Rafip Numero 6 Deuxieme Semestre 2019 Modifiée
Rafip Numero 6 Deuxieme Semestre 2019 Modifiée
Rafip Numero 6 Deuxieme Semestre 2019 Modifiée
org
Numéro 6
Second semestre 2019
Directeur : Prof. Gérard PEKASSA NDAM ISSN 2510-1994 Editions Scidev Afrique
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019
Co-fondateurs :
Prof. LEKENE DONFACK E. C.
Prof. PEKASSA NDAM Gérard
Conseil Scientifique
Président :
Prof. LEKENE DONFACK E.C., Université de Yaoundé II (Cameroun)
Membres :
1. ABANE ENGOLO Patrick, Professeur à l’Université de Yaoundé II (Cameroun)
2. ALBERT Jean-Luc, Professeur à Aix Marseille Université (France)
3. BIAKAN Jacques, Professeur à l’Université de Yaoundé II (Cameroun)
4. BILOUNGA Stève Thiery, Professeur à l’Université de Ngaoundéré (Cameroun)
5. CABANNES Xavier, Professeur à l’Université Paris Descartes (France)
6. CASTAGNEDE Bernard, Professeur Emérite à l’Université Panthéon-Sorbonne (France)
7. DUPRAT Jean-Pierre, Professeur Emérite à l’Université de Bordeaux (France)
8. ESSONO OVONO Alexis, Professeur à l’Université Omar Bongo (Gabon)
9. HERTZOG Robert, Professeur Emérite à l’IEP de Strasbourg (France)
10. KOUEVI Amavi, Maître de Conférences à l’Université Panthéon-Sorbonne (France)
11. KWUIMO Jacques, Professeur à l’Université de Yaoundé II (Cameroun)
12. MEDE ZINSOU Nicaise, Professeur à l’Université d’Abomey-Calavi (Bénin)
13. NGUELE ABADA Marcelin, Professeur à Université de Yaoundé II (Cameroun)
14. ONANA Janvier, Professeur à l’Université de Douala (Cameroun)
15. ONDOUA Alain Franklin, Professeur à l’Université de Yaoundé II (Cameroun)
16. PEKASSA NDAM Gérard, Professeur à l’Université de Yaoundé II (Cameroun)
17. SIETCHOUA D. Célestin, Professeur à l’Université de Dschang (Cameroun)
18. TANO Félix, Professeur à l’Université de Bouaké (Côte d’Ivoire)
19. YONABA Salif, Professeur à l’Université Ouaga II (Burkina Faso)
Directeur de Publication
Prof. PEKASSA NDAM Gérard
Rédacteur en chef
Prof. ESSONO OVONO Alexis
Secrétariat de rédaction
Dr. MEBENGA Mathieu ; Dr. NGAVANGA Nicaise ; Dr. MOULIOM Ibrahim ; Dr.
NJOYA Oumarou ; Dr. SIMO KOUAM F. Ampère.
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Rafip n°6 – 2nd semestre 2019
SOMMAIRE
ETUDES
Répression des gestionnaires de crédits publics et nouveau code pénal
camerounais
Par GUESSELE ISSEME Lionel Pierre……………………..................9
La substitution du parlement en droit budgétaire des Etats d’Afrique noire
francophone
Par François ABENG MESSI………………………………………..37
Le régime financier des organismes de régulation au Cameroun
Par Jean-Luc ENGOUTOU…………………………………………87
La protection juridique de la qualité d’ordonnateur communal en finances
locales au Cameroun
Par TENKEU Victor Aurélien……………………………………...121
ECLAIRAGE
Dynamique normative comparée du secteur des hydrocarbures au Sénégal
et au Cameroun : une approche relationiste
Par Stéphane ESSAGA………………………………………..159
CHRONIQUES DE LEGISLATION
La consolidation de la budgétisation en mode programme au niveau local
en droit camerounais. Regard sur le code général des collectivités
territoriales décentralisées
Par Cédric NJOYA YONE.………………………………………..191
LEGISLATION, BIBLIOGRAPHIE ET INFORMATIONS
Bibliographie critique………………………………………...213
1- Long Christ P. NKOUAYEP, Les pouvoirs parlementaires
d’autorisation budgétaire en droit camerounais, Thèse de doctorat/Ph. D
en Droit public, Université de Yaoundé II, 2019, 284 p.
2- Janvier FERMOSE, Le juge fiscal : contribution à l’étude des
caractéristiques du juge fiscal en droit camerounais , Thèse de
Doctorat/Ph. D en Droit public, Université de Ngaoundéré, 2019, 564 pages
3- Guy Arsène NYANGOE, Le financement des budgets des personnes
publiques par les titres publics en zones CEMAC et UEMOA, Thèse de
Doctorat/Ph. D en Droit public, Université de Yaoundé II, 2019, 352 pages.
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ÉTUDES
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Introduction
La répression pénale s’est étendue au cours de l’histoire à
divers domaines. Longtemps confinée au droit pénal général1, celle-
ci a trouvé un terrain d’expression en droit de la comptabilité
publique. Cette rencontre met côte à côte les grands principes du
droit pénal général et du droit des finances publiques. La recherche
de « l’intérêt général de la société qui veut la juste et prompte répression des
délits »2 associée « aux actes attentatoires aux ressources publiques »3 conduit
à la responsabilité des ordonnateurs et comptables publics au
Cameroun. Ce faisant, à la responsabilisation des gestionnaires des
crédits publics, doit correspondre une responsabilité structurée.
Celle-ci s’impose comme moyen particulier de précaution dans le
maniement des fonds publics perçu du contribuable par la voie de
l’impôt et des autres prélèvements obligatoires. D’où l’institution de
la responsabilité pénale et partant la répression pénale des
ordonnateurs.
Distincte de la répression administrative4, la répression
pénale des ordonnateurs et comptables publics renvoie à l’« action
d’infliger une pénalité »5 aux autorités chargées de l’exécution des
recettes et des dépenses budgétaires en droit public financier ; « C’est
le droit de punir à l’état dynamique, et c’est toujours sous ce second aspect que se
10 Le Code d’Hammurabi fait référence aux lois instaurées au 17e siècle avant J-C par
le roi de Babylone Hammurabi.
11 V. Code pénal n° 67/LF/1 du 12 Juin 1967 du Cameroun.
12 V. Loi n°2016/007 du 12 juillet 2016 portant nouveau Code Pénal en
République du Cameroun.
13 Loi n° 78-11 du 29 décembre 1978 modifiant et complétant le Code Pénal
12
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019
Cameroun.
22 V. Loi n°2017/12 du 12 juillet 2017 portant Code de Justice Militaire du
Cameroun.
13
ne heurte pas l’ordonnancement juridique dans sa stabilité. Cette
application puise sa source implicitement de la constitution et
explicitement de la légalité des textes qui lui sont subséquents. L’on
comprend en synthèse que les normes constitutionnelles sont à la
base et constituent les fondations de la législation pénale dispersée.
La validation implicite donnée par la Constitution en faveur de la
lecture éparpillée des textes applicables au droit pénal général est
relayée par le principe de légalité.
L’habilitation implicite de la loi fonde la conformité des actes
administratifs aux lois promulguées en droit pénal. Au regard de la
hiérarchie des normes, chaque norme tire sa validité de la norme à
laquelle elle est directement rattachée. En amont, le contrôle de
constitutionnalité des lois par voie d’action, et de surcroit le contrôle
de légalité considéré comme un dérivé du « principe de
constitutionnalité »23, n’ont pas conduit à la censure des actes législatifs
et administratifs épars pris dans le cadre du droit pénal général. La
violation du principe de légalité par un acte administratif aurait
justifié la « révolution méthodologique du juge de l’excès de pouvoir »24. « On y
reconnait au juge le droit d’exercer un contrôle sur tout le contentieux »25. Le
décret de 2008 sur l’organisation et le fonctionnement du Conseil de
Discipline Budgétaire et Financière26 n’a pas fait l’objet d’une
procédure d’annulation. C’est aussi le cas du décret relatif à la
restitution du corps du délit27. À l’observation, les textes
réglementaires promulgués et applicables dans le cadre de la
pénalisation des ordonnateurs et comptables publics n’ont fait
l’objet d’aucune censure de non-conformité à la légalité. Ils sont
dorénavant parés des atouts de l’autorité de la chose jugée28 « si l’on
considère que le juge administratif exerce un contrôle de légalité normale, voir
du corps du délit.
28 V. Arrêt n°105, CFJ/CAY, du 08 décembre 1970, Claude Halle c/État du
Cameroun.
14
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Actualité Juridique Droit Administratif, Les droits fondamentaux. Une catégorie juridique ?,
20 juill-20 août 1998, p. 109.
31 J.-L. BERGEL, Théorie générale du droit, op.cit., p. 350.
32 A. VITU, « Le principe de légalité et de la procédure pénale », Rev. Int crim et pol.
Techn. 1967, p. 97 et s.
33 Article 17 de la Loi n°2016/007 du 12 juillet 2016 op.cit.
34 R.-J. KOERING, J.-F SEUVIE, « Droits fondamentaux et droit criminel »,
op.cit., p. 106.
35 V. titre I de la Loi n°2016/007 du 12 juillet 2016 op.cit.
36 V. article 134 et s de la Loi n°2016/007 op.cit.
37 Articles 80 et 89 alinéa 4 de la Loi n°2016/007 op.cit.
15
règle du « non bis in idem », ou du non cumul des peines38, « nullum
crimen poena sine lege », la non rétroactivité de la loi39 etc. C’est donc le
nouveau Code de Procédure Pénale qui consacre la nullité de la
procédure de sanction d’une infraction40. C’est également le cas des
règles de sanction d’une infraction41. L’application de ces éléments
exclut l’idée suivant laquelle « aujourd’hui encore, punir reste une activité
énigmatique »42. Au regard de cette navette entre le Code pénal et le
code de procédure, il est clairement présumé la présence d’une
insécurité juridique. La codification ou la mise en cohérence de ces
règles dispersées s’impose.
L’incrimination des ordonnateurs et comptables publics ne
saurait se satisfaire du renvoi implicite du Code Pénal au Code de
Procédure Pénale. C’est au sein de cet instrument qu’il est consacré
la plupart des règles processuelles de pénalisation de ces agents
publics. Ce mécanisme de renvoi est susceptible de créer l’insécurité
juridique, de porter atteinte aux objectifs assignés à la codification.
En rationnalisant, on pourrait aboutir à une nette appropriation des
règles pénales applicables aux infractions financières. Il est donc
suggéré l’insertion des règles de fond et de procédure dans un livre
ou chapitre spécifique du Code Pénal. Cette insertion permettrait de
lire d’un seul coup, les grandes lignes de l’incrimination des
ordonnateurs et comptables publics au Cameroun. À défaut d’y
parvenir, on ne peut pour le moment se satisfaire que de
l’émergence d’une diversité de « codes » en droit pénal des finances
publiques.
2. L’émergence d’une pluralité de « codes » en droit pénal
financier
L’émergence d’une pluralité de « codes » en droit pénal
financier constitue la seconde déclinaison à l’effacement de
l’exclusivité du code. C’est peut-être là le point crucial des mutations
contemporaines des finances publiques de l’État43. La répression des
infractions en droit financier impose de privilégier une lecture
corps du délit
47 Décret n° 2013/287 du 04 septembre 2013 portant organisation des Services
18
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G, 1952, I, 1034.
20
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21
comme référents principaux, ces textes sont pas incompatibles avec
le droit positif. Leurs dispositions ne peuvent faire l’objet
d’abrogation.
Le nouveau Code Pénal est convoqué sélectivement dans le
cadre de la pénalisation des infractions financières. Les infractions
consacrées dans les textes éparpillés sont directement appliquées aux
ordonnateurs et comptables publics. La conformité de ces textes
dispersés aux conventions internationales peut servir d’appui à une
demande contentieuse75. En pratique, le juge préfère directement
recourir au texte organisant le fonctionnement et l’organisation du
Conseil de Discipline Budgétaire et Financière. Ce texte lui permet
donc de fonder les irrégularités qualifiées de faute de gestion76. Par
ailleurs, l’occasion est donnée de constater que c’est un texte spécial
qui habilite les prérogatives du ministre chargé du Contrôle
Supérieur de l’État à constituer ce conseil77. De même, le juge pénal
préfère recourir directement à la loi sur le Tribunal Criminel Spécial
pour déterminer si l’infraction et la somme imputable au présumé
coupable relève de son office78.
L’affirmation des textes éparpillés comme des référents
principaux en droit pénal financier est compatible avec le droit
positif. Aucune disposition formelle n’affirme le contraire. Ni la loi
ni les actes administratifs ni le juge compétent n’a affirmé
l’incompatibilité de la prépondérance des textes spécialisés d’avec les
règles en vigueur. Ces sources formelles ne consacrent pas
implicitement l’abrogation des textes épars en matière de
pénalisation des ordonnateurs et comptables publics au Cameroun.
Compte tenu du fait qu’il n’y a pas de connaissance juridique
véritable sans connaissance suffisante de la jurisprudence, c’est « pour
cette raison toute simple que c’est elle qui définit le sens et la portée de la règle de
droit »79.
Les textes diversifiés ne s’opposent pas aux normes en
vigueur dans cette matière conçue à mi-chemin entre le droit pénal
général et le droit pénal financier. Cette logique explique le
traitement des ordonnateurs et comptables publics conformément
22
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019
p.39.
25
participe chaque institution de contrôle »93. Deux textes vont retenir notre
attention pour illustrer cette idée. D’une part, la constatation des
infractions financières entraine la transmission au Président de la
République. C’est l’unique autorité détentrice du pouvoir de
poursuite en matière de présomption de corruption94. D’autre part,
le contrôle exercé par le Contrôle Supérieur de l’État est
subordonné à l’autorité du Président de la République95. En outre, la
transmission peut aussi être faite vers la juridiction de jugement.
L’aboutissement de la phase procédurale relative aux
enquêtes, expertises demeure souvent la transmission de leur
rapport à la juridiction de jugement compétente. En l’espèce, la
commission constituée pour la phase préliminaire ne transmet pas le
dossier vers une autorité comme dans le cas précédent. Pour sa part,
elle transmet la synthèse de ses travaux en vue de l’édiction d’une
décision juridictionnelle. Le caractère de juridiction défini en droit
administratif permet de situer l’organe compétent pour en édicter.
La qualité de juridiction peut être la nature collégiale de l’organe
chargé d’édicter la décision juridictionnelle. « En d’autres termes, il ne
peut être question qu’une autorité administrative non collégiale ne puisse être
considérée comme une juridiction »96. Celle-ci peut également relever d’une
qualification directe et expresse par la loi ou par une autre source
formelle du droit. Cette dernière focalise la dénomination ou la
précision de l’organe en cause97. Au regard de ces illustrations, l’on
peut tirer certaines conclusions. Le ministre de la justice n’est pas
une autorité juridictionnelle quand il est saisi en cas de flagrant délit
de corruption par le président de la CONAC98.
Les textes épars applicables en matière de pénalisation
financière des ordonnateurs et comptables publics donnent une
suite aux poursuites judiciaires et administratives. Ces textes
permettent à certaines autorités indirectement concernées par
93 Idem, p.542.
94 Article 22 alinéa 1 et 2 du Décret n° 2006/088 du 11 mars 2006 portant
création, organisation et fonctionnement de la Commission Nationale Anti-
Corruption.
95 Article 1er alinéa 1 du Décret n° 2013/287 du 04 septembre 2013 portant
26
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27
l’annulation contentieuse et la révision. Cette sanction ne fait pas
obstacle aux poursuites disciplinaires et pénales.
La qualification des infractions en matière financière permet
d’aboutir à l’édiction d’une sanction juridictionnelle prononcée par
un organe ayant la qualité de juridiction. La « mission classique des
juridictions financières »107 est de prononcer ce type de décision. En
l’espèce, il est exclusivement fait allusion à la compétence matérielle
du Tribunal Criminel Spécial et la Chambre des Comptes en
cassation. La première juridiction connait des infractions qualifiées
de détournement des derniers publics dont le minimum est de
cinquante millions (50.000.000) FCFA108. En outre, la Chambre des
Comptes connaît en dernier ressort des décisions définitives rendues
par les juridictions inférieures des comptes en l’occurrence les
tribunaux régionaux des comptes. Elle peut réformer les décisions
émises par ces dernières109. Elle connait de toutes les matières à elle
attribuées par la loi110. La diversité des sanctions infligées aux
ordonnateurs et comptables publics se prolonge dans les États
d’Afrique noire francophone.
Dans les États sus évoqués, la répression pénale des
ordonnateurs et comptables publics conduit à l’application d’une
diversité de sanctions. En contentieux pénal financier burkinabé, le
refus pour un comptable public d’établir sa comptabilité ou
l’inventaire des fonds et valeurs constitue un acte d’insubordination.
Cet acte d’insubordination conduit à la suspension immédiate de ce
dernier par l’agent de contrôle. Le critère lié à la compétence de
l’agent de vérification a retenu l’attention du juge administratif 111. La
suspension immédiate peut également émaner du supérieur
hiérarchique lorsque le comptable public indélicat ne produit pas ses
comptes dans les délais impartis112. La saisie des biens et documents
utiles peut nécessiter l’intervention des forces publiques113. À
Cameroun.
112 Article 37 du Décret n°2005-258/PRES/PM/MFB du 12 mai 2005 op.cit.
(Burkina Faso).
113 Article 36 du Décret n°2005-258/PRES/PM/MFB du 12 mai 2005 op.cit.
28
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019
29
B. Le remplacement de la portée de la répression hors code
La finalité du nouveau Code Pénal est remplacée par celle
initiée par les textes épars. Ceux-ci ne se contentent pas de prévoir la
condamnation pénale et pécuniaire des ordonnateurs et comptables
publics censurés. Ils construisent une portée qui substitue les
grandes lignes du droit pénal général. La tendance affirmée au
contrôle de l’exécution de la spécialisation des crédits et à la
protection des deniers publics détournés se substitue clairement aux
mécanismes institués jusqu’ici. Celle-ci projette de substituer cette
approche minimaliste des textes répressifs. Ainsi, la consécration des
règles relatives à la restitution du corps de délit (1) et la déchéance
des exécutants du budget indélicats traduit ces idées (2).
1. La restitution du corps du délit
L’intérêt porté pour la réparation volontaire du préjudice
causé par les actes de détournement de deniers publics du fait des
gestionnaires de crédits publics s’est posé avec acuité avec le constat
alarmant de la distraction des fonds publics par l’« opération
épervier »122. Ignorée par le code pénal, l’instauration d’une politique
criminelle de réparation volontaire à travers les mécanismes de
restitution dans loi organisant le Tribunal criminel spécial. Cette loi
dispose dans ce sens qu’« En cas de restitution du corps du délit, le
Procureur Général près le Tribunal peut, sur autorisation du Ministre chargé de
la justice, arrêter les poursuites engagées avant la saisine de la juridiction de
jugement. Toutefois, si la restitution intervient après la saisine de la juridiction
de jugement, les poursuites peuvent être arrêtées avant toute décision au fond et la
juridiction saisie prononce les déchéances de l’article 30 du Code pénal avec
mention au casier judiciaire »123. Il en découle que le droit positif
camerounais consacre dorénavant la possibilité de l’arrêt des
poursuites et la remise en liberté de la personne mise en cause en cas
de réparation volontaire du préjudice à travers les mécanismes de
restitution du corps du délit. Cette limitation restreinte de la
restitution au corps du délit a été discutée tant par l’opinion
publique que par les pratiquants du droit. Ceux-ci ont estimé d’une
part qu’elle ne prend pas en compte les dommages occasionnés par
le détournement, et d’autre part qu’elle pourrait encourager des
122 Il s’agit d’une vaste opération judiciaire initiée en 2006 par les pouvoirs publics
dans le cadre de la lutte anti-corruption au Cameroun.
