Mourret. Histoire Générale de L'église. 1921. Volume 8.

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HISTOIRE GÉNÉRALE DE L'ÉGLISE

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L'ÉGLISE CONTEMPORALNE
Première Partie (1823-1878)
OUVRAGES DU MÊME AUTEUR

A LA LIBRAIRIE BLOUD 6c GAY :

HISTOIRE GÉNÉRALE DE L ÉGLISE


9 volumes in-S" raisin

Prix de chaque volume : broché, 15 fr.

Tome I. Les Origines chrétiennes.


Tome II. Les Pères de l'Eglise.
Tome III. L'Eglise et le monde barbare.
Tome IV. La Chrétienté.
Tome V. La Renaissance et la Réforme.
Tome VI. L'Ancien Régime.
Tome VII. L'Eglise et la Révolution.
Tome Wlll. L'Eglise contemporaine, première partie (1823-1878).

(en préparation.)

Tome IX. L'Eglise contemporaine, deuxième partie (1878-1919).

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Le mouvement catholique en France, de 1830 à 1850, un vol.
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Le Concile du Vatican, d'après des (^.ocuments inédits, un vol.
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Les directions politiques, intellectuelles et sociales de Léon XIII,


un volume in-12 7 fr. »

POUR PARAITRE PROCHAINEMENT


Avec la collaboration de M. l'abbé AIGRAIN :

Table analytique de l'Histoire générale de TÉglise, un volume


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Géographie générale, ancienne et moderne, de l'Église, un vol.
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Documents pour servir à l'histoire de l'Église, trois volumes
in-8o raisin.

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La Vénérable Marie Rivier, Fondatrice des Sœurs de la Présentation


de Marie, un vol. .in-8'', illustré 6 fr. 50
HISTOIRE GÉNÉRALE DE L'ÉGLISE
PAR

FERNAND MOURRET
PROFESSEUR d'hISTOIRE AU SÉMINAIRE DE SAINT-SULPICE

• • • • •
• • •

L'ÉGLISE CONTEMPORAINE
Première Partie (1823-1878)

PARIS
LIBRAIRIE BLOUD ET GAY
3, RUE GARANCIÈRE, 3

1921
Reproduction et traduction interdites.
150 3 S

Nihil obstat.

Parisiis, die 19 octobris 191V.

A. Berrué.

IMPRIMATUR :

Parisiis, die 23 octobris 1917.

— Léo- Ad., Gard. Amettk,


Arch. Paris.

'M
INTRODUCTION

L'action de l'Eglise au xix® siècle ne peut être bien comprise sans Vue générale
sur
un aperçu du mouvement général du monde pendant celte même le mouvement
période. Le recul dos âges permettra sans doute à la postérité de du monde
au xix^ giècle.
fixer le rôle de cette époque de l'histoire par rapport aux temps qui
l'ont Nous pouvons au moins
précédée et à ceux qui ront suivie.
discerner, dès maintenant, en dehors du mouvement religieux, qui
fera l'objet propre de notre récit, quatre mouvements particuliers,

dont l'ensemble semble former la caractéristique de ce siècle un :

mouvement de politique intérieure, un mouvement de politique


extérieure, un mouvement social et un mouvement intellectuel.
Au point de vue de la politique intérieure, on a essayé de définir Premier ca-
ractère
le xix^ siècle, en l'appelant « le siècle delà démocratie ». Ces mots de ce siècle :

onl besoin d'être expliqués. le mouvement


démocratique.
C'est un fait, que ce siècle, après avoir commencé par le gouver-
nement personnel de Napoléon I" et des rois Bourbons, a vu se
constituer, en son milieu, des régimes constitutionnels .ou de suffrage
restreint, lesquels ont abouti à des régimes de suffrage universel.
En maints pays, le pouvoir, après avoir appartenu à l'extrcme-droite
ou à la droite, a passé successivement aux centres, puis à la gauche
la plus avancée. Il faut reconnaître toutefois que le mouvement vers
la démocratie n'a été ni universel ni régulier ; et peut-être a-t-il été

plus apparent que réel, plus superficiel que profond.


D'une part, la Russie, l'Allemagne, l'Autriche et l'Empire otto- Vraie portée
de ce
ini^n ont gardé, pendant le xix* siècle, malgré certains mouvements mouvemeat.
d'idées vers le gouvernement populaire, leurs gouvernements per-
sonnels ; et l'Angleterre, au milieu de vicissitudes semblables, est
restéeune monarchie constitutionnelle. D'autre part, dans la France
elle-même, où les étapes vers le régime démccratique ont été plus
régulières et plus marquées, le mouvement très démocratique de i848
a été suivi d'un brusque retour vers le gouvernement personnel sous
Ilisl. gén. de l'Fgîise. — VIÎI ,
INTRODUCTION

Je second empire. Ajoutons que là où il a paru triompher, le régime


politique de la démocratie a souvent pu être taxé d'être un trompe-
l'œil. Telle prétendue démocratie a pu être qualifiée par les défen-
seurs mêmes du régime populaire, de « monarchie décapitée » ; et ce

n'est pas sansquelque foi»dement qu'on a pu opposer à l'aristocratie


miHtaire du premier empire, à l'aristocratie terrienne de la Restaura-
tion, l'aristocratie bourgeoise du gouvernement de juillet ; à l'oli-
garchie financière du second empire, l'oligarchie juive et franc-
maçonnique de la troisième république.
Sa Quoi qu'il en soit, vraie ou fausse, saine ou perverse, l'agitation
répercussion
sur démocratique qui s'est manifestée dans les idées et dans les faits du
le mouvement XIX* siècle ne pouvait rester étrangère aux préoccupations de l'Eglise.
religieux.
Les actes de Grégoire XVI et de Pie IX contre le libéralisme, ce\ix
de Léon XIII et de Pie X sur la démocratie chrétienne, ont été
provoqués par ce mouvement.
Deuxième Si l'on considère, non plus Torganisation intérieure des Etats,
caractère :
la politique
mais leurs relations diplomatiques, on remarque qu'au xix* siècle la
mondiale. politique extérieure prend une ampleur nouvelle. Au xvi* siècle, la
politique de la Chrétienté avait fait place à la politique européenne ;

celle-ci, au xix* siècle, tend à s'absorber dans une politique mon-


diale. La part prépondérante que prennent les questions coloniale»
dans les rapports de peuple à peuple, la brusque entrée en scène du
Japon dans le mouvement de la civilisation européenne, l'importance
considérable prise par les Etats-Unis comme nation commerçante et
comme organisation politique, élargissent les points de vue de la

diplomatie. Les grands politiques de ce siècle ne projettent rien de


moins que de gouverner le monde. C'est, de 1801 à i8i5, l'ambi-
tion de Napoléon I*'', et l'Allemagne, unifiée par Bismarck, nourrira
le même rêve à la fin du xix* siècle.
Son influence Il est facile de conjecturer quelles répercussions de pareils mouve-
sur l'expansion
catholique.
ments ont exercées sur la situation religieuse, et combien l'Eglise

catholique a dû s'en préoccuper.


Troisième A un autre point de vue, on a pu, sans paraître trop exclusif,
caraclère :

l'agitation
définir le xix" siècle « le siècle de la révolution sociale ». Quelque
sociale. vives, en effet, qu'aient été les discussions politiques pendant cette
période, les questions sociales ont paru, de plus en plus, les domi
ner et les conditionner. L'avènement du « capitalisme », déterminé
par les progrès industriels et commerciaux, et la diffusion des
idées d'égalité politique, ont donné naissance à ce qui a été appelé
INTRODUCTION

la « question sociale » . Celle queslion sociale a provoqué, au coura


du siècle, des théories de plus en plus radicales. Qu'il sufBse de
rappeler, pour laisser de côté les systèmes secondaires, et pour mar-
quer seulement les trois princi[)alcs étapes du mouvement, la théorie

socialiste de Saint-Simon, communiste de Karl Marx et la


la théorie
théorie anarchiste de Bakounine. Le socialisme du Français Saint- les trois étapet
o- ^' r j' Ju socialisme,
bimon, propage sous la Tï ^ t 1 ' L I

nestau ration, se présente sous la lorme d une


philanthropie sentimentale et pacifique, et tel est le caractère de plu-
sieurs autres écoles qui se forment sous le gouvernement de juillet ;

mais le Manifeste du parti communiste, oeuvre de l'Allemand Karl


Marx, inaugure, en 1847, une phase plus militante de la réforme
sociale. Il pose en princip '
ki lutte des classes et vise au renverse-
ment de la classe bourgeoise par la dâsse ouvrière. En 1868,
ï Alliance de la démocratie socialist€y fondée par le Russe Michel
Bakounine, va plus loin encore, et prêche ouvertement ranarchie.
La doctrine anarchiste combat toute organisation sociale, poUlique,
religieuse ou financière, et en propose la destruction par « l'action
directe )x, c'est-à-dire par la violence et l'émeute.
Au cours du xix* siècle, nous verrons plus d'une fois l'Eglise P"'
, , , , ... . que prend
intervenir soit pour condamner les excès du socialisme, soit pour l'Eglise
prévenir sa funeste influence sur le peuple, en propageant des œuvies aumouvemeni
sociales animées d'un esprit chrétien.
En considérant un quatrième aspect du siècle qui a succédé à la Quatrième
'

Révolution et qui a vu les premiers ferments de la grande guerre l'esprit

de 1914, on l'a baptisé « le siècle de la critique ». De fait, l'époque critique.

qui a vu se propager les doctrines de Kant, paraître les œuvres des


Jaffé, des PotUiast, des Duchesne et des Smedt, s'organiser l'école
des Chartes, et la popularité s'attacher aux noms de Sainte-Beuve,
de Pasteur, de Renan et de Strauss, peut se vanter d'avoir poussé
jvisqu'à leurs dernières limites, dans le bien comme dans le mal, la

critique philosophique, la critique historique, la critique littéraire,

la critique scientifique et la critique sciipturaire. Or, dans cet ordre L'Eglise


Ti' 1
plus encore que dans tout autre,
1 -, r I. • / 1
et la critique.
Cl Idées, il a rencontre 1 autorité de
l'Eglise catholique, toujours prête à promouvoir les vrais progrès
dos sciences et des lettres, toujours debout pour réprimer leurs abus.

Toutefois, si importante qu'ait été l'action de l'Eglise par rapport CEuvre


aux mouvements politiques, sociaux et intellectuels de la société
de ["E^^iise
laïque, son œuvre principale n'est point là. La Révolution avait pro- au xixe siècle .

Bax
77
.Ml
INTRODUCTION

1« restauration fonde^nient ébranlé son organisation disciplinaire et perverti les


° ' croyances de beaucoup de ses fidèles : son œuvre primordiale, au
xix*^ siècle, devait être une œuvre de restauration religieuse.

La tourmente révolutionnaire, en effet, n'avait pas seulement dis-


persé le clergé, bouleversé ses cadres, confisqué ses biens, elle avait

laissé pénétrer dans les esprits, sous des formes plus ou moins équi-
Cetto voques, un venin d'idées fausses et d'utopies, dont Rousseau avait
T*AF ts 11 m ti on
doit été le plus éloquent propagateur et dont les formules avaient reçu
être à la foi» ^^g sorte de consécration officielle dans la Déclaration des droits de
disciplinaire i >-, • • • •; i / / t i-» / i •

etdûjjmatique. i homme et dans la Constitution civile La Révolution, il est


du clergé.

vrai, avait, par ses excès mêmes, opéré dans beaucoup d'esprits une
réaction salutaire. L'échec ridicule de ses tentatives de religion
civile d'abord, puis d'athéisme pratique, avait fait prendre conscience
au peuple du besoin d'une autorité religieuse solidement établie et

d'un dogme définitivement formulée L'Eglise, au cours du


XIX® siècle, s'appuiera précisément sur ce sentiment de légitime
réaction pour réparer les ruines de l'œuvre révolutionnaire, pour
restaurer sa hiérarchie et pour affermir son dogme,
s opère
q^ travail de restauration disciplinaire et dogmatique compte,

moments au cours du siècle, trois moments principaux.


principaux.
^^^ début du siècle, l'Eglise a surtout recours, pour la réalisation

de son œuvre, à l'appui des gouvernements. Le plus important


événement de cette période est le concordat français de 1801, suivi
de plus de trente concordats différents. Mais le mauvais vouloir que
l'Eglise rencontre bientôt de la part de divers Etats,imbus des
idées gallicanes ou joséphistes, la porte, vers le milieu du siècle, à
compter davantage sur l'opinion publique. La loi française de i85o
sur la liberté de l'enseignement, plusieurs lois favorables au catho-
licisme en Prusse et en Angleterre, sont le résultat de campagnes de
presse, de tournées oratoires, d'assemblées et de meetings. Mais
l'Eglise ne tarde pas à découvrir, dans ces mouvements populaires,
des' illusions et des erreurs, qu'elle n'hésite pas à condamner avec
force sous le nom général de libéralisme. Aussi voit-on bientôt,
chez les souverains pontifes, une tendance à se dégager le phas pos-
sible des influences extérieures, pour compter avant tout sur l'Eglise
même. Le concile du Vatican, où, pour la première fois, aucun

I. Voir Ilist. gên. de l'Eglise, t. Vîl, p. 288-290.


INTRODUCTION

clief d'Etat chrétien n'est convoqué, manifeste particulièrement cette


tendance^.

Quoi qu'il en soit de ces généralisations, dont les faits que nous
allons raconter dans le présent volume permettront d'apprécier le
bien ou le mal fondé, l'étude impartiale de l'iiistoire du catholi-
cisme au XIX® siècle nous apparaît, par la variété même et par F im-
portance des questions qui s'y sont agitées, comme particulièrement
utile aux chrétiens du xx^ siècle. On
a fait déjà remarquer qu'on y L'hîsloifft
de l'Eglise
trouve presque tous les genres de luttes que l'Eglise a eu à soutenir au xix^ siècle
présente
depuis son origine, et qu'elle présente ainsi, comme en raccourci, un
comme
tableau de l'iiistoire ecclésiastique tout entière. « Rien en effet n'y un tableau
raccourci
manque : ni les luttes avec les puissances temporelles, ni l'oppression
de l'histoire
de l'Eglise parla force, ni les déchirements intérieurs par l'éclosion ecclésiastique

de doctrines nouvelles qu'il a fallu condamner, ni la lutte contre la tout entière.

pensée hétérodoxe, contre le paganisme civilisé qui se décore du


nom de libre pensée, ni enftn les triomphes *. » Ajoutons que,
nonobstant les grands événements qui se sont passés depuis lors,

les problèmes intellectuels, sociaux, politiques et religieux qui se


sont posés devant du xix® siècle n'ont pas perdu leur
les esprits
Utilité
actualité. Or, rien ne peut mieux préparer les générations nouvelles
de l'étude
à les aborder et à les résoudre que l'étude des tentatives faites par de
les générations précédentes pour leur donner une solution. L'histoire cette histoire
pour
des échecs et des succès de nos prédécesseurs dans les modes d'action les catholique*
qu'ils ont employés pourra nous épa; j^ner bien des mécomptes, du xxe siècle.

nous fournir bien des indications utiles ; et, si nous savons, à tra-
vers les conflits qui ont divisé plusieurs grands catholiques, garder
notre admiration pour tout ce qu'ils ont eu de grand et de généreux,
quels spectacles plus passionnants et plus réconfortants à la fois
que ceux d'un Montalembert consacrant, à vingt ans, sa vie entière
« à la cause glorieuse et sainte de son pays et de son Dieu » ;

d'un Louis Veuillot toujours sur la brèche pour défendre l'Eglise


avec sa plume comme les preux du Moyen Age la défendaient avec
leurs épées ; d'un Newman et d'un Manuing provoquant, par des
méthodes diverses et parfois divergentes, mais avec une égale sineé-

1, Pie X, en abolissant le droit d'exclusive, a confirmé de nouveau cette attitude


de la papauté
2. Un siècle. Mouvement du monde de Î800 à 1900, un vol, in-4°, Paris, 1900,
p. 7b5.
INTROnrCTION

rite et une pareille ardeur, mcmvemeTit de nos flères séparés


le

d'Angleterre vers ie christianisme intégral d'un Windthorst con-


;

duisant au combat contre le KuUurkampf \qs catholiques d'Alle-


magne ;d'nn Lavigerie se faisant l'apôtre deTAfrique; d'un Pie IX
sacrifiant la tranquiîfité de son pontificat et la popularité de sa per-

sonne à la du dogme contre tous ses


défense acharnée de la pureté
ennemis, ses détracteurs et ses défenseurs inopportuns; d'un Léon Xïïi
montrant « aux peuples et aux rois », aux ouvriers du travail
manuel et à ceux de la pensée, l'Eglise catholique comme la mère
de la vraie civilisation !

Nous ne nous le dissimulons pas : dans le récit de tant de luttes,

dont le retentissement dure encore, dans le portrait de tant


d'hommes qui ont laissé des disciples passionnés, ^'impartialité,
premier devoir de l'historien, peut paraître son premier écueil. Nous
croyons l'avoir toujours respectée, en essayant de nous élever au
point de vue où se place l'Eglise quand elle délibère dans ses con-
ciles, quand elle légifère par ses représentants hiérarchiques, quand
elle papl« par la voie de son pontife suprême. S'il nous est arrivé,
malgré nous, d'y avoir manqué, c'est au jugement du Père commun
des fidèles que nous nous en référons pour tout ce qui pourrait se
rencontï^r de défectueux dans notre œuvre, c'est à son autorité que
nous décJai'ons soumettre sans réserve le présent travail.
NOTÎCE BÎBLîOGPAPnîQUB.

DOCUMENTS.

T. — Sur l'histoire de la papauté, la première des sources est la

collection des actes officiels des quatre souverains pontifes dont il

est question dans le présent volume : Léon XII, Pie VI II, Gré-
goire XVI et Pie IX. Ces actes se trouvent dans : i° la Bullarii
romani continuatio, 19 tomes in-f", Rome, i835-i857, qui com-
mence à Clément XIII (1768) et se termine à la cinquième année
du pontificat de Grégoire XVI (26 septembre i835 ) 2"la Collecî'O ;

lacensis^ Acta et décréta sacrorum conciliorum recentiorum, 7 vol.


in-4, Fribourg-en-Brisgau, 1870, rédigée par un groupe de Jésuites
de Maria- Laach., qui contient, avec les textes conciliaires postérieurs
à 1682 jusqueset y compris le concile du Vatican, tous les docu-
ments, pontificaux ou autres, dénature à éclairer ces actes conciliaires;
Jus pontificium S. C. de Propagandajide, 8 tomes en 7 in- fi,
3° le

Rome, 1888- 1898, qui donne tous les textes relatifs aux missions
jusqu'au pontificat de Léon XIII ;
4° les Monumenta catholica pro
independentia poteslatis ecclesiaslicae, de Roskovaut, 2 vol. in-8.
Quirique-Ecclesiis, 1847, dont le second volume donne des actes
importants de Léon XII, de Pie VIII et de Grégoire XVI. BER!«fAS-
coM a donné, de 1901 à 190A, sous les auspices du cardinal Vin-
cenzo Vannutelli, en f\ volumes in-4, les Acta Gregorii papae XVL
De nombreuses pièces inédites ont été mises au jour dans cet im-
portant ouvrage. Les critiques qae son apparition a suscitées portent
sur des détails ; mais ces détails ont leur importance en un travail

de ce genre : dates inexactes, ortliop:raphe incorrecte des noms


8 NOTICE BIHLIOGRAPIIIQUE

propres, etc. Les Acla Pu IX papae ont paru à Rome, de i858 à


1875, en 6 volumes in-8. On «1 donné aussi au public le Recueil des
actes de N. S. Père le pape Pie IX, texte latin et traduction française,

in-12, Paris, i8/|8, t. I, et \e Recueil des allocutions consistoriales,


encycliques et autres lettres apostoliques citées dans l'encyclique

« Quanta cura » et le i<. Syllabus », un vol. in-8, Paris, i865. A


partir de i865, une Revue spéciale, éditée à Rome, les Acta sanctae
Sedis^ a publié les principaux actes du Saint-Siège, On trouve,
d'ailleurs, la plupart des actes importants du Saint-Siège dans les

journaux religieux de l'époque, principalement dans VAmi de la


Religion, qui a paru de i8i4 à 1862 ; dans l'Univers, fondé en i833,
supprimé de 1860 à 1867, et remplacé alors par le Monde.
II. — En dehors des actes pontificaux, la presse religieuse est,
pour l'histoire de l'Eglise au xix" siècle, une source très abondante
de documents.
Pour nous en tenir à la presse française, nous citerons, avant tout,
VAmi de la Religion, qui, de 181 4 à i8/io, sous la direction de
l'crudit Michel Picot, donne les renseignements les plus précieux
sur l'état de la religion, non seulement en France, mais encore
dans les nations étrangères et dans les missions. Les principaux
documents émanant du Saint-Siège ou de l'Episcopat y sont ou
analysés ou cités intégralement. Sous les directions successives du
baron Henrion, de i84o à i848, de l'abb'î Cognât, de i848 à i855,
de l'abbé Sisson, de i855 à 1862, et de Jules Gondon, en 1862, le

journal devient moins documentaire, se mêle davantage aux polé-


miques religieuses, s'occupe moins de l'étranger, mais est toujours à
consulter pour l'histoire religieuse ^ L'Univers, fondé en i833 par
l'abbé Migne, ne commence à acquérir de l'autorité qu'à parlir du
moment où Louis Veuillot est attaché à sa rédaction en i84o.
Mais il est toujours, par sa fidélité à reproduire les nouvelles de
Rome et par ses correspondances de l'étranger, une mine précieuse
de renseignements. Le Correspondant, fondé en 1829 par Louis de
Carné, Edmond de Cazalès et Théophile Foisset, les Etudes religieuses,
fondées en i856 par les Pères Daniel et Gagarin, de la G'" de Jésus,
et la Semaine religieuse de Paris elle-même, créée en i853 pour ren-
seigner les fidèles, non seulement sur les faits religieux du diocèse.

I. Sur l'Ami de la religion, voir 1 article de M. E. Ledos dans ic Dict. d hisl. et de


féoqr. ecclés., de Mgr Baudrillart, t. II, col. laaô-iaSo.
NOTICE BIBMOGUAPHIQUE Ç

mais aussi sur « les progrès de la religion, tant en France que dans
toutes les parties du monde catholique », sont, parmi les périodiques
français et étrangers, les plus utiles à consulter pour les documents
qu'ils renferment.
Sous le iïiTG d'Annales ecclésiastiques, la librairie Gaume a publié,

comme suite à ['Histoire universelle de l'Eglise de Rohrbagher et

dans le même format, une série de « documents et faits pouvant


intéresser l'histoire de l'Eglise )). Ce travail, confié à M. J. Ghantrel»
a été continué, à partir de 1869, par Dom Ghamard. Nous citons
souvent ces Annales, de préférence à des recueils spéciaux, parce
qu'elles sont plus facilement à la portée des lecteurs. Quelle que
soit la série, elles sont indiquées par la formule suivante : Ghantrll,
Annales.
Les Annales de la propagation de la Joi, paraissant depuis i83ii,
et les Missions catholiques^ ïondces k Lyon en 1869, sont les princi-

pales sources pour l'histoire des missions étrangères.


m. — Gertains ouvrages, par l'abondance des documents origi-
naux qu'ils contiennent ou qu'ils utilisent, peuvent être considérés
comme de vraies sources historiques. Gitons, à titre d'exemple :

Abbé Féret, Histoire diplomatique, la France et le Saint-Siège sous


le premier Empire, la Restauration et le Gouvernement de juillet,

d'après des documents inédits, 3 vol. in-8°, Paris, 19TO-1911;


Gn. MoELLER, Histoire politique générale, Dernière partie^ la poli-

tique des Etats européens durant la seconde moitié du siècle dernier,

de i85o à 1900, i vol. in-8°, Paris, 1912; A. Debidour, Histoire


des rapports de l'Eglise et de l'Etat en France de 1789 à 1870, i vol.
in-8", Paris, 1898. ( « La règle de mes jugements, déclare l'auteur,
provient de deux principes qui me sont également chers : la

liberté des cultes et la souveraineté de l'Etat » ; l'ouvrage est nette-


ment hostile à l'Eglise.) Gitons aussi les 20 volumes, très secs, mais
très précieux par les citations de pièces diplomatiques, de l'Histoire
de la Restauration de Viel-Gastel (Paris, 1860- 1869). ^^"^
Thuheau-Dangin unit, au contraire, l'agrément de l'exposition à
l'abondance des documents inédits dans son Histoire de la Monar-
chie de juillet (Paris, 1885-1889). Parmi les Mémoires, les plus
intéressants sont ceux de Meïternich (8 vol. in-8, Paris, i88c>-
1884). de GuizoT (8 vol. in-8, Paris, 1858-1867), de Villèle,
(6 vol. in-8,
Paris, 1888-1890), de Falloux (2 vol. in-8, Paris,
1888}. de Bismarck (2 vol. in-8, Paris. 1898). de Ghateaubriand
TO TVOTTCE BIBLIOGRAPHIQUE

(6 vol, in 8, Paris, 1896, ou 6 vol. iu-12, Paris 1901), de Laurentie


(i vol. in-i2, Paris, Blond et Barrai, s. d.) parmi les Correspon- ;

dances, celles de Ïalletra.nd (Corresp. diptom.y 3 vol. in-8, Paris,


1889- 1890-1 891 ; Corresp. inédile, i vol. in-8, Paris,- 1881 ; Lettres
inédiles, 1 vol. in-8. Pari», 1889), Palmerston (Corresp. intime,
s vol. in-8, trad. Graven, Paris, 1878-1879), Louis Veuillot
{Correspondance, S vol. in 8. Paris, i883-i9i4), Lamennais (Con/?-
dences, lettres inédites de 1821a i848, i vol. in-12, Paris, 1886),
M \zzi^i (Lettres intimes^ i vol. in- 12, Paris, 1896 ; Lettere inédite^
dans VArchivio siorico itatiano, V" série, t. XXXVIII, p. 60-92 ; la
jeune Italie et la jeune Europe^ lettres inédites de G. Mazzini à L. A.
Me/egorij i vol. in-12, Paris, 1903) ; Giuseppe Garibaldi 1 Memorie,
1 vol. in-8^, Turin, 1907). Les Souvenirs sur les quatre derniers
pojjes (Pie VU, Léon XII, Pie VIII et Grégoire XVI) du cardinal
WisEMAN(trad. française Goemaere, i vol. in-8, Bruxelles, i858) sont
purement descriptifs et anecdotiques et ne répondent pas à ce qu'on
pourrait attendre de la grandeur du sujet et de la valeur de l'écri- ,

vain ; ilb fournissent cependant plusieurs détails très caractéristiques.


IV. — Un certain nombre de manuscrits ont été mis à notre
disposition pour la composition de ce volume. Le plus important de
ces manuscrits est le Journal dans lequel M. Icaid, directeur du
Séminaire de Saint-Sulpice et théologien au concile de Mgr Ber-
nadou, archevêque de Stns, a noté ses souvenirs et ses impressions à

partir du 21 novembre 1869 jusqu'au 19 juillet 1870. Lié avec un


grand nombre de prélats, dont plusieurs avaient été ses élèves et lui

donnaient toute leur confiance, en relations suivies avec des représen-


tants des divers groupes, consulté par Mgr Pie et MgrRegnault comme
par Mgr Dupanloup et Mgr Darboy, en relations avec le cardinal
Mathieu comme avec le cardinal de Bonnechose, avec Mgr Vecchiotti
comme avec Mgr de Angelis, le futur supérieur général de la Com-
pagnie de Saint-Sulpice note et apprécie, chaque soir, avec gravité,
sobriété, précision, et surtout avec cet amour profond de la Sainte
Eglise que lui ont connu tous ceux qui l'ont eu pour maître, ce qu'il
a vu et entendu pendant la journée; il mentionne même les bruits

qui courent, les contrôle, les rectifie au besoin au moyen d'enquêtes


consciencieuses. Par la sûreté de ses informations, par la haute et

sereine impartialité de ses jugements, par l'esprit foncièrement catho-


lique et romain qui l'inspire, le Journal de M. îcard nous a parn
constituer un document d'une inappréciable valeur.
NOTICE BIBLIOGRAPIIIQrE I I

Les Archives du Séminaire de Saint-Sulpice nous ont aussi fourni


des lettres et des papiers inédits du cardinal Bilio, de Mgr Sibour,
archevêque de Paris, de Mgr Dupanloup, évêque d'Orléans, du car-
dinal d'Astros, archevêque de Toulouse, du R. P. de Ravignan, du
R. P. de Buck, bollandiste, de lord Acton, de J.-B de Rossi, du
comte de Falloux, du comte de Montalembert, d'Augustin Cochin,
du D' Doellinger, de l'abbé de La Mennais, de plusieurs autres de
leurs contemporains. Parfois les écrits des personnages les moins
connus nous ont donné les renseignements les plus précieux.
V. — A toutes ces sources d'informations il convient d'ajouter
les communications orales de plusieurs témoins des événements
hîslo/iques qui font l'objet de cet ouvrage. De ces témoins nous cite-

rons seulement ici l'illustre archéologue Jean-Baptiste de Rossi,


qui, par les relations de son vénérable père comme par ses relations
personnelles, fut si informé des choses romaines sous les pontificats
de Grégoire XYI et de Pie IX. Les entretiens qu'il nous a été donné
d'avoir avec cet homme éminent, pendant un long séjour à Rome,
au cours des années i883 et i884, ne nous ont pas seulement per-
mis d'apporter à notre récit certaines précisions qu'on trouvera signa-
lées au cours de ces pages ; ils ont beaucoup contribué à orienter
nos recherches, à guider nos lectures, à faciliter notre tâche à tous
les points de vue.

II

0UAT\AGE3

L— Sur la situation politique du monde après mort de Pie VIT


la
etde Napoléon I-, on consultera avecutilité
le chapitren du tome Vîlt
de l'Europe et la Révolution par
Albert Sorel (8 vol. in-8, Paris.
1885-190/i) la Correspondance de Talleyrandet du roi Louis
;
XVIU
pendant le Congrès de Vienne, publiée par
G. Pallain, i vol. in-8,
Paris, 1881 la préface du duc de Broglie
;
aux Mémoires de Tali.et-
RAND, m-8,
Paris, 1891 le tome I- de Vnistoire de
;
la Restaura^
/zo;ipar Alfred Nettement vol. in-8,
(8 Paris, 1860-1872) Cette
dernière histoire est l'œuvre d'un
écrivain catholique et rovaliste
12 NOTICE BinriOGRA-PIIIQUE

Sur la siluatinn reli^neuse à la même époque, on lira avec intérêt


mais avec précaution les deux volumes de Crétineau-Jolt, YEijlise
romaine en face de la Révolution^ in-8, Paris, iSSg. Il est certain
que cet auteur a reçu communication d'importants papiers relatifs
aux sociétés secrètes, réunis en ses mains par le pape Grégoire XVI,
mais les interpolations qu'il s'est permises dans la publication des
Mémoires du Consalvi^et les libertés qu'il avoue lui-même avoir prises
dans ses traductions ^ ne permettent pas d'accepter avec pleine con-
documents émanant de cet écrivain. Autre-
fiance les assertions et les
ment sérieux estTimporlant ouvrage du R. P. Nicolas Deschamps, S.
J., les Sociétés secrètes et la société y ou philosophie de l'histoire contem-
poraine, 3 vol. in-8, Avignon et Paris, 1881. Le tome III, qui est
l'œuvre de Claudio Jannet, a été publié à part sous ce titre : la

Franc- Maçonnerie au XIX^ siècle. D'Estampes et Jannet ont donné


un résumé de cet ouvrage en i volume in-12, la Franc-Maçonnerie
et la Révolution^ Paris, iSSl\. Sur la situation sociale, on se rensei-
gnera utilement dans le tome IV de V Histoire des classes ouvrières
en France, par E. Levasseur, Paris 1 867-1903 ; sur la situation
religieuse en Angleterre, voir le tome V^ de la Renaissance catholique
e/î i4/?(//é/e;v'c par Thureau-Da.\gin, 3 vol in-8, Paris, 1899-1906;
sur la situation religieuse en Allemagne, voir le premier volume de
Y Allemagne religieuse, le catholicisme, par G. Gotau, 4 vol. in-12,
Paris, 1909, QiV Allemagne religieuse, le protestantisme^ un vol. in-
12, Paris 1898 ; sur la situation religieuse en France, la Congréga-
tion, par Geoffroy de Grandmaison, i vol. in-8, Paris, 1890 ;

Y Extrême-droite sous la Restauration, dans Royalistes et républicains


de P. Thureau-Dangin, un vol. in-8, Paris, 1874*, et le Parti libé-
ral sous la Restauration, parle même, i vol. in-12, Paris, 1876 ;

sur la situation religieuse en Italie, le 5® volume des Hérétiques


d'Italie de César Cantu, trad. Digard et Martin, 5 vol. in-8, Paris,

1 866-1 871, et le 4® volume de V Histoire de cent ans, par le même,


trad. Am. Renée, li vol. in-12, Paris, 1862- 1860.

II. — U Histoire de Léon XH, 2 vol in-8, Paris, i843, et V His-


toire de Pie VHl, un vol. in-8, Paris, i8/i4, par Artaud de Moîîtor,
ne valent pas son Histoire de Pie VH ; ce sont plutôt des Mémoires,

1. Voir Gard. Mathieu, le Concordat de 1801, un vol. in-8«, Paris, 190^, p. 257.
2. Voir sa biographie par le chanoine Maynard, Jacques Crélineau-Joly, (faprè»
ses M (^moires, un vol. in-8", Paris, 1875.
NOTICE BIBUOGRAPHTOUE i3

dans lesquels l'auteur donne des documents et des souvenirs per-


sonnels, parfois pleins d'intérêt, Grégoire XVI n'a pas encore le
grand historien que demanderait son important pontificat. L'abbé
Charles Sylvain (chanoine Rolland) résume sa vie et les événements
de son règne dans un vol. in-8, Grégoire XVI et son poniifLcaty
Lille, 1890. MoRONi, familier de Grégoire XVI, donne des détails in-
téressants sur ce pape, sur son entourage, sur quelques particula-
rités de la cour romaine dans son Dizionario di erudizlone. Ce der-
nier ouvrage a été parfois trop loué. C'est une compilation sans
grande valeur pour tout ce que Moroni n'a pas connu directement.
Le R. P. DuDON, dans son volume Lamennais et le Saint-Siège, 1 vol.
in-i2, Paris, 191 1, a donné la vraie physionomie de Grégoire XVI.
Stiiendal (Henri Beyle), dans ses Promenades dans Rome, 2 vol in-
12, Paris, i858, dans son livre sur Rome, Naples et Florence, 1 vol.
in-i2, Paris, i855, et dans ses romans mêmes, a prétendu donner
une description exacte de l'état religieux de Rome et de l'Italie

sous Léon XII, Pie VIII et Grégoire XVI ; mais on doit se mettre
en garde contre les appréciations de cet écrivain u complètement
antichrétien n suivant une expression de Jules Lemaitre, et systéma-
tiquement hostile à la papauté On trouvera des appréciations plus
justes de ces trois papes dans Hergenrôcher-Kirsgh, Handbiich
dcr allgemein Kirchengeschichle, t, III,in-8°, Fribourg-en-Brisgau,

1909-
Trois grands mouvements religieux se sont réalisés au temps des
trois papes dont nous venons de parler : en Allemagne, sous la direc-
tion de Goerres ; en France, sous l'impulsion de La Mennais ; en
Angleterre, sous la conduite de Newman. Ces mouvements sont
racontés dans trois ouvrages, déjà cités, de Georges Goyau, V Alle-
magne religieuse, le catholicisme, et de Paul Thureau-Dangin, VHis-
ioire de la monarchie de juillet et la Renaissance du catholicisme en
Angleterre ; mais on en trouvera l'histoire plus complète dans les
biographies des personnes qui y ont été mêlées. Plusieurs de ces
biographies sont du plus vif intérêt. On en trouvera les références
au cours du présent volume. Nous devons citer, comme indispen-
sables à lire : le Louis Vcuillotd'Eugène Velillot, 4 ^ol. in-8,
Paris, 1899-1913, et le Montalembert du P. Lecanuet, 3 vol. in-8,
Paris, 1895-1901. On rencontrera aussi de très utiles renseigne-
monts dans les biographies suivantes : Mgr Lagrange, Vie de
Mgr Dupanloup, 3 vol.' in-8<*; Mgr Baunard, Histoire du cardinal
l4 NOTICE BIBLlOGRAPHlQtJR

Pie, 2 "vol. in-S"; Purgell, Life of cardiaU Manni^ng, a vol. in-8**;


Hemmer, le Cardinal Manning^ i vol. in -12, Paris, 1897; ^- F^^p,
Keltelery 1 vol. iii-8" ; Ward, The of John Henry cardinal
life

Newman, 2 vol. in-8°, Londres, 1892; Thureau-Dangin, Newmann


catholique, i vol. m-12, Paris, 1912 ; E. Gribuault, Mgr Freppel et
Louis Veuillot, dans la Revue des fac. cath. de rOuesl, 1912, t. XXI,
p. 289-302, 433-446; L Pauthe, Lacordaire d'après des docii^
me nts nouveaux y 1 vol. in-8°y Paris, 1911; Lespinasse-Fo^segrive,
Windlhorst, 1 vol. in-12, Paris, 1908 ; Gh. Huit, la Vie et les œu-
vres de FrédéricOzanam^ 1 vol. in-8**, 6" édition, Paris, 1907;
Baunard, F, Ozanam d'après sa Correspondance, i vol. in-8*', 3' édi-
tion, Paris, 1913; A. Gasquet, Lord Acton and his circle, 1 vol.

in-8'\ Londres, 1907; H. Boissard, Théophile Foissety 1 vol. in-12,


Paris, 1891; Chanoine Gousset, Vie du cardinal Gousset, i vol.
in-8°, Paris, 1903 ; A. Baudrillart, Vie de Mgr d'Huist, 2 vol.
in-S** ; Paris, 1912-1914; Dom Pitra, Vie de P. Libermann, 1 vol.
in-8°, Paris, i855 ; Laveille, Jean-Marie de Lamennais, 2 vol. in-8**,

Paris, 1903; Chauvin, le P. Gratry, 1 vol. in-12, Paris, 1901;


F, Mgr Dupont
Klein, '

des Loges^ i vol. in-8% Paris, 1899;


Mgr WicA-RD. Mgr Freppel, 1 vol. in-12, Paris, 18^2; Mgr Ricard,
VAbbé Combalot, i vol. in-12, Paris, 1892; P. Clair, leP. Olivaini,
I vol. in-12, 1879; Paris, Martin, Vabbé Gorini, 1 vol. in-12,
Paris, i863; Baunard, Ernest Lelièvre et les fondations des Petites-
Sœurs des Pauvres, 1 vol. in- 12, Paris; Latreille, Charles Sainte-
Foi, I vol. in-8°, Paris Un bénédictin. Vie de l'abhé Carron, 1 vol.
;

in-12, Paris, 1866; W. Ward, William-Georges Ward and the


catholic revival, 1 vol. in-8, Londres, 1912 ; L. Gollin, Henri
Lasserre, 1 vol. in-i2, Paris, 1901 ; Lagointa, Vie de S. E. le

cardinal Desprez, ivol.in-S'^. Paris, 1897 ; Breton, Un évêgue d autre-


fois, Mgr Berteaud. 1 vol. iD.-8°, Paris, 1898 ; Boissonnot, le card,
Meignan, i vol. in-8*, Paris, 1899; G. Bazin, Windthorst^ 1 vol.

in-8'', Paris, 1896 ; Mgr Jeantet, le Cardinal Mermillod, i vol.


in-8'', Paris, 1906; G. G 01 au, M oehler, i vol. in-12, Paris, 190»;
P. Longhate, Quinze années de la vie de Monlalembert dans les
Etudes, t. LXXVIII, p. i45 et s., p. 5io et s. ; J. Durieux,
lEvêcjue Maurice de Broglie^ dans les Feuilles d'histoire de 191 3,
t. 44o 445 Ch. Moeller, Fr. Ozanam et son œuvre historique^
IX., p. ;

dans la Revue d'hist. ecclés., de 1913, t. XIV, p. 3o4-33o G. »b ;

Pascal. M(/r Gay, 1 vol. in-12, Paris, 1910; P. Saintrain, Vie du


NOTICK BIBMOGRAPHÎQTJE i5

eardinal Dechanips, m-8". Tournai, i88/i; Baunard, le Car-


i vol.

dinal Lavigerie^ i vol. in 8% Paris, 1896 Ward, le Cardinal W/se- ;

mann, Irad. Cardon^ 2 vol.ia-8% Paris^ 1901 Paguelle de Follenat, ;

Vie du cardinal Gaibert, 2 vol. in-8, Paris, 1891; G. Bazo, F/g dt


Mgr Maret, 2 vol. in>-8°, Paris, 1891, etc.

m. — Les biographies de Pie IX sont nombreuses. La plus lon-


gue de toutes, l'Histoire de Pie IX, de son pontifical et de son siècle,

pari'abbéA. Pougeois, 6 vol. in-8, Paris, 1877-1886, abonde plus


en développements oratoires qu'en renseignements précis. Parmi les

meilleures, on peut signaler Villefranche, P/éî/AT, sa vie, son


: his-

toire, son œuvre, i vol. in 8, 19* édition, Paris, 1889; A. de Saint-


Albin, Pie IX, I vol. in-i2, Paris, 1870; Charles Sylvain, Histoire
de Pie IX el de son pontificat, ^ vol. in-8, Paris Marocco, Pio IX,
;

5 vol., Turin, i86i-i864 ; J-A. Trollope, The Life of Pius IX,


s vol. in-8, Londres, 1878 ; Stepisghnegg, Pa/)5/ Pms IX und seine

zeit, 2 vol., 1879. Voir aussi P. Ballerini, S. J., les Premières


pages du pontificat du pape Pie IX, trad. française, i vol. Rome,
1909. L'ouvrage, composé en 1867, n'a été livré au public qu'après
la mort de Le P. Ballerini aimait à s appeler « l'apologiste
l'auteur.

sincère et le paladin du Saint Siège ». Dans son livre^ qui est mani-
festement une œuvre d'apologie, il se fait le défenseur de tous les
actes de Pie IX, mais il donne des documents très utiles à connaître.
Pour ce qui concerne plus spécialement la question du pouvoir
temporel sous le pontificat de Pie IX, on consultera ; Gii. Van
DuERM, S. J., Vicissitudes politiques du pouvoir temporel des papes
de 1790 à nos jours, i vol. in-8, Lille, 1890 ; Zeller, PieIX et
Victor-Emmanuel, i vol. in-12, Paris, 1879 ; A. Bouillier, Un roi
et un conspirateur^ Victor- Emmanuel et Mazzini, i vol., Paris, i885 ;

le comte de Beauffort, Histoire de l invasion des Etats pontificaux


et du siège de Rome en septembre 1870, Paris, i vol.
Sur la question romaine en général, voir, dans le Correspondant
du 25 mai j86o, un article d'Augustin Cocuo intitulé : Les derniers
écrits sur la question romaine. Sur les rapports du Saint-Siège avec
la France sous Pie IX, voir P. de la Gorge, Histoire du second
empire, 7 vol. in-8, Paris, 1894- i9o5, et le premier volume de Le-
canuet, \ Eglise de France sous la troisième république, in-8, Paris,

1907 Sur le catholicisme libéral, voir, dans un sens favorable aux


catholiques libéraux : Anatole Leroy-Bkaulieu, les Catholiques libé'
vaux, 1 vol. in-i2, Paris, i885 ; Cognât, Polémique religieuse, quel-
i6 NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE

ques pièces pour servir à iJiistoire des controverses de ce temps ^ i vol.


in-8, Paris, i86i ; Baltain, la Relie/ ion et la liberté^ i vol. in-8,
Paris, i848 ; abbé Godard, les Principes de 89 et la doctrine
catholique ; la seconde édition de cet ouvrage, parue en i863, a
reçu l'approbation du Saint-Siège. Dans un sens opposé aux
catholiques libéraux : dom Guéranger, Essais sur le naturalisme
conie/nporain^ i vol. in-8, Paris, i858 ; Jules Morel, Somme contre
le catholicisme libéral^ 2 vol. in-8, Paris, 1877 ; c'est un recueil
d'articles de polémique qu'Eugène Veuillot, dans la vie de son frère,

Dans un sens plus modéré, on lira


n'hésite pas à déclarer excessive.
avec fruit l'ouvrage d'Emile Keller, l'Encyclique du 8 décembre 1864
et les principes de 1789^ 1 vol. in-12, Paris, 1864. Cet ouvrage et
celui de l'abbé Godard, donnent, avec des tendances différentes, la

vraie note catholique sur la question du libéralisme.


Sur le mouvement social catholique en France au temps de
Pie IX, voir l'abbé Charles Califpe, les Tendances sociales des catho-
liques libéraux^ i vol. in-12, Paris, 191 1, et Albert de Mun, Ma
vocation sociale^ souvenir de la fondation des cercles catholiques^

1871-1875, I vol. in-8, Paris, 1909. Les Fragments des œuvres de


Ketteler^ par Georges Goyau, i vol. iu-12, Paris, 1908, et les

Extraits^ des œuvres de Vogelsang par ^


le marquis de la Tour du Pin,
donneront un aperçu du mouvement catholique social en Allemagne
sous Pie IX. Si l'on veut opposer le mouvement catholique social au
mouvement socialiste à la même époque, on lira Winterer, le

Socialisme contemporain^ i vol. in-8, Paris, 1890. Sur la campagne


pour la liberté d'enseignement, le principal livre est celui de Gri-
MAUD, Histoire de la liberté d! enseignement^ i vol. in-8, Paris, 1898.
IV. '- Les principaux ouvrages publiés sur le Concile du Vatican
sont: y Histoire du Concile du Faiica/z par E. Cegconi, trad. Bon-
homme et Duvillard, 4 vol. in-8, Paris, 1887, très précieuse par les

documents qu'elle contient, mais qui ne fait connaître que les préli-
minaires du Concile ; YHistoire vraie du Concile du Vatican par le
cardinal Manning, trad. Chantrel, i vol. )n-8, Paris, 1872, et le

Concile du Vatican par Mgr Fessler, trad. française, i vol. in-8,

Paris, 1877. Ces deux derniers ouvrages ont une valeur toute spé-
ciale par le fait que leurs auteurs ont vu et entendu ce qu'ils racon-
tent, et que l'un et l'autre ont rempli dans l'assemblée un rôle im-
Manning comme un des chefs des « infaillibilistes », Fessier
portant,
comme secrétaire .général du concile. L'ouvrage de Fessler sur la
NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE I7

Vraie et la Fausse hiJailUhilité des papes ^ trad. française, i vol. in- 12,

Paris, 1873, doit être lu si l'on veut avoir le sens très net de ia prin-

cipale des définitions du concile. Enfin le P. Granderath, de la

Compagnie de Jésus, ayant eu à sa disposition tous les documents


des archives du Saint-Siège concernant le concile, a écrit, de 1898
à 1902, trois forts volumes Geschichle des Vatikanischen Konzils,
dont le dernier a été publié en 1903. Une traduction française des

trois volumes a paru à Bruxelles, en format in-8 de 1908 à I9i3.


Les traducteurs déclarent c avoir condensé quelques passages un peu
difl'us du texte allemand et précisé la documentation des questions
intéressant plus spécialement le public français » (t. III, p. 7). Emile
Ollivier, dans son ouvrage, l'Eglise et l Etat au concile du Vatican^
2 vol. in 12, Paris,1879, donne, sur l'attitude des divers gouverne-
ments à l'égard du concile, de nombreuses informations et de précieux
documents que sa situation de président du conseil des ministres lui

a fait connaître. Parmi les histoires conçues dans un esprit d'hostilité

envers le Saint-Siège, i\ convient de citer les trois volumes allemands


de F. Friedrich, Geschichte des Vatikanischen Konzils^ et le volume
français d'Edmond de Pressensé, le Concile du Vatican^ i vol. in-12,

Paris, 1872.
Les biographies de Mgr Darboy, de Mgr Dupanloup et surtout
celledu cardinal Manning par Purcell, non traduite en français,
mais dont M. Hemmer s'est inspiré dans sa biographie française de
Manning, contiennent aussi d'utiles renseignements sur le concile.
V. — L'histoire des œuvres pieuses et charitables se trouve dans
les biographies de ceux qui les ont fondées. On trouvera les références
de ces biographies au dernier chapitre de ce volume. Quant à l'his-

toire des missions étrangères, elle a été faite, d'une manière géné-
rale, par Marshall, en deux volumes in-8, traduits par L.deWaziers.
Paris, i865, sous ce titre : les Missions chrétiennes. Les missions
protestantes y sont racontées et mises en parallèle avec les missions
catholiques. Malheureusement l'histoire ne va pas au delà de i86/i.
On complétera cet ouvrage, on le remplacera au besoin par celui de
LouvET, les Missions catholiques au XIX^ siècle^ i vol. in-4, Lille et
Paris, 1897, ou par celui de Werner, S. J., les Missions catholiques
auXÏX' siècle, trad. Groffier, Fribourg, 1886. Le P. Piolet S. J.
a dirigé une publication collective, les Missions catholiques françaises
au XIX'^ siècle, 6 vol. in- 8° illustrés, Paris, 1901. M. L'abbé Ka>'>'en-
gieser a publié les Missions catholiques^ France et Allemagne, i vol.
Hist. géo. de l'Kylise. — \!il a
l8 NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE

in-12; le P. Ragey, les Missions anglicanes^ i vol. in-12, Paris,


1900. Les travaux des Prêtres des missions étrangères sont racontés
par Launay, Histoire de la société des Missions Etrangères^ 3 vol.
in-8, Paris, 189/1 ^^^^ ^®^ Franciscains, par le P. de Givezza, His-
toire universelle des missions franciscaines, Irad. française, 3 vôI. in-8,

Paris, 1898-1899; ceux des Dominicains, par le P.André-Marie,


Missions dominicaines dans l'Extrême-Orient, 2 vol. in-12, Lyon
et Paris, i865, et par le P. Mortier, Histoire des Maîtres Généraux
de l'ordre des Frères Prêcheurs, tome VII, in-8, Paris, iQi^- Les
missions des jésuites et leurs œuvres en général auront leur histoire
par l'achèvement de leurs monographies nationales en cours de
publication, lesquelles remplaceront enfin l'insuffisante Histoire de

la Compagnie de Jésus de Jacques Grétineau-Joly.


VI. — Ceux qui désireraient une bibliographie plus complète sur
le catholicisme au xix** siècle, en trouveront les éléments : 1° dans
un article de Georges Weill, le Catholicisme au dix-neuvième siècle^
publié dans la Revue de synthèse historique de décembre 1907 et fai-
sant connaître les principaux écrits parus depuis 1870 ;
2° dans la

collection du Polybiblion, qui commence en 1862 ;


3° dans le Cata-
logue d* histoire de France àQ la Bibliothèque nationale. Ge cata-

logue s'arrête à 1857 ; mais, pour les journaux religieux, il va


iusqu^en 1877.
HISTOIRE GÉNÉRALE DE L'ÉGLISE

CHAPITRE PREMIER

BTAT POLITIQUE, SOCIAL ET RELIGIEUX DU MONDE CHRETIEN A LA MOTlT


DE PIE VIT.
(1828)

Le 24 août 1828, le pape Pie VII était mort en prononçant Vue générale
^"'^
ces mots :« Savone... Fontainebleau... » L'empereur Napoléon ..

, . .
cette premier»
l'avait précédé de deux ans dans la tombe et 1 on avait aussi re-
; partie.

cueilli ses dernières paroles :<(Tête... armée... » Ces deux hommes,

arrivés à peu près en même temps au souverain pouvoir, et dis-


paraissant à peu d'intervalle l'un de l'autre, avaient personnifié les

deux grandes puissances du monde. Celui-ci se rappelait, en mou-


rant, la grande gloire militaire dont il avait ébloui les hommes de
son temps ; celui-là se souvenait des souffrances rédemptrices par
lesquelles il avait continué dans l'Eglise Tœuvre de Jésus-Christ.
Eux morts, la lutte engagée entre le Christ et le siècle allait prendre
des formes nouvelles. Par suite de la déchéance de Napoléon I" et

par l'affaiblissement de plusieurs monarchies bourboniennes, le galli-

canisme et le joséphisme devaient perdre quelque peu de leur force ;

mais du mouvement d'indépendance qui portait les nations de l'Eu-


rope vers la politique des nationalités et vers les régimes constitu-
tionnels, allait naître le libéralisme. Il s'en faut d'ailleurs que tout
fut épreuve pour TEglise dans cette évolution. Si les monarchies
autoritaires lui avaient donné l'indispensable sécurité dont elle avait
besoin pour réorganiser son culte et sa discipline, le mouvement
libéral allait lui permettre de développer son action par la conquête
de plusieurs libertés précieuses.
ao HISTOIRE GENERALE DE L ÉGLISE

L'organisation Au moment de mort de Pie VII, l'Elat politique de l'Europe


la
politique
de l'Europe était réglé par l'Acte final du fameux Congres de Vienne, tenu en i8i5.
par les traités C'était le plus vaste traité qui jamais été signé,
(( aitpremier essai le
dé i8i5.
qui ait été tenté de donner à l'Europe une charte, au moins terri-
toriale, de déterminer l'état de possession de chacun... de fonder,
sur un contrat collectif, la paix générale » *. Jamais les conditions
de la stabilité des Etats ne furent plus mûrement étudiées, par des
hommes plus rompus à la science des questions internationales, sur
un terrain d'expérimentation plus libre. On avait un double but : em-
pêcher la reconstitution d'une hégémonie semblable à celle de
Napoléon I", et combattre partout l'esprit révolutionnaire. Pour at-
Double teindre ce double but, Metternich proposa le principe de l'équilibre,
principe
de ces traités.
jadis appliqué au traité de Westphalie; Talleyrand prôna le principe
de la légitimité. Ces deux principes combinés furent la base du travail
de reconstruction de l'Europe que commencèrent les diplomates de
Vienne. Nous n'avons pas à donner ici le détail de leur œuvre, qu'ils
crurent définitive. S'appuyant sur les principes de légitimité et
d'équilibre, introduits par la France dans le droit public de l'Eu-
rope, les auteurs des traités de i8i5 avaient déclaré que désormais
tout agrandissement d'un Etat aux dépens d'un autre était interdit.

Quiconque attenterait à l'équilibre établi serait réputé révolutionnaire,

perturbateur de Tordre européen, et s'exposerait à voir l'Europe se


Leur coaliser contre lui. Malheureusement^ en même temps, les diplo-
double vice.
mates européens omirent de tenir compte de deux facteurs impor-
tants dans la paix des nations : la question de nationalité et la ques-
tion de religion. En plaçant la Hongrie magyare sous la domination
de l'Autriche allemande, en assujettissant la Grèce à la Turquie, en
confiant l'Italie du nord aux mains des Habsbourg, ils préparaient de
futures revendications nationales. En négligeant systématiquement
de s'occuper de l'empire ottoman, ils laissaient ouverte la question
d'Orient. En établissant la domination de la Russie schismatique sur
la Pologne et de la Hollande protestante sur la Belgique, ils

I. Albert Sorel, dans Rambaud. Cf. A. Sorel^


VHist. générale de Lavissb et
Essais d'histoire et Talleyrand au congrès de Vienne, Paris, i88a,
fie critique :

a. Voir Nettement, Histoire de la Restauration, t. I, Paris, 1860,


ETAT POLITIQUE. SOCFAL ET RELIGIEUX DU MONDE CHRETIEN 21

blessaient la conscience des catholiques. En laissant l'Autriche

meltrc la main sur la Vénétie, ils éveillaient les légitimes susceptibi-

lités du Saint Siège.


Les traités de Vienne, ébranlés en i83o, renversés en partie en P*'' *"/*•»,
instabilité

1 V ' •

18A8, anéantis, en 1860, 1866 et 1870, par la création dune Bel- politique

gique indépendante, d'une monarchie italienne et d^un empire aile- °® q^?^


mand, ne paraissaient pas solides en i823. Les peuples en suppor-
taient péniblement le joug, les hommes d'Etat commençaient à les

discuter, et leur rupture, regardée dès lors comme imminente, me-


naçait de troubler profondément l'Eglise avec la société.
On a peut-être été trop exclusif en plaçant au congrès de Vienne It

point de départ de la grande u lutte enlre conservateurs et libéraux


qui forme l'hisloire politique de l'Europe au xix* siècle » *. Ce
qu'on peut dire, c'est que, en froissant trop aisément les aspirations
nationales et libérales des peuples,

naire, Metterniclî et
germe d'une inévitable
son sens moral et de ses sentiments
vue plus élevé et rendait
réaction.
...
pouvaient avoir de légitime de ce qu'elles contenaient de révolution-
Talleyrand

par
^


Un

même 1^
sans

avaient
trop distinguer ce qu'elles

diplomate que
religieux
imprudemment semé

plaçait à
.
la

plus perspicace, n eut pas la


délicatesse de
un point de
,
le
Teinoignag««
de Joseph
de Maistre
®' ^ cardinal
Lonsalvi.

même foi dans la solidité des traités de 181 5. Joseph de Maistre, si

attaché à la cause conservatrice et légitimiste, écrivait, dès le 11 avril


181 5 : « Jamais peut-être il n'exista de meilleurs princes... que les

princes rassemblés au congrès. Cependant, quel est le résultat? Le


mécontentement est universel. Ce qu'il y a d'étrange, c'est que les

plus grands de ces princes se sont laissé visiblement pénétrer par les
idées philosophiques et politiques du siècle ; et cependant jamais les

nations n'ont été plus niéprisées, foulées aux pieds d'une manière
plus irritante pour elles... C'est une semence éternelle de guerres et
de haines^. ))Consalvi, de son côté, écrivait à Metternich : « Un
jour, les plus vieilles monarchies, abandonnées de leurs défenseurs,
se trouveront à la merci de quelques intrigants de bas étage, auxquels
aujourd'hui personne ne daigne accorder un regard d'attention pré-
ventive 3. ))

1. SsiGtiOBos, Hist. de l'Europe contemporaine, un vol. in-8°, Paris, 1897, p. 8,


2. J DE Maistre, Lettres et opuscules inédits, 2 vol. in-ia, Paris, i853, t. I,
p. 3a4. Toute la lettre est à lire.
3. CoNSALvi, Lettre du 4 janvier 1818, citée par d'Estampbs et Jannet, la Frano-
Maçonnerie et la Révolution, un vol. in- 12, Paris, i884, p. 249. « Par une inconsé-
.

22 HISTOIRE GENERALE DE L EGLISE

Allitude
Quelle pouvait être, dans ces circonstances, l'attitude de la papauté?
>
ia papauté
dans ces Elle ne pouvait s'inféoder à aucun des deux mouvements qui allaient
lijonclures.
se partager le monde. Celui dont Metternich et Talleyrand venaient
de prendre la direction, s'il répondait par un côté aux tendances
conservatrices de l'Eglise, n'était pas inspiré par un esprit purement
catholique. Si, en dehors des considérations purement utilitaires,
tine idée avait plané sur les délibérations du congrès de Vienne,
c'était bien celle de la Sainte-Alliance, idée pour le moins suspecte

Elle évite d'hétérodoxie, car, par là même qu'elle confondait sciemment et


de se
expressément les façons les plus diverses d'être chrétien : celle du tsar
solidariser
avec l'esprit comme celle du roi de Prusse ;
par là même qu'elle marquait à
du C()ngrès
l'Eglise romaine ses cantonnements, et qu'elle étendait sa protection
de Vienne.
au pape en tant que souverain temporel, en ignorant de parti pris son
titre de vicaire de Jésus-Christ, elle « ratifiait, toute « sainte d quelle
se dît, cette laïcisation des maximes diplôme li(| f^s, contre laquelle
Rome avait protesté au moment des traités de Westphalie » ^
Mais D'autre part, le mouvement libéral, tel qu'il se manifesta dès les
elle se méfie
premières années qui suivirent le congrès de Vienne, ne pouvait ins-
du mouvement
libérai pirer confiance à l'Eglise. De bonne heure, les sectes antichrétiennes
essayèrent de l'exploiter à leur profit, y voyant un moyen de saper
les vieilles monarchies et le principe d'autorité ^.Nous verrons donc
lé pape condamner nettement, en ce qu'il aura de révolutionnaire,
lemouvement insurrectionnel qui cherchera par des principes et par
des moyen injustes, à renverser les trônes ; il frappera surtout lea
sociétés secrètes, trop ménagées par les souverains ^ ; mais dans
toutes les circonstances où la justice ou la religion lui paraîtront iu-

quence dont les suites furent affreuses, dit Crétineau-Joly, les souverains coaliséf
voulaient muscler la Révolution, et ils déchaînèrent les révolutionnaires ». (Créti-
NEAU-JoLT, l'Eglise romaine en J ace de la Révolution, 2 vol. in-80, Paris, iSôg, t. II,

I. G.GoTA-u, l'Allemagne religieuse, le catholicisme, t. I, p. 3i3. L'expulsion de»


jésuites, arrachée en 1817 à l'empereur Alexandre I^r^ les intrigues nouées par
Talleyrand pour renverser les Bourbons, et la politique suivie par Metternich à
l'ép^ard de la papauté, montrèrent bientôt que l'Eglise ne pouvait pas se fier aux
chefs du fameux Congrès. Elle ne s'y fia jamais, et la prétendue solidarité entre
l'Eglise et la Sainte-Allianc6, si souvent exploitée par les ennemis du catholicisme,
yst une pure calomnie.
2 Gf. L. d'Estampes et Janmbt, op. cit., passim, et Grétiiîeau-Jolt, op .cit.,
passim. La suite de celte histoire justifiera par des faits la présente assertion.
3. a J'entretiens chaque jour les ambassadeurs de l'Europe des dangers futurs
que les sociétés secrètes préparent à l'ordre à peine reconstitué, et je m'aperçoi»
qu'on ne me répond que par la plus belle de toutes les indifférences. » (Gonsalvi,
Lettre à Metternich du 4 janvier 1818.)
ETAT POLITIQUE, SOCIAL ET RELIGIEUX DU MONDE CHRÉTIEN 23

téressées, il se séparera nettemenL de la politique des rois alliés ;

il fera des restrictions à propos de l'expédition française en Espagne,

et reconnaîtra, malgré les protestations des souverains de l'Europe,


les Républiques de l'Amérique du Sud.

II

A^escausesde troublequi menaçaient l'ordre politique, s'ajoutaient L»

d'autres causes de trouble, qui menaçaient l'ordre social. j^


La chute de l'empire, par cela seul qu'elle mettait fin aux grandes i8i5 à 1828.

guerres européennes, avait été le point de départ d'un grand progrès Ses causes
t
industriel,
. • % '

agricole et
1 . -ir»*
commercial. L invention
i" JiJa
de V.*'a
machine
économiques,
^

vapeur par Watt, de la lampe du mineur par Davy, des machines à Nais»anc«

filer et à tisser par Arkwright, Richard -Lenoir, Girard et Jacquart, industrie


donnèrent à l'industrie une impulsion considérable. En peu de
temps, la production des fils et tissus de coton devint mille fois plus
importante, celle du fer et de l'acier décupla, et les mines de houille
de l'Angleterre furent activement La grande industrie exploitées. Extension

venait de naître. La petite entreprise, qui ne produisait que pour le


commercial
marché voisin, disparut devant l'immense usine, commanditée par
d'énormes capitaux, qui élargit son marché par delà les frontières
nationales, parfois jusqu'aux extrémités du monde. On put prévoir
dès lors rimportance que prendrait la vie urbaine et la force que
pourraient acquérir les groupements de population ouvrière.
D'autre part, la création et le fonctionnement des grandes entre- Lccapitalism*.

prises nouvelles déterminèrent les associations de capitaux. De 1818


à 1820 paraissent les premières grandes sociétés d'assurances contre
l'incendie. En 1821 et 1822, des sociétés se forment à l'effet d'avan-
cer à l'Etat les fonds nécessaires pour l'achèvement de grands canaux
qu'exige le développement du commerce. D importantes compagnies
de transport se constituent. Les intérêts des participants se négo-
cient à la Bourse, où ils ont, peu à peu, leurs cotes officielles. C'est
l'avènement des valeurs mobilières, de la spéculation, de l'agiotage.
En du monde ouvrier, en voie de se grouper et de s'organiser,
face
apparaît le monde du capitalisme, également en train de se consti-
tuer.

-.,.„,
Les législations commerciales des diverses nations rendent par-
^
lois très aiguës Jes relations entre ces deux puissances sociales. L'in-
,. ^®l. .
divers titats
cherchent
34 HISTOIRE GENER \LE DE L EGLISE

à remédier Icrêt du grand manufacturier est que les produits étrangers soient
au , . ,
.

malaise social ^^^^^ ^i fortement à leur entrée qu'ils coûtent plus cher que les pro-
par des A
réglementa-
lions ^^^^
ijo/ lor
demande
duits nationaux.

^^ loï^ ^t
la

"G 102 2 Irappent de lourdes taxes


des maîtres de forées français, des
ii i .

les fers étrangers.


législatives. Les industries textiles sont bientôt protégées par des mesures sem-
blables. Mais les nations étrangères suivent le même système. Les
Anglais imposent lourdement les vins et alcools de France et les
articles de Paris. Ils prohibent les soieries de Lyon. Mais si l'intérêt

du producteur paraît satisfait par ce régime de protection, l'intérêt


du consommateur semble tout autre celui-ci : aspire à acheter les
meilleurs produits possibles, d'où qu'ils lui viennent, au meilleur
marché possible. De un antagonisme qui met aux prises le capi-

taliste et l'ouvrier. Pour ce qui cobcerne les céréales, une loi fran-
çaise de i8i4 avait satisfait les consommateurs; une loi de 1819,
s inspirant d'un système pratiqué en Angleterre depuis la fin du
xvu* siècle, vient au secours des producteurs. Elle établit une
« échelle mobile » ; c'est-à-dire qu'elle taxe les blés étrangers plus
ou moins lourdement, suivant que le prix des blés indigènes sont
en baisse ou en hausse. Ce système subsistera, avec quelques inter-
ruptions dans son application, jusqu'en 1861. « En fait, l'échelle
mobile ne réussit pas à relever le cours du blé, ainsi que l'avaient
espéré ses défenseurs ; elle ne réussit guère qu'à en entraver la baisse,

mais ce bien relatif est chèrement payé par les perturbations cons-
tantes des cours, causées par son application *. »

Cet exposé de la situation économique à la fin du premier quart


du XIX® siècle, était nécessaire pour éclaircir les origines de la crise

sociale qui allait surgir à cette époque et troubler si profondément


tous les états européens ; mais il ne saurait en donner l'explication
i-auies morales complète. Il faut chercher au mal des causes plus profondes. La
de la crise r» , 1 • . •

lievolution n avait pas seulement supprime les anciennes corpora-


1 -ri
sociale.

tions d'artisans, qui procuraient à leurs membres, avec la protection


de leurs intérêts communs, la stabilité et la sécurité ; elle s'était

attaquée à l'esprit même qui animait ces institutions, à ce sentiment


chrétien qui reliait le patron et l'ouvrier dans la pratique d'une
même foi, dans la communion aux mêmes sacrements. De là, un

I. A. ViALLATE, dans VHisl. gén., t. X, p. 465. Cf. A. de Foville, la France


économique [statistique raisonnée et comparative), Paris, 1890 E, Levasseur, Hist. ;

des classes ouvrières en France depuis 17 89, Paris, 1867 P. Clément, Hisl. du s/s- ;

Unu protecteur en France depuis Colbert, Paris, i854.


ÉTAT POLITIQUE, SOCIAL ET RELIGIEUX DU MONDE CHRÉTIE!* 25

individualisme égoïste et froid, qui faisait envisager le travail, L'in-

indcpendamment de l'homme qui le produit, au seul point de vue j.^^^.

lutionnaire.
de sa valeur marchande et qui enlevait à la propriété son caractère
;

de charge sociale, dévolue à la fois par le droit naturel et par le

commandement divin de l'Evangile. De là, l'abus de travail de


l'homme, la destruction de la vie familiale, l'incertitude de la subsis-

tance de l'ouvrier, soumise aux fluctuations de la production.


D'autre part, la mainmise de l'Etat, au nom de la sécularisation

de la société, sur les domaines ecclésiastiques, puis, au nom d'une Les spolîatîont
I

prétendue égalité, sur


f !• f 11- 11
les biens de la
11 •.
noblesse, avait crée des pre-
f' 1 f collectives
opérées
cédcnts bien dangereux. La spoliation collective, au nom de prin- par l'Eut,

cipes prétendus sociaux, pouvait donc créer des titres légitimes


de propriété 1 La classe ouvrière ne pourrait-elle pas invoquer
des raisons semblables pour dépouiller, à son tour et à son profit,
la classe bourgeoise? La tentation de raisonner ainsi était d'autant

plus forte que beaucoup de lois votées sous l'Empire semblaient avoir
été dictées par la préoccupation exclusive des intérêts de la bour-
geoisie. Une loi de i8o3 avait interdit les coalitions d'ouvriers, mais
ne s'expliquait pas sur les coalitions des patrons. L'article 1781 du
code civil disait: « Le maître est cru sur son affirmation pour la La pariiallté,
... , 1 ,
, 1 • 1 1. r / 1
au moins
quotité des gages, pour le payement du salaire de 1 année échue et apparente
pour les acomptes donnés sur l'année courante. » Une loi de 1806 ^^
avait créé des conseils deprudhommes dans 26 villes de France ; mais ^ 1 é^ard
l'organisation de ces conseils avait paru suspecte aux ouvriers :
<^es patron*,

sans doute les patrons proprement dits n'entraient au conseil que


pour une moitié ; mais l'autre moitié, au lieu de se composer d'ou-
vriers salariés, ne comprenait que des contremaîtres et des <( ouvriers
patentés », c'est-à-dire de petits patrons. La masse ouvrière consi-
dérait toutes ces lois comme une sorte de représailles de la classe
bourgeoise contre les initiatives de la classe ouvrière.

III

Les perturbations qui se produisirent à cette époque, dans le ^* • question



sociale»,
monde de la grande industrie et de la haute finance comme dans le

monde du travail, donnèrent lieu à ce qu'on appela depuis la ques-


tion sociale. Divers systèmes furent dès lors proposés pour la résoudre.
26 HTSTOIRF GKNFR^LF DE L EGLISE

Od peut les classer eu trois écoles : l'école économiste ou libérale,


l'école socialiste et l'école catholique.
L'école Dans son Catéchisme d'économie politique et dans son Cours d'éco-
économiste
ou libérale.
nomie politique, publiés en i8i5, Jean-Baptiste Say, auteur d'un
J.-B. Say. Traité d'économie politique déjà paru en i8o4, s« fit l'interprète des
économistes.
Pour l'économie politique libérale, la solution de la question
sociale est dans la libre concurrence. « Laissez faire, laisser passer » :

telle est la devise. Pour elle, d'ailleurs, le droit de propriété est un


droit absolu, auquel ne correspond aucune obligation sociale; son
seul titre est le travail, et les questions d'intérêt qui s'élèvent entre les
patrons et les travailleurs doivent uniquement être réglées par la « loi

d'airain » de l'offre et de la demande. Enfin, l'économie politique


libérale déclare ne s'intéresser qu'aux lois de la production, de la

répartition et de la consommation de la richesse ; les lois morales ne


sont pas de son domaine. Plusieurs de ces principes avaient déjà été
professés par l'anglais Adam Smith et par le français Turgot.
Une pareille théorie parut révoltante à plusieurs de ceux qui se
préoccupaient des souffrances de la classe populaire. Par son impi-
toyable loi de l'offre et de la demande, par sa doctrine sur la pro-
priété et par sa prétérition de la loi morale, elle leur parut sacrifier
le faible au fort, le pauvre au riche, l'ouvrier au patron.
L'école Au nom de l'humanité, trois hommes, Ov^en en Angleterre, Saint-
socialiste.
Simon et Fourier en France, se proposèrent de remédier aux maux
delà classe ouvrière par une réorganisation de la société.

Owen Ow^en, propriétaire d*une grande fabrique de coton, vit le remède


(i77i-i858>.
dans la substitution du régime coopératif au régime capitaliste : les

ouvriers s'associeraient pour produire en commun, au lieu de tra-

vailler pour le compte d'un capitaliste. Les_ essais d'application de ce


système devaient, dans la suite, provoquer des coalitions de la part

des patrons, et, malgré les efforts énergiques d'Owen, échouer com-
plètement.
Saint-Simon Le système élaboré par le comte de Saint-Simon avait été gra-
(i 760-1 825;.
duellement exposé, en i8o3, dans ses Lettres d'un habitant de Genève
à ses concitoyens ; en 181 8, dans ses Vues sur la propriété et la

législation ; en 18 19, dans sa fameuse Parabole y


qui lui valut des
«poursuites judiciaires ; en 182 1, dans son Système industriel, et sur-

tout dansun ouvrage qui ne devait paraître qu'après sa mort, surve-


nue en 1825, le Nouveau christianisme. Ce système, œuvre d'un grand
ÉTAT POLITIQUE, SOCIAL ET RELIGIEUX DU MONDE CHRÉTIEN 2'J

seigneur tour à tour soldai, industriel, agronome, jouinaiiste et

pamphlétaire, à la fois érudit et philosophe, avait des prétentions

plus hautes et plus amples que celui d'Owen. Saint-Simon voyait le

remède aux maux physiques et moraux des travailleurs dans un


double culte le culte du travail et le culte de la fraternité. Antiquité
:

et moyen âge, disait-il, ont cru jusqu'ici que vivre noblement,


c'était ne rien faire, c'est le contraire qui est vrai : vivre noblement
c'est travailler. Les anciens âges, ajoutait-il, ont aussi voulu faire

reposer l'ordre social sur la justice. Fondement infécond et trom-


peur ; car la justice n'est souvent que l'argument de l'égoïsme. La
vraie base de progrès social, c'est la fraternité. C'est par le senti-
ment de la fraternité, que le riche et le fort, frères aînés du pauvii
et du faible, se penchent vers leurs puînés pour les élever et procurer
ainsi « l'amélioration physique et morale de la classe la plus pauvre »,
vrai but de toute organisation sociale. Arrivé là, Saint-Simon recon-
naît qu'il a rejoint le principe évangélique : « Aimez-vous les uns les

autres. )> Mais aussitôt il s'éloigne jusqu'aux antipodes du christia-


nisme. Voulant assurer l'harmonie et l'unité dans le culte du travail
et de la fraternité, il croit remarquer que la science a supplanté la
religion et la grande industrie la féodalité. Il décide, par conséquent,
de confier la direction spirituelle du monde à un corps de savants et
sa direction temporelle à un corps d'industriels. Il ne définit pas
d'ailleurs ce qu'il entend par ces directions spirituelle et tempo-
relle, et, par là, on a pu dire que Saint-Simon a été, non pas le

premier socialiste, mais un simple précurseur du socialisme. Ses


disciples seuls, Bazard et Enfantin, en faisant entrer sa doctrine
dans le domaine des applications pratiques, seront de vrais
socialistes.

On ne peut pas refuser ce dernier titre à Charles Fourier, qui, Gh. Fourier
'*
dans son Traité de l'association domestique agricole, publié en 1822, '

pose les principes d'une doctrine précise sur la propriété et sur le

travail. La propriété doit être abolie ; car la seule raison qui a pu


la faire adopter, malgré les maux qu'elle entraîne, c'est qu'elle est un
stimulant au travail. Mais le travail peut se passer de ce stimulant.
Le travail deviendra naturel et attrayant, dès qu'on laissera l'homme
développer librement ses attraits et ses passions, obéir à la « méca-
nique passionnelle », comme l'animal et la plante obéissent à leur
mécanique seusitive et végétative, accomplissant par là, sans secousse
et sans désordre, leurs destinées au sein de Tharmonie. Celle ihéuria
28 HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLïSE

devait être expérimentée par la création des « phalanstères » ^


et
aboutir aux mêmes échecs que les théories d'Owen et de Saint-
Simon.
L'école Cependant, l'Eglise catholique, de son côté, n'était pas restée
ca o iqje.
indifférente aux maux de la société. Tandis que ses fidèles multi-
pliaient les œuvres de charité pour subvenir aux misères présentes,
l'un d'eux, le vicomte Louis de Donald, avait signalé avec force le

vice dont souffrait l'organisation sociale actuelle et les théories


L. deBonald libérales qui prétendaient la justifier. Ce vice, il le montrait dans la
(17 4-1 40j. j,gchgrc}^g exclusive de la donnée pour but à l'économie
richesse,
politique et à l'activité de l'homme moderne. Au-dessus de la richesse,
Bonald plaçait la formation morale de l'homme. C'est pourquoi il

prônait à la fois, entre autres réformes, le retour à l'agricuhure,


« qui nourrit ceux qu'elle a fait naître, tandis que l'industrie a fait
naître ceux qu'elle ne peut pas toujours nourrir » ^, et le retour aux
corporations chrétiennes « dont la philosophie, disait-il, ce dissol-
vant universel, n'avait cessé de poursuivre la destruction sous le
vain prétexte d'une concurrence qui n'a tourné au profit ni du com-
merçant honnête, ni des arts, ni des acheteurs 3. »

Les idées politiques de Bonald sur la monarchie absolue sont


contestables, et sa théorie philosophique sur l'origine du langage
est une erreur ; mais on ne peut nier qu'en précisant comme il le

faisait, dès le début du xix® siècle, les vraies fins et les vraies condi-
tions de la vie sociale, il n'ait été le précurseur de l'école social©
catholique *.

Pour achever l'esquisse du mouvement social pendant le premier


quart du xix° siècle, il nous reste à signaler un écrivain original,
qui, sur les confins du socialisme et de l'orthodoxie catholique,
exerça une réelle influence, Pierre-Simon Ballanche. Dès le début
Ballanchc du siècle, Lyonnais Ballanche, à peine âgé de 26 ans,
en 1801, le
'*7;-
\ 77 avait publié, sous ce litre Du sentiment considéré dans ses rapports
:

avec la littérature et les arts, un livre dont a pu dire : « C'est un


Génie du christianisme enfantin, mais qui a paru avant le Génie du

1. On appela phalanstère l'établissement agricole ou industriel où des travailleurs


se groupèrent en phalanges de 1.600 à 2.000 personnes, pour s'y livrer à rallrait
du travail.
2. Bonald, Economie sociale de la famille et du droit d'aînesse,
;

3. Bonald, Législation primitive, part. III, ch. iv.


4. Michel Salomon, Bonald, 1 vol. in 12, Paris, igoô.
ÉTAT POLITIQUE, SOCIAL ET RELIGIEUX DU MONDE CHRETIEÎf 29

christianisme » ^ Pour Ballanche, le christianisme est l'unique

fondement de toute civilisation; mais il pense, en même temps, qua


la Révolution, malgré ses erreurs et ses crimes, est « une des
réali-

sations progressives du christianisme dans l'ordre social » Sainte- .

Beuve, qui avait subi l'ascendant de Ballanche, l'a défini « une :

belle âme qui avait des éclairs d'illuminations dans le nuage... un

génie plus qu'à demi voilé, qu'on ne comprenait qu'en y mettant du


sien ». Mais il atteste que la lecture de ses ouvrages « contribua
fortement à inspirer un souille religieux à l'école, encore matéria-
liste alors, de Saint-Simon ». « Témoin de l'effet produit par cette

lecture sur quelques-uns des plus vigoureux esprits de l'école, je

puis, dit-il, affirmer combien cela fut direct et prompt, ^ » Ses

œuvres ne furent pas étrangères non plus à la part d'illusions qui se


mêla aux idées de plusieurs catholiques du xix® siècle. A ces divers
titres, le nom de Ballanche devait figurer dans cette histoire 2.

IV

Par ses qualités comme par ses défauts, par son idéalisme vague
et son christianisme rêveur, Ballanche appartenait pleinement à ce
mouvement romantique qui, vers 1828, s'épanouissait pleinement
dans la littérature de l'Europe. Lamartine et Vi^^nv venaient de ^^ litteratiir»

créer la a
,.,,..
poésie méditative ».
\r.
Victor
TT
Hugo
• •
f
avait publié ses premiers

romantique,

vers d'adolescent, où les gloires de la religion et du moyen âge étaient


magnifiquement célébrées. Chateaubriand était en pleine possession
de sa gloire. La mythologie prétendue classique semblait bien
morte ; et, pour chanter les thèmes nouveaux, les vieux moules
avaient été brisés. Plus de règles factices. On rêvait de « remplacer
les cordes de du cœur ». Telle fut du moins la
la lyre par les fibres

première phase du romantisme. Le christianisme en illuminait


encore les sommets. Le rationalisme, le sensualisme malsain et le*

singularités de mauvais goût qui caractériseront sa deuxième phase.

1. E. Faguet, Politiques et moralistes du XIX^ siècle, 3= série, uii vol. in-ia,


Paris, 1898, p. iSg.
a. Sainie-Beuve, Portraits contemporains, t. I, p. 323.
3. Les principaux ouvrages de Ballanche sont l'Essai sur les institutions sociales,
:

les Essais de palingénésie sociale el plusieurs poèmes en prose [Antigone, Orphée, etc.)
dont l'auteur se sert pour envelo[>pcr ses doctrines. Cf. vt<^ de Gliche:*, la Franc*
morale et religieuse à la fin de la Restauration^ 1 vol. in-8, Paris, 191a.
30 HISTOIRE GÉNÉRALE DE L*ÉGLISE

La mélancolie après i83o, ne l'avaient On y remarqnnil


pas encore pénétré.
romanliquo. , ^ .,., , ,
cependant dpja un excès de sensibilité a« détriment de la vc'onté,
^ •,,,.,.
et, dans cette sensibilité, la prédominance d'une tristesse déprimante.

« Le XIX* siècle, dit Sainte-Beuve, en débutant par la volonté


gigantesque de 1 homme dans lequel il s'était idenlifié, semblait avoir
dépensé tout d'un coup sa faculté de vouloir » i. Par ailleurs, la
brusque transition d'une vie d'épopée à une existence calme et
bourgeoise, avait laissé dans lésâmes une mélancolie vague. « Trois
éléments, écrit Alfred de Musset, partageaient .a vie qui s'offrait
cflors aux jeunes gens : derrière eux, un passé à jamais détruit ;

•levant eux, l'aurore d'un immense horizon ; et entre ces deux


mandes... je ne sais quoi de vague et de flottant... Un sentiment
Je malaise inexprimable commença à fermenter dans les cœurs
jeunes... Pareille à la peste asiatique exhalée des vapeurs du Gange,
i'affreuse « désespérance» marchait à grands pas sur la terre ^ ».
Le Dans le mouvement philosophique, on remarquait le même élan
mouvement ^
^ •
t »• i , , . .

philosophique, ^'^rs i idéal et le même i


malaise. L idéologie sensualiste d'un Destutt
de Tracy, la physiologie matérialiste d'un Cabanis et d'un Bichat. le
fiatalisme impie d'un Naigeon, ne satisfaisaient plus les âmes. « Une
protestation, timide à ses débuts, mais persistante et de jour en jour
plus forte, plus autorisée, s'était élevée en faveur du spiritualisme
et de la morale honnête de l'école de Laromiguière, de Maine de
Biran et de Royer-Gollard. Avec eux, l'intelligence avait repris

conscience de sa spontanéité, de son effort, de sa résistance au


monde matériel et aux passions ^ ». Malheureusement elle avait

rencontré, dans un courant d'idées venu de l'extrême nord de l'Alle-

magne, de cette contrée où Friedland, Eylau, Tilsitt témoignaient


si haut des victoires de la France, le venin qui devait paralyser son

Vw;l""^^ généreux élan. Le criticisme de Kant se présenta à ceux qui cher-


kantien.
chaient à reconstruire leurs croyances, et leur offrit le moyen d'opérer,

au moins en apparence, cette restauration intellectuelle et morale


avecdes éléments purement subjectifs.Lepénible travail d'une recons-
truction objective leur était épargné. Fichte, Se! elling, Hegel avaient
d'ailleurs poursuivi l'œuvre de Kant. On ne sait quoi 'e mystique
et d'imprécis, comme les brumes du nord, a^o tait un attrait de

I. Sainte-Beuve, Portraits contemporains, éd. de i855, t. T, p. i34.


a. A.. DE Musset, Confessions d'un enfant du sièclcy ch. u, éd. Lemerre, Paris,
1876, p. 9, l3, 30.
3. J. DiDioT, dans Un siècle, p. 373.
éïAT POLITIQUE, SOCIAL ET RELIGIEUX DU MONDE CHRÉTIEN 3l

plus à ces doctrines, aux yeux des hommes de ce temps. Victor Cou- L'éclectisme
de
sin, après son voyage de 1817 en Allemagne, colora son éclerlisme Victor Cousin
d'une teinte kantienne fortement marquée. Les esprits conservateurs
essayèrent d'opposer d'abord à ce courant un cartésianisme addi-
tionné de philosophie écossaise. D'autres, comme Bonald, tentèrent
de le combattre par tin traditionalisme outré. En 1823, l'abbé de Le
Iraditionalisroe
La Mennais, dans son Essai sur l'indifférence, donna à cette doctrine de
l'éclat de son grand talent. Selon lui, l'accord du genre humain La Mennais.

sur une doctrine morale était la suprême, et, à tout prendre, l'unique
garantie que nous pussions avoir contre l'erreur. La Mennais
croyait alors, û est vrai, que l'Eglise catholique était l'incarnation
concrète et vivante de la croyance générale des hommes, et par là il

pensait sauvera la fois la cause de la religion et celle de la raison.

Mais les esprits réfléchis dénonçaient déjà les vices de cette doctrine
trop étroite et trop absolue, qui devait conduire son malheureux
auteur vers ce même gouffre du panthéisme où les héritiers de Kant
étaient d(*jà parvenus.
Le péril était d'autant plus grave, que le criticisme kantien, Le
mouvement
franchissant le domaine des sciences purement philosophiques, théologiqua.
ej^erçait visiblement son influence dans le domaine des croyances

religieuses. Le protestantisme d'abord, puis le catholicisme lui-


même, en subirent les atteintes.
Le double effort fait, par Schleiermacher d'une part et par Les théories
religieuses
Hegel de l'autre, pour raccommoder la théologie protestante avec la de Schleier-
philosophie allemande, n'avait abouti qu'à l'imprégner de subjecti- macher
et de Hegel.
vismc et de panthéisme, u La religion, disait Schleiermacher, n'est
que le sens intime du contact avec Dieu », et il prétendait que la foi,

ainsi entendue, crée la théologie, au lieu de se laisser formuler par


elle. PoiK Hegel, la religion n'était que « la conscience que Dieu a
de lui-même dans l'être fini », et il aboutissait à prétendre que chris-
tianisme et hégélianisme avaient le même contenu ; la forme seule
différait K
On voit les conséquences funestes de pareilles doctrines. Car,-

I. Surblasphèmes de Hegel contre les dogmes et les pratiques catholiques en


les
général, contre lEucharislie en particulier, voir BARTHéLEMT-SAi:<T-HiLAinB,
et
Viclor Cousin, t. I, p. 33^, t. lll, p. 3-3, et Victor Cousi:^, dans la Revue des De x
Mondes du i''" août iSGO, p. 617-618. —
Sur les doctrines religieuses de Schleier-
macher et de Hegel, ci". Gotau V Allemagne religieuse, le Proleslantisnie, p. 78-93.
U Catholicisme, t. il, p. 81.
39 HISTOIRE GKÎHERALE DE L EGLISE

ainsi qu'on l'a fort justement remarqué, « si la religion n*est rien de


plus qu'un fait de conscience, l'histoire d'une religion sera, tout
simplement, l'histoire des développements de la conscience reli-

gieuse... La religion hébraïque, par exemple, sera considérée comme


un produit du peuple hébraïque. On la traitera, a priori, comme si
elle n'était pas un fait révélé, extérieur et supérieur à Israël ; elle sera

considérée comme la création d'Israël. Mais Israël ne peut pas


s'être fait sa religion à la façon que racontent les écrits de l'Ancien
Testament, car il n'est aucun peuple chez qui la conscience reli-

i^ieuse se soit éveillée d'une telle façon. De là les hypothèses sur


les écrits de la Bible, leur date, leur succession, sur les strata-
gèmes de leur composition *. > La critique historique de Strauss,
de Baur, de Renan, de Harnack, est au bout de ces théories reli-

gieuses.
Leur influence Le catholicisme allemand ne devait pas échapper à cette influence.
sur
ia théologie
Un professeur de théologie de la faculté de Bonn, Georges Hermès,
catholique émettait, en i8o5 d'abord, dans ses Recherches sur la vie intérieure
allemande.
du christianisme, puis, en 1819, dans son Introduction philoso-
Oeorges phique, l'idée d'une apologétique nouvelle, qui, négligeant le rôle de
Hermès
la grâce dans la production de l'acte un produit de
de foi, en faisait
(i775-i83i).
la (( raison pratique », entendue au sens de Kant. Pour Hermès, les
faits historiques, prouvés vrais par l'histoire d'une vérité « exté-

rieure », ne deviennent « intérieurement vrais » que par l'adhésion


de la raison pratique ; et les commandements de Dieu n'acquièrent
de force obligatoire qu'après avoir été, par suite d'un examen, reconnus
conformes à la raison pratique ^. Les pires doctrines du modernisme
étaient en germe dans un pareil système.

Les sociétés Ces théories étaient, du moins, professées, enseignées et propagées


secrètes.
au grand jour. L'Eglise pouvait facilement se prémunir contre elles.

Il n'en était pas ainsi des idées subversives de tout ordre religieux et
social qui se propageaient dans les sociétés secrètes.
Evolution Soit que les crimes de l'impiété révolutionnaire eussent discrédité
de la franc-
maçonnerie.

i.GoYAU, r Allemagne religieuse, le Proteslantisme, p 89-81.


3.GoYAU, C Allemagne religieuse^ le Catholicisme, t. 11, p. 2-ia.
ETAT POLITIQUE, SOCIAL ET RELIGIEUX DU MONDE CHRÉTIEN 33

le programme de la maçonnerie S soit que ia puissante main de


Napoléon, en la faisant l'instrument de ses desseins, lui eût enlevé la
rigueur de son autonomie ^, elle perdit momentanément, en grande
partie, son caractère antichrétien. Tandis qu'en France Napoléon
remplissait les loges de ses agents et en faisait des foyers de propa-
gande impérialiste, les loges allemandes et les loges italiennes se
donnèrent pour but d'entraîner et d'enflammer le peuple, les pre-
mières contre l'empire français, les secondes contre l'Autriche. Mais,
yers 1811, la célèbre société parut se réorganiser sur de nouvelles
bases, en reprenant son vieil esprit ^.

Dans quelles mesures le Tugendbund d'Allemagne, le carbonarisme


d'Italie et la charbonnerie française appartinrent-elles à la franc-
maçonnerie ? En furent-elles des ramifications proprement dites ?

Ne s'y rattachèrent-elles que par des liens d'affiliation plus ou


moins étroits ? Il est difficile de le préciser. Ce qui est certain, c*est
que le mouvement révolutionnaire qui se produisit en Europe
de i8i5 à 1828, se fit surtout par ces trois associations.
L'histoire du Tup^endbund (association de la vertu)^ nous est suc- ^
^ Tagend'aii
1 ,, , . .
T-, T^
tout connue par les ouvrages d un écrivain protestant, Ed.-Em. allemand.
Eckert *, et par les polémiques que ces ouvrages ont soulevées en
Allemagne. Cette association avait été fondée, en 1807, par le baron
de Stein, ministre de l'intérieur à Berlin, sous le prétexte de hâter la
chute de l'empire de Napoléon et d'y substituer une Allemagne
« grande et une », en réalité pour propager, par l'Allemagne unifiée
sous la direction de la Prusse, les principes maçonniques de la Révo-
hition. En une phraséologie bien germanique, on présentait la phi-
losophie, la philologie et la science de la nature comme formant « la

I. P. Dbsghâmps, les Sociétés secrètes et la société, 5» édit., 3 vol. in-8", Avignon,


1881, t. II, p. aai.
a. « Protégée, disait Napoléon, la maçonnerie n'est pas à redouter. Telle qu'elle
••t aujourd'hui, elle dépend de moi, je ne veux pas dépendre d'elle. » Voir *"*^
(Max DouMic), le Secret de la franc-maçonnerie, un vol. in-ia, Paris, igoS, p. 199-
aoo.
DsâCBAMPS, op. cit., p. 233.
3.

4EcKEhT, La franc-maçonnerie dans sa véritable or^ûniia/ion, trad, française,


Liège, i85/j. Cet ouvrage est riche de documents sur la maçonnerie allemande.
\oir, du même auteur, le Temple de Salomon, théorie scientifique et explication de
tous les emblèmes maçonniques, et Recueil des preuves destinées à faire condamner la
franc-maçonnerie... {Magazin der Deweisfuhning fur des Frc'maurer-Ordens ..) 3 vol.
grand in-8i>. Les œuvres d'Eckert ont été utilisées par l'abbé Gtr dans son livre :
la Franc-Maçonnerie en elle-même et dans ses rapports avec les autres sociétés secrètes
de l'Europe, un vol. in-80, Liège, 1869.
Hist. cr(>n. lie l K"lise. — Vill S
u HISTOIRE GEIHERALE DE L EGLISE

Trinité sur laquelle serait fondée l'Eglise allemande de l'avenir ».


Dans leurs chaires universitaires et dans leurs livres, les adeptes du
'Tugendbund insistaient sur la morale du christianisme, mais en
présentant les dogmes comme un symbole, de façon à réunir dans
*Ie patriotisme allemand l'incrédulité et la foi *. Fichte, qui avait
<«uccédé au baron de Stein comme chef de l'Association, s'écriait :

« La société ne veut plus supporter qu'on abuse de ses forces pour


faire atteindre des buts qui lui sont étrangers ; elle veut les employer
dans des buts qu'elle choisira elle-même. Le combat est engagé, en
dernière analyse, en faveur de ceux qui se dévouent à la délivrance de
Son action Tesprit humain. Dans l'ordre politique, le Tugendbund, d'abord
!)olilique
favorable au roi de Prusse, se retourna contre lui, quand celui-ci
tt religieuse
refusa d'accorder les libertés promises aux conjurés ; il fit entendre
des menaces et prépara des révoltes. Dans l'ordre moral et religieux,
jl combattit sourdement les dogmes chrétiens. Organisé en deux
sections, leMânnerbund, ou association des hommes, et le Jiin-
îglingsbund, ou association des jeunes gens, il comprit une hiérar-
chie mystérieuse, avec des grades secrets et des révélations d'une
laudace toujours croissante ^. Beaucoup de membres du corps uni-
versitaire et de l'armée adhérèrent au Tugendbund ; Eckert a prouvé
'qu'un grand nombre des sociétés qui groupèrent la jeunesse alle-
mande après i8i5, telles que le Dealsche Turnsckajt eXVAllgenieine
deutsche Burschenschajt, furent pénétrés de l'esprit du Tugendbund,
lequel n'était autre, ses défenseurs le reconnaissent, que l'esprit de»
loges maçonniques ^. Un document, découvert aux Archives natio-
Sou influence nales et publié en 191 3 par M. Léonce Grasilier, est venu démontrer
pénètre
^j^^ l'influence des sociétés secrètes de l'Allemagne pénétra en
France par un foyer intermédiaire établi à Goppet et dont M""* de
Staël et Benjamin Constant furent les principaux directeurs *. Il
^

semble même que cette pénétration a précédé celle du carbonarisme

I. DeSGHAMÏ'S, op. cit., t. II, p. 322-223.


^. Gtr, op. cit., p. 355.
3. « On sait, dit une brochure écrite contre Eckert, que c'est aux loges maçon-
niques qu'est due la naissance de la plupart des associations qui ont relevé les
^cations abattues. » {Défense de l'ordre maçonnique contre les attaques de l'avocat
E. Eckert, Leipzig, i852).
4. Mémoire sur les sociétés secrètes et les conspirations sous la Restauration, par
Simon DuPLAY. Ce Mémoire, découvert aux Archives nationales F"^ 6666, a été
publié par M. Léonce Grasilier dans la Revue internationale des sociétés secrètes du
5 mars 1918, p. 5x0-554. Voir, pour ce qui concerne la pénétration en France defc
socictcs allemandes, les pages 523-525.
ÉTAT POLITIQUE, SOC[AT. ET RELIGIEUX DU MONDE CTIBÉTIEÎÎ 35

italien, lequel exerça, à son tour, une influence importante sur les

sociétés secrètes françaises.


carbonarisme italien avait pris Le
Comme le Tugendbund allemand, le
carbonariimt
naissance au temps de la domination française. S'il faut en croire ilaliea.

Crétineau-Joly, qui eut sous les yeux des documents sur les sociétés

secrètes réunis par le pape Léon XIÏ, « le carbonarisme sortit, en


Calabre et en Sicile, d'une pensée profondément monarcbique, et,
durant les premières années du iix* siècle, il offrit à la reine Caro-

line de Naples, sa fondatrice, des gages d'une incontestable fidé-

lité. » * Mais le mystère même dont la société crut devoir s'enve-

lopper, et l'ascendant qu'y exercèrent certains personnages anglais,,


imbus des principes maçonniques et tout-puissants à la cour de

Sicile ^, la firent peu à peu dévier vers les idées révolutionnaires. Un


de ses principes fut que les formes actuelles de l'Eglise et des Etats
étaient des formes vieillies, destinées à faire place à des organisations
fondées sur la seule base de la « nature ». Comme les affiliés se réu-
nissaient ordinairement dans les forêts des Abruzzes, fréquentées par
les charbonniers (carbonari), ils empruntèrent aux charbonniers leur
nom et leurs principaux emblèmes, de même que les francs-maçons
avaient emprunté leur nom et leurs emblèmes à l'art de bâtir. Ils se
Son
répartissaient en divers groupes, appelés ventes, analogues aux loges organisation
maçonniques ; mais, tandis que les francs-maçons affectaient de et
ses doctrinei.
repousser toute révélation surnaturelle, les carbonari, pour mieux

gagner- les populations religieuses de l'Italie, s'appuyaient, au moins
en apparence, sur le christianisme ^. Le secret y était exigé, de la

part des adeptes, sous des peines terribles. Un tribunal spécial


jugeait les infractions à celte loi ; et il était rare qu'un délinquant
pût échapper à la vindicte de la secte. Les liens qui rattachaient le

carbonarisme à la maçonnerie ont été avoués par les francs-maçons,


Ses liens
mais plusieurs de ceux-ci, humiliés par les scènes sanguinaires de
avec la franc-
leurs frères d'Italie, n'ont voulu voir en eux que des fils dégénérés de maçonnerie.

la grande secte, a Les carbonari, écrit le franc-maçon Blumenha-


gcn, portaient ostensiblement le poignard dégainé, pour s'en servir
coufcre les ennemis de la lumière. Les plaies sanglantes de la Sicile

1. Crktineau-Jolt, V Eglise romaine en face de la Révolution, a vol. in-8*, Paris,


ï859. t. H, p. 78.
a. Ibid.
3. Voir le Rktuel pour la réception du Grand Maîlre des carbonari dan.« Gt»,
op. cit., p. 38i-4i8.
36 HfSTOTRTÎ GFlVFRArE DE T- EGLISE

ne sont pas encore cicatrisées. Les cadavres des citoyens égorgés


déposent contre eux. Leur nom seul doit rappeler au maçon instruit
jusqu'à quel degré de dégénération ont pu descendre certaines sectes
de notre association ^ » En 1818, le carbonarisme établit une de ses
« ventes » à Macerata, dans les Etats mêmes de l'Eglise, et plusieurs
autres en Lombardie. L'esprit perspicace de Consaivi avait aperçu
Consaivi le péril, et, dès le 4 janvier 1818, l'éminent homme d'Etat l'avait
essaye en vain
de conjurer signalé aux cours de l'Europe. Mais ce fut en vain. H essaya alors de
le péril favoriser, pour combattre les menées de la secte, une « Association
en s'adressint
aux souverains de l'ami lié cathodique », fondée par le comte de Maistre ; mais le roi
de l'Europe. Charles-Félix y vit un danger pour l'Etat; et le gouvernement autri-
chien montra moins de défiance à l'égard des ventes de carbonari
qu'il n'en manifestait à l'égard d'une « Ligue de défense religieuse »
que le cardinal Pacca et les jésuites avaient tenté de fonder en
Lombardie 2.

La « Char- C'est en 1821 que le carbonarisme vint s'établir en France, où


bonnerie »
française. les sectes allemandes avaient déjà pénétré ^. Le foyer de son expan-
sion fut un club parisien, connu sous le nom de club des Amis de
la vérité, fondé par quatre commis de l'administration de l'octroi :

Bazard, Flottard, Bûchez et Joubert. * « Merveilleusement appro-


priés au caractère italien, dit Louis Blanc, mais peu propres à
devenir en France un code de conspirateurs (à cause de quelques
apparences chrétiennes, nécessaires en Italie), on dut songer à mo-
difier les statuts... La pensée dominante de l'association n'eut rien

de précis ; les considérants se réduisirent à décréter la souveraineté


nationale sans la définir, suivant l'esprit du carbonarisme italien.

Plus la formule était vague, mieux elle répondait à la diversité des

I. Blumenhagen, Confession politique^ dans la Revue maçonnique de 1828,


p. 320.
a. Cf. Cavalotti, Memorie sulle società ségrete delVIialia méridionale e specialmente
sui carbonari (Estr. délia Bibliotheca storica del Risorgimento italiano), Rome, 1904,
et un Rapport de police de 1822, publié par L. Grasilier dans la Revue internatio-
nale des juin iQiS, p. 1770 1775. Voir aussi Gahtù, les
sociétés secrètes dii 5
Hérétiques d'Italie, V, p. 425-437 (traduction française).
t.

3. « Les statuts de diverses afTiliations allemandes, saisis dans le temps par les
autorités françaises, dit un Rapport de police de i823, semblent avoir servi de
types aux règlements adoptés par les associations de France, avant que celles-ci
connussent le nom de carbonari. Il importe peu de rechercher les modificationf
que les sociétés italiennes ont pu apporter aux premiers plans empruntés aux
sociétés allemandes mais il peut n'être pas sans intérêt d'établir qu'on les doit à
;

l'Allemagne ». {Revue internationale des sociétés secrètes du 5 mars JQiS, p. 525),


4. Louis Blanc, Hist. de dix ans, t. I, p. 82.
ETAT POLITIQUE, SOCIAL ET RELIGIEUX DU MONDE CHRETIEN 37

sentiments et des haines ^. » Il fut convenu, en outre, qu'à côté de Son


organi<:ation
la Haute- Vente, des ventes centrales et des ventes particulières, il
y ci

aurait pour l'armée la « légion », les « cohortes », les « centuries », ses doclrines.

les « manipules ». « Il existait alors, dit un historien franc-maçon

de la Restauration, un comité parlementaire (de la Charbonnerie).


Lafayette en faisait partie... Munis de lettres de recommandation,

plusieurs jeunes gens allèrent dans les départements organiser la

Charbonnerie... L'entraînement fut général, irrésistible. Sur pres-


que toute la surface de la France, y eut des complots
il et des cons-
pirateurs. Les choses en vinrent au point que, dans les derniers
jours de 182 1, tout était prêt pour un soulèvement à la Rochelle, à

Poitiers, à Niort, à Colmar, à Neuf-Brisach, à Nantes, à Belfort, à

Bordeaux, à Toulouse. Des « ventes » avaient été créées dans un


grand nombre de régiments, et les changements mêmes de garnison
étaient pour la Charbonnerie un rapide moyen de propagande ^. »
La Charbonnerie française fusionna dès lors avec la franc-maçon- Ses liens .

avec la franc-
nerie. 3 Louis XVÏII jugea de bonne politique de ménager les loges, maçonnerie.
de subir même leur influence*. Aussi vit-on les idées voltairiennes
envahir rapidement la France. Paul-Louis Courier dang ses pam-
phlets, Béranger dans ses chansons, les popularisèrent. Qu'il suffise I iffurion
c'esidées
d'ailleurs de rappeler qu'il y eut, de 181 7 à 182/4, douze éditions voltairiennei
de Voltaire et treize de Rousseau. On publia 3 16.000 exemplaires sous la
Restauralivû,
des oeuvres du premier et 2^0.000 des œuvres du second, soit un
total de plus de deux millions de volumes raillant ou méprisant
l'Eglise catholique. La lutte contre le u parti-prêtre », comme on
disait alors, fut le fruit de cette propagande \
elle devait durer autant
que la Restauration et arracher même au roi Charles X, en 1828,
l'expulsion des jésuites 5,

I. Louis Bla.nc, Hist. de dix ans , t. I, p. ga. Cf. Descramps, les Sociétés secrètes
'
I. II, p. 387.
a. A.ch. de Va.ulabelle, Hist. des deux Restaurations, t. V, p, i48, i5i. Sur
l'action de la Charbonnerie dans les divers complots de cette époque, voir Guilloh,
les Complots militaires sous l'empire et la Restauration^ d'après les documents inéditSy
a vol in-i8, Paris, 1894. et Rev. intem. des soc. secrètes, 1918, p. 5a6-554- Une
prétendue Histoire des sociétés secrètes de Varmée^ publiée par Charles Nodier, est une
œuvre d'imagination.
3. Voir le témoignage de l'historien franc-maçon Jean de Witt, Mémoires 5ccr<f*,
p. 6.
4 Deschamps, op cit.. t. Il, p. 225 et s. « Louis XVIII, dit M. Gauthbrot, —
tout comme le comte d'Artois et le duc de Berry - était ou avait été franc maçon»
{Dict. apologét. de la foi catholique, au mot Franc-maçonnerie, t. II, col. iii).
5. Thuheau-Damoiii, le Parti libéral sous la Reslauratioa, un vol in- 18, Paris,
1876, passim.
58 HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLISK

VI

Le* forces Pour [)arer aux divers p.'rils que nous venons d'indiquer, quelles
de l'Eglise.
étaient les forces de l'Eglise ? Ces forces, depuis ravènement de

Louis XVilï, s'étaient accrues, malgré tout. Le roi de France avait


beau passer pour favorable aux idées voltairiennes, se montrer faible
envers les sociétés secrètes, confier, pour leur complaire, le soin de
son gouvernement à quatre hommes renégats de leur vocation ecclé-
siastique, les abbés de Talleyrand, de Pradt, de Montesquiou et
Louis *
; son avènement n'en était pas moins, aux yeux de tous,
le signal d'une renaissance religieuse ; la Restauration politique des
Bourbons se présentait comme inséparable d'une restauration catho-
lique ; après la Révolution, qui l'avait persécuté avec violence, et
l'empire, qui l'avait opprimé en voulant l'asservir, le clergé de France,
dans son ensemble, avait acclamé le retour du roi très chrétien avec
les sentiments d'une grande confiance ^. Dans les missions, qui se
multiplièrent, la foule avait chanté, de toute son âme, le refrain

populaire ;

Vive la France !
Vive le Roi I
Toujours en France
Les Bourbons et la foi l

Tu« générale. Les Missions de France, la multiplication des congrégations reli-


gieuses, l'action exercée, parla Congrégation, le développement des
maisons d'éducation catholiques, des œuvres de piété, de zèle et
d'assistance, la pénétration, plus superficielle que profonde, mais
réelle et efficace néanmoins, de Tesprit chrétien dans les lettres et

dans les arts : telles furent les premières manifestations de la renais-

sance religieuse en France sous le règne de Louis XVIIL Un mou-


vement analogue se produisait en même temps en Italie, en Alle-
magne et en Angleterre.
Les
Dans son dernier numéro du mois de janvier i8i5, VAmi delà
« Missions
d« France ».
GaéTINBAU-JoLT, Op. «'<., t. II, p. 3.
I.
Dans le premier numéro de l'Ami de la religion^ paru le ao avril i8i4, Michel
a.
Picot se faisait l'interprète du clergé de France, en saluant « cette famille qui avait
donné à la France saint Louis... et que le ciel semblait tenir en réserve pour
l'amener à notre secours quand le temps marqué par ses décrets serait enfin arrivé. »
[Ami de la religion, i8i^, p. 7,)
ÉTAT POLITIQUE, SOCIAL ET RELIGIEUX DU MONDE CHRETIEN Sq

religion, organe du clergé de France, publiait la note suivante :

« Plusieurs ecclésiastiques, vivement touchés de la privation des


secours spirituels où la rareté des pasteurs laisse une partie de noa
provinces, viennent, selon le vœu de MM. les évêques, de se réunir
pour faire un établissement dont le but principal est de donner des
missions et de former des missionnaires pour l'intérieur de la
France. Cet établissement, un des premiers fruits de la liberté ren-

due enfin à la parole sainte, doit intéresser tous les amis de la reli-
gion et réaliser leurs espérances... M. l'abbé Rauzan, M. l'abbé
Legris-Duval et M. l'abbé de Forbin-Janson sont à la tête de l'éta-
blissement*. ))

Les noms des trois directeurs de l'œuvre nouvelle étaient des gages
de succès. L'abbé Jean-Baptiste Rauzan, né à Bordeaux en 1707, ^•"?* ^V***"
'
était un des plus vénérables prêtres de 1 Eglise de France. Succès-
sivement vicaire et directeur d'un petit séminaire dans son diocèse
natal, puis obligé de s'expatrier pendant la tourmente révolution-
naire, il avait laissé partout la renommée d'un prêtre instruit, zélé,

charitable ; son éloquence grave, apostolique, était pleine de force


et d'onction. Après le concordat, le cardinal Fesch, archevêque de
Lyon, frappé de ses éminentes qualités, avait fait appel à son dé-
vouement pour fonder dans sa ville épiscopale une école de hautes
études et d'éloquence sacrée. Mais un décret de l'empereur, en date
du 26 décembre 1809, supprimant tous les établissements de mis-
sion en France, n'avait pas permis au projet du célèbre prélat de
recevoir son exécution. L'abbé Rauzan se contenta de profiter de
toutes les occasions qui lui furent offertes, pour annoncer aux
peuples les vérités religieuses. Dédaignant à la fois les formes poé-
tiques par lesquelles Chateaubriand avait su venger la religion chré-
tienne des sarcasmes de Voltaire, et la puissante dialectique avec
avec laquelle les Bonald et les de Maistre avaient réfuté les so^

phismes de Rousseau, le nouveau missionnaire cherchait plutôt ses


modèles parmi les Vincent Ferrier, les François Régis, les Vincent
de Paul et les Bridaine. Le roi Louis XVIII, qu'il avait accompai^jié
à Gand, l'avait nommé son chapelain ; mais lui ne rêvait que d'eu^
treprendreen France une œuvre d'évangclisation populaire, .

1. Ami de la religion, ann. i8i5, q» 84, p. gS-gô. Dans le numéro suiv il,
lAmi de la rtligion, revenant sur ce sujet, ajoute que l'œuvre nouvelle a reçu lei
•ncouragements du roi (/6i(/., p. 107-iog}.
4o TTTSTOrBE GK^ÎKRALE DE L EGLISE

L'abbé La Providence le mit en rapport, à cette époque, avec un saint


Lcgris-Duval
(1765-1819]. prêtre breton, à qui aucune œuvre de zèle n'était étrangère, l'abbé

Legris-Duval. René-Michel Legris-Duval, né au diocèse de Saint-


Pol de Léon en 1765, et ordonné prêtre 20 mars 1790, n'avait pas
le

été mis en demeure de s'exiler, parce que, non pourvu encore d'une
position dans l'Eglise au moment oij parurent les lois persécutrices,

il n'avait pas eu à prêter le serment constitutionnel. Le jeune prétre


,profita de cette immunité providentielle pour exercer à Paris, pen-
dant la Révolution, un apostolat infatigable, surtout auprès de»
condamnés à mort, qu'il accompagnait jusqu'au pied de l'échafaud.
Aidé par la comtesse de Carcado et par M™® de Saisseval, il fonda,
pour les enfants des victimes de la Terreur, cette œuvre des « Orphe-
lines de la Révolution », qui, la première des œuvres du xix* siècle,
Charles de fut comme le trait d'union entre les institutions charitables de
Forbin-Janson
(1785-1844).
l'Ancien Régime et celles du Régime moderne.
Tandis que les deux apôtres échangeaient leurs vues, ils avaient
rencontré un jeune homme qui, pour se livrer, lui aussi, sans ré-
serve à l'apostolat, avait généreusement renoncé aux avantages tem-
porels d'une grande naissance, d'une immense fortune et d'une
éducation princière. C'était l'abbé de Forbin Janson, qui, formé,
comme l'abbé Legris-Duval, daus le séminaire et dans les caté-
chismes de Saint-Sulpice, aux habitudes de zèle, se livrait, à Paris,

à toutes sortes de bonnes œuvres, attendant l'appel de Dieu â ue


apostolat plus déterminé.
Fondation Un accord complet de vues ne tarda pas à s'établir entre les trois
des
I^issionnaîres prêtres. Quelques compagnons se joignirent à eux. Une petite mai-
de France son, située au n" 8 de la rue Notre-Dame-des-Ghamps, fut le berceau
(i8i5).
de la nouvelle communauté, qui, sous le nom de maison des Mission-
naires de France, eut bientôt pour protecteurs l'abbé Frayssinous,
déjà célèbre par ses conférences de Saint-Sulpice, et l'abbé Liautard,
qui avait déjà fondé, au n" 28 de la même rue, l'établissement des-
tiné à devenir célèbre sous le nom de collège Stanislas. Un comité de
dames, où figurèrent la princesse de Montmorency, la comtesse d»
la Bouillerie, la marquise de Croisy et la vicomtesse de Vaudreuil,
procura à l'œuvre nouvelle les secours dont elle avait besoin.
Les Missions Dieu bénit la pieuse institution. En peu d'années, cent trente
de France.
villes furent évangélisées par les dévoués missionnaires. Paris, Lyon^
Marseille, Nantes, Bordeaux, Montpellier, les villes les plus popu-
leuses et les plus pénétrées par les idées rationalistes, les reçurent
ÉTAT POLITIQUE, SOCIAL ET RELIGIEUX DU MONDE CHRETIEN 4l

avec les mêmes euthousiasmes que les humbles villages- Souvent


les missionnaires, en arrivant dans une ville, y trouvaient des préven-
tions habilement propagées contre eux. Huit jours de mission suf-
fisaient à les dissiper. Les églises retentissaient de cantiques popu-
laires et d acclamations ; de longues processions s'organisaient ; des
croix, que tous les bras voulaient soutenir, étaient portées triompha-
lement à travers les rues et les places, s'arrêtant, en signe d'expiation,
là où s'étaient dressés les échafauds révolutionnaires. Des arcs de
triomphe étaient élevés de distance en distance ; les maisons étaient
tendues ; des pavillons flottaient aux fenêtres. Dans plusieurs paroisses,
on vit la municipalité prendre part en corps à la manifestation reli-
gieuse. Un piquet de cavalerie ouvrait la marche; des salves d'artillerie
annonçaient l'ouverture et la clôture de la cérémonie. Dans telle et

telle ville du Midi, au pied de la croix, une fois plantée, d'émou-


vants dialogues s'engagèrent entre le prédicateur et la foule, « De-
vant cette croix, s'écriait, à Toulon, l'abbé Rauzan, vos inimitiés
sont venues expirer... Il faut quelque chose de plus à vos mission-
naires... Il faut que vous aimiez vos ennemis. — Oui, oui, s'écrient
des milliers de voix. — Vous les aimerez donc désormais ; vous ne
formerez plus qu'un peuple de frères 1 »
Que, dans ces manifestations, quelque parole excessive ait été pro-
noncée, que, çà et là, la pression de 1 autorité civile se soit plus ou
moins indiscrètement exercée sur la population, que le nom du roi se

soit trouvé mêlé au nom de Dieu dans les acclamations populaires :

c'est ce qui était inévitable ; c'est ce qui se produisit en plusieurs en-


di'oits ; et ce sont de tels faits que les esprits restés hostiles ou indif-

férents reprochèrent, en les grossissant et en les dénaturant, au mou-


vnmcnt des Missions de France. Au fond, ce fut surtout le succès
religieux de ces grandes manifestations qui exaspéra les incrédules *.

I. On trouve uu écho de
ces récrimination» amères et injustes dans l'Histoire des
deux Vaulabelle, t. IV, p, ^2b-l^28. Le tableau que l'historien
ficslaurations par
trace des missions est une pure caricature. On trouvera des documents plut
authentiques dan» le» relations publiées à l'issue même de ces prédications et où
les rédacteur» n'ont pas cherché à modérer leur enthousiasme. Voir Détails sur la
Mission donnée à Bordeaux pendant le carême de 18i7, brochure de 66 page»,
Bordeaux, chez Heaume, 1817 Mission d'Arles ^1817), br. de i4 p., Arles, impr.
;

Mesuier, 181 7 la Sagesse chrétienne ou les missions de Clermont et de Riom,


; br. de
16 p., (]lermont, impr. Landriot. 1818 Mission d'Autun, br. de ai p., Autun,
;

impr Dejussieu Mission de la paroisse de Chartreuses^ br. de 27 p., Grenoble,


;

impr. Baralicr, 1820 (ce compte rendu contient le cantique pour le roi) Mission de ;

Blois, br de 2^ p., Blois, impr, Aucher Eloy, i8a4 Lettres ù un ami sur la mission ;

de Villefranche d'Aveyron br. de io4 p Villefranche, impr, Vedeilhé, 1896.


,
42 HISTOIRE GENERALE DE L EGLISE

Défense Une voix: éloquente s'éleva pour la défense des missions : ce fut
des missions
par l'abbé celle de labbé de La Mennais : « Quand J^sus Christ apparut sur la
F. de Lt terre, dit-il, il ouvrit une grande mission, qui, continuée pendant
Mennais,
dix-huit siècles, souvent entravée, toujours triomphante, ne finira
qu'avec le genre humain... On a demandé si la France était dor.c
peuplée d'idolâtres, pour qu'il fût nécessaire d'envoyer de ville en
ville des missionnaires annoncer la foi... Chose étrange I On répète
sans cesse que le christianisme est mort ; et, dès qu'un prêtre ouvre
la oouche pour Tannoncer au peuple, on s*écrie : A quoi bon ? Il

n'y a que des chrétiens. Au reste, peu m'importe à laquelle de ces


deux assertions l'on s'arrête. S'il n'y a plus de christianisme, il faut
des missions pour le renouveler ; si le peuple est chrétien, il faut des
missions pour empêcher qu'il ne cesse de l'être. Mais les missions
portent atteinte à la liberté des protestants, elles les inquiètent...
Singulière prétention, de ravir à vingt-cinq millions de citoyens la
liberté religieuse, pour assurer à un petit nombre cette liberté, que
personne n'attaque ! Les protestants ne sauraient-ils être libres, que
nous soyons enchaînés?... Il serait aussi trop étrange, quand les

doctrines antisociales ont partout des organes, que le christianisme


seul fût contraint d'être muet * » I

VII

La société des Missionnaires de France n'était pas la seule congré-


gation religieuse qui se fût vouée, depuis la Restauration des Bour-
bons, à la régénération catholique de la France. Tandis que les

trappistes, les lazaristes, les prêtres de la Congrégation du Saint-


Esprit et les Pères des Sacrés-Cœurs de Picpus reprenaient et déve-
Nouvelles
congréyatTons
^^ppaient leurs œuvres anciennes et récentes, l'abbé Chaminade fon-
religieuses. dait l'institut des Filles de Marie et la Société des marianistes, les
abbés Collin et Ghampagnat jetaient les fondements de la Congre-

I. F. de Lamennais, Mélanges^ t. I, Des Missions. — Sur les Missions, voir


A. Delaporte, Vie du H. P. Rauzan^ un vol. in-S», Paris, 1857. — Le P. Lacor-
daire, dans son Eloge funèbre de Mgr de Forbin-Janson (Œuvres^ éd. Poussielgue,
t. VIII, p. 75-1 1 4) exagère la part prise par l'abbé de Forbin Janson dans la
fondation de l'Œuvre des missions de France, dont le vrai fondateur est le P. Rau-
zan. On trouvera des détails nouveaux sur les missions de France dans Blrnichon,
la Compagnie de Jésus en France, Histoire d'un siècle, t. I^r^ in-S», Pari», 1914,
p. 86 89.
ÉTAT POLITIQUE, SOCIAL ET RELIGIEUX DU MONDE CHRETIEN 43

gation des maristes, l'abbé de Mazenod établissait la Société des


oblals de Marie Immaculée, et la Compagnie de Jésus, canonique-

ment reconstituée pour l'Eglise universelle par la bulle Sollicitado du


7 août i8i4, préparait sa" rentrée en France par les pieuses associa-
tions des Pères du Sacré Cœur et des Pères de la foi.
C'est à Saragosse, où la tempête révolutionnaire l'a forcé de
s'exiler, dans le Notre-Dame del Pilar, que Guil-
sanctuaire vénéré de
Guillaumc
laume Chaminade sent s'allumer en lui la flamme de l'apostolat qui Chamirindc
lui fera prendre pour devise ces mots, inspirateurs de toute sa vie : (1761-1850),
fondateur
« Formons des chrétiens apôt^es » Le désir de son âme se réalise
1
(les

lorsque seize ans plus tard, il peut fonder, à Agen, avec le concours marianistef.

d'une fervente chrétienne, M"® de Trenquelléon, une communauté


de <( petites missionnaires » ayant pour mot d'ordre « la multiplica-
tion des chrétiens », et, un an après, de concert avec un saint
prêtre, l'abbé Lalanne, une société, composée de prêtres et de laïcs,

ayant pour objet de poursuivre, par tous les moyens que les circons-
tances providentielles montreraient opportuns, le même but aposto-
lique : « multiplier les vrais chrétiens )). En 1828, les deux sociétés
fondées par Guillaume Chaminade ne dirigent encore que des
écoles gratuites, des ouvroirs et des pensionnats dans le Midi de la
France et en Franche-Comté ; mais leur saint fondateur ne cesse
de leur recommander de se tenir prêtes à voler, pour faire des
chrétiens, «jusqu'aux extrémités de la terre ». Ses vues se réalise-
ront, et, peu de temps après sa mort, son œuvre aura des rejetons
dans les cinq parties du monde *.

En 1816, pendant que Guillaume Chaminade pose les premières


bases d'une société de Marie, dont les membres porteront le nom de Marccllin
Champagnat
marianistes, un groupe de jeunes abbés, élèves au grand séminaire fondateur
de Lyon, accueille avec transport le projet, manifesté par l'un d'eux, des
Petits Frèrei
de fonder un corps de religieux dévoués à la Sainte Vierge et qui
de Marie.
porterait également le nom de la Société de Marie. C'est l'origine de
deux nouvelles congrégations religieuses : les Petits-Frères de Marie,
ou Frères maristes, fondés en cette même année par l'abbé Marcellia
Chainpagnat 2, et les Pères maristes, qui ne commenceront à s'orga-

1. SiMLBR, Guillaume-Joseph Chaminade^ un vol. in-So, Paris et Bordeaux,


1901;
H. Rousseau, Guillaume- Josepli Chaminade, un vol in-i3, Paris, igiS.
2. Voir Vie du V,Père Champagnat, publiée par les soins des Petits-Frères
dt
Mario.
« HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLISE

, Jean-Claude niscr qii'çn 1828, sous la direction de Tabbé Jean-Claude Colin*.


Colin
(i 700-1 836),
Gomme les marianistes, les maristes ne tarderont pas à essaimer jus-
fondateur qu'aux antipodes ; ils fourniront à l'Océanie des vicaires apostoliques
des
IVresMarisles. et des martyrs.
L'abbé de Mazonod, descendant d une des plus nobles familles de
Charles Provence, a d'abord orienté les élans de son zèle vers les missions
o'e Mazcnod
(1782-1861),
lointaines; mais lorsque, au retour de l'émigration, il est en position
fondateur de voir par lui même l'état de la France au point de vue religieux,
des OblaU
de Marie, il sent que, devenu prêtre, il n'aura pas besoin d'aller chercher les
infidèles au delà des mers ; il voit, comme il dit dans la préface qu'il

a donnée aux constitutions de sa congrégation, « la malice et la cor-


ruption des chrétiens telles, que l'état de la plupart d'entre eux est
pire que celui de la gentilité avant que la croix eût renversé les
idoles » *, et, au lendemain même de son ordination sacerdotale,
jeune vicaire à Arles, il forme le projet d'une société de prêtres voués
l'apostolat des campagnes. ^ Le 18 février 181 6, sa pensée reçoit
un commencement d'exécution ; elle se réalise peu à peu par l'évan-
gélisation des principales contrées de la Provencee ;elie recevra son
couronnement par l'approbation solennelle, donnée par Léon XII,
le 17 février 1828, aux règles de l'institut des oblats de Marie-
Immaculée.
La Plus d'une fois, l'impiété révolutionnaire, par ses journalistes, par
Compagnie
de Jésus. ses pamphlétaires, par ses hommes d'Etat, dont quelques-uns appro-
chaient du trône, avait dénoncé ces nouvelles fondations, y montrant
les prétendus agissements politiques du « parti prêtre » ; mais
l'attention se portait surtout sur la célèbre Compagnie de Jésus, qui,
proscrite, au xviii® siècle, de la plupart des Etats européens, était
déjà rentrée en Sardaigne, à Naples, en Angleterre et en Suisse. Pro-
fiterait-elle de la Restauration du roi très chrétien pour rentrer aussi
en France ? Et, si elle le tentait, quelle serait l'attitude du gouverne-
ment ?

On raconte qu'en 181 5, après la bataille de Waterloo, le prince de


Talleyrand, président du conseil, ne craignit pas d'exprimer nette-
ment son avis, à ce sujet, au roi Louis XVIII. « Sire, lui aurait-il

I. Voir Le R. P. Colin^ par un religieux de la Société de Marie, un vol. in-80,


Paris, if)00.
Préface des Constitutions des oblats.
3.
3.Lettre du i5 octobre i8i5, dans Ra.mbert, Vie de Mgr de M azenod y 2 yoh
in-80, Paris, i883, t. I, p. 165-167.
ÉTAT POLITIQUE, SOCIAL ET RELlGiEUX DU MOîïDE CHRETIEN (iù

dit, votre Majesté espère se maintenir aux Tuileries ; mais il est

urgent qu'elle se ménage les appuis nécessaires .. Je lui propose la

reconstitution légale de la Compagnie de Jésus *. » On ne peut se


faire illusion sur les sentiments qui dictaient au célèbre diplomate
'
une telle proposition: ils étaient d'ordre exclusivement politique. Le
'
roi hésita, demanda quelques semaines de réflexion ; et, Talleyrand
ayant perdu le pouvoir dans l'intervalle, le projet ne fut pas repris.
Mais la question n'était pas supprimée par cela même. Elle se posait
toujours, devant l'autorité, d'autant plus pressante, qu'elle résultait,
non d'interpellations plus ou moins vagues, mais de faits constants
et précis, qu'il importait d'élucider.

Tout d'abord, plusieurs évêques, forts d'une ordonnance royale Plusieurs


16SUlt6S
du 5 octobre i8i^ ^, qui plaçait sous leur dépendance les petits sémi- gont char-^és
naires, y avaient appelé des jésuites. Ceux-ci, soumis, comme les ^® ^'*""

autres prêtres, a la juridiction episcopale et aux lois du royaume, ne d^ns ies p( lits

recevant que des évêques les pouvoirs de prêcher, de confesser et séminairei,

d'enseigner, se contentaient de suivre, dans leur for intérieur, la

règle de saint Ignace. Comme corporation, ils n'avaient et ne solli-


citaient aucune existence civile ; ils se contentaient de réclamer,
comme individus, les droits de citoyen et de prêtre français ^. Sans
doute des décisions judiciaires, sanctionnées par un édit royal,
avaient aboli en France la Compagnie de Jésus ; mais ces décisions
n'avaient-elles pas été virtuellement abolies par le régime du Con-
cordat de i8oi et surtout par la Charte de i8i4> établissant; dans
son article 5, la liberté des cultes ? L'Angleterre et l'Amérique pro-
testantes, régies par des lois constitutionnelles semblables, les avaient
largement interprétées dans le sens de la liberté, relativement aux
membres de la Compagnie de Jésus, qui s'y étaient établis dans des
conditions analogues. Le gouvernement du roi très chrétien se mon-
trerait-il moins bienveillant à l'égard de religieux dont le souverain
pontife venait de reconnaître officiellement l'institut? De fait, le Le
gouvernement
gouvernement de la Restauration ne s'occupa, pour le moment, ni les tolère.

d'appuyer ni d'inquiéter les jésuites, qui travaillèrent dans les petits


séminaires dans les conditions que nous venons d'exposer.

1. Crétinbàu-Jolt, H'ist. de la Compagnie de Jésus, Paris, i8^6, t. VT,


p. 137.
2. Celte ordonnance ne fut pas insérée au Bulletin des lois ; on la trouvera dans
Chétineau-Jolt, op,cit., t. VI, p. i3i.
â. Grétiheàu-Joly, p. iSa.
46 HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGMSE

Mais la pénétration de la Gpmpagnie de Jésus en France se


faisait, en même temps, par une autre voie.
La Société
]^,j 1 79^1 , deux jeunes prêtres, élèves du séminaire de Saint-Snl pice,
Sacré-Cœur, émii^^résaux Pays-Bas, l'abbé Charles de Broglie et l'abbé Léonor de
Touruély, s'étaient associés à deux jeunes gens, récemment sortis
de l'armée de Gondé, Xavier de Tournély, frère du précédent, et
Pierre Leblanc. Les uns et les autres, désireux de perpétuer les tradi-
tions de la Compagnie de Jésus, alors supprimée, avaient résolu de
la faire revivre sous une autre forme. A cet effet, ils avaient fondé
une société qu'ils avaient appelée la Société du Sacré-Cœur, Quelques
mois après, la société s'agrégeait un nouveau membre, Joseph
Varin de Solmon, fils d'un conseiller au parlement de Franche-
L'abbé
Jose|)h Vann
(1769-1850).
e •
o i

-y
Comté, ancien condisciple des abbés de Brodie et de Tournély à
oaint-Sulpice, et qui, après la tourmente de 1789, avait pris du ser-

vice, lui aussi, dans l'armée du prince de Condé. D'une piété angé-
lique, comme ses amis du séminaire, enthousiaste et brave, comme
ses anciens camarades de guerre, Joseph Varin ne tarda pas à devenir
l'âme de la jeune compagnie. L'abbé Emery, ayant eu l'occasion
de rencontrer la petite colonie, dans un voyage à sa sortie de prison,
en 1796, exprima son admiration en ces termes : « Ces jeunes gens
vivent comme des saints. Ils roulent dans leurs têtes les projets les
plus étonnants comme les plus saints. J'admire leur foi et leur cou-
rage K » Trois ans plus tard, en avril 1799, la Société du Sacré-
Les Pères
de la foi,
Cœur fusionnait avec une société des Pères de la foi, qu'un prêtre
. . . , .

italien, Paccanari, avait fondée à Rome en 1797 dans le même dessein


de préparer la reconstitution de la Compagnie de Jésus. Sous la
direction du P. Paccanari, puis, à partir de i8o/i, du P. Varin, la
société des Pères de la foi mulplia ses œuvres apostoliques. Dillin-
gen, Augsbourg, Paderborn, Berlin, Amsterdam, la Moravie, l'Italie

la Suisse, l'Angleterre et la Fiance, furent le théâtre de leurs travaux.


Lamartine, au souvenir des Pères de la foi, qui avaient élevé son
lemoignage enfance au collège de Belley, écrivait : « C'est là que j'ai vu ce que
l'on pouvait faire des hommes, non en les contraignant, mais en les
inspirant... Les PP. Debrosse, Varlet, Béquet, Wrintz, surtout, mes
amis plus que mes professeurs, restèrent toujours dans ma mémuire
Comme des modèles de sainteté, de vigilance, de paternité, de ten-

I. J. Embrt, Lettre à l'abbé Gourtade, du a8 août 1796,


ÉTAT POLITIQUE, SOCIAL ET RELIGIEUX DU MONDE CHRETIEN Ix'J

dresse et de grâce pour leur élèves*. » Non content d'appliquer à


l'éducation des jeunes gens les méthodes éprouvées de la Compagnie
de Jésus, le P. Varin en avait fait l'application à la formation reli-

gieuse des jeunes filles en fondant en 1800, avec l'aide de Madeleine- LcsDamet
Sophie Barat, l'instilut des Dames du Sacré-Cœur. Le décret de Sacré-Gœur.
dissolution de la Société des Pères de la foi, rendu le 2 novembre
1807 par Napoléon, eut pour effet la dispersion de ses membres,
mais non la ruine de leur apostolat, qui se multiplia dans différents
diocèses, y fit connaître le véritable esprit de saint Ignace, y mul-
tiplia des germes de vocation ; de telle sorte que, même avant la

bulle Solllciiudo omnium Ecclesiarum, qui rétablit la Compagnie de


Jésus dans tout l'univers, un grand nombre de Pères de la foi et de
leurs disciples s'y étaient agrégés là où elle avait été déjà autorisée. Le
P. Varin, admis à la profession solennelle de ses vœux de religion le
i5 août 1818, fut nommé supérieur delà maison de Paris au mois
d'octobre de la même année. Il devait conserver cette fonction, avec
une intermittence de 1821 à 1826, jusqu'en i853 ^.

YIII

Les Pères de la foi n'avaient pas été des jésuites, mais ils s'étaient La
préparés à devenir à la première occasion ^^"f''^^**'®^
le 3, et, en attendant, ils

avaient toujours cherché à seconder de tous leurs efforts les œuvres


fondées par la Compagnie ou inspirées par son esprit. Telle fut
l'œuvre fameuse qui, instituée en 1801 par un ancien jésuite, le
P. Bourdier-Delpuits, après un développement silencieux et comme
étouffé par lamain de fer qui gouvernait la France, prit, au moment
du retour des Bourbons, un essor rapide, jeta de toutes parts ses
essaims, remplit le pays de foyers de foi, de prière et d'action, et
suscita aussitôtde la part des sectes antichrétiennes de telles attaques,
de telles calomnies, que son nom seul est encore, dans le monde des
incrédules, un mystérieux épouvantait : la Congrégation.
Qu est-ce que la Congrégation ? Celui qui jeta le premier crî

I. Lamartine, Confidences, liv. VI, notes a, 3, 4.


a. P. A. Guidée, Vie du P. Varin, un vol. in-ia, Paris, i8d4.
3. A. Brou, les Jésuites de la légende, a vol. in-ia, Paris,
1907, t. II, p. 174. —
Sur les origines de la congrégalion, voir Buknichos, la Compagnie de Jésus em
France, Ilis t. d'un siècle, t. 1, p. ii5-i35.
48 HISTOTBB G^^KRALE DE L*ÉGUS*

d'alarme, dans un Mémoire célèbre, le comte de Montlosîer répondait


ainsi : « Il m'est aussi tlitticile de dire avee précision ce qu'elle est,
que de montrer au temps passé comment elle s'est Miccessivement
formée, étendue, organisée *. » Des documents nombreux et précis,

mis au jour par l'érudition contemporaine, permettent de répondre


fklus nettement à la question.
Le En 1801, un jésuite sécularisé, le P. Delpuits, voulant protéger
'^^ croyances et la vertu des jeunes gens qui affluaient à Paris pour
'3elpuits'"
(1786 181 1). y étudier le droit, la médecine, ou plus généralement pour s*y
former aux professions libérales, les réunit en une association pieuse,
en prenant pour modèle les statuts des congrégations de la sainte

Vierge en usage dans les maisons d'éducation des jésuites, puis parmi
leurs anciens élèves, depuis le milieu du xvii* siècle. Ces associa-
tions de piété et de bonnes œuvres, dont les règlements n'avaient
rien de mystérieux, avaient été louées par plusieurs papes, notam-
ment par le pape Benoît XIV ^. Les réunions avaient lieu tous les
quinze jours, ayant uniquement pour but l'édification de leurs
membres. La société se développa peu à peu. Aux étudiants vinrent
se joindre quelques industriels et commerçants. A la fin de i8o5,
lorsque Pie Vil vint à Paris, la Congrégation comptait 180 membres.
Le pape l'autorisa à s'agréger des congrégations de province. En 1808,
elle admit dans son sein deux savants du plus haut mérite : le géo-
mètre Gauchy et le physicien Biot. La Congrégation s'attira les

colères de l'empereur en favorisant la publication de la bulle qui


excommuniait les spoliateurs du Saint-Siège ; et, en 1809, les con-
gréganistes durent se disperser. Le P. Delpuits, accablé par l'âge,
frappé par les événements, dut prendre un repos bien mérité par ses
labeurs. « D'autres que lui, a dit Lacordaire en parlant de ce saint
jprêtre, ont acquis plus de gloire dans leurs rapports avec la jeunesse
de France aucun n'en a plus mérité ^. »
;

A la Restauration des Bourbons, la Congrégation vit s'ouvrir une


ère nouvelle. Les adhésions vinrent en foule à la société reconstituée.
On remarqua parmi les nouveaux adhérents : le prince de Polignac,
rentrant à peine de l'exil, l'abbé Eliçagaray, recteur de l'université
de Pau, le colonel de Montant, gouverneur des pages de Monsieur, le

I. MoKTLOsiERj Mémoire à consulter, Paris, 1826.


a. Bulle Gloriosae Dominas, du 27 septembre 1748.
3. Lacordairb, Eloge funèbre de Mgr de Forbin-Janson, Œuvres, édit. Poussielgue,
t. YIII, p. 88.
ÉTAT POLITIQUE, SOCIAL ET RELIGIEUX DU MONDE CHRÉTIEN /jQ

duc de Bourbon, le comte d'Artois, le roi lui-même. Cette dernière


adliésion fut, il est vrai, une simple formalité de sympathie.
Au mois d'août i8i4, la société, qui avait été provisoirement
dirigée, depuis la retraite de P. Delpuits, par l'abbé Legris-Duval,
du P. Ronsin, ancien Père de la foi, qui Le P. BoiuLd.
passa sous la direction
venait d'entrer, comme beaucoup de ses frères en religion, dans la

Compagnie de Jésus. 'Pierre Ronsin devait, pendant quinze ans, ad-


ministrer la Congrégation avec un zèle qui lui valut l'admiration

des catholiques et les attaques les plus passionnées des libéraux. Il

était né à Soissons en 1771. 11 n'avait ni la rondeur du P. Delpuits,


ni l'éloquence de l'abbé Legris-Duval mais, sous des dehors mo-
;

destes, il ne tarda pas à révéler son dévouement intelligent à l'œuvre et.

son infatigable activité. Avec lui, une phase nouvelle s'ouvrit pour la

Congrégation. Tout en conservant à la société son but premier d'édiû-


cation mutuelle, il se préoccupa beaucoup de remédier au dénuement
physique et moral dont souffrait la population parisienne. Dès lors,

la Congrégation rappela beaucoup, par son organisation et par ses


œuvres, la célèbre Compagnie du Saint-Sacrement fondée au
xvii* siècle. La Société des bonnes œuvres ^
présidée par Charles de Lee œuvTM
de la
Lavau, qui se consacra au soulagement des malades et desprisonniers Congrégation.
et au patronage des petits Savoyards, V Œuvre de l'apprentissage
des orphelins, l'Œuvre des prisonniers pour dettes, VŒuvre des or-
phelins de la Révolution, VŒuvre de la marmite des pauvres^ VŒuvre
des maîtres d'école, V Association dé saint Joseph pour le placement
des ouvriers, Idi Maison de saint Nicolas pour les enfants abandonnés,
la Société des bonnes lettres, fondée en 1821 sous le patronage de
Chateaubriand, la Société des bonnes études, définitivement cons-
tituée en 1823, la Société des bons livres, créée en 1824, furent
dirigées par des membres de la Congrégation, sous l'inspiration du
P. Ronsin ^.

Le caractère de prosélytisme que la Congrégation revêtait toujours La


Congrégatior
davantage, attira sur elle l'attention publique. Le journalisme con- •stviolemraeni
temporain naissait.Ce n'était plus ce journalisme annaliste, aneo- attaquée
par la presse
dotique, plus ou moins frondeur, qu'avait connu l'Ancien Régime ; libérale.
t'était déjà ce journalisme bruyant, tumultueux des temps modernes,
aspirant au rôle de puissance publique, se sentant capable de diriger

1 . Sur toute» ces œuvres ek sur l'histoire de la Congrégation en général, voir


Guoirrojr de Giiàndaiaison, la Congrégation, un vol. in-S», Paris, 1890.
iiisi. -ou. Je rh'<i>e. — MU A
5o HTSTOTRE GlP.'^ÉRALE DE l'ÉGLISE

les courants d'opinion et au besoin de les créer. On ne peut pas re-


procher à la presse révolutionnaire de 1817 à i83o d'avoir été vé-
nale ; elle trafiqua rarement de ses opinions ; mais, « à part cette
justice que l'histoire doit lui rendre, il faut bien dire qu'elle poussa
aussi loin que possible le cynisme du mensonge » ^ Il lui fallait un
mot sinistre, enveloppé de mystère, pour saisir l'opinion et la sou-

lever. Le mot de « jésuite » avait été déjà exploité par Pascal ; elle

le reprit, en y ajoutant celui de « congréganiste ». « Les mots de


jésuite et de congréganiste, dit M. de Viel-Castel dans son Histoire
des deux Restaurations^, devinrent des armes puissantes entre les
mains de l'opposition pour discréditer, pour perdre moralement ses
adversaires » ^. Nous verrons plus loin les conséquences de cette
campagne.

IX

Les œuvres Tandis que, par la Congrégation, les Pères de la Compagnie de


d'en-
seignement Jésus multipliaient leurs œuvres de zèle et de charité en France, ils
catholique. n'oubliaient pas l'œuvre qui avait été, sous l'Ancien Régime, leur
moyen d'action par excellence, l'éducation chrétienne de la jeunesse.
Grâce à la protection accordée aux Frères des écoles chrétiennes

1. Crétineau-Jolt, Hist. de la Compagnie de Jésus, t. VI, p. 1^7.


2. Cette Histoire des deux Restaurations est elle-même inspirée par une antipathie
très marquée à l'égard de la Congrégation et des jésuites.
- 3. Pour la réfutation des calomnies lancées contre la Congrégation, le livre de
M. de Grandmaison est heureusement complété par un article de M. Edmond Biré,
la Congrégation, paru dans le Correspondant du 25 janvier 1890. Malgré les savantes
réfutations de M. de Grandmaison et d'E. Biré, on répète encore que la Congré-
gation a été une association politique secrète. Sans doute quelques congnéganistes.
Montmorency et Polignac par exemple, firent de la politique et même parfois avec
assez d'imprudence mais la Congrégation n'en fit pas. —
Mais, dit-on encore, les

;

congréganistes dirigeaient tout dans l'Etat Il est facile de vérifier cette asser-
I

tion. On a publié la liste complète des congréganistes (Grandmaison, op, cit.,


p. 399-/114). En confrontant cette liste avec les Almanachs royaux de l'époque, on
rencontre dans la fameuse Chambre introuvable, i congréganiste
: dans la ;

Chambre des députés de 1826, 5 dans la Chambre des pairs, 7


; parmi les 85 ;

préfets, ti aux ministères de la justice, des affaires étrangères, de la marine et


;

de la guerre, parmi les directeurs et chefs de division, pas un seul ; à l'intérieur,


I directeur aux finances, i directeur et i chef de bureau dans la garde royale,

; ;

sur 33.000 hommes, 17 congréganistes. On ajoute que les congréganistes


reçurent souvent des faveurs de la part du pouvoir. C'est possible Ils étaient
catholiques, royalistes, et dans l'ensemble bons serviteurs de l'Etat. Rien de plus
naturel qu'ils aient été récompensés. Mais rien de tous ces faits ne prouve que la
Congrégation ait été une association politique occulte.
ÉTAT POLITIQUE, SOCIAL ET RELIGIEUX DU MONDE CHRETIETf 5l

par Napoléon I", sur les instances de son oncle le cardinal Fesch, Les écoles
primaires.
les écoles primaires n'étaient plus soustraites, depuis i8o3, à l'en-
seignement religieux. Non content d'avoir donné aux Frères une
existence légale par son décret de décembre i8o3 (ii frimaire Les Frères
des écoles
an XII), l'empereur avait voulu, dans son décret du 17 novembre chrétiennes.
1808, qui créait en France le monopole de l'enseignement, incor-
porer les Frères à l'Université *. Une telle disposition, il est vrai,

pouvait créer à l'Institut des Frères une dépendance gênante ;

l'esprit libéral de M. de Fontanes, grand maître de l'Université,


l'intervention de M. Emery et la souple énergie montrée par le

Frère Gerbaud, supérieur des Frères, fit échapper la congrégation à


ce danger 2. Le vénéré supérieur, qui avait débuté avec 82 maisons et
160 Frères, laissait

plus de 600 religieux.


en mourant, en 1822, 178 maisons peuplées de

La situation de l'enseignement secondaire


moins satisfaisante. Un
était

des premiers actes de Louis XVIII, en ren-


malheureusement L'en-
seignement
^
secondaire.
trant en France, avait été de faire annoncer par le Moniteur, à la

date du 8 avril 181 4, son intention de supprimer le monopole et de


rétablir la liberté d'enseignement ^, Mais, le 28 j'
'>^ suivant, une Louis XVlïl
maintient
ordonnance royale maintenait « provisoirement > 'université *. Le monopole
\e
i5 février i8i5, une nouvelle ordonnance royale, créant 17 univer- universiuire.

sités régionales, sous la direction d'un Conseil royal, aurait eu pour


effet de relâcher, dans une certaine mesure, l'absolutisme et la cen-
tralisation dans la direction de l'enseignement, si le retour de Napo-
empêché de la mettre en pratique ^. Après les Cent Jours,
léon n'avait
Louis XVIII déclara que les difficultés des temps ne permettaient
pas d'entreprendre une réforme fondamentale dans le régime de l'ins-
truction publique, et rétablit l'Université sur les bases du décret im-
périal de 1808. Du côté de l'extrême gauche, comme du cùté de la
droite, de vives protestations s'élevèrent. « L'autorité, écrivait Ben- Protestations
jamin Constant, peut multiplier de Benjamin
les moyens de l'instruction ; elle ne Constant
doit pas la diriger 6. » La Mennais, deson côté, s'écriait, dans un article et de l'abbé
La Meniuis«

I. Décret du 17 nov. 1808, art. 109.


a. Cl. A, Chevalier, les Frères des écoles chrétiennes et l'enseignement primaire
après la Révolution, Paris, 1887,
P- ^45.
3. Moniteur de i8i4, t. I, p. 889.
4. L. Grimaud, Hist. de la lib. d'ens. en France, un vol. in-S^', Paris, 1898,
p. 110.
5. Ibid., p. 120 lai.
6. Mercury de France, octobre 181
7, p. bg.
53 HISTOIRE GENERALE DE L ÉGLISE

éloquent : « On veut que la raison individuelle soit indépendante de


toute loi, indépendante de Dieu même, et on attribue au gouvernement
le droit d'asservir la raison de la société entière en s'emparant de
Influence l'instruction * ! » Défait, les élèves de l'Université subissaient alors,
désastreuse
de 1 éducation de la part de leurs maîtres, la plupart gagnés à l'impiété, une
universitaire influence généralement fâcheuse, parfois détestable.
* celîe époque.
Lacordaire a raconté dans ses Mémoires combien sa mère mau-
dissait r Université, qui avait ravi la foi à ses fils ^. « Combien, dit
un éminent historien de cette époque, n'avons-nous pas connu de
vieillards quine pouvaient se reporter à leurs souvenirs de collège
sans en parler avec dégoût et indignation s. »
Timides Le gouvernement de la Restauration eut recours à de timides pal-
palliL^fs
apportés liatifs. Non seulement il ferma les yeux sur la rentrée des jésuites
par le dans les petits séminaires, mais il permit à ces établissements de
gouvernement
Je la recevoir tous les élèves qui s'y présentaient en vue d'entrer plus tard
Kestauration. dans les carrières laïques. Ces maisons devenaient ainsi de véritables

collèges. Il laissa aussi se former des pensions religieuses, qui devaient


conduire leurs élèves aux collèges royaux, mais qui éludaient cette

obligation par divers artifices*. Une ordonnance royale du 27 février

182 1 alla plus loin. Elle régla : i** que l'évêque, pour ce qui concerne
la religion, aurait le droit de surveillance sur tous les collèges de son
diocèse (art. 11 4) *» 2° que les maisons particulières qui avaient
mérité la confiance des familles pourraient être élevées au rang de
collèges « de plein exercice » (art. 21, 22, 23) ;
3° que les curés ou
desservants pourraient se charger de former deux ou trois jeunes gens
pour les petits séminaires. Enfin, le i*"" juin 1822, Mgr Frayssinous,
Mgr Frays- évêque d'Hermopolis, fut nommé Grand Maître de l'Université et
sinous
est nommé président du conseil royal de l'Instruction publique. Le savant et
Grand Maître pieux prélat, que ses Conférences de Saint-Sulpice venaient de rendre
de
célèbre, paraissait bien être l'homme de France le plus qualifié pour
l'Université.

« sauver l'institution en l'abritant à l'ombre d'un grand nom ^ ».


Mais il ne se dissimula pas les insurmontables difiicultés de sa tâche.

I, t. 1, p. 687.
Conservateur,
a. « de tristesse traversait le cœur de celte femme bénie, lorsqu'elle
Un nuage
venait à songer qu'elle navait plus autour d'elle un seul chrétien, et qu'aucun de
ses enfants ne pouvait Taccompagner aux mystères sacrés de sa religion
».

3. Thureau-Dangin, les Libéraux et la liberté sous la Restauration, dans le Corres-


pondant du ab mars 1876, p. gSS.
le RIxône, 1901 ; Blrhichos,
4. Chabot et Gharléty, Hist. de l'ens. second, dans
op. cit., t. l'\ p. 79 et s. ; 222-3o5.
5. Hbnrion, Vie de Mgr Frayssinous, t. II, p. 357.
ÉTAT POLITIQUE, SOCIAL ET REMOfEUX DU MONDE CHRETIEN 53

A des amis, qui le félicitaient, il répondit avec tristesse : « La Pro-


yidence a voulu me cliâlier, en m'accablant d'un fardeau au-dessus de
mes forces ; je ne pourrai faire le bien qu'on attend de moi. » Effec-
tivement, l'influence du nouveau Grand Maître devait se borner à
su])primer un certain nombre de scandales. L'esprit irréligieux de
l'Université subsistait dans son ensemble. Le jeune Montalembert, Persistance
de l'esprit
élève au collège de Sainte-Barbe, devait y rencontrer cent vingt
irréligieux
incrédules, et compter trente élèves de sa classe qui affectaient de ne dans le corpf
universitaire.
pas croire à la divinité de Jésus-Christ. Mais la presse catholique
commençait à soulever l'opinion publique. Une lettre ouverte de La
Mennais au Grand Maître, publiée dans le Drapeau blanc, et révélant
de nombreux scandales dans les établissements de l'Université, eut Campa £rnc
ouvert*'
un retentissement immense *. C'était le début de la campagne qui, confr,'
menée, avec des intermittences, jusqu'en i85o, devait aboutir à la le moiiO[»c!e,

seule réforme efBcace, à la liberté de l'enseignement.


Le fait qu'un tel mouvement d'opinion fût possible en iSaS, était

déjà un signe que le voltairianisme n'avait pas complètement desséché


les âmes. Le succès que venait d'obtenir V Essai sur F indifférence

était un autre signe^. 1828, c'était le moment où JoufTroy, réunissant RéaclioT!


parmi
quelques élèves d'élite dans son modeste appartement de la rue du
la jeune-
Four, « leur parlait du beau, du bien moral, de l'immortalité de contre
les idées
l'àmeou de quelque autre de ces vérités, alors presque nouvelles, du voltairienncs.
christianisme ^ » où Vigny, Soumet, Victor Hugo, Nodier for-
;

maient, dans le fameux salon de l'Arsenal, ce premier Cénacle, qui


devait créer le mouvement romantique *. Royer-Collard venait de
signaler aux vieux partis l'avènement d'une < nation nouvelle », et

Guizot avait parlé de « cette jeune génération, l'espoir de la France,


que la Révolution et Bonaparte n'avaient ni brisée ni pervertie ^. »
Un enthousiasme mal réglé devait, bien souvent, entraîner cette géné-
ration nouvelle vers le rêve infécond, vers Tutopie ruineuse, vers
l'action désordonnée ; mais sous ses folles ambitions, sous son libé-
ralisme équivoque, un souffle chrétien, que beaucoup d'entre eux

LAMinifAis, Œuvres complètes, t. "VIIÎ, p. 355. Le Drapeau blanc fut poursuivi


I.
et condamné. Voir son procès dnns la Gazette des tribunaux de 1828. Voir aussi le
Journal des Débats du 3 septembre i8a3.
a Sur le succès de VEssai sur V indifférence, voir Boutard, Lamennais, t. I'*',
p. i54-i56, et Lacordaire, Consid. philos sur le syst. de M. de La Mennais, ch. i.
3. Thureau Dat^giw, Correspondant du a5 mars 1876, p. gôi,
â. Lanson, Hist. de la litt. fr., 7e édit,, p. 926,
5. Thureau-Dargin, op. cit., p. gSS-gSg.
54 HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLISE

devaient, hélas ! bientôt renier, la pénétrait à son insu, et celui qui


nous a laissé le tableau le plus sombre de sa jeunesse flétrie par
l'université ^ Alfred de Musset, devait un jour se faire l'interprète
éloquent de cette génération en jetant l'anathème à Voltaire ^ et en
célébrant l'Espoir en Dieu.

X
Le Un mouvement analogue, pareillement mêlé de rêves plus ou moins
mouvement ambitieux et d'élans sincères vers le christianisme, se dessinait en
religieux
•n Italie. Italie, à Ira mort de Napoléon et de Pie VIÏ.
Le potentat qui venait de disparaître avait laissé sur la péninsule sa
puissante empreinte. En créant ce royaume d'Italie, dans lequel les

divers Etats morcelés de la péninsule tendaient à s'absorber, il avait

Réveil secondé ses tendances vers l'unité, ravivé les souvenirs d'une natio-
du patriotisme nalité endormie, suscité les plus grandes espérances. Mais quand,
italien.
après la chute de l'empereur, l'Italie avait demandé l'indépendance à
ceux qui l'avaient vaincu, ceux-ci lui avaient répondu par un nouveau
partage ; et l'Autriche,non contente de s'attribuer, comme une con-
quête et sans condition, la Lombardie et la Vénétie, s'était hardiment
posée comme la protectrice des pouvoirs absolus contre toutes les
tentatives d'affranchissements. De là était né ce mouvement, fait

Le d'amour pour la patrie italienne et de haine pour les étrangers, que


Bisorgimento. les populations italiennes devaient exprimer par un mot sonore, le
Risorgimento, et traduire par une devise farouche : Fuori i stranieri!^
D'autre part, le saint pontife qui venait de mourir avait,

Au par la grandeur de ses luttes et de ses infortunes, comme par le


point de vue triomphe final de son autorité, jeté sur le Saint-Siège un tel éclat,
religieux,
les patriotes que le peuple italien, moins que tout autre, ne pouvait désormais
italiens négliger ou feindre d'ignorer sa puissance.
te divisent.

I. A. DE Musset, Confessions d'un enfant du siècle, ch. i.


A. Dors-tu content, Voltaire, et ton hideux sourire
Voltige-t-il encor sur tes os décharnés ?
{Rolla, ÎV).
Victor Hugo maudira à son tour :

Voltaire, le serpent, le doute, l'ironie,


..... ce singe de génie
Chez l'homme en mission par le diable envoyé.
{Regard dans une mansarde),
8. « Hors d'ici, les étrangers 1 »
ÉTAT POLITIQUE, SOCIAL ET RELIGIEUX DU MONDE CHRÉTIEN 55

Parmi les patriotes qui se donnèrent pour but la résurrection de


l'Italie, deux partis se formèrent. Les uns, préconisant les mesures
violentes et les principes révolutionnaires, se déclarèrent les ennemis
de la papauté. Ils sont coniius dans l'histoire sous le nom de parti Le parti
révolution-
de la « Jeune Italie ». Mazzini devant être leur chef; les sociétés naire
secrètes, leurs principaux moyens d'action. Les autres, unissant le de la d Jeune
Italie, n
culte de l'Italie à celui du pape, formèrent le parti des « néo-guelfes».
Un des hommes d'Etat qui se donnèrent pour tâche d'en continuer
les traditions, en a fait ainsi le tableau : « Ce parti, brûlant surtout Le parti
catholique
pour la liberté, lisait dans l'histoire qu'elle eut toujours les papes pour (les « néo-
défenseurs. C'étaient eux qui avaient préservé l'Italie, sauvé les restes guelfes ».

de l'antique civilisation et empêché les barbares de prévaloir tout à


fait... Ce parti des néo-guelfes rencontra pour opposants tous ceux
qui regardaient la papauté comme un obstacle à la liberté de l'Italie ;

mais beaucoup de bons esprits et de cœurs droits nourrirent le culte

de cette idée. L'abbé Gioberti fut son représentant le plus fameux. Le


salut de l'Italie, selon lui, était impossible sans le concours des idées
religieuses ; la péninsule ne pouvait êlre libre et forte, si Rome, sou
centre et son chef moral, ne se relevait pas. Si les tentatives poli-
tiques n'avaient pas réussi jusque-là, c'est que, dans ces entreprisest
on n'avait tenu nul compte du clergé et des croyances ; c'est qu'on
avait oublié que la religion est la base du génie italien, que Rome
est sa métropole, que la seule grandeur possible de l'Italie ne peut
résulterque d'une confédération de tous ses Etats, présidée parle
pontife romain * ».

Tel fut du moins le programme que Gioberti donna, dans la suite,


au parti. Il n'était, vers 1820, qu'un mouvement d'opinion, qui
comptait comme principaux représentants : les poètes Alexandre
Manzoni, et Silvio Pellico, le
jurisconsulte Romagnosi, l'économiste
Melchiore Gioja. Manzoni, d'abord mêlé au courant de la philoso- Manxoni
phie incrédule, était revenu, en 1810, à la foi et à la pratique catho- 1785-1873).

liques, et deshymnes religieuses d'un grand mérite, parues en 181 3,


ivaient témoigné dé la ferveur de ses convictions. Son
chef-d'œuvre,
les Fiancés, ne devait paraître qu'en Silvio Pell}C€
1827. Silvio Pellico était déjà
célèbre parle succès de sa tragédie Francesca di Rimini. En (1789-1854).
1819 le
désir de travailler à l'émancipation morale de leurs
compatriotes, et

I. César Cantù, Histoire de Cenl ans (1750-1880), trad. Am. Henée. 4 vol. i
12, Pans, 1860, t IV. p. 339-331.
56 HISTOIRE GENERALE DE L EGLISE

de préparer par là un avenir de bonheur et de liberté pour l'Italie,

inspira à ces hommes la pensée de fonder un journal purement htlé-


raire, le Conciliateur. Mais cette feuille ne tarda pas à causer de
l'ombrage au gouvernement autrichien. En vertu du célèbre arrêté du
^5 août 1820, qui frappait de mort tout membre de société secrète,
et de carcere duro e durissimo quiconque aurait négligé de s'opposer
aux progrès du carbonarisme et d'en dénoncer les membres, les

rédacteurs du Conciliateur furent frappés en masse. Pellico, con-


damné à mort le 21 février 1822, vit sa peine commuée en i5 ans de
carcere duro. Il a raconté ses souffrances dans un livre plein de la
plus pure résignation chrétienne, Le mie prigioni, qui, traduit aussi-
tôt dans toutes les langues, eut pour effet de provoquer de sérieuses
réformes en faveur des détenus. Manzoni, en dehors de ses œuvres
littéraires, s'appliqua à défendre la morale catholique contre les

calomnies de l'impiété. Quant à Gioberti, esprit mobile et sans frein,


il devait plus tard, par ses témérités philosophiques et politiques,
encourir, comme La Mennais, les condamnations les plus sévères de
l'Eglise.

Xi

^® Les chefs du mouvement catholique en Allemagne à cette époque


religieux se firent également remarquer par leurs tendances vers les idées de
•c Allemagne, liberté. (( Joseph Gœrres, Frédéric Schlegel, Charles-Louis de Haller
et Adam Mûller, dit l'historien de l'Allemagne catholique au
XIX* siècle, firent campagne, chacun avec sa méthode, contre l'absolu-
tisme politique et social... Ils cessaient de demander au Moyen Age,
uniquement, des thèmes esthétiques ; ils lui demandaient des leçons
maximes de vie sociale chrétienne *. «
d'architecture politique, des
Gœrres, En 1822, Gœrres, récemment converti, écrivait « Je considère que :

Schlegel,
Haller
l'Eglise n'est nullement subordonnée à l'Etat et aux intérêts de l'Etat...

et Mûller. Et je ne veux pas que la religion soit claquemurée dans le boudoir


du cœur. Elle a trop à faire au dehors ; il n'est pas jusqu'au marché,
aux alentours duquel l'Eglise n'ait un rôle spacieux à jouer 2. » Dans
sa Philosophie de l'histoirCy Frédéric Schlegel repoussait de toutes

I, G. GoTAU, V Allemagne religieuse,- le catholicisme, t. I, p. Sgo,


9. GcEKRBs, Gesamfnelie Briefe, III, p. 34.
ÉTAT POLITIQUE, SOCIAL KT RKLIGIETX DU MO!VDE CHRETIEN ^'J

ses forces « le despotisme, quel qu'il soit, celui de prince ou celui

de la masse », et prônait la constitution d'un Etat chrétien, à base


religieuse « fonde sur une justice pleine d'amour K » Haller, né pro-

testant comme Gœrres et Schlegel, se convertissait au catholicisme

parce qu'il y voyait un principe de régénération pour la société -.


Quant à Muller, ce Bonald allemand, romantique et nuageux, mais
esprit perspicace et puissant, il ne cessait de poursuivre, dans ses
ouvrages et dans ses articles de polémique, deux « idoles maudites » :

celle du droit romain et celle de l'économie politique dite libérale,

qu'il qualifiait nettement d'absolutisme économique. Il prédisait que


ces deux idoles s'écrouleraient, pour faire place au vrai droit chré-
tien 3.

Gœrres, Schlegel, Ilaller et Mtiller étaient des laïques. Dans une


sphère plus strictement religieuse, des prêtres dévoués, fidèles à la
méthode inaugurée au début du siècle par un pieux ecclésiastique de Sailcr
(i75i-i83a)
Westplialie, Overberg, popularisaient l'enseignement catéchistique en
Allemagne *, et un autre prêtre, Sailer, « le François de Sales des
bords du Rhin n, y vulgarisait, en d'innombrables œuvres, les

méthodes de l'ascétique chrétienne et les principes de la vraie piété ^.

L'épiscopat ne devait pas tarder à se mettre en tête du mouve-


ment. Les traités de i8i5 l'avaient dépouillé de ses biens et de sa Régénération
puissance. Les trente-huit princes allemands, à qui les souverains ^® l'épucopak

alliés avaient garanti l'indépendance, avaient refusé de rendre aux


autres princes leur antique souveraineté, aux églises et aux chapitres
leurs anciens droits et domaines ^. Fallait-il voir dans ce fait un
malheur pour l'Eglise ? Un perspicace et judicieux observateur de
l'Allemagne à cette époque, le cardinal Pacca, répond ainsi, dans ses
Mémoires, à la question : « Je n'ose répondre par l'alTirmative. Je
considère que les évêques, privés d'un domaine temporel, qui pou-
vait être très utile au soutien de l'autorité ecclésiastique spirituelle
quand il était appliqué à cet objet, seront désormais plus dociles à la

voix du pontife suprême... Les populations catholiques pourront


contempler enfin, dans les visites pastorales, les visages de leurs

1. Fr. Schlegel, Phil. de l'histoire, trad. Lechat, 2 vol. in 80, t. II, p. iSo-iôg.
2. Haller, Lettre à sa famille pour lui déclarer son retour à VEglise catholique,
.

Paris, i8ai, p. 5.
3 GoYAu, op. ci7.,t, I, p. 380-390.
!i. GoYAU, op. cit.. t. I, p. 25r) 2- fi.
5. Ibid., p. 391-309.
6. Menzel, Neuere Geschichte der Deuts^chen von der Reformation bis zur Bundeg
acte, i4 vol. in-8f», Breslau, i835-i848, t. XII, 3« partie, ch. xxix.
58 HISTOIRE GE?IERALE DE L EGLISE

évêques. Les brebis entendront au moins quelquefois la voix de leurs


pasteurs... Les graves idées du sanctuaire domineront enfin celles de
la milice *. « Le cardinal Pacca voyait juste dans cette austère pau-
:

vreté allaient se former les grandes âmes épiscopales d'un Droste-

Yiscliering, archevêque de Cologne, et d'un Diepenbrock, évêqùe de


Breslau.

Xîi

Le En étudiant l'état religieux de l'Allemagne après i8i5, le cardinal


mouvement
ajoutait aux motifs d'espoir que nous venons de rapporter cette autre
religieux
•n Angleterre. considération, que, par l'effet même de la décadence des sectes protes-
tantes, un grand mouvement de retour à l'Eglise romaine avait été

facilité. Les conversions de Gœrres, de Schlegel et de Haller avaient


été les prémices de ce mouvement. En 1827, une évolution pareille
vers l'Eglise romaine se préparait dans la protestante Angleterre, et
devait avoir pour inspirateur un autre grand converti du protestan-
tisme, John -Henry Nev^man.
L'émiuenl historien de la Renaissance catholique en Angleterre au
XIX" siècle a fait, de la situation religieuse en Grande-Bretagne, pour
la période qui va de i8i3 à 1823, un tableau qu'on nous saura gré
de reproduire.
Dans les années qui suivirent Waterloo,
« la pensée anglaise,
délivrée du gigantesque et périlleux effort qui l'avait absorbée pen-
La situation dant sa lutte contre Napoléon, trouva le loisir d'accorder plus d'at-
religieuse
tention aux problèmes religieux. Elle parut alors partagée, sur ce
après
\Valerioo. sujet, entre deux tendances contraires. Les uns, demeurés sous l'em-
pire des traditions du xviii® siècle et delà Révolution française, se

montraient agressifs ou dédaigneux à l'égard de toute religion révélée


et surnaturelle. D'autres, comme mûris par la grande crise que le

Double monde venait de traverser, se^Uaient le besoin d'un retour au chris-


tendance.
tianisme. Des écrivains secondaient cette réaction, accomplissant en
Angleterre une œuvre analogue à celle de Gbateaubriand en France,
de Gœrres en Allemagne tels, à des titres divers, Walter Scott, Gole-
:

ridge, Wordsworth, Soulhey.


« L'Eglise établie d'Angleterre était-elle en mesure de faire face à

I. Pa.cca, Œuvres complètes^ t. Il, p. 444»

{
ÉTA.T POLITIQUE, SOCIAL ET RELIGIEUX DU MONDE CHRETIEN 69

celte hostilité et de satisfaire ce besoin ? Personne alors ne le croyait. Décadence


de r (' Epliêe
Les évoques, choisis par faveur politique, vivaient somptueusement, établie a.
presque toujours hors de leurs diocèses, où ils ne se montraient que
pour présidera quelques rares cérémonies, hes clergymen, la plupart
cadets de bonne famille, sans soupçon d'une vocation d'En haut, se

préoccupaient d'obtenir et même de cumuler de fructueux bénéfices.


Quelques-uns avaient conservé le goût des études classiques. Les
meilleurs s'appliquaient à mener une vie qui fût, pour user de deux
mots courants outre-Manche, respectable et confortable. Rien de
surnaturel aucun souci de l'invisible peu de piété et de ferveur
; ; ;

encore moins d'ascétisme et de mysticisme. Au fond, l'Eglise parais-


sait être moins la gardienne d'un ensemble de croyances qui s'impo-

saient à la raison et liaient la conscience, qu'un « établissement »


lié étroitement à l'Etat et en ayant reçu des privilèges politiques et de
grandes richesses... Un effort avait été tenté pour ranimer la vie reli-

gieuse éteinte dans l'anglicanisme : c'était le mouvement evangelical, Le


mouvement
plus ou moins inspiré du méthodisme. Là où son influence avait evangelical.
pénétré, il avait réveillé la piété individuelle mais, quoique son ;

origine ne remontât guère qu'à cinquante ou soixante ans, il com-


mençait à donner des signes de déclin ; sa vertu bienfaisante semblait
épuisée... Où aller? Où trouver ce renouveau religieux que les âmes
attendaient P Etait-ce auprès de l'école dite « libérale », qui
régnait, vers 1820, à Oriel-College, le plus renommé alors des
collèges d'Oxford ? Mais, sous la plume des chefs de cette école,
les Pères n'étaient plus que « certains vieux théologiens » ; la partie

dogmatique de la religion était au moins « minimisée ». Au lieu de


fortifier la religion, les « libéraux » en ouvraient la porte à la libre-
p usée )) *.

« Ce ne fut pas un livre de théologie qui contribua alors le plus The


ChristianYear
efficacement à ramener les anglicans vers les conceptions religieuses si
de K«Ue.
oubliées un volume de vers. L'auteur de ce livre était un curé de
; ce fut
village, John Keble... Dès 1819, il avait pris l'habitude d'épancher

les sentiments qui débordaient de son âme en composant de courtes

hymnes. C'était comme un encens qu'il aimait à faire monter vers le


ciel. Peu à peu, son recueil s'étendit, etil se trouva bientôt avoir écrit

des cantiques pour chaque dimanche et pour chaque fête, ainsi que

1. Thureau-Dangin, la Henaissance catholique en Angleterre au XIX siècle, 3 vol,


ân-80, Paris, 1899, t. I, p. 1-9.
SO mSTOTRE GÉ'HÉRALE DE l'ÉGUSE

pour les principaux actes de la vie chrétienne. Des amis, ayant eu


connaissance de ces petits poèmes, ne se résignaient pas à les voir
demeurer sous le boisseau *. »)

John Henry Le livre ne devait paraître qu'en 1827 sans signature, sous ce
Ncuinan
(1801-1890).
titre : The Christian Year. A cette date, le mouvement de renaissance
religieuse avait un autre représentant en la personne d'un jeune
vicaire de la paroisse de Saint-Clément, à Oxford. Ce jeune ecclé-
siastique s'appelait John-Henry Newman. « Né en 1801, fils d'un
banquier de Londres, il avait reçu de sa mère, qui descendait de
huguenots français, une éducation religieuse tout imprégnée de cal-
vinisme. Ecolier précoce, il a seize ans à peine quand, en décembre
18 16, il est admis dans Trinity Collège, à Oxford... Dès cette
époque, il a une vie intérie;pre intense, s'absorbe volontiers dans la
méditation des choses invisibles, cherche avec ardeur et avec angoisse
à faire le bien et à connaître levrai^. » Un moment il subit l'influence
du libéralisme, alors puissante dans l'Université. Mais l'attachement
«qu'il professe déjà pour les anciens Pères, l'étude qu'il en fait, lui

Sont une sauvegarde. <( Avec leur indépendance d'esprit un peu capri-
'cieuse, les Orlelmen se trouvaient parfois mêler à leurs thèses libé-
rales quelques autres à tendance catholique : c'était celles auxquelles
Newman s'attachait de préférence et qu'il retenait le mieux 3. » On
raconte qu'un de ses amis, en l'entendant exprimer ses idées théolo-
giques, lui disait souvent : « Ah ! Newman, cela vous conduira à
l'erreur catholique ».

Etat clu John Newman souriait tristement à de pareilles prophéties. Le


catholicisme
catholicisme,' tel qu'il se présentait alors en Angleterre, n'avait rien
ta Angleterre.
pour attirer un esprit
. ,.
d aussi riche
. • 1
et
,11
noble culture. INewman
xt 1
lui-

même nous a laissé un tableau saisissant de ce qu'était l'Eglise catho-

lique en Angleterre de i8i5 à 1828 : « En réalité, il n'y avait pas


d Eglise catholique ; il n'y avait plus même de communauté catho-
lique, mais un petit nombre d'adhérents à la vieille religion, passant,

silencieux et tristes, comme un souvenir de ce qui avait été. Ici,

c'était une bande de pauvres Irlandais, allant et venant au temps de


la moisson, ou une colonie des mêmes dans un quartier misérable

de la grande métropole ; c'était une maison de vieux style, desombre

Thurea.u-Da.ngih,
I. la Renaissance catholique en Angleteire au XIX^ siècle, t. I,

p. 10-12.
•2. Jbid.^ p. 18-19,

3. Ibid., p. a4.
.

ÉTAT POLITIQUE, SOCIAL ET RELIGIEUX DU MONDE CHRÉTIEIf 6l

apparence ; on racontait que là vivaient des catholiques romains ;

mais ce qu'ils étaient, ce qu'ils faisaient, ce qu'on voulait dire quand


on les appelait callioliques romains, nul n'aurait pu l'expliquer ; on
savait seulement que cela sonnait mal et parlait de formalisme et de
superstition... Finalement, ils étaient devenus si faibles, ils étaient
tombés si bas, que le dédain avait lait place à la pitié » ^

Tel était le catholicisme en Angleterre dans le premier quart du


XIX* siècle. On conjecture qu'il ne comptait pas plus de 160.000
adhérents * ; à la fin du siècle, il en comptera, dans la seule Angle-
terre, en dehors de l'Irlande et de l'Ecosse, environ i.5oo.ooo ; on
verra des cardinaux siéger, à côté des prélats anglicans, dans les
cérémonies publiques ; la statue de l'un d'eux s'élèvera à Londres,
sur le terre-plein de l'église de l'Oratoire ; et le principal instru-
ment de la Providence dans ce merveilleux mouvement de renaissance
catholique aura été John-Henry Newman.

I. Nbwma.5, Occasional sermons, The Second Hnring, prêché à Oscotl le i3 juillet


i85a.
a. i6i(i.,p. u.
CHAPITRE II

LÉON XII

(1823-1829)

Siluation Au lendemain du congrès de Vienne, où les souverains alliés


troublée
du monde
avaient prétendu faire une œuvre de pacification politique, sociale
po!t[i ;iie comte Joseph de Maistre écrivait « Il y a encore
et religieuse, le :
'

et rcligii'n
beaucoup d'éléments incendiaires en Europe ^ » Cette assertion,
en i8a3.
émise le 11 avril 181 5, était plus vraie encore en 1823. Nous avons
vu comment, aux causes de troubles politiques, apportées par le fait
même d'une « adjudication de souverainetés pour de simples raisons
de convenance » ^, étaient venues se joindre des causes de troubles
sociaux et religieux, dont les partis extrêmes du socialisme, les
sociétés secrètes, la presse, et ces mouvements complexes, équi-
voques, qui se produisaient, dans tous les domaines, sous les noms
de romantisme et de libéralisme, étaient les plus apparentes manifes-
tations.
Le congrès Joseph de Maistre n'était pas loin de penser que le célèbre congrès
de Vienne
porte-t-il
portait la responsabilité de tous ces troubles ^. Ce qui est certain au
quelque moins, c'est que cette « fédération de couronnes», qui venait de
responsabilité
de cette
remanier à son gré les nations de l'Europe, avait suscité aussitôt
situation P contre elle une réaction qui, sous le nom de libéralisme et de na-
tionalisme chez les peuples, de « zélantisme » à la cour romaine,
n'avait pas désarmé. Le a parti des couronnes » et le parti des
Zelanti allaient partager le conclave au moment de l'élection du suc-
cesseur de Pie VIL

1. J. DB Majstrb, Lettres et opuscules, 2 vol. in-ia, Paris, a« édit., i853, t« I,

p. SaD.
2. Ibid.
(( Il j a de même
3. passé en maxime que Ton peut priver une nation, malgré
de son légitime souverain. Voici la première conséquence, directe et inévitable :
elle,
donc on le peut, à plus forte raison, si la nation le demande. Mais si la nation
peut fi' ire juger son souverain, pourquoi ne pourrait-elle pas le juger ? » (J. di
M.VISTRB, lûc. cit.)
.

LEON XII 63

Le parti des Zelanti n'apparaissait pas pour la première fois dans Le parti
des Zelanti
l'histoire des conclaves. Compose des cardinaux qui se donnaient au conclavd
pour tâche de ne considérer, dans leur choix, que l'inlérêt de la de i8a3.

puissance ecclésiastique, il était intervenu activement, au xviii' siècle,


dans les élections d'Innocent XIII, de Benoît Xlïlet de Benoît XïV ;

mais jamais peut-être il ne s'était proposé un but plus nettement


déterminé qu'après la mort de Pie VII. Son objectif était de se mon-
trer inflexible envers les prétentions des Etats alliés, qui, après avoir Son objectif.

réglé le sort politique des nations de l'Europe en i8i5, prétendaient,


en 1823, influencer l'élection du chef de la chrétienté. Les Zelanii
avaient un candidat, le cardinal Severoli, évêque de Viterbe, ancien Son candidat,
le cardinal
nonce à Vienne. C'était, au fond, un homme tranquille, à qui on Severoli.
avait fait, un peu à la légère, une réputation de sévérité opiniâtre. Le
« parti des couronnes », soutenu par les cours de Vienne, de Paris Le (( parti
des
et de Naples, mettait en avant le cardinal Castiglioni, évêque de
couronnes ».
Frascati, prélat pieux et savant, très estimé pour la douceur de son
caractère, mais en qui l'on découvrait plutôt la bonté du pasteur et Son candidat,
le cardinal
la patience du martyr que l'initiative et l'activité du lutteur.
Castiglioni,
Parmi les membres du Sacré Collège, il en était un vers qui les
regards de tous se portaient, non que personne eût songé à mettre Le cardinal
Consalvi.
son nom en avant pour mais parce qu'on savait que sa haute
la tiare,
Son influence.
influence pouvait, suivant l'orientation qu'elle prendrait, déterminer
du nouveau pape
l'élection c'était le cardinal Consalvi. L'ancien
:

négociateur du concordat français, le diplomate qui avait obtenu au


congrès de Vienne la restitution des Etals pontificaux ', pensa qu'une
altitude tranchée d'opposition à l'égard des souverains, était, dans
les circonstances, intempestive, et se rallia au « parti des couronnes » Il se rallie
au « parti
Il y entraîna plusieurs esprits sages et modérés, qui suivaient sa
des
politique. Mais l'ancien secrétaire d'Etat, l'homme qui avait tenu couronnes 9,

une place si importante sous le précédent pontificat, comptait des


adversaires irréductibles. La plupart étaient des esprits absolus,
intransigeants. Ils lui reprochaient amèremenlde faire trop de place,

I. Sur le rôle très important de Consalvi au congrès de Vienne, voir le P. Ri-


ifiBRi, n
congresso di Viema e la Santa Sede, Délia diplonaazia pontificale nel
secolo XIX, t. IV, Rome, 1904.
64 HISTOIRE GENERALE DE L ÉGLISE

dans sa politique, aux combioaisous diplomatiques, et allaient jus-


qu'à lui faire un donné à l'administration des Etats
grief d'avoir
romains une réputation plutôt mondaine qu ecclésiastique. On mur-
Ses murait que, s'il avait finalement sauvé la barque de Pierre, c'était
adversaires
lui qui l'avait
d'abord poussée à l'abîme. Bref, ces ennemis de la poli-
•e rangent
du côté tique de Consalvi se rangèrent en bloc dans le parti des Zelanti.
des Zelanti.
Leur démarche parut assurer l'élection de Severoli, qui, au premier
scrutin, dans la matinée du 21 septembre 1828, obtint vingt-six
voix. Etant donné le nombre des cardinaux présents, les deux tiers
exigés pour la validité de l'élection étaient de trente-trois voix. Tout
L'Autriche faisait prévoir que ce chiffre serait atteint au scrutin de la soirée. Mais
prononce
Vexclusive
les Au début de la séance du
puissances veillaient. soir, le cardinal
contre Albaui donna lecture d'une note ainsi conçue a : En ma qualité
SevuroU.
d'ambassadeur extraordinaire d'Autriche près le Sacré Collège, et,
de plus, en vertu des instructions qui m'ont été données, je remplis
le rôle, déplaisant pour moi, de déclarer que l'impériale et royale
cour de Vienne ne peut accepter pour souverain pontife Son Emi-
nence le cardinal Severoli, et lui donne exclusion formelle. »

Effet L'effet produit par ce coup de théâtre ne fut pas précisément celui
de cette
démarche.
que la cour de Vienne attendait. Cette hautaine intervention de
l'Autriche exaspéra les cardinaux italiens. Le candidat des Zelanti
se trouva écarté ; mais celui des couronnes, Castiglioni, qui avait
obtenu dix-sept voix au scrutin de la matinée, n'en obtint que huit
au scrutin du soir. Il fallait choisir un nouveau candidat.
Dans de pareilles conjonctures, on avait vu parfois les voix se
réunir sur le nom d'un vieillard, dont le court pontificat servirait
de préparation à un accord définitif. Un calcul de ce genre entra-
t-il dans l'esprit de quelques électeurs } C'est possible. Des considé-
rations plus directes semblent avoir inspiré la majorité des cardi-
Election naux, lorsque, le 28 septembre, ils élurent, par trente-quatre voix,
du cardinal
délia Genga
le cardinal Annibal délia Genga, âgé de 63 ans seulement, mais
(28 septembre dont les infirmités faisaient un vieillard *. Tous s'accordaient pour
i8a3).
reconnaître la valeur de ses talents, le sérieux de ses vertus. Les
anciens se rappelaient comment, un jour. Pie VI, faisant l'inspection

de l'Académie ecclésiastique, avait été frappé des réponses nettes

Voir les détails du conclave de i8a3 dans Artavd db Montor, Hist. de Léon XIl^
I.
t. p 26-79, ^^ ^^"* Terlihdbn, le Conclave de Léon XII, Revue d'histoire ccclé'
I,

siaslique, 1918, t. XIV, p. a72-3o3.


LÉON XII 65

et précises du jeune Annibal, et l'avait fait, séance tenante, camé- Notice


• ^ , .
1 !•' • j 1' •
f 'u 1
biographique
ner secret. On n avait pas oublie le souvenir de
I
1 oraison tunebre de °
g^j.

l'empereur Joseph II, prononcée, en 1790, dans la chapelle Six- le nouvel élu

tine, en présence du Sacré-Collège, par l'éloquent prélat. La tâche


était des plus ardues. Il s'agissait de juger un souverain dont le règne
avait été, à bien des égards, funeste à l'Eglise, sans blesser le cabi-
net d'Autriche et sans trahir la vérité. Par l'élévation, la mesure et
la gravité de sa parole, l'orateur avait su éviter les écueils d'un pareil
sujet. Les esprits les plus difficiles en avaient témoigné leur satisfaction.
Le titre d'archevêque de ïyr, conféré, peu de temps après, à
Mgr Délia Genga, des nonciatures importantes à Lucerne età Cologne,
plusieurs missions diplomatiques des plus délicates qui lui furent
confiées en Allemagne et en France, son élévation à la pourpre en
1816, et sa nomination à la charge de cardinal-vicaire en 1820,
avaient consacré sa réputation d'administrateur prudent et éclairé.

D'autre part, la ferveur de sa piété semblait croître avec la grandeur


de ses fonctions. Plus d'une fois, sa santé chancelante avait semblé
mettre obstacle à son ministère. Après l'enlèvement de Pie VI, il

s était retiré dans l'abbaye de Monticelli, au diocèse de Fabriano,


dont le Saint-Père l'avait pourvu, et y avait fait bâtir son tombeau,
l^ersuadé qu'il finirait ses jours dans cette retraite. A plusieurs re-
prises, il y était revenu, pour y attendre en paix, disait-il, le juge-
ment de Dieu. Le devoir seul l'avait arraché à ce repos. Au moment
où une mission plus grave que toutes celles qu'il pouvait redouter
lui était imposée, il crut pouvoir objecter son état maladif. Quand le

cardinal camerlingue Pacca lui demanda, suivant la formule d'usage,


s'il acceptait Télection faite de lui pour souverain pontife : a N insis-
tez pas, répondit-il ; vous élisez un cadavre. » Les protestations
qui s'élevèrent autour de lui l'interrotnpirent. Se tournant alors '

vers le cardinal Castiglioni, dont Pie VII avait prononcé le nom sur H choisît

son lit de mort « Pourquoi, dit-il, n'avoir pas suivi le vœu du


:
^^ l^^^ ^h
pape défunt ? » Puis, comme pour réserver à Castiglioni le soin
de prendre plus tard le nom de Pie VIII, ainsi qu'il arriva
en etfet, le nouvel élu choisit, en souvenir de la bienveillance
que le pape Léon XI avait manifestée à sa famille, le nom de
Léon XII.
Maigre, de haute taille, le visage décharné, le teint blême, la dé- Son portrait
marche chancelante, a Léon XII, dit un témoin de sa vie, avait
l'air d'un homme qui relève d'une maladie, mais pour se remettre
llisl, i'.M.. de l'E-lise. — VIII 5
66 HISTOIRE GENERALK DE L EGLISB

sur son lit de mort ^ » Les traits de son visage étaient habituellement
impassibles. Cependant, au rapport d'un autre témoin, « ses souf-
frances devenaient parfois si aiguës, que sa seule présence inspirait
la compassion et l'effroi ^. » « Mais son regard et sa voix compensaient
le y avait dans sa physionomie une douceur et une péné-
tout. II

tration qui lui gagnaient de prime abord l'affection, tout en mainte-


nant le respect. Sa voix avait une politesse caressante et persuasive.

Il portait enfin, dans tous ses mouvements, et surtout dans les


fonctions sacerdotales, une grâce majestueuse et simple et un air de
piété si profonde, que son être entier paraissait absorbé par la
eérémoiiie qu'il célébrait ^. »

II

La faible santé du nouveau pape n'était pas la seule des difficultés


qu'il allait rencontrer dans Taccomplissement de sa haute mission.
Premières Après les vives agitations du conclave, ces difiQcultés pouvaient lui
difficultés.
survenir, soit du parti qui l'avait combattu et dont les antipathies

menaçaient de survivre à son élection, soit du parti qui l'avait élu et

qui voudrait peut-être le tenir sous sa dépendance, soit des grandes


puissances, qui étaient intervenues si avant dans Taffaire du con-
clave et qui risquaient de faire sentir leur contrôle dans le gouver-
nement d'un pape dont l'élection les avait tant préoccupées.

Jusqu'au dernier scrutin inclusivement, le cardinal Consalvi était


Sikiation resté fidèle au candidat des couronnes. Le puissant homme d'Etat
particulière-
dont la haute personnalité dominait tous les membres du Sacré-
ment
délicate Collège, et dont les relations s'étendaient partout, allait-il chercher
à l'égard
à faire prévaloir une politique personnelle, entraver l'œuvre du suc-
du cardinal
Consalvi. cesseur de Pie VII ? L'élévation de caractère du grand diplomate
ne permettait pas de prêter à sa personne un pareil projet ; mais son
parti, quoique très réduit, était actif et habile ; et le groupe des

I . Gard. Wiseman, Souvenirs sur les quatre derniers papeSy trad. Gobmare, un
vol. in-8^, Bruxelles, i858, p. 199.
3. Artaud de Montor, Hist. de Léon XII, 2 vol. in-80, Paris, i843, p. 18.
3 WisEMAN, op.
y
aia-ai3.
cit. p. —
Le portrait le plus authentique de Léon XII
est celui qui a été peint par Giorgiacomo et gravé par Lepri {Roma^ calcograplùa
R. G. A.). Au lendemain de l'éleclion de Léon XII, un éditeur parisien, pressé de
publier un portrait du nouveau pape, ne trouva rien de mieux que de reproduire
le portrait de M. Olier, peint par Strésor et gravé par Boulanger, et d'y insérer le
nom de Léon XII. On peut en voir des exemplaires au Gabinet des Estampes.
LÉON XII 67

Zelantiy dont le cardinal Délia Genga avait fait partie avant son
élection, qui le considérait comme son élu, avait déjà fourni, par les

exagérations et les rancunes de quelques-uns de ses membres, des


prétextes à des représailles qui pouvaient atteindre la politique et la
personne du nouveau pape. On n'avait pas oublié, d'ailleurs, et

quelques-uns exploitaient déjà avec malignité, un incident regret-


table, qui, au cours d'une mission diplomatique de Mgr Délia Genga
à Paris, en i8i4> l'avait mis aux prises avec le cardinal Consalvi *.

Mais les fauteurs de troubles qui spéculaient sur de tels antécédents


connaissaient mal le grand esprit chrétien qui animait également le

pape et le cardinal. Leurs calculs ne tardèrent pas à être déjoués.


Le jour même de l'intronisation du pape, une messe solennelle Noble
et chrétienne
fut célébrée à Saint-Pierre, dans laquelle le cardinal Consalvi devait, attitude
en qualité de diacre, présenter au pontife le calice et l'hostie. L'his- du pape et du
torien de Léon XII, qui assistait à la cérémonie en sa qualité de ^^^ ^ou/mêmo
membre du corps diplomatique, nous dit qu'au moment où le cardi- de
*" ronisa ion
nal s'avança vers le pontife, tenant dans ses mains le calice élevé, de
tous les points du vaste édifice, et particulièrement des tribunes où
se pressaient les princes et les ambassadeurs, des regards curieux se
fixèrent sur les deux officiants, épiant, non sans malice, quelle atti-
tude allaient garder, même dans cet instant si solennel, le ministre
d'hier et le pontife d'aujourd'hui Mais toutes ces malignes curio-
2.

sités furent déçues. « Ma mémoire, écrit un autre témoin de la


scène, le cardinal Wiseman, ma mémoire me représente encore
cette scène sublime. Calme, digne et recueilli, l'ancien ministre,
aujourd'hui simple diacre, s'avançait, inconscient des milliers de
regards fixés sur lui, tout entier aux fonctions religieuses qu'il rem-
plissait. De la main de son humble ministre, le pape prit la coupe
de la très sainte charité. Leurs visages se rencontrèrent dans le baiser
de paix. L'œil le plus pénétrant eût cherché en vain à y surprendre
le moindre reflet d'un sentiment humain. Selon le rite usité à la
messe pontificale, le serviteur trempa ses lèvres au même calice que

I. En 1 8 14, tandis que Consalvi était accrédité auprès de tous les souvcraint
réunis à Pans, un parti politique peu favorable au cardinal avait fait donner
à
Mgr Délia Genga, alors archevêque de Tyr, une mission auprès de Louis WIII.
Consalvi. blessé du procédé, dans lequel il vit une marque de méfiance à
son
endroit, se laissa aller à des paroles vives, dirigées contre
le prélat (Artaud, op. cit.,
i. l, p. i5 16). Cl. P. RiNiERi, Missione a Parigi di Monsignor Délia Genga t dd
cardinale Consalvi [maggio iSlù) Civiltà cattolica, 18c 1902, série, t. VI, p. 27a-

a. Artaud de Mohtoh, op. cit., t. I,


p. 85-86.
68 HISTOIRE GENERALE DE L ÉGLISE

soD maître. Dès cet instant nul ne put plus douter qu'ils ne fussent
unis par le plus sacré des liens *. »

Des événements ultérieurs ne tardèrent pas à confirmer cette


impression.
Importante Les pouvoirs de premier ministre, confiés à Consalvi, avaient pris
entrevue
de Léon XII fin avec la mort de Pie VII, de qui il les tenait. Accablé par l'âge
et et par les infirmités, le cardinal demanda au nouveau pape l'autori-
de Consalvi.
sation de se retirer dans sa villa de Porto d'Anzio, pour y passer ses
derniers jours dans la retraite. Mais Léon XII ne voulut pas se pri-
ver des conseils du grand homme d'Etat. Avant de s'engager à fond
L'ancien dans une politique dont il comprenait les multiples difficultés, il
secrétaire
d'Etat voulut prendre l'avis de l'ancien conseiller de Pie YII. Vers la fin du
de Pic VII mois de décembre de i323, au sortir d'une crise douloureuse qui
communique
au pape avait failli compromettre sa vie, il manda auprès de lui le cardinal,
ses vues qui, malade lui aussi, dut se faire transporter dans les appartements
sur le
gouvernement pontificaux. L'entrevue fut touchante, et la conversation prit aussi-
de l'Eglise. tôt un caractère élevé. Interrogé par le pape, Consalvi lui communi-
qua, en toute liberté et simplicité, sa manière de voir sur les princi-
pales questions qui intéressaient le bien de l'Eglise. Deux des tâches
les plus urgentes, selon lui, étaient de se préoccuper sérieusement des
menées du carbonarisme, et de préparer, pour 1826, un grand jubilé,
qui ferait venir à Rome deux cent mille témoins pour y
« cent,

voir un pape libre dans sa capitale ». Le pape devait aussi, selon


Consalvi, se préoccuper beaucoup de l'émancipation des catholiques
d'Angleterre et de la protection des catholiques dans les jeunes répu-
bliques de l'Amérique méridionale, sans tenir compte, sur ce dernier
point, des protestations de l'Espagne. A son avis, il fallait se méfier
des négociations entreprises en Russie pour l'union des Grecs aux
Latins, parce que cette union était trop envisagée par les Russes du
point de vue de leur autonomie religieuse. En revanche, il importait
beaucoup de se rapprocher de la France, d'y nouer des relations
cordiales avec le roi, et de se lier intimement, dans la mesure oii on
pouvait le faire sans ofi'enser Louis XVIII, avec son frère le comte
d'Artois, qui paraissait mieux disposé envers l'Eglise^.

WlSEMAN, op. Cit.f p. 217-218.


I.
Voir un compte rendu détaillé de cet entretien dans Artaud de Montor
a.
{Hist. de Léon XII, t. I, p. 166-171), qui déclare en tenir les principaux traits du
duc de Laval, ambassadeur de France, de la duchesse de Devonshire, et enfin du
pape Léon XII lui même (op. cit., t. I, p. 166, note aj.
LEON XTI 69

Au sortir de son entretien, le pape était dans l'admiration. «Quelle Léon xn


fait
conversation 1 disait-il au cardinal Zurla. Jamais je n'ai eu avec
de ces xues
personne de communication plus importante, plus substantielle, son
programme.
plus utile. Quel homme que ce Consalvi ! Et que Pie VII a été

heureux de l'avoir pour ministre 1 Désormais, nous travaillerons


souvent ensemble. » « Seulement, ajouta-t-il, il ne faudrait pas
mourir aujourd'hui *. »
Consalvi venait, en effet, de donner à Léon XII tout un pro-
gramme de gouvernement, établissant une continuité avec celui de Mort
de Coiisalri
Fie YII. Peu de temps après, le grand cardinal succombai taux atteintes
(1824).
delà maladie qui le minait depuis quelque temps, et sa mort modi-
fiait sensiblement la situation politique autour du Saint-Siège, Cette
mort enlevait au parti des couronnes le chef dont il aimait, avec
plus ou moins de raison, à se prévaloir ; et, d'autre part, elle ôtait
sa principale force à la faction des Zelanti^ qui se recrutait sur-
tout parmi les adversaires personnels de l'ancien ministre. Les deux Modification
des parlis.
partis restèrent en face l'un de l'autre, mais en se modifiant. La
faction zélantiste se composa surtout désormais des hommes portés
vers une politique d'absolutisme et d'intransigeance, et l'adhésion Le parti
des Zelnnti
de plusieurs hommes d'Etat français et autrichiens en fortifia la se recrute
puissance. La faction opposée compta surtout les partisans des idées surtout
désormais
modérées ; l'héritage de considération laissé par le cardinal Consalvi
parmi les ami*
fut sa principale force , mais elle resta une minorité. Dès lors, les des idées
intran-
Zelanli, toujours obstinés à considérer le pape comme un des leurs, sigeantes.
tout au moins comme leur élu, chercheront à le dominer, et ces ten-
tatives de sujétion ne seront pas le moindre embarras du pontificat Il cherche
àdominer
de Léon XII. /
Léon xn.
Au lendemain de l'élection de Léon XII, un observateur perspicace
écrivait « Les partis s'efforcent, par toutes sortes de moyens, Attitude
:
d" éle-
circonspecte
ver aux places les hommes de leur choix ; mais, une fois parvenus, du pape.
ceux-ci trouvent un horizon qui les éclaire de nouvelles lumières. Ils
voient avec de nouveaux yeux, et gouvernent avec de nouvelles vues.
Des amis surviennent alors, et les excitent. Un honnête homme, en
pareil cas, est affligé, mais n'est pas embarrassé du choix qu'il doit
faire. Voilà l'avenir de l'histoire du pape que nous avons aujour^
d'hui -. »

1. Op. cj7., p. 171 i-ja.


2. Artaud, op. cit., p. ii5.
70 HISTOIRE GÉNÉRALE DK l'ÉGLISE

II se dégage Le pronostic se réalisa point par point. La première manœuvre


de la sujétion
de la (( Con-
du parti avait été d'obtenir du nouveau pape, quelques heures à peine
grégation après son élection, et sous prétexte de soulager sa santé défaillante,
d'Etat»,
qu'on
la constitution d'une « Congrégation d'Etat », composée de cardi-
voudrait naux pris dans les trois ordres et oiî l'on avait eu soin de ménager
lui imposer.
une foile majorité de Zelanti. Mais, peu de temps après, Léon XII,
voyant le piège, déclara : 1° que les séances de la Congrégation ne
seraient pas périodiques, et 2" que, dans tous les cas, les affaires

importantes seraient préalablement examinées et rapportées par le

Il est secondé, secrétaire d'Etat. Puis le secrétaire d'Etat lui-même, cardinal Délia
dans
Somaglia, notifia, avec une sorte de publicité, au corps diploma-
cette politique,
par tique, que la susdite Congrégation n'était pas un Conseil d'Etat,
ion secrétaire
qu'elle ne serait qu'une assemblée consultative, et qu'on y appelle-
d'Etat,
le cardinal rait, dans les occasions, tels et tels autres cardinaux que ceux qui en
Délia
Somaglia.
faisaient officiellement partie. « Toutes ces explications, dit un rap-
port diplomatique du 2 décembre 1828 adressé au vicomte de
Chateaubriand, alors ministre des affaires étrangères, toutes ces
explications furent données du ton d'un homme qui était aussi jaloux
de son autorité ministérielle qu'aurait pu l'être Consalvi *. »
De semblables tentatives de domination se renouvelèrent. A Rome,
le cardinal Severoli, poussé par la faction dont il avait été naguère
Autres le candidat, abusa de la confiance que la chevaleresque générosité
tentatives
de domination
de Léon Xll lui accordait, pour faire prévaloir les idées et les ran-
ou d'entraves. cunes zélantistes. Le pape dut mettre fin aux agissements de ce com-
promettant collaborateur 2. En France, les partisans du comte d'Ar-
tois, généralement plus dévoués à la cause catholique que les gens
de l'entourage du roi, mais qui comptaient parmi eux nombre d'es-
prits exagérés et bruyants, lièrent partie avec les Zelanti de Rome,
De concert avec ces derniers, ils entreprirent d'indisposer le pape
contre la politique de Louis XVIII, qu'ils lui représentèrent comme
systématiquement inspirée par des sentiments d'hostilité envers le

Saint-Siège et le catholicisme. L'attitude du gouvernement de la

Restauration n'était pas, nous l'avons déjà vu, à l'abri de tout


reproche ; mais les faits sujets à critique furent grossis, dénaturés,
généralisés par l'esprit de parti. Léon XII fut d'autant plus peiné de

ce qu'on lui raconta, que le roi de France, au lendemain même de

1. Artaud, I, iSa.
2. Id., I, 336-337.
LEON XIT 71

son avènement au siège de saint Pierre, l'avait assuré de son désir Trompé
par quelque»
« d'accroître le bien de noire sainte religion » et « de perpétuer esprits

l'honneur du Saint-Siège » ^ De pareils actes, après de semblables exagérf^s,


Léon XH
déclarations, ne constituai.ent-ils pas une odieuse hypocrisie ? Ne écrit

pouvant contenir en lui-même son émotion, Léon XII écrivit le à Louis xvin
une lettre
4 juin 1824, et fit aussitôt parvenir au roi Louis XVIII une lettre d'une excessive
où, après lui avoir reproche de « ne pas protéger suffisamment le Revérité.

clergé catholique », de laisser « subsister une législation offensant


la religion sous de nombreux rapports», de remellre en vigueur les
appels comme d'abus, d' « assimiler les temples protestan s aux
églises », et de « craindre la trop grande influence du clei ré »,

tandis qu' « une foule d'écrivains lançaient impunément leurs tiaits

contre la religion », il l'invitait à u choisir pour ses coopérateurs Jes

hommes éprouvés par leurs talents politiques comme par leur


piété » 2.

Cette lettre parvint à la cour de France « comme un coup de Irrilatioa


du roi
foudre » ^. Le passage où le roi était invité à choisir d' « autres col- de L ranc«
laborateurs » fut regardé comme une insulte, insulte d'autant plus
gratuite, disait-on, que le ministère visé par la lettre du pape était

celui que présidait M. de Villèle, et que ce ministère sélait surtout


signalé par sa lutte contre les libéraux. Par une lettre du 20 juillet

1824, le roi de France témoigna, d'un ton aigri, « sa surprise de


l'inexactitude des rapports que Sa Sainteté paiaissait avoir reçus de
France, et qui, dictés par un zèle imprudent et peu éclairé, avaient
trompé la religion du Saint-Père sur le véritable état des choses * ».

Une crise redoutable était S'jr le point de s'ouvrir. Il était à craindre Danger
de
qu'un Etat étranger ne profitât d'un conflit entre Paris et Rome pour la situation.
prendre la place de la France dans ses relations avec le Saint-Siège.
Les diplomates français et les diplomates romains comprirent en
même temps ce que l'une et l'autre y pouvaient perdre. Le chargé
d'afl'aires français qui joua le principal rôle dans l'apaisement de ce
diflérend s,
nous a laissé le récit ému des démarches qui aboutirent

I. Lettre de Louis XVIII à Léon XII, en date du i4 octobre iSaS (^Artaud, I,


io0-ic)7>
a Voir le texte entier de la lettre dans Artaud, I, 234, a3q.
3. Ibid.. I, 3ai.
A. Ibid., I, 3o6.
5. En l'absence de l'ambassadeur, qui était le duc de Laval-Montmorency, le
chc\alier Artaud de Montor, premier secrétaire d'ambassade, remplissait les fonctions
de chargé d'alFaires.
72 HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLISE

enfin à la cessation du malentendu, et qui eurent pour effet de ruiner


« définitivement dans l'esprit du pontife le parti des Zelantiyy *.
Léon XTI Mais, en se dégageant d'une coterie, le pape entendit bien mon-
affirme
son indépen-
.trer qu'il ne voulait pas se laisser circonvenir par une autre.
dance En 1824, il fit une promotion de cardinaux étrangers indépendam-
en faisant
une ment de toute proposition des couronnes. Désormais, dit son bio-
promotion graphe, « tout en lui déclara d'une manière imposante qu'il gou-
de cardinaux
indé-
vernerait par lui-même. Sa contenance prouva d'ailleurs que, si on
pendamment avait la vertu de ne plus l'importuner, il possédait le courage qui
de toute
proposition
commande et qui ne reconnaît plus d'exigences importunes » *.

des couronnes.

III

Dans le du mois de mai 1824, Léon Xït publia deux


courant
Par actes pontificaux très importants. Par son encyclique du 3 mai, il
une encyclique
du dénonça à l'épiscopat du monde chrétien les périls de la foi, en tête
5 mai i834> desquels il signala la doctrine de l'indifférence religieuse ; et, par sa
lepape
prémunit bulle du 27 mai, il convoqua le monde catholique à venir célébrer
le monde à Rome un jubilé solennel.
chrétien
contre
L'encyclique du 3 mai contenait le passage suivant : « Il est une
le grand péril secte qui certainement ne vous est pas inconnue. S'arrogeant à tort
de
l'indifférence
l'épithète de philosophique, elle a ranimé de leurs cendres les pha-
religieuse. langes dispersées de presque toutes les erreurs. Cette secte, couverte
au dehors des apparences flatteuses de la piété et de la libéralité,
Apaisement professe le tolérantisme, car c'est ainsi qu'on la nomme, ou l'indif-
du conflit.
férentisme... enseignant que Dieu a donné à tout homme une en-
tière liberté » ^.
Opportunité Le chef de l'Eglise ne pouvait porter l'attention de l'épiscopat
de cette
encyclique. universel sur une question dogmatique plus grave. L'indifféren-

tisme religieux, sous ses formes les plus diverses, et sous les noms
différents de tolérantisme, de libéralisme, de modernisme ou encore
de « parti des politiques », devait être la grande erreur du xix® siècle.
En 1809, le vicomte de Bonald, dans ses Réflexions philosophiques

1. Artaud, I, 3o5-335. <( Rome, disait à ce propos un observateur sagace, le


diplomate russe Italinski, Rome est invulnérable sur le dogme quant aux aff'aires ;

qui ne sont pas de dogme et qu'on appelle politiques, Rome est le seul pays oii
on ne fasse jamais une maladresse à fond. » (Ibid.^ p. 827. } Cf. ibid., I, 345-346,
2. Ibid., \, 345-346,
3. Ami de la Religion, du 8 juillet 182^, p. 245,
LEON XII 73

sar la tolérance des opinions, avait signalé ces hommes qui, « intolé- L'indifTérence
religieuse,
ranU sur tout autre objet, réclament une tolérance absolue sur fruit

les opinions ou croyances religieuses » ^. M. Boyer, dans le Traité de des doctrines


philosophiques
la Religion qu'il professait £^u séminaire de Saint-Sulpice en 1809- de TAncien
1810 ^ ; l'abbé Frayssinous, dans les conférences qu'il donnait, à la Régime
et de
même époque, à un nombreux public de fidèles ^ ; l'abbé Teysseyre, la Révolution.
dans ses instructions catéchistiques *, avaient insisté sur le péril de
rinc'ifférence religieuse ; et, plus récemment, l'abbé de La Mennais,
s'injpirant de tous ces travaux ^, avait, dans un livre éloquent,
donné un retentissement nouveau à ces cris d'alarmes. L'erreur était

d'aitant plus redoutable qu'elle se cachait sous toutes les formes.

hei partisans de la liberté politique l'associaient à leurs revendica- L'indifférence


religieuse
tiolis ; mais ne la retrouvait-on pas, plus subtile et plus cachée, parmi
dais la doctrine des deux chefs, alors les plus en vue, de la réaction les chefs
de la réaction
colservatrice ? Quand Talleyrand, prenant la défense des grands conservatrice.
principes religieux et sociaux au congrès de Vienne, avouait qu'il

s'^i faisait seulement « l'avocat utilitaire » ^, et quand Metternich,


aulre défenseur de la légitimité et du droit, laissait clairement en-
tei(dre que, pour lui, « la sécurité dans la possession présente »
CQistituait tout le droit, l'un et l'autre, par leur dédain superbe de
to te vérité dogmatique et morale dans leur conduite politique, ne
pnfessaient-ils pas, à leur manière, le principe de l'indiflerence reli-
giuse, tout en paraissant la condamner par leurs mesures de sévère
ré ression "^
?

L DE BoNALD, Mélanges littéraires , politiques et philosophiques , 3 '


édit.. un vol.
in-^, Paris, i852, p. lag. — L'étude de Bonaid avait d'abord paru dans le Spec/a/eur
frenais de juin 1809.
3 Archives de Saint-Sulpice . M. Christian Maréchal, dans son livre sur la Jeunesse
4e Li Mennais, un vol. in-80, Paris, 1918, p. 58i-583, a analysé le travail de
M. Eoyer.
•>. Mmiéchal, op. cit.,
p. 584-59 (.
4. Pagufllb de Follenat, Monsieur Teysseyre, un vol. in-i8, Paris, 1883, p. 080-
4io,
•»Maki. :ii.\L, op. cit., p. 5y8 et s., ei passim.
6.Correipondauce du prince^de Talleyrand et de Louis XVIII, Préface, p. 6.
7. Le scepticisme religieux et moral de Talleyrand est assez connu. Mctlernich ne
mam|uait pas, dit-on, de qualités morales dans la vie privée, et il faisait profession
de loi catholique mais, comme l'a reconnu un auteur très sympathique à sa per-
;

sonno et a son œuvre, « la physionomie imperturbable du ministre semblait recou-


vrir un cœur qui ne battait point. Il se rendait compte de cette impression il en ;

donnait une explication qui revient fréquemment dans ses lettres. Il dislingue en
lui doux moi, entre lesquels les affaires élèvent une barrière infranchissablo.
« Ma
vie, l'crit-il. est composée de deux parties, que mon caractère me permet de
con-
duire parallèlement l'une avec l'autre, et qui jamais ne se confondent. » (Ch. db
Lacombe, le Prince de Metternich, dans le Correspondant du 10 déc. 1882,
p. 913.)
74 HISTOIRE GENERALE DE L EGLISE

La condamnation de riiidiflcrenlisme et du libéralisme par Tcn-


cyclique du 3 mai 1824, prélude des célèbres encycliques Mlrari vos
et Quanta cura, de 1882 el de i864,qui devaient si profondément

remuer l'opinion, ne souleva aucune opposition notable; il n'en fut


pas de même du projet tout pacifique de convoquer à Rome les
Bulle du fidèles du monde entier pour y célébrer les fêtes jubilaires, dont une
27 mai 183^,
convoquant tradition trois fois séculaire fixait la périodicité à tous les vingt-:inq
le monde ans. Le désir du pontife était d'autant plus naturel que Pie VII
chrétien
n'avait pas cru devoir, à cause des troubles qui persistaient encore
& un jubilé.
en 1800, ouvrir le jubilé à cette dernière date. Mais le seul bruit pe
le pape préparait une bulle à ce sujet, mit l'opinion en émoi. Sms
compter les sectaires avérés, qui propagèrent la vieille calomnie pro-
testante faisant du jubilé un trafic de biens spirituels en échange de
Op[)osition profits pécuniaires, les puissances non catholiques de l'Allemagnene
des
divers Etats.
dissimulèrent pas leur hostilité. L'Autriche, toujours influencée jar
le joséphisme, se montra froide, et le gouvernement de Naples, ion
content d'objecter toutes sortes de difficultés, fit des démarches pcir
engager les représentants des puissances à faire une oppositon
active *. D'autre part, le Conseil du gouvernement pontifical n'en-
trait qu'avec réserve et appréhension dans le dessein du pape. « Le
secrétaire d'Etat craignait l'introduction, dans les provinces et daas
Rome, de conspirateurs politiques et démembres de sociétés secrèfcs,

qui, sous l'habit du pèlerin, pourraient se réunir en sûreté et la-

mer à leur aise toute sorte de complots. Le trésorier s'épouvantailde

la brèche que des dépenses extraordinaires allaient faire dans on


budget ; il protestait contre les embarras financiers qu'il prévaait
Le pape devoir s'ensuivre » Mais aucune de ces objections n'arrêtai' le
2.
passe outre.
pontife dans sa résolution. « On dira ce qu'on voudra, répélailiil ^

le jubilé se fera ^. » Il avait choisi la fête de


l'Ascension pour

publier sa bulle. « Elle fut, dit le cardinal Wiseman, claire, forte et


retentissante comme le son d'un clairon d'argent. Rarement il est
Résumé émané du Saint-Siège un document à la fois plus noble et plus im-
de la bulle.
posant, plus tendre et plus paternel. Le pape s'adressait d'abord à
spi-
toutes les classes d'hommes qui reconnaissaient sa souveraineté
engageait les rois à ne mettre aucun obstacle dans le che-
rituelle. Il

min des fidèles pèlerins, mais à leur donner aide et protection. Puis

1. Artaud, I, 337-366.
2. Wiseman, Souvenirs sur les quatre derniers papes, p. 255.
3. « Si dira quel cht si dira ; si ha da far il Giubbileo » (Artaud, I, 369).
vÉny xri 76

il demandait aux peuples d'accepter avec empressement son invita-

tation paternelle. Il se tournait enCin. vers ceux qui n'appartenaient


pas à son bercail, vers ceux-là même qui avaient offensé et persécuté
le Saint-Siège, et il les exhortait, dans les termes d'une ardente cha-
rité, à s'approcher de lui» ^.

Le jubilé eut lieu, au milieu des cérémonies les plus touchantes Célébration

et
.1
les
,
plus grandioses
T OTLe
^. pape
iiT
maladit,
If.-
que les factions
'i.
avaient
solennelU
'^'"'^s

du jubilé
d'abord rêvé de soumettre à leur influence, n'avait pas seulement
déjoué leurs espoirs, il triomphait maintenant d'une opposition où
s'étaient trouvés engagés les plus puissants hommes d'Etat et plu-
sieurs même de ses ministres. « Léon XTf, dit Crélineau Joly, n'a-
vait pas douté delà foi des peuples; les peuples lui tenaient compte
de celte paterneFle confiance » ^.

IV

En dehors de ces premières difficultés, d'un intérêt général, L'EgH?e


o ique
Léon Xll, dans ' ses rapports
t^t-
avec les diverses nations, s'était trouvé,
'en ^*
tranc3.
dès le début de son pontificat, en présence de multiples questions
délicates à résoudre.
Le fatal malentendu qui s'était manifesté, en juin et juillet 182/i, Léon XJI
rapF°<^ •
entre le pape et le roi de France, avait eu pour heureux résultat de j^

leur faire sentir, à l'un et à l'autre, le prix de leur alliance. Tous


deux eurent l'occasion de méditer ces paroles que le cardinal de
Bernis écrivait le 17 août 1774 > « J ai étudié profondément la

France; je l'ai considérée en grand et dans ses détails ; et j'ai pensé


qu'il était essentiel, pour le bien de l'Etat comme pour celui de la
religion, que le roi très chrétien se maintînt en bonne intelligence
avec le chef de l'Eglise Le 25 août 1824, à l'occasion de la fête
».

de saint Louis, roi de France, Léon Xll, quoique très souffrant,


voulut, en signe de complète réconciliation, aller en personne prier
devant l'autel du saint roi, dans l'église Saint-Louis des Français,
où il lut reçu avec magnificence. « Le pape, dit à ce propos le
diplomate à qui incomba le devoir, en sa qualité de chargé d'affaires

I, VV18KMAN, op. cit., p. i56-a57.


a Voir le récit de ces fêtes cl«tijs Wiseman, op. cit., p. 3Ô1-371 ; Abtald, l, 4i3-
4 •>

3. Grétinbau-Joly, l'Eglise romaine en face de la Révolution, II, p. 7/1.


76 HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLISE

de France, de faire les honneurs au pontife, le pape se montra très

satisfait de tous les soins qu'on avait pris pour le recevoir ; et, me
il

semble que par sa bouche le gouvernement pontifical disait, comme


le personnage de Tacite : « Si cunctatione deliqui, virlate corrigam » *.

A partir de ce moment, les questions litigieuses inévitables qui s'éle-


vèrent entre la cour de Paris et la curie romaine furent abordées et
Trois résolues avec un désir réciproque de bonne entente. Mais la meil-
questions
particulière-
leure volonté de part et d'autre ne pouvait supprimer trois ques-
ment tions irritantes, toujours prêtes à provoquer des conflits : celle du
irritantes
troublent
gallicanisme, perpétuellement vivant au cœur des vieux parlemen-
l'Eglise taires et de certains membres du clergé ; celle du libéralisme, qu'une
de France.
jeunesse ardente acclamait avec ivresse; enfin la question des jésuites,
dont la pénétration et la réorganisation en France étaient suivies
avec autant d'enthousiasme par des amis dévoués, qu'elles étaient
épiées avec méfiance par des adversaires passionnés.

La question Par le seul fait que la Révolution avait renoncé au principe du


du u catholicisme religion d'Etat », et que la Charte de i8i4 ne l'avait
gallicanisme
pas restauré, la « défense des vieilles libertés gallicanes », telles que
Pierre Pithou les avait codifiées, et que les parlements les avaient
professées, devenait, semble-t-il, sans objet. L'Etat « sécularisé »
n'avait plus à recourir à de telles armes pour se défendre.

Ses prétendues « franchises » devenaient désormais « aussi inu-

Persistance
tiles qu'un garde-fou après qu'on a comblé le précipice au bord
du duquel il a été élevé » ^. Le gallicanisme parlementaire cependant
;,'allicanisme
parlementaire.
n'avait point disparu. Parmi les hommes politiques qui entouraient
le trône restauré des Bourbons, les uns n'avaient pas renoncé à l'es-

poir de voir renaître les traditions absolutistes de l'ancien régime,


d'autres se flattaient peut-être de désarmer l'opposition libérale en
s'associant à ses ressentiments à l'égard du Saint-Siège.
Persistance Quant au gallicanisme ecclésiastique, qui opposait moins l'Etat à
du l'Eglise que l'épiscopat à la papauté, le régime moderne ne l'avait
gallicanisme
cclésiaslique. pas directement atteint. C'était surtout pour protester contre les pré-
tendus empiétements de Rome sur les droits des évêques de France,
que la Petite Eglise s'était constituée. Sans aller jusqu'au schisme,
certains gallicans se faisaient les ardents apologistes des quatre articles

1. Artaud, I, 335. — Tacite, Ann.^ XV, a.


2. C'est la comparaison employée par Emile Ollivier dans V Eglise et VEtat au
concile du Vatican^ a vol. in la, Paris, 1879, t. I, p. a8i.
LEON XII 77

de 1682, critiquaient les interventions du Saint-Siège dans les pré-

tendues églises nationales et attaquaient vivement les jésuites *.

D'autres enfin, parmi les plus recommandables par leur vie privée,
parmi ceux-mêmes qui avaient courageusement résisté à la persécu-
tion révolutionnaire, restaient attachés, comme à un héritage qu'ils
jugeaient digue de respect, à certaines maximes, à certains usages
courants dans l'Eglise de France. L'abbé Frayssinous, qui se ratta-
chait à ce dernier parti, écrivait : « Je dirai sans détour qu'on ne Le
gallicanisme
doit chercher nos libertés gallicanes, ni dans des factams d'avocats,
modéré
plus jurisconsultes que théologiens, ni dans une jurisprudence qui de
Fray&sinous.
tendait autrefois à tout envahir et qui ne faisait que donner des
chaînes au ministère ecclésiastique » ^. Et il citait, en les prenant
pour règle, ces paroles de Bossuet ; « Dans mon sermon sur l'unité
de l'Eglise, je fus obligé de parler des libertés de l'EgHse galhcane ;

et je me proposai deux choses ; l'une de le faire sans aucune dimi-


nution de la véritable grandeur du Saint-Siège, l'autre de l'exphquer
de la manière que l'entendent nos évêques » ^. Les abbés de la
Luzerne et de Bausset, et le grand journal ecclésiastique de l'époque, )e6
principaux
Y Ami de la Religion et du roi, dirigé par Michel Picot, soutenaient à
adhérents.
peu près les mêmes idées. Le livre de Joseph de Maistre, Du pape,
avait, il un grand coup au gallicanisme,
est vrai, porté même mo-
déré et l'abbé de La Mennais, rendant compte de cet ouvrage, en
;

1820, s'était écrié: « Qu'on juge de la déclaration de 1682 par ses


fruits. Qu'a-t-elle produit, que du mal P Jansénistes, constitution-

nels, tous les sectaires qui ont paru dans ces derniers temps, s'en
sont prévalus pour autoriser leur rébellion. Flétrie dès sa naissance
du double caractère de la pression et de la servilité, quel catholique,
instruit par l'expérience, oserait la défendre aujourd'hui? » * Tou-
dans son ensemble, subissait sans trop protester,
tefois, le clergé,

parce quelles émanaient d'un pouvoir favorable à l'Egîise, certaines


mesures dictées par l'esprit gallican, telles que k défense faite à l'é-

I. MaUhieu-Mathurin Tabaraud, prêtre de l'Oratoire, né à Limoges en 1744,


mort dans la même ville en 1882, avait publié, entre autres ouvrages une Hbtoire :

critique de l'assemblée du clergé de France en 1682, des traités sur l'Appel comme
a abus, ei sur l InaniovibilUé des pasteurs du second orJre, et plusieurs'
ouvrages
spécialement dirigés contre les jésuites : Essai sur l'état des jésuites en France,
Du
pape et des jésuites.
3. Frayssinous. les Vrais principes de l'Eglise gallicane, dans les Œuvres de Frays-
sinous, MiGNE, Orateurs sacrés, 2' série, t. X, un vol in-4°, Paris, 1861, col. 1026.
3. Ibid., col, 1027.
4. F. DE La Mennais, Nouveaux mélanges, un vol. in-S», Paris, i8a6, iSq-Uo.
p.
78 HISTOIRE GENERALE DB L EGLISB

piscopat de correspondre directementavec Rome, l'invitation faite aux


Ses principaux évêques d'avoir à soumettre leurs mandements à la censure ministé-
adversaires :

Joseph rielle, l'obligation imposée aux professeurs des grands séminaires


de Maistre d'enseigner les quatre articles de la déclaration de 1682.
et Tabbé de
La Mennais. Toutes les fois cependant que la mesure blessa trop vivement les

droits de la conscience religieuse, des protestations s'élevèrent. En


1819, gouvernement avait cassé un maire, pour n'avoir pas forcé
le

des prêtres à donner la sépulture à un suicidé. « Eh quoi écrivit I

La Mennais, on ne voudrait pas, et avec raison, obliger les juifs, les

protestants à enterrer un catholique comme un membre de leur


communion ; et l'on trouve juste de forcer les catholiques d'adopter,

lau nom de leur religion, un homme qui sera mort en violant un de


ses premiers préceptes?... Est-ce que les catholiques n'ont pas une
conscience?... On ne fait que nous dire : Soyez tolérants. Ce mot,
dans un temps signifie : Laissez-vous égorger, et, dans un autre :

Laissez-vous entraîner. . . Le ministre daigne nous faire des leçons de


théologie. Il cite les Rituels. Soit. Mais qui les interprétera ? Est ce
le ministre, qui n'a aucune autorité dans l'Eglise, ou ceux que l'E-
glise même charge d'exécuter ses lois? » *

Une lettre Se plaçant à un point de vue plus général, le cardinal de Gler-


du cardinal
de Glermont- mont-Tonnerre, archevêque de Toulouse, publia en 1828, de Rome
Tonnerre même, où il avait pris part au conclave, une lettre pastorale dans
au
est déférée
Conseil d'Etat laquelle il demandait des modifications civiles en vue de mettre en
comme harmonie les lois de l'Etat avec les lois de l'Eglise. Cette lettre,
ayant attaqué
les libertés
déférée au Conseil d'Etat comme ayant attaqué les libertés galli-

de l'Eglise canes, fut supprimée par une ordonnance royale sous prétexte d' « a-
gallicane.
bus D'un ton calme et ferme, le rédacteur en chef de l'Ami de la
».

Religion protesta « Ce qui nous afflige le plus dans cette circons-


:

tance, écrivit-il, outre le tort fait au caractère épiscopal et le mau-


vais effet qui peut en résulter dans l'esprit des peuples, c'est qu'il
est aisé de prévoir qu'il en sera de cet acte comme autrefois des

envahissements des parlements. Un premier pas en attire un autre.

Les exemples n'en sont que trop nombreux 2. » Dans le courant de


l'année 1824, le ministre ayant demandé aux professeurs de sémi-
naire d'adhérer à la déclaration de 1682, l'archevêque de Toulouse
intervint une seconde fois. Dans une lettre adressée à plusieurs

Mennais, Réflexions
I. L.v et Mélanges, un y o\.\n-%'^^ 1819, p. 333-323.
a. Ami de la religion et du roi, du 3i janvier 1824, p. 376.
LÉON XII 79

l'épiscopat qui l'avaient consulté à ce sujet, il déclara


membres de
que l'invitation du ministre devait être regardée comme non ave-

nue. Nous le verrons plus tard, sous Charles X, défendre les droits
de l'Eglise, avec plus de force encore, contre les prétentions abu-
sives du pouvoir civil.

Parmi les plus ardents adversaires du gallicanisme, nous avons La question


du libéralisme
rencontré l'abbé Félicité de La Mennais. Par le brillant succès de son catholique.

Essai sur l'indifférence, par l'éclat de ses récentes polémiques, par ses
dons exceptionnels d'intelligence, de verve, d'initiative et d'entrain,
par certains côtés de son caractère, séduisant et impérieux à la fois,
qui faisaient bientôt de lui, pjur ceux qui se donnaient à sa cause,
le plus affectueux des amis et le plus autoritaire des maîtres, l'abbé
de La Mennais était devenu le centre d'un groupe de jeunes gens, en

lequel on pouvait facilement deviner le germe d'un parli nouveau. L'abbé Félicité
de
Ceux qui se rangeaient ainsi autour du maître s'appelaient Gerbet, La Mennais.
Gousset, Guéranger, Rohrbacher, Lacordaire. Ils se disaient ultra- Son influence
sur
montains, et se réclamaient volontiers, en religion, des idées de la jeunesse.
Joseph de Maistre ; mais une sympathie non dissimulée pour les

hommes et pour les choses de leur temps, un vif attachement aux


classes populaires, une ardente préoccupation de tout progrès poli-
tique et social, les rapprochaient du parti qui venait de s'organiser en

France sous le nom de parti libéral. Le Mémorial catholique, qu'ils Fondation


du Ménwrial
fondèrent en i8îi3, et qui fut leur organe jusqu'en i83o, « eut, grâce
catholique.
à La Mennais, qui en fut le véritable inspirateur, une part considé-
rable dans l'évolution qu'on vit se dessiner au sein même du catho-
licisme durant les dernières années de la Restauration. Il fut comme
le précurseur de Y Avenir car y il tenta, quoique timidement, de sépa-
rer la question religieuse de la question politique, et de ménager
dans la pure région des idées un rapprochement entre l'Eglise et la

société moderne. Avec lui, l'apologétique se rajeunit et perdit quel-


que chose de son ancienne raideur *
les sciences ecclésiastiques
s'élargirent, et elles reprirent de l'autorité ; l'esprit du clergé se
modifia, et commença à s'ouvrir à cette, idée très simple mais très
neuve, que, a pour agir sur le siècle, il faut l'avoir compris » *.

I. Mémorial catholique. Introduction. Boutard, Lamennais, 3 vol. in-8o, Paris^

1905-1913, t. Ie^ p. 369.


8o HISTOIRE GENERALE DE L EGLISE

Dans campagnes du Mémorial catholique, le libéralisme de


ses
La Mennais fut plutôt un esprit qu'une doctrine. Il ne devait se for-
La première muler qu'en 1829, dans l'écrit publié par le célèbre polémiste sous
manifestation
doctrinale ce titre : Des progrès de la Révolution et de la guerre contre l'Eglise.
du libéralisme La Mennais y attaquera le gallicanisme comme une doctrine de ser-
catholique.
vitude, affranchissant les rois de toute règle de justice et menant les
hommes à l'idolâtrie. Ily soutiendra que les peuples peuvent, dans
certains cas, résister par la force aux gouvernements arbitraires,
comme l'ont fait les Pays-Bas contre Joseph II, les Vendéens et les

Bretons contre la Révolution, les Ligueurs contre Henri IV. Il


y
enseignera que la restauration chrétienne de la société ne peut se
faire que par le triomphe de l'Eglise, et que ce triomphe ne doit
se faire que par la liberté.

Cette évolution de l'ultramontanisme de La Mennais, ou peut-être,


Origines pour parler plus exactement, de son antigallicanisme, au libéra-
du libéralisme
catholique :
lisme, se fit sous une double influence. D'abord le contact avec le
« parti libéral » proprement dit, tel qu'il se manifestait alors dans
les écrits de Benjamin Constant et de Corcelles, fit passer dans le
parti des jeunes catholiques quelques formules des « libéraux » rela-
tives à l'efficacité toujours bienfaisante de la liberté, à l'indifférence
10 le contact pratique de l'Etat envers tous les cultes et à la séparation de l'Etat
avec
le parti libéral d'avec toutes les églises. Une seconde influence, non moins funeste,
de la s'exerça sur le jeune groupe du Mémorial par le fait même du tem-
Restauration,
pérament passionné et outrancier de son chef ^. Ce Breton roman-
tique, qui portait en lui, avec la tare physiologique d'une constitu-
20 le tion anormale remontant à son berceau ^, l'ata^âsme de tels de ses
tempérament
même ancêtres, entêtés et chicaniers, et de tels autres, hardis marins, dont
du nouveau il avait hérité le goût de l'aventure et du risque 2, ne savait garder
chef
de groupe, aucune mesure au moindre froissement de son inquiète susceptibilité.
rai)bé de Il publiait que « le gouvernement était hypocrite dans son langage.
La Mennais.

Dans un pénétrant article des Anna/es de phibsophie chrétienne M. Maurice


1. ,

Blondel a défini La Mennais « ce perpétuel outrancier qui met la logique au


service de sa passion, ou plutôt qui prend sa passion pour la logique même »
{Ann. de phil. chrét. de septembre 1912, p. 617).
2. « Né avant terme, avec' une notable dépression de l'épigastre, il était
sujet, en

raison de cette infirmité, à des spasmes douloureux dont il souffrit toute sa vie et

qui, plus d'une fois, mirent ses jours en danger. » (Boutard, La Mennais. t. I,
p. 6-7. Cf. Peigné, La Mennais, sa vie intime à la Chênaie, un vol. in-32, Paris,
1864, p. 5i-56.)
'6. (Jhr. Maréchal, la Jeunesse de La Mennais, p. 3. Cf. Maréchal, la Fanulle de
La Mennais sous l'Ancien Réyinie et la Révolution, un vol. in-S", Paris, lyiiJ.
.

Lfoïf xn 8i

athce dans ses actes ». Il montrait dans M. Laine et M. Corbière


« les continuateurs d'Henri VllI », et dans M. Frayssinous « un
évêque schismatique, ursupateur des droits de Léon XII ». « Qui
donc, s'écriait-il dans une de ses brochures, a chargé M. Frayssinous Exagérationt
et violences
de capituler avec les rois de la terre au nom de l'épouse de Jésus-
de langage
Christ ? » Il trouvait la Compagnie de Jésus « insuffisamment de l'abbé
de
appropriée aux besoins des esprits », et jugeait que la théologie
La Mennais.
enseignée dans les séminaires « n'était plus qu'une scolastique mes-
quine et dégénérée ^ )>

De telles hardiesses de langage et de pensée ne lardèrent pas à


éveiller, parmi les membres du clergé, les inquiétudes des uns, les

énergiques protestations des autres. En 1829, après l'appariîion de


l'ouvrage, Des progrès de la Révolution et de la guerre contre l'Eglise,
VAmi de la religion se fit l'interprète de ces sentiments, en relevant L'Ami
de la religion
avec vivacité : i** l'étrange parenté de certaines doctrines de l'auteur
combat
avec les idées les plus suspectes du parti libéral ;
2° les injustes ces tendances
nouvellM.
violences de ses attaques contre les catholiques. On lui reprochait

d'adopter sur la liberté de la presse et sur la liberté politique, les for-


mules mêmes des libérau-x ; on le blâmait d'avoir écrit que le

libéralisme n*est autre chose que « le sentiment qui, partout où règne


la religion du Christ, soulève une partie du peuple au nom de ia

liberté », et d'avoir ajouté que, « sur le fond des choses, le parti

opposé aux intérêts du trône avait un immense avantage de raison »•


On lui rappelait que l'Eglise, loin d'admettre ces principes d'uns
manière absolue, comme il semblait les présenter, avait établi un«
Congrégation de V Index pour condamner les abus de la presse, et

recommandé aux peuples, en dehors de circonstances très exception-


nelles, l'obéissance respectueuse à l'égard des pouvoirs établis. On
s'indignait enfin de voir M. de La Mennais traiter avec tant de dédain
cet Ordre des jésuites, dont il avait écrit naguère que « son existence
tout entière n'avait été qu'un grand dévouement à l'humanité et à ia
religion » 2^ ^^ calomnier si gratuitement cêt enseignement des sémi-

1. La Monnais était plus violent encore dans l'intimité que dans ses pamphlets.
Il de la Chambre élue en 1824, la plus royaliste et la plus religieuse de U
disait
Restauration (( Jamais
: on n'avait vu une dégradation aussi burlesque et une
corruption aussi bête ». Puis il concluait « Les trois pouvoirs de l'Etat, comme on
:

les nppolle, semblent èlre une cmaiialion directe de la Force, de Sainte-Pélagie et


do (Iharenton ». Pour lui, l'abbé Glausel de Montais n'était que u ie Maral du
gallicanisme ». On verra d'autres citations dans Thurbau-Dangir, Royalistes et répU'
blicains, un vol. in-8", Paris, 187/4, p. 260-2Ô3.
2. La Mbnnais, Mélangée, p. 18, 62, 63.
lii-l. yiMi. ilo IKgiise. \ lil g
62 HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLISE

naires « qui l'aurait i>'"jt-être préservé de tant d'écarts s'il en eût


mieux lui-même pris les leçons '. »

VI

La question Le gallicanisme avait d'autres adversaires, qui ne pouvaient êtro


des suspectés de tendresse envers le libéralisme
, : c'étaient les jésuites
lésuitâs
Depuis la promulgation de la bulle SoUicltudo, qui avait, en i8i4,
solennellement rétabli la Compagnie de Jésus dans l'Eglise univer-
selle, les maisons des jésuites s'étaient multipliées en France, et leur
apostolat y avait été fécond 2. Par la Congrégation, ils avaient orga-
nisé de nombreuses œuvres de piété et de charité parmi la haute
société ; dans leurs douze collèges ils élevaient un grand nombre
d'enfants de la noblesse et de la bourgeoisie ;
par leurs missions,
ils atteignaient la classe populaire. Gallicans et libéraux se coalisèrent
pour les perdre. Des royalistes d'extrême droite et des révolution-
naires d'extrême gauche s'entendirent pour mener campagne contre
eux.

Le comte
^^"^ porte-parole fut un gentilhomme septuagénaire, le comte de
de Montlosier. Montlosier. Issu d'une vieille famille d'Auvergne, il avait gardé,
« dans ses manières et dans son esprit, la sauvagerie forte, rude,
abrupte, du coin de montagne où il était né » ^. De son titre de
noblesse, qu'on lui avait naguère contesté, mais que Louis XVIII
venait de lui confirmer, il ne tenait guère qu'une morgue inso-
lente. Partisan du pouvoir absolu des rois, il nourrissait jalousement
dans son cœur les préjugés les plus obstinés des vieux légistes contre
l'Eglise romaine. Chrétien pratiquant, ne craignant pas d'affirmer
publiquement sa foi, mais d'un ton raide et hautain, qui rappelait la

superbe austère des jansénistes. Au demeurant, non dépourvu de


brillantes qualités. Ecrivain confus, embrouillé, mais ayant,
« comme par poussées, des idées fortes, des vues perspicaces » *. A

1. Ami du 21 février 1829, p. 33-37 du a8 février 1829, p. 65-


de la religion^ ;

'70, et \ avril1829, p. 238-24o.


2. BuMNicHON, op. cit., t. I, p. 59-79.
3. Thureau-Dangin, le Parti libéral sous la Restauration, p. 386. Cf. Chateau-
brta:nd, Mémoires d' Outre-tombe, édition Biré, t. II, p. i56-i58.
4. Député aux Etats généraux par un bailliage d'Auvergne, et, par suite, membre
de l'Assemblée Constituante, Montlosier y prononça, dit-on, lors de la discussion
sur la Constitution civile du clergé la fameuse phrase sur « la croix de bois qui a
sauvé le monde ». C aleaubriand a rapporté ainsi cette phrase « Je ne crois pas, :
LEON XII 83

la Chambre, les révolutionnaires d'exlrême gauche voisinaient par-


fois avec cet « ultra ». Ils se rejoignaient par plusieurs points,

comme la Constitution civile du clergé avec maximes sur le»


les

Libertés gallicanes de Pierre. Pithou, comme l'absolutisme de la Con-


vention avec celui des mauvais jours de l'Ancien régime.
En août 1825, le comte de Montlosier publia, dans le journal le

Drapeau blanc, deux lettres retentissantes contre les jésuites. Au Le Mémoire


à consulter
mois de février 1826, il fit paraître un ouvrage intitulé Mémoire à :
(février 1826).

consulter sur un système religieux et politique tendant à renverser la


la société et le trône ^.
religion y

Le livre était lourdement écrit, maladroitement charpenté ; il four-


mais véhément, agres- {Attaques
millait d'erreurs et de contradictions ; il était
violentes
sif, plein de révélations mystérieuses, de personnalités violentes, contre
d'affirmations déconcertantes, d'allusions suggestives. On y voyait la Compagnie

la Compagnie de Jésus, grâce à a un système d'application, le plus


perfectionné depuis Pythagore », « portant au delà des mers le

joug tantôt fleuri, tantôt sanglant de sa domination » 2. On y lisait,

sans que la moindre preuve, d'ailleurs, fût apportée à l'appui de ces


assertions, que l'affiliation de Louis XIV à la célèbre Compagnie était
« à peu près certaine » ^, que « Saint-Sulpice, comme chacun sait »,
était « une création et une affiliation des jésuites » *, qu* « au moyea
d'une association dite de Saint- Joseph, tous les ouvriers étaient enré-
gimentés » ; qu' « il y avait, dans chaque quartier, une espèce de cen-
tenier », que « le général en chef était l'abbé Loeven, jésuite
secret^, » marchands de vin ^, les domestiques, étaient pareil-
que les "^

lement organisés que la chambre des députés comptait « au moins


;

Messieurs, quoi qu'on puisse faire, qu'on parvienne à forcer les évêques à quitter
leur siège. Si on les ciiasse de leur palais, ils se retireront dans la cabane du pauvre
qu ils ont nourri. Si on leur Ole une croix d'or^ ils prendront une croix de bois c'est ;

une croix de bois qui a sauvé le monde. » Plus tard, dans les Mémoires d' Outre-tombe,
Chateaiibriand est revenu sur cet incident. « Montlosier, écrit-il, était resté à cheval
sur la renommée de sa fameuse phrase de la croix de bois, phrase un peu ratissée par
moi quand je l'ai reproduite, mais vraie au fond. » (Ghatea.ubriaîïd, Mémoires
d'Outre- tombe, édition Biré, t. II, p. i56). La phrase, en effet, porte bien la
manjuc de (Chateaubriand le style rocailleux du gentilhomme auvergnat a dû être
:

ratissé par l'harmonieux écrivain. Cf. Hemuoh, Vie du P. Loriquet, ch. xvi.
I, BuRHicuoN, op. cit., t. ler^ p. 347-887.
a. Mémoire, p. 10-2 1.
3. Ibid., p. 28.
II. Ibid., p. 27.
5. Ibid., p. 35-36.
6. Ibid., p. 36.
7. Ibid., p. 37.
84 HISTOIRE GENERALE DE L EGLISE

cent cinq congréganistes » ^ liés par serment à la terrible Compa-


gnie ;
que jadis même « un ministre du roi avait été trouvé, à sa

mort, revêtu des insignes consacrés par l'affiliation » 2.

Après avoir exposé ces prétendus faits, l'auteur du Mémoire à


Momlosier consulter prétendait préciser le but caché de toutes ces entreprises,
cherche
à montrer
tl le définissait ainsi : « Employer la religion comme moyen poli-
les jésuites tique, et la politique comme moyen religieux ; faire obéir à Dieu
comme
par ordre du roi, et avec l'autorité du roi étendre l'autorité des
des ennemis
des rois prêtres. » Mais les rois devaient être les victimes de pareilles combi-
et de
naisons, car, ajoutait Montlosier, d'un ton tragique, « on connaît
la société.
l'existence frêle et viagère des princes... Gomment pense-t on qu'ils
pourront lutter avec une puissance qui ne naît ni ne meurt... qui a
sa milice, un général, avec lequel elle décide quand et comment elle

doit obéir au souverain ? »


Les libéraux Le Mémoire à consulter paraissait à son heure, au lendemain de
applaudissent
aux attaques
deux procès retentissants intentés au Constitutionnel et au Courrier
de Montlosier. français. Ces deux journaux le comblèrent d'éloges. Le Journal

des Débats appela Montlosier « le flambeau de la France d. On


exalta sa personne et son rôle. On feignit d'oublier les palinodies dont
il avait donné le spectacle sous l'Empire. On affecta de ne voir en
lui que le noble émigré de Coblentz et de Londres, l'ami de Cha-
teaubriand, le catholique intrépide qui avait fermé la bouche aux
incroyants par son éloquente tirade sur la croix de bois des évêques ;

et on loua ce royaliste, ce croyant, d'avoir été assez indépendant et


assez courageux pour dénoncer le grand péril qui menaçait à la fois

l'Eglise et la société, h' Ami de la religion, le Mémorial catholique,


la Quotidienne relevèrent facilement les calomnies du pamphlet. Le
vicomte de Donald le réfuta dans une brochure spéciale 3. Mais Mont-
losier, se sentant soutenu à la fois par les gallicans du royalisme,
par les jansénistes, que Tabaraud et Lanjuinais conduisaient à la

bataille, et par les libéraux, dont le Constitutionnel et les Débats


Les jésuites excitaient les rancunes, redoubla d'audace. 11 adressa à la cour royale
sont dénoncés
de Paris une dénonciation en forme contre la Compagnie de Jésus.
à
la cour royale Quarante avocats du barreau parisien souscrivirent à ses conclusions,
de Paris
et
qui demandaient l'application aux jésuites de tous les moyens de
à la Chambre
des pairs.
I. La Chambre comptait exactement cinq membre» de la Congrégation (G. de.
Grandma.ison, la Congrégation, p. 3i2.)
3. Mémoire, p. .27.
3. BoNALD, fié flexions sur le Mémoire à consulter.
LÉON xn 85

répn'ssion fournis par les lois anciennes et modernes. La cour se

déclara incompétente. Montlosier s'adressa alors à la Chambre des


pairs, et obtint d'elle que sa pétition serait transmise au roi. Charles X
n'y donna, pour le moment, aucune suite, mais la question des
jésuites était désormais posée devant l'opinion; elle devait l'agiter

jusqu'au moment où le roi, cédant à la pression du gallicanisme,


du jansénisme et du libéralisme coalisés, leur accorderait l'expulsion

de la célèbre société.
Le roi Charles X, qui avait succédé, en 1824, à son frère Le roi

Louis XVIII, avait paru offrir à la cause de l'Eglise des garanties sé-
rieuses. Après une jeunesse orageuse, il était revenu, depuis quelques
années, à la pratique de la religion ; une de ses premières prroccu- Son caraclèr*.

pations, après son avènement, avait été de se faire couronner à Reims,


avec tous les rites traditionnels du sacre, pour attirer les bénédictions

de Dieu sur son règne ; et le pape Léon XII lui en avait témoigné une
joie sincère ^. Mais, faible de caractère, incertain, mobile, facile à
influencer, Charles X était incapable de présider les conseils avec la
décision et l'autorité de son prédécesseur ; il moins encore de
était

taille à dominer les factions. Tandis que la politique de Louis XVIII


avait été d'échapper à la domination des partis exclusifs, et qu'on Sa politique,

l'avait vu tour à tour repousser les libéraux exagérés et les monarchistes


« ultras )), la destinée de Charles X fut d'osciller d'un extrême à
l'autre. Dès les premières semaines de son règne, le brusque rétablis-

sement des titres et des charges de l'ancienne cour avait servi de


prétexte pour montrer en lui le restaurateur de l'ancien régime ; la

mise à la retraite de 2 5o généraux de l'empire avait soulevé de vifs

mécontentements dans la partie de la nation qui avait le culte des


gloires impériales. Une loi accordant un milliard d'indemnité aux
émigrés, avait été combattue, à la fois, par une partie de la droite,

qui y voyait la sécurité garantie aux acquéreurs des biens nationaux,


et par toute la gauche, qui considérait la confiscation des biens des
émigrés comme une pénalité justifiée par leur exil volontaire. Une
seconde loi, très inopportune, punissant de la peine des parricides la
profcination des hosties consacrées, et de la peine de mort tout vol La \(A

commis avec effraction ou pendant la nuit dans une église, avait été ,
ga^r^lèrt-
attaquée, en même temps, à la Chambre des pairs par Chateaubriand,
à la Chambre des députés par Royer-Collard, et dans la presse par

1. .\rtaud, II, 385-386,


86 BTSTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLTSE

l'abbé de La Mennais. Cette loi, du reste, votée malgré ces vives


Oppositions, ne devait jamais être exécutée. Mais l'agitation soulevée
par ces mesures ne s'apaisait pas. Tandis que les impérialistes, blessés

par les premiers actes du roi, faisaient cause commune avec les libé-
raux, un parti de royalistes mécontents, mené par Chateaubriand
et surnommé « le parti de la défection », faisait au gouvernement une
guerre acharnée. Les chansons de Béranger entretenaient à la fois
dans le peuple le culte de l'empereur et la haine des jésuites ;

Hommes noirs, d'où sortez vous ?


Nous sortons de dessous terre.

Les œuvres de Voltaire et l'Encyclopédie se publiaient en éditions


Agitations populaires. Des représentations du Tartuffe se donnaient dans les
anli-
religieuses.
villes où se prêchaient les missions. Les sociétés secrètes multipliaient

leurs menées. Les spectres de l'ancien régime, de la domination du


parti prêtre, de la Congrégation, de la Terreur blanche, étaient agités
devant les yeux de la population. Le roi essaya en vain, le 5 novembre
1827, de briser l'opposition en créant 76 nouveaux pairs et en pro-
nonçant la dissolution de ki Chambre. Ces mesures exaspérèrent les
mécontents. L'extrême droite et le « parti de la défection » s'unirent
à la gauche. La société « Aide-toi, le ciel t'aidera », qui avait des
alliances avec la Charbonnerie et la Franc-maçonnerie, dirigea les nou-
velles élections, qui donnèrent à l'opposition une écrasante majorité.
Le roi, acculé, se résigna à choisir un ministère libéral et à faire
des concessions. Mais la gauche se montra de plus en plus mena-
çante. Martignac, le nouveau chef du ministère, conseilla au roi, pour
écarter le danger qui menaçait son trône, de sacrifier les jésuites.
Le 16 juin 1828, le roi Charles X se résigna à signer deux célèbres
Les ordonnances ^ La première portait que les établissements connus
ordonnances
du sous le nom d'écoles secondaires ecclésiastiques, dirigés par des per-
i6 juin 1828, sonnes appartenant à une congrégation religieuse non autorisée et
réglementant
les séminaires
actuellement existants à Aix, Billom Bordeaux, Dole, Forcalquier,
et interdisant Montmorillon, Saint-Aclîeul et Sainte-Anne d'Auray, seraient sou-
l'en-

I. Voir dans la Vie de Mgr Frayssinous par le baron Henrion, un vol. in-8*,
Paris, 1842, des détails du plus haut intérêt, empruntés aux notes de Mgr Frayssi-
nous, sur les circonstances qui précédèrent et déterminèrent les fameuses ordon-
nances. Voir aussi, sur la même question, Aktaud de Montor, Hist. de Léon Xfl,
p. 372-890 Ami de la religion, du 27 février i844. Les détails les plus complets
;

sur cette affaire se trouvent dans l'ouvrage d'Antonin Lir.ic (pseudonyme du


P. Clair, S. J.), Les jésuites et la liberté religieuse sous la Restauration,
LEON XU 87

octobre, au régime de l'Université. Nul ne pour- seiçnement


mis, à dater du i*'
aux
rait désormais diriger une maison d'éducation ou y professer, sans congrégations
avoir affirmé par écrit qu'il n'appartenait à aucune congrégation reli- non autorisées.
gieuse non légalement établie en France. La seconde ordonnance
soumettait à l'autorisation du gouvernement l'établissement des écoles
secondaires ecclésiastiques ou petits séminaires. Elle créait en leur
faveur 800 bourses de5oo francs ; mais elle fixait à 20.000 le nombre
total des élèves, défendait d'y admettre des externes et d'y porter
l'habit laïque après deux ans d'études.
Soixante-treize évêques protestèrent dans un Mémoire, qui fut Protestation
de l'épiscopat.
remis au roi par l'archevêque de Paris, Mgr de Quélen ^ En même
temps, l'épiscopat consulta le Saint-Siège. Mais les lettres adressées

à Rome à cette occasion furent interceptées par le gouvernement

français, qui, de son côlé, envoya à la cour de Rome un juriscon-


sulte chargé d'exposer à Léon XII « le véritable état des choses ». Interve«ti©n
du souverain
Le souverain pontife fit écrire par le cardinal Bernetti une note, dont pontife.
les ministres ne publièrent qu'une partie laissant entendre que le

pape approuvait leur conduite ^.

L'historien catholique et royaliste de la Restauration, Alfred


Nettement, a porté sur les ordonnances de 1829 le jugement suivant :

« Il y avait, au point de vue des idées religieuses, trois conséquences


fâcheuses dans les ordonnances du 16 juin ; on ôtait à l'enseigne-
ment religieux une ressource ; on mettait l'épiscopat en prévention
en matière d'éducation par les mesures prises contre lui ; on accré-
ditait dans l'esprit du vulgaire toutes les calomnies accumulées
contre un ordre religieux respectable, en proclamant la nécessité de
l'éloigner. Au point de vue politique, les inconvénients n'étaient pas Portée
de ces
moins graves : le gouvernement apprenait à tous le moyen de lui
ordonnance^
arracher des concessions, et l'opposition, à laquelle il avait cru de-
voir donner satisfaction, se sentit encouragée à exiger davantage ^. »

Henrion, Vie de Mgr de Quélen, un vol. in-80, Paris, 18/42, p. 19a.


:. Un —
seul évê(jue refusa de signer le Mémoire, ce fut Mgr Kuillon, évêque de Dijon,
parce que, disait-il, les ordonnances royales ne touchaient ni au dogme ni à la
discipline. —
En revanche, la résistance de l'archevêque de Toulouse, Mgr de
Glennonl-Tonnerre, fut très énergique. Le gouvernement ayant insisté auprès de
lui pour lui faire exécuter les ordonannces, il répondit « La devise de ma famille :

est celle ci Etiuinsi omnes, ego non. C'est aussi celle de ma conscience o.
:

a. Voir A. LiHAc, les Jésuites et la llb. relig. sous la Rest., Cf. Artaud, Vie de
Léon XII, t. II, p. 388 et s. Le texte intégral de la note du cardinal Bernetti n*a été
connu qu'en i8i!|0. (]f. Blrmichon, op. cit., t. I, j). 387-^70.
H. A. Nettement, Hist. de la Bestauration, t. Mil, p. 128,
88 HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLISE

VII

catl ol'ue
L'homme d'Etat qui présidait alors aux destinées de rAutrîche
•n Alleaiagne. avait uue tout autre altitude. Charles X aimait les jésuites, el les
proscrivait ; Metternich détestait l'esprit jésuitique et protégeait la

Compagnie de Jésus.
En
1825, des jésuites, chassés de Russie et de Pologne et établis
en Galicie, sollicitèrent de l'empereur d'Â^utriche la reconnaissance
officielle de leur établissement. Le prince de Metternich écrivit, à
cette occasion, à l'empereur, le 18 octobre de la un même année,
Les jésuites , ,

^^°& mémoire, ou, après


. , , . . ,..,,,..
avoir soigneusement distingue m5/i/w/;on
en Autriche. 1

des jésuites, et le jésuitisme, il ajoutait : « Cette différence est d'une


importance majeure,... car je suis très porté à regarder V institution
comme une arme salutaire contre les envahissements de l'esprit d'er-
reur, tandis que je condamne, d'une manière non moins absolue,
le jésuitisme sous toutes ses formes aussi bien que dans toutes ses

tendances ^ » Ces lignes sont révélatrices de la politique générale


suivie par le célèbre diplomate, qui ne paraît pas avoir porté sur
a^po ique
1
i'j]glise catholique un jugement différent. Il en appréciait et il en
de Metternich. appuyait hautement l'organisation dans la mesure où cette organi-

sation lui paraissait utile au maintien de l'ordre et de la discipline ;

il en reprouvait l'esprit dans la mesure où cet esprit lui paraissait


fournir des éléments au désordre politique tel qu'il l'entendait. En
demandant à son souverain d'autoriser l'établissement de la Compa-
gnie de Jésus en Galicie, le ministre lui conseillait de ne l'admettre
qu' « à l'essai ». « Dans le cas, disait-il, où les jésuites ne suivraient
pas une « marche correcte », on serait peut être amené à prendre à
leurégard la(( mesure « qui serait inopportune aujourd'hui^. » Suivre
une marche correcte », pour Metternich, c'était soutenir les insti-
u

tutions du passé, ou, du moins, celles des institutions du passé que


lui Metternich, jugeail aptes à maintenir l'ordre européen. Car sa

cénéraie"^
politique ne visait à rien de moins qu'à organiser l'Europe. Une
telle prétention, du reste, était soutenue par lui avec un orgueil
prodigieux. Il se tenait pour infaillible. '< L'erreur, disait-il un
jour à Guizot, n'a jamais approché de mon esprit. — J'ai été plus

I. Mrtternich, M('nv)ires, un vol. in 8", l^aris, 1879-1883, t. IV, p. aS^,


a. Id,. ibid,^ op. ciL., t. IV, p. 242.
LEON XII 89

heureux que vous, mon prince, lui répondit le ministre français ;

je me suis aperçu plus d'une fois que je m'étais trompé ^. » Son


but était de former une « société d'Etats » capable de lutter victo-

rieusement contre le réveil révolutionnaire des nationalités 2. Le


centre de cette société d'Etals devait être la Confédération germanique,
recevant son mot d'ordre de l'Autriche. Il avait formulé ce rêve,
qu'un mot prononcé à Vienne fût reçu dans toute l'Allemagne comme
une « loi inviolable ». Pendant de longues années ce rêve fut à

peu près réalisé pour ce qui concerne les relations diplomatiques


des nations et leur organisation politique. Il fut moins heureux en
ce qni regarde le gouvernement intérieur de son propre pays et la

compression qu'il voulait exercer sur les mouvements nationaux.


(( J'ai souvent gouverné l'Europe, disait-il ;
j'ai rarement gouverné
l'Autriche. » La sévérité même de ses mesures répressives fut, nous RésultaU
de
l'avons déjà vu, cequi fortifia le plus, en l'exaspérant, le mouvement
cette politique.
national en Italie ; et, au sein même de l'Allemagne, les esprits les

plus dévoués au culte de la suprématie germanique, tels que Gœrres Elle provoque,
en Italie
et Schlegel, au lieu de suivre le mouvement absolutiste de Metternich
en
et
dans l'organisation des Etats, et ses tendances joséphistes dans les Allemagne,
ra[)porls des pouvoirs civils avec l'Eglise, se firent,
une réaction
au contraire, les
ibérale.
apôtres passionnés des idées libérales en politique et de l'indépen-
dance absolue de l'Eglise en regard des Etats. Tandis que le « sys-
tème Metternich » voyait presque exclusivement, dans l'Eglise comme
dans l'Etat, les principes d'autorité et de hiérarchie, un jeune prêtre
de l'université de Tubingue, Jean-Adam Mœhler, publiait, en
1825, sous «e titre. De l'unité dans lEglise, un livre plein de fraî- Le traité
de l'Unité
cheur et de vie, où il mon-lraît comme principe d'unité dans la
de. l hAflise^
de Mœhler
(i8a5;.
f.Gmzoy, Mémoires pour servir à Vhistoire de mon temps, t. IV, p. 30. Dans son
Autobiographie, insérée autome I de ses Mémoires, Metternich se donne comme le
lioulciidnt de Dieu. Il convient que Richelieu et iMazarin étaient gens de
mérite,
mais comble de sarcasmes ses contemporain» le < petit Nesselrode », Tliiers « un
:

niais », et Berryer « un sot ».


3. rallevrand, dont le scepticisme pratique était encore plus accusé que celui de
MoUernich, se trouva en conflit avec ce dernier au Congre» de Vienne. Il s'agissait
donposcr un frein aux prétentions du ministre autrichien, qui voulait boule-
verser les nation», en particulier la France, au nom du principe de
l'ordre. Talley-
ranil défendit l'indépendance de» nationalités menacées, en invoquant les principe!
de la légitimité et du droit public. La tactique était
habile. Elle déconcerta la
grave assemblée et y déchaîna un vrai tumulte, a A quoi bon, s'écria
le ministre de
Prusse, invoquer ces principes ? Gela va sans dire. - Si
cela va sans dire, reprit
frouleuicnt Tallcyrand, cela va encore mieux en le disant. »
« Que fait ici le droit —
public ? » murmura de «on côté un autre diplomate.
« Il fait que vous v êtes »,
répliqua le ministre de France, avec son flegme dominateur.

AVUti'i
90 HISTOIRE GENERALE DE L EGLISE

société chrétienne et comme principe de foi dans l'âme croyante,


non point l'obéissance craintive, qui déprime, mais l'amour, qui
élève etquiunit*. Trois ans plus tard, par un contraste plus frappant,
à Vienne même, en cette capitale où la religion, trop considérée
comme un aspect de l'étiquette ou un rouage de la bureaucratie,
semblait « manquer d'air ^ », un autre prêtre catholique, Antoine
Gunther, essayait « de renouveler la théologie avec une science
Le libéralisme réelle et un mysticisme libre et ingénieux 3. « Mais cette fois la
théo'oglque
de Gunther.
liberté et l'ingéniosité dépassèrent les limites de l'orthodoxie. Chose
étrange, « Gunther, pour son humble part, était un des rouages de cette

organisation de compression intellectuelle qui pesait sur le déve-


loppement religieux de l'Autriche il avait un poste de censeur...;

Ce gendarme delà pensée devait finir en délinquant*. » Ll soutenait,


Son dans son Introduction à la théologie spéculative, parue en 1828, et
Introduction
à la théologie
dans de nombreuses publications subséquentes, que « l'âme raison-
spéculative nable est tout à fait distincte du principe de la vie corporelle et d«
(1828).
la connaissance sensible » ; il détruisait tout lien entre les formules
de foi catholique et l'aristotélisme du moyen âge ; il encadrait le
Ses doctrines. dogme dans un nouveau système philosophique créé par lui ; il

prétendait expliquer les mystères de la Trinité et de l'Incarnation


par des faits de conscience de la Divinité ; il concevait le mystère
de la Rédemption comme une conséquence nécessaire de la Création ;

et, enseignées par lui, ces théories soulevaient un enthousiasme,


auquel Goerres et Mœhler eux-mêmes se laissèrent un moment

entraîner ; mais ces doctrines téméraires devaient lui attirer les

sévères condamnations de l'Eglise ^.

YIU

L'Ecole Le centre du mouvement catholique en Allemagne n'était pourtant


de Munich.
pas à Vienne il était à Munich. De tous les
;
Etats allemands, la
Bavière était celui qui avait le moins subi l'influence du « système

1. Sur ce livre, qui exerça une action puissante sur les jeunes catholiques
alle-

mands de cette époque, voir Gotau, Mœhler, dans la collection la Pensée chrétieve^
uu vol. in-i2, Paris, 1906, et l'Allemagne religieuse, le catholicisme, t. II. p 24 '^5,
2. GoYAU, V Allemagne religieuse, le calhoUci^me, t II, p 43.
'6.Saint-René-Taillanoier, Revue des Deux Mondes du i«r octobre i843, p. 96.
4. GoYAL, op cit., t. II, p. 44-45.
5. Id., ibid, t. Il, p. 43-53.
LEON XII QI

Metlernich de la Sainte- Alliance K C'était aussi celui qui se mon-


» et

trait le ptus dévoué à l'Eglise. « En Allemagne, écrivait Brentane,


c'est la Bavière qui est allée le plus loin dans la corruption révolu-
tionnaire et, comme la France, elle est la première à réagir » 2. Cette

réaction s'était faite particulièrement à partir de 1825, date de l'avè-


nement au trône du roi Louis I*^ Au lendemain du couronnement du Lc roi
Louis le'
jeune prince, Gcerres, qui aimait à prendre les allures d'un prophète, de Bavière.
lui adressait, dans \eCatholiqae, cette prosopopée, mise dans la bouche

du prince Maximilien ressuscité : a Ce que tu veux édifier, ne le

bâtis pas sur le sable fugitif des opinions humaines, mais fais le re-

poser sur Dieu, citadelle de tout ce qui est solide. Sois un prince
€hrétien. Je veux dire une colonne de la foi et un protecteur de la
:

liberté de l'esprit 3. » Le roi Louis de Bavière ne devait pas rester


toujours et en tout la colonne sûre et solide saluée par Joseph Gœrres.

Mais, au débat de son règne, sa foi ardente et sincère, son dévoue-


ment sans mesure aux lettres chrétiennes et à l'art chrétien, légiti-

maient les plus belles espérances ; et ce qu'il y avait de fougueux,


de romantique dans sa riche nature était fait pour aviver autour de
lui les plus chauds enthousiasmes. Il rêvait d* « un règne de beauté,
s'étendant sur toute l'Allemagne », et dont ses amis, les artistes

tt nazaréens * »>, seraient « les hommes d'Etat ». ^ Dans un ordre li favorise


les arts
de choses plus positives, il avait tranché les multiples questions
et les lettrée
soulevées en Bavière par la promulgation du Concordat de 181 7 ^, chrétiennes.

en déclarant qu'il en observerait loyalement toutes les clauses suivant

l'esprit de 1 Eglise. Fidèle aux leçons de son maître vénéré, le prêtre


Sailer, il favorisa la vie religieuse et seconda les efforts des béné-
dictins et des rédemploristes dans l'évangélisation de la Bavière.
Somme toute, ce fut une brillante époque pour le catholicisme que
celle qui vit Joseph Gœrres, attiré à Munich par le roi Louis, Goerre»,
Dœllinger,
y passionner un public d'élite par ses leçons sur la Mystique, Ignace Brentano
Dœllinger y publier ses premiers travaux d'érudition sur l'Eglise et Schelling
des premiers siècles, Clément Brentano à Munich.
y populariser et y commen-

1. GoTAU, op. «'<., t. II, |). 63-64-


a. GoEKREs, Gesammelte Bricfe, III, p. agS.
3. Gel écrii est reproduit dans les Politische Schriften de Gobrres, t. V, p. a35-
a65.
h. Ilist. gén. de l Eylise, t. MI, p. 43i.
5. Cf. SAiNT-Ri:Né-TAiLL\NDiEH, Eludes sur la Révolution en Allemagne, t. 1,

f 445-/I/47.
6. Hisi. g('n. de l'Eglise, l. VII, p. Ao8-V^Q.
92 HISTOIRE GENERALE DE L ÉGLISE

ter les révélations de Catherine Emmerich, et Schelling lui-même,


entraîné par le mouvement, y déclarer, en combattant les blasphèmes
de Hegel, que le Christ historique lui paraissait ne pouvoir être con-
servé que par l'obéissance à l'autorité du pape.
Sans doute, dans les œuvres de chacun de ces écrivains on re-
trouve trop souvent ce manque de mesure, celte incompréhension des
nuances qui semblent être les défauts caractéristiques de la race alle-

mande, les rançons de ses incontestables qualités ^ Dans les quatre


La Mystique volumes de Gœrres sur la mystique, la science abonde, l'érudition
de Goerrcs.
déborde ; mais une impression de trouble résulte de la lecture de
cette encyclopédie de tous les merveilleux, divin et diabohque, où
l'on entend les extatiques raconter leurs visions, les stigmatisés faire
le tableau de leurs sanglantes douleurs, les possédés hurler dans
leurs contorsions et les sorcières célébrer leur infernal sabbat 2. Dans
son ouvrage de début, sur la Doctrine de l'Eucharistie durant les trois

premiers siècles, paru en 1826, le jeune professeur Dœllinger té-

moigne d'une grande connaissance des Pères mais on s'aperçoit ;

L«s premiers déjà que les soucis contemporains et une préoccupation immodérée
travaux
de réformes hantent et troublent cet esprit inquiet, qui, après avoir
de Dœllinger.
répandu à profusion dans de nombreux écrits les richesses de sa
science, essayera d'entraver par ses intrigues l'œuvre du concile du
Vatican et mourra obstiné dans le schisme ^. Brentano, converti du
Clément libertinage à la piété, se fait l'humble secrétaire d'une voyante illet-
Brentano
trée, Catherine Emmerich, au fond d'une bourgade de Westphalie,
et
les révélations et consacre sa vie à faire connaître au grand public les révélations
de Catherine
de la pauvre servante du Christ ; mais il le fait de telle sorte, qu'on
Emmerich.
a peine à distinguer, dans son œuvre, ce que Dieu a révélé à sa ser-,
vante et ce que l'imagination romantique de Brentano lui-même a pu
inconsciemment lui suggérer *. Moins profond que Gœrres, moins

1. ((Je n'ai jamais su verser de l'eau dans un verre sans le faire déborder, disait
Clément Brentano je ne comprends rien à la mpcJération et à la mesure ». (Blazb
;

DE BuRY, Revue des Deux Mondes, du i5 mars i845, p. ii24-; Un autre Allemand
de cette époque, Frédéric Schlegel, écrivait « Que 1 Allemand, que lui surtout ne
:

néglige pas étude de l'histoire


l car c'est là le remède le plus salutaire, l'antidote
;

le plus eCQcace contre cet esprit de l'absolu qui caractérise si proprement la science
allemande et sa direction spéculative ».(Fréd. Schlegel, Phil. de Vkist,, trad.
Lechat, Paris, i836, t II, p. 892.)
2. Sur la Mystique de Goerres, voir une étude de l'abbé Freppel, le futur évêqut
d'Angers dans le Correspondant du 25 mars i852, p. 742-758, et du 25 juillet i85a,
P- ^^^'^^^-

oa oc . .

