La Vie de MGR Guérard Des Lauriers
La Vie de MGR Guérard Des Lauriers
La Vie de MGR Guérard Des Lauriers
Raymond Michel Charles Gurard des Lauriers naquit Suresnes, prs de Paris, le 25 Octobre 1898 22 h 45 au
27 de la rue des Barrires, de Paul Louis Gurard des Lauriers et de Lucie Madeleine Lefebvre son pouse. Il fut ensuite
baptis dans la paroisse du Cur Immacul de Marie de Suresnes, le 24 dcembre 1898. Son parrain fut Charles
Gurard des Lauriers et sa marraine A. Lefebvre.
Bien que son premier prnom soit Raymond, en famille on l'appela toujours Michel.
Depuis son enfance, il fit preuve d'une disposition particulire pour les tudes, rvlant une intelligence peu
commune : un gnie dirions-nous. Et de ce fait, dj depuis l'cole publique de Suresnes, il eut des billets de
satisfaction en 1908 pour les cartes gographiques , en 1909 pour l'excellente application, en 1910 pour son
travail, son soin et sa conduite .
Il reut dans sa famille une ducation chrtienne : sa mre avait une grande foi et une grande pit : lui-mme
disait d'elle qu'elle tait une sainte. Michel dut faire une trs bonne premire Communion, puisque c'est celle-ci que sa
mre attribuera la grce de la vocation. Il reut la Confirmation le 25 avril 1910 toujours dans la paroisse du Cur
Immacul.
Aprs la douloureuse preuve pour toute la famille de la mort du pre en 1913, Michel fut inscrit au Lyce
Chaptal. En novembre 1915 il fut admis comme postulant dans le Tiers Ordre des Maristes, qui avait comme exercice
de pit quotidien la mditation ; aprs le noviciat il fit profession le 26 Mars 1917. C'est cette poque que Michel
commena penser la vocation. Cependant c'est aussi en mars 1917 qu'il dut interrompre ses tudes cause de la
mobilisation gnrale : il fut incorpor au 113me Rgiment d'Infanterie ; il frquenta ensuite le Centre d'Instruction de
St-Cyr du 1er septembre 1918 au 1er fvrier 1919, priode pendant laquelle il participa mme au cours de mitraillette
Granville et y reut la mention trs capable . Voici la description de Michel donne par le commandant de la VIIe
Compagnie de St-Cyr, le Capitaine Regard :
1
Esprit froid et mthodique, se donnant peu, mais rflchissant beaucoup, connaissant fond son rglement,
manquant encore un peu d'assurance sur le terrain ; mais d'une ducation suprieure, sera un chef de section de premier
ordre et un brillant officier .
Mais les desseins de la Providence seront bien diffrents pour Michel.
L'aprs-guerre
II quitta l'arme pour suivre les cours du Lyce Chaptal vers la fin de 1919. Admis l'Ecole Polytechnique en
1920, il l'abandonna en 1921 pour entrer l'Ecole Normale Suprieure. En 1924 il obtint l'agrgation en
mathmatiques, puis il reut des bourses d'tude Paris et Rome o il tudia auprs du professeur Levi-Civita
(1925/26) et frquenta l'Acadmie des Lincei.
Nous devons ici mettre particulirement en relief la bonne influence qu'exera sur Michel l'Abb G. Massenet,
Vicaire la paroisse du Cur Immacul de Marie. Prtre trs pieux et zl, que tous considraient comme un nouveau
cur d'Ars . Trs humble, il refusa catgoriquement toutes les promotions qui lui taient proposes et il termina
saintement sa vie comme vicaire honoraire de Suresnes. L'Abb Massenet connut fend Michel et il resta toujours en
correspondance avec lui durant le service militaire, les tudes, le sjour en Italie : il put ainsi le conseiller sagement sur
son avenir, seit peur la vocation, soit peur la solution des difficults qui se prsentaient. Il ne dissimulera pas sa joie
lorsque Michel prit sa rsolution et ensuite, avant son dpart il lui donnera les derniers conseils :
II faut presque continuellement se sparer des affections que les circonstances nous apportent. Je comprends
aussi tes regrets de quitter les lieux qui te sont chers pour les souvenirs qu'ils te rappellent. Est-ce que l'on ne peut pas
dire ce propos la parole de St-Paul : quotidie morior (je meurs tous les jours). Dans une des leons du brviaire un saint
Pre nous dit que la vie n'est pas autre chose qu'une mort prolonge. C'est vrai pour le cur ... et ce qu'il y a de
merveilleux c'est ce que tu me dis : malgr tous les sacrifices que tu as faire, au fin fond de l'me tu possdes la joie et
tu ne changerais pas ta place peur une autre ! Voil ce que fait Jsus pour ceux qui se donnent entirement lui : d'une
main Il leur prend tout ce quoi ils tiennent le plus et de l'autre Il leur rend mille fois plus qu'ils n'ont donn. Tu
sentiras cela de plus en plus pendant ton noviciat ... (lettre du 29 juillet 1926).
La vocation
La mre de Michel, Lucie Madeleine Lefebvre, vivait de la foi. Elle vint deux fois en Italie retrouver son fils ; elle
visita les basiliques, les glises, les cathdrales, participant aux crmonies religieuses. Durant son second sjour Rome,
en avril 1926, elle apprit la vocation de Michel.
C'est elle-mme qui le raconte dans son journal de voyage, la date du premier avril, Jeudi-Saint : Michel
m'annonce la grande dcision ... devant l'image de St Thomas d'Aquin ... il entrera chez les Dominicains. Lou soit Dieu
! Que sa volont se fasse entire et qu'Il m'envoie calme et courage .
Deux jours plus tard , aprs avoir particip l'Office du Samedi Saint, elle crira : Office St Joachim.
Communion au pied du Sauveur ressuscit, malgr les terribles sparations qui effraient ma faiblesse, tout chante en
moi l'action de grces la confiance, la paix, la louange au Dieu si bon et misricordieux qui peut en un instant changer la
face de toutes choses. Ordination St Jean de Latran : oh ! le merveilleux et consolant spectacle !
De retour Suresnes, le samedi 17 avril, le jour mme elle se rendra l'glise : Je vais sans tarder au pied de la
Vierge de Suresnes la remercier d'avoir gard son cher petit enfant de toutes les embches dresses sur son chemin,
l'enfant qu'elle avait marqu au jour de sa Premire Communion pouvait-elle l'abandonner ! non, vous le garderez
toujours, n'est-ce-pas ? comme la meilleure des mres. Qu'il fasse l'uvre de Dieu et travaille sa gloire .
Michel avait t jusque l un jeune homme exemplaire non seulement pour les tudes, mais aussi pour la vie
morale : srieux, pieux, il s'efforait de pratiquer la perfection vanglique : je n'allais jamais au thtre, aux spectacles,
2
cela m'tait tranger ... racontera-t-il ensuite. Il allait toutes les semaines voir le P.Garrigou-Lagrange et il se sentait
attir vers les Dominicains.
Mais qu'est-ce qui dcidera Michel pour la vocation, et dans l'ordre de S. Dominique ? Un soir il tait rest au
couvent de l'Angelicum au chant des Complies : et alors, tandis qu'il regardait l'toile qui figure sur le tableau de S.
Dominique, puis l'image de S. Pierre martyr, il eut une sorte de vision. Dans une joie immense d'avoir trouv ... que le
bon Dieu me choisisse pour appartenir l'Ordre de la Vrit. C'est l'achvement de toute ma jeunesse, j'avais 28 ans et il expliquera encore : Ce fut une sorte d'intuition. Les mmes images qui sont belles habituellement, devenaient
pour moi une sorte de projection puissante du Ciel. J'ai vu la splendeur de la Vrit, la splendeur de la Vrit Divine .
Le sminariste
Michel entra au noviciat d'Amiens en septembre 1926, 28 ans, il prit l'habit le 23 du mme mois avec le nom
de frre Louis-Bertrand. Il fit sa profession religieuse le 23 septembre 1927.
A cause des lois anticlricales du dbut du sicle, en France les Ordres religieux avaient t contraints l'exil ;
c'est pourquoi les novices devaient poursuivre leurs tudes l'tranger : les Dominicains avaient leur sminaire du
Saulchoir Kain, en Belgique, prs de la frontire franaise. Le Directeur du sminaire tait le P. Hris, auteur d'un
important commentaire de la Somme Thologique de S. Thomas. Les tudes ne faisaient pas oublier au fr. LouisBertrand le dsir de la conversion des mes : le 15 Octobre 1927 il s'inscrit 1'Archiconfrrie de prires pour la
conversion d'Isral et le 3 fvrier 1928 celle pour le retour la foi catholique des peuples du Nord de l'Europe.
Au sminaire, ses confrres avaient de l'estime pour lui, soit parce qu'il tait le plus g, soit cause des tudes
qu'il avait faites, soit ... pour la bonne humeur qui le rendait sympathique. Et dj depuis lors on connaissait son intrt
pour les choses spculatives alors que les choses matrielles le laissaient fort indiffrent.
Les 6 et 7 octobre il reut la Tonsure et les Ordres Mineurs de l'Evque de Tournai, Mgr RASNEUR. Le 24
septembre 1930, Mgr DRAPIEZ le fit Sous-Diacre, le 21 dcembre Mgr Rasneur l'leva au Diaconat et le 29 Juillet
1931 la Prtrise dans l'glise du couvent du Saulchoir. Il clbra sa premire messe dans sa ville natale Suresnes.
Le professeur
Aprs l'ordination, ses suprieurs dcidrent de lui faire poursuivre ses tudes pour qu'il puisse ensuite
enseigner. Durant l't 1932 la Facult de Lille demanda l'Ordre de S. Dominique un professeur de calcul diffrentiel
et intgral, car la chaire tait devenue vacante, le titulaire tant malade. Le Provincial, le P. Pad, proposa le fr. LouisBertrand, qui devait encore terminer les tudes entreprises. Celui-ci, prvoyant la difficult objective de suivre les cours
de Thologie au Saulchoir et de donner des cours Lille, crivit au P. Provincial dont il dpendait et qui lui rpondit :
C'est le P. Hris qui vous envoie et non pas moi. Lorsque le P. Louis-Bertrand en parla au P. Hris, il eut comme
rponse : C'est le P. Provincial, ce n'est pas moi . Alors le P. Louis-Bertrand n'eut plus qu' accepter, sans savoir de
qui tait venu l'ordre.
Le 23 mars 1933 il obtint le titre de Lecteur, qui dans l'Ordre Dominicain quivaut une matrise. A partir de
1933 il fut professeur de philosophie au Saulchoir, enseignant l'pistmologie et la philosophie des sciences.
Ces annes-l il collaborait la Revue des Sciences Philosophiques et Thologiques ainsi qu'au Bulletin Thomiste.
