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L’IMPLICATION DES ACTIONNAIRES INSTITUTIONNELS DANS LA

GOUVERNANCE DES ENTREPRISES : LE CAS D’UNE ÉCONOMIE EN


DÉVELOPPEMENT

Jules Roger Feudjo, Jean-Paul Tchankam

ISEOR | « Recherches en Sciences de Gestion »

2018/5 N° 128 | pages 157 à 182


ISSN 2259-6372
DOI 10.3917/resg.128.0157
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-recherches-en-sciences-de-
gestion-2018-5-page-157.htm
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MANAGEMENT STRATÉGIQUE
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revue Recherche en Sciences de Gestion-Management Sciences-Ciencias de
Gestión, n°128, p. 159 à 182

L’implication des actionnaires institutionnels dans la


gouvernance des entreprises : le cas d'une économie en
développement

Jules Roger Feudjo


Professeur
Faculté des Sciences Économiques et de Gestion
Université de Ngaoundéré
(Cameroun)

Jean-Paul Tchankam
Professeur Senior
Kedge Business School Bordeaux
(France)
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Cette recherche porte sur l'implication de l’actionnariat
institutionnel sur le contrôle et le management des mandataires
sociaux dans une économie en développement. La démarche
descriptive et explicative empruntée permet de comprendre et
d'expliquer le comportement des institutions qui partagent le risque
résiduel des actionnaires physiques, les raisons de leur implication et
le lien entre la proportion du capital qu'ils détiennent et leur pouvoir
de contrôle. En effet, plus le pouvoir des actionnaires institutionnel est
élevé (part du capital détenu) plus leur calcul rationnel risque
d’impulser dans l’entreprise une gouvernance à forte connotation
actionnariale.

Mots-clés : Investisseurs institutionnels - Implication


organisationnelle – Gouvernance – Afrique - Prise de participation.

This research focuses on the involvement of institutional


shareholders on the control and management of corporate officers in
160 JULES ROGER FEUDJO, JEAN-PAUL TCHANKAM

a developing economy. The descriptive and explanatory approach


used allows us to understand and explain the behavior of institutions
that share the residual risk of individual shareholders, the reasons
their involvement and the relationship between the proportion of
capital they hold and their control. As a matter of fact, the greater the
power of institutional shareholders is in terms of capital control, the
more their rational calculation may be to drive corporate governance
with strong shareholder connotations.

Key-words: Institutional investors - Organizational involvement -


Governance – Africa - Stake.

Esta investigación se centra en el involucramiento la


participación de los accionistas institucionales en el control y la
gestión de los directivos corporativa de una economía en desarrollo.
El enfoque descriptivo y explicativo tomado en préstamo permite
comprender y explicar el comportamiento de las instituciones que
comparten el riesgo residual de los accionistas físicos, las razones de
su participación y el vínculo entre la proporción de capital que tienen
poseen y su poder de control. De hecho, cuanto mayor sea el poder de
los accionistas institucionales (participación del capital retenido),
más su cálculo racional corre el riesgo de generar un gobierno
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corporativo con fuertes connotaciones para los accionistas.

Palabras-clave: Inversores institucionales - Participación


organizacional – Gobernanza – África - Toma de participación.

Introduction

Depuis 20 ans, on constate une recrudescence des travaux sur les


investisseurs institutionnels (Ameer, 2010 ; Sahut & Gharbi, 2011).
Cette effervescence a poussé nombre d’auteurs à évoquer l’évolution
d’une nouvelle forme d’organisation du capitalisme, à savoir le
« capitalisme institutionnel ». Useem (1996) annonçait déjà que le
capitalisme institutionnel allait supplanter le capitalisme managérial,
accordant ainsi une influence accrue aux actionnaires institutionnels
au sein des entreprises. Ces investisseurs institutionnels se sont
imposés dans le panorama financier des firmes cotées (Lacoste & al,
ACTIONNAIRES INSTITUTIONNELS ET GOUVERNANCE DES ENTREPRISES 161

2009) et non cotées. L’actionnariat institutionnel renvoie à quatre


catégories d’acteurs bien spécifiques dans le capital des firmes : les
banques, les compagnies d’assurance, les fonds de pension et les
organismes de placement collectif (Lavigne, 2004 ; Ameer, 2010).
Ceux-ci détiennent environ 50% du capital des entreprises en France,
60% aux Etats-Unis et 75% en Grande Bretagne (M’barek, 2001). Le
rôle joué par ces investisseurs dans le financement, la gouvernance et
le succès des entreprises a fait couler beaucoup d'encre (Hellman,
2005 ; Hadani & al, 2011), leur organisation, leur fonctionnement,
leurs pratiques de contrôle et aussi leurs exigences diffèrent d’un pays
à un autre ou d’une place financière à une autre. Au Cameroun, par
exemple, en dehors de la société nationale des investissements (SNI)
qui détient des titres de participation au capital de plusieurs
entreprises, les banques et les compagnies d’assurance détiennent
respectivement 63,7% et 13,6% du capital de la bourse des valeurs de
Douala. En outre, les 324.352 actions émises par la société de
palmeraies du Cameroun (SOCAPALM) en avril 2009 ont été
souscrites à 56% par des personnes morales. Toutefois, il existe peu
de travaux scientifiques à ce sujet dans les économies en
développement. Cette pénurie de connaissances scientifiques incite à
explorer le sujet en tentant d'apporter des réponses aux interrogations
suivantes : Quelles sont les motivations de cette catégorie
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d'investisseurs ? Existe-t-il une relation entre la proportion du capital
investi et le degré ou le type d'implication dans la gouvernance des
entreprises ? La nature des investisseurs influence-t-elle le degré ou le
type d'implication ? Ces questions suscitent de nos jours un intérêt
considérable dans les économies en développement du fait de
l'imprécision du cadre réglementaire sur les prises de participation.
Après une revue des travaux antérieurs, il sera présenté la
méthodologie de recherche, puis les résultats et leurs implications.

