Exode Mythe Et Histoire
Exode Mythe Et Histoire
Exode Mythe Et Histoire
Ce cours a pour but d’examiner la mise en forme du mythe de l’exode ainsi que
les contextes sociohistoriques et idéologiques qui ont marqué de leurs emprunts ce
texte fondateur de la Bible hébraïque (BH) et, par la suite, du judaïsme a.
La leçon introductive avait pour titre « Entre autochtonie et allochtonie :
l’invention de l’Exode ». Pour dire son identité, chaque groupe ou peuple a recours
à des mythes fondateurs. Un groupe peut d’ailleurs en avoir plusieurs. Ces mythes
racontent souvent comment un groupe ou un peuple s’est formé et comment il a
reçu sa terre. Par rapport à la possession de la terre, il existe deux types de récits
d’origine : un mythe d’autochtonie selon lequel les ancêtres ont toujours été sur la
terre revendiquée, qu’ils sont « nés de la terre », pour reprendre le titre d’un ouvrage
de Nicole Loraux 1, et un mythe d’allochtonie, de colonisation, selon lequel les
ancêtres sur ordre divin ont quitté leur territoire d’origine pour s’installer dans un
autre pays. Dans la Grèce, les deux types de mythes fondateurs peuvent cohabiter,
et il en est de même dans la Bible hébraïque.
Ainsi la figure primitive d’Abraham (cf. nos cours sur Abraham en 2008 et 2009)
était un ancêtre autochtone, comme le montre peut-être encore un texte comme
Es 51,1-2 où l’ancêtre est comparé à un rocher. Un autre concept d’autochtonie se
trouve dans les premiers chapitres des livres des Chroniques qui semblent vouloir
passer sous silence l’exode et la conquête du pays.
Dans la BH, les mythes d’autochtonie sont construits à l’aide de généalogies,
comme le montre particulièrement le livre des Chroniques et aussi les récits
patriarcaux de la Genèse où les relations entre différents groupes sont expliquées
par leur degré de parenté qui est légitimé par un système généalogique.
a. Le cours est disponible sous forme audio et vidéo sur le site internet du Collège de
France : http://www.college-de-france.fr/site/thomas-romer/course-2013-2014.htm [NdÉ].
1. N. Loraux, Né de la terre : mythe et politique à Athènes, Paris, Seuil, coll. « La librairie
du xxe siècle », 1996.
412 THOMAS RöMER
Il ne fait pas de doute que le livre actuel est le résultat d’un long processus. La
théorie documentaire traditionnelle, toujours en vogue dans de nombreuses
universités américaines, n’est pas le meilleur modèle pour retracer la naissance du
livre de l’Exode. À partir d’une analyse d’Ex 3-4 et d’Ex 16, le modèle suivant a
été élaboré et sera à tester durant le cours.
À la base du livre de l’Exode se trouve un récit qu’on peut appeler avec Blum et
d’autres une Vita Mosis, ainsi que la collection de lois, appelée « code d’alliance ».
Ces ensembles ont été intégrés dans la composition D, une édition deutéronomiste
de l’Exode qui renforce le rôle de Moïse en faisant de lui le premier prophète
d’Israël. Pour D, les plaies qui rappellent les malédictions de Dt 28 sont des
punitions de Yhwh pour sanctionner le Pharaon qui ne veut pas laisser partir les
Hébreux.
Les prêtres élaborent des textes, comme Ex 2,23-25 ; Ex 6 ; ainsi qu’une version
des plaies qui sont davantage des prodiges et qui affirment la supériorité de Yhwh
face au Pharaon et aux dieux qu’il représente. C’est Yhwh même qui endurcit
Pharaon, qui n’est rien d’autre qu’une marionnette pour que Yhwh manifeste sa
gloire aux yeux des Égyptiens. Le passage de la mer est pour P un passage qui
rappelle le récit de la création en Gn 1. P se poursuit en Ex 16 et surtout dans le
récit de la construction du sanctuaire mobile en Ex 25-32 et 35-40.
Ensuite interviennent plusieurs rédactions en vue de constituer un Hexa- ou
Pentateuque. Ce modèle est partiellement compatible avec d’autres hypothèses
récentes, notamment avec le commentaire de Utzschneider et Oswald qui distinguent :
un ancien récit de l’exode (de Ex 1,11 à 14,30-31*) ; un récit « Israël à la montagne
de Dieu » (Ex 3-4* ; 18-24*) qui intègre le Code d’Alliance ; l’histoire dtr (Ex 3
jusqu’à 2 Rois 25) ; la composition sacerdotale (jusqu’à Jos 24), ainsi que la « Torah
composition », à savoir différentes rédactions qui font de l’Exode un des livres de
la Torah. R. Albertz propose un modèle un peu plus complexe, mais qui distingue
également entre un récit de base, des rédactions « P » (sacerdotales), une
rédaction dtr, et des rédactions tardives voulant construire un Hexa- ou un
Pentateuque. Et même l’analyse extrême de C. Berner qui décèle dans le livre de
l’Exode une quantité innombrable de couches littéraires et d’autres Fortschreibungen
MILIEUX BIBLIQUES 413
reste compatible, en ce qui concerne la distinction de base entre trois grandes étapes
de la formation du livre : pré-P, P, post-P.
Le récit de base du Viie siècle avant notre ère n’est cependant pas une invention
sortie de l’imagination de ses auteurs. Il se base sur une tradition plus ancienne qui
provient probablement du royaume du Nord, comme le montre l’analyse de 1 R 12
et d’Os 12. La tradition de l’exode a été véhiculée d’abord dans les sanctuaires du
Nord (Israël) avant d’arriver en Juda, sans doute après la disparition du royaume
d’Israël en 722 av. notre ère. Sur le plan littéraire, il est très difficile de reconstruire
les contours de cette tradition. Moïse a-t-il déjà été lié à cette tradition ? Quels
souvenirs historiques véhiculait-elle ?