Le 26 novembre 1934 il reut le titre de Matre de Confrences de la Facult de Lille. Et ceux qui l'ont vu ne
sauraient oublier qu'il tait le seul professeur de la facult a s'agenouiller au dbut du cours pour rciter la prire Veni
Sancte Spiritus.
En 1939, en raison d'un srieux tat de fatigue, il donna sa dmission Lille, au grand dsappointement du
Recteur qui aurait bien voulu le garder !
3
Les lois anticlricales en France tant tombes en dsutude, les Ordres Religieux purent rentrer : les
Dominicains de Kain obtinrent Etiolles, prs de Paris, une maison qui reut galement le nom de Saulchoir . Le
dmnagement se fit en deux tapes, d'abord les philosophes en 1938, puis les thologiens en 1939 ; il semble que le
P. Louis-Bertrand vnt avec les premiers ; quoi qu'il en soit laffectation dfinitive date de 1939.
A la deuxime Guerre Mondiale, suite la mobilisation gnrale, le Pre fut rappel au service le 9 septembre
1939 avec le grade de Lieutenant de rserve ; il fut affect la section technique d'artillerie o ses connaissances furent
utilises dans la fabrication des tables de tir. Aprs un sjour Tarbes il fut dmobilis le 10 septembre 1940.
C'est a cette poque qu'il eut la pense d'une vocation de Chartreux. Il crivit plusieurs couvents, parmi
lesquels la Grande Chartreuse, et c'est seulement quelques annes aprs qu'il fut admis en faire l'essai, qui toutefois
n'eut pas de suites. Mgr. Gurard vivait toujours dans un grand silence intrieur ; c'est pourquoi peut-tre il pensa entrer
la Chartreuse, mais mme en cela il ne cessa jamais de vouloir suivre la Volont du Christ et de la chercher galement
dans les vnements de la vie quotidienne.
Malgr les activits de la vie religieuse il russit encore poursuivre ses tudes de mathmatiques. En 1930 il fut
reu comme membre de la Socit Mathmatique de France ; le 3 avril 1941 il soutint la Sorbonne une thse sur Les
systmes diffrentiels de second ordre qui admettent un groupe de Lie, thse soutenue sous le patronage du professeur Elie Cartan,
et qui lui valut le doctorat en sciences mathmatiques.
Aprs la guerre, Mgr Gurard rdigea un grand nombre d'ouvrages : Le Mystre du Nombre de Dieu (1940), Le
statut inductif de la thologie (1942), La Thologie historique et le dveloppement de la thologie (1946) ; son chef d'uvre en ces
annes-l fut les Dimensions de la Foi (1950), prolongement de l'analyse pistmiologique dans le domaine de la connaissance de Dieu, mene avec toute la rigueur et la lucidit thologiques, La thologie de S. Thomas et la grce actuelle (1945),
L'Immacule Conception, clef des privilges de Marie (1955), Le Phnomne humain du P. Teilhard de Chardin (1954).
Dsormais nul n'ignorait que ses cours taient excellents, mais aussi trs difficiles, de sorte que bien peu de
personnes russirent les suivre. Cela lui valut quelques sympathiques moqueries de la part de ses confrres ; ils
paraphrasaient par exemple le Je pense donc je suis de Descartes pour lui attribuer un Je pense donc tu suis ...
Le religieux
II tait plein de charit envers tous, soit dans les rapports personnels, soit dans les circonstances particulires,
ainsi lorsqu'apprenant qu'une pauvre religieuse se levait 5 h 15 pour faire sa mditation par un froid glacial, il voulut
lui faire cadeau de son manteau : c'tait tout ce qu'il possdait l'poque.
Quoiqu'il fut grand intellectuel , n'allez pas croire qu'il manquait de sens pratique : au contraire il aimait bien
bricoler , rparer un objet cass, faire presque tous les jours un peu de jardinage ; il n'hsitait pas prter la main aux
travaux les plus humbles. Sa science, ses charges, mme l'piscopat ne lui ont jamais fait oublier qu'il tait avant tout un
religieux dominicain.
Il aimait voyager en train, charg de sa valise-chapelle, de ses livres pour tudier durant le voyage, et de quelques
objets personnels et si la personne qui devait venir le chercher avait un empchement, lui, sans se soucier se mettait en
route en portant ses bagages.
Qui ne se souvient de sa capacit de rester longtemps genoux sur le pav, immobile, absorb dans l'oraison ; et
de la pauvret dans laquelle il vivait, se contentant de peu de chose.
II tait tenu une dite svre cause des troubles de l'estomac qu'il avait depuis sa jeunesse ; dj l'abb
Massenet lui recommandait de prendre soin de sa sant. Lorsqu'il s'tait retir au Saulchoir, il avait demand aux
personnes qui vivaient avec lui de ne pas prendre plus d'une heure pour chaque repas, prparation comprise, car cette
occupation, disait-il ne mrite pas davantage ! Plus tard il mitigea cette rgle ; si rigoureuse ft-elle, les cuisinires
avaient fait avec en utilisant des marmites pression pour rester dans les temps ! Ceux qui l'abordaient ne
manquaient pas de remarquer un certain humour qui ne le quittait jamais et dont il colorait mme les choses les plus
graves ; ils riaient de ses saillies surtout cause de leur vrit.
Nous ne devons pas oublier son activit dans la vie spirituelle : les nombreuses retraites qu'il prcha soit des
4
communauts religieuses, soit des groupes de tertiaires dominicaines, soit dans des paroisses. Nombreuses sont celles
qui ont t imprimes. Parmi ses crits spirituels, citons Virgo fidelis (1950), Magnificat (1950), La Charit de la Vrit
(1951), La Voie Royale, Ma Maison sera appele une maison de prire, Marie Reine, Le Silence.
Il fut nomm, le 7 avril 1950, confesseur-adjoint des Surs Dominicaines du Monastre de la Croix Etiolles
tout en continuant enseigner au Saulchoir, participer divers congrs, notamment au Congrs Thomiste Rome en
1955 , o il intervient sur la Mtaphysique et la Mtascience, et celui de Gallarate en 1959.
Travaux et controverses
Durant les annes 50, Mgr Gurard participa aux controverses contre le no-modernisme dbordant qui finira
par dominer au Concile Vatican II. Dans ses nombreux crits sur la Thologie de la grce, il distinguera nettement
lordre naturel de l'ordre surnaturel contre les tendances de la nouvelle thologie et du P. de Lubac. Sur la
cosmologie volutionniste il sera l'un des principaux adversaires du P. Teilhard de Chardin (cf. Sommavilla : La
Compagnia di Ges, Rizzoli 1985). Ces polmiques amenrent la condamnation du no-modernisme par Pie XII avec
l'encyclique Humani Generis (1950).
Mgr Gurard dnona le P. Congar au Saint-Office et il s'aperut que le Prfet, le Card. Ottaviani, ignorait les
ides de Congar ; cela dclencha contre lui la mauvaise humeur de beaucoup de ses confrres mme au Saulchoir.
Le P. Gurard des Lauriers tait aussi un minent mariologue. A ce titre il participa aux travaux prparatoires la
dfinition du Dogme de l'Assomption (1950). A cette occasion il dveloppa la doctrine du magistre ordinaire universel
qui prouvait l'infaillibilit du futur dogme.
Il fut en outre l'un des principaux thologiens qui secondrent l'intention de Pie XII de complter les dogmes
mariaux par la dfinition de la mdiation et de la cordemption de Marie. Mais les progressistes qui n'avaient pas russi
viter la proclamation de l'Assomption de la T. Ste Vierge, obtiendront le renvoi de ces deux dfinitions. La
proclamation de Marie Reine (1954), qui dans les projets de Pie XII devait servir de prlude aux deux suivantes, fut
alors le signal d'un temps d'arrt dont le P. Gurard fut aussitt fort conscient.
Le rle assum par le Pre dans les annes 50 nous fait comprendre pourquoi Pie XII lui propose la pourpre
cardinalice, mais des sources bien informes nous affirment que De Gaulle y mit son veto.
En 1961 Mgr Piolanti invita le P. Louis-Bertrand venir Rome pour enseigner l'Universit du Latran : et
ainsi durant une dizaine d'annes il dut s'absenter d'Etiolles pendant des mois pour son travail Rome, logeant
l'Angelicum o il retrouva son cher P. Garrigou-Lagrange jusqu' la maladie de celui-ci.
runions hebdomadaires. Cependant le groupe dut beaucoup un liturgiste extrmement distingu, courageux auteur
d'articles critiques qu'il fit paratre cette poque dans les journaux romains ; je regrette d'avoir oubli son nom.
Monseigneur Marcel LEFEBVRE nous encourageait, d'un peu loin ; et mme il nous gonfla d'espoir : Nous aurons
six cents Evques signataires ! Hlas, il n'y eut mme pas lui.
Le Pre Gurard rdigea ainsi le Bref examen critique du Novus Ordo Missae au cours des mois d'avril et mai 1969,
surtout la nuit, car cette tche imprvue s'ajoutait des journes dj assez remplies.
A l'occasion de la prparation du Bref examen critique fut organise Rome une S. Messe sur Pie V, le jour de sa
fte, le 5 mai, clbre par Mgr Lefebvre, lequel - ltonnement des assistants - adopta les mutilations apportes par
Paul VI (mutilations assez graves , bien que ce ne ft pas encore la Nouvelle Messe). Lorsque, la sortie, on lui
demanda, avec respect et tristesse la fois, la raison de son acte, il rpondit : Si on voyait que Mgr Lefebvre clbre la
Messe traditionnelle, cela risquerait le scandale ! Le P. Gurard commentera par la suite : Si Mgr Lefebvre n'a pas
clbr ladite nouvelle messe, toutefois il a accompli ou omis extrieurement les gestes qui le laissaient penser, chose
que je n'ai pas t le seul observer ... double, Mgr Lefebvre l'a t le 5 mai 1969. Alors que, considr comme tant
l'me d'un minuscule groupe ami qui travaillait jour et nuit pour sauver la Messe contre la messe, et manifestant ce
groupe encouragement et sympathie, Mgr Lefebvre infligea ce mme groupe le dsaveu public d'une allgeance
inconditionnelle l autorit qu'il fallait contrer .
La rdaction du Bref examen cota au P. Gurard la chaire du Latran d'o il fut congdi en juin 1970 : En
mme temps que le Recteur, Mgr Piolanti, et une quinzaine de professeurs, tous jugs indsirables .
Entre-temps au couvent d'Etiolles, o le Pre tait toujours domicili, les choses n'allaient pas mieux : certains
tudiants du sminaire participrent aux manifestations de 68 Paris, sur le toit du couvent fut arbor le drapeau noir
des anarchistes. Les suprieurs, mme s'ils prirent des mesures, n'taient plus matres de la situation.
