These Julien MB Wang I
These Julien MB Wang I
These Julien MB Wang I
La lumière n’éclaire pas dans la lumière. C’est au milieu de l’obscurité qu’elle se reconnaît. La
science n’est pas seulement une somme de vérités, elle est beaucoup plus une réduction
d’obscurité.
In Memoriam
Mère,
A travers tes yeux brillants bouillonne l’intelligence que tu m’as transmise par tes paumes
douces telle la pomme.
Cette intelligence qui coule et qui circule dans mes veines me vivifie comme la sève dans le
manguier.
Moi dont les yeux au regard promeneur et à la vision brumeuse distinguaient à peine l’arbre du
poteau.
Cet esprit de probité et de vérité, qui remue mon sang et martèle ma pensée.
Je te salue toi par qui se matérialise aujourd’hui ce rêve de tous les temps et de tous les jours,
Sois immortelle,
Ton fils.
iii
DEDICACE
A mes enfants,
Et d’affections inaccomplies
REMERCIEMENTS
Ce travail n’aurait pas vu le jour sans l’incessant concours d’innombrables personnes,
chacune à son niveau, dont la plume de mes écrits ne saurait traduire la teneur de l’apport.
Qu’il me soit permis de leur exprimer leur grandeur pour un accompagnement digne dans
l’accomplissement de cette recherche.
Je remercie vivement tous mes promoteurs qui se sont évertués à suivre ce travail de dur
labeur. Que de sacrifice et de volonté pour lui donner la forme voulue. Je leur rends
l’ascenseur.
Je tiens à remercier d’abord le Professeur Koen Bostoen pour la disponibilité et les
efforts consentis à suivre cette recherche. Dans un commencement presqu’infructueux, nous
avons cheminé jusqu’à concrétiser cette œuvre. Ses orientations ont favorisé l’aboutissement
serein de cette thèse.
Je remercie ensuite le Professeur Xavier Luffin pour la volonté manifestée à suivre la
rédaction de cette thèse. Ses critiques averties ont éclairé notre lanterne. Il a recadré notre
opinion et notre vision, et a permis d’aiguiser notre recherche par des propositions qui ont
déterminé la facture de notre étude.
Je remercie en plus le Professeur Jacky Maniacky dont le projet a fait naître cette thèse.
Son encadrement et ses conseils ont valu la peine. Le suivi régulier, la détermination et les
conseils m’ont poussé à ne pas lâcher, même quand j’arrivais à bout d’espoir.
Je remercie enfin le Professeur Ndembe Nsasi Damase, qui a lu et orienté pertinemment
les premières versions de cette thèse. Je suis très marqué par sa marque d’érudition. Ces
observations très constructives ont donné la forme actuelle de l’écriture de notre thèse et la
touche finale de son organisation.
Je serais injuste, si je ne mentionnais pas l’apport combien rigoureux du Professeur
Félix Kaputo. Il a apporté un plus valu dans l’amélioration de la qualité de notre écriture, je lui
témoigne sincèrement ma reconnaissance.
Je remercie chaleureusement le Professeur Nsuka-zi-Kabwiku Yvon. Alors que j’étais
frappé par le décès inopiné de notre père, à peine en première licence, il m’a accepté comme
fils, et je le resterai à jamais; il a accompagné mes premiers pas de recherche depuis le graduat
jusqu’au doctorat. Son assistance financière permanente, ses conseils et directives, bref son
amour à me voir évoluer marque à jamais mon existence. Mes faibles mots ne pourront jamais
lui exprimer son engagement pour moi.
Je suis très reconnaissant au Professeur Ngoma Binda pour son attention envers moi. Il
s’est toujours intéressé à mes manuscrits. A peine mes études finies, il me conseilla de toujours
écrire même quand c’est inopportun. Aujourd’hui ses conseils ont porté du fruit; car cette thèse
est le résultat des lectures et des rédactions [quelquefois inopportunes] conservées dans ma
boîte noire: je lui témoigne ma reconnaissance.
Que tous les Professeurs du Département des Lettres et Civilisations Africaines de
l’Université de Kinshasa soient gratifiés de leur encadrement tous azimuts. Je suis très
reconnaissant au Professeur Maalu Bungi pour son estime à mon égard.
Merci au Professeur Bouka Léonce qui m’a appris la maîtrise de plusieurs outils
d’analyse. Je lui dois l’esprit interdisciplinaire qui caractérise cette recherche. Je ne saurai
oublier le Professeur Abe Pangulu pour son affection inconditionnée à mon égard. Il a cru en
moi dès les premiers moments de notre connaissance. Son estime envers moi a encouragé mes
efforts. Merci au professeur Mbongo Pasi Jean Mallaud dont la contribution au bon moment
marquera plus que jamais mon esprit.
Mes frères et sœurs, Mbuangi Pamphile Mayimbi, Mbumba Mbuangi Fréderic, Muaka
Mbuangi Nicolas, Thatukila Mbuangi Youyou, Ngoma Mbuangi Simon, Vibila Mbuangi
Mamie, Ditshia Mbuangi Joli, Mathondo Mvumbi, Dizolele Mvumbi Isaac, qui m’ont porté au
fruit de certains sacrifices, traduisant parfois l’injustice, je leur dis merci. Le sang qui coule
dans mes veines est le leur. Qu’ils soient fiers du résultat de leur concours.
Aux collègues de service du Musée Royal de l’Afrique Centrale, je traduis ma
reconnaissance pour tous les services obtenus, particulièrement à Muriel Garsou, pour
l’humilité, la serviabilité et la disponibilité à apporter de l’aide. Merci à Maus Devos, Birgit
Ricquier, Jenneke Van der Wal, Annelen Van der Veken, Odette Ambouroué, Joseph Koni
Muluwa, Yolande Nzang-Bié, Geralda da Lima Santiago, Joanne, Cynara, Alzenir, Rosa Maria,
Michela pour tout.
J’exprime ma gratitude à Van Nuffel Muriel et à Sarah, pour tous les services rendus
pendant les quatre années passées au Musée. Leur accompagnement a facilité notre séjour.
Qu’elles soient gratifiées de leur concours sans faille.
Je dis merci à tous mes amis doctorants avec qui j’ai partagé de bons moments à
l’Université Libre de Bruxelles et à l’Université de Gand. Merci à Jean Pierre Donzo «l’homme
de service», Ernest Nshemezimana, Ferdinand Mberamihigo, Hugor Matona Nsakala, Jasper
De Kind, Winnie Mandela Kaumba, Hilde Gunnink pour toute la collaboration et
l’accompagnement dans la douleur et la solitude hivernales.
Je dis merci à mes compatriotes et doctorants, Placide Mumbembele, Serge Mayaka,
Sylva Kumba, John, pour l’entraide mutuelle et le soutien moral que votre présence m’a fait
bénéficier au sein de SETM (Solidarité des Etudiants du Tiers Monde).
Mes très chers amis et collègues de l’Université de Kinshasa, Kozias Ekila,Tharcisse
Masunguna Mbensa, Ekila Tshanga Tshanga, Willy Ngogo Zanga, Anaclet Mweba Lutete,
Céleste Mbala, Isabelle Nsenga Diatwa, Joe Nsonsa, André Mawala, Philomène Babongisila,
Kutumisa Jean Paul, Lucien Nyembo, Flavien Koni, Bernard Pasi, Odjas Ndonda Tshiyayi,
King Kipa Ngewebwa, Mado Phoba, Bébelle Buka, Papy Thamba et les autres: continuons la
lutte afin d’allumer les étoiles d’une génération souvent poussée à l’inexistence. Je ne peux pas
t’oublier, toi Papy Lewo-di- Tata pour la confiance et l’amour. Tu es dans mes souvenirs.
Je vous remercie sincèrement pour l’encadrement, les conseils et l’attachement: je pense
au Pasteur Matthieu Kibuenge, pour tous les moments passés ensemble: conseil et sagesse ont
mûri mon esprit. Je pense au Pasteur Anatole Nzenge dont le souci pour moi et pour ma famille
est très indéfectible. Je dois dire que le hasard n’existe pas: vous m’aimez sincèrement. Merci
au Pasteur Alain, vous avez accepté de garder un mois durant ma famille chez vous. Je connaîs
le niveau de turbulence de mes enfants, je ne saurai oublier ce geste.
Chapeau bas à ma femme, la mère de mes enfants Chico Pwati Nzuzi pour tous les
sacrifices consentis et les soins accordés à garder nos enfants, au-delà de toutes les difficultés et
les contraintes: mon cœur ne restera jamais ingrat.
Nous disons grand merci enfin au Musée Royal de l’Afrique Centrale qui, avec l’appui
de la Coopération Belge au Développement, a financé cette recherche depuis le début jusqu’à la
fin. Il a mis la main dans la poche, chaque fois que le besoin de la vérité se faisait sentir. Je sais
qu’il continuera à le faire, chaque fois que la vérité aura besoin de triompher de l’obscurité.
Le théâtre africain pose problème. Une notion très controversée, parce que ne faisant
pas l’unanimité parmi les penseurs de cette notion de théâtre africain. Faut-il parler de «théâtre
africain ou de théâtres en Afrique?» (Lamko, 2006: 9).
En effet, deux thèses circulent souvent concernant cette notion. D’une part, celle qui
soutient l’existence d’un théâtre purement africain au même titre que le nô japonais ou le
kathakali indien. D’autre part, celle qui soutient l’inexistence d’un théâtre originel africain:
guidée par une lecture, quelque peu, occidentale du théâtre.
La première position, dite la conception anthropologique, du théâtre considère que le
théâtre est à chercher dans le folklore africain. A travers les rites africains existent des formes
qui composent le théâtre africain.
C’est le point de vue que défend Ngugi wa Thiong’o (1986:37) qui montre que le théâtre est né
de la lutte de l’homme contre la nature et contre les autres hommes. Dans cette optique, il
soutient, par exemple, que dans le Kenya précolonial, les paysans des diverses nationalités
déboisaient, plantaient, moissonnaient. Des rites étaient célébrés pour bénir le pouvoir magique
des outils. Le théâtre, montre-t-il, dans le Kenya précolonial n’était pas un événement isolé;
c’était une partie du rythme des activités quotidiennes et saisonnières; une activité parmi
d’autres, tirant souvent son origine de ces autres activités; c’était aussi une distraction au sens
d’un plaisir partagé; c’était une instruction morale; c’était aussi une affaire de vie et de mort et
de survie de la communauté.
Par ces mots, Ngugi wa Thiong’o argumente sur le fait que le théâtre africain est né de
et dans la société africaine et fait partie du rythme des activités quotidiennes desquelles il tire
son origine. Il est à la fois un jeu, un cadre d’instruction mais aussi une occasion de la critique
sociale. C’est dans l’ordre de ce propos que Labou Tansi (1983:22) estime n’avoir aucune
envie de se frapper des ancêtres en Grèce ou en Perse, aucune envie de fouiller dans le culte de
Dionysos, les senteurs de l’esthétique nègre. Les Indiens, les Incas, les Zimbabwéens, les
Kongos n’ignoraient rien de l’art dramatique: les danses guerrières ou initiatiques, malgré leur
contenu rituel et leur manque de gratuité, ont été d’abord et avant tout des morceaux de théâtre,
soutient-il.
La deuxième position, la conception poétique ou esthétique, du théâtre que défend entre
autres Ricard (1986) est une riposte à la première. Il pose le problème dans son ouvrage
Invention du théâtre. Dans cet ouvrage, toute l’expression de l’auteur montre que le théâtre
n’est pas de l’ordre anthropologique. Qu’il procède d’une élaboration poétique. Elle ne relève
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pas, cette élaboration poétique, d’une expérience pratique de la vie politique et religieuse mais
d’un projet esthétique qui se retrouve dans certains groupes sociaux. L’auteur considère que le
langage performatif du rituel, exclut le jeu et la mise à distance de la narration qu’implique le
langage expressif ou poétique du théâtre. Et donc, de ce point de vue, il ne fallait pas confondre
théâtre et éléments théâtraux qu’on trouve bel et bien dans des rites.
Ricard à travers ces écrits soutient de manière absolue qu’il n’y a pas de théâtre africain;
parce qu’il suppose qu’en dépit de leurs aspects spectaculaires, les rites ou les fêtes ne peuvent
pas compter comme théâtre car le langage rituel, pense-t-il, exclut le jeu et la mise à distance de
la narration qu’implique le langage expressif ou poétique du théâtre. Aussi, ajoute-t-il, le
théâtre ne relève pas d’une expérience de la vie pratique et religieuse. De cette manière, il
considère que le théâtre est le propre de certains groupes sociaux, l’Occident en l’occurrence.
En effet, Ricard (1986:23) explique dans ses écrits que «Ce qui intéresse l’homme de théâtre
occidental dans un rite exotique, est d’abord, le travail des acteurs, c’est-à-dire des sujets de la
cérémonie. Exaltation et concentration, manifestent pour nous d’autres dimensions de
l’existence…». Avec un tel esprit, l’auteur oublie que «Si, dans les œuvres écrites, le lecteur
étranger pense rencontrer un équivalent authentique de ce qu’est la littérature orale
traditionnelle en Afrique noire, il risque de se tromper». Derive (2008a:106). C’est ce que,
avant lui, avait remarqué Struft (1936:4) qui prévenait aux lecteurs de Les Bakongos dans leurs
légendes: «Que celui donc qui ignorant les langues bantoues et les tournures d’esprit des noirs,
lirait ces fables uniquement en français, ait cela bien présent à l’esprit; autrement il risquerait
de trouver ces récits insupportables ».
La position de Ricard sur le théâtre est similaire à la critique faite en ces moments-là sur
le roman africain à laquelle réagissaient les écrivains nigérians Chinweizu, Onwuchekwa &
Madubuike (1980:89) qui démontrèrent que «When they first encountered African novels,
eurocentric critics praised their detailed descriptions of African setting and customs as
“quaint”, “exotic”, “fantastic”and “bewitching”; but now that their nouveau-mania has tired of
such material, they denounce it as anthropological data and “local color”».Ricard reproche à
Ngugi la reprise des idées forces que défendait déjà l’ouvrage de Traoré (1958), Le théâtre
négro-africain et ses fonctions sociales, qui identifia le théâtre africain dans toutes les formes
d’activité de la vie sociale. Et ces formes se vivaient en Afrique déjà avant l’arrivée de la
colonisation.
Cette critique de Ricard est relayée par Hussein (1991:1), dramaturge swahili, qui
argumentant sur la position de Ngugi, prend le contre pied de ce dernier. Contrairement à
Ngugi qui soutient l’existence du théâtre dans le Kenyan précolonial, Hussein soutient que son
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propos dans ce bref essai n’est ni la magie, ni la poésie, mais bien le théâtre. Il est inutile, selon
lui, d’insister sur le fait que l’on trouve des rites et des rituels dans les églises et dans les
mosquées; car ni les chrétiens ni les musulmans n’éprouvent le besoin de qualifier ces rites de
théâtre. De ce point de vue, pense-t-il, le théâtre en tant qu’art est sélectif que ne le pense
Ngugi. La position de Ngugi, estime Hussein, est analogue à celle de nombreux écrivains du
début des années soixante qui affirmaient ou supposaient qu’il y avait un théâtre en Afrique et
que ce théâtre avait été détruit par le colonialisme.
Ricard (1998) explicite les propos d’Hussein en postulant que l’écrivain tanzanien
rejette la confusion de la vie sociale et religieuse du théâtre: il y a d’un côté la religion et la
politique, de l’autre le théâtre. C’est en effet au nom d’une conception autonome de la pratique
artistique, poursuit-il, qu’Hussein critique Ngugi et qu’il nous propose une analyse des
catégories poétiques d’Aristote, appliquées au théâtre. Même s’ils font comprendre que ce
souci de distinguer la pratique théâtrale des autres pratiques sociales ne signifie évidemment
pas qu’ils négligent les formes multiples de spectacle que nous offre l’Afrique,[il nous faut
distinguer entre les éléments dramatiques présents dans les rituels et le théâtre en tant que tel,
détaché de sa fonction rituelle et devenu un événement esthétique spécifique], Hussein comme
Ricard paraissent catégorique sur ce point.
Pour les défenseurs de cette thèse, en Afrique existent donc deux formes de théâtre.
D’une part celle qu’il qualifie de populaire et de l’autre celle dite classique. Ces deux théâtres
se sont développés, selon eux, avec l’arrivée des colonisateurs. Ce sont des propos que nous
lisons dans les points de vue de plusieurs auteurs occidentaux ou africains.
Le cas de Mimbu Ngayel (2003:100) qui analysant la pièce de Mova Sakanyi Kandetta, la
Vendetta africaine cautionne le point de vue de l’auteur en soulignant que certes l’intégration
du prologue, l’insertion du chant et des poèmes adressés à la sensibilité du spectateur, agitant
son âme par la pitié, la douleur, l’indignation, relèvent de la dramaturgie grecque antique. Mais
pour l’essentiel, la dramaturgie de Kandetta n’est pas aristotélicienne. Il y a clairement
subversion des formes classiques. L’auteur lui-même revendique cette liberté en rapprochant
son œuvre du «théâtre de chez-nous», recommandant que le théâtre populaire fasse route
commune ou se batte à armes égales avec l’autre théâtre supposé intellectuel. C’est le cas aussi
de Ricard (1986) qui souligne que le théâtre n’est pas un donné culturel, mais bien une
construction poétique et que de telles formes de spectacle ont été amenées en Afrique il y a près
d’un siècle.
Plusieurs voix des auteurs occidentaux ou africains ne voient pas les choses de cette
manière-là, soutenant ainsi la première position. A ces propos, il convient de mentionner les
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Hier encore, j’ai été à quatre lieues d’ici, faire une chasse de petits oiseaux aux filets. Les femmes et
l’endroit m’ont fait l’honneur de me chanter et, suivant l’expression du pays, de me danser. Je n’ai
pas bien compris ce qu’elles chantaient mais il était difficile de se méprendre à la signification de
leur danse. Un homme jouait d’un instrument, toute l’assemblée battait des mains, et une danseuse à
tour de rôle sortait, en contrefaisant toutes les crises de Mesmer… Elle s’avançait vers moi en
roulant les yeux, tordant les bras, faisant mille petits mouvements, que ma chaste plume n’ose pas
vous rendre, et après un instant d’anéantissement total, elle rentrait dans le cercle pour faire place à
une autre pantomime qui essayait de surpasser la première; le bal a fini par une espèce de joute des
trois plus habiles, dont une jouait le rôle de femme et les deux autres des rôles d’hommes, avec une
vérité et de petits détails dont on ne se fait point d’idée en Europe. (Cornevin, 1970: 15).
Parmi les explorateurs du Soudan, Mage décrit en 1868 une véritable pantomime dans
son «voyage au Soudan»:
En rentrant ([à Nioro du Sahel] j’assistai à une fantasia assez bizarre. C’était une espèce de parodie
de combat faite par deux talibés. Tout en dansant et jonglant avec leurs fusils d’une façon assez
remarquable, l’un faisait le mort, l’autre tournait autour sans oser approcher. Quand il venait trop
près, le mort remuait et l’autre se sauvait, puis le mort apprêtait tout doucement son fusil et tout d’un
coup, quand l’autre arrivait pour l’assommer d’un coup de crosse, il se relevait d’un bond, lâchait
son coup de fusil à bout portant et les rôles se renversaient. Cela était remarquablement mimé et
imité.(Cornevin, 1970:16).
Ruocco (2007:177) a montré que les voyageurs européens du 19ème siècle avaient
témoigné de la présence de représentations traditionnelles dans les villes les plus importantes
du Maġrib. Le Karagöz continuait à amuser le public de Tunis à Alger, jusqu’à ce qu’il soit
banni par les Français en 1843; en Lybie, des expérimentations théâtrales se déroulèrent dans
les écoles et dans les zāwiya[les centres des confréries soufies]; en Tunisie, on signale des
manifestations théâtrales dès le 18ème siècle, et une pièce française est jouée à Kairouan en
1880. Il montre toutefois que les vrais débuts du théâtre au Maġrib devront attendre les
premières tournées des troupes égyptiennes lesquelles jouent des adaptations de théâtre
occidental.
Zumthor (1983: 198, 55) pense qu’en Afrique où les contes se miment, certains –chez
les Ewé, les Yoruba etc. – se distinguent à peine de ce que serait pour les Occidentaux un
théâtre. D’ailleurs, il pense que le théâtre apparaît de façon complexe, mais toujours
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0.2. Problématique
Tous les détails mentionnés ci-haut posent la problématique de l’existence ou non d’un
théâtre africain. Il nous semble que répondre à cette question consiste à bien réfléchir sur la
notion de théâtre. Définir au préalable le théâtre nous permet de placer les bornes qui nous
évitent de discuter sans cadre théorique précis et objectif. A propos, le questionnement de
Lamko (2006:9) sur le théâtre alimente vivement notre inspiration. En effet, concernant cette
notion, et réfléchissant sur le théâtre africain, il s’est posé les questions ci-après:
En effet, que faut-il pour qu’il y ait théâtre ou plutôt que suffit-il pour qu’il y ait théâtre? De quoi se
constitue l’élément pertinent qui enracine l’expérience théâtrale et légitime: le texte d’auteur écrit,
fixé ou le texte prétexte collectif improvisé? Le lieu théâtral conventionnel ou le lieu accidentel
investi? Le public spectateur qui paie à l’entrée de la salle ou le public “spect’acteur” impliqué dans
la construction de l’événement théâtral et qui investit les lieux non conventionnels? L’acteur
consacré issu d’un institut d’art dramatique, d’un conservatoire ou l’acteur amateur événementiel
adepte d’une saison?
Il s’avère donc qu’il est difficile de proposer un point de vue sur une notion aussi
complexe sans pour autant clarifier l’essence de son objet. La complexité de cette notion, telle
que la montre les propos de Lamko peut se lire à travers l’ouvrage question de Helbo (2007) :
Le théâtre, texte ou spectacle vivant? Rousset (1997:7) aborde son étude en commençant par la
question «Qu’est-ce réellement que le théâtre?». Vu l’ambiguïté à saisir la notion théâtre dans
son acception générale, il nous paraît inadéquat de définir le théâtre africain si dès l’abord on
n’a pas vérifié ce que c’est le théâtre de manière générale [notion dont l’essence, comme le
montre Helbo, n’est pas fixe] et comment réfléchir sur une notion spécifique et
géographiquement située, si l’on ne s’avise pas sur la manière dont cette notion est perçue.
Comment les Africains perçoivent-ils cette notion et quel sens lui donnent-ils ou sinon dans
quelles formes la vivent-ils? De ces questions, nous pouvons tirer une évidence, c’est, comme
le montre Calame Griaule (1977:18), la relation entre l’homme, le milieu et les désignations.
C’est en ces mots qu’elle résume l’essentiel de son ouvrage où elle précise que son but est
d’illustrer par des exemples précis le rôle de la langue dans l’expression de la relation entre
l’homme et son milieu, naturel ou culturel. Car l’ethnoscience, selon ses termes, ne consiste pas
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seulement à décrire la relation entre l’homme et son milieu sous l’angle du rôle tenu, par
exemple, par les espèces animales ou végétales dans un écosystème, bien que cet aspect soit de
toute évidence important. Il faut aussi découvrir comment un groupe donné perçoit cette
relation et l’exprime, entre autres, à travers sa langue.
De cette façon, notre souci est de vérifier à la lumière des questions ci-haut énumérées,
si les formes qui constituent le théâtre africain, en plus de leur spécificité géographique, remplit
ou non les conditions ou sinon les fondamentaux par lesquels un genre théâtral se reconnaît.
Cela permettra de tirer des conclusions non pas intuitives, mais objectivement argumentées.
Ainsi, dans cette thèse, nous nous laissons guider par les questions ci-après:
0.3. Hypothèses
Dans le cadre de cette thèse, tout en sachant que «Toute recherche, même quand les
hypothèses sont explicites, en comporte d’autres» (Marcellesi & Gardin, 1974:239), nous
partons des hypothèses ci-après:
1. (a)Le théâtre est poétique et esthétique comme le reconnaissent Ricard (1986) et ses pairs.
Mais la manière de vivre l’esthétique diffère selon les milieux. Car, nous devons préciser, et
Baumgardt (2008a:55) l’a déjà fait, que si la littérature orale –et notamment la performance –
participe de l’expression d’une culture, elle est à son tour influencée dans son expression par
des critères culturels: l’expression de corporelle, réalisée individuellement par chaque
énonciateur/performateur, est culturellement régie, par exemple plus ou moins de retenue, pour
ne citer que ce cas. De même, il n’est pas inutile de rappeler que les critères d’appréciation
d’une performance obéissent à des critères culturels: ce qui correspond au canon esthétique
d’une société et qui sera approuvé par elle peut être perçu comme exubérant ou au contraire
comme ennuyeux dans une autre. C’est le sens de l’ouvrage de Helbo (2007:14) Le Théâtre:
texte ou spectacle vivant où l’auteur non seulement cherche à puiser le sens du théâtre dans la
culture universelle, mais aussi se refuse de privilégier un aspect dans l’analyse du genre. C’est
là même que réside l’originalité de son ouvrage dont l’effort consiste à répercuter les progrès
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Le volume aborde son objet par référence maillée à des pratiques de manifestation communes au
théâtre, à la danse, au cirque, à l’opéra, aux arts de la rue. Une telle démarche suppose que ne se
trouve pas considérée prioritaire une analyse des systèmes de signes [analyse du texte en scène ou
découpage des productions]; encore que ces procédures méritent qu’on le réévalue aujourd’hui. Il
importe plutôt de saisir les processus par lesquels le spectacle s’invente collectivement comme
événement énonciatif au confluent du paradigme spectaculaire. Doivent donc être examinés les
mécanismes par lesquels l’activité théâtrale exclut le monde naturel pour le réintroduire dans son
discours, ainsi que les stratégies permettant de construire l’identité des instances. Au passage, ce
questionnement permet d’évaluer la pertinence de la terminologie véhiculée par les traditions
théâtrales [conventions, jeu du comédien, mise en scène, spectateur, dialogue].
(b) Le théâtre n’est pas que texte, il est aussi et surtout une représentation. Durand (1975:117) a
bien démontré que le texte a jusqu’à une date récente joui dans les études théâtrales d’un
privilège exorbitant. Alors que, suppose-t-il, la représentation est l’aboutissement du texte de
théâtre, sa sanction. C’est pourquoi il pense que la notion de théâtralité va donc se trouver
déplacée et redéfinie: ce ne sera plus nécessairement ce qui dans le théâtre est le proche de la
représentation, voire cette représentation même. On dira plutôt qu’elle est déjà inscrite dans le
texte, qu’elle est même à son principe. Il rejoint ainsi Helbo (1975a:62,69) qui considère que la
mise en scène peut être énoncée, intégrée ou non dans le texte, verbale ou non; le son peut être
décor, le propium de la représentation réside précisément dans le fait que la mise en scène
contient déjà sa propre situation. Le contexte théâtral, le lieu d’énonciation, convoque d’emblée
deux instances: le verbe proféré par le personnage prend allure de communication vis-à-vis
d’un allocutaire. Ainsi comme l’indique Butor (1968:403), «La lecture d’un livre sur le Japon
pendant que j’y suis me permet de m’y retrouver, pendant que je n’y suis pas de me le
représenter». Et en tant que représentation, il est aussi lié au code spectaculaire culturel. Les
propos d’Helbo ont le même écho chez Naugrette (2007:17) qui de l’esthétique théâtrale,
exprimait le même sentiment: «L’esthétique théâtrale en question: le texte et la scène». En
effet, Naugrette pense que le statut du théâtre au sein de l’esthétique dépend tout d’abord de la
nature qu’on lui attribue: de la définition qu’on en donne et donc de sa classification en tant
qu’art. La forme comme contenu du discours esthétique sur le théâtre trouve son origine dans la
réponse faite à la question: qu’est-ce que le théâtre? Or, cette réponse est éminemment variable,
en raison de la nature même du théâtre, art ambigu, hétérogène, qui repose fondamentalement
sur la dualité de l’écriture et de sa représentation.
Art composite, le théâtre peut être et a été longtemps considéré et défini sous l’un de ses
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aspects seulement, l’un des éléments qui entrent dans sa «composition»: texte ou spectacle; ou
bien il peut être assumé dans sa totalité, dans son hétérogénéité. Ce qui bien sûr modifie à
chaque fois le regard que l’on porte sur lui, donc la réflexion esthétique. Même si certains
auteurs, comme le montrent Narjoux & cie (2009:20), pensent que «[…] la représentation ne
peut prétendre d’être résolutive de la boiterie initiale du texte théâtrale, et mieux, qu’elle en
joue», en argumentant sur la multiplicité des mises en scènes, comme celle des interprétations
[d’un texte théâtral], qui conférerait toujours un sens ouvert, renouvelé et renouvelable au
spectacle du théâtre; nous pensons que la multiplicité des mises en scène d’un même texte de
théâtre confirme davantage que le texte écrit n’est pas encore du théâtre. En effet, la scène du
théâtre se donne au spectateur comme événement unique et non multiple. A l’inverse les
multitudes de mises en scène ne pourront pas se fondre en un seul et même texte. Treilhou-
Balaude (2003:94) pense que «Tout texte dramatique […] esquisse la représentation; au sens
linguistique du terme [qui n’est pas distinct, dans son fonctionnement, de la représentation
théâtrale] ».