3. Kannengiesbr, Catholiques allemands, un vol. in-12, Paris, 1892, p. Soi-ODg,


4. ScHMÔGER, Dos lebender gottseligen Anna Kalharina Emmerich, a vol., Fribourg,
Ltoy xn 93

érudit que Dœilinger, d'une piété moins ardente que Brentano,


mais d'un charme plus séduisant dans sa parole, François Baader,
professeur incomparable, déroule, à perte de vue, dans ses cours, François
Baader.
« qui se prolongent à l'angle des rues dans Munich, devant les pro-
meneurs émerveillés, la série de ses digressions, qui toutes confluent
vers une interprétation philosophique de l'univers. » Le philosophe
Schelling subit l'ascendant de Baader, qui l'incline vers le catholi-
cisme. Malheureusement Baader lui-même subit l'influence de la

philosophie panthéiste de Schelling, du mysticisme de Boehme, de


l'illuiuinisme de Saint-Martin, et s'avance de plus en plus dans une
voie qui aurait fait de lui un transfuge du catholicisme, si, au mo-
ment de sa mort, qui survint en i84i, il n'avait sincèrement renié
des théories dont il n'avait pas sans doute aperçu tout le danger
dans l'ivresse de ses merveilleux succès *. Par sa liaison avec Baader,
par l'ardeur avec laquelle il lutte contre l'anticatholicisme de Hegel,
Schelling paraît, un moment, assez orthodoxe, pour que Dœllinger Schelling.
songe à le faire collaborer à son journal Catholique. Mais on
le
s'aperçoit bientôt qu'il n'a rien abandonné de son panthéisme fon-
cier, et que la forme seule de sa philosophie, avec la sympathie de
son cœur, est devenue chrétienne.
Malgré tout, le mouvement de la pensée catholique à Munich Influence
enthousiasme les étrangers qui en sont les témoins. Montalembert, de l'Ecoie
de Munich
parlant des leçons sur la mystique qu'il avait entendues à Munich,
sur les
au pied de la chaire de Gœrres, écrit « Là s'ouvrit pour moi une :
catholiques
de France
source nouvelle d'études et de jouissances. * » Plus tard, Wiseman, et
saisi de la même admiration pour l'école de Munich, songera à d'Angleterre.

mettre en relations, par son intermédiaire, les clergés catholiques


de
l'Angleterre et de l'Allemagne 3 Rio, Falloux, garderont de ce mou-
;

vement scientifique et artistique un souvenir attendri *


et nulle part
;

l'école de ['Avenir, par ses défauts peut-être


non moins que par son
a dente et sincère foi, ne trouvera un écho plus vibrant et plus fidèle 5.

1867 et 1870
; Wegener, Anna Kalharina Emmerick und Clemens Brentano
«^'"ui.v,
Julmeti, 1900.
I. GoYAU, op. cit., t. II, p. 82-85.
3. Lecanlet, A/on/a/tm6erf, t. jer^
p. 383.
3. Ward, le card.
Wiseman, trad Gardon, Paris, 1900, t. I,
p i52
II. t/.LLovx Mémoires d'un royaliste, a vol. in-80, Paris,
1880, t. I F-
p i-2-i"3 •.
Rio, Epilogue a l art. chrétien, t. Il, y^
p. i65 et s
> •

.. Bo.TARD La A/.m,aù., t. Il, p. .08. 323-32^. Sur


l'école de Munich à cette
époque, voir d uUeressants détails donnés par
Charles Sainte-Foi (Eloi Jolrdvin)
dans ses Souvenirs de jeunesse, un vol. in-ia, '
'

Paris. 191 1, p. aZgXg


94 HISTOIRE GÉNÉnALE Dfci l'ÉGLISE

IX

L'Eglise Paris et Munich, la ville où écrivaitLa Mennaîs et celle où enseî-


;n*^AnKlèien-e d°^^^ Gœrres, étaient certainement, sous Léon XII, les deux foyers
les plus brillants de l'activité catholique. Mais on se ferait une idée

incomplète de cette activité si l'on oubliait deux autres centres im-


portants du mouvement religieux, deux villes de la Grande-Bretagne :

Dublin, où Daniel O'Connell luttait pour l'affranchissement de ses


coreligionnaires, et Oxford, où John Newman préparait lentement le

retour d'un grand nombre de ses compatriotes à la vraie Eglise.


La situation La cause que défendait O'Connell était à la fois nationale et reli-

catholi"isme
g^^^se. Depuis quatre cents ans que l'Angleterre l'avait conquise,
en Irlande, l'Irlande n'avait pas cessé d'être soumise à ce régime de terreur que
Ton comprend à peine, comme mesure transitoire, au lendemain
d'une conquête. Or, ce régime atteignait aussi bien la foi religieuse

des Irlandais que leurs sentiments patriotiques. C'est à titre de con-


quérants et comme protestants que les Anglais s'étaient attribué toutes
les terres du pays, qu'ilsy rendaient la justice, qu'ils y laissaient les
^rois quarts de la population dans un état de misère lamentable.
D'après une enquête faite en 1822, sur les sept millions d'habitants
que contenait l'île, on comptait cinq millions sept cent cinquante
mille catholiques, répartis en trente-deux diocèses et plus de mille
paroisses. Mais, dès l'époque de la Réforme, le gouvernement anglais
avait nommé à tous les bénéfices existants des évêques et des pas-
Condition teurs anglicans. Comme les catholiques ne voulurent pas accepter
amen au e
j^^^ direction, il en résulta que chaque cure de paroisse eut deux
titulaires : le ministre protestant, riche, entouré de confortable, et
le curé catholique, languissant dans la misère comme son troupeau,
ne comptant pour vivre que sur l'aumône de ses pauvres fidèles. Un
historien anglais, Macaulay, n'a pas craint d'écrire que, par ce
régime d'oppression, le gouvernement britannique avait donné le

spectacle de « l'institution la plus injustifiable et la plus absurde du


monde civilisé ». Depuis 1793, les Irlandais possédant un revenu
annuel de 4o schellings étaient électeurs ; mais ils ne pouvaient voter
que pour des députés protestants, seuls capables de prêter le serment
du test ^ et disposés d'ordinaire à s'entendre avec la majorité angii-

I. Voir Hist. gén. de l'Eglise, t. VII, p. 28.4.


LÉON XII 95

cane du parlement anglais. En 1797, les Irlandais, à bout de patience, ^l^'J^I-^J^l


s'organisèrent en bandes armées. Pitt, en 1800, entreprit de réduire jes Irlandais,

l'opposition irlandaise, en enlevant à l'Irlande son parlement, et en


promettant d'abroger les lois qui frap[)aient les catholiques d'inca-
^.^^ j''iî^',ao;i

pacité civile. L'île redevint tranquille, en ce sens que la tyrannie des

riches sur les pauvres, des protestants sur les catholiques, y fut

affermie ;
et l'ont put prévoir avec certitude que les promesses faites

par le gouvernement ne seraient pas tenues.


Les catholiques irlandais renoncèrent, dès lors, dans leur ensemble, Lf«

à recourir à l'Insurrection mais leur mécontentement se manilesta


; organisent

par une opposition légale, obstinée, irréductible, à leurs maîtres ''"^


J'PJ^j^'^^*'"

protestants. Le jour même où les cloches de Saint-Patrice, à Dublin, gt pacifique,

annoncèrent le bill d'Union imposé par Pitt et l'abolition du parle-

ment irlandais, un jeune avocat de 26 ans, Daniel O'Connell, pro-


nonça, devant une assemblée de catholiques réunie à la Bourse, un
discours de protestation. « Dès le matin de ce jour-là, disait-il plus
tard, j'avais fait serment que le déshonneur ne durerait pas, s'il

dépendait de moi d'y mettre un terme. » Daniel O'Connell était né


n'r''"^^\i
en 1775, dans le comté de Kerry, d'une ancienne famille dévouée de (17-^5.1847).

tout temps au catholicisme et à l'Irlande. Cet homme qui, sans être


jamais, comme l'a dit Lacordaire, « ni prince, ni capitaine, ni fon-
(latonr d'empire », devait, en restant « simple citoyen, plus gouverner
que les rois, plus gagner de batailles que les conquéranis, plus faire
que tous ceux qui ont reçu d'ordinaire la mission de détruire ou
d'édifier* », avait reçu le tempérament à^Y agitateur C'est . la quali-
fication qu'il devait se donner lui-même. On a dit d'O'Connell qu'il '^°'* caracièr©.

y avait en lui trois hommes : dans l'intérieur de la maison, un


homme doux, pacifique, d'humeur joyeuse, semblant n'avoir d'autre
horizon que celui des joies de la famille et d*e l'étude silencieuse ; au
barreau, un avocat affairé, expert à fouiller dans l'énorme arsenal
des lois britanniques, toujours suivi par une foule d'avoués et de
clients ; dans les meetings populaires qu'il présidait, un incompa-
rable tribun, maître de son auditoire comme nul ne le fut jamais,
sachant faire vibrer tour a tour les fibres les plus intimes de l'indi-
gnation, de l'ironie, de la joie, de l'enthousiasme. Mais ce qui per- ?*,(°*
..
sistait sous
f ^^
toutes ces formes diverses, ce qui en
z»-. catholique,
faisait unité,
1 c était

1. LAConoAiRE, Eloge funèbre d'O'Connell, dans les Œuvres de Lacordaire, cdil,


Poussielgue, t. VIII, p. 16a.
96 HISTOIRE GE?CERALE DE L EGLISE

le caractère incorruptible du chrétien sincère, faisant passer avant


tout, dans sa vie publique comme dans sa vie privée, l'obéissance aux
lois de Dieu et de l'Eglise S c'était la loyauté du citoyen, se refusant
à transgresser la moindre des lois de son pays. « Ne pas faire verser

une goutte de sang, et respecter toutes les lois de l'Angleterre » :

telle fut sa constante devise. D'une incroyable activité, on le voyait,


dans une même journée, prendre la parole en des villes et des bourgs
très éloignés les uns des autres. Il recrutait des adhésions et des sous-
criptions, organisait des assemblées, soulevait les masses, et s'age-
Son nouillait devant la reine si elle se trouvait sur son passage. Mais
éloquence.
c'est surtout dans les grandes réunions populaires, qu'il présidait en
plein air, que son action se développait dans toute sa puissance.
« L'éloquence d'O'Gonnell, écrit un de ses contemporains, est alors
une éloquence sans nom, prodigieuse, saisissante, impréparée, et que
n'entendirent jamais ni les anciens ni les modernes. C'est le grand
O'Connell, debout sur le sol de la patrie, ayant les cieux pour dôme,
la vaste plaine pour tribune, un peuple immense pour auditoire, et

pour écho les acclamations universelles de la multitude... Il s'iden-

tifie alors avec son peuple, il vit de sa vie, il rit de ses joies, il saigne
de ses plaies, il crie de ses douleurs... Mais il s'enferme et se mure
dans la légalité, comme dans une forteresse inexpugnable. Il est

hardi, mais il est peut-être encore plus adroit que hardi. Pointilleux,
retors, madré, fin procureur, il ravit par la ruse ce qu'il ne peut arra-

cher parla force. Où d'autres se perdraient, il se sauve. Sa science le

défend de son ardeur ^. »

H réorganise Une « Association catholique » s'était formée en Irlande, en 1810,


T Association
sous la direction d'un ouvrier en soie, John Keogh. O'Connell la
catholique.
réorganisa. Elle eut ses magistrats, son trésor, ses journaux. Elle
scruta tous les actes du gouvernement britannique. Le Parlement
vota une loi interdisant ces sortes de sociétés. L'Association catho-
lique se déclara dissoute, et se reforma aussitôt en changeant ses
Le [)rogramme statuts. Sa ha';diesse s'accrut. Elle ne demanda plus seulement
lie ses
l'émanci, ation des catholiques, mais le « rappel de l'union ». Elle
revendica-
tions : répartit les afl^aires entre trois comités particuliers, perçut des con-

I. En
i8i5, il avait eu le malheur d'accepter un duel et de tuer son adversaire.
Dans douleur, il fit le vœu de ne jamais plus donner ni accepter un défi, et il
sa
resta fidèle à ce vœu, malgré les vives polémiques auxquelles il fut mêlé pendant le
reste de sa vie.
a. Timon (L, dk Gormenin), le Livre des orateurs.
LEON XII OT

l'emancipatiott
[rib< liions dans chaque paroisse par l'inlermédiaire des curés, soiis

la surveillance des évoques, et concentra les plaintes elles vœux des cailioiiques

pour les faire parvenir jusqu'au trône. "PF^


Irlandais
Cette
.

agitation,
. .

toujours légale,
w 1
niais
. •

toujours croissante,
-, de
1
^}
de
^f,
l union.

six millions d'opprimés, obéissant aux ordres d'un clief profondé-


un bon nombre d'hommes d'Etat. Les whigs Attitude
ment respecté, effraya
se montrèrent
, ,,,
généralement
,. ,,
disposes a
,
voter des mesures favorables
c 11 ^''s homme-
j Etat de

à la cause irlandaise. Les tories se divisèrent. En 1827, Canning, l'Angleterre

membre du parti des tories parlementaires, et f:ivorabie aux catho-


liques, devint premier ministre. Mais sa mort, survenue bientôt après,
fut l'occasion d'une dislocation du ministère. L'émancipation des
catholiques fut repoussée. O'ConncU fit alors une expérience, pour
convaincre le oouvernement de la nécessité de céder.

En juillet 1828, il se pi'ésenta aux élections du comté de Clara L'élection

«'onlre
Il
un membre du
' '

niinislcre, et, bien


,y i. I
• '•

qu mconnu dans 1 1
la cir-
• de Clare
',8a8L
conscription, bien que légalement incapable de siéger au parlement
en tant que catholique, il fut élu avec de telles démonstrations popu-
laires, qu'au soir de l'élection le grand agitateur s'écria : (( Main-
l(jiia[it, l'Irlande est libre ! » Il voulait dire que sa cause était désor-

mais moralement gagnée devant l'opinion publique.


A la rentrée des Chambres, Robert Peel et Wellington, au nom
du ministère, se décidèrent à demander l'émancipation des catlio- Le roî

liques. Le roi Georges IV consentit, puis refusa. Peel offrit sa démis- hésite
sion. Mais le roi ne trouva personne qui voulût se charger du mi-
nistère. La voix d'O'Connell se faisait plus redoutable. Il prétendait
hautement, malgré sa qualité de catholique, siéger à la Chambre des
Communes. S'i' refusait de reconnaître la suprématie prolestante, il

offrait de prêter à la reine le serment d'allégeance. Comme les


anciens triomphateurs, il prétendait entrer dans la place par une
brèche. Les ministères, effrayés de son audace, des manifestations
lormidables qui 1 appuyaient en Irlande et des sympathies qu'il
gagnait de plus en plus en Angleterre auprès des libéraux, se déci-
dèrent, le i3 avril 1829, à faire voter le bill d'émancipation des Le bîli
'^''~
catholiques. Il fut accepté par 3/|8 voix contre 160. Tout catholique ^ "^"^^^^'^

qui jurerait fidélité au roi serait déclaré électeur et éhgible. Tout l3av^il^8.'^^)

catholique serait déclaré admissible aux emplois civils et mililaires,


à l'exception de quelques hautes fonctions ^

1 Sur les négociations qui précédèrent le vole du bill, voir ARfAtu, Uhl.de
Léon XJI, t. 11, n. 286-290, 335-34a, 39^899, 4n-4iO.
Hisi. aeii. (lo l'E^lise^ — Mil n
9^ HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLISE

!à'-^'
O'Connell n'avait pas seulement libéré
les catholiques d'Irlande,
'd'^m^anci
tionetde L'acte d'émancipation embrassait, dans la plénitude de ses
termes
la campagne lont l'empire britannique, non seulement l'Irlande, mais
l'Ecosse'
la Orrande-Brelagne et ses colonies. Plus de cent millions
d'hommes,
sur des rivages baignés par vingt mers, pouvaient désormais
se dire
catholiques sans être traités comme un troupeau d'esclaves.
Tous les partis Le d'émancipation des catholiques
I accueillent ,,.
bill
,, ...
fut salué comme un bienfait
^, . .

avec ^ immense portée par 1 opinion publique et par les cours de l'Europe,
enthousiasme, par les représentants les plus avérés du libéralisme en France et en
Allemagne et parles porte-voix les plus autorisés des vieilles dynas-
ties. Tandis que les disciples de La Mennais et de Gœrres y voyaient
« une préparation, pour les siècles à venir, de l'affranchissement des
peuples chrétiens opprimés par la main de fer du despotisme ^
», !e
prince de Metternich écrivait, le 19 avril 1829, au nom de l'empereur
dViutriche, à l'ambassadeur Esterhazy Nous voyons dans cet
: «

événement (l'émancipation des catholiques), non seulement le


triomphe d'une cause, mais également la consohdation d'une admi-
- iiistraiion sur laquelle reposent nos dernières espérances de sal ut
universel... L'empereur désire que Votre Altesse exprime de sa paît
à Zd Majesté Britannique ses sincères félicitations sur l'issue d.'une
Affaire qui ajoutera un nouveau fleuron à la gloire de son règne ^, »

Le La désapprobation du bill d'émancipation, ou, du moins, v.\ e


mouvement , . . , . . ^ , , •! i i
d'Oxford certaine anxiete au sujet des conséquences possibles de cet acte
législatif, se rencontra pourtant chez plusieurs membres éminents et

sincèrement religieux du clergé anglican. Nous avons vu qu'à l'époque


même où O'Connell menait sa vigoureuse campagne en faveur de
ses compatriotes catholiques, quelques esprits graves et pieux, frappés
de la décadence de l'Eglise anglicane, avaient rêvé de lui communi-
quer une nouvelle vie- en la retrempant à ses sources anciennes. De
ce nombre était John New^man. Cette liberté accordée à un culte

élrauger, admis presque sur le même pied que le culte établi, leur

Lacordaire, Œuvres, t. VIII, p. 175.


1.
Metternich, Mémoires, t. IV, p. 689.
2. Sur O'Connell. voir John O'Conneel, —
Life and Speeches of Daniel O'Connell, 2 vol. in-S", Dublin, 1847; J. GoaDo:f,
Biotjraphie de Daniel O'C'oinell, un vol. in-i3, Paris, iSli'j.
Lto^ xn or>

comme une sorte de trahison envers la vieille Eglise J'ourquoi


apparaissait
'îes chefs
nationale. Cette apparente indifférence leur semblait dictée, au moins ne partagent

en partie, par ce libéralisme révolutionnaire dont Ncwman se méfia pas


la sympathie
toute sa vie *. Ncwman ignorait en ce moment que lui et ses amis presque
demander aux pratiques et aux dogmes catholiques,
iraient bientôt
universelle
soulevée
de mieux en mieux connus par eux, la régénération de l'esprit chré- par
Leurs préjugés allaient la campagi.e
tien dont ils se préoccupaient à juste titre ^.
d'O'ConncU.
tomber peu à peu.
Pour se rendre compte de pareils sentiments chez des âmes par Leurs préjiig«îs
à l'égard
ailleurs généreuses et élevées, il suffit de remarquer que le catholi-
du
cisme leur apparaissait alors, à travers les calomnies protestantes, catholicisme.

comme une abominable corruption du christianisme. Etant éco-


lier, Newman « croyait fermement que le pape était TAntechrist
prédit par Daniel, saint Paul et saint Jean ; et telle était sa passion,

qu'il avait effacé, dans son Gradiis ad Parnassum, les épithètes qui Chez
.Nevvrnnn,
accompagnaient le mot pape, comme vicarius Christi, sacer inter-
ces prf.ijgéi
pres, et les avait remplacées par des qualifications injurieuses » ^. tombent
peu à pe««
De 1822 à 1824, Newman vit tomber quelques-uns de ses préjugés,

par suite de ses relations avec un professeur de théologie, le D' Llo} d,


dont il suivit les conférences. Lloyd, qui avait connu dans sa jeu-
nesse des prêtres français émigrés et avait été à même d'admirer leurs
vertus et d'apprécier leurs doctrines, cherchait à ramener ses élèves
à des vues moins malveillantes à l'égard de l'Eglise catholique *.

Les rapports d'intimité qui s'établirent, peu de temps après, entre


Newman et deux jeunes anglicans plus inclinés vers le catholicisme,
Keble et Fronde, continuèrent l'œuvre commencée par Lloyd. La
lecture des anciens Pères, que les trois jeunes gens étudièrent avec
passion, pour y chercher des éléments de régénération chrétienne,
détruisit, dans leur esprit, bien des idées préconçues. Les relations
amicales et la collaboration d'idées qui s'établirent entre eux et un

I. Par libéralisme, Newman entendit toujours le rationalisme antidograatique,


•t, comme il l'a défini lui-même, on soumet au jugcnu ut
« l'erreur par laquelle
humain doctrines révélées » D'autre part, Newman compta parmi ses meillmn
les
amis plusieurs catholiques qui, tels que Lacordaire et Montalcmbert, se procla-
maient libéraux en un sens différent.
a. Sur celte attitude de Ncwman, voir Thi re.vu-Dangin, Ui Renaissance cath. en
AngL, t. I, p. ^S-^c).
TuunEAL'-DANGiN, op. cU., t. I, p. 18
3. —
Suf Ics calomnies répandues eJi
Anglclerre contre les catholiques, el sur les efforts faits par l'épiscopat de la GranJe-
Brctntne pour les détruire, voir Artaud, Hist. de Léon XIL t. II, p. 2o3-ai3,
a6G-n()8.
4. Op. cit., p. aô.
100 HISTOIRE GKVKRALE DE L ÉGLISE

Edward quatrième personnage, Edward Pusey, eurent un semblable résultat.


"'^^
Pusey, esprit indépendant de toute école, mais d'une piété douce et
austère, rcvait, comme Newman, Froude et Keble, d'infuser à l'E-
glise d'Angleterre une vie intérieure plus conforme à l'esprit évan-
gélique ; mais, chose étrange, quantî il cherchait à répandre autour
de lui des livres, des prières répondant à son but, il les trouvait
presque toujours parmi les livres et les prières en usage dans l'Eglise
romaine. Bref, vers 1827 et 1828, une telle transformation s'était
déjà produite dans l'esprit de NeAvman, qu'il écrivait que « son
esprit n'avait pas trouvé son repos », qu'il « était en voyage », qu'il
se sentait « avancer lentement, conduit en aveugle par la main de
Dieu, ne sachant où Celui-ci le menait » ^. Aussi, à cette époque,
refusa-t-il designer une pétition tendant à dénier les droits des
catholiques ^ ; mais il persistait à penser que la faveur rencontrée par
le projet d'émancipation était « un signe des temps, une preuve de
l'invasion du philosophisme et de l'indifférentisme ». ^ Malgré tout,
la vérité était en marche dans cette âme droite et sincère. Nommé,
en 1826, tutor * dans le collège d'Oriel, position qui lui donnait une
influence considérable sur les jeunes gens de l'université d'Oxford,
Newman puis promu, en 1828, tout en conservant ses fonctions de tutor, à
tutor d'Oriel
et curé de l'important vicarage ^ de Sainte-Marie d'Oxford, ses instructions au
Sainte-Manc peuple, ses directions intellectuelles aux jeunes gens qui se pressaient
autour de lui, s'inspirèrent de la transformation qui s'opérait dans
son âme. Il devint un centre. De cette époque datent les relations

qu'il noua avec plusieurs étudiants, Henry Wilberforce, Frederick


Son influence.
Rogers, qui s'appellera plus tard lord Blachford, et William Glads-

tone, le futur premier ministre. De ces jeunes gens, de ces amis,


les uns le suivront jusqu'au catholicisme, d'autres s'arrêteront en
chemin ; mais tous conserveront à John Newman . après comme
avant sa conversion à l'Eglise romaine, un culte de vénération qui ne

s'éteindra jamais.

1. Thureau-Dangin, op. eit.^ t. I, p 36.


2. Ibid., p, h<^.
3. Ibid.
4. Le auprès des étudiants l'office d'un répétiteur. Ce poste donnait
tutor faisait
d'ordinaire une influence très grande.
appellerions
5 On sait que, dans l'Eglise d'Angleterre, le vicar est ce que nous
en France le curé, tandis que celui qui remplit les fonctions de vicaire se nomme

eurate.

f^ "f&-.c^

8T. l«HCKACL''d

LmkKH
LLON XII 10 1

XI

Le pape Léon XII ne put ctre témoin ni du bill d'émancipation Atiltud^^

des catholiques anglais, ni du mouvement de conversion au calholi- ^^ iéon\


cismc que préparait Newman. Il était mort depuis deux mois quand au milieu

parvint à Rome la nouvelle du grand acte du parlement qui rendait événements


la liberté aux catholiques. Mais il y avait collaboré d'une manière qui

aussi ciïicace que discrète, et c'est ajuste titre que ses historiens lui
^^^^"^^^[1'^^^
en font honneur ^. Une intervention directe du Saint-Siège dans la

campagne menée par O'Conncll, où les protestants affectaient de

ne voir que les menées d'un parti politique, aurait pu avoir plus
d'inconvcuicnts que d'utilité. Léon XII s'en abstint ; mais par les

lettres qu'il échangea avec le roi Georges IV 2, par les encourage-


ments et les directions qu'il donna aux évêques catholiques anglais 3,

il contribua puissamment au succès du mouvement qui aboutit au


bill libérateur.
Le souverain pontife montra le même esprit de sage mesure et de L'Eglise
catholique
tact politique
^ dans les affaires qui
^ troublèrent l'Espagne durant son
y
^ *-"
en rispagne,
pontificat.
Parmi les populations héroïques qu'on avait vues, de 1808 à 181 4,
se lever pour la défense du sol espagnol et tenir tête aux armées de
l'empire, on pouvait distinguer, à côté des purs héros dont le patrio-
tisme et la foi étaient les seuls mobiles, deux classes d'hommes. Les
uns songeaient moins à défendre la monarchie et la religion, que la
liberté de leurs juntes, l'indépendance de leurs guérillas. Les écrits
des philosophes français et les principes de la Révolution n'avaient Les
catholiquet
point pénétré chez eux; mais, démocrates inconscients, libéraux
. , .
^ , , , .
espagnols
sans le savoir, ils étaient prêts à accepter et à défendre toute institu- en i8i4.
tion politique favorisant la souveraineté du peuple, limitant les pou-
voirs du roi et du clergé. Aussi furent-ils les champions de la Cons-
titution de 1812, qui donnait aux Gortès une autorité prépondérante.
A l extrême opposé, des masses populaires acclamaient les privilèges

du clergé et le pouvoir absolu du roi, moins par conviction réflé-

1. Artai D, t 11, p. 4i6 ; Crétinea.u-Jolt, l Eglise romaine en face de la liévO'


lulion, t. Il,
p. i{)5.
3. ArT.VLD, II, 2l)2-30ci.
3. /J., II, 2o4-aia ; CȃJiKEA.c-JoLY, op. ci7., 1. 11, p. i64-iC5.
102 HISTOIRE GÉ>fÉRALE DE LÉGLISK

chie que par instinct batailleur, rancune contre les classes élevôcs,
bourgeois, nobles, lettrés, qu'un roi absolu dominerait, qu'une inqui-
sition puissante frapperait sans pitié, « démagogie de forme particu-
lière, moins bideuse qu'ailleurs, parce que le peuple avait plus de
foi, un plus baut sentiment de dignité et d'honneur national, et que
1 action de la religion comprimait, ennoblissait en partie ses pen-
chants » ^ Ces masses joignirent leurs clameurs bruyantes aux accla-
mations par lesquelles la noblesse de cour, le clergé presque entier
et nombre de hauts dignitaires de l'armée et de la magistrature,
Le roi accueillirent, en i8i4, le retour du roi Ferdinand VÏI. Celui ci,

grisé par ces manifestations enthousiastes, rétablit aussitôt le pou-


*^Vn*"
voir absolu, et en un imprudent usage. Des inégalités arbitraires,
fit

des privilèges injustifiés furent rétablis ou institués. Les exils, le»


emprisonnements, les déportations se multiplièrent. Le gouverne-
Il f^t ment de Ferdinand VII n'eut rien, par ailleurs, de cette continuité
\isaffe
^^ ^® cette unité dans la direction des affaires, par lesquelles ios

de son j)ouvoir monarchies arbitraires se font pardonner leur despotisme. Les inté-

rêts généraux de l'Etat ne furent pas moins sacrifiés que les inté-

rêts particuliers. Les ports de mer étaient désertés, les arsenaux


vides. Quand il voulut faire un effort pour réprimer l'insurrection
des colonies espagnoles d'Amérique, qui venaient de profiter des
troubles de la mère patrie pour se déclarer indépendantes, Ferdinand
fut réduit à acheter à la Russie cinq vaisseaux et trois frégates ; et

quand cette escadre arriva à Cadix, on s'aperçut qu'un vaisseau et


une frégate seulement étaient en état de naviguer. Le corps expédi-
Sa politique tionnaire ne put s'embarquer. Le dévouement à l'Eglise, que le roi
professait si haut, était lui-même sujet à caution. Il suspendit la
'^Vnsoire^
-^es traditions nomination des prélats, afin d'employer à l'extinction de la dette les

t^oséobistes
^evenus des sièges vacants ; et l'Inquisition sembla devenir, entre ses
«i-joséphistes.
mains, un rouage de l'administration royale.
Une réaction était inévitable. Elle éclata, injuste, violente, révo-

lutionnaire, s'attaquantau roi, au clergé, à l'ordre social tout entier.


Insurrection Le i" janvier 1820, deux jeunes officiers soulevèrent les troupes du
de i8ao.
corps expéditionnaire, qui attendait vainement, à Cadix, l'ordre de
partir pour l'Amérique. Le mouvement se propagea Le général
O'Donnell, chargé de combattre l'insurrection, fit cause commune
avec elle. Les sociétés secrètes en prirent la direction. Ferdinand,

I. L. de Carné, Vues sur l'Histoire contemporaine, Paris, i833, t. I, p. 3i6-3i7.


LEON XII I03
/

assailli dans sa capitale, se décida à jurer la constitution de 1812 et

à promettre des institutions libérales. Il était trop tard. La Révolu-


tion le maintint prisonnier dans son palais, tandis qu'elle confisquait

les biens d'Eglise, pour combler le déficit et garantir des emprunts.


Les puissances alliées s'.émurent, non sans raison. Les représen-
tants de la France, de la Russie, de l'Autriche, de l'Angleterre et de
la Prusse, réunis à Vérone, le 20 octobre 1822, se préoccupèrent
d'un mouvement qui leur parut « menacer les bases du système
européen ». « Le désordre qui a bouleversé l'Espagne, écrivait
Metlernich, est du genre de ceux qui empoisonnent et attaquent le L'expédition

principe de vie ^. » La France, engagée à fond par ses deux plénipo- cnT^^p'^ie
tentiaires, Montmorency et Chateaubriand, se chargea seule de l'ex- (iS^a^.

pédition. Au désir de défendre l'ordre social et religieux menacé par


la Révolution, se mêlait une préoccupation d'intérêt dynastique.
Chateaubriand avait su communiquer au roi Louis XVIII son grand
rêve. « La légitimité, dit-il, allait pour la première fois brûler de la

poudre sous le drapeau blanc, enjamber d'un pas les Espagnes,


réussir sur le même sol où naguère les armées d'un conquérant
avaient eu des revers, faire en six mois ce gii'il n'avait pu faire en
sept ans -. Ce rêve se réalisa. Le gouvernement espagnol, désor-
»
ganisé, manquant à la fois de soldats et d'argent, ne put opposer aux
Français une résistance efficace. Le duc d'Angoulême, chargé du
commandement de l'expédition, se couvrit de gloire à la prise du
fort du Trocadéro, clé de la défense de Cadix, où le gouvernemcit
s'était réfugié. Un des buts de l'expédition était atteint : la France
venait de montrer à l'Europe qu'elle avait retrouvé une armée. Mais
le second but, la pacification de l'Espagne, partant de l'Europe, ne
fut pas réalisé. Ferdinand VII, en reprenant le pouvoir, dédaigna les

conseils de modération que lui donnait le duc d'Angoulême, sévit


contre les vaincus avec une impitoyable rigueur, et prépara par là

de violentes représailles, qui troublèrent le reste de son règne. D'au-


tre part, les colonies espagnoles d'Amérique, continuant à profiler
des embarras de la métropole, s'en étaient définitivement séparées.
pape Léon XII avait suivi avec anxiété tous ces événements.
]jQ. Atiituda

L'échec des sectes révolutionnaires ne pouvait que le rassurer. Aussi,


Léoa iii
à la première nouvelle de la victoire française, iavita-t-il le corps

I. Mktternich, Mi'moires, t. IV, p. 07.


a, CuA.TBA.uniu.vM), MtUnoires d' Outre-tombe, édit. Biic, t. i\ |). a85.
,
lO/j -HISTOTRE GÉNFRVLF, DE l'ÉGUSE

clij'lornaliqne et le Sacré Collège à un Te Deum d'actions de grâces,


qui lut cclt'bro dans la basilique de Saint-Jcan-de-Lalran ^ Mais il

ne voulait pas, d'autre part, trop se solidariser avec la cause de


Ferdinand VÎT. C'eût été retomber dans des pièges dont il avait eu
Il accorde déjà de la peine à s'échapper-. Il résolut de récompenser par une
,.
.^^^. haute distinction honorifique le général qui, dans celle aflidro,
listinc lions , , . •
. i , ,

iionorifiqiies s'était montré aussi modéré dans que vaillant dans h^s
ses conseils
au duc combats hommage
; e! il fit au duc d'AngouJême des deux insi'?nes
traditionnels par lesquels ses prédécesseurs avaient honoré les grands
défenseurs de la chrétienté : don Juan d'Autriche, après la bataille

de Lépante ; Sobieski, après la bataille de Vienne ; le prince Eugène,


après la bataille de Pétervaradin. C'étaient une sorte de chapeau du
moyen âge, appelé en italien beretione, et une lourde épée, nommée
îl entre stoco '^
. En même temps, pour bien montrer qu'il n'était pas
en relations inféodé à monarchie espagnole,
la il n'hésitait pas à entrer en rela-
«vcc les ^

Uépubliques tions avec les Etats d'Amérique qui venaient de se séparer de l'Es-
americaines p^ .^^ gj ^ç, gg constituer
^
en Républiques*. Plusieurs siècres
o épisco-
qui viennent ^ /
.
"^

,
i.

de se séparer paux y étaient vacants. L'Espagne, bien qu ayant perdu toute auto-
«iel Espagne,
j-ité eiTicace sur ces pays, réclamait avec persévérance le droit de
présenter des candidats à ces évêchés. Léon XII, dans le consistoire
du 21 mai 1827, déclara aux cardinaux qu'il venait de pourvoir ces
Eglises « de dignes serviteurs, par les soins desquels, bientôt lavées
de leurs souillures, elles refleuriraient, et donneraient des fruits
abondants de salut » ^. Il venait d'agir ainsi sans le concours de per-
sonne, mais en vertu de sa seule autorité apostolique et de son devoir
Protestations primordial de paître les agneaux et les brebis. La cour de Madrid
de la cour montra du mécontentement. Ferdinand VII manifesta sa mauvaise
de Madrid. , , •
nr rn-i • ^ ' ht 1 •
i

humeur en dilierant de recevoir Mgr Jiben, envoyé a Madrid en


qualité de nonce. Dans une même inspiration, le gouvernement
espagnol diminua, à cette occasion, les secours qu'il avait l'habitude

1. Vbtatjd, Hist. de Léon Xll, t. I, p. 120 28. i

2. A gouvernement français
la date du 2 décembre 1828, le chargé d'affaires du
à Rome, Artaud de Mentor, écrivait à Chateaubriand « Léon XII, en maniftslant :

son assentiment aux mesures nobles et vigoureuses qui ont contribué au rétablisse-
ment de l'autorité du roi d'Espagne, cherche les mo)ens d'éviter d'être dominé en
cela par la faction qui Ta élu. » (Artaud, op. cit. y t. I, p. i3o).
3. Artaud, t IT. p. 3/i-35, 43-^6.
'j. De i8io à 1832, le Mcxi-Tue, le Guatemala, la Colombie, le Pérou, l«

Par.î/j^uay et la Plata s'étaient séparés de l'Espagne.


6. Artaud, If, 299.
LÉori xn T03

écrivit au roi d'Es-


d'envoyer en Terre Sainte ^ Le souverain pontife
depuis plus de
pagne « Parce que nous plaçons des évêques là où,
:

vous menaciez
douze ans, vous ne commandez plus, faut-il que
Encrgîqne«i
même vos Etats d'Espagne, restés fidèles, d'un système d'altercations déclaralions
avec le Saint Siège? Nos devoirs viennent
d'En haut. Vous ne pou- de Léon XII.

vez pas dire que nous n'avons pas écouté votre ambassadeur,
M. de
Vargas. Il serait lui-niéme auprès de vous, qu'il vous
rendrait

compte en témoin vcridique de noire vive douleur d'avoir aujourdhui


aux désirs de Sa Majesté Catholique 2. »
à résister
RéU-
M. de Labrador, envoyé peu de temps après à Rome par Ferdi- bllssement
nand VII, en remplacement de M. de Vargas, eut la joie de contri- de la bonr.f)
harmonie
buer au rétablissement de la bonne harmonie entre la cour d'Espagne entre le
et le Saint-Siège. Saint-Sièpç
et rEspagn<5,

XII

L'E^'li-e
Les troubles d'Espagne avaient eu leur répercussion en Italie ; et
catholique
îà aussi Léon XII, tout en ap[)laudissant à la répression des menées en Italie.

révolutionnaires, n'eut pas toujours à se louer de l'allilude des pou-


voirs absolus à son égard.
Les sociétés
Par le nombre toujours croissant de ses sociétés secrètes, qui, sons
sccrètP"
divers noms et sous diverses formes, étendaient leurs ramifications, en IUl:«^.

non plus seulement dans les Abruzzes, mais aussi dans les Romagnes,
dans le Piémont, dans la Lonibardo-Vénétie et dans les duchés,
l'Italie avait désormais des cadres constitués pour une agitation
révolutionnaire. Pour qu'elle éclatât, il suffisait qu'un peuple voisin
don ; \l l'exemple, ou qu'une mesure répressive extraordinaire, éma-
nant de l'autorité, parût une provocation. Les deux faits se produi-
Insurrection
sirent presque simultanément. En 1820, Ferdinand I*', roi des Deux-
de iSao.
Siciles, essaya d'opposer aux carbonari les calderari ou chaudron-
niers, qui se firent les soutiens du pouvoir absolu. En même temps,
la nouvellede la révolution d'Espagne parvenait en Italie. Le 2 juillet,
deux jeunes Ta
sous-lieutenants de l'armée napolitaine, Morelli et
Constitution
Silvali, à l'instigation du prêtre Minichini, soulèvent la troupe, se espagnole
diligent vers iNaples, el forcent le roi de i8ia
à jurer la constitution espa-
estacclamée
en Itali •.

I. Ces secours furent totalement su|i|)riiiics en iS.?5.


a. \RTAi:n, II, .Soo
loG HISTOIRE GENEKALE DE L EGLISE

gnole de 1812. Le mouvement de révolte gagne le Piémont, où ime


assemblée révolulionnaire se déclare « junle de la confédération
itaiicime », et proclame pareillement la constitution espagnole. Les
Tntervenlion monarques alliés, réunis en congrès à Troppau, en octobre-décembre
lies puissances

alliées. 1820, chargent l'Autriche d'intervenir en Italie. L'armée autrichienne


disperse les révolutionnaires à Novare. Mais la haine contre l'étranger,
c'est-à-dire contre l'Autriche et contre les puissances alliées, ne fait
Recrudescence que croître. Les sociétés secrètes exploitent le sentiment national
de l'agitation
rôvo- pour parvenir à leur but, qui est la Révolution antisociale et anti-
lutioanaire. religieuse. Les monarchies essayent en vain, quand tout leur semble
perdu, de composer avec elles, de leur donner des gages. Leurs con-
cessions ne fout qu'exciter l'audace de la secte. Léon Xlï, s'entre-
tenant avec le cardinal Bernetti, s'écrie Nous avons pourtant averli : «

les princes, et les princes dorment encore Nous avons averti leurs !

ministres, et leurs ministres n'ont pas veillé » Le carbonarisme M


Les sociétés va jusqu'à établir ses « ventes » dans Rome même ^. Une presse
secrètes
à Home. soudoyée par elles répand à profusion la calomnie contre toute auto-
rité établie, essaie de compromettre lEglise dans les mesures prises
par les princes. L'attentat commis contre le cardina' Rivarola, en
1826, à Ravenne, est un des résultats de ces malsaines excitations 3.

Le roi Cependant, au milieu de tous ces troubles, le roi de Naples, ma-


do Naples
soulève,
nifestement soutenu par les souverains alliés, trouve le moyen 'e

une fois revenir sur cette éternelle question de la haquenée ^^ qui, depuis le
de plus,
la « question
moyen âge, avait si souvent mis aux prises la monarchie sicilienne
de la avec le Saint-Siège, et que le concordat de 1818 semblait avoir défi-
haquenée ».
nitivement réglée. Le 9 avril 1826, le baron de Damas, ministre des
affaires étrangères en France, est chargé par l'ambassadeur de Naples,
Fuscaldo, d'intervenir à ce sujet auprès du Saint-Siège. Le langage
'
La France du plénipotentiaire est d'une hauteur presque insolente. « Ces préten-
et i'A'Uriche
appuient tions du Saint-Siège, écrit-il dans sa dépêche, remontent au temps
les où il en avait sur la plupart des couronnes. » Mais, ajoute -t-il, « le
réclarnalioris
du roi
cours des siècles les a fai,t tomber en désuétude ; l'indépendance du
de Naples. trône est devenue la plus sûre garantie de la prospérité des Etats et
même de la religion. » L'ambassadeur d'Autriche s'associe aux

1.Crétineîvu-Joly, V Eglise romaine en face de la Révolution, t. H, p. i63.


2. les sociétés secrètes, quelle que fût leur forme, s'étaient organisées en
Toutes
« ventes » ou réunions de vingt membres.
3. Sur ces révolutions de Naples et du Piémont, voir Ca-Ntij, Hist. de cent ans^
t. Il, p. 442 464
4. Hist. gén. de VEglise, \l\, p. 48-5o. Cf. t. IV, p. 238-289.
LEOX XII 107

déclarations du ministre français. Le pape Léon XII répond qu'il


n'est pas maître de renoncer à un droit établi en faveur du Saint-
Siège par des traités authentiques. « Nous ne sommes dépositaires
de nos droits, dit-il, qu'en qualité de prince électif. Nous sommes
plus astreint qu'aucun souverain de l'Europe à ne jamais nous
dési-^ter d'aucune piérogatlve de la couronne ^ » Cette réponse, faite Ferme
cl hainie
à des souverains qui faisaient reposer toute la légitimité de leurs droits r<jj)Onse
sur l'inviolabilité des conventions et des traditions qui les avaient de Léon XII.

jadis consacres, était sans réplique.


Au moment où Léon XII mettait ainsi fin au conflit soulevé par L'Eglise
catholique
les cours de Naples, de Paris et de Vienne, son attention était appelée
aux Pa\s-Bas,
vers l'Eglise des Pays-Bas. Lcà aussi un souverain mettait des entraves

à l'action du Saint-Siège ; là aussi s'agitaient des passions populaires,


qui devaient aboutir, quelques années plus tard, à une révolution.
Vers le milieu de l'année 1825, trois faits graves éveillèrent la

sollicitude du souverain pontife par rapport aux Pays Bas. Ce


furent : 1° l'élection d'un évêque schismatique à Deventer ;
2" l'atti-

tude hostile prise par le roi Guillaume à l'égard des catholiques, et

3 "
reffervescence soulevée par cette hostilité dans les provinces de
Belgique.
Depuis que le Chapitre janséniste d'Utrecht s'était arrogé le droit, Election
d'un évêqu3
en 1722, de nommer un évéc|ue, le schisme s'était perpétué en
sch/suiatiqu»
Hollande. En 1825, un certain Guillaume Vet, ayant été illégalement à Deventer
élu évêque de Deventer, un des prétendus sièges sufTragants d'Utrecht,
eut l'audace de faire part à Léon XII de son élection. Le souverain
pontife, à celte occasion, adressa, le 17 août 1820, un Bref aux fidèles
de Hollande. Il y déclarait l'élection de Vet nulle, son sacre illégi-

time, et exhortait les catholiques à se grouper autour du Siège apos-


tolique, centre de l'unité ^.

Ce Bref parvint aux Pays-Bas au moment où les provinces catho- Persécution


(lescatholique*
liques de Belgique, arbitrairement annejtées à la Hollande protes-
par lo roi
tante par les traités de 181 5, subissaient une violente persécution de Guillaume P^.

la part du roi. En dépit de la « loi fondamentale » du royaume, qui


garantissait la liberté de conscience, le roi Guillaume P*" tracassait
de toutes manières le clergé et les fidèles catholiques. Le i/i juin 1828,
il avait promulgué deux décrets, en vertu desquels aucune école ne

1. AnTAin, t II, p. 437-A28. Cf. p. 353.


a. AiiiAri), II. 121.
io8 HISTOIHE GKNERALE DE I. hOLTSE

pouvait s'ouvrir sans l'assentiment du gouvernement, lequel se


rcservoit la nomination de tous les maîtres et la surveillance des-
dites écoles. De plus, toutes les institutions non approuvées, en par-
Le « collège ticulier tous les séminaires épiscopaux, devaient se considérer comme
phi-
k»30|jhique ».
dès lois su[)primées. Tous les as[)irants à l'état ecclésiastique fréquen-
teraient désormais les écoles officielles, en particulier un certain
{( collège philosophique ». Or, ces écoles officielles donnaient un
enseignement notoirement hostile au catholicisme.
^Ire irritation L'irritation du peuple belge fut d'autant plus grande, qu'à l'indi-
du
gnation soulevée par la persécution religieuse se joignait l'aversion
pi^aple belge.
d'un peuple opprimé contre un peuple oppresseur. Les sociétés
secrètes, promptes à s'emparer de tous les mouvements populaires
pour ébranler partout le principe d'autorité, n'allaient-elles pas
essayer de compromettre les populations persécutées de la Belgique
Lîgne dans quelque entreprise révolutionnaire Léon XII paraît l'avoir?
éa conduite
idfonnée
redouté. Il adressa une énergique réclamation au roi Guillaume P' ;

a<3S Belges mais il fit écrire, en même temps, par Mgr Mazio, une lettre par
{var ie pape.
laquelle il recommandait aux catholiques et au clergé de garder « une
attitude passive », jusqu'au moment où le Saint-Siège jugerait à
propos de statuer sur la situation *.

Fidèles au mot d'ordre donné par le pape, les évêques de Gand,


de Tournai, de Malines, s'abstinrent de toute manifestation quand
leurs séminaires furent supprimés. Pendant ce temps-là, le pape ne
restait pas inactif. Pour montrer sa désapprobation de toute violence,
il faisait blâmer un pamphlet, où le roi Guillaume était appelé
« Luther couronné » ; mais, en même temps, il donnait l'impression
d'une résistance irréductible et laissait entrevoir que la continuation
des mesures vexatoires déchaînerait parmi les catholiques un mouve-
ment de révolte que sa volonté seule comprimait. Cette attitude de
A|»isement Léon XII eut pour résultat Tenvoi, par le ministre de l'intérieur des
ï£7CTOentané
dti conflit.
Pays-Bas, d'une circulaire déclarant que désormais la fréquentation
Concordat du (' collège philosophique » parles candidats aux saints ordres serait
4e 1827.'
simplement facultative, et non plus obligatoire. Un peu plus tard, le
18 juin 1827, un concordat en règle fut signé à Rome par le cardinal
Cappellari, un autre représentant du Saint-Siège et deux représentants
du roi des Pays-Bas. Le second article de cette convention stip'ii,\it

que chaque diocèse des Pays-Bas aurait son Chapitre et sou séiui-

I, Aktaud, II, 124.


I.ÉON XII 109

naiie ; el le Iroisicnie article portait que l'élection des évêques serait

dévolue aux Chapitres avec confirmation par le souverain pontife ^


Leconcord-4
Malheureusement ce concordat ne fut pas consciencieusement
'

exécuté par le gouvernement des Pays-Bas. Des ministres fcclaires


'
j^.^j
pas
pesèrent sur le roi. Dès le mois d'avril 1828, le Courrier des Pays-
ohs^en-t?

Bas, cherchant à détourner les responsabilités, essayait de rendre gouvernemin


responsable de cette inexécution « h mauvaise volonté du pape », ^es r^ya-^^t

qu'il représentait « convoitant les libertés et le repos du pays ».

Léon Xll simplement demandé des explications au sujet d'une


avait
circulaire c )nridenliclle du gouvernement, qui, peu de temps après la
promulgation du concordat, avait alarmé les calboliques, en parais-
sant dire le contraire de ce qu'avait aiïlrmé le traité solennel conclu
avec le Saint-Siège -. L'agitation catholique recommença ; elle devait,

en se combinant avec d'autres oppositions d'ordre national et éco-

nomique, aboutir à la révolution de i83o, qui proclama l'indépea-*


dance de la Belgique.

Xlîl

du même L'Eghvn
Un conflit ffenre, mais plus ai^fu, a^^itait, à Test de
1 Lurope, la catholique Pologne, asservie a 1 empire schismatique en Rnwie,
des tsars.
Politique
Le tsar Alexandre P'', fidèle à la politique reli "pieuse de son prédé-
. . . . .. Teligieo.««
cesseur Paul P% n'avait pas repris les traditions persécutrices de l'im- du tsau-

pératrice Catherine 11 à l'égard de la nation polonaise. Il avait même Alexandre 1«».

voulu faire de la Pologne un Etat indépendant, ayant le droit de


garder ses institutions distinctes, sa langue, son administration, son
armée, sa hiérarchie catholique ^. Son tort fut de maintenir à la tète

do cette hiérarchie catholique un homme qui, poussant à rcxlréme


les traditions du plus pur fébronianisme, eut (( pendant cinquante-
quatre ans de faveur et de puissance, le talent de se servir de
1 Kglise sans la servir jamais, et qui acheta par des trahisons les hon-
neurs qu'elle lui accorda en gémissant, ou qu'il usurpa sans

1Voir lo texte du concordat dans Artaud. Il, 3o7-3i6.


Voir cette circulaire dans l'Ami de la reVufion du a4 octobre 1837. p aag-SSo,
1'..

— Sur c<'8 incidents voir, Y Ami de la reUyion du 26 avril 1S28, p. 344-3^6.


3. Sur Vicxnndrc !•' et sur sa conversion probable au catholicisme sur son Ht de
mvil, //{-,/. qt'n.de l'Erjlise, t VII. n. ^j78-A8o.
IIO HISTOIRE GKM «ALE DE L EGLISE

Inllncnce pudeur * ». Nous voulons parler de Stanislas SiestrzenceAvicz, né


funeste
calviniste, ancien soldat, que les intrigues de Catherine II avaient fait
du
métropolitain monter sur le siège métropolitain de Mohilev. Siestrzencewicz avait
de INIobilcv,
du trop fameux
obtenu d'Alexandre P*" l'institution officielle « collège
Stanislas
Sieslrzence- ecclésiastique catholique romain », qui, siégeant à Pétersbourg, à
wicz. composé d'hommes sans conscience,
l'instar du saint-synode, et «

Le « collège sans religion et sans mœurs


y devint l'instrument presque tout-
^ ))»

ecclésia?!iquc puissant du pouvoir temporel. L'indigne prélat couronna son œuvre


romain ».
en arrivant, par ses intrigues, à faire éloigner le nonce apostolique,
dont la seule présence à Pétersbourg contrecarrait toutes ses mesures.
Malgré tout, la foi énergique des catholiques polonais leur permit de
maintenir et même, sur certains points, de perfectionner leur orga-
nisation. Avec le tsar Nicolas I", parvenu au trône en 1826, les tra-
Le tsar ditions odieuses de Catherine II reparurent. Le jour de son couron-
Nicolas I"
• nement, le nouvel empereur accueillit avec beaucoup d'égards l'en-
accentue
la politique voyé du souverain pontife, Mgr Bernetti ; et plusieurs mesures
peiT-écutrice
libérales, prises au début de son règne, impressionnèrent favorable-
d'Alexandre
1er, ment Léon XII, qui disait alors de lui : « De tels actes sont pleins
de grandeur ; tout cela est digne d'Henri IV. » L'avenir démentit
cruellement ces espérances.
On a dit que l'insurrection polonaise avait provoqué l'absolutisme

Oukase de Nicolas P^. Les faits démentent cette assertion. « Ce fut en pleine
de paix, par un oukase du mois de février 1826, que Nicolas commença
février 1826.
la guerre contre l'Eglise unie, que l'humanité de Paul et

d'Alexandre P' avait laissé se relever de ses ruines. Cet oukase


défendait à tous les marchands polonais ou russes, appartenant à
'E'^lise unie, de vendre dans les foires ou toute autre réunion de

peuple, dans la petite Russie, la Russie Blanche 3 ou ailleurs, aucun


livre à l'usage des fidèles de cette Eglise. Mais ce ne fut là qu'un pré-
liminaire insignifiant, dont la date seule importe. L'oukase du

Oukase 22 avril 1828, antérieur de deux ans à l'insurrection polonaise, de


•du
onze ans à la chute définitive de l'Eglise unie, est la vraie cause de
i3 avril i8a8,
sa ruine... Cet oukase instituait, à du saint-synode établi
l'instar

par Pierre le Grand, et du collège catholique romain dont Siestrzen-


ccAvicz avait dressé le plan, un « collège ecclésiastique grec uni ».

I. L. Lescœur, l'Eglise catholique en Pologne sous le gouvernement russe, un vol.

in-S*^. Paris, i86o, p. 18.


'j. Ibid., p. 20.
3. Sur la' Russie Blanche, voir Hist. gên. de l'Eglise, t. VIT, p. 53.
LEOTf XII III

C'était, comme remarquera plus tara le pape Grégoire XVI dans


le Le « coVôgo
ecxlcsias jue
une mémorable allocution *, « une dépendance presque totale impo- grec uiii ».

sée par le gouvernement russe aux évoques dans l'exercice de


leur

autorité Aussi tous les actes qui suivirent ne furent que le dévelop-
».

pement logique de celui-ci. Exclusion formelle de la surveillance de


l'enseignement du clergé séculier et régulier, prononcée contre les
supérieurs d'ordres religieux, et, par suite, intrusion Oppression
évoques et les

forcée de personnes séculières et de dissidents dans l'administration des

des choses ecclésiastiques ; suppression ou bouleversement complet catholiquv^s.

des ordres religieux, auxquels on imposait arbitrairement des règle-


ments nouveaux en ce qui concerne la profession, les vœux monas-
tiques, le noviciat, les éludes, de manière à rendre moralemer.t
impossible le recrutement des couvents qu'on ne supprimait pas ;

vacances systématiquement prolongées des sièges épiscopaux, etchoiK


prémédité, pour les occuper, de personnes incapables ; confiscations

réitérées des biens des couvents ^ » : tels furent les premiers attentats

commis par le gouvernement du tsar Nicolas I*'' contre l'Eglise

catholique.
Parallèlement à ces mesures de persécution religieuse^ des actes L'oppressioa
de la nation
répétés d'oppression systématique visaient particulièrement la nation polonaise
polonaise. « Nicolas avait accepte d'être couronné roi de Pologne ;
est
particulitic-
mais il cessa de convoquer la Diète et laissa gouverner la Pologne
par des absolutistes qui parlaient de révoquer la charte de i8i5. L'un
d'eux déclara : u II ne s'agit pas de discuter, mais d'obéir. » Ce
régime irritait tous les Polonais ; mais, sur la conduite à tenir, ils

se divisaient en deux partis. Les grands propriétaires et le clergé Deux par lis
en Pologne :

aimaient encore mieux se soumettre au despotisme de Nicolas que les blancs

d'exposer la nation polonaise à la destruction complète ; on atten- et les rou'j>'S.

drait des temps meilleurs. C'était le parti de la prudence, surnommé


les blancs. Les jeunes gens, les étudiants de Varsovie, admirateurs de
la Révolution, voulaient la lutte ouverte contre le tsar pour défendre
la liberté. C'était un parti patriote et démocrate, surnommé les rou-
ges, dirigé par des sociétés secrètes en rapport avec les carbonari^. »

Jusqu'en i83o, le parti blanc réussira à contenir le parti rouge.

1, GRéGoiRB XVI, Allocution du ia juillet i843. Voir la traduction de celle alio-


culion dans Lbscceur, op. cit., p. 4o7-433.
2 L. LEscdiLn, op. cit., p. a8-3i.
3. Ch. Seu;>obos, Hist. polit, de VEarope contemporaine ^ un vol. in-8«, Paris,
1897, p. 557-558.
I 12 HISTOIRE OÉNÉKALE DE l'ÉGLISE

Les iiitéréts Ainsi, en Pologne comme en Belgique, en France comme en Ita-


callioliijues
•a Grèce. lie, les catholiques, dans leur ensemble, obéissant aux directions de
Léon XII, soutenaient l'autorité sans se livrer au despotisme, étaient
prêts à lutter pour la liberté en repoussant toutes compromissions
avec les sociétés révolutionnaires. La question de la mesure à garder
parut particulièrement difficile à propos de l'insurrection grecque.
Les sympathies créées en faveur du peuple hellène par les écrits de
Chateaubriand et de lord Byron, ler souvenirs d'un passé glorieux,
l'énergique résistance d'un peuple chrétien à l'Islam, avaient d'abord
excité en Europe un enthousiasme presque universel. Artaud de
Monior, alors attaché à l'ambassade de Rome, constate que « des
personnes de l'école de Consalvi applaudissaient aux efforts des Grecs,
comme devant amener des jours heureux pour le catholicisme * ».

Mais plusieurs personnages romains ne partageaient pas ces senti-


Prelon<Uie ments. Ils un schismatique grec est souvent plus
pensaient qu' «
mUsicr»
diplomaliq ;> redoutable que tous les Ottomans ensemble ^ ». Ces dissidences se
à Rome manifestèrent particulièrement à l'occasion de l'arrixée à Rome, en
du capitaine
groc Ciiiel'ala. 1825, d'un capitaine grec, du nom de Chiefala, venu en apparence
pourtrailer la question de la réunion de l'Eglise grecque à l'Eglise
latine. Mais ce prétendu plénipotentiaire ne put pas justifier avec

évidence qu'il avait reçu de pleins pouvoirs à ce sujet. Il fut tout à


coup discrédité, parce qu'on s'pperçut qu'à sa qualité d'envoyé extra-
ordinaire, il joignait la prétention d'offrir à bon marché un excellent
vin de Chypre. M. Stalinsky, .•'^orésentant diplomatique de la Rus-
sie, dit à son sujet : « Que veut ci un homme qui vend du vin et

Prudente des Eglises? » Léon Xïl ne vit dans toute communication à cet égard
politique
de Léon XII. que le danger de se compromettre ; il se déroba à tous pourparlers, et

l'affaire n'eut pas de suite.


L'attitude peu nette de la Grèce par rapport au catholicisme était

Les missions d'autant plus pénible au cœur de Léon Xlï que de tristes nouvelles
catholiques
en Grèce. lui parvenaient des missions établies dans ce pays. En cette même
année 1825, le duc de Laval, ambassadeur de France auprès du
Saint-Siège, confiait au cardinal secrétaire d'Etat la copie de deux
lettres que le baron de Damas venait d'écrire à Mgr Frayssinous,

ministre des affaires ecclésiastiques. La première, datée du 2 juin,


relatait que la mission de Grèce, confiée aux Capucins, ne complaît

I AUTALD, II, III,


a. Ibld.
LEON XII I lO

plus que treize religieux, répartis entre les maisons de Péra, Snijrne,
Scio Naxie, Syra et la Canée. Les résidences d'Athènes, de Parchia,
d'Argentière, de Milo et d'une partie de Candie n'avaient plus per-
sonne.
L'Egli!«e
La mission de Syrie, également desservie par les Capucins, se trou-
, , 11 T-.li
Elle ne
-1
comptait plus
j
que deux
calholiane
vait dans un état plus lamentable. ^^^ Orient,

religieux, l'un à Alger, l'autre à Beyrouth. Tous les autres postes, à

savoir Diarbckir, Damas, Tripoli, Seyde, Hédé, Soleymàn et

Gabaïl, n'étaient pas habités. Les missions des Lazaristes étaient


dans le même état de décadence. Là où trente Religieux au moins
auraient on n'en comptait plus que dix, presfjue
été nécessaires,

tous âgés ou infirmes ^ Les rapports qui parvenaient au Saint-Siège


Etat
sur l'état des autres missions étrangères n'étaient pas moins tristes.
On lisait, dans VAmi de la religion du 22 mai 182/4, les ligues sui- étrangères,
vantes : « Le séminaire des Missions étrangères a reçu des nouvelles
très fâcheuses sur la situation de sa mission... La mission de Siam
estaéduite à son seul Vicaire apostolique, chargé d'années et d'infir-
mités...La mission du Tonkin occidental, dans laquelle il y a plus
de 200.000 chrétiens, plus de 90 prêtres du pays, un séminaire,
deux collèges et environ quarante maisons de religieuses, n'a plus
de missionnaire européen qu'un évêque âgé de soixante-douze ans...
La Cochinchine, qui compte environ 80.000 chrétiens, n'a plus
qu'un évêque âgé de quatre-vingts ans et trois jeunes missionnaires
français... La mission de Pondichéry, où l'on compte 5oo.ooo
fidèles, dispersés dans plusieurs royaumes, n'a, outre l'évêque, que
six missionnaires français et cinq prêtres indiens, qui sont d'un faible
secours... Que deviendront ces missions, si l'on n'y envoie un renfort
d'ouvriers cvangéliques suffisant pour entretenir tout le bien qui y a
été fait - ? )) Les évêques des Etats-Unis demandaient à l'Europe des
ressources ^ et des missionnaires *. Les Pères du Saint-Esprit ne
pouvaient satisfaire aux besoins religieux des colonies ^. Presque par-
tout, les ressources et les hommes manquaient. Il n'était pas au
pouvoir du souverain pontife de remédier immédiatement à tous ces
maux ; mais il travailla très efficacement à préparer la rénovation des

I. ARTAun, II, 4o-5o.


3. Amide la relicjion^ du 33 mai 1824, p. 49-53.
3. Annales de la propag. de lafoi^ n» 10 Ami de ; la religion, du i4 juillet 1SJ7,
p .190-293.
4. Ami de la religion, du i3 octobre 1837, p, 283,
5. lOid.^ du 17 février 1827, p. 36.
Ili^l. ccTi. de l'EijIise. — Vlll S
~

II. i TIÎSTOTRE GKNKUALE DE r/l'CLISE

missions étrangères, qui nllait se produire quelques années plus tard.


Prospciicc A l'exemple de Pie Vil, il encouragea
^
par
i
des faveurs spirituelles
i
de 1 œuvre
Je la l'œuvre delà Propagation delà foi, qui, mai 1822 à établie le 3
Propagation Lyon, chaque année des aumônes croissantes et, par ses
recueillait
de la foi.
Annales, paraissant tous les deux mois et remises gratuitement à
chaque dizaine d'associés, faisait connaître aux catholiques les
besoins des missions. D'autre part, les congrégations religieuses,
approuvées et bénies par Léon XII, préparaient à l'apostolat lointain
de nombreux ouvriers.

XÏV

L'Eglise Cependant, ni la préoccupation de ces grandes œuvres, ni le souci

jjjj^g
des négociations poursuivies avec les divers Etats européens ne
ion centre, détournaient le zélé pontife des soins de son gouvernement temporel
et spirituel.

Léon XIÏ mit tout en œu^vre pour assurer d'abord la tranquillité


matérielle dans ses Etats. Des brigands infestaient encore, à celte
époque, les grands chemins et, leurs crimes accomplis, se retiraient
Léon XII dans les montagnes presque inaccessibles des Apennins ou de la Ca-
à assurer
labre. Le pape commença par employer les moyens de douceur. Il
la tranquillité fit distribuer des récompenses à ceux qui faisaient leur soumission,
^^^ mesures plus sévères furent employées contre les réfractaires
^e rE^at
pontifical. obstinés. La lutte fut longue. Au cardinal Pallotta, qui fut d'abord
chargé de la répression, et qui ne put y réussir, Léon XII dut
substituer Mgr Benevutti, à qui fut adjoint, en qualité de comman-
dant militaire, un colonel de carabiniers, nommé Ruvinetti. Cet
officier énergique engagea résolument la lutte contre le fameux
Massarone, chef des brigands, et rendit la sécurité aux Etats ponti-
ficaux. La limitation des débits de boissons était encore une mesure
que réclamait la tranquillité publique. Elle fut, étant données les

habitudes de la population, l'occasion de longues luttes, qui se .pro-


longèrent pendant tout le pontificat de Léon XII *. Les déborde-
ments de l'Anio étaient, pour les habitants des environs de Tivoli,
l'occasion de grandes ruines. Le pontife fît faire de grands travaux,
qui les mirent à l'abri de tout danger 2. Des réformes administra-

1. WîSEMATf, Souvenirs, p. 2lii-iit\Q,


2. îbid.^ p. 22.5-227.
LEON XII ii5

sur les détails desquelles nous n'avons Réformes


tives, financières et judiciaires,
administra-
pas à entrer ici, firent régner l'ordre dans le gouvernement ^ Un tives,

reconstruction de la basi- financières,


des plus grands travaux de Léon XII fut la
disciplioaiics.
lique de Saint-Paul-hors les murs, qu'un incendie avait détruite pen-
dant les derniers jours du règne de Pie VIL Léon XII fit appel,

pour la rebâtir, à la générosité des fidèles de tout l'univers catho-

lique, qui répondirent généreusement à son appel^. La réorganisation


de l'enseignement supérieur 3, la rénovation de la vie paroissiale * et

la restauration de la vie religieuse dans les diverses communautés


d'hommes et de femmes ^ furent l'objet de la constante sollicitude

du pieux pontife.
Léon XII, alors qu'il était cardinal-vicaire, avait souvent demandé Léon XH
et les juifs.
à Pie VII un adoucissement au sort des juifs, relégués à Rome dans
un quartier fort étroit. Pie VII avait accédé à ces vœux mais ;

les circonstances ne lui avaient pas permis de les réaliser. Une


fois pape, Léon XII exécuta ce qu'il avait proposé à son prédé-
cesseur. « Le quartier des juifs ou Ghetto, dit son historien, fut
étendu, assaini, enrichi d'une fontaine ; enfin les lois de l'humanité

et d'une sage tolérance furent également respectées ^. » Pour


bien montrer, d'ailleurs, que cette condescendance envers des juifs
malheureux n'impliquait, de sa part, aucune pensée d'indifférence Léon Xir
et les socié'-:»
dogmatique, le pape condamna les sociétés secrètes, et en particu- secrètes.
lier la secte des Carbonari, en leur reprochant principalement u d'a-
voir pour but de laisser à chacun la liberté de se former, à son
caprice, une religion, et d'introduire ainsi, en fait de religion, une
indifférence qui ne pouvait avoir pour résultat qu'une déplorable
ruine "^
». Il leur reprochait aussi m d'enseigner qu'on a le droit
d'exciter des séditions pour dépouiller de leurs pouvoirs les rois et

les autres souverains ^ ». Par là, Léon XII venait en aide aux efforts
des souverains alliés, qui, dans les congrès ou conférences d'Aix-la-
Chapelle, Garlsbad, Troppau, Laibach, Vérone, tenus tous, sauf le
dernier, avant la publication de l'encyclique, avaient étudié les

I. Pour les détails, voir Wi»eman, op. cit., p. aag-aSS.


3. îbid., p. 2a4-235.
3. Ibid., p. 333- 230.
l\. Ibid., p. 236-337.
5. Ibid., p, 337-240,
6. Artaud, II, i4i,
7. Ibid., 18.
8. Ibid.
ii6 HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLISE

11 n'est pas mesures à prendre afin d'anéantir la funeste influence des sociétés
assez secondé,
dans secrètes. Mais « telles étaient les ramifications que le mal avait déjà
celte anivre, poussées, tel était l'aveuglement de cei taines cours, habilement trom-
par les cours
de l'Europe. pées par des adeptes adroits et hardis, que jamais ils ne purent
atteindre ce but, qu'ils poursuivirent d'ailleurs dans des vues trop
exclusivement politiques ^ ». Le grand moteur de la politique con-
servatrice en Europe, le prince de Metternich, si renommé pour sa
clairvoyance, n'avait-il pas, dans sa chancellerie, pour secrétaire
intime, un membre de la Haute- Vente, dont le nom de guerre était
Gaetano - ? De telles compromissions n'étaient-elles pas de nature à
annuler tous les efforts tentés par des mesures de répression exté-

rieure ? Ces erreurs ou ces faiblesses des chefs d'Etat et de leurs


ministres furent, nous l'avons déjà constaté, le sujet des plusgrandes
préoccupations de Léon XIL
Maladie Vers la fm de l'année 1828, il fut visible que tant de peines et de
etmort de
Léon XII travaux avaient usé la santé, déjà si chancelante en 1828, du souverain
(i8a8). pontife. On rapporte qu'à la fin de janvier 1829, s'entretenant avec
un prélat de sa maison, Mgr Testa, il lui dit : « Dans peu de jours,
nous ne nous verrons plus. » Le jour de la Purification, il assista à tout
l'office dans la chapelle Sixtine. Vers le soir du 5 février, il ressen-
tit les premières atteintes d'une strangurie. Malgré les soins assidus

de plusieurs médecins, la maladie augmenta. Le 9, Léon XII demanda


que le saint Viatique lui fût administré. Il répondit avec piété et cou-
rage aux prières liturgiques. Sur le soir du 9 février, il entra dans
un profond assoupissement et rendit le dernier soupir le 10 février,
au matin, dans la soixante-neuvième année de son âge.
Importance L'absence, presque complète, d'événements retentissants sous le
et caractère
du règne de Léon XII ne doit pas faire illusion sur l'importance de son
pontificat pontificat. Nulle part, il est vrai, l'Eglise ne triomphe définitive-
de Léon Xil.
ment ; mais partout elle lutte, partout elle prélude à ses conquêtes
futures. En France, le gallicanisme, encore vivant chez les survi-

vants d'un autre âge, est gravement mis en échec par la jeune école
catholique ; en Allemagne, l'Ecole de Munich jette un vif éclat ; en
Angleterre, une renaissance à la foi romaine se prépare. L'Irlande, la
Belgique et la Pologne marchent vers leur libération ; et, pour res-

1. Gh. Vajs Duerm, Vicissitudes politiques da pouvoir temporel des papes^


s. J.,
un vol. in-80, Lille, 1890, p. i32-i33.
2. Van Duerm, op. cit., p. i33, note i. Cf. Okclair, la Franc-Maçonnerie conlem-
poraine, p. 53, i4oet le chap. x.
LEON XII 117

taurer les missions lointaines, en décadence depuis la fin du


xviii* siècle, l'Œuvre de la Propagation de la foi, de plus en plus
prospère, et de jeunes congrégations, de plus en plus fécondes en
apôtres, recueillent en abondance les ressources et les hommes dont
l'Eglise aura besoin.
L'ardeur qui mène au' combat les générations nouvelles n'est pas
exempte d'illusion et, çà et là, d'erreurs manifestes. Le danger
apparaît surtout en France avec La Mennais, en Allemagne avec les
théologiens trop pénétrés des principes de Kant. Le libéralisme et le

crilicisme rationaliste apparaissent déjà comme des périls qu'il


faudra bientôt combattre. Le mouvement révolutionnaiie de i83o va
les mettre en plus grande évidence, sous le court ponlificat du pape
Pie VIIL
<.1iaP1TRE Ifl

Pie VIII

(3i mars 1829-80 novembre 18.^0.)

Le conclave Peu d'éleclions avaient été plus longtemps prévues d'avance et


de
avaient plus préoccupé les diplomates que celle du successeur de
fcvrier-mars
1829. Léon Xïl. L'état précaire de la santé du pape faisait, à chaque ins-
tant, redouter une issue fatale. A chaque aggravation sensible de la

maladie, les conversations reprenaient entre les ambassadeurs et leurs


cours respectives ^. Aussi, quand s'ouvrit le conclave, le 28 février
Attitude 1829, treize jours après la mort de Léon XII, l'attention se portâ-
des grandes
puissances.
t-elle avec une curiosité anxieuse sur les discours que, suivant
l'usage, les ambassadeurs des grandes puissances furent admis à
Discours prononcer devaat le Sacré-Collège. Le comte de Lûtzow^, ambassa-
du comte
de Lûtzow,
deur d'Autriche, et le comte de Labrador, ambassadeur d'Espagne,
aiuuassadeur firent entendre une note hautement conservatrice. « L'empereur,
d'Autriche.
dit Lutzow, et, avec lui, le monde catholique, vous demande un
pontife qui, par sa sagesse, sa modération, use de sa double puis-
sance, spirituelle et temporelle, pour la tranquillité, les avantages et
Discours le bonheur de l'Europe entière ^. » Labrador fut plus explicite
du comte
de Labrador,
encore : « Vos Eminences, dit-il, nommeront un pontife qui, facile
a.nbassadeur à accorder ce qui est juste, opposera en même temps, avec sa fermeté
d'Espagne.
évangélique, une digue insurmontable aux mauvaises doctrines qui,
sous le faux nom d'idées généreuses, détruisent dans leurs bases les
trônes de l'Europe pour précipiter avec eux les nations dans l'igno-
minie et le sang 2. » L'ambassadeur de France, qui était alors le

1. Voir Artaud, Hist. de Léon XU, t. T, p. i \o-i(x'], 192-197.


2. Artaud, Hist. de Pie VIII, un vol. in-8°, Paris, i844, p. 4o.
3. Ami de la reliyion, t. LIX, p. 288
PIE VIU 1^9

vicomle de Chateaubriand, donna la note libérale : « Le christianisme, Discours


du vicomte
qui renouvela la face du monde, dit-il, a vu, depuis, se transfor-
de Chaleau-
mer les sociétés auxquelles il avait donné la vie. Au moment où je hriand,
ambassadeur
parle, le humain
genre est arrivé à l'uue de ces époques caractéris-
de I rance.
tiques de sou existence ^ » Bref, l'auteur du Gé/iie du Christianisme
demandait, au nom de la France, « un chef qui, puissant par la

doctrine et par l'autorité du passé, n'en connût pas moins les besoins
du présent et de l'avenir ^ ».
Les deux tendances qui se manifestaient ainsi étaient celles-là La tendance
conservatrice
mêmes donl le violent conflit allait, un an plus tard, renverser plu- et la teudancc
sieurs trônes de l'Europe et les ébranler tous. L'opinion publique ne libérale.

s'y trompa point. La presse discuta bruyamment les discours pro-

noncés par les diplomates devant le Sacré-Collège 3. Les questions


a'âtées prenaient une ampleur plus grande encore qu'au précédent
conclave qui avait élu Léon XIl.
Les cardinaux, sans échapper absolument aux influences du Discours
du cardinal
dehors, ne se laissèrent point dominer par elles. On remarqua que le
Castiglioni.
cardinal Casiiglioni, chargé de répondre à l'ambassadeur de France,
se borna à un ton de ûère indépendance, que « le
lui déclarer, sur Il affirme
l'indépendance
Sacré -Collège connaissait les difficultés des temps * ». Le cardinal du
Castiglioni était celui-là même que Pie VII, près de mourir, avait Sacré-Collège.

indiqué au choix des cardinaux pour lui succéder. L'ancien captif


de Fontainebleau lui répétait, dit-on, avec familiarité : « Votre
Sainteté Pic VIII fera mieux que nous après nous. » De tous les éli-

uibies, le cardinal Castiglioni était le plus en vue. Il ne fut cepen- Diverses


candidatures
dant élu qu'après plusieurs scrutins. Un certain nombre de voix se

tixcrcnt d'abord sur le cardinal di Gregorio, qu'on savait désiré par


la cour d'Espagne et bien vu de la cour d'Autriche. D'autres voix,
plus indépendantes, se portèrent sur le cardinal Pacca, si connu par
son zèle à défendre les droits du Saint-Siège pendant sa nonciature
de Cologne et, plus récemment, sous l'empereur Napoléon, qui l'avait
fait emprisonner à Féncshelle. Finalement, la majorité des voix se
réunit sur le nom de Castiglioni, dont l'attitude, moins tranchée que
celle des deux autres candidats, offrait les mêmes garanties de poli-

I. VuTACD, op. cit.f p. 45.


a. Ibil.
3. Voir leséchos de ces discussions et des diverses polémiques soulevées par le
COiiclave de 1829 dans l'Ami de la rcliyion, t. LI\, p. 89, 106, 121, 184, i45,
i48, iC)4, 19'^ 311, aia, 3a8, aSo, a83.
4 Artàld, op. cit., p. 46.
T20 HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLISE

Election tique ferme et prudente. On


par ailleurs, que son élection ne
savait,
du cardinal
serait désagréable ni à l'Autriche nia la France. Elu le 3i mars
Casliglioni, 1829,
qui prend il déclara aussitôt, en souriant, qu'il prenait le nom de Pie VIII.
le nom François-Xavier Castiglioni, né à Cingoli, près d'Ancône, d'une
de Pie VIII
(3i mars famille noble et honorée dans sa province, s'était d'abord fait remar-
1839). quer par sa haute culture scientifique, en particulier par une connais-
Portrait sance approfondie du droit canonique, qu'il avait étudié sous la
du nouveau direction du célèbre professeur Devoti. Le zèle prudent et éclairé avec
pape.
lequel il avait successivement administré les diocèses de Montai to, de
Césène et de Frascati lui avait valu la confiance et l'amitié des deux
derniers pontifes. Doux, poli, d'apparence timide, il avait montre,
en plus d'une occasion, qu'il était capable d'affronter tous les périls
quand sa conscience se trouverait engagée dans une affaire. On se
souvenait que Napoléon n'avait pu le faire fléchir dans une circon-
stance pareille. Successivement exilé à Milan, à Paris et à Mantoue,
pour avoir refusé d'obtempérer aux désirs du puissant monarque, il

avait, par son exemple, relevé le courage de plus d'un esprit chan-
celant.

Situation Les événements qui allaient se dérouler sous son pontificat, et que
de l'Eglise
les esprits perspicaces prévoyaient déjà, demanderaient précisément
M du monde
à son au pontife romain cette fermeté tempérée de prudence dont François-
avènement.
Xavier Castiglioni avait donné tant de preuves au cours de sa car-
rière. La date de i83o va marquer un des points culminants de
La crise l'histoire du xix® siècle. C'est le moment d'une réaction à peu près
politique,
générale contre les pouvoirs absolu, en faveur des régimes consti-
sociale,
littéraire, tutionnels ; c'est la période d'une agitation sociale sans précédent,
artistique
^eligieu^e
où les idées les un
plus révolutionnaires n'ont pas encore dépouillé
et
de i83o. vernis superficiel de christianisme c'est l'apogée d'un mouvement
;

littéraire et artistique où le bien et le mal se trouvent étrangement

mêlés. Au point de vue plus strictement religieux, c'est, en France,


avec l'école mennaisienne, l'éveil du catholicisme libéral ; c'est, en
Allemagne, avec l'affaire des mariages mixtes, le prélude du Kul-
turkampf; c'est, en Angleterre, avec le mouvement d'Oxford, le

début, encore mal orienté, plein d'équivoque, d'un retour de plu-


sieurs nobles âmes au catholicisme ; c'est, en Pologne, en Belgique
et en Irlande, l'ardente campagne, ici triomphante, ^à brutalement
refoulée, des catholiques pour la liberté de leur foi. Discerner les
questions où la résistance inflexible s'imposera, favoriser les légitimes
revendications des peuples sans indisposer les couronnes, défendre
PIE VITI 121

avec énergie le principe d'autorité sans décourager l'élan des catlio-


liqnes qui défendront leur foi au nom de la liberté, autant de pro-
blèmes pratiques qu'aura à résoudre le pontificat de Pie YIII. Les
circonstances, en lui commandant une attitude moins discrète que
Politique
celle de son prédécesseur, ne lui permettront pas cependant des inter-
de Pie Mil.
ventions aussi décisives •
que celles de son successeur. Entre la
politique d'apaisement de Léon XII et la politique de combat de
Grégoire XVI, la politique prudemment équilibrée de Pie Vllï doit

être mise en évidence, comme une transition nécessaire, et, à ce


titre, comme un moment important à signaler dans l'histoire reli-

gieuse du xix*^ siècle.

II

Les souverains pontifes ont souvent, dès les premiers jours de leur Le nouveau
pape choisit,
règne, indiqué l'orientation de leurs pensées par le choix de leur
comme
secrétaire d'Etat et par la publication de leur première encyclique. secrétaire
d'Etal,
La nomination faite par Pie YfH du cardinal Albani comme le cardinal
secrétaire d'Etat n'étonna pas la cour romaine et la diplomatie Joseph Albaui.
européenne. On savait quelle conformité de vues avait toujours
existé entre le cardinal Gastiglioni et le descendant de l'illustre

famille Albani. Le cardinal actuel, Joseph Albani-^, né à Rome Courte notice


sur le cardini»l
le 1 3 septembre 1760, était déjà avancé en âge; mais son esprit
Albani.
vigoureux, actif, pénétrant, le rendait apte aux fonctions les plus
délicates. Il se glorifiait d'appartenir à la grande école du cardinal
Consalvi, et tenait, comme son maître, qu'une énergie tempérée
finit toujours par triompher. Une mission diplomatique qu'il
avait remplie à la cour d'Autriche sous le pontificat de Pie VII, et,
dit-on, quelque alliance de sa famille avec la famille impériale 2, lui
avaient valu l'amitié de l'empereur François I®'' et du prince de
Mellernich. C'est lui que la cour de Vienne avait chargé, au conclave
de 1823, de prononcer l'exclusive contre le cardinal Severoli. Mais
il ne fut jamais, quoi qu'en aient dit ses ennemis, le serviteur de
l'Autriche contre la politique française ^. Les grands éloges que fait

I. Plusieurs autres cardinaux Albani avaient été membres du Sacré-Collège.


L'un d'eux avait été élu pape sous le nom de Clément XL
a. Artaud, Ilist. de Pie VIII^ p. 2^, note.
3. Voir Ami de la religion, t. LIX, p. 249, 259.
XO.'i HISTOIRE GÉNT^RALE DE l'ÉGLISE

de lui, dans son Histoire de Pie VIII, le clievalier Artaud de Mon-


ter, qiïi représentait en 1829 la France à Rome, démentent les insi-
nuations passionnées de ses adversaires *.

\\ première La première encyclique du nouveau pape fut publiée le il\ mai


' iicvclique
du- Pie VllI. 1829. On remarqua qu'il y parlait de son autorité « non seulement
sur les agneaujt, c'est-à-dire sur les simples fidèles, mais encore sur
les brebis, c'est-à-dire sur les évê.jues eux-mêmes ^ ». Il mettait
eusuite en garde le peuple chrétien contre « ces sophistes du siècle
11 signale qui prétendent que le port du salut est ouvert à toutes les religions ^ »,
au monde
chrétien
contre « ces traductions des Livres saints où les textes sont détour-
les principaux nés artificieusement de leur vrai sens * », et contre « ces sociétés
périls
de l'heure secrètes d'hommes factieux qui s'appliquent à désoler l'Eglise et à
présente. perdre l'Etat ^ ». Enfin, il recommandait aux fidèles « le respect de la

sainteté du mariage ^ ». L'avenir ne tarda pas à montrer combien le

nouveau pontife avait su discerner les vrais périls de l'Eglise. La


méconnaissance des droits du pontife romain, la propagande pro-
testante, les sophismes et les illusions de l'indifférentism.e et du
libéralisme, les efforts des sociétés secrètes pour saper les bases de
l'autorité dans l'Eglise et dans l'Etat, et les notions erronées des
peuples et des pouvoirs civils sur le mariage chrétien, devaient être
l^s principaux dangers de l'Eglise et de la société sous le pontificat

de Pie VIIL Ces dangers se rencontrèrent surtout en France, aux


Pays-Bas, en Angleterre, en Allemagne et en Italie. Ils furent mêlés,
il est vrai, à de nobles dévouements, à des œuvres de piété et de
zèle, à des élans de foi et de générosité, qui firent la consolation de
l'auguste pontife.

IIL

Situation De ces biens, comme de ces maux, la France fut le principal


rci;-ieuse
de la France
en mars 1829.
foyer,
-^

Malgré les Sarcasmes du Constitutionnel


••11 , les
i
pamphlets de Paul-
i i n i

1. Artaud. Wisemam, Souvenirs sur les quatre derniers


Hlst. de Pie VIIJ,passim. Cf.
papes, p. 34-3 MoRONi, Dizionario di erudizione^ t. I, p 181
; Baudrillart, DicU ;

d'hist. eidegéog. ecclés., t. I, coi. 1372-1373,


2. Ami de la religion, t. LXI, p. i.
3. Ibid., p. 3.
4. Ibid., p. 4.
5. Ibid , p. 4.
6. Ibid., p. 6.
PIE vrii 123

Louis Courier et les cliansons de Béranger, le catholicisme était


encore vivace en France au moment où Pie VllI monta sur le trône
pontifical. «C'est surtout en France, écrivait Y Ami de la religion, que
le christianisme s'est montré depuis cinquante ans supérieur à toutes Le peuple.

les vicissitudes humaines... Les Français ne sont pas des catholiques


parfaits, mais ils sont catholiques; ils reconnaissent et ils professent
leur religion aux trois grandes époques de l'existence naturelle et sociale
de l'homme : la naissance, le mariage et la mort *. » En parlant ainsi,
le journal du respectable Michel Picot avait en vue le commun du
Ton yeux vers Les classe»
peuple. Le spectacle était plus rassurant si portait les
cultivées.
les classes élevées. En 1828, l'audace et les succès des libéraux avaient
fait créer une Association pour la défense de la religion catholique, V Association'
pour
qui, présidée par le duc d'Havre, comptait, parmi ses membres direc- la défense
maréchal prince de Ilohenlohe, le comte de la Rocheja- de la religion
teurs, le
catholique.
queleîn, l'abbé de Salinis, l'abbé des Genettes, Pierre Laurentie et
Augustin Cauchy. L'Association avait fondé un journal bihebdo-
madaire, qui, alimenté par les « correspondances » de ses adhérents, Fondation
du premier
s'était donné pour mission de signaler et de réfuter les attaques diri- Correspondant
gées contre les membres du clergé ou contre les dogmes et les pra- (80 mars

tiques catholiques. Le premier numéro de ce recueil périodique


parut, le 10 mars 1829, sous le ûlre de Correspondant ^. La nou-
velle publication devait prendre une place importante dans la presse
catholique, qui comptait déjà, à côté de VAmi de la religion et du
roi, journal ecclésiastique, lu par la généralité du clergé, le Mémo-
rial catholique, d'allure plus vive, le Défenseur de la religion, les Autres
ptiblicatioQf
Tablettes du clergé, V Eclair et Y Apostolique, le plus ardent de tous, catholiques.
mais non pas toujours le plus sage ^. Survivant aux attaques du
comte de Montlosier, la Congrégation, successivement confiée, après
la démission du P. Ronsin, à l'abbé duc de Rohan, puis à l'abbé La
CfOngrégalioQ.
Malhicu, le futur cardinal *, continuait ses œuvres. A la Société des

I.Ami de la religion, t. LXV, p. 160, i6a.


a.Les principaux collaborateur» du Correspondant, pendant sa première période,
do mars iSag à août i83i, furent Bailly de Surcy, Charles S6ré de Rivière, Louis
dt; Carné, l'abbé Edmond de Cazalès. Le succès
de VAvenir lui ayant fait perdre U
plus grande partie de se» abonnés, le Correspondant cessa sa pubfioalion. Il reparut
cil janvier i843, avec une partie de sa rédaction première» à laquelle s'adj «igni-
ront le marquis Léonce de Vogué et Gharlee Lenormant. Une troiaièiuc sério
«ouvrit en i855. Sur la fondation et sur les prcniiera rédacteur» di. Correspondant^
voir Charles Sainte-Foi (Eloi Jourdain), Souvenirs de jeunesse, un vol. in-ia^Pari»,
li)i I, p. i58 179.

3 Ami de la religion, t. LXI, p. aaS.


4. Bbsson, Vie du card Mathieu, t. I, ch. v.
12/4 IIISTOiaE GÉNÉRALE DE L'ÉGrJSE

Bonnes Etudes, dirigée par Emmanuel Pailly de Surcy, à la section


Œuvres des Bonnes Œuvres, confiées à l'nbbé Borderies, un mai^istrnt, Jules
diverses.
Gossin avait ajouté l'Œuvre de Saint-François Bégis, ponr la réha-
bilitation des unions irrégulières. Dans les salons de l'abbé de Sali-
Le nis, aumunier du collège ïlenri-IV, se groupait une élite de jeunes
groupement
catholique gens : Melchior du Lac, Eugène de la Gournerie, Léon et Eugène
du collège Bore, Théophile Foisset, Edmond deCazalès, Franz de Champagny.
Ilenri-IV,
(( On apportait dans ces réunions, a dit un des survivants du groupe,
un grand amour pour la vérité, un amour passionné pour la cause
de la Je ne crois pas qu'il y ait eu jamais, dans
sainte Eglise. la
jeunesse catholique, plus d'entrain, de mouvement, de vie ^. >^

Le Cette ardeur religieuse semblait rayonner. C'est en 1829 que


mouvement
romantique. Victor Hugo, épris des beautés du moyen âge, projetait d'en retracer
le tableau dans Notre-Dame de Paris, que Lamartine publiait son
Hymne au Christ et ses Novissima Verha, et qu'un jeune homme,
qui devait bientôt se joindre au groupe du Correspondant, Charles
de Montalembert, introduit dans le Cénacle où Vigny, Hugo,
Sainte-Beuve et Musset menaient la campagne romantique, s'écriait:
« Leur cause est juste et sainte... Là seulement il y a de l'avenir, de
la régénération, et surtout de la régénération morale '^.
»
Relations Une influence réciproque semblait s'exercer sur le groupe reli-
entre
le groupe gieux et sur le cénacle littéraire. Montalembert écrivait : u J'ai été
catholique enchanté des opinions de M. de Vigny et de M. Sainte-Beuve sur la
et groupe
le
romantique. régénération de l'Europe par le catholicisme ^. » Et l'on trouvait
une saveur romantique au volume que l'abbé Gerbet publiait, en
Le Dogme 1829, sur le Dogme générateur de la piété catholique. Le goût clas-
gcncraieur de
la piété sique et un peu sévère de Michel Picot lui reprochait de faire voir
catholique dans les antiques sacrifices « l'emblème d'un mystère du fond
(1829).
duquel quarante siècles ont entendu sortir la voix de Fespérance » ;

de montrer, dans l'offrande qui accompagne la prière, une « prière


des sens », et même de dire que « la communion eucharistique est
le moyen par lequel l'Incarnation permanente s'individualise en
chaque chrétien* », Mais un pareil langage allait au cœur des
hommes de ce temps ^. Les nombreuses éditions de l'ouvrage et les

1. Melchior DU Lac, Notice sur Vabbé de Scorbiac, dans V Université catholiquef


t. XXIIT, p 12.
2. Lecanuet, Montalembert, t. I, p. 86,
3. /6t(/., p. 87.
4. Ami de la Religion, t. L\II, p. 98-99.
5. E. FoRGUES, Correspondance de Lamennais, t. II, p. 60.
PIE VIII 120

conversions qu'il opérait témoignaient en sa faveur; et l'abbé de


La Mennais n'hésitait pas à écrire du livre de Gerbet « C'est, à mon :

avis, un des ouvrages les plus remarquables qui aient été publiés

depuis beaucoup d'années ».


L'œuvre de Gerbet n'était pas isolée. En cette même année 1829, Le mouvement
intellectuel
on lisait, dans le numéro d'octobre du Mémorial calholifjue, l'annonce parmi les
calholiqueg.
d'une Bibliothèque des amis de lareU(jion, collection en 200 volumes
in-i8, des meilleurs ouvrages anciens et modernes touchant le
dogme et la morale catholiques. Et le succès de cette collection
n'empêchait pas celui de la Bibliothèque choisie, publiée par Pierre
Laurentie, des Extraits des Pères de l'Eglise traduits par Guillon, et
de la Collectio selecta Patrum, et des Conférences d'Angers sur la

théologie pratique ^ En i83o, à la veille de la révolution de Juillet,

le clergé et les catholiques lettrés lisaient avec avidité la Démonstra-


tion philosophique du principe constitutif de la société, et les Médi-
tations politiques tirées de l'Evangile, récemment publiées par le
vicomte de Bonald ^ ; et l'on se passionnait pour les conférences
scientifiques où l'illustre Cuvier enseignait que les sciences positives,

loin de contredire les Livres saints, ne faisaient qu'en confirmer la


divine autorité ^,

De tout ce mouvement catholique un homme était le principal Rôle


de l'abbé de
inspirateur : c'était l'abbé de La Mennais. Le groupe qui se réunis- Là Metinais.
sait au collège Henri-IV le regardait comme son maître ; le Mémorial
catholique était fier de sa collaboration ; le Correspondant rendait
hommage à ses idées, et l'Ami de la religion, en le combattant
souvent, ne contestait pas son ascendant sur l'ensemble des fidèles
et du clergé,

IV

Mais, aux yeux des esprits sages, l'élan du mouvement catholique Triple péril

ne Le mettait pas à l'abri d'un triple péril. mouvement


Le premier lui venait de l'école romantique, dont l'esprit chrétien, catholique
^" ^^^^^'
tout superficiel, ne tarderait pas à s'évanouir en fumée. Noire-Dame
de Pans, commencée avec un culte pieux pour les âges de foi, se l^cmier péril:
le
rouisiiili&ai6.
I. Ami de la religionLXII, p. i/i4 t. LXV,
t. ; p. 477.
a. Ibid., t. LXIV, p. 352 t L\V, p. 445. ;

3. Ibid., t. LXII. p. 334-335.


126 HISTOIRE GENERALE DE L EGLISE

terminait en peintures audacieuses qui lui valaient une condamna-


tion do l'Eglise; le catholicisme de Lamartine se transformait on
une vague et langoureuse religiosité ; celui de Vigny, en un pessi-
misme fier et sombre ; et Sainte-Beuve, après avoir paru osciller,
suivant les expressions de Louis de Carné, « entre labbaye de a
Trappe et l'abbaye de Thélème * », optait définitivement poi r
celle-ci.

Deuxième Le second péril du mouvement catholique lui venait du tempéra-


péril :

le caractère
ment de celui qui s affirmait comme son chef. Certes, le feu d'une
violent éloquence entraînante ne manquait pas à l'abbé de La Mcnnais. On
et absolu
de l'abbé
se répétait la superbe évocation de l'avenir qui terminait son livre
deLaMennais. sur les Progris de la Révolution « Ne voit-on pas, disait-il, que
.

nulle concession ne saurait satisfaire le parti antichrétien ; que sa


hardiesse s'augmente en proportion de la peur qu'on manifeste ?. ..

Malheur, malheur à celui qui, chargé de garder la doctrine que le

Christ a scellée de son sang, abaisserait son esprit à des pensées de


la terre, craindrait l'homme et ne craindrait pas Dieu !.,. Prêtres
de Jésus-Christ, de vous, de votre constance dépend le salut de
l'Eglise. Le sort du monde est entre vos mains. Pour le sauver, que
faut il ? Une parole qui parte du pied de la Croix. Vienne le temps
où il sera dit à ceux qui sont dans les ténèbres : Voyez la lumière I

Et ils se lèveront, et, le regard fixé sur cette divine splendeur, ils

adoreront, pleins de joie. Celui qui éclaire toute intelligence :

Oriens ex alto ^. n
Mgr de Qué- Mais ce même livre des Progrès de la Révolution contenait des
ien, dans
une lettre
pages pleines d'une aigreur mal contenue. Mgr de Quélen, arche-
pastorale, vêque de Paris, dans une lettre pastorale adressée au clergé et aux
prémunit les
fidèles contiô
fidèles de son diocèse à l'occasion de la mort du pape Léon XII, crut
se»tendances devoii' prémunir ses diocésains contre les tendances dangereuses de
dangereuses.
l'abbé de La Mennais. a Tandis, écrivait-il, que nous croyions
n'avoir à craindre que de l'audace ou des embûches de nos ennemis
déclarés, voilà que l'esprit de système, triste et dangereuse tenta-
tion des plus beaux talents, s'est introduit, se manifeste dans les
camps du Seigneur et nous menace d'une guerre intestine ^, » La
remarque était juste et pleine d"à-propos. L'ultramontanisme, tel

1. L. DE Gauné, Souvenirs de ma jeunesse, p. i36.


2. Lamennais, Des progrès de la Révolution, chap. ix.
3. IIe.miion, Vie de Mgr de Quélen, édition revue, un vol. in-8% Paris, iS/ia,
p. 201.
PIE VIII ï^7

que le prônait le bouillant polémiste, était de nature, ainsi que le

faisait remarquer Mgr de Quéleo, à « semer la défiance et la haiue

entre les souverains et les sujets ».


L'impétueux écrivain ne fut pas capable de supporter sans une
protestation publique l'humiliation, qu'il croyait imméritée, d'une
censure publique ^. Il prit la plume, et dans deux brochures parues La Première

sous les titres de Première et de Deuxième lellre à Mgr l'Arche- ^^^^^^

vêque de Paris, il prétendit démontrer « que l'ultramontanisme àhfgrCorrhe-


,, T. .
Il. .
1 vêque de Paris.
n est pomt, comme oj:i 1 a dit, une opmion nouvelle, mais une doc- ^

trine toujours et universellement enseignée par l'Eglise, tandis que La Mennais.

le gallicanisme n'est que l'erreur d'un parti et d'un siècle. Celle

erreur, enfantuJ par le despotisme, doit disparaître avec lui, parce


que les peuples ont soif de liberté, et que la première condition de
la liberté des peuples c'est la liberté de l'Eglise ^ ». La thèse était
défendable, si, sous le nom d'ullramontanisme, l'auteur n'eût repris,
en les accentuant, les idées exagérées qu'il avait exposées dans soa
livre sur les Progrès de la Révolution et s'il ne les avait soutenues
avec une violence de langage sans pareille. On en jugera par ces
dernières lignes de la Première lettre : « Jetez les yeux autour de
vous, Monseigneur, et voyez qui défend aujourd'hui le gallicanisme :

de cauteleux adulateurs du pouvoir, qui le poussent à sa perle ; un


petit nombre de vieillards, qui ne vivent que de souvenirs d'école.
Tout le que
Et y a-t il des paroles pour peindre
reste, qu'est-ce c'est ?

ce dégoûtant mélange de bêtise et de morgue, de niaiserie stupide,


d'impuissance absolue d'esprit .^
»
Les amis de La Mennais et ses adversaires recoururent en même Recours i
temps à Rome, pour Ron 0- .

la supplier, les uns de se prononcer contre le

gallicanisme, les autres de condamner cet ultramontanisme mêlé


de libéralisme 3, qui leur semblait un grave danger pour la société.

ï- /^o."* les hisloiiens de la vie


intime de La Mennais ont constaté son excessive
qui tenait peut être à sa constitution physiologique. Un de ses biogra-
irascibilité,
phes les plus informés et les plus sympathiques k sa personne, J.-Nfarie Peigné,
en cite de nombreux exemples. « Irascible à l'excès, écrit-il, ses colères duraient
peu. Soit qu'il voulût seulement s'excuser, soit qu'il le crût sérieusement, il disait
Qu'elles étaient nécessaires à sa santé, et qu'il était obligé quelquefois, pour éviter
e tomber en délailluncc, de chercher noise au premier venu, sauf à demander
pardon ensuite de ses emportements. » (J.-Marie Peigné, Lamennais, sa vie intime à
la Chênaie, un vol. in-i8, Paris, i86/i,
p. 55.)
BouTARD, Lamennais, t II, p. 55.
3.
union de l'ultramontanisme et du libéralisme catholique se serait com-
3. Celte
Srise si, par les mots de libéralisme catholique, on eût entendu simplement 1

éfense des libertés de l'Eglise. Mais nous avons vu plus haut comment, pa
i:>8 HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLISE

Les uns et les autres furent déçus. Le pape Pie VIII ne jugea pas
que la faute de La Mennais fût assez grande pour le frapper d'une
condamnation qui aurait jeté le désarroi parmi le groupe d'ardeiils
catholiques qui combattaient à ses côtés. D'autre part, condamner le

Pie VIII gallicanisme, en un moment où la querelle devenait plus politique


juge à propos
de s abstenir
que religieuse, et où la monarchie de Charles X chancelait pouvait
de toute avoir pour premier résultat de hâter la chute de la dynastie, de
intervention précipiter la France dans des aventures et d'en laisser peser la res-
dans la
controverse. ponsabiUté sur l'Eglise. Le pape s'abstint de toute intervention. Et
La Mennais, sous le coup d'une de ces colères dont il était incapable
de contenir l'expression, écrivit, en un style qui préludait aux
Violente colère Paroles d'un croyant : « Elle s'est éteinte, la voix qui effrayait les
de peuples... Le sanctuaire est vide, il n'en sort plus rien... Dieu a dit
La Mennais.
à la Puissance, comme au figuier de l'Evangile : « Sèche-toi ^ ».
C'était plus que le style du pamphlet révolutionnaire de i834 ; c'en
était déjà le sombre esprit de révolte.
Troie ic me Le troisième péril qui menaçait le mouvement catholique lui venait
péril
attitude
:
du pouvoir même qui l'assurait de sa protection.
maladroite Lorsque, le 5 janvier 1828, Charles X, cédant à la pression c!es
du pouvoir.
gauches, avait laissé partir M. de Villèle pour confier le ministère à
M. de Martignac, la duchesse d'Angoulême avait dit : « Mon père
vient de descendre la première marche du Le roi de France
trône. »
descendit une seconde marche quand, le 8 août 1829, subissant
Le prince l'influence de l'extrême droite, il fit appel au prince de Polignac.
de Polignac
•ou caractère.
;
« A considérer M. de Polignac avec le sang-froid de l'histoire, dit un
judicieux historien, on éprouve surtout de la surprise, presque de la
stupeur, et plus de compassion que d'aversion... Son caractère était
sûr et loyal. Il était incapable d'une bassesse, et, par-dessus tout,
chrétien fervent. Mais, esprit faible, médiocre et court, sa modestie

dissimulait mal une infatuation naïve et sereine. Ce n'était pas celle

d'un orgueilleux vulgaire ; c'était celle d'un croyant, se jugeant


prédestiné de Dieu pour- faire triompher la vérité en ce monde -. »
La Congrégation, qui comptait le prince de Polignac parmi ses
membres, reprit aussitôt ses réunions, depuis quelque temps sus-

diverses causes, surtout par le contact avec le parti des libéraux rationalistes, cette
notion s'était altérés.
I. E. FoRGUES, Correspondance de Lamennais^ lettre du 3 mai 1829 à la coKitesse

de Senfft.
a. Thureau-Dangin, Royalistes et Républicains, un vol. in-8'', Paris, 1871^,

p. 024-325.
.

PIE VIII r29

pendues K Ce fut une occasion, pour la presse libérale, d'agiler de


nouveau le spectre du parti -prêtre, désormais au pouvoir. La per-
sonne même de Polignac était particulièrement impopulaire. On se

rap|Hilait que sa mère avait été l'amie de Marie-Antoinette, et que Son


1 • A
lui-même, après son élévation a
>
M' 1* ' 1
la pairie,
• •
-il.
avait longtemps
r
reiuse de
' 1 impopularité,
*^
^

prOlcr serment à la Charte. L'indignation des libéraux redoubla


quand on put lire dans le journal VAi)Osloti(jue, l'un des organes de Imprudenici
I-
1
A
extrême droite,
I 1 •» 1

les
1-
lignes suivantes: «
'
t I
La J
source du
1-1
mal vient
déclarations
d'un journal
d'une Charte impie et athée. La religion, la justice et Dieu même d'extrême

commandent d'anéantir tous ces codes infâmes que l'enfer a vomis - ))

Le ministère eut beau faire déclarer, dans le Moniteur, qu' « à


moins d'avoir perdu le sens commun, on ne saurait concevoir même
l'idée de briser la Charle », toute la presse libérale fit au ministère
une guerre acharnée ; beaucoup de fonctionnaires envoyèrent au roi

leur démission. D'autres restèrent à leur poste, sans dissimuler leur


désapprobation de la politique ministérielle ; on en destitua plusieurs ;

ils furent acclamés. Montalembert écrivait : « Rien au monde n'est


plus attristant qu'un état de choses où le pouvoir est entièrement en
dehors de la nation ; où les employés, les fonctionnaires forment un
peuple à part; où les destitutions sont des titres d'honneur, et les

accusations judiciaires des triomphes Au lendemain même de


^. » Conceniraiioa
1 .-II- 1 • ' y 1-» 1- T \* •«» ' , • de toutes le«
la consluution du minislere rolignuc, La Mennais avait écrit Mon : (
forces révo-
avis est que cette révolution ministérielle n'aura d'autre effet que de lutionnalres

concentrer dans une unité formidable les forces révolutionnaires ^. » j^ monarchie


La prophétie se réalisait ; et le malheur, pour l'Eglise, était de voir et contre
l'Liglise.
qu'au moment où le pouvoir précipitait sa chute, il risquait d'en-
traîner avec lui, dans son impopularité, la cause de l'Eglise, par son
alliance avec les partis extrêmes, m Les royalistes, qui n'avaient pas
su séparer d'une manière assez claire le droit monarchique de l'abso-
lutisme royal, et les libéraux, qui n'avaient pas su sé[)arer le droit
nalional des passions révolutionnaires, se trouvaient ainsi jetés dans
une situation nouvelle ^ », dont l'Eglise avait tout à redpuîcr.

I. »i<\MJMAisuî(, /a Cu/ify/<'|/'//io/i, [). 356.


(

a. L'Apostolique, du i4aoùt 1829.


3. Lecanuet, Montalembert, t. I, p. 9a.
4 E. FoKGUEs, Correspondance de Lamennais^ t. II,
p 73.
A: Nettement, Hist. de la Restauration^ p. 7^0. « Il y a, ajoute Ihistorien,
5.
une circonslance atténuante aux fautes qu'ont commises tous les partis et tous le»
h(»Miuics politi(]ues de iSi!i à i83o c'est leur profonde inexpérience à l'égard dtt ;

gouveniumeul roprésealalil'. » (lUd,)


llial. gou. de l'Eylise. - \lll 9
i3o HISTOIRE GE!tERALE DE L EGLISE

/
L'expédition Le gouvernement de Charles X ne pouvait se dissimuler la gravité
d'Alger.
de la crise. Au commencement de l'année i83o, un grand effort fut
tenté pour relever le du pouvoir.
prestige et l'autorité
Causes Depuis seize ans, la France et la Régence d'Alger étaient en conflit
lointaines
au sujet d'une créance importante de deux sujets algériens sur le
de la gu'^rro.
Trésor français. Le dey d'Alger, Hussein, vrai tyran, qui terrorisait
la ville d'Alger, avait écrit, à ce sujet, au gouvernement de Charles \
des lettres insolentes, et s'en était même pris au consul français, qu'il
avait, en 1827, frappé du manche de son chasse-mouches. Une
escadre française, depuis lors, faisait le blocus d'Alger, mais sans
résultat. Le 3i janvier i83o, un conseil des ministres décida
d'envoyer devant Alger une flotte de cent bâtiments de guerre,
escortant cinq cents vaisseaux de transport, qui conduiraient trente-
sept mille hommes de troupes de débarquement. Venger l'honneur
Cause de la France et abolir sur les côtes de la Méditerranée la piraterie
prochaine :

relever
et l'esclavage étaient certainement deux des buts de l'expédition ;

le prestige mais le roi et Polignac en avaient un autre : un triomphe éclatant de


de la
nos armes pouvait faire taire les partis d'opposition, ou, du moins,
monarchie
française. donner au gouvernement la force morale nécessaire pour les briser

Brillant succès On connaît assez, par l'histoire générale, le brillant succès de


de
l'expédition.
l'expédition : le débarquement des troupes, le i3 juin, à Sidi-
Ferruch, la prise du camp de Staouéli, le bombardement du fort

l'Empereur, la prise de la Kasbah, la capitulation d'Alger le

5 juillet, et, le soir même, le drapeau blanc de la France flottant sur

cette côte d'Afrique qui, si longtemps objet de terreur pour la

chrétienté, allait devenir une terre française et chrétienne. Les catho-


liques prirent la plus grande part à la joie universelle. Des Te Deum
furent chantés dans toutes les églises. Mgr de Qiiélen, archevêque

Joie des de Paris, recevant le roi à la porte de Notre-Dame, s'écria : « Sire,


catholiques que de grâces en une seule ! La France vengée, l'Europe affranchie
d'un odieux tribut, l'humanité triomphant de la barbarie, la croix
victorieuse du croissant 1 Fils de saint Louis, quel motif plus
légitime de joie pour votre cœur, et, pour nous, vos sujets fidèles,

quelle juste cause d'allégresse et de Iranspoits ^ ! »

I. Ami de la relitjion, t. LXIV, p. 392,


PIE VIII i3i

Cependant le gouvernemônt se rendait compte que toutes les


méfiances n'avaient pasdésarnrié. M. Guizot, qui débutait alors dans
la politique, nous a laissé, dans ses Mémoires^ un vivant tableau de
l'opinion publique en ce moment : « La disposition du public, dit-il,

ressemblait à la mienne, tranquille à la surface, et, au fond, très

agitée. On ne conspirait point, on ne se soulevait point, mais on


s'attendait et on se préparait à tout. . . Inactives, mais non résignées,
les sociétés secrètes étaient toujours là, prêtes, dès qu'une circon- Persistance
de l'opposition
stance favorable se présenterait, à reprendre leur travail de conspira- révolu-
tion et de destruction. Dans les masses populaires, les vieux instincts tionDaire.

de méfiance et de haine pour tout ce qui rappelait l'ancien régime et

l'invasion étrangère, continuaient de fournir aux ennemis de la

Restauration des armes et des espérances inépuisablc-s ^. »

Charles X et Polignac ne virent qu'un moyen de vaincre ces der-


nières résistances : un coup d'Etat. N'est-ce pas au souverain de
s'alUibuer les pouvoirs qu'il se juge nécessaires ? Qu'a-t-il besoin Charles X
et Polignac
de consulter un parlement ? Les assemblées, comme les nations, se décident à

n'ont jamais créé un pouvoir fort, mais elles l'acceptent toujours. faire un coup
d'Etat.
Ainsi raisonnaient les politiques d'extrême droite. Polignac, cepen-
dant, hésitait encore. « Eh quoi I Monseigneur, lui dit un jour
Michaud, le rédacteur delà Quotidienne, vous hésitez à faire un coup

d'Etat ? Je m'en afflige. — Et pourquoi ? répliqua Polignac !



Parce que, reprit Michaud, n'ayant pour vous que les hommes qui
veulent un coup d'Etat, si vous n'en faites pas, vous n'aurez plus
personne -. » Le coup d'Etat fut décidé. Le 25 juillet i83o, le roi,

s'appuyant sur l'article i4 de la charte, qui lui reconnaissait le droit

w de faire les règlements nécessaires pour la sûreté de l'Etat », signa Les


Ordonnance*
quatre ordonnances: la première suspendait la liberté de la presse; de juillet
la seconde prononçait la dissolution de la Chambre ; la troisième i83o.

modifiait profondément le régime électoral ; la quatrième convoquait


les électeurs pour la nomination de nouveaux députés. Dès le lende-
main matin, plusieurs journaux, ayant paru sans autorisation, furent
saisis. Le soir, des manifestations populaires se produisirent au cri

de : i( Vive la Charte ! » Le lendemain, 27, la foule, après avoir pillé L'émeute


parisienne.
de? boutiques d'armuriers, s'empara de plusieurs postes militaires. Les «journée»
Le 28, le drapeau tricolore fut arboré sur les tours de Notre-Dame. de Juillet ».

I. GtizoT, Mémoires pour servir à l'histoire de mon temps, t. I, p. 348, 871,


a. Thureau-Dangix, Royalistes et liépublicains, p. 828.
l32 HISTOIRE GENERALE DE L EGLISE

Les cris de : Vive la liberté! dominèrent les cris de: Vive la Charte!
Pendant cette journée, plus de la moitié de Paris tomba au pouvoir
des insurgés. La garde nationale, aidée par un régiment d'infanterie,
qui venait de se joindre à elle, s'empara de l'Hôtel de Ville. Le len-
demain, 29, l'émeute, guidée par des élèves de l'Ecole poly-
technique, força les barrières du Louvre et s'installa dans le palais,

^u cri de : Vive la République ! Mais les républicains ne formaient


pas la majorité des insurgés ; les impérialistes et les monarchistes
libéraux, de l'école du Constitutionnel, y avaient pris une part im-
portante. Ces derniers, dans une proclamation rédigée par Adolphe
Thiers, firent valoir que la République « brouillerait la France avec
l'Europe ». La crainte était fondée. Metternich guettait une agita-

lion révolutionnaire en France pour coaliser contre elle les grandes


Le duc puissances ^ Le nom du duc d'Orléans fut prononcé. Le fils de Phi-
d'Orléans
est proclamé lippe-Egalité avait combattu dans l'armée républicaine en 1792 ; il

« roi des était populaire dans la bourgeoisie par son accueil facile et sa
Français »
(5 août i83o).
bonhomie il ; attirait volontiers auprès de lui, au Palais-Royal, les

chefs du parti libéral. Les députés présents à Paris le proclamèrent


d'abord, le 3o juillet, lieutenant général du royaume, puis, le 5 août,
roi des Français, sous le nom de Louis-Philippe I*'.

Au point de Au point de vue politique, la révolution s'était donc arrêtée à un


vue politique,
la Révolution compromis. Louis Philippe se déclara roi des Français « par la grâce
de Juillet de Dieu et la volonté nationale ». Mais la révolution religieuse ne
s arrête à un
compromis. connut aucun frein. Les sociétés secrètes, qui redoutaient une coa-
lition européenne en renversant la monarchie, n'avaient pas la même
Au point de crainte en abattant le crucifix et en saccageant les églises. Au cours
Yue religieux,
elle déchaîne de l'émeute, l'archevêché de Paris avait été pillé ; la maison des
toutes Jésuites à Montrouge avait été envahie par les insurgés, qui avaient
leshaines anti-
catholiques. maltraité plusieurs Religieux ; le feu avait été mis à la résidence des
Missionnaires de France. Les jours suivants, les pillages des églises
et les profanations de toutes sortes se poursuivirent 2. « La date de
1800, a écrit Eugène -Veuillot, est vraiment celle où la Révolution,
confisquée par la bourgeoisie libre-penseuse, a été complète et cou-
ronnée ^. » L'historien de la monarchie de Juillet a fait le tableau sui-

1. Metternich, Mémoires, t. V, p. 28-29.


2. Voir Ami de la religion, LXV,
p. 4, 29, 33, 49, 5o, 83, 93, 99,
t. i^4, i63,
164, 170, 179, 195, 327. 242, 244, 285, 290, 3o6, 355, 370, 391, 449, 45o, ^67,
476, 5i3, 546, 554, 563, 596.
3. Eugène Veuillot, Louis Veuillot, t. I, p. 18-19.
pit; vtii iSli

vantde l'état religieux de la France après i83o : « Le catholicisme,


vaincu au même titre que la vieille monarchie, dont on affectait de
le croire solidaire, tandis que le voltairianisme se jugeait appelé à
partager la victoire du parti libéral ; les croix détruites par les
mêmes mains que les fleurs de lys ;
partout, ë«ns la presse, dans la
caricature, au théâtre, une débauche et comme une représaille d'im-

piété ^ .» Le principal organe de l'Eglisede France put, ajuste titre,

déclarer que le clergé était désormais frappé f d'une sorte de mort


civile * ».

VI

Les sociétés secrètes triomphaient, et, pour la circonstance, , •.,,


. . . . , .
"^ sociétés
levaient hardiment leur masque. La Société Aide- toi, le ciel t'aidera secrètes dant
Revoiuiioa
communiquait aux journaux un rapport qui lui avait été fait, le «»

i3 août i83o, en assemblée générale, et ©ii la Société avouait,


« avec orgueil », ses efforts « pour renverser Charles X » et pour
accomplir « la révolution attendue depuis longtemps ^ ». Peu de
temps après, un journal libéral, Y Ami des peuples, révélait des
détails pins circonstanciés sur la participation des sociétés secrètes
à la révolution, dans un article intitulé : Causes secrètes de la révo-

lution de 1830 : révélations officielles sur le fameux comifé directeur


« les Carbonari de Paris » *. Le but des sociétés secrètes, dans ces
révélations, était moins de faire état de leurs forces devant le public
que d'intimider le pouvoir. Le rapporteur de la société Aide-toi
faisait valoir les grands services que l'association pourrait rendre
pondant la période électorale, grâce à la puissance de son organi-
sation dans la capitale et en province « Ce que nous faisons, disait-
il, nous devons le faire encore ^. » Les journaux libéraux, qui comp-
taient presque tous des rédacteurs appartenant à la société Aide-toi
ou à d'autres sociétés afiiliées à la Charbonnerie, le Globe, \e Temps,

I. Thiireau-Danoii^, VEfjlise et l'Etal sous la Monarchie de Juillet, un vol. in- 12,


Paris, 1880, p. 2-5.
2 Ami de la religion, du 2 juillet i83i. L'Ami de la religion et du roi s'intiluU
désormais simplement : VAmi de la religion.
3. Ami de la religion, t. LXV, p. 187-188
II. Cet article fut reproduit en entier par la Gazette de France du i3 seplciTibrê
i83o, en grande partie par
< t VAmi de la religion du 25 septembre, t LXV,
p. 303-364. Cf. ibid., p. /,G5.
5. Ami de la religion, t. LXV, p. 187.
i3A HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLISE

le Conslitulionnel, le Courrier français, le Nalional, le Journal des


Débats, la Révolution, pesaient sur un gouvernement qu'ils piocla-
maicnt leur œuvre.
Celui-ci ne cessait de leur donner des gages. Dans un rapport sur
la situation du royaume, lu à la séance delà Chambre, le 1 3 sep-
Attitude tembre i83o, le ministre de l'Intérieur prenait, à l'égard des catho-
menante du
nouveau liques, un ton menaçant. « Le gouvernement du roi, disait-il,
gouvernenaent n'ignore pas les menées ourdies à l'aide d'associations ou de con-
à l'égard de
l'Eglise
grégations que repoussent nos lois. Il sait jusqu'où s'étendent les
catholique. droits de la puissance publique ^. » Quelques jours après, le

21 septembre i83o, le même ministre laissait une manifcslaiion


publique dérouler son cortège en plein Paris et réhabiliter la mémoire
des quatre sergents de la Rochelle exécutés en 1822 comme cons-
pirateurs ; et le scandale était si grand, que le Journal des Débats
lui-même écrivait : « Qu'on y prenne garde. C'est un jury qui a fai;

tomber les têtes de Bories et de ses amis... Glorifier ces condamnés,


c'est les célébrer pour avoir pris l'initiative de la destruction de
l'ordre ^. » Presque en même temps, des députés demandaient à la

Chambre le rétablissement du divorce


une ordon- 3. Le i*' octobre,
nance royale supprimait les demi-bourses accordées jusque-là aux
petits séminaires*. Le 16 octobre, une nouvelle ordonnance royale

modifiait la composition des comités d'instruction primaire, enle-


vant la présidence au curé pour la donner au maire et supprimant
les deux notables choisis par l'évêque ^ ; et les catholiques voyaient
dans ces mesures un acheminement à peine dissimulé vers la laïci-

sation complète de l'instruction^.


Attitude ferme Dans de si pénibles circonstances, l'attitude de l'épiscopat et du
et digne
de l'épiscopat.
clergé en général fut calme et digne. Respectueux de l'ordre établi,
il n'abandonna pas la défense des droits de l'Eglise. Dans une cir-

culaire adressée à ses prêtres, pour les inviter à faire célébrer un


service à l'intention des victimes des journées sanglantes, l'arche-

vêque de Paris rappelait, une émotion


avec discrète, que « dans
l'asile que les pauvres lui avaient ofierl pendant la tempête », il avait

I. Ami de la religion, t. LXV, p. 3a a,


a. Ibid., p. 365.
3. Ibid., p. 397.
i. Ibid., p. ôaô.
5. Ibid., p. 672-577,
6. ibid., p. 577.
PIE VUl i35

pn se rendre compte de l'étendue des malheurs ^. Dans une lettre

confidentielle destinée à ses curés et desservants, l'évêque d'Orléans


leur indiquait les mesures de prudence qu'ils devaient prendre pour
sauvegarder le respect des sanctuaires, pour le cas où les maires
voudraient, comme il avait été fait quelquefois, assembler la garde
nationale dans les églises 2. « Ne prenez aucune part, mes frères,

aux discussions publiques, écrivait l'archevêque de Tours. Le


ministre de Dieu ne doit ouvrir la bouche que pour porter à tous des

paroles de consolation ^. » Les évoques d'Angers, de Troyes, de


Blois, de Carcassonne, avaient un langage semblable S et nulle
note discordante ne se mêlait à leurs voix. ^
Le clergé suivait ces conseils ; mais l'obéissance qu'il devait au Le
mouvement
pouvoir étc«bli ne l'empêchait pas de lutter courageusement dès que irréligieux
le âmes était enjeu. Le 6 juillet i83o, les neuf aumôniers
bie«(des parmi
la jeunesse
des collèges royaux de Paris, exposant, dans un mémoire, le triste de la capitale.
état moral et religieux des maisons confiées à leurs soins, émettaient
un vœu pour Témancipation de l'enseignement, et l'un d'eux, l'abbé
Lacordaire, aumônier adjoint au collège Henri-IV, expliquait le sens Protestations
dans le clergé
de ce mémoire dans une éloquente lettre adressée au Correspondant. parisien.
Les rédacteurs de cette revue et de Y Ami de la religion ne laissaient
passer aucun attentat, aucune menace contre les droits de l'Eglise
sans protester avec énergie. Les populations catholiques, après un
premier moment de stupeur, s'étaient ressaisies, et, groupées autour
de leurs curés, encouragées par eux, faisaient reculer les profanateurs. Le
mouvemen
Une lettre d'un voyageur qui venait de parcourir plusieurs contrées irréligieux
de l'Ouest et du Midi, constate, en octobre j83o, que, dans beau- en province.

coup de lieux, « on voit des hommes monter la garde la nuit pour


empêcher les profanations de croix, et des femmes veiller pendant
le jour pour empêcher de semblables désordres». En Bretagne, sous
la pression de 1 opinion publique, un préfet, loin 'd'abattre les croix, Protestations
du clergé
a recommandé au contraire de les respecter ; et, à Bordeaux, il a et des fldèleà.
fallu arrêter le zèle de quelques personnes pieuses qui voulaient en
ériger de nouvelles sur les chemins publics.
L épiscopat, sous la haute inspiration du souverain pontife,
veillait à maintenir l'action des fidèles dans les limites d'une stiicte

I. Ami de la religion, t. LXV, p. 98-99.


a. Ibid.^ p, 359-260.
3. Ibid., p, 374.
4. Ibid., p. 4oo, 498.
i36 HiSTOinE GENFRALE DE L EGLISE

Pie Mil légalité. Pie VIII, aussitôt que le gouvernement de Louis-Philippe


rc.onnaît oiri-
ciflleinonl le lui avait paru solidement constitué, l'avait ouvertement reconnu, en
gouvernement confirmant les pouvoirs de son nonce, conformément à la politique
nouveau.
constante de la papauté à l'égard des pouvoirs établis. Mgr de Qué-
len hésitait, même après cette décision, à prescrire, comme arche-
v(^que, des prières publiques pour le chef de l'Etat et à prêter,
comme pair de France, le serment de fidélité à la Constitution. Le
pape lui écrivit qu'il pouvait ordonner les prières publiques ; mais
il lui conseilla de donner sa démission de pair de France si le ser-
ment qu'on exigeait de lui répugnait à sa conscience^.
En somme, malgré les odieuses persécutions soulevées par le
La Révolution nouveau régime, la révolution de i83o avait, grâce à l'attitude ferme
de i83o
est l'occasion et prudente du clergé, abouti à trois résultats, dont l'Eglise devait
de quelques bientôt recueillir les fruits. D'abord, il n'était plus possible d'attribuer
résultats
heureux pour les succès, l'influence et les prétendues richesses du clergé catholique
la cause à l'appui du pouvoir, et, de ce fait, bien des hostilités tombaient.
catfholique.
D'autre part, les catholiques, ne comptant plus que sur eux-mêmes,
s'habituaient à lutter par leurs propres initiatives. Enfin, se séparant,
en cela, des socialistes, des meneurs des sociétés secrètes et de
ceux-là mêmes qui venaient de fonder le nouveau gouvernement,
ils s'accoutumaient, comme leurs frères d'Irlande, à combattre sur le

terrain légal, et allaient bientôt, par cette tactique, s'imposer à l'opi-


nion comme une force respectable, avec laquelle il faudrait compter.
Malheureusement une divergence d'attitudes, destinée à s'accuser

de plus en plus dans l'avenir et à diviser profondément certains


Mais elle est défenseurs de l'Eglise, venait de se faire jour. Le Correspondant, dans
lepoint
de départ
un article paru au courant de l'année 1829, avait, à propos de la

d'une vive liberté d'enseignement, montré comme un but souhaitable l'établis-


controverse
sement d'un régime où l'on verrait « chaque parti, chaque secte,
entre les
catholiques. élever école contre école, chaire contre chaire ». Il avait, dans ce
même article, parlé du « droit légal » qui résulterait, dans ce
régime, pour le philosophisme, d'enseigner des erreurs. VAmi de la

religion ayant, dans son numéro du 24 octobre, vivement relevé ces


Premiers assertions, comme opposées à la doctrine de l'Eglise et comme
débats sur la
dérivant des théories de l'abbé de La Mennais, le rédacteur du Cor-
question du
tallii)licisme respondant, à la date du 3 novembre, s'était expliqué en disant :

libéral. La Mennais,
1° qu'il n'était point le disciple fanatique et exclusif de

I. Hekrion. Vie de Mqv de Quélen^ p. 254 et s.


PIE VIII 187

comme on semblait le dire ;


2° qu'en parlant du « droit légal » de

l'erreur, il n'avait voulu que constater une situation juridique,


reconnaissant que « l'unilc seule est conservatrice » et que l'indifTc-
rerice dogmatique est un dissolvant social ; mais 3° il maintenait
qu'étant. donne « l'ordre de choses où l'on vivait », le devoir était Le

« de faire tous ses olTorts pour en tirer le meilleur parti possible ».


etlMmi
<( Tout le monde sait, concluait-il, que la religion a plus de peine à de la reUgion.

se faire écouler qu'à persuader. Or, dans ce siècle d'indépendance,


l'idée que la religion peut être l'instrument d'un gouvernement, ou
simplement qu'elle veut s'appuyer sur lui, cette idée prévient contre
elle beaucoup de gens. Ceux-là seuls doivent craindre la lutte qui ne
sonl pas sûrs de la bonté de leur cause... Que la religion se montre
dans toute sa beauté, et son triomphe est sûr. » Dans son numéro
du i4 novembre, VAmi de la religion relevait vivement ces derniers
mots. (( Ilya longtemps, disait-il, que la religion se montre dans
toute sa beauté, et cependant elle n'a pas triomphé de tous les esprits.
Est-ce qu'on ne compte pour rien les passions humaines, l'indif-
férence des uns, la haine des autres, les préventions de ceux-ci, les

penchants de ceux-là * ? n

Nous avons longuement exposé cette controverse, parce qu'on y Sens et porire

trouve déjà formulés, dans leur substance, les arguments qui seront
nre^miT
apportés plus tard, de part et d'autre, dans la grande querelle du débats,

libéralisme catholique ; et peut-être n'onl-ils jamais été présentés


d'une manière plus saisissante que dans ce premier choc de deux
tendances parmi les défenseurs de l'Eglise. Certes, on comprend
que, dans une société divisée, comme était celle de la France vers
i83o, des catholiques sincères, zélés, aient préféré, pour lutter contre
1 erreur, un régime de
liberté à une protection compromettante ;

mais précisément parce que ce régime de liberté s'imposait en fait —


on dira, plus tard, en hypothèse et parce qu'il était à craindre —
que le fait ne s'érigeât en droit, il était plus important que jamais
d alïirmer la thèsey de proclamer que nul homme, nulle institution,
nul Etat, n'ont le droit de professer l'indifférence entre la vérité et
l'erreur, entre le bien et le mal que leur devoir, au contraire, est,
;

dans la mesure où le respect des consciences le permet, de protéger


le vrai et le bien, dans l'ordre de la religion comme dans celui delà
morale, contre les pièges de l'erreur et du mal.

I. Ami de la religion, t. LXl, p. 35o-353 ; t. LXII, p. i4-i6.


i38 HISTOIRE GENERALE DE L EGLISE

VII

Relation de Telle fut, daiis ses origines, tiaos ses caractères et dans ses pre-

française niicrs rcsullats, la révolution française de i83o. Le prince de Met-


Ic Juillet avec ternich, dominé par son parti pris de ramener toutes les agitations
autres
les
révolutions ^^^ TEurope à une conjuration contre les vieilles monarchies, a voulu

européennes rattacher à la révolution française de Juillet les mouvements poli-


de i83o. . .
1 • •
r» 1 ^ 1 •

licjues qui se produisirent, peu de temps après, en lielgique, en

Pologne, en Irlande, en Italie, en Allemagne, en Suisse. Cette asser-


tion est inexacte et démentie par les faits. Les événements de Juillet
turent vraisemblahlement l'occasion et le signal de la plupart de ces
mouvements ; mais ceux-ci eurent leurs vraies causes dans des évé-
nements antérieurs d'ordre national, et se manifestèrent avec des
caractères diflérents, conditionnés par les circonstances dans lesquelles
ils se produisirent. Ainsi, tandis que la révolution française de
Juillet, déterminée par une coalition des monarchistes libéraux, des
impérialistes et des républicains contre les institutions d'ancien
Vne générale régime, prenait un caractère nettement anticatholique, les mouve-
sur ces
rcvoluiions. Hîents insurrectionnels de la Belgique, de la Pologne et de l'Irlande
avaient, au contraire, une origine et prenaient un caractère religieux.
Les aspirations libérales de l'Italie avaient avant tout pour but de
secouer le joug de la domination autrichienne et réunissaient dans un
même sentiment des libres penseurs et des catholiques sincères. En
Allemagne, les revendications d'indépendance prenaient le caractère
d'un appel à l'unité germanique, et les troubles qui agitèrent l'Espagne
et le Portugal n'auraient sans doute pas éclaté si des questions
dynastiques irritantes n'étaient intervenues *.

.a révolution L^ première révolution qui fit écho à la révolution de Juillet fui


de Belgique. . , _ ^ . , t^ „
celle qui éclata, le 20 août suivant, a liruxelles.
imliaume 1er
^ mesure qu'il faisait sentir au peuple belge la pression du joug

es Pays-Bas. hollandais et protestant, le roi des Pays-Bas, Guillaume P', sentait


croître l'esprit d'opposition contre son gouvernement. Dans le désir

de se concilier le» opposants, on le vit prendre quelques mesures


libérales ; mais ces mesures étaient toujours incomplètes, toujours

I. Voir vicomte db Guighe.n, la Révolution de Juillet 1 830 et l'Europe^ un vol.


in-S', Paris, 1917.
PIE Vin 189

swivles d'un retour aux procédés de lintolérance et de la tyrannie.

Sous des dehors alTablcs, le roi Guillaume était un esprit aussi

méfiant des autres qu'infatué de sa propre personne et de sa propre


autorité. Par un arrêté du 20 juin 1829, il avait rapporté ses arrêtés

de 1826 en ce qu'ils avaient de plus fâcheux : la fréquentation du


collège philosopl)ique ne serait plus obligatoire et les évêques pour-
raient désormais ouvrir des séminaires épiscopaux ^
; mais il main- Mesure»
vexatoiret
tenait l'obligation, pour tout évêque nommé, de demander un placct contre
royal, et l'évéque lui-même qui le sacrerait devait avoir son placei. le clergé.

Quelques évêques crurent se mettre en sûreté de conscience en décla-


rant qu'ils ne sollicitaient un plaçai que « pour le temporel ».

L'évéque de Namur, appelé à leur donner la consécration épiscopale, Résistance


de l'évéque
refusa de se soumettre aux volontés du roi, disant qu'il n'avait pas de Namur,
plus besoin d'un placet roya] pour faire un sacre que pour faire une
ordination ou une confirmation. Les nominations restèrent alors en
suspens ^. Sur ces entrefaites, parut la bulle du pape ordonnant la

célébration d'un jubilé. Le roi des Pays Bas publia la bulle, mais en
faisant ses réserves sur « les clauses qu'elle pourrait contenir contre
les droits du souverain et les libertés de l'Eglise belgique )>. u Les
libertés de l'Eglise belgique sont bien placées là, écrivait Y Ami de la

religion, dans un temps où cette pauvre Eglise n'a pas encore les Nouvelle!
vexations.
évêques qu'on lui avait promis et où un concordat solennel est resté

sans effet depuis plus de deux ans ^. » En décembre 1829, le roi

Guillaume nommait un catholique notoire, le baron de Pélichy,


directeur des affaires du culte catholique. Mais les catholiques de
Belgique se demandaient avec anxiété s'il fallait voir là une mesure
libérale, ayant pour but de faire donner une interprétation bienveil-
lante aux lois civiles ecclésiastiques, ou un moyen habile d'introduire
dans les institutions le contrôle gouvernemental sur les affaires du
culte *. Au surplus, une loi du même mois de décembre aggravait
les sanctions pénales un arrêté du mois de
en matière de presse ^ ;

septembre précédent, imposant l'emploi de la langue hollandaise sur


toute 1 étendue du royaume, était appliqué avec rigueur ^. Peu de
temps après, en janvier i83o, de nombreux fonctionnaires publics

I. Ami de LX, p. 260.


la religion, t.
a. Artaud, de Pie VI] I, p. io3 et
Ilisl. s.
3. Ami de la religion, t. LXi, p. 187.
4. //'/cf., t. LXIl, p. i54.

5. Ibid., p 173
6. Ibid., t. LXI, p. 167.
5

I^O HISTOIRE GENERALE DE L EGLISE

étaient destitues pour « avoir manifesté de l'aversion contre le système


de gouvernement * )).

Alliance La mesure semblait comble. En février i83o, les catholiques


des
catholiques
belges firent alliance avec le parti libéral. Une opposition constitu-
belges tionnelle se forma, se plaçant sur le terrain de la liberté, réclamant
tvec le parti
la liberté de la religion, la liberté de l'enseignement, la liberté de la
libéral.
presse. Le 22 février i83o, les catholiques de Belgique publièrent un
manifeste, où Ton lisait : « En face du terrible péril de voir l'ins-
truction de leurs enfants, et même, par des lois sur la presse, l'ins-
truction de tous les âges livrée au bon plaisir de l'homme, les catho-
liques ont dû chercher des garanties. Au siècle où nous sommes, il

était impossible d'en trouver d'autres que la liberté... Les libéraux,


sans que leur but soit le même que le nôtre, demandent les mêmes
Leur libertés... Nous marcherons avec eux de conserve. Mais que Ton
manifeste.
n'imagine point que rien dans le monde nous engage jamais au plus
léger sacrifice de nos principes... Nous serons libres, parce que c'est
notre volonté arrêtée. C'est notre droit. Nous serons libres, et beau-
coup de nations des deux mondes le seront aussi. Malheur à celle»
qui resteront sous le joug de Thomme » L'abbé de La Mennais, en !

reproduisant ce manifeste dans la Revue catholique du i5 mars,


acclamait « ce magnifique mouvement de tout un peuple, se levant
comme un seul homme, et marchant, au nom de tout ce qu'il y a de
sacré sur la terre, à la conquête de ses droits les plus précieux ^ ».

L'insurrection Ce fut la révolution française de Juillet qui donna l'idée d'une


à Bruxelles
révolte. Le 26 août i83o, au théâtre de Bruxelles, pendant la repré-
(35 août
i83o). sentation de la Muette de Portici, les appels à la liberté, qui se ren-
contrent dans cet opéra, excitèrent le public. On cria . « Faisons
comme les Français 1 » La foule se précipita vers les bureaux du
National, journal ministériel, et vers la maison du ministre hollan-
dais Van Maanen, qui furent livrés aux flammes. Il ne s'agissait

encore là que d'une émeute locale. Mais, le 27 août, le drapeau


brabançon fut arboré. Ce fut une révolte du Brabant. Une armée de
Extension 10.000 hommes, envoyée pour arrêter la révolution, fut repoussée,
flu
sous les murs de Bruxelles, par les bourgeois en armes. Le mouve-
mouvement
insurrec- ment insurrectionnel gagna toutes les provinces belges. Sur la demande
tionnel
du roi Guillaume, les puissances signataires des traités de 181
à toutes
les provinces
bel^'cs.

I. Ami de la religion, t. LXÎT, p. 332.


a. La. MEîiTiMS, Troisièmes Mélanaes un vol. in-8o, Paris i835, o. 6^ et s.
PÏE VIII l4l

intervinrent, mais ce fut pour reconnaître le gouvernement provi-


soire belge ^. Un congrès national, réuni à Bruxelles, venait, en
effet, de proclamer l'indépendance de la Belgique et d'acclamer une Proclamation

constitution ayant pour bases la monarchie constitutionnelle, la


l'indénendance
liberté complète des cultes et de l'enseignement et les franchises de la
i Belgique,
^
communales. °

Le pape Pie VIII, qui, dans un esprit de pacification, avait cherché Inquiétudes

à ramener le roi Guillaume à des sentiments plus équitables à l'égard pj^ ^m


de ses sujets catholiques, n'avait pas été sans inquiétudes au moment
de l'alliance des catholiques avec les libéraux. A la date du 8 juin
i83o, le cardinal Albani, secrétaire d'Etat du Saint-Siège, écrivait au
comte de Senfft : « Le Saint-Père n'est pas rassuré sur l'état des
esprits en Belgique... L'union constitutionnelle aboutira-t-elle à
consacrer la liberté en faveur de l'Eglise Les catholiques y apportent
?

trop de bonne foi pour que les autres ne soient pas tentés d'y mêler
un peu de duplicité. » Plus loin, il ajoutait ces paroles, où se ma- ges saffci

nifestait la haute circonspection du Saint-Père en ces questions si conseils,

délicates : « 11 nous semble, ici, qu'il y a plus de malentendus que de


divergences entre les gouvernements et les peuples. Ne pourrait-on
y porter remède ?... A quatre cents lieues de distance, on ne connaît
ni les caractères ni les faits ; on ne peut donc conseiller qu'en géné-
ralisant. Nous pouvons bien imprimer un certain mouvement, mais
c'est sur place qu'il faut agir 2. » En somme, les résultats delà révo-
lution belge furent favorables à l'Eglise. Elle fut le point de départ
d'un grand mouvement d'activité religieuse dans le développement
de la vie chrétienne, des œuvres d'enseignement et d'apostolat '^.

VIII

Dans la révolution de Pologne les intérêts religieux eurent, comme L'insuirection


eu Belgique, leur large part ; comme en Belgique, ils furent associés P<^onai«e.

à des revendications nationales.


Par ses origines, la révolution de Pologne se rattache à des causes

,. OUI ce rc\iifcuicnl des grandes puissances, voir Thlreau-Dawgin, Hist. de


la Mun. de JuUUL, t. I, p. 69-80 Metter.mch, Mémoires, t. V, p. Sg-^O Tal-
; ;

LBTRARD, Mémoires, t. III, p. 871-390.


i. Cité par Créiikkal JoLT, VE<ilise romaine en face de la Ftév., t. II, p. 178-179.
6. IlEncLNuoTurn, Ilhf. de VRfjlise, trad. Bclot, t. \ II. p 4oo-^oi.
I'l2 JîTSTOIRE GEWEBAT.E DE L ir.TTSE

Se» causes anciennes et prolondes, que nous avons déjà eu l'occasion d'étudier;
anciennes. .
, , '
i .• r • j t i.
mais son explosion, préparée par i
la révolution française de Juilli t,

fut déterminée par la révolution belge du mois d'août. De 1825 à


i83o, la Pologne avait continué à s'appeler un royaume constitu-
tionnel ; mais le tsar faisait tout pour réduire cette dénomination à
un vain mot. En droit, la Pologne devait être gouvernée par le vice-

roi, aidé par une représentation nationale, posséder une magistrature


indépendante, une armée et une administration séparées, une presse
libre ; en fait, le tsar intervenait personnellement dans le pouvoir
législatif, judiciaire, administratif, en se passant des institutions
établies. En droit, etsuivant les termes mêmes de la constitution

polonaise, « la religion catholique, professée par le plus grand


nombre *
», devait être l'objet de la sollicitude particulière du gouver-
nement, sans préjudicier à la liberté des autres cultes, et les pro-
priétés du clergé latin ou grec-uni étaient inaliénables; en fait, !e

tsar Nicolas s'arrogeait le droit d'exercer sur le clergé une inquisi-


tion tracassière, entravait les rapports des évêques avec Rome ^ et ne
dissimulait pas son désir de réunir tous ses sujets en une seu.'e

Eglise, soumise à sa domination.


La nouvelle de la révolution de Paris produisit une vive impres-
sion eu Pologne ; les préparatifs que fit alors le tsar d'une expédition
contre la France augmentèrent l'émotion. La franc-maçonnerie, qui
avait été introduite en Pologne par Dombrowski, et qui s'était déjà
propagée dans l'armée et dans les universités, exploita le malaise
national pour susciter des troubles. Les chefs du parti patriote
résistaient à ces surexcitations, ou, du moins, attendaient le printemps
de l'année suivante pour organiser un soulèvement général de la
nation. Mais quand, en novembre i83o, le tsar Nicolas prétendit,
en vertu de ses alliances de famille avec les Nassau et en exécution des
traités de 181 5, envoyer l'armée polonaise en Belgique pour y réta-
Son explosion blir l'autorité de Guillaume I'% et remplacer en Pologne les troupes
en
novembre
em^ nationales par des troupes rasses, l'insurrection éclata. Le 29 novembre,
i83o.

1. D'après un rapport officiel, lu à la dièle de Pologne en 1828, le royaume


comptait, en 1828, 3.471.382 catholiques, répartis entre 1.917 paroisses. Les
luthériens, dont le nombre était estime à 200.000, occupaient 28 paroisses ;

100.000 calvinistes avaient 9 temples 3/i5.000 juifs, 27^ synagogues les grecs
; ;

non-unis, six églises, et les mahométans deux mosquées. Pour plus de détails, voir
Ami de la religion^ t. LXI, p. 225-23o t. LXIII, p. 3i2-3i4. Voir les articles
;

de la constitution polonaise qui ont trait à l'Eglise catholique dans VAmi de la
religion, t. LXil, p. 66, note.
2. Ami de la religion, t. LXIII, p. 347.
PIE Vin i/i3

deux officiers entraînent à leur suite l'Ecole militaire et les n-giments


de Varsovie. L'aigle blanche est arborée partout au chant national :

« Non, Pologne, tu ne manqueras pas de défenseurs » Un ancien I

soldat de Napoléon, Chlopicki, est nommé dictateur. Pendant que


les jeunes gens s'enrôlent' en masse dans l'armée insurrectionnelle,
les riches offrent leur or, les clochers fournissent du bronze pour les
arsenaux et les sacristies de l'argent pour battre monnaie. L'Autriche
s'épouvante, aux premières nouvelles de l'insurrection, envoie des
et,

troupes en Galicie S renforce ses armées en Italie, pour se garantir


d'une invasion de ses frontières *. Mais Mettcrnich semble considérer
le mouvement comme irrésistible. « Il est de la nature de la poudre
d'être inflammable, écrit-il à l'ambassadeur d'Autriche près la cour
de Berlin ; et le royaume de Pologne, à mes yeux, a la valeur d'un
L'Europe campagne Libéraux
magasin à poudre ^. » libérale s'intéresse à cette
et catliolicjiief
épique, plus dramatique que celle de Belgique ; la poésie romantique acclament
le
la chante, et les catholiques en tressaillent d'émotion. Pendant
mouvemcnl.
qu'Aimand Carrel célèbre l'insurrection polonaise dans le National,
que le peuple chante la Varsovienne de Casimir Delavigne avec non
moins d'ardeur que la Parisienne, et que La Fayette s'écrie : « Toute
la France est polonaise », le jeune comte de Montalembert écrit dans
V Avenir : « Elle a enfm jeté son cri de réveil, elle a enfin secoué ses
chaînes, cette fîèreet généreuse Pologne, tant chérie de tous les cœurs
libres et catholiques... Libre et catholique Pologne, patrie de
Sobieski et de Kosciusko, nous saluons ta nouvelle aurore, nous te

convions à la sublime alliance de Dieu et de la liberté *. »

IX

La cause de
.1
enthousiasme
.
1

presque
Irlande suscitait,
aussi
.
r
fervent. Au
11-
chez les jeunes catholiques,
retour d un voyage en
un Lagiiahon
iriaodaise.

Irlande, le même Montalembert écrivait : « Si jamais le décourage-


ment venait nous saisir, songeons aux merveilles de cette Association
catholique, qui ne commença qu'avec sept membres, et qui, après

I. Metternich, Mc'moires^ t. V, p. 70.


a. Ibid., p. 71.
3. IbiJ., p. 73, 77.
4. MONTALEMUEHT, ŒuVICS, t. IV, p. Ij3,
1 4 'l HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLISE

quinze ans de lulle, a conquis l'intlépendauce religieuse de l'Irlande


et jeté les fondements de son indépendance nationale *. »
O'Gonnell, Connell, en effet, après avoir conquis le bill d'émancipation des
non con en
dc poursuivre
catholiques,
^ n'avait point
^ abandonné la lutte. 11 demandait l'indé-
la lulle pendance de l'Irlande, le rappel de l'acte d'union. « L'union, s'é-
pour a iberia
dj^it^ij^ pQ f^^^ pg^g y^^ traité ; elle a été emportée par la violence et

catholicisme, la fraude. Elle n'a aucune force obligatoire. Les Irlandais, toujours
nV aino
traités comme des étransfers de race et de religion, demandent le

puiiiitjue rappel de l'union ^. » Le but de la révocation du bill d'union était


c rian e.
principalement le rétablissement en Irlande d'un parlement distinct
et local, ayant un contrôle absolu sur les affaires de la nation irlan-
daise, sans rupture aucune de la perpétuelle alliance de l'Irlande
avec la Grande-Bretagne, par l'intermédiaire de la reine Victoria et

de ses héritiers et successeurs. O'Gonnell jugeait en effet que, sans


celte garantie, l'émancipation religieuse de l'Irlande resterait un
leurre. Pour atteindre ce nouveau but, le programme d'O'Gonnell
demeura celui qu'il s'était scrupuleusement assigné, et qu'il avait
imposé à son parti dans sa campagne pour l'émancipation « Pas :

une goutte de sang, pas un acte illégal. » x\ussi la lutte irlandaise


eut-elle un caractère tout différent des campagnes entreprises en Bel-

gique et en Pologne.
Tactique a La stupéfaction fut grande en Angleterre, dit un des meilleurs
e agitateur.
j^ij^^Qi-ieiis de l'agitation irlandaise, quand, au lendemain de l'éman-
cipation des catholiques, on vit s'organiser en Irlande une associa-
lion nouvelle aux cris du « rappel de l'union ». Une loi autorisa

aussitôt le lord-lieutenant d'Irlande à dissoudre toute association qui


lui paraîtrait dangereuse pour la sûreté de l'Etat. Le vice-roi ne
tarda pas à user de la puissance arbitraire mise à sa disposition. Dans
l'hiver de 1829, une proclamation du duc de Northumberland
supprima la société formée par O'Gonnell.
11 use (( Lorsque les whigs arrivèrent au pouvoir, en i83o, on crut que
l'agitateur mettrait bas les armes. Mais, loin de là, il redoubla de
voles "c^Ile?.
'D
virulence dans ses attaques. Durant l'hiver, la lutte devint très vive.
Pour échapper au bill de 1829 contre les associations, l'infatigable

a-itateur imagina de créer des sociétés sous des noms différents, qui,

n'ayant aucun lien entre elles, n'offraient pas le caractère d'une

1. MONTALEMDERT, Op. clt.^ p. l63.


2. Ireland and thç Irish, by O'Gonsbli.,
PIE VIÎI 1/15

association nationale. 11 commença par assembler les métiers. « Je

suis homme de métier, disait-il ; mon métier à moi, c'est l'agita-

tion. » Une proclamation ne tarda pas à paraître, qui prononçait la

dissolution de la société des métiers. O'Connell obéit ; mais comme


Il fonde
la proclamation avait dissous nominativement la « société des mé-
de multiples
tiers », il en organisa une autre sous le nom « d'association pour sociétés.

empêcher les réunions illégales ». Une nouvelle proclamation inter-

dit encore cette association. Alors O'Connell proposa la « société des

déjeuners politiques )>, non à un meeting,


et il convoqua ses partisans

mais à un déjeuner. Nouvelle proclamation pour empêcher le déjeu-


ner. O'Connell essaya plusieurs autres combinaisons, qu'à chaque
fois une proclamation venait détruire. Enfin le lord-lieutenant, fali-
o-n/Ç ,1o f»e genre de guerre, interdit « toute autre association de même
natuic ».

« Il fallut plier devant ces inexorables exigences du pouvoir, el

placer la lutte un nouveau terrain. On vit d'abord O'Connell


sur
n menace
prendre, en signe de deuil, un crêpe^ qu'il jura de garder tant que
l'Angleterre
la loi contre les associations ne serait pas abolie. Puis il attaqua ses dans son
un commerce et
ennemis par le côté lé plus sensible, en établissant en Irlande
système de non-importation, qui fermait le débouché des produits du sonaristocrati
financière.
commerce anglais. Il donna l'exemple, en refusant de recevoir dans
sa maison du thé, du café et autres produits qui venaient en Irlande
par l'Angleterre. Il imagina un autre stratagème, qai atteignit i m-
solente aristocratie financière, chez laquelle il rencontrait une persis-
tante opposition. Les banques avaient en circulation une grande
quantité de « bank-notes » ou billets de banque. O'Connell résolut
de discréditer ces papiers. Il invita tous les porteurs de billets à se
présenter, un jour donne, pour e'xiger le remboursement immédiat
et intégral de ces valeurs. Cette invitation d'O'Connell fat reçue
comme un ordre, et aussitôt exécutée. La panique devint générale.
Les caisses furent bientôt épuisées. Les banqueroutes se multi-
plièrent Les opérations commerciales furent suspendues. Dix jours
s'écoulèrent sans qu'il fût fait aucune affaire. Le drame ne fut pas
sanglant, mais il fut ruineux. Il apprit à l'Angleterre de quelle
iafluencc disposait l'homme que les Irlandais avaient choisi pou;.
chef.- »

1. Jules GoNuoN, l'Agitation irlandaise depuis 1S29, un vol. in-i2, Paris, iS^â,
P- 7^-7:)-
a. A. de la /?., t. LXIV, p. 5ai-523.
llisl. sén. de l'Kgliïe. Mil 10
i46 HISTOIRE GENERALE DE L EGLISE

Le Pour apaiser les catholiques, le gouvernement s'était un peu dé-


gouvernement
anglais se
parti de sa rigueur dans l'application des lois qui concernaient les
montre moins affaires ecclésiastiques. Les évoques d'Irlande, dans une Lettre pasto-
rigoureux
dans rale collective qu'ils adressèrent aux fidèles le 9 février i83o, ne
l'y pplica lion firent pas difficulté de reconnaître « que l'état de la religion s'était un
des lois
concernant peu amélioré », et ils en exprimèrent leur reconnaissance au roi,
l'Irlande. aux ministres et au parlement; mais, en même temps, ils suppliaient
les catholiques « de ne pas se laisser affaiblir par l'adversité ni en-
traîner par la séduction ».
La sittiatlon Le courage des catholiques d'Irlande- était un exemple pour ceux
du
d'Ecosse. La présence en Ecosse de nombreux émigrés français pen-
catholicisme
en Ecosse. dant la Révolution, la vue de leurs vertus, y avait déterminé un
grand nombre de conversions à l'Eglise romaine. Le chiffre de la

population catholique pouvait être fixé approximativement, au mois


de mars i83o, à cent dix mille ^. Mais cette population, extrême-

ment pauvre, ne pouvait subvenir à l'entretien de nombreux établis-

sements qu'il avait été nécessaire de fonder pendant les dernières

années. Une dette de près de 280.000 francs pesait sur la chapelle


d'Edimbourg et sur la maison occupée par l'évêque et ses mission-
naires. Cette chapelle était, du reste, insuffisante, ne pouvant con-
tenir plus de i.5oo personnes, tandis que la ville comptait à peu
Appel près i5.ooo fidèles 2. Le 19 juin 1829, Mgr Paterson avait fait un
à'^a générosité
chaleureux appel aux catholiques français ^. Cet appel, appuyé ,par
des
catholiques Mgr de Quélen, archevè:|ue de Paris, fut entendu par les catholiques
français.
de France, qui se montrèrent généreux, et le souverain pontife vint
au secours des catholiques écossais dans la mesure de ses moyens.
Personnages Le clergé catholique d'Irlande et d'Ecosse ne se distinguait pas
émlnenls
seulement par son courage et par son zèle ; il comptait plusieurs
parmi
le clergé hommes éminents par le savoir. De ce nombre étaient le docteur
d'Irlande
Gurtis, archevêque d'Armagh, autrefois professeur à Salamanque ; le
«t d'Ecosse.
docteur Murray, archevêque de Dubhn, très estimé pour l'éloquence
de sa parole et pour la solidité de sa doctrine ; le docteur Doyle, évêque
de Kildard, ancien professeur au collège ecclésiastique de Carlow,
et le docteur Jean Lanigan, jadis professeur d'hébreu et de théologie

i. A. de laR.r t. LXIII, p. 182. Sur l'état de l'Eglise d'Irlande vers i83o, voir
A. de la /?.. t. LXII, p. i-5. Sur le clergé anglican et catholique en Angleterre, cf.
A. de la /?., LXI, 278, LXII, ^9, LXUI, 55, 129.
2. Ibid.
B Ibul., t. LXI, p. 145-1/47.
PIE VIII ï47

à l'Université de Paris, ensuite bibliothécaire de la Société royale à


Dublin, auteur d'une histoire ecclésiastique d'Irlande très appré-
ciée.

En Angleterre même, Dieu préparait d'autres lumières à son Influence

Eglise. (( La Révolution de i83o y avait donné une impulsion vio-


^^ lîévoluiiou
lente au mouvement démocratique. Le vent de réforme qui s'y était de Juillet
ïur la situation
levé depuis quelques années, soufflait désoruiais en tempête. L'avène-
religieufc
ment d'un ministère whig n'assurait pas seulement le succès à brève de
Arigleterr*.
échéance de la réforme électorale ; il semblait présager ce qu'on
appelait la réforme de l'Eglise. On annonçait hautement la volonté
de reviser ses revenus, sa hiérarchie, ses dogmes. Et cette besogne
devait être faite par un parlement que la suppression des tests

venait d'ouvrir aux dissidents^ ». Le petit groupe d'Oxford, qui


travaillait depuis quelques années à une réforme de l'Eglise établie
par le simple retour à ses propres traditions authentiques, en dehors
de toute intervention d'un Etat laïque et par conséquent radicale-
ment incompétent dans cette œuvre, les Nevvman, les Froude, les

Keble, les Pusey, s'alarmèrent.


« Précisément, à cette époque, Newman avait entrepris l'histoire
du concile de Nicée et des ariens du iv® siècle. Plein d'admiration pour
la grande Eglise d'Alexandrie, il sentait, a-t-il cht, « l'enseignement Progrê» s%

de ses théologiens et de ses philosophes pénétrer dans son âme ». caihoUque


Mais, en considérant ce passé glorieux,
r^
1
^
opposer
.1 rr ••
au spectacle que I

lui orirait
il
!-« T T'A»
ne pouvait s'empocher de
son Lglis«. Lui-même a résume
, la
^n»
doctrine J«
Newmap
ainsi les réflexions que ce contraste lui suggérait : « A cette u Eglise
établie » d'Angleterre, si divisée, si menacée, si ignorante de sa
force réelle, je comparais cette puissance vivace et énergique dont
j étudiais l'histoire dans les siècles primitifs... J'étais toujours pour-
suivi par cette pensée, qu'il existait quelque chose de plus grand que
1 Eglise établie, et que ce quelque chose était l'Eglise catholique et
apostolique, instituée dès l'origine^». Ainsi surgissait ce qui devait
ctrc désormais, pendant plusieurs années, l'idée maîtresse de Newman :

1 Eglise d'Angleterre, menacée de périr, ne peut se sauver qu'à la


condition de se hausser à l'intelligence de son origine et do sa mis-
sion divines » •^.

Tjilueau-Damîin. la Renais, callx. en Angl., t. I, p. 5i.


1.

Newm.vn, Ilist. de mes opinions religieuses, Irad. Du Pré de Saiul-Maur, un


a.
voK in-i2, Paris, a-- édition, i866, p. 5o-5i.
o. TnLRKvt-D.i^GiM, la Hen. cath. en An^L, t. I,
p. 53-55.
i48 HISTOIRE GÉlNÉRALB DE l'ÉGLISB

L'Eglîse
catholique
Par certains côtés, la situation du catholicisme en AJIemagne était
en Allemagrw analogue aux conditions de son existence en Angleterre. Là aussi une
minorité de catholiques était dominée par une majorité protestante.
Là aussi les catholiques, groupés en certaines régions, tcMes que la
Bavière et l'Autriche, avaient la faculté de s'organiser entre eux.
Mais là s'arrêtaient les ressemblances.
Etat politique
de Au point de vue politique, l'Allemagne, telle que les traités de
TA Ile magne i8i5 l'avaient faite, était une organisation instable, divisée entre
en i83o.
deux grands Etats d'une part, l'Autriche et la Prusse, qui cherchaient

à dominer la confédération, et une quarantaine de petits Etats, les


uns catholiques comme l'Autriche, les autres protestants comme la
Prusse, tous impatients de leur indépendance à l'égard des deux
grandes puissances qui essayaient de faire prévaloir leur hégémonie.
S'-n état
re.. 'ieux. Au point de vue religieux, la Prusse et les Etats protestants, fidèles
aux traditions césaro papistes qui remontaient aux premiers temps
de la prétendue Réforme, et les gouvernements catholiques, encore
trop pénétrés de l'esprit joséphiste, faisaient plus ou moins peser sur
les fidèles un joug Dans le domaine des idées, une double
arbitraire.

tendance s'était manifestée: une tendance libérale, opposée à l'absc-


Tendances
di\ erses parmi lulisme, dont Borne et Henri Heine avaient été les plus éloquents
les opposée au césaropa-
porte-voix, et une tendance ultrainontaine,
catholiques.
pisme et au joséphisme, dont Goerres s'était fait le plus vigoureux
interprète. Quoique inspirées par des principes totalement opposés,

ces deux tendances s'étaient plusieurs fois rejointes et mêlées, parce

qu'elles avaient été souvent dirigées contre le même ennemi, parce


que, visant l'une et l'autre l'affranchissement d'un joug odieux, elles
avaient pris souvent la même devise, celle de la liberté. De là des équi-
voaues, des malentendus, des confusions, sources, en Allemagne
comme en France, en Belgique et en Italie, de longues et vives

controverses.
Gontre-coup
des En Allemagne, pas plus que dans les autres pays qui subirent k
événements
secousse de i83o, les événements de Juillet ne créèrent les conflits,
de .înillet en
Alleiuagae, mais ils en déterminèrent la crise violente. Alix premières nouvelles
de l'insurrection parisienne, des émeutes éclatèrent dansleBrunsAvick^
la Saxe, la Hesse-Cassel, le Hanovre et plusieurs arutres petits Etats.
PIE VIII 1^9

Les princes, effra^'és, accordèrent des constitutions libérales. C'étaient


là des atteintes aux traités de Vienne, qui concentraient dans la per-

sonne du prince tous les pouvoirs de l'Etat. Metternich s'effraya,


déclarant que tout le mal venait de la faction qui cherchait à intro-
duire en Allemagne l'idée dissolvante de la souveraineté du peuple
Aussi, sous son inspiration, l'Autriche réagit-elle de tout son pou-
voir contre l'invasion du libéralisme politique et en favorisa-t-elle
la répression dans les Etats secondaires. Elle trouva même, dans ces
agitations révolutionnaires, une occasion de se rattacher les magnala
ou seigneurs hongrois, plus effrayés des libertés populaires qu'hos-

tiles à la domination autrichienne.


Le clergé catholique, pris dans son ensemble, ne se mêla point à
ces mouvements politiques ; et, chose triste à dire, l'épiscopat alle-

mand ne se préoccupa guère davantage de défendre alors l'indépen-


dance de l'Eglise contre plusieurs ingérences abusives du pouvoir civil.

Nous voulons parler de son attitude en présence de deux graves ques-


tions qui, au cours de l'année i83o, éveillèrent la sollicitude du
pape Pie VIII : la question des trente-neuf articles de Francfort et la
question des mariages mixtes.
Le 2 mars i83o, les Etats de Wurtemberg, de Bade,, des deux ^* question

liesses, de Nassau et de Francfort, sous prétexte d'organiser les cinq •


nte-neuf

Ad
.....
évêchés dont les bulles

dominicl gregis, du 11 avril


pontificales Provida,

1827, avaient
.
du i6 août 182 1,
,
fornié la
.de
province
et , tl^^^ r
Francfort.

ecclésiastique du Haut-Rhin, publièrent une déclaration en trente-


neuf articles, où les droits de l'Eglise étaient ouvertement violés.

Après avoir proclamé, par l'article i^"", que « l'Eglise catholique a


la liberté de professer sa croyance et d'exercer publiquement son
culte », on s'appliquait, par tous les autres articles, à restreindre
arbitrairement cette liberté. L'article 4 soumettait au placet gouver-
nemental tout règlement, toute circulaire ecclésiastique. L'article 5
soumettait même les bulles et les brefs du pape à l'approbation des
Etats. L'article 10 défendait de faire discuter hors de la province
ecclésiastique les différends d'ordre ecclésiastique. C'était interdire
implicitement tout recours à Rome. Les articles 7, 8, 11, 12, i3
attribuaient la limitation des diocèses et des paroisses à l'autorité
civile. Les articles i4, i5, 16 réglaient le mode d'élection des
évêques et exigeaient d'eux un serment de fidélité au souverain. L'ar-
ticle 18 soumettait à l'approbation des Etats toutes les réunions des
ecclésiastiques en synode et toutes les résolutions qu'ils preudraieut.
y
3 .

i'5o HISTOIRE GENERALE DE L EGLISE

Les articles 25, 26, 27, 28, 29 avaient trait au recrutement des clercs,
soumis, soit avant leur entrée au séminaire, soit pendant leurs études
ecclésiastiques, soit après leur sortie du séminaire, à des examens
passés devant les autorités religieuses et civiles. L'article 36 donnait
le droit aux ecclésiastiques aux laïques de recourir auprès des
et

autorités civiles pour y dénoncer les abus de l'autorité G*cclésias-


tique ^

Faiblesse w L'Eglise d'Allemagne, d4t un de ses historiens, eut, dafis cette


àe l'cpiscopat
allemand.
circonstance, une mollesse, un laisser-aller, une docilité qui la ren-
dirent, en quelque mesure, complice des impérieux agissements du
pouvoir civil. Des cinq évêques visés, un seul protesta, celui de
Fulda. L'archevêque de Fribourg, les évêques de Rottenbourg et de
Limbourg en-Nassau, préférèrent à la gêne d'agir le reproche d'être
des « chiens muets ». Quant à Burg, ri inspirait, ou peu s'en faut,
la politique religieuse des gouvernements alliés ^ ».

Pie VIÏI protesta d'abord d'une manière non officielle auprès de


tous les Etats qui avaient signé la Déclaration de Francfort.
Protestation Puis, en présence des réponses insuffisantes que lui adressèrent les
de
Pife VIII.
divers souverains, il jugea opportun 3o juin i83o, à
d'écrire, le

l'archevêque de Fribourg et aux quatre évêques de Mayence, de


Rottenbourg, de Limbourg et de Fulda une lettre très pressante sur
cette affaire. « Par son institution divine, disait-il, l'Eglise, épouse
de Jésus-Christ, est Kbre. Elle ne doit être soumise à aucune puis-
sance terrestre. Mais ne serait-elle pas réduite à une honteuse servi-
tude si l'on permettait au pouvoir civil de eonfirmer ou de rejeter
les conciles, de diviser les diocèses, de choisir les candidats au sacer-
doce, de diriger renseignement et la discipline ecclésiastiques, les

séminaires eux-mêmes, et d'empêcher communication des la libre

fidèles avec le chef de l'Eglise ? » Le pape ajoutait que son cœur

avait été empli d'amertume en apprenant que, parmi les évêques à


qui il destinait cette lettre, il s'en était trouvé un assez téméraire
pour oser donner son assentiment à la Déclaration des 39 articles n.

Puis il écrivit une seconde fois à tous les chefs des Etats compromis.
La question La question des mariages mixtes, qui devait, dans la suite, pro-
des mari a go
miites. voquer des résistances héroïques, fit voir d'abord, dans l'êpiscopat
allemand, les mêmes faiblesses.

£. Voir le texte complet de la Déclaration dans VA. de le R., t. LXIÏI. p. 3a î-


5a5.
3. G. GoY\v,r Allemagne religieuse, le catholicisme, t. II, p. 136-167.
PIE VITI i5i

Une ordonnance royale, remontant au 21 novennbre i8o3, avak


prescrit que tous les enfants nés en Prusse de mariages mixtes
seraient élevés dans h ffeligion du père. Celte ordonnance, rigoureu-
sement appliquée en Siîésie, où beaucoup de mariages avaient été
contractés entre des fonctionnaires protestants et des indigènes
catholiques, y avait considérablement développé le protestantisme.

Cette mesure, formellement contraire aux règles du droit canonique,


qui exige des futurs époux, comme condition préalable d'un mariage
mixte, la promesse d'élever tous les enfants dans la foi romaine,
plus que E^p^-î*
n'avait pas rencontré en Silésie de grave opposition, pas
le
...
règlement d admmistration qui
I T
. uistorique
.

avait enlevé aux écoles catholiques jg \^ quetiiot


, , , 1

leur direction propre pour la conférer aux représentants du gouver-


nement. Lorsque, en i8i4, la Prusse prit possession des provinces
rhénanes, elle hésita d'abord à y appliquer l'ordonnance de i8o3.
Mais, en 1826, le rôi déclara que cette ordonnance réglerait désor-
mais le droit civil matrimonial dans les pays rbénans et dans la

Westphalie. L'épiscopat ne fit entendre aucune protestation ; mais


Résistance
plusieurs prêtres se refusèrent à bénir les mariages mixtes quand les
r . . •
r•
. l'T? r T • '
partieilo <k
iuturs conjoints ne tirent pas la promesse exigée par Ibghse. Le
1
clergé aux
gouvernement prussien se plaignit, traduisit devant les tribunaux les enirepnwa

prêtres retractaires aux ordonnances, et exigea que les eveques leur i^i^^^

infligeassent une punition. Ceux-ci, inspirés par l'archevêque de


Cologne, Ferdinand Auguste Spiegel, prélat ambitieux, qui rêvait de
jouer en Allemagne le rôle d'un primat et d'y défendre contre L'épiscopiii

Rome les « Ubertés ecclésiastiques « à la manière des joséphistes et comnlio»


des gallicans *, se concertèrent avec leurs collègues de Silésie, et despréientienr
sollicitèrent de Frédéric-Guillaume l'autorisation d'entrer en pour- du^pouvoit.
parlers avec le pape. Elle leur fut accordée, avec celte condition que
leur courrier serait transmis par l'intermédiaire de Berlin. « En
somme, comme on l'a fort justement écrit, les évêqucs s'age-
nouillaient devant l'absolutisme royal, et s'adressaient au pape
pour avoir le droit de rester prosternés *. » Pie VIII répondit ^ par BreJ LîUerb
son bref Lilteris du 27 mars i83o, accompagné d'une noie expli- Vonnani

I. Une correspondance Inédite de Spiegel, publiée par Rensch en 1897 (Briefe


an liunsen, Leipzig, 1897), a révélé le caractère de ce prélat, qui, bien que mn-
damnanl le» 89 articles, aspirait à réunir sous son autorité, avec l'aide du pouvoir
ci\il, l'Eglisegermanique, et à tenir tête à Rome.
2 GoTAU, op. fi/., p, i5o-i5î.
3. Ta demande avait été adressée à Léon XII, qui mourut sur ces entrefaites.
Pio Vlli reprit l'aiTaire restée en suspens.
t52 HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLTSE

une solution cative du cardinal Albani, qui déclara vahdes mais illicites les ma-
à la
controverse riages mixtes conclus sans observer les règles prescrites par le con-
'a*: mars cile de Trente. Le pape obligea les prêtres à exiger des fiancés,
^
i83o}.
avant la célébration du mariage, promesse que tous les enfants
la

seraient catholiques. Si cette promesse était refusée, il interdisait


aux prêtres de donner aux mariés la bénédiction ; mais il leur per-
mettait 1' « assistance passive ^ ». Le Saint-Siège étaîl allé jusqu'au
bout des concessions autorisées par les principes du droit ecclésias-
tique. Mais la cour de Berlin ne fut pas satisfaite ; elle ne publia
ni le bref ni l'instruction qui l'accompagnait, et mit tout en œuvre
pour fléchir la cour romaine.
Rôle Des sociétés secrètes, plus ou moins étroitement affiliées à la franc-
clés sociétés
secrètes dans maçonnerie, eurent-elles un rôle dans les agitations poKtiques de
les agitations l'Allemagne en i83o ? On peut le conjecturer ; mais aucun docu-
politiques
et religieuses ment précis ne le prouve. On trouve en Allemagne, à cette époque,
de une vaste association, la « Société teutonique » ; mais cette associa-
l'A-llemagne.
tion, ayant pour but principal l'unité de l'Allemagne, ne paraît
avoir jamais été que « l'écho de Fesprit public, manifesté dans de
jeunes têtes * » ; et « la franc-maçonnerie proprement dite, certaine-

ment répandue en Autriche en i83o, y a toujours tenu ses réunions


avec tant de précautions, qu'il est impossible d'avoir des renseigne-
ments certains sur ses agissements 3. »

XI

Les
Il n'en était pas de même en Italie, où îl est permis de suivre, à
mouvements
révolu- l'aide de documents authentiques, le mouvement des sociétés secrètes
tionnaires
et leur action sur les révolutions politiques et religieuses de la pénin-
en Italie.
sule.

On peut même dire que le développement des sociétés secrètes fut,

en Italie, le principal résultat immédiat des révolutions de i83o. Le


fait s'explique. D'une part les insurrections de la Belgique et de la

Pologne avaient vivement impressionné les nationalistes italiens J


et,

Jean MoELLER, Affaires de Cologne, un vol. in-8°, Louvain, i838, p. 58 77.


1.
— Sur la situation du catholicisme en Prusse à cette époque, voirai, de la 7?.,
l. LXIl, p. 344 t. LXV, p. 182. Cf. Ibid., t. LXV, 363.
;

2 Gustave
. Bord, les Illuminés de Bavière, le Tagend-Bund et les sociétés de mal"

faiteurs, dans la Rev. inlern. des soc. secr.y du 5 juillet 19 13, p. 217a.
3. Ibid.^ p. 217/1-2170.
PIE vni i53

d'autre part, le système de compression exercé en Italie par


agitations
l'Autriche avait redoublé de rigueur au Icndomain des
n'éclatera
qui venaient do troubler l'Europe. La révolution italienne
y prendra alors un
qu'après la mort de Pie VIII, et elle caractère

nettement anticalholique.
Ils sont
Ce caractère lui viendra précisément
*
des sociétés secrètes. L'Ita-
1 1 /
• ' L
presque ton?
lien, plus que tout autre, sait à la fois se soumettre à la nécessite et provoquée
occultes eurent, par les soci- 's
conspirer
t
dans l'ombre. En i83o, les associations
secrètes,
en Italie, deux centres : les Etats pontificaux et la province de

Lecce, au sud de la péninsule. Dès le 2^ mai 1829, Pie VIII avait


renouvelé contre elles les édits de ses prédécesseurs*. Mais la réputa-

tion de bonté du pape avait encouragé l'audace des sectaires. On


découvrit leurs menées dans plusieurs complots révolutionnaires.
L'Autriche, menacée, poussait à la répression. Une commission
judiciaire fut formée à Rome, sous la présidence de Mgr Cappelleti.
Vingt-six individus furent traduits devant elle, sous l'inculpation de
participation à la société des carbonari. Après de longues discus- Les carhonari

sions, l'un d'eux, Joseph Picilli, grand-maître de la Vente de Rome


et premier instigateur de tous les troubles, fut condamné à la peine
de mort, que Pie VIII commua en celle de la déportation à vie. La
famille de Napoléon était elle pour quelque chose dans ces agita-
tions ? Ce qui est certain, c'est que les idées napoléoniennes, en Italie

comme en France, se mêlaient aux idées d'opposition contre les


gouvernements dits d'ancien régime, et que ceux-ci se méfiaient des
Bonaparte. Dès 1822, le duc de Blacas, ambassadeur à Rome,
écrivait au vicomte de Montmorency, ministre de Charles X « Les :
^^J®
I
.
^ . •. T ...
1 T r • 1 de la l'amillf;
caroonan romains et ceux de la penmsule italienne trouvent ici, ,

Bonaparte
dans la réunion nombreuse des membres de la famille Bonaparte, un et du duc

encouragement secret^. » En i83o, la cour de Naples demanda que dans les


la princesse Caroline, sœur de Napoléon I", qui résidait à Rome, événernenU

fût invitée à quitter la ville ; elle se retira en Autriche 3. Plus tard, ^^^ luîieî
les deux fils de la reine Ilortense avoueront leur participation aux
complots italiens. Un des chefs d'Etat de la péninsule, le duc de
Modène, entra aussi en relations avec les car6onar/. Caressant le
rêve de se mettre à la tête d'un mouvement libéral, qui ferait de lui

1. Enc^rclique Traditi (Artaud, Uist, de Pie VIII, p. 56).


2. Archives du ministère des AJjai'es étrangères^ Naples, iSai-iSaa, toI. 1^17

3. Mrtternich, Mémoires^ t. V,
i54 HISTOIRE GENERALE DE L EGLISE

le souverain d'un royaume de la Haute-Italie, il se mit en relations,


par l'intermédiaire d'un personnage équivoque, le docteur Misley,
avee le chef des carbonari modénois, Ciro Menotti. Mais les menaces
de Metternich, mis au courant de l'affaire, arrêtèrent brusquement les
négociations.
L'action Entre temps, l'Italie méridionale, plus précisément la province
de Mazzini
dans l'Italie de Lecce, devenait un foyer de sociétés secrètes nouvelles. Sous l'in-
méridionale. fluence de Mazzini, qui trouvait la franc-maçonnerie trop aristocra-
tique carbonarisme trop bourgeois, des sociétés à tendance
et le

plus démocratique se fondèrent. L'agitateur génois leur c^onna pour


objectifs : l'unité italienne, Tan^icléricalisme, l'esprit républicain.
Une de ces nouvelles organisalior.s, la Catena Salentina, avait pour
devise : « Richesse et honneurs sont fumée ». Les autres sont vague-
ment connues, quoique leur existence soit certaine. Elles préludaient
à la Société de la Jeune Italie, qui, fondée en i83i, allait être l'ins-
trument le plus actif du Risorgîmento et des conspirations contre le

Saint-Siège*.

Les L'action des sociétés secrètes fut également manifeste en Suisse


révolutions dans les agitations politiques qui s'y produisirent en * S3o. La
cantonales
de la Suiàse, Suisse, nous l'avons vu plus haut, avait été le lieu de rendez-vous
des diverses sectes révolutionnaires. Les illuminés d'Allemagne s'y
étaient rencontrés avec les carbonari d'Italie et de France. Sous
leur inspiration, des sociétés littéraires et artistiques, et surtout des
sociétés de tir à la carabine Uchûtzen-gesellschaft), se fondèrent en
divers endroits, ayant, au fond, pour but des complots révolution-
naires. Ces sociétés jouèrent un rôle impoitant dans les révolu ons
cantonales qui se produisirent en Suisse, à partir de i83o, dans un
sens démocratique et hostile au catholicisme.
L'aîTrancLisse- Il ne paraît pas que le contre-coup des révolutions européennes en
mont des
i83o se soit fait sentir en Turquie ; mais ces révolutions coïnci-
catholiques
arméniens. dèrent avec les événements qui, grâce à Tappui des Etats de l'Europe
du pane, affranchirent partiellement et momenta-
et à l'intervention

ncment l'Arménie du joug ottoman. La guerre de l'indépendance


hcilcnique avait été le prétexte d'une violente persécution des catlio-

I. Sur les sociétés secrètes de la Basse-Italie à cette époque, voîr Oreste Dito, :

Massoneria, carboneria ed altre società segrete nella storia del Risorgîmento italiano,
Turin, igoS A. Ga.valotti, Memorie sulle società segrete delVItalm méridionale,
;

iqo4 J. Fraikiî», la Charbonnerie dans V extrême-sud de Vltalie, de Î8î5 à 1830,


;

dans la Rcv. int, des soc. secr.^ du ao mai 191 4, p- Ii57-ii64.


FIE VIII i55

liques de la part du sultan Mahmoud, ce potentat qui prétendait


réformer son empire sur le modèle européen, mais qui ne fit rien
pour adoucir la haine traditionnelle de sa nation à l'égard des chré-
tiens. Accusés de trahir la Porte, les catholiques arméniens se virent

partout dépouillés de leurs biens, proscrits, condamnés au bagne ou


au dernier supplice ^ Ce qui rendait la situation des catholiques
arméniens intolérable, c'est qu'ils dépendaient hiérarchiquement d'un
patriarche schismatique, qui, loin de prendre leur défense, les livrait
au contraire à leurs persécuteurs, les contraignait à pratiquer leur
culte dans le secret de leurs maisons. La population catholique
demandait à former une nation séparée, ayant son état civil, et,

avant tout, son chef spirituel catholique. Devant les menaces du


comte de Guilleminot, ambassadeur de France, la Porte se décida à
affranchir les catholiques arméniens de la tutelle du patriarche
Intervention
schismatique. Pie VIII s'empressa alors, par sa bulle Qaod jamdlUy
de Pie VIII
du 6 juillet i83o, d'ériger à Constantinople un siège archiépiscopal par sa bulle

arménien, ayant le titre et les privilèges de métropole piimatiale. Le ^". . I°["^'"

titulaire de cette haute fonction fut Antoine Nouridgian, prêtre i83o).

arménien distingué, qui fut sacré à Rome le ii février suivant, en


présence des ambassadeurs de France, d'Autriche et de Sardalgne.
Mais celle institution ne réalisa pas toutes les espérances qu'on avait
fondées sur elle. Le sultan, après avoir affranchi les catholiques
arméniens de la juridiction du patriarche schismatique, les avait
placés sous l'autorité d'un chef civil, qui, d'abord simple laïque, fut
ensuite un prêtre décoré du titre de patriarche par le gouvernement
turc. L'existence de ces deux chefs en présence allait être une occa-
sion de pénibles conflits 2.

Xll

Bien au delà de l'empire turc, dans les régions lointaines de l'Asie,


de l'Afrique, de l'Amérique et de l'Océanie, d'autres chrétientés L'Eglise

tournaient les yeux vers Rome, pour lui demander les pasteurs, les
d'Euro o
ressources, les aides de toutes sortes dont elles avaient besoin.
Les Annales de la Propagation de la foi d'avril 1829 exposaient la

1. Voir dans E, Bohb, VArmMie, un vol. in 8% Paris, 18^6, p. 55-03.


les détails
a. Mgr Petit, au mot Arménie^ dans le Dict. de ihéol. de Vacakt, t. î, col,
191a HJl 3.
i56 HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGUSE

he% missions triste situation des missions catholiques au Tonkin et en Cochin-


d'Asie.
chine. Dans le Tonkin occidental, oii une mission de i5o.ooo chré-
Le Tonkin. tiens n'avait plus, pour la diriger, que trois prêtres français, ceux-ci,

traqués par la police du roi Minh menh, étaient réduits à se cacher.


La Dans la Gochinchine, le vicaire apostolique, Mgr Tabert, était gardé
Cocbinchine.
à vue ; trois prêtres français venaient d'y pénétrer secrètement. Tous
La Giiine. sollicitaient des aumônes, des auxiliaires et des prières^. En Chine,
où la persécution s'était rallumée, et d'où tous les missionnaires
étrangers venaient d'être expulsés, trente-trois prêtres chinois, sortis
du séminaire lazariste de Macao, subvenaient seuls aux besoins reli-

,^ieux des chrétiens répandus dans les provinces^. Le P. Maistre, d«


la Société des Missions étrangères, errait, sous toutes sortes de dégui-
sements, depuis les ports de la Chine jusqu'aux déserts du Liao-
Tong, autour de l'impénétrable frontière de la Corée ^. Les missions
L'Inde. de llnde ne s'étaient pas encore relevées du coup désastreux que
leur avait porté la suppression de la Compagnie de Jésus. Sur les
pas des soldats anglais et des commerçants d'Angleterre et d'Amé-
rique, les ministres protestants, soutenus par le double prestige des
sympathies gouvernementales et de l'or, y avaient conquis des
populations nombreuses. Dans les régions placées sous le protectorat
Des missions du Portugal, la situation n'était guère plus satisfaisante. Les arche-
d Océanie.
vêchés de Goa, de Cranganore, les évêchés de Cochin et de Mélîa-
pour, étaient, depuis de longues années, par suite de la coupable
négligence du gouvernement portugais, privés de titulaire. Des îles
Les îles Sandwich, des missionnaires écrivaient qu'ils espéraient, au bout de
Sandwich.
quelques années, former un noyau de solides chrétiens ; mais leur
Les missions principal obstacle se trouvait dans la propagande protestante*. Au
d'Amérique.
Brésil, sur sept sièges épiscopaux, quatre étaient vacants, et le

^e BrésiL nouvel empereur, don Pedro, tout en manifestant des sympathies


au Saint-Siège, l'inquiétait ptr ses empiétements sur le domaine
des affaires ecclésiastiques^.
Les La situation de l'Eglise des Etats-Unis, quoique satisfaisante au
Eldts-Unis.
point de vue de son développement, n'était pas sans donner aussi de
sérieuses inquiétudes. « L'immigration irlandaise commençait àver-

I. Annales de la prop. de la foi, avril 1829, t. TIT, p. 4io-486.


a. Piolet, les Missions cathol. françaises au XIX^ siècle, t. 111, p. 76,
3. MAnsH\LL. les Missions chrétiennes^ t. I, p. io5,
4. A. delaR., t. LXV, p. 207-208.
5. Id., t. LXl, p. 188.
PIE VIII 157

nouveau continent, au point d'exciter la


ser se^ flots pressés sur le
jalousie des descendants des premiers colons anghis et puritains.
Ce fut l'origine du mouvement connu sous le nom de Native Ameri- La Natioe
Americanism,
canism. Dirigé d'abord contre les étrangers, ce mouvement devint
bientôt, sous rinlluence des préjugés religieux, une opposition sys-
tématique au catliolicisme, considéré comme antinational *. » D'au-
tres périls venaient à l'Eglise américaine du milieu ambiant. Telle

était la pénétration, dans l'administration des paroisses, d'un esprit Les trasue».

démocratique, que l'Eglise n'avait pas à critiquer dans l'organisation


politique, mais qu'elle jugeait incompatible avec le caractère de sa
divine hiérarchie. Telle était encore la trop facile immixtion du
clergé dans les affaires séculières, qui pouvait altérer gravement en
lui la religieuse gravité de l'esprit ecclésiastique.
Aucun de ces périls n'échappa à la sollicitude du concile provincial Le concile
de Baltimore
qui se réunit à Baltimore le 4 octobre 1829, sous la présidence de (octobre
Mgr Jacques Withfield. Les principales questions qui furent mises 1829;.

à l'ordre du jour concernaient : les pouvoirs respectifs des évêques,


la portée de la promesse d'obéissance faite par chaque prêtre au
moment de son ordination, les moyens de propagande religieuse, la

polémique avec les protestants, la lecture par les fidèles de la Bible


en langue vulgaire et des écrits publiés par les hérétiques, l'organi-
sation d'une presse catholique par livres, revues et journaux, les

conditions d'existence des congrégations religieuses, et enfin la déli-

cate question des trustées, commissions laïques, qui correspondaient


à peu près aux anciens conseils de fabrique des paroisses françaises,
et qui s'arrogeaient souvent un droit de direction sur les paroisses
américaines -.

A l'issue du concile, le 17 octobre, les évêques qui y avaient pris


part publièrent deux Lettres La première,
pastorales collectives.
adressée à tous les prêtres des Etats Unis, leur recommandait avec
instance de ne point trop se mêler aux affaires de ce monde, de
veiller sur eux-mêmey, de s'appliquer les vérités qu'ils prêcheraient,

d'étudier l'Ecriture, d'éviter les lectures frivoles, de vivre à l'abri


non seulement de tout reproche, mais de tout soupçon. La seconde
Lettre, destinée à tous les catholiques des Etats-Unis, leur recom-
mandait de coopérer aux œuvres de presse et d'éducation, les mettait

1. G. Andué, au mot Amérique^ dans le Dict. de Vac\>t, t. 1, col. 1007.


3. Sur le concile de Baltimore de 1829, voir A. de la A., t. LXll, p. i45-i5o;
t. L\V, p. 173-179.
i58 HISTOIRE GENERALE DE L EGLISE

en garde ©entre les trustées et les prémunissait contre l'esprit d'in-


djfl'crence religieuse, qui, sous un vernis de libéralisme, tendrait à
mettre sur le même rang la vérité et l'erreur.
L'reuvre Pour subvenir aux besoins de toutes ces missions. Pie VIII avait»
de \a
Propagation par un rescrit du i8 septembre 1829, recommandé aux fidèles du
de la J'ùi. entier \ Œuvre de la Propagation de la foi, fondée en France
monde
quelques années plus tôt. Cette œuvre, toujours en voie de prospérité
depuis sa fondation, put distribuer, en 1829, plus de Soo.ooo fr. ^,

Accroissement et, en i83o, une somme à peu près égale 2, aux diverses missions
du nombre
dos qui sollicitaient son secours. Le nombre des ouvriers évangéiiques
mibsioaiiaircs. augmentait en proportion de la générosité des fidèles. Le séminaire
des Missions étrangères, qui n'avait que 25 missionnaires en 182 4,
en comptait 53 en i83o ^. Les lazaristes, les jésuites, les Pères du
Saint-Esprit donnaient à l'évangélisation des contrées lointaines des
ouvriers de plus en plus nombreux. Pie VIII toutefois ne put voir
la grande renaissance des missions étrangères, réservée aux pontifi-
cats de Grégoire XVI et de Pie IX. Après avoir occupé vingt mois
seulement le Siège apostolique, le sage et pieux pontife, se sentant
mortellement atteint par une maladie dont il souJBPrait depuis long-
Mort temps et que les soucis de son gouvernement avaient aggravée, de-
de Pie Vin
(3o novembre manda à recevoir les derniers sacrements, et rendit paisiblement le
l830;. dernier soupir le 3o novembre i83o. Sous son pontificat, au milieu
d'événements qui bouleversèrent l'Europe entière, des idées très éle-

vées et très sincères s'étaient mêlées à beaucoup d'illusions ; des


mouvements très généreux s'étaient trouvés en contact avec des pas-
sions révolutionnaires et des erreurs doctrinales. Discerner ces
erreurs avec soin et les condamner avec force : telle sera la tâcbe qui
incombera au successeur de Pie VIII.

1. Voir Annales de la prop. de la foi^ de juilUet i83o, t. IV, p. aoi-aôg,


2. Ibid., p. 6o5-6i3.
3. A. delà R., t. LX\I, p. 018.
CHAPITRE IV

GRÉGOIRE XVI ET LES ETATS PONTIFICAUX.


(lS3l-l832.)

La double lâche léguée par Pie VIII mourant à son successeur :


Caractère
général du
discerner et condamner les erreurs du siècle, était d'autant plus diffi-
pontificat de
cile à remplir, que la plupart de ces erreurs s'abritaient sous des Grégoire \\l:
la lutte contre
dénominations équivoques. La plus équivoque de ces dénominations
le libéralisme.
était celle de libéralisme. L'agitateur révolutionnaire Mazzini se disait
libéral, comme le protestant conservateur Guizot, comme le prêtre

ultramontain La Mennais, comme le groupe de jeunes catholiques, Difficultés


spéciales
Gerbet, Rohrbacher, qui, depuis plus d'un mois, dans le journal
de cette lutte.
r Avenir, guerroyaient vaillamment pour « Dieu et la liberté » ^. Le
sens du mot, au surplus, n'était pas exactement le même dans les

diverses nations. En Italie, li mouvement libéral semblait se con-


fondre avec le mouvement pour l'indépendance nationale, et, à ce

titre, de sincères croyants, tels que Silvio Pellico et Manzoni, l'accla-

mèrent. En Angleten-e, le libéralisme s'entendait plutôt dans un sens


dogmatique ; et Newman, croyantie voir dans l'agitation d'O'Conncil
et des catholiques irlandais, le leur reprochait comme un crime -.

Chez le chef du mouvement libérai en France, l'abbé de La Mennais,


le libéralisme était destiné à prendre successivement les formes les
plus diverses : parti de l'ultramoiitanisme le plus ardent, il était
en voie d'aboutir à la révolte déclarée contre le pape. L'équivoque
ne cessera que lorsque l'autorité suprême du Saint-Siège aura dciiui
et condamné l'erreur libérale.

I. L'Avenir, f.ndé le i6 octobre i83o, portait, en tète de ses colonnes, celte


devise : « Dieu et la liberté ».
3. Sur le sens que Ne vnian altacbait au libéralisme et sur la manière dont i! !e
ccnd.ninait, voir son Hist. de mes opin. rel, p. 437-4A4. Cf. Thlre.vl-Dam...x,
la Renaissance cathol. en Amjl.^ t. I, p. a3, kjû.
i6o HISTOIRE GENERALE DE L EGLISE

C'est en Italie, c*est dans les Etats mêmes du pape, que le mot de
Le libéralisme couvrit les aspirations les plus divergentes. Expression
mouvement
libéral en
d'un noble sentiment d'indépendance nationale pour les uns, de
Italie et dans vagues tendances constitutionnelles ou démocratiques pour les
les Etats du
autres, de sourdes méfiances envers le Saint-Siège pour plusieurs, il
Saint-Siège.
fut, pour les sociétés secrètes, qui s'emparèrent du mouvement, le
mot sonore par lequel des meneurs hypocrites tentèrent de justifier
les attentats les plus sacrilèges contre l'Eglise et les conspirations les
plus dangereuses contre Tordre social.
Les sectes L'homme qui allait devenir l'inspirateur et le chef de l'agitation
révolution-
naires entre- révolutionnaire en Italie, l'organisateur de la Jeane Italie et de la
prennent Jeuae Europe, Giuseppe Mazzini, a résumé sa tactique dans ce
de le liiriger.
passage de ses Instructions : « En Italie, le peuple est encore à créer ;

mais il est prêt à déchirer l'enveloppe qui le retient... Il y a des


Mazzinî, mots régénérateurs, qui contiennent tout ce qu'il faut souvent répéter
S>>a plan.
au peuple: liberté, droits de l'homme, progrès, égalité, fraternité.
Voilà ce que le peuple comprendra, surtout quand on lui opposera
les mots de despotisme, privilèges, tyrannie, esclavage, etc. Le
difficile n'est pas de convaincre le peuple ; c'est de le réunir. Le jour
où il sera réuni, sera le jour de l'ère nouvelle *. » Le peuple une fois

soulevé, les princes le suivraient. « Le pape, écrit le fameux agitateur,


entrera dans la voie des réformes par la nécessité ; le grand-duc de
Toscane, par inclination, faiblesse ou imitation ; le roi de Naples, par
contrainte; le roi de Piémont, par l'idée de la couronne d'Italie ))2.

Il (. :nloite L'idée de l'unité nationale de l'Italie fut une de celles que les
le sentiment
national et la sociétés secrètes exploitèrent avec le plus de succès, u L'histoire de
haine contre l'Italie pendant le xix® siècle, écrit Claudio Jannet, montre plus
l'Autriche.
qu'aucune autre comment l'action néfaste de la franc-maçonnerie et

des sectes sorties de son sein fausse le développement de la vie

publique chez les peuples où elles réussissent à s'implanter. L'Italie,

1. Cité par LuBiENSKi_, Guerres et révolutions d'Italie, Paris, 1862, p. 46, et par
Claudio Ja-Nnet, la Franc-Maçonnerie au XIX siècle, un vol. in-80, Avignon, iSSa,
p. 1/18-149. .
'

2. Deschamps, les Sociétés secrètes et la société ^ 3 vol. in-S*^, Paris et A\i^aion,


1881, t. II p. 375.
GRÉGOIRE XVI ET LES ETATS PONTIFICAUX 161

centre prédestiné de la civilisation par excellence, avait été, par une


conséquence même de sa destinée, le champ de bataille des autres
peuples. Les rivalités de ses propres enfants et surtout le régime
républicain de ses munici^lités, l'avaient empêchée de former une
nation, à l'époque où les autres races européennes se constituaient
en monarchies compactes. La domination étrangère, à laquelle quel-
ques-unes de ses provinces étaient soumises, était devenue particu-
lièrement pénible à supporter au D'une part, le senti- xix* siècle.

ment des nationalités s'était développé partout, à mesure que les


gouvernements se centralisaient au détriment des autonomies locales ;

d'autre part, l'annexion injuste de la Yénétie par le traité de Campo-


Formio, et le scandaleux mépris du droit dont avait fait preuve le

congrès de Vienne, en sanctionnant cette injustice, avaient grave-


ment compromis le principe de légitimité que l'Autriche pouvait
invoquer sur le Milanais ^ . »

L'indépendance et l'unité de l'Italie furent donc des mots d'ordre


habilement choisis par les sectes. Mais des esprits avisés eussent
facilement compris que, derrière ces buts apparents, des visées hos-
tiles au catholicisme se cachaient. « L'Italie se couvrit de sectes, dit
un écrivain très au courant de leurs menées. La franc-maçonnerie,
renforcée du carbonarisme, était humanitaire ; sa fraternité univer-
selle pouvait se traduire en ce qui s'appelle de nos jours socialisme Il vise
et,
la destruclioB
eu langue radicale, fédération des peuples. Elle était antl catholique ^. » du pouvoir
Ce que voulaient avant tout les sectes, c'était la destruction du pou- temporel
du
voir temporel du pape et de l'Eglise catholique elle-même. Saint -Siège.
Au premier rang de ceux qui eussent dû apercevoir, dénoncer e.

combattre ces visées sacrilèges, était l'homme d'Etat qui se donnait


alors le rôle de diriger la politique des grandes puissances de l'Eu-
rope contre Altitude
la Révolution : le prince de Metternich. Le ministre autri-
du prince
chien se rendit nettement compte de la puissance acquise, au len- de Metternich,
demain de premier
la révolution de i83o, par les sectes qui se groupaient
ministre
autour de la franc-maçonnerie. « Ni le cabinet des Tuileries, écrivait- d'Autriche,
à l'égard det
il à l'ambassadeur d'Autriche à Paris, ni personne ne peut plus
sectes.
mettre en doute la somme des dangers qui menacent le corps social,

1. Cl. Jin^sET, la Frenc Maçonnerie au XlX* sièx^le, p. i47-i48. (Le livre pul'Iié
sous ce titre n'est que la reproduction du tome III de l'ouvrage les Sociétés secrètes :

et la société, par Deschamps, lequel tome III est l'œuvre de Claudio Jannct.)
2, MmeRATTAZzi. Ralta::i et son temps, documents inédits, Pari>, 1881, l. I, p. ao,
4^'. (jf. SiLB!<G\iiDi, Ciro Menotliy au chapitre intitulé / carbonari e le associa: ioiU
ugrcU,\
Hisl. gén. de l'Eglise. — \\l\ II
l62 HISTOIRE fîÉNéRALE DE l/ÉGLISE

par suite de la force extrême qu'a acquise, à l'ombre de la tolérance


et de l'impunité, une secte antisociale, qui, sous cette égide, a su se
constituer un gouvernement solide et compact^. » Mais, après avoir
si nettement constaté ricnmense puissance destructive des sociétés
secrètes, quelle est l'institution que le célèbre diplomate cherche à
préserver de leurs coups ? Ce n'est point ce principe de la légitimité,

dont il s'est proclamé le défenseur au congrès de Vienne, car on le

voit montrer à l'égard du roi Charles X et du duc de Bordeaux un


Il cherche dégagement Ce ne sera pas davantage ce pouvoir
« égoïste ». tem-
surtout
à préserver porel du Saint-Siège dont il se dit le premier défenseur, car il ne le
t la tranquil-
protégera qu'en essayant de le dominer. C'est avant tout, c'est, peut-
lité
des pouvoirs on dire, uniquement « la tranquillité des gouvernements de fait »,
établis ».
y compris cette monarchie de Juillet qu'il vient de faire reconnaître
à son souverain. Tout l'effort de Metternich — sa correspondance
diplomatique en fait foi — consistera à essayer de circonscrire le
péril révolutionnaire, et particulièrement à tenter de décider le roi

Louis-Philippe à entrer dans la voie des mesures répressives contre


les sectes. Dans plusieurs pièces diplomatiques de cette époque,
qu'il a intercalées au cours de ses Mémoires, on le voit mettre en
avant, pour agir sur le roi des Français, la part prise par les bona-
partistes à l'action des sociétés secrètes. « Les fils de Louis
Bonaparte, dit-il, sont à la tête des insurgés qui veulent conquérir
la capitale ^. » Plus tard, revenant avec plus de précision sur son
point de vue, il écrira :La France est géographiquement placée
u

de manière que la monarchie bonapartiste n'aurait qu'à franchir les


Pyrénées, et que la répiablique bonapartiste n'aurait qu'à franchir
les Alpes, pour se donner la main dans le royaume de France ^. »

n
L'œuvre fameux homme d'Etat poursuivait ces négocia-
Pendant que le
du libéralisme
révolution- tions à peu près stériles, les sectes avaient profondément bouleversé
naire
l'Etat pontifical.
. dans l'Etat
L'étincelle qui détermina l'explosion révolutionnaire était partie
poiilifical.

de la ville de Modène. Un familier intime de François IV, duc de

I Metter'nich, Mémoires, t. V, p. 355«


2. Dépêche du g mars i83i.
3. Dépêche du 17 septembre 1834.
GRÉGOIKE XVI ET LES ÉTATS PONTIFICAUX l63

Modène, Giro Menolti, peisonnage habile et intrigant, nmembre '^-»

. „ 1 I TT f7 •
I- • • f i.f T • conspiration
miluent de la Haute-Vente italienne, avait organise 1 émeute. Lais- de Modène
sant entendre au vieux duc, son maître, dont il cultivait avec soin (décembre
, * ... ^ j ,.,,..
,.,,.,,
les rêves ambitieux, qu il s agissait uniquement de conquenr 1 inde-
. i83o-ianvier
i83ii.
pendance politique de la péninsule et d'affermir cette œuvre en pla-
çant sur la tête du prince la couronne constitutionnelle de l'Italie ^^^^ Menotti.

unifiée, il avait «u ses coudées franches pour se recruter des affidés


dans les diverses villes des Etats pontificaux et à Rome même. La
haute approbation de François IV, dont il se prévalait à l'occasion
comme d'un gage de succès, lui avait valu de précieux adhérents *.

S'il faut en croire le conspirateur, on aurait


compté parmi ceux-ci
plusieuri personnages haut placés du gouvernement français -. Yl Ses afiQliéi.

avait, à coup sûr, dans sa main, les deux fils de Louis-Napoléon ^.

Mais le duc avait a temps ouvert les yeux. Comprenant enfin que
Tentreprise de Menotti ne tendait à rien de moins qu'à déchaîner une
révolution sociale, dont le Saint-Père et les souverains de l'Europe
seraient les principales victimes, il prévint le mouvement insurrec^
tionnel ; et, au moment où Menotti préparait l'invasion du palais
ducal, il le fit arrêter comme parjure et révolté.
Ces mesures venaient malheureusement trop tard pour empêcher L'Insurrection
if , .. ,, ,.1 . ^ i Bologne
En même temps que
1 r T-<
1 exécution d un complot solidement organise. ^janvier-
Menotti essayait de révolutionner Modène, ses afliliés, fidèles au février i«3i).

mot' d'ordre, se soulevaient à Bologne. Peu de temps après, le


mouvement gagnait toutes les autres villes delà Romagne, l'Ombrie,
les Marches, toutes les Légations. Les conjurés formèrent partout
des gardes nationales, puis établirent des gouvernements provisoires,
formés de nobles, de médecins, d'avocats. Bologne fut lei*r quartier-
général. Le pro-légat, Mgr Glarelli, dut, pour éviter de plus grands
maux, consentir à la création d'une « commission gouvernementale »,
ayant sous ses ordres uue « garde provinciale » ; puis, sentant son
autorité débordée par le pouvoir nouveau, H quitta la ville, pour se
rendre à Rome*. Dès lors, les insurgés ne cachèrent plus leur but.

Lei întric;ues de Menotti, leur but antireligieux et le» altacbes du meneur


X.
avec société» secrètes, ne peuvent faire de doute, après la publication des docu-
les
ments donnés par Loxiis Blanc, à <{m U correspondance secrète de Meuotli avait été
communiquée. Voir Louis Bla:tc, Hist. de dix ans, 5* édition, t. Il, p. 292 et s.
a. Menotti, Lettre du 19 juillet i.S.'^r, citée par Louis Hlvnc, op. cit., ibid.
3. Desch4mps, op. cit., t. II, p. 260-262 Louis Bla>«c, t. II, p. 296, 817, 3i8. ;

^. SïtiVikii*, Grégoire XVI et son poiUiJicat, un vol. in-8% Paris, 1889, p. Sô'
39.
i64 HISTOIRE GENERALE DE L EGLISE

Après le départ du pro-Iégat, la commission déclara, sans discus-


sion, <( l'affranchissement complet de la domination temporelle du
Elle s'étend pape en un seul gouvernement ». Enfin, elle publia un manifeste
dans
les Marches contre l'administration du pape, et organisa un gouvernement cen-
et dans tral, formé d'un président et de sept ministres*. Tous ces événe-
les Légations.
ments se passaient dans l'interrègne, habilement choisi, qui sépara
la mort de Pie VIII de l'élection de son successeur. Maîtres des
Elle tente Légations et des Marches, les conjurés avaient jusque-là respecté le
de gagner
le patrimoine
patrimoine de saint Pierre* ; mais il était visible que les événements
de qui venaient de se précipiter n'étaient que le prélude d'une invasion
•aint Pierre.
de Rome. Le gouverneur de la ville ne négligea rien pour surprendre
Elle est le secret de la conjuration. Averti que des complots se tramaient
momentiané-
ment étoufiee dans l'ombre, il fit, le ii décembi^ i83o, arrêter les plus sus-
à Rome. pects des agitateurs et contraignit les autres à quitter Rome. Parmi
les personnes arrêtées, se trouvaient un avocat, réfugié de Modène,
Joseph Cannonieri, et le maître de chambre du prince Charles
Bonaparte, Guy Fedeli de Recanati. Grâce à ces mesures énergiques,
le conclave put se réunir, le i3 décembre, dans une sécurité rela-
tive. -

Tenue '
Quarante-cinq cardinaux prirent paît aux divers scrutins. Dès le
du conclave
(i4 décembre
premier jour, le cardinal Pacca, doyen du Sacré Collège, le ©ardinal
i83o-a Cappellari, préfet de la Propagande, et le cardinal Giustiniani, an-
février i83i).
cien nonce à Madrid, recueillirent les plus nombreux suffrages ;.

mais le gouvernement espagnol, usant du droit d* « exclusive »,


qir'\ine coutume tolérée par le Saint-Siège accordait aux puissances
catholiques 3, opposa son veto à l'élection du cardinal Giustiniani.

On suppose que la part prise par Giustiniani à la nomination des


évêques d'Amérique, sous le pontificat de Léon XII, fot la caase de
cette «Lclusion. Restaient Pacca, que de longs services dans les non-
ciatures avaient mis en évidence, en révélant son dévouement éclairé
aux intérêts de l'Eglise, et Cappellari, que des travaux moins écla-

Seignobos, Hist. poî. de l'Europe çfintemporainet p. 3i5.


I.
3.Les Etats de TËglise comprenaient trois parties le Patrimoine de Saint- :

Pierre, les Marches et les Légations. L'art. io3 de l'acte du 9 juin i8i5 était ainsi
conçu « Les Marches, avec Gamerino et leurs dépendances, ainsi que le duché de
:

Bénévent et la principauté de Ponte-Corvo, sont rendus au Saint-Sio^c. îi rentre


en possession des Légations de Ravenne, de Bologne et de Ferrare, à l'exception
de la partie de Ferrare située sur la rive gauche du Pô. » Cf. Fa.rgbs, le Pouvoir
temporel au début du pontificat de Grégoire XVI^ dans \d. Revue hist., XLII, 1890^
p. 817 et s.
3.Sur le droit d'exclusive, voir Hist. gén. de l' Eglise f t. VI, p. 4 17*4 18,
^

GRÉGOIRE XVI ET LES ETATS PO!*TIFICAUX l65

tants, mais très appréciés de ceux qui en avaient été les témoins,
recommandaient à ses collègues. Pacca, plus connu du monde
diplomatique, eût été facilement accepté par les couronnes. Cappellari
était le candidat préféré des Zelanti. Pendant près de deux semaines,
les deux partis se balancèrent, l'écart des voix entre les deux candi
dats étant à peine de quatre ou cinq voix. Pour en finir, Albani,
dont les relations avec les couronnes étaient connues de tous, se
rangea au parti des Zêlanti. La plupart des cardinaux qui avaient
suivi ses inspirations, l'imitèrent ; et, le i février i83i, jour de la

Purification de la Sainte Vierge, le cardinal Maur Cappellari fut élu Election de


L •
T' ui' -1 j ' • . • 4
Grégoire XVI
pape par trente t
et une voix. L assemblée avait dure cinquante jours ^ (a février

Le nouveau pape, en souvenir du couvent de Saint-Grégoire du i83ik

Cœlius, dont il avait été le supérieur, et du grand saint qui l'avait


babité, prit le nom de Grégoire XVL Cette élection fut accueillie,
dans le monde entier, par des témoignages de satisfaction. Dans la

presse indifférente ou hostile au catholicisme, k National et le


Temps firent l'éloge du nouvel élu. « Je n'ai pas besoin de vous

assurer, écrivait le prince de Metternich au comte de Lûtzow, am-


bassadeur d'Autriche près du Saint Siège, qu'aucun choix qu'eût
pu faire le Sacré-Collège n'aurait été plus agréable à notre auguste
maître, que celui qui vient d'avoir lieu*. » Et, dans V Avenir
l'abbé de La Mennais saluait en ces termes le nouveau pontife : « Le
cardinal Cappellari a fait, dans ses fonctions de préfet de la Propa-
gande, une expérience anticipée et comme un magnifique appren-
tissage de la papauté... Sa bénédiction Urhi et Orbi, en se répan-
dant du haut de la basilique de Saint-Pierre, rencontrera aux bornes
du monde des vestiges de ses bienfaits... C'est du sein de celte cha-
rité universelle qu'il a monté les marches du trône réservé au
suprême défenseur de la vérité et de la justice. »

III

Le caractère du nouveau pape, l'heureux «uccès des ceuviea


auxquelles il s'était employé jusqu'alors, la solidité de sa science
théologique, dont il avait déjà donné des preuves, justifiaient cetla
salisfaclion générale.

I. A. de la R., t. LXVII. p. loi. Cf. p. 86, ii8, aoti.


a. Metternich, Mémoires, i. V, leltre du la février i83i.'
.

i66 HISTOIRE GÉNÉRALE DE î/ÉGLISE

Portrait D une haute stature, la démarche ferme et la taille droite, mal-


du nouveau , . .
r^ . '
i r .
v^tt . •

pape.
gre ses soixante-cinq ans révolus, Grégoire XVI n avait point, dans
les traits de son visage, cette fine distinction que respiraient les
physionomies de Léon XII et de Pie VÏII ; et la malice de ses enne-
mis chercha, plus d'une fois, à caricaturer les lignes fortement
accentuées de son visage, ses lèvres légèrement proéminentes, ses
grands yeux noirs, ses sourcils largement arques. Mais, au dire de
tous ceux qui l'approchèrent, l'expression de son âme le transfigu-
rait, aussitôt qu'il avait à remplir une fonction religieuse ou qu'il
entrait en conversation. La majesté recueillie qu'il apportait dans les
cérémonies du culte, la spirituelle honhomie qu'il savait mettre dans
ses entretiens, le ton simple, animé, affectueux par lequel il mettait
à l'aise le plus humble de ses visiteurs, touchèrent lame de plus
d'un hérétique. On remarquait toutefois qu'en présence d'une injus-
tice flagrante, son visage prenait rapidement un air sévère, presque
terrible ; mais cette expression cédait bientôt à son air habituel de
bonté, et il était facile de deviner que le pontife n'avait fait violence
à sa bienveillante nature que pour obéir à un impérieux devoir
de sa conscience *

Tel il apparaissait à qui l'abordait de près, tel il avait été dans sa


vie passée, tel il devait être dans tout son pontificat : d'une bontô
paternelle envers les hommes, d'une inflexibilité rigide envers les
erreurs. La constance parfaite de l'attitude et un des
des idées, fut
traks les plus caractéristiques de la carrière du pape Grégoire XVI.
Sef origines. Barthélémy-Albert Cappellari était né, le i8 septembre 1766,
dans la vieille et pittoresque ville de Bellune, en Yénétie, d'une
famille de petite noblesse, recommandable par lés traditions de
vertu qui s'y étaient perpétuées d'âge en âge. En revêtant, en 1788,
l'habit blanc du camaldule, au couvent de Saint-Michel de Venise,
le jeune moine prit, en souvenir d'un des plus chers disciples de
Sa vie saint Benoît, le nom de Maur. Dans les emplois successifs qu'il eut
religieuse.
à remplir en divers monastères de Venise, de Rome et de Padoue,
dom Maur Cappellari contracta ces habitudes de vie simple,
recueillie et laborieuse^ qu'il devait garder sur le trône pontifical 2»

I. Sur la personne et le caractère de Grégoire XVI, voir les témoignages dei


historiens qui l'ont personnellement connu, tels Quatre derniers que Wisemaw, les
papes, p, 388-097, 471-^76 Grétineau-Joly, l'Eglise romaine en face de la Révolu-
;

tion, t. lî, p, 189 190 Mgr Gaume, les Trois Rome, 4^ édition, t. 11, p. i5o
;

a. Ou raconte qu'après son élection au souverain uontificat, il répondit à son


.

GRÉGOIRE XVI ET LES ÉTA.TS PONTIFICAUX 167

D'autre pari, les délicates fonctions qu'il eu* à exercer, soit comme
visiteur cks collèges et universités, soit comme correcteur des livres
comme préfet de Propagande, avaient Ses diverse»
des Eglises orientales, soit la
missioiis.
mis en lumière cet art de manier avec souplesse les hommes et les
choses, que beaucoup d'historiens ont gratuitement dénié à Gré-
goire XVI, mais que l'clude impartiale de sa vie montre avec évi-
dence. C'est lui qiii, sous Léon Xll, fit prévaloir, comme préfet de la

Propagande, contre l'habile diplomatie du comte de Labrador, la

déchéance des droits que l'Espagne s'arrogeait sur la nomination des


évêques dans les pays du nouveau monde qui s'étaient soustraits à

son empire ^ 11 est vrai que, chei ce négociateur avisé, l'intelli-

gence des situations concrètes et des solutions qu'elles commandaient


ne fit jamais oublier l'inviolabilité des principes qui orientaient

ses démarches. Dès sa première jeunesse, le futur auteur de l'en-


cyclique Mirari vos n'avait eu rien de plus à cœur que de défendre
les droits de l'Eglise et de la papauté contre les erreurs contempo- Sc^ ouvragei

faines. En 1786, l'année même de m profession religieuse, H sou-


tenait, en présence du patriarche de Venise, une thèse publique sur
rioé'aiHibilité du pape^. Dès l'année suivante, en qualité de profes-
seur de théologie, il choisissait de préférence, comme objets de ses
cours, les questions agitées par les philosophes du jour 3. En 1799,
il synthétisait et comf)létait toutes ses idées précédemment exposées,
dans son ouvrage : Triomphe du Saint-Siège et de l'Eglise contre les

assauts des novateurs^ repoussée et combalius par leurs propres


armes*. Quelques années plus tard, Maur Gappellari était un des
principaux promoteurs de l'Académie de la religion catholique, et
lisait, dans ses réunions, plusieurs dissertations contre les erreurs
des temps présents*.
Ce n'étaient donc ni l'habitude des affaires ni la connaissance des

domestique, qui venait prendre ses ordres pour sa table : c Grois-lu que mon
•blomac suit changé parce que je suis pape ? »
I. Voir, plus iiaut, p io4-io5.
a. Gard. ZuRLA, Mtmorie inlomo alla vita ed agli studii dd Padre don Lodovico
iVac/ii, abate camaldolese
3. Los camaldulcs du Mon^Gœlius possèdent encore les manuscrits de plusieurs
des thèses aiors enseignées par Dom Maur Gappellari.
4. Get ouvrage, traduit en français par l'abbé Jammes, se trouve au tome XVI
des Di'inonstrations évangéliques de Migivb.
5. Gf. MoRONi, Di:ionario di eriidizione^ t. XXXII, p. 3i3 et s. Moroui, familier
de Grégoire XVÎ, C5l un témoin exactement informé des événements de son ponti-
ficat. Le tome XXXII, p. 3i3-328, donne une chronologie assez détaillée de ces évé-
nements.
iC8 HISTOIRE GENERALE DE L EGLISE

problèmes intellectuels soulevés par les contemporains, qui man-


quaient au nouveau pape. Il ne tarda pas à avoir besoin de faire

appel à l'une et à l'autre.


La situation
La question politique fut la première qu'il eut à aborder. La gra-
polrtique
ée l'Burope vité de l'insurrection qui venait d'établir son centre à Bologne,
en face
n'avait échappé à aucune des grandes puissances. Celles ci ne pou-

««©tesrévo-
«tionnaires vaient douter que le coup porté au Saint-Siège n'émanât des sectes
en i83i.
révolutionnaires, et ne menaçât indirectement, à ce titre, leur propre
autorité. Mais aucune d'elles ne s'empressait de réprimer le mouve-
ment. Les unes, telles que la France de Louis-Philippe et l'Angle-

terre, ne voyaient pas sans une certaine satisfaction les institutions


d'ancien régime battues en brèche dans l'Italie pontificale et rem-
• placées par un régime constitutionnel. Les autres, TAutriche en tête,
dont Metternich se faisait hardiment l'interprète, avaient pris, tout
d'abord, une attitude menaçante ; mais, soit qu'elles voulussent
ménager les sociétés secrètes, dont elles redoutaient la puissance,
soit qu'elles ne fussent point fâchées de voir « Tultramontanisme »
ébranlé, et qu'elles attendissent l'heure d'intervenir en faveur du
Saint-Siège pour lui imposer leur protection, montraient peu de
zèle à entraver l'insurrection. En somme, ni les Etats qui faisaient
sonner bien haut le principe de 1' « intervention », comme l'Autriche
par U voix de Metternich, ni ceux qui se retranchaient dans le

système de la « non-intervention », comme la France par l'organe


de Casimir Périer, ne donnaient pleine satisfaction au souverain pon-
tife. Les premiers, suspects de se laisser guider moins par un respect
généreux du droit que par une politique d'égoïsme national, subis-
saient trop les inspirations du joséphisme ou du gallicanisme et ;

les autres, par leur application du « laissez-faire, laissez-passer »


dans les rapports internationaux, ne faisaient autre chose que trans-
porter dans l'ordre des relations diplomatiques la pure doctrine du
libéralisme et de l'indifférentisme.

IV

mou-
j^g souverain pontife ne pouvait se faire illusion sur la portée des
vcMicnt rcvo- '^ '^

^
*^

iutionnaire menées révolutionnaires. Quelques jours après l'élection de Gré-


peneire oroire XVI, l 'insurrection envahissait le patrimoine
^ de saint Pierre,
c'uis Rome. , , .
'

pénétrait dans les rues de Rome, et y marchait drapeaux dé-


GRÉGOIRE XVI ET LES ÉTATS PONTIFICAUX 169

ployés. Il n'était plus temps de recourir à des mesures préventives.


La papauté était acculée à un corps à corps avec l'émeute. Gré-
goire XVT fit appel au dévouement d'un homme dont il connaissait

la fermeté, l'expérience des affaires et la fidélité au Saint-Siège, le

cardinal Bornetti.
Thomas Bernetti, né à Fermo, le 29 décembre 1779, doit être Le caHinal
, , I • 1 i-^ 1 • A, •
1 BcrneUi
place, non loin de Consalvi, son maître, au premier rang des ^^^ nommé
hommes d'Etat qui ont servi l'Eglise au xix* siècle. Après avoir ter- [ro ^orrétaire

miné ses études littéraires et son cours de droit dans sa ville natale,

il était venu Rome, et s'y était formé à


k la pratique des affaires

sous la direction du célèbre Bartolucci. On le vit apparaître pour la Notice

première fois sur la scène politique au moment de la captivité de gu ^fcTarcHnai


Pie VII. Il s'agissait de transmettre, à l'insu de l'empereur Napoléon, Bernetti.

dont il fallait déjouer à tout prix la police et braver au besoin la


colère, un message secret du pape à l'empereur d'Autriche. Bernetti
se charge de la délicate et périlleuse mission. Il est assez heureux
pour faire parvenir la lettre à son destinataire, et, par la réussite de
son entreprise, il rend à l'Eglise un service des plus signalés. Grâce
à lui, les plénipotentiaires des puissances alliées, réunis en congrès,
donnent au pape une réponse favorable à la restitution des Etats

du Saint-Siège*. Après de si glorieux débuts, Thomas Bernetti


devint le bras droit de Gonsalvi, qui lui confia le soin de rétablir,
en qualité de délégat, le gouvernement pontifical dans la province
de Fcrrare. Les qualités qu'il déploya dans cette charge le firent

appeler aux fonctions d'assesseur du comité des armées dans Rome,


puis à celles de gouverneur de Rome. Sous Léon XII et Pie YIII, la
situation de Bernetti grandit encore, et ses talents d'homme d'Etat
brillèrent d'un tel éclat, qu'ils lui attirèrent l'estime des plus tenaces
adversaires de l'Eglise. « Pour moi, écrivait Stendhal en parlant du
conclave de 1829, je désire voir sur le trône de saint Pierre le car-
dinal le plus raisonnable, et mes vœux sont pour Bernetti^. » Le jour
môme de son élection, Grégoire XVI, pressentant la gravité du mou-
vement révolutionnaire qui venait d'éclater dans la légation de
Bologne, confirma Bernetti dans le gouvernement de cette province,
que lui avait confiée Pie VHP. Peu de jours après, quand la Révo-

1. A. de la /?., t. GLVII, p. iai-i3a.


a. Stbndiul, Promenades dans Rome, a"* série, p. 336.
3. M. Matnard, Jacques Crétineau-Joly, sa vie politique, religieuse et littéraire,
p. 343.
i

170 HISTOIRE GÉNÉRALE DE L ÉGLISE

lulion gagna Rome, il éleva l'intrépide cardinal à la haute charge


*

de pro-secrétaire d'Etat, afin de sappuyer plus complètement sur


lui. En ces pénibles conjonctures, disait plus tard Grégoire XVI, «je
voulus avoir auprès de moi un bras de un cœur d'or
fer et •
je confiai
à Bernetti la direction suprême du gouvernement 2. y,

Politique Du premier coup d'oeil, Bernetti jugea la situation en véritable


générale
de Bernetti.
homme de gouverneuient, qui porte son regard au delà des difficul-
tés présentes. A son afig, le Saint-Siège devait, en présence de
l'insurrection, agir, autant que possible, par ses seules forces, et ne
recourir qu'à la dernière extrémité à l'intervention des puissances
étrangères. L'avenir montra combien ses appréhensions étaient jus-
tifiées .

Grégoire XVI, Conformément aux vues de son conseiller, le pape adressa d'a-
pour
ciômentir
bord un paternel appel à son peuple. Répondant aux calomnies de
les calomnies ceux qui le représentaient comme l'ennemi de tout progrès, il prolesta
de
«es ennemis,
du désir qu'il avait de contribuer au bien-être matériel et spirituel
promet de ses sujets ^. Mais l'émeute s'étendait. Elle avait gagné les villes
et réalise des
réformes d'Imola, de Faenza, de Forli, de Ravenne. Sercognani, parcourant
favorables au les Marches, à la tête d'une armée de 2.000 hommes, adressait aux
bien
de ses sujois.
Romains une proclamation pour les exciter à la révolte. Les deux
fils de la reine Hortense quittaient la Toscane pour se joindre aux
rebelles. Le pape, en vue de prouver à ses sujets que ses promesses
de réforme n'étaient point vaines, et pour répondre à la tactique

des meneurs, dont le premier acte avait été de décréter la diminution


des impôts, s'empressa, dès le i3 février, de prendre des mesures
analogues. Le i6, il abaissa le tarif des douanes. Le ig, il diminua
l'impôt sur le sel. En même temps, il ouvrait les prisons politiques,
faisant mettre en liberté soixante-dix individus condamnés pour
crime d'Etat.
En mênae Il fallait montrer que ces mesures ne déguisaient pas la faiblesse et
te lins, il se
T.ionLre prêt à ne constituaient pas une capitulation. Pendant que le pontife
résister cner- essayait de désabuser son peuple des accusations portées contre le
giquement
aux complots gouvernement du Saint-Siège, Bsrnetti négociait des achats d'armes
révolu- à l'étranger, et, le 17 février, s'adressait aux Romains pour consti-
tionnaires.

1. Bernetti fut créé cardinal par Léon XII le a octobre i8a6 {A. de la /?.,

t. CLVII, p. 133).
2. Maymard, op. cit., p. 343.
3. Lettre apostolique du 9 février i83i, Bernasconi, Acta Gregorii papae XVI^
in-4% Komae, 1901, t. I, p. 1-2. hxRBERi. Bull. Roman, contiimalio, t. XIX, p. i-a
GREGOIRE XVI ET LES ETATS PONTIFICAUX 171

tuer une garde civique. Cet appel ayant reçu un accueil enthousiaste
parmi les populations de la ville de Rome et de la campagne romaine,
un nouvel acte du gouvernement pontifical organisa, le 21 février, la

nouvelle institution. L'article i déclarait que « k garde civique se Organisation


d'une garde
composerait d-e tous les hommes, les ecclésiastiques exceptés, ayant civique
accompli leur vingtième année et n'ayant pas soixante ans révolus ». dans les Etals
romains.
L'article 2 ajoutait que « néanmoins les personnes âgées de soixante
ans ou plus, qui s'offriraient à donner cette preuve de zèle, poupraieiU
en faire partie ». Dans la pensée du secrétaire d'Etat, cette mesure ne
visait pas seulement le peuple de Rome, qu'il était opportun d'intéresser
à la défense de la ville, et les insurgés, à qui il importait d'opposer
la force matérieUe, mais aussi les grandes puissances, en particulier
l'Autriche, q»i, ayant déjà un pied en ne demandait qu'à y
Italie,

intervenir de nouveau et à faire payer au pape sa protection hautaioe


et intéressée. Effectivement, dès le 16 février, le prince de Metter-
nich avait écrit à son ambassadeur auprès de la «our de France, Le ptince
de Melternich
pour s'assurer que Louis-Philippe ne s'opposerak pas à une action de
manifeste
l'Autriche dans la péninsule. L'ambassadeur devait rappeler au roi l'intention
d'intervenir
que la révolution italienne n'était que « la révolution des bona-
dans
partistes, soutenue par les anarchistes français », et que le roi des les affaires de
Français « avait intérêt à ne paà laisseï- s'établir p'rès de lui un Rome.

trône bonapartiste » ^.

De telles déclarations, nous le verrons bientôt, ne trompèrent ni le Recrudescenee


gouvernement français ni le gouvernement pontifical sur les visées
du
mouvement
réelles de la cour de Vienne. Cependant l'insurreciion ne cessait de insurrec-
tionnel.
gagner du terrain et de devenir pkis menaçante. Le 17 février, la gar-
nison d'Ancône avait capitulé devant les insu» gés, et, k 19, le cardmal
Benvenuti, envoyé par le Saiôt-Père comme légat a latere dans les Le cardinal
Bernetti
piMDvinces révoltéespour y rameuer la paÎA -, avait été arrêté et fait
en informe
prisonnier par l'émeute. Le 21 février, le cardinal Beruetti informa officiellement
de ces attentats le corps diplomatique. Une action combinée des les puissances
catholiques.
puissances oûtholiq*ies, conduite avec décision et fermeté, eût réussi
peut-être à conjurer te périJ. Cette action ne se produisit pas. En Incapable
présence de cette inertie, le pro secrétaire d'Etat parvenir aux de résister
fit
par ses seul< >
puissances la note suivante : u Le Saint Père, après avoir épuisé tous forces,

les moyens qui étaient en son pouvoir, a reconnu la nécessité d'im- Grégoire W I

demande
le secours dé
i' Au triche.
1, Mettermich, Mémoires^ t. V, p. i53 et »,
3. Barbehi, Bull. Rom., t._XlX, p. a-3.
.

172 HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLISE

plorer un secours étranger... Il s'est tourné vers l'empereur d'Au-


triche, et lui a demandé le concours armé de ses soldats... »
L'intervention Les troupes autrichiennes, — le pape et son ministre ne l'igno-
des troupes
impériales raient pas, — étaient déjà massées aux frontières. Au premier signe
ramène la paix du Saint-Père, elles franchirent le Pô. Le 21 mars, Ferrare, Ravenne
dans
les Etats et Bologne étaient déjà tombées entre leurs mains. La reddition
pontificaux
(février- avril
d'Ancône, le 29 mars, termina la campagne. A la date du 2 avril,

i83i). l'autorité du Saint-Siège fut rétablie dans toutes les provinces. Tout
indique que le prétendu soulèvement populaire avait été le fait de
quelques meneurs habiles et turbulents, trompant les uns par leurs
perfides calomnies, terrorisant lee autres par leurs brutales agressions.
Ces meneurs disparus, tout rentra dans l'ordre. On vit renaître

la confiance dans les Etats pontificaux. Grégoire XYI en profita


pour adresser, le 5 avril, à son peuple une proclamation pleine de
douceur et de fermeté. Il renouvelait solennellement sa « ferme réso-
lution de créer des institutions propres à améliorer le sort de ses
sujets » ; mais il ajoutait aussitôt que « ces soins paternels ne lui
seraient possibles que par le maintien de mesures énergiques, propres
à empêcher le retour de nouveaux désordres »
Mesures L'exécution de cette double déclaration ne se fit pas attendre.
combinées
de répression
Gomme prémices des réformes judiciaires qu'il se proposait de réa-
et de liser, Grégoire XVI déclara abolir la peine de la confiscation des
©lémence,
prises par
biens, châtiment que ne justifiaient plus les mœurs politiques des
Grégoire XVI. peuples civilisés ; et, comme gage de la douceur dont il entendait
faire preuve à l'égard des égarés, il promulgua une sentence d'am-
nistie en faveur de tous les rebelles qui, n'étant pas employés civils
ou militaires du pouvoir pontifical, auraient déposé les armes le

6 avril. Mais, en revanche, il institua une commission civile, char-


gée de rechercher et de juger les promoteurs et les propagateurs du
mouvement révolutionnaire. Tous les fonctionnaires, militaires ou
civils, compromis dans le mouvement, ne pourraient être rétablis

dans leurs charges avant de s'être purgés des accusations portées


contre eux. En fait, ainsi que le déclara Bernetti dans une note du
3o avril, « la plupart des grands coupables eurent le temps de quitter
les Etats du Saint-Siège », et échappèrent ainsi à toute condamna-
tion.
CUEGOIRE XVI ET LES ETATS POMIFIGAUX 173

L'ère des désordres semblait close. Elle Peut été peut-être en Etrange
politique
réalité, si les puissances, fidèles aux règles les plus élémentaires du de l'Autriche
droit public international, s'étaient contentées de protéger Tordre etde la France
à t'égard du
extérieur dans les Etats du Saint-Siège, en s'abslenant de toute ingé- Saint-Siège.
rence dans sa politique intérieure. Malheureusement, on apprit
bientôt que gouvernement de Louis-Philippe et le gouvernement
le Elles
prétendent
de François I" venaient de se m«ttre d'accord pour faire prévaloir intervenir dans
une politique toute différente. Le cabinet de Casimir Périer, qui le gouverne-
ment intérieur
préconisait si fort une politique de non-intervention absolue, préten- de l'Etat
dait intervenir dans les rouages les plus intimes du gouvernement pontifical,
pour y
pontifical; et le cabinet du prince de Metternich, qui professait,
introduire
avec le culte de la papauté, celui des institutions les plus autoritaires des réformes
libérales.
du passé, s'associait aux désirs du gouvernement de Juillet, pour
demander au pape des réformes libérales. Bientôt après, les deux Intervention
de
gouvernements décidaient de réunir, à cet effet, une conférence, à l'Angleterre,
laquelle la France convoquait l'Angleterre protestante, tandis que de la Prusse
et
l'Autriche y appelait la Prusse hérétique et la Russie schismatiquo.
de la Russie.
La conférence projetée s'ouvrit, à Rome même, sous les yeux du
Saint-Père, mais sans sa participation. Quel était le but des souve- Conférence
de Rome.
rains d'Autriche et de Russie en prenant part à une telle démarche ?

Guizot, dans ses Mémoires, conjecture qu'ils « s'y prêtèrent par pru-
dence, dans un moment d'orage, surtout par égard pour la France et
l'Angleterre, dont ils redoutaient l'action libérale et qu'ils espéraient
contenir en ne s*en séparant point *. » Leur attitude, en ce cas,
manquait au moins de fierté. On peut ajouter qu'elle n'était, au
fond, ni habile ni digne, et que, pour ce qui concerne l'Autriche,
elle était suspecte d'une arrière-pensée joséphiste. Le cabinet de
Vienne, lorsqu'il agissait ainsi, prêtait au soupçon de vouloir re-
prendre les pires traditions de Joseph II, en s'ingérant abusivement
dans les affaires du Saint-Siège.
Le Mémorandum rédigé par les plénipotentiaires des cinq puis- Le
Mémorandum
sances -, à l'issue de la conférence de Rome, le 21 mai i83i, ne du 2 1 mars
i83i.

1. Guizot, Mémoires pour servir à l'hist. de mon temps, t. II, p. 391.


2. Ces plénipotentiaires étaient: pour l'Autriche, le comte de Lûtzow ;
pour la
Franco, le comte de Saint-Aulairc pour la Russie, le prince Gagarin
; ;
pour la
Prusse, M. de Bunsen po^ir l'Angleterre, M. Brook-Ta^lor.
;
174 IfISTQIRE GÉiXÉRALE DE l'ÉGLISE

put que confirmer ces impressions. Par un procédé sans exemple


dans les annales de l'histoire, les cinq puissances prétendaient dicter
au pape les réformes qu'il devait faire dans ses Etats pour répondre
aux prétendues aspirations de son peuple. C'était bien là le josé-
phisme monarchique mettant son autorité au service du libéralisme
révolutionnaire.
L'essentiel de. ces étranges revendications se trouvait exposé dans
les deux premiers paragraphes de la pièce diplomatique K
Ses principales
(( 11 paraît aux représentants des cinq puissances, disait-on, que,
dispositioDS,
quant à l'Etat de l'Eglise, il s'agit, dans l'intérêt de l'Europe, de
deux points fondamentaux : i° que le gouvernement de cet Etat soit
assis sur des bases solides par les améliorations méditées et annon-
cées de Sa Sainteté elle-même dès le commencement de son règne;
2° que ces améliorations, lesquelles, selon les expressions de l'édit
de Son Excellence Mgr le cardinal Bernetti, fonderont une ère nou-
velle pour les sujets de Sa Sainteté, soient, par une garantie inté-
rieure, mises à l'abri des changements inhérents à la nature de tout
gouvernement électif.

« Pour atteindre ce but salutaire, ce qui, à cause de la position

géographique et sociale de l'Etat de l'Eglise, est d'un intérêt euro-


péen, il paraît indispensable que la déclaration organique de Sa
Sainteté parte de deux principes vitaux : i" de l'application des
améliorations en question non seulement aux provinces où la Révo-
lution a éclaté, mais aussi à celles qui sont restées fidèles à la capi-
tale ;
2"" de l'admissibilité générale des laïques aux fonctions adminis-
tratives et judiciaires. )^

Vraies visées On le voit, les prétentions des puissances ne se bornaient pas à


du
gouvernement une intervention transitoire ; elles s'étendaient jusqu'à un contrôle
français permanent des réformes politiques demandées au Saint-Siège; et il
etdu
gouvernement n'était plus douteux désormais que, si le gouvernement de Louif-
autrichien. Philippe tendait à propager daus l'Etat de l'Eglise le régime consti-
tutionnel dont il se prétendait le modèle, l'Autriche aspirait à fixer
son influence en Italie par son rôle d'interprète des revendications
Premiers populaires. Au lendemain même de la conférence, le 22 mai, le
germes
de désaccord comte de Saint-Aulaire, ambassadeur de France, constatait avec
entre appréhension, dans une dépêche à son gouvernement, que « l'Au-
les deux
puièsancea.

I. La lourdeur de sa rédaction ne laissait aucun douté sur son origine aileinaude.


Le rédacteur de la pièce était le ministre de Prusse, Bunsen.
GRÉGOIRE XVI ET LES ÉTATS PONTIFICAUX 175

triche devenait populaire en Italie ». La France avait déjà protesté,

au mois de mai précédent, contre la prolongation du séjour des


troupes autrichiennes dans la péninsule. Elle commençait à se

demander si, dans Xa Memorandam^ elle n'avait pas été dupe de la

politique de Melternich. Bernetti, profond observateur, n'avait pas


tardé à combien l'accord des puissances était factice et
deviner
instable. Une protestation solennelle et bruyante du pape contre le

Mémorandum pris en bloc eût accentué le malentendu que les sectes


avaient créé. Plus que jamais, le souverain pontife eût paru se poser
comme le défenseur de la tyrannie de l'ancien régime contre les

réformes libérales réclamées par les souverains eux-mêmes.


Grégoire XVI fut admirable de calme et de dignité. Il signifia, Pourquoi
le pape
non sans fierté, aux délégués de la conférence, qu'il réaliserait toutes s'abstient de
les réformes spontanément promises par lui, et toutes celles qu'il toute
protestation
jugerait utiles dans la suite ; mais il tenait à en garder l'iniliallve, publicjuo
fermement résolu d'user de toutes ses prérogatives de prince libre et contre le
Mémorandum.
indépendant. Cette attitude n'était pas seulement digue et fière; elle

était habile. Si les populations des Marches et des Légations, celles


même du patrimoine de saint Pierre, avaient été en partie entraînées
dans le mouvement du libéralisme révolu tionnaire_, elles avaient con-
servé profondément dans leur cœur le sentiment de l'indépendance
nationale, la haine instinctive de l'ingérence élra4igère en leur pays.

VI

Cependant le sourd dissentiment qui s'était manifesté, au cours Le conflit


soulevé entre
même des conférences de Rome, entre le cabinet de Vienne et celui
la France
de Paris, ne tardait pas à s'accentuer. Au cours même des pourpar- et l'Autriclio
s'accentue.
lers, le comte de Saint- Aulaire, parlant de l'Autriche, dans une dé-
pêche adressée à son gouvernement, avait signalé u des symptômes
bizarres » de désaccord *. Quelque temps après, Louis-Philippe
insinua au pape, par son ambassadeur, que la France prendrait
volontiers la défense de l'ordre dans les Etats pontificaux, si le
Saint-Siège consentait: 1° à écarter à son profit l'inilucnce de l'Au-
triche, et 2" à prendre, daus un bref délai, certaines mesures libé-
rales, telles que la promulgation d'une anmislie en faveur des insur-

I. Dc|jèclie du :i3 cuai ii^3i.


176 HISTOIRE GENERALE DE L EGLISE

gés. Bernelti répondit au comte de Saint-Aulaire que « la garantie


française paraissait très précieuse à Sa Sainteté, mais que le pape
croyait impossible de l'acheter par des mesures qui seraient une
véritable abdication de l'indépcndanee pontificale ». Ces derniers
mots ayant été interprétés par les puissances comme un refus impli-
cite du Mémorandum, le ministre de Grégoire XVI précisa, dans une

note postérieure, que si « le pape ne pouvait consentir à sanctionner


des réformes qui lui seraient dictées impérieusement et à jour fixe, il

avait depuis longtemps prouvé par sa conduite l'empressement qu'il

mettait à chercher et à réaliser les améliorations désirables et com-


patibles avec la sécurité publique ».
La France Mais le conflit entre l'Autriche et la France devenait aigu. La
demande
l'évacuation France persistait à demander l'évacuation de l'Italie par les troupes
de rilalle par autrichiennes et l'amnistie. Metternich, prétextant que « le pape
les troupes
aulricbienues. avait besoin d'être secouru », imposait des conditions au retrait

des armées injpériales ^. lise plaignait, en outre, de l'empressement


que mettait le gouvernement français dans ses exigences. « Le cabinet
français, écrivait-il, s'abandonne à son désir avec une ardeur qui le

rend aveugle sur l'imprudence des moyens qu'il met en œuvre ^ ».

L'impatience du gouvernement de Louis-Philippe se comprenait. Le


chef du cabinet, Casimir Périer, soutenait, depuis son arrivée au
pouvoir, une lutte presque sans trêve contre le parti révolution-
du
Insistance naire 3. L'ouverture des Chambres allait avoir lieu le 28 juillet. Une
gouvernement
français, qui interpellation de la gauche sur l'occupation des Etats romains par
faitentrevoir r Autriche était imminente. L'ambassadeur de France, dans une
l'occupation
d'Ancône conversation qu'il eut avec le cardinal Bernetti, lui exposa que, si

par l'Autriche n'avait pas évacué le territoire pontifical au moment de la


ses troupes.
reprise des travaux législatifs, la France serait obligée, pour répon-
dre victorieusement à une interpellation, d'occuper Civita-Vecchia et
Ancône, « afin de contrebalancer l'influence de la cour de Vienne
dans les Etats pontificaux ». ~

Gravité La situation était des plus critiques. Les armées française et autri-
du coiiûit.
chienne se trouvant en conflit sur le sol pontifical, s'y heurtant peut-
être, ce pouvait être le déchaînement d'une guerre qui, étant donnée
la tension des relations diplomatiques en ce moment, l'entente qui

I. Mettbr:^ich, Mémoires, t. V, lettre du 3 juin i83i au comte Apponyi,


du 4 juin .i83i.
3. Ibid., lettre
3. TuuREA.u-DÀnGiN, Hist. de la mon. de Juillet, t. I, p. 444 445.
GRÉGOIRE XVI ET LES ^TATS PONTIFICAUX 11']

régnait alors entre la cour de Londres et la cour de Paris *, la com-


munauté d'idées qui rapprochait les gouvernements de la Prusse et de
la Russie de celui de l'Autriche, risquait d'incendier l'Europe, en tout
et de soulever les
L» pape,
cas de troubler ^profondément les Etats de l'Ef'Use
" . . ^
pour conjurer
passions révolutionnaires. Grégoire XVI voulut pousser jusqu'aux le péri 1.
accorde
dernières limites les témoignages de sa condescendance. Le 12 juillet
une arniMstie
i83i, il accorda une amnistie générale auK insurgés qui signeraient aux insurges
(la jj^Het
un acte de soumission à son autorité ; mais il en excepta nommé- i83i).
. .

nient trente-neuf des principaux meneurs, entre autres Mamiani et


Trois jour»
Pepoli. Trois jours après, il obtint l'évacuation immédiate de ses
, . . .
après,
Etats par les troupes autrichiennes, mais sous la condition qu'elles il obtient
évacua imn
reviendraient prêter main forte aux milices pontificales si la tran- 1
*^ *•
de ses LUI»
quillilé des Etats de l'Eglise se trouvait de nouveau menacée. Ces par les troupe»
autrichiennes.
mesures allaient-elles mettre fin à tout conflit 2 ?

Grégoire XVI ne lespérait sans doute pas ; car, s'il avait momen-
tanément écarté un danger imminent, les causes profondes de la crise

dont souffrait l'Etat pontifical n'avaient pas disparu. D'une part le


i ersistance
malencontreux Mémorandum, avec ses injonctions
J
relatives à de
de ia cnsL'.
vagues réformes, continuait adonner aux agitateurs révolutionnaires
un point d'appui et une force qui, pour n'avoir point été désirés

par tous les signataires, n'en étaient pas moins considérables. D'autre
part, la situation du Saint-Siège, sans véritable armée, sans moyens
importants de défense, offrait aux sectes une occasion favorable de
reprendre leurs complots. Le 22 décembre i83i, les prolégats et les

clats-majors de la garde civique de Bologne, de Forli et de Ravenne et°Bavenne


organisèrent, de leur propre initiative, une sorte de constitution se donnent un«

autonome, et prétendirent s'opposer à toute intervention des troupes


^autonome?
pontificales dans les légations. Sous une forme moins violente, c'était
une insurrection aussi radicale que celle qui avait troublé les Etats
du Saint-Siège quelques mois auparavant.
Le pape vit le danger, et tâcha d'y parer sans relard. Le cardinal

I. L'Angleterre restait sans doute, au fond, la rivale de la France dans sa


poli-
tique {jénéraio. mais les complications politiques soulevées par la Rcvùlulion belge
avaient fait marcher d'accord les deux nations. Tandis que l'Autriche, la Prusse et
la Hussie voyaient de mauvais œil la dissoluLion du rovaume des Pays-l^as et
rindopendaucc de ia Belgique ; l'Angleterre et la France, sympathiques à celle
révolution, étaient amenées à se montrer unies pour en imposer aux puissances
du nord.
'À Lest à cotte occasion, et pour récompenser ses sujets dont le dévouement
l'avait soutenu pendant la crise,«jue Grégoire XVI institua l'ordre de Saiut-
Gréguirc-le-(jiraud,
Ilist. géii. de l'Kgli e. — V III ii
.78 HISTOIRE GENF.RALÉ DE L ÉGLISE

Lo c^r linal Albani, dont l'énergie et l'expérience des affaires étaient connues,
AiLaiii
est iiomnu' fut nommé commissaire extraordinaire dans les quatre Légations;
commissaire avec les pouvoirs civils et militaires les plus étendus. Les milices
exlraordiiiaire
pour pontificales, précédemment organisées, lui fournirent cinq mille
les I «"rations. hommes ^
; malheureusement leur formation militaire n'était pas
achevée ; leurs cadres laissaient à désirer ; elles apportèrent à leur
action plus d'enthousiasme que de discipline. Arrivées aux frontières
des Légations, elles se heurtèrent à des troupes de paysans, soulevés
parles agents révolutionnaires, qui, avec les grands mots habituels
de liberté, d'indépendance, de haine de l'oppresseur et de l'étranger,
en avaient fait des fanatiques, désespérés et prêts à tout. Le cardinal
Albani s'exagéra t-il le danger ? Des historiens l'ont conjecturé. En
De sa propre tout cas, le péril était réel, et la nécessité de la répression était
initiative,
urgente. Les Autrichiens se tenaient toujours sur les frontières, l'arme
il fait appel
aux au bras. Eux seuls pouvaient apporter un secours immédiat. Albani
Autrichiens.
n'hésita pas. Sans consulter le pape, dont l'intervention personnelle
aurait pu soulever des complications diplomatiques *, il pria le géné-
Grûce à eux, ral Radetzky, commandant en chef de l'armée autrichienne, de lui
l'autorité
envoyer les troupes nécessaires. Tandis que lui-même, à la tête des
pontificale est
rétablie dans milices pontificales, occupait Ferrare, Forli et Ravenne, Radetzky
toutes
s'emparait de Bologne et de toutes les positions abandonnées six
les provinces
(fin janvier mois auparavant. Aux derniers jours de janvier 1882, l'autorité du
i832).
Saint-Siège était rétablie dans toutes les provinces.
Irritation du L'émoi fut grand en France. Ainsi les grands efforts faits par la
gouvernement
français.
diplomatie de Casimir Périer pour écarter l'Autriche de l'Italie et

pour amener une entente entre le pape et le mouvement réformiste,


étaient tout à coup rendus vains. C'était l'Autriche et k politique de

la répression matérielle qui triomphaient. Guizot, dans ses Mémoires,


exprime bien les sentiments qui agitèrent en ce moment le gouver-
nement de Louis-Philippe, « Si on en restait là, dit-il, si le gou-
vernement français ne se montrait pas sensible à cet échec et prompt
à le réparer, il n'avait plus en Italie ni considération ni influence.
En France, il ne savait que répondre aux attaques et aux insultes de

I. fHuaEA.u-DANGiîï, op. cU.y t. I, p. 5i7.


î. L'ambassadeur du roi de Sardaigne, Groza, écrivait à son ministre, le i^^r
février iSSa « Quant à l'idée cpae j'ai pu me former sur la détermination du
:

cardinal Albani d'appeler les troupes autrichiennes avant d'avoir sondé les intentions
dre Sa Sainteté, j'acquiers de plus en plus la conviction qu'il a agi ainsi non seule-

ment à cause de l'urgence des circonstances, mais aussi pour prévenir toutes les
difficultés diplomatiques possibles, n
GRÉGOIRE XVI ET LES ETATS PONTIFICAUX I79

ropposirion. Déjà elle s'indignait, elle questionnait, elle racontait les

douleurs des Italiens, les excès des soldats du pape, la rentrée des

Autrichiens dans les Légations en dominateurs. Il n'y avait là, pour


la France, point d'intérêt matériel y avait une
et direct ; mais il

question de dignité et de grandeur nationale, peut-être aussi de


repos intérieur. Casimir Périer n'était pas homme à prendre faci-

lement et il accepter oisivement cette situation. Le roi partagea son


avis. L'expédition d'Ancônefut résolue » '.

Toutefois, avant de mettre à exécution cette résolution, le cabinet ^^ cabinet

de Paris essaya de faire agréer la démarche à la chancellerie pontifi- ^ décide à


cale. En même temps qu'une escadre, placée sous les ordres du com- intervcmr

mandant Gallois et du colonel Combes, faisait voile pour Ancône,


le général Cubicres fut envoyé à Rome et chargé de s'entendre avec
l'ambassadeur de France pour donner à l'expédition projetée une
direction favorable aux intérêts et à la dignité du Saint-Siège. Mal-
heureusement, par un concours de circonstances imprévues, disent Expédition

les uns, par une combinaison habilement calculée, prétendent les (féviier i83a).
autres, tandis que le général Cubières fut retardé dans son voyage par
des vents contraires, l'escadre fit la traversée avec une extraordi-
naire célérité. Pendant qu'à Rome le comte de Saint-Aulaire cher-
chait à faire accepter au cardinal Bernetti une occupation militaire
simultanée de l'Autriche et de la France, et avant même que le géné-
ral Cubières eût débarqué en Italie, la flottille fraivçaise paraissait en
vue d' Ancône. C'était'le 22 février 1882. a Le commandant Gallois
et le colonel Combes, écrit un historien particulièrement informé de
ces événements, se trouvèrent dans un extrême embarras. Ils avaient-

reçu l'ordre formel de ne rien faire sans avoir reçu les ordres de
l'ambassadeur de France. Personne, ni à Ancône ni à Rome, ne les

attendait si tôt. Ils craignaient, en tardant d'un jour, de laisser le


temps de préparer une résistance, peut-être même de faire arriver
une garnison autrichienne. Ils ignoraient complètement la situation
politique. Imbus d'opinions belliqueuses, et favorables aux insurrec-
tions, ils se croyaient destinés à des hostilités contre les Autrichiens,

à une alliance avec les révolutionnaires italiens. Ils demandèrent à


entrer dans le port, ce qui fut accordé à leurs menaces. Les troupe»
furent mises à terre pendant la nuit ; on refusa de les admettre dans
la ville ; les portes furent enfoncées. Ils emprisonnèrent les magis-

I. Gl'izot, Mt^moirfs, t. IT, p. 396.


3o HISTOIRE GENERALE DE L EGLISE

trats, réussirent à s'emparer de la citadelle en se disant alliés du


pape, et firent imprimer une proclamation qui semblait supposer
Le comman- que la France était en guerre avec l'Autriche et qu'elle prolcgeait par
dant do
rex[)(^dilion ses armes les insurrections italiennes. M. de Saint-Aulaire n'était
viole le droit nullement préparé à ce grave incident. Il attendait le général Gu-
juhlic
inLernalional
bières, afin de signifier au gouvernement pontifical la résolution
par la prise d'occuper Ancône, et il espérait qu'en protestant contre cet
bnitalilé
de ses acte d'hostilité, le pape le laisserait s'accomplir sans résistance
procédés. ouverte. Maintenant, la question n'était plus la même. C'était à
main armée, sans avertissement préalable, en joignant la ruse à la
violence, que les Français s'étaient emparés de la ville, agissant en
ennemis et en conquérants ))^. « L'acte, dit Guizot, semblait trop
contraire au droit public et trop téméraire pour être ainsi commis
en pleine paix et sans l'aveu ni du pape, ni des alliés de la France ^. »

Emotion des Le pape ne fut pas seul à protester. A la cour de Vienne, on dé-
chancelleries
européennes.
clara que l'occupation d'Ancône était une affaire européenne. Metter-
nich écrivit gouvernement français veut la guerre, il aurait
: « Si le
Protestation tort de commencer par le pape o 3. La cour de Londres elle-même
•du pape.
fit entendre des observations à la cour de Paris. Mais il fut visible
que cette dernière protestation, celle même que le pape notifia aux
puissances, visait moins le fait de l'occupation française que la

brutalité avec laquelle on y avait procédé. Casimir Périer mit fin à

l'émotion des chancelleries en déclarant que le commandant Gallois


et le colonel Combes avaient outrepassé leurs instructions. Le chef
de l'escadre fut Le comte de Saint-Aulaire lui-
rappelé à Paris.
même fut blâmé pour n'avoir pas envoyé quelqu'un à Ancône por-
ter ses ordres à la troupe. Des excuses furent faites au prince de
Lt Metternich par l'ambassadeur de France à Vienne, le maréchal Mai-
goûvernemeni
son. Le gouvernement français donna l'ordre au commandant des
français
donne des troupes d'occupation d€ ne favoriser en rien les mouvements révo-
explications
lutionnaires, et protesta de son dévouement absolu au Saint-Siège,
et fait
des excuses. déclarant que « la conservation du pape et 1 indépendance de ses

Etats seraient toujours, comme par le passé, les motifs dirigeants de


sa politique en Italie. En considération de ces assurances, le cardi-

nal Bernetti déclara que la cour de Rome reconnaîtrait comme « un


fait temporaire » l'occupation d'Aucune, si le gouvernement fmnçais

I. M. DB
Ba^kiiïte, Notice sur M. le comte de Saint-Aulaire, p. ii4.
a Guizot, Mémoires, t. Y, p. 2^g.
'. Metternich, Mémoires, t. V, lettre du 39 février au comte Apponj^i,
eRfîGOinE XVI ET LES ÉTATS POriTIFTCAUX i8i

voulait accepter les trois conditions suivantes : ue pas augïnenter le Le pape


reconriait
nombre de ses soldats, ne construire aucune fortification et quitter
l'occupation
Ancône, en même temps que les troupes autrichiennes quitteraient d'Ancône
comme un
l'Italie, aussitôt que le pape n'aurait plus besoin de secours. Ces « fait
conditions furent strictement exécutées. Les troupes françaises occu- tempora!;e »,

pèrent la citadelle d'Ancône jusqu'au moment de Tévacualion des


Etats pontificaux parles troupes impériales, en i838, sous le minis-
tère Mole. S'il faut en croire un historien homme d'Etat, bien placé
pour connaître les événements de l'Italie à cette époque, César Canin, Le cardinal
Bernelti,
le cardinal Bernetli, bien qu'ayant dû protester avec force contre la
au fond, l'eit

brutale occupation d'Ancône *, s'était réjoui, tn fond de l'âme, de point fâche


d'une
cette intervention de la France. Cette occupation d'Ancône par les
intervention
Français lui paraissait le meilleur contrepoids à opposer à la domina- qui a
contrebalancé
tion que l'Autriche cherchait à faire peser sur l'Etat pontifical ^. Ces en Italie
sentiments étaient ceux de Grégoire XVI lui-même, qui ne redou- linfluence
de l'Autriche.
tait pas moins les entraves d'un joséphisme oppresseur qu« le»

agitations d'un libéralisme révolutionnaire.

vn

Le retentissement de certaines condamnations énergiques que Grégoire XVT,

Grégoire XVI eut à prononcer au cours de son pontificat, semble ''

'ijès Euts^'
avoir trompé plusieurs historiens sur le caractère de ce pape. Sa pontificaux,

grande prudence — nous venons de le voir dans l'histoire de ses


relations diplomatiques — ne dégénérait point en farouche intransi-
geance; et son esprit nettement conservateur — nous allons le cons-
tater dans le tableau de son administration temporelle — ne l'empê-
chait point de réaliser, en temps opportun, les réformes utiles.
L activité organisatrice de Grégoire XVI s'exerça à la fois dans
l'ordre administratif, judiciaire, financier, militaire, artistique et
sciontifique.
Le pruice de Metlernich a porté sur gouvernement de Gré-
le Jngemenl
sévère porté
goire XVI un jugement sévère, u Le gouvernement pontifical, écri- sur

I. Suivant Cr6tmeau-Joly, Bernelti,


apprenant les circonstances de l'occupaUon
(i\na*nc. aurait dit a Jamais, depuis les Sarrasins, rien de
:
semblable n'a éié tenté
contre le Saint-Pôre .). Grétinbau Jolt. l Eqlise
romaine en face de la Révoluiion,
I. Il, p. aa-.î.

a. CxpiTr, Délia indipendenza italianacronisloria.


i8a HISTOIRE GENERALE DE L EGLISE

Grégoire XVI vait-il à son ambassadeur à Rome, ne sait pas gouverner *... Le gou-
admiaistrateur
par le prince
vernement pontifical appartient à la catégorie de ceux qui sont le
de Melternich. moins capables de gouverner 2. » Metternich, qui cherchait à substi-
tuer l'influence autrichienne à l'influence pontificale en Italie, avait
Injustice un intérêt politique à parler ainsi. Son jugement malheureusement
a
de ce
jugement. été partagé par des historiens réputés pour la mesure de leurs appré-
ciations 3. Il est démenti par l'examen attentif de la correspondance de
ce pontife et de ses actes. Conservateur décidé, plus porté vers la
tradition que vers la nouveauté, Grégoire XVI fut, en même temps,
un esprit juste, prudent modéré. Son gouvernement intérieur en
et

fournira la preuve aussi bien que sa politique extérieure.


Pour s'en convaincre, il suffirait, ce nous semble, de lire avec
attention le rapport officiel, rédigé à Rome même par les soins de
l'ambassade de France et destiné à renseigner le gouvernement /ran-
çais sur les réformes réalisées en i832 par le pape Grégoire XVI.
Nous l'empruntons aux Mémoires de Guizot, qui a cru devoir, dans
un noble souci d'impartialité, l'insérer parmi les pièces historiques
qui accompagnent son ouvrage. L'importance du document fera
accepter sa longueur et son aridité technique.
Réformes « Je n'insère pas, dit Guizot, le texte même des cinq édits du pape
administra-
tÎTCS de
Grégoire XVI, qui forment plus de aoo pages in-4**, et entrent dans
GiégoireXVI. des détails peu intéressants et peu clairs pour le public français ;

mais je donne un résumé exact de leurs dispositions essentielles,


résumé fait mêmes et au moment
sur les lieux de leur publication.

« L'édit du pape Grégoire XVI en date du 5 juillet i83i était

• Mbtter^ich, Mémoires, t. V, p. 343.


I.
, Op. cit., p. 3i5.
a.
3. « Grégoira XVI, dit Paul Thurbau-Dakgii», possédait plus les vertus d'un
religieux ou la sci«nce d'un théologien que les qualités d'un homme d'Etat. Dan»
les afifaires politiques et administratives, il apportait beaucoup de droiture, avec peu
d'ouverture d'esprit et pas du tout d'expérience » (Hist. de la Monarchie de Juillet, 1. 1,
p. 44o). Un homme d'un esprit très large et d'un jugement très sûr, l'illustre
archéologue romain J.-B. de Rossi, s'indignait toutes les fois qu'il entendait
formuler de pareilles assertions et faisait le vœu d'une réhabilitation historique en
faveur de Grégoire XVI, qu'il considérait comme un esprit aussi juste que ferme,
et d'une politique remarquablement cohérente. Plus récemment, le R. P. Paul
Dudon, après avoir dépouillé les archives du Vatican et celles du ministère des
aiîaires étrangères de France, pour ce qui a trait aux actes les plus critiqués de ce
pontife, ceux qui ont abouti à la condamnation du libéralisme, en a rapporté la
conclusion suivante « Les historiens ont vu en Grégoire XVI un moine camaldule
:

absorbé dans la contemplation des choses éternelles et fort étranger à celles de ce


monde. C'est une fantaisie... On peut dire, sans forcer les termes, qu'il était rompu
aui affaires ecclésiastiques, » (Paul DuDOif, Lamennais et le Sêint-Siège, un vol. in-
la, Paris, 191 1, p. ii5.)
GREGOIRE XVI ET LES ETATS PO?ITIFIGAUX l83

divisé en trois litres. Le premier réglait radministration des pro-


vinces ; le second, celle des communes ; le troisième confirmait, en

les améliorant, certaines disposl lions qm avaient été établies par le

motu proprio du pape Pie YII du 6 juillet 1816, et qui étaient,


depuis, tombées en désuétude.
u L'ancienne division du territoire en dix-sept délégations de pre-

mière, deuxième et troisième classe, était provisoirement mainte-


nue.
Comarque) un Administra-
« Rome et ses dépendances (la restant soumises à
tion des
régime particulier, un chef dont les attributions étaient analogues à provinces.

celles de nos préfets, administrait, sous le nom de prolégat, cha-


cune des provinces. En fait, ces magistrats étaient tous laïques,

L'édit prévoyait, comme mesure exceptionnelle, que des cardinaux Le prolégal


(préfet).
pourraient être mis à la tête des délégations de première classe. Une
congrégation governaiive, composée de quatre propriétaires nés ou La
congrégation
domiciliés dans la province, y ayant exercé des emplois administra-
tifs ou la profession d'avocat, siégeait auprès du prolégat, et délibé-

rait sur toutes les affaires. Celles qui touchaient aux finances locales
se décidaient à la majorité des voix. Pour celles qui touchaient à l'ad-
ministration générale, la congrégation governatlve n'avait que voix
consultative ; mais les avis de ses membres, quand ils étaient con-

traires à celui du prolégat, devaient être visés, enregistrés et trans-

mis à l'autorité supérieure.


en Le district.
« Chaque délégation était divisée districts, et, à la tête de
des gouverneurs remplissaient des fonctions ana- Le gouverneur
chaque district,
(ëous-préfel).
logues à celles de nos sous-préfets, et servaient d'intermédiaires
pour la correspondance entre le prolégat et les gonfalonieri ou
maires des communes.
« Dans chaijue chef-lieu de délégation, sous la présidence du pro.
légat, un conseil provincial se réunissait à des époques déterminées ;

Le conseil
le nombre des membres de ces conseils était proportionné à la popu-
provincial.
lation des provinces. Aucun ne pouvait être composé de moins de
dix membres. Les conseillers étaient nommés par le souverain, mais
sur une liste de candidats présentés en nombre triple par des élec-
teurs choisis librement parles conseils municipaux.
Ses
« Les conseils provinciaux réglaient le budget, approuvaient les atlrii>utioni.
comptes des dépenses de la province, faisaient la répartition des
impôts entre les districts, ordonnaient les travaux publics, en adop-
taient les plans, et en faisaient suivre l'exécution par des ingénieurs
l8/i HTSTOinE GÉNr^RALE DK l'ÉOMSE

placés dans lenr dépendance. Dans l'intervalle de leurs sessions,


'me commission de trois membres, nommés par la majorité, restait
pn permanence, pourvoyait à l'exécution des mesures arrêtées par les
conseils, et exerçait son contrôle sur les actes du prolégat et de la
congrégation g over native.
L'administra- « Le titre II de du
l'édit i83ï 5 juillet réglait, d'après des prin-
tion des
commune»,
.

cipes analogues,
,
i»i''«i
ladmmistration des communes,
m
loutes recevaient
des conseils municipaux de quarante-hui4;, trente six et vingt-quatre
Le consew membres. Ce dernier nombre s'appliquait aux villes d'une popula-
municipal, . , -n i i
'
t i i •
i -n .

lion de mille habitants. Les bourgs et les moindres villages avaient


aussi des conseils composés de neuf membres, et les vacances surve-
nues par cause de mort ou autrement étaient remplies par les

conseils se recrutant ainsi librement eux-mêmes.


« Des combinaisons habiles et conformes à Tespiit des localités
réglaient le mode d'élection des conseils municipaux. On n'avait
point visé à l'uniformité, à faire peser partout le même niveau. S'il

arrivait que, dans quelques communes, les anciennes francbi^-es


parussent, à la majorité des habitants, préférables à la législation

nouvelle, il était loisible de réclamer le maintien ou la remise en


vigueur des statuts antérieurs.
Le gonfalonier y La réunion des conseils avait lieu toutes les fois que les besoins
(maire). ,
, , . , •
i. ^
de
,

la commune le requéraient, et sur la convocation d un membre,


tenu seulement à mentionner l'objet de la déterminalion à inter-
venir. Le gonfalonier et les anciens (maire et adjoints) étalent
nommes pai le souverain, mais parmi les candidats présentés sur
une liste triple dressée par les conseils municipaux.
« Enfin le cardinal Bernetti, en envoyant l'édit du 5 juillet i83i
dans les provinces, invitait expressément les congrégations governa"
tives à lui faire connaître les vœux des habitants sur les améliora-
tions à apporter dans les diverses branches des services publics. Il

annonçait l'intention de Sa Sainteté d'y avoir égard. Une voie était


ainsi ouverte aux progrès ultérieurs que les habitants voudraient
poursuivre également.
RcFormes
^^ Les édits réformateurs de l'ordre, judiciaire furent conçus,dans le
judiciaires, , . . .
,

même esprit que cet édit du 5 juillet sur la réforme de l'ordre admi-
nistratif. Un règlement organique de la justice civile parut le 5 oc-
tobre, et fut suivi, le 3i du même mois, d'un autre édit beaucoup
plus développé, qui établissait sur des bases toutes nouvelles l'instruc-
tion des affaires criminelles, In hiérarchie et la compétence des tribu-
GREGOIRE XVI ET LES ETATS POTïTIFIGAUX i85

»aux. Ces deux actes législalifs, les plus importants du pontificat 'le

Grégoire XVI, opéraient dans l'ordre judiciaire une réforme fonda-


mentale, et faisaient disparaître les griefs les plus généralement
imputes au gouvernement pontifical.
« Le reproche le plus grave adressé au système en vigueur dans Abolition
clc3 Irilnnaux
l'Etat romnin pour l'administration de la justice, était la multipli- d'exceptioa.
cité des tribunaux exceptionnels. Dans la seule ville de Rome il

n'existait pas moins de quinze juridictions diverses, dont la compé-


tence et les formes de procédure arbitraires jetaient les plaideurs dans
un labyrinthe inextricable, et remettaient indéfiniment en question

l'autorité de la chose jugée. Entre les tribunaux d'exception, celui


de l'auditeur du pape ((/r///cre Santisslmo) subsistait encore en i83i. [/UrJitore
Saniissimo.
La juridiction de l'auditeur du pape, au civil et au criminel, n'avait
pas de limites. Il pouvait, à volonté, interrompre le cours de toute
procédure à un degré quelconque, casser, réform^er les jugements
rendus en dernier ressort. Ce droit ne périssait jamais. Les plus
vieilles contestations pouvaient être renouvelées, et, sans instruction
dans la procédure, sans motif dans le jugement, une famille se voyait
journellement privée de ses propriétés le mieux acquises... Les poT^s
se réservaient le droit personnel d'évoquer toutes les causes et de les
renvoyer à des commissions extraordinaires instituées a^/ /loc...