Extra-Conventum
La dcision des Dominicains de vendre le Saulchoir fut pour le P. Gurard une cause de tristesse. Au Saulchoir,
il avait une vie assez retire dans sa petite chambre en haut de la maison, au grenier comme disaient ses confrres en le
plaisantant, et l il avait crit sur un mur de sa cellule : O Beata Trinitas stat Veritas dum volvitur orbis, ( Bienheureuse
Trinit, la Vrit demeure tandis que le monde passe). C'est un peu le rsum de toute sa vie intrieure, dans laquelle il a
cherch pntrer le mystre de la Sainte Trinit.
Les Dominicains ne prirent mme pas la peine de transporter tout le mobilier sacr, et ce fut grce
l'intervention du P. Louis-Bertrand que beaucoup d'objets du culte furent sauvs de la destruction ou d'un usage
profane. A la suite de ce dernier pisode Mgr Gurard demanda et obtint des Suprieurs de vivre extra conventum :
dsormais la Foi lui imposait de se sparer physiquement de ces personnes qui - acceptant les nouvelles rformes allaient jusqu' perdre la foi. A ce moment-l il pensait se retirer dans un endroit de quasi-isolement, pour s'adonner la
prire et l'achvement de ses tudes. Mais l'homme propose et Dieu dispose.
Le Pre se consacra la prdication de retraites, il donna des confrences spcialement sur la situation prsente,
il servit les centres de Messe traditionnels.
Mgr Lefebvre ouvrait alors le sminaire d'Ecne et avait besoin de professeurs pour assurer l'enseignement. Le
P. Gurard fut demand pour donner des cours. C'est ainsi que dbuta la coopration du Pre avec la Fraternit S. Pie
X, mais plus particulirement avec Mgr Lefebvre auquel il chercha faire du bien, l'clairer sur les principes qu'exigent
la vrit et la cohrence dans l'action traditionaliste .
A cette poque le P. Gurard chercha l'explication thologique qui rend juste et lgitime le refus des nouvelles
rformes : il labora ainsi la thse par laquelle le pape , au moins depuis le 7 dcembre 1965, ouvertement et
objectivement, ne professa plus extrieurement la Foi, et cause de cela il perd ipso facto l'Autorit sur l' glise militante,
car il ne dirige plus ses actions en vue du bien de l' glise et du salut des mes. Comme jusqu' preuve du contraire son
lection semble valide et vu que jusqu' prsent personne, dans l'piscopat ne l'a mis officiellement en demeure de
retirer son hrsie, il reste qu'il est pape seulement matriellement non point formellement ( cf. Sodalitium n
13 , p. 18 24) et que, par consquent il ne doit pas tre cit au canon de la Sainte Messe, dans l'offrande de la Victime
6
Dieu.
Comme des divisions se manifestaient Ecne ce sujet tant parmi les professeurs que parmi les lves, Mgr
Lefebvre prit la dcision de purger le corps professoral. Et le P. Gurard fut congdi l'automne 1977, aprs avoir
prch aux sminaristes la retraite d'ouverture de l'anne scolaire au cours de laquelle il avait dit entre autres qu'il fallait
obir au pape comme un cadavre (non pas perinde ac cadaver mais sicut cadaveri ) !
Les rapports avec Mgr Lefebvre demeurrent bons cependant. Le P. Gurard donna l'habit de Tertiaire
dominicain certaines personnes ; il en avait les pouvoirs, mais il n'avait pas ceux de donner la Misricorde de
l'Ordre et donc il ne fit entrer personne dans l'Ordre proprement dit : Je sais n'en avoir pas ce droit et je l'ai dclar
explicitement , crivait-il quelque temps aprs. C'est pourquoi lorsque l'un de ces Tertiaires donna l'habit des
postulants, Monseigneur lui crivit pour lui dire qu'il n'en avait pas le droit et que lui-mme ne reconnaissait pas ces
jeunes-gens comme frres du Tiers-Ordre.
Vous prcisez que votre conduite est fonde, non sur l'inexistence du pape mais sur la foi catholique . Mais je
ne vois pas, dans l' glise catholique romaine, quon puisse tmoigner en faveur de la Foi, sans se situer avec exactitude
par rapport au Magistre tel qu'il est (ou parat tre) actuellement.
L'existence d'un Magistre infaillible, et qui affirme de lui-mme qu'il est infaillible, cette existence est une
condition sine qua non pour exercer la Foi, aussi bien au point de vue thortique quau point de vue pratique ...
Vous ajoutez, Monseigneur, que vous tenez compte, davantage que moi, des ralits aussi bien traditionalistes
que progressistes .
Mais enfin, convient-il de tenir compte du progressisme, si tant est qu'il soit une ralit ? Et vers quels tmoins
va-t-on ? sinon vers ceux qui ne font pas acception des personnes et qui enseignent la voie de Dieu selon la vrit
(Marc 12. 14).
C'est la vrit qui nous librera (Jean 8, 32) ; et elle seule. On ne peut pas rsoudre une question qui concerne
la vrit par la co-existence pacifique dans une pseudo- charit , ou par le silence qu'impose l'autorit. Cela, c'est le
procd de l'glise en droute, procd que suscite le pre du mensonge .
Bni soit celui qui vient au nom du Seigneur si ceux-ci se taisent, les pierres crieront (Luc, 19,40). Bnie soit
la vrit. Il ne faut pas la taire, il faut la crier.
L'inexistence (relative) du Pape (formaliter n'est pas, selon moi, comme vous l'crivez, un principe . C'est
l'inluctable consquence des faits observs ; et c'est, aussi bien pour tmoigner de la Foi que pour administrer dans
lglise les sacrements de la Foi, un indispensable prsuppos.
Dans la charit de la vrit, veuillez agrer,
Le Sacre
A la suite de pressantes invitations, le 7 mai 1981, le P. Gurard accepte d'tre consacr Evque par Mgr NGO
DINH THUC, Archevque de Hu (Vietnam), conscration valide, licite et lgale dont nous avons donn toutes les
explications dans notre Sodalitium n 13, p. 25-28 et n 16, p.33 et 34.
Pour quelle raison Mgr Gurard a-t-il t amen l'accepter aprs une anne environ de rflexion ? Lui-mme
va nous rpondre ; c'est la mme voix qui le conduisit la vocation :
La perception que j'ai eue quand je rentrai dans l'Ordre de la vrit a t pour moi une rsonance de mme vie,
de mme tonalit que l'intuition que j'ai eue de devoir accepter une sorte de voix intrieure, une pulsion intrieure. On
est m hors soi-mme quand il faut. On voit, on sent une certitude absolue, une sorte d'impression partir du plus
profond de l'me. Alors la premire intuition a a t : VERITAS. Et pour l'piscopat : HOC EST ENIM CORPUS
MEUM. Et j'ai compris : il faut tout faire pour sauver l Oblatio Munda.
Le sacre fut accompli sans que personne ne soit mis au courant, et cela dura un certain temps. Est-ce une erreur
? une imprudence ? l'acquiescement un conseil par trop prudent ? Quoi qu'il en soit, Monseigneur eut le courage et
l'humilit d'admettre qu'en cela il pouvait s'tre tromp. (Qui ne l'a jamais fait dans les milieux traditionalistes ?) Mais
beaucoup, sinon tous, profitrent de cette circonstance secondaire pour condamner l'acte mme de la conscration (ce
sont d'ailleurs les mmes, pour une bonne part, qui applaudissent aujourd'hui aux sacres de Mgr Lefebvre) : est-ce
honnte ? ... cela ressemble fort au libralisme ! Dieu jugera, mais les actes accomplis ont dj t poss sur la balance et
le Seigneur les a dj jugs.
Bien peu furent les amis qui restrent unis Monseigneur : avec l'piscopat il avait vraiment embrass toute la
croix. Abandonn de ceux sur lesquels il comptait, bless par l'incomprhension et la dformation de la Thse de
Cassiciacum et par la fermeture des esprits face la Vrit, Mgr Gurard connut une tristesse semblable celle de Jsus
au jardin des oliviers ; l'on peut vritablement lui appliquer les paroles d'Isae (63/3) : J'ai foul seul le pressoir et
parmi les peuples il n'y a personne qui soit avec moi .
Les calomnies
Lorsque quelqu'un est rest seul, il est facile de le calomnier pour diriger sur lui le mpris des autres. Un
exemple entre tous, encore une fois, Mgr Lefebvre au cours du Colloque de Montreux du 16 mars 1983, publi par
Marchons droit , de juin-septembre 1983 :
Le Pre Gurard des Lauriers et le Pre Barbara m'ont crit des stupidits et des insultes ; je ne leur ai jamais
rpondu. Je n'ai jamais insult quiconque de mes confrres s'est spar de moi ...
Deux considrations : les arguments de Mgr Gurard sont-ils des stupidits ? Appeler trahison les
demandes de compromis avec les modernistes, et tratre leur auteur, est-ce une insulte ? Quant la rponse, elle
s'imposait Mgr Lefebvre tant donn son attitude quivoque l'gard de la Foi : s'il ne l'a pas donne, le soupon sur
la Foi demeure. Moi je n'ai jamais insult ... Mgr Gurard rpond : Mais Mgr Lefebvre calomnie, chose qui est bien
pire et voici la calomnie : Le Pre Gurard des Lauriers est all Palmar de Troya pour voir si ce Pape pouvait tre
considr comme authentique. C'est le schisme. Ce n'est pas chacun d'entre nous de faire un Pape. On s'loigne de la
Pierre fondamentale, on s'loigne de l' glise . C'est faux : Mgr Gurard non seulement n'est pas all, mais il n'a jamais
imagin prendre en considration la question de Palmar ; il a dsapprouv que Mgr Thuc se soit laiss circonvenir par
eux. Bien plus, il a toujours refus la tendance de certains vques de la ligne Thuc de s'arroger un pouvoir de
juridiction et d'aller jusqu' lire un pape ; il a dfini une telle position sessionite crativiste ... qui flatte l'esprit
d'aventure (Sodalitium n 16 p. 22 et 24).
Mgr Lefebvre, bien que renseign sur la fausset de sa dclaration, n'a jamais rtract la calomnie, jamais il n'a
admis s'tre tromp. Alors, qui est-ce qui utilise les stupidits et les insultes et aussi les mensonges et les faux
tmoignages ? Ici galement : Dieu juge, et les actes poss, Il les a dj jugs.
Avant chaque conscration il a toujours spcifi la ncessit o l'on tait d'agir sans le Mandat Romain et le dsir
d'tre soumis un vrai Pape lorsque Dieu le donnerait son glise, mettant ainsi fin l'tat de vacance formelle
(Sodalitium n 16, p. 3 et 4).