1. – Revue de la littérature

C'est Foote (1951), semble-t-il, qui introduisit la notion


d'implication dans les recherches scientifiques notamment afin
d'examiner la manière dont les actifs initient puis maintiennent les
lignes d'activités. Selon Reichers (1985), l'implication
organisationnelle se définit comme l’attachement psychologique d’un
individu à l’organisation tout entière. A cette définition, vient
s’ajouter celle de Brickman (1987) qui souligne que, l’implication
162 JULES ROGER FEUDJO, JEAN-PAUL TCHANKAM

organisationnelle traduit l’engagement des personnes vis-à-vis de


leurs entreprises. Pour cet auteur, cet engagement renvoie au fait que
les personnes maitrisent et façonnent leur environnement interne, leurs
pensées et leurs sentiments, afin de s’adapter à leur environnement
externe et dans le but d’obtenir une valeur et une capacité de contrôle.
O’Reilly & Chatman (1986), soutiennent que l’implication ne peut
être définie qu'en tant que symbiose entre les valeurs d’une
organisation et celles de ses membres. L'implication organisationnelle
traduit une interaction entre l'individu et l'entreprise (Thévenet, 1992).
Pour nous, s’impliquer dans la gouvernance consiste à participer de
manière active et interactive à la définition du pouvoir dans
l’entreprise, à le répartir entre les différentes parties prenantes et à en
contrôler l’exercice. Il s'agit de participer à la ratification des
décisions stratégiques proposées par le dirigeant et de veiller à leurs
mises en application. La décision de participer se trouve au cœur de la
théorie de "l'équilibre de l'organisation" (March & Simon, 1969).
L'implication dans l'organisation consiste donc à participer à la mise
sur pied des mécanismes de contrôle et d’incitation susceptibles de
discipliner les mandataires sociaux et de réduire les déviations
managériales. Cette implication se traduit chez l’actionnaire
institutionnel, par une forte croyance dans les objectifs et les valeurs
de l’entreprise. Un actionnaire impliqué est un actionnaire soucieux
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d’exercer une influence sur les dirigeants notamment en usant de son
droit de vote ou en siégeant au conseil d’administration (CA) de
l’entreprise (Omri, 2002). Black (1991) estime que l’incitation à
influer sur les modes de gestion de la firme et à établir une relation de
contrôle et d’influence augmente avec le nombre de titres détenus. Ce
qui motive les investisseurs institutionnels à exercer un contrôle sur le
dirigeant résulte du fait qu’ayant des proportions de capital de plus en
plus importants, l’option de sortie s'avère plus coûteuse (Omri, 2002).
Si tant est qu'ils demeureraient passifs ou seraient moins bien
informés, leur valeur monétaire les rendrait plus vulnérables aux
pertes que les petits investisseurs (Omri, 2002). Ainsi la détention
d’une fraction des actions d’une entreprise place les actionnaires en
position stratégique, leur permettant d’influer sur les décisions (Sahut
& Gharbi, 2011). Cette influence peut s'exercer indirectement, par des
pressions, ou directement par vote lors des assemblées générales ou
des réunions du CA (Useem, 1996 ; Sahut & gharbi, 2011).
La participation des institutions au capital des entreprises
représente à la fois un investissement rationnel et relationnel. En effet,
ACTIONNAIRES INSTITUTIONNELS ET GOUVERNANCE DES ENTREPRISES 163

plus le pourcentage de capital investi est élevé, plus les investisseurs


institutionnels ont tendance à établir des relations privilégiées de type
capital/gestion (Useem, 1996 ; Sahut & Gharbi, 2011). Très souvent,
les investisseurs sont prisonniers de leur position dès lors qu’ils
possèdent une participation importante dans le capital des firmes
(M’barek, 2001). C'est sans doute ce qui oblige de nombreux pays à
réglementer la prise de participation de cette catégorie d’investisseurs
dans les entreprises. Au Cameroun, l'action est comme partout
ailleurs un droit de propriété et l'inexistence d'un marché financier
actif ne facilite pas le contrôle quotidien de l'investissement. Cette
absence d'outil d'appréciation (le marché) oblige les investisseurs à
plus de vigilance et à jouer un rôle actif dans le contrôle des décisions
et des actions du dirigeant. Mais leur degré d'implication dans la
gouvernance des entreprises dépendrait de la part de capital investie ;
d’où l’hypothèse suivante :

H1 : Le degré d’implication des investisseurs institutionnels dans


la gouvernance de l’entreprise au Cameroun est positivement lié à
leur participation dans le capital de celle-ci.