« L'édit du 5 octobre i83i supprima la juridiction de VUdIlore


Santmimo et Tintervention personnelle du pape dans les affaires

civiles, qui furent toutes renvoyées à leurs juges naturels dans l'or-
dre établi par le droit commun. îl supprima pareillement les tribu-

naux d'exception et ne permit d'appel contre la chose jugée que pour


vice de forme ou fausse application de la loi.
« En France, la vérité légale sort de l'ordre des juridictions, et la
de juridiction.
décision des juges d'appel est considérée comme ayant une valeur
supérieure à celle des juges de première instance. A Rome, la vérité

légale sort de la majorité des jugements. Il ya trois degrés de juri-


diction, et deux jugements conformes font la chose jugée. Si un
second tribunal confirme la sentence rendue par le premier, elle
devient définitive. S'il l'infirme, l'une ou l'autre des parties peut
faire appel à un troi'îième tribunal, auquel appartient la solution
définitive du litige, à moins que les formes de la procédure n'aient
été violées. En ce cas, il y a recours devant le tribunal de la signa-
ture, dont \es attributions sont analogues à celles de notre cour d©
cassation, et qui couronne l'édifice judiciaire depuis qu'on ne voit
.

i86 HISTOIRE GENERALE DE L EGLISE

plus s'élever au-dessus de lui la puissance de VUdilore Saniissimo.


Dans les provinces, les trois degrés de juridiction établis par le
«
nouveau règlement organique du 5 octobre i83i étaient: i° Les
r^e tribunal gouverneurs, magistrats locaux, correspondant à nos juges de paix,
du gomerncur
(justice
avec des attributions plus étendues ;
2** les tribunaux civils, établis
de paixj dans chaque chef-lieu de délégation. Ils devaient être composés de
Les tribunaux cinq juges, et remplaçaient les préteurs, qui précédemment jugeaient
de chefs-lieux
(les
seuls en seconde instance. Dans un pays où malheureusement la
délégations. corruption est fréquente, c'était un grand bienfait que l'organisation

collégiale des tribunaux. L'obligation fut imposée aux juges de tous


les degrés de ne prononcer leurs jugements qu'après discussion, de
ies motiver, et aussi de les rédiger en langue vulgaire. Jusqu'alors,
deux mots latins, oblinuit et petiit, inscrits sur la requête des parties,

avaient formé tout le libellé des sentences, rendues sans publicité et


J^i»« tribunaux sans être précédées de plaidoiries. 3° Deux tribunaux supérieurs,
d'appel.
dits tribunaux d'appel, composés chacun d'un président et de six
juges, étaient établis, l'un à Bologne pour les Légations, l'autre à
Macéra ta pour la Romagne et pour les Marches. Les habitants de ces
provinces ne devaient plus, comme par le passé, porter à Rome
l'ippel de leurs procès. C'était pour eux un fort grand avantage,
qu'ils ne pouvaient manquer de sentir vivement, mais qui devait
naturellement causer des sentiments contraires parmi les gens de loi

de la métropole.
u Les tribunaux de province, à tous les degrés de juridiction, n'é-
taient composés que de laïques.
L'organisation « A Rome etComarque, l'administration de la justice ne
dans la
judiciaire
à Rome. recevait pas des améliorations moins importantes. Par le règlement
organique du 5 octobre i83i, douze juridictions, composées unique-
ment de prélats, étaient supprimées. Il ne restait plus en exercice
que le tribunal du Capitole, celui de l'A. G. (ainsi nommé par con-
traction de Auditor Camerae) tX celui de la Rote.
Le tribunal Le tribunal du Capitole, magistrature municipale, était présidé
«
du Capitule.
par le sénateur de Rome et composé de trois avocats. Il jugeait
cumulativement, en première instance, avec le tribunal de l'A. C,
toutes les causes où des laïques étaient intéressés. Le demandeur
pouvait, à son choix, porter sa cause devant l'une ou l'autre juridic-
Le tribunal tion. Le tribunal de l'A. C. était composé de cinq avocats et de trois
de VAuditor
camerae. prélats, divisés en deux sections. L'appel au premier degré était
porté de l'une à l'autre. Si les jugements étaient conformes, il n'y
GREGOIRE XVI ET LES ETATS PO.'fTIFICAUX 187

avait point lieu à procédure ultérieure ; en cas de dissentiment,


rafîairc arrivait au tribunal de la Rote, cour d'appel pour Rome et la Le tribiinal
de la Rôle.
Comarque. La Rota Romana restait, comme par le passé, composée
exclusivement de prélats... Son ancienne réputation de lumière et
d'intégrité n'avait souffert aucune atteinte. L'Europe catholique pre- Le tribunal
de la
nait part à sa composition. Le tribunal suprême de la Signature cou- Signature.
ronnait l'édifice de l'ordre judiciaire romain...
« L'organisation, le nombre, la compétence et la hiérarchie des Réforme
de la
tribunaux étant déterminés par l'édit du 5 octobre, un autre édit, du procédure
3i, régla la manière de procéder devant eux. L'article i*' remettait civile.

en vigueur le code de procédure de Pie YII, œuvre de sagesse qui


avait illustré son pontificat et que son successeur avait malheureuse-
ment laissé tomber en désuétude... Cinq jours après la publication
du code de procédure civile, le gouvernement pontifical promulgua Réformo
delà
un règlement organique de procédure criminelle (5 novembre i83i), procédure
travail plus considérable encore que le précédent... criminelle.

« Ainsi, conclut Guizot, la conférence de Rome avait prétendu


seulement, par son Mémorandum du 21 mai, obtenir du Saint-Père :

i" la sécularisation de son gouvernement ;


2° des institutions munici-
pales et provinciales protectrices des intérêts locaux ;
3° des réformes

judiciaires favorables à la liberté ; et, sur ces trois points, les édits
pontificaux donnaient plus que les puissances n'avaient dû espérer
après le refus du pape de prendre aucun engagement envers elles. * »

YUI

R en fut de même dans l'ordre financier. Sans accepter les injonc- Réformes
financières.
tions du Mémorandum, Grégoire XVI, de sa propre initiative, réa-
lisa, par l'établissement du bon ordre dans les finances de ses Etats,
des réformes plus efficaces que celles que lui demandaient les puis-
sances. Celles-ci réclamaient la convocation à Rome d'une junte
centrale. Par un édit du 21 novembre i83i, il institua une commis- Institution

sion permanente chargée de contrôler les comptes des diverses admi-


du ne
conuiiisbion
nistrations. Cette commission, sous le titre de Congrégation de revi- permanente
de contrôle
•ion, fut composée d'un cardinal-président, de quatre prélats et de des fmances
quatre députés laïques, choisis à Rome ou dans les provinces. Elle publiques
(CoDgrégation
d« révision).
I. GuiaoT, Mémoires pour servira Hiùi. de mon tempSj t. II, p. 43G-446.
i83 HJ'iTOî .K ORVrP.ArB DE L EGIJSB

eut .'^ans sfs attribntions la surveillance générale des recettes et des


dépenses de l'Elat, la rédaction des budgets, l'apurement des comptes.
Klle dut s'occuper aussi de la liquidation et de l'amorlissement de la
dette publique et généralement de toutes les fonctions qui ressortis-
sentànotre Gourdes Comptes. De plus, la congrégation de révision
était chargée de rechercher et de soumettre directement au pape
toutes les réformes qui sembleraient nécessaires dans le système
général des finances*.
Embarras L'occasion se présenta bientôt de recourir à de pareilles mesures.
financiers
provoques par Des inondations, des épidémies, des tremblements de terre, et la néces-
les troubles sité qui s'en était suivie de secourir d'innombrables misères, vinrent
de i83i et
i832. gravement obérer le trésor *. Les ernbarras financiers s'accrurent par
les conséquences de la révolte de 1882, qui rendit nécessaire l'orga-
nisation d'une véritable armée et l'appel fait à l'Autriche. « Nous
devons dtre, écrit le dernier historien de Grégoire XVI, que le

dévouement de l'Autriche, si empressée à venir au secours du Saint-


Siège, ne fut nullement désintéressé. Il est d'une notoriété incon-
testable que le maintien de la tranquillité publique dans les Etats

pontificaux coûta très cher au trésor pontifical ^. » Pour faire face à

ces difficultés, Grégoire XVI aliéna quelques biens de l'Etat, mit un


Mesures impôt sur les biens du clergé, ordonna une retenue sur la paie des
prises par
Grégoire XVI employés, se vit même obligé de recourir à des emprunts et de réta-
pour blir à leur ancien taux quelques impôts qui avaient été diminués au
j remédier.
début de son pontificat. Mais le pape veilla par lui-même à ce que
toutes ces mesures s'accomplissent avec ordre et m.éthode. Pour sim-
plifier les transactions, il fit paraître une nouvelle monnaie, plus
parfaitement ramenée que l'ancienne au système décimal *.

Réformes Les agitations dont les Etats pontificaux furent le théâtre, obli-
militaires.
gèrent Grégoire XVI à s'occuper d'organisation militaire; et, dans
cette branche du gouvernement, comme dans celle de l'ordre admi-
nistratif, de l'ordre judiciaire et de l'ordre financier, il révéla des
Institution
d'un corps
qualités d homme d'Etat prévoyant et attentif. Il institua im corps
de volontaires de volontaires destinés à maintenir l'ordre dans les Légations et dans
pontificaux.
les Marches. Les membres de cette nouvelle milice s'engageaient par
•erment à défendre le Saint-Siège jusqu'à l'effusion de leur sang et

t. GuizoT, op. cit. y p. 445-4/46.


3. VVisEMAN, Souvenirs..., p. ^25 426.
3. Sylvain, Grégoire XVI et sor\ pontificat, p. lîS,

k. WisEMAîï, op. cit. p. 434.y


GKÉGOIRE XVI ET LES ÉTATS PO?(TlFICALX 189

à ne déposer les armes qu'après la soumission complèle des rebelles.


Les sujets des Elals pontificaux, répondirent généreusement au pre-
mier appel du pape. En peu de temps, nombre des voloulaires
le

pontificaux s'éleva au chiffre de cinquante mille hommes. Gré-


Organisaltoa
goire XVI com[)léta le» mesures de défense que lui imposaient les
cic la garde
circonstances, en prenant à sa solde deux régiments suisses, dont il suisM.

coniu le recrutement à deux officiers qui avaient servi Charles X, le

colonel Salies et le colonel de Courten.


politiques de Grégoire XVI, qui furent Réformes
Les préoccupations si
économique»
grandes durant les deux premières années de son pontificat, ne le et secialc-i.

détournèrent pas des réformes économiques et sociales qu'il jugeait

utiles au bien être matériel et moral de ses sujets. Ceux qui taxent

ce pontife d'indifférence ou d'inattention à cet égard, n'ont pas


remarqué sans doute qu'en i832, Grégoire XVI avait déjà fait com-
mencer à Tivoli les grands travaux qui aboutirent, cinq ans plus
tard, au détournement du cours de l'Anio, préser- Détournem» nt
et, par suite, à la
du co'.irs dé
vation des désastres que ce fleuve causait chaque année par ses brus- l'Ariio.

ques inondations ;
qu'il avait achevé de régulariser le Corso, entre-
pris les fouilles du Forum, poursuivi l'embellissement du Pincio et la

reconstruction de la basilique de Saint-Paul, établi le siège de


l'Académie d'archéologie au Collège romain, amélioré l'hospice
apostolique de Saint-Michel, et favorisé la fondation d'une Chambre
Réorganisa-
de commerce à Rome, Il devait, dans la suite, continuer ces réfor-
tion
mes eu introduisant, dans le système douanier des Etats pontifi- des douanes.
caux, des réformes sagement calculées, de nature à favoriser la liber-

té commerciale sans rien sacrifier des intérêts du trésor ; eu fixant la

majorité à vingt et un ans, pour faciliter les contrats ; en autori-


sant les étrangers à acquérir des propriétés territoriales dans l'Elat
romain ; en créant une caisse d'escompte dans l'intérêt du commerce,
et une caisse d'épargne pour les personnes peu aisées ; en organisant
des colonnes mobiles de dragons, pour réprimer le brigandage et
rendre la sécurité aux voyageurs ; en créant un bureau de statistique
qui lui permît de se rendre compte du mouvement de la population
et des affaires K II fit réparer et embellir le monastère de Saint-Gré-
goire, avec la place et les routes qui l'entourent ; veilla avec soin à ce Œuvret
d'édn.catioa
que le prix des objets de première nécessité ne s'élevât pas trop cl J'a&éi!tauc«,

haut ; fonda des écoles du soir pour les apprentis et les ouvriers ;

1. Sylvain, op. cit^ p. laa, a40-a47, ago-SaS.


I

igO HISTOIRE GÉNÉUALE DE L*ÉGL1SE

prit des mesures efficaces pour empêcher l'augmentation excessive


du prix des loyers ; et, pendant le terrible fléau dvi choléra qui désola
la ville de Rome en 1837, organisa
œuvres d'assistance avec un les

zèle dont le cardinal Wiseman, témoin oculaire, rend un témoi-


gnage plein d'admiration ^ . « Certes, dit le cardinal Hergenrôther,
il faut reconnaître que les aptitudes de Grégoire XVI le portaient
plus à s'occuper des questions proprement religieuses que des négo-
ciations d'intérêts temporels ; mais son dévouement à l'amélioration
de la condition des classes populaires est indiscutable, et, de son
temps même, fut hautement proclamé par le peuple lui-même. Il

suffit de rappeler les ovations enthousiastes dont il fut l'objet dans


les voyages qu'il fit, en août et en octobre i84i, à Lorette, et, en
mai 1843, à Anagni, Frosinone et Terracine 2. »

favorise le
'^® progrès des sciences, des lettres et des arts ne laissa pas indiffé-
œouvemeni rent Grégoire XVI. Si les universités romaines durent interrompre
inte eciuel.
j^^j,g cours pendant les troubles de i83i et i832, elles furent rou-
vertes à l'automne de i833, et de savants maîtres furent appelés à y
enseigner. Sous se» auspices, l'Académie des Arcades et celle dei

Lincei prirent un nouvel essor ; la publication du grand Bullaire


- romain fut reprise ; il récompensa par ta pourpre les savants tra-

1. Wiseman, op. cit., p. ia5 et s.


2. Hbrgehrôthkr, KirchengeschichUy 1. III, partie I, ch. viii, § 3. — On a fait
trois principaux reproches à Grégoire XVI au point de vue de l'administration
temporelle des Etats pontificaux. On l'a accusé 1* de s'être opposé à la construction
:

de chemins de fer dam ses Etats ; a<* d'avoir favorisé le rapide enrichissement de la
famille Torlonia au détriment du trésor public ; 3" d'avoir interdit à ses sujets la
participation aux congrès scientifiques. Le premier reproche n'est pas sans quelque
fondement. Comme beaucoup dé ses contemporains, Grégoire XVÏ concevait quel-
que méfiance à l'égard du nouveau mode de locomotion il craignait surtout qu'il ;

me devînt, dans ses Etats, un agent très actif de la Révolution cosmopolite. Mais
son appréhension n'était nullement inspirée par une opposition de parti pris au
progrès matériel. Il adopta avec empressement les bateaux à vapeur, voyant dans leur
découverte un moyen très puissant de servir les intérêts commerciaux et moraux de
'l'aaicien et du nouveau monde (Sylvah*, p. 2^6). Quant à l'enrichissement de la
famille Torlonia, on ne saurait en faire un grief à l'administration de Grégoire XV,
En prenant possession du Saint-Siège, ce pontife trouva l'administration des tabac»
dans un état déplorable. Les" dilapidations et les abus de toutes sortes étaient sans
nombre. Dans l'impossibilité d'y remédier par lui-même au milieu des soucis que
lui donnait la révolte d'une partie de ses Etats, Grégoire XVI prit le parti de
mettre cette administration aux enchères. La famille Torlonia, ayant obtenu la
concession par les voies les plus régulières, y fit de grands profits, mais sans priver
le trésor d'aucune de ses ressources ordinaires. Enfin l'interdiction faite par le pape
à ses sujets de prendre part à divers congrès scientifiques ou littéraires, s'expliquait
par ce fait que ces congrès n'étaient que de» moyens habilement imaginés pour
propager en les dissimulant les doctrines révolutionnaires des sociétés secrèlei
^oTLVAiw, a55-a56).
GRÉGOIIŒ XVI ET LES ETATS PONTIFICAUX IQI

vaux de Mai et de Mezzofanti ; il encouragea les premiers travaux


philosophiques de Rosmini, les publications historiques de Créti-
neau-Joly, les œuvres artistiques d'Overheck, enrichit le musée
zoologique de l'Université grégorienne, et fonda au Vatican deux
nouveaux musées : musée égyptien, tandis
le iriusée étrusque et le

que, dans son palais même, son fidèle serviteur Moroni rédigeait cet
important Dizionario di erudizione dont les trois cents volumes nous
donnent, non seulement le résultat d'immenses recherches, mais
encore des détails précieux sur les institutions romaines au temps de
Grégoire XYI et sur la personne du pontife *. Nous aurons l'occa-
sion de revenir sur ces travaux en faisant l'histoire du mouvement

intellectuel sous le pontificat de ce pape ; mais il était utile de les

indiquer ici, pour achever le tableau de l'œuvre de Grégoire XVI


dans les Etals pontificaux.
Le rapide exposé que nous venons de faire des progrès réalisés par
le pontife dans l'ordre administratif, judiciaire, financier, écono-
mique et intellectuel, en gouvernant ses propres Etats, suffit à prou-
ver que, s'il refusa de se mettre à la remorque du mouvement libéral
que voulait lui imposer le Mémorandum des puissances, il sut réali-
ser ce qu'il y avait, dans ce mouvement, de raisonnable et de pra-
tique. L'étude de ses rapports diplomatiques avec les divers gouver-

nements et son intervention dans les grandes querelles qui les agi-
taient au lendemain de la Révolution de i83o, va nous le montrer
aux prises avec des problèmes semblables sur un plus vaste théâtre.

I. Notamment t. XXXII, p. Sia-SaS, au mot Gregorio XVI. Voir aussi les mots
Ferrara^ Forli^ sur les révolutions dans les Etats pontificaux.
CHAPITRE V

l'église en PORTUGAL, EN ESPAGNE, EN RUSSIE,


EN SUISSE ET EN ITALIE.

(i83i-i846).

Politique
extérieure du
Si délicates que fussent les questions de politique intérieures sou-
Saint-Siège. levées par le gouvernement de l'Etat pontifical, les relations axec les
divers Etats de l'Europe offraient à Grégoire XV] des difficultés plus
Premier
ardues. L'Autriche et les puissances catholiques qui gravitaient dans
problème :

quelle sera son orbite, telles que l'Espagne elle Portugal, représentaient la tra-
1 altitude du
Saint-Siège
dition, Tordre, l'autorité, la protection officielle du Saint-Siège ;

vis-à-vis mais leurs intentions étaient parfois gênantes, et leurs services indis-
des gouver-
nements
crets. La Belgique, l'Irlande, la Pologne avaient fièrement combattu
issus des pour leur foi catholique, mais en s'attaquant à des autorités réputées
révolutions
récentes ?
légitimes, en invoquant des formules qui semblaient équivoques,
en acceptant des alliances qui paraissaient compromettantes. De
Deuxième
problème :
pareilles causes d'anxiété se présentaient, d'autre part, quand on pré-
quelle sera tait l'oreille aux ardentes polémiques qui passionnaient la jeunesse
l'altitude du
Saint-Siège
d'alors. INul ne défendait avec plus d'intrépidité les droits de la

à l'égard papauté que La Menuais en France, que Gœrres en Alieuiagne ;

des hommes
mais nul ne se montrait plus complaisant pour les libertés moder-
qui, tout en
.défendant nes, pour les formules sonores qui séduisent les masses, pour les
avec ardeur
son autorité
réclamations des peuples contre les entreprises des rois. Que, dans
suprême, des questions si complexes et dans des conflits si passionnés, Gré-
favorisent les
goire XVI, obéissant a la tendance profondément conservatrice qui
mouvements
populaires était dans sa nature et qu'il croyait être dans son devoir, n'ait pas su
contre les
discerner toujours toutes les nuances d'un problème, que tel asp(ct
anciennes
monarchies ? d'une situation politique lui ait parfois échappé, et qu'il n'ait | a»
toujours su se garder, dans les formules de ses décisions, d'une viva-
cité qui fut douloureuse à ceux qu'il eut à frapper : qui oserait, eu
égard aux circonstances que nous venons de rappeler, lui en faire un
crime ? Mais que sa conduite gé';érale ait été, comme l'ont trop sou-

vent répété des hommes encore trop émus de retentissantes disputes»


RUSSIE, SUISSE ET ITALIE IqS
l'église en PORTUGAL, ESPAGNE,

inspirée par une passion mal contenue, par une farouche inlransi-
'reance ou par une excessive étroitesse d'esprit, c'est une
calomnie que

l'impartiale étude des événements suffira, nous l'espérons, à


dissiper.

somme, préoccupaient l'opinion. La première, La première


Deux questions, en
que
.,.^.,
le Samt-Siege prendrait a
i-'i"égard11des gouver-
question seule
relative à l'atlitude 1 fg^a l'objet
(lu présent
nements issus des révolutions récentes, agitait surtout les cliancelle-
_. •
»fi •
1 1" £' • cli»i)ilre.
ries. La seconde, relative aux conflits qui s élevaient dans l mterieur

des nations entre la liberté et l'autorité, était surtout débattue dans la

presse. La première était celle qui réclamait le plus instamment une


solution.
Etablir des relations diplomatiques officielles avec les gouver-
nements de la France et de la Belgique, nés de l'émeute, ne serait-ce
pas encourager la rébellion, paraître sanctionner ce mouvement révo- Grégoire X\I
° juge à propos
.
, , A I

lutionnaire dont le but était de saper les trônes et de bouleverser la ^^ [^ résoudre


^" posant
société? Mais, d'autre part, refuser de traiter avec les pouvoirs nou-
. , . ,

veaux, c était laisser sans detense


, , ,.
et
.,,,,,
sans protection les intérêts de
un principe
géucral.
l Eglise dans des nations de qui la religion pouvait beaucoup atten-
dre. Quelques années auparavant, le pape Léon XII, se trouvant en
présence du fait de la déclaration d'indépendance des colonies espa-
gnoles de l'Amérique, avait tranché pratiquement une question sem-
blable, en nouant, malgré l'Espagne, des relations officielles avec les
jeunes républiques américaines. Mais l'heure semblait venue de pro-
clamer un principe général, destiné à servir de règle dans tous les cas
analogues. L'Irlande et la Pologne étaient toujours debout, prêtes à
tout, pour défendre leurs droits contre l'Angleterre et la Russie. Dom
Pedro et dom Miguel se disputaient le trône de Portugal ; don Car-
los et Marie-Christine, celui d'Espagne. De pareilles contestations
pouvaient surgir chez d'autres nations encore.
Dans une Constitution dont les termes furent mûrement étudiés, et ^^^^^
il ^o w, »
qui parut le 7 août i83i, débutant par ces mots Sollicitudo Eccle- :
... ^
SoUicitudo
Ecdesiaruns
,

siarum, Grégoire XVI décida que, dans les cas de « changements (7 ^^"^^ ^^^^•
de gouvernements » et de u vicissitudes des Etals », ci les pontifes ,,

roniams entreraient en rapports d affaires, pour les Eglises de ces ^ue ic pane
contrées, spécialement pour la nomination des *ui-rera
évèques,
^ avec ceux
en pourjiarlen
qui seraient, de ,
tait, en possession du pouvoir » ; mais il serait ivec les
Uùl. gOn. de l'Kgli ,'. u
194 HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGMSB

goMvernant» bien entendu qu'en agissant ainsi le Saint-Siège n'entendrait « nî


(le fait,
Bans préjuger confirmer en ces demieue leurs dignités ni leur conférer aucune sorte
la question de droits nouveaux » *.
de ri ti un le.
« A une époque, dit le cardinal Wiseman, où de brusques
ciiangements se faisaient dans les gouvepneuients et les dynasties,

et où les sceptres main dans une autre avec la rapi-


passaient d'une
Sag;esse dité d'une représentation magique ou idéale, c'était pour le Saint-
d'une pareille
décisioQ. Siège un acte à la fois hardi et prudent que d'exposer de simples
principes, et de se tenir en même temps à l'écart de toute querelle
intestine et de recours embarrassant pendant la durée de la lutte ^. »
A (Ta ires Les affaires du Portugal foinrcirent au pape la première occasion
de Portui^al.
d'appliquer son principe.
A l'avènement de Grégoire XVI, deux partis étaient en lutte au
Conflit Portugal. Au premier aspect, le conflit était d'ordre purement dynas-
djfoastique
entre tique. Le roi Jean VI était mort en 1826, laissant deux fils. L'aîné,
dom Pedro dom Pedro, qui résidait au Brésil, et venait de s'y faire proclamer
et
dom Miguel. empereur, se considéra comme le successeur légitime de son père ;

mais, refusant de régner en Portugal, il céda ses droits à sa fille

doua Maria da Gloria, âgée de sept ans, et confia la régence à son frère
cadet dom Miguel, à qui il promit la main de la jeune reine. Cette
combinaison parut d'abord acceptée par dom Miguel ; mais un pa^ii,
dont la reine mère, dona Joachine, était l'âme, déclara formelle-
ment la repousser. Dom Miguel, disait-on, a droit à la couronne
comme successeur légitime et direct de son père, en vertu des
antiques lois du royaume, lesquelles ont établi qu'aucun étranger
ne pourra régner en Portugal ^. Etranger, Pedro l'est devenu en
acceptant la couronne du Brésil, qui s'est séparé du Portugal. Per-
dant ses droits, il ne peut les transmettre à personne. Au fond, ce

1. Barberi, t. XIX, p. 38-^0 Bernasconi, l. I, p. 38-4o. Le principe proclamé


;

par Grégoire XVI s'appuyait sur des précédents. Les papes Clément Y, Jean XXII,
Pie II et Clément XI s'en étaient inspirés dans des actes que rappelle la bulle
Solliciludo Ecclesiarum. -r- Il est inutile de faire remarquer que la doctrine ici pro-
clamée par Grégoire XVI n'a rien de commun avec la fameuse théerie des « faits
accomplis», dont Pie IX devait condamner la formule dans la 6ie proposition du
Syllabus « Une injustice de fait couronnée de succès ne porte aucune atteinte à U
:

sainteté du droit ».
2. Wiseman, Souvenirs..., p. ^ol^.
3 Une vieille tradition rapporte qu'en iiSq, A^bonse l" ayant «té élu roi par
ses soldats sur le champ de bataille d'Ourique après une brillante victoire sur les
Maures, les trois ordres du royaume en racclaraant et l'archevêque de Braga en le
couronnant, avaient décidé, au nom du peuple, au nom du roi et au nom de Dieu,
que jamais un étranger ne deviendrait seigneur du royaume. C'était là, disait on,
le uucte fondamental de la monarchie portugaise.
l'église EPf PORTUGAL, ESPAG!<E, RUSSIE, SUISSE ET ITALIE IQS

qui rendait l'opposition des deux partis irréductible, c'est que dom Le conflit

Pedro, avant d'abdiquer la couronne, avait promulgué pour le se com['liqQ#


d'un coiiIlLt
Portugal une charte, établissant une monarchie constitutionnelle
constitu-
analogue à celle de la Restauration française. La reine mère n'avait tionnel.

jamais accepté un pareil amoindrissement du pouvoir souverain.


L'opposition ouverte, connue de tous, qu'elle avait faite au roj

Jean, son mari, pendant tout le temps de son règne, avait eu pour
cause l'acceptation par celui-ci d'une constitution, et dom Miguel
constamment montré favorable aux idées de sa mère. Le conflit
s'était

des miguelistes et des pédristes, comme on les appela, était donc un


conflit entre absolutistes et constitutionnels. A ce titre dom Miguel
eut bientôt partie liée avec les carlistes espagnols et les légitimistes
français, tandis que dom Pedro gagnait les sympathies des libéraux H menace
de devenir ua
de France et d'Angleterre. Le maréchal de Bournfiont et le marquis contlit
internalioaal.
de La Rochejaquelein mirent leur épée au service de dom Miguel,
et les cours absolutistes du nord lui furent favorables ; mais les cours
de Paris et de Londres lui firent une opposition déclarée.
y eut Il

j/lus. Les sociétés secrètes, toujours empressées à s'emparer du Inlervenlion


des sociétéf
Mouvement libéral, et de faire résonner aux oreilles du peuple, secrètes
Mii\ant les prescriptions de Mazzini, les mots de liberté, de réforme en faveur dt
donn I^rdro
et de progrès, se prononcèrent pour dom Pedro ; tandis que dona et des idées
Joachine et dom Miguel promettaient de rendre au Portugal les
libérales.

jésuites et d'y faire régner la religion catholique dans toute la


splendeur de ses cérémonies, dans toute la vigueur de sa hiérarchie Le clergé
portugais,
soumise ûu pontife romain. Les membres du clergé, dans leur dans
ensemble, acclamaient dom Miguel et le faisaient acclamer par les son ensemble,
se pronoucd
fidèles, aux cris de « Vive le roi catholique ! Vive le roi absolu f » pour
Plusieurs d'entre eux cependant, tels que le patriarche de Lisbonne, dom Mitruel
et pour
tels que l'évêcpie d'Elvas, qui avait présidé la Chambre des députés pouNoir
le
sous le roi Jean VI, ne cachaient pas leurs sympatliies pour le
absolu.

régime constilulionnel.
Conformément à la règle de conduite qu'il s'était tracée, et malgré Grégoire W'I
entre
les réclamations des pédristes, Grégoire XVI accepta d'entrercn en relations
relations diplomatiques avec dom Miguel et poursuivit des négocia- diplomatiques
avec
tions avec son gouvernement tant que le fils cadet de Jean VI occupa dom MigueL
efl'ectivement le .trône de Portugal. Mais dom Pedro, appuyé par
l'Angleterre et par la France, réussit à chasser son frère
du roy;4ume
et à (ransmcllre la couronne à sa fille dona Maria. Le 26 mai i834.
dom Mi-uel, vaincu et découragé, s'engagea, moyennant une pension
196 HISTOIRE GENERALE DE L ÉGLISB

ALdIcalion de 375.000 francs, à ne jamais rentrer en Portugal, et se retira à


de
dom Micriiol.
Rome, où le pape l'accueillit avec tous les égards dus à son ancienne
dignité, à son infortune et à la bonne volonté qu'il avait témoignée
envers lEglise.
Dom Pedro Mais, maître du Portugal, dom Pedro, irrité de l'app li que soo
se venge de
ra])|)ul donné
rival avait rencontré parmi le clergé portugais et des icia Lions cor-
par le clergé diales qu'il avait entretenues avec le pape poussé, d'autre part, par
;
à son
compétiteur, les sectes, qui s'étaient faites ses puissantes auxiliaires dans sa cam-
en persécutant pagne, résolut de faire expier chèrement à TEglise ce qu'il appelait
l'Eclise
catliolI(jue.
sa trahison. Les jésuites, que son frère avait rappelés et à qui il avait
r^udu tous les biens dont la grande persécution du xviu^ siècle les avait
dépouillés, furent chassés, après avoir été traînés de prison en pri-
son et accablés d'outrages. Dom Miguel, obéissant aux inspirations
de sa mère et à ses propres Instincts, autoritaires et violents, s'était
montré souvent impitoyable envers ses ennemis. On évalue à 4o. 000
ie nombre de ceux qu'il exila, et l'on sait par quels traitements
cruels envers nos nationaux il s'atCira la répression sévère que \iù
Ilferme un infligea le gouvernement français ^. Sous prétexte de représailles,
grand nombre
de couvents dom Pedro ferma un grand nombre de couvents, hospices et
et supprime collèges ecclésiastiques, et en attribua les biens an fisc. Pour
la nonciature.
montrer son hostilité envers le Saint-Siège et envers le clergé portu-
gais, il chassa le nonce, supprima la nonciature, déclara vacants
tous les évêchés pourvus par le souverain pontife d'accord avec son
prédécesseur, et institua une commission chargée de procéder à une
réforme générale du clergé.
Grégoire XVI Dans une allocution consistoriale du 3o septembre i833, Gié-
dénonce
la persécution goire XVI déplora « les maux très graves dont était affligée l'Eglise
du du Portugal » et « les méfaits déplorables, d'autant plus tristes à
gouvernement
portugais. constater que le Saint-Siège était moins en droit de s'y attendre ^ ».

Le 1*"^
août i834, le pape renouvela ses protestations, et menaça le

I. Deux Français, résidant à Lisbonne, avaient été condamnés, l'un au fouet


public pour sacrilège l'autre, pour accointance révolutionnaire, à la déportation.
;

Une escadre française força l'entrée du Tage, captura la flotte portugaise, bloqua
Lisbonne et força Miguel à accorder toutes les réparations exigées par le gouverne-
ment français (juillet i83i). Le caractère impérieux et dur de dom Miguel n'est pas
contestable ; mais la baine des sectes a noirci à plaisir la mémoire de ce prince, et
les appréciations de la presse libérale sur sa personne et sur ses actes doivent itr«
contrôlées avec attention.
3. BARBERi,t. XIX, p. 276-277; RosKovANT, MonumeTitt cathoUca pro independen-
tia poteslatis ecclesiasdcae, 2 vol. in 80, Quinaue-Ecciesiis, 1847, t. II, p. 336-34o,
PORTUGAL, ESPAGNE, RUSSIE, SUISSE ET ITALIE I97
l'ÉGMSE E?I

prince des peines canoniques que ses attentats


méritaient K Après la

septembre ta reine don a


mort de don Pedro, survenue le 2/i i8.3/i,

Maria da Gloria, sa fille, continua quelque temps sa politique, et,


^ne^^^^é teinte
dans le consistoire du i" février i836, le pape fut contraint de
^,
dénoncer une fois de plus les attentats du gouvernement portugais gous le règne
envoya à ^^ "•
En i8/|0, une détente se produisit. La reine Marie II ^{f,f^"

Rome levicomte de Carreira, pour négocier un concordat avec le de dom Pedro.

pape. Grégoire XVI exigea, comme condition préalable de tout


arrangement, que les évêques nommés sous Miguel I- fussent recon-
J^J'^fH^^
nus et que la reine levât la défense faite de recourir à Rome pour elle

en un concordai,
en obtenir des dispenses. Les négociations furent reprises, et,

témoignage de sa haute satisfaction, le Saint Père envoya, le la mars


,;^/"^^g'"d^^|^^

1842, à la reine de Portugal, la « rose d'or »


^. (la mars
i84aj.

IT

du compliquée par AfTaïues


La crise politique Portuf^ral s était le voisinacrc

(1 une crise
.
, . , 1 T^
semolable en Lspagne. La aussi, absolutisto.s
T . -Il- et
.
consti-
'•
d'î^spagnt.

Uitionnels étaient aux prises. Là aussi, le pape était en demeure de


se prononcer entre deux partis auxquels s'intéressaient contradictoi-
rement les grandes puissances de l'Europe, et dans lesquels les opi-
nions religieuses, se mêlant aux passions politiques, prenaient ui
aspect militant, presque farouche.
(( Ferdinand VII, roi d'Espagne, était mort le 20 septembre i833, conflit

léguant sa couronne à sa fille Isabelle, âgée de trois ans et placée entre Marie-
sous la tutelle de la reine mère Marie-Christine. Don Carlos, frère Chrisiine

de Ferdinand, contestant la légitimité d'une succession féminine,


s'était aussitôt porté le compétiteur de sa nièce, et avait été proclamé
en Biscaye. Le vieux droit espagnol admettait les femmes au trône.
La dynastie bourbonienne y avait substitué, en 171'!, sinon la loi

salicfue, du moins une pragmatique qui reslrc-ignait la succession des


femmes au cas où il n'y aurait aucun héritier mâle. En 1789,
Charles IV, révoquant cette pragmatique, avait rétabli l'ancien diHjit

I. RosiovAUT, t. II, p. 363-366 BARorni, ; t. XIX, p. 38i-38a.


a. BFRrfAScoNi, Arta Grrgorii papae XV!, t. II, p.
gS-Q'i.
3. BERHASCowr, t. m, p. ao4. Il s'agit de la rose bénite par
le pape le dimarrV,a
de Laelarc, et que, depuis le moveu âge le souverain pontife » l'hahii a ,

d'envo)er à ur. prince catholique, ^'oir Gosculbr, Dict. Je (héol. au mot Hosc dor.
198 HFTOIRE GENERALE DE L ECI TSE

espagnol, et Ferdinand VII avait, en i83o, solennellement confirmé


et publié cette révocation. Il semblait donc que la question de droit
Les fût tranchée au profit des femmes. Mais de il s'y mêlait une lutte
bsolatîstes
soutiennent parti. Les absolutistes comptaient sur don Carlos, tandis que Marie-
don Carlos ; Christine était favorable aux libéraux. Les premiers étaient dès lors
Ict.' libéraux,

Marie- intéressés à la succession masculine ; les seconds, à la féminine. Un


Christine. combat d'influences et d'intrigues se livra entre les
partis, pen- deux
dant années de Ferdiaand, chacun d'eux cherchant à
les dernières

obtenir un acte royal en faveur de sa thèse. Le roi oscillait entre son


jiffection pour sa fille et ses sympathies pour le parti absolutiste. Un
'moment, celui-ci crut l'avoir emporté. Son triomphe fut de courte
durée. Ferdinand rétracta tout ce que lui avaient arraché les parti-
sans de la succession masculine, et mourut en proclamant les droits
Les grandes de sa fîîle *
. » La France et l'Angleterre se prononcèrent aussitôt en
puissances se
divisent faveur de Marie Christine, tandis que l'Autriche, la Russie et la
à l'occasion Prusse manifestaient hautement leurs sympathies pour don Carlos 2.
Àe ce conflit.
Arrivée au pouvoir, Marie-Christine adopta pleinement le régime
Go ivern«- parlementaire, et malheureusement, en Espagne comme en France,
ment
de Marie- les débuts de ce régime furent marqués par des actes d'hosti-
CLristine. lité envers l'Eglise. Au mois d'avril i835, les cortès espagnoles,

mises en présence de difficultés financières sérieuses, proposèicul de


les résoudre par la sécularisation des biens des religieux. En vain le
ministre président du conseil^ Martinez de la Rosa, s'efforça- t-il de
procéder en respectantles règles et les usages canoniques. La Chambre,
Persécution après avoir remplacé le cabinet qu'il présidait par un cabinet favo-
rcii-iieuse.
rable à la lulte contre l'Eglise, mit la régente en demeure de signer,
le 4 juillet i835, un décret expulsant le» jésuites, puis, le 26 juillet,
un second décret supprimant sept cent cinquante-sept couvents
comme ne comptant pas douze membres chacun ^.

Protestations A ces nouvelles, Grégoire XVI rappelle immédiatement de Madrid,


du pape.
son nonce, Amat de Saint-Philippe, qui, récemment arrivé en
Espagne, se disposait à présenter à Marie-Christine ses lettres do
créance ;
puis, le i^' février i836, dans une allocution consistoriale,

I.Thureau-Dangin, Hist. de la Mon. de J aille l t. Il, p. SSg-Sgo.


y

Mettbruich, Mémoires^ t. V, p. 64o.


a.
3. Martinez de la Rosa se faisait fort d'obtenii-, en négociant avec Rome U
diminution du nombre de ces monastères dépeuplés, et, par voie de conséquence,
la mise d'une partie de leurs biens à la disposition de la nation, pour mettre fin à
la crise financière. Mais la passion sectaire de l'opposition ne lui permit pas de
donner suite à ion projet.
l'église Eît PORTUGAL, ESPAGNE, RUSSIE, SUISSE ET ITALIE IQQ

il proteste contre les derniers actes du gouvernement espagnol et les

déclare de nulle valeur. « Aux calamités du Portugal, s'écrie-t-il,


se sont jointes celles de TEspagne. Là aussi, Ton promulgue des lois

contraires à l'autorité du Siège apostolique ^. d


Il (Çvile
Le pape cependant, malgré la pression qu'essayaient d'exercer sur
cependant de
lui les légitimistes de France, les miguélistes de Portugal, les car- se prononcer

listes d'Espagne et la chancellerie d'Autriche, évitait de se prononcer pour


la légitiniilc
pour don Carlos. Mais le clergé d'Espagne n'imita pas sa réserve. En de don Carlos.
majeure partie, il embrassa ouvertement la du prétendant,
cause
favorisa le recrutement de ses partisans, les manœuvres de son armée.
Pendant sept ans, une ardente guerre civile devait embraser la Guerre civile.

Navarre, la Catalogne, la Castille et l'Aragon, guerre de partisans


et de surprises, où les deux partis se rendirent cruautés pour cruautés ^,
Le gouvernement se vengea en privant les prêtres de leurs traite-
ments, en supprimant aux religieux la pension qui leur était légale-

ment due, en laissant les diocèses sans évêques. L'avènement d'une


majorité modérée aux cortès de 1889, amena une accalmie. Quelques-
unes des mesures prises contre l'Eglise, furent rapportées, et des
négociations furent renouées avec le Saint Siège pour la provision
des évêcliés vacants. Les carlistes, actifs, résolus, commandés par Premiers
succès
des chefs habiles, dont le principal, Zumalacarreguy réunissait, à des carii:>les.

un rare degré, les qualités de l'homme de guerre, du chef de parti


et du héros populaire, avaient d'abord fait reculer jusqu'aux portes
de Madrid les troupes mal disciplinées des christinos. Mais la mort
de Zumalacarreguy en i835, l'apparition, à la tète des armées de
Marie Christine, d'un chef expérimenté et courageux, Espartero, et
les déplorables divisions des carlistes en « apostoliques », qui vou- Leurs revers.

laient la lutte à outrance, et en « transactionnistes », qui voulaient


mettre fin à la guerre par une transaction, redonna une nouvelle
audace aux libéraux. Espartero, vainqueur des carlistes, et nommé i^égcnce
d'Esparlero.
régent en i84o, aggrava tous les attentats précédents, fit conduire à
la frontière le du Saint-Siège. Au consistoire du i*"' mars
représentant Protestations
de
184 I, Grégoire XVI fit entendre une protestation plus énergique que Grégoire XVI
les précédentes. Il rappela aux membres du gouvernement qui avaient contre
les mesures
porté les lois attentatoires aux droits de l'Eglise et aux prêtres qui attentatoires
avaient coopéré à leur exécution, les graves censures qu'ils avaient aux droits de
l'E-lise.

Bernasconi, II, 98-94.


I,
Le général Miua fil égorger de sang-froid la mère et les trois saurs du carlist*
3.
Cabrera. Celui ci, par représailles, fit fusiller trois cents prisonniers christinos.
200 HISTOIRE GENERALE DE L EGLISS

(îouverne-
ment
encourues ^ La chute d'Esparlero en 1 8^3, k proclamation de la

personnel majorité d'Isabelle lien iSfilx et l'avènement d'un ministère conser-


d'kahelîe ÎT vateur, permirent à la nouvelle reine d'inaugurer une politique plus
(i8y,).
digne des vieilles traditions de l'Espagne. En i845, un ministre
Négocialions plénipotentiaire envoyé à Rome, en vue d'y conclure un con-
fut
avec le
Saint Siège cordat avec le Saint-Siège. Grégoire XVI, après avoir travaillé à le
en vue d'un préparer, n'eut pas la consolation de le signer. Cette consolation
concordat.
était réservée à son successeur, le pape Pie IX.

m
/*(Ta-ros
Moins complexe dans ses causes, mais plus aiguë dans ses ma-ni-
de lologne. r • f •
i
lesta tions, était la crise politique et religieuse

i- •
i- •

qui
... agitait toujours et

divisait entre elles la Pologne et la Russie. D'une part, un peuple


opprimé, à qui l'Eglise devait une grande reconnaissance pour avoir
tité, plus d'une fois, le boulevard de la chrétienté du côté de l'Orient,

demandait, les armes à la main qu'on respectât sa foi, qu'on lui


Conflit entre maintînt les libertés promises par les traités mêmes qui l'avaient
h Russie ,. .1,1 .
T Tx i>
f 1
• -1
et la Pologne, clepouille de sa nationalité. De 1 autre, un grand empire qui, depuis
un quart de siècle, s'était fait le défenseur des principes de tradition
et de légitimité, demandait au pape, protecteur-né de l'ord-ie social,

de le défendre, à son tour, contre l'esprit de révolte et de révolution.


Là encore se rencontrait, avec ses équivoques déconcertantes, cette
éternelle question du libéralisme, qui devait troubler si profondé-
ment l'Europe au cours du xix"^ siècle.

Le Père commun des fidèles ne pouvait qu'être vivement ému par


l'héroïsme de ces catholiques polonais, qui bravaient la mort et une
Caractère captivité plus dure que k mort, en combattant sous la noble devise
de
l'insurrection de leurs pères : « Nous aimons la liberté plus que toute chose au
polonaise. monde, et la religion catholique plus que la liberté » ^; mais il n'i-

gnorait pas qu'en Pologne, comme en Italie, en Belgique et en


France, les sectes cherchaient à exploiter à leur profit le soulèvement
populaire, que nombre de Polonais identifiaient trop la. cause reli-
gieuse avec la cause politique, et que plusieurs se grisaient des for-
mules sonores du libéralisme révolutionnaire. Les diplomates russes

I. Bernascohi, III, TO9-112.


3 Devise adoptée par les catholiques polonais peiidaal la persécution de Cathd-
^nc 11.
l'ÉGMSE en PORTUGAL, ESPAGNE, RUSSIE, SUISSE ET ITAITE 301

exagérèrent ces faits, les généralisèrent, représentèrent l'insurrection


polonaise comme un danger grave pour la tranquillité de l'Europe ;

et le tsar somma le pape d'intervenir pour rappeler les Polonais à

l'obéissance, insinuant que, par son silence, il se rendait responsable

des mesures de répression violente que ne manquerait pas de provo-


quer son refus d'intervention ^.

Grégoire XVl crut devoir céder aux instances du gouvernement Grégoire XVI
Ti 1 1 r 1 • 1 ., u* 1 r 1 recommande
russe. 11 adressa au cierge polonais une Lettre encychque, datée du ^^^ Polonais
sans traiter aucune autre question, soumission
9 juin i832 où
2, il lui rappelait, ia

les maximes de l'Eglise catholique toucbant la soumission aux pou-


voirs temporels. Acceptant comme vraies les allégations intéressées du
ministre de Russie, « nous avons appris, disait-il, que les affreuses
calamités qui ont désolé votre royaume n'ont pas eu d'autre source
que les manœuvres de quelques fabricateurs de ruse et de men-
songe, qui, sous prétexte de religion, dans notre âge malheureux,
élèvent la tête contre la puissance des princes ».
L'effet produit par la publication de cette Lettre fut déplorable. ^^^^_

L'empereur Nicolas, non content de faire lire et répandre partout ^X^ceUo^


1 encyclique, la présenta comme une approbation de sa politique, inlerveniion.

comme une excommunication des révoltés. Puis, profitant de Le gouverne-


la stupeur dans laquelle cette interprétation de l'encyclique avait '^n'^lhusT
plongé les Polonais, il redoubla de violence et d'hypocrisie dans ^^ dénaturant
ses persécutions. Un décret de 1882 ordonna d'élever dans le
^'
''uon!"'
schisme tous les enfants nés de mariages mixtes ; toutes les écoles
religieuses, tous les séminaires des rites unis furent fermés, et Redoublement
les élèves de cei établissements furent contraints de suivre les cours „,/-* '!•

une université schismatique. Grégoire XVI avait profité de contre


Toc-
casion de son encyclique pacificatrice adressée ^^' Po^^^^'»-
aux Polonais pour
faire remettre à l'ambassade russe
une note confidentielle concer-
nant les atteintes portées à la religion catholique dans les domaines Intervention
impériaux. Cette note resta sans réponse. Elle fut suivie d'une
leurTeur
seconde note, du 6 septembre 1882, où de
nouveaux griefs étaient
articulés. Bien loin d'en tenir compte,
le tsar chargea son ministre
Gouriew d'adresser au pape un long mémoire, qui,
daté de mai i833,
atteignait les dernières limites de l'insolence et de l'hypocrisie.

^«.^^^!!"'^^ Saint-Pôre. le 30 avril t83., par le princr (îa^ariu,


ministre
j/n
de Rnss.e a Rome.%\
Vo.r lesprincipaux passages de celte note dans Lescckir. VEause
catholique en Pobxjne, p. 49-Do.
a. Berîiasconi, I, i43 i44.
202 HISTOIRE GÉ."NÉRALE DE l'ÉGLISE

Réponse « C'cst le clergé, disait le ministre russe, qui, par sa conduite cou-
hau laine de ,
.
w i
• / i
. , .

la chancellerie pable et ingrate, a décline le pacte qui lui assurait la jouissance pai-
russe. sible des bienfaits qui en découlaient... Le gouvernement rentre
dans le plein exercice de ses droits de vainqueur... C'est à lui seul
qu'il appartient de prononcer sur les moyens qu'il jugera les plus
efficaces pour prévenir de nouveaux désordres » ^.

Grégoire XVI, Breî^ la situation malheureuse de la Polosrne, au lieu de s'amé-


mieux instruit ^ i

i t t >f •
, ^
des faits, liorer a la suite de 1 encyclique, s était aggravée. Grégoire XVI com-
seprononce prJt qu'il avait eu tort de céder aux demandes du tsar. « Je ne vous
hautement . . • if ' t •
«i i

pour la cause ^1 jamais desapprouves, disait-il plus tard au général Zamoyski,


des Polonais, représentant des catholiques polonais, mais j'ai été trompé sur votre
compte... Les menaces m*ontébranlé. J'ai frémi des persécutions qui
allaient fondre sur vous. J'ai cédé à une véritable sommation » -. Et
quand, en i84o, le chevalier Furhmann voulut, dans un rapport,
expliquer l'enlèvement de milliers d'enfants polonais, transportés en
Son allocuiion
Sibérie parce que leurs parents refusaient d'apostasier 3, Grégoire,
i842. en présence des cardinaux réunis en consistoire, prononça, le 22
juillet 1842, une allocution solennelle qui eut un immense reten-
tissement. « Le temps est venu de parler, s'écria-t-il. Ce que nous
avons fait, sans repos ni relâche, pour défendre les droits de l'Eglise
catholique dans l'empire russe, le public n'en a pas eu connais-
sance... Les ennemis du Saint-Siège ont, par la fraude héréditaire qui
les distingue, fait prévaloir le bruit que nous couvrions de notre
silence les maux si grands dont une partie de notre troupeau est

accablé, et qu'ainsi nous avions presque abandonné la cause de la

religion catholique. Nous devons à Dieu, à la religion, à nous-

raeme de repousser bien loin de nous jusqu'au soupçon d'une faute


si injurieuse. Et telle est la raison pour laquelle toute la suite des

efforts faits par nous en faveur de l'Eglise catholique dans l'empire


de Russie, a été, par notre ordre, mise en lumière dans un exposé
particuher * ». Dans cet exposé, sobre et lumineux, Grégoire ra-
contait à l'univers, avec une simplicité et une vigueur tout aposto-
liques, cette histoire si touchante de la faiblesse aux prises avec la

Xoroe, de la vérité nue et désarmée aux prises avec la violence per-

fide...

I. Cité par Lescceur, op. cit.y p. 69,


a. Lescoel'r, p. 55-6 1.
3. Ibid., 71-78.
4. BERNiscoM, II!, :i23-aa4*
l'église en PORTUGAL, ESPAGNE, RUSSIE, SUISSE ET ITALIE 2o3

« Et toute l'Europe, catholique ou protestante, libérale ou non,


lut, avec une émotion irrésistible et une sympathie qui honore la

nature humaine, cet exposé pathétique *. »

Trois ans plus tard, le i3 décembre i845, le tsar de Russie arri-


Entrevue
Rome du à
vait à Rome à quatre heures du matin, et, descendu au palais Gius-
pape et du tsar
tiniani, demeure de son représentant, faisait aussitôt avertir le Vatican (i3 décembre

et demander une audience. Grégoire XVI fit répondre qu'il recevrait


le monarque le jour même, à onze heures et demie. Que se passa t-il

dans l'entrevue qu'eurent ensemble le pape et l'empereur ? On ne le

sut jamais du vivant de Grégoire XVI, qui se contentait de répondre,

quand on l'interrogeait : « Je lui ai dit tout ce que le Saint-Esprit


m'a dicté. » On eut cependant des indices suffisants que le Vicaire de
Jésus-Christ avait dignement représenté son Maître devant le persé-
cuteur couronné. Le cardinal Wiseman nous les a rapportés dans
ses Souvenirs :

« Un Anglais, qui se trouvait dans une partie du palais que le visi- Caractère
de
teur impérial traversa au retour de son entrevue, décrivit l'appa-
cette enlrerut.
rence altérée du monarque, fsicolas, en entrant, avait déployé la

contenance assurée et l'aspect royal habituels à sa personne. Il était

libre, à son aise, prodiguant du regard et du geste ses salutations


bienveillantes. En traversant la longue suite des antichambres, il

était bien cet aigle impérial, « aux plumes unies et au regard per-
çant », dans toute la force d'un bec et de serres auxquels jamais
proie n'avait résisté. Il retourna, la tête découverte, les cheveux en
désordre, l'oeil hagard, le teint pâle, comme si, pendant cette heure,
il avait souffert tous les maux d'une fièvre prolongée. Il n'attendit
pas que sa voiture vînt se placer au bas du perron. Il s'élança dans la
cour intérieure, et se fit éloigner au plus vite de ce théâtre d'une
défaite évidente. C'était l'aigle arraché de son aire ; ses plumes étaient
froissées, et son œil éteint par une puissance méprisée jusqu'a-
lors. » 2

Vingt et un ans plus tard, dans un nouvel exposé de la situation Détailf


des catholiques en Russie, Pie IX révéla les détails de l'entrevue de de
cette entrevue.
iSl\b. Grégoire XVI, effectivement, était entré dans le vif de la
question, rappelant hardiment à l'empereur les lois de l'empire qui
blessaient le plus les catholiques, et les faits de brutalité par lesquels

1. Lbscceur, p. 80-81. On trouvera la traduction française de l'Exposé de Gr^


goire XVI dans Lesccecr, op. cit., p. ^09 433.
a. WiSBMAN, Souvenirs... , p. 48i-4S2.
204 HISTOIHE G15NKRALE I3E L EGLISE

les lois avaient été appliquées ; et il lui avait remis un écrit clans
lequel toutes ces choses se trouvaient appuyées de pièces justifica-
tives. Nicolas était sorti en promettant qu'il supprimerait tous les
abus dont il prendrait connaissance ; et sans doute faut-il attribuer
Ses à cette entrevue l'origine d« concordat que le tsar signa, le 3 août
conséquences.
1847, ^^^^ ^^ successeur de Grégoire XYI. Quoi qu'il en soit, la

presse européenne fut à peu près unanime à rendre justice au pape,


dés qu'elle connut le sens de cette audience. « C'est toujours un ma-
gnifique spectacle, écrivait le journal la Réforme, que le combat du
droit contre la force. La papauté s'est montrée digne de ses beaux
jours. La justice, le droit, la liberté ont trouvé un interprète dans le
sanctuaire romain. La conscience moderne peut être satisfaite * )>•

IV

Affiïires Ainsi parlait un organe important de la presse libérale, heureux


Oeouisie. ^^^-^ flétrir les attentats
^g d'un despote par le pontife romain -Tl est
juste d'ajouter que, durant le même temps, Grégoire XVI avait été
obligé de condamner, avec une pareille énergie, des actes non moins
attentatoires aux lois de VEglise, commis par un gouvernement
purement démocratique, celui de la Suisse.

Conflit Une des décisions les plus sages du congrès de Vienne avait été
politique entre
^j'as^^u^er l:i neutralité de ki République helvétique, en lui rendant,

« fédéraux » SOUS la garantie des grandes puissances européennes, sa constitution


et les
fédérale. Brisant la constitution unitaire que Napoléon lui avait
radicaux.
donnée en i8o3, et qui ne répondait pas aux traditions et aux
besoins d'un pays façonné depuis des siècles à l'indépendance can-
tonale etcommunale, les monarchies alliées avaient stipulé que chaqife
canton conserverait sa souveraineté absolue et pris des garanties pour
empêcher qu'un seul d'entre eux ne prévalût jamais sur les autres.
Toutefois une diète, composée des députés des vingt- deux cantons,
volant à raison d'une voix par canton, devait se réunir tour à tour à
Zurich, à Berne et à Lucerne, pour délibérer sur les affaires com-

I. Un
des épisodes les plus émouvants de la persécution des catholiques polonais
i>ar le gouvernement russe, est l'histoire des odieux traitements inflij,'('!S aux reli-
gieiises basiliennes de Minsk. Voir Martyre de sœur Irena Macrina Mieczysloska et
de ses compagnes en Pologne, 4' édit., Paris, Gaume frères, i846.
L ÉGr.lSE EN i'OH riJGAL, ESPAGNE, RUSSIE, SUISSE ET ITALIE 200

munes et pour aplanir les différends intérieurs. Mais cette solution


n avait pas été également acceptée partons. Tandis que les « fédéraux»
s'y attachaient comme à la renaissance de leurs vieilles traditioiis, les
(( radicaux » travaillaient à la constitution d'un Etat plus centralisé,
dont ils espéraient devenir les maîtres. Réduit à ces termes, le conflit Sur ce conflit
politique,
restait purement politique, Ce qui en aggrava l'importance, c'est
se greffe un
que là, comme en France, en Belgique, en Italie, en Espagne, en conflit social
et
Russie, comme presque [)artout à celte époque, la question sociale, la religieux.
question religieuse et la question politique se mêlèrent intimement.
A la suite des révolutions de 1 83o, la Suisse était devenue comme une
terre d'asile pour les réfugiés révolutionnaires des divers pays. Des
Landes de réfugiés français, italiens, allemands, s'y étaient donné Intervention
des sociétés
rendez-vous. En i83/i, ils y appelèreutle fameux conspirateur Mazzini, secrètes

qui, le i5 avril de cette année, créa à Berne une alliance cosmopolite en faveur du
parti radical.
sous le nom de Jeune Europe. Celte alliance centralisait les efforts de
plusieurs sociétés particulières, confédérées entre elles : la Jeune Italie,

la. Jeune Allemagne ^ \â Jeune Suisse •. L'esprit de la franc-maçon-


nerie inspirait toutes ces associations. Les autorités de Genève avaient
bien fait arrêter, au mois de janvier i83/j, quelques bandes de réfu-
giés suspects ; mais les pouvoirs cantonaux de Berne et de Vaud les

avaient laissé s'organiser.


Le parti radical, dont ils secondaient les tendances, eut bientôt par-
tie liée avec eux. Mazzini resta deux ans en Suisse. Il y déploya une
grande activité, apportant cet esprit toujours hostile au catholi- Mazzini
y
eu Suisse.
cisme, toujours opposé aux monarchies, mais déiste et mystique,
qui séduisait les jeunes hommes de ce temps. Sa devise était : « Li-

berté, égalité, humanité, un Dieu, un souverain, la loi de Dieu. »


Ses disciples se recrutaient surtout dans les classes aisées : juristes,
médecins, professeurs, officiers. Il se disait hostile aux carbonari,
« mais il employait les mêmes procédés, les soulèvements partiels,
et le meurtre des princes et des traîtres » -. C'est pendant le séjour
de Mazzini en Suisse qu'on vit naître et se multiplier dans ce pays
toulcs ces associations scientifiques, historiques, littéraires et agri-
coles, qui devinrent des moyens efficaces de propagande révolution-
naire, et qui se répandirent plus tard, au grand détriment de la reli-

Il )' cul plus tard la Jeune France, la Jeune Pologne, la Jeune Espagne.
I.

Seignouos, Ilist. pal. de V Europe contemp. , p. 817


a. Descuamps, les Sociétés ;

tecrèles et la société, t. H, p. 27/4-275 Eckert, Magazin der Ecweis/ûhrung fur


;

Verurlhciiiuuj (/« Fr>'imniirer Ordens, t. II, p. 218-219.


206 HISTOIRE GENERALE DE L EGLISE

^ion et du bon ordre social, en Italie *. Entre te^nps, les radicaux,


arrivés au pouvoir dans les cantons de Soleure, de Zurich, d'Argovie
et de Bâle, y abolissaient sans distinction les droits seigneuriaux, les
droits de bourgeoisie et tous les privilèges, y favorisaient la propa-
gande protestante et impie, et multipliaient les entraves aux œuvres
catholiques.
Les Le parti fédéraliste, attaché aux meilleures traditions du pays, re-
catholiques
soutiennent
doutait l'agitation révolutionnaire, et était vivement soutenu par les
le parti catholiques. Dans plusieurs cantons, des collèges florissants dirigés
féiléraliste.
par les jésuites propageaient, parmi la jeunesse de la bourgeoisie,
les vraies doctrines romaines. Un clergé pieux et discipliné travaillait
Organisation à entretenir parmi le peuple une foi solide, également éloignée des
de l'Eglise
catholique en
superstitions puériles et des nouveautés dangereuses. Ce clergé se
Suisse. trouvait réparti en cinq diocèses, ne relevant d'aucune métro-
pole et dépendant directement du Saint-Siège, représenté par un
nonce qui résidait à Lucerne, Les catholiques, amenés à s'or-
ganiser pour la défense de leurs croyances et de leurs institu-
tions, comptaient trois principaux chefs : l'avocat Meyer, qui mit
au service de la cause ses remarquables talents de jurisconsulte

et de diplomate, l'avoyer Siegw^art-MuUer, croyant sincère et démo-


crate convaincu, et un paysan du pays de Schwytz, Joseph Leu,
homme simple, mais d'une foi inlu'épide et d'une éloquence natu-
relle qui soulevait les foules.
Principaux Quatre incidents principaux marquèrent la lutte qui s'éleva entre
incidents
les deux partis, et qui devait aboutir sous Pie IX, à la guerre du
de la lutte
entre les Sonderbund. Ce furent : 1° le projet de modification du pacte fédé-
deux partis.
ral, en 1 832 ;
2° la conférence de Baden, en i834 ;
3° le coup de
force du parti radical contre le gouvernement conservateur du
canton de Vaud, en janvier i845 ; et 4" la formation d'une
alliance entre les sept cantons catholiques de la Suisse, en dé-
cembre 1845.
Premier Une revision du pacte fédéral, permettant à la majorité radicale
incident :

projet de revi-
et protestante de la diète de gouverner l'administration civile et

sion du pacte religieuse de chaque canton, était, nous l'avons vu, le premier article
fédéral (i833).
du programme du parti radical. Il fit appel, pour la préparer, à la

science d'un éminent jurisconsulte, que nous rencontrerons plu-

I. Paolo Mencacci, M'emorie documenlate per la storia délia rivoluzione italiana, ua


vol. in-8', Roma, 1879, *• I>
P- ^® ^'s*
l'église en PORTUGAL, ESPAGNE, RUSSIE, SUISSE ET ITALIE 2O7

sieurs fois dans la suitede cette histoire, Pellegrino Rossi. Né à


procé-
Carrare, en 1787, docteur en droit en 1806, professeur de
dure civile et de droit pénal à Bologne en 181 4, puis de
droit

roin.in à Genève, célèbre par la part qu'il avait prise, en i8i5, à


l'entreprise éphémère de Murât, roi de Naples, et par la publication

en France, en 1818, d'un traité de droit pénal qui lui avait valu la

réputation de grand criminaliste, Pellegrino Rossi, honoré du Pellegrino


Rossi
droit de bourgeoisie Genève en 1819, membre du conseil de
à (1787-1848).
Genève depuis 1820, réputé en Italie, en France et en Suisse, non
seulement comme jurisconsulte, mais encore comme orateur et
homme d'Etat, était certainement alors le personnage dont la Con-
fédération helvétique s'enorgueillissait le plus. Catholique, comme
ses compatriotes Silvio Pellico et Manzoni, il avait, comme eux,
pris part au mouvement libéral en Ralie et même appartenu, dit-
on, au carbonarisme. Ses opinions modérées le rattachaient à l'école
que représentaient en France Guizot, Royer-Collard et Villemain.
une revision du Il propose
Nul ne sembla plus apte à rédiger et à faire réussir
un projti de
pacte fédéral. Le projet dont il fut nommé le rapporteur à la diète revision
impé- favorable
fédérale qui se réunit à Lucerne, en i832, s'inspirait de l'acte
aux radicaux.
rial de i8o3, transportait à la diète les plus importants des pouvoirs
qui, depuis 181 4, appartenaient aux autorités de chaque canton.
C'était l'écrasement des catholiques. Les trois cantons primitifs
d'Uri, de Schvvytz et d'Unterwald, convoquèrent à Sarnen les

représentants des cantons qui voudraient maintenir le pacte fédéral. Opposition


des cantons
Les cantons catholiques répondirent à cet appel. Ils ne formaient, catholiques.
il est vrai, qu'une faible minorité. Mais la cause qu'ils défendaient
devint facilement populaire. Les pâtres et les paysans des petits
cantons se méfièrent d'une constitution qui risquait de les dépouiller
de leurs droits traditionnels, au profit des gens des villes et des
grands cantons. Aussi, malgré la dissolution de la ligue de Sanicn, Ligue
de Sarnen.
malgré les habiles modifications apportées au projet par le savant
jurisconsulte, quand la nouvelle constitution, approuvée le 17 juillet
i832 par la diète, fut soumise au vote des cantons, la majorité de Echec
du projet.
ceux-ci la rejeta. C'était une victoire pour le catholicisme et pour
la liberté.
3o8 HiSTOlHË GE.NEKALE DE L EGLISE

Deuxième Mais la secte qui avait, dans cette affaire, directement visé le catho-
incident ;
licisme, ne se tint pas
pour battue. Le 20 janvier i83/i, des délé-
conférence
de Baden gués des cantons de Berne, de Lucerne, de Soleure, de Thurgovie,
{i834).
de Bâle-Gampagne, de Saint-Gallet (t'Argovie, se réunirent à Baden.
Le président de la réunion, Edouard Priffer, déclara, dans son dis-
cours d'ouverture, que la Suisse devait être indépendante en matière
de religion comme elle l'était en politique. Puis il proposa les
mesures qui devaient, selon lui, assurer cette indépendance. Le résul-
Les quatorze tat de la conférence de Baden fut le vote de quatorze articles, dont
articîes
l'un mettait a les assemblées synodales sous la surveillance du gou-
de Baden.
vernement »), dont un autre « soumettait les publications et les actes
àc l'autorité ecclésiastique au placet de l'autorité civile », dont un
troisième déclarait les ecclésiastiques a tenus, non seulement à ne
faire aucun cas de tout ce qui serait contraire aux présentes dispo-
iiltions, mais, de plus, de le dénoncer à l'autorité respective ». La
conférence prétendait aussi obliger les prêtres catholiques à bénir
Ils constituent les mariages mixtes, s'engageaità diminuer le nombre des fêtes et des
une sorte
de Constitu- jours de jeûoe, soumettait à une approbation gouvernementale les
tion civile règlements intérieurs des séminaires et des couvents. Les quatorze
du clergé.
articles de Baden rappelaient, en un mot, la Constitution civile du
clergé de France.
Condamnation Le 17 mai i835, Grégoire XVI condamna les quatorze articles
des quatorze
articles par de Baden par une Lettre aux évêques et aux fidèles de Suisse ^ Il
Grégoire Wl dénonça « les hommes méchants qui, disait-il, sous le masque impos-
(17 mai i835).
teur de l'intérêt publia, faisaient passer en lois des doctrines per-
verses et erronées ». Les radicaux répondirent à cette condamnation
en expulsant de Lucerne, le 4 novembre i835, le nonce aposto-
Persécution lique, Mgr de Angelis, en fermant des écoles catholiques et des novi-
des
catLoiiques. ciats, en tracassant les communautés religieuses par des inventaires
répétés et des visites incessantes, en multipliant les écoles protes-
tantes, en donnant une chaire de théologie au professeur allemand
Strauss, fameux par ses attaques contre la di\initc de Jésus-Christ.

I. BEKîTi.sGO'Ni, t. II, p. 3:i 36,


l'église en PORTUGAL, ESPAGNE, RUSSIE, SUISSE ET ITALIE 2O9

Le i*"" avril i842, Grégoire XVI protesta publiquement contre ces Energique*
prolcstation»
nouveaux attentats, dcQlara nulles de droit toutes les mesures prises (lu pape.
contre les lois de l'Eglise, et exhorta les catholiques à résister à ces
tentatives criminelles*.
L'appel du pontife fut entendu. Les catholiques suisses prirent

cette devise : « Vivre catholiques ou mourir ». lis élurent comme


leur représentant au grand conseil Joseph Leu, qui s'y fit le cham- Joseph Leu,
chef de la
pion de tous leurs droits. Le grand conseil bannit de son sein résistance dei
l'alhlète intrépide. Le peuple l'élut de nouveau. Condamné à calholiques.

l'amende, à la prison, Joseph Leu parut plus grand que jamais.


Réduit à l'inaction, il répétait la maxime de son vieux maître Wolf :

« La prière sauvera la patrie ». Cependant, avec une foi non moins


vive, l'avocat Meyer essayait d'agir par voie diplomatique, cher-
chant un appui dans les puissances qui s'étaient déclarées prolec-
trices des libertés traditionnelles de son pays.
Depuis la tentative faite pour modifier le pacte fédéral, pacte Intervention
des
sanctionné par les traités de i8i5, les principales puissances puissances.
signataires de ces traités étaient en éveil. Une Suisse unitaire et

radicale leur paraissait troubler l'équilibre et la sécurité de l'Europe.


Au nom de l'Autriche, de la Russie, de la Prusse, des remontrances
furent adressées au gouvernement suisse. L'Angleterre s'y rallia.

Quant à la « France de Juillet », elle était partagée entre le désir de


soutenir en Suisse le parti libéral, et l'appréhension que lui causait
la présence en Suisse, non loin de ses frontières, de réfugiés révolu-
tionnaires ouvertement protégés par les radicaux. Elle hésita,
puis s'abstint.
D'autre part, plusieurs événements étaient venus relever La viHe
le cou-
de Lucern*
rage des catholiques suisses. Lucerne avait secoué le joug radical, et rappelle
son tour allait venir d'être le siège de la diète fédérale. Le nonce du les jésuites.

pape, Mgr d'Andréa, y avait fait sa rentrée solennelle. Les Lucernois


songèrent à confier aux jésuites l'institut théologique et le séminaire
de leur canton. Leur droit était incontestable ; mais était-il prudent
de l exercer ? Sur cette question de conduite, il y avait désaccord
entre les deux chefs les plus influents des catholiques. Joseph Leu,
préoccupé surtout d'écarter de Lucerne des influences suspectes,
poussait à y appeler les jésuites. Meyer, plus calculateur, craignait
d'associer sans nécessité la cause conservatrice à celle de religieux

1. B£H.>ASCO.xi, t. 111, p. 308-309.


:i«». a.-:i .Ir l'i-.' i4
2 10 HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLTSE

très impopulaires. Ce dernier sentiment était celui de Metternicli,


qui, sur la demande de Meyer, avait agi à Rome, sans succès, il est

vrai, pour obtenir que les jésuites déclinassent la mission qu'on vou-
lait leur confier^. L'avis de Leu prévalut. Le rappel des jésuites fut
voté en i844.
Troisième Les radicaux, exaspérés, répondirent par la violence à ce qu'ils
incident coup
:
i> ^ wr •
r ^ i. • •
t i a tt
de force du appelèrent c« un detijetéa 1 opmion protestante et radicale^ ». un
parti radical coup de force, tenté, en février i845, contre le gouvernement con-
contre le ,
i xr i r i •
i i ^ i» t -

gouvernement servateur du canton de Vaud, lut le point de départ d une série


conservateur
du canton
de Vaud
d'attentats dont

politique ne
... un
s était ainsi
historien a
montre
pu
a
,
dire
,
que brigandage
«
i% ». a
nu dans un pays civilisé* Au
jamais
-
le
-y

(février 1 845). mois de mars, les Lucernois, attaqués par une armée de huit mille
hommes, brisèrent leur assaut avec un effectif bien moins nom-
breux. Mais les bandes des factieux, protégées par les autorites
Assassinat radicales, répandaient partout la terreur. Meyer échappa à graud'-
de Joseph Leu .
i a i
. , . ,.
i t i t »

(20 juillet peine aux embûches qui lui turent tendues. Joseph Leu n eut pas
i845). la même chance. Le 20 juillet i845, il fut tué traîtreusement dans
son lit, d'un coup de fusil.
Quatrième Les cantons catholiques pensèrent qne l'heure était venue de s'or-

fondation ganiser pour se défendre eux-mêmes. Une confédération, appelée


d'une alliance, Sofiderbund OU « alliance séparée » par leurs adversaires, fut conclue

Sonderbund, 1^ II décembre i8/|5 entre les sept cantons de Lucerue, Uri,


entre les Schwytz, Unterwald, Zug, Fribourg et le Valais. Ce pacte n'avait
cantons catho-
liques
. ,
rien de Contraire aux lois et
. , .

aux
,.
traditions
. 110-
de buisse.
la
r
Les radi-
j-

de la Suisse ^aux en avaient donné plusieurs fois l'exemple. Ces derniers n'en
i8/j5). crièrent pas moins à la violation du pacte fédéral ; mais l'énergie
qu'ils déployèrent, les moyens qu'ils mirent en œuvre pour combattre
la nouvelle confédération, prouvèrent qu'ils ne se faisaient pas

d'illusion sur la puissance qui se levait devant eux. Nous n'avons


pas à raconter ici la guerre du Sonderband et son issue lamentable
par l'écrasement des cantons catholiques. Grégoire XVI ne devait
pas être témoin des événements de cette guerre, qui se déroulèrent

sous le pontificat de son successeur.

I. Mettermch, Mémoires, t. VU, p. ii5-ii6; Mémoires de Meyer, publiés à


Vienne en 1870 et analysés dans la Revue générale de Bruxelles, mai et octobre
1881 Thlreau-Damgin, Hist. de la Mon. de Juillet, t. VU, p. 174.
;

2 Déijêches de Guizot à M. de Pontois, des 2G décembre i844 et 3 mars


i845.
3. Thcrbau DxNtia, op. cit.^ t. Ml, p. 175.
l'Église en portug.vl, espagne, russie, suisse et
italie 211

VI

Tandis qu'il suivait d'un regard anxieux le mouvement révolu-


j-f'^j^
tionnaire en Suisse, Grégoire XVI ne pouvait perdre de vue ses

progrès en Italie. C'est à Marseille que Mazzini avait fondé en i83i

la Jeune Italie ; c'est à Genève qu'il avait organisé en i834 la

Jeune Europe ; c'est d'Angleterre qu'il dirigea ensuite son œuvre de

propagande ; mais l'Italie restait toujours pour lui le centre de la

régénération européenne qu'il rêvait.


Le
Son programme était simple et net. La résistance des princes et
programm*
l'esprit local ayant été jusque->à les deux prmcipaux obstacles a la de iMazzini.

liberté de l'Italie, Mazzini voulait se débarrasser de l'un par la répu-

blique, de l'autre par l'unité. « La Jeune Italie, disait-il, est répu-

blicaine et unitaire » : républicaine, parce que la république est la

seule forme de gouvernement qui satisfasse la raison comme les

traditions italiennes ; unitaire, parce que « l'unité est la condition

de la force, et que l'Italie, entourée de puissances unitaires, jalouses


et puissantes, a besoin avant t^ut d'être forte » ; parce que d'autre
part « k fédéralisme, en détruisant Tunilé de la grande famille
italienne, rendrait impossible k mission que lltalie est appelée 4
remplir dans Thumanité* ».

I. Le congrès de Vienne, en i8i5, avait créé en Italie trois Etats moyens au :

nord, les Etals sardes, replacés sous l'antique autorité de la maison de Savoie, cl
agrandis de l'ancienne république de Gênes au sud, le rojraume des Deux-Siciles,
;

rendu à la maison de Bourbon au centre, les Etats de l'Eglise, qui comprenaient


;

quatre parties distinctes: Rome et le Patrimoine de saint Pierre, puis lOmbrie


avec les provinces de Pérouse, de Spolète et de Rieti enfin, sur le versant oriental
;

des Apennins, les Marches d'Ancoue, et les Légations de Bologne, de Ravenne, de


ForH et de Ferrarc, par oiî s'étendait jusqu'aux rives du Pô le domaine pontifical.
A ces trois monarchies, relativement grandes, s'ajoutaient trois petits Etats, dont
un seul, la Toscane, avait ses traditions, ses souvenirs glorieux et sa raison d'être
historique. Les deux autres n'étalent ({ue des créations arbitraires de la politique ;
c'étaient le duché de Modène et le duché de Parme. La Lombardie et laiicien
domaine de la république de Venise avaient été rattachées à l'Autriche, sous le nom
de royaume Lombardo-Véncte ou de Lombardo-Vénétie. Le principal but des
plénipotentiaires du congrès de Vienne avait été de se garder contre les entreprises
de la France, considérée comme agent de la Révolution et les soldats de l'Autriche
;

étaient là comme des sentinelles avancées, chargce? d'assurer la sécurité de l'Europe


conservatrice. Mais l'Autriche avait amplifié sa mission au point de la dénaturer.
Sous prétexte de protéger les souverains d'Italie contre les entreprises révolution-
naires, elle installait chez eux des garnisons et les réduisait prescjue à l'état de
vassaux. Cf. P. de la. Gorge, les Origines de l'unité italienne, dans le Correspondant
du 10 novembre 1898, p. 4S0.
212 HISTOIRE GKiNKRALE DE l'ÉGLISÎB

Sa méthode : Pour parvenir au régime idéal qu'il rêvait, Mazziai préconisait un©
l'éducrtion
niélliode toute différente de oelle qu'avaient employée les révolu-
et par tionnaircs qui l'avaient précédé en Italie. Jusque là, les mécontents
msurrecuou.
j^yaient organisé des sociétés secrètes, dont les projets formaient un
mystère pour les populations indifférentes. A. leur tactique, Mazzini
voulut substituer le soulèvement de tout un peuple, conscient de sa
force et de ses droits. « Les moyens dont la Jeune Italie compte
se servir pour atteindre son but, disait il, sont l'éducation et l'in-

surrection. L'éducation, par l'exemple, par la parole et par les


livres, donnera aux vingt millions d'Italiens consoience de leur
nationalité, de manière que linsurrection les trouve tous debout
contre leurs oppresseurs. » Ils pourront ainsi se passer de toute
intervention étrangère, car, « ce qui leur manqvie, pour qu'ils
s'émancipent, ce n'est pas la puissance, mais seulement la foi '. »

I» iu éduca- L'éducation du peuple, projetée par Mazzini, se fk surtou-t par


^^^ publications historiques systématiquement orientées vers le but
La ro^a ande
révolution- poursuivi, et par des congrès à enseigne scientifique qui furent de
naire par^
véritables assises du patriotisme entendu à ia façon de ragitateur.
ment Avec Canina, l'université de Turin devint un foyer des idées nou-
^^^^^^' ^^^^ ^^ direction de Balbo, de Sclopis, de Soli et de Gîbrario,
'*%t'*''!rrel*''
publications les Moiiumenta hktor'tae patriae ravivèrent le souvenir des antiques
ius onque».
gloires de l'Italie. En i838, les congrès scientifiques, devenus
annuels, entretinrent dans la péninsule iMie agitation peananente.
En i84i, VArchivio storico kaliano s'en fit l'organe périodique.
Dansla théorie Au surplus, l'unité républicaine de lUalie n'était qu'une partie
révolution-
j^ programme mazzinien. Pour lui, comme pour tous ceux qui
de Mazzini, faisaient écho à ses idées, Rome devait être le centre de la vie poli-
tique de l'Italie, la capitale indispensable de son unité ; et par là
d' ru*r
comporte même, pour la plupart d'entre eux, le pape, en la séquestrant en
la «lestruction
quelque sorte au profit de l'unité de l'Eglise catholique, devenait
et ia ruine du un obstacle, un ennemi, qu'il faHait combattre et supprimer. On ne
catholicisme,
g^ dissimulait pas d'ailleurs que cette destruction de la papauté
devait entraîner la destruction du catholicisme, et l'inauguration
d'une religion plus large, large comme l'humanité. « Le peuple
italien, disait Mazzini, est appelé à détruire le catholicisme au nom
de la révélation continue^. » Dieu est Dieu, et l'humanité est son

I. A. PiifG,i.uD, dans VHist. gén., t. X, p. 584-585,


a. Inizial'wa revoluzionaria dei popoli.
l'église en PORTUGAL, ESPAGNE, RUSSIE, SUISSE ET ITALIE 2l3

pro{)hète. Dieu s'incarne perf)étue!lement dans l'iiumanilé. L'huma-


nité est la religion. Il faut croire à l'humanité, seule interprète de la

loi (le Dieu sur la terre ^. Le Christ est un saint, dont la voi^ a été

accueillie comme étant divine 2. Mais le catholicisme est éteint. C'est


un symbole usé, conservé seulement pomr 1©« dileltanli d'antiquités^.

Telle était la doctrine propagée par Mazzini*. Quelques-unes de 2" I/insurrcc-


tioQ.
ses hardiesses «ffrayèrent plus d'un de ses disciples, encore attachés
au eattioliotsme. L'exécution de la seconde partie de son programme,
Tagilation révolutionnaire, détacha de lui plusieurs autres de ses
partisans. Nous n'avons pas à faire ici l'histoire de ce mouvement.
En i833, à Gênes, les frères Ruffini provoquaient une émeute, aussi- Essais parMel»
d'insurrection.
tôt réprimée et suivie d'une véritable terreur dans le Piémont ; en
i834, Ramorioo tentait vainement de soulever les campagnes de la

Savoie ; de semblables tentatives étaient faites en i843 dcms les Formation


d'un parti
Romagnes, en i8iîi4 dans la Galabre. Un parti national relativement
national
modéré se forma, sous les inspirations de trois hommes, qui lui don- plus modéré.

nèrent son programme : Gioberti, Balbo et d'Azeglio.


Yinceneo Gioberti, prêtre catholique de Turin, philosophe liardi, Vincenzo
Gioberti
théologien téméraire, esprit mobile, impressionnable et violent,
en proclame
avaik d'abord été disciple de Mazzini, mais n'avait pas voulu le suivre le principe :

l'unité
jusqu'au bout. Dans son livre Dêl primato d'Italia^ publié en de l'Italie ok
iS^o, il n'exaltait pas moins que le maître, k primauté de sa patrie son hégémonit
sur le monde
pa*mi les peuples, mais il voyait la condition de cette primauté
sous le
dans la papauté, protectrice antique de la nation, et, ajoutait-il, « de protectorat
du pape.
nos jours asile inviolable de tolérance civile et d'hospitalité géné-
reuse, ouvert* à tous les hommes honorables, surtout s'ils sont
malheureux, quel que soit leur culte »,

Gioberti avait été épouvanté par le radicalisme irréligieux de Cesare Ban>o


indique
Mazzini ; Balbo fut rebuté par son radicaHsme révolutionnaire. Gio-
la condition
berti avait essayé d'atténuer la doctrine ; Balbo tenta de limiter la préalable
du succès :
violence du programme pratique. Fils d'un ministre sarde et ancien
l'expulsion
auditeur au conseil d'Etat de Napoléon I*% ayant beaucoup plus que de rA.u triche.
Gioberti le sens des réalités pratiques, Ccsare Balbo soutint, dans
un livre publié en 18V1 sous ce titre : Espérances de l'Italie , que la

I, Proclama açU Ilaliaiti,


a. Prose poiitiche, p. a ai.»
3. Prefa^iom a ano scritlo di Charles Didier.
4. Cf. (]. Gàntû, tes IL'-rétiques d'Italie, trad, Dicard et Mautj5, 5 \o\, in-8o.
paris, 1870, t. V, p. 437-438.
2l/| HISTOIRE GENERALE DE L ÉGLISE

primauté de l'Italie, célébrée par Gioberti, ne pourrait se réaliser


qu'après l'expulsion complète de l'Autriche. Il reconnaissait d'ail-
leurs qu'il était téméraire de prétendre chasser l'Autriche de l'Italie
par la force des armes ; mais on pourrait, disait-il, espérer avec
confiance que question se résoudrait d'elle-même par suite des
la

événements qui se préparaient.


Massimo Deux ans plus tard, le marquis Massimo d'Azeglio, dans une
d'Azeglio
propose brochure retentissante, Gli ultimi casi di Romagna (Les derniers évé-
le moven nements de la Romagne) et dans plusieurs écrits subséquents, pro-
efficace :

rinsurrection clamait le droit des Italiens à l'insurrection contre l'Autriche, et leur


sous indiquait comme chef le roi de Piémont, Charles-Albert.
la direction
du roi Le parti modéré des patriotes italiens avait désormais son pro-
du Piémont. gramme. Gioberti avait posé les principes; Ba>bo avait montré la
condition du succès d'Azeglio avait indiqué les moyens à prendre
; et
Tous les trois,
chef à choisir. Toiîs
le les trois repoussaient l'esprit anticatholique et
en repoussant
l'esprit anti- révolutionnaire de Mazzini, mais aucun d'eux n'échappait au reproche
catholique, de libéralisme, dans Tordre religieux comme dans l'ordre politique.
restent sus-
pects de Gioberti rêvait, pour le pape, une sorte d'indifférenlisme ; Balbo
libéralisme adhérait à ce rêve et d'Azeglio critiquait le gouvernement pontifical
;
révolu-
tionnaire. de telle manière, qu'il discréditait l'autorité même du Saint-Siège.

VII

La complexité de ce mouvement, la confusion qui s'y rencontrait


entre la question religieuse, la question nationale et la question poli-
tique, rendaient très délicate l'intervention du pape.
Rôle
des sociétés
Grégoire XVI pensa que le moyen le plus efficace de combattre le

secrètes mouvement révolutionnaire était de révéler au grand jour les vrais


dans le
desseins de ceux qui se servaient du sentiment national, de l'idée de
mouvement,
tant radical l'indépendance italienne, pour attaquer le Saint-Siège et l'Eglise,
que modéré,
Mazzini n'avait quitté
^
le carbonarisme que
^
pour établir dans la Jeune
vers 1 unité '-

de l'Italie. Ilalie et dans les sociétés similaires, une « loi du secret » plus stricte
encore que celle des conspirateurs de 1820. «Ceux qui n'obéiront
poiut aux ordres de la société, disait l'article 3o du règlement de la
Jeune Ilalie, ceux qui en dévoileront les synthèses, seront poi-
gnardés sans rémission *. » D'ailleurs Jeune Italie et carbonarisme

I. Déschamps, les Sociétés secrètes, t. Il, p, 37^.


l'église en PORTUGAL, ESPAGNE, RUSSIE, SUISSE ET ITALIE 2l5

fraternisaient par les liens communs qui les rallachaient à la IVanc-


maçonnerie ^. Quant à Massimo d'Azeglio, il raconte lui-même dans
ses Mémoires qu'il a fait un voyage en Italie, dans l'intérêt des
sociétés secrètes, en vue d"'amener les mazziniens et les républicains
à s'unir aux monarcliistes et à Charles-Albert pour faire l'unité ita-

lienne ^.

Depuis le début de son pontificat, le pape avait pu se procurer un Mesures

certain nombre de documents établissant le rôle prépondérant des prises par


sociétés secrètes dans les agitations contemporaines. Le 23 mai i8'j6, Grégoire Wl.
il fit venir auprès de lui un écrivain connu par l'intrépidité de son
courage et la verve de son esprit, Jacques Grétineau Joly. L'auteur i* H confie

Vendée militaire de l'Histoire religieuse, politique ","


de V Histoire de la et jaT-^^"
et littéraire Compagnie de Jésus, avait déjà donné lieu à des
de la d'écrire

reproches de fougue excessive dans sa polémique et, partant, d'injus- ^ ^^^ °wj.

tice dans quelques-unes de ses appréciations. Mais, somme toute, ses secrètes,

deux œuvres capitales avaient, dans leur ensemble, rendu des services
à la cause de l'Eglise et de la conservation sociale ^ ; et puis il était

homme à ne point reculer devant une entreprise périlleuse. « Mon


enfant, lui dit le pape, vous avez toujours eu le courage de votre
opinion. Je vous demande de tailler votre plume et de me promettre,
sans vous arrêter aux obstacles, d'écrire V Histoire des sociétés secrètes
et de leurs conséquences *. » Et le pontife confia à l'écrivain un grand
nombre de pièces importantes destinées à servir de matériaux à l'ou-
vrage projeté. \J Histoire des sociétés secrètes, par suite de diverses
circonstances, ne fut point publiée ', mais les plus importants des
documents confiés à Crétineau-Joly par le pape furent mis en œuvre
dans les deux volumes qui parurent en i858 sous ce titre: l'Eglise
romaine en face de la Révolution.
Le travail demandé par le Saint-Père ne pouvait avoir une elBca- a© Il charge
cité immédiate. Aussi Grégoire XVI n'attendit-il pas qu'il fût achevé
'^Veu/*'"^*
pour prendre des mesures contre l'insurrection menaçante. Il fut le cardinal
énergiquement secondé dans f af^bruschini,
œuvre par son secrétaire d'Etat, le
cette
cardinal Lambruschini. Louis Lambruschini, né en Ligurie le 2 juin des mesures
contre
l'insurrection
1. EcitEnT, op. oi/., t. II, p. a/3, 319 ; Claudio Jannbt, la Franc-Maçonnerie au "aenaçanle.
XIX'^' siècle, p. 207-211.
2. M. d'Azeglio,
Ricordi, 1867, ch. 34 G. Jawîibt, op. cit., p. i55. ;

o. Crélineau-Jolv avait abandonné depuis sa jeunesse les pratiques de U


.1.

religion II n'^ revint qu'au moment de sa mort. Voir Mavsa.rd, J. Grétineau- JoIy,
un vol. in-S", Paris, 1875.
4. iMiïNARD, Crclineau-Joly^ p. 34o.
2 1 6 HISTOIRE GÉNÉRALE DE i/ÉGLISE

1776, et entré jeune dans la congrégation des Barnabites, avait déjà


rendu des services à l'Eglise sous les pontificats de Léon XII et de
Pie VIII. Grégoire XVI l'avait élevé à la pourpre dès la première
année de son règne, et lui avait confié plusieurs missions impor-
tantes. En i836, Metternich, froissé d'un propos tenu contre lui par
le cardinal Bernetti, ayant mis comme condition à l'évacuation de
l'Italie par les troupes impériales, le changement du secrétaire d'Etat,
le pape, dans un désir de conciliation, avait cédé à ce voeu et appelé
auprès de lui, pour succéder à Bernetti, le cardinal Lambruscbini *.

Le nouveau secrétaire d'Etat, entrant en fonctions, pour ainsi dire,

sous les auspices de l'Autriche, devait, plus que son prédécesseur,


diriger volontiers ses regards et sa confiance vers la cour de Vienne.
Son tempérament le portait aussi « à laisser aux sévérités de la loi
une initiative dont Bernetti s'était contenté de menacer la Révolu-
tion )) 2.

Il refusa cependant, en i845, le concours armé que lui proposait

l'Autriche, pour réprimer l'insurrection renaissante dans les Léga-


tions ; mais il suivit avec attention les diverses ramifications des
sociétés secrètes en Italie. Un bon nombre des documents remis à
Crétineau-Joly par le pape, pour l'aider à dévoiler les mystères de
la secte, avaient été recueillis parles soins de Lambruscbini. Le vigi-
lant ministre s'appliqua aussi à '
enrayer la propagande des idées
libérales parmi le clergé séculier et régulier.
3^ Il favorise Convaincu que rien n'est plus efficace pour combattre le mal que
de loni
|g propagande du bien, Grégoire XVI favorisa de tout son pouvoir

les associations les associations pieuses ayant pour but le développement de la foi ou
ayant pour
j^ pratique de la charité. Il enrichit de faveurs spirituelles les deux

le maintien congrégations de prêtres fondées par le prêtre Jérôme Chemin de


(?e la foi
Bassano, pour
r prêcher
r
ecclésiastiques et aux
des retraites aux
et la pratique '
c \t- ^ • • • r

de la charité, laïques. Il encouragea les Oblats de la Sainte-Vierge, institues en


Congrégations 1826 à Pignerol par le vénérable Bruno Lanleri pour le service des
missions, et les Oblats de Saint-Alphonse de Liguori, établis en 1889
^*f'^7r^^'
en l'talie sous à Bobbio. Il confirma les règles données en 1826 par Theodora
le pontificat
Caiiipostriiia aux Petites-Sœurs de la Compassion de Marie, celles

Grégoire XVI. des prêtres de la Mère du Bon-Conseil et celles des Pieux-Ouvriers


de la Mission. Il procura l'établissement, à Rome et à Turin, do

I. Maynard, op. cit., p. 343.


a. Crétinbàu-Jolt, V Eglise romaine en face de la Révolution, t. II, p. 356.
L'éGLISE E?f PORTUr.AT., ESPAGNE, RUSSIE, SUISSE ET ITALIE 2I7

l'instilut des Adoratrices perpétuelles du Saint-Sacrement, fondé en


1807 par la Sœur Marie-Madeleine de l'Incarnation, dans le monde
Catherine Sordini, en vue de réparer par une adoration ininterrom-
pue les injures faites à l'Eucharistie. Parmi les congrégations moins
connues qui furent l'objet de décrets d'approbation de Grégoire XVI,
on peut citer encore : à Turin, la société des Fidèles suivantes de

Jésus, celle des Sœurs de Sainte-Anne, et les Pénitentes de Sainte-


Marie Madeleine ; à Gênes, les Filles de Marie; plusieurs autres a

Vérone et à Venise K
Parmi les œuvres que Grégoire XVI bénit et approuva, il en est
deux qui, par l'intérêt particulier que leur témoigna le pontife, par le

bien qu'elles réalisèrent et par la valeur personnelle du prêtre qui les


fonda, méritent une mention spéciale : ce sont l'institut des Pères de
la Charité et celui des Sœurs de la Providence, fondés par Antonio
Rosniini-Serbati, de Rovereto.
C'est en 1828 que le futur pape Grégoire XVI, alors procureur Antonio

général de l'Ordre des Camaldules à Rome, rencontra Antonio Hos- ^1^07-1855).


mini ^, jeune piètre de 26 ans, rêvant de combattre les erreurs et les

misères de son siècle par la science et par la charité. Né au château


de Rovereto, dans le Tyiol, d'une famille de vieille noblesse, il était

entré à 17 ans au séminaire, malgré une vive opposition de ses pa-


rents, qui comptaient sur lui pour perpétuer l'illustre maison des
comtes Rosmini. Ordonné prêtre en 182 1, il avait refusé d'entrer
dans la carrière diplomatique, où sa famille et ses amis le poussaient.
Il s'était retiré dans le domaine paternel, dont il venait d'être fait

l'héritier par la mort de son père, pour y mener une vie de prière,
d'étude et de bonnes œuvres. Il avait pris pour devise ces trois
mots : Adorare, tacere, gaudere, et n'avait pas voulu que les popu-
lations des environs, au milieu desquelles il prodiguait ses charités,
le connussent par un autre nom que celui de don Antonio. Une
pieuse chrétienne, la marquise Madeleine Canossa, fondatrice d'une
association charitable dont faisait partie la sœur du jeune prêtre,
Marguerite Rosmini, l'aidait dans ses œuvres de bienfaisance. Deux Affectueux
iniéréi
sentiments profonds unissaient l'abbé dom Maur Cappellari et Don
A .f' n c" '
que lui porte
Antonio: c étaient un grand dévouement au Saint-Sicge et un grand Grégaire XVI

1 IlRuoENncETHBR-KiRSCH, Kirchengeschiclite, t. III, 1. III, ch. 17; Civlllà catto*


lica. 1871, Ml, 3. 81 et s.
a. LogilHart, Vie de Rosmini, Irad. Second, un vol. in-S», Paris, 188g, p 80-81,
3l8 HISTOIUE GENERALE DE L EGLISE

amour de la vie religieuse K Une intimité cordiale ne tarda pas à


s'établir entre eux. En 1826, dans une lettre où il félicite le vénéré
moine camaldule de son élévation à la pourpre, Rosmini lui expose le

plan d'un Ordre religieux qu'il projette de fonder pour s'occuper de


toutes les œuvres de charité que nécessiteront les temps présents 2.

Deux ans plus tard, le cardinal Cappellari l'encourage vivement à


publier son traité sur VOrigine des idées et à entreprendre l'exposé
de sa philosophie, « persuadé qu'elle est destinée à ranimer l'étude
de saint Thomas, d'Aristote et de Platon, au centre du monde chré-
tien, près de la chaire infaillible de la doctrine catholique ^ ». Le
2 juillet i83o, le cardinal Cappellari écrit à Rosmini, qui venait de
lui envoyer un mémoire détaillé sur l'Institut qu'il projetait : « J'ai lu
votre description de l'Institut. Elle est courte, claire et précise. Je
vais en faire une copie pour le Saint-Père » *. Cinq mois plus tard, le
(.8 pape Saint-Père était iMaur Cappellari lui-même, intronisé sous le nom de
la fondation Grégoire XVI. D'abord par une oraculum vivœ l'om, puis par des
par Rosmini Lettrés apostoliques du 20 novembre 1889, le souverain pontife
de V Institut 1 ^-n •
^ y ^ • i

r ,

de la Charité, approuva, sans une seule modilication, les règles qui lui avaient ete
soumises ^.

La philosophie J^a philosophie de Rosmini, inspirée par le zèle le plus noble et le


de Hosmini. , . , .
/r 1 t i

Ses erreurs, pl^s pur, mais S Orientant, pour reiuter plus directement les erreurs
modernes, dans des voies non encore frayées, ne devait pas échapper
aux condamnations de l'Eglise. Un décret du Saint- Office, du i4 dé-
cembre 1887, censura quarante propositions extraites de ses ouvrages

philosophiques; mais, quelques jours avant la promulgation de la

condamnation, Léon XIII avait écrit aux archevêques de Turin, de


•Verceil et de Milan : « Nous ne voudrions pas qu'aucun dommage
fût causé à la Société dite de la Charité, qui s'est dévouée si utile-

ment jusiju'ici au service du prochain selon l'esprit de son inslitu-

I.LocKHA-RT, Vie de Rosminiy trad. Second, p. 90 et s.


3. p. 108.
Ibid.,
3. Ibid , p. 17a.
4. Ibid., p. 188-189.
5. Bernasconi, t. II, p. 361-874. On trouvera dans ce document le texte complet
des règles de l'Institut de la Charité. Rosmini y est appelé virrerum divinarum atqae
hamanaram scientia illustris, eximia pietate, religione, virtute, probitate, prudeniia,
integrilate carus, ac miro in catholicam religionem atque hanc apostoUcam sedem amore
ac studio fulgens (Ibid., p. 373). Cet éloge de Rosmini est d'autant plus remarquable
que Grégoire XVI connaissait l'originalité de son système philosophique et sa
liaison avec Manzoni- et autres personnages du pa/ti national avancé.
Q

> r
L EGLISE EN PORTUGAL, ESPAGNE, RUSSIE, SUISSE ET ITAI-IK :2
1

liou. Nous espérons au contraire qu'elle continuera de prospérer et

portera des fruits de plus en plus abondants ». *

En réalité Rosmini avait fondé deux œuvres distinctes : l'Institut

des Frères de la Charité et celui des Sœurs de la Providence. Les Les Frères

Frères de la Charité devaient avoir pour but, « tout d'abord leur delà Charité,
propre sanctification, et, par le moyen de cette sanctification, toutes

les œuvres quelconques de charité, avant tout, celles qui ont pour
objet le salut éternel des âmes » ^. La souplesse de ce but devait
permettre à la Société de s'adapter, suivant les circonstances, aux
besoins des temps et des lieux. Le pieux fondateur avait voulu intro-
duire, dans l'organisation de sa Société, une plasticité pareille. Caradèro
^j. T • • original
Vivant en commun comme 1
des religieux, pratiquant comme eux jg i^ nouveiia
une stricte pauvreté dans leur manière de vivre ^, les Frères de la fondation.

Charité conserveraient, comme les prêtres séculiers, la propriété de


leurs biens individuels, à la condition de ne les employer qu'à des
œuvres de piété ou de charité *. Les Frères de la Charité se répan-
dirent bientôt, non seulement en Italie, mais aussi à l'étranger, sur-
tout en Angleterre, oii ils provoquèrent beaucoup de conversions au
catholicisme.
Les Sœurs de la Providence, approuvées par les mêmes Lettres Les Sœur.<

apostoliques, en iSSg, que l'Institut des Frères, à titre de commu- ^^^^dTla'^^


nauté agrégée, avaient été d'abord réunies par l'initiative du Père Providence,

Lœwenbriich, un des premiers disciples de Rosmini, qui en remit bien-


tôt la direction spirituelle et temporelle entre les mains de son supé-

I. LocKHART, Vie de Rosmini^ Irad Segoud, p. 557-558. Voir condamnation — U


des erreurs rosnolniennes dans Di-Nzi.iGER-BANHWART, n. iSgi-igSo. Le but de Ros-
mini était de combattre le sensualisme et le subjectivisrae par l'exposé d'une philo-
sophie reposant, d'une part, sur l'observation positive des faits, et atteignant,
d'autre part, la réalité intellectuelle au delà de la réalité sensible, le non-moi er
Dieu au deli du moi Rosmini remarque que, si l'on observe avec attention les
phéuuiXfènes ,de connaissance, on trouve forcément, au fond de chacun d'eux, un
éléoicrl ccnrmun l'élre, l'être indéterminé et universel
:
les choses sont ceci ou :

ctio, mais ellas sont quelque chose. Or l'être se présente


à nous sous trois formes •
sous la forme d'un sentiment, sous la forme d'une idée ou sous la forme d'uik
lapport entre le sentiment et l'idée. D'où trois grandes divisions de la philosophie
rosmi,.ienne réalité, idéalité, moralité. La doctrine de Rosmini a été condamnée
:

comme entachée d'ontoiogisme. Sur


la philosophie de Rosmini, voir Palhoriès,
liosnim-, un vol. in S»,
1908 E. Second, Œuvres de Rosmini, traduites en
Paris, ;

français, 3 vol. inrSo, Paris, 1888 Trlllet. Examen des doctrines de Rosmini, trad;
;

SUve.tre de Sacy, un vol. in-80, Paris, 1898 Dullelin critique, t. XIV, 1698; ;

p. 3o9-3i3 Revue du clergé français, t. LIX (1909). p. 309-818.


;

2. Art. 3 de la règle (Behnasconi, U,


303).
3 Art. a3-a8 (Bernasconi, 11. 365).
4 Art. ai (Bernasconi, II, 365).
2 20 HISTOIRE GESIER ALE DE L EGLISE

rieur. Les succès qu'elles obtinrent dans les diverses œuvres qui leur
furent confiées, notamment dans l'éducation des jeunes filles, fit de-
mander de tous côtés les maesire rosminiane^ comme on les appela.

On en comptait plus de six cents en 1888. Introduites en Angleterre,


en 1843, par lady Mary Arundell, fille de la pieuse marquise de
Buckingham, elles y ouvrirent plusieurs pensionnats déjeunes filles

appartenant à la haute aristocratie et à la bourgeoisie anglaise, et plu-


sieurs écoles pour la classe pauvre ; elles se chargèrent également du
L'œuvre soin des malades dans les hôpitaux, de la visite des malades chez

/n Angleterre ^^^' pratiquant, selon les instructions de leur fondateur, « l'union de


la vie contemplative avec la vie active et avec le genre de vie active
qui est à la fois le plus simple, le plus humble et le plus laborieux » *.

Le bien qu'elles réalisèrent 4ans ces différentes oeuvres, l'estime


qu'ellesy acquirent secondèrent puissamment le travail des missions
que prêchèrent les Pères Gentili et Furlong dans tous les centres
catholiques d'Angleterre, et contribuèrent beaucoup au progrès de la
renaissance religieuse dans ce pays.

I. LOCKHART, op. cil , p. $78.


CHAPITRE VI

GRÉGOIRE XVI.
l'église en ANGLETERRE, EN ALLEMAGNE ET EN FRANCE

(i88i-i846).

En Angleterre, en Allemagne et en France, de i83i à i846, le Vue générale,

mouvement catholique prend une particulière ampleur. En Angle-


terre, c'est la période de la grande agitation d'O'Connell, arrachant
au gouvernement l'abolition de ses lois les plus injustes contre les
catholiques ; c'est, en même temps, le développement du « mouve-
ment d'Oxford », aboutissant en 1 84 5 à la conversion de Newman
et de plusieurs des plus éminents docteurs de l'anglicanisme ; en
Allemagne, c'est la lutte et le triomphe de l'épiscopat catholique
dans l'importante question des mariages mixtes ; en France, c'est

la campagne qui prépare la conquête de la liberté d'enseignement.

Le bill d'émancipation de 1829 était loin d'avoir donné la liberté L'Eglise


e*» A-ngleterre.
complète aux cathoi'iques irlandais. Ceux-ci se plaignaient, à juste
titre, d'avoir à payer annuellement près de 20 millions de francs pour Les iroii
principaux
le clergé des Eglises protestantes, lesquelles comptaient à peine
800.000 fidèles, tandis que leur propre clergé, celui qui desservait des caiholiquci

6 millions de catholiques, n'avait d'autres ressources pour vivre * ***•

que la charité d'ime population appauvrie. Les catholiques irlandais La question


religieuse,
se plaignaient encore, et non sans raison, d'être écrasés sous le ^
poids
la question
^ .

de lermages exorbitants, et d'être impitoyablement chassés, « évin- agraire


^i la questioo
ces » de leurs chaumières, quand, par suite d'une mauvaise récolte,
^ ^ politique.
ils ne pouvaient payer ces fermages aux agents des landlords. Ils

rappelaient enfin que l'Irlande était insunisamment représentée


aîQ HISTOIHK C.b:-M:RALE DF 1. KGLISB

«Il parlement d'Ani^lelerre, En ci'aulres termes, les trois questions


qui, depuis le xiv' sitVle, avaient tour à tour ou simultanément agité
ce jKivs, no leur paraissaient pas résolues. Dés le 22 mUrs 1829,
avant mémo que lémancipation lut un fait accompli, O'Connell
avait oimIi à un ami : u Lauubien so trompent ceux qui croient que
tout sera lini après l'émancipation catholique ! Oh ! ce sera la

niouuMit de con\mencer la lullo })ourles droits île la nation *. >>

Le nUn l/atiilaleur était alors i\ l'apogée de sa popularité et de sa puissance.


»rO'Connoll. \gé de cinquante-quatre ans, il avait conservé toute sa vigueur phy-
si(]ue, et acquis ilans ses longues luttes une expérience des hommes
ol des choses qui faisait de lui [4us qu'un tribun populaire, un
homme politique dans toute l'acception du mot. 11 jugea, contrai-
rement à Topiuiou de quelques-uns de ses amis, que la question poli-
tique devait avoir chronologiquement le pas sur les deux auUes, et

qu'il devait comnuMicer sa nouvelle campagne au sein du parlement.


Ou pouvait se demander si le grand orateur des meetings d Irlande
saurait adapter ses paroles aux débats d'une assemblée législative.

O'ConnoU uhésila pas ; et les succès qu'il obtint pendant les dix-
sept années qu'il passa à la Chambre des Communes justilicrent son
audace.
S;i ctmpaijnc ^ieu que l'émaucipation des catholiques eût été accordée par les
(»ohtimu> O'Connell se rangea résolument du côté des
tories. ^vhii:s. Ceux-ci
demandaient alors une reforme électorale, et avaient besom, pour
vaincre au parlement leurs advei^saires, de l'appoint des voix irlan-
daises. Cet appoint. O'Connell le leur otTrait. 11 pouvait, eu retour,
leur demander dos engagements favorables aux catholiques ~. Les
tories d'ailleurs, conservateurs de l'état de choses existant, se posiiieut
nettement comme les délenseui*s de « l'Eglise établie j>.

Le succès ne répondit qu'imparfaitement aux espérances de l'agi-


tateur. La présence des whigs au pouvoir pendant six années donna
à l'Irlande une paix relative. L'île-sœur fut gouvernée avec impar-
tialité. Les magistrats ne vii-ent que des citoyens là où l'on avait trop

souvent distingué l'Anglais do l'Irlandais, le protestant du catho-


lique ^. De plus, à la tribHue comme au milieu des
parlementaire,
grandes assemblées populaires,. OConuell apparut comme une puis-

1. A. {.K^ùLois. 0'Ci.mi^fll d'après .«« correspotiJance. d*us le CijntspsMuiant du a5


janvier l8J^9. l. CLIV, p. 347.
s. S\ir CCS cnsjagorooiits. >oir Laxgloïj, op. ciL, j» 207,
3. GoMK)5, /'.i^ifalÙMi uUidaise dirpuis ISi9, p. 83,
L'ÉGF.rSR FN A^ÏGLETERRE, EN AIJ-EMAGNE ET EU FRANCE 223

sance. La lultc qu'il soutint, pendant les onze jours que dura la

fameuse discussion du Coercion bill le révéla cornnne un tacticien Le Coercioa

parlementaire redoutable, discutant pied à [)icd, article par article,


ce j)rojet de loi qui, amplifiant les pouvoirs des magistrats, mettait
l'Irlande presque en état de siège. En vain, pour vaincre sa résis-

tance, lui ofl'rc ton une importante magistrature en Irlande. O'Con-


nell ne veut rien accepter, pour conserver son indépendance. Il

retrouve, pour combattre le funeste projet de loi, la verve, l'ironie, O'Connell

les sarcasmes, qui soulevaient naguère les foules de ses compatriotes. parlcaicuUire.
Le discours qu'il improvise le 5 février i833 est, au jugement de
Micbelet, le plus vibrant morceau d'éloquence que l'Europe ait

entendu depuis Mirabeau ^. Le ministre retire son projet. Mais,


somme toute, la campagne parlementaire d'O'Connell aboutit à peu
de résultats pratiques et immédiats. L'abolition d'une des coniri- Résultats

butions destinées à l'entretien du culte anglican, la suppression de campaeuc.


plusieurs évêcbés anglicans en Irlande, el une légère modification
dans le mode de perception des dîmes, furent à peu près les seuls

fruits positifs obtenus par tant d'efforts.

En 1839, le Libérateur, comme l'appelèrent les Irlandais, se sen-


tant épuisé de fatigue, songeait à terminer ses jours dans un monas-
tère 2. Mais l'arrivée au pouvoir, en iS^i, des tories, avec Robert le « rappel
de l'union ».
Peel à leur léte. le rejeta dans l'opposition déclarée. Jusque-là, il

avait susprMidu toute agitation populaire en Irlande, et il s'était inlcr-


dil de réclamer lui-même le (( rappel de l'union »>, c'est-à-dire l'au-
tonomie législative de l'Irlande par l'établissement d'un parlement à
Dublin. Mon espoir, écrivit-il à ses amis, est désormais unique-
ment dans 1 Irlande ») Et, mal^é son âge, il reconimenc^a ses tour-
nées d'agitateur.
Nous ne nous étendrons pas sur
cette nouvelle série de campagnes,
qui par leurs maniCeslalions paraissent purement politiques, mais
au cours desquelles O'Connell, catbolique avant tout, ne perdit
jamais de vue la question, toujours prédominante à ses yeux, de la
liberté religieuse de sou pa)s. convaincu, en
Il était effet, que celle-
ci resterait illusoire el précaire tant qu'elle ne serait pas garantie par
la libertépolitique. La révocation de l'union fut son mot d'ordre
; la
défense du catholicisme en Irlande re^ta son premier but.

I. Noir c.i discours dans Marcel, Chefs d'oruvre de V éloquence


française et de la
iribuic anglaise, 6 vol. in-80, Paris, i844, l lil. p. 56a-572.
a. LA.NGLoii, op. cit., p. 3 65.
22h HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLISE

La méthode Malgré les murmures de certains de ses partisans trop passionnés,


d'O'Connell ;

ragitation son agitation resta toujours légale, u Je ne violerai ni la loi de Dieu


légale. ni les lois des hommes, s'écriait-il le ii avril i843 à Dublin ; mais,
aussi longtemps qu'il nous restera un lambeau de constitution, j'en
ferai mon appui, et j'y poserai le levier avec lequel je soutiendrai les

libertés chancelantes de ma patrie ! » Le i3 août, à Tara, siège des


anciens rois d'Irlande, le Libérateur réunit et harangua sept cent cin-
quante mille personnes ; le Times parla même d'un million d'assis-
tants. Une autre réunion de quatre cent mille personnes fut tenue
bientôt après, à Mullaghmast. Un meeting plus colossal fut annoncé
Les grands pour 8 octobre, réunir à Glontarf. O'Connell, appre-
le et devait se
meetings
irlandais. nant que le gouvernement se disposait à disperser la réunion par la
force, que des troupes et des canons se dirigeaient vers Glontarf, et

prévoyant entre l'armée et la foule une collision sanglante, interdit,


au dernier moment, la réunion, et eut le bonheur de se faire obéir par

cinq cent mille hommes, décidés à donner leur vie pour leur pays.
Le gouvernement anglais le fit arrêter, condamner, emprisonner
Emprisonne- comme coupable de conspiration. Mais la Chambre des Lords, en
ment
et libération septembre i8/^/i, cassa la sentence du tribunal et rendit la liberté à
de O'Connell. En même temps, le cabinet tory n'osait pas exécuter ses
r «agitateur».
menaces. A la fin de i842, Robert Peel, en frappant l'Angleterre de
V income-tax n'osa pas imposer ce fardeau
, à l'Irlande. L'année sui-
vante il déclarait « être décidé à tout faire pour le bien des Irlan-
dais ». Quant à O'Connell, dans sa foi profonde, il écrivait: « La
main de l'homme n'est pas là dedans. C'est la Providence qui
répond aux prières du fidèle peuple d'Irlande. »
Les amertumes
Les grandes manifestations populaires dont l'agitateur fut l'objet
de
ses dernières après sa libération, furent ses derniers triomphes ; car ce grand chré-
années. suivant les expressions de Lacordaire, que Dieu
tien « mérita, le

purifiât du poison subtil de la gloire, et mît sur sa tête, après tant


de couronnes qui ne s'y étaient jamais flétries, cette couronne
suprême de l'adversité sans laquelle aucune gloire n'est parfaite ni

sur la terre ni dans le ciel * ». Malgré le retour des \Yhigs au pou-


voir, malgré les excellents choix de fonctionnaires qui furent faits pour
l'Irlande, l'année i846 fut la plus triste de la vie d'O'Connell. Deux
faits contribuèrent à empoisonvj^r ses derniers jours. Les dissidents

I. LA.coRDAiaE, Elogt funèbre d'O'Connell, dans ses Œuvres, édit. Pous^ielgue,


t, VII [, p. 190.
l'église en ANGLETERRE, EN ALLEMAGNE ET EN FRANCE 225

exagérés dont nous avons fait mention, et qui voulaient conquérir la Le groupe

liberté de l'Irlande par la violence, formèrent, sous le nom de Jq la « Jeune


« Jeune Irlande », une société qui se déclara ouvertement contre Irlande».

O'Gonnell ; et une misère affreuse, causée, en 1 845- 1 846, par la ^^ famine


disette des pommes de terre, fit périr, par la faim ou le typhus, près ^ Irlande,
d'un cinquième de la population irlandaise. Le grand agitateur, acca-
blé par les souffrances morales et physiques, voulut, avant de mou-
rir, se rendre à Rome, pour y déposer aux pieds du Chef suprême
de l'Eglise le témoignage de sa fidélité. Dieu ne lui permit pas de
parvenir au but de son pèlerinage. Il mourut à Gênes, le i4 mai i.n^^^'
1847 ; et Pie IX, en embrassant, peu de temps après, le fils d'O'Gon- (14 mai 1847).
Dell, se félicita de tenir dans ses bras le fils du « héros de la chré-
tienté )) .*.

II

Plusieurs des membres du parti whig ou libéral, qui se montrèrent Attitude


1 •
r j'r\'/^ r hostiledu parH
plus ou moins favorables a
1 1 » 1
la cause d O 11
Lonnell, ne turent amenés a
i ' '

conservateur
agir ainsi que par leur peu de zèle à l'égard de la religion nationale ; en Angleterre

de sorte que leur indifférence religieuse favorisa, dans l'espèce, le


^^ raeftation
progrès de la vraie religion. Par un phénomène non moins singulier, catholique
*" ^'
et, non moins providentiel, l'attachement obstiné de
ajoutons-le, ^* ^

plusieurs membres du parti tory ou conservateur à l'Eglise établie,


aboutissait en même temps à un réveil catholique. Kcble, Froude el

Newman ne s'étaient pas- seulement déclarés partisans du tory Robert


Pecl ; plus conservateurs que leur chef, ils l'avaient renié lorsqu'ils
l'avaient vu se .prononcer pour l'émancipation des catholiques, l'accu-
i-ant de trahir l'Eglise anglicane 2. Or, dans la même ardeur de
défendre leur Mère Eglise, de lui donner uue vitalité puissante, ces
mêmes hommes avaient été amenés à se dire qu'elle avait besoin
d être réformée, et il se trouvait que les réformes qu'ils imaginaient,
ou qu'ils empruntaient aux vieilles traditions, pour vivifier cette
Eglise, se rapprochaient singulièrement des croyances et des prati-
ques catlioliques ^.
1

Lacordaire, op. cit., p. 191.


I.

3. Thurea-u-Dangim, la Renaisscmce caihol. en Angleterre, t. I, p. 49-5o,


3. Voir plus haut, p. 100.
Hist. gén. de l'Eglise. — VHI i5
226 HISTOIRE GEJIERALE DE L EGLISE

Newman NeTvman a écrit qu'il avait toujours considéré comme point de


et ses amis
travaillent à départ du mouvement « tractarien », c'est-à-dire du mouvement
réformer qui devait le conduire, lui et plusieurs de ses amis, au catholicisme,
r « Eglise
éta>blie x».
le discours prononcé par Keble à propos du bill qui, en i833,
supprimait une partie des évêchés anglicans en Irlande *. Hé quoi 1

désorganiser l'Eglise d'Angleterre au moment où les libres penseurs


d'un côté, les catholiques irlandais de l'autre, lui faisaient une
guerre acharnée, n'était-ce pas une lâche apostasie ? Keble intitula
son discours : l'Apostasie nationale, et, sous ce titre, en répandit à
profusion les exemplaires. La conclusion du manifeste — car c'en
était un, — était que, dans une telle crise, tout fidèle churchman
devait se dévouer entièrement à la cause de l'Eglise anglicane. Quel-
Le début du ques clergymen se concertèrent pour répondre à cet appel. Le pre-
mouvement
tractarien mier résultat de cette entente fut l'apparition, le 9 septembre i833,
(septembre d'un écrit de trois pages, sans signature, intitulé : « A mes frères
i833).
dans le saint ministère, les prêtres et les diacres de l'Eglise du
Christ ». L'idée maîtresse de cet écrit était de rappeler au clergé,
qui l'avait trop oublié, que ses pouvoirs venaient, non de TEtat, mais
de la « succession apostolique >>
*
qu'il lui apparterait donc de pren-
dre, indépendamment de l'Etat, l'initiative de toute réforme, de tout
acte capable de rendre à l'Eglise d'Angleterre sa vitalité, sa gran-
deur et sa fécondité. Ce fut le premier des tracts, dont la succession,
pendant douze années, devait donner son nom au mouvemeiit
« tractarien ».
Objets « D'autres tracts suivirent, coup sur coup, en septembre et dans
des premiers
les mois suivants. Le second s'attaquait au bill irlandais, et lui re-
tracts.
prochait d'avoir été pris sans l'avis de TEglise ; le troisième dénon-
çait des altérations dans la liturgie et les services funèbres ; le qua-
trième revenait sur la succession apostoHque ; le cinquième exposait
la constitution de l'Eglise du Christ et celle de la branche de cette

Eglise établie en Angleterre ; les suivants traitaient des sujets ana-

logues, s'appliquant à rendre en tout la religion plus haute, plus


profonde, plus réelle Le plus grand nombre des tracts, les plus
2. »
brillants, les plus saisissants, étaient de Newman. D'abord des amis
zélés distribuèrent eux-mêmes ces feuilles, passèrent des journées à
courir à cheval d'un presbytère à l'autre. Bientôt plus ne fut besoin

I. Thureau-Dangi-n, op, cit.f p. 67.


a. Ibid., p. 71-73.
l'église en ANGLETERRE, EN ALLEMAGNE ET EN FRANCE 227

répandre de la main à la main. Leur notoriété aida à leur LeurdilTusioa.


de les

diffusion. Quelques-uns furent tellement demandés, qu'il fallut en


publier une seconde édition ^ Ils furent discutés. Les evangellcals
dénoncèrent leurs tendances papistes ; les libéraux, leur rigueur
dogmatique ; les prudents conservateurs de l'anglicanisme, leucs

témérités. Newman restait toujours l'âme du mouvement. Il com- Newman


du
resle l'âme
parait le stimulant des tracts à une application de sels volatils à une mouvement.
personne pâmée: « c'est piquant, disait-il, mais fortifiant » *. Il ne
prenait guère au sérieux, par ailleurs, le reproche de papisme qu'on
lui adressait. « Quant à devenir personnellement romanlst^ écrivait-

il, cela me semble de plus en plus impossible ^. » li croyait, en


effet, à celte époque, avoir trouvé le moyen de s'écarter de l'Eglise

d'Angleterre sans s'unir à celle de Rome. C'est ce qu'il appelait la La


Via média.
Via média.
En i835, le mouvement tractarien prit un nouveau caractère
par rintervention de Pusey. Les publications devinrent de petits

traités complets, un peu pesants, mais solides, L'effet en a été com-


paré à « la venue d'une batterie de grosse artillerie sur un champ
de bataille oii il n'y avait eu jusqu'alors que des escarmouches de
mousqueterie * ». La mort de Froude, en celte même année, fut,

pour le mouvement, une perte sensible, maie ne le ralentit pas. Du


reste, les tracts n'étaient plus le seul moyen de propagande. Newman, Newman
curé do
chargé de la paroisse de Sainte-Marie à Oxford, y relevait le culte Sainte-M;:ri«
paroissial de l'espèce de léthargie oii il était tombé,
y prêchait des et à Oifor.l.

sermons dont le succès allait grandissant. Le recueil de ces ser-


mons, dont le premier volume parut en i834 ^, fut regardé, même
par les protestants, comme un des plus précieux monuments de la Ses sermi-ns.

littérature anglaise au xix' siècle <^, et contribua, au moins autant


que les tracts, à gagner des adhérents au mouvement.
Au surplus, ce mouvement, plus ou moins conscient, d'un grand Altitude
tiescalholkj'.ics
nombre de protestants cultivés vers les doctrines romaines, coïncidait
an, :lais.
avec un mouvement des catholiques anglais vers la culture scienti-
fique et littéraire.

Thlreau-Damgi:^, op. cil.^ p. 82.


I.
Newman, Lelt. and Corr., t. II, p. gj.
3.
3. Ibid t. I, p. ^90.
,

4. Chl'rch, The Oxford Movement, p. i36.


5. Il devait être suivi de onze autres volumes.
6. Quand on demandait à Gladstone, sur la fin de sa vie, quels avaient <.''lo, de
•Dû temps, les premiers prosateurs anglais, il désignait Newman et RusLin.
228 HISTOIHE GÉNÉRALE DE l'ÉGLISE

iNous avons déjà eu l'occasion de dire comment la condition de


longiemps aux catholiques d'Angleterre, avait
parias, faite depuis
produit sur eux une sorte de dépression sociale et intellectuelle.
« Sortis des catacombes, dit un de leurs historiens, on eût dit que
le grand jour les éblouissait. Ils demeuraient timides et méfiants *. »
« Mais un catholique, un prêtre s'était trouvé, assez Anglais pour
comprendre ses compatriotes et s'en faire comprendre, et cependant
Nicolas assez dégagé, par sa formation personnelle, des habitudes d'esprit
Wiseman,
des catholiques d'outre-Manche pour n'avoir ni leurs timidités ni
leurs courtes vues. C'était Nicolas Wiseman 2. » Né à Séville, en
1803, d'une famille anglaise, élevé en Angleterrre depuis sa première
enfance, envoyé à Rome en 1818, avec une colonie de jeunes élèves,
pour y repeupler le collège anglais, récemment rétabli, le jeune
"Wiseman s'était déjà révélé comme orateur, comme poète, comme
exégète et comme orientaliste. La rencontre qu'il fit, à Rome, en
i83o, d'un jeune converti de noble race, le dernier fils de lord
Spencer ^, orienta sa pensée vers l'œuvre de la conversion de l'An-
gleterre ; et la visite qu'il reçut, en i833, de Newman et de Froude,
lui fit connaître l'importance du mouvement d'Oxford *. Un court
séjour qu'il fit à Paris, en i835, au moment où son ami Lacordaire
y inaugurait les conférences de Notre Dame devant un public hostile
ou indifférent, ranima son courage et sa confiance. En i836, il
Ses eri-treprit, à Londres même, des lectures ou conférences faites à
« Conférences
l'adresse des protestants aussi bien que de ses coreligionnaires, sur
sur
les doctrine» « les principales doctrines de l'Eglise catholique ». Son ton simple,
de l'Eglise
courtois, le souci qu'on découvrait, dans son discours, d'éclairer
catholique ».
sans irriter, attira de nombreux dissidents autour de sa chaire. A sa
parole, plusieurs anglicans de marque se convertirent. Beaucoup
d'autres, sans aller jusqu'à la conversion, sentirent leurs préventions
Fondation détruites ou diminuées '.La fondation par Wiseman de la Revue de
éc la Revue
Dublin, dont le premier numéro parut en mai i836, acheva de
de Dublin
(i836). donner au mouvement catholique une impulsion et une ampleur,
qui révélèrent aux protestants la puissance de l'Eglise romaine,
donnèrent la confiance aux catholiques. Elle fut le prélude de toutes

1.Thurèau-Dangin, op. cil. t. I, p, lao.


y

129 i3o.
2. Ilnd., p.
3. Abbé de Madauxe, Ignaoe Spencer et la renaisiame diÀCÇ^ihil. *n Angleterre, on
Vol. in-8j, Paris, 1875, p. i55 et s.
ti. Thurbau-Dangin, op. eh.j p. 58-i33.

5. /6(c/.,p: i38.
l'église en ANGLETERRE, EN ALLEMAGNE ET EN FRANCE 229

les œuvres que le catholicisme devait réaliser au courant du xix* siècle


en Angleterre *.

Cependant Newman restait fixé dans sa Via média, et son influence NcAvman
commence à
ne faisait que grandir. Quand on demandait à l'un des esprits les
se méfier de la

plus originaux, les plus primesautiers du mouvement d'Oxford, à Via média.

William-Georges Ward, le symbole de sa croyance, il se contentait

de répondre : Credo in Newmaniim. Or, au moment même où son


ascendant était à son apogée, son autorité incontestée, où il eût pu,
semble-t il, constituer une Eglise nouvelle dont il eût été le chef,
Newman se rendait compte, de plus en plus, que la voie intermé-
diaire, où il avait voulu se placer, entre l'Eglise d'Angleterre et

l'Eglise de Rome, était intenable. L'Eglise d'Angleterre, institu-

tion nationale, et séparée un jour de la grande Eglise, ne lui parais-

sait avoir ni la catholicité ni la succession apostolique ; et toute


autre Eglise nouvelle aurait les mêmes défauts ; tandis que l'Eglise Son premier
attrait
de Rome lui apparaissait comme possédant seule, de droit et de
vers l'Eglise
fait, la durée continue et l'espace sans bornes. Un mot, prononcé de Rome.

par saint Augustin à propos des donatistes, et que Wiseman venait


de rappeler dans la Revue de Dublin, lui revenait sans cesse à la
mémoire : Securus judicat orbis terrarum. « Cette simple phrase, Securus judicat
orbis
a-t-il écrit plus tard, me frappait avec une puissance que je n'avais
terrarum^
jamais trouvée dans aucune autre. Pour prendre un exemple fami-
lier, elle était comme le Turn again, Whiitinglon des carillons de
Londres, ou, pour prendre un exemple plus sérieux, comme le Tolle^
lege ; toUe, lege, de l'enfant, qui convertit saint Augustin *. »
En 18/42, Newman, sentant le besoin de se recueillir pour trou- Newman
dans
ver la lumière et la grâce nécessaires à la solution du grand problème
la solitude
qui le troublait, se retira dans la solitude de Litllemore. Quelques de Litllemore
disciples, ne (i84a-i844).
pouvant se passer de ses conseils, allèrent le rejoindre.
11 les admit à partager sa vie de silence et de retraite ; mais nul ne
put le décider à reprendre sa vie publique. Pendant plus de deux
ans, il pria, réfléchit, discuta avec lui même, envisagea toutes les
faces des questions qui l'agitaient. 11 étudia tout spécialement celle Son Histoire

du développement de la doctrine chrétienne, et commença à écrire du


développement
sur ce sujet un des livres les plus pénétrants qui soient sortis de sa de la doctrine
chrétienne.

I, Wilfrid Ward, le cardinal Wiseman, sa vie et son temps, trad. Cardon, a vol.
în-ia. Paris, if)oo.
a. Nfwman, Ilist. de mes opinions religieuses, Irad. du Pré de Saint-Maur, un vol.
in-ia, Paris, 18O6, p. i83-i83.
23o HISTOIRE GENERALE DE L EGLISE

plume '. A la fin de l'hiver de i8^5, il écrivit enfin à son ami


Pusey :«Je suis aussi près du pas décisif que si, en réalité, je l'avais
fait. » Le 8 octobre de la même année, il fit, dans son ermitage de
Liltlemore, son abjuration de la foi protestante et sa profession de
la foi catholique entre les mains du P. Dominique, Religieux Passio-
Son abjuration niste. Plusieurs de ses disciples, Ward, Dalgairns, Saint-John, pré-
(8 octobre
voyant cette issue de la crise, avaient précédé leur maître, en abju-
i84ô).
rant, les 1 3 et 1 9 août et le 2 octobre, l'anglicanisme. D'autres le
suivirent bientôt, parmi lesquels nous devons mentionner Faber,
futur oratorien, dont les œuvres, comme celles de Dalgairns, devaient
enrichir la littérature catholique du xix*^ siècle *. On a évalué à
plus de trois cents les conversions qui furent la suite immédiate de
Importantes celle de Newman, et le mouvement ne devait plus s'arrêter désormais.
coM>équences
de la
Gladstone disait vrai lorsqu'il affirmait que « l'adhésion de Newman
conversion à l'Eglise romaine ferait époque dans l'histoire de l'Eglise d'Angle-
die Newman. terre » 3 ; et plus récemment, l'un des premiers historiens d'outre-
Manche, M. Leecky, n'avançait pas un paradoxe en déclarant que,
dans l'ordre des idées, il n'y avait pas eu de plus grand événement
depuis les Stuarts *•

III

L'Eglise Dans le cours d'histoire ecclésiastique qu'il professait à Wurzbourg,


en
le futur Hergenrôther émettait une assertion pareille à
cardinal
Allemagne.
propos des événements qui se passaient à la même époque en Alle-
magne. « Depyis la Réforme, disait-il, l'Eglise n'a pas connu
d'événement plus important que l'affaire de Cologne ^. i)

I. Newuan, Hist. dudével. de la doci. chrét., trad. Gondon, un vol. in-8o, Paris,

1849.
a. Parmi ouvrages catholiques de Faber, on doit citer
les Tout pour Jésus, le
:

Saint- Sacrement, les Conférences spirituelles,


Créateur et la créature, le Précieux sang, le

etc. De Dalgairns, il faut mentionner la Sainte communion et le traité De la dévo-


:

tion au Sacré-Cœur de Jésus. Parmi les hommes éminents nés dans le


catholicisme,
l'Angleterre comptait alors le cardinal Acton, dont la science théologique et cano-

nique était justement célèbre, et l'historien John Lingard, dont ÏHistoire d'Angle-
terre,publiée en 6 volumes, était appréciée des protestants eux-mêmes.
3. Gladstone, Life of Bishops Wilberforce, t. i, p. 3a8, lettre du 10
décembre
'
»845. , ,. ,

à. Leeckt History of Rationalism, t. I, p. 169, cité par W. Ward, le


cardinal
Wisemaii, trad. Gardon, t. I, p. 458.
5. Cité par Gotau, l'Allemagne religieuse^ le catholicisme, l. II, p.
220.
L EGLISE EN ANGLETERRE, EN ALLEMAGNE ET EN FRANCE 23l

« L'alTaire de Cologne » ne fut que la suite de « l'affaife des ma-


nages mixtes >. , laquelle .avait eu ses débuts sous Léon Xll et

Pic Vin.
La cour de Berlin qui, à la réception du Bref Lltleris de Pie VIII, Suite
de l'affaire
condamnant ses prétentions, n'avait rien trouvé de mieux à faire des « mariagef
que de cacher le document au public et d'essayer de faire Hécbir le mixtes n.

pape ^ reprit la même tactique après l'avènement de Grégoire XVI.


Le personnage choisi par le roi de Prusse pour engager les pour-
parlers avec la curie romaine fut le comte de Bunsen le diplo- ; Le comte
de Bunsen.
mate à qui le pape demanda de le représenter fut le cardinal Lam-
Sa poliliq«e
bruschini Ce Bunsen, que nous avons vu, plus haut, rédiger le
. religieuse.

Mémorandum des puissances 2, était le type du protestant sectaire


et dominateur. D'une érudition abondante et touffue, « versé dans

la connaissance des anciennes liturgies, il se croyait qualifié pour

infuser une vie nouvelle aux institutions religieuses issues de la

Réforme. Il rêvait d'une grande Eglise nationale prussienne, dont


son roi serait le chef. Il dessinait, en même temps, le plan d'une
vaste colonisation protestante, semblable à la colonisation protes-
tante d'autrefois ; et l'on peut croire qu'au cours du voyage qu il

fit, en 1828, en Italie avec le prince héritier, Bunsen et le fuLUf

Frédéric-Guillaume IV avaient associé volontiers leurs imaginations


pour concerter les prochains triomphes du Dieu commun de la Prusse
et de la Réforme ^ ». Mais à Rome on connaissait le personnage.
On l'avait vu, lorsqu'il débutait dans la diplomatie en qualité de
secrétaire de Niebuhr, ouvrir, sous les auspices du roi de Prusse
et dans le palais même du ministre, une petite chapelle où l'on
avait la prétention de centraliser en quelque sorte le vrai christia-

nisme, par l'épuration et le rajeunissement des rituels, en vue de


le faire rayonner sur le monde entier *. Aussi, quand Grégoire XVI
et son délégué virent Bunsen, le plénipotentiaire prolestant, leur
demander avec instance la participation du prêtre catholique à des
cérémonies matrimoniales dont il avait lui-même fixé les rites et les

conditions, ils se montrèrent inflexibles. Lambruschini déclara, au

Voir plus haut, p. i5a.


I.
Voir plus haut, p. i'^[\.
a
3 G. GoTAU, op. cit., t. II. p. i3o-i3i. On trouve un exposé des idées reli-
gieuses de Bunsen dans son livre Dieu dans rhisloire, trad. H. ÀIartin, un vol. in-
13, Paris, 18G7.
A- NippoLD, Bunsen, t. I, p. i65.
232 HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLI^^E

nom du pape, qu'on entendait s'en tenir, sans concessions nî modi-


fications aucunes, aux déclarations de Pie VIÏI.
Les pourparlers avaient duré deux ans. La chancellerie prussienne
ne se découragea pas. Ne réussissant pas à gagner le pape, elle en-
treprit de tromper les fidèles. L'épiscopat allemand, dont elle avait
déjà éprouvé les complaisances, lui fournit quelques prélats accom-
Intngues du modanls, qui, en des termes ambigus, lui firent espérer que, le temps
gouvernement •
j i. • • • •
t^. xt^tt
de Berlin aidant, l assistance « passive » aux mariages mixtes, que Pie VllI
pour gagner avait permise aux prêtres catholiques, se transformerait peu à peu en
l'épiscopat . •
A f .

à sa cause, assistance « active »,


1
lors même que
1
les époux ne se seraient pas
conformés aux conditions posées par le droit canonique. Un moment,
le plan sembla réussir. Sans bruit, le gouvernement de Prusse allait

peupler de fonctionnaires protestants les régions catholiques, et, par


des mariages habilement combinés, travailler à leur « protestanti-
sation » lente et sûre. L'essentiel était d'obtenir l'obéissance docile
des fidèles et le silence de Rome.
Le bruit courait en effet, parmi le peuple et le clergé, d'un Bref
de Pie VIII qui s'opposait aux prétentions de la Prusse. Bunsen
La convention essaya de mettre fin à ces bruits, en élaborant, à Goblentz, le 19 juin
e Lobenz
iSS.'i, un archevêque docile, Spiegel, et son vicaire général,
avec
Miinchen, une convention qui prétendait prendre pour base le do-
cument pontifical, mais en l'adaptant, par une falsification habile
des textes, à l'édit royal de 1825. Bref, la susdite convention con-
cluait en « ordonnant aux curés d'abandonner entièrement, en cas
de mariage mixte, la demande préalable d'une promesse relative à

l'éducation des enfants ». Habilement circonvenus, et fiers peut-


être de prendre sur eux-mêmes la responsabilité d'une initiative qu'on
leur représentait comme la garantie d'une paix religieuse honorable

pour leur roi, l'archevêque de Cologne, Spiegel, et ses trois suffra-

gants de Trêves, de Munster et de Paderborn, consentirent à appli-


quer la convention de i834, en annonçant en même temps au pape
qu'ils exécutaient le Bref. Au fond, c'était tromper à la fois le peuple
et le pape.
Intervention Mais, au moment où Bunsen croyait ses positions couvertes par

L "b**^ hini
CCS artificieuses combinaisons, Lambruschini, ayant eu vent de ses
menées, lui demanda des explications. Le diplomate prussien paya
d'audace. Il poussa de hauts cris quand on lui parla de la conven-
tion de juin i83/|, disant d'abord qu'une pareille convention était

a moralement impossible», puis donnant «la certitude positive


L EGLISE EN ANGLETERRE, EN ALLEMAGNE ET E\ FRANCE 233

qu'elle n'avait jamais existé ». Il n'était pas possible de mentir plus


effrontément. Les prélats allemands, également mis en cause, n'eu-
rent pas cette audace ; mais, engagés dans une voie fausse, et n'osant Fléchissement
^' ^^'^^".^^
en sortir d'abord par
i^
un franc désaveu, ils essayèrent
"
de se justifier •'
,
(Je la province

par une équivoque. Ils avaient bien, répondirent-ils, conclu une de Cologne.

sorte de pacte, mais seulement pour interpréter, au point de vue pra-


tique, certains cas douteux.

Pour rhonneurde l'Kglise catholique d'Allemagne, un pareil fléchis-


sement de l'épiscopat ne fut ni général ni perpétuel.
Rétractalif n
A la fin de i836, l'évêque de Trêves, sur son lit de mort, entendit
de l'évèq ";
la voix de sa conscience. Honteux des misérables réticences derrière de Trêves.
lesquelles il avait abrité sa faiblesse, il écrivit au pape pour confes-
ser sa faute, rétracter ses compromissions et demander pardon.
Bunsen, aussitôt mis en cause, ne se tint pas encore pour battu,
rédigea des notes adroitement embrouillées, essaya de faire croire à
un malentendu, en appela de la déclaration de l'évêque défunt à celle
des prélats vivants. Mais ceux-ci avaient peine à se main'enir dans la
politique d'échappatoires et de faux-fuyants qu'ils avaient adoptée,
et la rétractation de l'évêque de Trêves allait bientôt trouver « sur les
lèvres d'un vivant, un impétueux écho, dont le retentissement fut
immense, dont la portée fut incalculable » ^.

IV

L'archevêque de Cologne, Spiegel, étant mort le 2 août i835, le


Election
au siège
désir du gouvernement fut de lui trouver un successeur à la fois sym- archiépisco: al
pathique au clergé et favorable à la convention de i834. H crut trou- de Gologi e
de Mgr de
ver ces deux conditions réunies dans la personne du vénérable coad- Droste-
juteurde l'évêque de Munster, Clément-Auguste de Droste-Vische- VUchering.
ring, qui, sur un signe de Berlin, fut élu par le Chapitre de Cologne,
préconisé par le Saint Père
i836, et intronisé le 29 mai
le 2 février
de la même année. La
première condition requise par l'autorité civile
se rencontrait certes dans le vénéré prélat, dont la vie
pieuse et le
zèle apostolique faisaient l'édification de tous ; mais il était moins
sûr qu'il répondît au second desideratum de la cour de Berlin. Sous
la domination napoléonienne, il n'avait pas craint de prendre eu

I. Gowu, op. cit.^ p. iG3.


23A HISTOIRE GENERALE DE L EGLISE

Caractère main la défense des droits de l'Eglise, en refusant de reconnaître des


du nouveau
prélat. chanoines nommés par la seule autorité de l'empereur ; et, plus tard,
quand le roi de Prusse avait pris sous sa sauvegarde l'enseignement
du professeur Hermès, Droste-Yischering, ému des doctrines de ce
dernier, avait interdit aux séminaristes Avestphaliens de fréquenler
ses cours. Mais l'évêque de Munster était âgé ; on le crut fatigué.
C'était une âme recueillie^ attirée par la dévotion des cloîtres ; on la

supposa craintive ou insouciante des conflits bruyants. Les gouver-


nants de Berlin ne savaient pas ou avaient oublié que le recueille-

ment des monastères avait formé le mâle courage des Athanase et des
Grégoire VII, et que la piété, qui incline les âmes vers les misères
des faibles, les aide à se redresser contre les menaces des forts. Dans
la question de l'hermésianisme et dans celle des mariages mixtes,
Dropte-Vischering ne tarda pas à se révéler comme étant de la race
des plus intrépides champions de l'Eglise.
Il peut sembler étrange, au premier abord, de considérer comme
de grands épisodes de l'histoire ecclésiastique les conflits qui s'éle-

vèrent à propos de l'orthodoxie d'un professeur de théologie, et à


propos des rites à observer dans le mariage d'un conjoint catholique
avec un conjoint protestant. On ne comprend bien l'ampleur et la

portée de ces luttes qu'en les considérant dans leurs relations avec la
politique générale de l'Allemagne à cette époque.
Dès i835, Exercer sur le monde une domination politique, intellectuelle et
rAlIemagne
rêve d'exercer religieuse : tel avait été, depuis longtemps, le rêve de plusieurs
une hommes d'Etat de la Germanie. Ce rêve, en i835, avait pris une
domination
iiniverselle forme précise ; et, sur ce point, les libéraux ne pensaient pas autre-
sur le monde. ment que les partisans de 1 absolutisme.
Les démocrates allemands, à qui la révolution de i83o avait donné
un nouvel élan, les princes, qui, dans le Biunsv^ick, la Saxe et le

Hanovre, s'empressaient de donner des constitutions à leurs peuples,


les étudiants qui complotaient dans les sociétés secrètes contre l'abso-
lutisme, et les insurgés dont s'eff'rayait Metternich, chantaient avec
le même entrain le Rhin Allemand àe Becker, arboraient avec le même
enthousiasme le drapeau de la Burschenschaft, l'étendard noir,

rouge et or, devenu le symbole de l'Allemagne unifiée, nourrissaient


le même espoir d'une Allemagne éclairant le monde. Un moment,
les princes, le roi de Prusse lui même, s'illusionnèrent, crurent réa-
liser par ce mouvement libéral la grande ambition de la race. Becker
reçut une coupe d'honneur du roi de Bavière et une pension du roi
l'église en ANGLETERRE, EN ALLEMAGNE ET EN FRANCE 2 35

de Prusse. Quelques écrivains, tels que Ranke, se montrèrent


sceptiques à l'égard de ce mouvement * mais ce furent surtout les Elle s'organise
;

sous
sociétés secrètes, depuis longtemps centralisées à Berlin, qui en mon- l'hégémonie
trèrent le défaut et qui prônèrent la réalisation du rêve allemand du roi
de Prusse
sous la direction du roi de Prusse ^. Cette organisation devait s'affir-
pour exécuter
mer officiellement en 1842, lorsque, à l'occasion de la pose de la ce rêve.

première pierre pour l'achèvement de la cathédrale de Cologne, une


fêle nationale réunit tous les princes allemands sous la présidence du
roi de Prusse. Elle était déjà un fait accompli en i835.
Dès cette époque, la Prusse avait la prétention de régenter la pen-
sée de l'Allemagne, et, par là même, de l'Europe et du monde, par Les luttes
relatives à
un enseignement officiel, et de rjgler les rites de la religion par des l'hermé-
décrets royaux. Les luttes soulevées à l'occasion de l'hermésianisme sianisme et
aux mariages
et des mariages mixtes furent deux épisodes de la campagne entre- mixtes sont
prise à cette fin. deux épisodes
delà campagne
La Prusse, devenue maîtresse des provinces rhénanes, s'était préoc- entreprise
cupée défaire déchoir Cologne de son vieux prestige scientifique, et à celte fin.

avait introduit à Bonn une élite de professeurs qui, plus spéciale-


ment placés sous la dépendance de l'autorité civile qui les avait grou- L'université
de Bonn
pés là, y donneraient un enseignement en quelque sorte officiel ^.
est investie
Parmi ces professeurs, un homme se signala par l'originalité et la d'une sorte
de mission
hardiesse de sa doctrine. Il s'appelait Georges Hermès. Catholique, officielle.
il avait été recommandé au gouvernement prussien par le prolestant
Niemeycr.
Ses Recherches sur la vérité intérieure du christianisme, publiées
en i8o5, et son Introduction philosophique, parue en 1819, accu-
saient un efi'ort de synthèse, sincère, dit-on, mais inquiétant, oij la
pensée protestante et même les pensées rationalistes de Kant et de
Hegel semblaient se fondre dans la conception d'un catholicisme
inédit. A peine Hermès avait-il pris possession de sa chaire, en 1820,
quou songea à lui pour le rectoral de l'Université. Son Introduction
positive, imprimée eu 1829, des fragments de sa Dogmatique, et sur- i.c professeur
Georges
tout la Revue pour la philosophie et la thcokgie catholiques, fondée
Hermès.

1. Voir l'opinion de Ranke dans J. B.vinvillb, Hisi. de deux peuples, un vol. in-
la, Paris, 1915, p. 220-aai.
a Les loges jugèrent que la Prusse était, de tous les Etals de l'Europe, le plu»
.

capable de réaliser leur œuvre (Deschamps, les SociéU's secrètes


•>
et h société, t. 11,
p. /400. Voir tout le ch. u, la Prusse et l'empire maçonnique).
3. Seigîiobos. Hist. pot. de VEur. contemp., p. 36q.)
236 HISTOIRE GENF.RALE DE L EGLISE

par ses disciples en i832, au lendemain de sa mort, répandirent sa


doctrine dans tous les pays de langue allemande.
L'hermésia- Celte doctrine, à son point de départ, prétendait n*être autre chose
nisme,
théologie qu'une réaction contre la scolastique trop sèche de certains théolo-
d'Etal. giens de seconde main ; mais à son point d'arrivée elle aboutissait à

un intellectualisme équivoque, qui n'avait de catholique que la déno-


mination. Faisant appel au libre examen, comme les protestants,

et n'invoquant d'autre moyen d'investigation que la pure raison,


comme les rationalistes, Hermès prétendait reconstituer l'ensemble
des dogmes définis par l'Eglise catholique. Un tel effort d'éclectisme
obtint aussitôt la faveur de la cour de Prusse, qui « s'empressa de
donner à l'hermésianisme une sorte de consécration laïque, en l'éri-
I/hermésia- geant en théologie d'Etat » *. Mais Grégoire XVI, dans son ency-
nisme
«5t condamné clique Dam acerbissimas d\i 26 septembre 1 835, condamna la doctrine
par d'Hermès comme s'écartant de la tradition de l'Eglise et conduisant
l'Encyclique
Diim à des erreurs de tout genre. Le pape faisait sienne une sentence du
acerbissimas Saint-Oiïice, dénonçant, dans les doctrines d'Hermès, de multiples
'"iQ septembre
i835). erreurs sur la règle de foi, l'essence et les attributs de Dieu, le péché
originel, la grâce et la vie future *.

Droste- Droste-Vischering, qui avait déjà, en qualité d'administrateur du


Vischering
fait exécuter
diocèse de Munster, manifesté ses défiances à l'égard de la doctrine
dans le diocèse d'Hermès, se trouvait, en prenant possession du siège de Cologne, en
de Cologne
l'encyclique présence d'un acte définitif de l'autorité pontificale. Il n'hésita pas à
pontificale. le faire exécuter. Il invita les professeurs de Bonn à se soumettre au
verdict du Saint-Siège, et enjoignit aux étudiants de déserter les maî-
tres qui se montreraient léfractaires. L'acte était grave. C'était mettre
en interdit des professeurs nommés par l'Etat, proscrire une doctrine
patronnée par l'Etat. C'était greffer sur le conflit religieux un conflit

politique. Le gouvernement menaça de prendre des mesures disci-

plinaires, allant jusqu'à exclure de 4'université les étudiants qui


obéiraient à l'ordonnance archiépiscopale. Les chefs du parti

d'Hermès proposèrent un débat contradictoire. L'archevêque ne


s'émut point de la menace gouvernementale, et n'accepta pas la dis-
pute proposée. Il n'appartenait plus à personne de discuter la cause

1. G'oTAU, op.
cil , p. 12. Cf. îbid., p. i43 i45. Pour plus de développements
sur doctrine d'Hermès, voir Goyau, op. cit., p. a-12, i43 i^iô, 166-169;
la
Kleltge», la Philosophie scolastique, t. 1, p. 432 et s. ; l'article Hermès dan» le
K'.rchenlexikon, i. V, p. 1875-1899.
2. Denzisgeh Baîj.nwart, n. 1618 1621.
l'église en ANGLETERRE, EN ALLEMAGNE ET EN FRANCE 287

iuûée parle pane. Droste se contenta d'extraire H résiste aux


d'Hermès.
u Ax^mxv. Elle D r était
11- j
^ ^ sollicitations
de l'encyclique pontificale dix-huit thèses condamnées, et demanda a etaux menaces
du
son clertcé l'adhésion sans phrases à ces condamnations. De Berlin on
D \ . gouveruerneni
insista, en réduisant toutefois les exigences. On se contenterait du pr.ssieo.

silence de l'archevêque ou, du moins, d'une demi-condamnation,


qui laissserait la doctrine hermésienne se propager d'une manière
discrète, occulte, qui lui permettrait de s'atténuer en s'expliquant *.

« L encyclique du pape est là », disait Droste. Et, sans vouloir don-


ner d'autre explication, il reprenait cette vie de prière et de bonnes
œuvres qui avait semblé au gouvernement une garantie de sa d-oci-

lité.

Le vénéré prélat ne faisait pas une réponse différente aux agents du


roi de Prusse lorsque ceux-ci lui demandaient d'adhérer aux décla-
rations gouvernementales, ou, tout au moins, de garder le silcri^ce

dans la question des mariages mixtes. « L'encyclique du pape est là »,

disait-il. Il parlait alors de l'encyclique de Pie VIIL Rapprochant la

lettre pontificale de la convention de i834, il constatait l'absolue


incompatibilité des deux actes, et, ne pouvant récuser celui du f^ape,
il condamnait celui du roi.

Mais le gouvernement voulait le silence à tout prix. Nepouvîrnt U


gouvernement
forcer rarchevcque à se taire, il résolut d'empêcher le peuple d'enten- se décide
contre
dre sa voix. Pour lui, de même que la propagande de l'hermésia- à sévir
l'archevêque
nisme était le moyen de fusionner, dans le domaine des idées, les de Cologne.
divers partis religieux et philosophiques de l'Allemagne, la multipli-
cation des mariages mixtes, entendus à sa façon, était le procédé le

plus efficace pour réahser cette fusion dans le domaine de la vie pra-
tique.On aurait alors une religion allemande, une philoso{)hie alle-
mande, comme Une patrie allemande. Mais pour arriver à ce but on
avait besoin de la compUcité silencieuse du clergé. L'archevêque de
Cologne mettait obstacle à ces plans on décida de l'interner dans ;

une enceinte fortifiée. On étoufferait ainsi sa parole, et l'exemple du


châtiment empêcherait ses collègues de l'épiscopat d'élever la voix à
kur tour

I. GoiAU, op. ci/., p. 1G8.


.

238 HISTOIRE GÉNÉRALE DE L*ÉGUSE

Arrestation Au soir du 20 novembre 1837, « la place Sainl-GérdoD, surlaquella


et emprisonne-
ment de s'élève le palais archiépiscopal de Cologne, fut, en un clin d'œil,
r.igrdeDroste- occupée par la troupe, et l'Etat prussien, sous la protection des
Vischering.
baïonnettes, fit son entrée dans l'archevêché. Le président Bodelsch-
wingh, au nom de son roi, fit évacuer le palais. On chargea le

vieillard dans une voiture ; un gendarme lui tenait compagnie ; un


autre veillait sur le siège ; et les diocésains de Cologne, le lendemain
matin, apprirent avec stupéfaction que, de par la volonté du roi, leur
archevêque, accusé « de s'être arrogé un pouvoir arbitraire » et
« d'avoir foulé aux pieds l'autorité royale», était mis au secret dans
la forteresse de Minden, au fond de la Westphalie » ^ Le silence
et l'inaction de l'épiscopat d'Allemagne à la suite de cet attentat,
sembla justifier toutes les espérances du gouvernement prussien. « Au
moment de l'arrestation de Clément-Auguste, déclarait plus tard, à
l'assemblée de Wûrzbourg, en rougissant de cette étrangeté, le cha-
noine Lennig, un fait sans précédent se produisit dans l'histoire de
l'Eglise, par suite du manque d'unité : Tépiscopat allemand ne fit

rien - »
Protestation Si un centre d'unité manquait en Allemagne, il existait à Rome.
solennelle de
Grégoire Wi C'est de Rome qu'arriva, solennelle et péremptoire, la protestation.
(lO décembre Le 10 décembre 1837, Grégoire XVI, en présence du Sacré-Collège,
1837).
se plaignit « de l'injure très grave qu'il venait de recevoir ». Au
nom « de l'immunité ecclésiastique violée, de la dignité épiscopale

méprisée, de la juridiction sainte usurpée, des droits de l'Eglise

catholique et du Saint-Siège foulés aux pieds », il exalta le pontife,

(( éminent par ses vertus », que la Prusse venait de déposer d'une


manière si indigne ^. Le 18 décembre, le cardinal Lambruschini
communiqua le texte de l'allocution pontificale à tous les représen-

tants du corps diplomatique par une lettre très solennelle.

Immense L'impression produite par cette allocution fut immense. La


retentissement
Mennais, séparé de l'Eglise, avait, d'abord dans les Paroles dua
de la
protestation croyant j
puis, plus récemment, dans un opuscule retentissant, les
pontificale.
Affaires de Rome, représenté Grégoire XVI comme audacieux contre
tout ce qui lui semblait l'erreur, mais comme timide à l'endroit des
puissants. L'attitude du pape, dans la circonstance actuelle, lui

I. GoYAU, op. cit., p. 171-173.


3. Cité ibid., p. 173.
3. Bbrna.scoki, t. II, p. 237-208,
l'église en ANGLETERRE, EN ALLEMAGNE ET EN FRANCE 289

infligeait iin formel démenti. Montalembert exulta. Il écrivit, dans


VUaivers du 29 décembre 1837, un article vibrant d'émotion,
u L'allocution du souverain pontife, disait-il, est un événement...
dont l'importance grandira à mesure que les événements se dérou-
leront... Désormais, les âmes les plus défiantes, les plus irritées,

pourvu qu'elles aient conservé quelque bonne foi, sauront à quoi


s'en tenir sur ces reproches de servilité, de connivence avec les

oppresseurs de la religion, que l'on a jetés à la face de la cour de


Rome 1 )). Montalembert disait vrai. De l'allocution prononcée par

Grégoire XVI le 10 décembre 1887, date le réveil de l'Allemagne Elle réveille

catholique. Un jeune prêtre d'Aix-la-Chapelle, réfugié en Belgique '^cathoTim^r


pour fuir l'enseignement de l'université de Bonn, le futur évêque du |)euple ,

^°^^" '

Jean Laurent, traduisit l'allocution en allemand et en expédia des ^

ballots d'exemplaires pour ses compatriotes des bords du Rhin.


Gœrres plume et, en quatre semaines, composa, sous le titre
prit la

d'Alhanasius, uu commentaire étincelant de verve du document pon- L'Athanasius


œrres.
tifical. « L'Eglise, disait-il, n'a pas été chercher l'Etat. C'est lui, au ®

contraire, qui, né après elle, est venu la trouver. Elle habitait la


maison avant lui. Elle l'y a reçu, mais à la condition qu'il garderait
la paix 2. » A côté de celui qu'on appelait déjà « l'O'Connell alle-
mand », et dont la plume, selon l'expression de Jean Laurent,
«valait quatre corps d'armée », deux théologiens, Doellinger et
Moehler, deux juristes, Moy et Phillipps, entrèrent en lice. L'élan
était donné. Le peuple catbolique, fatigué de la lourde oppression
sous laquelle l'avait tenu un épiscopat trop servile, se souleva tout à
coup en faveur du prélat emprisonné. A Cologne, la foule brisa les Manifestations

fenêtres des chanoines coupables de n'avoir pas défendu leur arche- ^n^farif*
vcque. A Coblentz et à Paderborn, on vit des hommes faire le guet, de Droste-
^i^chering.
jour et nuit, pour proléger des prêtres dont ils redoutaient l'arresta-
lion par la police. En Weslphalie, la noblesse décida de ne point
s'amuser, de suspendre les bals et les grandes soirées tant que
Droste-Vischering serait en prison. Dans les églises d'Aix-la-Chapelle,
le peuple assemblé récitait à haute voix des prières pour la libération
de l'archevêque.
Dans les sphères oflicielles, à Berlin, on était à la fois très humilié Embarras du
et très inquiet. C'était au moment oiî l'on s'était senti tout 'près du gou^»;»'-^.'" "»
de Bcrlui.

l. Montalembert, Œuvres, t. III, p 202, 254, a55,


a. GoEKHiis, Athanase, trad. française, p. ii3.
24o HISTOIRE GENERALE DE L ÉGLISE

triomphe, où les diverses confessions protestantes sans exception,


où les plus indépendants parmi les docteurs d© la Réforme, où
Schleiermacher lui-même, l'ardent champion de la liberté des cons-
ciences, venaient de se courber « sous la luteHe dogmatisante d'un
Hoheiizollern », et où, au prix de tant d'efforts, de tant de ruses, on
avait obtenu de l'épiscopat catholique un silence timide, presque com-
plaisant, c'était alors que la parole du pape troublait l'Allemagne
entière, menaçait de faire s'écrouler l'édifice patiemment construit.
Sévir ? Rompre avec le pape? Ecraser la révolte par une répression
brutale ? Quelques-une le conseillaient. Mais l'entreprise paraissait
pleine de périls. L'ambassadeur Niebuhr n'hésitait pas à critiquer la
pohtique berlinoise ; le prince héritier lui-même, Frédéric-Guillaume,
se plaignait des a faiseurs », qui avaient si mal conduit les affaires *
;

et le grand défenseur de l'ordre et de l'autorité en Europe, le prince


de Melternich, n'hésitait pas à déclarer que la fâcheuse situation d«
gouvernement prussien tenak à la maladresse de sa politique ^.
Arrestation
La cour de Berlin hésita, n'osa pas réprimer les manifestations
de l'évêque
de Posen, populaires par la force, et ne voulut point cependant laisser l'acte
Martin du pape sans réplique. Elle fit arrêter et traduire devant les tribunaux
de Dunin.
l'évêque de Posen, Martin de Dunin, pour avoir menacé de suspense
les prêtres qui béniraient des unions mixtes sansaucun engagement.
Les allocutions consistoriales du i3 septembre i838 et du 8 juillet
1839 condamnèrent avec véhémence ces empiétements du pouvoir
civil sur la juridiction ecclésiastique. Tout le petit clergé d'Alle-

magne fit écho aux paroles du pape. On vit des prêtres supprimer
la pompe du culte dans leurs églises, et des laïques s'astreindre à un
deuil permanent pour tout le temps où l'évêque serait captif. L'émo-
Emotion
produite par
tion gagnait même des âmes jusque-là mondaines ou indifférentes.
ce nouvel Le jeune Auguste Reichensperger, le futur grand orateur du Centre
aitentat.
allemand, se sentait arracher à une vie de littérateur désœuvré pour
se donner à une vie d^action et de lutte. L'Europe entière s'intéressait

au sort des illustres captifs. Montalembert écrivait à l'évêque de

Posen : « Du sein de votre prison, comme d'un sanctuaire, vous


êtes une leçon et une consolation pour toute l'Eglise ^ ». Les douze
évêques de l'Amérique dju Nord, réunis en concile à Baltimore, en

1. Rank.b, Zur Geschichte Deutschlands und Frankreichs im neunzihntm lahrhuiidertf


Leipzig, 1887, p. 366-307.
a. Mettbrkich, Mémoires, t. VI, p. 274.
3. Lecanuet, Montalembert f t. Il, p. 36.
l/ÉGLISE EN ANGLETERRE, EN ALLEMAGNE ET EN FRANCE 2^1

i84o, envoyèrent aux deux prélats emprisonnés l'expression de leur


profonde admiration.
Sur ces entrefaites, en cette même année iS/jo, Frédéric-
Guillaume III mourut, laissant le trône à son fils Frédéric-
Guillaume IV. Ce dernier, nous l'avons vu, s'était déjà rendu compte Avènement
du péril
^ de Sa pensée
r
se portait
!a situation.
r surtout sur la nécessité
(jruiilaume"J^
^, .,;
IV
de maintenir fortement l'unité du royaume de Prusse. Or, les (i84o).

derniers événements menaçaient de la compromettre gravement. Les


Weslplialiens, attribués à la Prusse par les traités de i8i5, avaient
assez Yolontiers accepté leurs nouveaux maîtres ', mais, catholiques
ardents, les vexations exercées contre leur archevêque les avaient
indignés et leur faisaient déjà regretter leur indépendance. Quant Situaiioh
^^' ''^"^
aux. Polonais,^ chez gui vivait toujours
j
le désir de l'autonomie natio- ,
x (ju rojaiime
nale, l'emprisonnement de leur évêque leur rendait plus odieuse la 'e Prusse,

domination du roi de Prusse. Décidément Frédéric-Guillaume lïl,

en voulant fortifier l'unité nationale par l'uniformité confessionnelle,


n'avait fait que [)réparer la division politique de sa nation. Frédéric-
Guillaume IV résolut de rétablir l'union politique par le rétablisse-
ment de la paix religieuse. L'évêque de Posen fut autorisé, par un Le nouveau
^oi inaugure
décret royal '^
du 20

juillet 18/io,
j ^ à rentrer
'
dans son diocèse, '
et,
'
en une politique
vertu d'un accord avec le Saint-Siège, l'archevêque de Cologne, de panfîciiioB
re igie se.
libéré de sa peine, reçut un coadjuteur qui administra le diocèse en
son nom. Moyennant ce sacrifice, auquel le pape ne se décida qu'après
de longs pourparlers, le roi accorda pleine liberté à l'Eglise catho-
lique dans le royaume de Prusse ^

vr

Les résultats de celle lutte et de ce triomphe furent incalculables.


La régénération catholique de rAUemagne date de u l'aflaire de Rcnais5ance
Cologne ». Il fut acquis désormais que la politique de la Prusse à «"^ttiollquc en
r ('gara11 r 11- ,• Allemagne.
de 1l'i?

A . . .
J Lglise catholique ne pouvait être qu une politique paci-
D'autre part, sous la pression des événements, une opinion
ficatrice.

catholique se forma, qui eut ses interprètes éloquents et ses manifes-


tations organisées. L'attitude nouvelle de l'Etat et l'activité des

1. Pour plus de détails, voir llKRGE.NKviUBa-KiHSCH, Kiri.henyfsclùchle, t. III^


V* i
ai lie, ch. XI, S 7-
Hisl. gén. de l'Eglise. — VIII 16
2

24 HISTOIRE GÉNÉRALE DE i/ÉGT.TSE

catholiques rendirent possible la créatiou d'œuvres d'éducation, de


propagande, de défense religieuse, d'action sociale et d'apologétique
scientifique, qui furent la gloire de l'Allemagne cathol'que au
xix^ siècle.
L Eglise (( C'est avec l'avènement de Frédéric-Guillaume IV que commença,
catholique
de Prusse
ni»
po^r l'Eglise de Prusse, la conquête de ses libertés. Dans les pre-
conquiert sa niiers mois de i8/|i, le seul pays germanique où le clergé pût
politique. communiquer sans entraves avec le Saint-Siège, et, sans entraves,
publier les actes de Rome, fut le royaume de Prusse. Les « Poncta-
tions d'Ems », par lesquelles les princes-archevêques du xviu® siècle
signifiaient aux nonces leur congé, devinrent décidément surannées.
L'Eglise ne fat plus une subordonnée, mais une contractante ; et,

dans son opuscule intitulé : l'Eglise et l'Etat après l'erreur de


Cologne, Gœrres prit acte de ce fait nouveau. Dans les années qui
suivirent i84i, ce fut d'une façon bilatérale, ce fut par des arrange-
ments entre les évêques de Prusse et le ministère prussien que se
tranchèrent les difficultés. Berlin proposait, ou bien acceptait, ou
bien refusait; mais Berlin cessait d^imposer. Hier, une bureaucratie,
prolestante en majorité, faisait passer ses ordres aux évêques ;

désormais existait, au ministère berlinois des cultes, une section


catholique (^KathoUscke Ahleilung)^ composée de catholiques, et

chargée de s'occuper des affaires de l'Eglise romaine. Dès le 1 1 jan-


vier i8^i, Frédéric-Guillaume IV créa celte institution. Elle assura
à la Prusse, jusqu'au KuiurkanijfJ', Ironie années de paix reli-

gieuse ^ »

Réveil
gj^ même temps les catholiques, sortis de leur torpeur, ne ces-
catholique. saient plus d'agir. « Vous avez éveillé Michel, criait aux souverains
d'outre-Rhin le poète politique HolTmann de Fallersleben ; vous ne
le rendormirez plus -. » « S'éveillant lors de l'affaire de Cologne,
écrivait Eichendorff, une merveilleuse puissance a surgi : c'est

quelque chose que personne n'a inventé, ni conduit, ni réglé, c'est

une opinion catholique ^. » Mais si personne n'avait créé de toutes


pièces celte puissance nouvelle, elle avait des interprètes éloquents.
C'était le Jeune théologien Héfélé, en appelant au peuple pour faire

rendre justice aux catholiques ; c'était le vieil évêque K.eller arrachant,

I, G. GoTAU, op. cit., p. aoS-aSg.


Saint-Re.'<é-Taillandier, Histoire de la jeune Allemagne ^ un vol. in-8", Pails,
a.
i8/i8,p. 6o.
3. Eichendorff, cité par Keiter, Joseph von EichendorJJ, p. 94.
l'église en ANGLETERRE, EN ALLEMAGNE ET EN FRANCE 243

en 1842, à la première Chambre wurtembergeoise un vote favorable

à la liberté de l'Eglise ; c'était le professeur François-Joseph Buss,

organisant, en j8/|5, dans grand-duché de Bade, un pétitionnement


le

pour la revendication des libertés religieuses. Partout, du haut en bas


de l'échelle sociale, et dans toutes les régions de l'Allemagne, un

mouvement se dessinait, qu'un orateur de cette époque n'hésitait pas

à comparer à l'agitation irlandaise sous la conduite d'O'Connell ^

des premiers résultats heureux de cette agitation se fit sentir Réforme» dan»
Un
dans l'éducation religieuse du peuple. On a critiqué les constructions ^
^
ment'^
ihéologiques de Jean-Baptisle Hirscher, professeur à la Faculté de caiéchistique.

Tubiiigue, puisa celle de Fribourg-en-Brisgau. Il faut reconnaître


qu'il s'écarte, dans l'exposé du dogme, de la méthode scolastique,
qu'il préfère suivre l'ordre historique dans l'exposé des vérités reli-
gieuses. Mais, en se plaçant à son point de vue, et, il faut rajouter,

au point de vue des merveilleux résultats obtenus par sa méthode,


sa Caiéchclique, parue en i83i, et son Catéchisme^ publié en 1845,
Jean-Baptisi^i^

sont des chefs- d'œavre de pédagogie. Le jésuite Deharbe, les prêtres g^^^

Schusler et Stolz suivront une voie un peu différente ; mais on ne Catéchisme.

peut nier que le zèle pédagogique du clergé pour l'enseignement du


catéchisme n'ait été mis en branle par les initiatives de Hirscher.
Vers la même époque, de i84o à i846, l'éditeur Herder préparait,
sous la direction des professeurs Wetzer et Welte, et avec la collabo-
ration d' Ailloli, de Héfélé et des principaux savants catholiques de
l'Allemagne, la publication du Kirchetdexlkon ou Dictionnaire de Le Kir-

[E(jlise, dont les exemplaires allaient enrichir les bibliothèques des


ecclésiastiques de l'Allemagne et des laïques instruits. En i844, le

Borromeas-Verein ou Association de Saint-Charles Borromée, s oc- Lti Borromcas^

cupait de grouper entre elles les personnes studieuses, de leur pro-


curer des livres par la fondation de bibliothèques, et d'ouvrir aux
écrivains catholiques des débouchés pour la publication de leurs
travaux 2.

L'art catholique lui-même devenait, pour ainsi dire, plus catho- Renaissance
de l'art
/ calholiq .0.
I. Lenni^, au congrès catholique de Mayence, en 18 '|8.
a. Déjà, en 1802, la grande littérature catholique s'était enrichie de la Symbo-
lique de Mœhler, œuvre capitale, qui mettait en regard, pour en faire une antilhèsô
vivanlo, la logique calholique et la logique protestante. Tout le plan de cet ouvrage
puissamment construit, se trouvait dans cette phrase de son auteur « Pourquoi :

l'Eglise catholique conçoit la justification comme elle la conçoit, et ne peut pas


la concevoir autrement, et pourquoi, inversement, l'Eglise protestante doit concevcir
la juslificcition comme elle la conçoit, c'est là ce que personne ne pénètre, faute
de comprendre l'enchûtnement organique de toutes les doctrine!, ù
344 HISTOIRE GENERALE DE L ÉGLISE

lique, OD du moins prenait une teinte plus confessionnelle. « Autour


des premiers tableaux des « Nazaréens », deux confessions chré-
les
tiennes semblaient s'être juré une sorte de trêve de Dieu une ville :

aussi protestanteque Francfort conviait le catholique Veit à venir


diriger son musée. Cette trêve est désormais dénoncée... En i845
et i846, Marlin Dcutinger, le prêtre philosophe de Munich, publie
deux volumes d'esthétique, dans lesquels il montre comment la
conscience esthétique a besoin, pour s'épanouir, de la révélation
divine. Culte et art, pour Deutinger, sont deux points culmi-
les
nants de la civilisation ; et l'esthétique elle-même invite l'art à
devenir le dévot de la révélation^. »
La renaissance La vie rayonnante du catholicisme exerçait son influence sur les
catholique
exerce
protestants eux-mêmes. L'historien Frédéric Hurter, auteur d'une
son influence Vie d' Innocent III qui avait enthousiasmé Montalembert, se conver-
sur
lei! protestants tissait à Rome en 1 844 • Plusieurs de ses coreligionnaires, tout en
eux-mêmes, restant en dehors de l'Eglise romaine, faisaient admirer sa majesté,
sa beauté, la fécondité de ses œuvres à travers l'histoire. Le poète
Novalis chantait la Sainte Vierge, et l'historien Boehmer, l'éditeur
des Regestes du vieil empire, saluait dans la papauté un préservatif
souverain coiilre le <( despotisme militaire ».

VII

L'Eglise
En racontant l'histoire du réveil catholique eu Allemagne, nous
en France,
avons eu plus d'une fois lieu de constater l'écho qu'il rencontrait en
France, parmi la jeune école dont le comte de Montalembert était

l'organe le plus éloquent. Là aussi une génération nouvelle, ardente,


passionnée pour la liberté de l'Eglise, avait surgi et s'affirmait au
grand jour. « Permettez-moi de vous le dire, Messieurs, s'écriait

Montalembert à la Chambre des Pairs, le i6 avril i844, il s'est élevé

parmi vous une génération d'homrhes que vous ne connaissez pas.


Quon les appelle néo-catholiques, sacristains, uitramontains, comme
on voudra, le nom n'y fait rien, la chose existe... Au milieu d'ua
peuple libre, nous ne voulons pas être des ilotes. Nous sommes les

successeurs des martyrs, et nous ne tremblons pas devant les succes-

l. GOTA.U, op. cil., p. 323-2^4.


L*ÉGLTSE EN ANGLETERRE, EN ALLEMAGNE ET EN FRANCE 2\5

seurs de Julien l'Apostat. Nous sommes les fils des croisés, et nous
ne reculerons pas devant les fils de Voltaire *. n

Commentée mouvement catholique s'était-il formé en France, an


milieu de quelles difficultés et de quels écueils avait-il grandi, quelle

était son action, vers quel but marchait-il ? C'est ce qu'il nous reste

à exposer, pour donner sa physionomie complète au grand ponti-


ficat de Grégoire XVI.
Juillet eussent été marqués Politîqu©
Bien que les débuts de la monarchie de
.
,

I

ru •!• religieuse d«
-
par des attaques violentes contre la religion, le roi Louis-Philippe LouJ,.
ouvertement hostile à l'Eglise. Philippe.
n avait pas inauguré une politique
Personnellement sceptique, ou, tout au moins, peu soucieux des
questions religieuses, n'en percevant aucunement la vraie portée 2,

il comprenait, par instinct et par expérience, le danger qu'il y aurait


pour le pouvoir à s'aliéner une puissance telle que celle du clergé,

à troubler la conscience des catholiques. « Il ne faut jamais, disait-il,

mettre le doigt dans les affaires de l'Eglise ; il y reste. » Il aurait


voulupratiquer,àrégarddu catholicisme, cette politique de non-inter-
venlion qui fut son programme dans les relations internationales,
m Plein de bravoure personnelle, a écrit Guizot, Louis-Philippe était
timide en politique ^. » Il laissa donc faire ses fonctionnaires, sea
ministres, ses magistrats, ses préfets, lorsque ceux-ci, imbus de pré-
jugés haineux contre l'Eglise catholique, exercèrent des vexations
locales, permirent ou excitèrent des soulèvements populaires contre
le (( parti prêtre », ainsi qu'on disait alors.
La lutte que l'Eglise avait à soutenir en France n'était vraiment .^^V^
. ,, !• • objectifs d«
pas, comme en Allemagne, une lutte directe contre
1 . 1

le pouvoir, mais 5^ lut^g

une lutte contre des doctrines et des passions envers lesquelles le gou- (lescatholic|uc#
. ... •
r •! r '
\
c^ Franc* :
vernement montrait une excessive I

faiblesse, parfois une secrète com- l'espn'i


plaisance. Ces doctrines et ces passions prenaient deux formes : celle voltairien

de l'espritvoltairien, très répandu dans les classes bourgeoises, et révoluiion-


celle du socialisme révolutionnaire, très en faveur parmi les classes nairo.

pop nlc( ires.

iMoNTALEMBERT, ŒuvreS, t. I, p. 398, ^0^.


I.
La portée de la lutte des catholiques pour la liberté de renseignement lui
a.
^cha[)pa toujours. 11 ne comprit jamais les convictions religieuses de Monlalemberl,
hillant à la Clhambre pour détendre sa foi. Il avait coutume de demander quand
M. (le ^fontalembc^l entrerait dans le» ordres. Il appellera la discussion sur !a
liberté d'enseignement « une querelle de cuistres et de bedeaux ».
3. l-onis-Philippe assistait chaque dimanche à la messe daus une chopclle, mail
lani bruit et sans cérémonie.
246 HISTOIRE GENERALE DE L EGLISE

Rïanife» talions C'est à partir de i83o que les plus grands poètes de l'époque,
diverses
de l'esprit Lamartine et Victor Hugo, tournèrent au rationalisme déiste ; et de
voluirien. bons critiques ont pensé qu'entre l'émancipation de l'imagination
qui s'exprima par le romantisme d'alors, et l'émancipation de la rai-
son individuelle qui ressuscita le voltairianisme, il n'y eut point
simple coïncidence, mais intime relation *.Un homme d'un talent
Le médiocre, au style « incolore et banal » ^, et, en même temps, d'une
chansonnier
Béranger. telle popularité que « nul écrivain de ce temps, pas même Victor
Hugo, ne put rivaliser alors avec sa gloire » 3, le chansonnier Dé-
ranger, que Chateaubriand lui-même, cédant au courant général, osa
comparer à La Fontaine, à Horace et à Tacite *, exprimait à merveille
l'esprit sceptique, gouailleur et satisfait de la bourgeoisie triom-
phante. Dans son Dieu des bonnes gens, souriant et facile, Sainte-

Beuve, sceptique à son tour, reconnaissait u un Dieu comme Vol-


taire le rêvait en ses meilleurs moments o ^. « Béranger exprimait de
son mieux les idées du bourgeois de son temps ; de là son succès ^.

Autour de lui, ce fut un déchaînement de caricatures outrageantes


pour le clergé, de pièces de théâtre dont les titres seuls étaient une
Le tLéâtre.
A la Gaîté, on jouait Jésuite au Vaudeville,
injure à la religion. « le ;

k Congréganiste ; à l'Ambigu, les Dragons et les Bénédictines, de


Pigault-Lebrun ; à la Porte Saint-Martin, les Victimes cloîtrées '^.
»

Dans la presse, le Constitutionnel, le Temps, le Courrier, le Com-


merce, avaient disparu avec le gouvernement qu'ils avaient renversé,
Lt presse.
et le Globe ne lui avait pas survécu plus de deux ans. Mais, du Journal
des Débats, qui se faisait déjà gloire de réunir dans sa rédaction les

talents littéraires les plus remarquables, au Charivari, pamphlet


périodique plein de verve et d'insolence, la presse la plus répandue,
dans le camp constitutionnel comme dans le camp libéral, sous le

style plus mesuré des uns, plus violent des autres, n'avait pas ré-

pudié l'esprit de Voltaire ; elle l'exprimait seulement d'un ton plus

1. F. BuuRETiÈRE, Manuel de Vhist. de la lUt. française, p. 454 et s.

2. La.kso:(, Hisl.de la lUt. française, 7>' édit , p. gôS.


lUd., p. 954.
3.
4.« Sous le simple tilre de chansonnier, un homme est devenu un des plus grands
poètes que la France ait produits avec un génie qui tient de La Fontaine et
:

d'Horace, il a chanté lorsqu il l'a voulu, comme Tacite écrivait. » (Ghxteaubria.iïo,


Eludes historiques, i'^ édition, préface, p. 20).
5. Sai.'^te Beuve, Portraits contemporains, nouvelle édit., Paris, i855, 1. 1, p. gS.
6. Thureau Dangin, Hist. de la Mon. de Juillet, t. I, p. aoo.
7. Lanïo.n, op. cit., p 955.
l'église en ANGLETERRE, EN ALLEMAGNE ET EN FRANCE 2l\']

cru, plus violent, sans u ce bon ton rangé et ce vernis moral de la

lieslauration », que Sainte-Beuve regrettait en i833.


l'empreinte de cet La littérature
Les classes populaires n'avaient pas échappé à
populaire.
esprit voltairien, et le succès qu'elles allaient faire, en i834, au type
de Robert Macaire /incdiinailion cynique du vice persifleur et impie,
allait en être la meilleure preuve. Mais des préoccupations plus pro-
fondes, plus sérieuses, aussitôt déviées et perverties, les avaient en

même temps et saisies et singulièrement troublées. Coïncidence


étrange, et dont pourtant la fin du xvni^ siècle avait donné
déjà

l'exemple, le paroxysme de l'impiété railleuse coïncidait avec un

irrésistible besoin d'idéal religieux. « Le sentiment religieux, écrivait

à cette époque Saint-Marc-Girardin, semble aujourd'hui errer dans la


La déviation
société comme un exilé qui va frapper à toutes les portes ». « L'hu-
du sentiment
manité attend elle se sent mal», disait à son tour Sainte-Beuve. religieux.

Qui de Dous, qui de nous va devenir un Dieu ?

s'écriait Alfred de Musset. Le besoin religieux, trouvant fermée, par


le sc('[)ticisine railleur de Voltaire, la porte du catholicisme, chercha
sa satisfaction dans le socialisme.
Ce mot de socialisme, qui, pour l'homme de nos jours, rappelle Le socialisme
idéaliste.
surtout des idées d'organisation politique, éveillait de tout autres con-
ceptions au lendemain de la révolution de Juillet. Le socialiste français,
de i83o à 1848, est ua idéaliste rêveur, qui essaie, avec plus ou moins
de bonne foi, de concilier les principes de la Révolution et ceux du
christianisme. En i83i, le Nouveau Chrislianisine, ouyraige posthume
de Saint-Simon, était devenu le manuel de son école, que dirigeaient
deux de ses Il prend
disciples, Bazard et Enfantin. Fourier avait publié ses
une forme
princi[)aux écritsLeroux avait exposé ses idées dans le Globe, et
; religieuse.
Bûchez dans V Européen. Une des dernières paroles de Saint-Simon,
sur son lit de mort, avait été celle-ci : « La religion ne peut dispa-
raître du monde î elle ne fait que se transform.' r » ; et ses dis-
ciples s étaient constitués en une sorte d'Eglise aNi.nt §e uiversdegrés
d'initiation, son culte, ses fêtes, ses dignitaires, son Père suprême ou
pape, en la personne de celui qu'on appela le Père Enfantin ^ Bûchez,
le plus près du catholicisme de tous ces chefs d'école, allait jusqu'4
dire qu'il ne voyait de salut pour la société que dans l'inflaence civi-

I. \ oit Œuvres de Saint- Simon et d'tl^ij'aatin, t. 111, p. 176 el pu^mim.


7^8 HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLISE

Bûchez.
lisatrice de l'Eglise romaine. 11 prêchait, avec la même ardeur et la

même conviction, la souveraineté du peuple, l'abolition du capital,


l'égalité sociale de tous les hommes, l'amour du devoir et la frater-

nité chrétienne jusqu'au sacrifice. Il devait avoir pour principaux


disciples : Roux-Lavergne, Réquédat, Piel, Besson, Olivaint. Roux-
Lavergne, revenu de ce qu'il y avait d'ulopique dans la doclriiîc du
maître, devint plus tard chanoine de Nîmes Réquédat, Piel ; et
Besson moururent sous l'habit de saint Dominique ^
; Olivaint, entré
dans la Compagnie de Jésus, donna sa vie pour la foi pendant la Com-
mune de Paris, en 1871 ^ ; et Bûchez, récompensé de sa droiture,
reçut un prêtre sur son lit de mort et mourut en chrétien pratiquant^.
n quoi
II ^^g pas croire cependant,
faudrait ^ ^ que
^ les socialistes de cette
le socialisme
idéaliste époque aient usé tous leurs elTorls dans le domaine de la rêverie. S'ils
®\ , n'organisèrent pas de partis politiques, ils furent, comme on l'a

le socialisme justement écrit, u les créateurs du socialisme ». « Ce sont eux qui


po iiique c
imaginèrent
^ toutes les critiques
^ delà société existante, toutes les
la gcneralion

suivante. formules, même les procédés pratiques d'action et les mesures de


réforme socialistes. Avant 18^8, on parlait déjà d'« exploitation de
l'homme par l'homme 0, de « droit au travail » de « plus-value »,
d'anarchie, de démocratie sociale, de luttes des classes, de parti ou-
vrier, d'entente internationale entre les travailleurs, d'émancipation
du prolétariat, d'organisation du travail. On proposait l'association
coopérative de production, les ateliers nationaux, le crédit gratuit,
l'impôt progressif, la journée de huit heures, la grève générale Les
partis socialistes venus plus lard ont vécu sur le travail intellectuel

de la première moitié du siècle *. »


En quoi Quant à l'inspiration généralede fraternité qui animait les diverses

tes voies H UR écoles socialistes au lendemain de la révolution de Juillet, si elle


sensualisme amena quelques disciples de Bûchez à l'orthodoxie catholique, elle
corrupteur.
^ jr '

dégénéra, avec
'ij-'ijc-ic
de saint-oimon, en
les disciples
t
un sensualisme qui
ne se contenta plus d'être théorique et aboutit aux désordres les plus

scandaleux ; et c'est à bon droit que l'historien de la monarchie de


Juillet a pu direque, « stérile pour le bien, le saint simonisme ne le fut

point pour le mal ». 11 a laissé un virus malsain, qui n'a que trop

Gautier, Vie du R. P. Besson.


I.
Clair. Vie du P. Olivaint.
7.
3. Sur Bûchez, voir Galippe, Altitude sociale des catholiques au XIX'^ siècle, uo
vol. in-i3, Paris, 1911, p. 187 191.
4. Seignobos, Hist. polit, de l'Eur. contemporaine ^ p. 686-687.
l'église en ANGLETERRE, EN ALLEMAGNE ET EN FRANCE ^/jQ

pénétré dans les veines de la nation. En voulant remplacer les

espt'rances chrétiennes par la poursuite impatiente d'un bonheur

immédiat, et en cherchant le remède à tous les maux dans le rema-


chré-
niement complet du mécanisme social.il désertait la doctrine
dont il
tienne, faite de renoncement et de respect de
l'autorité,

avait d'abord arboré le drapeau et, en voulant, par un utopique ;

désir d'é^^alité, faire répartir les fruits du travail et les revenus du

capital par voie d'autorité, il préparait la voie aux prétentions des-

poliques du socialisme d'Etat.


Par ces tendances, le socialisme de i83o lui-même, ou du moins
plus importante de ce socialisme, rejoignait le ra-
la branche la

tionalisme philosophique, dont il avait paru s'écarter, et constituait,

avec ce dernier, un grand péril pour la foi chrétienne. Bon nombre


de catholiques de France virent ce péril, et s'apprêtèrent à le con-

jurer

Vin

Un des grands instruments de propagande de l'esprit voltairien et caihoîujues


des doctrines socialistes était la presse. C'est parla presse que les ca- et U preste,

tholiqucs résolurent d'engager la lutte.


Affirmer intégralement la foi contre toutes les négations du ra-
tionalisme voltairien etcontre toutes les atténuations du gallicanisme ;

chercher, eu même temps, à défendre, contre les utopies du socia-


lisme, le bien être du peuple et sa hberté : tel fut le programme du
groupe de catholiques qui, le i6 octobre i83o, firent paraître le pre-
mier numéro d'une feuille quotidienne ayant pour titre l'Avenir, et
portant en tête cette devise : Dieu et la Liberté.
Trois journaux s'étaient déjà donné pour tâche de défendre la re-

li-iion : VAmi de la religion et du roi, le Mémorial catholique et le ^* pres«e


catholique
U Ami de . . . .
, , , ,

Correspondant. la religion et du roi, fondé en j 8^1 /j par le avant i83o.


savant auteur des Mémoires pour servir à l'histoire ecclésiastique du
z Mil" siècle, Michel Picot, avait, depuis sa fondation, groupé autour
de son laborieux et intelligent directeur, les représentants les plus
éminents de la pensée catholique : Mgr de Boulogne, l'abbé Frays-
sinous, l'ajibé Lécuy, l'abbé de Lamennais, le vicomte de Bonald.
L'abondance de ses renseignements, la conscience de son information,
contribuèrent, d'autre part, au grand succès qu'il obtint dans le
25o HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLISE

L'Ami monde calholique ^ Mais plusieurs lui avaient


reproché ses sym-
de la religion
et du roi. pathiespourun gallicanisme modéré. En supprimant une seule syllabe
de son titre, on l'appelait en plaisantant 1*^4^/ c/g la religion du roi.
•Le Mrinûrial Le Mémorial catholique, créé en 1824, était d'allure plus militante,
calliohque.
moins attaché à la monarchie, plus sympathique aux idées libérales;
mais il s'adressait à un public plus spécial, et fort diminué par l'ap-
parition, en 1829. d'une nouvelle feuille catholique, demi-hebdoma-
Le daire, Correspondant ^.Leuouyel organe, qui comptait parmi ses
le
Correspondant.
collaborateurs Louis de Carné, Franz de Champagny, Théophile
Foisset, Edmond de Cazalès, avait pris pour épigraphe le mot de
Ganning : « Liberté civile et religieuse pour tout l'univers. » Au
lendemain de la révolution de Juillet, ses rédacteurs, tous légiti-
mistes d'origine, avaient nettement déclaré séparer la cause de
l'Eglise catholique de celle des princes vaincus, et accepter tout gou-
vernement qui assurerait l'ordre en donnant la liberté religieuse.
Mais le groupe déjeunes catholiques qui reconnaissait pour chef
l'abbé de Lamennais rêvait d'uR grand journal quotidien, plus
vivant, plus jeune, plus dégagé de toute attache aux anciens partis,
plus exclusivement catholique et plus dévoué à la cause populaire.
L abbé de Lamennais, — ses disciples ne l'ignoraient pas, — s'était

montré, à ses débuts, royaliste d'exlrême-droite, théoricien de la


Los idées
théocratie, rêvant le pouvoir absolu et paternel d'un monarque
' politiques
de Lamennais soumis à la haute préémiaence du pontife romain. Mais ils savaient
au lendemain
aussi qu'ayant, en 1829, dans son livre sur les Progrès de la Révolu-
de la
lit'îvolution tion, pronostiqué la chute d'une royauté qui refusait de suivre son
de i83o. programme et appelé de ses vœux uûe révolution qui vengerait le

droit méconnu, le maître, en voyant O'Gonnell arracher à la monar-


chie anglaise la liberté de l'Irlande, les Belges conquérir leur indé-
pendance en s'aiiiant aux libéraux, et les Français renverser une
royauté coupable de n'avoir pas plus respecté les droits du peuple
que ceux de l'Eglise, avait exulté de voir ses prophéties réalisées.
Dès lors, toutes ses anciennes sympathies pour la monarchie étaient

tombées, pour ne plus renaître jamais. On a dit que les événements

1.Ces qualités en font la source la plus précieuse que l'on puisse consulter sur
l'histoire religieusependant la première moitié du xixe siècle. L'Ami de la religion
eL du roi supprima, après la révolution de Juillet, une partie de son titre, et devint
IWmi de la religion. Il parut alors trois fois par semaine, au lieu de deux fois. Voir
Ledos, à l'article Ami de la religion, dans le Dict. d'hist. ecclés.^ t. II, col. laaS.
2. Le Correspondant ne parut sous forme de Ilevue qu'à partir de i8^3.
l'église en ANGLETERRE, EN ALLEMAGNE ET EN FRANCE 25 1

de Juillet avaient été, pour Lamennais, comme up Sinaï révolution-


naire, où, au milieu des foudres, il avait cru entendre une voix
divine, qui le convertissait au libéralisme; et à la démocratie*. La
métaphore ne paraîtra extraordinaire à aucun de ceux qui ont étudié
de près cet étrange caractère, versatile et absolu, mû par ses impres-
sions quand il se croyait conduit par la logique, et toujours prêt à
prendre les inspirations de son amour-propre ou de sa colère pour
des messages de Dieu 2. Quand, en septembre i83o, l'abbé Gerbet
lui communiqua les ofl'res pécuniaires d'un écrivain obscur, liarel
du ïancrel, pour la fondation d'un journal quotidien, Lamennais Fondation
accepta avec enthousiasme. Aux motifs que nous avons fait valoir, <^u journal

le maître ajoutait sans doute celui d'avoir un organe de son école, de (octobre i83o).
sa pensée personnelle, car tous les futurs rédacteurs qui s'enrôlèrent

à ses côtés, Gerbet, Lacordaire, Montalembert, Charles de Coux,


subissaient l'ascendant de sa renommée et se préparaient à développer
ses doctrines. UAvenir, ce fut Lamennais, avec ses générosités, ses

fougues, ses excès de langage et de pensée et ses imprudences de


tactique.
Jamais, il faut le reconnaître, la foi catholique ne s'était exprimée
c:i un langage plus fier et plus vibrant. « Nous ramassons avec
amour, s'écriait Montalembert au lendemain du sac de Saint-Germain-
l'Auxerrois, les débris de la croix, pour lui jurer un culte éternel...
S'il nous eût été donné de vivre au temps où Jésus vint sur la

terre, et de ne le voir qu'un moment, nous eussions choisi celui

où il marchait, couronné d'épines et tombant de fatigue, vers le

I. Thlreau Daxgin, op cil , t. I, p. 286,


a. (( Il faut avoir vécu comme moi
clans une longue iiilimilé avec M. dft
Lamennais, M. Benoit-CLampy, pour couiprendre ce caractère étrange... Une
écrit
crédulité naive s') mêlait à un eulètement opiniâtre. Brisant le soir l'idole quïl
avait adorée matin, logicien rigoureux jusqu'aux dernières limites, c'est-à-dire
le
ju>qii à des conséquences absurdes, il devait être ce qu il a été, ultramontain et
révolutionnaire malgré ses contradictions perpétuelles, se croyant ou du moins
:

s eflorçant de se croire l'homme le plus logique et le moins versatile; cherchant


toujours sa voie, croyant toujours lavoir trouvée en changeant sans cesse. A ,

cette intelligence aussi vaste qu'impressionnable, la religion, c'est-à-dire la foi, la


Soumission à la règle étaient absolument nécessaires, parce qu'elles seules pouvaient
lui donner le calme et la sérénité. » (Benoit-Champy, Quelques souvenirs sur la mort
de M. de Lamennais, note manuscrite inédite, communiquée par M. rabbéClair,curé
do Saint-Ferdinand des Ternes à Paris.; M. Benoit Champy. l'un des exécuteurs testa-
mentaires choisis par Lamennais, est, par l«s relations de parenté et d'intimité qui
l'unirent à l'infortuné écrivain jusqu'au moment de sa mort, un des témoins les
plus autorisés de sa vie et de ses pensées Les ligues que nous venons de citer nous
semblent donner la clé de bien des problème» dans l'existence si agitée de Lamca-
nais.
202 HISTOIRE GENERALE DE L EGLISE

Calvaire ; de même nous remercions Dien de ce qu'il a placé le


Le nouvea» court instant de notre vie mortelle à une époque où sa sainte reli-
journal prend
vaillamment gion est tombée dans le malheur, afin que nous puissions lui sacri-
la défense de fier plus complètement notre existence, l'adorer de plus près. ^ » La
l'Eglise contre
les attaques
vaillante feuille dénonça les outrages au culte, les vexations des
de I iuipiété. maires ou des fonctionnaires locaux à l'égard des prêtres et des
fidèles, les faiblesses et les complicités du pouvoir avec les ennemis
de la religion. Elle alla plus loin. Le 25 novembre i83o, Lacordaire
invita les évêques à repousser les premières nominations épiscopales
faites par Louis-Philippe. Son article et celui que publia Lamennais
sur l'oppression des catholiques, furent déférés au jury, qui acquitta
Ips deux prévenus. Ils avaient ouvert, pour couvrir les frais du
procès, une souscription, où l'on acceptait depuis 5 centimes jusqu'à
5 francs ; elle atteignit vite le cl.'iffre de 20.000 francs. Ce succès
Fondation décida Lamennais à fonder V Agence générale pour la défense de la
de IWgence
liberté religieuse. Cette association devait poursuivre devant les tri-
cjcnrrale
pour la défense bunaux tout acte commis contre la liberté du clergé, maintenir le
de la libcrlr.
droit de réunion, grouper les associations locales qui se proposeraient
reliqieusù
{i83o). d'assurer la liberté religieuse. Plusieurs sociétés locales se fondèrent
en effet. Montalembert alla faire une tournée dans le Midi, où sa
parole enthousiaste gagna de nombreux adhérents à la cause de la

liberté 'religieuse ^.

En même temps, VAvenir pour parer au danger socialiste, abor-


y

UAverdr dait le problème économique et social, et prenait hardiment la


et les classe?
défense des classes populaires. De son regard pénétrant, Lamennais
populaires.
avait vu clairement que, si le « pays légal », sous le gouvernement de
Juillet, était constitué par la bourgeoisie, au-dessous de cette orga-
nisation d'ordre politique il y avait le peuple, le peuple à peu près
ignoré par la Charte, mais le peuple qui s'agitait, qui agitait des pro-
Les tbc'ories bièmes, et qui, comme le tiers état de l'ancien régime, se plaignait
économiques
de n'être rien et voulait être tout. Avec une réelle compétence, uu
et sociales
de VAvenir. des collaborateurs de Y Avenir, Charles de Coux, dénonça la mau-
vaise répartition de la fortune, l'exploitation de l'ouvrier par le capi-

Il combat talisme, et, pour répondre à certains catholiques d'alors, l'insuffi-


le libéralisme
sance de l'aumône pour remédier à la misère. Il attaqua l'économie
économique
de l'école libérale des Smith, dos Say, des Sismondi. Il l'accusa de ne s'oc-
de Smith
el de £aj.

i. Avenir an 21 février i83i.


a. Ch. Weill, llisl. du calh. lib. en France, un vol. in-ia, Paris, 11^09, p. 4o.
l'église en ANGLETERRE, EN ALLEMAGNE ET EN FRANCE 253

cuper que delà production de la richesse et nullement de sa réparti-

tion, d'attribuer au progrès iridusliicl une fin ensoi,etpar conséquent


de ne tenir aucun compte de l'ouvrier, facteur de la production, de
, le sacrifier au contraire à la prospérité matérielle, de le considérer
comme une machine qu'il faut sans doute maintenir en bon état
pour qu'elle fonctionne avec régularité, mais à qui il est permis de
demander un travail de plus en plus considérable, en l'aiguillon-
nant par ces excitants qui sont la faim et le besoin. « Les écono-
mistes, disait-il, se sont bien gardés de demander si la répartition
de la fortune publique n'a pas autant d'importance que son accrois-
sement ; car ils auraient rencontré devant eux le catholicisme *. »
Il les accusa donc aussi d'avoir tari dans le cœur des ouvriers et des
patrons les sources de la vie religieuse, et, par là même, d'avoir
brisé le plus puissant ressort du vrai progrès. En présence des
misères du peuple, les économistes, disait Charles de Coux, s'il,,

étaient seuls, « ne leur seraient guère plus utiles que ne le serait un


professeur de danse à des paralytiques » ^. Comme remède à cet état

de choses, V Avenir se proposait de favoriser de toutes ses forces les

tentatives d'associations. Il jetait des regards d'admiration sur la


merveilleuse organisation corporative du moyen âge, qu'il repro-
chait à la Révolution d'avoir anéantie, et il parlait de tenter soa
rétablissement. En attendant, il préconisait la fondation de colonies
agricoles, la combinaison des travaux industriels avec ceux de la

culture, et surtout l'intervention du prêtre dans ces œuvres, « inter-


vention', disait La Mennais, qui sera toujours nécessaire, non seule-
ment pour donner à ces associations le caractère moral d'où dépend
leur utilité politique et leur prospérité matérielle, mais encore pour
q l'un tiers désintéressé intervienne entre le riche et le pauvre- ».

IX

Malheureusement, dans ces campagnes louables en elles-mêmes, ^"^^^


f^^"
|, . . .
1 . • 1
de langage
l Avenir apportait un esprit de système,
des violences de langage et ciJedocirine
de VAvetiir,

t.Avenir du lo janvier i83i ; Mélanges catholiques, l. I, p. 107-108. Sons le


titre de Mclangcs callioliqucs extraits de l'Avenir, V Agence générale pour la défense Je
la liberté religieuse publia, en i83i, en deux vol. in-8'>, le recueil des principaux ,

articles parus dans l'Avenir. Ce recueil est devenu très rare.


2. Avenir du 3o juin i83i Mélanges catholiques, t. I, p. 85.
;
254 HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLISG

des exagérations de doctrine, qui éveillèrent de bonne heure les


susceptibilités d'une partie du clergé et qui devaient amener la con-
damnation du journal par le souverain pontife.
Le programme de l'Avenir comprenait deux parties Tune néga- :

tive, l'autre positive. La partie négative se résumait en deux points ;

pour ce qui concernait l'Eglise, sa séparation complète d'avec l'Etat ;


et, pour ce qui concernait le peuple, son émancipation de toute
îl deman<le autorité politique et sociale. La séparation de l'Eglise et de l'Etat,
la séparation
immédiale l'Avenir la. demandait entière, absolue, sans transition, sans entente
et absolue c!c préalable, avec la renonciation immédiate au budget des cultes.
l'Eglise
et de l'Etat,
Pour La Mennais, l'union de l'Eglise avec l'Etat aboutit nécessaire-
ment à son asservissement le budget des ; cultes, à sa honte et à sa

déconsidération parmi le peuple. « Le morceau de pain qu'on lui


jette est le titre de son oppression ; libre par la loi, elle est, quoi qu'elle
fasse, esclave par le traitement*. » Quant au peuple, il faut dire
que, de même que l'enfant devenu grand possède la liberté comme
son père, les peuples qui ont grandi en intelligence acquièrent le
Il prêche droit de se Conduire eux-mêmes. Ce temps est venu pour les peuples
la libération
des peuples. chrétiens; il viendra pour les autres. Et comme cette libération se

fera uniquement par l'intelligence et par l'amour, non par la force,

cette souveraineté nouvelle des peuples ne sera pas oppressive


comme celle des rois. Elle sera forcément l'amie de l'Eglise,

laquelle deviendra, « non par l'exercice d'aucune juridiction poli-


tique, mais par sa force interne et toute spirituelle, le plus ferme
appui des libertés publiques ^. »
Ilsoutient un La du programme religieux et politique de l'Avenir
partie positive
programme
de se trouvait résumée dans un article publié par La Mennais sous ce
régénération titre Ce que sera le catholicisme dans la société nouvelle 2. Dans la
:

vague
et utopique. société future, constituée par des peuples libérés et par une Eglise
indépendante, l'auteur voit s'élaborer trois choses : d'abord une
science vraiment catholique, et non plus « verbale, abstraite et

vide », comme celle du moyen âge*, qui « pénétrera assez avant dans
le dogme pour y découvrir et en dégager, en quelque sorte, les lois

I. Avenir à\i i8 octobre i83o. Cf. Lamennais, Articles publiés dans le Mémorial
calholiqueet VAvenir, un vol. in-8, Paris, i836 1807, p. i56 Mélanges catholique:^
;

t. I, p. i5o.
a. Avenir du 3o juin i83i Mélanges, t. I, p. 82. Cf. Avenir des 28 et 29 juia
;

l83o Mélanges, p, 53- 7^.


;

3. Avenir du 3o juin i83i , Mélanges catholiques, t. I, p. 70-95.


4. lOid., p. 78.
l'église en ANGLETERRE, EN ALLEMAGNE ET EN FRANCE 255

mêmes de la création », et qui, u fondée sur les lois constitutives de


l'intelligence, ramènera lesdivcrs ordres de connaissances à l'unité ^ » ;

en second lieu, une harmonie politique, qui, fondée sur l'amour,


« effacera successivemo^nt, autant qu'il est possible sur la terre, ce
qui divise les individus et les nations, qui, affranchies politiquement,
vivront d'une vie puissante et commune ^ » ; et enfin une organisa-
tion sociale telle, que le pauvre, l'ouvrier, le travailleur, loin d'être
les parias de la société, deviendront dans la réalité ce qu'ils sont
dans la vraie conception du christianisme, les amis du prêtre, « les

privilégiés du Christ, qui fut pauvre et souffrant lui-même, du Christ


qui a dit: Heureux ceux qui pleurent^. »

Des a[)plications particulières de ce programme en soulignèrent _


Les
,
. . , T-v 1 . , « six liborté»
vivement les parties utopiques et dangereuses. Dans deux articles cssentiellci» ».

intitulés : Del avenir delà société^, le directeur àe Y Avenir récla-


mait sans retard, du gouvernement, six libertés principales : i° la

liberté de conscience, pleine, universelle, sans distinction comme


sans privilège ;
2° la liberté de l'enseignement, promise par la

Charte ;
3° la liberté de la presse, car il faut avoir « foi dans la
vérité, dans sa force éternelle » ;
4** la liberté d'association, qui est
de droit naturel ;
5" la liberté de l'élection, qu'il faudra faire péac-
trer « jusque dans le sein des masses » ;
6° la liberté des provinces

et descommunes par la décentralisation.


Un pareil programme contenait de bonnes réformes. Mais il était
dominé par un principe dont V Ami de la Religion avait déjà relevé
l'erreur. « La vérité est toute-puissante, disait La Mennais. Ce qui Le pnnci^,e
retarde le plus son triomphe, c'est l'appui que la force matérielle
essaie de lui prêter 5. » L'inquiétude suscitée par ce programme
augmenta quand on vit le directeur de Y Avenir tenter de réunir
dans une vaste fédération, non seulement les catholiques de France,
de Belgique, d'Irlande, de Pologne et d'Allemagne, mais encore les
libéraux de tous les pays. Un « Acte d'Union » fut rédigé à cette
^\n, que les rédacteurs de V Avenir appelèrent, avec une manifeste
présomption, la « Grande Charte du siècle^ ». Les gouvernements

I. V Avenir du 3o juin i83i ; Mélanges catholiques, t. I, p. 70.


a /6ic/ , p. 81.
3. /6t(/., p. 85.
4.Iliid., p. 53-75 Avenir des 28 et 29 juin iS3i. ;

5.Avenir du 18 octobre i83o Mclanges calh., t. f, p. i45. ;

6. BouTARD, Lameniais, t. II, p. 189-215.


256 HISTOIRE GENERALE DE L EGLISE

s'cmureat. Plusieurs virent dans le projet de La Mennaîs une sorte de


L" (( Acte Charbonnerie nouvelle, et le dénoncèrent à Rome. Une pareille agi-
d'Union »
entre
talion, réunissant dans raffirmation des mêmes aspirations et vers
'S libéraux dos un but très suspect de libéralisme révolutionnaire, des catholiques
divers pays
d'Europe.
et des non-croyants, ne pouvait qu'être mal vu par le Saint-Siège ;

et, comme l'a fort bien dit le dernier historien de La Mcnnais, les

écrivains de l'Avenir, « en signant, avec trop peu de réflexion et de


prudence, Y a Acte d'Union », avaient signé eux-mêmes, en quelque
Dangers sorte, leur propre condamnation * ». Des protestations s'élevèrent de
d'une pareille
France et d'Italie ; beaucoup d'évêques manifestèrent leur désappro-
organisation.
bation ; beaucoup d'abonnés refusèrent le journal ou ne lui renouve-
lèrent plus leur concours. Un article aussi maladroit que violent
contre les carlistes d'Espagne, qu'on accusait de « sacrifier Dieu à
Violence leur roi », et de « dégrader leurs autels jusqu'à n'être plus qu'un
de langage
trône^)), exaspéra les royalistes de louslespays. La Gazelle de France
à l'égard des
monarchistes. se joignit à ï Ami de la Religion pour attaquer V Avenir, multiplier
contre ses rédacteurs les plus perfides insinuations 2. Les désabonne-
ments augmentèrent. De trois mille, le nombre des abonnés tomba à
quinze cents. La caisse du journal, mal administrée, se vidait. En
mai i83i, on dut avoir recours à un pressant appel de fonds,
adressé à des amis de France et de Belgique. Quelques disciples se
séparaient du maître, a J'ai appris avec peine, écrivait à La Mennais,
le II juin 1 83 1, l'abbé Prosper Guéranger, que Léon (Bore) vous a
h* Avenir quitté. )) D'autres, au contraire, sentaient leur ardeur redoubler dans
abandonné
r.si

jiar un grand
la lutte. Dans cette même lettre, l'abbé Guéranger ajoutait : «J'es-
nombre père travailler toujours sous votre direction, et me rendre digne, de
de ses lecteurs.
plus en plus, de la bienveillance que vous m'avez toujours témoi-
gnée ». Et le jeune et ardent chanoine du Mans lui annonçait
l'envoi d'un livre qu'il venait de publier sur l'abolition des
concordats, espérant que « ce livre, en fixant un peu les idées du

BouTARD, Lamennais, t. lî, p. 21 5.


1.
Avenir du 18 février i83i,
2.
3. Le chanoia'; Sibour, futur archevêque de Paris, écrivait de Nîmes à La Men-
nais, à la date du i3 novembre i83i « J'ai besoin d'épancher mon coeur auprès
:

de vous. Les plus pures intentions sont méconnues. Les calomnies s'accumulent.
Un évèque écrit à un de ses prêtres « Je sais que vous êtes de cette secte de pres-
:

bUériens, qui ne veut plus de hiérarchie »... 11 n'y a qu'à voir les armes dont (vo»
aiversairos) se servent les intrigues, les insinuations, les outrages, la cr.lonmie. »
:

(Lettre inédile, Archives du Séminaire de Saint-Sulpice). Cf. Boutard, op. cit.,


t. II, p. 244-348.
L*ÉGLISE EN ANGLETERRE, EN ALLEMAGNE ET EN FRANCE 267

clergé, préparerait le grand œuvre de l'abolition des concordats en


i'rance K »

Mais les actionnaires de VAvenir, réunis en assemblée à Paris, le

1 1 novembre, ne se firent pas illusion sur la gravité de la situation du


journal. A l'unanimité, ils déclarèrent que, si « la position maté-
licllc de l'entreprise permettait de la continuer pendant plusieurs
mois », la suspension du journal leur paraissait « impérieusement
réclamée par l'intcrét, bien plus cher à leurs veux, des doctrines ^\ suspension
défendues par \ Avenir » -. En conséquence, dans le numéro du (novembre
annoncèrent que i83i).
i5 novembre i83i, les rédacteurs de la feuille

« pour avancer, autant qu'il dépendait d'eux, le moment si désiré


(jui calmerait toutes les consciences, trois d'entre eux, l'abbé de La
Mennais, l'abbé Lacordaire et le comte de Montalembert, partiraient
immédiatement pour Rome. Nous sommes condamnés à Rome,
«

dit-on, s'écriaient les membres du comité de rédaction. Eh biea,


c'est à Rome que nous irons entendre notre arrêt, prosternés devant
h\ chaire de saint Pierre ^. »

I. A. KuussEL, Correspondance inédite de Lamennais et de l'abbé Guéranger (iSao-


iS32), brochure de 28 pages in-12, Lyon, 1906, p. 20-21. Cette « correspondance
i;iiHlite )) a été reproduite par A. Roussel dans son ouvrage Lamennais et ses correS'

fondants inconnus, un vol. in-18, Paris, 1912, p. 189 281. L'abbé Prosper Guéran-
ger avait été un des botes de la Gbênaie et collaborait à VAvenir. L'auteur de Dom
(îuéranger, abbé de Solesmes, 2 vol. in 8, Paris, 1909, dit justement que l'abbé
(«uéranger en s'attachant à La Mennais, vit surtout en lui «le chef incontesté et
vénéré de l'école ultramontaine » ^^t. I, p. 44l ; mais il est moins exact en affirmant
qu' « il était fort éloigné d'épouser son système philosophique » doc. cit.). Aladate
du i5 mars i83o, Prosper Guéranger écrivait à La Mennais: «.La guerre contre le
^c'ns commun yc'est à-dire contre le système philoso^yhiqne de V Essai sur l indifférence)
i !ses conséquences est toujours flagrante à Saint-Sulpice. Carrière vient do M
PK.tlrc la dernière main à son in-folio de l'aiinée dernière... Du reste, c'est le plut
î.jyal de vos adversaires. H vous a lu et relu il vous sait même par cœur. Seulement,
;

il ne \ou8 entend |)as, et tout fait craindre qu'il ne vous entende jamais. » iRolssel,

<;/). cit., p i4). L'abbé Rc^hrbachcr, autre collaborateur de VAvenir, attire vers
L.T Mennais, comme l'abbé (juéranger, parle désir de défendre les doctrine» ultramon-

l.imes et de combattre le gallicanisme, avait au^si adhéré aux doctrines philoso-


j'ui-jues du maître. 11 a raconté dans la préface de la seconde édition de son
llisloire-de VEglise, comment en 1828, il s'en détacha ^Rohrbacher, Hist unicer-
^.llc de l'Eglise caihuUque, 7c édition, Paris. Gaume, p. xiv). Des jésuites, entre
.'.lires le P. Rrzozowski, assistant du Général, avaient aussi été attirés veis le»
doctrines de La Mennais par son antigallicauisme et son antiralionalisme. Aucun
J'cux ne le suivit dans sa défection. Voir BuKSicuon, op. cit., t. U, p. x3-46.
2 Avenir du i5 novembre i83i.
3. Ibid.

llisl. gcD. de 1 Eglise. — \l\l 17


258 HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLISE

Pendant longtemps, alors que l'on n'avait guère, pour se rcnseî-


La Mennaîs, gner SUT les détails du voyage des trois pèlerins, que le livre de f.a

et
Mennais sur les Affaires de Rome et la correspondance incomplète
Montalembert de ses deux compagnons, le récit de cet épisode important dans
l'histoire de l'Eglise au xix^ siècle, a été fait trop souvent en des
termes peu favorables à la renommée du pape Grégoire XVI. On
a représenté l'illustre écrivain attendant en vain, pendant deux
mois, la réponse qu'un pontife « pieux, mais ignorant de l'état

de. l'Eglise et de l'Etat de la société, immobile dans les ténèbres


qu'on épaissit autour de lui », lui refuse obstinément. L'indigna-
tion du prêtre ainsi méconnu déborde lorsqu'il apprend que les

cabinets de Vienne, de Pctersbourg, de Paris, de presque toute


l'Europe, effrayés de son républicanisme, pèsent sur le pape, exigent
sa condamnation. Il quitte Rome, indigné et aigri, et les termes
violents de l'encyclique M/raW vos, qui le condamne, détermin^^nt
en ce tempérament impressionnable et fier, qu'on a tout fait pour
exaspérer, une révolte qui, si coupable qu'elle soit, peut invoquer,
dit-on, des circonstances très atténuantes.

Ce tableau ne peut plus être fait en présence des documents que


les archives publiques et privées ont récemment mis au jour ^ La
gravité de la question nous paraît justifier quelques développements
à ce sujet.
En réalité, Grégoire XVI, qui n'était nullement, — on a déjà eu
l'occasion de le constater, - l'esprit étroit, inflexible et mal informé
qu'on a voulu voir en lui, n'avait pas attendu l'arrivée à Rome des
Enqiiête trois rédacteurs de V Avenir pour examiner à fond les graves questions

tle dogme, de morale, de politique religieuse, soulevées par ce jour-


Gr'é-oire XVI.
nal. Trois principaux personnages furent consultés par lui : le

P. Ventura, général des Théatins, chez qui La Mennais devait rece-

voir l'hospitalité pendant son séjour à Rome 2, le cardinal Lam-

I. Notamment les documents découverts aux Archives du Vatican et à celles dvl

ministère des Affaires étrangères de France, publiés par le P. Paul Dudox, dans
6on Lamennais et le Sa'vd Slèje, un vol. in-8, Paris, 191 1.
livre r , • •

a BouTARD, op. cit., t. H, p. 261 Rastoul, le P. Ventura. La Mennais fut si


;

direction de sa
touché de l'accueil gracieux du bon religieux, qu'il lui confia la
conscience pendant son séjour à Rome.
l'église E5 ANGLETERRE, E^f ALLEMAGTïE ET EN FRATfCE 269

bnischini, ancien nonce à Paris et par suite très informé de l'état

des esprits en France, et le prêtre Baraldi, de Modène, ecclésiastique


savant et pieux, fondateur d'un journal sympathique au groupe de
la Chênaie. Nous avons leurs réponses écrites. Ventura déclare que
l'abbé de La Mennais est un « génie extraordinaire » et que sa vie

« est irréprochable », mais que plusieurs de ses théories sont dange-


reuses, et « qu'il faut bien se garder de lui donner ou de lui pro-
mettre une approbation écrite de ses doctrines. Ses amis en abuse-
raient * ». Lanibruschini estime qu'il vaut mieux ne pas répondre à
La Mennais. 11 vient à Rome chercher un triomphe ; il ne faut pas
le lui donner ; il va faire au pape une sorte de sommation, il n'est

pas de la dignité du pape d'y répondre ^. Baraldi est d'avis qu'il


convient w de bien accueillir La Mennais, de confesser qu'il a raison
en certaines choses », mais il trouve que ses thèses sur la souve-

raineté du peuple u bouleversent la constitution de l'Eglise et de la


société )) et qu'il convient de le lui faire comprendre ^.

Quelle est, d'autre pari, l'attitude des rédacteurs de V Avenir? Sourd*

L'abbé Vuarin, qui a vu La Mennais à son passage à Gênes, écrit :


jeLaMennaU.
« Pendant trois heures, nous l'avons entendu colérer... Il va à Rome
pour convertir le pape... Son hérésie politique pourrait bien le jeter
dans l'hérésie religieuse *. »

Arrivés à Rome, les trois journalistes rédigent un mémoire dans


lequel ils pressent, avec une insistance qui paraît excessive, le Saint-
Père dé se prononcer: « Le silence du Saint-Siège, disent-ils, aurait
pour eilet d'ailaiblir le courage de ceux qui lui sont dévoués .. Le
du Saint Siège serait regardé comme une condamnation...
silence
Une immense partie de la population... s'éloignerait de la religion,
avec plus de haine que jamais Une commission de théologiens ^. »

est nommée pour étudier le mémoire; et, pendant que ces théolo-

giens délibèrent gravement, La Mennais, de plus en plus aigri et


impatient, écrit : « L'un des plus beaux jours de ma vie sera celui où
je sortirai de ce grand tombeau... La mission de la papauté est de
hâter les dernières destructions qui doivent précéder la régénération
sociale... Dieu sauvera le catholicisme par les peuples^. » Gré-

1. DuDON, op. cit., p. ia7-i3a.


a. Ibid., p. 1 33-1 35.
3. Ibid., p. i35- 137.
4. Revue des Deux i\fon<les du i"" novembre i9o5, p. 191.
5. DuDON, p. i/j8 1^9,
6. BouTAHD, np. c/r.'p. 282-284.
26o UISTOIRE GENERALE DE L EGLISE

Tactique goire XVI fait prévenir La Mennais, par le cardinal Pacca, que

du pape l'examen de ses doctrines, devant être « aussi profond que réfléchi »,
« ne pourra pas être fait de sitôt », et « qu'il peut retourner en
France avec ses collègues » *. Lacordaire seul comprend ^. La
Mennais s'obstine. 11 déclare que cet examen approfondi est un
triomphe pour sa cause, et qu'il veut rester à Rome pour a fournir
Obstination les explications indispensables, répoudre aux objections ^ ». Une
La Mennais. audience du pape, qu'il obtient le i3 mars 1882, et dans laquelle
Grégoire XVI ne dit pas un mot de l'affaire en question, est inler-
prêtée par lui comme une seconde victoire *. Il ne parle plus à ses
amis que de son projet de reprendre la publication de V Avenir, et,

loin d'abandonner ou d'atténuer aucune de ses idées, il les accentue


en écrivant un volume de trois cents pages sur les Maux de t Eglise
£t de la société et les moyens d'y remédier. Toutefois, le silence du
Saint-Père, les divergences qui s'accentuent entre lui et Lacordaire ^,

le peu d ardeur qu'il trouve dans Montalembert lui-même, l'inaction,


kl séparation de ses amis de France, des difficultés financières *^, le

peu de zèle qu'il rencontre auprès de l'ambassadeur de France pour


soutenir sa cause, l'irritent,, le troublent. L'apparition du Bref ponti-
ficaldu 9 juin i832, recommandant aux Polonais la soumission
envers la Russie, met le comble à son irritation. Le i^"^ juillet, il
écrit à son frère que, considérant sa mission comme finie, il va
quitter Rome. Il quitte Rome, en effet, le 9 juillet i832, et se rend
avec Montalembert à Munich, où il retrouve Lacordaire.

I. DuDOH, op. i54-io5.


cil.
y p.

a, Montalembert, t. II, p. a85. Le départ de Lacordaire était résolu


Leganuet,
avant la lellre du cardinal Pacca (Bla.iz£, Œuvres médites de Lamennais, a vol. in-80,
'Paris, 1866, t. II, p. 98).
<3. Dldon, op. cit., p. i58.
Tj. Ibid., p. 1G0-161.
"5. « reprise de ['Avenir, écrit Lacordaire à, G erbet, le 25 juin 1882, me paraît
La
'eu opposition avec l'acte qui l'a suspendu, et destructive de l'autorité que M. de
La Mennais s'est acquise auprès des catholiques. » Le 26 août, il écrit au même que
:{&reprise de V Avenir « qui est imminente », lui parait « tout à fait fatale et inexé-
cutable à la fois ». u Je m'éloigne, dit-il, pour n'être ni collaborateur, ni témoin, ni
ennemi d'une œuvre qui m'afflige». (Lettres inédites, communiquées par M. l'abbé
Michel Even, missionnaire diocésain de Paris).
6. Une .turairie classique ^f^meafairc, où La Mennais avait placé ses capitaux, venait
de tomber en aéconfiture, et l'un des créanciers venait d'obtenir du tribunal un
jugement entraînant la contrainte par corps de l'imprudent commanditaire. Une
lettre écrite par La Mennais, le 3i juillet 1882, de Venise, nous apprend qu'à cette
-date ses affaires financières n'étaient pas encore arrangées, et qu'il attendait un
«irrangement, pour retourner en France (Lettre inédite, communiquée par M. l'abbé
Clair).
l'église en ANGLETERRE, EN ALLEMAGNE ET EN FRANCE 26 1

Cependant un fait important s'était produit, qui allait déterminer La « cenrir»

le pape rompre le silence plus tôt qu'il ne l'avait prévu. Avant


à Toulouse»,
même que l'examen des doctrines de VAvenir eût commencé à
Rome, des prélats français, à la tête desquels se trouvait Mgr d'As-
tros, archevêque de Toulouse, avaient, avec le concours de trois

prêtres de Saint-Sulpice, MM. Carrière, Vieusse et Boyer, dressé un


catalogue des erreurs théologiques qu'ils avaient découvertes dans
VEssai sur l'indifférence et subsidiairoment de quelques propositions
blâmables prises dans les théories politiques et sociales de VAvenir L
Ce catalogue fut envoyé à Rome le i5 juillet 1882. Les prélats de-
mandaient au pape de vouloir bien confirmer leur jugement « autant
et de la manière qu'il le trouverait convenable » *. Cette intervention
de l'ppiscopat rendait urgente la décision de la commission pontifi-
cale. Cette décision, déjà préparée par de longues études, fut aussilùl
donnée. A l'unanimité, les consul teurs furent d'avis que le pape ne
pouvait plus longtemps garder le silence. Toutefois, en flétrissant les
idées menaisiennes, le pape, selon eux, agirait prudemment en ne
point nommant Le 9 août ils présentèrent au Saint-Père
leur père 3.

une note rédigée en ce sens et accompagnée d'un projet de Lettre


apostolique conforme à leurs conclusions. C'était l'ébauche da
l'encyclique Mirari vos que Grégoire XVI publia le i5 août 1882 *.

Une correspondance relative à celte afTaîre, dite de la « censure de Toulouse >»,


I,

est conservée aux Archives du Séminaire de Saint Sulpice. Cette correspondance a


été déjà utilisée par le P. Dudoii dans son ouvrage sur Lamennais et le Saint-Siège.
a. DcDO!», op. cit., p. 176-177,
3. Ibid.,^. i84-i85.
4 Dans son
livre sur les Affaires de Rome, La Mennais présente l'encyclîqnd
comme ayant été rédigée sous la pression de la diplomatie européenne, en particu-
lier (lu prince de Melternich. L'assertion est inexacte. Voici les faits, tels qu'ili
•ont établis par les documents conservés aux archives diplomatiqties. II est vrai qu S
la date du a décembre i83i, Melternich envoya à Lûtzow, ambassadeur d'Autricha
à Rome, une longue note pour se plaindre de deux hommes, La Mennais et Cha-
teaubriand. Il accusait particulièrement La Mennais de confondre, dani VAvenirf
C l'égalité évangélique avec l'égalité sociale », de faire, sous le prétexte d'une œuvre
religieuse, une œuvre révolutionnaire Le Saint-Père fit répondre à Melternich
qu en eflTel VAvenir avait des tendances révolutionnaires, et qu'il saurait distinguer,
« dans celle affaire, ce qui est religieux de ce qui est politique ». Après l'apparition
de l'encyilitpie Mirari vos, Metlernich regretta de n'y pas voir une consécration
aullicntique des principes de la légitimité. Cf. P. DtDon, op. cit., p. 118, lao, 20&.
262 ~
HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLÎSB

XI

L'encyclique Le document pontifical, accompagné d'une lettre du cardinal


P^cca, parvint à La Mennais, le 20 août, par l'intermédiaire de la
(i5aoûu832).
nonciature de Munich, au milieu d'un banquet que les principaux
savants et littérateurs de la capitale bavaroise offraient aux trois
représentants de V Avenir. Le premier mouvement de l'illustre écri-

vain fut celui d'une obéissance complète. Après avoir pris connais-
sance de l'encyclique, il se contenta de dire à voix basse à ses deux
collaborateurs : une Lettre du pape contre
« Je viens de recevoir
nous; nous ne devons pas hésitera nous soumettre ». Revenu en
France, il s'empressa, dès le 10 septembre, de signer et de publier,
conjointement avec les rédacteurs de l'Avenir, membres du Conseil
Soumission ^q V AqencB Générale pour la défense de la liberté reliqieuse, une
des rédacteurs . .. . ..
de l 'H venir, déclaration de soumission. YJ Avenir, provisoirement suspendu, ne
paraîtrait plus ; VAcjence était dissoute. Ces déclarations furent bien
accueillies à Rome, et le cardinal Pacca en félicita l'abbé de La
Mennais au nom du pape.
Cependant la nouvelle encyclique faisait l'objet, de part et d'autre,
de commentaires passionnés. L'attention des amis de 1*^4 ve/iiV, comme
celle de ses adversaires, se porta surtout sur quelques passages où
le libéralisme, dans les divers articles de son programme, liberté de
conscience, liberté de la presse, liberté des cultes, était vivement
condamné; et, de nos jours encore, quelques historiens semblent n'y
pas voir autre chose. C'est méconnaître l'ampleur de la fameuse
Lettre pontificale. Elle commençait par formuler, en termes discrets,

fermes, toutes les grandes et justes plaintes dont les rédacteurs de


Analyse Avenir avaient saisi l'opinion. Ils avaient gémi sur la décadence
\'
de
rencYclique. de la liturgie catholique, flétri les blasphèmes de l'impiété rationa-
liste, déploré les empiétements de la politique humaine sur le do-
maine intangible de la conscience religieuse, dénoncé le relâche-
ment des liens qui doivent unir tous les membres de l'Eglise au
souverain pontificat de Rome. Ils avaient protesté avec force contre
la corruption de l'enseignement donné à la jeunesse par les maîtres

de l'Université. Ils avaient mis à jour l'imprudence de ces monarques


qui, en secouant le frein de la religion, préparaient la chute de leurs
propres trônes, et montré le péril de ces sociétés secrètes qui recueil
l'église eh ANGLETERRE. EN ALLEMAGNE ET EN FRANCE 203

laient en elles tous les éléments de désordre pour saper les instilu-

lions religieuses et sociales*. L'encyclique M/ran vos se faisait l'écho


autorisé de toutes ces réclamations.
« C'est le cœur pénétré d'une profonde tristesse, disait le Saint- Elle se fait

Père, que nous venons" à vous... pour vous parler de ce dont nous j^ toutes les
pleurons et gémissons ensemble... La majesté du culte divin est rovendicaiiom
/
tournée en dérision par des
ir • • 11hommes pervers... T
Les
1
lois

de
1 i»r»
1 Lglise,
!• létritimes
exposées
ses droits, ses institutions, ne sont pas à l'abri des insultes'dfes dans l'Avenir,

langues d'iniquité... On attaque avec acharnement cette chaire


romaine... Les liens de l'unité se relâchent... L'autorité de l'Eglise
est piétinée par la politique humaine... La jeunesse est corrompue
par les leçons et les exemples des maîtres... Lorsqu'on a secoué le

joug de la religion divine, que peut-on voir se préparer, si ce n'est...

la chute des princes et le renversement de toute puissance légitime?


El ces calamités accumulées proviennent surtout de la conspiration
de ces sociétés où s'est écoulé ce qu'il y a, dans les hérésies et les
schismes, de plus sacrilège. » Le pape dénonçait ensuite, en des
termes dont l'auteur de V Essai sur VindlJJérence n'avait jamais dé-
passé l'énergie, « cette source infecte de l'indifférentisme, hic puti- W^is elle

dUsimus indifferentismi fons », d'où sortaient les maux dont souf- ^^ i^ nberié

fraient l'Eglise et la société contemporaine. El il signalait en parlicu- d'opinion

lier comme découlant de cette source: i" cette u liberté d'opinions et entière •
pleine et sans bornes, plena illa atque immoderata libertas oplnlo- et « l'ardeur

nuni », qui, « contre tout bon sens, permet de laisser se répandre, d'une
vendre et boire même tous les poisons, sous prétexte qu'il existe indépendance

contre eux quelque remède " *


», et 2* cette « ardeur sans freins d'une «i la
indépendance audacieuse, efjrenata procacls lihertalis cupidllas », Hcgligence
~ • ' • •' •
r-i- •» T .1 1'^, /•/ î des princes ï
qui « n aspire qu a pouvoir se féliciter avec Luther d être libre à proiéeer
léijard de tous ». Le pontife terminait son encyclique en recomman- « la religion

dant aux princes de « mettre tous leurs soins à maintenir intacts la envers Dieu»
religion et la piété envers Dieu, in eani potissimum curam incum-
haiit ul incolumis sil religio et pielas in Dcum » *.

Telle est, dans l'ensenihlc de sa teneur, cette encyclique célèbre, En somme


OLi l on a affecté souvent de considérer la condamnation en bloc de co'mlanlne*
toute la société moderne, mais où l'on ne doit voir que la con- ft l'Eui laïque
re>o u-
daamation de « l'Etat révolutionnaire et laïque », et où il est juste de tiODuairc ».

I. Voir, dans ï Avenir du 28 avril i83i, l'arlicle de C. de Ceux, Des sociétés


lei, fu'i
L.èlt's en lume
Italie Mi'l. cain.,
luci. calh., i. Il, p. 3o 4o.
t. ii,
;
,
p
a. Bbhn.vsco.m, t. I, p. 161) 174
264 HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLïSE

reconnaître, en conséquence, avec un écrivain de nos jours, la simpla


réaction, énergique sans doute, mais nécessaire, du « bon sens, ins-
truit par la notion de société « contre la prétention de quiconque,
prince ou peuple, prétendrait « que le libre conflit des idées, vraies
ou fausses, est un bien en soi » *, que le droit à la révolte est un droit
permanent des peuples, ou que l'oubli des droits de Dieu est permis
aux rois.

Ni La Mennais ni YAvenir n'étaient nommés dans l'encyclique.


C'était d'abord pour ménager
personne du grand écrivain, qui
la

pouvait, en s*amendant, rendre encore d'importants services à l'E-


glise 2. C'était aussi pour montrer que
doctrines condamnées les

étaient moins des doctrines expressément et textuellement professées


par l'école de l'Avenir, que celles où devait logiquement conduire la
voie dans laquelle elle s'était engagée K
Malheureusement la prudente réserve du Saint-Père ne fut pas
imitée par tous. Le mot d'ordre donné par Mgr d'Astros aux
soixante-trois évêques signataires de la censure de Toulouse: a Gar-
der le silence pour ne pas irriter les écrivains censurés », ne fut pas
observé par tous les prélats. Quelques-uns exigèrent des ordinands
« le serment de réprouver les doctrines de M. de La Mennais et de se
conformer à la censure des évêques *. » Mgr d'Astros lui-même,
ayant reçu du pape un bref exprimant le vœu que a ses jugements
fussent acceptes d'une façon sincère et absolue », écrivit au cardinal
di Gregorio : « Je ne pense pas aller contre les intentions de Sa
Sainteté en laissant publier ce bref dans les journaux ». Le docu-
ment parut en effet, le 20 juillet i832, dans VAmi de la Religion . et

fut fiévreusement discuté dans la presse.


Celte publication était peut-être nécessaire. Elle fut fatale. Des

I. Georges GoTAU, la Papauté et la civilisalion, un vol. in-ia, Paris.


a. Le cardinal di Gregorio, en communiquant au nonce à Paris, par une lettre
du 18 août i832, Tencyclique Mirari vos, lui écrivait « Le Saint-Père, voulant :

éviter l'occasion d'irriter un homme célèbre qui pourrait faire beaucoup de bien,
a jugé à propos, dans sa sagesse, de donner une réponse indirecte qui suiïira à lui
faire comprendre que ses sentiments sont en opposition avec ceux que Sa Sainteté
recommande à tous les évêques ». (Lettre inédite. Archives de Saint-Sulpice.)
3. Le P. Lacordaire a toujours prétendu, pour ce qui le concerne, qu'il n'avait
jamais entendu soutenir, dans l Avenir, la thèse de « la liberté religieuse prise dans
un sens absolu », laquelle, dit-il, « est manifestement absurde » mais il reconnaît ;

les « exagérations répréhensibles » du journal. Voir, à ce sujet, une intéressante


lettre de Lacordaire au comte de Falloux, datée du 37 juillet iSSg et publiée dam
le Correspondant du lo juin 191 1, p. 358-363.
4. Dldon, p. 2^Q.
L ÉGLISE EN ANOLETEnnE, EN ALLEMAGNE ET FN FRANCE 2 65

journalistes virent ou feignirent de voir dans ce bref une allusion à


la personne de La Mennais et le sommèrent de se soumettre ou de
s'ex[)liquer. Les gallicans, oubliant leurs vieilles méfiances à l'égard
du Saint-Siège, ne {)arlaient plus que d'obéissance au pape. Ils déna- Quelques
esprits oulréi
turaient le sens de l'encyclique, la représentant comme principale-
dénaturent
ment inspirée par la défense des princes contre ceux qui les atta- le S' ns «le

l'encjclique.
quaient ; et la presse libérale, à son tour, considérait malheureuse-
ment la Lettre pontificale sous cet aspect. La Mennais s'était retiré

dans sa solitude de la Chênaie, se promettant d'y vivre désormais


sans bruit, dans la société de quelques disciples fidèles, en dehors
de toute polémique. Mais les échos des controverses qui s'agitaient
dans la presse vinrent l'y trouver, et l'exaspérèrent. Le i5 novembre
i832, il écrivit au baron de Vitrolles: w Notre ami Coriolis a eu très La Mennais,
aigri, dét lare
fort raison de vous dire que je n'étais pas le moins du monde ébranlé n'abandonner
dans mes opinions, que je n'en abandonnais aucune, et qu'au con- aucune de
sef opinions.
traire j'y tenais plus que jamais ». La froideur de quelques amis,
qu'il espérait trouver plus chauds pour sa cause, la séparation
d'avec Lacordaire, qui, après avoir essayé de l'amener à des senti-
ments de soumission complète, quitta brusquement la Chênaie, le

II décembre 1882, furent pour lui des douleurs aiguës, qu'il aigris-
sait encore en les repassant dans son esprit ; de telle sorte que la soli-

tude où il était venu chercher l'apaisement l'exalta. Il avait par-


fois, en parlant de Rome, des congrégations romaines, du pape, des
paroles d'une extrême amertume K D'autres fois, il cherchait à se Il parle avec
amertunnc
réfugierdans la prière. « La Providence, écrivait il le 27 février i833,
de l'autorité
ne m'a point chargé du gouvernement de l'Eglise. J'ai dit là-dessus ecclésiastique.

ce que je croyais utile ; ma tâche est remplie, et ma conscience


tranquille: me reste plus qu'à prier
il ne » Mais la prière, pour 2.

La Mennais, paraît n'avoir jamais été ou n'avoir été que bien rare-
ment cette « rosée qui rafraîchit l'âme », dont il a parlé dans ses
Paroles d'un Croyant, en disant plutôt ce qu'il cherchait dans l'o-
raison que ce qu'il y trouvait en réalité 3. Se sentant abandonné des

I. BouTARD, op. cit., p. 35o, note i.


^ « Je suis allé à Rome. J'ai vu là le plus
inlâme cloaque qui ait souillé les regards humains. F/égoul gigaulcsqiie des Tar-
quins serait trop étroit pour donner passage à tant d'immondices. »
(lettre du !•'
nov. i832 à la comtesse de Seniïl).
3. Lettre inédite, Archives du Séminaire de Saint-Sulpice.
3. Il
((
y a toujours des vents brûlants qui passent sur l'âme de l'homme et la
dessèchcut. La prière est la rosée qui la rafraîchit. » (Lamennais, Paroles d'un
croyant^
ch. XVII.) Cf. II. BnEMOMD, Inquiétude religieuse, 2* série,
l le Silence de Dieu.
266 ~
HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLISE

hommes et de Dieu, ou du moins s'imagiuant l'ôtre, cet homme, qu


ii*élait pas seulement un passionné, mais encore (c'était là la seconde
caraclérislique de cette étrange nature)un impatient de tout joug et
de toute domination, et de tout ce qu'il prenait pour un joug et une
domination, était préparé pour la chute suprême. Une lettre que lui
fiL parvenir, au nom du pape, le cardinal Pacca, précipita la catas-
trophe.
En somme, jusque-là, l'obéissance de La Mennais avait consisté
à cesser toute campagne, à se taire. Ses ennemis le faisaient remar-
quer bruyamment ; et peut-être les indiscrétions de certains de ses
amis avaient-elles donné lieu de penser que le rédacteur en chef
de V Avenir n'avait abjuré aucune de ses idées. Le cardinal Pacca lui
écrivit que sa soumission à l'encyclique Mirari vos était jugée insuffi-
sante, et qu'il avait à la compléter par une déclaration « simple,
Prossé de se absolue, illimitée ». Sans tarder, l'abbé de La Mennais signa une dé-

urement^et
claration par laquelle il s'engageait à « suivre uniquement et
simplement absolument la doctrine exposée dans l'encyclique » *. Mais la lettre
^'
if f7tVne ^^^^^ ^^^ communiquait à Montalembert le texte de cette déclara-
dérlaratlon de tion contenait cette phrase, qui épouvanta son correspondant : « Je
pure orme,
renouce... à tout, sans exception, ce qui a rempli ma vie anté-
CL .vktion. rieure » ; et, sur une demande pressante de son jeune ami, il

répondit qu'en agissant comme il l'avait fait, il « n'avait plus vu,


dans cette triste affaire, qu'une question de paix à tout prix n
et « qu'il s'était résolu à signer, non seulement ce qu'on
lui demandait, mais encore, sans exception, tout ce que l'on

voudrait, fût-ce même la déclaration que le pape est Dieu, le

graud Dieu du ciel et de la terre, et qu'il doit être adoré lui


seul ».
La lettre qui contenait ces tristes lignes était datée du i*"" janvier

1834. Quand il l'écrivit, l'auteur de VEssal sur ^Indifférence avait


cessé de célébrer la sainte messe et ne devait plus désormais rem-
plir aucune fonction sacerdotale *. Quatre mois plus tard, vers la fin

Lamknnais, Affaires de Rome, p. 162.


1.
On a écrit (Gaussbtte, Manrèze du prêtre) que La Mennais, depuis quelque
îj.

temps, avait cessé, sous le prétexte de ses travaux, de réciter le saint bréviaiie, et
que celte omission de la prière liturgique avait dû déterminer sa défection, y^'id
les laits qui ont dû donner lieu à cette légende. Il résulte d'une lettre écrite par
Félicité

de La Mennais sonà frère Jean, le 35 août 1819 (Blaizb, Œuvres inédites de F. La-
mennais, t. I, p. 390) que Lamartine, àl'insu de La Mennais, avait obtenu pour lui,
de Rome, la dispense du bréviaire, en invoquant le mauvais état de ses yeux mai» ;
l'église en AT^GLETERRE, en ALLEMAGNE ET Eîf FRANCE 267

du mois d'avril, paraissait, sous sa signature, un livre étrange, qu'au


moment même où la foi s'éteignait dans son âme, il intitulait

le recueil d'une série de médilahons, Le» ParoUt


Paroles d'un Croyant. C'était
croyan .

de dialogues, de prières, de visions, que, dans la solitude de la Chê- "'^

naie, depuis l'apparition de l'encyclique, il avait écrites, sous l'in-

fluence d'inspirations diverses. Ce livre, qui débutait par une invoca-


tion « au Père, au Fils et au Saint-Esprit », contenait, sur les rois

en général, qu'on représentait « le ^.îcd sur le crucifix et buvant du


sang bumaiû dans un crâne * », et, en particulier sur Guillaume IV
d'Angleterre, râlant sur son lit de mort, « pâle comme un suaire »,

sur Louis-Philippe « parjure et tyran, s'accrochant à des sacs d'or »,


sur François II d'Autriche « condamnant à toutes les tortures du
corps et de l'âme les malheureux soupçonnés d'avoir prononcé le

mot de patrie », sur le tsar Nicolas, « portant dans son cœur, à la

place de Dieu qu'il a chassé, un ver qui le ronge sans relâche », et sur
le pape Grégoire XVI lui-même, outragé en des termes q«i passaient
toute mesure, les pages les plus virulentes que jamais pamphlet
politique ait mises au jour ^. Ce livre cependant contenait, en même
temps, sur la prière, « qui rend le cœur plus léger et l'âme pluj
contente » 3, sur le bonheur, « qui n'est pas de posséder beaucoup,
mais d'espérer et d'aimer beaucoup * », sur la vertu, « la seule
chose sur la terre qui ne se fane ni ne passe » ^, sur la justice, « qui
protège les droits », tandis que la charité « adoucit les maux inévi-
tables ^ », sur Fcxilé, « qui partout est seul "^
», sur la paix, « qui est
s,
le fruit de l'amour », et sur l'amour « qui repose au fond des
âmes pures comme une goutte de rosée dans le calice d'une fleur »,•
des paroles simples, limpides, pénétrantes, que l'on sent jaillir d'un

l'abbé de La Mennais refusa de se servir de cette dispense, alléguant que sa tu4


était bonne. Voir à ce sujet, Roussel, Lamenimis d'après des doc. inédits, t. 1, p. 177-
180
Lauknhais, Paroles d'un croyaiU, ch. xxi.
1.
alôid.. ch. XXXI. Les rois ne sont pas nommés, mais ils sont facilement recon«
naissables. Quant k Grégoire W
I, dans la première édition de son livre, La Mennais

remplaça par des points la page qui le concernait. Plus tard, il laissa imprimer inté-
gralement le texte primitif. —
A partir du moment de sa rupture avec i'Lglise, il
signa Lamennais, en un seul mot, et supprima la particule.
3. llfid., ch. XV 11.
4. Ibid., ch. XXIV,
5. Ibid., ch. XXX.
6. Ibid., ch. xxxT.
•7. /6/(i , ch. XL.
8. Ibid., ch, XV.
<) Ibid.^ ch. XV.
2 68 HISTOIUE GKtSKRALE DE L FGMSE

cœur réellement et profondément ému. « Pastiche de génie »,


a-t-on dit. Le mot est vrai de plusieurs chapitres mais la phipart ;

des autres ne sont que l'écho, varié, com[)lexe, souvent déconcertant


par ses contradictions, d'une âme perpétuellement mouvante et
vibrante, toujours prête à se modifier aux divers contacts des
hommes et des choses, alors même qu'elle prétendait n'obéir qu'à la
logique la plus rigoureuse, et, tandis qu'elle se glorifiait de l'indé-
pendance la plus farouche, toujours esclave de ses impressions du
moment ^
Condamnation A partir de la publication des Paroles d'un Croyant, qui furent
des Paroles
d'un croyant bientôt condamnées, à la date du 25 juin i83^, par la bulle Singu-
par lari vos, le nom de La Mennais n'appartient plus à l'histoire de l'E-
l'encyclique
Singulari vos glise. Abandonnant à la fois la discipline et le dogme catholique, il

(25j«in i834). se rallia au socialisme, qui commençait alors à s'organiser en parti


politique, et qui le considéra comme un de ses chefs. Ainsi celui
qui, pendant la première partie de sa vie publique, avait, avec
Rohrbacher et Guéranger, donné la première impulsion au parti
ultramontain le plus avancé, celui qui, plus tard, avec Montalem-
La Mennaiâ bert et Lacordaire, avait donné sa formule et son orientation au
se rallie
au socialisme parti libéral catholique, se donnait enfin à la démocratie révolu-
révolution- tionnaire, apportant tour à tour l'appui de son talent et le concours
naire.
de son activité aux trois grands courants d'idées qui ont le plus
agité le xix« siècle *.

Ainsi une des impressions qui contribuèrent le plus à irriter La Mennais contra
I.
Rome et à précipiter sa chute, fut la crainte presque morbide des pièges qu'il
redoutait de la part de la curie romaine et des jésuites. Malheureusement quelques
jeunes et imprudents correspondants entretenaient en lui cette crainte. L'un d'eux,
î'abhé Emmanuel dAIzon, lui écrivait de Rome " M. G... (Mac Garthy) m**
:

communiqué le projet que certaines gens avaient eu de vous faire venir à Rome.
Je puis vous assurer que c'était un piège, et j ai de fortes raisons de croire que ceux
qui voulaient le tendre habitent le Gesîi ». (Boutabd^ Lamennais, t. II, p. 4o) Cf.,
t. I, p. 366
t. II, p. 367
; t. III, p. 67.
;

a. C'estpar suite d'une confusion de dates qu'on a pu noter parmi les causes qui
ont préparc la défection de Félicité de La Mennais, sa rupture avec son frère Jean.
Voici les faits. Après l'apparition des Paroles d'un croyant, l'évéque de Rennes,
Mgr de Lesquen, crut devoir demander à l'abbé Jean de La Mennais une lettre par
laquelle il désapprouverait explicitement le dernier ouvrage de son frère. Cette lettre,
le prélat promit qu'elle ne sortirait pas de ses mains, et qu'il ne s'en servirait que
pour confondre les dénonciateurs du vénérable prêtre. La lettre demandée fut écrite
le 10 mai i834, et, à peine parvenue à l'évêché, fut livrée à la publicité. Le a^ mai
1834, VAmi de la Religion l'empruntait à la Gazette de Bretagne. L'irritation de
Félicité de La Mennais fut extrême. A partir de ce moment, il ne témoigna plus à
son frère la même confiance qu'auparavant, dt, en 1837, il cessa complètement de
le voir. La seule influence vraiment efficace qui pouvait s'exercer encore sur l'abbé
Félicité, depuis la mort de M. Tejsse;/rre, disparaissait ainsi^ au moment où !•
l'église en ANGLETERRE, EN ALLEMAGNE ET LN FRANCE 269

Xll

11 est difficile de préciser la part qui revient à Félicité de La Menoais


j^^j^^'^ï^^ermlâ.

dans le mouvement religieux qui se produisit au xix" siècle. Gomme aprè»

un 1» déJecUon
Chateaubriand au début du siècle, La Mennais, avant d'être chef,
s'était fait l'élo-
futun écho. Dans son Essai sur l indifférence, il leur maîirt.

quent interprète du sentiment que Silvestre de Sacy décrivait en

termes si expressifs : « L'incrédulité du xviii*^ siècle a eu le plaisir

de l'incrédulité; nous en avons la peine nous en sentons le vide...


;

Nous levons les yeux en haut, nous y cherchons une lumière ^ »


Cette lumière^ l'abbé de La Mennais l'avait montrée dans la tradition
catholique, dans l'Eglise, dans le pape ; et dans sa campagne, il n'a-

nialheureux écrivain venait de s'engager dans la voie de la révolte déclarée. 11 s'y


avança de pltis en plus. La publication des Araires de Rome en i836, du Livre du
peuple en i837, du pamphlet iulilule Le pays et le gouvernement, pour lequel il fit
un mois de prison à Sainte- Pélagie en i84o, et, en la même année, de l'Esquisse
dune philosophie, furentautant d étapes vers un vague panthéisme. En 1848, il fut
élu député à l'Assernbléc nationale parle département delà Seine. Il n'y eut aucun
succès. 11 y parut gêné. Un jour Berryer, à la tribune, tlétrissait l'apostasie. « Jtt
vis alors, dit il, un homme qui se levait brusquement et qui se glissait le long de»
bancs pour sortir. C'était Lameimais. Mon cœur se serra, car en parlant je n'avais
nullement pensé à lui » (Lecanuet, Dcrryer, p. 81 j. La Mennais passa les dernière»
années de sa vie dans le découragement. « A partir du moment où il brisa les lieni
qui le rattachaient au catholicisme, écrit Benoîl-Champjr, je l'ai toujours connu
malheureux » (Quelques souvenirs surlamort de M
de Lamennais). Le 11 juillet i848,
il écrivait : « Ce que nous voyons, ce n'est pas la République, ce n'est même rien
qui ait un nom ». Le 27 février i854. il mourut, entouré de quelques amis, Henri
Nlartin, Hippolyte Carnot, Armand Lévy et plusieurs autre» moins connus, au n^ 12
de la rue du Grand Chantier (aujourd'hui 70 de la rue des Archives), d une mala-
die dont son parent et ami Benoît-Champy déclare « qu'il n'a jamais pu savoir
d'une manière précise ce qu'elle était » [Ibid.). La veille, il avait eu avec sa nièce,
Mm& de Kertanguy, la conversation suivante: « Féli, avait dit sa nièce, veux-tu
un prêtre ? Tu veux un prêtre, n'est et pas ? —
Non —
Je t'en supplie. Non, —
non, non. Qu'on me laisse en paix. » Puis, pendant huit heures environ, il s'était
trouvé dan» une impossibilité de s'exprimer, quoique son intelligence parût lucide.
Un avait seulement pu distinguer, au milieu d'un bredouillement conlu». ce mot :

« papier ». Puis, fatigué de ne pouvoir se faire comprendre, il s'était retourné du


côté de la muraille, et l'agonie avait commencé. Au moment de la mort, suivant
une relation publiée par Eugène Pellelan dans le Siècle du 4 mars i854. « une
longue larme coula en silence sur la joue du malade mais elle sécha aussitôt,
;

dévorée [)ar le feu brûlant de la douleur ». Le dimanche suivant, le P. Gralry,


prt'chant à Oratoire, s'écriait: « Devons-nous désespérer du salut de celte païuvre
1

âme ? Non. Pour que ce grand exemple servît d'enseignement. Dieu a permis que
cotte fin fût dépourvue de toute espérance. Mais celte âme avait contribué à relever
le sentiment religieux dans notre pa\s. Ne pouvons-nous pas penser qu'il y aura eu
Un retour caché à nos rc^^nrds, cl qu'rllo aura obtenu miséricorde ? »
I. SiLVESTRB DE Sact, Variétés littéraires, t. II, De la réaction religieuse.
270 HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLISB

vait pas seulement réveillé l'opinion ; il avait gronpé autour de lui,

entraîné dans l'arène, une élite de prêtres et de laïques, qui, après


sa défeclion, devaient continuer, avec éclat et avec succès, l'œuvre
commencée. Car l'auteur des Paroles d'un Croyant ne fut pas suivi
par ses disciples dans sa défection. En se séparant de l'Eglise, ce
prêtre, qui avait eu autant de prestige que les plus célèbres des anciens
transfuges, ne créa ni un schisme, comme Photius, ni une hérésie,
comme Luther. Ses disciples, au contraire, se trouvèrent, au lende-
Lacordaîre, main même de sa chute, à la tête de la plupart des entreprises reli-

Guéranffer
'
d^^^^^^^s. En i835, Lacordaire inaugura ses conférences de Notre-
e* Dame, tandis que Montalembert portait hautement à la tribune par-
Rohrbacher.
lementaire les revendications catholiques. La restauration de l'Ordre
bénédictin en France, en i836, par dom Guéranger, et le rétablis-

sement des Frères Prêcheurs, en 1889, furent les œuvres de deux de


ses collaborateurs ^. Les conférences de Saint- Vincent-de-Paul
recrutèrent plusieurs anciens adeptes de l'école menaisienne. La
grande histoire de l'Eglise que devait publier Rohrbacher avait été

entreprise avec les encouragements de La Mennais. Dans l'œuvre de


la défense de la papauté, dans la lutte contre le gallicanisme,
l'Univers, avec sa rédaction militante, allait continuer, en l'avouant
sans ambages -, les traditions de V Avenir.
Dans le mouvement de renaissance catholique qui se mani-
festa de i833 à 18/41, nous devons particulièrement mentionner :

l'œuvre oratoire de Lacordaire dans la chaire de Notre Dame de

I. de ses plus jeunes disciples, l'abbé Emmanuel d'Alzon, qui, même après
Un
l'apparition des Paroles d'un croyant, lui avait envoyé de iiome les témoignages
d'une ardente fidélité (Boltard, t. lil, p. 67. Cf. Ibid., II, 867, 4oo), devait fonder
lui aussi, plus tard, une congrégation religieuse, celle des Augustins de l'Assomp-
iion.
3. a L'Avenir, écrit Eugène vint à son heure... et il rendit de grands
Veuillot,
services... Par gallicanisme, il servit etricacemcnt la cause reli-
sa lutte contre le
gieuse sur le terrain des doctrines ; il la servit aussi sur le terrain politique, en ne
cessant d'établir que les catholiques ne doivent pas lier les intérêts religiouK à une
forme gouvernementale, fût-elle la royauté légitime.. Une élite se levait... L'ency-
clique Mirari vos tua V Avenir... Mais si le journal avait disparu, les idées et les
besoins, sources du mouvement, existaient toujours... Il ne fallait pas laisser le
champ libre à la presse gallicane et étroitement royaliste.. Le dimanche 3 novem-
bre i833, parut le premier numéro de VUnivers ». (E. Veuillot, Louis Veuillolf
t. I, p 35i, 354, 356, 363, 364, 365.) Parmi les premiers rédacteurs de l'L'/iiuers,
Gerbet, Léon et Eugène Bore, Montalembert, Tabbé Jules Morel, étaient d'anciens
disciples de La Mennais. Plus tard, à l'époque du Concile du Vatican, le rédacteur
en chef de l'Univers, Louis Veuillot, rappellera que nul plus que La Mennais n"a
travaillé à « acheminer la France vers le dogme sauveur de l'infaillibilité du pape»
(Louis Veuillot, Rome pendant le concile, t. II.)
L EGLISE EN ANGLETERIlE, EN ALLEMAGNE ET EN FRANGE 27 1

Paris, celle de Montalembert à la tribune parlementaire, le r(^;ta-

blissement en France des Ordres de Saint Dominique et de Saint-


Benoît, la restauration liturgique entreprise par dom Guéranger et

les œuvres charitables dont Frédéric Ozanam et quelques-uns de ses


amis prirent l'initiative *.

Le renouveau religieux qui, depuis i83o, se produisait dans les Origine


des
âmes des jeunes gens était plutôt fait de sentiments vagues que de conférence»
convictions réfléchies. Ce caractère n'avait point échappé à un groupe ^e
,,,,. Il- f 00/ r ^» 1 ^ r< • ' Notre Daine
d étudiants catholiques, préoccupes d apostolat. Ln janvier 1004,
.

de Vi'ans
ils demandèrent à l'archevêque de Paris, Mgr de Quélen, de vou- (i83i).

loir bien faire donner, dans l'église de Notre-Dame, des confé-


rences religieuses, où la nouvelle génération pût entendre,
exposées en un langage conforme à son état d'esprit, les vérités de
la foi. Un essai tenté en cette année i834, sur un plan conçu
par l'archevêque de Paris, n'atteignit pas le résultat voulu. Mais,

l'année suivante, Mgr de Quélen, cédant aux instances des jeu-nes


gens qui avaient fait les premières démarches, se décida à confier,
pour cette œuvre, la chaire de sa vieille basilique à un jeune
prêtre qui avait fait ses premières armes dans V Avenir, l'abbé La-
cordaire. Meurtri de sa douloureuse rupture avec celui qui avait été
son maître, presque découragé de l'insuccès d'une œu\re à laquelle
il s'était donné de toute son âme, Lacordaire venait de passer trois

ans dans une vie de prière et de travail, à peine interrompue par


des instructions données dans la chapelle d'un collège Ce jeune -
prêtre qui ne craignait pas de se dire « fils de son siècle 0, qui pou-
vait aflirmer que « toute sa vie antérieure, jusqu'à ses fautes, lui
avait préparé quelque accès dans le cœur de son pays et de son

1. Sous ce général, VEcole menaisienne, Mgr Ricard a publié Lamennais, un


titre :

vol. in-i2, Paris, 1881 Lacordaire, un vol. in-12, Paris, 1883


; Gfrbetet Salinùi, ;

un vol. in la, Paris, i883 ; Miv.laUmbert, un vol. in-12, Paris, i884 Rohrbacher^ ;

un vol. in-12, Paris, i885,


2. Après s'être séparé de La Mennais, Lacordaire s'était jeté avec délices dans la
solitude. «Je sens avec joie, écrivait-il, la solitude se faire autour de moi. C est
mon élément, ma vie» (Lettre à Montalembert, du 8 septembre i833.) u On ne
fait rien, disait il encore, qu'avec la solitude, c'est mon grand axiome. » ^Lettre à
Montalembert, du i5 février i834.) « Un homme se fait en dedans de lui, et non
au dehors. » ^Lettre à Montalembert, du 20 août iS35.) Lacordaire n'était pas seule-
ment un ami de la solitude à la diirérence de La Mennais. c'était un patient, u Un
;

homme, écrivait-il, a toujours son heure. Il suffit qu'il l'attende, et qu'il ne fa'^se
rien contre la Providence » (Lettre à Montalembert, du 3o juin iS33 D'ailleurs, )

dans sa vie de solitude, la pensée de conférences à faire à la jeunesse lui avait été
toujours présente. Au lendemain de son départ de la Giiênaie, le 18 décembre
i832, il écrivait à Lorain qu'il allait pré^iarer des conférences aux jeunes geni.
272 HISTOIRE GENERALE DE L ÉGLISE

temps », obtint aussitôt un succès prodigieux. Six mille hommes


Merveilleux
remplirent bientôt les nefs de l'antique cathédrale. « Jeunes pour
succî's de ces
conférences. la plupart, dit un historien de ce temps, ils représentaient toute la
vie intellectuelle de cette époque et toutes les espérances de l'avenir.
A les considérer pendant les heures d'attente, on reconnaissait bien
que cette réunion n'était pas composée de gens habitués à fréquenter
les églises. C'était vraiment la société nouvelle du xix" siècle, telle

qu'elle était sortie de la Révolution de i83o, en quelque sorte


déchristianisée, qui venait former, autour d'une chaire chrétienne,
un auditoire tel qu'on u*en n'avait pas vu peut-être depuis saint
Bernard *. »
L'apologétique
Liaugurant une apologétique dont le concile du Vatican devait
à>: l'abbé
Lacordaire. p (S tard consacrer l'orthodoxie et l'opportunité, le jeune prêtre mit
tout d'abord son auditoire en présence du fait de l'Eglise catholique,
c'est-à-dire du christianisme sous la forme vivante et, en quelque
sorte, palpable, qu'il avait sous les yeux. Il lui parla de la

nécessité de l'Eglise, de sa constitution, de son autorité morale et

infaillible, de son chef, de ses rapports avec l'ordre temporel, de sa


puissance coercitive. L'année suivante, il fit entrer son auditoire
sur le seuil du dogme : il l'entretint de la doctrine de l'Eglise en
général, de la tradition, de l'Ecriture, de la raison, de la foi et des
moyens d'acquérir la foi. La foule, toujours croissante, toujours
plus attentive, des auditeurs, se pressait autour de l'orateur catho-

lique, avide d'entendre une parole qui, par son accent tout nouveau,
par ses néologismes tout modernes, lui donnait, ainsi qu'on l'a dit,

« le même plaisir que fait au voyageur en pays lointain, l'accent


subitement reconnu du pays natal » ^. Mgr de Quélen lui-même, si

peu préparé par sa nature et par son éducation à goûter les choses
modernes, mais saisi par cette éloquence, proclamait Lacordaire « un
Les critiques Des hommes s'étonnaient de
qu elles ri
p^opi^ète nouveau . »
i 1 1
~ •
1 / •
ces
.
hardiesses,
,. .

suscitent. suspectaient ce prédicateur de la doctrine chrétienne qui, uisait-on,


« avait à peine nommé Jésus-Christ », ce « tribun », comme ils

l'appelaient, « ce républicain forcené » qui a prêchait des doctrines


empreintes d'anarchie ». En réahté, ce prétendu tribun, dont la

parole eut parfois des audaces, fut un apôtre humble et austère. On


a su plus tard qu'en descendant de sa chaire, encore tout palpitant

1. Thl'rea.u-Da>gïn, l'Eglise et l'Etat sous la Monarchie de Juillet, p. 10.


2. Expression du prince Albert àe Broglie dans ion discours de réc^^plion à
rAcadémie français©.
l'église en ANGLETERRE, EN ALLEMAGNE ET EN FRANCE 278

des triomphes que lui faisait un auditoire enthousiaste, ï\ allait

flageller son corps par des instruments de pénitence, humilier son


âme dans les aveux des fautes de sa vie passée *
et quand, à l'apo-

gée de sa renommée, il interrompit ses conférences, ce fut pour


aller chercher à Rome la paix de la solitude, pour en revenir sous
l'habit du moine mciuliant. Entre temps, son œuvre avait porté ses

frnits. Sa parole, à laquelle on avait reproché un accent trop profane, Leurs fruits
spirltueU.
c.,..ii pit'parc ses auditeurs à s'agenouiller au tribunal de ta péni-
tence et à s'approcher de la sainte Table, quand la parole évangé-
lique du P. de Raviguan les y convia avec onction. *

XIII

Montalembert
Pendant que, sous les voûtes de Notre-Dame, un fils de celte ^ 1^ tribune
, .. ,. ... i-Jiiit -4 parlemeulaire.
^
bourgeoisie sceptique et jouisseuse que monarchie de Juillet venait
I

la

d'élever à 1 hégémonie politique, acheminait sa génération vers les

éternelles vérités du christianisme, un autre rédacteur deV Avenir^ un


descendant de noble race, un pair de France, un « fils des croisés »,
faisait retentir, à la tribune française, les fières revendications du
calhohcisme, presque pajtout opprimé ou dédaigné. Quand, le

8 septembre i835, le jeune comte Charles de Montalembert, alors


âge de vingt-cinq ans, prit pour la première fois la parole devant la

Chambre des Pairs, et y aiïirma, simplement et fermement, sans for-


fanterie ni crainte, sa foi religieuse, le premier sentiment de la haute
assemblée fut une sorte de stupeur. On a dit justement que ^* l'entrée
dans la cour du Luxembourg d'un chevalier portant l'armure du
moyen âge et la croix sur la poitrine, n'eût point paru plus étrange
cl moins raisonnable » -. Le nouveau chevalier s'excusa, avec une
bonne grâce à la fois modeste et fière, « de faire entendre à la Haute
Chambre un langage étranger aux idées qui y étaient ordinairement
énoncées », demanda qu'on « lui permît d'obéir à la franchise de

I. Sur Lacordaire, voir Chocahine, le P. Lacordaire, savle intime, 9 vol. in-ij,


:

l'aiis, 18GG FoissET, Vie du P. Lacordaire, 2 vol. in la, Paris, 1870; Il -D.
;

rSoBLE, Lacordaire apôlre et directeur des jeunes gens, un vol. in-12, Paris. 1908
;
J.-D. FoLGHÉRA, V A poloçjélique de Lacordaire, brochure in 13, Paris (Collection
Silence et religion). Sur le P. de Raviguan, voir P. de PoM,fivoT, Vie du P. de
Havignan, a vol. in-8*, Paris, 1860.
i. TutA£A.u-DAntiix(, VEyliscel l'Elat...^ p. 49.