L'amour de l' glise et de l'Oblation Pure ne l'arrtaient devant aucun sacrifice : malgr son grand ge il
n'hsitait pas faire des milliers de kilomtres pour prcher, assurer la S. Messe, administrer les Sacrements, visiter des
personnes dans le besoin, accepter mme des vocations avec la charge de prparer et donner les cours sans jamais
penser lui, ni sa fatigue, ni ses crises de foie qui l'obligeaient souvent garder le lit dans la souffrance.
Clairvoyance
Dans les derniers temps il a pu voir se raliser ses prvisions sur les vnements qu'aujourd'hui nous vivons.
Et d'abord l'croulement du Pre de Blignires, dont il connaissait les qualits mais dont il avait vu ce que d'autres
n'avaient pas discern : Ce sera un homme pour le meilleur ou pour le pire avait-il pronostiqu bien auparavant. En
1982 il crivait son propos : Je ne peux plus tre sr de lui. Il semble trop soucieux de conserver un contact (utile ?)
avec tous. Cela n'est pas rassurant .
Mais dj, partir du sacre de Mgr Gurard, le Pre de Blignires fit preuve d'une telle vhmence contre cet
acte, que son adhsion la thse de Cassiciacum ne parat pas entire. Dieu seul scrute les reins et les curs et connat
les intentions les plus caches ; mais Mgr Gurard a tent et jusqu' la fin espr ramener le Pre de Blignires sur la
bonne voie, malgr le mal rendu par le bien.
En ce qui concerne Mgr Lefebvre nous pouvons galement dire aujourd'hui que Mgr Gurard avait prvu la
faon dont il effectuerait des sacres :
II conviendra donc, si lesdites conscrations ont lieu, de ne pas se rjouir prmaturment. Il faudra examiner si
la question du mandat romain , normalement requis pour toute conscration piscopale, a t clairement pose, et
rsolue... Des conscrations piscopales qui seraient accomplies selon le rite traditionnel, mais ... una cum W (W =
Wojtyla) seraient valides ; mais, trangres la saine doctrine, charges de sacrilge puisqu'injurieuses pour le
Tmoignage de la trs sainte Foi, elles ne s'expliqueraient que par l'astuce de Satan . (Sodalitium n 16, p.16 et 17).
CONSECRATION, ce serait videmment tre schismatique. D'autre part, rejeter la CONSECRATION et admettre
(apparemment) la THESE, c'est dgrader celle-ci en une abstraction eidtique (purement logique et coupe de la ralit)
qui n'est plus le VRAI adquatement convertible avec la REALITE. La CONSECRATION prouve que quiconque, ftce sur un seul point, n'est pas pour la THESE, EN REALITE, est contre LA THESE ( qui n'est pas avec moi est
contre moi ; Luc XI, 23)...
Si on choisit de poursuivre la MISSIO sans en rfrer l autorit , c'est parce qu'on justifie ce comportement
apparemment anormal en affirmant que l autorit n'est pas l'Autorit, c'est--dire en affirmant la THESE au titre de
principe et en posant en acte que ce principe exige de poursuivre la MISSIO. Ds lors, ce qui s'oppose EX SE
la perduration de la MISSIO, s'oppose EX SE et IPSO FACTO la THESE, laquelle en est en droit le principe
ncessitant. Et comme, sans CONSECRATION la MISSIO ne peut durer, la conjoncture, c'est--dire le fait de
poursuivre la MISSIO sans en rfrer l autorit , entrane que, objectivement et concrtement, refuser la
CONSECRATION c'est nier la THESE. Autrement dit, la CONSECRATION ... tant une condition ncessaire pour
que subsiste une consquence, en fait, ncessaire de la THESE, empcher cette consquence (en refusant la
CONSECRATION), c'est en ralit refuser la THESE qui est le principe ncessitant de cette consquence .
Ces principes d'action, tudies et vcus par Mgr Gurard ont t d'une faon cohrente la rgle de sa vie durant
les dernires annes, jusqu' la fin : critiqu, moqu, et se voyant surtout abandonn, il n'a cess de professer la vrit.
Jusqu' maintenant, personne n'a su mieux que lui analyser la situation actuelle, personne n'a su rpondre aux objections
qu'il posait aux autres thses- prtendant rsoudre autrement la situation actuelle.
Defunctus adhuc loquitur : le dfunt parle encore, c'est bien le cas de Mgr Gurard parce que nous trouvons dans
ses crits et dans ses paroles la comprhension des faits d'aujourd'hui et de demain : la solution de la crise dans l' glise
apparatra lorsqu'on appliquera honntement tous les principes qu'il a exposs. Prendre, comme beaucoup, une partie
seulement de ce qu'il a enseign pour ne pas se salir les mains n'est pas honnte et ne rsout rien du tout. Mais
videmment faire sienne toute la Thse de Mgr Gurard, aujourd'hui, cote bien des humiliations et des
incomprhensions.
la mort au point de la produire, loin de la vouloir fuir. Seigneur, comme c'est grand de mourir de dsir, et je vous prie
ardemment de me faire tout humble si vous daigner faire rsonner en mon cur votre mystrieux : Si tu veux ...
(Matt. 19, 21).
Pour entrevoir comment mourir en Vous est simple, je ne dois pas considrer en moi la crature, la crature
humaine, la crature humaine et pcheresse confronte son crateur, l'Esprit subsistant, l'Amour subsistant. Ce qui
ternellement me fait et me fera simple, c'est--dire semblable Vous, c'est d'tre votre enfant. L'acte de mourir en
Vous est par excellence : acte issu de l'enfant, issu du dsir, mais sous la motion de la mystrieuse grce. Le dsir inspirateur de la mort bienheureuse procde de la crature; c'est un dsir inconditionn qui tend vers son objet, qui tend
galement tre infini. Or, le dsir, comme acte de la crature, est fini ; il ne peut tre infini que saisi en Dieu se faisant
immanent lui. C'est Dieu qui suscite le dsir, en tant qu'il attire. Nul ne vient moi si mon Pre ne l'attire (Jo.6,44).
Quand j'aurai t lev, j'attirerai tout moi (Jo. 12, 32). Le dsir est infini dans l'attrait o il repose.
Prcieuse pour Vous Seigneur la mort de chacun de vos enfants : Abba, Pater. Prcieux pour Vous le trpas de
ceux qui, en vertu de votre Amour, s'instruisent mutuellement de la plus secrte des Batitudes : celle de mourir et de
dcouvrir, dans l'acte mme de la mort, le signe suprme de votre sagesse : ceux-l manifestent, en de des larmes et
de la Gloire qu'ils se partagent, l'intime transcendance de votre immuable Attrait. Prcieuse Vous est. Seigneur, la mort
de chacun de vos saints dans votre Amour ; prcieuse Vous est la mort de tous vos saints ensemble dans ce mme
Amour .
13
Nous ne pourrons jamais assez remercier le Seigneur pour les grces dont II nous comble, mais la faveur que la
divine Providence m'a octroye, de pouvoir assister spirituellement Mgr Gurard des Lauriers pendant les 45 jours de
son hospitalisation, est telle que l'on ressent plus clairement sa propre indignit devant un tel bienfait.
Mgr Gurard est entr l'hpital de Cosne sur Loire le 10 janvier 1988 ; il y mourra le 27 fvrier.
La maladie
Mgr Gurard souffrait d'une grave insuffisance hpatique qui l'obligeait observer une dite particulire.
En octobre 1987 il eut une nouvelle aggravation, accompagne de douloureuses insomnies, avec des crises
frquentes qui le laissaient sans force. L'alimentation devenait de plus en plus difficile car il n'arrivait plus assimiler, en
sorte que le 10 janvier il se vit contraint d'entrer l'hpital.
Aliment uniquement par perfusions, il tait dans un tat d'extrme faiblesse ; souvent il passait les nuits dans
des crises terribles, sujet des secousses musculaires qui agitaient tout son corps, en gnral, tt, le matin, il parvenait
se reposer. Pendant le jour, la douleur au foie continuait se faire sentir, quelquefois de manire aigu, moins qu'il ne
ft tendu sur le ct : mais le fait de rester dans la mme position lui occasionnait des escarres l'obligeant changer de
ct, et c'tait le retour consquent de la douleur hpatique. Les rsultats des analyses rvlaient la prsence d'une
tumeur au colon sigmode, avec mtastases au foie et probablement un rein : tant donn l'tat avanc de la maladie,
en particulier le foie tant compltement pris, au point de ne pouvoir assurer aucune fonction, il n'tait plus possible
dsormais d'envisager un quelconque traitement.
Comme il n'avalait plus rien, les scrtions lui provoquaient une continuelle salivation qui l'empchait de parler
distinctement. De plus, arriv l'hpital tard dans la soire du 10 janvier, il fut mis dans une chambre encore froide, ce
qui lui causa une bronchite.
Quand je souffre moins - disait Monseigneur durant les premiers jours d'hpital - je crois que je vais pouvoir
crire un peu, mais ds que j'esquisse les gestes pour le faire, je suis clou [1].
Et pourtant, Monseigneur n'a pas hsit crire lettres et documents, lorsqu'il l'estimait ncessaire.
Vers la fin de janvier et le dbut de fvrier il avait repris assez de forces pour pouvoir se lever un peu, faire
quelques pas dans la chambre et rester assis plusieurs heures durant le jour. Mais ensuite, la maladie a repris le dessus, la
faiblesse a augment, le corps a commenc sentir la fatigue d'une aussi longue preuve qui se serait dnoue avant, si
la forte constitution de Monseigneur n'avait oppos au mal une rsistance durable.
Ce n'est pas tous les jours que l'on peut voir un Religieux se prparer, parmi les souffrances de la maladie, bien
mourir ; c'est encore plus rare de voir un thologien qui a su apporter une rponse aux problmes les plus difficiles,
continuer la recherche spculative dans les moments qui prcdent sa mort ; mais c'est rarissime de voir - et je dirais de
contempler - un homme de Dieu qui se prpare quitter cette terre pour rencontrer son Crateur.
Le Religieux
Mgr Gurard a donn l'exemple d'un Religieux. Dans son lit d'hpital il avait toujours son rosaire en main ;
souvent il invitait ses visiteurs rciter quelque prire avec lui ; il se recommandait tous pour que l'on prie pour lui
14
Le Thologien
Mgr Gurard a enseign durant toute sa vie ; sur son lit d'hpital il nous a peut-tre donn le meilleur de son
enseignement, celui qui touche directement le salut des mes.
La prire que je fais presque constamment : mon Sauveur chri , que mon corps pour mourir partage ton
Agonie dans l'infini dsir .
Je retrouve toujours une nouvelle profondeur pour chacune de ces paroles, participer l'agonie de Jsus est une
chose tellement immense, sans mesure, qu'on n'a jamais fini de l'approfondir. Alors, a, je suis en train de le vivre pour
ainsi dire .