L’exode, tel qu’il est relaté dans la Bible, n’est nullement attesté par les documents
égyptiens. La première mention d’Israël se trouve dans un document égyptien de la
fin du xiiie siècle avant notre ère, la stèle de Merneptah. La mention du nom d’Israël
sur cette stèle ne présuppose nullement un « exode » ni une émigration de ce groupe
du pays d’Égypte. Rien n’est dit d’une provenance en dehors de la Palestine.
On a parfois envisagé un lien entre l’exode et l’expulsion des Hyksos. On trouve
le mot Hyksos pour la première fois dans une représentation du xixe siècle dans le
tombeau d’un notable égyptien à Béni Hassan. On y voit un groupe de personnages
« asiatiques » ramenés en Égypte par un groupe de soldats égyptiens et le chef du
groupe sémitique est désigné comme un « hyksos » (« Maître des pays étrangers »).
Apparemment, ils étaient amenés en Égypte pour y travailler. Ensuite, aux xViie et
xVie siècles, le terme est appliqué à la dynastie des Hyksos qui régna dans le Delta
à Avaris, la nouvelle capitale. Ces rois, dont on ignore le nombre exact, étaient
d’origine sémite. Les princes de Thèbes parvinrent à vaincre les Hyksos sous
Ahmosis (1539-1514). Cet événement serait-il à la base des traditions sur Moïse et
sur l’exode, comme on le pense parfois ? Ceci n’est guère plausible d’une manière
directe. L’écart chronologique avec l’émergence d’une ethnie nommée « Israël » en
Palestine aux alentours du xiie siècle est bien trop grand. En outre, les Hyksos sont
des gouverneurs, et non une population située au bas de l’échelle sociale. Il est donc
difficile d’identifier leur règne avec la situation d’asservissement des Cananéens
que présuppose le récit de l’Exode. Cependant le souvenir de cette période était
peut-être suffisamment fort pour avoir laissé quelques traces dans la Bible.
À noter que les textes bibliques indiquent 400 ans pour la durée du séjour des
Israélites en Égypte (Gn 15,13) ou même 430 ans (Ex 12,40) ; ces chiffres ont
d’abord une valeur symbolique et sont sans pertinence directe pour l’historien ; ils
peuvent cependant refléter l’idée d’une longue durée qui ne correspond pas à la
mise en récit du livre de l’Exode, lequel situe les événements qui mènent à l’exode
dans le contexte de la vie de Moïse et dans la succession de deux pharaons.
Un autre lien possible avec la tradition de l’exode peut éventuellement être trouvé
dans les textes égyptiens mentionnant des shasou et des hapiru. Dans certains textes
égyptiens, les shasou sont caractérisés par le lexème Yhwȝ qui semble être un terme
géographique (une montagne ?) et, peut-être aussi, un nom divin, donc la plus
ancienne attestation du nom du dieu qui devient le dieu tutélaire d’Israël. C’est
peut-être parmi ces Shasou et Habirou, entretenant des rapports conflictuels avec le
pouvoir égyptien, qu’il faut chercher les porteurs de la tradition de l’exode. Selon
Na’aman et Hendel il s’agit plutôt d’une construction d’une mémoire par le transfert
de la situation en Canaan vers l’Égypte. Durant plusieurs siècles, les pharaons ont
exploité le Levant, déporté des esclaves, exigé de tributs lourds, etc. Après les
414 THOMAS RöMER
2. Texte aus der Umwelt des Alten Testaments, Ergänzungsband, 2001, 82-91.
3. La deuxième partie du v. 1 qui identifie Israël expressément à Jacob et qui précise que
chacun de ses fils était venu avec sa famille est peut-être aussi un ajout pour renforcer le
parallèle avec Gn 46,8-27 ; cf. R. Albertz, Exodus 1-18 (ZB.AT 2.1), Zürich, Theologischer
Verlag Zürich, 2012, 42-43.
MILIEUX BIBLIQUES 415
Gn 1,28 Ex 1,7
Soyez fertiles, devenez nombreux, Les fils d’Israël étaient fertiles ; ils
remplissez la terre et soumettez-la. pullulèrent, devinrent nombreux et très
très forts, le pays fut rempli par eux.
L’auteur renvoie ici à Gn 1,28 pour dire que le projet créationnel se réalise quant
à Israël lors de son séjour en Égypte. Le verbe « pulluler » est également typique
pour P, comme en Gn 1,20. L’expression « remplir la terre » se trouve chez P aussi
en Gn 9,1 (nouvel ordre à Noé après la fin du Déluge).
En ce qui concerne les projets d’oppression en 1,9-14, on observe que la double
description des corvées fait doublon et que nous avons ici deux couches littéraires
différentes.
Dans les versets 11-12a, l’opposition se fait entre « ils » (Égyptiens, pl) et « il » (le
peuple des Hébreux, sg.). Ici le mot clé est la racine ‘-n-h : opprimer qui peut aussi
avoir le sens de « violer ». Dans les v. 12b à 14, l’opposition se fait entre « Égypte »
(collectif) et « les fils d’Israël ». Deux autres racines servent de mots-clés : ‘-b-d
(servir, être esclave, travailler) et p-r-k (brutalité, violence ; mot rare seulement encore
en Lv 25). Souvent, et probablement avec raison, les commentateurs considèrent les
v. 13-14 (auxquels il faut probablement ajouter le v. 12b) comme faisant partie du
document sacerdotal. Pour P, le travail auquel les Israélites étaient astreints comporte
le travail de construction et aussi le travail dans des champs. Contrairement aux
versets précédents, les Israélites sont utilisés pour une variété de corvées.