Uist. géu. de l'Eglise. — Vlll iS


27a HISTOIRE GENERALE DE L EGLISE

Son action. son âge », et passa outre. De i835 à i84i, il prit part aux discussions
sur la presse, sur la nationalité polonaise, sur l'émancipation des es-
claves dans les colonies, sur la propriété ecclésiastique, sur les éta-
blissements d'aliénés, sur la police du roulage, sur diverses ques-
tions de politique étrangère, sur le travail des enfants dans les ma-
nufactures, sur la liberté d'enseignement *
; et, quel que fût l'objet
immédiat de la discussion, il eut toujours en vue la défense du catho-
Son licisme, dont champion avec une éloquence
il se fit le alerte, vive,
éloquence.
ardente, remarquablement souple, où l'émotion savait faire place à

l'ironie, et l'enthousiasme lyrique à la riposte cinglante. Ne voilant


rien de sa foi, de son obéissance aux dernières condamnations de
Rome, il s'écriait, dès son premier discours : « Je l'avoue franche-
ment, le principe de la liberté de conscience n'est pas le mien ; je
Sa foi n'ai pour lui aucune idolâtrie j'en reconnais et j'en professe de
;

catholique.
plus anciens, de plus élevés, de plus saints ^.,. S'il y a des vérités
absolues en politique, j'espère bien qu'il y en a aussi en religion ))3.
Montalemberl fut un des premiers à qui Lacordaire annonça son
Le projet de rétablir en France l'Ordre de Saint-Dominique. « Je dis
rétablissement
en France que cet acte est le dénouement de ma vie, lui écrivait il à la date du
de l'Ordre des i®'" juillet i838. Dieu m'appelle à revêtir une nouvelle force...
Frères
Prêcheurs. Soyons humbles, uniquement à Dieu, sans esprit de parti, prêts à
vivre ou à mourir... » Peu de temps après, en iSSg, paraissait le
Mémoire pour le rétablissement des Frères Prêcheurs. L'entreprise fut
couronnée d'un plein succès. Les meilleures recrues de la nouvelle
fondation lui vinrent de cette jeunesse que les conférences de Notre-
Dame avaient ramenée à la foi. Pendant les premières semaines de
i84i, le P. Lacordaire, revenant de Rome, traversa, sous son nou-
veau costume, la France étonnée et sympathique, et, en arrivant à
Portée Paris, il put dire, en montrant sa robe blanche : « Je suis une
d« cet acte.
liberté ». Il avait gagné devant l'opinion, et, par suite, devant le

gouvernement, non seulement la cause des Frères Prêcheurs, mais


celle des ordres religieux en général. Les jésuites furent des premiers
à en profiter. L'année suivante, le successeur de Lacordaire à Notre-
Dame, qui s'était appelé jusque-là « l'abbé deRavignan », fit annon-
cer les reprises de ses conférence sous le nom de « Père de Ravi-
gnan ».

1. MoNTALEMBERT, Œuvrcs, t. I, p. i-a66.


2. Ibid.. p. 87.
3. Ibid. p. 39.
l'église en ANGLETERRE, EN ALLEMAGNE ET EN FRANCE 2'j5

Restauration
Quelques années plus tôt, avec moins d'éclat, un disciple, alors
en France
moins célèbre, de LaMennais, l'abbé Prosper Guéranger, avait rétabli, de l'ordre à%
Saint- Benoît.
dans l'ancien prieuré de Solesmes, un ordre non moins illustre et
destiné à rendre à l'EgliSe de France des services non moins signa-
lés : l'Ordre de Saint-Benoît. Depuis sa première jeunesse, Prosper
Guéranger avait rêvé de vie monastique. Cette vie, dit son biographe,
pour L'abbé Prosper
« s'offrait à lui comme un centre de prière, un levier d'action
Guéranger
l'Eglise, en même temps qu'un loisir studieux. Ce souci persé\érant (1806-1875),
explique l'intérêt qu'il avait porté à la Société fondée par l'abbé de

La Mennais sous le nom de Congrégation de Saint-Pierre ^ » Après


l'échec de cette œuvre, Guéranger s'orienta définitivement vers la

vie bénédictine. Le i4 décembre i832, il se rendit locataire de l'an-


de Solesmes, au diocèse du Mans*, et s'y installa, le Le prieuré
cien prieuré
de Solesmes.
II juillet i833, avec trois compagnons, dont deux prêtres et un
diacre ^. Dès lors, au milieu des épreuves de la pauvreté, des incer-
titudes du lendemain, des attaques malveillantes de ceux qui vou-
laient voir dans le nouveau groupement une reprise de l'école menai-
sienne, les quatre ardents pionniers, désirant reprendre les traditions
glorieuses de Cluny et de Saint-Maur, se mirent à l'œuvre. Une tra-
duction des œuvres de saint Alphonse de Liguori, bientôt interrom-
pue, une réédition du Liber ponlificalis de l'Eglise du Mans, une Vie Premier»
travaux
de saint Julien et les Annales ecclésiastiques de l'Eglise du Mans, des nouveaui
furent leurs premières entreprises. Lacordaire et Montalembert sou- bénédiclins.

tenaient leur ami de leurs encouragements affectueux*. La continua-


tion de la Gallia Christiana^ confiée à la jeune communauté, lui

apparut comme un précieux gage de vitalité. L'approbation solen-


nelle de ses règles, l'érection du prieuré de Solesmes en abbaye Approbalioi
et la
des Règlei
collation de la dignité abbatiale à Dom Guéranger, le il\ juillet (1837).
1837, lui assurèrent une existence canonique 5. Le 4 août i84i, en
la fêle de saint Dominique, le restaurateur de la vie bénédictine eu
Frauce, rassuré sur l'avenir, et tournant fraternellement ses regard3
vers le restaurateur de la vie dominicaine, lui écrivait : a Ce matin,
j'ai chanté la messe afin de recueillir plus solennellement les vœux

1. Dom Guéranger, par un moine bénédictin, a vol. ia-80, Paris, 1909, l. I,


p. 78.
2. [jid., p. io5.
3. Ibid., p. 107.
4. Licàmlet, Montalembert, II, SS-Sq,
5. Dom Guéranger, t. II, p. 128-139,
ÎI76 HISTOIRE GENERALE DE L ÉGLISE

de mes frères pour vous, très cher ami, et pour toute votre famille » *.
trois œuvres
de Do m Il allait désormais se consacrer sans réserve auxtrois missions qu'il
Guérânger. s'était proposées en restaurant en France l'Ordre de Saint-Benoît le :

déveloi)pement des sciences religieuges, l'exaltation du pouvoir pon-


tifical et la restauration de la liturgie. Les deux premières œuvres se

réaliseront par le concours d'autres efforts ; mais la restauration litur-


gique, telle qu'elle s'est effectuée au xix* siècle, est tout particulière-
ment due à l'initiative de Dom Guérânger et demeure la caractéris-
tique de ses travaux. L'histoire lui doit une mention toute spéciale.
La Les idées essentielles que devait développer et soutenir au cours
restauration
de la liturgie de sa vie l'auteur des Institutions liturgiques et de la Monarchie pon-
lomaine. tificale, se trouvent dans quatre articles qu'il publia en l83o dans
les

le Mémorial catholique ^. Pendant que, dans ce journal, l'abbé de


La Mennais combattait le gallicanisme sur le terrain des doctrines
théoriques, son jeune collaborateur entreprit de le débusquer des
positions qu'il tenait indûment sur le terrain de la pratique. L'hérésie

gallicane, comme il disait, lui parut implantée en France sous


forme de rites qui s'écartaient systématiquement de la tradition
romaine. « Trente ans après la fameuse Constitution Quod a nobis
de saint Pie V, sur les cent trente diocèses dont se composait alors la

France, il ti*en était pas six qui n'eussent adopté l'ensemble de la

liturgie romaine ; et voici qu'en i83o douze diocèses à peine étaient


Dom demeurés fidèles à cette belle uniformité. L'Eglise de France avait
Guérânger
dénonce donc abandonné sur ce point l'Eglise romaine, et déchiré en lam-
« l'hérésie anli-
beaux, selon l'expression du saint pape, la communion de prières et
lilurgique ».
de louanges qui doivent être adressées au Dieu unique d'une seule et

même voix » '. L'hérésie gallicane était devenue l'hérésie antihtur-


gique.
« Je sais, disait l auteur, que je vais heurter bien des préjugés ;

mais on est toujours fort quand on a raison> et je mets au défi tout


homme de bon sens^ tout théologien, de contester mes principes,
comme tout logiciett de se refuser à mes conséquences *. » Après un
tableau du développern^ent delà vie liturgique, « sortant des catacom-
bes avec l'Eglise, s'épanouissant avec elle dans les temples bâtis par
Constantin, se créant une langue digne d'elle, trouvant une exprès-

1. Dom Guérânger, t. Il, p. 289.


a Mémorial catholique des 28 février, 3o mars, 3i mai et 3i juillet i83o»
3. JJom Guérânger, par un moino bénédictin, t. 1, p. 69,
4 Mémorial caLh. dii 28 février i83o, p. ^9 5o.
L EGLISE EN ANOTETERRE, ES ALLEM.iGtE ET Eîf FRAXCE 277

8Î011 aux confessions do sa foi, aux soupirs de son espérance et aux


ardeurs de son amour, aux besoins de ses enfants et aux çémisse-
ments de ses pécheurs », il niellait en parallèle, avec sa majestueuse
beauté, la disgracieuse diversité de ces liturgies nouvelles, dont quel»»
ques-unes s'enorgueillissaient d'un siècle de possession, dont les au-
tres ne pouvaient justifier que de cinquante, de trente, de dix ans,
d'un an à peine. Il en était une surtout à laquelle l'ardent polémiste
n'épargnait pas ses sarcasmes : c'était la liturgie parisienne. « Nou3 II altaqu©
,. !• •. •! 1' 'l • 1 • 1
• parliculicre-
n Ignorons pas, disait-il, 1 esprit qui lui donna naissance ; nous con- ^
^^^^
naissons aussi celui qui a présidé à ses dernières amélioralions », ce 1» liturgie

Charles Coffin, hautement revendiqué par le jansénisme, repoussé ^

par l'Eglise, hérétique en un mot. Et, pour donner à de nouvelles


paroles un nouveau chant, on avait fait appela cet abbé Le Bœuf, qui,
« après avoir passé dix ans à placer des notes sur des lignes et des
lignes sous des notes, fît présent au clergé de la capitale d'une
composition monstrueuse » *,

Le fond et la forme de ces articles ne pouvaient que plaire h l'abbé La vivacité

de La Mennais, qui, le ï5 avril i8,3o, écrivait à l'auteur^ « Toiites polémique


les personnes que j'ai vues ont boa ucx)up goûté vos deux articles, est encouragô*

Vous feriez, je crois, un bien réel en continuant ». Mais quelques es- l^ Mennais.
prits modérés se montraient choqués des exagérations qu'ils croyaient
y trouver. « Pourquoi, s écriait Michel Picot dans l'Ami de la Reli- ElUeatblâmée
gion du 2 juin^ représenter les liturgies diocésaines comme des ten- dftaReîiqhn.
latives de schisme, comme des fruits de l'espritde secte? Il y a là de
la prévention et de l'exagération... L'auteur fait un éloge magnifique
de la liturgie romaine. S'il s'était borné à dire que celte lilurgâe est
la plus vénérablepar l'autorité dont elle émane et par son ancienneté,
nous serions entièrement de son avjs. Mais il suppose que celte
liturgie n'a jamais varié, que toutes les Eglises la suivaient il y a
plusieurs siècles... Ces suppositions sont démenties par l'histoire.
Dès la naissance de l'Eglise, il y a eu diversité dans les rites et dans
les prières II y avait des usages différents à Rome et à Jérusalem...
Les Eglises des Gaules avaient leurs rites particuliers, et, en Italie
même, l' Eglise de Milan avait sa liturgie distincte... Saint Grégoire
le Grand
exhortait saint Augustin de Cantorbéry à prendre dans les
Eglises des Gaules ce qu'il jugerait convenir aux Anglais... 2. » Dans

i. Mf^morial calh.. du %S février i83o, p. 57.


a. Ami de la Religion, i LXIV, p. 97-Q&.
278 HISTOIRE GÉPfÉRALE DE l'ÉGLÏSE

<ypportunité le fond, malgré ses excès de langage, Tabbé Guéranger avait raison:
d'une
restauration les liturgies diocésaines, et en particulier la liturgie parisienne,
de la liturgie
avaient subi quelque influence du gallicanisme et du jansénisme, et
romaine
les hymnes des Santeul et des Coffîn, le chant de Le Beuf, malgré
la science et l'habileté technique dont ils témoignaient, ne pouvaient
être mis en comparaison avec les hymnes simples et touchantes que
Rome et l'antiquité chrétienne nous avaient léguées ; et tout catho-
iique de ce nom devait applaudir sans réserve aux paroles de l'abbé
Guéranger, lorsqu'il disait, en un langage pénétré d'émotion : « J ai
vquelquefois entendu dire qu'il était avantageux de trouver dans son
office les plus beaux arguments de la religion... Mais qu'arrive-t-il ?
On étudie, et l'on ne prie pas... Etrange abus I Gomme si toute étude
dans la prière n'était pas criminelle, sinon cette étude du cœur qui
«e fait sans bruit de paroles et qui forma les Augustin, les Bernard
et les Thomas d'Aquin * I »
Le premier L'apparition, en i84o, du premier volume des Institutions litur-
volume
des Institutions giques, dont l'auteur pouvait dire, dans sa préface, qu'il était le fruit
liturgiques
de douze années d'études *, ranima le zèle des amis de dom Guéran-
(i84o).
ger et les polémiques de ses contradicteurs. Cette publication ouvrait
une série de cinq volumes « destinés à initier les jeunes clercs aux
mystères du culte divin et de la prière ». Les impressions furent par-
tagées. (( En lisant votre livre, écrivait M'"* Sw^etchine, j'ai respiré un
air de vérité pur et sans mélange ^. » Mais le P. Lacordaire était
rebuté par l'idée de l' « hérésie antiliturgique », qui, selon lui,
Le premier n'avait jamais existé *. L'Année liturgique, dont le premier volume,
volume
de l'Année Y Avent liturgique, parut à la fin de i84i> vint compléter les précé-
liturgique
dents travaux de dom Guéranger. Cette nouvelle publication avait
pour but de rendre accessibles à tous les fidèles les enseignements que
nous donne l'Eglise lorsque, au cours des douze mois de l'année
chrétienne, elle rappelle et reproduit, en quelque sorte, les divers
mystères de notre Rédemption par Jésus-Christ. Chacune des périodes
liturgiques de Tannée chrétienne devait être expliquée : i®par l'histo-
rique de ses origines, 2" par l'interprétation mystique de ses rites, et

3° par l'indication des pratiques extérieures et des dispositions inté-

1. Mémorial catholique du 3i juillet i83o, p. a46.


2. Institutions liturgiques, 2" édit., t. I, préface, p. 85,
3. Lettre du 9 septembre i84o.
li Lettre du 9 septembre i84o. Falloux, LeUrss inédites de M'^* Swclchine,
|>. /ji3 4i4.
L EGLJSE EN ANGLETERRE, EN ALLEMAGNE ET EN FRANCE 279

rieures qu'elle doit provoquer daas l'âme des chrétiens. C'était là

une œuvre toute de paix et d'édification. iMais au moment même où les


âmes pieuses savouraient la nouvelle œuvre de l'Abbé de Solesmes, Le c cas de
^^^^
de nouvelles polémiques allaient surgir à la suite d'un cas de cons- ^^
cience, publiquement proposé par l'archevêque de Reims, Mgr Gous- Mgr Gou»»ct.

set, sur les droits et les devoirs des évêques relativement à la liturgie.

La publication par Dom Guéranger de sa Lettre à Myr l'Aiche-


vêque de Reims sur le droit de la liturgiey fut le premier acte de cette

polémique. Nous aurons bientôt à y revciiir.

XIV

Le fondateur des Conférences de Saint-Vincent-de-Paul, Frédéric Les

Ozanam, n'était pas, comme Prosper Guéranger, un disciple, de La ^^


Mennais. A peine avait-il rencontré une fois le maître, en décembre Saint-Vincent
de-Paul.
i83i, et cet unique entretien ne paraît pas avoir éveillé de grandes
sympathies entre l'écrivain célèbre et le jeune étudiant *. Mais Oza- Frédéric
Ozanam
nam, rêvant, dès-sa première jeunesse, d'une apologétique religieuse
(i8i3-i853).
capable de saisir l'esprit et le cœur de ses contemporains, avait
suivi avec ardeur, dans tout ce qu'elle avait de généreux, la cam*
pagne de V Avenir , et s'était attaché à deux de ses principaux rédac-
teurs : l'abbé Gerbet, le philosophe érudit, le théologien profond
et délicat, dont les Considérations sur le dogme générateur de la piété

catholique l'avaient ravi 2, et l'abbé Lacordaire, dont l'éloquence cha-


leureuse et le zèle tout apostolique répondaient si bien à ses propres
sentiments. A la différence de Guéranger, qui avait été surtout attiré
vers le groupe de l'Avenir par ses tendances ultramonlaines, Ozanam
y avait surtout goûté son désir d attirer à Jésus Christ la société
contemporaine et l'intérêt qu'il manifestait envers les classes popu-
laires 3.

I. Bkvuk^D, Frédéric Ozanam d'après sa correspondance , un vol. in-i3, Parii


1913, p. 49-50.
a. Ibid.^ p. 72-73.
3. Pas plus qu'Ozanam, Lacordaire ne ae sentit jamais attaché à fond à La Mennais.
Il n'y axait pas seulement entre eux la divergence que uoui venons de signaler à
propos de l'ultramonlanisme. Dans ses projets de rénovation sociale, Lacordaire
visait avant tout laclion intérieure et surnaUirelle sur les âmes La Mennais, coiisi- ;

dciant le christianiimc comme une a'u\re de transfornialion politique et sociale,


1
iiilôt que con)me une œuvre de sancli()calion individuelle, semblait tout attendra

d'une rcfornie de U société. Celle coucc]>lion se fait jour d'une manière frappante
2S0 HISTOIRE GEXERALE DE L EGLISE

Né à I.yon, en i8i3, d'une famille chrétienne, formé aux études


plûlosophiqucs et religieuses par un maître exceptionnel, l'abbé
Set premières Noirot, que Victor Gousin appelait « le premier professeur de
œuvres. France Frédéric Ozanam dès
», avait, l'âge de dix-sept ans, rêvé
d'un grand ouvrage, qu'il intitulait : Démonstration de la vérité (Je la

religion catholique par l'antiquité des croyances historiques, religieuses

et morales. En i83i, il publiait ses Réflexions sur la doctrine de


Saint-Simon, dont il disait, plus tard, qu'il « y avait jeté le germe
de ridée qui devait occuper toute sa vie ». Cette idée dominante de
sa vie, ce fut l'apologétique du catholicisme auprès de ses contem-
porains. Il la poursuivit à la fois dans ses travaux historiques et dans
ses œuvres charitables.
Origine des La principale de ces œuvres, dont nous avons seulement à parler
Conférences ici, fut la Société de Saint-Vincent-de-Paul, Ozanam eut, en la fon-
de
Saint-Vincent dant, plusieurs objectifs : resserrer d'abord les liens d'amitié entre
de- Paul. les jeunes catholiques, car, disait-il, « le principe le plus fort d'une
amitié véritable, c'est la charité, et l'aliment de la charité ce sont les
bonnes œuvres » ; en second lieu, attirer les bénédictions de Dieu sur
ses travaux d'apostolat, car, disait-il encore, « un apostolat n'est pas
complet quand il lui manque les œuvres de bienfaisance, et la béné-
diction du pauvre est celle de Dieu » ; enfin, compléter l'apologé-
dque de l'Eglise aux temps passés en montrant ses œuvres actuelles.
<(Nos ennemis, écrivait-il, nous disent Le christianisme a fait :

autrefois des prodiges de charité, mais il est mort. Prouvons qu'il


est vivant en montrant ses bonnes œuvres * ».

dans l'étrange préambule des Règles de la Congrégation de SainUPierre, rédigé par


Félicité de La Mennais Voir la reproduction de ce préambule par le P. l^udon,
dans les Etudes du 30 novembre 1910, p. 452-454. Cf. La Me>'Na.is, Réjlexions snf
V Eglise de France, p. 98 94. La correspondance de La Mennais, comparée avec cellt
de Lacordaire, accuse nettement les divergences que nous avons signalées. — Quand
on a voulu caractériser par une formule la tendance dominante de La Mennais, celle
qui l'a conduit à sa chute, les avis se sont partagés. Les uns avec Spuller, ont vu en
lui un éternel démocrate. D'autres, comme Thureau-Dangin, l'ont appelé un
perpétuel théocrale. L'abbé Rohrbacher croit avoir deviné en lui, dès ses premières
relations avec le maître, un vague panthéisme, qui s'est peu à peu explicité. Si
nous ne craignions de forger un néologisme, nous dirions que La Mennais a été essen-
ticliemont, non pas un panthéiste^ mais un démothéisle Alors que, fervent catho-.

lique, il faisait consister la vérité en une sorte de suffrage universel des esprits il
voyait déjà l'infaillibilité dans le peuple il y vit plus tard la justice et le droit Seu-
;

lement, il crut d'abord que lorgane du peuple était le roi, puis le pape, puis enfin
il admit que l'infaillibilité du peuple était une sorte de privilège incommunicable.
Ce dernier état de sa pensée a été exprimé par lui, en i848, dans l'ouvrage qui a
pour titre De la sociéié première et de ses lois, ou de la religion.
:

I. Ozanam formulait les deux aspects de ion œuvre en deux mots, qu'on a quel-
l'église en ANGLETERRE, EN ALLEMAGNE ET EN FRANCE SiSi

Au mois de mai i833, six étudiants, répondant à l'appel de Frc La première


coiiff'ronre
déric Ozanam, se joignirent à lui, au n** i8 de la rue du Petit- (mai i83'^).
Bontbon-Saint Sulpice, dans les bureaux de la Tribune catholique,

sous la présidence du directeur de ce journal, Emmanuel Bailly.

Un des sept fondateurs a écrit le récit de cette mémorable séance *.

Elle commença par la récitation du Veni sancU Spirilus, de VAve


Maria et d'une invocation à saint Vincent de Paul. On étudia ensuite
les moyens pratiques de visiter les pauvres à domicile. On prit le

parti d'aller demander l'adresse de familles besogneuses à la Sœur


Rosalie, l'apotre du quartier MouiTetard, et on la pria de céder à la
Société un certain nombre des bons qu'elle distribuait comme
secours en nature. La séance se termina par la quote et la prière. A
la fin de l'année scolaire, la Société comptait quatorze membres. A.

la rentrée, les adhésions devinrent plus nombreuses. En i835, Paris


comptait quatre conférences ^. En même temps, les confrères qui Diffufîon
de l'œuvre.
retournaient en province, après avoir terminé leurs études, y fon-
daient à leur tour des conférences. C'est ainsi que Curnier fonda la
conférence de Nîmes; Brac de la Perrière, celle de Lyon. Bientôt la

société franchit la frontière. Les conférences apparurent en Bei-


glqiiA
ue 3

La visite des pauvres à domicile resta toujours le but essentiel des Objet!
d« l'ouvre.
conférences ; mais des œuvres spéciales ne tardèrent pas à s'y joindre :

vestiaires, où l'on recueillit les vêtements usagés pour les distribuer

aux indigents ; bibliothèques destinées à satisfaire le besoin de lec-


ture qui se généralisait de plus en plus ; Saintes-Familles, ou asso-
ciations formées entre ouvriers chrétiens des deux sexes pour s'édifier

qupfois critiqués, mais dont il a victorieusement défendu le sens orthodoxe :


« Passons aux barbares », et « Allons aux pauvres ». f/^s barbares étaient les
incrédules du xix« siècle: « En disant Passons aux barbnos, dcclarait-il, je nd
:

veux pas dire qu'il s'agit de s'allier à Mazzini, mai» au peuple que Mazzini trompe.
Nous ne convertirons probablement pas Attila et Genséric, mais petil-étre viendronç-
nous à bout des Huns et des Vandales. » De même le mot « Allons aux pauvre o :

n'avait aucune significafion de démorratisme suspect « Il faut faire, disait-il, c«


:

qu'il jr a de plus agréable à Dieu. Donc il faut faire ce que faisait N.-S. en pio-
chant l'Evangile. Allons aux pauvres ».
1. Origines de la Société de Saint Vincent- de Paul d'après les souvenirs de fs»
premiers membres^ brochure in-i8, 67 pages, Paris, 1909, au Secrétariat de la
Société de Saint-Vincenl-de-Paul.
a. C'étaient les conférences de Saint- Jacques, de Saint-Germain de Saint Pb il' pne
du Roule et de Notre-Dame de Bonne-Nouvelle. Le nom de conférence fut adot i

Sar «uiledcs traditions de la Société des Bonnes Etudes, dont le» premiers membre*
e la Société do Sainl-Vincent-de- Paul faisaient partie.
3. r.a Société comptait, «n 1916, 7.000 conférences, groupant plus de i4o.oo«
confrère»*
282 HISTOIRE GENERALE DE L EGLISE

réciproquement et s'instruire de la religion ; secrétariats des familles,


caisses des loyers, patronages d'ouvriers et d'apprentis, et autres
œuvres suggérées par les nécessités des lieux et des circonstances *.

Les Frères La congrégation des Frères de Saint-Vincent-de-Paul, fondée par un


de
Saint- Vincent' des premiers compagnons d'Ozanam, Léon Le Prévost, en vue de
de-Paul. s'occuper d'oeuvres ouvrières, fut aussi comme un rejeton de la
soclélc fondée par Frédéric Ozanam ^.
(Xi] livre»
Quelque vaste que fût ce programme d'œuvres charitables, il ne
diverses
de rrcdéric limita pas le zèle du fondateur de la Société de Saint-Yincent-de-
Ozanam. Paul. Il publia, dans la Tribune c<3//io//^ue, dirigée par Bailly, dans
y Univers^ nouvellement fondé par l'abbé Migne, des articles d'apo-
logétique. 11 contribua, par ses démarches réitérées, à la fondation
et au succès des conférences de Notre-Dame. 11 collabora à la création
d une Société catholique des beaux-arts. Il glorifia l'Eglise dans de
savantes études historiques. Etudiant en Sorbonne, il avait obligé
Théodore Jouffroy à rétracter des attaques dirigées contre la révéla-
tion chrétienne ; professeur à son tour, il réussit à intéresser un nom-
breux auditoire aux gloires du christianisme. Dans une seule des
campagnes menées par les catholiques de cette époque, celle qui
avait pour but la conquête de la liberté d'enseignement, il ne put
prendre une part active. Mais son attitude fut digne et courageuse.
Son attitude « Dans le conflit qui s'éleva entre l'Eglise et l'Université, écrit La-
dans la lutte
pour cordaire, Ozanam était de nous tous le plus douloureusement placé.
l'abolition
Catholique ardent, il ne pouvait cependant pas méconnaître qu'il
du monopole
universitaire. appartenait au corps dépositaire légal du monopole universitaire...
Ozanam n'attaqua point le corps auquel il appartenait mais il de- ;

meura dans la solidarité la plus entière avec ceux qui défendaient de


tout leur cœur la cause de la liberté d'enseignement » ^.

I. Dès le début, il fut entendu que les conférences de Saint- Vincent de-Paul
seraient ouvertes aux catholiques de tous les partis. « Je voudrais, écrivait Ozanam
en i835, l'anéantissement de l'esprit politique, au profit de 1 esprit social ». Il
n'entendit pas, d'autre part, faire prévaloir dans la Société de Saint- Vincent-de-
Paul un système spécial d'organisation sociale. On pourrait cependant recueillir
dans ses écrits des vues philosophiques sur la propriété, qu'il considère comme une
fonction sociale (Elude sur les Biens d'Eglise ;i837), Mélanges, t. II, p. SSg et s.),
«ar le salaire, dont il analyse les conditions normales en dehors desquelles le travail
do l'ouvrier devient une exploitation de l'homme par l'homme [Mélanges, t II,
I\'oles sur l'association, qui attache les ouvriers à leur
d'un cours de droit commercial) ^

travail comme à chose et les conduit à des habitudes de moralité [Ibid.^y sur
leur
la démcicratie, où il voit le terme naturel du progrès (Lettre du ii mars 18^91.
2 Vie de M
Le Prévost, un vol. in-8", Paris, 1899. La Congrégation des Frères
de Saint ^ incent-de-Paul fut fondée rue du Ilegard,
3. Sur Fréd. Ozanam, voir Mgr Ozanam, Vie de Frédéric Ozanam, ua vol. in-8».
l'ÉGLISL EIN ANGLETERRE, EN AI,LEMAGNE l^T EN FRANCE 283

XV

De toutes les campagnes catholiques du xix* siècle, il n'en est pas La campagne
des catholiques
peut-être de plus glorieuse, il n'en est pas, à coup sûr, de plus pour
féconde en utiles leçons, que celle qui a abouti, après vingt ans de la conquête
de la liberté
luttes, à l'abolition du monopole de l'Université. Elle demande à d'ensei-

être racontée avec quelques détails. gnement.


Articles de
C'est à l'abbé de La Mennais que revient le mérite d'avoir sou-
La Mennais
levé le premier, avec un éclat incomparable, la question de la liberté dans
dans Con- le Conservateur
d'enseignement. Les pamphlets qu'il publia à ce sujet, le
et dans le
servateur et dans le Drapeau blanc, alors qu'il était dans toute la Drapeau blanc.
ferveur de ses convictions catholiques et royalistes, sont, a-ton dit,
« tout ce qu'il y a de plus puissant, comme pensée et comme style,
dans la langue française * ». Le journal l'Avenir, reprenant la ques-
tion dès ses premiers numéros, lui donna un retentissement im-
mense dans l'opinion. Les 17, 18 et 26 octobre i83o, parurent trois
articles éloquents de Lacordaire, où l'abolition du monopole uni- Articles
de Lacordaire
versitaire était réclamée au nom de la liberté et du progrès. « La dans l'Avenir,
servitude de renseignement, disait-il, est incompatible avec quelque
liberté que ce soit ; car la liberté s'obtient par l'enseignement...
L'humanité veut le progrès, c'est la fin de toute liberté ; mais !•

progrès est-il possible avec le monopole * ? » Les rédacteurs de


l'Avenir ne se bornèrent pas à ces réclamations ; manifestes, péti-
tions, polémiques, tout fut employé par eux pour agiter l'opinion
publique autour de la question de la liberté d'enseignement. Ils

curent même recours à un procédé nouveau dans les mœurs fran-


Le 9 mai i83i, l'abbé Lacordaire, le vicomte Charles de
çaises. Le procès
de 1 Ecole litre
Montalembertet le comte de Coux, se fondant sur la charte de i83o,
(i83i).
dont l'article 69 promettait la promulgation, « dans le plus court
délai possible w, d'une « loi sur la liberté d'enseignement », et dont
l'article 70 déclarait toutes les lois et dispositions contraires « dès à
présent abrogées », ouvrirent à Paris, rue des Beaux- Arts, n** 5, une
école gratuite sans autorisation. Les 10 et 11 mai, le commissaire

ThiIs, i88j Mgr Biunard, Frédéric O^auam, un vol. in-8»^, Paris, 1913
; ; (Jurmir,
la Jeunesse de Frédéric Ocanani, un vol. in -8', l^aris, 1S88.
I E. Spl'ller, Lamennais, un vol. in-ia, Paris, 189a, p, laa.
a. Mêl. calhol, 1. 1, p. aSS-aSg.
284 TIISTOIRE GE-HERALE DE L EGMSB

de police du quartier fit sommation aux enfants de se retirer. Ces


sommations étant demeurées sans résultat, les maîtres et les enfants

furent exclus par la force publique, et les trois professeurs furent


traduits en police correctionnelle.
Ceux-ci ne cherchaient qu'une occasion de plaider, dans un pro-
cès retentissant, la cause des pères de famille. Ils réussirent au delà
de leurs espérances ; car, le comte de Montalembert, pair de France,
étant venu à mourir, son fils, le vicomte Charles, succédant à ses
droits, demeurait, par sa nouvelle dignité, justiciable de la cour des
pairs, et, par suite de l'indivisibilité du délit et de la poursuite, en-
traînait ses coprévenus devant cette haute juridiction.
Discours Quand, après les plaidoiries des avocats, le jeune comte de Mon-
<le
talembert, à peine âgé de vingt ans, réclama la parole et s'avança à
Montalembert.
la barre, sa jeunesse, son deuil, sa position personnelle provoquèrent
dans l'auditoire une profonde attention. Il débuta en ces termes :

« Pairs de France, la tâche de nos défenseurs est accomplie ; la

nôtre commence. Ils se sont placés sur le terrain de la légalité ; à


nous, accuses, il appartient maintenant de parler le langage de notre
cœur et de notre foi : le langage catholique. » Jamais peut-être, en
effet, la noble cour n'avait entendu une profession de foi plus cou-
rageuse et plus émue. « Pour moi, disait le jeune orateur en finis-

sant, je me féliciterai toujours d'avoir pu rendre témoigaage dans


ma jeunesse au Dieu de mon enfance. C'est à Lui que je recom-
mande le succès de ma cause, de ma sainte et glorieuse cause. Je la

dis glorieuse, car elle est celle ie mon pays ;


je la dis sainte, car elle
est celle de mon Dieu*. »
Dî«^cour» Lacordaire, ancien avocat, s'était réservé pour la réplique au mi-
de
nistère public, dont l'organe fut le procureur général Persil. Celui-
Laconiaire.
ci, peu de temps auparavant, en se fondant sur le principe de la

responsabilité ministérielle, promise par la Charte au même titre

que la liberté d'enseignement, avait soutenu l'accusation de haute


trahison contre les quatre derniers ministres de Charles X. La ner*
veuse improvisation de liacordaire débuta ainsi: « Nobles pairs, jô
regarde et je m'étonne. Je m'étonne de me voir au banc des prévenus,
tandis que M. le procureur général est au banc du ministère
public. Car de quoi m'accuse-t-il ? D'avoir usé d'un droit écrit dans
la Charte et non encore réglé par une loi ; et lui vous demandait na«

I. Montalembert,. Œuvres^ t. I, p. 29,


l'église en ANGLETERRE, EN ALLEMAGNE ET EN FRANCE 285

guère la tête de quatre ministres en vertu d'un droit écrit dans la

Cliarte et non encore réglé par une loi. S'il a pu le faire, jai pu le

faire aussi, avec la différence qu'il demandait du sang, et que je vou-

lais donner une instruction gratuite aux enfants du peuple^ »

Les trois prévenus condamnés chacun à cent francs


furent
d'amende et solidairement aux frais du procès. C'était un échec pour
le gouvernement ; car l'opinion puhlique avait été saisie par le reten-
tissement des débats judiciaires. Malheureusement, les circonstances
servirent la cause de l'Université. La disparition de VAvenir, la disso-

lution de la Ligue pour la défense de la liberté religieuse, la diver-


sion opérée dans les esprits par les troubles révolutionnaires de i83i
et i83a, et parle soulèvement des provinces royalistes de l'Ouest à
la voix de la duchesse de Berry, arrêtèrent la campagne si brillam-
ment commencée.
Celle-ci cependant ne fut pas stérile. La loi du 28 juin i833 sur ^* 1°^ f^i.izoï

l'instruction primaire, connue sous le nom de loi Guizot, peut être rinsiructio.i

comme un de ses résultats indirects. Cette


considérée loi était suffi'- P"™*^''®
1-1 r 1 T
sammeut libérale, comme son auteur. Le monopole
111.-
de enseigne-
1
(aojuin i833).

ment primaire était supprimé, la concurrence ouverte. Les Frères dea


Ecoles chrétiennes bénéficiaient de lexemption du service militaire
au même titre que La capacité d'enseigner
les instituteurs laïques.
élait reconnue à tout cougréganiste qui présentait une kttre d'obé-

dience de ses supérieurs. Cette dernière disposition était un témoi-


gnage de confiance donné aux supérieurs des congrégations ensei-
gnantes, qu'on supposait justement préoccupés de répondre aux
légitimes exigences des familles et aux besoins de l'enseignement par
le bon choix de leurs instituteurs.
Ce témoignage de confiance n*était pas, d'ailleurs, un fait isolé.
Amélioration
_ . . . .
Q6S rapports
Li ne amélioration notable s'était produite dans les rapports de l'Eglise entre l'Eprise
cl de l'Etat en France. En celte même année i833, le gouvernement ^^ lEui.

laissait, sans élever aucune protestation, l'abbé Guéranger restaurer


à Solesmes l'Ordre bénédictin, reconnaissait hautement les droits du
clergé catholique sur les bâtiments affectés au culte ^, et n'apportait
aucune entrave aux œuvres des Pères de la Compagnie de Jésus si :

bien que le chargé d'affaires du Saint-Siège à Paris, Mgr Garibaldi,

LACORDiinB, CELwrfs, édll. Poussielgue, t. VTI, p. i63-i64.


1.
Monileur de janvier et de mai i833.
a. —
Guizol donnait une allocation anniicllo
âui bénédlcliiis de Solesmes pour la continuation de la Gallia cliristia'ia.
. , ,

286 HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLISB

disait Nous obtenons du roi Louis-Philippe


: « ce que tout autre
gouvernement nous aurait refusé *. »
Toutefois Cette assertion, en tant qu'elle visait la personne de Louis-Phi-
le roi se , " • . • j . , , ,

montre hostile "PP^^ ^ était vraie que d une manière générale. Il était une question
au sur laquelle le roi se montrait particulièrement réfractaire aux rccla-
mouvement .
t w i •
i .
i i i-,
dirigé contre mations cattioliques c était : la question de la liberté d'enseignement ;

le monopole et la loi du 28 juin i833, si justement nommée loi Guizot, était


bien en effet l'œuvre du ministre et pas celle du roi, qui ne l'avait
acceptée qu'à son corps défendant. Aussi, lorsque, en i84o, une
société ecclésiastique se forma « pour dénoncer le monopole univer-
sitaire à la France libérale et à la France catholique » sous la prési-
dence d'un ancien disciple de La Mennais, l'abbé Rohibacher, et
même lorsque, l'année suivante, le nouvel archevêque de Paris,
Mgr Affre, dans son premier mandement, se prononça, en des termes
pleins de mesure, pour « une liberté d'enseignement soumise aux
seules restrictions réclamées par l'intérêt de la religion, des mœurs et
de l'instruction )),le roi manifesta qu'il désapprouvait ces démarches^.
D'autre part, il se défiait d'une Université trop puissante ; il n'était
point fâché de la contrebalancer par une concurrence prudemment
réglée. Un projet de loi sur l'enseignement secondaire, présenté aux
Chambres en i84i parle ministère Guizot, répondait à ces préoccu-
pations ; mais, loin d'apporter la paix, il déchaîna la bataille.

1. Mgr
Besson, Vie du cardinal Mathieu, t. I, p. i46.
a.L'abbé Gruice, le futur évêque de Marseille a raconté l'anecdote suivante :
« Le roi Louis- Philippe se plaisait à témoigner à l'archevêque de Paris, Mgr Affre,
•on estime et son affection... Souvent il le consultait sur les nominations aux sièges
épiscopaux. Mais quand le prélat abordait la question de la liberté d'enseignement,
le roi, par mille détours, échappait au sujet delà conversation... Un jour que l'ar-
chevêque revenait avec insistance sur la question a Monsieur l'archevêque, dit le :

roi, vous allez prononcer entre ma femme et moi. Combien faut il de cierges à ua
mariage ? Je soutiens que six cierges sufEsent ; ma femme prétend qu'on doit en
mettre douze. Je me rappelle fort bien qu'ai mon mariage, c'était dans la chambre
de mon beau- père, il n'y avait que six cierges. Sire, reprit l'archevêque, il —
importe peu que l'on allume six cierges ou douze cierges à un mariage mais ;

veuillez m'entendre sur la question la plus grave. —^ Gomment, Monsieur l'arche-


vêque, ceci est très grave ; il y a division dans mon ménage ma femme prétend ;

avoir raison, je soutiens qu'elle a tort. » L'archevêque, sans répliquer, poursuit sa


défense de la liberté d'enseignement. Le roi l'interrompt « Mais, mes cierge.'!. :

Monsieur l'archevêque, mes cierges ? » L'archevêque continue. Le roi s'emporte


et s'écrie : « Tenez, je ne veux pas de votre liberté d'enseignement je n'aime pas ;

les collèges ecclésiastiques on y enseigne trop aux enfants le verset du Magnificat :


;

Déposait patentes de sede. » L'archevêque salua et se retira. » (Gruice, Vie de Denis-


Auguste AJfre, archevêque de Paris, un vol. in-80, Paris, i849, p. 218-219.)
L éCTJSE EN ANGF.FTrRRE, EN ALLEMAGNE ET EN FRANCE iSy

XVI

Le ministre de l'instruction publique, auteur du nouveau projet Le projet

de loi, 'était Villeniain. Guizot, soit qu'il fût découragé par l'échec /iS/i)
d'un projet qu'il avait présenté en i836, soit plutôt qu'il fût alors

absorbé par la direction des affaires extérieures, resta à peu près à


l'écart. Ce fut un nnalheur. Littérateur distingué, professeur émi-
nent, plus encore, rénovateur de la critique littéraire et créateur de

l'histoire de la littérature, en même temps que ses deux collègues,


Guizot et Cousin fondaient l'histoire politique et l'histoire de la

philosophie, Villemain n'avait rien de l'homme d'Etat. Au surplus,


d'étranges partis pris contre les jésuites, qui dataient chez lui de la
Restauration ^ et qui devaient, en s'exaspérant, le conduire à la folie

dans ses derniers jouis, ne pouvaient lui laisser le calme nécessaire


dans un débat sur la liberté d'enseignement. Son projet, en tout cas,
dénotait une ignorance complète des susceptibilités de la conscience
catholique. Il la blessait à la fois par les maximes sur lesquelles il Ce projet

prétendait s'appuyer et par les applications qu'il en déduisait. Dans |^ consdence


son exposé des motifs, le ministre allait jusqu'à contester le principe des
'^"
de la liberté d'enseignement, a qui a pu être admise par la Charte^ " ^

disait-il, mais qui ne lui est pas essentielle » ; et, dans les disposi-
tions de son projet, il u'hésitait pasà soustraire aux évêques ladirec--
tion exclusive des petits séminaires pour les placer sous la juridic-
tion de l'Université.
Jusque-là les évêques, par esprit de conciliation, en considération H provoqua
des efforts de bienveillance que la monarchie de Juillet montrait proiestatioua
depuis quelque temps à l'égard de l'Eglise, ne s'étaient point mêlés de l'épiscopat.

aux polémiques relatives à la liberté de l'enseignement. Mais, par la

disposition relative aux petits séminaires, c'est dans le propre


domaine de leur juridiction spirituelle, dans l'œuvre de la formalioQ
morale et intellectuelle de leurs prêtres, qu'ils se sentaient menacés.
Spontanément, sans qu'on puisse trouver dans les documents d\i
temps la moindre trace d'une entente ou d'un mot d'ordre, ils firent
entendre des cris de protestation. Pendant plusieurs mois, les jour-
naux furent pleins de mandements épiscopaux dénonçant, les una

I, G. \autuibr, \'ilUinaiii^ un vul. iu-ia, Paris, 1910, p. 97.


288 HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLISE

avec tristesse, les autres d'un ton presque comminatoire, l'attentat


projeté contre la liberté de l'Eglise *. Devant cette manifestation
Retrait uaanime, le projet, mal soutenu par la gauche du parlement, qui le
du projet.
trouvait de sou côté trop libéral envers les catholiques, fut retiré.
Mais le mouvement d'opinion qu'il avait provoqué lui survécut.
L'épiscopat s'était levé pour combattre ; il ne devait plus désarmer.
Le groupe de laïques qui, depuis la défection de La Mennais, suivait
Persistance le comte de Montalembert, et qui, du projet
avant la présentation
de l'ai^ilatiou.
Villemain, avait consenti à négocier avec le gouvernement, prR
désormais une attitude nettement militante. Pour se défendre, les
ennemis de l'Eglise, les esprits jaloux de son influence, essayèrent de
porter le débat sur la question des jésuites. Ce fut la lutte ouverte et
dcclarée.
De i84i à 1843, du côté des catholiques, on ne voit pas un plan
de campagne bien arrêté. D'une part, l'évêque de Chartres,
Mgr Clausel de Montais, publie des brochures violentes; d'autre
part, l'archevêque -<c Paris, Mgr Afi're, envoie des mémoires au roi.
Mais, en i843, l'exemple du parti catholique en Belgique suggère
aux catholiques français une méthode et un programme. Un voyage
L'évoque que fait en Belgique l'évêque de Langres, Mgr Parisis, lui fait
do Langres,
Mgr Parisis,
comprendre le rôle que peut prendre l'Eglise dans les sociétés
lui donne modernes *. De retour en France, il publie brochures sur brochures,
une méthode
avec un retentissement croissant. Rien ne semblait l'avoir préparé à
et un
programme une pareille attitude. Il avait blâmé l'apologétique de Lacordaire ',

et passait pour peu favorable aux idées nouvelles. Or, alors que
Montalembert et les anciens rédacteurs de ï Avenir semblent hésiter,
l'évêque de Langres précise le caractère que doit prendre la lutte
contre l'Université, indique les procédés de polémique qui lui

paraissent convenir aux temps actuels. Tout d'abord, il n'entend


pas qu'on fasse du grand débat qui vient de se soulever une misé-
rable querelle entre le clergé et l'Université. « On s'obstine, dit-ii

dès son premier écrit, à répéter que nous défendons la cause du


clergé ; il faut bien faire voir que nous défendons la cause de tous *. »

1. Veir l'Ami de la Religion de i84i,'


a. Ch. G viLL^MKyT Pie ne- Louis Parisis, 3 vol. in-8°, Pari», 1916, t. II, p. iC-aa.
,

3. Correspondance de Lacordaire ûu«c A/'»« Swetchine, p. 393.


ti. Dans un livre paru en i847 et intitulé Cas de conscience à propos des libertés
:

exercées ou réclamées par les catholiques^ Mgr Parisis alla jusqu'à dire que « tout
bien pesé, nos instiîiilions libérales, malgré leuri abus, étaient les meilleures pour
l'Etat et pour l'Ek'lise ».
l'église en ANGLETERRE, EN ALLEMAGNE ET EN FRANCE 289

Et, dans la défense de cette cause, il déclare opportun : i^que l'épis-

copat prenne part à une agitation publique et légale, i° que les

laïques y aient leur place et que le comte de Montalembert en soit

l'âme et le centre *.

A cet appel d'un de leurs collègues, les évêques s'ébranlent, le Kn quoi


cette nouvelle
groupe des anciens rédacteurs de V Avenir., reprend confiance, et campagne
Montalembert publie sa fameuse brochure sur le Devoir des catho- diffère de celle
qu'a menée
liques dans la question de la liberté d'enseignement. Sans doute, l'Avenir.
plusieurs formules de l'Avenir sont reprises, et la campagne nou-
velle semble à quelques-uns n'être que le réveil de la campagne
récemment condamnée. Mais un œil attentif y voit cependant deux
notables différences. En premier lieu, la lutte porte sur une question

précise, concrète, et non sur un remaniement complet des rapports


de l'Eglise et de l'Etat, comme au temps de l'Avenir ; on propose
une nouvelle tactique, on ne proclame pas de nouveaux principes. En
second lieu, le mouvement se fait d'accord avec l'épiscopat, et Mon-
talembert déclare ne vouloir rien tenter en dehors de son concours.
L'union des catholiques se fit sur ce programme. Le Correspon- Le
Correspondant
dant^ qui avait cessé de paraître, fut réorganisé par quelques-uns de
et l'Univers.
ses anciens rédacteurs, Carné, Cazalès, Champagny *
et l'Univers

entra résolument en campagne *. Un nouveau rédacteur venait de


lui arriver, ancien journaliste ministériel, converti de la veille au
catholicisme, dont l'initiative et le talent s'imposèrent aussitôt à tous
ses collaborateurs, et dont le nom devint bientôt inséparable du
jonnial : Louis Veuillot. Il était né à Boynes en Gâtinais, d'un père Louis VeuiHot
orléanaise. Ni l'un (i8i3i883).
bouri^ulgnoii, ouvrier tonnelier, et d'une mère
ni l'autre n'étaient chrétiens. L'enfant s'éleva, pour ainsi dire, tout

seul, sans nulle éducation religieuse, à Boynes, d'abord, puis à Paris,


où son père vint ouvrir, en 1820, un modeste débit de vins. Humble
clerc d'avoué, il dévora des livres et composa des vers. Puis, brûlé
du désir d'écrire, il accepta, après la Révolution de i83o, n'ayant

I. Voir sa brochure Du silence et de la publicité.


:

Sur le rAle de Mgr Parisi»,
depuis i843 jusqu'à i848, voir Foluolbt, Montalembert et Mgr Parisis, un vol.
in-80, Paris, 1901.
a. <( Le point de vue constitutionnel, écrivait Veuillot à Mgr Parisis, est celui
qu'il faut prendre. Il fermera la bouche à la mauvaise foi libérale, ouvrira les
yeux des libéraux de bonne foi, et fera entrer les chrétiens dans la roule la plus large
et la plus pratique qui soit aujourd hui olTerte aux idée». Il y a bien longtemps que
je pense que Dieu a réservé pour nous, dans la Charte et dans le» lois, de pui»»antef
armes dont nous avons tort de ne pas user... C'est un devoir pour le chrétien de »ê
•ouvcnir qu'il est citoyen ». (L. \buillot, Correspondance ^ t. I, p. aïo).
Hist. gén. de l'EgliM. — VIII >9
290 HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLTSE

pas encore vingt ans, le rôle de défendre par la plume la monarchie


de Juillet. Au fond, il détestait ce régime bourgeois, jouisseur,
pratiquement athée, qui donnait à l'ouvrier, ainsi qu'il l'a écrit plus
tard, « des maîtres pour lui vendre l'eau, le sel et l'air, pour lever
la dîme de ses sueurs, pour lui demander le sang de ses fils », mais
qui ne lui offrait jamais w un protecteur pour le défendre, un guide
pour l'éclairer, pour prier avec lui, pour lui apprendre l'espé-

rance 1 ». Mais le journaliste avait bientôt rougi de son métier. « Si


mon père savait ce que je fais, ce que j'écris, s'écriait-il, il refuserait
S« conversion. le pain dont je le nourris. » Il fut sur le point de passer au socia-
lisme. Il s'avisa, et devint chrétien. Au cours d'un voyage à Rome,
qu'il fit en compagnie d'un ami catholique, il fut saisi par la beauté
et par la vertu du catholicisme. Il en revint, suivant son expression,
« chrétien des pieds à la tête », décidé à combattre non seulement
l'incrédulité manifeste, mais tout ce qui lui paraîtrait amoindrir ou
fausser l'autorité de cette Eglise où il avait trouvé la paix de son
âme, la satisfaction de toutes ses aspirations vers la justice. « Son
Son entrée entrée en scène dans le journalisme donnait à la presse catholique
dans le
journalisme ce qu'elle n'avait plus eu depuis V Avenir : un polémiste alerte,
catholique. vigoureux, tel qu'aucun journal n'en possédait à cette époque un
;

écrivain-né, à la langue pleine de trait et de sel ; un satirique, habile

à saisir, au besoin à créer les ridicules ^ un batailleur courageux, se


faisant détester, mais écouter ^ ». De La Mennais il avait la verve

outrancière, mordante, hautaine, a Encore que je n'aime guère le


temps où je vis, a-t-il écrit, je reconnais en moi plus d'un trait de
son caractère, et notamment celui que je condamne le plus : je
Caractère méprise ^. » Son bonheur sera de « balafrer le plus avant possible
de sa
polémique. la face insolente de l'impiété * ». A son vif amour pour l'Eglise se

mêlera toujours Cette haine de la bourgeoisie riche, égoïste, qu'il a


sentie, dans son enfance, si dure pour les siens ; et parfois « l'on

aura la surprise de le voir se rencontrer là-dessus avec les plus


décidés révolutionnaires ^ ». Mais une ardente piété et une obéissance
sincère aux directions du Saint-Siège le préserveront des écueils où
est venu sombrer La Mennais.

1. Louis Vbuillot, les Libres penseurs, 3* édit., un vol. in-ia, p. 10.


a. Thureau-Dawgin, Hist. de la Mon. de Juillet^ t. V, p. ^75.
3. L. Veuillot, les Odeurs de Paris, préface, p. i5.
A. Id., les Libres penseurs, avant-propos de la 2^ édition, p. 30»
5. J. Lemaithb, les Contemporains, 6* série, p. 3i,
L ÉGLISE EN ANGLETERRE, EN ALLEMAGNE ET EN FRANCE 291

Presque en même temps que Monlalembert publiait son appel sur Union
de tous les
le Devoir des catholiques et Mgr Parisis sa première brochure, Louis cttholique^
Vcuillot fît paraître sa Lettre à M. Vlllemain, pamphlet véhément, dans
U campagne
dont près de lô.ooo exemplaires furent vendus en quelques semaines. menée pour
Tous les groupes catholiques fraternisaient. Veuillot écrivait dans le k liberté
de renseigne-
Correspondant, et V Univers ouvrait ses colonnes à Montalembert. ment.
L'archevêque de Paris et ses sufiTraganls avaient envoyé au roi un
mémoire confidentiel contre le monopole ; le rédacteur en chef de
VUnivers s'en procura une copie, la publia et obtint ainsi une mani-
festation publique de cinquante-six évêques, qui adhérèrent au
mémoire *. Les légitimistes venaient prendre place à côté des
anciens rédacteurs de V Avenir ; l'un des signataires des ordonnances
de 1828, Vatimesoil, se rangeait à côté de Montalembert, et, tout en
recevant le mot d'ordre d'un comité de laïques, les catholiques
reconnaissaient Mgr Parisis, évêque d'Arras, comme « le chef ecclé-
siastique de la campagne * », comme son inspirateur doctrinal.
Un second projet de loi, présenté par Villemain le 2 février i844, Nouveau
projet de loi
ne fit que resserrer l'union. Par une misérable lactique, le gouver- présenté
nement essaya d'obtenir l'adhésion ou du moins le sTlence de par Villemain
(18^4).
l'cpiscopat en multipliant les bourses accordées aux petits sémi-
naires, et d'adoucir l'opposition parlementaire en faisant confier le
rapport de ia loi devant les Pairs à un catholique notoire, le duc
Victor de Broglie. La loi nouvelle, en proclamant la liberté,- orga-
nisait et perfectionnait le monopole ; elle admettait la fondation
d'écoles libres, mais les soumettait à la surveillance, au contrôle et à
la juridiction de l'Université dans les détails les "plus minimes de leur
fonctionnement. Louis Veuillot exprima le sentiment de tous les Ce projet
ne fait
catholiques, en s'écriant : « Pour l'amour de Dieu, soyons victimes, que resserrer
mais ne soyons pas dupes ». La plupart des prélats, groupés autour les liens

de leurs métropolitains, de l'union


envoyèrent des protestations. Pendant la
entre
discussion devant les Chambres, qui dura du 22 aviilau 24 mai i844, les catholiques.

Montalembert soutint, contre Cousin, la cause delà liberté avec une


éloquence qui fonda sa réputation d'orateur parlementaire 3. Aussi,

I. GuiLLBMAHT, ParUis, II, 45-47.


a. Eugène Vblillot, t. Louis Veuillot,
I, p. 409.
3 Messieurs, s'crriait le jeune orateur, en regardant en face, de son œil clair
«
et loyal, ses adversaires étonnés. Messieurs, il faut Lien vous le persuader..., on
n'en finit pas avec les consciences comme avec les partis.. Savez-vous
ce qu'il y a
de plus inllexiblo au monde? C'est la conscience des chrétiens convaincus
.. Certes,
nous savons que nos droits comme chréliers sont antérieurs à toutes les constitutions
aga HISTOIRE GENERALE DE L EGLISE

lorsque les catholiques, avec la haute approbation de Tévêque de


Langres, décidèrent, aux premiers jours de i845, de fonder un
comité d'action, sous le titre de « Comité pour la défense de la
Fondation liberté religieuse », Montalembert en fut acclamé président. La
du Comité pour
la défense
vice-présidence fut confiée à un ancien membre du ministère Mar-
de la liberté tignac, un membre catholique de l'Université,
Vatimesnil, et à
religieuse
(i845). Charles Lenormant. Veuillot se fit le propagandiste du mouvement
en allant fonder en province des comités destinés à soutenir l'Uni-
vers *, et il répondit à Guizot, qui reprochait à Montalembert la
prétention non justifiée de représenter l'Eglise : « Oui, M. de Mon-
talembert n'est que l'enfant de l'Eglise, mais il est l'enfant sur qui
la mère s'appuie^ ». De leur côté, l'universitaire Lenormant et le

libéral Ghampagny répondirent au garde des sceaux, qui avait mis


Le « parti en scène le Nous n'eussions pas proposé le
« parti catholique » ; «
catholique ».
mot mais si l'on nous le jette comme un reproche, nous l'accep-
;

tons 3 ». C'était bien, de fait, un parti catholique qui s'organisait,


sous la direction d'un chef laïque et avec l'approbation au moins
Sens tacite de la grande majorité de l'épiscopat. Mais, qu'on le remarque
de ce mot
•u 1845. bien, ni les évoques ni les orateurs parlementaires et les journalistes
qui le recommandaient, ne le considérèrent comme une institution
permanente et normale. Montalembert, Veuiilot, Parisis, ne le pré-

sentèrent alors que comme une tactique accidentelle, passagère, que la


plupart d'entre eux abandonnèrent en i848, quand ils se trouvèrent

en face d'un grand parti conservateur, capable de défendre par lui-


même, sans compromettre l'autorité de l'Eglise dans ses polémiques,
la religion, la famille et la société. Il en était de même, au moins
« La liberté dans l'esprit de beaucoup, de la devise que tous adoptèrent à cette
comme
•n Belgique ». époque : « la liberté comme en Belgique * », c'est-à-dire la liberté

du monde mais nous sommes heureux de voir que ces droits sont consacr parés
;

la constitution de notre patrie... La Charte, c'est le sol sur lequel nous nous
appuyons... La liberté, c'est notre soleil, et il n'est donné à personne d'en éteindre
la lumière... Quoi parce que nous sommes de ceux qu'on confesse ^ croit-on que
I

nous nous relevions des pieds de nos prêtres, tout disposés à tendre les mains aux
menottes d'une légalité anticons^Hutionnelle ?... k\x milieu d'un peuple libre, nous
ne voulons pas être des ilotes, ffoos sommes les successeurs des Martyrs, et nous n«
tremblons pas devant les successeurs de Julien l'Apostat ; nous sommes les fils des
Croisés, et nous ne reculerons pas devant les fils de Yoltairo ». (Discours du 16
avril i844> Montalembert, Œuvres^ t. I, p. 364-4oi).
I. Veuillot, Correspondance, t. I, p. 179.
a. E. Veuillot, Louis Veuillot, t. I, p. 4 a 6.
3. Correspondant, t. X, p. 984 et s. ; t. XIII, p. 58l,
4- E. Vbuullot, 0/). ei<., p. 487.
l'<gmse en Angleterre, en ALLEMAoïtE et en frange îqS

de droit commun, la guerre contre tout monopole, fût-ce le mono-


pole en faveur de l'Eglise catholique, « lequel, déclarait Montaiem-
bert, serait le plus hii^'^?,An cadeau qu'on pût lui faire * ».

XVII

Ce serait une erreur et une injustice que de voir dan« tous ceux Divenioft
tentée par lei
qui furent alors les défenseurs du monopole de l'Université, des «Dnemis
sectaires acharnés à la destruction de l'Eglise. Ni Victor de Broglie, de l'Eglis*
catholique.
ni Guizot, ni Cousin, ni Villemain ne méritent une pareille qualifi-
cation *. Mais derrière ces hommes il en était pour qui la lutte

actuelle n'était qu'un épisode d'une guerre plus générale contre


l'influence catholique, sous quelque forme qu'elle se produisît.
Ceux-ci, sentant la partie momentanément perdue sur le terrain de
la liberté d'enseignement, tentèrent d'ouvrir une brèche sur un
point qu'ils jugèrent plus difficile à défendre. Les attaques se multi- La question
dei jéiuitet.
plièrent contre le prétendu envahissement des congrégations reli-

gieuses et leurs prétendus méfaits. On dénonça effrontément des


capta lions, des vols, des crimes innommables. Puis, peu à peu, les
accusations se concentrèrent contre les jésuites. Une violente contre-
attaque, habilement conduite et vigoureusement menée, prit bientôt
des proportions telles, que dans la presse, au parlement, dans les

négociations diplomatiques, toutes les autres questions parurent


reléguées au second plan, pour faire place à la question des jé-
suites^.
Deux professeurs du Collège de France, Jules Michelet et Edgar Jules MicheWl
et Edgar
Qiiinet, ouvrirent la lutte en i8/i3. L'un et l'autre s'étaient montrés
Quinet.
jusque-là sympathiques au catholicisme ; ils en avaient du moins

MoMTALBMBBRT, DiscouFS du 36 avril 1844, ŒuvrtSf t. I, p. 453.


1.

a illemain était cependant obsédé par une peur des jésuites qui devait le con-
N
duire à l'aliénation mentale. « Il s'imaginait toujours, écrit Thureau-Dangin, voir
auprès de lui des jésuites, le guettant et le menaçant. Un jour, il sortait, avec un
de ses amis, de la Chambre des pairs, où il avait prononcé un brillant discours, et
causait très librement, quand, arrivé sur la place de la Concorde, il s'arrête, effrayé.
« Qu'avez-vous ? lui demande son ami. — Gomment ? Ne voyez-vous pas ? Non.» —
Montrant alors un tas de pavés « Tenez, il j a là des jésuites allons-nous-en. >
: ;

Dans les derniers jours de décembre i844, Villemain, fléchissant sous le poids des
chagrins de famille et des déboires politiques, eut un accès violent de folie et st
précipita par l'une des fenêtres de l'hôtel ministériel. » (Thurbau-Daugin, Hist. de
la Mon. de Juillet, t. V, p. 546.)
3, Sur cet incident, voir BtnifiCHOi*, op. cit., t. II, p. 493-573.
294 HISTOIRE GÉNÉRALE DE L*ÉGLISE

admiré avec émotion la poésie touchante et les bienfaits sociaux.


« Les choses les plus filiales qu'on ait dites sur notre vieille mère
l'Eglise, disait Michelet en 1843, c'est moi qui les ai dites. » Et
Quinet se délectait à lire les Psaumes et V Imitation de Jésus-Christ.
Mais Michelet, âme sensible, impressionnable, mobile, sans habi-
tudes religieuses, n'ayant été baptisé qu'à dix-huit ans, et sans con*
\ictions fermes, obéissant à toutes les suggestions de ses sympathies
successives, souffrant des moindres blessures faites à sa* susceptibilité
douloureuse, était prêt à toutes les évolutions ; et Quinet avait tou-
jours mêlé à sa vague religiosité apocalyptique et nuageuse, où la phi-
losophie de Herder côtoyait le romantisme de Chateaubriand, des
tendances nettement anticléricales et révolutionnaires. La volte-face
des deux professeurs fut-elle due uniquement, comme on l'a dit, au
désir de venger TUniversité des injures violentes, excessives dirigées
Ils choisissent contre elle par l'écrit d'un jésuite Doit-on y voir, en même temps,
^ ?
comme sujets chez Quinet la satisfaction d'une haine longtemps contenue chez ;
de leurs coufs
au Collège Michelet, le désir d'une bruyante popularité, comme revanche à des
d' France, en
humiliations mondaines dont il avait beaucoup souffert ? Quoi qu'il
i843, l'ultra-
raontanisme en soit, les deux professeurs choisirent, pour sujet de leurs cours, en
et les jésuites.
1843, l'ultramontanisme et les jésuites. Michelet, s'appuyant sur les
Monita sécréta, qui sont l'œuvre d'un imposteur *, sur les Exercices
spirituels de saint Ignace et sur les Constitutions de la Société, dont il

dénaturait la signification par des contre-sens manifestes 3,

représentait la doctrine et l'œuvre des jésuites comme une doc-


trine et une œuvre de tyrannie et de corruption. La jeunesse

des écoles, avide, de scandale, se pressa aux cours des deux


maîtres, dont le talent était réel ; et quand Michelet, avec son élo-

quence fébrile, Quinet, de son ton de prophète, soulevaient les pires


passions, des applaudissements tumultueux, des cris de haine répon-
daient à leurs suggestions malsaines.

S.J.
l

a.
Le monopole

« Il suffit
universitaire^ destructeur de la religion et des lois,

,
d'ouvrir les Monita et de les lire sans prévention, pour s apercevoir
qu'ils sont une satire... L'ouvrage, paru à Gracovie en i6i4, est l'œuvre d'un jésuite
...
par le P. Deschamps,

expulsé de l'ordre » (Bcehmbr Monod, les Jésuites, un vol. in-12, Paris, 1910,
P. 64 66j.
Toutes les citations que fait Quinet, dit Alfred Monod, toutes les traductions
3. «
qu'il donne trahissent le parti pris avec lequel il a lu et interprété les textes. »
(BcEaMER- Monod, les Jésuites, p. 12.) Saint Ignace avait écrit « Quand un supé- :

rieur ordonne, persuadons nous que tout est juste, rejetons tout sentiment contraire,
cours,
toutes les fois qaon ne pourra y apercevoir quelque péché ». Michelet, dani son
cite ce passage, mais en supprimant la rcslriclion u {Ibid.),
L EGLISE EN ANGLETERRE, EN ALLEMAGNE ET EN FRANCE 295

Le succès des professeurs tenta des journalistes. Un écrivain dé-


pourvu de forte culture, peu soucieux du grand art, mais doué d'inria-

gination, d'entrain, de verve gouailleuse, Eugène Sue, venait de Eugène Su«.


publier, dans le ministériel Journal des Débats^ sous le titre de Mys-
tères de Paris^ une description des bas-fonds de la capitale, dont
Sainte-Beuve avait écrit : « L'inspiration essentielle des Mystères
de Paris^ c'est un fond de crapule * ». Le ConstUutionel lui offrit cent

mille francs pour un feuilleton qui mettrait en scène les jésuites.


Ce fut l'origine du roman le Juif errant, œuvre malsaine et calom- Le
Juif' Errant,
nieuse, dont l'auteur lui-même a dit, dans ses Mémoires : « Le
désir de redonner de la popularité au Constitutionnel ne me rendit
exigeant ni sur le sujet ni sur le but moral de l'ouvrage. » Le
nombre des abonnés du journal monta, en peu de temps, de 3. 000 à
25.000. Les éditions illustrées de l'ouvrage se multiplièrent. Bal-
la nche écrivait, le 26 novembre i8/i4, à Ampère : u Toute la terre

le dévore ; il voyage plus rapidement que le choléra. »


Mais les exagérations des calomniateurs nuisirent à leur cause. On Les meneurt
de la
s'aperçut que le roman-feuiileton d'Eugène Sue ne courtisait pas campagne
moins les passions antisociales que les passions antireligieuses. Miche- anlicalholiqud
se compro-
let, en poursuivant ses attaques contre la Compagnie de Jésus, en mettent par
était venu à prendre à partie le christianisme lui-même, l'opposant à leurs excès.

la Révolution, comme la « cité du mal » en face de la u cité du


bien » ; et Quinet était allé plus loin encore, décernant à la Résolu-
tioii « la papauté universelle et le gouvernement des âmes » *. Si
bien que la Revue des Deux Mondes^ en rendant compte du livre des
Jésuites^ dana lequel les deux professeurs avaient réuni leurs leçons
de i8/|0, écrivait: «Le coupa porté, trop bien peut-être. 3> Le public Le livre du
P. de Ravignan
était prêt à entendre une riposte des jésuites. Elle pnrut, grave, sur t Existence
émue, venant d'un homme qui s'était acquis dans la chairede Notre- et iinslitat
des jéauiles
Dame, à côté de Lacordaiie, un renom d'éloquence, de sagesse et de
sainteté. Sous ce titre : De l'existence et de l'institut .des jésuites, le

P. de Ravignan exposa, en un style digne, calme et fier, les constitu-


tions, les doctrines, les œuvres de la Société dont il faisait partie. Le
succès fut inmieuse. Sainte-Beuve écrivit, dans la Revue Suisse, que
1 ouvrage u était digne d'une grande et sainte cause ».

Cependant le gouveruenieut se préoccupait de la violence des at-

I. Saintk-Bkuvi, Chroniques parisiennes, p. 169,


a. l"HURfiA.L-DAM;i.N, Op. Cil.,
i. V, {). boÇ),
296 HISTOIRE GENERALE DE L EGLISE

Le laques dirigées contre les jésuites. Il craignit qu'on ne Tentraînâl


gouvernement
décide
dans une de ces luttes religieuses qui, prenant l'allure d'une per-
de porter sécution des consciences, ne réussissent jamais aux pouvoirs qui les
la question
des jésuites
entreprennent. Guizot, du moins, vit cet écueil, et chercha à l'éviter

devant en (( portant la question devant le pouvoir spirituel », * c'est-à-dire


le Saint-Siège.
devant le Saint-Siège. Il choisit pour négociateur un homme qui, dans
la discussion de la loi sur l'enseignement à la Chambre des Pairs,
avait pris adroitement position entre Montalembert et Cousin, Pelle-
grino Rossi, ce jurisconsulte que nous avons vu, en i832, rédiger, en
Suisse, une revision delà Constitution favorable au parti radical ^.

La mission Un tel choix ne pouvait plaire à Rome. Le parti politique de Rossi


de Pellegrino
Rossi
et son mariage avec une protestante étaient de nature à le rendre
(i845). suspect au Saint-Siège. Mais le négociateur possédait à fond les qua-
lités qui ont fait la renommée des diplomates de sa race : un juge-
ment net et lucide, une rare souplesse dans les démarches, et, sous
les formes d'une urbanité de manières parfois exubérantes, une per-
sévérance impassible dans la poursuite de ses desseins. Dans le courant
Son habile du mois de mars i845, ily subit, pendant deux mois,
vint à Rome. Il
diplomatie.
l'épreuve d'une froideur d'abord générale dans la cour pontificale,
puis notablement atténuée, grâce aux relations amicales qu'il sut se
conquérir parmi les prélats. Les vifs débats qui s'élevèrent, au début
du mois de mai, dans la Chambre des députés sur les congrégations
religieuses, l'ordre du jour, voté en masse par les représentants de la
nation pour inviter le gouvernement à faire exécuter contre elles
les lois de l'Etat, lui furent une occasion de faire entrevoir à Rome

les grands périls de l'Eglise en France : la dissolution probable de


toutes les congrégations, le peuple déjà trop excité contre les jé-

suites, renouvelant contre eux, avec une violence plus grande, ces
émeutes qui avaient tant attristé la France catholique au lendemain
de la révolution de Juillet, le roi Louis-Philippe personnellement bien-
veillant pour l'Eglise, mais constitutionnellement impuissant à ré-

primer un soulèvement de celte importance. Habilement, il insinua


que, pour la paix de l'Eglise,, il importait d'enlever tout prétexte d'agi-

1. GuuoT, Lettre au P. Daniel^ dans les Eludes religieuses de septembre 1867. —


Le gouvernement de la Restauration, lors des ordonnances de 1828, avait aussi
tenté de faire intervenir !e Saint-Père. Et ces « appels à Rome », de la part de gou-
vernements pour qui l'appel à Rome était une offense à TËtat, ne sont pas des
faits uniques dans l'histoire. Rossi s'était, depuis i83a, fait naturaliser Français, e|
était pair de France quand Guizot le choisit pour plénipotentiaire.
2. Voir plus haut, p. 307.
l'église en ANGLETERRE, EN ALLEMAGNE ET EN FRANCE 297

talion à un parti catholique tout prêt à compromettre le Saint-Siège


par ses violences, à troubler la hiérarchie par ses initiatives hardies ;

car qu'était-ceque ce groupe militant de laïques, constitué en


dehors de l'épiscopat et lui donnant son mot d'ordre, sinon une
survivance de ['Avenir^ « la coda di La Mennais » ? Bref, il
était urgent de s'entendre aur quelque combinazione qui, sans
donner raison aux détracteurs des jésuites et sans encourager
leurs dangereux défenseur!, assurerait la paix de l'Eglise et de
l'Etat.

On ne pouvait exploiter les circonstances actuelles avec plus Le cardinal


Lambruschini
d'adresse. Mais, en discutant ces questions avec le cardinal Lambrus- déjoue le plaa
chini, Rossi se trouvait en face d'un diplomate de sa taille. Le se- de la secte
anticatholiqu*
crétaire d'Etat de Grégoire XVI ne jugea pas opportun d'opposer une par une
fin de non-recevoir à la demande de Rossi. 11 chercha seulement à habile « corn-
binaiiOQ ».
réduire à un minimum, dans la combinazione projetée, les conces-
sions du Saint-Siège. Rossi, qui avait primitivement demandé un
ordre du pape expulsant les jésuites de France, finit par consentir
à ce que ces religieux fussent priés de « se mettre dans un état qui
permît au gouvernement de ne pas les voir », par exemple, en
abandonnant les grandes villes et les maisons nombreuses, pour se
grouper en petites communautés ou s'installer en des localités peu
importantes. De plus, le cardinal obtint que le pape n'interviendrail
point officiellement dans cette mesure, qui serait prise parle Général
même de la Société. En conséquence, le R. P. Roothaan, Général de
l'Ordre, écrivit, le i4 juin i845, aux Provinciaux de Paris et de
Lyon, pour leur conseiller de procéder u doucement et sans bruit » à

la diminution ou à la dissolution des maisons de Paris, de Lyon et


d'Avignon. Un peu plus tard, il ajouta la maison de Saint-Acheul et
les noviciats nombreux.
Le gouvernement de Paris se félicita de ce résultat comme d'un La question
des jésuil€s
succès *, et envoya ses félicitations à Rossi. Mais en réalité la diplo-
disparaît,
matie pontificale avait triomphé. « La question des jésuites dispa- sans que les
jésuites
raissait, sans que les jésuites disparussent eux-mêmes » * ;Mon-et
disparaissent
talembert pouvait s'écrier, le i5 juillet i845, à la Chambre des eux-mêmes.
Pairs, en s'adressaut aux ministres : « La question de l'enseigne-
ment et celle de la liberté religieuse restent entières. Elles couraient

I. GuizoT, Lettres à sa famille et à sts amis, p. a3o, lettre du i8 juillel i845,


a. TutRE4u-D^GI!<, t. V, p. 574»
298 HISTOIRE GENERALE DE L EGLISE

grand risque d'être absorbées toutes deux dans la question des


jésuites, et peut-être d'y périr. Vous les avez dégagées ^ »

XVIU

Le La lutte sur la question religieuse reprit en effet, mais moins ar-


mouvement dente, moins âpre des deux côtés. De part et d'autre, l'idée d'un ac-
socialiste
de cord par des concessions mutuelles commençait à se faire jour.
18^0 à 1845. Le gouvernement ouvrait les yeux sur le péril socialiste. La période
qui s'étend de i84o à i845 est celle oii les propagateurs des utopies
sociales commencent à s'organiser «o parti politique. Un écrivain
moins original que Saint-Simon, Leroux et Fourier, mais plus com-
batif, plus sympathique aux masses populaires, Louis Blanc, fut le
piincipal promoteur de cette évolution. On ne se trouvait plus en
face de rêveurs, mais de tribuns ; d'une secte, mais d'une faction. En
i843, un nouvel organe socialiste, la Réforme, fondé par Ledru-
Louis Blanc Rollin et inspiré par Louis Blanc,mouvement. En
propagea le
(iJii-iSSaj.
1845, une pétition circula dans les ateliers de Paris, demandant une
révolution politique comme condition de la révolution sociale. Le
Journal des Débats commençait à s'alarmer. Guizot reconnaissait
franchement que chaque entrave apportée à l'action religieuse était
S.\ e réflexion une force de plus donnée à la perversion socialiste et Louis-Phi- *

du roi
lippe, éclairé par l'expérience, disait tristementà sou premier ministre :
Loui»-Plii-
lippe. u Vous avez raison ; c'est au fond des esprits qu'il faut combattre
l'esprit révolutionnaire ^. »

Mesures Le nouveau ministre de l'instruction publique, qui venait de suc-


cificalricc» de ces senti-
céder à Yillemain, le comte de Salvandy,
jr
s'inspira
lia nouveau
oiinistre ments. Au concours général de 1845, il protesta hautement contre
de un crime
qui
(( l'impiété dans l'enseignement », serait, disait-il, «
iiiislruction
publique, public ». En cette même année, il empêcha la continuation du cours
A. de Sal-
d'Edgar Qainet, et substitua hardiment, par une ordonnance du
vaadjr.
7 décembre, au Conseil royal de l'Université, omnipotent à cause de

I. MoNTALEMBERT, GEuvres, t. II, p. 197. — Sur de la cour romaine


l'attitude
et particulièrement sur l'attitude personnelle de Grégoire XVIdans cette affaire des
jésuites, voir Glillemamt, op, cit., li, i27-i3a, et Burnighon, op. cit. y t. II, p. 646-
675.
9. TaunEA-u-DANGiif, l'Eglise et VEtat sous la Mon. de Juillet, p. 117.
L ÉGLISE EN ANGLETEURE, EN ALLEMAGNE ET EN FRANCE 299

8on inamovibilité et fort hostile aux réclamations des catholiques, un


Conseil de trente membres, renouvelable chaque année.
De leur côté, les catholiques laissaient entendre qu'ils ne refu-
seraient pas une prudente transaction. Frédéric Ozanam se prononçait
nettement en ce sens. Lacordaire lui-même conseillait de montrer
moins d'acharnement contre l'Université, de se préoccuper « des
de masse Intervention
-, .

Mais un des
T , r

événements
11-
lièdes, des indifférents, des politiques

les plus miportants de


et la
j 1M-
1 histoire

flottante »
1- •

reh^euse
*.
de 1 abbé
Dupanioup
de cette époque fut la publication, en i845, d'un écrit intitulé De la (i8A5).

pacijicatioa religieuse, et qui avait pour auteur le supérieur du petit


séminaire de Saint-Nicolas du Ghardonnet à Paris, l'abbé Dupan-
loup.
L'abbé Dupanloup, qui était déjà intervenu, l'année précédetUe,
dans la polémique relative à la liberté d'enseignement, par la publi-
cation de deux Lettres à M. de Broglie, et, en i848, par une bao-
cliure, Les Associations religieuseSy véritable état de la question,
était déjàconnu comme prédicateur, comme catéchiste et comme L'abbé
éducateur. Né en Savoie, le 3 janvier iSoa, abandonné par son , o"^*"^^^^
père dès sa naissance *, mais élevé chrétiennement par une mère
pieuse, il avait, de bonne heure, senti l'appel au sacerdoce, et
8*^ était préparé par de fortes études et une intense formation
religieuse au petit séminaire de Saint-Nicolas ^ et au grand sémi-
naire de Saiut-Sulpice. Nomme vicaire à la paroisse de la Madeleine
au lendemain de son ordination sacerdotale, et chargé particulière-
ment des catéchismes, il s'y révéla^ du premier coup, maître incom-
parable. <( On venait là, a-t il dit lui-même, de toutes parts, des
pays les plus lointains ; car les révolutions de i83o, i83i, i83a,
avaient amené à Paris des enfants d'Italie, de Pologne, de Portugal,
d'Allemagne, du Brésil. » Des princesses appelées au trône y parurent.
Il put un jour compter dans son auditoire trois reines. « Pour être

piètre, devait il écrire un jour, il faut être né grand, ou le devenir. »


Ce du peuple appelé à traiter avec des grands, honoré de l'amitié
fils Soo portrait,^

du duc de Kohan, chargé plus tard de donner l'inslruclion religieuse


au duc de Bordeaux, puis au duc de Nemours et à la princesse Clémen-
tine, se trouva sans peine, par sa haute culture et par l'élévation de

I. Thurbàu-Dangih,
Hisl. de la Mon. de Juillet, t. V, p. 444-495.
Faclkt, Mijr Dupauloup, uu vol. in 8°, Paris, igi.i, p. a.
a. E.
3. Avant d'enlrer au relit Séminaire de Saint-Nicolas, t'élix Dupanloup avait
é':iic dans linslilulioa de M. Puiloup, rue du Regard.
300 HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLISE

son âme, au niveau des plus nobles esprits. Aucun compliment ne lui
alla sans doute plus au cœur que celui que lui adressa Royer-Gollard
en le rencontrant auprès du lit de mort du prince de Talleyrand :

« Monsieur, vous êtes un prêtre I » Prêtre, Dupanloup le fut avant


tout lorsque, en i834, l'archevêque de Paris le chargea de la direc-
tion des études au petit séminaire de Saint Nicolas du Ghardonnet.
« Ceux-là seuls qui ont connu Saint-Nicolas du Ghardonnet pendant
ces années brillantes (de i834 à i845), a écrit Ernest Renan,
peuvent se faire une idée de la vie intense qni s'y développait. Et
cette vie n'avait qu'une seule source, qu'un seul principe, M. Du-
panloup lui même. Il suppléait à tout. L'écrivain, l'orateur, chez lui,
étaient de second ordre ; l'éducateur était tout à fait sans égal *. »
Son livre Dans son livre sur la Pacification religieuse, l'abbé Dupanloup
^^ordait pour la première fois la politique religieuse générale. Il s'y
Pacific a* n
religieuse montra, dans ses idées comme dans son style, tel qu'il devait être
(ï *^> jusqu'à la fin de sa vie : défenseur ardent de l'Eglise vis-à-vis de la
société moderne, au point d'être traité par les libres penseurs de
a farouche réactionnaire », et défenseur de la société moderne vis-à-
vis de l'Eglise, au point d'encourir et parfois de mériter l'épithète de
libéral et de gallican ; dans l'un et dans l'autre cas, lutteur obstiné,
infatigable polémiste ;
prêchant la pacification et la conciliation avec
une vivacité sans pareille ; d'une vie surnaturelle intense, dont ses
écrits intimes ont révélé la profondeur et la solidité, mais qui ne
supprima jamais l'impétuosité naturelle de son tempérament ;

« charbon ardent, a-t-on dit, sur lequel soufflaient tour à tour la


grâce et la nature » ^. « La paix, disait-il, c'est le vœu de notre
cœur ; mais la paix que nous voulons, c'est la paix dans la liberté,
la paix dans la justice. Toute autre paix serait la honte. Nous pou-
vons être humbles ; nous ne devons pas être vils. » « N*y aura-t-il
donc pas en France, ajoutait-il, un homme d'Etat qui Veuille atta-
cher son nom à un nouveau et glorieux concordat ? » Et, pour la
conclusion de ce concordat, il indiquait les dispositions que, pour
son compte, il professait à l'égard de la société moderne : « Nous
acceptons, nous invoquons les principes et les libertés proclamés en

RB5Aif , Souvenirs d'enfance et de jeunesse,


I .

Parole inédite de M. l'abbé Debeauvais, mort curé de Saint-Thomas d'Aquîa,


a.
ancien condisciple de Félix Dupanloup au Grand Séminaire de Saint- Sulpice, son
ancien collaborateur au Petit Séminaire de Saint-Nicolas du Ghardonnet et loo
ami intime jusqu'à sa mort.
l'église Élf ÀWGLETERnE, EN ÀLLEMAGîlE ET EN FRANCE 3oi

Vous avez fait la Révolution de 89 sans nous et contre nous, Dupan'oup


1789...
et Veuillot
mais pour nous, Dieu le voulant ainsi malgré vous. » L'auteur de se placent sur

'
la Pacification religieuse n'était pas d'ailleurs, sur ce point, démenti le terrain
du droit
par le rédacteur en chef de VUnivers. « Nous l'avons dit et nous le
commun ou
i répétons, s'écriait Louis Veuillot, une ère nouvelle commence, de la « liberté
pour tous M.
fruit des longues révolutions qui nous ont agités. La démocratie
s'élève, et l'Eglise est là comme une mère auprès du berceau...
Citoyen au même titre et avec les mêmes attributions que l'impie,
que le chrétien soit en toute rencontre l'apôtre et le défenseur de sa
croyance, comme celui-ci est l'avocat et le serviteur de son incrédu-
lité. Cet usage si noble et si nouveau du droit politique suffit en
quelque sorte à conjurer tous les périls *. » Aux élections de i846,

les catholiques se placèrent sur le terrain de u la liberté pour tous »,

Pratiquement, le « comité électoral pour la défense de la liberté reli-


gieuse », déclara que, « la liberté religieuse étant pour les catho-
liques d'un intérêt supérieur à tout autre, on ne devait exclure aucun
candidat qui s'engagerait à défendre cette liberté consacrée par la
Charte de i83o ^ ». Le mot d'ordre fut suivi, et les élections envoyè- Succès des
rent siéger au parlement cent quarante-six candidats recommandés catholiques
aux élections
par le comité présidé par Montalembert. Ce n'était pas encore une de i846.
majorité. D'ailleurs, parmi les promesses des candidats, plusieurs
paraissaient d une sincérité ou d'une solidité douteuses. Mais c'était

un succès considérable, dû à l'union, et à l'opportunité d'une tac-


tique qui, sans rien préjuger des principes, avait rendu la cause
catholique plus populaire. Malheureusement les formules employées
pour recommander cette tactique avaient un sens trop équivoque, et
devaient susciter bientôt des polémiques très vives entre ceux qui les
avaient unanimement proclamées.

XIX

Le pape Grégoire XVI avait suivi d'un œil paternel toutes ces he pape
luttes. Grégoire XVI
et la France.
Il s'était réjoui de voiries évêques de France reprendre le chemin
de Rome, soit pour y rendre compte de leur administration spiri- Les voyages
des évêques
français
I. Louis Veuillot signait: rédacteur en chef adjoint. Le rédacteur en chef, à
partir du 3 août i8/i5, était Charles de Goux. Voir Univers du 3 août i845.
à Rome.
a. Univers du 7 déctmbre i845.
303 HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLISE

tuelle, suivant la promesse faite à leur sacre, soit pour y prendre


les directions du Saint-Siège dans les situations difficiles, soit même
par le seul motif de montrer leur union à la chaire de saint Pierre ;

et il avait su gré au gouvernement français de n'avoir mis aucune


entrave à ces manifestations de fidélité. En recevant plusieurs de ces
prélats, il leur avait dit combien il se sentait heureux de se trouver
entouré des évêques, « ses appuis et ses remparts ».
^^ Le mouvement vers l'unité liturgique était apparu à Grégoire XVI
mouvement , . , , . , , .
t /-n •

ers la liturgie comme un gage de cette unité hiérarchique


r
que Jésus- Christ a
romaine. établie dans son Eglise. Il avait loué l'évêque de Langres, Mgr Pa-
risis, d'« avoir ramené tout son clergé à la pratique universelle de
l'Eglise ». Comprenant cependant qu'une exagération dans ce sens,
ou du moins qu'une trop grande précipitation dans l'exécution des
réformes projetées pourrait avoir ses dangers, il avait déclaré à
l'archevêque de Reims que, « pour éviter de graves dissensions, il

croyait devoir, pour le présent, s'abstenir de traiter la chose avec


étendue, et même de donner des réponses détaillées aux questions
proposées ^ ».
Les œuvres Grégoire XVI s'était réjoui du merveilleux développement des
charitables en
France. œuvres charitables dans notre pays sous son pontificat : « charité
nouvelle, a-t-on dit, charité privée au lieu de la charité officielle et
publique ; charité organisée, au lieu de la charité éparse et sponta-
née ; charité fraternelle, faite au peuple par le peuple, faite au
pauvre par le riche devenu peuple aujourd'hui » 2. La Société de
Saint- Vincent-de-Paul, avec toutes les œuvres qui dépendaient d'elle,

et l'Œuvre de la Propagation de la foi, avaient été les principales

manifestations de cette charité. Mais le cœur du pontife avait été


particulièrement touché en constatant que les œuvres charitables
s'étaient développées en France en dépendance de l'esprit de prière
et de sacrifice. Pour assister les pauvres, pour soigner les malades,
pour élever les enfants, pour secourir les vieillards, des associations,
La des confréries, des congrégations religieuses s'étaient fondées ^.
congrégation
des Parmi ces œuvres, il en était une qui semblait spécialement mar-
Pt'ites Sœurs quce d'un sceau divin : la congrégation des Petites-Sœurs des

(i84i). Pauvres. « L'extraordinaire et surnaturelle singularité de cette œuvre

I. Lettredu 6 août i842, Bernasconi, Acta Gregorii papae XVIf t. III, p. 224.
a, Baumard, Unsièclede l'église de France, un vol. in-8*, Paris, 190a, 3« édition,
p. 271.
3. Voir rénumération de ces œuvres dans Baunard, op. cit.^ ch. xiii, p. 370-297.
l'ÉGTJSE en A?îGLETERRE, ETf ALLEMAG!HE ET EN FRANCE 3o3

avait été celle d'une charité se faisant non seulement servante, mais
mendiante pour les pauvres; cette sublimité liardie de confiance en
Dieu, s'interdisant de rien posséder : aucune fondation ni dotation ;

tout au hasard d'une charité précaire, sans autre garantie qu'une

parole d'Evangile » *. Et la Providence avait béni cette sublime har-


diesse. En 184 1, dans une petite ville de Bretagne, Saint-Servan,
une ancienne servante, Jeanne Jugan, secondée par trois pauvres
ouvrières et dirigée par un humble vicaire, l'abbé Lepailleur, avait

voué sa vie au service des vieillards pauvres et infirmes et fondé l'ins-

titut,
_,•_.,
qui devait, en 1900, compter de 3. 000 à ^.000 religieuses, ré-
200 ma)6ons eparses sur
parties en 9,00 a
111.
le globe.
LcsœuMcs
de piAij.

Grégoire XVI se réjouissait aussi devoir fleurir sur le sol delà


France les œuvres de piété, et en particulier les œuvres de dévotion
envers la Vierge Marie. Il vit naître à Paris et se répandre de là sur
l'univers entier cette association de prières, placée sous les auspices

et le vocable du u très saint et immaculé Cœur de Marie » dont les

progrès rapides et les innombrables bienfaits ne furent pas moins


merveilleux que ceux de l'institut des Petites-Sœurs des Pauvres. Le
27 septembre i83o, une pieuse Fille delà Charité, Catherine La- La«méda;ne
bouré, avait été favorisée d'une apparition de la Sainte Vierge, envi- miraaileu«:e »

ronnée de rayons, les pieds sur une moitié du globe, et entourée


d'une invocation en lettres d'or : « Marie conçue sans péché,
priez pour nous qui avons recours à vous » ; et une voix mystérieuse
lui avait demandé de faire frapper une médaille sur ce modèle. Après
de longues enquêtes, l'archevêque de Paris, Mgr de Quélen, avait
accepté que l'on frappât la médaille selon le modèle indiqué. Cette
médaille, par la prière qu'elle provoquait, parla dévotion à la Vierge
Marie, qu'elle éveillait dans les âmes, avait opéré des prodiges de
conversion. Un prêtre zélé de Paris, l'abbé Dufriche-Desgenettes, curé
de Notre-Dame-des- Victoires *, ayant donné la précieuse médaille L'archicon-
comme symbole à une association de prières fondée pour
*
la conver- ^,
^réne de
, , ,
^ temps, sa paroisse renouvelée
sion des pécheurs, avait vu, en peu de
. ?»iotre Darne-
des-Victoirci
au point de vue religieux. Le 2 4 avril i838, le souverain pontife ti838).

érigea la pieuse association^en archiconfrérie, et lui permit de s'affilier

des associations semblables dans toute l'Eglise. A partir de ce jour,


l'archiconfrérie prit des développements prodigieux et devint une

1. Baumard. op. cit., ch. xiii, p. a83.


î. Voir E. A. de Valette, Vie de M. Dafriche-Desgenetles, un vol. in-i3, P»ri»,
i8G3.
3o4 HISTOIRK GÉNÉRALE DB l'ÉGLISE

source iiilarissable de grâces ^ Le i4 février i84i, le P. Lacor-


daire, inaugurant dans la chaire de Notre-Dame Thabit des Frères
Prêcheurs, salua comme une gloire et une espérance nationale « le

rendez-vous des âmes de cent pays » * à cette église de Notre-Dame-


des-Victoires, dont le nom seul était un présage de salut.
Des sciences Grégoire XVI, personnellement très versé dans les sciences ecclé-
ecclésiastiques
en France. siastiques, avait été également très heureux de constater comment
les études philosophiques, théologiques et historiques n'avaient pas
cessé d être cultivées avec succès, malgré les agitations de ce temps.
Il en avait, en i84o, témoigné sa haute satisfaction au fondateur des
Annales de philosophie chrétienne ^. De ce mouvement scientifique

Les Annales parmi les catholiques, les Annales de philosophie chrétienne elles-
de philosophie mên>es, fondées en juillet i83o par un membre de la Société
chrétienne
(i83o). Asiatique, Augustin Bonnetty, étaient une importante manifestation.
Elles avaient pour but, dans le principe, de « faire connaître tout ce
que les sciences humaines, en particulier l'histoire, les antiquités,

l'astronomie, la géologie, l'histoire naturelle, la jurisprudence, etc.,


renferment de preuves et de découvertes en faveur du christianisme ».

Nous avons eu l'occasion de signaler les œuvres de Gerbet, de


Rohrbacher, de Guéranger, de Frayssinous, de Lacordaire, de La
L'Essai sur Mennais. Un ancien sectateur passionné de ï Avenir, l'abbé Maret,
lepanthéisme avait combattu avec vigueur, en iSSg, dans son Essai sur le pan-
de
rab)>é Maret théisme^ la « philosophie séparée » des éclectiques de l'école de
(i839). Cousin et les doctrines socialistes de l'école de Saint Simon et de
Leroux, où il découvrait la même source d'erreurs, un panthéisme

Mgr Gousset avoué ou déguisé. L'abbé Gousset, vicaire général du diocèse de


(1792-1866), Besançon, avait lancé, en 1882, contre les survivants du jansénisme,
sa Justification de la théologie morale du Bienheureux Alphonse de
Liguorif et publié en i844» après sa promotion à l'archevêché de
Reims, sa Théologie morale à l'usage des curés et des confesseurs,

ouvrage clair et solide, qui obtint le plus grand et le plus légitime


succès.

Voir ALA.DKL, la Médaille miraculeuse, un vol. in-ia, Paris, dixième édition


I.
revue et augmentée, iSgS.
a Lacordaire, Œuvres, édit. Poussielgue, t. IX, p. 219. Parmi les
nombreuses
conversions opérées par la médaille, désormais appelée la médaille miraculeuse, il
faut citer le retour k Dieu d'un juif alsacien, Alphonse Ratisbonne, qui se joignit
ensuite à son frère Théodore dans l'œuvre de la congrégation de Notre-Dame d«
Sion, fondée pour la conversion des juifs.
3. Annales de philosophie chrétienne, t. XXI, i84i (t. H àe la a* série), p. 471-
473.
L*ÉGL1SE EN ANGLETERRE, EN ALLEMAGNE ET EN FRANCE 3o5

Les lattes poursuivies par les catholiques pour l'enseignement

primaire et secondaire ne les avaient pas détournés de l'enseigne-

ment supérieur. En i8/i5, Mgr AfTre avait fondé à Paris l'Ecole des
J'^"'^^,*'''*^

Carmes, destinée, disait il, « A former des écrivains capables de com- ^^^ Carme.
la religion ». Les étudiants s'y (i845).
poser de solides écrits en faveur de
préparaient à la licence et au doctorat, soit pour les lettres, soit

pour les sciences. En i8/|8, l'Ecole des Carmes avait fait recevoir

douze licenciés. En i85o, elle fit recevoir son premier docteur,


l'abbé Lavigerie, depuis cardinal. Pour l'enseignement des grands
séminaires, Joseph Carrière, directeur au séminaire de Saint-Sulpice, Les

publiait, de1837 à i846, ses Praelecliones theologicae majores en Hcologicae àa


J. Carrière,
huit volumes in-12, dont les éditions se multiplièrent et contribue-
rent au relèvement des études théologiques parmi le clergé ^ Mais
nulle publication ne contribua plus efficacement au progrès des
hautes études ecclésiastiques que celle des deux Patrologies de

Migne. d Vers 18/10, on apprit tout d'un coup qu'un prêtre auver- Ljh PatroîogU

gnat, l'abbé Migne, se proposait de publier une édition nouvelle et ^'g^^bé Migne.
commode de la patrologie tout entière, celle des Grecs et celle des
Latins. C'était une colossale entreprise. Sans être lui-même un théolo-
gien de profession,, l'abbé Migne était doué d'un sens théologique
remarquable. Son projet rencontra des difficultés de toute sorte ;

mais, à force de ténacité et de savoir-faire, il en triompha. Les deux


patrologies furent éditées, l'une après l'autre, à partir de i844, et

accueillies avec reconnaissance par les savants qui s'occupaient de


l'ancienne littérature chrétienne^ ».
Les erreurs théologiques de ce temps, par les discussions qu'elles Erreurs

soulevèrent et par les travaux qu'elles provoquèrent, contribuèrent j^^


elles-mêmes au progrès des sciences religieuses. Parmi ces erreurs, cette période,

nous devons signaler la plus notable et la plus répandue: le Iradi- Le tradi

lionalismc. Le traditionalisme tut une reaction exagérée contre le

rationalisme du dix-huitième siècle et les excès honteux de la Révo-


lution. La philosophie du xviii* siècle avait attaqué la révélation et
la tradition. La Révolution avait voulu justifier son esprit de révolte

T. E. Lbvesqcb, au mot Carrière dans \e Diclior:nnire de VACAirr, t. Il, col. i8o4-


i8o5.
2. J, Rei.lamt, Théologie catholique au XIX^ siècle, un vol. in-S", Paris, IQO^,

p. 47. Migne avait conçu son projet en 1806 La Pulrologie latine, panic de iS.i4
à i855, comprit aai volumes in-^i^ la Patrologie grecque, parue de 18Ô7 à 1866,
;

comprit 166 volumes du même format.


Ilisf. -.Ml ,lp |•K.;'is>^. - Vlll 30
3o6 HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLISE

par la humaine, qu'elle avait essayé de déifier en 1798. Il


raison
Se» origines. parut opportun à certains catholiques d'abattre de son piédestal
celte prétendue divinité. On crut saper le rationalisme par sa base
en montrant que la raison individuelle est impuissante à démontrer
les vérités religieuses et morales; que celles-ci sont le patrimoine de
l'humanité, qui les tient de la révélation divine et les transmet par
la tradition. Le mouvement traditionaliste deux principaux
eut
centres de propagande : les Anna/es de philosophie chrétienne et le
groupe des disciples qui se rangèrent autour d'un ancien professeur
de philosophie de la Faculté de Strasbourg, converti au catholi-
cisme et devenu prêtre, l'abbé Bautain. Poussé à ses extrêmes con-
Double vice séquences, le traditionalisme encourait un double reproche : i** en
du tradi-
tionalisme.
posant sur un même plan et en confondant dans une même démons-
tration les vérités qui sont du domaine de la raison et celles qui sont
du domaine de la foi, il confondait l'ordre naturel et l'ordre surna-
turel, et conduisait à les absorber l'un dans l'autre ;
2° en procla-
mant l'impuissance radicale de la raison individuelle à trouver la
vérité, il s'interdisait de la constater dans la raison universelle,
collection des raisons individuelles. Aussi l'abbé Bautain fut-il
Sa obligé de souscrire, en i8/iO, par ordre de Grégoire XVI, six pro|)0-
condamnation
(i84o).
sitions, par lesquelles il reconnaissait la puissance de la raison
humaine à prouver avec certitude l'existence de Dieu, la vérité delà
Soumission révélation, du Nouveau Testament, etc. *. Les parti-
l'authenticité
des tra-
ditionalistes.
sans du traditionalisme se soumirent humblement. Il leur resta le
mérite d'avoir mis en lumière certaines notions traitées par les héri-
tiers de Descartes avec trop de dédain, d'avoir remis en honneur les
idées de tradition et d'autorité, et d'avoir, en recherchant les débris
Services delà révélation primitive dans l'histoire des peuples anciens, produit
rendus à la
des travaux remarquables, qui font d'eux les précurseurs de l'histoire
religion par
leurs travaux. des religions.
Une réaction outrée contre le gallicanisme parvenait, en même
temps, après avoir vivement agité l'Eglise de France, à fixer, par un
examen plus attentif et par une décision suprême du Saint-Siège,
des points de discipline contestés.
Réaction Deux prêtres du diocèse de Viviers, les, frère» Allignol, ecclé-
oulrce cou Ire
le
siastiques de mœurs irréprochables, mais chez qui on pouvait relever
ij-allicauisme. certains manquements à la discipline delà résidence et une fâcheuse

I. Bellamy, au mot Baulain dans le Dict. âe Vacant, t. II, col. liSi-(\SS.


l'église en ANGLETERRE, Elf ALLEMAGNE ET EN FRANCE 807

irritabilité de caractère, s'étaient crus les victimes de préventions


injustes de la part de l'administration épiscopale, et avaient, pour
se défendre, publié, en 1889, unebrocbure intitulée : De l'étal actuel
du clergé en France. Dans cette brochure, les deux frères, collabora- Les frèrei
,, . , , 1T 1

1 1
Allignol.
teurs comme 1 avaient été, en vue de publications analogues, les
frères La Mennais, prétendaient défendre contre la discipline moderne,
acceptée par l'épiscopat français et inspirée par le gallicanisme, l'an-
cienne discipline de l'Eglise romaine, seule conforme aux prescrip-
tions du droit canonique. Suivant eux, le ministère des curés était
d'institution divine, et leur inamovibilité était une conséquence néces- Leur doclnne.

saire de cette institution. L'évêque, d'ailleurs, n'avait pas le droit


d'administrer seul un diocèse, mais seulement avec le concours de
ses prêtres réunis en synode. Bref, au nom des curés de campagne,
révocables au gré de l'évêque et dépourvus de tout prestige aux
yeux des peuples, comme au nom du vieux droit ecclésiastique
méprisé par Tépiscopat, les deux auteurs demandaient que le clergé

fût « émancipé du despotisme des évêques ». Le livre fit grand


bruit. Des prêtres pieusement attachés à l'Eglise, tout en regrettant
les excès de langage et de doctrine de cette publication, ne furent pas
fâchés de voir l'esprit gallican battu en brèche. D'autres, aigris,
mécontents, se réjouirent de voir, comme dit quelque part Bossuet en
parlant de Luther, « leurs fureurs mises en thèses ». D'autres enfin
s'indignèrent d'une agression injuste, qu'ils voyaient dirigée contre
leur respectable évêque, Mgr Bonnel. Le clergé du diocèse de Viviers
fut divisé en deux camps ; et la lutte semblait atteindre à son
paroxysme quand, Mgr Bonnel étant mort, sa succession fut donnée
à un jeune religieux oblat, originaire du diocèse d'Aix, l'abbé Gui- Mgr Guibert,

bcrt. Le nouveau prélat, nommé le 3o juillet i84i et sacré le mars


1 1 dJ" Vnïen.
1842, arrivait avec la réputation justifiée d'un esprit mûr, d'un juge-
ment droit et sûr, d'une piété solide, d'un talent d'administrateur
dont il avait donné des preuves comme supérieur du grand sémi-
naire et vicaire général d'Ajaccio. Il manifesta
aussitôt la ferme réso-
lution de tout faire pour apaiser le
conflit. Malheureusement la
querelle prit bientôt des proportions
imprévues. La presse parisienne
s'y intéressa. Un prêtre aveyronnais, l'abbé Clavel, qui rédigeait à
Paris le Bien social, journal du clerqé secondaire, dans .^*^^^-
lequel, sous le
couvert d'un ultramontanisme ardent, il plaidait pour ses rancunes de'la"-lle
personnelles, prit vivement fait et cause ^*°"
pour les frères Allignol ^* l'""^"^
L'abbé Migne, dans la Voix de la Vérité,
^""""'-
et l'abbé de Ge-
3o8 HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLÏSE

noudeS dans la Gazette de France y prirent occasion du différend pour


attaquer en bloc le corps épiscopal, « dirigé
par V Univers, disait la
Gazette de France, et régenté par les jésuites». Le marquis de
Régnon,
dans la Liberté y s'en preoait directement à l'évêque de Viviers. Les
frères AUignol, de leur côté, grisés par le bruit fait autour d'eux,
prenaient une attitude arrogante, se vantaient d'être appuyés à Rome
par le Saint Père lui-même. Mgr Guibert pensa que le moment était
venu d'agir avec fermeté. Le 6 janvier i845, il publia sa Lettre pastorale
Lettre sur tendances dangereuses d'un parti qui se forme dans l'Eglise
« les
pastorale
de l'évêque en France contre l'autorité épiscopale ». « Oui, disait-il, nous ne
de Viviers pouvons nous y tromper, on veut émanciper les prêtres de ce que
(6 janvier
i845). Ton ose appeler le despotisme des évêques. Il y a, dans ce seul lan-
gage, toute une révolte contre l'autorité de l'Eglise... Le souverain
pontife n'ignore rien de ce qui se passe dans notre pays ; il sait qu'au
moindre signe il serait fidèlement obéi ; cependant il n'impose aucun
changement dans l'état actuel des choses. » Bien plus, pour répondre
aux fausses allégations des frères AUignol, le prélatcommuniquait
à son clergé et à ses fidèles une lettre du cardinal Lambruschini,
secrétaire d'Etat, l'assurant que « les assertions des deux prêtres
réfractaires, loin d'avoir aucune ombre de vérité, étaient entièrement
fausses ». Les frères AUignol, pressés par les instances de deux
Soumission Mgr de Mazenod, évêque
dei frères
saints évêques, de Marseille, et Mgr Dévie,
AUignol. évêque de Belley, se soumirent, et le pape Grégoire XVI, par un Bref
du 26 novembre i845, félicita hautement l'évêque de Viviers d'avoir,
par sa prudence, apaisé la querelle, en écartant des débats la question
de l'inamovibilité des desservants, sur laquelle Sa Sainteté désirait
qu'on fît silence.

Une fois de plus, la sagesse de Grégoire XVI, trop souvent repré-


senté comme un ami des partis extrêmes, faisait triompher l'opinion
Sagesse modérée. Entre du cartésianisme et ceux du traditiona-
les excès
du pape
Grégoire XVI. lisme, il avait recommandé, en philosophie et en apologétique, une
méthode où la raison individuelle et la tradition se trouvaient harmo-
nieusement combinées entre les prétentions du gallicanisme, qui
;

tendait à exagérer les droits épiscopaux, et celles d'un ultramon-


tanisme exalté, qui voulait les amoindrir outre mesure, il se pro-

i. Antoine Genou, plus connu sous le nom d'Eugène de Genoude, surtout après
de noblesse que lui conféra Louis XVJII en i8aa, avait cto un disciple
les Icltres
de La Mennais. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages estimés.

à
L ÉGLISE EN A!fGLETERRE, EN ALLEMAGNE ET EN FRANCE SoQ

nonçait pour le régime tempéré que les évêques de France, au lende-


main de la Révolution, avaient cru devoir adopter, au moins provi-
soirement, pour la bonne administration de leurs diocèses et pour
le bien des âmes *.

I. Sur l'affaire des frères AUîgnol, roir J. Paqcblli db Follbnat, Vie du cardU
nal Guiberlf 2 yoI. in-S, Paris, 1896, t. II, p. 43-97.
CHAPITRE VII

GRÉGOIRE lYI.

LES MISSIONS ÉTRANGÈRES.

(l83l-l846).

Vue générale. Lorsqu'il n'était encore que cardi-nal, Grégoire XVI s'était beau*
coup préoccupé de la propagation de la foi dans les pays infidèles,
hérétiques et schismatiques. Son élévation à la dignité suprême de
l'Eglise lui permit de donner à cette œuvre une plus grande expan-
sion. La Turquie d'Europe et la Turquie d'Asie, l'Extrême-Orient,
l'Afrique, l'Amérique et TOcéanie, furent l'objet de ses sollicitudes.

L«» miision» Au moment où Grégoire XVI j.i'it possession du trône pontifical,


"®*
la rivalité de la Russie et de l'Angl *,terre en Asie donnait une impor-
La puissance politique
tance particulière à la situation de la Turquie.
de l'empire ottoman était en décadence. C'était bien « l'homme
malade », dont la succession était ardemment convoitée. Mais il
importait souverainement à l'Europe que cette succession ne s'ouvrît
pas. Le contrebalancement des deux puissances, russe et anglaise, en
Orient, formait un équilibre dont l'Europe profitait, et qu'une lutte
ouverte pour la prise de possession de Constantinople eût brisé.
D'ailleurs, la question des Dardanelles était, alors plus qu'aujour-
d'hui, une question européenne, bien plus, une question universelle.
La a Question Prolonger la vie de la ffrande préoccupation de l'Eu-
Turquie fut la °
dOrient» r2 , , . ^ , . , . i .. i .

au point de vue ^'^P®* Aoutes les questions secondaires qui se rattachèrent à cette
delà préoccupation principale, constituèrent dès lors ce qu'on appelle

ternationale. ^ ^^ Question d'Orient », dont la pensée devait conditionner presque


GREGOIRE XVI 3ll

toujours, et dominer plus d'une fois, au cours du siècle, les combi-


naisons de la politique internationale.
La c Question
La gravité d'une pareille question n'échappait point à Tattention
d'Orient »
de Grégoire XVI ; mais son esprit, peu porté vers les problèmes de au point de Yue
religieux.
pure politique, s'attachait plus naturellement aux problèmes d'ordre
religieux. De ce point de vue, il avait aperçu une autre question
d'Orient, d'une importance non moins grave. Dans l'empire ottoman,
ce n'étaient pas seulement les institutions et les mœurs qui se désa-

grégeaient : c'était la religion officielle, l'islamisme. La religion de

Mahomet se vantait encore de compter 200 millions d'adeptes mais, ;

dans les pays où la civilisation européenne avait pénétré, en Egypte,

aux Indes, et même dans une grande partie de l'empire turc, à


mesure que l'éducation des esprits et des âmes se développait, la
Décadence
fidélité religieuse au Coran faiblissait. L'esprit guerrier, âme de la
de l'islamisme.
propagande islamique, était éteint depuis longtemps. La foi aux
dogmes étranges de l'impeccabilité de Mahomet, de la divinité du
Coran, d'un Dieu plutôt maître que père, sorte de despote oriental
distribuant arbitrairement ses châtiments et ses récompenses, appa-
raissait de plus en plus inadmissible. Les esprits cultivés s'appli-
quaient à interpréter ces dogmes en les déformant ; les âmes élevées
commençaient à rougir des encouragements donnés par le Prophète au
divorce, à la polygamie, aux pires formes de l'esclavage, et de cette
prétendue perfection de l'Islam, engendrant chez ses adeptes l'orgueil,
l'intolérance et la stagnation. Pour un observateur perspicace, l'Islam
semblait en voie de devenir la religion de quelques fanatiques et des
masses populaires appartenant aux derniers degrés de la civilisation.

Sans doute, aucun musulman ne faisait l'aveu de ces choses. Les


plus lettrés se montraient tout aussi rebelles à l'évangélisation chré- Obstacles
à l'évangéli-
tienne que les plus ignorants. Mais il était évident que leur opposition sation
ebrétienne.
tenait à d'autres motifs qu'à une conviction religieuse profonde . Une
indomptable fierté de race et de nation et le scandale produit chez
eux par les mœurs relâchées de beaucoup des chrétiens établis dans
l'empire ottoman, expliquaient facilement leur irréductible hostilité
à toute tentative de prosélytisme.
Un homme d'une intelligence supérieure, d'un zèle ardent pour la

propagation de la foi, et qui avait été l'un des disciples préférés de


La Mennais, Eugène Bore, l'homme de France et peut-être d'Europe Eugène Bore.

le plus versé dans la connaissance des langues orientales vivantes,


avait longtemps médité sur les moyens de faire profiter la foi catho-
3l2 HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLISE

lique de la dissolution lente mais fatale de l'Islam. Pour l'instant


la politiqueeuropéenne favorisait ses aspirations, en empêchant la
Russie schismatique et l'Angleterre hérétique de s'emparer de l'em-
pire ottoman ; mais ce n'était là qu'un résultat négatif. Euo-ène Bore,
chargé d'une mission scientifique en Perse par l'Académie des Ins-
criptions, envoyait alternativement des mémoires à l'Institut et des
rapports à l'œuvre de la Propagation de la foi. Il lui sembla, après
mûre réflexion, et après avoir longtemps conféré de ses idées avec un
Son plan zélé prêtre de Saint-Lazare, que deux moyens indirects d'aposto!at
apostolat,
devaient être simultanément employés : la diffusion de l'instruction,
pour détacher les musulmans de leurs fausses croyances, et l'évangé-
lisation des chrétiens d'Orient, pour rendre le catholicisme respec-
table et désirable à l'esprit de ces infidèles, une fois désabusés. Bore
fonda et dirigea lui-même des écoles à ïspahan et à Djoulfa. Plus
tard, il se consacra plus spécialement à l'évangélisation des chrétiens
d'Orient comme lazariste *.

Fondation Grégoire XVI était fait pour comprendre les sages vues d'apostolat

ê''T^^\^^
préconisées par Eugène Bore. Aucune œuvre d'évangélisation directe

en Orient. des musulmans ne fut organisée en Orient ; mais les œuvres d'édu-
cation y furent multipliées, et une grande impulsion y fut donnée à
l'évangélisation des chrétiens, tant européens qu'orientaux unis ou
orientaux séparés. En i84o, M. Daviers, lazariste, ouvrait à Smyrne
et confiait aux Filles de la Charité un ensemble d'œuvres compre-
nant un orphelinat, une crèche, un dispensaire, en un mot toutes
les œuvres qui constituent habituellement le ministère charitable des
Sœurs de Saint-Vincent-de-Paul. En i84i, un Père de la Congréga-
tion de Picpus fonda, dans la même ville, un collège destiné aux
enfants des familles aisées. En même temps, les jésuites, spécialement
encouragés par le souverain pontife lui-même, développaient leurs
œuvres de Syrie. Dès la première année de son pontificat, Gré-
goire XVI, très informé de l'état des missions par ses fonctions
de préfet de la Propagande, qu'il venait de remplir, avait mis à la

disposition de Mgr Mazloum, évêque grec-catholique, trois religieux

de la Compagnie de Jésus, le P. Riccadonna, de Plaisance, le

1. Eugène Boré, ordonné prêtre en i85o, entra peu de temps après au noviciat
des Prêtres de la Mission, ou lazaristes, et fut envoyé en Orient, aussitôt après ses
vœux prononcés, comme missionnaire. 11 y exerça les fonctions de supérieur de la
mission de Bébek, puis de préfet apostolique. Appelé à Paris comme secrétaire de
Bon supérieur général, M. Etienne, il lui succéda en 187/^, etmouruten 1878, après
tvoir mérité le titre qui lui fut donné d'apôtre de l'Orient,
GREGOIRE XVI 3l3

P. Planchet, de Gap, et le Frère coadjuteiir Henze, de Hanovre, pour


diriger un séminaire fondé, vingt ans auparavant, à Ain-Tras, dans

le Liban. Par suite de diverses circonstances, le but projeté ne put Evangélisation


des chrétiens
être atteint ; mais les trois religieux, à qui vinrent se joindre bientôt orientaux.
plusieurs de leurs frère.s, exercèrent un fécond apostolat auprès des
chrétiens résidant en Syrie, donnèrent des retraites aux laujues et
aux prêtres, explorèrent la province, à peu près inconnue alors, du
Hauran,y découvriront une population chrélienneà peu près délaissée,

et préparèrent les voies à un apostolat plus fructueux.

Leur ministère personnel s'étendit jusqu'à la Mésopotamie, oij, dès La mission


de
i832, Grégoire XVI avait institué une Délégation apostolique dont Mésopola.nie.
la juridiction s'étendait jusqu'en Perse. Le P. Riccadonna fut chargé
d'y apaiser certains différends qui s'étaient élevés entre le délégué

apostolique et le clergé indigène. Le P. Planchet présida, au nom


de la Propagande, à la réorganisation de la mission, confiée en i84i
aux dominicains français. Après la mort du P. Riccadonna, son
successeur, le P. Ryllo, Polonais, put acheter, aux portes de Beyrouth,
un vaste terrain où il construisit une résidence mais sa grande ;

œuvre fut la fondation, en i845, du séminaire de Ghazir, dénommé Fondation


du séminaire
par la Propagande Séminaire central asiatique Cette maison, plus de Ghazir
tard, se dédoubla en deux établissements florissants : un séminaire, (i846).

et un collège où les riches européens d'abord, puis les notables


indigènes, les cheiks, les émirs, vinrent demander le bienfait d'une
éducation distinguée pour leurs enfants.
Quand, en i835, l'Egypte s'ouvrit aux influences de la civilisation Les misiioTîs
d'Egypte.
européenne, le délégué apostolique, Mgr Guasco, demanda l'envoi
de nouveaux missionnaires pour l'aider à grouper autour de lui les

Copies catholiques. Les Filles de la Charité, au prix de bien des dif-


ficultés, parvinrent, en i845, à ouvrir à Alexandrie un hôpital et
une école ; et les Frères des Ecoles chrétiennes, en 18^7, y com-
mencèrent pour les garçons les œuvres déjà entreprises pour les

filles. Le régime relativement libéral inauguré en Egypte favorisa


également l'évangélisation des Melkites. Ce nom de Melkites (roya- Les Grecs
Meikilcs.
listes ou impériaux) fut donné, au cours du v* siècle, aux chrétiens
orientaux qui, conformément à l'édit de l'empereur Marcien, suivirent
la doctrine du concile œcuménique de Chalcédoine, reconnaissant en
Jésus-Christ une personne et deux natures. Longtemps soumis à la
dépendance des patriarches schismaliques d'Antioche et de Jérusa-
lem, ils avaient, au vm* siècle, énergiquement refusé de suivre le
3i4 HISTOIRE GÉNÉHALE DE l'ÉGLISE

mouvement venu de Constautinople et de rompre avec Rome. Les


Melkites furent, par suite, l'objet de nombreuses vexations de la part
de leurs compatriotes syriens, et ils durent résister au gouvernement
de la Porte, qui voulait les soumettre à l'autorité du patriarche armé-
nien. Mais les efforts persévérants de Grégoire XVI aboutirent à leur
émancipation de toute tutelle étrangère et à la reconnaissance officielle
Les Maronites. de leur patriarche*. Grégoire XVI se préoccupa aussi du sort des
Maronites, et, en 18/46, fit en leur faveur, auprès du sultan Abdul-
Medjid, une démarche, qui obtint une réponse bienveillante de la
part du souverain musulman.
Les missions La Turquie d'Europe ne fut pas oubliée par le vigilant pontife. En
de la Turquie
d'Europe. i838, dans une audience accordée à Fieschi-Pacha, ambassadeur de
la Porte à Paris, il exprima la joie que lui causait l'attitude bienveil-

lante du sultan, qui avait permis aux catholiques d'élever de nou-


velles églises à Constautinople et dans les provinces ; et le sultan,

sensible à cette démarche, accentua sa politique relativement libérale


envers l'Eglise. On comptait alors, en Turquie d'Europe, 61 3. 000 ca-
tholiques, dont 180.000 vivaient à Constautinople. L'indépendance
de la Grèce permit, par ailleurs, au pape de donner une impulsion
nouvelle à l'évangélisation de ce pays. Par un Bref du 9 août i834,
il établit une délégation apostolique en Grèce ; et bientôt de nouvelles
églises s'élevèrent au Pirée, à Patras, à Nauplie, à Navarin.
Résultats Telle fut l'action évangélisatrice de l'Orient sous Grégoire XVI.
généraux des
missions
Vers la fin de son pontificat, le supérieur général des lazaristes,
d'Orient sous M. Etienne, pouvait écrire Le Coran a encore des disciples, parce
: «
Grégoire XVL qu'il proscrit toute éducation... Mais les grands, parmi ses adeptes^

commencent à n'avoir plus d'égard à cette défense... Dès lors, la


cause de l'Islam est perdue... Une fois autorisés à fréquenter nos
écoles, les Turcs abandonneront leurs préjugés. Aussitôt qu'ils joui-
ront de la liberté de conscience et des bienfaits de l'éducation, l'E-
glise sera à la veille de les compter parmi ses enfants *. » Des
obstacles divers sont venus, depuis, entraver le mouvement dont le

vénéré religieux indiquait si nettement l'orientation ; mais ses


vues n'ont point perdu leur valeur et autorisent toujours des espé-
rances.

I. Voir Cyrille Gh\ron (P. Cyrille Karalevsky), Histoire des patriarcats melkites^
3 vol. in-8, Paris,1910, t. II, p. 163-207.
a. Marshall, les Afissions chrétiennes, trad. L. de Wazibrs, t. II, p. a5.
GREGOrRE XTI 3i5

II

Les difficullés rencontrées par la propagation de la foi en Extrême- Les missioQS


(l'Extrêmo-
Orient furent, par certains côtés, plus pénibles au cœur du souve- Orient.
rain pontife, parce que plusieurs des obstacles qui lui furent suscités
lui vinrent, non plus de potentats infidèles, comme en Turquie,
mais de souverains chrétiens et même catholiques.
Nous avons vu la triste situation faite aux missions des Indes par
les événements qui précédèrent, accompagnèrent et suivirent la
Révolution française *. Or, non seulement, pendant soixante ans,
de 1760 à 1820, les missions catholiques de l'Inde durent être Obstacles
apportés à
délaissées, faute de sujets et de ressources, mais les Anglais et les
l'évangélisa-
Hollandais, sous prétexte d'observer à l'égard des indigènes une tioa de
ces contréet.
politique de « stricte neutralité » religieuse 2, entravèrent de toutes
façons la propagande chrétienne. La Compagnie des Indes-Orientales
refusait de transporter sur ses vaisseaux tout missionnaire, catho-
lique ou protestant, en destination pour la Chine ou pour l'Inde 3.

Par une ordonnance gouvernementale de 181 4» les chrétiens nés


dans le pays furent exclus de toutes les fonctions publiques un peu
importantes y eut plus. Le gouvernement anglais ne déploya
*. Il

pas moins d'énergie à encourager le culte des idoles qu'à opposer des
entraves à la prédication de l'Evangile. « Les actes de faiblesse
commis par des hommes se disant anglais et fonctionnaires, écrit un
protestant anglais, dépassent toute idée ^. » A la fin du xviii** siècle,

les pagodes de la présidence de Madras tombaient en ruine ; le gou-


vernement anglais s'empressa d'arrêter leur décadence ^. Le culte
ignoble et sanglant de Juggernauth fut non seulement approuvé,
mais patronné et pratiqué par les autorités anglaises '^, et le célèbre

général sir Perregrine Maitland fut forcé de revenir en Angleterre


pour avoir refusé de donnera des soldats anglais l'ordre de tirer des

I. Hisl. gén. de l'Eglise, t. VII, p. 447-448.


a. Asialic Journal, vol. XVIII, p. 8.
3. Marshall, les Missions chrétiennes, t. I, p. a44.
4. Ibid.
5. Colin MACK.BnsiB, Six Years in India, t. I, cb. vu, p. 3i3*
6. Marshall, op. cit., t. I, p. a4t)-

7. Ibid., p. a 48.
3i6 HISTOIRE GENERALE DE L EGLISE

salves en l'honneur de l'idole infâme *. Si l'on ajoute à ces faits le

scandale produit sur les indigènes par la mauvaise conduite de la


plupart des Européens, on est obligé de reconnaître, avec un écri-
vain protestant, que cette conduite était faite pour porter les indi-
gènes au mépris de la religion du Christ *.

UeiiaÎMance Dieu cependant veillait sur les régions évangélisées par les Fran-
<lesmissions
çois-Xavier, les Britto, les François Laynez, et leurs héroïques
«l'Extrême-
Orient sous compagnons et le pontificat de Grégoire XVI devait être marqué
;

(ir«5goire XVI.
par un remarquable développement de l'apostolat catholique dans les
Indes.
Bien des causes favorisèrent ce développement. Le mouvement
catholique qui se manifestait en i83o dans la jeunesse suscita un
certain nombre de vocations apostoliques ; et la Congrégation des
CatiseB Missions étrangères, réorganisée en 1826, vit ses membres se mul-
de celle
renaissance.
tiplier. L'Œuvre de la Propagation de la Foi, fondée à Lyon en 1822,
fournissaitaux missionnaires des secours pécuniaires de plus en
plus abondants. Les communications par mer devenaient plus faciles.
Depuis la construction, en 181 4, du premier steamer à roues, l'art
de la navigation s'était développé. Dès 1824, le Sirus faisait en
dix-sept jours le trajet de Londres à New-York. D'autre part, les
longs travaux, en apparence stériles, des missionnaires catholiques
avaient porté leurs fruits. L'infatigable dévouement de ces hommes
de Dieu, et des œuvres scientifiques comme celles de l'abbé Dubois 2,

avaient contribué à faire considérer les missionnaires non plus


comme des parias, mais comme des hommes de haute valeur morale
et intellecluelie, et, par ce résultat d'une importance énorme,
avaient préparé les esprits à accepter la prédication de l'Evangile. Le
Mgr Bonnaud zèle exceptionnellement éclairé d'un missionnaire, Mgr Bonnaud, de
dans
les Indes.
la Société des Missions étrangères, sut mettre à profit, avec la

grâce de Dieu, tous ces éléments de succès ^. Missionnaire aux


Indes depuis 1824, nommé coadjuteur de l'évêque de Pondichéry
en i833, puis vicaire apostolique des Indes en i836, Mgr Bonnaud
révéla, dans ces diverses missions, les plus hautes qualités du
missionnaire et de l'administrateur : la prudence unie à la fermeté,

I. Voir le Times du i4 octobre i863. Cf. Marshall, t. I, p. 245.


a. CoLiH Maciensib, op. cit., t. I, p. 333.
3. Ilisi.gén. de l'Eglise, t. VU, p. 447-U8.
4. Sur Mgr Bonnaud, voir Launa-y, /i/s^ de la Société des Missions élrangir es,
t. 111, p. 19.
GRÉGOIRE X,VI 3l7

une intelligence très perspicace servie par une activité très souple.
Ses^ourrage*
Une de ses premières préoccupations fut de publier plusieurs
ouvrages d'exposition et d'apologie de la foi catholique, capables de logétique.

détruire les préjugés des Hindous à son endroit. Le principal de ses


ouvrages fut un exposé du catholicisme sous forme d'une histoire de
l'humanité. 11 résumait l'Ancien Testament, les Évangiles, l'histoire
de l'Eglise, en notant soigneusement l'apparition des hérésies, et

surtout de l'hérésie protestante, qu'il réfutait, chemin faisant, en


quelques pages brèves et décisives. L'ouvrage se terminait par le

tableau de la doctrine et de la vie chrétiennes, telles que les professe et

les pratique l'Eglise du xix' siècle, avec ses fêtes, ses sacrements, ses

œuvres de piété et de charité, défendues contre les objections que lui

opposent ses adversaires. La seconde préoccupation du grand mis- ^^* ^5°"^'*.

sionnaire fut la formation d'un clergé indigène. Il fonda à Pondi- ^n clergé


mtligènc.
chéry un grand et un petit séminaire, séparant nettement le pre-

mier du second, et déchargeant les professeurs de l'un et de l'autre


établissement de tout service étranger à leurs fonctions. Les sémina-
ristes commençaient par être complètement séparés du monde, pour
se donner tout entiers à la formation d'une vie intérieure solide ;

mais, avant d'être appelés aux ordres majeurs, ils étaient chargés

d'accompagner et d'aider les prêtres dans leurs courses apostoliques.


où furent convoqués tous Sesrèglemei;i»
La réunion de plusieurs synodes, les
' . .
, ,. .1- r •
i- 1 • 1 11' • 1
SYnodaux.
missionnaires séculiers et réguliers, tut aussi i objet des sollicitudes
du zélé prélat. Le plus important de ces synodes fut celui de i844.
qui se tint à Pondichéry et fut pour les Indes ce que le syiK)de de
Se-Tchuen avait été pour la Chine * . Enfin l'éducation de la jeu-
nesse fut l'objet des soins particuliers de Mgr Bonuaud, qui fonda
plusieurs écoles, dirigea lui-même, à la demande du gouvernement
fiançais, le séminaire colonial 2, et inaugura en 18^6, à l'encontre
des préjugés les plus vivaces des populations de l'Inde 3, des collèges
de jeunes filles, confiés à une congrégation de Religieuses.
11 est facile de suivre, d'après les Annales de la Propagation de la
P'^^grès du

Foi, les progrès de la mission des Indes depuis 1820. Vers 1821, dans les Indci.

un missionnaire écrivait : « Je suis étonné de la foi des chrétiens que

I. Launat, op. cit., t. UI, p. i/ia-147. Cf. Hist. gén. de lEcjlise^ t. VII, p. ^49-
45o.
a. Le séminaire colonial est confié, depuis 1879, aux Pèresdu Saint-Esprit,
3. Dijiiois, Mirurs rfes peuples de llnde^ î vol. in-S", Paris, iS?5, l, l, p. ^76
3l8 HISTOIRE GÉNÉRALE DE L*ÉGLISB

je rencontre ^ » En 1829, le P. BonnaucI, depuis évêque, faisait

une constatation pareille 2. En i838, le P. Garnier, jésuite, relatait


que, malgré beaucoup d'ignorance et bien des pratiques supers-
titieuses, « les chrétiens des Indes étaient bien disposés, disant en
commun les prières du matin et du soir, accompagnant cette der-
nière d'une lecture spirituelle, et s'approchant des sacrements à
l'arrivée du missionnaire» 3. En 18^9, le P. Louis de Saint-Cyr
constatait que « dans un certain rayon autour de la résidence des
missionnaires, presque tous les villages étaient chrétiens * » ; et,

Tannée suivante, Mgr Borghi, vicaire apostolique d'Agra, disait :

« Bien qu'environnée par les sectes, notre Eglise progresse, au


milieu d'elles, d'un pas lent et ferme ^. »
Les missions de l'Inde furent toutefois pour le souverain pontife
une cause de tristesse ; et cette tristesse fut d'autant plus grande,
que la responsabilité pouvait en être attribuée aux agissements d'une
puissance catholique, le Portugal.

liSecliisme Pour combler les vides qui s'étaient produits dans le clergé de
di» Goa. leurs colonies, en particulier dans le diocèse de Goa, les Portugais
avaient fait ordonner, sans préparation sacerdotale suffisante, des
prêtres indigènes ou métis, dont la conduite peu édifiante avait donné
au clergé « goanais » une fâcheuse réputation et pouvait discréditer
gravement la religion catholique. En prenant possession du Siège
apostolique, Grégoire XVI, déjà mis au courant de la situation par
la charge de préfet de la Propagande qu'il venait de remplir, pensa

Mesures prises q^Je la première mesure à prendre pour rendre leur ancien lustre aux
P*'" missions d'Extrême-Orient, était de mettre fin aux scandales que le
Grégoire XVI 1 t. 1 • * i ti
pour restaurer gouvernement de Lisbonne ne savait pas empêcher, il commença
la discipline à instituer dans l'Inde des vicariats apostoliques, et les confia
donc
rlans à diverses sociétés de missionnaires. Ainsi furent établis, en i834 et
les colonies
i835, les vicariats de Geylan, de Sirdhana, de Bengale, et, en i836,
u^ais s.
^^^^^ ^^ Madras et de Pondichéry. Le gouvernement portugais pro-
testa. Le pape répondit à cette protestation par la bulle Multa prae*

1. i\1arshall, t. I, p. 23 1,
a. Ibid.
3. Ibid.
4. Op. cit., p. 283.
5. Op. cit., p. 233 Le P. Bertrand, écrivant du Maduré, en 1889 raconte co
fait, si souvent cité depuis «' Parmi ces Hindous, il en est qui, lorsqu'on leur
:

demande s'ils ont commis quelque faute, répondent « Autrefois j'en commettais, :

il y a longtemps. Je m'en suis confessé au Père il m'a défendu de recommencer^ ;

et depuis je n'en ai plus commis. «(Marshall, les Missions chrétiennes, 1. 1, p. 234).


ORÉGOTRE XVI 3l9

clare, du i4 août i838, qui supprima la juridiction des évoques

portugais sur les territoires attribués aux vicaires apostoliques. Les


Portugais refusèrent de se soumettre, contestèrent la valeur de l'acte
pontifical par des arguties juridiques, et finalement organisèrent un
schisme formel. Ce fut le « schisme de Goa ». Le conflit parut Opposition
XVI, d'accord avec la reinrî Marie, du
apaisé quand, en i843, Grégoire
gouvernement
préposa au gouvernement du diocèse de Goa, Jean de Silva Torrès. portugais.

Mais, à peine arrivé à Goa, le nouvel élu, soutenu par l'autorité


civile, manifesta l'intention d'exercer, malgré les ordres du pape,

toute la juridiction dont avaient joui ses prédécesseurs. Ce fut la

reprise du schisme de Goa, qui devait affliger l'EgUse jusqu'au

pontificat de Léon XIII *.

Ill

Cependant, de cruelles persécutions ensanglantaient l'Indo Chine. Les missioni


d Indo-Chine.
Le 17 octobre i833, le P. Gagelin, prêtre des xMissions étrangères
de Paris, subit la mort avec une piété si calme, que la foule païenne,
en le voyant, ne put contenir son émotion 2. Plusieurs de ses fidèles, Martyre
même sort avec un du P. Gagolin
de ses néophytes, endurèrent le pareil courage.
et de ses
Quelques-uns, avant de subir le dernier supplice, furent battus de compagnon»
(i833).
verges jusqu'à voir leurs chairs tomber en lambeaux. On entendit
un de leurs bourreaux s'écrier : « Vraiment cette religion chrétienne
est une bonne religion Le 21 septembre i838, le P. Jaccard,
».

confrère et ami du P. Gagelin, reçut à son tour la couronne du mar- Martyre


tyre. Les exécuteurs lui brisèrent dix bambous sur le corps sans lui du P. Jaccard
(i838).
arracher une plainte. Mgr Tabert, vicaire apostolique au royaume
d'Annam, écrivait : u Dans mon vicariat seul, 90.000 chrétiens
errent çà et là dans la plus profonde détresse... Près de /loo églises,
créations de leurs labeurs et de leurs aumônes, sont détruites de Martyre du
fond en comble 2. » Le P. Marchand, sous l'action de tenailles P. Marchand
et de
rougifs au feu, rendit témoignage à la vérité jusqu'à son dernier >ïgr Boric
(i838).

I. Voir, à ce sujet, la lettre de Grégoire XYI du ler mars i845, raliocution


consisloriale de Pic 1\ prononcée le 17 février i Soi, le concordat conclu entre
Pie l\ et Pierre V de Portugal le ai lévrier 1857 et l'accord intervenu entre
Léon \II1 et la couronne de Portugal le 26 juin 1886. Cf. Piolet, les Missions
cath. françaises, t. 11, p. 200-207.
a. Jagquenet, Vie de M. V abbé Gagelin, Paris, i85o.
3. Ma^rshall, t. I, p. io3.
320 HISTOIRE GÉ?îéRALE DE l'ÉGLISE

soupir. Le 2^ novembre i838, Mgr Borie, vicaire apostolique du


Toukin occidental, fut décapité, après sept tentatives inutiles faites
par le bourreau, que le martyr encourageait, taudis que les manda-
rins se cachaient le visage avec horreur. Le ii septembre i84o, le
Martyre du P. Perboyre, Lazariste, mourut après avoir subi pendant un an un
P. Perbovre
(i84o):
des plus longs et des plus cruels martyres qu'un homme ait jamais
enduré.
Les missions Ce n'était pas seulement en Indo-Chine, c'était en Chine que la
de Chine.
persécution sévissait avec fureur. Quand Grégoire XVI monta sur le

trône pontifical, la persécution déchaînée en i8i4* durait encore.


Des missionnaires, des prêtres chinois, des catéchistes, de simples
fidèles furent mis à mort, jetés en prison, envoyés en exil au fond de
la Tartarie. « Il n'y a pas, dit un historien des missions, de date
plus illustre dans les annales des missions de Chine que l'année
i84o 2. »

D'un autre point de vue, on pourrait dire qu'il n'est pas de date
Intervention plus honteuse dans l'histoire de la civilisation en Extrême-Orient.
de plusieurs
piiissances
Plusieurs puissances chrétiennes s'émurent et jugèrent le moment
européennes. venu d'intervenir, ne fût-ce que pour protéger leurs intérêts maté-
riels. En 1842, l'Angleterre, se bornant à ces préoccupations, obtint
de la Chine l'ouverture d'un certain nombre de ports pour son
commerce. En i844, les Etats-Unis stipulaient, par un article spé-
cial, la liberté de la religion chrétienne dans les ports ouverts. Vers
Traité la fin de cette même année, le 28 octobre, M. de Lagrenée, ministre
Lagrenée
plénipotentiaire du roi Louis-Philippe, signa, à Canton, avec le
(i844).
ministre chinois Ki-Ying, un traité semblable, mais plus explicite
dans ses clauses. Ce ne fut pas tout. Dépassant ses instructions
premières, mais non sans en avoir référé à M. Guizot, alors premier
ministre, qui l'approuva, M. de Lagrenée obtint du négociateur
chinois que deux édits fussent rendus, au nom et sous le sceau de
l'empereur, en faveur des chrétiens indigènes. Le premier, en date
du 28 décembre, leur accordait le libre exercice de leur religion.
Le second, daté du 20 février i846, leur promettait la restitution

de leurs anciennes églises ^.

Les missions Un autre empire, voisin de la Chine et son vassal, la Corée, était
de Corée,

1. Hist, gén. VII, p. 45o-45a.


de V Eglise, t.

2. M.VRSH.VLL, op. Cit , 118,


t. I, p.
3. Piolet, op. cit., t. III, p. 79 ; Annales de la Propagation de la foi, t. XVIII^
p. 81-82 ; t. XXI, p. a3-a5.
GREGOIRE Xn 321

aussi le théâtre de persécutions violentes^. Nous avons raconté son


cvangélisation merveilleuse, et comment, pendant un demi-siècle,
l'Eglise de Corée, fondée sans prêtres, s'était conservée et propagée
sans prêtres, sauf l'apostolat de cinq années du prêtre chinois Jacques

Tsiou. De 1784 à i835, elle avait subi quatre grandes persécutions,


n'avait jamais joui d'une sécurité pleine, et avait donné plus de
mille martyrs. Mgr Bruguière, nommé vicaire apostolique de la
Corée par le pape Léon XÏI en 1827, n'avait pu réussir à y péné-
trer. Il était mort sur les frontières de l'empire, au début de l'hiver
de i835, après avoir renouvelé pendant plusieurs années ses tenta-
tives infructueuses. Le premier missionnaire qui y pénétra fut le

P. Maubant, des Missions étrangères, qui y arriva en i836, bientôt


suividu P. Chastan et de Mgr Imbert, missionnaire au Se-Tchouan Marlyre de
Mgr Imberl
depuis dix ans. La présence de ces trois missionnaires, zélés, cou- et des Pères
rageux, expérimentés, fut un immense bienfait pour la chrétienté, Maubant
et Chastan
qui commençait à s'organiser sur le modèle des Eglises européennes ;
(l'SSô).
mais, en 1889, le gouvernement de la Corée passa aux mains d'un
eimemi juré des chrétiens. Les trois missionnaires, trahis par un
faux frère, furent arrêtés, et, le 2 1 septembre, furent mis à moLl,
avec deux cent cinquante de leurs disciples, dont soixante-dix furent
décapités et cent quatre-vingts étranglés. Quelques années plus
lard, en i844f l'amiral français Cécille, abordant sur les côtes de la Intervention
d« l'amiral
presqu'île, fit parvenir au souverain une lettre le menaçant de la GéciUe.
vengeance de la France si la persécution continuait. Pour toute
réponse, le despote fît mettre à mort un prêtre indigène, André
Kiin. La Corée ne devait être ouverte librement aux missions qu'en
1910, après la guerre russo-japonaise.
Le plan de l'amiral Cécille, encouragé par le succès en Chine de
M. de Lagrenée, était d'ouvrir aux missionnaires catholiques la Corée
et le Japon. Son échec auprès du gouvernement coréen ne le décou-

ragea point. Son projet, d'ailleurs, était le résultat d'une entente avec
les autorités ecclésiastiques. Quand, en 1882, le Saint-Siège avait
érigé la Corée en vicariat apostolique, en
y joignant les îles Riou-
Kiou, c'était dans l'espoir que ces îles, voisines et dépendantes
du Japon, seraient la porte par où le christianisme pénétrerait de
nouveau dans ce pays. Ni Mgr Bi-uguière ni Mgr Imbert ne purent
aborder aux îles Kiou-Kiou mais en i844 l'amiral français pro-
;

l.Uistowe ^cn, de l'tiylise, t. Vil, p. 445-/i46,


ilisl. gcn. de l'EgUae. — Mil ai
323 HISTOIRE GÉîfÉRALE DE l'ÉGLISE

posa au Procureur des missions en Qhine. le P. Liboîs, de favoriser


Teutrce au Japon d'un ou deux de ses missionnaires. Le P. Forcade,
le futur archevêque d'Aix, se proposa, et, accompagné d'un caté-
chiste intelligent et courageux, ancien confesseur de la foi en Chine,
Augustin Ko, fut présenté aux autorités de Nafa, capitale de l'île

principale, comme un interprète de l'amiral français, désirant étu-


dier à fond la langue japonaise.

Les missions L'empire du Japon était encore, à cette époque, systématiquement


du Japon. fermé aux étrangers. Les Russes, les Anglais, les Américains avaient
déjà essayé de pénétrer à Yeddo et à Nagasaki, et avaient été écon-
duits. De longues et pénibles négociations, poursuivies avec persévé-
rance par les amiraux Cécille et Guérin, aboutirent à l'autorisation
donnée aux missionnaires d'acheter une petite maison à Nafa. Mais
Le l'œuvre de l'évangélisation n'en parut pas plus avancée. Sous pré-
P. Forcade.
texte de protéger les deux étrangers, le roi de Nafa les faisait accom-
pagner partout par des mandarins, leur défendait d'entrer dans les

villes, écartait d'eux les gens du peuple, ordonnait de fermer les

hal)itations à leur approche. Toutefois le P. Forcade put faire


quelques constatations rassurantes. Le peuple japonais lui apparut
comme un peuple doux, bienveillant, poli, intelligent, très désireux

d'entrer en relation avec les Européens ; il eut même de sérieuses


raisons de croire, d'après certains indices, qu'un groupe de chrétiens
cachés subsistait au Japon. L'avenir devait justiQer ces pressenti-
ments ; mais, en attendant, les mandarins multipliaient les précau-
tions pour empêcher le P. Forcade et son compagnon de faire la

moindre propagande religieuse auprès des indigènes *•

IV

Les missions Parmi les terres que Grégoire XVI désirait le plus ardemment
d'Afrique.
arracher au joug de l'infidélité, il en était une dont l'antique Eglise
avait jadis rivalisé d'éclat avec celle d'Alexandrie. Evangélisée dès le

premier siècle du christianisme, illustrée par de grands évêques et


par de glorieux martyrs, la région septentrionale de l'Afrique, la
patrie de saint Cyprien et de saint Augustin, de sainte Félicité et de

I. Voir Marnas, la Religion de Jésus au Japon^ 2 vol. in-8*, Pari», 1896, k. I,


p. 80 et s. Cf. Abbé Mariot, Mgr Forcade, un vol. in-8®, Aix, 1886.
Vie de
.

GREGOIRE XYI 323

sainte Perpétue, était tombée, à la fin du vu* siècle, au pouvoir de


l'Islam. Les vingt basiliques de TEglisede Garthage avaient été con-
verties en mosquées, et, depuis ce temps, « le christianisme n'avait
guère été représenté dans les Etats barbaresques que par les esclaves
européens capturés par les musulmans et abandonnés à leur sort par
les princes chrétiens * ». Cependant, grâce à une mission fondée à
Tunis, au xm* siècle, à la suite de 1 expédition de saint Louis, grâce
au zèle des Frères Prêcheurs, des Frères Mineurs, des Trinitaires,
des Religieux de la Merci et, plus tard, des fils de saint Vincent de
Paul, la lumière de la foi ne s'était point éteinte complètement sur
ces plages ^.

Nous avons vu Tenthousiasme religieux excité parmi le clergé en


France par la conquête de l'Algérie en i83o ^. u Les lys, suivant les La conqiiétt
de l'Algéri«.
expressions d'un historien, parurent les précurseurs du signe de là

Rédemption. Effectivement, dès le lendemain de la victoire, le

comte de Bourmont, général en chef de l'armée expéditionnaire, se


hâta de faire planter une croix sur le monument le plus élevé de
l'Algérie *. » Malheureusement, le gouvernement de Juillet, par uq
respect mal entendu d'une prétendue liberté de consciencd, ne fit
rien pour faire connaître aux indigènes de l'Algérie la vérité reli- Obstacle»
misa l'évang^
gieuse, rien pour affirmer la foi catholique de la nation conquérante.
lisatiou
On affecta de ne pas dire un mot de religion, de ne pas accomplir parle gou-
vernemenl
un rite religieux devant les Arabes. En quoi, loin de les impression- français.
ner favorablement, on les scandalisa. Ils méprisèrent ces Français,
qui vivaient comme des impies, et, suivant les expressions d'un de
leurs chefs, « ces chiens, qui ne priaient jamais Dieu * )>. Aussi,
lorsque, deux ans après la conquête, il fut question de bâtir une
église dans la ville d'Alger, un Maure fit la réponse suivante à un
magistrat, qui lui demandait de quel œil la population musulmane
verrait cet édifice : « Hâtez-vous de l'élever, car alors seulement nous
croirons que vous avez un Dieu, et qu'on peut se fier à votre pa-
role ^. » En i838, le gouvernement finit par comprendre qu'il serait

I. Mgr Le Roy, au mot Afriqut, dam le Dict. de Vacamt, I. I. col. 5A3.


a. Ibid.
3. Voir plus haut, p. i3o.
J^PiONKAU, Vie de Mgr Dupuch, premier évéque d'Alger, un vol. in 8» Paris.•
1000, p. 87.
5 Paroles d'Abd-el-Kader à l'un de ses prisonniers.
(Thlreau-Dahgin. Hist d*
la Mon. de Juillet, t. 111. p. 5\i).
Moniteur du i-y ioùt i83a. Le Journal des Débats
ayaU dit gravement que,
324 HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLISE

Utilepour bien des raisons, entre autres pour conquérir l'estime des
indigènes, d'organiser en Algérie le culte catholique. Des pourpar-
Erection lers engagés avec la cour de Rome aboutirent à l'érection à Alger
de 1 evêché
d'Alger d'un évêché, qui dépendrait de l'autorité métropolitaine de l'arche-
(i838). vêque d'Aix. Une bulle de Grégoire XVI, datée du 9 août i838 et
promulguée en France par le Moniteur du 5 août, consacra olïiciellô-
ment cette érection. Peu de temps après, le pape désignait, pour
occuper le nouveau poste, un jeune vicaire général de Bordeaux,
i'abbé Antoine Dupuch.
Mgr Dupuch, Né dans Guyenne en 1800, d'une hono-
l'ancienne capitale de la
évêque
d'Alger. rable famille de négociants, Antoine Dupuch avait d'abord été,
comme étudiant en droit et comme avocat, un des membres les plut
zélés de la Congrégation que dirigeait alors le P. Ronsin. Gomme
pour plusieurs de ses jeunes camarades, la pratique des œuvres de
charité avait été pour lui le prélude d'une vocation plus haute. En
«82a, il était entré au séminaire de Saint-Sulpice, et, une foie
prêtre, il avait dépensé, dans son diocèse d'origine, comme mis-
soit

•ioniiaire, soit comme directeur d'oeuvres, soit comme vicaire


Ifénérai, une activité apostolique qui le désignait pour les plus hautes
et les plus délicates fonctions. « M. l'abbé Dupuch, disait, au len-
demain de sa nomination, VAmi de la Religion, est très propre à
créer à Alger tout ce qui manque. » Or les lacunes du nouveau dio-
de la religion
catiiolique cèse étaient immenses, a Quand Mgr Dupuch débarqua en Algérie,
dans le diocèse il ne trouva à Alger qu'une seule église, desservie par un seul
d'Alger.
prêtre, dépourvue des objets nécessaires au culte, et un établisse-

ment de Sœurs ; à Cran, un prêtre âgé et épuisé ; à Bône, une cha-


un prêtre zélé, mais sans ressources, cl le commen-
pelle misémble,
cement d'une communauté de Sœurs. Rien autre dans toutes ces
possessions ^ » a Evêque sans clergé, au milieu d'un peuple infi-

dèle ou incrédule ; appuyé a Paris par le roi, à Alger par le gouver-


neur général, mais ayant contre lui une bureaucratie intraitable;
repoussé par l'indifférence des riches ; trop pauvre, malgré les dons
nombreux des fidèles de France », Mgr Dupuch ne fut d'abord que

par suite de la conversion des Arabes, la couleur locale disparaîtrait, ce qui serait
bien dommage. « Il est sûr, répliqua Louis Veuillot, que nous y perdrions ces pitto-
resques coups de fusil qui accidentent U marche de nos troupes. Car on devrait
comprendre que les Arabes ne seront à la France que lorsqu'ils seront Français ;

ils ne seront Français que lorsqu'ils seront chrétiens; et ils ne seront pas chrétiens
tant que nous ne le serons pas nous-mêmes. »
I. Thureau-Damcim, op. cit,^ t. III, p, 54i.
GREGOIRE XVI 325

« le plus tracassé des administres * ». Mais son zèle fut infatigable.

Un an après son arrivée, il avait vingt-cinq prêtres, huit églises,


sept chapelles, un séminaire, huit écoles, deux orphelinats et un
hôpital indigène. En i8/|0, une mosquée lui fut concédée pour
être transformée en cathédrale. La fondation de plusieurs maisons Fondations
diverses
d'enseignement et de charité par les Religieuses Trinitaires de Valence, réalisées par
dans la ville d'Oran ; celle d^une maison du Bon-Pasteur aux envi- le zèle de
Mgr Dupuch»
rons d'Alger en i8/i3; celle d'un pensionnat des Dames du Sacré-
Cœur à Mustapha, peu de temps après ; et la bienfaisante fonda-
tion de la Trappe de Staouéli en i845 ^, comptent parmi les œuvres La Trappe
de Staouéli
les plus fécondes du zélé prélat. Quand, abandonné par le gouver- (i845).
nement, il dut, au bout de dix ans d'apostolat, rentrer en France, il

laissait derrière lui quatre-vingts prêtres, cent quarante religieuses^


soixante églises ou chapelles, un séminaire, des écoles chrétiennes,
des hôpitaux militaires, des pénitenciers, des associations de dames
de charité, toute une floraison d'œuvres évangéliques, et il avait posé

les bases des principales fondations auxquelles ses deux grands


successeurs, Mgv Pavy et le cardinal Lavigerie, devaient donner un
si grand éclat.

Pendant l'année qui suivit l'entrée de Mgr Dupuch en Algérie, Les missioQi
d'Abjssinie.
une autre vieille terre chrétienne d'Afrique, l'Abyssinie, perdue
pour l'Eglise et tombée dans le schisme depuis deux siècles, rece-
vait à son tour un grand missionnaire, le P. de Jacobis.
Un explorateur français, Antoine d'Abbadie, qui avait pu, en
1837, pénétrer au cœur de l'Ethiopie ^, et qui avait été frappé de la
profondeur et de la délicatesse des sentiments religieux des habi-
tants, s'était rendu à Rome afm de communiquer à la Congrégation
de la Propagande le résultat de ses observations. La création d'une
mission en Abyssini^ fut décidée, et la direction en fut confiée à un
prêtre de la Mission, originaire de Naples, le P. de Jacobis, qui dé-
barqua à ^L1ssaouah, en 1839, avec le titre de préfet apostolique. Mgr
La douceur, la patience, l'inépuisable charité de ce véritable apôtre, de Jacobis.

Louis VBUtLLOT, les Français en Algérie ^ un vol. in-80, Paris, 6' édition, i863,
I.

p. 397 Les soldats firent génàralemenl bon accueil au nouvel évêque. Un capitaine
quelcjue peu lettre lui adressa même un compliment en vers, qui débutait ainsi :
Illustre successeur du grand saint Augustin,
Qui fut martyrisé, dit-on, sous Constantin.

-. Bbrsakgb, Dom François-Ri'gis, fondateur de la Trappe de Slaouéli^ un vol u-8«,


Paris.
3. On sait que l'Ethiopie est le noia ancien de l'Abjssinie,
320 HISTOIRE GÉMÉRALE DE l'ÉGLISE

ne tardèrent pas à lui gagner la sympathie du peuple et même de plu-


sieurs chefs. Malgré les multiples
obstacles élevés par le respect
Immain et les liens de famille, deux petites communautés de fidèles
se formèrent bientôt près de Massaouah et dans la ville d'Adoua. En
i846, un modeste séminaire fut fondé à Gouala, et quatre églises

paroissiales furent érigées dans l'Agamié. « Un soufïle de grâce irré-


sistible passait sur cette région. De plus, des aides arrivaient au
gecours de l'ouvrier faiblissant sous le surcroît de labeur: le P. Bian-
cheri, lazariste, et, en 1846, Mgr Massaia, vicaire apostolique de la
nouvelle mission galla, avec plusieurs Pères Capucins, qui lui prê-
tèrent leur concours, en attendant que la route des pays galla leur
fût ouverte ^. » Mais, à ce moment, un évêque copte, l'abouna ^

Salama, connu par la dissolution de ses mœurs et la violence de son


fanatisme, avait déjà, par ses critiques, soulevé une persécution
contre les missionnaires. Poursuivies, traquées par des hordes de
brigands, les communautés catholiques furent obligées de se disper-
ser. Toutefois les efforts des ennemis de l'Eglise romaine furent
impuissants à détacher des missionnaires la sympathie respectueuse
des populations. De nouveaux centres d'apostolat se formèrent,
qui furent la consolation de Mgr de Jacobis, sacré évêque par
Mgr Massaia, en i85i.
L'évangéli- L'Algérie et l'Abyssinie furent les points de départ d'où les mis-

du centre sionnaires du xix* siècle, suivant ou devançant les explorateurs et les


de l'Afrique, armées d'Europe, s'élancèrent à la conquête du continent africain.
Le pape Grégoire XVI n'en vit pas les résultats j mais il put en saluer
les prémices.
La Providence, en effet, écrit un des apôtres de ce pays, Mgr Le
«
Roy, préparait une ère nouvelle pour le grand continent noir. En
même temps que les puissances d'Europe allaient se le partager, il

fallait que de nouveaux apôtres surgissent pour les précéder ou pour


les suivre. Ce mouvement, qui allait marquer la fin du xix^ siècle,

fut des plus modestes à son origine, et partit du séminaire de Saint-


Sulpice. Il y avait alors en cette maison deux jeunes créoles, Frédéric
Le Vavasseur, originaire de l'île Bourbon, et Eugène Tisserand,
d'Haïti. Ayant vu de près le lamentable abandon dans lequel vivait
la race noire, ils firent part de cette situation à l'un de leurs aînés,

I. CouLBEAUx, dans les Missions catholiques de Piolet, t. II, p. 31,


a. Abouna, métropolitain dans l'Eglise éthiopienne.
GRÉGOIRE XVI 827

François Libermann, né à Saverne en i8o3 récemment converti et Le Vénérable

du judaïsme à la foi chrétienne. Peu après, en i84i, une nouvelle et la

congrégation se fondait, la Société du Saint-Cœur de Marie, qui, Congrégaiioa

réunie sept ans plus tard à celle du Saint-Esprit, a depuis porté ce Saint-Esprit,
double titre. Le premier soin du fondateur, mort en i852 et depuis
déclaré Vénérable, fut d'évangéliser les noirs des colonies, alors
encore soumis à l'esclavage, et de les préparer doucement à la liberté.

L'apostolat du P. Laval à l'île Maurice est resté justement célèbre.


Plus tard, par les soins du P. Libermann, les colonies françaises de
la Réunion, de la Guadeloupe et de la Martinique furent érigées en

diocèses, et la nouvelle Société fit son entrée sur la terre africaine.

Celle entrée se fît sous le patronage de l'évéque de Cbarlestown,


Mgr England. Ce prélat, excité par l'activité des protestants d'Amé-
rique, qui venaient de fonder Libéria, avait appelé, dès i833,
l'attention delà Propagande sur cet état de choses, et le concile de
Baltimore avait appuyé sa démarche. Sept ans après, son vicaire
général, M. Barron, visita lui-même la côte d'Afrique, et fut nommé,
à son retour, vicaire apostolique des Deux-Guinées. Mais où trou-
ver des missionnaires ? Ce fut alors que, dans le sanctuaire de Notre-
Dame- des-Victoires, à Paris, il fut mis providentiellement en rela-
tions avec le P. Libermann, qui se demandait où envoyer ses fils,
et lui fournit immédiatement sept coopérateurs. Les missions
d'Afrique étaient reprises, et ne devaient plus être abandonnées *. »

L'Amérique elle-même avait alors grand besoin d'être évangé- Les missionf
de l'Amérique
lisée.
du ISord.
Le Native Amerlcanism, dont nous avons parlé plus haut *,

essayait de soulever, contre les catholiques des Etats-Unis, une véri- Persécutions
sou e>ec5
table persécution. « On tenta de les exclure des charges civiles. A
Philadelphie, en i843, des églises furent détruites et le sang coula* catholiques.

à Boston, en i844, le couvent des Ursulines fut livré aux flammes


et la ville menacée de guerre civile. La même année, New -York

I. Mgr Le Rot, dans le Dict. do Vaca:«i , l. I, col. 544-5^5. Pour plus de détails,
voir Gard. J.-B. Pitra, Vie du /?. P. Libermann, un vol. in-80, Paris, a« édition,
1873.
a. Voir plus haut, p. 157.
Sq8 HISTOIRE GÉNÉRALE DE i/ÉGMSB

n'échappa qu'à grand'peine à de sanglantes collisions. Une presse


haineuse répandait partout les soupçons et les calomnies. La ques-
tion des écoles surexcitait encore davantage les sentiments antica-
tholiques de la population protestante. L'Eglise se trouvait sérieuse-
ment menacée dans son existence sociale ; elle avait besoin de
réunir toutes ses forces contre les dangers, sans cesser pour autant
de se développer au milieu du prodigieux accroissement de la na-
tion *. » Trois moyens principaux furent employés pour remédier à
la situation : la réunion de fréquents conciles provinciaux, la création

de nouveaux sièges épiscopaux et l'organisation de nouvelles mis-


Organisation
de l'Eglise
sions, généralement confiées à des religieux. De i833 à 1849, six
des conciles provinciaux se tinrent à Baltimore. C'est dans la seconde de
Etats-Unis :
ces assemblées que fut adopté, avec l'approbation de Rome, un
mode de nomination des évêques, complété, en i884,p<ir les décrets
!• par
du troisième concile national *. Les principaux évêchés érigés aux
la réunion
de conciles Etats-Unis par Grégoire XVI furent ceux de Vincennes, de Détroit,
provinciaux,
de Pittsburg, de Nashville, de Dubuque, de Natchez, de Little-

Rock, de Chicago, de Milvyraukee, de Hartford, de Buffalo, d'Aï-


3° par
bany, de Cleveland. Le premier évêque de Vincennes fut Mgr Brute
la création
de nouveaux de Rémur, prêtre de Saint-Sulpice, qui avait accompagné Mgr Fla-
diocèses,
get en Amérique en 1808. « Quand Mgr Brute prit possession de
son siège, tout était à créer. Son ou
clergé se composait de quatre
cinq prêtres. Il n'avait qu'une cathédrale en bois, non achevée, une

autre église en planches et quelques chapelles provisoires. Son


peuple, compose de 26 à 3o.ooo catholiques, était dispersé sur ua
3o par
territoire vaste comme le quart de la France ^. » Grâce à son zèle,
la fondation
de nouvelles à celui de son digne successeur, Mgr de la Hailandière, et au dé-
missions. vouement des missionnaires qui se firent les collaborateurs de l'un et

de l'autre, les Pères Petit, Desseville, Buteux, Benoît, Schoeffer, la

statistique du diocèse de Vincennes put énumérer, à la fin de


l'année ï84a, trente-six missionnaires, cinquante-trois églises ou
chapelles, un collège tenu par les eudistes, trois écoles dirigées par
les Sœurs de la Providence, deux écoles fondées par les Frères de
Saint-Joseph. En i844, l'évêque avait le bonheur de constater que
presque tous les catholiques remplissaient leur devoir pascal et assis-

I. G. AnDRié, dans \e Dict. de Ya.gawt, t. I, col. io57-io58.


a. Sur le mode de nomination des évêques aux Etats Unis, voir ibid,, col. ioG3»
lo64-
3. PioLBT, les Missions ^ l. I, p. 2o5.
GRÉGOIRE XVI 32^

tàîent aux offices de l'Eglise ^. Dans les autres diocèses récemment


fondés, les nouveaux évêques eurent à remplir des missions seni-
blables. Parmi les religieux qui évangélisèrent les Etats-Unis sous
le pontificat de Grégoire XVI, nous pouvons citer: les religieux de
la Congrégation de Sainte Croix, appelés en i84i par Mgr de la

Hailandière; les Pères de la Miséricorde, établis à New- York ew


iSf\2 ; les jésuites, arrivés à la Nouvelle Orléans dès 1837 > ^^^ sulpi-

ciens, chargés de l'instruction de la jeunew^se et des missions en


attendant de pouvoir se charger de la direction des séminaires, objet

propre de leur institut; enfin, les Dames du Sacré-Cœur, les Filtes

de la Charité et les Religieuses de Saint Joseph du Puy.


Les années du pontificat de Grégoire XVI furent très fécondes Les miVîont

pour l'Kglisedu Canada. En iS/^o, Mgr de Forbin Janson y orga- ^ '

nisa des missions, dont les fruits merveilleux furenk confirmés par
l'établissement de retraites paroissiales *. En iSl^i, Mgr Bourget,
premier évêque de Montréal, appela dans son diocèse les Oblats de
Marie, qui réalisèrent sur le sol canadien leur évangélique devise :

Evangelizare pauperibus misit me. L'année suivante, il fît appel aux


jésuites, qui, disparus depuis la conquête, rentrèrent avec émotion
sur la ferre que leurs Pères avaient fécondée de leurs travaux et de
leur sang ^. Plusieurs congrégations de religieuses furent fondées. Les
évêchés furent multipliés. Grégoire XVI érigea, en i84i, l'évêchô
de Toronto, qu'il confia à Mgr de Charbonnel ; en i8/t2, celui de
Saint-Jean, avec Mgr Dollard pour En i8/|4, il
titulaire. créa la pro-
vince ecclésiastique de Québec, et nomma Mgr Signay archevêque,
en lui assignant comme sufTragants les évêques de Montréal, de
Kingston et de Toronto. L'accroissement de la population deman-
dait aussi la multiplication des écoles. Un homme religieux et
dévoué, M. devenu en 18^2 surintendant de l'éducation
Meilleur,
pour le Bas-Canada, donna une vigoureuse impulsion à l'instruction
publique, tandis que, conformément aux règlements de i84i, assu-
rant aux catholiques et aux protestants des écoles primaires séparées,
les évêques créaient de nombreux établissements confessionnels.
Nous avons vu comment le mouvement révolutionnaire avait brisé L«« missions
"^^
les liens de plusieurs pays de l'Amérique latine avec l'Espagne et le
du'sud!^"*

I. Piolet, les Mhsions, t. 207-208.


I, p.
2 l^n. PIN DE I^iviAres, Vie Mgr de Forbin-Janson, Paris, 1893, p 3834oj.
,/e
3. Chassegros, Ilist. du novicial de la Compagnie de Jésus au Canada^ Montréal. 1908.
33o HISTOIRE GENERALE DE L ÉGLISE

Portugal, et comment Grégoire XVI. soucieux avant tout du bien


des âmes, avait jugé opportun de traiter directement avec les nou-
de ces pays pour y organiser les hiérarchies ^ Pour
velles autorités

qu'aucune Eglise n'échappât à sa sollicitude, le pontife établit, en


i836, à la Nouvelle-Grenade, un chargé d'affaires, qui veillerait aux
intérêts religieux des républiques américaines dépourvues de toute
représentation du Saint-Siège.
Dans l'Amérique du Sud comme dans l'Amérique du Nord, il était
un abus qui ne pouvait laisser indifférent le Chef suprême de l'E-
La question glise c'était le trafic des esclaves. Le 3 décembre 1839, Gré-
:

de l'esclavage.
goire XVI éleva la voix pour rappeler la doctrine de l'Eglise à ce
sujet. Après avoir montré comment le christianisme, par des me-
Intervention sures prudentes, avait peu à peu fait disparaître l'esclavage de tous les
de
Grégoire XVI
pays où il s'était établi, le pontife ajoutait : « Toutefois, nous le
en faveur disons avec douleur, même parmi les chrétiens d'aujourd'hui, des
des esclaves.
hommes honteusement aveuglés par le désir d'un gain sordide
n'hésitent pas à réduire en servitude, sur des terres éloignées, d'au-
tres hommes, leurs semblables, ou bien encore aident à cet indigne
forfait, en organisant le commerce de ces malheureux, que d'autres
ont chargés de chaînes... En vertu de notre autorité apostolique,
nous réprouvons toutes ces pratiques comme absolument indignes du
nom chrétien, et nous interdisons à tout ecclésiastique ou laïque
d'enseigner, en public ou en particulier, de manière ou d'autre, quoi
que ce soit de contraire à ces Lettres apostoliques*. »

Les missions L'évangélisation de TOcéanie, c'est-à-dire de celte multitude d'îles


d'Océanie.
disséminées sur la vaste mer du Sud, qui occupe, à elle seule, un
tiers du globe, présentait des difficultés dont il était impossible de
prévoir la nature et la gravité, mais qui paraissaient devoir être
considérables. Elles n'effrayèrent ni le pape Grégoire XVI ni les
courageux ouvriers auxquels il s'adressa. Par son Bref Omnium geri'
La Société lium du 29 avril i836, le souverain pontife confia à la jeune Société
de Marie.
de Marie la mission de porter en Océanie la lumière de l'Evangile.
Un groupe de sept missionnaires, composé de quatre Pères et de
trois Frères coadjuteurs, se mit aussitôt en route. Le plus âgé de
Le ces Pères, né au village de Guet, dans le département de l'Ain, en
Bienheureux
i8o3, s'appelait Pierre Chanel. Jeune encore, en gardant les trou-
Pierre Chanel.

I. Voir plus haut, p. iÇjS-ipd.


S. Uernascom, t. II, p. 887-388,
GREGOIRE XVI 33i

peaux, il avait soupire après les missions d'outre-mcr. A peine avait-


il prononcé ses vœux de religion dans la Société de Marie, que ses
désirs furent comblés. Le i" novembre 1887, une troupe apostolique
avait abordé aux îles Wallis, dont la conquête à la foi cbrétienne coûta

quatre années de prières, de travaux et de tribulations de tout genre


à son premier apôtre, le P. Bataillon *. La seconde mission, celle

de Futuna, coûta plus cber encore au doux et saint P. Chanel, qui,


après quelques années d'un apostolat difficile et à peu près stérile en
apparence, succomba sous le fer des ennemis de la religion qu'il
prêchait *. La mission de la Nouvelle-Zélande fût également fondée
par Mgr Pompalier au milieu des souffrances et des humiliations. En
quelques années, six missionnaires furent massacrés, cinq périrent
en mer, d'autres furent dévorés par les anthropophages. Mais bientôt
les survivants purent écrire : « La religion gagne ici le terrain

qu'elle semble perdre en Europe. Regnavit Dominas, lœtentur insulse

multœ ». L'anthropophagie avait disparu de partout. Certaines îles

se constituaient en une sorte de communauté religieuse. D'autres se Succès


des missions
groupaient entre elles sous la forme d'une confédération chrétienne. d'Océanie.
Toutes ensemble formaient comme un collier de pierres précieuses à

l'Epouse du Christ. L'Océanie insulaire, avec ses 180.000 fidèles


disséminés, offrira, au déclin du xix^ siècle, un spectacle que n*a
connu peut-être aucun des âges précédents.
Cependant les œuvres auxiliaires des Missions étrangères se mul- Œuvre»
auxiliaires
tipliaient. L'Œuvre de la Propagation de la Foi, fondée en 1822, des missions
recueillait, en i84o, plus de deux millions de francs. L'Eglise voyait étrangères.

naître en 1882, à Aix-la-Chapelle, la Société de Saint-François-


Xavier; en 1889, en Autriche, le Leopoldsverein ; en i843, en Ba-
vière, le Ludwigsverein, et en la même année, en France, l'Œuvre de Fondation
de l'œuvre dé
la Sainte-Enfance, fondée « pour le rachat et le baptême des petits
la Sainte-
enfants chinois abandonnés », et dont l'objet, rendu plus général Enfance
(i843).
dans la suite, est désormais « l'apostolat des enfants chrétiens auprès
des enfants des pays infidèles » ^.

I. Mangbret, Mgr Lyon, 188^.


Bataillon, 2 vol. in-8", Paris et
a. NicoLET, Vie du B
Chanel, un vol. in -8», Lyon, p. 273. Le P. Chanel a ét^
déclaré Bienheureux par Léon XIII le 17 novembre 1889.
3. On a souvent attaqué l'œuvre de la Sainto-Enfance, sous prétexte qu'elle était
sans objet, les Chinois ayant, dil-on, un grand respect de la vie humaine, surtout
chez les enfants. Cependant il résulte, non seulement des lettres des missionnaires,
mais aussi des déclarations authentiques de témoins impartiaux, tels que l'amiral
DiuMont-d'Urville, le baron de liubner, le capitaine de !a Jaille, M. Wade, ministre
d'Angleterre à Pékin en 1871, que beaucoup d'enfants sont abandonnés par les
332 HISTOIUE GENEH.VLE DE L EGLISE

Dernière» Cependant la me des progrès de l'Eglise dans les pays infidèles


snnées de • • •

Grégoire XIV. ne faisait pas oublier au Saint-Père les épreuves dont elle était

l'objet en Europe. Les agissements des sociétés secrètes, les équi-

voques du libéralisme, lesempiétements des souverains sur le


domaine religieux, les audaces d'une littérature impie et frivole,
étaient pour lui de constants sujets de tristesse. Les soucis et les années
courbaient sa haute taille. En i846, en entrant dans sa quatre-
vingt-unième année et la seizième de son pontificat, il eut ira pres-
sentiment de sa fin prochaine. Il écrivit dans son testament : « Nous,
Son testament. Grégoire XVI, indigne héritier de la chaire de saint Pierre, ayant
devant l'esprit l'heure de notre mort et de l'appel au tribunal divin...
nous recommandons notre pauvre âme à Notre-Seigneur Jésus-
Christ... Nous recommandons au même divin Rédempteur l'Eglise,
son Epouse bien-aimée, dans les nombreuses tribulations et persé-

cutions dont elle est assiégée. » Le 26 mai i846. un érysipèle d'as-


pect assez bénin Tempécha de présider une cérémonie religieuse.
Sa mort Bientôt le mal prit un caractère très grave, et l'emporta de ce monde
{i«rjuini846).
le i" juin 1846. Il mourut comme un pauvre religieux, répondant
à quelques-uns qui lui rappelaient les grandes oeuvres de son ponti-
ficat : « Je veux mourir en moine et non en souverain, lo voglio
morire da frate^ non dasovrano ». Telles furent les dernières paroles
du pontife *. Le journal la Quotidienne se fit l'interprète des catho-

Chinûis. « La police de Pékin, dil Dumont d'Urville, en ramasse chaque matin un


bon nombre dans les rues. » On trouve, il est vrai, des assertions qui paraissent
contraires dans plusieurs observateur» sérieux, tels que Léon Roussit dans son
livre A travers la Chine, et Eugène Siuoif dans la Cité chinoise. « J'affirme, dit
Eugène Simon, que Tinfanticide est beaucoup moins fréquent en Chine qu'en
France. » (Cité par MARicHVL, Hist. eontemp., lA" édition, t. II, p. BgS.) 11 est
possible que ces voyageurs n'aient jamais vu ou aient rarement vu des enfants
abandonnés. Il est incontestable, en effet, que le Chinois regarde comme une béné-
diction du ciel une famille nombreuse, et, en temps normal, ni riches ni pauvre»
ne songent à abandonner leurs enfants. Mais les famines sont fréquentes, subites et
terribles en Chine (voir Maurice Coukimt, Annales de l'Ecole des sciences politiques,
juillet 1900, p. 536), C'est pendant ces périodes que les familles indigentes se
débarrassent de leurs enfants, non point, comme en Europe, par des pratiques
abortives ou criminellement préventives, mais par l'exposition et l'abandon sur les
voûtes ou même dans les rues. Le père de famille chinois ayant, comme le paterfa-
milias antique, droit de vie et de mort sur ses enfants, est à l'abri de toute pour-
suite judiciaire. Aussi les missionnaires déclarent-ils qu'on peut bien passer un an
et plus en Chine sans voir d'enfant abandonné mais vienne une année d'inonda-
;

tion ou de sécheresse, partant de disette, les expositions redeviendront fréquente».


Voir sur ce sujet La.una.t, Hist. de la Soc. des Miss, étrangères, l. III, p. laS-iag;
:

PioLBT, les Missions cathol. françaises^ t. III, p. aôo-aO;; Annales de la propagation


de la foi, t. XXVI II. p. 52-53
I. Ami de la Religion, t. GXXIX, p. 653. Cf. Correspondant , t. XIV, p. 801.
GRÉGOIRE XVI 333

liques en publiant, au lendemain de sa mort, les lignes suivantes :

« Le monde catholique perd un grand pape, un de ces esprits sages Appréoittiou

et conciliateurs qu'il faut à des temps de transition. Quelquefois on


pontificak
s'est étonné de ne pas voir Grégoire XVI prendre l'initiative en cer-
taines questions d'ordre général, de transformation sociale ou de
liberté politique, qui préoccupent les peuples et travaillent les Elats.

Mais l'histoire dira qu il est intervenu dans toutes ces questions avec
toute la mesure qui convient à la situation présente de l'Eglise; que,
8 il a respecté le droit des couronnes, il a proclamé le droit des
consciences, et qu'en présence de tant de faits violents, révolution-
naires, accrédités par l'Europe, il a maintenu, autant qu'il le pou-
vait, l'empire des idées et la sainteté des maxiiïies chrétiennes *. »

1. Cité ^r l'Ami de La iieUyiQiif i, CkXlX, p. DgS,


CHAPITRE VII

PIE IX ET LES ÉTATS PONTIFICAUX.

(i846-i849).

La situation Grégoire XVI, élu au lendemain d'une grande commotion euro-


Prenne, était mort au moment où un nouveau cataclysme, plus pro-
«r '1ui"*ue
en 1840. fond et plus violent, se préparait. La révolution de i83o avait fait
triompher le parlementarisme, donné la prépondérance aux classes
bourgeoises, et semblait avoir trouvé sa fin dans de simples rema-
niements politiques ; la révolution de i848 devait intéresser directe-
ment les classes populaires, et tendre à une complète réorganisation
sociale. Depuis quelque temps, en effet, une fermentation sourde,
ne se manifestant par aucun fait précis, par aucune formule bien
définie, mais très perceptible dans sa signification générale, agitait
la France, l'Allemagne, la Belgique, et surtout l'Italie. Or, chose
étrange, les catholiques de toutes nuances, que la chute des Bour-
bons avait épouvantés, considéraient avec une visible sérénité la
perspective d'un avenir qui ferait plus de place aux peuples qu'aux
rois, et inaugurerait une ère de plus grande liberté politique. Quel-
Le mouvement ques jours après la mort de Grégoire XVI, le Correspondant écri-
., vait : plus important
« Il
r est
r aujourd'hui
j
de s'entendre avec les
parmi les
catholiques, peuples qu'avec les princes*. «Dans le numéro du 10 juin 1846 de
l'Univers, Louis Veuillot disait : « Le pontife dont nous pleurons en
ce moment la perte sera plus illustre encore par les grandes choses
préparées sous son règne que par celles qu'il a faites... La postérité

reconnaissante fera remonter jusqu'à lui le triomphe désormais cer-


tain de la liberté catholique ^. » L'organe des légitimistes lui-même,

I. Correspondant, t, XIV, i846, p. 8o8,


a. Univers d[j lo juin i846.
[

PIE IX ET LKS ÉTATS PONTIFICAUX 335

la Quotidienne^ faisait « des vœux » afin que la « souveraineté clé-


mente et pacifique du Saint-Siège subsistât longtemps pour l'ordre
du monde et pour la liberté des peuples ^ » Nulle part les aspira-
l-<î«
tions libérales ne s'étaient plus audacieusement affirmées qu'en "P»'"*^'^^"»
^ libérales
/
Italie, où le Primalo de Tabbé Gioberli, les Speranze d'Ilalia du en Italie,

comte Balbo et les Casi di, Romagna du marquis d'Azeglio avaient


montré l'idéal d'une confédération italienne dont le pape, devenu
libéral et patriote, serait la tète, et le roi de Piémont le bras ; et, au
moment de partir pour le conclave, un membre du Sacré-Collège,
le cardinal Mastaï-Ferretti, évêque d'Imola, avait prié un de ses
diocésains de lui donner ces trois ouvrages, « pour faire hommage,
disait-il, de ces beaux livres au nouveau pape ». *

Dans les masses populaires l'effervescence libérale gardait moins Le conc1r.v«


'^
de mesure. Ce fut pour l'empêcher d'aller à des excès, ce fut aussi ig/O)
pour empêcher la pression des grandes puissances de s'exercer sur la
prochaine élection, que les cardinaux italiens s'empressèrent de fixer

la réunion du conclave au dimanche 1/4 juin, sans attendre l'arri-


vée de leurs collègues étrangers. A en croire certaines rumeurs, qui
n'étaient peut-être que l'expression de certains désirs, le conclave
devait être long. Une lutte ardentç allait s'engager, disait-on, entre

le cardinal Lambruschini, représenté, à tort ou à raison, comme le

candidat du parti absolutiste, et le cardinal Gizzî, que soutiendrait le

parti libéral ou modéré ^. D'autres prétendaient que le conflit qui


diviserait le Sacré-Collège s'élèverait entre ce qu'on appelait le parti
génois, dirigé par Lambruschini, et le parti romain, qui suivait les

inspirations de Bernetti *. Ces débats permettraient, espérait-on, aux


agitations révolutionnaires de se produire dans l'Etat romain, et aux
puissances d'intervenir pour peser sur les votes des cardinaux. Aucune
de ces hypothèses ne se réalisa. Apres avoir, dans un premier scru-
tin, donné dix-sept voix ^ au dernier secrétaire d'Etat de Grégoire XVI,

I. Cité par V Ami dt la Religion du 8 juin i8i6, l.CXXIX, p. 696.


3. TuuHEA.u-D.\.î(GiN, Ilist. dc ^ Mon. de Juillet, t. MF, p. aai.
3. PoLGEOis, Jlisl. de Pie IX, 6 vol in-80, Paris, 1877, t. I, p. 96 98,
4. Univers (lu aO juin i846.
5. C'est le chiure donné par certains récils ; d'autres disent douze ou treize voix.
336 mSTOIHE GENERALE "DE L EGLISE

comme un témoignage de déférence et d'estime, les cardinaux, dans


trois autres scrutins, concentrèrent de plus en plus leurs suffrages sur

Election le cardioal Mastaï Ferretti, dont nom, proposé par le cardinal


le
de Pie IX Altieri, év<ique d'Albano, avait aussitôt rallié un grand nombre de
( iC juin 1 846).
voit. Le conclave avait duré deux jours seulement.
Le nouveau pape, qui, en souvenir de Pie Yll, son prédécesseur
sur le siège d'Lnola, déclara prendre le nom de Pie IX, était à peine
âgé de 54 ans. Jean-Marie Maslaï-Ferretti, de la famille des comtes
Mastaï, était né à Srinigaglia, dans la Marche d'Ancône, le i3 mai
1792. Quelque lien de parenté lointaine le rattachailau pape Pie VII,
mais on ne l'avait jamais vu mêlé aux grandes affaires de la politique.

Le peuple de Rome ne le connaissait pas ; et son nom, proclamé par


le cardinal diacre, le 17 juin, du haut du balcon du Quirinal, n'é-
Portrail veilla d'abord dans la foule que Tétonnement *. Mais lorsque le non-
du nouveau veau pontife apparut à son tour pour donner sa première bénédiction
pape.
à son peuple de Rome et au monde, urbiet orbi, la douce et majes-
tueuse beauté de sa physionomie, la puissance harmonieuse de sa
voix, une impression de bonté émanant de toute sa personne, lui

valurent aussitôt les acclamations chaleureuses d« tous. Le peuple


sut bientôt que cette instinctive sympathie ne l'avait pas trompé. On
Sa biogrophie. se raconta la vie du nouveau pape : son enfance pieuse auprès d'une
sainte mère ; son premier élan vers la vie ecclésiastique, entravé par
une terrible maladie, l'épilepsie ; sa promotion au sacerdoce à l'âge
de trente et un ans ; son premier ministère dan» un humble refuge
d'enfants pauvres, bien connu k Rome sous le nom de Tata Gio-
vannl (père Jean) ; la mission lointaine qui lui avait été confiée en
1828, par le pape Léon Xll, dans le Nouveau Monde, pour régler,

avec les republiques qui venaient de secouer le joug de l'Espagne, les

nouveaux rap^xw: ts du clergé et de l'Etat ; sa courte et bienfaisante


adniiulslraliou du grand hospice Saint-Michel de Rome ; son épis-
copat à Spolète, au milieu des troubles politiques de i83i et 1882,
où sa bonté et sa charité avaient désarmé quatre mille insurgés prêtg
à piller la ville ;
puis enfin ses multiples œuvres d'assistance dans
l'évêché plus important d'imola. Les catholiques fervents se réjouis-
saient de l'avènement d'un pape dont l'âme était pleine de la plus
pure charité évangélique; et les révolutionnaires eux-mêmes, à une
époque et dans un pays oii l'idée de révolution, pleine d'équivoques,

I. P0U6BO», op. eii.y i. I, p. 127.


PIE IX ET LES ÉTATS PO?fTIFICAUX 337

se couvrait d'une teinte religieuse et chrétienne, ne se défendaient

pas d'acclamer un pape qui jadis avait accueilli leurs frères de Spo- il est tccuellK
par un
lèle avec des paroles de bonté et de paix. Quelques-uns
ajoutaient
enthousiasme
que, par les traditions de sa famille et par ses sentiments personnels. universel.

Pie IK n'était point hostile aux tendances libérales ;


qu'un de ses
frères s'était trouvé compromis dans les insurrections de i83i que, *
;

tout au moins, il n'était « ni moine ni étranger », et que, né sur le


territoire qu'il allait gouverner, il saurait prendre en main la cause

de l'indépendance nationale *. Le résultat de toutes ces impressions,

de tous ces souvenirs, de tous ces raisonnements, fut un enthou-


sia?me général. « Rien peut-être, écrit Louis Veuillot, n'égala jamais
l'bosanna des premiers jours de ce règne. Le monde eut comme un
éblouissement de tendresse ^. »

Ce qui paraît incontestable, c'est que le nouveau pape, sans avoir Trois partis
politique!
jamais fait jusque-là œuvre politique, se rattachait nettement, par
en Italie.

ses personnelles sympathies autant que par ses antécédents de


famille, à ce qu'on appelait alors l'école nationale. Entre l'école révo-
lutionnaire, qui, pour arriver à son but, l'affranchissement de l'Ita-

lie, était décidée à passer sur toutes les lois et sur tous les devoirs, Le parti
révolution-
à sacrifier le pouvoir temporel des papes et à réaliser l'unification
naire.
de l'Italie par la démocratie, et l'école conservatrice, baptisée du
surnom d'allemande ou tedesca, qui cherchait le mot d'ordre en Le parti
conservateur^
Autriche, se prononçait pour le statu quo de tout ce qui avait été

réglé {)ar les traités de Vienne, et se flattait d'arrêter tout mouve-


ment contraire par la force des armes, une troisième école s'était

formée en Italie, dont les racines étaient profondes parmi le peuple.


On l'appelait généralement l'école nationale. Elle prétendait rejeter la Le parti
national.
tutelle des étrangers et réclamer l'autonomie de l'Italie, en respectant
les droits de l'Eglise, et sans entraver en rien l'exercice des pou-
voirs établis. « Autant, dit un historien, Pie IX s'écartait de l'école
révolutionnaire, autant l'éducation qu'il avait reçue et ses aspirations

I. Lettre de l'ambassadeur de France, Rossi, au ministre des affaires étrangères,


Guizot, à la date du 17 juin i846. (Guizot, Mémoires, t. Mil, p. 34i-342.; <k In —
casa dei Mastaï, avait dit un jour Grégoire XVI,
sono liberuli, Jino algalto. Chez
tutti
les Mastaï, tout le monde est libéral, jusqu'au chat de la maison. » L'authenticité
de celte parole a été contestée (L. Velillot, Pie IX, Grandes figures catholiques,
p. 2()) mais J.-B. de Rossi l'a maintes fois attestée, déclarant tenir le propos d«
ton père, familier de Grégoire XVI.
3. (ïtizoT, lac. cit.
3. Louis Veuillot, Pie IX, dans les Grandes figures catlidlques du temps présent,
a vol. in 80, Paris, 1895, t. I, p. Sg, et L. Vbcillot, Mélanges, 3» série, t. I.
lli^l. gt'n. do l'Kgliso. — VIII 33
338 HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLISE

Pie IX personnelles le rapprochaient de l'école nationale. Il était vraiment


se rattache
au parti
Italien et patriote dans la bonne acception de ce nnot... Il n'ignorait
national. pas d'ailleurs qu'une opposition aveugle aux tendances d'une époque
constitue presque toujours, pour celui qui gouverne, un danger réel
et peut aniener des catastrophes. Avant donc que les vœux de ses
sujets ne devinssent des exigences, Pie IX se résolut à faire à temps
des concessions volontaires au progrès matériel, à l'exercice de la
liberté politique, à l'association plus directe et plusinlime du peuple
au gouvernement de l'Etat *. »
Les désirs Grégoire XVI, nous l'avons vu 2, avait réalisé, dans Tordre admi-
de réformes
dans les Ëtats
nistratif, judiciaire et financier, comme dans l'ordre artistique et
pontificaux. scientifique, des réformes notables. iMais, dans son esprit, ces ré-

formes n'étaient que les préludes d'améliorations plus importantes ;

et, dans l'opinion publique, elles avaient avivé le désir de nouvelles


modifications, telles qu'une représentation plus large de l'élément
laïque dans le gouvernement temporel, l'établissement à Rome d'une
assemblée consultative élue par les provinces et le perfectionnement
des voies ferrées. Ce dernier bienfait et l'amnistie des quinze cents
proscrits que les tribunaux du règne précédent avaient condamnés
pour rébellion, étaient impatiemment attendus du nouveau pape '^.

Pic IX conçoit Pie IX résolut de répondre à ces vœux populaires dans la plus
le projet
large mesure. Etait-ce calcul politique de sa part ? Avait-il pour but
de les réaliser
dans une large de ramener à la cause du Saint-Siège l'opinion publique égarée par
mesure.
des calomnies, et d'obliger, en même temps, à se démasquer, les

sectaires qui, sous prétexte de réclamer contre des abus, attaquaient

l'institution elle-même du pouvoir temporel.^ Etait-ce impulsion

d'un cœur généreux? Etait-ce illusion d'un esprit que l'expérience


des hommes et des choses n'avait pas encore suffisamment éclairé ?
Il est possible que ces trois mobiles aient simultanément agi sur

l'âme très noble et très élevée de Pie IX. Le jour même de son élé-

Le décret vation au pontificat, au milieu des ovations dont il était l'objet, il

d'amnistie
conçut de promulguer une large amnistie, pour rendre à leuis
l'idée
(17 juillet
leur
1846). familles tous les exilés politiques, et, dès ce jour, il accorda

des papes, de
i. Gh. VAN DuERM, S. J., Vicissitudes politiques du pouvoir temporel
Î700 à nos jours, un vol. in-8», Lille, 1890, p. 170-171,
2. Voir plus haut, p. 181-igi.
3. On avait répandu dans Rome l'anagramme:

A Giovanni Maria Maslaï Ferretliy


Grati nomi amnistia e fer rata via.
:
PIE IX ET LES ETATS PONTIFICAUX 339

'
grâce à tous les proscrits qui la lui demaudèrent. Un mois après, le

17 juillet 1846, un décret, mûrement étudié, rendit la liberté à tous

les condamnés et accusés politiques, sous la seule condition de recon-

naître l'autorité du pape et de s'engager d'honneur à se conduire en


loyaux sujets de l'Etat pontificaP.
Rome dans provinces, Joie
Le décret d'amnistie fut accueilli, à et les
universelle
par des acclamations, des fêtes populaires, qui témoignèrent de la avec laquelle
est accueilli.
joie universelle. Les amnistiés ajoutèrent aux engagements d'hon- il

neur qui leur étaient demandés des formules hyperboliques de ser-

ments, « jurant, sur la tête de leurs enfants, fidélité jusqu'à la mort »,

s'engageaut à ¥. répandre pour le pape jusqu'à la dernière goutte

de leur sang ». De pareilles démonstrations encouragèrent Pie IX à


persévérer dans sa politique de clémence et de concessions. « Il crut

le bien possible, a écrit à ce propos Louis Veuillot, et il s'y obstina.

Il crut à la liberté, et il lui tendit les bras. Il crut à la reconnais-

sance, à l'honneur, et il se confia aux serments ^. » Il décida que


son palais serait ouvert, le jeudi de chaque semaine, à toute per-
sonne qui aurait une grâce à lui demander, un avis à lui proposer.
Autres
Non seulement il favorisa la tenue, dans ses Etats, des congrès scien-
me»ures
tifiques, sous le couvert desquels s'étaient cachées naguère les menées libérales prises
par Pie IX..
des factions ',
mais encore il autorisa l'ouverture des cercles dont
Il choisit le
le but avoué était la politique. Le i"* août, il choisit pour secrétaire
cardinal Gizzi
d'Etat le cardinal Gizzi, qui passait pour être un des chefs du parti pour secrétaire
d'Etat
libéral. Des commissions furent créées pour l'étude des questions
(ieraoûti846).
relatives à l'exercice de la justice criminelle et civile, à la fondation
d'écoles du du dimanche pour l'instruction de la
soir et classe
ouvrière, à l'amélioration du serx'ice des postes, des douanes et des
chemins de Nouvellei
fer ; et les travaux de ces commissions aboutirent bientôt
mesures
à des réformes pratiques, acceptées avec enthousiasme. Les franchises libérales.

1. Voir le texte du décret dans Pougeois, l, I, p. i52-i54. On raconte que,


pour mieux s'éclairer sur les difficultés et les avantages que pouvait présenter le
décret d'amnistie, Pie IX avait convoqué, le i5 juillet, au ^ atican, une congréga-
tion do cardinaux. Chacun d'eux fut admis à faire valoir les raisons pour ou contre.
Le pape les invita même à exprimer, suivant l'usage du Sacré-Collège, par un vote
secret, leur opinion sur l'ensemble du projet. Or, le dépouillement de lurne du
scrutin ne doiuia qm des boules noires. En présence de celte opposition inattendue.
Pic IX résolut la ditlicullé par un procédé où se révélèrent à la fois les qualités de
de personnelle initiative et de généreuse bonté qui caractérisèrent
s[)iriluelle fluesse,
la plupart des actes et des paroles de son long ponlilicat. Otant sa calotte et la
mcllaut sur les bondes noires « Les voilà blanches :» s'écria-t-il. Et, le surlende- 1

main, le décret d'amnistie fut affiché dans toutes les rues de Rome.
a. Louis Veuillot, Pie IX, op. cit., p. Sg-^o.
. 3/|0 HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLISE

municipales delà ville de Rome furent étendues; une garde civique


fut instituée ; une assemblée de notables, choisis par le pape sur une
triple présentation des conseils provinciaux, fut appelée à donner son
avis sur toutes les grandes affaires temporelles de l'Etat. Les mesures
exceptionnelles auxquelles les juifs avaient été soumis jusque-là,
Pie IX protège furent abolies. A la voix de Pie IX, les barrières du Ghelto tombèrent :

es juiis.
gj 1^ JQig f^t gi grande parmi les Israélites, que plusieurs d'entre eux
crurent voir dans le nouveau pontife le Messie attendu *.

RelentUse- Le bruit de ces réformes traversait les frontières, parvenait au delà


^^ l'Océan. Le journal français le Siècle écrivait : « Ne semble-t-il
dégrades
dans le monde pas que, sur les deux rivages de la Manche, la civilisation rétrograde,
«ntier.
g^ g^g^ ^^^ jgg ]^qj^^^ naguère si du Tibre, la dignité, la liberté
décriés
humaines, relevées par un pouvoir magnanime, seront bientôt
mieux fondées que chez nous à revendiquer la jouissance do tous
leurs droits » 2 ? Au mois d'octobre 1847, ^° grand meeting, tenu

à New- York, votait une adresse à Pie IX. « Nous vous offrons,
disaient les signataires, le témoignage d'une sympathie sans bornes,
non point comme catholiques, mais comme fils d'une république et
comme amis de la liberté 3. »
Vrai caractère En présence de pareilles approbations, quelques historiens se sont
demandé si, pendant les deux premières années de son pontificat.
mesures
Pie IX n'avait point méconnu les limites qui séparent la vraie liberté
de la licence et même celles qui séparent le libéralisme politique du
libéralisme religieux. Une étude superficielle des actes du pontife
Du libéralisme peut seule avoir suggéré de pareils doutes. Il résulte des dépêches

<f^P"^^?x
envoyées, au mois d'août i8/i6, par l'ambassadeur français de Rome
à cette époque, à son gouvernement, que Pie IX, dès le début, s'était fixé, même
dans l'ordre de la politique, certaines bornes, au delà desquelles il

ne s'aventurerait jamais. « Vous savez, disait-il à Rossi, qu'il est

des limites que nous ne pouvons pas franchir *. » « Un pape, disait-


il encore, ne doit pas se jeter dans les utopies. Groiriez-vous qu'il
y
a des gens qui parlent même d'une ligue italienne dont le pape serait
le chef? Gomme si la chose était possible ! Ge sont là des chi-

mères ^. f) Quant au libéralisme proprenient religieux, le pape était

I. Sur toutes ces réformes, voir Pougeois, op. cit.^ t. I, p. 161-186. ,

a. Cité par Rohrbacher, Hist. univers, de VEglise, édit. Guillaume, t. XII, p. 2/^6.
3. Cité par Desdevises du Dezert, l'Eglise et l'Elat en France, 2 vol. in-8^, Paris,
1908, t. Il, p. 116.

4. GuizoT, Mémoires, t. VUI, p. 347.


5. Ibid., p 345.
PIE IX ET LES ÉTATS PONTIFICAUX 341

du 9 no- De son
si loin de Tadopler, que, dans sa première encyclique, datée prétendu
vembre 1846, on peut remarquer, en germe, la réprobation des prin- libéralisra*
religieux.
cipales erreurs que devaient condamner plus tard l'encyclique
Quanta cura, le Syllabus et les deux Constitutions du concile du
plus énergiques, cet Sa premier*
Vatican. Pie IX y dénonce, en termes des «
encyclique
épouvantable système d'indiiïérence qui ôte toute distinction entre (9 novembre
i846).
la vertu et le y démasque « ces sectes
vice, la vérité et l'erreur » ; il

secrètes, sorties du sein des ténèbres, pour la ruine de la religion et

des Etats » il y flétrit « l'exécrable doctrine du communisme, qui


;

ne pourrait s'établir que par la ruine des droits et des vrais intérêts
de tous » ; il y condamne la théorie du progrès absolu dans l'huma-
nité, « qui devient sacrilège quand on veut l'introduire dans la reli-
gion catholique, comme si celte religion était l'œuvre des hommes et
non l'œuvre de Dieu » ; il
y proclame enfin « l'existence
d'une auto-
rité vivante et infaillible dans l'Eglise, que le Seigneur Christ a bâtie
sur Pierre, chef, prince et pasteur » *.

n
Les sectaires, qui avaient escompté, sinon la complicité incons- Vrais dètiemi
des sectaires
ciente, du moins le silence timide de Pie IX, pour exécuter leurs révolulion-
desseins, feignirent d'ignorer ces sages restrictions et ces déclarations ntiret.

opportunes. Il fut bientôt évident que les améliorations de l'Etal

romain, qu'ils applaudissaient avec frénésie, comptaient peu dans


leurs préoccupations. « On reconnut bientôt, écrit Guizot, et le pape
reconnut bientôt lui-même qu'il était en présence d'intérêts et de
problèmes bien plus vastes... L'idée de l'unité nationale, monar-
chique ou républicaine, apparaissait et montait sur l'horizon. A peine
entré dans la carrière des réformes romaines. Pie IX voyait s'ouvrir Ils cherchent
à compro-
devant lui la perspective des guerres et des révolutions italiennes*. » mettre
Il y avait plus encore. « Les sociétés secrètes, profitant de la fausse le nouveau
pape dam
situation faite au pontife, s'emparèrent de l'espèce d'ivresse qui leurs menée*.
régnait partout. A Rome et dans les provinces pontificales, les émis-
saires les plus habiles des Ventes et des^ Loges furent mis en cam-
pagne. Ils parvinrent à s'insinuer dans toutes réunions et dans toute*

pEnzraGBB-BA.KifWA.RT, p. 1 634" 1689 Chaiitrbl, Annales ecii^siasliques, t. I,


'
p.
3-3.
a. Glizot, Mémoires, t. VIII, p. 35a.
.

Ui HISTOIRE GENERALE DE L ÉGLISE

les classes de la société. Ils agirent sur le clergé, la noblesse, la


bourgeoisie, le petit peuple. Ils créèrent un« opinion factice par leurs
discours hardis, leurs feuilles quotidiennes, leurs livres, leurs bro-
chures et leurs fêtes populaires ^ Ils s'ingénièrent, par la voie de la
presse, à faire passer Pie IX, par toute l'Europe, pour l'auteur des
manœuvres odieuses dont seuls ils étaient les artisans. C'est ainsi
qu'ils firent de lui l'adversaire déclaré des jésuites et du Sonderbund,
et l'implacable ennemi de l'Autriche -. » Le parti national libéral
affectait aussi de regarder comme un de ses chefs le pape Pie IX,. qui
avait, disait-on, « trouvé du génie dans sa conscience ^ ».

Imjuiétude Les cours de l'Europe L'ambassadeur de France à


s'émurent.
des cours
de l'Europe. Rome, Rossi, écrivait à son gouvernement « La popularité du :

pape est presque entière ; je crains seulement qu'il n'en abuse,


croyant pouvoir s'y endormir comme sur un lit de roses* ». Et le

ministre Guizot lui répondait, en exprimant le vœu que Pie IX


sût « reconnaître, d'un œil pénétrant, la limite qui sépare, en fait
de changement et de progrès, le nécessaire du chimérique, le prati-
cable de l'impossible, le salutaire du périlleux ^ ». La cour de
Vienne, qui se croyait plus directement menacée, déclarait, par la
plume de Metternich, qu' « elle regardait comme étant en révolu-
tion tout Etat dans lequel le pouvoir avait, de fait, passé d'entre les
mains de l'autorité légale dans celles d'un autre pouvoir ; or elle

ne mettait pas en doute que ce déplacement n'eût eu lieu dans


l'Etat romain s. »

L' < émeute Ces appréhensions n'étaient pas sans quelques fondements. Si le
permanente
peuple manifestait au pontife une sincère reconnaissance pour ses
des OYations )>

bienfaisantes réformes, les sectaires en abusaient. Des amnistiés ren-


traient en triomphateurs. Des journalistes se servaient des franchises
qui venaient de leur être accordées, pour demander à grands cris de
chimériques innovations. Les uns et les autres profitaient de la liberté

de la rue pour organiser, comme on Ta dit, u Fenthousiasme popu-


laire en une émeute permanente^^l'émeute des ovations*^ ». « La sédi-

tion, portant des fleurs, écrit Veuillot, se jetait à genoux devant le

I. Deschaups, p. a85»
les Sociétés secrètes et la société, t. II,
a. Van Duerm, op. 173-174.
cit., p.
3. Massimo d'Azeglio, Correspondance politique^ p. a.
4. GtizoT, Mémoires, t. YIII, p. 81^9.
5. Ibid.^ p 354.
6. îbid.. p 374- Cf. Metternich, Mémoires^ t. VII, p. 394-4o3, 4o5 et 9,

7. L. Veuillot, Pie IXy op. cil., p. 4o.


PIE IX ET LES ÉTATS PONTIFICAUX 3/43

ponlife, et lui demandait, en linrlant, de la bénir 2 ». On criait plus

fort que jamais : « Vive Pie ÏX ! » ; mais en ajoutant : « A bas les

jésuites!» On dressait des arcs de triomphe au pape; mais on empêchait


les prélats de sa maison d'y passer. Dans une ville de la Calabre, la

foule força les portes d'une prison et en fit sortir les détenus aux
Pie IX Les acclamations, réglées par un pouvoir
Un pouvoir
cris de : Vive !

occulte
occulte, se faisaient plus ou moins enthousiastes, suivant les actes réglemente
les manifesta-
pontificaux de la journée, suivant les personnages que le gouverne-
tions
ment du pape mettait en relief. On avait fait des ovations à Gizzi, publiques.

parce qu'on l'avait cru libéral ; on murmurait ou on faisait un


silence glacial sur son passage, parce qu'on le trouvait maintenant
trop tiède. La foule faisait de ses manifestations un contrôle perma-
nent de la politique d'un pape qu'elle avait l'air de considérer comme
en tutelle. Quand Pie IX paraissait au balcon du Quirinal, la foule,

inspirée par des meneurs, lui criait : « Courage, Saint-Père 1 «comme


pour l'aider à se dégager des entraves d'un entourage trop conser-
vateur.
Bientôt, aucun doute ne fut plus possible. Les révolutionnaires Mazzini
se démasque.
avaient bien pour but de faire de Pie IX, suivant une expression
grossière de Mazzini, t( un bœuf gras politique, en l'étouffant sous

Le fondateur de la Jeune Italie, jusque-là dissimulé, se


les fleurs ».

mit hardiment en avant, démasqua ses desseins, railla les modérés,


ne demanda au pape rien de moins que l'affranchissement de l'Italie

par une guerre offensive contre l'Autriche. Les premiers symptômes


du mouvement révolutionnaire se manifestèrent dans un défilé
triomphal des sectaires du 8 septembre i846 ils s'accentuèrent dans ;

les réunions de l'assemblée représentative des provinces, en avril

18/47, ^^ dans le renouvellement des conseils municipaux. On fei-


gnit de voir en Gizzi, qui conseillait le calme, un agent de l'Autriche Démission
de Gizzi. Son
et de la réaction. Le 10 juillet 1847, Gizzi, sentant croître son
remplaceraenl
impopularité, donna sa démission de secrétaire d'Etat. rem- Il fut par Ferretti
(juUlel 1847).
placé par le cardinal Ferretti, cousindu pape, qui, grâce à ce titre
et à des qualités personnelles appréciées du peuple, devait réussir,

pendant quelques mois, à obtenir une tranquillité relative.


Sur ces entrefaites, un grave incident international se produisit. Occupation
Six jours après de Ferrare
la démission du cardinal Gizzi, le 16 juillet 18^7,
par les troupes
le gouvernement autrichien, préoccupé des attaques et des provoca- aulricbiennas
(1 G juillet
1847).
i. L. VfiuiLLOT, Pie IX, op. cit., p. 4o,
344 HISTOIRE GENERALE DE L EGLISE

lions dont l'Ilalie était le théâtre, s'était cru autorisé par l'article io3
du Congrès de Vienne à faire pénétrer dans la ville de Ferrare un
balaillon de troupes de ligne, un détachement de hussards et une
batterie d'artillerie. A cette nouvelle, les patriotes honnêtes se joi-
gnirent aux révolutionnaires pour jeter de hauts cris ; et, naturelle-
ment, ces derniers cherchèrent à exploiter l'événement à leur pro-
fit. La situation était extrêmement délicate pour Pie IX. Il décida
de se tourner vers la France. Le gouvernement de Louis-Phi li[)pe
avait maintes fois déclaré qu'il ne voulait laisser le champ libre, en
Pie IX fait
appel Italie, ni à la Révolution ni à l'Autriche ; et Pie IX connaissait
i la France.
peut-être quelque chose des jugements désobligeants que portait le
prince de Metternich sur sa personne et sur sa politique*. La ré-
ponse du gouvernement français fut favorable. Le 27 septembre 1847,
le comte Rossi, ambassadeur français à Rome, reçut, de la part de

Guizot, la communication officielle suivante : « Ne laissez au pape


aucun doute que, dans le cas d'une intervention étrangère, nous le
soutiendrons efficacement, lui, son gouvernement et sa souveraineté,

Réponse son indépendance et sa dignité 2. » En effet, Guizot avait obtenu du


favorable du roi du conseil des ministres des décisions formelles en ce sens.
et
gouvernement
français.
Pendant que le cardinal Giacchi, légat de Ferrare, remettait aux
membres du corps diplomatique une protestation contre l'acte de
l'Autriche, une troupe française de 2.5oo hommes était concentrée
à Toulon, et une seconde troupe, d'un nombre égal, à Port-Vendres,
l'une et l'autre prêles à s'embarquer au premier signal pour les
côtes d'Italie, sous le commandement du général Aupick^. Les
Autrichiens répondirent à cette mesure en renforçant leur armée de
Lombardieet en établissant un poste militaire à six milles de Ferrate
Mazzini invile et de Comacchio. Mazzini, déjoué dans ses plans, tenta un effort
le pape suprême. Le 25 novembre 1847, il écrivit directement au pape, pour
à se meltre
à la tête
le supplier de se mettre à la tête du mouvement national ; sans
du mouvement quoi, disait-il, ce mouvement se détacherait de la cause religieuse,
national
(a5 novembre pour le grand malheur de la civilisation et de l'Italie *. Le pape ne
i847).
I. « Le pape, écrivait Metternich, se montre chaque jour davantage privé do
tout esprit Né et élevé dans une famille libérale, il s'est formé à une
pratique.
mauvaise école. Chaud de cœur et faible de conception, il s'est laissé prendre et
enlacer, dès son avènement à la tiare, dans un filet duquel il ne sait plus se déga-
ger. » (Metternich, Mémoires, t. YII, p. 342 Gf p. 344, 435.
3. Gf. Victor PiEARE, Hist. de laRép. de 18^8, p. 627.
3. Guizot, Mémoires, t. VIII, p. 4o3.
4 PouGEOis, op. cit , t. l, p. 36o ; Villefrànche, Pie IX, un vol. in-8®, Paris,
a® édition, 1876, p. 49.
PIE IX ET LES ÉTATS PONTIFICAUX 345

tint aucun compte de cette lettre ; il s'opposa môme à ce que le gou-


vernement français tentât une campagne indépendante de son assenti-
ment positif. « Sans cet assentiment, déclara en son nom Ferretti,
le gouvernement et les navires français se trouveraient dans la même

position vis-à-vis du Saint-Siège que l'armée et le cabinet autri-


chiens * . »

L'Autriche comprit bientôt qu'elle s'était engagée dans une Retrait

impasse. Elle mit des conditions au retrait de ses troupes. Le ^rou- .


^/"o^P®"
*
, .
aatrichiennes.
veriiement pontifical ne les accept-a pas. Après quelques mois de
négociations, le cabinet de Vienne finit par admettre une transac-
tion diplomatique, qui constitua pour lui une défaite. Il fut décidé
que les Autridiiens occuperaient la citadelle, les casernes et les majra-
sius militaires de Ferrare, conformément à l'article io3 du Congrès
de Vienne ; mais les Suisses pontificaux auraient la garde des portes
de la ville et celle des postes militaires situés dans son enceinte.
Secondé par son habile cousin, le cardinal Ferretti, Pie IX s'était

montré capable d'une politique aussi prudente que fepme.

m
Le II janvier i848, Montalembert, prenant iti parole, à la Impression
proàuite
Chambre des pairs, sur les affaires d'Italie, disait : « Je ne puis pas, ,
'
r i^ ' dans le monde
moi, catholique, avoir la témérité de juger le pape Pie IX. Mais, si catholique
je le pouvais, je dirais qu'il a été irréprochable... en dix-huit
Il a,
les Jfc^rmes
mois de temps, accordé à son peuple l'amnistie, la garde civique, libérales

l'organisation municipale, de Pie IX.


la consulte, c'est-à-dire des réformes si

considérables et si fécondes, qu'il serait peut-être impossible de


trouver dans les annales d'aucun pays, d'aucun r^gne, l'exemple
d'une générosité si spontanée et si complète. S'il éclioue, Messieurs,
savez- vous ce que cela prouvera ? Cela ne prouvera pas qu'il ait été
imprudent, qu'il était fasciné ; mais, je le dis' à regret, cela ne
prouvera qu'une chose, c'est que lltalie est incapable de posséder
une liberté régulière, pure et généreuse comme celle qu'il veut lui
donner 2. »

Plusieurs catholiques, de Rome et d'ailleurs, ne partageaient pas

1. PouGEois, op. cit., t. 1, p. a()0.


2. MOMALKMBKKT, ŒuVieS, l Ij, p. 664,
346 HISTOIRE GENERALE DE L EGLISE

cet enthousiasme pour les réformes si rapidement accomplies par


Pie IX. Ils en faisaient honneur à la générosité spontanée de son
cœur, plutôt qu'à la sagesse de sa politique ; et, avec des formules
de sincère respect pour le Chef suprême de l'Eglise, ils regrettaient
la manière d'agir plus lente, plus calculée de son prédécesseur 2. En
tout cas, rendre l'Italie responsable de leur échec, serait une injus-
tice ; cette responsabilité ne doit retomber que sur les sectaires
Trois hypocrites que nous avons déjà vus à l'œuvre. Ce furent les menées
ministères
en dix mois.
de ces derniers qui amenèrent, en février i848, la chute du minis-
tère Ferretti, après six mois d'existence, celles du ministère Bofondi
après un mois, du ministère Antonelli après trois mois, et du
ministère Ciacchi après vingt-sept jours. Les manifestations se mul-
Audaces tipliaient dans les rues de Rome. De bruyants agitateurs réclamaient
du parti
révolution- à grands fracas l'entière liberté de la presse, la sécularisation com-
naire. plète des charges publiques, l'armement du peuple en masse, l'expul-
sion des jésuites. Pie IX avait depuis longtemps percé à jour les

trames ourdies contre lui. Ses allocutions et encycliques de i846


et de 1847 ^^^* pleines dallusions aux arrière-pensées de la secte
Attitude révolutionnaire. Mais il conservait toujours l'espoir de gagner par
expectante
de Pie IX. la bonté son peuple égaré, et il différait l'emploi des mesures de
répression.
Le II février i8/i8, un incident caractéristique contribua à le
J/incident désabuser. C'était le soir. Pendant une de ces ovations grandioses et
du 1 1 février
M8. tapageuses qui se renouvelaient incessamment sous les fenêtres du
.

Quirinal, une voix, dominant le bruit de la foule, s'écria: « Plus


de prêtres aux affaires ! » du haut de sa
Pie IX, qui élevait déjà,
loggia, la main pour bénir la foule, prolesta doucement contre « cer-
tains avis, où, dit-il, il ne reconnaissait plus le cœur de son peuple ».
Puis, comme un léger murmure semblait succéder à l'ovation, on
l'entendit prononcer avec force la formule de protestation que plu-
sieurs de ses prédécesseurs avaient employée dans des circonstances
solennelles : « Non posso^ non debbo, non voglio. Je ne peux pas, je
ne dois pas, je ne veux pas ». On eut alorsla sensation qu'une sorte
d'abîme s'était creusé entre lui et les agitateurs.
Contre-coup de Peu de temps après, le contre-coup de la Révolution française
la Révolution
de Février suscita en Italie, comme presque partout en Europe, de
française
(Je Février
en Italie.

2. J.-B. de Rossi donnait cette impression comme ayant été celle de son véné-
rable père et de plusieurs catholiques d'une orthodoxie éprouvée.
PIE IX ET LES ETATS PONTIFICAUX 34 7

nouvelles agitations populaires. Celles-ci se firent grondantes et

menaçantes. « Les émeutes de l'amour se changeaient en émeutes de


colère^. » Sous la pression des événernonls, Pie IX fit une dernière
concession, la plus libérale de toutes. Par la constitution du i4 mars
i8/|8, connue sous le nom de Slalul fondamental, il institua une Le Statut
du i/i mari
représentation populaire, non seulement consultative, mais délibéra- i848.
tive, pour le gouvernement de ses Etats. Ce régime représentatif com-

prenait deux Chambres : l'une nommée par le pape, l'autre élue par
le peuple. C'était introduire le système constitutionnel dans les Etats
pontificaux. Mais celte mesure, loin d'apaiser le mouvement popu-
laire, le surexcita. La nouvelle s'étant répandue que le royaume
lombardo-vénitien était en pleine insurrection contre l'Autriche,

les cris « Faori gli harhari, A la porte les barbares », retentirent


dans les rues de Rome, et le pape fut sommé par la foule de prê-
cher la guerre sainte. Pie IX résista. Sur ces entrefaites, une nou-
velle imprévue parvint à Uome. Le roi de Sardalgne, Charles- Le roi
de Sardaigne,
Albert, sans aucune préalable déclaration de guerre à l'Autriche, Charles-
s'était jeté sur la Lombardie. Le 23 mars i848, en entrant en cam- Albert, fait
envahir
pagne, il avait adressé aux peuples du royaume lombardo-vénitien la Lombardie
une proclamation, où il disait : « Nous vous seconderons, espérant par ses troupes
(a3 mars
en Dieu, qui a donné Pie IX à l'Italie, et qui a mis l'Italie en i848).
mesure de n'avoir besoin de personne. » Le 2 5 mars, à la tête de
25.000 hommes, il entrait à Milan. La situation se compliquait de
plus en plus pour le pape. C'était une étrange figure que celle du
roi Charles Albert, ce souverain « moitié ascète, moitié carbonaro^ » ; Portrait
de Charles-
ardent, chevaleresque et mystique, sous un masque de froideur;
Albert.
acclamé comme libéral, et s'efTarouchant de toute réforme ; au fond,
nature maladive, se désintéressant de tout, sauf d'une idée, qui do-
minait son esprit et commandait toute son activité: 1 indépendance
de l'Italie, dont il rêvait d'être le chef 3. La brusque agression du roi
de Sardaigne dérouta les calculs du vieux maréchal autrichien
Radelzky, qui, pressé de toutes parts, battit en retraite, et se retira
dans le quadrilatère vénitien *,

DuPANLOUP. la Souveraineté pontijîcale, 3e édition, p. i66.


1.
Mémoires d' un royaliste 2 vol. in-8-', l^aris, 1888, t. I, p. 4-44.
a. Vj^llovx, ,

3. Le mystérieux caractère du roi Charles-Albert a été merveilleusement pénétré


par le marquis Costa de Bbauregard. Voir la préface de son livre l'Epilogue d'un :

règne, les dernières années du roi Charles-Albert^un vol. in S», Paris, 1890.
4 Le quadrilatère vénitien était formé par les places de Vérone, Legnago,
Poschiera et Mantouc. — Dans un mémoire diplomatique, destiné à justifier son
348 niSTOIRE GÉNÉRALE DE l/ÉGLTSE

Le pape désire L'idée bien arrêtée du pape était de garder, au point de vue
garder
la noutralilé
militaire, une stricte neutralité, en se tenant sur la défensive contre
dans le conflit toute invasion de ses Etats. Dans cette vue, dix-sept mille hommes
survenu entre
furent expédiés à la frontière, sur la rive droite du Pô, avec mission
la Sardaigne

et l'Autriche. de ne prendre l'ofTensive en aucun point, mais de défendre, partout


où besoin serait, l'inviolabilité du territoire pontifical. Malheureuse-
Mais ment le chef de l'expédition, le général Durando, Piémontais de
le général
Durando nation, n'observa pas cette réserve. A peine arrivé à Bologne, il

outrepasse ses adressa à ses troupes, le 5 avril, une ardente proclamation, décla-
instructions
et attaque
rant, au nom de Pie IX, la guerre à l'Autriche, et exhortant ses
l'Autriche. soldats à entreprendre la sainte croisade de l'Italie. Ce fut la première
trahison dont Pie IX eut à souffrir pendant cette malheureuse cam-
pagne.
Par une note insérée dans la Gazette officielle de Rome, par une
Protestations allocution solennelle prononcée le 29 avril 18^8 ^ et par une lettre
de Pie IX
(avril-mai écrite le 3 mai à l'empereur d'Autriche 2, Pie IX protesta que, bien
loin de favoriser les agitations révolutionnaires, et d'exciter son peu-
ple à la guerre contre l'Autriche, il repoussait de toutes ses forces
de pareilles tendances. Ses actes de réforme politique n'étaient
que la continuation de l'œuvre commencée par son prédécesseur,
dans du Mémorandum rédigé par les grandes puissances
l'esprit

d'Europe. Quant à l'idée de faire la guerre à l'Autriche, il la procla-


mait <( entièrement contraire à ses pensées », n'ayant pour but,
ajoutait-il, « que d'agrandir chaque jour le royaume de Jésus-
Christ, qui est l'Eglise, et non de reculer les limites de sa souve-
raineté temporelle » ^.
L'Autriche Ces déclarations eurent un immense retentissement dans les cours
se montre
disposée européennes, où l'on commençait à se représenter Pie IX comme
à retirer ses commotions publiques qui troublaient l'Eu-
« le principal auteur des
troupe».
rope n ^. D'ailleurs la chute du cabinet Metternich, remplacé, le

intervention en Lombardie, Charles-Albert déclarait « prendre celte mesure pour


empêcher que le mouvement un mouvement républicain» (Léopold
actuel ne devînt
de Gaillard, Hist. de l'expéd. de Rome en 18U9, p. 48, note) Metternich, de son
côté, affirmait ne vouloir que soustraire la Lombardle-Vénétie aux influences révo-
lutionnaires. Plus tard, Gavour invoquera un semblable motif pour faire envahir
les Etats de l'Eglise. <( Au fond, dit L. de Gaillard, en i848 comme en 1860,
prendre des mesures, ce sera, avant tout, prendre quelque chose » \îbid.).
1. Chantrel, Annales^ t. I, p, Sô-Sg,
'
2. /6i(i., p, ^o.
3. Ibid., p 38.
4. G est IX lui-même qui, dans son allocution
Pie du 29 avril i848, relève celte
accusation (Cuantrel, p. 37).
PIE IX ET LES ETATS PONTIFICAUX 3/i9

i8 mars 18/18, par un ministère libéral, venait de faire disparaître de


la scène politique le diplomate le plus susceptible de s'irriter contre
l'attitude du souverain pontife. L'empereur Ferdinand I*', vers la

fin du mois de mai, se montra disposé à faire en faveur de la paix


de larges concessions, allant jusqu'à l'abandon de la Lombardie,
sous certaines conditions d'ordre financier^.
Les agissements de lord Palmerston, qui avait intérêt, pour dimi- Agissementi
de lord
nuer la puissance de l'Autriche, à maintenir le conflit austro-italien,
Palmerston
et manœuvres de Mazzini, qui ne pouvait espérer voir réussir
surtout les et de Mazzini.

son programme révolutionnaire que dans le trouble, firent échouer


les desseins pacificateurs du nouveau cabinet autrichien. La cour de

Vienne retira ses avances, et l'empereur demanda au maréchal


Radetzky de reconquérir, par une action prompte et énergique, les
positions prises par l'ennemi, afin d'écraser en Italie les forces tou- Retour oflcnsii
de l'année
jours renaissantes de la Révolution. Le choc des armées impériales
autrichienn«.
fut, cette fois, irrésistible ; les Italiens, vaincus, furent partout
refoulés.
Malheureusement, la cause du pape se trouvait atteinte par là
môme. Le général Durando, que Pie IX, trop confiant ou trop
impuissant, avait conservé à la tête de ses troupes, malgré sa cou-
pable incartade du 5 avril, avait fait cause commune avec les trou-
pes de Charles-Albert, Un nouveau ministre, que le Saint-Père, sous Ministère
Mamiani
la pression des partis avancés, avait été obligé de prendre à la fin du (avril i848).
mois d'avril, le comte Mamiani, avait, d'autre part, imaginé un
étrange expédient pour satisfaire le parti national exalté sans forcer
le pape à se doimer un démenti. H avait décidé que le gouver- Etrange
expédient
nement romain n'ouvrirait aucune hostilité contre l'Autriche, mais
de nouveau
que les troupes d'observation de Durando seraient placées sous le chef
commandement de Charles-Albert. C'était rendre inévitable l'action du ministère.

commune des Pontificaux et des Piémontais. Ce comte Mamiani,


un des anciens proscrits de Grégoire XVI amnistiés par Pie IX, ne
gouvernait pas plus, d'ailleurs, l'armée et le peuple, que le pape lui-
même. Le gouvernement était aux mains des clubs, de la presse et
surtout d'un « Cercle populaire », inspiré par les sociétés secrètes,
qui prétendait tout diriger, ou, tout au moins, tout contrôler. Le
pape, qui voyait le péril, perdait peu à peu la confiance, qu'il avait
eue jusque-là, de ramener à lui le peuple par ses bontés et de l'arra-

I. BiXLEïDiBR, Ilist. de la Révolution de Rome, I, 17a,


k. p.
350 HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLISE

cher ainsi aux sectes révolutionnaires. Mamiani, homme instruit.


Son altitude lettré, poète romantique à ses heures, et qui admirait le dogme chré-
tien à la manière d'un philosophe éclectique, avait été accepté par
Pie IX, qui le croyait capable d'accomplir une œuvre d'apaisement
provisoire, et ne soupçonnait pas qu'il pût trahir jamais la cause du
Saint-Siège. On eût dit cependant, durant le cours de son ministère,
qui ne dura pas trois mois, que le comte Mamiani n'avait pas d'au-
tre but que de provoquer, par tous les moyens en sa puissance, la
guerre avec l'Autriche, le trouble dans les Etats romains. Tombé du
Sa chute
(iq juillet
i848).
....
pouvoir le 19 juillet i848, il
111
profita de la longue crise ministérielle

^^^ suivit sa chute, pour soulever le peuple, non seulement contre le


i 1

gouvernement impérial, mais contre le pouvoir temporel du pape.


Son hostilité qu'il déclara incompatible avec la souveraineté et la liberté de l'Italie.

L'anarchie régnait partout. A Rome, au rapport de l'ambassadeur de


France, la police était impuissante à réprimer des désordres quoti-
L'anarchie diens pour leur propre compte, se
S et les Légations, léc^iférant
dans les Etats , . ° . .^ .
^
, • , 1

pontificaux, créant
,
du papier-monnaie, instituant même 1
des comités de salut
,

public, se trouvaient presque séparées de fait du reste des Etats de


l'Eglise.

IV

De nouveau, « Dans ces tristes conjonctures, Pie IX tourna les yeux vers la

f it a^^ 1 à la
France. De toutes les puissances catlioliques, c'était celle dont le

France S.?iril-Père pouvait invoquer le plus utilement l'appui. Dans les pre-
(aou I
4 j
n^iers jours du mois, d'août, il s'adressa directement au général Cavai-
gnac, et sollicita de lui l'envoi à Rome de quelques milliei-s de sol-
dats. Sous le gouvernement de Juillet, au mois de janvier précédent,
alors que les périls étaient beaucoup moins graves, Guizot s'était

préoccupé de préparer un pareil secours. La République, alors moins


prévoyante, repoussa ce premier appel de Pie IX. Elle estima qu'une
véritable intervention serait incompatible avec le rôle de médiatrice
qu'elle s'était imposé en Italie 2,

Opprimé par
u ses propres sujets, se croyant délaissé par la

France, Pie IX ne perdit point courage. Il aurait pu se livrer à la

Dépêche de M. d'Harcourt à M. Bastide, du 4 septembre i848. Citée par P. ob


1.
tJL GoRCE, Ilist. de la seconde République, t. Il, p. 65.
a. M, Bastide à M. d'Harcourt, aS août i848.
PIE IX ET LES ÉTATS PONTIFICAUX 35 1

il aurait
Révolution dans l'espoir de l'apaiser à force de sacrifices ;

pu se rejeter en arrière, et demander aux puissances absolutiste?^ là


consolidation de son trône. Loin de tomber dans l'un ou l'autre
excès, il voulut, en dépit de ses mécomptes, tenter un dernier effort

pour l'établissement d'un régime régulier, libéral et durable. Pour


le seconder dans cette entreprise généreuse et bardie, il jeta les yeux
sur l'ancien ambassadeur du roi Louis-Pbilippe, Pellegrino Rossi *. »

Le i6 septembre i8/i8, l'ancien bomme d Etat de la République MimMère


helvétique, l'ancien professeur de droit constitutionnel à Paris, l'an- ^^ ^X'^rr^
cien représentant de la politique française à Rome, acceptait du pape 18A8).

Pie IX la charge de trois portefeuilles r celui de l'inléiieur, celui de

la police et, par intérim, celui des finances. Peu d'hommes étaient,

à celte époque, plus versés dans la science théorique et pratique du


droit public et du droit international. Les anciennes relations de
Rossi ave« les carbonari l'avaient rendu suspect aux conservateurs, et
ses négociations entreprises en vue de la suppression des jésuites en
France lui avaient aliéné les sympathies des catholiques ; mais
l'exercice du pouvoir l'avait progressivement assagi, et le Saint-

Père, <( dans les mauvais jours qu'il venait de traverser, avait ap-

précié sa raison élevée et son dévouement » *,

Le pontife n'eut pas la douleur de voir ses espérances trompées. Le


premier ministre choisi par Pie IX se donna à l'œuvre que lui con-
fiait le pape avec un zèle qui n'eut pas de défaillance.
En acceptant la mission dont l'investissait la confiance de Pie IX, Le programme
Rossi en comprit toute l'importance. Diplomate adminis-
*

trateur distingué, le
...
premier ministre des Etats pontificaux possédait
habile,
.
gouvernement
du nouvei^u
niimsiere.
ces deux qualités caractéristiques de l'homme d'Etat : la perspicacité,

qui voit du premier coup les mesures à prendre, et l'énergie, qui les

fait exécuter promptement. Le 16 septembre, il présenta au pape son


programme de gouvernement : au point de vue du maintien de
l'ordre public, concentrer entre ses mains l'autorité et rendre à ses
subordonnés la confiance et la force ; au point de vue militaire, con-
fier le commandement suprême de l'arn^.ée à un général qui ne fût
inféodé ni au Piémont ni à l'Autriche ; dans l'ordre des réformes
économiques et sociales, répondre aux calomnies des ennemis de la
papauté par une puissante impulsion donnée aux constructions de che-

I. I*. Di; r.A (ÎORCK, Hist. de la seconde République^ t. 11, p. 63-04,


a. L. de Gaillahd, op. cit., p. -^3.
352 HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLISE

mins de fer, aux institutions scientifiques et à la liberté commer-


ciale ; dans l'ordre de la politique intérieure, maintenir fermement
les principes libéraux du Statut constitutionnel, mais en réprimant
éncrgl(juement toute manifestation anarchique ; enfin, dans l'ordre
de la politique extérieure, favoriser l'établissement d'une Confédé-
ration italienne, sans ydonner une prépondérance aux Etats Sardes *.
Irritation des Ce plan de gouvernement, hautement approuvé par Pie IX, jeta
sectes révo-
lutionnaires.
un désarroi momentané dans le camp des révolutionnaires. L'homme
qui le proposait paraissait de taille à le faire triompher, à la gloire
du Saint-Siège. Par là, les agitateurs perdaient le bénéfice de leurs
longues conspirations. Une seule ressource leur restait : perdre, par
une conspiration suprême, l'homme qui barrait ainsi la route à leurs
sombres menées. La mort du comte Rossi fut décrétée par les socié-
tés secrètes ^.

Assassinat Le i5 novembre i848, le premier ministre de Pie IX se rendait


de Rossi
(i5 septembre
à la Chambre des députés, qui siégeait au palais de la Chan-
18A8). cellerie, pour y développer le programme de sa politique. Par l'in-

discrétion de quelques conspirateurs, peut-être touchés de remords,


le secret du complot avait transpiré. La veille et le matin même,
plusieurs lettres pressantes avaient adjuré le ministre de se tenir sur
ses gardes. Il repoussa avec dédain ces avertissements. « La cause
du pape est celle de Dieu, où m'appelle le devoir. » Il
dit-il ; j'irai

franchissait les premières marches du péristyle, quand un violent


coup de stylet l'atteignit à la gorge. L'artère carotide fut tranchée.

La blessure était mortelle. Rossi expira, après avoir reçu l'absolution


du curé de San-Lorcnzo-in-Damaso.
Triomphe y eut quelque chose de plus odieux que ce crime ce lut le
Il :

do l'émeute.
débridement des forces anarchiques, dont il fut le signal. Des foules
en désordre parcoururent la ville en vociférant la veuve et les ;

enfants de la victime furent insultés ; le soir, des illuminations célé-

brèrent la prétendue victoire du peuple. La garde civique ne fit rien

pour s'emparer de l'assassin ni pour arrêter le cours de l'émeute ; à

la Chambre, le président n'eut pas un mot pour flétrir l'attentat ;

dans la presse, les modérés n'osèrent pas blâmer le crime, La secte

I . Les Etats Sardes comprenaient la Savoie, le Piémont et la Sardaigne, et


avaient pour roi Charles-Albert.
3. Mazzini, dans une lettre qui lut publiée, déclarait cette mort indispensable.
Cf. Deschamps, les Sociétés secrètes et la société, Ix^ édition, Avignon et Paris, 3 vol.
in-8*>, t. H, p. 299 ; Lubiensk.!, Guerres et révolutions d Italie, ch. xn et xiii.
PIE IX ET LES ÉTATS PONTIFICAUX 353

était maîtresse absolue de Rome. Le « Cercle populaire » prétendit


imposer au pape l'exécution de son programme, et lui envoya une
délégation à cet effet. Pie IX refusa d'abord. Des coups de feu furent
sur les fenêtres du palais du Quirinal. Un des prélats de la mai- f ministère
tirés

son du pape,
,,_^,
Mgr Palma,
,.

fut
,, .^.
mortellement atteint. Au
-la
du ib no-
soir
'^

Mamiani.
^icrhi
xin.

vembre, Pie IX, se voyant délaissé de tous, céda aux rebelles, pour Galetti.

éviter de plus grands désordres, et déclara accepter un ministère où


figureraient Mamiani, Sterbiniet Galetti.

du jour, les instruments les plus actifs


C'étaient les trois idoles
des sociétés secrètes, obéissant aux mots d'ordre de Mazzini. Nous
connaissons Mamiani. Sterbini, qu'on a appelé le Marat de Rome à
cause de sa laideur repoussante et de ses instincts brutaux, et Galetti,

riiypocrite aux manières élégantes, au ton doucereux, qui, amnistié


par Pie IX, avait multiplié ses protestations de dévouement jusqu'à
l'importunité, représentaient tout ce qu'il y avait de bas dans la popu-
lace romaine. Pie IX était prisonnier de la Révolution.
Prisonnier, le Saint-Père l'était à la lettre. Car, en même temps Pie IX,

que l'émeute l'avait obligé d'accepter un cabinet favorable aux révo-


"
^^'5e"k
lutionnaires, elle l'avait contraint à confier sa défense à la garde Révoluiion.

civique, laquelle venait de pactiser ouvertement avec les insurgés.


Mais les membres du Sacré-Collège, défenseurs-nés du Saint-Siège,
et ceux du corps diplomatique, outrés des insultes prodiguées au
souverain pontife, entreprirent de le délivrer. Une noble femme,
Française de naissance et mariée à l'ambassadeur de Bavière, la

comtesse de Spaur, conçut le plan d'une évasion, et contribua puis-


samment, par ses efforts personnels, à la réaliser. Le 24 novembre
18/I8, Pie IX, habillé en simple prêtre, sortit de son palais par une Evasion

porte dérobée, et, sous la protection de l'ambassadeur de Bavière, se , ,® ^^


b
rendit à Gaëte, dans le royaume de Naples, où le roi Ferdinand II lui i848^.

présenta ses hommages et lui promit son secours.


Pendant les dix-sept mois que dura son exil, Pie IX accomplit L'eiil
Ciacte.
plusieurs actes d'une grande importance.
Dès le 27 novembre, il rédigea une protestation, déclarant nul et Proiesiailon
e le
de nulle valeur tout ce que ses ennemis avaient Rome depuis
mort du comte Rossi,
^

et
...
confiant l'administration des affaires à une
fait à
.
la ,

(^7 Hovemurt
i848}.

commissioii permanente nommée par lui '. Par la publication de ce


document, l'équivoque que les révolutionnaires avaient essayé d'en-

I. Chahtrel, AnnaleSy p. 57-68,


Ilist. gén. de l'Eglise. -- Vlll sS
354 HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉOMSB

tretenîr sur l'attitude du pape était définitivement dissipée. Les repré-


sentants des puissances européennes, à l'exception de l'ambassadeur
des Etats Sardes, quittèrent aussitôt Rome, et rejoignirent Pie IX à.
Gaëte ^ Mais le parti qui s'était emparé du pouvoir ne reconnut pas
l'autorité de la commission instituée par le pape. Elle ne put fonc-
tionner. Mamiani lui-même, débordé par l'élément exalté et indis-
cipliné des sociétés secrètes, dut leur laisser la place libre. Quant à
Pie IX, du fond de son exil, il ne laissa passer aucun attentat contre
les droits du Saint-Siège sans renouveler ses protestations. Le 17 dé-
cembre, il déclara nulle la junte d'Etat convoquée à Rome par le pou-
voir usurpateur*; le i" janvier 1849, '^ rappela le canon du concile
de Trente qui prononce l'excommunication contre les violateurs des
droits de l'Eglise ^ ; le i4 février, en présence du Sacré-Collège et du
corps diplomatique, il dénonça la nullité de tous les actes accomplis
à Rome par le parti révolutionnaire et protesta particulièrement con-
tre l'établissement de la République romaine, qui venait d'être pro-
M '.moire clamée *. Le i«8 février, un mémoire diplomatique du cardinal Anto-
diplomatique
nelli, secrétaire d'Etat, mit les puissances de l'Europe au courant des
du cardinal
Antonelli événements qui s'étaient accomplis à Rome depuis le mois de novem-
(i8 février
bre précédent, et les supplia, au noin du Saint-Père, de « concourir,
par leur intervention morale, à le rétablir sur son siège et dans la

capitale de ses domaines, garantis par tous les traités qui forment la
base du droit public européen » ^.

Cet important mémoire était le premier acte diplomatique d'un


Le cardinal homme d'Etat qui devait jouer un rôle considérable dans la politique
Antonelli,
européenne. Jacques Antonelli, né en 1806, avait, sous le pontificat
secrétaire
d'Etat. de Grégoire XVI, géré le sous-secrétariat d'Etat au ministère de
l'intérieur, puis la trésorerie de la Chambre apostolique. Pie IX,
appréciant sa souplesse, son tact, son expérience consommée dans
les affaires administratives et politiques, le fit entrer dans le Sacré-
Collège dès le début de son règne, et le nomma même, au mois de
mars 18/48, président du conseil des ministres non responsable de-
vant le parlement. Rossi, pendant son court ministère, avait paru le

maintenir au second plan ; mais, pendant son exil de Gaëte, Pie IX

1. Card, Mathieu, la Souveraineté pontificale justifiée par l'histoire, p. 629.


2. ChantreLjP. 6i-6a.
3. /6i(f.,p. 65-66.
A. Ibid., p. 74.
5. Ibid., p. 74-77. Au
mois de mars cependant on vit le pape se décourager et
songer un moment
déposer la tiare (Marquis de Ségur,
à Vie de l'abbé Bernard,
un vol. in-i2, Paris, i883, p io4.
PIE IX ET LES ÉTATS PONTIFICAUX 355

vwî témoigna une grande confiance dans la direction des affaires tem-
porelles. Ce prince de l'Eglise, qui ne fut jamais prêtre, ne s'occupa
jamais des affaires 'proprement spirituelles que pour en transmettre la

connaissance aux puissances étrangères ou à l'épiscopat. Mais, dans


le gouvernement du domaine du Saint-Siège, il déploya une habileté Soa portnit,
et une sagesse auxquelles tous les historiens impartiaux ont rendu
hommage. Peu d'hommes ont été plus attaqués dans leur vie privée
et dans leur vie publique. Sur cette dernière, qui appartient seule à
l'histoire, M. Enaile Ollivier a apporté le témoignage suivant :« Les

manières extérieures du cardinal Antonelli ne donnaient qu'une idée


incomplète de son véritable caractère. A le voir courtois, familier,

d'une constante égalité d'humeur, sans raideur ni emphase, tem-


pérant toujours par un sourire la flamme de ses beaux yeux domina-
teurs, on eût dit un homme d'Etat souple, eu dehors, avant tout

préoccupé de plaire et d'être admiré. En réalité, altier, impéné-


trable, opiniâtre, il était au nombre de ces grandes âmes, supérieures

À la destinée et aux jugements mobiles des hommes, que n'émeuvent


ni la louange ni le blâme... L'idée de rechercher une domination
quelconque sur le chef de l'Eglise le révoltait. A quelqu'un qui lui

proposait l'exemple de Richeheu, il répondit: «Richelieu servait un


roi, qui est simplement un homme et ne dirige qu'un royaume ;

moi, je sers le pontife, vicaire de Jésus-Christ, qui gouverne le monde


chrétien. » Il savait peu ce que les livres contiennent ; mais il était très

érudit dans la science que les choses apprennent, et il devait à


l'acuité d'un esprit alerte et libre de ne rien ignorer de ce qui se de-
vine, a Ne confiez pas ce projet, disait Gavour à un haut personnage
français, à votre ambassadeur à Rome. Gardât-il le secret, Antonelli
est si fin qu'il le devinerait *. » Antonelli venait de comprendre que
les Etals de l'Europe étaient susceptibles de s'émouvoir de la situa-
lion du pape à Gaëte, des menaces de la révolution à Rome, et que
le moment était venu de faire un appel efficace à leur interven-
tiou.

I. Emile Ollitibr, V Eglise et VElat au concile du Vatican, a vol. in-ia, Paris,


1879, t. I, p. 5oa-5o5. —
La capacité diplomatique d'Anlonelli a été parfois mise
en doute. Ou cite ce mot du comte d'Arnim, montrant, de la coui San Damaso,
les fenêtresdu Secrétaire d'Etat < ba voilà, la grande
: incapacité méconnue. »
(Louis Teste, Préface au Conclave, uti vol. in-ia, Paris, 1877,
P* ^^)»
356 HISIOUIE GE.NliUALE DE L EGLISE

Attitude L'émoi avait été grand en Europe, et même au delà, à la nouvelle


(les cours
de la fuite du pape à Gaôte. Tandis que les populations, touchées
européennei
à la nouvelle de cette grande infortune, faisaient parvenir au pontife exilé Tox.-
(ies troubles
pression de leurs sympathies et le secours de leurs offrandes spon-
survenus
rlans les Etats teuées, les gou\ernenients se préoccupaient des succès obtenus à
pontificaux.
Rome par les sectes révolutionnaires. On connaissait leurs ramilica-
lions cosmopolites, et l'on pouvait prévoir les contre-coups de ce
triomphe dans les autres nations.
Généreuse Dès le Lendemain de l'assassinat du comte Rossi, le chef du
initiative
gouvernement français, qui était alors le général Cavaignac, avait eu
du général
Cavaignac. un noble mouvement de générosité chevaleresque. «Aller au secours
du pape, l'arracher aux factieux qui le tenaient captif, lui offrir l'hos-
pitalité sur le sol de la France, l'amener à Marseille au milieu d'un
peuple respectueux et agenouillé, ce n'était pas seulement reprendre
la tradition de la politique nationale ; c'était, à la veille de l'élection
présidentielle, rallier les suffrages des catholiques et grouper autour de
soi toute cette masse flottante à qui plaît toujours une initiative

hardie. Cavaignac était homme à comprendre ce rôle. Le 26 no-


vembre, il alla droit à M. de Corcelles, dont il savait le zèle reli-

gieux, et lui confia la mission de se rendre à Rome, de pourvoir à la

liberté du Saint-Père et de lui offrir 1 hospitalité sur le territoire de


la République *. » Par son vote du 3o novembre, Chambre fran- la

çaise approuva ce projet. Une brigade de 3.5oo hommes, réunie de-


puis quelque temps sur le littoral de la Méditerranée, reçut l'ordre
de s'embarquer pour Civita-Vecchia ; et le ministre des cultes, Fres-
lon, se rendit à Marseille pour recevoir le pape. Mais la nouvelle de
l'évasion du pape et de son heureuse arrivée sur le territoire napoli-

tain parut rendre sans objet, pour le moment, la noble initiative de


la France.
La note diplomatique du cardinal Antonelli posa de nouveau la

question devant les chancelleries de l'Europe. Non seulement les

puissances catholiques, mais les nations schismaiiqueset hérétiques,


telles que la Russie et l'Angleterre, se montrèrent disposées à répondre

I. P. DE LA. GoRCB, Hist. de la seconde République, t. I, p. 178.


PIE IX ET LES ÉTATS PONTIFICAUX 357

présidence de fe Louis-
à .'appel de Pie IX ^. En France, l'élection à la
Napoléon
République du prince Louis-Napoléon Bonaparte, le 10 décembre Bonaparte, éla
Président de
18/18, sembla, un moment, compromettre la politiqued'intervenlion.
la République
Le fils du roi en i83i, pris part à l'insurrection
de Hollande avait, française
(10 décembre
des Romagnes contre le pape, et, depuis, il n'avait pas suffisamment i84»).
désavoué cette coupable incartade. Le 3o novembre, à la Cham-bre,
Obstacles à
il s'était abstenu dans le vote relatif à l'expédition de Givita-Veo- l'interventi.jn
cbia 2 ; et si, à la veille de l'élection présidentielle, il avait, par une française :

lettre adressée annonce Fornari, désavoué son cousin Charles Bona-


le caraclcr©
parte, prince de Canino, très mêlé aux agitations révolutionnaires i«>

du prince-
de Rome, ce désaveu, paru à la veille du scrutin, avait eu trop l'air président ;

d'une manœuvre électorale pour constituer une sérieuse garantie. Au


surplus, dans l'Assemblée constituante, la majorité républicaine se
a* les dispoii-
fûtmontrée nettement hostile à toute entreprise qui eût paru avoir
tions
pour efTet la restauration du pouvoir temporel du pape. L'extrême- de r Assemblée
groupes eussent constituante;
droite seule et quelques membres isolés des autres

applaudi à ce projet. Dans le ministère, le comte de Falloux était


3° la politique
seul à l'appuyer. Un incident nouveau parut devoir le faire éliminer
du
définitivement. L'abbé Gioberti, le fameux auteur du Primaio, avait ministère ;

été appelé, vers It fin de 1848, à la présidence du Gonseil des mi-


nistres des Etats Sardes ; et sa première préoccupation avait été d'es-

sayer de réaliser son rêve : rétablir l'union entre le pape et le peuple,


en chargeant Gharles-Albert de constituer une Italie indépendante
dans son existence, libérale dans ses institutions et unifiée sous le

haut patronage du pontife romain. A défaut des princes italiens, qui 4» Finterreft-
tion
accueillirent froidement ce projet, le premier ministre de la cour de de Gioberti.
Turin rencontra la plus grande sympathie à l'Elysée. Il était dans le

caractère du prince Bonaparte, ami de l'ordre par politique, mais


rêveur par nature, chimérique par tendance, et déjà épris de la théorie
des nationalités, d'être facilement séduit par un pareil projet. Il
y
donna, sans hésiter, sa pleine adhésion.
Seul dans le cabinet, ne pouvant compter au Parlement que sur Le comte
de Fatloux
l'appui d'une faible majorité, le jeune ministre de l'instruction pu- combat éner-
blique et des cultes, comte de Falloux, se donna pour tâche de
le giquement
les projets
faire échouer le projet du ministre sarde, u Vouloir cacher la France du minisirs
sarde.

P. DE L*. GORCB, op. cit., t. II, f. 8o.


1.
Voir sa lettre du a décembre i848,
2. parue le lendemain dans VUnivers. !a
Presse et le Constitutionnel.
358 HTSTOFRE GENERALE DE L EGLISE

derrière le Picmont *, disait-il, c'est vouloir cacher ungcant derrière


un roseau * » ; et il s'évertuait à montrer au prince-président, à ses
collègues, aux chefs des partis politiques de l'Assenriblée, qu'une pa-
reille entreprise ne pouvait procurer à la France que des dangers et
des humiliations, sans profit d'aucune sorte pour compenser ces
déboires.
Les événements le servirent, et ne tardèrent pas à ramener le
prince, le cabinet, la Chambre elle-même, à la traditionnelle poli-
tique de la France dans ses rapports avec la papauté.

Progrès D'une part, l'anarchie devenait, à Rome et dans les Etats ponti-
de l'anarchie ficaux, de plus en plus menaçante. L'élément romain s'était absorbé
dans les Etats
pontificaux. dans Télément italien el cosmopolite. Les pires représentants des
sociétés secrètes s'étaient donné rendez-vous dans la Ville Eternelle,

et ils y légiféraient sans contrainte. Un décret du 21 février 18^9 dé-


clara propriété de la République romaine tous les biens ecclésiastiques.
Quatre jours plus tard, unautredécrct frappa les riches d'un emprunt
forcé, qui, suivant le chiffre des fortunes, variait entre le cinquième et les
deux tiers du revenu annuel. Ce n'était plus le « Cercle populaire »

qui gouvernait, c'étaient les délégués delà « Jeune Europe », de la

«Jeune Italie », de la « Jeune Irlande », de tous les groupes qui


Mazzini dépendaient de Mazzini ; ce fut bientôt Mazzini lui-même, qui,
à Rome.
arrivé à Rome, y fut accueilli avec les plus grands honneurs, reçut

le titre de citoyen romain, et fut invité à siéger à la Chambre à

côté du président.
D'autre part, l'Autriche, qui se sentait la première menacée par
Défaite de cette agitation, s'était hâtée d'intervenir. Le 21 mars, les troupes im-
Tarmée sarde
périales franchirent la frontière italienne. Trois jours après, l'armée
i Novare
(a4 mars piémonlaise était écrasée à Novare *, et Charles-Albert, craignant que
i849).
sa personne ne devînt un obstacle à une paix nécessaire, transmettait
sa couronne à son jeune fils, Victor-Emmanuel II.

Effet produit Ces événements eurent pour résultat d'imprimer une allure déci-
par ces
sive à notre politique vis-à-vis de Rome. « On pouvait deviner que
événements
en France, l'Autriche victorieuse ne résisterait pas 1 la tentation d'ajouter à ses

succès celui de ramener le Saint-Père dans sa capitale. Or, si un tel

événement se réalisait, c'en était fait de notre influence en Italie ; c'en

était fait également de l'œuvre libérale que la France avait conseillée

I. appelait déjà Piémont, le royaume de Sardaigne ou des Etats Sardes.


On Gd
nom ne devait lui être donné officiellement qu'en 1860.
a. FiLLLOUx, Question romainey dans Mélanges poluiques, t. II, p. 178.
PIE IX ET LES ÉTATS PONTIFICAUX SBq

etque Pie IXavait essayé d'accomplir. On avait pu laisser TAutriche


vaincre à Novare mais la laisser intervenir, au lendemain de Novare,
;

dans la capitale du monde chrétien, c'était pousser trop loin la poli-


tique d'effacement. Il importait de se hâter, si l'on ne voulait être
devancé. Dès ce moment, l'expédition de Rome fut décidée *
.
»

VI

Le3i mars iS/ig, l'Assemblée nationale vota un ordre du jour au-


^"f^^^/ç^f^'^^^
lorisant le pouvoir exécutif à procéder à une « occupation partielle en Italie

et temporaire n en Italie. Le soir du même jour, le général Oudinot


?3i^^a^3*
gagna Marseille, pour y prendre le commandement des troupes déjà 1849).

établies sur le littoral de la Méditerranée, et pour tout disposer en


vue d'une descente en Italie.

Il n'était que temps. A Rome, Mazzini, chefd'un triumvirat qui comp-


tait avec lui ArmellinietSaffî, organisait une vraie dictature ; et, tandis

que les intrigues du Piémont, les menées de lord Palmerston et les

menaces d'anciens compagnons du prince-carbonaro, tendaient à


retarder l'intervention de la France, les Espagnols, les Autrichiens
el les Napolitains se disposaient à intervenir de leur côté.
Le prince-président tenait à ne pas se laisser devancer par ces
puissances. Son but, en effet, n'était pas seulement d'enlever le pou-
voir à Mazzini pour le transmettre à Pie IX ; c'était aussi de neutra-
liser l'influence, trop absolutiste à son gré, des trois puissances, et ^ °"|?"

d'assurer le maintien de toutes les réfonnes libérales introduites par écartantleplaa


propose
Pie IX jusqu'au i5 novembre i848 ^. C'est pourquoi il repoussa le

plan, proposé par le pape, d'après lequel la France occuperait Civita- dirige
'*^"
Yecchia, la province de Spolète et celle de Pérouse l'Autriche, les
;
*°°R^e
Légations, jusqu'à Ancône ; l'armée napolitaine, les provinces de

1. P. DE LA. GORCE, Op. Cit., t. II, p. 85.


2. Des ont supposé, parallèlement à ces desseins, hautement avoues
kislorieiis
par le prince Louis-Napoléon Bonaparte, le but dissimulé d'obtenir, par la voie
d'une modération hypocrite, la ruine du pouvoir temporel de la papauté et il* ;

explicjiieut par là les ménagements que le prince aurait eus pour les partisans de
Mazzini et pour Mazzini lui même (Créti:<eal-Jolt, lEglbe romaine en face de la
licvulittion, t. Il, livre II ; Dbschamps, les Socictt's secrètes et la société, 4« édition, t. II,
p 3oo 3i3) Mais
il n'est pas facile délablir si les complaisances du Président de la

llopublique française doivent être attribuées, comme le supposent ces auteurs, à


une entente avec les loges maçonniq\ic9, ou si elles sont dues à la pression de son
entourage, à des calculs de pure politique cl à de simples tendances libérales du
prince.
36o HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLISE

Velletri, de Frosinonc et d'Ascoli ; l'Espagne, Rome et ses environs.


La France, acceptant l'action simultanée des puissances, mais non
leur action combinée, prit pour objectif l'occupation de Rome et y
dirigea, le plus rapidement possible, son armée.
Le g<5néral Le 29 avril 1849, deux brigades françaises, commandées par le
Oudinot à
Civita-Vecrhia général Oudinot, entrèrent dans Civita-Vecchia sans coup férir. De
(ag a\ril là, le général adressa aux Romains une proclamation, concertée à
1849).
Paris, dans laquelle il affirmait que
République française voulait « la

donner un éclatant témoignage de sasympatbie envers la nation ro-


maine ». « Accueillez-nous en frères, ajoutait-il nous justifierons ce ;

titre. » Le 3o avril, l'armée française était sous les murs de Rome.


Oudinot avait espéré y entrer, comme à Givita-Veccbia, sans ob-
stacle. Mais les triumvirs lui en fermèrent les portes, et confièrent la

défense de la aux volonlairesde Gaiibaldi. Bien plus, une colonne


ville

de 260 hommes, prise dans un piège, dut se constituer prisonnière.


Siège Il fallut se résoudre à faire un siège en règle. Il importait cependant
de Rome.
de devancer les autres puissances, qui avaient, à leur tour, franchi les
frontières. Les Napolitains avaient pris Terracine ; les Espagnols oc-
cupaient les provinces de Rieti et de Spolète, et les Autrichiens,
établis dans les Légations, commençaient à mettre la main sur les

places pontificales du nord. Oudinot, pressé par les envoyés français,


d'HarcourtetRayneval,attaquâlaville, leSoavril, avec 5. 000 hommes.
Mais il fut repoussé. La nouvelle de cet échec, parvenue à Paris le

4 mai, jeta la stupeur parmi l'Assemblée, qui, dans une séance de


nuit du 7 au 8 mai, « invita le gouvernement à prendre les me-
Emotion sures nécessaires pour que l'expédition d'Italie ne fût pas plus long-
de l'Assemblée
constituante temps détournée du but qui lui était assigné ». C'est alors que Louis-
(7-8 mai Napoléon Bonaparte crut l'occasion opportune de prendre une initia-
18^9).
tive hardie. Sans demander, comme la Constitution le voulait, l'as-
sentiment du Conseil d'Etat, sans consulter ses ministres, il écrivit

au général Oudinot : y Notre honneur militaire est engagé ; les ren-

forts ne vous manqueront pas » ; et le général Changarnier, pour


souligner l'importance de cette lettre, la mit à l'ordre du jour de
l'armée de Paris.
La mission comme
En même temps, un diplomate, qui venait de révéler,
de Ferdinand
de Lesseps. consul général à Barcelone, dans des circonstances difficiles, un
remarquable esprit de décision et d'habileté, Ferdinand de Lesseps,
fut chargé de négocieravec le gouvernement des triumvirs. La mis-
sion était hérissée de difficultés. Le libéralisme connu du plénipo-
.

PIE IX ET LES ETATS POISTIFICAUX 36i

tonlinire pouvait faire espérer que ses ouvertures ne seraient pas


préalablement rejetées par les autorités romaines. Mais son rôle
paraissaitun démenti, presque une trahison, à l'égard des représentants
des puissances, qui, depuis le 3o mars, délibéraient en congrès à
Gaëte; à l'égard des armées autrichiennes, espagnoles et napoli-

France avait promis une « coopération simultanée


taines, à qui la ».

Do plus, des dissentiments éclatèrent entre le général Oudinot et

le plénipotentiaire français. Par ailleurs, Mazzini, qui tenait sous

son joug la Rome, opposait à tous les projets d'ac-


population de
commodements proposés par Lesseps un refus absolu. La ténacité
du diplomate parvint cependant à obtenir du dictateur que l'armée La convention
^ '
.j • du 3i mai
^
d'Oudinot resterait dans les Etats romams, comme un contre-poids
, T-.

,34^^
nécessaire aux forces autrichiennes, espagnoles et napolitaines. Par
l'article i**" d'une convention conclue le 3i mai entre l'agent fran-

çais et le triumvirat romain, l'Etat romain « considérait l'armée

française conmie une armée amie, venant concourir à la défense de


son territoire », et, par l'article 3, « la République française garan-
tissait contre toute invasion étrangère les territoires occupés par ses
troupes »
Lesseps s'était-il laissé « séduire par l'habileté de Mazzini ou inti-
mider par les fanfaronnades de Garibaldi », comme le suppose le

comte de Falloux * ? Doit-on voir dans la convention du 3i mai


l'exécution d'un plan concerté par la franc-maçonnerie, comme
l'insinue le P. Deschamps ^ ? Le fait est que l'acte diplomatique
signé par le plénipotentiaire français fut jugé inacceptable, comme
opposé aux instructions précises qui lui avaient été données, et

comme contraire aux intérêts et à la dignité de la France 3. Lesseps


fut rappelé à Paris, et déféré au Conseil d'Etat, qui lui infligea un Lesseps
blâme. Ecarté de la carrière diplomatique, il devait, dans la suite, ^** desavoué

dépenser son activité dans une voie différente, et y acquérir une gouvernement
français.
Wtentissante célébrité.
Une Assemblée nouvelle venait de se réunir, 28 mai 1849, ^^°* le L'Assomblée
législative
la majorité venait d'être élue sur un programme catholique ou
favorable au catholicisme. Dès le lendemain, le général Oudinot '

reçut l'ordre de reprendre les hostilités. Le siège de Rome fut aussi- Elle se montre
tôt commencé, sous les ordres des erénéraux
° Oudinot et Vaillant. Le f.*^°"!!'':
à 1 expcilitioa
de Rome.
I Falloux, Mémoires d'un royaliste^ l. I, p. ^5a,
a. Desgha.mps, op. cit., t. Il, p. 807.
3, Falloux, lac. cil.
5G2 HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLISE

3 juin, par l'occupation du couvent de Saint-Pancrace et des villas

Pampluli, Valentini et Corsini, les ennemis étaient délogés de


tous les postes avancés qu'ils occupaient en dehors de l'enceinte.
Les chefs du parti démagogique français tentèrent en vain de détour-
ner le gouvernement de son expédition. Le i3 juin, au moment
même où l'émeute grondait à Paris, le général Oudinot faisait aux
assiégésune dernière sommation, puis poussait l'attaque avec vi-
gueur. Le siège fut prolongé par suite des recommandations faites à
l'artillerie de ménager les monuments de la Ville Eternelle. Enfin,
le 29 juin, fête de un assaut général permit à
la Saint-Pierre,

l'armée française de s'emparer du sommet du Janicule, et de s'y


Entrée installer solidement, dominant la ville. Le 2 juillet, les triumvirs
de l'armée durent se rendre sans conditions. Le 3, l'armée française entra dans
française
à Rome Rome. Garibaldi, en fuite avec ses troupes à travers l'Apennin, fut
(3 juillet traqué par les Napolitains et les Autrichiens. En même temps, le
i849).
colonel Niel, chef d'état-major du génie, partait pour Gaëte, afin

de remettre au pape les clés de sa capitale pacifiée. Pie IX reçut


Remercie- avec émotion le vaillant soldat, et lui dit : « La France ne m'avait
ments de rien promis, et pourtant c'est sur elle que j'ai toujours compté. Je
Pie IX au
colonel Niel. sentais qu'au moment opportun, la France donnerait à l'Eglise son
sang, et, ce qui est plus difficile, ce courage contenu auquel je dois
la conservation de ma ville de Rome* ».

Le pape diffère Toutefois Pie IX ne jugea pas à propos de rentrer aussitôt dans
son retour se contenta d'y envoyer une commission de trois car-
sa capitale. Il
à Rome.
dinaux, chargés de prendre en son nom les mesures les plus
urgentes. Par cette tactique, le pape voulait ménager les susceptibi-

lités des cours de Vienne, de Madrid et de Naples, qui n'avaient cédé


quà regret à l'armée française le rôle décisif, et qui désiraient se

ménager, après l'action militaire de la France, une action diploma-


tique ; mais -ce retard donna le temps aux partis avancés de la

Chambre française de formuler des plaintes amères contre la poli-


tique du prince-président, qu'on accusait d'avoir outrepassé les in-

L'extrémc- tentions de la représentation nationale dans l'expédition de Rome.


gauche pour donner des gages
Ce fut pour mettre fin à ces op|X)sitions et
de la Chambre
française aux partis extrêmes que Louis-Napoléon, sans consulter ses minis-
attaque
prince-
tres, et sachant même qu'il allait à l'encontre des idées de la plu-
le
président. part d'entre eux, fit, une fois de dIus, un de ces actes où se pressen-

I. Falloui, op. cit., t. I, p. 5 16.


PIE IX ET LES ÉTATS PONTIFICAUX 363

tait le futur em|)ereur. Le 18 août 18/19, ^^ écrivit à un de ses

aides de camp, envoyé en mission à Rome, le lieutenaat-colonel La lettre

Edgard Ney : a J'apprends avec peine... qu'on voudrait donner (igaoùt^S^g


comme base à la rentrée du pape la proscription et la tyrannie... Je
résume ainsi le rétablissement temporel du pape amnistie générale,
:

sécularisation de l'administration, code Napoléon et gouvernement


libéral... Lorsque nos armées firent le tour de l'Europe, elles lais-
sèrent partout, comme trace de leur passage, la destruction des
abus de la féodalité et les germes de la liberté ; il ne sera pas dit
qu'en 18^9, une armée française ait pu agir en un autre sens et

amener d'autres résultats* ».


Cette lettre fameuse, qui appartient à l'histoire « par l'influence Effet produit

Qu'elle eut
politique capricieuse
sur les
. .
affaires

et
11 italiennes et

pleme de surprises que Louis Napoléon


comme révélation de la
T •
TVT 1
. Pf^
^^^^^ lellre.

devait pratiquer plus tard ^ », excita l'émotion la plus vive. Pie IX


voyait se renouveler contre lui, sous une forme plus brusque et

plus radicale, la pression que les grandes puissances avaient voulu


exercer contre Grégoire XVI par le Mémorandum de i83i. Donoso
Cortès se fit l'interprète des sentiments d'un certain nombre de
catholiques en écrivant : « Après une telle lettre, qu'y a-t-il à
espérer de ce président aventurier ^ ? » Et un journal exprima les

appréhensions d'une partie des libéraux, en signalant u la serre de


l'aigle impériale sous cet acte d'audacieuse initiative » *. Le ministre
de l'instruction publique et des cultes donna sa démission.
Pie IX, placé en face des mêmes difficultés que Grégoire XVI, j^j^^^ proprU
imita la sagesse de son prédécesseur. Par un Motu proprio du ^"

12 septembre 1849, il déclara que les « vaillantes armées des puis- jg/^
sauces catholiques » qui étaient venues à son secours ne pouvaient
avoir eu pour objet et pour résultat que « de rétablir sa pleine
liberté et indépendance dans le gouvernement des domaines tempo-
rels du Saint-Siège ». Cette indépendance, il protesta vouloir a la
maintenir dans sa plénitude en face du monde» *. En couséquence,
en vertu d'un acte libre et spontané de son autorité, il créa un Con-
seil d'Etat chargé de donner son avis sur tous les projets de loi, et

I. Voir le texte complet de la lettre dans P. de la Gorcb, Hist. de la seconde


République, t. II,aaô-aaô Pougeois, Ilist. de Pie IX, t. 111, p. 1^8-149.
;

a. P. DE LA. GoRCB, 11, saS.


3. Adhémar d'ANxiocHE, Deux diplomates, p. ii3.
d L. de Gaillard, op. cit., p. 3i8.
5. CuA.MTR8L, Annales, p. 84.
364 HISTOIRE GENERALE DE L EGLISE

une Consulte d'Etat, ayant voix délibéra tive sur les questions finan-
cières. Les membres de la Consulte seraient choisis par le pape sur
une liste dressée par les Conseils provinciaux. Le Motu proprio
assurait, de plus, des libertés provinciales et communales étendues,
et annonçait la réforme des lois civiles et judiciaires *.

LoTii»- Louis-Napoléon commençait à se rendre compte de l'inopportu-


Napoléon
désavoue nité de sa lettre à Edgard Ney. Le 10 septembre, une note officielle
la publication du Moniteur déclara que « la publication de cette lettre avait été
et le caractère
ofiBciel
purement officieuse », qu'elle « excluait toute espèce de publicité» *.
de la lettre Le 18 octobre, le rapporteur de la commission chargée d'examiner
à Edgard Nej.
une demande de crédit pour l'expédition de Rome, Adolphe Thiers,
fil un long historique de la question sans nommer même la malen-
Energiques contreuse missive. Au sein de la commission, il eut, en faveur du
déclaration»
de Thiers pape, des paroles chaleureuses, qui excitèrent l'admiration des catho-
en faveur du liques. « Nous ne pouvons pas, s'écria t-il, faire violence au pape.
respect
du pape. Pourquoi? Parce qu'il est fort ? Non, mais au contraire parce qu'il

est faible. Savez-vous ce que vous seriez, si vous faisiez violence au


pape ? Vous ne seriez pas seulement un soldat battant un prêtre, ce
qui est lâche et vil ; vous seriez un homme battant une femme, et

il n'y a pas de nom pour cette indignité-là. » Au cours de la dis-


cussion, Alexis de Tocqueville, ministre des affaires étrangères, dé-
clara, au nom du gouvernement, qu'il acceptait la lettre du pré-
sident, mais qu'il trouvait dans le Mota proprio du pape des garan-
ties suffisantes.

Les passions étaient surexcitées. Au cours de la séance du

19 octobre. Victor Hugo, se séparant de la majorité dont il avait

Discours de fait partie jusque-là, attaqua violemment la politique et Thistoire du


Montalembert Montalembert répondit par un de ses
gouvernement pontifical. lui
sur
l'expédition plus magnifiques discours. « L'histoire, s'écria-t-il, dira que, mille
de Rome ans après Charlemagne et cinquante ans après Napoléon, la France
( 1 9 octobre
18A9). est restée fidèle à ses traditions et sourde à d'odieuses provocations...