On sait qu'il a gard sa lucidit presque jusqu' la fin au grand tonnement des mdecins et des infirmiers ; et
nonobstant la faiblesse et la fatigue, il a continu scruter la vrit pour diverses questions. Soit des arguments d'ordre
doctrinal, rpondant aux visiteurs, aux prtres, pour clairer, expliquer, approfondir certains aspects de la Thse de
Cassiciacum. Soit des arguments d'ordre pastoral : Je le vois encore assis sur le fauteuil de sa chambre d'hpital, montrer
l'Abb Ricossa, et moi, la situation des personnes qui manquent de ferveur, perdent le dsir d'embrasser la vrit
tout entire, se laissent aller et finalement s'arrtent sur des positions moins exigeantes, plus commodes. Combien de
personnes, de prtres mme, cherchent le nombre mais pas la vrit : pour conserver une plus grande quantit de
fidles , ils doivent taire certaines choses, et trahissent l'intgrit de la vrit. Il ne faut pas s'tonner, ajoutait-il, qu'il
en soit toujours ainsi, mais ceux qui mlent la vrit l'erreur ne sont pas destins durer : de mme que dans la nature
les hybrides ne se reproduisent pas, de mme ces personnes ne pourront continuer longtemps de la sorte : ils se
rangeront ou d'un ct ou de l'autre.
Accepter une compromission, mme dans un but qui serait bon, est une erreur la racine : a n'est pas ce qu'a
fait Jsus, surtout pour mourir. Donc il ne faut absolument pas faire cela. Tant pis, vous resterez un petit groupe .
Monseigneur n'a pas manqu de nous donner des conseils, avec beaucoup de dlicatesse, pour notre ministre,
nous suggrant de ne pas tre seulement missionnaires, mais aussi pasteurs des mes que le Seigneur nous confie :
L'intuition de saint Louis M. Grignon de Montfort il faut la raliser. C'est ce que vous faites dj, d'ailleurs,
mais allez plus loin dans la communication de la vrit. Je vous demande pardon : au lieu de devenir plus missionnaires
que pasteurs, que votre fonction de missiomaires prolonge celle de pasteurs.
15
Ce qui est difficile, trs difficile, mais je crois que le bon Dieu vous donne la lumire, la force et l'amour pour
accomplir cette tche : une fois que quelques-uns auront compris, et qu'ils seront avec vous, beaucoup viendront .
L'homme de Dieu
Lorsque Mgr Gurard fut hospitalis il ne pouvait plus avaler mme une goutte d'eau. Et pourtant, tous les
jours, il put recevoir comme unique nourriture la Sainte Communion. Il vivait par et pour l'Eucharistie, son unique joie,
qu'il rayonnait et transmettait aux autres. Aprs la Communion il prolongeait son action de grces, durant laquelle on
voyait pour ainsi dire sensiblement son me s'emplir du surnaturel et il lui arrivait parfois de faire ensuite partager aux
prsents ce qu'il avait dcouvert et mdit. Il n'oubliait jamais de remercier celui qui lui apportait la Sainte Communion :
C'est le viatique qui donne la mesure de toute chose, le dsir, l'infini dsir, la participation l'agonie et la
pntration de la mesure infinie de l'agonie de Jsus. C'est la Communion qui assigne la mesure de Croix que je dois
porter pour ce jour-ci .
Monseigneur n'a pas refus la Croix que le Seigneur lui envoyait : il l'a accepte avec un abandon total en union
avec les souffrances de Notre Seigneur durant Sa Passion :
C'est le degr qui compte. Le degr dans l'agonie, le degr dans l'abandon, le degr dans le dsir. J'ai dsir la
Croix. C'est bien a la loi de l'Amour. Quant on y est, c'est moins facile qu'on pouvait croire. Mais la grce du bon Dieu
est l. Nous avons des gnreux dsirs, quand il faut les accomplir, c'est plus difficile .
Il n'a pas cach la lutte intrieure qu'il soutenait alors : tous il demandait leurs prires pour que je sois fidle,
pour que je reste dans l'abandon . Il se plaignait rarement, mais son visage laissait entrevoir l'effort dans l'preuve.
Quelqu'un pensera peut-tre qu'au milieu de tant de souffrances physiques la prsence du Seigneur le consolait,
comme une compensation aux douleurs du corps. Mgr Gurard a bu jusqu'au fond au calice amer de la Passion, tant
limitation de Notre Sauveur, dans la dsolation spirituelle, priv des grces sensibles que le Seigneur accorde pour nous
aider supporter les peines quotidiennes. Jsus semblait abandonner son me et se taisait : C'est un grand silence.
C'est la Foi, la pure foi, en sorte que je reste ouvert l'une comme l'autre : une gurison miraculeuse, ou bien la
mort .
Parfois je redis Jsus la prire : Seigneur, fils de David, ayez piti de nous . Et Jsus rpondit : Volo.
Mundare. Je le veux. Sois guri . Jsus peut me gurir. Quand II vient, je Lui adresse cette prire, trs humblement en
me remettant Sa trs Sainte Volont . C'est l'abandon : ou bien Jsus veut que je gurisse, ou que je meure .
Mais parmi tant de tribulations, Monseigneur n'a jamais cd des mouvements de relchement, ni de dsespoir
:
Je rpte souvent : Non recuso laborem, je ne refuse pas le travail , si le bon Dieu me laisse sur terre. Je crois
pouvoir dire : je suis vraiment dans l'indiffrence complte. Qu'il use de moi comme II veut. Tout ce qu'il veut .
Toutes ces actions ont t surnaturelles. Mme dans les moments de plus grande souffrance, il tournait son
regard vers les images, runies comme dans un tryptique, des Saints protecteurs de son Ordre : S. Dominique, S.
Thomas d'Aquin, Ste Catherine.
Lorsqu'il recevait la Sainte Communion, il tait un exemple de dvotion et de pit, par son recueillement
intrieur et la foi qui transparaissaient dans tous ses gestes. Que son me ft pure et ret des lumires particulires, cela
se voyait dans ses yeux : limpides, d'une extraordinaire clart, ils semblaient immergs dans la vision des choses clestes,
dans la possession et dans la contemplation de la Vrit : tellement que tout son visage semblait irradi de cette lumire
et la transmettait quiconque pouvait la voir.
Beaucoup venaient lui rendre visite, souvent pour trouver une consolation auprs de lui : Monseigneur coutait,
parfois donnait de brves rponses, mais plus souvent se taisait ; alors, en reconnaissance de la visite, c'est son lumineux
sourire qu'il donnait et qui remplissait l'me de celui qui le recevait.
Lorsqu'il parlait de quelque chose, il allait jusqu'au fond du sujet mais comme ce gnreux effort lui causait une
grande fatigue, les personnes qui le connaissaient bien renonaient lui poser des questions pour ne pas alourdir ses
16
preuves ; et les visites se faisaient alors dans un silence, non pas vide mais plus expressif que bien des paroles.
La Fin
Durant la seconde quinzaine de fvrier l'tat du malade avait continu de s'aggraver : ses nuits n'taient
qu'angoisse et convulsions et ses journes puisement, fatigue et faiblesse.
Aprs une nuit o il s'tait senti particulirement mal, il voulu faire une seconde fois sa confession gnrale : il
se rendait compte, sans le dire, qu'il ne se relverait plus. Son visage tait dcharn et sa tte qu'habituellement il tenait
incline pour diminuer la douleur ne pouvait plus se soulever sans qu'on lui vienne en aide.
Le mardi 23 fvrier il reut la Sainte Communion en viatique, ce qui le consola beaucoup. Les deux jours
suivants il russit prendre seul un fragment d'Hostie.
Depuis de nombreux mois Monseigneur souffrait d'une sorte d'amertume intrieure dont il avait demand au
Seigneur d'tre dlivr. Il fut exauc le jeudi 25 fvrier, et ce fut une matine de si grande consolation qu'il en parla
ceux qui l'entouraient :
La Sainte Vierge a t l'amertume et aussi l'angoisse. Alors j'ai demand la permission la Sainte Vierge de
continuer la joie de la crucifixion ou bien de poursuivre dans cette joie. Alors c'est pour moi un signe de sa sollicitude
maternelle. C'est une grande grce de srnit. Je souffre beaucoup et c'est dans la paix de la volont du bon Dieu qui
doit s'accomplir entirement en moi. Je n'ai qu' poursuivre dans la voie que le bon Dieu m'a ainsi trace, qui, certes, est
trs douloureuse mais qui rpond toutes les conditions que j'ai pressenties devoir se raliser. Donc je vous invite
rendre grces, poursuivre pour l'action de grces et la confiance et l'abandon. Voil l'essentiel de ce que je voulais vous
dire ce matin car c'est un grand vnement dans ma vie et qu'il vous rassure dans la grande conviction de la vrit.
Misericordiam Domini in aeternum cantabo. Je vous demande alors de ne pas tre dans la tristesse mais dans l'action de
grces et la joie.
Persvrez avec ardeur, enthousiasme. Je ne pouvais pas avoir un signe plus grand, tant donn la situation. Je
voudrais que cette nouvelle vous soit consolation et encouragement a persvrer dans la mme joie, dans la mme
certitude, dans la mme Foi. Je souffre encore beaucoup mais c'est le programme : que Dieu nous conserve dans cette
grce, car elle est fragile. Dieu peut la retirer si nous nous prvalions de la faveur reue, mais j'espre que l'humilit nous
prservera de ce danger et de cette erreur.
Quelques moments aprs, Monseigneur demanda si l'on tait le samedi : apprenant que c'tait jeudi il s'attrista
de devoir attendre encore deux jours. Avait-il pressenti qu'il quitterait la terre le jour consacr la Sainte Vierge ? Ce fut
l'impression des personnes prsentes. Il attendait une visite dans l'aprs-midi : il demanda qu'on fasse venir la personne
au plus tt, avant l'heure prvue ; ce ne fut pas possible. Au dbut de l'aprs-midi, Monseigneur, en raison de sa trs
grande faiblesse, n'eut plus la force de parler ; malgr ses efforts il n'arriva pas adresser la parole son visiteur.
Le vendredi 26 fvrier, pour la premire fois, il lui fut impossible de communier : il ne pouvait plus ouvrir la
bouche et malgr l'aide des assistants les mchoires restaient contractes. Il pleura en ralisant qu'il devait faire mme le
sacrifice de ce qu'il avait de plus cher au monde ici-bas, Jsus-Hostie. Alors il ferma les yeux, et entra dans une solitude
o personne ne pouvait accder.
Lorsqu'on l'appelait, il ouvrait avec peine les yeux, mais il n'y avait plus aucune raction dans ses membres. La
respiration tait difficile cause d'une autre bronchite, le catarrhe risquait de le suffoquer et les infirmiers lui faisaient
des sondes nasales trs pnibles.