Il se peut que derrière 1,9-12a se cachent des fragments de l’introduction de
l’histoire ancienne de l’Exode. D’autres (Schmid 4) disent que la remarque du
Pharaon sur le fait que le peuple est nombreux et fort présuppose déjà le verset 1,7
(P), puisqu’on y trouve les racines r-b-h (être nombreux) et ‘-ṣ-m (être fort). Dans
la forme actuelle, il existe indiscutablement un lien entre les versets 7 et 9, mais cela
peut être dû à des harmonisations très récentes ; en effet la racine « être fort »
n’apparaît pas dans d’autres contextes sacerdotaux comparables à ceux où apparaissent
les autres verbes en 1,7. On peut donc imaginer qu’un dernier rédacteur a rajouté le
verbe en 1,7 pour faciliter le lien. On remarque aussi l’expression très singulière en
1,9 : « le peuple des fils d’Israël ». Là aussi il est probable qu’un des derniers
rédacteurs ait ajouté l’expression « fils d’Israël » en 1,9 pour faciliter la transition.
L’idée en 1,10 que les Israélites se joindraient aux ennemis de l’Egypte pour lui
faire la guerre est un motif aveugle dans la narration de l’exode, et n’est pas reprise
dans la suite. Ce motif se comprend dans le contexte d’une tradition attestée chez
Manéthon et transmise par Flavius Josèphe (Contre Apion, I). Selon Manéthon, les
Hyksos, qu’il appelle les « rois-pasteurs », furent expulsés d’Avaris vers la Palestine
où ils fondèrent Jérusalem ; ensuite, ils se sont liés à des « lépreux » en Égypte sous
la conduite d’un dénommé Osarseph qui à la fin est identifié à Moïse.
Il est donc plus logique que le texte biblique soit un ajout d’un rédacteur qui veut
reprendre cette tradition en mettant dans la bouche du Pharaon une sorte d’oracle
dans lequel il prévoit déjà l’exode des Hébreux. Il est en effet facile de voir que ce
morceau constitue un ajout :
9 Il dit à son peuple : Voici, le peuple des fils d’Israël est plus grand et plus fort que
nous. 10 Allons, agissons sagement en ce qui le concerne de peur qu’il ne devienne
plus nombreux.
Une guerre pourrait arriver, il se joindra, lui aussi, à nos ennemis, il nous fera la
guerre et il montera du pays.
11 Ils placèrent sur lui des chefs de corvée afin de l’opprimer par leurs travaux forcés.
Cette notice a joué un rôle important dans la datation de l’Exode. Pitom correspond
sans doute à Tell el-Masḥouta, un village occupé par les Hyksos, ensuite abandonné
et seulement repeuplé aux alentours du Viie siècle sous la dynastie des Saïtes. De
cette époque date un temple important, probablement dédié à Atoum. Mais cette
ville jouait surtout un rôle avec la tentative de Néko de construire un canal à travers
le Wadi Tumilat pour relier la Méditerranée à la mer Rouge. Le nom de Pitom est
donc probablement seulement né à l’époque saïte. Il n’est pas impossible que sous
Néko se trouvaient aussi des corvéables judéens à Pitom. Le nom de Ramsès est
une forme abrégée de Pi-Ramsès, ville ayant servi de résidence à Ramsès II
(1279-1213). Cette ville est sans doute à identifier à Tell el-Daba / Qantir. La ville
fut abandonnée vers 1070 av. n. è. (dans le contexte de l’arrivée des peuples de la
mer) et servait ensuite de carrière. Cela signifie que de nombreux monuments
portant le nom de Ramsès II furent installés dans d’autres localités, ainsi qu’à
Pitom. Le culte de Ramsès se déplaça surtout vers les résidences de la troisième
période intermédiaire (xie au Viie siècle) : Tanis et Bubastis. C’est sans doute aussi
cette idée qui se reflète dans le texte d’Ex 1,11. Et c’est seulement à partir de cette
époque que l’on trouve le nom bref « Ramsès » pour désigner la ville.
Dans ce récit primitif, toute l’initiative est du côté de la fille du Pharaon. L’identité
« égyptienne » de Moïse est plus forte. Il arrive à la cour égyptienne dès le quatrième
mois, et reçoit par conséquent son nom égyptien de Moïse. Avec l’ajout des v. 4 et
7-10aα, l’identité hébraïque de Moïse est renforcée. Il grandit d’abord chez les
Hébreux et est seulement ramené plus tard (après trois ans ? durée du sevrage) à la
fille du Pharaon. L’ajout cherche donc à diminuer les racines égyptiennes de Moïse.
On peut remarquer que le récit primitif reprend un thème folklorique très répandu ;
à savoir le motif de l’enfant abandonné et miraculeusement sauvé qui se trouve un
peu partout dans le monde : des parents doivent abandonner un enfant pour des
raisons différentes, et cet enfant est ensuite sauvé d’une manière miraculeuse (cf.
Héraclès, Romulus, etc.).
Il existe un récit qui est très proche de celui de la naissance et du sauvetage de
Moïse, à savoir le récit de la naissance et de l’adoption du roi Sargon. La légende
de Sargon relate l’histoire du fondateur de l’Empire assyrien, Sargon d’Agadê
418 THOMAS RöMER
(vers 2300 av. n. è.), mais elle fut composée sans doute durant le règne de Sargon II,
car toutes les tablettes qui existent de cette légende datent de cette époque. Les
ressemblances de ce récit avec celui du livre de l’Exode sautent aux yeux : dans les
deux cas, la mère agit seule ; le fait que la mère de Moïse soit de la tribu sacerdotale
des Lévites la rapproche d’un contexte sacerdotal, tout comme la mère de Sargon
est une prêtresse ; le nouveau-né est abandonné de la même manière sur un fleuve
dans une caisse étanche ; dans les deux cas, l’enfant est tiré des eaux et adopté par
des personnages fort importants. Sargon accède à la royauté et Moïse est transféré
dans un contexte royal. La légende de Sargon a pour but de légitimer la royauté de
celui-ci.
