TROMBA
TROMBA
TROMBA
RAZAMANY Guy
Institut des Langues et Civilisations des Iles du Sud-Ouest de l’Océan Indien, Université de Mahajanga ;
E-mail : [email protected] ; Tel : +261 34 21 012 98,
Résumé
L’état des lieux sur la religion traditionnelle malgache à partir de l’analyse anthropologique montre que les Malgaches
croient à l’immortalité de l’homme ; il y a chez eux la continuité de la vie après la mort, le culte de possession, de
l’esprit tromba est une forme de manifestation de la croyance et de l’imaginaire des Malgaches qui consiste à
considérer que la personne humaine est un ensemble de l’esprit et du corps. Cela veut dire que l’objectif de cette
communication est de montrer la croyance de double aspect de l’être humain chez les Malgaches. Pour eux, pourquoi
existe-il un rapport entre le corps et l’esprit. En ce sens, les Malgaches considèrent –ils que le corps dans tout son
état est incarné par l’esprit et il est son habitacle ? Nous procédons la méthode d’approche basée sur l’anthropologie
de l’imaginaire pour apporter les éléments de réponses sur ces questions car cette croyance sur l’unicité de corps et
de l’esprit est une forme de la représentation collective pour les Malgaches qui pratiquent le culte des ancêtres, en
particulier le culte de possession ou tromba à Madagascar. Selon leur culture, le corps est le patrimoine matériel de
l’esprit en tant que son habitacle. L’incarnation de l’esprit au corps humain vivant est la source du pouvoir socio-
sacral, économique et politique des médiums de l’esprit tromba chez les Tsimihety à Madagascar. Donc, il faut bien
soigner le corps, soit le corps vivant, soit le corps mort afin que l’esprit puisse s’y incarner. Tels seront les résultats
entendus dans cette recherche.
Mots- clés : esprit, corps, pouvoir, médium, culte de possession
Abstract
The review on Malagasy traditional religion from anthropological analysis shows that the Malagasy people believe in
the immortality of man; it occurs to them that there is the continuity of life after death, the cult of possession, of the
tromba spirit is a form of manifestation of the beliefs and the imagination of Malagasy people, which consists in
considering that the living person is a whole of spirit and body. This means that the objective of this communication is
to show the belief of double aspect of the human being among the Malagasy people. For them, why is there a
connection between body and spirit. In this sense, do Malagasy people consider that the human body is embodied by
the spirit and becomes its interior? Our method of approach is based on the anthropology of the imaginary to provide
answers on the aforementioned questions because this belief on the uniqueness of body and spirit is a form of
collective representation for the Malagasy people who practice ancestor worship, in particular cult of possession or
tromba in Madagascar. According to their culture, the body is the material patrimony of the spirit as its interior. The
embodiment of the spirit in the living human body is the source of the socio-sacral, economic and political power of the
tromba spirit mediums among the Tsimihety in Madagascar. So, the body has to be taken good care, either the living
body or the dead body so that the spirit can incarnate there. These will be the expected results in this research work.
Keywords: spirit, body, power, medium, cult of possession
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pérennité et l’efficacité dans la vie. Eliade (1965) possession et les rôles des médiums dans
affirme cette idée et il dit : « (…) L’homme des l’organisation de la vie en société, ce qui les
société archaïques a tendances à vivre le plus permet de comprendre leur environnement
possible dans le sacré ou dans l’intimité des naturel et surnaturel. Ainsi, Godelier (2015)
objets consacrés. Cette tendance est souligne l’importance de l’imaginaire pour
compréhensible : pour les « primitifs » comme l’explication de la nature humaine; il dit :
pour l’homme de toutes les sociétés « S’interroger sur la nature et le rôle de
prémodernes, le sacré équivaut à la puissance l’imaginaire et du symbolique, c’est vouloir
et en définitive à la réalité par excellence. Le rendre compte de composantes fondamentales
sacré est saturé d’être. Puissance sacrée, cela de toutes les sociétés, mais aussi, parce qu’ils
dit à la fois réalité, pérennité et efficacité ». sont liés, d’aspects qui, chaque fois, forment une
Par leur croyance de l’immortalité de grande part sociale et intime de notre identité ».
l’homme grâce à la continuité de la vie après la La conception imaginaire de la vie chez
mort, le culte de possession est une forme de les Malgaches implique alors l’existence de la
manifestation de la croyance et de l’imaginaire relation entre la vie terrestre et la vie dans le
des Malgaches qui consiste à considérer que la monde au-delà dans leur système de
personne humaine est un ensemble de l’esprit et communication transcendante et horizontale
du corps. Cela veut dire que les Malgaches dont son résultat est réel et tangible dans
croient au double aspect de l’être humain. Pour l’organisation de la vie en société, surtout dans
eux, il existe un rapport entre le corps et l’esprit. ce village qui n’est pas encore dominé par la
En ce sens, ils corroborent la philosophie logique scientifique et la culture judéo-
platonicienne qui considère que le corps comme chrétienne.