Savez-vous ce qui ternirait à jamais la gloire du drapeau français ?

Ce serait d'opposer ce drapeau à la croix ; ce serait d'échanger le

rôle et la gloire de Charlemagne contre une pitoyable contrefaçon


de Garibaldi. » Puis, reprenant et amplifiant la comparaison de
Thiers : « Quand un homme est condamné à lutter contre une

I. Gba.ntrbl, Annales j^. 84-85


a. Moniteur du 10 septembre i84'
PIE IX ET LES ETATS POiNTIFIGAUX 365

femme, si cette femme n'est pas la dernière des créatures, elle peut
le braver impiinémeût. Elle lui dit : Frappez, mais vous vous désho-
norerez, et vous ne vaincrez pas 1 Eh bien 1 l'Eglise n'est pas une
femme ; elle est bien plus qu'une femme, c'est une mère 1 C'est la
mère de l'Europe, c'est la mère de la société moderne, c'est la mère
de l'humanité moderne I. » « A ces mots, disent les journaux du
temps, des applaudissements éclatèrent, tels qu'on n'en a sans doute
jamais entendus dans une assemblée délibérante ^ »

Le 12 avril i85o. Pie IX fit dans la Ville éternelle son entrée Rentrée
triomphale
triomphale. Le 17 du même mois, il écrivit au général Baraguey- de Pie IX
d'Ililliers, commandant en chef du corps expéditionnaire d'Italie :
à Rome
(la avril
« Il est doux à mon cœur d'exprimer les sentiments de vive gra- i85o;.
titude que je professe pour la nation française, qui n'a épargné ni
ses fatigues ni son sang pour assurer au Vicaire de Jésus-Christ
son indépendance ^. » Il avait déjà écrit au général Oudinot : « Le
triomphe de l'armée française a été remporté sur les ennemis de la

sociétéhumaine ^. » Ce jugement du souverain pontife doit être le


jugement de l'histoire.

I. Tout le discours est plein de traits d'une verve merveilleuse. Le disccuri de


Victor Hugo, à qui 1 orateur répondait, avait été vivement applaudi par l'extrêmo-
gauche, « Messieurs, dit Montalembert en débutant, le discours que vous venex
d'entendre a déjà reçu le châtiment qu'il méritait dans les applaudissements qui
l'ont accueilli. » Des murmures et des protestations violentes interrompent l'ora-
teur. Le président Dupin lui fait observer que son expression n'est point parlemen-
taire. Montalembert reprend (( Puisque le mot de châtiment vous blesse, mes-
:

licurs, je le retire, et j'y substitue celui de récompense ^ (Mowtaljembert, Œuvres,


t. III, p. 254).
a. Gh\ntrel, Annales, p. 96.
3. Ibid., p 8i.
CHAPITRE IX

» r
PIE IX ET L EGLISE DE FRANCE PENDANT LA PREMIERE PARTIE DE SON
PONTIFICAT (l 846-1 854).

Le rôle Sans doute TAutriche, l'Espagne et le royaume de Naples avaient


dans la défense contribué à délivrer Rome de l'anarchie et à la rendre au chef de
du l'Eglise catholique. Mais Pie IX ne pouvait pas oublier que la
France avait, dans cette œuvre, joué un rôle décisif. Il s'en souvint
la

toi
et dans
propagation
de la
catholique.
toujours.
^^'^1^6
Le
partie
....
soif

du
de sa rentrée
service intérieur
au Vatican, il

de son palais fût


exprima
faite
le désir

par des
soldats français. Une armée française devait, jusqu'en 1870, rester
à Rome pour protéger son indépendance spirituelle et temporelle.
D'autres motifs engageaient le pape à porter sans cesse ses regards
vers la Fille aînée de l'Eglise. Malgré les troubles politiques qui
agitaient celte nation, malgré les controverses religieuses qui s'y
soulevaient de temps à autre, elle apparaissait toujours comme un
foyer ardent de vie catholique ; et, au moment où la seconde Répu-
blique allait faire place au second Empire, un prélat non suspect de
tendance libérale, Mgr Pie, évêque de Poitiers, exprimait à la fois la
gratitude due par l'Eglise au gouvernement qui allait disparaître et

les espérances que faisait naître le pouvoir qui s'inaugurait. « Il

serait, disait-il, de fort mauvais goût de jeter l'insulte à la période

républicaine qui expire. Plaise au ciel que, durant les années qui se
préparent, notre action continue à se développer aussi librement et
aussi efficacement qu'elle s'est exercée depuis quatre ans... Le prince
qui va monter sur le trône n'a pu donner jusqu'ici toute sa mesure...
Mais quand Dieu, dans ses desseins mystérieux et impénétrables,
prend par la main un homme, quel qu'il soit, pour l'élever à la
gloire d'être, ne fût-ce que momentanément, le chef d'une nation
PIE IX ET l'Église de fhance 867 v

telle que la FraDce, il lui ojffre toujours des grâces au moyen des-
quelles il pourra, si sa volonté y correspond, accomplir utilement
sa mission *. »
L'intense développement de la vie et des œuvres catholiques en Vue générale

France depuis l'avènement de Pie IX, et en particulier l'ardeur de catholique


la campagne menée par les catholiques français pour la conquête de en France de

la liberté d'enseignement, l'éloquence et la valeur de leurs princi-


paux chefs, et le retentissement de leurs luttes généreuses dans
rEuro[)e entière, justifiaient de telles espérances ; et, si les événe-
ments ne les réalisèrent point complètement, si de pénibles scissions
d'une part, une méfiance excessive des pouvoirs publics d'autre part,
les démentirent plus d'une fois, le bien qui se fit, malgré tout, dans
la France ou par la France répondit à la paternelle confiance que
Pie IX avait accordée à la Fille aînée de TEglise.

I .

Peu de jours après l'avènement de Pie IX, le nonce du Saint-


Siège à Paris, Mgr Fornari, disait à Montalembert : « Il est bien
urgent que vous alliez à Rome sans retard, pour éclairer le pape sur
la véritable situation religieuse et empêcher M. Rossi de le tromper ^. »
Les libéraux de France comptaient, en effet, comme les libéraux
d'Italie, obtenir du nouveau pape de larges concessions. Louis-
Philippe s'était flatté d'obtenir de lui u l'entière extinction des
jésuites 2 ». Le chef du parti catholique français, répondant au désir Le Mémoire
du nonce, rédigea un mémoire, que l'abbé Dupanloup se chargea de -°" comte Je

porter à Rome, et où se trouvait tracé le tableau des progrès reli-


gieux accomplis depuis i843 l'organisation de la lutte pour la:

liberté d'enseignement, le succès des conférences de Notre-Dame, le

réveil de la foi marqué par l'afflucnce aux oflices de paroisse, le re-

tentissement des protestations épiscopales, le groupement dans le

parti catholique d hommes éminents, venus de divers centres poli-


tiques, que M. de Vatimesnil, M. de Gormenin, M. Lenor-
tels

mant*. Pie IX fut frappé d'admiration à la lecture de ce mémoire,

1. Mgr Pie, Œuvres complètes, t. I, p. 53o, 533, 567, 56o,


a. Lecanuet, Montalembert^ t. II, p. 01 a.
3. Ibid., p. 3 13.
4. Ibid., p. 3i3-3i4.
368 HISTOIRE GÉNÉRALE DB l'ÉGLISE

parla avec estime du comte de Montalembert,


champion « ce vrai
de la bonne cause », dont un éloge* »»
« le nom seul, ajouta-t-il, est
L'attitude Louis Veuillot, de son côté, raillait, dans ï Univers, « la manie de
de V Univers.
tracer au souverain pontife la marche qu'il doit suivre pour pro-
curer la paix* ». Sans doute, en parlant ainsi, le polémiste catho-
lique avait surtout en vue le ConstiluLionnel et le Siècle, prêts à louer
« la sagesse et la piété du pape, s'il avait assez d esprit pour accepter
la dédicace du Juif errant ^ » ; mais il avait aussiun mot de dé-
fiance pour « ces hommes estimables, dont personne plus que lui
n'honorait le courage et les bonnes intentions » ; et il terminait
son vigoureux article eu disant : « Pie IX appliquera aux temps
nouveaux les vérités anciennes, et le monde fera un pas dans le
Deux centres salut*». Bref, deux centres d'action catholique se dessinaient : 1 un,
d'action
Catholique
dans leComité de défense des libertés religieuses, où Montalembert
se dessinent. et Dupanloup inclinaient vers une politique de transaction l'autre, ;

dans ï Univers, où Veuillot poussait à une tactique d'intransi-


geance.
La divergence des tendances se manifesta à propos d'une brochure
de l'abbé Dupanloup, De l'état actuel de la question, où Veuillot
crut reconnaître nn blâme de son attitude dans une phrase de l'au-
Le projet teur sur « les partis extrêmes ^ ». Un projet de loi hybride de Sal-
de Salvandj
sur l'en-
vaudy sur la liberté d'enseignement, dans laquelle le ministre, sui-
seignement vant ses propres expressions, avait cru devoir, u pour être utile aux
(1847).
bons principes, ménager les mauvais <^
un moment
», refit l'union,

compromise. Louis Veuillot écrivit : « M. de Salvandy aurait pu


nous diviser ; il nous rassemble, c'est le premier service qu'il nous
rend. » Un vaste pétitionnement fut aussitôt organisé, pour la dé-
l'union
Il refait fense de la liberté d'enseignement, qui réunit en peu de temps
entre
lés catholiques
125.000 signatures. Mais, soit que la divergence profonde de ten-
mais dances dont nous venons de parler persistât dans l'action commune
ne provoque
pas
et la paralysât dans ses mouvements, soit que la politique relative-

une camj^agne ment bienveillante du gouvernement eût endormi le zèle de l'épisco-


très aclive.
pat, soit que les équivoques habilement entretenues sur le prétendu
libéralisme de Pie IX eussent donné le change à l'opinioû, la cam-

I. Lecanubt Montalembert, II, p. 3 1 6-3 17,


a. Univers du 34 juin i846.
3. 76^.
4. Ibid.
5. Lecanuet, II, 3i9-3a3 ; Ëugèns Veuillot, Louis Veuillot, t. II, p i6i-x64.
6. ici., II, 3a4.
PIE IX ET l'église de FRANCE 3 69

dont les
pagne ouverte en 18/I7 ne souleva pas l'enthousiasme
catholiques de France avaient donné en 18U le magnifique
spec-

et Montalcmhert, dans une lettre de cette époque, railla avec


tacle ;

amertume ces catholiques français, lourdement engourdis, qui

« cntr'ouvraient un moment leur paupière, quand un fait par trop

assez de ]3ruit pour troubler leur paix, et, là-


significatif faisait

dessus, se retournaient sur le flanc, se cachaient la tête sous n'im-

])orte quel voile grossier, pour fuir la lumière importune^ ». 11

il Mut la grande secousse de i848 pour les faire se lever de nouveau,

unis et frémissants, pour la défense des libertés religieuses.

Il

Il ne nous appartient pas de nous appesantir sur les causes loin- ^* Révolution
taines et prochaines de la révolution de i848 et sur les divers inci- causes
lointaines
dcnls de cet important événement politique. Le caractère instable
. . . . . et prochaines,
de la monarchie de Juillet, qui, pour faire un compromis entre le

principe de l'hérédité et celui de la souveraineté nalionale, ne s'était

assuré d'appui solide ni dans l'aristocratie ni dans le peuple ; la

coalition de tous ceux qu'elle excluait du droit de suffrage pour


insuffisance de capitaux, coalition qui unissait aux travailleurs de la
ville et des champs nombre d'hommes de lettres et d'artistes ; le

mécontentement de ceux en qui vivait le souvenir des gloires de l'Em-


pire et qui rougissaient de voir la France pratiquer la politique de
« la paix à tout prix » ; les griefs de l'Eglise, jetée comme malgré
elle dans l'opposition par des tracasseries empreintes d'esprit voltai-
rien et par le refus obstiné d'une loi sur la liberté d'enseignement ;

plus profondément encore, un mouvement d'idées, d'aspirations d'un


caractère plus social que politique, et dont les écoles socialistes d'une
part, l'école de ï Avenir de l'autre, avaient été les principales mani-
festations : telles furent les causes de la révolution qui, en trois
jours, transforma le gouvernement français de monarchie en répu-
blique et eut son retentissement dans l'Europe entière.
Tandis que les républicains se montraient, suivant l'expression de Accueil fait

Sainte-Beuve, « surpris et comme épouvantés de leur propre caKoliques


su,ccès », les catholiques ne tremblèrent pas, témoignèrent au con- à la nouvelle
République.

1. Lecanlet, II, 329,


Rist. gén. de I Eglise. _ VIII Mk
SyO HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLISE

traire de la plii& sereine confiance. Au lendemain de la proclamation


de la Republique, VAmi de la Religion écrivait : « Une révolutioa
sans exemple dans l'histoire des peuples vient de s'accomplir au cri

VAmi de : Vive la liberté I Que ce cri nous rassure. L'Eglise demeure


de la religion, immobile sur ses bases éternelles, Dieu nous couvre de sa protec-
tion, Pie IX de sa glorieuse popularité, le peuple de son admirable
et généreux bon sens* ». « Nous ne sommes pas des hommes de
Le la veille, disait le Correspondant ; mais nous devons nous convaincre
Correspondant, (jg plus en plus de la nécessité de la République. Le monde gravitait
dans ce sens depuis soixanle-dix ans. La France reprend sa place à la
tête du mouvement général... Que ceux qui continueraient de croire
qu'une couronne est nécessaire au dessus de notre symbole natio-
nal, rendent la couronne au seul monarque que les peuples ne dé-
trôneront jamais, et qu'ils s'écrient comme nos pères : Christus
vincit, Christus régnât, Christus imperat ^ I » De tous les organes
L'Univers, catholiques, V Univers se Tnonirdi le plus enthousiaste. « Dieu, s'écriait
Louis Veuillot en tête du journal du 27 février, Dieu parle par la

voix des événements. La révolution de i8/i8 est une notificaticu


de la Providence... L'Eglise ne demande aux gouvernemeitîs
humains qu'une seule chose : la liberté. Or, presque toutes les mo-
narchies attentent plus ou moins à la liberté de l'Eglise .. M. c'e

Lamartine a dit que la Révolution française est un écoulement du


christianisme ; cette parole est vraie, et nous l'avons prononcée
avant lui... Que la République française donne donc la liberté à
TEglise, la seule liberté, la liberté de tout le monde... L'Eglise ne
demande rien de plus, et elle paiera d'une gratitude éternelle et

d'immenses services la reconnaissance de ce droit pur et simple :

la liberté 3. »

Attitude L'attitude du peuple, pendant Témeute, expliquait ce qui peut


respectueuse de
paraître excessif dans cette confiance des catholiques. Les luttes
du peuple à ,
,

l'égard l'Eglise contre le gouvernement de Juillet, les hommages rendus


m la religion,
g^^ christianisme par plusieurs socialistes, tels que Bûchez, les

réformes libérales accomplies par Pie IX, avaient gagné à la reli-

gion catholique bien des sympathies. En pleine insurrection, tandis


que la foule pillait les Tuileries, on l'avait vue, à la voix d'un
élève de l'Ecole polytechnique, s'arrêter au seuil de la chapelle, se

«. Ami delu religion, t. GXXXVI, p. ^93.


2. Correspondant, t. XXt, p. 807-809.
3. Univers au 37 février i848. Cl". Univers des ic, a, 6 et i5 mars.
PIE IX ET l'ÉGLîSE de FRA^tCB 871

découvrir, escorter pieusement le crucifix et les vases sacrés, jusqu'à

réglise Saint-Roch, s'agenouiller pour recevoir la bénédiction du


prêtre, puis se séparer aux cris de : « Vive le Christ ! Vive la liberté !

Vive Pie IX M » Quelques jours plus tard, le président du gouver- Parole*


bienveil^Iante»
ncment provisoire, recevant l'archevêque de Paris, Mgr Afîre, lui

disait : « La liberté et la religion sont deux sœurs également inté- représentanu


gouver-
ressées à bien vivre ensemble ^. »
. , , I
. . nement.
Deux résultats, d'une importance capitale, semblaient acquis :

l'accord de tous les catholiques entre eux, pour une même action,

avec le même programme, et l'accord des catholiques avec les

masses populaires. Au soir du 24 février, dans les bureaux de Y Uni- Union dei
catholiques
vers. Veuillot, Lacordaire et Falloux s'étaient réconciliés; Veuillot
avait consenti à prendre pour mot d'ordre la liberté de droit com- tous les pariii.

mun ; Montalembert, qui, quelques jours auparavant, à propos du


Sonderbund, n'avait pas caché, à la Chambre, son aversion pour la

démocratie, et Falloux, qui s'était toujours proclamé légitimiste,


avaient fait adhésion à la République. Bientôt, sur un mot d'ordre
communiqué par Berryer et la Rochejaquelein, les royalistes fidèles

à la branche aînée des Bourbons, allaient se rallier, à leur tour, au


gouvernement républicain 3. Leur patriotisme ne leur permettait pas
de lui créer des difficultés au moment 011 l'ordre social pouvait être
menacé ; et leur foi politique s'accommodait plus aisément du gou-
vernement provisoire acclamé par le peuple le 2^ février que du
régime bourgeois inauguré par le fils de Philippe-Egalité. Quant à
l'union de l'Eglise et du peuple, le dimanche 27 février, du haut Unîon
de la chaire de Notre-Dame, l'abbé Lacordaire, aux applaudisse- *^* *
Eghse
, , . ci du peuple.
meuls d une foule immense, la constatait en ces termes : « Grâce à
Dieu, nous croyons en Dieu. Si je doutais de votre foi, le peuple
n'aurait besoin que d*un regard pour me confondre, lui qui, tout à
l'heure, au milieu même de l'enivrement de sa force, après avoir
renversé plusieurs générations de rois, portait dans ses mains sou-
mises, et comme associée à son triomphe, l'image du Fils de Dieu
fait homme* ». « A ces mots, écrivait le lendemain le Journal des
DcbatSy une émotion irrésistible a entraîné tout l'auditoire, et a
éclaté en applaudissements que la sainteté du lieu n'a pu contenir.

1. Ami de la religion, t. GXXXVI, p. ^98.


Le jcuue pol^rlechnicien dont il est ici question était M. Ernest Potel, plu» Utà
ingénieur des ponts chaussées à la Rochelle.
et
2. Univers du 9 mars i 848.
3. P. DE LA Gorge, Hist. de la seconde Rt'pu'jUque, t. I, p. 133.
4. L.icoRu.viHB, (JtluvreSf IV, 357.
Sya HISTOIRE GENERALE DE L EGLISE

Les sages l'ont pu regretter, mais ils l'ont partagée*. » La bour-


geoisie voltairienne elle-même voyait tomber ses préventions contra
4e catholicisme. « Il s'est trouvé, disait la Revue des Deux Mondes^
que, dans une civilisation où tout s'écroule et tremble, l'Eglise
seule survit. » Et, à l'extrémité opposée du parti républicain, l'enne-
mi juré des bourgeois, l'anarchiste Proudhon, renchérissait encore
sur ces déclarations, a Tant que la religion aura vie dans le peuple,
écrivait-il, je veux qu'elle soit respectée entièrement et publique-
ment 2. »

Cette union de l'Eglise et du peuple, du Christ et de la liberté,

La bénédiction avait un symbole : la plantation et la bénédiction d'arbres de la


des « arbres
liberté. « Depuis quelques jours, dit V Ami de la Religion du 26 mars
de la liberté ».
1848, les rues et les principales places de Paris voient le clergé des
paroisses défiler en procession, précédé de la croix et respectueuse-
ment accompagné par le peuple sous les armes. Les ouvriers, vou-
lant inaugurer leur dernier triomphe par la plantation d'arbres de
la liberté, n'ont pas cru pouvoir mieux consacrer les souvenirs de
leur victoire qu'en y conviant, de leur propre chef, la religion, ses

Attitude respectables ministres et ses augustes prières ^. » Ces scènes se


de répiscopal. renouvelèrent dans tous les départements. L'épiscopat fut unanime à
se rallier au nouveau gouvernement*. Dès le 24 février, l'archevêque

de Paris, Mgr Affre, avait ordonné aux curés de son diocèse de


célébrer un service pour les victimes de l'insurrection ^ ; et, le

27 février, le cardinal de Donald, archevêque de Lyon et fils de


l'auteur de la Législation primitive, écrivait à son clergé ; u Vous
formiez souvent le vœu de jouir de cette liberté qui rend nos frères
des Etats-Unis si heureux. Cette liberté, vous l'aurez. Le drapeau de
la République sera toujours pour la religion un drapeau protecteur ^. »

A la même date, le nonce apostolique, répondant à une adresse de


Lamartine au nom du corps diplomatique, se félicitait « du respect
que le peuple de Paris, au milieu de si grands événements, avait
Paroles témoigné à la religion"^ » ; et, le 20 mars, le pape Pie IX lui-
de Pie IX. même, dans une proclamation aux peuples d'Italie, s'exprimait en

1. Journal des Débats du 28 février i848.


2. Cité par Desdbvises du Dézert, op. cit,, t. II, p. lao.
3. Ami de la religion^ t. C XXXVI, p. 785.
li Univers d\i 7 mars i848.
5. Ami de la religion, t. GXXXVI, p hgb.
6. Univers du 4 mars i848.
7. Ami de la reliyion, t. GXXXVI, p. 5i5,
PIE IX ET l'Église de rRATfCB StS

CCS termes « Les événements qui, depuis deux mois, se succèdent


:

et s'accumulent avec une si grande rapidité, ne sont pas une œuvre


humaine. Malheur à qui, dans cette tempête, par laquelle sont agités,
arrachés et mis en pièces les cèdres et les roseaux, n'entend pas la
voix du Seigneur * 1 »

Cet unanime accord ne devait pas durer longtemps. Les républi- Germci dî> er»

gouvernement ^^ désunion
cains socialistes allaient bientôt s'insurger contre le

des républicains conservateurs; parmi les uns et les autres, le5 enne-
mis du catholicisme allaient reprendre leur campagne contre l'E^'ise ;
et les catholiques eux-mêmes allaient voir se réveiller parmi eux 'es

conflits qui avaient déjà mis aux prises les libéraux et les intransi -

géants. Il restait néanmoins que l'Eglise s'était montrée prête à sou-


tenir tout gouvernement, toute institution respectueuse de sa liberté.

Cette impression demeurer dans l'opinion publique. Elle


devait
pallia les périls des conflits dont nous venons de parler, et elle no

fut pas étrangère au succès de la campagne, bientôt reprise par les

catholiques, pour la conquête de la liberté d'enseignement.

III

Une divergence de tendances se manifesta d'abord parmi les catho-


liques à propos de la question sociale.
Les revendications ouvrières, nous l'avons vu, n'avaient pas été Lt question
révolution de i8/|8. Le changement de régime une sociale
étrangères à la
en i848.
fois fait, les socialistes cherchèrent à en profiter. Le socialisme,
organisé en parti politique, était désormais une puissance avec la-
quelle il fallait compter. A côté de son principal chef, Louis Blanc,
se rangeaient Blanqui, Barbes, Raspail, agitateurs plus que théo-
riciens, et qu'on sentait prêts à déchaîner la guerre sociale. Dès le

26 février, pour échapper à ce péril, et pour montrer sa sollicitude Les ateliers


égard de naiionaux.
à l la classe des travailleurs, le gouvernement provisoire
avait décidé de créer, pour les ouvriers sans travail, des ateliers na-
tionaux, dont la direction fut confiée à un jeune ingénieur, Emile
Thomas. Mais ces ateliers nationaux ne donnèrent pas les résultats
qu'on en espérait. 11 fut impossible au gouvernement d'employer à
des travaux suirisainment rémunérateurs les 120.000 ouvriers qui se

I. CuÀ>tTusL, Annales eceUsiaMiques, p. 35.


374 HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLISE

présentèrent. En trois mois, l'entreprise devait coûter sept millions*.


Dans le club de la /?6'uo/u//o/i organisé par Barbes, dans celui delà
Agitation Société centrale républicaine dirigé par Blanqui, dans celui des Amis
«ocialiste.
du peuple présidé par Raspail, les esprits s'agitaient. Des feuilles so-
cialistes, V Atelier, \ePopulaire, h Réforme, \e Représentant du peuple,
faisaient entendre des réclamations quotidiennes. Au mois de mars,
sous prétexte de répondre à une manifestation des gardes nationaux,
en réalité pour trouver le temps de préparer une campagneélectorale,
une c'»ntre-manifestation de cent mille ouvriers se porta vers l'Hôtel
de "^'ille, demandant l'ajournement des élections, fixées par le gou-
vernement au 9 avril. Elles eurent lieu le 23 du même mois, et ne
rlonn^rent pas aux socialistes le succès qu'ils escomptaient. Ceux-ci,
une fois de plus, eurent recours à lémeute. Un soulèvement de Po-
lonais dans la duché de Posen en fut l'occasion. Le i5 mai, une
foule houleuse, aux cris de : Vive la Pologne I envahit la salle des
séances de l'Assemblée, et proclama un gouvernement provisoire
composé de Louis Blanc, Raspail, Barbes, Blanqui et de quelques
autres chefs du parti ouvrier. Le général Ghangarnier, accouru avec
la garde mobile, dispersa l'émeute ; mais cette journée était le pré-
lude d'une insurrection plus sérieuse.
Intervention Les catholiques n'étaient pas restés indifférents à cette agitation
de Frédéric
Ozanam.
sociale. Un fervent chrétien, qui, jusque-là, avait semblé absorbé
par des préoccupations d'œuvres charitables et de travaux historiques,
Frédéric Ozanam, avait pris l'initiative d'un mouvement social catho-
lique. Déjà, dans un article publié par le Correspondant du
10 février 18:^8, Ozanam, comparant l'avènement de la démocratie
au XIX* siècle avec la pénétration du monde barbare dans la société
gréco-romaine, et l'attitude du pape Pie IX avec celle des papes du
c Passons VI* et du IX* siècle, avait écrit : « Sacrifions nos répugnances et nos
aux
ressentiments, pour nous tourner vers cette démocratie, vers ce
barbares. »
peuple qui ne nous connaît pas... Passons aux Barbares, et suivons
Pie IX 2. »

Après la révolution de i848, Ozanam songea à propager ses idées


par la voie d'un journal. Fonder un journal, à cette époque, n'était

pas chose très difficile. Il ne s'agissait que de réunir quelques amis,


et d aller trouver un imprimeur : avec de l'argent, sans doute ; mais

1 . Emile Thomas, Histoire des ateliers nationaux.


a. Correspondant du 10 février i848, t. XXI, p. 435,
PIE IX ET L ÉGLISE DE FRANCE 375

il en fallait si peu ! « Assez seulement pour payer les frais de com-

position et de tiragedu premier numéro, et, en mettant les choses au


pis, des cinq ou six suivants K » Le reste était l'affaire des
abonnés.

Vers les premiers jours de mars 18/18, le P. Lacordaire, après une


e.ilente avecOzanam et labbéMaret, donna, au Cerclecalbolique, une

conférence sur la situalion des esprits, au cours de laquelle il com-


m iniqua le projet de fonder une feuille quotidienne. Une souscrip-

tion fut ouverte séance tenante, et s'éleva à la somme de onze mille Fondation
de l'Ere
cinq cents francs. Le nom d'Ere nouvelle fut donné par acclamation
nouvelle.

a-i nouvel organe des catholiques 2. Quelques jours après, un pros-


pectus, tiré à5o.ooo exemplaires, exposait l'esprit du journal, a II
y a aujourd'hui, disait-on, deux forces victorieuses la nation et la re- :

hligion, le peuple et Jésus- Christ. Si ces deux forces se divisent, nous Esprit
du nouveau
•sommes perdus ; si elles s'entendent, nous sommes sauvés. Elles
journal
peuvent s'entendre si l'Eglise travaille au bien de la nation et si la catholique.

nation consent au bien de l'Eglise 3. » Cette déclaration était signée :

Lacordaire, Maret, Ozanam, Charles de Coux, Lorain, Charles Sainte-


Foi L'abbé Gerbel et l'abbé Cœur allaient bientôt se joindre aux pre-
miers rédacteurs. Une crainte pouvait arrêter les adhésions : celle de
voir ressusciter, sous une nouvelle forme, le journal l'Avenir. Une
1 ttre de Mgr Affre, datée du 16 avril, vint rassurer les consciences.
« Non seulement, disait le prélat, je suis complètement rassuré contre En quoi
l'Avenir, mais je sais que il se distingue
1( danger d'une prétendue résurrection de
de l'Avenir.
vous combattrez efficacement ce que les théories de ce journal ont
eu de répréhensible *. » Effectivement, Lacordaire, réfutant ses ar-
ticles de l'A ueAifV, exposa les raisons pour lesquelles on devait con-
server le budget des cultes.
Ij'Ere nouvelle obtint un succès considérable. Le 26 mai, elle

comptait 3.200 abonnés ; en juin, elle tira jusqu'à 20.000 exem-

;
])!aires.„Le nouveau journal faisait une place de plus en plus grande

aux questions sociales, u Les tiiéories politiques, disait-elle, n ayant
|) ;s produit les félicités promises, l'infatigable pensée demande une
a itre solution au problème de l'harmonie sociale. » Cette solution, Son
programmt
social.

î. Edmond Biré. la Presse royaliste de 1830 à i8ô2, Alfred J\'etlemeit, sa vie et


9es œuvres, un vol. in 8», Paris, 1901, p. 306
G. Bazik, Vie de Mgr Marcl, 3 vol. in 8
a. Paris, lîSyi, l. I, p 227 aa8. ,

M. l'abbé Bazin revendique pour abbé Maret l'initiative de reniie[>rise. Quoi qu'il
,1

en soit, Ozanam eut le principal rôle dans la rédaction du nouveau journal.


3. Ibid., p, aSo
4 Ibid., p. a32-233.
376 HISTOIRE GE^TERALE DE L EGLISE

les ardents journalistes la voyaient d'abord dans l'association, do-


minée par la religion. « Nous avons, disaient-ils, les moines de la
science, de l'apostolat, des hautes classes ; il nous faut des moines
du travail, de l'industrie, des classes laborieuses. » Ils projetaient
aussi de fonder une école sociale catholique. « La science sociale,
disaient-ils, parfaitement chrétienne dans son but, a été inaugurée
par l'impiété... Il serait urgent de former nous-mêmes une école
sociale. On réunirait dans un même foyer tout ce qu'il y a de bon,
de vrai, de juste, dans les productions économistes et socialistes, et
là s'analyseraient, se jugeraient sérieusement et impartialement tous
les ouvrages de ce genre. Nous adjurons tous les économistes catho-
liques, les membres des sociétés charitables de s'entendre pour ar-
racher aux sectes hétérodoxes le pouvoir dangereux qu'elles amassent
par leur active propagande *. »

Les journées Les journées de juin portèrent un coup terrible à l'Ere nouvelle.
de juin 1848. Cette bataille de cinq jours souleva l'opinion générale, non seule-
ment contre les socialistes, mais contre tous ceux qui se plaçaient
sur le même terrain, fût-ce pour Ce
les combattre et les supplanter.
que ÏEre nouvelle avait appelé « le parti de la confiance » commença
è se disloquer. Beaucoup de catholiques, suivant le mouvement gé-
néral, se tournèrent vers l'autorité plus que vers la liberté. Certes,

Rôle Ozanam et ses amis avaient eu, au fort de l'émeute, un rôle coura-
d'Ozanara geux glorieux. C'est à leur initiative que fut due
et l'héroïque dé-
et de ses amis
au milieu marche de l'archr vêque de Paris, entreprenant de se faire médiateur
de l'émeute. au milieu de l'effroyable guerre civile. C'est accompagné d'Ozanam,
deCornudet et de Bailly, que Mgr Affre alla prévenir le général Ca«
vaignac de sa périlleuse tentative ; c'est avec eux qu'il prit la route des
quartiers insurgés ; et, s'ils durent le laisser s'avancer seul vers les
barricades, ce ne fut que par obéissance à l'ordre du prékt, qui
voulut se présenter seul, pour que sa présence eût une apparence
Mort plus pacifique. La mort du prélat, tué d'une balle devant une
de Mgr Affre.
barricade du faubourg Saint-Antoine, au moment où, tenant en
main la promesse de grâce, il commençait i incliner les coeurs à la

conciliation, fut, pour bien des catholiques, comme un nouveau


grief à la charge des masses populaires. Cet attentat sembla symbo-
liser le péril de la société chrétienne, assaillie par la barbarie socia-

i.G. B^zin, Vie de Mgr Maret, t. I, p. agd-agS. Voir dans les Œuvres complètes
d'Ozanam, t. VII. plusieurs fragments de ses articles parus dans VEre nouvelle, eu
particulier une étude philosophique et historique sur les Origines du socialisme
PIE TX ET L'éOLlSE DE FRANCE 377

liste. Le P. Lacordaire estima que l'intérêt de son Ordre et celui de


sa prédication lui faisaient undevoird'abandonner la responsabilité dû
r^re Aiouye//^, sans lui retirer son affection. Montalembert publia,
dans VA ml de la Religion, un article assez amer, où, sans nommer
VEre nouvelle, il la visait assez clairement, en parlant des catho-
liques qui s'étaient faits, «non pas certes des complices, mais des
dupes des aberrations socialistes » '
; et Veuillot, plus directement,
accusa VEre de pactiser avec les phalanstériens, d'entretenir de bonnes
relations avec le gouvernement, bref, de prêcher la conciliation à
l'Eglise, cf qui n'agit qu'en vertu d'un dogme, dont elle ne peut rien
retrancher, rien distraire » ^. Finalement, un légitimiste, La Roche- Fin de VEre
nouvelle.
jaquelein, se rendit acquéreur du journal, et le fît disparaître 3. En
187 1 , au lendemain des massacres de la Commune de Paris, deux
officiers français, le comte de Mun et le comte de La Tour du Pin,
devaient reprendre, sur des bases plus larges et plus sûres, l'œuvre
ébauchée en i848 par Lacordaire et Ozanam.

IV

Si l'insurrection de juin avait eu le résultat fâcheux d'interrompre La questi'^n


la généreuse tentative d'Ozanam sur le terrain des réformes sociales, de la liberté
d'enseigne-
elle eut l'heureuse conséquence de donner essor à la cam- un nouvel ment.
pagne entreprise parles catholiques en faveur delà liberté d'ensei-
gnement. Non point que, dans cet assaut contre le monopole univer-
sitaire, l'union ait toujours régné entre les défenseurs de l'Eglise. Les
conflits, au contraire, y furent ardents et nombreux. Mais, chez les
uns comme chez les autres, l'élan fut si magnifique, et l'Eglise se ré-
véla si apte, par ses croyances et par sa hiérarchie, à combattre le
péril révolutionnaire, que tous les hommes ayant souci de l'ordre et
de la morale dans la société n'hésitèrent pas à lai accorder le droit
d'enseigner la jeunesse.
Les tragiques journées de juin avaient eu trois effets immédiats : Le corn te
elles avaient convaincu les plus insouciants de It réalité du danger ré- de Falloax.

I. Ami de la religion du a3 octobre i848.


a. L Veuillot, Mélangei, t. I, p. 20.
3 Bazin, op. cit., p. 355. Sur le mouvement social catholique en
i848, voir
H. JoLY, le Socialisme chrétien, un vol., Paris, 1892. Sur presse catholique' et la
la
presse socialiste de 18^8 à i85a, voir Hatin, Bibliographie de la presse périodique
française, un vol. in-80 Parif, 1866, p. 436-525.
378 ÏITSTOFRE GENERALE DE L EGT.TSE

volulionnaire ; elles avaient montre le clergé sous un jour de plus en


plus sympalliique au peuple ; enfin elles avaient mis en évidence
l'énergie et le sang-froid d'un jeune député légitimiste du Maine-et-
Loire, catholique ardemment convaincu, le comte Alfred de Falioux.
A la date du i5 juin 18/18, le marquis de Normanby, ambassadeur
d'Angleterre à Paris, écrivait dans ses notes : « Au milieu du nau-
frage de tant de réputations, il en est une qui, dans ce moment,
commande en maîtresse à la tempête. M. de Falioux a montré un
calme et une énergie qui lui ont assuré un ascendant parmi ceux
mêmes chez lesquels son nom n'éveillait auparavant aucune sym-
pathie *. » Et le chroniqueur de la Revue des Deux Mondes écrivait

à son tour : « Celui-là pourrait aller bien loin. Il a de la mesure, du


tact, du sang-froid, et, dans sa grande mine, l'air d'un fils des
croisés *. » Quand, au mois de décembre 18/48, le prince Louis-Napo-
léon, nouvellement élu président de la République, proposa au comte
U accepte de Falioux le portefeuille de l'Instruction publique, celui-ci se
le portefeuille
sentit assez fort pour poser ses conditions : il travaillerait à faire
de
riaslruction aboutir un projet de loi sur la liberté d'enseignement ^, Le prince
publique,
consentit d'autant plus volontiers qu'il désirait alors l'appui des ca-
à la condition
de travailler tholiques. D'ailleurs la cause de la liberté d'enseignement avait gagné
à établir
du terrain depuis quelque temps. L'abbé Dupanloup venait d'y
lu liberté d'en-
seignement. gagner l'un des hommes politiques les plus influents du centre
gauche, Adolphe Thiers. « Cousin, Cousin, disait l'ancien ministre
de Louis-Philippe au célèbre universitaire, l'abbé a raison. Oui,
nous avons combattu contre la justice, contre la vertu, et nous leur
devons réparation*. » a Je ne vois de salut, écrivait-il, que dans la

liberté d'enseignement, que dans l'enseignement du clergé. Notre


ennemi, c'est la démagogie. Je ne lui livrerai pas le dernier débris
de l'ordre social, l'établissement catholique ^. »

Le ministre de l'Instruction publique agit avec décision et promp-

1. Marquis de Norma.nby, Une année de Révolution, a vol., Paris, 1860, t. II,

p. 57.
S.Revue des Deux Mondes du 3o septembre i848.
*
3.Falloux, Mémoires d'un royaliste, t. I, p. 89 1-899.
/i, Thureau-Dangim, V Eglise et VEtat sous la Monarchie de Juillet, p. 483.
5. Parmi les initiatives privées qui avaient favorisé la cause de la liberté d'en-
seignement, il faut mentionner celle de l'abbé Emmanuel d'Alzon, qui, depuis
1843, mettait sa jeunesse, sa parole, son ardeur, sa brillante fortune au service
de cette cause, et avait créé à Nîmes, sous le titre du collège de l'Assomption,
un des plus beaux collèges du Midi. Voir Mgr Besson, le t\. P. d'ALZON, dans la
collection Les Contemporains. (CEuvre de la Bonne Presse.)
PIE IX ET l'Église de frange 879

tilude. Dès le 4 janvier 1849, ^^ nomma deux commissions extra- ^


''P^^^^^j^^^^'

parlementaires, chargées d'étudier toutes les questions relatives, ji},crié d'ea-


K seignement.
l'une à l'instruction primaire, l'autre à l'instruction secondaire
Trois mois après, un i)rojet de loi était présenté. Ce projet : i** dé-

clarait l'enseignement libre ;


2° transformait le Conseil de l'Univer-

sitéen Conseil de l'instruction publique et y admettait des représen-


tants de l'enseignement libre : évêques, rabbins, pasteurs et laïques;
3" reconnaissait le droit d'enseigner soit aux individus, soit aux as-

sociations. Sous ce dernier terme fallait il comprendre les congréga-


tions religieuses, reconnues ou non reconnues ? Les auteurs du pro-
jet n'avaient pas voulu se prononcer mais on savait, parles discussions;

qui avaient eu lieu dans la commission, que les commissaires n'avaient


pas voulu exclure les jésuites. En retour de ces concessions, l'Etat

se réservait :
1" la collation des grades universilaires ; 2**un droit

d'inspection sur tous les établissements d'instruction, y compris les


petits séminaires.

Ce projet eut pour effet immédiat de provoquer les récriminations Oppositions

les plus violentes . des partis d'extrême-gauche et d'extrême-droite. ^^


fg proLt
'Du côté de l'extrême gauche, on s'écria que « la France était livrée

aux jésuites », que « le moyeu âge renaissait ». Du côté de l'extrême-


droite catholique, on reprocha au projet : i" de disposer des
droits de l'Eglise sans l'assentiment de l'Eglise elle-même^; 2° de
^donner à l'Eglise, non pas la liberté, mais une faible part du mono-
«pole universitaire ^ ; 3° de faire siéger des évêques, au Conseil de

1 l'instruction publique, à côté des rabbins et des pasteurs *.

Le projet Falloux (c'est ainsi qu'on l'appela) était défendu par Ses
défenseurs,
îles partis du centre. « Nous n'avons pas pensé, écrivait l'abbé Du-
panloup, que le moment fût venu, s'il doit jamais venir, de dire :

Tout ou rien... L'Eglise peut affronter des périls, elle ne doit Dupanloup.

H. de Lacombb, les Débats de la Commission de f8ù9, nouvelle édition, un


I.
'vol, in-13, Paris, 1899, p. 11-12.
a. (( Ce projet de loi avait le tort très grave de disposer de l'Eglise sans son
assenlimenl. » (Eugène Vllillot. Louis VeuUlot, t. II, p. 350 )
3. w Qu avons-nous demandé ? La liberté. Que nous olTre le projet? Une faible
part du monopole, u (Louis Veuillot, dans l'I/nfuers du 29 juin 1849.)
4. (( Les auteurs du projet de loi avaient décidé que des évêques figureraient
dans les conseils au même litre que des protestants et des rabbins. Il }• avait \k, pour
les catholiques, motifs à réclamation. » (E. Vemllot, op. cil., t. II, p. 356 ) « On
veut pousser 1 Eglise, disait Mgr Pie, à faire alliance avec le grand parti du ratio-
nalisme conservateur. L'Etat-Dieu est encensé par tous, et Jésus-Christ n'est plus
qu'un des demi-dieux rangés autour de son autel. » (Baunard, Ilist. ducard. Pie,
p. 290.)
38o HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLISE

jamais courir des aventures *. » Thiers, se tournant vers les catho-

liques, leur disait : « Si vous vous obstinez à outrepasser notre projet

Thierf, de loi, notre laborieux ouvrage échouera. Je le regretterai pour la

religion, pour l'Etat, pour la société tout entière. » Puis, se retour-

nant vers les universitaires, il les suppliait en ces termes : « Gom-


ment î le projet laisse à l'Université la juridiction, la collation des
grades et l'inspection, et vous vous plaignez ^ 1 n Tous les amis de
l'Univers, d'ailleurs, ne souscrivaient pas aux critiques amères de
Dom Louis Veuillot. L'Abbé de Solesmes, dom Guéranger, écrivait : « Le
Guéranger, monopole est aboli, l'Université est entamée sans retour ; et, au lieu
de nous féliciter de ces avantages, nous les dédaignons, et nous ris-

quons de prolonger sans fin un régime qui a fait tous les maux de
l'Eglise et de la société Dans notre
I... contrée, tous lisent et
AÎmentV Univers ; mais les membres les plus intelligents du clergé se

séparent expressément, sur ce point, de la manière de voir de leur


journal ^. « Le P. de Ravignan, (out en critiquant, comme Dom
Guéranger, certaines dispositions du projet de Ici, exprimait des sen-
timents semblables *.

Ouverture ^^^ débats s'ouvrirent à l'Assemblée législative le i4 juin i85o '.

des débats Le projet de loi fut attaqué, du côté srauche, par Barthélemy-Saint-
à la Chambre „., . ^ ,,. tt t •
.m
(i4 janvier ndaire et par Victor Hugo. Le premier orateur s éleva contre le
i85o}. principe de la liberté d'enseignement : i° au nom de l'Etat et de
l'Université, dont la loi proposée « serait, dit il, une sorte de des-
truction 6 » ; 2° au nom des principes de 89, c'est-à-dire, dit -il,
« de l'esprit même du siècle, de ses œuvres, de ses espérances et

Intervention ^^ ^es principes'^ ». Victor Hugo agita le spectre clérical. H com-


de mença par déclarer qu'il voulait la religion, qu'il voulait « faire
Victor H igo. ,
^ , . ^ , . ,
lever toutes les têtes vers le ciel », que «
,

la croyance en un monde

I. Lagra^ngb, Vie de Mgr Dupanloup, t. II, p. 5o5.


a. Ibid., p. 5oa.
3. Dom
Guéranger, Lettre du 21 juillet 1849, dans l'Ami de la Religion du 28
juillet 1849, t. GXLII, p 254.
4. Lecanuet, Montalemhert II, 476 P, de Ponlevot, Vie da P. de Ravignan^
. ;

t. II, ch. XX ; H. de Lacombe, 0/). cit., p. 334 335.

5. Le comte de Falloux venait de donner sa démission pour cause de maladie, et


était remplacé au ministère par M. de Parieu.
6. Mo'iiteur du i5 janvier i85o, p i56, col. i.
7. Moniteur du 16 janvier 1800, p. 170, col. i.
PIE IX ET l/ÉGLl»E DE FRANCE 38 1

meillcîur étail la suprême certitude de sa raison, comme elle était

la suprême joie de son âme » ; mais il ajouta qu'il ne voulait pas


de l'enseignement de l'Eglise, ou plutôt qu'il voulait l'Eglise chez

elle, et non pas à l'école. « Je m'adresse au parti clérical, ajouta-

t il, etje lui dis : Celte loi est votre loi Je me défie devons. Instruire,
c'est construire. Je me défie de ce que vous construisez. Je ne veux
pas vous confier l'avenir de la France, parce que vous le confier, ce
serait vous le livrer^. » Puis il évoqua les souvenirs des prétendus
martyrs de l'intolérance cléricale : Gampanella, Harvey, Galilée,
Molière et Pascal ^,

Du côté droit de la Chambre, le projet fut combattu par l'abbé


de Cazalès et par M. d'Olivier. Le premier protesta contre le projet
de loi en général, parce qu'il avait été présenté sans consultation
préalable de l'épiscopat et du pape ^, et tout particulièrement contre

l'introduction des évêques dans les conseils, a côté des rabbins et des
pasteurs protestants. M. d'Olivier insista sur ce dernier point :

« Par l'introduction officielle, dans vos Conseils, des ministres de


tous les cultes, s'écria-t-il, vous consacreriez l' indifférence religieuse.
Mais de l'indifférence au scepticisme il n'y a qu'un pas, et du
scepticisme à la négation de toute croyance il n'y a pas loin. Or,
c'est cette négation qui nous a conduits au bord de l'abîme *. »

Les principaux défenseurs du projet furent Vatimesnil, Monta-


leuibert et Thiers. Vatimesnil s'attacha à dissiper les craintes des
catholiques, dont l'abbé de Cazalès s'était fait l'interprète. Il montra
l'Eglise, à travers l'histoire, ne refusant jamais de négocier avec
l'Etat pour la conclusion de concordats et d'arrangements de
toutes sortes. « Si l'Eglise, dit-il, avait craint de se compromettre en
1801, nos temples seraient encore fermés ^. » Moutalembert s'a- Discours

dressa successivement aux deux partis, qu'il voulait con\aincre : aux


Montalembcrt.
libéraux conservateurs, à qui il montra l'action de l'Eglise sur la
jeunesse comme un moyen puissant de défense contre les forces
révolutionnaires ; puis, aux catholiques d'extrême-droite, à qui il

essaya de montrer la légitimité et les avantages d'une collaboration


a. ec les hommes du centre gauche, u Messieurs, s'écria-t-il, j'ai

I. Moniteur du i5 janvier i85o, p. 172, col. 2.


2 Ibid , col. 3.
3. Monilcur du 8 février i85o, ^5i, col. 3.
p
4. lljid.^ p. 454, col 2.
6. Ibid., p. 453, col. 3.
182 HISTOIRE GENERALE DB L EGLISE

fait la guerre, et je l'ai aimée... Mais j'ai pensé qu'en présence du


danger commun, en présence des dispositions que je rencontrais
chez des hommes que nous avions été habitués à regarder comme
des adversaires, le premier de nos devoirs était de répondre à ces
Discours dispositions nouvelles '. » Thiers avait à se justifier d'un reproche
de TLiers,
semblable vis-à-vis de ses amis de la gauche. Il le fit avec cet
esprit familier, un peu terre à terre, mais pétillant, souple et prime-
sautier, qui lui était habituel. « Oui, déclara-t-il, oui, en présence
des dangers qui menacent la société, j'ai tendu la main à ceux qui
m'avaient combattu, que j'avais combattus ; ma main est dans la
leur; y restera, j'espère, pour la défense commune de cette
elle

société qui peut bien vous être inditférente, mais qui nous touche
profondément ^. » Et, comme il avait été longuement question des
jésuites : « Maintenant, dit-il, je passe aux jésuites. (A gauche :

C'est fait depuis longtemps.) Les jésuites rentreront. Et je vous


demande comment, au nom de vos principes, vous les empêcheriez
de rentrer. Un individu se présente, vous apportant les deux preuves
exigées de capacité et de moralité. Il n'y a plus rien à lui demander.
Vous ne pouvez rien lui demander de plus. Cela ne se peut pas...
On me dit, je m'y attendais bien, que nous aurons à examiner ce
point lors de la loi sur les associations. Soit. Seulement, permettez-
moi de vous que je vous y attends, à ce jour-là, pour savoir
dire
comment vous vous y prendrez pour interdire les jésuites, vous 1
vous 3 !» Le Moniteur signale, à ces mots, une longue hilarité.

Vote de la loi La loi fut votée le i5 mars i85o, à une majorité de Sgg voix
(i5 mars
contre 287 *. Le lendemain, Louis Veuillot écrivait dans V Univers :
i85o).
« Qu'il soit bien entendu que cette loi n'est pas notre ouvrage...
Cette loi n'est, à nos yeux, que la forteresse restaurée et agrandie
du monopole... C'est un compromis plein de pièges, un pacte avec
des adversaires à la loyauté desquels nous ne croyons pas. » Mais
l'article se terminait par cette chrétienne et méritoire déclaration :

« Nous sommes prêts à défendre la loi, si nous nous sommes trom-

1. Moniteur du 18 janvier i85o, p. 199, col. 3 ; Montalemsert, Œuvres, t. III,


p. 573.
2. Moiiileur du 19 janvier i85o, p. 209, col. 2,
3. Ibid., p. 21J, col. 2 ; Lagra.nge, Vie de Mgr Dupanloup, t. I, p. 5i5.
4. Voir le texte de la loi dans Rivière, Hélie et Paul Pont, Lois usuelles, p. 3o4
et s. Cette loi a été modifiée par plusieurs lois suivantes, notamment celles du 9
mars i852, du i4 juin i854, du 3o octobre 1866, du 10 avril 1867, du 27 février
1880, du II décembre 1880, du 7 juin 1881, du 28 mars 1882, du 3o octobre
1886.
PIE IX ET L ÉGLISÏ DE FHANCE 383

pés. Puisse cette éventualité se réaliser. Notre amour-propre ne peut


pas recevoir de blessures quand l'intérêt de l'Eglise est sauvé K »

De son côté, la presse hostile à l'Eglise manifesta avec véhémence


son irritation. « A l'heure qu'il est, lisait-on dans le National, les

congrégations sont deux fois maîtresses de l'enseignement en


France ; car la loi vient de leur livrer tout ensemble l'enseignement
libre et l'enseignement public*. »
On Rome. Par une Le pape
Que devaient faire les catholiques ? consulta
demande aux
lettre adressée le i5 mai i85o à tous les évêquesde France, le nonce calboliqncs
de l'accepter.
apostolique répondit, au nom du Saint-Père, qu'il fallait accepter la
loi. « Sa Sainteté, dit-il, ne peut oublier que l'Eglise sait, dans
l'intérêt de la société chrétienne, supporter quelque sacrifice compa-
La soumission de l'Univers Soumissioa
tible avec son existence et ses devoirs ^. »
de l'Univers,
fut prompte et entière. « Plus notre opposition a été vive, écrivit

Louis Veuillot, plus il importe qu'aucun nuage ne puisse s'élever


sur l'intégrité et la sincérité de notre soumission aux directions du
Vicaire de Jésus-Christ *. »

La suite des événements donna raison aux partisans de la loi. 'Bienfaits de


U loi de i8jo
Elle fut le point de départ d'un merveilleux développement de l'en- sur l'ensei-
seignement catholique. De i85o à i852, 267 établissements gaemeut.

catholiques d'instruction secondaire furent fondés. En i854, on en


comptait déjà 108 1. « La loi de i85o, a écrit excellemment un
écrivain catholique et royaliste, François Poujoulat, a été une loi de
transaction ; mais elle a été en même temps une loi de salut ^. »

YI

La préoccupation du salut social, le désir de défendre la société Le péril


socialiste.
contre les doctrines dissolvantes du socialisme, avaient été pour
beaucoup dans l'évolution qui avait décidé Thiers et ses amis à

I. Univers du 17 mar» i85o.


2 Cite par l'Ami de la religion, l. GXLVII. p. 44o.
3, de la religion, t C\L\ III, p. 34-
Ami
4, Univers du a4 mai i85o. Quelques catholiques n'imitèrent pas cette soumission.
Le Moniteur catholique, feuille exaltée, essaya de démonlrtr que le pape désapprou-
vaitla loi ((//u'ue/'sdu 34 mai i85oel Ami (f« la r<r//<^/ort, t. CXLVIII. p. i55). Lévèque
de Chartres, Mgr Glausel de Montai», refusa, seul de 1 épiscopal, à obtempérer à la
direction donnée par le pape (Voir sur ce fait Ba.u:»ard, liisl. du card. Pie, t, I,
P- 297)- ^

5, Cité par H. db La.combb, les Débats de la commission de 18U9, p. 34o.


38A HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLISE

combattre pour la libertéde l'enseignement catholique. Or, le péril


socialiste subsistait. La défaite de juin lui avait porté un coup ter-
rible, mais non mortel. Après un moment de stupeur, ses chefs
avaient résolu, non de suspendre ou de modérer leur action
[)as

mais de la transformer. Après la période de la propagande pacifique,


dont Saint-Simon avait été le principal inspirateur, après celle de la
Nouvelle lutte politique à ciel ouvert, dont Louis Blanc avait été l'organisa-
altitude du
parkigodaliflle. teur, une troisième période s'ouvrit pour le socialisme, celle de la
lutte cachée, de la propagande dans les petites bourgades et dans les
campagnes. « Préparons-nous pour i852, et jusque-là, soyons
patients » : tel fut le mot d'ordre des socialistes en i85o. L'année
i852 avait été prise pour objectif, parce qu'on espérait que les mul-
tiples scrutins qui devaient avoir lieu d'ici là fet la confusion qui en
résulterait, rendraient facile un violent coup de main sur la société.
Le plan Mais le prince Louis-Napoléon avait aussi son plan. Entouré de
du prince
Louis Napo- partisans dé\oués à sa personne et à son nom, personnellement ambi-
léon tieux de reprendre l'œuvre du premier des Napoléons, il était bien
Bouaparte.
décidé, plutôt que de rentrer dans la vie privée, à tenter un coup
d'Etat. Pour parvenir à ce but, la tactique était tout indiquée ;

surexciter dans la bourgeoisie le sentiment de la peur, en mettant en


lumière les dangers de l'anarchie ; gagner le peuple, en se présen-
tant comme le défenseur armé de la démocratie ; s'assurer de la
sympathie de l'Eglise, en lui promettant de se faire le défenseur de
sa morale et de ses droits. Ce plan fut exécuté. Au début du mois
de décembre i85i, l'opinion publique sembla mûre pour accepter
Le coup d'Etat un coup d'Etat. Dans la nuit du i*"" au 2 décembre, cinq généraux
du
et douze représentants du peuple furent arrêtés et emprisonnés. Le
a décembre
i85i. lendemain, l'Assemblée fut dissoute. Des répressions terribles
eurent raison de toutes les résistances qui tentèrent de se produire.
Les 20 et 21 décembre, un plébiscite donna plus de sept millions de
suffrages au prince-président, qui parcourut alors la France, au
milieu d'ovations enthousiastes, habilement préparées. Le 9 octobre
i852, à Bordeaux, à l'issue d'un grand banquet, après avoir promis
de c( conquérir le peuple à la religion, à la morale et à l'aisance », il

prononça la parole célèbre : « L'Empire, c'est la paix ». Le 7 no-


Restauration vembre suivant, un sénatus-consulte proclama « la restauration de
de lempire
l'Empire héréditaire eu faveur de Lduis-Napoléon Bonaparte et de sa
(i853).
famille »,

Lue fois de plus, le problème se posait, pour les catholiques, de^


PIE IX ET l'Église de fratige 385

Division
l'attitude h prendre vis-à-vis du pouvoir nouveau. Ils se divisèrent
des
on plusieurs groupes. Les uns, comme Lacordaire, refusèrent obbli- catholiques.

néinent de se rallier à l'Empire. « Sans doute, disait l'orateur de


Notre-Dame, le parti démagogique nous préparait une affreuse
Lacordaire
ruine » mais « ; le despotisme n'a jamais rien sauvé » ^ Il rappe-
refuse
lait, d'ailleurs, que « si Napoléon l**" avait rétabli le culte public en de se rallier
avait, huit ans après, retemi prieonnier le pape au nouveau
France en 1801, il
régime.
qui l'avait sacré empereur » Le restaurateur de l'Ordre de Saint-
*.

Dominique en France renonça donc à toute vie politique, pour se


consacrer uniquement à l'apostolat religieux. Montalembert, suivi
par plusieurs de ses amis, avait d'abord adhéré, en i85i, au coup Montalembert
s'y rallie
d'Etat du prince-président, parce que, disait-il, « hors de lui, il ne momentané-
voyait que le gouffre béant du socialisme vainqueur » ^. Mais son ment.

adhésion fut de courte durée. L'apparition, en octobre i852, de sa


brochure sur les Intérêts catholiques au XIX" siècle marqua sa
nouveau gouvernement*. L'Univers, entraînant avec L' Univers
rupture avec le
l'acccple. non
lui la grande majorité du clergé, salua, eu Napoléon III, « le grand sans quelques
homme qui avait rétabli le Vicaire de Jésus-Christ sur son siège » ^, appréhensions.

et le P. Ventura, en un livre enthousiaste qui parut avec une pré-^

face élogicuse de Louis Veuillot, vit dans la restauration de l'empire


une œuvre de Dieu, qui ferait revivre u les beaux jours des croi-
sades )) ^. Le rédacteur en chef de l'Univers n'avait pas cet opti-
misme. Il mêlait quelques réserves à ses applaudissements, fo^ et

niait le vœu que « la main sage et vaillante qui avait su comprimer


la Révolution... ne livrât pas la vérité sainte aux morsures de»
impies » '^,

Il faut reconnaître que les premiers actes de l'empereur a^utori- Les débuts
du second
saient la confiance des catholiques. La loi sur l'enseignement était empire
appliquée dans un esprit de bienveillance à Tégard de l'Eglise. Un sont marqués
par
cuinilé de l'enseignement libre travaillait sans entraves à la fonda- des mesure»
lion de collèges catholiques ^. De nombreux conseils municipaux bienveillante*
à l'égard
remettaient leurs collèges à des supérieurs ecclésiastiques, ou même des
catholiques.

1. I,AconDjaiiB, LeU«'« du 3i mars i85a à Mme de Prailly, cilée par FoisaBT,


Vie du P. Lacordaire, a vol. in-ia, a» édition, Pari», t. II, p a54.
2. KuissfcT, op. cit.^ l. lli, p. a46.
3. L«CA5UBT, Montalembert, t.ll, p 89.
/i.M0.1TA.LEM11EHT, (Hùivres, t. V, p. 1-173,
5. Univers du 3 oc»obre i854. Cf. Univers du i3 décembre i855.
6. Vbntuka, le Pouvoir politique chrétien, Paris, i858.
7 l'ianvois Veuillot, Louis Veuillot, un vol. in-8», Pari», 19 13, p. gj.
8. UfiUGixoT, Rapport au comité de l'enseignement libre.

Hisl. gén. da 1 Eglise. ~ VHI aS


386 HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLISE

les offraient aux évêques. Le droit d'inspection sur les petits séiui-

naires, institué par la loi de i85o, était exercé avec une courtoisie
et une déférence dont le clergé était touché. Les instituteurs pri-
maires convaincus de propager des doctrines subversives de l'ordre
social ou de la religion, étaient réprimandés ou destitués. L'ensei-
gnement supérieur lui-même était surveillé par le pouvoir à ce
même point de vue. Bref, l'athéisme et l'anarchie étaient proscrits à
l'école comme dans la rue, et l'enseignement chrétien, sous un con-
trôle discret de l'Etat, pouvait se dire vraiment libre dans ses mé-
thodes et dans son organisation.
Quelques catholiques pensèrent alors que le moment était venu
d'organiser un système d'éducation purement catholique, dégagé de
La question ^q^^ élément étranger à la pure doctrine et aux saines traditions de
des classiques
u i.
, .

païens. 1 Eglise. En i85i, un an après la loi de liberté, l'abbé Joseph


Gaume, vicaire général deNevers, avait publié, sous ce titre : le Ver
rongeur des sociétés modernes, une thèse véhémente contre l'emploi
Le manifeste prédominant des auteurs païens dans les collèges catholiques. Au
Gaume • fond, les revendications de l'auteur n'avaient rien de bien excessif. Il

Le Ver rongeur demandait que, jusqu'à la classe de quatrième inclusivement, tous


^''
^
les classiquesfussent chrétiens, et qu'à partir de la troisième on y
pût joindre les auteurs païens, mais dans des éditions soigneuse-
ment revues, et que ces auteurs mêmes fussent expliqués soigneu-
sement ^ Mais le ton du livre était violent, absolu, agressif.

Le système employé jusqu'alors était qualifié de « paganisme


scolaire » ; et ce système était présenté comme destructeur de
la foi, de la famille, de l'autorité et comme préparant le triomphe
du socialisme. La méthode proposée était donnée comme l'infaillible

moyen de salut. « Qu'elle soit mise en œuvre, s'écriait l'auteur en


terminant, et bientôt c'en est fait du socialisme, du communisme et

de toutes ces formidables erreurs qui menacent de nous reconduire au


chaos ^. » La thèse n'était pas nouvelle. La Mennais l'avait déjà sou-
tenue dans sa polémique contre l'Université. Les circonstances lui
donnèrent, au lendemain de la loi sur la liberté d'enseignement, un
retentissement particulier. Montalembert, alors plongé dans l'élude
du moyen âge, s'empressa d'y adhérer avec l'ardeur dont il était

coutumier^. L'abbé d'Alzon, fondateur du collège de l'Assomption à

1 . Le Ver rongeur, p. ^09.


2. Ibid , p. 4i3.
3. Lettre de Montalembert, parue dans ï'Unkersàn 7 janvier i852.
PIE IX ET L ÉGLISE DE FRANGE 387

Nîmes, Donoso Cortès, récemment converti au catholicisme, et sur-


tout le rédacteur en chef de l'Univers, Louis Veuillot, s'en firent Lei défenseur»
des
les ardents défenseurs. Mais les jésuites, dont l'abbé Gaume combat- classiques
tait les traditions scolaires, l'évéque de Chartres, Mgr Clausel de profanes.

Montais, que nous avons vu défendre avec tant de fougue les idées

de Y Univers dans la lutte contre le monopole universitaire, et

Mgr Dupanloup, récemment nommé évêque d'Orléans, se rencon-


trèrent pour combattre les doctrines du Ver rongeur. La polémique
fut des plus vives. « C'est l'affaire la plus chaude, a écrit Louis
Veuillot, où je me souvienne d'avoir passé*. » Le 19 avril i852,
l'évéque d'OrléanS écrivit à son clergé une lettre très vive pour lui
recommander de faire une place, dans les études de la jeunesse, aux
classiques de l'antiquité profane 2. Dans trois longs articles, parus les

7, 8 et lo mai suivants dans l'Univers, Louis Veuillot dirigea contre


l'écrit du prélat les traits les plus ironiques. La lutte entre ces deux Vivacité
et ampleur
hommes, qui, dès le début de leurs relations, avait été et qui, dans de la
la suite, devait rester presque sans relâche et, pour ainsi dire, ins- polémique.

tinctive, fut si aiguë, qu'elle dépassa le domaine de la question sco-


laire, qu'elle se présenta, pour les uns, comme la lutte de l'élément
laïque contre l'épiscopat ; pour les autres, comme le combat du vieux
gallicanisme contre l'esprit romain. L'ensemble du clergé et des
catholiques de France se trouva divisé. Le journal F Univers fut
même interdit, à cette occasion, à tous les professeurs des sémi-
naires du diocèse d'Orléans, pour avoir usurpé sur l'autorité épisco-

pale 3. Malgré tout, la polémique, avec ses vivacités regrettables,


aboutit à un véritable bien. L'attention publique fut éveillée sur la Heureux
grande question de l'éducation. L'étude des auteurs chrétiens, que résultats de la
controverse.
l'Université n'avait pas complètement dédaignée, puisque Villemain
avait publié en 1849 son beau livre sur l'Eloquence chrétienne au
IV^ siècle *, fut remise en honneur. L'abbé Gorini publia ses remar-
quables extraits des Pères ^, prélude de ses beaux travaux historiques
sur la Défense de l'Eglise, L'Université de France, de son côté, fit

E. Taverî^ibr, Louis Veuillot, un vol. in-13, Paris,


I.
1918, p. 3o i.
compter aussi, parmi les partisans des humanités classiques', l'abbé Landriot,
On doit —
depuii
évêque de la Rochelle, puis archevêque de Reims, et Charles Lenormànt.
Le
P. Daniel .prit la défense des méthodes des jésuites.
a. Ami de la religion, t. GLVI, p. a53.
3. Ibid., p. 6i3.
4. Le livre avait paru, sous une autre forme, huit ans plus tôt (G. Vauthibp *
VilUmain, un
vol. in- 13, Paris, 191
3, p. lao).
5. MA.KTIN, Vie de l'abbé Gorini, un vol. in-ia, Paris, it63, p. 68.
588 HISTOIRE GÉiNÉEALE DE l'ÉQLISE

une plus large part, au moins dans ses programmes, aux chefs-
d'œuvre de la littérature chrétienne. L'Univers protesta qu'il ne
demandait pas « l'exclusion absolue des auteurs païens », qu'il ne
voyait pas dans l'enseignement « l'unique du paganisme
source
moderne * » ; et Mgr Dupanloup, par ses beaux travaux sur ÏEda-
cation et la Haute éducation intellectuelle ^ ainsi que par les succès
éclatants de son séminaire de La Chapelle, montra clairement que
son intention était bien, comme il l'avait toujours soutenu, de
subordonner à la religion toutes les branches du savoir humain.
Encyclique En i853, une nouvelle polémique s'étant élevée au sujet des
Inler
droits respectifs du journalisme catholique et de l'épiscopat, une
mulUp lices
(ai mars encyclique du 21 mars, commençant par ces mots Inter multipliceSt
i853j. fit entendre la voix du pontife suprême sur les deux conflits qui
avaient agité l'Eglise de France. Pie IX recommandait aux évêques
de former la jeunesse u à l'art décrire avec élégance en étudiant et
les ouvrages si excellents des saints Pères, et les écrits des écrivains
païens les plus célèbres, soigneusement expurgés ^ ». Il leur deman-
dait ensuite « d'encourager les journalistes catholiques à détendre la

cause de la vérité avec zèle et justesse, et de les avertir prudemment,


avec des paroles paternelles, si, dans leurs écrits, il leur airivait de
manquer en quelque chose ^ ».

VII

Recmdescence Rien n'était plus opportun que de pareilles exhortations ; car,


des attaques
^[^^[ ^^g \q constatait tristement le souverain pontife dans la même
im^e^"^ encyclique, les discussions qui s'étaient élevées entre les catholiques
« fournissaient aux ennemis de l'Eglise des armes pour la tour-
contre le
Mtholicigme.
menter et la combattre * ». Les attaques contre le dogme et le cuit*

catholique se multipliaient dans la presse antireligieuse. « Les jour-

naux les plus répandus, écrivait Montalembert, et notamment la

Presse qui ont à eux seuls trois fois plus d'abonnés que
et le Siècle,

tous les autres journaux réunis, contiennent des attaques presque

I. Universdu 20 septembre i85a,


a. Ghantkel, Annales, p. i44.
3. Ibid.,-»^. i45.
4. Ibid., p. i46.
PIE IX ET L*ÉGLI8E DE FRANCE 889

quotidiennes contre la religion et le clergé ^. » hn i852, le plus


brillant et le plus populaire des poètes de cette époque, Victor Hugo,
associait, dans ses virulentes invectives, l'Empire et l'Eglise, ou,

comme il disait, « Bonaparte et Mastaï * ». La même année, lô


plus grave des disciples d'Auguste Comte, Litlré, écrivait senten-

cieusement : « Les réforriies sociales ne peuvent être obtenues que


par l'extinction des croyances théologiques ^. » Avec plus de fougue,
Proudhon soutenait la même thèse. Dupin se contentait de rendre
odieux le régime chrétien du moyen âge en rééditant de vieilles

calomnies sur le prétendu « droit du seigneur » Michelet, dans son


Introduction à V Histoire de la Révolution française, qui allait paraî-
tre en i855, signalait le christianisme comme le principal obstacle
au progrès de l'humanité *. Quinet, particulièrement exaspéré par
le coup d'Etat et par l'exil, était plus radical encore, et s'écriait :

« Il s'agit ici, non seulement de réfuter le papisme, mais de l'ex-

tirper non seulement de l'extirper, mais de le déshonorer ». Une


;
^

corruption moins apparente, mais non moins profonde, des intel-


ligences se manifestait en même temps par la diffusion et la vulgari-

sation en France de la philosophie rationaliste de l'Allemagne •.

De cette recrudescence d'hostilités envers l'Eglise, les rédacteurs Travaux


du Correspondant, Albert de Broglie et Alfred de Falloux, ren- P''^^'^*
^^J"^^
daient responsable la polémique de rf//HWr5, qu'ils jugeaient excès- pour la défense
maladroite^. Veuillot leur répondait, àan^V Univers ^^ Eghse.
sive et même, 1

en faisant remarquer que les gens de salon qui l'attaquaient, presque


tous membres ou futurs membres de l'Académie, avaient les défauts
que l'on contracte dans les cénacles académiques, l'admiration
mutuelle et une indifférence complète pour l'opinion populaire, plus
franche et plus nette que la leur. Mais les uns et les autres faisaient
mieux : ils prenaient, avec une énergie infatigable, la défense de
l'Eglise contre les attaques de l'incrédulité. Le Correspondant, par Le
Correspondant,

I. Cité par Lkcanuet, Monlalembert, t. III, p loo.


a. Victor Hugo, les Châtiments, voir en particulier, 1. III, 4 et 5, 1. lY, a.
Chacun tenait sa carte :

L'un jouait Bonaparte


Et l'autre Mastaï.
3. I.iTTRÉ, Conservation, Révolution, Positivutme, p. lOO, 198.
4. Voir Jules Snio:», Mignet, Michelet, Henri Martin, au chapitre sur Michelet.
5. Quinet. Livre de Vexilé p ^tS.
le

6. En 1854
Barni avait traduit en français la plupart des ouvrages de K ni.
7. A de Broglie, dans le Correspondant de janvier i856 ; A. de Falloix, dani
le Correspondant d'avril et mai i856.
Sgo HISTOIUE GENEllALE DE L ÉGLISE

laplume de Montalembert, d'Ozanam, de Charles Lenormant, de


Franz de Champagny, de Foisset, de Gratry, d'Augustin Gochin, des
abbés Freppel et Sisson, des Pères Chaslel et Daniel, delà Compagnie
de Jésus, poursuivait une œuvre d'apologétique historique, litté-

raire, philosophique et théologique, en mettant en évidence les bien-


faits de l'Eglise dans les différents ordres de la pensée et de l'action ;

L* Univers. et,dans V Univers, Louis Veuillot, Eugène Veuiliot, Coquille, Aubi-


neau, Melchior du Lac, ne laissaient passer aucune calomnie, aucune
erreur de la presse incrédule ou mondaine, de la tribune ou des
théâtres, sans la relever avec une vivacité d'allures, une promptitude
de riposte, souvent un éclat de talent qui, plus d'une fois, brisèrent

les assauts les plus violents de l'impiété. « Pourquoi, écrivait Louis


Veuillot, la vérité n'aurait-elle pas des escadrons légers, des soldats
exercés aux combats de broussailles *
? »

Au reste, le rédacteur en chef de V Univers ne s'était pas borné à


cette guerre de tirailleurs. En i85/4, il avait déjà publié les Pèlerinages
de Suisse, Pierre Saintive, les Nattes, VHonnête Femme, les Fran-
çais en Algérie, où la puissance de la civilisation chrétienne était
mise en face des mœurs arabes, et les Libres Penseurs, dont Jules
Lemaitre a écrit que « un de nos plus beaux livres de satire
c'est

sociale ^ ». D'autre part, Ozanam avait fait paraître ses belles études
sur la Civilisation chrétienne et sur les Poètes franciscains ; Gratry,
Publications ses travaux sur la Sophistique contemporaine et sa Thêodicée ;

diverses.
Montalembert, des fragments de ses Moines d'Occident ; Pitra, son
Spicilège de Solesmes ; Blanc de Saint-Bonnet, ses méditations
philosophiques sur la Restauration française et sur la Douleur ;

Ginoulhiac, son Histoire des dogmes chrétiens pendant les tirais pre-
miers siècles ; Migne, la plus grande partie de sa Patrologie ; l'abbé
de Ségur, ses Réponses aux objections les plus familières contre la
religion. Par toutes ces publications, une apologétique, traditionnelle
par ses principes, nouvelle par sa forme et par son adaptation aux
tendances intellectuelles du temps, se faisait jour.

Fondation En 1862 deux prêtres pleins de zèle, labbé Gratry, ancien aumô-
de l'Oratoire
nier de l'Ecole normale supérieure, et l'abbé Pététot, curé de Saint-
de
rimmaculée- Roch à Paris, avaient résolu de donner une impulsion nouvelle et
ConceptioQ
une organisation à ce mouvement, en fondant ce que Gratry appe-
(i85a).

I E. TA.VERr(iER, Louis Veuillot, p. 9^.


a. J. Lemaitrb, les Contemporains, 6* série, p. 3a.
PIE IX ET l'Église de frange Sgi

lait « un atelier d'apologétique * ». Pour mener à bien leur projet, _,.

le meilleur instrument leur parut être l'association, telle que l'avait |,


'
conçue saint Philippe de Néri : petits groupes de prêtres, réunis en
commun, sans vœux, très libres dans leurs travaux, mais s'encou- ,

rageant et s'aidant entre eux 2. Telle fut l'origine de l'Oratoire de ]

rimmaculée-Gonception. Le premier groupe oratorien, qui compre-


*
nait, avec le P. Pélétot, supérieur, et le P. Gralry, les Pères de
Yalroger, Gambier, Lescœur et Adolphe Perraud, se réunit d'abord,
en novembre 1862, au n° 21 de la rue de Calais, puis se transporta au
n" II de la rue du Regard, où, pendant plusieurs années, les homé-
lies du P. Gratry attirèrent un auditoire d'élite. « Guizot y cou-
doyait le duc de Broglie ; Vitet s'y rencontrait avec Berryer ; Mon-
talembert y était assidu ^. » « Dieu, disait Gratry, inspire aux Lc rêve
siens, en ce siècle, l'idée d'une science d'ensemble. Rattacher tout à ^" P- Gratry.

Jésus-Christ, les lettres, les sciences, les arts, la philosophie et

l'histoire, le droit et les lois : c'est une pensée qui fermente dans
l'Eglise *. » Ce grand idéal ne put se réaliser ; et Gratry, découragé,
parlait, vingt ans plus tard, de ce qu'il appelait « l'avortement de
son projet ^ » ; mais l'Oratoire avait communicjué un grand élan à
un mouvement qui devait se continuer pendant tout le cours du
XIX® siècle et auquel le pape Léon XIII devait donner les encoura-
gements les plus solennels.
Pendant qu'à Paris des prêtres éminents entreprenaient de fonder l^
un foyer de science chrétienne, un humble village du diocèse de Bienheureux

Belley devenait, par l'éminente sainteté de son pasteur, un foyer de vianney


grâces surnaturelles C'est en i85/i que le curé d'Ars, Jean-Baptiste curé d'Ars
V
Yianney,

i- f

impuissant a satisfaire
* ^
par lui-même

1 • A .

et par
1
le
A,
prêtre zèle
fw (1786-1859).

qui s'était fait son collaborateur depuis dix ans, aux besoins spiri-

tuels des nombreux pèlerins qui affluaient vers lui, s'était adjoint
un groupe de missionnaires. Le saint prêtre qui attirait ainsi les
foules, était né le 8 mai 1786, au village de Dardilly, dans le dépar-

tement du Rhône. Sa première enfance avait été occupée aux tra- Ses origines,
vaux des champs. Sa première instruction religieuse lui avait été
donnée en cachette pendant la persécution révolutionnaire. 11 avait

1. Chauvin, le P. Gratry, un vol. in-ia, Paris, 1901, p. 189.


a Ibid.. p. il\0.
3. Ibid ^ p i54
4. Gkatrt, Discours sur le devoir inidlectuel des chrétiens et sur la mission de
l'Oratoire,
5. Chauvin, op. cit., p. 187.
30 2 HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLTSE

fait sa première communion dans une grange, dont la pauvreté lui


avait rap})elé le dénuement de l'étable de Bethléem. Ses progrès
dans l'étude des sciences humaines et même dans celle des sciences
ecclésiastiques, avaient été difiîciles. Mais une foi sans bornes, une
angélique piété, un zèle ardent pour la gloire de Dieu et le bien des
âmes, l'avaient désigné pour le sacerdoce ; et, depuis sa nomination
à la petite cure d*Ars, la renommée de sa sainteté n'avait fait que
s'accroître. Des traits merveilleux de charité, des grâces obtenues
Sa sainteté, par ses prières, les lumières que cet humble prêtre projetait sur les
âmes qui se confiaient à lui au tribunal de la pénitence ou même
qui l'entendaient prêcher dans son église, avaient répandu bien au
loin sa réputation de sainteté. De i848 à 1862, alors que tant
d'âmes, remuées par les grands événements de cette époque et par
la renaissance d'un mouvement catholique parmi les classes culti-
vées, se tournaient instinctivement vers la religion, des pèlerinages
s'étaient organisés, de toutes les provinces de France, et même de
Ses miracles, l'étranger, vers le saint curé d'Ars ; et beaucoup d'âmes avaient
trouvé auprès de lui, les unes la foi, les autres des lumières toutes
divines ou même des guérisons corporelles, instantanément obtenues,
La parole de ce prêtre était simple et sans apprêts, mais elle avait au
suprême degré cette qualité distinctive de la parole sacerdotale :

Son éloquence l'onction. Nous sommes en ce monde, disàit-il, mais nous ne


«
apos ique.
gommes pas de ce monde, puisque nous disons chaque jour Notre :

Père, qui êtes aux cieux )>. Il avait, en parlant des choses surna-
turelles, du ciel, de l'enfer, de l'Eucharistie, du sacerdoce, du péché,
des paroles dune pénétration merveilleuse. « Dans le ciel, disait il,

on sera nourri du souffle de Dieu. Le ciel se fondait dans l'âme des


saints. C'était comme un écoulement du ciel, dans lequel ils se

baignaient... Les damnés seront enveloppés de la colère de Dieu. Ils


auront perdu le pouvoir d'aimer. Si un damné pouvait dire une seule
fois : Mon Dieu, je vous aime, il n'y aurait plus d'enfer pour lui...
Quand nous sommes devant le Saint-Sacrement, fermons nos yeux
et ouvrons notre cœur le bon Dieu ouvrira le sien... Oh
;
que le 1

prêtre est quelque chose de grand ! Si on le comprenait sur la

terre,on mourrait, non de frayeur, mais d'amour... Offenser le bon


Dieu, qui ne nous veut que du bien Contenter le démon, qui 1

ne nous veut que du mal Quelle folie Si vous voyiez un homme


1 I

dresser un grand bûcher, entasser des fagots les uns sur les autres,

et que, lui demandant ce qu'il fait, il répondit : Je prépare le feu


PIE IX ET l'ÉGUSE de frange SqS

qui doit me brûler, que penseriez-vous ? Eh bien 1 en commettant


le péché, c'est ainsi que nous faisons *. »

Les écrits des savants dissipaient les sophismes de l'impiété, ven-


geaient TEglise des calomnies portées contre elle, préparaient les

voies à la conversion ; mais de telles paroles, comme celles dont


parle l'apôtre saint Paul, « pénétraient jusque dans les jointures et
les moelles, jugeant les sentiments et les pensées des cœurs* ».

I. Voir A. MoNNiN, Vie du curé d'An, a vol, in-12, Paris Vunney, le Bienhe'J'

;

reux J.-B. Vianney ; Monîjiit, Esprit du curé d'Ars^ un vol. in-ia, Paris. J.-B,
Vianney a élc béatifié par Pie X en 1904.
a. Ilebr., IV, la.
CHAPITRE X

PIE IX ET LES DIVERS ÉTATS DE l'eUROPE PENDANT LA PREMIERE PAUTIB


DE SON PONTIFICAT (l 846-1 855).

Le mouvement Gomme les Etats pontificaux et comme la France, les divers Etats
libéral
en Europe. de l'Europe, et principalement l'Italie, l'Autriche, la Prusse, la
Sou caractère Suisse, l'Angleterre, la Hollande, la Belgique, l'Espagne, avaient été
équivoque.
plus ou moins agités vers l'année i848. Là aussi, le mouvement
libéral s'était montré équivoque, plein de malentendus, mêlé de mal
et de bien. Ce n'est qu'en l'étudiant en particulier dans chaque Etat,
qu'il est possible d'en déterminer les véritables éléments, d'en dis-
cerner les propres caractères.

La situation La situation politique de l'Italie était aussi complexe que sa situa-


jîolilique
en Italie.
tion religieuse. Le royaume de Lombardie-Vénétie, rattaché à l'Au-
triche, et les duchés de Parme, de Modène et de Lucques, placés
sous la protection exclusive de la cour de Vienne, aussi bien que le
royaume des Deux-Siciles, plus jaloux de son indépendance à l'égard
de l'étranger, et que le grand-duché de Toscane, qui suivait une
politique équivoque, étaient, par leurs constitutions, par leurs ori-
Altitude gines, par les princes qui les gouvernaient, ennemis-nés de la Révo-
religieuse
des lution. Mais l'esprit de méfiance envers le Saint-Siège et les tradi-
divers £ ta ts. tions d'ingérence dans les affaires ecclésiastiques, que Joseph II

d'Autriche et Léopold II de Toscane avaient propagés à la fin du


dernier siècle, leur survivaient encore dans les cours de ces divers
Etals.
Naples n'avait pas cessé de se prévaloir des prétendus privi-
PIE IX ET LES DIVERS ÉTATS DE l'eUROPE 395

lèges de la « moaarcliie sicilienne^ », et Florence ne se résignait


pas à laisser tomber en désuétude les principes proclamés au pseudo-
De pareilles inconsistances se manifestaient dans Inconsistance
concile de Pistoie.
et équivoque
le mouvement libéral, qui, inauguré aux cris de : Vive la religion !
de
Vive le Christ ! et Vive Pie IX ! acceptait les inspirations du cons- cette allltude.

pirateur Mazzini. Ce derniers'appliquait à enlrelenir, par son lan-


gage et par ses actes, une équivoque qui ne pouvait que compro-
mettre le Saint-Siège et profiter à la névolulion. Le royaume de
Sardaigne, qui était, comme les autres Etats de la péninsule, un Etat
d'ancien régime, mais que la perspective d'une hégémonie sur
rilalie rendait presque révolutionnaire, oscillait entre les doubles

tendances, politiques et religieuses, dont nous venons de parler.


Comment l'Italie pourrait-elle sortir de cette incohérence ? Le mal, Lès divers
courants
quoique profond, ne paraissait pas irrémédiable. Au milieu de tant d'idées sem-
de courants divergents ou contraires, on pouvait distinguer un blent dcY.ir
se fondre
courant plus large, ca[)able d'entraîner avec lui tous les autres vers
en un grand
un idéal commun : l'idéal d'une Italie une et constitutionnelle. mouvement
oaùonal.
En 1846, Pie IX avait essayé de diriger ce grand courant. Il avait
convié les princes italiens à rajeunir leur gouvernement, à se dessai- Mais ce grand
mouvement
sir d'une partie de leurs attributions pour mieux gagner la confiance national,
de leurs peuples ; et lui-même, donnant l'exemple, avait inauguré après quelques
oscillations,
dans ses Etats, aux applaudissements de ses sujets et du monde, le
devient
régime constitutionnel. Mais la Révolution avait aussitôt tenté de lui-môme
équivoque.
confisquer l'œuvre, à peine commencée, du pontife. Mazzini s'était
empressé de mettre en avant son programme d'une Italie une et

libérée, et, n'ayant pu entraîner le pape dans son entreprise, l'avait


dirigée contre lui. Ce nouveau plan avait échoué à son tour. L'évo-
lution de l'Italie devait se faire, non pour l'Eglise, avec Pie IX, ni
pour les sectes antichrétiennes, avec Mazzini, mais d'une manière
équivoque, pour le Piémont, avec Victor-Enmianuel.
A ne consulter que les apparences, le jeune roi qui venait de suc- Victor-
céder, en 1849, s^"^ ^^ trône de Sardaigne, au roi Charles-Albert, ne Emmanuel II,
roi
semblait pas destiné à une œuvre pareille. Les alliances de sa mai- de Sardaigne
son, ses traditions de famille, les circonstances de son avènement, (1820-1878).

son caractère même, semblaient l'en écarter. « C'est aux plus vieilles

races de l'Europe, à la maison d'Autriche, à la maison de Bourbon,


que la maison de Savoie, à laquelle appartenait le nouveau roi, avait

I. Cf. llisl. gén. de iEylise^ l. lY, p. a38-a39, ^» ^^l> P- ^9 ^o, 4oy-4io.


SgG HISTOIRE GENERALE DE L EGLISE

demandé des épouses. Victor-Emmanuel était neveu du grand-duc


de Toscane et de l'archiduc Rainier ; une proche parenté le liait

aux Bourbons de Naples ; lui-même avait épousé une princesse


autrichienime*. » D'autre part, « la dynastie de Savoie, parmi ses
titres d'honneur, ne prisait rien tant que son traditionnel renom de
fidélité à l'Eglise, d'orthodoxie rigoureuse et d'austère dévotion* ».
« Les circonstances de l'avènement de Victor-Emmanuel semblaient
elles-mêmes devoir le détourner de la politique d'aventure. Le pre-
mier jour de son règne avait été l'un des plus tragiques de l'histoire
Son de son pays. C'est le soir même de Novare, le 28 mars 1849, diins
avènement
au trône le désarroi de la défaite, en face du camp ennemi, que, des mains
<'
a3 mars 1849)' de Charles-Albert partant pour l'exil, il avait recueilli un sceptre à
demi brisé par la fortune. Le premier acte de son pouvoir avait été
d implorer de Radetzky un armistice et la paix. A peine échappé
au péril, voudrait-il s'y rejeter ^ ? » Personnellement, Victor-Emna-
nuel n'avait, jusque-là, manifesté aucune espèce d'ambition, hormis
une seule, celle de se soustraire à l'étiquette, qui, dès cette époque,
lui déplaisait, et qui, plus tard, lui fit horreur. « Son éducation avait
été celle d'un gentilhomme plutôt que d'un politique. Elevé loin des
afî'aires, il n'avait été initié par aucune épreuve progressive à l'art

de gouverner'^. »
Telles étaient les apparences. Mais le jeune roi possédait, comme
l'avenir de son règne le montra, une faculté naturelle d'intuition,
Sa politique : qui souvent lui tint lieu d'étude ou de génie. Il comprit bien vite,
réaliser par
dès les premiers contacts avec son peuple, que les rêves mystiques
des moyens
pratiques de son père Charles-Albert sur « l'Italie une et libérée parle Piémont »
les rêves
Aî son père
trouvaientun écho profond dans l'opinion publique. Il ne s'agissait
Charles- que de les réaliser par des moyens pratiques. De tous les groupe-
Albert.
ments ethniques de la péninsule, ces peuples sarde, piémontais,savof-
sien, que la diplomatie de Vienne avait placés sous la domination
de la maison de Savoie, lui apparurent comme les plus robustes, les
plus habiles au maniement des armes, les mieux assouplis à la

discipline militaire. Les liens d'obéissance qui les attachaient à la

dynastie étaient solides, se confondaient avec cet amour du pays

I. P. DE LA Gorge, les Origines de l'unité italienne, dans 1© Correspondant du 10


novembre 1898, t. CLXXIII, p. 44i.
2 Ibid.
3 Jbid.^ p. 443.
4. Ibid,, p. 44i.
.

PIE IX ET LES DIVERS ÉTATS DE l'eUROPE ^97

natal, si puissant parmi ces générations de pâtres, de chasseurs de


la montagne et de laboureurs de la plaine. De plus, le roi se

sentait entouré d'hommes d'élite. Dans l'armée, il ne tarda pas à Ses principaux
auxiliaires :

pressentir que des hommes de guerre comme le général La Marmora La Marmora,


et le colonel Menabrea seraient pour lui des instruments de première Menabrea,
lîalbo.
valeur. Dans sou conseil, des diplomates comme le comte Balbo d'AzegUo.
et le chevalier Massimo d'Azeglio le frappèrent par la hardiesse et la
décision de leur pensée, autant que par la souplesse de leur esprit.
C'étaient là des qualités que le jeune prince possédait à fond lui-

même. « J'aime la loyauté pour plusieurs raisons, écrivait d'Aze-


glio ; entre autres, parce qu'elle sert souvent à tromper les

autres ^ »

De franchise et de dissimulation, de brusques attaques et de ma-


nœuvres cachées, il faudrait beaucoup user pour arriver au but con-
voité, ménager des amis puissants, pour endormir la vigi-
pour se
lance de ceux-ci et pour exciter l'activité de ceux-là.
Ce qui accroissait la confiance du roi de Sardaigne, c'était l'atti- 11 escompte
l'appui
tude, promptement discernée par lui, de la chancellerie française.
du prince
« Nous défendrons la frontière du Tessin comme celle du Var », Loui»-
écrivait, le 23 octobre 18/18, le ministre des affaires étrangère» de Napoléon,

FraFice^. Certaines paroles de Louis-Napoléon, prononcées, au


milieu d'entretiens conlidentiels, dans le même sens, avaient été
aussi remarquées. On les répétait en Sardaigne, et on les amplifiait.

On se souvenait que le prince avait été naguère l'ami, le complice


des libéraux italiens, et l'opinion pubhque comptait sur lui pour
entraîner la France dans une cause qui devait lui être personncile-
menl chère.
Restait la question de l'attitude à prendre à l'égard du Saint- St politique
envers
Siège. Le roi de Naples n'ayant aucuue visée de conquête ou de
le Salut-Sicge*
suprématie, et les autres princes italiens étant paralysés, soit par
leur inféodation à l'Autriche, soit par leur propre faiblesse, le pape
et le roi de Piémont demeuraient ies seules puissances prépondé-
rantes en Italie : le pape, avec le prestige de sa majesté religieuse ;

le roi de Sardaigne, avec celui de sa puissance militaire et de ses


ambitions. Ce dernier, subordonnant toute sa politique à son projet
de domination en Italie, se trouvait en face de cette alternative :

1. Massimo d'Azeglio, Lettere incditc, p. 60.


». Bastiqe. la lU'publique française et illalie, p. ia3.
398 HISTOIRE GENERALE DE L EGLISE

OU bien lier partie avec le pape, en l'assujettissant à ses vues, ou


bien se tourner nettement contre lui. Les tentatives faites pour
gagner le pape aux projets du roi de Sardàigne ayant été repoussées,

Victor-Emmanuel se résigna à avoir la cour de Rome pour ennemie.


Mais une telle situation n'était pas sans l'effrayer. Il s'efforça d'éviter
à tout prix toute divergence d'ordre dogmatique ou disciplinaire, et

de limiter le désaccord à des questions d'ordre purement politique.


Tel fut le but auquel tendirent tous les efforts de sa diplomatie.
Nous verrons comment la force des choses rendit ces efforts ineffi-

caces, et comment la cour de Turin fut entraînée à des mesures nette-


ment persécutrices.

II

Tactique L'opinion publique, habilement exploitée par les sociétés secrètes,


des sociétés
secrètes.
l'attirait vers cette voie. Mazzini et ses adeptes avaient eu l'adresse,
nous l'avons vu, d'associer aux revendications nationales de l'Italie

un esprit d'opposition au Saint-Siège qui se teintait d'un vague


christianisme. « Il y a bientôt deux mille ans, écrivait Mazzini,
qu'un grand philosophe, nommé Christ, a prêché la fraternité que
cherche encore le monde ». Et il ajoutait : « Tous les mécontente-
ments personnels, toutes les ambitions passées peuvent servir la

cause du progrès^ ». C'était faire appel à la fois au fond de chris-


tianisme qui était dans l'âme populaire et à toutes les mauvaises
passions. Cette pression occulte exercée sur l'opinion publique
n'avait pas échappé aU roi Charles-Albert. Elle lui avait fait écrire au
prince de Metternich une étrange lettre, que ce dernier a insérée
Difficile dans ses Mémoires. « Il y a dans le monde, disait le roi, une vaste
situation du roi
do Sardàigne.
conspiration... Ce n'est pas à vous que j'entends rien apprendre à
cet égard... Ce qui est certain, c'est que la position de tout roi de
Sardàigne est la plus difficile de tou*es les positions... Elle n'est
jamais libre 2. » Cette pénible situation, le roi Charles-Albert pou-
vait bien se dire qu'il avait contribué à la créer. Son fils résolut d'en
sortir, non poiut en résistant au courant populaire, ni en essayant
d'en rectifier la direction, mais en l'acceptant tel quel et en lui

I. LuBiENSK.1, Guerres et révol. d'Italie, p. 46.


a. Metternich, Mémoires, t. IX, p. 367,
PIE IX ET LES DIVERS ÉTATS DE l'elROPE SqQ

cédant, a II se résigna à servir la cause de la Révolution, parce qu'il Victor-

se flatta de travailler ainsi à ses propres affaires. Il se mit à la tête ^^^^^


du mouvement national, dont les sociétés clandestines organisaient à la remorque

à heure fixe les démonstrations tapageuses*. » mouvement


Victor-Emmanuel II connaissait-il alors cette phrase des Instruc- populaire,

tions de Mazzini : « Le globe terrestre est formé de grains de sable ;

quiconque voudra faire en avant un seul pas doit être des nôtres ^. »

En tout cas, il s'inspira de cette tactique, et n'avança dans la voie de


la persécution qu'à pas comptés.
Le premier pas fut fait par la loi dite loi du Foro ou loi Sic- Premier pas
i> fait dans
cardi. I
• 1
la voie de
Le terrain fut très habilement choisi. Certaines prescriptions du la persécution
re igieuse.
droit canonique soustrayaient un certain nombre de causes reli-

gieuses, et, dans certains cas, la personne même des clercs à la juri-
diction des tribunaux civils, pour les rendre justiciables des tribu-
naux ecclésiastiques. Ces prescriptions étaient tombées en désuétude
dans la plupart des Etats; mais elles étaient encore observées en Sar- Origine»
daiG:ne, et le concordat du 27 mars i8/ji , conclu entre Gréofoire XVI ^^ '* ^o' '^^f®.
,
• ^, , 4 1. 1
.
V . • • •
du Foro ou loi
et le roi Charles-Albert, les avait confirmées, amsi que certams Siccardi,
vestiges de l'ancien droit d'asile ^. Que cette législation fût destinée
à disparaître peu à peu dans les Etats Sardes, cofnme dans les autres Les privilège»
Etats européens, on pouvait le conjecturer. A mesure que la foi s'af- canoniques

faiblissait dans les masses, elles devenaient moins aptes à comprendre siastique ».
la raison de pareils privilèges ; et le scandale injustifié qui en résul-
tait pouvait ne pas être compensé par le bien que ces privilèges
procuraient à l'Eglise. Nul n'eût donc trouvé mauvais que le gouver-
nement des Etats Sardes entrât en pourparlers avec le Saint-Siège
pour discuter loyalement la question des modifications àapporter au
concordat de Charles-Albert.
On put croire que telle était l'intention du roi de Sardaigne, quand, Députaiion
en octobre i84q, il députa à Portici, où le pape résidait encore, ^^,
1 o- !• 1 f 1. 1 1 1 •
comte Siccardi
lecomte biccardi, charge d entamer des pourparlers concordataires. auprès
Mais la démarche parut suspecte, quand on vit l'envové extraor- ^" P^P^
1- • 1 • , , . (octobre 1849;.
demander préalablement, au nom de son
1 1 1
, ,
dinaire du roi souverain,
que l'archevêque de Turin et l'évêque d'Asti, coupables d'avoir pro-
testé contre les empiétements du pouvoir civil, fussent invités à

I. Van Dlerm, Vicissitudes..., p. 353.


a. LuBiKNSKi, loc. cit.
3. PU IX acfa, Rome, i858, pars prima, vol. H, p. i^o-i^i.
4oo HISTOIRE GE.NERAXE DE L EGLISE

quitter leurs sièges. En même temps, Victor-Emmanuel laissait la

presse attaquer impunément le clergé et les instituts monastiques


avec une vivacité extrême. On eût dit que le dessein du roi était de
terrifier le pape au moment même où on lui propoafiit d'entrer en
conversation diplomatique avec lui. Pie IX se méfia, et refusa l'offre
Méfiance de Siccardi. L'histoire a justifié cette attitude du pape : la publi-
justifiée
de Pie IX. cation de la correspondance du président du conseil sarde a révélé,
depuis, qu'à l'heure même où il faisait demander au Saint-Siège de
renoncer au béaéfice d'une stipulation concordataire, il écrivait :

« Avec le pape il faut beaucoup de formes, de salamalecs, de baise-


mains, mais une fermeté de fer, et surtout le fait accompli *. »

. Les <v salamalecs » et les « baise-mains » n'ayant pas réussi, le

« fait accompli » ne se fit pas trop attendre. Siccardi quitta Portioi


en novembre iS/jq 2, et, trois mois après, le 26 février i85o, pré-
senta aux Chambres un projet de loi abolissant les immunités ecclé-
Présentation siastiques. L'article i*' du projet portait que « les causes civiles entre
du projet
ecclésiastiques seuls, tant pour les actions personnelles que réelles ou
Siccardi
(a5 février mixtes, de quelque nature qu'elles fussent, ressortiraient à la juridic-
iS5o).
tion civile», et l'article 2 assujettissait à la même juridiction civile

« toutes les causes concernant le droit de nomination active et passive

aux bénéfices ecclésiastiques, ouïes biens appartenant à ces derniers


ou à quelque autre établissement ecclésiastique » 3. C'était, sous

prétexte de mettre fin à quelques usages mal vus des populations


modernes, briser, par la volonté d'un seul contractant, des stipula-
tions synallagmatiques, et, de plus, s'arroger, sur le terrain
parement ecclésiastique des nominations aux bénéfices et des biens
d'Eglise, des pouvoirs manifestement usurpés. Mais les défenseurs du

1. Massimo d'Azbquo, Lettere inédite^ p. 53. —


Mazzini écrivait, à la même
époque, dans un appel au clergé « Prêtres italiens, écoutez-nous... Nous pourrions
:

Yaincre sans vous, mais nous ne le voiflons pas » (Cité dans l'Ami de la religion d»
17 mars i85o, p. 442).
2. Après le départ du comte Siccardi, le Saint-Père députa à Turin Mgr Gharvaz,
archevêque de Sébasle, pour expliquer au roi le motif de son refus. Le roi dans
sa réponse, du 25 janvier, lui promit sa protection pour les deux prélats de Turiu
et d'Asti, et déclara que les négociations entreprises pour le concordat seraient
reprises en temps opportun. Un mois plus tard, il prétendait trancher lui-même la
question par un acte unilatéral, sous prétexte que le pape avait (( refusé obstiné-
ment un nouveau concordat». L'histoire de toutes ces négociations, appuyée sur
les documents diplomatiques, a été publiée dans un mémoire qui se trouve inséré à
la suite de l'allocution pontificale du 22 janvier i855, dans les Acta Pa IX, pars
prima, t. Il, p. 9 et s. Ce mémoire est une source historique du plus grand intérêt.
3. Voir le texte complet dans l'Ami de la religion du i5 avril i85o, p. 200-201.
PIE IX ET LES I)lVï:nS ETATS DE L EUROPE 401

projet de loi devant la Chambre des députés et devant le Sénat Vote cl jjro-
mulgalion
passèrent légèrement sur ces derniers points, et s'appliquèrent sur- de la loi

tout à railler « le caiaclère gothique et suranné » des institutions (8-9 avril


i85o).
qu'il s'agissait d'abolir, invoquant l'esprit moderne et l'opposant à la

routine obstinée du Saint-Siège^.


La loi, votée par la Chambre, fut ralificc par le Sénat le 8 avril Protestation
du pape.
i85o, et promulguée le q avril, au milieu de bruyantes manifesta-
tions. Les cris de : A bas les prêtres se mêlèrent à ceux de
! Vive :

-
la loi Siccardi 1

Le souverain pontife n'avait pas attendu le vote de la loi pour Protestation


des évéques
faire entendre une solennelle protestation contre un acte qui violait à de Piémont
la fois les droits de l'Eglise et la foi due aux traités 3. et de Savoie.

La loi votée, les évoques de Savoie et ceux du Piémont élevèrent


]a voix, à leur tour, contre une loi qui, disaient ils, « rompant des
concordats faits avec le Saint-Siège, et ne tenant aucun compte des
traités les plus solennels, signés avec lui parles augustes prédéces-
seurs de Sa Majesté, blessait et aiïligeait tous ceux qui veulent vivre
et mourir dans l'obéissance à la foi catholique ». « Peut-être, ajou-
taient courageusement les évêqucs de Savoie, s'il s'agissait de traités

conclus avec l'une des grandes puissances de l'Europe, on procéderait


avec [)lus de réserve... Ces hautes puissances ont des moyens effi-

caces de se faire respecter ; mais Pie IX n'a pas d'armée, Pie IX est
en exil *. »

Le cabinet sarde, toujours présidé par le marquis d'Azeglio, ne Autres


s'en tint pas là. Bientôt il réclama une nouvelle circonscription des mesures persé-
cutrices.
diocèses, la suppression de certains évêchés, la sécularisation de plu-
sieurs ordres monastiques. La cour romaine eut alors cette impression,
que la cour de Turin n'avait qu'un but : acculer le Saint-Siège à
des refus qu'elle constaterait bruyamment, en les présentant conmie Tactique
des ivactions d'ancien régime contre l'esprit moderne, dont le Pic- de la cour
de Turin,

1. prtiâs son manifeste italiens, Aux préires


Mazzini avait mis en demeure le
cleigWlc choisir entre de la ])apauté et l'esprit moderne, en lequel il
l'esprit
feignait de voir l'esprit de lEvangile. « Enlre l'Esprit de l'Evangile et la parole
des
papes, disait-il, êtes-vous vraiment, décidément résolus à opter ? » [Ami
de la
relujim du 17 mars i85o, p. [\[\2).
2. Voir les récits faits par le Risorgimento du
9 avril i85o et par le joiirnal officiel
d.i gouvernement de Turin à la même date (Ami de la
religion, t. CMAII. p. 201 ).
3. L'acte de protestation, adressé par le cardinal Aniouelli au marquis de
Spiuola]
l.iTgé des affaires du Saint-Siège à Turin, est du
9 février i85o. ^ oir Cuantrel]
Atiiicles ecclt'siasti(]ue.'i, p. 9i-()2.
4. Ami de la religion, t. CXLVI, p. 485, 0o3
ri«t 'rf'Ti. fie l'Eelîse. — NI II aO
4o2 HISTOIRE GÉNKRA.LE DE LÉGLISE

mont se donnerait comme le défenseur. Un projet de loi sur le ma-


riage civil, présenté le i2Juin 1862, provoqua de nouvelles protes-
tations de la part de Rome. Le projet, voté par la Chambre des
Chule députés, fut rejeté par le Sénat. Mais, en celte même année 1862,
du ministère
d'Azeglio
des remaniements s'opéraient dans le ministère du roi Victor-Em-
(i85a). manuel, qui devaient avoir des conséquences historiques considé-
rables. D'Azeglio, succombant sous un fardeau trop lourd pour ses
épaules, cédait sa place au comte Balbo, lequel, après quelques se-
maines à peine, reculait à son tour devant l'énorme lâche que îe
Piémont s'était donnée en se posant, devant l'Europe, contre le pape
Le comte et contre l'Autriche à la fois, comme la puissance initiatrice de
de Gavour
l'Italie une et régénérée. Le 4 novembre 1862, date importante pour
est nommé
premier l'histoire, la présidence du ministère sarde fut confiée au comte
ministre
novembre
Camille de Cavour. En le nommant, en octobre i85o, ministre du
(4
commerce, le roi avait dit à ses autres ministres : « Prenez garde,
celui-là vous prendra tous vos portefeuilles. » Certes, on n'avaitpas à
craindre qu'aucun fardeau ne rebutât cet homme qui, avant même
d'occuper aucune situation officielle, avait pu, en dépenrant une infa-
tigable activité dans les domaines de l'agriculture, de î industrie, des
finances, du journalisme^ de l'économie sociale et de la controverse
religieuse, imposer partout l'autorité d'une étonnante faculté d'assi-

,
milation et d'une volonté qui ne connaissait pas d'obstacle. Cavour
allait prendre sur lui l'immense tâche de poursuivre la lutte contre
la cour de Rome et la cour de Vienne, et de travailler à faire de
l'Italie une des grandes puissances de l'Europe, en l'organisant autour
du royaume de Piémont,

III

Camille Renso, Agé de quarante-deux ans, Camille Benso, comte de Cavour, était

^^^^^ ^^^^ ^^ maturité de l'âge et des forces. « Quiconque l'eût vu


de Garnir
se promenant famihèrement dans les rues de Turin n'eût guère de-
Son portrait, viné en lui le maître futur de l'Italie. Sa petite taille, sa myopie, son
embonpoint précoce, une certaine apparence négligée et vulgaire,
tout éloignait de lui les foules. Mais, à défaut des dons qui attirent,
il avait les qualités qui subjuguent: la netteté des vues, la promp-
PIE IX ET LES DIVEHS KTA IS DE l'eLROPE /îo3

titudeà les résoudre, l'énergie à accomplir ce qu'il avait résolu K


»

Son incroyable puissance de travail, son aptitude à tout embrasser,


émerveillaient ses collègues. Lui, indiiïérent à l'admiration ou au Son caractère

blâme, ne demandait qu'à faire triompher ses vues, se donnantcomme


modéré et faisant appel aux complicités des pires révolutionnaires,
se posant comme le chevalier d'un idéal de justice et foulant aux pieds

le droit des gens, se proclamant catholique de cœur et ne craignant


pas d'outrager l'Eglise dans ses institutions les plus saintes et dan3
ses chefs les plus vénérés. Savoyard par son père et Genevois par sa
mère, issu de la famille de saint François de Sales et allié aux Cler-

mont-Tounerre, doué, dès son enfance, d'une insatiable curiosité,


qu'il avait cherché à satisfaire par de fréquents voyages, par des en-

quêtes approfondies sur les hommes et sur les choses, on eût pu


croire que son esprit se trouvait ballotté par les multiples influences

dont il avait été comme le carrefour ; mais l'unité d'un but très

nettement conçu et très obstinément poursuivi : l'indépendance ita-

lienne, mettait l'ordre et la clarté, sinon la grandeur et la vertu,

dans cette riche organisation ^,

Avec Cavour la politique du Piémont se précise et s'amplifie. Sa politique


générale.
Prendre en mains les intérêts de l'Italie tout entière, sans paraître
lien abandonner des intérêts particuliers du Piémont ; organiser et
acclimater dans la Péninsule les lourdes charges des grandes nations,
la conscription et les impôts écrasants, sans soulever trop de mur-
mures ; favoriser les mouvements libéraux de l'Italie sans efl'aroucher
les monarchies voisines ; lutter contre le Saint-Siège sans rompre

I. P. DE LA GoiiCE, les Origines de VUnité italienne^ dan» le Correspondant du lO


novembre iSgS, p. 456-457.
a. On s'est demandé si le célèbre homme d'Etat a été franc-maçon et si la franc-
maçonnerie joué un rôle dans la formation de l'unité italienne. On a souvent
a
aftirmé, sur la foi de Gantû {Hérétiques d'Italie, trad. Digard, t. V, p 4^2) et do
B\LiN {Storia d'Italia^ t. X, p. 324), que Cavour avait été grand-maître de la
franc- maçonnerie. Les éludes publiées dans le Carrière dclla Sera du 3o octobre
et du 7 novembre 1918 par Alessandro Luzio, directeur des Archives publiques de
Manlouc, semblent détruire cette légende. Si le grand artisan de l'unité italienne
avait obtenu ce haut grade, les francs-maçons s'en seraient glorifiés depuis. Cavour
hii-même n'aurait pas dépensé tant d'ardeur à soutenir la Société nationale, organisme
assez nouveau, s'il avait pu disposer de la puissante association. D'ailleurs Cavour,
qui espérait bien mourir dans le sein de l'Eglise catholique et qui s'était assuré
depuis longtemps les secours spirituels du P. Giacomo, ne paraissait pas être dans
des dispositions favorables à la franc-maçonnerie. Quanta la secte elle-même, il est
prouvé que, de i848 à 1860, elle ne donna pas signe de vie en Italie, ou du
moins n'y exerça qu'une action très intermittente et très faible. Voir, sur ce point,
les articles d'Alexandre Luzio, traduits en français dans la Revue internationale des
sociél'^s secrètes du ao décembre iQiS, surtout p. 49o5.
4o4 HISTOIRE GÉNÉKALE DE l'ÉGLISE

avec l'Eglise : tels sont les buts que le premier ministre de Victor-
Emmanuel se propose. Il les poursuivra au prix d'efforts inouïs^
qui l'useront avant l'heure, mais l'impulsion donnée par lui sera

si puissante, que son œuvre se poursuivra après sa mort.

Sa politique Nous n'avons à étudier directement ici que le côté religieux de


reigieuse.
1 cette politique. Comme simple député, Cavour avait contribué à
faire voter la « loi du Foro » ; comme président du conseil des^
ministres, il proposa et fit voter, le 2 mars i855, par la Chambre
des députés, et, le 22 mai, par le Sénat, la « loi des couvents ». Il

y avait alors, dans le royaume de Sardaigne, quatre archevêchés,


vingt six évêchés, plus de six cents communautés religiduses, uq
nombre considérable de collégiales et de bénéfices, presque tous
pourvus d'importantes dotations. L'objet de la nouvelle loi était de
séculariser ou, comme on disait en Italie, àincamérer une grande
La « loî partie des biens ecclésiastiques. On laisserait vivre les ordres reli-
•CR couvents »
gi^ux charitables ; mais on attribuerait les biens des ordres mendiants
(mai i855).
à une caisse du clergé, lequel, cessant désormais d'être un corps
salarié par l'Etat, réaliserait la formule idéale : l'Eglise libre dans^

l'Etat libre ^. Cavour ne se dissimulait pas qu'une pareille mesure


répugnait à la masse de la population, attachée dans son ensemble
aux ordres religieux. Il dut lutter pendant plusieurs mois avec une
ténacité qui eut enfin raison de toutes les résistances. Son projet,
disait-il, n'avait aucun caractère agressif contre la religion. Econo-
miquement très profitable à la nation, il aboutirait uniquement, au
point de vue ecclésiastique, une plus heureuse répartition des
à
biens d'Eglise entre les membres du clergé. Le roi Victor-Emmanuel
avait eu quelque répugnance à commettre cet empiétement du pou-
voir civil sur les biens ecclésiastiques. La loi votée, il crut sans doute

I. c J'ai entendu plusieurs de mes collègues, écrit Gantû, se vanter d'avoir


suggéré cette formule à Cavour mais Cavour lui-même n'en revendiquait pas la
;

paternité il dit, au contraire, qu'un <( écrivain illustre, dans un moment lucide »,
:

avait voulu, au moyen d« cette formule, démontrer à l'Europe que la liberté avait
puissamment contribué au réveil de l'esprit religieux [Actes ofjîciels de 1860,
p. 094). Il est de fait que le comte de Monlaiembert se plaignait que cette formule
lui eût été dérobée et mise en circulation par un grand coupable [Correspondant^
août i863/. On saille jugement que d'Azegiio portait sur cette formule, et il a été
démontré, par la session de juillet 1867, quel cas en faisaient les députés... Comme
toutes les formules vagues, celle-ci n'a d'autre sens que celui qu'on lui donne....
Elle va fort bien à ceux qui aiment à créer des situations équivoques pour en
profiter » (Ca-ntiIi, les Hérétiques d'Italie, t. V. p. 285-286). Cf. Charles Benoist^
la Formule de Cavour: VEgise libre dans l'Etat libre^ dans la Revue des Deux Mondei
du i5 juillet 1906.
PTTÎ TX KT T,ES mVT.RS RTATS DE l'kLROPE 4o5

tranquilliser sa conscience en demandant que fussent exceptées de


« rincam(^ration » deux chapelles que sa mère et sa femme aimaient
visiter ^ Sons celte réserve, il sanctionna la loi spoliatrice,
qui
à
devait préluder à tant d'autres spoliations.
Trente-cinq ordres monastiques tombèrent ainsi sous la proscrip-
furent dépouillés. Cons^quenew
tion. Sept mille huit cent cinquante
*
religieux
de
T
contemplatifs
1 t
entretenaient
• * déplorable»
Beaucoup de ceux que la loi qualifiait j^ ^^^j^ ^^-^

des œuvres charitables, qui périrent avec eux. D'autres travaillaient


avec zèle aux progrès des sciences ils. ne furent pas épargnés. Mais ;

•la loi n'outrageait pas seulement la religion, la science et la charité;

elle violait ouvertement le droit constitutionnel du Piémont. En vain


un ancien ministre du roi Charles-Albert, M. de Revel, avait-il rap-
pelé l'article 29 du Statut « Toutes les propriétés, sans exception
:

d'aucune sorte, sont inviolables. » Le Parlement avait passé outre. Il


jie fut pas même arrêté par la pensée de respecter la volonté des
anciens princes de Maison de Savoie, qui avaient voulu perpétuer
la

la prière liturgique sur leurs tombeaux. Les religieux du monastère


d'Hautecombe durent abandonner leur poste sacré ^.

Les formules de respect envers l'Eglise, prodiguées par Cavour au Autre»


cours des débals, n'avaient pas trompé le Saint-Père. L'emprisonne- mesures d'ho»-
11. s rn1 »» V. 1 T •
^'"*é envers 1 1 •

ment de archevêque de lurin, Mgr Jbranzoni, coupable d avoir pro-


I
l'Eglise,

testé contre la loi du Foro, son bannissement, prononcé le 26 sep- pnsesparl'

temhre i85o, la destitution d'un aumônier qui avait recommandé de garde,


prier pour le courageux prélat, l'emprisonnement et le bannissement
de l'archevêque de Cagliari, Mgr Marongini, pour un motif sem-
blable en i85i, l'arrestation de plusieurs prêtres, curés ou mission-
naires, arbitrairement accusés de fomenter des émeutes, les injures
proférées à la Chambre des députés contre l'épiscopat ^, les circu.
jaires de Cavour chargeant les syndics d'u exercer une surveillance
continuelle sur les curés ^ », bien d'autres faits du même genre ^ne

I. La chapelle des Sacramentines et l'église de la Consolata, à Turin. Deux


•tatues y marquèrent plus tard la place où les pieuses reines venaient s'agenouiller.
a. Voir le texte de la loi dans VAmi de la religion du
y 7 Jjuin i855, t. GLWlIi.
/
p. 563-567-
3. Notamment dans les séances des 33 août i84q. i5 février i85o, 10 janvier
l853, etc.
4. (Citées par Dupanlolp, la Souveraineté ponlijicale, ch. xvi, p. Sog-Sio.
5. Voir.4 mi de la religion, t. GLXIII, p. /|3o, Uo, 698; t. GLXIV, p. 83, /ji5»
/467, 786 : t. GLXV, p. i, 98, 687 t. CLWI, p. 83, 169. 191, 3^9. 665, 708,
;

7^6.
4o6 HISTOIRE GENERALE DE L EGLISE

laissaient aucun doute sur l'hostilité du gouvernement du Piémont à

l'égard de l'Eglise.
Déchaînement Tandis qu'on exilait les évêques et qu'on mettait le clergé sous la
des passions
révolution- surveillance de la poRce, toute liberté était laissée à la presse révolu-
naires. tionnaire et impie d'insulter le pape et les prêtres, aux émeutiers d'in-
terrompre les prédicateurs dans les églises, aux théâtres de parodier et
de ridiculiser les saints mystères ; si bien que M. Sauzet, dans le

célèbre écrit qu'il publia sur le mariage, en i853, pouvait écrire :

(c Je ne sais quel esprit fatal a soufflé sur le Piémont. La gravure et


la pierre semblent y faire assaut de scandales. » La coupable tolé-
rance du gouvernement encourageait toutes les audaces, et le député
Brofferio allait jusqu'à s'écrier, en pleine Chambre :« Prouvons à ces
Fâcheuse orgueilleux prélats que le peuple a aussi ses foudres et ses ana-
tolérance du
gouverne-
thèmes *. )) Vainement le Saint-Père renouvelait ses plaintes et ses
ment. protestations * ; le gouvernement, après des réponses banales, passait
outre.
Attitude Les grands catholiques, qui avaient rêvé naguère un mouvement
de Manzoni,
de libération nationale sous les auspices de la religion, Manzoni,
de Pellico,
de Ventura Pellico, étaient attristés. L'illustre auteur d'/ Promessi Sposl était
•tde Gioberti.
plus que jamais « ce génie souffrant, au visage doux et triste, au re-

gard tourné vers les regrets »,qui avait frappé Lamartine^ ; et l'auteur

de Le Mie Prlgioni écrivait : « Je ne réponds ni aux gens qui me


traitent de révolutionnaire, ni aux fanatiques du libéralisme qui me
blâment de ce que je ne partage pas leurs folles illusions... Ils n'auront
de moi d'autre réponse que ma conduite sans masque, sans servilité
envers aucun des partis violents, et aussi chrétienne que possible *. »
Le P. Ventura, après s'être laissé quelque temps entraîner à la suite

de Cavour, se rétractait noblement, et, instruit pai i\xpérience, recti-

fiait ses conceptions philosophiques et politiques. Gioberti seul, re-


tiré des affaires publiques depuis iS/jg, s'avançait de plus en plus
dans ses utopies libérales, traçant à Victor-Emmanuel la ligne poli-

tique à suivre pour arriver à la régénération de l'Italie ; mais les

vives attaques de son dernier ouvrage, le Hm/iouame/z/o d'Italia, publié


en 1 85 1, contre le pouvoir temporel des papes, et plusieurs autres

I. cit., p. 3lB.
DupAiîLoup, op.
a. Notamment 19 septembre i852, par une lettre adressée au roi du Piémont,
le
3. Lamartine, Harmonies poétiques^ commentaire de V Hymne au Christ.
4. Lettre à Antoine de Latour,
PIË IX ET LES DIVERS ETATS DE l'eUROPE UO'J

témérités, lui attiraient, le i4 janvier i852, la mise à l'Index par le


Saint-Office de tous ses écrits.
Quant à l'ensemble du clergé séculier et régulier, l'épreuve qu'il A"'}"^*,
venait de traverser et la perspective d'épreuves plus grandes encore, séculier
et régulier,
n'avaient fait que resserrer les liens de charité qui faisaient de lui,

comme aux premiers jours de l'Eglise, cor unarn et anima una ; et

ces sentiments étaient noblement exprimés dans la lettre que tous


les supérieurs d'ordres religieux ayant des maisons dans les Etats
sardes, avaient envoyée de Rome à tous les archevêques et évêqucs

du royaume. « Dans nos tribulations, disaient-ils, vous vous êtes


fait le bouclier des lois portées par l'Eglise pour assurer, sous l'abri
des cloîtres, les vocations monastiques. »
Cette union du corps monastique et de l'épiscopat sous l'autorité
Ruprême du pape allait devenir plus que jamais nécessaire pour
faire face aux persécutions que les événements de i85o à i855 fai-

saient présager.

lY

Pie IX voyait avec tristesse ce mouvement national italien, qu'il Le Saint-Siège


. 1 .
. n •
n et l'Autriche.
avait espère naguère dominer par sa paternelle mlluence, se pour-
suivre dans les voies de la révolution et de l'impiété. Mais la puis-
sance qui s'opposait à ce mouvement, l'empire d'Autriche, protec-
teur-né de l'Eglise et du Saint Siège, ne lui ménageait pas, de son
côté, les sujets de plainte.
Sans doute, l'Autriche, par sa constitution de i848 et par son
concordat de i855, semblait vouloir abandonner définitivement les

traditions joséphistes d(3 sa bureaucratie ; mais ces mesures législa-


tives ne modifiaient pas sensiblement les dispositions foncières de la
cour de Vienne et de l'administration autrichienne ; et, de ce côté,
le pape trouvait encore de graves sujets de préoccupation.
La révolution de i848 avait eu son contre-coup en Autriche, et,

comme en France, les conséquences en avaient d'abord été heureuses


pour l'Eglise catholique.
A vrai dire, les émeutes révolutionnaires qui éclatèrent à Vienne Caractère

et dans les provinces autrichiennes, au printemps de 18^8, eurent


u Révolutio»
moins pour cause la revendication de droits politiques en faveur des de i84S

sujets de rempire, que la réclamation de l'indépendance des diverses


4o8 HISTOIRE GENERALE DE L i:nT,»«SE

nationalités, slave, hongroise, croate, albanaise, bohémienne, qui


formaient l'amalgame de l'Elat. Mais le mouvement, au moins
dans ses débuts, ne fut pas moins favorable à la cause des libertés
politiques, civiles et religieuses, qu'à celle des autonomies nationales.
Le lo avril i8/|8, l'empereur Ferdinand accordait à la Hongrie une
Assemblée siégeant à Pesth, capitale nationale, l'usage officiel de la
langue magyare, un suffrage élargi et, en principe, universel, l'abo-
lilion des rapports féodaux, l'égalité devant l'impôt. Le 25 avril, le

souverain promulguait à Vienne une Constitution copiée surle réirime


belge, établissant un parlement de deux Chambres, un suffrage
indirect et censitaire ^. La tyrannie de la vieille bureaucratie autri-
chienne semblait abolie à jamais.
La Cette même Constitution du 26 avril i848 supprima l'autocratie
Constitution
««tnVlifcnne ecclésiastique de l'Etat, jusque-là liée à la bureaucratie. Elle
du 20 avril garantit la liberté de la foi comme le libre exercice du culte ; et ce
i848.
principe de l'autonomie religieuse survécut à la Constitution elle-
même. En effet, il fut maintenu, même après la révocation de cette
Ses heureux Constitution par la déclaration ministérielle du 17 mai de la même
résultats
au point de année. François-Joseph, succédant à son oncle Ferdinand, le 2 dé-
ue religieux. cembre 1848, n'y porta aucune atteinte. Au début de l'année sui-
vante, le ministère Schw^arzenberg invita tous les évêques dépendant
de la couronne à se réunir à Vienne, pour entendre leurs proposi-
tions concernant les rapports futurs de l'Eglise et de l'Etat. Le
29 avril, vingt-neuf évêques, auxquels six autres vinrent bientôt se
joindre, commencèrent leurs délibérations, et, le i5 juin, ils en
transmirent le résultat au ministère. Par ordonnances des 18 et

20 avril i85o, le placet fut aboli, les relations avec Rome furent
déclarées libres, ainsi que le plein exercice de l'autorité disciplinaire
et du culte ; le contrôle légitime des évêques sur le haut enseigne-
ment fut garanti 2. Le joséphisme, semblait-il, avait vécu.
La chute de Metternich n'avait pas été étrangère à cette émancipa-
tion de l'Eglise catholique. L'on put croire que c'en était fini de
cette politique à double face, qui, secrètement, en vertu des tradi-
tions joséphistes, chicanait l'action de l'Eglise, et qui, publique-
ment, luttait contre la Révolution^. Le cardinal Schwarzenberg,

1. Hist. gén.y t. XI, p. log-iiô.


2. Hergenroether, Hist. de VEglise, t. VIT, p. 335.
3. « Depuis cinquante ans, a écrit Metternich lui-même, la situation morale d%
PIE IX ET LES DIVERS ÉTATS DE l'eLROPE ^OQ

archevêque de Salzbourg,Des millions de citoyens


écrivait : «

autrichiens saluent le nouvel ordre des choses, non seulement parce


quil leur garantit plus de liberté politique, mais parce qu'il promet
à l'Eglise catholique les mêmes impulsions de liberté » *.

nouvel empe- L'empereur


Cette impression optimiste ne devait pas durer. Le
reur, François-Joseph, de qui le long règne devait être marque par Joseph,
tant de tragiques aventures dont l'histoire doit lui faire porter la

lourde responsabilité, n'était point l'homme destiné à faire régner,

dans son royaume et dans l'Eglise d'Autriche, un régime de liberté.

Personnellement violent, autoritaire et sensuel, d'intelligence Son portrait,

moyenne, non sans finesse, mais sans envergure et sans élévation, il

était surtout, par suite d'une éducation systématique, qui n'avait eu


pour but que de lui inculquer les traditions, les manières d'agir et

de penser d'une dynastie, l'homme de cette dynastie, le Habsbourg,


politique.
le gardien d'un dépôt, d'un système de gouvernement dont il ne se ^'^

sentait comptable qu'à Dieu, à ses ancêtres et à ses héritiers ; ca


somme, moins un homme qu'un personnage, moins un caractère
qu'un anneau dans une chaîne *. Au point de vue religieux, Fran-
çois Joseph de Habsbourg-Lorraine, empereur d'Autriche et roi

apostolique de Hongrie, multipliera les témoignages publics de sa


piété et contribuera à donner une splendeur inouïe aux fêtes du
congrès eucharistique de Vienne en 19 12 ; mais il mourra, en 19 16,
sans s'être lavé de la responsabilité d'une guerre qui, suivant les
paroles du pape Pie X, a « ensanglanté ses cheveux blancs » ; et son
testament portera l'aveu public d'une inconduite qui a déshonoré son
fo}er jusqu'à ses derniers jours 3,

Sous son règne, les libertés publiques accordées par la Constitu-


tion de i8/j8 ne devaient pas longtemps subsister. Sa première
proclamation annonça l'intention de réunir tous les pays de la mo- Constitution
narchie en un grand Etat. Une Constitution, qu'il octroya, de son impériale
. ,
u , 1 •
du 10 mars
autorité propre, a tout 1 empire, le i5 mars 1849, ^^ accordait aux 1849.

l'Autriche est celle-ci elle est engagée dans une guerre secrète contre
: l Eglise,
tandis qu'elle se trouve en état de guerre ouverte contre la Révolution. » Metter-
Nicii, Mémoires, t. VII, p. ^\.
I. WoLFSGRUBBR, Joscph Othmar, cardinal Rauscher..,, Fribourg, Herder, 1898,
p. 98.
3. Voir René Pinon, François-Joseph dans la Revue des Deux Mondes du iC jan-
vier 1917 Henry WicKAM, la Monarchie des Habsbourg, trad. F. Roz, Paris. 191 4,
;

et r.ouis RisENMANN, le Compromis austro-honffrois, Paris, 190/1.


3. Au lendemain de la mort de François-Joseph, les journaux ont annonce (ju'il
laissait par testament un million à une ancienne aclrice, Mlle Catherine Schratt.
^10 HISTOIRE GENERALE DE L EGLISE

Retour au citoyens la liberté personnelle et religieuse, mais avec des restric-


gouvernement
personnel tions capitales. Elle proclamait les droits de toutes les nationalités,
(i849). mais sans en établir aucune garantie^ ». Celte Constitution ne fut
jamais appliquée. L'écrasement de la Hongrie, révoltée pendant l'été

de iS/ig, ramena dans l'empire le régime du pouvoir strictement


personnel, dont les deux caractères furent l'absolutisme dans le gou-
vernement et la germanisation dans les tendances ^.

En reprenant en bloc les traditions de sa dynastie, François-Joseph


reprit celles du joséphisme. Eu vain^ par un concordat conclu en
i855, rendit-il à l'Eglisejuridiction sur l'éducation, sur le mariage,
sur les actes de la vie civile qui intéressent directement la vie reli-

gieuse 3, « Les dispositions du concordat se heurtèrent aux habv


tudes joséphistes du clergé et aux traditions policières de la bureau-
cratie. Une partie du clergé séculier et régulier craignit, s'il cher-
chait un appui du côté du Saint-Siège contre les empiétements de
Persistance l'Etat, de subir le contrôle que ses mœurs, corrompues par la
de l'esprit
richesse, rendaient particulièrement nécessaire. L'Etat, lui, redoutait
joséphiste
dans qu'un clergé trop zélé pour le bien des âmes ne cessât bientôt d'être
rapplication
du concordat.
un instrument docile de la couronne et de la bureaucratie. L'esprit
joséphiste continua donc de régner dans l'Eglise officielle austro-

hongroise *. »

Malgré les Un autre sujet de tristesse était donné au pape par l'empereur
réclamations
François-Joseph. Malgré les exhortations pressantes de Pie IX, les
de Pie IX,
empereur troupes impériales maintenaient toujours la Lombardie et la Vénétie
continue
sous le joug oppresseur de l'Autriche ; et l'empereur restait sous le
à occuper
militairement coup des reproches sévères adressés par le souverain pontife à son
la Lombardie prédécesseur, lorsque, dans sa lettre du 3 mai, il suppliait Sa Ma-
et la Vénétie.
jesté apostolique de (( retirer ses armes d'une guerre qui, impuissante

I. Louis E1SENMA.NH, dans VHist. gén. de Lavisse et Rambaud, t. XI, p. 128.


a. La langue allemande devint la langue officielle de l'empire.
3 Voir le texte de ce concordat dans ÏAmi de la Religion du 29 novembre i855,
l. CLXX, p. 424-/i3i.
R. PiNos, op. cit., p. 63. Le concordat autrichien, composé de 36 articles,
4.
fut promulgué en consistoire par Pie IX le 3 novembre i855, et par l'empereur
d'Autriche le 5 du même mois. « Pie IX, voulant tirer de ce concordat tout le bien
possible, crut devoir adresser aux évêques de l'empire d'Autriche un bref, daté du
17 mars i856, où, louant le zèle et la prudence des vénérables prélats, il les presse
de mettre à profit les moyens que leur fournit la nouvelle législation pour préserver
leurs diocésains des funestes doctrines du rationalisme et de l'indifférence. Mais la
législation concordataire, après avoir été mal observée, fut d'abord en partie violée
par des lois sur le mariage et sur les écoles, puis brutalement abrogée par les
pouvoirs publics. » (A. Pougeois, Histoire de Pie /A", t. IV, Paris, 1880, p. 62.)
PIE IX ET LES DIVERS ÉTATS DE i/eUROPE 4i.

à conquérir les cœurs des Lombards et des Vénitiens », ne pourrait


aboutir qu'à « une domination sans grandeur et sans résultats

heureux, puisqu'elle reposerait uniquement sur le fer » ^.

Un dernier point noir obscurcissait l'horizon de la chrétienté, du


côté de l'Autriche. Malgré ses défaillances et ses fautes, la monarchie La PrusM
arrive
des Habsbourg représentait encore le cathohcisme. Or, depuis i848» à dominer et

la question se posait de savoir si sa puissance n'allait pas êlre liroteslantiseï


rAUemagne.
absorbée, dans le projet d'une nouvelle Allemagne, par la puis-

sance grandissante de la Prusse, ou même si elle ne serait pas


expulsée de la Fédération que la Prusse rêvait ; et le motif de ces
projets d'absorption ou d'exclusion de l'Autriche, était précisément
son catholicisme officiel . Ce que projetait déjà la monarchie des
Hohenzollern, ce n'était rien de moins qu'une ligue des souverai-
netés protestantes faisant front au catholicisme et front à l'Autriche -,

« Catholicisme et ennemi de la Prusse, écrivait Bismarck le 20 jan-


vier 1854, sont des termes synonymes ^ ». Il était visible que, si un
pareil rêve se réalisait, « l'Allemagne du lendemain n'aurait ni la

même configuration ni la même personnalité confessionnelle. Avec


l'Autriche au sommet, le corps germanique faisait figure catholique ;

amputé de l'Autriche et cherchant à Berlin son point d'appui, il

prendrait l'aspect d'une puissance protestante * ».

Le péril était d'autant plus grand que ce dessein d'une Allemagne Rôle
groupée autour de des sociétéi
la Prusse et régentée par elle, était celui que pour-
secrètes dan
suivaient depuis longtemps ces sociétés secrètes que nous avons vues les projets

travailler à la ruine de la foi catholique et au triomphe de la libre d'hégémonie


prussienne
pensée. et protestante

Les mémoires du général Lamarque montrent que ce plan était en Allemagne.


déjà fixé en 1826 s. Racontant l'entrevue qu'il eut, à cette date, avtc

Ami delà lieligionàxi 6 juin i8fi8, p. 66i.


I.
G. r.OTAU, l'Allemagne religieuse, le catholicisme, t. III,
a.
p. 18-19.
3. Bricfe Bismarcks an Leop. v. Gerlach, p. 121-134.
4. G. GoYAU, op. cit., p. i^.
5. Une lettre de l'impératrice Marie-Thérèse à sa fille, la reine de France, en
1778, et citée en 1868 dans un procès de presse fait à Darmstadt au joumai
Hessische Vollcsblaetter, ferait même remonter ce projet de dictature prussienne
sur
toute l'Allemagne à Frédéric II, le chef et propagateur des loges
maçonuiques en
4l2 HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLISE

le comte de B., il ajoute : u'U a trouvé le moyen de se faire rece-


voir dans toutes les sociétés secrètes de l'Italie et de l'Allemagne, et
il prétend que ces sociétés minent le terrain sur lequel repose l'ordre
iocial actuel. A l'entendre, les carbonari parviendront à leur but,
qui est de réunir toute l'Italie en une seule puissance. Ce désir
d'union est aussi un des grands buts de la Société teutonique en
Allemagne. Les nombres mystérieux de 87 et 38, qu'elle a adoptés,
signifient que sur les trente-huit princes quise partagent l'Allemagne,
il n'en faut conserver qu'un, qui établira le régime constitutionnel et
qui fondera la liberté. Quel est ce prince, qui doit succéder à tant
d'autres, et ne faire qu'un Etat de tant d'Etats? Il n'est connu que
des seuls adeptes du grand cercle directeur ^ . »

Le secret ne devait pas être bien difficile à pénétrer pour quicon-


que connaissait tant peu l'organisation des sociétés secrètes à
soit

cette époque. Frédéric-Guillaume III et ses ministres s'étaient enga-


Attache
gés à fond dans le Tagendbund, dont les tendances patriotiques
de la franc-
maçonnerie étaient si singulièrement mélangées d'idées maçonniques ; et, « de-
avec la
puis 182 1, toute la maçonnerie allemande convergeait vers Berlin ;
bureaucratie
prussienne. elle était devenue comme une branche de l'administration, conduite
à un but déterminé avec la raideur de main propre à la bureau-
cratie prussienne ^. »
Plan de lord
Ptiloierston.
En 1848, l'union de l'Allemagne fut sur le point de se réaliser.
La création d'un empire prussien, qui séparât la France de la Russie,
était l'objecLif de lord Palmerston. Le journal maçonnique le Globe,

dans son numéro du 18 août 18/19, exposa le programme de


l'homme d'Etat anglais démolition de a l'échafaudage arbitraire et
:

artificiel dressé par le congrès de Vienne », et reconstitution poli-

tique de l'Europe par « l'érection d'un royaume allemand vigoureux»

Allemagne, le grand correspondant des maçons de France « Tout le monde sait :

en Europe jusqu'à quel point on peut compter sur le roi de Prusse et quel cas on
doit faire de sa parole. La France a pu s'en apercevoir dans diverses circonstances.
Et voilà cependant le souverain qui a la prétention de s'ériger en protecteur et en
dictateur de r Allemagne. Ce qui est plus extraordinaire encore, c'est que les puis-
sances ne songent pas à s'unir pour prévenir un tel malheur, dont toutes, tôt ou
tard, auront à subir les conséquences funestes. Ce que je viens d'avancer concerne
toutes les puissances de l'EuropeL'avenir ne m'apparaît pas sous un jour riant...
Si l'on continue à laisser gagner terrain à ce principe prussien, qu'auront à
du
espérer ceux qui nous succéderont un jour ? » (Cité par Deschamps, les Sociétés
secrètes et la société, t. 11, p. 898.)
I. Mémoires du général Lamarque, Paris, i835, t. il, p. 4,
a. Dbschamps. op. cit., p. 4oo.
PIE IX ET LES DIVERS ÉTATS DE i/eUROPE /il3

dont la Prusse serait le centre ^ L'érninent évoque de Mayence a

. raconté qu'ayant été, à cette époque, élu député au parlement de


Francfort, un personnage de haut rang vint lui déclarer a que la Témoi^agê
principale mission du parlement était détendre jusqu'au Mein les j^jg^ KeUeler.
frontières de la Prusse », et que v( son devoir de député était de con-
courir à ce dessein ». « Je suis certain maintenant, ajoute le prélat, .

que cet homme n'énonçait pas une opinion personnelle, mais qu'il

s'était approprié la pensée d'une société secrète -. »

nous nous sommes un peu étendu sur cette question politique


Si
de l'hégémonie prussienne en Allemagne, c'est qu'elle devait avoir
(les événements postérieurs l'ont montré) une iniluence considérable

sur l'histoire religieuse du xix** et du xx.^ siècle. Substituer la domi-


nation de la Prusse à celle de l'Autriche en Germanie, c'était substi-

tuer l'influence protestante à l'influence catholique ; et fortifler, au


centre de l'Europe, l'empire allemand ainsi remanié, c'était favoriser
la propagande dans le monde de la religion de Luther.
Que ce plan ait été, dès 18/18, du
celui roi de Prusse Frédéric- Politique
Guillaume IV, c'est ce dont les documents privés et diplomatiques du roi
Frédéric-
de celte époque, publiés depuis lors, ne permettent plus de douter. Guillaume IV,
Le gouvernement de Berlin n'aura d'abord, dans sa politique inté-
rieure, que des sourires flatteurs pour les catholiques il leur accor- ;

dera même de vraies libertés, à tel point que lEglise, un moment


trompée, indiquera aux divers souverains le roi de Prusse comme
un exemple à suivre. Mais les faveurs accordées dans le domaine de
la politique intérieure n'ont souvent été, pour les pouvoirs despo-
tiques, que le moyen de voiler les attentats tramés par leur politique
extérieure 3. Cette dernière, par sa nature même, échappe facilement
aux regards de l'opinion, qui ne s'aperçoit que trop tard de sa dé-
ception *. Pourtant, dès i854, les Feuilles liistorico-poliliqaes de

1. On trouvera l'article entier du Globe dans Eck.bht, la Franc-maçonnerie dans sa


véritable signijîcalion, trad. Gjr, Liège, i854, t. 11, p. 24G-347, et dans Descii.vmp»,
op. cit., t. II, p. 3i3-3i4.
a. Kettelek, l'Allemagne après la guerre de 1866, trad. Belet, p. 3t)ets.
3. Au début de son règne, Napoléoti III donnera satisfaction au parti conservateur
en Taisant
respecter la religion, la propriété et l'ordre public, tandis que sa poli-
tique extérieure sera contraire aux intérêts religieux et toujours inspirée par le
sentiment qui lui avait fait signer en i845, un projet d'unification de l'Alleniaguc.
(Noir le document dans Dksguamps, op. cit., t. II, p. Aoi-4oj.) Mais la politique
de 1 empereur français sera moins suivie en ce sens elle aura d'heureux retours ea;

arrière ; ne peut entrer en parallèle avec celle du roi prussien,


elle
à. Des hommes comme Ketteleret Dicpenbrock espéraient encore en iSôa une
JI^ HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'rGMSE

Municli n'hésitaient pas à écrire que, partout où il y avait occasion


de léser ou de maltraiter l'Eglise, « on devait suspecter l'influence
prussienne, l'intérêt prussien, les pensées d'hégémonie prussienne »*.
Première étape Ce serait une erreur de croire que l'exclusion définitive de l'in-
de
la campagne fluence catholique cq Allemagne, au profit de l'influence protes-
entreprise tante, date de l'écrasement de l'Autriche par la Prusse en 1866. Le
pour la
prolestantisa-
Sadowa militaire fut précédé d'un Sadovva intellectuel. « Entre son
tion de accablement àOImuetzetson triomphe à Sadowa, écrit l'historien de
TA île magne :

« conquête
V Allemagne religieuse, la Prusse gagna sur l'Autriche, progressive-
iî l l'ectuelle » ment, insensiblement, sourdement, une première victoire, d'abord
de la Bavière.
inaperçue des états-majors et même de beaucoup de diplomates.
Cette victoire, obtenue sur les bords de l'Isar, fut la conquête mo-
rale, non plus du peuple bavarois, mais de l'intelligence bavaroise,
et la formation à Munich d'un parti libéral-national » nettement
f<

hostile au catholicisme et nettement hostile à l'Autriche. Ce fut là le


résultat du règne de Max. Des légendes même coururent, suivant
lesquelles le roi, personnellement, aurait failli donner un bruyant
exemple si Dahlmann, son ancien professeur à Gœttingue, ne l'en
:

eût dissuadé, il se serait fait protestant. Il aurait brigué, par surcroît,


l'initiation maçonnique, sans les conseils du ministre Sfordten, qui
la jugeait inopportune. Enchaîné a la religion catholique par sa
dignité royale, par les précédents de sa maison, par les susceptibilités
de son peuple, Max prit sa revanche en s'entoufant de conseillers
qui tous appartenaient au protestantisme 2. » Un de ces conseillers
fut le célèbre historien Henri de Sybel, qu'un écrivain dépourvu
de toute sympathie envers le catholicisme n'a pas craint d'appeler
« un Homais du patriotisme » ^. « Etre ultramontain et patriote

allemand, écrivait Sybel en 1847» ^^^^ deux choses qui s'excluent*. »


Arrivée En cette même année 1847, l'arrivée aux affaires de celui qui
aux affaires
Bismarck question de l hégé-
devait être le prince de faisait entrer la
d'Otto
de Bismarck monie prussienne en Allemagne dans la voie des réalisations pra-
(i847).
tiques.
Olhon-Edouard-Léopold de Bismarck-Schœnhausen était né à
Schœnhausen, dans la Vieille -Marche de Brandebourg, en i8i5. A

intervention du roi de Prusse en faveur des catholiques de Bade, Pfuelf, Ketleler^


t. I, p. aSa, note i ; Goyau, V Allemagne religieuse, ù catholicisme^ t. IV, p. 28.

1. Cité par Gotau, op. cit., t. III, p. 18.

2. Ibid., p. 24-20.
3. Ernest De:«is, la Fondation de V empire allemand, p. i32-i33.
4. GuiLLATïD, C Allemagne nouvelle et ses historiens, Paris, 1900, p. 169.
PIE IX ET LES DIVERS ÉTATS DE l'eUROPE 4»5

Bismarck.
trente deux ans, il avait déjà cette attitude autoritaire, cet air roide
•^
, , , .
T Son portrait.
et sec, ce regard dur, et, sous la moustache épaisse, ce pli sarcas-

tique des lèvres, qui ne que s'accentuer avec l'âge, lorsque les succès
fit

de ses entreprises ajoutèrent à sa physionomie une expression d'or-


gueil satisfait et de triomphe féroce. Le moral répondait au phy-
sique. Ses lettres, comme ses discours, abondent en images fortes, en
ripostes nettes, en saillies brutales. Sceptique et cynique, il mépri-
sait les hommes, et avait l'habitude de dire que tous étaient à vendre
pourvu qu'on y mît le prix. Il affirmait avec beaucoup de force, sa
croyance en Dieu mais il se débarrassait facilement du fardeau de la
;

morale. « Les scrupules ne l'arrêtaient pas plus que les rancunes ;

les traités n'étaient pour lui que des combinaisons momentanées, et il

les jugeait épuisés aussitôt qu'il en avait tiré tous les avantages dési-
rés ^ » « Les conflits, disait-il, deviennent des questions de force.
Celui qui a la force en main va de l'avant. » C'est cette parole que
le comte Schwerin précisa dans la formule célèbre : a La force

prime le droit ». Chrétien à sa manière, Bismarck était, à coup sûr,

plus Allemand que chrétien, et plus Prussien qu'Allemand. Il était

prêt à tout subordonner à son double objectif: la domination de la

Prusse sur l'Allemagne et la domination de l'Allemagne sur le Sa politique,

monde. « L'importance matérielle de la Prusse, disait-il, ne corres-


pond pas à son importance intellectuelle... L'histoire de la Prusse
depuis cent ans ne représente qu'une série d'occasions manquées. »

En parlant d' «occasions manquées », il faisait allusion à la négli-

gence que la Prusse aurait montrée, selon lui, à établir son hégé-
monie en Allemagne. Aussi, à peine arrivé au pouvoir, le vit-on aller
droit au but, foncer sur ses adversaires avec une audace impertur-
bable. A la Diète, le représentant de l'Autriche avait des preroga- Son
ï™P^'"^j^'"babie
tives exceptionnelles.
^ Il avait seul,' entre autres ^
privilégies,
o le droit
audace.
d'y fumer. Bismarck y apporte un long cigare, et ose demander du
feu à l'ambassadeur autrichien. Tout Bismarck est là, dans ce mince
détail. L'incident du cigare lui conquiert un prestige parmi les diplo-
mates. Désormais, il n'est rien qu'il n'ose tenter. « L'unité de Son plan:
l'Allemagne, a-t-il écrit dans un rapport célèbre, sera réalisée, non 'V^^jl^^Jj^"
par des discours ni des décisions de majorité, mais par le fer et le allemande
^^^^^^
sang, Jerro et saïKjaiae. » Cette unité, en ctfel, se réalisera pai' trois

\. Ernest Dbnis, Hist. (jt'n.^ t. XI, p. 3i8.


âi6 HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGMSE

guerres : par la défaite du Danemark en 1864, par l'écrasemeiit de


l'Autriche en 1866, et par la victoire remportée sur la France en
1870-1871.

VI

Attitude En présence de tels desseins, quelle avait été l'attitude des catho-
des catholiques
liques allemands? La plupart d'entre eux acceptaient volontiers,
allemands.
prônaient même avec enthousiasme l'idée d'une unification de l'AUe-
magne. Mais ils repoussaient l'idée d'une Allemagne unifiée qui
aurait Berlin pour capitale et qui exclurait ou absorberait l'Autriche
Leur catholique. Le député rhénan Auguste Reichensperger se fit l'élo-
conception
de 1 unité
quent défenseur de cette conception, qui opposait à la u Petite Alle-
allemande. magne » protestante une «
Grande Allemagne » catholique par ses
éléments et par ses visées. Plus tard, une nouvelle idée se fera jour
parmi les catholiques, comme plus conforme à l'état des esprits et
comme plus facilement réalisable : celle d'une unité allemande fon-
dée sur la liberté des Eglises. Mais la situation faite au catholicisme
était si différente dans les diverses souverainetés, qu'elle doit être
l'objet d'une étude particulière pour chacun des principaux Etats.
Le En Prusse, l'attitude des catholiques fut d abord hésilante,
catholicisme
en Prusse.
anxieuse. D'une part, en entendant des hommes d'Etat comme Bis-
marck affirmer si haut l'alliance, l'identité de l'idée prussienne et de
l'idée prolestante, ils se demandaient s'ils n'allaient pas subir le sort

de leurs frères belges aux Pays-Bas et de leurs frères irlandais en


Angleterre. D'autre part, les libertés accordées en Prusse aux catho-
liques semblaient faites pour les rassurer.
; Le statut de lEglise catholique en Prusse venait, en effet, d'être
La réglé par la Constitution même. L'acte constitutionnel de i848 avait
Constitution
de i848 et
proclamé l'autonomie des Eglises. Les évêques prussiens avaient aussi-
celle de i85o tôt profité de cette déclaration pour correspondre librement avec le
accordent
pape et pour conférer les bénéfices ecclésiastiques de leur propre
. la liberté à
l'Eglise autorité. La Constitution du 5 février i85o confirma ces libertés.
catholique.
L'article 12 portait que « l'Eglise évungélique, l'Eglise romame et

les autres sociétés religieuses étaient libres d'organiser elles-mêmes


leurs affaires ». L'article i3 leur permettait de communiquer libre-

ment avec leurs chefs. L'article i5 dépouillait l'État prussien de son


droit d'intervention dans les nominations ecclésiastiques.
PIE IX ET LES DIVERS ETATS DE L EUROPE 417

Ces dispositions favorables à l'Eglise romaine avaient été inspirées


j)ai' des vues politiques, plutôt que par un esprit de bienveillance
envers le catholicisme. Elles faisaient partie d'une constitution libé-
rale, issue, en Prusse comme ailleurs, du mouvement libéral de
1848. D'ailleurs, la Prusse, pour faire triompher son dessein de
domination sur l'Allemagne, avait besoin de se conciher d'abord les

sympathies du parti catholique, d'où pouvaient lui venir les oppo-


sitions les plus redoutables. Mais ces habiles calculs, que des évé-
nements postérieurs ont clairement mis à jour, n'étaient pas bien
visibles. Les catholiques de Prusse, la cour de Rome elle-même

purent s'y tromper.


Sans dissimulation ni réticences» l'Eglise de Prusse s'abandonna à Joie des
catholiques.
la joie. (( Pie IX lui donna deux cardinaux, Diepenbrock, de Bres-
lau, et Geissel, de Cologne. Elle assistait, surprise et reconnaissante,
aux honneurs que recevait à Breslau le nonce de Vienne, Yiale-Prelà,
lorsqu'en novembre i85o il portait à Diepenbrock les insignes cardi-

nalices. Dans cette Prusse qui, si longtemps, avait repoussé, comme


un messager de l'antéchrist, tout envoyé du pape, militaires et
fonctionnaires s'associaient officiellement aux pompes qui fêtaient
Viale-Prelà. A Berlin môme, pour la première fois depuis la Réforme,
une procession de Fête-Dieu, conduite par le curé Ketteler, se dérou-
lait tout le long des Tilleuls, a Le mouvement de l'Allemagne
vers le catholicisme, lisait-on dans Civlltà Cattolica, est aujourd'hui
si fort, que les peuples et les gouvernements cèdent à une impulsion
commune, sans peut-être s'en rendre compte eux-mêmes ^ »
u Beaucoup des grandes œuvres charitables dont l'Allemagne catho-
lique se glorifie datent de ces premières années de liberté : tel, par Heureux
exemple, à Berlin, l'hôpital Sainte-Hedwige, fondé pour cinquante résultats
de la liberU
malades en i8/|6, et qui fut, en [85i, réorganisé parle curé Ketteler de l'Ëglisê.
dans une bcUisse nouvelle, et tout de suite pourvu de trois cents lits ;

telle, à Munster, la P'raternité de Saint- Vincent-de-Paul, qui, dès


18/19, groupait i.3oo catholiques de bonne volonté pour aviser au
])lacement des jtauvres enfants. Le seul diocèse de Cologne abrita
des lazaristes dès iSji, des franciscains dès i853. Les jésuites les
avaient devancés. Leur premier noviciat s'ouvrit en Westphalie en
i85o. De grandes missions s'inaugurèrent. Celles de Cologne en
i85o, de lieidelbcrg en i85i, de Francfort en 1802, d'Augsbourg

1. Civillà catlolica, i-i5 décembre i85i, p 707-709.


Ilisl. géu. de 1 Eglise. - \ III 37
/ii8 HISTOIRE GENERALE DE L ÉGLISE

en i853, remuaient profondément l'Allemagne religieuse ^. » De


nobles esprits abjuraient le protestantisme et venaient grossir le

nombre des apologistes de l'Eglise romaine. De ce nombre étaient la


célèbre comtesse Ida de Hahn-Hahn, et le futur sociologue Vogelsang,
qui devait fonder en Autriche l'école chrétienne sociale. Une grande
association fut fondée, sous le patronage de saint Boniface, qui eut
pour but de grouper les catholiques, de coordonner leurs efforts et de
soutenir pécuniairement leurs œuvres d'apostolat.
\larmes En donnant la liberté à l'Eglise catholique, Frédéric-Guillaume IV
des
protestants.
ne s'était sans doute pas attendu à de tels progrès. L'Eglise protes-
tante s'alarma. « 11 faut être aveugle, écrivait en i85i la Gazette de
la Weser, pourne point voir quels périls court le protestantisme -. »
En août i852. l'assemblée de la Société Gustave-Adolphe ^ appela
l'attention des protestants sur la gravité de la situation. En septem-
bre, le congrès protestant de Brème vota une déclaration semblable.
Attitude Les catholiques se disaient qu'ils avaient pour eux là Constitution,
des
catholiques.
et que toucher à la Constitution ce serait ameuter contre le gouverne-
ment tout le parti libéral ; que le roi n'oserait rien tenter de ce côté.
Par suite, ils étaient amenés souvent à combattre côte à côte avec les
libéraux, parfois même à se coaliser avec eux, pour défendre, contre
les interprétations trop étroites des conservateurs, le texte de l'Acte qui

Ils se placent leur avait donné la liberté. Gomme le faisaient, en ce moment même,
sur le terrain les catholiques de France dans leur campagne pour la liberté d'ensei-
de la
Constitution gnement, les catholiques d'Allemagne, tout en réprouvant le libéra-
et du droit lisrnedoctrinal, se plaçaient hardiment sur le terrain de la ConstitutioQ
commun.
libérale et du droit commun *. Ils ne réclamaient aucun droit pour
eux-mêmes qu'ils ne le réclamassent en même temps pour autrui. Au-
guste Reichensperger intervint plus d'une fois à la Chambre pour défen-
dre les droits lésés des protestants ^. Cette politique lui valut, à lui et
à ses collègues catholiques de la Chambre, une vraie popularité. En
1802, le groupe des députés catholiques siégeant à la Chambre
prussienne, au nombre de soixante-dix, était une puissance politique
avec laquelle il fallut compter. *

1. G. GoYAu, 180-191.
op. cit., t. III, p.
2. Cité par la aoùt-ic septembre i85i.
Civiltà callolica, 11
3. Eu 1843, la Société Gustave-Adolphe s'était fondée pour «soutenir en terre
catholique les petites chrétientés protestantes ». Le roi de Prusse en avait accepté
le protectorat.
4. Pastor, Reichensperger^ t. I, p. 337-338, 356,

5. GoYAU, op. cit.^ t. III, p. 246-248,


PIB IX ET LES DIVERS ÉTATS DE l'eUROPE l\ig

La Constitution était toujours leur point d'appui, leur grand argu-


ment. Ils ne songeaient pas qu'à côté du roi de Prusse, un ministre
sans conscience, Bisnriarck, se sentirait peu gêné par un texte consti-
tutionnel, le jour où il croirait que la raison d'Etat lui demanderait
de l'enfreindre ; qu'il avait déjà élaboré sa fameuse théorie des
« lacunes constitutionnelles' ». Elle consistait à se placer habilement
dans lin cas qu'il présentait comme non prévu par le texte constitu-
tionnel, et, dès lors, à le résoudre à sa guise *.

Pour Bismarck, d'ailleurs, un principe dominait la Constitution,


à savoir que l'Etat prussien était un Etat protestant. A ce titre, il
n'était pas admissible qu'il laissât se former dans son sein un grou-

pement de catholiques qui pourraient constituer un Etat dans l'Etat.


La Prusse ne pouvait souiTrir que l'Eglise romaine vécût chez elle Politique

suivant ses propres lois. Au surplus, pour Bismarck, l'alliance d'un j^ Bismarck,
certain nombre de protestants libéraux avec la fraction catholique
était impardonnable. Il conçut le plan machiavélique de compro-
mettre, l'un par l'autre, les deux partis. Le mot d'ordre fut donné de
déconsidérer auprès du peuple les protestants libéraux comme alliés

aux jésuites, et de dénoncer en cour de Rome les catholiques


comme compromis dans le mouvement libéral.

Ce n'étaient là que des préliminaires. Ce que Bismarck voulait,


c'était la ruine complète, ou du moins l'asservissement absolu du
catholicisme en Allemagne. « Avec les ultramontains, disait-il, toute
concession fait l'efTet d'un acompte, d'un encouragement *... L'es-
prit envahisseur qui règne dans le camp catholique nous forcera à
livrer une bataille rangée ^. »

Frédéric-Guillaume IV finit par entrer dans ces vues. Ce prince. Attitude

sincèrement opposé au rationalisme incroyant et au panthéisme ^ ..,


"J^
hégélien, dont il redoutait les conséquences au point de vue moral,
avait voulu élever, contre ces théories dangereuses, une digue effi-

cace en reconstituant sur des bases solides le protestantisme alle-


mand. Or, deux tendances se manifestaient parmi les théologiens de
la Réforme. La a théologie de conciliation ou )> « théologie unio-
niste », édifiée sur les bases posées par Schleiermacher et Neander,

I. C'est ainsi que la Chambre ayant manifesté son mécontentement île la poK-
tique royale par le refus du budget, Bismarck passa outre, et gouverna contre U
majorité, déclarant hardiment que la Constitution n'avait pas prévu le cas où le
parlement refuserait à TEtal les ressources nécessaires,
a. Bis^i.vRCK, p. 129.
3. /6^(i., p. 125.
420 HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLISE

Existence tâchait de trouver un juste milieu entre les théologiens luthérien!


de deux
confessionnels et les théologiens libéraux, enclins au rationalisme.
courants
dans le pro- Elle travaillait à faire prévaloir ses idées par la Bévue de la Science et
testantisme.
de la Vie chrétienne, fondée en i85o. D'autre part, la « théologie
néo-luthérienne » s'efforçait de faire prévaloir les dogmes du luthé-
ranisme primitif, en leur donnant une forme accommodée à l'esprit
du siècle. La théologie néo-luthérienneprévalait dans les universités.
Le roi de Prusse avait cherché d'abord à maintenir la paix entre
les deux partis protestants par une politique de bascule. Tantôt il

donnait satisfaction au parti de la confession luthérienne par des


concessions, tantôt il essayait de le restreindre. Tl était fatigué de ces
Ils trouYent
une base fluctuations, quand, en i852, le congrès de Brème lui fit entendre
d'entente
dans la lutte
brutalement que le seul vrai terrain d'union entre les protestants était
contre le la lutte contre Rome. C'était reprendre une idée chère à Bunsen,
caiholicisme.
selon qui une vaste société évangélique devait s'organiser pour faire
contre-poids à l'Eglise de Rome *.

Le premier acte de la politique d'oppression contre l'Eglise catho-


lique fut la concession à l'Eglise évangélique d'une série de faveurs

Négociations
budgétaires ^. Ce fut ensuite l'entreprise de négociations occultes
avec le entre le Saint-Siège et le gouvernement prussien, dans lesquelles on
Saint-Siège.
faisait espérer au pape la conclusion d'un concordat. Au printemps de

Double jeu i853, Manteuffel parut même vouloir mettre au service du Saint-
de Bismarck. Siège l'influence politique de la Prusse sur les autres Etats de
l'Allemagne. Soit que la diplomatie romaine eût deviné le double
jeu de la diplomatie prussienne ^, soit que d'autres courants eussent
prévalu à Berlin, ces négociations cessèrent brusquement en i854.
Il n'y avait pas à en douter : Bismarck donnait « une sorte de répé-

tition de la comédie diplomatique qu'il jouerait plus tard comme


chancelier de l'empire, et par laquelle il essaierait de susciter contre
le centre un blâme du pape * » .

Origines On peut placer à cette date de i854 le commencement de la lutte


du de la Prusse contre le catholicisme, lutte destinée à devenir si reten-
Kulturkampf,
tissante sous le nom de Kaltarkampf. Elle trouva les catholiques

1. Sur l'organisation du protestantisme allemand pendant le règne de Frédéric-


Guillaume IV, voir Hergenrqether, Hist. de l'Eglise, t. YIII, p. 66-78.
2. GoTAu, op. cit., t. III, p. 305 et s.
3. Au moment où Manteuffel faisait les avances dont nous venons de parler,
Bismarck, au nom delà Prusse, dissuadait le grand-duc de Bade de s'entendre avec
Rome pour une pacification religieuse.
4. GoYAU, op. cit.^ t. 111, p. 272.
PIE IX ET LES DIVERS ÉTATS DE L EUROPE 421

prêts à la résistance ; et cette résistance, un homnne de


dirigée par

haute valeur, fut à la fois habile et courageuse. Jusqu'au jour où un


orgueil national exagéré en altéra la fière indépendance, elle valut
aux catholiques allenriands l'honneur d'être proposés comme des
modèles aux catholiques des autres nations.

VII

dans duché de Le
Dans grand-duché de Hesse-Darmsladt,
le le
catholicisme
Nassau, dans le royaume de Wurtemberg, dans le grand-duché de dans les Elats
Dans le dernier de ces Etats en par- rhénans.
Bade, la lutte avait déjà éclaté.
ticulier, elle avait atteint une tragique intensité.
Hostilité
Non seulement les cours de Darmstadt, de Wiesbaden,de Stuttgart
de ces Elats
et de Karlsruhe n'avaient pas suivi, en iSliS, l'exemple de la Prusse, conlreTEglise.
mais elles s'étaient concertées depuis 1820 pour maintenir une
même politique religieuse ; et cette politique était celle d'une bu-
reaucratie tracassière et tyrannique. Le souverain, chef suprême de
l'établissement protestant, y revendiquait les mêmes attributions sur

l'Eglise catholique. Le vieil esprit joséphiste y prévalait complète-


ment.
C'est dans la Hesse-Darmstadt que s'ouvrit, en l'été de i85o, la
Dans
laHesse-
lutte des catholiques pour la conquête de leurs libertés, sous la con- Darmstadt.
duite du vaillant évêque de Mayence, Ketteler.
Né à Munster, en 18 11, le baron Guillaume-Emmanuel de Ketteler Emmanuel
de Ketteler,
avait d'abord porté l'habit brodé de conseiller référendaire à la cour évêque
de Saxe. Les persécutions exercées, de i834à i838, contre les catho- de Mayence
(1811-1877).
liques, lui firent prendre conscience de sa vocation ecclésiastique.
En 18/ii, âgé de 3o ans, il commença ses études théologiques. Or-
donné prêtre en i844, il fut d'abord nommé vicaire à Beckum, Son ministère
pastoral.
petite ville de 4.000 habitants, puis fut chargé, en i846, d'admi-
nistrer comme curé la paroisse rurale de Hopsten, qui comptait
à peine 2.000 âmes. Pendant près de quatre ans, Emmanuel de
Ketteler fut le modèle des prêtres de campagne, préludant par la
pratique des œuvres aux doctrines sociales dont il devait être le
hardi théoricien. Les électeurs de i848 le firent entrer au parlement
de Francfort. Dans une longue Lettre ouverte à ses électeurs, il s'était Ses idées
politiques
montré nettement opposé à la politique centralisatrice, u Tant que et sociales.
la famille et la commune peuvent se suffire, disait-il, on doit leur
422 HISTOIRE GKNERALE DE L EGLISE

laisser leur libre autonomie. Que le peuple régisse lui-même les af-
faires communales : un apprentissage de la vie politique, et
il y fera
acquerra la capacité que donne à l'homme le sentiment de sa res-
ponsabilité. » Le nouveau député alla s'asseoir à l'extrême-gauche, et
demanda « le plus de liberté possible pour tous, y compris les catho-
liques » ^.

Ketteler, cependant, avait peu de confiance dans les combinaisons


purement politiques. Pour lui, la question politique était primée par
la question sociale, et celle-ci par la question religieuse. Ce fut la
doctrine qu'il professa, en novembre et décembre i848, dans six
sermons éloquents prononcés à Mayence 2, après avoir donné sa dé-
mission de député pour se consacrer exclusivement aux fonctions de
son ministère sacerdotal. Peu de temps après, Ketteler était appelé à
diriger l'importante et unique paroisse catholique de Berlin, établie
sous le patronage de sainte Hedwige. Il se dépensait sans compter
dans la capitale de la Prusse, comme il l'avait fait dans l'humble
village de Hopsten, quand le choix de Pie IX le fit monter sur le

siège épiscopal de Mayence, jadis illustré par le grand apôtre de


l'Allemagne, saint Boniface 2.

n est promu A peine installé, en juillet i85o, le nouvel évêque déploya, dans
évêque
de iMayence l'exercice de sa charge, l'activité apostolique que pouvaient faire pré-
(i85o). voir ses précédents travaux . La fondation d'un grand séminaire et de
retraites pastorales annuelles réveillèrent l'esprit sacerdotal, depuis
longtemps assoupi. Des congrégations d'hommes et de femmes, des
confréries, des associations charitables, bravant les tracasseries du
Les œuvres joséphisme, se fondaient ici et là. Ketteler allait, d'un bout à l'autre
de son
de son diocèse, éveiller le zèle des uns, dissiper les malentendus ou les
épiscopat*
conflits des autres, soutenir tout le monde de ses conseils. Ce sei-
gneur féodal avait, dans le premier mandement qu'il avait adressé à

ses ouailles, fait devant elles le vœu de pauvreté et ce vœu, il le ;

tenait ostensiblement.
Les progrès du catholicisme dans le diocèse de Mayence com-
mençaient à soulever les protestations des protestants et à inquiéter

la bureaucratie du grand-duché de Hesse. Sans se préoccuper outre

1. J. LiOKNET, Un évêque social, Ketteler, un vol. in- 12, Paris, 1906, p. 25.
a. Voir ces discours dans Decurtins, Œuvres choisies de Myr Ketteler, Bâle, 1892;
LiONNET, op. cit.. p. 28-89, ^^ donne le résumé.
3. Voir dans Goyau, op cit., i. IV, p. 11- 12, comment Pie IX, passant outre aux
volontés du chapitre de Mayence et de la cour de Hesse Darmstadt, désigna Ketteler.
Cf. LiOMNET, op. cit., p. 43-44»
PIE IX ET LES DIVERS ÉTATS DE l'eUROPE A23

mesure de ces agitations et de ces inquiétudes, i'ardcnt prélat rêvait Pour répondre
à la coaiilion
d'étendre son action au delà de son diocèse de Mayence. Si les sou- des Etats
verains se concertaient pour le maintien de leur politique religieuse, de ia province
rhénane,
pourquoi les évoques ne se fédéreraient-ils pas, de leur côté, pour la
il propose une
défense des droits de l'Eglise i*

fédération
des évêques
Les évoques rhénans, sous la conduite de leur vénérable métro- de cette
politain, l'archevêque Vicari, de Fribourg-en-Brisgau, répondirent province.

à son appel.

VIÏI

Hermann de V'icari, né en 1778, avait alors près de quatre vingts Dans le


grand duché
ans. Tout jeune, il avait été installé dans les bureaux de la chancel-
de Bade.
lerie épiscopale de Constance; plus tard, à Fribourg, sousl'épiscopat
de l'archevêque Demeter, il avait courageusement soutenu la cause du Hermann
de \icari,
droit canonique dans la question des mariages mixtes, u C'était un archevêque
prêtre pieux, d'humeur douce, prompt aux élans de gaieté, plus de Frihourg,

prompt encore aux élans de charité. Sa charité n'avait aucunes


bornes sa bonhomie n'avait aucuns dessous ^ » On eût étonné son
; Son portrait.

entourage, on l'eût sans doute étonné lui-même si on lui eût prédit,


au moment où il répondait à l'appel de Ketteler, que l'affaiie dans
laquelle il s'engageait le mènerait à jouer bientôt le rôle d'un con-
fesseur delà foi.
En i85o, un de ses prêtres, le professeur Ilirscher, avait invité la
Chambre Haute de Bade à suivre l'exemple de la Prusse et à fournir
à rarchevêque de Fribourg les fonds nécessaires pour la création des
séminaires dont il avait besoin. La Chambre Haute l'avait applaudi ;

mais la seconde Cliambre, obéissant peut-être à des sollicitations


gouvernementales, avait opposé une fin de non-recevoir à sa dc-
maude.
Quand, au mois de mars i85i, les évêques de la province ecclé- Les évoques
siastique du Rhin, encouragés par un Bref que leur avait adressé' de la province
ecclésiastique
Pic IX le 26 juillet i85o, se réunirent à Fribourg sous laprésidence du Rhin
se réunissent
de leur métropolitain, Hermann de Yicari, ils se préoccupèrent des
à Fribourg
incidents du parlement de Bade, comme de tous les dénis de justice (i85o].
et de toutes les tracasseries administratives qu'ils avaient eu à subir

I. GOYAL, IV, 38,


4:^4 HISTOIRE GE?fERALE DE L ÉGLISE

de lapait des petits Etats encadrés dans la circonscription ecclésias-


Ils rédigent tique qu'ils représentaient. Le résultat de leurs délibérations fut un
un mémoire
sur la situation
mémoire que chacun d'eux présenta à son gouvernement respectif.
faite à leurs Ils demandaient qu'on les rendît maîtres de l'éducation de leurs clercs,
Eglises.
qu'on leur permît de fonder des écoles catholiques, qu'on les laissât
administrer les biens de l'Eglise sans entraves.
Onze mois aucun des gouvernements n'ayant donné une ré-
après,
Deuxième ponse à leur mémoire, les évêques se réunirent une seconde lois à
assemblée
de Fribourg Fribourg, et protestèrent ouvertement contre « un système dont la
(i85i}. pratique entraînerait la ruine de l'Eglise dans la province ». Les Etats
rhénans virent dans cette formule le début d'une lutte ouverte contre

leur politique religieuse. Ils ne se trompèrent pas. Dès le mois de


mai i85i, Kelteler, en vertu de l'indépendance que le droit naturel et

le droit divin assurent à l'exercice de tout pouvoir purement spirituel,

avait ouvert un séminaire sans demander aucune autorisation au


gouvernement hessois. En mai 1862, le ministère badois ayant de-
mandé à l'archevêque de Fribourg un service funèbre pour le grand-
duc Léopold, mort protestant, Vicari refusa de célébrer le service, en
alléguant des lois de l'Eglise catholique. Le gouvernement, irrité,

essaya de peser sur les prêtres. Sur 800, 740 lui opposèrent le même
refus que leur archevêque.
Les Etats Le 5 mars 1 853, les quatre gouvernements de Hesse, de Nassau,
de Hesse,
de Nassau, de Wurtemberg et de Bade se résolurent à répondre aux mémoires
de Bade et de épiscopaux de i85i et de 1862. Ils rejetaient, en bloc et en détail,
Wurtemberg
rejettent les toutes les demandes. Vicari répliqua à cet acte gouvernemental en
réclamations signifiant au ministère badois que les évêques catholiques étaient
des évêques.
résolus à gouverner librement leurs diocèses, à administrer librement
Les évêques les biens ecclésiastiques. Presque en même temps, Ketteler disposait
administrent
leurs diocèses au gouvernement de Darmstadt Blum,
des cures sans en référer ;

sans évêquede Limbourg. agissait de même sans prévenir le grand-duc de


se préoccuper
des lois Nassau ; les Wurtemberg prenaient la même attitude.
évêques de
restrictives
Le grand-duc essaya de couper court au mouvement d'indépen-
que leur
opposent dance en promulguant, le 7 novembre i853, un décret prescrivant
ces Etats.
qu'« aucune ordonnance rendue par l'archevêque de Fribourg ne
serait reconnue en aucune façon, si la publication n'en était
pas ex-

pressément autorisée par lui, grand-duc de Bade, ou par un commis-


saire spécialement nommé par lui. Le 11 novembre,
Vicari répondit

en excommuniant nommément le commissaire royal, nommé Burger.


Le gouvernement défendit de lire en chaire la sentence épiscopale,
PIE IX ET LES DIVERS ETATS DE L EUROPE 425

et essaya de terroriser le clergé et le peuple en procédant à un grand


La population badoise, malgré l'insuflisance Le
nombre d'arrestations.
gouvernement
d'un clergé trop soumis aux influences gouvernementales, étaitrestée badois procède
Cbez à de
très pieuse. La persécution raviva le zèle des attiédis. « les
nombreuses
bons catholiques, écrivait le. publicisteAlbanStolz, c'est à peu près une arrestations

Envain gouvernement eut-il recours de prêtres et


gloire d'avoir été emprisonné. » le
de fidèles.
à l'une de ces habiletés basses qui déshonorent un régime. On fît dire

aux jésuites qu'ils seraient épargnés s'ils blâmaient les actes de l'ar-

chovôque. Les jésuites pré fêlèrent déserter Fribourg que déserter la

cause du chef du diocèse ^. Le vieil évêque semblait rajeuni dans la


Courageuse
lulle. Pour répondre aux adresses que lui adressaient des catholiques
altitude
de toutes nations de l'Europe 2, il trouvait des paroles dignes des de Mgr Vicari.

Atlianase, des Ghrysostome et des Hilaire. Il avait des mots émus


que Dœllinger ne pouvait entendre sans pleurer. Des protestants
indépendants, tels que Léo et Gcrlach. savaient gré à Vicari d'avoir

osé dire que « les choses d'Eglise ne regardent que l'Eglise ». Un


tel mouvement était dénature à effrayer le gouvernement de Bade, Il
se demanda même si l'agitation religieuse n'allait pas orienter vers
l'Autriche certaines populations catholiques, jadis sujettes des Habs-
bourg. La cour de Vienne offrait son entremise diplomatique pour
apaiser le différend. Il fallait devancer une pareille entreprise. On
pressentit Ketteler, qui consentit à entrer en pourparlers avec les re-
présentants des divers Etats. Une entente aurait peut-ctre pu se faire

en celte année i854. Mais des entraves survinrent du côté de celte


Bismarck
entrave des
Prusse dont les catholiques invoquaient la législation ecclésiastique négociations
pacifiques
comme un modèle auprès des divers Etats protestants. Bismarck, qui
entreprises
se trouvait alors, comme représentant du roi Frédéric Guillaume, à la entre
dièle de Francfort, plaida fortement la cause du protestantisme, îMgr Ketteler
qu'il
et les
représenta comme menacé par l'agitation catholique : si bien qu'il divers Etals
obtint non seulement la suspension des pourparlers, mais son envoi persécuteurs
(i854).
personnel à Karlsruhe et à Nassau. Quand il quitta ces deux villes,

les désirs d'entente avaient fait place, dans l'esprit des deux souverains,
à la volonté de poursuivre à outrance la répression de toute manifes-
tation jugée hostile au gouvernement. Le 19 mai iSo\, Vicari, accusé Arrestation
de Mgr Vicari
d'excitation à la désobéissance, fut déclaré en état d'arrestation et (19 mai
l8J4).

GoYAU, IV, /|5.


I.
FuiEnRiOH, DoeUiiger, t. III, p. i35 Cf. Ami de la Religion, ler décembre
a.
i8r>3, p. ôai-ôaS Correspondanl, a5 décembre i853, p. ^•ia ; Moutalembfrt,
;

Œuvres, t. V, p. 289-341.
426 HISTOIRE GENERALE DE L EGLISE

gardé à vue dans sa demeure. Toute communication lui fut interdite


avec son clergé. Cet odieux attentat ne fit que redoubler la popularité
du vieil cvêque. Sans organisation concertée, les fidèles se mirent
en deuil, suspendirent toute fête, toute réjouissance tant que leiir

évcque resterait emprisonné. Cette manifestation unanime, silencieuse


T'roiestalîon et persistante, qu'on sentait venir du fond des consciences, inquiéta
unanime
plus les gouvernants que ne l'eût fait une émeute bruyante et pas-
(les catholiques
du sagère. Les cours de Bade, de Nassau, de liesse et de Wurtemberg
}.'rand -duché
revinrent à leurs projets d'apaisement.
de Bade.
Un courrier du roi Guillaume de Wurtemberg d'abord, puis un
envoyé du prince-régent de Bade, puis des députés de Nassau et de
liesse, se dirigèrent vers Rome en i855. L'exemple du con-
cordat conclu par l'Autriche en cette même année ne fut })as

sans influence sur le résultat des négociations. Elles devaient aboutir,


Fin en 1857 pour le Wurtemberg, en 1859 et 1860 pour Bade* et pour
du régime les autres Etats mis en conflits, à la conclusion de concordats qui,
de la
bureaucratie dans leurs grandes lignes, donnèrent satisfaction aux doléances épis-
dans les Etats La bureaucratie mais
copales de i85i et de i853. était vaincue ; les
rhénans.
Eglises catholiques de ces divers Etats allaient voir se dresser devant
elles un autre absolutisme, celui des Chambres, celui des ministères,
et subir, de ce chef, des persécutions non moins douloureuses *.

IX

Le En Suisse, de pareilles tentatives d'oppression religieuse se heur-


catholicisme
tèrent à de pareilles résistances, et le courage de Mgr Vicari eut son
eu Suisse.
pendant en celui de MgrMarilley.
Nous avons vu comment les attaques du parti radical contre l'an-

Fondation cienne constitution fédérale de la Suisse avaient provoqué, en 1846,


du Sondcrbund
la formation d'une ligue défensive de la part des sept cantons catho-
(18A6).
liques et conservateurs de Lucerne, d'Uri^ de Schwytz, d'Unter^Yal-
deii, de Zug, de Fribourg et du Valais. Cette ligue avait pris le nom
de Sonderbiind, c'est-à-dire d'Alliance séparée.
Le 20 juillet 1847, la Diète fédérale prononça la dissolution du

I. Dans le récit des persécutions de l'Eglise en Allemagne, nous nous sommes


beaucoup aidés, le lecteur a pu s'en apercevoir, de l'excellent ouvrage de M. George."'
GoiAU, V Allemagne religieuse, le caLholicisme. Nous aurons souvent recours à c<»
même ouvrage en reprenant, plus bas, le récit des luttes religieuses en Allemagne.
PIE IX ET LES DIVERS ETATS DE L EUROPE /»27

Sonderbund, et ordonna en même temps que les jésuites, auxquels


seraient expulsés Expulsion
les radicaux attribuaient l'origine de la résistance,
des jésuites
du canton de Lucerne. L'accusation portée contre la Compagnie de du ca.'iton
de L'ir. rne
Jésus était injustifiée. Le duc Victor de Broglie devait peu de
(i847j.
temps après, tout en se déclarant l'adversaire des jésuites, afBrmer,

devant la Chambre des pairs, .après enquête, que « depuis trente


ans que ces religieux étaient en Suisse, il avait été absolument impos-
sible, non pas de découvrir, mais même d'inventer, de supposer un
fait quelconque dont on pûl se prévaloir pour justifier leur expul-

sion K Le 22Juillet, les sept cantons publièrent une protestation


))

contre les mesures prises par la diète, qui leur parurent violer le
pacte fédéral. Les douze cantons, formant la majorité, rép >ndirenl en Guerre du
Sonderbund
levant une armée de 5o.ooo hommes commandés par le général
(1847).
Dufour, qui, le lo novembre, fit occuper militairement le canton de
Fribourg. Successivement, les sept cantons, envahis par des forces

supérieures à celles dont ils pouvaient disposer, capitulèrent. Le


29 novembre, le dernier des cantons insurgés fît sa soumission-
Presque partout la victoire des radicaux fut accompagnée d'odieux
excès. Le i/i janvier i848, Montalembert, interpellant, à la Chambre
des pairs, le gouvernement de Louis-Philippe sur sa non-intervention

dans les affaires de Suisse, s'écriait : u N'avez-vous pas vu les auto-


rilés soi-disant régulières frapper tour à tour toutes les congrégations
qui restaient debout, les évêques et les curés dépouillés l'un après
l'autre... les Filles de saint Vincent de Paul expulsées comme des
bctcs fauves, sans pensions, sans indemnité et sans pudeur ?... Est-
ce tout? Non. A l'heure qu'il est, peut-être a t-on voté une Constitu-
tion civile du clergé calquée sur là nôtre de 1790... Mais ce n'est
pas seulement à la religion catholique qu'on en veut... Le 2^ no-
vembre, un décret a interdit formellement d'exercer, dans le canton Eloquent
de Vaud, un autre culte que discours de
le culte soi-disant national. Et savez- vous
Montalembert
011 en est la liberté de la presse dans ce même canton de Vaud ? Elle sur la guerre
est sous le coup de l'interdiction de publier même de simples nou- du
Sonderbund
velles contraires aux intérêts nationaux. patrie de la liberté !
*
» (i4 janvier
Une fois de plus, les persécuteurs Je l'Eglise catholique se montraient iS48}.

les [)ires ennemis de la vraie liberté.

La Constitution fédérale du i3 septembre i848, issue de la crise

MoNTA.LBMui;uT, Œuvres, t. II, p. 682.


1.
p. ()S3-0S6. Ce discours de Monlaicmbert est rejaidé
2. /(/., ibi<l , comme ut*
de ses plus beaux chefs d'œuvre oraloires.
h.s HISTOIRE GENERALE DE L EGLISE

U que nous venons de raconter, marque une transformation notable


Honstilution
fé'It'ralt! suisse dans le régime politique de la Suisse. Le pouvoir central y fut for-
du tement organisé, puissance des cantons y fut notablement res-
et la
i3 septembre
treinte. Quant à la question religieuse, le chef du parti triom[)hant,
18^8 organise
fortement James Fazy, épris du libéralisme américain, eût bien voulu briser
le pcuivoir
l'alliance trop intime de l'Eglise dite nationale et de l'Etat, qui fai-
central.
sait, depuis trois siècles, du gouvernement de Genève une théocratie
Elle proclame protestante. Mais le gros de son parti ne lui permit pas de réaliser
en principe
la liberté des
son idée. Sans doute, un article fut inscrit dans la Constitution,
cultes. qui reconnaissait la liberté des cultes en lant qu'elle ne serait pai
contraire à la paix publique et au maintien de l'ordre entre les
diverses confessions. Mais, si l'on se montrait libéral en théorie, on
Mais elle le fut peu dans la pratique. L'Ordre des jésuites fut interdit, et, en
n apporte
pas un terme maintes occasions, le gouvernement eut recours aux procédés les
aux mesures plus mesquins et les plus odieux pour frapper l'Eglise catholique et
oppressives.
ses ministres.
Le concordat Le i5 août 18/48, les cinq cantons qui composaient le diocèse de
des
cinq cantons Genève et de Lausanne, ceux de Genève, Fribourg, Vaud, Berne et
organise Neuchâtel, avaient conclu, sous le nom de concordat, un accord
la persécution
légale du concernant les relations de l'Eglise catholique avec le pouvoir civil.
1"
rr, 1
'
'r!«rr' >
Les cinq Etats se réservaient la nomination des évêques, qui
(i5aoùti848).
devaient prêter serment d'obéissance à la Constitution et à toutes les
lois de leur canton. Les candidats au sacerdoce devaient passer un
examen devant une commission mixte. Le placet du gouvernement
était exige pour la « postulation aux bénéfices » et pour l'exercice

de toute fonction épiscopale ; Vexequatiir, pour toute publication


venant du Saint-Siège ; et des réserves étaient faites contre l'admis-
sion des décisions du concile de Trente *.

Résistance En publiant ce document, {'Observateur de Genèvef organe des


des
catholiques, écrivait : « Partout, les catholiques doivent sVcrier:
catholique».
Non possanms, nous ne pouvons pas. Ils doivent ajouter, avec la
même fermeté Non voliimus, nous ne voulons pas. Et, s'il faut
:

subir la persécution, comme autrefois les martyrs, eh bien I nous


verrons^. » Le clergé de Genève, réuni en conférence, dénonça
solennellement, sous la forme d'une lettre adressée à son évèque,
contre « l'apparition d'un plan subversif de la constitution divine de

I. Voir le texte intégral du concordat dans l'Ami de la Rtliçjion du lo septembre


x848, p. 732 733.
a. Ami de la Relujion, loc. cit., p. 722.
PIE IX ET LES DIVEI\S ETATS DE L EUROPE 429

l'Eglise* ». Par une du 18 septembre i848, l'évêque de Lau-


lettre

sanne et Genève, Mgr Marilley, prolesta contre le serment que la


population de Fribourg allait être appelée à prêtera la Constitution. Protestation
de
Sommé par trois fois de retirer sa protestation, le prélat déclara que, Mgr Mariiley,
à l'exemple des apôtres, il « devait obéir à Dieu plutôt qu'aux évèque
de Lausanne
hommes 2 ». Le 3o septembre', le cardinal Soglia, secrétaire d'Etat et Geuève.
de Pie IX, protesta à son tour, au nom du pape, tout spécialement
contre le droit que s'adjugeaient les cinq cantons de nommer les

évêques, et contre l'obligation qu'ils prétendaient imposer aux fidcle£


de prêter serment à une Constitution contraire aux droits de
1 Eglise-^. Le gouvernement ré[)liqua eu arrêtant, le 25 octobre, Arrestation
de
Mgr Marilley, en l'emmenant de Fribourg par la force et en l'inter-
Mgr Mariliej
nant au château de Chillon. Le Conseil d'Etat de Fribourg déclara (a 5 o loljre
i848).
qu'il prendrait lui-même les mesures nécessaires pour l'administra-
tion provisoire du diocèse. Mais le clergé et les fidèles ne reconnurent
jamais d'autre autorité spirituelle que celle de leur évêque, qui, con-
solé par Pie IX, continua du fond de son exil à diriger les affaires

de son diocèse. En décembre i852, les gouvernements de Genève et

de Fribourg, impuissants à rompre le lien qui unissait le piélal à


ses onaillcs, se décidèrent à entrer en pourparlers avec Rome. Mais
Pie IX ayant exigé, préalablement à toute négociation, l'élargisse-
ment de l'évêque, les autorités suisses retirèrent leur projet. Mgr Ma-
rilley ne rentra à Fribourg qu'en i856.
D'où venait, en Suisse, cette intolérance religieuse, qui rappelait Etat religieux
les plus mauvais jours du temps de Calvin P Elle tenait à plusieurs de la Suisse.

causes. La Suisse, nous l'avons vu plus haut*, était devenue, dès le

début du xix* siècle, le rendez-vous de nombreux adeptes des sociétés


scciètes, qui y avaient forcément fait pénétrer leur esprit d'hostilité
envers le catholicisme. L'influence exercée en Suisse par la philoso-
phie de l'Allemagne, à qui les universités de Baie, de Berne et de Elle est U
Zurich demandaient leurs professeurs, avait abouti, par une autre rendez-vou»
des sociétés
voie, à de semblables résultats. La foi chrétienne, ruinée dans ses secrètes
bases, se perdait dans une anarchie où vingt sectes diverses, mor- de l'Europe
et des sectes
mone, anabaptiste, irvingienne, darbyte, antonienne, professaient protestantes
les dogmes les plus étranges, parfois les plus fuuestes à la société. les
plus étranges.

1. Ami de la Reliciion du iC octobre 18^8, p. i,


a Id., du octobre i8/j8, p. fx^f):».
3. Id., du 7 novembre i8/|8, p. 3GIJ-3G8, *

4. Voir, plus haut, P- »^4, i04.


43o HISTOIRE GENERALE DE L ÉGLISE

Le pouvoir Le besoin d'une réaction se faisait sentir. L'avènement au pouvoir


issu (le la
Constifiition du parti radical, qui combattait pour la centralisation politique,
de i8'j8 favorisa cette réaction. Mais les tendances centralisatrices, lors-
persécute
toutes qu'elles sont excessives, tournent facilement au despotisme. C'est
les Kglises ce qui arriva. Toutes les Eglises chrétiennes, sauf l'Eglise dite
chrétiennes
sauf lEglise nationale, furent victimes d'une vraie persécution ; et cette per-
nationale. sécution atteignit tout particulièrement l'Eglise catholique, en
qui le radicalisme protestant vit son plus redoutable adversaire.
Le mouvement Cependant, à côté de ce mouvement autoritaire et persécuteur,
protestant
un autre mouvement tendait à promouvoir la renaissance, ou,
du Réveil
religieux. comme on disait alors en Suisse, le réveil religieux par des moyens
tout opposés. Ce mouvement, qu'on pourrait rattacher par ses ori-
gines à l'enseignement inauguré à Genève, en i832, par Merle
d'Aubigné, et, plus loin encore, à la « Société évangélique j> fondée
Le pasteur en 181 6 dans la même ville par des méthodistes anglais, fut sur-
Alexanirc
tout représenté par un noble esprit, Alexandre Yinot. Sans répudier
Vinet
(1797-1847). jamais les principes fondamentaux du protestantisme, Vinet tenta
de le régénérer de deux manières : en le libérant de ses attaches avec
l'Etat et en le rattachant d'une manière plus étroite à la foi au Christ,
vrai homme et vrai Dieu, a On le vit, dit Saint-René Taillandier,
attaquer le système des Eglises nationales avec autant de dignité
que de vigueur ; on le vit demander la séparation du spirituel et du
temporel au nom des intérêts de l'âme ^ » « Il fut, dit Sainte-
Beuve, le principal défenseur de la liberté religieuse à Lausanne ; il

prit en main le droit de ceux qu'on persécutait^. » Alexandre Vinet


a parlé avec un attendrissement où semble percer quelque regret,
des fleurs de sainteté écloses dans l'Eglise catholique, et il s'est

exprimé sur la divinité de Jésus-Christ en des termes empreints delà


plus touchante émotion. « Je ne comprends rien, disait-il, au Dieu
vague et insaisissable du poète Lamartine. Il n'a pas de pieds que je
puisse baigner de mes larmes, des genoux que je puisse embrasser,
des yeux où je puisse lire ma grâce, une bouche qui puisse la pro-
noncer. Il n'est pas un homme, et j'ai -besoin d'un Dieu-homme ^. »
L' « Eglise L'influence personnelle de Vinet fut considérable. Sur deux cent
HIto ))
cinquante ecclésiastiques qui formaient la hiérarchie de « l'Eglise
de Lausanne.
nationale », il en détacha cent quatre-vingts. Ils furent aussitôt

1. Saint René Taillandier, dans la Revue des Deux Mondes du i5 janvier i864.
3. Sainte Beuve, Portraits contemporains, t, II, p. 11.
3. A. Vinet, Essais de philosophie morale et religieuse, ip. 3i3.
PIE IX ET LES DIVERS ÉTATS DE l'eUROPE 43 1

remplacés dans l'Eglise qu'ils abandonnaient. Ils fondèrent alors à

Lausanne une « Eglise libre », qui eut son école spéciale de théo-
logie. Mais cette via média n'était pas plus tenable que celle que
Newman avait tentée en Angleterre. Dans l'espace de vingt ans, elle
ne recruta pas plus de trois nnille membres, et eut souvent à essuyer
les hostilités du gouvernement et les railleries du peuple. Alexandre

Vinct mourut en 18/17, à l'âge de cinquante ans. Ses disciples, ridi-


culisés par leurs adversaires sous le nom de « mômiers » (de rnô-
merie, grimace, dissimulation), finirent par accepter cette dénomi-
nation.

Nous venons d nom de Newman


écrire le et faire allusion au
de ^•.
,,„„,^,.
mouvement d Oxtord. Le bien plus
dernier,
,. ,
. ,.
puissant et bien plus
,
catholicisme
en Angleterre.
profond que celui que Vinet avait créé en Suisse, se développait
désormais en Angleterre comme par deux courants. Bon nombre de
« tractariens », suivant les traces de Newman, se dirigeaient vers le
catholicisme ; d^autres, sous la conduite de Pusey. travaillaient

ardemment à vivifier l'Eglise anglicane par des emprunts faits à


l'Eglise romaine, espérant que leur œuvre aboutirait quelque jour à
l'union des deux Eglises, mais se refusant obstinément à toute dé-
marche individuelle vers le catholicisme,
Dans son travail d'apostolat, Newman était puissamment aidé par Fondation
de 1 Oratoire
Wiseman, et allait bientôt recevoir l'aide, non moins *précieuse, de
^
de
Manning. En 18/47, ^ ^^ suite d'un voyage à Rome, et sur les con- Birmingham
seils de Pie IX, il établissait en Angleterre, sous le nom d'Oratoire, {^°^l)'

et en s'inspirant des règles données par saint Philippe de Néri, une


Congrégation de prélres et de clercs, qui, en août i848, comptiut
plus de quarante membres. On
y remarquait deux convertis desliiiés
à exercer une grande action sur le développement de la piété en
Angleterre, Faber et Dalgairns*.
Pentlanl que, sous la direction de Newman, un noyau de convertis

I. Les deux principaux ouvrages qui assignent à Dalgairns une place honorable
parmi les auteurs spirituels, sont: La Dévotion au Sacré Cceur de Jésus, trad. franc,
par Poulide, un vol. in i3, ae édition, Paris, 1868, et la Sainte communion, trad,
françaiiie de Godard, a vol. in-i3, Pari?, i863.
432 HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLISE

Wisemaa se foiiiiait, à l'Oraloire de Birmingham*, aux vertus religieuses et à


diivient vicaire i

i • • »• tn' i . » ^
apostolique ^^ science eeclcsiastique, Wiseman ,

succédait, en août 1847, ^


de Londres Mgr Giiiïith comme provicaire du district de Londres, puis, deux
(ao i
1 47). ans plus tard, était nommé, en titre, vicaire apostolique. Il devenait
ainsi le personnage le plus considérable de l'Eglise catholique d'An-
gleterre.

Une des premières préoccupations du nouveau vicaire apostolique


de Londres fut de propager en Angleterre la vie religieuse. En deux
ans, il fonda dix communautés dans son district 2, et il eut lo
bonheur de voir plusieurs convertis entrer dans les ordres religieux,
Coffin entra chez les rédemploristes ; Tickell, Edouard Purbrick et
Albany Chrislie, chez les jésuites; Lockhart, chez les rosminiens.
Le plus grand événement de son vicariat fut le rétablissement de
la hiérarchie épiscopale en Angleterre.
Rôiablissemeni Depuis le schisme d'Henri VIII, les catholiques anglais étaient
delà soumis au régime des pays de mission, c'est-à-dire erouvernés au
hiérarchie . . , . . ,. . ,
catholique spuituel par des vicaires apostoliques relevant immédiatement du
en Angleterre. Saint-Siège. Le nombre de ces vicaires avait été d'abord de quatre,
puis de huit. Le réveil catholique qui s'était produit en Angleterre,
d'abord à la suite du bill d'émancipation de 1828, puis par la con-
veision de Newman et de ses compagnons, enOn par les œuvres
apostoliques de Wiseman, donna lieu de penser qu'il était temps de
rétablir dans la Grande-Bretagne le régime ordinaire des pays chré-
tieus, comprenant des circonscriptions diocésaines, gouvernées par
des évêques dépendant d'un métropolitain. Des négociations avaient
été entamées à cet effet en 1847 ; mais, entravées par les troubles
politiques dont Rome fut le théâtre en i848 et par l'exil du pape à
Gaëte, elles n'aboutirent à une solution qu'à l'automne de i85o.
Bref de Pie IX Le 29 septembre de cette année, un Bref de Pie IX déclara rétablie
promulguant q^ Angleterre la hiérarchie ecclésiastique. Elle comprendrait douze
rétablissement évêques et un archevêque. Wiseman recevait ce dernier titre, attaché
2(j septembre ^ l'Egîise de Westminster. Le lendemain 3o, le nouvel archevêque
de Westminster fut nommé cardinal. Le 7 octobre, Wiseman com-
muniqua ces nouvelles aux catholiques d'Angleterre par un mande-

1. Le bref pontifical fixa à Birmingham le siège de la Congrégation. Plus


tard
une seconde maison fut fondée à Londres, d'abord sous la dépendance de celle de
Birmingham, puis indépendante.
2. W. Ward, le Cardinal Wiseman, trad. Cardon, a vol. in-i2, Paris, 1900, t. I,
p. 5io.
i

PIE IX ET LES DIVERS ÉTATS DE l'eLROPE 433

meut dans lequel son âme, toute à la joie, s'épanchait en un véri-

table chant de triomphe, u Le grand œuvre est accompli, s'écriait-il.

L'Angleterre catholique a retrouvé son orbite dans le firmament


religieux ». Mais, par le fait d'une interprétation que l'archevêque
n'avait aucunement prévue, ce.t événement lut très défavorablement Emotion
produite par
1. 1-1 r\
une ^^A

Un
• 1 1

envisagé par 1 opinion prolestante d Angleterre. y vit


'
pre- ^^^ ^^^^ ^^^

Icntion gouverner l'Angleterre religieuse, le début d'une


du pape à Angleterre.

campagne qui aurait pour but de substituer des évéques catholiques


aux évéques anglicans. Le Times parla de « l'impudence » de Pie IX. Hostilité
_ , , -^ ,, . ... j » 1. •
1 des prolestant»
Lord John Russell, premier ministre, denon(;a « agression du
.
1
^^^1^ g^y.

pape contre le protestantisme anglais », et promit d'examiner l'état vernement.

présent de la loi pour voir quelles mesures pourraient être prises


contre « cette usurpation de pouvoirs* ». A son arrivée à Londres,
le cardinal fut hué ; des pierres furent lancées dans les portières de
sa voilure ^. Ses amis furent inquiets pour sa vie.
Wiseman fit preuve, en ces circonstances, d'un grand sang-froid.
En quelques jours, il rédigea un éloquent Appel au peuple anglais, L'Appel am
/>^"P|«.a"9'<^**
qui, en un lani^aire calme et clair, mettait les choses au ^
point. L'irri-
T ' o D
I
de NNisema»
talion se cahua peu à peu. Le Times déclara que « la question ainsi calme
lagitatioa.
posée méritait la plus attentive considération ». Un bill, voté parle
Parlement, qui fra[)pait d'une amende de cent livres toute personne
usurpant dans le Royaume-Uni le titre d'un des prétendus sièges
cpiscopaux, resta lettre morte.
Cette malheureuse agitation, si peu prévue des catholiques, eut,

à son tour, un résultat non moins imprévu, et, cette fois -ci, heu-
reux pour le catholicisme : ce fut la conversion de celui qui devait
être le successeur de Wiseman sur le siège de Westminster, le car-
dinal Manning.
Henri-Edouard Manning, fds, comme Newman, d'un banquier de Henri
la Cité, était de six ans moins âj^é
D que
^
lui. Gomme Newman, '
il .
o o"°ô"^\
(1808-1892).
• , , , , . .

avait ete élevé dans un milieu sur lequel le catholicisme n'exerçait


aucune action. Mais les tendances d'esprit des deux futurs princes
de l'Eglise avaient été, dès leur jeunesse, bien dilTércntes. Tandis Son caractère,

que, chez Newman, toutes les énergies étaient dirigées vers le déve-
loppement d'une vie intérieure toujours plus intense, la vie exté-
rieure fut toujours, chez Manning, le but de son activité. Dès sa pre-

1. Sur ces incidents, voir W'ilfrid NVaud, le cardinal Wiseman, t. I, p. 540 et s.


2. Ijid., t. I, p. 569,
Ilisl. géu. do I K-li.c. - VIIÎ aS
43/i HISTOIRE GENERALE DE L EGLISE

Sa jeunesse. mière jeunesse, l'objet de son ambition fut la vie politique, où il

aspirait à jouer un premier rôle d'homme d'Etat. Sa devise était


alors : Aut Cœsar, aut nihil, La ruine de sa fortune paternelle et
quelques autres désenchantements de sa jeunesse, en le forçant à
renoncer à son rêve ambitieux, ramenèrent sa pensée vers des objets
plus i^raves. Heureusement influencé par une pieuse amie, miss
SoB entrée Bevan, il se tourna vers la vie ecclésiastique. Chargé, en i833, d'un
dans le clergé
poste de vicaire dans la paroisse de Lavington, il se tint en dehors
anglican
<i833). des controverses relatives au n^ouvement tractarien, et, plus préoc-
cupé de pratique que de doctrine, il s'appliqua, avec un zèle aussi

ardent que sagement inspiré, à soulager les misères morales et maté-


rielles de son peuple. En 1887, ^^ mort de sa femme, qui lui fut

enlevée par une maladie de consomption après quatre ans d'une


union sans nuage, acheva d'orienter son âme vers la piété. Ses idées
religieuses, sur les points capitaux, devinrent à peu près celles que
Ses idée» professaient les disciples de Newman. Les liens d'intimité qui le
religieuses
liaient à Gladstone, le futur premier ministre, alors très mêlé au mou-
se rapprochent
de celles vement d'Oxford, favorisèrent cette orientation de sa vie. Les
des tractariens
prières, les rites en usage dans lEglise catholique parlaient à son
d'Oxford.
cœur. Mais ce qui l'indignait plus que tout, dans l'Eglise anglicane,

c'était de la voir gouvernée par une autorité civile. Pour lui, les

choses d'Eglise ne devaient relever que de l'Eglise. Les ingérences


de l'Etat dans le domaine des questions religieuses, le révoltaient.

Craignant de détacher ses coreligionnaires de l'Eglise établie et de


Il se montre favoriser l'exode vers Rome inauguré par Newman *, il se contentait
silence. Un procès célèbre, l'affaire Gorham, dans
hostile
de gémir en
à l'ingérence
de 1 Etat lequel on vit le Conseil privé se prononcer, contre les autorités
dans
ecclésiastiques, en faveur d'un pasteur qui ne croyait pas à l'effica-
le domaine
spirituel. cité du baptême, acheva de lui faire perdre confiance en l'organi-
sation de l'Eglise anglicane^. Le temps qui s'écoula, depuis le pro-
L'affaire noncé de l'arrêt du Conseil privé, en mars 1849, jusqu'à la fin de
Gorham,
i85o, fut pour Manning une période de tortures atroces de cons-
cience, une sorte d'agonie. Il hésitait à sortir d'une Eglise à laquelle
l'attachaient tous ses souvenirs et en laquelle il n'avait plus foi.

1. En 1845, Newman, devenu son ami, lui ayant fait part de son abjuration,
Manning lui en témoigna sa peine, ne lui cachant pas qu'à ses yeux, cette défection
étai^; un péché, ou, comme il disait ailleurs, « une chute » (Li/e of Manning, t. I,
-
p. 309).
2. Sur le procès Gorham, voir Hemuer, Vie du cardinal Manning^ un vol. in-80,
Paris, 1898, p 66-67.
PIE IX ET LES DIVERS ETATS DE L EUROPE 435

L'affaire dite de « l'a^^ression papale » le mit en demeure ae se pro-


noncer. Il le fît avec courage. 11 fit par-devant notaire la résignation
de son emploi et de son bénéfice ; puis, sortant de chez l'homme
de loi, il entra dans une église catholique, et y récita, pour la pre-
mière fois de sa vie, le Je vous salue, Marie. Le 6 avril i85i, Man- Sa converfîon
au
ning fit son abjuration entré les mains du jésuite Brov^nbill. Quelque catholicisme
temps après, le Times ayant annoncé son retour à l'Eglise angli- (6 avril i85i)

cane, il répondit au journal : « J'ai trouvé dans l'Eglise tout ce


que je cherchais, et plus même que je n'aurais pu imaginer avant
de lui appartenir^. » A partir de ce moment, le zèle de Manning
pour le catholicisme, pour ses rites, pour ses traditions et pour son
chef infaillible, ne fit plus qu'augmenter jusqu'à sa mort.
Pendant trois années, de i85o à i853, il partagea son temps Il devient
auxiliaire
entre ses études théologiques à Rome et des prédications aposto- du cardinal
liques en Angleterre. En i854, le cardinal Wiseman le prit comme Wiseman
(i854).
auxiliaire dans ses œuvres d'évangélisation et d'administration. Dès
cette époque il s'occupa, sous l'inspiration du zélé prélat, de la fon-
dation d'une communauté de prêtres séculiers, qui, placés sous la
main de l'archevêque, se tiendraient prêts à entreprendre toutes les
œuvres d'apostolat qu'on leur confierait. Il réalisa cette idée, en i856, Il fonde les
OblaU de
par la fondation des Oblats de Saint-Charles. Sa nomination, faite à
Saint-Charle»
la même époque, de prévôt du Chapitre de Westminster, en lui don- {i856;.

nant une autorité nouvelle, lui permit d'élargir le champ de son


apostolat.
Par les conversions de Nevvman et de Manning, !'« Eglise établie » L'œuvre
de Pusey.
d'Angleterre avait perdu les deux hommes les plus éminent» de son
clergé. Après leur départ, Pusey devint le personnage le plus en vue
du parti. Allait-il les suivre? Il n'en fut rien. Pusey, ne désespérant Son plan :

préparer
pas de revivifier l'Eglise anglicane, continua à emprunter à l'Eglise
une uuion
romaine ses dévotions, ses formules de prières et ses rites. Il réta- des Eglises
par la
blit deux institutions qui semblaient identifiées à l'essence du catho- restauration
licisme : la vie monastique et la confession. Il fit de l'Eucharistie le de l'Eglise
anglicane et
centredu culte. Mais on se serait trompé en voyant en son œuvre
en détournant
un acheminement vers la soumission à Rome. Pusey ne voulait pas les anglicans
de toute
entendre parler d'une telle démarche. L'Eglise d'Angleterre devait, conversion
selon lui, s'élever par elle-même à la pureté de doctrine et de culte individuelle.

I. Madaune. llisL. de la lenalss. du calkol, en Angleterre au XIX^ siècle, un vol,


in-S»», Paris, i8(jG, p. 470,
436 mSTOIRE GENERALE DE L EGLISE

qu'elle ayait perdue. Cette transformation accomplie, ce serait le mo-


ment de négocier une union avec l'Eglise romaine. En attendant,
les conversions individuelles n'étaient, à ses yeux, que des gouttes
d'eau tombant sans profit dans l'océan.
Le pijseyisme Par ce seul caractère, le puseyisme, comme on l'appela, ou le
ou
ritualisme.
ritualisme, se différenciait du mouvement tractarien. Il s'en sépara
de deux autres manières. Les disciples de Pusey se recrutèrent désor-
mais, non plus dans le monde des étudiants universitaires^, mais
En quoi parmi membres du clergé paroissial. Par là même, le centre de
les
il diffère
du tractaria-
ce mouvement, plus pratique que doctrinal, moins académique que
nisme. paroissial, ne fut plus l'université d'Oxford.
Quant au mouvement tractarien, abandonné d'un côté par
Newman et ses disciples, et de l'autre par Pusey et son école, il

t'affaiblit rapidement et parut bientdt mort.


L'école C'est alors que l'école libérale jugea le moment venu de s'em-
libérale profite
parer, à Oxford, de l'influence perdue par lei tractariens. Elle s'y
de la
décadence installa. Elle essaya même d'y organiser une nouvelle Eglise, qui se
du mouvement
tractarien
nomma. Broad Charch (Eglise large), par 'opposition à l'Eglise
pour s'installer haute [High Church) et à l'Eglise basse (Low Church). Au fond, l'E-
dans
glise large désigna moins un parti délimité et organisé, ayant son
l'Université
d^Oxfofd. Credo, qu'un état d'esprit, une tendance, he broad churchman fut le

Fondation personnage pour qui toute opinion nouvelle et hardie eut un attrait
de l'Eglise
particulier. Il fit profession de puiser ses informations dans la littéra-
large ,Broad
church). ture et dans la science allemandes. La plupart des opinions témé-
Caractère de raires soutenues depuis en Angleterre sur l'interprétation de la
cette nouvelle
Bible et sur la transformation des dogmes, furent défendues par des
Eglise
pruleeUiite. broad churchmm *,

XI

l^Q Les événements religieux qui s'accomplirent dans les autres Etats
catholicisme ^q l'Europe pendant la première partie du pontificat de Pie IX, de
autres Eiate i8Zi6 à i855, n'eurent pas l'importance de ceux dont la France,
de l'Europe. l'Italie, l'Autriche, la Prusse, la Suisse et l'Angleterre furent les

1 . Sur l'histoire du puseyisme, voir Thurba^u-Damgim, la Renaissance cath, «a


Angl. au XIX»siècle,t. II, p. 87 i55, 229-261.
PIE IX ET I-ES DIVERS ÉTATS DE L*EUROPE 43;

théâtres pendant cette période. Nous devons cependant les men-


tionner.
Presque toute l'Europe avait subi le contre-coup de la révolution

de i848, et presque partout cette secousse avait eu pour effet d'y


introduire des institutions libérales, dont l'Eglise profita ; mais, en
même temps, une liberté pljis grande étant laissée aux manœuvres
des sectes anticatholiques, elle fut soumise, de leur part, à de plus
rudes assauts.
La Constitution hollandaise de i848 garantissait la liberté de l'en- Le
catholicisme
seignement. Encouragé par les dispositions que manifestait la nou- en HollanrJe.
velle législation. Pie IX jugea que le moment opportun était arrivé

de reprendre des négociations, entreprises dès i8i5 et plusieurs fois

interrompues depuis lors, à l'effet de réorganiser la hiérarchie catho-


lique aux Pays-Bas. En i85i, le ministère hollandais déclara ne vou-
loir mettre aucun obstacle à ce projet. En conséquence, Pie IX, par Ritabl !«<»«-
ment <le
sa lettre apostolique du 4 mars i853, décréta l'établissement de la hiérarchie
cinq diocèsesà Utrecht, Harlem, Bois-le-Duc, Bréda et Ruremonde, catholique
aux Pay»-Baf'
et érigea ces cinq diocèses en province ecclésiastique sous l'autorité par Pie IX.
de l'archevêque d'Ulrecht *. Mais cet acte du souverain pontife sou- (4 mars i85i).

leva tout à coup trois partis contre lui : le parti dit orthodoxe, étroi-
tement attaché au calvinisme, et qui ne désirait rien de moins que le

retour à la législation de l'ancien régime, au protestantisme reli-

gion d'Etat ; le parti dit conservateur, qui, sans aller jusqu'à une Emotion pro-
duite
pareille prétention, craignait devoir disparaître son influence et ses
par l'ado
privilèges ; et enfin le parti des sociétés secrètes, lesquelles, en Hol- pcaiiHcal.

lande tout spécialement, avaient presque toutes partie liée avec


l'hérésie protestante. Une agitation pareille à celle qu'avait suscitée en
A.ngleterre, trois ans plus tôt, un acte semblable de Pie IX, bou-
leversa le pays. Mais ces violences mêmes en compromirent le succès.
Plusieurs journaux protestants s'en indignèrent, et contribuèrent i
ramener la paix religieuse dans les Pays-Bas.
Le 29aoûti853, Pie IX compléta l'organisation delà hiérarchie Ex:ommuiii-
catholique en Hollande, en excommuniant l'évêque janséniste Herman cation
de l'évèqut
Heykamp, qui avait usurpé la juridiction du diocèse d' Utrecht, et en janséniste
exhortant paternellement les schismatiques à rentrer au bercail de Heykamp
(39 août
l'Eglise romaine *.
i853}.

I. Voir cette Lettre apostolique dAnsCnk^jn^L, Annales ecclésiastiques, p. 1 28-1 32,


a. Chaistrel, op. ci7., p. i5i-i53. La bulle pontificale, adressées tous les catho-
liques de Hollande, expose la situation du schisme janséniste aux Pa^s-Bas.
438 HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLISE

Le La Belgique, qui donné une Constitution libérale en i83o,


s'était
catholicisme
en Belgique. n'eut pas à la modifier en i848. La tentative d'une bande d'insur-
gés, accourue de France pour y révolutionner le pays, eut pour
résultat de l'attacher davantage à son roi Léopold I". Les événements
de i848 eurent donc peu d'effets sur la situation de l'Eglise de Bel-
gîque. Les difficultés qu'elle rencontra, de 1847 ^ i855, lui vinrent
d'une autre cause, tenant exclusivement à la politique intérieure du
pays.
Division Nous avons vu que les libéraux et les catholiques s'étaient unis,
des
catholiques
en 1800, pour la conquête de l'indépendance de la nation. Cette
et union, déclarée provisoire dès le début, au
n'avait pas survécu
dts libéraux.
triomphe de la cause nationale.Les catholiques, prenant pour
programme « la liberté de TEglise », et les libéraux adoptant pour

mot d'ordre « l'indépendance du pouvoir civil », s'étaient trouvés


aux prises ; et bientôt s'étaient formés deux partis bien tranchés,
qui, comme les whigs et les tories de l'Angleterre, devaient,
jusqu'à nos jours, par une sorte de jeu de bascule, se disputer le

pouvoir. Or, en 1847, "^ ministère libéral venait de remplacer un


Le ministère ministère catholique. Jusqu'à sa chute en i855, il témoigna, par
'ibéralde
i847-i855.
diverses mesures, de sa méfiance envers l'action de l'Eglise. Le
20 mai i85o, dans une allocution consistoriale, Pie IX crut devoir
({manifester publiquement sa douleur à la vue des périls qui mena-
Vaillante çaient la religion en Belgique ». La presse catholique, organisée
attitude
sous la direction des évêques, soutint avec vigueur la cause de
de la presse
catholique l'Eglise. Eu juin i85i, le souverain pontife récompensa par des
belge.
distinctions hon iques le chevalier Stas, directeur du Journal
de Bruxelles, le P, Kerslen, fondateur du Journal historique
et littéraire de Liège, et le baron de Gerlache, connu par plu-
sieurs publications entreprises pour la cause de la liberté reli-

gieuse.
Le Politiquement isolée de l'Europe depuis la chute des Bourbons,
catholicisme
•n Espagne. l'Espagne, sous les coups des événements de iS48, courait le risque
de tomber au pouvoir des factions. Mais le gouvernement avait

alors pour chef un général énergique, Narvaez, dont la main ferme


Politique sut, à l'intérieur, contenir tous les partis sans porter atteinte aux
du c-''néral
libertés publiques. A l'extérieur, il profita de l'occasion qui s'offrit

à lui de renouer les rapports de l'Espagne avec la diplomatie


européenne en contribuant, par l'envoi d'un contingent de troupes,
au rétablissement de l'autorité du pape dans les Etats pontifî.-
PIE IX ET LES DIVERS ETATS DE L EUROPE 439

eaux K Pie IX, dans son allocution du 20 mai i85o, donna des éloges
à l'Espagne et exprima sa reconnaissance au gouvernement d'Isa-
belle II. L'heure était venue de reprendre, avec plus de chances de

succès, des négociations entamées dès le mois de janvier iSl\b entre

la cour de Rome et la cour de Madrid en vue d'un concordat, et

qui avaient été malheureusement interrompues. Le 16 mars i85i, Le concorda


espagnol
une convention en quarante-six articles fut conclue à Madrid entre le
de i85i.
nonce Brunelli et le ministre Manuel Bertran de Lis. Cette conven-
tion garantissait le mainti n de la religdon catholique comme reli -

gion de l'Etat, l'inviolaljUité des droits des évêques, la capacité [X)ur

rE"lisc d'acquérir et le rétablissement des séminaires. En échange,


le pape consentait à l'abolition des juridictions ecclésiastiques, à une
nouvelle circonscription des diocèses, au maintien des anciens droits
de nomination des monarques espagnols, et s'engageait à ne plus
élever de réclamations à propos des biens d'Eglise déjà vendus. Ce
concordat fut approuvé par les Certes, puis ratifié, le 5 septembre
i85i, par Pie IX, qui, par une circulaire du 17 mai i852, exhorta
les évêques espagnols à profiter des nouvelles dispositions concorda-
taires pour réunir des conciles provinciaux et diocésains, pour
fonder des séminaires et pour défendre avec courage la liberté de
l'Eglise.

Malheureusement, le concordat de i85i ne put pas longtemps Destinée


de ce
être appliqué. La révolution de i854 ramena la persécution reli-
concordat.
gieuse. Dans le consistoire du 26 juillet i855. Pie IX fut contraint
d'élever de nouveau la voix contre la vente des biens d'Eglise, l'in-
gérence du gouvernement dans l'administration des diocèses et
autres abus flagrants. Il fallut attendre l'année 1869 pour conclure
un nouveau concordat, lequel ne fut pas non plus pleiriement exé- Penonaaçet
remarquabiet
cuté.
de 1 Eglise
Pendant cette période, deux hommes remarquables, un prêtre, d'Espagne
pendant
Jacques Balmès, et un laïque, Donoso-Cortcs, marquis de Yalde-
jette période.
gamas, honorèrent particulièrement l'Eglise d'Espagne
Jacques Balmès, né à Vich, en Catalogue, le 28 août 18 10, et Jacques
mort, dans sa trente-neuvième année, Balmès
le 9 juillet i848, est à la fois (1810-1848).

I. Dos le ai décorabre i848, le gouvernement espagnol, par une note diploma-


tique, avait invité les Etats catholiques à délibérer sur les mesures à prendre p>ur
garantir l'autorité du pape contre les menées révolutionnaires. Voir cette lettre daii*
CuAMTRBL, Annales, p. 6a.
A40 HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGUSE

un philosophe, un historien, un moraliste social et un écrivain poli-


tique. Soit que dans sa Philosophie fondamentale il combatte à la
fois l'éclectisme de Cousin et le panthéisme germanique, en essayant
d'adapter aux besoins du xix" siècle la doctrine de saint Thomas *
;

soit que, dans son Protestantisme comparé au catholicisme., il rectifie

les idées de Guizot sur le mouvement général de l'humanité, en


revendiquant pour le catholicisme la grande part qui lui appartient
dans la formation de la civilisation moderne; soit que, dans ses
écrits d'économie sociale, il une voie sûre entre les
travaille à se frayer

utopies du socialisme et les impitoyables axiomes des économistes


)ibéraux, ou que, dans le domaine de la politique, il s'efforce de
préparer Tavenir sans rejeter en bloc les legs du passé : partout il

apporte dans ses doctrines un esprit ouvert, pénétrant, et souvent


très profond. Ses tendances le rapprochent de l'école qui reconnaît
pour chefs en France Ozanam, Lacordaire et Montalembert^. Donoso-
Cortès, marquis de Valdegamas, né le 9 mai 1809, au château de
Valdegamas, dans l'Estramadure, et mort à Paris le 3 mai j853,
aborde, comme Balmès, les questions philosophiques, historiques,
sociales et politiques ; un point de vue qui le
mais il les considère à
rapproche plutôt de son grand ami Louis Veuillot. Balmès admire
dans la civilisation moderne « cette admirable conscience publi-
que que le catholicisme a lentement formée et dont bénéficient
))

ceux-là même qui insultent l'Eglise ^ ; Donoso-Gortès professe


qu'entre la civilisation moderne et le christianisme il y a « un
abîme insondable, un antagonisme absolu » *. Balmès considère
sans peur et même avec une véritable satisfaction « cet esprit de
liberté qui envahit le monde civilisé et pénètre de tous côtés comme
DonosoCortès un fleuve débordé ^ » ; Donoso-Gortès, dans un discours célèbre,
^ ^ '* s'écrie: « La question n'est plus entre la liberté et la dictature; elle
se trouve posée entre deux sortes de dictature : celle de l'insurrec-
tion et celle du gouvernement. A une dictature qui vient d'en
bas, je préfère une dictature qui vient d'en haut puisqu'il ; faut

I. a écrit, au sujet de sa Philosophie fondamentale : « Ceci n'est que


Lui-même
la Thomas appropriée aux besoins du xixe siècle )) (A. db
philoso[>hie de saint
Blanchb-Raffin, Balmès, sa vie et ses ouvrages, un vol. in-S», Paris, 1849, P* 299)*
a. Cf. A. LuGA.N, Balmès, un vol. in-12, Paris, 191 1.
3. Balmès, le Protestantisme comparé au catholicisme^ chap. xx.
4. DoNoso ConiÈs, Œuvres, trois vol. in-80, Paris, 1862, t. I, p. 34o.
5. Balmès, Pie IX. Cf. P. Gasanovas, S. J., Apologetica de Balmès, p. 3o5-3io ;
LuGAN, op. cit., p. io5-io6.
PIE IX ET LES DIVERS ÉTATS DE L*EUROPE f\[\\

opter entre la dictature du poignard et la dictature du sabre, mon


choix est fait : je choisis celledu sabre * ».

Presque partout, d'ailleurs, en France, en Angleterre, en Italie, Balm^"? et


.,, 1 -Il 1- 1» • '
L X Donoso Corl.'s
en Alleniagne, de pareilles divergences d opinions s accusent. Les représentent
révolutions de i848 ont posé de redoutables problèmes, que les deux

penseurs cherchent à résoudre, les uns en penchant vers la liberté, ,g

les autres en inclinant vers l'autorité. Ces divergences amèneront, manifestent

entre catholiques, de longs conflits, qui seront le principal objet des partout
préoccupations de Pie IX pendant la seconde partie de son pontificat, «n Europ©

I. DoHoso CoRxfts, Œuvres^ t. I, p. 337. Sur Donoso-Cortè», voir V Introduction \


«es Œuvres, par Louis VEUir.LOT, t. T, Montalbmbbrt, Donoso- Cor lès, dô:.i
p. 1-64, et
le Covrcs^oadanl du a5 août i853.
CHAPITRE XI

D2 LA BULLE Ineffahills a l'encyclique Quanta cura (i85^-i864)

Le monde, dont l'attention s'arrête souvent aux événements


L* piété extérieurs, n'avait guère vu, jusque-là, en Pie IX, que le
de Pie IX.
chef d'État. Jusqu'à Texil de Gaëte, ceux qui penchaient vers les
solutions libérales des problèmes politiques avaient loué sa généro-
sité à répondre aux aspirations populaires. A partir de l'exil de
Gaëte, ce fut le tour de ceux qui inclinaient vers les solutions auto-
ritaires, de l'admirer pour le courage qu'il manifestait dans la dé-
fense des droits de Dieu et du Saint-Siège *. Seuls les témoins de sa
vie intime et quelques esprits pénétrants, en parlant de Pie IX, con-
sidéraient avant tout ce qu'il y avait, dans l'âme du nouveau pape,
de foi profonde et d'ardente piété. De ce nombre était Jacques
Balmès. La question du changement de la politique romaine,
u

disait-il peu de temps avant sa mort, est la plus grave, la plus diffi-

cile qui soit au monde mais je ne m'en inquiète guère.. Pie IX est,
; .

avant tout, un homme d'oraison. Voilà pourquoi je suis sans crainte


sur le succès final. Que peut la Révolution contre un homme uni à
Dieu ^ ? »

1. Parmi ceux qui avaient particulièrement IX. de ses efforts pour


loué Pie
réconcilier la liberté avec le pouvoir, on peut Balmès, dans son livre sur
citer
Pie IX, qui fut son dernier ouvrage et comme son testament (Voir Blanchb-
Tij^FFiti, Jacques Balmès, p. io5 109, 286-291). Parmi ceux qui attaquèrent les
tendances libérales du pape, il faut mentionner Grélineau-Joly (Voir Maynard,
J. Crélineau-Joly, p. 3i6, 1x02 et surtout p. 386-387). Crétineau-Joly, dans son
IJisLoire du Sonderbund, publiée en i85o, à propos de la politique de Pie IX dans les
affaires de Suisse, « reprenait toute l'histoire de son pontificat, dont il faisait une
peinture insultante, 11 le représentait comme un esprit faible, amoureux de popula-
réduire « d'ovation en ovation, c'est-à-dire de chute en chute, à n*
rité, se laissant
plus même disposer de sa volonté » et condamner à un rôle « plus digne d'un héros
de roman que du Vicaire de Jésus-Christ » (Matnird, Crélineau-Joly^ un vol. in-
80, Paris, 1875, p. 387).
a. A. DB Blanchb-Raffik, op. cit.^ p. 104-107.
DE Li BULLE InefjahiUs à l'encyclique Quanta cura 443

recourt,
D^'S son enfance, celui qui devait être le pape Pie IX s'était fait Il
dans
remarquer par une tendre dévotion envers la Sainte Vierge. Chassé de ses épreuves,
à la
Rome par la Révolution, à peine arrivé au lieu de son exil, il conçut
Sainte Vierge.
l'idée, pour conjurer les fléaux qui menaçaient l'Eglise et la société,

de ranimer le culte des fidèles envers la Reine du ciel. « Nous avons


la ferme espérance, écrivit-il dans une encyclique du 2 février 1849,
que la Vierge pleine de grâce et de suavité écartera de nous, par son
instante et toute-puissante protection auprès de Dieu, les cruelles

angoisses dont nous souffrons..., apaisera les effroyables tempêtes


dont l'Eglise est assaillie de toutes parts *. »

Le moyen le plus propre à obtenir une rénovation de piété envers Son projet
de définir
la Vierge Marie lui parut être la proclamation du dogme de son le dogme de
Immaculée Conception. Il demanda à tous les évêquesde l'univers de l'Immaculée
Conceolion
recueillir dans leurs diocèses les traditions touchant la croyance à la
(1849).
conception immaculée de la Vierge.
Lésâmes pieuses comprirent seules la portée de la nouvelle ency-
clique. La plupart des hommes politiques, qui avaient donné une
grande attention aux réformes administratives de Pie IX, sourirent
ou dédaignèrent de s'occuper de cet acte. Il avait dans la pensée du
souverain pontife, et il devait avoir dans l'histoire de son pontificat
une importance considérable. Jusque-là, Pie IX, sans rien abandon-
ner des dogmes catholiques et sans rien céder des droits du Saint-
Siège, avait voulu montrer que l'Eglise était prête à répondre à toutes
les aspirations légitimes des temps modernes : la preuve était faite,

et l'échec de ses généreuses entreprises ne pouvait être attribuée qu'à


la mauvaise volonté des sectes révolutionnaires ; il allait désormais
chercher, avant tout, le salut de l'Eglise et de la société dans la res-

tauration des vérités doctrinales et de l'autorité disciplinaire dont


Dieu lui avait confié le dépôt.
On peut dire que cette phase nouvelle de son pontificat s'ouvrit Définition
le
du dogme
8 décembre i854, lorsque, après avoir invoqué le témoignage d'une par la bulle
Inejjabilis
tradition antique et universelle, il définit, « en vertu de l'autorité des
(8 décembre
saints apôtres Pierre et Paul et de la sienne propre », que « la i854,.

I. CuANTREL, Annales, p. Gij-71.


444 HISTOIRE GENERALE DE L EGT.TSE

Blenlieureuse Vierge Marie avait été préservée de toute tache du


péché originel dès le premier instant de sa conception j>, et déclara

« séparé de l'unité de l'Eglise» quiconque « oserait avoir une croyance


contraire à cette définition * ». En réalité, au fond de ce grand acte,
il y avait autre chose que la confirmation d'une dévotion tradi-
Sens et portée tionnelle de TEglise. En déclarant qu€, seule, la Mère de Dieu avait
de cette
définition.
été affranchie de la souillure originelle, le pontife affirmait, une fois

de plus, contre l'orgueil du siècle, l'existence, trop généralement


oubliée, d'une déchéance universelle de l'humanité. En proclamant
que le Fils de Dieu, en s'incarnant, n'avait pu emprunter qu'une
chair toute pure, il maintenait très haut, même dans sa nature
humaine, la dignité de l'Homme-Dieu. En
aux hommages
offrant
des hommes une créature absolument pure, bien que pétrie du
même limon que nous, il rappelait à tous la merveilleuse puissance
de la grâce divine. Enfin Pie IX, en imposant à tous les fidèles,

sous peine d'anathème, en vertu de son autorité propre, le dogme


nouveau, affirmait son autorité souveraine dans l'ordre de l'ensei-

gnement et prr'ludait à la proclamation de l'infaillibilé pontificale.

A partir de ce moment, les préoccupations d'ordre extérieur, les

conflits avec les puissances se rencontreront souvent dans la vie de


Pie IX ; mais le souci de la restauration de la vérité doctrinale et de
l'autorité disciplinaire dominera toutes ses autres sollicitudes.

La Bulle proclamant le dogme de 'Immaculée Conception était à


peine publiée, que le pape invita la commission formée pour la
préparation de ladite Bulle, à commencer des études relatives à la
condamnation des principales erreurs modernes 2.

La première L'idée de réunir en une sorte de tableau les erreurs du temps et


idée
de l'encycliquo
d'infliger à chacune d'elles la condamnation convenable paraît avoir
Quanta cura été émise pour en 1849, ^" concile provincial de
la première fois
etdu SjUabus,
Spolète, par l'archevêque de Pérouse, Joachim Pecci ^. Trois ans
.plus tard, au mois de mai 1862, le cardinal Fornari avait, sur l'or-
dre de Pie IX, secrètement communiqué aux membres les plus en

1 . Denzinger-Bannwart, Voir le texte complet de la bulle du 8 décembre


n. i6/ji ,

iSbh, dite bu^le dans les Acta Pu IX.


Inejjabilis^
2. « Nous savons, dit le P. Schrader. et il est prouvé que b commission établie
pour étudier la question de l'Immaculée Conception de la Vierge, fut, son travail
terminé, transformée en commission chargée de rechercher les erreurs de notre
temps. » (R. P. Schrader, S. J.,De theologia generatim, p iS-;.)
3. « Sinquîi errores... veluti sub uno oculorum intuitu.., nominatim recenseantur »
{Collectio lacensis, VI, p. 7/i3).
DE LA BULLE IneJJablUs A L*ENGTCLiQUE Quanta cura ^45

vue de l'épiscopat et à quelques laïques émineuts un projet de


recueil ou syllahaSy contetiant vingt-huit propositions et répondant
aux désirs du concile de Spolète ^. Examiner les réponses faites à la
lettre du cardinal Fornari et approfondir davantage cette importante
question de la condamnation des erreurs modernes : lelle était la

tâche dévolue à la commission pontificale. Le projet de Pie IX devait


aboutir, en i8G4, à la promulgation de l'encyclique Quanta cura et

du Sjllubus,

II

ces dix ans d'intervalle, les erreurs modernes vont peu à V"« général»
Pendant
sur le
peu démasquer. La politique d'opposition au Saint-Siège, dirigée
se mouvement
par Gavour, aboutira à l'invasion des Etats pontificaux par les troupes anUcathohque
de Garibaldi et le rationahsme nébuleux de la philosophie aile-
; 1354 à i864.
mande, à la Vie de Jésus d'Ernest Renan.
La politique de Gavour avait inauguré une nouvelle forme de L* ^^^^^
contre
l'opposition des Etats à l'égard du Saint-Siège. Jusque-là, les papes \q Saint-Siège
avaient eu à lutter, soit contre des puissances nettement hostiles à ^*"^
1.1-,
1 Eglise,
,.
qui
. 1

la
,

persécutaient ouvertement, soit contre des


.
1
.la
pouvoirs
politique
jg Gavour.
catholiques, qui, sous prétexte de la protéger, essayaient de la domi-
ner. Gavour se défendait à la fois de combattre l'Eglise et de s'im- Caractères

miscer dans ses afl'aires ; mais c'était à la condition que l'Eglise cette politique
n'intervînt d'aucune sorte et sous aucun préte;i.te, fût-ce pour le bien religieuse,

spirituel des âmes, dans les affaires de l'Etat. Tel était le sens qu'il
donnait à la devise qu'il adopta plus tard : rEylise libre dans l'Etat L'Eglise libre

libre. G'était l'introduction de la thèse libérale dans les relations i^iai in^re,
diplomatiques des Etats avec l'Eglise.
La politique religieuse de Gavour eut deux autres caractères. Bien
qu'ayant. pour point de départ et pour biUfinai un intérêt strictement
national, elle eut l'ambition d'entraîner dans son mouvement tous
les Etats de l'Europe ; et, tout en voulant se maintenir sur un terrain
conservateur et catholique, elle eut la prétention de capter à son pro-
fit les forces révolutionnaires : tâche ardue
gageui^ entre toutes,
irréalisable, mais devant laquelle ne recula pas l'audace de Gavour.

1. Eugène Veuillot, Louis Veuillol, t. 111, p. 493-494.


446 HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLISE

Souple autant qu'obstiné, patient autant que résolu, Cavour pour-


suivit l'exécution de son plan avec méthode.
Tactique
Le petit Etat sarde, simple parcelle de la mosaïque italienne,
de Gavour
pour n'avait aucune voix dans le concert des grandes puissances euro-
la réalisation
péennes. La première chose à faire était de lui donner cotte voix. En
de son plan
polilique. i853, le conflit soulevé par la France en Orient contre la Russie à
propos de la question des Lieux Saints, parut à l'homme d'Etat
l'occasion favorable d'une intervention par laquelle le Piémont se
hausserait jusqu'à la politique générale des grands Etats. Par le
traité du 20 janvier i855, qui admettait le Piémont à prendre part à
la guerre comme allié de la France de l'Angleterre,
la chancel-
et
lerie de Turin prenait, pour ainsi dire, sa carte d'entrée au congres
de la paix. Cavour eut le talent de faire comprendre ce point de
vue à l'armée de i5.ooo hommes qu'il dirigea vers la Crimée. Dans
la boue des tranchées de Sébastopol, ils eurent conscience qu* « avec
cette boue se faisait l'Italie ». On le comprit mieux quand, au con-
En engageant grès de Paris, en i856, on vit la question de l'Italie introduite dans
ritalle
dans la guerre
les délibérations des puissancesnom du Piémont, par
et plaidée, au
de Grimée, Cavour lui-même. Jusqu'à ce moment, l'habile homme d'Etat avait
il parvient
joué de souplesse et d'astuce. Admis à prendre la parole au même
à poser,
au Congrès titre que les représentants de la Russie, de l'Autriche, de l'Angleterre
de Pari»,
et de la France, et fort de l'appui de ces deux dernières puissances, il
en i856, la
(( question
fut hardi. Il déroula, dans ses grandes lignes, tout son plan. Il ne
italienne » et
se contenta pas de signaler comme « anormale » l'agglomération
même
la « question des Etats de la Péninsule, et de montrer, d'un ton violent, « le
romaine ».
Piémont menacé par l'extension de l'Autriche » il soumit au comte
;

Walevvski et à lord Clarendon, ministres de France et d'Angleterre,

une note verbale exposant que le pape était impuissant à gouverner


ses Etats ; qu'une séparation, au moins administrative, de Rome d'avec
ses Légations *, s'imposait. A la suite d'une délibération des mem-

Afin de faciliter l'intelligence dei faits qui vont être racontés, nous croyons
I.
utile de donner ici la division des Etats pontificaux, telle qu'elle avait été établie le
jo novembre i85g. Elle comprenait l'arrondissement de Rome et quatre Légations,
i/arrondissement de Rome se composait de la Ville éternelle, de sa banlieue, des
provinces de Viterbe, d'Orvieto et de Givita-Vecchia. La première Légation, connue
sous le nom de Romagnes, renfermait les provinces de Bologne, Ravenne, Forli et
Ferrare. La seconde Légation, désignée sous le nom de Marches, était formée des
provinces d'Urbino, Pesaro, Macerata-Loreto, Ancône, Fermo, Ascoli, Gamerino.
La troisième se composait des provinces de Rieti, Spolète et Pérouse et la quatrième,

;

de celles de Velletri, Frosinone et Bénévent. Dans certains documents, on


désigne sous le nom de Légations les Romagnes seules.
DE LA BULLE IneffablUs A l'encyclique Quanta cura 4^7

bres du Congrès, saisis des motions de Cavour par les représentants


de la France et de l'Angleterre, le 22" protocole du traité de Paris fut
consacré à ce qu'on appela « la question italienne ». L'appellation
était trop étroite. C'était la question romaine elle-même, intéres-
sant au premier chef la catholicité tout entière, qui venait d'être
posée K
du ^^^^ émoticn
On le vit bien à l'émotion générale qui suivit les délibérations
,. , , . ^ II produite
Congrès. Cavour eut beau déclarer « qu'il n'était pas prêlrophobe, par cet acte
liberté plus grande que ^^^'^ l'Eiiropa
qu'il était prêt à donner à l'Eglise une celle

dont elle jouissait, que son seul objectif était de séparer le domaine
temporel du domaine spirituel, TEtal de TEglise ' » ; tandis que le

vieux Metternich écrivait que « la position prise par la cour de


Turin faisait vibrer ses nerfs par des sortes d'impulsions galvani-
ques ^ », Victor-Emmanuel était comme effrayé de l'audace de son

ministre*. Effectivement, le congrès de i856 fut le point de départ


d'une campagne de pamphlets, de calomnies, d'outrages de toutes
sortes, où les traites de i8i5, la puissance autrichienne, le pouvoir
temporel de la papauté, l'influence des prêtres, mêlés et confondus
sans raison, étaient vilipendés par des folliculaires sans scrupules.
L'évêque de Poitiers, Mgr Pie, avec cette ardente spontanéité et ce Proiestailon
'**
dévouement passionné à la Chaire romaine, aux doctrines romaines, ®;*?' '"

. . . . .
evçque
aux intérêts romains, qui fut la caractéristique de sa carrière épisco- de Poitiers.
pale, fit entendre des protestations indignées, qui, par delà les agi-

tateurs de bas étage, visèrent directement les Etats, qu il rendait res-


ponsables de l'agitation, a Les gouvernements rationalistes, disait il,

ne sauraient rien édifier de solide et de durable ; et, pour être retardé,


leur châtiment n'en est pas moins inévitable ^. » Le gouvernement Mgr Pie
français prit l'admonition pour lui et prépara des représailles \ Mais '® révèlo
coDQiiie le Ciiof
les catholiques militants, dont VUnivers était l'organe, acclamèrent ecclésiastique
l'évêque de Poitiers comme leur chef ecclésiastique. Par sa science .^^ l'école
.1/ I

, . r, ., 1 , , ,. .
dite ultran-.ou-
theologi({ue, par son attachement inflexible a la tradition et par uine.
l'iuUH'piciiié deson zèle, l'cvêcjue de Poitiers était le docteur indiqué

I. Cf. Correspondant du 35 juillet i856 Dbschamps, op. cit., t. IT, p. 333.


;

1.Cavour, Letlere^ i. II, p. 453.


3. Metternich, Mémoires, t. VIII, p. 394.
4. Cavour, loc. cit.
5. Baunard, Hist. du cardinal Pie, t. I, p. 63 i Cf. Card. Pie, Œuvres, i.
11,
p. 5i4, et surtout Instruclion synodale sut Rome considérée comme siège de
1
Id
papauté, Œuvres, i. II, p. 466-536.
6. Bau:!ard, loc. cit.
448 HISTOIRE GEMERALE DE L EGLISE

du groupe de catholiques dont Louis Yeuiilot se faisait le vigoureux


iuteiprète.

III

Cavour cher- Cavour cependant poursuivait lentement et sûrement son œuvre.


che à capter,
au pro5t
Après avoir gagné à sa cause le monde de la diplomatie, il tra-
de sa politique, vaillait à maîtriser à son profit les forces révolutionnaires.
les forces ré-
volutionnaires.
Parmi les hommes qui avaient compris la portée des décisions
prises au congrès de Paris relativement à l'Italie et au Piémont, était
Ses un disciple de Mazzini, Giuseppe La Farina, esprit ardent, épris de
pourparlers
avec Giuseppe
politique militante, mais chez qui, comme chez beaucoup de ses
La Farina, compatriotes, l'ardeur de la passion ne nuisait aucunement à la vue
disciple
de Mazzini
claire des situations réelles et des possibilités pratiques. Sincèrement
(septembre attaché à son maître, mais plus profondément dévoué aux doctrines
i856).
mazziniennes, il comprit que celles-ci couraient les chances d'un
plus grand succès en se liant à la fortune du Piémont et de Cavour.
Celui-ci consentirait-il à s'en servir ? La Farina supposa le ministre
trop intelligent pour négliger une pareille force. 11 ne se trompait
point. Une entrevue, qui eut lieu, le 12 septembre i856, entre le

conspirateur et l'homme d'Etat, sufiQt à les mettre d'accord. Le


Fondation résultat de leurs conférences fut la fondation d'une Société nationale
de la Société
nationale
italienne^ association à la fois publique et secrète: publique en Sar-
italienne daigne, où son dévouement à la cause du Piémont et de son roi
(iS56J.
devait faciliter son recrutement et son action, mais secrète à l'étran-
ger, de peur d'éveiller des susceptibilités nationales ou de provoquer
les répressions des pouvoirs publics. Sa compositiou lut très diverse :

des avocats, des hommes de lettres s'y rencontrèrent avec des artisans
et des ouvriers. Partant, l'action de ses membres fut très variée : tandis
que i'hoiiime du peuple propageait la doctrine de la rénovation de
l'Italie parmi ses camarades d'atelier, des poètes, des artistes, des
u romanciers exaltaient la patrie italienne, et des savants recueillaient
collaboration
du parti
patiemment tous les vieux textes qui pouvaient servir à la glorifi-
mazzinien cation de la cause nationale. Naturellement, la grande majorité des
avec Cavour
lincline vers associés appartenait aux sectes révolutionnaires ; les idées de Mazzini
l'hostilité formaient le fond de leur profession de foi ; et, s'ils désiraient l'unité
envers
le Saint-Siège.
italienne avec autant de passion que le ministre Cavour, pour eux le

pouvoir temporel de la papauté était le grand obstacle à la réali-


9

DE LA BULLE îneJfahUis A l'e:^ci CLIQUE Quanta cura ^4

enlîoii de cette unité. Ni Victor-Emmanuel ni Cavour ne pouvaient


sorjger à modifier sur ce point les idées de leurs nouveaux collabo-
ralciirs. Il fallait les accepter tels quels, ou se passer d'eux. On ne
pouvait se passer de leur aide ; on les accepta avec leurs idées. Ainsi
se réalisa la prédiction de Mazzini : « Le Piémont entrera dans la

voie de nos doctrines par la perspective de la couronne d'Italie. La »


personne du fameux conspirateur avait été éliminée comme compro-
mettante mais son plan triomphait.

11
;

Désireux de faire servira son entreprise toutes les forces qu'il pour- Cayour

rait avoir sous


,
la
.

mam, sans
111
trop regarder a leur valeur morale,
» abouche
avec GaribaMi
Cavour ne pouvait négliger l'étrange condolllere qui, depuis 18^8, (^^^7)'

emplissait l'Italie du tapage de sa renommée, Giuseppe Garibaldi.


Né à Nice en 1807, successivement marin piénriontais, conspirateur à

Gênes pour le compte de Mazzini, professeur de mathématiques en


France, capitaine de frégate au service du bey de Tunis, chef de
bandes révolutionnaires en Amérique, il était venu, en i848, mettre
son épée au service de Charles-Albert pour combattre l'Autriche,
En 18/19, ^pï"^» l'abandon de Rome par le pape et la proclamation
de la République romaine, Garibaldi avait été chargé par Mazzini de
défendre la Ville éternelle contre l'armée française du général Oudi-
not. Obhgé de licencier ses troupes, mais ne pouvant se résoudre à
l'inaction, il était retourné en Amérique, s'y était livré à des entre-
prises industrielles, et, finalement, pressentant un réveil de l'agitation

révolutionnaire en ItaHe, y était revenu en i854 avec un prestige de Portrait

mystérieux aventurier. Martial et grotesque, revêtu, par-dessus la (i8oVi88a>


chemise rouge, du poncho américain, coiffé d'un large sombrero, ce
singulier condottiere avait l'aspect d'un héros de foire aussi bien
que d'un héros de roman. Son courage était réel. Il le poussait même
parfois jusqu'à la témérité la plus folle. Par là il s'imposait aux
foules, qu'il attirait aussi par les étrangetés de son attitude, par les

vivacités de sa parole et par son imperturbable jactance. Son affilia-

tion à toutes les sectes révolutionnaires avait étendu le cercle de ses


relations. 11 alTcctait l'illuminisme. Exagérant les formules de Mazzini,
il invoquait le Christ en criant : « Sus au [)ape », et n'était jamais
plus fier que lorsqu'il pouvait s'entourer, dans ses manifestations
anticléricales, de quelques religieux apostats revêtus du froc de leur
Institut.

T(l était l'homme avec lequel le comte Cavour s'aboucha pour la

pi« micrc fois vers la lin de l'année 1857, sans se dissimuler qu'un
Ilisl. gén. de 1 Eglise. _ VIII ^9
45o HISTOIRE Gryr.RVT.E DE I- FGMRE

pareil auxiliaire lui susciterait peut-être autant de difficultés qu'il lui


apporterait de secours ; mais il se proposait d'aplanir les unes en
profitant des autres.
Difficultés
Ces diiïicultés, d'ailleurs, lui paraissaient peut-être minimes à
que rencontre
Gavour dans côté de celles qu'il pouvait pressentir, soit du côté des puissances,
son entreprise. de part des sectes dirigées
soit la par Mazzini, soit de la port d-»
catholiques italiens et du pape lui-même. Parmi les puissances, au
fond, la France seule inquiétait Gavour. La Russie était bien loin ; la
Prusse, bien isolée encore; et l'Angleterre, assez ignorante des choses
italiennes.L'empereur des Français avait sans doute un passé d«
Ces difficultés carbonaro qui pouvait le rendre sympathique à l'œuvre de l'unité ita-
lui viennent ;

10 du côté lienne, fût-elle aidée par un Garibaldi *


; mais, depuis son avènement
de la France, au pouvoir, il cherchait manifestement à se concilier les sympa tliics
dont
la politique des catholiques. Il avait été question d'un remaniement des Articles
conservatrice organiques. Sans doute, l'ensemble des catholiques français n'avait
est favorable
au pouvoir pas la candide confiance de Mgr de Ségur, lequel, voyant « Napo-
temporel léon devenir, comme il disait, de plus en plus papiste », écrivait à
du pape ;
Mgr Pie : « Restaurateur de la religion en France, le prince le sera,

par contre-coup, dans toute l'Europe 2». Mais le seul souci de ne pas
s'aliéner la portion la plus compacte du parti conservateur pouvait
suffire à rendre l'empereur hostile à toute entreprise menaçante pour
la tranquillité du Saint-Siège. Avec une sollicitude anxieuse et une
persévérance obstinée, dont sa correspondance porte les témoignages,
Gavour s'appliqua à combattre, dans l'esprit de l'empereur, tout ce
qui pouvait le préoccuper fâcheusement dans l'entreprise piémon-
a» du CÔÎ6 taise 3. La tâche était d'autant plus difficile, qu'il fallait, d'autre
de Mazzini,
mécontent part, apaiser Mazzini, lequel profitait alors du mécontenteme t
d'avoir été populaire provoqué par une récente levée d'impôts, pour donner une
écarté de toute
combinaison vitalité nouvelle à son parti. Quant au clergé italien, s'il était en
politique ; grande partie favorable à un mouvem^ent national, il était surtout
sensible à toute attaque, à toutemenace dirigée contre le pape. Dans
30 de l'ensem- son allocution Probe rnemineritis du 22 janvier i855, Pie IX s'était
ble des
catholiques, plaint de « la hardiesse » avec laquelle le roi de Sardaigne ne crai-
(iue les plaintes gnait pas de « violer l'indépendance de l'Eglise » et de « faire les
de Pie IX
ont émus.
1. Un cousin de l'empereur, le prince Lucien Murât, avait été élu, en janvier
i853. un mois après le coup d'Etat du 3 décembre, Grand Maître de la franr-
maçonnerie. C'est lui qui aclieia le fameux immeuble de la rue Cadet.
2. Ba.ln.vrd, Hist. du card. Pie^ t. I, p. SgS. Cf. Marquis de Ségur, Souvenirs et
récits d'un frère, l 1, ch. ixetxi.
3. Gavoor, LeUere édite e inédite, t. Il, p. 48/j, hç}2, 6o5 ; t. VI, p. 69, lOO.
DE LA BULLE lne[Jahifi<i a l'engycltque Quanta cura /|5i

injures les plus graves à l'autorité suprême du Saint-Siège ^


» ; et le

voyage triomphal fait par le souverain pontife, au cours de l'année


1857, à Bologne et dans plusieurs autres villes de l'Italie 2, prouvait
bien que les plaintes du Saint-Père éveillaient des échos profonds de
sympathie parmi le clergé et les fidèles de l'Italie. La publication
faite en cette même année, le 19 mars 1857, par un jounial anglais^
le Daily News, d'un important mémoire de l'ambassadeur français
à Rome, M. de Rayneval, mémoire très favorable à Pie IX, très défa-
vorable au^ Italiens, et jusque-là tenu secret, était capable d'étendro
dux catholiques du monde entier les sentiments manifestés par les
catholiquesd'Italie. Là peut-être, daûs ce mouvement d'opinion qui
pouvait à la fois paralyser l'action de la Sardaigne et encourager
Napoléon daiis sa politique favorable au Saint-Siège, était le plus
Lé minîstra
grand obstacle aux projets de Gavour. Ce dernier avait beau aCfecler
de Victor-
le calme et le sang-froid, déclarer qu'il n'était a ni inquiet ni troa- Emmanuel
éprouvait le besoin de masquer sa politique religieuse sous cherche
blé » ; il
à parer à cei
le couvert d'une politique purement nationale et de raviver la popu- difficultés.

larité de son souverain. Dans ces vues, il détermina le roi à faire

une tournée dans ses Etats, et provoqua sur son passage lès accla-

mations de son peuple. Mais les efforts qu'il prodiguait en ce sens ne


faisaient qu'accuser ses appréhensions.

Un tragique évérlement vint tout à coup, en déterminant l'attitudo


de l'empereur des Français, mettre fin aux anxiétés de l'homme d'Elat
piémoutais.

rv

Le it\ janvier i858, à huit heures et demie du soir, au moment L'«llenlat


d'Orsiiii
011 l'empereur et l'impératrice, en voiture de gala, débouchaient de
(lii jaiuicr
la rue Le Peletier, pour se rendre à l'Opéra, trois bombes, jetées
dans la direction des souverains, criblèrent de leurs débris la voiture
impériale et atteignirent plus de cent cinquante personnes, dont
huit succombèrent. L'empereur et l'impératrice avaient été préservés.
Une enquole prouva que les auteurs de l'attentat étaient quatre Ita-
liens Oi-bini, Pieri, Gomez et Rudio, et que le complot avait été
:

I. Recueil des allocutions^ encycliqueSf elc, cilées dans le Sjllabus, un vol. in-8»,
Paris, i865, p. 347.
a. Sur ce voyage, voir CuAr^iREL, Annales ecclésiastiques, p. a58, aSï-aSô,
45S). niSTOlRTî GÉNÉRALE DE l/ÉGMSE

organisé par Orsini. Ce dernier, originaire des Etals romains, avait.


dès sa jeunesse, en i8/i5, été condamné aux galères à vie pour cons-
piration contre le gouvernement de Grégoire XVI. Amnistié l'année
suivante par Pie IX, il n'avait pas tardé à se faire remarquer parmi
Conrie plus ardents agitateurs du
les parti révolutionnaire. Condamné de
bwgranliie
d'Orsini.
>

nouveau, a plusieurs reprises,


i • •
m
il
....a
avait réussi s évader, et avait erré
à travers l'Europe, propageant autour de lui les idées les plus sub-
versives. Les sociétés secrètes paraissent l'avoir compté au nombre
de leurs plus dévoués afTidés. Un mois après l'attentat, Orsini subis-
Les dernières sait la peine des régicides. Mais, avant de mourir, il lui fut permis
« déclarations j r •
i- i •
i» •

d'Orsiui ». de taire lire, en pleine cour d assises, par son avocat, Jules Favre,
une lettre à l'empereur, qui se terminait par ces mots : « J'adjure
Votre Majesté de rendre à l'Italie son indépendance... Que Votre
Majesté se rappelle que les Italiens versèrent avec joie leur sang pour
Napoléon le Grand... Qu'Elle se rappelle que, tant que l'Italie ne
sera pas indépendante, la tranquillité de l'Europe et celle de Votre
Majesté ne seront qu'une chimère... » Peu après, le préfet de police,
Pielri, alla trouver le condamné dans son cachot, et obtint de lui
qu'il écrivît une seconde lettre, pour engager ses amis politiques à
renoncer aux moyens violents, tels que l'assassinat, et leur faire
entendre que raffranchissement de Tltalie était à ce prix. Orsini
écrivit la lettre, puis, payant sa dette, monta sur l'échafaud, où il

mourut en criant : « Vive la France !mars i858. Le


» C'était le i3
3i mars, la Gazette officielle du Piémont publiait en bonne place
les deux lettres d'Orsinien déclarant les tenir d'une « source sûre »,

Les historiens modernes de l'Italie prétendent savoir que cette source


sûre n'était autre que le cabinet de l'empereur Napoléon III ^.

Ce mystérieux Ces tragiques événements eurent une double répercussion sur la


attentat ... . , . •
i> •
r • * i»* •

devientle point politique intérieure et extérieure de


, i
1 empire irançais. A f
1 intérieur,

de (lépart [\^ marquèrent le début d'une série de mesures répressives, caracté-


chaM'i^einent ristiques d'un gouvernement absolu : le ministère de rinlérieur fut
de politique confié à uu général connu pour sa rigueur, Espinasse ; la France
inlcrieure
et extérieure ^^^ divisée en cinq grands commandements militaires, comme si elle

pour eût été en état de siège; plus de deux mille républicains furent
Napwléon III
arrêtes
.,
; et
, ,

plus de trois cents, déportes au iond de


. ,, , riiTAif'T-'
Algérie. En même
1
*

temps, la politique extérieure de l'empereur, relativement au mou-

I. BiANCHi, Storia docixmentalay t. VII, p. /io3-4o4 ; Gavour, Lettere, t. II,

p. bl\o-blii.

i
DE LA BULLE TieJJahUh A l'e!^ctchque Quanta nira /i53

vcment italien, s'orienta subitement vers les plans de Cavour. Les


Italiens, en célébrant la mémoire d'Orsini « comme celle d'un
nouveau Guillaume Tell *
», ne s'y trompèrent pas. Le conspirateur
avait-il, comme on Ta prétendu, rappelé à l'empereur des Français
d'anciens serments faits par lui alors qu'il était carbonaro ? On n'a

pu donner de cette asserlioh aucune preuve précise. Ce qui paraît

certain, c'est qu'en ce moment « la Révolution, suivant l'expression


d'un historien favorable aux idées révolutionnaires, venait de ressaisir
Napoléon III ^ ».
La mystérieuse négociation qui aboutit à l'accord secret de Plom- La convention
^^**
bières, entre l'empereur et Cavour, le 21 juillet i858, fut le premier ^
^^^^^
pas dans la voie de la nouvelle politique. Il y fut décidé que la Napoléon HI

France aiderait le Piémont à expulser les Autrichiens de l'Italie et à f ^ iu^iiic!

se constituer en Etat riche et puissant en s'adjoignant Parme, la i858),

Lombardie, la Vénétie et les Légations elles-mêmes. On essayerait


de faire accepter au pape la perte de ses provinces en lui conférant
le titre de (( président de la Confédération italienne». Il n'était pas
besoin d'être prophète pour s'apercevoir que ces clauses n'étaient
qu'un mf/t/mam, dont le Piémont et les sectes révolutionnaires ne
pourraient se contenter. La presse française elle-même, secrètement
sollicitée par Napoléon de préparer l'opinion à son évolution poli-
tique, dépassa bientôt les bornes de la Convention de Plombières. La
Patrie, dont les attaches gouvernementales étaient connues, se con- kihqaet
tenta de demander sfuerre
la ^^ contre l'Autriche ; mais la Presse, di- °®1? F^^'*
^
oliicicuse
ri gée par Georges Guéroult, un protégé du prince Napoléon, et le contre le
go^^vernement
Siècle, dont le directeur Havin recevait des communications directes
temporel
de la cour, se firent les défenseurs de la révolution italienne. Le du pap.
Moniteur lui-même, organe officiel de l'empire, publia des articles
d'Edmond About, où la politique pontificale était vivement attaquée
et discréditée. Ces articles furent bientôt réunis en un volume dont
Napoléon lut, dit-on, les épreuves. Plusieurs familiers de l'empereur ^
avaient fourni des renseignements à l'auteur du livre 3. Le rédacteur
en chef de V Univers tint vaillamment tête à l'orage ; mais il essaya
vainement d'intervenir directement auprès de Tempereur pour obtenir
de lui la cessation de l'odieuse campagne. Quelques bonnes

I . Souvenirs de la marquise d'azeglio, p. 35 a.


a. I")kbii)Our, dans Vllist. gén. de Lwissk et R.vmba.ud, l. Xï, p. i57.
3. y o'w Journal des Concourt, l. I, p. 2"]"].
^54 HISTOIRE GENERALE DE L EGLISE

promesses du souverain furent aussitôt démenties par les faits *.


L'affaire D'ailleurs, en cette même année i858, un nouvel incident, l'at-
Mortara
faire Mortara, servait de prétexte à une recrudescence inouïe d'attaques
(i858).
dirigées contre le pouvoir pontifical.
Vers i854, un enfant juif de Bologne, alors Etat de l'Eglise,
avait été baptisé m gx<r^/7H5 par une servante chrétienne. En i858,
Pie IX, informé de l'événement, ordonna que, co^formément à la
loi civile pontificale et àla loi canoni que 2, Tenfant chrétien fût élevé
dans la foi chrétienne, et, pour cela, séparé de sa famille et placé
dans un couvent. SeB parents pourraient le voir, mais sans qu'il leur

Cette affaire fût permis d'exercer sur lui une influence religieuse dans le sens du
devient
judaïsme. Dès que la presse hostile à l'Eglise fut au courant de ce
Toccasion
de fait, ce fut un toile général contre les « lois surannées » du gouver-
vives attaques
nement pontifical, contre « l'oppression du droit naturel par le droit
contre le
gouvernement théologique ». Depuis longtemps les ennemis du pouvoir temporel
pontifical.
n'avaient pas trouvé terrain plus propice à leurs attaques. Presque
seul dans la presse catholique, V Univers prit nettement et dès le

1. Le compte rendu de l'audience accordée à Louis Veuillot par Napoléon III a


tome VI des Mélanges.
été publié, treize ans plus tard, dans le
3. Plusieurs décisions de tribunaux ecclésiastiques et une décision du iv^ concile
de Tolède, du 5 décembre 633, avaient déclaré que les fils et filles des juifs, baptisés
in extremis ou en cas d'abandon de leurs parents (ce sont les deux cas où le baptême
peut leur être conféré sans le consentement de leur famille), devaient être séparé»
de leur milieu juif et élevés dans des cou\»cnts par de bons chrétiens et de bonnei
chrétiennes (Mansi, Concil., t. X, p. 634; HtFELE-LÉCLERCQ, llist. des conciles,
t. III, p. 274) Benoît XIV, en rappelant ces décisions, les explique, en disant que
le droit naturel du père de famille n'est pas supprimé, mais qu'il est primé par le
devoir qu'a la société religieuse de veiller sur l'éducation de ses membres(BE>oiTXIV,
Bullariimiy t. II. p. Sô-iog), Telle est la raison que développent les théologiens et
les canonistes (Cf. card. Billot, De Ecclesiae sacramentis, Rome, iSgS. 1. 1, p. a^a-
344 Mais Benoît XIV remarque que, dès son époque, la mesure proposée pour
.

assurer l'éducation chrétienne de l'enfant chrétien paraissait dure, et que selon


plusieurs canonistes, l'enfant pouvait être laissé aux parents si ceux-ci s'engageaient
sous caution aie rendre quand il aurait atteint l'âge convenable, et, en attendant,
à ne lui rien en.seigner contre la foi catholique. Des théologiens plus récents ont
enseigné que la séparation ne doit pas être faite « là où les lois civiles s'y oppo.-ent»
(Marc, Instilationes, pars III, tr. II, cap. m
n. i473, Kome, 1887, p. 48,, ou
t quand le pouvoir séculier est hostile » (Lehmkuhl Theologia morolis, Fribourg,
1896, t. II, p. 61, n. 81). D'une manière plus générale, le cardinal Billot enseigne
qu'il vaut mieux ne pas enlever à ses parents lenfant juif baptisé quand, pour
vouloir écarter le danger d une apostasie, « on causerait un plus grand mal ou on
empêcherait un plus grand bien », car tel est, dit-il, a la règle générale de la
prudence ». « In lis circumslantiis in quibus majus malum secum traheret, vel niajus
bonum impediret^ praestal illud impedire^ jaxta générale prudentiae dictamen » (Billot,
De Ecclesiae sacramentis. Rome, 1893, t. I. p. 343 L'éminent théologien ajoute :
,

« Permisit tamen divina Providenlia ut ipsis nostris temporibus quaedam exempki da-
rentar, tum in manifestalionem sanrtitalis et effîcaciae sacramenti, tum in attestationem
jurisatque ojficii quod habet Ecclesia apud baplizatos ï> (Billot, loc. cit,].
DE LA BULLE Ineffabllls A. l'enctclique Quanta cura 455

premier inslant la défense de l'acte du pape et de toutes ses consé-


quences possibles,' des lois de l'Etat pontifical dans toute laletlrede leur
teneur*. Quittant le terrain de la défensive pour aborder celui de l'of-
Vcuillol
fensive, Veuillot rappela qu'il y avait d'autres Mortara en Europe, dont Louis
prend
les défenseurs actuels de l'autorité paternelle ne s'étaient pas occupés: vivement
Grimée, que la défense
c'étaient ces orphelins de soldats irlandais morts en
du pape.
l'Angleterre faisait élever dans des institutions protestantes ;
d'autres

droits paternels plus outrageusement violés : c'étaient ceux de ces

pcresde famille que la loi suédoise déclarait déchus de leur autorité


par le seul fait qu'ils embrassaient le catholicisme. Ces ripostes ne

manquaient pas d'à-propos ; mais elles ne purent pas couvrir le bruit

presse quotidienne, les revues, les théâtres, les réu-


immense que la

nions publiques, images populaires entretinrent pendant plusieurs


les

mois en Italie, en France, en Angleterre, dans l'Europe entière.


L'opinion publique n'était pas encore calmée à ce sujet, quand, Apparition
de la brochure
le 4 février i85g, parut à Paris une brochure anonyme, intitulée
Napoléon
Napoléon et ^Italie, La question romaine et la question Italienne y et l'Italie

(4 février
étaient abordées et envisagées dans toute leur ampleur. Le gouver- 1869).
nement pontifical y était représenté comme ayant un besoin urgent
de rénovation, d'adaptation à l'esprit moderne, et le pape comme
incapable de réaliser cette rénovation. Les autres princes d'Italie y
étaient dépeints comme également impuissants, soit du fait de leur
assujettissement à l'Autriche, soit du fait de leur isolement. Le salut
de l'Italie, suivant l'auteur de labrochuie,nepouvaitluivenir quepai
son unification, réalisée en vertu du principe des nationalités. Le chef
de la dynastie napoléonienne avait jadis nettement proclamé ce prin-
cipe, lorsque, en ceignant la couronne d'Italie, il s'était écrié : u J'ai

toujours eu l'intention de créer libre et indépendante la nationalité


italienne. » « L'empereur Napoléon I", ajoutait le publiciste ano-
nyme, a cru devoir conquérir les peuples pour les afl'ranchir ;

Napoléon III veut les aiTranchir sans les conquérir ». Ou eut plus tard
la certitude que la brochure avait été écrite par un serviteur dévoué Importance
de cette
du second empire, M. de la Guéronnière, sous l'inspiration de l'em- publication
pereur Napoléon III lui-même.
Le projet exposé dans la brochure n'était qu'une application de la

I. La polémique soutenue par Veuillot dans VUnivers n'occupe pas moins do


3 16 pages de ses Mélanges. On peut voir aussi une défense de l'autorité pontificale
en ci'Uo .in'aire dans la Civiltà cattulku, bcr. 111, vol. Xll, p. 3S5 et s., Il piccolo
neojito I£dgardo Morlara,
^56 HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLISE

[politique générale du souverain des Français. En i8i5, le prince


Metternich avait prétendu assurer la paix définitive de l'Europe par
le seul principe de l'équilibre, sans tenir connpte des nationalités.
Lapoîîtlquc Napoléon
!.]„ ig5 III prétendait la régénérer
^ par le seul principe
napoléonienne , . ,. .
^ r t

et le principe des nationalités, sans tenir compte de l'équilibre. Généreux et uto-


des pisie, rêvait la constitution d'une
il Italie libérée, d'une Allemû;,^ne
uniliee, d une Pologne indépendante, d'une Irlande autonome Par
suite de ces remaniements, l'Autriche, la Russie et l'Anglelerre
seraient affaiblies, tandis que la France obtiendrait, pour prix de
son concours, la Savoie, le Luxembourg, peut-être la rive gauche
du Rhin ^ L'avenir devait montrer l'effondrement de cette politique.
L'alliance contractée avec l'Angleterre pour la guerre de Crimée
avait déjà fait abandonner à l'empereur la cause de l'Irlande la ;

crainte d'une coalition de la Russie, de l'Autriche et de la Prusse


l'empêcherait d'intervenir en faveur de la Pologne ; et quand la po-
litique napoléonienne semblerait réussir, ce serait pis encore : les

mouvemeo s unitaires de l'Italie et de l'Allemagne allaient nous sus-


citer de r .doutables voisins sur nos frontières de l'est, sans affaiblir

les autr*^;) puissances.