Le narrateur du chapitre 2 de l’Exode veut mettre Moïse en parallèle avec le roi
fondateur de la civilisation assyrienne et ainsi montrer que le fondateur du peuple
hébreu a une origine aussi remarquable que le plus grand roi des Assyriens. Cela
confirme notre hypothèse que l’auteur de la première histoire de Moïse aurait vécu
au Viie siècle avant notre ère, un temps où le royaume de Juda fut sous influence
assyrienne.
Le nom Moïse qui est indiscutablement d’origine égyptienne est expliqué par la
fille du Pharaon par un nom hébreu, à l’aide d’une racine très rare « m- š -h »
(tirer). En réalité, il s’agit de la racine égyptienne mesi/mas/mes : enfanter. On peut
facilement voir que le narrateur sait le sens du nom, car tout au long de l’histoire,
l’enfant est appelé yèlèd, ce qui correspond en fait à la racine égyptienne. L’affixe
–mosé se retrouve dans des noms égyptiens comme Ptha-mosis, Thout-mosis,
Ra-msès. Cet affixe dérive du verbe « engendrer » ; il est utilisé pour des noms
propres sur le modèle « Le dieu (Ptah, Thot, Ré…) a engendré » conférant ainsi aux
porteurs de tels noms une origine quasiment divine. Pour Moïse, il manque le nom
du dieu qui engendre. On peut y voir l’intervention de la censure biblique. Ceci
n’est cependant pas nécessaire puisque des formes courtes du nom sont également
attestées dans des textes égyptiens. On connaît par exemple un officier « Moïse »
ou encore un contremaître du même nom ayant organisé une grève dans le village
des artisans de Deir el-Medineh.
seul auteur. Ils insistent sur le fait qu’Ex 3 présuppose le texte P de 2,23aßb-25 et
qu’il a été écrit comme une suite à ce passage : on trouve dans les deux textes la
racine « crier », cependant avec une orthographe différente : z-‘-q en 2,23 ; ṣ-‘-q en
3,7-9. Dans les deux passages, il est question du voir, de l’écoute et du connaître
divin, et finalement on trouve dans les deux passages les noms des Patriarches.
Cependant, ces observations peuvent s’expliquer différemment : les noms des
Patriarches en Ex 3 apparaissent clairement dans des contextes qui indiquent que
ces noms ont été ajoutés après coup ; voir, écouter et connaître sont des verbes
qu’on utilise pour décrire une théophanie, et finalement il existe des parallèles pour
l’emploi de la racine « crier » dans la tradition dtr (Dt 26,7) ; d’ailleurs, Ex 2,23 et
3,7-9 diffèrent au niveau de l’orthographe. De plus, on peut aussi imaginer que
l’auteur d’Ex 2,23-26 connaissait déjà une version d’Ex 3.
Il n’est d’ailleurs guère possible d’imaginer un seul auteur pour Ex 3,1-4,18.
Nous allons voir en discutant les différentes parties du récit qu’il faut en effet
imaginer l’intervention de rédacteurs et de glossateurs.
D’ailleurs, la structure du texte dans sa forme actuelle indique déjà qu’il y a un
développement successif du récit. Après la découverte du lieu saint, on trouve deux
discours divins qui encadrent deux objections de Moïse. Les deux discours
contiennent tous les deux une exhortation à Moïse d’aller (v. 10 et v. 16) et l’aller
de Moïse en 4,18 reprend cet ordre. On peut en effet passer de 3,16-17 directement
à 4,18. Entre ces versets, nous avons en 3,18ss une perspective sur les choses qui
vont arriver dans l’avenir et un ordre de dépouiller les Égyptiens. Ensuite, en 4,1-17,
on reprend les objections pour renforcer d’une certaine manière l’autorité de Moïse.
On peut donc partir de l’idée que le noyau d’Ex 3,1-4,18 se trouve en 3,1-17*, suivi
d’Ex 4,18.
ne se consume-t-il pas ? 4. Yhwh vit qu’il s’était détourné pour voir. Dieu l’appela du
milieu du buisson ; il dit : Moïse, Moïse. Il dit : me voici. 5. Il dit : N’approche pas ce
lieu. Retire tes sandales de tes pieds 5. En effet, le lieu où tu te tiens est une terre sainte.
6. Il dit : je suis, moi, le dieu de ton père, le dieu d’Abraham, le dieu d’Isaac et le dieu
de Jacob. Moïse cacha son visage, car il craignait de regarder vers le dieu.
Ex 3 Jg 6 Jr 1
v. 2 : ange de Yhwh v. 11 : ange de Yhwh
La question de Moïse de ne pas savoir comment présenter le dieu qui l’a envoyé
pour libérer les Hébreux donne lieu au seul texte de toute la Bible qui offre une
spéculation sur le sens et la signification du tétragramme 6. Ce texte base sa
spéculation sur la racine h-y-h, sans doute pour insister sur le fait que ce dieu qui
se révèle à Moïse reste insaisissable. S’agit-il d’un refus de révélation, comme le
veut une certaine tradition d’interprétation ? Dieu dirait « je suis qui je suis, cela ne
te regarde pas » ? Cette interprétation fait sens si on considère seulement le
verset 14. Elle préparerait alors ou présupposerait le tabou de la prononciation du
nom de Yhwh, tout en « jouant » avec ce tabou. En même temps, en reprenant le
אהיהde la promesse d’assistance du v. 12, on donne aussi un sens théologique au
nom divin : il s’agit du dieu qui est « avec quelqu’un », qui promet assistance. Le
verset 15 a clairement été ajouté après coup. D’abord, il résume tous les noms
divins : Élohim, Yhwh, le dieu des pères, le dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob.