En le voyant, l'on ne pouvait s'empcher d'voquer l'Homme des douleurs, Notre Seigneur souffrant durant Sa
Passion : du sommet du corps jusqu' la plante des pieds tout tait dans la souffrance : dans le nez la sonde, au cou la
perfusion, les artres des bras piques par les perfusions prcdentes, l'appareil digestif, l'picentre de ses douleurs, les
poumons encombrs par le catarrhe, les hanches et les jambes ayant des escarres, une sonde urinaire, les pieds
enflamms. Les personnes prsentes , aprs avoir rcit les prires pour les agonisants, restrent son chevet pour prier.
Le 27 fvrier 1988, 3 heures environ du matin, tout coup la respiration redevint tranquille, comme si le
catarrhe avait disparu, et tandis que les assistants rcitaient les prires pour le trpas, son me s'en allait vers le
Seigneur : il tait 3 heures 10. Le corps ayant cess de souffrir, tous les membres semblrent trouver un peu de repos et
17
le visage sembla prendre une expression plus tranquille. Monseigneur avait termin sa passion.
L'on n'a pas trouv un semblable lui qui gardt la loi du Seigneur
Monseigneur eut toujours une tendre dvotion la Sainte Vierge. Maintenant qu'il n'est plus l, maintenant que
nous prouvons la douleur de sa mort, maintenant que nous ressentons son absence, maintenant que nous nous
sentons pousss aux larmes de douleur comme des orphelins qui viennent de perdre leur pre, mme pour ces
moments Monseigneur a pens nous : il nous a laiss encore le rconfort de ses paroles, il nous a laiss sa dvotion
la Sainte Vierge, lInviolata.
Il y a deux noms : Immacule Conception et Fulgida Cli Porta : mais c'est la mme ralit sublime, quasi
divine, de notre Mre que nous adorons comme effet de la Sagesse du bon Dieu. S'il y a pour vous des heures
douloureuses, cause de tout ce qui va se passer, que ce soit votre cantique intrieur : Inviolata, puis Fulgida Cli Porta.
Que ce refrain du ciel vous dlivre des tristesses de la terre. Que ce chant chante dans votre cur et vous enchante. Il
faut quelque chose pour cela, un peu de volont pour s'arracher toutes les contingences avec lesquelles on ne peut pas
ne pas tre confront.
Mais de toute faon je prierai pour que vous en ayez la grce et pour que ce chant berce toute votre vie, o
qu'elle se droule. J'espre qu'avec beaucoup de volont, de ferveur, cette joie cleste - qui fait qu'on vit un peu dans le
Ciel, dj sur terre - vous soutiendra. Que ce soit votre viatique que vous porterez dans votre cur.
La srnit rconfortera d'autres mes qui vgtent pour ainsi dire, parce qu'elles ignorent ces splendeurs que le
bon Dieu met misricordieusement notre disposition. Voil, mes chers enfants, je vous veillerai du haut du ciel
comme si j'tais encore sur terre : que le bon Dieu fasse sa Sainte Volont.
Le plus grand cadeau qu'il nous fait c'est notre Mre. Elle est votre Mre, votre Maman chacun et elle saura
trouver dans son Intelligence, dans son Cur, dans sa Tendresse, les accents qui consoleront vos mes, qui scheront
votre douleur, qui transformeront mme les pleurs en pierres prcieuses pour le Ciel. Et il n'y a rien de plus beau sur
terre que les larmes que l'on rpand par amour. Bienheureux ceux qui pleurent parce qu'ils seront consols et bienheureux ceux qui pleurent parce qu'ils consolent Jsus et ils consolent sa Mre. C'est comme des perles brillantes sur la
terre o il y a tant de pourriture, de pch, ou de choses qui amnent le dgot de Dieu.
Mais quand le bon Dieu voit des mes qui pleurent dans l'Amour, qui acceptent dans les larmes, avec un grand
amour, le don que le bon Dieu leur fait - de leur donner une Maman qui les veille - le bon Dieu est consol et son
regard courrouc qui tomberait sur la terre cause du pch se trouve apais : II ne peut pas ngliger, ne pas tenir
compte de ces larmes intrieures. Alors ne craignez pas si le don vous en est fait, de pleurer, de pleurer ces larmes
d'amour en pensant la tendresse de votre Maman du Ciel, l'Immacule et la Porte clatante du Ciel.
Or ces vrits il faut les vivre, jusqu'au moment o tout prs de la mort, on touche l'achvement de Marie ellemme. Je vous confie elle. Et je continuerai le faire du haut du Ciel en esprant que le bon Dieu me privera de
l'ternelle misre cause de Marie, ma Maman. Au-dessus des vicissitudes de la terre que nous avons vivre, que ce
chant l'emporte sur tout et qu'ainsi vos larmes lgitimes soient apaises, transfigures, qu'elles deviennent des pierres
tincelantes qui ornent la Fulgida Cli Porta.
18
DOCUMENTS
Dclaration de Mgr Gurard des Lauriers
Prsentation
Nous publions la dclaration suivante faite solennellement par le R.P. Gurard au moment o l'on commena
dans les glises catholiques clbrer la dite nouvelle messe . Ce texte fut publi une premire fois en 1969 dans la
revue Itinraires et republi dans le numro 146 de septembre - octobre 1970 dans la mme revue. Le Pre Gurard fut
le premier, avec deux autres confrres, manifester publiquement son refus d'adopter le Novus Ordo Missae. Cette
dclaration a donc une grande valeur historique et c'est pourquoi nous la reproduisons dans ce numro ddi la
mmoire de Mgr Gurard , dfenseur de la premire heure du Saint Sacrifice de la Messe et de son rite immmorial.
Sodalitium
Dclaration
La supplique qu'ont adresse au Pape les Cardinaux OTTAVIANI et BACCI propos du nouvel Ordo Missae
est maintenant bien connue.
Elle appartient au pass et l'histoire.
Elle ne laisse pas, cependant, d'appartenir au prsent.
Les circonstances, et je crois, par elles, la Providence m'ont induit jusqu' prsent conserver l'anonymat. M
par la profonde conviction qu'il suffit de restaurer la juste expression de la Vrit, pour que resplendisse, persuasive, la
lumire de la trs sainte Foi , j'ai apport une collaboration dcide la rdaction du Breve Esame Critico. En accord
avec d'autres thologiens, j'ai dvelopp (Pense catholique, n 122) l'aspect doctrinal des considrants contenus dans le
Breve Esame.
J'ai os esprer qu'clairer suffirait.
Des circonstances nouvelles, et, par elles - je le crois derechef, la Providence - m'inclinent imprieusement
tmoigner personnellement de ce que j'ai exprim objectivement.
Je pense surtout au dsarroi que provoque, en de trs nombreux prtres et fidles, une doctrine insolite que
l'instinct de la foi estime spontanment suspecte, sans pour autant russir en discriminer l'errance ; l'observation de
S. Thomas reoit actuellement une clatante confirmation.
Je dclare donc que les arguments dvelopps dans les deux tudes prcites n'ont pas seulement pour moi une
valeur thorique. Ils tablissent que cest prcisment dans l'ordre pratique que le nouvel Ord missae et l'Institutio generalis
qui en est le commentaire officiel constituent pour le moins un cart, un faux pas hors la ligne dont le Concile de
Trente a fix les normes, et cela dfinitivement, ad perpetuam rei memoriam.
Y a-t-il vraiment un pas ? Ce pas (?) n'est-il qu'apparent, faux en son origine obscurment, comme il est
faux en son aboutissant manifestement ?[2] J'aime le supposer. Je ne l'examine pas. D'autres l'ont fait, et bien fait.
Ce pseudo pas (?) est-il rectifi par des discours ou par des commentaires, si autoriss soient-ils ? Il n'en
est rien[3].
Les discours se succdent au fil des jours, ils passent. La Constitution apostolique Missale Romanum se rfre la
Constitution apostolique de S. Pie V Quo primum. Celle-ci est-elle abroge par celle-l ? On en discute. Je ne le pense pas.
Quoi qu'il en soit, au regard de la multitude, tort ou raison, la Constitution apostolique Missale Romanum est revtue
du prestige de la loi. A ce titre, en fait, et pour l'opinion, elle demeure.
La supplique des deux Cardinaux appartient donc bien au prsent.
19
Je souscris sans rserve tous les termes de cette supplique, en particulier l'affirmation suivante : Come dimostra
sufficientemente il pur brve esame critico allegato ... il Novus Ord Missae . . . rappresenta sia nel suo insieme come nel particolari, un
impressionante allontanamento della teologia cattolica della Santa Messa, quale f formolata nella Sessione XXII del Concilio Tridentino,
il quale, fissando definitivamente i canoni del rito, eresse una barriera invalicabile contro qualunque eresia che intacasse l'integrit del
Mistero.[4]
En consquence, je dclare ne pas pouvoir utiliser le nouvel Ordo Missae.
M.L. Gurard des Lauriers, O.P.
20
Je suis venu jeter le feu sur la terre, que dsir-je, sinon qu'il s'allume ? [5]
Nous sommes convis, tout au long de notre vie, soit dans l'ordre moral, soit plus encore dans l'ordre thologal
poser des actes de vertu de foi, d'esprance, de charit, ces vertus thologales informant toutes les autres. Il importe
extrmement que nos actes soient des actes fervents. C'est le dsir de Jsus. Plaons sous son patronage quelques
rflexions sur la nature de l'acte fervent.
La ferveur, selon la dfinition classique que l'on en donne, c'est simplement un certain degr dans la charit.
Mais je voulais attirer votre attention ce matin sur l'importance de l'acte fervent un autre point de vue. La ferveur ne
modifie pas seulement le degr de l'acte, elle en change aussi l'conomie ; celle-ci tant d'ailleurs considre en regard de
nous-mme, en regard de Dieu, et en regard des autres. En sorte que l'importance des actes fervents a un caractre en
quelque sorte totalitaire. Elle ne concerne pas seulement notre progrs individuel dans la vertu, mais elle concerne aussi
une situation d'ensemble : la ferveur appartient l'enfant de Dieu, mais aussi l'image de Dieu et au membre du Corps
mystique. Ce ne sont d'ailleurs pas des vrits nouvelles que je vais vous dire ; nous savons bien que le moindre des
actes que nous posons, tant donne la solidarit qui lie tous les membres du Christ, entrane prcisment un
exhaussement du degr de charit dans tout le Corps mystique.
Comment cela se fait-il ? Le fondement de cette vrit, c'est que nous sommes image de Dieu, et que la
similitude plus grande qui rsulte de l'acte fervent entre Dieu et celui qui le pose entrane comme sa consquence
ncessaire -vu la solidarit entre les membres du Corps mystique - une nouvelle assimilation de tous Dieu, entrane
donc un exhaussement du niveau de la charit de chacun par le fait de l'exhaussement de la charit d'un seul.