La politique Pou^ ce qui concerne la politique religieuse, l'empereur Napoléon,

deVem'pereur àynu^ eu l'avantage d'apprécier la solidité de l'appui que lui avaient


des Français, pré'e les catholiques, tenait à ne pas les froisser, et n'aurait voulu
DT déposséder le pape de son domaine temporel ni donner à l'Italie

liome comme capitale. Une constitution libérale, calquée sur celle

de i848, et la cession des Roinagnes au Piémont, auraient satisfait


sa politique. En cela, il allait moins loin dans ses prétentions que
son allié Cavour, lequel ne reculait pas devant l'idée de Rome capi-
En quoi cette taie de l'Italie unifiée sous l'hégémonie du Piémont. Cavour, à son

dfl''° *d^"^ll
1-0^^'» repoussait énergiquement l'idée d'une agression violente du
de Cavour patrimoine de saint Pierre, agression qui, pensait-il, briserait l'har-
^ nionie de ses rapports avec France, donnerait trop au
à^ C
la d'élan
ifld'
parti révolutionnaire et blesserait en outre ses sentiments intimes,
qu'il professait être ceux d un catholique respectueux du chef de la

chrétienté. Mais Garibaldi et sa secte étaient décidés à ne reculer de-


Pourquoi vaut aucun attentat ; et, quand les chefs d'un mouvement ont fait
celle erniere
uq^^ {Qig gppgi aux passions populaires, ce soht toujours les partis

analement les plus violents qui l'emportent. Du projet de la réforme de l'Etat


prévaloir.

X, Voir A. Lbrox-Beaulieu, Un empereur, un roi, unpap^, Paris, 1879.


DE LA BULLE IneffahlUs A l'encyclique Quanta cura ^67

pontifical et de l'unité de l'Italie à celui de Rome capitale, puis à

celui de la spoliation du souverain pontife, la marche allait être ra-

pide : les plus hésitants seraient amenés à dire, avec le roi Victor-

Emmanuel : i( Nous irons jusqu'au bout, Andremo al fondo. »

Quelles que fussent leurs divergences sur la conduite ultcrieuiede


la campagne qui allait commencer, Napoléon III, Cavour et Gari- La^guerre

baldi étaient d'accord sur l'acte qui devait l'inaugurer : la déclaration


de guerre à l'Autriche. Le i" janvier iSSg, aux Tuileries, l'empe-
reur, recevant le corps diplomatique, avait dit au baron de Hiibner,
ambassadeur d'Autriche : « Je regrette que nos relations avec votre
gouvernement ne soient pas aussi bonnes que par le passé ». Le
10 janvier, Victor-Emmanuel, ouvrant la session parlementaire,
avait fait la déclaration suivante : « Si nous respectons les traités,

nous ne sommes pas insensible au cri de douleur de notre peuple. »


Le 3o janvier, le mariage du prince Jérôme Napoléon, cousin de
l'empereur des Français, avec la princesse Clotilde, fille du roi de
Sardaigne, avait scellé l'alliance des deux Etats. Cavour passa l'hiver
à mettre l'armée sarde sur le pied de guerre ; Garibaldi, à ras-
sembler des corps francs. Le 28 avril, l'Autriche, se sentant menacée,
somma la Sardaigne de désarmer dans le délai de trois jours. Le
26, Cavour repoussa V ultimatum de la cour de Vienne, et dit :

« Aléa jacta est : Nous avons fait de l'histoire. » La campagne qui


allait entraîner si loin la politique piémontaise, était engagée.
Ce n'est pas ici le l'ieu de raconter les brillantes actions militaires I-a campagne
qui, endeux mois, du 10 mai au 11 ^^^
juillet i85q,
^ conduisirent 1 s / ^
•* J .
'^10 mai-i I
armées française et sarde aux portes de Venise. Les deux grand s juillet 1869)
étapes de cette marche victorieuse furent la bataille de Magenta, où,
le /i juin, la garde impériale et le général de Mac-Mahon, depuis
maréchal et duc de Magenta, se couvrirent de gloire ; et la bataille
de Solferino, où, le 24juin, i5o.ooo soldats de l'armée franco-pié-
montaise mirent en déroute 220.000 Autrichiens. L'armée vaincue
se relira dans le fameux « quadrilatère » formé par les places foi les

de Peschiera, Mantoue, Vérone et Legnago, prête à livrer la bataille


décisive d'où sortirait la liberté de l'Italie ou la soumission de l'Au-
triche.
458 HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLISE

La paix Tout à coup on apprit que l'empereur Napoléon, chef de l'armée


de Villa franca,
ratifiée
franco-picmontaise, et l'empereur François-Joseph, dans une entrevue
par le traité à Villafranca, avaient conclu, le ii mai, un armistice et arrêté les
de Zurich
(lo novembre bases de la paix. Napoléon III expliqua plus tard, dans un discours
i859). prononcé à Saint-Cloud, les raisons de cette brusque démarche.
Averti par les agents diplomatiques de la Russie que la Prusse se
préparait à venir au secours de l'Autriche, il n'avait pas cru que
l'armée dont il avait le commandement fût capable de soutenir la

lutte à la fois sur TAdige et sur le Rhin, et il avait cru plus prudent
de traiter avec l'ennemi. Quant aux clauses consenties à Villafranca,
que le traité de Zurich devait ratifier le lO novembre suivant, l'em-
pereur les notifia au pape, le i4 juillet, en ces termes : « Très Saint-
Père, je viens de conclure la paix avec l'empereur d'Autriche aux
Clauses conditions suivantes : i" les deux empereurs s'efforceront de cons-
relatives au
Saint-Siège. tituer une fédération italienne sous la présidence du Saint-Père ;

2° la Lombardie est cédée au Piémont ;


3" les souverains dépossédés

rentreront dans leurs Etats ;


4" les deux empereurs demanderont au
Saint- Père d'introduire dans ses Etats les réformes nécessaires ; 5^ la

Vénétie, quoique restant sous le sceptre de l'Autriche, fera partie de

la confédératioû italienne ;
6** une amnistie pleine et entière sera ac-
cordée à ceux qui ont pris part aux derniers événements *... »

Cette paix Cette paix ne contenta personne. On raconte que Pie IX, à la lec-
ne contente
ture de la lettre impériale, s'écria : « C'est beau : le doge soulevant
personne :

ni le pape, ou apaisant d'un geste les flots de l'Adriatique ! Mais je ne veux pas
ni l'opinion
de cette fédération ni de ce gouvernemeat laïque 2. » Il comprenait
publique
française, que la présidence qu'on lui offiait ne serait qu'honoraire, et que la
ni l'opinion
présidence effective de la confédération appartiendrait au Piémont.
publique
italienne. De son côté, l'opinion française fut défavorable au traité. « Nous
vivions tous alors, a écrit Emile Ollivier, sur l'idée de la puissance
irrésistible de l'armée française... Aucune qualification blessante
ne fut épargnée à l'empereur, parce qu'il avait douté que nos soldats
pussent victorieusement soutenir le choc des Autrichiens surl'Adige,
des Prussiens sur le Rhin. Mais si en France on fut déçu, en Italie

on fut désespéré. Gavour abandonna les affaires, presque fou de dou-


leur. On se crut au lendemain d'un nouveau Novare 3. » Ce qui avait

1. Voirie texte in extenso de la lettre dans Enaile Ollivier, qui l'a publiée le
premier dans son ouvrage l'Eglise et VEtal au concile du Valicany t. II, p. 455-456.
2. E. Ollivier, op. ci/., p. 457.
3. Ibid., p. 453-454.
DE LA BULLE Incff^abills A l'engycliql'e Quanfa cura libg

pu être proposé en iSfiS paraissait plus acceptable en iSSg. L'idée


de l'Italie unifiée sous la direction oincicllement nroclamée
A.

du Piémont, et non sous son influence cachée, avait, grâce à Cavour,


fait son chemin, conquis les esprits des politiques, gagné les masses.
« Jusque-là, il y avait eu des sectes, des divisions, des fédéralistes,
des républicains, des monarchis-tes ; de ce moment, il n'y eut que
des unitaires ; par un coup de baguette, ce qui n'avait été jusque-là
que la croyance d'une poignée de sectaires devint le mol d'ordre
d'une nation. Sur toutes les lèvres, en Piémont comme en Toscane et

dans les duchés, un cri unanime s'éleva : « Unité ' I »


Les actes accompagnaient les paroles. Les Etats de Florence, de
Parme et de Modène votaient la déchéance de leurs ducs et se met-
taient sous la protection du Piémont. Les Romagnes elles-mêmes se Le
seul résultat
soulevaient et se ralliaient aux trois autres Etals de l'Italie centrale. appréciable
Yiclor Emmanuel n'osa pas accepter personnellement la dictature du traité est un
nouvel élan
qu'on lui offrait. Pour ménager l'empereur Napoléon et pour res- donné
pecter la lettre du traité de Villafranca, il s'arrêta à une de ces com- au mouvement
vers luiiité
binaisons auxquelles la politique italienne a souvent recours : un italienne.
prince de la maison de Savoie, le prince de Garignan, accepterait,
dans le seul but de maintenir l'ordre, menacé par les menées de Gari-
baldi, la régence des quatre Etats, réunis sous le nom d'Emilie ; en-
core n'exercerait-il celte régence que par un mandataire, le chevalier
Buoncompagni. G'était réduire au minimum d'apparence une prise
de possession qu'on voulait solide et définitive -.

En somme, par toutes ces agitations, par toutes ces combinaisons,


les clauses de Villafranca s'effritaient. Trois des Etats que l'empe-
reur des Français avait voulu maintenir avaient disparu ; l'Etat pon-
tifical, qu'il avait prétendu sauvegarder, se démembrait, et cepremier
démembrement paraissait une menace de ruine totale. Le 26 sep-
tembre 1809, le pape prolesta contre ceux qui, « soutenus par des Protestation
conseils, par des secours de toute sorte venus du dehors, élevaient du pape
26 septembre
le drape-au de la défection et de la rébellion dans ses Etats » ^. Le 1859;.
29, Mgr Pie, évêque de Poitiers *, Mgr Dupanloup, évêque
le 3o,
d'Orléans ^, puis, à leur suite, un grand nombre d'évêques du monde

I. E. Ollivibr, op. cif.,p. 459.


a. P. de la GoRCE, Hist. du second empire, t. Ili, p. i58-i6a.
3. Ch.vnthel, Annales, p. 359.
4. Ibid., p. 36o-36a.
5. /6t(/., p. 363-366,
/i6o HISTOIRE G^VÉRALE DE l'^GLISE

entier ^ dénoncèrent à leur tour, dans des mandements, dans des


lettres publiques, les injustices et les violences dont le chef de l'Eglise
venait d'être l'objet.
Napoléon IH Le II octobre 1869, l'empereur, traversant la ville de Bordeaux,
{il octobre dut entendre, de la bouche du prélat qui occupait le siège archiépis-
copal de cette ville, une protestation qui, par les circonstances au
milieu desquelles elle se produisit, fut plus retentissante encore.
L'opinion publique, avertie qu'à la réception des autorités officielles,
des discours allaient être prononcés, attendait impatiemment les pa-
roles que ferait entendre le chef de l'important diocèse de Bor-
deaux, Mgr Donnet.
C'est une singulière figure que celle du cardinal Ferdinand
Mgr Donnet, Donnet, archevêque de Bordeaux. Les légendes,
archevêque
les fictions, les mys-
de Bordeaux tifications étranges dont il plut à ce prince de l'Eglise d'agrémenter
(1795-1883). son existence quotidienne, défraieront longtemps les conversations
Son portrait.
du clergé bordelais. On eût dit que sa nature puissante, se trouvant
à l'étroit dans le domaine du réel, avait besoin de déborder dans
l'imaginaire. Mais les singularités de sa vie entretinrent sa popula-
rité sans nuire à son prestige. Pendant quarante-huit ans d'épiscopat,
trente ans de cardinalat, les constructions d'églises, les manifesta-
tions du culte, le recrutement des vocations sacerdotales, furent les

objets constants de son zèle infatigable. H eut le sens avisé des si-

tuations, des opportunités, et, plus d'une fois, celui des interventions
courageuses- Pour le diocèse de Bordeaux, qui se glorifie d'avoir vu
passer sur son siège métropolitain plusieurs princes de l'Eglise d'un
mérite éminent, le cardinal Donnet est resté, par excellence, « le car-
dinal 0.

Il harangue Appelé à haranguer le prince, le prélat commença par le louer de ses


l'empereur,
récentes victoires. Il le félicita ensuite d'avoir « rendu au Vicaire de
et lui rappelle
courageuse- Jésus-Christ sa ville, son peuple et l'intégrité de sa puissance tem-
ment porelle )).I1 lui souhaita enfin « de rester fidèle à cette politique
sespromesses
louchant la chrétienne ». « Nous prions, s'écria-t-il, avec une confiance qui
souveraineté
s'obstine, avec une espérance que n'ont pu décourager des événe-
temporelle
du pape. ments déplorables, de sacrilèges violences. Le motif de cet espoir,
dont la réalisation semble aujourd'hui si difficile, après Dieu, c'est

vous, Sire, qui avez dit ces paroles mémorables : La souveraineté


temporelle du chef vénérable de l'Eglise est intimement liée à

la CuA^ïuEL, Annales, p. 366 cl s«


DE LA nuLLE IncffabUls a l'encyclique Quanta cura 4Gi

l'éclat (lu catholicisme comme à la liberté et à riiulépendaiice de


L'empereur, visiblement embarrassé, répondit que « le Réponse
l'Italie *.))
. . r. •
r^» * évasivc de
gouvernement qui avait rappelé
I f 1

le Samt-1'ere sur son troue ne pou- l'empereur,


vait lui faire eniendre que des conseils imposés par un sincère et

respectueux dévouement à ses intérêts » ^.

22 décembre iSSq, une bro- Apparition


Deux mois plus tard, le paraissait
., 1, 1- • '1 A • de la brochuire
1
chure que tout
,

le monde attribua,
1
des sa publication, a
1
la même ins- ^g p^^g
Congrès
piration et à la même rédaction que la brochure de février intitulée «' le

Napoléon III et L'Italie. L'œuvre nouvelle avait pour titre : LePape et i85y).
le Congrès. Elle avait été effectivement inspirée par Napolcoi III lui-
même et rédigée par M. de la Guéronnière 3. Avec un n.éldnge sin-

gulier de formules respectueuses et de hautaine pitié, l'auteur con-


seillait au pape de réduire son domaine à la ville de Rome et à la

campagne voisine. Le pontife gouvernerait ainsi sa petite famille en


père. Etait-il capable, du reste, d'administrer une nation? Bref,
l'auteur prétendait, comme on l'a dit, « réduire le Saint-Père à la
vigne de Naboth, sans réprimer chez ses voisins les convoitises
d'Achab » *.

La publication de cette brochure, dont le retentissement fut im-


mense, marquait une date dans la politique religieuse du second em-
pire. Le i^' janvier 1860, Pie IX, recevant le général de Goyon et

les officiers du corps d'occupation, exprima l'espoir que l'empereur


« condamnerait les principes contenus dans la bi'ochure qu'il Profestaiion
»,
in w de Pie IX
monument insigne diMhypocrisie
^ • . • • r Al 1
qualiiia de « » ^. rsapoleon, dans une contre les idées
lettre au pape, qu'il data du 3i décembre, mais qui ne fut publiée que exprimées
par
,

le n . .

janvier suivant, exposa,


.

en termes empreints
.

de
,

respect, la brochure
qu'« il s'était trouvé impuissant à arrêter l'établissement du nouveau (^^^ janvjcr

régime
, .

»
,

et laissa
.
\
entendre que,
.

si le
,
pape consentait a
. , ^
taire
. ,

le sa-
1860).

crifice desRomagnes, le reste de l'Etat pontifical lui serait garanti. Lettre de


^.,, •. r , 1 > 1 • 1 • 1 • Napoléon III
L était abandonner a la tois le ton hautain de la brochure et une partie
1 1 I 1

^ Pie iX.

de ses prétentions ^. Pie IX répondit « qu'il ne pouvait pas céder ce


qui appartenait, non pas à lui, mais à tous les catholiques » que, ;

I. Chanthel, Annales^ p. SGg.


a. Ibid., p.
370.
3. Plusieurs personnages de la coi>r ayant interrogé 1 empereur sur l'origine de
la brochure « Ce n'est pas moi, répondit le souverain,
: qui l'ai rédigée, mais j'en
approuve toutes les idées ». (Lettre dclord Gowley à lord John Russel, a5 décem-
bre 1859, Thelifeoflhe Prince Consort, by Th. Mart.n, t. V, p. 4.;
4. P. delaGoBCK, op. cit., t. III, p. 176.
5. Chantrel, p, 385.
G. \ oir la lotlre dans le Moniteur du 11 janvier iSGo.
462 HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLISE

d'ailleurs, cette concession serait un slimulant pour les perturbateurs


des autres parties de ses Etats ^
Le» A partir de ce moment, tous les catholiques qui s'étaient ralliés à
catholiques,
dans leur l'empire se séparèrent nettement de sa politique. Le parti ultramon-
ensemble, tain, dont V Univers ùia'it l'organe, le fît en invoquant a ant tout les
se séparent
de la politique droits imprescriptibles de la papauté ; les catholiques libéraux, tels
de l'empire. que Dupanloup et Falloux, protestèrent a ec une véhémence non
moins forte, mais en s'appliquant davantage à faire valoir, dans la

politique romaine de Napoléon III, avec la violation des droits de


l'Eglise, celle des principes du droit public et de la paix du monde.
Des libéraux Thiers, Guizot, Saint-Marc-Girardin, Villemain, invoquant à la fois
non
catholiques les principes du droit public et les périls de ce principe des natio-
dé-approuvent nalités qui inspirait la politique de l'empire, se prononcèrent net-
également
cette politique. tement pour le maintien du pouvoir temporel du pape 2. En revanche,
le Siècle, le Co/is///a/io/i/7«/ applaudissaient chaudement à l'évolution
politique que venait d'efîectuer l'empereur.
La situation du gouvernement français devenait difficile. Il' chercha
à atténuer les difficultés en supprimant, le 29 janvier 1860, lejournûl
l'Univers et en faisant recommander à toute la presse, par le Moni-
teur, « la modération, dans T intérêt de la paix et de la religion ».
Suppression Mais VUnivers disparu, tous ses rédacteurs, sauf Louis et Eugèbe
de V Univers
(39 janvier
Veuillot, se retrouvèrent dans le journal le Monde 3, qui le remplaça,
1860). et Louis Veuillot employa les sept années d'interruption de V Univers
Fondation
du journal à écrire sept volumes, six brochures et nombre d'à; ticles rie Revue où
Le Monde, ses talents de polémiste et d'écrivain se manifestèrent sous une foi me
nouvelle. « On m'a enterré journaliste, disait-il; je repousse brochu-
rier. » D'ailleurs, à côté du journal le Monde, Y Ami de la religion,

devenu quotidien depuis le mois de mars iSôg, et le Correspondant,


continuaient à défendre énergiquement les droits de l'Eglise et du
Saint-Père. Sous la direction des deux chefs de l'épiscopat, Mgr Pie et

Mgr Dupanloup, Melchior du Lac, Aubineau, Jules Gondon, Louis de


Carné, Augustin Gochin, Henri et Charles de Lacombe, Poujoulat,
Falloux, Foisset, tant d'autres encore, combattaient vaillamment sur

1. Chantrel, p. 389.
2. Cf. Villemain, la France, Vempire et la papauté, Paris, 1860. Voir dans
G. Vauthier, Villemain, un vol. in-i2, Paris, igiS, p. igS-iQÔ, la lettre adressée
à Villemain par le comte de Chambord au sujet de cet écrit.
3. Sur la suppression de VUniverseih fondation duMonde, voir Eugène Vbuillot,
Louis Veuillol, t. 111, p. 808-379.
DE LA BULLE IiicJJahîlh .\ L*ENCTCLiQUE Quanta cura /i63

la hrèclie'. La lutte était loin d'être finie. Un surcroît d'activité


allait s'imiH ser, au contraire. Vers la fin de janvier, le comte de Rentrée

Cavour était rentré aux affaires en qualité de premier mmislre, et le


^^ comte
journal officieux de Turin, VOpinione, avait annoncé ce retour dans de Cavour
^
les termes suivants : « Le premier ministère de Cavour signifiait in-

dépendance ; le second signifie annexion. » De quelle annexion


s'agissait-il? Tout pouvait faire craindre une annexion qui n'épar-
gnerait pas le domaine pontifical, pas même la ville de Rome.

VI

Bientôt on apprit que Garibaldi s'agitait.


Dans sa retraite, Cavour n'avait jamais perdu de vue, avait même A^îtsiions
souvent aidé de ses co-nseils la politique italienne ; et Garibaldi, mo- ^^ Ganbaldi.

mentanément mis à l'écart, n'avait cessé d'entretenir l'ardeur de ses


partisans. Dans une proclamation adressée le 24 décembre 1859 aux
étudiants de Pise, il les conviait, au nom des « maximes sublimes
du Christ », à détruire « le chancre de la papauté ». Il avait, du
reste, des paroles habiles sur « le roi, pieux et généreux, donné par
Dieu aux Italiens comme un ange rédempteur », et sur la France,
« puissante alliée, qui a souri à l'Italie avec le sang précieux de ses
valeureux fils » ®.

Napoléon lU, dont la politique était aussi hésitante dans la pra- « Combinai-
tique qu'elle était aventureuse dans ses conceptions, essaya d'enrayer **^" "

le mouvement par la proposition d'une nouvelle « combinaison » : Napolé? ^'11


les Romagnes seraient gouvernées par Victor-Emmanuel, mais en essaye
,.,, j • • 1 1. 1 ., d'enrager
qualité de vicaire du pape et moyennant le payement d un tribut au le mouvnn.ui
révolu -

tiouiiair';.
La pltiparl de ces polémistes, aussi bien que les libéraux non catholiques qui,
1.
telsque Thlers, s'ôlaient prononcés contre la politique italienne de A'apoléon ill,
condamnaient également la violation du domaine temporel de la papauté et l'unité
italienne. Presque seul, le P Lacordaire, dans sa brochure De la liberté de l'Eglise
et de ritaliey parue le 26 février 1860, faisait entendre une note sensiblement
dilTérenle. « Afiîrmons-le, disait-il, le domaine temporel de la papauté, à le consi-
dérer dans son essence et dans son histoire, n'a rien d'incompatible avec la
nationalité et la liberté de l'Italie» (Lacordaire, QEaures, édit. Poussielgue, t. VU,
p. 3i4). « L'écrit sur la Liberté de l'Eglise et l'Italie, dit Foisset, fit une sensatiou
très vive. Douze mille cxciripUires s'en écoulèrent on moins de quinze jours.
L'impression première, à Rome mémo, fut favorable » (Koisset, Vie de Lacordaire,
t. 11, p. 388).

2. CUANTHEL, p. 887,
46/. HISTOIRE GliNKRALE DE L EGLISE

Saint-Siège K Ce plan ayant été rejeté, comme il était facile de le


prévoir, et l'empereur faisantmine de contrecarrer d'une autre ma-
nière les projets du Piémont, Cavour ne s'effraya pas. « Dans quel-

Echec ques jours, disait-il, nous recevrons de France, sur tout cela, une
de cette «com- d'ultimatum à l'eau de rose
sorte « ». « L'empereur montre les
binaison ».
dents, disait un autre Italien ; mais ce sont des dents artificielles. »
Comme conclusion de tous ces pourparlers, le 24 mars i86u, le

représentant de la France, Benedetti, et le comte de Cavour signè-


rent à Turin un traité par lequel l'Italie cédait à la France le comté
de Nice et la Savoie, sous la condition d'une ratification de cette
cession par le suffrage populaire. Le mois suivant, le vote des ha-
Traité bitants de ces contrées ratifia le traité. On dit qu'en signant l'acte qui
de Turin,
détachait de l'Italie le berceau de la dynastie de son pays, Cavour
cédant
le comté eut un instant d'émotion. Mais il reprit aussitôt sa sérénité. « Cette
de Nice
et la Savoie
cession était, au fond, comme une sorte de paiement qui dispensait
à la France de la gratitude et autoriserait peut-être de nouvelles entreprises ^. »
(34 mars
En se retirant, le ministre sarde souligna la signification du traité.
18Û0).
S'approchaut du chargé d'affaires de France, M. de Talleyrand 3,

Portée il lui glissa ces mots à demi-voix : « Eh bien, monsieur le baron,


politique
désormais nous voilà complices. »
de ce traité.
Un corps de troupes françaises était toujours à Rome, officielle-

L;i présence ment chargé de défendre, contre toute attaque, les Etats pontificaux.
d'un corps
Mais « d'abord la protection n'était que partielle : 1res ellicace à
de troupes
françaises Rome et dans l'ancien patrimoine de saint Pierre, elle ne couvrait
à Kome ne
garantit pas
ni matériellement ni même moralement les territoires situés au delà
suffisamment de l'Apennin... Puis, le protecteur s'autorisait de ses services pour
riiiclépendance
donner ses avis, pour conseiller des réformes... En outre, les Fran-
du
Saint-Siège. çais avaient une manière à eux de soutenir le pouvoir pontifical ; ils

ne manquaient aucune occasion de témoigner leur respect à Pie IX ;

mais, avec une affectation très marquée, ils séparaient le pontife de


son entourage... Le Saint-Père et ses conseillers étaient trop fins

Le monde pour ne pas sentir ces nuances *. » Il était visible que le gouverne-
catholique
ment pontifical ne jouirait d'une entière indépendance que lorsqu'il
cherche
à pourvoir pourrait disposer, d'une part, d'un budget suffisant à son entretien et
à cette

Falloux, Mémoires, t. H, p. 3o8.


I.
P. de la Gorge, Hist. du second empire, t. 111, p. 210.
a.
3. En manière de protestation contre la politique italienne. Napoléon III avait
retiré son ambassadeur à Turin et l'avait remplacé par un rhargo d'aflaires. Cavour
eut pu (lire que c'était là une « protestation à l'eau de rose ji>.
4. P. de la GoRCK, op. cit., t. III, p. 36o-36i.
DE LA BULLE IneffabHis A l'enctclique Quanta cura ^65

h sa défense, d'autre part, d'une armée enlièrement soumise à son indépendance


par la fon-
commandement. Ces deux besoins furent satisfaits par la fondation dation du
du « Denier de Saint-Pierre » et par la création du corps des « Vo- « Denier de
Saint-Pierre »
lontaires pontificaux ». et par la

Dès l'année 1849, ^^^^ ^® l'exil de Pie IX à Gaëte, des catho- création du
corps des
liques de diverses nations s'étaient spontanément empressés de venir, a Voiontaircb
par leurs offrandes, au secours du pontife spolié. En i85o, un catho- ponllEcaui ».

lique belge, le professeur Feije. rappela, dans une Revue hollan-


daise comment jadis, du viu® au xvi* siècle, les princes chrétiens
^,

avaient demandé à chaque maison du royaume, tout au moins à Origines


du Denier
(<

chaque membre de la noblesse, sous le nom de Denier de Saint- de


Pierre, une contribution annuelle destinée à subvenir aux besoins Saint-Pierre».

de l'Eglise et du pape *. Dans cet article et dans plusieurs discours,


l éminent catholique fît voir quel grand spectacle les fidèles donne-

raient au monde en offrant à leur Père conlmun, sous les seules ins-

pirations de leur foi et de leur amour, le tribut qu'ils lui fournis- Initiative
de.
saient autrefois en obéissant aux ordres de leurs princes. Cet appel catholiquei
fut entendu. Des quêtes, des souscriptions furent organisées en Bel- belges.

gique pour subvenir aux besoins du souverain pontife. Un jugement


du tribunal de Mons. à la date du 2 juillet 1860, et un arrêt confir-

matif de la cour de Bruxelles, rendu le 10 août suivant, condamnè-


rent les organisateurs de ces quêtes et de ces souscriptions, comme
failes en violation de l'arrêté royal du 22 septembre 1828 sur le

délit de mendicité ^. Mais un nouvel arrêt de la cour de Bruxelles,


datédu 9 mars i86i. déclara que l'arrêté royal invoqué précédem-
ment n'était pas applicable en l'espèce *. Entre temps, le cardinal Une lettre

Anlonelli, secrétaire d'Etat du Saint-Siège, par une lettre du du cardinal


Antonelli
6 octobre 1860, adressée au cardinal Wiseman, avait fait savoir au reconamande
monde catholique que le Saint-Père, « qui ne voudrait jamais au monde
catholique
accepter aucune offre d'argent de la part d'un gouvernement quel- lœuvre
conque, à telles ou telles conditions, verrait cependant volontiers les nouvelle
(6 octobre
fidèles du monde catholique lui venir en aide avec leur Denier » ^.En 1860).
conséquence de cette lettre, le cardinal AA iseman, se souveuanl que

1. De KalhoUck^t XIX, p. 69 et s.
3 Sur l'ancien Denier de Saint Pierre, voir le Dict. de théologie de WEizEuet
AN KLTE, au mol Denier de Saint- Pierre; au même mot, le Dict. d'archcoli.yie de Dom
C .uuoL, l, 111, col. 58.") 5S7. Cf. lîevue calh de Louvain, t. XMll, p. oy et s.
3. Revue catU. de Louvain, t. X\ III, p. ôSô-ôgd.
A. Revue cath., t. XIX, p. 218-222.
5. Ami de la reUjion du i5 novembre 18Ô0, p. 383-384*
Hist. gén. de 1 Eglise. — VI H âo
466 HISTOIRE GÉNFRAF.E DE i/ÉGMSB

lescatholiques d'Angleterre avaient jadis tenu à honneur de ne c<^dor


r.es à personne la première place dans leur dévouement au Siège aposto-
catholiques
d'Anglolerre,
lique, du diocèse de Westminster à organiser dos
invita le clergé
de Fronce, meetings et des comités, nomma un trésorier de la caisse du Denier
d'Italie
et des autres
de Saint-Pierre K Le 23 octobre 1860, dans VAmi de la Religh n^
natîonssiiivent l'abbé un pressant appel aux catholiques de France ^.
Sisson fit
i'oxomple
des
Louis Veuillot, alors privé du droit d'écrire dans un journal, ne
catholiques put mener une campagne de presse; mais W* Elise Veuillot,
de Beljjiqne.
Mesdames Eugène Veuillot, Emile Lafont et Léon Aubineau, sœnr
et femmes des principaux rédacteurs de l'Univers, déployèrent un

tel au profit du Denier de Saint-Pierre, que Pie IX voulut les vi\


zèle

féliciter publiquement 3. Le gouvernement français refusa à l'OËuvre

la faculté de se constituer en association légale ; mais il n'osa pas


interdite les quêtes dans les églises ; quant aux souscriptions faites à
domicile, elles échappaient à son contrôle. En Italie, le journal
catholique ÏArmonia périodiquement des sommes consi-
recueillait

dérables. L'Irlande et la Pologne, du sein de leur pauvreté, rivali-


sèrent avec les pays les plus riches. A Dublin, on vit une quête pro-
duire, en un jour, plus de deux cent mille francs *.

Orîjçine Les catholiques ne se bornaient pas à donner à Pie IX le tribut de


du corjts des
leur or ; ils lui offraient celui de leur sang. Presque chaque paquebot
(( Volojitaires
pontificaux ». amenait à Rome des volontaires français, belges, irlandais, espa-
gnols, hollandais. Puisque l'armée assaillante devenait de plus on
plus, sous commandement de Garibaldi, l'armée cosmopolite de
le

la Révolution, celle de Pie IX devait être celle du catholicisme inter-

national. Au printemps de 1860, Pie IX confia le soin d'organiser


cette armée à un prélat aussi énergique que pieux, ancien officier

de l'armée belge et de l'armée française, Mgr Xavier de Mérode ; et

le soin de la commander à un général français, héros des campa-


gnes d'Algérie, Louis de Lamoricière.
Mgr Xavier Le titre de « ministre des armes », conféré par Pie IX à Mgr de
de M é rode Mérode, lui donnait, dans les circonstances où l'on se trouvait, une
est nommé
par Pie IX autorité exceptionnelle dans l'Etat pontifical, à côté de celle du Secré-
« annistre
des armes ».

1. Ami delà Religiondu i5 novembre 1860, p. 384.


2. Ami de la religion du aS octobre 1860, t. YII (nouvelle série), p. 181.
Bref du 5 mai 1860. Voir Eugène Veuillot, Louis Veuillot, t. IIF, p. 3f 8.
3.
4. Par l'encyclique Saepe venerabiles fralrcs, du 5 août 1876, Pie IX donn.i h.
l'œuvre du Denier de Saint Pierre une consécration ofâcielle. Voir G. Daux, I9
Denier de Saint-Pierre, ses origines, ses raisons, ses convenances, un vol. in- 12, Paiis,
1907.
DE LA BULLE IneffahUîs A l'enctclique Quanta cura /jô^

taire d'Etat, Antonelli. L'influence de ce dernier n'avait été. jusque-


là contrebalancée par aucune autre ; elle se trouva tout-à-coup
limitée. Antonelli passait pour favoriser les opinions des catho-
liques intransigeants et autoritaires ; Mérode, beau-frère de Monta-
Icrnbert, était lié par des relations de famille et d'amitié avec les

chefs du mouvement libéral. On reprochait au Secreiaire d'Etat une Portrait

habileté qui côtoyait la dissimulation ; le défaut le plus saillant du jg Mérode


ministre des armes était un excès de sincérité, allant parfois jusqu'à (1820-1874).

la» rudesse. Le souple Italien et le robuste Franco-Belge se trouvèrent


plus d'une fois en conflit ; mais tous les deux témoignèrent d'un
pareil attachement à la personne et à la cause du pape. Pie IX
accorda à l'un et à l'autre une égale confiance. Antonelli lui en
imposait par son expérience, par son savoir-faire, par sa connais-
sance raflinée des hommes et des choses dans les relations diploma-
tiques ; Mérode, malgré ses brusqueries et ses maladresses, lui plai-
sait par sa franchise, par la spontanéité de son cœur et de son
esprit, par son dévouement sans réserve.
commandement de sa nouvelle armée, Pie IX agréa que
Pour le L« comman-
Mgr de Mérode fît appel à Tun de ses compagnons d'armes sur la de rarméc
terre africaine, le général de Lamoricière. pontificale e»!

Louis Juchault de Lamoricière, né à Nantes en 1806, s'était déjà au fféi.!'ral

conquis, sur les champs de bataille et dans les luttes de la poli- Lamoricière.

tique, une glorieuse renomméa Les guerres d'Afrique avaient révélé


ses brillantes qualités militaires. Acclamé, après son retour en Lamoricière

France, comme un des chefs du parti républicain conservateur, il ^^


Courif'^
avait, aux journées de Juin, brisé l'efl'ort révolutionnaire. Exilé, au biographie.

coup d'Etat de i85i, par le prince Napoléon, qui redoutait son


influence, il était rentré en France, mais sans reprendre du service.
Son épée était disponible. Longtemps éloigné des pratiques de la
religion, séduit qu'il étaitalors, comme tant d'hommes de son temps,

par les sophismes des rêveurs qui prêchaient une vague rénovation
sociale, il avait récemment retrouvé la foi de son enfance, et l'affir-

mait avec courage devant ses anciens amis. Quelques mois aupara-
vant, M. de Corcelles, ancien ambassadeur de France à Rome,
ayant parlé devant lui de la cause pontificale : « C'est une cause,
avait-il dit, pour laquelle il serait beau de mourir, i) Quand, le 3 mars
18G0, Mgr de Mérode vint le trouver en Picardie pour lui trans-

mettre la proposition de Pie IX, il ne se dissimula pas les diflicullcs

de l'entreprise, a Le courage, écrivit-il à un ami, ne me maa-


408 HISTOIUE GÉ.NÉliALE DE l'ÉGLISB

quera pas; mai&j'atlends la récompense là-haut plus qu'ici-bas*. »


Parti de son château de Prouzel le 19 mars, il arriva à Rome le
Sa première
3 avril, et déclara au Saiot-Pèrequ'à la seule coadition de ne jamais
proclamation
aux troupes avoir à servir contre la France, il se mettait à son entière
disposi-
pontificales.
tion. Sa première proclamation aux troupes indiqua bien dans quel
esprit il comprenait ta mission. « La Révolution, disait-il, comme

autrefois 1 Islamisme, menace aujourd'hui l'Europe. Aujourd'hui,


comme autrefois, la cause de la papauté est la cause de la civilisation
et de la liberté du monde. »
La tâche confiée au général ne demandait pas moins les qualités
de l'organisateur que celles du combattant. « L'armée pontificale
Etat comprenait sept à huit mille hommes à peine, mal vêtus, mal équi-
de l'armée
pontificale en
pés, médiocrement commandés.,. Point de matériel de guerre, ou
1860. tellement démodé qu'il n'eût plus convenu qu'à un musée ^. »
« Avec cette activité infatigable, que l'Algérie et la France avaient
admirée tour à tour, Lamoricière organise, il crée, il améliore, il

développe. Sous sa puissante impulsion, le matériel est renouvelé,


les cadres se reforment, les services se régularisent ^. » Lamoricière
fait appel aux jeunes catholiques de France, à ses anciens compa-
gnons d'armes. Blumenstihl, Quatrebarbes, Pimodan, Recdclièvrc,
Ghevigné, Charette viennent le rejoindre.

Pendant ce temps-là, Garibaldi, alors à Turin, recrutait, de son


côté, des volontaires pour une mystérieuse expédition. Allait-il
Les envahir les Marches ? On le craignit un moment. On apprit bientôt
volontaires
garibaldiens.
qu'il se dirigeait royaume des Deux-Siciles. Suivant un
vers le

témoignage digne de foi, Cavour, ayant connu le projet, l'approuva


chaleureusement, « G'est bien, dit-il il faut commencer par le ;

sud pour remonter vers le nord. Soyez sûr que, quand l'heure sera
L'expédition venue, je ne le céderai en audace à personne *. » Officiellement, le
des Mille.
Garibaldi
premier ministre de Victor-Emmanuel désavoua l'expédition 5.

s'empare de Bientôt Mai sala, Palerme tombèrent aux mains de l'aventurier. En


Naples
présence du péril, leroi François I" de Naples faisant appela un mlnis-
(7 sej)tembre
1860).

1. P. de la Gorge, t. III, p. 867. Sur Lamoricière, voir Emile Kellbr, Vie du


général Lamoricière.
2. La GoRCE, t. III, p 369.
3 Freppel, Discours prononcé à l'inauguration du monument de Lamoricière, Œuvre*
de Mgr Freppel, t. VU, p. 200.
4 Discours de M. Sirtori à la Chambre italienne, le 19 juin i863 (Parlamenf
ilaliuno. i803, j>. 2i4).
5. GazzettaoJJiciale, n. 118, 18 mai 1860.
DE LA. BULLE Ine/JubiUs A L'EifCYGLiQUE Quanta cura 469

1ère libéral, fit prévoir une alliance avec le Piémont, puis, changeant
de tactique, se tourna vers la Russie, l'Autriche, la Prusse, la France,
l'Angleterre, appelant l'altenlion de ces puissances sur le péril d'un
agrandissement excessif du Piémont *. Pse trouvant aucun écho
favorable dans ces puissances, se sentant abandonné, trahi, dans
Naples même, et jusque dans son entourage, par suite d intrigues
auxquelles Cavour n'était, dit-on, pas étranger, le 6 septembre 1860,
le roi de Naples s'embarqua, avec sa famille, sur un navire espagnol
à destination de Gaëte, au milieu d'un peuple S}mpathique, mais
silencieux, dont le respect craintif n'osait se manifester par aucun
signe extérieur. Le lendemain, sans coup férir, Garibaldi, devançant
sou armée avec quelques compagnons, piit possession de Naples -.

VI

Tia popularité de Garibaldi était déjà très grande. Ce coup de Etonnant

force, ce bonheur inouï dans l'audace, fit de lui, aux yeux des je GariISjL
masses, une sorte de héros mystérieux, surhumain. Il fut l'Impre-

nable, l'Invulnérable, le Libérateur providentiel, au talisman invin-


cible. Le prestige du vainqueur des Deux Siciles gagna même des
hommes de la haute société. Le baron Ricasoli écrivait : « Notre
Garibaldi doit être le roi » ^. Garibaldi était en voie de personnifier,
aux yeux de l'opinion, plus que Victor-Emmanuel, plus que Cavour
lui même, mouvement du Risorqimento
ce dont le nom seul faisait „
tressaillir
.,,. Il-
les Fort d'un
Italiens.
T-< .

tel
1
ascendant,
,

qu'allait
, . .

il
.

faire?
11 personnifie
désormais
Envahir les Marches, suivant son plan primitii ? Se diriger vers le ^® mouvement

nord, suivant la formule de Cavour, c'est-à-dire vers l'Etat romain, Risorgimento,


après avoir triomphé dans le sud ? Tout le faisait prévoir. Mais
alors tout le plan de Cavour n allait il pas être renversé ? L'homme
d'Etat avait voulu capter les forces révolutionnaires au profit de la
dynastie de Savoie ; le condottiere avait toutes les chances, en conti-
nuant sa marche triomphante, de capter, au contraire, la puissance
de cette dynastie au profit de la Révolution. Pour un homme aussi

1. La GoRGs, t. III, p. 394.


2. Garibaldi était parti avec une troupe composée d'environ un millier d'hommes.
D'où le nom d o\pô(]itiou des mille, qui fut donné à U camp"3gne,
3. UicASOLi, Leitere e docuinenii, t. V, p. iGi.
4 70 HISTOIRE GÉNÉRALE DE 1. ÉGLISE

Pian peu êcrupuicux sur le choix des moyens que l'était Cavour, un
pour empocher "^ojeu se présentait de parer au danger : on n'avait pu devancer Gari-
Garibaldi baldi à Naples, il fallait le devancer à Rome. Le parti de Cavour

•on profit ^^^ aussitôt pris en ce sens ; et, chose étonnante, quidoime une idée
le mouvement Jg l'état d'esprit de cette époque, quelques patriotes italiens, de
nalional . .
. .i i- i i> . r -
,

italien :
nuance conservatrice et catholique, semblèrent se résigner a cette
devaucer le extrémité, Que voulez-vous ? disait le comte Pasolini, ancien
a

ie territoire
nuuistre de Pie IX je comprends maintenant qu'il ne reste plus à
;

pontifical. Gavour que d'envahir les Marches^ ». 11 semblait que ce fût là le


8(jul moyen de ne pas perdre tout le fruit du mouvement national.
Un obstacle, pourtant, se présentait. Les troupes françaises étaient
L'entrevue toujours dans l'Etat romain, placées là pour sa défense. Mais Napo-
de Chambéry ,, ttt ^. • r. ^ • > . i •

(28 août ^^^^ AU parait avoir été vaincu, a son tour, par le raisonnement qui
1860). avait décidé Gavour. Des mystères planent encore sur l'entretien que
l'empereur des Français eut, le 28 août 1860, à Ghambéry, avec
. le ministre italien Farini et le général Gialdini. Si Napoléon ne dit
pas la parole célèbre : « Fate presto. Faites vite », qui lui a été
attribuée 2, elle semble bien exprimer le fond de sa pensée, telle que
ses actes subséquents la révèlent. Un grave historien a cru pouvoir
écrire, à propos de l'attitude de Napoléon dans cette affaire : « Je
ne sais si le mot de complicité serait tiop dur ; mais le mot de fai-

blesse serait certainement trop doux » ^.

Prétexte invo- îl fallait un prétexte à linvasion . Gavour invoqua les armements


^^^ du pape, « ces corps pontificaux, composés de gens de toute nation,
pour envahir de toute langue, de toute religion (?) ce qui offensait profondément
:

leddomaine du
5
]^ conscience publique de l'Italie et de l'Europe » *. Il demanda,
par la voie d'un ultimatum, le désarmement immédiat des nouvelles
troupes du Saint-Siège. La sagacité d'Antonelli vit le piège. On vou-
lait provoquer une réponse violente de la chancellerie romaine, la-

quelle donnerait lieu à un casas helli. La réponse de l'habile Secré-

taire d'Etat de Pie IX fut calme, correcte, diplomatiquement irré-

prochable. Mais avant qu'elle fût parvenue à sa destination, les

troupes sardes, pressées de devancer l'armée garibaldienne, avaient


franchi la frontière.

1. Pasolimi, Memorie,raccolte da suo JîgUo, p. 6a6.


Sur cette entrevue de Chambéry, voir P de la Gorge, op. cit t. III, p. 4o6-
2. ,

Aïo, et ViLLEFRANCHE [Pie IX, a' édition, Lyon, 1876, p i88j, qui déclare tenir
de témoins bien informés certains détails très importants de l'entretien.
3 La Gorge, t. III, p. 4o8,
4. Ibid., p. 4 10.
DE LA BULLE IneJ[]ahUis a l'e.nctclique Quanta cura 471

Lamoricière ne pouvait se dissimuler que, malgré ses efforts, l'ar-

mement et l'organisation de l'armée qu'il avait à commander se

trouvaient dans un état d'infériorité notable. « Je suis, disait-il à Anxiétés


de
son ami Quatrebarbes, dans la position d'un homme qui aurait à se Lamoricière.
battre à cinquante pas avec un pistolet contre un adversaire armé
d'une carabine. * » De plus, se fiant à des déclarations formelles
que lui avait fait parvenir le cardinal Antonelli, il avait cru, jusqu'au

derniermoment, 1" que le Piémont n'interviendrait pas dans la


campagne, 2" que la France s'opposerait à l'invasion, même contre Antonelli
le renseigne
les troupes sardes 2. En conséquence, le général, ne s'attendant inexactement
une agression de bandes garibal- 8ur les
qu'à des soulèvements partiels et à
dispositions
diennes, avait dispersé ses troupes sur tout le territoire pontifical. du
L'invasion de l'Etat sur toute la largeur de la frontière piémontaise, gouvernement
français.
le prenait au dépourvu. Une seule lactique était possible : rassem-
bler sur un point toutes les troupes disponibles, et tâcher de percer
les lignes piémontaises, pour aller se réfugier à Ancône. Cette ville

était, après Rome, à peu près la seule qui pût être efficacement dé- Plaa
stralégiqi.e
fendue, au moins pendant un certain temps. On
y prolongerait la de
défense jusqu'à l'arrivée des renforts français. Car, fort des assu- Lamoricière.

rances que lui avait transmises Antonelli, Lamoricière comptait


toujours sur le secours de la France.
Le corps de troupe rassemblé pour réaliser ce plan rencontra
l'ennemi, près de Notre-Dame de Lorette, à Castelfidardo, le 17 sep-
tembre 18G0. Le choc parut inévitable pour le lendemain.
Les troupes piémontaises occupaient les collines qui descendent Bataille de
('.
«-telfidardo
du mamelon de Castelfidardo vers la plaine. Leur artillerie menaçait
( ^j septembre
les pentes de tous côtés. Les deux principaux centres de résistance 1860;.
étaient deux fermes, puissamment fortifiées et situées à six cents
mètres en arrière l'une de l'autre ^. L'armée était commandée pa.

I. Sur l'armement et l'organisation de l'armée pontificale, voir dans Eugène


\euillot, le PiitmonL dans les Etats de V Eglise, documents et coninientuires, un vol.
iu-ia, Paris, 1861, le Rapport du général Lamoricière sur les opérations de l'armée
pontificale dans les Marches et lOmlrie, p. 48a-484. Ce rapporta paru en brochure
en 1861 à Paris, chez Douniol mais celte brochure est rare. Nous le citerons
;

d après la pagination quil occupe dans l'ouvrage d'h^ugène \euillot.


3. Voir des déclaration» formelles faites en ce sens dans Lamoricière, Mapport...,

p /»8a, 486, 488, 4y3. Le duc de (îramont t'crivait au consul d'Aiicôue « L'em- :

pereur a écrit que, si les troupes sardes péi ètreul sur le territoire ponliHcal. il
sera forcé de s'y o^)pu» r » {lUd., p. 493). Comment la perspicacité dAntonelli s'est-
eile trouvée en défaut dans de si graves circonstances ;
3. Voir une description détaillée du champ de bataille dans Lamoricière, Iiapport,
p. 497-^98.
^72 HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLISB

le général Cialdini, qui disposait de 4Ô.000 hommes etnom-de


breux canons rayes. L'armée pontificale comptait 5. 600 hommes

tout au plus, et ne disposait que d'une artillerie d*ancien modèle.


A quatre heures du matin, les du pape, avec leurs deux
soldats
généraux en tête, Lamoricière et Pimodan, se préparèrent à la
bataille en assistant à la messe dans la sainte chapelle de Lorette. A
huit heures, Pimodan s'élança sur les deux fermes, suivant la con-
signe qu'il avait reçue. La première, quoique chaudement défendue,
fut enlevée ; mais les troupes sardes eurent le temps de se masser
fortement autour de la seconde. Arrivée à cinquante pas de son
objectif, la troupe d'attaque fut décimée par une fusillade très

nourrie. La supériorité du nombre et de la position était tellement


écrasante du côté des Piémontais, que l'issue du combat ne put
alors faire de doute. Mais les volontaires pontificaux voulurent du
moins, « en perdant la bataille, sauver l'honneur ». On les vit,

après un mouvement en arrière, faire tout à coup volte-face,


attendre l'ennemi à quinze pas, décharger sur lui un feu bien
dirigé, puis charger à la baïonnette avec un tel élan, que l'adver-

saire, déconcerté de tant d'audace, recula à son tour de deux crnts


j)as. La mort de Pimodan décida de l'issue du combat. Lamori-
cière, toujours calme au milieu du désordre inévitable qui suivit cette

perte, essaya de diriger la retraite, devenue inévitable ;


puis,
croyant tout perdu, il résolut d'exécuter, avec quarant#-cinq che-
vaux et une centaine de fantassins seulemeat, le projet qu il avait
voulu réaliser avec toute son armée. Il traversa les lignes ennemies,
étonnées de sou audace, et parvint à Ancône à cinq heures du soir,
laissant la colline de Gastelfidardo et les champs environnants cou-
verts de blessés *.

Siège L'arrivée de Lamoricière et de sa petite troupe portait à 4- 200 le

(18-20 septern-
^^f^^^^'® ^^^ soldats valides, capables de défendre la ville. G était peu
bre 1860) pour une place dont les ouvrages de défense avaient sept kilomè-
tres de développement et qui se trouva bientôt assaillie, du côté de
la terre par l'armée de Cialdini, du côté de la mer par une flotte de
onze gros navires portant plus de 4oo pièces d'artillerie. C'était

I. A du général de Pimodan, étaient tombés pour la défense du pape Arthur


côté :

de Chalus, Joseph Guérin, Félix de Montravel, Alfred de la Barre de Nanteuil,


Alphonse Ménard, tant d'autres, dont les oraisons funèbres de Mgr Pie et de
Mgr Dupanloupont ce' ri ré l'héroïsme. Voir Mgr Pie, Œuvres, t. IV, p. H-']0 ;
DuPANLOLP, Œuvres choisies, t. I, p. 181-226 Veuillot, op. cit., p. i46et» ^ f»
;

comte de Ségur, les Martyrs de Castelfidardo, un vol. in- 12, Paris, 1860.
DE LA BULLE IneffabiHs A l'ewctclique Quanta cura 473

toujours combat de !'« homme qui se bat, à cinquante pas, avec


le

un pistolet, contre un adversaire armé d'une carabine ».


Le i8, le feu fut ouvert par les canons de la flotte le 22, le ;

blocus du port fut réalisé. Lamoricière attendait avec anxiété l'arri-


vée de l'armée fran(;aisc. 'x Si Goyon n'a pas perdu de temps,
disait-il, il doit être en marclie *. La «.^arnison perdait chaque
jour de 20 à 80 hommes. Le 28, les frégates piémonlaises commen-
cèrent un combat à outrance. Un grand nombre de canonnier»
furent tués ; beaucoup de pièces furent démontées ; les murs s'é-

croulaient, et leur chute agrandissait les embrasures. Une brèche de


5oo mètres fut ouverte au corps de la place, offrant à l'ennemi la

facihté de débarquer sur le quai et de prendre la ville d'assaub.


Lamoricière fit arborer le drapeau blanc sur la citadelle ^. La capi-
tulation fut signée le 29 à 2 bruies du soir. La petite armée pon-
tificale n'existait plus. Les Marches et l'Ombrie furent occupées par
l'armée piémontaise,
A peu de temps de là, le i5 février 1861, parut une brochure inti- Apparilion
de la bro< bnra
tulée : La France, Rome et l'Italie. Elle avait pour auteur Arthur
La Fra.i e.
de la Guéronnière, dont la plume avait déjà écrit deux brochures Rome et r Italie
i ib février
retentissantes: Napoléon III et I Italie, le Pape et le Congrès. On ^
1861).
osait y soutenir que l'auteur responsable des récentes catastrophes
n'était pas le comte de Cavour, mais le pape, qui, par son entête-
ment à ne pas obtempérer aux désirs de son peuple et aux invitations
des puissances, avait causé tout le mal. L*opinion publique vit, dans
cette brochure, œuvre d'un homme qui s'était fait plusieurs fois
l'interprète de Napoléon III, une nouvelle manifestation de la
pensée impériale ^. On rapprocha de l'étrange assertion de cet écrit Protestations
la singulière inertie des troupes que l'empereur avait destinées à de Mgr Pic :
la
C Lare tes
défense delà papauté. Dans une lettre pastorale datée du 22 février, mains,
Mgr Pie, évêque de Poitiers, écrivit ces paroles, où tout le monde vit
ô Pilate î »
(a 3 février
une allusion à l'attitude de Napoléon III: « Pilate pouvait sauver le 1861 .

Christ, et sans Pilate on ne pouvait mettre le Christ à mort... Lave


tes mains, ô Pilate ; déclare-toi innocent de la mort du Christ *. »

1. Le général de Go)on était, on le sait déjà, le chef des troupes françaises desti-
nées à protéger l'Etat pontifical.
2. L.vMORiciiDRn, liapporl, p. 5o8-5a5.
3. A en croire Thouvenel, l'empereur n'aurait été pour rien dans la brochure :
l'inspiration en appartiendrait au comte de Persigny. (^THOUVEitEL, h Secret de l'em-
pereur, t. I, p. 432).
4. Baunard, Ilist. du card. Pie, t. Il, p. 116.
Ixik HISTOIRE GENliUALE DE L ÉGLISE

Déféré comme d'abus au Conseil d'Etat, le prélat déclara qu'il avait


voulu faire « non pas le tableau de ce qui était, mais le tableau de
ce qui serait si les conclusions que la presse prêtail à la brochure,
mais que la brochure repoussait, finissaient par se réaliser » *. Malgré
cette défense, le 21 avril, le Conseil d'Etat déclara l'abus.

Discours Pendant que le procès de l'évêque de Poitiers était en instance,


d'Kmile
un jeune un député, avait, du haut de la tribune, porté une
laïque,
Keller, à la
Chambre, accusation plus directe et non moins courageuse contre le souverain.
sur la question
Emile Keller, qui devait plus tard tenir une place d'honneur parmi
r<>n:aine
(i3 mars les bons serviteurs de l'Eglise et de la France, était alors un inconnu.
18G1).
Quand il prit la parole, le i3 mars 1861, à la Chambre des députés,
son discours commença au milieu de l'indifférence générale. Mais,
peu à peu, le récit vivant, entrecoupé de fortes réflexions, qu'il fit

des événements politiques et religieux de l'année précédente, captiva


l'attention de ses collègues. « On pouvait arrêter le Piémont, s'écria-
t ii ; seulement, il fallait le vouloir... La Révolution, incarnée dans
Orsini, voilà ce qui a fait reculer la France. » L'audace inouïe de ces
paroles fut encore dépassée, s"t\em-était possible, quand l'orateur,
ployant le Vous avez reculé devant Gari-
discoms direct, ajouta : «

baldi, en même temps que vous vous disiez son plus grand ennemi ;

vous avez envoyé à la fois une aide au Piémont et de la charpie au


roi de INaples; vous avez fait écrire dans les mêmes pages l'inviolabi-
lité du Saint-Père et la déchéance du Saint-Père. Dites donc ce
que vous êtes ». Par la voix du ministre Billault, le gouvernement
essaya de répondre, mais ne put sortir de l'équivoque.
Napoléon Au fond, toujours rêveur et chimérique, Napoléon poursuivait
essaie
l'idée de se faire l'agent d'une conciliation entre la papauté et 1 Italie
de négocier
un accord sur la base des faits accomplis. Cette idée donne la clé de toutes les
eulre Rome poursuivirent, de 1861 à i864,
négociations diplomatiques qui se
el re Piémont
sur les bases entre la cour de Paris d'une part, la cour de Turin de l'autre, et qui
du slalu quo.
aboutirent à la célèbre convention du i5 septembre i864.
Le 20 mai 1862, l'empereur écrivait à son ministre des affaires

étrangères, Thouvenel : « Ma politique a toujours été la même vis-

à-vis de l'Italie : seconder les aspirations nationales, engager le pape


à en devenir le soutien plutôt que l'adversaire ; en un mot,' consacrer
l'alliance de la religion avec la liberté 2. » Conformément à ces di-

I. Baunard, Histoire du cardinal Pie , t. Il, p. I25.


9. Monileur du a5 septembre i86a.
DE LA BULLE IneffabiUs A l'encyclique Quanta cura l\']b

reclions, le ministre écrivait au marquis de La Valette, ambassadeur


français à Home : « Toute combinaison reposant sur une autre base
territoriale que quo ne saurait aujourd'hui être soutenue...
le statu

Le Saint-Père pourrait réserver ses droits dans la forme qu'il juge-


rait convenable... L'Italie, de son côté, aurait à renoncer à ses pré-
Echec
tentions sur Rome*. » Thouvcnel, dans l'intimité, appelait un pareil
de ces
projeta le rêve d'un mariage impossible ^ ». Il fallait être aveuglé, négociatioai.

comme l'était resi)rlt de Napoléon, par les nuées d'une idéologie sans
contact avec les réalités, pour ne pas voir qu'au point où en étaient
venues les choses, ni le pape ne sanctionnerait les violentes injustices

dont il venait d'être victime, ni le roi d'Italie ne s'arrêterait, autre-


ment que par la force, dans le mouvement qui poussait le Piémont
vers Rome. Le 24 juin 1862, le marquis de La Valette apprit à son
gouvernement l'échec complet de toutes les démarches qu'il avait

faites auprès du Saint-Siège pour faire agréer les propositions impé-


riales Quant au roi d'Italie, s'il se décida à arrêter à Aspromonte,
3.

le 29 août, la marche de l'armée garibaldienne, ce fut uniquement

p )ur empêcher le condottiere d'agir prématurémeot et de lui ravir


riionneur de l'expédition qu'il projetait de faire lui-même. Une
dépêcha envoyée, le 10 septembre 1862, aux agents diplomatiques
de l'Italie par le général Durando, ministre des affaires étrangères,
ne laissa aucun doute à ce sujet. « La nation tout entière, disait le

ministre, réclame sa capitale. Elle n'a résisté naguère à l'élan incon-


sidéré de Garibaldi que parce qu'elle est convaincue que le gouver-
nement du roi saura remplir le mandat qu'il a reçu du parlement à
l'égard de Rome*. » Malgré tout, obstiné dans son rêve. Napoléon
cherchait toujours la formule transactionnelle qui satisferait à la fois
l'indépendance du pape et les prétendus droits de l'Italie. Après bien
des combinaisons infructueuses, les diplomates de Paris et de Turin
aboutirent enfm à la fameuse Convention du 15 septembre i86U entre Convention
la France et lltalie. En voici le texte :
du
« Art. I. — L'Italie s'engage à ne pas attaquer le territoire actuel
i5 septembre
1864 entre
du Saint-Père, et à empêcher, même par la force, toute attaque la France
et l'Italie.
venant de l'extérieur coulre ledit territoire.

^i. Moniteurdu a5 septembre 1862.


Thouvenel, le Secret de ^'empereur,
2 t. II, p. 3o3. Lettre au auc de Gramontdu
ii mai i86j.
3. Ijid.
4. Jules Zelleu, Année historique, \« année, i4.
47 6 HISTOIRE GKNFRALE DE L KGT.ISE

« Art. II. — Là France retirera ses troupes des Etats pontificaux


graduellement et à mesure que 1 armée du Saint-Père sera organisée.

L'évacuation devra néanmoins être accomplie dans le délai de deux


ans.
« Art. Itï. — Le gouvernement italien s'interdit toute réclama-

tion contre l'organisation d'une armée papale, composée même de


volcntaires étrangers, sufRsante pour maintenir l'autorité du Saint-
Père et la tranquillité, tant à l'intérieur que sur la frontière de ses
Etats, pourvu que cette forcené puisse dégénérer en moyen d'attaque
contre le gouvernement italien.

« Art. IV. — L'Italie se déclare prête à entrer en arrangement


pour prendre à sa charge une part proportionnelle de la dette des

anciens Etats de l'Eglise.


« Art. V. — La présente convention sera ratifiée, et les ratifica-

tions en seront échangées dans le délai de quinze jours, ou plus tôt,

si faire se peut. »
Nous verrons bientôt con ment cette convention, au lieu d'assurer

la paix, ne fit que déchaîner la guerre.

VIII

Portée de la
^^^ yeux de tous les catholiques, le traité franco-italien parut
Convention
du i5
.

exprimer, suivant
^ .

les expressions d

j'
un w ,
historien,
'

v
i' u
l abandon
ï
a
'

septembre. échéance fixe du pouvoir temporel et de la papauté * » par la France.

Mais i^ est juste de constater que cette politique d'abandon n'était


pas le propre du gouvernement français. L'Autriche, qui se glori-
Attitude
g^jt toujours de continuer les traditions du Saint-Empire, et dont
de !'.\utriche. , . . , , o •o>
1 empereur aimait a se proclamer le protecteur-né du Saint-Siège,
avait, comme la France, fai' des promesses, pris des engagements
envers le pape, mais ne les avait pas tenus. Au moment de l'inva-

sion du territoire pontifical par l'armée piértiontaise, des troupes


autrichiennes étaient massées, le long du Mincio, sur le pied de
guerre. Il suffisait d'un ordre impérial pour les lancer sur le terri-

toire sarde. Cet ordre fut signé par l'empereur ; mais, deux heures
plus tard, il était rapporté. Devant les observations de ses ministres
et de ses principaux généraux, consultés par lui, qui lui rappelèrent

I, Mgr Besson, Xavier de Mérode, p. 226.


DE LA BULLE IneffablUs A l'encyclique Quanta cura 477

les vides de son année, qui lui montrèrent les blessures de Magenta L'empereur
François-
et de Solferino saignant encore, qui lui firent entrevoir la France
Joseph
passant de nouveau les Alpes et la révolution se déchaînant sur son seprononce
monarque continua à demeurer à l'ancre, pour la non-
pays, le recula, u Sa flolte
intervention
dans le port de ïriesLe, d'où elle put entendre, quelques jours après, dans
la question
le bombardement d'Ancône ; et l'armée du Mincio s'immobilisa iré-
romaine.
missante dans son quadrilatère, en attendant que l'unité itaiienne,
devenue une réalité, se coalisât avec la Prusse pour l'expulser*. »
Les puissances signataires des traités de Vienne, qui avaient juré Inaction
d'intervenir à main armée contre quiconque essayerait de briser des puissances
signataires
l'équilibre établi par elles, restèrent immobiles. La Russie contem- des traités
pla, sans rien dire, la catastrophe 2. L'Angleterre, par l'organe de ses de i8i5.

premiers ministres, Palmerston et Russell, avait, dès le début, rivalisé

avec la France pour encourager les projets d'unification de f Italie,


et, par là même, l'agression contre les Etats de l'Eglise. Quant à la

Prusse, pressentant que l'unité italienne, faite autour de la dynastie


de Savoie, serait le prélude de l'unité allemande, réalisée autour de
la dynastie des Hohenzollern, elle avait suivi les événements avec
sympathie. Gomme jadis le démembrement de la Pologne, l'inva-
sion du domaine pontifical était « le péché de l'Europe entière ».

Presque partout, du reste, en Europe, l'Eglise avait à subir des


Vexations
persécutions ou des tracasseries de la part des Etats. diverses

Ajoutant à ses agressions dans Tordre temporel des empiétements dont î'Ëglise
e6t l'objet
dans l'ordre spirituel, le roi d'Italie, par un décret du i6 mars i863, de la pari
des dilTérents
soumettait à Vexequatur royal « toute provision ecclésiastique venant
Etats
d'une autorité non résidant dans le royaume », et un grand nombre de l'Europe.
d'actes concernant les bénéfices, les legs pieux, les aliénations de
Le
biens d'Eglise, les dispenses d'empêchement de mariage,' les dispenses gouvernement
de vœux monastiques et autres questions analogues^. L'année sui- italien
s'ingère
vante, le 12 juillet i86/i, une ordonnance royale exigeait le placel, abusivement
dans le royaume d'Italie, pour tous resciits ou décretô des Ûidinuires dans
l'organisation
de la
hiérarchie
cathuliquc.
1. VlLLEFRANCHB. Pie IX, p. IqS.
2. (( L'anlipalhie qui lui était commune avec l'Autriche à l'égard du principe des
nationalités, le respect qu'elle professait pour l'ancien droit européen et pour let
traitesmenacés, tout semblait faire un devoir à la Russie de prendre parti contre
luiiilé italienne, mais la logique de l'intérêt et des passions l'emporta sur la logique
des principes. On la vit, par ses manœuvres, fournir aux révolutionnaires l'appoint
qui leur manquait «(Lescuklh, lE(jlise catholique en Pologne, ^ aiG)
3. Voir le texte complet du décret dans Chantrel, Annales ecclésiastiques, p. D22-
478 HISTOIRE GE\ER\LE DE L EGLISE

diocésains portant nomination de curés ou de vicaires, ou renfermant


des dispositions sur les biens ecclésiastiques ^
Le En France, Napoléon III, inquiet de l'opposition que sa politique
gOMvoineiiicnt
français italienne avait soulevée parmi les catholiques, crut pouvoir la dés-
lâclic la l»ri.le
armer en lâchant la bride à la presse inéligieuse. Celle-ci, à partir
à la presse
irr«?|igîcusie de 1860, redoubla d'attaques contre le clergé et contre l'Eglise en
et entrave de général 2. L'empereur ne se contenta pas de cette persécution indi-
plusieurs
manières recte.Le 8 mars 1861, son ministre de la justice, M. Delangle, enjoi-
les œuvres gnit aux procureurs généraux de poursuivre, en vertu des art. r^ci
calholiques.
du Code pénal, c'est-à-dire en les rendant passibles d'empri-
et 20/i

sonnement ou de bannissement, les membres du clergé catholique


qui, dans l'exercice de leurs fonctions, critiqueraient la politique du
gouvernement 3. Enfin, par plusieurs actes de la fin de l'année 1861
et du début de l'année 1862, le gouvernement impérial s'attaqua

aux laïques eux-mêmes, dans leurs œuvres de charité et d'apostolat,

notamment dans la plus florissante de ces œuvres : celle des Confé-


rences de Saint-Vincent-de-Paul. Les Conférences furent mises en
demeure, ou bien d'accepter un président nommé par décret impé-
rial, ou bien de n'avoir plus de liens entre elles*. Deux autres faits
xrès significatifs affligèrent profondément les catholiques au cours du
mois de janvier 1862. Le 11 de ce mois., un décret impérial nomma
professeur au Collège de France Ernest Renan, qui venait de donner
3 scandale de son apostasie, et, le même jour, un second décret
institua le maréchal Magnan grand-maître du Grand-Orient de
France 5.
Le L'Espagne, qui avait été si agitée jusqu'en 1869, et dont les
gouvernement
troubles allaient renaître en 1866, jouit, dans l'intervalle de ces deux
espagnol,
plus dates, d'une période de calme qui permit à l'Eglise catholique de
f^ipeclueux
s'y développer. Mais campagne menée de 1861 à i865 pour
la obte-
des droits
de i'Eglise, nir de la reine Isabelle la reconnaissance du royaume d'Italie, et la
semontre
réussite de cette campagne en i865, furent une cause de peine pour
néanmoins
favorable les catholiques, car le but des agitateurs ne visait pas moins la ques-
aux entreprises
du Piémont,

Chantrel, Annales ecclésiaslîqaes^ p. 5^8.


1.
Voir La Gorce, Hist. du second empire, t. IV, livre XXIV
2. Weiss, Hist, du ;

parti républicain en France, un vol. in-8 Paris, igoo.


,

3. Chantrel, p. 45o.
4. Circulaire de Persigny du 6 octobre i86i (Ghantrkl, p. 459). Cf. Cuamtr£l,
p. 406, 479. 48o.
5. Ibid , p. 470.
DE LA BDLLE InejffdbUis A l'engtcltque Quanta cura A 79

tîon romaine et pontificale que la question italienne proprement


dite.

En Portugal, un décret royal, du 5 mars 186 1, prononçant la Le Portugal


dissolution des communautés de Filles de la Charité et déclaraut ^
i^^

leurs biens « incorporés au domaine national* », fut le prélude communautés


*^

d'autres mesures atteignant toutes les congrégations religieuses *.

En Suisse, le retour d'exil de Mgr Marilley, en i856, n'avait pas La Suisse.

mis fin aux mesures persécutrices. Le 22 juillet, toute juridiction


plusieurs Fuis
étrangère fut supprimée sur le territoire helvétique. Le gouvernement d' Allemagne

s'immisçait dans la direction des séminaires et des couvents, et don- j^^ mêmet
oait au clergé de nombreux sujets de plainte. Les tribunaux de erremenii.

Suède continuaient à sévir, par les peines de l'exil et de la perte


des droits civils, contre les personnes convaincues d'avoir embrassé
le catholicisme 3. En Allemagne, Chambres du royaume de Wur-
les

temberg refusaient, en 1861, de sanctionner un concordat conclu


entre le roi et le Saint-Siège*.
Le monde slave offrait à l'Eglise des sujets d'espérance et d'appré-
hension.
« Dans le mouvement qui porta les Bulgares, vers le milieu du Le monde
-.,,,,1
xix" a reclamer
Siècle,
1
leur
'j' j
mdependance
!••
religieuse
' y
vis-a-vis

A
du
slave offre à la
fois des snicts
Phanar, y eut une minorité influente qui tourna les regards vers
il d'espérance

Rome et lança l'idée de l'union avec l'Eglise catholique. Dès 1860, ^ *j^^^

à Constantinople, les délégués de deux mille d'entre eux se décla-


rèrent catholiques. Le 21 janvier 1861, Pie IX confirma cet acte, et,
le 8 avril suivant, il consacra lui-mcme le premier archevêque uiiiate
de la Bulgarie, Mgr Sokolski, un vieil archimandrite ignorant, que
le gouvernement turc reconnut oiriciellement le i*"" juin de la même
année. Tous ces événements déterminèrent de nombreuses couver- Mouvement
sions ;
1
en quelques années,
r La00.000
on compta L-
abjurations.
i* ^f
Malheu-
II de conversions
^^^ Bulgarie

reusement pour le catholicisme, la Russie veillait. Le 18 juin i86t en 1860.

Mgr Sokolski disparut subitement sur un bateau russe, qui l'emmena


à Odessa, d'où il fut dirigé sur un lieu inconnu. On n'a jamais su
exactement s'il fallait voir en lui un complice ou une victime des
manœuvres moscovites mais ; la première version paraît plus vrai-
semblable. Ce coup inattendu ralentit le mouvement de convergions.

I. CnAtfrREL, p ^86.
2. Ibid., p. /187 ',88, 495-^96 ; 534.
3. /6«(/., p. 399.
4. Ibid., p. /i*54.
48o HISTOIRE GÉNéRALE DE l'ÉGLISE

Ralentisse- En 1862, on donna à Sokolski un successeur dans la personne d©


ce mouvement l^aphaël Popof, qui gouverna les Bulgares catholiques jusqu'en
eiii86i. i883. A cette date, Rome créa une nouvelle organisation ecclésias-
tique. 11 y eut à Constanlinople un administrateur apostolique, avec
le titre d'archevêque, et deux vicaires apostoliques, celui de Macé-
doine, avec résidence à Salonique, et celui de ïhrace, avec résidence
à Audrinople *. »

Lô Les agissements de la cour de Russie dans cette affaire, mon-


gouvernement
russe
traient, une fois de plus, combien le Saint-Siège avait été bien
persôcuteles inspiré, lorsque, ni en 1772, tandis que Catherine II promettait

orthodoxes.
Solennellement la liberté aux catholiques, ni en 181 5, tandis
qu'Alexandre 1" se faisait le chef de la Sainte-Alliance contre la
Révolution, elle ne s'était fiée sans réserve aux promesses de lem-
pire des tsars. Au fond, ceux-ci ne se considérèrent jamais comme
liés par de tels engagements ni envers les nations dont ils se faisaient
les protecteurs, ni envers les catholiques ruthènes de leurs Etats, ni
envers ceux de Pologne. Le principe de la « raison d'Etat », qui,
sous les gouvernements absolus^ sert trop souvent à couvrir les

caprices du despotisme, leur- commandait, disaient-ils, cette manière


d'agir. En i854, le tsar Nicolas prit prétexte de quelques mesures
vexatoires prises par la Porte ottomane contre ses coreligionnaires,-
pour organiser une persécution formidable contre tous ceux de ses
sujets qui n'appartenaient pas à la religion orthodoxe. Musulmans,
luthériens, Juifs et catholiques furent confondus dans les mêmes
mesures vexatoires. Il prétendait, en agissant ainsi, reprendre sim-
plement l'œuvre de « russification » chère à Catherine II et momen-
tanément abandonnée par Paul I". Il u épura » le clergé, en y intro-

duisant le plus possible d'individus gagnés à ses projets. Plusieurs


d'entre eux passèrent au schisme. Mais ils n'y entraînèrent pas les
peuples, qui refusèrent d'imiter la honteuse défection de leurs chefs
et montrèrent une admirable fidélité à leurs croyances. La prison, le

knout et la Sibérie firent des milliers de martyrs. Après l'avènement


Plaintes d'Alexandre II, qui monta sur le trône en i855 et manifesta aussitôt
de Pie IX.
le désir de poursuivre le plan de son père. Pie IX, par plusieurs
actes, du 9 avril i855, du 3o janvier et du 7 septembre i856,
exposa les plaintes du Saint-Siège. Des déclarations vagues, des me-

I, R. Jamn, dans les Ec/ios d'Orteni de septembre-octobre 1910, p. 52i. Cf.


S. ^A.ILHK, au mot Bulgarie ÔAns le Diclionnaire de théologie de Yacaht-Ma^ ot
t. 11, col. I238-I23l.
1

DE LA BULLE IfieJ/abUis A l'enctclique Quafita cura 48

sures inefficaces, furent les seuls résultats de ces démarches. Le dio-


cèse de Chelm restait comme le dernier asile des uniates ruthènes.
Le y envoya, en qualité de professeurs du séminaire, des clercs
tsar

fojmés dans des universités gchismatiques. Lorsque, le 3i jan-


vier 1859, Pie IX renouvela ses doléances, l'empereur se contenta de
lui répondre, en termes généraux, qu'il veillait aux intérêts des

catholiques romains ^
Vers i856, au moment même oij sévissait la persécution russe PersécuUo»

contre l'Eglise ruthène, la cour de Saint-Pétershourg sembla vouloir catholique»


adopter une politique plus douce envers les catholiques de Pologne. polonais.

Ou eut bientôt l'explication de cette attitude. Le tsar craignait que


le traité de paix qui réglerait la question d'Orient n'abordât la ques-
tion polonaise. Le traité de Paris fut muet sur ce point. Alexandre
reprit alors son ancienne tactique. Le 7 janvier iSby, il permit, par
un oukase, de réparer les églises en ruines ou même d'en bâtir dans
les lieux où il en manquait ; mais, en pratique, le gouvernement
s'arrangea de manière à entraver ou même à annuler les concessions
faites aux catholiques, et, plus d'une fois, les matériaux préparc»
par eux pour la construction d'une église furent confisqués et
donnés à un pope^. Le 12 novembre iSSg, un rescrit interdit, « sous
peine d'expulsion immédiate », à tout prêtre catholique « d'admettre
à aucun acte religieux personne autre que ses propres paroissiens '^
».

C'était interdire absolument tout acte de prosélytisme de la part des


prêtres, toute conversion de la part des schismatiques. En 16G0, le

R. P. Lescœur définissait ainsi l'état de la Pologne sous le régime


russe : « Absorption politique complète, absorption religieuse gra-
duelle, mais inévitable, voilà la situation*. » En 186 1, l'archevêque
de Varsovie, Antoine Fialkowski, étant mort, et le Chapitre ayant
élu un vicaire capilulaire qui déplaisait au gouvernement, le nouvel
élu fut emprisonné, et défense fut faite au Chapitre de s'adresser au
pape. La troupe, à cette occasion, envahit plusieurs églises, pour
terroriser les populations.

Celles-ci, étroitement surveillées par une police nombreuse, se

I. Voir E. L11.0WSE.1, Histoire de lunion de l'Eglise ruthène^ Posen, 1880 traduit ;

en français, un vol., Paris, Lelhielleux, sans date Pieuhng, la Russie et le Saint-


;

Siège, t. 111, Paris, 1901 Lescobur, iEglise catholique et le gouvernenieiU russSp


;

Paris, 1903.
2 N oir les faits cités par Lesccbur, op. cit., p. 220-22S,

3. Ijid., p 225-2a6.
4. Ibid.^ p j43.
Hist. gén. de TEglise. - VIII •
48a HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLISE

groupaient autour de la noblesse du pays, laquelle, résidant en ses


domaines, était restée très attachée à la cause de l'indépendance na-
Soulèvement tionale, et avait son centre de ralliement dans une société agrono-
de la
Poiogu«. mique siégeant à Varsovie. Pendant ce temps, les émigrés polonais
essayaient de soulever l'Europe pour leur cause. Les nobles, réfugiés
pour la plupart à Paris, autourdu prince Gzartoiyski, comptaient
sur l'intervention des gouvernements catholiques des étudiants et ;

des ouvriers, entrés dans les partis démocratiques, comptaient sur le

mouvement révolutionnaire. Ce dernier élément, il faut le reconnaître,


ne fut jamais prédominant *. L'élément catholique caractérisa tou-
jours, dans son ensemble, l'insurrection polonaise.

Le mouvement Elle éclata brusquement en janvier i863. Les autorités russes,


insurrection-
sous prétexte de recrutement, avaient convoqué, puis arrêté les prin-
nel éclate
en janvier cipaux jeunes gens soupçonnés de nationalisme. Plusieurs parvinrent
iS63.
à s'échapper ; d'autres, soupçonnant un piège, ne répondirent pas
à l'appel. Ils se réfugièrent dans les bois, et s'y organisèrent en
bandes armées, qui apparaissaient brusquement, livraient de petits

combats, puis disparaissaient dans les forêts, se cachaient dans les

Caractère campagnes, protégés par la complicité des paysans. La lutte ne put


de cette
insurrection.
avoir le même caractère qu'en i83i, alors que la Pologne jouissait
En quoi d'une armée régulière. Le gouvernement russe avait dissous la
elle diffère de
Société agronomique ; mais celle-ci, avant de disparaître, avait cons-
celle de i83t.
titué à Varsovie un comité secret, qui dirigea toutes les opéra tioni
et que la police ne put jamais découvrir. Une armée de
200.000 hommes ne pouvait avoir raison de ces bandes d'insurgés
dont le total n'atteignait pas 8.000. Alexandre II, très perplexe,
oscilla entre deux politiques. Tantôt il essayait, par des concessioas

libérales, de gagner les populations polonaises ; tantôt il avait recours


à la répression rigoureuse.
Les Polonais, de leur côté, comprenaient que la victoire finirait

par appartenir au nombre et à la force de leurs ennemis, si l'Europe


ne venait pas à leur secours. Mais la France, l'Autriche et l'Angle-

terre se bornèrent à des manifestations platoniques* ; quant à la

I. ((Cessez de donner à votre lutte héroïque un caractère religieux, écrivait


Garibaldi aux Polonais car vous écartez ainsi de vous les sympathies. » (Cité par
;

le Correspondant du 35 mai i864, p. lo;.


a. Trois fois, eu avril, juin et août i863, la France, l'Autriche et l'Angl'^^rrre
firent une démarche collective en faveur de la Pologne mais, comme ces puissauces
;

ne laissaient pas entendre qu'elles appuieraient leurs réclamations par des actes, \h
Russie se contenta de répondre qu'elle ne se tenait pas pour liée par les traités d-
DE LA BULLE ïneffabUis À l'enctclique Quanta cura l\S'i

Prusse, dont la politique était gouvernée par Bisnnarck^ elle aida le Bismarck
aide le
gouvernement russe à écraser Pologne, en signant une convention gouTernemont
la

secrète qui fermait la frontière aux insurgés. Le Landtag accusa russii


à écraser
même Bismarck d'avoir livré des réfugiés polonais au gouvernement la Pologne.
moscovite ^ Le sort de la Pologne était dès lors décidé. Le vain-
queur abusa de sa force matérielle, en donnant à la répression un
caractère féroce et implacable dont la religion catholique eut surtout
à souffrir. L'archevêque Feiinski fut déporté à laroslav. Défense fut
faite à son clergé de correspondre avec lui. Des prêtres furent empri-
sonnés et mis à mort sous la seule inculpation d'avoir apporté les
secours de la religion à des Polonais blessés dans les combats. De
lourdes contributions furent imposées au clergé. Plusieurs couvents
furent convertis en casernes. Beaucoup d'églises furent saccagées. La
Lithuauie, qui, transformée en département russe, avait demandé sa
réunion au royaume de Pologne et avait soutenu les . insurgés, lut

soumise aux mêmes mesures de terreur que la Pologne. Le général


Mouraviev, qui fut chargé de diriger cette guerre de destruction, Le général
en rapporta surnom de Mouraviev
le « bourreau de Vilna » ; mais les patriotes
« bourreau
russes l'acclamèrent à son retour, et décidèrent même la fondation de Vilna t.
d'une fête annuelle pour commémorer l'écrasement de la nationalité
polonaise,
La voix du pape seule vengea la cause de la justice et de la reli-
gion. Le 24 avril i864, Pie IX, célébrant, dans la chapelle de la
Propagande, la fête d'un martyr capucin, Fidèle de Sigmaringen, Protestation
s'écria tout à coup : « Non 1 je ne veux pas être forcé de m "écrier énergique
de Pie I\
un jour, en présence du Juge éternel Vae mihi quia iacuiy malheur :
(24 avril
à moi parce que je me suis tu Le sang des faibles et des innocents
1
i864).

crie vengeance... Je me condamner un potentat don*


sens inspiré de
je ne tais le nom en ce moment que pour le nommer dans un autre
discours... Il persécute et massacre les prêtres. Il relègue les évêques
au fond de son empire. Insensé il ignore qu'un évêque, sur son
I

siège ou dans les catacombes, est toujours le même, et que son carac-
tère est indélébile.
Et que personne ne dise qu'en m'élevant contre le
potentat du Nord, je fomente la révolution européenne. Je sais biea

i8i5 pour le gouvernement de la Pologne, qu'elle se conlenUit de réprimer une


insurrection révolutionnaire. Voir Montalembert, le Pape el la Poio'anc dans le
Correspondant du 20 mai 1864, p. 9-17.
I Seignouos, Hisl. politique de iEurooe conlemporuiae, un vol. io-S».
^ Pari» '
1897. p. 571.
484 HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLISE

distinguer la révolution socialiste du droit et de la liberté raison-


nable, et, si je proteste contre lui, c'est pour soulager ma. con-
science^. »
« En prononçant ces paroles, disait un témoin oculaire, le souve-
rain pontife était sublime à voir. Une sainte colère empourprait son
front, sa voix tonnait, et il semblait, de son bras étendu, lancer
une foudre invisible^. J»

IX

LemouYemenf L'année i863 avait donné au Père commun des fidèles un autre

•nticljrétien.
grand sujet de tristesse. Les Etats de l'Europe, qui avaient assisté,
impassibles ou favorables, à l'invasion du domaine pontifical et à
l'écrasement de la Pologne catholique, avaient laissé se propager sans
entraves un écrit blasphématoire, qui renouvelait, en l'adaptant à
la mentalité des temps modernes, l'hérésie d'Arius. Cet écrit, qui
avait pour titre Vie de Jésus et pour auteur un professeur au Collège
de France, Ernest Renan, avait vu le jour à Paris; mais il exprimait
un mouvement d'idées qui, né en Allemagne, avait influencé plus ou
moins la pensée européenne.
Ses origines En i835, un Allemand, Henri Heine, terminant une étude inti-
^" tulée De Kant à Heqely écrivait « Ne riez pas de ces conseils, quoi-
^ „
:

AUemagne. .,
qu ils

. j» * • • •. '
j t j
viennent a un rêveur, qui vous invite a vous défier des
kantistes, des fichtéens, des philosophes de la nature. . . La pensée
précède l'action, comme l'éclair le tonnerre. Le tonnerre allemand
n'est pas très leste, et vient en roulant un peu lentement ; mais il

Un viendra, et quand vous un craquement comme jamais


entendrez
avertissement craquement ne s'est fait encore entendre dans l'histoire du monde,
d Henri Heine / o at i r i i

en i835. sachez que le tonnerre allemand aura enun touche le but^ ». JNous
n'avons ici à parler que de la malfaisante influence exercée par
l'Allemagne, au milieu du xix* siècle, sur la philosophie religieuse.
Les idées Kant, en voulant réduire l'enseignement évangélique à la morale
'"^^^ç®"^^^ de limpératif catégorique, et toute la loi surnaturelle du christia-

1. Correspondant du aS mai i864, p. 17-18.


2. Ibid. —
Sur les événements de Pologne en i863, voir Monta.lbmbert, flnsur^
rection polonaise, Paris, i863 Lesccbur, l'Eglise catholique et le gouvernement russe^
;

Paris, 1903 Pierung, la Russie et le Saint-Siège, t. HI, Paris, 1901 ; Mo:^talembert,


;

le Pape et la Pologne, dans le Correspondant du a5 mai i864, p. i-4i.

3. Heine, De VAllemagne, 2 vol. in-12^ Paris, édition de i865, t. I, p. 18a.


DE LA BULLE TneffahiUs A L*EtCTCLiQUE Qoanta cura 485

nlsme à la loi naturelle du devoir *


; Hegel, en professant l'identité du de Hegel et à%

réel et de l'idéal dans un perpétuel devenir * ; les disciples de ce discipUt


dernier, en se représentant Dieu comme « le spectre de la conscience
humaine » 3, avaient créé un mouvement d'idées qui, par son \ague
même, par ses équivoques, par ses formules religieuses envelo[)pant
une doctrine de stricte autonomie individuelle, était de nature à
troubler profondément les âmes. Mais la forme même de ces doctrines
ne leur permettait guère de franchir le cercle restreint du public
universitaire de la nébuleuse Allemagne. A deux reprises diiTérenlcs
déjà, des Français avaient essayé de traduire en une langue plus
claire et, par là même, avaient commencé à populariser la nouvelle

philosophie germanique. Victor Cousin, en 1817, avait fait entrer Premièrf>«


dans son système, au moins en partie, la théorie kantienne de la vulgarifr 'oni

connaissance, et, en 1020, Jbdgar Qumet, dans une étude sur allemandei
Herder, avait invoqué et glorifié « l'idéalisme créateur de l'Aile- P'"
-,.,,.... , ., , .
, ^ . , . \ ictor Cousia
magne ». Mais 1 initiation philosophique tentée par Lousin était et Eigar
incomplète, et l'œuvre de Quinet n'était qu'un appel éloquent. Quiuek,

D'ailleurs, l'un et l'autre mêlaient aux doctrines d'outre-Pihin des


doctrines qui leur étaient propres. Le véritable vulgarisateur en
France, et, par là-même, dans le monde entier, de la philosophie
allemande, exposée sinon dans toutes les parties de son enseignement
technique, au moins dans l'inspiration générale de ses doctrines et de
sa méthode, fut un écrivain dénué de toute philosophie personnelle, Emest Rena«
mais singulièrement souple, nuancé, délié, captieux dans sa pensée (iSiô-iSga).

comme dans son style : l'auteur de la Vie de Jésus, Ernest Renan *.

Breton par son père, il appartenait, nous dit-il, à ces « races de


rêve )) ^ dont « l'imagination vive et fine » aime à se créer « un
monde aérien » ^ ; mais. Gascon par sa mère, il se comparait
plaisamment, et très exactement d'ailleurs, à l'animal de la fable

dont les deux natures formaient un amas de contradictions, i une


étant sans cesse « occupée à démolir l'autre 0, « la première riant
quand la seconde pleurait » ''•

I . RuTssBH, Kant, un vol. in-8, Paris, 1906, p. 353. Cf Ka5t, De la religion


considi^rée dans les limiies dt la raison.
3. i'Àï. Rf,:^ouvier, Piiilosopiiie analytique de Ihistoire, Paris. 1897, IV, p. 19 • t.

E. IIeli.o, m. Renan V Allemagne et l'athéisme au XIX*" siècle, Paris,


1809, p. 89,
3. Saint- RE^É Taillandier, Hist et pliil. religieuse^ Paris, 1869, p. ao.
4 Renan, Souvenirs d'enfance et de jeunesse, p. ao.
5 Ibid., p. 4o.
6. Ibid.. p. 73.
7. Ibid., p. i45.
486 HISTOIRE GÉNÉRALE DE l/ÉGLlSE

Né à Tréguier le 27 février 1828, élevé dans un milieu profondé-


ment chrétien, le jeune Breton s'était d'abord dirigé du côté de l'état
ecclésiastique. 11 avait commencé ses études classiques au petit sémi-
naire de Saint-Nicolas du Chardonnet, à Paris, sous la direction de
l'abbé Dupanloup, puis était entré, à l'âge de dix-neuf ans, au sémi-
ISon esprit naire de Saint-Sulpice. Il devait, plus tard, rendre hommage à la
se pervertit
80U8 vertu et à la science des maîtres qu'il y rencontra. Il ne tarda pas
rinfluence cependant à y perdre la foi. « J'appris l'allemand et l'hébreu, dit-il ;
de la
philosophie cela changea tout*... La philosophie allemande commençait à être
allemande. connue, et me fascinait étrangement^... Un éternel fier i, une méta-
morphose sans fin me
du monde ^. » Dans d'autres
sembla la loi

passages de ses écrits, Renan a déclaré que la perte de la foi avait


été chez lui la conséquence de ses études critiques plutôt que celle de

ses lectures de philosophie allemande. Cette assertion est démentie


parle témoignage formel d'un de ses condisciples * et par ses propres
écrits. Le jeune séminariste était au début de ses études philoso-
phiques, et n'avait pas encore abordé l'étude de l'hébreu, quand, pré-
sumant que sœur Henriette allait faire un voyage en Allemagne, il
sa
la chargeait de faire un pèlerinage à Kœnigsberg, au tombeau de

Kants.
Après trois ans de séminaire, et avant de prendre les engagements
définitifs du sous-diaconat, Renan, « voulant, suivant ses propres
expressions, quitter un intérieur qui ne pouvait plus être qu'un
mensonge » 6, abandonna l'état ecclésiastique, et se livra aux études
Rentn orientales. Son incrédulité, son hostilité contre l'Eglise se manifes-
commence tèrent d'abord en des écrits pleins de fiel. « Ses premiers manifestes,
par attaquer
violemment
l'Eglise 1. RB!tA!», Souvenirs d'enfance et de jeunesse, p. 268. Il y a ici un mot de trop,
•t ses dogmes. JËrnesl Renan perdit la foi avant d avoir étudié l'hébreu. Voir Cognât, M. Renan
hier et aujourdkui, 2^ édition, p iia.
2. Ibid., p. 740.
3. Ibid.. p. 7/Î2.
4. A.bbé Cognât, M. Renan hier et aujourd'hui, un vol. ia-8, Paris, 1886, a e édi-
tion, p. 3i, lia. Cf.ViGOUROux, Mélanges bibliques, un vol. in-ia, a® édition, Paris,
1888, p. 53a, note 3. Les Souvenirs de Renan doivent toujours être contrôlés par
«eux de 1 abbé Cognât, son condisciple de séminaire,
5 . J'aime beaucoup la manière de tes penseurs allemands. Si tu vas jamais à
Ci

Kœnigsbergjje te charge d'un pèlerinage au tombeau de Kant. » (Lettre du ï5 sep-


tembre i8/i2.) (Ernest Renam- Henriette Renan, Lettres intimes^ un vol. in-8,
Paris, 1896, p. 97). La sœur aînée de Renan, Henriette, institutrice en Pologne,
avait déjà perdu la foi, et, comme on le voit, c'est elle qui^ poussait «on jeune
frère, séminariste, à étudier les « penseurs allemands ». C'est elle, plus tard, qui
le décida à quitter l'état ecclésiastique et llatla son orgueil en lui faisant entrevoir
une grande situation scientifique. Voir les Lettres intimes, passlm.
6. Lettre du 12 novembre i8'45 (Cognât, p. 189I.
DE LA BULLE IneJJabUîs A l'euctclique Quanta cura ^87

écrit Saint-René Taillandier, exhalaient une vive amertume.


y 11

avait dans sa pensée, dans son langage, une verdeur singulièrement


âpre, parfois même des traces de violence. Dès le lendemain de la

révolution de Février, irrité de voir l'Eglise catholique s'associer aux


émotions de ces jours orageux et jouer un rôle dans les fêtes et dans
les cérémonies populaires, il dénonçait avec une vivacité extrême
l'hypocrisie du libéralisme clérical. A propos des grands travaux de
l'exégèse allemande, s'il rencontrait sur sa route unécri\ain violent,
il le jugeait avec une sympathie inattendue. Il écrivait sans hésiter des
Ses premiers
phrases comme celles-ci : « Les temples matériels du Jésus réel
blasphèmes.
s'écrouleront ; les tabernacles oii l'on croit tenir sa chair et son sang
seront brisés ; déjà le toit est percé à jour, et l'eau du ciel vient

mouiller du croyant agenouillé » *.


la face

L'ouvrage que Renan publia en i863, sous le titre de Vie de Jésus,


avait des allures plus calmes. L'incrédulité de l'auteur s'était elle En i863,
il modifie sa
tempérée? INuUement. Sa négation n'était pas moins radicale ; elle manière
plus dangereuse. sans modifier
était Il avait beau déclarer dès sa préface et répéter
le radicalisme
dans sa conclusion que « Jésus est l'honneur commun de ce qui porte de son
un cœur d'homme » 2, qu' « il a fondé la religion absolue » 3, que incrédulité.

« pour se faire adorer comme il l'a été, il faut qu'il ait été adorable»*,
qu' « il est permis d'appeler divine sa sublime personne » ^ sous La
;
Vie de Jésus.
cette apparente sérénité, où perçait une ironie hautaine, toute
l'œuvre reposait sur deux partis pris philosophiques qu'il avait pui-
sés, le premier chez Kant, et le second chez Hegel, à savoir : i que
toute révélation est d'avance condamnée par la philosophie, car elle
seraitune dérogation aux lois générales de la nature; et a qui dit au- L«t deux
principes
dessus ou eu dehors des lois de la nature dans l'ordre des faits, dit pseudo-philo-
une contradiction » 6 ; 2" que tout est en voie de se faire, même sophiques
sur lesquels
Dieu. Sur ces principes, la pensée et la phrase de l'historien, ou repose
plutôt de l'exégèse
l'artiste, du dilettante, se jouent, se nuancent, s'opposent,
d'Ernest
se contredisent, essayent de se concilier en des formules ambiguës, Renao.
sonores et chantantes, où l'auteur se plaît à faire résonuer le
a carillon » qu'il prétend avoir reçu, comme un dou inné, de la

I. SAiNT-HsRé Taillandikh, HistoWc et philosophie religieuse, p. a.


3. Renan, Vie de Jésus, io« édition, p. uv.
3. Ibid., p. /J46.
4. Ibid.^ p. 4^7.
5. Ibid., p. 457.
6. Ce n est pas que Renan n'emploie plusieurs fois le mot de « révélation >;

mai*
li . •nleuddans un sens tout diirérent (Vtc; de Jésus, introduction, p. ux.^ '
488 HI-ÎTOIRE GENERALE DE L ÉGLISE

nature. Est-il matérialiste ou idéaliste ? On ne sait, car, s'il admet que


Inconsistance le monde est « le règne de la mécanique », il professe qu' « une
de
conscience obscure pousse le possible à exister » Est-il athée ou
SCS doctrines .

et de ses déiste ? On l'ignore, car « si Dieu n'est pas encore, il sera peut être
méthodes.
un jour ». Sa méthode d'exégèse est elle naturaliste comme celle de
Pauhis, mythique à la manière de Strauss ? Gela dépend ; car il est
prêta adopter l'explication la plus commode, la plus poétique, ou la
plus pittoresque, peu lui importe, pourvu que le surnaturel soit
exclu. Finalement, est-il religieux? Il répond lui-même: oui et
non ; car ce disciple de la pensée allemande semble avoir pris pour
devise le distique de Schiller : « Quelle religion je professe ?
Aucune de celles que tu nommes. — Pourquoi aucune ? — Par
religion. »

Scandale Le scandale produit par l'apparition de la Vie de Jésus fut


produit par
immense. De nombreuses éditions se succédèrent en i863. En i864,
l'apparition
de une édition populaire fut publiée, dont 5o.ooo exemplaires furent
la Vie de Jésus
vendus en peu de temps. Après les classes cultivées, les masses popu-
laires furent atteintes par le venin. Les impies se réjouirent ; les vrais
croyants s'affligèrent. Sans doute « il se trouva, parmi ceux qui ne
partageaient pas la foi chrétienne, des esprits élevés qui sentirent
l'inconvenance d'un tel écrit ; mais il se rencontra aussi nombre de
chrétiens frivoles à qui les grâces du style, le charme des peintures,
la molle séduction d'une pensée flottante, firent illusion sur le carac-

tère du livre ^ . »
Les prêtres en chaire, les évêques dans leurs mandements, les

écrivains catholiques dans des articles de journal et des brochures 2,

signalèrent aux fidèles et réfutèrent l'œuvre sacrilège, que la Con-


grégation de l'Index ne tarda pas à condamner La protestation la 3.

plus véhémente fut celle de Mgr Pie, évêque de Poitiers, qui, non
Vive content de flétrir, lui^ successeur de saint Hilaire, les blasphèmes du
protestation
nouvel Arius *, fit tomber une part de la responsabilité du scandale
de Mgr Pie.

1 Mgrd'Hulst, m. Renan, dans le Correspondant du 25 octobre 1892, p. 2o5.


2 louis Veuillot, alors empêché d'écrire dans un journal, opposa à la Vie de
Jéiius une Vie de Notre- Seigneur Jésus-Christ, « celui de tous ses écrits qui fait le
plus d'honneur à son caractère et à safoi » (A. Nicolas, VArt de croire, 3e édition,
2 vol. in-8, 1867, t. Il, p. 24o). Cf. Eugène Veuillot. Louis Veuillot, t. III,
p. 671-482.
3. Décret du 24 août i863.
4. « J'occupe le siège d'Hilaire, et voici Arius » (Discours synodal du a5 août
i863. (Bauma-rd, Hist.du card. Pie, t. II, p. 198.)
DE LA BULLE IneffabUîs A l'encyclique Quanta cura ^89

sur les pouvoirs publics*. La Revue des Deux Mondes^ le Jouih'.. /es.

Débats, le Constitutionnel, l'Opinion nationale, le Temps, les grands


corps savants et le pouvoir lui-même s'indignèrent de ce « ton
d'inquisiteur », de cet « appel au bras séculier )), de cet auto-da-fé,
comme ils dirent, qui n'était plus de notre âge '.

D'autres catholiques voulurent élever, de leur côté, une protestaliou


non moins absolue, non moins vive, mais en se plaçant uniquement
sur le terrain du respect des consciences et delà liberté de l'Eglise. Ils
Le pr<»mier
se donnèrent rendez-vous à Malines, pour un congrès, qui se lien-
drait du 18 au 2a août i863. « Il fut expressément arrêté que l'on ^^ M ail nés
ne discuterait pas sur les formes du gouvernement, l'Eglise les (^^-^^J"'-''^*

acceptant toutes ^. » On se proposait d'ailleurs, non pas seulement


de faire entendre une protestation solennelle, mais de créer, suivant

les expressions des organisateurs du congrès, « un foyer de lumière,

de charité et d'amour, où viendrait se consolider la sainte alliance

des fils de l'Eglise » *.

Le principal orateur du congrès fut le comte de Montalembert, Les


,

qui, voulant se placer


,

nettement sur
,
le
.
.

terram autrelois delmi par


r • ^ m ' deux discoow
^g
Mgr Parisis d'après la conduite des catholiques belges, essaya Montalembert.

d'exposer la tactique par laquelle les catholiques, après avoir conquis


la liberté de l'enseignement, entendaient conquérir toutes les libertés

religieuses. « A Dieu ne plaise, déclara-t-il, que je prétende discuter


un dogme, dresser un formulaire, inventer ou corriger une théolo-
gie !... Je ne professe pas une théorie absolue, mais une doctrine
pratique, tirée de la leçon des événements ; je n'entends pas trans-

lormer en une question d'orthodoxie une question de conduite ^. «

Cette réserve faite, l'orateur ne faisait pas difficulté de déclarer que,


« si les catholiques étaient partout, excepté en Belgique, inférieurs à

Jugez à quels temps nous gommes arrivés, pour que, dans une nation catho-
I. «
lique, un homme, nonle premier venu, mais un homme public, comblé d'hon-
neurs insignes, soutenu de l'argent des contribuables, bien plus encore, occupant
d'office une des chaires académiques les plus émioentes, ait pu néanmoins, sans
réclamation d'aucune autorité, avec l'applaudissement de la foule des journalistes,
tveo d'autres encouragements encore, écrire, publier et répandre partout un livrt
d'une telU impiété, m (Bauhard, op. cit., t. II, p. 199 )
a. Baunard, II, 199-300.
S.Eugène Veuillot, op. cit., III, 485
4. Compte rendu ojjîciel de l assemblée, introduction, p m.
5. Montalembert, l Eglise libre dans lElat libre, discours prononcés tu congrèf
catholique de Malines, une brochure in-8, Paris. iS63, p. 93. On trouvera aussi
les discours de Montalembert dans le Correspondant de i863, tomes LIX et LX, et
dans le Journal de Bruxelles des a5eta6 août i863.
490 HISTOIRB GÉ?JÉRALB DE l'ÉGLÎSE

leurs adversaires dans la vie publique », c'est que « beaucoup d'entre


eux étaient encore, par le cœur et par l'esprit, de l'ancien régime,
c'est-à-dire du régime qui n'admettait ni l'égalité civile, ni la liberté
politique, ni la liberté de conscience * ». « L'Eglise, s'écriait-ii, ne
peut être libre qu'au sein de la liberté générale*... L'inquisiteur
espagnol disant à l'hérétique : La vérité ou la mort, m'est aussi odieux
que le terroriste français disant à mon grand-père : La liberté, la
fraternité ou la mort ^ ». « Est-il besoin d'ajouter, remarquait-ii,
que la liberté religieuse, telle que je l'invoque, ne saurait être
illimitée, pas plus qu'aucune liberté, pas plus, d'ailleurs, qu'aucune
autorité * ? »
En quoi ces Strictement prise dans tes termes, la doctrine exposée par Monta-
discours
^embert ne contredisait pas l'ency clique Mirari vos. Mais le ton ardent,
deviennent
aussitôt un peu âpre, presque provoquant, avec lequel elle était présentée, les
suspects
allusions non équivoques à l'attitude du journal C Univers, nettement
d9 libéralisme.
accusé de déloyauté 5, et le titre même sous lequel furent publiés les
deux discours, l'Eglise libre dans l'Etat libre, titre qui rappelait la
fameuse devise de Gavour, l'agresseur du territoire pontifical, ren-
dirent gravement suspectes, aux yeux d'un bon nombre de catho-
liques, les déclarations de Montalembert^. On y vit la résunection du

1. MoNTALBMBERT, VEgllst libre dans l'Etat libre ^ p. lo-ii.


2. îbid., p. 23.
3. Ibid., p. i35.
i. Ibid ,
p 92.
5. <( Si la foi était bannie du monde, disait notre roi Jean, elle devrait se
bonne
retrouver sur les lèvres du roi de France. ïuessieurs, pour la défense de notre foi,
soyons tous des rois de France... N'imitons jamais ceuî qui, en France, sous Louis-
Pbiiippe et sous la République, demandaient la liberté comme en Belgique, et, dès
qu'ils se sont crus les plus forts, ou, ce qui revient au même, les amis du plus
fort, n'ont point hésité à dire La liberté n'est bonne que pour nous, car nous seuls
:

nous avons la vérité. » (Mo.^talembbrt, l'Eglise libre dans l'Etat libre, p. i37.) Au
bas de la page qui contenait ce passage, Montalembert renvoyait à plusieurs
articles de l' Univers.
ô. Quelques-uns même crurent pouvoir découvrir un argument contre le pou-
voir temporel des papes dans une phrase de Montalembert, protestant contre « cette
horrible confusion dei deux pouvoirs qui est Tidéal de toutes les tyrannies l«
(Montalembert, l'Eglise libre dans l'Etat libre, p. 102.) L'orateur, qui avait tou-
jours si ardemment pris la défense du pouvoir tera^porel du Saint-Siège, ainsi que
ses amis, Mgr Dupanloup et M. de Falloux, protesta avec indignation contre cette
accusation tibid., p. i02-io5, en note). —
Sur une inscription du château delà
Roche en Brény. commémorant l'engagement pris, en 1862, par Dupanloup, Fal-
loux, Foisset. Montalembert et Albert de Broglie, de a comLaltre pour 1 Eglise
libre dans la pairie libre », voir deux interprétations différentes, données, d'une
part, par Lecanuet [Montalembert, III, 33o-333) et par Lagrange Vie de Mgr Du- (

panloup, II, 395) d'autre part, par Eugène Vbuillot (Louis Veuillot, III, 487-
;

492) et par l'abbé Jules Morel [Somme contre le catholicisme libéral, 2 vol. in S,
Paris, 1877, t. II, p. 445 544j.
DE LA. BULLE IneJJabU'is A L*E?rGYCLiQUE Quanta cura 491

libéralisme condamné. L'illustre orateur s'abstint d'assister au second


congrès de Malines, tenu en i864, oii les deux principaux orateurs
furent iMgr Dupanloup et le P. Félix. L'évêque d'Orléans, au témoi-
gnage d'Eugène Veuillot, « sut garder assez de mesure pour qu'on ne
fût pas forcé de le reprendre * », et le célèbre prédicateur jésuite se
contenta de dire que l'Eglise, après avoir résisté à la persécution
comme à la protection des roi», saurait bien s'accommoder de leur
tolérance ; il en donnait comme preuves la Grande-Bretagne, c où Discourt
du P. Félix.
chaque degré ascendant de la liberté publique mesure le progrès
croissant dé la vie catholique », et l'Amérique, u où cinquante nou-
veaux diocèses, fondés en moins de cinquante ans, montrent, à ceux
qui savent voir et comprendre, comment la liberté nous tue-».
Une brochure intitulée ÏErreur libre dans l'Etat libre attaqua
vivement les discours de Montalembert, qui furent en outre dénon-
cés à l'Index 3. Pie IX, après quelque hésitation, s'abstint d'un Pie IX fait
téaioigner son
blâme public, et se contenta de faire témoigner à l'orateur catho- niccorttente-
lique son mécontentement par une lettre confidentielle du cardinal inent à
MoDlalembert.
Antonelli.
Ainsi, vers le milieu de l'année i864, non seulement l'Eglise
venait d'être odieusement attaquée dans la puissance temporelle do
son Chef suprême et dans les plus essentiels de ses enseignements
dogmatiques; mais ses enfants eux-mêmes, les plus zélés de ses dé-
fenseurs, se retrouvaient divisés comme ils l'avaient été en i83i et
en i85o. Pie IX, qui, depuis i8§2, se préoccupait de faire dresser
un catalogue des erreurs modernes pour y attacher les censures con-
venables, crut le moment venu de faire entendre au monde catho-
lique une parole émanant de son autorité" s^^veraine. Il réalisa ce Publication
puojet en publiant, le 8 décembre i864, son encycHquo Quanta de l'eucYcliaoe
Quanta cura
cura, qui parvint aux évoques de la chrélienté, accompagnée d'un cL du Syllabus
catalogue ou Syllabus des principales erreurs du siècle. (â décembre
iS64).

I. E. Vbuillot, Louis Veuillot, t. III, p. ^97.


a. Cornes pondanl du a5soptombre i86'j, t. LXUI, p. l45, "*

S. t. \k\jilloj, Louis Veuillot, III, 486.


CHAPITRE XII

DE l'ekctglique Qua/ita cura au concile du Vatican


(1864-1869).

Importance Avec la bulle Unam sanctam de Boniface VIII et la bulle Unige-


de rencycli(]iie
Quanta cura
nitus deClément XI, l'encyclique Quanta cura de Pie iX, accom-
et de son pagnée du Syllûbus, est un des trois actes pontificaux qui oni le
relentlsM-
plus profondément agité l'opinion publique au cours des siècles.
meut.
Dans la bulle Unam sanctam, les légistes se sont plu à montrer la
mainmise de la papauté sur l'autorité légitime des rois dans la bulle ;

Unigenitus, les jansénistes ont prétendu voir le reniement delà pri-


mitive Eglise ; dans l'encyclique Quanta cura et le Syllabus, les
libéraux du xix* siècle ont dénoncé l'anathème jeté à la civilisation

moderne et à la liberté des peuples. L'étude de ces deux derniers


documents, de leur retentissement et de leurs conséquences jusqu'au
coBcile du Vatican, fera le principal objet du présent chapitre.

Origine Ce serait rétrécir arbitrairement l'ampleur doctrinale des docu-


et objetde
'encyclique.
ments parus le 8 décembre i864, qu'affecter d'y voir, comme quel-

ques-uns l'ont fait, une simple riposte à la Convention du i5 sep-


tembre i864» ou à la publication de la Vie de Jésus y ou aux discours
prononcés aux congrès de Malines. Nous savons déjà, et l'histoire
prouve amplement que, de longue date, Pie IX avait songé à con-
damner, par une encyclique solennelle, les principales erreurs des

temps modernes, et que des travaux préparatoires avaient été entre-


DE l'encyclique Quanta cura au co:<cile du YATicAîf ^93

pris à ce sujet^ Les événements que nous venons de rappeler hâtè-


rent peut-être cette condamnation mais l'encyclique qui la porta ;

manifeste, par sa destination comme par son contenu, qu'elle dé-


borde les contingences de ces faits particuliers. Le souverain pontife
déclare, dès le début, que les enseignements qu'il va donner s'adres-
sent « non seulement aux individus, mais encore aux nations, non
seulement aux peuples, mais encore aux souverains, non minus
erga slngulos hommes quant erga nationes, populos summosque eorum
principes » ; et, en parcourant la lettre pontificale, on s'aperçoit que
ces enseignements concernent à la fois le mouvement intellectuel,

le mouvement social et le mouvement politique du siècle.


Les
Du mouvement intellectuel, Grégoire XVI avait condamné la ten-
condamnation
dance traditionaliste ou fidéiste, désormais disparue avec l'école de de
l'encyclique
La Mennais. Pie IX, dont la sollicitude pastorale avait été mise en :

I" dans l'ordre


éveil par les doctrines philosophiques dont la Vie de Jésus avait été intellectuel ;

la manifestation la plus scandaleuse, signale et stigmatise, à l'ex-

trême opposé, la tendance rationaliste, suivant laquelle « la société

humaine devrait être constituée et gouvernée sans plus tenir compte


de la religion que si elle n'existait pas » *.

Dans l'ordre social, il condamne à la fois la doctrine des socia- 3* Dans


l'ordre social.
listes d'Etat, affirmant que « la société domestique emprunte toute
sa raison d'être au droit purement civil » ^, c'est-à-dire à la légis-
lation de l'Etat, et la doctrine des économistes, enseignant, ou
du moins aboutissant, par leur enseignement, à cette conséquence,
que l'organisation sociale « n'aurait d'autre but que d'amasser et

d'accumuler des richesses » *.

Dans l'ordre politique, le pontife proscrit, d'une part, le gallica- 3» Dans


l'ordre
politique.

I. Voir plus haut, p. 444-445. Le document qui paraît avoir servi de point de
départ à l'encyclique Quanta cura et au Syllabus est une lettre pastorale publiée lo
23 juillet i86o par Mgr Gcrbet, évêque de Perpignan. On a souvent écrit que la
forme définitive donnée au Syllabus est due au cardinal Bilio. Lo commandeur
J.-B. de Rossi, interrogé par nous à ce sujet en i884, au moment de la mort du
savant cardinal, se croyait en mesure de donner un démenti formel à cette infor-
mation. Le cardinal Bilio lui avait déclaré que toute sa coopération à la
rédaction du document pontifical avait été d'en avoir pris connaissance avant sa
publication et d'en avoir fait retrancher quatre ou cinq propositions. Sur les ori-
gines du Sylldbus, voir Pierre Hourat, le Syllabus, étude documentaire, 3 vol. in-
i8, Paris, collection Sci<?mc elrelujion. Sur la participation de Louis \'euillot à la
rédaction ànSyllabus, voir Eugène \ buillot, Louis Veuillot, t. Ili, p. 493.
3. Denzinger-Baî(nwa.rt, n. 1689.
3. Ibid , n. 1694.
4. Ibid., n. 1691.
494 HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGUSE

nisme des chefs d'Etat et de leurs conseillers, suivant qui « les actes

des pontifes romains relatifs à la religion ont besoin de la sanction


des pouvoirs civils » *, et le libéralisme des démocrates, proclamant
que « tout citoyen a droit à la pleine liberté de manifester publique-
ment ses opinion», quelles qu'elles soient, par la parole, par la

presse ou autrement, sans que l'autorité ecclésiastique ou civile puisse


la limiter » *.

20 Dans Enfin, le souverain pontife réclame pour l'Eglise « le droit de se


l'ordre plui
strictement
gouverner par ses propres lois et de ne permettre à personne de
religieux. mettre obstacle à sa liberté » ^. Il proteste contre « l'abolition des
ordres religieux, qui blesse la liberté de pratiquer publiquement les

conseils évangéliques »*". Il s'élève contre le monopole de l'enseigne-


ment mis aux mains de l'Etat, en tant qu'il a pour effet « de sous-
traire complètement k la salutaire doctrine et à l'influence de
l'Eglise l'instruction et l'éducation de la jeunesse » *. En eff'et, si

l'homme est libre , « il n'y a rien de si mortel que de croire qu'il


nous suffit du libre arbitre que nous avons reçu en naissant, sans
plus avoir autre chose à demander à Dieu, c'est-à-dire qu'oubliant
notre Créateur, nous osions renier sa puissance pour nous montrer
libres » ^ ; et, si les rois sont indépendants dans les affaires tempo-
relles, « il est de leur intérêt, toutes les fois qu'il s'agit des affaires
de Dieu, de suivre avec soin l'ordre qu'il a prescrit, et de subor_
donner, et non de préférer la volonté royale à celle des prêtres du
'^.
Christ »
L'encyclique En somme. Pie IX, en promulguant l'encyclique Quanta cura,
n'innove ne faisait que reprendre, comme
un enseigne- il l'avouait lui-même,
en ri«n.
ment plusieurs fois donné par ses prédécesseurs, et notamment par
Grégoire XVI dans son encyclique Mirari vos. L'acte de Pie IX eut
cependant un retentissement bien plus considérable que celui de
Grégoire XVI. Ce fait tient à plusieurs causes.

I DENZirfGER-BAN5WA.llT, H. 1697,
a. Ibid., n. 1690.
3. Ecclesiam catholicam... smant {principes) uli legibus sais, nec Ubertati ej'us quem-
quam permittant obsistere.
4 Denziuger-Banwwart, n. 169a.
lôgS.
5. Ibid., n.
6. Nihil tam prxceps ad casnm... si hoc solumnobis pulantes posse sufjicere. quod
Uberum arbitrium, quum nasceremur, accepimus, ultra jam a Domino nihil quxramus,
id est, Auctoris nostri obliti, ejus potentiam, ut nos ostendamus liberos, abjuremus.

7. Certum est enim, hoc rébus suis esse salatare, ut, quum de causis
Deiagatur, juxta
ipsius constitulum, regiam voluntatem saeerdotibus Christi studeant subdere, non prae-
ferre.
,

DE l'encyclique Quanta cura au concile du vaticaîi 49^

Cause de «on
Tout d'abord, Pie IX s'exprimait d'une manière plus vive et plus retentissement
spontanée, exhalait ses plaintes en accents plus émus, formulait ses exceptionnel :
doc- i' la vivacité
reproches en termes plus directs. C'était moins, semhlait-il, le
des termes
teur qui enseigne, que le père de famille qui, devant ses enfants, employés par
le souverain
ouvre son âme « navrée de douleur à l'aspect de l'horrible tempête » ^

pontife.
soulevée d'indignation à la vue « des honibles machinations » par
lesquelles « des hommes méchants..., promettant la liberté, bien
qu'esclaves de la corruption.., s'efforcent de dépraver les âmes » ^,
Aussi, alors même qu'il supplie « le Cœur très doux du Sauveur
d'entraîner à lui les âmes par les liens de son amour » ^, et « la

très aimante Mère de Dieu d'avoir pour nos misères la plus large
pitié » *, Une peut, comme le divin Maître, retenir sa main prête

à fustiger « le principe impie et absurde du naturalisme »> ^, et les

« hommes de mensonge » ^ qui, au nom du socialisme, cherchent à


"
ruiner l'institution familiale, et « l'insigne audace » des chefs
d'Etat qui conspirent contre la liberté de l'Eglise, et « le délire » de
celle « liberté de perdition » qui u met sa confiance dans le ver-

biage de la sagesse humaine » *.

Une seconde cause était de nature à exciter les esprits. L'ency- ao les
applications
clique Quanta cura ne se contentait pas de condamner des principes. qu'il en uit
Plus que l'encyclique Mirari vos, elle en faisait des applications. ou qu'il
en suggère
Quand elle parlait des prétentions du pouvoir civil à contrôler les
à des
actes de l'Eglise, quand elle
à l'exclure des écoles publiques, fai- événements
récents,
sait allusion à des campagnes de presse contre ses dogmes, elle

éveillait le souvenir de faits concrets et récents. De plus, elle appa-


raissait au lendemain d'événements dont le monde intellectuel et 30 L'état
surexcité -les
politique était encore vivement ému. La façon aiguë dont venait de
esprit;-
se poser la « question romaine », les troubles suscités dans les au moment
où appar.iît
âmes par l'apparition de la Vie de Jésus, les polémiques soulevées à
le document
pontifical.

I, Quum videremus summo animi nostri dolore horribilem sane procellam.


i, I\efariis hominum iniquorum molitionibus.. libertatem promiUenLes qaam servi
sinl corruplionis... omnium animos mentesque depravare... conali siint.
'6
Dulcissimum Cor [SalvatorisJ.. exorent... ut amoris suivinculis omnia ad sei[jsum
.

trahal.
4 Amantissima Mater... omnium nécessitâtes amplissimo quodam misereatur affecta,
5. Iinpium absurdumque naturalismi principium.
6. Fallacissimi isli homines.
7. Insignis impudenlia.
8. Déliramentum.... libertas perditionis,... humanse sapientise loquacitas. V —
l'exemple de la plupart des historien!, nous donnons, de l'encyclique, la traduction
contemporaine de l'apparition du document, celle qui a éU donnée tant par Ut
catholiques que par les libres penseurs.
496 HISTOIRE GÉNÉRALE DE L*ÉGL1SE

l'occasion des congrès de Malines, avaienl, chez les gouverrianls


comme parmi le peuple, dans le monde catlolique comme da. s le
milieu libre penseur, surexcité les esprits.
f\o Le Une dernière circonstance mit le comble à cette surexcitation.
eatalogiie •

ou Syllabus L'encyclique du 8 décembre était accompagnée, nous l'avons déjà


qui constaté, d'un catalogue ou Syllabus des principales erreurs mo-
j est annexé.
dernes. Ce catalogue contenait 80 propositions, extraites de diverses
<( allocutions consistoriales, encycliques et autres lettres apostoli-
ques )).0r, de quelques-unes de ces propositions, isolées des docu-
ments d'où elles avaient été tirées, et habilement interprétées par les

ennemis de l'Eglise, il semblait résulter que le pape condamnait en


bloc tous les progrès de la civilisation moderne et tout particulière-
ment la liberté de la philosophie, l'indépendance des pouvoirs civils
et la liberté de conscience des citoyens. C'étaient les conséquences
que l'on prétendait déduire de la 8o% de la i4% de la 42* et de la

i5® des propositions condamnées, lesquelles étaient ainsi conçues :

Prop.80: le pontife romain peut et doit se réconcilier et se mettre


d'accord avec le progrès, avec le libéralisme et avec la civilisation
moderne Prop. i4 on doit s'occuper de philosophie sans tenir
; i

aucun compte de la révélation naturelle Prop. 4 2 en cas de ; :

conflit entre les deux pouvoirs (civil et religieux), le droit civil pré-
vaut ; Prop. i5 ; Il est libre à chaque homme d'embrasser et df

professer la religion qu'il aura été amené à regarder comme vrai(

par les seules lumières de la raison.

Emotion Dans le miUeu de la libre pensée, ce fut, suivant une énergique


produite
dans le camp
expression de Mgr Dupanloup, comme « un abominable hallali de
de la tous les aboyeurs de la presse contre le vieillard désarmé duVatican»*.
libre pensée.
Le journal le Siècle vit dans le Syllabus le « suprême défi jeté au
Napoléon III monde moderne par la papauté expirante ». Le gouvernement de
interdit
Napoléon III déclara l'encyclique et le Syllabus u contraires aux
la publication
de l'encyclique principes sur lesquels reposait la Constitution de l'Empire » *, et
en cbaire.

I. La.gra.nge,Vie de Mgr Dupanloup, k. II, p. 45o.


a. Gha.ntrel, Annales, p. 569.
DE l'encyclique Quanla cura au concile du Vatican 4 97

dcféra comme d'abus au Conseil d'Etat le cardinal arclievcque do


P»i sançon, Mgr Malliieu, et révêque de Moulins, Mgr de Dreux-
Diezé, pour avoir fait lire l'encyclique en chaire *.

Les catholiques se soumirent tous à l'enseignement pontifical ;


Emotion
produite parmi
mais, pour ceux qui avaient applaudi aux discours prononcés par les

Montalembcrt au congrès de Malines, l'apparition de l'encyclique catholique»


libéraux.
iLit, suivant l'expression de l'un d'eux, comme a un coup de foudre » ^,

qui les déconcerta tout d'abord. « Jamais, écrivait vingt-deux ans


plus tard Mgr d'Ilulst, je n'oublierai la surprise, l'émotion, l'in-

(juiétude où me jeta la lecture de ce document doctrinal. Je vis


clairement qu'il y avait quelque chose à changer dans ma concep-
lion de la société... Le souvenir de cette évolution intérieure sera

inrfTa(;able dans mon âme. Commencée dans la tristesse et dans le

iiouble, elle s'acheva dans la joie et dans la paix. Mais, depuis


lors, il m'a été impossible d'admettre que l'erreur libérale n'eût
jamais existé ; car j'avais à la fois conscience et de l'avoir constatée
en moi-même et de ne l'avoir pas inventée ^. » Plusieurs catholiques Mgr Dupan-
loup s'efforce
furent donc à modifier leurs idées. D'autres ne soufl'rirent que par
de iisiper
«.

.suite de regrettables malentendus. Mgr Dupanloup s'efforça de faire


malentendu»
ilisparaître ces malentendus, en rédigeant à la hâte et en faisant pa-
propagés
raître, du 26 janvier i865, sous le
à la date titre de la, Convention par
les ennemis
(la 15 septembre et C Encyclique du 8 décembre 186-^/, un commen-
de r£giist.
luire des deux documents pontificaux *. S'appuyant sur la distinc-

tion, désormais admise par les théologiens, de la thèse et de . lypo-


ihèse, il montra que l'encyclique donnait l'idéal d'une société com-
plètement chrétienne, mais qu'elle laissait les fidèles libres d'agir

conformément aux conditions de la société politique actuellement


existante ^. Replaçant, d'ailleurs, chaque proposition du Syllabus
dans son contexte, il fît voir que le sens qui devait y être attaché
était toujours juste et raisonnable.

CHA.NTnEL, Annales^ p. 578 674.


I.
Expression de l'abbé de liroglie, citée par Mgr Baldrillart dans le CorreS'
a.
pondant du 5 mars 1902. Cf. Revue pratique d'apologétique du i5 noveuibre 1907.
Si

3. Mgr d'IIllst, le Droit chrétien et le Droit moderne^ préface, p i/j i5. Cf.
Mgr Baudrillart, Vie de Mgr d'Hulst, a vol. in 8, Paris, 1914, l- H, p. 8
4. On trouvera ce commentaire dans les Nouvelles Œuvres choisies de Mgr Dlpah-
LuLP, t. IV. Voir dans Lagrange, Vie de Mgr Dupanloup, i. II, p. 456 et s., les in-
toressants détails de la composition, de la publication et de l'extraordinaire dif-
Tusion de cet ouvrage.
5. (( A titre d'hypothèses, avaient écrit les Pères de la Compagnie de Jésus rcMac-
téurs de la Civiltà cattoUca, les libertés modernes peuvent èire légitimes, et les
c«;li61iques peuvent les atmtrr et les défendre n {Civiltà cattoUcadu 17 octobre i863).

llist. géu. de l Eglise. — VIIl ^^


498 HISTOIRE GÉNÉRA^B DE l'ÉGLISE

Ilest approuvé Lcsjoiipnanx hostiles à TEglisc, confondus par ces explications,


^*^ ^ ' s'écrièrent que l'évêque d'Orléans avait « transfiguré » l'encyclique *.

Mais le pape lui-même coupa court à ce subterfuge, en écrivant, le

4 février i865, à Mgr Dupanloup : w Vous avez réprouvé ces erreurs


au sens 011 nous les avons réprouvées nous même *. » Six cent trente
évêques écrivirent à l'éloquent prélat pour le féliciter de son œuvre ^.

Attitude I-'CS catholiques qui avaient signalé des doctrines suspectes dans
descatholiqucs ]gg allocutions prononcées aux congrès de Malines, dans les articles
qui avaieut " ^ .

combattu publiés dans le Correspondant et dans VAmi de la Religion^, ne dis-


doctrines
les
simulèrent pas leur joie de voir condamner à la fois, par le même do-
du Congres
de Malines. cument,
^ libre pensée
la
.
''

et le
.

libéralisme
, .

catholique
.

^.
,
S'en trouva-
t il, parmi ces derniers, qui donnèrent aux documents pontificaux
« des interprétations forcées », qui « prêtèrent à ces pièces un ca-
ractère qu'elles n'avaient pas dans la pensée du Saint-Père » ? Un
théologien non suspect de tendances libérales, l'abbé Freppel, l'a pré-
tendu dans une lettre écrite à la veille du concile du Vatican ^. Si le futur
évêque d'Angers avait en vue, en s'exprimant ainsi, quelque œuvre de
polémique écrite au lendemain de l'apparition du SyUabus, il visait

sans doute la brochure écrite par Veuillot sous ce titre : V Illusion


Louis VeuiPot libérale, et dont le but, suivant Eugène Veuillot, « était moins de ré-
pubhe futer l'ennemi que de prendre à partie les catholiques libéraux » "'.

libérale. Le célèbre écrivain catholique pensait ainsi combler une lacune re-

grettable dans l'œuvre de l'évêque d'Orléans ^. Eugène Veuillot re-

connaît que le début de sa réfutation du libéralisme est « absolu et

sévère»^. « Le catholique libéral, disait Louis Veuillot, n'est ni ca-


tholique ni libéral. Sectaire, voilà son vrai nom ^^. • La brochure en-
tière, au surplus, gardait ce ton « absolu et sévère ». Les rédacteurs

I. LAGRA.NGE, Op. Cit., t. II, p. /i65,


3. Ibid., p. 474.
â. Ibid., p. 473.
4.Depuis le mois de novembre i855, la direction du journal était passée aux
mains d'un jeune prêtre, l'abbé A. Sisson, attaché à la rédaction en i854 sur les
conseils de Mgr Dupanloup. L'influence de l'évêque d'Orléans y était prédomi-
nante {Dict. dliist. et de géogr. ecclés., au mot Ami de la religion^ t. II, col. lasQ).
5. Card. Pie, Œuvres, t. V, p. 436 Eugène Veuillot, Louis Veuillot, t. III,
;

Voir de l'abbé Freppel dans Lecanubt, V Eglise de France sous la t''oi'


la lettre
sième République, I, p. Saô, et dans NicoL, Mgr Bécel, p. i46.
t.

7. E. Veuillot, Louis Veuillot, t. III, p. 5oo,


8. /6irf p. 4i6.
,

9. fbid., p. 5oi.
10. Louis Veuillot, Vlllusion libérale, ch. iy, $• édition, Ptrif, 1866, p. a3-a4«
DE l'encyclique Quanta cura au concile du Vatican 4 99

du Correspondant et de VAml de la Religion, les orateurs des con- II prend


i partie )et
grès de Malines avaient parlé des adaptations possibles de l'Eglise cttholrquci
avec les institutions modernes. « La pierre (sur laquelle l'Eglise re- libéraux.

pose), répliquait Veuillot, n'est pas une pierre roulante,... inconsis-


tante. Elle a son lieu, sa matière, sa forme. Tout est immuable *. »

On avait parlé des limites posées par la nature des choses aux pou-
voirs du pape et de l'Eglise, en citant en ce sens des paroles de
Bossuet et de saint Bernard *. « Bravons la fourberie des mots,
s'écriait Veuillot. Nous devons obéissance à l'Eglise dans les limites
qu'elle a elle-même posées... Si cette obéissance est la théocratie,

ceux qui en ont peur n'ont pas assez peur d'autre chose 2. » Les écri-
vains que le polémiste voulait réfuter avaient blâmé l'emploi inop-
portun de la force contre les incrédules, prétendant que c'était là per-
pétuer le despotisme païen. «Les chrétiens, ripostait Veuillot, ont
pris à la société païenne ses armes pour les transformer, non pour
les détruire... Comme le droit est par lui-même une force, la force,

par elle-même, peut être un droit *. » Les catholiques libéraux


avaient insisté sur l'union nécessaire du corps de l'Eglise, pris dans
son ensemble, avec son chef, le pape. Veuillot admettait, au moins
à titre d'hypothèse réalisable, leur séparation. « Je fais une hypo-
thèse. J'admets que nous suivions tous le courant. Je dis tous, sauf
le pape, car l'hypothèse ne peut aller jusque-là. Qu'en résulterait il ?

Il y aurait une force de moins sur la terre ^. »

Après avoir cité ces lignes et d'autres pareilles, le Siècle se tour-


nait vers Mgr Dupanloup pour lui dire : a Vous avez pour alliés des
organes moins habiles sans doute que Votre Grandeur, mais qui ont
du moins le mérite d'une rude franchise. » Pie IX n'envoya pas de
lettre d'approbation à l'auteur de V Illusion libérale. Sans doute Pie IX.
sans féliciier
pensa-t-ii qu'il n'était pas opportun de consacrer, par son autorité
publiqueiriimt
suprême, des affirmations qui dépassaient celles de son encyclique et Veuillot.

qui, au moins par leur forme, d'une se montre


vivacité voulue, ne pouvaient
satisfaitde sa
être présentées comme exprimant la doctrine catholique ; mais il re- publication.

1. Louis Veuillot, l'Illusion libérale, p. 34.


2. BossLET, Sermon sur l unité de V Eglise, Œuvres, édit. Lebel, t. XV, p. 532,
533-535 ; laint Bernard, De Considerolione, 1. III, cap. IV, n. 17 (Gf n. i5 ;
epist. 238, n. a, 6 epist 255, n. a. S. Bernardi Opéra, édit Gaume, t.
; I, par»
prima, col.io5o, io5i, 5oo, 5o2, 538.
3. L'Illusion libérale, p. 45.
4. Ibid., p. 68. 69.
5. Ibid., p. 74.
5oo HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLISE

fusa de frapper de censures quelques propositions que deux évêquct


lui dénoncèrent comme inexactes dans la brochure *. Au fond, il

parut satisfait que son encyclique fût montrée comme condamnant à


la fois le rationalisme libre penseur et le catholicisme libéral ^

Portée lociale Des catholiques placés en dehors de toute polémique, envisa-


de
l'encjr clique.
gèrent les documents pontificaux sous un autre aspect, lis les consi-
dérèrent plutôt dans leur partie positive que dans leur partie négative.
Ils y virent les principes d'une doctrine sociale et d'une doctrine po-
litique qui pouvaient ouvrir aux fils de l'Eglise un champ d'action
très fécond. De ce nombre fut le courageux catholique que nous
avons vu, en 1861, protester si noblement, à la Chambre des députés,
contre la politique antiromaine du gouvernement impérial, Emile
Elle est mise Keller 3. Dans un volume intitulé t Encyclique du 8 décembre 186^ et
en relief
pair
les principes de 1789, ou l'Etat, C Eglise et la Liberté, il fit remarquer
Emile Keller. que le pape, en signalant d'une manière si précise les écueils du
communisme d'une part et de l'économie politique libérale de
l'autre, et en montrant que la question sociale était avant tout un
problème moral, reposant sur le respect de la vérité, ouvrait à la

spéculation et à l'action catholique un terrain large et sûr.


M. de Mun raconte que c'est en lisant et en méditant le chapitre de
cet ouvrage ayant pour titre: « Vérité sociale, principe delà liberté
sociale * », qu'il eut la première intuition de l'apostolat social auquel
il allait vouer sa vie. « On demande, écrivait il plus tard, quel rap-
port il y a entre YCEuvre des Cercles et le Syllabus. C'est le rapport
qu'ily a entre le produit et le principe, entre l'effet et la cause, entre
l'enfant et la mère. ^ »
Doctrine Au point de vue plus strictement politique, n'était-ce pas indiquer
tique de
Fol:
encyclique.
au monde une voie sûre, également éloignée du despotisme et de
l'anarchie, que de lui rappeler que « le droit ne consiste pas dans le

fait matériel », qu'il y a d'autres forces que celles qui résident dans
la matière, que a l'Etat n*est pas l'origine de tous les droits », que
« la violation d'un serment n'est jamais licite, même quand elle est

inspirée par Famour de la patrie », que « l'autorité est autre chose

1. Eugène Ybuillot, op. cit., III, 5o3.


2. Ibid
3. E Kbller, V Encyclique du 8 décembre,,,, un vol. in-ia, a« édition, Paris,
1866, p. 268-^90.
/j. A, DE MtN, Ma vocation sociale, p. i3.
5. Association catholique, année 1882, I, p. 2 46. Cf. Mgr d'Hulst, le Droit chri'
tien et le Droit moderne, un vol. iu-12, Paris, 1886, p. 7-8.
DE l'encyclique Quanta cura au coîicile du vATicA!t 5oi

que la somme du nombre », et que « la doctrine de l'Eglise n'est


point opposée au bien et aux intérêts de humaine » ? Tel
la société

était le sens des propositions 58, 69, 60, 89, 4o, 6/4, du Syllabns ^

1. Les théologiens se sont demandé <)uelle est l'autorité doctrinal» du Syllabus.


Quelques-uns, consiiiéraiit que le document n'est point signé du pa[)e, sont allés
jusqu'à lui refuser le caractère d' " acte du Saint-Siège ». '^>olte opinion doit être
écartée. Le cardinal Antonelli a envo}é le Syllabus aux évéques au nom du pa[»e.
Pie I\ et ses successeurs ont toujours considéré le Syllabus comme un *ctc du
Saint-Siège. Léon XIII, en particulier, le considère comme tel, lorsqu , dans
fon encyclique Immortale Dei, il en cite les propositions 19, 34 ^o et 7Q 'Voir
BouDiNHON dans la Revue calholujue des Eglises, de mars igoô). Mais le Syllabu. est-
il un acte ex cathedra ? L'opinion qui soutient l'aiïirmative s'a|tpuie i» su le :

fait que ce catalogue d'erreurs fait corps avec l'encyclique Quanta cura^ laquei •»,
l'adressant au monde catholique pour condamner des erreurs, a lei caractère.*
d'un acte ex cathedra a" sur le fait que l'Eglise entière a accepté l'autorité doctri-
;

nale du comme faisant corps avec l'encvciique,


Syllabus, soit qu'elle l'ait considéré
ioit qu'elle l'ait regardé comme un acte du « magistère ordinaire » du pape.
Parmi ceux qui ont mis en doute le caractère ex cathedra du Syllabus, on peut citer :
le P Newman, de l'Oratoire, lequel, ayant écrit, le 12 mai 1879, ^^^^ une lettre
publique au duc de Norfolk t Le Syllabus n'a pas de force dogmatique »,
: cl6
créé cardinal peu de temps après par Léon XIII Mgr Fessier, évêcjue de Saint-
;

Hippolyte en Autriche et secrétaire général du concile du Vatican, qui a préstnté


la même thèse comme probable dans son livre la Vraie et la Fausse InfailubilUé,
(trad franc., un vol. in-ia, Pari», 1873, p, i3a-i35) et le savant canoniste de
;

Angelis. professeur au collège de l'Apollinaire. Le principal argument de ces au-


teurs est celui-ci Pour qu une collection, même faite sur l'ordre du pape, ait une
:

autorité spéciale comme collection, il ne suffit pas que cette collection ait été faite
par l'ordre du pape ou acceptée comme authentique par le peuple chrétien ;il faut,
luivantla doctrine acceptée par tous les canonistes, que le pape l'ait « faite sienne»
ou par sa signature ou par son sceau ou par une déclaration formelle. Ainsi les
Dccrétales collectionnées, sur l'ordre du pape, par saint Raymond de Pennafort,
n'ont eu une autorité propre que par la Constitution Rex pacijicus de Grégoire IX,
qui a approuvé expressément la collection au contraire le viic Livre des Décré-
;

tales, bien que rédigé par l'ordre du pape, n'a pas d'autorité propre. Il en est de
même du décret de Gratien, qui a été unanimement accepté comme texte officiel
dans les écoles, mais qu aucun pape n'a « fait sien » par un acte exprès. Tel est,
dit on, le cas du Syllabus. Il a bien été rédigé et envoyé par l'ordre du pai)e,
comme le VIT Livre des Décrétales il a été reçu et accepté par l'E ;Ji<e, comme le
;

décret de (iratien mais, n'ayant été ni signé, ni scellé, ni approuvé expressément


;

comme son acte propre, par PielX, il ne peut avoir d'autorité propre Les proposi-
tions dont il se conqjose ont tout juste autorité des documents d'oii elles sont
1

extraites, comme elles ont tout juste le sens que leur donne le contexte de ces
documents. Le R P. Choupin cite, à propos du Syllabus, une parole qu'aurait
prononcée le pape Pie X, dans une audience particulière accordée à M. (Iharles
A Brigii;s. ^'oici les paroles de M. Briggs « The Holy Father himself assured me
:

that it \the Syllabus of Pius IX) did not corne under the categoij of infaiUlillity »
(Ch Brigcs The Papal Commission and the Pentateuch, London, 1906, p 9).
(L. CiiOLriN, Valeur des décisions doctrinales et disciplinaires du Saint-Si^ge, in-vol ,

Paris, 1907, p 132". Au fond, la controverse dont nous venons de parler a moins
d'iniporlance pratique qu'il ne le semblerait an premier abord car ceux qui défen-
;

dent le caractère ex cathedra du Syllabus concèdent que chaque proposition doit être
prise dans le sens donné par la pièce d'où elle est extraite et ceux qui refusent de
;

reconnaître au Syllabus la même autorité qu'à l'encyclique, sont bien forcés d ad-
mettre que cette dernière contient tous les principes des assertions données par '«
Syllabus. —On a publié divers commentaires du Syllabus. Nous n'en connaissons
Boa HISTOIRE GENERALE DE L ÉGLISE

III

La situation Le gouvernement italien avait d'abord, comme le gouvernement


religieuse
français, prohibé la publication de l'encyclique et du Syllabus.
en ÏUli«.
Bientôt il revint sur cette décision. Le 8 février i865, il donna
Yexequalur aux deux documents.
Retenait-il à une politique plus conciliante D'aucune façon. Par
?

la G invention du i5 septembre, la cour de Turin avait en main un


actiî qui ouvrait la voie à toules ses pouvait, pour le ambitions ; elle

Dxoment, s'abstenir de toute manifestation contre l'autorité du Saint-


La c question Siège. « Nous pourrons marcher lentement, disait le général La Mar-
romaine »,
mora, chef du cabinet mais nous ne reculerons plus jamais *. » Le
;

but de cette marche était connu c'était Rome capitale. Et, Rome
:

une fois devenue la capitale du royaume d'Italie, c'en était fait du


pouvoir temporel de la papauté. « Privé des baïonnettes étrangères,
disait le ministre des relations extérieures, Visconti- Venosta, le pou
voir temporel ne peut plus durer longtemps ^. « La Convention ac-
cordait deux ans au gouvernement français pour retirer ses troupes de
Rome. Pendant ces deux ans, la diplomatie multiplia les démarches,
Vains efforts fit des efforts suprêmes pour résoudre pacifiquement la « question
de la
romaine ». L'Autriche et lEspagne reprirent le projet d'une « ga-
diplomatie
pour rantie collective » pour le maintien du domaine pontifical. Mais Na-
la résoudre.
poléon n'entra pas dans ces vues ; il espérait toujours arriver à la

solution par un double effort : effort sur le Saint-Siège pour


l'amener à des concessions territoriales, effort sur le gouvernement
italien pour l'empêcher de se laisser entraîner à une agression vio-
lente.

Aucune de ces tentatives n'aboutit. L'Autriclie, quelles que fussent


ses sympathies pour la papauté, hésitait à pousser trop loin son in-
tervention dans l'Italie, dentelle sentait l'hostilité irréductible ; l'Es-

pagne était trop faible pour exercer une initiative prépondérante ; et

pas de plus sûr que le simple Recueil des allocutions consistoriales, encycliques et
autres lettres apostoliques des souverains pontifes cités dans l'encyclique et le

Syllabusdu 8 décembre 186à, un vol. in-8, Paris, i865 Ce volume contient le texte
lalin et la traduction française de l'encyclique, du Syllabus et de tous les autree
documents.
I. Parlamento italiano, i864, p. 8728.
a. Ibid., p. 3790,
DE i/encyclique Quanta cura au concile du va.tican 5o3

Tempereur Napoléon, daus ses tentatives, se lieurtaitàun double A^on


possumus : celui du pape, qui, à toutes les propositions, répondait
qu'il n'était que le dépositaire d'une autorité qu'il avait juré de dé-
fendre jusqu'à la mort ; et celui de Victor Emmanuel, qui ne pouvait
ni se passer de l'appui des mazziniens et des garibaldiens, ni leur
faire abdiquer leurs prétentions agressives.
Pie IX, d'ailleurs, se prêtait désormais de moins en moins aux Pie IX semble
renoncer
négociations diplomatiques. Une lettre très paternelle qu'il écrivit à
désormais à
Victor-Emmanuel au sujet des questions religieuses, obtint le retour tous
pourparlers
dans leurs diocèses de trente évêques qui en avaient été éloignés,
avec les princes
mais ne fît pas faire un pas à l'accord sur les questions fondamen- au sujet de
son autorité
tales. Cet échec acheva de désabuser le pape de toute tentative nou- temporelle
velle de pourparlers. Qu'avait-il obtenu dans toutes les avances et n'attendre
plus
faites jusqu'ici aux peuples et aux princes ? Affirmer ses droits et
que de Dieu
n'attendre que de Dieu la défense de ses prérogatives: telle sembla la défense
de ses droits
être désormais toute sa politique. A la fin de l'été de i865, il dé-
chargea Mgr deMérode de ses fonctions de ministre des armes, et ne
le remplaça pas. Pour les négociations diplomatiques, il s'en référa
de plus en plus au cardinal Antonelli, qui proclama toujours bien
haut les principes de son maître et qui n'en réalisa pas toujours
exactement la pensée.
Pie IX, dont la mobilité souriante et l'aimable spontanéité con- Pie IX
est assailli
trastaient si fort avec la ténacité froide et les attitudes calculées de
par de tristet
sou secrétaire d'Etat, conserva toujours, malgré l'âge et le malheur, pressenti-
meata.
ce gracieux abandon, cette bonhomie charmante et pleine de traits

qui lui avaient valu tant de popularité aux débuts de son règne. « Vif,
aimable, plein de reparties, il avait toujours de ces mots qui sont des
portraits, de ces remarques fines qui mettent les choses dans leur
jour *. » Mais, de temps en temps, le fond triste de son âme se révé-
lait. « Vous voyez, disait-il à des pèlerins, un pauvre pape, chargé
d ans et de malheurs 2. » « C'est sans doute la dernière fois », décla-
rait-il, le I" janvier 1866, aux officiers commandant le corps de
troupes françaises, c'est sans doute la dernière fois que je vous bénis...
Après votre départ, les ennemis de l'Eglise viendront peut-être à
Rome 3. » Cette tristesse n'était pas du découragement. « Je ne
veux pas mourir, disait il à l'ambassadeur d'Espagne, sans avoir

1. Louis Veuillot, Pie JX.


a. P DE LA GoKcB, IHsl. du stcond empire, t. \ , p. aSa.
3. Ihid.. 253.
5o'i mSTOTRE G^,N<^RArE DE t/ÉGMSE

De moins en fait tout mon possible pour remplir mon devoir de conscience *. » Il
moins confîant
en la ne cro}ait pas d'ailleurs que ce devoir de conscience consistât à
politique, négocier avec des puissances dont se méfiait, mais à multiplier
il les
affirme
il

de plus en plus affirmations de ses droits. Louis Veuillot traduisait bien la pensée du
ta souveraine pontife en écrivant : « Pie IX dédaigne les menées de la politique^. .,
autorité.
11 n'est pas chargé de faire triompher la vérité, il est chargé de
confesser cette vérité jusqu'à la mort. A toutes les suggestions, il

a répondu : Non ! A toutes les menaces : Faites 1 3 »


Pendant les années i865 et 1866, bien des causes avaient alimenté,
dans l'âme du pontife, cette noble et (îère tristesse.

Eu Italie, la publication faite, en novembre i865; dans VUni'à


jifouveriiement
italien cattolica du Martyrologe de l'épiscopal italien, venait à peine do
promulgue révéler au public l'étendue des souffrances de l'Eglise *, que le roi
plusieurs lois
persécutrices Victor-Emmanuel en faisait prévoir de nouvelles en annonçant de
da la religion. nouveaux projets de loi sur la séparation de l'Eglise et de l'Etat et
sur la suppression des corporations religieuses *». Six mois plus tard,
le 17 mai 1866, une loi, dite loi Crispi, du nom du député qui l'avait

proposée, punissait de l'amende et de la prison quiconque, pendant


la durée de la guerre contre l'Autriche, serait « soupçonné de vouloir
restaurer l'ancien ordre de choses ou nuire de quelque manière à
l'unité de l'Italie^ )). Les termes vagues de cette loi rappelaient ceux
des plus mauvaises lois révolutionnaires. La défaite des Italiens à
Gustozza, le 24 juin 1866, n'interrompit point la série des menées
persécutrices. Le 8 juillet de la même année, la Gazette officielle du
royaume d'Italie publiait un décret donnant force de loi au projet,
déjà approuvé par la Chambre, qui prononçait l'abolition de tous
Convention les corps religieux et la « conversion » des biens du clergé Le ''.

du
7 décembre, une convention était signée par les représentants de
l4 décembre
1866, l'Italie et de la France pour le règlement de la dette pontificale ®.

Le i4, cette convention était officiellement promulguée, et le comité


révolutionnaire de Rome^ dans une proclamation, disait: « Le jour
du i4 décembre 1866 ouvre toute une ère, l'ère qui, à côté du minis-

1. P. DE LA. GoRGB, H'ist. du second empire, p. 2/I9.


2 Louis Veuillot, le Parfum de Rome, t II, livre XII, ch. xviii, p. 435,
3. Ibid., p. 434.
4. Voir ce Martyrologe dan» Ghantrel, Annales^ p. 60a, 606.
5. Ibid., p. 606.
6. Ibid , p. 64o.
7. Ibid p. 644.
,

8. /6ii, p. 675, 676.


DE l'encyclique Qiianta cura au concile du Vatican 5o5

tère religieux, affranchi de l'impur contact d'un despotisme abhorré,


verra Rome libre et florissante Le 29 du même mois, Mazzini
^ I »
Nfazrini
s'écriait : « Rome est le sépulcre des deux grandes religions qui ont
escompte
autrefois donné la vie au monde, et Rome est le sanctuaire d'une un triom[)he
prochain.
troisième religion destinée à donner la vie au monde de l'avenir*. »

Convention du La France
Ces manifestations n'étaient pas dues seulement à la
retire
7 décembre, mais aussi au retrait des troupes ffança'se» de Rome, ses troupes
de Rome
lequel s'éta'il opéré le 11 décembre. L'empereur Napoléon avait, il
(11 décotnbr»
est vrai, essayé d'atténuer l'impression produite par cette mesure en 1866).

constituant, pour le service du pape, une légion levée en France,

qui serait enrôlée sous dra- Mais


encadrée dans des cadres français et le
elle organise
peau pontifical. Cette légion s'organisa à Antibes d'où le nom de : la a Légion
d Antibes »,
légion d'Antibes, qui lui resta. Mais la façon même dont la légion
qui est mise
d'Antibes fut organisée indiquait l'hésitation, le peu de fermeté de au service
du pape.
l'empereur '^.

gouvernement espagnol, qui avait, décembre i865, Le


Le le il\
gouvernement
malgré l'opposition duc'ergi, reconnu le nouveau royaume d'Italie *, espagnol
protestait de son attachement au Saint- Père et à sa souveraineté approuve
la Convention
temporelle * ; mais il déclarait approuver la Convention du i5 sep- du
tembre ^, et, par là, laissait entrevoir quelque connivence avec les i5 septembre.

gouvernements de France et d'Italie sur la question romaine.


En Allemagne, la situation prépondérante faite à la Prusse pro- En
Allemagne,
testante par le traité de Prague, le 23 août 1866, créait un danger l'hégémonie
permanent, dont l'avenir devait révi'ler l'importance, et qui n'échappa d« la maison
de
point à l'attention de Pie IX. Ecrasée à Sadowa le 3 juillet précé- Hohenzollern
dent, l'Autriche était éliminée désormais de la confédération germa- crée un péril
permanent
nique, et se dépouillait de la Vénétie au profit de l'Italie. La maison pour l'Eglise.
des Ilohenzollern allait désormais prétendre faire la loi en Alle-
magne. La Prusse de Rismarck, avec son organisation militaire for-
midable, allait devenir menaçante pour l'Europe entière. Et cet
agrandissement d'une puissance luthérienne se produisait au moment
même où l'Italie voyait croître à la fois son étendue territoriale et

I. Chantrbl, AnntleSt p. 677.


a. Ibid., p. 688.
3 « Il faut, écrivait le souverain, accroître la légion Celle compta d'abord mîll»
honimes) ; mais il faut laugmenter peu peu et sans bruii. » Voir Maréchal Ua.'^-
à
x>o>, M(^!noires, t. II, p. 118, i25 ; Rastoll, Vie du maréchal liandon, p. 378,
4. ('hantrel, Annales, p. 687, 689.
5. Ibid., p. 61 5.
6. Ibid., p. 628.
.

5o6 HISTOIRE GÉXÉhALfe DE l'ÉGLISE

son hoslilllé envers la papauté, et où la France, seule proteclrice


olTicielle du pouvoir temporel, se trouvait amoindrie devant l'Eu-
rope par le rôle effacé, presque servile, qu'elle avait joué dans la
dernière guerre.
I.'A -'trîrhe Au surplus, la catholique Autriche oubliait elle-même ses vieilles
srnihle
repreiuJre traditions, pour s'en tenir, dans bien des circonstances, à la mes-
1>^^ Iratiition» quine politique de Joseph II. Au lendemain de Sadowa, le Conseil
di; joscpliisme.
municipal de Vienne ne retrouvait son énergie que pour empêcher
les jésuites, expulsés de la Vénétie, de venir se réfugier dans la capi-
ta le au trichienne *

Le En Russie, deux ukases impériaux, l'un du l\ novembre 1866,


gouvernement
de Saint- l'autre du 5 janvier 1867, anéantissaient toutes les espérances qu'on
Pétersbourg avait pu concevoir au sujet d'une amélioration de la situation reli-
jM'ononce
1 absorption gieuse. Le premier ukase décidait que dorénavant « les affaires du
définitive culte romain rentrer-aient dans le ressort des administrations impé-
de la Pologne
dans l'empire riales * )), et le second prononçait l'absorption définitive et complète
russe. du royaume de Pologne dans l'empire russe ^.
Projets Vers la fin de l'année i865, le i5 novembre, un grand meeting,
d'union entre
le scbime tenu à Londres, avait lancé lidée de l'union de 1 Eglise anglicane
russe et l'an- avec l'Eglise russe, et, le 4 février 1866, le prince Orlof, ministre
glicanisme.
de Russie en Belgique, se déclarait favorable à un tel projet *.

Trois mois plus tard, un autre meeting se réunissait pour aviser aux
moyens de supprimer, dans le culte, tout ce qui n'était pas conforme
(( aux principes de la Réforme ^ ». Le Parlement lui-même croyait
devoir sévir contre les rites jugés trop empreints de catholicisme, et,

dans cette vue, dénonçait les pratiques des ritualistes ^.

IV

Avènement Un danger plus général et plus radical, s'attaquant à la fois aux


^" principes surnaturels dont l'Eglise catholique a la fjiarde, et aux
communisme
révo
.

. .

pnncipes naturels
, ,
sans lesquels
1 «i
il n
»

est pas de
i -ri
nation libre et
i.

luiionnaire.
prospère, menaçait l'Europe civilisée.

I. Chantrel, AnnaleSy p. 645, 64'7.

a. Jbid.^ p. 673.
3. Ibid., p. 486.
4. Ibid.^ p. 622.
5 /6t(i,, p 55 1.
6. Ibid.^ p. 55o et s.
DE l'encyclique Quafita cura au concile du Vatican 607

Après le socialisme sentimental de Saint-Simon et le socialisme

politique de Louis Blanc, le communisme révolutionnaire venait de La doctrine


comuiuia t«.
se formuler avec Karl Marx et Lassalle. Son but était de grouper
les prolétaires de tous les pays pour établir la collectivité des instru-
ments de travail. La Révolution de 17-89 avait dépossédé les nobles ;

le temps était venu de déposséder les bourgeois ; et, pour cette

œuvre, les travailleurs ne devaient ebercher aucun appui au debors.


« L'émancipation de la classe ouvrière, disaient-ils, doit être con-
quise par la classe ouvrière elle-même ^. » « Ce que nous voulons
renverser, déclarait un de leurs cbefs, ce n'est pas seulement le tyran,

c'est la tyrannie. Nous ne voulons plus de gouvernement, car les

gouvernements nous écrasent d'impôts ; nous ne voulons plus de


religion, car la religion étouffe les intelligences ^ ». « Ni Dieu ai
maître » : telle pouvait êlre déjà la devise de la nouvelle école socia-
liste 3.

Le communisme s'organisa par l'« Association internationale des L'A9»o«iatîou


.,, , , ., -1, r 00
' •
l'f ' • inlci national»
travailleurs », dont la première idée lut eimse en 1002, a 1 Lxposi- ^^
tion universelle de Londres, et qui tint son premier congrès à Genè\'e travailieun.

en 1866 *. Au banquet qui termina ce congrès, on acclama Gari-


s.
baldi Mazzini, dans une réunion tenue en i864, avait essayé de
mettre l'Association au service de sa cause ^. Elle avait en vue un
cbamp d'action plus vaste, que lui proposait Karl Marx '^.

On pense bien que les attaques ne manquèrent pas de se produire


contre une tbéorie si radicalement subversive. Mais avec Lassalle et l!»"'<^U
•4^ «i-k..
Marx, on avait affaire à de redoutables adversaires. Lassalle, brillant
écrivain, avait, dans son principal ouvrage. Capital et travail, réfuté

avec une verve caustique les tlièses de l'Economie libérale ; et Marx,


dans son oeuvre indigeste, mais puissante. Du Capital, aux allures

I Déclaration du Congrès de Genève en 1866. G. Seighobos, Hist. pol. de hEur,


eontemp p. 692.
,

3 Dupont, président du Congrès de Bruxelles en 1868. Cf. de la. Gorcb, Hist,


du second Empire, t. V, p. 433.
3. Sur les doctrines de cette école et sur ses relations avec la franc- maçonnerie,
voir Dkschamps, les Sociétés secrèles et la société, t. II, p. 5^8, 555.
4. Voir E. Lamt, le Second Empire et les ouvrier".
5. Annales du congrès de Genève, Genève, 18G6.
6. Seignobos, op cit., p. 69a.
'j. ['lus tard, à côlédu mouvement purement « marxiste », appelé aussi mouve-
ment a intégral », « révolutionnaire » ou u libertaire ». on verra se dessiner, dans
l'Internationale, le mouvement »< possibiliste » qualifié parfois d' c évolutif -., de
« politique » ou de « modéré » mais le but sera toujours le même : le renver-
;

tement total de la religion et de la société.


5oS HISTOIRE GÉNÉRALE DB l'ÉGLISE

scientifiques, au raisonnement serré, écartant a priori tout argument


moral ou religieux, se plaçant sur le seul terrain des faits palpables
et visibles, des faits positifs dûment constatés, prétendait donner sa
doctrine comme une déduction nécessaire, partant légitime, de la

structure de la société et des lois essentielles du monde.


i.dêrc Or, en 1864, parut un ouvrage qui, s'appuyant uniquement sur
(1806-1882) l'ét"Je des faits et des lois générales scientifiquement observés, con-
cluait à la restauration de la société sur les bases traditionnelles du
respect de la religion, de la famille et de la propriété, Cet ouvrage
avait pour Réforme sociale en France, déduite de l'observa-
titre : la

tion des peuples européens. Son auteur, Frédéric Le Play, ingénieur

des mines, membre du Conseil d'Etat, ancien commissaire général de


l'Exposition universelle de Paris en i855, avait recueilli les élé-

ments de son œuvre au cours de nombreux voyages accomplis en


Angleterre, en Belgique, dans les Etats Scandinaves, en Allemagne,
en Russie, en Turquie, en Italie, en Espagne et dans l'Asie centrale.
Sa méthode avait consistée rejeter a pr/or/, par un doute méthodique
analogue à celui de Descartes, tous les systèmes théoriques des écoles
sociales, et à observer impartialement les conditions dans lesquelles
vivaient les nations, les familles, les sociétés libres et prospères*.

Sh principales Portant d'abord tout spécialement son attention sur les classes
œuvre». ouvrières, dont les conditions de vie l'avaient préoccupé dès sa pre-
mière enfance *, il avait publié en i855, sous ce titre : les Ouvriers
européens, des monographies de familles ouvrières observées dans les
milieux les plus divers. Peu de temps après, il fondait la Société
cTéconomie sociale, appelée à continuer son immense tâche. Lui-
même, par la publication de plusieurs autres ouvrages, entre autres
de la Paix sociale en 187 1, de la Ré/orme en Europe en 1876, de
la Question sociale en 1879 et de la Constitution essentielle de l' hu-
manité en 1881, devait exprimer la synthèse philosophique de ses
travaux. Mais sa doctrine se trouvait déjà exposée, en ses éléments
fondamentaux, dans la Réforme sociale. L'apparition de l'ouvrage
attira l'attention des esprits réfléchis. Sainte-Beuve salua en Frédéric
Le Play, « un Bonald rajeuni, progressif et scientifique ». Monta-
lembert écrivit : « Je n'hésite pas à dire que Le Play a fait le livre

I. Voir Laveletb, le Socialisme contemporain, loe édit., Paris, 1896; Winteher,


le Socialisme international, Paris, 1890.
a. Jules Lacointa, F, Le Play, clans le Correspondant du aô avril iSSa,
t. GXXVII, p. ai5.
.

DE l'encyclique Quaiita cura au concile du vATicArf 5og

le plus original, le plus courageux et, sous tous les rapports, le plus
fort de ce siècle ^. » Courageux, Fréd^ic Le Play l'était certes, non Sa méthode
et sa
•eulement en se plaçant hardiment sur le terrain de l'observation doclriDe.
scientifique, choisi par les nouveaux théoriciens du socialisme, mais
encore eu dénonçant, au nom de cette métliode, les principes les plus
universellement admis depuis la Révolution de 1789, les idées ré] an-
dues par Jean- Jacques Rousseau sous l'ancien régime, les « faux
dogmes », comme il les appelait, de « la perfection originelle »,
de (( l'égalité providentielle » et du « droit perpétuel à la révolte »,
en proclamant la nécessité du respect de la famille, des autorité!
sociales, politiques et religieuses, en un mot du « Décalogue éter-
nel ^ »

En 1867, l'empereur Napoléon» ayant conçu le projet d'organiser Il ett charge


d'oF>/dtii»er,
à Paris une Exposition universelle, chargea de cette organisation
en 1SG7,
Frédéric Le Play. L'auteur de la Réforme sociale profita de la tâche une Exposition
qui lui était confiée pour faire prévaloir, dans cette œuvre, avec toute universelU
à Paris.
la discrétion commandée par les circonstances, ses idées les plus
chères. Grâce à lui, l'Exposition universelle de 1867, qui réunit à
Paris la plupart des produits de l'activité humaine et y attira la

plupart des souverains, ne fut pas seulement l'expression de l'état

social du monde au milieu du xix* siècle ; elle contribua au progrès


de l'économie sociale la plus saine par deux institutions : l'organi-
sation d'un groupe comprenant « les objets destinés à Tamélioratioii
matérielle et morale des travailleurs «, et la création d'un « ordre
de récompenses en faveur des personnes et des institutions assurant
le bien-être et la bonne harmonie de ceux qui collaborent aux
mêmes travaux » ^.

Certes, dans cette immerise exhibition des produits du monde en» GetU
lier et dans ce va-et-vient des habitants de toutes les nations, les eiposition
offre comme
tares de la société moderne apparurent. Si les entretiens que un tableau
purent avoir entre eux les souverains de l'Europe, réunis dans la raccourci
de la
capitale de la France, servirent à éviter certains conflits, plus d'un civilisation
moderne.

I. Cité par E. Dbmolins, F. Le Play, dans le Correspondant du 10 dé-


cembre 1879, t. GXMI, p. 870.
a. Sur F. Le Play, voir Çh dbRibbe^ Le Play d'après sa correspondance Paul
:
;

RiuOT, Exposé critique des doclrines de M Le Play, Paris, 1882 . Delaire, Le Play ;

et la science sociale, dans \i l^o ave lie Revue du. i5 février 1896 H. IUmière, S J., ;

l'Lcolc de la réforme tociale, dans les Eludes de mai et juin


1873 Emm de Glr- ;

ZON, Frédéric Le
Play, sa méthode, sa doctrine, son œuvre^un vol in-12, Paris, i8uQ.
3. Sur l'Exposition de 1807, voir La Gorck, op. cit., t. V,
p Ug, 341.
5io HISTOIRE GÉNÉRALE DE L'ÉGLIsiB

« point noir «, suivant l'expression de Napoléon III, vint assonnbrîr


l'horizon ^ En voyant les peuples très absorbés par des soucis de
prospérité matérielle, Victor-Emmanuel et Garibaldi purent se
dire que l'esprit chevaleresque des croisades était mort, et qu'ils
pourraient impunément franchir les frontières du Domaine de saint
Pierre. On raconte que Bismarck, en sortant d'un opéra-bouffe 2,

dans lequel les minuties de la discipline militaire étaient ridiculisées,

crut y voir le prélude d'une décadence irrémédiable de la France et

peut-être de toutes les nations de l'Europe au profit de l'Allemagne.


Les uns et les autres jugeaient trop superficiellement leur siècle.
Les envahisseurs du territoire pontifical ne parviendraient à la Ville

Eternelle qu'en passant sur le corps de nouveaux croisés, réunis de


tous les points du globe pour la défense du pape ; et le jour où la

Prusse, confiante en l'invincibilité de son organisation militaire,


Le lymboîe voudrait imposer son hégémonie au monde, c'est le monde entier
liu vrai péril
qu'elle verrait, un demi-siècle plus tard, se dresser contre elle pour
la défense de la vraie civilisation. Le symbole du vrai danger qui
menaçait alors monde, était dans cette colossale pièce d'artillerie,
le

sortie des usines Krupp, qui, par ses dimensions, attira si vivement
les regards des curieux spectateurs. Les esprits réfléchis y virent, à
bon droit, l'insolent défi d'un peuple qui, en restaurant le culte

païen de la force, ne préparait rien de moins qu'une renaissance de


l'antique barbarie.

L'idée La vue des grandes manifestations industrielles, scientifiques et

artistiques dont l'Exposition universelle de Paris avait été l'occasion,


d'un concile
œcuménique, suggérait aux catholiques l'idée d'une autre réunion, plus solennelle
et plus importante, à laquelle des représentants du monde entier

seraient convoqués, pour s'occuper, non plus des intérêts temporel»


de l'humanité, mais de ses destinées éternelles. Le 6 décembre i864,
deux jours avant de publier l'encyclique Quanta cura, Pie IX s'était
ouvert, devant quelques membres du Sacré Collège, de son inten-
tention de convoquer un concile œuménique. Depuis le concile de

I. La. Gorge, op. cil ., V, 288.


i. La grande-duchesse de Gerolslein,
1

DE l'enctcltque Qiianta cura a.u co^icile du Vatican 5 1

Trente, c'est-à-dire depuis trois siècles, l'Eglise n'avait pkrs tenu


une pareille assemblée. Jamais elle n'avait laissé s'écouler, entre

deux conciles généraux, un si long intervaHe.


Au commencement du mois de mars 1 865, une commission de Travam
cmq cardmaux
T •
f
avait ete instituée
, - ' f Ta i
pour discuter certaines questions
• 4- préparatoirei
^j^^^ i865).
préliminaires. Vers la fm de ce mois, trente-cinq évêques du
rite latin avaient été invités à faire parvenir à la commission cardi-
nalice un résumé des points de dogme et de discipline qn ils
désireraient voir traités dans l'assemblée. Au début de l'année
suivante, une pareille invitation avait été adressée aux évêques chi
rite oriental. Les uns et les autres avaient répondu à l'appel fait à
leurs lumières ^.

Les résultats de ces enquêtes ne furent pas communiqués au


public ; mais l'opinion catholique ne pouvait pas se désintéresser

de cette grande entreprise. Le pape Paul III avait écrit, en convo-


quant le concile de Trente, que « dans les grands périls de la chré- Te que
tienté,

nique »
il

2.
n'v avait pas de
Au iv* siècle,
. ...
meilleur remède qu'un
en pleine crise arienne, le
concile
concile de Nicee
.
œcumé-
. ,
po
*e
.
Jit ^^tr»
futur
concile.

avait proclamé l'absolue égalité des trois Personnes divines et l'ab-


solue Divinité du Christ ; au xvi* siècle, au milieu de la rivolulion
protestante, le concile de Trente avait défini les conditions de la

justification de l'homme par la grâce divine au xix" ; siècle, en face


de l'erreur révolutionnaire, non moins envahissante et non moi-os
redoutable que l'hérésie protestante, on pressentait que l'épiscopafc

allait relever k notion de l'autorité dans l'Eglise et dans la personne


du pape. Le 3 juin 1867, la CivMà caitolica prit l'initiative d'un
mouvement en faveur de l'infaillibilité pontificale, proposant aux
catholiques de se lier par un vœu à la profession publique et à la
défense de cette croyance ^.

Cependant la Révolution, justifiant par ses actes les alarmes des Menées ré \o-
jutïonnaircs
catholiques, dirio;eait
^ contrepape ses plus
^ violentes attaques,
le
/* .
^ . y
^, .
dans les Elnts
Dans le courant du mois de juin 1867, le « Comité insurrection- pontificaux.
nel » de Rome faisait circuler la proclamation suivante : « Romains,
la révolution qu'accomplira l'Italie ne peut avoir son complet déve-

1. Sur ces préliminaires du concile, voir Th. Gratïderath, S. J., Histoire da


eoni'ile du V'alican, traduction française, 5 vol. in 8, Bruxelles, 1907- 191 3,
2. Paul III, dans sa bulle Inilio noslri.
^. Gn^^TnBL, Annales, p. 56o-56i.
5l2 HISTOIRE GENERALE DE L EGLISE

loppement qu'à Rome ; elle ne peut triompher qu'au Capitole » *,

Le 21 juin, le maréchal Niel se plaignit qu'un certain nombre de


soldats de la légion romaine, « désertant honteusement le drapeau
(pontifical) qu'ils avaient librement choisi, abandonnaient leurs chefs
pour suivre de misérables embaucheurs étrangers » *. Les grandes
fêtes célébrées, le 29 juin 1867, à Rome, à l'occasion du dix-hui-
Uième centenaire du martyre des apôtres saint Pierre et saint Paul, les
ovations dont le pontife fut l'objet ce jour-là, ne firent qu'exaspérer
la haine des ennemis de la papauté 3. Le 19 juillet, Garibaldi, haran-
guant la foule à Pistoia, s'écria : « Rome doit être à nous * I » Le
de Garibaldi
« E\ome doit
28, le gouvernement français fit déclarer par le Moniteur qu'il
être à nous ». s'en remettait au gouvernement de Florence ^ du soin de protéger la
frontière pontificale ^. Cette déclaration fut un nouveau sujet d'in-
quiétude pour les catholiques. Le 3i, l'évêque d'Orléans jeta un
cri d'alarme. « Je suis inquiet, s'écria-t-il jenecroisguèreà labonne ;

foi italienne ; puis-je oublier l'expédition de Garibaldi en Sicile, les


désaveux et les comédies de M. de Gavour "^
? x> Le 1 2 septembre, le

troisième congrès de Malines déclara, en clôturant ses délibérations,


qu'il « voyait, dans l'occupation des Etats de l'Eglise, non seule-
ment un crime sacrilège, mais aussi un préjudice très grave porté au
droit, à la liberté et au bien-être de toute la chrétienté » ^. La
Déclarations semaine précédente, le conspirateur Mazzini avait refusé d'assister à
de Mazzini. un congrès dit de la paix que tenaient à Genève plusieurs de ses amis
libres penseurs, rangés autour de Garibaldi, parce que, disait-il, il

lie pouvait renoncer à la guerre contre l'Eglise et la papauté ^. Le


8 octobre, le journal l'/Za/ia, organe du ministre Ratlazzi, déclara que
« la solution de la qucfctiou romaine était devenue une nécessité »,

queu moment était arrivé où, à tous risques et périls, il fallait


le

trancher le nœud gordien» ^^. Le 19 octobre Garibaldi, profitant des


embarras d'une crise ministérielle, quitta l'île de Gaprera, qui lui

1. Chautrel, Annales, p. 564.


2. /6id., p. 566.
3. /6id., p. 81 et suiv,
4 Ibid.^ p. 602.
5. Depuis la convention du i5 septembre, et en vertu d'un article de cette con-
vention, la capitale de l'Italie avait été fixée à Florence.
6 Ghantrel, p. 606.
7. Ibid., p. 607.
«. Ibid., p. 636.
^. Ibid., p. 638.
10. Ibid p. 660.
,
DE l'enctclique Quanta cura au concile du yatica:* 5i3

avait été assignée pour résidence, et Le 21,


aborda sur le continent.
il lança, de Florence, une proclamation pleine de violences *. Quel- Invasion
dei
ques jours après, il franchit, sans rencontrer de résistance, le cordon Ettti romains

de troupes piémontaises placées sur la frontière, et fit envahir par par


les troupes
ses soldats, en plusieurs points, les Etats de l'Eglise. Sa tactique pari-

était d'attirer l'armée pontificale hors de la ville de Rome, qui res- Lalùicaaes.

terait ainsi dépourvue de défenseurs, et d'y susciter aussitôt une ré-

volution. Efi'ectivement, dans la nuit du 22 octobre, dans plusieurs


quartiers de la ville à la fois, des bandes dinsurgés attaquent les

postes et les casernes, tentent de pénétrer au Capitole pour y sonner Emeutes


dans Kooat.
la cloche d'alarme ; mais partout les soldats pontificaux restés dans
Rome, zouaves, carabiniers et gendarmes, repoussent victorieuse-
ment les émeutiers.
Cependant le bruit se répand que Garibaldi s'avance vers Rome.
Le danger est grave, en effet. Heureusement, l'héroïque résistance
que trois cents légionnaires opposent au condottiere à Mon le-Rotoudo,
entrave sa marche, met dans son armée un trouble qui le décon-
certe. Il s'attarde près de deux jours à délibérer, et laisse le temps
aux troupes françaises de le devancera Rome.
La France en effet venait de se décider à intervenir. Le premier Inierventioa
article de la Convention de Septembre, portant que l'italie s'en- des troupes
françaises.
gageait à empêcher, même par la force, toute violation du territoire

pontifical, n'était-il pas ouvertement violé ? Le 3o octobre, les soldats

pontificaux postés sur les hauteurs du Janicule entendirent un bruit


de clairons et de tambours. C'était l'arrivée de l'avant-garde fran-
çaise. Elle fut bientôt suivie de deux divisions, commandées par le

général de Failly.
C'était le salut. Le général Kanzler, commandant en chef de» PUn
troupes pontificales, dans un entretien avec Failly, fit prévaloir son du géD^al
Kanzler,
j)ian stratégique, aussi hardi que prudent : aller aux bandes garibal- général en ohef
(hennes et les écraser promptement. C'était le moyen le plus sûr de des troupes
pooUâcalee.
localiser la lutte, d'empêcher un conflit dans lequel quatre armées,
animées de vues diverses et mal définies, pouvaient se trouver élran-
gciiicut impliquées : l'armée de Garibaldi, celle de Victor-Em-
manuel, celle de Napoléon III et celle de Pie IX. L'armée papale,
appuyée par une partie de l'armée française, se dirigea vers les
troupes révolutionnaires, qu'elle rencontra, le Snoveuibre, campée»

K CuAJiTHKL, AnnaleSf p. 679.


Hist {{en. ilelb^Itse \ .11 n
5l4 HiSTOiHE GÉNÉRALE DE l'ÉGLISB

dans une position habilement choisie, sur un plateau défendu par de


nombreux accidents de terrain, et où deux anciens châteaux, cehi»
de Montana et celui de Monte Rotondo, jouaient le rôle de véritables
forteresses.
Bataille Les zouaves réclamèrent l'honneur de marcher les premiers à
de Mentana v assaut, et . .

(3 novembre ' S emparèrent des premiers mamelons, dans un élan où


1867). s'illustra le lieutenant-colonel de Gharette. La. vigoureuse intervention
des troupes françaises acheva la déroute des garibaldiens, qui lais-
sèrent sur le champ de bataille un millier d'hommes, blessés ou
tués, et quinze cents prisonniers valides. Ceux qui échappèrent
furent arrêtés à la frontière et désarmés. L'armée révolutionnaire
n'existait plus.
Le conflit La de Mentana avait sauvé Rome
bataille ; mais elle avait ravivé
franco-italien. .

le conflit entre Napoléon III et Victor-Emmani:eI. A la parole du


général de Failly : « Nos chassepots * ont fait merveille », le roi
d'Italie ripostait : « Ces chassepots ont brisé mon cœur de roi » ; et,

quand, le 5 décembre suivant, le ministre frar.çais Rouber, voula- t

sceller l'alliance de son gouvernement avec les catholiques, s'écria:


« Jamais l'Italie ne s'emparera de Rome ; jamais la France ne le

supportera », Victor-Emmanuel murmura ; « Nous lui ferons voir

son jamais. »

Le 1" janvier 1868, Pie IX bénit la France, son empereur et son


armée, qu'il remercia d'être « venue avec tant d'empressement au
secours de la papauté » ^ ; mais l'Italie demanda à la France
l'évacuation de Rome par les troupes françaises dans le délai de
deux mois ^. En ne craignant pas de s'aliéner le roi Victor-Em-
manuel pour soutenir le pape et la foi des traités, l'empereur dcg
Français méritait la reconnaissance des catholiques ; mais, en entrant
en conflit avec l'Ilalie après l'avoir aidée à devenir une puissance re-
doutable, il se préparait des difficultés que seul un dévouement absolu
Atiîindfi au Saint-Siège, fondé sur une foi catholique profonde, lui aurait
inflpcise dn
pgrjy^is du surmonter. Or, l'âme indécise et flottante de celui qui re-
présentait alors la « fille aînée de l'Eglise », ne possédait pas un tel

sentiment.

I. Nom donné à des fusils d'invention récente^ ainsi appelés du nonoi de leur in-
venteur.
a. Chantrel, Annales, p. 7^8,
3. Ihid.y p. 74 1.
DE LfîîiCTCLiQUE Quanta cura \v conctt.e du vatihvv 5i5

roi apostolique de Hongrie ^ ne dormait L'emperrnr


L'empereur l'Autriche,
d'Aulricho
pas jIqs lie satisfaction au Saint-Père. Au cours des années 1867 et promulgue
i368, la Chambre des Députés et la Chambre des Soigneurs votèrent, des lois
attentatoires
sur la proposition du gouvernement autrichien, une série de lois
à la liberté

dites confessionnelles, qui annulaient, sans en faire mention, les de l'Eg'i^o


(23 mai i8(J8).
principales clauses du concordat de i855. L*une d'elles instituait le

mariage civil ; une autre mettait renseignement public et privé sous


la direction de l'Etat ; une autre réglementait les relations entre les

membres des diverses confessions religieuses et le droitdechanger de


religion^. En vain, le 28 septembre 1867, au moment où ces lois
avaient été présentées aux Chambres, les évoques autrichiens
avaient-ils protesté contre elles par une lettre adressée à l'empereur^.
Faisant remarquer que ces lois étaient destinées à régir une nation
catholique, ils terminaient leur missive par ces graves paroles :

« Pinson proclame hautement que la volonté du peuple est l'unique

source du droit, moins on respecte les vœux et les conviclions de la

très grande majorité.. . Sire, il s'agit non seulement de l'Egli^o


catholique, mais encore du christianisme... Les évêques soussignés,
vos fidèles sujets, sont profondément convaincus qu'en prenant en
main la défense des droits de l'Eglise, ils combattent pour Dieu,
pour votre trône et pour votre peuple*. » L'empereur autrichien
passa outre. Les lois anticoncordataires furent promulguées la

25 mai 1868. En rendant compte des débats, commencés le 19 mars,


V Univers écrivit : « Le libéralisme va plus loin en Autriche quo
dans les autres Etats de l'Europe^. » Le 16 décembre, le premier
ministre de la cour de Vienne, le baron de Beust, écrivait à l'am-
bassadeur d'Autriche à Rome : « Nous ne cédons pas à des ten-
dances antireligieuses. Nous constatons seulement la nécessité de
mt ttre les rapports de l'Eglise et de l'Etat eu harmonie avec les ins-
titutions nouvelles dont l'Autriche est dotée ^. »

La catholique Espagne, gouvernée par le maréchal Serrano, Mesures


persécutrices
président du gouvernement provisoire, supprimait, le 18 octo-
en Espappo
bre 1868, « tous les monastères, couvents et autres maisons de etea Suiâ6e.

I. Le 8 juin 1867, l'empereur François-Joseph avait été couronné roi de lloii-


grie.
a Ghantrfl, Annales^ p. 46o et suiv.
3. Voir celte lettre ibid.^ p. 4t)0-4C6.
4. Ibid., p. /,65, 4C)6.
5. Univers du 3o mars iS68, cité par Chastrel, p. /i7(i,
6. Ibid., p. 718.
-

5x6 HISTOIRE OÉNEAALE DE l'^GI.ISE

religieux », et déclarait leurs bieus « propriétés de l'Etat » *. En


Suisse, le Conseil d'Etat de Genève refusait à Mgr Memiillod son
titre d evêque, sous prétexte qu'il lui avait été conféré directement
})ar io pape sans participation de l'Etat 2. Le clergé irlandais se plai-
•nait plua amèrement que jamais de la pénible situation faite à
V* Irlande catholique par le gouvernement anglais ^. En Ru^isie,
ruT^f\3ô d'amnistie rendu à la date du 17-29 mai 1867 excluait do
Ccll© mesure générale les ecciésias tiques *,

Ces mesuj-es de défiance des gouvernements à l'égard do


l'Eglise n'étaient elles pas déterminées, au moins en partie, par
Action une action des sectes anticliréliennes ? Le fait est que la franc-
de li franc
mavouuecle. maçonnerie et la Société internationale des travailleurs s'agitaient
fiévreusement. Garibaldi écrivait au Conseil suprême de Palerme
qu'il fallait se hâter de faire une « Rome maçonnique », que
(<> l'unité maçonnique entraînerait l'unité de l'Italie » ^ ; et Tin-
lornationale proposait de faire « une révolution contre l'ordre
social tout entier^».
Deux altitude: Sans doute, les militants du catholicisme devenaient plus
parmi les
ardents que jamais. En Allemagne, les Siintmen an Maria Laach
caliioliques.
attaquaient, avec une extrême vivacité, les libertés modernes ; et
un orateur du congrès de Trêves n'hésitait pas à proclamer que
le Syllabubs élait a le plus grand acte du siècle, peut-être de toui
Lei Stîmmen les siècles»'. En France, l'Univers, réapparaissant le 16 avril 1067,
an Maria Laach
déclarait, dans son programme, par la plume de Louis Veuiliot,
et ï Univers.
qu'il ne reconnaissait pas a d'autre architecte social que le Vi-
caire de Jésus-Christ », et prenait pot» devise cette parole,
attribuée à un Père de l'Eglise « Le Christ est la solution de toutes
:

les difficultés». « Nous voulons, disait Veuiliot, travailler à discu-

ter l'exactitude impérissable de cette parok inspirée » ^ ?


L»œllinger Mais, à un extrême opposé, en Allemagne, le docteur Dœllinger
et le
proposait aux protestants une base d'entente dans laquelle il n'était
P. lljucinlhu.
pas question de la souveraineté temporelle du pape ; il prétendait

Univen du 3o mars 1868, cité par GfiiWiiTRBL, p. 836, 837. Cf. p. ^b'j.
1.
8a6, 837.
a. Ibid., p.
3 Voir l'exposé des griefs des catholiques irlandais dans une déclaration du
.

clcigé, datée du a3 déc«mbre 1867, /6(J., p. 721, 726.


/,. 558, 559.
Ibid., p.
ô. Ibid., p.566.
0. Ibid., p. 838.
7. G0TA.U, V Allemagne religieuse, le catholicisme, l. IV, p. a68, 269,
S. Chautrel, AnnaieSf p. 54t.
DE L*E!tcTCUQx;È Quanta cura au conctle du vatica:* 617

inême que les vexations dont souITrait le pontife étaient de nature à


Ti^clairer *
; et, en France, le P. Hyacinthe, prédicateur de Notre-
Dame, écrivait à un journal démocratique qu'il tenait à séparer sa

cause « de celle de certains catholiques qui regrettaient Tlnquisition


6t les dragonnades » *.

Tant d'agitations, tant de controverses faisaient désirer à tous la

prompte réunion d'un concile universel, dont l'autorité, s'imposaut


à l'Eglise entière, la rendrait plus calme et plus forte pour combattre
cfBcacement ses ennemis. Aussi le monde catholique accueillit-il
avec lin grand sentiment de joie la bulle JEterni Pains, par La bulle
laquelle, le 29 juin 1868, le Pape Pie IX convoqua les évêques du d'indiction

monde entier a se reunir en concile, le 8 décembre 1869, au (2ûjuinx8u^,


Vatican ^,

1. r<;xa/io (/a6i/ m<e!ftfc/um, écrivait-il à Gladstone (Friedrich, Dcellinger, t. IH,


p. 269).
2. Chajitrel, Annales, p, 84o.
3. Ibid., p. 8o4, 806.
CHAPITRE XIII

LE CONCILE DU VATICAN.

(1869-1870).

trois phases
^®^ graves périls que pouvaient faire courir à la papauté et à
d'un concile l'Eglise la sourde hostilité des puissances, les menées des sectes
antichrétiennes et les vives controverses soulevées entre catho-
f?eTx.
liques, n'avaient pas échappé à la sollicitude du souverain pon-
tife. « Dans un concile, disait Pie IX, il y a d'ordinaire trois
périodes : celle du diable, celle des hommes et celle de Dieu. » On
était en pleine période du diable ; celle des hommes allait arri-
ver bientôt ; celle de Dieu devait triompher la dernière, mais elle
se préparait déjà.

Caractèr«i Les sou/eraîns pontifes, en condamnant les sociétés secrètes

mouvement révolutionnaires, les avaient souvent considérées comme des


anticatholique œuvres de l'esprit du mal *
5 Pie IX, dans un Bref du 26 oc-
^* tobre i865, avait appelé la franc-maçonnerie « la synagogue de
Satan ^ ».

Un double caractère avait marqué, depuis l'apparition de la

Vie de Jésus, le mouvement anticatholique c'était d'abord une :

orientation de ce mouvement vers l'athéisme et l'anarchie ;

c'était, de plus, sa solidarité croissante avec la franc-maçonnerie.

1. Sur les diverses condamnations portées contrôles sociétés secrètes par Clé-
ment XIII, Pie VI, Pie VII, Léon XII, Pie VIII et Grégoire XVI, voir rallocution
%îulLiplices de Pie IX, prononcée le 25 septembre i865 {Acta Pu IX, t. IV, p. a3
et s,), et Dict. apol. de lajoi cathol., an mol franc-maçonnerie^ t. II, col. 127.
2. Bref Ex epislola adressé à Mgr Darboj à l'occatiou des obsèques 4u maré-
chal Majj,nan.
LE CONCILE DU VAlICAIf ÔlQ

Renan avait parle avec une inévéïeuce blas[)}iématoire de « ces II s'oriente

I
.
T\' r» *• 1 il"»' •
1 vers l'athéisme
Dieu, Providence, ame, immorlaJite, que la
i
Ijuiis Vieux mots :
etl'an»rchie
philosophie interpréterait dans des sens de plus en plus raffinés ».
II voulait dire : de plus en plus favorables à l'athéisme. Peu de temps
avant lui, un écrivain qui s'adressait plus spécialement au monde
des travailleuis, mais qui-, par l'originalité paradoxale de sa pensée
et la rigueur apparente de sa dialectique, devait s'imposer aux
classes cultivées, Pierre Joseph Proudhon, s'était brutalement
déclaré non seulement athée, mais anliihéiste. « Dieu, c'est le II se solidarise

mal la propriété, c'est le vol »


; telles étaient ses devises. Or :
en plus avec
Proudhon se proclamait ouvertement franc-maçon *. Le jour de la franc-
j .
If »•
sa réception dans la nanc-maçonnene, a la question qui lui lut
r • ' 1 •
1 •
»
maçonnerie.

posée: « Que doit homme 1 à Dieu et à ses semblables ?» il répondit :

tt Justice à tous les hommes et guerre à Dieu ».


Comme Renan, Proudhon semble avoir subi l'influence de la

phllusophie allemande ^. Celle-ci d'ailleurs, par les ouvrages de


Wirchow, de Moleschott, de Vogt ^ et de Bûchner, traduits en
toutes les langues en môme temps que ceux de Kaut, de Hegel
cl de Feuerbach, avait propagé le plus pur matérialisme. Pen-
daiit quinze ans, l'idéalisme dissolvant des uns et l'athéisme bru- Gris d'alarme

ta! des autres avaient lak leur œuvre 3. En i866, Mgr Dupanloup Dupanloup
avait jetéun cri d'alarme dans une éloquente brochure, l'Athéisme «• P"
et le pérU social. Deux ans plus tard, Montalcmbert, dans un de

ses derniers écrits, faisait entrevoir aux catholiques u un déve-


loppciueiit de sensualisme, de matérialisme et d'athéisme, dont le

dix-huitième siècle n'avait point ofiert d'exemple *. »

Dans sa brochure, l'évéque d'Orléans ne séparait pas la propa- Action


gaiide antireligieuse et antisociale de la propagandie maçonnique. Et, ^^ '* franc-

eiVectkement, les plus ardents adeptes de 1 athéisme et de l'anarchie


soitaieut des loges maçonniques ou s*} faisaient agréger. Ferry, qui
^'écriait, dans son programme électoral de 1869 : « 11 n'y a que
deux partis : k parti clérical et cckii de Léon Gambetta,
la liberté » ;

qui, à la même é[)oque, se proclamait disciple de Proudhon Arthur :

Rauc et Georges Clemcneeau, qui se rangeaient autour de Blanqui,

1. Voir PaouDHON, De la jastUe daiis la Révolution et dans l Ë<jUse, t. H, p. 21a.


2. Sur la dépendance de Proudhon par rapport à Hegel, voir Lai^sow, lîisl. de
littthature française^ 7« édition,
la
p 90a.
3 La philoso[)hie de Comte et celle de Lillré avaient aussi beaucoup couUiLui
à cetie évolution
Ix. Coi le pondant du a5 mai iSOS,
520 HISTOIRE GENERALE DE L EGLISE

l'auteur fameux de la (ovmulc Ni Dieu ni Maître, raillaient le spiri-


tualisme des vétérans de i8/|8, et cherchaient à faire prévaloir dans
les loges leur radicalisme politique et religieux *. Ils saluaient
EvolnlîOn enthousiasme un mouvement analogue dans le protes-
d'ailleurs avec
au protestan-
tisrna ren le
tantisme. Ferdinan Buisson voyait, dans le christianisme libéral qui
rDlinnalisme. se constituait à Neuchâtel en Suisse, « une religion laïque, sans
dogme, sans morale et sans prêtres, dégagée du christianisme
tpaditionnel • », et Edgar Quinet disait de V Unitarismé américain
de Channing : « S'il conserve encore une ombre de l'antiquité
chrétienne, main à la philosophie la plus hardie ^. n
il donne la
Projet ff*un n'est pas étonnant que l'annonce d'un concile œcuménique
Il
anticoncilo
maçonnique. ail mis en profond émoi les loges maçonniques. Le 8 juillet 1869,

à l'assemblée générale du Grand-Orient de France, le F.\ Col-


favru proposa de convoquer une assemblée extraordinaire de
francs-maçons, pour proclamer, « en face du concile œcumé-
nique, les grands principes du droit humain universel * ». Il
s'agissait de répondre au Syllabus par « une affirmation solennelle de
principes, qui servirait, à l'avenir, de drapeau à la maçonnerie ^ ».

Un membre du Parlement une italien, Joseph Ricciardi, écrivit

lettre « à tous les libres penseurs de toutes les nations », pour

les inviter à se réunir, le 8 décembre 1869, à Naples ^. Parmi


les adhésions, on remarqua celles de Garibaldi et de Victor Hugo.

Non content de convoquer un anticoncile à Naples, le comité


d'organisation prépara, dans les principales villes de l'Italie, des
manifestations contre le concile du Vatican, lesquelles, disait on,

seraient en même temps des manifestations en faveur de l'unité na-


''.
tionale

L*anti concile Malgré cet appel au patriotisme italien, l'anticoncile de Naples,


d« Naples l'accompagner, eurent
et les manifestations populaires qui devaient
(décembre
1869). un échec complet. Les organisateurs ne s'entendirent ni sur la

1 Sur ce mouvement et son alliance avec la franc-maçonnerie, voir Wbill, Hîs-'


.

toire du parti républicain. Gambelta est reçu franc- maçon en 1869 (Tournier,
Gambetta franc-maçon, p. i43). C'est tous le patronage de la franc- maçonnerie que
se fonde la Ligue de l enseignement^ présidée par Jean Macé.
2. Voir F. Buisson, V Enseignement de l'histoire sainte, Genève, 1869.
3. E. QoinET, le Livre de l'exilé p. 538, 568, etc. y

4. Voirie compte rendu officiel in extenso dt l'assemblée dans Cbccoki, Hist. du


Conciledu Vatican, trad. Bonhomme, 4 vol. in-8, Paris, 1887, t. IV, p. i-ii.
5. Ibid , p. 2.
6. Grahdkrath, Hist. da Concile du Vatican, trad. française, 3 vol. in-8, Bruxelles,

1907, 1. 1, p 419 ; Colleclio lacensis,t. VIÏ, col. ia54 ia56.

7. Ckgcori, op. cit., t. IV, p, 35-36.


LB CO:<ClM3 DU VATirAt 5ai

méthode de propagande ni sur le programme de ranticoncilc.

Tandis qu'un groupe de francs maçons, ayant pour chef le libre

penseur Regnard, voulait déclarer que « l'idée de Dieu est la

sr)iirce de tout despotisme et de toute iniq»iilé * m, d'autres, plus

circonspects et peut-être plus habiles, voulaient, à la suite de


Ricciardi, se contenter de proclamer « la liberté de la raison en

face de Tautoritc religieuse » et « la soHda rite des peuples en face

de l'alliance des princes et des prêtres ». Trois réunions eurent


lieu, les 9, 10 et 16 décembre. Celle du 10 fut l'occasion de cla-
meurs si subversives, que la police déclara l'assemblée dissoute, Son écheo
complet.
« parce qu'on était sorti du domaine de la philosophie pour entrer
dans celui du socialisme ' » ; et, à la réunion du 16, le vacarme
fui si violent, que le propriétaire de la salle refusa de recevoir
désormais les congressistes. Ils ne purent trouver d'autre local pour
se réunir, et la grandiose assemblée projetée finit dans le ridi-

cule ^.

Dans le schisme et l'hérésie, l'Eglise a souvent vu aussi l'œuvre Altitude


du démon mais elle n'a jamais oublié que ceux qui adorent le des Eglises
;
chrétiennes
Christ n'ont pas rompu tout lien avec elle ; elle les appelle des séparées,

». Pie IX résolut d'inviter au concile leurs repré- en présence


% frères séparés
du concile.
sentants hiérarchiques.
Le 8 septembre 1868, il écrivit aux évêques schismatiques du Pie IX invite

rite oriental, pour les inviter à venir assister au concile *. <l Puis- au concile
le» évêques
siez-vous vous y rendre, disait le pontife, comme vos prédécesseurs schismatiquos
se sont rendus au second concile de Lyon et au concile de Florence, orientaux
(8 septembre
pour que cesse enfin le schisme '. » Quelques jours après, le i3 sep- 18C8}.
tembre, Pie IX adressa une lettre aux protestants, ou plutôt, d'une
manière plus générale, à tous ceux qui, portant le nom de chrétiens,

t. VII, col. laSS et s.


I. Collectio lacensis,
a.Gecconi, t. II, p, ^07.
3. Les documents relatifs à l'anticoncile de Naplcs se trouvent dans un vol. in-8
de 448 pages publié à Paris, au Grand Orient, et intitulé Enquête maçonnique à :

propos au convent extraordinaire du 8 décembre 1869^ et dans la Uevue bimensuelle


la Chaîne d'union. Gecconi, dans son tome IV. a donné des extraits de ces publica-
tions.
4- Voir la bulle dans Geocont,
t. I, p. 887, 890.

890, 894 Pie i.\, à l'occasion du concile, exhortait les


5. Ibid.f p. protestants
à l'union mais il n'invitait pas leurs évêques à assister à l'asjeinblée,
; parce que,
dans la plupart des Eglises protestantes, l'invalidité de» ordinations n'étaitpas
douteuse, et que, même chez le» Anglicans, la validité des pouvoirs épifcopaux
était très discutable.
522 HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLISE

Il adresse n'étaient pas en communion avec l'Eglise romaine. «Un père, disait
aux prolestants
une lettre
le pape, n'abandonne jamais ses enfants, lors même que ceux-ci
«pccialc l'ont abandonné. » Puis, rappelant les signes de la vraie Eglise, il
(i3 septembre
i8()8).
opposait à la stabilité de l'Eglise de Rome l'instabilité des autres
sociétés clirétiennes. Il adjurait enfin tous les cbrétiens de profiter
de l'occasion que leur offrait le futur concile « pour revenir dans le
sein de cette Eglise dont leurs aïeux avaient jadis fait partie. » ^

A Rome, on ne se laissait pas aller à des espérances exagérées sur


le succès de ces invitations.
Pour ce qui concerne les soixante-dix millions de chrétiens qui,
sous les noms de Coptes, de Jacobites, de Nestoriens, d'Arméniens,
de Grecs et de Russes, constituaient le groupe des Eglises orientales
non unies, le patriarche de Jérusalem, Mgr Valerga, préalablement
consulté par le préfet de la Propagande, avait fait prévoir une
réponse négative. Quelle fut l'impression produite, dans la masse
des fidèles et parmi le clergé, par l'appel du pontife romain ? Il est
difficile de le savoir. Reaucoup, sans doute, ignorèrent l'existence de
ia lettre pontificale. On sait pourtant que des évêques jacobites, au
du pape, crurent se conformer au désir de leurs
reçu de l'invitation
peuples en répondant « Nous voulons bien aller au concile de Rome,
:

Refus si notre patriarche y consent jo. Mais le patriarche n'y consentit pas. a Si
des évêques
«chismatiques le pape veut un concile, dit-il, qu'il vienne le tenir ici » .
' L'autocratie
d'Orient. jalouse des patriarches, qui craignaient de voir diminuer leur autorité,
le caractère trop strictement national donné à la religion dans les
pays orientaux, lespréjugés traditionnels contre Rome, et, pour ce qui
concerne plus spécialement l'Eglise russe, le despotisme césaiien qui
pesait sur elle comme un cauchemar tels furent les obstacles que :

rencontra l'invitation pontificale. En vain Pie IX déclara-t-il qu'il se

chargerait des frais de voyage et de séjour, que les patriarches et


évêques recevraient tous les honneurs dus à leur rang, qu'on mettrait
à leur disposition des interprètes et qu'ils jouiraient d'une entière
liberté de parole : nul prélat ne se rendit à l'appel. Les uns ne don-
nèrent aucune raison de leur refus, comme cet évêque syrien-jaco-
Motifs bite de Jérusalem, qui lut la lettre, puis la déposa sur son bureau en
de ce refus.
se contentant de répondre : (( Rien^ ». D'autres, tels que le patriarche
grec de Gonstantinople, prétendirent u qu'ils croyaient bien à l'infail-

I Collectio lacensis, t. VII, vol. iiio, iiii.


2. Gecgoni, t. II, 76-76.
p
3. Ibid., t. II, p. 76, note i.
LE CONCILE DU VATICAN 523

libilitc des conciles œcuiiicDiques, mais qu'à leurs yeux de tels con-
ciles étaient viciés par le fait seul que le pape n'y prenait pas rang
comme un simple patriarche, égal aux autres ». C'était, par un
simple sophisme facile à réfuter, préjuger précisément la question à
résoudre. En somme, les fins denon-recevoir opposées à l'invitation
de Pie IX par les Eglises orientales non unies, doivent être attri-
buées au despotisme de leurs chefs religieux et civils.

L'opposition que l'appel du pape rencontra dans les Eglises pro-


testantes fut de nature diverse. Aussi bien l'organisation de ces
Eglises était-elle moins uniforme.
En Allemagne, un protestant qui devait plus tard abjurer l'hé- Les protestants
d'Allemagne
résie, Reinhold Baumstark, écrivit une brochure en faveur du con- accueillent
cile, dans lequel il voyait le moyen de réaliser l'union entre tous la lettre
du pape par
les fidèles du Christ *. Mais sa voix pacifique se perdit au milieu des des
clameurs hostiles de ses compatriotes luthériens. Le 20 octobre manifestations
hostiles.
1868, le nonce de Munich écrivait au cardinal Antonelli : « La lettre

du pape a suscité les articles les plus violents dans la presse protes-

tante... Ces du Saint-


articles tendent à représenter cet acte paternel

Père comme une insulte et un défi, comme une sollicitation mal


déguisée à retourner à la corruption du moyen âge et à la domi-
na lion universelle des papes » *. Le sentiment national, si étrange-
ment exalté et perverti, se joignait à l'esprit hérétique, dans cette
irritation de l'opinion publique. Le peuple allemand était encore
frémissant des fêtes grandioses célébrées à Worms, le 18 juin de
cettemême année, à propos de l'érection d'une statue colossale de
Luther. Au moment oii le roi de Prusse, Guillaume P' , était apparu, Les fêtes
entouré d'im brillant état-major, Luther Luther de \N oroQS
les cris de * ! ! »
en rbonnem
avaient été subitements couverts par ceux de <* Hourrah au roi de Luther
Guillaume ! Houriah à la Prusse ! » Un groupe de manifestants avait (iS juin

même escaladé la tribune royale, et crié de là : u llourrah à l'empe-


reur d'Allemagne! d Et le roi de Prusse avait visiblement salué d'un
geste approbateur, à ce cri significatif. Ce fut au pied même du
monument de Luther que le congrès de la Fédération générale pro-
testante (^protestaiilcnverein) voulut rédiger une réponse au ponlife
romain. « Nous, protestants, disaient-ils, assemblés aujourd'hui à
Worms .., au pied du monument de Luther, nous plaçant sur le

I. Gba.ndera.th,t. 1, p. 395,

a Gegconi. il i65 iGC


524 HISTOIRE GE'ÏEII^LE DE L ÉGT.TfSB

Réponse commun à tous de l'esprit chrétien,


terrain du patriotisme allemand
de la
Fédération etde la civilisation..., nous protestons publiquement contre les pré-
générale tendues lettres apostoliques du i3 septembre i86S..., et noui
protestanto.
repoussons avec énergie... toute prétention hiérarchique^ toute auto-
rité dogmatique, qui seraient pour nous comme autant de ponta

destinés à nous mener à Rome *. »

Le> protestants En France, le représentant le plus noble de l'Eglise réformée,


français.
Guizot, s'honora en prononçant, dans une réunion, les paroles sui-
vantes : « Pie IX a fait preuve d'une admirable sagesse en convo-
Nobles paroles quant cette grande assemblée, d'où sortira peut-être
du le salut
de Guizot.
monde, car nos sociétés sont bien malades mais aux grands maux, ;

les grands remèdes » ^. D'autres protestants, t^ls qu'Edmond


de Pressensé. ne voyant dans la réunion du concile que le prélude
Hostilité de la consécration du Syllabus, et dans le Syllabus que « l'asservis-
générale
de la pressa sement absolu de la conscience » ^^ s'unirent à la campagne de la
prot«stante. presse libre penseuse pour protester contre l'entreprise de Pie IX.
Lei C'est en Angleterre, comme il était facile de le prévoir, cjue la
protestante
anglais.
lettre pontificale trouva les échos les plus sympathiques. Le mou-
vement d'Oxford avait habitué les esprits à l'idée d'une union des
Eglises. Un professeur de Cambridge, Gérard Cobb, avait publié un
ouvrage en ce sens, iotitulé : le Baiser de paix ; il fit paraître un
second livre ayan4 pour titre : Quelques mots sur la réunion et le

futur concile de Rome. Un autre protestant, David Urquhart, dédiait


au pape un ouvrage intitulé Appel d'un protestant au pape pour le
:

rétablissement du droit des nations, et provoquait parmi ses coreli-

gionnaires l'envoi au souverain pontife d'une requête où on le sup-


pliait de prendre en main, à l'occasion du futur concile, la cause
du droit des gens *. Parmi les ritualistes, un certain nombre de
pasteurs et de laïques, entre autres Tévêque écossais de Breehin,
Forbes, résidant à Dundee, étaient très disposés à répondre aux
avances de l'Eglise romaine. N'ayant pas d'objection contre l'œcumé-
nicité du concile qui venait d'être convoqué par le pape, irrités de

I. Geccoiii, II, aa3-aa4.


a. Gra:*dera.th, ï, SgS Revue du monde catholique, 1869, t. I, p. agg.
;

3. E. de Presse :»8é, le Concile du Vatican, un vol. in 13, 3« édition, Paris, 1879,


p 197. L'Alliance évangélique demanda des prières à ses adhérents « au moment où
Home allait mettre le sceau à son œuvre... en condamnant les progrès et les
libertés sans lesquelles la société moderne ne subsisterait plus ». (Cbcconi, III,
i5i.)
4 Voir Us documents dans Gbggoni, IV, 689-693,
LE COÎIGILE DU VATICAH 525

des pouvoirs civils à leur égard, persuadés d'ailleurs que,


l'hoslililé

du moment que l'E^'lise anglicane ne serait plus Eglise d'Etat en


Irlande, les jours de l'Eglise anglicane comme Eglise d'Etat en
Angleterre étaient comptes; et, voyant parla se briser un des liens
qui faisaient leur cohésion et leur force morale, ils se tournaient vers

Kome avec confiance. Au mois de février 1869, un anglican ritua- Pourparlers


entrepris enlr«
liste, John Stuarl, archiviste général d'Ecosse, qui était en rapports l'évêque
scientifiques avec les Bollandistes de Bruxelles, mit l'évêque Forbes anplicaii
de Brecltin
en relations avec le Bollandiste Victor de Buck, lequel avait publié,
elle
peu de temps auparavant, dans les Etudes des Pères de la Compa- R. P. Victor
de Buck,
gnie de Jésus, plusieurs articles empreints de sympathie pour le
de la
mouvement puscyiste ^ Le savant jésuite n'était pas seulement un Gomua|/nle
de Jésus.
grand érudit ; il avait aussi la réputation d'un homme de haute
doctrine; le P. Général de la Compagnie de Jésus l'avait nommé, le

mois précédent, son théologien au concile général *. Mais, dès les


premières lettres échangées avec le prélat anglican, le jésuite s'aper-

çut qu'un homme multipliait les obstacles à l'entente. Cet homme


était Pusey. Forbes concertait avec lui ses réponses. Or Pusey ajou- Ohslacle> mis
à l'entente
tait sans cesse aux premières objections soumises par l'évêque écos-
par Pusej.
sais, des objections nouvelles. Il se montrait blessé de ce que les

évêques anglicans n'avaient pas été personnellement invités comme


ceux des Eglises orientales non unies ; plus blessé encore d'être

traité comme un hérétique. Il avouait cependant ne pas admettre


certains points du dogme catholique relatifs à la transsubstantiation
et à l'autorité du pape. Quant au concile, sous prétexte que les
évêques anglicans n'y avaient pas été personnellement convoqués, il

niait son œcuménicité. « Pusey arrête tout », écrivait le P. de


Buck 3 ; et un ritualiste de Cambridge, en faisant savoir au Père
j'suite que « Pusey élevait toutes les difficultés imaginables pour
empêcher qu'on ne fît rien par rapport au concile », ajoutait:
« Parlez-moi de l'infaillibilité du Saint-Siège I Ce n'est rien en com- L'autorita-
ri«rn«
paraison delà nécessité de faire abandon absolu de foi, de raison et
de Pusey.

1. \ oir Etudes, année 1866, t. IX, p. i3a et s p, a6i et s. ; p ; 878 et s. ;


t. XI, p. 898 et s.; année 1868, t. I, p. 54 et s. De petits articles, signés M. N. 0.,
étaient aussi du P. Victor do Buck.
a. Les détails donné» ci-dessus sont empruntés à la correspondance inédite du
P. Victor de Buck avec Mi^r Dupanloup, correspondance conservée aux archives du
séminaire de feint-SuIpioe, notamment aux lettres écrites par le P. de Buck
le 3o janvier 18G9 el le 9 mars 18G9.
3. Y. DE BicK, Lettre du 39 juillet 1869, adressée à Mgr Dupanlonp.
526 HISTOiaE GÉNÉRALE DE l'ÉGLISE

de toute chose entre les mains du grand docteur Pusey en per-


sonne, qui règne comme chef suprême parmi nous, an-licans *. >)

Tel fut le premier obstacle aux négociations.


s'en rencontra un Il

second. Le P. de Buck, ne se croyant pas autorisé à traiter l'alTaire


en personne, avait décidé de la mettre entre les mains de Mgr Dii-
pauloup, intermédiaire volontiers accepté parles anglicans^ ; mais le
cardinal Bilio exigeait que les négociations fussent conduites par
Rupture Mgr Manning, avec qui les ritualistes ne voulaient traiter à aucun
(les
pourparlers. prix. Bref, le P. de Buck s'ctant rendu à Rome, la Congrégation
du Saint-Office, par une décision du i5 novembre 1869, lui enjoi-
gnit de rompre ses pourparlers avec les anglicans 2.
La lettre pontificale ne reçut pas un meilleur accueil parmi les
protestants de Suisse, de Hollande, d'Autriche et d'Amérique *, et
les négociations en restèrent là, négativement résolues.

Pour la Une autre question, non moins délicate, était celle de la représen-
prerniere fois,
lation, à l'assemblée œcuménique, des princes catholiques. Depuis
lesprinces
-i i at- ' ^ t
catholiques le concile de Nicée, ou 1 empereur Constantin avait occupé une
ne sont point place d'honneur, les empereurs et les rois chrétiens avaient pris part,
convoq
>nvoques . .
ir r »
^
au concile soit par eux-mêmes, soit par un ambassadeur, à tous les conciles

généraux. Mais les rapports de l'Eglise et des Etats se trouvaient si

profondément changés depuis la chute de la Chrétienté, qu'on so


représentait difficilementun souverain moderne mêlé dans la salle
des délibérations au corps épiscopal. Après mûr examen de la ques-
tion par la Congrégation préparatoire du concile, il fut décidé qise

les princes catholiques pourraient assister aux sessions solennelles,

. du 29 juilet 1869, adressée à Mgr D«panlouj\


V. DE Buck, Lettre
Voir ses lettres passtm.
.

3. Feria 4^, die 17a noverabris 1869, EE. DD. decreverunt quod^ ptr médium
Rev. P. Generalis Socielatis Jesu, sub secreio Sancti Ofjicii, scribatur opportune P,
de Buck, ut ab incœpto conciliationis tractatu cum nonnullis heterodoxis caiglicanis
omnino désistât (Gecconi, t. II, i. 298, note 3). Gecconi [ibid , p. 294, 296) conjec-
ture que le motif de rinterdiction prononcée par le Saint-Office aurait été le sui-
vant on aurait craint que les négociations entreprises avec le parti unionite^ parti
:

peu nombreux, puisque, sur 18 000 ecclésiastiques anglicans, il n'en comptait pas
plus de 4oo, et parti détesté par l'Eglise établie, ne compromissent le mouvement
général de l'Eglise d'Angleterre vers 1 Eglise romaine. Les raisons ci-dessus exposées,
d'après la correspondance inédite du P. de Buck avec Mgr Dupanloup, nous parais-
sent plus vraisemblables. Les membres du Saint-Office furent sans doute guides
par le peu d'espoir qu'ils avaient en la réussite des négociations et peut-être aussi
parle peu de confiance que leur inspirait le négociateur proposé. Mgr Dupanloup
venait en effet de publier, le 11 novembre, à propos du concile et de l'infaillibilité
pontificale, une lettre dont à Rome on s'était beaucoup ému,
4. Granderath, op.cit ,11, 398-419.
LE CONCILE DU VATICAPf b'2'J

mais qu'ils ne seraient pas invités à prendre part aux délibérations.


Le cardinal Antonelli lut chargé d'expliq-ier aux représentants du
corps diplonnatique que a le Saint-Père n'avait nullement l'intenlioa Explication
1 1

, 1. f • < 11" -l'â
de »nipossibilile
-1 ' 1
ae
donnée
de tenir les princes a 1 écart, mais que, a cause 1 |g cardinal

convoquer indistinctement tous les souverains de la catholicité, l'ua Aninn^iii.

d'eux étant sous le coup d'une excommunication, il se bornait à


demander, en termes généraux, leur concours bienx cillant » ^.

Cette décision parut d'abord satisfaire les esprits appartenant aux


partis les i)lus opposés. Le lo juillet i868, un député libéral, Emile î-mile 011i>ier

OlUvier, disait a la Chambre des députes : « Messieurs, je ne connais ^^ fait à

pas, depuis 1789, d'événement aussi considérable; c'est la séparation •» Chambre


^'^
de l'Eglise et de l'Etat opérée par le pape lui-même. L'Eglise,
pour la première fois, dit aux pouvoirs laïques : Je veux être, je

veux agir en dehors de vous et sans vous. J'ai une vie propre, que
je tiens de mon origine divine. Cette vie me suffit je ne vous
;

demande rien que le droit de me régir à ma guise. Messieurs, je


trouve ce langage d'une audace imposante ; il me frappe de respect

et d'admiration 2 ». Le lendemain, on put lire dans le journal


l'UniverSj sous la signature de Louis Veuillot, les lignes suivantes: I-ouis Veuil'ot

« On entrevoit l'organisation chrétieniiC et catholique de la démo- dans leionrnal


cratie. Sur les débris des empires infidèles, on voit renaître plus l'Univers.

nombreuse la multitude des nations, égales entre elles, libres,

formant une confédération universelle dans l'unité de la foi, sous la


présidence du pontife romain, également protégé et protecteur de
tout le monde ; un peuple saint, comme il y a eu un saùit empire.
Et cette démocratie baptisée et sacrée fera ce que les monarchies
n'ont pas su ou n'ont pas voulu faire : elle abolira partout les idoles,
elle fera régner éternellement le Christ » ^.

Ces perspectives optimistes furent loin de se réaliser, Une agita- Agitation


^»plo"ia^'4"<^'
tion diplomatique, organisée en vue du concirle, ne tarda pas à se
produire. Le^romoteurde cette agitation fut un docteur allemanddout
le nom reviendra plusieurs fois au cours de cette histoire, le doc- EHe est
provoquée
teur Da41inger, professeur à Munich. Blessé, dit-on, de n'avoir
, ,
par le dor'.oui
point été choisi pour faire partie d'une des commissions prépara- U.Lilinger.

E. Olliviér, l'Eglise et l'Etat au concile du Vatican, 2 vol. in- 12. Paris 18-0
1.
t. 5o8.
T, p.

2. Moniteur universel du 1 1 juillet 18C8 ; E. Olliviér, op. cit., t. I, p. 4oi.


3. Univers du 11 juillet 18O8 Louis Veuillot, Home pendant le concile, éd de
,

187a, t. I, n. LXV-LIVI.
b'jS HISTOIRE Gé.'lÉRA^LE DB l'ÉGLISB

toires du concile *, il devait entretenir, hors du concile, une agita-


tion incessante. Sa première démarche fut de suggéi»jr au prince
Clovis de Hohenlohe, ministre de Bavière, l'idée d'intervenir auprès
des divers cabinets européens pour les mettre en garde contre le péril

dont les menaçait le futur concile. 11 ne s'agissait de rien de moins,


disait-il, que de déclarer les propositions du Syllabus dogmes de foi,

Dépêche c'est-à-dire d'y proclamer l'absolue sujétion des Etats à l'autorité du


communiquée
par le prmc*^
pontife de Rome. Effectivement, sur les sollicitations pressantes de
de Hohcnlohe Dœllinger, le prince de Hohenlohe communiqua, le 9 avril 1869, à
aux divers
tous les cabinets de l'Europe une dépêche conçue en ce sens, et
cabinets
européens leur soumit l'idée d une conférence internationale en vue de conjurer
(g avril iSOqL
Je danger.
Le résultat voulu ne fut pas complètement atteint, La conférence
projetée n'eut pas lieu. Bismarck déclara qu'une intervention des
puissances dans les affaires de l'Eglise catholique lui paraîtrait se
rattachera un état de choses à jamais disparu. Il ajouta cependant
que la curie romaine rencontrerait de sa part une énergique résis-
tance du jour où elle se permettrait des empiétements sur le tempo-
rel. Le prince de la Tour d'Auvergne, ministre des affaires étrangères

en France, déclara, de son côté, que l'empereur était disposé à juger


les actes du concile dans un esprit large et libéral, mais qu'il était

Le» gouverne- résolu à défendre avec énergie, s'il en était malheureusement besoin,
ments les droits dont la confiance de la nation française l'avait rendu dé-
se décident
pour positaire.
une attitude Cette attitude d' « expectative menaçante » fut à peu près celle de
d' «<\pcctative
meuaçanlc ».
tous les cabinets européens *.

I. Le a8 décembre 1868, il écrivait à l'évêque


d'Orléans « Vous me demandez :

sion m*a invité à Rome pour prendre part aux travaux préparatoires. Je répond*
que non... Depuis quelques années, je suis tombé en disgrâce... On me regarde à
Rome comme un homme trop peu ultramontain, et vous savez que cela ne se par-
donne pas » Cette lettre se terminait par cette phrase, qui pouvait déjà faire
craindre une défection « Ce n'est pas sans un -sentiment d'admiration mé/^ d'envie
:

que je vous contemple... résolu de défendre tout ce qui sera décidé à Rome. » (Lettre
inédite, Arch. du séminaire de Saint-Sulpice.)
3. Ces incidents diplomatiques ont été largement
exposés par Emile Ollivib»
au concile
VEgliseet l'Etat du Vatican, ch. v, t. I, p. /io3 536. D<»
dans son ouvrage
curieux documents ont été publiés par Emile Ollivibr dans ce chapitre ; mais lu»
appréciations de l'auteur donnent lieu à bien des réserves.
LE CONCILE DU YATIGA.ÎI 529

II

monde annonce dua conçue universel avait Joie du mowvk


Dans le catholique, 1

une joie unanime.


'

«
1^"
D III
mnombrables
f A
evcques de tous
11 catholique
d abord excite ^ l'annoncce

pays parlèrent à leurs troupeaux de la future assemblée. On remar- d'uu concile


œcuriicnifjue.
qua spécialement une très belle lettre de Mgr Dupanloup, évoque
d'Orléans ^ qui eut un grand nombre d'éditions, et fut, au lende-
main de sa publication, traduite en allemand, en espagnol, en an-
glais, en italien, en polonais, en hongrois et eu flamand '^. »

Mais cet accord universel ne pouvait durer longtemps. Les grandes


polémiques soulevées naguère à propos du journal l' Avenir de la ^

campagne pour la liberté d'enseignement, de la question des classi-


ques, de tant d'autres questions philoso[)hiques, sociales et politiques,

n'avaient pas disparu sans laisser, dans les esprits des combattants,
tles irritations prêtes à se trajisforuier en nouvelles controverses.
Les encycliques Mirari vos et Quanta cura avaient pu faire l'unité Présages
de
daus la foi et dans la discipline ; elles avaient laissé subsister
controversi^
la diversité des tendances. Un Veuillot, un Manniug n'envisageaient doctrinales,

pas les questions au même point de vue qu'un Dupanloup ou un


Newman. Or, ce qui les distinguait les uns et les autres, c'était,

avec un égal désir de servir l'Eglise, une ardeur dans la lutte, une
impétuosité dans l'attaque et dans la riposte, que de récents combats
contre l'incrédulité avaient avivées, et qui allaient malheureusement
se dépenser en querelles intestines. Toutes les questions controversées,
d'ailleurs, n'avaient pas été résolues par les dernières décisions pon-
lilicales. Le programme du concile allait en soulever de nouvelles,
de plus brûlantes encore. Ce que Pie IX avait appelé la période de
lutte contre les puissances infernales était à peu près fini ; mais la

période des luttes suscitées par les passions, les malentendus et les

iicompréhensions réciproques des hommes, allait s'ouvrir.

La publication dans la Civiltà callolica d'une correspondance

I. Lettre sur le futur concile œcuménique, brochure de 6/j pages in-8, Paris,
1SO8.
a. Gra.kdekath. Hist. du conc. du
\'atican, t. I, p. 169 « Celle lellre, écrivait le

P. de Duck, est [)roljablomcnt le meilleur écrit qui ait paru dans ce siècle.
\ iclor
Voilà comment il laut parler de Tb^glise »-. (Lettre inédite du P. V. do Buck, du
aS novembre iStîy, Archives du Séminaire de Saint Sulpice.)
Hisl -en. (lelEj^liw». - VIII 34
530 HISTOIRE GÉXKRALE DE l/f.GLISE

anonyme, qui fut regardée comme un manifeste des ultramontains,


la controverse qui s'éleva enAllemagne entre le D' DœJJin' er et le
D' Ilergenrœther^ l'apparition d'un livre de Mgr Maret sur le Concile
et la paix religieuse^ la publication dans le Correspondant d'iio
ar-
j.
ticle où programme des libéraux, et l'entrée en campagne
l'on vit le
de Mgr Dupanloup par la publication d'une brochure intitulée 06- :

ser valions sur la controverse soulevée relaHvement à la définition de


r infaillibilité : tels furent les principauoc incidents de cette période
de luttes.
Premier Le 6 février i86q, la Civikà catlolica, revue italienne rédigée par
l'arUcle de la ^^^ Peres delà Compagnie de Jésus, publia, sur le futur concile,
CiviUà cattohca une longue correspondance française, dans laquelle on lisait : « Nul
6 février 1869. n'ignore que les catholiques de France sont malheureusement divisés
en deux parts : les uns simplement catholiques, les autres qui se
disent catholiques libéraux... Les catholiques proprement dits...

croient que le futur concile sera fort court, et ressemblera, sous ce


rapport, au conci-le de Ghalcédoine,... en sorte que la minorité, si élo-
quente qu'elle puisse être, ne pourra fournir une longue opposition. .

Au point de vue dogmatique, les catholiques désirent la proclama-


tion, parle fuiur concile œcuménique, des doctrines du Syllabus...
Ils accueilleraient avec bonheur la proclamation par le futur concile
de l'infaillibilité dogmatique du souverain pontife... On ne se dissi-

mule pas que un sentiment d'auguste réserve, ne


le pape, par
voudra peut être pas prendre lui-même l'initiative de la proposer...
Mais on espère que l'explosion unanime de l'Esprit- Saint, par la
bouche des Pères du futur concile œcuménique, la définira par
acclamation ^. »
Pro(opi.?tîons L'apparition de l'article de la Civiltà eut un immense retentisse-

par cet^articl ncieot et SOU le va les protestations les plus vives. « De quel droit, disait-

on, la feuille romaine, ayant à parler de deux fractions de catholiques


qui font également profession de soumission à TEglise et au Saint-
Siège, se permet-elle d'appeler les uns, à l'exclusion des autres,
les catholiques proprement dits ? » Au surplus, la manière dont
s'exprimait l'auteur de l'article lorsqu^il parlait des désirs des a ca-

tholiques proprement dits », ne donnait-elle pas à ses vœux des

I. CoUectio lacensis, t. VII, col. ii55-ii57. Voir le texte italien ibid., col. ii58-
1163.
2 Lettre inédite du P. Victor de Buck à Mgr Dupanloup, du 9 mars 18G9,
(Archives du Séminaire de Saint-Sulpice.)
LE CONCILE DU VATICAN 53 1

allures de sommation ? Enfin, les objets de ces vœux, si impérative-

ment l'ormulés, étaient-ils bien dans l'esprit de l'Eglise ? En souhai-

tant que le concile fût a fort court », et même que les votes se fis-

sent « par acclamation », oubliait-on que, « si Bellaimin et autres

théologiens ont rejeté le concile de Constance définissant la supério-

rité du concile (sur le pape), c'est précisément parce que ce décret

a été porté sans discussion suffisante ^ ? » Avait-on bien réfléchi que


« l'Esprit-Saint n inspire pas l'Eglise, mais C assiste », et que, « si

Dieu, qui mène tout, devait vouloir que quelque chose fût défini

par le concile sur l'infaillibilité du pape, cette définition devrait se

faire,non par acclamation ou avec précipitation, mais après mûre


considération de l'opportunité, du fond et de la forme-? »
du 17 avril 1869, la Civiltà se défendit d'avoir Explicatlont
Dans un article

« osé fixer la durée du concile et de l'avoir extrêmement limitée, p^^. 1, civUtà,


afin de rendre ainsi impossible un examen approfondi des questions ».

« Il faudrait pour cela, ajoutait-elle, que nous ne connaissions pas

même les premiers éléments de la théologie 2. » La Revue romaine


déclarait d'ailleurs qu' « en accueillant la correspondance incriminée
elle n'avait pas entendu faire sien tout ce qu'elle contenait » *. Mais
ces explications n'amenèrent point la paix. Les esprits étaient irrités.
Une polémique s'engagea, au cours de laquelle le journal allemand Intervention

Allgemeine Zeitung, avec une acrimonie insolente, et le journal le ®


Zeuln^^^'^
Français, avec une modération relative, maintinrent leurs accusa-

tions contre la Civiltà cattolica. La feuille allemande n'hésita pas à

rendre responsables de ce qu'elle appelait a un attentat aux droits de

I, Lettre inédite du P. Victor de Buck à Mgr Dupanloup.


a.V.DEBccK, Lettre à Mgr Dupanloup du 27 avril 1870 (Arch. rfa St'm. S^Sli/pjctf.)
3. Geccom, 111,283. Voirie texte italien dans la Collectio lacensis, VII, col. 1171-
1172. — Théologiens et jésuites, les rédacteurs de la Civiltà ne pouvaient, en efTel,
onl)lier la doctrine si magistralement exposée par Bellarmin Patres in conciliis
: «

debent rem ipsam quœrere, id est^ conclusiones investigare, diaputando, legendo^ <'''>gi-
tando. Unde Actor. î 5 legimus in primo concilio niagnam. conqaisitionem fuisse faclam.
Idem tcstalur de Nicœno concilio RuJJinus, lib. X,cap. 5 Hist. Eccles., quocirca Actor.
15 dlcunl Patres concilii : Visum est Spiritui Sancto et nobis, id est Spirilu Sancto
nostrani industriani et diligentiam adjuvante. At Scriptores sacri soli Deo tribuunt ea
quae scribunt^ ac propterea tam sxpe repetebant prophctœ illud : dicit Dominus. a
(Bellaumin, Controversia generalis de conciliis, lib. II, cap. xii.) On ne pouvait s'at-
tendre à de pareilles précisions de la part d'un laïque, Louis Veuillol, confondant
la révtla'hn, V inspiration ei Vassistance, écrivait ironiquement « Le Correspondant :

veut que l'on discute et que le Saint-Esprit prenne le temps de se former une
opinion. » [Univers du"] novembre 1869). « Il est à remarquer qu'au cénacle aucune
discussion ne précéda l'invasion de l'Esprit-Saint {Univers dn 21 novembre 18(19).
t\. m Ne vale il dire che avendo ammessa nel nostro periodico la corrisponden:af
avevamo con ciô fatto nostro proprio tutto ciôche quivi si scrive. » Coll. lac.. VII, 1170.
532 HISTOIRE GÉMÉRALE DE l'ÉGMSE

l'Église », la Compagnie de Jésus, la cour de Home, le souverain


pontife lui-même. « On n'exagère pas, disait-elle, en su[)posant que
les idées de la Civiltàconcordent avec celles du Chef suprême et
des autres têtes delà cour de Rome ^ »
Ou sut plus tard que l'auteur des violents articles publiés sous le
voile de l'anonymat datis VAllgemeijie Zeltany était le docteur
Ignace von Dœllinger, professeur à la Faculté de théologie de
Tpnace Munich, Entre Ignace von Dœllinger et Félicité de La Mennais,
certains points de ressemblanee sont frappants. « DœlHnger avait
iTûQ^i'lûo
(i799-i8ôo;.
jadis pris une part insigne au réveil de l'Allemagne catholique ; il

avait lutté, comme publiciste et comme parlementaire, contre le des-


potisme religieux de l'Etat. 11 avait figuré en i8/|8 parmi les « fos-
soyeurs du joséphisme ; et, dans ce temps-là, on lui avak
fait un

renom d'ultramonlain, qu'il avait accepté ^. »


L'université de Munich vénérait en lui une gloire et l'histoire ecclé- ;

siastique, un maître. Il avait des disciples enthousiastes. « Depuis

vingt-cinq ans, dit un historien allemand de la théologie, on le tenait


pour un des premiers théologiens de l'Allemagne ^. » Il avait conscience
de sa valeur, de sa renommée, de son ascendant, et peu4;-être en exa-
gérait-il la puissance. Sa parole était vive, colorée, nerveuse, tran-
chante. Un de ses contemporains Fa dépeint en ces termes : a Sa tête

1. Cité par Grandbrath, I, 2o5. U


de faire remarquer combien de
est inutile
pareilles accusations étaient gratuites. Les adversaires de la C'willà n'étaient pas
dans le vrai quand ils l'accusaient d'avoir soulevé la première des questions irri-
tantes à propos du futur concile. Dès 1867, plusieurs articles anonymes de Y Allge-
meine Zeitung et de la Neue Freie Presse avaient abordé les mêmes questions, accu-
sant Manning, par exemple, de se donner à la théorie de l'infaillibilité avec le
(,(

zèle ardent d'un converti ». (Gra.]ndekath, I, 2ii.) Friedrich n'est donc pas excusable
lorsqu'il prétend que la curie romaine a soulevé délibérément une polémique sur
l'infaillibilité « parce qu'elle avait besoin qu'on attaquât cette doctrine pour pou-
voir dire qu'elle était contrainte d en proposer la définition >k (Friedrich, Gescldchle
des Vatikan Konzil, t. II, p. 3). Tout ce qu'on peut dire, avec le P. Grauderath,
c'est que, « sans aucun doute, la correspondance française de la Revue romaine a
notablement accentué le mouvement hostile au concfle » (Granuerath, I, 2i3.)
Qiu-l était l'auteur de la fameuse correspondance ? Ni Granderath, ni Cecconi, ni
Emile OUivier, ni aucun historien, à notre connaissance, ne l'a nommé. Dans une
lettre inédite, adressée le 20 juillet 1869 à Mgr Dupduloup, le P. Victor de Buck.
écrit le nom de l'abbé Darras, l'auteur d'une Histoire de l'Eglise alors très répan-
due, mais très critiquée par les Bollandistes. Le P. de Buck, en relation au moins
indirecte avec le P. Piccirillo, directeur de la Civiltà (lettre du i5 avril 1869/ et
avec plusieurs autres jésuites de Rome, était à même d'être bien renseigné. —
Sur les origines de cette lettre et sa publication dans la Revue des Pères Jésuites,
voir Gra>derath, Ï, 199-212 Cegconi, II, 354 374.
;

2. G. GoTAU, l'Alleinayne religieuse, le catholicisme, t. IV, p. 24o.


3. K. Wermek, Geschichte der Katholichten Tiicologie selt dem Triealcr Konzil,
p. 470.
LE CONCILE DU VATICATf 533

impassi- Son portrait.


est forte, grave ; l'œil a la limpidité froide et la pcaétration

ble du collectionneur d'idées et de faits ; le rictus ironique de la

du savoir ^ » Ce savoir Sa science.


lèvre exclut toute passion, si ce n'est celle
était immense. Dœllinger était, avant tout, un savant. Ce titre sem-
blait tout dominer chez lui, même, osons le dire, car ce fut l'impres-

sion de ceux qui rapprochèrent, celui de prêtre. Sa formation théo-


logique était incomplète. Il n'avait jamais bien compris le du
rôle

fonction du Les lacunes


magistère de l'Eglise, et se faisait une idée fausse de la
de son esprit.
théologien. Dans un discours fameux, prononcé en i863, au con-
grès scientifique de Munich, il s'était écrié : « De même qu'au temps
des Juifs, à côté du sacerdoce, il y avait le prophélisme, de même
dans l'Eglise, à côté du pouvoir ordinaire, il y a un pouvoir extra-
Ses doctrines.
ordinaire, qui est l'opiflion publique. Par elle, la science théologique

exerce l'influence qwi lui revient et à laqucWe, à la longue, rien ne


résiste 2. » Comme La Mennais, Dœllinger rêvait d'un accord entre

l'Eglise et les idées modernes. Entouré de protestants, le rapproche-


ment des Eglises obsédait sa pensée, a II s'y intéressait comme ca-
tholique, a-t-on dit, et plus encore peut-être comme Allemand ^. »
Sa conceptioQ
« En i85o, à l'assemblée catholique de Linz, il avait tracé l'archi-
dune Eglise
tecture d'une Eglise nationale allemande, qui, dans la vaste unité nationale
allemande,
romaine, aurait sa vie propre, son organisation propre, ses conciles,
fojcr d'action
sa littérature, et dont l'institution serait une première étape vers la chrétienne.

réunion des confessions chrétiennes *. »


fm de 1869, Dœllinger, de plus en plus confiant en la
V^ers la

puissance victorieuse de sa science, résolut de réunir en un petit


volume les cinq articles parus dans FAllgemeine Zeitiing. « Je ras-
Deuxième
semble, écrivait-il le 29 novembre, les témoignages, les explications
incident :

nécessaires pour décider définitivement la question de l'infaillibilité 5. » l'apparition

Le volume parut sous ce titre : le Pape et le Concile, et sous le pseu- du vohime


de Janus.

1. Emile Ollivier, op. cit., t. I, p. 425.


2. Cité par Gra.nder.vth, I, 209,
3. GoYAU,op. cit., IV, 242.
4 24 1. Plusieurs manifestations inspirées par un esprit non moins
Ihid.f
téméraire furent faites en Allemagne sous forme de manifestes (Granderath, t I,
p 245 et 8.). ('itons seulement l'adresse d'un certain nombre de catholiques de
Bade, puMiée par \e Journal des Débais 6\i 2 ^mWci i86ç).
5 Lettre inédite \Arch. St'in. St-Sulpice). La suite de la lettre respire une telle
fatuité scientifique et caractérise si bien le malheureux professeur allemand, qu'elle
est fi riter « Mes citations des éditions, volumes, pages, seront si exactes, si scrupu-
:

leuses, que chacun pourra (les) vérifier tout de suite. Si on peut persuader à un .

certain nombre d'cvéqtics d'entrer sérieusement dans la discussion... la victoire de


la vérité est presque assurée ».
534 HISTOIRE GENERALE DE L EGLISE

doiiyme de Janus. L'auteur ne se contentait pas de dire, comme


l'avait fait le rédacteur du Français^ que la proclamation de l'in-
faillibilité du pape lui paraissait inopportune ; il attaquait à fond la
thèse elle-même. Il allait plus loin encore, et soutenait que le con-
cile, quoi qu'il décidât, n'aurait aucune autorité, parce qu'il ne
serait pas libre. « Peut-on en effet, disait-il, appeler libre une assem-
blée d'hommes à qui on fait vm devoir de conscience, juré sur
l'honneur, de considérer comme but principal de leurs efforts le

maintien et l'accroissement de la puissance du pape ? Une réunion


d'hommes qui vivent dans l'effroi d'attirer sur eux le déplaisir de la

curie, qui redoutent les entraves que Rome peut apporter à l'exer-
cice de leurs fonctions* ? »
L*Anii Janus. Un docteur d'une érudition égale à celle de Dœllinger, et d'une
science théologique de meilleur aloi, le futur cardinal Hei^enrœther,
prit la plume, et, dans un ouvrage qu'il appela YAnti-Janus, sou-
mit le pamphlet à une critique sévère, convainquit son auteur
d'avoir plus d'une fois altéré les textes, de les avoir pkis souvent
arbitrairement choisis et systématiquement groupés, enfin d'en avoir
tiré des conclusions fantaisistes par des procédés où la logique était
terriblement malmenée. Un prêtre allemand déjà révolté, et qui devait
plus tard se séparer de l'Eglise par une complète apostasie,
La critique
Frohschammer, fit suLir à l'œuvre de DoeMinger i*ne critique en un
de
Frahscham sens pkis terrible. Il démontra sans peine que Janus, s'il voulait
mer. être conséquent avec ses principes, devait aller plus loin, nier non
seulement l'infaillibilité du pape, mais celle de l'EgHse, par suite se
séparer d'elle et abandonner la foi chrétienne.
Troisième Pendant que les diverses phases de cette discussion se déroulaient
iacident :
en Allemagne, une controverse avait siwrgi en France, à propos d'un
l'apparition
de l'ouvrage ouvrage publié en septembre 1869 par le doyen de la Faculté do
deMgr Maret: théologie de Paris, Mgr Maret, évêque in partibus de Su«a. Le livre
Du Concile
général avait pour titre Du Concile général et de h paix religieuse *.
:

H de la paix L'auteur, se plaçant sur un autre terrain que le journal le Fran-


religieuse
(leplcmbre çais, lequel ne combattait que l'opportunité de la définition de l'in-
1869).

I. Le Pape par Jakus, trad. Giraud-Teulow, un vol. in-ia, Ptris,


et le Concile,
1869 On a quelquefois prétendu que Mgr Dupanloup faisait cause commune avec
Dœllinger. La correspondance de ce dernier, aussi bien que les écrits de l'évêque
d'Orléans, dément cette assertion trop absolue. Voir les lettres de Dœllinger publiées
parla Revue internationale de théologie, 1899, p. 236, 238. Cf. Gotau, op. cit.,
t. lY, 344.
a. Pari», 2 vol. in-8. Un troisième volume était annoncé.
LE CONCILE DU VATICAN 535

faillibilité pontificale, et que le D*" Dœllinger, lequel baltait en Anaijse


de l'ouvrage.
brèche la thèse môme de rinfaillibilité, prétendait ne conibaLlre qj;c
la doctrine de ce qu'il appelait l'infaillibilité personnelle et séparée.
« L'infaillibilité pontificale, disait-il, peut être entendue de diverses
manières. Celle qui semble prévaloir dans l'école qui appelle de ses
vœux la définition conciliaire, est la plus absolue de toutes. Dans m
système, l'infaillibilité dogmatique est un privilège entièrement et
exclusivement personnel au pontife : c'est-à-dire un privilège du
pontife enseignant seul et sans aucun concours nécessaire de l'épis-
copat. Ainsi entendue, l'infaillibilité est identique à la monarchie
pure, indivisible, absolue du pontife romain ^. »
L'auteur résumait sa propre doctrine dans les lignes suivantes :

« Le pape est, de droit divin, le chef suprême de l'Eglise; les évêques,


de droit divin, participent, sous son autorité, au gouvernement de la

société religieuse. La souveraineté spirituelle est donc composée de


deux éléments essentiels : l'un principal, la papauté ; l'autre subor-

donné, l'épiscopat. L'infaillibilité, qui forme le plus haut attribut de


la souveraineté spirituelle, est nécessairement aussi composée des
éléments essentiels de la souveraineté 2... Celte doctrine me paraît
facilement conciliable avec les doctrines les [)lus modérées de l'école
qui porte le nom d'ultramontaine. L'infaillibilité n'y est pas niée,
mais ramenée à sa vraie nature^. » En dehors de cette thèse princi-
pale, l'évêque de Sura préconisait la tenue périodique des conciles
généraux, et disait que, « sans se porter solidaire de toutes les doc-
trines qualifiées de gallicanes, sans se porter solidaire d'aucune
assL-mblée, d'aucune déclaration, et en professant tout le respect qui
estdû aux décisions et bulles de Sixte IV. d'Alexandre VII, de Clé-
ment XI et de Pie VI n, « le gallicanisme théologique, legallicanisme
de l'épiscopat français lui paraissait contenir un fond de vérité éter-
nelle et nécessaire * ». Prévoyant qu'on l'accuserait de discuter
publiquement une des questions qui allaient être soumises aux
délibérations conciliaires, il se prévalait de son litre d'évê-
que, de la liberté qui lui semblait devoir appartenir à la pn'pa-
ration du concile comme à ses débats, et du fait que plusieurs de

I. Du Concile général^ t. lll, p. iJ6y et s.


a Ibid.y t. I, p. xvm.
3. îbid., l. I, p xwx.
4- Ibid.^ t. 1, p. xxYi.
536 niSTOTRB GÉNÉRALE DE l'ÉGLISE

ses collègues avaient déjà poiié la question devant le public '.

L'ouvrage, par lui-même, touchait à des questions brûlantes ;

mais la querelle qu'il souleva fut surtout envenimée par la presse.


\gitation Plusieurs mois avant l'apparition du livre, le Figaro, V Indépendance
dans ia presse. , .
, . /. -n • , f
beUje, plusieurs autres feuilles avaient répandu à son sujet les
bruits les plus fantaisistes. L'auteur, disait on, s'était préalablement
concerté avec l'empereur ; il n'était, d'ailleurs, que le porte-voix d'un
groupe important d'évêques.
Le livre, ajontait-on, est déji traduit en latin et dans les princi-
pales langues européennes ; et pourtant, ni l'ambassadeur d'Espagne,
ni le* nonce apostolique, ni les jésuites eux-mêmes n'avaient pu
se procurer la moindre feuille d'épreuves. Rien de tout cela n'était
vrai. Mais l'agitation produite par ces bruits était à son comble
quand l'ouvrage fut mis en vente Les esprits les plus calmes s'échauf-
fèrent. Dans VUnivers, Louis Veuillot s'autorisa précisément du
bruit qui s'était fait jusque là pour élever la voix avec plus de li-

berté.

L'ouvrage « Mgr Maret jette son livre dans le public : c'est sans doute pour
qu'on le lise ; il doit vouloir qu'on Tapprécie, il doit souffrir qu'on
•stvnem^nt^
critiqué l'accuse Mgr Pie, évêque de Poitiers, Mgr Doney, évêque de
! ))

par usïeurs
p Montauban, Mgr Plantier, évêque de Nîmes, Mgr Delalle, évêque de
Piodez, et Mgr Manning, archevêque de Westminster, se croyant
visés dans les opinions combattues par Mgr Maret, critiquèrent vive-
ment son œuvre. La presse religieuse s'en mêla. Le Correspondant
et le Français ripostèrent à VUnivers.
« En ayant l'air de n'attaquer que l'infaillibilité personnelle et

séparée du pape, disaient les uns, c'està son magistère suprême qu'on
en veut. >> — « Singulière façon, répliquaient les autres, d'honorer
la tête de l'Eglise, que de la séparer de son corps ^ » !

Au milieu de ces disputes, l'évêque de Sura dut intervenir plu-


sieurs fois. A maintes reprises, il n'hésita pas à déclarer que, quelle
que fût la décision du concile, « la soumission lui serait douce ». Il

devait tenir parole, et déclarer plus tard, en un langage d'une grande

I. Du Concile général, t. I, p. xvin.


S Mgr Manning, dans un mandementpublié au mois d'octobre, avait, en par-
lant du pape infaillible,employé l'expression aparl from, séparément des évêques :

ce qui pouvait, au pied de la lettre, s'entendre de deux laçons sans les évoques, :

sans leur concours direct ou bien contre les évèques, en opposition possible avec
;

les évêques ; et c'était dans ce dernier sens que VUnivers avait paru interpréter
l'expression anglaise.
rr coHCTLf; du vattca"^ 537

élévation, qu'il rc[)renail lout ce qui, dans ses œuvres, se trouverait

en désaccord avec la définition conciliaire de l'infaillibilité ^


Mais le chef français de l'école à laquelle s'attaquaient la Civillà et Ç"^.^"*^"^®

r^mWr.s n'était pas Mgr Maret ; aux yeux de tous, partisans et l'article dû

adversaires, c'était Misrr Dupanloup. Depuis son intervention décisive Coneshoidait

dans campagne menée pour la conquête de


la la liberté a enseï- ,^(3^

gnement, la situation de Mgr Dupanloup n'avait c^ssé de grandir.


Ses luttes pour l'indépendance du pouvoir temporel du Saii.t-

Sicge lui avaient valu les pins chaudes félicitations de Pie ÏX.
« D'extraordinaires rpialités d'intelligence, dit le P. Granderath,
un savoir singulièrement profond, n'étaient pas les seules raisons do
sa prééminence ; ce qui dominait en lui et le caractérisait, c'était une
activité sans relâche *., » Après avoir été l'inspirateur de VAmi de la
religion et du Journal des Villes et des Campagnes, il avait fondé, au
commencement de l'année 1868, le journal le Français^', et les

rédacteurs du Correspondant avaient habituellement recours à ses


conseils. Dans les articles du Français, qui répliquèrent à la corres-
pondance française de la Civiltà, amis et adversaires avaient reconnu
plume* dans une sorte de manifeste que publia, 10 octobre Analyse
sa ^
; le ,

• • • •
K T-. ,
de cet article.
1869. le Correspondant on , vit son ins[)iration ^. En un langage très

élevé, sous des formes prudentes au dire des uns, habiles au


jugement des autres, l'auteur de l'article exprimait ses espérances
relativement au futur concile. Il ne pouvait se figurer que la convo-
cation des Etats généraux dé l'Eglise pût aboutir à la proclamation
d'une monarchie despotique. Une telle issue serait également con-
traire aux lois de l'histoire et aux traditions de l'Eglise. L'auteur
espérait que les évéques, bien loin de consacrer certaines propositions
absolues, dont le sens mal saisi avait troublé l'Eglise, s'attacheraient
à les expliquer ou à les écarter.

Ce manifeste souleva de nouvelles polémiques. Louis Veuillot

1. Grahdbrath, t. I, p. 3i3. — Voir Bazix, Vie de Mgr Maret, a vol. in 8,


Paris, 1891.
3.(ÎRANDERATH, Hîsl. du ConcUe du Vatican, t. î, p. 33i.
3.L\R RANGE, Vie de Mgr Dupanloup, t. III, p. ia8.
/i. (( Je vous félic ile de tout mon cœur des articles du Français, lui écrivait, à la
date du i5 avril 1869, le P. Victor de Ruck. Ils ont voyagé dans la plupart de nos
maisons et ont reçu l'approbation universelle. » (Lettre inédite, Arrh. S. -S.).
5. L'auteur de l'article paraît avoir été le prince Albert de Broglie; mais, ét:^nt
donné l'importance du sujet traité et les relations habituelles des rédacteurs do la
Revue avec Tévéquc d'Orléans, il est vraisemblable que l'article ne fut pas publié
sans rassentimenl de Mgr Dupanloup.
538 HISTOIRE GENERALE DE L ÉGLISE

l'altaqua vivement dans l'Univers ^ Mgr Pie blânna « ce langage d une


suflisance hautaine » 2. Toute la presse religieuse de France, d'Italie
d'Allemagne et d'Angleterre s'en occupa ^,

Cinqnième L'agitation redoubla quand,


ii novembre 1869, Mgr Du- le
iiiciclenl :

la publication panloup, en son propre nom, intervint publiquement dans la polé-


des mique par une brochure sous forme de lettre écrite à son clergé et
Observations
de Mgr portant ce titre : Observations sur la controverse soulevée relativement
Dupanloup à la définition de l'infaillibilité.
(novembre
iSGij;. Le biographe de l'évêque d'Orléans, qui était alors son familier,
raconte qu'avant de faire cette publication, le prélat « s'était livré le

plus rude corabat » *. Jamais on ne l'avait vu si perplexe. Parmi


les amis qu'il consulta, les uns, en particulier le comte de Falloux 5,

le conjurèrent de garder sa situation intacte pour les débats du con-


Inopportunité D'autres l'engagèrent à aller de l'avant.
cile. Il écouta ces der-
de celle
pubiicalion. niers conseils. L'avenir montra que la voie indiquée par le comte de
Falloux eût été la plus sage. Cette intervention dans la mêlée, au
point d'irritation où en étaient alors les esprits, compromit l'autorité
de l'évêque d'Orléans dans le concile, souleva contre lui des polémi-
ques qui l'irritèrent. Lui qui, dans la campagne pour la liberté de l'en-
seignement, avait été un agent si merveilleux de conciliation, un négo-

I. Coll. lac,VII, col. laSo, 128


t.

a. Ibid. , 1376 et s.
col.
3. Les principaux journaux religieux de France étalent alors l'Univers^ dirigé :

par Louis Veuillot le Monde, dirigé par Taconet


; l'(7nion, journal de Sébastien
;

Laurentie la Gazette de France, de Gustave Janicot; le Français, de François Bes-


;

lay. On peut y ajouter le Moniteur universel, de Paul Dalloz, à qui Rouher venait
de retirer, à la fin de 1868, le caractère de journal officiel Les principales publica-
tions périodiques des catholiques italiens étaient la Civiltà cattolica de Rome et
VUnità cattolica de Milan. En Allemagne, le journal catholique le plus important
en 1869 était le Volkszeilung de Cologne, dont le ton répondait à celui du Français
et du Correspondant, tandis que la Doxau Zeilung de Munich se rattachait aux idées
de ï Univers. Deux journaux catholiques de Vienne, le Wolksfreund et\e Vaterland,
avaient peu d'abonnés. En Angleterre, le principal journal catholique était le
Tablet, organe du cardinal Manning. Le Weekly Register, plus modéré, était ins-
piré par MgrCapel.
Lagrange, op. cft , t. ni, p. i44.
4.
5 Lettre de Falloux à Montalembert, du 3i octobre 1869. {Areh. de Saint-Sul-
pice.) Le prince Albert de Broglie écrit à l'évêque d'Orléans : a Je garderais de
l'écritce qui est pacifique j'enlèverais ce qui est militant. » (Lettre du 5 no-
;

vembre 1869, ^''c/i. de St-Sulpice). Augustin Gochin donne un avis semblable.


Mgr Dupanloup parait n'être entré dans la polémique qu'à son corps défendant.
Le 17 septembre 1869, il écrit dans son journal intime « Apparition du livre de :

Mgr Maret. Complication des plus fâcheuses peut être calamité. Je m'étais fait un
;

eldorado d'un concile de charité, de zèle, d'amour. Et voilà que tout à coup, par
cette imprudence absolument aveugle, en apparaît un de querelles affreuses. » En
novembre, les « querelles affreuses » étant ouvertes, l'évêque d Orléans crut qu'il
était de son devoir d'y prendre paît.
LE CONCirE DU VATICAN BSq

cialeur si habile et si lieureux, ne put pas jouer le même rôle dans ras-
semblée des évêques. « MgrDupanloup s'est noyé », disait à M. Icard,

le 28 novembre 1869, l'ancien évêque de Luçon, Mgr Baillés, en


rencontrant à Rome le directeur du Séminaire de Saint-Sulpice ^
; et

ce dernier, théologien de l'archevêque de Sens, constatait, dès son


arrivée à Rome, que l'évêquc d'Orléans, par la publication de sa
lettre et par la situation troublée qui en était résultée, avait perdu à
jamais et l'ascendant que son talent et sa piété lui eussent pu donner
sur ses collègues, et le calme même dont il aurait eu personnelle-
ment besoin dans ses discours et ses démarches *.

L'écrit de Mgr Dupanloup exposait les principales raisons qu'on


pouvait faire valoir, selon lui, contre Vopporlunilé d'une définition
de l'infaillibilité pontificale. Or, parmi ces objections, il en était qui
portaient sur le fond même de la question, sur les difficultés que
rencontraient certains esprits à concilier l'infaillibilité du pape avec
certains faits historiques ; et ces objections étaient présentées sous
une forme si qu'on y trouva prétexte à l'accuser
vive, si saisissante,

d'attaquer la doctrine elle-même ^. A tout le moins pouvait on dire


qu'une pareille lettre pastorale révélait le polémiste plus que le

pasteur des âmes.


Le 18 novembre, Louis Veuillot écrivit dans YUnivers : « Cette
lettre donne une tête épiscopale à cette prise d'armes... L'opposi-
tion a désormais son chef. » Là fut le malheur. L'évêque d'Orléans
arriva à Rome avec la renommée d'un chef de parti, d'un chef d'op-
position *. 11 n'était pas permis d'oublier cependant que, dans la

lettre d'adieux qu'il adressait à ses fidèles, le prélat avait écrit que,
« obéissant, et obéissant jusqu'à la mort, il adhérerait fidèlement
aux décisions du chef de l'Eglise et du concile, quelles que fussent
ces décisions, conformes ou contraires à sa pensée particulière ^ »,

1. Icard, Journal de mon voyage et de mon séjour à Rome, p. 10 (Archives du Sé-


minaire de Saint-Sulpice).
a. Ibid , p. I. 2, 3, 8, 9, 10, II, i3, a5 et passim.
3. Des anti-infaillibilistes, comme
lord Acton, avaient U même interprétation.
(Lettre inéditedu 9 février 1870.)
4. Le ai novembre 1869, Mgr Dupanloup communiqua à son clergé un écrit
véhément, intitulé « Avertissement à M. Louis Veuillot ». L'évêque d'Orléans
:

accusait rédacteur en chef de IC/nà'tfrsd' « usurpations sur l'épiscopat », d' « intru-


le
sions perpétuelles dans ses plus graves et plus délicates alîaires » Dans VUnivers du
22 novembre, ^'euillot répondit « Nous dirons le moins possible, ne voulant pas
:

risquer do perdre tous les avantages que nous fait un adversaire troj) irrité. »
5. Lettre pastorale du 10 décembre 1869. La IcUre pastorale aux fidèles, datée
du 10, et la kltre pastorale au clergé, datée du 11, parurent en même temps.
Ho HISTOTRE GliMiRAT-E DE L lîGTJSE

Appels \ A mesure que la tinte fixée pour la réunion de rassemblée appro-


la paciflr-ilinn,
adressés chait, des voix pacificalrices se faisaient entendre. Le 28 octobre 1869,
aux fidèles rarchevéque de Paris, Mgr Darboy, publia une Lettre pastorale,
et an clergé par
Aigr Darboy dans laquelle, après avoir brièvement exposé la nature des conciles
et œcuméniques, il cherchait à calmer les inquiétudes excitées par
Mgr Manning.
certaines rumeurs malveillantes ^ Le i®"" novembre, Mgr Manning,
archevêque de Westminster, conviait à son tour les fidèles de son
diocèse à attendre avec confiance les décisions du futur concile *.

Quelques jours après, le rédacteur en chef du Correspondanl, Léoa


Lavedan, écrivait : « Le respect, le devoir, la confiance nous im-
posent à l'envi le silence et la paix : c'est la Trêve de Dieu ^. »

Les esprits étaient encore trop excités pour conclure une trêve du-
rable. D'ailleurs, comme à Trente, comme à Nicée, de nouveaux
sujets de divergences allaient surgir du sein même des débats cou-
ciliaires. Mais désormais, au milieu des agitations hommes,des
l'Esprit Saint, planant au-dessus de l'assemblée œcuménique par sa
divine assistance, allait réaliser l'œuvre de Dieu.

m
L'ouverture Le 8 décembre 1869, après une journée d'abstinence et dejei^ne,
du concile q^e \q Saint-Père avait prescrite à l'univers catholique, le XIX*^ con- '
t.
(8 déceinîiie . , , , . , .

1869). ci^® générai de l'Eglise catholique s'ouvrit à Rome *. Plus de se^ l

cents évêqnes, abbés et généraux d'ordres ^, prirent place dans la salle

I. Cegconi, t. IV, p, 892 et 8uiv.


3. îbid., p. 206 et suiv.
3./^i(i., p. 678.
Ou le XXe(IvRAUS, Hisl. de
l\. V Eglise, t. IH, p. 882), pour ceux qui considèrent
comme un concile œcuménique assemblée réunie à Pise, en i4o9 pour mettre
1

fin au schisme d'Occident par l'élection d'un pape [Hist. Gén. de l'Eglise, t. V,
p. iSî) Les huit premiers conciles avaient été tenus en Orient ce sont tes conciles ;

de Nicée I en 325, de Constantinople en 38i, d'Ephèse en 43î, de Chalcédoiae en


45i,de Constantinople JI en 553, de Constantinople III eu 680, de Nicée II en 787,1!
de Gonslantino^jle IV en 869. Les onze conciles suivants avaient été tenus en Occi-
dent ce sont les conciles de Latran I en H23, de Latran il en 1189, de Latran lit
:

en 1179, ^^^ Latran IV en I2i5, de Lyon I en i2/|5, de Lyon II en 127/j, de Vienne


en i3ii-i3i2, de Florence en i/|38, de Latran V en i5i2-i5i7, de Trente en
i545-i5G3, du Vatican en 1869.
5 II n'est pas possil)le d'indiquer à une unité près, le nombre des Pères présents
a la première session (^Fessler, secrétaire du concile, das Vatikanische Konziliuni,
ac édil.j Viennr^, 1871, p. i3 et s.). D'après l'opinion commune, à .Nicée on avait
coKiplé 3oo Pères à Constantinople, 18(3
; à Ephèse, plus de 25o ; ; à Chalcédoine,
5ao suivant les uns, 63o suivant les autres ; à Constantinople II, i65 ; à Coni-
LE CONCILE DL VAT1GA.H 5/|I

conciliaiie, disposée dans le bras gauche de la croix laline que


forme la basilique de Saint-Pierre. Dans cette vaste eacciule, large

de 23 mètres sur t\'] mètres de long, toutes les nations étaient repré-
sentées : les jeunes Eglises d'Amérique à côté de celles de la vieille Les l^gllaes
du monde
Europe ; l'Eglise latine avec ses pasteurs revêtus de la chape blauche
entier
et portant, suivant les prescriptions liturgiques, une mitre de >'j. tr-.juvcnl
repréiealées.
simple lin, et l'Eglise orientale, avec ses prélats habillés de somptueuses
tuniques et coillcs de riches tiares. Les évoques missionnaires aux
vêlements simples et pauvres, les évêques réguliers, unissant aux
insignes de leur prélature les livrées de leur profession religieuse,

les abbés et les généraux d'ordres, étaient facilement reconnais-


sablés ^.

Unis dans la même foi et soumis à un même chef, ces représen-

tants de toutes les civilisations et de toutes les races ne différaient pas


moins entre eux par leurs habitudes nationales que par leurs cos- Teodaaces
et par diverses
tumes. Les évêques orientaux, élus par le clergé le peuple,
de ces Egli'^es,
et sacrés par des patriarches, qui eux-mêmes prenaierU le gouver- dans i'iiailé

nement de leurs patriarcats avant d'avoir reçu la confirmalion de de U loi.

leur autorité par le pape, étaient, on le savait à Rome, d'autant plus


jaloux de leur pouvoir, de leur indépendance, de leurs coutumes
nationales, qu'ils comptaient parmi leurs fidèles un bon nombre de
schismatiques récemment convertis dont ils tenaient à ménager les
susceptibihlés. On n'ignorait pas, non plus, au Vatican que les

évêques des Etats-Unis croyaient devoir garder à l'égard de leiirs

peuples des ménagements semblables que, dans cette pensée, ils ;

avaient parlé le moins possible du Syllabus que plusieurs appor- ;

teraient sans doute, dans les délibérations, les habitudes démocra-


tiques de leur pays. L'épiscopat slave et hongrois n'inspirait aucune
crainte relativement à l'orthodoxie ; mais des évêques comme celui
de Diakovar, Mgr Strossiuaycr, chefs de peuples en mémo temps

lanlinople III, 170; à Nicée 11, 367 ; au Lalran I, de 600 à 4oo au Lalran II, ;

1000 au Latrau III, plus de 3oo au Latrau IV, environ i3oo à Lyon I, envi-
; ; ;

ron 3oo à L)on II. près de 1600


; à Florence, de uoo à l^oo ; au Lalran V, ;

lao à Trente, ai3. (îcs calculs sont conjecturaux. Trois conciles ont été plus
;

nombreux que le concile du Vatican le second de Lyon, le second et lu quatrième


:

de Lalran. Mais il faut remarquer que ces trois cùnciles avaient admis à leurs déli-
bérations un grand nombre de personnages qui n'étaient point évêques
I. On vit arriver au temps lixé, les év»^(pies de la Calift)rnie, du Mexique, du
Brésil, du Pérou, du Chili, de la Nouvelle-Cjrenade, des Phili{)pines et de T Vui-
Iralie ; les vicaires aposUiliqucs des Inde» Orientales, de Siam, du loukin, de U
Chiui^ et du Japon ». (Fesslkr, du V'a/ioan, Irad. Gosqlih, 1 vol. in-12,
ie Coticile
Paris, 1877, p. 21).
542 IIISTOIHE GENERALE ÏVE L EGLISE

que pasicais desc^mcs, à la manière des grands évêques du v* siècle,

pouvaient apportera l'assemblée des initiatives gênantes pour le bon


ordre général. Parmi les prélats allemands, n'avait-on pas à craindre
de rencontrer quelques esprits imbus des témérités disciplinaires et
doctrinales de Dœllinger? Quant aux évêques français, ils artivaient
à Rome, nettement divisés en trois partis, dont les polémiques,
amplifiées par la presse, étaient encore retentissantes.
La question En de pareilles conjonctures on comprend que le souverain pon-
du règlement
du concile.
tife, ayant à décider l'importante question du règlement du concile,
se soit demandé s'il était prudent de le laisser élaborer, suivant les
usages constants des* précédentes assemblées conciliaires, par le

concile lui-même. On pouvait légitimement redouter que cette éla-


boration ne devînt l'occasion de malentendus pénibles et, par là

même, de discussions interminables. D'autre part, imposer à ras-


semblée, contrairement aux traditions constantes de l'Eglise, un
règlement tout fait, pouvait susciter de vifs mécontentements. Après
Pie IX 1 e fait avoir mûrement pesé le pour et le contre, Pie IX se décida pour ce
rédiger sous
sa direction
dernier parti * . Le règlement du concile, préparé par la Commission
et l'impose préparatoire sous la direction de Pie IX, fut porté à la connaissance
au concile.
des Pères dans la séance présynodale du 2 décembre, par l'acte connu
sous le nom de Lettre Multipliées ^.

L'émoi fut grand. Le pape, en vue de simplifier et d'accélérer les

délibérations du concile, avait accentué le caractère centralisateur du


A nal Yse règlement. D'après sa Lettre apostolique, en effet : i°le droit de pro-
de ce
poser une question au concile appartiendrait exclusivement au Saint-
rc^'lcmfcut.
Siège ; les Pères étaient autorisés cependant à faire des motions,
mais à la condition de les faire privatim, en leur propre nom, et

après une communication préalable à une congrégation nommée par


le pape ;
2° les projets, élaborés depuis deux ans par des commissions
de théologiens, seraient d'abord proposés aux congrégations géné-
rales qui précéderaient les sessions ; ces congrégations générales au-

raient pour présidents les cardinaux de Luca, Bilio, de Reisach,


Bizzarri et Gapalti, directement désignés par le pape ;
3" le pape.

1. Pour que s'arrogeait le pape d'imposer un règlement au


justifier le droit
concile il nullement nécessaire de le fonder, avec Hinsghius [das Kirchenrecht
n'est
der KaloUken.. lll, 61 a), sur cette idée fausse que le concile n'est qu'un conseil
,

du pape Ce droit, très compatible avec le pouvoir législatif et judiciaire de l'as-


semblée œcuménique, est impliqué dans la plénitude de puissance dévolue au
souverain pontife.
2. Coll. lac, t. Vil, p. 17 ets.
LE CO?fCILE DU VATICAN 543

informé par les congrégations, aurait le droit exclusif de décider si

les propositions émanant des évoques devaient être soumises aux


délibérations ou définitivement rejetées.
Ceux des évêques que l'article de la Civillà avait troublés, virent Emoi
d'un certain
dans ce règlement la confirmation de leurs anxiétés. N'y avait-il pas nombre
d'évêques.
dans ces mesures l'indice d'une méfiance à l'égard de l'épiscopat,
d'un désir de faire prévaloir un programme fixé d'avance en obs-
truant d'une manière systématique, en étouffant, pour ainsi dire,

les délibérations du concile ? Le langage des journaux qui se fai-

saient les plus ardents défenseurs du Saint-Siège semblait justifier


ces craintes. « Quand le pape proclamera la définition de l'infailK-
bilité... >i, écrivait Louis Veuillot dans V Univers du li décembre *.

Les déclarations formelles de Pie ÏX vinrent calmer ces appréhensions.


Expllcalioni
Dans une audience accordée le 4 décembre à quinze évéques, il leur
données
donna l'assurance que sa seule intention avait été « de mettre de par Pie I X.,

l'ordre dès le commencement», et qu' « il voulait qu'ils fussent lous


libres ^ ». De fait, on allait bientôt constater que toute liberté était
laissée aux orateurs d'exposer leurs opinions. Le pape se refusa éner-
giquement à une modification immédiate du règlement ; mais, vers
la fin du mois de décembre, il fit savoir aux évêques, d'une manière
T)nicieuse, que, malgré la lettre des prescriptions pontificales, il leur
serait permis de travailler par groupes à la rédaction de leurs propo-
sitions ^. Vers la fin de janvier, il déclara qu'une interprétation large
du règlement serait appliquée suivant les circonstances *, et, le

20 février 1870, y apporta, de sa propre initiative, en s'inspirant


il

des nécessités révélées par l'expérience, d'importants changements ^.