non pas seulement le tombeau de l’âme mais
plutôt de l’habitacle de ce dernier. Le mot tromba Résultats
en affirme étymologiquement car ce mot semble
Les résultats qui vont attendre sont
probablement d’origine swahilie, il vient de
l’incarnation de l’esprit au corps humain vivant
zumba, ce qui veut dire une maison ou une
comme étant la source du pouvoir socio-sacral,
case. Donc, ici la maison ou la case dans
économique et politique des médium de l’esprit
laquelle l’esprit d’un souverain sakalava en
tromba chez les Tsimihety à Madagascar. Donc,
général habite est une personne vivante,
il faut bien soigner le corps, soit le corps vivant,
souvent d’une femme appelée saha, un médium.
soit le corps mort afin que l’esprit puisse s’y
Son corps est comme un habitacle de cet esprit
incarner.
pour le rendre immortel et on peut demander, en
effet, de la bénédiction pour harmoniser la vie en
Les médium : des êtres sacrés et des
société. Cette considération des Malgaches de
êtres sociaux
la nature humaine est exprimée par nombreux
Les médiums sont aussi comme des
images et de symboles à partir de rituels des
êtres doubles identités : leur identité sociale et
cultes des ancêtres, y compris le culte de
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leur identité sacrale. Donc, ils sont chez les provoque la pureté et la sacralité du corps et de
Tsimihety, mêmes s’ils sont à l’état physique et la société. En outre, cet exorcisme facilite l’entrer
social, sont des êtres unis par le corps et par en transe du possédé ou du patient si celui-ci est
l’esprit des ancêtres royaux ou /et princiers hanté par le mauvais esprit tromba. La transe du
sakalava en général capables de pénétrer dans malade est également un processus de soin et
le monde sacré; autrement dit, ils sont plein du d’intégration dans le monde du sacré, dans le
sacré, loin de profane et de la souillure ; ils monde des esprits. C’est la forme de la
essaient de vivre en permanence avec ces communication entre les vivants, le possédé et
esprits des ancêtres royaux ou /et princiers le patient dans ce monde. Car elle implique la
sakalava qui se manifestent dans le corps libération ou la fuite des esprits mauvais qui
humain vivant de l’immortalité de leur pouvoir habitent chez le malade ou dans sa localité.
social, politique et économique pour pouvoir C’est pourquoi pour chasser les mauvais esprits
assurer la continuité de la société et de la culture et pour faciliter l’avènement du vrai l’esprit
ancienne dans le temps présent, dont leur tromba, les assistants chantent à haute voix
résultat se trouve dans le social des Tsimihety avec la musique, accompagnés par le battement
d’Amparihibe. de mains et de tambour autour du patient. La
fuite des esprits mauvais est provoquée aussi
Manifestation du pouvoir sacré par l’enfumage de résine, par l’eau bénite et par
des médium dans le social le parfum. En effet, cette transe exprime la
étape de la cérémonie d’installation d’un esprit tromba mais par le soin d’autres types de
tromba chez le patient et même dans une simple maladie, le chant avec la musique n’est pas
consultation dans la quête de la bonne santé et forcément nécessaire dans cette séance
une vie meilleure dans la vie quotidienne, dans thérapeutique. A juste titre, Brandibas (2003) a
la mesure où il faut faire table rase des expliqué que : « La transe est le temps du
avec les vivants comme souillure, profane et thérapeutiques. Ils sont un moyen de
mauvaise qui habite chez le patient et dans problèmes infligés par les esprits maléfiques
l’endroit où un possédé entre en transe appelé appelé masantôko qui frappe un individu ou une
mianjaka en tsimihety. Ainsi, la technique de localité, voire une société dans son ensemble.