Petit Jean (2009:27-28) montre bien par exemple qu’il « Est communément admis que
le théâtre se différencie du roman par le fait d’être “un art à deux temps” (Gouhier 1989), “un
art à double régime d’immanence” (Genette 1994), “un processus opéral à deux phases”
(Vouilloux 1997)». Dans ce sens «Le théâtre est avant tout un art de la représentation, de la
scène plus que de l’écrit». (Notre Librairie, 2006:23).
De ce point de vue, la littérature orale africaine est d’abord une performance théâtrale.
Une soirée au village est un phénomène artistique total intégrant dans la même structure tous
les éléments de la géométrie scénique, des ressources linguistiques et ludiques, avec
participation collective de la communauté tout entière. Toelle et Zakharia (2003:207)
concernant la naissance du théâtre arabe notent que
[…] du fait de l’oralité de la littérature: la récitation d’un poème, d’une maqâma, le récit des hauts
faits des héros populaires ou encore le poème chanté donnaient lieu à une mimique, à une gestualité,
voire à la danse qui, toutes, s’apparentent au jeu d’acteur et impliquaient la participation de
l’auditoire.
C’est pourquoi nous aimerions bien considérer certains genres de la littérature orale
[notamment le conte, épopée, mythe, légende…] comme autant des genres littéraires que des
genres de spectacle et de la représentation. Et donc
A partir de cette exigence particulière qu’exige le discours du conteur, il faut considérer d’une autre
manière les instruments de l’analyse littéraire traditionnelle fréquemment utilisés. Ces instruments
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sont déficients parce qu’ils présupposent un texte silencieux seulement parcouru des yeux; le texte
du conteur sera toujours performant, les conteurs sont les réalisateurs d’une théâtralité vivante.
(Patrini, 1998:301).
Izevbaye (1975:5) pense aussi autant :«(…) The oral tale made up for its thin narrative texture
with a dramatic vitality (…) ».
Parlant de l’extrême diversité des spectacles contemporains, Pavis (2008:4) considère
qu’«Il n’est plus possible de les regrouper sous une même étiquette, fût-elle aussi accueillante
que celle d’“arts du spectacle”, d’ “arts de la scène” ou d’«“arts du spectacle vivant”». Dans ce
sens, pour Pradier (1996)
Sont concernés le théâtre de texte [mettant en scène un texte préexistant] autant que le théâtre
gestuel, la danse, la mime, l’opéra, le Tanztheater (danse-théâtre) ou la performance: autant de
manifestations spectaculaires qui sont des productions artistiques et esthétiques, et non simplement
des «comportements Humains Organisés. Pavis (2008:4).
2. Cela revient à dire qu’il existe bien un théâtre originel africain développé en Afrique
selon l’esthétique africaine, qui a ses caractéristiques propres. De ce pont de vue, en suivant
Pairault (1970:16),
[…] il serait naïf de tirer une preuve en faveur de l’inexistence du théâtre dans les cultures
traditionnelles d’Afrique noire. Ce qu’on peut avancer à titre d’hypothèse, c’est que le genre
dramatique ne se présente pas dans ces cultures selon les formes canonisés par le nom même de
théâtre. […] Le terme drame signifie une action. Un drame c’est une action typique qui mérite
d’être représentée, parce qu’elle résume d’une manière ou d’une autre la condition humaine. Comme
vous le savez, dans le Faust de Goethe qu’on peut lire: «Au commencement était l’action.” Mais
dans les cultures africaines, cette phrase qui n’est pas écrite [les cultures africaines traditionnelles ne
sont pas écrites] se vit et se dit comme une évidence à rappeler, à réitérer. Coutumièrement, elle se
vit dans les mythes et elle se vit dans les rites, et les uns et les autres ont à être répétés, parce qu’en
eux se présente l’action qui fait le sens de l’existence humaine.
La mosaïque générique, avec ses formes théâtrales ou extra-théâtrales [texte, rituel, danse, musique,
chant, conte, mythe, légende, récit de vie, masque, projection, palabre, débat…], garantit l’aspect
12
ludique tout en créant les effets d’identification nécessaires à la distance critique. Elle enracine le
théâtre dans la vie présente des hommes et des femmes qui y prennent part comme un rituel
initiatique et comme une célébration de leur mémoire.
[…]Yet these differences must be articulated and recognized if one is to begin to grasp the nature of
theatre in African culture. To do so, one must be open to larger definitions of the word than are
normally found in western tradition, alternative definitions. This is part of what our two African
volume editors are suggesting when they make distinctions between traditional and modern theatre
in their introduction to this volume. […] : “Obviously, if one is only interested in spoken drama one
will not be able to understand the essence of contemporary African theatre, the rich fusions that are
being made now even by traditional artists or those who, trained in western dramatic form, are
beginning to reintroduce into their work.”1
Notre thèse sur le théâtre moderne peut être renforcée par les propos de Maalu-Bungi
(2006:202) qui montre que les chansons modernes africaines, chantées en langues africaines ou
quelquefois en français, anglais, portugais ou en espagnol par les musiciens des orchestres dits
modernes, qu’elles soient composées oralement ou par écrit, sont une symbiose d’éléments
traditionnels et modernes, notamment le rythme afro-cubain et latino-américain. Toutefois,
elles se démarquent des chansons traditionnelles par leur rythme propre qui varie d’un pays à
l’autre, d’une région à l’autre.
Ce théâtre moderne commence à se développer à partir de l’arrivée des colonisateurs.
Kesteloot (1970a:51) le dit aussi bien que «Le théâtre africain moderne est né pendant la
colonisation et il est tout naturel qu’il en porte les stigmates». La langue utilisée est un des
éléments indicateurs de cette symbiose. A côté de la langue, nous notons l’espace et le
personnage qui constituent des facteurs définissant l’écart entre le théâtre moderne et
traditionnel. Le point de vue de Kesteloot, Maalu Bungi ou Odin renforcent la définition
d’Eckert (2008) de la modernité africaine. Il pense que la modernité africaine peut être conçue
comme une forme de représentation et imagination sociale en rapport avec la modernité
coloniale. Les études de cas sur «les zones floues» et les «espaces d’échange des
représentations» (Baberowski, 2008: 18) doivent être analysées pour faire émerger «le rapport
complexe de la dichotomie affirmée entre les colonisateurs et les colonisés, le métropole et la
1
C’est nous qui soulignons
13
périphérie, comme entre les transnationaux et les locaux. Il part donc du principe que ce sont
les représentations qui produisent dans ces formes bien diversifiées, des arènes de la modernité
locale, par la performance, le discours, le vécu et l’imagination2. Ils négocient non seulement le
pouvoir entre les acteurs, mais aussi la signification des codes culturels, des symboles et des
pratiques.
L’objet de cette thèse est de revisiter cette polémique autour du théâtre africain, non
pour la raviver, mais pour que, à travers elle, nous puissions insérer notre point de vue dont la
finalité consiste non seulement à confirmer ou non l’existence du théâtre africain mais aussi à
proposer une typologie qui s’appuie sur le contexte africain. Ainsi notre souci dans cette thèse
est d’analyser et de décrire les pièces produites par la troupe théâtrale « Schecania » de la ville
de Boma comme genre de la littérature orale de manière à définir et à classifier, à partir de cette
analyse, le théâtre africain et d’examiner dans quelles mesures ces pièces représentent le théâtre
africain. Un peu pour calquer la formule d’Helbo (1983:7) «Il ne s’agit pas pour nous de
célébrer de nouvelles noces mais de revenir à d’anciennes amours». De cette manière, nous
entrons de pleins pieds dans la chapelle de Makouta (2003:49) qui faisant le lien entre critique
et créateur se remet à l’opposition entre la construction et la création. Il note qu’examiner
l’opposition entre critique et créateur revient à examiner l’opposition entre construire et créer;
construire implique l’emploi de matériaux préexistants, l’exécution d’un plan, l’application de
l’intelligence mécanique: mais créer c’est participer à la puissance même de la nature, c’est
produire des êtres vivants en d’autres termes, créer, c’est tirer du néant. C’est donner naissance,
c’est engendrer. Critiquer, c’est aussi engendrer, car la différence n’est pas énorme entre la
construction et la création, mais c’est engendrer uniquement à partir de ce qui existe déjà, en
s’appuyant sur des matériaux préexistants, sur ces idées de genres littéraires, de chaînes à
établir, de générations à visiter et de pays dont il faut examiner les caractères. Cependant, le
critique ne s’élèvera au niveau de la création que par un style original, et par une sincérité
puissante et communicative.
Au regard de tout ce qui précède, en écrivant cette thèse, nous nous assignons les objectifs
ci-après:
2
C’est nous qui soulignons.
14
- Ce théâtre est aussi bien ludique que mimétique et critique c’est-à-dire comporte si bien
les fondamentaux qui permettent de reconnaître un genre théâtral
- Démontrer que le théâtre urbain kikongophone que nous étudions rentre dans la
catégorie de ce que nous nommons théâtre moderne
- Que ce théâtre moderne africain [que la plupart nomme théâtre populaire] est la
symbiose des éléments du théâtre traditionnel et occidental. C’est-à-dire qu’il est le fruit
du contact de civilisation: africaines et occidentales.
- Démontrer que le théâtre dit classique ne peut pas être considéré comme classique
africain, mais plutôt un théâtre occidental joué en Afrique.
En effet, si nous considérons en littérature, classique comme modèle, ce théâtre est loin
d’être considéré comme modèle africain. Le modèle africain est à rechercher dans la tradition.
Etant entendu que, comme le notent Balogum, Aguessy& Diagne (1977:53) le terme modèle,
n’impliquant pas qu’elle soit un exemple, un cas exemplaire mais simplement que, pour
l’Africain, elle reste le premier modèle auquel il est initié, mais un modèle particulier qui le lie
aux hommes et au monde. Or modèle implique identité. Cette dernière est le produit d’une
construction sociale avec effet immuable dans le temps et dans l’espace, repérable à travers des
variables quantifiables et qualifiables. Donc
Si l’identité est bien une construction sociale et non un donné, si elle relève de la représentation, elle
n’est pas pour autant une illusion qui dépendrait de la pure objectivité des agents sociaux. La
construction de l’identité se fait à l’intérieur des cadres sociaux qui déterminent la position des agents
et par là même orientent leurs représentations et leurs choix. Par ailleurs, la construction identitaire
n’est pas une illusion car elle est dotée d’une efficacité sociale, elle produit des effets réels. (Cuche,
1996:86).
Si donc tel, l’affirmation de Labou Tansi s’impose. Donc, l’Africain n’a pas besoin de chercher
des modèles identitaires hors de l’Afrique. Et ce faisant, Derive (2008b:24) montre bien que
«L’oralité impose donc, en matière de création, un point de vue qu’on qualifierait de
15
résolument «classique» dans les cultures occidentales». Nous pouvons ainsi nous appuyer sur
l’idée de Bourdier (2008:43) concernant l’histoire comparée des représentations du monde
social où il montre que la construction du monde social n’est ainsi pas séparable des
représentations que s’en font ses propres acteurs et celles-ci s’imposent donc bien comme l’un
des objectifs spécifiques de l’histoire sociale.
0.6. Méthodologie
En ce qui concerne cette recherche, nous devons situer la méthodologie à deux niveaux.
Le premier est celui de la récolte des données et le deuxième est celui de leur exploitation.
(2003:16) propose un dialogue entre disciplines pour mener à bien les études en sciences
humaines. Il pense que c’est seulement un dialogue avec l’autre groupe, avec l’autre sociolecte,
qui finira par mettre en question les théorèmes dogmatiques de mon groupe d’origine –et non
pas une discussion intersubjective à l’intérieur du groupe. C’est une mise à l’épreuve inter-
collective ou inter-discursive qui rend la discussion d’une hypothèse ou d’une théorie
intéressante. En effet, Pradier (2013:49) démontre que l’interdisciplinarité est une
pluridisciplinarité en dialogue critique. Elle permet d’invalider les approches singulières, de les
corriger, de les compléter ou d’en montrer les limites. Parfois, l’interdisciplinarité est à même
de mettre en œuvre de nouvelles disciplines: psycholinguistique, sociolinguistique,
psychobiologie, économie politique, biologie moléculaire etc. Resweber (1981:92) insiste pour
qu’on ne voie pas dans ce paradigme un simple dénominateur commun, mais plutôt la
symbolisation d’un non-dit ou d’un impensé vers lequel font signe les discours des disciplines.
Le théâtre dans sa complexité n’est nullement réductible à une démarche. Comment
résoudre un tel problème si on s’enferme dans une même et unique démarche, surtout dans le
cadre des études comme celle -ci où l’objet est ambivalent. Dans sa terminologie classique
Hjelmslev (1971) pense qu’
Une œuvre d’art scénique et des arts vivants peut être considérée comme une sémiotique
multiplanaire non conforme entre les plans constitutifs. […] Le texte d’arts vivants se produit et se
déplace diachroniquement et synchroniquement en assemblant et désassemblant des unités de
diverses magnitudes, substances et consistances de codes. (Mangieri 2013:67)
Plusieurs auteurs l’ont démontré dans ce sens, notamment Helbo (1983:19) dont nous nous
inspirons démontre cette ambivalence en postulant que
Sa dimension vécue, son intrication complexe de codes, son appel au regard d’autrui, réduit
difficilement la structure du théâtre à un seul mode d’analyse conçu pour le récit. Dans ce sens
donc, considérant qu’il y a au théâtre, entre autres systèmes de signes, un texte représenté, la
question se pose de déterminer l’influence du système verbal au sein de la représentation.
La description doit être menée à partir des données in situ, et les paramètres contextuels doivent être
incorporés au système de règles que l’on reconstitue à partir de la description des données. Car les
propriétés du contexte déterminent entièrement les opérations de production des énoncés aussi bien
que leur interprétation –et cela en ce qui concerne non seulement les aspects de l’interprétation qui
sont les plus évidemment tributaires du cadre énonciatif [valeur particulière des séquences
ambiguës, actes indirects, sous-entendus, et autres implicatures], mais même le sens d’un énoncé
dans ce qu’il a de plus littéral.
D’où l’intérêt de la pragmatique inférentielle qui cherche à décrire et à analyser tous les
phénomènes qui interviennent lorsque deux individus se parlent. Sa force est de ne pas
considérer seulement les informations linguistiques activées dans la communication, mais aussi
celles qui ne sont pas formulées et qui devront donc être inférées pour pouvoir interpréter
l’énoncé. Eco (1979:16) appuie cette option en considérant qu’«Un locuteur normal peut
inférer de l’expression isolée, son contexte linguistique possible et ses circonstances
d’énonciation possibles. Contextes et circonstances sont indispensables pour pouvoir inférer à
l’expression sa signification virtuelle qui permet au locuteur de deviner son contexte».
De ce point de vue, la sémio-pragmatique nous aidera à comprendre les différents
contextes qui accompagnent l’énonciation des discours des personnages en vue de percevoir
21
leur sens dans la réalité. Dans ce sens, le théâtre, comme signe de communication est à
comprendre dans le contexte africain. Son usage, son appréciation réfèrent au prescrit
contextuel du genre. Dans tout le cas, nous avons procédé de manière pragmatique, observant
et analysant des faits concrets dans leur contexte d’actualisation. Nous avons considéré nos
matériaux oraux (faits de théâtre) comme signe dont le sens ne peut être compris que dans le
contexte Kongo. Ainsi, pour essayer de pénétrer les différentes informations qu’ils renferment,
il nous fallait le décoder suivant la compréhension locale. Krysinski (1981:78) affirme que
toute «Lecture sémiotique est conditionnée par un déchiffrement double: celui de l’espace
topologique du texte et celui des signes attachés à cet espace qui l’ont produit». Bref, la finalité
dans notre recherche c’est de saisir l’espace kongo en tant que signe observable [définissable et
reconnaissable par des éléments spécifiques] et constitutif de l’universalité [définissable et
reconnaissable à partir des éléments spécifiques comme maillon de l’universalité]: le théâtre.
En cela une démarche herméneutique avec l’exploration du symbolique surdéterminé
(polysémie) de l’univers kongo s’en est mêlée. En effet, «L’exigence de la relation au contenu
découle très clairement d’une compréhension précise de la tâche de l’herméneutique, et –
préalablement – d’une compréhension précise de la structure du texte, à savoir la nature du
passage et ce qui le rend obscur». Szondi (1989:23). Nous avons cherché à retrouver, dans la
mesure du possible, les intentions de sens dont sont porteuses les pièces de théâtre [ceci
implique la prise en compte des comportements spontanés et sollicités des personnages, et la
connaissance de la culture appuyée par des investigations sur place auprès d’autres
informateurs autochtones compétents] à débobiner le fil des investissements sémantiques
analogiques en s’appuyant sur certaines techniques et concepts fondamentaux de la littérature,
communication, philosophie du langage, sémiotique, la sociolinguistique ou la pragmatique
comme nous venons de l’expliquer ci-dessus.
Ainsi ce travail intertextuel et de mise à jour d’un système de transformation se fonde
sur la séparation des valeurs constantes des valeurs variables. Il a pour finalité de dégager le ou
les messages que véhicule le récit dans une culture. En fait, cela va de soi, le théâtre est déjà par
sa composition intertextuel. Son discours qui traverse la représentation, le spectacle ou la
littérature ne peut pas déroger à cette règle. Naugrette (2007:37) n’a pas tort de penser que
«L’esthétique théâtrale est ainsi définie à partir de l’ensemble des discours qui la constituent,
comme l’espace intertextuel dans lequel ils existent et fonctionnent, espace lui-même ouvert, en
diachronie comme en synchronie, sur les mondes du théâtre et l’esthétique». Nous devons
souligner que l’intertextualité s’imposait de soi, car nous avons puisé dans un genre proche
notamment le roman pour expliquer certains faits théâtraux. En effet les romans auxquels nous
22
avons recouru renferment de l’intertexte dans la mesure où en leur sein on pouvait lire des
extraits de théâtre traditionnels, expliquant ainsi dans une grande part la caractéristique du
théâtre moderne [qu’il partage d’ailleurs avec le genre romanesque moderne] qui constitue une
symbiose du traditionnel et de l’occidental. Tout récit s’inscrit dans une culture. A ce titre, il ne
renvoie pas seulement aux réalités extralinguistiques du monde mais aussi aux autres textes,
écrits ou oraux, qui le précèdent ou qu’il accompagne et qu’il reprend, imite, modifie… Ce
phénomène est généralement appelé intertextualité. Genette, qui l’a étudié dans son ouvrage
intitulé Palimpsestes (1982), préfère le nommer transtextualité et le spécifie en cinq types de
relations possibles. Genette réserve le terme d’intertextualité à la relation de coprésence entre
deux ou plusieurs textes qui se concrétise le plus souvent par la présence effective d’un texte
dans un autre. «Cette relation peut s’actualiser selon trois grandes formes: la citation, forme la
plus littérale et la plus explicite; le plagiat, littéral mais non explicite; ou l’allusion, moins
littérale et fonctionnant en partie sur de l’implicite». (Reuter, 2009:109).
Précisons que procéder autrement aurait étonné. En effet, la complexité et la divergence
de connaissance que transportent les matériaux oraux ne peuvent pas être analysés en restant
figé sur une démarche. Nzuji Madiya (1992:15) dans Symboles graphiques en Afrique noire
s’en remet pour analyser judicieusement ses matériaux; parce qu’elle constate en effet que cette
étude est le fruit d’une convergence d’approches diverses: philologique, sémiologique,
herméneutique, ethnologique, socioreligieuse et littéraire. Et cela va dans le sens de constat
déjà fait par Laya (1972:34) en éditant l’ouvrage collectif La Tradition Orale: problématique et
méthodologie des sources de l’histoire africaine où il montre en effet que même s’il est permis
d’établir une distinction entre traditions historiques d’une part, et littérature tout court d’autre
part, il convient de ne pas privilégier les premières en fonction d’un jugement porté sur la
valeur intrinsèque de ces deux types de documents, il faudrait tenter de restituer ce qui fait
l’originalité de la pensée historique et de l’esthétique africaine. Cette histoire ne doit pas être
simplement le fait des historiens, mais elle doit également solliciter le concours des linguistes,
des musicologues, des ethnologues, des anthropologues et des archéologues. Il a ainsi montré
qu’on a obtenu des résultats appréciables, à partir de la convergence des renseignements fournis
par diverses disciplines.
Diagne (2005:12) buté à la complexité et la diversité d’information que livre l’analyse
d’une culture [africaine spécifiquement] annonce que cette situation impose devant la
complexité des problèmes, des emprunts, mais critiqués, des compromis théoriques, mais
préalablement questionnés. D’où une exigence apparemment contradictoire dans sa
formulation: dès lors qu’il s’agit d’interroger l’espace d’une culture dans toute sa diversité,
23
Précisons-le d’emblée: notre volonté dans ce Thema n’est pas de proposer un énième modèle
d’interprétation. A partir d’études empiriques approfondies, il s’agit plus modestement de mobiliser
des outils d’analyse –parfois anciens –issus de différentes disciplines, afin de donner du sens, dans
un langage partagé, aux phénomènes que nous étudions. Aucune discipline ne peut avoir la
24
prétention d’expliquer à elle-seule les faits sociaux. Il faut nécessairement travailler ensemble, mais
non sur base d’une association de circonstance ou d’une juxtaposition de méthodes. Notre façon de
faire consiste à puiser dans les répertoires des différentes disciplines pour bricoler des outils
utilisables par tous. «Bricoler» est ici une notion centrale, qui illustre bien la façon dont nous
concevons l’innovation, qu’elle soit scientifique ou technique.
[…] cet ouvrage contient de nombreuses citations, dont l’occasionnelle longueur n’a d’explication
que le souci d’honnêteté qui anime son auteur, comme un sage africain l’a si bien expliqué dans le
passé: “je tiens à citer mes sources. En matière de probité littéraire, outrepasser vaut mieux que
passer outre.”
Nous devons faire remarquer que cette thèse n’a pas été rédigée sans heurts. La
25
première année que nous arrivions à Bruxelles, dans le cadre du projet cadre kituba du Musée
qui finança sa rédaction, nous avions un autre sujet qui consistait à comparer la littérature orale
en kituba et les langues sources. Après discussion avec Jacky et Koen, ces derniers nous
proposèrent de travailler sur le théâtre populaire. C’était une année déjà passée. Nous sommes
descendu sur le terrain pour récolter les premières données. De retour à Bruxelles, il fallait
préparer un texte à présenter à la journée des jeunes chercheurs à L’ULB et un autre texte à
présenter au Musée en vue de passer l’épreuve de confirmation. C’était la deuxième année. Il
nous restait donc deux ans pour renforcer les données et passer à l’étape de la rédaction. Ce qui
n’était pas facile. Il nous fallait beaucoup de gymnastique pour d’un côté réunir la
documentation et enrichir notre cadre théorique [il faut signaler que nous n’avions jamais
analysé le théâtre], et surtout que le huit mois que nous passions au pays n’accéléraient pas tout
à fait la rédaction à cause des charges, notamment académiques à l’Université. En plus réunir le
corpus, le transcrire d’abord ensuite le traduire enfin faire le découpage suivant les éléments
constitutifs relatifs à notre questionnement en vue de trier les données analysables: une autre
difficulté.
A propos de données, elles n’étaient pas faciles à réunir. Nous sommes passé dans les
différentes chaînes de télévision de Boma, la RTND (radio télé Notre Dame) qui fut brûlée
quelque temps après, nous n’avons pas trouvé d’archive. Un seul C.D qui du reste ne nous a pas
servi. A la RTB (Radio Télé de Boma), nous n’avions rien trouvé. Comme le leader du groupe
que nous avons ciblé (l’unique d’ailleurs en ces moments) avait émigré vers le Cabinda, il
fallait courir chez ses amis pour enregistrer les copies des scènes qu’ils détenaient. Tout ceci
était fastidieux, car il nous arrivait de quitter Kinshasa pour Boma sans rencontrer personne, et
pourtant le rendez-vous ferme était pris. Encore une difficulté. Enfin les supports que nous
utilisons sont très fragiles. Des crashes à répétition ne facilitaient pas le travail et créaient de
temps en temps des pertes des données et des descentes continuelles sur terrain.
valorisé ».
Tout en reconnaissant ce grand bond vers l’avant, nous devons aussi souligner que dans
plusieurs domaines, elle est restée non pas dans le mutisme, mais mal connue. Baumgardt &
Bounfour (2000: III) expliquent cette mauvaise connaissance en grande partie par l’étendue des
domaines de recherche et leur complexité. Mais nous pensons qu’on ne doit pas ignorer
certaines informations, faussement soutenues, par ignorance ou non sur l’Afrique. Elles ont
aggravé les ignorances au sujet de l’Afrique. Nous pouvons, pour illustration, citer Buakasa
(1973:3) qui dit
Dans ce sens, nous soulignons que rester mal connu nous paraît plus grave que rester dans le
mutisme. Et la remarque ci-après de Cornevin (1970:7) nous paraît étayante:
Plus grave me paraît être l’ignorance des Africains vis-à-vis de leur propre patrimoine artistique.
Enseignant depuis dix ans à l’Institut des Hautes Etudes d’Outre-mer (Institut International pour
l’Administration Publique) et à l’I.N.A.S. (Institut National pour l’Administration Scolaire et
Universitaire) à des étudiants africains, j’ai eu fréquemment la surprise de constater que ces
pédagogues ou ces futurs hauts fonctionnaires connaissaient mieux le Martiniquais Césaire que le
Sénégalais Birago Diop, le Dahoméen Jean Pliya, le Congolais Guy Menga, les Ivoiriens Bernard
Dadié ou François Amon d’Aby.
Nous ne sommes pas en train de soutenir que la situation ait changé dans l’entre temps. Le
regard des Africains, dans le domaine des études des Lettres surtout, est souvent réalisé partant
de l’extérieur. C’est le cas par exemple de Kazi Tani (1995) dont l’étude porte sur Roman
africain de langue française. Au carrefour de l’écrit et de l’oral. Dans cet ouvrage, l’auteur
montre que les éléments de culture orale sont sous jacents à tout texte littéraire, mais dans le
roman africain d’expression française la rencontre entre l’oral et le scriptural, qui est en même
temps une rencontre entre langues et différences culturelles, est particulièrement féconde car
elle donne naissance à une écriture originale. Cette originalité réside dans la manière dont cette
frontière entre l’oral et l’écrit est transgressée dans ce sens que l’écriture réalise la double
performance de donner l’illusion de la chaleur de la voix humaine et celle d’impliquer le lecteur
dans l’«ici» et le «maintenant» des communications en direct.
Nous ne pensons pas que l’inverse, dans ce sujet ne soit proposable, c’est-à-dire
comment l’oralité charrie les éléments de cultures étrangères. Nous ne sommes pas du tout
27
contre cette manière de faire, sauf que, selon nous, elle ne légitime pas les matériaux africains
de manière autonome, c’est-à-dire reléguant souvent les matériaux oraux au second degré.
Point de vue que Manzambi Vuvu (2001: 107) renforce dans son étude sur le penseur Cokwe
du Musée de Dundu en Angola. Il base son étude sur l’analyse morphologique qu’il considère
comme l’analyse du concept «mot-forme-contenu» d’une sculpture ou d’une collection en
partant des éléments de son identification: éléments de recherche sur le terrain, ou au niveau
des musées. Ce qui suppose la reconstruction d’une sculpture à partir d’une analyse des
données de recherches sur le terrain en les confrontant avec ceux des fichiers muséographiques.
Cette démarche nécessite de partir «De la description formelle (morphologique) qui est une
analyse primaire de l’objet ethnographique dans l’appréciation de sa valeur extrinsèque, en se
basant sur le point de vue de l’autochtone toujours relégué au second plan, pour mieux
comprendre l’importance de la sculpture». Cela conduit souvent d’ailleurs, sans le savoir, au
psittacisme culturel et intellectuel. Le psittacisme ne favorise pas l’éveil du peuple. Kesteloot
(1963:43) montre par exemple que les Antillais sont restés des esclaves dans leur cœur et dans
leur esprit à cause de l’imitation littéraire qui est l’expression d’un servilisme culturel, résultant
lui-même de causes sociales, politiques et radicales. C’est le cas chez plusieurs auteurs
africains, notamment Mudimbe (1978) qui considère, comme littérature, la littérature écrite en
langues étrangères, la littérature orale étant non exportable ou Nzuji Madiya (1992), qui réduit
la symbolique africaine au niveau pratique, l’abstraction étant de l’Occident.
