Enfants Sorciers À Kinshasa (RD Congo) Et Développement Des Églises Du Réveil

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Enfants sorciers à Kinshasa (RD Congo) et

développement des Églises du Réveil


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Jérôme BALLET1, Claudine DUMBI2, Benoît LALLAU3

C es vingt dernières années, les enfants ont été particulièrement victimes


des ajustements structurels qui ont marqué certains pays en
développement (Cornia et al., 1987 ; Cagatay et al., 1995). Au-delà de ces
"ajustements" imposés par les organisations internationales, certains pays se
sont en outre enlisés dans des crises économiques et de violents conflits civils.
La République Démocratique du Congo fait partie de ceux-là.
La défaillance de l’État et l’absence de capital social gouvernemental (Collier,
1998) sont en partie compensées par une "ONGisation" de la société,
particulièrement à Kinshasa (Giovannoni et al., 2004). Cette ONGisation se
traduit par un développement considérable des mouvements religieux, parmi
lesquels figurent les mouvements fondamentalistes chrétiens, particulièrement
les mouvements néo-pentecôtistes et apocalyptiques.
Parallèlement à cette présence marquée de la société civile, les accusations de
sorcellerie n’ont cessé de croître depuis une vingtaine d’années (Douglas, 1999).
Ce développement parallèle n’est, selon nous, pas un hasard ; nous posons, au
contraire, l’hypothèse que l’un et l’autre s’alimentent. La République
Démocratique du Congo est, en effet, marquée par une déstructuration sociale
de grande ampleur, une crise du capital social (Luzolele, 2002), qui ouvre
simultanément la voie à une recomposition, dont se saisissent les mouvements
religieux. L’impression magique de pouvoir faire de l’argent à partir de rien
(Andrew, 1997) favorise le développement de ces mouvements4. La religion
devient une affaire de marché, ce qu’illustre bien l’expression "capitalisme
millénariste" (Van Dijk, 2000).

1
Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, C3ED (UMR 063), [email protected]
2
Institut Supérieur Agrovétérinaire de Kimwenza, Kinshasa, [email protected]
3
Université des Sciences et Technologies de Lille, Clersé (UMR 8019), benoit.lallau@univ-
lille1.fr
4
Par exemple, la Fondation américaine pour une Nouvelle Aire Philanthropique (Foundation
for New Era Philanthropy), organisation créée pour "changer le monde pour la Gloire de
Dieu" a persuadé 500 organisations sans but lucratif d’investir 354 millions de dollars avec
la promesse de doubler l’argent en six mois (Chicago Tribune 1997, cité par Comaroff et
Comaroff 1999).

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Les accusations de sorcellerie font partie de la panoplie des outils déployés dans
le contexte des économies en crise. La sorcellerie est un moyen de médiation et
d’imagination du monde (Ruel, 1997) qui laisse place à de multiples
interprétations. Parmi celles-ci, la République Démocratique du Congo a vu se
développer des accusations de sorcellerie envers les enfants, un fait désormais
dénoncé par les ONG internationales (Aguilar Molina, 2006 ; Human Rights
Watch, 2006). Ces accusations sont si nombreuses qu’il est devenu impossible
de les dénombrer. Elles alimentent le nombre d’enfants des rues - quelque
20 000 à 25 000 selon Pirot (2004), regroupés en Moineaux, Shege, Phaseurs, selon
les tranches d’âge -, contribuant à la banalisation de ce phénomène.
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Principales victimes de la déstructuration sociale en cours dans le pays, les