La deuxième partie du verset est une exclamation liturgique qui a un parallèle dans
le Psaume 135,13. Il est possible que la suite originelle du v. 14 se trouvait au v. 16
(sans le v. 15) ; cela fait un discours cohérent (l’identification du dieu des pères
avec le dieu des Patriarches est ajoutée après coup).
Les versets 1-9 relatent de nouvelles objections de Moïse qui arrivent trop tard.
Il est assez sûr que nous avons affaire à un ajout très récent. On observe que la
première et la troisième scène (4,1-4 et 4,8-9) renvoient aux deux premières scènes
du début de l’histoire des plaies. Ils ont été interrompus par la scène du milieu
(4,5-7), dont on ne sait pas exactement à quoi elle fait allusion. Souvent, on évoque
le cas de Miriam qui, en Nb 12, devient lépreuse pendant un moment. Mais on ne
voit pas très bien pourquoi Moïse doit anticiper le sort de Miriam. Sur le plan
diachronique, on peut observer que ce passage a été inséré secondairement entre
4,1-4 et 4,8-9*. Une explication de la scène de la main lépreuse se trouve de
nouveau dans le récit de Manéthon selon lequel Moïse était le chef d’un groupe de
lépreux. Ce discours antijuif est connu du rédacteur des versets 6-7 qui réagit à cette
histoire en construisant une contre-histoire : oui, Moïse a été lépreux, mais très
brièvement, et seulement pour manifester la puissance de son dieu.
L’arrivée d’Aaron en tant que frère de Moïse se trouve en tension avec Ex 2,1-10
où un frère n’est nullement mentionné. C’est sans doute le milieu sacerdotal qui, le
premier, a fait d’Aaron le frère de Moïse. Ici, Aaron est présenté comme lévite, et
non pas comme kohen, prêtre. Ce texte post-sacerdotal veut apparemment montrer
qu’Aaron a moins d’autorité que Moïse, qu’il est en quelque sorte son porte-parole.
C’est Moïse qui reçoit les paroles divines (v. 15 qui reprend et explique le v. 12).
Il est assez clair que ce texte n’a pas été écrit d’un seul trait. Le discours que
Moïse doit transmettre au Pharaon se termine par la mort du premier-né.
Logiquement, le COD du v. 24 devrait alors se référer au fils du Pharaon, ce qui ne
fait pas sens sur le plan narratif. Donc, il est plus logique que les v. 24-26 aient été
d’abord conçus comme suite de 19-20. D’où vient l’idée d’une attaque nocturne
durant laquelle Yhwh veut tuer celui qu’il vient d’appeler à son service ? On a
souvent interprété ce motif comme un résidu archaïque pour légitimer la pratique
de la circoncision. Ainsi, on a argumenté que le fait que l’enfant soit circoncis à la
place de Moïse refléterait le passage du rite de la circoncision d’un rite prénuptial
à un rite appliqué à de petits enfants. Ces explications restent assez spéculatives.
MILIEUX BIBLIQUES 423
plus particulièrement les plaies comme une confrontation entre Yhwh et Pharaon
qui est lui le représentant des dieux égyptiens.
Dans le cœur du récit qui suit, il n’est mention ni de Moïse ni d’Aaron. C’est une
histoire où Pharaon durcit les conditions des corvées en ordonnant que les Hébreux
ramassent eux-mêmes la paille nécessaire à la fabrication des briques, ce qui mène
à une protestation des responsables israélites qui reste cependant sans succès
(v. 6-19). M. Noth avait eu l’idée peut-être juste que, derrière ces versets, se trouve
un résidu d’une histoire de l’Exode sans Moïse 7. Dans le contexte actuel, notamment
en 5,20-6,1, cette ancienne tradition est reliée aux figures de Moïse et d’Aaron. Cet
ajout s’est sans doute fait en deux étapes : aux v. 20-21, il est question de Moïse et
Aaron qui sont tous les deux rendus responsables des malheurs des Israélites. C’est
sans doute un texte qui présuppose 4,1-18 (post-D et post-P), alors que les versets
5,22-6,1 reprennent et problématisent le récit de vocation en 3,1-17*. Selon 5,22,
Moïse revint vers Yhwh ; on lit souvent cette remarque dans un sens spirituel
– Moïse serait « revenu » vers Yhwh dans la prière ; mais il s’agit peut-être encore
de l’idée que Moïse retourne vers la montagne où Yhwh réside.
Si c’était le cas, la révélation de Yhwh à Moïse en Ex 6,2-8 n’aurait pas lieu en
gypte, mais comme en Ex 3,1ss à la montagne de Yhwh.
Le passage d’Ex 6,2-8 est unanimement attribué à « P », à cause de son style, de
son vocabulaire et du lien avec d’autres textes sacerdotaux. On se demande
cependant si ce passage fait partie d’un document P indépendant qui aurait été
d’abord la suite de 2,23aß-25, ou s’il s’agit d’emblée d’un passage rédactionnel
conçu pour l’endroit où il se trouve actuellement ; en effet le texte fait tout à fait
sens dans son contexte actuel, où il se comprend comme une réaffirmation de la
vocation de Moïse. Il y a aussi des liens avec le contexte.
Ainsi, en 6,1 (non-P), il est question de « la main forte » qui normalement va
toujours avec « le bras étendu ». Or celui-ci se trouve dans le texte P au v. 6. On
trouve aussi le terme « délivrer » n-ṣ-l, qui est utilisé dans les textes D en 3,8 et
5,23. Mais, en même temps, le texte se comprend aussi comme un doublet à Ex 3-4,
bien qu’il ne s’agisse pas d’un récit de vocation proprement dit. Mais il est de
nouveau question de la révélation du nom divin à Moïse. Il est difficile de décider.
