tribus du pays se réclament d’une
origine arabe. Mais il souligne d’autre part les aspects proprement africains de la
culture érythréenne. Il précise bien que les origines de son peuple sont arabes, mais
aussi plus largement sémitiques, couchitiques, hamitiques et nilotiques (Abū Bakr,
1994 : 183).
125 Dans le centre du Soudan, un leader des Monts Nūba déclarait à la presse voici
quelques années qu’il était «  musulman mais pas arabe. Cela ne m’empêche pas
d’écouter les chansons d’Umm Kulthūm et la poésie arabe. De plus ma femme est
chrétienne, et nous n’avons aucun problème d’identité » (al-Wasat, 15/7/1996 : 21).
126 Au Kenya et en Tanzanie, certains intellectuels swahili insistent aussi sur le fait
que leur peuple est bien africain – tout en assumant les apports culturels arabes –
et qu’il ne sont pas le simple résultat d’une migration arabe. D’aucuns tentèrent
même de «  désarabiser  » le kiswahili en tentant de remplacer les mots d’origine
arabe par des termes bantous (Mazrui, et Shariff, 1994 : 46 sq; 62).
127 Le cas des Nubi est particulièrement intéressant  : il s’agit d’une communauté
musulmane qui vit principalement en Ouganda, mais aussi au Kenya et en
Tanzanie. Ils sont les descendants de militaires originaires du Sud du Soudan, qui
ont accompagné les troupes britanniques dans leurs campagnes en Afrique
orientale et qui se sont finalement installés dans les pays précités à la fin du siècle
passé. Or, bien qu’ils parlent une langue particulière qui constitue un «  créole  »
arabe, le kinubi –  ils sont donc arabophones  – les Nubi ne se considèrent pas
comme Arabes mais bien comme un peuple distinct. Ceux que nous avons
rencontrés se souviennent d’ailleurs avec fierté de leur tribu d’origine au Sud du
Soudan  : Bari, Fodjulu, Moru, Dinka, Kakwa, même s’ils ne parlent plus leurs
langues d’origine depuis plusieurs générations25.
128 De même, les intellectuels musulmans soudanais ne rejettent pas tous leur passé
africain loin de là, et tentent de lui trouver une place dans la culture
contemporaine. Dans les années trente, Muhammad Ahmad Mahjūb considérait
que le nationalisme soudanais devait se baser tant sur l’islam et la culture arabe
que sur les traditions et la terre africaine (Abd al-Rahim, 1973 : 41). Muhammad M.
Al Fītūri, poète soudanais arabophone du Nord du pays, insiste beaucoup sur
l’africanité de son pays. Il a d’ailleurs rédigé un recueil de poèmes dédiés à
l’Afrique  : Aghānī Afrīqiyā, «  Chants d’Afrique  ». Il y aborde différents thèmes  :
son amour pour l’Afrique, l’esclavage, la colonisation… Dans l’un de ses poèmes,
anā zanjī, « Je suis Africain », il exprime sa fierté d’être Noir, en faisant clairement
allusion aux concepts de l’esclavage et de la honte d’affirmer son identité :

« Dis-le, n’aie pas peur, n’aie pas peur,

Dis le à la face de l’humanité,

Je suis Africain,

Mon père et mon grand-père sont Africains,

Ma mère est Africaine,

Je suis Noir,

Noir mais libre, j’ai la Liberté,

Ma terre, c’est l’Afrique,

Vive ma terre,

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Vive l’Afrique !(…) »

(al-Fītūri, 1967 : 38).