D’une façon générale tous les investisseurs n’entretiennent


pas le même type de relation avec les entreprises où ils détiennent une
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participation (Pound, 1988). L’implication dite calculée ou de
continuité fait référence à l’engagement dans une activité en fonction
des coûts associés et des gains attendus (Allen & Meyer, 1990). Cette
forme d’implication est issue des travaux de Becker (1960) ;
l’implication étant fonction de ce que l’individu escompte des
investissements consentis. Plus les rapports qu'il entretient avec
l’organisation lui sont avantageux, plus son attachement à celle-ci est
fort. Toutes choses étant égales par ailleurs, cet attachement va
entraîner, une plus grande implication de l’investisseur dans
l’entreprise. Cette implication peut être calculée, normative ou
affective. Comme le note Tiffany (2016), le type et le niveau
d’implication peuvent découler des antécédents tels que : les
caractéristiques socio-démographiques de l’organisation, les avantages
perçus, les compétences, l’équité, la fiabilité organisationnelle, les
normes, les valeurs, la participation à la décision, etc. L’implication
calculée serait donc liée à ce qui a de la valeur pour l’individu et qu’il
veut éviter de perdre. Elle témoigne alors d’une rationalisation de
l’appartenance de l’individu à l’organisation (Commeiras & Fournier,
164 JULES ROGER FEUDJO, JEAN-PAUL TCHANKAM

2000). Cette dimension de l’implication fait allusion au fait que


l'individu a connaissance des coûts associés à son départ de
l’organisation. Elle s'articule autour de deux théories : la théorie de
l'échange réciproque et la théorie des avantages comparatifs (Pauvers
& Commeiras, 2002). L’implication affective rejoint la notion
d’implication attitudinale mise en œuvre par Mathieu & Zajak (1991),
et dont les points communs sont l'identification de l’individu avec
l’organisation, l’engagement envers elle et la résolution d’en rester
membre. Elle reflète dès lors l'inclinaison de l’individu à adhérer aux
buts et aux valeurs de l’organisation. Cette facette est la plus répandue
et la plus utilisée dans la littérature (Pauvers & Commeiras, 2002).
Elle est davantage le fait des individus (personnes physiques) que des
institutions (personnes morales). L'implication affective des
institutions se traduit dans la gouvernance de l'entité détenue par le
comportement et l'attitude des personnes physiques qui la représente.
L’implication normative renvoie à la logique de l’engagement liée à la
cohérence des valeurs organisationnelles et individuelles. Elle découle
des travaux de Vardi & Wiener (1980), de Wiener (1982) qui adoptent
une explication alternative à l’approche utilisatrice des
comportements. Ces derniers sont fonction des pressions normatives
internalisées telles que les standards moraux individuels (Manville,
2002). Cette dimension de l’implication organisationnelle trouve ses
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origines dans le sens du devoir. Elle démontre ainsi un sentiment
d’obligation de rester dans l’entreprise par devoir moral. Cette vision
de l'implication est la plus contestée dans la littérature (Pauvers &
Commeiras, 2002). Nous avons délibérément choisi de l'intégrer dans
cette recherche afin de voir si les spécificités du contexte y apportent
un regard nouveau. Les trois types d’implication sont conditionnés par
le degré d'intérêt que les institutions actionnaires manifestent vis-à-vis
de leur entreprise ; d’où l'hypothèse H2 de cette recherche.

H2: Le type d'implication des actionnaires institutionnels dans la


gouvernance des entreprises au Cameroun dépend de la part du
capital investi.

La prise de participation des investisseurs institutionnels dans


le capital des entreprises s'inscrit dans leur stratégie de diversification
et de réduction du risque de portefeuille. Ce choix dépend du rôle actif
ou non de l’environnement (marché financier, médias, parties
prenantes, etc.) dans le contrôle des entreprises. Cet attribut peut
ACTIONNAIRES INSTITUTIONNELS ET GOUVERNANCE DES ENTREPRISES 165

inciter un investisseur surtout s'il est étranger à faire preuve de plus de


prudence lorsqu’il prend une participation dans un environnement
caractérisé par l'incertitude et l'asymétrie d'information. La sensibilité
de l’investisseur à l'environnement économique (Oriol, 2012) et sa
confiance dans le cadre transactionnel déterminent son type
d’implication. Il faut noter que les travaux sur le type d’implication
des actionnaires institutionnels, nationaux ou étrangers, publics ou
privés sont quasi inexistants concernant le Cameroun. Ceux portant
sur le même sujet dans la littérature sont rares et les résultats obtenus
relativement hétérogènes. Comme le soulignent Sahut & Gharbi
(2011), les investisseurs institutionnels étrangers détiennent un plus
grand pouvoir disciplinaire et sont davantage exigeants en matière de
transparence et de rentabilité. Khanna & Palepu (1999) établissent une
relation négative entre l'actionnariat des investisseurs nationaux et la
performance en Inde. Cette relation est confirmée par Alexandre et
Paquerot (2000) dans le contexte français. Woidtke (2002) a
également constaté une relation négative entre la performance des
firmes et l'actionnariat des fonds de pension public américaine. Ces
résultats controversés laissent penser que le type d’implication des
actionnaires institutionnels dans la gouvernance de l’entreprise
varierait suivant leur nationalité ou leur nature (publique ou privée).
Compte tenu du contexte de l'étude, il n'a pas été possible d'examiner
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le type d'investisseurs (publics ou privés) en fonction du type
d'implication. Seule leur nationalité a été prise en compte ; d’où
l’hypothèse suivante :

H3 : La nationalité des investisseurs institutionnels influence


significativement le type d'implication choisi.