Une solution intermédiaire serait de dire que P a rédigé son document comme une
version alternative à un récit D qu’il connaissait et qu’il supposait connu auprès de
ses destinataires.
La révélation du nom de Yhwh se fait ici sans mise en scène, mais avec une
grande insistance et la déclaration que Yhwh ne s’est pas révélé sous ce nom
auparavant. Par l’affirmation qu’auparavant c’était sous le nom d’El Shadday, le
texte opère un renvoi à un autre texte sacerdotal important, Gn 17, où Yhwh se
présente à Abraham en effet sous le nom d’El Shadday. En Gn 17, le pays est donné
à Abraham comme usufruit, le vrai propriétaire reste Yhwh ; à cause des parallèles,
on peut conclure qu’Ex 6,4 garde la même idée : comme les Patriarches, les
Israélites en Égypte pourraient profiter de la même manière du pays de Canaan.
La situation semble un peu différente en 6,8 où on trouve le terme rare de
morašah, possession ; expression rare dans la BH qui est surtout employée en Ez 8.
7. M. Noth, Das zweite Buch Mose. Exodus (ATD 5), Göttingen, 1959, 38-40.
8. Ex 6,8; Dt 33,4 ; Ez 11,5 ; 25,4.10 ; 33,24 ; 36,2.5 ; Cf. מורשEs 14,23; Abd 17 ;
Job 17,11.
MILIEUX BIBLIQUES 425
Pour cette raison, certains ont décrété que ce verset constitue un ajout ultérieur,
mais au niveau de la structure et de la logique du discours, cette option ne se justifie
pas. Les parallèles les plus proches de ce texte se trouvent dans le livre d’Ezéchiel.
En Ez 33,24 la revendication de la possession de la terre par la population non
exilée est rejetée avec véhémence. P veut-il reprendre cette idée d’une manière
positive 9 ? Dans ce cas, la possession ne serait pour P rien d’autre que la ’aḥuzzah
promise à Abraham.
9. B. Gosse, « Exode 6,8 comme réponse à Ezéchiel 33,24 », RHPhR 74, 1994, 241-247.
426 THOMAS RöMER
le théâtre de la première plaie, dans les deux versions, et il est mentionné sept fois.
Le récit plus ancien s’ouvre par la remarque que le Pharaon a le cœur lourd, ce qui
signifie qu’il est obstiné, et qu’il a un « libre arbitre » ; cela se vérifie aux v. 23-24
où le Pharaon rentre chez lui sans s’occuper de son peuple qui creuse désespérément
pour trouver de l’eau à boire.
Dans la version non-P, c’est à cause des poissons qui meurent que l’eau du Nil
devient imbuvable, alors que dans le récit P il s’agit d’un miracle de transformation
comme en 7,8-13. Le bâton d’Aron est levé vers le ciel, non pas pour frapper les
eaux, mais pour faire intervenir « le doigt de Dieu ».
« Laisse partir mon peuple 7,16 7,26 8,16 9,1 9,13 10,3
qu’il me serve »
10. L’introduction, avec tannin, et la conclusion, avec la séparation des eaux, opèrent
toutes les deux un renvoi à Gn 1.
MILIEUX BIBLIQUES 427
Dans ce schéma, c’est Moïse qui parle, mais c’est Yhwh qui réalise directement
les plaies.
Le récit P se compose de cinq scènes avant la scène finale de la traversée de la
mer. Dans ces cinq scènes, les magiciens jouent un rôle important, de sorte qu’on
peut vraiment parler chez P d’une compétition de magiciens :
Ex 7,8-13 ; 7,19-20a.21b.22 ; 8,1-3.11aγb ; 8,12-15 ; 9,8-12
Discours de Yhwh:
« Dis à Aaron » 7,9 7,19 8,1 8,12
« Prends ton bâton » 7,9 7,19 8,111 8,12
« Étends ta main » 7,19 8,1
Prodige à réaliser 7,9 7,19 8,1 8,12 9,8-9
L’origine de l’idée des plaies d’Égypte : assez courante est l’idée que l’éruption
du Santorin serait à l’origine des plaies décrites dans l’Exode. Cela semble cependant
très spéculatif. Y a-t-il encore une mémoire de cela ? La diversité des plaies
s’oppose cependant à l’idée que cette éruption serait la seule et unique cause des
récits des plaies qui tirent leur origine plutôt des expériences concrètes et de la
rhétorique des traités de vassalité.
L’instauration de la Pâque
Les prescriptions sur la Pâque sont ensuite combinées avec les maṣṣot, les pains
sans levain, auxquels s’ajoute en 13,1-2 une prescription sur l’offrande des premiers-
nés à Yhwh. Ce sont d’ailleurs les prescriptions sur les maṣṣot qui servent en
quelque sorte de « mortier » dans cette construction très complexe qui va de la fin
du chapitre xi jusqu’à 13,16.
On peut grosso modo distinguer quatre niveaux :
– Le récit ancien de la dernière plaie qui a constitué la suite directe de 11,4-8.
Dans ce récit ancien, il n’y a pas de rituel de la Pâque, ni de rite de sang pour se
protéger de l’attaque de Yhwh.
– On peut ensuite distinguer une couche « D », notamment en 13,3-16 (en partie),
et en 12,21-27 (prescription D de la Pâque) ; en Dt 16, la Pâque est en effet déjà
combinée avec les pains sans levain ainsi qu’avec la sortie d’Égypte.
– Une grande partie du texte va sur le compte de P, notamment : 12,1-13* ;
12,37-13,2.
– Plusieurs chercheurs ont postulé une « Holiness rédaction » en 12,14-20 et
43-49 16.
