3 - Habermas

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« Dans ce qui suit, je jouerai le rôle apologétique d’un participant occidental au débat
interculturel sur les droits de l’homme et partirai de l’hypothèse selon laquelle ces critères
sont dus au moins à l’arrière-plan culturel particulier de la civilisation occidentale qu’à une
tentative de répondre aux défis spécifiques d’une modernité sociale aujourd’hui mondialisée.
Quelle que soit notre appréciation de ces conditions de départ modernes, elles représentent
aujourd’hui pour nous un fait qui ne nous laisse pas le choix et n’appelle ni n’admet de
justification rétrospective. Dans la querelle sur l’interprétation appropriée des droits de
l’homme, ce n’est pas le caractère souhaitable ou non de la condition moderne qui est en jeu,
mais une interprétation des droits de l’homme qui rendent justice au monde moderne, y
compris du point de vue d’autres cultures[…]La thèse selon laquelle les vieilles cultures de
l’Asie tout comme les cultures tribales d’Afrique privilégient la communauté par rapport aux
individus et ignorent toute séparation rigoureuse entre droit et éthique, est au cœur du
débat[…]Hors, il me semble que, du fait de cette référence aux différences culturelles, le
débat est en train de faire fausse route. On peut, certes, déduire la fonction du droit moderne
de sa forme. Les droits subjectifs sont une sorte d’enveloppe protectrice de la conduite de vie
privée de chaque personne […] L’attaque lancée contre l’individualisme des droits de
l’homme est dirigée contre un aspect du concept sous-jacent d’autonomie, à savoir contre les
libertés garanties aux citoyens privés par rapport aux appareils d’Etat et aux tiers. Mais au
sens politique, les citoyens ne sont autonomes que s’ils se donnent eux-mêmes leurs lois. Le
modèle de l’assemblée constituante ouvre la voie à une conception constructiviste des droits
fondamentaux. »

Jurgen HABERMAS, L’intégration républicaine, Editions Fayard, Paris 2014, p 348.


Commentaire de texte :

Jürgen Habermas né le 18 juin 1929 à Düsseldorf est un théoricien allemand en philosophie et


en sciences sociales. L’universalisme des droits de l’homme et l’origine allemande de l’auteur
contribuent fortement à cette question du débat interculturel sur les droits de l’homme
particulièrement avec la montée du fondamentalisme et de l’intégrisme religieux. Habermas
ayant été marqué par les ravages causés par l’idéologie nazie tente de combattre aujourd’hui
toutes les formes d’extrémismes idéologiques. Le retour en force du nationalisme populaire en
Europe justifie le positionnement de l’auteur qui cherche à éviter un choc des ignorances en
proposant un débat ouvert partant sur des bases ontologiques. Ce texte s’inscrit parfaitement
dans la posture du philosophe qui cherche à démontrer que l’un des problèmes contemporains
des droits de l’homme réside dans leur présentation téléologique universelle. De ce fait, il
cherche à mettre en exergue le caractère partiellement fallacieux de ce positionnement pour
démontrer d’autres aspects éludés autour de ces droits. Il est certain que cette question
épineuse ne saurait avoir une seule lecture puisqu’il s’agit d’une réflexion prospective qui ne
reflète nullement l’application actuelle de ces droits. Toutefois, cette analyse propose une
pensée métajuridique des droits de l’homme qui s’inscrit dans une perspective lege ferenda
afin d’obtenir une nouvelle vision de ces droits. Dès lors, en premier lieu il est indispensable
d’établir les éléments controversés de l’universalité des droits de l’homme. Pour pouvoir,
déterminer en second lieu, les résistances contemporaines à la conception moderne des droits
de l’homme.

I – L’universalisme subreptice des Droits de l’homme

A- L’essence occidentale de l’universalisation des Droits de l’homme

Il n’est pas question de remettre en question l’origine occidentale des droits de l’homme
puisque ce constat est existentiel à ces droits. D’ailleurs, l’évolution de ces droits remonte aux
siècles des lumières avec la panoplie de textes philosophiques élaborés autour de cette
question. A titre d’exemple, Jean-Jacques Rousseau dans le contrat social était à l’origine du
développement de la notion d’égalité qui est en parfaite corrélation avec la liberté. John Locke
a développé le concept de droit de propriété qui est l’un des fondements de la liberté
économique. Baruch Spinoza a développé l’idée de la liberté d’opinion qui est nécessaire pour
ériger un Etat démocratique quant à Montesquieu la liberté politique représente l’un des
visages de la liberté moderne. Plus tard les Déclarations des droits de l’homme proclamés par
certains Etats en Europe et en Amérique concrétiseront les idées défendues par ces
philosophes des lumières. Ce processus permet clairement de reconnaître l’origine occidentale
des droits de l’homme qui n’est pas remise en question aujourd’hui. L’omniprésence du
modèle juridique et social occidental est factuelle et n’exige pas de justification particulière.
Néanmoins, l’universalisme est-il forcément occidental ce qui paraît assez paradoxal dans les
propos tenus ici ? L’universalisme implique la participation, la représentation et la promotion
de toutes les valeurs culturelles, religieuses et politiques de ce monde. En effet, universalisme
ne rime pas forcément avec occidentalisme puisqu’il serait dangereux aujourd’hui de soutenir
une telle idée. Cette pensée peut conduire à des dérives et à des positions réactionnaires en
raison de l’impérialisme idéologique sous-jacent à la notion. Il serait préférable de distinguer
clairement universalisme et civilisation occidentale afin d’intégrer toutes les composantes
actuelles de la communauté internationale qui se caractérise par son multiculturalisme.

