Enfants Sorciers À Kinshasa (RD Congo) Et Développement Des Églises Du Réveil
Enfants Sorciers À Kinshasa (RD Congo) Et Développement Des Églises Du Réveil
Enfants Sorciers À Kinshasa (RD Congo) Et Développement Des Églises Du Réveil
1
Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, C3ED (UMR 063), [email protected]
2
Institut Supérieur Agrovétérinaire de Kimwenza, Kinshasa, [email protected]
3
Université des Sciences et Technologies de Lille, Clersé (UMR 8019), benoit.lallau@univ-
lille1.fr
4
Par exemple, la Fondation américaine pour une Nouvelle Aire Philanthropique (Foundation
for New Era Philanthropy), organisation créée pour "changer le monde pour la Gloire de
Dieu" a persuadé 500 organisations sans but lucratif d’investir 354 millions de dollars avec
la promesse de doubler l’argent en six mois (Chicago Tribune 1997, cité par Comaroff et
Comaroff 1999).
Les accusations de sorcellerie font partie de la panoplie des outils déployés dans
le contexte des économies en crise. La sorcellerie est un moyen de médiation et
d’imagination du monde (Ruel, 1997) qui laisse place à de multiples
interprétations. Parmi celles-ci, la République Démocratique du Congo a vu se
développer des accusations de sorcellerie envers les enfants, un fait désormais
dénoncé par les ONG internationales (Aguilar Molina, 2006 ; Human Rights
Watch, 2006). Ces accusations sont si nombreuses qu’il est devenu impossible
de les dénombrer. Elles alimentent le nombre d’enfants des rues - quelque
20 000 à 25 000 selon Pirot (2004), regroupés en Moineaux, Shege, Phaseurs, selon
les tranches d’âge -, contribuant à la banalisation de ce phénomène.
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est ambivalent. D’une part, elle constitue une aide pour faire face aux
contraintes du quotidien, dans une "famille" ainsi reconstituée : "Dans les
sectes, nous nous encourageons entre frères et sœurs" ; "Je suis dans les sectes
maintenant à cause de cette souffrance". Mais l’entraide qui se développe au
sein des "sectes" est souvent moins matérielle que spirituelle. Il s’agit d’abord
de trouver un réconfort moral et lorsqu’une protection concrète est proposée,
elle concerne surtout les forces occultes.
La fréquentation des "sectes" peut contribuer à des "échecs d’aspirations" (Ray,
2004) ; on tend à attendre toute solution aux problèmes du quotidien de la
volonté divine (Nzambe akosala, akosunga, " Dieu agira, protègera") ou de
pratiques de délivrance. Elle freine alors la "capacité à aspirer" (Appadurai,
2004), ce que montre Luzolele (2002, 29) : "L’ambiguïté de cette forme de
capital social, les réseaux religieux, provient du fait que l’on ne sait pas s’il
(capital social) agit pour inhiber les tensions sociales qui feraient exploser la
violence dans les rues ou s’il crée une complicité tacite entre la population qui
ne sait plus revendiquer ses droits (c’est-à-dire pousser les autorités politiques à
construire des plans d’action concrets qui épousent les aspirations de la
population) et les gouvernants qui apprécient cette apathie de la population qui
les arrangerait."
Cette dimension magico-religieuse des stratégies de survie conduirait ainsi à
l’apathie, à la résignation. Et le recours systématique à cette causalité magico-
religieuse réduirait l’autonomie des personnes en influençant leurs préférences
et en induisant un enchâssement parfois beaucoup plus prégnant que celui vécu
au sein des familles. Sur ce dernier point, il est notable de constater que certains
pasteurs engagent leurs adeptes à se dégager de l’influence de leur famille
naturelle et à se limiter à leur nouvelle "famille dans le Christ".
Une telle mutation de la sorcellerie n’est pas incompatible avec l’accusation des
enfants. Au contraire, comme le note Englund (2007), dans le cas du Malawi,
les enfants qui apparaissent trop fatigués pour effectuer leurs activités
domestiques ou leurs devoirs scolaires sont interrogés sur leur activité
nocturne. Dans de nombreux cas où la mère de famille n’est pas la mère
biologique, l’interrogatoire recourt à des méthodes violentes. Dans un contexte
où la survie familiale est peu garantie, les adultes de la famille voient les enfants
non-biologiques comme une bouche en plus à nourrir dont ils se passeraient
bien. Madungu Tumwaka (2002) confirme nettement cet aspect. Sur un
échantillon de 350 enfants accusés de sorcellerie qu’il a enquêté en RDC, 80%
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ont vécu dans des familles où le chef de ménage n’était pas leur parent
biologique.