2. – Canevas d’investigation

Cette recherche est fondée sur une démarche hypothético-


déductive.

2.1. Le contexte de l'étude


166 JULES ROGER FEUDJO, JEAN-PAUL TCHANKAM

Le contexte de cette recherche est caractérisé par un marché


financier non actif (crée en 2000, la Douala Stock Exchange (DSX)
n’a enregistré jusqu’en 2014 que trois entreprises cotées à savoir la
SAFACAM, la SOCAPLAM et la SEMC). Aucune offre publique
d’achat (OPA) n’a pour l’instant été enregistrée sur ce marché. Dans
l’ensemble de l’économie nationale, les investissements en capital
financier dans les entreprises sont essentiellement de long terme.
Outre les intérêts calculés qui visent l’obtention des dividendes à la fin
de chaque exercice comptable, l’implication normative et affective
vise à préserver la continuité de l’exploitation et la pérennité de
l’entreprise, qui constituent le gage des intérêts futurs (rentabilité,
prise de contrôle, etc.).

2.2. La sélection de l’échantillon

L'échantillon de base de cette recherche se limite aux seules


institutions dont la principale mission est celle de gérer les fonds des
agents économiques. Parmi elles, nous identifions dans le contexte
camerounais : les banques, les compagnies d’assurances, et autres
établissements financiers tels que la caisse nationale de la prévoyance
sociale (CNPS), la société nationale des investissements (SNI), etc.,
soit une population totale de 69 entités. Ces institutions ont été
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contactées à partir de leur siège social. C'est le dirigeant de chaque
institution qui a répondu à l'ensemble des questions sur l'entreprise
dans laquelle son institution détient une partie du capital. Lorsque
l'institution avait des prises de participations dans plusieurs
entreprises, le dirigeant était prié de répondre en se référant à l'entité
la plus importante en termes de capital détenu. Sur les 69
questionnaires distribués, nous avons eu un retour de 25
questionnaires exploitables (soit 36,23%) de la population cible.
L'échantillon final de convenance est constitué de 7 banques, 12
compagnies d’assurances et 6 autres établissements financiers. 24 de
ces institutions (soit 96%) appartiennent au secteur privé contre une
seule du secteur public. 19 de ces institutions sont de nationalité
camerounaise (soit 76%) contre 6 (soit 24%) de nationalité étrangère.
On comprend aisément notre choix, d'écarter du champ de cette
recherche, la nature (publique ou privée) des investisseurs et son
éventuel impact sur le type d'implication.

2.3. La mesure des concepts


ACTIONNAIRES INSTITUTIONNELS ET GOUVERNANCE DES ENTREPRISES 167

Deux concepts ont retenu notre attention, à savoir l’actionnariat


institutionnel et l’implication organisationnelle. Concernant le premier
concept, il s'agissait de vérifier si l’institution détenait des prises de
participation au capital d’une ou de plusieurs autres entreprises du
secteur privé au Cameroun. Si oui, ces institutions étaient priées
d’indiquer le pourcentage de capital détenu. Pour le concept
d’implication organisationnelle, nous avons estimé que le concept de
l’implication organisationnelle des salariés pouvait servir de support à
sa mesure. En effet Biétry (2012) affirme et à juste titre que les bases
de ce concept sont les motivations à l’origine de l’implication. Une
institution (personne morale) ne peut exercer un pouvoir dans une
autre organisation qu’à travers des individus (personne physique) qui
la représente et agit en son nom et pour son compte. Pour sa mesure,
deux voies de recherche ont été proposées dans la littérature. L'une
consiste à concevoir un index général à partir des questionnaires
existants et l'autre vise à créer des mesures nouvelles recouvrant ses
différentes formes (Morrow, 1993 ; Neveu & Peyrat, 2002). La
présente étude s'inscrit dans cette dernière perspective et se propose de
rechercher de façon empirique le niveau et les dimensions de
l'implication des actionnaires institutionnels au Cameroun. Pour y
parvenir, elle distingue le niveau d’implication du type d’implication.
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Pour le niveau d’implication, il s'agit de savoir si l’investisseur
institutionnel est impliqué dans le contrôle de l’entreprise. Si oui, il
doit préciser son degré d’implication dans certaines décisions relevant
des attributions du CA. Ceci a été mesuré à partir d’une échelle de
Likert à 5 points. 13 items ont été utilisés. A l’issue de l’analyse
factorielle le concept s’est révélé unidimensionnel (indice KMO : 0,
751) et un test de sphéricité de Bartlett significatif (p = 0,000). Les
items qui constituent le facteur présentent de fortes communalités et
une bonne cohérence interne (Alpha de Cronbach de 0,933) et 63% de
variance expliquée.
Pour ce qui est du type d’implication, elle s'est inspirée des
travaux d’Allen et Meyer (1990). Les différents indicateurs utilisés
pour mesurer chacune de ces dimensions ont été appréciés suivant le
degré d’accord ou de désaccord de l’actionnaire institutionnel sur une
échelle de même type, en fonction du type de relation entretenu avec
l'entreprise. Les différentes variables utilisées pour mesurer ces
dimensions sont inspirées des travaux de Prat (2005). L’analyse
factorielle indique que le concept est multidimensionnel. En effet, les
168 JULES ROGER FEUDJO, JEAN-PAUL TCHANKAM