123 Art. 18 de Loi n° 2011/028 du 14 décembre 2011 portant création d’un
p.819.
32
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019
Conclusion
Le nouveau Code Pénal camerounais consacre
insuffisamment la répression pénale des ordonnateurs et comptables
publics. C’est ce qui explique la négation de son exclusivité et de sa
priorité. La lecture est donc orientée vers les dispositions des textes
épars applicables au droit pénal financier. En dépit de prolonger
l’idée du nouveau Code Pénal, ces derniers se substituent à sa
finalité initiale. Ils dépassent et réajustent les mécanismes institués
en faveur de la pénalisation des ordonnateurs et comptables publics.
Le droit positif des États d’Afrique noire francophone est plus
enclin à une lecture dogmatique dispersée du cadre juridique
applicable à la pénalisation des ordonnateurs et comptables publics.
L’expression parfaite d’un mépris, d’un dédain à la sécurité juridique
et aux objectifs de la codification transparait.
Le plaidoyer en faveur de la modification du nouveau Code
Pénal promulgué en 2016 prolonge cette étude critique. Il est donc
suggéré l’insertion des dispositions sur la répression pénale des
ordonnateurs et comptables publics dans un livre ou un titre du
Code Pénal. En dépit de cette suggestion, la promulgation d’un texte
spécifique en la matière ne peut être irrecevable. Une réflexion
projetant les faiblesses de la codification du droit pénal ne dérogerait
pas aux critiques dénoncées jusqu’ici.
35
36
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019
Introduction
1789.
4 Article 14 ibid.
5 La compétence du Parlement du palais de Westminster est la conséquence du
Congrès des États-Unis, composé d’un Sénat et d’une Chambre des représentants, sera investi de
tous les pouvoirs législatifs déterminés par le présent acte ». A cet effet, la section 8 de cet
article précise que : « le Congrès aura le pouvoir : d’établir et de faire percevoir des taxes,
droits, impôts et accises, de payer les dettes publiques, et de pourvoir à la défense commune et au
bien général des États-Unis » ; voir en ce sens : ZOLLER (E.), « Les pouvoirs
budgétaires du Congrès des Etats-Unis », RFFP, n°86, 2004, pp. 267-308 ; DE
BELLESCIZE (R.), « Le budget des Etats-Unis », in MANUEL (T.) (dir.), Les
finances publiques autour du Pacifique, Paris, Mare et Martin, coll. Droit et gestions
publiques, 2019 ; DE BELLESCIZE (R.), Le système budgétaire des Etats-Unis, Paris,
L.G.D.J, coll. Systèmes, 2015, 232 p ; MEYER (A.), « Le budget fédéral de l’ère
Obama : politique de la chaise vide ou de la caisse vide ? », Politique Américaine,
2013, 2, n° 22, pp.155-178.
7 Selon l’article 47 de la Constitution française du 4 octobre 1958 : « le Parlement
tenir à cette disposition, on serait tenté de conclure que le Sénat n’intervient pas
en matière d’autorisation budgétaire. Mais, l’article 71 de la loi n°2013/006 du 10
juin 2013 portant Règlement intérieur du Sénat évoque le vote de la loi de
finances.
9 Article 68 de la Constitution sénégalaise du 22 janvier 2001 révisée le 4 mai 2019.
10 Article 91 de la Constitution togolaise 14 octobre 1992, révisée par la loi
2017, p.996.
39
pour une personne de se mettre à la place d’une autre »17 ou le « fait d’agir à sa
place »18. La substitution induit donc l’idée d’un dédoublement
fonctionnel au bénéfice de l’autorité de substitution au détriment de
celle substituée. C’est une technique juridique palliative à la
défaillance de l’autorité détentrice originelle de la compétence. Bien
connue en droit19, on rencontre la substitution en droit administratif,
où l’on évoque la substitution de pouvoir pour désigner le « pouvoir
conféré aux autorités hiérarchiques ou de tutelle de prendre certaines mesures à la
place et pour le compte des autorités qui leur sont soumises, et qui en demeurent
responsables »20. Bien que la consacrant, le droit budgétaire affiche une
originalité dans la conception de la substitution. En effet, en matière
d’autorisation budgétaire, l’autorité substituée, le parlement, n’est
pas soumise à un pouvoir hiérarchique ou de tutelle de l’autorité de
substitution.
17 Ibid.
18 Ibid.
19 Notamment en matière pénale où l’on rencontre la substitution d’enfant qui est
21 Ibid., p. 1484.
22 CORNU (G.), Vocabulaire juridique, op. cit., p.737.
23 Ibid.
24 En France, c’est Loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de
p. 1484.
26 De VILLIERS (M.), Le DIVELLEC (A.), Dictionnaire de Droit constitutionnel,
générales. Voir en ce sens : KELSEN (H.), Théorie générale du droit et de l’Etat, Trad.
LAROCHE (B.) et FAURE (V.), Intro. PAULSON (S. L.), Paris, LGDJ, 1997,
pp. 319-321.
31 Voir en ce sens GOUDEM LAMENE (B.), « L’information du parlement en droit
Essai sur le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Sénégal et le Togo, Thèse pour le Doctorat
en Droit, Université de Poitiers, 1986, p. 2.
33 C’est une technique qui permet d’avancer de l’argent en reconduisant
prononcée, à la date du 31 décembre, les dispositions du projet de loi de finances peuvent être
mises en vigueur par ordonnance. Le Gouvernement saisit pour ratification, l’Assemblée
Nationale convoquée en session extraordinaire dans un délai de quinze jours. Si l’Assemblée
Nationale n’a pas voté le budget à la fin de cette session extraordinaire le budget est établi
définitivement par ordonnance ».
41 Il faut tout de même préciser que la présente étude ne s’intéresse pas aux cas de
Actes des 1ères journées scientifiques de droit constitutionnel, Palais des Congrès
de Niamey, du 10 au 13 octobre 2017, L’Harmattan, 2019, 518p
43 ARDANT (Ph.), « L’article 5 de la fonction présidentielle », Pouvoirs, n°41, 1987,
p. 39.
44 JULLIARD (J.), « La tentation du Prince-Président », Pouvoirs, n°41, 1987, pp.
27-36.
45 BOURGI (A.), « L’évolution du constitutionnalisme en Afrique : du formalisme
guerre, Paris, Les éditions Internationales, 1932, p. 72. L’auteur souligne qu’il a tout
de même des dispositions qui renforcent les compétences du parlement. Ainsi, par
« des procédures inédites, certaines lois constitutionnelles s’efforcent de réglementer le vote de
défiance, et sans attenter à la liberté du Parlement, donnent au ministère des garanties contre un
vote irréfléchi » ; rapporté par De BUJADOUX (J.-F.), « Jaurès, aux origines du
modèle français de parlementarisme rationalisé », Jus Politicum, n°11, 2013, p. 2.
52 DURAND (P.), « La décadence de la loi dans la constitution de la Vè
404.
54 HAURIOU (A.), Droit constitutionnel et institutions politiques, Paris, Montchrestien,
AVRIL (P.), Les Français et leur Parlement, Paris, Casterman, 1972 ; LALUMIERE
45
Ce portrait sombre ne saurait se limiter aux aspects
constitutionnels de l’analyse de l’organisation et du fonctionnement
des pouvoirs législatif et exécutif. L’angle des finances publiques ne
doit pas être occulté. Tirant sa source en droit constitutionnel, la
substitution du parlement en droit budgétaire n’a pas attiré la
doctrine financière. Cette dernière s’est gardée, jusqu’ici de
s’intéresser avec profondeur à « la constitutionnalisation du droit
budgétaire »58. M. Mesnil Errol TONI n’a pas manqué de remarquer le
rôle réduit du parlement lors de l’élaboration de la loi de finances car
à son sens, non seulement il en est écarté, il est également
contraint59. De même, M. Mathias HOUNKPE s’est, indirectement,
penché sur la question de la substitution du parlement au Bénin.
Celui-ci reconnaît que, si « le législatif jouit d’un pouvoir véritable en
matière de vote et de mise en œuvre des lois »60, « son droit d’amendement
constitue une arme redoutable en ce qui concerne la forme finale que peut prendre
un texte »61. Mais, il s’empresse d’ajouter qu’il en est ainsi « surtout en ce
qui concerne les textes autres que la loi de finances »62. De même, bien qu’il
note la dépossession des assemblées parlementaires dans l’adoption
des lois de finances, M. Kossi SOMALI63 a passé sous silence la
technique de la substitution. Cette relative aphonie de la doctrine
financière rend nécessaire la présente étude.
d’analyse comparée à partir des exemples du Bénin, du Burkina Faso et du Togo, Thèse pour
le Doctorat en Droit, Université de Droit et de la Santé, Lille II, 2008, pp. 279-
323.
46
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019
session extraordinaire lorsque la loi de finances n’a pas pu être adoptée avant le
début du nouvel exercice budgétaire.
47
Aussi, a-t-il paru intéressant de se poser la question de
savoir : quelle est la portée de la substitution du parlement en
droit budgétaire des Etats objet de cette étude ? Conscient que
la technique de la substitution en droit budgétaire remplit une
fonction, il s’avère judicieux d’en analyser les effets. Aussi, l’objectif
poursuivi est-il de mettre en exergue, à partir de la conception que
les Etats étudiés se font de la substitution du parlement en droit
budgétaire, l’implication que cette technique produit dans le
fonctionnent du droit. Pour y parvenir, le cadre méthodologique
retenu c’est le positivisme scientifique d’Auguste COMTE qui
fournit les clés indiquées pour mieux saisir la substitution du
parlement en droit budgétaire. Il en découle que la substitution a
une portée ambivalente. Aussi, bien qu’elle garantisse la continuité
de l’Etat (I), elle constitue, néanmoins, une technique qui
déséquilibre les pouvoirs dans l’Etat (II).
I. Une technique garantissant la continuité de l’Etat
« Du jour même où sous l’action des causes très diverses, […] s’est
formée la distinction entre gouvernants et gouvernés, la notion de service public est
née dans l’esprit des hommes. En effet, on a compris que certaines obligations
s’imposaient aux gouvernants envers les gouvernés et que l’accomplissement de ces
devoirs était à la fois la conséquence et la justification de leur plus grande
force »67. Etant donné que l’Etat exécute les missions d’intérêt à
travers les services publics, il doit fonctionner de manière continue,
sans interruption.
Cela étant, lorsque la continuité de l’Etat est menacée (A),
celle-ci peut être assurée (B) par l’institution de la substitution du
parlement en matière budgétaire. De ce fait, ce procédé nécessaire
apparaît comme une technique qui garantit la continuité de l’Etat.
A. Une continuité menacée
A côté des principes d’égalité et la mutabilité, le principe de
la continuité des services publics fait partie des principes posés par
l’une des « lois » du service public identifiées en France par Louis
67DUGUIT (L.), Les transformations du droit public, Paris, Armand Colin, 1913, p.
33.
48
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019
l’arrêt du Conseil d’Etat WINKELL de 1909, a affirmé que « la continuité est l’essence
même du service public » et que l’on ne pouvait admettre un « Etat à éclipses »
fonctionnant par saccade ou par intermittence.
71 Voir en ce sens : MORAES BACETI (C.), Les rapports entre les pouvoirs législatif et
exécutif dans le droit budgétaire brésilien, Thèse pour le Doctorat en Droit, Université
de Droit Panthéon-Sorbonne - Paris I, pp. 19 et s. ; VISEUR (J.-J.), « Le
Parlement et le processus budgétaire : le cas du Parlement belge », in, Le Parlement
et le processus budgétaire, notamment dans une perspective d’équité entre hommes et femmes,
Séminaire régional pour les parlements francophones d’Afrique, Bamako, 1er -3
novembre 2001, pp.32 et s.
72 TOULEMONDE (G) et CARTIER (E.), Le parlement et le temps. Approche
effet, pour présenter le texte mais surtout pour expliquer son vote, cela peut
prendre un temps considérable si chaque membre d’un groupe qui soutient un
amendement décide d’expliquer son vote durant les cinq minutes dont il dispose
50
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019
financier public », in BECK (B.) et VEDEL (G.) (dir.), Etudes de finances publiques.
Mélanges en l’honneur de M. le Professeur Paul-Marie GAUDEMET, Paris, Economica,
1984, pp. 33-43. Voir également BOUVIER (M.), « Finances publiques et justice
sociale », R.F.F.P., 2018, n°144, p.V. Selon ce professeur, la complexité des
finances publiques se fait de plus en plus présente. Il observe « une quête sans fin de
dispositifs techniques plus sophistiqués les uns que les autres aboutissant progressivement à une
construction et à des pratiques d’une complexité sans égale dont le fonctionnement et la maitrise
nécessitent toujours de plus en plus d’intelligence artificielle et d’autonomisation des procédures ».
81 LUCHAIRE (F.), « Un droit à dimension variable, le droit d’amendement », in
Togo.
83 BERGOUGNOUS (G.), « L’ordre du jour partagé et le nouveau rythme
de loi de finances dans les délais prescrits. Censé être déposé quinze (15) jours au
moins avant l’ouverture de la session parlementaire de novembre, soit autour du
15 octobre, le projet de loi de finances pour l’exercice 2019 a été déposé le 16
novembre 2018 alors même que ladite session avait été ouverte le 02 du même
mois. De même, ce n’est que le 29 novembre 2019 que le projet de loi de finances
pour l’exercice 2020 a été déposé au parlement alors même que ce dernier siégeait
depuis le 12 du même mois. Le dépôt tardif du projet de loi de loi de finances
produit un effet sur la durée du temps parlementaire d’examen et d’adoption de la
loi de finances. Voir en ce sens : KANKEU (J.), Le nouveau droit budgétaire de
l’Etat, Ed. Universitaires Européennes, 2018, pp.71 et 72. Sur le respect approximatif
du calendrier budgétaire lire TONI (M. E.), L’autorisation budgétaire dans le droit
financier ouest-africain francophone, Thèse de Doctorat en Droit public, Université de
Lyon III, 2015, pp.87 et ss.
86 URVOAS (J.-J.), « La lente et irrépressible renaissance des commissions
nationale statue en premier lieu dans un délai de soixante jours après le dépôt du projet et le
Sénat dispose de quinze jours à compter de la date de réception pour se prononcer ». La
modification opérée par la loi constitutionnelle du 27 janvier 1997 a consisté à
remplacer au niveau de l’alinéa 1er « Assemblée des députés du peuple » par « Assemblée
nationale » et à l’alinéa 2, à porter le délai imparti à l’Assemblée nationale pour se
prononcer sur le projet de loi de finances de quarante-cinq à soixante jours.
92 AMSELEK (P.), « Le budget de l’Etat et le parlement sous la V e République »,
financier de l’Etat et des autres entités publiques. Il faut préciser que c’est depuis
l’exercice budgétaire de 2003 que l’année budgétaire est arrimée à l’année civile.
Avant cette date, l’exercice budgétaire était intercalé entre deux années civiles
notamment du 1er juillet au 30 juin. On souligner qu’il en est ainsi en Grande-
Bretagne où l’exercice budgétaire court du 1er avril au 31 mars.
100 Article 4 de la Loi organique n°2013-14 du 27 septembre 2013 relatives aux lois
de finances.
101 Article 2 de la loi organique n°2014-336 du 5 juin 2014 relatives aux lois de
finances.
54
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019
l’impôt qui est à l’origine de leur fonctionnement actuel, à défaut d’être à la base
de leur constitution.
Aux Etats unis d’Amérique du Nord, on se souvient du groupe Quaker (C’est un
groupe qui dans les années 1960a élaboré un prototype de loi qui permettrait aux
objecteurs de conscience de payer leurs impôts à l’UNICEF et non au Trésor
américain. En 1972, ladite loi fut dénommée Peace Tax Fund. A ce jour, elle est
connue sous le nom de Religious Freedom Peace Tax Fund Act), de la Proposition 13 en
Californie qui introduit le concept de pétition ou référendum fiscal ainsi que le Comité
des citoyens pour la limitation fiscale au Massachussetts parfois appelé
Taxachussetts car étant un Etat à fiscalité très élevée.
En France, le poujadisme, le Comité de défense fiscale de Paris, le mouvement des
tondus ainsi que le Cidunati de Gérard NICOUD n’évoquent-ils pas un appel à la
révolte fiscale ? Outre-manche, la Women’s Tax Resistance League n’a-t-elle pas aussi
organisé la résistance fiscale des féministes suffragistes britanniques au début du
XXe siècle ?
56
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019
Review, n°1, 2009, pp. 139-177) des femmes Douala (A la suite à une hausse de
l’impôt de capitation, les femmes douala adressèrent une requête à M.
CORTADE, Chef de la circonscription de Douala, le 31 janvier 1931.
L’administration ne va pas y apporter une réponse. Face à ce silence, les femmes
réunies dans le cadre d’un directoire, décidèrent d’organiser un rassemblement
devant le siège de la circonscription dans le but de faire entendre leur
mécontentement.
109 TONI (M. E.), L’autorisation budgétaire dans le droit financier ouest-africain francophone,
1976 (un mois et trois jours). Mais, on relève aussi de manière signification le
shutdown du 5 au 9 octobre 1990. En effet, l’exécutif américain s’était retrouvé
bloqué pendant quelques jours. N’ayant pas l’autorisation du Congrès pour lever
les impôts et taxes, les bureaux fédéraux sont restés fermés pendant cette période.
Voir en ce sens : HOUNKPE (M.), « Le constitutionnalisme en Afrique :
l’expérience béninoise », op. cit., 2007, p. 125.
114 AMSELEK (P.), « Peut-il avoir un Etat sans finances ? », RDP, 1983, n°2, pp.
120 SOROK A BOL (P. G), Les pouvoirs financiers du parlement dans les Etats d’Afrique
noire Francophone : le cas du Cameroun, Thèse de Doctorat/Ph.D en Droit public,
Université de Yaoundé II, 2018, p.275.
121 HOND (J.-T.), « Discussion autour du principe de la séparation des pouvoirs
61
constitutionnalisme123. Il apparaît donc que « l’essentiel de la séparation
des pouvoirs est dans l’interdiction du cumul direct ou indirect de la totalité des
compétences attachées à la souveraineté entre les mains du même organe »124.
Mais, la substitution du parlement est un mécanisme qui
dilue la séparation des pouvoirs. Pendant qu’elle conduit à la
réduction des pouvoirs financiers du parlement (1), par contre, elle
induit une extension du pouvoir normatif du pouvoir exécutif (2).
1. La réduction des pouvoirs financiers du parlement
Bien que la théorie de la séparation des pouvoirs125 ait été
critiquée126, à en croire MONTESQUIEU, « pour qu’on ne puisse abuser
du pouvoir, il faut que par la disposition des choses, le pouvoir arrête le
123 Il faut tout de même souligner que pour les défendeurs du néo-
constitutionnalisme, la séparation des pouvoir n’assure pas suffisamment la
limitation des pouvoirs. C’est le juge constitutionnel qui assurerait au mieux la
garantie des droits fondamentaux. Voir en ce sens : FAVOREU (L.), « Propos
d’un "néo-constitutionnaliste" », in SEURIN (J.-L.) (dir.), Le constitutionnalisme
aujourd’hui, Paris, Economica, 1984, pp. 23-27 et SAINT-BONNET (F.), « La
double genèse de la justice constitutionnelle en France. La justice politique au
prisme des conceptions françaises », RDP, 2007, n°3, p. 753.