Gatembo nu-Kake (1995:123) n’en disait pas moins, concernant le théâtre congolais,
que «Le théâtre congolais est une réalité mal connue et mal gérée. Il n’a pas encore eu ses
œuvres critiques de noblesse jusqu’à présent, il n’est guère possible d’appréhender les
différents aspects de la production théâtrale congolaise».
Dans cet état de la question, nous faisons ressortir beaucoup plus la situation en R.D.C
qui est notre champ d’investigation. Et à ce sujet, nous faisons observer que, selon nos
connaissances, le théâtre, quels que soient les thèmes, les orientations, n’a pas suffisamment été
étudié, par rapport à d’autres genres littéraires, surtout dans l’optique de l’oralité.
A notre connaissance, les études sur le théâtre ont produit les thèses ci-après. D’abord, il
y a la thèse de Yoka Lye Mudaba pour le doctorat de spécialité soutenue en 1977 à l’Université
de la Sorbonne Nouvelle ou Paris III intitulé: Les survivances de la littérature orale dans le
théâtre africain contemporain. Cas du Zaïre. Yoka évoque ce qui survit, ce qui reste après la
disparition de certains éléments de l’oralité du théâtre africain contemporain en contact avec
l’écriture. Sa thèse a le mérite d’être la première à avoir vu le jour en République démocratique
du Congo dans le domaine de théâtre.
28
La thèse de Gubarika, intitulée Le personnage dans l’œuvre de Sony Labou Tansi. Essai
de sémiologie du texte théâtral; thèse présentée et soutenue pour l’obtention du grade de
Docteur en Lettres et Civilisation Françaises, à l’Université de Kinshasa, 2007-2008. L’auteur
fait une étude sémiologique de l’arsenal de personnage que Sony Labou Tansi met en scène
dans son œuvre. Le comportement des personnages souvent tirés de la vie politique en
République démocratique du Congo et en République du Congo.
La thèse de Louis Mombo soutenue au mois de mai 2010 à l’Université de Montpellier
III (en France) a porté sur Le texte dramatique de Norbert Mikanza Mobyem. L’auteur y a
étudié l’univers théâtral de ce dramaturge, en scrutant son style et sa façon de questionner le
social.
La thèse de doctorat de Mumbal’ Ikie Namupot Mas, intitulée Le texte théâtral
congolais contemporain en langue française: contenus idéologiques. Thèse en cotutelle,
présentée et soutenue en vue de l’obtention du grade de Docteur en Langue et Littérature
française de l’Université de Kinshasa et de Docteur en langues, Littératures et civilisations de
l’université Paul Verlaine 6Metz, 2009-2010 (2010-2011). Dans cette thèse, Mumbal aborde
des problèmes idéologiques contenus dans le théâtre congolais contemporain en langue
française. Ce qui ne l’éloigne pas trop de Yoka qui étudiant les survivances de l’oralité dans le
théâtre contemporain africain, pose quand même un problème idéologique.
En dehors des thèses que nous avons énumérées, il faut reconnaître qu’il y a des articles,
des mémoires par-ci par-là qui ont traité des genres théâtraux. Nous avons donc énuméré ces
travaux pour faire ressortir l’originalité de notre travail et situer notre contribution par rapport à
ce qui a été dit dans le domaine, en référence aux travaux précités.
Nous avons situé la différence entre les différentes thèses est la nôtre à quatre niveaux.
D’abord au niveau de la typologie du théâtre africain. Dans la plupart des travaux cités, la
conception théâtre contemporain renvoie au théâtre d’expression française. C’est le cas, par
exemple, de Mumbal qui spécifiant l’intérêt de son travail parle de théâtre contemporain en
langue française et pour le théâtre en langues nationales, il parle de théâtre populaire. Ce qui
ressort clairement de ses propos où il montre que son sujet constitue une étude systématique de
l’idéologie. Il a ceci d’original qu’elle aborde une question qui n’est pas fréquente: celle d’une
part des textes de théâtre en français, et celle d’autre part des contenus idéologiques. Même s’il
reconnaît qu’avec l’effervescence du théâtre populaire en langues nationales propulsé par
l’explosion des médias audiovisuels, le théâtre en français a pris du recul. Cette façon de
caractériser le théâtre contemporain est commune aux auteurs que nous avons cités. D’ailleurs,
si nous nous appuyons sur la description que donne Mumbal (2010:8):
30
Si les raisons sont donc nombreuses pour s’intéresser singulièrement au théâtre congolais, on peut se
demander pourquoi nous nous sommes intéressé en particulier aux pièces éditées en langue
française durant la période concernée. La limitation de notre corpus aux pièces éditées s’explique de
par leur audience à travers le monde. Car, seules les pièces éditées traversent les autres continents.
Notre démarche exclut les pièces non éditées en l’occurrence les sketches, les contes, les mimes, les
“maboke”, le théâtre Nkundo, le théâtre populaire qui se limite au niveau national.
Si nous considérons cette description, nous pouvons donc estimer, à juste titre, le sens que
Mumbal et ses pairs donnent à l’opposition contemporain et populaire. Et nous pensons que
certains tombent, sans le savoir, dans le piège de ce qu’ils recensent dans leurs travaux:
l’idéologique.
De ce point de vue, nous nous démarquons de cette manière de voir. La typologie que
nous nous proposons est celle qui considère comme contemporain, non seulement le théâtre
d’expression française, mais aussi le théâtre en langues nationales que nous traitons de
moderne, qu’il soit oral ou écrit.
Deuxièmement, concernant les données traitées, la plupart des auteurs travaillent plus
sur le théâtre d’expression française, à l’exception de Kapalanga Ngazungil Sang’Amin; alors
que nous nous partons des théâtres en langues locales qui sont en général oraux. Nous les
considérons comme matériaux de base à partir desquels nous menons notre réflexion. C’est
pourquoi, nous avons pensé que par rapport à la nature de nos matériaux, nous devrions d’abord
recourir à la tradition orale. Surtout, lorsqu’il s’agit de découvrir les structures profondes de
certains processus historiques ou les forces motrices des rapports internes des communautés et
de leurs membres qui forment une société traditionnelle. Cela nous paraît en plus une évidence,
selon qu’il est établi par Lugosi (1984:432). En effet, selon Lugosi, si l’on veut éviter le danger
de l’interprétation eurocentrique, l’analyse doit s’implanter et s’épanouir ensuite dans et à
travers les notions et les catégories originales, celles de la pensée de la société examinée; et cela
n’est possible qu’en faisant appel à la tradition orale. Dans cette perspective, les catégories
choisies pour l’examen se présentent comme des idées complexes qui font partie de l’instance
idéologique. L’idéologie, quant à elle, se distingue ici en tant que l’ensemble des normes ou des
règles sociales faisant fonction des conduites et de mise en système des activités des membres
de la société.
Troisièmement, la manière de traiter les données nous éloigne de nos prédécesseurs.
Dans les travaux précités, chacun a étudié le théâtre en s’appuyant sur un aspect, alors que nous
avons essayé d’analyser le théâtre en prenant en compte l’ensemble des éléments nous
permettant de caractériser un genre théâtral: le langage (symbolisant du discours), l’espace, les
31
Mon commun dénominateur avec Buakasa se situe à deux niveaux: celui de la méthode et celui de
la totalité. Sur le plan de la méthode, Buakasa rejette la démarche de l’anthropologie classique,
analytique et réifiante qui consiste à disséquer un système social en compartiments: religion,
économie, pouvoir et organisation politique, famille et institutions sociales, etc., à les décrire en
accentuant leurs traits caractéristiques [en réalité leur différence avec les institutions
correspondantes en Occident] et à recomposer un ensemble social à l’aide d’un fonctionnalisme plus
ou moins mécanique. Il rejette également, et avec vigueur encore, l’avatar moderne de
l’anthropologie classique qu’est la sociologie du développement. Tout y est considéré en termes de
freins ou de facteurs de développement. Les sociétés traditionnelles étant sous-développées selon les
critères choisis par les sociologues occidentaux, elles recèlent donc des freins qu’il faut découvrir:
solidarité clanique, croyances magiques, culture rebelle à la technologie, absence de volonté de
progrès et d’ambitions individuelles, etc.
32
Sa superficie est de 4.332 km2, elle s’étend entre le 3ème et le 5ème degré de latitude Sud
et le 11ème et le 13ème degré de longitude Est.
Deux saisons s’alternent au cours de l’année. La saison pluvieuse qui va de mi-octobre à
mi-mai et la saison sèche qui va de mi-mai à mi-octobre. Son climat est tempéré en saison
sèche et chaud en saison de pluie. Son relief est modéré et simple, dominé par les Monts de
Cristal. Des savanes herbeuses, des galeries forestières de la Forêt du Mayombe et la forêt du
Mangrove vers la côte atlantique constituent sa végétation. Dans sa faune, on trouve une variété
d’espèces animales.
La ville est peuplée par les groupes ethniques issus du Royaume Kongo et autres
populations (les ressortissants des autres provinces et des expatriés). Il s’agit notamment de :
- Bakongo ya Boma;
- Bawoyo;
- Bayombe;
- Bassolongo;
- Bamanianga;
- Bantandu;
- Besingombe;
- Bandibu;
- Bamboma;
- Les populations des autres provinces;
- Quelques expatriés.
Boma est le nom d’origine de la ville depuis sa découverte. Selon certains témoignages,
Boma tire son appellation du célèbre nom du Chef Ne Mboma dont le siège se situait à l’actuel
emplacement du Parquet de Grande Instance de Boma. Historiquement, la ville de Boma a joué
un rôle très important dans l’évolution de la République démocratique du Congo depuis le
Royaume Kongo jusqu’à aujourd’hui en passant par l’Etat Indépendant du Congo.
D’abord, avant l’arrivée des explorateurs et d’autres trafiquants, Boma fut le siège du
Royaume Kongo. Cette affirmation rencontre le point de vue de Cuvelier (1941) endossé par
Vansina (1965:32) qui écrit:
34
Au cours du 14ème siècle, le fils d’un chef du petit royaume de Bungu, près de l’actuelle ville de
Boma, émigra avec un certain nombre de compagnons vers le Sud du fleuve Congo, région alors
habitée par les peuples Ambundu et Ambwela. Ntinu Wene ou Nimi a Lukeni ainsi que le nomment
les traditions, conquit un plateau situé autour de la ville actuelle de San Salvador, le plateau de
Kongo.
Puissances en 1885. Edifiée à Vivi, alors quartier général des autorités congolaises, elle fut la
demeure des administrateurs généraux qui succédèrent au célèbre explorateur. En 1885, elle fut
démolie et reconstruite à Boma. Cette maison, qui a vu la première génération des pionniers belges
de l’œuvre africaine. […] Boma possède des constructions retraçant les divers stades de l’habitation
[…] On y voit même des maisons construites en briques, importées de Belgique à l’époque où
l’argile convenable n’avait pas encore été découverte et où l’on ne disposait pas encore des moyens
appropriés pour la mise en face. A la période de la brique vient même se succéder celle de la pierre,
et la capitale de l’Etat voit surgir en ce moment des bâtiments de pierre rappelant les pittoresques
villas de nos Ardennes.
Selon Hatier (1989:14), toutes les conditions étaient réunies pour que Boma émerge, un
centre important dans l’organisation administrative et transactionnelle de l’Etat. Il était le siège
de tous les services centraux du gouvernement local. Ainsi fut-elle établie première capitale de
l’Etat Indépendant du Congo de 1885 au 30 juillet 1929, date à laquelle la capitale a été
transférée à Léopoldville [aujourd’hui Kinshasa]. A la même date, Boma fut érigé en Chef- lieu
du district du Mayombe. Dans ce sens, pour diverses raisons, l’histoire de la ville de Boma est
intimement liée à celle de Mayombe. Les Bayombes qui se retrouvent aussi bien au Cabinda,
au Congo Brazzaville, qu’au Congo Kinshasa, occupent dans ce dernier pays la rive droite du
fleuve à l’ouest de la République démocratique du Congo atteignant au Nord le Congo
Brazzaville et la rivière Tshiloango (Lwangu), à l’Est, les savanes Nyanga (Manyanga) à la
rivière Tombe, un affluent du fleuve Congo, au Sud le fleuve Congo, à l’ouest le Cabinda et de
nouveau le Tshiloango qui se jette dans l’Atlantique à Landana (Cabinda).
Par sa position stratégique, la ville de Boma servait et sert de point de relais entre les
activités économiques du Mayombe et l’exportation vers l’extérieur. Ainsi Boma est-il le centre
du Bas-Fleuve depuis et avant la colonisation. C’est pourquoi d’ailleurs, autant que les
explorateurs tenait à donner à la ville de Boma une image selon leurs objectifs, ils en étaient
aussi préoccupés du sort du Mayombe ou sinon de tout le Bas-fleuve où ils devaient exploiter et
35
3
Notons cependant que le kimbanguisme n’est pas l’unique expression religieuse du groupe; il est l’une des
expressions religieuse du groupe kongo. Il a l’avantage d’être parmi le premier à fonder son rayonnement sur
Simon Kimbangu, figure de proue dans la lutte contre l’occupation.
4
L’ensemble des valeurs par lesquelles on se reconnaît kongo: c’est nous qui définissons.
36
Il avait été fondé vers la fin du 13ème siècle ou le début du 15ème siècle par des chasseurs venus du
Sud-est qu’une longue migration avait conduits vers les rivages atlantiques. Lorsque les portugais le
découvrirent à la fin du 15ème siècle, il chevauchait le fleuve, s’étendant au nord jusqu’aux environs
de Pointe-Noire, au Sud jusqu’en Angola; à l’Est, il confinait au Kwango.
Deux faits culturels traduisent forcément la gestion sociale et quotidienne de la population dans
cette ville, les rapports sociaux et les croyances. Comme nous venons de le dire, ces références
culturelles des peuples kongos traversent les siècles et sont repérables, à quelques exceptions
près, chez les kongos dans leurs différents points d’installation.
Du point de vue des r apports sociaux, il s’avère que les Bakongos, en général, vivent
principalement dans un cadre qui comporte deux éléments conjugués: le kanda (lignage) et le
vata (village). Le vata est une communauté résidentielle. On y trouve des membres d’un ou de
plusieurs kanda. Dans le cas d’habitants appartenant à plusieurs lignages, il y a généralement
un lignage dominant, propriétaire du village. Les autres lignages, alliés du lignage dominant,
sont souvent constitués de personnes au statut social de «mwana» (fils), d’«alliés» historiques
et de «bana ba nzo» (esclaves). Mais, dans ce cas, le village s’est fractionné en plusieurs
«belo»ou hameaux, reliés entre eux à un «belo» central ou «mbansa», représentant le lignage
dominant ou la fraction dominante du lignage propriétaire du village. Le village est donc
socialement subordonné au lignage. En ce sens, ce sont les relations au sein d’un lignage ou
entre les lignages qui déterminent la vie des habitants du village. Vansina (1965:33) décrit aussi
le village comme l’unité de base de la structure politique. Le noyau de chaque village semble
avoir été formé par un lignage maternel localisé. Les enfants du chef de ce lignage s’y seraient
rassemblés de même que les lignages clients (mbyazi). La direction de ces villages semble
s’être transmise héréditairement au sein du lignage qui en formait le noyau. Le lignage assure
invisiblement la répartition des places dans la société. C’est un véritable présupposé naturel.
Comme l’écrivait Boniface (1969:259), «Les enfants qui naissent, du mariage ou hors mariage,
font partie, d’office, d’un lignage, par nature. Ainsi un homme et une femme sont toujours dans
un lignage. L’appartenance à un lignage est donc une donnée de l’existence».
Pour mieux comprendre cette notion de lignage, il faut lui opposer la notion de clan. Le
clan est un groupe constitué par les descendants d’une souche commune, qu’ils vivent en
dessous –les défunts- ou au dessus –les vivants- de la terre, sur la base de la communauté de
sang véhiculé par les femmes de condition libre.
Balandier (1965:178, 181) explique qu’à l’ origine –en fait à l’époque du Royaume de
Kongo, il semble que les clans n’étaient pas nombreux, mais qu’ils se soient multipliés par la
suite. Il semble qu’à partir d’un nombre limité des clans initiaux – il y en aurait eu douze- dont
37
Ces entités sont les lignages. Le clan fonctionne comme un système de parenté généralisé: il trace la
frontière des rapports sexuels incestueux, détermine le cadre du respect des règles et tabous, confère
le statut d’homme libre, garantit l’accès à la terre clanique dont les ancêtres fondateurs des premiers
établissements restent les propriétaires, crée les conditions d’une sécurité et d’une solidarité
efficaces. (Balandier, 1965:178).
Bwakasa (1973:13) raconte cependant que «C’est le lignage qui détermine les attitudes et les
comportements, c’est-à-dire qui ordonne la vie quotidienne du Kongo, sur la base d’une
articulation de trois systèmes de rapports sociaux»:
1) Chaque lignage se compose d’au moins deux «ngudi» (mère) ou segments, qu’on peut
aussi appeler branches. Généralement, on parle de trois «ngudi»:
-bampangi (les frères ou sœurs, y compris les cousins et cousines par les mères
-ba Mbuta (les aînés, les grands ou les vieux, les patriarches);
Reposant sur une vaste institution, le clan, qui lui se sert de point de repère et de
fondement, le lignage –c’est-à-dire la combinaison des trois systèmes des rapports sociaux –
organise la vie quotidienne, c’est-à-dire les attitudes et les comportements des sujets, de façon à
permettre que soient remplies trois fonctions essentielles; ces fonctions visent en priorité à
assurer les conditions de la production sociale et de la reproduction de la société.
Qui assure ces fonctions dirige le lignage; en principe, ce sont les ainés de la branche
aînée qui les assurent. Mais, en fait, ce ne sont pas nécessairement ou exclusivement ceux qui
peuvent y prétendre selon les règles généalogiques et constitutionnelles qui les détiennent.
Pour assurer l’une ou l’autre de ces fonctions, tout lignage entre nécessairement en
relation avec d’autres lignages et ce, pour fournir notamment des pères ou des alliés et produire
des neveux ou nièces. De la sorte, tout membre de lignage est, à l’extérieur de celui-ci, un allié,
principalement de quatre lignages:
Ce qui fait que, pour chaque sujet adulte, et à l’occasion des grands événements comme la mort
ou la fête, cinq lignages au moins entrent en jeu: son lignage propre et les quatre autres dont il
39
est un allié. Mais parmi les lignages alliés, les deux premiers sont les plus importants; parce que
représentant la relation fondamentale dans laquelle s’insère chaque individu. Comme le
reconnaît Thaamba Khoonde (1975:2), «Les relations familiales fondamentales se déroulaient
dans deux sphères distinctes quoique étroitement associées: le kingudi, c’est-à-dire l’ensemble
des parents qui se rattachent par les femmes et le Kitâta soit les parents du groupe paternel».
Dans le même ordre d’idée Chemain (1986:241) montre comment cet attachement
continue à caractériser les sociétés africaines en général. En effet il affirme que
[…] dans une telle famille, l’image du père ne se dissocie pas de celle des ancêtres de la lignée
paternelle de l’ancêtre divinisé. L’image de la mère nourricière s’inscrit sur le fond des croyances
agraires faisant une large place au culte de la fécondité, à la terre mère. Et nous ne dirons rien du
rôle des oncles maternels… Bref, toute une série de représentations jugées chez nous archaïques sont
ici intégrées dans des croyances étonnamment proches, voire toujours vivantes.
Tels sont les rapports sociaux principaux, rapports à dominante lignagère, qui se
présentent sous la forme de rapports de parenté. Si nous le disons des Bakongos vivant dans la
ville de Boma, nous pouvons le dire de Bakongo vivant à Dolizi ou à Cabinda ou à Pointe-
Noire. Même s’il faut reconnaître que de manière moderne les sociétés urbaines, notamment la
ville de Boma, sont gérées suivant la législation administrative moderne; la gestion quotidienne
de la société se rapporte à la description faite ci-dessus. La solidarité semble être le fondement
même de tout pouvoir. Il ne faut pas seulement voir dans la solidarité, l’effort ou la
participation dans l’effort communautaire, mais beaucoup plus l’acceptation et le respect de
l’organisation sociale telle qu’édictée par les «bambuta» les anciens. Ainsi comme le signale
Goma- Futu (2001:36)
L’auto-conscience collective qui soutint l’unification et la centralisation des clans et grands lignages
de l’ethnos kongo depuis le Haut Moyen âge [période de l’élaboration du féodalisme primitif], a été
le moteur des fulgurantes réformes de la classe des chefs-seigneurs [mfumu nsi], touchant
respectivement les secteurs de l’art de penser, du savoir-vivre général, mais aussi de l’art de
gouverner, du reflet des canons, bref de plus grandes valeurs de la culture kongo. Les Bakongos les
puisent, de nos jours, dans les proverbes, les devinettes et les serments qui traduisent la Morale,
l’Ethique, l’Esthétique et la Logique, éléments constitutifs de l’art de penser, de l’art d’organiser le
monde et l’espace [vision du monde des Bakongo], mais aussi dans la musique, la danse, l’art
culinaire, les modes vestimentaires, l’art de la décoration [architecture, poterie, tissage, sculpture,
vannerie, tannerie, parures et bijoux, etc.], résumant leur mode de vie, leur conception de l’art et leur
manière d’être. C’est avec ces éléments civilisationnels que les Bakongos entrent en contact avec les
représentants de l’Europe, notamment le Portugal, le Vatican, la Hollande, la France et l’Angleterre,
entre le 16ème siècle et le 19ème siècle.
40
Quant aux croyances, il faut noter que les Bakongos ont toujours cru à l’existence d’un
Dieu suprême (Nzambi phungu: Dieu fétiche), le créateur de tout. Ils sont plus animistes. Ils
croient à la force de la nature et aux esprits qui dépassent les forces naturelles. Avec la
colonisation, le Christianisme a été adopté, difficilement l’Islam. Aujourd’hui c’est le
Christianisme qui domine avec les religions autochtones, E.B.N.M (Eglise Bon Nouveau
Message), les Dieux des ancêtres répertoriés autour du Kimbanguisme, Bundu dya Kongo
(Assemblée (Eglise de Kongo), Mpeve ya Longo (Eglise du Saint-Esprit) etc. Concernant les
langues parlées, il faut noter les parlers ethniques, le lingala, le français, quelque fois le
portugais. Nous y reviendrons au chapitre quatre avec plus de détail.
41
Chapitre 1.
Introduction
Les études sur les genres littéraires africains ont été longtemps et sont souvent dominées
par l’opposition ou le rapprochement écriture et oralité. Nous pouvons mentionner l’exemple
de Derive dont Baumgardt (2005:11) fait l’éloge en retenant que Derive est l’un des premiers
spécialistes à avoir analysé la littérature orale dans une perspective résolument littéraire. Elle
montre que ses recherches ont pour champs de prédilection la théorie des genres et de la
transculturalité, l’oralité littéraire et ses relations avec la culture écrite5ainsi que les problèmes
de la traduction littéraire, autant de domaines qui appellent une approche littéraire de l’oralité
africaine. Cette vision lui permet d’œuvrer sur le plan disciplinaire pour le rapprochement entre
les littératures africaines et la littérature générale et comparée, mentionne Baumgardt.
De nombreux chercheurs dans ce domaine ont cherché et cherchent à recueillir les
textes traditionnels, Baumgardt (2005, 2000) Calame-Griaule (2006), Derive (2008c, 1975),
Görog & Seydou (2005), Leonelli (2005), Paulme (1976), Roulon-Doko (2008a), Sega Touré
(2005), en vue d’en établir la littérarité. Dans leur effort de révéler les caractéristiques
littéraires de ces genres traditionnels, ils sont souvent butés à une difficulté: l’incapacité sinon
la difficulté de rendre quelques aspects du style liés aux jeux de physionomies, aux gestes, au
tempérament de l’auditoire. C’est ce que note Calame Griaule (2005: 6, 7) concernant la
gigantesque œuvre de Derive. Elle souligne que les travaux de Derive indiquent déjà la ligne
qui va être la sienne à l’avenir. Son souci premier était littéraire: comment recueillir et traduire
des textes délivrés oralement en respectant leur valeur formelle? Calame Griaule rapporte que
la traduction de la littérature orale, selon Derive, est un cas particulier de la traduction littéraire
et présente, à ce titre, la même difficulté fondamentale. Non seulement elle doit faire passer
d’une langue à l’autre le contenu d’un message linguistique, mais elle doit le restituer, autant
que possible, sous sa forme originale: dans l’acte de communication littéraire entre auteur et
son public, la forme est souvent tout aussi pertinente que le contenu de l’énoncé. Cette dernière
phrase est importante, car elle insiste sur le fait qu’en plus de leur fonction purement
esthétique, les procédés du style oral aident à faire passer le message contenu dans le texte, ce
qui avait été rarement signalé jusqu’alors. Derive, poursuit Calame-Griaule, invente donc une
méthode pour noter les gestes et les intonations des conteurs et pour essayer de rendre dans la
traduction les nuances qu’ils confèrent aux textes.
Cette difficulté, pensons-nous, ne peut pas être contournée si l’on continue à privilégier
les différentes approches souvent utilisées en littérature orale: approche littéraire et
5
C’est nous qui soulignons.
44
sociologique Derive (2008a, 1986, 1975), Baumgardt (2008b), Camara (1984), Banό (1984),
ethnolinguistique et psychanalytique Calame Griaule (1977), comparée Baumgardt (2008b),
Derive (2008d). Les gestes, les physionomies, le comportement du public relèvent bien du
domaine de la dramaturgie. C’est avec une telle démarche que l’on peut apporter des réponses à
des limites constatées dans d’autres démarches6. C’est dans cette optique que nous considérons
les différents genres oraux comme autant des genres littéraires que des genres de la
représentation et de spectacle. La littérature orale, nous l’avons dit à l’introduction générale, est
d’abord une représentation spectaculaire. De ce point de vue, elle est naturellement soumise à
des règles d’analyse de spectacle et de représentation. L’intitulé de l’ouvrage d’Helbo (1983)
Les mots et les gestes. Essai sur le théâtre, permet bien de saisir que le théâtre se comprend au-
delà des mots par l’action, celle-ci étant le plus souvent rendue par les gestes. Il en est de même
de Caune (1981) qui écrit la dramatisation. Une méthode et des techniques d’expression et de
communication par le corps. En effet «La mobilisation des techniques du corps sert à la
dramatisation des idées». (Aguessy 1972:5). Si donc les différents genres oraux constituent des
performances, les lire et les comprendre appellent aussi et surtout une démarche dramaturgique
qui permet de mettre en exergue certains comportements liés au geste, à l’action là où les autres
démarches ne se limitent qu’à les signaler.
Nous allons tenter dans ce chapitre de démontrer cette nature dramaturgique des genres
traditionnels en présentant les éléments qui favorisent cette nature dans les genres littéraires
africains; en suivant en cela la voie déjà balisée par Diagne (2005, 1981). Pourquoi? Parce que
Diagne (1981), (2005:18, 19) montre que dans les pratiques discursives des sociétés africaines,
un certain nombre de techniques, qu’il regroupe autour de ce qu’il nomme le procédé de
dramatisation, constituent un facteur structurant dans les mécanismes constitutifs de la logique
de l’oralité. Ainsi, soutient-il, des réalités dont nul ne songerait à nier l’importance dans la
6
Par conséquent, la plupart des spécialistes -voire tous- reconnaîssent à la littérature orale africaine les
caractéristiques et fonctions suivantes: anonyme, traumatisante, dynamique, récréative, didactique, sociale,
initiatique… (Lire Maalu Bungi, 2006: 225). La dramatisation n’est pas signalée, sinon les effets de la
dramatisation (participation, dynamique). Et pourtant, nous pensons que la dramatisation est même la
caractéristique fondamentale d’autant plus que, selon nous, les autres caractéristiques et fonctions constituent
des mises en scènes d’un comportement mis en exergue par l’acteur ou les acteurs selon l’auditoire et/ou
l’objectif de la représentation. De ce point de vue, Baumgardt (2008a:50) note que [et nous sommes totalement
d’accord avec elle; cela fait partie de notre thèse] «La spécificité du texte de littérature orale relève justement du
fait que le texte n’est pas seul mais qu’il est entouré, qu’il est tributaire de la performance, qu’il est indissociable
des éléments relevant de la situation d’énonciation et de la façon de le dire, car en dehors de la performance, le
texte de la littérature orale n’existe pas». La façon de dire la littérature orale est la dramatisation. C’est même là
que réside la différence entre théâtre et littérature, comme le dit David (1997: 97) «A la différence de la
littérature, le théâtre représente une langue en action. Il met en scène des personnes qui parlent. Que ce soit à
d’autres personnages ou au public n’a ici que peu d’importance. Le simple fait de parler est ce qui compte, en ce
sens, la dramaturgie est d’abord un acte de parole.