129 Tayyib Sālih, auteur soudanais dont la notoriété a atteint l’Occident, assume tout
autant l’arabité que l’africanité de la culture soudanaise. Ses romans mettent
généralement en scène les deux facettes de la culture de son pays. Il considère
d’ailleurs que « les Soudanais sont tous des métis : des Arabes, des Nubiens et des
Zunūj (pluriel de Zanjī) qui se sont mélangés  »26. D’autres auteurs soudanais
contemporains, comme le dramaturge ‘Abd al-’Azīm Hamadnallah27, s’inspirent
régulièrement des racines africaines de leur pays dans leurs œuvres.
130 Dans les pays africains situés beaucoup plus en marge de la sphère culturelle
arabo-musulmane, l’Afrique des Grands Lacs par exemple, les communautés
musulmanes locales ne semblent pas assimiler islam et arabité. Peut-être est-ce lié
au fait que l’islam y a pénétré essentiellement par le biais d’Africains musulmans
plutôt que d’Arabes (Luffin, 1999 : 29; Lewis, 1982 : 123; Abel, 1959). Par ailleurs,
l’islam y est arrivé assez récemment et de manière souvent plus superficielle. Enfin,
le Rwanda et le Burundi n’ont été touchés que tardivement par les marchands
d’esclaves musulmans, qui y rencontrèrent d’ailleurs une résistance
particulièrement efficace.
131 Notons également que certains Africains tirent leur fierté non pas d’un ancêtre
arabe mais bien de Bilāl. Bilāl était un Africain –  un Ethiopien nous disent les
sources arabes  – qui se convertit à l’islam à l’époque de Muhammad, et qui fut
désigné par lui comme premier muezzin. Ainsi, en Afrique subsaharienne, la
grande famille des Keita au Mali considère que Bilāl est à l’origine de leur filiation
(Clarke, 1984  : 40). Certaines généalogies mandingues font de Bilāl leur premier
roi. Pour certains d’entre eux, Bilāl n’était pas un Ethiopien mais un Tchadien,
esclave de la cour du roi de Yaoundé, au Cameroun (Laye, 1978 : 69). D’ailleurs, la
région entourant le lac Fitri, au Tchad, est appelée Dār Bilāla, «  le pays des
Bilāla  », où la tribu arabe des Hemat revendique Bilāl comme ancêtre éponyme
(Jullien de Pommerol, 1997 : 14).
132 A Tunis vit une communauté particulière qu’on appelle les « diyār sīdī bilāl ». Ils
sont les descendants d’esclaves achetés au Niger et au Mali. L’expression de leur
identité est particulièrement intéressante, car s’ils ne cherchent en aucune manière
à gommer leurs origines africaines par l’une ou l’autre généalogie «  arabe  », ils
greffent par contre, parallèlement aux origines ethniques dont ils sont parfaitement
conscients – bournouane, bagirmienne, haoussa, songhay, bambara – un nasab qui
en fait les descendants de Bilāl. Ce nasab est d’ailleurs revendiqué par les autres
communautés noires du Maghreb (Rahal, 2000).
133 Ces généalogies bilāliennes répondent donc différemment au besoin de
revendiquer un ancêtre prestigieux, puisqu’ici ce dernier est musulman, mais
africain. Dans le cas précis de la communauté africaine de Tunis, d’origine servile,
cette généalogie a encore une dimension supplémentaire : elle permet à la fois de
combler le vide du nasab –  puisqu’il s’agit de populations déportées  – et de
gommer l’origine servile en question, puisqu’ils ne descendent plus de n’importe
quel esclave mais bien d’un compagnon du Prophète.

6. Conclusion
134 Il semble que si la revendication d’origines arabes parmi les musulmans n’est pas
systématique en Afrique, elle est en tout cas bien plus développée qu’ailleurs dans
le monde musulman non-arabe. Bien sûr, elle est souvent fondée historiquement,
les migrations de part et d’autre de la Mer Rouge et à travers le Sahara étant

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connues historiquement depuis longtemps. Mais dans certains cas, l’ascendance