Nous allons voir quels sont les conditionnements de l'acte fervent, envisag respectivement par rapport nousmme, par rapport Dieu dont nous sommes l'image et par rapport aux autres.
Partons de cette remarque trs simple que l'acte fervent consiste exercer la charit - soit pour elle-mme, soit
en tant qu'elle est forme de l'acte - un certain degr, un degr qui passe le niveau de l'exercice habituel ; ce degr de
l'acte fervent est, au moment o l'acte est pos, le degr maximum dont nous sommes capable, et ce degr dpasse
l'exercice ordinaire antcdent. L'acte fervent n'a videmment pas toujours la mme mesure, suivant les diffrentes
phases du progrs de la charit : plus nous sommes prs de Dieu et plus aussi l'acte fervent doit devenir fervent. Le
progrs de l'habitus de charit se ralise comme le progrs de tous les autres habitus ; c'est par des actes fervents, qui
passent le rgime actuellement ralis, qu'un nouveau degr est atteint.
La comparaison que prennent habituellement les scolastiques pour expliquer cela est celle des gouttes de pluie
qui creusent le rocher ; il ne faut pas croire que chaque goutte enlve une petite parcelle, et que le trou est fait par
l'addition pure et simple de l'action de chaque goutte ; il y a un certain nombre de gouttes qui prparent le terrain - si
lon peut dire -, qui amollissent, qui pntrent la roche mais sans rien ter, et c'est la dernire goutte qui enlve la
parcelle prte tre dtache.
Eh bien, dans l'ordre moral, il en va de mme. Il y a un certain nombre d'actes, qui nous cotent d'ailleurs
davantage, et qui prparent notre me a recevoir un degr nouveau de charit, et c'est le dernier acte, cet acte que
prcisment nous appelons l'acte fervent, plus intense que les autres, qui nous entrane un accroissement de l'habitus de
charit. L'acte fervent c'est donc l'acte qui mesure d'une manire adquate le degr de grce actuellement, et
gratuitement donn. Puis, ensuite, le processus recommence : nous ne pouvons plus, tant un certain degr de charit,
poser des actes qui sont infrieurs ce degr sans dfaillir. Nous le pouvons, en ce sens que c'est une chose possible ;
mais ces actes qu'on appelle en thologie des actes remissi, c'est--dire des actes qui sont infrieurs au degr dont
effectivement nous sommes capables, nous font souvent beaucoup plus de mal que des pchs, parce qu'il nous
habituent un rgime thologal qui est infrieur celui que nous devrions tenir, et cela d'une manire subreptice, en
sorte que nous ne nous en apercevons pas : un pch nous est conscient comme pch - suppos que notre conscience
soit dj suffisamment dlicate -, tandis que des actes moins fervents que ceux que nous pouvons poser nous sont, de
soi, moins sensibles que des pchs. Et c'est un cueil auquel il faut tre extrmement attentif puisque c'est cela qui
21
explique que tant de vies qui devraient tre ferventes, et qui taient parties pour la ferveur, en fait vgtent et demeurent
trs infrieures ce qu'elles, devaient produire.
Donc l'acte fervent inaugure un nouveau rgime de la charit, et il est impossible sans faute ni inconvnient
grave de dchoir ensuite de ce rgime. L'acte fervent de charit n'est rien autre qu'une communion plus intense au Dieu
qui est Amour ; et c'est ce point-l qu1il est important de .mettre en relief , c'est ce que nous allons essayer de faire.
Nous savons tous que l'acte fervent a un degr plus grand que les autres actes ; c'est sa dfinition mme, mais peutre nous ne prenons pas assez garde, habituellement, aux raisons profondes de l'accroissement de la charit et aux
rpercussions qu'il a dans toute la vie thologale.
Puisque l'acte de charit est une communion au Dieu qui est Amour, plus l'acte est fervent plus aussi il doit
raliser la nature mme de la charit, c'est--dire tre une communion au Dieu Amour. Le progrs quant au degr est le
plus sensible pour nous, parce que nous enregistrons toujours les choses d'une manire quantitative : c'est le plus simple
; mais ce progrs quant au degr s'accompagne d'un progrs en qualit: c'est--dire que l'acte fervent ralise mieux la
nature de la charit que l'acte qui ne l'est pas. Et comme la nature de la charit est une communion au Dieu qui est
Amour, il suit que l'acte fervent met en uvre d'une manire plus profonde les ressources de cette communion au Dieu
qui est Amour : en sorte que l'tre de l'acte fervent est en quelque sorte davantage produit par Dieu que l'tre de l'acte
qui est moins fervent.
Allons l'extrme : c'est toujours le plus, simple, en vue de comprendre les cas intermdiaires. Dans la vision
batifique l'acte pos par nous consistera uniquement participer la vision que Dieu a de lui-mme ; il n'y a pas, dans
cet acte de vision de Dieu par nous, un verbe qui soit pos par nous, cela entranerait un intermdiaire cr entre Dieu
et nous, et cela, vous le savez, est exclu. En sorte que dans cet acte de vision qui s'accompagnera videmment de la
charit au degr de ferveur maximum, nous voyons bien que l'tre de l'acte n'a plus la mme conomie que l'tre de nos
actes de foi et de charit sur la terre. Il y a comme un renversement quant la structure mme de l'acte : au lieu que
l'tre de l'acte repose sur la productivit du sujet cr, il ne consiste plus qu'en la participation par le sujet cr de
l'Essence mme de Dieu. C'est videmment un mystre. Comment un acte qui reste un acte de nous - et cela il faut le
maintenir, sans cela ce n'est pas nous qui serions batifis -, comment un tel acte peut-il, en conservant une mesure
cre puisque c'est notre acte nous, consister nanmoins dans son tre mme en une participation de l'tre mme de
Dieu ? C'est le mystre de la vision : nous y accdons graduellement par le progrs de la foi et de l'amour ; mais ce
mystre, en retour, nous permet de comprendre d'une manire plus nette ce en quoi consiste le caractre original de
1'acte fervent.
Ce que la vision batifique ralise d'une manire dcisive et absolue, savoir que le contenu d'tre de l'acte de
vision est constitu uniquement par l'acte mme de contemplation que Dieu a de lui-mme, semblablement nos actes
fervents le ralisent, leur mesure respective : l'tre de l'acte, au lieu de reposer principalement, -voire uniquement dans
les moments d'preuve-, sur la productivit du sujet, arm videmment des vertus thologales, l'tre de cet acte repose
au contraire sur le don actuel de Dieu. Les dons du Saint-Esprit, bien entendu, mettent cet aspect en un vif relief. Il
faut en dire autant de l'acte fervent de charit ; l'association, la conjonction de la Cause incre et de la cause cre y est
diffrente de ce qu'elle est habituellement : c'est--dire que, encore une fois, la production de l'acte dpend autant et
plus de l'initiative de Dieu et d'une productivit qui vient immdiatement de Dieu lui-mme, que de notre productivit
nous.
Et de l rsulte que nous devenons, par l'acte fervent, image de Dieu un degr qui est autre, d'une autre faon ;
car, plus l'acte fervent est russi, et la .mesure mme o la ferveur progresse, nous posons un acte dans lequel la
mesure est de nous, la mesure est de la personne cre que nous sommes, et dans lequel cependant l'tre de l'acte
ressortit Dieu. C'est une difficult certes, pour un mtaphysicien, d analyser le statut d'un tel acte, le statut d'une ralit
dans laquelle la mesure de l'tre et l'tre mme ressortissent deux principes qui sont diffrents : d'une part la personne
cre d'o vient la mesure de l'acte, et d'autre part la Personne incre qui fournit comme la substance intime de l'tre
de l'acte.
Et cependant c'est bien un tel rgime que peut peu nous devons raliser, par le progrs de la ferveur : dans
l'attente de la vision o dfinitivement il ne restera, comme contribution propre de la crature dans l'acte de vision, que
la dtermination qu'elle impose et qui constitue en propre la vocation ternelle d'un chacun, mais o le contenu de l'acte
de vision, identique pour tous, c'est l'acte mme dans lequel Dieu ternellement se contemple. La ferveur nous
harmonise donc progressivement ce statut d'un acte dont les deux composantes essentielles : la mesure d'une part, et
l'tre d'autre part, ressortissent une personne cre et une Personne Incree. C'est le mystre mme de la charit qui
permet la production par nous d'un tel acte en vertu de notre assimilation Dieu ; ce Dieu agissant en nous, et pour
22
autant nous agissant parce que nous sommes assimils Lui, produit prcisment l'tre de l'acte, mais cette production
est davantage son compte Lui qu'au ntre.
L'acte fervent actue en nous l'image de Dieu d'une manire beaucoup plus parfaite. C'est qu'en effet dans le
mystre de la Trinit Sainte nous pouvons concevoir chaque Personne divine comme constituant la mesure d'un acte
d'tre, mais acte d'tre dont le contenu doit tre rfr l'Essence Trine. En sorte que nous trouvons dans la relation
qui existe entre les Personnes divines une structure qui est toute semblable celle dont nous parlions l'instant
propos de l'acte fervent. L'opration gnratrice, ou gnration active envisage partir de la Personne du Pre, d'une
part est mesure par le Pre dans son ineffable Paternit, c'est--dire dans le secret de sa Personne, mais d'autre part
l'acte d'tre de cette gnration active est bien identique l'tre de l'Essence Trine. En sorte que la gnration active, - et
nous en dirions autant de tout ce qui a raison de procession au sein de la Trinit -, jouit de ce privilge, constitue pour
nous un mystre semblable celui de l'acte fervent : d'une part la mesure de l'acte ressortit un premier principe, et
d'autre part l'acte d'tre, le contenu de l'acte ressortit un second principe qui est distinct du premier. L'acte fervent et
la procession divine ont donc, si on peut dire, mme structure ontologique. Ainsi comprenons-nous que la ferveur nous
rend effectivement mieux image de Dieu. Plus nous sommes fervents, plus nous sommes proches de Dieu. Voil ce que
nous sentons, instinctivement et simplement. Mais en quoi consiste cette proximit ? En ceci que la structure mme de
notre relation Dieu dans le moment o nous sommes dans la ferveur devient comme l'empreinte d'une structure qui
est intime Dieu Lui-mme. Le comportement intra-divin, en vertu duquel les Personnes divines sont la fois gales
selon l'tre et distinctes personnellement, ce comportement intra-divin s'imprime dans la relation de l'me fervente avec
Dieu ; un mme acte, une mme ralit, la fois est mesure par un premier principe et la fois subsiste en vertu d'un
second principe. Nous ne faisons qu'clairer un mystre par un autre : le mystre de la vie intime de Dieu compar au
mystre de notre intimit avec lui. Plus le mystre de notre intimit avec Lui devient profond, ralisant mieux, de par la
ferveur, l'essence de l'amour qui est assimilation, plus aussi notre acte devient par l mme image de l'acte intime d e
Dieu.