La référence la plus ancienne de la Pâque sur le plan littéraire se trouve
probablement en Dt 16. Dans ce texte, la Pâque est déjà mise en relation avec les
maṣṣot et la sortie d’Égypte. On dit souvent et à juste titre que les auteurs de la loi
deutéronomique ont tendance à historiciser et à intégrer dans l’histoire d’Israël des
fêtes plus anciennes. On peut donc se poser la question de savoir si la Pâque a été
d’emblée liée à l’exode et aux pains sans levain.
Les prescriptions contenues en Ex 12,1-10 s’adressent à des destinataires bien
installés chez eux et cadrent plutôt mal avec le moment narratif dans lequel le rituel
a été inséré.
La remarque de 2 R 23 indique l’existence d’une pratique de la Pâque qui n’a pas
été considérée comme « orthodoxe » par le milieu promoteur de la réforme de
Josias.
La redéfinition du rite comme une fête familiale s’explique dans le contexte post-
exilique dans une situation de Diaspora qui rend impossible de le célébrer au
sanctuaire (sous contrôle des prêtres).
Lorsque le Temple fut reconstruit, les prêtres voulaient faire de la Pâque un rituel
du Temple (cf. Jubilés 49,16-21), tout en admettant déjà des arrangements
(correspondance avec Éléphantine). Donc on peut imaginer durant l’époque du
Second Temple différents rituels de la Pâque. Après la destruction du Temple, la
16. C. Nihan, From Priestly Torah to Pentateuch: A Study in the Composition of the Book
of Leviticus (FAT II/25), Tübingen, Mohr Siebeck, 2007, 564-567.
MILIEUX BIBLIQUES 429
Pâque devient définitivement une fête familiale, perdant alors son caractère
sacrificiel.
Une lecture attentive d’Ex 13,17-14,31 fait apparaître un nombre d’indices qui
suggèrent que nous avons affaire à un texte composite. Quelques exemples :
– Selon Ex 13,17 et 14,5b l’exode est produit par le renvoi ()ש לח, tandis que
14,5a parle d’une fuite ()ברח.
– En 13,19 : la mention des ossements interrompt l’itinéraire en 13,18.20.
– En 14,9 les Égyptiens ont rattrapé Israël, en 14,10 Pharaon se rapproche.
– En 14,10 Israël crie vers Yhwh. Pourtant les versets 11-12 reproduisent une
accusation adressée à Moïse, alors que la réponse de Moïse en 13-14 ne reprend
pas les accusations du peuple mais se réfère à la peur du peuple.
– La mention de la nuée en 14,19-20 interrompt l’ordre en 14,16-18 : « étends ta
main sur la mer » et son exécution en 14,21 : « Moïse étendit sa main… ».
– En 14,21aß la mer est refoulée par un vent d’est, selon 14,21b.22 les eaux se
fendent au milieu de la mer.
– En 14,27 Yhwh jette l’Égypte dans la mer, en 14,28 les eaux recouvrent
l’Égypte.
– En 14,30 et 14,31 nous avons une double conclusion.
Ces observations permettent d’abord de distinguer un texte « P » et un texte
« non-P », ainsi que des ajouts ultérieurs relevant des dernières rédactions de
l’Hexa- et du Pentateuque. Le récit non-P peut être caractérisé comme faisant partie
de la « composition D » qui a sans doute retravaillé un texte plus ancien. Commençons
par le texte D.
15-23* et 26-29* démontre la gouvernance souveraine des événements par Yhwh 17.
Contrairement à D, P a clairement transformé cet événement en un mythe à l’aide
duquel il affirme la création d’Israël comme peuple de Yhwh 18. Dans le récit P, Yhwh
est le grand acteur, contraignant le Pharaon, comme dans le récit des plaies, à s’endurcir,
faisant de lui le jouet d’une prédestination, alors que le récit ancien et la version D
mettaient en place un Pharaon libre de ses décisions. P met ainsi en scène la naissance
d’Israël par un passage de la mort à la vie, comme l’ont aussi compris Paul et d’autres
auteurs chrétiens qui y ont vu une préfiguration du baptême.
La nostalgie de l’Égypte
Les versets 11-12 introduisent un thème qui apparaîtra surtout dans les récits du
séjour dans le désert en Ex et en Nb, à savoir la mise en question de l’exode par le
peuple. Cette mise en question de l’exode avant qu’il n’ait eu lieu se laisse facilement
comprendre comme un ajout entre les v. 10 et 13. Ce thème est déjà préparé par
13,17b où Dieu prévoit déjà la volonté du peuple de vouloir retourner en Égypte.
Cette question « pourquoi l’exode ? » va ponctuer les récits du désert en Ex 16,3 ;
17,3 ; Nb 11,18-20 ; 14,2-4 ; 16,12-15 ; 20,4-5 ; 21,4-9. Derrière la question
« pourquoi l’exode ? », il peut y avoir le refus d’une partie des exilés de revenir
dans le pays bien que les Perses offraient cette possibilité.
Les ossements de Joseph et la rédaction de l’Hexateuque
La notice sur les ossements de Joseph n’a pas de fonction dans l’histoire. Le
thème reprend et cite en quelque sorte Gn 50,25. Il trouve son aboutissement en
Jos 24 où on relate l’enterrement des ossements de Joseph ; il fait donc clairement
partie d’une rédaction qui tente d’intégrer le livre de Josué dans la Torah, cherchant
ainsi à créer un Hexateuque.
La rédaction du Pentateuque
Cette rédaction apparaît surtout in fine avec l’idée assez inouïe que le peuple ne
croit pas seulement à Yhwh mais aussi à Moïse, soulignant ainsi le rôle incomparable
de Moïse (comme en 19,9). C’est une préoccupation de la rédaction du Pentateuque
(cf. Dt 34,10-12). C’est aussi la rédaction du Pentateuque qui a inséré le bâton de
Moïse, transférant ainsi un insigne sacerdotal sur lui.