revendiquée ne semble pas toujours correspondre à une vérité historique. En outre,
si nous avons réuni les récits mettant en scène une ascendance arabe, nous ne
voulons bien sûr pas sous-entendre que l’ensemble des musulmans d’Afrique se
considèrent comme Arabes, nous avons d’ailleurs donné certains contre-exemples.
135 En réalité, nous avons tenté de comprendre pourquoi de nombreux peuples
musulmans étaient si attachés à cette filiation, de l’est à l’ouest de l’Afrique. Nous
avons de même voulu souligner une certaine gradation de cette revendication,
depuis la simple généalogie éponyme au véritable rejet de l’africanité, qu’elle soit
culturelle ou même physique.
136 Nous avons pu cerner différentes causes, finalement assez nombreuses – du
phénomène d’arabisation en Afrique : les liens très forts entre religion musulmane
et culture arabe, la légitimité politique et spirituelle acquise dans certains contextes
par les familles descendant du prophète Muhammad, plus généralement
l’importance donnée aux généalogies dans la culture arabo-musulmane, le rejet
d’un passé impur associé à la Jāhiliyya, la recherche d’un passé historique et
culturel jugé plus glorieux, ou encore de simples calculs politiques. Tous ces
éléments ont par ailleurs joué un rôle dans le phénomène d’arabisation du monde
musulman en général, au Maghreb et au Proche-Orient par exemple. Mais
l’esclavage dont le continent africain fut la proie et le racisme qui y est lié restent, à
nos yeux, l’élément prépondérant permettant d’expliquer le rejet de l’africanité et
son corollaire, la recherche d’arabité. L’impact de la traite – par son ampleur aussi
bien que par sa durée – ne pouvait que marquer l’identité des peuples qui en ont
été victimes.
137 Bien sûr, nous sommes conscient du fait que les exemples que nous avons
mentionnés font appel à un cadre très étendu dans le temps et dans l’espace, ce qui
implique des cas de figure parfois très variables. L’Histoire de l’extension de l’islam
au Sénégal est différente de la situation au Soudan par exemple. Par conséquent,
aucune des tentatives d’explication ici développées n’abolit forcément les autres. Le
cas de la Somalie est révélateur : on y retrouve l’importance du nasab des nomades
et du shérifisme, aussi bien que la quête d’une légitimité politique ou spirituelle et
le mépris d’une certaine africanité associée à la servitude. Il reste que les séquelles
de l’esclavage sont au moins l’un des facteurs décelables dans une grande partie des
traditions que nous avons rassemblées.
138 Mais quelles que soient les raisons de cette quête d’arabité, il est en tous les cas
dommage qu’elle se fasse souvent au détriment de l’africanité, quelquefois rejetée,
effacée, niée. La Somalie par exemple, perd ainsi un pan significatif de son histoire
en niant ses liens avec les cultures africaines : la toponymie du pays trahit pourtant
quelquefois une étymologie swahili et des intellectuels somaliens – comme Shaykh
Qāsim Bin Muhyi’d‑dīn ou Dada Masiti, au siècle passé  – ont même rédigé des
ouvrages dans cette langue (Kasim, 1995  : 34). D’ailleurs, les historiens arabes
médiévaux qui traitent de la Somalie à leur époque la décrivent comme une contrée
africaine, peuplée de gens à la peau noire (Zunūj) ou d’Abyssins (Habash, les
Arabes faisant la distinction entre Abyssins, Nubiens et Zunūj, ces derniers étant
tous les Africains noirs qui ne sont pas inclus dans les deux premiers groupes)28.
Shihāb ad-Dīn Al-Hamāwi, dans son Kitāb mu’jam al-buldān, précise
explicitement que les Somaliens sont noirs, afin de ne pas les confondre avec les
immigrants asiatiques (Mukhtar, 1957, V : 173).
139 Le Soudan aussi, doté d’une diversité culturelle et linguistique comparable à celle
de l’Ethiopie ou du Congo, perdrait un important patrimoine humain s’il parvenait
un jour à mener sa politique d’arabisation à terme.
140 Une piste de recherche ultérieure serait de comparer la quête d’arabité en Afrique
musulmane avec les traditions d’origines allogènes ailleurs sur le continent.
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Certains traits communs ou au contraire divergents permettraient d’affiner les


conclusions de la présente recherche.

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Pour citer cet article


Référence papier
Xavier Luffin, « « Nos ancêtres les Arabes... » », Civilisations, 53 | 2006, 177-209.

Référence électronique
Xavier Luffin, « « Nos ancêtres les Arabes... » », Civilisations [En ligne], 53 | 2005,
mis en ligne le 24 janvier 2009, consulté le 18 juin 2022. URL :
http://journals.openedition.org/civilisations/613 ; DOI :
https://doi.org/10.4000/civilisations.613

Cet article est cité par


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sociale aux réappropriations culturelles et identitaires. Cahiers de littérature
orale. DOI: 10.4000/clo.5410

Auteur
Xavier Luffin
Xavier Luffin est chargé de cours à l’Université libre de Bruxelles (ULB), où il
coordonne le département de langues et littératures arabes, et assistant pratique à
la Vrije Universiteit Brussel (VUB). Ses recherches actuelles traitent
essentiellement des rapports entre le monde arabo-musulman et l’Afrique centrale
et orientale, sur le plan historique, culturel et linguistique. Il a notamment recueilli
des informations auprès de certaines communautés musulmanes du Congo, du
Burundi, du Kenya et de l’Ouganda. Il travaille actuellement sur la question de la
tradition écrite en caractères arabes en Afrique centrale, avant et durant la
colonisation européenne.

Droits d’auteur
© Tous droits réservés

https://journals.openedition.org/civilisations/613 30/30

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