124 VEDEL (G.), Manuel élémentaire de droit constitutionnel, Paris, Dalloz, 2002, (rééd.),
« tabernacle vide d’un culte disparu ». Voir en ce sens PIMENTEL (C. M.), « De l’Etat
de droit à l’Etat de jurisprudence ? Le juge de l’habilitation et la séparation des
pouvoir », in PARIENTE (A) (dir.), La séparation des pouvoirs. Théorie contestée et
pratique renouvelée, Paris, Dalloz, coll. Thèmes et commentaires, 2007, pp. 9-29.
Pour d’autres, elle est appréhendée comme « une sorte d’énigme diabolique : on ne peut
– ni ne devrait – l’écarter mais il est impossible d’échapper à la confusion lorsqu’on en parle ».
Confer LE DIVELLEC (A.), « L’articulation des pouvoirs dans les démocraties
parlementaires européennes : fusion et mitigation », Pouvoirs, 2012, n°143, p. 123.
62
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019
pouvoir »127 ; puisque ajoute-il : « c’est une expérience éternelle que toute
personne qui détient le pouvoir est naturellement portée à en abuser »128.
Réceptionnant, en théorie, le principe de la séparation des
pouvoirs, les constitutions des Etats d’Afrique noire francophone
attribuent au parlement le pouvoir de voter le budget de l’Etat. C’est
ce qui ressort de l’article 91 de la Constitution du Togo en ces
termes : « l’Assemblée nationale vote les projets de loi de finances ». Cette
disposition existe, in extenso, à l’article 57 de la Constitution du
Sénégal : « l’Assemblée nationale vote les projets de loi de finances ». Une
telle posture est en harmonie avec la disposition constitutionnelle
selon laquelle : « l’Assemblée nationale détient le pouvoir législatif. Elle vote
seule la loi »129. Bien que cette exclusivité ne soit pas aussi affirmée au
Burkina-Faso, cependant, il y est tout de même établi que : « le
parlement vote la loi »130. C’est à juste titre qu’il est précisé que : « le
Parlement vote les projets de lois de finances »131.
Confrontée à l’organisation du pouvoir d’autorisation du
budget de l’Etat, la théorie de la séparation s’avère obsolète ou
irréaliste. Sa conception rigide ou classique cède ainsi la place à une
conception souple qui tolère l’immixtion du pouvoir exécutif dans le
domaine réservé au parlement. C’est ainsi que les pouvoirs financiers
du parlement s’amenuisent. Le parlement est une institution dont le
pouvoir exécutif peut se passer lorsque les circonstances y
concourant sont réunies. Censé exercer la fonction d’autorisation
budgétaire, le parlement est évincé pour des raisons de continuité de
l’Etat. C’est la moelle épinière de ses attributions qui est ainsi
arrachée. Même si c’est pour un exercice budgétaire, il faut
reconnaitre que la substitution est un mécanisme qui tend à marquer
du sceau de la tangibilité la plus importante attribution du
parlement. Un parlement qui est, temporairement, dépossédé de son
63
pouvoir budgétaire est un parlement d’affichage. C’est à travers ses
attributions en matière budgétaire que le parlement essaie
d’équilibrer les pouvoirs avec le pouvoir exécutif. Lorsqu’il en est
privé, il est ravalé au rang d’institution de décoration. Il est ainsi vidé
de sa substance vivifiante. C’est elle qui le nourrit et lui permet ainsi
de se présenter comme une institution de poids ou un contre-
pouvoir. Cette rationalisation des pouvoirs financiers du parlement
transforme cette institution en une institution décorative. Comme le
souligne le professeur Jean-Eric GICQUEL, « si le droit de consentir
l’impôt a constitué la première raison d’être du Parlement et la matrice de ses
droits budgétaires puis, plus tard, constitutionnels, il est à constater que les
assemblées modernes, à l’exception du Congrès américain, ne sont plus en état de
le refuser en pratique »132.
Il faut aussi souligner que même si la technique de la
substitution n’est pas mise en œuvre, son existence est de nature à
constituer une pression inestimable sur le parlement. Conscient que
s’il ne se prononce pas sur le projet de loi de finances avant la fin de
l’exercice budgétaire en cours, le pouvoir exécutif pourrait le
remplacer, le parlement pourrait être forcé d’adopter un projet de loi
dont il ne partage pourtant pas, en partie ou en totalité, les
dispositions. Il peut donc ainsi exercer ses attributions de manière
formelle ou en apparence. Ne voulant pas que le pouvoir exécutif se
substitue à lui, le parlement pourrait donner son aval, sans pour
autant être satisfait ou convaincu des mesures qui seront exécutées
pour l’exercice budgétaire à venir. La loi de finances adoptée dans de
telles conditions peut s’avérer impopulaire voire défectueuse. Elle ne
serait pas le fruit d’un consensus, mais d’une sorte de dictature du
gouvernement. Cela donnerait ainsi raison à ceux qui voient en le
parlement une simple caisse d’enregistrement. Le parlement est
donc asphyxié au point de se voir dérober sa compétence
fondamentale c’est-à-dire la plus illustre de ses attributions. Le
parlement se trouve ainsi désarmé, dépouillé de sa plus prestigieuse
attribution. Cette attribution arrachée de manière héroïque dans le
UEMOA : étude sur l’évolution des cours des comptes, Thèse pour le Doctorat en Droit,
Université Montesquieu - Bordeaux IV, 2013, p. 545.
137 Lorsque le législateur utilise une marque linguistique de souveraineté qui traduit
la Constitution béninoise », Revue Droit béninois, n°1, 2012, pp.70-74. Alors que le
Professeur AHANHANZO-GLEGLE confesse que l’insertion de cette
disposition dans la Constitution béninoise n’avait pas pour ambition de « faire
adopter un budget que l’Assemblée nationale refuse d’adopter ». Mais, il faut tout aussi
noter que parfois, c’est le recours à l’article 110 de la Constitution béninoise qui
sert de fondement à la promulgation du budget par voie d’ordonnance.
142 En application de l’article 86 de la Constitution du Togo, de manière générale,
acte signé par le Président du Faso, après délibération du Conseil des ministres ».
145 Article 102 de la loi n° 90-32 du 11 décembre 1990 portant Constitution de la
la République peut, par voie d’ordonnance, reconduire, par douzième, le budget de l’exercice
précédent, jusqu’à l’adoption du nouveau budget ».
148 Cette attitude peut être comprise dans la mesure où le droit budgétaire est de
150 AKA LAMARCHE (A.), « L’évolution du régime représentatif dans les Etats
d’Afrique noire francophone », Jurisdoctoria, n°9, 2013, p. 131.
151 Article 57 de la loi organique relative aux lois de finances du 8 juillet 2011.
152 Par services votés, il faut entendre le volume de crédits nécessaire pour
reconduire à périmètre constant les actions publiques qui ont fait l’objet d’une
autorisation budgétaire l’année précédente.
153 Article 68 de la Constitution sénégalaise.
69
de l’entier délai […], celle-ci est immédiatement et de plein droit suivie d’une
session extraordinaire dont la durée est au plus égale au temps nécessaire pour
parfaire ledit délai. Si à l’expiration de ce délai, le projet de loi de finances n’est
pas adopté, il est mis en vigueur par ordonnance ».
Bien que le Bénin se rapproche du Sénégal du point de vue
de la distinction des deux cas de figure154 évoqués précédemment, il
fait tout de même faire preuve de particularisme. Il y est établi que :
« si le projet de loi de finances n’a pu être déposé en temps utile pour être
promulgué avant le début de l’exercice, le Président de la République demande
d’urgence à l’Assemblée Nationale l’autorisation d’exécuter les recettes et les
dépenses par douzièmes provisoires »155. Ainsi, au sens du constituant
béninois, le président de la République se substitue au parlement
lorsque le délai, d’une semaine au plus tard avant l’ouverture de la
session budgétaire156, fixé pour le dépôt du projet de loi de finances
n’a pas pu être tenu, et que le parlement n’a pu utilement délibéré.
Contrairement à son homologue sénégalais qui évoque le cas de
force majeure pour justifier le dépôt tardif du projet de loi de
finances, le constituant béninois ne précise aucune cause. Mais, il se
rapproche de ses homologues ivoirien157 et togolais158, en prévoyant
que le président de la République doit demander d’urgence à
l’assemblée nationale l’autorisation d’exécuter les recettes et les
dépenses par douzièmes provisoires. L’autorisation ainsi requise au
154 Les mêmes cas de figure sont présentés par HOUNKPE (M.), « Le
constitutionnalisme en Afrique : l’expérience béninoise », op. cit., p. 125.
155 Article 111 de la Constitution béninoise, ainsi que l’article 61 de la Loi
déposé en temps utile pour être voté et promulgué avant le début de l’exercice, le Premier Ministre
demande, d’urgence, à l’Assemblée, l’autorisation de reprendre le budget de l’année précédente par
douzièmes provisoires ».
70
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019
session budgétaire, le Parlement se sépare sans avoir voté le budget en équilibre, le Gouvernement
est autorisé à reconduire par ordonnance le budget précédent ».
161 En application de l’article 60 de la loi organique n° 073-2015/CNT du 06
novembre 2015 relative aux lois de finances : « dans la mesure où, [..], le projet de loi de
finances n’a pu être voté avant le début de l’année financière, le gouvernement est autorisé,
conformément aux dispositions constitutionnelles en vigueur, à continuer de percevoir les impôts et
à reprendre en dépenses le budget de l’année précédente par douzièmes provisoires ».
162 MEDE (N.), « La nouvelle gestion budgétaire : l’expérience des budgets
charges de l’Etat ainsi que l’équilibre budgétaire et financier qui en résulte, compte tenu de la
situation et des objectifs macro-économiques des Etats membres et des obligations du Pacte de
convergence, de stabilité, de croissance et de solidarité ».
166 Article 2 de la loi organique n°2014-336 du 5 juin 2014 relatives aux lois de
finances.
167 L’alinéa 2de l’article 12 de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 portant régime
financier de l’Etat et des autres entités publiques qui étend l’objet de la loi de
finances qui précise que : « elles peuvent en outre, comporter toute disposition de nature
législative relatives à la détermination des recettes et des dépenses de l’Etat, ainsi qu’aux
modalités de mise en œuvre et de leur contrôle ».
72
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019
recouvrement des impositions de toutes natures, qu’elles soient perçues par l’Etat
ou affectées à d’autres organismes publics »168.
L’objet de la loi de finances étant ainsi clarifié, il faut noter
que c’est la loi de finances initiale ou de l’année dont l’objet peut
davantage être instable voire imprévisible. La loi de règlement ne
peut pas l’être et la loi de finances rectificative dans une moindre
mesure, bien qu’en établissant son lien avec la loi de finances
primitive dont elle modifie la teneur169.
L’instabilité et l’imprévisibilité tiennent à ce qu’en début de
l’année budgétaire, par le mécanisme de la substitution, les
dispositions de la loi de finances en discussion qui sont mises en
vigueur par voie d’ordonnance peuvent connaître des changements.
Dans ce cas, lorsque les dispositions d’une loi de finances
ont été mises en vigueur par voie d’ordonnance, il peut arriver que le
texte définitif adopté par le parlement soit en contrariété avec ce qui
avait été promulgué par voie d’ordonnance. Il pourrait donc se
poser la question de l’application de la loi de finances dans le temps.
S’il peut être admis que dès la promulgation de la loi de finances
dans sa version définitive, elle doit, en principe, produire ses effets
pour l’avenir en application du principe de la non rétroactivité170
168 Article 3 de la loi organique n°2014-336 du 5 juin 2014 relatives aux lois de
finances.
169 La loi de finances rectificatives ou collectif budgétaire est d’une importance
thèses, 2009, pp. 15-53. Voir également ABANE ENGOLO (P. E.), « La notion
de qualité du droit », RADSP, Vol. 1, N°1, 2013, pp. 91-97.
172 BERGEL (J.-L.), « La sécurité juridique », Revue du notariat, 2008, 110 (2), p.
271.
74
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019
173 RIPERT (G.), Le déclin du droit, Paris, LGDJ, 1949, pp. 67-72.
174 C’est une formule empruntée à l’économiste américain Arthur LAFFER.
175 Conseil d’Etat, Sécurité juridique et complexité du droit, Paris, La Documentation
principe de sécurité juridique : une mise au point », RIDC, Vol. 55, N°1, Janvier-
mars 2003, p. 85.
177 BERGEL (J.-L.), « La sécurité juridique », Revue du notariat, 2008, 110 (2), p.
271.
75
droit budgétaire notamment les administrations publiques, les
contribuables, les prestataires de services, les entrepreneurs sont
tenus de faire une veille juridique pointue, de peur de se faire
opposer l’adage « nemo censetur ignorare legem »178. De ce fait,
l’insécurité juridique est une véritable épée de Damoclès pour les
acteurs absents à la fabrication des normes du droit budgétaire.
Au regard de ce qui précède, il apparaît que c’est l’efficacité
de la loi de finances qui est ainsi garantie au mépris de la sécurité
juridique. Le caractère prévisionnel attendu de la règle de droit est
presque sacrifié sur l’autel de la nécessité et de l’urgence. Pourtant, il
faut reconnaitre que cette mutabilité constante de la loi de finances
est censée produire un meilleur droit ou un droit de qualité. Ce droit
qui est une réponse à des problèmes réels des finances publiques des
Etats de l’Afrique noire francophone. Le droit budgétaire affiche le
caractère d’un droit très vivant. La loi des finances est mouvante car,
elle est à la recherche d’effets positifs dans les finances publiques
des Etats.
2. L’entrave à la soutenabilité des finances publiques
Comme l’écrit le professeur Michel BOUVIER, « les finances
publiques occupent une place centrale dans le fonctionnement et les débat des
sociétés contemporaines »179. C’est ainsi par exemple que leur
soutenabilité fait l’objet d’une attention particulière. Au même titre
que l’équilibre budgétaire, « la question qui est devenue majeure en finances
publiques est désormais celle de la réalisation de leur soutenabilité »180.
Bien que la soutenabilité soit un concept polysémique et
beaucoup plus usité en matière de dette et donc macroéconomique,
il faut reconnaitre qu’elle comporte une dimension budgétaire. Dans
178 « Nul n’est censé ignorer la loi ». Adage interdisant à quiconque de se retrancher
derrière son ignorance du droit ou sa mauvaise compréhension pour échapper à
ses obligations. C’est une fiction juridique qui assure l’efficacité de la loi. V. en ce
sens : GUINCHARD (S.), DEBARD (Th.) (dir.), Lexique des termes juridiques, op.
cit., p. 1379 ; voir également AKAM AKAM (A.), « Libres propos sur l’adage ‘Nul
n’est censé ignorer la loi’», RASJ, volume 4, n°1, 2007, p. 31-54.
179 BOUVIER (M.), « Finances publiques et justice sociale », R.F.F.P., 2008,
n°144, p.V.
180 Ibid.
76
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019
181 Rapporté par GICQUEL (J.-E.), « Que reste-il du pouvoir budgétaire des
parlements nationaux ? », Revue de l’Union européenne, 2019, p. 605. ; voir également
77
inconvénients. Dans ce registre, on retrouve le Bénin, le Burkina-
Faso, le Cameroun, la Côte d’Ivoire, le Sénégal ainsi que le Togo.
Au Bénin, « si le projet de loi de finances n’a pu être déposé en temps
utile pour être promulgué avant le début de l’exercice, le Président de la
République demande d’urgence à l’Assemblée Nationale l’autorisation
d’exécuter les recettes et les dépenses par douzièmes provisoires »182. En Côte
d’Ivoire, l’énoncé est identique sauf que la formulation est
légèrement différente. Il y est établi que : « si le projet de loi de finances
n’a pu être déposé en temps utile pour être promulgué avant le début de l’exercice,
le Président de la République demande d’urgence au Parlement l’autorisation de
reprendre le budget de l’année précédente par douzième provisoire »183. Pendant
qu’au Bénin le pouvoir constituant utilise la formule « l’autorisation
d’exécuter les recettes et les dépenses par douzièmes provisoires », en Côte
d’Ivoire comme au Togo184, il choisit celle selon laquelle
« l’autorisation de reprendre le budget de l’année précédente par douzième
provisoire ». Au-delà de ces considérations lexicales, il faut convenir
que l’énoncé est le même. Cette position est confortée par le
législateur burkinabé lorsqu’il dispose que : « dans la mesure où, […], le
projet de loi de finances n’a pu être voté avant le début de l’année financière, le
gouvernement est autorisé, conformément aux dispositions constitutionnelles en
vigueur, à continuer de percevoir les impôts et à reprendre en dépenses le budget
de l’année précédente par douzièmes provisoires »185. Bien que le dépôt tardif
du projet de loi de finances ne soit pas précisé comme la cause du
retard dans sa promulgation, il en ressort tout de même au
Cameroun qu’« au cas où le budget n’aurait pas été adopté avant la fin de
l’année budgétaire en cours, le Président de la République est habilité à
déposé en temps utile pour être voté et promulgué avant le début de l’exercice, le Premier Ministre
demande, d’urgence, à l’Assemblée, l’autorisation de reprendre le budget de l’année précédente par
douzièmes provisoires ».
185 Article 60 de la loi organique n° 073-2015/CNT du 06 novembre 2015 relative
79
tout prix être exécutées pendant la période de transition. Il s’opère
donc une continuité temporelle de la loi de finances de l’exercice
précédent. Cette dernière est alors considérée comme la loi de
référence sur laquelle on doit s’appuyer pour projeter les opérations
financières et budgétaires devant nécessairement être exécutées.
Au Sénégal, le procédé est organisé d’une autre manière,
mais le résultat est le même qu’au Bénin, au Cameroun, en Côte
d’Ivoire et au Togo. Lorsque le président de la République
sénégalaise procède à la perception des impôts selon les dispositions
en vigueur et les modalités posées par les la loi de finances de
l’exercice précédent, il s’opère un prolongement dans le temps ou
une sorte de statu quo en matière financière. Il y a une stabilisation
des régimes d’imposition. De même, en matière de dépenses, la
reconduction s’opère par la technique des services votés. Les
services votés évoquent « le volume de crédit nécessaire pour reconduire à
périmètre constant les actions publiques qui ont fait l’objet d’une autorisation
budgétaire l’année précédente »189. De ce fait, ils « représentent le minimum de
dotation que le Gouvernement juge indispensable pour poursuivre l’exécution des
services publics dans les conditions qui ont été approuvées l’année précédente par
le Parlement »190. C’est donc une fois de plus la continuité de l’Etat qui
est ainsi recherchée, mais dans un cadre qui n’est pas propice à
l’amélioration de la gestion des finances publiques191. Le statu quo
ainsi consacré paralyse la réforme du cadre de mobilisation des
ressources d’une part et l’introduction de mesures nouvelles d’autre
part.
En ce qui concerne le cadre de mobilisation des ressources
publiques, il est sclérosé dans la mesure où les innovations qui sont
192 Article 21 de la loi organique n°20/2014 du 21 mai 2015 relatives aux lois de
finances et à l’exécution du budget.
193 JEZE (G.), Cours de science des finances et de législation financière française, Paris, M.
Giard éd., 1922, p. 17 ; rapporté par CAUDAL (S.), « L’apport des textes
constitutionnels révolutionnaires au droit financier et fiscal », in Constitution et
Finances publiques. Etudes en l’honneur de Loïc PHILIP, Paris, Economica, 2005, p.
360.