trois dimensions évoquées apparaissent clairement à l’issue de cette


analyse : la composante affective (l'individu s’implique en fonction de
l'affection qui le relie à son organisation) ; la composante normative
(l’individu s’implique par devoir moral ou par obligation) ; enfin, la
composante calculée (l’implication de l’individu correspond à un
intérêt particulier). La fiabilité des différentes composantes est de
0,617 pour la dimension affective, de 0,690 pour la dimension
calculée et de 0,709 pour la dimension normative. Ceci dénote une
bonne cohérence entre les items constituant chacune des trois
composantes. Afin de déterminer si le type d’implication est fonction
du pourcentage du capital détenu, nous avons recodé les trois
dimensions de l’implication. Pour chaque institution, la dimension
dont la moyenne est supérieure aux deux autres l’emporte
définitivement. Les données ont été traitées sur le logiciel SPSS. Le tri
à plat, l'analyse factorielle et la régression linéaire multiple ont été
mobilisés pour l'analyse statistique.

3. – Résultats et discussions

3.1. Investissement et implication des actionnaires institutionnels


dans les entreprises au Cameroun.
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À la lecture du tableau 1, on relève que la marge de prise de
participation des investisseurs institutionnels au Cameroun est
comprise entre 10% et plus de 40%. Cependant, une majorité simple
des actionnaires de l’échantillon détient une participation inférieure à
10%.

Tableau 1 : Pourcentage maximum de capital détenu dans les


entreprises privées au Cameroun

% détenu Effectifs Pourcentage

Moins de 10 8 32
Entre 10 et 20 5 20
Entre 20 et 30 3 12
Entre 30 et 40 3 12
Plus de 40 6 24
ACTIONNAIRES INSTITUTIONNELS ET GOUVERNANCE DES ENTREPRISES 169

Total 25 100

S’agissant de l’implication organisationnelle, force est de


noter que tous les investisseurs institutionnels interrogés sont
impliqués dans le contrôle de l’entreprise dans laquelle ils détiennent
des participations. Cependant, leur degré d’implication est évolutif
suivant le pourcentage du capital détenu et les missions assignées à
l’organe de contrôle (le CA). Le tableau 2 qui suit nous donne une
évaluation du degré d’implication de ces investisseurs dans le contrôle
des entreprises.

Tableau 2 : Évaluation du degré d’implication des institutions dans le


contrôle des entreprises
Ecart-
Items Base 1 2 3 4 5 Moyenne Rang
type
La rémunération du
dirigeant de 25 4 2 3 6 10 3,64 1,49 1er
l'entreprise
Le contrôle de
l'application des
décisions par le 25 5 2 2 5 11 3,60 1,60 2e
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dirigeant de
l'entreprise
La décision de
promotion des cadres
25 5 0 8 6 6 3,32 1,40 3e
de l'entreprise aux
fonctions de direction
L'élaboration des
mécanismes
25 4 2 6 8 5 3,32 1,34 4e
d'incitation des
dirigeants
La décision de
réduction du capital de 25 5 4 5 4 7 3,16 1,51 5e
l'entreprise
L'approbation des
décisions proposées 25 5 3 5 8 4 3,12 1,39 6e
par le dirigeant
170 JULES ROGER FEUDJO, JEAN-PAUL TCHANKAM

La décision de
recrutement des cadres
25 6 3 6 4 6 3,04 1,51 7e
supérieurs dans
l'entreprise
La décision
d'augmenter le capital 25 5 6 6 3 5 2,88 1,42 8e
de l'entreprise
La décision de mise en
œuvre des stratégies 25 8 2 5 6 4 2,84 1,51 9e
de l'entreprise
Les décisions de mise
sur pied des
25 4 5 11 3 2 2,76 1,12 10e
mécanismes de
contrôle
La décision de
répartition du bénéfice 25 6 4 8 5 2 2,72 1,27 11e
de l'entreprise
La décision de
révocation du dirigeant 25 8 5 5 5 2 2,52 1,35 12e
de l'entreprise
La nomination du
dirigeant de 25 11 4 3 5 2 2,32 1,43 13e
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l'entreprise
1 = très fortement impliqué ; 2 = fortement impliqué ; 3 =
moyennement impliqué ; 4 = faiblement impliqué ; 5 = pas du tout
impliqué.

La cohérence interne des items obtenue est bonne (indice de fiabilité :


0,924). Les fréquences entre les modalités de réponse de chacune des
variables contenues dans ce tableau sont inégalement réparties. Ceci
signifie que la dispersion des observations autour de la moyenne n’est
pas maximale. Leur moyenne varie de 2,32 (13e rang) à 3,64 (1er
rang). Par ailleurs, on note, par exemple, à partir de cette
classification, que 11 institutions sur 25 sont très fortement impliquées
dans la désignation du dirigeant (13e rang) ou encore que 10
institutions sur 25 ne sont pas du tout impliquées dans la fixation de la
rémunération du dirigeant (1er rang). Ces données laissent entendre
que les actionnaires institutionnels au Cameroun s’intéressent
fortement au contrôle et à la surveillance de la gestion de leurs
entreprises. Même si la moyenne la plus faible est celle de l'item de la
ACTIONNAIRES INSTITUTIONNELS ET GOUVERNANCE DES ENTREPRISES 171