enfants sont aussi les premières victimes de la recomposition sociale pilotée par
les églises néo-pentecôtistes, victimes tant des violences de la rue (une
description édifiante en est faite par Muwalawala, 1994) que de celles qui leur
sont infligées lors des accusations (Madungu Tumwaka, 2002).
Cet article examine le rôle extrêmement ambigu des nouveaux mouvements
religieux en RDC, en particulier les Églises dites du Réveil, affiliées à la
mouvance néo-pentecôtiste et néo-apocalyptique. Après avoir caractérisé le
développement de ces Églises (partie 1), en insistant en particulier sur le lien
étroit qu’elles entretiennent avec le développement des nouvelles formes de
sorcelleries, nous discutons du rôle de la sorcellerie comme forme de
rationalisation du malheur (partie 2). Nous appuyons cet aspect par une
recherche menée auprès d’enfants accusés de sorcellerie. Nous discutons
ensuite du rôle ambigu des traitements aux cas de sorcellerie proposés par les
Églises. Si ces traitements se veulent libérateurs, ils entretiennent surtout un
marché de la sorcellerie dont les Églises sont les premières bénéficiaires.

1. LE DÉVELOPPEMENT DES ÉGLISES DU RÉVEIL


ET LA SORCELLERIE
Le contexte kinois est marqué par un développement pléthorique d’Églises,
2 498 en 2000 (Malandi, 2000). La mouvance néo-pentecôtiste y est très
fortement représentée, notamment avec les Églises du Réveil (Mvuezolo
Bazonzi, 2006). Pour attirer les fidèles les églises se livrent à une surenchère de
procédés. Comme le soulignent Comaroff et Comaroff (1999, 291) "Pentostalism
meets neoliberal enterprise: the chapel is, literally, a storefront in a shoping precint." La
religion trouve son créneau dans l’économie de marché et la concurrence entre
les églises pousse certaines à des pratiques radicales. Parmi celles-ci les
désenvoûtements constituent une pratique phare.

1.1 Les Églises du Réveil au cœur des stratégies de survie


La République Démocratique du Congo subit, selon l’expression désormais
courante, une multi-crise. Celle-ci renvoie aux dimensions à la fois
économiques et sociales, mais également au caractère imaginaire ou invisible, en

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opposition au réel ou au visible. Ce deuxième monde de la magie ou de la


sorcellerie connaît lui aussi une mutation profonde. Contrairement à l’image
traditionnelle de la sorcellerie se référant essentiellement à des adultes, voire des
personnes plutôt âgées, les enfants sont désormais au cœur de ce deuxième
monde (De Boeck, 2000). Cette transformation est à mettre en relation avec la
situation économique du pays où, si une élite s’enrichit, la plupart de la
population se trouve dans une logique de survie.
La fréquentation des Églises constitue une modalité importante des stratégies
de survie (Lallau et Dumbi, 2007). L’impact de cette fréquentation sur les
dotations en capital social, et plus généralement sur l’autonomie des personnes,
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est ambivalent. D’une part, elle constitue une aide pour faire face aux
contraintes du quotidien, dans une "famille" ainsi reconstituée : "Dans les
sectes, nous nous encourageons entre frères et sœurs" ; "Je suis dans les sectes
maintenant à cause de cette souffrance". Mais l’entraide qui se développe au
sein des "sectes" est souvent moins matérielle que spirituelle. Il s’agit d’abord
de trouver un réconfort moral et lorsqu’une protection concrète est proposée,
elle concerne surtout les forces occultes.
La fréquentation des "sectes" peut contribuer à des "échecs d’aspirations" (Ray,
2004) ; on tend à attendre toute solution aux problèmes du quotidien de la
volonté divine (Nzambe akosala, akosunga, " Dieu agira, protègera") ou de
pratiques de délivrance. Elle freine alors la "capacité à aspirer" (Appadurai,
2004), ce que montre Luzolele (2002, 29) : "L’ambiguïté de cette forme de
capital social, les réseaux religieux, provient du fait que l’on ne sait pas s’il
(capital social) agit pour inhiber les tensions sociales qui feraient exploser la
violence dans les rues ou s’il crée une complicité tacite entre la population qui
ne sait plus revendiquer ses droits (c’est-à-dire pousser les autorités politiques à
construire des plans d’action concrets qui épousent les aspirations de la
population) et les gouvernants qui apprécient cette apathie de la population qui
les arrangerait."
Cette dimension magico-religieuse des stratégies de survie conduirait ainsi à
l’apathie, à la résignation. Et le recours systématique à cette causalité magico-
religieuse réduirait l’autonomie des personnes en influençant leurs préférences
et en induisant un enchâssement parfois beaucoup plus prégnant que celui vécu
au sein des familles. Sur ce dernier point, il est notable de constater que certains
pasteurs engagent leurs adeptes à se dégager de l’influence de leur famille
naturelle et à se limiter à leur nouvelle "famille dans le Christ".