45
performance orale, comme la gestuelle, les inflexions de la voix, si décisive dans certaines
occasions, le chant ou les instruments de musique qui accompagnent la narration de la plupart
des épopées, les parties psalmodiées des contes sont laissées de côté ou relativement
marginalisées. Cette non prise en charge de la totalité du fait communicationnel pourrait
alimenter des reproches. Mais ce serait ne pas tenir compte de l’orientation choisie. Quitte à
assumer jusqu’au bout ce qui ressemble à un paradoxe, soutient-il; c’est-à-dire, réfléchir sur la
«logique de l’oralité», ce n’est peut-être possible qu’à condition de transformer les récits oraux
en textes. C’est sur eux, comme s’ils étaient dits dans l’obscurité, que s’exercera l’étude des
procédés par lesquels les civilisations orales africaines assurent la production et la transmission
de leurs savoirs et de leur savoir être.7 Il faut noter en fait comme le fait N’gal (1993:16) que
«Dans les civilisations africaines traditionnelles, toute création littéraire s’accomplit dans la
théâtralisation. Celle-ci constitue le fond permanent des cultures africaines et structure les
œuvres».
Comme on peut le remarquer avec Derive (2008b:22), l’oralité entendue comme mode
de culture tend à donner aux discours qu’elle retient dans son patrimoine des propriétés
morphologiques et stylistiques particulières. Et cela pas seulement parce que l’expression orale
est différente de l’expression écrite. Comme nous allons le voir, c’est beaucoup plus parce que
l’oralité est un mode social dont les traits spécifiques ont des incidences sur le processus de
création et de consommation des énoncés ainsi que leur nature textuelle. Ceci implique que
l’oralité crée une littérature qui répond à ses exigences catégorielles et fonde ses
caractéristiques.
Qu’est-ce que l’oralité? C’est la question qui guide cette sous-section. A quoi elle sert,
et quels sont ses fondements. Pourquoi l’attachement à l’oralité, en d’autres termes, pourquoi
les Africains, subsahariens surtout, privilégient-ils l’oralité dans leur quotidien, dans la gestion
de leurs affaires, dans la conception de leurs idées, bref dans la compréhension du monde;
même à l’heure où la modernité a envahi tout l’univers. N’existe-t-il pas d’autres formes de
pensée plus fiables que l’oralité?
Evidemment, les Africains recourent à l’oralité pour s’exprimer, penser, organiser,
7
Jacques Brès (1994:96) note que « le récit (oral), même s’il inclut une gestualité, n’est pas dépendant d’elle; il
peut se faire sans que narrateur et narrataire (s) se voient: dans le noir, par téléphone, etc.»
46
parce que l’oralité constitue, dans les sociétés orales africaines, un système privilégié de
connaissance, de survie et de transfert. Elle permet à tout Africain de connaître le monde à
travers les différentes institutions érigées à cet effet.
Diagné (2005:17) atteste que l’oralité dans les sociétés d’Afrique noire qualifie des
systèmes de représentations et de comportements liés au contexte. Dans ce sens, lorsqu’on s’en
tient à la sphère des faits de discours, elle engendre un mode particulier d’agencement de la
pensée, commandé par le recours à des procédures découlant des contraintes du fait oral lui-
même. «L’oral signifie la vie sociale, intellectuelle, spirituelle, un médium qui permet une
fantaisie et une création». (Hernandez, 2006:126). Elle n’y est pas perçue comme un simple
instrument de communication, un outil – un ergon comme disait Humboldt – elle est
véritablement une force vivante, une energeïa, selon le mot de Foucault (1966:303).
C’est en rapport avec cet état de chose, à cette conception que l’Afrique est identifiée
comme société de l’oralité, non seulement parce que l’oralité constitue pour elle le moyen
privilégié de transfert de connaissance et de pensée (comme nous venons de le dire), mais
beaucoup plus encore parce qu’elle pose constamment la problématique spatio-temporelle et
socioculturelle de ce continent et de son peuple [c’est-à-dire un système de pensée]. Quand on
parle des sociétés à oralité, on ne veut pas seulement ressortir une forme d’expression, mais par
elle tout un système de pensée. Comme mode d’être social, «L’oralité renforce en retour la
dominante orale dans la sphère symbolique de la société, on peut parler d’une interaction
causale. Ce qui fournit une caution théorique à la caractérisation des civilisations africaines
comme civilisation de l’oralité». (Diagne, 2005:16-17). Il suffit de jeter un regard sur la
littérature africaine, même écrite en langue étrangère, pour comprendre cette réalité.
L’influence de l’oralité est très remarquable sur tous les plans.
Dans la plupart des sociétés noires africaines, la connaissance est conférée très souvent,
à travers des mécanismes oraux. Nous en parlons avec force détail dans le point 1.3 de ce
chapitre. Cela implique des conséquences sur le plan comportemental; parce que, comme le
disent Balogun, Aguessy& Diagne (1977:133),
L’oralité est l’effet autant que la cause d’un certain mode d’être social. Elle marque des rapports
sociaux spécifiques en privilégiant certains facteurs de stratification ou de différenciation sociale tels
que la détention de la parole qui fait autorité, l’initiation à des connaissances constituant une sorte de
savoir minimum garanti qualifiant l’individu.
L’oralité est une marque pour l’Africain. L’Africain, subsaharien surtout, a beaucoup
développé les marques de l’oralité. C’est une réalité qui lui colle à la peau et à laquelle il est
47
Un phénomène moribond8, qui appartient déjà au passé et qui n’existe plus que sous forme de trace
artificiellement maintenue. Cette permanence et cette vitalité de l’oralité en Afrique, malgré
l’introduction généralisée de l’écrit dans la vie moderne, tiennent sans doute à une conception
particulière de la parole dans la plupart des sociétés africaines [...] considérer l’oralité comme un
mode culturel spécifique de la communication verbale ouvre la voie aux réflexions sur la théorie et
sur l’histoire de la littérature orale; définir la parole littéraire dans chaque culture la situe comme un
élément participant d’une conception spécifique de la parole, elle-même fondatrice de l’oralité.
La tradition est donc ontologique: créatrice. C’est pourquoi, il nous faut visiter ce
concept d’oralité dans son rapport avec la tradition et la parole en vue de déterminer ce qui
fonde notre point de vue en rattachant les deux concepts.
1.1.1.1. La tradition
Plusieurs auteurs ont défini ce terme. Deux, par conséquent, inspirent notre manière de
concevoir cette notion. Kadima Nzuji (1987) et Hernandez (2006). Les deux points de vue
convergent et se complètent et intéressent notre opinion quant à ce. Kadima (1987:231) conçoit
la tradition comme un héritage et un projet. En tant qu’héritage, elle se pose comme une somme
de pratiques sociales, de codes moraux, de croyances, de normes esthétiques, de réalisations
artistiques qu’une communauté humaine accumule patiemment au cours de l’histoire et
considère comme étant devenue son principal cadre de pensée et de référence. En tant que
projet, Kadima soutient qu’elle est le lieu par excellence où cette même communauté se pense,
se projette et se forge son devenir tout en s’assurant de sa performance, au travers des
générations successives, par la mise sur pied d’institutions sociales, culturelles, politiques ou
administratives chargées de la perpétuer.
C’est la fonction de tous les genres oraux, et beaucoup plus aujourd’hui des chants, des
contes, des proverbes et des théâtres. A travers le conte par exemple, la société interprète sa
propre expérience. C’est pourquoi son étude permet de découvrir les problèmes qui se posent à
la société à travers le système de valeurs forgées par elle à son propre usage. Ainsi donc, il
faudra comprendre que la littérature orale est une sorte de miroir dans lequel la société
s’observe et mesure sa propre stabilité. Ce qui, sans nul doute, renforce l’opinion de Stendhal
(Henry Beyle) qui faisait du roman, «Un miroir que l’on promène le long de la rue». (Abibi,
8
Point de vue qui a caractérisé certains discours que reprend Agblemagnon (1969: 16, 17) «Ils affirment que la
littérature orale ne peut être qu’un «genre mineur». Que son caractère fluide et instable l’empêche de satisfaire
à l’exigence de rigueur et de sérieux requise par le discours scientifique ou philosophique. Mais le suprême chef
d’accusation est celui qui se prévaut d’un schéma téléologique: l’oralité, en tant que telle, constitue le passé
archaïque des civilisations qui ont, avec l’écriture, franchi le pas qualitatif supérieur au moyen duquel s’accomplit
leur humanité.»
49
2008:3). Les contes, les proverbes, les fables, les devinettes, les épopées, sont par le savoir
qu’ils déploient et l’ordre qu’ils régulent des lieux à la fois complexes et riches d’inscription de
notre identité profonde. Gyssels (1997:9) n’en dit pas moins en considérant dans le cadre des
études folkloriques créoles que «Ce qui est folklorique constitue donc pour l’Afro-antillais le
fondement de son identité culturelle, l’expression de son être c’est-à-dire de son passé
esclavagiste comme de son présent». Dans ce cadre, la littérature orale, un des moyens de
vulgarisation de la connaissance africaine est autonome avec des valeurs propres et
différentielles. L’étudier nous permet de déterminer les différentes catégories discursives et
structurelles qui fondent les sociétés africaines. Evidemment, Baumgardt (2008b:385) montre
bien qu’« […] établir le système des genres dans une littérature donnée fait ressortir
l’organisation des différents discours littéraires sur le plan du contenu, de la forme et de la
fonction».
L’oralité est un encodage. Le savoir est renfermé dans les limites tracées par les
ancêtres. Ce savoir circule à travers les procédés discursifs privilégiés par les ancêtres que
quiconque veut posséder doit décoder. Il n’y a pas une autre manière de posséder la
connaissance que celle-là. C’est un héritage hérité des ancêtres. A ce propos Vansina
(1980:167) distingue, en sociétés africaines, d’une part le langage courant et de l’autre le
langage codé. La société orale, écrit-il, connaît le parler courant mais aussi le discours codé, un
message légué par les ancêtres, c’est-à-dire une tradition orale. En effet, la tradition est définie
comme un témoignage transmis verbalement d’une génération à l’autre. Presque partout, le
«verbe» possède une puissance mystérieuse parce que les paroles créent les choses. C’est au
moins l’attitude qui prévaut dans la plupart des civilisations africaines.
Cet héritage légué par les ancêtres et qui doit se transmettre de génération en génération
constitue le projet d’humanisation, de développement et de formation de toute la société. Il
cache le code du bien-être, du bien faire, du bien vivre communautaires. La socialisation,
l’intégration, passe par lui; uniquement par lui. En effet Ndeke Ngunga (1993) montre que la
tradition est le dynamisme créateur même de toute expérience ultérieure fondatrice de
l’humain. Le mieux-être dont rêvent les hommes, quelle que soit l’entité qui les regroupe –
pays, région, continent, corporation – et que l’on poursuit sous l’étendard du développement ne
peut advenir qu’au sein d’une dynamique dans laquelle ils s’insèrent plus activement pour des
réorientations et des enrichissements permanents.
En tant qu’héritage et projet, nous considérons que la tradition [orale] relie le passé au
présent parce que dans son essence, elle pérennise l’héritage des anciens en rendant présent les
valeurs avec lesquelles ceux-ci ont construit leur monde et imposé leur vision du monde. En
50
cela, nous rejoignons le point de vue d’Hernandez (2006:137) qui dit de la tradition qu’elle est
à la fois substance et transmission. En tant que telle, elle permet la mise en place d’un double
itinéraire dans lequel nous pouvons distinguer la production du passé, et, dans une phase de
retour, la justification du présent par la transmission supposée de ce passé. Cet aller-retour est
en lien avec la notion d’identité qui désigne une essence associée à des traits culturels. C’est
pourquoi, pour être, dans le contexte africain, il faut avoir des caractéristiques différenciables
de celles des autres. L’identité est toujours dans un rapport à l’autre et va de pair avec la
différenciation. Elle est toujours la résultante d’un processus d’identification. Pour l’aller-retour
dans l’histoire qu’effectue la tradition, un savoir passé est transmué en être présent. Les
traditions-substances, construites et imputées par les contemporains aux ancêtres, sont
représentatives des caractéristiques de l’identité ancestrale. Par les traditions-transmissions, un
lien causal est établi entre l’existence des ancêtres et l’existence des contemporains. Les
caractéristiques de cette identité peuvent alors paraître déterminées par celle des parents et cela
quels que soient les changements.
De cette manière, il faut considérer que la tradition orale « […] rend possibles la
transmission et la conservation des créations anonymes socioculturelles africaines et de par leur
caractère vivant, elle recrée aussi et modifie certains textes, constituant par-là un circuit
ininterrompu d’échanges entre le passé et le présent ». (Ibanez, 2009:81).
C’est pourquoi, la littérature orale africaine dont l’inspiration est quasi traditionnelle se
caractérise par une projection de l’Etre africain dans son essence. De cette manière, raconter et
écouter les histoires, constitue un acte fondateur qui permet non seulement de questionner
l’existence des choses mais aussi de traduire, à travers lui, un comportement qui crée et
pérennise les choses, la vie. En effet, à travers cet acte par exemple, Hernandez (2006: 136)
démontre que les conteurs manifestent leur manière contemporaine d’être en évoquant certains
traits des ancêtres et en les rattachant à certains traits contemporains. La manifestation
contemporaine peut être maladroite, ou peu conforme aux manifestations anciennes, mais elle
demeure une manifestation d’une identité qui, elle, ne change pas. Ainsi Hernandez montre
qu’alors que l’identité des ancêtres est produite par imputation d’éléments qui les
caractériseraient, l’identité des contemporains est la conséquence de l’existence d’ancêtres. La
détermination de l’identité contemporaine s’établit avec l’affirmation, par le topos de la
tradition, d’un rapport causal entre ce qu’étaient les pères et ce que sont les enfants.
Dans ce sens, Hernandez fait le rapport entre la tradition et le conte, en ce qu’elle
considère que la tradition et le conte sont des termes définis par différentes interprétations.
L’objet conte est défini et valorisé comme des objets à part proches des origines de l’humanité.
51
Ils touchent aux ancêtres et leur collectage révèle la recherche d’une transmission. Les contes
participent à la mise en place d’un discours et d’un regard contemporain sur le passé, lui-même
considéré comme fondateur et originel (c’est-à-dire mythique). A travers ce phénomène, les
contes deviennent un objet qui caractérise ce que l’on se représente être. Comme les acteurs
sociaux, dans un va-et-vient significatif entre soi et autrui, l’intérêt pour les contes a cristallisé
le développement d’une pensée sur l’altérité. Le conte est représentatif de tous les autres genres
de la tradition orale, à travers lequel le souci d’identification à la vision des ancêtres est de
mise.
C’est vrai que la conception de l’altérité, comme le souligne Hernandez (2006), vis-à-
vis de la tradition était péjorative. Nous n’allons pas reprendre ici, les différentes
considérations, beaucoup très péjoratives qui ont caractérisé la tradition africaine. Mais si nous
pouvons y revenir, c’est pour faire voir combien la tradition orale africaine a aussi contribué à
construire l’identité universelle. De ce fait, l’autre Africain, a cessé d’être pris dans un contexte
passéiste.
Le problème des répertoires de genre en littérature a beaucoup favorisé la notion de
l’altérité. De cette manière, certaines typologies des littératures en Afrique sont la conséquence
de cette notion identitaire qui, parfois, n’a pas favorisé une bonne connaissance de la réalité
africaine. Lamko (2006:9) fait comprendre naturellement que la problématique du répertoire
constitue l’un des points de polémique les plus excitants dans les littératures postcoloniales. Il
souligne en effet que La production littéraire ou artistique, en situation de reproduction
générique et formelle ou au contraire en position de rupture, embarrasse dès lors que l’on veut
exercer les instances normatives sur les expressions hybrides, forcément situées entre identité et
altérité.
L’altérité dans ce sens conduisait à considérer l’autre comme celui qui n’était pas
moderne. C’est de cette manière que les différentes tentatives pour définir les sociétés
traditionnelles aboutirent à les classer en fonction de ce que [l’on supposait] qu’elles n’avaient
pas face aux sociétés [dites] modernes, et notamment l’écriture et donc l’histoire. Alors
qu’autrui peut être semblable ou différent. Il est celui face à qui, avec qui ou contre qui, je
m’appréhende comme individu ou comme appartenant à une communauté.
Balandier (2010:133,134) fait le portrait du regard de l’autre, Africain, un regard
souvent déconnecté de la réalité et de la vérité:
Je hais les objets, surtout ceux que l’on regarde comme le produit des arts, exilés des relations
humaines qui leur donnaient une pleine signification; les objets en vitrine, aussi impuissants devant
les visiteurs que les morts devant les foules de la Toussaint. Les uns et les autres sont sans défense!
52
Nous avons alors l’infinie possibilité de les considérer et les traiter à notre guise. Ils deviennent des
prétextes […] les objets, dépaysés à travers les siècles, séparés de leur environnement humain,
gardent une absolue passivité. Et nous nous sentons d’autant plus libres vis-à-vis d’eux qu’ils sont
plus «éloignés» de nous. Nous les chargeons de signification qui nous satisfait à bon marché, ils
deviennent symboles de sauvagerie. Images de perfection artisanale ou prétextes à libération interne.
Luffin (2009:48) fait le constat concernant la linguistique africaine. L’auteur montre que
la linguistique africaine a longtemps souffert du racisme des conceptions européennes de
l’époque coloniale, qui s’appliquait du reste à toutes les disciplines s’intéressant aux peuples
africains. Les langues africaines – en particulier les langues à classes – étaient vues comme
simplistes et incapables de traduire la pensée humaine avec la même finesse que les langues à
flexions, en l’occurrence les langues européennes.
Dans Art primitif dans les Lieux civilisés, Price (1989:100) se complait à démontrer la
primitivité de l’art nègre en citant un antiquaire pour qui «Si l’art n’est pas anonyme, l’art n’est
pas primitif». Un collectionneur cité par le même Price (1989:103) célébrait: «Je suis enchanté
par l’anonymat de l’artiste. Le fait de ne pas connaître l’artiste me cause un plaisir énorme. Une
fois qu’on a appris qui a créé un objet, celui-ci cesse d’être de l’art primitif». Price (1989:5)
compare ainsi esclavagisme et traite des objets d’art:
Des objets provenant du monde entier –d’une certaine manière comme les Africains qui étaient
capturés et transportés vers des pays inconnus pendant la traite des esclaves –ont été découverts,
saisis, transformés en marchandises, dépouillés de leurs liens sociaux, redéfinis dans de nouveaux
environnements et re-conceptualisés pour convenir aux besoins économiques, culturels et
idéologiques de sociétés distantes.
A ce sujet, Blot (2002:52) montre que la manière de percevoir l’autre obéissait à un schéma
tracé par la hiérarchisation. Cette hiérarchisation implique, selon lui, l’existence d’une
représentation où les différents groupes sont situés en fonction des mêmes critères sur une
échelle unique. Ces groupes étaient placés sur cette échelle en fonction d’une perspective
évolutionniste, du moins au plus civilisé d’un point de vue occidental.
Vu de cette manière, Hernandez (2006:124,125) présente la conception «raciologique»
de l’autre dans laquelle l’autre lointain devient symboliquement et physiquement un
représentant des origines. Dans ce sens, l’autre pouvait alors être considéré comme un ancêtre
lointain. Certaines attitudes du proche furent qualifiées de traditionnelles. Dans un cas, la
tradition désigne la présence d’un homme du passé, dans l’autre la présence des traces du passé
chez un homme d’aujourd’hui. La tradition devint, pour les autres proches, le critère de
séparation entre ceux qui avaient su évoluer et ceux qui, bien que soumis à des conditions
53
similaires, n’avaient pas su évoluer. Les autres, d’une façon générale, étaient des «sans
histoires», c’est-à-dire, ceux dont ne parlaient pas une histoire attachée à la description des
puissants et des événements touchant des institutions. La progression historique ne devait, dans
cette vision évolutionniste rien à ces autres proches ou lointains considérés comme des
dominés. Les autres lointains ne bénéficiaient même pas de cette histoire civilisatrice.
La tradition africaine est bien une œuvre civilisatrice. Bien sûr, étant entendu que la
civilisation traduit la manière de vivre. Et de ce point de vue, l’Afrique reste telle par rapport à
certaines références, aux modes de vie et aux comportements. Lesquels définissent et orientent
mieux son itinéraire spatiotemporel et socioculturel. Avec ses forces et ses faiblesses, la
tradition africaine est ce qui trace l’histoire africaine dont les rebondissements traduisent
effectivement le crédit de ce système dans lequel l’on peut découvrir tout le secret et le
fondement de la culture noire africaine dans sa spécificité.
Considérer la tradition comme «passéiste», c’est considérer que l’Afrique n’est pas
productrice. C’est ne pas considérer l’autre comme vecteur de transmission, c’est le réduire à
un niveau de spectateur des événements, sans civilisation et ne vivant qu’aux dépens des autres.
Non, l’Afrique a apporté à l’humanité, comme d’ailleurs les autres continents. Doit-on parler de
l’infériorité au niveau d’une civilisation? Même alors, une civilisation est inférieure
(supérieure) ou égale à ses propres valeurs. Ces erreurs d’appréciation ont fait gober des propos
tels que l’Afrique est prélogique, l’Afrique est anhistorique. L’Afrique en tant que civilisation
est porteuse des marques par lesquelles elle est reconnue face aux autres civilisations. Ces
marques ne marquent pas moins, à travers le monde, la spécificité et l’apport de l’Afrique face
à l’universel. Toelle & Zakharia (2003:8) montrent qu’ «En effet, il est arrivé que l’on ait
confondu différence et hiérarchie entre les cultures, une idée due tantôt aux goûts littéraires
dominants à une période donnée, tantôt à l’héritage de la colonisation, tantôt à une certaine
vision de type évolutionniste des genres littéraires».
En ceci, notre point de vue se voit réconforté par le témoignage de Balandier (2010:
XIII) qui montre que l’Afrique a bien une richesse qui se manifeste par des savoirs où se
résument d’autres expériences qui ont traversé les siècles. Ainsi recommande-t-il de reconnaître
que, au-delà des interférences liées aux intérêts et des turbulences de la transition, l’Afrique
retrouve la richesse de son histoire multiple, elle la connaissait, mais en avait égaré le savoir au
cours des douloureuses épreuves qui, successivement, l’en avait séparée. Cette richesse est bien
plus que celle dont l’industrie du tourisme fait la mise en scène et la source d’émotions
exotiques. Membre du Conseil Exécutif de l’Unesco et véhicule de la culture africaine,
Hampaté Bâ (1972:21) s’est évertué à parler de la tradition orale aux Occidentaux en tant que
54
culture. Ainsi, à un interlocuteur qui lui demandait ce que pourrait apporter l’Afrique aux
occidentaux, il répondit «Le rire que vous avez perdu. Peut-être bien pourrait-on ajouter
aujourd’hui: une certaine dimension humaine, que la civilisation technologique moderne est en
train de faire perdre» (Hampaté Bâ, 1972:21).
Aujourd’hui, il est prouvé que la civilisation planétaire ne peut se construire en rejetant
l’autre; car le rendez-vous du donner et du recevoir n’est pas un slogan vain. La considération
de différents sites à travers le monde comme patrimoine de l’Unesco témoigne de l’effort
aujourd’hui de considérer l’autre comme pourvoyeur au même titre que soi. Nous prenons en
notre compte cet entretien du conteur Philippe (2006) où il déclare: «On parle de notre
humanité avec notre esprit, nos croyances, nos non-croyances, nos travers, nos malheurs, nos
bonheurs. […] on raisonne tout simplement dans le monde en tant qu’homo-culturus et en
même temps en tant qu’homo-universalis». (Hernandez, 2006:140).
De ce fait, la culture planétaire9«Qui est à faire, pour ne pas être une simple vue de
l’esprit, exige la participation entière, plénière, autonome de chaque peuple, sinon on a vite
abouti à la “récupération” des uns par les autres, au lieu d’un humanisme vraiment élargi».
(Obenga, 1977:23).Car, comme le soutient Hernandez (2006: 140),
Les cultures sont aujourd’hui traitées comme autant d’espèces qu’il convient de protéger comme
patrimoine de l’humanité. […] Ce traitement, à la fois relativiste et universaliste, rend par ailleurs
les différentes traditions aisément exportables et donc exploitables. Leur valeur n’étant plus
seulement estimée en fonction de leur représentation d’une essence particulière, elles peuvent aussi
intéresser les étrangers venant les découvrir sur place ou les consommant à distance.
C’est le sens de «Yambi» décrit par Mungenga (2011:149). Il montre que dernièrement,
la République démocratique du Congo à travers ses artistes de toutes les catégories, a pendant
un mois, exposé, dans différents endroits de la Belgique l’art congolais. Cette exposition avait
pris le nom de «Yambi» qui peut simplement signifier «embrasser», «bienvenue». Selon
l’auteur, «Yambi» c’est aussi un mot pour dire l’interculturel; c’est-à-dire un grand rendez-vous
du donner et du recevoir entre deux cultures, congolaise d’une part et belge, d’autre part; entre
la culture africaine et la culture européenne. Ici, l’auteur est en train de mettre en évidence que
chaque peuple est capable d’apporter aux autres, si infime soit-elle, une contribution qui
enrichit la vision du monde des autres.
Les études européennes en Afrique par les Africains et les études africaines en Europe
par les Européens ne traduisent pas moins le niveau du regard de l’autre dans sa spécificité. Car
9
C’est nous qui ajoutons
55
chaque société est unique est mérite d’être appréciée est considérée avec sa spécificité. C’est la
différence qui fait la richesse du monde. L’univers est une somme de différences et de
diversités. L’identité mondiale, selon Marton, (1984:720), est l’histoire de la dialectique de
l’universel et du singulier, de la spécification nationale de l’universalité et de l’universalisation
de la spécificité. L’identité nationale est un centre de médiation privilégié entre cohésion
sociale, de la nation et de la communauté mondiale. Comme le soutient encore Benac
(1988:126), «C’est précisément la diversité des cultures qui assure la survie humaine. Car non
seulement chaque être humain est “singulier” mais chaque culture est différente et non
inégale». Et pour le peuple d’Afrique, M’Lanhoro (1970:83) pense que
La tradition, telle qu’on l’exploite dans la littérature négro-africaine, est essentiellement un refus
d’aliénation et un retour à une culture authentiquement nègre […] La tradition sert donc de
fondement à la culture nègre, et cette culture peut se définir, par rapport à la culture occidentale,
comme une vision et une expression originale du monde.
C’est de la sorte que Toelle et Zakharia (2003:7) présentent la littérature arabe par a rapport à la
littérature universelle: «Notre but était de rappeler à nos lecteurs l’existence de ce patrimoine
littéraire précieux qui participe, à l’instar de toute grande littérature, de l’universel».
Tout ceci voulait seulement expliciter que dans la construction de la civilisation de
l’universel [même si cela peut paraître difficile dans le fond], le regard de l’autre doit être
dégagé de toute sorte de clichés, de stéréotypes. Le monde ne saura vivre «humanitairement»
que si les différentes cultures se tiennent la main et se valorisent en considérant les différences
comme richesse de l’humanité.
En effet la culture africaine est autonome avec des valeurs propres, différentielles et
substantielles. Pour rien au monde, l’on peut définir une culture à partir des valeurs d’une autre
culture. Cela aboutit souvent à des généralisations non conformes. Parce qu’en fait «La culture
d’un groupe humain, par les institutions et l’expérience technologique qui en découlent,
détermine la structure du lexique de la langue utilisée par ce groupe, soit parce qu’elle conduit
à voir des aspects de la réalité qui ne seront pas perçus dans une communauté, de mœurs
différentes». (Derive, 1975:43). Il est important de s’imprégner des valeurs fondatrices d’une
culture si l’on veut porter un jugement de valeur sur elle. Et d’ailleurs, avec raison, parlant de la
littérature orale en Afrique, Calame Griaule (1970:25) stipule que «Le rôle social joué par la
littérature orale en Afrique demeure en effet, considérable. Imprégnée des réalités culturelles,
elle constitue un témoignage irremplaçable sur les institutions, le système des valeurs, la vision
du monde, propres à chaque société». Cette façon rejoint le thème central des recherches de
56
Ngal (1986): l’enracinement dans la littérature négro-africaine. La littérature est conçue comme
émanation de la société: «Quelle que soit la conception que l’on se fait de la littérature, de la
lecture, des œuvres et même de l’écrivain, une chose est certaine: en Afrique, la littérature est
liée, collée à la société». (Locha Mateso, 1982:77).
Si l’autre est vu de cette manière, c’est-à-dire humanitaire et valorisante, l’on évitera
l’hégémonie du Nord sur le Sud: non seulement le Nord détient l’outil d’endoctrinement
culturel mais également au nom de la mondialisation, impose au sud de consommer et
d’adopter sa production culturelle. Il s’agit là de l’hégémonie culturelle. L’hégémonie
considérée comme «Le processus par lequel un acteur dominant énonce des normes ou des
règles en termes universels et entraîne le consentement». (Gemdev, 1993:32).