l’exorcisme tsimihety effectué par les possédés a Et, ils permettent de résoudre aussi le désordre
impliqué à la fois la purification physique et la comme un déséquilibre dans les liens unissant
purification spirituelle. Donc, le culte de l’individu au sacré. Mais, ils visent aussi à
possession est un processus de guérison qui socialiser la personne hantée par l’esprit
mauvais. Cela veut dire que la finalité du culte
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de la possession est d’arrêter le désordre social d’accès aux soins et aux loisirs. Dans cette
ou d’intégrer un individu dans un espace culturel situation, le tromba assure la guérison des
ou groupe social. À ce sujet, Marc (1984) morbidités personnelles et sociales. Le culte de
disait que: « La visée de la guérison est la possession devient un temps de fête, de joie et
réintégration du malade dans son groupe de la production artistique à cause de la
apaisé ». domination de la musique traditionnelle pendant
La visée des rituels thérapeutiques du les cérémonies religieuses. Ainsi, il renforce la
tromba est l’arrêt du désordre par l’instauration cohésion socio-morale des Tsimihety
et par l’harmonie. L’usage de l’eau exprime aussi d’Amparihibe. Voilà pourquoi, on dit que le
que les rituels du tromba a une fonction tromba sert à guérir les maladies individuelles ou
médicale car l’eau purifie le corps et de l’esprit. sociales, à sauver de l’ennui de la vie paysanne
Elle est aussi un moyen d’apaiser la soif et ou encore compenser certaines frustrations. Et
d’éviter la déshydratation corporelle. Dans ce même dans le monde urbain, beaucoup des
cas, elle assure le bon fonctionnement de Malgaches gardent leurs attachements aux
l’organisme. En fait, l’eau est source de vie. traditions thérapeutiques hérités des ancêtres
Dans le culte de la possession, on constate pour d’une situation pathologique considérée
souvent le breuvage d’alcool pour maintenir la d’ordre magique qui n’est pas à la compétence
relation avec la divinité du tromba et le médium. de la médecine hippocratique. Elle demande, en
effet, de traitement thérapeutique magico-
Le tromba comme substitut de religieux des possédés ; et il faut retourner aux
l’hôpital chez les Tsimihety villages pour trouver beaucoup ces possédés
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Pareillement, pour le cas du rite d’initiation d’un fondateurs du village d’Amparihibe. Dès que les
possédé, il transforme le statut social d’un saha, Tsimihety se sentent des maux sur le plan
d’un possédé. Le changement de la personnalité physique et sur le plan socioéconomique ; ils
se traduit par la prise d’un nouveau costume, essaient, en suite, de remettre leur relation avec
d’un statut social. Cette nouvelle personnalité est ces divinités par le biais des possédés.
source d’une libération et de joie du moins sur le Autrement dit, les échecs socioéconomiques, les
plan imaginaire et spirituel. Le culte de épidémies et le conflit politique entre les
possession est un mécanisme de guérison membres de la famille dynastique sont
psychologique. Car pour les marginalisés, il est considérés par les Tsimihety comme la colère de
facteur d’ajustement social ou d’intégration ces divinités après leur consultation chez les
sociale et d’équilibre psychologique. En d’autres médiums sans considération, par exemple, des
mots, la fonction de tromba est de rehausser le problèmes scientifiques et techniques à ces
statut d’un individu. Selon, Bastide (1972), la problèmes. Les possédés peuvent intervenir
fonction de la possession est : « de modifier le donc dans l’organisation socioéconomique et
statut social des personnes infériorisées par les politique dans le pays tsimihety comme guides
normes coutumières ». spirituels en cas de besoin pour trouver des
Dans cette perspective, dans les solutions de ces problèmes pour réinstaurer
sociétés patriarcales, dont fait partie la société l’ordre social et politique.
tsimihety traditionnelle, le culte du tromba L’esprit de possession à Madagascar, en
permet aux femmes, la majorité des possédés particulier dans le pays sakalava et tsimihety
de se libérer de la domination masculine dans le sont un moyen du contrôle et de la régulation
domaine social et financier car il crée la source d’un problème économique et politique dans la
de revenu familial et amplifie le revenu quotidien mesure où les paroles des possédés en transe
par les activités agropastorales. Il est un dans ces domaines sont écoutées par les gens.
système religieux de résistance et de Elles les acceptent comme une révélation de
protestation sociale, il met en égalité du genre l’imaginaire collective, dans la mesure où elles
dans le domaine religieux et politique sous sortent en quelques sortes de la bouche de la
influence du système de parenté sakalava qui divinité des ancêtres dynastiques. Elles sont
est à la fois une société patriarcat et matriarcat. directement applicables, s’il s’agit du domaine
politique et religieux. Ottino (1965) souligne cette
Les médiums et la réinstauration croyance des Malgaches aux paroles magiques
d’ordre socioéconomique et politique de l’esprit de possession, il dit : « Les paroles
La pratique du culte rendu aux ancêtres d’un possédé en transe sont immédiatement
une forme de moyen de tisser le lien de parenté d’autorité des ampanjaka (des rois) ».
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Marc, G., (1984). Le développement en quête d’acteurs,
Bibliographie
Centurion, Paris,
Brandibas, J. (2003). Traité de psychopathologie et Ottino, P., (1965). « Le tromba (Madagascar) », L’Homme.
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Psychologie, Saint Denis, Université de la Réunion Paris, pp .84-93
Bastide, R., (1972). Le rêve, la transe et la folie, Flammarion, Rajemisa-Raolison, R. (1985). Rakibolana malagasy
Paris (Dictionnaire malgache), Ambozontany,
Eliade, M., (1965). Images et symboles. Essais sur le Fianarantsoa,
symbolisme magico-religieux, Gallimard, Paris,
Godelier, M., (2015). L’imaginé, l’imaginaire et le symbole,
CNRS, Paris
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