1.2 La sorcellerie comme marché


Les Églises utilisent une multiplicité de stratégies afin d’attirer de nouveaux
fidèles. L’ensemble des outils marketing est mis à contribution. Sur les 17
chaînes de Télévision à Kinshasa, 9 sont possédées par des organisations de
confessions religieuses (Delanaye, 2001). Les programmes visent à fournir une
offre religieuse conséquente. Dans le contexte de décomposition sociale, il n’est
pas exagéré de dire que l’offre crée sa propre demande. Comme le souligne de

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Boeck (2000), la diabolisation de la figure du sorcier dans le discours des églises


fondamentalistes a pour effet de rendre encore plus omniprésent celui-ci dans
le champ social. Certes, les églises n’ont pas créé la sorcellerie, mais elles
l’utilisent fortement comme fonds de commerce et de ce fait la légitime. Leurs
discours, comme leurs pratiques, accroissent l’imaginaire autour de la
sorcellerie, en même temps qu’elles fournissent la solution à ce problème.
La concurrence forte des églises semble actuellement être plutôt favorable au
mouvement pentecôtiste parce que celui-ci reconnaît, contrairement aux églises
traditionnelles, la sorcellerie comme une réalité (Meyer, 1999). Cependant, cette
stratégie rattrape parfois ceux qui l’utilisent et certains personnages du
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mouvement pentecôtiste sont parfois aussi en difficulté en raison même de leur


enrichissement trop visible. La conversion du prestige spirituel en
consommation ostensible telle les 4x4, les avions… favorise la suspicion d’une
partie de la population qui établit un lien entre la sorcellerie et la richesse des
pasteurs. Eux-mêmes en viennent à être suspectés de sorcellerie.

1.3 Nouvelles figures de la sorcellerie


Fisiy et Geschiere (1991 et 1996) ont tenté d’expliquer les capacités de
modernisation des discours sur la sorcellerie qui a cours en Afrique. Ils
soulignent l’ambivalence d’un discours relevant de l’envie, appuyant aussi bien
la jalousie que la réussite. Les discours sur la sorcellerie permettent de relayer le
caractère injuste des inégalités de richesse et de pouvoir, mais aussi son utilité
pour l’accumulation de cette richesse et de ce pouvoir. Les individus sont alors
pris dans cette ambivalence entre dénoncer les autres et recourir eux-mêmes à
la sorcellerie.
De tels discours sur la sorcellerie reflètent évidemment les transformations
économiques en cours en Afrique et les tensions sociales qu’elles génèrent.
Comaroff et Comaroff (1999) relèvent la place grandissante que prend
l’économie au sein des discours et de l’imaginaire sur la sorcellerie. Les liens
entre la sorcellerie et l’économie sont multiples et forment l’économie de
l’occulte. Ils vont des besoins de transactions réelles telles que le prélèvement et
la vente d’organes, aux relations dans le "second monde" fortement teintées de
rapport de domination économique. L’exemple le plus souvent cité est celui de
la personne envoûtée qui, durant son sommeil, va labourer le champ imaginaire
d’une autre personne pour le propre profit de cette dernière ou d’une personne
tierce, des sortes de zombis qui travaillent sur des plantations invisibles. Pour
ne citer que quelques exemples, Geschiere (1998), à la suite de De Rosny
(1981), ont bien relevé ce phénomène dans le cas du Cameroun, ainsi
qu’Englund (2007) dans le cas du Malawi et De Boeck (2000) dans le cas de la
République Démocratique du Congo. Les relations économiques dans le
monde de la sorcellerie prennent en fait des formes multiples telles que
l’évincement d’un concurrent, l’exploitation de la force de travail, etc., mais
toutes ont un rapport étroit avec l’avènement d’une société où les inégalités
deviennent de plus en plus criantes.