81
budgétaire des parlements. Bien même lorsqu’elles seraient adoptées
plus tard, le temps de leur exécution peut connaître une diminution
dont on ne peut nier les conséquences dans la consommation du
budget des investissements publics. C’est à juste titre qu’il est
souhaité que des mesures nouvelles positives ou négatives puissent
être autorisées par le président de la République même pendant la
période transitoire. Il en est ainsi parce qu’une organisation
permettrait de gagner en temps dans l’engagement du circuit de la
dépense publique. Le budget pouvant définitivement être mis en
vigueur par voie d’ordonnance, il semble que la réfutation des
mesures nouvelles pour une période qui parfois n’est fixée qu’à
quinze (15) jours peut finalement ne pas se révéler efficace. Cette
interdiction n’aurait de sens que si le parlement finit pas se
prononcer en adoptant la loi de finances. Dans le cas contraire, si sa
promulgation intervient par voie d’ordonnance, il est fort probable
que le pouvoir exécutif mette en application des dispositions qui ont
suscité de vives controverses pendant l’examen au parlement.
Le Gabon semble avoir pris conscience de cet état de chose.
C’est la raison pour laquelle l’article 21 de la loi organique
n°20/2014 du 21 mai 2015 relatives aux lois de finances et à
l’exécution du budget prévoit que : « si, au terme de la session budgétaire,
le parlement se sépare sans voir voté le budget en équilibre, le gouvernement est
autorisé à reconduire par ordonnance le budget précédent ». Ledit texte
poursuit que : « cette ordonnance peut néanmoins prévoir, en cas de nécessité,
toute réduction de dépenses ». Leur augmentation n’est pas exclue.
Conclusion
Les rapports que le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif
entretiennent en matière d’autorisation budgétaire dans les Etats
d’Afrique noire francophone semblent, dans leur aménagement de
principe, et dans une perspective classique, refléter une séparation
rigide. Cette séparation célèbre le parlement pour en faire une
institution sacrée, incontournable car, exerçant le pouvoir financier
suprême, mandatée par le peuple souverain dont il exprime, en
82
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019
194 Voir en ce sens JIANG (J.), Théorie du droit public, op. cit., p. 152.
195 Conseil constitutionnel français : Décision n°85-197 DC du 23 août 1985,
Nouvelle-Calédonie, J.O du 24 août 185, p. 9814 ; FAVOREU (L.), et PHILIP (L.),
Les grandes décisions du Conseil constitutionnel, Paris, Dalloz, 2018, coll. Grands arrêts,
19ième éd., p. 140 sqq.
196 GICQUEL (J.-E.), « Que reste-il du pouvoir budgétaire des parlements
prévoient : « les propositions ou amendements formulés par les parlementaires ne sont recevables
lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit
une création ou l’aggravation des charges publiques ». L’article 107 de la Constitution
béninoise, les articles 18 alinéa 3 a) et 23 alinéa 3 de la Constitution camerounaise,
l’article 55 de la Constitution gabonaise ainsi que l’article 71 de la Constitution
sénégalaise. Cette interdiction est reprise par l’article 62 de la Loi organique
n°2013-14 du 27 septembre 2013 relatives aux lois de finances au Bénin ainsi que
par l’alinéa 5 de l’article 74 du Règlement intérieur de l’Assemblée Nationale en
République du Bénin et l’article 58 de la Loi n°2018/012 du 11 juillet 2018
portant régime financier de l’Etat et des autres entités publiques au Cameroun. En
France, c’est l’article 40 de la Constitution du 4 octobre 1958. Voir en ce sens
83
on peut constater que le parlement serait un « simple élément du décor
politique »198, à défaut d’être une « caisse de résonance des volontés du
Président de la République »199. Il est souhaité de le renforcer200. Il doit
se « réapproprier le pouvoir d’écrire la loi »201 de finances. La pratique des
‘‘Omnibus Reconcialtion Bill’’ instaurée aux Etats-Unis d’Amérique du
Nord depuis la Congressional Budget and Impoundment Control Act de
1974202 pourrait inspirer. Le parlement doit être irremplaçable car,
comme l’affirme l’Union Interparlementaire, c’est une « institution
centrale de la démocratie »203, essentielle dans le processus budgétaire204,
la rénovation de ses pouvoirs est souhaitée205. « La représentation du
peuple, et fictivement le peuple lui-même, doit voir son pouvoir restaurer »206. Il
est nécessaire de réformer le droit budgétaire207. Comme le souligne
n°146, p. 9.
201 URVOAS (J.-J.), « La lente et irrépressible renaissance des commissions
Introduction
1 J. Bodin, Les six Livres de la République, Paris, éd., Du Puy, 1581, p.855
2 B. Abate, La nouvelle gestion publique, Paris, LGDJ, 2000, p.60 et s.
3 Statut qui gouverne les intérêts pécuniaires des époux, dans leurs rapports entre
eux, et dans leurs rapports avec les tiers et dont l’objet est de régler le sort des
biens actifs et passifs des époux pendant le mariage et à sa dissolution. Voir
GUINCHARD S., DEBARD Th. (dir.), Lexique des termes juridiques, Paris, Dalloz,
2017, 25ième éd., p.1740.
4 Régimes de retraite et de prévoyance accordant des prestations qui viennent
s’ajouter à celles accordées par les régimes de base. GUINCHARD S., DEBARD
Th. (dir.), Lexique des termes juridiques, op. cit., p. 1743.
5 Régimes dans lesquels l’entreprise garantit un niveau de retraite exprimé soit en
valeur relative par rapport au dernier salaire, soit en valeur absolue, indépendant
87
s’opère une catégorisation entre le régime administratif,
constitutionnel et financier. Le premier organise les services publics
sur la base desquels la vie civile s’établit6. Le deuxième a pour objet
d’organiser l’Etat en personne morale parfaite7. Le troisième enfin,
se rapporte à l’ensemble des règles applicables aux deniers publics
des personnes publiques8. Ces règles sont relatives à la nature, au
contenu, à la présentation, à l’élaboration et à l’adoption des lois de
finances ainsi qu’à l’exécution et au contrôle du budget9. Le régime
financier des personnes publiques est donc susceptible de variations
suivant qu’il s’agit de l’Etat ou d’autres entités publiques à l’instar
des organismes de régulation.
Crées pour assurer l’équilibre du marché et garantir les droits
des citoyens contre d’éventuels abus, les organismes de régulation
s’inscrivent dans une vaste mouvance planétaire.
Nés aux Etats-Unis à la fin du 19ème siècle10, les organismes
de régulation seront progressivement disséminés en Europe. En
Grande-Bretagne, c’est surtout après la seconde guerre mondiale
que prolifèrent les autorités indépendantes ayant des fonctions
administratives et quasi-judiciaires11. En France, les autorités
administratives indépendantes naitront d’abord officieusement en
1941 sous le régime de Vichy12, puis officiellement en 1970 par le
de l’évolution des autres régimes. GUINCHARD S., DEBARD Th. (dir.), Lexique
des termes juridiques, op. cit., p. 1743.
6 M. Hauriou, Principes de droit public à l’usage des étudiants de licence (3 ème année) et en
in Les autorités administratives indépendantes, PUF, 1988, cité par G. Pekassa Ndam,
« Les établissements publics indépendants : une innovation fondamentale du droit
administratif camerounais », Revue africaine des sciences juridiques, vol 2, n°1, 2001,
p.155.
11 H. Machin, « L’expérience britannique », in Les autorités administratives
libertés.
14 V. Palma-Amalric, L’autonomie financière des autorités indépendantes. Paris,
92
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019
op.cit.pp223-263.
33 H. Kelsen, Théorie pure du droit, Traduction de Charles Eisenmann, Paris, LGDJ,
1962, pp111-116.
93
financières de ces personnes publiques « sui generis »34. Le Cameroun
constitue le cadre géographique par excellence de la présente étude.
Un tel choix s’explique prioritairement par le lien de nationalité qui
uni l’auteur de ces lignes à cet Etat. Accessoirement, il sera fait
référence aux droits étrangers. Il s’agit de la France et de certains
Etats d’Afrique noire francophone. L’appréhension du régime
financier des organismes de régulation révèle une maitrise limitée de
leur autonomie financière (I) et une emprise étatique resserrée sur
cette dernière (II).
47 Loi n°2018-29 du 19 décembre 2018 portant loi de finances pour l’année 2019.
48 Loi de finances du Mali pour l’exercice 2019.
99
Au vu de ce qui précède, il appert que les subventions
constituent un moyen habile de contrôle des organismes de
régulation. Ceux-ci subissent la loi du pouvoir politique, car n’ayant
aucune maitrise sur les sommes allouées. Leur marge de manœuvre
est nulle. La situation est quelle que peu différente s’agissant des
ressources propres. Les organismes de régulation à défaut d’avoir
une grande marge de manœuvre, disposent à tout le moins d’un
pouvoir résiduel.
B. Un pouvoir résiduel sur les ressources propres
Les organismes de régulation disposent d’un pouvoir de
décision non déterminant en matière de ressources propres. Leur
marge de manœuvre est ici très faible. Une telle faiblesse s’explique
et se justifie par la combinaison d’un ensemble de facteurs (2). Mais
avant d’exposer ces derniers, il est indispensable de préalablement
identifier les ressources propres (1).
1. L’identification préalable des ressources propres
Au même titre que les collectivités territoriales
décentralisées, les organismes de régulation disposent de ressources
propres. Celles-ci présentent un visage hétérogène. Il s’agit
globalement des contributions liées à l’exercice de l’activité régulée,
des produits du domaine, des amendes et pénalités et des ressources
provenant de l’emprunt.
Les contributions liées à l’exercice de l’activité régulée
comprennent les taxes parafiscales, les quotes-parts et les
redevances. Deux organismes de régulation se sont vus reconnaitre
la compétence pour prélever les taxes parafiscales. Il s’agit de
l’ART49 et de l’ANTIC50. Ces taxes parafiscales sont acquittées par
les opérateurs de téléphonie et les fournisseurs d’accès à internet.
On peut à cet égard relever la taxe sur les communications
la cybercriminalité au Cameroun.
101
opérateurs qui, en retour, devront s’acquitter du paiement d’une
redevance. C’est le cas en matière de régulation du secteur de
l’électricité de la redevance sur le titre prévu par la loi régissant le
secteur de l’électricité55, des produits des prestations rendues aux
intervenants du système des marchés publics56, de la redevance
d’utilisation des adresses des préfixes et des numéros ou blocs de
numéros ou encore de la redevance de 1,5% du chiffre d’affaires
hors taxe des opérateurs des réseaux et les fournisseurs de services
en matière de télécommunications. Par ailleurs, l’ART est
l’organisme compétent pour homologuer les équipements terminaux
des communications électroniques et des installations
radioélectriques. Ainsi, toute personne physique ou morale désirant
faire homologuer un équipement de communications électroniques
ou une installation radioélectrique dépose un dossier administratif et
un dossier technique. Le dossier administratif comprend entre autres
qu’il s’agisse des personnes morales ou physiques, un récépissé de
paiement des frais d’étude du dossier délivré par l’ART57. Dans la
même veine, l’ART perçoit des droits, frais, contributions et
redevances. Ces droits s’appliquent aux réseaux, à la fourniture des
services, à l’homologation des équipements terminaux et aux
agréments des installateurs et/ou des prestataires de services de
télécommunications58. Toujours dans le domaine des
télécommunications, l’ART est bénéficiaire d’une quote-part de la
103
Cameroun avec une amende de un milliard cinq cent
millions(1.500.000.000) de FCFA, MTN Cameroon et Nextell
écopant chacun d’une amende d’un milliard (1.000.000.000) de
FCFA. Ces sanctions faisaient suite à la violation par les opérateurs
concernés du décret n°215/3759/PM du 03 septembre 2015 fixant
les modalités d’identification des abonnés et des terminaux qui
interdit notamment la commercialisation des cartes SIM pré-
activées, la commercialisation des cartes SIM dans les rues, la
détention par des personnes physiques de plus de trois cartes SIM et
l’activation des numéros sans identification préalable67.
Au rang des ressources propres, figure enfin l’emprunt. Les
autorités de régulation ont la faculté de recourir aux emprunts
adossés sur leurs ressources propres. Elles peuvent également
bénéficier des emprunts contractés par l’Etat pour son compte.
La diversité des ressources propres est un atout, un élément
de sécurisation financière des organismes de régulation. Mais il ne
suffit pas d’avoir des ressources propres. Encore faut-il que les
organismes de régulation en aient une totale maitrise. Or, tel n’est
pas le cas.
2. Les facteurs explicatifs
La doctrine définit l’indépendance financière (ou budgétaire
du régulateur) comme « un financement quasi exclusif sur ressources propres
–dans lequel les dépenses de régulation sont essentiellement couvertes par
prélèvements sur le secteur considéré- qui se traduit par une autonomie
74 Ibid.
107
en outre par des contrôles resserrés exercés par l’Etat sur les
organismes de régulation.
II. L’emprise étatique resserrée sur l’autonomie financière des
organismes de régulation
Les organismes de régulation pour mener à bien leurs
missions ont besoin d’une certaine liberté d’action. Ils doivent être
autonome aussi bien à l’égard du pouvoir politique75 que des acteurs
régulés76. La spécificité de leurs actions et la sensibilité de leur
domaine d’intervention, imposent en principe qu’ils soient soumis à
des contrôles allégés. Tel n’est pas le cas au Cameroun où le
contrôle se révèle excessif. Les organismes de régulation sont pris en
étau entre une tutelle financière omniprésente (A) et un contrôle
juridictionnel a posteriori (B).
A. L’omniprésence de la tutelle financière
La tutelle financière sur les organismes de régulation est
exercée par l’Etat, notamment par le biais de son ministère des
finances. Si des contrôles sont nécessaires du fait du caractère public
des ressources de ces organismes, ils doivent néanmoins tenir
compte de leur spécificité. Or au Cameroun, le jurislateur soumet les
organismes de régulation au même titre que les autres établissements
publics, à un contrôle administratif tracassier. Celui-ci s’exerce aussi
bien au moment de la prise de la décision financière (1) qu’en cours
d’exécution du budget (2).
1. L’approbation ministérielle préalable du budget
La prise de la décision financière se manifeste par
l’élaboration et l’adoption du budget. Cette attribution relève de la
compétence des organes dirigeants des organismes de régulation. Il
s’agit là d’un indice important de leur autonomie financière. En tant
qu’établissement public doté de la personnalité juridique, les
77C. Monembou, La double tutelle de l’Etat sur les établissements publics au Cameroun,
Mémoire de DEA en droit public, Université de Yaoundé II, 2005-20 !06,
120pages.
109
d’insinuations théoriques sinon négationnistes, du moins attentatoire
à l’autonomie fonctionnelle du régulateur. Car, l’approbation
préalable du budget du régulateur, dans sa phase d’élaboration, par
arrêté ministériel s’assimile à un transfert de la décision financière
des régulateurs vers l’autorité de tutelle78. En tout état de cause,
l’approbation tutélaire du budget préalablement à son exécution,
s’analyse comme une restriction substantielle de l’autonomie
financière des organismes de régulation. Cette formalité sinon
autoritaire, du moins interventionniste, constitue un instrument
juridique de contrôle des choix budgétaire de l’organe central sur
ceux des régulateurs79.
L’approbation tutélaire préalable contraste avec les qualités
de célérité et d’efficacité qui sont requises du régulateur. Il serait
judicieux si l’on veut donner tout son sens à la notion d’autonomie
financière, de supprimer cette formalité qui traduit un certain
anachronisme du droit financier camerounais.
Le contrôle de l’Etat s’exerce dès l’entame du processus
budgétaire. Il ne s’arrête cependant pas là puisqu’il se poursuit en
cours d’exécution du budget.
2. L’action concomitante des représentants de
l’administration des finances
En cours d’exécution du budget, le contrôle sur les
organismes de régulation est exercé principalement par deux agents
représentant l’administration des finances : le contrôleur financier et
l’agent comptable.
Fonctionnaire nommé par arrêté du ministre des finances, le
contrôleur financier joue un rôle ambivalent. Il est d’abord le
représentant du ministre des finances auprès de l’organisme de
régulation. A ce titre, il est chargé d’une part, de faire respecter la
réglementation budgétaire, d’autre part d’informer le ministre des
110
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019
80 P. Lalumière, Les finances publiques, Paris, Armand Colin, coll. U, 8 ème éd.1986,
p.461
81 E.C. Lekene Donfack, Finances publiques, Paris, Berger-Levrault, coll.Mondes en
111
indépendantes de régulation économique dotées o non d’un budget
autonome sont en principe exclues du champ d’application de la loi
du 10 aout 1922 relative à l’organisation du contrôle des dépenses
engagées84. Ce texte soustrait les autorités de régulation de l’emprise
du contrôleur financier. Elles sont uniquement soumises au seul
contrôle a posteriori de la Cour des comptes. Le Gabon a opté pour
une solution similaire. Il soumet l’Agence des télécommunications
au seul contrôle de la Cour des comptes85.
L’autonomie véritable du régulateur passe par l’allègement
du contrôle financier. En contrepartie, il est nécessaire de rendre
systématique le contrôle parlementaire plus compatible avec
l’autonomie recherchée du régulateur.
La réalisation des opérations de recettes et de dépenses
comporte dans l’organisation financière, deux phases essentielles :
une phase administrative au cours de laquelle est prise la décision de
dépenser ou de percevoir une recette, et une phase comptable au
cours de laquelle est effectué le paiement de la dépense ou le
recouvrement de la recette. Ces deux phases fondamentalement
différentes ont été confiées à deux corps d’agents publics
indépendants l’un de l’autre, les ordonnateurs et les comptables qui
appartiennent à des hiérarchies administratives distinctes. La phase
administrative est dévolue à l’ordonnateur86. D’ailleurs, les textes
portant organisation et fonctionnement des organes de régulation
désignent le président/directeur général comme l’ordonnateur du
budget87. Quant à la phase comptable, elle relève de la compétence
du comptable agent nommé par arrêté du ministre des finances. Il
114
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019
118
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019
104G. Vedel et P. Delvové, Droit administratif, tome II, Paris, PUF, 12ème éd., 1992,
p.357.
119
Elle passe d’abord par la réduction de la dépendance
financière des régulateurs à l’égard des subventions étatiques. Il est
tout à fait symptomatique de constater qu’un régulateur comme le
CNC qui intervient dans le domaine sensible de l’information et de
la communication vit essentiellement des subventions de l’Etat. Son
budget est en effet rattaché à celui du Premier ministre. Ensuite, il
faut promouvoir un financement exclusif sur ressources propres,
afin de faire passer l’autorité de régulation de la simple autonomie
financière à une véritable indépendance. Enfin, Il faut réformer la
tutelle financière. Il ne s’agit point de militer ici pour sa suppression
totale, mais plutôt pour son allègement. Les contrôles étatiques sont
certes indispensables pour maintenir une certaine discipline
financière. Mais poussés à l’extrême, ils deviennent paralysants. La
réforme de la tutelle financière suppose donc la suppression du
contrôle a priori et le maintien du seul contrôle a posteriori. Une telle
architecture a le mérite de laisser les mains libres aux autorités de
régulation dans la gestion de leurs opérations financières. En
contrepartie de cette autonomie renforcée, il est impératif de rendre
systématique le contrôle parlementaire et la reddition des comptes.
L’étude du régime financier des organismes de régulation
révèle au grand jour les contraintes auxquelles ils font face. Elle
permet d’établir le parallèle entre la décentralisation fonctionnelle et
la décentralisation territoriale. Les problèmes rencontrés ici et là
sont quasiment les mêmes. Absence de moyens financiers, contrôle
financier de l’Etat qui annihile toute velléité d’autonomie. Pourtant,
la crédibilité du régulateur notamment du point de vue de son
impartialité est de nature à attirer de nouveaux opérateurs sur le
marché. Il y a donc urgence à mieux encadrer cette décentralisation
administrative silencieuse de l’Etat si l’on souhaite que les
organismes de régulation jouent pleinement leur partition et ne
soient plus considérés comme de simples rouages de
l’administration.