B- La nécessité d’une interprétation globale des Droits de l’homme

Le multiculturalisme nécessite une interprétation multiculturelle. Une telle interprétation doit


éviter de tomber dans le piège de l’interprétation authentique. Cette dernière serait biaisée en
raison de l’établissement d’un sens donné par l’auteur lui-même au texte. L’interprétation des
droits de l’homme exigerait une intégration multiculturelle des différentes formes
d’expression et de réflexion qui existent dans le monde. Elle exigera sans l’ombre d’un doute
un débat interculturel, un dialogue entre les civilisations mais surtout une rupture avec les
ignorances culturelles, religieuses et idéologiques. La tolérance serait évidemment une bonne
façon de rendre les droits de l’homme modernes à l’échelle mondiale. L’interprétation doit
avoir pour point d’ancrage l’ouverture sur toutes les formes culturelles, religieuses et
idéologiques de la communauté internationale. La modernité et les droits de l’homme sont
deux notions complémentaires pour l’établissement d’une condition meilleure pour l’être
humain dans ce monde. L’approche téléologique des droits de l’homme réside dans la
modernité sociale comme le rappelle l’auteur. Cependant, il existe de multiples façons pour
aboutir à cette modernité sans pour autant exclure ou ignorer les autres cultures.
II- Les contestations contemporaines de l’universalime Droits de l’homme

A- Les contestations différentialistes des Droits de l’homme

La contestation culturelle mis en avant par certaines civilisations hostiles aux droits de
l’homme réside dans la vision péjorative de certains penseurs occidentaux à l’égard de ces
Etats. Pour Habermas, il serait erroné de continuer à développer le débat autour des
différences culturelles. L’absence de séparation entre l’éthique et le droit n’est pas contraire
aux droits de l’homme même en adoptant une position purement positiviste. Il est clair que si
l’éthique et le droit sont conjointent reconnus par le droit positif ce débat devient dès lors
anachronique. Les droits de l’homme s’adressent à toutes les cultures et toutes les
civilisations, leur message demeure la protection de la personne humaine. La dignité humaine
n’a pas de religion ni de culture ainsi toute référence à une opposition culturelle n’est qu’une
volonté de créer une dissension au sein de la famille humaine. Ces oppositions entre le
communautarisme et l’individualisme portées par les droits de l’homme est une polémique
désuète en raison de la composition hybride de ce corpus normatif de droits collectifs et de
droits individuels. La tendance individualiste n’est qu’une lecture partielle de la véritable
représentation de ces droits. Le droit moderne est représenté principalement par les droits
subjectifs qui ont pour mission de protéger la conduite humaine selon l’auteur. Il est certain
que malgré les différences culturelles, religieuses et idéologiques tout un chacun espère que sa
vie privée, sa propriété ou bien son intégrité physique seront garantis. Le besoin éprouvé par
les humains de vivre dignement dans le respect de leur condition est devenu vital. Cette
condition sine qua non se transforme en une norme qui recèle un élément commun à toutes les
personnes humaines vivant dans ce monde. Cette dernière est incarnée dans la préservation de
la condition humaine à l’époque de la globalisation multiculturelle effrénée opposée à une
certaine haine multiculturelle décomplexée.

B- Les contestations individualistes des Droits de l’homme

L’individualisme soutenu par une majorité d’auteurs universalistes se heurte à la


problématique de l’absence d’autonomie réelle des individus à l’égard des Etats. Il ne s’agit
pas d’opposer les droits de l’homme aux Etats où vivent ces personnes humaines parce qu’une
telle position serait incohérente. L’Etat représente l’espace où ces droits sont octroyés et
garantis aux citoyens. Cette attaque lancée contre un aspect particulier de l’individualisme
reflète parfaitement le caractère ambivalent et ambigu des droits de l’homme. Seule une
lecture simpliste et uniforme conduirait à un résultat plus ou moins statique. La dynamique
des droits de l’homme, de leur production, évolution et interprétation est une caractéristique
inhérente à leur existence. L’autonomie des personnes humaines à l’égard des Etats ne peut
exister puisqu’elle exigerait une production normative par ces personnes. Cette configuration
ne saurait exister dans le système représentatif et devient possible dans un système de
démocratie directe ou dans le cas d’une assemblée constituante. La prudence adoptée par
l’auteur ici à l’égard du système représentatif en choisissant cet exemple qui existe dans la
sphère constitutionnelle démontre clairement son positionnement positiviste qui n’imagine
l’existence de ces droits que dans un texte constitutionnel. En effet, l’idée d’une conception
constructiviste des droits fondamentaux devient une réponse aux détracteurs de l’absence
d’autonomie des personnes humaines. Néanmoins, l’exemple de la démocratie semi-directe
semble être également un modèle d’autonomie qui représenterait toutefois, quelques risques
de dérives. L’absence totale de l’Etat ou de ces appareils est inenvisageable pour le
philosophe étant donné qu’elle représente un gage pour la garantie des droits de l’homme.

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