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Une telle mutation de la sorcellerie n’est pas incompatible avec l’accusation des
enfants. Au contraire, comme le note Englund (2007), dans le cas du Malawi,
les enfants qui apparaissent trop fatigués pour effectuer leurs activités
domestiques ou leurs devoirs scolaires sont interrogés sur leur activité
nocturne. Dans de nombreux cas où la mère de famille n’est pas la mère
biologique, l’interrogatoire recourt à des méthodes violentes. Dans un contexte
où la survie familiale est peu garantie, les adultes de la famille voient les enfants
non-biologiques comme une bouche en plus à nourrir dont ils se passeraient
bien. Madungu Tumwaka (2002) confirme nettement cet aspect. Sur un
échantillon de 350 enfants accusés de sorcellerie qu’il a enquêté en RDC, 80%
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ont vécu dans des familles où le chef de ménage n’était pas leur parent
biologique.

2. LA SORCELLERIE COMME RATIONALISATION


DU MALHEUR
La prégnance du magico-religieux permet, d’une part d’éviter les malheurs,
d’autre part de rationaliser ces malheurs ou coups du sort lorsqu’ils surviennent
(Lallau, 2007). Le système magico-religieux, reposant fondamentalement sur
l’incertitude, permet de trouver systématiquement une explication a posteriori
(Desjeux, 1987). Or ce sont, là aussi, souvent les plus vulnérables qui sont
désignés comme coupables du malheur subi, et en premier lieu les enfants (De
Boeck, 2004). Une telle mutation de la sorcellerie, se focalisant sur les enfants,
apparaît comme une inversion paradigmatique de la solidarité de groupe,
largement relevée par les théories microsociologiques de la sorcellerie (Englund,
2007). Nous appuyant sur une enquête qualitative auprès de 31 enfants accusés
de sorcellerie, nous avons tenté de vérifier le rôle de rationalisation du malheur
joué par la sorcellerie.

2.1 Option méthodologique de l’enquête


Concernant la méthodologie permettant de mener à bien ce travail, deux
éléments principaux peuvent être avancés. En premier lieu, aller à la rencontre
des enfants accusés de sorcellerie n’est pas chose aisée : la plupart d’entre eux
vivent dans la rue, une "rue" dans laquelle tout travail d’enquête, autre que
fugace, s’avère délicat, voire dangereux. Une solution de compromis consiste
alors à se rendre dans les centres d’accueil des enfants des rues (22 des 31
entretiens), car elle permet, simultanément, de réaliser des entretiens en toute
sécurité pour les deux parties et de rencontrer des enfants qui ont un vécu
parfois assez long à rapporter.
En second lieu, ce vécu est recueilli à l’aide d’un guide d’entretien fondé sur une
approche de type "récit de vie", qui permet de dépasser les réticences des
enfants et d’aller assez loin dans la compréhension des mécanismes en jeu dans
la "sorcellerie infantile".

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Le travail d’enquête mené auprès de 31 enfants dits sorciers ne vise pas à être
représentatif, d’autant que même si nous le voulions, nous nous heurterions à
l’absence de statistiques fiables sur la population de référence. Il ambitionne de
fournir des éléments qui attestent de la problématique et soulèvent les enjeux
essentiels, et mobilise en parallèle la littérature sur la sorcellerie.