Le travail d’enquête mené auprès de 31 enfants dits sorciers ne vise pas à être
représentatif, d’autant que même si nous le voulions, nous nous heurterions à
l’absence de statistiques fiables sur la population de référence. Il ambitionne de
fournir des éléments qui attestent de la problématique et soulèvent les enjeux
essentiels, et mobilise en parallèle la littérature sur la sorcellerie.
ne sont pas à l’origine d’une accusation particulière, par les diagnostics qu’elles
proposent et par les discours qu’elles véhiculent à longueur de temps à travers
les médias, elles légitiment non seulement les accusations, mais, de surcroît, les
confirment. Si, comme le note De Boeck (2000, 41), "de cette façon, l’espace de
l’Église de guérison permet de resituer et de reformuler la violence physique et
psychologique, quelquefois extrême, qu’ont à subir les enfants accusés à
l’intérieur de leur groupe familial", la plupart des églises offrent des méthodes
de "guérison" qui passent aussi par des violences physiques et psychologiques.
souvent définitivement écartés des familles et sont conduits à vivre dans la rue
ou recueillis par des centres d’accueil. Du point de vue des enfants, les pratiques
de libération n’aboutissent pas à quelque chose de très différent de ce que les
enfants auraient eu à vivre sans ces pratiques.
Une dernière manière de concevoir la libération serait de ne pas se focaliser sur
les enfants mais de concevoir la libération comme un processus global pour la
société, lui permettant de se recomposer en se libérant de ses peurs et de ses
souffrances, en rationalisant les malheurs. Cependant, là encore, les résultats
sont loin de favoriser une telle interprétation. En effet, les aveux des enfants se
dirigent souvent vers la mise en accusation d’autres adultes, renforçant du
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Néanmoins, dans le cas qui nous occupe, la thérapie a ceci de pervers qu’elle ne
libère pas, elle emprisonne. 13 des 15 enfants ayant avoué se déclarent “guéris”,
tandis que les deux autres ne pensent pas l’être encore. Mais dans tous ces cas,
l’accusation a été totalement intériorisée, de sorte que la libération ne se réalise
que par l’acceptation de la sorcellerie. La libération n’est que temporaire et la
remise en cause des accusations elles-mêmes est très rare. Le processus de
“guérison” s’apparente plus à un processus d’inactivation qu’à un processus
d’élimination. Il conforte le nouvel imaginaire de la sorcellerie et l’alimente pour
les générations futures. Le marché du désenvoûtement assure de la sorte sa
demande future.
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CONCLUSION
Les nouvelles formes que prend l’imaginaire de la sorcellerie se développent
dans un contexte marqué par un double processus de destruction et de
reconstruction du capital social. Si les éléments concourant à la destruction sont
nombreux (guerre civile, crise économique, SIDA, etc.), ceux participant à sa
reconstruction relèvent pour beaucoup du rôle des Églises, et particulièrement
des mouvements néo-pentecôtistes. Cette reconstruction porte en elle une
certaine ambivalence. D’une part, elle permet à la population de retisser des
liens nouveaux mais, d’autre part, elle apporte une légitimation des violences
faites aux enfants. La reconstruction du capital social intra-générationnel passe
par la violence intergénérationnelle. L’effet en retour de ce mouvement de
reconstruction se réalise avec l’achèvement du cycle de la violence lors des
aveux des enfants, un cycle qui à la fois renvoie la violence aux adultes entre
eux et imprègne les enfants de cette violence pour leur vie future.
Le prix à payer pour cette reconstruction paraît élevé, probablement parce que
le social devient lui aussi un espace marchand où l’imaginaire des relations
trouve un prix de marché, i.e. le prix à payer pour un traitement. Ce prix à payer
n’est néanmoins pas simplement monétaire ; il se traduit aussi en nombre de
vies humaines, ou, pour le moins, en pertes durables de capacités à agir de
manière autonome. Et les coûts humains de ce processus de “recomposition de
survie” concernent au premier chef les enfants, affectés dans leur résilience, ou
leur existence même.
Est-ce qu’un enfant démon peut-être délivré ?
"Ne vous laissez pas tromper avec le mot "enfant". Un démon est un démon, et
ne peut jamais être délivré. Avec les enfants démons, ni le fouet, ni la correction
ne changent rien. Voilà pourquoi dans l’ancienne alliance, Dieu avait plutôt
demandé de lapider de tels enfants. (…) Deutéronome 21:18-21."
Source : http://www.mcreveil.org
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