nomination du dirigeant de l’entreprise, il s'agit du point qui attire le


plus l’attention des investisseurs, la préoccupation majeure étant de
s’assurer des qualités de la personne à qui est confiée la gestion des
fonds investis. Ce résultat démontre que la décision d'investir des
actionnaires institutionnels est fondée sur la recherche de la rentabilité
de l'entreprise tandis que leur implication dans la gouvernance vise
l'élaboration de la stratégie et la mise sur pied des mécanismes de
gouvernance qui garantissent la sécurité et la rentabilité des
investissements.
Ces données indiquent par ailleurs que les compagnies
d’assurances impliquées exercent une surveillance stricte sur
l’évolution et le contrôle du capital, tandis que les banquiers
s’investissent davantage dans la désignation du dirigeant et l’exercice
des missions statutaires du CA. Quant aux autres établissements
financiers, ils œuvrent plus pour la mise sur pied des stratégies de
contrôle générale de l’entreprise. Il est probable que les compagnies
d’assurance tentent seulement d'avoir la main mise sur le capital des
entreprises afin d’atteindre des objectifs liés aux engagements pris vis-
à-vis de leurs clients et impliquant leur responsabilité. Parallèlement,
les banquiers s'impliquent davantage dans des aspects stratégiques de
contrôle visant particulièrement la mise sous tutelle du dirigeant afin
de prévenir d’éventuels comportements déviants, voire se prémunir
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contre de tels risques. Outre cette implication à 100% des
investisseurs institutionnels dans le contrôle de l’entreprise, 56%
d’entre eux déclarent être fortement et régulièrement impliqués dans la
gestion quotidienne de l’entreprises. Cette forte et permanente
implication organisationnelle illustre la marche préventive et
prospective des actionnaires institutionnels1.

3.2. Évaluation de l'importance des entreprises codétenues pour


les investisseurs institutionnels

L’interprétation du tableau 3 suivant indique une bonne


cohérence interne des items avec un indice de fiabilité de 0,705.

1
Le rapport 2017 sur la gouvernance présente les risques réels et potentiels de conflits
d’intérêts dans l’entreprise et au sein du CA, ainsi que les mesures prisent pour s’en
prévenir, les éviter ou les réduire.
172 JULES ROGER FEUDJO, JEAN-PAUL TCHANKAM

Tableau 3 : classification des différentes variables en fonction de la


moyenne obtenue

Items Base 1 2 3 4 5 Moyenne Ecart type Rang

Notre institution
gardera bien
volontiers ses parts 25 1 9 5 8 2 3,92 ,75 1er
dans le capital de cette
entreprise.
Cette entreprise a pour
notre institution une 25 2 12 3 6 2 3,92 ,75 2e
grande signification.
Notre institution
ressent vraiment les
problèmes de cette 25 3 11 4 4 3 3,84 ,80 3e
entreprise comme s'ils
étaient siens.
Si notre institution
n'avait pas tant donné
à cette entreprise,
25 4 9 4 6 2 3,60 1,22 4e
nous aurions pu
envisager d'investir
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ailleurs.
Cette entreprise mérite
la loyauté de notre 25 3 5 4 12 1 3,52 1,08 5e
institution.
Notre institution ne se
sent aucunement
obligée de rester 25 0 2 4 15 4 3,44 1,29 6e
actionnaire de cette
entreprise.
Note institution ne se
sent pas affectivement
25 1 4 9 8 3 3,40 1,25 7e
attachées à cette
entreprise.
Compte tenu du
résultat que cette
25 2 7 8 7 1 3,32 1,03 8e
entreprise procure à
notre institution, nous
ACTIONNAIRES INSTITUTIONNELS ET GOUVERNANCE DES ENTREPRISES 173

ne sommes pas prêts


de nous désengager de
son capital.
En ce moment, rester
actionnaire dans cette
entreprise est un
25 2 5 4 9 5 3,28 1,20 9e
problème qui relève
autant de la nécessité
que de la volonté.
Seul l’intérêt de notre
institution nous
25 0 7 9 4 5 3,28 1,10 10e
intéresse dans cette
entreprise.
Notre institution n'a
pas un fort sentiment
25 2 3 4 10 6 3,12 1,16 11e
d'appartenance à cette
entreprise.
Il serait très difficile
pour notre institution
de se désengager du
capital de cette 25 2 6 1 11 5 3,04 1,09 12e
entreprise en ce
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moment, même si
nous le souhaitions.
Nous éprouverions de
la culpabilité si nous
sortions maintenant du 25 0 1 5 14 5 2,92 1,03 13e
capital de cette
entreprise.
Même si c’était à
notre avantage, notre
institution ne se sent
pas en droit de se 25 6 9 4 4 2 2,88 1,23 14e
désengager du capital
de cette entreprise
maintenant
Nous estimons avoir
peu de possibilités 25 2 10 6 5 2 2,80 1,11 15e
pour envisager de
174 JULES ROGER FEUDJO, JEAN-PAUL TCHANKAM

nous désengager du
capital de cette
entreprise.
L'une des
conséquences
négatives du retrait de
25 1 3 8 8 5 2,76 1,16 16e
nos actions serait le
manque de solution
alternative
Le préjudice serait
énorme pour notre
institution si nous
25 4 7 3 10 1 2,72 1,24 17e
décidons de nous
désengager de cette
entreprise.
Notre institution ne
sortira pas du capital
de cette entreprise
pour le moment, car
25 6 8 4 5 2 2,72 1,24 18e
nous éprouvons un
sentiment d'obligation
envers les personnes
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qui en font partie.
Notre institution doit
beaucoup à cette 25 0 7 9 4 5 2,56 1,29 19e
entreprise.
Notre institution ne se
considère pas comme
un membre de la 25 2 5 6 8 4 2,48 1,26 20e
famille de cette
entreprise.
1=Pas du tout d'accord ; 2 = Pas d'accord ; 3 = Neutre ; 4 = d’accord ;
5 = Tout à fait d'accord