120
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019
Introduction
2018 portant régime financier de l’Etat et des autres entités publiques et du décret
n°2013/160 du 15 mai 2013 portant règlement général de la comptabilité
publique. Lire aussi GOUDEM LAMENE (Berthelot), « Les comptables publics
dans le nouveau régime financier de l’Etat au Cameroun », in ONDOA (Magloire)
121
A titre d’exemple, les comptables publics sont des agents
régulièrement préposés aux comptes publics et bénéficient d’un
statut précis5. Les ordonnateurs quant-à-eux se trouvent dans une
situation peu définie. Ils ne bénéficient pas en réalité d’un statut6, ou
d’un encadrement juridique élaboré à l’aune de celui des comptables.
Au total, l’appréhension de la qualité d’ordonnateur en droit public
financier reste encore une entreprise malaisée.
Malaisée, elle l’est d’avantage en ce qui concerne la qualité
d’ordonnateur du budget des communes7. Tel un legs colonial, la
qualité d’ordonnateur communal s’est construite au Cameroun de
façon laborieuse, partagée entre les compétences de l’administration
centrale et locale. Un bref aperçu historique renseigne sur
l’évolution de la qualité d’ordonnateur communal, sortie d’une totale
soumission à une autonomisation. En réalité, c’est avec
l’introduction progressive du mouvement de décentralisation au
Cameroun, et précisément le transfert des compétences des autorités
centrales aux autorités locales, qu’on peut remonter la qualité
d’ordonnateur communal. De l’ex-Cameroun sous domination
anglaise8 au Cameroun sous domination française, la qualité
2007, p. 6.
7 Cf. TENKEU (Victor Aurélien), La qualité d’ordonnateur du budget des communes en
123
d’autorité administrative et de premier magistrat de la commune11.
Ces maires étaient des chefs d’institutions, des ordonnateurs
principaux soumis aux autorités étatiques et les règles relatives à leur
qualité d’ordonnateur étaient aussi peu définies.
Explicitement, la reconnaissance juridique de la qualité
d’ordonnateur communal est revenue à la loi du 5 décembre 1974.
L’article 138 de cette loi disposait à cet effet que « le maire est
l’ordonnateur du budget de la commune ». Cette disposition restait par
contre peu claire. Il était difficile de dire si le maire était un
ordonnateur principal, secondaire, délégué ou sous-ordonnateur12.
La difficulté était d’autant plus grande, car l’ordonnance de 1962
portant régime financier de l’Etat attribuait la qualité d’ordonnateur
au seul ministre des finances. Le maire n’étant pas a priori une
autorité administrative déconcentrée, il était par conséquent difficile
d’appréhender la qualité d’ordonnateur communal. Fort de cette
difficulté, le législateur en 2007 va réformer le régime financier de
l’Etat13, et en 2009 le régime financier des collectivités locales. La loi
du 10 juillet 2009 portant régime financier des Collectivités
territoriales décentralisées issue de cette dernière réforme, va
reconnaître la qualité d’ordonnateur au maire14, chef de l’exécutif
municipal. Reprenant le décret 15 mai 2013 portant Règlement
abrogée par la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 portant régime financier de l’Etat
et des autres entités publiques. Sur les dispositions pertinentes de cette dernière
loi, Cf. NGUIMFACK VOUFO (Théophile), « le droit budgétaire camerounais à
l’épreuve du droit communautaire CEMAC : commentaire de la loi n°2018/012 du 11 juillet
2018 portant régime financier de l’Etat et des autres entités publiques », Juridis Périodique,
n°116, octobre-novembre-décembre 2018, pp. 44-58.
14 L’article 54 de la loi n°2009/011 du 10 juillet 2009 portant régime financier des
besoin d’une formation particulière. Il ne doit juste pas être analphabète. Cette
condition reste toutefois peu respectée car, selon les résultats de l’Enquête 2010
125
réserve alors exclusivement la qualité d’ordonnateur communal à
l’exercice d’une fonction politique. Le « facteur politique »21 justifie
l’octroi de la qualité d’ordonnateur à des personnes dépourvues de
connaissances en matière d’exécution des finances publiques.
Monsieur Stéphane THEBAULT écrit dans ce sens qu’ « à l’inverse
des services d’Etat et de ses établissements publics, la compétence d’ordonnateur
des collectivités territoriales parait conférée de manière restrictive aux seuls
élus »22. La qualité d’ordonnateur communal est donc, et en principe,
octroyée au titulaire d’un mandat politique. C’est par la technique de
la délégation23, qu’elle sera transmise à son tour à d’autres agents
communaux.
Introduit dans le circuit financier du fait de la qualité, le
maire, ordonnateur communal n’est pas de ce fait moins
controversé. Au contraire, bien qu’il soit incontournable dans la
gestion financière locale24, il est confronté dans l’exercice de ses
missions à des agents formés à la gestion publique à savoir le Préfet,
le Receveur municipal ou encore le Secrétaire général de mairie. La
perception par ces professionnels de la place qu’occupe le maire-
ordonnateur est pour la plupart mitigée. On peut observer dans la
pratique ces derniers en proie à s’ingérer dans le domaine de
compétence de l’exécutif municipal. C’est conscient de ce statut ou
25 CORNU (Gérard) (dir.), Vocabulaire juridique, Paris, PUF, coll. Quadrige, 2017,
11e éd., p. 823.
26 Ibidem.
27 Cf. TENKEU (Victor Aurélien), La qualité d’ordonnateur du budget des communes en
territoriales décentralisées.
34 Loi n°2009/019 du 15 décembre 2009 portant fiscalité locale.
35 Porté par la Loi n°2019/024 du 24 décembre 2019. Ce texte réalise une
Tome 2, p. 865.
129
alinéa 1 du décret de 2013 portant Règlement général de la
comptabilité publique en disposant qu’ « il est interdit à toute personne
non pourvue d’un titre légal ou règlementaire d’exercer les fonctions
d’ordonnateur (…), sous peine de sanctions prévues par la loi », pose, au-delà
de la préservation des deniers communaux, l’exigence de la
protection de la qualité d’ordonnateur communal.
L’exécution des budgets publics a traditionnellement fait
appel à deux catégories d’autorités publiques majeures : les
ordonnateurs et les comptables publics37. Ces derniers sont les plus
proches de l’ordonnateur, et représentent leur principale menace
dans l’exercice leur fonction38. C’est pourquoi les finances publiques
protègent principalement la qualité d’ordonnateur à l’égard du
comptable communal (A). Les autres agents communaux ne sont
visés qu’à un degré différent (B).
A. La protection de la qualité d’ordonnateur vis-à-vis du
comptable communal
Les relations entre l’ordonnateur et le comptable public ne
relèvent pas toujours d’un long fleuve tranquille. L’ordonnateur par
exemple, du fait de sa position de proue39 dans le circuit d’exécution
des opérations financières et le degré généralement très élevé de ses
fonctions administratives, a souvent tendance à se considérer
comme le chef du comptable. Ainsi, il croit, des fois, pouvoir
donner des ordres selon son bon vouloir à ce dernier. Le comptable
par contre, tend à devenir un Roi Soleil dans l’exécution des finances
francophone, Cotonou, Friedrich Ebert Stiftung, 2015, p. 46, cité par BILOUNGA
(Stève Thiery), « Les relations entre l’ordonnateur et les comptables à la lumière de
la loi du 26 décembre 2007 portant régime financier de l’Etat au Cameroun »,
RAFIP, n°2, 2017, p. 222.
130
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019
comptabilité publique, Paris, Dalloz, 2e éd., 1981, p. 15 ; Expression est reprise par
bon nombre d’auteurs, parmi lesquels : THEBAULT (Stéphane), L’ordonnateur en
droit public financier, op. cit. p. 94, AKHOUNE (Farhana), Le statut du comptable en
droit public financier, op. cit., p. 53.
42 Cf. GAUDEMET (Paul-Marie) et MOLINIER (Joël), Finances publiques, Tome 1,
n’existe pas de règles dans le domaine considéré » : BIDIAS (Benjamin), Les finances
publiques du Cameroun, op. cit., p. 296.
50 Cf. SIETCHOUA DJUITCHOKO (Célestin), La chambre des comptes de la cour
suprême du Cameroun. Les principaux arrêts, avis, rapports de certification du compte général
de l’Etat et rapports d’observations à fin de contrôle commentés, Les Editions Le
KILIMANDJARO, Yaoundé-Cameroun, 1er éd., 2016, p. 245.
51 Article 466 du CGCTD.
52 Ibidem.
133
des titres de recette53. Le rôle du comptable communal se résume
donc au contrôle et paiement des dépenses d’une part, au contrôle et
prise en charge des recettes communales d’autre part. Il ne lui
revient pas, en tout état de cause, et pour retracer les actes de sa
gestion, la charge de produire le compte administratif.
Si l’ordonnateur tient une comptabilité administrative
(engagement, liquidation et mandatement) de laquelle découle le
compte administratif54, le comptable de son côté établit un compte
de gestion55. Celui-ci, non seulement décrit la situation patrimoniale
de la collectivité (en conséquence de la comptabilité générale dont
est chargé le comptable), mais décrit également, selon une
présentation différente, l’exécution budgétaire. Le comptable est
donc astreint à la production d’un compte de gestion sur chiffres et
sur pièces à la fin de chaque exercice budgétaire56 qu’il présente à
l’organe délibérant de la commune pour mise en état d’examen, et
transmission à la Chambre des comptes de la Cour suprême.
La dualité des comptes est désormais exigée aux
Etablissements publics communaux qui doivent « présenter »57 à
l’organe délibérant les comptes administratif et de gestion de leurs
établissements. C’est une avancée en la matière issue de la loi
53 Cf. SAIDJ (Luc), « Les agents d’exécution du budget communal », op. cit.
54 Art. 467 al 1er du CGCTD. En France, jadis appelé « compte moral » (pendant la
période révolutionnaire) puis « compte d’administration » (à partir d’une instruction
du 30 mai 1816). Cf. AKHOUNE (Farhana), Le statut du comptable en droit public
financier, op. cit., p. 64.
55 Article 474 alinéa 2 du CGCTD.
finances publiques locales au Cameroun, op. cit., pp. 119 et s ; BILOUNGA (Stève
Thiery), « Les relations entre l’ordonnateur et les comptables à la lumière de la loi
du 26 décembre 2007 portant régime financier de l’Etat au Cameroun », op. cit., pp.
234 – 235.
60 Cf. SAIDJ (Luc), « Les agents d’exécution du budget communal », op. cit., p.
7113-22.
61Cf. CEDH, 7 octobre 2003, Mme RICHARD-DUBARRY c. France,
RFDA 2004, p. 378.
135
La protection de la qualité d’ordonnateur est surtout assurée
par le type de contrôle qu’effectue le comptable sur les actes de
l’ordonnateur. En effet, les comptables communaux peuvent
soumettre les actes de l’ordonnateur au contrôle de légalité imposé
par l’exercice de sa responsabilité personnelle et pécuniaire. Mais, le
contrôle de légalité doit être compris au sens d’un contrôle de la
régularité financière des actes pris par l’ordonnateur, et non un
contrôle de la légalité des actes administratifs. « Un contrôle de légalité
effectué par le comptable public pourrait alors porter atteinte à ce principe de
séparation des ordonnateurs et des comptables »62. Patrick BENOIT
souligne que « la régularité de la dépense vise l’application des règles
budgétaires, alors que la légalité de la dépense vise le fond de l’acte prescrivant la
dépense et on entend ainsi respecter le principe de la séparation des comptables et
des ordonnateurs »63. Un contrôle de légalité des actes administratifs
confié au comptable risquerait, en particulier au niveau local, de
renforcer le sentiment de méfiance déjà existant vis-à-vis des
contrôles instaurés lors de la décentralisation.
Eu égard de ce qui précède, le principe de la séparation des
ordonnateurs et des comptables comme instrument juridique de
protection de la qualité d’ordonnateur, a une portée certaine.
2. La portée juridique du principe
En théorie, le principe de la séparation des ordonnateurs et
des comptables est justifié par deux raisons : une raison juridique et
une autre technique. La première fait établir dans l’action
administrative, une distinction entre l’opportunité et la régularité.
Alors que les ordonnateurs interviennent au plan de l’opportunité
pour décider, les comptables, eux, sont juge de la conformité des
mesures administratives à incidence financière aux lois et
règlements. Le principe apparaît à ce titre comme une règle de
sécurité, destinée à assurer une exécution correcte du budget en
prenant toutes les précautions possibles contre les agents
pp. 67 et 68.
137
des dépenses, les ordonnateurs peuvent requérir les comptables de
payer. Mieux, les comptables ont l’obligation de présenter
quotidiennement l’état de leur trésorerie à l’ordonnateur69. Ceci
l’aidera dans ses choix, mais aussi, permettra qu’il puisse effectuer
un contrôle permanent sur l’état de la trésorerie. Le contrôle est
donc réciproque. Ainsi, deux psychologies sous-tendent alors le
principe de la séparation des ordonnateurs et des comptables.
Gilbert DEVAUX écrit dans ce sens que la séparation de ces deux
autorités ne satisfait pas seulement au besoin mécanique
d’organisation, mais au désir d’opposer deux psychologies : « les
ordonnateurs doivent réserver le meilleur de leur activité à un effort de décision et
de sélection ; la régularité de leurs actes leur est en quelque sorte imposée du
dehors automatiquement. Les comptables ont aussi à effectuer certains choix,
mais leur esprit est dominé par le souci de la règle qu’ils doivent appliquer non
seulement à leurs propres opérations mais aussi à celle des ordonnateurs. Ces
deux psychologies ont conduit à deux régimes de responsabilités »70.
Dans un second temps, les fonctions d’ordonnateur
requièrent des aptitudes différentes de celles exigées pour le
comptable public71. Si l’intervention du comptable ne répondait qu’à
un souci de contrôle, le principe de la séparation des ordonnateurs
et des comptables n’aurait pas perduré72. La séparation permet, en
outre, une division performante du travail de l’un et de l’autre et un
équilibre entre les deux. Gilbert DEVAUX remarque aussi que
« dans toute société s’inspirant d’un idéal démocratique, la division du travail ne
correspond pas seulement à l’idéal d’une spécialisation technique ; elle correspond
aussi à une préoccupation d’équilibre, entre diverses tendances »73. Stéphane
THEBAULT considère même que le comptable public constitue le
« fil d’Ariane » de la qualité d’ordonnateur74. Au fond, les
138
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019
86 Ibidem.
87 Ibid.
143
finances locales du 10 juillet 2009 (et actualisée par le CGCTD de
2019) ne manque pas de confirmer et de renforcer. Comme pour
tout principe juridique, des limites peuvent être organisées. Par
exemple, les procédures simplifiées d’exécution des recettes et des
dépenses participent à ces limites. Organisées dans le cadre de règles
spécifiques pour certaines opérations redondantes ou particulières,
ces procédures portent dans une certaine mesure atteinte à ce
principe89, et partant, fragilisent la protection de la qualité
d’ordonnateur.
En ce qui concerne la protection de la qualité d’ordonnateur
communal, ces limites sont dans certains cas autorisées par la loi (1),
et dans d’autres interdites (2).
1. Les limites encadrées par la loi
Les limites de la protection encadrées par la loi sont celles
autorisées. Elles participent à un meilleur fonctionnement de
l’administration et du circuit financier, bien que remettant en cause
la séparation des ordonnateurs et des comptables90. Dans ce cadre, le
comptable communal peut être autorisé, dans des circonstances
précises, à jouer le rôle d’ordonnateur. Ainsi, une collaboration
poussée des autorités d’exécution du budget des communes
s’impose progressivement et, laisse entrevoir, comme le relève le
Professeur Luc SAIDJ91, une redistribution des fonctions.
Traditionnellement, la séparation des ordonnateurs et des
comptables ne souffre d’exception que dans le domaine, de conseil
et de l’assistance (facultatifs) du receveur municipal au maire et dans
certaines procédures de portée limitée, de dépenses avant
mandatement92. Cette exception constitue une importante différence
88 Cf. DUGUIT (Léon), Leçons de droit public général, Paris, Boccard, 1926, p. 282.
89 Voir articles 447 du CGCTD. Voir aussi TENKEU (Victor Aurélien), La qualité
d’ordonnateur du budget des communes en finances publiques locales au Cameroun, op. cit., pp.
187 et s.
90 Cf. BESSALA (Alain Georges), Ajustement structurel et droit budgétaire camerounais :
contribution à l’étude des droits budgétaires des Etats africains sous ajustement structurel,
Thèse de Doctorat/Ph.D, Université de Yaoundé II, 2014, pp. 383 et s.
91 Cf. SAIDJ (Luc), « Les agents d’exécution du budget communal », op. cit., p. 25.
92 Idem., p. 7113-23.
144
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019
93 Ibidem.
94 MAGNET (Jacques), Les gestions de fait, Paris, LGDJ, coll.
Systèmes/Finances publiques, 2001, 2e éd., p. 1.
95Article 87 du décret du 15 mai 2013 portant règlement général de la
comptabilité publique.
145
budgétaires96 qui dépendent de l’ordonnateur mais impliquent un
suivi conjoint du patrimoine et de la comptabilité patrimoniale.
Aussi, certaines dépenses sont payées sans ordonnancement
préalable, sans que l’ordonnateur les prescrive et en vertu d’un titre
détenu par le créancier (le paiement des salaires par exemple). C’est
également le cas des recettes constatées, liquidées et recouvrées par
les administrations fiscales au profit des communes. On peut aussi
ajouter les dépenses payées avant l’émission du titre de
régularisation97. Certains auteurs les rangent sous le vocable
« d’opérations atypiques »98, du fait de leur caractère dérogatoire à la
procédure de droit commun.
Il est aussi fréquent que l’exécution des recettes et dépenses
soit confiée à des régisseurs. Ces régisseurs exécutent des tâches
relevant des compétences de l’ordonnateur et du comptable
séparément. Le principe est mis en cause dans l’hypothèse de régies
mixtes où le régisseur effectue à la fois certaines opérations de
recettes et de dépenses. C’est le cas de la caisse d’avance prévue par
le législateur à l’article 447 du CGCTD. Elle est une limite encadrée
par la loi, contrairement à d’autres limites qui sont interdites.
2. Les limites proscrites par la loi
Certains cas de violation du principe de la séparation des
ordonnateurs et des comptables sont interdits par la loi. Si le
principe concourt à la protection de la qualité d’ordonnateur vis-à-
vis du comptable communal, il peut tout de même être violé.
L’ordonnateur, dans certains cas, est le premier à violer le principe,
ceci à travers les gestions de fait et dans certaines hypothèses de
réquisition99 régulière. Dans ces deux cas, certes c’est la qualité de
contribution à l’étude des droits budgétaires des Etats africains sous ajustement structurel, op.
cit., p. 436.
99 Le Professeur Robert LUDWIG définit la réquisition comme étant « l’ordre de
payer donné sous certaines conditions par l’ordonnateur au comptable qui a refusé d’effectuer un
paiement et qui doit alors se soumettre ; le droit de réquisition partant de l’ordonnateur est le
146
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019
romains sanctionnaient déjà le péculat et la concussion commis par les questeurs, non sans une
certaine confusion dans le caractère même des défaillances qui, frauduleuses ou non,
intentionnelles ou non, relevaient de textes répressifs. Le péculat qui est le détournement
frauduleux des deniers publics au profit du comptable, présupposait une intention de fraude, était
147
années contre tous les comptables publics qui en auraient fait la perception. Sont
également punissables des peines prévues à l’égard des concussionnaires, tous les
détenteurs de l’autorité publique qui, sous une forme quelconque et pour quelques
motifs que ce soit, auront sans autorisation de la loi, accordé des exonérations en
franchises de droit, impôt ou taxe publique, ou auront effectué gratuitement la
délivrance des produits ou services payant de l’Etat ou de tout autre organisme
public »101.