Même si nous n’approuvons pas le propos de Moreau-Defarges (1997), qui considère
que la mondialisation en diffusant les références des valeurs culturelles occidentales, appelle la
réaction des autres cultures10; nous sommes du moins d’accord que chaque culture doit se battre
pour ne pas disparaitre face à la guerre de survie culturelle. La réaction des autres cultures face
aux valeurs culturelles tant diffusées par la mondialisation, n’est pas une volonté de l’Occident.
C’est un comportement normal pour les cultures qui voient leurs valeurs menacées
d’extinction.
La résurgence culturelle paraît comme une source majeure de solidarité, de protection
face au déferlement de la mondialisation pour les individus, les peuples, déracinés par des
excès. Lamko (2006:10) y revient en montrant comment les résurgences du fait colonial en
Afrique, la nécessité des revendications identitaires face au vertige des mutations sociales, le
spectre de la mondialisation des rapports impulsent l’union de la communauté et regroupent
celle-ci autour d’un imaginaire collectif. En effet, face aux mutations, les sociétés –africaines
ou autres –tentent une résistance culturelle. Elles bâtissent alors des mythes épiques ou
fondateurs traduisant un mouvement de retour aux origines et à la problématique souvent
insoluble de l’identité.
La culture est un point d’encrage qui permet en principe aux différents peuples de se
maintenir à l’échelle universelle. Et, quant à l’Afrique noire, la tradition constitue de ce point
de vue le cadre mental de la société, parce qu’elle renferme «Des représentations collectives
qui sont les plus souvent inconscientes parce qu’intériorisées pour devenir des cadres de
pensée, des modèles qui façonnent tous les discours». (Vansina, 1986:93). Elle est donc une
permanence, une continuité d’esprits qui traduisent l’intelligence d’un peuple et ses capacités à
10
Nous pensons, à notre sens, que l’Occident impose [ou cherche à imposer] simplement et purement ses
valeurs.
57
toujours demeurer identique à lui-même et conforme à ses propres valeurs. Ces valeurs sont
souvent renfermées dans l’ensemble de son art. C’est donc ce que comprenait déjà Masui11
(1899) qui écrivait que le degré artistique d’un peuple est l’expression la plus élevée de sa
perfectibilité. Et de ce point de vue, la protection des arts souligne la grandeur d’un
gouvernement.
A travers l’oralité, l’Afrique noire s’exprime et se dévoile, se détermine, et se définit par
rapport aux autres. Car «L’oralité ne se réduit pas à l’action de la voix. Expansion du corps,
celle-ci ne l’épuise pas. L’oralité implique tout ce qui, en nous, s’adresse à l’autre: fût-ce un
geste muet, un regard». (Zumthor, 1983:166). Il importe donc de définir autrement l’Africain
par la parole dès lors que l’on sait que, comme le prouve Parain (1942:19),
Pour définir l’homme par le langage, il ne suffit pas de prouver que toute pensée s’achève en
paroles, et que toute parole est pensée, il faut encore établir que tout est pensée, donc parole, ce qui
se retourne contre la proposition à démontrer, car si le silence est parole, ce mot signifie le contraire
de ce qu’il indique.
Au regard de tout ce qui précède, il sied de soutenir que l’oralité fait partie de la
tradition africaine; parce que faisant partie intégrante de la culture africaine dont toute l’âme
s’exprime oralement. Evidemment, comme le notent clairement Balogun, Aguessy & Diagne
(1977: 171) «Même quand l’écriture est utilisée […] la pensée ne s’épanouit authentiquement
chez la plupart des Africains que dans l’oralité».
1.1.1.2. La parole
La parole africaine est traditionnelle. Elle est transmise de bouche à l’oreille, d’une
génération à une autre. Elle est la source de vie, mais aussi la fin de celle-ci: «Dans nos
sociétés, la parole vivifie [dans les bénédictions] et elle tue aussi [dans les malédictions]».
(Ndonda, 2007:25). Elle est la réponse à tout. Elle est un héritage. La parole est un héritage des
ancêtres qui ont créé le monde, qui ont organisé les choses. Chaque fois que nous la
reproduisons, nous reprenons les expériences millénaires des ancêtres, ceux-là qui ont tout
harmonisé. Ma parole n’a de sens, d’intelligence, de signification que parce qu’elle renferme
cette sagesse qui tire son essence au commencement. Les Fon du Bénin disent que « La parole
permet de mesurer la personnalité d’un être humain». (Guédou, 1985:180). Propos que
soutenait déjà Sapir (1963:19):
The fundamental quality of one’s voice, the phonetic patterns of speech, the speed and relative
11
Premier directeur du Musée Royal de Tervuren de 1898-1899.
58
smoothness of articulations, the length and build of the sentences, the character and range of the
words used, the readiness with which words respond to the requirements of the social environment,
in particular the suitability of one’s language to the language habits of the persons addressed –all
these are so many complex indicators of the personality.
Ce qui revient à dire qu’un être mûr est celui dont la parole exprime la sagesse des
ancêtres: conforme à leur volonté et à leur science. Nous devons comprendre que la société
africaine dans son ensemble est gérontocratique. C’est le sens de la célèbre pensée d’Hampaté
Bâ, en Afrique quand un vieillard meurt, c’est toute une bibliothèque qui se brûle. Dans la
stratification africaine, les vieux sont des représentants des ancêtres de qui ils détiennent tous
les savoirs qu’ils sont censés transmettre à leur tour aux générations futures. Voilà qui peut
justifier que les vieillards aux cheveux blancs sont toujours considérés de sorciers.
Evidemment, parce qu’ils ont le secret de la parole, cette parole qui annonce l’oracle et la
bénédiction. Le vieux, c’est un sage, par sage, nous comprenons, celui qui connaît et qui
maîtrise la nature. Van Roy (1963:1) l’atteste aussi bien, car il affirme que l’emploi des
proverbes reste l’apanage du sage. Aux yeux des Bakongo, le sage est un mbúta, un ancien, qui
a transmis la vie clanique (búta: engendrer, donner la vie), qui est rompu à toutes les affaires du
clan. L’expression «yuná mbútá zêye binganá», cet ancien connaît les proverbes et les chants,
signifie: cet homme connaît à fond les us et coutumes du pays, on peut lui confier les palabres.
Par contre le jeune, le «ǹlêke», dont l’expérience reste à faire, comprend difficilement le
langage ésotérique des vieux. Cette vérité est exprimée dans l’adage suivant:« E monό i mwana
ndwéélo! Bambutá ku batângila ngangu kikálá kwámό kό ko Mais moi, Je suis un petit enfant!
Là où les vieux ont rassemblé leur intelligence je n’étais pas présent». Et d’ailleurs dans
l’analyse qu’il a faite sur une incantation kongo, Kinanga Masala (2006:143) catégorise bien la
classe des sorciers. Sont d’office «ndoki», dit-il
-la plupart des anciens dans le clan et le chef en particulier qui ont pour tâche de veiller sur la
famille;
-le «ngàngà ngombo» (devin), qui dénonce les auteurs et les causes des maux dans la
communauté humaine;
-le «ngàngà nkisi», qui agit sur les «nkisi» ou dénonce et retire leur influence ou leur action sur
les gens.
Dans le même sens que Kinanga, «Le Père Nzuzi Bibaka d’origine yombe parlent de la
sorcellerie dans sa communauté». (Matutu Ndombasi, 2006:114). Dans la communauté yombe,
59
il trouve que le mot «ndoki» évoquait jadis le bon aussi bien que le mauvais «ndoki»; à
l’origine, le mot «ndoki» était spécifié tantôt en «ndoki nkebi»; le sorcier protecteur selon le
«kindoki kilunda dikanda», « la sorcellerie pour la protection du clan», tantôt le «ndoki
makhundu» ou en «ndoki muivi»;[sorcier voleur], celui «qui mange les hommes».
C’est pourquoi, il n’est pas donné à n’importe qui de décrypter cette sagesse. C’est ce
qu’expriment les proverbes ci-après:
le médium africain sollicite l’aide des dieux ou conjure les mauvais esprits, que le faiseur de
pluies fait éclater la foudre et gronder le tonnerre, que l’homme noir communie avec la nature
considérée comme champ de forces surnaturelles. Cela ne peut qu’être justifié d’autant plus
que, comme le pose Kesteloot (1971:3),
Il est tout à fait normal qu’une civilisation orale surdéveloppe l’art de la parole. […] Je ne vois nul
pays qui ait su donner comme l’Afrique noire ce rôle capital et universel à la poésie. Peut-être parce
qu’en Afrique la poésie est art de la parole, et que la parole y est non seulement expression de la
communication avec autrui, mais encore charme, exorcisation, malédiction, évocation, incantation,
bref activité magique.
africaine, c’est la parole, le goût pour les paroles et pour le dialogue, le rythme dans la parole».
Laye (1978:22). La palabre kongo atteste bien nos propos: c’est une des spécialités de ce
peuple. Aucune décision ne peut se prendre sans palabre. Ceci traduit l’esprit communautaire et
collectif de cette société, qui constitue, comme nous le verrons dans les analyses qui seront
faites dans le chapitre 6, le ciment de la gestion politique de la société.
La parole donne rythme à toute la vie. Senghor (1956) n’en dit pas moins en considérant
que la parole nous apparaît comme l’instrument majeur de la pensée, de l’émotion, de l’action;
c’est-à-dire, il n’y a pas de pensée ni d’émotions sans image verbale, pas d’acte libre sans
projet pensée, soutient-il. La parole parlée, le verbe, est l’expression par excellence de la force
vitale de l’être dans sa plénitude.
Dans sa plénitude, la parole africaine exprime toute l’âme africaine. Elle appelle à
l’existence l’inexistant. Elle n’est pas seulement pour les Africains un instrument de
communication. Elle est l’expression par excellence, elle confère la plénitude et développe
toutes les puissances vitales. Elle a un caractère hermétique et est pleine de valeurs
symboliques et de sous-entendus. De la sorte, nous considérons comme Nzuji Madiya
(1976:155) que parler de l’art oral africain, c’est toucher au problème de la communication de
l’homme soit avec le monde, soit avec autrui, soit avec lui-même. C’est, en d’autres termes,
parler de la rencontre de l’homme avec tout ce vers quoi il tend consciemment avec le souci de
comprendre, de faire comprendre ou de se faire comprendre. Comprendre le monde, c’est
détenir la parole qui tisse nos histoires, qui raconte notre vie, qui trace notre parcours, qui
détermine notre avenir, qui renferme notre destinée. La parole est la source de toutes les vérités.
Le monde et la vie se trahissent par elle.
C’est pourquoi, dans les sociétés africaines «Dire ou nommer, c’est prendre possession,
c’est créer». (Vansina, 1986:89). Car comme le dit Kabongo Bujitu (1975:57) «La parole met
en branle le cours des choses, elle les fait autres, elle est pouvoir de métamorphoses. Et chaque
mot puisqu’il a ce pouvoir est action, engagement. Il n’y a pas de mot gratuit, tombant à
vide».Cette parole est magique et mythique, elle permet de manipuler les esprits. Elle permet à
travers les esprits de dominer sur toutes les forces de la nature, elle est hypnotisante.
L’expression lingala suivante traduit bien la force agissante de la parole dans les
sociétés à tradition orale: «omoni ndoki belela noki te mongongo ekokawuka: si tu vois un
sorcier (un esprit) crie (le premier) sinon tu perds ta voix ».
C’est ainsi que Ogotemmêli, révélant à Marcel Griaule (1966:17) la cosmogonie des
Dogon, dit que le symbole de la parole possédait aussi l’essence de Dieu, car il était fait de sa
semence qui est à la fois le support, la forme et la matière de la force vitale du monde, source
62
du mouvement et de la persévérance de l’être. Dans les chants rituels et dans les formules qui
promeuvent l’envoûtement, la parole est la matérialisation de la cadence. Et, si elle est
considérée avec la capacité d’agir sur les esprits, c’est que son harmonie crée des mouvements
qui produisent des forces, et ces forces agissent sur les esprits qui à leur tour sont des
puissances en action.
Considérer comme émanation de la divinité, dont elle est un écho, la parole humaine
met en mouvement et fait agir les forces latentes. Evidemment, on considère en Afrique que la
parole a une origine divine de laquelle elle tire toute sa vigueur, sa force et sa saveur. Elle est la
force génératrice du mouvement et du rythme et donc de la vie et de l’action.
La parole est essentiellement pouvoir. Elle peut créer la paix, mais peut aussi détruire.
Parfois elle peut avoir l’image du feu et transformer tout, alors que d’autres fois elle s’intègre à
l’ordre du monde et contribue avec sa force pour harmoniser le désordre de l’inconnu ou de
l’invisible. C’est pourquoi dans toutes les sociétés gérontocratiques, la disparition d’un vieillard
est entourée de rites funèbres importants qui cherchent, au moyen de la parole, la
communication avec les ancêtres et la divinité parce qu’il est indispensable de suppléer le
manque de parole chez les morts. Ainsi celui qui n’a pas de parole est comme mort, parce que
dépourvu de la vivacité, de la matérialité. Ceci traduit la conception du défunt chez les Dogon
qui disent que «Le défunt n’a plus de graines, qu’il n’a plus d’eau ni de sang, il est
éminemment sec et cette sécheresse caractérise aussi ce qui lui reste de parole». (Calame
Griaule, 1965: 86).
La parole est ce qui relie les générations. Toutes les paroles du monde, dit Calame-
Griaule (1965:85) en parlant de la conception des Dogon, forment un immense ruban tissé qui
relie les générations; cesser de parler serait comme cesser de tisser le monde et le rapport entre
les hommes. Tout produit de l’activité humaine est une parole et la plus haute, c’est le fruit du
travail intérieur du corps humain.
Ainsi, Ibanez (2009: 61) pense que, vu ses possibilités d’accoucher et d’annihiler toute
vie, toute réalité, le langage est considéré comme le pouvoir fécondant. Le sexe est le langage
primordial, source de vie et principe essentiel de son renouveau; l’union du sexe et de la parole
est un des fondements de la conception africaine du monde et de la vie. Calame Griaule
(1965:75) fait allusion à cette caractéristique fécondante parlant de Dogon. Elle réalise en effet
que la parole joue un rôle important dans la fécondation de la femme. Car la parole n’est pas
seulement, dans l’idée dogon, nourriture du corps, exaltation de la force vitale, semence des
rapports sociaux; elle est aussi fécondante au sens propre du terme, c’est-à-dire qu’elle est
nécessaire à la procréation.
63
Voici ci-après un chant d’une société d’initiation du Mali, Komo-Dibi12 qui traduit
effectivement ce qu’est la parole en Afrique:
Bouleverse, affole.
La parole en Afrique a donc une essence divine. Elle est créatrice de vie et des
conditions de vie. C’est par la parole seulement que la vie est vie. Dans la tradition Bambara,
on enseigne que la parole est une force qui émane de l’Être suprême. C’est l’instrument de
création. Le mythe de la création de l’univers et de l’homme, enseigné par les maîtres
initiateurs aux néophytes, révèle que lorsque le Créateur, après avoir conçu l’œuf primordial
d’où tout émane, a eu la nostalgie de ne pas avoir d’interlocuteur; c’est alors qu’il a conçu le
premier homme. C’est ainsi que l’homme a reçu en héritage une parcelle de la puissance
créatrice divine, le don de l’esprit et de la parole.
Ce qui revient à comprendre que le créateur a appris à l’homme, son interlocuteur les
lois avec lesquelles tous les éléments ont été formés; afin que par elles, l’homme continue
l’œuvre en prenant soin de l’univers, de son ordre et de son harmonie. Le Créateur n’a employé
que des mots divins dans son dialogue avec l’homme. Celui-ci, de par sa condition matérielle et
au moyen des vibrations reçues, ne peut que répondre et dialoguer avec la divinité à travers la
parole sacrée.
La parole de l’homme comme le dit Hampaté Bâ (1980:195) en tant que puissance
créatrice est pour l’Africain l’extériorisation des vibrations de la force. De cette manière, toute
manifestation d’une force, quelle qu’elle soit, sera considérée comme sa parole. C’est pourquoi
tout parle dans l’univers, tout est parole qui a pris corps et forme. Les maîtres initiés de l’ethnie
peule disent que dans un temps primordial l’homme avait reçu la force pour avoir parlé avec
Dieu.
12
Voir Ibanez (2009:60).
64
distingué le «parlé» de l’«oral», ce dernier étant conçu comme une énonciation consciemment
proférée de manière spécifique, selon un art oratoire, dans le cadre d’une manifestation soumise
à un certain degré de ritualisation. Les formes visibles expriment la réalité divine projetée sur la
matière. C’est pourquoi tout parle dans le monde africain, et sa réalité vivante doit être
entendue et interprétée, il faut percer les signes et les symboles qui l’enveloppent pour décoder
les messages.
On peut d’ailleurs dénombrer dans plusieurs sociétés africaines des catégorisations des
paroles qui sont reliées à la pensée. Evidemment comme le réaffirme Agblemagnon (1969:53),
De même que la langue n’est pas simplement un moyen de communication, la parole n’est pas un
simple discours, la parole n’exprime pas seulement les recoupements multiples du profane et du
sacré, elle révèle une spécialisation, une ritualisation et une codification, ainsi que la liaison
fondamentale entre la pensée et l’action.
Pour illustrer la corrélation entre parole et pensée en sociétés africaines, nous pouvons nous
appuyer sur les catégories de la parole que propose Agblemagnon (1969:53) concernant les
Ewe. Le peuple ewe distingue différentes paroles selon la pensée que cette parole exprime:
1) Nyagbogblo, nufofo: la parole, le discours. Cette catégorie joue un rôle essentiel dans
l’éducation où toutefois, le «tododo» (écouter) est plus valorisé que le «nufofo» (parler).
Savoir écouter est une vertu et le commencement de la sagesse. C’est pourquoi, dans la
société ewe, pour reprendre un enfant, on lui dit: «enu wodzi ne wo gbã a »? (est-ce la
bouche qu’on t’a enfanté le premier?);
2) Nutata: est en général une parole solennelle qui peut comporter l’invocation à un dieu
que l’on prend à témoin, ou au contraire un serment, une promesse solennelle de faire
quelque chose. Pour prouver son innocence, l’accusé peut «ta vodu», invoquer tel ou tel
vodu, prendre dieu à témoin. C’est la forme orale de «vodududu» (manger la divinité)
ou ordalie par la prise d’une divinité à témoin;
3) Tsitu: malédiction. Elle illustre la croyance selon laquelle les paroles parentales,
spécialement de la mère et de la grand-mère, peuvent porter malheur, si telle est
l’intention de leurs auteurs;
7) gbesa: parole de magie d’agression; paroles par lesquelles le chasseur paralyse son
gibier ou rend la chasse fructueuse, paroles pour neutraliser les actions maléfiques des
ennemis, etc.;
8) defofo: la prière ou l’invocation; nous trouvons souvent dans cette catégorie de très
beaux textes dits au début des cérémonies; dans ce cas, le «defofo» se confond avec le
«gbefãdede» dont il n’est alors que la forme sacralisée. Le «defofo» comporte: a) Une
adresse aux ancêtres b) une introduction quant à l’objet de la cérémonie;
9) gbedonamewo ou salutations: il apparaît que chez les Ewe, la parole simple, ordinaire
est déjà régie par un code très sévère; cette parole simple joue un rôle fondamental au
niveau de l’éducation traditionnelle.
13
A propos de la catégorisation de la parole, lire davantage Derive (2008a), «Représentations des actes de la
parole et frontières de la littérarité», pp.105-124 et Seydou (2008), «Genres littéraires de l’oralité: identification
et classification», pp. 125-176 ou Derive et Seydou (2008), «Genres littéraires oraux: quelques illustrations», pp.
177-243.
67
parabole. «Sa (ta) ngana» signifie: donner en exemple, expliquer par un exemple; «kia ngana»
signifie: parabolique. Cette appellation générique pourrait être divisée en deux catégories
distinctes: les proverbes proprement dits «bingána» et les dictons «bigόgόlo ou ngόgόlo». Mais
en pratique ces deux modes d’expression se distinguent à peine. Chez les Dogon du Mali où la
littérature est appelée so: elu/so: edu (parole huilée/ parole agréable) différente de so: sala
(parole ordinaire). Chez les Mongo de la République démocratique du Congo, le terme
employé est «bokolo» qui «englobe tout ce qui est appelé style oral et plus spécifiquement la
poésie, cette dernière réalité étant également désignée suivant les régions, par les termes de
esai/besai; isao/tosao ou nsabo qui est le plus répandu. (Hulstaert 1965).
Comme nous venons de les démontrer dans les lignes précédentes, la tradition et la
parole sont à l’oralité comme les deux faces d’une monnaie. L’on ne peut pas définir l’oralité
sans tenir compte de l’une d’elles. L’oralité n’est pas que des langues mais de toutes les
manifestations culturelles négro-africaines, l’oralité est un de leurs caractères communs. Elle
résulte de leur spontanéité, de leur adéquation à leur objet. Toutes ces précautions autour de
l’organisation de la parole appellent l’existence d’une littérature dont les différents genres
aident à comprendre l’organisation sociale africaine et les différentes catégories du discours y
afférentes. Nous allons tenter dans le point qui suit de décrire cette littérature dans sa
spécificité.
Avant de dire un mot sur la littérature africaine, nous voudrions, il nous paraît même
impératif, dire un mot sur le problème de la littérature de manière générale. Cela nous permet
de situer la littérature orale par rapport à la science littéraire. Il est d'autant plus important, car
des problèmes que pose la littérature ont un écho sur le théâtre. Banham (2004:10) a démontré
que
whilst critics of African literature have not been shy about applying constructionist, modernist,
colonial, post-modernist and post-colonial theory to African prose writing and poetry, these same
critics have been wary about corralling theatre, drama from Africa into a theory that denies the
relevance of history to artistic endeavors.
va tourner sur la dichotomie forme et fond. La première incluant la notion de l'art pour l'art et la
seconde incluant l'utilitarisme. La deuxième notion semble intéresser la littérature africaine où
l'art est fonctionnel et donne des arguments à l'existence de cette littérature.
Cette question peut paraitre anodine, peut-être même dépassée. Mais tant que cette
science existera, cette question ne saura être éludée. Elle demeure en actualité étant donné la
caractéristique fugitive de son objet. La littérature pose un certain nombre de problèmes liés
aussi à son objet qu’à sa définition. Question polémique et sans fin, définir la littérature est une
tâche ardue qui dérange les spécialistes.
Dans la plupart des cas, nous comprenons que l’effort de définition de la littérature
consiste à spécifier son objet d’étude ainsi que le reconnaissent certains auteurs spécialistes de
cette discipline. Comment définir la littérature, qu’est-ce que la littérature ou qu’est-ce qui
détermine la littérature? Autant de questions qui souvent laissent les analystes dans leur soif
inassouvie. Face à cet effort de spécifier l’objet de la littérature, plusieurs auteurs ont pensé et
ont proposé. De manière générale, il nous semble que la littérature se définit en rapport avec ce
qu’elle n’est pas. Ceci est fonction de l’objet même de la littérature. Le langage n’étant pas
réductible à la littérature seulement, dire ce qui n’est pas littérature pour définir la littérature
participe, à notre sens, de la distinction entre littérature et non littérature, c’est en d’autres
termes distinguer l’imaginaire du réel. Evidemment, c’est cette distinction qui crée la
littérature. Sa signification passe par l’aspect indirect de son langage. Car nous ne devons pas
perdre de vie que «L’une des caractéristiques essentielles du texte littéraire [et, en particulier,
des fictions] est en effet le caractère indirect de sa signification: le sens passe toujours par la
médiation d’une histoire ou d’une représentation». (Jouve, 2010:85).
C’est le point de vue qui ressort chez plusieurs auteurs. La littérature sur la littérature est
abondante. Nous ne saurons énumérer les points de vue de tous les spécialistes ici. De façon
générale, et à titre indicatif, nous avons sélectionné quelques auteurs à partir desquels nous
canalisons notre point de vue.
Bessière (2011) pense que l’effort pour spécifier la littérature n’est d’abord qu’effort
pour marquer la distance du symbolique à l’imaginaire, de l’indice du discours commun à la
ponctualité de l’écrit littéraire [qui du reste dépend de son objet d’étude, il se pose à la fois à cet
objet, mais aussi à la reconnaissance de cet objet comme faisant partie de la littérature]. En
effet, comment définir la littérature sans spécifier son objet. C’est même une des exigences de
la littérature; l’autre exigence de la science littéraire «Serait de pouvoir reconnaître la
69
spécificité de cet objet par rapport à tous les autres discours que prend en charge l’événement
littéraire [..]».(Todorov 1970; Moisan 1987:194). A cet effet, nous considérons
fondamentalement les composantes ci-après que nous reprenons en couple: auteur/lecteur,
discours commun (ordinaire)/discours littéraire, fait/interprétation comme très impliquées dans
la détermination de l’objet et la définition de la littérature. Nous voulons donc comprendre par
ces propos que définir la littérature consiste à déterminer comment chaque élément ainsi
constitué se comporte. L’intention de la part de l’auteur à produire la littérature doit être
couplée à l’interprétation du lecteur ou de l’auditeur à comprendre cette intention. La
schématisation qu’en donne Moisan (1987:196) nous permet de mieux saisir cette trilogie:
Phénomène littéraire
↕ ↕
se percevoir dans une sorte d’unicité absolue et de percevoir l’Autre, non tel qu’il voudrait qu’il
soit, mais dans ce qu’il peut avoir de commun avec lui, son appartenance partagée à l’Humanité
envisagée dans ce qui la constitue: la culture.
C’est par rapport à tous ces éléments que nous apprécions les œuvres. Comme nous le
savons bien, «Chaque siècle, avec des circonstances qui lui sont propres, produit des sentiments
et des beautés qui lui sont propres. Nous n’admirons les arts révolus que dans la mesure où
l’histoire nous en ouvrira la compréhension, qui est d’abord compréhension de l’époque».
(Nisin, 1960:34). En effet, une œuvre n’a de valeur que dans son encadrement, et
l’encadrement de toute œuvre renvoie à son époque: critère d’appréciation selon le goût de
l’époque, et par rapport à la critique scientifique. De cette manière, nous disons comme, l’avait
déjà pensé Rey (1984), que la littérature, définie comme ensemble des discours retenus par la
société comme empreints de littérarité, suppose de nombreux codes supplémentaires par
rapport au code de la langue et des usages de la langue. Comme nous venons de le montrer ci-
haut, l’auteur et le lecteur contribuent bien à préciser l’objet de la littérature qu’est le langage.
Sartre (1940) dans l’imaginaire montre que si l’auteur existait seul, jamais l’œuvre comme
objet ne verrait le jour. C’est l’effort conjugué de l’auteur et du lecteur qui fera surgir cet objet
concret et imaginaire qu’est l’ouvrage de l’esprit. Il est intéressant de mentionner la lecture de
Kerbrat-Orrechionni (1984) sur le théâtre où elle montre que le théâtre se caractérise par un
emboîtement d’instances émettrices et réceptrices. «En croisant les deux critères type de
dialogie [interne et externe] et type de destinataire [direct, indirect, additionnel], on est à même
de mieux comprendre le statut de chaque actant de la communication théâtrale [texte et
représentation]». (Narjoux et alii, 2009:20).
Et nous le verrons dans le chapitre 5 avec Barthes concernant l’intertextualité que le
sens d’un texte découle de la productivité qui résulte de la confrontation de deux textes: celui
du scripteur et celui du lecteur. Et cet objet se définit comme littérature par rapport à son
comportement spécifique. La définition de la littérature tient donc de cette constatation. Qu’est-
ce qui est littéraire et qu’est-ce qui ne l’est pas? Qu’est-ce qui détermine la littérature et de
quelle manière? Comment le langage comme objet principal de la littérature se comporte-t-il
face à d’autres circonstances [non littéraires]? Comment les autres composantes [non
littéraires] concourent-elles à déterminer cet objet? On ne manquera pas de constater dans les
travaux des théoriciens de la littérature ces débats sur la littérature en tant que tel et notamment
sur les modalités permettant de distinguer littérature et non littérature.
Lanson (1965:22) énumère six lois qui éclairent le fonctionnement du fait littéraire-
social. La quatrième loi permet d’expliciter l’implication auteur-lecteur-société dans la
71
compréhension d’une œuvre d’art. Loi de corrélation des formes et des fins esthétiques, i.e.
l’usage d’une forme, que des circonstances variées ont fait éclore ou importer, précède la
conception des propriétés et de la puissance de cette forme; l’esprit agissant sur les données qui
lui ont été présentées les éprouve, les analyse, les organise et peu à peu détermine toutes leurs
aptitudes esthétiques.
En plus, il est évident que la littérature, c’est une spécificité. Et comme le reconnaît
Munch (2001:489), «Tous les grands problèmes de théorie littéraire sont aussi sous l’influence
du singulier de l’art littéraire». Mais peut-on souligner une spécificité sans indiquer sa situation
générale? En effet, c’est en fonction du général que l’on déduit le spécifique. Un discours est
spécifique parce qu’il porte les marques du discours qui le fait spécifique. La littérature existe
parce que les autres langages existent aussi. Ce sont eux, d’ailleurs, qui lui permettent d’exister
pleinement. Bessière (2011:24) fait remarquer même que le littéraire est dans l’ordinaire non
pas son autre, non pas son ailleurs, mais cela qui recueille la question du quotidien: le quotidien
parce qu’il expose les limites du langage ordinaire et celles de l’idéologie qu’il porte. Ainsi,
pense-t-il, un discours ne peut être spécifique sans porter les marques ultimes de sa spécificité.