2.2 Une rationalisation des malheurs


Les accusations sont souvent portées à la suite d’un malheur familial, ou du
moins un évènement vécu comme un malheur. L’accusation de sorcellerie
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permet de rationaliser a posteriori l’évènement, recréant de la certitude là où il n’y


a qu’incertitude. Seize enfants parmi les trente et un sont dans cette situation.
Pour les autres, les réponses sont insuffisamment claires. "Maman est morte quand
j’avais deux ans. Papa n’a pas voulu rester avec moi parce que je tombais souvent malade. Il
disait que je suis un enfant maudit par ma mère. Pour lui et sa femme, j’étais sorcier"
(Nsiala Nsimba Reagan). "J’ai été frappé par Papa qui m’accusait de sorcellerie parce
qu’il n’avait pas de travail" (Patrick Musungani Gemuso). Par ailleurs, huit enfants
ont été accusés en raison de symptômes physiques et psychiques. Ces résultats
soulignent les imbrications entre des formes anciennes de l’imaginaire de la
sorcellerie et les formes nouvelles. Les signes distinctifs, souvent
reconnaissables dès la naissance ou à un jeune âge, constituent dans certaines
formes anciennes de l’imaginaire de la sorcellerie un élément central (Evans-
Pritchard, 1937). Les nouvelles figures de la sorcellerie ouvrent, au contraire, un
champ plus vaste de reconnaissance puisque la dimension économique,
particulièrement l’enrichissement, se traduit souvent à l’âge adulte. Dans un bon
nombre de cas, les formes nouvelles de la sorcellerie se combinent avec des
formes plus anciennes. Il faut noter ici que certaines églises utilisent fortement
les aspects physiques et psychiques des enfants comme reflet de leur état de
sorcier. Certaines brochures qu'elles diffusent sont éloquentes à ce sujet. Elles
procèdent d’une description des symptômes physiques et psychiques si large
qu’elles laissent la porte ouverte à toutes les accusations possibles. Les signes
qui permettent de reconnaître si un enfant est sorcier sont, par exemple, le fait
qu’il soit trop sage ou au contraire trop agité, qu’il soit docile ou au contraire
têtu, qu’il soit intelligent ou au contraire peu doué, etc. La palette des signes
distinctifs est telle qu’assurément aucun enfant ne peut échapper à une
catégorie ou à une autre.

3. LE "TRAITEMENT" RELIGIEUX, UNE


LIBÉRATION ?
La crise de solidarité intergénérationnelle se traduit au sein des familles par les
accusations de sorcellerie des enfants et des violences faites à leur encontre. Les
églises peuvent apparaître, par les solutions qu’elles proposent, comme un
moyen de soustraire les enfants à la violence familiale et de les libérer des
accusations qui pèsent sur eux. Cependant, même si dans la plupart des cas elles

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ne sont pas à l’origine d’une accusation particulière, par les diagnostics qu’elles
proposent et par les discours qu’elles véhiculent à longueur de temps à travers
les médias, elles légitiment non seulement les accusations, mais, de surcroît, les
confirment. Si, comme le note De Boeck (2000, 41), "de cette façon, l’espace de
l’Église de guérison permet de resituer et de reformuler la violence physique et
psychologique, quelquefois extrême, qu’ont à subir les enfants accusés à
l’intérieur de leur groupe familial", la plupart des églises offrent des méthodes
de "guérison" qui passent aussi par des violences physiques et psychologiques.

3.1 La libération comme marchandise


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La libération proposée par les églises participe surtout d’une marchandisation