La responsabilité personnelle et pécuniaire du comptable
public peut aussi être engagée dès lors qu’une dépense a été
irrégulièrement payée du fait de l’absence d’un ordonnancement
préalable. Il est alors mis en débet par un arrêté de son supérieur
hiérarchique ou par un arrêté de la juridiction financière.
Comme le souligne Farhana AKHOUNE102, la séparation
des ordonnateurs et des comptables est l’un des grands principes de
la comptabilité publique. Ce principe ne saurait être appliqué de
manière rigide au risque d’apparaître comme un obstacle à la mission
de ces deux acteurs. Ceux-ci doivent, avant tout, poursuivre
l’objectif de la meilleure gestion possible des finances tout en
satisfaisant les besoins propres de la commune. Cependant, ce
principe ne saurait aussi être appliqué au mépris de la loi. C’est
pourquoi, le comptable est sanctionné lorsque la loi est violée. C’est
le cas en matière de réquisition irrégulière. Lorsque la réquisition est
régulière103, elle emporte transfert de responsabilité du receveur vers
puni jusqu’à l’exil ». Cf. NEURISSE (André), Le Trésorier-payeur général, Thèse pour le
doctorat en droit, Université de Paris II, Paris, LGDJ, 1988, p. 102.
101 Art. 46 alinéas 1 et 2.
102 Cf. AKHOUNE (Farhana), Le statut du comptable en droit public financier, op. cit., p.
97.
103 Pour qu’elle soit donc régulière, la réquisition doit, pour sa régularité formelle,
être fondée sur une loiErreur ! Signet non défini. ou un règlement. Elle doit en
outre remplir certaines conditions de fond (elle doit être limitée strictement à son
objet) et de forme (comportant un numéro, des visas, la signature de
l’ordonnateur qui l’a émise, l’indication du montant de la dépense, les références
du créancier, etc.). Cf. note sous, arrêt n°5/AD/CSC/CDC/S3 du 23 mai 2012,
Compte de gestion de la Chambre d’Agriculture, de l’Elevage et des Forêts du
Cameroun (CHAGRI), Exercice 2004 et 2005, in SIETCHOUA DJUITCHOKO
(Célestin), La chambre des comptes de la cour suprême du Cameroun, Les principaux arrêts,
avis, rapports de certification du compte général de l’Etat et rapports d’observations à fin de
contrôle commentés », op. cit., pp. 244-253.
148
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019
104 Cour des comptes, 1ère Chambre, 17 octobre 1916, Masselot, op. cit., p. 129 ;
GAJF, n°18, p. 171.
105 Cf. SIETCHOUA DJUITCHOKO (Célestin), La chambre des comptes de la cour
suprême du Cameroun, Les principaux arrêts, avis, rapports de certification du compte général
de l’Etat et rapports d’observations à fin de contrôle commentés, », op. cit., p. 251.
106 Pouvoir d’annulation, d’approbation, de suspension et d’orientation.
107 Par opposition à la faculté d’empêcher où, l’Etat ne détient qu’un pouvoir
108 Par référence au pouvoir de substitution directe, plus présenté par les
textes et, qui correspond au pouvoir de substitution d’action que l’on
retrouve dans le cadre du contrôle administratif des Collectivités
territoriales décentralisées. Cf. ALIYOU (Sali), Le transfert de compétences aux
collectivités territoriales décentralisées au Cameroun, op. cit., p. 537.
109 Par référence au pouvoir de substitution indirecte, le moins présenté et,
consiste en ce que des actes de la compétence des autorités locales sont édictés
par celles-ci, mais en conformité obligatoire avec un modèle préétabli. L’autorité
locale n’est que « l’auteur apparent » de l’acte, l’auteur « réel » étant l’Etat, autorité
de tutelle. La substitution ici n’intervient pas ex post, après un refus d’agir ou une
action illégale de l’autorité locale, mais ex ante. Cf. sur ce point NEGRIN (Jean
Paul), L’intervention des personnes morales de droit privé dans l’action administrative, op. cit.,
p. 181.
110 Mais il faut préciser que le pouvoir de substitution ne peut intervenir que dans
les cas où l’autorité locale est obligée de prendre l’acte ou de l’exécuter, mais
refuse d’obtempérer ou est dans l’incapacité de le faire ; aussi, la substitution doit
être prévue par les textes à telle enseigne que l’autorité de tutelle ne puisse se
substituer à l’autorité municipale qu’après une mise en demeure préalable restée
sans suite.
111 Cf. VEDEL (Georges) et DELVOLVE (Pierre), Droit administratif,
Paris, PUF, Thémis, 1984, p. 856 ; VIGNES (C.H.), « Le pouvoir de
substitution », RDP, 1960, p. 753 ; BIPELE KEMFOUEDIO (Jacques),
« La tutelle administrative dans le nouveau droit camerounais de
décentralisation », Annales FSJP/Uds, Tome 9, 2005, p. 102.
150
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019
membres pour les communes au-delà de 50.000. Article 192 alinéa 3 du CGCTD.
122 L’article 191 alinéa 2 : « le même décret constitue une délégation spéciale habilitée à
prendre les mêmes décisions que le conseil municipal… » ; l’article 192 alinéa 1 : « en cas de
dissolution d’un conseil municipal ou de démission de tous ses membres en exercice et lorsqu’un
conseil municipal ne peut pas être constitué, une délégation spéciale en remplit les fonctions » ; et
l’article 193 alinéa 1 du CGCTD : « la délégation spéciale exerce les mêmes attributions que
le conseil municipal ».
123 Article 196 alinéa 3 du CGCTD.
153
succédané124. La loi exclut cependant la possibilité pour la délégation
d’aliéner ou échanger des propriétés communales, de recruter du
personnel, de créer des services publics et de voter des emprunts.
Ces restrictions ne sont pas tout de même de nature à empêcher
toute initiative de la délégation spéciale notamment à propos de
l’exercice des compétences transférées à la commune et, surtout en
matière d’exécution du budget. En outre, en cas de mobilisation et
dans l’impossibilité d’organiser les élections municipales, la
délégation spéciale reprend la plénitude des compétences du conseil
municipal et de l’exécutif communal.
La gestion de la commune par la délégation peut aussi
s’étendre dans le temps. En principe installée pour six mois, le
temps qu’une nouvelle élection soit organisée125, le maintien de la
délégation peut être prolongé par un décret du Président de la
République pour une nouvelle période de six mois renouvelable
trois fois126. Il apparait que les actes successifs des autorités étatiques
peuvent imposer pendant trois mois une gestion de la commune par
délégation spéciale. Aussi, le président de la délégation spéciale, en
tant qu’ordonnateur principal de la commune, peut déléguer une
partie de ses attributions à son vice-président suivant les règles de la
délégation. Les deux acteurs remplissent alors respectivement les
fonctions de maire et d’adjoint au maire127. En le faisant, ils
exécutent le budget communal en tant qu’ordonnateur.
Conclusion
Au terme de cette étude, on peut se rendre compte que la
protection de la qualité d’ordonnateur communal en finances locales
au Cameroun est relative. Il faut savoir gré aux pouvoirs publics
d’avoir singularisé la qualité d’ordonnateur communal de celle de
son homonyme, l’ordonnateur du budget de l’Etat. Cependant, ce
dernier bénéficie d’un statut plus élaboré. L’ordonnateur communal
154
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019
ECLAIRAGE
157
158
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019
Introduction
Le Sénégal a adopté le 24 janvier 2019, le projet de loi
portant code pétrolier1 abrogeant et remplaçant la loi n°98-05 du 08
janvier 1998 de même objet. Trois mois plus tard pratiquement jour
pour jour, le Cameroun fait de même, en révisant la loi n°99-013 du
22 décembre 1999 portant code pétrolier. Si l’environnement
général est marqué par des modifications législatives d’envergure en
Afrique2, le Sénégal se différencie du Cameroun dans cette
mouvance normative par deux faits importants. Déjà le Sénégal n’est
pas encore producteur ni de pétrole ni de gaz au moment de la
révision, à la différence du Cameroun. De plus, le Sénégal est
présenté et depuis longtemps comme un « futur eldorado pétrolier et
gazier »3, à la différence du Cameroun qui assume son statut de
producteur modeste en la matière4.
1 Après promulgation, Loi n°2019‐03 du 1er février 2019 portant Code pétrolier.
2 Pour le Gabon, lire l’interview du Ministre de l’Economie et des finances et des
Solidarités Nationales, dans Jeune Afrique n°3063 du 22 au 28 septembre 2019,
p.62. Pour le Nigéria, lire Jerome ONJA, Editorial dans Majorwaves energy report
vol. 2, n°8 de novembre 2019, pour la loi révisée sur les bassins onshore et très
profonds, dont il est attendu 500 millions de dollars en 2020 et le double en 2021
(page 5).
3 Lire MOULOLO P., « Sénégal futur eldorado pétrolier et gazier », CapEco Africa
n°12 juin 2018, p.69 et s. Plus récemment, Jean Marie Meyer, « Le Sénégal face au
paradoxe de l’abondance », Afrique Magazine n°387-388 de décembre 2018-janvier
2019, p. 112.
4 A l’occasion du trentième anniversaire de la Société Nationale des
nations, Ratio Juris, vol.17 (1), 2004, p.66-79. Lire aussi B. MARAIS, « Quand les
juristes rencontrent des économistes », in Droit et Economie Interférences et interactions,
Etudes en l’honneur du professeur Michel BAZEX, Paris, Litec 2009, p. 109 et s.
7 Voir BISHOP D., International arbitration of petroleum dispute: the development of a lex
160
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019
10 Lire ESSAGA S., Les sources du droit des hydrocarbures en Afrique, Paris,
L’Harmattan, 2018.
11 LEGRAND P., Pour la relevance des droits étrangers, Paris, IRJS Editions, LGDJ,
2014, p. 39.
12 DERRIDA J., Positions, Paris, Editions de Minuit, 1972, p. 56.
13 BARTHES R., Œuvres complètes, 2e éd. (sous la dir. d’Eric Marty), vol. III, Paris
161
Les activités d’exploration et d’exploitation des
hydrocarbures correspondent parfaitement à cette définition.
Mettant aux prises des acteurs aux intérêts rarement convergents
mais toujours aussi interdépendants, à savoir les États producteurs
et les entreprises privées étrangères principalement, cette relation
mérite tout son pesant d’attention, et les codes pétroliers
promulgués devraient en être les caisses de résonnance.
L’État, au moins dans le contexte africain17, est l’acteur
majeur dans le processus de production des normes juridiques en
droit des hydrocarbures en général, et des codes pétroliers en
particulier. Et la sensibilité de l’activité elle-même, du point de vue
tant financier que stratégique tant pour ces États que pour les
entreprises privées étrangères au moins, est manifeste. Comment les
derniers codes pétroliers sénégalais et camerounais traduisent - ils
cette concentration d’intérêts, d’acteurs, en un mot cette relation ?
Il s’agira alors de constater, sans surprise feinte, qu’une
convergence législative est perceptible du point de vue de la
technique juridique soutenant les législations pétrolières tant
sénégalaise que camerounaise (I). Toutefois, une analyse
approfondie laisse entrevoir des divergences quant aux différents
liens juridiques établis entre les différentes entités, débouchant ainsi
sur toute une politique juridique divergente entre ces deux Etats
(II).
I. Une convergence dans la structuration des rapports
de droit
La technique juridique est définie comme une « utilisation du
raisonnement et des règles juridiques dans un domaine particulier »18. Plus
génériquement, il s’agit d’un « ensemble de moyens permettant de
réaliser les options de la politique législative, se rapportant à la
manière de présenter les textes et d’énoncer leur contenu »19. Deux
20 « Ce cadre légal incitatif, ainsi mis en place, a contribué à attirer les investissements des
compagnies pétrolières. Il en a résulté le développement puis le début de l'exploitation du gaz
naturel dans les anciens permis (Thiès/Sébikhotane en onshore) et le financement d'études pour
une meilleure connaissance du système pétrolier en offshore. Parallèlement, des forages ont été
163
géologiques et matériels est plus dense et explicite. Ainsi pouvons-
nous lire que « durant ces dix dernières années, l'environnement pétrolier
international a été caractérisé par une réduction importante des budgets
d'exploration des compagnies pétrolières. Une telle situation a réduit la
compétitivité d'un pays comme le nôtre pour les investissements de recherche
pétrolière au profit de pays disposant d'un potentiel pétrolier confirmé ». Le
législateur en tire alors une conséquence logique : « Pour être compétitif,
le Sénégal doit non seulement tenir compte de l'évolution des données énergétiques
mondiales, mais aussi offrir aux acteurs potentiels de l'industrie pétrolière, des
conditions attrayantes et susceptibles de favoriser le développement des
investissements pétroliers d'exploration ou de production sur le territoire
national ». Il conclut alors : « le présent projet de Code pétrolier est conforme
à l'orientation générale du droit pétrolier international, tout en tenant compte des
caractéristiques spécifiques de la recherche et de l'exploitation des hydrocarbures
dans notre bassin sédimentaire Onshore, et offshore, des conditions
existantes et du développement anticipé de l'industrie pétrolière »21.
La véritable période de disette évoquée dans l’exposé des
motif de la loi de 1998 est expliquée encore plus de détail par la
doctrine locale, suivant laquelle « la recherche et développement en
géophysique (sismique réflexion tridimensionnelle), bien qu’en progrès dans les
années 1980 et 1990, n’était pas encore arrivée à maturité pour diminuer
nettement les risques liés à l’exploration dans les zones prometteuses mais peu
connues comme pouvait l’être l’offshore sénégalais. (…) Conscient de son
potentiel pétrolier et gazier, confirmé depuis les années 1960 par quelques indices
issus de forages mais aussi par une grande découverte non commerciale au large
de la Casamance en 1967 et le petit gisement gazier de Diamniadio en 1987,
l’Etat du Sénégal décida donc d’adopter un Code pétrolier attractif pour séduire
les compagnies pétrolières internationales et relancer l’exploration »22.
La nécessité de maintenir ce capital de normes inspiré des
conditions matérielles d’exploitation est d’autant plus évidente que
au Sénégal.
22 NDAO Fary, L’or noir du Sénégal : comprendre l’industrie pétrolière et ses enjeux au
166
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019
28 Interview parue dans le trimestriel d’informations SNH Infos N°13 juin 2003,
page 9.
29 Lire CABRILLAC R., Le symbolisme des codes, in L’Avenir du droit, Mélanges en
(CNUCED), 1987.
167
l’économie et la gouvernance31.
Si le développement durable a initialement été conçu et
développé dans un cadre international, et constitue le moyen
juridique implicite de certaines règles fondamentales du droit des
hydrocarbures (1), sa déclinaison connaît sans surprise une
différence dans les deux législations pétrolières sénégalaise et
camerounaise. Le contenu local est formellement intégré dans les
deux textes, avec en prime les exigences de transparence au Sénégal
uniquement (2).
1. Les fondations diverses du développement durable
Le développement durable a été présenté comme une notion
à contenu variable32, mais il constitue en réalité « un concept
intersystémique » par nature, car « sa capacité de résonance peut se ressentir
au sein d'un même système juridique, par l'influence qu'il déploie sur le système
et ses normes ainsi que par les applications qui en sont faites »33.
Intégrant à la fois des variables économiques, sociales et
internationales, la notion de développement durable s'est précisée au
fil du temps, au point de constituer un standard à la fois législatif et
jurisprudentiel34. Les États font preuve d’une appropriation
particulière et parfois singulière du standard du développement
durable. À travers plusieurs textes de nature différente et de manière
progressive, ce standard est rentré dans le bloc de juridicité du
continent africain.
171
S’agissant de la transparence qui est explicitée dans les articles 55 et
56 du code pétrolier sénégalais, il est à noter que seul l’enjeu de
l’alignement aux normes ITIE est clairement mentionné et avec une
redondance certaine, et non les textes communautaires et légaux
antérieurs qui sont autant voire plus contraignants en la matière42.
Pour ce qui est du contenu local, l’idée d’amélioration du
dispositif antérieur est clairement énoncé, avec en plus non
seulement des grandes lignes déclinées en 5 alinéas à l’article 58,
mais la précision que « les mesures de promotions du contenu local seront
déterminées par une loi ». Le projet de loi y relatif au contenu local dans
le secteur des hydrocarbures a été adopté par le gouvernement
sénégalais mercredi 9 janvier 2019 lors du Conseil hebdomadaire des
ministres, et la loi adopté sous la même législature que le code
pétrolier du 1er février 2019 (loi n°2019-04 portant contenu local au
Sénégal).
Le concept-thème de « développement durable » qui imbibe
les législations pétrolières sénégalaise et camerounaise est déployé de
façon différenciée, avec une plus grande densité au Sénégal, alors
que les ressorts de son déploiement son présents dans les deux
contextes43. Cela est en réalité la traduction d’une différence
fondamentale des politiques juridiques pétrolières entre les deux
Etats qu’il convient de décliner.
Comme le rappelle Charles Eisenmann, « le droit positif apporte
au juriste toute une série de réglementations, de système d’organisation politique
ou gouvernementale divers ; il les lui offre pour ainsi dire ‘‘en vrac’’, tous
ITIE qui ne sont pas toutes mises en œuvre par le Cameroun, la loi n°2018/011
du 11 juillet 2018 portant code de transparence et de bonne gouvernance dans la
gestion des finances publiques aurait pour constituer une source de réitération de
l’engagement camerounais en la matière, ce qui aurait été cohérent avec le
satisfecit général de la SNH en la matière. De même, au regard de la densité des
dispositions du contenu local tel qu’aménagé dans le code minier de 2016 (articles
165 et suivants) dans ce même pays, le libellé du code pétrolier où l’activité est
ancienne est clairement étonnamment succinct.
172
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019
ensemble comme à ‘‘l’état brut’’ : et c’est à lui juriste (…) qu’il appartient et
incombe de mettre l’ordre intelligible, l’ordre de la connaissance dans cette masse
de matériaux »44. Boris Barraud rappelle alors que « cette mission propre
au jus-universitaire est une mission scientifique et elle doit être comprise de la
sorte par lui »45.
Mais dans cette perspective, « la construction d’une matière
juridique, à partir des éléments plus ou moins épars, est toujours une œuvre
intellectuelle reposant par force sur des prises de position quant à la nature
juridique des institutions, quant à leur domaine, quant aux principes qui sont
censés les gouverner, etc. »46. Nous pensons qu’après avoir démontré le
tronc commun dans la structuration des législations pétrolières
sénégalaise et camerounaise, l’ordre logique de l’étude devrait
s’appesantir sur leur mise en perspective logique et rationnelle. Au
demeurant, comme le dit Alain Supiot, « la recherche en droit ne diffère
pas sensiblement des autres activités de recherche. Il s’agit toujours de colliger,
d’ordonner, d’interpréter et d’expliquer rationnellement des données
empiriques »47. Il s’agit ici de dépasser, pour reprendre le mot de
Jacques Chevallier, « l’étroitesse » du positivisme techniciste « qui
s’attache à restituer le plus fidèlement possible le droit existant, tout en
construisant et en diffusant les cadres conceptuels destinés à assurer la cohérence
de l’édifice normatif »48.
Le concept49 de « relation juridique » est ici entendue comme
« une activité ou une situation dans laquelle plusieurs personnes sont susceptibles
d’agir mutuellement les unes sur les autres. Une relation doit donc réunir des
L’Harmattan, p. 232.
46 JESTAZ P., JASMIN C., La doctrine, Paris, Dalloz, 2004, p. 218.
47 SUPIOT A., « Grandeur et petitesse des professeurs de droit », Les cahiers du
droit, vol. 42, n°3, sept. 2011, cité par FONTAINE L., Qu’est-ce qu’un “grand”
juriste ? Essai sur les juristes et la pensée juridique moderne, Paris, Lextenso éditions,
2012, p. 105.