Les fréquences entre les modalités de réponse de chacune des


variables contenues dans ce tableau sont inégalement réparties. La
dispersion des observations autour de la moyenne est donc faible. Il
existe donc pour ces variables une homogénéité des observations. La
moyenne des différentes variables varie de 2,48 (20e rang) à 3,92 (1er
rang). Ceci permet d'affirmer que 10 institutions sur 25 sont d’accord
ACTIONNAIRES INSTITUTIONNELS ET GOUVERNANCE DES ENTREPRISES 175

à penser que le préjudice serait énorme si elles décidaient de se


désengager du capital des entreprises concernées au moment actuel
(17e rang) ; que 9 institutions sur 25 jugent pas d’accord de conserver
volontiers leur part d’actions dans le capital des entreprises en
copropriété. Le premier enseignement que l'on peut retenir de cette
analyse est que les actionnaires institutionnels manifestent tous un
intérêt pour les entreprises codétenues. Cet intérêt témoigne fortement
de leur motivation à investir dans le capital de ces entreprises.
Cependant, on peut s'interroger sur la relation existant entre la part du
capital investie et l'implication dans la gouvernance des entreprises.

3.3. La relation entre le capital investi et l'implication dans la


gouvernance des entreprises

3.3.1. Impact de la part du capital investi sur le niveau d’implication

Le test de régression effectué est de bonne qualité avec une


valeur de Fisher de 14,59. Il est très significatif à 1 et 23 degré de
liberté (p = 0,001). Ce résultat montre bien que le pourcentage du
capital détenu explique de manière significative 38,8% de la variation
du degré d’implication de ces actionnaires dans la gouvernance de
l’entreprise codétenue. Cette forte variation se justifie par une forte
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corrélation de 62,3% entre les deux variables et un « t » de Student
très élevé et significatif. Le signe négatif du « t » de Student et du
coefficient de régression semble indiquer une évolution en sens
opposé des deux variables. Ceci peut susciter des interrogations. En
effet, l'élaboration d'une échelle2des réponses aux différents items
permet de comprendre que ces signes négatifs témoignent plutôt de
l’évolution linéaire et dans le même sens des deux variables. Plus la
part du capital détenue est élevée, plus l’investisseur institutionnel
s’implique dans la gouvernance de l’entreprise et inversement.
L’hypothèse H1 de cette recherche est donc validée. La constance de
régression est significative. Ce qui revient à dire que quel que soit le
niveau de prise de participation, l'investisseur institutionnel est actif
dans le contrôle de l'exercice du pouvoir et dans la définition des
objectifs de l'entreprise. Dans leur étude Black (1990), Sahut &
Gharbi (2011) pensent qu'une faible prise de participation peut
entraîner une passivité de l'investisseur, le contraignant ainsi à un

2
Allant de 1(très fortement impliqué) à 5 (pas du tout impliqué).
176 JULES ROGER FEUDJO, JEAN-PAUL TCHANKAM

suivisme du dirigeant dans les décisions. Ce comportement est plus


probant au Cameroun pour ce qui est de l'implication dans la gestion
quotidienne de l'entreprise.

Tableau 4 : coefficients du modèle de régression (test de H1)


Modèle Coefficients non Coef T Significativité
standardisées standardisés
B Erreur Béta
standard
Constante 1,21 0,38 3,41 ,002
Pourcentage -316 0,08 -623 -3,82 ,001
du capital
détenu
R= 0,623 R²= 0,388 R² ajusté= 0,362

3.2.2. Proportion du capital investi et Type d’implication des


actionnaires institutionnels

Afin de déterminer le type d’implication, nous avons calculé


le score de chaque dimension du concept, et ce pour l’ensemble des
items déterminants du facteur. Un test de comparaison des moyennes
a ensuite été utilisé pour établir un ordre de préférence décisionnelle.
Quant au test de comparaison des moyennes entre la dimension
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calculée et la dimension affective, le tableau suivant met en relief la
primauté de la rationalité des actionnaires institutionnels sur la norme
et l’affection.

Tableau 5 : Test de comparaison de moyennes entre les dimensions


de l’implication (H2)
Dimension T Ddl Sig Différence Intervalle de confiance
(bilatérale) moyenne 95% de la différence
inférieure Supérieure
calculée/ Valeur du test = 20.48
affective 4,17 24 ,00 4,32 2,18 6,45
Calculé/ Valeur du test = 17,16
normative 7,38 24 ,00 7,64 5,50 9,77