de la souffrance. La souffrance des parents, au lieu de se reporter sur les
enfants, trouve un exutoire par le paiement d’une thérapie pour les enfants.
Cette thérapie suppose implicitement que, d’une part, la famille doit payer
monétairement cette guérison, d’autre part, l’enfant doit souffrir pour expier
son emprise démoniaque. La souffrance trouve ainsi une délivrance par un
double processus de libération par l’argent et par transfert sur l’enfant. Mais ces
thérapies, si elles libèrent en partie les familles, renvoient aussi au sacrifice de
l’enfant et de sa capacité à agir.
Delanaye (2001) relève un certain nombre de cas de désenvoûtement dans
lesquels le coût de la pratique est non négligeable pour la famille. Ainsi, une
adolescente fût amenée par sa mère auprès d’un évangéliste qui aurait exigé 20 $
pour l’exorciser. Il aurait demandé en plus à la mère qu’elle amène ses deux
autres filles, elles aussi envoûtées selon lui et pour lesquelles elle aurait
également payé 20 $ pour chacune. Cas tout à fait significatif, une des trois filles
devait mourir quelques temps plus tard de la méthode violente de
désenvoûtement pratiquée par l’évangéliste.
Notre enquête atteste de ces pratiques parfois extrêmement violentes et
auxquelles succombent certains d’enfants. "Les séances de guérison ont eu lieu dans
les églises de réveil. Un pasteur m’a brûlé le corps avec des bougies. Une autre maman
prophète m’a couvert le corps de drap rouge. Dans une autre église encore, on m’a versé dans
les yeux de la sève tirée d’un arbre. Cela piquait très fort. Le guérisseur avait dit que la
sorcellerie était partie. J’avais si mal aux yeux" (Glodi Mbete, 11 ans). "Mes tantes
Emilie et Dinzolele nous ont amenés chez le pasteur Okono à Kingasani. Celui-ci nous a fait
boire de l’eau bizarre soit disant pour chasser les esprits mauvais. Nous sommes allés là-bas
avec mes frères et sœurs Estella, Christelle, Dieudonné, Véronique, Tipy, Luyeye, et Putu.
Quand j’ai bu cette eau, j’ai vomis des choses noires. Les autres sont tous morts, sauf Putu et
moi" (Fabrice Khasa).
Parler de libération par les églises du simple point de vue d’une échappatoire
par rapport aux violences physiques reviendrait à compter les décès évités dans
un cadre familial par rapport à ceux impliqués par les cures de “guérison”. Un
tel calcul n’a évidemment guère de sens.
Une autre manière de parler de libération serait de s’intéresser à la réinsertion
des enfants accusés après leur traitement par l’église. Or, les enfants sont

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souvent définitivement écartés des familles et sont conduits à vivre dans la rue
ou recueillis par des centres d’accueil. Du point de vue des enfants, les pratiques
de libération n’aboutissent pas à quelque chose de très différent de ce que les
enfants auraient eu à vivre sans ces pratiques.
Une dernière manière de concevoir la libération serait de ne pas se focaliser sur
les enfants mais de concevoir la libération comme un processus global pour la
société, lui permettant de se recomposer en se libérant de ses peurs et de ses
souffrances, en rationalisant les malheurs. Cependant, là encore, les résultats
sont loin de favoriser une telle interprétation. En effet, les aveux des enfants se
dirigent souvent vers la mise en accusation d’autres adultes, renforçant du
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même coup la décomposition sociale au niveau intra-générationnel cette fois,


d’autant plus qu’ils sont très souvent faits en public.
En outre, ces aveux accroissent l’angoisse des personnes, chacun sachant qu’il
peut être accusé, ou être victime, de fait de sorcellerie. Ce qui donc peut être
perçu comme une libération au niveau individuel à un moment précis d’une
histoire familiale, constitue aussi, au niveau collectif cette fois, un facteur
d’angoisse et de tensions sociales. Loin de permettre à la société de se
reconstruire, le "traitement" religieux favorise sa déliquescence.