Le nouvel acte pontifical proclamait hautement le principe de la
Nouveau
règlement
« pleine liberté de discussion », inlegram eam disciissionum lihertatem (ao janvier
quse Ecclesiœ caiholicœ episcopos decet, permettant seulement au pré- 1870).

sident de mettre aux voix, sur la proposition de dix Pères, la clôture


de la discussion lorsque celle-ci se prolongerait outre mesure. Le
droit d'amendement sur les projets ou schémas proposés par le Saint-
Siège, était ofiiciellement reconnu et réglementé. Le droit de réponse
aux orateurs, le mode de votation dans les scrutins étaient aussi

1. Vbuillot, Rome pendant le concile, t. I, p. 7.


3. IcAHD, Journal, p. a5, 36.
3. Ibid., p. G7.
4. Ibid , p, i5i.
5. Cbcconi, t. I, p. 434 et 8.
5/M HISTOIRE GENEHALE DE L EGLISE

l'objet de dispositions spéciales. Le nouveau règlement ne fut pas à


l'abri de toute réclamation. Plusieurs évoques demandèrent qu'il
fui spécifié que les décisions du concile seraient prises, suivant un
usage qui leur paraissait traditionnel, à l'unanimité morale et non,
comme semblait le dire l'acte de Pie IX, à la majorité numérique.
Mais les Présidents ayant donné l'assurance que les nouvelles |)res-
criplions seraient appliquées dans l'esprit le plus bienveillauL à
l'égard des Pères du concile ^, l'agitation se calma peu à peu.
Deux autres documents pontiiicaux, après avoir soulevé d'aboFd
dés émotions semblables, furent finalement reconuMS dictés par la

sagesse et par un vrai sentiment des opportunités. Nous voulons


parler de la bulle ApostoUcx Sedis, du 12 octobre 1869, renouve-
lant à fond la législation des censures, et de la Constitution aposto-
lique du 4 décembre, réglant l'élection du souverain pontife ipoxw le
cas où le Saint-Siège deviendrait vacant pendant la durée du concile
œcuménique.
Rulle L'idée de codifier et de simplifier le droit pénal de l'Eglise était
Àpostolica:
Sedis d'une opportunité manifeste. Les textes édictant les différentes cen-
(i 1 orlohrt sures : excommunications, suspenses et interdits, censures réservées

ou non réservées, censures lalœ ou ferendœ senlenliœ, se trouvaient


dispersés un peu partout, dans les Décrétales, dans les canons des
conciles, dans les bulles pontificales, dans les décrets des con-
grégations romaines, où l'on avait grand' peine à les retrouver. Mais

Reproches il parut étrange à quelques évêques qu'une afl'aire de cette nature,


faits à cette
intéressant l'épiscopat aussi bien que le Saint-Siège, fût traitée et
bulle
par certains résolue sous les yeux du concile et sans sa participation. D'autres
évoques
se rendirent compte qu'un pareil travail convenait mieux à une com-
cl par certains
clip lu ma tes. mission peu nombreuse, comme celle à qui le Sainl-Père avait
confié la préparation de la bulle, qu'à une immense assemblée, sol-

licitée par des questions d'une plus grande importance. On faisait

à la bulle un autre reproche. Parmi les innovations qu'elle apportait


au droit pénal, elle considérait comme excommuniés tous les ma-
gistrats, tous les législateurs qui obligeraient les clercs à comparattie
devant les tribunaux séculiers ^. En présence d'un texte aussi précis,
les législateurs et les magistrats catholiques de tous les Etats se
trouvaient mis en demeure de renoncer à leur office ou de regarder

1. C^tCCONI, t. 1, p. 227.

2. \oir Dicl. de Théol. Je VA.CA.i'tT, à l'article ApostoUcx Sedis»


LE CONCILE DU VATICAN 5/15

la bulle comme non avenue. L'ambassadeur de France eut, à ce


gMJet, deux entretiens avec le cardinal Antonelli. Dans le premier de
Explications
du Saint-Siège, pris au dépourvu,
ces entretiens, le secrétaire d'Etat
T T
déclara ne pas connaître sullisamment le document pontiiicai pour
1 \
données
^^^ j^ carilirial
Antoaelh à
se prononcer. Au cours d'une seconde visite que lui fit le représen-
, , r^ 1 1- 1 w 1 1 T • •
1 i 1 1 Ambassadeur
tant de la France, Je cardinal déclara que la disposition dont il j^ France,

s'agissait ne concernait pas les Etats concordataires ^ Cette réponse M- de Banne-


Vllifi

calma les susceptibilités des gouvernements comme celles de


l'épiscopat.
Toutes ces questions, agitées en divers sens, avaient misa jour les
tendances différentes qui divisaient les Pères du concile. Ces tendances
s'accusèrent par divers groupements extraconciliaires. En dehors des Les divers
groupement»
réunions déterminées par la nationalité, telles que les réunions des de» Père»
évêques d'Espagne, des Etats-Unis et du Canada 2, on distingua ^^ Concile,

bientôt quatre centres principaux. Cette dissociation fut surtout la

conséquence de l'attitude prise par les prélats au sujet de la ques-


tion de l'infaillibilité pontificale. Les partisans d'une définition im- Les « mfaiMi-

médiate de l'infaillibilité, les infaillibilistes, qui aimèrent aussi à se


donner le nom d'altramontainSy se groupèrent autour de Mgr De-
champs, archevêque de Malines. Mgr Manning, archevêque de West-
minster, le cardinal CuUen, archevêque de Dublin, Mgr Pie, de Poi-
Mgr Plantier, de Nîmes, Mgr Roess, de Strasbourg, Mgr Martin,
tiers,

de Paderborn, Mgr Senestrey, de Ratisbonne, Mgr Spalding,


de Baltimore, et Mgr Mermillod, vicaire apostolique de Genève,
furent les principaux représentants de cette réunion. Les évêques
opposés à la définition immédiate de l'infaillibilité formèrent d'abord
plusieurs groupes. On les voit désignés dans les documents contem-
porains par le nom d' anlidéjinitionnistes ou à'anti-infaillibilistes.
Leurs adversaires les appelèrent souvent les libéraux, les gallicans,

ou encore les opposants ^. Veuillot créa, à propos de ceux qui, sans


nier l'infaillibilité, contestaient l'opportunité de ôa définition, le

mot d' opportuniste f qui depuis a passé dans la làn^ae politique *.

I. TcAno, Journal, p. 67; Emile Ollivier, l'Eglise et l'Etat au Concile du Vatican^


t 1, p. b'6i.

3.IciRD, p. 34.
3,Les prélats ainsi appelés protestèrent toujours contre cette dénomination. Ils
qualifièrent à leur tour leurs adversaires d'« opposants à répiscopat », et se don-
nèrent le nom de u modérés ». Mais ces qualifications ne prévalurent pas. Finale-
ment ils acceptèrent celle de « membres de la Minorité ».
4. C'est dans ï Univ§rs du la janvier 18G9 que Louis Veuillot emplova pour 1»

liisl g«n, de l"Eglise. — VlU to


5'i6 HISTOIRE GÉ?IÉRA.LE DE l'ÉGLÏSE

Les Français qui suivaient cette ligne se réunirent chez le cardinal


« opposants
français. Mathieu, archevêque de Besançon. Mgr Dupanloup, évêqne d'Or-
léans, et Mgr Darboy, archevêque de Paris, furent les membres les
plus influents de ce groupe. Presque tous acceptaient le dogme de
l'autorité infailHble du pape, mais ne croyaient pas opportun de le
Les définir, au moins immédiatement. Les « opposants » allemands, qui
c opposants >
allemands. allaient généralement plus loin que les Français et dont quelques uns
mettaient en doute la doctrine même de l'infaillibilité pontificale,
reconnaissaient pour président le cardinal Schvvarzenberg, arche-
vêque de Prague. Les plus marquants parmi eux étaient MgrHéfélé,
évêque de Rottenbourg, Mgr Haynald, archevêque de Colocza,
Mgr Rauscher, archevêque de Vienne, Mgr Slrossmayer, évêque de
Le tiers parti. Diakovar K Un quatrième groupe fut qualifié de groupe du tiers
moins vivement opposé à la définition que les amis
parti, parce que,

de Mgr iDupanloup et du cardinal Schvvarzenberg, il la poursuivait


avec moins d'ardeur que les amis de Mgr Dechamps. Il était présidé
par le cardinal de Bonnechose, archevêque de Rouen, et comptait
parmi ses membres Mgr Guibert, archevêque de Tours, Mgr La\i-
gerie, archevêque d'Alger, Mgr Bernadou, archevêque de Sens,
Mgr Forcade, évêque de Nevers 2.

La polénaique Il était indispensable de signaler, avant d'aborder le récit des


en dehors
du concile.
débats conciliaires, l'existence et les tendances de ces quatre groupes,
car ils représentaient exactement les quatre mouvements d'idées
dont le monde catholique était alors le théâtre. Tandis, en effet, que,
hors du concile, les uns défendaient le dogme de l'infaillibilité

première fois ce mot d'opportuniste ou plutôt de non-opportuniste^ en ajoutant :


« Je vous demande pardon du mot ». (L. Veuillot, Rome pendant le concile, t. 1,
p. io4.)
1, Mgr Strossmayer, évêque titulaire de Bosnie, de Sirmium et de Diako\ar,
avait sa résidence ordinaire à Diakovar ou Diakovo. D'où le titre d'évêque de
Diakovar qu'on lui donnait communément.
2 D'autres réunions furent ébauchées, qui n'eurent pas la m*me im[)orlance
.

que celles que nous venons d'énumérer. Vers la fin de janvier 1870, Mgr Spal-
ding, archevêque de Baltimore, essaya, dans un dessein d'union, d organiser un
tiers parti, dont le programme serait la définition équivalente de l'infaillibilité,
sans employer ce mot même. (Icard, Journal, p. i52-i53 ) D'autre part, Mgr Du-
panloup et Mgr Darboy tentèrent d'organiser une « commission internationale »
ayant pour but de régulariser l'action des divers groupes opposants. Mais le car-
dinal Mathieu et le cardinal de Bonnechose ayant refusé d'entrer dans celte voie,
ce projet n'eut pas le succès qu'on s'était promis. (Icard, Journal, p 76, Ollivier,
op. cit., t. II. p, 7.) Ces deux derniers cardinaux auraient patronné un autre
projet : un seul groupe les évêques français. Le cardinal Anto-
celui de réunir en
nclii, au nom du
pape, s'y opposa et, en présence de cette opposition, le projet
;

n'eut pas de suite. (1c4.rd, Journal, p. 89, 5o, ôS-ôg.)


LE co:hcile du vaticà!1 547

pontificale et la dcfinltion immédiate avec une ardeur telle, qu'ils

semblaient parfois oublier le droit divin des évêques et vouloir étouffer

leurs délibérations ; tandis que d'autres soutenaient l'inopportunité


d'une définition avec de tels arguments, qu'ils donnaient parfois à
douter de leur croyance à la doctrine elle-même; des chrétiens, moins
nombreux peut-être, ou plutôt qui paraissaient l'être moins parce
qu'ils étaient moins bruyants et moins agités, avaient confiance que,

par l'assistance de l' Esprit-Saint, les Pères réunis au Vatican sau-

raient trouver, pour définir le magistère suprême du chef de l'Eglise,


la formule sereine qui proclamerait l'autorité absolue du pape sans
paraître absorber en elle celle des évêques, la parole lumineuse et
calme qui éclairerait, sans les aigrir, nos frères séparés. A ce résultat,

par la grâce de Dieu, tous collaborèrent, les uns en faisant ressortir


avec force le caractère absolu du dogme, les autres en rappelant à
propos la maternelle sollicitude de l'Eglise, toujours attentive à dis-
penser son enseignement sous la forme la mieux adaptée aux besoins
des âmes.

IV

^es principaux
Parmi les prélats éminentsque nous venons d*6numérer, plusieurs
DOiis sont connus déjà : Mgr Dupanloup, par le rôle décisif qu'il dégroupe,
avait rempli dans la campagne pour la liberté de l'enseignement et

par plusieurs des œuvres de son apostolat ; Mgr Manning, par l'éclat

de sa conversion et par la haute situation qu'il avait aussitôt occupée


dans l'Eglise catholique d'Angleterre ; Mgr Guibert, par la grande
sagesse dont il avait fait preuve au milieu de controverses délicates.
Sur un théâtre plus élevé, tous trois allaient déployer, le premier
dans le groupe des « opposants », le second dans celui des « infail-

libilistes », le troisième dans le « tiers parti », leurs éminentes qua-


lités. Mais, à côté d'eux, et dans chacun de ces trois groupes,
Mgr Dechamps de Malines, Mgr Pie de Poitiers, Mgr Héfélé do
Rottenbourg, Mgr Strossmayer de Diakovar, Mgr Darboy de Paris,
Mgr de Bonnechose de Rouen et Mgr Mathieu de Besançon, devaient
exercer une telle action sur la marche des délibérations conciliaires,
que l'histoire a le devoir de retracer, ne fût-ce que par quelques traits

fugitifs, leurs physionomies caractéristiques.


Frère du ministre belge Adolphe Dechamps, qui avait pris une
548 HISTOIRE GÉNéRALE DE l'ÉGLISB

part active aux congrès deMalines, un moment disciple de La Men-


MgT IV nais, puis prêtre, religieux rédemptorisle, évêque de Namur en i865,
archevêque archevêque de Malinesen 1867, Mgr Auguste- Victor Dechamps était
de MalioM. depuis longtemps connu par l'ardeur de son patriotisme, par la vivacité

conquérante de son zèle apostolique, par la puissante originalité de


ses doctrines apologétiques *. Unissant, ainsi qu'il disait, le « fait
interne » et le « fait externe », il soutenait: i" que l'étude attentive
de u l'homme tel qu'il est », fournit une preuve absolue de la néces-
sité de la révélation chrétienne ;
2** que la tradition vivante de l'Eglise
catholique constitue par elle-même une preuve absolue de la vérité
de cette même révélation 2. La première de ces propositions l'avait
fait taxer de ijaïanisme ; la seconde l'avait fait soupçonner de fidcisme.
Mais le du Vatican devait le venger de cette double accu-
concile
sation en déclarant i** que « du fait que Dieu a appelé l'homme à
une fin surnaturelle », il résulte que « la révélation lui est absolu-
ment nécessaire » ^, et 2® que « l'Eglise est, par elle-même, un
témoignage irréfragable de sa divine mission ». * Dès que la ques-
tion de l'infaillibilité du pape fut posée, Mgr Dechamps en prit la

défense. y voyait la réponse pérempfeoire à l'erreur gallicane, qu'il


11

avait combattue dès sa première jeunesse dans les journaux libéraux


et ultramontains de Belgique ^. Mgr Dupanloup lui répondit, en
s'excusant de contredire « son saint ami », et une vive polémique
s'ensuivit entre les deux prélats 6.

Parmi les membres du groupe qu'il présidait, Mgr Dechamps


Mgr Pie, n'avait pas d'auxiliaire plus actif dans sa campagne pour la défini-
eveque
^j^j^ ^j^ l'infaillibilité, que Mgr Pie, évêque de Poitiers. D'une nais-

sance très humble, né d'un cordonnier de village et d'une humble


fille du peuple, mais d'une dignité de manières qui se révélait dans

la gravité de sa physionomie et dans son port majestueux, Mgr Pie


professait, en politique, le culte de la monarchie des Bourbons, et,

dans les controverses religieuses, les idées les plus favorables au papo
par rapport aux évêques, à l'Eglise par rapport à la société civile, à la

1. P. Sajhtraiii, Vie du cardinal Dechamps ^ archevêque de MaHnes, un vol in-S»,


Tournai, i884.
2. Voir Decha-mps, Lettres théologiques sur la démonstrat'on de la foi, ç. -96 et 3.
3. DENzinGBR-BA.MNWAaT, n. 178b.
4. Ibid., n. 1794.
5. L'Emancipation et le Journal des Flandres^ où il signait A.-V. D. < discipU
de Lamennais ». Auguste-Victor Dechamps avait alors moins de vingt ani.
6. GiuHDjsRATH, op. cit., l, 35i-355; II, 84, 379-393.
LE COUCILE DU VATICAN S/jQ

révélation par rapport à la raison. Il avait combattu avec une égale


énergie la politique de Napoléon III, les idées de Mgr Dnpanloup et

les doctrines de Victor Cousin *.

Au concile, l'archevêque de Malines et l'évéque de Poitiers ren-


contraient enMgr Héfélé, évéque de Rotlenbourg, en Mgr Stross-

mayer, évêquc de Sirmiunn, et en Mgr Darboy, archevêque de Paris,


de redoutables adversaires. Héfélé représentait surtout la science.

<r Mffr Héfélé. écrivait Emile Ollivier, est un esprit vigoureux, qui ^^g^ Héfélé,
T\' • CTéque de
1: ippesur les faits comme un forgeron sur son enclume.
1
D un savoir Ronibour».
prodigieux, à la fois naïf et fin, il a, sous son extérieur plein de ron-
deur et plutôt rude, un liant fort propre à la conciliation *. m Bien
avant la réunion du concile, le pape avait eu recours à st science
inépuisable, particulièrement informée sur les questions conci-
liaires ^.

Mgr Strossmayer, évêque de Diakovar, vicaire apostolique de Mgr Strow-


Serbie, représentait l'éloquence, une éloquence sans apprêt, mais évéqui
d'une puissance singulière. Il ne se donna jamais comme un théologien de DiakoT«.

ni comme un philosophe, mais comme un tacticien de l'apostolat

catholique, ci Si j'ai combattu résolument le projet de définition du


dogme de l'infaillibilité, disait-il plus tard, ce n'est pas que j'eusse,
comme Dœllinger ou Héfélé, la moindre objection théologique
contre ce dogme ; ce n'est pas que j'eusse peur, comme Dupanloup,
de provoquer inutilement et d'irriter ce qu'on appelle l'esprit moderne.
Non ;
je ne me plaçais qu'à un point de vue, qui a dirigé ma vie, le

développement de la nation slave, qui est à sa période de forma-


tion, et que j'avais peur de voir gênée par une centralisation exces-
sive. * » Ce développement de la race slave avait, dans son esprit,
une portée religieuse considérable. Il devait, selon lui, préparer la

paix religieuse, l'union des Eglises. Sa bourgade de Diakovar lui

apparaissait comme le trait d'union de l'Occident et de l'Orienr,


comme le rendez-vous de trois religions : la romaine, rorthodo:.e
russe et l'islamique. Strossmayer était en relations suivies avec le

philosophe russe Soloviev et avec le barnabite romain Tondini. Ce


grand seigneur, qui avait fondé un musée avec ses propres tableaux

Voir B.\u«A.RD, Hisl. du card. Pie, a vol. in-8o, Paris,


I.
a Oi LiviER, op. cit.^ ï. I, p /ia5
F].

3 GRA^uERVTH, I. SS, ga, 468 48i «t s., 490 et s , 494. 49C) ets., 5oa eî s.
Le chef (l'œuvre d'IIélelé est son Histoire des concilet^ traduite en français par
l'abbé Pe arc, puis par Dom Leclercq.
4. Correspondant du 2.5 avril iqo.t, p. a68 et s.
55o HISTOIRE GENERALE DE L EGLISE

et bâti uac catiiédrale avec le produit de la vente d'une partie de ses


forêts, était aussi en correspondance avec le ministre Gladstone et le
prince Michel de Serbie, qui traitaient avec lui comme avec une
puissance. Au concile, presque toujours en opposition avec la ma-
jorité de l'assemblée, il se fera toujours écouter par elle, tant sou
éloquence sera naturelle, prenante, toujours adaptée. Après avoir
condensé ses idées en quelques notes, il improvisera ses discours
dans un latin des plus purs K « Audacieux, souple, ému, spirituel,
dit Emile OJlivier, Mgr Strossmayer est toujours éblouissant ^. »
Mgr Darboy, Mgr Darboy représentait, dans Topposition, la diplomatie. « La
archevêque
de Paris. pénétration et la sérénité, la fierté douce, avec un air d'insinuation
qui captivait, voilà, — écrit un homme d'Etat bien placé pour con-
naître l'archevêque de Paris, — ce qu'on lisait sur le visage de
Mgr Darboy. Pieux, régulier, très dévoué à ses devoirs épiscopaux,
il tenait toutefois plus de Richelieu que de saint Vincent de Paul.
Son âme puissante animait un corps frêle, qu'elle faisait pJoyer ;

mais il apportait dans son commerce quelque chose d'aisé, d'entrant,


d'enchanteur à quoi on ne résistait pas... L'empereur, à qui il inspi-
rait une confiance entière, suivait volontiers ses indications sur les
matières ecclésiastiques ^. t
Le cardinal de Bonnechose, archevêque de Rouen, et le cardinal

Mathieu, archevêque de Besançon, étaient des esprits de moindre en-


vergure que ceux dont nous venons de parler. Mais, moins en vue
par leurs talents, ils exercèrent, sur les deux groupes dont ils eurent
la direction, et, par là même, sur le concile tout entier, une in-

Le cardinal Le cardinal de Bonnechose avait porté la toge


fluence très efficace.
de
du magistrat avant de revêtir les livrées du sacerdoce prêtre, il ;
Bonnechose.
archevêque avait exercé pendant cinq ans, à Rome, les fonctions de supérieur de
de Houcn.
Saint-Louis des Français. Il avait gardé, de sa première profession,
le culte de la justice, le sens des alTaires, le goût des exposés mé-
Le cardinal thodiques et clairs. L'archevêque de Besançon, ( pesant de corps et
Mathieu,
délié d'esprit », possédait, dans les discussions, un avantage trop
ar( hevêque
de Besançon. rare parmi ses compatriotes : il maniait la langue latine avec une
dextérité et une élégance qui ne lui laissaient rien à envier à Mgr Stross-

1, « y avait une raison, disait-il avec esprit en 1906, pour que je ne m'enten-
Il
disse pas, au concile, avec la majorité des évêques ils parlaient an si mauvais :

laiin » (Correspondant du 30 avril iQoS, p 270.)


1

2. E. Ollivier, t. II. p. 12.


S.Id., t. I, p. 4i6 4i8. Voir card. Foulon, Vie de Mgr Darboy, i vol. in-8%
Paris. 1880
1

LE CONCILE DU VATICAN 55

mayer. Les deux cardinaux français avaieut donné au Saint- Sioge des
preuves éclatantes de leur dévouement :1e cardinal deBonnechose, en
défendant courageusenaent au Sénat le pouvoir temporel du pape le ;

cardinal Mathieu, en encourant, en i865, une déclaration d'abus


pour avoir publié en chaire l'encyclique Quanta cura. l'un ni l'autre M
cependant n'éveillaient les suspicions du gouvernement français, qui
connaissait Icirs habitudes de discrétion et de prudence. Us s'étaient,
l'un et l'autre, donné pour tâche de contrebalancer ce qu'il y aurait

de trop vif dans les manifestations des partis extrêmes et de soutenir


dans l'assemblée la cause de la modération *.

Par ce seul fait, que le classement des partis s'était effectué sur la Leprograuim*

question de du pape, on pouvait prévoir quel serait


l'infaillibilité

l'objet principal des délibérations conciliaires mais le programme ;

soumis à l'assemblée était très vaste. L'Index schenialarn qui fut dis-
tribué aux Pères du concile ^ comprenait une double série de questions
dogmatiques et de questions disciplinaires. Les questions dogma-
tiques avaient trait, soit aux erreurs modernes dérivant du matéria-
lisme, du rationalisme et du panthéisme, soit aux attaques dirigées
contre l'Eglise, son organisation et ses droits. Les questions disci-
plinaires se rapportaient soit aux personnes ecclésiastiques : évêques,
chanoines, curés, religieux, etc. ; soit aux institutions et aux œuvres
ecclésiastiques : séminaires, cérémonies liturgiques, administration
des sacrements, catéchisme, prédication, missions, rites orien-
taux, etc. L'article 7 du règlement prescrivait aux Pères de commen-
cer par des questions dogmatiques ; ils pourraient, dans la suite,

délibérer, à leur gré, sur le dogme ou sur la discipline. Les Pères Ordre
^^ ravtux
choisirent, pour servir d'objet à leurs premières discussions, le projet
ou schéma sur la Doctrine catholique contre les erreurs multiples dé- par le concile^

rivées du rationalisme ^. Ils devaient ensuite discuter sur plusieurs


questions disciplinaires concernant les évéques, les synodes, les vi-
caires généraux, les vacances de sièges épiscopaux, la vie des clercs,
la rédaction d'un catéchisme universel, et enfin aborder le schéma
dogmatique de la constitution de l'Eglise par la question de l'infailli-

I. \'oir Mgr Bessom, Vie ducard. de Bonnechose, a vol. in-ia, Paris,


1887. Vie
ducard. Mathieu, a vol. in la, Paris, 188a.
a. Index schematum qaat a theulogis et ecclesiastici juris consultis praeparata
fuerunt [Colleclio lacensis^ VII. col. 5o5 5o6.)
3. Schéma constitulionis dogmaticx de doctrina cathulica contra multiplices errores
ex rationalisnio derivalos. ^CoUeclio laceiiais, i. Vil. col. 607 553.)
.

552 HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGUSE

bihlé pontificale. Cette dernière question venait à peine d'être tranchée


par une définition solennelle, quand les débuts de la guerre franco-
allemande et l'invasion du territoire pontifical par les troupes ita-
liennes vinrent troubler, puis interrompre les travaux du con-
cile.
Première Les débats conciliaires comprirent donc trois périodes la dis- :
phase
du concile :
cussion de la première Constitution dogmatique, une série de dis-
la discussion cussions sur diverses questions disciplinaires, et la discussion sur la
du schéma
de docfrina deuxième Constitution dogmatique ^

catholica. Les débats qui s'engagèrent sur le premier schéma dogmatique,


de doctrina catholica, donnèrent d'abord l'impression d'une confusion
extrême. Du 28 décembre 1869 au 10 janvier 1870, au cours de six
Cette phase congrégations générales, trente-cinq Pères appartenant aux natio-
s'(^tcnd
du a8 décem- nalités les plus diverses prirent la parole, et vingt-qwatre d'entre
bre 1869 eux demandèrent, avec plus ou moins de vivacité, le renvoi du pro-
tu 10 janvier
1870. jet à une commission pour qu'il y fût remanié. On lui reprochait de
ressembler à un traité de professeur plutôt qu'à un exposé doctrinal
de concile. On blâmait l'obscurité de sa rédaction, la raideur et la

dureté de ses expressions. Mgr Connolly, archevêque d'Halifax, cri-


tiqua tout le schéma, fond et forme, et demanda qu'il fût, « non pas
corrigé, mais enterré ». Dimittatur, dit-il, non ad corrigendam, sed
ad sepellendum. Mgr Strossmayer se déclara profondément étonne que
le texte proposé, au lieu de porter en tête, comme les décrets du con-
cile de Trente, les mots : Sacrosancta Synodus decernit, « le saint
concile décrète », portât les mots : Plus, episcopus, servus servorum
Dei, sacro approbante concilio : « Pie, évêque, serviteur des serviteurs
de Dieu, avec l'approbation du saint concile ». Pour la véhémence
de sa protestation sur ce point, il se vit interrompre- par le président
du concile. En dehors de l'assemblée, quelques théologiens expli-
quaient leur opposition au schéma en disant qu'ils y voyaient une

I. Ces trois périodes, nettement distinctes dans leur ensemble, ne sont pas stric-
tement séparées dans l'ordre chronologique. Les débats sur les constitutions disci-
plinaires ont commencé alors que les délibérations sur la première constitution
dogmatique n'étaient pas achevées et les délibérations sur la deuxième constitu-
;

tion dogmatique se sont ouvertes avant la fin des débats sur les constitutions dis-
ciplinaires. Pour la commodité de l'exposition, nous traiterons séparément de»
trois phases.
Le coup de sonnette fut donné parle président de Luca, et l'observation fut
a.
par le président Capalti. « De Luca, dit Granderath, était un homme réservé,
faite
un peu timide. Capalti prit la parole à sa place ». Hist, du concile du Vatican^
t. Il, p. 124, n. a.
LE CONCILE DU VATICAN 553

œuvre des jésnitcs ayant pour but de faire adopter par le concile les
idées de la Civil/à catlolica ^ D'autres, parmi lesquels se trouvaient

même des jésuites, résumaient leurs impressions en déclarant l'œuvre


« trop germanique » *. Le principal rédacteur du schéma était, en
effet, un jésuilc allemand, le P Franzelin.
Jean Baptiste Franzelin, né en 1816, à Âllino, dans le Tyrol, était Le
P. Franzelin.
professeur de théologie dogmatique au Collège romain depuis i85i.
Ses élevés admiraient l'étendue de sa science, et ses ouvrages le

mettent au tout premier rang des théologiens du xix® siècle, mais


la clarté de son enseignement n'égalait pas toujours la profondeur
de son érudition et de sa p'^^nélration philosophique ^. En vain
essaya t-il de défendre sa rédaction devant la dépn talion du con-
cile *. Celle-ci fut unanime pour demander la du schéma,
refonte
qui, cette fois-ci, fut confiée à trois Pères du concile Mgr De- :

champs, deMalines, Mgr Pie, de Poitiers, et Mgr Martin, de Pader-


bora.
Le nouveau projet, revenu devant l'assemblée, le i4 mars 1870,
Le concile
sous le titre de schéma de fide calholica, y reçut un accueil très deraanùe
U refonte
favorable. Les rédacteurs avaient tenu compte de vœux exprimés par complc'.rî
leurs collègues. Le style était simple et limpide, l'exposition brève et du schéma.

méthodique ^. Les débats commencèrent sous la présidence du car-


Le nouveau
dinal de AngeHs, qui venait d'être promu à cette fonction par le pape, schéma
est présenlé
en remplacement du cardinal de Reisach, récemment décédé. De sous le titre
nombreux amendements furent proposés sur des points de détail, et de Constilulio
de fide
remis à la commission, qui les examina avec soin, puis les proposa caLholica,
au vote de l'assemblée. Les Pères pouvaient formuler leurs voles de

I « Mgr
Vecchiotti pense que ce sont les jésuites qui ont arrangé ce schéma
pour dans le concile les idées qu ils soutiennentdans la Civiltàcatlolia. 9
faire passer
(IcAUD, Journa/, p. 03.) iMgr Vecchiotti, conseiller d'Etat à Rome, était l'auteur
d'un traité fort connu de droit canonique, les Instituliones canonicae, publiées à
Turin en 1869 Ce traité avait étévivement attaqué par un jésuite, le P. Bouix.
Mgr Vecchiotti avait aussi été chargé de plusieurs missions diplomatiques par te
Saint Siège.
a. «Le P. Matignon n'est pas plus satisfait du schéma que nous, écrit M. Icard.
Il convient que ce sont des Pères de la Compagnie qui ont travaillé à sa rédac-
tion..., mais il ajoute que c'est leur œuvre personnelle, œuvre « trop germa-
nique ». [Ibid.^ p. 77.)
3. Sur Franzelin, voir Hurtbr, Nomenclalor litterariuSf t. V. p. i5o7-i5io; Dict.
de théol. de Vacawt, t. VI, col. 760 767 Louis Teste, Préface au conclave, un
;

vol. in-i2, Paris, 1877, p. 273-279. —


D'après le P. Mali-tioD, le P. Frair/'-lin
aurait été aidé, dans son travail, par un autre Père allcmaud, le P. Schneider.
(IcARD, Journal, p. 77.)
4. Coll. lac, VU, i6/i7 et s.

5. Gra.!<dbra.th, t. II, 2^ partie, p. ^i.


654 HISTOIRE GENERALE DE LÉGLISE

trois manières : par un simple place t, par un simple non placet ou p; r


Système un placet juxla modam, c'est-à-dire conditionnel. Dans ce dernier
de votation
des Pères cas, ils remettaient par écrit leurs observations ou amendements. Le
du concile. vote sur l'ensemble du schéma de fide eut lieu le 12 avril. Cinq
cent quatre-vingt-dix-huit Pères étaient présents. Cinq cent quinze
donnèrent un simple placel; quatre-vingt-trois, placet juxta moduin ;

il n'y eut aucun non placet. La commission recueillit les observations


annexées aux placet juxta modum, et en tint compte pour le remanie-
ment du texte, lequel revmt à l'assemblée le 28 avril. Cette fois ci,

les Pères devaient voter en choisissant L'une des deux formules, pla-
cet ou non placet. Toute explication était interdite. Le 24, le projet de
La fide, depuis connu sous le nom de Constitution de fide catholica ou de
Constitution
De Fide ou Constitution Dei Filins, fut voté, en séance publique, à l'unanimité
Constitution des voix. Tous les Pères, depuis le cardinal le plus élevé en dignité
Dei Fitiui est
votée jusqu'au dernier des supérieurs d'ordre, vinrent, à l'appel de leur
à l'unanimité, nom, émettre n'y eut pas un seul non placel. «
leur vote. Il Ce fut,
le
a 4 avril 1870. dit l'un d'entre eux, comme un défilédu monde entier venant rendre
témoignage de la foi de l'univers catholique ^ »
Importance « L'importance de la Constitution Dei Filius, a écrit le cardinal
de cette
Constitution. Manning, ne peut être exagérée. C'est l'affirmation la plus large et la
plus hardie de l'ordre surnaturel et spirituel qui ait jamais été jus-
qu'à présent jetée à la face du monde, de ce monde qui est maintenant
plus que jamais plongé dans les sens et alourdi par le mat'ria-
lisme ^ ». Elle vise à la fois, ainsi que le déclare son préambule, « le
Analyse grand nombre de ceux qui se sont jetés dans les abîmes du panthéisme,
de celte
Constitution. du matérialisme et de l'athéisme », et les croyants dont « le sens
catholique s'est amoindri ». A l'incrédulité contemporaine, confon-
dant Dieu avec le monde quand elle ne le nie pas tout à fait, refu-
sant en tout cas de croire à toute intervention divine dans l'humanité
et en particulier à la révélation, niant enfin la possibilité de la foi

ou tout au moins la subordonnant à la raison, le concile oppose, en


quatre chapitres diflérents, un résumé solide et lumineux de la doc-
trine catholique : i°sur Dieu, 2" sur la révélation, 3" sur la foi, 4® sur

les rapports de la foi avec la raison. Dans le premier de ces cha-

Ket'ieler, dans le Katholik de 1870, t. I, p. oag.


1. Strossmajrer seul n'as- —
sista pas à la session publique du 24- tl se plaignait de ce qu'on n'avait pas tenu
compte de ses réserves. Son placet juxta modum du 12 avril portait ces mot» :
« Suivis conciliorum oecumeiiicorum juribus ».
2. Manmsg, Hist. du conc. oecam. du Vatican, trad. Chantrel, un vol. in-S©
Paris, 187 1, p. 60.
LE CONCILE DU VATICAN 555

pitres, il proclame 1 existence d'un Dieu personnel, libre, créateur

de toutes choses et absolument indépendant des choses matérielles et

spirituelles qu'il a créées. Le second chapitre affirme l'existence

de deux ordres de vérités : l'ordre de la nature, accessible aux


facultés de connaissance que possède l'homme, et l'ordre du surna-
turel, qui ne peut être connu que par une révélation divine. Le troi-

sième chapitre traite de la foi ; il enseigne à voir, dans l'acte de foi,

un un acte de Hberté, un acte de l'homme et un


acte de raison et
acte de Dieu et il montre comment l'Eglise, gardienne du dépôt de la
;

foi, porte en elle-même la garantie de son infaillible véracité. Le


quatrième chapitre, enfin, ayant en vue d'une part la tendance fidéiste,

et de l'autre la tendance rationaliste, délimite les deux domaines de


la raison et de la foi, et rappelle qu'un désaccord apparent entre la
science et la religion ne peut venir que d'une erreur sur la doctiine
de celle-ci ou d'une idée fausse sur les conclusions de celle-là ^
Ainsi s'acheva la première phase du concile du Vatican. Com-
mencée au milieu de divisions et de difficultés qui semblaient irréduc-
tibles, elle s'était terminée par un vote unanime. Les appréhensions
de ceux qui avaient paru craindre, au début, un étouffement systé-
matique de la discussion, s'étaient bientôt dissipées. Deux cents pré-
lats environ y avaient parlé avec une liberté telle, que plus d'un
membre de l'assemblée, même parmi les plus jaloux de leur indé-
pendance, se plaignait de la tolérance excessive des présidents. Les
premières discussions, conduites sur un thème souvent mal rédigé,
avaient semblé d'abord n'accumuler que des nuages, mais, peu à
peu, de ces nuages s'étaient dégagées les formules sereines et lumi-
neuses d'une des plus belles Constitutions conciliaires. Au milieu des
discussions des hommes, qui donc aurait pu méconnaître l'action
souveraine de l'Esprit de Dieu ?

Avant la clôture de cette première discussion, une seconde phase Deuxième


s'était ouverte. Pendant que
^ la commission préparait
conciliaire r r une ,
P*^*^?
du concile :

seconde rédaction du schéma dogmatique, les Pères, usant de la la discus>ion


de plasieiirs
constitutions

I.
ir
Voir
. 1 -1 r.
savant commentaire de cette Constitution dans Vacatit, Eludes ihéolo-
le
• • 1 tr
disciplinaires.

giques sur les Consiitulions du Concile du Vatican^ 3 vol. in 8®, Paris, i8y5.
556 HISTOIRE CÉNKRALE DE l'^:GLIS1

faculté que leur donnait le règlement, avaient choisi comme objet


de leurs délibérations deux projets de constitution disciplinaire : le
schéma sur les évêques, les synodes et les vicaires généraux, et le
schéma sur la vacance des sièges épiscopaux.
Les discussions avaient connmencé le i4 janvier. Plus encore que
dans débats soulevés sur les questions dogmatiques, de très vives
les

âivergences avaient éclaté parmi les Pères. C'était à prévoir. Les


vérités à croire sont les mêmes dans l'univers entier; mais les rè^^les
disciplinaires, devant s'adapter aux besoins particuliers des divers
pays, sont nécessairement diflférentes.
Les Schemala Les premières observations qui furent présentées contre le schéma
de Episcopis
et de Sede de episcopis ne furent pas cependant inspirées par des préoccupations
episcopali
d'intérêt local ou national, mais par cette impression, si obsédante
vacante.
chez quelques Pères, que la curie romaine avait un parti pris de mé-
Observations
fiance à l'égard de l'épiscopat. Le cardinal Schwarzenberg et
générales
du cardinal Mgr Strossmayer exprimèrent le vœu qu'avant de s'occuper de
Schwarzen-
réformer les évêques, ledu Vatican, suivant les traditions de
concile
berg
et de Mgr plusieurs conciles, en particulier du cinquième concile de Latran, fît
Stro ssmayer.
un décret sur le collège des cardinaux, sur la curie et sur les con-
grégations romaines. On devait d'autant plus, disaient-ils, s'en occu-
per dans l'assemblée actuelle, que les congrégations créées par Sixte-
Quint avaient reçu leur forme après le dernier concile. Des vœux,
on le savait, avaient été déposés à ce sujet. En ce qui concerne les
évêques, pourquoi ne parler que de leurs devoirs ? N'y avait-il rien

à dire de leurs droits et de leur dignité, de leur élection et


de leur promotion ? Mgr Strossmayer avait été, suivant son
habitude, particulièrement vif dans la discussion. A Mgr de
Dreux-Brezé, lui faisant remarquer que le collège des cardinaux avait
un père, le pape, et que ce père saurait bien Im imposer une réforme
le jour où cette réforme serait nécessaire, l'évêque de Diakovar avait
répondu : « Si nous avons tous un père, qui est le pape, nous avons
tous une mère, qui est l'Eglise ». Au surplus, l'Eglise universelle,
authentiquement représentée par ses évêques, n'avait-elle pas le droit
de demander que le collège des cardinaux fût, lui aussi, comme i-l.

le demandait le concile de Trente, une représentation de toutes les

Réponse nations chrétiennes * ? Le cardinal di Pietro répondit, avec anima-


d 1 cardinal
di Pietro.
I .Voici les paroles du concile de Trente « Qaos (cardinales), SS. Romamns
:

Pontifex ex omnibus Christianitatis nalionibiis, quantum commode fieri poterit^ assumât


[Sess. XXIV, de Reform., cap. i.)
LE CONCILE nu VATICAN 557

aux deux préopinants. C'était, selon lai, faire une injure gra-
tion,
aux cardinaux actuels, si dignes, si austères dans leur vie,
tuite
princes
si assidus à leurs travaux, que de les comparer aux fastueux
l'Eglise du xvi" siècle. Avoir l'air de rééditer la parole de
Bar-
de
thélémy des Martyrs, demander « pour les illustrissimes cardinaux

une illustrissime réforme » un anachronisme de tous points


^\ était

injustifié. Il ne s'opposait pas d'ailleurs à ce qu'on écartât


du schéma Ou écarle
du texte
quelques mots dont la note éuit un peu dure pour les évoques. La primitif
suppression de ces mots fut le principal résultat de la discussion qui
expresslouâ
venait de s'engager. un peu dures
Les nombreuses observations suggérées à divers Pères par des né- pour
les évêques.
cessités locales, par des mœurs particulières, eurent d'abord l'incon-

vénient de déranger des conceptions toutes faites, des idées sim- Fruit
(le CCi
plistes, de donner même comme une impression d'inconsistance ou
diâcu6&ions«
d'illogisme dans la discipline ecclésiastique; mais elles eurent l'inap-
préciable avantage de faire connaître à Rome ces nécessités locales,

ces mœurs particuhères, et, par là, d'empêcher, comme le remarque


un du concile, « qu'on n'essayât désormais d'établir des lois
historien
générales quand la diversité des coutumes ne les comportait pas^ ».
Parmi les discours qui furent prononcés à ce sujet, il faut mention-
ner celui de Mgr Audu, patriarche de Babylone, du rite chaldéen. Le DiMours
d« Mgr Audu,
vénérable prélat, manifestement effrayé à la pensée qu'on allait
patriarche
appliquer à l'Orient et à l'Occident une discipline uniforme, supplia de Babylone.

le concile de n'en rien faire. Il s'attacha à montrer qu'entre l'Eglise


occidentale et l'Eglise orientale il existait des différences plus pro-
fondes que les Pères ne pouvaient l'imaginer. « Je vous en supplie,
s'écria-t-il, n'essayez un malade, à peine sorti
pas de traiter

de convalescence, comme un guerrier vigoureux. Nous sommes ma-


lades de l'insuffisante formation de notre clergé, de l'inexpérience
de beaucoup de nouveaux convertis sortant à peine de la secte nes-
torienne, du petit nombre et de la dispersion de nos églises, de
l'oppression des mahométans, du contact avec les schismatiques. De
plus, nos populations ont un attachement, peut-être excessif, mais
qui demande à être ménagé, pour leurs vieilles coutumes, pour leurs
anciennes traditions. Je ne m'oppose pas à la réforme de nos Eglises,
je la demande ; mais j'estime que le moyen le plus sûr de l'opérer

1. Voir Histoire générale de i* Eglise, U V, p, 5oa,


2. GRAnDEKATM, t. II, p. aOQ.
558 HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLISE

est de procéder par des synodes nationaux. Je prie le pape et le con-


cile de nous ûxer une daté et un lieu de réunion. Nous ferons choix
des canons disciplinaires qui peuvent convenir à nos Eglises, nous
les combinerons avec nos anciennes nous soumettrons en- lois, et

suite à l'examen des Pères notre droit canonique ainsi élaboré. » Il


était difficile de contester la sagesse de pareilles observations. Mais
Pie IX, Pie IX, pour affirmer son droit direct sur les Eglises orientales,
pour afllnuer
son droit, manda le patriarche chaldéen, ordonna de consacrer sans
et lui
nomme retard deux prêtres que lui, pape, venait de désigner pour deux
Hirectement
deux évêques cvéchés vacants de Ghaldée. Le patriarche oriental se soumit ; mais
orientaux.
cet incident détermina, entre la cour romaine et les évêques orien-
taux, une tension qui persista jusqu'à la fin du concile *.

Après l'examen des deux projets disciplinaires sur les évêques et


la vacance des sièges épiscopaux, le concile abo«da la discussion
Cons'itutions de deux autres projets sur la vie des ciercs et sur la rédaction d'un
De vita
clericorum catéchisme u-niversel. Les nouveaux débats se déroulèrent avec des
et De parvo incidents analogues à ceux qui avaient marqué k première délibé-
calecliismo.
ration. On y entendit Mgr Martin, de Paderborn, toujours ardent
à défendre les traditions romaines et toujours en garde contre le
gallicanisme ;Mgr Dupanloup, d'Orléans, parfois trop prompt à
la riposte ; Mgr de Langalerie, de Belley, à la parole pleine d'onc-
tion ; Mgr Guibert, de Tours, toujours maître de son discours,
simple, ferme et modéré ; Mgr Vérot, de Savannah, trop souvent
obKgé de revenir sur une expression qui avait dépassé ou trahi sa
pensée; le cardinal Mathieu, de Besançon, et Mgr Strossmayer, de
Diakovar, ces deux rivaux dans l'art de manier la langue latine, le

premier avec sa modération calculée, le second avec son audace


voulue. Ils parlèrent de la vie commune des prêtres, du célibat
ecclésiastique, du bréviaire romain, des avantages et des inconvé-
nients d'un catéchisme uniforme pour toute la chrétienté.
Chose étrange ! Sur des sujets qui auraient semblé ne donner
lieu qu'à un échange d'observations calmes et pacifiques, le débat
s'animait ; les esprits s'échauffaient. En discutant sur le régime des
séminaires ou sur le costume des clercs, les orateurs et l'assemblée

1. Mgr Audu acceptera toutes les décisions du concile du Vatican. Dans la suite,
de nouvelles difficultés surgiront entre le Saint-Siège et lui; mais il n'ira jamais
jusqu'au schisme ; il résistera même avec énergie à des tentatives de schisme qui
se produiront dans son Eglise, et, après sa mort, Léon XIII louera son zèle et sa
piété (S. S Leonis XIII, Acta, t. I, p. 199.)
s
LE CONCILE DU VATICA.X 559

semblaient avoir constamment en vue des questions plus générales


et plus passionnantes. Les uns paraissaient sans cesse
redouter un

attentat contre les droits du pape ; les autres, un empiétement


contre les prérogatives de l'épiscopat. D'autres, vo)ant les éçueils

de ces deux préoccupalionsexcessives, demandaient à Dieu la grâce


de ne jamais séparer dans leur cœur l'amour de l'Eglise de l'amour
Au question de du Au fond,
de son chef suprême ^ fond, la l'infaillibilité
doctrine
la
pape, qui n'avait pas encore paru à Tordre du jour, dominait de plus de
lïnfailllbilitc
en plus, dans le concile et au dehors, toutes les autres questions.
ponllficalc
Elle était discutée dans la presse, où elle devenait l'objet de brochures domine
débats.
retentissantes 2. Une longue polémique, engagée, au début de 1870,
les

entre le P. Gratry, de l'Oratoire, ei Mgr Dechanr^ps, au sujet de la


prétendue hérésie du pape Honorius, passionnait l'opinion. Un Celte doctrine
est discutée,
article paru le 24 février dans le Moniteur universel sous ce titre :
en dehors
La situation des choses à Rome, envenima la querelle. Dans du concile,
dans
\ Allgemeine Zeitung et dans la Gazette d'Augsbourg, Dœllinger atta-
des journaur
quait violemment la doctrine même de l'infaiUibilité^, Héfélé et Ket- et di^ns des
brochures.
teler, dans des brochures et dans des arèicles de revue, renouve-
laient les critiques de Mgr Maret contre l'infaillibilité « personnelle
et séparée )). Gustave Janicot, dans la Gazette de France, insérait et
commentait les lettres du P. Gratry contre a l'infaillibilité absor-
bante * ». Pendant ce temps là, V Univers organisait des pétitions

pour demander la proclamation immédiate de l'infaillibilité, et Louis

I. C'est la prière que fait souvent M. Icard et qu'il mentionne à plusieurs re-
prises dans son Journal.
a. Ces querelles avaient souvent pour point de départ, dans la presse anti-
catholique, la méconnaissance absolue du dogme discuté. Et cette méconnaissance
a malheureusement persisté, même après la définition du dogme On croit rêver en
lisant de France populaire d'Henri Ma.rti:< (t. VU, p. i3y)
dAnsV Histoire « L'in- :

faillibilité du pape pour conséquence logique, avec la suppression de tous les


a
anciens droits de réi)iscopat et la souveraineté directe du pape sur tous les diocèses,
le renouvellement des maximes les plus exorbitantes de la théocratie... Ceci im-
plique la revendication du pouvoir indirect sur le temporel et la condamnation du
libéralisme et de la civilisation moderne ».
3. « Qui affirme aujourd'hui l'infaillibilité ? C'est un pape... ailleurs, derrière D
le pape, il j^ a les jésuite^. Ce sont les jésuites qui, depuis plusieurs années, pré-
parent la définition du prétendu dogme. )) [Gazette d'Augsbourg du aijamier
1879-'
4. La presse royaliste quotidienne était alors représentée à Paris par trois prin-
cipaux journaux. L'Union, dirigée par Pierre-Sébastien Laurenlie, défendait éner-
giquement la doctrine de rinfaillibillté du pape la Gazette de France, sous la ;

direction de Gustave Janicot, donnait sa publicité aux objections du P. Gratry et


de Montalcmbert le Français, plus modéré, avec François Beslay et Paul Thureau-
;

DaTiirin, suivait les idées de Mgr Dupanloup et n'attaquait que l'opportunité de la


définition.
56o HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLISE

Veuillot englobait les a anlidéfiailionnisles » et les « antiopportn-


nistes », comme il disait, dans la même raillerie méprisante. « Un
jour, écrivail-il, je sentis chez moi une odeur de suie qui m'm-
quiéta... J'appelai le fumiste... Le feu était aux poutres et se mit à

flamber. Nous reconnûmes Voppo/iunité de l'éteindre. J'ai conté là


l'histoire du dix-neuvième concile œcuménique. Assurément, je ne

dirai pas que M. Janicot et les autres chevaliers de l'inopportunité


Les railleries soient des poutres Mais M. Gratry, de l'Académie
! et de l'Oratoire,
méprisanles
<i« Yeuillot. M. Dœilinger, de la Faculté et de la bourgeoisie de Munich,
Mgr Maret, de l'épiscopat et de la Sorbonne, et d'autres que je
m'abstiens de nommer, sont au moins des poutrelles, et l'on avouera
qu'elles flambent. Voilà l'opportunité '
». Ces lignes paraissaient
dans VUnivers du i4 février 1870. Quelques jours après, 28 fé- le

vrier, Montalembert ripostait à Louis Veuillot sur un ton non moins


Les vivacités vif. Il s'élevait contre « ces théologiens laïcs de l'absolutisme, qui
He langage
de ont commencé par faire litière de toutes nos libertés devant Napo-
Montalembert. léon m, pour venir ensuite immoler la justice et la vérité, la raison

et l'histoire, en holocauste à l'idole qu'ils se sont érigée au Vati-


can 2 ». « Jamais, disait-il, grâce au ciel, je n*ai pensé, dit ou
écrit rien de favorable à l'infaillibilité personnelle et séparée du pape,
telle qu'on veut nous l'imposer ^. » Le ton, de plus en pins acerbe,
de ces discussions de presse accroissait chaque jour l'ardeur des
deux partis. A Rome, malgré la sage défense de Pie IX, qui avait
interdit toute impression dans la ville d'écrits sur le concile, l'agita-

tation gagnait le peuple romain. Toutes les fois que Pie IX parais-
Les ovations sait en public, une foule l'accueillait par les cris de : m Vive le Pape
au « pape infaillible I » A la porte d'entrée du concile, des curieux se tenaient,
infaillible ».
parmi lesquels on remarquait la sœur et les filles d'un journaliste
français, épiant le passage des prélats, et donnant à chacun sa note*.

On se répétait les boutades de l'évêque de Tulle. « Les sages selon


le monde, disait Mgr Berteaud, auraient peut-être trouvé aussi qu'il
Les boutades n'était pas opportun que le Fils de Dieu naquît dans une étable. Cela
de devait choquer beaucoup les idées du siècle. » Sur un ton plus tra-
Mgr Berteaud.

I. L. Veuillot, Rome pendant le concile, t. 1, p. ai3-ai4-


3. Collectio lacensis, VII, i386.
3. Ibid i385. Il parait que la lettre de Montalembert impressionna le pap«
.

au plus baut degré. Pie IX se la fit lire jusqu'à trois fois de suite, l'écoutant les
yeux fermés puis il la relut lui-même.
;

4 Sur les indications de la tante, les petites- nièces adressaient un sourire aux
tt bons » et faisaient une grimace aux « méchants ».
LE CO?(CILE DU VATlCA.Îf 56l

; ! r|ne, Mgr Wicart, évêque de Laval, écrivait à ses aiocesaius :


Les
indignalioni
« Devant Dieu, prêt à paraître à son jugement, je déclare que j'aime- véhémonte»
rais mieux tomber mort sur-le-champ que de suivre l'éveque d'Or- de
Mgr Wicart.
léans dans les voies où il marche aujourd'hui ^ »
Le pape recommandait le calme mais iLenvoyait ses félicitations ;

aux écrivains qui défendaient l'infaillibilité, aux fidèles qui faisaient


[)arvenir des adresses pour la définition *. Ces interventions furent

considérées par quelques-uns comme une pression officielle qui pou-


vait altérer la liberté de l'assemblée. Le 20 février, le ministre fran-
(.ais des affaires étrangères, M. Daru, adressa des observations sur ce
jioint au cardinal Antonelli. Le 6 avril, un document d'une portée
[)I us considérable, un Mémorandum [ui envoyé par le même ministre à Le
Mémorandum
toutes les ^puissances, les conviant à faire respecter par le concile de M. Daru
({ les droits et les libertés de la société civile ^ ». Cet acte diploma- (6 avril 1870.)

lique détermina dans l'Europe entière une agitation extrême, mais ne


fit qu'exciter le zèle des partisans de l'infaillibilité. Après tout, avait-
on tant à craindre des puissances du monde ? On saurait bien se pas-

ser de leur appui. Au lendemain d'une manifestation populaire en


l'honneur du pape, Louis Yeuillot écrivait de Rome : « Le pape et
LE PEUPLE ! Je crois, moi, que ces mots sont visiblement écrits sur Louis Veuillot
salue
il du concile du Vatican, et que cette porte est l'entrée d'un
porte l'inauguration
uionde nouveau, ou plutôt qu'elle est un arc de triomphe sur la prochaine
d'« un monde
ijute retrouvée du genre humain ^. » nouveau ».
Décidément, puisque la question de l'infaillibilité soulevait tant de

1. Cité par Ollivier, op. cit. y II, 65.


2. GRAîiDERATH, t. II, irc partie, p. 3^4
3. Ollivier, op. cit., II, ICI. Il estcerkainque des lettres écrites par Mgr Darbojr
aux chefs du gouvernement français les avaient renseignés sur l'agitation exté-
rieure du concile. Mais d'autres indiscrétions, autrement importantes, commises
[jar des employés inférieurs, ouvriers imprimeurs, brocheurs, etc.. avaient mis le«
unibassadeurs au courant des documents le» plus secrets. Le 9 février 1870,
}.l Icard écrit « Mgr Vecchiotli me dit que le secret du concile est si mal gardé,
:

i\u(i souvent il a vu des ministres des divers Etats (et il me cita entre autres Odo

lïussel), qui lui ont raconté à lui, dans tous les détails, ce qui se passait et se di-
sait dans les congrégations ». (Icàrd, Journal, p. 188.) Sir Odo Russel, plus tard
l.jrd Amplhill, chargé d'affaires à Rome pour l'Angleterre, était d'ailleurs, quoi-
<;ue anglican, favorable à la cause de la majorité. Il était très lié d'amitié avec
Ml,'!' Manning. On «ut, dan» la suite, que Pie IX avait délié l'archevêque de
^vostminstcr de son serment de secret relativement à sir Russel, afin que celui-ci
put rectifier, auprès du corps diplomatique, les informations tendancieuses
\cnucs d'autre part. Plusieurs autres prélats de la majorité furent, paraît il, égale-
iu(jut relevés de leur serment pour des motifs analogues. \ oir, à ce sujet, Uemmer,
Vie du cardinal Manning, un vol. in-S», Paris, 181)8, p. ai3-ai5 ; Grauderath,
Cl), cit., t. II, ae partie, p. 367 et s.

4. L. Veuillot, Rome et le Concile, t. I, p. i4.


Ilist gén. de lEglise. - VIII V
56a HISTOIRE GENEKALE DE L ÉGLISE

passions en dehors du concile, n'éLait-il pas urgent de la résoudre


sans retard ? Le tiers parti, qui avait paru incliner d'abord vers les
partisans de l'inopportunité, se tournait maintenant vers les défen-
seurs de Topportunité. On disait, en parlant des premiers : Quod
inopportunum dixerunt, necessarium fecerunt : w ils ont rendu néces-
saire la définition qu'ils ont déclarée inopportune* ». Les postulats
émis par les Pères pour demander l'urgence d'une discussion sur l'in-

faillibilité se couvrirent de quatre cent quatre-vingts signatures-, tan-


dis que le postulatum sollicitant un délai ne réunissait guère que cent
trente-sept adhésions. Dès lors, Tissue de la délibération apparut à
tous comme certaine, car le nombre des Pères opposés en principe
à la doctrine de l'infaillibilité était minime ^. La question porterait
uniquement sur les termes d'une définition qui ne faisait désormais
plus de doute.

VI

Troisième La rédaction de la formule dogmatique définissant rinfaillibilité


phase
pontificale a passé par plusieurs phases qu'il nous paraît important
du concile :

la discussion d'étudier.
sur
Dès mois de janvier 1870, Mgr Spalding, archevêque de Balti-
le
rinfaillibilité
pontificale. more, rédigea et fit signer par cinq évêques américains une molion
demandant, non point la définition directe de l'infaillibilité, qui effa-

Première roucherait les gouvernements, dont la mauvaise foi des ennemis de


motion, qu'un
l'Eglise chercherait à faire un épouvantail aux peuples, et cer-
présentée en
janvier 1870, tain nombre d'évêques, pour des raisons diverses, s'abstiendraient de
par
voter, mais une définition indirecte. Cette définition indirecte se for-
Mgr Spalding,
archevêque mulerait simplement par la proclamation de certaines propositions
de Baltimore. immé-
déjà universellement admises dans l'Eglise et d'où découlerait
diatement et clairement l'infaillibilité du pape. On condamnerait, par

1. Cette parole est généralement attrihuée à Mgr Gousseau, évéque


d'Angou-
lême. Mais il paraîtrait que le prélat n'aurait fait que traduire en une élégante
formule latine une parole de Veuillot. Voir, sur ce point, un article d'Eugène
Veuillot ûdius V Univers et le Monde du 1 3 décembre 1897, etG. Barbier, M^r Sauvé,
a vol. in 8% Laval et Paris, 1898, t. H, p 181-182.
2. C'est le chiffre donné par les calculs de Gra.mderath, t. II, i^* pariie,

p. 179.
3. « On assure le cardinal Manning {The true
n eu comptait pas plus de cinq »,
story of Valican coincU^ p. 99). Voir, sur ce point, Gra^dërath, op. cit., t. II,
l'e partie, p. 333-34i.
LE CONCILE DU VATICAW 563

exemple : i* la prétention d'en appeler du pape à un concile ;

2° celle de se contenter d'une obéissance externe à l'autorité du pape ;

3° l'opinion soutenant que le pape, en condamnant une proposition,


peut se tromper sur sa vraie signification. Le grand avantage d'un
tel procédé serait, disaient les signataires, qu'il réunirait, non pas
seulement la majorité des Pères, mais une unanimité morale écra-
sante, fermant la bouche à tous les fauteurs de révolte K
Les avantages du procédé suggéré par la note des cinq évêques
américains étaient réels ; mais il parut à un certain nombre de Pères
que les formules proposées laisseraient encore quelque marge aux équi-
voques*. Le i5 février, Mgr Manning, qui, depuis quelque temps, au Projel
présenté,
dire d'un témoin, « travaillait nuit et jour à procurer l'heureuse issue
le i5 février,
de cette grave affaire ^ », proposa de porter anathème contre quiconque par
Mgr Manning
soutiendrait que « les décrets portés en matière de foi et de mœurs par
le pontife romain, agissant comme Pasteur et Docteur suprême de
l'Eglise universelle, sont réformables * ». Le 6 mars, la commission Nouveau
projet,
chargée de la rédaction du schéma De Ecclesia y ajouta un chapitre
présenté le
intitulé : Romanum pontijicem in rébus Jidei et morum dejîniendis 6 mars par U
Commission
errare non posse ^. Ce projet ne devait pas avoir plus de suite que les
De Fide.
précédents, mais pour des raisons étrangères à sa rédaction. Le
schéma De Ecclesia auquel il avait été adjoint, et qui avait été distri-
bué aux Pères le 2i janvier, fut, par un abus de confiance, commu-
niqué aux journaux et souleva une opposition violente des gouver-
nements. De fait, ce projet touchait aux questions les plus brûlantes. Vives
protestations
En ses quinze chapitres il traitait des droits de l'Eglise dans ses rap-
des
ports avec la société civile, des droits de la société civile dans ses chanceller'et
d'Europe
rapports avec l'Eglise, du pouvoir temporel du Saint-Siège, de la
contre
formule : Hors de l'Eglise point de salut, etc. « Ses vingt et un l'ensemble
canons fulminaient, en formules brèves, l'anathème contre ceux qui du projet
Dt Ecclesia.
contesteraient les doctrines contenues dans le schéma ^ ». « Dès que
la vérité de ces textes fut hors de conteste, dit Emile Ollivier, une
clameur de désapprobation s'éleva dans la presse de l'Europe ea-

l. Coll. lac, VII, 988-940 ; Grandbrath, t. II, !'• partie, p. 180-183.


a. « Il me semble, écrit M. Icard, que le schéma présenté à l'examen de» Ptrea
du concile renferme tout cela, et le dit mieux. » Icard, Journal, i53.
3. GHA?iDERATH, ibid,,p. 178.
4. Ibid., p. i83 ; Coll. lac, p. 962.
h. Gra.ndbka.th. t. III, i""* partie, p. 7.
6. Ibid., p. 8ao. Voirie texte du schéma dans Coll. lac, col. 667 et ••
56A HISTOIRl GÉNÉRALE DE l'kGLISE

tière*. » Plusieurs gouvernements se préparèrent k résister positive-


meat au concile, et en avisèrent le cardinal Antonelli, secrétaire
d'Etat du Saint-Siège «. Décidément la question de l'infaillibilité du
pape était moins irritante, au moins pour les gouvernements, que
la plupart de celles que proposait le fameux schéma. Cette c'onsi^
dération, jointe à des arguments plus directs 3,
ne fut pas sans in-
fluence sur la décision qui fut prise,
d'introduire 1« schéma De
romano pontifice avant le schéma De Ecclesla,

VII

Le projet Cette décision fut des plus heureuses. Si elle n'eût pas été prise
de
Constitution en temps opportun, les Pères, bientôt obligés de se disperser par
De romano suite d'événements que nous aurons à raconter, se fussent trouvés
potUiJice.
dans cette alternative : ou de laisser irrésolue une question qui agi-
tait profondément l'assemblée, l'opinion publique et les Etats ; ou
dé la résoudre précipitamment, dans des conditions qui n'eussent
pas suffisamment garanti l'autorité morale, peut-être même la
valeur dogmatique de leiir définition.
Liberté La discussion et le vote du schéma De romano pontifice se firent,
de la
discussion. âu contraire, dans les conditions de la liberté la plus large. « On y
entendit, écrit un des membres de l'assemblée, quatre-vingts évêques ;

et, parmi ceux-ci, près de la moitié appartenait à ce que les journaux


appelaient l'opposition, tandis que la proportion des membres de
l'opposition dans le concile n'était pas de plus d'un sixième. On n'en
entendit pas moins de trois sur six *. » L'expérience des discussions
précédentes avait, d'ailleurs, permis d'améliorer le règlement, ou, du
moins, d'en élargir l'interprétation, u Ainsi, le sujet à traiter était

imprimé et remis à chaque évéque, et une période de huit ou dix

I. Olliyier, op. cit., t. II, p. loo.


a. L'émoi de ce dernier fut tel que, redoutant de graves complications diploma-
tiques, empêcha Mgr de Dreux Brezé, évéque de Moulins, de présenter à la dé-
il

putation du concile un projet qu'il jugeait capable d'irriter les gouvernements. On


lit dans le Journal de M. Icard, à la date du ai mars 1870 « Le cardinal Anto- ;

nelli, qui jusqu'à présent s'était peu mêlé des affaires du concile, a arrêté, comme
fort imprudent, le projet que patronnait l'évêque de Moulins. 11 a insisté sur la né-
cessité de ne procéder qu'avec une grande circonspection ».
3 Voir ces divers arguments dans Makiiimg, Hist. du concile du Vatican^ trad.
Chantrel, un vol. in-S», Paris, 1871, p. 6a-65,
4. Manhihc, Hist. du conc. du Vaticariy p. 38.
LE CONCILE DU VATTCA.Tf 565

jours était accordée pour les observalious qu'on pouvait désirer de


faire par écrit. Ces observations étaient soigneusement examinées
par une commission de vingt-quatre Pères. Si on les trouvait justes,

elles étaient admises, soit pour modifier soit pour réformer le schéma
primitif. Le texte ainsi amendé était soumis à la discussion géné-
rale, dans laquelle chaque évêque du concile avait le droit de parler
librement, et les débats duraient aussi longtemps qu'il plaisait à un
évêque de s'inscrire pour parler. La seule limite à cette discussion
consistait dans le pouvoir qu'avaient les présidents, sur la demande
de dix évêques, de consulter le concile sur la clôture de la discus-
•ion ^ »
Les débats s'ouvrirent le i3 mai par un rapport de Mgr Pie *. Ce Remarquable
rapport
rapport, tantôt lu, tantôt improvisé, exposait les raisons qui avaient de Mgr Pie.
fait placer en tête de la Constitution de l'Eglise la doctrine de la

primauté du pape. Il expliquait ensuite comment cette primauté


comportait essentiellement deux prérogatives : un pouvoir suprême
dans le gouvernement, une autorité infaillible dans l'enseignement.
Pour prévenir des malentendus sur la question la plus brûlante
qui se rencontrait dans le schéma, l'orateur déclara avec netteté
que, dans l'intention de la commission qui présentait le présent
texte, I** le privilège de l'infaillibilité ne s'appliquait nullement
au pape en tant que personne privée, et 2" le pape et l'Eglise ne
pouvaient pas être séparés l'un de l'autre, « Loin de nous, s'écria-
t-il, cette gratuite, fantastique et injurieuse image d'une tête séparée

de son corps ^ I »
Les débats généraux sur le schéma se prolongèrent pendant près D^aU
semaines. La doctrine générdiix
de trois y fut de l'infaillibilité pontificale
sur le
attaquée principalement par Mgr Héfélé, qui s'appuya surtout, pour schéma.
la contester, sur la condamnation du pape Honorius par le

VI* concile œcuménique, et par Mgr Strossmayer. qui invoqua tout


particulièrement la désobéissance de saint Cyprien au pape saint
Etienne dans la controverse baptismale. Il fut répondu au premier Discours
que le pape Honorius n'avait pas été condamné pour avoir enseigné de Mgr Héfélé,
de Mgr
l'hérésie, mais pour n'avoir pas résisté à l'hérésie comme le devoir Strossmayer
et de
de sa charge le lui commandait . Au secmd, il fut rappelé que le
Mgr Daiboj,

I. Manhing, Hist. du cône, du Vatican, p, 36-37»


a. Coll, lac. . 790 et».
3. Ibid., col. 3oo.
4. Voir Hist. gén. de l'Eglise, t. III, p. 112.
566 HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLISE

[ia[)e saint Etienne n'avait publié aucun décret dogmatique contre


saint Cyprien, et que celui-ci n'avait jamais résisté à un décret ayant

à ses yeux le caractère d'une définition de foi ^ L'inopportunité


de la définition fut soutenue, entre autres, par Mgr Clifford,
évéque de Clifton, par Mgr Rivet, évêque de Dijon, par le
cardinal Schwarzenberg, archevêque de Prague, par Mgr Greith,
évoque de Saint-Gall, et par Mgr Darboy, archevêque de
Paris *. Certains arguments de ce dernier, présentés contre l'oppor-
tunité, parurent attaquer la doctrine elle-même. Les uns et
les autres prétendirent que la définition de l'infaillibilité pourrait
écarter définitivement de l'Eglise populations protestantes et
les

schismatiques, et même amener l'apostasie de certains catholiques.


Une telle crainte fut trouvée exagérée par la plupart des Pères, dont
Mgr Dechamps et Mgr Manaing furent les plus éloquents inter-
prètes. Le scandale d'ailleurs, si scandale il y avait, était déjà fait,
et ce n'était pas le simple retard apporté à la définition du dogme
qui pouvait le faire cesser.

Cette discussion générale, où quelques vivacités de parole, iné-


vitables en un tel débat, furent relevées, eut le très appréciable
résultat de faire disparaître certains malentendus regrettables. Les
Résultat (( infaillibilistes » ayant souvent employé, en défendant leur thèse,
de la
discussion : les expressions d' « infaillibilité personnelle » et d' « infaillibilité
le sens séparée », leurs adversaires, « anti-infaillibilistes » ou « anti-oppor-
de l'expression
infaillibilité
tunistes », leur reprochaient de soutenir ainsi une doctrine ou
personnelle fausse ou tout au moins équivoque, et de vouloir, par là même, pro-
est précisé.
clamer un ((dogme nouveau », sinon quant au fond, au moins dans
ses termes. En effet, disaient-ils, la doctrine traditionnelle, lorsqu'elle
La parie de l'infaillibilitédu pape, la rattache à la Jonction plutôt qu'à la
Commission
décinre que,
personne, et l'entend du pape uni à l'Eglise dont il est la tête, et non
dans sa pensée, séparé d'elle. Mgr Dechamps, au nom de la commission, vint déclarer
rinfailîibilité
du pape que, si l'infaillibilité du pape peut être dite personnelle, en ce sens
est attachée qu'elle lui appartient exclusivement et d'une manière incommuni-
à sa fonction.
cable, il est vrai de dire qu'elle est attachée à sa fonction, puisqu'elle

Voir Histoire gén. de V Eglise, t. I, p. 36o.


I.
Mgr Clifibrd et Mgr Rivet, évéque de Dijon, demandaient qu'il fût sursis à la
a.
définition par égard pour l'opinion catholique, qui n'était pas préparée à ce dogme
et que l'Eglise avait pour règle de ne pas heurter imitilement. Mgr Schwarzenbgcr,
et Mgr Greith exprimaient la crainte de voir les gouvernements s'insurger contre
Rome et former peut être des Eglises nationales. (Gra.mderath, t. III, i^* parti»
p. aôi-aTi.)
LE CONCILE DU VATICAN 567

ne lui appartient qu* « en tant que pasteur et docteur de l'Eglise ».

D'autre part, si elle peut être dite séparée parce qu'elle n'a pas

besoin de l'assentiment de l'Eglise pour s'exercer, elle n'est point


séparée en ce sens qu'on suppose réalisable l'hypothèse d'un pape et
d'une Eglise formant deux êtres non reliés entre eux. « Ma tête, disait

à ce propos Mgr Gastaldi, évêque de Saluces, ma tête n'a pas besoin


de bras pour y voir, pouc entendre et pour parler cependant, ; c'est

parce qu'elle est unie au corps qu'el.e fait tout cela séparée, ; eHe
serait De ces considérations et de quelques autres
sans vie *. »

remarques, Mgr Dechamps concluait que rinfeillibi4ité du pape, telle


qu'on voiJait la définir, n'était aucunement présentée comme une
infaillibilité absolue, mais comme une infaiHibilité nettement limi-
tée ; et enfin que, dans ces conditions, il n'était pas possible de voir
dans le schéma proposé la volonté d'mtroduire un dogme nouveau.
Cçs explications, cette heureuse mise au point firent tomber bien
des oppositions. Pourtant un petit nombre d'évêques, à la tête des-

quels se trouvaient Mgr Strossmayer et Mgr Dupanloup, persistaient


à demander un sursis à la définition. Mgr Strossmayer pensait tou- Mgr Stross-
mayer
jours que ses populations slaves, avec leur esprit trop simpliste, ne
et Mgr Du-
pourraient pas suffisamment comprendre et par conséquent ne pour- panloup
persistant
raient pas supporter la définition projetée. Quant à Mgr Dupanloup, à soutenir
Emile OHivier n'a pas craint de dire que, s'il n'avait pas eu Louis l'inopportu-
nité de la
Veuillot devant lui, il se serai! rangé parmi les infaillibilistes les plus
définition.
ardents, comme il s'était rangé parmi les plus ardents défenseurs du Pourquoi ?

pouvoir temporel du pape ^. Cette assertion est moins paradoxale


qu'elle ne le paraît au premier abord. Non point que l'évêque d'Or-
léans, comme l'ajoute OHivier, « ne combattît l'infaillibilité que par
haine de Louis Veuillot, son plus ardent promoteur ^ » ; mais il

connaissait, il s'exagérait peut-être l'influence exercée par le rédac-


teur en chef de V Univers sur certains membres de l'épiscopat *, et

1. Granderath, t. Ifl, irt partie, p. 379.


2. K. Ollivier, iEmpire libéral^ t. XIII, p. ia5-i26. On sait que, dans ses
écrits antérieurs au concile, Mgr Dupanloup avait toujours nettement professé l'in-
faillilnlité du pape. /
'
3. Ibid.
4 « L'autre jour, — je tiens le fait de l'évêque de Vannes, à qui le mot fut dit,
•— M. Veuillot étant entré dans le salon du séminaire français, un évêque véné-
rable par son âge dit à Mgr Bétel « Il est des nôtres, et nous sommes siens. 1»
:

(IcARD. Journal^ p. 70.) Sans doute, dans l'esprit du vénérable prélat, ce mot avait
un sens très avouable Mais de telles paroles, rapportées à l'évêque d'Orléans,
excitaient en lui un sentiment de susceptibilité hiérarchique dont le principe était
également fort respectable.
568 HISTOIRE GÉNÉRALE DE ï/ÉGKTSE

il craignit, jusqu'à la fin, que cette influence n'eût pour résultat de


faire prévaloir une de ces formules de haut relief dont le puissant
journaliste avait l'heureux don, mais qui lui eussent paru malencon-
treusement placées dans une définition dogmatique K

VIII

Discussion La Constitution proposée avait un proœmium ou préambule et


du proœmium
et des deux
quatre chapitres. La discussion du préambule et des deux premiers
premiers chapitres fut rapidement conduite. Elle s'acheva en deux « congréga-
chapitres.
tions générales », qui se tinrent les 6 et
7 juin.
Discussion Le troisième chapitre arrêta plus longtemps l'assemblée. Il avait
du troisième
chapitre. pour objet la primauté du pontife romain, se manifestant principa-
lement par une « autorité immédiate » du Saint- Père sur tous les

diocèses et par une suprême et en dernier ressort » en


« juridiction
toute cause, non seulement d'ordre dogmatique ou moral, mais en-
core d'ordre judiciaire et administratif. La question du pouvoir
immédiat du pape sur les diocèses du monde entier divisa vive-
ment l'assemblée. Parmi les canonistes auxquels les Pères avaient
coutume de recourir au cours des débats, on remarquait surtout le

docteur italien Mgr Vecchiotti, conseiller d'Etat auprès du Saint-


Père, et le directeurdu Séminaire de Saint-Sulpice, M. Icard. Ce
Delà puissance dernier soutenait énergiquement la doctrine du « pouvoir ordinaire »,
immédiate
du pape que le premier contestait avec force. Vecchiotti prétendait que la
sur les divers rencontre de cette puissance immédiate du pape avec la puissance
diocèses.
spéciale de l'évèque diocésain était de nature à créer la confu-
sion et le désordre Son contradicteur
dans l'Eglise. lui faisait

remarquer i'' qu'il ne s'agissait pas de deux puissances


: égales et

concurrentes, mais de deuxpuissances subordonnées ; a° qu'il ne


pouvait s'agir, pour le pape, que d'une intervention passagère
dans le gouvernement d'un diocèse, et non pas d une substitu-

tion de son pouvoir à celui de l'évèque, d'une absorption de la

juridiction épiscopale par la juridiction pontificale, ce qui se-

rait alors un pouvoir ad destruclionem, non ad œdijïcationem, suivant


la doctrine de saint Paul ;
3° que, dans le cours des siècles, les papes

1. Est-ilbesoin de rappeler que l'assistance de l'Esprit Saint ne garantit à E- 1

glise que l'exemption de toute erreur, et ne suggère pas nécessairement la formule


la plus heureuse ? Celle ci est le fruit ordinaire de la sagesse et de la réflexion.
LE CONCILE DU VATICA!f 569

avaient agi comme possédant ce droit, et qu'un grand bien en

était résulté pour l'Eglise ^ Cette dernière opinion, défendue au con-


cile par Mgr Desprez, Mgr Freppel et Mgr Dechamps, triompha,
par Mgr Dupanloup et par Mgr Dnpan^
malgré les objections présentées
loup défend
Mgr Ilaynald. Un vif incident se produisit au milieu de la discussion. l'honneur
de l'Eglise
Plusieurs évêques de la majorité, entre autres Mgr Valerga, patriarche
de France,
de Jérusalem, avaient, à propos du gallicanisme, violemment atta- attaquée par
Mgr Valerga.
qué l'Eglise de France et l'autorité de Bossuet. Mgr Mathieu et
Mgr Dupanloup répliquèrent avec une éloquence pleine d'émotion,

rappelant témoignages de dévouement donnés au Saint-Siège par


les

le clergé français, les éloges que lui avaient décernés kinocent III,

Benoît XIV, Pie VI et Pie VII, et ce grand témoignage du sang


qu'il avait su donner dans la tourmeate de 1793. Mgr Valerga
remonta à Tambon pour déclarer qu'il « n'y avait eu, dans ses pa-

roles, aucune pensée de malveillance», qu'il « n'identifiait pas le

gaHlcanisme avec l'épiscopat français », et termina son discours en


s'écriant : « Vive à jamais la noble Eglise de France * ! » L'inci-

dent était clos.

Le i5 juin 1870, commença, pour se terminer au i4 juillet, la Discussion


du quatrième
discussion du quatrième chapitre, consacré à la question de l'infail- ehapitre.
libilité du pape. Les débats, longtemps redoutés, sur cette question

brûlante, furent ardents, mais graves et relativement paisibles. Les


interventions étrangères, dont le cardinal Antonelli s'était effrayé 2,

ne se produisirent pas. Le gouvernement français, sollicité d'interve-

nir par Mgr Darboy, archevêque de Paris *, et par le P. Gralry,


rejeta ces ouvertures. « Nous n'hésitâmes pas, écrit Emile OUivier *.

Lorsque la majorité avait essayé de nous tirer à elle par le désaveu

I. Dans son Journal, M. Icard revient souvent sur celte question de la juridic-
tion immédiate du pape, soit pour raconter ses discussions arec Mgr Vecchiotti,
soit pour rappeler les efforts tentes par lui pour convertir à sa thèse Mgr Darboj
(Icard, Jo»rna/, p. i44, 163,207-208 eipassim.)
a. Grandkrath, t. III, ir« partie, p. 894 Sgg.
3. « 27 mars 1870. Ce malin, M. Combes m'a rapporté ce que lui avait dit,
avant hier, le secrétaire de l'Académie impériale, comme le lenant du cardinal di
Pielro. Le cardinal Antonelli, sérieusement préoccupé des conséquences que peut
avoir une définition dans les circonstances présentes, a réuni un certain nombre
de cardinaux qu'il consulte souvent pour les affaires politiques. Il a été convenu
entre eux qu'ils iraient voir le Saint-Père pour le prier instamment d'écarter du
concile la question fameuse. Le pape n'a pas du tout accueilli leurs observations.
Il leur a dit « J'ai la Sainte Vierge pour moi j'irai en avant *. (Icard, Journal^
: ;

p. 298 )
4. Voir la lettre de Mgr Darbov, dans Ollivirr, op. cit., l. FF,». 236-238.
5. Ibid., p. a38.
670 HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLISE

du mémorandum, nous lui avions répondu Non, nous ne


prenons :

parti pour personne. Nous adressâmes la même


réponse à la mino-
rité ^ »

La plus grande Cent dix-huit orateurs s'étaient fait inscrire pour prendre la paro'e
liberté
est laissée
sur le quatrième chapitre 2. Mais, au cours des discussions précé-
à la dentes, la lumière s'était faite peu
Pour moi, écrit le car-
à peu. «
discussion.
dinal Manning, je puis déclarer en conscience que tous les argu-
ments généraux avaient été épuisés depuis longtemps. On avait, en
outre, tellement anticipé sur la discussion spéciale des détails,
que
pendant plusieurs jours on n'entendit rien de nouveau. La répétition
devenait fastidieuse 3. » De plus, les chaleurs étaient accablantes.
Soixante et un Pères renoncèrent à leur droit de parler.

Principales Les amendements présentés par les orateurs eurent cependant


modifîcatioDs d'heureuses conséquences. La commission, après en avoir pris con-
apportées
au projet naissance, présenta, cinq jours plus tard, un texte notablement
par les
amélioré. Au titre primitif ; De romani poniificis infaUihiiUale , elle
amendements
de la avait substitué celui-ci : De romani poniificis injallibili magisterio,
minorité.
afin de bien marquer qu'on entendait parler d'une assistance accor-
dée à la fonction, au magistère. Elle avait, de plus, introduit la for-

mule cum ex cathedra loquitur, formule qui avait l'avantage d'être


traditionnelle, car elle était en usage dans les écoles théologiquc^s *.

En troisième lieu, elle avait qualifié le privilège d'infaillibihté de


charisma, ce qui éveillait l'idée d'une grâce gratis data, c'est-à-dire
donnée pour le bénéfice des autres, et non d'une grâce gralum
/(Xciens, c'est-à-dire qui sanctifie celui qui en est l'objet, et qui
aurait pu suggérer l'idée dimpeccabilité dans celui à qui elle aurait
été attribuée. Enfin, le savant rapporteur, Mgr Gasser, évêque de
Brixen, expliquait que l'infaillibilité du pape, telle qu'on proposait
delà définir, n'avait pour objet, comme l'infaillibilité de l'Eglise,
que la conservation et l'explication du dépôt de la foi révélée. Celte

dernière remarque était de nature à rassurer ceux qui s'effarouchaient


à la pensée de voir le pape proclamer des « dogmes nouveaux ^ ».

1. Voir la lettre de Mgr Darboy, dans Oluvier, op. cit., t. II, p. a36-a38.
a. Granderath, t. III, 2^ partie, p. 89.
3. Manning, Hist. duconc. du Vatican, p. Sg.
4 C'est celle qu'emploie couramment Bellarmin dans son traité De Romano
Pontifice.
&. Le rapport de Mgr Gasser occupe, dans la Collectio lacensis^S^ colonnes entières
{Coll. lac, col. 388 423). Le P. Granderath en donne un résumé dans son
Hist. du concile du Vatican, t. HI, 2<i partie, p. 92-116.
LE CONCILE DU VATICATf 67!

Les Pères du concile, réunis en congrégation générale le ii juil-


let, adhérèrent à peu près unanimement à
presque toutes les proposi-

tions du rapporteur. Le même jour, la commission rédigea le schéma


corrigé, qui futproposé, le i3 juillet, aux votes de l'assemblée.
Six cent un Pères étaient présents. Quatre cent cinquante et un
volèrent p/aceZ ;
quatre-vingt-huit, non placei ; soixante-deux, p/ace/

juxta modwn ^.

Quoique, d'après le règlement du concile, l'unanimité morale ne


fût pas nécessaire, elle parut cependant très désirable. Pour l'obte-

nir, les présidents du concile, d'accord avec la commission, se dé-

clarèrent prêts à céder, autant que possible, aux vœux de la minorité.

On accorda à celle-ci la suppression de deux textes de saint Irénce


etde saint Augustin, qui, séparés de leur contexte, auraient pu être
compris dans un sens inexact ^ rnais on refusa à une députa-;

tion, composée de NN. SS. Darboy, Ginoulhiac, Simor, Scherr,


Rivet et Ketleler, l'insertion d'un membre de phrase dans lequel
il mention de l'assentiment de l'Ei^lise à la définition ex
serait fait ^^J** ^'!*°*

cathedra. Bien plus


T
afin d'éviter toute équivoque sur la signifîca-
, . ^ '
proposition
: a© \^ minorité.

tion de ce refus, la formule fut rédigée par le rapporteur de la ma-


nière suivante : « lïiijusmodi definiliones roniani ponfificis irreforma-
biles esse ex sese, non antem ex consensu Ecclesiœ ^. Ces deux modi-
fications furent, le i6 juillet, soumises au scrutin. La première fut
acceptée par presque toute l'assemblée ; la seconde, à une très grande
majorité*.
La rédaction définitive du schéma se trouvait ainsi fixée.

Il ne restait plus qu'à la soumettre au vote de l'assemblée, dont les

1. Ces soixante- deux votes conditionnels n'appartenaient pas tous à la minorité.


La moifié avaient été émis par des prélats qui demandaient plus de vigueur dans
les fonnnles.
2. Coll. lac.f col. 473 et s.
3Ces définitions du pontife romain sont irréformables par elles-mêmes,
«
non en vertu du consentement de l'Eglise. »
4. Gr\nderath, op.
cit.f t. III,' 26 partie, p. 126. On voit combien est fausse
l'accusation portée par Friedrich et rapportée par E. de Pressensé (te Concile du
Vaùran, un vol. in-12, 2® édition, Paris. 1Ô79, p. 3i6. Cf. Ollivier, op. cil., —
t. Il, p 337.) Dans des vues de pacification, on avait aussi retranché la condamna-
lion expresse de la doctrine qui attribue au pape une part pré[)Ondcrante, mais non
la plénitude de la puissance suprême Mais Mgr Freppel, qui avait fait admettre
cette formule, insista, et obtint la réinsertion dans le texte de ces mots aut eum :

habere lanlum potiores partes, non vero iolam pUnitudineni hujus supremae potestatis.
Par là on coupait court à certains subterfuges du gallicanisme, dont on a> ait
trouvé des traces dans l'ouvrage He Mgr Maret. Voir Cornut, Mgr Freppel d aprèj
des documents authentiques et inédits, un vol, in-80, Paris, 1893, p. iC6.
672 HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLISE

membres D'avaient plus de choix qu'entre l'acceptation et le refus.

D'après les usages, ce vote devait être renvoyé au dimanche suivant,


en session publique. La nouvelle du grave conflit qui venait d'écla-
ter entre la France et la Prusse détermina les Pères à avancer cette
Spcuînn date. La session publique fut fixée au surlendemain, 18
juillet. Le

du iS juillet
président de l'assemblée lut ensuite un monitum du Saint-Père
ï87o. déclarant que les Pères qui auraient des raisons de s'absenter, soit
pour des motifs de santé, soit pour des motifs d'affaires, pourraient
retourner dans leur diocèse jusqu'au 1 1 novembre, fête de saint
Martin, à la seule condition de prévenir de leur départ le secrétaire
du concile *.

Qu'allaient faire les membres de la minorité ? Laissons la parole à


l'un de ces prélats. « La veille du jour où le schéma de l'infaillibilité

devait être lu en séance générale, raconte Mgr Dupont des Loges,


Cinquante- évêque Metz, nous nous réunîmes, les évêques de la minorité,
de
cinq membres . , . , .11.1 • /> 1 1.
de la pour examiner la conduite a tenir. Notre avis fut de dire : Non
minorité placet. Ms^T Dupanloup arriva en retard. On lui fit connaître la réso-
decident de ne t . . xi t .-i •
i ,

pas assister lution prise, il nous dit qu il ne pouvait se rendre a notre manière
a la séance
^q yoir : que
^ nous ne pouvions pas dire placet, on ne nous croirait
pour ne pas .
f. / i 1 1 ,.
attrister P^s ;
quc nous ne pouvions pas dire non placet, le monde catholique
leSaint-Père ^g qous comprendrait pas peut-être se scandaliserait qu'il fallait
et ;
par un , . . . ,

non placet. s'abstenir. Son avis prévalut *. » Une lettre au Saint Père fut aussitôt
rédigée et signée par les cinquante-cinq évêques adhérant à la déci-
sion. La lettre, conçue en termes respectueux, annonçait au pape
que, pour ne pas avoir la douleur de dire, « en face de leur Père,
dans une question qui le touchait de si près : non placet », ils

allaient retourner dans leurs diocèses ^. Plusieurs quittèrent Rome le

soir même.
Le lendemain, 18 juillet, à neuf heures du matin, la session pu-
blique eut lieu, suivant le cérémonial ordinaire, dans la grande salle

du concile. Au moment du vote, un orage, qui grondait sourdement


I^vote. sur Rome depuis le matin, éclata subitement « Les placet des Pères,

dit un témoin protestant, luttaient avec l'ouragan, au milieu du


grondement du tonnerre, à la lueur des éclairs, éclatant à toutes les

1, Coll. lacensis,\u, col. 761.


a. de Mgr Dupont des Loges, fait à M. 1 abbé Bourdon, chanoine de
Ce récit
tiennes, a été publié par M. Brancherbau dans une note du Journal intime de
Mgr Dupanloup, un vol. in-12, Paris, 190a, p. 3ii.
3. Voir la lettre dans E Ollivibr, op. cit., t. II, p. 344-346.
LE CONCILE DU VATICAN 573

fenêtres, illuminant le dôme et toutes les coupoles de Saint-Pierre...


Ceci dura sans interruption pendant une heure et demie. Jamais je
n'ai assisté à une scène plus grandiose et d un effet plus saisissant*. » La
Cinq cent trente-cinq Pères étaient présents. On entendit seulement Constitution
Paslor aelernus
deux non place t. Ce furent ceux de Mgr Riccio, évêque de Cajazzo, est votée

dans les Deux-Siciles, et de Mgr Fitzgerald, évêque de Little-Rock, par 533 voix
sur 535.
dans les Etats-Unis. Ces deux prélats n'avaient pas assisté à la Les deux
réunion des évoques de la minorité, et on avait oublié de leur faire opposants se
soumettent
connaître la décision prise. Ils se soumirent l'un et l'autre aussitôt aussitôt.

après du dogme. On rapporte qu'au moment où le pape


la définition

sanctionna de «on autorité suprême la Constitution dogmatique, un


grand calme se produisit dans l'atmosphère, et qu'un brillant rayon da
soleil illumina le visage du pontife. C'était le symbole de l'œuvre
entière du concile, qui s'était ouvert et pouisuivi au milieu de tant
d orages, et qui se terminait dans la lumière et dans la paix.
Le lendemain, 19 juillet 1870, le chargé d'affaires de France à Déclaration
Berlin portait à ki chancellerie une déclaration de guerre à la Prusse. de guerre
entre la Franoe
Le 2 août, l'empereur Napoléon III déclara que, la guerre qui et la Prusse

venait de s'ouvrir réclamant toutes les forces de la France, il était (19 juillet
1870).
disposé à retirer ses troupes de Rome.
Or, déclare l'historien allemand du concile du Vatican, « c'est Les troupes
grâce à la protection armée de France que françaises
la le concile avait pu
quittent
durer jusque-là ^. » On avait désormais tout à craindre de la vio- RoQoa.
lence des troupes révolutionnaires et de la complicité de la cour de
Florence.
On espéra un moment, à Rome, que l'Autriche prendrait dans la L'Autriche
Ville sainte le poste d'honneur abandonné par Napoléon etla Prusse
III ; mais on
se montrent
apprit bientôt qu'au contraire le comte de Beust, premier ministre de favorables
l'empire austro-hongrois, proposait à l'empereur des Français de à une
intervention
faire l'abandon de Rome à la monarchie de Savoie*. Le roi de Prusse, de Victor-
sur qui quelques catholiques italiens avaient aussi compté ^, informait Emmanuel
à Rome.
Victor-Emmanuel que « les sympathies de la Prusse pour la personne
du Saint-Père avaient leurs bornes naturelles dans les bons rapports

1. Cité par Brugère, Tableau de l'histoire *t de la littérature de l'Eglise^ p. 1176-


1176.
2. Grandbrath, t. iri, 3e partie, p i8o.
3. E. Ollivieu, l'Eglise et l'Etat au concile du Vaticariy t. II, p 473-474;
H. dHidkvillk, les Pit^montais à Rome, ch. viii.
4. RoTHAN, l'Allemagne et l'Italie^ Paris, i884, t. 11, p 84.
674 HISTOIRE GENERALE DE L EGLISE

entre la Prusse et l'Italie* ». Après la bataille de Sedan, qui, le 2 83p-


tenibre 1870, décida du sort de Napoléon III ^ et fit prévoir la victoire
de la Prusse, Victor-Emmanuel n'hésita Le 7 septembre, son plus.
ministre des affaires étrangères, Visconti-Venosta, fit savoir aux puis-
sauces étrangères que « Sa Majesté le roi prenait, en face de l'Europe,
la responsabilité du maintien de l'ordre dans la péninsule et de la
sauvegarde du Saint-Siège ^ ». On savait ce qu'il fallait entendre
par une pareille formule. Le lo septembre, le roi lui-même écrivit
directement au Saint-Père : m Je vois l'inéluctable nécessité que mes
troupes, déjà préposées à la garde des frontières, s'avancent et occu-
pent les positions qui seront indispensables à la sécurité de Votre
Sainteté et au maintien de l'ordre *. » On dit que Pie IX, à la récep-
tion de la lettre du roi, s'écria : « Belle parole, ma brutti fatii.
Belles paroles, mais vilaines actions ». Il répondit au souverain que
« sa lettre n'était pas digne d'un fils affectueux », et qu* « il remet-
Les troupos tait sa cause entre les mains de Dieu^ ». Le 11 septembre,
italiennes
envahissent 60.000 hommes de troupe pénétrèrent dans les Etats de l'Eglise.
le territoire Surpris par cette attaque imprévue, les soldats du pape se replièrent
pontifical
(il septem- sur Rome et Givita-Vecchia. Le général italien Bixio marcha sur
bre). cette dernière ville, tandis que le général Cadorna s'avançait vers
Rome. Le 16 septembre, Givita-Vecchia se rendit. Le lendemain,
l'investissement de Rome commença. Le pape avait à sa disposition
environ 10.000 combattants, résolus à se défendre jusqu'à la mort,
brûlant de vengera Rome le guet-apens de Gastelfidardo. L'ambassa-
deur prussien, M. d'Arnim, vint engager le pape à consentir à l'occu-
pation de Rome. Il se heurta à un non possumas absolu. Le 20 sep-
Elles pénètrent tembre, de cinq heures du matin à dix heures, Tartillerie piémon-
dans Rome
par la brèche taise battit les vieux remparts, et lança ses projectiles sur la ville. La
de la première brèche fut pratiquée auprès de la Porta Pia. L'assaut allait
Porta Pia
(20 septem- se donner, quand le drapeau blanc flotta sur les murs et au Ghâ-
bre 1870). teau Saint-Ange. Pie IX, voulant éviter une trop grande effusion de
sang, venait de donner l'ordre de cesser la résistance. Dans la capi-

I. GA.DORNA., la Liberazione di Roma, Turin, 1889, p. 36i.


3. Avant sa chute, vers la fin du mois d'août, Napoléon
III aurait envoyé à
Florence le prince Jérôme, chargé d'obtenir des secours de l'Italie moyennant la
promesse de ne point s'opposer à la prise de Rome. (Gadohna., op. cit.^ p. 5a Va.» ;

DuERM. Vicissitudes politiques du pouvoir temporel des papes, p. 4o3.)


3. ^ AN Due RM, p. 4o5.
4. l'Ad., p, 4o8.
5. Ihid., p. 409-410.
LE GOrfCILE DU VATICAH 575

tulation, il fut expressément stipulé que la cité léonine resterait au

Saint-Père : mais dès le lendemain, Pie IX, en présence de troubles


graves, dut se résigner à y laisser pénétrer les troupes italiennes.

La ruine du pouvoir temporel était complète. On ne laissa au pape

que le Vatican et ses jardins. « Messieurs, dit Pie IX en s'adressant


au corps diplomatique réuni autour de lui, vous êtes témoins que
je cède à la violence à partir de ce moment, le pape est prisonnier
;

de Victor-Emmanuel. »

Qu'allait devenir le concile ? Le 20 octobre, le lendemain de la Le Patrimoine


de
publication du décret royal qui changeait le patrimoine de saint saint Pierre

Pierre en « province romaine », parut la bulle de prorogation du est déclaré


(( province
concile. « Nous avons décidé, disait le pape, de remettre la conti- romaine »
nuation des séances à une époque ultérieure. Nous déclarons le con- ( 19 octobre).

cile suspendu, suppliant Dieu, maître et vengeur de son Eglise, de Le concile


du Vatican
rendre au plus tôt à sa fidèle épouse la paix avec la liberté *. »
est déclaré
suspendu
(ao octobre).

IX

Les définitions votées au concile, et en particulier celle de l'infail-

libilité pontificale, dans les formules auxquelles avaient finalement


abouti les délibérations des Pères, sous l'assistance de l'Esprit-Saint,
ne faisaient, en somme, que reproduire l'enseignement traditionnel
de l'Eglise. Il était facile de s'en convaincre par une étude calme et

impartiale des textes adoptés. Mais les agitations des peuples et des
Etats avaient été si grandes, tant de préjugés, tant d'interprétations
tendancieuses avaient été mis en circulation, qu'on pouvait craindre
devoir le vrai sens des décisions conciliaires obscurci par la passion
ou par la mauvaise foi.

Pour éclairer l'opinion, le secrétaire général du concile, Mgr Fessier, Mgr Fe«;sleij
secrétaire
évêque de Saint Hippolyte, en Autriche, publia, sous ce titre : la
général
Vraie et la Fausse Infaillibilité des Papes, une brochure, aussilôl ho- du concile,

norée d'un Bref approbatif de Pie IX. commente


11 y étabhssait avec netteté :
la définition
1° que le concile du Vatican, dans ses définitions, n'avait fait autre de
l'infaillibilité
chose que de fixer et de préciser, suivant ses expressions, « une tra-
dans une
dition remontant à l'origine de la foi chrétienne * »
;
2° que l'infailli- brochure.

I. Coll. lac.^ col. 497 et s.


3. Fessler, la Vraie et la Fausse Infaillibilité , trad. Gosquin, un vol. in-ia, Paris,
1873, p. /il et passim.
576 HISTOIRE GENEUALE DE L EGLISE

Analyse bilité du pape défiaie par le concile n'est attachée qu'à sa fonction
de celte
brochure. de docteur suprême de l'Eglise universelle, et non à celles de prôtre
suprême, déjuge suprême et de suprême législateur *
; S*" que, même
dans les décrets dogmatiques, tout n'est pas article dejoi, et qu'il ne
faut pas considérer comme tel ce qui n'est mentionné qu'en passant
ou ce qui ne sert que d'introduction ou de considérants ^
;
4° qu'en
disant que les définitions promulguées par le pape c< sont irréfor-
mables par elles-mêmes, et non en vertu du consentement de
l'Eglise », on ne veut dire en aucune façon que le pape puisse
jamais décider quelque chose de contraire à la tradition ou qu'il
puisse se mettre en opposition avec tous les autres évêques ^
;

5" qu'en somme la théologie rencontre un petit nombre de jugements


ex cathedra ou de décisions infaillibles des papes dans l'histoire de
l'Eglise* ;
6" enfin que le domaine de l'infaillibilité du pape, loin de
dépendre de sa volonté arbitraire, se trouve nettement limité et qu'il

est impossible, par exemple, que ce domaine s'étende à des a ma-


tières juridiques », lesquelles ne sont point contenues dans la révéla-
tion divine ^.

Pie IX Non content d'approuver et de recommander la brochure de


précise
la portée du
Mgr Fessier, Pie IX voulut rassurer lui-même les chefs d'Etat au
dogme, sujet de la portée attribuée par quelques publicistes à la définition de
relativement à
l'infaillibilité, a C'est une erreur pernicieuse, déclara-t-il, de repré-
1 iiidépeudance

des Etats. senter l'infaillibilité comme renfermant le droit de déposer les sou-
verains...La mauvaise foi seule peut confondre des objets si divers,
comme si un jugement infaillible porté sur une vérité révélée avait
quelque analogie avec un droit que les papes, sollicités oar le voeu

I. Fessler, la Vraie et la Fausse Infaillibilité ^ p. 63.


a. Ibid., p. 67-68.
3. Ibid.^ p. 70.
4. Ibid., p. 78.
5. Ibid., p. 78. —
Des explications semblables, également approuvées par ua
Bref de Pie IX, furent données en juin 1871 dans une Instruction pastorale coWec-
tive des évêques suisses. Cette Instruction est reproduite dans l'ouvrage de
Mgr Fessier. —
Dans sa brochure, Mgr Fessier semble limiter l'infaillibilité du pape
aux « vérités révélées ». Si telle est la pensée de l'éminent théologien, il y aurait là
une erreur. L'infaillibilité pontificale s'étend aux vérités connexes avec la révélation
et à certains faits tellement liés à l'enseignement des vérités révélées qu'on les a
appelés des « faits dogmatiques ». Par exemple, l'existence de l'àme, sa spiritualité,
son immortalité, son libre-arbitre, sont des vérités non révélées, mais elles sont
tellement connexes à la foi que les nier serait saper par la base toute révélation et
toute religion; le fait que \ Augustinus contient des hérésies est un fait dogma-
tique. Voir, sur ce sujet, Choupi» Valeur des décisions du Saint-Siège, p. i4-i8,
:

et DuiiAS dans les Eludes de mars 1876.


LE CONCILE DU VATICAN 577

(les peuples, ont dû exercer quand le bien général le demandait M ..);

Tous les évêques opposants, sans exception aucune, se soumirent


humblement aux du Vatican. Lesplusremarquées
décisions duconcile
dn ces soumissions furent celles de Mgr Dupanloup, de Mgr Darboy, SoumifisLoQ
de tous
de Mgr Maret, de Mgr Strossmayer, de Mgr Héfélé. « Parmi les les évèqiies
catholiques libéraux de quelque renom, remarque Mgr Cecconi, pas opposants.

un seul ne refusa de s'incliner devant l'oracle du Saint-Esprit *. »

Dœllinger en Allemagne et M. Loyson en France, qui s'étaient ouver-

tement mis en révolte avant le concile, ne furent suivis par aucun L\'\-Père
Hyacinliie
disciple de marque. M. Loyson essaya de fonder à Paris une essaie
« Eglise française », qui se discrédita de plus en plus. Dœllinger, d'organiser
« l'Église
qui paraît avoir, un moment, rêvé de jouer le rôle d'un Luther, frani^aise ».

mourut isolé. De hauts personnages, Mgr Fessier, le cardinal de


IJohenlohe, Mgr Nardi, Mgr Dupanloup, l'abbé Duchesne, tentèrent
dv le ramener à des sentiments d'humble soumission. Dœllinger reçut Dœllinger
refuse de se
leurs visites et leurs lettres avec politesse, sans récrimination, mais soumettre.
aussi sans leur laisser d'espérance ^. Il mour-jt subitement, peut-
êlre sans avoir eu le temps de se reconnaître, en tout cas sans avoir
réiracté ses erreurs. A côté de lui, quelques professeurs moins célèbres,
Friedrich et Sepp, de l'université de Munich, Hilgers et Reusch, de
B;nn, Reinkens, de Brcslau, Schulte, de Prague, prétendirent fon- Organisation
en Allemagne
de r une Eglise de « Vieux Catholiques », que les gouvernemcnti d'Al- d'une
lemagne favorisèrent à l'envi. Dœllinger dédaigna d'assister au prétendue
Eglise
congrès qu'ils tinrent à Cologne en 1872, fralernisant avec les An- do « \ ieur
glicans, les Russes et le franc-maçon Bluntschli; il refusa également Catholiques ».

de prendre part au conciliabule qu'ils organisèrent à Constance, du 12


au i/| septembre 1873, où ils adhérèrent aux principes de la Réforme
lulhérienne. Malgré la science de ses organisateurs, malgré l'appui
di's trônes, leu vieux catholicisme » allemand n'a pas témoigné plus Echec
complet
de vitalité que « jjl'Eglise française ». L'opinion publique ne s'est de celte
tentative.

1. Alloculiou du 20 juillet 1871, citée par E. Olliviek, op. cit., II, 874
Gk\ndi;katii, t. III, ac partie, p. 3Ga Voce délia Verità du 23 juillet 1871.
;
—;

Pic IX explique ici le pouvoir indirect des papes du rno}en âge sur les souverains,
suivant une théorie exposée par i\I. Gosseun, prêtre de Saint Sulpice, dans son
ouvrage Pouvoirs des papes sur les souverains au moyen âge, un vol. iu-8^, Paris,
1839 et 1845. Cette théorie a été parfois contestée. Le pape Pie IX lui donne ici
Pappui de son autorité.
Geccom, llist. duconcile du Vatican, t. II, 1. Ill, ch. vi, n. i5, n. 487.
2.
3. Dans une lettre inédite à Mgr Dupanloup, Dœllinger énumère plusieurs de
ces démarches. Il le fait avec une sécheresse oiî perce quelque amertume, mais
qui reste correcte. La lettre se termine bru6ij[ueuieut, sans aucune formule de
salulaliou. [Archices de Saint Sulnice.)
Hist. gén. de rE-iiso. - Via 37
578 HISTOIRE GENERALE DE L EGLISE

jamais occupée de l'un et de l'autre que pour les dédaigner ou les ridi

enliser.

En revanche, les gouvernements manifestèrent généralement leur


hostilité envers les décisions promulguées par le concile du Vatican.
Les Etats La France, qui, au lendemain de la guerre, avait élu une assemblée
manifestent
leur hostilité dont la majorité était favorable au catholicisme, n'eut pas une atti-
à l'égard tude hostile ; mais la Prusse affecta de regarder comme catholiques
des décisions
promulguées les dissidents ; et l'Autriche-Hongrie protesta contre le dogme de l'in-
au concile. faillibilité en dénonçant son concordat. La plupart des Etats alle-

mands interdirent la publication des décrets du concile. Le Portugal


en fit autant. Plusieurs cantons suisses prirent une attitude nette-
ment opposée au catholicisme ; le Conseil fédéral élabora une régle-
mentation nouvelle des rapports entre l'Eglise et l'Etat. Mgr Lâchât,
évêque de Baie, et Mgr Mermillod, évêque coadjuteur de Genève,
reconnus comme zélés défenseurs de l'infaillibilité pontificale, furent
expulsés du territoire helvétique. En Angleterre, l'ancien premier mi-
nistre, Gladstone, prétendit démontrer, dans une brochure retentis-
sante, que l'infaillibilité du pape ne menaçait pas seulement les cons-
cience des individus, mais encore l'Etat, « car, disait-il, ce dogme
peut mettre, à chaque instant, le sujet d'une nation dans la nécessité

de sacrifier son loyalisme au bon plaisir du pape ^ ».

Aucune Cette grande agitation s'apaisa. Elle n'eut jamais de prise sur la
de ces
tentatives
masse des catholiques. Elle ne pouvait en avoir. « Personne, a écrit
d'hostilité un homme d'Etat non croyant, personne n'admettra que des hommes
n'a de prise
qui croient à la révélation, à la divinité de Jésus-Christ, à l'infaillibi-
sur la masse
des lité de l'Eglise, qui n'ont contesté aucune des décisions doctrinales
catholiques.
rendues par les papes depuis dix-huit siècles, se séparent de la com-
munion dans laquelle ils ont vécu, parce qu'une infaillibilité dont ils

ne contestent ni la nécessité ni la puissance sera expliquée par l'assis-


tance divine au lieu de l'être par l'assentiment, même tacite, des
évêques I
^ » Quant à l'autorité du concile, « les divers reproches

dont il avait été l'objet n'avaient pas supporté l'examen de sang-froid


du lendemain y avait été entière et pouvait on suppo-
3 ». La liberté ;

ser, dans le vote sur l'infaillibilité, donné le 18 juillet 1870, une una-

nimité morale plus écrasante ? « Depuis cette date, a écrit le cardinal

I. GL4DST0NB, la Décréta du Vatican et leur ejfet sur la fidélité que Us cilojens

doivent à VElat.
a. E. Ollivihr, op. cit., t. II, p. 3^6.
3. Ihid.
.

LE CONCILE DU VATICATÏ 679

Mannîng, une multitude d'événements se sont précipités vers leur


accomplissement. L'Empire français a disparu. Rome a été occupée
par les armées d'Italie. La paix de l'Europe a été rompue. L'Eglise
pourra souffrir. Mais, à Rome ou en exil, le clief de l'Eglise sera ce Importance

que le concile du Vatican a déclaré qu'il est. II se peut que la réunion j^ dogme de
des conciles œcuméniques soit rendue temporairement impossible, l'infaillibilité

que l'administration ordinaire de l'Eglise devienne à peine praticable. .


^^ pô^inT
Le chef infaillible d'une Eglise infaillible ne sera jamais soumis à la de vue

souveraineté d'un homme. La barque de l Eglise est munie de ses lutures


provisions pour les temps à venir *. » de l'Eglise.

I. Manm.ng, Ilist. du concile du Vatican, p. 187- lyo.


GIIAPITHE XIV

Di; GOx>(GlLE DU VATICAN A LA xVlOHT DE PIE IX

(1870-1878).

Vue -cnérale. L'invasion de Rome, le 20 septembre 1870, n'était que le début


d'une série d'épreuves dont le pape Pie IX allait cruellement souffrir
jusqu'à fia mort. Ces épreuves Jui vinrent surtout de l'Italie, de la
France, de l'Allemagne, de la Suisse, de l'Autriche, de l'Espagne et
de rAugleterre.

L'Egliio Le jour même où les troupes piémontaises avaient franchi la


Cai!i<ilique
eu iuiie.
brèche de la Porta Pia, le cardinal Antouelli remettait aux membres
du corps diplomatique une note par laquelle Pie IX, « déclarant
vaine, nulle et de nulle valeur, l'usurpation dont il était victime »,

rendait responsable de cette « indigne et sacrilège spoliation le roi


d'Italie et son gouvernement ^)).

Mais, cette protestation solennelle une fois faite, le Secrétaire


Le jour même d'Etat du Saint-Siègejugea prudent de pourvoir aux moyens d'assurer
de la prise
la sécurité du pape. Dans la capitulation signée par le général
de Rome,
le cardinal Kanzler, il avait été stipulé que la Cité léonine resterait au Saint-Père.
Antonelli
pourvoit
Dès le lendemain, le cardinal Antonelli avisa le baron Blanc ^, alors
à ia sécurité secrétaire du ministre des affaires étrangères Visconti-Venosta, qu'il
fie la ville
et du
désirait l'entretenir au Vatican. Là, il lui déclara que, « la Cité léonine
Saint-Père,

I. Van Duerm, Vicissilades politiques..., p. 4i8-420.


3 Le baron Blanc, originaire de la Savoie, avait été d'abord avocat à Ghambéry,
puis attaché au cabinet particulier du comte de Gavour. Il devait, dans la suite,
être appelé aux fonctions d'ambassadeur à Gonstantinopleel à Londres, et devenir
euiin ministre des aifaires étrangères.
L13 CONCirE DU VATICAN A LA MORT DE PIE IX 58l

étant, devenue le rendoz-vous de tons les malfaiteurs, et aucune auto-


rité n'y subsistant plus, il priait le général Cadorna d'y établir,

comme dans le reste de Rome, des postes de police et Un service

régulier d'administration militaire ». Le cardinal spécifia que cette

demande émanait de riniliat,ive du Saint-Père, uniquement inspiré \ la dcmanfle


du
par le désir d'éviter des violences et des malheurs aux populations qui Saint-Père,
les troupes
habitaient ce quartier de la Ville Eternelle. Il fut d'ailleurs entendu
italiennes
entre les deux négociateurs que « la question concernant cette partie occupent la

de Rome ne devait être préjugée ni théoriquement ni pratiquement n. Cité léonine,


sous la réserve
Telles furent les conditions dans lesquelles le gouvernement italien des droits du
occupa immédiatement le territoire qu'il avait respecté jur^qu'alors ^. Saint-Siège.

D'ailleurs, ce n'était pas sans une répugnance intime que Victor-


Emmanuel s'était vu conduit à pénétrer de force dans la capitale du Victor-
Emmanuel
monde catholique. Il savait que cet acte plongerait dans la plus entre à Rome
cruelle angoisse le cœur de deux pieuses princesses qui le tou- avec
répugnance.
chaient de très prés. Jusqu'au dernier moment, il avait espéré que
Pie TX laisserait entrer librement les troupes italiennes sur le terri-

toire pontifical 2. Le Nonpossumus de Pie TX le déconcerta. Pourtant Mais il ohoil


aux exigencef
il passa outre. Il croyait avoir besoin des révolutionnaires pour des
réaliser l'œuvre de sa vie, l'unité italienne ; et le parti de la Révolu- révolution-
naires.
lion lui imposait la guerre au Saint-Siège jusqu'à la prise de Rome.
Borna morte (Rome ou la mort) était le cri des bandes garibal-
diennes. Le malheureux souverain aurait pu réfléchir cependant
qu'en cédant sur ce point à Texigence de ses alliés il se faisait leur

serviteur. « Le jour où le gouvernement sera h. Rome, écrivait


en 1866 Massimo d'Azeglio, Mazzini et les siens seront les maîtres. »

La prévision du perspicace homme d'Etat se réalisa. Victor-Emma- Le plébiscite


romain
nuel ne sut plus se dégager désormais des chaînes qu'il s'était don- du 2 ocl >lire

nées. Pour pallier la flagrante injustice de l'invasion du territoire 1870.

pontifical, une junte, formée à Rome sous la protection de l'armée

piémontaise, convoqua les électeurs de la Ville éternelle et de tout

1.Les négociations qui eurent lieu à cette occasion entre le cardinal AntoncUi
et le baron Blanc portèrent sur bien d'autres points. On y parla d'un modus
viveiuli temporaire entre les deux pouvoirs résidant à Rome. Les détails de ces
pourparlers «w trouvent dans une collection de documents diplomatiques éditée en
1895 par le baron Blanc, tirée à un petit nombre d'exemplaires et ne se rencon-
trant point dans le commerce. Ces documents ont été reproduits en grande parlic
et complètement analysés par M. François Carry, dans un article du Corresr'On-
daii paru le 19 novembre 1896 et intitulé Le Vatican et le Quirinal d'après des
:

duciimenls nouveaux.
2. Correspondant du 10 décembre 1896, t. CLXXXI, p. 783.
582 HISTOIRE GÉXKRALE DE l'ÉGLISE

l'Etat pontifical à voler, par oui ou par non, le 2 octobre, sur la


question suivante : « Voulez-vous votre union au royaume d'Italie
sous le gouvernement monarchique constitutionnel de Victor Em-
manuel II et de ses successeurs ? » Les catholiques fidèles au pape
s'étant abstenus, et les agents du gouvernement ayant admis au vote,
soas le nom d'émigrés, un grand nombre d'étrangers, attirés de dif-
férentes provinces et munis de cartes de leurs préfets ou sous-préfets,
la majorité des oui fut écrasante. Rome donna 46.786 oui contre
4; non ; et tout l'Etat pontifical,
i33.68i voles favorables à l'an-
Vraie vtîeur nexion, contre 1.607 contraires. La fiction de ce plébiscite apparut
de ce
plébiscite.
quatre mois plus tard, lorsque 27.161 Romains, majeurs et jouissant
de leurs drbits civils, affirmèrent, par leurs signatures dûment léga-
lisées, malgré la pression du gouvernement nouveau, qu'ils demeu-
raient fidèles à l'autorité du Pape ^ Mais déjà, dès le 4 octobre, le
roi d'Italie, profitant du plébiscite, avait promulgué le décret suivant :

Décret royal
du 4 octobre
« Art. I*'. — Rome et les provinces romaines font partie intégrante

1870,
du royaume d'Italie. — Art. 2. Le souverain pontife conserve
annexant la dignité, l'inviolabilité et toutes les prérogatives du souverain. »
Rome et les
provincei Le 18 octobre, le ministre des affaires étrangères, Visconti-Venosta,
romaines adressa aux gouvernements une circulaire ayant pour but de les
au royaume
d'Italie. rassurer sur le sort fait à la papauté par la suppression de son pou-
voir temporel *, "
Protestation Dans une lettre du 8 novembre 1870, le cardinal Antonelli pro-
du cardinal
Àntonelli testa vivement contre les affirmations de cette circulaire. Il rappe-
(8 novembre lait aux représentants du Saint-Siège auprès des cours étrangères,
1870).
pour qu'ils en informassent les gouvernements auprès desquels il»

étaient accrédités, les principales mesures prises par le gouvernement


de Florence contre la liberté de l'Eglise : « la suppression de tous
les ordres religieux, Yincamération ^, les entraves imposées à l'épis-

copat, l'enrôlement des jeunes clercs dans les armées, l'emprisonne-


ment des ecclésiastiques refusant d'obéir à des lois condamnées par
leur conscience, les obstacles apportés. à l'exercice du culte, l'ensei-

gnement des doctrines les plus impies dans les chaires universitaires,
la liberté laissée à la diffusion de journaux, de gravures, d'écrits de

1. Voir E Rendu, la Lettre du pape et V Italie ojfficielley p. 64»


a, GuKyTREL, Annales ecclésiastiques, p. ^27
3. C'est ainsi que les Italiens appelaient les spoliations de biens d'Eglise, qu'ail-
leurs on a qualifiées de laïcisations ou de désaffectations.
LE CONCILE DU VATICAN A LA MORT DE PIE II 583

l(jule sorte, déversant le mépris sur îc pn^ic et sur la religion calho-

lirjue ^ »
Ce n'était pas, dit-on, sans une appréhension visible que le roi

Victor-Emmanuel apposait sa signature à ces lois persécutrices ;

mais « la façon dont il envisageait ses devoirs de souverain constitu-


tionnel ne lui permettait pas de refuser sa sanction aux lois votées

par les Chambres^ ». Son émotion fut surtout poignante loisqu'il Pie IX
eut sous les yeux la fameuse encyclique du i^' novembre, par laquelle l'excommuni-
Pie IX prononçait, contre tous ceux qui avaient perpétré l'inva- cation

siou,
,,
I usurpation,
. ,,
l
«

occupation
'11
du domaine
• • '^

pontitical, et contre tous


I
contre let
envahisseur»
les mandants, aides et conseillers de ces actes, l'excommunication ^^ domaine
r 1- . f 1 •
t pontifical
majeure et toutes autres censures et peines édictées par les saints (^er novembre

canons ^ ». lÔT^;-

L'angoisse du roi fut à son comble quand, peu de temps après, il

fut question de transférer la cour de Florence au palais du Quirinal.


« Victor-Emmanuel, dit un historien bien informé, éprouvait une
appréhension invincible à fixer sa demeure dans la Ville éternelle *. »

Mais, une fois déplus, il dut céder. Le 5 novembre, une foule tumul-
tueuse, convoquée par des meneurs révolutionnaires, parcourut les

rues de Rome en criant : « Nous voulons le Quirinal 1 » Le Conseil


des ministres était d*avis d'annexer le Quirinal au domaine royal.
'Victor-
(( Victor-Emmanuel hésita avant de sanctionner ce double
. , , T^ 1 ^T'w -
Emmanuel
attentat contre la souveraineté du pape. Rome, la Ville sainte, hdsite
faisait peur à ce soldat... appela à lui
Il conseiller du un ancien ^ s'installer

/^i
roi Lharles-Albert,
1 4 11
un
V iM 1
des plus fidèles serviteurs de la Maison de
• 11»*' 1 *^ Quirinal

Savoie. Il lui déclara qu'il voulait abdiquer. Il le chargea même


de rédiger l'acte d'abdication. Le lendemain, l'acte d'abdication
fut apporté au
1.11,1.
cliarge de le
palais Pitti, à Florence
rédiger ne put arriver jusqu au
... ; mais celui
roi.
.
qui avait été
,:^
De nouvelles
,,
^^ ^'j ^*cide
pourtant, sout
la pression

On
influences avaient triomphé des hésitations au prince per- ^. » lui dos sectes
1
guada qu en quittant
lA . •

trône dans un moment aussi


•iro-iM com-le
1
ditncile, il
révûlution-
naires
promettrait l'œuvre entière à laquelle il avait consacré sa vie. La (^" décembre
Maison de Savoie croyait avoir besoin de l'alliance de la Révolution

1.CUA.NTRBL, op. Cli., p. ^28-^30.


2. Comte GoNESTABiLE, le Roi Viclor-Emmanuel, dans le Correspondant du
i5 janvier 1878, p. aoo.
i). Ch\ntrbl, p. 436 Acta Pu noni, t. V, p. 263-278
; Corrapondant^ t. G\, ,

p. 206.
4 Corate GoNESTABiuB, dans le Correspondant ^ t. GX, p. 206.
5. Ibid.
''84 HISTOIRE Oi^M'RArR DE l'ÉGUSE

ponr réaliser l'œuvre de l'unité italienne, et l'Eglise devait payer 1rs


frais de cette alliance. Le 5 décembre, en ouvrant la session du Par-
lement, le roi d'Italie prononça ces paroles : « Avec Rome capitale,
j'accomplis mes promesses, et j'achève l'entreprise commencée par
mon père il
y a \ingt-cinqans ». Le 3i décembre, il fit à Rome une
entrée triomphale, et s'installa au Quirinal.
Proto.!: ions
L^g catholiques n'avaient pas attendu ce dernier attentat pour
caih-oliriues. élever la voix en faveur de leur Père commun. La plupart des
évoques firent parvenir au Pontife des adresses, des lettres collec-
tives, pour lui exprimer leur douloureuse indignation. Des assem-
blées de protestation se réunirent à Vienne, à Fulda, à Malines. Mais
Si'^nce^ les grands Etats de l'Europe gardèrent le silence. La France était

Etals.
absorbée par sa lutte contre la Prusse. Parmi les autres Etats, les uns
invoquèrent le principe de non- intervention pour rester inactifs et
muets devant le fait accompli ; d'autres prirent une attitude expec-
tante, qui parut inspirée par la peur des sectes antichrétiennes, sinon
Pioicstaiion par une complicité secrète avec elles. Un seul Etat fit entendre une
àc Ici . .

République énergique protestation : ce fut une petite République d'Amérique, la


de lEquatci^r République de l'Equateur. Le j 8 janvier 1871, on lisait dans le Jour-
(18 innvier i / r - 1 ^ r\ • T 1 i»T-i 1 r

18-1). nalojjiciei deijuito : « Le gouvernement de 1 Equateur, maigre sa


faiblesse et la distance énorme qui k sépare du Vieux Monde, pro-
teste, devant Dieu et devant les hommes, au nom de la justice outra-
gée, au nom de la population catholique de l'Equateur, contre
linique invasion de Rome. » * L'homme d'Etat qui avait inspiré
cette protestation, Garcia Moreno, devait, quatre ansplus tard, tomber
sous le fer d'un conjuré ; sa dernière parole fut celle d'un héros
chrétien : « Dios no muere \ » s'écria-t-il. « Dieu ne meurt pas I »

I/aitît!irle On se demanda, à certaine heure, si la République française n'allnit

^cnr'^^" P^^ marcher sur les traces de la République de l'Equateur. Le gou-


fr-nçais. vernement italien le crut, ou feignit de le croire. L'Assemblée élue
le 8 février 1871 était certainement l'Assemblée la plus favorable à
la cause religieuse que la France eût possédée depuis un siècle et

demi, et peut-être, a-t-on dit, dans tout le cours de son histoire.


Scniin-rnîc ^]l]e n'avait point de majorité légitimiste, orléaniste ou républi-
df !'\«!?cni'| i
^''^me ; mais une majorité nettement catholique. Ce carac-
elle avait

.
naiionnte 1ère fut si marqué que des écrivains tendancieux ont pu dire, dans
' '
un esprit de malveillance à l'égard des catholiques français, qu'au

1. Chantkel p. 438-^39.
LE COtClTE DU VATICAN A LA MORT DE PIE IX 585

lendemain de la guerre du relèvement de


ils avaient oublié l'œuvre
leur pays pour ne songer qu'à la restauration du pouvoir temporel du
pape. L'assertion est doublement injuste. Les catholiques avançais,
patriotes pendant la guerre, ne le furent pas moins après la défaite ;

et si Jules Favre, ministre des affaires étrangères, avait fait savoir à


Pie IX que la P'rance serait, bcureuse de le recevoir dans l'île de Corpe,
il avait, en même temps, félicité Victor-Emmanuel de « l'heureux
événement qui délivrait Rome ». ^ Mais le roi d'Italie n'ignorait pas
que les fidèles, dans un cantique devenu très populaire, demandaient
à Dieu de « sauver Rome et la France ». Il savait que les journaux
cnlboliques français reprochaientamèrementau gouvernement italien
d'avoir profité des malheurs de leur pays pour s'emparer des Etats
pontificaux. Il avait vu le gouvernement français lui-même témoi-
gner sa reconnaissance à Pie IX d'avoir été le seul souverain qui s'in-
éressât publiquement aux malheurs de la « Fille aînée de l'Eglise» *.

Il se souvenait qu'un des membres les plus influents du Parlement


français, Adolphe Thiers, avait toujours regardé le pouvoir temporel

comme nécessaire à l'indépendance du Saint-Père ^. Le roi d'Italie

pensa que le moment était venu de rassurer les catholiques, ou du


moins les puissances, sur la situation faite au pape. Il présenta aux La Loi

Chambres, fit voter et sanctionna, le i3 mai 1871, la loi dite des (13*^8^1871)
garanties^ par laquelle l'Etat italien reconnaissait l'inviolabilité de la
personne du pape et sa qualité de souverain, lui concédait la jouis-
sance des palais du Vatican, du Latran, de la chancellerie et de la
villa de Gastel-Gandolfo, garantissait la liberté des conclaves et des
conciles, renonçait à tout contrôle sur les affaires ecclésiastiques et
assurait à la cour pontificale une dotation annuelle de 3. 226.000 fr.

La loi était muette sur les débris de souveraineté promis parla capi*
tulation de Rome sur la Cité léonine *.

Lecanuft, L'Eglise de France sons la iroisihme Rf^publlfjiie, t. I, p. 89. <( Je


1.
encore Jules Favre, que si vous n'allez pas à Rome, la ville tom-
crois, écrivait
bera au pouvoir d'agitateurs dangereux. J'aime mieux vous y voir. Nîais il est
Lien entendu que la France ne vous donne aucun consentement. » Be.1lLfort,
Hist. de Vinv. des Etais pontificaux, p. 486.
2. Telle était l'expression employée dans une dépêche ofTiciclle adressée au ca-
binet italien. Gambelta, en la lisant, dit à M, de Chaudordy « Expédiez-la, :

mais il est inutile de la publier ». (Ernest D.\udet, Hist. diplom. de V alliance franco^
russe p. 53 )
3 Voir l'opinion très nette de Thiers au 3/om/^iir dans le compte rendu des
•éances des i^el 16 avril i865.
4. Voirie lexle intégral de la Loi des Garanties dans Ciiamtrel, p. ôoa-5o4.
586 HISTOIRE GKNFRM.E pE 1, CGMSE

Le pape efuse Le pape n'accepta point cette loi. Aucun gouvernement ne la


d'accepter
reconnut. Faite par le Parlement italien, en dehors d'un concours
celle oi.
quelconque soit du pape, qu'elle prétendait traiter en roi, soit des
autres puissances, cette loi n'avait aucun des caractères d'un contrat
synallagmatique. C'était un acte unilatéral, un règlement que le
Vrai vainqueur prétendait imposer au vaincu. 11 n'avait ni la forme d'un
caractère
de cette loi.
concordat, ni même celle d'un traité de paix, d'une capitulation.
C'était un expédient, dont un homme d'Etat italien a été obligé
d'avouer le vrai caractère. M. Minghetti, ôter aux
« Il fallait, a écrit
esprits sincères la crainte que l'Italie, en allant à Rome, ne voulût
toucher à l'indépendance spirituelle du chef de la religion catho-
lique. Il fallait encore mettre à néant cet autre soupçon, que le gou-
vernement italien pût un jour se servir de la papauté comme d'un
instrument pour ses vues politiques ^ Ce but a-t-il été atteint ?
»

Ecoutons ce que disait, en 1879, Emile Ollivier <( La loi des :

garanties n'a rassuré personne. Le conseil d'Etat, a-t-on dit, Ta


déclarée partie intégrante de l'ordre constitutionnel. Quelle valeur a
une déclaration de ce genre ? Qui empêchera un nouveau ministère
Jugement d'obtenir une déclaration contraire, ou qui obligera les députés à en
d'Emile
OJlivîer
tenir compte ? L'indépendance du chef de la religion catholique est
sur cette loi. à la discrétion d'une voix de majorité dans un parlement italien...
L'abolition de la loi des garanties est précisément le mot d'ordre du
parti garibaldien... En même temps que les attaques contre les garan-
ties se multiplient, fei conduite du gouvernement devient plus âpre.
Depuis Rome, au lieu de ménager le pape, il ne cesse d'être
qu'il est à

provocateur. Sans parler du misérable sort fait aux congrégations


religieuses, le droit à'exeqaaiar, réservé au gouvernement, ne
devient il pas la négation du droit de libre nomination reconnu au
pape 2? )) Emile Ollivier fait ici allusion aux nombreuses expulsions
lie congrégations religieuses, à leur dispersion et à leur spoliation.
Pendant les dix-huit premiers mois de l'occupation de Rome, trente-
deux couvents furent expropriés 3.

Le roi Victor- En même temps, sous prétexte que les catholiques de France pré-
Emmanuel paraient l'avènement du comte de Chambord, et que celui-ci annon-
M tourne
vers çait qu'un de ses premiers soins serait de restaurer le pouvoir tem-
rAilemagn».

I. MiHCHBTTi , De VEglise et de VEtat, trad. E. de Laveleye, p. 54.


a. E. Ollivier, VEglise et l Elat au concile du Vatican, l. II. p. li']8-!\So.
3. Voir la liste de ces couvents et leur nouvelle afTeclatioD dan» Cuartrel,
p. 58'; 588.
LE CONCILE DU VATJCAW A LA MOUT DE PIE IX 587

porel ^, le roi Victor -Emmanuel s'écartait de la France et se tournait

vers l'Allemagne. Ses envoyés se rencontrèrent à Gastein avec Bis-


marck de Beust, et y jetèrent les bases de la Triple Alliance. En
et
Premiàru
origine
février 1872, le prince Frédéric-Charles séjournait à Rome, chassait de la Triple
Alliance.
avec la famille royale, se répandait en propos agressifs contre la
Fiance, m Ne sommes-nous pas derrière vous ? disait-il à Visconti-

Venosta. Si l'Italie était attaquée par la France, elle serait soutenue


par l'Allemagne *. »

Le 12 1872, Pie IX, répondant à une adresse des catholiques


avril

italiens, s'exprimait ainsi Chaque jour aggrave l'affliction que


: -(

nous ont apportée les événements du 20 septembre 1870; et chaque Plaintes


de Pie IX..
jour les conséquences funestes de cet attentat apparaissent plus
cruelles. » Lelendemain, iSavril, recevant, dans la salle du Consis-
toire, quatre cents étrangers, venus de France, d'Autriche, d'Alle-
magne, d'Angleterre, d'Espagne, d'Italie, de Portugal, de Belgique
el d'Amérique, il eut un mot pour chacun de ces pays, et l'on remar-

qua l'accent de tristesse du pontife quand il parla de l'Italie, de la


« pauvre Italie » ; son accent de profonde émotion quand il parla

de la France, « ce pays habité par tant d'âmes généreuses, cette


France féconde en tant et tant de bonnes et saintes œuvres qu'il serait

trop long de les énumérer ^. » A la fin du mois de novembre 1872, Projet de loi
contre
à l'occasion de la présentation d'un nouveau projet de loi contre les
les ordres
ordres religieux et de l'érection d'un temple protestant à Rome, le religieux
(novembre
pontife renouvela ses plaintes*. De 1878 à 1876, de nouveaux
1872).

I. Le 8 naai 1871, le conate de Ghambord, dans un de ses manifestes, écrivait :


« On dit que l'indépendance de la papauté m'est chère... On dit vrai ». Et, le
3i juillet suivant, Louis Veuillot écrivait dans l'Univers « La vingt-cinquième :

année de Pie IX est une merveille, qui en annonce une autre, celle de sa délivrance
par le Roi très chrétien ».
a Voir les curieuses correspondances de l'Univers à ce sujet (fin février 187a).
Cf. Lecanuet, op cit.^ t. I, p. 109
3 Chamtrel, p. G32 633. C'est dans cotte allocution que se trouvait ce passage,
si commenté par la presse « Je prie pour que certains partis, exagérés de part et
:

d'antre, disparaissent pour jamais. Il v a un parti qui redoute trop l'inlluence du


p po. Il y a un autre parti, opposé à celui-ci, lequel oublie totalement les lois de
.

la charité. » En lisant ce passage de Tallocution, Louis Veuillot s'écria a Voilà :

une bénédiction qui entre en cassant les vitres j» Et il écrivit dans son journal1 :

a Notre aflf ire à nous est d'obéir... Si donc le Juge estime que notre œuvre ne
peut plus lecevoir de nous le caractère que réclame l'intérêt de l'Eglise, nous dis-
paraîtrons ». Quelques semaines plus tard, répondant à une lettre du rédacteur en
chef de l'Univers, Pie IX lui déclara que, « tout en regrettant chez lui quelques
excès de zèle, il l'engageait à continuer le combat ». (Voir François Veuillot, Lout»
Veuillot, un vol., Paris, igiS, p i3i-i3a.)
4. Ghanthel, p. 714-718
•^^8 HISTOIRE GKNKRALE DE l/Ér.MSE

Nouveaux al tentais provoquèrent de sa part de nouvelles protestations. En


1873'à'' 187G. j^'^^^'ier 1877, la Chambre italienne ayant volé une loi édictant
des poursuites et des peines contre les prêtres qui, par leurs
discours ou parla propagation des écrits pontificaux, continueraient
Pic IX à offenser les institutions de l'Etat, Pie IX, entré dans sa 85^ année,
et sentant fléchir ses forces, voulut faire entendre au monde une pro-
^^^un*'
mouvement testation suprême. « Nous manquons, s'écria-t-il, de toute la liberté

^%^armi^°"
nécessaire, tant que nous sommes sous joug des dominateurs...
le

les fil'Mes Que les fidèles se servent des moyens que les lois de chaque pays
^^ '''* mettent à leur disposition, pour agir avec empressement auprès de
ceux qui gouvernent ^. » Ces paroles provoquèrent, dans le monde
entier, un mouvement de pétitions, d'adresses, de motions dont plu-
sieurs gouvernements s'émurent 2. Le ministre italien, Mancini,
auteur du projet de loi, essaya de le justifier par une circulaire ^.

Mais le gouvernement recula devant cette protestation universelle des

catholiques. Le 12 mai 1877, le Sénat rejeta le projet de loi, que


Victor-Emmanuel avait déclaré refuser de sanctionner. On dit que !a

pieuse princesse Clotilde, effrayée de la rapidité avec laquelle son


malheureux père se laissait entraîner sur la pente révolutionnaire,
avait joint, en cette circonstance, sa voix suppliante à celle du monde
catholique. « Dieu, aurait-elle dit au roi son père, pourrait ne plus
laisser une heure à votre repentir. » 9 jan-Quelques mois après, le

Mort vier 1878, le roi Victor-Emmanuel comparaissait devant le tribunal


e or-
ic
Emmanuel
(9 janvier
de Dieu. Par une
celui
.....
dont Mazzini avait
sin^^ulière ironie
dit qu'il serait le
.
du
...
sort, ministre
le

dernier ministre de
Crispi,
la mo-
^°'J°)' narchie italienne, celui qui avait voué à la papauté une haine impla-
cable, était chargé d'annoncer au peuple italien que le roi d'Italie

était mort au palais du Quirinal, muni des sacrements de l'Eglise *.

Allocution du 13 mars 1877, Chantrel, p. 682 et s.


I.
C'est à celte occasion que Gambella prononça, le l\ mai
a 1877, sa fameuse
formule « Le cléricalisme, voilà l'ennemi. »
:

3. Ibid., p. 589-590.
4. Sur les moments et la mort de Victor-Emmanuel, voir Guanthel,
derniers
Annales ecclêsiasliqups^ au 9 janvier 1878, p. 691-698.
LE CONCILE DU VATICAN A LA MOUl DE PIE IX 58r)

II

Dans toutes ces épreuves de la papauté, quelle avait été la part L'Eglise
caliioliuae
de responsabilité des gouvernements de la France P
en L raace.
Le gouvernement autrichien ayant, le 20 juillet 1870, suggéré au
gouvernement français l'idée d'une entente qui aurait pour bul délivrer
Rome aux Italiens S le garde des sceaux du gouvernement impérial,
Emile Ollivier, avait aussitôt déclaré cette idée « pitoyable et impra-
ticable )) 2, et Napoléon III s'était pleinement rangé à l'appréciation
de son ministre ^. Le gouvernement pontifical fut néanmoins informé
que, la France ayant besoin de toutes ses forces dans la guerre qu'elle
avait à soutenir contre la Prusse, l'empereur se voyait dans la néces- Le gouverne-
sité de retirer ses troupes de Givita-Vecchia. Etait-ce là le vrai ment fraiirals
manifeslc
motif P Dans une dépêche adressée le 3i juillet par le ministre fran- l'intention

çais des affaires étrangères à son ambassadeur à Rome, M. de Banne- de retirer ses
troupes
ville, un autre motif était invoqué. « Assurément, disait la dépêche, ae (] ivita-
ce n'est pas par une nécessité stratégique que nous évacuons TEtat Vecchia.

romain... Mais la nécessité politique est évidente... Nous devons


nous concilier les bonnes intentions du cabinet italien *. »

De cette politique de Napoléon III on pouvait dire, une fois de Vrai motif
plus, qu'elle était au moins équivoque. Beaucoup de catholiques la de
celle mesure*
jugèrent avec plus de sévérité, quelques-uns murmurèrent les mots de
lâcheté et de sacrilège. Louis Veuillol, envisageant les éventualités de
la guerre, écrivit Nous avons une belle armée et de belles forte-
: «

resses ; mais si nous abandonnons Rome, et si Dieu se demande à


quoi lui sert la France... ^ »

Pic IX se montra vivement aiïligé de l'attitude du gouvernement Pendant


français ; mais sa tristesse ne l'empêcha point de s'intéresser au sort la guerre
franco-
delà France, Le i3 novembre 1870, il écrivit au roi de Prusse pour le allemande.
conjurer d'arrêter l'effusion du sang chrétien Pie i\
^. « Je ne passe pas un
s'intéresse
seul jour, disait-il, sans prier Dieu pour la France, dont l'image se vivement
aux malheurs
de la 1 rauce.
I. Voir la dépêche dans Chamkel. p. SgS.
'» I-^ Oi.LiviER, op. cit.^ t. Il, p. 474.
3. Ibid.
l\. CllAMHEL,
p. 894.
5. François Veuillot, Louis l'euillot, p. 11g.
6. Lecahubt, op. cit.f t. J, p. 90.
égo HISTOIRE GÉNKRALE DE ï/ÉGIJSE

présente sans cesse à mon esprit '. » Le pontife suivait avec anxi(5té
les terribles péripéties d'une guerre qui venait de mettre aux prises le
pays qui s'était toujours montré le plus ardent défenseur de l'hérésie
et la nation qui restait, makré tout, la Fille aînée de l'Eglise : les
défaites de Wissembourg, de Forbach, de ReiscliofTen et de Sedan ;

la chute de l'empire au 4 septembre 1870 ; les capitulations suc-


cessives de Strasbourg et de Metz.
Les zouaves Ce fut avec des larmes d'attendrissement qu'il apprit comment, le
pontificaux
à la bataille
2 décembre, ses zouaves pontificaux, autorisés à se battre pour la
dû Loigny France sous le comrçiandement de leur colonel, M. de Gharettc,
(a décembre
avaient teint de leur sang et illustré de leur gloire le plateau de Loi-
1870).
gny. Ils s'étaient élancés contre l'envahisseur, le drapeau du Sa-
cré-Cœur déployé, aux cris de : « Vive la Ffance I Vive Pie IX ^ » j

Malgré la résistance héroïque des Français^ l'armée allemande,


préparée de longue main à la lutte, faisait fléchir toutes les armées
qu'on lui opposait. Vers le nord, Faidherbe battait en retraite. A
l'est, Bourbaki se dirigeait vers la frontière suisse. A. l'ouest, l'ar-
mée de la Loire, commandée par Chanzy, se repliait devant les

forces supérieures des armées du grand-duc de Mecklembourg et du


prince Frédéric-Charles. Le 11 janvier, les armées allemandes fai-

saient leur entrée au Mans.


L'apparition Au milieu de ces tristes conjonctures, le 17 janvier 1871, des
de Ponlmain
enfants de la paroisse de Pontmain, au diocèse de Laval, aperçurent
(17 janvier
1871). dans les airs une grande dame, le front ceint d'une couronne d'or,
et, à ses pieds, l'inscription suivante : « Dieu vous exaucera en peu
de temps ; mon Fils se laisse toucher « ^. Onze jours plus tard, le 28
janvier, les armées belligérantes concluaient un armistice et signaient

les préliminaires de la paix.


La Aux désastres de la guerre contre l'étranger succédèrent malheu-
« Commune reusement, en France, les horreurs de la guerre civile. On a longue-
de Paris ».
Ses vraies ment discuté sur les causes de la « Commune de Paris ». On a
origines.
attribué cette explosion de fureur révolutionnaire à l'accumulation
de la population ouvrière dans Paris, aux longues souffrances du
siège, à l'armement formidable imprudemment concédé à la garde
nationale. Les vraies causes de cette sanglante insurrection sont
d'ordre moral et religieux, u Lorsque les idées antireligieuses ont

I. Lecamuet, op, cit., t. I, p. 90.


a. Voir Baumard, Vie du général de Sonis^ p. 347-357.
3. Lettre pastorale publiée le a février 187a, par Mgr VVicart, évêi^ue de Laval,
LE CONCILE DU VATICAN A LA MORT DE PIE IX OQI

répandu le vertige dans les esprits, disait en i865 Mgr Daiboy, il ne


faut qu'un des mille accidents dont l'existence des peuples est rem-
plie pour que tout un ensemble d'institutions s'abîme dans un
suprême écroulement * . » Mgr Pie ne pensait pas autrement quand
il voyait dans lescommises par la Commune de Paris ua
atrocités

effrayant commentaire des condamnations portées contre le natura-


lisme révolutionnaire par le concile du Vatican *.
On a dit avec raison qu* « au point de vue religieux, le seul qui l^
doive nous occuper ici, la Commune a été une véritable saturnale tCoraïuue
. . . . de Pari^
d'impiété » ^. La confiscation de tous les biens dits de u mainmorte ^) *
; au
la fermeture immédiate et brutale des églises de Paris ^
; le fameux po'nt ^e vue
rfili ^1 PI ï'

^
décret des otages, publié le 5 avril, ordonnant l'arrestation de toute

personne prévenue de complicité avec le gouvernement de Versailles Le décrut


et l'exécution de trois otages désignés par le sort à la nouvelle de toute _^6* otages
, . 1, . • 1 1 i-( •! / • 1 (^ avril 187 f).
exécution d un prisonnier de la Commune ;
1 .

la terrible
1
exécution de
cet odieux décret ; le massacre de Mgr Darboy de ses compagnons je» massacres
et

le 24 mai, du P. Captieretde ses frères dominicains le 25 mai, du des otages

p. Olivaint et de quarante-sept autres victimes, religieux, prêtres et 37 mai


séculiers et laïques, les 26 et 27 mai : tels furent les principaux 1871).

attentats de la Commune. L'union déjà réalisée par une chrétienne


soumission entre les partisans de l'infaillibilité et les f< opposants »,
fut scellée dans le sang des uns et des autres.

Les terribles événements de la Commune, venant s'ajouter aux san-


glantes leçons de la guerre, furent le point de départ d'un renouveau
dans les œuvres catholiques de la France. Deux vaillants officiers, le ^^

capitaine d'état major René de la Tour du Pin et le lieutenant de deloeuvro


dragons Albert de Mun 6, ayant dû prendre part, après la guerre, à ,1
f^,^,'^*
la répression de la Commune, trouvèrent, dans les scènes sanglantes d'ouvrius.
qu'ils eurent sous les yeux, l'inspiration de se dévouer désormais
au relèvement des classes populaires. L'œuvre des Cercles ouvriers
naquit de cette inspiration '^.

Au mois de janvier 1871, pendant les plus mauvais jours de l'in-

1. Mgr FouLOW, Vie de Mgr Darboy, p. SSg.


2. Cardinal Pie, Œuvres, t. VII, p. 197.
3. Lbcaî<uet, op. cit., t. I, p. 98.
4. Journal officiel de la Commune, a avril 1871, p. i33.
5. Maxime du Camp, les Convulsions de Paris^ t. III, p. 3i7 Fo5tollibu, les
;

£glises de Paris sous la Commune, un vol., Paris, 1873 ; Leganuet, op. cit , p. ioo«
lo5.
G. Peu de temps après, capitaine de cuirassiers.
7, A. DE Mus, Ma vocation sociale.
592 HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLISE

Le « Vœu \asioii prussienue, quelques Français avaient faille vœu a de contri-


national au
Sacre-Cœur » buer, selon leurs moyens, à l'érection, à Paris, d'une église dédiée au
(janvier 1871). Sacré-Cœur » ^. Le 27 octobre suivant, Mgr Guibert, qui venait de
remplacer Mgr Darboy sur le siège de Paris, encouragea l'œuvre,
désignée désormais sous le vocable de Vœu national au Sacré-Cœur
de Jésus ^. Le 24 juillet 1873, sur la proposition du ministre des
cultes Jules Simon, l'Assemblée nationale, par 889 voix contre 1/16,
Erection déclara d'utilité publique la construction d'une église à Montmartre.
de la basilique
(le
L'arclievéque de Paris dédia le nouveau temple au Cœur de Jésus,
Montmartre et fit graver au frontispice du monument l'inscription sui-

vante : Sacraiissimo Cordi Chrisli Jésu, Gallia pœnilens et devota,


« Au Sacré-Cœur de Jésus, la France pénitente et dévouée. » Aux
pèlerinages que les catholiques multipliaient à Lourdes, à Chartres,
à Paray-le-Monial, à la Salette, àPoutmaiu, vinrent s'ajouter désor-
mais les pèlerinages à Montmartre.
La concjuote La loidu 12 1875 sur la liberté de l'enseignement supérieur
juillet
de la liberté
vint couronner, en quelque sorte, le grand mouvement catholique
de
renseigne- suscité par les événements de 1870 et 1871.
ment
Le premier projet de loi sur la liberté de renseignement supérieur
«u[K'rieur.
fut déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale le 3i juillet 1871.
Dépôt Les travïiux urgents qui s'imposèrent au Parlement retardèrent la
du premier
discussion de ce projet jusqu'au mois de décembre iS-i.Les débits
projet
(3i juillet furent brillants et acharnés. Tous les catholiques avaient pris part
1871).
à la campagne mais, comme en i85o dans la question de l'ensei-
;

Diveriité gnement secondaire, ils ne s'étaient pas placés exactement au même


d'a'ilitude des
point de vue. L'encyclique Quanta cura et le concile du Vatican avaient
caLiiolic|ues.
fait l'unité dans la doctrine, mais n'avaient pas pu faire disparaître

la diversité des tendances. Louis Veuillot, souffrant, ne put poiîit


prendre une part très active dans la bataille : il y intervint cepen-
dant pour écrire : « Je n'ai paf» demandé la liberté aux libéraux au
nom de leur prjncipe. Je l'ai demandée et je la demande parce que
c'est mon droit. Et ce droit, je ne le tiens pas d'eux, mais de mon
baptême, qui m'a fait digne et capable de liberté 3. » Le P. d'Alzoa
ressuscita la Revue de t enseignement chrétien, qui parut })ortant en

épigraphe ce cri de guerre, dirigé contre l'Université : Delenda Car-


Mgr Dupanloup déploya dans la lutte cette activité, cetie
tliaijo.

1. Ba-unaku, du card. Pie, t. II, p. 438,


llisL.

a. CnvNTHEL, 6G9-670.
p.
3. François Veuillot, Louis Veuillol, p. i43.
LE CONCILE nu VATICAN A LA MORT DE PIE IX SqS

tactique, cette habileté dans la discussiori par lesquelles, en i85o, Tactique


., , .
w r^ ..de Mlt Du-
il
. ,

avait réussi a rassurer


. ,

les partis modères


' 1 I
delà gauche.
^
Comme il
paaloup.
avait jadis gagné ïhiers à sa cause, il gagna au nouveau projet le

libéralEdouard Laboulaye. Sous la Ré[)ublique de 18/18, il avait


invoqué le danger du socialisme sous la République de 1870, au ;

lendemain de nos désastres, il se plaça sur le terrain du patriotisme.


« Tout le monde, après la guerre, constatait les lacunes de l'instruc-
tion publique en France, la faiblesse de l'enseignement supérieur, le

besoin d'un renouveau scientifique; il affirma que la liberté seule,


avec la concurrence, pourrait donner aux Facultés l'élan néces-
saire *. » Le projet de loi, très vivement combattu par Challomel-
Lacour et Jules Ferry, fut adopté, le 12 juillet 1875, à cinquante
voix de majorité.
L'cnsei'mement supérieur était déclaré libre. Les départements, ^ ^^ ^® l* '^*

les communes
11-,
diocèses pourraient
et les
. •
Ti
ouvrir librement des cours
I
(ï2 juillet
18-5).
et des Facultés. Pour la collation des grades, on avait fini par s'en-
tendre sur une transaction: les étudiants des universités libres auraient
le choix de se présenter, pour leurs examens, devant les Facultés de
l'Etat, ou devant un jury mixte, composé par moitié de professeurs
de l'Etat et de professeurs des Universités libres. Les jurys mixtes
devaient cire plus lard supprimés.
Au cours des débats sur cette importante question, de très vives
attaques avaient été dirigées par la gauche contre le catholicisme.
L'opposition anticléricale, en effet, n'était point morte, et profitait

de toutes les faiblesses du mouvement catholique. La première fai-

blesse de ce rtiouvement était dans k persistance des deux tendances, Origine* dua
libérale et autoritaire, dont nous venons de parler. La seconde fai- anliciérical.
blesse des catholiques était dans leur division en plusieurs partis po-
litiques. De diverses tentatives de restauration monarchique, faites

de 1871 à 1874, ils étaient sortis plus divisée que jamais en légiti-

mistes, orléanistes, impérialistes et républicains. Enfin les manifesta-


lions qu'ils avaient faites en faveur du pouvoir temporel du pape,
quelques exagérations de langage des journalistes, quelques accla-
mations peut-être imprudentes des foules, exploitées par la mauvaise
foi de la presse hostile, les faisaient passer, aux yeux de certaines
gens, pour les provocateurs téméraires d'une nouvelle guerre, pleine

I. G. \\ EiLL, Ilisl. du cath. lib. en France^ p. 196. Les deux principaux organes
des catholiques qui so plaçaient sur le même terrain que Mgr Dupanloi-\ élaiont
le Correspondanl et lo Bidlelinde la Société générale d'éducation,

Ilict j^oii. lie i'Ki^ii-f Vli] 3i


oq'i htstoti\f. r.KNrnALE nt: t/égusb

de risques. Les comités libres penseurs fondèrent de nouveaux jour-


naux. Le franc-maçon Jean Macé, directeur de \di Ligue de l'enseigne-
ment, poursuivit, par la publication de nombreuses brochures, sa

campagne pour « l'idée républicaine et laïque ». Gambetta se pro-


clama le « commis-voyageur» de l'anticléricalisme. La Répuhliqiu
La presse française, fondée par Gambetta, le Dix-neuvième siècle, dirigé pai
About et Sarcey, le Rappel, avec Vacquerie et Lockroy, dénoncaienl
chaque jour les prétendus abus depouvoir des prêtres. Charles Renou-
vier, dans la Critique philosophique, attaquait les principes catho-
liques. Renan recouvrait sa chaire au Collège de France. On s'effor

çait d'identifier, dans l'esprit des masses, le catholicisme avec h


conspiration contre le gouvernement établi, la République avec h
libre pensée. La Chambre élue en 1876 eutune majorité républicain»
et anticléricale. En vain maréchal de Mac-Mahon, président de 1<
le

République, essaya, en s'appuyant sur le Sénat, de résister à h


La Chambre Chambre. Le Chambre, « constatant que les menées ultra
II mai, la
républicaine
niontaines constituaient une violation flagrante des lois de l'Etat
aniiciéricale invita le gouvernement à user des moyens légaux dont il disposait »
de 1876.
Lg ^Q j^^j^-^ |g maréchal manifesta son intention de résister à li

Chambre par la nomination d'un ministère conservateur. La gauchi


feignit de voir dans cet acte une inspiration cléricale. « C'est un cou]
des prêtres ! s'écria Gambetta ; c'est le ministère des curés ! » Un flo

de journaux, de brochures, delibelles, propagés parla franc-maçon


nerie, répandit cette idée dans les milieux populaires, et les. gagna ei

partie. « La grande masse des citoyens, — écrivait dans son journa


intime le cardinal de Bonnechose, s'imagine que le triomphe du gou
La Chambre vernement actuel amènerait le despotisme et la guerre étrangère ^ :

élue les des i^-aS octobre 1877 donnèrent elles une fort
Aussi les élections
14-28 octobre . . , , , a r\ ? •
i^ 1 i /-.i i
est majorité a la gauche. On put prévoir des lorsque la Chambre triom
plus inclinée
encore
vers la gauche,
plierait tôt
*
écrivait le
ou tard du Sénat
iii du
Rappel, pour aborder
et

les
Président.
i^ror
grandes reformes
« Tout sera prêt alors
2. » Les grande
réformes, c'était la lutte ouverte contre le catholicisme sous ladircc
tion d'un homme dont l'influence ne cessait de grandir, Léon Gam
betta.

I . Mgr Besso^, Vie du cardinal de Bonnechose^ t. II, p. 234.


a. Le Rappel du 34 décembre 1877
.

LE CONCILE DU VATICAN A LA MORT DE PIE II 595

Ili

L'Eglise
Pendant la dernière des crises que nous venons de raconter, vers
catholique
le milieu du mois de septembre 1877, Pie IX, recevant des pèlerins en Allemagne.
français, avait terminé son allocution paternelle par cette prière :

« mon Dieu, je vous recommande la France !


* » Mais la France
n'était pas le plus grand objet de ses anxiétés. De 1870 a 1877,
l'Allemagne, menée par Bismarck, avait dirigé contre le catholicisme
des attaques non moins violentes et plus redoutables que celles que
méditait Gambetta.
On raconte que le terrible chancelier, recevant à Reims, le 10 sep-
tembre 1870, le député Werlé, ancien maire de cette ville, lui avait Bismarck,
pour achever
dit: « Les races latines ont fait leur temps... Un seul élément de
la ruine
force leur reste, quand nous aurons eu raison
c'est la religion ; des nationc
latines,
du catholicisme, elles ne tarderont pas à disparaître 2. » Le moyen
veut délruir»
le plus sûr d'avoir raison du catholicisme dans les nations latines, le

catholicisme.
c'était de le poursuivre partout, même chez les nations germaniques.
On le poursuivit en Allemagne. La tactique employée pendant
la guerre franco-allemande fut très captieuse. « Si l'on parvenait
à faire croire que les prêtres catholiques souhaitaient la défaite de
TAIlemagne, puis à établir d'autre part que les victoires allemandes PnHcxlct
invoqués.
étaient des victoires du protestantisme, ce serait l'affaire de quelques
votes, ensuite, pour mettre les catholio' es hors la loi. On épia donc
les propos des curés ; et les espions, laligués, finirent par en inven-
ter : on disait qu'ils faisaient prier pour les victoires des Français » ^.

D'autre part, « d'audacieuses questions étaient posées : allemand et

protestant, welche et catholique, devenaient des termes syno-


nymes *. )) Quand, en 1870, les catholiques d'Allemagne organi-
sèrent des pèlerinages à Beuron, à Fulda, à Rome même, Bismarck
manifesta son mécontentement 5. Quand, vers la fin de cette même Fondation
du « Centre
année, la soixantaine de catholiques élus au Landtag prussien, se
catholique »
constitua en groupe dénommé « Centre, parti de la Constitution », au Landtag
prussien

L'Univers du i3 septembre 1877.


1.
M'"« Edmond Adam, Après l'abandon de la revanche, Paris, 1910, p. 39O. Cf.
2.
DiANcoL'RT, les Allemands à Reims^ Reims, 188^.
3. G. GoYAu, Bismarck et l'Eglise, l. I, p. 69.
^. Ibid. , p. 71
5. Ibid., p. 4i 4a.
596 HISTOIRE GENERALE DE L ÉGLISE

bien que les chefs de ce groupe, les deux frères Reichensperger et


Savigny, fussent déloyaux serviteurs de la monarchie, la Gazette
gé-
nérale d'Augsbourg écrivit « Une bataille perdue sur la Loire serait
:

un moindre malheur » ^ Pour mieux combattre le catholicisme,


Bismarck Bismarck eut un moment l'idée d'organiser en Eglise nationale le
et îcs « Viuux-
Catiioliques )).
« Vieux-catholicisme » ; mais il ne tarda pas à se convaincre qu'il
n'y avait pas là une vraie force. Le peuple ne se laissa jamais entraî-
ner dans ce courant ; le Vieux-cathoUcisme ne fut jamais qu'une
« Eglise de professeurs » ;Bismarck, avec son sens politique, se dit
qu'en fait de mouvement religieux, trois cents paysans vivant leur
foi comptaient plus que douze professeurs pérorant dans leurs
chaires.
Bref, au lendemain même de la victoire de la Prusse sur la France,
Origine au lendemain du rétablissement de l'empire d'Allemagne au profit
du
KuUurkampfa de Guillaume P^ Bismarck songeait au'Kulturkampf. « Dès l'an-
née 1871, écrit le baron de Beust dans ses Mémoires, le prince de
Bismarck m'a annoncé (à Gastein), jusque dans les moindres dé-
tails, le Kulturkampf. »
Ce quMl faut
Que faut-il entendre parce mot de Kulturkampf, qui va résonner
entendre par
Kullurkampf. dans toutes les discussions soulevées à propos de la politique inté-
rieure de l'Allemagne ? Cette expression de « combat pour la cul-
ture » ou de K combat pour la civilisation », Kaltarkampf, ne pré-
cise pas assez de quoi il s'agit. On arrive à une plus grande préci-
sion en se souvenant que, pour Bismarck, tout le mouvement du
monde se ramène à deux cultures ou civilisations : la culture ger-
C'est la lutte
manique, qui s'inspire de Luther, et la culture latine, qui dérive du
du
germanisme catholicisme romain Le Kulturkampf est donc le grand duel du
contre le
romanisme.
germanisme contre le romanisme ^.

Ce un journal modéré de Berlin, la Kreuz-Zeitung, qui donna


fut

le signal de l'attaque dans un article à grand retentissement, le

22 juin 1871. On sut, plus tard, que Bismarck avait fourni les idées
de l'article, en avait même corrigé les épreuves 3.
Pr^nT res
Les actes suivirent de près les paroles. Le 8 juillet 1871, fut sup-
hos>ùIités.
primée, par voie administrative, la section catholique au ministère

1. G Gqyau. Bismarck et V Eglise, t. I, p. 80.


2. Parfois, il est vrai leparaîtra être la lutte contre le parti du
Kulturkampf
Centre, ou la lutte contre la Constitution de i85o maison s'aperçoit bien qu'au ;

fond tout se ramène à la lutte contre le romanisme.


3. Kannengieser, Catholiques allemands, un vol. in-ia, Paris, 1892, p. 25.
LE CONCILE DU VATiCA'f A LA MORT DE PIE IX 697

des cultes. Ce premier pas fait, les mesures de violence se succédèrent

rapidement. La première loi persécutrice fut votée par le Reichstag.


^-^
Elle permettait
r
aux tribunaux de condamner à la peine de la prison

1 1 1 • pars (graphe
OU de la forteresse les prêtres qui « abuseraient de la chaire pour de la chaire ».

mettre en danger la paix publique * ». Sous cette formule, la voie

la plus large était ouverte à l'arbitraire.


La seconde loi persécutrice émana du Landtag prussien. Mais
Bismarck, en la présentant, entendait bien qu'elle devînt une loi
pour l'Allemagne entière. Cette loi avait pour objet l'organisation
scolaire. Après la création de l'Empire, il s'agissait de dresser les

esprits dans Técole, comme on dressait les corps dans la caserne. Le


19 novembre 1871, le ministre déposa sur le bureau de la Chambr-e
un projet de loi qui rendait l'Etat maître absolu de l'école. L'Etat La loi scolaire

s'arrogeait le droit d'enseigner le catéchisme aussi bien que le calcul


^^ ^^^^^ jg^^
et l'orthographe 2. La loi fut votée le 1 1 mars 1872, après une discus-
sion des plus mouvementées. Elle fut l'occasion du premier grand

duol oratoire entre le chancelier de fer et un député hanovrien jusque-


là peu connu en dehors de sa petite patrie, Louis Windthorst.
Celui qu'on appelait déjà « la petite Excellence » était tout petit Louis

de taille. Avec son crâne énorme, ses petits yeux foui Heurs et sa

figure coupée en deux par une large bouche, que le moindre accès
de rire écarquillait encore, on cûtdit une caricature vivante détachée
de quelque dessin deCallot. Né, le 17 janvier 1812, en terre saxonne,
d'un paysan-avocat, qui se livrait à la fois au travail des champs
et à la jurisprudence, Louis Windthorst avait d'abord exercé. Ses onginea

comme soq père, la profession d'avocat. En 1887, les persécutions


exercées contre l'illustre archevêque de Cologne l'avaient profonde-
ment indigné ; le machiavélisme de la bureaucratie prussienne, dont
il fut le témoin, laissa en lui des souvenirs qui l'obsédèrent toute sa
vie. Entré au parlement de Hanovre en i8'/i8, il y avait pris aussitôt
une place importante. En i85i, le roi lui confia le ministère de la

justice. En 1870, il crut d'abord, comme Ketteler, que la défaite de


la France favoriserait le développement du catholicisme en Alle-
magne. Sa désillusion fut profonde. Il ne cessa pas d'aimer sa
patrie allemande; mais, entré au Landtag, il y devint bientôt un des
orateurs les plus actifs de ce Centre catholique, qui se proposait, tont

I. ^'oi^ la loi dans Chantrel, p. 696 Gotau, op ; cit., p. aog. Cette loi e«l
connue en Allemagne sous le nom de « paragraphe de la chaire »,
2 CiuriTREL, p. 6i5-6i8.
598 HISTOIRE GENERALE DE L EGLISE

en restant sur le terrain conslilulionnel, de défendre l'Ef^i se contre


tout empiétement du pouvoir civil.
Son Celui qui devait être bientôt le chef incontesté du Centre catho-
éloquence.
lique au Reichstag n'avait rien de l'éloquence ample et sonore
qu'on admirait alors en France chez un Montalembert et un Berr^er.
Ce n'était pas, non plus, le logicien rigide, déduisant d'un principe
solidement établi des conséquences rigoureusement enchaînées. Plus
S.1 tactique discuteur qu'orateur, plus tacticien que dialecticien, ses interventions
Labituelle.
dans un débat étaient des manœuvres. On craignait ses bons mots,
ses ripostes spirituelles, ses allusions touchant le point sensible. Il

fut un des plus grands interrupteurs du parlement germanique mais ;

ses adversaires l'interrompaient le moins possible ils savaient qu'au ;

lieu de le déconcerter, ils exciteraient au contraire l'âpreté de ses


ripostes ^
Dès ce premier grand débat, Windthorst se révéla avec toutes ses
Son qualités de verve et de merveilleux à-propos. Le matérialiste Vir-
intervention
dans chow, le juriste Gneist, le radical Lasker et le ministre sectaire Falk
ta discussion venaient de s'efforcer de prouver que toutes fractions du parle- les
de la loi
scolaire. ment devaient se coaliser pour défendre l'Etat contre les entreprises
d'un ennemi extérieur, de l'Eglise. L'Etat, les intérêts de l'Etat, la
défense de l'Etat : tels étaient les mots qui revenaient sans cesse sur
les lèvres des orateurs. Windthorst, de sa petite voix grêle, mais
qu'on sentait implacable, demanda importunément : « Cet Etat,
sur quel principe repose~t-il ? Est-ce sur le principe monarchique,
jusqu'ici respecté ? Est-ce sur un principe inverse, dernièrement
découvert par le chancelier ? » C'était faire comme une trouée dans
la majorité si péniblement composée par Bismarck ; c'était même
opposer Bismarck au roi lui-même. Le député hanovrien continua
son discours, plein d'allusions pénibles, de personnalités lointaine-
Boponse meut visées. On dit qu'à l'entendre, le chancelier faillit perdre l'as-
de Bismarck. surance dont il se départait si rarement. Quand il se leva pour
répondre, ce fut pour se dérober par l'outrage, par l'invective vio-
lente, excessive, aux indiscrètes questions du député catholique. Il

déclara que le clergé avait plus à cœur les intérêts de la religion

catholique que le développement de l'empire allemand ; il essaya de


brouiller Windthorst avec le Centre, en le présentant comme un ora-

i.Guizot, qui l'avait observé, disait: «C'est le premier discuteur de notre


éuouue. »
LE CONCILK DU VATICAN A LA MORT DR PIE IX DqC)

leur compromettant. Bref, la loi fut volée avec une majorité de


02 voix ; mais Bismarck comprit qu'il avait désormais à lutter contre
une puissance qui, à chaque empiétement sur les droits de l'Eglise
catholique, se dresserait devant lui.
Le i5 mai 1872, ce fut eu plein Rcichstag que Bismarck dut, Le « Centre
p . ,,,. ^1 T 1 , catholique »
encore une lois, se mesurer aVec Windllioist. (^omme au Landtag
,

au Reichsia".
prussien, les députés catholiques du Ueichslag, parlement de l'em-
pire, s'étaient réunis en un groupe dénommé Centre, et le député do ^^^
__
Hanovre y avait
.
'l'Ai
conquis bientôt la
•»
première place.
1 TT -II-
Un piojet de loi
,

d'expulsion
contre
.

demandait que les jésuites fussent expulsés de toute l'Allemagne. ^«^ jésuites

Suivant sa tactique, Windthorst démasqua le but secret du chance- (18-a).


lier. (( Je vois votre dessein, s'écria-t-il. Vous avez essayé de fonder,
avec Dœlhnger, une Eglise nationale. Vous avez échoué, mais pour
reprendre un projet plus odieux : vous voulez détacher les catholiques
allemands de l'obéissance au Saint-Siège pour les soumettre au knout
de votre police. » Les démocrates et quelques progressistes votèrent
avec le Centre ; mais la loi qui exilait k-s jésuites fut adoptée par
i83 voix contre loi et publiée le l\ juillet 1872 '.

Combien Windthorst avait vu juste, les événements ne tardèrent Les

pas à le montrer. En 1872, Bismarck préparait déjà cette Constitu-


tion civile du clergé d'Allemagne, si tristement fameuse, sous le nom
de Lois de Mai. On a su, depuis, que le chancelier de fer avait été

puissamment aidé dans cette préparation par la franc-maçonnerie


« C'était un maçon très fidèle et très pratiquant, dit Georges Goyau,
que Guillaume I"^ ; un maçon même qui, s'il faut en croire Bismarck,
protégeait volontiers, dans leur carrière de fonctionnaires, certains de Intervention

ses frères 2. >) Tout indique que le ministre Falk, principal maçonnerie
auteur des Lois de Mai, fut, dans sa campagne, le porte-voix des loges
et l'exécuteur de leurs desseins. D'ailleurs la presse maçonnique
d'Allemagne n'a pas craint de s'en faire gloire. ^ Nous croyons, écri-
vait, à la date du 26 octobre 1878, le Hérault Rhénan, pouvoir
légitimement affirmer que c'est l'esprit de la franc-maçonnerie qui,
dans le dernier procès qui s'instruit contre l'ultramontanisme, a
prononcé sa sentence 3. «Quelques jours après, la Freimaurer Zeitung,

1. Chantrel, p. 649-658.
2. G. CÎOYA.U, Di^inarck el l'Eglise^ l, p. ii6 Cf. Kohut, Die Hohenzollern und
t.

die Freiinaurerei, I25 189 Bismarck, Geidrescken und Trinne-


Herlin, 1909, p. ;

rancji'ii, t I, p. ao/i, traci. française, t. I, p, 2G1-264.

3. Cité par Deschamps, les Sociclés secrètes et la société, t. II, p. Ai3.


6oo niSTOTRÊ GlfiN^RALE DE l'eGLISK

à la suite d'un échange de lettres entre le pape Pie IX et l'ennpereur


Guillaume, publiait les lignes suivantes : « Quand sont ainsi en
présence deux antagonistes : l'empereur, qui, en sa qualité de franc-
maçon, estime et protège l'Ordre, et le pape, qui le maudit, la franc-
maçonnerie doit se mettre du côté où elle est comprise et aimée *. »
AnaTyse Les lois dites de Mai, ainsi nommées parce qu'elles furentpresque
des
Lois ie mai. toutes votées en mai 1878, en mai 1874 et en mai 1876, ont été
justement comparées, dans leur ensemble, à la Constitution civile du
clergé votée en 1790 par l'Assemblée constituante française. Les
quatre lois publiées le i5 mai 1873 étaient relatives à l'éducation du
clergé, à la discipline ecclésiastique, à l'intervention de l'Etat dans
la nomination de tous les curés. En vain fit-on remarquer que ces lois
étaient en contradiction formelle avec deux articles de la Constitu-
tion : l'article i5, qui reconnaissait « aux Eglises évangélique et

catholique romaine le droit de s'administrer elles-mêmes », et l'ar-


ticle i8, qui leur reconnaissait également « le droit de nomination
et de confirmation aux emplois ecclésiastiques )). Le chancelier
répondit avec insolence que les articles i5 et 18 de la Constitution
Elles
ne consacraient pas une liberté fondamentale, rnais seulement un
constituent
«ne violation modiis vivendi, octroyé à l'Eglise par l'Elat, et que celui-ci restait
flagrante
maître de modifier à sa guise 2. En 187/1, les lois du 11 mai 1878
de la
Constitution. furent complétées par trois nouvelles lois, votées les 4» 20 et 21 mai.
Une du 4 mai, dite loi du « bannissement », permettait aux tri-
loi

bunaux de condamner à la prison et môme à l'exil les prêtres


destitués de leurs fonctions par le gouvernement s'ils exerçaient des
lonctions ecclésiastiques. La loi du 20 mai attribuait à l'Etat des
droits exorbitants sur les évêchés catholiques vacants. Celle du
21 mai réglait d'une manière arbitraire et tyrannique la nomination
des clercs ^. Enfin, en 1876, du 22 avril, supprimant les
une loi

traitements ecclésiastiques en Prusse, et une loi du 3i mai, ordon-


nant la dis|:)ersion de tous les ordres religieux, sauf ceux qui étaient
voués aux soins des malades, et donnant même au roi le droit desup-

Cité par Desch^mps, les Sociétés secrètes et la société^ t. II, p. ^i^.


I,
Discours de Bismarck du 10 mars 1878. Sur les lois de mai de 1878, voir
2
GoYAU, op. cit. y t. I, p. 3o8-/io8. Voir un résumé de ces lois dans Ghantrel,
p. 274.
3 Voir les textes complets de ces lois dans Ghantrel, p. 274-278. On trouvera la
texte de toutes les lois de mai dans Lefebvre de Béuaine, Léon XIÎI et Bismarck^
Paris, 1899, p. 227-249
LE CONCILE DU VATICATf A LA MORT DE PIE IX 6oi

primer ces derriieis par voie d'ordonnance spéciale, vinrent mettre le

comble à la pcrséculion.
Au cours des discussions de ces diverses lois, les chefs du Centre,
Windthorst en particulier, quoique certains du vote final, avaient
défendu pied à pied les droits de l'Ej^dise. « Je le sais, s'écriait

Windthorst, au milieu des débats des lois de mai 1873, plusieurs Dérbration»

d'entre vous désireraient bien nous voir, nous, catholiques, employer windthorst
des moyens illégaux de résistance. Eh bien ! nous ne les emploierons ba résistance

pas. Mais il y a une résistance passive, pleinement justifiée Celle-là,

nous devons la pro tiquer, nous le voulons ; et, contre elle, tôt ou
tard, se briseront tous vos projets ^. y) — « Vous voulez nous enlever"
.ios prêtres, disait-il en 1874, et vous croyez pouvoir nous en envoyer
de faux. Quelle erreur est la vôtre ! Voulez-vous contrarier nos sen-
timents ? Soit 1 Mais vous n'arracherez pas la foi de nos âmes. Pre-
nez nos églises ; nous prierons chez nous 1 Chassez nos prêtres ; nous
prierons tout seuls ! »

L'attitude des catholiques répondit à ce fier langage, « Dans un Courageuse

élan admirable, fidèles et clergé, résolus à ne pas se laisser absorber *


^^
par le protestantisme, décidrrent de résister jusqu'au martyre. Sur catholiques,

des milliers de prêtres, une douzaine à peu près se résignèrent à


devenir a curés d'Etat ». Quant au peuple, la persécution réveilla et
aviva sa foi. L'épiscopat et le clergé regardèrent les lois de mai
comme non avenues, et opposèrent un non possumus formel aux pré-
tentions de l'Etat. Le résultat ne se fît pas attendre. Tous les sémi-
naires furent fermés ; les couvents, de même. Des évêques furent
jetés en prison. Le 3 février 1878, l'archevêque de Posen, le cardinal Persécutior
violente
Ledochow^ski, fut arrêté brutalement et subit une dure détention de
plus de deux ans. Le 7 mars, l'évêque de Trêves, le vénérable
MgrEberhardt, prit le même chemin, et eut la gloire de mourir sur
le grabat misérable d'une prison, à la suite de mauvais traitements.
Le 3i mars, ce fut le tour de l'archevêque de Cologne, Mgr Melchers,
qui ne sortit des mains du geôlier que pour prendre le chemin de
l'exil. La résistance, calme et froide, exaspérait le gouvernement.
Les évoques restèrent inébranlables, comme les confesseurs de la foi

des premiers temps du christianisme. L'évcque auxiliaire de Posen,


Mgr Janiszewski, avait pris en main l'administration du diocèse
lorsque le cardinal Ledocho^vski fut enlevé à son troupeau. Il fut
arrêté le 27 juillet. Huit jours après, l'évêque de Paderborn fut éga-
lement jeté en prison. Puis, le 18 mars 187^, le même sort échiit à
602 HISTOIRE GENliUALE DE L EGLISE

celui de Muuster, et, le 19 octobre, à l'évêque auxiliaire de Gnesen,


Mgr Cybichowski. Des centaines de prêtres furent emprisonnés,
bannis, spoliés, réduits à la famine et à la misère. La persécution
violente dura au delà de sept ans. Elle produisit l'effet opposé à ce-
lui qu'attendaient ses promoteurs. Elle trempa les catholiques alle-
Puissance mands, et fut le ciment qui donna au Centre cette cohésion par
du Centre.
laquelle il devint, malgré ses éléments disparates, le parti le plus
puissant du Reichstag. Lors des élections de 1871, les catholiques
avaient envoyé 67 députés au parlement. A la fin du Kiiltiirkampf,
Progrès Windthorst disposait d'une armée triple. Il s'était produit en Alle-
de la foi en
Allemagne. magne ce phénomène étrange, que la proportion des députés catho-
liques était supérieure à celle de la population catholique ^ ».

Le prince chancelier s'avisa que son ministre des cultes avait fait

décidément trop de zèle Le 3 juillet 1879, le trop fameux Falk dut


donner sa démission. D'autre part, le gouvernement prussien se sen-
tait envahi par le socialisme ; il avait besoin de nouveaux appuis.
Recul Dans un discours célèbre, Bismarck s'écria « La lutte civilisatrice :

de Bismarck m'a privé du secours naturel du parti conservateur... Mais je ne tiens


(ï87G)-
pas les conflits pour des institutions durables Les conflits cessent

dès qu'on a commencé à se connaître dans des travaux communs ^. »

Ce n'était pas la fin du Kallurkampf, mais c'était le prélude d'une


paix relative.

1. A. Kannengieser, Catholiques allemands, p. 3o-32. —


Les catholiques,
d'ailleurs, n'avaient pas été seuls à s'alarmer. Les protestants croj'ants, notamment
les conservateurs, s'étaient aperçus que, derrière le catholicisme, c'était le christia-
nisme tout entier qui Que furent, en effet, la campagne contre l'école
était visé. «
confessionnelle et la campagne en faveur du mariage civil, sinon deux tentatives,
réussies du reste, contre le confessionnalisme^ protestant ou catholique, et par con-
séquent contre le christianisme lui-même ? « Les pasteurs luthériens, déclarait
Bismarck, le i^»' janvier 1872, ne valent pas mieux que les catholiques. » C'est
donc très justement que le député {)rotestant Bruel dénonça, à propos des lois sur
l'inspection scolaire, le danger qu elles faisaient courir à l'une et l'autre confes-
sion. (( C'est une loi païenne, dcclara-t-il tout net elle répond à l'idée païenne de
;

l'Etat-Dicu »... Chrétien, Bismarck l'était à sa manière, qui ne voulait pas être
gênée par Dieu, mais fortifiée par lui pour le service de l'Etat Autant dire que
le christianisme prenait, chez le chancelier, la forme du germanisme. )) (Paul
Gaultier, le Germanisme contre le Christianisme ^ dans le Correspondant du 25 mai
1917, p. 788.
2. Chantrel, p. 798-799,
LE CONCILE DU VATICAN A LA MORT DE PIE IX 6o3

IV

S'il est un fait aujourd'hui prouvé avec évidence par l'histoire, L'Eglise
catholique
c'est que Bismarck, en poursuivant Kulturkampf en Allemagne,
le en Suibse.
ne perdit jamais de vue l'œuvre d'un Kulturkampf international. « Ce
fut lui, écrit l'historien de VAlteniag/ie religieuse, ce fut lui seul
qui fit effort, à certaines heures, pour acclimater dans l'Europe en-
tière l'idée d'une guerre universelle contre Rome, et pour imposer Le
Kulturkampf
cette idée aux diverses souverainetés^. » Nulle part, le plan du chan- international.
celier ne se réalisa plus complètement qu'en Suisse. « Il y a, en effet,

plus qu'une coïncidence entre les lois de mai édictées à Berlin et la


guerre déclarée aux catholiques par les gouvernements de Berne et

de Genève. Personne ne s'y est mépris ^. »


Par la vaillance légendaire avec laquelle ses fils ont défendu l'in- Que faut-il
entendre parle
dépendance de leur pays contre l'étranger, et par leur attachement libéralisme
passionné aux libertés civiles et politiques, la Suisse mérite son renom de la Suisse ^

de « terre classique de la liberté » ; mais, sur le terrain religieux,


nulle part, depuis Calvin, le protestantisme ne s'est montré plus in-
tolérant. Le pacte fédéral de i8i5, en stipulant, de la manière la

plus formelle, le respect des institutions catholiques, semblait avoir


mis fin à ces traditions de tyrannie religieuse. Nous avons vu, plus
haut, comment, dès 1819, la vieille animosi té huguenote se réveilla.

En 1870, après la victoire de la Prusse, qui fut considérée comme


celle du protestantisme sur le catholicisme, et sous des influences
germaniques dont il est facile de trouver les traces, l'esprit de per-
sécution se déchauia. « A Genève, on était prêt. Le plan de cam-
pagne avait été élaboré à loisir. Le 23 octobre 1871, le gouvernement
annonça au Grand Conseil, cest-à-dire à la Chambre des députés, le

prochain dépôt d'un projet de loi sur les fabriques, « lequel aurait
pour résultat, disait-il, de démocratiser l'Eglise catholique ^ ». Ce fut
à cette occasion que Carteret, président du Conseil d'Etat, autrement Le président
chef du pouvoir exécutif, prononça Carie ret.
dit, la fameuse phrase : u Ce qu'il
nous faut, c'est que l'Eglise catholique s'en aille avec le bâton et la

besace ». En arrivant au pouvoir, cet homme avait déclaré qu'il avait

I. G. GoYAU, Dismarch et V Eglise^ t. l. p. 22, cf. Paul Gaultier, loc. cil»


a. P. J. BuRMGHON, dans les Etudes du ao février iS08, p. 4^7.
3. BuRMCHON, op. cit., p. 442.
6o4 HISTOIRB GÉNÉRALE DE l'ÉGLISE

î/influence un mandat, celui àe combattre les « agitations confessionnelles ».


clc 13. irsnC"
maçonnerie Quand on sc rappelle que la Suisse était, depuis le commencement du
et de siècle, le rendez-vous des sociétés secrètes, on conjecture, avec de
° * grandes probabilités, d'oii pouvait lui venir son mandat et quand on
;

étudie ses formules, on conclut avec certitude qu'il les tenait de l'Al-
lemagne.
Premières lois Les premiers coups furent portés contre les congrégations rcli-
contre les • •

conoTé''ations gîeuses. Une loi du 3 février 1872 les astreignit à demander Fautori-
religiciises sation de l'Etat. Quelques mois après, le 29 juin 1872, le gouver-
nement prenait un arrêté d'expulsion contre les Frères des Ecoles
clitcliennes, interdisait l'enseignement aux Filles de la Cbarité, et

défendait à toutes les communautés religieuses de s'adjoindre de


nouveaux membres.
Ces premières mesures n'étaient que le prélude d'un exploit plus
retentissant.
Le 25 septembre 186/4, Pie IX, déjà restaurateur de la biérarchie

catholique en Angleterre et en Hollande, et désirant compléter goii

œuvre par la résurrection du siège de saint François de Sales, avait


nommé, comme auxiliaire à MgrMarilley pour le canton de Genève,
un jeune prèlre, déjà connu par son zèle, déjà célèbre par les ser-
MgrMer- mons qu'il avait donnés à Turin, à Vienne, à Paris et à Rome. Tl
millod.
s'appelait Gaspard Mermillod. Il était né d'une humble et chrétienne
famille, dans la petite ville de Carouge, aux environs de Genève, et
avait exercé dans cette dernière ville, de 1847 à 1867, les fonction»

de vicaire de la paroisse Notre-Dame ; de 1857 à i864, celles d'ad-


ministrateur de la même paroisse. En lui conférant le carac-
II (?«!tnonfimé 1ère sacré de l'épiscopat, le souverain pontife lui avait adressé ces
auxi laire
paroles : « Allez, montez sur le siège de saint François de Sales ;

Mgr Marilley allez vers cette Genève qui n'a pas craint de s'appeler la Rome pio-
^^^ '864)™''^^ testante, et convertissez- la K »

Une pareille exhortation avait causé une vive émotion parmi les

protestants de la Suisse et du monde entier. Le triangle protestant », f<

Vive émotion Berlin, Londres, Genève, déjà mis en péril à Londres par le mouve*
^
ïï^^nt d'Oxford, allait il subir un nouvel assaut à Genève ? Le nou-
d^e^Genève"
veau prélat n'était pas seulement un orateur éloquent ; c'était un
Œuvres homme d'action, un militant, ses ennemis disaient : un combatif.
hteTueT" ^^^ le début de son ministère, pendant la péaode de soû vicaiiat à
millod.

I. CuAKTnBL, p. G81,
LE CONCILE DU VAT4CAIf A LA MORT DE PIE IX 6o5

Notre-Dame de Genève, il s'était occupé activement d'oeuvres de


presse, et s'y était nnontré polémiste infatigable. En i85i, il s'était

agrégé à un groupe de prêtres, constitués en association, pour évan-


géliser le canton de Genève. En i852,il fonda une revue mensuelle,
les Annales catholiques de Genève, destinée surtout à la controverse
avec les protestants ^. En même temps, il parcourait les grandes
villes de l'Europe, quêtant pour ses œuvres, et revenant à Genève,
pour y bâtir, avec le produit de ses quêtes, des églises et des écoles.
En 1867, il créa à Genève un journal bebdomadaire, devenu depuis
quotidien, le Courrier de Genève, en vue de stimuler les calboiiques
dans la lutte. Après la prise de Rome, au 20 septembre 1870, il fut

un des premiers à flétrir l'entrée des troupes piémontaises dans la II flétrit


l'entrée
Ville éternelle. « Pic IK est prisonnier au Vatican, s'écriait-il, et
à Rome
l'Europe se tait 1... Aurions-nous cru que notre siècle si fier verrait des armées
de telles ignominies ^ ? » Pendant la guerre franco-allemande, il
piémontulsas.

organisa, avec le concours de plusieurs publicistes catboliques de


divers pays, la Correspondance de Genève, qui, pendant plus de deux
ans qu'elle vécut, fut l'organe international le plus répandu pour kl

défense du Saint-Siège.
Le nouveau prélat ne dissimulait pas, du reste, ses grands projets. Il

le faisait même avec une ardeur que d'aucuns trouvaient intempestive.


Le 3o octobre i864> en prenant possession de l'église de Notre-Dame,
i.' s'était écrié : « Je vais marcher sur des charbons ardents ; mais
il est dans ma liature d'aimer les situations nettes et claires... Le
Saint-Père pouvait d'un seul coup créer un évêché de Genève, rele- Il se propose
de travailler
\(iT de fait l'ancien diocèse. Il le pouvait en vertu des traités de i8i5 ;
au relèvement
i! le pouvait eu vertu des lois fédérales et cantonales qui garantissent de l'ancien
diocèse
la liberté des cultes. C'esH par ménagement que Pie IX n'a créé qu'un
de Genève "

évêque auxiliaire... Je suis sans traitement, sans évêché ; mais quand (i864).
je n'aurai plus rien à donner, je prendrai le bâton de pèlerin, j'irai

mendier dans les grandes cathédrales de l'Europe^.» Le même jour,


tou«s les curés du canton lisaient en chaire une Lettre pastorale au
sujet des élections des députés au Grand Conseil.
La promotion de l'abbé Mermillod à l'épiscopat avait été notifiée Irritation
des autorités
ofiiciellcmcHtau Conseil d'Etat, qui l'avait enregistre sans protes-
protestantes
tation ; et, pendant sept ans, les autorités de la République helvé- de la Suisse.

I. Dom(iRosPBLLiBR. Inli'oduction aux oeuvres du cardinal Mermillod, p. 10.


a. Cma.ntuel, Annales, p. 68j .

3. d'Aghigenïk, le cardinal Mrrniillod, un vol. in-8û, Paris, i8o3, p. 28-29.


Go6 HISTOIRE GENERALE DF. T EC.MSE

tique ne soulèveront aucune objection contre le nouvel état de choses.


Mais l'irritation produite dans les milieux protestants par l'activité

incessante de Mgr Mermillod Au mois de


grandissait visiblement.
juin 1872, le pourvu à une cure de campagne et notifié
prélat ayant
Premier cette nomination au gouvernement, celui-ci affecta de ne tenir aucun
conflit
entre, le
compte de celte notification, et s'adressa directement à l'évêque titu-

gouvernement laire, Mgr Marilley, qui résidait toujours à Fribourg. On luidemanda


et MgrMer-
si la mominalion avait été faite par son ordre on du moins avec son
millod
'juin 1872). agrément. Mgr Marilley ne vit pas le piège. Le prélat — pourquoi ne
pas le dire ? — gardait dans un recoin de son cœur une goutte d'amer-
tume pour le démembrement de son diocèse. Il eut le tort de le laisser

voir aux magistrats de Genève. Il leur déclara que, sur la demande


du souverain pontife, il s'était déchargé surMgr Mermillod de toute
l'administration spirituelle des catholiques de leur canton. Au surplus,
il ne voyait pas de difficultés à la nomination faite par son auxiliaire.
Destitution « Cette lettre, interprétée par la malveillance, devenait, aux mains
de Mgr Mer-
millod,
du Conseil d'Etat et de son chef, la preuve manifeste des menées
par le Conseil souterraines de la curie et de Mgr Mermillod. C'était bien l'évêché de
d'Etat
Genève que l'on voulait rétablir à la sourdine. Tout était permis
(septembre
1872). pour réprimer un tel attentat. Le 3o août, un acte du gouvernement
enjoignait à Mgr Mermillod de s'abstenir de toute fonction épisco-
pale. Quelques jours après, un arrêté du Conseil d'Etat destituait le

prélat de ses fonctions de curé et de vicaire général ; un autre arrêté


interdisait aux prêtres du canton toute relation hiérarchique avec lui.

C'était la guerre ouverte qui commençait*. » Mgr Agnozzi, nonce


du Saint-Siège à Berne, proposa vainement au Conseil d'Etat de Ge-
Mgr Mer- nève d'engager des pourparlers en vue d'un accord.Le souverain
mi llod, vicaire
pontife se décida alors à soumettre la chrétienté de Genève au régime
apostolique
de Genève des pays infidèles en nommant Mgr Mermillod vicaire apostolique.
(16 janvier
Ce fut l'objet d'un Bref du 16 janvier 1878.
1873).
A cette nouvelle, le président Carteret entre en fureur. Il fait

Exil du prélat sommer, une seconde fois, Mgr Mermillod de renoncer à toute fonc-
(11 février
tion ecclésiastique, et, sur le refus de l'évêque, le 11 février 1878, il
1873).
le fait arrêter par la police, qui le saisit dans son appartement, le

jette dans un fiacre et le conduit à la frontière. Un décret du Con-


seil d'Etat lui interdit de remettre le pied sur le territoire suisse 2.

P. BuRNicHON, S. J., dans les Etudes,


1. t. LXXIV, p. 446-447-
2.Voir les détails de cette arrestation et de cette expulsion, dans Gha:ntrel,
p. 777-778.
LE CONCILE DU VATICAN A LA MORT DE PIE IX 607

« Mgr Mermillod établit sa demeure dans ce village de Ferney que


le séjour de Voltaire a rendu fameux. 11
y passa dix ans. S'il ne
pouvait aller à Genève, Genève allait à lui. D'ailleurs, rien ne l'em-
pêchait de faire le tour du territoire confié à sa sollicitude pastorale.

Le canton de Genève, formé de deux bandes étroites le long de la


pointe du Léman et ensuite du Rhône, est comme un coin enfoncé
dans la terre de France. Sans sortir de la terre
...
française, le vicaire
Installé
sur
frontières
168

les clochers, entendre sa ^le la Suisse,


apostolique pouvait apercevoir tous faire
. , . y ^ c .'y '1 Continue
voix aux populations accourues a la trontiere sur son passage, ^^^ apostolat.
administrer la confirmation, en un mot remplir un ministère que
la persécution rendait plus éclatant et plus fructueux ^ »

Qu'allait faire le Conseil d'Etat pour se venger ? Au Reichstag


allemand, le minisire Falk venait de déposer, le 8 janvier 1873, ses
fameux projets de lois persécutrices. Le présidant Carteret ne tfbuva
rien de mieux à faire que de marcher sur ses traces. « La Répu-
blique suisse, —
écrivit peu de temps après le journal français le

Temps, — pouvait imiter le système de sa grande sœur de l'Atlantique;


elle a préféré imiter l'Allemagne et faire des lois de combat. »

Le 19 février, le Grand Conseil vota un projet de réorganisation de La Loi de

l'Eglise catholique. Le 3o mai, la Suisse eut sa Loi de réorganisa/ ion de'^rÈqlise


de f Eglise catholique, comme la France avait eu sa Constitution civile catholique
o ™*^
du clergé, comme l'Allemagne avait ses Lois de mai, comme l'Au- * /
)>

triche allait avoir ses Lois confessionnelles. Suivant la tactique ordi-


naire, les articles i et 2 garantissaient « la liberté de conscience » et

le f< libre exercice du culte ». Mais Tarticle 6 déclarait qu'il appar-


tenait au Grand Conseil de u supprimer des cures ou d'en créer de
nouvelles » ; l'article 19, que « la surveillance de la vie religieuse et

du service divin » était du ressort des Conseils de paroisse ; les

articles 25 et 26, que « pour faire partie du clergé, le prêtre catho-


lique devrait le demander au Conseil exécutif». Les articles 29 à
33 réglaient l'élection du curé par l'assemblée paroissiale à la majo-
rité des voix, et Farlicle /|8 soumettait tous les mandements et ordon-

nances de l'autorité supérieure ecclésiastique au placet de l'Etat ^.

Pour celte « Eglise catholique nationale», il fallait des prêtres. A Organisation

l'honneur du clergé de Genève, il ne se produisit pas dans ses rangs ^^atholiaue**


une seule défection. On fit appel aux apostats du dehors. L'ancien nationale ».

I. BiRMciioN, op. cit., p. 449.


3. ClIANTREL, p. 30.
6o8 HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLISE

ca:nie Loyson se présenta, le 12 octobre 1873, aux sufTmges des


électeurs pour la cure de Genève, et y fut élu, avec deux coadjuleurs ;

mais, moins d'un an après, ne pouvant supporter l'encombrante


L'ex-Père tutelle du comité laïque qui prétendait, conformément à la loi, sur-
Hyacinthe veiller son administration, malheureux intrus démit de sa charge,
le se
à Genève
(1873-1874). en déclarant, le /Jaoût 1874, que l'Eglise prétendue libérale et catho-
lique de Genève ne lui paraissait « ni libérale en politique ni catho-
lique en religion w.Des intrus de moindre valeur se contentèrent des
conditions qui leur furent faites.

Prise de
Pour u l'Eglise catholique nationale », il fallait des édifices reli-

possession gieux. La loi nouvelle avait déclaré que tout édifice religieux appar-
par le
gouvernement tiendrait de droit « au culte salarié par l'Etat ». En conséquence,
de toutes le gouvernement mit la main sur toutes les églises, chapelles et pres-
les églises
et chapelles bytères catholiques. En plusieurs endroits, les fidèles spoliés pro-
catl\olic]ues. testèrent. Beaucoup d'entre eux furent condamnés à l'amende ou à
la prison.

Ni le clergé, en effet, ni les fidèles, puissamment encouragés


Constance par leur premier pasteur, ne se laissaient abattre par la persécution.
adan'iablc des
Ils se réunissaient dans des hangars, dans des granges, qu'ils trans-
caliioliques.
formaient eui chapelles. Par une singulière ironie, où l'on se plut à
voir la mam de la Providence, le temple maçonnique de Genève
ayant été mis en vente par ordre de justice, des catholiques en firent
l'acquisition, et le lieu de réunion des loges devint l'église du Sacré-
Cœur.
Décadence Bref, en 1879, 1' « l'Eglise catholique nationale » était en pleine
de l'Eglise
décadence ^ et le catholicisme témoignait à Genève d'une puissante
schismatique.
vitalité. Si Bismarck avait compté sur le succès du schisme en Suisse
pour consolider son œuvre en Allemagne, il dut se trouver singulière-
ment déçu 2.

1. Voir Revue des Deux Mondes, 1879. *• XXX VT, p. 705,


2. On trouvera plusieurs documeiils intéressants sur la question, dans un ouvrage
anonyme intitulé Histoire de la persécution religieuse à Genève, Essai d'un sclùsme
d'Etat, un vol. in-12, Paris, Lecofl're, 1878. Cf. P. -Y. Marcual, les Réformateurs
de Genève^ brochure de 64 pages, in-S", Lyon, 1876.
LE CONCILE DU VATICAN A LA MORT DE PIE IX 609

Dans son projet de Kiilturkampr international, le chancelier aile- L'Eglise


ohque
mand n'avait Apas seulemen-t cherche des auxiliaires en Suisse ; il avait ^*.
eu Autriche.
escompté le concours de l'Autriche. Au cours de sa lutte contre
l'Eglise, il n'avait pas eu jusque-là de meilleur auxiliaire que son
collègue autrichien, le chancelier de Beust. En plein concile, au mo-
ment où le schéma de Ecclesia, comprenant la définition de l'infail- La politique
re igieuse
lihililé pontificale,
I
était mis en délibération, le premier ministre de
. .
'^" chancelier
l'empereur François-Joseph avait protesté avec une brutalité hau- He Beu»t.

taiue qui faisait prévoir les pires violences. « L'attitude prise par
une minorité imposante, disait-il, — le lo février 1871, dans une
dépêche au comte de Trauttmansdorff, — minorité parmi laquelle nous
voyons avec une vive satisfaction figurer les noms les plus illustres
de l'épiscopat austro-hongrois, nous permettait de croire à un résul-
tat final ptus conforme à nos vœux... Le gouvernement impérial et
royal se réserve la faculté d'interdire la publication de tout acte
lésarht la majesté de la loi, et toute personne enfreignant une pareille
défense serait responsable de sa conduite devant la justice du pays..
Veuillez rappeler à Mgr le cardinal secrétaire d'Etat les principes de
l'application desquels Sa Majesté impériale, royale et apostolique ne
saurait déviera »
Cette lettre n'était pas une vaine menace. Après la définition de Dénonciation,
par ^empereur
rinfaillibililé, les ministres de Sa Majesté déclarèrent que u le pape
infaillible n'était pas le pape avec lequel l'Autriche avait conclu un Joseph,

auxquels le
,.
concordat, et que les évêques ne seraient plus désormais
ir-i-
concordat avait accorde certains droits ».
les
T-.
En consé-
prélats ^" concordat
autrichien
(3o juillet
quence de cette déclaration, qui fut insérée dans la Gazette officielle ^8701.

de Vienne, l'empereur adressa au ministre des cultes la lettre sui-

vante : u Cher ministre Stremayr, comme la convention conclue à


Vienne le 18 août i855 avec Sa Sainteté le pape Pie IX a été frappée
de caducité par suite de la récente déclaration du Saint-Siège.. , je
vous engage à préparer les projets de loi qui seront nécessaires en
vue de régler les rapports de l'Eglise catholique avec mon empire,
couronnement aux. lois fondamentales et eu égard aux conditions in-

1. CuA.riTREL, p. a8i-fl6j,
llist gén do l'Eglise. - ^ 111 3j
6 10 HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLISE

diquées par l'hisLoire. Vienne, le 3o juillet 1870. — François-


Joseph. ))

Celte dénonciation du concordat n'apporta pas, il est vrai, une


modification bien accentuée à la situation des catholiques dans l'em-
pire d'Autriche. Depuis longtemps les clauses du concordat favo-
rables à l'Eglise étaient à peu près lettre morte.
Il repousse Après l'attentat du 20 septembre 1870 contre la souveraineté tem-
une supplique porelle du pape, les évêques autrichiens tentèrent d'amener un revire-
de episcopat
1
1 1 i- •
i 1 1 xr-
autrichien, ment de la politique de
cour de Vienne, en faisant appel aux sen-
la
lui demandant timents religieux publiquement professés par
l'empereur. Ils lui
intervention firent parvenir une Adresse, dans laquelle ils le supplièrent de pren-
en faveur jj-g l'initiative d'une démarche auprès des Etats européens, en vue
Saint-Siège, d'exiger du gouvernement italien au moins de sérieuses garanties
d'indépendance pour le Saint-Siège. François-Joseph, en sa qualité
de souverain constitutionnel, ne crut pas pouvoir répondre lui-même
à cette Adresse ; il laissa ce soin à son premier ministre, et M. de
Beustfit savoir aux évêques que le gouvernement n'agréait pas leur de-
mande, « aucun changement ne pouvant avoir lieu dans sa politique ».

Le En octobre 1871, la municipalité de Vienne ayant concédé l'usage


gouvernement J'une chapelle publique à un prêtre insoumis, Louis Anton, qui fai-

Sait profession de a vieux-catholicisme », le cardinal Rauscher, ar-

...
favorise
le culte de»
chevêque de Vienne, adressa une réclamation au ministre des cultes
{( Vieux
catholiques » Jirecek. Celui-ci répondit, une première fois, que la concession faite
(i°70- par la municipalité viennoise de la chapelle Saint-Sauveur n'était pas
contraire aux lois fondamentales de l'empire ;
puis, sur les instances
du cardinal, que, le conflit dont il s'agissait étant de nature pure-
ment ecclésiastique, le gouvernement n'avait pas qualité pour pren-
dre une décision. Le cardinal déjoua aussitôt ce sophisme. « Je n'a-
vais point prié Votre Excellence, répliqua-t-il, de décider la question,

mais bien de défendre l'Eglise catholique contre une usurpation ma-


nifestement injuste... Louis Anton n'a jamais été autorisé par Tauto-
rité ecclésiastique à accomplir les actes du ministère sacré dans le

diocèse de Vienne ; et le gouvernement, sait très bien qu'il ne pour-


rait conférer lui-même une pareille autorisation. Est-ce que doréna-
vant une poignée de factieux, rien qu'en prenant le titre de société
religieuse, pourra s'emparer des églises et des presbytères et en
chasser les légitimes possesseurs .** * jd Le ministre refusa de se ren-

I. Chantrel. p. 588-58f).
LE CONCILE DU VATICA.\ A LA MOHT DE l'IE IX GlI

dre à ces raisons ; mais un interdit, jeté par l'archevêque sur la cha-
pelle Saint-Sauveur, fut obéi par les fidèles et mit fin au scandale.
Sebenico lente
La suppression de deux évêchés de Dalmatie, ceux de I!

de supprimer
et de Cattaro, demandée par le Reichsrath vers la fin de l'année 1871, deux évêchés
un nouvel attentat contre les droits évidents de Taulorité ecclé- en Dtlmatie
fut
(1871-1873).
siastique. L'archevêque de Zara, dans un long mémoire publié le

24 mars 1872, démontra sans peine que la suppression d'un dio-


cèse ne pouvait avoir lieu que par l'autorité du Saint-Siège, et que
les motifs mis en avant pour cette suppression étaient vains. Cette
fois-ci, l'empereur se rendit aux raisons invoquées par le prélat et

promit de ne pas donner suite à la mesure sollicitée par le parlement.


Le rapprochement qui se produisit, en 1872, entre la cour de La cour
de Vienne
Vienne et la cour du Quirinal fut aussi une douloureuse surprise se rapproche

pour les catholiques. Non seulement l'empereur François-Joseph de la cour


du Quirinal
accréditait un ambassadeur auprès du roi Victor-Emmanuel, mais il (187a).
chargeait son représentant, le comte de Wirnpffen, d'un riche cadeau
qui, dans la circonstance, paraissait une félicitation donnée à l'usur-

pateur sacrilège de Rome ^.

Les coups les plus funestes que l'Eglise eut à subir dans l'empire
d'Autriche lui furent portés par les lois et les règlements sco-
laires. La simple énumération de ces dispositions légales suffira à Les lois
scolaires.
faire comprendre la gravité du mal.
Le 16 janvier 1869,1e ministre de l'instruction publique, Hosner,
considérant que « l'éducation du clergé n'est pas une chose indiffé-
rente pour l'Etat >^, avait soumis au contrôle du gouvernement les

certificats d'études fournis par les petits séminaires diocésains 2.

Le 1" mars 1869, une ordonnance du même ministre avait enlevé


aux évêques la surveillance des écoles catholiques et l'avait confiée à
des inspecteurs nommés par les gouverneurs des provinces 2. Les
évêques ne conservaient plus désormais que la surveillance de l'ins-
truction religieuse. En présence de la situation qui lui était faite, Protestations
de l'épiscopat.
l'épiscopat autrichien, d'un commun accord, décida que « le

clergé accepterait la part que lui laissait la nouvelle législation dans


l'école aussi longtemps que ces écoles resteraient fidèles à l'esprit
chrétien, mais s'en retirerait avec éclat aussitôt qu'elles deviendraient

I. Ch.vntrkl, p. 007,
a. Ibld., p. aC.
3. Ibid., p. 7a.
12 HISTOIRE GENERALE DE L EGLISE

hostiles » *. Cette ferme protestation n'arrêta pas la naine sectaire du


L'éducation ministre Ilosner, qui, dans les séances des 21, 22 et 23 avril, fil dis-
delà jeunesse
est mise cuter et voter par le Reichsrath a-utrichien une loi plus tyraunique
aux mains que toutes celles qui l'avaient précédée. S'appuyant sur ce prétendu
de l'Etat
^vrii 1869). principe, que l'éducation de la jeunesse appartient exclusivement à
l'Etal », il limitait et réglementait l'action de l'Église, même dans
l'instruction religieuse. Le temps fixé à l'enseignement de la religion

était réduit ; les prêtres ne pouvaient se mettre en rapport avec les

^recteurs d'école que par l'entremise d'inspecteurs nommés par l'E-


tat ; ils étaient rigoureusement écartes des. écoles normales ^. Le len-
demain même du vote de cette loi, l'empereur François-Joseph, ou-
vrant la diète de Hongrie, ne se montra pas encore satisfait. Il re-

gretta que le corps enseignant fût dans une situation déplorable par
suite de la révolution qui avait chassé les professeurs allemands ; il

dit que a la mission de la Diète hongroise était de rompre avec les


traditions du passé contraires au progrès que réclamaient les temps
Emprisonne- actuels ^ ». Le 5 juin suivant, Mgr Rudigier, évêque de Linz, pour-
ment suivi et arrêté pour avoir protesté contre les lois scolaires dans une
de l'évêque
de Linz Lettre pastorale, fut condamné à quinze jours de prison. L'empereur,
{iuin 18^9).
en présence de l'agitation que soulevait ce jugement parmi le peuple,
fit grâce au prélat * ; mais l'esprit sectaire poursuivit son œuvre.
Sécuiarisation Le 27 juillet 1873, il s'attaqua aux Universités. Ces vénérables
dtts
institutions, œuvres de l'Eglise, fondées par elle avec ses propres de-
Universités
(27 juilbt niers, furent mises aux mains de l'Etat. Les évêques furent exclus
1873J. delà part qu'ils avaient dans leur administration, et des Facultés de
théologie protestante y furent admises sur le même pied que les

Facultés de th4olog4e catholique, bien plus, avec une faveur qu'on ne


chercha pas à dissimuler. Dans la Chambre des Seigneurs, lecardinâl
Rauscher fit entendre une éloquente protestation. « Séculariser les
UnivoBsités, s'écria- t-il, c'est déchirer les meilleurs vêtements de
l'Autriche, qui tomberont en lambeaux à la première crise euro-
péenne » 5. Mais le venin joséphiste avait trop profondément pénétré
Les « Lois dans les tpaditions de la cour de Vienne pdur qu'elle pût se rendre à
eonfes-
«es justes observations. Le 5 mars 1874, ce fut tout uu remaniement,
sionnelles »
de i8';4.

I. Ghantrel, p. 79,
a. Ibid., p. m.
3. Ibid., p. 1 13.
4. Ibid., p. 147.
5. Ibid.f p. 7^4.
LÉ CONCILE DU VATICAN A LA MORT DE PIE IX 6l3

de fond en comble, de la législation civile ecclésiastique qui fut pré-

senté aux Chambres par le cabinet impérial. L'article i**" déclarait

que « les prescriptions religieuses n'avaient de vigueur que dans les

limites des lois de l'Etat ». Les autres articles, réglementant l'action


de l'Eglise dans un grand nombre de ses actes plus ou moins im-
portants, parfois d'un intérêt insignifiant par rapport à l'Etat, étaient
des corollaires de ce principe. On appela cette série de prescriptions,
les « lois confessionnelles ». Les évêques autrichiens ayant formulé
d'énergiques réclamations, Pie ÏX, par une lettre du 26 avril 187^1,

les félicita d'avoir « combattu les principes détestables » de ces lois.

L'année suivante, le pontife avait encore sur le cœur la peine que


lui avait causée l'attitude de celui qui se donnait toujours, dans ses
actes officiels, les titres de « Majesté impériale, royale et aposto-
lique ». Dans une allocution du 11 mars 1870, le pape parla de Eloquente»
^
1 T -If 1
proteslationi
« ces gouvernements catholiques qui dépassent les gouvernements jt Pie IX.
protestants dans la honteuse carrière de l'oppression religieuse ».

« Dieu, ajouta t- il, rriera au persécuteur protestant : Tu as péché et


gravement péché. Mais au persécuteur catholique, il dira : Tu as

péché plus gravement encore: majus pcccatum hahes » ^

Vf

Ces paroles, visant directement l'Autriche, atteignaient un autre L'Eglise


catholique
pavs catholique, l'Espagne.
T ..
Le gouvernement provisoire constitué en Espagne sous
.,_ ,,.
la prési-
en Espagne.

dence du maréchal Serrano à la suite de la révolution de septembre


1868, .avait promis la liberté des cultes, comme « un besoin pé- Le
pemptoire de l'époque »,comme « une mesure de sûreté contre des gouvernement
, . , . . .
provisoire
éventualités difficiles », comme un moyen offert au catholicisme « de comtiiué sou»
présidence
se fortifier dans la lutte». Telles étaient, en eiïet, les expressions em- ^f
, .
du maréchal
ployées dans la proclamation du 26 octobre de cette année 2. Lespre- Serrano,
miers résultats de cette proclamation furent des scènes de troubles et proclame
,

de violences, qui se produisirent anx cris de : Mort au pape 1 Mort cultes 6 juin
ai>x prêtres 1 et qui faillirent amener l'incendie du palais de la non- 1869).

ciature à Madrid 3. Au cours des discussions sur la Coustilution, qui

1. CîTANTREL, p. l3d»
a. Ibid., p. 33.
â. ;6{(i., p. 37,
.

6i4 HISTOIRE GENERALE DE L ÉGLISE

eurent lieu en avril et mai 1869, plusieurs députés libres penseurs


DéchatnenaoDt firent entendre des discours pleins de blasphèmes et d'outrages
d'outrages
contre
contre le catholicisme^. La proclamation de la liberté des cultes par
la religion la Constitution du 6 juin 1869 ne fit qu'aggraver la situation. On
catholique.
eût dit que, par ces mots de liberté des cultes, le peuple n'entendait
que la liberté d'outrager l'Eglise catholique.
Celte même Constitution, qui réglait d'une manière si malheu-
reuse les questions religieuses, prononçait le rétablissement de
la monarchie. Quelle allait être cette monarchie ? Si la France ne
se fût opposée à la combinaison qui appelait un Hohenzollem sur le

trône d'Espagne, le royaume eû:t été gouverné par un lieutenant


du prince de Bismarck. Au milieu de la guerre franco-allemande, le
gouvernement provisoire de Madrid se retourna vers la maison de
Savoie, dont les troupes venaient d'entrer à Rome, et proposa
Election le second fils de Victor-Emmanuel, qui, élu en novembre 1870 par
tf Amédée !«»'

(novembre les Cortès, prit le nom d'Amédée Dans une circulaire adressée
I*^.

1870). au corps diplomatique par le ministre d'Etat du nouveau roi, il était


dit que le nouveau gouvernement « désirerait fort établir avec le

Saint-Siège des relations aussi cordiales que celles qui existaient


entre le Saint-Père et les nations qui ont réalisé des réformes civiles
pareilles aux récentes réformes de la nation espagnole ^ ». Une décla-
ration aussi vague ne pouvait ramener la paix religieuse. Le 18 juin
187 1, à l'occasion des fêtes célébrées par les catholiques de Madrid
en l'honneur du pape, qui venait d'atteindre la vingt-cinquième
année de son pontificat, des bandes tumultueuses parcoururent la
ville en criant Mort au pape Mort au pape et Vive la liberté
: I ! I

Quelques jours plus tard, au cours d'une interpellation faite à la

Sa politique Chambre par un député catholique, un des ministres, Martos,


méfiante du souverain pontife avaient besoin, pour
déclara que les encycliques
à l'égard
de l'Église être publiées en Espagne, de Vexequatur royal. Peu de temps après,

un décret du 1 1 janvier 1872 déclarait que l'Etat ne reconnaîtrait


plus désormais aucun effet civil et légal aux actes religieux et tout
spécialement au mariage canonique 3. Le 25 mars, une cédule
royale statuait que toute dispense, tout induit et généralement toute
grâce apostolique ne pourraient être obtenus que par l'intermé-

1, Ghantrel, p. loi, 119.


a. Ibid., p, 489.
8. Ibid , p. 599-601.
LE CONCILE DU VATICAN A LA MORT DE PIE IX 6l5

diaire d'une agence générale dépendant du ministre d'Etat *.

Entre temps, l'Etat, manquant à ses engagements les plus formels


et à ses obligations les mieux établies, négligeait, sous prétexte d'em-
barras financiers, de payer au clergé les traitements fixés par la Cons-
titution du 6 juin 1869. « Voici bientôt deux ans et demi, disait

une Adresse de du 22 octobre 1872, que


l'épiscopat espagnol datée
le clergé n'a pas reçu un centime de ce qui lui est dû *. L'abdi- i;

cation du roi Amédée, et la proclamation de la République espagnole Proclamation


de la
par la Chambre, le 11 février 1878, aggravèrent la situation. Un République
certain nombre de catholiques espagnols mirent leur espoir dans le espagnole
(i I février
triomphe du prétendant Don Carlos, qui, en juenant les armes pour
1873J.
la conquête du trône, avait dit : « Ma mission est de combattre la

Révolution, et je la tuerai. » Les libéraux d'Espagne lui opposèrent


le (ils d'Isabelle, qui prit le nom d Alphonse XIl. Ce fut ce dernier
qui l'emporta. Pie IX, sollicité de part et d'autre d'intervenir, s'était Avènement
d'Alphonse XII
contenté de répondre qu' u il donnait bien des bénédictions (39 décembre
apostoliques, mais non des bénédictions politiques ». Alphonse XII 1874).

inaugura son règne par plusieurs mesures favorables à l'Eglise.

Il ordouna de rendre aux autorités ecclésiastiques les archives, les


bibliothèques et les objets d'art dont l'Etat s'était emparé, à fex- II atténue
la rigueur
ception de quelques objets d'art ou manuscrits précieux, qui furent des mesures
attribués à des établissements publics. Il rétablit en grande partie la prises contre
l'Eglise,
dotation du clergé et annula les dispositions les plus fâcheuses du
décret du 20 juin 1870 relatif au mariage religieux ^.

Les dispositions sévères de la loi du 29 juin 1870 contre les car-

listes irritèrent vivement les catholiques espagnols, car plusieurs de


leurs chefs se trouvèrent atteints par ces mesures. Le roi Alphonse
chercha à en atténuer l'eftet en montrant que le but visé par la légis-

lation était uniquement politique. Il insista auprès du Saint-Père


pour obtenir Tenvoi d'un nonce à Madrid ^ ; et le nonce, Mgr Si- Rétablisse-

meoni, énergiquement secondé par l'épiscopat, agit ment de la


si bien que le
nonciature
gouvernement espagnol renonça à admettre sur le même pied les de Madrid.
sectes dissidentes de la religion catholique et la religion catholique
elle-même ^.

I. Chantrel, p. 601,
9. Ibid., p 697.
3. Itnd., p. 345.
4. Ibid , p. 399.
5. luid.^ p. 3Jo.
6. ibid., p. 609.
.

6rG TTISTOITVK GENFRALF DK L EGMSB

La Lonslilutioii de 1876 proclama le catholicisme religion d'Etat,


constitution
en maintenant toutefois la liberté de conscience, et imposa d'une
de 1876
proclame manière générale « le respect dû à la morale chrétienne ». Autour de
le catliolicisn)c
religion
cette Constitution, le gouvernement d'Alphonse XII fmit par grouper
d'Etat. une sérieuse majorité. Le i*""mars 1876, Don Carlos avait solennelle-
ment déposé les armes. « Son drapeau, disait-il, resterait plié, jus-
L'opposition qu'à ce que Dieu fixât l'heure suprême de la rédemption de l'Es-
carlistedépose
pagne catholique et monarchique ^ » Peu à peu l'épiscopat et le
les armes.
clergé, dans leur ensemble, allaient se rallier à la cause d'Al-
phonse XII.

YIÎ

L'Eglise Comme l'Espagne catholique, la protestante Angleterre, au lende-


catholique
en Angleterre.
main du concile du Vatican, avait pris une attitude d'abord hostile à
l'Eglise, mais qui se modifia peu à peu dans la suite en un sens

moins défavorable.
Irritation L'irritation produite dans la Haute-Eglise d'Angleterre par la défi-
produite dans
la Haute-
nition du dogme de l'infaillibilité se manifesta d'abord par le titre de
Eglise par la docteur de l'Université d'Oxford conféré à Dœllinger, puis par la
définition
du dogme de participation de deux évêques anglicans et d'un certain nombre de
l'infaillibilité clergymen au congrès tenu en 1872 à Cologne parles Vieux-catho-
pontificale.
liques -. Dans les sphères gouvernementales, le mécontentement dé-
terminé par le mouvement de renaissance de l'Eglise catholique s'était
traduit, le 29 mars 1870, par l'adoption au Parlement d'une motion
invitant les pouvoirs publics à faire une enquête sur l'organisation
intérieure des institutions monastiques et sur l'origine de leurs pro-
Une motion priétés. Sur la proposition de Gladstone, les Chambres britanniques
du Parlrmiii
demande atténuèrent, par un vote du 2 mai, cette décision trop dure, et sta-
une enquête tuèrent que l'enquête serait faite exclusivement sur les sources des
-ur les biens
des
biens monastiques, et non sur leur discipline intérieure mais même ;

monastères avec cette restriction, la mesure parut tyrannique aux catholiques ^.


(1870).
D'autres mesures analogues furent prises, au cours de la même
année *. Les catholiques, désormais formés à la vie publique, orga-

1. Chamtrbl, p. 4oi.
2 Thureau- Dawgiw, la Renaissance catholique en Anyleleire, i. lU^ ^. i49-i5o.
3. Chatstrel^ Annales ecclésiastiques^ p. 3 10.
4. Ibid.
LE CONCTLE DU VATICAN A LA MORT DE PIE IK 617

nisèrent alors des agitations légales. En novembre 187 1, tous les Agitation
catholique
évêques irlandais, qui avaient beaucoup h souffrir de l'ingérence des en Irlande.
agents du gouvernement dans leurs écoles, réclamèrent, dans une
lettre pastorale commune : i° l'indépendance absolue de l'enseigne-
ment religieux dans les écoles primaires catholiques, Q° la participa-
tion des écoles secondaires aux allocations gouvernementales, jusque-
là réservées aux écoles protestantes ou neutres, et S'' l'ai^torisation

de fonder une Université catholique ou tout au moins des collèges


catholiques annexés aux Universités de l'Etat et jouissant des mêmes
droits que les autres collèges *.'»Le j6 juillet 1872, en Angleterre, la
jeune Calholic Union organisa à Londres, sous la présidence du duc La CalhoJit
Union.
de Norfolk, un grand meeting laïque, pour protester contre la con-
duite des gouvernements italien et allemand, qui venaient, le pre-
mier de fermer à Rome les maisons religieuses, le second d'expulser
les jésuites d'Allemagne 2. Le 2 janvier 1878, Mgr Vaughan, récem-
ment élu évêque de Salford, posa les bases d'une association qi:i
permettrait aux catholiques d'exercer une action politique efficace,

non point en vue de changer la forme du gouvernement ou de modi-


fier les lois administratives ou financières, toutes choses indifférentes

au dogme catholique et sur lesquelles un fidèle est libre de voler, à


son gré, avec les libéraux ou avec les conservateurs, mais en vue de
défendre, par tous les moyens légaux, les libertés religieuses, en
particulier la liberté de l'éducation catholique des enfants de famille
catholique ^.

Cette agitation, menée avec autant de sagesse que de fermeté, Le Parlera nt


vote
ne fut pas stérile. On peut lui attribuer la décision par laquelle le
lemaintien
Parlement déclara, le 3o juillet 1872, maintenir un agent diploma- d'un agent
diplomatique
tique auprès du Saint-Siège * ; et la proposition d'un bill par lequel auprès
Gladstone faisait droit à une partie des revendications des catholiques du Saint-Siège
(3o juillet
irlandais. Ce bill, d'ailleurs, ne fut pas adopté parle Parlement bri-
1872).
tannique. mars 1878, n'ayant obtenu que 284 voix
11 échoua, le II

favorables contre 287 voix défavorables ^. La conversion au catho-

1. CiiANTnEL, Annales eccydastiques^ p. 6o3-6o6.


2. Ibid.. p. 661.
3. l'hit! , p. 7a/j.
[\. Au moment du concile, Odo Russel, secrétaire de légation à la cour de Naples,
avait été envoyé à Rome pour
y remplir une mission temporaire auprès du S ati-
can. 11 y était resté après le concile, et avait été remplacé plus tard par un autr«
diplomate. C'est cette situation de fait que le Parlement régularisa en 1873.
5 iZHK^Tf^Ei^, Annales ecclésiastiques ^ p. 767-771.
GtS mSTOTRr (Î^NéRAT.E DE i/i6r,LrsE

iioisme, en seplembie 1674, du marquis de Ripon, l'un des membres


les plus écoutés du Parlement anglais, eut une grande influence sur
Pie IX fait
le mouvement catholique en Angleterre * Pie IX se réjouissait .
publiquement
des vœux grandement de ces progrès. « Je respecte ce peuple anglais, disait-
pour le retour
de
en janvier 1872, au prince de Galles, parce qu'il est plus réelle-
il,

l'Angleterre ment religieux dans le cœur et dans la conduite que beaucoup qui
au
catholicisme.
se disent catholiques. Lorsque, quelque jour, il reviendra au bercail^
avec quelle joie nous souhaiterons la bienvenue à ce troupeau, qui
est égaré, mais non perdu * I » Pie IX avait inauguré son pontificat
en rétablissant la hiérarchie catholique en Angleterre ; il voulut, en
Il rétablit
la hiérarchie
l'année 1878, qui fut la dernière de son règne, rendre les mêmes
catholique honneurs au royaume d'Ecosse. Il signa, le 28 janvier, un décret de
en Ecosse
(a8 janvier
la Congrégation de la Propagande, rétablissant les deux anciens arche-
1878). vêchés de Glasgow et d'Edimbourg et les quatre évêchés d'Aberdeen,
de Dunkeld, de Galloway et d'Argyll. Mais la mort empêcha Pie IX
de consacrer et de proclamer ces créations. Cette tâche était réservée

à son successeur, Léon Xïll, qui s'en acquitta le 28 mars sui-


vant 3.
Mort
dePielX. Pie IX avait quitté ce monde le 7 février. Très affaibli par l'âge,

il avait encore tenu un consistoire le 28 décembre ; puis il s'était

alité. Depuis, la maladie n'avait fait qu'empirer. Ses dernières


paroles furent celles-ci : « In domiun Domini ibimiis : Nous irons dans
la maison du Seigneur ». Il était entré dans sa quatre-vingt-sixième
année, et avait occupé la chaire de saint Pierre trente et un ans. Suc-
cesseur du prince des apôtres, il avait « dépassé les années de Pierre »,
et son pontificat n'avait pas été seulement le plus long do l'histoire ;

par les grands événements qui l'avaieikt rempli, il en avait été l'un
des plus mémorables.

I, Ghaîjtrel, Annales ecclésiastiques, p. ao5.


a. Ibid.y p. 608.
3, Ibid.^ p. 715.
CIIVPÏTRE XV

LES U^bVHi^S ET LES MISSIO?CS CATHOLIQUES SOUS LE PONTIFICAT DE PIE IX,

En racontant, dans leur ordre chronoloi<ique, les principaux évé- ^**® générale
,. . .
SOT les œuvres
nements religieux qui se sont accomplis sous le pontificat de Pie IX, de piété,
de charité
nous avons été amenés à parler plus d'une fois des œuvres que l'ao-
et de zèle sou«
tivitc du clergé et des fidèles suscita pendant cette période. Il nous le pontificat
de Pie IX.
reste à donner une vue d'ensemble de ces œuvres. La charité, la
piété et le zèle furent des traits dominants dans la physionomie de ce

pape, qui inaugura son règne par tant d'institutions de bieiifaisance,


qui travailla avec tant d'ardeur à promouvoir la dévotion à la Vierge
Immaculée, qui se préoccupa avec tant de vigilance de la diffusion

et de la pureté de la foi catholique. Terminer l'histoire de son long


pontificat par le tableau des œuvres de piété, de charité et de zèle
apostolique qui fleurirent dans l'Eglise, de i8/i6 à 1878, c'est donner
à ce pontificat comme son couronnement naturel, sa radieuse
auréoL.

Œuvre»
La plupart des œuvres de pit'té que le pontificat de Pie IX vit
de piété.
éclore, peuvent se ranger autour de trois grandes dévotions : la

dévotion au Saint-Sacrement, la dévotion au Sacré-Cœur et la dévo-


tion à la Sainte Vierge.
La dévotion
De 18^5 à 1878, un religieux caime d'ori-;ine allemande, le
au Saint-
P. Hermann, un prêtre français, le P. Eymard, deux prélats, Sacrement.

Mgr de la Bouillerie et Mgr de Ségur, deux oratoriens anglais, le


P. Faber et le P. Dalgairns, une jeune postulante du Garmel, ïhco-
detinde Dubouché, sont les ouvriers providentiels d'une rénovation
du culte du Saint-Sacrement. « Un jeune juif de Hambourg, âgé de
020 HTSTOIRF. GÉNÉRALE DE l'ÉGLISE

Le 26 ans, Hermann Cohen, merveilleux artiste, après avoir parcouru


P. Hermann
Cohen. l'Europe par un chemin de gloire, de liberté et de volupté, entre, un
jour, à Paris, dans une église. « Le prêtre était à l'autel, raconte-
t-il lui-même. Il élevait dans ses mains une forme blanche. Je
regarde. J'entends une voix qui me semble sortir de l'Hostie: Ego
sum via, veritas et vita I » Le voilà terrassé, converti, livré à Jésus-
Hostie pour sa vie lout entière. Le juif se fait catholique, le catho-
lique se fait carme ; le carme va faire retentir les plus grandes chaires
de l'Europe de ses cris d'enthousiasme pour le Ghrist-Eucharislie;
l'artiste chante les mélodies mystiques les plus pénétrantes, les
plus embrasées qu'aient entendues notre âge ; et, en iS-Ji, il se fait,

lui aussi, victime pour ses frères : il expire à Spandau, en Prusse,


Le P. Eymard. au service des prisonniers français *. » Vers i84o, un religieux ma-
riste, le P. Eymard, se sent appelé de Dieu à faire honorer Notre-
Scigneur dans le plus grand de ses mystères. Ses supérieurs lecom-
prennent. Pie IX l'encourage. En i856, il fonde à Paris, dans une
pauvre maison de la rue d'Enfer, la Société des Prêtres du Saint-
Sacrement. Deux ans plus tard, il institue la congrégation des Ser-

vantes du Saint-Sacrement. Bientôt des milliers de prctres-adorateurs


se grouperont autour des religieux fondés par le P. Eymard, et pro-
pageront dans le monde entier la dévotion à l'Eucharistie 2. En
M^r de Ségur même temps, Mgr Gaston de Ségur, par son apostolat auprès des
et Mgr de la
jeunes gens, par ses brochures alertes et vivantes ^, Mgr de la Bouil-
Bouillerie.
lerie, p«r ses discours ardents, par ses touchantes poésies, les Pères
Faber et Dalgairns, par leurs œuvres dogmatiques et mystiques,
orientent les âmes vers le tabernacle. Sous l'influence de leurs écrits,
de leurs paroles et de leurs œuvres, la pratique de la communion
fréquente se généralise ; tandis que celle de l'adoration perpétuelle,
sous l'knpulsion de l'épiscopat, s'établit dans la plupart des églises
et des chapelles. Vers 1878, à la mort de Pie IX, dans un grand
nombre de diocèses, le Saint-Sacrement, solennellement exposé, est

Théodelinde adoré tour à tour, dans le cours de l'année, par chacune des paroisses
Dubouché ou communautés En i848, durant les-journées de juin, au bruit du
Mère Marie-
Thérèse). canon de l'émeute sanglante, Théodelinde Dubouché a l'inspiration

1. Baunard, Utl siècle de V Eglise de France^ un vol. in-S"*, Paris, 3e édition,


190a, p 312. Voir abbé Ch. Stlvao, Vie du P. Hermann, un vol. in 8», Paris,
1881.
2. Beatif. et canon, servi Dei Pelri Juliani Eymard, un vol. in-4*', Rome, 1899.
3. M. DB Ségur, Mgr de Ségur, Souvenirs et récits d^an frère, un vol. in 8», Paris,
i89'>.
ŒUVRES ET MISSIONS CATHOLIQUES SOUS LE PONTIFICAT DE PIE IX 62 1

d'une œuvre, puis d'une congrégaliou religieuse, qui unira dans son
double bul l'adoration du Saint-Sacrement au culte du Sacré-Cœur.
L'institut des religieuses de l'Adoration réparatrice, fondé par elle, a,

en efl'el, pour mission de réparer les outrages faits au Cœ*ur sacré de


Jésus, par une adoration ininterrompue, de jour et de nuit, du Très-
Saint-Sacrcment exposé sur l'autel *.

En i856. Pie IX avait inséré au calendrier liturgique la fête du La dévotion


Sacré-Cœur. En i864, un décret de béatiûcation plaça sur les autels au
Sacré-Cœur,
l'humble religieuse visitandine de Paray-le-Monial, Marguerite-Marie
Alacoque, à qui le Sauveur avait demandé l'institution d un culte
envers le symbole divin de son amour. La dévotion des fidèles ré-

pondit à cet acte du Saint-Siège par la consécration du mois de Conséciation


juin au Sacré-Cœur coutume de la communion du
et par la pieuse du
mois de juin
premier vendredi du mois en son honneur. Des paroisses, des dio- à cette

cèses se consacrent au Cœur de Jésus. Les événements de 1870 dévotion.

favorisent ce mouvement, tin étendard sur lequel les religieuses de


Paray-le-Monial ont brodé le divin emblème, est porté sur les champs
de bataille par les zouaves pontificaux, organisés en cor[)s de troupe,
sous le nom
de Volontaires de l'Ouest. Le 29 juin 1878, cinquante La bannière
députés français se rendent eu pèlerinage àParay,et « déclarent, dans du
Sacré Cœur
la mesure qui leur appartient, consacrer la France au Sacré-Cœur » -.
à la bataille

Au mois d'avril 1876, le P. Ramière, directeur de u l'Apostolat de de Loignj.

la prière», présente au pape une pétition souscrite par 525 évéques,


suppliant le Saint-Père de vouloir bien consacrer au Cœur de Jésus
la Ville éternelle et monde, Urbem et orbem. Le pontife ne croit
le

pas que le moment soit venu de faire cette consécration solennelle,


mais il donne quelque satisfaction à ce pieux désir, eu chargeant la
Congrégation des Rites de proposer aux évéques du monde entier
une formule de consécration. Le 16 juin 1875, second centenaire de
l'apparition de iNotre-Seigneur à Paray, cette formule est adopléepar
un grand nombre de diocèses, de paroisses et de comujunaulés. La
consécration officielle de toutes les nations du globe au Sacré Cœur
ne sera faite qu'à la fin du xix'^ siècle, par le pape Léon XIII, à la

suite d'une révélation du Sauveur à une sainte religieuse du Bon

1. Abbé d'Hulst, Vie de la Mère Marie -Thérèse (ïhéodelinde Dubouché), un vol.


iu 12, Paris, 1882,
2. Lêcanuet, l'Eglise de France sous la troisième République^ t. I, p. 206-207. —
Nous avons parlé plus haut, p. 5(j2, de l'crçcliou de la basilique du Sacré-Cœur à
Monlniarlrc.
023 HISTOIRE GENERALE DE L EGLISE

Pasteur, Sœur Marie du Diviu Cœur, née Oroste zu Vischering *.

La dévotion Parallèlement à la dévotion au Cœur de Jésus, la dévotion à la


à la
Sainte-Vierge. ""Vierge Marie se développe dans des proportions merveilleuses. Trois
apparitions de la Mère de Dieu, à la Salette, à Lourdes et à Pont-
main, stimulent cette dévotion.
L'apparition
En l'année même de l'élection de Pie IX, le 19 septembre 18/16,
de la Salette
(19 septembre deux enfants, Maximin Giraud, âgé de onze ans, et Mélanie Mathieu-
i846). Calvat, âgée de quatorze ans, voient, dans les montagnes de la Sa-
lette, près de Grenoble, une Dame rayonnante de clarté : c'est la

Vierge elle-même, qui leur parle^ en pleurant, des péchés de son


peuple, du blasphème, de la violation du dimanche, de l'oubli des

saintes lois de l'Eglise, et qui leur recommande la prière 2. A partir


de ce moment, des pèlerinages s'organisent au lieu de l'apparition,
et la plupart des pèlerins en reviennent pénétrés de l'esprit de péni-
tence. Plusieurs y puisent cet esprit de victime qui associe intime-
ment les âmes au sacrifice du Sauveur ^. La définition de l'Imma-
culée Conception en i854 donne un nouvel élan à la dévotion à
L'apparition
Marie. Trois ans environ plus tard, dans une petite ville des Pyré^
de Lourdes
(février-mars nées, à Lourdes, au pied des roches Massabielle, la Sainte Vierge
i858).
apparaît de nouveau à une enfant du peuple, BernadeHe Soubirous,
et lui recommande de nouveau la pénitence. Mais son regard est si

doux, son sourire est si bon, que l'humble enfant en est ravie et
réconfortée. « Je suis, dit-elle, l'Immaculée Conception. » C'est la

réponse du ciel à la définition de la terre *. Avec une nouvelle ardeur,


les foules se précipitent Le 4 mars i858, plus de vingt
à Lourdes.
mille personnes se pressent au pied des roches Massabielle. Le 4
avril 1864, on y compte soixante mille pèlerins en juillet 1876, à ;

l'occasion du couronnement de la Madone, plus de cent mille. Bien-


tôt le nombre de pèlerins ou visiteurs venus à Lourdes au courant
d'une année se chiffrera par plus d'un million. Jamais, au cours des
siècles, la dévotion n'a mis en marche, vers un sanctuaire, plus
d'hommes de toutes nations. On y vient, de toutes les parties du

1. Voir GuA.sLB, Sœur Marie du Divin Cœur^ un igoS. Cf.


vol. in-S», Paris,
NiLLES, De rationibus festorum SS. Cordis Jesu^ 2 vol.
in S», Innsbruck, i885, et
Bainybl, la Dévotion au Sacré-Cœur de Jésus ^ un vol, in-ia, Paris, 1916.
a. Sur l'apparition de la Salette, voir le P. Berthier, Notre-Dame de la Salette,
son apparition^ son culte.
3. P. Giraud, de V Union à Noire-Seigneur Jésus-Christ dans sa vie de victime, ua
vol. in-ia, Paris, p. 364-397.
4. La définition avait été faite le 8 décembre i854 ; la première apparition eut
lieu le 1 1 février i858.
ŒUVRES ET MISSIONS CATHOLIQUE» SOUS LE PONTIFICAT DE l'IE IX 623

inonde, demander à la Vierge la gucrison du corps et de l'âme K Les

miracles s'y multiplient 2. Quelques-uns se produisent autour de la

Grotte ;
nombreux, au passage du Saint Sacrement,
d'autres, plus

comme si Dieu voulait clairement indiquer que la dévotion à la Mère


de Dieu ne doit pas être séparée de celle qui est due à son divin Fils.
Des congrégations nouvelles se fondent sous le vocable de l'Imma-
culée-Gonception. Des églises sans nombre s'élèvent en l'honneur de
la Vierge. Le 12 septembre i86o, l'évcque du Puy, Mgr de Morlhon,

inaugure, sur un piédestal incomparable, en mémoire de la défi-

nition de la Conception Immaculée de Marie, la statue la plus gigan-

tesque à la fois et la plus gracieuse. Œuvre du sculpteur français

Bonnassieux, faite avec le bronze des canons pris à Sébastopol, elle

portera le nom de Notre-Dame de France ^.

En 1871, l'apparition de Pontmain, que nous avons racontée plus L'appariii on


Pontn^ain
haut, suscite un nouveau centre de pèlerinages, tandis que la vieille ^^

dévotion au sanctuaire de Notre-Dame de Chartres se réveille dans ^871).

es aceui5 français.

II

De ce mouvement général de piété envers l'Eucharistie, le Cœur de Les œuvres


Jésus et la Sainte Vierge, des oeuvres pleines de miséricorde sont de char lié.

nées. Au cours de ses fortes études sur le régime moderne. Hippo-


lyte Taine raconte que M. Etienne, supérieur général des Lazaristes
et des Filles de la Charité, après avoir fait visitera des incroyants Comment
quelques-unes des œuvres charitables de ses deux instituts, leur ^^^^^ ^^ reliant
8i 11 X ce li V r c 3
disait : « Je vous ai fait connaître le détail de notre vie, mais je ne donîété,
vous en ai pas donné le secret. Ce secret, le voici : c'est Jésus-
Christ connu, aimé, servi dans l'Eucharistie *. »

Le prêtre qui est, en Italie, le principal promoteur des œuvres Les œuvres
d'assistance corporelle et spirituelle, le fondateur de Vlnslitut de la de charité
en Italie.
Charité et des Sœurs de la Providence, Antonio Rosmini Serbati, se
dislingue entre tous par sa dévotion à l'Eucharistie, au Sacré-Coeur

I. Voir Henri Lassbrrb, Notre- Dume de Lourdes, un vol. in- 12, Paris,
a. \'oir G. Bertrin, Histoire critique des événements de Lourdes, un vol. in -80,
Paris.
3. DuBosG DE Pesquidoux,l' Inimaculéc-Conçcption, tiiitoirc d'au dogme, a vol,
\n-8i>, Paris, 1892, t. igj, 202.
II, p,
4. Taine, le Régime modemey t. II. p. iiô.
^

62/| Histoire génékale de l église

et à la Sainte Vierge. Au uioment où ses œuvres prennent leur pre-


mier grand essor, il écrit dans son journal intime : u Je vous demande,
Antonio ô Père, ce qui est dans le Cœur de Jésus... Marie, demandez à
RosoniDi
(i797-i855), Dieu pour moi ce qui est bon devant Dieu, devant votre divin
Fils ^ » Et, jusqu'au terme de sa vie mortelle, en i855, c'est une
pvière semblable qu'on trouve encore sous sa plume : « mon Dieu,
je vous demande ce que le Cœur de Jésus désire que je vous
demande -. » Inspirées d'un pareil esprit, les œuvres rosminiennes
se développent, se multiplient, débordent l'Italie et opèrent des mer-
veilles à l'étranger, principalement en Angleterre ^.

Les œuvres Anglais de race et d'éducation, le grand homme d'œuvres de


de charité
en Angleterre
l'Angleterre à la même époque, Mgr Manning, créé cardinal par
Pie IX en 1876, n'a pas une manière différente d'envisager et de
pratiquer la piété. « Le prêtre, disait-il, doit vivre comme s'il avait
constamment à côté de lui son divin Maître. S'il va dans le monde,
Le cardinal ce doit être comme légat a latere Jesu. » Et celui de ses biographes
Manning
qui a étudié de plus près son action sociale ajoute, après avoir cité
(1808-1892).
ces paroles : « La dévotion au Sacré-Cœur, considérée comme con-
séquence de l'Incarnation, était pour lui le moyen pratique d'établir
entre l'âme et Jésus cette union intime ^. » Encore attaché au pro-
testantisme, donne tout particulièrement aux œuvres qui ont
il se

pour but de diminuer chez les pauvres gens les habitudes d'ivro-
gnerie. Devenu catholique, prêtre et archevêque, il continue à pro-
pager les sociétés de tempérance mais il étend le champ de ses ;

œuvres. Il demande le home raie pour l'Irlande, par compassion pour


les souîlVances de cette nation et parce qu'il voit dans cette réforme
une application de la justice sociale. Ses rapports avec les Irlandais
de\4iennent le point de départ de ses rapports avec les ouvriers de
Londres. On l'appelle le Père des pauvres, le Cardinal des ouvriers
et quand, en 1889, une immense et terrible grève menacera la ville

<Ie Londres, li aura seul le pouvoir d'apaiser et de faire retourner au


travail260,000 ouvriers menaçants 5. « Prenez garde, lui dit un jour
quelqu'un. C'est du socialisme que vous laites là. Je ne sais pas, —
1. LoGKHART, Antonio fiosmini-Serbatif trad. Segond, un vol. in-S^», Paris, 1889,
p. /!46.
2. Ibid.f p. 447.
3. Ibid., p. 344-380.
4. Abbé J. Lemire, Le cardinal Manniiitf et son action sociale, un vol. in-ia, Paris,
189.S.
5. Ibid.^ p. io8et s
ŒUVRES ET MISSIONS CATHOLIQUES SOUS LE PONTIFICAT DE PIE IX 025

rcpond-il, si, pour vous, c'est du socialisme; mais, pour moi, c'est
du pur christianisme ^ »
(Je que Mgr Mauning est pour l'Angleterre, Mgr Ketteler, évêque

de Mayence, l'est pour l'Allemagne. On l'appelle « i'évêque social >;. Los œuvrea
(Je charité
Gomme son frère de Londres, il déclare puiser dans l'amour de Dieu, en Allemagne.
tel que le christianisme l'enseigne, la solution de tous les problèmes
redoutables soulevés par l'organisation actuelle du travail et de la

propriété. « Depuis que le Fils de Dieu est descendu sur la terre, Mgr Ketteler
(1811-1877).
dit-il, l'esprit créateur du christianisme a résolu, dans la limite du
possible, toutes les grandes questions, même celles qui ont rapport
aux misères et à la nourriture des hommes Dans l'ordre de la
2. »
théorie, Ketteler expose sa doctrine dans un grand nombre de dis-
cours, de brochures, de grands ouvrages, dont le plus célèbre a pour
titre : La question ouvrière et Le christianisme. y décrit, avec une
Il

vigueur que peu d'écrivains ont atteinte, le malaise profond créé dans
la société par le développement de l'industrie d'une part, et, d'autre
part, par le progrès de doctrines dignes du paganisme. Il examine
ensuite et critique avec une rare compétence les solutions proposées
par les socialistes Lassalle, Karl Marx et Engels. Il reconnaît que
la fondation de sociétés coopératives de production, solidement orga-

nisées, serait le moyen le plus direct de relever la condition des


ouvriers. Mais il ajoute aussitôt qu'un tel moyen ne saurait être efficace

sans l'esprit chrétien dont l'Eglise catholique a seule le dépôt authen-


tique, « l'Eglise, dit-il, qui n'exerce pas son influence par des
moyens plus ou moins mécaniques, mAis par l'esprit qu'elle inspire

aux. hommes ^ ».

Que cette action de l'Eglise doive se produire d'une manière très


lente, Ketteler ne se le dissimule pas ; mais il croit que l'Eglise, qui

du maître et en
a mis fin à la servitude antique en brisant l'orgueil
relevant l'esclave de son avilissement, saura, dans la mesure où la
condition humaine le permet, vaincre l'égoïsme du capitaliste mo-
derne et modérer la convoitise du travailleur *. Dans l'ordre de la Lei
continuateurs
pratique, Ketteler fonde à Mayence des caisses de secours, des cercles
de Ketteler
eu AUemagne.

1. la Renaissance catholique en Angleterre, t. 111,


Thcrba-u-Dangih, p. 270.
H.Hgmmer, Le cardinal Manning, un vol in-ia, Paris, 1898, p. 4o8.
a. Jean Lionnet, Un ëvégue social, Ketteler^ un vol. in-ia, Pans, 1900, p. 70.
Cf. Œuvres chgisies de Ketteler, Irad Decurtins, B4le^ 1^92, et Gotau, l'Allemagne
religieuse, le catholicisme, l. U, p 397- 4oo.
, 3. LioNivET, op cit., p. 7a.
4. Ibid., p. 70, 77-78.

Hist, gén. de l'Eglise. — Mil Uo


626 HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLïSE

d'ouvriers, des sociétés pour la construction de maisons ouvrières à


bon marché, des bureaux de placement, des asiles pour toutes les
misères * et ses œuvres sont si bien conçues, qu'elles serviront de
;

modèles à toutes celles qui se formeront désormais en Allemagne.


L'abbé Kolping et l'abbé Hitze, pour ne parler qae des plus célèbre3
païmi les « prêtres sociaux » de l'Allemagne, se diront tes disciples
de l'évêque de Mayence ^ ; et le pape Léon XÏÏI lui-même dira, à pro-
pos de son encyclique De eondiiione opificum : « Ketteler a été mon
grand précurseur ^. » Ce grand ami des pauvres meurt, en 1877,
pauvre lui-même, dans iki pauvre monastère franciscain de Bavière,
où il a demandé l'hospitaHté.
Le« œuvres En Autriche, un converti du protestantisme, le baron de Vogel-
de charité
en Autriche, sang, multiplie ses œuvres de science sociale à mesure qu'il appro-
en Belgique fondit sa foi catholique *. Gaspard Decurtins et Charles Vérin réali-
et en Suisse.
saient des œuvres analogues en Suisse et en Belgique.
En France, l'esprit de Frédéric Ozanam et de saint Vincent de
Paul, un esprit de charité très tendre et toute suwiaturelle, inspire
Les œuvres les continuateurs de leurs œuvres : Armand de Melun, Léon Lefèbure,
de charité
en France. Albert de Mun, René de la Tour du Pin, les Filles de la Charité, les
Frè»es des Ecoles chrétiennes, les Frères de Saint-Vincent-de-Paul.
On a dit que « de i838 à 1877, ^ ^^® ^® ^^* ^^ Melun se confond,
Arnaand pour ainsi dire, avec le mouvement charitable ^ ». Au moins peut-
de Melun
(1807-1877). on éire qu'on trouve son nom, son action, son initiative dans la

plupart des œuvres charitables, dans presque toutes les réformes


légisiatives qui ont pour objet, pendant cette période, l'améliopation

matérielle et morale des classes populaires. Il est un des plus actifij

coUaboFateurs de l'admirable Sœuf Rosalie, dont il a raconté lui-


même la sainte vie ^. VŒavre de la Miséricorde ^ celle des Amis de
l'Enfance, ceHe des Apprentis et des jeunes ouvrières ^ Ibl Société d'éco-
nomie charitable, la Société de secours ause blessés fondée pendant la
guerre de 1870, lui sont redevables de leur existence ou de leur

I. Voir A. KA.?fNBN6iBSBR, KetteUr, l'évêque social, dans le Qorre^pondanl de 1898,


Allemagne, un vol.^ in-iJi, Paris, 1894.
•t Ketteler et Vorganisation sociale en
a. Sur les œuvres sociales des abbés Kolping et Hitze, et sur le tnouvement
social en général en Allemagne pendant la seconde moitié du xix^ siècle, voir
Ka.nnbî<gie5er, CaihoUqaes allemandit, p. 5i-3i9.
3. Correspondant de 1893, tome CLXXII, p. a43, en note.
a. Voir Vogblsang, Morale et économie sociale ; Id., Politique sociale, 2 vol.in-ia,
Irad. P. de Pascal 'collection Science et Religion).
5. Michel Gornudet, dans le Correspondant du a5 janvier 18.78.
6. A. DE Melun, Vie de la Sosur Rosalie, un vol., in-8«, Paris, 1857,
OEUVRE» BT MTSSrOXS CATnOl.lf^VVS «OTJS LR PO?«TTFICAT DE PIE TX 627

développement. Elu député à l'Assemblée législative, en 18^9, il


y
prépare et y défend, avec une compétence qu'amis et adversaires
politiques s'accordent à lui reconnaître, les meilleures lois de cette

époque : les lois sur les logements insalubres, sur les contrats d'ap-
prentissage, sur les monts de piété, et il prend une part très impor-
tante à la rédaction de la loi sur la liberté d'enseignement K
"'^
Léon Lefébure, fidèle disciple d'Armand de Melun dès sa première ^'^«'ij'*'^'

jeunesse, collaborateur de Frédéric Le Play à l'Exposition de 1867,


député de Colmar en 1869, sous-secrétaire des finances en 1878,
n'attache pas son nom à une œuvre particulière ; mais il collabore
avec intelligence et activité à la plupart des institutions charitables do
son temps, et tout le prépare à la fondation de cet Offire central des
œuvres de bienfaisance qui couronne sa féconde existence *.

Nous avons eu l'occasion de dire plus haut comment le jeune lieu- .viberide Mu»
tenant Albert de Mun d'état-major René de Tour du (^^^i- 1914).
et le capitaine la

Pin avaient fondé, en 187 1, les Cercles catholiques d'ouvriers. Jamais


œuvre ne fut plus brillamment inaugurée. Sous le régime d'une
Assemblée nationale qui, par les sentiments profondément religieux
de la plupart de ses membres, autorise tous les espoirs, on peut voir
le lieutenant, puis le capitaine Albert de Mun, sans négliger ses

devoirs professionnels, mais aussi sans quitter le sabre et la cuirasse,


soulever l'enthousiasme d'immenses réunions, que des autorités
de toute sorte, généraux, magistrats, préfets, jusqu'au maréchal-
président lui-même, viennent parfois rehausser de leur présence.
Au lendemain des désastres de 1870 et des désordres de la Com-
mune, l'œuvre des Cercles catholiques d'ouvriers bénéficie de la

conviction éloquente de ses apôtres et du besoin d'initiatives patrio-

tiques, sociales, franchement chrétiennes. « Hommes d'action tt


patriotes clairvoyants s'unissent pour soutenir et propager l'œuvre
nouvelle. La faveur d'un grand nombre d'évêques et bientôt la haute
approbation de Rome font le reste. Unis dans un même sentiment
de conservation sociale et de relèvement national, ouvriers et diri-
geants fraternisent. [1 faut lire le rapport écrit par Albert de Mun
le soirdu pèlerinage des Cercles à Notre Dame de Liesse, le 17 août
1873 ^. C'est un bulletin de victoire, rédigé en style militaire par

I. Bautïard, Vie du vicomte Armand de Melan^ un vol. in-80, Paris, 1880.


a. H. JoLY, 0:anam et ses continuateurs, un vol. in-ia, Paris, 1918, p. i83-3"^r.
3, A. DB Murf, Œuvres, 1. 1, p. Ga et s.
628 HISTOIR* GÉNÉRALE DE L^ÉGLISE

un fier soldat *. » A côté du capitaine de Mun, le capitaine de la


Tour du Pin, esprit observateur, réfléchi, profond, élabore dans lo
de la T»ur
du Pin. « Conseil des Etudes », la doctrine qu'il formulera plus tard dans
son important ouvrage : Vers un ordre social chrétien, et dans son
précieux petit volume : Aphorismes de politique sociale. Le P. de
Pascal, MM. de Ségur-Lamoignon, Savatier, de Bréda, prennent
part aux discussions sociales que préside celui qui déjà s'impose à
eux comme un maître. Une Revue, l'Association catholique, et un
périodique hebdomadaire, la Corporation, sont fondés pour propager
les idées du nouveau groupe.
Mais ces brillants débuts n'ont pas de lendemain. La première
génération de jeunes gens, unis, enthousiastes, n'est pas remplacée
par des recrues suffisantes. La doctrine de l'œuvre est contestée par
de graves économiste». Les cercles fournissent aux ouvriers déjà
catholiques de réels avantages, mais n'attirent guère les autres. On a
souvent parlé de l'échec, au moins partiel, de l'œuvre des Cercles

Lé« Cercles catholiques d'ouvaiers. On oublie que l'œuvre d'Albert de Mun et de


catholiques René de la Tour du Pin s'est survécue en d'autres œuvres, qui, pour
d'euvriers.
porter des noms divers, ne tiennent pas moins d'elle leur origine, leur
esprit, leur élan. L'Association catholique de la Jeunesse française se

rattache à un groupement de jeunes gens fondé par les deux vail-


lants officiers. Les cercles d'études, si répandus de nos jours,
dérivent du « Conseil des études ». Les syndicats chrétiens actuels
ont été ébauchés dans les projets de corporation chrétienne élaborés
en 1871. Les Semaines sociales ont eu pour promoteurs des disciples
d'Albert de Mun et de René de la Tour du Pin ; et l'on a vu, au début
du XX* siècle, des groupes nettement hostiles en politique, se récla-
mer avec la même ardeur des doctrines sociales proclamées au len-
demain de 1870, par l'œuvre des Cercles.
Lm Filles Les Filles de la Charité ne professent pas de doctrine sociale ; mais
ée U Chanté, les initiatives si heureuses de la Sœur Rosalie, son Bureau de la Cha-
rité, ses diverses fondations, patronages, congrégations, asiles pour
les vieillards^ institutions diverses pour l'enfance, deviennent pour
elles des modèles, rajeunissent leur apostolat charitable, leur per-
mettent d'adapter leurs méthodes traditionnelles aui besoins nou-
veaux 2.

X. Léonce de GRANDMA.isoif, les Etudes, t. CXLI, 1914» p. 3d.


a. A. DB Melun, Vie de la Sœur Rosalie, p. 36-i63.
.

ŒUVRES ET MISSIONS CATHOMQTJES SOUS LE PONTIFICAT DE PIE IX 629

Sous la pression des événements, et sous la haute direction de leur Les Frèr^
Supérieur général, le Frère Philippe, les Frères des Ecoles chrétiennes ?®' Ecoles
., .
1
chretiennasw
élargissent aussi leurs moyens d action.
Leur point de départ, leur œuvre première, c'est l'école primaire.
Mais, lorsque la famille offre si peu de secours chrétiens à l'enfant
sorti de l'école, n'est il pas naturel que ses anciens maîtres songent
à s'occuper de lui ? Le Frère Philippe pense que les cercle» déjeunes
gens, les maisons de famille, les classes d'adultes, les colonies agri-
coles, les orphelinats, l'enseignement professionnel, industriel, agri-

cole et commercial, se rattachent à l'œuvre voulue par saint J.-B.


de la Salle, et Dieu les bénit abondamment *.

Les Frères de Saint-Vincent-de-Paul n'ont pas à se poser de pareilles I-es Frèrw


questions. Ils ont été fondés précisément pour s'occuper de toutes les
s^int^vinceni-
œuvres populaires qu'exigeront les besoins des temps. La Révolution de-Paul,

de 1848, puis la guerre de 1870 et la Commune de 187 1, sont, poui


la jeune Congrégation, les occasions d'un redoublement d'activité el
de succès. Revêtus de l'habit laïque, « les Frères de Saint-Vincent-
de-Paul, inconnus du grand nombre, semblables en tout, quant :i

l'extérieur, aux catholiques zélés qui se dévouent aux œuvres,


D'échappent pas seulement aux persécutions ; ils peuvent, au milieu
des plus violentes commotions politiques, continuer, presque sans
entraves, leur secret apostolat ^ ». En 1871, Pie IX leur demande
d'ajouter, dans leurs Constitutions, aux œuvres d'ouvriers et de
pauvres, les œuvres de soldats ^. C'est dans une de leurs maisons,
celle de Notre-Dame de Nazareth, au boulevard du Montparnasse,
que l'œuvre des Cercles catholiques d'ouvriers prend naissance,
et c'est de leur initiative que naît, sous la présidence de Mgr de Ségur,
ami et protecteur de l'institut, l'Union des associations ouvrières
catholiques, qui a si puissamment contribué à multiplier les œuvres
ouvrières dans tous les diocèses de France *.

I.PoDJOULAT, Vie du Frère Philippe^ un vol. in-ô»^', a» édition, Tours, 187?,


p. 139-161
de M. Le Prévost, un vol. in-S», Paris, 1890, p. i56.
a. Vie
3. a6a.
Ibid., p.
4. Sur le détail des œuvres de la Société des Frères de Saint-N incenk de-Pau!,
voir la Vie de M. Le Prévost, qui est, en même temps, l'histoiie delà Con(^régatiou
jusqu'en 1871.
63o HlSiOlRE GENERALE DE L EGLISE

III

1^9 tBiivre* Est-ce une œuvre d'art ou une œuvre d'apostolat que poursui-
:J"-'Jîfication.
vent, au temps de Pie IX, le peintre Hippolyte Flandrin en France,
les disciples d'Overbeck en Allemagne, les « préraphaélites » d'An-
gleterre qui ont Ruskin pour législateur et pour héraut? La prédo-
minance de l'idée d'apostolat est incontestable chez le peintre des
églises de Saint-Vincent-de-Paul et de Saint-Germain-des-Prés de
La peinture Paris, de l'église Saint-Paul de Nîmes. On a dit, des admirables
clirétienne.
figures où sou âme si pure transparaît, qu'on y trouve plutôt « un
llippolyle reflet attendri dupasse » que la clarté rayonnante d'une « aube nou-
Flandrin
velle ^ ». Mais sa peinture exprime une piété si douce et si recueillie,
(1809 i864).
qu'une voix compétente a pu le comparer à la un néophyte
fois « à

chrétien peignant les catacombes n et encore « à un artiste du

XV® siècle décorant les chapelles et les monastères avec une inépui-
sable ferveur • ».
L'architecture Dans le renouveau religieux de l'architecture qui s'opère pendant
chrétionne.
la même période, l'inspiration est purement chrétienne chez Monta-
lembert, qui, dès i833, dans sa lettre sur le Vandalisme en France^
écrit : « J'ai pour l'art du moyen âge une passion ancienne et pro-

fonde ; passion avant tout religieuse, parce que cet art est, à mes
yeux, catholique avant tout » ^. Mais chez Victor Hugo, chez Mi-
chelet, chez Mérimée, chez Vitet, comme chez les disciples alle-
mands de Wackenroder, l'inspiration est surtout artistique. Didron,
dans ses Annales archéologiques, fondées en i844, et Arcisse de
Caumont, dans son Abécédaire d'archéologie, paru en i85o, en pré-
parent la réalisation. Un architecte de grand talent, Viollet-le-Duc,
dont les écrits et l'œuvre monumentale dominent l'époque, la réalise.
Ses restaurations de Notre-Dame de Paris et d'un grand nombre de
monuments à Vézelay, à Autun, à Beaune, à Toulouse, à Carcas-
Bonne, ne sont pas à l'abri de toute critique. Mais son œuvre a def
parties admirables, et l'ardeur de son prosélytisme est infatigable.

I. An Iré Pératé, dans Un siècle. Mouvement du monde de 1800 à 1900, édit.


grand in-80, Paris, 1900, p. 633.
a. Discours de M. Belle, secrétaire de l'Académie des beaux-arts, sur la tombe
d'Hippolyte Flandrin. Voi Louis Flandrin, Hippolyte Flandrin^ un vol. in-8"»,
illublié, Pdris, 1909.
3. MoNTALBMBERT, Œuvres, t. VI, p, 8,
ŒUVRES ET MISSIONS CATHOLIQUES SOUS LE PONTIFICAT DE PIE IX 63 1

Sun influence pénètre l'Europe. Elle se fait sentir en Allemagne, qui


se glorifiera bientôt déterminer, avec quelque lourdeur, la cathédrale
de Cologne; et son action, se rencontrant en Angleterre avec celle de
Ruskin, inspire la restauration de plusieurs monuments gothiques ^
C'est encore aux monuments du moyen âge que la musique reJi La muiiqa«
religieuse.
gieuse demande le secret de sa rénovation.
En i84o, l'apparition du tome I" des Institutions liturgiques de
Dom Guéranger et la publication de l'Instruction pastorale de
Mgr Parisis sur le Chant de l'Eglise *, donnent la première impul-
sion au mouvement. La formation, en 18/19 P*^*^
^®^ archevêques de
Reims et de Cambrai, sur les conseils de Pie IX, d'une commission La
restauration
chargée de restaurer le chant liturgique d'après les anciens manus-
du chaut
crits, la publication par le P. Lambillotte, jésuite, de sa Clef des grégorien.

mélodies grégoriennes, les études particulièrement suggestives du


clianoine Gontier, du Mans, et l'édition, faite en 1876 par un cha-
noine de Trêves, Hermesdorff, d'une partie du Graduale : telles sont
les principales étapes d'une réforme qui s'achève en i8So par la

publication des Mélodies grégoriennes de dom Pothier. C'est à dom


Joseph Pothier, en effet, qu'appartient l'honneur d'avoir restaure le Dom Pothier
chaut grégorien dans 1 Eglise. Son oeuvre capitale est le fruit de
vingt ans de patientes recherches.
En 1860, pendant qu'il est encore simple novice à l'abbaye béné-
dictine de Solesmes, dom Guéranger, frappé de ses particulières

aptitudes, le charge de transcrire, avec l'aide de deux de ses con-


frères, Dom Jansion et Dom Fonteinne, les antiphonaires poudreux
de Saint- Gall et de l'école messine, de comparer les notations des
codices avec les textes des théoriciens, et d'établir une copie clairement
lisible du graduel grégorien. Un premier essai paraît en 1868. Mais
« les points les plus délicats doivent être fouillés encore, et douze ans
s'écoulent en nouveaux essais, en nouveaux travaux, obscurs, mais
féconds. Enfin, en 1880, paraissent les Mélodies grégoriennes, dont la

publication suscite un émoi considérable parmi les plain-chantisles.

L'ouvrage est aussi neuf aujouid'hui qu'au premier jour ; s'il peut,
à certains égards, être complété, on n'y trouve rien à reprendre » 3.

1. A. l*ÉRA.TÉ, op. cit.. p. 6a9-6.3o.


a Gh, GuiLLEMANT, Pievre-Louis Parisis, t. 1 p aoo-210.
o. Ani6(iée GASTOié, l'Art yrégorien un vol in-ia. Paris, 191 1, p 108 109.
Sur la beauté du chant religieux, de Solesmes, voir Revue des Deux Mondes du
i5 novembre 1898.
633 HISTOIRE GENERALE DE L EGLISE

du xix® siècle n'emprunte pas seulement au


L'Eglise du milieu
moyen agcles principes du rajeunissement de son architecture et de
son chant liturgique ; c'est à l'époque médiévale qu'elle s'adresse
pour retrouver les voies traditionnelles de sa philosophie et de sa
théologie.
En i84o, le bibliothécaire de la Bibliothèque royale de Naples, le
chanoine Cajetano Sanseverino, qui n'avait, dit-on, que deux pas-
La philosophie sions : classer sur des rayons des volumes poudreux et lire les
chrétienne.
œuvres de Descartes, reçoit la visite d'un jésuite de Reggio, le

P. Sordi, qui lui révèle Jes profondeurs de la Somme de saint Thomas.


Cajetano Le bon chanoine, ravi des nouveaux horizons qui s'ouvrent à sa
Sanseverino.
pensée, étudie, avec un amour croissant, la doctrine du Docteur
Angélique ; et, après trois ans de silence et d'étude, publie, à
Naples, sept volumes in-8°, intitulés : Philosophia christiana cum
anliqiia et nova comparata. Le succès en est considérable. Déjà,
parmi les catholiques, plusieurs esprits vigoureux et indépendants,
déçus par les théories vagues ou inconsistantes du traditionalisme,
du cartésianisme et de l'ontologisme, se sont tournés vers la philoso-

phie de saint Thomas *. En i846, Jacques Balmès commence sa


Retour Philosophie fondamentale par ces mots : « Ceci n'est que la philoso-
à la
philosophie
phie de saint Thomas appropriée aux besoins du xix^ siècle ». L'ap-
de parition de l'ouvrage de Sanseverino accentue cette orientation. En
«aint Thomas
d'Aquin,
i853, le P. Gratry écrit, dans son livre De la connaissance de Dieu :

« On peut dire que saint Thomas d'Aquin renferme saint Augustin,


Aristote et Platon... Il lui manque d'être compris. Il y a en lui dea

hauteurs, des profondeurs, des précisions que l'intelligence contem-


poraine ne comprendra peut-être que dans quelques générations, si la

philosophie se relève ^. » En cette même année i853, un jésuite


allemand, le P. Kleutgen, publie le premier volume de sa Défense
de la thétlogie ancienne ^. En Italie, un autre religieux de la Com-
pagnie de Jésus, le P. Cornoldi, fonde à Bologne une Académie de
Saint-Thomas. Pie IX ne se contente pas de louer Sanseverino d'avoir
« aidé le jeune clergé dans les principes de la saine doctrine » * ;
il

ne cache pas son admiration pour les anciens docteurs scolastiques *,

1. Gr.vtrt, De la Connaissance de DieUy t. I, p. 276.


2 Ibid., p. 826.
3. Traduite en français sous ce titre la Philosopide : scolastiqae exposée et dé»
fendue^ 3 vol. in-8^, Paris, 1868.
4. Lettre à Tarchevêque de Naples.
6. Bref du ai décembre i863, Tuas libenler lilteras.
OEUVRES ET MISSIONS CATHOLIQUES SOUS LE PONTIFICAT DE PIE IX 633

il défend leur méthode S il interprète quelques-unes de leurs doc-


trines fondannentales ^ ; et Mgr Pecci, archevêque de Pérouse, le

futur Léon XIIÏ, préhide aux encouragements qu'il donnera à la

scolastique du haut de la demandant au Saint-


chaire pontificale, en
Père de déclarer saint Thomas patron des Universités. Ce mouve-
ment ne nuit pas cependant au développement de la théologie posi- La philosophif
positive
tive, jadis illustré par les Melchior Gano. les Petau et les Tho- sous

massin. U Histoire da dogme de la Trinité de Mgr Ginouilhiac, les lepontiRcak


de Pie IX.
études patristiques de l'abhé Freppel, Y Histoire des conciles de

Mgr Héfélé, V Apologie du christianisme du professeur Hottinger, ek

le savant ouvrage de Mgr Malou, évêque de Bruges, sur V Imma-


culée Conception, sont les dignes pendants des savants travaux des
Sanseverino, des Kleutgen et des Cornoldi ^.