48 CHEVALLIER J., « Doctrine juridique et science juridique », Droit et société,
distinction… », in TUSSEAU G. (dir.), Les notions juridiques, op. cit., pp. 21-53.
173
sujets, au moins deux personnes, et une activité ou une situation qui fonde une
interaction entre ces personnes »50.
Mettant aux prises des acteurs aux intérêts rarement
convergents mais toujours aussi interdépendants, à savoir les États
producteurs et les entreprises privées étrangères principalement,
cette relation mérite tout son pesant d’attention. Elle laisse dégager
une divergence dans la définition des rapports juridiques entre ces
deux pays.
II. Une divergence dans la définition des rapports de
droit
Nous envisageons la clarification des législations pétrolières
sénégalaise et camerounaise à partir de la théorie relationiste51 du
droit, en intégrant que « le seul fait de faire reposer une théorie juridique sur
la relation implique, même si ce n'est pas expressément affirmé, un dispositif
symbolique et procédural, c'est-à-dire un dispositif qui rende compte de la juste
distance invisible entre deux personnes dans un système de relations en
transformation »52.
Le droit sous cet angle « est le travail de la distance
relationnelle »53, et « l’art du droit peut être vu (comme l’art équilibrer et de
canaliser les forces dans une société (…) qui n’est rien d’autre qu’un ensemble
complexe et organisé de liens de droit en constante transformation… »54.
A. Des rapports juridiques verticaux au Sénégal
Deux angles fondamentaux peuvent constituer l’épine
dorsale d’analyse des types de liens de droit formés en matière
329, cité par JEULAND E., Théorie relationiste du droit, op.cit., p. 381.
53 JEULAND E., La fable du ricochet, Paris, mare & martin, coll. Droit & Science
54 Ibid p.312.
55 Ce sont les variables régulièrement évoquées par les autorités de ce secteur à
l’aune de l’appréciation du caractère flexible du système pétrolier mis en place par
le pays.
56 BUISSON J., « Impôt et souveraineté », Archives de philosophie du droit, L’impôt,
175
contractuelle 58, du loyer superficiaire dont les montants sont
différents suivant les périodes d’activité et les modalités de
recouvrement également précisées par voie contractuelle59, et enfin
des dépenses sociales qui sont fixées par voie contractuelle et non
recouvrables à titre de coûts pétroliers60. Lorsque l’on y ajoute les
règles de parte de la production et de définition des coûts pétroliers
qui sont négociables et fixés dans le contrat de partage de
production, mode contractuel systématiquement choisi par les
parties, l’on peut aisément en conclure à un caractéristique
essentielle aux éléments fiscaux spécifiques, qui est leur
négociabilité.
Or outre ces éléments fiscaux, sont adjoints des impôts et
taxes dont les règles sont celles fixées par le droit commun. Ainsi
est-il de l’impôt sur les sociétés61, et de façon générale « les autres
impôts, taxes et droits, dus par les titulaires de titres miniers d’hydrocarbures et
les entreprises qui leur sont associées dans le cadre de protocoles ou d’accords sont
exigibles dans les conditions de droit commun »62. Mieux, « la fiscalité des
cessions de droits portant sur les titres miniers d'hydrocarbures, en phase
d'exploitation, est régie par les dispositions du Code général des Impôts », et
enfin, les compagnies sont tenues de présenter leurs résultats
d’activités par champ pétrolier, en clair, l’agrégation des résultats
n’est pas autorisée63.
Cette juxtaposition de règles fiscales applicable à un même
opérateur, permet de comprendre aussi le caractère vertical du
pouvoir administratif cette fois. Selon Rémy Libchaber : « Le droit a
partie liée avec les institutions qui le rendent possible, comme avec les normes qui
en expriment le discours. Mais de façon plus fondamentale, il puise ses racines
58 Art. 42 de la loi n°2019-03 du 1er février 2019 portant code pétrolier au Sénégal.
59 Art. 47 de la loi n°2019-03 du 1er février 2019 portant code pétrolier au Sénégal.
60 Art. 48. de la loi n°2019-03 du 1er février 2019 portant code pétrolier au
Sénégal.
61 Art. 53. de la loi n°2019-03 du 1er février 2019 portant code pétrolier au
Sénégal.
62 Art. 45. de la loi n°2019-03 du 1er février 2019 portant code pétrolier au
Sénégal.
63 Art. 44. de la loi n°2019-03 du 1er février 2019 portant code pétrolier au
Sénégal.
176
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019
dans la société dont il assure la cohésion. »64 En outre, pour Pierre Noreau,
« une fois institué, le droit devient lui-même un facteur instituant, et propose un
procédé stable d’institutionnalisation »65 .
Ainsi, « le droit ne serait pas à proprement parler un révélateur, mais
la structure dynamique de la société »66. La centralité de l’État dans le
droit des hydrocarbures, chevillée autour du principe juridique de
souveraineté des États sur leurs ressources naturelles, suggère, dans
le cadre de la comparaison des systèmes juridiques pétroliers
entamée, d‘étudier le type de liens tant administratifs que
contractuels et fonctionnels aménagés par ces Etats.
2. Un pouvoir administratif classique
En ce qui concerne la distribution du pouvoir entre les
différentes entités, il est aisé de constater que le pouvoir central par
la voie de son ministère entretient des liens de subordination avec la
société nationale, PETROSEN, qui ne bénéficie que d’un mandat
spécial et non général. Un mandat est un « acte par lequel une personne
est chargée d’en représenter une autre pour l’accomplissement d’un ou de plusieurs
actes juridiques »67. Au regard du droit commun du mandat établi par
l’article 1998 du code civil 68, les actes du mandataire engagent le
mandant dès lors que le mandataire a agi dans le cadre de ses
pouvoirs69.
En effet en matière de mandat, la jurisprudence fait
application du principe de représentation70, qui elle-même
s’explique, en termes de fondement, par « la substitution, que la loi
ordonne ou permet, d’une personne à une autre. La personne substituée n’est
6è édition, p.125.
70 Avis du Conseil d’Etat français du 22 janvier 1998, EDCE, 1999, n°50, p.226.
177
alors que le prolongement de celle à qui elle a été substituée »71. Or en la
matière au regard de la théorie générale, « le mandat doit toujours être
interprété d’une manière restrictive (art.1989 du code civil) »72. Or la
société pétrolière nationale, société des Pétroles du Sénégal
(PETROSEN SA), est « constituée en vue de réaliser des opérations
pétrolières sous la forme d'un établissement public, d'une société nationale ou
d'une société anonyme à participation publique majoritaire »73. Si le caractère
uniquement, opérationnel est évoqué dans la définition, l’article 4 du
même texte semble dès le départ introduire une représentation
générale. Il dispose en effet que « la société pétrolière nationale agit
en son nom ou pour le compte de l'Etat dans le domaine des
hydrocarbures ».
Mais, ensuite, il précise : « Elle est notamment chargée :
- de promouvoir le bassin sédimentaire sénégalais;
- d'entreprendre, à la demande et pour le compte de l'Etat, des activités de
prospection, de recherche, d'exploitation, de transport et de commercialisation des
hydrocarbures liquides et gazeux à l'état brut, seule ou conjointement avec toute
autre société, filiale ou non, dans le cadre d'association, ou toute forme .de
groupement possible;
- de détenir, à la demande et pour le compte de l'Etat, les participations
de l'Etat dans les gisements d'hydrocarbures et dans le capital des
sociétés titulaires de contrat pétrolier ».
Il s’agit ici en clair d’une représentation administrative
(promotion du domaine minier national), technique ou
opérationnelle (exécution d’opérations pétrolières) et économique
(représentation dans le capital des sociétés titulaires de contrat
pétrolier)74. En revanche, c’est le ministère en charge des
hydrocarbures qui assure « la mise en œuvre de la politique du gouvernement
en matière des hydrocarbures »75, qui est l’autorité adressataire de tout
178
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019
179
Ce sont des liens de droit tout à fait opposés qui sont
aménagés dans le système pétrolier camerounais.
B. De rapports (davantage) horizontaux au Cameroun
Au Cameroun, le législateur aménage un système fiscal
spécifique à l’activité, modifiant les règles essentielles de la fiscalité
de droit commun d’une part (1), et édicte des règles compétences
exceptionnelles pour la société nationale de pétrole camerounaise,
qui fusionne des compétences de divers ordres (2).
1. Une fiscalité nivelée
Le code pétrolier camerounais, à l’image du code sénégalais,
prévoit à la fois des impôts spécifiques à la ‘activité pétrolière, et
d’autres applicable dans le droit commun des activités économiques.
Comme au Sénégal, la plupart des impôts et taxes spécifiques sont
négociables. Ainsi en est-il de la redevance proportionnelle à la
production due par les titulaires des contrats de concession, dont « le
taux (…) ainsi que les règles d’assiette et de recouvrement qui peuvent être
différents pour les hydrocarbures liquides et pour les hydrocarbures gazeux sont
précisés dans le contrat de concession »79, des bonus de signature et des
bonus de production dus en fonction des quantités d’hydrocarbures
produites « selon les modalités prévues au contrat pétrolier »80. De même, le
titulaire du contrat de concession peut être assujetti à un
prélèvement pétrolier ou gazier additionnel calculé sur les bénéfices
tirés des opérations pétrolières, dont les modalités sont fixées dans
le contrat81. Seuls les droits fixes dus en cas de demande
d’attribution, de renouvellement, de renonciation ou de transmission
de contrats pétroliers et des autorisations en dérivant d’une part, et
la redevance superficiaire annuelle, sont des taxes spécifiques dont
les montants et les modalités de règlement sont précisés dans la loi
de finances applicable.
Cameroun.
81 Art.109 de la loi n°2019/008 du 25 avril 2019 portant code pétrolier au
Cameroun.
180
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019
83 Ce sont ceux qui ont été « gagnés » depuis la précédente échéance, et sont
acquis au jour le jour.
84 Lire ESSAGA S., « De l’autonomie relative des codes pétroliers en matière
fiscale en Afrique noire. Exemple à partir de l’impôt sur les sociétés en droit
camerounais et ivoirien », Solon n°5, vol. III, avril 2015, pp. 30-48.
85 Art.106 de la loi n°2019/008 du 25 avril 2019 portant code pétrolier au
Cameroun.
86 Une caractéristique essentielle de l’impôt au sens classique, c’est que l’impôt est
2. Un pouvoir fusionné
Alors que dans le système sénégalais, il y a un aller-retour
entre l’administration centrale en général (les ministères), le
ministère en charge des hydrocarbures en particulier, et la société
nationale dans la distribution des pouvoirs, le Cameroun a aménagé
un système davantage horizontal. Ici, la société nationale est très
souvent compétente de façon alternative au ministère en charge des
hydrocarbures, mieux elle est exclusivement compétente sur des
sujets régaliens tels la contractualisation des rapports avec les
sociétés pétrolières étrangères, même sur des questions aussi
sensibles et régaliennes que la fiscalité.
En général, tous les pouvoirs reconnus à la société nationale
sénégalaise le sont aussi pour son équivalent au Cameroun. L’Etat se
réserve ainsi le droit d’entreprendre des opérations pétrolières, soit
directement, soit par l’intermédiaire de la société nationale87. De
même, « lorsque les circonstances l’exigent, les titulaires de contrats pétroliers
peuvent conclure des accords avec l’Etat, représenté par la société nationale à cet
effet, pour créer des entreprises destinées à conduire des opérations pétrolières
spécifiques d’intérêt général pour le secteur pétrolier amont… »88 ; ladite
société peut prendre des participations pour le compte de l’Etat89.
De même, comme au Sénégal, le contrat pétrolier est signé tant par
le ministre en charge des hydrocarbures que la société nationale
pétrolière90. Mais cinq différences fondamentales sont observables
quant aux pouvoirs de la société nationale au Cameroun par rapport
à sa consœur sénégalaise, et en ne prenant en considération que les
angles relatifs aux volets contractuels et fiscaux :
- les contrats pétroliers sont négociés, « pour le compte de l’Etat, par
une commission permanente mise en place par l’organisme public dûment
mandaté à cet effet et comprenant les représentants des départements
Cameroun.
89 Art.7 de la loi n°2019/008 du 25 avril 2019 portant code pétrolier au
Cameroun.
90 Art.12 de la loi n°2019/008 du 25 avril 2019 portant code pétrolier au
Cameroun.
183
ministériels concernés et ceux dudit établissement ou organisme public »91.
Or, cette commission permanente déjà effective, est entièrement
dominée par la Société nationale des hydrocarbures tant dans sa
composition que dans les mécanismes de délibération92 ;
-la société nationale dispose d’un droit de préemption en cas
de transmission des droits et obligations du contrat pétrolier et
des autorisations qui en dérivent93 ;
- la société nationale a le pouvoir d’apprécier les arguments
produits par les entreprises pétrolières qui souhaiteraient
renouveler la durée de leur contrat au-delà de vingt-cinq (25 ans)
pour les hydrocarbures liquides et trente-cinq (35) pour les
hydrocarbures gazeux. Cette autorisation ne pourrait alors être
renouvelée qu’une fois, pour une durée supplémentaire maximale
de dix (10) ans94 ;
- la société nationale alternativement compétente, avec le
ministère en charge des hydrocarbures, pour mettre en œuvre
les mesures relatives au contenu local, dont l’essentiel des
obligations est d’ordre contractuel95 ;
- la société nationale potentiellement avec le ministre en charge
des hydrocarbures destinataire des contrats de sous-traitance
dont la valeur dépasse le montant plafond fixé au contrat
pétrolier 96 ;
- la société nationale compétente pour approuver l’accord
d’unitisation conclu par les titulaires de contrats au cas où un
gisement d’hydrocarbures s’étend sur plusieurs périmètres
contractuels, soit qu’ils aient été attribués à des titulaires
91 Ibid.
92 Lire S.ESSAGA, Les sources du droit des hydrocarbures, Paris, L’Harmattan, 2018,
pp. 370-373.
93 Art. 22 de la loi n°2019/008 du 25 avril 2019 portant code pétrolier au
Cameroun.
94 Art. 42 al.2 de la loi n°2019/008 du 25 avril 2019 portant code pétrolier au
Cameroun.
95 Art. 90 de la loi n°2019/008 du 25 avril 2019 portant code pétrolier au
Cameroun.
96 Art. 79 al.3 de la loi n°2019/008 du 25 avril 2019 portant code pétrolier au
Cameroun.
184
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019
Cameroun.
99 Titre VIII de la loi n°2019/008 du 25 avril 2019 portant code pétrolier au
Cameroun.
100 Art.128 alinéa 1 de la loi n°2019/008 du 25 avril 2019 portant code pétrolier au
Cameroun.
101 Art.128 alinéa 2 de la loi n°2019/008 du 25 avril 2019 portant code pétrolier au
Cameroun.
102 Art.128 alinéa 3 a de la loi n°2019/008 du 25 avril 2019.
185
des procédures même de négociation en vigueur103. Ensuite, le texte
évoque les incitations « susceptibles d’être octroyées par l’Etat (…) par voie
d’avenant au contrat pétrolier, ou, le cas échéant, à travers la conclusion d’un
nouveau contrat pétrolier »104. Or si l’Etat est clairement une entité
juridique différente à la fois de la SNH et de la commission
permanente, la SNH en tant que mandataire de celui-ci, le représente
de façon charismatique dans les procédures de négociations, au
regard de sa supériorité institutionnelle105.
Mieux, la cohabitation entre la SNH, la commission
permanente et l’Etat dans ce nouveau code pétrolier renforce la
force normative de la SNH, par effet de rupture et de changement
de statut à la fois de la norme106. En effet, ce code consacre
légalement la prééminence de la SNH sur le ministère des finances
en matière fiscale, dans ce contexte exceptionnel précis d’une part.
D’autre part, la SNH est assimilée à l’Etat, même pour un pouvoir
légalement et réglementairement dévolu à ce département
ministériel, ce qui est une innovation voire une révolution légale107.
La SNH, au final, constitue une intersection de plusieurs liens de
droit, se trouvant au centre d’un « écheveau de liens de droit »108,
beaucoup plus dense et original que dans le système sénégalais, car
intégrant des liens inattendus (de type contractuel) avec les sociétés
pétrolières étrangères, sur des questions régaliennes, au regard de
l’ordre juridique classique des Etats de droit d’obédience française
notamment.
103 Lire ESSAGA V., Les sources du droit des hydrocarbures en Afrique, op. cit., pp. 370-
371.
104 Voir art.129 alinéa a,b,c, d et e.
105 Lire ESSAGA V., Les sources du droit des hydrocarbures en Afrique, op.cit., p. 371.
106 ROBINEAU M., « Codification et densification (s) normative (s) », in
186
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019
Conclusion
Une théorie est « un ensemble de propositions qui doivent être
cohérentes pour permettre d’interpréter la réalité, et de formuler des hypothèses
qui doivent être testées »109. Pour Kant, « on appelle théorie un ensemble de
règles pratiques, lorsque ces règles sont conçues comme des principes ayant une
certaine généralité »110. Pour Boris Barraud, « simplicité, complétude,
exactitude : voici peut être ‘‘les lois’’ de la théorie »111.
L’étude comparée des systèmes pétroliers sénégalais et
camerounais nous permet d’identifier des constantes communes, et
des spécificités propres à chacun des systèmes. Sur la base des
derniers codes pétroliers promulgués à trois mois d’intervalle, il est
ressortit que la nature, précisément, les conditions d’exploitation des
ressources pétrolières et gazières, demeurent une variable décisive
dans l’imagination normative. Parce que toujours mobilisée et que
les autorités veulent faire prévaloir de nouvelles exigences diffusées
à l’échelle internationale, ce déterminant physique et économique
n’est pas mis en évidence de façon claire par ces autorités. Ce qui
ressort davantage ce sont les exigences du moment, rattachées au
concept-thème du développement durable, avec quelques –unes de
ses déclinaisons, notamment la transparence et le contenu local.
En tout état de cause, la comparaison des systèmes, dévoile,
sous le prisme de la théorie relationiste du droit, une différence nette
de système juridique. Le Sénégal tente peu ou prou de préserver une
architecture classique des rapports, distinguant ce qui relève de
l’autorité administrative au sens large, voire de l’autorité politique,
des attributions purement opérationnelles et de représentation
spéciale (avec un objet précis et limité). En revanche, le Cameroun a
une option plus contractée des rapports juridiques, avec une
concentration de prérogatives inédite pour sa société nationale, qui
fusionne à la fois des compétences administratives classiques, de
représentation attendue, à des compétences purement régaliennes
109 MILLARD E., Théorie générale du droit, Paris, Dalloz, coll. connaissance du droit,
2006, p. 3.
110 KANT, Eléments métaphysiques de la doctrine du droit, Durand 1853, p. 359.
111 BARRAUD B., op.cit., p. 20.
187
relatives à la contractualisation des rapports juridiques avec les
sociétés étrangères, la validation des termes de révision de ces
contrats, et la définition possible de leurs termes fiscaux,
compétence classiquement dévolues à l’Etat-souverain.
Cette étude peut alors constituer le point de départ de la
formation de clés d’analyses standardisées, dans le cadre de
l’évaluation des performances des différents systèmes juridiques
africains en matière extractive, à l’heure où l’attention générale se
mobilise de plus en plus vers ce continent propulsé devant les
phares de la géoéconomie mondiale en raison de l’importance
exceptionnelle de ses richesses du sous-sol.
188
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019
CHRONIQUES DE LEGISLATION
189
190
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019
LA CONSOLIDATION DE LA BUDGETISATION EN
MODE PROGRAMME AU NIVEAU LOCAL EN DROIT
CAMEROUNAIS.