Voil donc un premier point qui est fort important. L'acte fervent ne consiste pas seulement pour nous en une
perfection plus grande - ce qui. est un premier argument si nous en avons besoin pour nous stimuler demeurer dans la
ferveur -, mais il ralise mieux aussi notre destination essentielle qui est d'tre image de Dieu. Toutes les cratures sont
images de Dieu, mais nous, nous le sommes minemment ; c'est notre fonction la plus haute que de manifester la gloire
de Dieu en tant son image ; eh bien, la ferveur nous fait tre effectivement image de Dieu d'une manire qui est plus
parfaite. La ferveur c'est pour ainsi dire l'clat de l'image, ce qui donne l'image sa splendeur.
tre fervent, pratiquement, c'est aimer de tout son cur, c'est pratiquer l'entiret de l'amour, c'est accueillir la
croix sous toutes les formes o elle se prsente. La croix prcisment exige de nous la production d'un acte fervent ; et
cela se comprend trs simplement par ce qui prcde : il est impossible en effet que nous nous prsentions de gaiet de
cur pour poser un acte qui nous mortifie . L'acte mme que nous posons quand nous acceptons ce qu'en gnral
nous appelons la croix, ne peut pas ne pas jouir de la proprit que nous avons reconnue l'acte fervent. La mesure de
l'acte ncessairement reste de nous, c'est bien nous qui avons 'accueillir la contrarit qui maintenant se prsente
devant nous et l'accueillir dans la vue de la croix de Notre-Seigneur, mais l'tre de l'acte - c'est l prcisment le
mystre de l'accueil de la croix dans la communion la Croix -, l'tre de l'acte de plus en plus doit tre gratuitement
fourni par Dieu. Si nous ne faisons que nous rsigner aux difficults qui nous viennent du dehors nous savons bien que
nous avons les porter ; c'est nous qui, alors, portons l'tre de l'acte qu'il y a poser. Si au contraire nous communions
l'amour qui nous propose notre croix comme un moyen de communion la Croix rdemptrice, il se fait que c'est
l'influx mme de Dieu nous proposant croix et Croix qui porte l'acte que nous avons poser. Cela c'est une exprience
que vous avez videmment faite, il n'y a pas de chrtien qui n'ait fait cette exprience-l. Si on accueille la croix dans
l'amour on est port pour porter la croix ; si on ne fait que se rsigner aux difficults qui viennent de l'extrieur, on a
sa charge tout le poids de l'acte qu'il y a poser. La rsignation est, tout prendre, une chose plus difficile que la ferveur
dans l'accueil de la croix. Il n'est question que de franchir un pas, prcisment, et d'entrer, en vertu de l'assimilation de
l'amour, en une communion telle avec Dieu qui prside tout, - aussi bien l'Incarnation rdemptrice dans son
ensemble qu' notre communion personnelle cette Incarnation rdemptrice -, d'entrer avec Lui en une communion
telle que ce soit Lui qui uvre en nous et non pas nous qui ayons nous seuls uvrer pour accepter la croix.
En sorte que l'acte d'acceptation de la croix, s'il est pos conformment la Sagesse divine, doit raliser ce
statut ontologique dont nous parlions aussi bien propos de l'acte fervent que de l'Acte intime de Dieu. La mesure de
l'acte reste ncessairement de nous, mais l'tre de l'acte doit de plus en plus venir de Dieu dans la mesure mme o
nous savons communier Lui, faire de la croix qu'il nous propose son uvre Lui au travers de nous, et non pas
l'uvre laborieuse de notre rsignation.
23
Voil donc les deux points qui s'harmonisent l'un l'autre. Par l'acte fervent nous sommes plus parfaitement
image de Dieu, par l'acte fervent nous sommes conduits mieux comprendre la croix telle qu'elle se prsente dans
notre vie. Et c'est pourquoi les deux choses sont absolument insparables : nous ne pouvons pas scruter le Mystre
incr et nous reposer dans son immuable Batitude sans en mme temps accueillir - et un degr corrlatif - la croix
telle qu'elle se prsente dans nos vies. Il n'y a pas de contemplation sans ascse, ni d'ascse sans contemplation. Il y a
mille faons de redire la mme chose, mais la structure de l'acte fervent nous la redit d 'une manire qui, du point de
vue de l'amour, semble particulirement loquente et intimement contraignante.
Et enfin il y a un troisime aspect fervent, un corollaire qui est inclus dans sa nature ; savoir qu'en vertu de cet
acte t la solidarit qui existe entre tous les chrtiens images de Dieu, entre tous les membres du Corps mystique, passe
l'acte, s'actue d'une manire parfaite, c'est--dire d'une manire qui est meilleure non seulement quant au degr, mais
aussi quant la qualit. L'acte fervent, tant plus conforme l'essence de l'amour ralise mieux l'assimilation de chaque
membre au Chef et par suite l'assimilation des membres entre eux. Cette donne fondamentale se trouve claire par ce
qui prcde. L'acte fervent consiste essentiellement en ce que l'acte d'tre de l'acte est au compte de Dieu : la mesure
reste de nous, mais l'tre de l'acte est produit par Dieu, c'est Lui qui uvre en nous. Il se fait donc que, au sein mme de
cet acte, celui qui le pose devient possesseur de tout ce que Dieu inclut en Lui. L'opration divine ne soutient pas
seulement ce que nous sommes nous-mmes, pas seulement l'acte fervent que nous sommes en train de poser, mais elle
soutient le don de la grce et l'opration selon la grce dans tous les membres du Corps mystique. En sorte que plus
nous nous dmettons de notre propre activit et plus notre acte fervent consiste nous reposer dans l'activit divine,
plus aussi nous influons, au sein mme de l'acte que nous posons, sur tout ce qui est inclus dans l'tre de cet acte. Or
l'tre de cet acte - encore une fois - c'est Dieu qui le pose, c'est Lui qui est l'intrieur, qui est comme le dedans, comme
la substance de l'acte fervent que nous posons. En sorte que, en posant cet acte, nous agissons, sans le savoir peut-tre
mais immanquablement, sur tout ce que contient cet acte, c'est--dire sur tout l'tre de grce du Corps mystique. Nous
touchons nos frres, les autres membres du Corps mystique, en la faon mme o Dieu les touche. La mdiation
ncessaire qui fonde l'unit entre les membres du Corps mystique, savoir passer par Dieu, comporte deux aspects qui
s'enchanent : de nous Dieu, de Dieu aux autres membres. La ferveur rend le premier de ces aspects le plus immdiat
possible : tant un avec l'opration divine en vertu de la ferveur de l'acte, nous avons prise sur tout ce qu'inclut cette
opration divine, dans la mesure videmment o l'opration divine elle-mme a prise sur les autres ; nous ne pouvons
pas forcer la libert des autres plus que Dieu ne la force. Nous n'avons pas insister ici sur le dtail de l'intercession des
uns pour les autres, je voulais simplement attirer votre attention sur le caractre en quelque sorte ontologique,
immanent, ncessaire de cette action que nous avons les uns sur les autres en vertu de la ferveur des actes d'amour que
nous posons.
Il arrive trs souvent que nous ayons plus de zle pour la saintet des autres que pour la ntre, parce que nous
voyons, parce que nous sentons mieux pour nous que pour les autres les difficults qu'il y a tre saint : nous sommes
facilement gnreux, mais avec la force d'autrui, c'est une chose assez frquente. On dsire que les autres soient saints,
mais on ne se rend pas assez compte qu'il faudrait peut-tre commencer par l'tre soi-mme. Les saints authentiques
sont plus ralistes, ils ne s'alarment pas tant de ce que les autres ne soient pas assez saints, qu'ils se mettent en peine de
faire ce qu'il faut pour l'tre eux-mmes et pour, par voie de consquence, entraner, que les autres soient saints. Au
fond, nous n'avons rien a faire pour que les autres soient saints, sinon l'tre nous-mme ; le fait mme d'tre saint,
de poser des actes fervents, contraint les autres, du dedans, tre saints : dans la mesure videmment o l'on peut
contraindre quelqu'un l'tre ; nous ne pouvons pas contraindre quelqu'un qui ne le veut pas, il y a un accueil, une
acceptation libre de la grce qui est toujours requise ; Dieu Lui-mme ne contraint pas ceux qui refusent, Dieu se donne
ceux qui attendent. Eh bien, tous ceux qui attendent, nous pouvons donner ce qu'ils attendent, et uniquement en
tant ce que nous devons tre. C'est l une vrit trs banale, peut-tre trop oublie prsentement. Elle se trouve fonde
sur l'acte fervent dont la structure explique bien le comment de cette solidarit mystrieuse. Nous pouvons faire plus
pour la saintet des autres en tant saint nous-mme, c'est--dire en posant des actes fervents, que par toutes les uvres
extrieures. Si nous tions bien convaincus de cette vrit - lmentaire en vie contemplative -, ce serait, pour nous
stimuler, un argument nouveau les deux premiers que nous avons dvelopps sont plus pntrants, plus profonds, plus
primitifs plutt, puisque les trois arguments sont insparables et convertibles avec l'essence de la ferveur ; mais la
fcondit est le plus puissant attrait de la vie : elle achvera de nous convaincre qu'il faut demeurer dans cette ferveur
qui est tellement oprante.
La ferveur c'est quelque chose qui est oprant, parce que c'est quelque chose qui nous rend possesseur de l'Acte
mme de Dieu. Il y a l une vrit que nous ne vivons certainement pas assez : le degr normal de la charit c'est la
ferveur, c '-est--ci ire, encore une fois, la mesure maximum d'agir qui correspond la grce de chacun chaque
24
moment ; et, s'il en est ainsi, l'acte de charit nous assimile Dieu qui opre ; or ce Dieu est toujours oprant ; et par
consquent le souci que nous pouvons avoir de la saintet des autres, l'efficacit de notre action auprs d'eux, sous
quelque forme que ce soit, elle est incluse dans cette communion que nous avons avec Dieu qui Lui, et Lui seul au fond,
opre. C'est Lui qui opre ; la ferveur consiste simplement demeurer notre place, mais de toute la mesure de notre
tre et de notre vocation, dans ce Dieu qui est un principe ternellement immanent et donc ternellement oprant dans
les mes qu'il incline prcisment tre saintes.
La seule faon, je crois, de contraindre d'une manire valable et efficace les autres tre saints, c'est d'tre saint nousmme. C'est par consquent de demeurer dans cette conviction et dans cette joie que le degr de la charit nous fait tre
image de Dieu d'une autre faon, d'une faon qui est plus belle.
25