3.2 De l’aveu à l’intériorisation des accusations


Sur les 31 enfants interrogés, 15 ont avoué être ou avoir été sorciers. "Cette fois
là c’était trop. J’ai tout avoué à l’oncle ; (…) ; L’oncle ne m’a pas frappé. Il m’a emmené
chez son ami prêtre. On a prié. J’ai fait la confession (ntubela) chez monsieur l’abbé. Il a
longtemps parlé. Il m’a donné de l’eau bénite" (Papy Nseka). Ces aveux sont souvent,
on l'a dit, l’occasion d’une mise en accusation d’un autre adulte. Sur les 15
enfants ayant avoué, 14 ont déclaré avoir été envoûtés par un adulte proche de
la famille. "J’ai été ensorcelée par ma grand-mère (la maman de mon père). Un jour elle
m’avait donné des bananes (bitabe). Elle est revenue la nuit pour me demander de lui donner
ma mère" (Mayi L’Or, 7 ans). L’aveu, en "libérant" l’enfant, se transforme en
accusation pour un adulte.
Ces aveux peuvent avoir plusieurs ressorts. Il peut s’agir d’aveux stratégiques,
instrumentalisant la peur des adultes, ou profitant de cette occasion pour
assouvir une vengeance envers un adulte. Il peut s’agir d’un aveu non
autonome, reconstruisant le réel à la suite du traitement subi par l’enfant. Quoi
qu’il en soit, dans de très nombreux cas, ils repositionnent la souffrance et la
violence entre adultes. Ils provoquent des violences réelles à l’encontre des
adultes accusés, pouvant aller jusqu’à leur mort. Ainsi, le parcours de libération
de la violence trouve son achèvement, passant d’un adulte à un enfant pour
revenir à un autre adulte. Avec Geschiere (1998), on peut alors avancer que le
nouvel imaginaire de la sorcellerie ne doit pas s’interpréter simplement comme
une sorte de version capitaliste de la sorcellerie, mais qu’il reste très lié aux
relations de proximité et particulièrement aux relations familiales. Pour le
paraphraser, toute forme de thérapie requiert avant tout un aller au cœur de la
famille.

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Néanmoins, dans le cas qui nous occupe, la thérapie a ceci de pervers qu’elle ne
libère pas, elle emprisonne. 13 des 15 enfants ayant avoué se déclarent “guéris”,
tandis que les deux autres ne pensent pas l’être encore. Mais dans tous ces cas,
l’accusation a été totalement intériorisée, de sorte que la libération ne se réalise
que par l’acceptation de la sorcellerie. La libération n’est que temporaire et la
remise en cause des accusations elles-mêmes est très rare. Le processus de
“guérison” s’apparente plus à un processus d’inactivation qu’à un processus
d’élimination. Il conforte le nouvel imaginaire de la sorcellerie et l’alimente pour
les générations futures. Le marché du désenvoûtement assure de la sorte sa
demande future.
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CONCLUSION
Les nouvelles formes que prend l’imaginaire de la sorcellerie se développent
dans un contexte marqué par un double processus de destruction et de
reconstruction du capital social. Si les éléments concourant à la destruction sont
nombreux (guerre civile, crise économique, SIDA, etc.), ceux participant à sa
reconstruction relèvent pour beaucoup du rôle des Églises, et particulièrement
des mouvements néo-pentecôtistes. Cette reconstruction porte en elle une
certaine ambivalence. D’une part, elle permet à la population de retisser des
liens nouveaux mais, d’autre part, elle apporte une légitimation des violences
faites aux enfants. La reconstruction du capital social intra-générationnel passe
par la violence intergénérationnelle. L’effet en retour de ce mouvement de
reconstruction se réalise avec l’achèvement du cycle de la violence lors des
aveux des enfants, un cycle qui à la fois renvoie la violence aux adultes entre
eux et imprègne les enfants de cette violence pour leur vie future.
Le prix à payer pour cette reconstruction paraît élevé, probablement parce que
le social devient lui aussi un espace marchand où l’imaginaire des relations
trouve un prix de marché, i.e. le prix à payer pour un traitement. Ce prix à payer
n’est néanmoins pas simplement monétaire ; il se traduit aussi en nombre de
vies humaines, ou, pour le moins, en pertes durables de capacités à agir de
manière autonome. Et les coûts humains de ce processus de “recomposition de
survie” concernent au premier chef les enfants, affectés dans leur résilience, ou
leur existence même.
Est-ce qu’un enfant démon peut-être délivré ?
"Ne vous laissez pas tromper avec le mot "enfant". Un démon est un démon, et
ne peut jamais être délivré. Avec les enfants démons, ni le fouet, ni la correction
ne changent rien. Voilà pourquoi dans l’ancienne alliance, Dieu avait plutôt
demandé de lapider de tels enfants. (…) Deutéronome 21:18-21."
Source : http://www.mcreveil.org

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BIBLIOGRAPHIE
AGUILAR MOLINA J. (2006) The Invention of Child Witches in the Democratic Republic of
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