Ces résultats traduisent l’existence d’une différence très


significative de moyennes entre l’implication calculée et les deux
autres dimensions. Cette différence est respectivement de 4,32 et 7,64
pour la dimension affective et celle normative. Elle montre bien que la
ACTIONNAIRES INSTITUTIONNELS ET GOUVERNANCE DES ENTREPRISES 177

dimension calculée emporte sur l’affective et l’obligation et souligne,


dans le même sens, la primauté de l’intérêt privé sur les normes et le
sentiment dans l’intention décisionnelle des actionnaires
institutionnels. Nous retenons de ce test que les actionnaires
institutionnels s’impliquent dans le processus décisionnel de
l’entreprise codétenue davantage pour sécuriser et rentabiliser leurs
investissements. L’hypothèse H2 de cette recherche n’est donc pas
validée. Ce résultat reflète le comportement ultime de tout
investisseur. Ceux qui ont été à l’origine de la création de l’entreprise
et détenant parfois la majorité du capital sont davantage guidés par
l'affection que les autres. Ceci s'explique par le fait qu'ils considèrent
l’entreprise comme leur chef d’œuvre et prennent sa défaillance
éventuelle comme un échec personnel. Leur attachement et le souhait
qui est le leur de voir leur entreprise réussir prennent le pas sur le
calcul égoïste des petits porteurs et d’autres catégories d’actionnaires
animées par l’idéologie capitaliste classique.

Tableau 6 : Pourcentage du capital détenu et type d'implication


Proportion du Type d’implication
capital détenue Plus Plus Plus
(%) Total
calculée normative affective
Moins de 10 07 01 8
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Entre 10 et 20 03 01 01 5
Entre 20 et 30 02 01 3
Entre 30 et 40 03 3
Plus de 40 04 02 6
Total 19 01 05 25

Au vu de ce tableau, quelle que soit la proportion du capital


détenue, l’investisseur institutionnel privilégie ses intérêts
économiques et s’implique dans la gouvernance de l’entreprise
d’abord et avant tout afin de les sécuriser. L’affection envers ces
institutions constitue certes un attribut qui compte, mais dont
l'importance est moindre que le calcul rationnel qui guide le
comportement des actionnaires institutionnels en général. Ce résultat
peut susciter des interrogations, d'abord sur l'affectivité d'une
178 JULES ROGER FEUDJO, JEAN-PAUL TCHANKAM

institution (personne morale) envers une autre entité. Cette affection


peut se justifier dans cette étude par sa dimension culturelle. La
culture africaine est une culture très affective où l'influence
relationnelle est très forte. L'individu qui représente l'institution,
personne morale, peut répercuter son affectivité sur l'institution qu'il
représente. Ceci bien entendu lorsqu'il obtient de son clan la garantie
sur la sécurité des actifs de l'entité détenue.

3.2.3. Type d’implication et nationalité de l’investisseur

Le tableau 7 suivant montre bien que tous les investisseurs


institutionnels étrangers sont impliqués uniquement par calcul. Ce
type d'implication ne concerne pas uniquement les investisseurs
étrangers. En effet, sur 19 investisseurs locaux interrogés, 13 sont
également impliqués par calcul. Ce résultat n’est pas surprenant. Il est
conforme à la conclusion selon laquelle l’actionnaire institutionnel
s’implique d’abord par calcul dans la finalité de protéger et de
rentabiliser ses intérêts.

Tableau 7 : type d'implication * nationalité de l'investisseur


nationalité de
l'investisseur
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Camerounaise Etrangère Total
type d'implication implication calculée 13 6 19
implication affective 5 0 5
implication normative 1 0 1
Total 19 6 25

Le coefficient de corrélation de Pearson (-0,263) calculé entre


les deux variables est non significatif (p=0,204). De même, les
mesures symétriques (Phi = 0,281 ; V de Cramer = 0,281 ; coefficient
de contingence = 0,271) sont toutes non significatives. Ces statistiques
permettent d’infirmer l’hypothèse (H3). En d’autres termes, quelle que
soit la nationalité de l’investisseur institutionnel, le type d’implication
ne varie pas significativement.
ACTIONNAIRES INSTITUTIONNELS ET GOUVERNANCE DES ENTREPRISES 179

Conclusion

L’existence dans le milieu des affaires au Cameroun des


institutions qui partagent le risque résiduel des actionnaires physiques
constitue une base importante de développement du capitalisme
financier. Cette implication qui se fait davantage par calcul que par
inclinaison ou par contrainte témoigne du caractère rationnel des
investisseurs, mais également de leur dimension affective. En effet,
plus le pouvoir des actionnaires institutionnel est élevé (part du capital
détenu) plus leur calcul rationnel risque d’impulser dans l’entreprise
une gouvernance à forte connotation actionnariale. Dans le cas
singulier du contexte de cette recherche, et pour éviter les
conséquences néfastes de l’approche financière de la gouvernance, la
prise de participation des actionnaires institutionnels dans le capital
des entreprises doit se faire dans un cadre réglementaire fixé par les
autorités publiques. Elles se doivent de fixer un plafond de prise de
participation dans le capital des PME de façon à éviter qu’elles
subissent l’influence trop forte des détenteurs de capitaux. Un
encadrement juridique permettrait de limiter l’appétit des
multinationales et de garantir la protection des PME qui constituent
l’essentiel du tissu économique du pays.
Une des perspectives de cette recherche serait d'étendre cette
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étude au niveau du continent afin d'avoir une meilleure
compréhension de l'implication des actionnaires institutionnels dans la
gouvernance des entreprises et leurs perspectives. En élargissant ce
champ d'étude, on pourrait de toute évidence tester la relation entre la
nationalité des investisseurs et la nature (publique ou privée) de ces
derniers sur la gouvernance des entreprises codétenues.

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180 JULES ROGER FEUDJO, JEAN-PAUL TCHANKAM

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Ownership and Firm Value », Journal of Financial Economics, n°
63, 2002, p. 99-131.
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