Humain ou divin ?
L’être intermédiaire est souvent très ambigu. Plusieurs communications ont ainsi
porté sur la question de la nature des êtres intermédiaires qui peuplent le monde
assyrien. Sont-ils des génies ou des agents du mal ? La nomenclature assyrienne est
ambiguë et le « démon » (udug = utukku) devrait être défini comme une entité
neutre plutôt que saisi à travers nos catégories de « bon » ou de « mauvais ». De
manière générale, ce colloque a donc montré à quel point les frontières entre les
« démons » et les « anges » sont perméables. Il ne faut pas oublier que, même dans
la tradition judéo-chrétienne, le diable appartient à l’origine à la cour divine
(Jb 1-2 ; Za 3) avant de devenir une entité qui s’oppose à Dieu. Il est fort probable
432 THOMAS RöMER
Reflet de l’histoire
Mais d’où viennent ces êtres intermédiaires ? Souvent les démons viennent de
l’extérieur, comme c’est le cas pour Lamaštu, et traduisent une inquiétude historique.
Ainsi Lamaštu est décrite comme une femme amorite dans les textes babyloniens
anciens (YBC 9846, 1-4), alors que, justement, les amorites posaient problème aux
rois babyloniens entre le IIIe et le IIe millénaire av. J.-C. Cette rhétorique n’empêche
pas que d’autres textes montrent Lamaštu très bien insérée dans le panthéon et les
croyances de Mésopotamie. Il est intéressant de voir que les croyances
mésopotamiennes se recoupent avec le matériel biblique, puisqu’on imagine
volontiers ces figures habiter les steppes, le désert ou les ruines, en tous cas en
marge de la culture ambiante. En effet, la description des ruines dans la Bible
(Es 13,19-22 ; 34,9-17 ; etc.) rejoint cette préoccupation de s’imaginer les marges
du monde ambiant et ses dangers. Plus les frontières seront connues, plus le langage
sur les démons va changer. Ainsi, il est intéressant de constater que les traducteurs
grecs de ces passages dans la Septante font coexister animaux mythologiques
(sirènes, démons, onocentaures, etc.) et animaux naturels, puisque l’horizon culturel
hellénistique élargit ses frontières. Les périphéries font de plus en plus l’objet d’une
connaissance réelle et suscitent un nouvel intérêt. Dans la langue courante grecque,
l’adjectif daimonios devient même à terme simplement un synonyme de
« prodigieux », « merveilleux » ou « qui suscite stupeur ». Dans le prolongement,
l’islam des mameloukes se méfiera d’un « entre-monde » trop plein, car seuls les
rassouls et le dernier des prophètes sont crédités d’une vraie fonction d’intermédiaire.
Les rites
enseIgnements déLocaLIsés
les 27 janvier 2014 : « New Light on the Pentateuch » ; 28 janvier : « The Human
Condition in Genesis » ; 30 janvier : « Exodus Traditions in the Book of Genesis » ;
3 février. : « The Commission of Moses in the Book of Exodus » ; 4 février :
« Leviticus-Numbers as the Completion of the Pentateuch » ; 6 février : « The Book
of Deuteronomy as Archimedean Point ». Il s’agissait de faire le point sur les
nouvelles théories philologiques, historiques et sociologiques qui permettent de
mieux cerner la formation de la Torah. Il est prévu que ces cours soient publiés sous
la forme d’un livre. Pour accompagner et approfondir le cours, deux séminaires ont
eu lieu le 31 janvier.
InvItatIons
c. Les conférences sont disponibles sur le site internet du Collège de France, en audio et en
vidéo (http://www.college-de-france.fr/site/thomas-romer/guestlecturer-2013-2014__1.htm et
http://www.college-de-france.fr/site/thomas-romer/guestlecturer-2013-2014__2.htm) [NdÉ].
434 THOMAS RöMER
pubLIcatIons
Livres
röMer T., L’invention de Dieu, Paris, Seuil, coll. « Les livres du nouveau monde », 2014.
röMer T., La Bible, quelles histoires ! Les dernières découvertes, les dernières hypothèses.
Entretien avec Estelle Villeneuve, Montrouge/Genève, Bayard/Labor et Fides, 2014.
daVies P.R. et röMer T. (éd.), Writing the Bible. Scribes, Scribalism and Script,
coll. « Bible World », Durham, Acumen, 2013.
durand J.-M., röMer T. et bürKi M. (éd.), Comment devient-on prophète ? Actes du
colloque organisé par le Collège de France, Paris, les 4-5 avril 2011, coll. « Orbis biblicus
et Orientalis », no 265, Fribourg/Göttingen, Academic Press/Vandenhoeck & Ruprecht, 2014.
Articles
röMer T., « Récits de guerre dans la Bible hébraïque », Le Monde de la Bible, 2013,
no 206, 18-23.
röMer T. (éd.), « From Prophet to Scribe: Jeremiah, Huldah and the Invention of the
Book », dans daVies P.r. et röMer t. (éd.), Writing the Bible : scribes, scribalism and
script, Durham, Acumen, coll. « Bible World », 2013, 86-96.
röMer T., « Moses, the Royal Lawgiver », dans edelMan D.V. et ben zVi E. (éd.),
Remembering biblical figures in the late Persian and early Hellenistic periods : social
memory and imagination, Oxford, Oxford university press, 2013, 81-94.
röMer T., « La loi du roi en Deutéronome 17 et ses fonctions », dans artus O. (éd.), Loi
et justice dans la littérature du Proche-Orient ancien, Beihefte zur Zeitschrift für
altorientalische und biblische Rechtsgeschichte, no 20, Wiesbaden, Harrassowitz, 2013,
99-111.
MILIEUX BIBLIQUES 435
Média