Aucun discours ne peut prétendre exposer une manière de justesse par lui-même et exclure que,
par cette justesse, il dise les mots justes et, en conséquence, ultime. Qu’en est-il de ce même
discours qui sait sa propre élaboration, sa propre construction, et, en conséquence, sa propre
convention? Qu’en est-il de ces discours de tous puisqu’il est discours détaché, discours
disponible, réitable, et qui se reconnaît tel que par l’inévitable d’une recontextualisation? Qu’en
est-il de ce discours qui se différencie des discours quotidiens et qui vise explicitement la
communauté sans partage?
Quelque peu dans le même esprit que Bessière, réfléchissant sur le «qu’est-ce que la
littérature?» Fraisse et Mouralis (2001) attestent évidemment que nous nous épuisons bien
souvent à en définir la nature; c’est-à-dire, ceci est ou ceci n’est pas de la littérature. Ainsi
l’atteste, par exemple, l’intitulé de l’ouvrage de Yvert (2008), Ceci n’est pas de la littérature.
C’est la réaction de la plupart des auteurs. Concernant cet objet, nous sommes sans ignorer
qu’il pose des problèmes inhérents à sa spécificité. Sa nature signifiant crée quelques
problèmes dans la considération de la littérature. Rey (1984:505) atteste assez clairement cela
quand il énonce:
On voit donc qu’il n’est guère possible de réduire l’énoncé littéraire à l’expression d’un sens simple,
défini une fois pour toutes. Le code linguistique en offrant au producteur du message la possibilité
de mettre l’accent tout autant sur le contenu sémantique de celui-ci que sur sa forme ou sur le code
permettant de le produire est déjà par lui-même générateur de polysémie puisqu’il est toujours
72
difficile de déterminer à coup sûr ce qu’il y a de plus important dans un message. Les connotations
dont les termes qu’on emploie sont chargés viennent encore renforcer cet effet: véhiculant des
valeurs morales, religieuses, politiques, sociales, esthétiques, elles constituent des codes
supplémentaires qui viennent se superposer au code linguistique proprement dit et renvoient
notamment à l‘idée que l’écrivain et le lecteur, en fonction de l’époque dans laquelle ils vivent et
leur place dans le champ social, se font de la littérature.
notation de son écart. L’écart étant entendu comme la caractéristique essentielle qui permet de
distinguer la forme littéraire des autres formes. Il se pose cependant un problème, c’est que
l’écart n’épuise pas tout dans la définition de la littérature. Cela parce que même si l’écart est
l’un des éléments déterminants de la littérature, il est lui-même faisant partie de cette complexe
entité «le langage». Et, ce faisant, il se construit dans le contour du langage. La littérature est
du langage, sa constitution n’exclut pas les lois du langage commun. Moisan (1987:26) stipule
dans cette logique que «Les signifiants littéraires [les formes] s’adossent au langage commun et
de ce point de vue portent des signifiés courants [manger, voyager, etc…]». Cela explique que
la littérature use de mots de tous les jours, mais qui dans le domaine littéraire sont hautement
chargés et font appel à une interprétation seconde, qui, quelque fois, leur fait porter d’autres
significations. Mais en littérature, ces signifiants [les formes] du langage commun sont disposés
–par les procédés de fabrication ou d’écriture – de telle sorte qu’ils comportent des
significations [fonctions] du second degré. Ces fonctions littéraires [signifiés second] se
distinguent entre elles par un jeu d’oppositions qui sera le paradigme littéraire; elles se
combinent entre elles [le syntagme] et elles se manifestent à plusieurs niveaux [règle
d’intégration]. Ceci revient à dire qu’étant un arrangement sémantique, elle impose de revenir
aux lois de la production et de la réception de sens. L’esthétique littéraire étant le beau réalisé
par le moyen linguistique.
A cet effet, nous devons considérer que, et Nisin (1960:62) y avait déjà fait allusion,
l’acte commun, l’opération commune du lisant et du lu, synthèse de la perception et de la
création, la lecture d’une œuvre littéraire fait à la fois référence à un objet qui ne prend
existence que par et dans un sujet et à un sujet qui ne perçoit l’objet que dans la mesure où elle
le recrée. Pour John Dewey, ainsi que le rapporte Shusterman (1991:22) l’art est toujours le
produit d’une interaction entre l’organisme vivant et son environnement, un mélange d’action
et de réception qui entraîne une réorganisation des énergies. Ce substrat physiologique essentiel
n’est pas limité à l’artiste. Le lecteur et l’auditeur doivent eux-aussi, pour apprécier l’art,
engager leur affect, leurs énergies naturelles et leurs réponses sensorielles de façon à constituer,
grâce à leur propre expérience esthétique, un objet en œuvre d’art. Quel est donc le moyen de
cette extraordinaire synthèse, du moins pour la littérature, si ce n’est le langage! En effet, la
littérature est un lieu dialectique: chacun de ses objets est un artefact qui fournit l’occasion de
la reconstruction de la littérature. Le rapport de l’universel au singulier est celui de cette
construction même, comme la construction de l’artefact est jeu sur l’universel et le singulier,
hors de toute réduction de l’un et de l’autre. Chaque composante concourt à la construction de
l’œuvre littéraire.
74
La question que l’on peut se poser est celle de savoir comment les différentes variables
(auteur/lecteur, discours ordinaire/littéraire, fait/interprétation) concourent-elles à la
caractérisation de la littérature?
En effet, Moisan (1987:22) montre que «Toute œuvre littéraire est un phénomène social.
C’est un acte individuel, mais aussi un acte social de l’individu. Le caractère essentiel,
fondamental de l’œuvre littéraire, c’est d’être une communication d’un individu et d’un
public». Dans ce contexte, il faut comprendre que la littérature ne dépend pas seulement de
l’intention de l’auteur, ni du langage; mais aussi de l’apport du lecteur et de tout ce qui confère
à l’œuvre son statut d’œuvre littéraire. Dans ce contexte, la littérature devient créatrice. D’où
découle cette capacité créatrice de la littérature? Barthes (1997:819) pense que
Le langage littéraire […] devient créateur dans la mesure où il laisse une marge entre le mot et sa
signification immédiate; par cette marge, l’imagination du lecteur s’introduit, le mot s’évade du réel
et glisse vers ce qu’il faut bien appeler la “littérature”. Ce point de vue contemporain de la théorie du
texte veut que la théorie du texte […] ne considère plus les œuvres comme de simples messages, ou
même des énoncés[c’est-à-dire des produits finis, dont le destin serait clos une fois qu’ils auraient
été émis], mais comme des productions perpétuelles, des énonciations, à travers lesquelles le sujet
continue à se débattre; ce sujet est celui de l’auteur sans doute mais aussi celui du lecteur.
Autant que son objet, sa signification tourmente les spécialistes. En effet, ne doit-on pas
considérer que l’objet et la définition se confondent? L’une implique, et même toujours, l’autre
et inversement. La question de qu’est-ce que la littérature est très ancienne. Le problème dans
la définition de la littérature est celui de savoir ce qu’il faut prendre en compte pour sa
définition. Comment définir la littérature, qu’est-ce qu’il faut considérer comme littérature?
C’est-à-dire, le problème, justement, est de savoir si l’œuvre se définit par ce contenu qu’elle
transmettrait ou par les modalités formelles et institutionnelles à travers lesquelles celui-ci est
transmis. Fraisse et Mouralis (2001) l’avaient déjà posé dans ce sens. En d’autres termes la
question est de savoir ce qu’il importe de prendre en compte: le contenu ou le processus qui
rend possible son expression et sa communication. Dans ce sens, Nsuka zi Kabwiku (1976)
pense qu’il convient, face à cette situation, d’expliciter la nature et le langage de la littérature,
deux aspects complémentaires et essentiels à tout fait littéraire. Cela veut dire que définir la
littérature consiste à examiner l’objet (le contenu) de la littérature et l’expression ou la matière
76
dont cet objet se laisse appréhender. Moisan (1987:25) présentait le point de vue des exigences
contemporaines dans ce sens: «Au départ de leur conception de l’évolution littéraire se trouve
le postulat de la distinction entre forme et fonction de la littérature». De la sorte, il transparait
deux manières de saisir la littérature:
occupe un espace circonscrit, spécifique, relativement clos sur lui-même. Elle se définit comme
activité autonome, pourvue de ses propres règles de production, modes de reconnaissance et
structures de décision.
De ce point de vue, l’on considère que le sens ou le contenu (le fond) n’a aucune
influence dans la définition de la littérature. Cette façon de voir les choses privilégie l’aspect
esthétique, c’est-à-dire «l’intention du beau»; car, selon les termes de Jouve (2010:8,32),
L’art est l’expression dans les œuvres humaines d’un idéal de beauté. Dans cette optique, on ne peut
réfléchir à l’intérêt et à la valeur d’une œuvre littéraire sans tenir compte de son statut d’objet d’art.
[…] Les réflexions sur l’œuvre d’art s’appliquent, bien entendu, aussi à la littérature qui, ne
l’oublions pas, fait partie des arts.
Même si nous devons le reconnaître que cela ne se pose pas de la même manière à cause de la
singularité de l’art littéraire. Ainsi, nous pensons que, et Moisan (1987:68) l’avait déjà vu dans
le même sens, la littérature s’assimile à l’art. Il y a une littérature le jour où il y a un art, avec
l’art cesse la littérature. L’art étant, dans cette optique, l’expression de vérités générales dans
un langage parfait, c’est-à-dire parfaitement conforme au génie du pays qui le parle, et à l’esprit
humain.
En effet, Genette (1994:10) est de ceux qui pensent qu’«Une œuvre d’art est un artefact
(ou production humaine à fonction esthétique». Dans toute œuvre, la visée esthétique est en
effet reconnaissable à un certain nombre de traits. Ce que Jouve (2010:16) illustre bien en
partant d’un sonnet. En effet, Jouve montre que si, par exemple, un texte respecte les règles du
sonnet, c’est qu’il se réclame de la poésie, donc de la littérature et de l’art. Dans le champ
littéraire, argumente-t-il, les traits artistiques sont essentiellement des traits génériques. Tout
roman, toute tragédie, toute élégie est statutairement une œuvre d’art. Que l’accent soit mis sur
le résultat [produire une émotion esthétique] ou sur le projet [manifester l’intention de la
produire] dit Jouve, les objectivistes semblent partager la conviction qu’on ne peut pas détacher
l’art de la question du beau. Dans ces conditions, la littérature se définit comme étant «L’usage
esthétique du langage». (Queneau1955; Gengoux 1963:5). Suivant cette logique, la question
fondamentale qu’on devrait se poser en matière d’analyse littéraire est: en quoi, pourquoi telle
œuvre, qui contient telles idées intéressantes, qui nous interpellent, nous touchent, est-elle une
œuvre littéraire?
La meilleure façon de répondre à cette question consiste, il me semble, à examiner
l’œuvre littéraire du point de vue da sa forme, de son style en recourant à la méthode
78
stylistique14. De cette manière, Nisin (1960:51) considère que «L’œuvre d’esprit n’existant
qu’en acte – c’est l’exécution du poème qui est poème– la littérature se définit d’abord par un
usage».Ce qui implique que «Ce n’est pas l’objet qui rend la relation esthétique, c’est la
relation qui rend l’objet esthétique». (Genette, 1997:18).
De la sorte, même si cette question ne peut comporter de réponse définitive, il est
naturel de se demander ce qu’est la poésie, ce qu’est la littérature. Et répondre, si peu que ce
soit, à de telles questions, c’est faire de l’esthétique. L’esthétique est donc nécessaire. Ce qui
convient à comprendre, dans cette logique, qu’en littérature, «L’important n’est pas d’abord de
“bien penser”, mais de savoir s’exprimer, l’expression bonne entraînant d’elle-même
l’excellence de l’idée». (Moisan, 1984: 71). Dans le même ordre d’idée, Mounin (1971:159)
parle de la fonction littéraire ou esthétique du langage, c’est-à-dire «La visée du message en
tant que tel». Ce qui est visé, ce n’est pas la communication du contenu du message, mais
seulement l’obtention de ce message en tant que tel, dans l’élaboration de sa propre forme. Il
s’agit là d’une mise en œuvre au cours de laquelle le message est choisi dans ses éléments
successifs non seulement en fonction de l’expérience à communiquer, mais en fonction de la
forme qu’on veut donner à ce message. Ce qui signifie, pour reprendre les mots de Mauss
(1967:220), qu’ «Il y a littérature dès qu’il y a effort pour bien dire et pas seulement pour dire».
Dans la même optique, Gengoux (1963:8) dit de la littérature que c’est «Tout texte,
poésie ou prose, où elle (la conscience spontanée) reconnaît un style, c’est-à-dire une
mobilisation des puissances suggestives et quasi magique du langage: sonorités, rythmes, […]
images, structures». C’est donc cette logique qui caractérise les propos de Kesteloot (1979:307)
dans sa communication intitulée «Esthétique africaine et critique littéraire» faite au colloque
d’Abidjan consacré au thème Littérature et esthétique négro-africaine. Elle déclara: «Dans un
premier temps, nous fûmes si captivés par les idées et les sentiments des auteurs que l’on a
négligé l’impression, lorsqu’on lit les mémoires et les thèses que l’essentiel est l’idée-le fond
comme on disait jadis- tandis que le style ne serait qu’accessoire. Or sans art, point d’œuvre
littéraire».
Se référant à l’analyse de la fonction poétique de Jakobson (1973), Mukoko Ntete
14
La méthode stylistique consiste à dégager la beauté d’une œuvre en étudiant soit le rapport de la forme avec
la pensée, soit le rapport de l’expression avec la collectivité qui la crée. Et le style, au sens positif et complet du
terme, c’est l’œuvre envisagée comme un lieu de révélation supérieure, révélation non point par l’objet qu’elle
décrit ou évoque mais par sa façon originale et irréductible de le décrire ou de l’évoquer. C’est l’œuvre envisagée
comme un tout, un univers à part, prolongeant ou remplaçant l’univers visible qui nous entoure. Cet univers
possède sa valeur par lui-même indépendamment de toute référence à la vie quotidienne de son créateur ou à
son impression subjective; il est en quelque sorte la projection du sujet artistique, la matérialisation de sa visée
de sa vision du monde. (Gengoux, 1963:25).
79
(1988) soutient que la spécificité du message littéraire peut se définir comme spécialement le
message mettant l’accent sur lui-même. Guiraud (1980) analyse le fait poétique comme un
écart envers le langage linguistique. Autrement dit, ce qui est proprement littéraire, ce n’est pas
le contenu explicite de l’œuvre mais un usage spécifique du langage [langage scientifique,
politique, quotidien, etc.] en ce qu’il ne répond pas aux mêmes nécessités ni n’implique la
même attitude vis-à-vis du langage. L’écrivain, poursuit-il, a une démarche esthétique.
Donc pour cette conception, la littérature c’est l’esthétique. C’est la manière de dire qui
compte non l’inverse. Et d’ailleurs, tout engagé qu’il soit, J.P. Sartre (1969) ne s’est pas
empêché d’affirmer que l’on n’est pas écrivain pour avoir choisi de dire certaines choses, mais
pour avoir choisi de les dire d’une certaine façon.
La forme littéraire ne doit pas être prise comme une forme vide. Car, comme nous
l’avons dit ci-haut, la forme elle-même, quelle qu’elle soit, résulte d’une construction
sémantique. Donc Si l’on peut élargir à tout texte littéraire, la définition que Valéry (1943)
propose du poème –cette hésitation prolongée entre le son et le sens-, c’est que le travail sur le
langage est toujours reçu en même temps comme un travail sur le sens. La forme elle n’est
jamais perçue comme se limitant au plan esthétique: le lecteur attend aussi de sa lecture une
rentabilité intellectuelle.
A cet effet comme l’explique Jouve (2010), alors qu’un dentifrice a une réalité
indépendante de l’affiche qui en vante les qualités, le personnage d’Emma ou la casquette de
Charles Bovary n’existent que par la façon dont le texte de Flaubert nous le montre. Si c’est le
contenu qui fait la valeur d’une fiction, il convient de préciser que ce contenu ne se donne qu’à
travers une forme particulière dont il n’est pas détachable. Ce qui revient à considérer que dans
l’art se cache l’autre face du monde; c’est-à-dire, le monde de l’art n’est pas un monde clos.
Nisin (1960:56) montre que si «l’autre monde» de l’art n’est pas imitation, il n’est pas non plus
création ex nihilo. Ce qui suppose que l’art le plus irréel participe encore du réel et, ne fût-ce
qu’à ce titre le fond s’y réfère implicitement. Il n’est pas étranger à ce monde où nous vivons
et, s’il ne peut se dégrader en imitation de la réalité, c’est en vertu d’un réalisme supérieur:
l’éclat de l’art éclaire une part plus profonde de nous-mêmes.
C’est de cette manière que nous pouvons comprendre comme Meyer (1992:153) que
«La littérature est même la réponse discursive aux problèmes qui se posent aux idéologies. Elle
comble donc les lacunes idéologiques, stabilise les visions du monde dominantes, ou alors elle
actualise les possibilités qui sont négligées ». Est-il possible d’étudier la littérature en dehors de
son temps et/ou de son contexte? N’est-ce pas qu’il y a une étroite corrélation qui, même sans
la nommer, s’y mêle! L’étroite corrélation entre littérature et société veut que les questions de
la littérature tiennent compte du contexte sociopolitique de leur existence. Puisque la littérature
est le reflet, dans la conscience des hommes, de la pratique quotidienne de la vie sociale. Le
lieu où s’effectue une manière de conversion catégorielle plus ou moins normalisant des
expériences sociales vécues par les hommes. C’est pourquoi, il y a lieu de croire en suivant Bol
& Allary (1964:11) que «Manifestation d’une culture –en tant que celle-ci est l’expression
articulée (en rites, en institutions, en art…) des rapports intimes de l’homme avec lui-même,
avec le corps social et le monde, – la littérature ne peut que se modifier si ces rapports se
modifient». Le statut de l’œuvre est strictement influençable par le temps et les habitudes.
Autres temps, autres mœurs dit-on. Et donc autres temps, autres esthétiques: autres littératures.
Dans le même sens, Fraisse et Mouralis (2001:63) soutiennent que le statut d’une œuvre n’a pas
81
de validité en lui-même. «Il est le produit d’une convention et ne se fonde de ce fait sur aucune
caractéristique propre à l’œuvre. C’est pourquoi une œuvre ou un type d’œuvre peuvent fort
bien voir leur statut se modifier, dans le temps ou d’un lieu à un autre». Sartre préfaçant
Senghor (1948) dans Orphée noire atteste qu '«Ecrire équivaut à faire appel à la conscience
d’autrui pour reconnaître le développement du monde entrepris par le moyen du langage ».Car,
la littérature est bien «Le passage de la vie dans le langage. Rien d’étonnant dès lors à ce qu’il
emprunte ses métaphores au domaine du vivant, à la botanique tout d’abord qui lui livre
l’image du rhizone, mais aussi à la biologie à travers ses références au cerveau en tant que siège
des pensées vitales». (Dahan-Gaida, 2001:113).
Il convient ainsi de comprendre que le texte littéraire s’avère avoir les mêmes
caractéristiques que le cercle hégélien: il est clos et ouvert en même temps. Ceci signifie que
son passage du cercle clos que représente le monde de la fiction, au cercle plus vaste que
représente le monde de la réalité conditionne son passage de l’autonomie à l’hétéronomie. Dans
ce sens, le texte littéraire devient un fait social et, à ce titre, il fait surgir la question de la
signification pragmatique qu’il peut avoir dans le contexte social et en fonction de lui.
Ce qui permet de comprendre que tout texte possède une double dimension: en tant que
discours, il est parole sur le monde; par sa forme, il se donne à lire comme une réalité visuelle
et sonore dont le pouvoir expressif va bien au-delà de la fonction référentielle. Mais, alors que
dans le langage courant la puissance évocatrice du signifiant est habituellement neutralisée
[l’important, c’est le contenu du message], dans le texte littéraire –comme dans tout objet d’art
– la forme ne peut être détachée du contenu: elle participe du sens. Jouve (2010) en avait déjà
fait une attestation. Et, comme le remarque Schaeffer (1996), ce qui définit les univers de
fiction, c’est que les univers de fiction, contrairement aux représentations non fictionnelles, ne
sont pas dissociables de la forme qui les présente. L’activité esthétique, orientée sur le
matériau, ne donne forme qu’à celui-ci: la forme signifiante du point de vue esthétique est celle
du matériau, compris à partir des sciences naturelles ou de la linguistique. Si les artistes
affirment que leur œuvre est valable, qu’elle est orientée vers le monde, vers la réalité, qu’elle
concerne les hommes, les rapports sociaux, les valeurs éthiques, religieuses ou autres, il ne
s’agit que des métaphores; car ce qui appartient à l’artiste, c’est uniquement le matériau:
l’espace physico-mathématique, la masse, le son, le mot, et l’artiste ne peut occuper une
position dans l’art que par rapport à tel matériau donné, précis. Bessière (2001:23) montre que
le littéraire n’est pas considéré comme cette pratique originale de communication à examiner
en elle-même et selon la question qu’elle recueille, mais suivant un rapport entre le littéraire et
la société, qui prête idéalement au littéraire une fonction de réconciliation. C’est-à-dire qu’il y a
82
identification dans le matériau, du signifiant et du signifié, «Le signe esthétique ne s’épuise pas
dans le renvoi au denotatum, mais s’enrichit de la manière irremplaçable dont il faut corps avec
le matériau qui leur donne cette nature et qui constitue l’œuvre comme une sorte de stock de
surinformation». (Eco 1965; Bessière 2001:25). «La littérature ne peut être réduite à une
technique, si habile qu’elle soit, elle est également un mode de vie». (Ngandu Nkashama,
1982:29). La meilleure tendance d’analyse serait donc de ne pas négliger un point de vue en
faveur de l’autre. En considérant que l’un implique l’autre et inversement. Ce qui nous permet
d’éviter deux écueils d’analyse comme le reconnaît Todorov (1970:99):
Le premier serait de réduire la littérature à un pur contenu (autrement dit de ne s’attacher qu’à son
aspect sémantique); c’est une attitude qui conduirait à ignorer la spécificité littéraire, qui mettrait la
littérature sur le même plan par exemple que le discours philosophique ou étudierait les thèmes,
mais ils n’auraient rien de littéraire. Le second danger, inverse, viendrait à réduire la littérature à une
pure forme et à nier la pertinence des thèmes pour l’analyse littéraire sous prétexte que seul compte
en littérature le signifiant, on se refuse à percevoir l’aspect sémantique (comme si l’œuvre n’était
pas signifiante à tous ses niveaux multiples). Il est facile de voir en quoi chacune de ces options est
irrecevable: ce qu’on dit est aussi important en littérature que la manière dont on le dit, le qu’est-ce
que vaut bien le comment et inversement (à supposer, ce que nous ne pouvons pas, qu’on puisse
distinguer les deux).
C’est en raison de cette mesure que Grawitz (1993:553) précise encore la démarche
concernant l’analyse littéraire en démontrant comment certains auteurs, R. Barthes, G. Poulet,
J.P Weber, G. Picon, J. Rousset rompent avec le point de vue historique de leurs prédécesseurs,
et cherchent à travers une lecture globale et totale à saisir l’œuvre avant tout sous des formes
différentes: les éléments fondamentaux de la pensée et du style. L‘œuvre doit être atteinte
désormais dans son unité organique, comme événement: il s’agit moins de décrire le contenu
d’une pensée que le principe qui l’unifie, soutient-il. Ceci n’implique pas que la signification
conceptuelle de l’œuvre soit sans importance, mais l’objet à saisir est une signification totale,
devant laquelle la vieille distinction entre le fond et la forme, entre la pensée et le style est
irrecevable. Pour avoir l’âme de l’œuvre, conseille Grawitz, il n’est pas d’autre fenêtre que sa
chair. D’où la place secondaire où seront reléguées les sources livresques, les influences, tout
ce qui paraissait essentiel à la tradition de Lanson. Sur le plan technique il ne s’agit plus
seulement de rechercher à travers une œuvre la structure d’une pensée, mais, plus simplement,
de ne pas isoler un texte de ce qui l’entoure. Bessière (2001:13) sur ce point montre que les
théories contemporaines préservent l’idée d’une autonomie esthétique qui ne s’identifie pas
avec la seule notation d’un formalisme. L’autonomie se repense comme synthèse d’un nouveau
83
contexte: le geste rhétorique, geste de modélisation et geste de voisinage. La littérature est sans
miroir. Il ne faut pas la prendre à la lettre. Ni confondre le contentieux qu’expose le rhétorique,
dénoncer et annoncer l’objet que la littérature se donne et qui est toujours ensemble dans lequel
le littéraire se situe –langage, les discours, les réalités –, avec un geste de déconstruction
critique.
Dans ce débat sur la littérature, comment concevoir la littérature orale en tant que
littérature spécifique procédant d’une esthétique particulière liée au temps et à l’espace. C’est
ce que nous allons démontrer dans le point suivant
qui, au début du 20ème siècle, avait reconnu dans les récits qu’il a recueillis, tant au sud du
Sahara comme dans les zones tropicales, certaines formes d’expression littéraire qui pourraient
avoir des similitudes avec l’épopée classique des traditions occidentales. Par la suite, d’autres
œuvres d’autres genres qui incluent la poésie, les légendes, les contes, les fables, les proverbes,
les généalogies et les récits historiques, les devinettes ont été repérées aussi.
Ceci permit de comprendre que dans différents endroits du monde, il existe des peuples
qui pratiquent l’art de la littérature sans mettre l’accent sur l’écriture. Ce qui élargit ainsi le
champ d’appréciation d’œuvre d’art. Della Ragione (1984:387) explique cet élargissement qui
permet à l’Afrique de se définir, de manière autonome, aussi comme un creuset artistique. En
effet, Della Regione a démontré que dans le domaine de l’art, la valeur de ce terme se limitait
entre certaines contraintes conventionnelles imposées et transmises par l’éducation esthétique
dont la filiation remontait, même à travers des modifications du goût de différentes époques, à
la reconnaissance de la perfection et de l’harmonie du modèle grec. Or, il semble impossible de
retrouver dans l’art nègre la présence rassurante du canon gréco-romain: cette sculpture
déconcertante, la plus éloignée peut-être du canon grec que l’humanité n’ait jamais vu naître.
Donc, l’Afrique ne pouvait pas compter parmi les sociétés à valeur artistique. La volonté du
monde de l’art de rompre avec les canons classiques, comme l’a écrit Della Regione, a introduit
une ouverture dans le fondement de la création artistique, depuis qu’elle y a intégré l’art
populaire, les dessins d’enfants, l’expression graphique des fous, l’art «primitif».
Dans cette optique, le concept de littérature, depuis la fin du 19èmesiècle, a pris une telle
amplitude de sens qu’il ne se prête plus à une définition précise. On lui colle désormais des
adjectifs: savante, populaire, par exemple, qui permettent de coiffer à peu près tout ce qui
s’écrit, voire les traditions folkloriques orales, les bandes dessinées, les graffitis comme
manifeste. C’est dans ce répertoire qu’il faut répertorier les manifestations de la littérature orale
africaine. Dans les lignes qui suivent, nous essayons de décrire ces différentes manifestations
selon les critères déjà établis par certains classiques en cette matière. Notre souci, en faisant
cette description n’est vraiment pas d’apporter un plus, mais de faire observer, en enfonçant le
clou sur une porte largement ouverte, que l’Afrique a une littérature qui repose sur les canaux
esthétiques purement africains.
d’inspiration traditionnelle. Et l’on considère comme moderne, celle écrite, en langues locales
ou étrangères, d’inspiration africaine ou non. Ce qui ressort des propos de Maalu Bungi
(2006:38) qui écrit «La littérature écrite en langues africaines, connue également sous le nom
de littérature moderne en langues africaines». Cette façon de qualifier la littérature africaine
moderne donne de la force à l’idée que l’écriture est étrangère en Afrique, qu’elle se serait
introduite très tardivement avec l’apport du colonisateur. Et pourtant, l’auteur le montre lui-
même dans son ouvrage Littérature orale africaine. Nature, genres, caractéristiques et
fonctions que l’Afrique a bien connu l’écriture. C’est ce genre d’argument qui fait dire que
l’Afrique n’a pas de théâtre, nous y reviendrons dans le troisième chapitre.