La théologie
La théologie rationnelle et la théologie positive n'absorbent pas,
mystique.
d'ailleurs, l'activité du clergé catholique. La théologie mystique a,

vers le milieu du xix^siècle, deux illustres représentants : le P. Faber


et l'abbé Charles Gay *. De l'un et de l'autre on peut dire ce que
disait du premier Mgr Mermillod en 1872, alors que le second
n'avait encore rien publié, t- qu'ils semblent placés au seuil des temps
nouveaux comme saint François de Sales le fut au lendemain du
moyen âge » et qu'à l'exemple de l'illustre et saint évêque de Ge-
nève « ils essayent de mettre en harmonie l'ancienne spiritualité
de l'Eglise avec la moderne » ^. L'un et l'autre se sont assimilé la
substance des grands théologiens de tous les temps, mais l'un et

l'autre ne cessent pas un instant d'avoir en vue leurs contemporains,


de parier pour les hommes de leur siècle et de leur pays.
Le P. Faber
Frédéric-William Faber, rté en 181 4, dans le comté d'York, d'une (i8i4-i8o3).
famille protestante réfugiée en Angleterre à la suite de la révocation
de l'édit de Nantes, et qui conserve avec orgueil les traditions de ses
ancêtres huguenots, est venu au catholicisme, en i845, à travers

I. Denzinoer-Bahswart,n. i652.
Bref du i5 juin 1857. Eximiam tnam.
a
3. Pour avoir une idée complète du mouvement théologique à cette époqu», voir
Bellamt, la Théologie catholique au XIX^ siècle, un\o\. in-8<», Paris, 1904, et Hurter,
Nomenolator UUerarius, t. V. On trouvera dans ce* deux ouvrages les éléments d'une
étude sur le mouvement biblique et sur le mouvement apologétique pendant la
même période,
4 Plus tard Mgr Gaj, évêque d'Anthédon, auxiliaire de Mgr Pic, éréque d«
Poitiers.
5. Vie et lettres da R. P. Faber, par le R P. Bowdbn, trad. Philpin de Riviires,
un vol. in la, Paris, 1872, p, 7 ; Léon Gàutibh, Eisprit du P. Faber, un vol. in-
la, Paris, 1878.
0*34 HISTOIRE GÉINÉRALE DE l'ÉGLISE

mille tortures et mille obstacles, parce qu'il a senti son âme « mou-
rir de faim et de soif" dans le protestantisme », parce qu'il n'y a
trouve ni les anges, ni les saints, ni la Vierge-Mère, ni Jésus pré-
sent dans l'Eucharistie, ni l'Esprit Saint lui parlant par une Eglise
sainte, une, catholique et apostolique. Le jour de sa confirmation, il

s'est senti, comme les apôtres, tout envahi par la présence sensible
du Saint-Esprit *. Et depuis, il chante son bonheur. Ses traités de
spiritualité sont des poèmes. Moins profond psychologue que
Newman, moins ferme logicien que Manning, moins érudit que
Wiseman, il est plus souple, plus varié, plus captivant. Ses livres
m'ont pas cette ordonnance méthodique qui plaît au lecteur français,
mais ils abondent en traits frûppants, pittoresques, originaux, inat-
tendus 2. 11 excelle à donner une forme poétique aux thèses les plus
austères, à exprimer en métaphores très modernes les dogmes les

plus anciens. « Le P. Faber, dit un critique, serait un théologien très


audacieux s'il n'était pas un théologien très instruit ^ ». De l'indé-
pendance, pourtant, Faber a plus l'apparence que la réalité ; et de
bons esprits se sont étonnés de voir cet Anglo-Saxon pousser l'amour
de Rome jusqu'à préconiser les formes les plus étranges de la dévo-
tion italienne, et prêcher, non pas seulement le « dévouement »,
mais la « dévotion » au pape *.

L'abbé Charles Gay, épris dès l'enfance des beautés de l'art, musicien
Charles Gay
(1816-1893). habile, ami de Charles Gounod, est converti à dix-huit ans par
Lacordaire. Ordonné prêtre, il s'attache de préférence à l'abbé Gaston
de Ségur, à Mgr Pie, collabore à l'œuvre de l'évêque de Poitiers, et

l'accompagne au concile du Vatican, où il fait partie du groupe des


« infaillibilistes » les plus décidés ^. En 1874, il publie des confé-
rences données aux Religieuses du Carmel, et leur donne pour titre

la Vie et les Vertus chrétiennes dans l'état religieux. Le succès de


l'ouvrage est immense. Douze mille exemplaires du livre s'écoulent

I. Ibid., p. 370.
3 de ce qu'on appelle l'école romantique n'est pas étranger
« L'esprit littéraire
au P. Faber. . Il de mœurs et la moquerie même aux idées les ()lu8
mêle le trait
gi-andioses. 11 dit tout ce qu'il pense, et il le dit à coups de pinceau. » (Ernest
IIello, dans la /?eu. du Monde caih. du 38 mars 1875.)
3. Léon Gautier, Portraits littéraires, p. 81.
4 Les œuvres du P. Faber se composent des ouvrages suivants le Précieux :

Sang, Bethléem (a vol.), le Saint-Sacrement (3 vol.). Conférences spirituelles, le


Créateur et la créature^ Tout pour Jésus, Progrès de Idme, Au pied de la croix, Delà
dévotion au Pape, De la dévotion à l'Eglise.
5. G. DE Pascal, Mgr Gay d'après sa correspondance, un vol. in-ia, Paris, 1910.
ŒUVRES ET MISSIONS CATHOLIQUES SOUS LE PONTIFICAT DE PIE IX 635

en dix-huit mois, sans compter les traductions en langues étrangères.


Par l'ordre classique qui règne dans ces deux volumes, l'abbé Gay
remporte sans contredit sur le P. Faber ; mais sa phrase a je ne sais
quoi de tendu, d apprêté, qui ne permet pas toujours, à la première
lecture, de goûter tout ce qu'il y a de profondeur, de chaleur et de
vie dans sa pensée. Le public ne saura que plus tard, après sa mort,
par la publication de sa correspondance, tout ce qu'il y a eu de
spontanéité, de simplicité, d'harmonie gracieuse et douce dans son
âme. Pourtant, qui l'approfondit, le devine. Le caractère propre de
l'ouvrage de l'abbé Gay sur la Vie et les Vertus chrétiennes^ c'est

l'union intime de la théologie dogmatique et de la théologie mys-


tique. Avant lui, plusieurs auteurs les avaient unies en les juxtapo-
sant; chez lui, elles sont fondues. Dans la même formule, dans la

même expression, le théologien reconnaît sa doctrine et le mystique


son expérience intime. Plus que tout autre, le savant et pieux auteur
a pu réaliser cet idéal, car cette compénétratioii du dogme et de la

piélé a constitué sa vie intime. Elevé dans une famille étrangère aux
croyances chrétiennes, il est venu au catholicisme paisiblement, sans
secousse, en suivant les inspirations les plus profondes de sa raison
et de son cœur. Parvenu à la vérité totale, il a converti tous les
membres de sa famille par le seul rayonnement de sa vie intérieure,
par ce qu'il a été plutôt que par ce qu'il a dit ; et c'est sans doute
la difficulté qu'il a éprouvée à traduire en formules intellectuelles ce
qu il a senti comme une vie, qui donne parfois une telle tension à son
style. « Les livres, écrit il, ne vont au fond de rien^. » « La formule
est une maison que notre condition terrestre rend précieuse, peut-être
indispensable. Que de gens tendent à transformer cette demeure en
prison ^ ! » Mais la lecture attentive d'un livre aussi profond que le

sien, fait transparaître la vie à travers la formule, parce que la for-

mule, chez ce mystique qui est un théologien, est sortie de son âme
et garde encore comme un écho de l'émotion dont elle a vibré. C'est

ainsi que ses dix-sept traités sur la vie chrétienne en général, sur les
vertus qui en sont le fruit, sur la vie religieuse, sur les obstacles que
la vie et les vertus chrétiennes rencontrent ici bas, deviennent des ali-
ments pour la pensée comme pour le cœur. Le mystique est-il autre
chose qu'une âme qui, par une grâce toute spéciale de Dieu, sent ce

I. Mgr Gay, Correspondance, 2 vol. iu-8% l^aris, 1899,1. 11, p. 5o.


a. Ibid.^ p. 69.
Ô36 HISTOIRE GÉwéRALl DS L*éOLlSR

que le simple fidèle croit, ou plutôt qui sent par le cœur ce qu'il sait
par l'esprit, où [lôvov (xadcùv, aXkd kolï nuôùiv ta Qûol , «uivaat
l'expression célèbre de l'Arcopagite * ?

IV

Lc8 œiivre* C'est donc bien à tort qu'on a souvent représenté le xi\* siècle
de zèle.
comme caractérisé par l'élimination de toute métaphysique, à plus
forte raison de toute spéculation théologique e* de toute tendance
mystique L'immense succès des ouvrages du P. Faber et de l'abbé
*.

Gay sont des démentis formels apportés à une pareille assertion. Le


XIX' siècle a eu ses mystiques, comme il a eu ses miracles à Lourdes,
comme il a eu ses saints et ses saintes à la vie débordante de surna-
turel, tels que le curé d'Ars, comme il a eu ses missionnaires et ses
martyrs.
Les missions Le pontificat de Pie IX est précisément marqué par une expan-
étrangères.
sion particuKère des missions étrangères et du zèle apostolique,
expansion que le pontrficat de Grégoire XVI avait efficacement pré-

parée.
L'Eglise, au cours des siècles, a compté trois grands mouvements
d'expansion évangélisatrice. kux premiers siècles, elle a suivi et par-

fois devancé les aigles romaines, pour prêcher l'Evangile au monde


antique ; aux xv* et xvi* siècles, elle a suivi et souvent devancé les
grands explorateurs européens, et s'est empressée d'aller planter
la croix dans toutes les terres neuves où l'amour de l'or poussait les
nouveaux conquérants. Vers le milieu du xik® siècle, la grande évolu-
Comment tion de la politique coloniale dont nous avons eu déjà l'occasion de
l'Eglise
catholique, parler, devient, pour le zèle apostolique de l'Eglise catholique, un
dans nouveau stimulant. Sans doute la vertu d'apostolat reste toujours,
Ml missions,
K désormais pour l'Eglise catholique, comme l'a proclamé Lacordaire du haut de
à lutter la chaire de Notre-Dame, une « vertu réservée » ; le protestantisme,
contre la
propagande au point de vue religieux, continue à se désagréger, et le schisme
protestante. grec, en tant qu'Eglise, ne sort pas de son immobilité ; mais l'un et

I.Dents l'Aréopagitb, Des noms divins, ch. ii, S IX-, Mighb, P. Gr., t. III,
col. 647. « Ce que nous croyons par la foi, dit sainte Thérèse en parlant des états
mystiques, l'âme le perçoit ici par la vue. » [Château intérieur, VII* demeure,
ch. ler.)
a. On connaît la vogue de la théorie dite des « trois états » d'Auguste Gomt*.
Voir Fagubt, Politique» et moraUstes du XIX* siècle, 35â-358,
ŒUVRES ET MISSIONS CATHOLIQUES SOUS LE PONTIFICAT DE PIE iX 63'J

l'autre, comme religions nationales, suivent le mouvement de péné-


tration que TAnglelerre, l'Allemagne et la Russie poursuivent dans
les diverses parties du monde, et s'y implantent sous la protection

des autorites civiles et militaires de ces Etats. Le catholicisme va-t-ii


perdre le fruit de ses longs travaux?
Sur les frontières orientales de l'Europe, le schisme grec, qui ne Les rnissionf
faisait qu'un avec l'empire moscovite, guettait depuis longtemps d'Orient.

Constantinople, cette « clé de deux mondes », et convoitait la domi-


nation ou du moins le protectorat des nations balkaniques. Les Lieux
Saints seraient-ils plus en sûreté entre les mains du Saint Synode
que sous l'autorité du Sultan? Tout faisait supposer le contraire.
Mais la prééminence de la Russie ou de la Turquie à Constanti-

nople était une question d'ordre politique dont le Saint-Siège n'avait


pas à s'occuper directement. D'autre part, au point de vue religieux,
l'Eglise catholique avait, depuis longtemps, renoncé à toute œuvre La quMtioQ
directe de conversion des Grecs et des Turcs ; les préjugés des pre- d'Orient
au point de vue
miers étaient si profonds et le fanatisme des seconds si violent, qu'on religieux.
pouvait craindre que toute tentative de ce genre n'aboutît, sans profit
pour la foi, qu'à un redoublement d'intolérance et d'hostilité.

Une démarche faite par la Sublime-Porte, en janvier 1847, *^


lendemain de donna quelque espoir aux catho-
l'élection de Pie IX,
liques. L'ambassadeur du sultan à Vienne se rendit à Rome pour
présenter ses hommages au Saint-Père. C'était la première fois qu'un
diplomate ottoman demandait une audience au vicaire de Jésus-
Christ. L'audience eut lieu le 20 janvier 1847. Les paroles échangées
furent vagues, mais empreintes de sympathie de part et d'autre ^
Quelques mois après, le 28 juillet. Pie IX, par sa Lettre apostolique
NuUa celebriory annonça son intention de rétablir le patriarcat latin Rétablisse-
de Jérusalem avec résidence obligatoire -. Dans le consistoire secret ment d'uB
patriarche
du*4 octobre, il éleva à cette haute dignité le P. Joseph Valerga, permanent
missionnaire à Mossoul depuis i84i ^. Le 6 janvier 1848, il adressa à Jérusalem
(a3 juillet
à tous les chrétiens d'Orient une longue et éloquente Lettre, leur
annonçant l'envoi d'un ambassadeur pontifical à la Sublime-Porte,
rappelant les grandeurs passées des Eglises orientales et conviant les
chrétientés séparées à l'unité *. Pie IX ne pouvait se faire illusion :

1. Gha.ntrel, Annales ecclésiastiques, année 1847, p, 6.


a. Ibld., p. II.
3. /6id., p. i4-
A Ibid., p ig-aS.
638 niSTOTRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLTSE

la réalisation de ses vœux ne pouvait se produire qu'à longue


échéance ; mais les diverses missions organisées, encouragées et sou-
tenues par lui en Palestine, en Syrie, en Chaldée et en Arménie,
avaient pour but de hâter le retour de nos frères séparés ; et il semble
que ce but ait été atteint dans une large mesure.
f.ds missions Les franciscains avaient en Palestine, depuis leur fondation, une
d« Palestine. place importante, qu'ils conservèrent, même après Télection d'im
patriarche résidant à Jérusalem ^. La France y exerçait d'ailleurs,
de temps immémorial, un protectorat religieux, officiellement
reconnu par les conventions conclues, de i535 à 1740, sous le
nom de u capitulations » ^, protectorat que le traité de Berlin, eu
1878, devait reconnaître et ratifier. De 18^7 à 187^, Mgr Valerga
et Mgr Bracco fondèrent de nombreuses œuvres catholiques en
Palestine. Aidés par l'œuvre de la Propagation de la foi et par
Y Association du Saint- Sépulcre, fondée à Cologne, ils créèrent de
nouvelles paroisses, appelèrent en Palestine un grand nombre de
congrégations religieuses, et, avec leur concours, fondèrent des
écoles, des orphelinats et des hospices. Ces fondations contrebalan-
cèrent autant que possible l'influence des schismatiques russes et des
protestants allemands, qui, (disposant de sommes considérables,
multipliaient leurs efforts pour consolider et agrandir leurs positions
en Terre Sainte.
L'œuvre Une des œuvres les plus intéressantes de Palestine, sous le ponti-
des Religieux
ficat de Pie IX, fut celle du R. P. Marie- Alphonse Ratisbonne. Né
et des
Religieuses en i8i4, à Strasbourg, d'une famille israélite, élevé en dehors de
de Notre Dame
toute idée religieuse, adonné mondaine et aux plaisirs dans
à la vie
de Sion.
Le P. Marie- sa jeunesse, il avait été subitement converti à Rome, au cours d'un
Alphonse
voyage d'agrément, par une apparition miraculeuse de la Vierge
Ratisbonne
(i8i4-i884). Marie, le 20 janvier 1842 ^. Entré dans la Compagnie de Jésus au
mois de juin delà même année, il s'était senti attiré par une force
croissante vers l'apostolat de ses frères d'Israël et vers l'œuvre que
son frère Marie-Théodore, converti au catholicisme quelques années
avant lui, avait fondée sous le vocable de Notre-Dame de Sion. En
décembre 1862^ il se joignit à son frère, n'ayant pas de désir plus*

1. CivEZZA, Histoire universelle des missions franciscaines, trad. française, 3 vol.


in-8°, Paris, 1898, t. III, 2» partie, p. 198 et s.

E. Lamt, la France du Levant, un vol. in-S», Paris, 1900. p. 57-62, i64 336.
2.
3. Voir le récit détaillé de ces faits dans la vie de son frère, le R, P. Marie"
Théodore Ratisbonne, 2 vol. in-8°, Paris, 1906, t. I, p. 186 246,
OEUVRES ET MISSIONS CATHOLIQUES SOUS LE PONTIFICAT DE PIE IX 689

ardent que d'aller à Jérusalem, travailler, f« pleurer et souffrir avec


Jésus sur le Calvaire pour la rédemption d'Israël ». Au mois d'août
i855, il lui fut dorme de mettre le pied sur cette terre sainte où lui
était réservé un apostolat de plus de y fut rejoint, trente années. Il

l'année suivante, par une petite colonie de Religieuses, appartenant à


la Congrégation de Notre-Dame de Sion, que le R. P. Marie-Théo-
dore avait fondée à Paris ^ et qui, dans la pensée des deux frères,
devait assumer une double tâche: Tune d'expiation, par une prière
incessante, l'autre de régénération, par l'éducation gratuite des
enfants de la Palestine. Les fondations du sanctuaire et du grand
orphelinat de l'Ecce-IIomo, de la Maison de Saint-Jean dxl Désert et
de l'institut Saint-Pierre de Jérusalem, réalisèrent les vœux des deux
saints prêtres. D'autres religieux, carmes, trappistes, dominicains,
assomptionnistes, établirent aussi des écoles, où les élèves aflluèrent.

Ces derniers préludaient à leurs célèbres pèlerinages de Terre Sainte. Les Pèrat
Blancs.
En 1878, Mgr Lavigerie installa, à son tour, les Pères Blancs au
monastère de Sainte- Anne de Jérusalem, misa sa disposition par le

gouvernement français ^. La propagande catholique proprement dite

restait toujours impossible ; mais, ainsi que le remarque un grave


et perspicace historien, la charité, le dévouement des missionnaires
et des religieuses amenaient la diminution du fanatisme. « Les
Turcs élevés dans les écoles chrétiennes, et qui, de plus en plus
nombreux, occupaient les charges de l'armée et de la politique,

échappaient aux instincts de la férocité musulmane ^. » Les jeunes Les écoles


chrétienne»
filles, formées dans des pensionnats chrétiens, avaient eu une vision :

en Orient.
la dignité de la femme, de l'épouse, de la mère leur était apparue. Leur
importance.
« C'est sur la dégradation de la femme que l'Islam a été fondé... Le
jour où la femme, dans la dignité du foyer rétabli, aura transmis
sa conscience aux fils élevés par elle, la femme aura vaincu l'Is-

lam *. »

Au-dessus du Jourdain, dans les montagnes du Liban, en Syrie, Les missions


de Syrie.
ce n'était pas seulement la religion de Mahomet, c'était le schisme
grec, c'était l'hérésie jacobite, c'était l'étrange et farouche religion

I. Sur la fondation des Religieuses de Notre-Dame de Sion et des Pères de


Sion, ayant pour but de « travailler avec ardeur à ramener le» brebis perdues
d'Israël à la véritable Eglise ••, voir Vie du P. Th. Ralisbonne, t. I, p. 817 307,
£407 et s., 546 et s.

a. Bauîja.rd, Cardinal Lavigerie^


le t. II, ch. iv,
3. E. Lamt, op. cit., p. 35o.

4. Ibid.^ p. 35o. 35 1.
64o HISTOIRE GENEUAr.E DE I, ÉGLISB

des Druses ^, et, au milieu de ce monde si disparate, c'était encore


une intense propagande protestante, que les missionnaires catho-
liques rencontraient. « La fertilité du pays, le nombre des ports,
l'importance des affaires, retenaient dans les principales villes de
Syrie une colonie européenne 2. » Les Anglais et les Américains y
affluaient. « De l'île de Chypre, son nid d'aigle, l'Angleterre y
La propagande expédiait et hommes
y disséminait ses bibles, son or et ses ^. » Les
protestante i. * f • •
, ^ i- ^

en Syrie. pasteurs protestants d Amérique avaient établi leur centre de prédi-


lection chez les Druses, peuple vigoureux, qui, jusqu'ici, contre les
catholiques, protégés de la France, contre les orthodoxes, clients de
la Russie, contre les musulmans, soutenus par la Porte, n'avait
compté que sur lui-même. Ces pasteurs leur faisaient entrevoir le
puissant appui des nations protestantes. Le protestantisme cherchait
un autre appui dans les classes cultivées. En 1876, les Américains
fondèrent à Beyrouth une école, qui prit le nom d'Université, et

d'où pouvaient sortir des médecins, des hommes influents de toute


sorte, peut être des hommes d'Etat, qui orienteraient vers eux l'opi-
nion publique. Les catholiques avaient pour eux, dans les montagnes
L«s Maronites, du Liban, la vaillante nation des Maronites. En butte aux attaques
incessantes des Druses, victimes, en 1860, d'épouvantables massacres,
ils furent secourus par la France, qui, en sa qualité de protectrice
un corps de 7.000
des chrétiens d'Orient, envoya, pour les protéger,
hommes, releva la nation de ses ruines et lui obtint du sultan la
nomination d'un gouverneur chrétien. En même temps, avec un
zèle infatigable, Mgr Samhiii, patriarche d'An tioche pour les Syriens,
parcourait l'Europe, quêtant pour sa pauvre Eglise. Le capucin
GasteJli déterminait, par ses prédications, de nombreuses conver-
sions parmi les jacobites. En 1869, le successeur de Mgr Samhiri,
Mgr Harcus, se rendait au concile du Vatican à la tête de huit évêques
auxquels se joignait l'évêque de Madiat, en Mésopotamie, converti
en i85o. La fondation en i885, par les jésuites, sous la protection
du gouvernement français, de l'Université de Beyrouth, a, depuis,
beaucoup contribué à combattre l'influence protestante.
Les missions La mission de Chaldée, confiée aux dominicains, aux carmes,
e VMiial ée.
^^^ capucins et aux lazaristes, avait en face d'elle l'hérésie nesto-

I. Voir Silvestre DE Sact, Exposé de la religion des Druses, a vol. in-8o, Paris,
i838.
a. E. Lamt, op. cit.^ p. 20a.
3. Baumard, Un siècle de VEglise de France, p. 438,
ŒUVRES ET MISSIONS CATHOLIQUES SOUS LE PONTIFICAT DE PIE IX 6^1

rienne. En i8/|5, une mission anglicane puséyste, sous la direction

du prédicant Badger, était venue s'établir à Mossoul, pour y com-


battre l'influence française. Mais la protection accordée par l'arche-
vêque de Cantorbéry et l'évêque de Londres à cette entreprise

puséyste, causa du scandale en Angleterre. Badger quitta Mossoul à


la (în de i8/i4. Des missions organisées par les Américains à Mossoul,
en Mésopotamie, dans le Kurdistan turc, n'eurent pas plus de
succès. Les distributions d'or, faites à profusion, nuisirent à leur
cause bien plus qu'elles n'y aidèrent. « Cette religion n'est pas une
religion, disaient les nestoiiens en parlant du protestantisme, Mgr Audu,
patriarche
c'est plutôt le renversement de toute religion » K Le catholicisme,
au contraire, gagnait beaucoup
,iT-<ocoi -i
de prosélytes. En i853, le patriarche
de Babylone.

chaldéen de Babylone, Mgr Audu, écrivait que « trente-cinq mille


brebis avaient été ramenées au bercail », Malheureusement le com-
mencement de schisme qui se produisit dans l'Eglise de Chaldée Commence-
vint interrompre le cours de ses heureuses destinées. Nous avons vu °^'}*

plus haut quelle lut 1 attitude du patriarche Audu au concile du


Vatican. 11 y avait défendu avec énergie les anciens usages de son
Eghse relativement à l'élection des évêques. La nomination faite,

d'autorité, par Pie IX, de deux prélats, l'avait vivement froissé.

Néanmoins sa soumission au dogme de l'infaillibilité et aux autres


dogmes proclamés par le concile avait été complète 2. Il avait seule-
ment ajouté qu'au point de vue disciplinaire il tenait à faire la
réserve, jadis proclamée par le concile de Florence et non abolie par
le concile du Vatican suivis omnibus jaribus et privilegiis pairiar-
:

cliaruni. Le cardinal Barnabo avait enregistré sa déclaration, en lui


faisant observer que le concile, en décrétant l'autorité immédiate du
pape sur toute l'Eglise, n'avait pas excepté l'Eghse orientale, mais
que cette autorité serait toujours exercée en tenant compte des
circonstances particulières ^. Or, en 1873, des difficultés s'étaient
présentées, toujours à propos d'élections épiscopales, entre la Propa-
gande et le patriarche. Celui-ci refusa de se soumettre aux décisions
de Rome, qu'il déclara arbitraires, et entraîna avec lui plusieurs
évêques, les principaux personnages de la nation et les moines de
Raban Orniez, Le 24 mai 1874, de sa propre autorité, il consacra

I. Marsha.ll^ les Missions chrétiennes ^ trad. L, de Waziers, a vol. in-8°, Pacis,


1SÙ2, t. Il, p. 1 18- 119.
u. GaA]5DERATH, t. 111, 2* partie, p. a68,
3. Ibid.
llist. gén. de l'E-liie VIU 4,
6 Ai HISTOIRE GENERALE DE L EGLISE

ncufévoqiies. Une lettre que lui écrivit Pie IX, le i6 septembre 1876,
fut regardée par lui comme non avenue, parce qu'il la considéra
comme inspirée au pape par la jalousie des dominicains. Mais
Soumission 1-orsque, en 1877, ^^ souverain pontife le mit en demeure d'oblem-
du patriarche, j^.j.gj, i^ g^g ordres OU de se séparer de l'Eglise, le vénérable prélat,
qu'animait un profond sentiment de piété et de dévouement à l'Eglise^,
n'hésita pas à se soumettre. Il eut alors la douleur de voir plusieurs
de ses fidèles et de ses prêtresse soulever contre lui. Son successeur,
Mgr Abolian, élu le 28 février 1879, acheva de rétablir la paix dans
l'Eglise chaldéenne. On sait d'ailleurs avec quel soin le pape Léon XÏII
prit à cœur d'accorder aux Eglises orientales tous les privilèges fondés
sur des traditions respectables et compatibles avec les droits essentiels
du Saint-Siège.
Bien autrement grave fut la crise qui éclata en Arménie.
Les missions Les catholiques d'Arménie avaient passé par des fortunes diverses.
en Arménie.
Ceux qui, pour échapper aux persécutions desTurcs, s'étaient réfugiés

en Autriche, eurent le meilleur sort. Ceux qui s'étaient fixés en Russie


se virent organisés sur le modèle de l'Eglise moscovite et ne purent

jamais se mettre en rapport avec un missionnaire catholique. Nous


avons vu comment Arméniens catholiques de Turquie, d'abord
les

placés sous la dépendance du patriarche schismalique, étaient par-


venus à s'afTranchir -. En i85o, le catholicisme avait fait de tels

progrès, que Pie IX autorisa l'archevêque Hassoun à ériger six


évêchés suffragants : ceux de Brousse, d'Angora, d'Artwin, d'Erze-
roum, de Trébizonde et d'Ispahan. Seize ans plus tard, Hassoun
était élu patriarche par les évêques de son district. Pie IX, qui con-
naissait le dévouement au Saint-Siège du nouvel élu, profita de cette

nomination pour opérer dans l'Eglise arménienne une réforme décidée


La bulle depuis longtemps. Par sa bulle Reversurus, du 12 juillet 1867,
Reversiirus
destinée à devenir fameuse dans l'histoire des Eglises orientales : i'' il
(12 juillet
.867). réunit en une seule les deux circonscriptions ecclésiastiques de Gons-
tantinople et de Cilicie et fixa la résidence du patriarche à Gons-
lantinople ;
2" il décida qu'à l'avenir les élections au patriarcat et
aux sièges épiscopaux seraient faites par les évêques à l'exclusion des
laïques et que le patriarche élu ne pourrait être intronisé ni faire

i. Dans son allocution consistoriale du 28 février 1879, Léon XIII l'appelle i4a-
tistes (jaemexiniias pietatis et religionis sensus ornabat. [Acta SS. Leonis XIll, t. I,

2 Voir plus haut, p. i54-i55.


OEUVRES ET MISSIONS CATHOLIQUES SOUS LE PONTIFICAT DE PIE IX 6'l3

aucun acle de juridiction avant d'avoir reçu confirmation de son


élection par le pape 3° il stipula que l'intervention des évoques dans
;

l'élection à un sièj^e épiscopal consisterait seulement à proposer au

pape trois candidats, entre lesquels le pape ferait son choix, se

réservant d'ailleurs la faculté de choisir un prêtre en dehors des trois

proposés si ceux-ci ne lui paraissaient point assez capables ou dignes.


Des protestations se produisirent. Les protestataires soutinrent que
le pape avait outrepassé ses droits et amoindri ceux de la nation.

Une intervention de Mgr Valerga, délégué du pape, rétablit une paix


momentanée en 1868, en donnant au clergé et au peuple une part
dans l'élection des deux évêques qui assistaient le patriarche. Mais

dans une assemblée synodale, inaugurée le 5 juillet 1869, une révolte


ouverte éclata. Le patriarche fut hautement accusé d'avoir trahi, au
profit du pape, les droits séculaires de l'Eglise arménienne. Un mois
après, Mgr Hassoun ayant dû se rendre à Rome pour le concile,

l'audace de ses adversaires s'accrut. L'administrateur patriarcal, Le schism»


armémpa.
Mgr Gasparian, se mit lui-même à leur tête. Un nouvel administra-
teur, envoyé de Rome, ne fut pas reçu ; la bulle Reversuras fut
brûlée publiquement. Un nouveau patriarche, Badhiarian, fut élu.
Le grand vizir Aali pacha entra en négociations, pour apaiser le diffc-

rend, avec Mgr Pluym, puis avec Mgr Franchi, délégués du pape ;

mais son successeur, Mahmoud pacha, favorisa les dissidents. Le


patriarche Hassoun fut exilé. En juillet 1872, il partit pour Rome.
11y resta jusqu'en février 1874. A cette époque, il put rentrera
Constantinople, mais non encore recouvrer la possession des biens
dont les dissidents s'étaient emparés. Cette restitution ne fut faite
qu'à son successeur Mgr Azarian, élu en 1887. Depuis lors, le

schisme a disparu ^.

Ce n'était pas, hélas ! le seul fléau que l'Eglise eût à combattre en L'intluence
proiesianie
Arménie. De toutes les nations orientales, il n'en était pas de plus
travaillée par la propagande protestante. «
.,,,..
Les sociétés américaines
®" Arménie,

s'étaient établies en Arménie après la guerre de iSbf\. Elles ne


s'étaient pas contentées d'y former des pasteurs et des maîtres armé-
niens, pour l'apostolat de l'Arméuie. Les enfants des familles les

1. La bulle ih'vcmurus^ destinée aux Arméniens, annonçait que ses prescriptions

seraient très prochainement étendues à tous les palriarchals orientaux. Mais les
troubles soulevés en Arménie par cette bulle et ceux que provoqua en Chaldée
l'ex tension des mômes mesures, décidèrent le pape à ne pas donner suite à son
projet. Voir, sur ce point, De Angelip, Priclectiones Juris canonici, t. I, pars prima,
p. i3i-i3a.
644 HISTOIRE GÉNÉRALE DE LÉGLISB

plus considérables avaient coutume de chercher en Europe, suiloul


à Paris, une éducation plus complète les conseils des maîtres amé- ;

ricains poussèrent cette élite vers Londres. Les Anglais, s'ils ne


faisaient pas cesser les maux
de l'Arménie, proclamaient au moins
ses droits '. n Cette union de peuples attachés à la fois au gouver-
nement libre etàla Réforme, travaillerait au profil du protestantisme.
Ou ne saurait nierl'importance
dece mouvement. Mais, malgré tout,
((l'influence des prêtres catholiques zélés de la nation arménienne et
celle de nombreux missionnaires latins, jésuites, franciscains, ca-

pucins, dominicains, assomptionnistes, ont produit des résultats très


consolants, qui, avec le temps, ne feront que s'accroître ^ ». Un
séminaire arménien, érigé à Rome
en i884, contribuera encore à
resserrer l'union de l'Arménie catholique avec le Saint-Siège.

Les missions Si, des pays d'Orient, aous passons aux régions communément
d'Extrême-
Orioot.
désignées sous le nom d'Extrême-Orient, nous rencontrons encore,
à côté de l'infidélité, païenne ou musulmane, la redoutable concur-
rence du protestantisme.
Les missions Dans l'Hiudoustan, à l'avènement de Pie IX, le mal était double.
des Indes.
D'une part la substitution de l'influence anglaise à l'influence por-
tugaise favorisait le développement du protestantisme ; d'autre part,
les manœuvres de la cour de Lisbonne, qui se vengeait de ses échecs
politiques en empiétant sur le domaine religieux, et en soutenant le
clergé schismatique de Goa, entravaient l'action du Saint-Siège et,
par là même, de l'apostolat catholique ^. Le 9 mai i853, Pie IX, en
Le schisme un langage sévère, rappela les schismatiques à l'obéissance mais la ;

de Goa.
Chambre des députés de Lisbonne, par un vote du 20 juillet, déclara
que l'acte du pape était invalide, parce qu'il était dépourvu du
placet royal, et que les ecclésiastiques rebelles avaient bien mérité de
la patrie. Le traité conclu, le 20 février 1857, entre le cardinal pro-
nonce di Pietro et le ministre Fonseca- Magalhaes, porta que les

diocèses de Goa, Cranganor, Cochin, Meliapour, Maccala et Macao


seraient délimités, et que le pape donnerait une nouvelle bulle de

1, E. Laut, op. cit. y p. 209-210.


a. R. Janin, dans les Echos d'Orient, de janvier 1916, p. 3a,
3. Voir, plus haut, p. 3 1 8-3 19.
ŒUVRES ET MISSIONS CATHOLIQUES SOD8 LE PONTIFICAT DE PIE IX 6^5

circonscription. C'était la fin virtuelle du schisme. Aussi les progrès

de révangélisation catholique furent-ils rapides à partir de cette

époque. Le nouvel archevêque de Goa, Mgr d'Amoiin-Pessoa, frap-

pa de suspense, en 1862, les schismatiques qui résistaient encore.

Mais, à chaque difficulté qui se produisait entre les autorités supé-


rieures d'une part, le clergé et le peuple de l'autre, le schisme,
assuré de la protection du gouvernement, renaissait. Le cabinet por-
tugais, inféodé à la franc-maçonnerie, s'opposait à l'envoi de mis-
sionnaires religieux, contestait la valeur ou le sens des lettres apos-

toliques ou des décrets des congrégations romaines. Ces obstacles,


s'ajoutant à ceux que faisait naître l'esprit de caste des Indiens, leuis
préjugés idolâtriques etle prosélytisme protestant, rendirent très mé-
ritoires les efforts des missionnaires. Le nombre des catholiques des
Indes orientales, qui s'élevait, en i864, à 990.000, atteignait, en
1875, le chiffre de i. 210. 000.
La rapide extension des missions catholiques aux Indes est due -^«f Boiin»u4.

principalement à la valeur exceptionnelle d'un missionnaire,


Mgr Bonnaud. Missionnaire aux Indes dès 182/i, nommé coadjuteur
de l'évêque de Pondichéry en i833, puis élevé aux fonctions de
vicaire apostolique des Indes en i836, Mgr Bonnaud eut toutes les
qualités de l'apôtre et de l'administrateur *. 11 publia d'abord plu-
sieurs ouvrages d'exposition et d'apologie de la foi. Le principal
fut le Veda-poura-telteimaroutel, exposé et histoire du catholicisme
sous forme d'une histoire de l'humanité. L'ouvrage, fort bien écrit,

vivant, résumait l'Ancien Testament, les récits évangéliques, les


annales de l'Eglise, notant soigneusement et réfutant au passage les
diverses héiésies, particulièrement le protestantisme et les objections
contemporaines contre la vraie religion. Cet ouvrage produisit, dans
le monde des lettrés, une profonde impression -. Par la formation
d'un clergé indigène dans des petits et grands séminaires, par la

réunion de plusieurs synodes, où les questions les plus importantes


du culte et de la discipline furent réglées, par l'éducation de la jeu-
nesse du pays dans de nombreuses Mgr Bonnaud donna une
écoles, Sei œuvres
a*po«tolat-
vive impulsion au mouvement catholique. Une de ses plus utiles
créations fut celle de collèges de jeunes filles. Grâce à ces institutions
bientôt très prospères, le vieux préjugé indien, interdisant à la

I. Lal'nay, Hisloire de la Société des Missions élrauyères^ t. 111, p. 8, içj.


a. Ibid., p. i4i.
646 HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLISE

femme honnête toute culture intellectuelle ^ fut battu en brèche et


vaincu. La condition de la femme fut relevée, et son influence
augmentée.
Mgr Bonnaud mou-rut en 1860, au cours d'une visite de l'Inde
entière, que le souverain pontife lui avait demandé de faire. Cette
visite fut achevée par Mgr Gharbonneaux.
Les résultats de cette revue des forces catholiques dans l'Inde, qui
dura quatre ans, de i858 à 1862, furent incalculables. C'est en se
fondant sur ces résultats que Léon XIII put établir aux Indes, en
1886, la hiérarchie catholique.

Le successeur de Mgr Bonnaud, Mgr Laouënan, recueillit les

fruits de ces œuvres. Son épiscopat, qui devait se prolonger jusqu'en


1900, fut, au dire des missionnaires, la période la plus brillante et la

plus consolante de l'histoire du catholicisme aux Indes depuis saint


François Xavier. Le fait principal de cette période est l'évangélisa-
Le P. Ligeon. tion des parias par un saint missionnaire, le P. Ligeon. Usant d'un
auprès procédé d'évangélisation qui rappelle celui du P. de Nobili auprès des
des parias. brahmes 2, le P. Ligeon se présente un jour, accompagné d'un ser-

viteur, à un chef de village, a Je fuis le monde pervers, lui dit-il.

Je cherche une solitude pour y prier. » Le chef lui indique un ter-

rain vague, où le Père, à la manière des « saints » du pays, se fait

un abri de branchages, ne prenant ni boisson fermentée ni nourri-


ture animale. On le vénère. Le chef dit : « Cet homme est un
saint. Les dieux sont bons, puisqu'ils permettent que cet homme
vienne sanctifier le pays. » Au. bout d'un mois, les habitants se
hasardent à lui adresser la parole. Le solitaire leur répond par la
parole de saint Jean -Baptiste : « Faites pénitence de vos péchés ».
Puis il leur enseigne comment il faut adorer, aimer et servir

Dieu, le Maître du monde. Il baptise ceux qui veulent accepter


- la doctrine qu'il prêche. Les baptêmes se multiplient. Après les
villages, les villes sont évangélisées par lui. De 1878 à 1880^
il compte 76.000 conversions. Ce mouvement de conversion des
classes pauvres coïncide, d'ailleurs, avec un mouvement conver-
'
gent des classes lettrées. Le catholicisme comptera bientôt un

I. Dubois, Mœurs, institalions et cérémonies des peuples de l'Inde, p. 476. Dans


cetteœuvre, Mgr Bonnaud fut secondé par le zèle d'un excellent missionnaire, le
P. Dupuis,
a. Voir Histoire générale de l'Eglise, t. VI, p. 187-189.
OEDVRES ET MISSIONS CATHOLIQUES SOLS LE PONTIFICAT DE PIE 1\ 6^7

de ses membres dans le Conseil royal du Maïmour, M. Tambu-


chelti^
Les missions
Tandis qu'aux Indes, la propagation du catholicisme rencontrait
de Chine,
surtout des obstacles d'ordre social et religieux, dans l'organisation
des castes et l'attachement des populations à une religion très antique,
elle se trouvait, en Chine, en présence de difficultés plutôt inhérentes

à l'ordre national et familial : on ne voulait pas d'une religion


d'étrangers, d'une religion qui n'acceptait pas, tel qu'on le prati-

quait dans les familles du pays, le culte des ancêtres.


Portée
Les traités conclus en i8/i2 et i8/iA, entre la Chine d'une part,
des traités
l'Angleterre, les Etats-Unis et la France de l'autre, ouvraient l'Em- de
M. Guizot, i84a et 1844
pire Céleste aux libres communications de ces trois Etats.
au point
président du conseil des ministres, obtint même de l'empereur, par de vue
religieux.
l'intermédiaire du consul de France, M. de Lagrené, un cdit du
20 février iS\6, qui restituait aux chrétiens leurs anciennes églises

et leur permettait d'en élever a suivant leur bon plaisir » 2. Les mis-
sioimaires avaient lieu de se réjouir de ces résultats. Toutefois l'èrg

des périls (les missionnaires ne se firent pas d'illusion sur ce point)


n'était point close. Il était facile de prévoir que le Chinois» habile
jusqu'à l'astuce lorsqu'il est malveillant, trouverait le moyen de
tourner la lettre des traités ; de plus, la liberté laissée à toute reli-

gion chrétienne de pénétrer eu Chine allait mettre les missionnaires


catholiques en présence de la redoutable concurrence des mission-
naires protestants, soutenus par l'Angleterre et l'Amérique.
Les conséquences immédiates des traités furent excellentes. En
18/17, ^D^ ^^ Bési, faisant sa visite officielle au grand mandarin
de Chang-hai, était accueilli par des salves d'artillerie ^. Les bonnes
dispositions de l'empereur Tuo Koang se maintinrent au début du
règne de. son successeur, qui monta sur le trône en i85i , et à qui une Progrès
du
gouvernante chrétietme avait inspiré une certaine vénération pour catholiciâm*.
le Ce fut pendant cette période de paix que les laza-
christianisme.
ristes Hue et Gabet firent le voyage en Tartarie et au Thibet dont le

P. Uuc adonné une relation fort intéressante *. Dans le même temps,

I. R. l^. Piolet, les Missions françaises au XI X'^ siècle, t. Il, p. 2Ô\. On trouvera
des épisodes pleins d'intérêt de ce mouvement de conversion dans les Annales de la
propagation de la foi de 187a, t. XLV, p. 194-198.
a. Noir Annales de la propagation de la foi, t XXI, p. aS, a4, 23.
3. Annales, t. XXI, p. 28- ag.
^ Hue. Souvenirs d'un voyage dans la Tartarie, le Thibet et la Chine, 2 vol. in 80,
Paris, i85o.
^

6A8 HISTOIRE GENERALE DE 1. EGLISE

les jésuites introduisaient en Chine les carmélites et les Religieuses


auxiliatrices des âmes du purgatoire, pénétraient eux-mêmes dans le
Kiang-Nan, et fondaient dans l'Empire Céleste le célèbre observatoire
de Zi-Ka-Wei. En i8/t8, les Annales de la Propagation de la foi
estimaient à 3i5.ooo le nombre des chrétiens en Chine, lesquels se
répartissaient en seize diocèses, évangélisés par 84 missionnaires
européens (lazaristes, Prêtres des Missions étrangères, jésuites,
dominicains, franciscains) et i35 prêtres indigènes *.

Persécufcians Une perséution sourde ne tarda pas à se produire. En i85i, le


sous
l'empereur jeune empereur Hien-Fong, qui avait d'abord montré des disposi-
Hien-Fong. tions favorables aux chrétiens, se laissa dominer par un confident
sectaire, le lettré Tcheou-tien-tsio. Sans dénoncer ouvertement les
traités de i842 et i844, ce qui eût été un casas belli, il communiqua
aux mandarins des édits secrets révoquant toutes les concessions
faites et faisant revivre toutes les anciennes lois contre les chrétiens.

Ceux-ci finirent par se procurer le texte des fameux édits, car, écri-
vait le P. Delaplace, missionnaire lazariste, « en Chine, il n'est pas
dévoile si épais qui ne devienne transparent au reflet des sapèques » 2.

Les mandarins recoururent alors à des détours. Renonçant à pour-


suivre directement les chrétiens, ils se contentèrent de laisser à des
bandes de brigands toute liberté de les piller et de les massacrer.
Les Annales delà Propagation de la foi de i852 sont pleins de récits
d'attentats de ce genre. Bref, d'une manière ou d'une autre, les
traités de 1842 et de i844 étaient, pour les Chinois, lettre morte.
Cette violation du droit des gens provoqua l'expédition anglo-fran-
Expédition çaise de 1867, qui aboutit au traité de Tien-tsin, signé en juin i858.
franco-anglaise
L'article 12 du traité stipulait que « les propriétés appartenant aux
(i857-i858).
Français et aux Anglais seraient inviolables », et l'article i3, que
Traité « les lois portées contre le christianisme seraient considérées comme
dei858.
abrogées ^ ». Mgr Desflèches, évêque du Su-Tchuen, se faisant l'in-
terprète de la joie des missionnaires, écrivait en 1860, dans un mou-
vement d'enthousiasme : « L'avenir est à nous ». L'avenir détrompa
ces espérances prématurées. Les missionnaires avaient compté sans

I. Annales, t. XXI, p. 12.


a. Ibid., t. XXVII, p. 'o3.
3. La France obtint l'insertion de
la clause suivante « Les passeports des mission-
:

naires catholiques seront conférés par la Légation de France seule ». C'était la


reconnaissance du protectorat de la France leule sur les missions catholiques. ^ oir
Georges Cogordan, les Missions catholiques en Chine et le protectorat de la France
dans la Revue des Deux Mondes du i5 décembre ii886.
<3EIIVI\ES ET MISSIONS CATHOMOUES SODS LE PONTIFICAT DE PIE IX Ô'iQ

Deux ans ne s'étaient pas écoulés Reprise


la fourberie des sectaires chinois.
. . , . des
depuis la signature du traité de Tien-tsin, que les persécutions reconn- persécutions

mençaient. En iS(j'2, le P. Néel, des Missions étrangères, était (1860-1878

condannné à nnort et exécuté. En i865, le P. Mabilleau était massa-

cré au Su-lchuen oriental, et le mandarin, appelé, refusait de se porter

à son secours. En 1869, le P. Rigaud était tué en même temps


qu'une dizaine de fidMes pendant qu'il était à genoux devant l'aulel

de son église. De 1873 à 1878, les massacres se multiplient avec une


particulière férocité. Ce n'est plus seulement tout chrétien, c'est

tout Européen qui est menacé. Cependant, si ce régime de terreur

paralysait les faibles, les âmes nobles, à la vue des vertus surhu-
maines, du désintéressement absolu témoignés par les martyrs catho- Courage
des
liques, se prenaient à aimer une religion qui produisait de tels missionnaires.
héroïsmes. Au milieu même des persécutions, les missionnaires con-
servaient l'espoir de voir le christianisme se propager dans ce vaste
empire. Ils n'abandonnaient ni leurs missions, ni leurs orphelinats,
ni leurs collèges, qui ne cessaient de prospérer; si bien qu au lende-
main de la mort de Pie IX, Léon XIHput ériger plusieurs nouveaux
vicariats ou préfectures apostoliques *.

VI

De toutes les missions, c'est celle du Japon qui réser\'ait au Saint- Missions
du Japon.
Père les consolations les plus grandes. C'est au Japon que les chré-
tiens avaient jadis subi les persécutions les plus violentes ; et les chefs

de ce vaste empire, au moment où Pie IX fut appelé au souverain


pontificat, faisaient toujours observer avec la plus impitoyable rigueur
la terrible formule de l'édit de i64o : « Tant que le soleil échauffera
la terre, que nul chrétien ne pénètre au Japon. Quand ce serait le

roi, d'Espagne ou le Dieu des chrétiens, il le payera de sa tête ^. »

En 1844, après la conclusion du traité dit de Lagrené, qui pro- Premièreg


lenlalives
clamait la liberté religieuse en Chine, l'amiral Cécille forma le projet
de pénétration
d'ouvrir des relations avec la Corée et le Japon. Il débarqua, dans (1844-1860 .

une des îles Riou-Kiou, au sud du Japon, un jeune missionnaire, le

P. Forcade, depuis évêque de Nevers, ensuite archevêque d'Aix, et un

1. Acta Lconis XIII ^ t. I, p. 67 t. ; III, p. i^o, ag5,


a. Voir Histoire générale de il'Jglise, t. ^ I, p. 193.
65o HISTOIRE GENERALE DE L ÉGLISE

caléchisle cl)inois, les présentant aux autorités comme deux inter-


prètes qui allaient apprendre le japonais dans l'île. Mais ils y furent
si étroitement surveillés gardés, qu'ils ne purent s'aboucher avec
et

les indigènes, lesquels avaient défense de leur pailer sous peine de la

vie. Ils durent se rembarquer. D'autres missionnaires eurent le


même sort. Le P. Colin, nommé pro-vicaire,
qui fit deux cents lieues,
par des chemins horribles, afin de pénétrer au Japon par le nord,
mourut épuisé de fatigues en arrivant en
Mandchourie. En i855,
trois missionnaires parvinrent à s'établir dans une bonzerie, dans une
des îles Riou-Kiou. Cette fois, ils réussirent à instruire et à baptiser
un jeune homme, leur domestique. Mais, lendemain de son
le

baptême, le jeune néophyte disparut, probablement assassiné et, ;

peu après, le roi de Nafa porta une loi punissant de mort quiconque
embrasserait le christianisme. L'expédition de la flotte franco-anglaise
en Chine, de 1867 à 1860, eut une influence sur les relations de
l'Europe avec le Japon. Un traité de i858 ouvrit au commerce cer-
tains ports de l'empire et admit la présence d'un consul général de
France à Yedo. Dans ces ports ouverts au commerce, quelques
missionnaires s'établirent ; et l'on toléra même la construction de
plusieurs églises à l'usage des catholiques européens ; mais l'entrée
en fut sévèrement inteidite aux Japonais. Le gouvernement fit arrêter
cinquante-cinq indigènes qui s'étaient permis de les visiter. Ja .lais

pays, semblait-il, n'avait fait une opposition plus irréductible à la


prédication de l'Evangile. Pourtant, le jour delà grande évangélisa-
tion du Japon approchait. Il arriva à la suite d'événements que nous
allons raconter avec quelques détails, car ils constituent un épisode
unique dans l'histoire de 1 Eglise.
Période Pendant cinq ans, de 1860 à i865, les missionnaires, privés de
d'attente
(i8f.o-i865). tout moyen d'apostolat direct, n'eurent pas autre chose à faire que de
prier et de se sanctifier, tout en étudiant soigneusement la langue, les
mœurs, l'organisation politique, sociale et religieuse du peuple qu'ils
C>nstitution se préparaient à évangéliser. La population leur parut douce, intel-
poliliqae
et religieuse ligente, sympathique, mais tremblanle sbus l'autorité, souvent trâ-
de l'empire cassière, des seigneurs et des lettrés. Les seigneurs se divisaient en
japonais.
deux classes : les daïmios, appartenant à la classe supérieure, qui
avaient des châteaux- forts et levaient des armées, et les samouraï,
qui formaient une noblesse inférieure. Au sommet de la hiérarchie, le

mikado, souverain légitime, résidant à Tokio, avait un pouvoir plus


nominal que réel ; imuiédiatemeut au-dessous de lui, le taïcoun ou
OEUVRES ET MISSIONS CATHOLIQUES SOUS LE PO?<TIFICAT DE PIE IX 65l

shogoun, chef derarislocralie, remplissait à peu près le rôle des maires


du palais sous les derniers rois mérovingiens. La religion nationale

était le shinioïsme, qui honorait comme dieux les ancêtres du


mikado ; mais, à mesure que le pouvoir du mikado s'était aiïaihli, le

bouddhisme, importe de Chine au vi" siècle, avait supplante le shin-

toïsme, qui n'était plus guètc qu'une liturgie nationale. Pendant que
les missionnaires notaient tous ces détails, la population et les auto-

rités, de leur côté, observaient soigneusement leur vie, leurs cou-

tumes, et, dans la mesure possible, leurs habitudes religieuses.


Or,
virent entrer
le 17 mars i865,
11,1.
dans
midi,
11^'
missionnaires de Nagasaki
vers
eghse un groupe de douze quinze personnes,
leur
les

a
Découverte
^^ ^''oi^
chrétientés

hommes et femmes, dont l'attitude religieuse les frappa. Une femme secrètes
. , , ,
. , •. •
1 i-i « • *u Japon
âgée s avança vers eux, et, lamain sur la poitrine, leur dit a voix ,'mar8i865).
basse : « Notre cœur est le même que le vôtre ». Elle ajouta : u Où
est l'image de sainte Marie ? » On conduisit les visiteurs devant l'au-
tel de la Sainte Vierge. Ils tombèrent à genoux. Il n'y avait pas à s'y
tromper ; c'étaient des chrétiens. Dans des entretiens secrets avec
eux, les missionnaires apprirent que, depuis deux cents ans, dépour-
vus de prêtres, privés de tous les sacrements, excepté du baptême,
dont le rite et la formule s'étaient religieusement conservés, ils

avaient gardé la foi catholique, attendant, pour se confier à eux, des


prêtres en qui ils reconnaîtraient ces trois signes : la dévotion à la
Vierge Marie, le célibat et l'obéissance au chef de Rome. Ils avaient
au Japon trois centres : le premier, dans la vallée d'Urakami, près
de Nagasaki ; le second à Ornura, au nord de Nagasaki, et le troisième
dans les îles Soto, à l'ouest de la même ville.
les missionnaires catholiques avaient pour supérieur un saint Lq
prêt e, le P. Petiljean, qui, dans les postes qu'il avait occupes suc- '^- Peiiijean.

cessiveinent de professeur au petit séminaire, d'aumônier de reli-

gieuses et de cure dans le diocèse d'Autun, avait conquis partout,


par son zèle et sa bonté, les sympathies unanimes. Au Japon, dont
il devait être le premier évêque, il rencontra aussitôt les mêmes
témoignages d'estime et de respectueuse confiance. Sous sa direc-
tion, la chrétienté d'Urakami devint bientôt, suivant les expres-
sions de l'historien de l'Eglise du Japon, u une pépinière d'a-
pôtres en même temps qu'un vaste catéchuménat » *. Des bonzes

I. F. Marnas, la Religion de Jésus rcssuscilée au Japon, 2 vol. iu-î>, l*aris, 1807,


t. I, p. 578.
652 HTSTOTRE OÉN^H ALE T)ï! I,*ÉOT.ÎSE

eux-mêmes demandaient à s'instruire de la religion chrétienne.


Les autorités, d'abord, ne parurent pas s'émouvoir. Craignaient-
elles des représailles de la part des gouvernements européens, ou,
par un raflinement de perfidie, voulaient-elles inciter les chrétiens à
se déclarer, mieux connaître ?
pour les
Déchaînement Quoi qu'il en soit, dans la nuit du i3 au i4 juillet 1867, sans que
<le la

persécution rien eût fait prévoir un pareil événement, toutes les chapelles de la
(i4 juillet vallée d'Urakami furent pillées par des émissaires du gouvernement,
1867).
et soixante-quatre des principaux chrétiens furent arrêtés. D'où
venait ce brusque attentat? On sut bientôt que la politique était pour
une bonne part, sinon dans l'attentat lui-même, du moins dans la

soudaineté de son exécution. Dans le conflit qui mettait aux prises les
partisans du mikado et ceux du shogoun, les premiers reprochaient,
aux seconds d'ou>Tir trop facilement l'empire aux étrangers, et fai-

saient appel, pour soutenir leur cause, au vieux patriotisme japonais.


En prenant l'initiative de la persécution contre les chrétiens, \emikado
prétendait gagner ou retenir plus facilement à sa cause les patriotes

de l'empire.
Les tortures commencèrent. Elles, furent d'une cruauté inouïe. Oa
tordait les membres des victimes, on leur serrait progressivement la

gorge jusqu'à les étouffer, et, ce faisant, on leur promettait leur dé-
livrance immédiate s'ils consentaient à abandonner « la religion des
étrangers » pour revenir au culte de leur pays. Dès le premier jour,
un chef ayant cédé, beaucoup suivirent son exemple. Mais un jeune
homme, d'apparence timide, de tempérament maladif, Zen-Yémon,
Courageuse par sa constance inébranlable, releva le courage de ses frères. Sept
conduite
des chrétiens. fois, on le fit comparaître et torturer ; sept fois, il refusa de renier
(( la religion de Jésus ». Par crainte, sans doute, d'une répression
des puissances européennes, on n'osa pas le mettre à mort. Son
exemple fit rougir les apostats, qui se rétractèrent en foule. Depuis
lors, le courage des chrétiens d'Urakami ne se démentit plus. Celui
des chrétiens d'Omura, poursuivis peu de temps après, fut également
admirable.
La révolution Mais, sur ces entrefaites, le 3 janvier 1868, une révolution poli-
japonaise
de 1868. tique s'effectuait au profit d\i ']eune mikado Montzu-Hito ; \e shogou-
nal était aboli, le parti de la noblesse écrasé. A la première heure, oa
put croire que ce triomphe du parti qui témoignait particulièrement
son hostilité envers les étrangers allait être funeste aux chrétiens. 11

n'en fut rien. Les troupes du ^/zZ/tWo n'avaient vaincu que par l'appui
ŒUVRES ET MISSIONS CATHOLIQUES SOUS LE POîSTIFICAT DE PIE IX 653

des nations de l'Europe et de l' Amérique, qui leur avaient fourni des
munitions et des engins de guerre; la puissance guerrière, indus-
trielle et commerciale de ces nations s'était révélée aux yeux de ces
Japonais, esprits curieux, ambitieux de gloire et de procès. D'autre
part, l'abolilion d'un parti rival rendait plus franches les coudées du
nouveau gouvernement. Ce fut le point de départ de cet élan pro-
digieux du peuple japonais vers la civilisation européenne, qui
devait, en peu de temps, l'élever au niveau des peuples les plus avan-

cés.
devait peu à peu amener l'empire du Dans
Cette révolution politique
l'ensemble,
Japon à la tolérance du christianisme. Une nouvelle persécution cette

1868. Elle atteignit cette fois, non plus révoIutioQ


s'ouvrit, pourtant, en juin
est favorable
seulement les chrétientés d'Urakami et d'Omura, mais aussi celle a la

Soto. Quatre mille chrétiens d'Urakami furent déportés dans propagation


des îles
du
les différentes provinces de l'empire. Beaucoup furent- torturés. Aucun catholicisme.

ne fut mis à mort ; mais deux mille environ moururent à la suite

de mauvais traitements.
Cependant, la révolution de 1868 avait eu sa répercussion sur la
situation rehgieuse du Japon. Le mikado^ chef de la religion natio-

nale, prétexta que les bonzes bouddhistes avaient favorisé son rival,

s'étaient opposés aux réformes. Il confisqua leurs dotations, et con-


vertitun grand nombre de leurs tera[)les en monuments d'utilité pu-
blique. Celte décadence du bouddhisme fut très favorable à la diffu-
sion du christianisme. Au fond, le sliintoïsme n'était qu'une sorte
de divinisation du patriotisme japonais. Les missionnaires mon-
trèrent aux chrétiens qu'ils pouvaient, sans faire de leur patriotisme
une idolâtrie, se montrer, à l'égard du mikado^ les plus respectueux
des sujets, et, à l'égard de leur pays, les plus ardents des patriotes.
Une intervention de la diplomatie française fit le reste. Le 21 février Une
intervention
1873, le ministre des affaires étrangères du Japon remit au doyen de la

du corps diplomatique de Tokio la note suivante : « Relativement diplomatio


françaiio
aux personnes qui suivent la religion de Jésus, nous supprimons tous obtient
lesédils ». Un mois plus tard, tous les prisonniers chrétiens étaient la liberté
religieuse
libérés. au
Tous les obstacles n'étaient pas supprimés. Les missionnaires Japon (1873)

eurent souvent encore à se heurter aux préjugés populaires, à la jalou-


sie des prêtres shintoïstes et des bonzes, à la malveillance des fonc-
tionnaires impériaux ; mais le champ était ouvert à l'apostolat. Cet
apostolat se manifesta surtout par des conférences publiques qui
65/i HISTOIRE GENlillALE DE L EGF,ISE

attirèrent un grand nombre d'auditeurs, par des œuvres de presse,


qui firent pénôlrer la vérité religieuse dans les masses populaires,
par des œuvres d'éducation, qui atteignirent les enfants des classes
cultivées, et enfin par la formation d'un clergé indigène. Le 3i
décembre 1882, Mgr Petitjean ordonna prêtre le premier Japonais ;

c'était le fils de Zen-Ycmon, l'héroïque confesseur de la foi de la

vallée d'Urakami ^.

f.a mission L'Eglise de Corée, longtemps privée de pasteurs, avait été confiée,
de Corée.
eu 1827, à la Société des Missions étrangères, qui, achevant à peine
de réorganiser ses cadres brisés par la Révolution, put néanrhoins y
envoyer, en 1882, Mgr Brugnière, précédemment coadjuteur du
Son premier vicaire apostolique de Siam. Pourvu du titre de vicaire apostolique
vicaire
apostolique,
de la Corée, Mgr Brugnière mit plus de trois ans à traverser la Chine,
Mgr Bru- du Sud au Nord ; épuisé de fatigue, le vénérable prélat mourut, le
gnicre.
mon-

20 octobre i835, dans un village de la Mongolie, en vue des


tagnes de la Corée, sa chère mission. A. la fin de iSSy, Mgr Imbert
fut plus heureux ; il vint rejoindre en Corée deux missionnaires,
M. Mauband et M. Chastan, qui y étaient déjà. Mais, en iBSg,
une persécution éclata soudain, dans laquelle les trois apôtres cueil-
lirent la palme des martyrs.

Pendant six années, la pauvre Eglise se trouva de nouveau


dépourvue de prêtres. En i865, Mgr Ferréol put y aborder, en com-
pagnie de M. Daveluy, qui fut martyrisé onze ans plus lard, et

d'André Kim, le premier prêtre coréen, qui donna lui aussi sa vie

pour la foi. A la mort de Mgr Ferréol, en i853, un ancien confes-


seur de la foi au Tonkin, Mgr Berneux, recueillit sa succession.

Sous sa direction, la mission de Corée se développa. Au début de

La persécution l'année 1866, elle comptait un vicaire apostoUque, Mgr Berneux,


de 1866. un coadjuteur, Mgr Daveluy, dix missionnaires européens, un
séminaire et 18.000 chrétiens. Elle n'avait jamais été si prospère;

elle était, hélas! à la veille d'un anéantissement complet.' Le parti

hostile aux européens l'ayant emporté à la cour de Séoul, l'exter-


mination en masse des chrétiens fut décidée. Mgr Berneux, Mgr Da-
veluy, M, Just de Bretenières furent les principales victimes de cette

persécution.

Mgr Ridel. Ce fut à Rome, en plein concile, le 5 juin 1870, jour de la Pen-

de M. Marnas, la Religion de Jésus


1. Pour plus de détails, voir l'ouvage cité
ressusciice an Japon, 2 vol. in 80, Paris, 1897.
OiUVhES KT MISSIONS CATHOLIQUES SOUS LE PONTIFICAT DE PIE IX 655

tecôte, que le cardinal de Bonnechose, archevêque de Rouen, en


présence de trente-six évêques presque tous missionnaires et dont
quelques-uns étaient confesseurs de la foi, sacra évêque Mgr Ridel,

à qui Pie IX confiait la périlleuse mission de recueillir l'héritage


des martyrs. A peine entré en Corée, Mgr Ridel fut arrêté et empri-
sonné à son tour. Mais, après cinq mois de prison, le prélat fut sim-

plement renvoyé en Chine.' Le gouvernement coréen avait fini par


se rendre compte de l'inutilité de sa barbarie. L'ère des persécutions
sanglantes était close. Mgr Ridel, épuisé par de cruelles infirmités,
vintmourir en France, mais son premier successeur, Mgr Blanc,
dont l'apostolat fut bientôt interrompu par la mort, et Mgr MuteK
qui prit aussitôt la place de Mgr Blanc, eurent la consolation de
recueillir les grâces obtenues par tant de martyrs.

VII

Si de l'Asie nous passons en Océanie, nous y trouvons, d'abord, ^-<^' missions

la jeune et llorissante chrétienté d'Australie. Œluvre du clergé irlan-

dais, elle comptait seulement, en i845, 46 prêtres, 20 églises et 3i


écoles. Malgré les attaques, parfois violentes, des anglicans et des

méthodistes, la chrétienté ne cessa de prospérer. Par les immigra- En Australie.

lions irlandaises et par la conversion des protestants et des indigènes,


le nombre des fidèles s'accrut à tel point qu'il nécessita bientôt la

création de sept nouveaux évêchés. Une assemblée d'évêques, tenue à


Sydney, en août 1866, s'occupa des écoles, des mariages mixtes, de
l'état des séminaires et du clergé. Un second concile provincial eut
lieu en 1869, auquel furent convoqués les provinciaux des jésuites et

des maristes.
En Nouvelle-Zélande, les missionnaires eurent aussi à lutter contre En Nouvelle»
Zélaudo.
les protestants. Non contents d'évangéliser les indigènes dans les vil-
lages, et d'organiser de grands centres religieux dans les villes, ils

devaient suivreles colons européens dans leurs exploitations agricoles,


les chercheurs d'or dans leurs placers, essayer de les arracher au
vice et au crime, combattre par la plume et par des conférences
publiques leurs doctrines hérétiques. Leurs efforts furent particu-
lièrement bénis dans l'île sauvage des \\ allis, dont le roi Lavéloua,
qui régna jusqu'en i858, la reine Falakika, sa sœur, qui lui succéda
de iS58 à 1868, et la noble et pieuse reine Amélie, sa fille, qui
656 HISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ÉGLISB

gouverna l'île à partir de i868, se moïitrèrent les intelligents eténer-


giques protecteurs du catholicisme. La reine Amélie a laissé dans le
souvenir des missionnaires et des navigateurs qui l'ont connue, l'im-
ression d'une âme singulièrement noble et pure. «Douce et humble
au dehors, mais au fond énergique et résolue, cette reine, a écrit
l'amiral Aube, a contribué puissamment au triomphe du christia-
nisme ^ »

Eli Nouvelle- En Nouvelle-Calédonie, l'opposition fut violente. Les Canaques


Calédonie. anthropophages, organisés et excités par des marchands anglais, atta-
quèrent les missionnaires, pillèrent les missions ; et la prise de pos-
session du pays par la France, en i853, n'améliora guère la situa-
tion. Les tracasseries du gouverneur Guillain gênèrent considéra-
blement l'œuvre d'évangélisation. Mais de 1871 à 1878, sous l'admi-
nistration de Mgr Yitte et de Mgr Fraysse, de nombreuses conver-
sions se produisirent, des écoles furent fondées. L'amiral Courbet,
visitant l'île vers cette époque, constatait avecplaisir les progrès qu'y

avait faits la civilisation chrétienne 2.

Les Maristes C'est a juste titre qu'on a pu appeler les maristes les missionnaires
sont
de rOcéanie. Aux îles des Wallis, de Foutouna et de Tonga, qui
lesprincipaux
missionnaires constituent le vicariat de TOcéanie centrale ; aux îles des Samoa, des
de rOcéanie. Fidji, de la Nouvelle-Zélande, de la Nouvelle-Calédonie, des Nou-
velles Hébrides, des Salomon, ils ont déployé un zèle apostolique con-
sacré par le sacrifice de la vie. Les Pères de Picpus ont, de leur côté,
évangélisé les îles Saudw^ich et les îles Marquises ; et les missionnaires
du Sacré-Cœur d'Issoudun, les Gilbert, les Ellice et la Nouvelle-
Guinée. En lisant les annales de leurs missions, on croit lire celles

Mgr Bataillon. des premiers temps du christianisme. Quand Mgr Bataillon, mariste,
Sa mort.
se sent près de mourir, il convoque les chrétiens dans son église, se

revêt de ses ornements pontificaux comme aux plus beaux jours de


fête, et reçoit les derniers sacrements avec une sérénité incomparable.
Peu de temps après, étendu sur une natte, à l'ombre d'un arbre, pour
y mourir, il s'étonne de ne plus entendre le bruit des ouvriers qui tra-
vaillaient à sa cathédrale. « Père, répond un chrétien, nous avons
craint de troubler vos derniers moments. - — Non, non, dit-il, laissez-

moi m' endormir à cette musique, elle m'est déjà une joie du
ciel '^. »

1. PIOLET, les Missions françaises au XIX* siècle, t. IV, p. io5,


2. Lecanuet, o/> cit., l.l, p, i/ig.
3. M.VLGERET, Mgr Dalaillon, un vol. in-S», Lyon, i885.
ŒUVRES ET MISSIONS CATHOLIQUES SOUS LE PONTIFICAT Dt Plt IX 65^

Cet héroïsme, simple el grand, on le rencontre dans la vie de


Mgr Pompallicr, qui se dévoue au salut des pauvres Maoris de la

iNouvelIe-Zclande ; de Mgr Viard, premier évêquc de Wellington,


dans la INouvelle-Zélande ; de Mgr Epalle, vicaire apostolique de la
Mélanésie et de la Micronésie, massacré par les cannibales ; de
Mgr Douane, l'apôtre des Canaques. Mais la figure la plus atta-
chante est peut-être celle du P. Damien Dcvcustcr.
« Originaire de Belgique, il appartient à la France par sa famille Le P. Damien,

religieuse, la Société des Pères des Sacrés-Cœurs de Picpus ; et son ^ç.^ lépreux,
héroïque dévouement honore l'Eglise et l'humanité tout entière. La
lèpre ravageait les îles Sandwich. Tous les malheureux atteints du
iléau étaient relégués dans l'île de Molokaï. Abandonnes à eux-
mêmes, sans secours d'aucune sorte, ils se livraient, pour oublier
leur mal, à l'ivresse et aux plus épouvantables excès. Emu jusqu'au
fond de l'âme, le saint religieux demande à son évêque de le laisser
aller à Molokaï. Pendant treize ans, il est le compagnon des lépreux,
leur ami, leur médecin, aussi bien que leur pasteur et leur père.

Le i5 avril, rongea son tour par la maladie qui décime son trou-
peau, il expire en disant : « Oh commeI il est doux de mourir
enfant du Sacré-Cœur *
!... »

VIII

En même temps, la Providence ouvrait une ère nouvelle sur le Les miision»
graud continent noir. « Tandis que les puissances de l'Europe d.'ifriqu*,

all.iiont se partager la terre africaine, il fallait que de nouveaux


apôtres surgissent pour les précéder ou pour les suivre. A l'Est, le
mouvement d'évangélisation partit de l'île Bourbon. Successivement,
deux saints prêtres de la Congrégation du Saint Esprit, le P. Dal-
mont elle P. Monnet, après avoir évangélisé les îles Sainte-Marie
el Nossi-Bé, furent nommés vicaires apostoliques de Madagascar ;

mais la mort les empêcha l'un et l'autre de s'y étabhr. C'est alors,
en i85o, que la mission fut remise aux Pères de la Compagnie de
Jésus. On sait le grand bien qu'ils y ont fait. Sans eux, Madagascar
serait aujourd'hui protestant el anglais.

« C'est de Bourbon que partit aussi, en 1860, le premier mis-

i., Leuam>et, op. cit., t. 1, p. 445 440 ; Correspondant du 25 juillet 1889.


iliai. j^ciu. de l'E^flise. — \iH 4a
658 HISTOIRE GFNERAT.F DF L FGMSE

La sionnaire, le P. Fava, mort, depuis, évêqiie de Grenoble, pour porter


Gongré galion
du l'Evangile à Zanzibar. Peu du P. Libermann ^ prenaient
après, les fils

Saint-Esprit. possession de la mission. La Congrégation du Saint-Esprit se


trouvait désormais chargée de l'évangélisation de la plus grande
partie du continent noir. Cependant un nouveau et providentiel
secours venait à l'Eglise. Dès 1869, ^g^' Marion de Brésillac fondait
Les Misiîon» à Lyon l'œuvre des Missions africaines Dix ans plus lard, en 1868,
Africaines
Mgr Lavigerie, archevêque d'Alger, réunissait autour de lui quelqus
de Lyon.
prêtres de bonne volonté, qui formèrent la Société de Notre-Dame
Les « Pères d'Afrique. Les « Pères Blancs », comme on les appela plus commu-
Blancs ».
nément, firent leurs premiers essais d'apostolat dans la Kabyiie. Mais,
en 1876, à la suite de la conférence de Bruxelles, qui devait aboutir
huit ans plus tard au congrès de Berlin et au partage de l'Afrique,
ils virent s'ouvrir devant eux un champ nouveau, immense et fé-
cond 2 ». La convoitise, l'ambition et le patriotisme pouvaient
reprendre, avec une ardeur renouvelée, « l'assaut des pays nègres » ;

l'Eglise y avait solidement pris pied, et les merveilles d'héroïsme


dont les missions de l'Ouganda devaient donner le spectacle au
monde en 1886, allaient montrer combien l'influence de l'Eglise y
avait été profonde.

Les missions Ayant eu à remplir, dans sa jeunesse, une mission diplomatique


d'Amérique,
dans l'Amérique du Sud, Pie IX s'intéressait particulièrement à celte
partie du monde. Presque partout la franc-maçonnerie y exerçait sa
funeste influence. En nul pays elle n'était plus puissante qu'au

Le Brésil. Brésil, où l'empereur Dom Pedro avait beaucoup favorisé son déve-
loppement. C'est à la franc- maçonnerie qu'il faut faire remonter la
responsabilité de la loi expulsant les communautés religieuses et

la persécution exercée contre les évêques fidèles à défendre les droits

de l'Eglise. Le plus courageux de ces évêques, Mgr de Oliveira, de


l'ordre des capucins, pour avoir condamné publiquement la société
des francs-maçons et pour avoir refusé de comparaître, pour une
cause purement rehgieuse, devant le tribunal suprême de Rio-de-
Janeiro, fut exilé en 1874. Plusieurs prêtres furent emprisonnés.
Cependant des élections nouvelles amenèrent au pouvoir des
hommes plus respectueux de l'indépendance des fonctions épiscopales.

1. la fondation des Pères du Saint-Esprit, voir Dom Pitra, Vie du P. Liber-


Sur
mann, R, P. Le Floch, Vie du P. Poulart des Places.
et
2. Mgr Le Roy, au mot Afrique, dans le Dictionnaire de théologie de Vacant, t. I,

col. 543-546.
OEUVRES ET MISSIONS CATHOLIQUES SOUS LE PONTIFICAT DE PIE IX 669

Le gouvernement entretint un ministre plénipotentiaire à Rome, et


le pape un internonce à Rio de-Janeiro.

Dans le Venezuela, dans la République argentine, évangélisce par Les autres

00
la coni'ré''ation naissantcdes missionnaires salésiens de don Bosco ', j. ly
QC 1
^
/v tu c

n '.i I
; 'j

dans la République d'Haïti, où les missionnaires, presque tous biine.

Français d'origine, avaient à lutter contre l'anarchie ; dausle Mexique,


où les dominicains et les carmes se trouvaient en présence des
émissaires du prince de Bismarck ; à peu près partout, sauf dans la

République de l'Equateur, dont nous avons eu l'occasion de


rappeler plus haut le dévouement au Saint-Siège, l'Eglise rencon-
trait de nombreux et multiples obstacles à son développement. Une
des mesures les plus eflicaces prises par Pie IX pour le relèvement
religieux de ces pays fut l'érection à Rome d'un séminaire destiné à
recevoir les jeunes clercs de TAmérique latine, envoyés parleurs
évêques pour suivre les cours des universités romaines.
Dans l'Amérique du Nord, au Canada comme aux Etats-Uni?, l^j mîMioni
l'Eglise, libre de ses mouvements, n'avait pas cessé, pendant le ^" Canada,

pontificat de Pie IX, de se développer en nombre, en inlluence, en


organisation. Les principaux stades de ce développement au Canada
furent marqués : i° par la tenue, à Québec, en i868, d'un concile
provincial, qui insista particulièrement sur les droits de la papauté,
et sur diverses œuvres de préservation, de défense et de propagation
de^ la foi ;
2** par l'érection d'un grand nombre d'évêchés et la mul-
tiplication des paroisses ; 3" par l'érection à Québec, en 1876, de
l'Université Laval, dont les diverses Facultés s'organisèrent lentement,
mais avec un plein succès, de 1878 à 1887 2.

Aux Etats-Unis, d'immenses efforts furent couronnés par les plus Les missions
brillants résultats. Tout d'abord, u la pénurie de prêtres et le manque ^^^
1
de ressources
r •
Il
matérielles lorcerent
IIplupart des
r If»y

eveques a la
y M- •

solliciter
,

Etats-Uoi».

en Europe des vocations et des secours pécuniaires. D'autre part, à


chaque assemblée de l'épiscopat, la discipline ecclésiastique se for-
tifiait par une législation sage et progressive- Le mouvement d'Oxford
taisait sentir son influence jusqu'en Amérique. De brillantes intelli-
gences venaient chercher dans son sein la paix et la lumière. Brown-
son, célèbre philosophe et publiciste, Hecker, le tutur fondateur de

Voir ViLLBFR.vNCHE, VU de (loii Bosco, un vol., Paris.


1.
2.l*our plus de développements, voir A. Four:«et, au mot Ganac/a dans le
Dictionnaire de théologie de Vacant, et l'abondante bibliographie donnée dans cet
article.
66o HISTOIRE GENERALE DE L EGLISE

la congrégation des Paulistes, embrassaient la foi romaine. Les


Premier forces catholiques des Etals-Unis apparurent surtout au concile
concile
national
national tenu en i852, à Baltimore, sous la présidence de Mgr Ken-
do (>altimore rick. De 1861 à 1866, la guerre de sécession fut,
pour le mouvement
catholique, une pénible épreuve. Le catholicisme eut beaucoup à
souffrir dans les Etats du sud et de l'ouest, transformés en champs
de bataille. Mais, au lendemain de la guerre, avec l'approbation de
Deuxième Pie IX, Mgr Spalding, successeur de Mgr Kenrick sur le siège de
concile
national
Baltimore, réunit, le 7 octobre 1866, un second concile national,
de Baltimore qui fut le point de départ d'un nouvel épanouissement du catholi-
(i866y.
cisme aux Etats-Unis. La nomination de l'archevêque de New- York
au cardinalat, en 1876, fut le couronnement d'une hiérarchie qui,
depuis moins d'un siècle, s'était forteme nt constituée *. »

Au lendemain du concile du Vatican, les catholiques américains


pouvaient craindre que, d'une part, leur soumission au Saint-Siège,
et, d'autre part, le prodigieux accroissement de leurs institutions, de
leurs œuvres, de leurs congrégations religieuses, ne les missent en
suspicion au milieu de la République américaine. Ce danger semble
écarté jusqu'ici. Le clergé et l'épiscopat ont pris, au contraire, un
contact de plus en plus intime avec la nation et même avec les

pouvoirs publics. Le gouvernement de Washington a reçu avec tous


les honneurs dus à son rang un délégué apostolique du pape
Léon XIII. En iSgS, en célébrant, pour la première fois, l'anniver-

saire quatre fois centenaire de la découverte de l'Amérique par


L'avenir l'Europe, les pouvoirs publics ont invité l'archevêque de New-York
du
•aliiolicisme
à inaugurer par un discours religieux l'exposition universelle orga-
aux nisée à cette occasion, et le pontife romain a été convié à participer
Etats-Unis.
lui-même à la fête delà civilisation américaine. Nos frères séparés du
Nouveau-Monde se souviennent-ils que Christophe Colomb, en
abordant sur leurs terres et en y plantant la croix, entendait en
prendre possession au nom de l'Eglise romaine? Au milieu des
dissidences et des désagrégations croissantes des sectes protestantes,
ne sont-ils pas saisis par le majestueux spectacle de la hiérarchie
catholique, par l'accord unanime qui en résulte, entre ses membres,
sur les grands et inévitables problèmes de la vie ? Quoi qu'il en soit.

1. G. André, au moi Etats-Unis, àa.ns U Dictionnaire de théologie, de Vaga.mt, t. I,

col. Fo5o-io6i.
ŒUVRES ET AÎTSPTOXS CATTTOT.TQrES SOUS LE PO^TTFTCAT DE PTE TX RHl

on (lirait aujourd'hui que la grande République d'outre-mer regarde


Rome sans haine et sans défiance. Or, disait un jour un des phis
nobles fils de l'Amérique catholique, le cardinal Gibbons, « quand
on regarde Rome au milieu de l'Europe, elle y apparaît comme, au
milieu de campagne romaino, le d(*»me de Saint-Pierre, lequel
la

attire et retient seul les regards du voyageur, tandis qu'autour de lui

tout le reste s'efface ».


INDEX DES NOMS PROPRES

Alexandre I", empereur Ancône, 176, 479 180,


de Russie, 109-1 lo. an, 359, 446, 471.
Alexandre 11^ empereur 472-478
Aali pacha, 6^3. de Russie, 4^2. Andréa (Mgr d')^ 209.
A.bbadie (Antoine d'j, Alexandrie d'Egypte ,
Andrinople, ^80.
325. 3i8 Angelis (cardinal de),
Abd-el-Kader, SaS. Alger, ii3, i3o, 828, 553.
Âbdul-Medjid, 3i4. 024, 825. Angelis (Mgr de,, 208,
A-berdeen, 6i8. Algérie, 828, 3a5. 5oi.
Abolian (Mgr), G^a. Allemagne, 33, 36, 56- Angers, i35.
About Ednaond, 453» 58. i48-i52, 230-244, Angleterre, 28, 24, 44,
594. 812-826 , 479 , 484- 58. 61, i43-i47, 168,
Abruzzes, io5. 485, .5o5. 5i6, 5aa- 173, 177, 214,-220,
Ab^ssinie, 325-326. 523, 693-602 • 221-280, 3io, 3i2,
Aclon, cardinal, 280. AUgemeine Zeitimg^ 58 1, 8i5, 320, 356, 43i-
Acton (lord), 589. 532, 533, 559. 436, 406. 477, 482,
Adona, 826. AUignol (les frères), 3o6- 624, 578, 616-618.
Ad dominici gregis, bulle, 807. 3o8. Angora, 642.
149. Allioli, 243. Angouléme (duc d'), io3-
Affaires de Rome, a38, Alphonse I r. roi de Por- io5.
261. tugal, 194. Angouléme ( duchesse
A^lerni Palris, bulle, 617. Alphonse XII. roi d'Es- d), 128.
AUre (Mgr), 286, 3o5, pagne, 6i5 616. Anio, ii4-ii5.
371, 372. 375, 376. Allieri, cardinal, 886. Aniales ecclésiastiques da
Afrique (misuQas d'), Alzon (R. P. Emmanuel diocèse du Mans, 375.
322-827. d"), a68, 270, 378, Annales de la Propagation
Agamié, 826. 386, 592 de la foi, i55, 817.
Agence générale pour la Amédée 1er, roi d'Espa- Annales de philosophie
défense de la liberté gne, 6i4, 6i5. chrétienne, 8o4, 3o5.
religieuse, 202. Amélie, reine des Mes Année liturgique, 278-279.
Agnozzi (Mgr), 606. Wallis, 655 656. Antibes, 5o5.
Agra, 3i8. Amérique, 24o, 3a7- Anti-Janus, 534.
Aide loif le ciel C aidera, 33o, 64o, 658-661 Antioche, 3x3.
i33. Ami de la Religion, 38, Anton, 610.
Ain-Tras, 3i3, 81, 84, 1 13, 128, i35, Antonelli. cardinal, 346,
Aix - en -Provence, 86, i36, 187, 189, 249- 364 355, 465, 467,
807. 250. 256, 264, 268, 4-0. 471, 491, 5oi,
Ail - la-Chapelle, ii5, 277, 870, 872, 877, 5o3, 523, 527, 545,
289 33i. 462, 466, 498, 537. 56 1, 564, 569, 58o,
Ajaccio, 807 Ami des peuples, i33. 58i, 58j.
Albani (cardinal), 64, Amorin-Pessoa (.Mgr d*), Apostasie nationale (/'),
lai, i4i, i5a, 177, 645. de Keble, 226.
178. Ampère, 296. Apo^tolicK Sedis, bulle,
Albauj, 3a8. Anagni, 190. 544-545.
66.4 INDEX DES NOMS PROPRES

ApostoUqar, laS, 139. Azarian (Mgr), 643. Benedetli, 46 'i.


Arabes, 333, Ss^. Azoglio (Massimo d'), Bénévent, i64, 446.
Arcades (Académie des), 214, 3i5, 336, 397, Beuevutti, 11 4.
190-. 4oo, 4oi, 4o3, 4o4, Bengale, 3i8.
Archivio storico italiano^ 58i. Benoît (R P.), 338.
313. Benoît Ghampy 35i ,

Argentière, Ii3. 269.


Argovie, 3o6, 3o8. Bécjnet, 46.
Argy 1, 618. B Béranger, 86, 246.
Arles, /|i (\!\.
, Berlin, 4 16, 417, 638,
Armagh i/j6. 658. •

Arménie, ï54-i55, 642- Baader, 93. Bernadou (Mgr). 546.


644. Baljylone, 64i. Berne, 3o4, 208, 428,
Armonia, 466. Bade, 149. 343, 420, 439.
Arnim (comte d'), 355, 433-436, 533. Bernetli, cardinal, 87,
574. Baden (conférence de), 106, 169 170, 174.
Ars, 391-393, 208. 175, 176, 179, 180,
Artaud de Monter, 113, Badger, 64i. 181, 336.
133. Bailles (Mgr', 530. Berneux (Mgr), 654.
Artois (comte d'), 49, 70. Bailly de Surcy, I34, Berry (duchesse de), 385.
Artwin, 64 3. 381, 382, Berrver, 89. 369, 371,
Ariindell Mary, 320. Balbo, 313, 213-214, 39 1.
Ascoli, 36o, 446. 335, 397. Berteaud (Mgr). 56o.
Asie (missions d'), 3 10, Bâle, 206, 429. Bertrand (R. P.), 3i8.
3i4. Bâle-Campagne, 3o8, Bertran de Lis, 439.
Association catholique T), Ballanche, 28-29, 295. Bési (Mgr de), 647.
638. Balmès, 439-440. 443, Beslay François, 538, 55q.
Asti, 399 4oo. 632, Besson, 348.
Aslros (Mgr d'), 361, Baltimore, 157, 34o, 337, Beuron, 535.
264. 338, 660. Beust (baron de), 5i5,
Athanasius, 339. Banneviile, 545, 589. 573, 587, 596, 609,
Athènes_, 1 13 Baraguey-d Hilliers, 365. 610.
Aube amiral, 656. Barat Sophie, 47. Bevan (miss), 434.
Aubineau, 390, 462, Barbes, 873, 374. Beyrouth, ii3, 3i3, 64o.
466. Barcelone. 36o, Biancheri (R. P.), 326.
Audu (Mgr), 557-558. Barnsbites, 3i6. Bichat, 3o.
641-642. Barnabo, cardinal, 64l. Bien social [le), journal du
Au gs bourg, 417. Barron, abbé. 327. Cicrgé secondaire, 307.
Aupick, 344- Barthélémy - Saint- Hi - Bilio, cardinal, 493, 520,
Australie, 655. laire, 38o. 543.
Autricbe 30, 3i, 64, 74» Bataillon (Mgr), 33i, 656. Billault, 474.
106, 119, 121, i43, Baumstark 523. Bill d'Union, g5.
i48, 149, i53, 161, Bausset (l'abbé de), 77. Billom, 86.
168. 173, 174, 175, Bautain, 3o6. Biot 48.
176, 177, 178, 179, Bavière, 90-93. Birmingham, 433.
180, 188. 337, 343, Bazard, 36, 347. Biscaye, 197.
344-345 347, 349, Beaune, 63o. Bismarck, 414-416,
358, 359, 407, 4ii, Bébek. 3i2. 419, 420, 425, 483,
4i3, 4i5, 4ï6, 425, Becdelièvre, 468. 5o5, 5io, 528, 587,
457- 459, 476 - 477. Bécel iMgr), 567. 595-602, 6i4.
483, 5o3, 5o4, 5o6, Becker, 234. Bixio, 574
5i5, 573, 078, 609- Beckum, 421. Bizzarri, cardinal, 542-
6i5. 626. Belfort, 37. Blacas i53.
Autun, 63o. Belgique, 107, 108, 109, Blanc (baron), 58o, 58i.
Avenir (V), 79, 93. i45, i38-i4i 177, 381, Blanc (Mgr), 655.
159, 349, 251-253, 293, 438, 465. Blanc (Louis), 36, 298,
260. 361, 363, 364, Bellarmin 53i, 570. 373. 384, 507.
383, 289 297, 375. Belley, 3o8. Blanc de Saint Bonnet,
Avignon, 2()n. Bellune, 166. 390.
TNDEX DKS ?fOMS BROPRES 665

Blanqui, 378, 37/1, 619. Boarmont (nnaréchal de)


Blois, /|2, i35. 195.
ïiliim (Mgr';, l\2f\. Boyer, prêtre do S Sul-
Bliimenslihl, 468.. pice. 78, 261. Caban!?, 3o,
Bluntschli, 577. Boyncs, 289. Cadix, 102.
B(jhbio, 2 6. 1 Brabiinl. î \o. Cadorna, 07'), 88 r.
Bo<Jolschwing, 338. Bracco Mf;r), 638, Cagliari, 4o5.
Boehmer, 3/i/i. Brae de la Perrière, 281. Cajazzo, 573.
Bolonrli, 3/^6. Braga (archevêque de), Calabre, 2i3.
Bois-le Duc, 437. 194 Cambier R. P.). 891.
Bologne, i63, 164, 168, Bréda> 487. Carnerino, i64, 4'i6.
172, 177. ^78 186, Bréda (comte de), 628. Campo-Formio, 161.
211, 348, 446 45o. Brentano Clément, 91- Campostrina ïheodort,
Bonald (LoiHs de) 28, 93. 216,
3i, 72, 73. 84, ia5, Brésil, i56, 194, 658- Canada, 829, 669.
2^,9. 609. Candie, 118.
Botiald (cardinal rie), Bretagne, i35 Canina, 213,
B:etcnières (Just de). Canino (prince de), 857,
Bonjiparte (fannille), i53, 654. Canuing. 97, 25o.
163, i63, 170 Briggs. 5oi. Cannonieri i64.
Bonaparte (prince Char- Broflcrio. 'jo6. Canossa Madeleine, 217.
les), i64, 367. Broglie ;\lberlde), 27a, Canton, 820.
Bône, 824. 389, 891, 490, 537, Cantir, 181, 4o3, 4o4-
Bonn, 336. 538. Capalti, cardinal, 54a,
Bonnassienx, 628. Broglie (abbé Charles de), 502.
Bonnaud (Mgr), 3i6- 46 Capital et travail, 507.
017, 3 18, 64-")-646. Brogiie (abbé Paul de), Cappellari, cardinal Gré-
Bonnechose (cardinal de), ^97- goire X\r. 108, i64,
546, 547, 550 551, Broglie (Victor de), 291, i65 166-169, 217,
594, 655. 427. 218.
Botmcl (Mgr), 807. Brook-Ta\lor, 178. Cappclleti, i53.
Bonnctlj. 3o4. Brousse. 642. Captier (R. P,), 5gi.
Bordeaux, 87, 4o, 86, Brownbill (R. P.), 485. Caprera 5i2
i35, 824, 384, 460- Brownson, 659, Carbonarisme. 35-36,
46 1. Bruel, 602. io5, 106, ii5, i53,
Bordeaux (duc de) , Bnignière (Mgr), 3ai, i54.
(comte de Chambord), 654. Carcassonne, ï35, 63o.
299-. Brunelli, 489. Carignan ^prince de),
Borderies, 124. Brunswick, i48 459.
Bore Eugène, I24, 270, Brute de Rémur, 828. Carlos (Don) d'Espagne,
311 312 Bruxelles, i38, i4o, i4i, 197-200.
Bore Léon, t24, 256, 270. 658. Carlos (Don), 6i5, 616.
Borghi (R. P ), 3i8. Bûchez, 36. 347, 248, Carlsbad, ii5.
Borie (Mgr), 820. 870. Carné Louis de). 128,
Bories, sergent de La Buck (Victor 525, de), 126, 25o, 289, 462.
Rochelle, i34. 526, 53o, 532. 537. Carnot IlinpoUtc, 269.
Borne, i48, ^ Buckingham (Marquise Caroline (princesse), i58.
Dorromeus-Verein, 248. de). 220. Carrare, 20 y.
Bosco (Don). 659. Buiralo, 828. Carrevra (vicomte de),
Btiston. 327. Bunsen 178 231, 288. Î97
Bouix (R. P.), 553. Biichner, 019. Carrel Armand, i43.
Boulogne (Mgr dei. 249. Buisson Ferdinand, 530, Carrière Joseph. P S. S.,
Bourbon (l)uc de) 49- Bulgarie, 479 48o. 261 3o5.
.

Bourbon 657.
(île), Buoncornpagni, 489. Carteret 6o3. 606, 607.
Bourdier-Delpuits , 47, Burg, k5o. Cartilage, 828,
48. Buss, 343. Cas de coni'cirnce à propos
Bourbaki, 090. Butcux (R P.), 828. des libertés..., 288.
Bourdon. 072. B)ron, 112. Castelfidardo, 471-173.
Bourget Mgr). 829. Caslel-Gandolfo, 585.
,

666 INDEX DES NOMS PROPRKS

Gastelli (R. P.), Dao. 349, 352, 357, 358, Coelius, 167.
Gasliglloni (Pie Mil), 396, 398, 399. Coercioii bill, 233.
63, 64, 119. 12p. Charles Félix, 36. Cœur (Mgr., 375.
Catena Salentina, i54. Gharleslown, 327. Coffîn Charles, 377, 378.
Catholique (/''), 91. Chartres, Sga. 623. Cognât, 486.
Gallaro, 611. Gharvaz iMgr\ 4oo. Colfavru, 5ao.
Caucliv (Auguste-Louis), GhasUn (R. P.), 33i, Colin (R P.), 65o
48. 654. Colin (Jean Claude), 44.
Cauniont (Arcisse de), Chasiel (R P. 390.
, Collège romain, 189.
63o. Chateaubriand, 29, 70, Colmar, 3^7.
Gauchy A^ugustin, i33. 83, 85, io3, 112, 119, Cologne, 65, i5i, 33o,
Gavaignac. 35o, 356. 346. 23i, 233, 337, 238,
Gavour, 348, 355, 402- Chaudordj, 585. 339, 417, 638.
407, 445, 446, 447. Ghelm, 48i. Comacchio, 344.
448, 449, 45o, 45i, Chemin de Bassano, 316. Comarque, 186, 187.
453, 456, 457, 458, Ghevigné, 468. Combes (abbé;, 569.
459, 463, 464, 469, Chicago, 338. Combes (colonel) 1 79-
,

470. 5l3. Chiefala, 112. 180.


Gazalès (Edmond de), Ghillon (château de), 439. Compagnie de Jésus,
laS, 134, 25o, a8g, Chine, i56, 3i5, 330, 44-47. 83-85, 86-
38i. 33i-333, 647 - 649 87. 88.
Gécille, amiral, 33i, 333, Chlopicki, i43. Comte Auguste, 389,
649 Christie, 433. 519, 636.
Gésène, lao. Chypre 64o. Congrégation (la), 47-
Gejlan, 3i8. Gracchi, 344, 346. 50
Chaldée, 557-558, 64o- Gialdini, 470, 47>- Consalvi, 31, 33, 36, 63,
643. Cibrario, 3I3. 66, 67-68. 69, 169.
Ghallemel Lacour, 593. Cilicie, 643. Connolly (Mgr), 553.
Ghalus (Arthur dej, 472 Cingoli, 120. Conservateur (le), 383.
Ghambéry, 470. Civita-Vecchia, 176, 356, Considérations sur le dogme
Ghambord (comte de), 357, 359, 36o, 446, générateur de la piélé
462, 587, 588. 574, 589. catholique, 379.
Ghaminade, 43, 43. Civiltà cattolica, 417, 455, Constant (Benjamin), 34,
Ghampagnat (Marcellin), 5ii, 529-532. 537, 5i.
43. 538, 543, 553. Constantinople, i55,3io,
Ghampagny (Franz de), Clare, 97. 480, 533, 642.
124, 35o, 289, 393, Glarelli (Mgr), 16S. Constitutionnel, 84, 132,
390. Clarendon, 446. i32, i34, 346, 395,
Chanel ^^le Bienheureux), Clausel de Montais, 81, ^
368, 463, 489.
33o, 33i. »88. 383, 387. Coptes, 3i3.
Ghangarnier. 374. Clavel, 307. Coquille, 390.
Ghang haï, 647- Clemenceau, ôig. Coran, 3ii, 3i4.
Ghanning, 520. Clément V, pape, 194. Corbière, 81.
Ghanzy, 590 Clément XI, pape, 194. Gorcelles (M. de). 356,
Gharbonneaux (Mgr) , Clémentine (princesse), 467.
646 299 Corée, i56, 330, 32i
Charbonnel (Mgr de), Clermont, 43. 654-655.
329. Clermont-Tonnerre (car- Coriolis, 265.
Charbonnerie française, dinal de), 78, 87. Cormenili"; 367.
36-37. Cleveland, 328. Cornoldi (R. P.), 633.
Gharette, 468, 590. Glifford (Mgr), 566.-. Correspondance de Genève,
Charivari, 246. Cloutorf, 224. 6o5
Charles X, 37, 85, 86, Clotilde ('princesse), 58S. Correspondant, I33. i35,
S7, 138 - i3i, 163, Cobb, 524. i36, i37, 250, 364,
284 Goblentz, a32 339. 289, 291, 334, 370,
Charles IV, roi d'Espa- Cochin, ville, 644. 374, 389, 462j 498,
gne, 197. Gochin Augustin, r56, 536, 537, 54a.
Charles Albert, roi de 390, 463, 538. Corse, 585.
Sardaigne, 347, 348, Cochinchine, ii3, i56. Corsini (villa). .3^».
1

I^DEX DES NOMS PROPRES 667

Corso 189. î^echamps, cardinal, 545, Uolltrd (Mgr), 329.


Courier Paul-Louis), 87,
f
54G, 547, 548, 553. [Jombrowski, i4a
132 laS. 559, 506, 567, 569. Dominique (P.), 23o.
Courrier de Genève, 6o5. Decharaps Adolphe, 547- Doney (Mgr), 536.
Courrier français, 84, Défense de t Eglise, de Donnet, cardinal, 460.
i34. Gorini, 387. Donoso-Corlès, 363, 887,
Courlen (colonel de), Défenseur de la religion, 440-441.
189. 123. Douarre (Mgr), 657.
Cousin (Victor), 3i, a8o, Deharbe, 243. DoyIc, évoque de Kil-
387, 391, 293, 396, Dei Filius, Constitution, dard, i46.
378, 485. 554-555. Drapeau blanc {le), 283.
Cousseau (Mgr), 563 Delallc (Mgr), 536. Dreux-Brezé fMgr de).
Coux (Charles de), 35 1, Delangle, 478. 497, 556, 56^.
353-353, 363, 383, De la pacification reli- Droste- Vischering, ar-
3oi, 375. gieuse, 399, 300. chevêque de Cologne,
Cranganore, i56, 644 De la société première et 233-2^4. 236, 289
Crétineau Joly, 33, 35, de ses lois, a 80. Druses, 64o
i8i, 191, 215, 44a. Delavigne Casimir, i43. Dublin, 95, i46, 147,
Crimée, 446. De Vélat actuel du clergé 223, 224, 466.
Crispi, 5o4, 588. en France, 807 Dubois, 3 16.
Croza, 178 De l'existence et de V ins- Dubouché (R, Mère Ma-
Cruice (Mgr), 386. titut des jésuites,
395. rie-Thérèse, née Théo-
Cubièrcs, général, 179- Del primato dltalia, 3i3. delinde), 620-621.
180 Delpuits, 47 Dubuque, 328.
Cuet, 33o, De l'unité dans VEglisê, Du capital, 5o7-5o8.
Cullen, cardinal, 545. par Mœhler^ 89-90, Du friche - Desgenettes ,
Curnier, 381. Desflèches \Mgr), 648. 3o3
Curtis, i46. Desprez (Mgrj, 569. Dum acerbissimas, ency-
Custozzu, 5o4. Des progrès de la Révolu- clique, 236.
Cuvier, 135. tion et de la guerre Duchesne Mgrj, 577.
Cybichowski, 6o«. contre V Eglise, 80, 81. Du Concile général et de
Czartoryski, 48a. Desseville (R. P ), 828. la paix religieuse, 534-
Dertutt de Tracy, 3o, 536.
Détroit, 338. Dupanloup (Mgr . 299-
Deulinger, 344. 301, 367, 378, 379,
Deux-Siciles, an, 468, 387, 388, 459, ^,62,

469. 486, 490, 491, 496,


Deventer, 107. 497 498, 499' 5i2,
Dahlmann, 4i4. Dévie (Mgr), 3o8. 619, 535, 536. 538,
Dalgairns, 33o. 43i. Devoir des catholique$, 539, 53o, 53i, 53a,
Dalloz Paul, 538. 389, 391. 534, 537-539. 546.
Dalmatie, 611 Devoti, I30. 547, 558, 559, 567,
Dalmonl(R. P.). 657. Diakovar ou Diakovo, 569, 573, 577. 59a.
Damas, ii3. 54i, 546, 549. Dupin, 365, 389
Damas (baron de), 106. Diarbékir, ii3. Dupont des Loges (Mgr),
Dames du Sacré-Cœur, Didron, 63o. 573.
47. Diepenbrock, 4i3, 4'7 Dupuch (Mgr), 334-
Damien (R. P.). 657. Di Pielro, 644. 3^5.
Daniel (R. P.), 887, 890. Dix -neuvième siècle (le), Durando, 348, 349, 475.
Darboy ^Mgr), 54o, 546, Du silence et de la publi-
547, 550, 566, 569, Dizionario di erudizione, cité, 289.
571, 591. 191.
Dardanelles, 3lO. Dœllinger, 91, 9a, 389,
Dardilly, 891. 5i6, 537, 538, 532-
Daru, 56 534, 535, 559, 56o,
Daveluy (Mgr), 654. 577, 6i6.
Daviers, 3 13. Dogme générateur de la
Debeanvais, 3oo. piété catlïolique, 134. Eberhardt (Mgr), 601,
Debrossc, 46. Dôle, 86. Ei'lair, I33.
,

608 I^DEX DTÎS ^OMS PROPRES

Ecosse, i/|6, 147. Faidherbe, 590, Forli, 170, 177, 178,


Edimbourg, 618. Failly (général de^, 5i3, 311, 445.
Egypte, 3i i, 3i3. 5i4. Fornari, 357, 367, 445.
EichcndorPT, a^a. Falakiha, 655. Forum, 189.
Eliçagaray, ^8. Falk, 599. 602. 607. Fourier (Charles), 27-
Ellico, G56. Falloux (comte de), 93, 28, 247.
Eloquence chrétienne; an 264, 357, 3fii, 371, Foutouna, 655.
1 Vf siècle, 387. 378, 38o, 389, 462, Français (le). 53 1, 534,
Emery, 46. 490, 538. 536, 537, 538.
Emilie, province italien- Farini, 470. France, 75-87, lao, 121-
ne, 459. Favre (Mgr), 658. i37, 162, ifiS, 175,
Emmerich Catherine, 9a- Favre Jules, 452, 5S5. 176, 344, 35o, 35i,
93. Fazy, 428. 356-357, 36o, 36a,
,
Ëms, 343. Feije, 465. 366 393, 4 12, 45o,
Enfantin, 3^7. Felinski, 483. 478, 482, 5o5, 5o6,
Engels 625. Félix (R.-P ), 491. 5i3 5i4, 584. 585,
England Mgr), 327. Fénestrelle, 119. 589-594, 64o, 648
Equateur République de
i Ferdinand 1er, empereur Francfort, r49, i5o, 244t
T), 584, 659. d'Autriche, 349, ^08. 417, 421, 425.
Ere Nouvelle, 376-377. Ferdinand l'"'', roi des Franchi ^Mgr), 643.
Erzeroum, 64a. Deux-Siciles, io5. François h^, empereur
Espagne, ioi-io5, 197- Ferdinand VII, roi d'Es- d'Autriche, 173.
300, 36o, 438-44i, pagne, i02-io5, 197, François P', roi de Na-
478, 5o2, 5o5, 6i3- 198. ples, 468, 469.
616 Fermo, 169, 446. François IV, duc de Mo-
Espartero, 199, aoo. Ferrare, i64, 169, 172, dène, 162-163.
Espérances de V Italie, ai3. 178, 211, 344, 446. François II, empereur
Espinasse 4Ô2. Ferréol (Mgr;, 654. d'Autriche, 267.
Esquisse d'une philosophie, Ferretti, cardinal, 343, François-Joseph, empe-
344, 346. reur d'Autriche, 4o8,
Essai sur V indifférence, 79, Ferry Jules, 693. 409, 5i5, 609, 610,
261, 269. Fesch, cardinal, 5i. 6ia,
Esterhazy, 98. Fessier ^Mgr), 5oi, 575- Franzelin, cardinal, 553.
Etats pontificaux, i63, 576, 577. Franzoni (Mgr), 4o5.
i65, 171-173, 174, Feuerbach, 519, Frascati. 120.
175 - 176, 177 - 181 Feuilles historico -politiques Fraysse iMgr), 656.
183-191, 211, 334- de Munich, 4i3. Frayssinous, 5a, 73, 77,
365, 446-477. Fialkowski, 481. 81, 86, lia, 249, 3o4.
Etals sardes, 211, 352, Fichte, 3o, 34. Frédéric II, roi do Prus-
353, 357. Fidji, 656. se. 4ii.
Etats-Unis, 11 3, i56- Fieschi-Pacha, 3i4. Frédéric -Charles (prin-
i58, 320, 327-339, Figaro <le), 536. ce), 590
659-661. Fitzgerald (Mgr), 573. Frédéric-Guillaume III,
Etienne, Supérieur des Flaget (Mgr), 328. roi de Prusse, i5i,
Prêtres de Saint-La- Flandrin Hippolyte, 63o. 240, 24i» 4i3.
zare, 3i2, 3i4, 623. Florence, 469, 5i2. Frédéric-Guillaume IV,
Européen V), 247. Flottard, 36. 23i, 24i, 242. 4i3,
Ex episiola, bref, 5 18. Foisset Théophile, ia4, 4i8, 419, 420
Eymard (R. P.), 620. a5o, 390, 46a, 49f>. Freimaurer Zeiiang, 599.
Fonseca Magaîhaes, 644. Freppel (Mgr), Sgo, 498,
Fontanes, 5i 569, 571, 633
Fonteinne (Dom), 63 1. Frères des écoles chré-
Forbach, 690. tiennes, 5o, 5i
Forbes, 524. Fribourg - en - Brisgau ,
Forbin-Janson (Mgr àe\ i5o, 243, 42 '1, 42Ô.
Faher, aSo, 43 1, 633- 40, 42, 329. Fribourg en Suisse, 210,
634. Forcade Mgr), Saa, 546, 426, 428, ^^29.
Fabriano, 65, 649-650. Friedrich, 532, 571, 577.
Faenza, 170. Forcalquicr, 86. Frohschammer, 534.
. .

LNDEX DES NOMS PROPRES 669


Frosinone, 190, 3Go, 4^46. Gentil!, 220. Guadeloupe, 3a7.
Froude, 99, 100, 147. Georges IV, roi d'An- Guasco, 3i3.
U2b, 227, 228. gleterre, 97, 101. Guéranger (Dom , 79,
Fuscaldo, 106. Gcrbaud, 5i. a5G. 268, 275-^.79,
FulcJa, i5o, 584, 595. Gerbet, 79, 124, i25, a85, 3o4, 38o, 63 1.
Furloiig, 220. 25i, 260. 270, 279, Guérin, amiral, 322.
3o4, 493. Guérin Josepb. 472.
Ghazir, 3i3. La Guéronoière, 455,
Ghello, I i5, 34o, 46i.
Giacomo (R P.), 4o3. Guéroult Georges, 453.
Gibbons, cardinal, 661. Guibcrt, cardinal, 307-
Giuoulhiac (Mgr), 390, 309, 546, 547, 558,
Gabaïl, ii3. 571, 633. 592.
Gabet, 647. Giol)erti. 56, 213, 2i4, Giiillain, 656.
(jilbert (îles), 656. 33o, 357. Guillaume I*""^ roi des
Gaëte, 353-354, 356, Gioja (Melcbiore), 55, Pays-Bas, 107, 108,
36i, 362, 442, 469. Giorgiacomo, 66. i38, 139, l4o, l4i,
Gagarin (prince), 173. Giraud Maximin, 622. l42.
Gaf^ariii, ministre de Giustiniani, cardinal, 164. Guillaume IV, roi d'An-
Uussie à Home, 201. Gizzi, cardinal, 335, 339, gleterre, 267
Gagelin, 319. 343. Guillaume, roi de Wur-
Galetli, 353. Gladstone, 100, 227, 23o, temberg, 426.
Galicie, 88, i43. 434. 55o, 578, 616, Guillaume I-', empereur
Galles (prince de), 618. 617. d'Allemagne, 523, 600.
Gallia Christianay 275, Glasgow, 618. Guilleminot, i35.
285. Gli uUimi casi di Roma- Guizot, 53, 88, i3i, 173,
Gallois , commandant , gna, 2i4. 178, 180, 182, 245,
179- Globe, i33, 246, 4ia. a85, 286, 287, 293.
Galloway, 618. 4i3. 295, 320, 34 1, 35o,
Gambella, 5 19, 520,588, Gneist, 598. 391, 44o, 46a, 5a4»
^ 594.
Goa, i56, 3i8-3i9, 644- 647-
Gand, 108, 645. Gunther, 90.
Gap, 3i3. Goerres, 56, 57, 89, 90,
Garibaldi (Mgr), a85. 91, 98, i48, 239.
Garibaldi Giuseppo, 36o, Gomez, 45 1.
36i, 449, 456, 457, Gondon Jules, 46a.
463, 466, 468. 469, Contier, 63 1
48a 5o7, 5i2, 5i3, Gorham, 434,
5i6, 520. Gorini, 387. Habsbourg, 4o8, 4ii.
Garnier (R. P.), 3i8. Goslar, i5o, i56, 317. Hahn Hahn (Idade),4i8.
Gasparian (Mgr), 643. Gossin Jules, 124. Hailandière (Mgr de la),
Gasser (Mgr), 570 Goltfried, cardinal (Gé- 328, 329.
Gastaldi (Mgr), 567. lestin IV), 5i2. Haïti, 659.
Gaslein, 587 Gouriew, 201. Haller (Cbarles-Louisde),
Gaunie Mgr), 386. Gournerie (Eugène de 56, 57.
Gay (Mgr), 634-636. la), 124. Hanovre, i48, 3i5.
Gazelle d'Augsbourg^ 559, Gousset, cardinal,79, Harcourl, 36o.
596. 279, 3o4. Harcus (Mgr), 64o.
Gazelle de Brelagne, 268, Goyon (général de), 46i, Harel du Tancrel, aSi.
Gazelle de France, 2 56, 473. Harlem. 437.
3o8, 538, 559. Gramont (duc de), 471. Hartford, 3a8.
^

(leissel, cardinal, 417. Gratry, 269, 390, 391, Hassoun (Mgr), 64a-643.
(ieiictles (abbé des), i23. 559, 56o, 569, 632. Haut-Rhin pro^ince ec-
(iènes, an, 2i3, 225. Grèce, ao, na, 3i4. clésiastique du), 149
Genève, 207, 428, 607, Grégoire XVI, m,
iSg- Havin. 453.
5 12, 6o3-6o8. 333, 337, 338, 340. Havre (duc d'), laS.
Genga DeUa),(LéoûXIl),
! Gregorio (cardinal di), Haynald(Mgrj, 546, 569.
64-66. 1 iQ. a64. Hccker (R. P.), 609.
Geuoude, 3o7-3o8. GreiUi (Mgr), 566. Hédé, II 3.
G70 INDEX DES NOMS PROPRES

Héfélé (Mgr), a42, a43, Illusion libérale [l), 498- Jérusalem, 3i3, Saa,
546, 547, 549, 559, 499. 638. 639.
565, 633. Imbert tMgr), 32i, 654. Jeune Allemagne, 2o5.
Hegel, 3o, 3i, 485, 487, Imola, 170, 336. Jeune Espagne, 2o5.
519. Indépendance belge (T), Jeune Europe, 160, 2o5.
Heidelberg, 4i7- 536. Jeune France, 2o5.
Heine Henri, i48, 483. Indes, 644, 646. Jeune Italie, i54, 160,
Henze, 3i3. Indo Chine, 319. ao5, 21i, 2ii
Herder, 485. Institutions liturgiques ,
Jeune Pologne, 2o5.
Hergenroetber, 23o, 534. 276, 278. Jeune Suisse, 20 5.
Herraann ^R. P.), 619, Inde, i56, 3i5, 3i6- Joacbine, 194, 195.
620. 319. Joseph II, empereur, 65,
Hermès (Georges), 3a, Ineffabilis, bulle, 443- Jouffroy, 53, 283.
234, ^35 236. 444. Journal des Débats^ 84,
Hermesdorff, 63 1. Institutions liturgiques , i34, 246, 295, 398,
Hesses les deux), i49. 63i. 371, 489.
Hesse-Gassel, i48. Intérêts catholiques au Jugan Jeanne, 3o3.
Hesse Darmstadt , 4ai- XIX& siècle, 385. Juggernauth, 3i5.
433, 424, 426, Inter multipliées, bulle, Juif-Errant, 295.
Hettinger, 633. 388.
Hejkamp, ^37. Irlande, 94-98, i43-i46,
Hien Fong, empereur d« 221-225, 466, 5i6,
Chine, 648. 634.
Hilgers, 577. Isabelle, reine d'Espa-
Hindoustan, 644. gne, 478.
Hirscber, a 43. Isar, 4i4. Kabylie, 658.
Hitze, 626. Islam, 3 II. Kant. 3o, 484-485, 486,
Hoffmann de Follersle- Ispahan, 64a. 487, 519.
ben, 34a. Issoudun, 656. Kanzler, 5i3, 58o,
Hobenlobe (Mgr de), 577. Italie, ao, 35, 54-56, Karlsruhe, 4a5.
Hobenlohe (prince de), io5 107, i52-i54,i6o- Keble, 59-60, 99, 100.
123, 528. i65, 178, aii-aao, i47, 225, 336.
HobenzoUern, a4o, 477, 334 - 365 , 394 - 407, Keller, évêque, 242.
5o5. 445 - 477, 5oa-5o5, Keller Emile, 474, 5oo.
Hollande, 20, 3i5, 437. 587. Kenrick (Mgr), 660.
Hongrie, ao, 4o8, 409, Italinskî, 73. Keogh John, 96.
4io. Introduction à la théologie Kersten (R. P.), 438.
Hopsten, 421, 42a. spéculative de Gunther, Kertanguy (M""* de), 369.
Hortcnse, reine, i53,i70. 90. Ketteler (Mgr), 4i3, 417,
Hue, 647. 421 423. 424, 559,
Hugo (Victor),
39, 53, 571, 635, 626.
324, 246,364. 365, Kiang-Nan, 648.
38o-38i, 389, 5ao. Kildard, i46.
Huist (Mgr d'), 497. Kim, 3ai.
Hurter, 2 44. Kingston, 329.
Hussein, dey d'Alger, Jacctrd (R. P ), 819. Kirchenlexikon^ a 43»
i3o. Jacobis (R. P. de), 3a5, Ki-Ying, 320.
Hyacinthe (R. P.), 517, 3a6. "
Kleutgen (R. P.), 63a.
6od. Janicot, 538, 559, 56o. Ko, 3aa.
Janicule, 36a. Kœnisberg, 486.
Janriszewsk.! (Mgr), 601. Kolping. 6a6.
Jansion (Dom), 63i. Kreuz-Zeitung, 596.
Janus, 534. Krupp, 5io.
Japon, 3ai-3aa, 649- Kulturcampf, a4a, 4ao.
654. Kurdistan; 64 1.
Jean VI, roi de Portu-
laroslav, 483. gal. 194, 195.
Icard, 539, 559, 563, Jean XXII, pape, 194.
568, 569. Jean Laurent, 339.
.

WDEX DES NOMS PROPRES 671

Lanigan, i46. Léopoldl, grand duc de


Lanjuinais, 84. Bade, 434-
Lanteri Bruno, 216. Léopold I»'", roi des Bel-
La Bouillerie Mgr de), Laouënan (Mgr), 646. ges, 438.
620. La R/'/orme sociale en Lepaillcur, 3o3.
Laboulaye Edouard, SgS. France, 5o8. Le Pape et le Concile, 533-
Labrador (comte de , io5, La Roche-en-Brény, 490. 534.
118, 167. Larochejaquelcin, 371, Le Pape et le Congrès, 46i
La Barre de NanteuU (Al- 377. Le Pays et le Gouverne-
fred de), ^72. La Rochelle, 37, i34. meiil, 269.

Laboure Catherine, 3oi^. La Rochejaquelein (comte Le Play Frédéric, 5C8-


Lac (Melchior du), la/i, de), 123. 609.
390, 462. La RochiÊJaqueleiii (mar- Le Prévost, 28a.
La Canée, 1 13, quis de), 195. Leroux Pierre, 2^7.
La Chapelle (Séminaire Laroraiguière, 3o. Les Associations reVujiea-
de), 388. Laslter, 698. ses, 299
Lâchât (Mgr), 578. Lassalle Ferdinand, 507, Lescceur (R. P.), 391.
Lacombe ^^Charles de), 625. Les Ouvriers européens^
462. Latour (Antoine de), 5o8.
Lacombe (Henri de), 403. 4o6. Lesseps (Ferdinand de),
Lacordaire, 62, 79, 96, La Tour d'Auvergne 36o 36 I.
i35, 224, 25i, 260, (prince de), 528. Lettres à M. de Broglie,
a64, 265, 268, 271- La Tour du Pin (marquis 399;
2'>3, 274, 375, 279, de)^ 591, 627, 628. Lettre àM. Ville main, 2^1.
280, 283, 295, 399, Laurentie Pierre-Sébas- Leu, 206, 209, 210.
3o4, 371, 375, 385, tien, 133, 125, 538, Lévy Armand, 269.
463. 559. Le Vavasseur, 330.
La Farina, 448, Lausanne, 428, 43o, 43i. Liao-Tong, i56.
Lafayette, 37, i43. Laval (R. P ), 327. Liban, 3i3.
Lafont Enaile, 466. Laval (duc de), 68. Libermann ;R. P.), 337,
La France, Rome et V Ita- La Valette (marquis de), Liberté (la), 3o8.
lie ^ 473. 475). Libois, 322.
Lagrenée, 320, 32 1, 647, Lavedan Léon, 54o. Libres Penseurs Jes),3QO.
649. Lavélona, 655. Ligeon (R P.), 646.
Laibach, 1 15. Lavigerie, cardinal, 3a5, Limbourg - en - Nassau ,

Laîné, 81. 546, 639, 658. i5o, 434.


La Luzerne (abbé de), 77. Lavington, 434- Lingard John, 23o.
La Marmora, 397, 5o2. La vraie et la fausse in- Linz, 533, 612.
Lamarque, général, 4ii, faillibilité, 575-576. Lisbonne, 196, 196,
4ia. Leblanc (Pierre), 46. 644.
Lamartine (Alphonse de), Le Bœuf, 277, 278. Lithuanie, 483.
29, 46, 124, 126, 246, Lecce, i54. Litteris, bref, i5i, 23 1.
266, 4o6, 43o, Lécuy, 249. Liltlemore, 329, 23o.
Lambillotte ^R. P.), 63i. Ledru-Rollin, 298. Littlerock, 328, 073.
Larabruschini, cardinal, Lecky, 23o. Littré, 389, 519.
215-216, 232, 238, Lefébure Léon, 626,627. Livre du peuple, 269.
335. Légations, 179, 188, 35o, Lloyd, 99.
La Mennais (Félicité de\, 359, 446. 453. Lockhart, 432.
3i, 43, 5i, 73, 77, 78, L'Eglise romaine en face Lockroy, 594.
79-82. 86, 98, 135. de la Rt^volulion, 21 5. Loeven, 83.
129, i36, i4o, i59, Legnago, 347, ^^1- Loigny, 090, 631.
i65, 249, 250 268, Legris-Duval ^abbé), 40, Lonibardie, 311, 344,
a^ïï. 270, 271, 275, 49- 347, 348. 349, 453,
^76, 277, 279, 280, Lennig, 238, 243. 458.
283, 297. Lenormand Charles, I23, Lombardo-Vénélie, 211.
Lamoricière, 466, 467- 292, 367, 387, 090. 347, 348, 394, 4io.
468, 47', 473. Uon \1I, 35. 62-117, Londres, 177, 328, 432,
Landriot (Mgr), 387. i5i, 195, 23i. 5o6, 507, 634.
Langalerie (Mgr de), 558. Léon XllT, Soi. Lorain, 375.
672 li^DEX DES NOMS PROPRES

Louis XVllI, 37, 44, 5i, Mans (le), 276, 590. Mazloum (Mgr), 3ia.
67, 70» 7*. 7^-76, io3. ManteulTel, 4ao. Mazzini, 55, i54 160,
Louis (baron), 38, Mantoue, 357. 457. 193, 211, 212-213,
Louis Philippe, i32, 187, Manzoni, 55 56, 4o6. 343, 344. 349 352,
162, 173,' 174, 175, Marchand (R. P.), 319, 353, 358, 359, 36i,
176, a45, 267, 286, 320, 395, 398, 399, 4oo,
296, 344, 35i. March'S, i63, i64, 170, 4oi, 448, 449, 45o,
Louis de Bavière, roi, 91. 175, 186, 188, 446, 5o5, 507, 5i2, 58i,
Lourdes, 592,622-623. 468, 469. 470, 473. 588.
Luca (cardinal de), 54a, Maret (Mgr). 3o4, 875, Mecklembourg (grand-
552. 534 537, 538, 559, duc de), 590.
Lucerne, 65, 2o4, 206, 56o, 571. Meilleur, 329.
207, 208, 210, 426. Maria da Gloria, 194, Mélanges catholiques^ 253.
Lucques, 394. 195, 197. Melchers (Mgri, 601.
Liitzow, 118, i65, aôi. Marianistes, 43. Méliapour, i56, 644.
LjroD, 4o, 281, 297. Marie- Christine , reine Melkites, 3i3, 3i4.
d'Espagne, 197, 198. Mélodies grégorienties^QSi.
Marie-Madeleine de i 'In- Melun (Armand de , 626.
carnation, 217. Mémoire à consulter, 83-
M Marie-Thérèse,
trice, 4ii.
impéra- 85.
Mémoire pour le rétablis-
Mariiley (Mgr), 426, sement des Frères Prê-
Mabilleau (R. P.), 649. 429, 479, 6o4, 606. cheurs, 274
Macao, i56, 644. Marion de Brésillac Mémoires de Metternich,
Maccala, 644- (Mgr), 658. 162.
Mac-Garthy, 268. Marongini, 4o5. Mémorandum de i83i,
Macé Jean, 020, 594. Maronites 3i4, 640. 173-174. 175, 176,
Macédoine, 48o. Marquises (îles), 656. 177, 187, 23i, 348.
Macerata, 36, 186, 446. Marsala, 468. Mémorandum du 6 avril
Mac-Mahon, 457, 594. Marseille, 4o, an, a86, 1870, 56i,
Madagascar, 657. . 356. Mémorial catholique, 80,
Madiat, 64o. Martin (Mgr), 545, 553, 83,84,123,249,250,
Madras, 3-15, 3 18. 558. 276.
Madrid, 439, 6i3, 6i4, Martin Henri, 269. Menabrea, 397.
6i5. Martin de Dunin, 24o. Ménard Alphonse, 472
Maduré, 3i8. Martinez de la Rosa, 198. Menotti Giro, i54, i63.
Magenta, 457. Martinique, 327. Mentana, 5i4.
Maguan, maréchal, 478. Marx Karl, 507, 620. Mermillod (Mgr), 5i6,
Mahmoud pacha, 643, Massabielle, 622. 545, 578, 6o4, 607.
Mahmoud, sultan, i55. Massaia (Mgr). 326. Mérode (Mgr Xavier de],
Mai, cardinal, 191. Massaouah, 3a5, 326. 466, 467,
5o3.
Maine de Biran, 3o. Mastaï-Ferretti (Pie IX), Mésopotamie, 3i3, 64o,
Maison, général, 180. 335, 336-337 64i.
Maistre, i56. Mathieu (cardinal), 128, Metternich, 20, 21, 22,
Maistre (Joseph de), ai, 497, 546, 547, 550- 73, 88-89, 98, io3.
36, 62, 77. 551, 558, 569. 116, 121, 182, i38,
Malines, '08, 489-491, Mathieu-Galvat Mélanie, i43, 149, i54, 161,
5i2, 548, 584- 622. i65, 168, 173, 175,
Malou (Mgr), 633. Matignon (R. P.), 553. 176, 180, 181, 182,
Mamiani, 177, 349, 35o, Maubant (R. P.), 3ai, 216, 24o, 261, 271,
353, 354. 654. 342, 344, 348, 398,
Mancini, 588. Maux [leSi de l'Eglise et 4o8, 427, 447.
Mandchourie, 65o. de la Société^ 260. Metz, 590.
Manuing, cardinal, 43 1, Max de Bavière, 4i4- Mexique, 659.
433-435. 526, 532, Mayence, i5o, 243, 4i3, Meyer, 206, 209, 210.
536, 54o, 545, 547, 421, 422, 625. Mezzûfanti, 191.
554, 56i, 562, 563, Mazenod (Mgr de), 44, Michaud, i3i.
566, 570, 579, 6a4- 3o8. Michel de Serbie (prin-
6a5. Mazio^ 108. ce). 55o.
1>DEX DliS NOMS PROPRES 673

Miclielel, 393, 294, 295, Monlesquiou abbé de^, Naples, 44, 74, ïo5, i53,
3«9. 38. i6o, 397, 469, 470,
^ ^

Micronésie, 657. Monticelli, 65. 520-521, 617.


Mitjczjska (Sœur Irena Monllosier (comte de), Napoléon 1«-'", 19, 33, 5'i,
Macriria), 20 'j. 82-85. i53, 20-'i, 455.
Mij^ne, 282, 3o5, 3o7, Moulinai Ire, 592. NajKjléon 111, 357, 359,
.H90. ^ Montmorency (duc dej, 36o, 362, 363, 364.
Miguel (Dora) de Portu- 5o, io3, i53. 378, 384-385, 397,
gal, 194. 197. Montmorillon, 86. 4i3, 45o, 45i - 453,
Milan. 347. Montpellier, 4o. 455, 456, 458 - 464.
Milanais, 161. Monlravcl (Félixde), 47a. 467, 470, 473 - 476,
Milo, n3. Montréal, 329. 478, 5o2, 5o3, 5o5,
Milwaukee, 3a8. Monlrouge, i32 573, 574, 589.
Mina, 199. Montzu-Hito, 652. Napoléon Jérôme, 474.
Mincio, 476, 477. Monurnenta historiae pa- I\apoléo)i et l'Italie, 455.
Miiuleu, 238. frix, 212, Nardi Mgr), 577.
\

Minghelti. 586. Morel Jules, 270. Narvaez, 438.


Miiih-menh, i56. Moreno Garcia, 584. Nashville, 328.
Miiiichini, io5. Morlbon (Mgr de;, 623. Nassau, i42, 149, 424,
Minsk, 2o4. Moroni. 167, 191. 425, 426.
Muari vos, 263-264, Mortara, 454-455. Natchez, 328.
/190, 49^». 495. Mossoul, 637, 64i. National, i34, i65, 383.
Misley, i54- Mouraviev, 483. Native Americanisirif ib'].
Missions de France, 38- Moy, 239. Nauplie, 3i4.
42, i32. Mnllaglirnast, 224- Navarin, 3i4.
Missions-Etrangères (Sé- Mùller (Adam), 56, 57. Naxie, n3.
minaire des;, ii3, i58. Multa prxclare, bulle, Néel (R. P.), 649.
Modène, i53, 162-163, 318-019. Nemours (di>c dej, 299.
ifi^j, 211, 39^, 459. Multipliccs, allocution de Neuf-Bnsach, 37.
Mouiller, 89-90 , 239, Pie IX, 5i8. Neufchâtel, 428, 520,
243. Multipliées, Lettre ponti- Neue Freie Presse, 532.
Molli lev, iio. ficale, 542. Newman, 60-61, 98-
Mole, 181. Mun (Albert de), 5oo, 100, 147, 159, 225-
Molescholt. 619. 591, 626, 627. 23o, 43i - 432, 433,
Molokaï, 657. Miinchen, 232. 434, 435, 436, 5oi.
Monarchie poiUiJicale (la), Munich, 90, 93, 244, New- York, 327. 3'io, 660.
27G, 260, 262, 4i4, 532, Ne^y Edgard, 363, 364.
Monde (le\ 462, 538. 533. Nicolas It, empereur de
Mongolie, 654- Munster, 233, 236, 4i7, Russie, iio, III, i4a,
Monita sécréta, 294. 421, 602. 201, 2o3, 2o4, 480.
Moniteur, 304, 403, 462, Murât Lucien. 45o. Nicbuhr, 23 1, 2 4o.
5i2, 538. 559. Murray, archevêque de Niel, maréchal, 302, 5ia.
Moniteur catholique, 383. Dublin, i46. Niemeyer, 235.
?'lonnet, 657. Musset (Alfred de), 3o, Nîmes, 248, 281, 378.
Miwis, 465. 54. 247.^ Niort, 37.
Montaiembert, 53, gS, Mustapha. 026 Nodier, 53.
124, 129, i45, 239. Mysicres de Paris, 295. Noirot (abbé), 280.
a4o, 244, 345, 25i, Norfolk ^duc de), 5oi,
2G0, 268. 270, 273- 617.
274, 283, 288, 289, Nossi-Bé, 657.
291. 292, 296, 297, Notre-Dame de Bonno-
3oi, 345, 364, 365, N Nouvelle, 281.
367, 368, 36t), 371, Notre- Dame des \ icloires,
38i, 382, 38y, 386. 3o3-oo4, 327.
388, 390, 391, 4o4, Nafa, 322, 65o. Nouridgiao, lô.'».
489, 490, 491, 5o8, >agasaki, 323, 65l, Nouveau christianisme {^le),
5 10, 538, 559, 56o. ^aigeon, 3o.
Monlalto. 120. ?Samur, 139. Nouvelle-Calédonie, 656.
Monlaut (colonel Je), 48. Nantes, 37, 4o, 467. Nouvelle-Guinée, 656.
Hisl i;cu. de l'Eiilise. \lli
6;/» INDEX DES NOMS PROPRES

Nouvelles-Hébrides, 656. Peschiera, 347, ^^7


Nouvelle-Oflcans, Sag. Pétélot, 390, 391.
Nouvelle-Zélande, 33 r, Pétersbourg, 1 10.
657. Pacca, cardinal, 36, 57, Petit (R. P.), 338.
Novalis, 2l^\. 58, 65, 1 19, 164, i65, Petitjean (Mgr), 65 1 ,654.
Novare, io6, 358, 359, 260, 266. Pfiffer, 208.
39G. Paccanari, 46. Philadelphie, 327.
Nulla celehriory bulle, 637. Paderborn, 232, 339, Philippe (Frère), 629.
601. Phillipps, 239.
Padoue, 166. Philosophie fondamentale,
Palma, 353. de Balmès, 44o.
Palerme, 468. Picclrillo (R. P.), 532.
Palestine, 638. Picilli, i53.
Palmerston, 349, ^^^> Picot Michel, 77, 124,
Océanie, i56, 33o-33i, 477- 349, 277.
655.657. Pamphili 362.
(villa), Pie II, pape, 194.
O'Connell, 94-98, i43- Paray-le-Monial, 593. Pie VI, 64.
l46, 321-225. Parchia, 11 3, Pie VII, 19, 20, 65, 69,
Odessa, ^79. Paris, 4o, T". 177, 297, 74.
O'Donnel, lOfl. 362, 372 446, 447, Pie VIII, ii8-i58, 23i,
OHer (Jean-Jacques), 66. 481, 482, 509, 590, 232.
Olivaint (R. P.), 248, 591. Pie IX, 2o3, 225,334 663.
591. Parisis (Mgr), 288-289, Pie, cardinal, 366, 379,
Oliveira (Mgr de), 658. 291, 292, 3o2, 489, 447, 45o, 459, 473,
Olivier (M. d'), 38i. 63i. 488, 536, 538, 545,
Olivier Emile, 355, 458, Parnae, 211, 394, 453, 547, 548-^549, 553.
527, 538, 563, 569, 459. 565, 591.
578, 586. 589. Paroles d'un croyant^ 338, Piel, 248.
Olinuetz, 4i4. 267-'268. Piémont, 106, 160, 2i3,
Ombrie, i63. 211, 473. Pascal (R. P. de), 638. 352, 358, 395398,
Omnium Gentium, bref, Paterson, i46. 4oi, 4o2 407, U6,
33o. Patras, 3i4. 453, 456, 458, /ing,
Omura, 65i, 653. Pavy (Mgr), 335. 469. 471.
Opinion nationale, \8g. Pays-Bas, 107, 109, i38- Pieri, 45 1.
Oran, 324, 325. i4i, 437. Pierre V, roi de Portugal,
Oriel-Gollege, 69, 100, Pecci Joachim CLéon
'
319.
Orient (Question d'), 3io, XIII). 444,633. Pietro (cardinal di), 556.
3ii. Pedro (Dom), enapereur Pignerol, 316.
Orient (Eglises d'), 523. du Brésil, 658. Pimodan, 468, 472.
Orlof, 5o6. Pedro ''dom), de Portugal, Pirée (le), 3i4.
Orsirii, 451-453. 194-197- Pise, 463.
Orvieto, 446, Peel Robert, 323, 334, Pistoia, 5 12.
Oudinot, 359, 36o, 36i, 335. Pitra, cardinal, 390.
362. 365. Pélichv (baron de), iSg. Pittsburg, 338.
Ouganda, 658. Pellelan Eugène, 369, Plaisance, 3i2.
Ourique, 194. Pellico ;Silvio), 55-56, Planchet, 3i3. .

Overbcrg, 57. 4o6. Plantier (Mgr;, 536,545.


Overbeck, 191. Pepoli, 177. Plombières, 453.
Owen. 26. Péra, II 3. Pô (le), 172, 211, 348.
Oxford, 59, 100, i47, Perboyre (R. P.), 330. Poiloup, 299.
436.
43/,, Pères de Va foi, 46. Poitiers, 37, 447-
Ozanam Frédéric, 279- Pérouse, 211, 359, ^^^• PoHgnac, 5o, 128-129,
282, 299, 374-377, Périer Casimir, 168, 173, i3o, i3i.
390. 176, 178, 179, 180. Pologne, 30, 88, 109-
Perraud, cardinal, 391. III, i4i - i43, 200-
PerregrineMaitland, 3i5. 2o4, 24 1, 260^ ''466,

Persigny, 473, 478. 48o 484, 5o6.


Persil, 384. Pompalier (Mgr), 33 1,
Pesaro, 446. 657.
INDEX DES NOMS PROPRES G75

Ponciations d'Ems, a/ia, Quinet, 293, 294, 295, Revel (M. de\ 4o5.
Pondichéry, 11 3, .^16, 298, 389, 485 520. Reversurus, bulle, 643,
317 3i8, 645. Quirinal, 343, 346, 353, 643.
Ponte-Gorvo, 16/». 588. Revue de Dublin, 228,
Pontmain, 690, ^ujl Quod a nobis, 276. 229.
Popof (Mgr), 48o. Quotidienne, 8(> ~ ?o, 335. Revue des Deux-Mondes^
Portici, 399, Aoo. 295,371, 378, 489.
Porto (i'Anzio, 68. Rfvue Suisse, 295.
Portugal, 194-197, 3i8- Ricaroli, 469.
319. 479. 578. Riccadonna, 3i2, 3i3.
Port-Vcndres, 344- Ricciardi, 52o.
Posen, 2I10, 24 1. Ridel (Mgr), 654-655.
Pothier (Dom), 63 1. Raban Ormez, 6^.. Rieti, III, 30o, 446.
Poujoulat François, 383, Radetzky, 178, 347, ^^9» Riccio (Mgr), 573.
462. 396. Rinnovamentu d Italia, 4o6
Pradt (abbé de), 38. Raillon (Mgr), 87. Rio, 93.
Prœlectiones theologicœ, de Ramorino, 21 3. Rio-de-Janeiro, 658, 659.
Carrière, 3o5. Ramière (R. P.), 621. Riom, 42.
Prague, 5o5. Ranc, 519. Riou-Kiou, 321, 649,
Presse [la], 388, 453. Ranke, a35. 65o.
Pressensé (Edmond de), Raspail, 373, 374. Rivarola, 106.
524. Ratisbonne Alphonse (R. Rivet (Mgr), 566, 571.
Primato d'italia, 335. P.), 3o4, 638-639. Robert Macaire, 247.
Progrès de la Révolution, Ratisbonne Théodore (R, Robert Peel, 97.
126, 25o. P ), 638-639. Rœss iMgr), 545. ,

Propagation de la foi (œu- Rallazzi, 5 12. Rogers (lord Blachford),


vre de la), ii4, i58, Rauscher, cardinal, 546, 100.
3i6, 638. 610, 612. Rohan (duc de), 299.
Protestantisme comparé au Rauzan (J.-B.l, 39, 43. Rohan (abbé duc de),
catholicisme, de Balmès, Ravenne, 106, i64, 170, 123.
44o. 172, 177, 178, 211, Rohrbacher, 79, 268,
Proudhon, 389, Sig. 446. 280, 286.
Provence, 44- Ravignan (R. P. de), Romagnes, io5, i63, 357,
Provida, bulle, 149. 273, 274, 295, 38o. 446, 456, 459, 46i,
Prusse, 33, i48, i5i- Rayneval, 36o, 45 1. 463.
i5a, 178, 177, 235, Réflexions sur la doctrine Romagnosi, 55.
238, a4i, 242, 4ii, de Saint-Simon, 280. Rome, 72, 74, i53, i63,
412-421, 458, 477. Réforme [la), journal, 164, 166, 168-169,
483, 5o5, 523, 573, 2o4, 298. 170, 173, i83, 186-
578. Regard (rue du), 299, 187, 190, 196, 197,
Purbrick, 432. 391. 212, ai6, 260, 261,
Pusey, 100, 147, 227, Regnard, 52 1. 290, 296, 338, 339,
23o, 43i, 435, 436, Régnon (nnarquis de), 34o, 34i, 342, 345,
525. 3o8. 346, 35o, 353, 354,
Puy (le), 623. Reichensperger, 24o, 4i6. 358, 36o, 36i, 362,
Reims, 3o2, 596. 365, 426, 435, 5o2,
Reisach (cardinal de), 5o3, 5o4, 5ii-
5o5,
542, 553. 5i2, 5i3, D73-575,
Reischoffen, Sgo. 582-585, 586, 589,
Renan Ernest, 32, 478,
484. 485-489, 5 19, Ronsin, 49» 324.
Quanta cura (Encyclique), 594. Roothaan (R. P.), 297.
74, 34 1. 491, 492- Renan Henriette, 486. Rosmini. 191, 217-920,
501. 55i. Renouvier Charles, 594- 623 624.
Quatrebarbes, 468, 471. République française ila), Rosalie (Sceur\ a8i, 626.
Québec, 329, 659. 594. 628.
Quélen (Mgr de), 87, Réquédat, 2 48. Rosmini Marguerite, 2 1 7.
126, 127, i3o, i36, Réunion (île de la), 327, Rossi i.Fean-Baptiste de),
i 'j6, 271, 272, 3o3. Reusch, 577. 182, 337, 3^46, 493.
.

676 INDEX DES NOMS PROPRES

Rossi Pellegrino, 207, Saint-Pauerace (couvent), Schneider (R. P.). 553.


296, 297, 337, 3/io, 36a. SchœlTer (R. P.), 328.
3^2, 3/,4, 351-352. Saint- Philippe du Roule, Schratt Catherine, 409.
Rouher, 5i4. 281. Schulte, 577.
Roux-Lavergne, 348. Saint Pierre, basilique, Schuster, 343.
Rottenbourg, i5o. i65, 54i. Schwarzenberg, cardinal,
Roverelo, 217. Saint René Taillandier, 546, 556, 566.
Rovor-Collard, 3o, 53, 487. Schwarzenberg, ministre,
8ô, 3oo. Saint-Roch (église), 371, 4o8.
Rudigier (Mgr), 6ia. 390. Schwarzenberg, cardinal,
Rudio, 45i. Saint-Simon, 26-27 , archevêque de Salz-
Rutïini, 2i3. 247, 248 249. bourg, 4o8.
Ruromonde, 437, Saint-Sulpice (C'c de), Schweriu (comte), 4x5.
Ruskin. 227, 63o, 63i. 82. Schwytz, 306, 207, 3X0,
Russell John, 433, 477. Saint-Sulpico (Séminaire 426.
Russel Odo, 56 1, 617 de), 3oo, 324, 326, Sclopis, 212.
Russie, 20, 88, 102, 109- 486. Sébastopol, 44^.
III, 173, 177, 200- Sainte - Anne d'Auray , Sebenico, 61 1.
ao4, 200, 3x0, 3i2, 86. Sedan, 574, 59O.
356, 446, 458, 477, Sainte-Beuve, X24, 126, Sçgur (Mgr de), 390,
479, 48o 484, 5o6, 246, 295, 369, 43o, 45o, 620, 629.
5 1 *j 5o8. Ségur-Lamoignon, 628.
R)lJo. 3x3. Sainte-Foi Charles ^Eloi- Senestrey (Mgr), 545.
Jourdain), 93, I23, Senfft, i4i, 265.
375. Sepp, 577.
Sainte-Marie (île), 607. Sercognani, 170.
Salama, 326. Séré de Rivière, i23.
Salette (la), 623. Serrano, 5x5, 6i3.
Salford, 617 . Se-Tchouan, 321.
Sacrés-Cœurs de Picpus Salies, colonel, 189. Severoli, 63, 64.
{Pères des), 42. Salinis (abbé de;, 133, Séville, 328.
Sadowa, 4x4, oo5, 5o6. 124. Seyde, xi3.
Sscpe Venerabiles Fratres, Salomon (îles), 656. Sfordten. 4x4.
encyclique, 466. Salonique, 48o. Siam, 1x3, 654-
Sailer, 57. Salvandy. 298, 368. Sibour (Mgr) archevêque
,

Saint-Acheul, 86, 297. Sarnhiri (Mgr 64o. , de Paris, 356.


Saint-Auiaire (conate de), Sanrioa, 656. Siccardi, 399, 4oo, 4oi.
173,174,170, 179 180. Sandwich (îles), 1 56, 656, Sidi-Ferruch, i3o.
Saint-Gioud, 458. 657. Siècle {le), 340, 368, 388,
Saint-Cyr (R. P. Louis San- Lorenzo-in-Damaso, 453, 462, 496.
de), 3x8. 352. Signay (Mgrj, 329.
Saint-Esprit (Pères du), Sanseverino, 632. Silva Torrès (Jean de),
1x3. Santeul, 278. 319
Saint-Gall, 208. Sarcey Francisque, 594. Silvestre de Sacy, 269.
Saint-Grégoire (monas- Sardaigne, 44, 302, 358, Simeoni (Mgr), 6x5.
tère de), 189. 395, 45o, 45i,' 457. Simon Jules, 593.
Saint Jacques du Haut- Sarnen, 207. Simor (Mgr), 571.
Pas, 281. Sauzet, 4o6. Singulari vos (bulle), 268.
Saint-Jean (Canada), 329 Savatier, 628. Siegwart-Muller, 306.
Saint-John, 23o. Savigny, 696. Siestrzencewicz, iio.
Saint-Louis des Français, Savoie, 211, ai3, 352, Sinigaglia, 336.
75, 55o. 395, 396, 4oi, 4o5. Sirdhana, 3i8.
Saint - Marc - Girardin ,
Saxe, 148. Sirtori, 468,
247. 462. Sav (Jean-Baptiste), a6. Sissonj 390, 466, 498.
Saint-Michel de Venise Scnlegel (Frédéric), 56, Suiyrne, 1 13, 3 12,
(couvent), x66. 57.. 89, 92. Société des bonnes éludes,
Saint-Nicolas du Char- Schleiermacher, 3l, 2 4o. 49, 133-124.
donnet (petit Séminaire Schelling, 3o, 93. Société des bonnes œa vres.
de», 3oo, 486. Scherr (Mgr), 571.
, , ^

T>'DEX DES 'SOMS PROPRES 677

Société du Sacré-Cœur, Symbolique, de Mochler, Tournély (abbé Léonor


46. 243. de), 46.
Soglia (Mgr), 429. Syra, 13.
1 Tours, i35.
Sokolski (Mgr), ^176. Syrie, 639, 64o. Trauttmansdorff, 609.
Solferino, fibq. Trébizonde, 643.
Solesmes, 276, 385, 63i. Trrguier, 486.
Soleure, 206, 208. Trêves, 232, y33, 5i6.
SolcYman, 1 13. Tribune catholique (la),
Soli, 312. •i8i, 382

SolUciindo Ecclesiariim Triomphe du Saint Siège


buile, 193 194.
Sollicitudo omniurn Eccle- Taharand, 77, ^4. Tripoli, 1 r3.
siarum, bulle, 47. 82. Tabert (Mgn, 319. Troppan, 106, 1 15.
Soloviev, 5/19. Tablet, 538. Troyes, i35.
Somaglia (Délia), cardi- Tablettes du clerg*^, I33. Tsiou Jacques, 32 1.

nal, 70. Tabert(Mgr), i56. Tubingue, 3^3.


Sonderbund, 3iO, 3/j3, Taconet, 538. Tugendbund, 33-34 ,

371, 426-427. Taine Ilippolyte, 633. 4r3.


Sordini Marie, 217. Tallevrand, 20, 21, 32, Tunis, 333.
Soto (îles), 653. 38; 44, 45, 73, 89, Tuo-Koang, empereur <!«

Soubirous Bernadette ,
3oo. Chine, 647.
622. Talleyrand (baron Char- Turin, 312, 316, 317,
Soumet, 53. les), 464. 399, 4oo, 4oi, 4o3,
Spalding (Mgr), 545 660. , Tambuchetti, 647. 4o5, 408.
Spaur (comtesse de), 353. Tara, 2 34. Turquie, 30, i54-i55,
Spencer Ignace, 328. Tar tarie, 647. 3io, 3ii, 637-638.
Spiogel arch. de Colo- Tchcou-tien tsio, 648. Tyr, 65.
gne, i5r, 333, 233. Temps [le], i33, i65,
Spolèle, 211, 336, 35^, 346, 489, 607.
3Go, 4^»5, 446. Terracine, iQO, 36o.
Staël (Mniti de), 34. Teysseyrre, 73, 368. u
Stalinsky, ii3. Théologie morale de Gous-
Staonéli, i3o, 335. set, 3o4.
Stas, 438. Thibet, 647- Union [V], 538, 5^.
Stein (baron de), 33. Thiers Adolphe, 89, i33, Unità cattolira, 5o'i, 538.
Stendhal, 169, 364, 378, 38o, 38i, Univers^ 239, 382, 389,
Sterbini, 353. 383, 463, 463, 585. 391, 292, 3oo, 334,
Slimmcn an Maria Laach^ Thomas Emile, 372, 374. 368, 370, 38o, 383,
5i6. Thouvenel, 473, 474.470. 383, 385, 387, 389,
Stolz, 243, f\25. Thrace, 48o. 447, 454, 455, 463,
Strasbourg, 596. Thureau-Dangin Paul 466, 490, 5i5, 5i^,
Strauss, 208. 559. 537, 536, 538, 539,
Stremayr, 609. Tiberi, io4. 545, 559, 56o, 567,
Strossmayer (Mgr), 54 1, Tickell, 432. 587.
546, 547, 549-550, Tien Tsin. 648, 6^9. Univers et le Monde (T),
552, 554, 556, 5-58, Timrs, ^33, 435. 563.
565. 5G7. Tisserand, 326. Université grégorienne,
Stuart John, 525. Tivoli, 189. 191.
Suc Eugène, 295. Tokio, 65o, 653, Unterwald , 207, 210,
Suisse, 34-35, i54, 2o4- Tondini, 549- 436.
210, 426-431, 479, Tonga, 656. Urbino, 446.
6o3 608. Toukin, 1 13, i56, Urakami, 65i, 653, 653,
Su-tchuen, 649. Torlonia, T90. 654.
Swetchine (M™*), 278. Toronto, 329. Uri, 307, 436.
Sybel (Henri de), 4 '4. Toscane, 160, 170, 3ii, Urc[uhart, 534.
Sydney, 655. 39 ^i. Utrccht, lO", 437.
SyUah'.is, 19^, 34 1, /191, Toulon, 3'i4.
493. 496, 5oo, 501, Toulouse, 37, 26 1, 63o.
5i6, 520, 524, 541. Tournai. 108.
678 INDEX DES NOMS PROPRES

Vézela}, 63o.
Viale-Prelà , nonce à
W
Vienne, 4 17.
Vacquerie, 09^. Viannejr (le Bienheureux Walcwski, 446,
\'aillant, maréchal, 36i. J.-B.), 391-393. Wallis (îlesi, 33i, 655,
Valais (le), 210, ^26. Viard (Mgr), 657. 656.
"Valcntini (villa), 862. Vicari (Hermann de), Ward William-George»,
Valerga (Mgr), 622, 687, 423, 424. 229, 280.
638, 643. Victor -Emmanuel II ,
Weeldy Register, 538.
Valroger (R. P. de), 891. 395-398, 499, 4o3, Wellington, 97, 657.
\argas, io5. 4o4, 4o6, 447, 449. Welte, 243.
Varin de Solmon .Joseph), 457, 459, 463, 468, Westminster, 482, 433,
/.6, 47. 477, 5o3, 5o4, 5i4, 435, 466.
Varlet, 46. 573, 574, 5^5, 58i, Westphalie, i5i, 288,
Varsovie, m, i43, 48i> 583, 585, 587, 588, 289, 241, 417.
482. 611. Wettzer, 248.
Vatican, 191, 675, 58o, Victoria, reine d'Angle- Wicart (Mgr), 56 1, 590.
585. terre, i44. Wilberforce, 100.
Valimesnil, 291, 292, Vie de Jésus, 484, 487- Wimpffen, 611.
367, 38i. Windthorst, 597-598,
VauJ (canton de), 210, Vie de saint Julien, 275. 599, 601, 602,
428. Vienne (Autriche), 90, Wirchow, 519, 598.
Vaughan (Mgr), 617. 173, 409, 584, 609. Wiseman, cardinal, 67,
Vecchiotti (Mgr), 553, Vienne (traités de), 20- 92, 190, 194, 308,
56i, 568, 569. 22. 63. 63, 73, 89, 228, 229, 43i, 432,
Veit, 244. 161, 163, 211, 337, 483, 435; 465.
Velletri, 36o, 446. 344, 396, 4i3, 477. Wissembourg, 590.
Vénétie, 161, 453, 458, Vieusse, 261. Withfield (Mgr), 157.
5o5, 5o6. Vigny (Alfred de), .29, 53, Worms, 528.
Venezuela, 659 124, 126. VS'^rintz, 46.
Venise, 166, 167, 217, Villafranca, 458, 459. Wurtemberg, i49, 434,
457. Villefranche d'Aveyron, 426
Ventura (Si. P.), 385, 43. V/urzbourg, 280.
4o6. Villèle, 71, 128.
Vérone, io3, 11 5, 217, Villemain, 287, 288, 291,
347, 457. a93, 387, 462.
Vérot iMgr), 558. Vilna, 483.
Ver rongeur (ie), 386- Vincennes (Etats-Unis),
387. 328.
Vet, 107. Vinet Alexandre, 43o-
Veuillot Elise, 466. 43i. Yedo, 322, 65o.
Veuillot Eugène, 270, Visconti-Venosta, 5oa,
390, 462, 498, 562. 574, 58o, 587.
Veuillot Louis, 270, 289- Viterbe, 63. 446.
Z
290, 391, 393, 3oo, Vitet, 391,
324, 337, 339, 343, Vitrolles (baron de), 205,
368, 370, 371, 377, Vitte (Mgr), 656.
379, 38o, 382, 383, Viviers, 3o6.
385, 387, 389, 390. Vogelsang, 4 18, 626, Zamoyski, 202.
44o, 453, 454, 455, Vogt, 519. Zanzibar, 658.
462, 466, 488, 498- Vogué (marquis Léonce Zara, 611.
499, 5o4, 5i6, 527, de), 123. Zen-Yémon, 652, 654.
53i, 536, 538, 539, Voix de la Vérité, 807. Zi-Ka-Wei, 648.
543, 545, 56o, 56i, Volkszeitung de Cologne, Zumalacarreguy, 199.
563, 567, 587, 589, 538. Zurich, ao4, 206, 439,
593. 458.
TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION

Vue le mouvement du monde au xixe siècle.


générale sur Premier caractère de —
ce siècle mouvement démocratique.
: le —
Vraie portée de ce mouvement. —
Sa répercussion sur le mouvement religieux. —
Deuxième caractère la politi- :

que mondiale. — Son influence sur l'expansion catholique. — Troisième carac-


tère : Tagitation sociale. — Les trois étapes du socialisme. — Part que prend
l'Eglise au mouvement social. — Quatrième caractère : l'esprit critique. —
L'Eglise et la critique. — Œuvre principale de l'Eglise au xixe siècle : la restau-

ration religieuse. — Cette restauration doit être à la fois disciplinaire et dog-


matique. — EJle s'opèr-e en trois moments principaux. — L'histoire de l'Eglise
au xix^ siècle présente comme un tableau raccourci de l'histoire ecclésiastique

tout entière. — Utilité de l'étude de cette histoire pour les catholiques du


xxft siècle pià5
HOTIGE BIBLI06RAPHIQUB SUR LES PRINCIPAUX DOCUMENTS ET OUVRAGES CONSUL-
TES p. 7 à l8

CHAPITRE PREMIER

ÉTAT POLITIQUE, SOCIAL ET RELIGIEUX DU MONDE CHRÉTIfeN A LA MORT DE PIE Tll

(1828).

Vue générale sur celte première partie P- '9


I. L'organisation politique de l'Europe par les traités de i8i5. — Double principe
de ces traités. — Leur double vice. — Par suite, instabilité politique de l'Europe
en 1823. — Témoignages de Joseph de Maistre et du cardinal Consalvi —
Altitude de la papauté dans ces conjonctures, — Elle évite de se solidariser

avec l'esprit du Congrès de Vienne. — Mais elle se méfie du mouvement


libéral p. ao à aa
II. La crise sociale, de i8i5 à i8a3. — Ses causes économiques. — Naissance de
la grande industrie. — Extension du marché commercial. — Le capitalisme —
Les divers Etats cherchent à remédier au malaise sociaJ par des réglementation!
législatives. — Causes morales de la crise sociale. — L'individualisme révolution-
68o TABLE DES MATIERES

naire. — Les spnliaîions collectives opérées par l'Etat. — La partialité, au


moins apparente, tle la législation à l'égard des patrons. ... p. aS à 26
IIL La « question sociale ». — L'école économiste ou libérale. J.-B. Say. —
L'école socialiste, — Owen (1771-1858). — Saint Simon (1760-1825). —
Ch. Fourier (1772-1887). — L'école catholique. — L. de Bonald (1754-18/io).
— Ballanche (177O-1847) p. 25 à 29
IV. La littérature romantique. — La mélancolie romantique. — Le mouvement
philosophique. — Le criticisme kantien. — L'éclectisme de Victor Cousin. —
Le traditionalisme de La Mennais. — Le mouvement théologiqne. — Les
théories religieuses de Schleiermacher et de Hegel. — Leur influence sur la théo-
logie catholique allemande. —
Georges Hermès (1776 i83i) . . p. 39 à 3a
V. Les sociétés secrètes. — Evolution de la franc- maçonnerie. — Le Tugcndbund
allemand. — Son action politique et religieuse. — Sou influence pénètre en
France. — Le carbonarisme italien. — Son organisation et ses doctrines. —
Ses liens avec la franc-maçonnerie. — Gonsalvi essaye en vain de conjurer le
péril en s'adressant aux souverains de l'Europe. — La « Charbonnerie » fran-
çaise. — Son organisation et ses doctrines — Ses liens avec la franc-maçonne-
rie. — Diffusion des idées voltairiennes sous la Restauration . . p. 82 à 87
VL Les forces de l'Eglise. — Vue générale. — Les « Missions de France ». —
J.-B. Rau7an (1757 18A7). ~ L'abbé Legris Duval (1765-1819). — Charles de
Forbin-Janson (1785-18^4). — Fondation des Missionnaires de France (i8i5).
— Les Missions de France. — Défense des missions par l'abbé F. de La Men-
nais p. 38 à /ia

VU, Nouvelles congrégations religieuses. — Guillaume Chaminade (1761-1850),


fondateur des Marianistes. — Marcellin Ghampagnat, fondateur des Petits Frères
de Marie. — -^ Jean Claude Colin (1790-1836), fondateur des Pères Maristes. —
Charles de Mazenod (1782-1861), fondateur des Oblats de Marie. — La Com-
pagnie de Jésus. — Plusieurs jésuites sont chargés de l'enseignement dans les
petits séminaires. - Le gouvernement les tolère. — La Société du Sacré-Cœur.
,
— L'abbé Joseph Varin (1769-1850). — Les Pères de la foi — Témoignage de
Lamartine. —
Les Dames du Sacré-Cœur p. ^2 à ^7
Vin. La Congrégation, r— Le P. Bourdier-Dclpuits (1736-1811). Le P. Ron- —
sin. Les—œuvres de la Congrégation. — La Congrégation est violemment atta-
quée par la presse libérale p, ^7 à ^9
IX Les œuvres d'enseignement catholique.' — Les écoles primaires — Les Frères
des écoles chrétiennes. — L'enseignement secondaire. —
Louis XVIII maintient
le monopole universitaire. — Protestations de Benjamin Constant et de l'abbé
La Mennais — Influence désastreuse de l'éducation universitaire à cette époque,
— Timides palliatifs apportés par le gouvernement de la Restauration. —
Mgr FVayssinous est nommé Grand Maître de PUniversité. — Persistance de
l'esprit irréligieux dans le corps universitaire. — Campagne ouverte contre
le monopole. — Réaction parmi la jeunesse contre les idées voltai-

riennes p. 5o à 53
X. Le mouvement religieux ei> Italie. — Réveil du patriotisme italien. — Le
Risorgimento. — Au point de vue religieux, les patriotes italiens se divisent. —
!.e parti révolutionnaire de la « Jeune Italie. » — Le parti catholique des « néo-
gaelfes ». — Manzoni (1785-1878). — Silvio Pellico (1789-185/1). p. 54 à 55
TAKLE DES MATIKBES 68l

XI. Le mouvement religieux en Allemagne. — Gœrres, Schlegrl, Halleret Mûller.


— Sailer (i75i-i832). — Régénération de l'épiscopat .... p. 56 à 67
XII. Le mouvement religieux en Angleterre. — La situation religieuse après Wa-
terloo. — Double tendance. — Décadence de 1'
« Eglise établie ». — Le mou-
vement eranrjelical.' The Christian Year de Keble. — John-IIenry Newman
(1801-1890). — Etat du catholicisme en Angleterre p. 58 à 60

CHAPITRE II

LÉo:» XII

(1823-1829).

Situation troublée du monde politique et religieux en 1828. — Le congrès de


Vienne porte-t-il quelque responsabilité de cette situation? .... p. 62
I. Le parti des Zelanti au conclave de 1828. — Son objectif. Son candidat, le

cardinal Severoli. — Le « parti des couronnes — Son». candidat, le cardinal


Gasliglioni. — Le cardinal Gonsalvi. Son influence. — Il se rallie au « parti 'les

couronnes ». — Ses adversaires se rangent du côté des Zelanti. — L'Autri( he


prononce Vexclusive contre Severoli — EfTet de cette démarche, - Election -u
cardinal délia Genga (28 septembre 1828). — Notice biographique sur le non cl

élu. — Il choisKt le nom de Léon XIÎ. — Son portrait. ... p. 63 à OS


II Premières difficultés. — Situation particulièrement délicate à l'égard du cardi-
nal Gonsalvi. — Noble et chrétienne attitude du pape et du cardinal au jour même
de Tintronisation — Importante entrevue de Léon XII et de Gonsalvi. — L':,:i-

cien secrétaire d'Etat de Pie A II communique au pape ses vues sur le gouverne-
ment de l'Eglise — Léon XII fait de ces vues son programme. — Mort de Gon-
salvi (182^^ — Modification des partis. Le parti des Zelanti se recrute surtout

désormais parmi les amis des idées intronsigeantes — Il cherche à dominer


Léon XII. — Attitude circonspecte du pape. 11 se dégage de la sujétion de la
« Congrégation d Etat i>, qu'on voudrait lui imposer. — Il est seconde, dans cette
politique, par son secrétaire d'Etat, le cardinal Délia Somaglia. — Autres tenta,
lives de domination ou d'entraves. — Trompé par q elques esprits exagérés,
Léon XII écrit à Louis X\ III une lettre — Irritation du
d'une excessive sévérité.
roi de France. — Danger de la situation. —
Léon XII affirme son indépendance
en faisant une promotion de cardinaux indépendamment de toute proposition des
couronnes. p. 66 à 72
ÏII. Par une. encyclique du 3 mai 182/4, le pape prémunit le monde chrétien contr.-
le grand péril de l'indifférence religieuse. — Apaisement du conflit. — Opportu-
nité de cette encyclique. — L'indifl'érence religieuse, fruit des doctrines philoso-

phiques de l'Ancien Régime et de la Révolution. — L'indifférence religieuse


parmi les chefs de la réaction conservatrice. — Bulle du 27 mai 1824, conv. -

quant le monde chrétien à un jubilé. — Opposition des divers Etats. — Le pf j'O


passe outre. — Résumé de la bulle. — Gélébration solennelle Irès du j-i'

bilfl. ... p. 72 à 70
682 TABLE DES MATIERES

I\'. L'Eglise catholique en France. — Léon XII se rapproche de la France. —


Trois questions particulièrement irritantes troublent l'Eglise de France. — La
question du gallicanisme. — Persistance du gallicanisme parlementaire. — Per-
sistance du gallicanisme ecclésiastique. — Le gallicanisme modéré de Frayssi-
nous. — Ses principaux adhérents. — Ses principaux adversaires : Joseph
de Maislre et l'abbé de La Mcnnais. — Une lettre du cardinal de Clermont-
Tonnerre est déférée au Conseil d'Etat comme ayant attaqué les libertés de
l'Eglise gallicane 7^ ^1^
P*
V. La question du libéralisme catholique. — L'abbé Félicité de La Mennais. Son
influence sur la jeunesse. — Fondation du Mémorial catholique. — La première
manifestation doctrinale du libéralisme catholique. — Origines du libéralisme
catholique : — 1° le contact avec le parti libéral de la Restauration, — 2» le
tempérament même du nouveau chef de groupe, l'abbé de La Mennais. — Exa-
gérations et violences de langage de l'abbé de La Mennais. — L'Ami de la reli-

gion combat ces tendances nouvelle» p. 79 à 8i


VI. La question des jésuites. — Le comte de Montlosier. — Le Mémoire à consulter
(février i8a6). — Attaques violentes contre Compagnie de Jésus. — Montlo»
la

sier cherche à montrer les jésuites comme des ennemis des rois et de la société.

— Les libéraux applaudissent aux attaques de Montlosier. — Les jésuites sont


dénoncés à la cour royale de Paris et à la Chambre des pairs. — Le roi

Charles X. — Son caractère. — Sa politique. — La loi sur le sacrilège. —


Agitations antireligieuses. — Les ordonnances du 16 juin i8a8, réglementant
les séminaires et interdisant l'enseignement aux congrégations non autorisées. —
Protestation de l'épiscopat. — Intervention du souverain pontife. — Portée de
ces ordonnances p. 82 à 87
VII. L'Eglise catholique en Allemagne. — Les jésuites en Autriche. — La poli-

tique religieuse de Metternich. — Sa politique générale. — Résultats de cette


politique. — Elle provoque, en Italie et en Allemagne, une réaction libérale. —
Le traité de l'Unité de V Eglise, de Mœhler (iSaô). — Le libéralisme théologique
de Gunther. — Son Introduction à la théologie spéculative (i8a8). -- Ses doc-
trines, . . p. 88 à 90
VJII. L'Ecole de Munich. — Le roi Louis le de Bavière. — Il favorise les

arts et les lettres chrétiennes. — Goerres, Dœllinger, Brentano et Schelling

à Munich. — La Mystique de Goerres. — Les premiers travaux de Dœllinger.


— Clément Brentano et les révélations de Catherine Emmerich. François —
Baader. — Schelling. — Influence de l'Ecole de Munich sur les catholiques de
France et d'Angleterre p. 90 à 98
IX L'Eglise catholique en Angleterre. — La situation du catholicisme en Irlande,
— Condition lamentable du clergé. — Premières rébellions des Irlandais. - Le
Bill d'Union. — Les catholiques organisent une opposition légale et pacifique. —
Daniel O'Connell (i 775-1847). — Son caractère. — Sa foi cathohque, — Son
éloquence. — H réorganise V Association catholique. — Le programme de ses

revendications : l'émancipation des catholiques et le rappel de l'union. — Atti-

tude des hommes d'Etat de l'Angleterre. — L'élection de Clare (i8a8). Le roi

Georges IV hésite. Le bill d'émancipation (i3 avril 1829). — Portée du bill

d'émancipation et de la campagne d'O'Gonnell. — Tous les partis l'accueillent

avec enthousiasme p. 9'i ^ 9^


TABLE DES MATIKRES 683

X. Le mouvement d'Oxford. — Pourquoi ses chefs ne partagent pas la sympathie

presque universelle soulevée par la campagne d'O'Connell. — Leurs préjugés à

l'égard du catholicisme. — Chez Newman, ces préjugés tombent peu à peu. —


Edward Pusc) . — Newman tutor d'Oriel et curé de Sainte-Marie d'Oxford. —
Son inûuencc p. 98 à loo
XI. Attitude discrète de Léon XII au milieu des événements qui se déroulent en
Angleterre. —
L'Eglise catholique en Espagne. Les catholiques espagnols —
en i8i/i. —
Le roi Ferdinand VII. Il fait un imprudent —
usage de son pouvoir
absolu. -- Sa politique religieuse s'inspire des traditions gallicanes et joséphistes.
— Insurrection de 1820. — L'expédition française en Espagne {iS'J'j]. —
Attitude du pape Léon XII. — Il accorde des distinctions honorifiques au duc
d'Angoulême. — 11 entre en relations avec les Républiques américaines qui
viennent de se séparer de l'Espagne. — Protestations de la cour de Madrid. —
Energiques déclarations de Léon XII. — Rétablissement de la bonne harmonie
entre le Saint-Siège et l'Espagne p. lOi à io5

XII. L'Eglise catholique en Italie. — Les sociétés secrètes en Italie. — Insurrection


de 1820. —
La Constitution espagnole de 181 2 est acclamée en Italie. —
Intervention des puissances alliées. — Recrudescence de l'agitation révolution-
naire. —
Les sociétés secrètes à Rome. Le roi de Naples soulève, une fois —
de plus, la « question de la haquenée ». — La France et l'Autriche appuient les

réclamations du roi de Naples. — Ferme et habile réponse de Léon XII. —


L'Eglise catholique aux Pays-Bas. — Election d'un évéque schismalique à

Deventer (i825). — Persécution des catholiques par le roi Guillaume I'"". —


Le « collège philosophique ». — Vive irritation du peuple belge. — Ligne de
conduite donnée aux Belges par le pape. — Apaisement momentané du conflit.

Concordat de 1827. — Le concordat de 1827 n'est pas observé par le gouverne-


mer l des Pays-Bas p. io5 à 109
XIII. L'Eglise catholique en Russie. — Politique religieuse du tsar Alexandre le.
— Influence du métropolitain de Mobile^', Stanislas Siestrzencewicz. ~
funeste
Le « collège ecclésiastique romain ». —
Le ts»r Nicolas l" accentue la politique
persécutrice d'Alexandre I^r. Oukase de février 1826. — Oukase du 22 avril —
1828. - Le « collège ecclésiastique grec uni ». Oppression systématique des —
catholiques. — L'oppression de la nation polonaise est particulièrement visée. —
Deux partis en Pologne : les blancs et les rouges. — Les intérêts catholiques en
Grèce. — Prétendue mission diplomatique à Rome du capitaine grec Chiefala.
— Prudente politique de Léon XII. — Les missions catholiques en Grèce. —
L'Eglise catholique en Orient. - Etat des missions étrangères. — Prospérité de
l'œuvre de la Propagation de la foi. p. 109 à ii4
XIV. L'Eglise catholique dans son centre. — Léon XH travaille à assurer la
tranquillité matérielle de l'Etat pontifical. — Réformes administratives, finan-
cières, disciplinaires. — Léon XII et les juifs. — Léon XII et les société»
secrètes. — Il n est pas assez secondé, dans cette œuvre, par les cours de l'Eu-
rope. — Maladie et mort de Léon XII (1828). — Importance et caractère du
pontificat de Léon XII p. n', à 116
68/j TABLE DES MATIERES

CHAPITRE ni

PIE VIll

(3i mars 1829-80 novembre i83o).

I. Le conclave de février-mars 1829. — Attitude des grandes puissances. -


Discours du comte de Lûlzow, ambassadeur d'Autriche. — Discours du comta
de Labrador, ambassadeur d'Espagne. — Discours du vicomte de Chateaubriand,
ambassadeur de France. — La tendance conservatrice et la tendance libérale. —
Discours du cardinal Castiglioni. — Il affirme l'indépendance du Sacré- Collège.
— Diverses candidatures. — Election du cardinal Castiglioni, qui prend le nom
de Pic Vlll mars 1829).
(3i —
Portrait du nouveau pape. — Situation de
l'Eglise et du moncTe à son avènement. La crise politique, — sociale, littéraire,

artistique et religieuse de i83o. — Politique de Pie VIII. . p. 118 à I2I


II. Le nouveau pape choisit, comme secrétaire d'Etat, le cardinal Joseph
Albaui. — Courte notice sur le cardinal Albani. ~ La première encyclique
de Pie VIII. - 11 signale au monde chrétien les principaux périls de l'heure
présente p. 121 à 122
III. Situation religieuse de la France en mars 1829. — Le peuple. — Les classes
cultivées. — L' Association pour la défense de la religion catholique. — Fondation
du premier Correspondant (3o mars 1829). Autres publications catholiques. —
— La Congrégation. Œuvres diverses. — Le -roupement :atholique du —
collège Henri-IV. —
Le mouvement romantique, — Relations entre le groupe
catholique et le groupe romantique. —
Le Dogme générateur de la piété catho'
lique (1829). — Le mouvement intellectuel parmi les catholiques, — Rôle de
l'abbé de La Mennais . . . . . p. 122 à 126
IV. Triple péril du mouvement catholique en 1829. — Premier péril : le roman-
tisme — Deuxième péril le : caractère violent et absolu de l'abbé de La Mennais.
— Mgr de Quélen, dans une lettre pastorale, prémunit les fidèles contre s;^s

tendances dangereuses. — La Première et la Deuxième lettre à Mgr VarchevêqUe


de Paris, par La Mennais. — Recours à Rome. — Pie VIII juge à propos le

s'abstenir de toute intervention dans la controverse. Violente colère de


'
La Mennais. — Troisième péril : attitude maladroite du pouvoir. — Le prince
de Polignac ; son caractère. — Son impopularité. — Imprudentes déclarations

d'un journal d'extrême droite. — Concentration de toutes les forces révolu-


tionnaires contre la monarchie et contre l'Eglise p, 125 à 129
V. L'expédition d'Alger. — Causes lointaines de la guerre. — Cause prochaine :

relever le prestige de la monarchie française. Brillant succès de l'expédition.


— Joie des catholiques. — Persistance de l'opposition révolutionnaire. —
Charles X et Polignac se décident à faire un coup d'Etat. — Les Ordonnances
de Juillet i83o. — L'émeute parisienne. Les «journées de — Le duc Juillet ».

d'Orléans est proclamé des Français»


« roi août i83o). — Au point de vue (5

politique, la Révolution de Juillet s'arrête à un compromis. — Au point de vuo


religieux, elle déchaîne toutes les haines anticatholiques. . . p. i3o à i3a
TABLE DES MATIERES 685

VI. Rôle des sociétés secrètes dans la Révolution de Juillet. — Attitude méfiante
d nouveau gouvcTnement à l'égard de l'Eglise catholique. — Attitude ferme
et digne de l'épiscopat. — Le mouvement irréligieux parmi la jeunesse de la

capitale. — Protestations dans le clergé parisien. — Le mouvement irréligieux


en province. — Protestations du clergé et des fidèles. — Pie VIII reconnaît
olTlciellement le gouvernement nouveau. — La Révolution de i83o est l'occasion

de quelques résultats heureux pour la cause catholique. — Mais pointelle est le

de départ dune vive controverse entre les catholiques. — Premiers débats swr
la question du catholicisme libéral. — Le Correspondant et l'Ami de la relifjion.
— Sens et portée de ces premiers débats p. 1 33 à 1 38
VII. Relation de la révolution fran(,aise de Juillet avec les autres révolutions
européennes de i83o. — Vue générale sur ces révolutions. La révolution de -

Belgique. — Guillaume des Pays-Bas. — Mesures vexatoires contre


I^r roi le

clergé. — Résistance de l'évêque de Namur. — INouvelles vexations. — Alliance


des catholiques belges avec le parti libéral. — Leur manifeste. — L'insurrection
à Bruxelles (aS août i83o). — Extension du mouvement insurrectionnel à
toutes les provinces belges. — Proclamation de l'indépendance de la Belgique.
— Inquiétudes du pape Pie VIII. — Ses sages conseils. , . p. i38 à i4i
VIII. L'insurrection polonaise, — Ses causes anciennes. — Son explosion
en novembre i83o. — Libéraux et catholiques acclament le mouve-
ment p. i/ji à 1/^3

IX. L'agitation irlandaise. — O'Connell, non content de poursuivre la lutte pour


la liberté du catholicisme, réclame l'indépendance politique de l'Irlande. —
Tactique de l'agitateur. — Il use de toutes les voies légales. — Il fonde de
multiples sociétés. — Il menace l'Angleterre dans son commerce et dans son
aristocratie financière. — Le gouvernement anglais se montre moins rigoureux
dans ra[)plication des lois concernant l'Irlande. — La situation du catholicisme
en Ecosse. — Appel à la générosité des catholiques français. — Personnages émi-
nents parmi le clergé d'Irlande et d'Ecosse. — Influence indirecte de la Révo-
lution de Juillet sur la situation religieuse de l'Angleterre. — Progrès de l'idée
catholique dans la doctrine de Newmau p. i43 à i47
X. L'Eglise cathoUque en Allemagne. — Etat politique de l'Allemagne en i83o.
— Son état religieux. — Tendances diverses parmi les catholiques. — Contre-
coup des événements de Juillet en Allemagne. — La question des trente-neuf
articles de Francfort. — Faiblesse de l'épiscopat allemand. — Protestation de
Pie VIlï. — La question des mariages mixtes. — Exposé historique de la

question. — Résistance partielle du clergé aux entreprises gouvernementales. —


— L'épiscopat complice des prétentions joséphistes du pouvoir. — Bref
se fait

Litterisde Pie VIII, donnant une solution à controverse (27 mars i83o\ — la

Rôle des sociétés secrètes dans les agitations politiques et religieuses de l'Alle-
magne p. i/j8 à i5a
XI. Les mouvements révolutionnaires en Italie. — Ils sont presque tous provoqués
par les sociétés secrètes. Les carbonari à Rome. — Rôle de la famille Bona-
parte et du duc de Modène dans les événements de cette époque en Italie. —
L'action de Mazzini dans l'Italie méridionale. — Les révolutions cantonales de
la Suisse. — L'ullranchissemcnt des catholitjues arméniens. — Intervention de
Pie VIII [»ar sa bulle Quod jamdiu (G juillet i83o) p loa à i55
686 TABLE DES MATIEHES

XII. L'Eglise catholique -hors d'Europe. — Les missions Le Tonkin.


d'Asie. —
La Cochinchine. — La Chine. — L'Inde. — Des missions d'Océanie. Les
îles Sandwich. — Les missions d'Amérique. — Le Brésil. —
Les Etats-Unis.
La Native Americanism. — Les trustées. — Le concile de Baltimore (octobre
1829). L'œuvre de la Propagation de la foi. — Accroissement du nombre des
missionnaires. — Mort de Pie VIII (3o novembre i83o). . . p. i55 à i58

CHAPITRE IV

GRÉGOIRE XVI ET LES ÉTATS PONTIFICAUX


(i83i-i832).

Caractère général du pontificat de Grégoire XVI : la lutte contre le libéralisme,


Difficultés spéciales de cette lutte i5q
p.
I. Le mouvement libéral en Italie et dans les Etats du Saint-Siège. ~ Les sectes
révolutionnaires entrpprennent de le diriger. ~ Mazzini. Son plan. — Il exploite
le sentiment national et la haine contre l'Autriche. — Il vise la destruction du
pouvoir temporel du Saint-Siège. — Attitude du prince de Metternich, premier
ministre d'Autriche, à l'égard des sectes. — Il cherche surtout à préFerver « la
tranquillité des pouvoirs établis » p. 160 à i()3
II. L'œuvre du libéralisme révolutionnaire dans l'Etat pontifical. — La conspira-
lion de Modène (décembre i83o-janvier i83i). — Ciro Menotti. — Ses affiliés.

— L'insiH-rection à Bologne (janvier-février i83i). — Elle s'étend dans les


Marches et dans les Légations. —
EUe tente de gagner le patrimoine de
saint Pierre. — Elle est momentanément étouffée à Rome. — Tenue du con-
clave (14 décembre i83o-a février r63i). — Election de Grégoire XVI (a fé-
vrier r83i) p. i6a à i65
III. du nouveau pape.
Portrait — Ses origines. — Sa vie religieuse. — Ses diverses
missions. - Ses ouvrages. — La situation politique de l'Europe en face des
sectes révolutionnaires en i83i. . p. i65 à 1G8
IV. Le mouvement révolutionnaire pénètre dans Rome. — Le cardinal Bcrnelti
est nommé pro-secrélaire d'Etat. — Notice biographique sur cardinal Ber- le

netti. — Politique générale de Bernetti. — Grégoire XVI, pour démentir les

calomnies de ses ennemis, promet et réalise des réformes favorables au bien de


ses sujets. — En même temps, il se montre prêt à résister énergiquement aux
complots révolutionnaires. — Organisation d'une garde civique dans les Etats
romains. — Le prince de Metternich manifeste l'intention d'intervenir dans les
affaires de Rome. — Recrudescence du mouvement insurrectionnel. — Le car-
dinal Bernetti en informe officiellement les puissances catholiques. — Incapable
de résister par ses seules forces, Grégoire XVI demande le secours de l'Autriche.
— L'intervention des troupes impériales ramène la paix dans les Etat» pontifi-
caua («février-avril i83i). — Mesures combinées de répression et de clémence,
prises par Grégoire XVI p. 168 à 172
V. Etrange politique de l'Autriche et de la Franc* à l'égard du Saiuf-Sicge. —
TABLE DES MATIERES 687

Elles prétendent intervenir dans le gouvernenoent intérieur de l'Etat pontifical,


pour y introduire des réformes libérales. - Intervention de l'Angleterre, de la

Prusse et de la — Conférence de Rome. — Le Mémorandum du 21 mars


Russie.
i83i. — Ses principales — Vraies du gouvernement fran-
dispositions. visées
çais et du gouvernement autrichien. — Premiers germes de désaccord entre les

deux puissances. — Pourquoi le pape s'abstient de toute protestation publique


contre le Mémorandum p. 178 à 175
VI. Le conflit soulevé entre la France et l'Autriche s'accentue. — La France de-
mande l'évacuation de l'Italie par les troupes autricliiennes. — Insi.stance du
gouvernement français, qui fait entrevoir l'occupation d'Ancône par ses troupes.

— Gravité du conflit. — Le pape, pour conjurer le péril, accorde une amnistie


aux insurgés (12 juillet i83i). — Trois jours après, il obtient l'évacuation de
SCS Etats par les troupes autrichiennes. — Persistance de la crise. — Bologne,
Forli et Ravenne se donnent une constitution autonome. — Le car-linal Albani
est nommé commissaire extraordinaire pour les Légations. — De propre ini- sa

tiative, ri fait appel aux Autrichiens. — Grâce à eux, l'autorité pontificale est

rétablie dans toutes les provinces (fin janvier iSSa). — Irritation du gouverne-
mefll français. — Le cabinet de Paris se décide à intervenir en Italie. — Expé-
dition d'Ancône (février 1882). — Le commandant de l'expédition viole le droit
public international par la brutalité de ses procédés, — Emotion des chancelleries
euroj)éennes. — Protestation du pape. — Le gouvernement français donne des
explications et fait des excuses. — Le pape reconnaît l'occupation d'Ancône
comme un « fait temporaire ». — Le cardinal Bernelli, au fond, n'est point
fâché d'une intervention qui a contrebalancé en Italie 1 influence de l'Au-
triche p. 175 à 181
VII. Grégoire XVI, administrateur des Etats p»Btificaux. — Jugement sévère porté
sur Grégoire XVI administrateur par le prince de Melternich. — Injustice de
ce jugement. — Réformes administratives de Grégoire XVI. — Admini&tratiou
des provinces. — Le prolégal (préfet). - La eongiégalion governative. — Le
district. — Le gouverneur (sous-préfet). — Le conseil provincial. — Ses attribu-
tions. — L'administration des communes. — Le conseil municipal. — Le gon-
falonier (maire). — Réformes — Abolition
judiciaires. des tribunaux d'excep-
tion, — L'Uditore Sanllssimo. — Degrés de juridiction. — Le tribunal du
gouverneur (justice de paix) — Les tribunaux de chefs-lieux des délégations. —
Les tribunaux d'appel. — L'organisation judiciaire à Rome. — Le tribunal du
Capitolo. — Le tribunal de VAuditor camerac. — Le tribunal de la Rote. — Le
tribunal de la Signature. — Réforme de la procédure civile. — Réforme de la

procédure criminelle p. 181 à 187


VIII. Réformes financières. — Institution d'une commission permanente de con-
trôle des finances publiques (Congrégation de revision). - Embarras financiers
provoqués par les troubles de i83i et i83a. Mesures prises par Grégoire X\ I

pour y remédier. — Réformes militaires. — Institution d'un corps de volontaires


pontificaux. — Organisation de la garde suisse. — Reformes économiques et

sociales. — Détournement du cours de l'Anio, — Réorganisation des douanes.


— Œuvres d'éducation et d'assistance. — Grégoire XVI faYoriso le mouvement
intellectuel , p. 187 à 190
688 TABLE DES MATlEIlES

CHAPITRE V

l'Église e>( Portugal, en espagke, en Russie, ii.> suisse et en itaxib

(i83i-i846.)

Politique extérieure du Saint-Siège. — ^ Premier problème: quelle sera ratlitude


du Saint-Siège vis-à-vis des gouvernements issus des révolutions récentes ? —
Deuxième problème : quelle sera l'altitude du Saint-Siège à l'égard des hommes
qui, tout en défendant avec ardeur son autorité suprême, favorisent les mouve-
ments populaires contre les anciennes monarchies? . p. IQ2
I. La première question seule fera l'objet du présent chapitre. — Grégoire XVI
juge à propos de la résoudre en posant un principe général. — Bulle Sollicitudo
Ecclesiarum (7 août i83i). — Elle décide que le pape entrera en pourparlers
avec les gouvernants de fait, sans préjuger la question de légitimité. — Sagesse
d'une pareille décision. — AfTaires de Portugal, — Conflit dynastique entre
dom Pedro et dom Miguel. — Le conflit dynastique se complique d'un conflit
constitutionnel. — Il menace de devenir un conflit international. — Intervention
des sociétés secrètes en faveur de dom Pedro et des idées libérales. — Le clergé
portugais, dans son ensemble, se prononce pour dom Miguel et pour le pouvoir
absolu. — Grégoire XVI entre en relations diplomatiques avec dom Miguel. —
Abdication de dom Miguel. — Dom Pedro se venge de l'appui donné par le

clergé à son compétiteur, en persécutant l'Eglise catholique. — II ferme un


grand nombre de couvents et supprime la nonciature. — Grégoire XVI dénonce
la persécution du gouvernement portugais. — Une détente se produit sous le

règne de Marie II, fille de dom Pedro. — Grégoire négocie avec elle un concor-
dat. — Il lui envoie la « rose d'or )> (12 mars 1842]. ... p. 198 à 197
II. Vffaires d'Espagne. - Conflit dynastique entre Marie -Christine et don Carlos.
— Les absolutistes soutiennent don Carlos ; les libéraux, Marie-Christine. —
Les grandes puissances se divisent à l'occasion de ce conflit. — Gouvernement
de Marie- Christine. ~ Persécution religieuse. — Protestations du pape. — Il

évite cependant de se prononcer pour la légitimité de don Carlos. — Guerre


civile. — Premiers succès des carlistes. — Leurs revers. — Régence d'Espartero.
Protestations de Grégoire XVI contre les mesures attentatoires aux droits de

l'Eglise. — Gouvernement personnel d'Isabelle II (i844). — Négociations avec


!c Saint-Siège en vue d'un concordat. ,' p. 197 à aoo
III. Affaires de Pologne. — Conflit entre Russie la et la Pologne. — Caractère de
i insurrection polonaise. — Grégoire XVI recohaiinande aux Polonais la soumis-

sion (9 juin 1832). — EtTet regrettable de cette intervention. — Le gouverne-


ment russe en abuse, en dénaturant la siguiiication. — Redoublement de la

persécution contre les Polonais. — Intervention du pape en leur faveur. —


Ucponse hautaine de la chancellerie russe. — Grégoire XVI, mieux instruit des

faits, se prononce hautement pour la cause des Polonais. — Son allocution du


33 juillet i8/|2. — Entrevue à Rome du pape et du tsar (i3 décembre i845j. —
TABLE DES MATIERES 689

Caractère de cette entrevue. — Détails de cette entrevue. — Ses coasé-

quences p. 200 à 2o4


IV. Affaires de Suisse. — Conflit politique entre les « fédéraux r> et les radicaux. —
Sur ce conflit politique, se grefle un conflit social et religieux. — Intervention
des sociétés secrètes en faveur du parti radical. — Mazzini en Suisse. — Le»
catholiques soutiennent le parti fédéraliste. — Organisation de l'Eglise catholi-
que en Suisse. — Principaux ijicidents de la lutte entre les deux partis. —
l'remier incident : projet de revision du pacte fédéral (iSSa). — Pellegrino

Rossi (1787-18/48). — Il propose un projet de revision favorahle aux radicaux.


— Opposition des cantons catholiques. — Ligue de Sarnen. — Echec du
projet p. ao4 à 307
\. Deuxième incident : conférence de Baden (i834). — Les quatorze articles de
Badcn. — Ils constituent une sorte de Constitution civile du clergé. — Con-
damnation des quatorze par Grégoire XVI (17 mai i835). — Persécution
articles

des catholiques. — Energiques protestations du pape. — Joseph Leu, chef de la

jésistance des catholiques. — Intervention des puissances. — La de Lucernc ville

rappelle jésuites. — Troisième incident: coup de force du parti radical contre


les
'
legouvernement conservateur du canton de Vaud (février i845). Assassinat —
de Joseph Leu (ao juillet i845). Quatrième incident fondation d'une — :

alliance, dite Sonderbund, entre les cantons catholiques de la Suisse (décembre


i845) p. 208 à yio
\1. Afl'aires d'Italie — Le programme de Mazzini. — Sa méthode : agir par l'édu-
cation et par l'insurrection. — L'éducation. La propagande
i^ révolutionnaire
par l'enseignemeut des universités et par les publications historiques. — Dans la

théorie révolutionnaire de Mazzini, l'unité de l'Italie comporte la destruction de


la papauté et la ruine du catholicisme. — 2° L'insurrection. — Essais partiels
d'insurrection. — Formation d'un parti national plus modéré. — Vincenzo Gio-
Lerti en proclame le principe : l'unité de l'Italie et son hégémonie sur le monde
sous le protectorat du pape. — Gesare Balbo indique la condition préalable du
succès : l'expulsion de l'Autriche. — Massimo d'Azeglio propose le moyen effi-

cace : l'insurrection sous la direction du roi du Piémont — Tous les trois, en


Te[)Oussant l'esprit anticatholique, restent suspects de hbéralisme révolution-
naire p. 211 à 214
VII. Rôle des sociétés secrètes dans le mouvement, tant radical que modéré, vers
l'unité de l'Italie. — Mesures de défense prises par Grégoire XVI. — 1° Il confie
à un écrivain la tâche d'écrire l'histoire des sociétés secrètes, — 20 II charge son
secrétaire d'Etat, le cardinal Lambruschini, de prendre des mesures contre l'in-

surrection menaçante. — 3° Il favorise de tout son pouvoir les associations ayant


pour but le maintien de la foi et la pratique de la charité. — Congrégations reli-

gieuses fondées en Italie sous le pontificat de Grégoire X\ I. — Antonio Rosmini


(1797-1855). — Aff'ectueux intérêt que lui porte Grégoire XVI. — Le pape
approuve la fondation par Rosmini de VInstilul de la Charité. — La philosophie
de Rosmini. Ses erreurs. — Les Frères rosminiens de la Charité. — Caractère ori-
ginal de la nouvelle fondation, — Les Saurs rosminiennes de la Providence. —
L'œuvre du Rosmmi en Angleterre p. 214 à 220

Ilisl. géu. de l'Eglise. — VIII i4


690 TABLE DES MATIERES

CHAPITRE VI

GREGOIRE XVI. L LCLI8E EN ANGLETERRE, EN ALLET^UGNE ET EN FRANCE


(i83i-i846).

Vue généraie p. 321


I. L'Eglise en Angleterre. — Les trois principaux griefs des catholiques irlandais.
La question religieuse, la question agraire et la question politique, — Le plan
d'O'Gonnell. — Sa campagne politique au parlement. — Le Coercion bill. —
O'Gonnell orateur parlementaire. — Résultats de sa campagne. — Le « rappel
de l'union ». — La méthode d'O'Gonnell: — Les grands
l'agitation légale.
meetings irlandais. — Emprisonnement libération de V agitateur — Les
et « ».
amertumes de sesdernières années. — Le groupe dissident de « Jeune la

Irlande ». — La famine de i845-i8/i6 en Irlande. — Mort d'O'Gonnell


(i4 mai 1847) p. 231 à 325
II. Altitude hostile du parti conservateur en Angleterre à Tégard de l'agitation
catholique en Irlande. — Newman et ses amis travaillent à réformer 1'
« Eglise
établie ». —
Le début du mouvement tractarien (septembre i833). Objets —
des premiers tracts. — Leur diffusion. —
Newman reste l'âme du mouvement.
— La Via média. — Newman curé de Sainte-Marie à Oxford. Ses sermons.
— Attitude des catholiques anglais. — Nicolas Wiseman. — Ses « Gonférences
• sur les doctwnes de l'Eglise catholique ». — Fondation de la Revue de Dublin
(i836). — Newman commence à se méfier de la Via média. — Son premier
attrait vers l'Eglise de Rome. — Securus judicai orbis terrarum. — Newman dans
la solitude de Littlemore (i843-i84A). — Son Histoire du développement de la

doctrine chrétienne. — Son abjuration '8 octobre r845). — Importantes consé-


quences de la conversion de Newman p. 335 à a3o
III. L'Eglise en Allemagne. — Suite de l'affaire des « mariages mixtes ». Le —
comte de Bunsen. Sa politique religieuse. ~ Intrigues du gouvernement de
Berlin pour gagper l'épiscopat à sa cause. — La convention de Goblentz
(19 juin i834).
— Intervention du cardinal Lambruschinî. — Fléchissement
des évêques de la province de Cologne. — Rétractation de l'évêque de
Trêves p. a3o à 233
IV. Election au siège archiépiscopal de Cologne de Mgr de Droste-Vischering. —
Caractère du nouveau prélat. — Dès i835. l'Allemagne rêve d'exercer une
domination universelle sur le monde. —
Elle s'organise sous l'hégémonie du

roi de Prusse pour exécuter ce rêve. — Les luttes relatives à l'hermésianisme et


aux mariages mixtes sont deux épisodes de la campagne entreprise à cette fin. —
L'université de Bonn est investie d'une sorte de mission officielle. — Le profes-
seur Georges Hermès. — L'hermésianisme, théologie d'Ëfcat. — L'herméfianisme
est condamné par l'Encyclique Dam acerbissimas (a6 septembre i865). —
Droste-Vischering fait exécuter dans le diocèse de Cologne l'encjclique pontifi-

cale. — Il résiste aux sollicitations et aux menaces du gouvernement prus-


sien p. 333 à 337
TABLE DES MATIÈRES 69 1

V. Le gouvernement se décid* à sévir contre l'archevêque de Cologne. — Arresta-


tion et emprisonnement de Mgr de Droste-Vischering. — Protestation solennelle

de Grégoire Wf (10 décembre 1887). — Immense retentissement de la protesta-

tion pontificale. — Elle réveille la conscience catholique du peuple allemand. —


h'Athanasius de Goerres. — Manifestations populaires en faveur de Droste-Vischc-
ring. — Embarras du gouvernement de Berlin. — Arrestation de l'évéque de
Posen, Martin de Dunin. -- Enjotion produite par ce nouvel attentat. — Avène-
ment de Frédéric-Guillaume IV (i84o). — Situation critique du roi^aume de
Prusse. — Le nouveau roi inaugure une politique de pacification reli-

gieuse p. a37 à a4i


VL Renaissance catholique en Allemagne. — L'Eglise catholique de Prusse con-
quiert sa liberté politique. — Réveil de l'opinion catholique. — Réformes daai
l'enseignement catéchistique.— Jean-Baptiste Hirscher. Son Catéchisme. — Le
KirchenlexïUon. — Le Borromeus-Verein. — Renaissance de catholique, — l'art

La renaissance catholique exerce son influence sur les protestants eux-


mêmes p. 2^1 à »/i4

VIL L'Eglise en France. — Politique religieuse de Louis-Philippe. — Les deuc


objectifs de la lutte des catholiques en France : l'esprit voltairien et le socialisme

révolutionnaire. — Manifestations diverses de l'esprit voltairien. — Le chanson-


nier Béranger. — Le théâtre. — La presse. — La littérature populaire. — La
déviation du sentiment religieux. — Le socialisme idéaliste. — Il prend une
forme religieuse. — Bûchez, — En quoi le socialisme idéaliste de i83o a préparé
le socialisme politique de la génération suivante. — En quoi il a préparé les

voies à un sensualisme corrupteur . p. 244 à 248


VIlï. Les catholiques et la presse. — La presse catholique avant i83o, — L'Ami
de la religion et du roi. - Le Mémorial caiiiolique. — Le Correspondant. — Les
idées politiques de La Mennais au lendemain de la Révolution de i83o, — Fonda-
tion du journal V Avenir (octobre i83o), — Le nouveau journal prend vaillamment
la défense de l'Eglise contre les attaques de l'impiété. — Fondation de l'Agence
générale pour la dt'-fense de la liberté religieuse (i83o). — h' Avenir et les classes
populaires, — Les théories économiques et sociales de l'Avenir. — Il combat le

libéralisme économique de l'école de Smith et de Say. ... p. 249 à 253


IX, Les excès de langage et de doctrine de V Avenir. — Il demande la séparation
immédiate et absolue de l'Eglise et de l'Etat, — Il prêche la Ifbération des
peuples. — Il soutient un programme de régénération vague et utopique. — Les
« six libertés essentielles ». —
Le principe libéral. L' « Acte d'Union — >» entre
les libéraux des divers pays d'Europe. — Dangers d'u«e pareille organisation.
— Violence de langage à l'égard des monarchistes. — L'Avenir est aban-
donné par un grand nombre de ses lecteurs. — La suspension du journal (no-
vembre i83i) p. 353 à 257
X, La Mennais, Lacordaire et Montalembert à Rome. — Enquête menée par Gré-
goire XVI. — Sourde irritation de La Mennais. — Tactique expeclante du pape.
— Obstination de La Mennais, — La « censure de Toulouse 258 à 261 ». p,
XI, L'encyclique Mirari vos (i5 août i832). — Soumission des rédacteurs de l'Ave-
nir. — Analyse de l'encyclique, — Elle se fait l'écho de toutes les revendications
légitimes exposées dans VAvenir. — Mais elle condamne « la liberté d'opinion
pleine et euticre )> et <i. l'ardeur sans frein d'une indépendance audacieuse », et
692 TABLE DES MATIERES

la négligence des princes à protéger « la religion et la piété envers Dieu ».


En somme, l'encyclique condamhe « l'Etat laïque et révolutionnaire ». — Quel-
ques esprits outrés dénaturent le sens de l'encyclique. —
La Mennais, aigri,
déclare n'abandonner aucune de ses opinions. — amertume de
Il parle avec
l'autorité ecclésiastique. — Pressé de se soumettre purement et simplement à
l'encyclique, il fait une déclaration de pure forme, sans conviction. Les —
Paroles d'un croyant. — Condamnation des Paroles d'un croyant par l'encyclique
Singulari vos (26 juin iSS/i). — La Mennais se rallie au socialisme révolution-
naire p. 262 à a68
XIL Les disciples de La Mennais après la défection de leur maître. — Lacordaire,
Montalembert, Gucranger et Rohrbacher. — Origine des conférences de Notre-
Dame de Paris (1884). — Merveilleux succès de conférences. — L'apologé-
ces
tique de l'abbé Lacordaire. — Les critiques qu'elles suscitent. Leurs fruits spiri-
tuels p. 269 à 278
Xin. Montalembert à la tribune parlementaire. — Son action. — Son éloquence,
— Sa — Le rétablissement en France de l'Ordre des Frères Prê-
foi catholique.

cheurs. — Portée de cet — Restauration en France de l'ordre de Saint-


acte.
Benoît. — L'abbé Prosper Guéranger (1806-1875;. — Le prieuré de Solesmes.
— Premiers travaux des nouveaux bénédictins. — Approbation des Règles
(1837). — Les trois œuvres de Dom Guéranger. — La restauration de la litur-

gie romaine. — Dom Guéranger dénonce « l'hérésie antiliturgique ». — Il

attaque particulièrement la liturgie parisienne. — La vivacité de sa polémique


est encouragée par La Mennais. — Elle est blâmée par ÏAnù de la Religion. —
Opportunité d'une restauration de la liturgie romaine. — Le premier volume
des Institutions liturgiques (i84o). — Le premier volume de V Année liturgique

(18^1). — Le « cas de conscience » de Mgr Gousset . . . . p. 278 à 279


XIV. Les conférences de Saint-Yincent-de-Paul. — Frédéric Ozanam (i8i8-i853).
— Ses premières œuvres. — Origine des Conférences de Saint-Vincent- de- Paul.
— La première conférence (mai i833). — de l'œuvre. — Objets de Difl'usion

l'œuvre. — Les Frères de Saint-Vincent-de-Paul. — Œuvres diverses de Fré-


déric Ozanam. — Son altitude dans pour du monopole uni-
la lutte l'abolition

versitaire p. 279 à 282


XV. La campagne des catholiques pour la conquête de la liberté d'enseignement,
— Articles de La Mennais dans le Conservateur et dans le Drapeau blanc. —
Articles de Lacordaire dans l'Avenir. — Le procès de l'Ecole libre (i83i). —
Discours de Montalembert. — Discours de Lacordaire. — La loi Guizot sur
l'instruction primaire (a8 juin i833). — Amélioration des rapports entre l'Eglise
et l'Etat. — Toutefois le roi se montre hostile au mouvement dirigé contre le

monopole universitaire p. 288 à 286


\\ i. Le projet Villemain (i84ij. — Ce projet blesse la conscience des catholiques.
— Il provoque de l'épiscopat. — Retrait du projet. — Persis-
les protestations

tance de l'agitation. — L'évéque de Langres, Mgr Parisis, donne une méthode lui

et un programme (1843). — En quoi cette nouvelle campagne diffère de celle

qu'a menée l'A — Le Correspondant l'Univers. — Louis Veuillot (i8i3-


venir. et

1888). — Sa conversion. — Son entrée dans journalisme catholique. — le

Caractère de polémique. — Union de tous


sa catholiques dans campagne les la

menée pour liberté de l'enseignement. — Nouveau projet de


la présenté par loi
TABLE DES MATIKRES 698

Villemain (i844). — Ce projet ne fait que resserrer les liens de l'union entre leg
catholiques. — Fondation du Comité pour la défense de la liberté religieuse (iS\5).
— Le « parti catholique ». — Sens de ce mot en i845. — « La liberté comme
en Belgique » p. 287 à 292
XVII. Diversion tentée par les ennemis de l'Eglise catholique. — La question 'les

jésuites. - Jules Michelet et Edgar Quinet. - II» choisissent comme sujets de

leurs cours au Collège de France, en i8^3, l'ultramontanisme et les jésuites, —


Eugène Sue. — Le Juif-Errant. — Les meneurs de la campagne anticatholique

se compromettent par leurs excès. — Le livre du P. de Ravignan sur l Existeru;e


et V Institut des jésuites (i844). — ^-^ gouvernement décide de porter la question

des jésuites devant le Saint-Siège. — La mission de Pellegrino Rossi (i845). —


Son habile diplomatie. — Le cardinal Lambruschini déjoue le plan de la secte

anticatholique par une habile k combinaison ». — La question des jésuites

disparaît, sans que les jésuites disparaissent eux-mêmes ... 298 à 297 p.

XVÎTI. Le mouvement socialiste de 18^0 à i845. — Louis Blanc (1811-1882). —


Sage réflexion du roi Louis-Philippe. - Mesures pacificatrices du nouveau
ministre de l'Instruction publique, A. de Salvandy, — Intervention de l'abbé
Dupanloup (i845). — L'abbé Dupanloup '1803-1878). — Son portrait. — Son
livre sur la Pacification religieuse (i845) — Dupan!oup et Veuillot se placent sur

le terrain du droit commun ou de la « liberté pour xious ». — Succès des catho-


liques aux élections de 18/I6 p. 298 à 3oi
XIX. Le pape Grégoire XVI et la France. Les voyages des évêques français à—
Rome, —
Le mouvement vers la liturgie romaine. Les œuvres charitables en —
France. —
La congrégation des Petites Sœurs des Pauvres i84il. Les œuvres 1

de piété. — La « médaille miraculeuse » (i83o). — L'archiconfrérie de Notre-
Dame-des-Victoires (i838). — Des sciences ecclésiastiques en France. — Les
Annales de philosophie chrétienne (i83oj. — U Essai sur le panthéisme de l'abbé Ma-
ret (1889). — Mgr Gousset (1792-1S66). — Fondation de l Ecole des Carmes
(i845). — Les Prxlectiones theologicae de J. Carrière. — La Patrologie d«
l'abbé Migne. — Erreurs théologiques de cette période. — Le traditionalisme.
— Ses origines — Double vice du traditionalisme. - Sa condamnation (i84o).
— Soumission des traditionalistes. — Services rendus à la religion par leurs tra-
vaux. — Réaction outrée contre le gallicanisme. — Les frères .\llignol. —
Leur doctrine. — Mgr Guibert, évéque de Viviers. — Retentissemeal de la

querelle dans la presse parisienne. — Lettre pastorale de l'évêque de ViAiert


(6 janvier i845). — Soumission des frères Allignol. — Sagesse du pape Gré-
goire XVI p. 3oi à 3o8

CHAPITRE VII

CR^OOIRE XVI. LES MISSIOTfS éTnAJIGIRIS


(i83i-i8/i6).

Vue générale p. 3 10

I. Les missions dV\;»ie. — La « Question d'Orient )» au point de vue de la politique


4

Ôg^ TABLE DES MATIERES

internationale. — La « Question d'Orient » au point de vue religieux. — Déca-


dence de l'islamisme. — Obstacles l'évangélisation chrétienne. — Eugène Bore.
à
— Son plan — Fondation d'oeuvres d'éducation en Orient. — Evan-
d'apostolat.

gélisation des chrétiens orientaux. — La mission de Mésopotamie. — Fondation


du séminaire de Ghazir (18A6). — Les missions d'Egypte. — Les Grecs Melkiles.
Les Maronites. Les missions de ki Turquie d'Europe. — Résultats généraux
des missions d'Orient sous Grégoire XVI p. 3 10 à 3i
IL Les missions d'Extrême-Orient. — Obstacles apportés à l'évangélisation de
ces contrées. — Renaissance des missions d'Extrême-Orient sous Grégoire XVL
— Causes de cette renaissance. — Mgr Bonnaud dans les Indes. — Ses ouvrages
d'apologétique. — Ses efforts pour former un clergé indigène. - Ses règlements
synodaux. — Progrès du catholicisme dans les Indes. — Le schisme de Goa. —
Mesures prises par Grégoire XVI pour restaurer la discipline ecclésiastique dans les
colonies portugaises. — Opposition du gouvernement portugais. p. 3i5 à 3i9
III. Les missions d Indo-Chine. — Martyre du P. Gagelin et de ses compagnons
(i833). — Martyre du P. Jaccard (i838). — Martyre du P. Marchand et de
Mgr Borie (i838/. — Martyre du P. Perboyre (i84o). — Les missions de Chine.
— Ii>tervention de plusieurs puissances européennes. — Traité Lagrenée (i844).
— Les missions de Corée. — Martyre de Mgr Imberl des Pères Maubant et et

Chastan (i836). — Intervention de l'amiral — Les missions du Japon.


Cécille.
— Le P. Forcade 3i9 32a p. à

IV. Les missions d'Afrique. — La conquête de l'Algérie. — Obstacles mis à l'évan-


gélisation par le gouvernement français. — Erection de l'évêché d'Alger (i838).
— Mgr Dupuch, évêque d'Alger. — Triste état de la religion catholique dans le

diocèse d'Alger. —
Fondations diverses réalisées par le zèle de Mgr Dupuch. —
La Trappe de Staouéli (i845). —
Les missions d'Abyssinie. Mgr de Jacobis. —
— L'évangélisation du centre de l'Afrique. —
Le Vénérable P. Libermann et
la Congrégation du Saint-Esprit p322à32 7
V. Les missions de l'Amérique du Nord. —
Persécutions soulevées contre les catho-
liques. — Organisation de l'Eglise des Etats-Unis — par réunion de con- : 1** la

ciles provinciaux, — 30 par création de nouveaux diocèses, — 3 par


la fon- la

dation de nouvelles missions. — Les missions du Canada. — Les missions de


lAmérique du Snd. — La question de l'esclavage. — Intervention de> Gré-
goire X\l en faveur des «solaves, — Les missions d'Océanie. — La Société de
Marie. — Le Bienheureux Pierre Chanel. — Succès des missions d'Océanie. —
Œuvres auxiliaires des missions étrangères. — Fondation de l'œuvre de Sainte- la

Enfance (1843). —
Dernières années de Grégoire XVI. — Son testament. — Sa
mort (lei' juin i846). —
Appréciation de son pontificat ... p. 327 à 333

CHAPITRE VII

PIB IX KT LES ÉTATS PONTIFICAUX

(1846-1849).

La situation religieuse et politique en i846. -- Le mouvement libéral parmi le»

eatholiques. — Les aspirations libérales en Italie . , . , , p. 334 à 335


TABLE DES MATIÈRES GqS

I. Le conclave (iA-i6juin i846j. — Election de Pie IX (i6juin i846). — Portrait


du nouveau pape. — Sa biographie. — Il est accueilli par un enthousiasme uni-
versel. — Trois partis politiques en Italie. — Le parti révohationnaire. — Le
parti conservateur. — Le parti national. — Pie IX. s« rattache au parti national.
— Les désirs de réformes dans les Etats pontificaux. — Pie IX conçoit le projet

de les réaliser dans une large mesure. — Le décret d'amnistie 1^17 juillet i846).

— Joie universelle avec laquelle il est accueilli. — Autre» mesures libérales prises
par Pie IX. — Il choisit le cardinal Gizzi pour secrétaire d'Etat {i^^ août itSliG}.

— Nouvelles mesures libérales. — Pie IX protège les juifs. — Retentissement de


ces actes dans le — Vrai caractère de ces mesures. — Du libéra-
monde entier.

lisme politique de Pie IX à cette époque, — De son prétendu libéralisme reli-

gieux. — Sa première encyclique (9 novembre i846). ... 335 à 34i p.

II. Vrais desseins des sectaires révolutionnaires. — cherchent compromettre Ils à le

nouveau pape dans leurs menées. — Inquiétude des cours de l'Europe. —


L' émeute permanente des ovations
(( — Un pouvoir occulte réglemente», les

manifestations publiques. — Mazzini démasque. — Démission de Gizzi. Son


se

remplacement par Ferrelti (juillet 1847). — Occupation de Ferrare par les

troupes autrichiennes (16 juillet i847). — ^^^ ^^ ^^^^ appel à k France. —


Réponse favorable du gouvernement français. — Mazzini invite le pape à se

mettre à la tête du mouvement national (aô novembre 1847). — Retrait des


troupes autrichiennes p. 34i à 345
III. Impression produite dans le monde catholique par les réformes libérales de
Pie IX — Trois ministères en dix mois. — Audaces du parti révolutionnaire,
— Attitude expectante de Pie ][X. — L'incident du 11 février i848. — Contre-
coup de la Révolution française de Février en Italie. — Le Statut du i4 mars 18^8.
— Le roi de Sardaigne, Charles-Albert, fait envahir la Lombardie par ses troupes

(23 mars i848j. — Portrait de Charles-Albert. — Le pape désire garder la neu-


tralité dans le conflit survenu entre la Sardaigne et l'Autriche. — Mais le géné-
ralDurando outrepasse ses instructions, et attaque l'Autriche. — Protestations
de Pie IX (avril- mai i848). —
L'Autriche se montre disposée à retirer ses

troupes. — Agissements de lord Palmerston et de Mazzini. — Retour ofTen-if

de l'armée autrichienne. — Ministère Mamiani {avril i848^. Etrange expé- —


dient de nouveau chef du ministère. — Son attitude louche. Sa chute (19 juil-—
let 1848^. — Son hostihté déclarée. — L'anarchie dans les Etats pontifi-
caux.- •
p. 345 à 35o
I\. De nouveau, Pie IX fait appel à la France (août i848j — Ministère Rossi
(16 septembre i848j. — Le programme de gouvernement du nouveau ministère.
— Irritation des sectes révolutionnaires. — Assassinat de Rossi (i5 septembre
1848). — Triomphe de l'émeute. — Le ministère Mamiani, Sterbini, Galetti,
— Pie IX, prisonnier de Révolution. — Evasion de Pie IX (a4 novembre i848).
la

— L'exil de Gaëte. — Protestation de Pic IX (27 novembre i848). — Mémoire


diploniutiquc du cardinal Antonelli (18 février 1849). — ^® cardinal Anlonrlli,
secrétaire d'Etal. — Son portrait p, 35o à 355
V. Attitude des cours européennes à la nouvelle des troubles survenus dans les
Etats pontificaux — Généreuse initiative du général Cavaignac. — Louis-Napo-
léou Bonaparte, élu Président de la République française (10 décembre i848). —
Obstailes à l'intervenlion française : — 1° le caractère du prince-président ;

696 TABLE DES MATlÈULS

2'* les dispositions de l'Assemblée constituante; — 3° la politique du ministère;


— 4° l'intervention de Gioberli. — Le comte de Falloux combat énergiquement
les projets du ministre sarde. — Progrès de l'anarchie dans les Etats pontificaux.

— Mazzini à Rome. — Défaite de l'armée sarde à Novare (3/4 mars 1849). —


Effet produit par ces événements en France p. 356 à 358
VI. Une expédition française en Italie est décidée (Si mars 1849). — Louis-Napo-
léon, écartant le plan proposé par le pape, dirige son armée vers Rome. — Le
général Oudinot à Civita-Vecchia ^29 a\ril 1849). — Siège de Rome. — Emo-
tion de l'Asscmblce constituante mai 1849). (7-8 La mission de Ferdinanp
de Lesseps. — La convention du 3i mai 1849. — Lesseps est désavoué par le

gouvernement français. — L'Assemblée législative (27 mai 18/19). — ^'^^ ^^


montre favorable à l'expédition de Rome. — Entrée de l'armée française à Rome
(3 juillet 1849).— Remerciements de Pie IX au colonel Niel. — Le pape diffère

son retour à — L'extrême -gauche de Chambre française attaque


Rome. la le

prince-président. — La Edgard Ney (18 août 1849). — Effet produit par


lettre à
— Molu proprio du 12 septembre
celte lettre. — Louis-Napoléon désavoue 18/19.

la publication et le caractère officiel de la lettre à Edgard Ney. — Energiques


déclarations de Thiers en faveur du respect du pape. — Discours de Montalem-
bert sur l'expédition de Rome (19 octobre 1849). — Rentrée triomphale de
Pie IX à Rome (ia avril i85o) p. 359 à 365

CHAPITRE IX

PIE IX ET l'ÉGLISB de FRA.NCB PENDANT LA PREMIERE PARTIE DE SOÎÏ POÎITIFIC.iT

(i846-i854).

Le rôle de la France dans la défense du Saint-Siège et dans la propagation de U


foi catholique. — Vue générale sur l'action catholique en France de i846 à
i854 p. 366 à 367
I. Le Mémoire du comte de Montalembert. — L'attitude de V Univers. — Deux
centres d'action catholique se dessinent. — Le projet de Salvandy sur l'enseigne-

ment (1847). — Il refait l'union entre les catholiques, mais ne provoque pas une
campagne très active p. 367 à 368
II. La Révolution de i848 : ses causes lointaines et prochaines. Accueil fait par
les catholiques à la nouvelle République. — L'Ami de la religion. — Le Corres-
pondant. — L'Univers. — Attitude respectueuse du peuple à l'égard de la reli-

gion. - Paroles bienveillantes des représentants du gouvernement. — Union des


catholiques de tous les partis. — Union de l'Eglise et du peuple. — La béné-
diction des « arbres de la liberté ». — Attitude de l'épiscopat. — Paroles de
Pie IX. — Germes divers de désunion p. 369 à 373
III. La question sociale en 18/18. — Les ateliers nationaux. — Agitation socialiste.
— Intervention de Frédéric Ozanam. a Passons aux barbares. » —r Fondation
de VEre nouvelle. — Esprit du nouveau journal catholique. — En quoi il see

distingue de V Avenir. — Son programme social. — Les journées de juin i848.


TABLE DES MATIERES 697
— llôlc d'Ozanam et de ses amis au milieu de l'émeute. — Mort de Mgr AfTre.
— Fin de VEre nouvelle p. S'j'6 à 877
IV. La qucslion de la lihcrté d'enseignement. — Le comte de Falloux. — II

accepte le portefeuille de l'Instruclion publique, à la condition de travailler à


établir la liberté d'enseignement. — Le projet de loi sur la liberté d'enseigne-
ment. — Oppositions que rencontre le projet. — Ses défenseurs. — Dupanloup.
— Thiers. — Dom Gucrangci: p. 877 à 880
V. Ouverture des débats à la Chambre {i^ janvier i85oV — Intervention de
Victor Hugo. — Discours de Montalembert. — Discours de Thiers. — Vote de
la loi (i5 mars i85o). Le pape flemaude aux catholiques de l'accepter.
— Soumission de l'Univers. — Bienfaits de la loi de i85o sur l'enseigne-
ment p. 3^0 à 383
VI. Le péril socialiste — Nouvelle attitude du parti socialiste. — Le plan du
prince Louis Napoléon Bonaparte. — Le coup d'Etat du 2 décembre i85i. —
Pvestauration de renii)iro (i853). — Division des catholiques. — Lacordaire
refuse de se rallier au nouveau régime. — Montalembert s'y rallie momentané-
ment. L'Univers l'accepte, non sans quelques appréhensions. — Les débuts du
second empire sont marqués par des mesures bienveillantes à l'égard des catholi-
ques. — La question des classiques païens. — Le manifeste de l'abbé Gaume :

Le Ver rongeur (i85i). — Les défenseurs des classiques profanes. — Vivacité et


ampleur de la polémique. — Heureux résultats de la controverse. — Encyclique
Inter multiplices (21 mars i858). , . . '
p. 388 à 388
Vil. Recrudescence dos atlaqties de la presse impie contre le catholicisme. — Tm-
vaux publiés à celte époque pour la défense de l'Eglise. — Le Correspondant, —
L'Univers. — Publications diverses. — Fondation de l'Oratoire de l'immacuié»-
Conception (1862). — Le rêve du P. Gratry. — Le Bienheureux Jean-Baptiste
Vianney, curé d'Ars ("1786-1859). — Ses origines. — Sa — Ses mi- sainteté.
racles. — Son éloquence apostolique p. 388 à 89$

CHAPITRE X

PIE IX ET LES DIVERS ÉTATS DB l'eUROPB FEITDA.NT LA. PRBMlàUE PARTIS


DE SON PONTIFICAT
"

(i846-i855).

Le mouvement libéral en Europe. Son caractère équivoque p. 894


I. La situation politique en Italie. — Attitude religieuse des divers Etats. —
Inconsistance et équivoque de cette attitude. — Les divers courants d'idées sem-
blent devoir se fondre en un grand mouvement national. — Mais ce grand
mouvement national, après quelques oscillations, devieift lui-même équivoque. —
Victor-Emmanuel II, roi de Sardaigne (1820-1878). — Son avènemen* au trône
(28 mars 18^9). — Sa politique : réaliser par des moyens piatiques les rêves de
son père Charles-Albert. — Ses principaux auxiliaires : La Marmora, Menabrea,
Balbo, d'Azcglio. - II escompte Tappui du prince Louis-Napoléon. — Sa
politique envers le Saint-Siège p. 89^ à 898
^9^ TABLE DES MATIERES

II. Tactique des sociétés secrètes. — Difficile du roi de Sardaigne.


situation —
Victor-Emmanuel se met à la remorque du mouvement populaire. Premier —
pas fait dans la voie de la persécution religieuse. —
Origines de la loi dite du
Foro ou loi Siccardi. — Les privilèges canoniques du « for ecclésiastique » - .

Députation du comte Siccardi auprès du pape (octobre 1849). Méfiance jus- —


tifiée de Pie IX. —
Présentation du projet Siccardi (25 février i85o). - Vote
et promulgation de la loi (8-9 avrM i85o). Protestation du pape. Protesta- — —
tion des évoques de Piémont et de Savoie. — Autres mesures persécu-
trices. — Tactique de la cour de Turin. —
Chute du ministère d'Azeglio
(1852). — Le comte de Cavour est nooimé prenaier ministre (4 novembre
iSôa) 398 à 4o2
p.
m. Camille Benso, comte de Cavour. — Son portrait. — Son caractère. Sa —
politique générale. — Sa politique religieuse. — La « loi des couvents » (mai
i855). — Conséquences déplorable» de — Autres mesures
cette loi. d'hostilité
envers l'Eglise, prises par le gouvernement sarde. — Déchaînement des passions
révolutionnaires, —
Fâcheuse tolérance du gouvernement. Attitude de —
Manzoni, de Pellico, de Ventura et de Gioberli. Attitude du clergé séculier —
et régulier 4o2 à
p. ^07
IV. Le Saint-Siège et l'Autriche. —
Caractère de la Révolution de i848 en Autri-
che. — La Constitution autrichienne du 25 avril i848. Ses heureux résultats —
au point de vue religi^eux. — L'empereur François-Joseph. — Son portrait. —
Sa politique. — Constitution impériale du i5 mars 1849. — Retour au gouver-
nement personnel (1849). — Concordat de i855. — Persistance de l'esprit
joséphiste dans l'application du concordat. — Malgré les réclamations de Pie IX,
l'empereur continue à occuper militairement la Lombardie et la Vénétie. — La
Prusse arrive à dominer et à protestantiser l'Allemagne. . . p. 407 à 4ii
V. Rôle des sociétés secrètes dans les projets d'hégémonie prussienne et protestante
en Allemagne. — Attache de la franc-maçonnerie avec la bureaucratie prus-
sienne. — Plan de lord Palmerston. — Témoignage de Mgr Ketteler. —
Politique du roi Frédéric-Guillaume IV. — Première étape de la campagne
entreprise pour la protestantisation de l'Allemagne : « conquête intellectuelle »
de la Bavière. — Arrivée aux affaires d'Otto de Bismarck (1847). — Bismarck.
Son portrait. — Sa politique. — Son imperturbable audace. — Son plan; la

réalisation de l'unité allemande /erro et sanguine p. 4iià4i5


VI. Attitude des catholiques allemands. — Leur conception de lunité allemande.
— Le catholicisme en Prusse. — La Constitution de i848 et celle de i85o
accordent la liberté à l'Eglise catholique. — Joie des catholiques. — Heureux
résultats de la liberté de l'Eglise. — Alarmes des protestants. -- Attitude des
catholiques. Ils se placent sur le terrain de la Constitution et du droit commun.
— Politique religieuse de Bismarck. — Attitude de Frédéric-Guillaume IV.
— Existence de deux courants dans le protestantisme. — Ils trouvent une base
d'entente dans la lutte contre le catholicisme. — Négociations avec le Saint-Siège.

— Double jeu de Bismarck. — Origines du Kullurkampf. . p. 4 16 à 4^0


VII. Le catholicisme dans les Etats rhénans. — Hostilité de ces Etats contre
l'Eglise. — Dans la Hesse-Darmstadt. — Emmanuel de Ketteler, évêque d«
Ma^ence (1811-1877;. —
Son ministère pastoral. Ses idées politiques et —
sociales. — Il est promu évêque de Mayence (i85o). Les œuvres de son —
TABLE DES MATIÈRES GqQ

épîscopat —
Pour répondre à la coalition des Etats de la province rhénane, ii
propose une fédéralion des évcqties de cette province. p. 4ai à 4a3 . . .

VIII. Dans le grand duché de Bade —


Hermann de Vicari, archevêque de Fri-
Lourg. Son portrait, —
Les évêques de la province ecclésiastique du Rhin se
réunissent à Fribourg (i85o^. — Ils rédigent un mémoire sur la situation faite

à leurs Eglises. — Deuxième assenriblée de Fribourg ^i85i). — Les Etats de


Hesse, de Nassau, de Bade et de Wurtemberg rejettent les réclamations des
évêqncs. — Les évêques administrent leurs diocèses sans se préoccuper des lois

restrictives que leur opposent ces Etats. — Le gouvernement badois procède à de


nombreuses arrestations de prêtres et de — Courageuse
fidèles. attitude de
Mgr Vicari. — Bismarck entrave des négociations pacifiques entreprises entre
Mgr Ketteler et les divers Etats persécuteurs (i854). — Arrestation de Mgr Vicari
(19 mai i85i4). — Protestation unanime des catholiques du grand duché de Bade.
— Fin du régime de la bureaucratie dansles Etats rhénans. . p. ^23 à 4a6
IX. Le catholicisme en Suisse. — Fondation du Sonderband (i846). — Expulsion
des jésuites du canton de Lucerne (1847). — Guerre du Sonderband (1847). —
Eloquent discours de Moritalcmbert sur la guerre du Sonderbund (i4 janvier
i848j. — La Constitution fédérale suisse du i3 septembre 18^8 organise forte-

ment le pouvoir central. — Elle proclame en principe la liberté des cultes. —


Mais elle n'apporte pas un terme aux mesures oppressives. — Le concordat des
cinq cantons organise la —
persécution légale du catholicisme (i5 août i848^.
Résistance des catholiques. — Protestation de Mgr Marilley, évêque de Lausanne
et Genève. — Arrestation de Mgr Marilley (aS octobre i848). — Etat religieux
de la Suisse. — Elle est le rendez-vous des sociétés secrètes de l'Europe et des

sectes protestantes les plus étranges. — Le pouvoir issu de la Constitution de


1848 persécute toutes les Eglises chrétiennes, sauf l'Eglise nationale. -• Le mou-
vement protestant du Réveil religieux. — Le pasteur Alexandre Vinet (1797-
1847) — L' « Eglise libre » de Lausanne . p. 426 à 43o
X. Le catholicisme en Angleterre. — Fondation de l'Oratoire de Birmingham
(1847). — Wiseman devient vicaire apostolique de Londres (août i847j. —
Rétablissement de la hiérarchie catholique en Angleterre. — Bref de Pie IX
promulguant ce rétablissement (29 septembre i85o). Emotion produite parce —
bref en Angleterre. —
Hostilité des protestants et du gouvernement. L'Appel —
au peuple anglais de Wiseman calme l'agitation — Henri Manning (1808 1892).
— Son caractère. — Sa jeunesse. — Son entrée dans le clergé anglican (i833).
— Ses idées religieuses se rapprochent de celles des tractariens d'Oxford. —
Il se montre hostile à l'ingérence de 1 Etat dans le domaine spirituek — L'affaire
Gorham. Sa conversion au catholicisme (6 avril i85i). — Il devient auxi-
du
liaire cardinal Wiseman (i854;. — H fonde les Oblals de Saint-Charlei
(i856). — L'œuvre de Pusey. — Son plan : préparer une union des Eglises par
la restauration de l'Eglise anglicane et en détournant les anglicans de toute con-
version individuelle. — Le puseyisme ou ritualisme. — En quai il diffère du
tractarianisme. — L'école libérale profite de la décadence du mouvement tracta-
rien pour s'installer dans l'Université d Oxford. — F'ondation de lEglise large
(Broadchurch). — Caractère de p. 43i à 436
cette nouvelle Eglise protestante.
XI. Le catholicisme dans les autres Etats de l Europe. — Le catholicisme en
Hollanrîc. — Rétablissement de la hiérarchie CJ^tholiqiif» aux Pavs-Bas par Pic I\
•JOO TABLE DES MATIERES

(4 mars i85i). — Emotion produite par l'acte pontifical. — Excommunication


de l'évêque janséniste Heykamp (29 août i853). — Le catholicisme en Belgique.
— Division fies catholiques et des libéraux. — Le ministère libéral de 18/17-
i855. — Vaillante attitude delà presse catholique belge. — Le catholicisme en
Espagne. — Politique du général Narvaez. — Le concordat espagnol de i85i.
— Destinée de ce concordat. — Personnages remarquables de l'Eglise d'Espagne
pendant cette période. — Jacques Balmès
DonosoCortès (1809- (i 810-18/18). —
i853). — Balmès Donoso Cortès représentent deux tendances qui se mani-
et

festent un peu partout en Europe •«•••••••


p. 436 à 44i

CHAPITRE XI

bE tA. BULLE Ineffahïlis K l'encyclique Quanta cura (iSS^-iSûl).

La piété de Pie IX p. l\\^

I. 11 recourt, dans ses épreuves, à la Sainte Vierge. — Son projet de définir le

dogme de l'Immaculée Conception (iS^g). — Définition du dogme par la bulle

Ineffabilis (8 décembre i854). — Sens et portée de cette définition. — La pre-


mière idée de l'encyclique Quanta cura et du Syllabus. ... p. 443 à 444
II. Vue générale sur le mouvement anticatholique de i854 à i864. — La lutte
contre le Saint-Siège dans la politique de Cavour. — Caractères distinctifs de
cette politique religieuse. — L'Eglise libre dans l'Etat libre. — Tactique de
Cavour pour la réalisation de son plan politique — En engageant l'Italie dans
la guerre de Crimée, il parvient à poser, au Congrès de Paris, en i856, la

« question italienne » et même la « question romaine ». — Vive émotion pro-


duite par cet acte dans l'Europe entière. — Protestation de Mgr Pie, évêque de
Poitiers. — Mgr Pie se révèle comme le chef ecclésiastique de l'école dite ultra-
montaine p. 445 à 44?
III. Cavour cherche à capter, au profit de sa politique, les forces révolutionnaires.
— Ses pourparlers avec Giuseppe La Farina, disciple de Mazzini (septembre
i856). — Fondation de la Société nationale italienne (1806). — La collabo: •

tien du parti mazzinien avec Cavour l'incline vers l'hostilité envers a», daini»
Siège. —
Cavour s'abouche avec Garibaldi (1857). Portrait dv "î?? — 'haldâ
(1807-1882). —
Difficultés que rencontre Cavour dans son entreprise. — Ce»
difficultés lui viennent : 10 du côté de la France, dont la politique conservatrice
est favorable au pouvoir temporel du pape ;
— -, 20 du côté de Mazzini, mécontent
d'avoir été écarté de toute combinaison politique ; — 3» de l'ensemble des
catholiques, que les plaintes de Pie IX ont émus. — Le ministre de Victor-
Emmanuel cherche à parer à ces difficultés p. 448 à 45i
IV. L'attentat d'Orsini (i4 janvier i858j. — Courte biographie d'Orsini. — Le»
dernières « déclarations d'Orsini ». — Ce mystérieux attentat devient le point de
départ d'un changement de politique intérieure et extérieure pour Napoléon III,

La convention de Plombières, entre Napoléon Cavour (21 juillet t858),


III et
'
— Attaques de la presse officieuse contre le gouvernement temporel du pape. —
TABLE DES MATIERES 7OI

L'affaire Mortara (iSSS). — Cette aflaire devient l'oocasion de vives attaques


contre le gouvernement pontifical. — Louis Veuillot prend vivement la défense
du pape. — Apparition de la brochure Napoléon et l'Italie (4 février iSjqj. —
— Importance de celte publication. — La politique napoléonienne et le principe

des nationalités. — La politique religieuse de l'empereur des Français. — En


quoi cette politique difFcre de celle de Cavour et de celle de Garibaidi. — Pour-
quoi cette dernière devait finalement prévaloir p. 45i à 456
\. La guerre à l'Autriche. — La campagne d'Italie (lo mai-i i juillet iSôg). —
La paix de Villafranca, ratifiée par le traité de Zurich (10 novembre 18J9). —
Clauses relatives au Saint-Siège. — Cette paix ne contente personne : ni le pape,

ni l'opinion publique française, ni l'opinion publique italienne. — Le seul


résultat appréciable du traité est un nouvel élan donné au mouvement vers l'unité
italienne. — Protestation du pape (a6 septembre 1859). — Napoléon III à Bor-
deaux (11 octobre iSôg). — Mgr Donnet, archevêque de Bordeaux i^
1795-1 883).
Son portrait. — Il harangue l'empereur, et lui rappelle courageusement ses
promesses touchant la souveraineté temporelle du pape. — Réponse évasive de
l'empereur. — Apparition do la brochure Le Pape et le Congrès (23 décembre
1859). — Protestation de Pie IX contre les idées exprimées par la brochure
(!«' janvier i86oj. — — L©s catholiques, dans
Lettre de Napoléon III à Pie IX.
leur ensemble, se séparent de politique de l'empire. — Des libéraux non
la

catholiques désapprouvent également cette politique. — Suppression de ï Univers

(29 janvier 1860). — Fondation du journal Le Monde. — Rentrée aux affaires

du comte de Cavour (janvier 1860) p. lib"] à 463


VL Agitations de Garibaidi. — « Combinaison » par laquelle Napoléon III essaye
d'enrayer le mouvement révolutionnaire. — Ëchec de cette « combinaison ». —
Traité de Turin, cédant le comté de Nice et la Savoie à la France (24 mars 1860).
— Portée politique de ce —
La présence d'un corps de troupes françaises
traité.

à Rome ne garantit pas suffisamment l'indépendance du Saint-Siège. Le —


monde catholique cherche à pourvoir à cette indépendance par la fondation du
« Denier de Saint Pierre » et par la création du corps des a Volontaires pontifi-
caux — Origines du Denier de Saint-Pierre —
». (^ des catholiques ». Initiative

belges.— Une du cardinal Antonelli recommande au monde catholique


lettre

l'œuvre nouvelle octobre 1860). — Les catholiques d'Angleterre, de France,


(6
des autres nations suivent l'exemple des catholiques de Belgique. ^
d'Italie et

Origine du corps des « Volontaires pontificaux ». — Mgr Xavier de Mérode est


nommé par Pie IX « ministre des armes ». — Portrait de Xavier de Mérode
(1S20-1874). — Le commandement de l'armée pontificale est confié au général
Lamoricière. — Lamoricière (1806 -i865). Courte biographie. — Sa première
proclamation aux troupes pontificales. — Etal de aruiéo pontificale en 1860. — 1

Les volontaires garibaldiens. — L'expédition des Mille. Garibaidi s'empare de


Naples (7 septembre 1860) p. 464 à 468
VU. Etonnant prestige de Garibaidi. — 11 personnifie désormais le mouvement du
Risoryiinenlo. — Plan de Cavour^ pour em[>ècher Garibaidi de captera son profit
le mouvement national italien : devancer le condottiere sur le territoire pontifi-

cal. — L'enirevue de Chambéry ^28 août 1860). — Prétexte invoqué par Cavour
pour envahir le domaine du Saint-Siège. — Anxiétés de Lamoricière. — Anto-
nelli le renseigne inexactement sur les dispositions du gouvernement français.
702 TABLE DES MATIERES

— Plan stratégique de Lamoricière. — Bataille de Gastelfidardo (i8 septembre


1860). — Siège d*An. ône (18-39 septembre 1860). — Apparition de la brochure
La France, Rome et l'Italie (i5 février i86i). — Protestations de Mgr Pie :

« Lave tes mains, ô Pilate ! » (aa février i86i). — Discours d'Emile Keller, à
la Chambre, sur la question romaine (i3 mars 186 1). — Napoléon essaie de
négocier un accord entre Rome et le Piémont sur les bases du statu quo. —
Echec de ces négociations. — Convention du i5 septembre i864 entre la France
et l'Italie p. 469 à 475
VIII. Portée de la Convention du i5 septembre. Altitude de l'Autriche. — —
L'empereur François-Joseph se prononce pour la non-intervention dans la ques-
tion romaine. — Inaction des puissances signataires des traités de i8i5. —
Vexations diverses dont l'Eglise est l'objet de la part des différents Etats de l'Eu-
rope. — Le gouvernement italien s'ingère abusivement dans l'organisation de la

hiérarchie catholique. — Le gouvernement français lâche la bride à la presse


irréligieuse et entrave de plusieurs manières les œuvres catholiques. — Le gou-
vernement espagnol, plus respectueux des droits de l'Eglise, se montre néan-
moins favorable aux entreprises du Piémont. — Le Portugal persécute les
communautés religieuses. — La Suisse, là Suède et plusieurs Etats d'Allemagne
suivent les mêmes errements. — Le monde slave offre à la fois des sujets d'espé-

rance et d'appréhension. —
Mouvement de conTersions en Bulgarie en 1860. —
Ralentissement de ce mouvement en 1861. —
Le gouvernement russe persécute
les non orthodoxes. —
Plaintes de Pie IX. —
Persécution des catholiques polo-
nais. — Soulèvement de la Pologne. —
Le mouvement insurrectionnel éclate
en janvier i863. — Caractère de cette insurrection. — En quoi elle diffère Je
celle de i83i. — Bismarck aide le gouTernement russe à écraser la Pologne. —
Le général Mouraviev « bourreau de Vilna ». — Protestation énergique de
Pie IX (a4 avril i864) p. 475 à 484
IX. Le mouvement intellectuel antichrétien. — Ses origines en Allemagne. —
Un avertissement d'Henri Heine en i835. — Les idées religieuses de Kant, de
Hegel et de leurs disciples. — Première» vulgarisations des idées allemandes par
Victor Cousin et Edgar Quinet. — Ernest Renan (1828-1892). — Son esprit se
pervertit sous l'influence de la philosophie allemande. —
Renan commence par
attaquer violemment l'Eglise et ses dogmes. — Ses premiers blasphèmes. — En
i863, il modifie sa manière sans modifier le radicalisme de son incrédulité. —
La Vie de Jésus. — Les deux principes pseudo-philosophiques sur lesquels repose
l'exégèse d'Ernest Renan. — Inconsistance de ses doctrines et de ses méthodes.
— Scandale produit par l'apparition de la Vie de Jésus (i863). — Vive protesta-
tion de Mgr Pie. — Le premier Congrès de Malines (18-3 a août i863). —
Les deux discours de Montalemberl. — En quoi ces discours deviennent aussitôt
suspects de libéralisme. — Discours du P. Félix. — Pie IX fait témoigner son
mécontentement à Montalemberl. — Publication de l'encyclique Quanta cura el
du Syllabus (8 décembre i864) P» 484 à 49'

TABLE btb MATIÈKES 7o3

CHAPITRE XII

DE l'kxctclique Quauta cura au coscile nu vATirAîi


(1864-1869).

Importance de l'encyclique Quanta cura et de son retentissement , . . p. 4oa


I. Origine et objet de Tencyclique. — Les condamnations de l'encyclique : 1° dan»
l'ordre intellectuel ;
— a' dans l'ordre social ;
— 3° dans l'ordre politique ;

a» dans l'ordre plus strictement religieux. — L'encyclique n'innove en rien.
Cause de son retentissement exceptionnel: 1° la vivacité des termes employés

par le souverain pontife, — ao les applications qu'il en fait ou qu'il en


suggère à des événements récents, — S» l'état surexcité des esprits au moment
où apparaît le document pontifical, — 4° le catalogue ou Syllabus qui y est

annexé p. 49a à ^96


II. Emotion produite dans le camp de la libre pensée. — Napoléon III interdit la

publication de l'encyclique en chaire. - Emotion produite parmi les catholiques


libéraux. — Mgr Dupanloup s'efforce de dissiper les malentendus propagés par
les ennemis de l'Eglise. — Il est approuvé par Pie IX. — Attitude des catholi-
ques qui avaient combattu les doctrines du Congrès de Maiines. — Louis Veu!!-
lot publie Vllluston libérale. — Il prend à partie les cathol'ques libéraux. —
Pie IX, sans féliciter publiquement Veuillot, se montre satisfait de sa publica-
tion. — Portée sociale de l'encyclique. — Elle est mise en relief par Emile Rel-
ier. — Doctrine politique de l'eneyclique p. 496 à 000
III. La situation religieuse en — La « question romaine — Vains
Italie. ». efiforts

de diplomatie pour
la résoudre. — Pie IX semble renoncer désormais à
la te us
pourparlers avec les princes au sujet de son autorité temporelle et n'attendre
plus que de Dieu la défense de ses droits. — Pie IX est assailli par de tristes

pressentiments. — De moins en moins confiant en la politique, il affirme de


plus en plus sa souveraine autorité. — L« çouverncmenl promulgue italien

plusieurs lois persécutrices de la religion. — Convention du i4 décembre 1866.


— Mazzini escompte un triomphe prochain, — La France troupes de retire ses

Rome (11 décembre 1866). — Mais organise Légion d Antibes qui elle la « »,
estmise au du pape. — Le gouvernement espagnol approuve
service Conven- la

tion du i5 septembre. — En Allemagne, l'hégémonie de la maison de Hohen-


zollern crée un péril permanent pour l'Eglise. — L'Autriche semble reprendre
les traditions du joséphisme. — Le gouvernement de Saint-Pétersbourg pro-
nonce l'absorption définitive de la Pologne dans l'empire russe. — Projets
d'union entre le schime russe et l'anglicanisme. . . t . . p. 5oa à 5o0
IV. Avènement du communisme révolutionnaire. — La doctrine communiste. —
L'Association internationale des travailleurs. — Lassalle et Marx. — Frédéric
Le Play (i8o6-i88a). — Ses principales œuvres. — Sa méthode et sa doctrine.
11 est chargé d'organiser, en 1867, une Exposition universelle à Paris. — Cette
exposition offre comme un tableau raccourci de U civilisation moùerne. —
Le symbole du vrai péril p. 5o6 à 5i©
7oA TABLE DES MATIERES

V. L'idée de la réunion d'un concile cecuniénique — Travaux préparatoires


(mars i865). — Ce que pouvait être le futur concile — Menées révolution-
naires dans les Etats pontificaux. — Harangue de Garihaldi : « Rome doit être
à nous ». — Déclarations de Mazzini. — Invasion des Etats romains par les
troupes garibaMiennes. —
Emeutes dans Rome. — Intervention des troupes
françaises. — Plan du général Kanzler, général en chef des troupes pontificales.

.
Bataille de Mentana (3 novembre 1867). —
Le conflit franco-italien, -^
Attitude iodécise de Napoléon III. — L'empereur d'Autriche promulgue des lois
attentatoires à la liberté de l'Eglise (26 mai 1868). — Mesures persécutrices en
Espagne et — Action de franc-maçonnerie. — Deux
en Suisse. la parmi attitudes
les catholiques. — Les Stimmen an Maria Laach — Dœllinger et ViJnbiers. et le
P.H^acinlhe. — La bulle d'indiction/£'fermPa**is(29juiti i8t38.) p. 5io a 617

CHAPITRE Xm
LB COMCILE DU VATICAN
(1869.1870).

Les trois phases d'un concile suivant Pie IX p. 5 18


I. Cacactères du mouvement anticatholique en 1869. — l'athéisme Il s'oriente vers
ot l'anarchie.— de plu* en. plus avec
Il se solidarise franc-maçonnerie. — la

Gni> d'alarme par Mgr Dupanloup


jetés par Moulalembert. — Action deet la
franc-maçonnerie. — Evolution du protestantisme vers rationalisme. — le

Projet d'un anticoncile maçonnique. — L'anliconcile deJSaples (décembre 16Ô9).


Son échec complet. — Attitude des Eglises chrétiehnes séparées, en présenc* du
concile. —
Pie IX invite au concile les é^êques schismatiques orientaux (8 sep-

tembre 1868). — adresse aux protestants une


Il spéciale (i3 sep- lottre

tembre 1868). — Refus des évêques schismatiques d'Orient. — Motifs de ce


refus. — Les protestants d'Allemagne accueillent la lettre du pape par des nrani'
fcstations hostiles. — Les fêtes de Worms en l'honneur de Luther (18 juin 1868).
— Piéponse de Fédération géiiérale protestante. — Les protestants 'français.
la

— Nobles paroles de Guizot. — Hostilité générale de presse protestante. — la

Les protestants anglais. — Pourparlers entrepris entre l'évêque anglican de Bre-


chin et le R. P. Victor de Buck, de la Compagnie de Jésus. — Obstacles mis à
l'entente par Pusey. — L'autoritarisme do Ptisey. — Rupture des pourparlers.
— - Pour la première fois, les princes catholiques ne sont point convoqués au
coricile. — Explication donnée par le cardinal Antonelli. — Emile OUiviar
commente ce fait à la Chambre des députés. — Louis Veuillot fait de même
dans le journal V Univers, — Agitation diplomatique. — Elle est provoquée par
le docteur Dœllinger. — Dépêche communiquée par le prince de lioh'^nlohe
aux divers cabinets européens ^ avril 1869;. — Les gouvernements se décident
pour une attitude d' « expectative menaçante » p. 5i8 à 628
II. Joie du monde catholique à l'annonce d'un concile œcuménique. — Présages
de controverses doctrinales. — Premier incident : l'article de la Civiltà cattolica

du ô février 1869. — Protestations soulevées par cet article. — Explications


H •

TABLE DES MATIÈRES 705

données par la Civillà. — Intervention de VAlUjemeine Zeitung. — Ignace Dœl-


linger (1799-1890). — Son portrait. — Sa science. — Les lacunes de son
espril. — Ses doctrines. — Sa conception d'une Eglise nationale allemande,
foyer d'action chrétienne. — Deuxième incident : l'apparition du volume de
Janus. — UAnii-Janus. — La critique de Frohschamraer. — Troisième inci-
dent : l'apparition de l'ouvrage de Mgr Maret : Du Concile général et de la paix

religieuse (septembre 1869). — Analyse de l'ouvrage. — Agitation dans la presse.

— L'ouvrage de Mgr Maret est vivement critiqué par plusieurs évèques. —


Quatrième incident du Correspondant du 10 octobre 1869. -- Analyse
: l'article

de cet article. —
Cinquième incident la publication des Observations de :

Mgr Dupanloup (novembre 1869). Inopportunité de cette publication.— —


Appels à la pacification, adressés aux fidèles et au clergé par Mgr Darboy et
Mgr Manning p. 529 à 54o
III. L'ouverture du concile (8 décembre 1869). — Le» Eglises du monde entier

s'y trouvent représentées. — Tendances diverses de ces Eglises, dans l'unité de


la foi. — La question du règlement du concile. — Pie IX le fait rédiger sous sa
direction et l'impose au concile. — Analyse de ce règlement. — Emoi d'un cer-
tain nombre d'évêqucs. — Explications données par Pie IX. — Nouveau
règlement (30 janvier 1870). — Bulle ApostoUcœ Sedis (12 octobre 1869). —
Reproches faits à cette bulle par certains évêques et par certains diplomates. —
Explications données par le cardinal Antonelli à l'ambassadeur de France,
M. de Banneville.— Les divers groupements des Pères du Concile. — Les
« — Les
infaillibilistes ». opposants français. — Les « opposants » allemands.
(( »

Le — La polémique en dehors du concile. ... p. 5^0 à 5^6


tiers parti.

IV. Les principaux chefs de groupe. — Mgr Dechanips, archevêque de Malines. —


Mgr Pie, évêquc de Poitiers. — Mgr évêque de Rottenbourg. — Iléfélé,

Mgr Strossmayer, évêque de Diakovar. — ^^g^ Darboy, archevêque de Paris.


— Le cardinal de Bonnechosc, archevêque de Rouen. — Le cardinal Mathieu,
archevêque de Besançon. — Le programme du concile. — Ordre des travaux
accomplis par le concile. — Première phase du concile : la discussion du schéma
de doctrina catholica. — Cette phase s'étend du 28 décembre 1869 au 10 jan-
vier 1870. — Le P. Franzelin. — Le concile demande la refonte complète du
schéma. — Le nouveau schéma est présenté sous le titre de Constitutio de Jîde
catholica. — Système do votationdes Pères du concile. — La Constitution De Fide
ou Constitution Dei Filius est votée à l'unanimité, le 2ii avril 1870. — Impor-
tance de cette Conslilulion. — Analyse de cette Constitution. p. 5^7 à 554
V. Deuxième phase du concile : la discussion de plusieurs constitutions discipli-
naires. — Les Schemata de Episcopis et de Sede episcopali vacante. — Observa-
tions générales du cardinal Schwarzenberg et de Mgr Strossmayer. — Réponse
du cardinal di Pictro — On écarte du texte primitif quelques expressions un
peu dures pour les évêques. — Fruit de ces discussions. — Discours de Mgr Audu,
patriarche de Babylone. — Pie IX, pour affirmer son droit, nomme directement
deux évêques orientaux. — Constitutions Devita clericorum et De parvo catechismo.
— Au fond, la doctrine de Tinfaillibilité pontificale domine les débats. ~ Celte
doctrine est discutée, en dehors du concile, dans des journaux et dans des bro •

chures. — Les railleries méprisantes de Veuillot. — Les vivacités de langage de


Montalombert. — Les ovations au « pape infaillible », — Les boutades de
Ui»l. gén. de l'Eglise — Vi LS
706 TABLE DES MATIERES

Mgr Berteaud. — Les indignations véhémentes de Mgr Wicart. — Le Mémoran-


dum de M. Daru (6 avril 1870.) — Louis Vcuillot salue l'inauguration prochaine
d*« un monde nouveau » p. 555 à 56i
\I. Troisième phase du concile : la discussion sur l'infaillihilité pontificale. —
Première motion, présentée en janvier 1870, par Mgr Spalding, archevêque de
Baltimore. — Projet présenté, le i5 février, par Mgr Manning. — Nouveau
projet, présenté le 6 mars par
Commission De Fide.
la — Vives protestations des
chancelleries d'Europe contre l'ensemble du projet De Ecclesia. p. 662 à 563
Vn. De romano ponlijice.
Le projet de Constitution de la discussion. — Liberté —
Remarquable rapport de Mgr Pie. — Débats généraux sur le schéma. Discours —
deMgrHéfélé, de Mgr Strossmayer et de Mgr Darboy. - Résultat de la discus-
sion le sens de l'expression infaillibilité personnelle est précisé.
: La Commis- —
sion déclare que, dans sa pensée, l'infaillibilité du pape est attachée à sd^ fonction.
— Mgr Strossmayer et Mgr Dupanloup persistent à soutenir l'inopportuniLc de la
définition. Pourquoi ? p. 5C3 à 567
VIII. Discussion du proœmium et des deux premiers chapitres. — Discussion du

De la puissance immédiate du pape sur les divers diocèses.
troisième chapitre.
— Mgr Dupanloup défend ^^l'honncur de l'Eglise de France, attaquée par
Mgr Valerga. —
Discussion du quatrième chapitre. La plus grande liberté —
est laissée à la discussion — Principales modifications apportées au projet par
lesamendements de la minorité. —
Rejet d'une proposition de la minorité. —
Session publique du 18 juillet 1870. —
Cinquante cinq membres de la minorité
décident de ne pas assister à la séance pour. ne pas attrister le Saint-Père par un
non placet. — Le vote. — La Constitution Pastor aeiernus est volée par 533 voix
sur 535. Les deux opposants se soumettent aussitôt, — Déclaration de guerre
entre la France Prusse (19 juillet 1870).
et la —
Les troupes françaises quittent
Rome. — L'Autriche et la Prusse se montrent favorables à une intervention de
Victor-Emmanuel — ^^^ troupes italiennes envahissent
à ^g"^®- le territoire

pontifical (11 septembre).— Elles pénètrent dans Rome par brèche de la la

Porta Pia (30 septembre 1870). — Le Patrimoine de saint Pierre déclaré est

M province romaine » (19 octobre). — Le concile du Vatican déclaré suspendu est

(20 octobre). . p. 568 à 575


IX. Mgr Fessier, secrétaire général du concile, commente la définition de l'infailli-

bilité dans une brochure. — Analyse de cette brochure. — Pie IX précise la

portée du dogme, relativement à 1 indépendance des Etats. — Soumission de tous


les évêques opposants. — L'ex-Pèrc Hyacinthe d'organiser « essaie l'Eglise

française ». — Dœllinger refuse de soumettre. — Organisation en Allemagne


se

d'une prétendue Eglise de « Vieux Catholiques ». — Echec complet de cette

tentative. — Les Etats manifestent leur hostilité à l'égard des décisions promul-
guées au concile. — Aucune de ces tentatfves d'hostilité n'a de prise sur la

masse des catholiques. — Importance delà dcfinition du dogme de l'infaillibilité

pontificale au point de vue des épreuves futures de l'Eglise. , p. 676 à 579


TABLE DES MATIÈRES 7O7

CHAPITRE XIV

DU CONCILE DU VAÏICAX A. LA. MOKT DE VIE IX



(187O-1878;.

Vue générale p. 58o


I. L'Eglise catholique en Italie. — Le jour même de la prise de Rome, le cardinal
Antonelli pourvoit à la sécurité de la ville et du Saint-Père. — A la demande
du Saint-Père, les troupes italiennes occupent la Cité léonine, sous la réserve
des droits du Saint-Siège. — Victor-Emmanuel entre à Rome avec répugnance.
— Mais il obéit aux exigences des révolutionnaires. — Le plébiscite romain du
2 octobre 1870. — Vraie valeur de ce plébiscite. — Décret royal du 4 octo-
bre 1870, annexant Rome et les provinces romaines au ro;yaume d'Italie. —
Protestation du cardinal Antonelli (8 novembre 1870). — Pie IX prononce
l'excommunicotion contre les envahisseurs du domaine pontifical (i^r novem-
bre 1870). — Victor-Emmanuel hésite à s'installer au Quirinal. — Il s'y décide
pourtant, sous la pression des sectes révolutionnaires (i«r décembre 1870). —
Protestations des catholiques. — Silence des grands Etats. — Protestation de la
République de l'Equateur (18 janvier 1871). — L'altitude du gouvernement
français. — Sentiments catlioliques de l'Assemblée nationale de 1871. — La Loi
des garanties (i3 mai 1871). — Le pape refuse d'accepter cette loi. — Vrai
caractère de cette loi. — Jugement d'Emile Ollivier sur celte loi. — Le roi

\ ictor-Emmanuel se tourne vers TAllemagne. — Première origine de la Triple


Alliance. — Plaintes de Pie IX. — Projet de loi contre les ordres religieux
(novembre 1873). — Nouveaux attentats, de 1878 à 1876. — Pie IX provoque
un mouvement de protestation parmi les fidèles (1877). — Mort de Victor-
Emmanuel (q janvier 1878) p. 58o à 588
II. L'Eglise catholique en France. — Le gouvernement français manifeste l'inten-
tion de retirer ses troupes de Givita-Vecchia. — Vrai motif de celte mesure. —
Pendant la guerre franco-allemande. Pie IX s'intéresse vivement aux malheurs
de la France. — Les zouaves pontificaux à la bataille deLoigny(3 décembre 1870).
— L'a[)parition de Pontmain (17 janvier 1871). — La « Commune de Paris ».
Ses vraies origines. — La « Commune de Paris » au point de vue religieux, —
Le décret des otages (5 avril 1871). — Les massacres des otages (a4, a5, 26 et
27 mai 187 il. — Origine de l'oeuvre des Cercles catholiques d'ouvriers. —
Le « Vœu national au Sacré-Cœur » (janvier 187 1). — Ercctioa de la basilique
de Montmartre. — La conquête de la liberté de l'enseignement supérieur —
Dépôt du premier projet (3i juillet 1871).— Diversité d'attitude des catholiques.
— Tactique de Mgr Diipanloup. — Vote de
(12 1875). — Origines
la loi juillet

d'un mouvement anticlérical. — La presse — La Chambre républi-


anticléricale.

caine et anticléricale de 1S76. — La Chambre élue i4-28 octobre plus


les est

inclinée encore vers la gauche p. 689 à ôyi


III. L'Eglise catholique en Allemagne. — Bismarck, pour achever la ruine des
nations latines, veut détruire le catholicisme. — Prclexlej> invoqués, — Fonda-
708 TAm.E DES MATIÈRES

tion duCentre catholique » au Landtag prussien (1870).


« Bismarck et les —
« Vieux-Catholiques ». Origine —
du Kulturkampf. Ce qu'il faut entendre —
par Kulturkampf, -
— C'est la lutte du germanisme contre le romanisme. —
Premières hostilités. — Le « paragraphe de la chaire ». — La loi scolaire du
II mars 1873. — Louis Windthorst. •
— Ses origines. — Son éloquence. —
Sa tactique habituelle. — Son intervention dans discussion de la la loi scolaire.
Réponse de Bismarck. — Le « Centre catholique » au Reichstag. — Loi d'expul-
sion contre jésuites 4
les (1872). — Les Lois de Mai. — Intervention de
juillet

la franc- maçonnerie. — Analyse des Lois de mai. — Elles constituent une viola-
tion flagrante de la Constitution. — Déclarations de Windthorst La résistance
passive. — Courageuse attitude des catholiques. — Persécution violente. —
Puissance dn Centre. — Progrès de la foi en Allemagne. — Recul de Bismarck
(1879) p. 696 à 602
IV. L'Eglise catholique en Suisse. —
Le Kulturkampf international. Que —
faut-il entendre par le libéralisme de la Suisse i* —
Le président Carteret. —
L'influence de la franc-maçonnerie et de l'Allemagne. — Premières lois contre
les congrégations religieuses (1872). — Mgr Mermillod. — Il est nommé
auxiliaire de Mgr Marilley (26 septembre i864). — Vive émotion des protestants
de Genève. — Œuvres de zèle de Mgr Mermillod. — Il flétrit l'entrée à Rome
des armées piémontaises. — Il se propose de travailler au relèvement de l'ancien
diocèse de Genève (i864). — Irritation des autorités protestantes de la Suisse.
— Premier conflit entre le gouvernement et Mgr Mermillod (juin 1872). —
Destitution de Mgr Mermi41od, par le Conseil d'Etat (septembre 1872). —
Mgr Mermillod, vicaire apostolique de Genève (16 janvier 187.3). — Exil du
prélat (11 février 1873). — Installé sur les frontières de la Suisse, il continue son
apostolat. — La Loi de mai 1878).
réorganisation de l'Eglise catholique (3o —
Organisation d'une « Eglise catholique nationale ». L'ex-Père Hyacinthe à —
Genève (1878-1874). —
Prise de possession par le gouvernement de toutes les
églises et chapelles catholiques. —
Constance admirable des catholiques. —
Décadence de l'Eglise schismatique p, 6o3 à 608
V. L'Eglise catholique en Autriche. — La politique religieuse du chancelier de
Beust. — Dénonciation, par l'empereur François-Joseph, du concordat autri-
chien (3o juillet 1870). — Il repousse une supplique de l'épiscopat au.Crichien,
lui demandant son intervention en faveur du Saint-Siège. Le gou^rnemont —
autrichien favorise le culte des « Vieux catholiques » (1871). Il tente de —
supprimer deux évêchés en Dalmatie (1871-Ï872). La cour de Vienne se —
rapproche de la cour du Quirinal (1872). — Les lois scolaires. — Protestations
de l'épiscopat. — L'éducation de la jeunesse est mise aux mains de l'Etat
(avril 1869). — Emprisonnement de l'évêque de Linz (juin 1869). — Sécula-
risation des Universités (27 juillet 1873). — Les « Lois confessionnelles » do
1874. — Eloquentes protestations de Pie IX 609 à 6x3 p.

VI. L'Eglise catholique en Espagne. — Le gouvernement provisoire, constitué sous


la présidence du maréchal Serrano, proclame la liberté des cultes (6 juin 1869).
— Déchaînement d'outrages contre la religion catholique. — Election d'Amé-
dée (novembre 1870).
I«r —
Sa politique méfiante à l'égard de l'Eglise. —
Proclamation de la République espagnole (11 février 1873), — Avènement
d'Alphonse Xli '29 décembre 1874). — H atténue la rigueur des mesures prises
TADLE DES MATIKfŒS 7O9

contre l'Eglise. — Rétablissement de la nonciature de Madrid. — La constitution


de 1876 proclame le catholicisme religion d Etat. — L'opposition carliste dépose

les armes P- 6i3 à 616


VII. L'Eglise catholique en Angleterre. — Irritation produite dans la Haute-Eglise

par ladélinition du dogme de linfaillibililé pontificale. — Une motion du Par-


lement demande une enquête, sur les biens des monastères (1870). — Agitation
catholique en Irlande. — La CathoUc Union. — Le Parlement vote le maintien
d'un agent diplomatique auprès du Saint-Siège (3o juillet 1872) — Pie IX fait

publiquement des vœux pour le retour de l'Angleterre au catholicisme. —


Il rétablit la hiérarchie catholique en Ecosse (28 janvier 1878), — Mort de
Pie IX p. 616 à Gi8

CHAPITRE XV

LES fEUVRES ET LES MISSIONS CATHOLIQUES SOUS LB PONTIFICAT DE PIE IX.

Vue générale sur les œuvres de piété, de charité et de zèle sous le pontificat dô
Pie IX p. 619
I. Œuvres — La dévotion au Saint Sacrement. — Le P. Ilermann Cohen.
de piété.
— Le P. Eymard. — Mgr de Ségur Mgr de Bouillerie. — Théodelinde
et la

Dubouché ("Mère Marie-Thérèse). — La dévotion au Sacré-Cœur — Consécra-


tion du mois de juin dévotion. — La bannière du Sacré-Cœur
à cette à la

bataille de Loigny. — La dévotion Sainte Vierge, — L'apparition de


à la la

Salette (19 septembre i846). — L'apparition de Lourdes (février-mars i858). —


L'apparition do Pontmain (17 janvier 1871). p. 619 à 023

II. Les œuvres de charité. — Comment elles se relient aux œuvres de pieté. —
Les œuvres de charité en Italie. — Antonio Rosmini (1797-1855^ — Les œuvres
de charité en Angleterre. — Le cardinal Manning (1808-1892). — Les œuvres
de charité en Allemagne. — Mgr Ketteler (1811-18771. — Les continuateurs
de Ketteler en Allemagne. — Les œuvres de charité eu Autriche en Belgique et

en Suisse. — Les œuvres de charité en France. — Armand de Mclun (1807-


1877). — Léon Lefébure (1838-1911). —
Albert de Mun (i84i-i9i4)- René —
de la Tour du Pin. —
Les Cercles catholiques d'ouvriers. Les Filles de lu —
Charité. — Les Frères des Ecoles chrétiennes. — Les Frères de Saint-Vincent-
dc-Paul p. 623 à 629
m. Les œuvres d'édification. — La peinture chrétienne. — Hippolyle Flandrin
(1809-18G4) — L'architecture chrétienne. — La musique religieuse. — La
restauration du chant grégorien. - Dom Pothier. — La philosophie chrétienne.
— Cajetano Sanseverino. — Retour à la philosophie de saint Thomas d'Aquin.
— La philosophie positive sous le pontificat de Pie IX. — La théologie mystique
,
—Le P. Faber(i8i4-i863). — L'abbéCharlesGay 11816-1892). p. 63o à 635
IV. Les œuvres de zèle. — Les missions étrangères. — Comment l'Eglise catho-
lique, dans ses missions, a désormais à lutter contre la propagande protestante
— Les missions d'Orient. — La question d'Orient au point de vue religieux. «—
710 TABT.Tî DES MATIERES

Rétablissement d'un patriarche permanent à Jérusalem (28 juillet 1847). —


Les missions de Palestine. — L'œuvre des Religieux et des Religieuses de Notre-
Dame de Sion. Le P. Marie-Alphonse Ralisbonne (i8i4-i884), Les Pères —
Blancs. — Les écoles chrétiennes en Orient. Leur importance. — Les missions
de Syrie. —
La propagande protestante en Syrie. Les Maronites. Les — —
missions de Chaldée. —
Mgr Audu, patriarche de Babylone. Commencement —
d'un schisme. — Soumission du patriarche. — Les missions en Arménie. —
— La bulle Reversurus (12 juillet 1867). — Le schisme arménien. — L'influence
protestante en Arménie p. 636 à 643
V. Les missions d Extrême-Orient. — Les missions des Indes, — Le schisme de
Goa. — Mgr Bonnaud. — Ses œuvres — Le P. Ligeon. Son apos-
d'apostolat.
tolatauprès des parias. — Les missions de Chine. — Portée des de traités iS/ja

et 1844 au point de vue religieux. — Progrès du catholicisme. — Persécutions


sous l'empereur liien Fong. — Expédition franco-anglaise (i857-i858). —
Traité de i858. — Reprise des persécutions (1860- 1878). — Courage des
missionnaires p. 644 à 649
VL Missions du Japon. — Premières tentatives de pénétration (i844-i86o). —
Période d'attente (i86o-i865). — Constitution politique et religieuse de l'empire
japonais. — Découverte de trois chrétientés secrètes au Japon (mars i865). —
Le P. Petitjean. — Déchaînement de la persécution (i4 juillet 1867). — Cou-
rageuse conduite des chrétiens. — La révolution japonaise de 1868. — Dans
l'ensemble, cette révolution est favorable à la propagation du catholicisme. —
Une intervention de la diplomatie française obtient la liberté religieuse au Japon
(1873). — La mission de Corée. — Son premier apostolique, Mgr Bru- vicaire

gnière. — La persécution de 1866. — Mgr Ridel 649 ^^^ p. ^

Vn. Les missions d'Océanie. — En Australie. — En Nouvelle Zélande. — En Nou-


velle-Calédonie, — Les Maristes sont les principaux missionnaires de l'Océanie.
— Mgr Bataillon.Sa mort. — Le P. Damien, apôtre des lépreux. p. 655 à 607
Vin, Les missions d'Afrique. — La Congrégation du Saint Esprit. — Les Mis-
sions Africaines de Lyon, — Les « Pères Blancs ». — Les missions d'Amérique.
— Le Brésil. — Les autres Etats de l'Amérique latine. — Les missions du
Canada. —Les missions des Etats-Unis. — Premier concile national de Baltimore
(i852). — Deuxième concile national de Baltimore (i866j. — L'avenir du
cathohcisme aux Etats-Unis p. 657 ^ 660

foitiers. ' Socisté frtnçaisû d'iTioridisrift


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