REGARD SUR LE CODE GENERAL DES COLLECTIVITES
TERRITORIALES DECENTRALISEES
Par
Dr. Cédric NJOYA YONE
Ph. D en Droit Public
Assistant à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques
Université de Douala.
191
qu’on sied alors de distinguer des « dispositions antérieures et contraires »4.
Encore que le Code n’a pas la possibilité d’abroger les normes qui
lui sont supérieures, à l’instar de celles qui procèdent du droit
communautaire5, ou encore orientent la logique de la gestion des
finances publiques à partir du paradigme du budget programme,
entendu au sens que l’admet Thomas Kuhn6. Bien plus, les
dispositions « antérieures contraires » sont énumérées et se trouvent
dans la loi n°2004/017du 22 juillet 2004 portant orientation de la
décentralisation, dans la loi n°2004/018 du 22 juillet 2004 fixant les
règles applicables aux communes, dans la loi n°2004/019 du 22
juillet 2004 fixant les règles applicables aux régions ainsi que dans
celle du 10 juillet 2009 portant régime financier des Collectivités
Territoriales Décentralisées. Mais à la vérité, la seule indication de
l’adverbe « notamment » donne à dire que l’énumération n’est point
limitative. Elle peut donc concerner aussi bien tout autre texte
législatif7 spécifique8 à la décentralisation ou à portée générale9 ainsi
que, il y va de soi, les différents textes réglementaires qui de façon
4 Dans cette hypothèse, l’abrogation est plus globale en ce sens que le texte vise
non seulement toutes les dispositions qui lui sont contraires, mais en plus, il
abroge même celles qui ne le sont pas, une fois qu’elles lui sont antérieures. Il y a
donc dans cette condition un droit exclusivement nouveau. Du point de vue
théorique et même du point de vue pratique, cela reste difficilement concevable.
5 La directive n°01/11-UEAC-190-CM-22 du 19 décembre 2011 relative aux lois
Publication Data, Chicago, 1996, 3e. éd, p. 240. « ce que les membres d’une communauté
scientifique possèdent en commun, et, réciproquement, une communauté scientifique se compose
d’hommes qui se réfèrent au même paradigme ». Car, la pertinence du paradigme est
précisément de mettre « en cohérence une même discipline à partir d’une solution exigée en
modèle ».v. également GAILIARD-SEBILEAU, « La force normative du
paradigme juridique », in THIBIERGE © et alii, La force normative. Naissance d’un
concept, Paris/Bruxelles, LGDJ/Bruylant, 2009, pp. 171-182, spéc. 172.
7 La loi n°2009/019 du 15 décembre 2009 portant fiscalité locale, voire des
différentes lois annuelles des Finances. Mais tel n’est pas le cas de la loi
n°2018/011 du 11 juillet 2008 portant Code de Transparence et de bonne
Gouvernance dans la gestion des finances publiques au Cameroun ; La loi
n°2018/012 du 11 juillet 2008 portant Régime Financier de l’État et des autres
entités publiques du fait de l’article 372 (2) du CGCTD.
8 En vertu du principe « lex posterior priori derogat »
9 En vertu du principe « specialis generalibus derogat ».
192
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194
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Rafip n°6 – 2nd semestre 2019
197
compensation et de la non-affectation. En réalité, l’unité budgétaire
est également consacrée. Car, « toutes les recettes et toutes les dépenses sont
retracés dans un document unique (…) »24. Il en est de même du principe
de l’équilibre25 qui ne saurait être spécifique à la budgétisation par
programme.
2. L’introduction des règles spécifiques
A la faveur de la budgétisation par programme un corps
nouveau de règles voit le jour. Elles ne sont pas seulement relatives
à certains principes qui ont depuis lors émergés. Elles concernent
également toutes autres règles spécifiques à la logique du budget
programme.
Pour ce qui est précisément des principes introduits à la
faveur de la budgétisation par programme, on peut évoquer ici la
sincérité budgétaire et la soutenabilité budgétaire. En effet, l’on doit
le fondement de ces principes à une disposition du code qui de
façon subreptice dispose que « le contrôleur financier donne un avis sincère
et soutenable des plans d’engagement des dépenses »26. Mais, il faut savoir gré
la loi de 2018 qui demeure, pour des dispositions non compatibles,
applicable au CGCTD. De fait, la soutenabilité désigne, dans le
cadre des finances publiques, la capacité pour une Collectivité
Territoriale Décentralisée à conduire des actions sans se mettre en
danger, à honorer ses engagements financiers dans le futur, c’est-à-
dire à rester solvable. La sincérité pour sa part, réside dans
l’obligation de présenter des comptes ou un budget reflétant une
image sincère et fidèle de la situation et des perspectives
économiques et patrimoniales au regard des informations à
disposition au moment de leur élaboration. Le principe de sincérité
interdit alors de sous-estimer les charges ou de surestimer les
ressources présentées dans le budget ou dans les comptes et fait
obligation de ne pas dissimuler des éléments financiers ou
patrimoniaux.
Par ailleurs, à côté des principes nouvellement introduits à la
faveur du budget programme, il est important de présenter de
nouvelles règles qui s’accommodent à cette logique. C’est ainsi que
« le budget présente l'ensemble des programmes concourant au développement
économique, social, sanitaire, éducatif, culturel et sportif de la Collectivité
198
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31 LAUBADERE (A. de), Traité de droit administratif, Paris, LGDJ, 1984, 9e éd., t.1,
p. 331.
32 C.E, 6 déc. 1907, Compagnie des chemins de fer de l’Est et autres, Rec. 913,
concl. Tardieu.
201
piloter un programme, une action voire une activité. Le fait étant
qu’il s’agit à n’en point douté, des niveaux de responsabilités qui
exige autant des compétences techniques que des compétences
managériales.
2. L’imprécision des modalités des autres responsables
du programme
Il est important avant tout de rappeler la déclinaison d’un
programme. Aux termes du deuxième alinéa de l’article 409 du
Code, « le programme regroupe les crédits destinés à mettre en œuvre une action
ou un ensemble cohérent d’actions… »33. Dans le même sens, l’alinéa 5 du
même texte précise que « un arrêté du Ministre en charge des collectivités
territoriales fixe la nomenclature des programmes, à charge pour lesdites
collectivités de les décliner en action et activités ». L’analyse du texte autorise
à dire que, au sens du Code, le programme se décline action et en
activité. Mais en réalité et sous réserves de spécificités, rien
n’interdit, sinon tout oblige, une Collectivité à aller jusqu’au tâches
dans sa nomenclature de programme. D’autant plus que la loi de
2018 portant régime financier l’autorise. Mais surtout, il n’est pas
possible d’envisager la déclinaison du programme sans les tâches.
En effet, c’est à ce niveau que se fait en réalité l’imputation
budgétaire. La tâche représente en alors les différentes activités, au
sens littéraire, que mène la Collectivité. Ce qui signifie finalement
que c’est la tâche qui correspond à l’imputation budgétaire.
De fait, la logique de programme consiste alors tout
simplement à mettre en cohérence toutes les différentes missions
des Collectivités. Selon qu’on évolue dans une approche top down, on
consolide ces différentes missions des activités vers le programme.
C’est dans ce sens précisément que le ministère en charge des
Collectivités Territoriales Décentralisées a orienté34 les Communes
camerounaises vers l’adoption de quatre programmes-type qui se
déclinent en programme, actions, en activités et en tâches. Il s’agit
de l’Amélioration de l’offre des services sociaux de base pour le premier
Programme. Le deuxième est la promotion du développement économique et
protection de l’environnement. Le troisième est la promotion de la citoyenneté,
du sport, de la culture et appui à la jeunesse. S’il s’agit pour les trois, des
programmes opérationnels, il reste à souligner que le quatrième est
203
II. La revalorisation du cadre logique
Le besoin est réel de préciser initialement que l’idée de
revalorisation ne doit pas être perçue au sens axiologique. Il s’agit de
mettre davantage en avant la dimension normative et positive.
Autrement dit, la logique de la budgétisation par programme s’est
densifiée et même précisée avec le Code Général des Collectivités
Territoriales Décentralisées.
Au-delà, il est admis aujourd’hui que la budgétisation par
programme est un outil important de la Gestion Axée sur les
Résultats. Il s’agit alors d’une technique qui a un dessein : l’atteinte
des résultats. Mais il s’agit des résultats qui reposent sur le triptyque
efficacité, efficience et économie. C’est ce qu’on appelle alors
l’exigence de performance. En sorte que sans cette exigence dans la
chaîne de résultats impulsé par la logique de la budgétisation par
programme, la tentation est grande de penser qu’il n’y a point à
proprement parler de changement si ce n’est la présentation du
budget qui passerait de la budgétisation par nature à la budgétisation
par programme37.
Au-delà, l’exigence de performance (B) est réalisable dans la
gestion de la Collectivité Territoriale à travers la budgétisation par
programme à partir du moment où un travail préalable s’est fait.
C’est précisément ce qui sied d’appeler la chaîne PPBS c’est-à-dire,
la chaîne de Planification, de Programmation de Budgétisation et de
Suivi-évaluation. Ce qui signifie simplement que son inscription (A)
dans le Code participe à renforcer l’idée générale de la consolidation
de la budgétisation au niveau local.
A. L’aménagement de la chaîne PPBS
L’une des constances aujourd’hui qui existe dans le Code
Général des Collectivités Territoriales Décentralisées est l’arrimage
du budget de la Collectivité à la Chaîne de la Planification,
Programmation, budgétisation et Suivi-évaluation. Il faut dire
pourtant qu’il y a peine à la retrouver dans la loi de 2009 portant
régime financier des Collectivités Territoriales Décentralisées. Ce
n’est qu’en fait par l’interprétation des textes38 à portée générique,
applicables aussi bien à l’Etat, aux Etablissements publics qu’aux
39 V. Guide d’élaboration…
40 Art. 40 (2) du CGCTD, art. 158 du CGCTD, art. 168 du CGCTD, art. 269 du
CGCTD.
41 Art. 76 (2) du CGCTD
205
délibérant »42. C’est le lieu de dire que le cadrage budgétaire est inscrit
dans deux principaux Documents. Il s’agit notamment du Cadre
Budgétaire à Moyen Terme (CBMT) et du Cadre de Dépense à
Moyen Terme (CDMT)43. C’est ainsi que « chaque année, l’organe
exécutif de la Collectivité Territoriale établit un cadre budgétaire à moyen terme
définissant, en fonction d’hypothèse économiste réaliste, l’évolution sur une période
minimale de trois (03) ans (…) »44. Et c’est « sur la base de ce cadre
budgétaire à moyen terme et dans les limites qu’il fixe, l’organe Exécutif de la
Collectivité Territoriale établit le cadre de dépense à moyen terme (CDMT),
décomposant, sur une période minimale de trois (03) ans, les grandes catégories
de dépenses publiques locales ».45
A la suite de la programmation il faut évidemment
budgétiser, c’est-à-dire inscrire dans le budget les projets et activités
qu’on doit finalement exécuter pendant l’année budgétaire. Mais la
budgétisation n’est possible qu’à partir du moment où on se réfère
aux documents de programmation qui vont justement orienter la
rétention des projets à exécuter en année N. Quitte à ce que, selon le
niveau de ressource l’on puisse faire glisser ou reporter un projet de
l’année N en année N+1 voire en année N+2. Finalement, le
programme étant disséqué en Actions, Activités et Tâches, il s’agit
alors en réalité de budgétiser les tâches d’un programme suivant que
le projet est annuel ou pluriannuel. La cohérence apparait alors très
vite entre la programmation et la budgétisation ce sens que « le budget
de la Collectivité Territoriale adopté et approuvé doit être conforme à la première
année du cadrage à moyen terme, tel qu’arrêté à l’occasion du Débat
d’orientation budgétaire »46. Car, est-il encore besoin de souligner que le
débat d’orientation budgétaire procède de la mise à disposition par
l’organe Exécutif à l’organe délibérant avant le 1er août de chaque
année des documents de cadrage à moyen terme, voire d’un rapport
sur la situation économique régionale ou locale ainsi que du niveau
d’exécution du budget de l’exercice en cours47.
En fin la chaîne PPBS s’achève sur le Suivi-Evaluation du
budget finalement voté. En réalité, dans la logique de la
budgétisation en mode programme, il s’agit de fait du Suivi-
Evaluation des programmes. A cet effet pour le Code, « dans les
206
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019
limites des moyens disponibles, le Conseil Municipal peut créer des comités de
quartier ou de village au sein des communes » qui en fait, « sont des cadres de
concertation qui visent à favoriser la participation des populations (…) au suivi
des programmes et projets communaux… »48. Mais à la vérité, l’on ne
saurait se limiter à cette seule disposition du Code pour penser le
Suivi-Evaluation au niveau local. Il faut d’ores et déjà se rappeler
encore que le Suivi « consiste à collecter et à analyser systématiquement
l’information pour suivre les progrès réalisés par rapport aux plans établis, et à
vérifier leur conformité avec les normes établies. Il permet d’identifier les
tendances et les schémas qui se dessinent, d’adapter les stratégies et de guider la
prise de décisions relatives à la gestion du projet/programme ». Pour sa part,
l’Evaluation est « une appréciation qui vise à identifier les effets de ce qui a été
réalisé, qui s’interroge à leur sujet et en estime la valeur. Une appréciation
systématique et objective d’un projet, d’un programme ou d’une politique, en
cours ou terminée, de sa conception, de sa mise en œuvre et de ses résultats. Le
but est de déterminer la pertinence et l’accomplissement des objectifs, l’efficience en
matière de développement, l’efficacité, l’impact et la durabilité. Une évaluation
devrait fournir des informations crédibles et utiles permettant d’intégrer les leçons
de l’expérience dans le processus de décision des bénéficiaires et des bailleurs de
fonds »49. C’est dire en réalité que « le système de suivi-évaluation (dispositif
de suivi-évaluation) est l’ensemble des processus de planification, de collecte,
d’analyse et de synthèse d’informations, et de reportage, ainsi que les conditions et
les capacités nécessaires pour que les extrants du suivi-évaluation contribuent au
processus de prise de décision et d’apprentissage »50.
Au regard de ces clarifications, il est important de souligner,
à la lecture du Code, que le Suivi-Evaluation met aux prises
plusieurs acteurs en commençant par le Responsable de Tâches
jusqu’au responsable du Programme. Bien plus, il concerne
également les autorités stratégiques au niveau local à savoir
l’Exécutif et l’organe délibérant, ainsi que les autorités relevant de
l’administration centrale déconcentrée ou de l’Administration d’Etat.
Il y va en réalité du respect des exigences de performance qui du
reste, ne sont pas moins consolidées dans le Code.
B. L’affinement de l’exigence de performance
Il faut finalement se rendre à l’évidence que la chaine PPBS
est le substrat même de la logique de la budgétisation en mode
207
programme. Mais la finalité de logique est l’exigence de
performance. A ce titre, le CGCTD n’en a pas fait une exigence
vaine et creuse. Il présente spécifiquement les objectifs de
performance à réaliser sur la base de certains outils. Il s’agit
notamment du Projet Annuel de Performance (1) et du Rapport
Annuel de Performance (2).
1. L’indication dans le Projet Annuel de Performance
Avant toute chose il faut souligner que la logique de la
budgétisation par programme ne s’accommode pas autrement de
l’élaboration d’un projet de budget amputé du Projet Annuel de
Performance. C’est ici une autre rupture importante qu’il faut établir
avec la logique classique d’élaboration du budget. C’est donc à juste
titre qu’on comprend le changement de paradigme entre les moyens et
les résultats. En effet, l’atteinte des résultats est tributaire des objectifs
que la Collectivité se fixe au début de l’exercice budgétaire. Ces
objectifs sont alors consignés dans un document appelé Projet de
Performance Annuel de la Collectivité.
En son article 419 (1), le Code dispose que « le projet annuel de
performance annuel de la Collectivité Territoriale annexé au projet de budget,
présente pour chaque programme, les objectifs poursuivis et les résultats attendus,
mesurés au moyen d’indicateurs d’activités et de résultats »51. Il s’agit alors
d’une sorte d tableau de bord de tous ceux qui interviennent dans la
chaîne du contrôle voire du Suivi-Evaluation des Programmes. Car
c’est sur cette seule base qu’il est possible d’avoir une idée
suffisamment précise sur ce qui doit être fait par la Collectivité. Le
Projet Annuel de Performance est « élaboré par les responsables de
programme désignés (…) sous l’autorité du chef de l’Exécutif »52. Il s’agit en
réalité d’une volonté affiché du législateur de responsabiliser, si cela
devait encore être précisé, les acteurs de la déclinaison du
Programme.
Le Projet Annuel de Performance est donc nécessairement
un document annexé au projet de budget devant être soumis à
l’adoption et à validation. Car, « Est joint au projet de budget, un rapport
sur la situation et les perspectives économiques et sociales de la Collectivité
Territoriale ». Le rapport en question présente notamment « (…) des
annexes explicatives indiquant par programme, le montant des crédits présentés
par titre pour le compte de l’année considérée, ainsi qu’à titre indicatif au cours
210
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019
LEGISLATION, BIBLIOGRAPHIE ET
INFORMATIONS
211
212
Rafip n°6 – 2nd semestre 2019
BIBLIOGRAPHIE CRITIQUE
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215
juridictionnel, le juge fiscal se greffe tout d’abord sur la traditionnelle
dualité organique (juge fiscal administratif et juge fiscal judiciaire).
Ensuite, au-delà de ce dualisme, la notion de juge fiscal s’est enrichie
avec l’intervention des nouveaux juges fiscaux (constitutionnel et
communautaire) due, ces dernières années, au développement du
contentieux de la responsabilité du fisc et du contentieux de
l’annulation en matière fiscale. Mais, l’analyse ici n’est pas exempt de
critique : où est le rapport entre les juges constitutionnel et
communautaire d’une part, et la responsabilité du fisc et le
contentieux de l’annulation en matière fiscale d’autre part ? On aurait
pensé plutôt à ces juges comme nouveaux juges fiscaux, avec la
montée du contrôle de constitutionnalité des lois fiscales ainsi que la
garantie des droits fondamentaux des contribuables d’une part, et le
contentieux de l’application des normes fiscales communautaires
d’autre part.
En sus, comme organe administratif, le fisc se présente
comme une administration-juge fiscal, un juge fiscal « sui generis »
matériellement indiscutable mais formellement imparfait. Sur le plan
procédural, le juge fiscal, organe juridictionnel suit une procédure soit
spécifiquement fiscale, soit non spécifiquement fiscale ; par contre,
l’administration-juge fiscal applique une procédure quasi-
juridictionnelle, particulière qui l’aménage tantôt comme un juge
fiscal préalable, tantôt comme un juge concurrent au juge fiscal
administratif et judiciaire.
D’autre part, la spécificité du juge fiscal réside dans sa
double dimension matérielle et fonctionnelle. Sous le prisme matériel, il
y a de juge fiscal que parce qu’il y a un litige fiscal en cause. Le juge
fiscal apparaît alors soit comme un juge du litige spécifiquement
fiscal, soit comme un juge du litige non spécifiquement fiscal. Dans
le premier cas, le litige fiscal est de la compétence exclusive du juge
de l’impôt : c’est là que survient la nuance entre juge fiscal et juge de
l’impôt. Dans le second cas, le juge fiscal est le juge fiscal de droit de
commun intervenant dans le litige non spécifiquement fiscal. Sous le
prisme fonctionnel, l’office du juge fiscal reste largement prouvé tant
dans la juris-dictio que dans la juris-latio. Le juge fiscal camerounais
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www.rafip.org ISSN 2510-1994 Editions Scidev Afrique