Dans son ouvrage Littérature d’Afrique noire, Ricard (1998) considère comme voué à la
mort tout peuple qu’on réduit à la pratique orale de sa langue. Ces genres de propos offusquent
l’art africain et donc prêtent le flanc à des critiques de plusieurs ordres. Ainsi, par exemple,
Baumgardt (2008c:257) fait observer concernant cet auteur que son ouvrage s’organisait
suivant une certaine chronologie, c’est-à-dire, d’abord manuscrit, livre en langues africaines et
livre en langues européennes. Ce qui donne l’impression de l’existence d’une certaine
hiérarchie qualitative. Dans cette optique, Baumgart fait comprendre que
Cela traduit simplement le regard dédaigneux dont étaient objet les arts africains à une
certaine époque de l’histoire. Inspiré par cette critique, nous estimons effectivement que la
littérature africaine a deux formes, traditionnelle et moderne. Mais cette distinction tient à autre
chose qu’à la simple mode d’émission. La poésie toujours chantée, exprime l’émotion
populaire face à l’immensité du cosmos, des mystères et du sacré, la magnifique qualité de la
mère, les travaux agricoles cycliques, l’amour et l’image féminine, la mort. De ce point de vue,
traditionnelle ou moderne, la distinction tient compte de la manière dont les problèmes sont
posés et vécus plutôt que de la manière dont ils sont véhiculés.
Dans ce sens, nous pouvons faire constater, par exemple, que la musique congolaise qui
a deux formes, traditionnelles et modernes, est toujours orale. Il est nécessaire de préciser une
fois de plus que les formes d’expression orale ou écrite ne doivent pas être inscrites dans un
rapport de succession, d’évolution ou d’exclusion. Elles correspondent plutôt à des modes
86
L’expression littérature orale est la création de Sébillot en 1881 pour désigner une
littérature non écrite de la Basse-Normandie, à laquelle il a consacré une étude publiée cette
année-là à Paris. Elle est une littérature à part entière d’autant plus que, comme nous l’avons
fait observer, son langage sort de l’ordinaire et rentre dans le domaine de l’écart, donc de la
surdétermination du réel. Dans le contexte africain, la littérature orale regroupe tous les genres
oraux qui renferment et expriment toute la culture des peuples africains. En effet, ce sont les us
et coutumes des peuples qui déterminent l’existence des genres oraux même si on peut aussi
soutenir que les genres oraux conditionnent dans une certaine mesure les us et coutumes
sociaux. Le cas de dialogue interculturel entre des peuples. Dans ces conditions, les uns et les
autres se transmettent des genres inexistants dans leur terroir et en font –au fil du temps- un
patrimoine culturel propre. Ce qui peut trouver explication dans les postulats suivants
concernant «La recréation en littérature orale» (Maalu Bungi 1980; Mbwangi Mbwangi,
2007:43) qui relève de:
87
- La création ou mieux l’invention des récits entièrement nouveaux selon les canons de
l’affabulation et de la création littéraire en vigueur dans la société;
Cette relation de l’un à l’autre n’est pas seulement une détermination de contenu faisant de l’œuvre
un reflet plus ou moins fidèle de la réalité, mais aussi une relation analogique, permettant d’établir
une parenté entre la structure de la société et la structure du discours littéraire. C’est encore plus vrai
lorsqu’il s’agit de la littérature populaire qui, du fait qu’elle est distillée anonymement, et par
conséquent moins marquée par l’empreinte personnelle d’un créateur individuel, apparaît souvent
comme l’expression de l’inconscient collectif du groupe social qui la produit.
88
Diagne analyse cette question dans son ouvrage intitulé Critique de la raison orale. Les
pratiques discursives en Afrique noire. Il pose des questions qui nous inspirent dans la
rédaction de cette partie15. A quelles conditions et selon quelles procédures la société africaine
arrive-t-elle à produire, à exprimer et à archiver sa pensée?
A travers les différents discours de la tradition orale: les proverbes, les contes, les
épopées, textes épiques et initiatiques… Diagne (2005) identifie non seulement les contenus de
la pensée africaine, mais aussi les modes de raisonnement et d’acquisition de la connaissance,
les façons de la transmettre et de la conserver. Ce dont nous sommes dans la plupart des cas
d’accord avec l’auteur. Car, à travers différents genres précités, le discours est organisé dans le
sens de transmission et de conservation de la pensée. Et en vue de la transmission et de la
conservation de la pensée, l’oralité appelle des procédés discursifs bien appropriés et organisés
qui traduisent la pensée dans ses diverses connotations. Abglemagnon (1969:18) justifie aussi
les raisons d’une telle procédure. En effet, dans les sociétés dites «archaïques», à part les
personnes, les groupements, les objets matériels, œuvres d’art, constructions, etc., tout est oral;
toute la pensée et toutes les idées qui relient ces objets, ces groupements, ces œuvres et même
ces idées et ces constructions ne sont pas écrites et relèvent du domaine du «matériel oral.» Au
sens strict l’expression désignerait alors tous les éléments culturels qui, dans ce type de société,
c’est-à-dire dans une société sans écriture, restent oraux. Exemple: genres de musiques non
codifiés par écrit, contes, devinettes, divers types de chanson, etc.
Et comme le reconnaît Agblemagnon, cette définition du matériel oral au sens strict
s’impose, car il y a (et il y aura), même dans les sociétés à écriture très développée, des
éléments qui ne sont pas codifiés, ne sont même pas écrits et constituent une sorte de folklore
de la mode, folklore oral absolument différent du matériel oral des sociétés sans écriture, ou
mieux n’ayant pas privilégié l’écriture. Leroi-Gourhan (1985:32 , 135) montre que «Toutes les
sociétés sans écritures possèdent une gamme de moyens de fixation sous formes de proverbes,
de préceptes, de recettes dont la conservation repose souvent sur la mémoire de quelques
individus ». Dans ces sociétés, précise-t-il, espace et temps n’existent comme vécus que dans la
mesure où ils sont matérialisés dans une enveloppe rythmique.
Car, explique Kabongo Bujitu (1975:57) «La tradition africaine est une connaissance
15
Dans le chapitre 1 de son ouvrage: «Civilisation de l’oralité et dramatisation de l’idée», l’auteur se pose les
questions ci-après: de quelle manière, et selon quelles procédures plus ou moins complexes, les civilisations de
l’oralité codifient-elles leurs messages et organisent-elles l’élaboration, la gestion et la transmission de leurs
savoirs?
89
sous forme de parole vivante transmise de génération». Cette parole du moins en Afrique
traditionnelle couvre toutes les parties de la vie humaine: l’histoire, la cosmogonie, les mythes,
les légendes, les contes, les prières, les chants funèbres. C’est comme une ombre vivante du
peuple, elle ouvre la voie quand tout est sombre, elle répond aux questions quand le doute
s’élève, elle donne forme à toute la vie du peuple et toute la vie du peuple donne vie à sa
littérature orale. Et plus encore, Tania dans son entretien avec Hernandez (2006:149) montre
que le rôle des conteurs c’est d’exprimer le monde, une extension de tous, par une histoire.
C’est pourquoi, elle dit que le conteur pour s’exprimer, dans le contexte de leur narration,
recourent à quelque chose qui n’est pas le monde réel. «Vous ne pouvez dire ça, et ça est le vrai
monde, vous avez besoin d’autres mots, ou art, ou mythes. Et c’est pourquoi il y a des histoires
à raconter». C’est ce qui explique certains processus, tel le processus de dramatisation, de
symbolisation et d’image où le monde est exprimé à travers des allusions, des allégories, des
hyperboles, des métaphores ou des faisceaux métaphoriques.
Nous devons faire comprendre que le processus discursif de l’oralité est englobant.
C’est un moule dans lequel les différents processus ci-haut énoncés s’impliquent mutuellement.
Nous les analysons séparément pour des besoins méthodologiques. Tous ces procédés
concourent à fixer la leçon de manière pérenne. Battestini (1997:138) a vu juste en évoquant
qu’
Il n’est aucune culture africaine qui n’ait eu un système […] de conservation et de communication
de certains messages. Le support de cette mémoire collective et le matériau de la communication
codée sont des conditions essentielles à la cohésion du groupe à l’identité collective, à la
permanence de toute société.
Nous allons tenter de définir ces différents procédés en montrant comment ils présentent
et codifient la pensée.
16
Que Diagne (2005) appelle une caractéristique foncière de l’oralité
90
l’efficacité du message ». Derive (2008b:22) dans le même sens considère que les énoncés de
tradition orale, ceux que la communauté cherche à retenir, ont des particularités qui tiennent à
l’exigence de leur mémorisation. Et Ong Walter (1982:32, 35) résume cette situation propre à
la culture de tradition orale par la formule: «you know what you can recall […] think
memorable thoughts».
Serres (1971:7) trouve dans la dramatisation la forme véhiculaire du savoir. Il note que
«Dans une culture de tradition orale, récit tient lieu de schéma, scène vaut intuition. […] De
bouche à oreille la dramatisation est la forme véhiculaire du savoir. Le mythe alors, le récit
mythique, est moins une légende originaire que la forme même de la transmission». Ce que
Huizinga (1988:20) affirme autrement en soulignant que «La culture dans ses phases primitives
est jouée. Elle ne naît pas du jeu comme un fruit vivant se sépare de la plante mère, elle se
déploie dans le jeu comme jeu ». De ce point de vue, l’enfant à qui l’on raconte un conte en
garde la leçon à travers le jeu de personnages mis en scène. Nous nous faisons le devoir de
reprendre le mot de la folkloriste québécoise Labrié (1984) repris par Mvé-Ondo (2005:7) qui
dit ceci:
Le conte s’inscrit entre les formules de début, qui annonce le mensonge, c’est-à-dire la fiction, et
celles de fin, qui ont pour fonction le retour au monde réel. Ces formules sont là pour signifier la
rupture entre deux univers, celui de la réalité, celui de l’imaginaire. A la fin, le conteur, qui s’est
effacé durant tout le récit derrière ses personnages, dit parfois “je” comme si, sans l’avoir indiqué
91
Le conte se joue. C’est une pièce montée pour des objectifs ludiques et pédagogiques. Le
ludique [dramatisation, théâtralisation] concoure au pédagogique. En effet le jeu apparaît bien
comme le lieu où confluent le réel et l’imaginaire. Ce qui a pour effet de déconnecter quelque
peu la réalité sociale, de la larguer tout en la maintenant, pour ainsi dire, en dérive contrôlée.
Nous sommes en parfaite conformité de vue avec des auteurs comme Breteau & Zagnoli
(1974:4) pour qui «Le conte n’est pas un reflet du social, mais constitue un objet spécifique qui
s’articule sur le social ». C’est là que réside son didactisme. La dramatisation a un but
pédagogique: conserver et pérenniser les savoirs. Derrida (1967) précisait la nature de cette
dramatisation. Il faudra garder constamment présent à l’esprit que dans une culture où les
«paroles ailées» ― pour reprendre la merveilleuse formule d’Homère –volent de bouche à
oreille, la fragilité est une des caractéristiques essentielles de l’édifice du savoir individuel et
collectif; et que c’est pour trouver un antidote à une telle situation que la pensée fait appel à des
instruments et procédés originaux, plus ou moins sophistiqués, pour conjurer les défaillances de
la mémoire.
L’homme de l’oralité préserve ses productions des atteintes de l’oubli et de la mort, en
procédant à une théâtralisation de son savoir. Autrement dit, il se joue de l’oubli en se donnant
la possibilité de jouer le savoir, et de le rejouer toutes les fois qu’il éprouvera le besoin de s’en
approprier le sens ou d’en revivre l’aventure. La mise en scène de ce dont l’homme garde le
scénario dans l’immense palimpseste de sa mémoire archive le savoir sur le mode de la
différance (qui est l’acte de différer, au sens de Jacques Derrida) avec la capacité indéfinie de
se le réapproprier par le jeu de ses «remake» successifs.
Dans la transmission des connaissances, tout conte et tout joue. L’interaction entre le
milieu, la scène, les personnages ou les événements participe à construire du sens et à faire
l’information. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre que
La mémoire africaine enregistre toute la scène, le milieu, les personnages, leurs paroles, leurs
vêtements et les moindres détails. Tous ces détails animent la narration et contribuent à restituer la
scène vivante. C’est pourquoi le traditionnaliste ne peut pas résumer ou difficilement le fait.
Résumer ce serait enlever, escamoter. Chaque détail a son importance pour la vérité du tout. Il
raconte l’histoire intégralement ou ne la raconte pas. (Laye, 1978: 227).
Dans le même sens que Laye, Derive (2008b:23) montre que les sociétés orales prônent la
mimesis [c’est-à-dire la reproduction fidèle du patrimoine antérieur] la plus absolue. On
demande à l’interprète de tradition orale de ne surtout pas innover, mais de reproduire ce qui a
92
Nous ne devons pas seulement dire qu’une civilisation de l’oralité accorde un privilège remarquable
à la mise en scène et au procédé de dramatisation. […] Notre thèse consiste à soutenir qu’il y a là
l’expression d’une nécessité découlant d’une contrainte impliquée par le fait oral lui-même. Ce qui,
du coup, élève ce phénomène au rang de caractéristique fondamentale d’une civilisation de l’oralité.
[…] Nous parlons de nécessité, au sens où la dramatisation du savoir […] traduit fondamentalement
une sorte de réflexe de survie pour une civilisation de l’oralité. Elle donne à lire le jeu de cache-
cache que le savoir joue avec lui-même, c’est-à-dire les diverses «ruses» avec le signifiant qui
président à son élaboration et à son explication, conformément aux impératifs de sa transmission et
de sa conservation.
Cela étant, nous pouvons soutenir que «les procédés expressifs qui forment le style oral
et en particulier les gestes narratifs ont en plus de la fonction communicative, une autre de
dramatisation et aussi informative». (Calame Griaule, 1977; Diagne (2005:26). Fonction
communicative, «dramatisative», ou informative concourent à la conservation et à la
transmission. Ainsi nous considérons que les peuples d’Afrique noire ont adopté des modes de
93
connaissances en rapport avec leurs modes de vie respectifs. La narration, procède à une mise
en scène, avec l’instauration d’une atmosphère, la création de situations et l’intervention de
personnages devant servir de porte-paroles ou de supports aux idées qu’on veut exprimer. Par
le moyen d’une dramatisation, comme l’attestait Diagne (2005:149), une idée est véhiculée et
développée sous la forme d’une histoire, de dimension et de complexité variables.
1.3.2. La symbolisation
Le symbolisme consiste à faire passer la connaissance à travers des images qui réfèrent
à un fait culturellement admis tel. Ce procédé est tellement régulier qu’il devient naturel chez
les Africains. Ce n’est pas en vain que Ndaw (1983) repris par Diagné (2005:29) dans une
approche plus générale, fait même du symbole l’expression naturelle de l’esprit africain. Ce qui
permet, selon lui, d’exprimer en termes programmatiques l’une des tâches du chercheur:
«Insérer le langage symbolique de la pensée négro-africaine dans le discours rationnel de la
philosophie». En effet, ils n’ont pas tort de demander l’insertion d’un processus qui se
détermine par nature. Le langage symbolique est un processus du discours africain où «Tous les
sujets sont formulés de manière indirecte, en général suggérés par un langage figuré plein
d’images et des symboles, et les personnages même les animaux sont paradigmatiques».
(Ibanez, 2009:92).
Le conte, par exemple, est en soi porteur de symboles. Et dans cette optique, Calame
Griaule (1987:13) considère que «Rien dans les contes n’est gratuit et […] tous les détails
culturels mentionnés au cours du récit ont, en dehors de leur sens apparent fournis par le rôle
qu’ils jouent dans l’«histoire», un sens symbolique qui contribue à donner, pour celui qui sait le
décoder, le sens caché du conte ». Le symbolisme donne à penser. C’est dans ce sens que
Awouma & Noah (1978:23) décrivent la fable. Tout en s’enracinant dans le monde réel avec
ses problèmes quotidiens, elle est un récit allégorique. Ses acteurs sont les animaux, les
végétaux, les êtres inanimés, personnifiés c’est-à-dire qu’ils agissent, parlent, pensent en être
doués de raison et de volonté. Ils incarnent donc un caractère, une vertu, un vice, par leurs
mœurs ou leur manière d’être, ils sont les symboles.
Dans ces conditions, nous prenons le contrepied de l’argument de Madame Faïk Nzuji
(1992:7) qui concernant le symbolisme note que
L’intérêt des Africains pour le symbole n’est ni un comportement spécifique ni un cas isolé dans
l’histoire de l’humanité. De tout temps, l’homme a aspiré à communiquer et a cherché à trouver dans
la nature ou en les fabriquant lui-même, des moyens qui l’aident à traduire sa pensée, à rendre
perceptible ce qui ne l’est pas. […] Chez les peuples d’Europe, à côté de l’utilisation pratique du
94
symbole, s’est développée une réflexion théorique sur le symbolisme en tant qu’aspect de la
connaissance. Quant aux peuples d’Afrique noire17, leur intérêt s’est orienté seulement du côté
pratique et utilitaire des symboles. Ils se sont occupés de leur fonction et de leur efficacité dans la
vie sociale et religieuse immédiate18.
Ici, nous rappelons, l’argument d’Abglemagnon (1969) que nous avons déjà cité à
l’introduction de cette sous-section concernant le matériau oral. Nous pensons que la
codification symbolique de la pensée est très répandue en Afrique. Les Africains recourent à
plusieurs symboles pour codifier la pensée. Mais ce que nous repoussons plus dans cet
argumentaire de Mme Faïk, c’est le fait de considérer que l’Afrique s’est penchée seulement du
côté pratique et utilitaire des symboles. Les Africains se sont occupés de leur fonction et de leur
efficacité dans la vie sociale et religieuse immédiate. Comme si le fonctionnalisme ou
l’utilitarisme n’était pas de la philosophie. Et même alors, nous ne devons pas rester dans
l’aspect pratique de l’imagination. Nous devons faire observer que la conception de la
symbolique africaine procède en amont d’un processus conceptuel qui relève bien de
l’abstraction. Car, c’est ce que sous entend son argumentaire l’abstraction n’est pas africaine.
Elle relaye ainsi des pensées déjà vivement soutenue par L-V Thomas en (1960:66) concernant
le Diola du Sénégal. Il présente trois idées maîtresses qui, selon lui, caractérisent ce peuple
- une certaine contamination au niveau des concepts (entre le matériel et le spirituel par
exemple) […] une incapacité notoire19 à opérer le passage de l’idéologie à l’opération
logique. La perception du monde ne peut être qu’impressionniste.
- La difficulté qu’éprouve le Diola à ordonner les parties d’un tout et à saisir les relations
formelles, l’empêche de substituer les opérations sur les symboles aux opérations sur les
choses.
- Mais, en revanche, le réalisme est peut-être le caractère le plus patent de son
intelligence et de sa technique.
L-V Thomas endosse dans ce sens les affirmations de Lévy-Bruhl (1922), selon
lesquelles «L’esprit critique n’est pas une qualité essentielles de l’âme africaine» et «la
métaphysique nègre ne saurait être qu’implicite, intuitive et vécue: elle est plutôt mythologique,
imagerie même que philosophie». Struyf (1936:3) n’en dit pas moins de Kongo qu’il considère
17
Diagne (2005:11) illustre le contre sens de ce genre d’argumentaire quand il écrit: «Qu’on nous comprenne
bien: la réflexion philosophique sur les cultures africaines n’implique pas ignorance ou mise en épochè de ce que
nous avons appelé le non –philosophique ». Derrida (1972:1) se pose même la question de savoir ce que serait la
philosophie si elle ne s’était pas de tout temps nourrie de son autre ».
18
C’est nous qui soulignons.
19
C’est nous qui soulignons.
95
de naïf et de moins critique face à leurs propres fables et légendes. Comme on peut le constater
dans ses écrits: «Les fables et légendes que nous publions ici, découvriront quelque chose de
l’âme des Bakongos d’il y a trente ans. […]. Elles ont été écrite sous la dictée, peut-on dire, des
indigènes eux-mêmes, dans leur langue imagée et naïve, si pleine d’une couleur locale, que
beaucoup ne soupçonnent même pas ». Nous reviendrons sur cet argumentaire de Nzuji Madiya
dans l’analyse dramaturgique du conte que nous faisons ci-dessous pour illustrer les différents
procédés analysés.
Le symbole diffère d’une simple comparaison. Celle-ci est une considération de dehors;
alors que le symbole procède par un mouvement interne. Le symbole est le mouvement du sens
primaire et qui nous fait participer au sens latent, au sens second. Ricœur (1969:16) appelle
symbole «Toute structure de signification où un sens direct, primaire, littéral, désigne par
surcroît un autre sens indirect secondaire, figuré, qui ne peut pas être appréhendé qu’à travers le
premier ». En effet, interpréter un symbole, soutient-il, c’est le travail de pensée qui consiste à
déchiffrer le sens caché dans le sens apparent, à déployer les niveaux de signification impliqués
dans la signification littérale.
Les symbolistes mettent l’accent précisément sur la métaphore [en la marquant parmi
tous les moyens représentatifs du langage], comme une manière de rapprocher des séries
sémantiques éloignées. A la place des métaphores apparaissent, dans toute leur variété, les
nuances latérales des mots, fondées sur des périphrases et des métonymies.
Dans une société où tout parle, la réalité est un livre vivant dont il faut toujours
interpréter les signes en vue de décoder le message. Symboles, fables, contes, mythes,
légendes, chroniques, épopées, généalogies, proverbes et dictons, maximes, devises et
devinettes, langage et rythme des instruments de musique, théâtre sont des véritables archives
du dire constituées au cours des siècles, qui renferment tous les signes et les symboles à travers
lesquels nous pouvons interpréter toute la sagesse, la connaissance africaine.
Le contenu du discours symbolique part de la situation symbolisant à des situations
symbolisées grâce à l’analogie [ressemblance] ou grâce à la correspondance [comparaison];
c’est-à-dire, on part d’une situation concrète vécue [situation symbolisante] d’où l’on tire l’idée
que l’on incarne ensuite dans une situation concrète [situation symbolisée]. C’est qu’une
situation cosmique se révèle à l’homme, comme à une situation humaine. Ces deux démarches
se trouvent à la genèse même du symbole. Le contenu du symbolisme est à la fois l’expression
de l’abstrait et du concret. Expression de l’abstrait: car le symbolisant [idée première du
symbole, se dévoile à partir du symbolisé abstrait] l’idée seconde qu’on se fait du symbole [le
sens] métonymique impliqué par la correspondance ou la comparaison. Expression du concret:
96
«tsuusu syata kalekanga nzala ko.»: (La poule qui gratte ne dort pas affamée.)
L’observation faite ici part de la manière dont la poule nourrit ses poussins, et le résultat
qui en découle. En effet, dans la conception kongo quand on parle de la poule, on sous-entend
toujours et souvent les poussins. Et comme la poule ne s’éloigne pas de ses poussins, c’est elle
qui prend en charge leur survie. [On peut objecter que c’est un rôle tout naturel chez les
animaux], l’observation démontre que c’est très spécifique chez cet oiseau. Pour nourrir les
poussins, la poule gratte et en grattant, elle déniche et indique la proie à ses poussins. Ainsi
ceux-ci peuvent manger à sa suite. Une mère qui veut inculquer la notion de «travail» à ses
enfants, cite ce proverbe en faisant passer, par comparaison, la poule qui gratte pour l’Homme
travailleur qui ne manque pas de quoi se nourrir et nourrir sa famille. Ainsi la poule qui gratte
est le symbole du travailleur, du travail.
Les symboles sont souvent tirés de la nature environnante. La faune, la flore, la forêt,
l’humain. Ce qui suppose une connaissance méticuleuse des espèces naturelles.
A propos du symbolisme, nous pouvons nous rapporter à l’explication que donne
Fongot Kini Yen Kinni (2001:91), anthropologue et conservateur du musée Afhemi (African
Handicraft and Environmental Management Institute). Voici comment il décrit le masque:
Même accroché au mur, il peut rester impressionnant. Pourtant il ne “danse” plus. Mais il concentre
la puissance de ce qu’il est censé représenter, dont il est le support de l’expression. Car le masque
n’est pas un objet décoratif. C’est d’abord un objet rituel, à caractère sacré, qui représente les esprits
ou un événement particulier. Il doit ressembler à une situation, un personnage, ou à la pensée que
l’on veut transmettre. […] Celui qui porte le masque ne doit pas se dévoiler. On ne doit pas le
connaître. Il est dépersonnalisé. Il ne doit pas se comporter comme un individu ordinaire. Il est autre,
puisqu’il a intégré l’esprit, le symbole du masque. […] Quand il revêt l’apparence d’une tête
humaine, le masque symbolise un personnage important de la communauté, un ancêtre ou une
fonction, tel que le juge ou le roi. Quand il ressemble à un animal, il renvoie au totem d’une
communauté, à son animal fétiche. Le buffle est le roi, l’oiseau le sorcier. Il y a aussi le singe,
l’éléphant, le lion, la panthère… qui symbolisent d’autres fonctions et d’autres qualités animales que
le porteur de masque est censé avoir acquis.
97
1.3.3. L’image
En Afrique, l’image constitue un des processus discursifs très régulier. Mais cela ne
signifie pas que la pensée est terre à terre. Aucun discours d’un certain niveau d’abstraction ne
peut s’exprimer sans recours à l’image. Cela va de soi, c’est-à-dire, comme nous l’avons dit
plus haut de la caractéristique fondamentale de cette société: elle est orale, et comme telle, elle
procède autrement. De ce point de vue, nous sommes tenté de considérer infondés des propos
qui qualifient que les Noirs d’Afrique sont incapables de s’élever à l’abstraction et, par
conséquent, à la pensée scientifique. Ainsi, par exemple, même si nous sommes d’accord avec
le raisonnement de Calame Griaule (1977:19), nous sommes cependant contre les faits que
nous soulignons de son argumentaire:
L’expérience humaine ne se contente pas de distinguer les éléments de la réalité qui l’entoure, elle
éprouve le besoin de les classer en catégories fondées sur des critères divers. L’hypothèse de départ
est la même pour toutes les sociétés: il existe un ordre dans l’univers et il appartient à l’homme d’en
déchiffrer les lois. Les classifications symboliques des sociétés traditionnelles constituent une
tentative d’explication du monde au même titre que les classifications scientifiques des sociétés
modernes20. Les unes et les autres sont fondées sur une connaissance approfondie de la réalité et sur
des raisonnements analogiques déduisant de l’existence de caractères communs à plusieurs éléments
leur appartenance à une même “classe”. Les unes et les autres sont d’ailleurs parfois comparables: la
“logique” des classifications traditionnelles n’est plus à démontrer.
L’écriture est une chose et le savoir en est une autre. L’écriture est la photographie du savoir, mais
elle n’est pas le savoir lui-même. Le savoir est une lumière qui est en l’homme. Il est l’héritage de
tout ce que les ancêtres ont pu connaître et qu’ils nous ont transmis en germe, tout comme le baobab
est contenu en puissance dans sa graine.
20
C’est nous qui soulignons
98
D’où, nous trouvons raisonnable les propos de Sartre qui s’écrie: «Je ne dis pas qu’un homme
est cultivé lorsqu’il connaît Racine ou Théocrite, mais lorsqu’il dispose du savoir et des
méthodes qui lui permettront de comprendre sa situation dans le monde». (Benac, 1988:125,
126). C’est donc la leçon du sage Tierno Bokar à son disciple Hampaté Bâ.
Nous pensons comme, Leroi-Gourhan (1984) que la notion que les cultures sans écriture
pourraient être considérées comme ‘incultes’ est largement dépassée. Et que par exemple, Si les
civilisations africaines donnent une si grande place à la «fonction imageante» dans la variété de
leurs pratiques discursives, c’est justement parce qu’elles sont orales. Les civilisations
africaines sont, pour des raisons essentielles et non aléatoires, obligées de faire appel à des
procédés originaux dans l’élaboration, l’acquisition, la conservation et la transmission de leurs
savoirs. «Les plus remarquables de ces procédés est le recours massif à l’image. Et elles sont
contraintes de recourir à de tels procédés discursifs, justement parce que ce sont des
civilisations de l’oralité, au sens qu’on a essayé de donner à cette expression». (Diagné, 2005:
41). C’est le même retentissement qui ressort de la pensée de Roger (1828:126) qui écrit : «Je
ne finirai pas s’il fallait rapporter leurs tournures particulières de phrases, et tout ce que peuvent
avoir de remarquable leurs expressions. Ils parlent souvent par figures, par images, et par sens
détourné».
C’est de cette manière que Diagne (2005) définit la civilisation de l’oralité comme la
civilisation rhétorique par excellence; dans la mesure où le recours à l’image dans de telles
civilisations va au-delà de l’aspect esthétique et devient un fait social. C’est-à-dire que l’usage
de l’image est, pour ainsi dire, normal, parce que l’écart par rapport à l’usage ordinaire du
langage y est la règle. C’est pourquoi, dans de telles études, on tiendra compte non seulement
des métaphores isolées, ni même les faisceaux de métaphores qu’on placera, mais si l’on peut
dire, la métaphoricité en tant que telle et sa fonction décisive dans les civilisations de l’oralité.
Il s’agit du dispositif qui les met en circulation, les ordonne en réseaux complexes de relations
signifiantes, pour les intégrer dans des structures cohérentes par les procédés de la mise en
scène et la dramatisation. Et d’ailleurs Cauvin (1977) étudiant le proverbe Mynianka (du Mali)
dit qu’il est hautement significatif que le mot qui désigne le proverbe (talénê) se rapporte
également, chez les Mynianka, à toute utilisation d’images dans la conversation et le
raisonnement.
Ainsi, par exemple, ce morceau de chanson d’un musicien congolais qui pose:
1. «bitumba ya banzoko matiti nde emonaka pasi» (lingala): (Quand les éléphants se
battent, ce sont des herbes qui en pâtissent.
99
2. «maladi ya bolingo, motema nde eswaka» (lingala): (Quand on souffre d’amour, c’est
le cœur qui est vicitime.)
1=2 parce que 1 met en évidence un pachyderme qui symbolise d’une part la force et de l’autre
l’herbe qui symbolise la faiblesse. Ainsi quand deux êtres forts s’affrontent, ce sont les êtres
faibles qui en pâtissent. Ce qui par analogie et/ou correspondance renvoie à 2 qui met en
exergue par contiguïté la maladie d’amour (la déception, la jalousie, l’infidélité) dont peuvent
être victime deux personnes [représentant la force] qui fait souffrir la partie infime ou faible de
l’homme [le cœur].
- Quand deux parents ne s’entendent pas [divorcent], ce sont les enfants qui en souffrent
[maladie, insécurité, instabilité…]
- Le conflit entre deux autorités peut entraîner des conséquences aux subalternes.
- Le conflit entre deux grandes puissances peut entraîner [et même souvent] des
conséquences fâcheuses dans d’autres pays.
Tsungi béne yina, bibulu byoso bi nsîtu bikutangini vakimôsi, mwingi babula phûngu, mosi
batuba mambu midi yau.
Lumbu kinkaka, bé kutangana ku tsi nti môsi basobula lutidi bulêze vadi bibulu byoso. Ma
mwéne ngo nyandi pfumu ngîndu. Lutidi bibulu byooso ngôlo banzébe ti nya véka mwéne ngo,
ntinu mu nsîtu. Lutidi tola epi banzêbe ti kalombo nzau. Lutidi buvulu ayi bundima buna mbûlu.
100
A vayi lutidi dyéla buna nandi é ee? Bakadi kunzaba. Baboso bazolele siwu muna mutu ka
mûtu ti nyândi vyatukidi dyêla. Ma mwéne ngo mbadi kêmbi:
- «Kambyanu mimvu ayi lumbu byo lubutuka, mosi tuzaba lutidi bulêze vadi
bênu»:
Kumba mvudi
A cette époque-là, tous les animaux de la forêt se réunissent en un seul lieu pour causer,
afin de s’échanger les avis.
Une autre fois, ils s’assemblèrent au pied d’un arbre afin de désigner le plus jeune parmi
tous les animaux. C’est le léopard, l’initiateur de l’idée, qui présidait la cérémonie. Le plus fort
de tous les animaux on le connait, c’est lui-même le léopard, le Roi de la forêt. Le plus gros
aussi est connu, c’est «kalombo», l’éléphant. Le plus stupide et le plus naïf, c’est l’âne. Mais le
plus intelligent c’est qui? On ne le connait pas. Tout le monde se le réclame. Seigneur Léopard
déclara alors:
- «si nous connaissons le plus jeune parmi nous, alors nous connaissons le plus intelligent
de nous tous».
A cet effet ceux qui se croyaient être plus jeune, commencèrent à se manifester, disant
le jour et l’année de leur naissance.
- «Dites le jour et l’année de votre naissance que nous connaissions le plus jeune parmi
nous»
- «Assieds-toi qu’on demande le loup», le loup ne se fit pas attendre avant de répondre
- «Depuis ma naissance, trois mois seulement viennent de s’écouler. Dès qu’il eut fini de
parler, le singe se mit à gratter la bouche, il dit:
Tout le monde applaudit le singe qui, la tête dressée, se croyait vainqueur. Tous furent
surpris d’entendre l’antilope naine dire du haut de l’arbre:
102
-«Attention! Je vais naître! Arrangez l’endroit ou vous allez m’accueillir». Ceci dit, elle lâcha
la branche à laquelle elle pendait, elle vient atterrir au milieu de l’assemblée. Tous les animaux
s’étonnèrent. Enfin, tous reconnurent que l’antilope-naine était le plus jeune de tous les
animaux.
-«je vais te proclamer le plus intelligent de tous les animaux; parce que nous tous sommes
convaincus que c’est toi le plus petit parmi nous. En vérité, tu n’es pas jeune, mais par ton
intelligence, tu n’as pas d’égal parmi nous».
Ce conte nous donne une bonne illustration des procédés que nous venons d’analyser ci-
haut. Il présente un niveau élevé d’imagination et d’abstraction. Déjà au niveau de la
conception, les fortes oppositions qui découlent de sa conception traduisent un esprit
d’observation et de catégorisation très rigoureux.
- l’intelligence ne va pas souvent avec la force: d’où l’on écarte de la course le plus fort
le léopard;
- l’intelligence ne va pas non plus avec la masse: on a écarté le plus grand l’éléphant;
- et de manière graduelle, nous voyons que c’est parmi les plus petits et les plus fragiles
qu’on a retrouvé le plus intelligent: le singe et l’antilope naine;
Le conte montre que face à toute situation, l’on doit prendre le temps de réfléchir. C’est
pourquoi, nous pouvons lire l’humour et l’ironie qui caractérisent la réplique du léopard au
103
premier intervenant. En effet le verbe «kubembama» (s’asseoir) dans ce contexte a une valeur
méprisante. Il aurait dit «vingila» (attends que nous écoutions aussi les autres). En disant
«bembama» (assieds-toi), le léopard laisse entendre clairement : «arrête de dire des sottises,
idiot, tu n’es pas intelligent.» Il utilise carrément un ton ironique. Cela, non seulement parce
que l’antilope gazelle s’est avéré non intelligent par sa réponse, [ce qui est logiquement très
vrai par rapport au contexte du récit]; mais beaucoup plus le léopard insinue sur le temps qu’il a
mis à réagir. Nous voyons comment les deux derniers ont été félicités. Le singe le premier
avant qu’un plus intelligent que lui ne lui ravisse la vedette. Ceci ne peut pas moins expliquer la
présence dans la société yombe des proverbes comme:
Sens: quand on te pose un problème sérieux, il faut d’abord se retirer pour réfléchir
avant de donner une solution. (De peur d’être tourné en dérision par l’incommodité de
la solution irréfléchie proposée).
A supposé que l’abstraction fût absente dans ces sociétés (comme l’a semblé dire Nzuji
Madiya Faïk (1992), l’exigence des genres appelant cette dimension aurait été d’office
inexistante. En effet «La littérature est donc à la fois le miroir et l’interprétation d’un état de
société: lieu d’une tension entre le réel et une image idéale, elle la surmonte au sein de l’unité
de texte producteur de signification cohérente». (Makouta, 2003:103). Donc la littérature en
tant que miroir de la société ne peut pas représenter au-delà ou en deçà de ce que représente le
peuple dont elle porte les marques. Comme le dit Boileau (1969:92-93): «Ainsi qu’en sots
auteurs, notre siècle est fertile en sots admirateurs. Un sot trouve toujours un plus sot qui
l’admire». Pour dire finalement que «L’individu n’est jamais que ce que permettent qu’il soit et
son époque et son milieu social». (Febvre, 1953:211). C’est de cette manière que Lanson
(1965:35-36) tire l’évidence des rapports entre la littérature et la sociologie qui apportent des
précisions sur les liens entre cet individu-écrivain-génie et son groupe ou son milieu que
Lanson définit comme une symbolisation ou un dépôt:
L’écrivain le plus original est en grande partie un dépôt des générations antérieures, un collecteur de
mouvements contemporains […]. Ce que le génie individuel a, tout de même, de plus beau et de plus
grand, ce n’est pas la singularité qui l’isole, c’est, dans cette singularité même, de ramasser en lui et
104
de symboliser la vie d’une époque et d’un groupe, c’est d’être représentatif […]. Ainsi nous devons
pousser à la fois en deux sens contraires, dégager l’individualité, l’exprimer en son aspect unique,
irréductible, indécomposable, et aussi replacer le chef – d’œuvre dans une série, faire apparaître
l’homme de génie comme produit d’un milieu et le représentant d’un groupe.
4) La dramatisation se lit à travers les jeux de rôle et l’humour qui caractérisent les
personnages notamment le léopard, le singe et l’antilope naine. Mais aussi dans la gestion de
l’espace. Si auparavant, ils se réunissaient sur un même endroit, cette fois-là, ils ont décidé de
se réunir au pied de l’arbre, cela plante bien le décor du scénario qui devrait se passer:
l’antilope naine qui devrait annoncer sa naissance à partir de l’arbre sur lequel il était perché.
Là encore, nous sommes en présence d’une dramaturgie bien réfléchie.
Ce décor préfigure la situation sociale africaine, kongo dans le cas d’espèce, où les
questions difficiles se discutent sous l’arbre à palabre. L’arbre à palabre est une métonymie qui
traduit non seulement l’endroit où l’on se réunit pour les problèmes de cet ordre, mais aussi les
personnes qui y siègent [même les morts sont présent: les ancêtres notamment], le discours qui
y est tenu et les normes édictées [la tolérance, la compréhension, l’objectivité]. Nous allons
revenir sur ces notions avec force détail dans le chapitre 6.
Toutes ces considérations prises en compte, nous sommes en droit de considérer comme
Derive (2008b:17) que :
-L’oralité est un mode de civilisation: l’oralité apparaît donc comme une véritable modalité de
civilisation par laquelle certaines sociétés tentent d’assurer la pérennité d’un patrimoine verbale
ressenti comme un élément essentiel de ce qui fonde leur conscience identitaire et leur cohésion
communautaire. Cette double fonction vient
-D’autre part, de la nature même du mode oral, de sa transmission dia- et synchronique qui [vu,
dans ce type de communication, la signification socioculturelle de la prise de parole,
l’implication particulière des partenaires et l’interférence du contexte] l’intègre d’emblée dans
la dynamique du système relationnel sur lequel repose le fonctionnement de ces sociétés.
-L’oralité n’est pas une culture par défaut: en réaction avec ceux qui réduisent la pensée à
l’écriture; et en nous référant à Derive (2008b:28), en Afrique noire, l’oralité n’a pas exclu
certaines formes d’écriture, tel qu’en témoignent l’existence de l’alphabet Bamum, sur la
105
frontière du Cameroun actuel, ou les signes et symboles graphiques de Dogon qui ont pour
objet de perpétuer la parole originale, tel que le graphisme sous forme de peigne auquel il est
attribué une signification cosmogonique. Donc comme le dit Houis (1971:9)21
L’oralité n’est pas l’absence ou la privation d’écriture. Elle se définit positivement comme une
technique et une psychologie de la communication à partir du moment où l’on réfléchit sur trois
thèmes fondamentaux: la problématique de la mémoire dans une civilisation de l’oralité,
l’importance sociologique, psychologique et éthique de la parole proférée, enfin la culture donnée,
transmise et renouvelée à travers des textes de style oral dont les structures rythmées sont des
procédés mnémotechniques et d’attention.
Conclusion
De ce long périple théorique, nous pouvons tirer les enseignements suivant: d’abord que
la littérature est autant un mode de communication qu’un mode de pensée. Ce qui revient à dire
que forme et fond l’intéressent tout autant. C’est une évidence, pas d’art pas de littérature. La
forme est la condition existentielle de toute littérature. Mais si aucune étude littéraire ne peut se
passer d’une réflexion sur la forme, ce n’est donc pas uniquement à cause du pouvoir de
séduction qu’on lui attribue généralement; c’est aussi à cause de la beauté du contenu qu’elle
véhicule. En fait ce n’est pas la forme qui est artistique, mais c’est ce qu’elle transporte qui est
rendu artistique par la manière dont elle est transportée.
Donc autant que la forme concoure à l’élaboration d’un contenu, le contenu conditionne
à sa manière cette élaboration. Bakhtine (1978:41) le pense aussi puisqu’il considère que c’est
lorsque nous aurons défini le contenu comme aspect de l’œuvre d’art, et défini comme il se doit
la place du matériau, que nous pourrons aborder correctement la forme, nous saurons
comprendre comment la forme est, d’un côté, effectivement matérielle, entièrement réalisée à
partir d’un matériau et soudée à lui; d’autre part comment, en tant que valeur, elle nous mène
hors des bornes de l’œuvre comprise comme matériau organisé comme un objet. L’œuvre est
vivante et signifiante, de façon connaissable, sociale, politique, économique, religieuse, dans un
monde également vivant et signifiant.
A ce titre, il convient d’observer que si aujourd’hui on prend plaisir à lire Victor Hugo
ou Lamartine, c’est beaucoup moins à cause de la qualité de leur écriture que de l’histoire de
leur pensée. Le goût ayant sensiblement évolué en fonction des époques. «La littérature n’est
21
Lire en plus Maurice Houis (1973) « Qu’est-ce que l’oralité ? »
106
pas une simple vision philosophique de la société; mais un tableau parlant (utilisant des signes
linguistiques) des problèmes sociaux. Elle est l’expression d’une attitude globale devant la vie,
conscience d’un monde éparpillé, un acte de solidarité historique». (Abibi, 2008:3). Toelle &
Zakharia (2003:10) montrent que «La littérature est un des creusets privilégiés où précipitent
des contradictions. Elle reflète ce tiraillement qui, passerait-il par des modes d’expression pour
nous inaccoutumés, n’en témoigne pas moins d’aspirations à la transcendance, au bonheur,
[…]». Dans ces conditions, comme l’affirme Bakhtine (1978:48).
Le contenu et la forme s’interpénètrent et sont inséparables. […] Pour que la forme ait un sens
purement esthétique, le contenu qu’elle embrasse doit avoir une signification cognitive et éthique, la
forme ayant besoin du poids extra-esthétique du contenu, faute de quoi, elle ne pourrait se réaliser en
tant que forme. […] Car la forme artistique, c’est la forme d’un contenu, mais entièrement réalisée
dans le matériau, et comme vouée à lui.
La tradition noire africaine identifie langage et pensée. La langue est le support de la pensée et la
parole, l’oralité, est l’attitude dominante et essentielle face à toute réalité. En Afrique occidentale,
même si l’écriture a été connue par quelques groupes après le 16 ème siècle, elle est restée à l’écart de
la vie sociale sans recevoir des patrimoines importants confiés à sa garde. Pour les Africains
subsahariens, le savoir n’est pas nécessairement uni à l’écriture. Ibanez (2009: 73).
Car, Dans les sociétés orales, les activités de symbolisation aboutissent à la constitution d’un
aide-mémoire pour conserver l’ensemble des valeurs culturelles. Ainsi que le souligne Calvet
(1984:12), même si le graphisme contient un fragment d’histoire, de cosmogonie, même s’il est
porteur d’une vérité morale, il ne peut remplacer le discours car les signes qu’il contient ne sont
jamais figurés de façon claire et univoque. Il y a bien une picturalité de l’oralité, picturalité qui,
certes, ne concerne pas directement la langue, mais qui fossilisant un savoir ou une croyance,
va permettre à la langue de les exprimer. La picturalité est un lieu de mémoire, un «pousse-à-
parler».
Nous devons cependant noter qu’au-delà de sa capacité cognitive et de ses connotations
réflexives, la parole porte en soi un surplus esthétique qui découle d’une intention et s’exprime
107
dans une organisation formelle particulière. Ainsi, lorsque la tradition orale atteint cette
organisation esthétique, la parole constitue la littérature orale. Le facteur esthétique est sa
marque. Toute narration littéraire change le niveau de la parole, la rend poétique. De ce fait, il
faut considérer que
Les littératures du monde entier ont en principe pour but de provoquer une émotion esthétique par le
comique, le tragique, l’épique, etc. En outre, beaucoup ont un rôle formateur tendant à intégrer leur
public dans le système de valeurs de la culture dont elles sont issues: en proposant une explication
du monde, en justifiant ou en exaltant les principes de la morale individuelle et sociale en cours dans
la civilisation où elles sont en fonction. (Derive;1975:21).
Nous ne voyons pas, comme nous allons le remarquer, que la littérature orale africaine, dans
son ensemble, ait d’autres lois. A travers ses genres, à travers ses articulations, la littérature
orale africaine présente une esthétique particulière à travers laquelle se traduit une certaine
vision du monde.
108
Chapitre 2
Introduction
Nous allons dans ce chapitre, et nous en avons le devoir par rapport au caractère
polémique que revêt notre recherche, confronter en les analysant, les différents arguments sur
le théâtre africain. Cette confrontation permettra de préciser, dans un sens comme dans l’autre,
à la lumière de la théorie générale du théâtre, la notion du théâtre africain. Ce qui nous
permettra de proposer notre typologie du théâtre africain à la lumière de l’orientation qui se
dégagera de cette confrontation. C’est pourquoi, nous allons d’abord présenter la théorie
générale du théâtre en décrivant les éléments fondamentaux qui impliquent l’existence du genre
théâtral avant de procéder à l’analyse critique de différents arguments sur le théâtre africain.
Le théâtre est un genre très complexe qui, comme nous allons le remarquer, se compose
de plusieurs signes. En dépit de sa «pluricodicité», il porte des variables par lesquels un genre
théâtral est reconnaissable. Il nous paraît évident, dans le sens de cette confrontation
argumentaire, de procéder à l’énumération de certaines variables de manière, à partir de celles-
ci, de vérifier la véracité des propos autour de l’existence ou non du théâtre africain. Ce qui
nous permettra de savoir dire si l’on peut parler ou non du théâtre dans le contexte africain.
Nous estimons que pour bien aborder notre problème de typologie théâtrale, nous
devons au préalable définir les critères fondamentaux qui caractérisent le genre théâtral de
manière universelle. Dans ce cas, notre souci est de décrire le théâtre en tant que genre. En
effet, pour insérer un discours particulier dans un discours universel, il faut bien que celui-là
renferme en son sein les éléments qui permettent de le reconnaître comme catégorie de celui-ci.
Nous venons de l’évoquer ci-haut en parlant de la littérature. Et ce point de vue, constitue une
des exigences de la science littéraire. «La première exigence de la science de la littérature serait
la découverte d’une manière commune d’exister à tous les textes littéraires, à toutes les œuvres
qui serait l’objet de cette science ». (Todorov1970; Moisan 1984:194). Cela est d’autant plus
important que nous devons, pour aborder ce genre, savoir décrire les critères et les
caractéristiques qui le définissent comme tel. L’objet «théâtre» est tellement complexe qu’il
faut dès l’abord en saisir les constituants principaux.
Définir le théâtre, à notre sens, se rapporte quelquefois à préciser, comme le montre
Gouhier (2002:9) dans L’essence du théâtre, ce qu’il n’est pas, analyser sa structure, dire à
110
fictif se présente comme le monde de la vérité, et le réel comme celui de mensonge même si
dans le fait le premier découle du deuxième. Schaeffer (2012) montre que la fiction crée un
modèle pour comprendre la réalité, en élaborant une modélisation analogique de celle-ci. La
fonction cognitive de la fiction serait fondée sur la relation de similarité qu’entretient un
modèle virtuel (fictif) avec les modélisations sérieuses du réel. Ainsi la fiction n’imiterait-elle
pas la réalité mais nos modes de représentation de la réalité. Ainsi comme le dit Mannoni
(1969:165): «L’image de la forêt ne nous fait pas peur à la manière de la forêt, mais à la
manière de l’image de la forêt que nous avons en nous». Pris dans ce sens, nous pensons que
l’analyse du récit devra bien faire ressortir la part du réel qui se dissimile derrière l’irréel. C’est
ce que soutient André (2012:36) en parlant du récit. Pour lui, le récit est donc un modèle dont le
contenu peut être réel (récit historique) ou irréel (récit utopique par exemple) car il est un
modèle de représentation pour la réalité. De la sorte, il pense, assez justement, qu’en effet,
l’utopie, contre modèle, est fonctionnelle et efficace, c’est-à-dire source de savoir sur le monde,
dans la mesure où elle utilise un modèle subsumant qui est celui du récit, palimpseste que l’on
peut retrouver dans tous les textes narratifs.
Le théâtre, comme récit, rapporte dans le monde imaginaire et fictif, des faits vécus
dans la réalité (très souvent des contre performance des hommes) et forge des lois (tirées du
monde fictif) qui doivent corriger l’imperfection et stimuler la performance humaine. A ce
propos, Moisan (1987:101,102) donne une illustration délicate
«Qu’on s’arrête un moment à la mimesis qui joue un rôle déterminant dans la création d’œuvres
littéraires. La mimesis n’est pas qu’imitation et n’est surtout pas copie; elle est aussi innovation,
c’est-à-dire qu’à travers la répétition elle donne lieu à une anticipation. Reprendre un(e) donné(e),
c’est figurer un futur; l’imitation est une migration. La mimesis devient ou peut devenir un modèle à
suivre. Elle supprime toutes les difficultés qui concernent la vérité de l’œuvre d’art, empirique,
idéaliste, réaliste ou conventionnelle. La mimesis est une production faite à partir d’une production
et d’un préjugé favorable; comme l’histoire, elle imite la nature, elle fabrique de l’utopie. La
détermination de l’essence de la mimesis est faite par le rapport proportionnel entre le double et
l’illusion (l’imaginaire) et par sa médiation dialectique. […] Dans l’histoire littéraire, comme dans
l’œuvre d’art, on procède à un traitement artistique du changement (transformation qualitative) sous
la forme de l’exemplaire, du modèle (à imiter); il s’agit d’une construction à priori.
C’est le cas, par exemple, du conte dans le contexte africain où le génie de la mise en
scène collective duplique des faits avec l’intention de tirer du monde fictif [qui se présente
comme la copie et la correction du monde réel] les lois générales desquelles s’inspirent les
hommes réels. A propos du conte d’ailleurs, nous soulignons comme Diagne (2005 :138) qu’il
permet la duplication de la pièce qui se joue dans l’histoire concrète des hommes par celles qui
112
a pour lieu scénique l’imaginaire social. Avec pour résultat, la possibilité de mimer, dans celle-
ci, la logique et les lois de fonctionnement qui ont cours dans celle-là. Or mimer, c’est toujours
transposer en démarquant, répéter dans la différence, et donc maintenir une dualité. Et ce, parce
que, comme l’explique Agblemagnon (1969: 158), le conte «Est la traduction de certains types
d’agencements sociaux, de réactions sociales significatives, de situations sociales jouées et non
pas simplement imaginées. Cette pièce nous permet dans un certain sens, de saisir cliniquement
la dynamique de la société en cause».
Le théâtre s’inspire de la vérité pour extirper le mensonge et faire accoucher le contre-
mensonge: la vérité, la morale, la norme. Cette vérité découle du monde fictif ou imaginaire.
Dans ce sens, il nous convient de comprendre Picasso (1998) qui concernant l’art laisse
entendre que ce dernier n’est pas la vérité. Il est un mensonge qui nous fait comprendre la
vérité, du moins la vérité qu’il nous est donné de pouvoir comprendre. Et Helbo (1983:46)
s’inspirant de Greimas (1979) et Ducrot (1980), caractérise l’allocution théâtrale. Cette
dernière, selon lui, met aux prises deux interlocuteurs au moins mais se situe dans un type de
discours particulier, la présence d’une instance virtuelle conférant situation et autorité au
langage. L’échange spectaculaire apparaît ici comme un support d’une stratégie du mensonge
que les sociolinguistes associent à un rappel constant des règles du jeu et des rôles. Cette
convention définit partiellement le contrat théâtral en termes de virtualité: le spectateur est
flanqué de son double fantasmé (acteur en puissance), l’acteur s’observe comme spectateur.
L’instance tierce est également à considérer comme la situation qui met en présence les
interlocuteurs, ou plus précisément ce qu’«on» dit qu’est situation: chacun des deux
interlocuteurs étant assujetti à ce discours d’un «on» universel (qui se confond pour lui avec la
réalité de la situation).
Ainsi dans La Physique, Aristote distingue deux modes de la mimésis. D’une part, l’art
mène à son tour ce que la nature est incapable d’œuvrer, d’autre part il imite. De ce point de
vue, Hubert (2008:10) considère en effet que, la mimesis, au sens restreint, reproduit ce qui est
déjà présenté par la nature. En revanche, entendue dans un sens général, elle ne reproduit rien
d’existant, mais supplée par la stylisation à l’incapacité de la nature à ordonner. Elle est
poïétique, c’est-à-dire créatrice, puisque, se substituant à la nature, elle-même à son terme le
processus de création.
Art mimétique, le théâtre se distingue des autres arts mimétiques par son essence et ses
objets. Le théâtre n’est pas le seul art mimétique. C’est une caractéristique qu’il partage si bien
avec d’autres. La peinture n’est pas moins mimétique, la sculpture ne l’est pas moins non plus.
La grande question est de savoir: que, comment et où représente-t-on dans le théâtre? Parlant
113
des critères de différenciation des arts mimétiques, Hubert (2008:15) se pose trois questions
[Avec quoi représente-t-on? Que représente-t-on? Comment représente-t-on? ] dont résultent
dans le sens d’Aristote, les trois critères qui permettent de différencier les arts mimétiques: les
moyens, les objets, les modes de représentation. Ceux à partir desquels le théâtre se constitue.
De cette manière, la mimesis fait partie de la convention théâtrale. Il imite la réalité dont
souvent il se moque (à travers les acteurs) de certaines déconvenues. C’est comme cela que
Pruner (2010:26) conçoit le théâtre. Il est l’espace d’un simulacre. Il donne à voir et rend
présent ce qui n’existe pas, comme si cela existait. Cette représentation, que Platon distingue
de celle intervenant dans la narration, est l’imitation –la mimesis – d’une succession d’actions
fictives accomplies par des êtres vivants, dont les comportements montrent comment ils
réagissent face aux événements. L’action se trouve au cœur du fait théâtral. Le théâtre ne
raconte pas, il montre. Il est une fiction active. Ce qui laisse comprendre que «L’essence du
théâtre exige des hommes réels dans un monde artificiel; réalité et artifice se mêlent au gré du
dramaturge». (Gouhier, 2002:44).
En plus de la mimesis, le théâtre, c’est d’abord un jeu, à travers lequel on prend plaisir.
Le théâtre est lié à la vie spirituelle, physique et psychologique de l’homme. Il procède du
besoin et de l’élan naturel de l’homme à s’identifier aux êtres divins, aux êtres ordinaires, pour
les railler, les vanter, les tourner en dérision, par la mise en évidence de leurs tares, travers et le
ridicule, etc. Le besoin d’évasion, de divertissement, sa propension à la contemplation et à la
communication font du théâtre un jeu, un jeu scénique, un jeu d’incarnation.
C’est au moyen de son aspect ludique que le théâtre traduit sa catharsis sociale.
Reprenant Aristote à propos de la tragédie, Hubert (2008:36) exprime le sens de la catharsis
théâtrale en soulignant son importance. Hubert montre que deux traits essentiels caractérisent la
tragédie, la noblesse de l’action. Celle-ci produit sur le spectateur la mise en jeu de deux
émotions, la pitié et la crainte, provoquées par le spectacle du pathos, ou événement
pathétique. Et cette mise en jeu de la pitié et de la crainte crée la catharsis. Le terme grec,
composé de la proposition cata (en vue de) et du verbe airo (enlever, élever, exalter), revêt
trois acceptions. Au sens premier, médical, il signifie «purgation», élimination des humeurs
peccantes. Au sens psychologique, il est employé pour décrire le soulagement de l’âme,
débarrassée des troubles qui l’agitaient. Au sens religieux, il est synonyme de purification. Ce
qui revient à dire que «La catharsis correspond à une modification de structure de la
personnalité, liée à la prise de conscience d’un état psychoaffectif conflictuel refoulé, revécu
par exemple à l’occasion d’une représentation dramatique ou d’une psychothérapie».
(Barrucand, 1970: 95). Caune (1981:135) comme les deux précédents auteurs montre que le jeu
114
théâtral a aussi pour objectif la modification de certains états des participants. Car il note dans
son ouvrage concernant l’effet cathartique du drame que le drame dans sa fonction différée
provoque une modification de structure de la personnalité, ni qu’il permet l’émergence d’un
état refoulé, encore que certaines situations revécues dans le psychodrame par exemple
parviennent à ce résultat. Il montre, à travers certaines pratiques de dramatisation, que le drame
dans son accomplissement modifie le psychisme des participants et peut modéliser des états
psychoaffectifs enfouis ou latents.
Gouhier (2002:6), par exemple, atteste qu’un texte dramatique, c’est un jeu en
puissance. C’est exactement cela la fonction du théâtre dans le théâtre, et c’est pourquoi, pense-
t-il, qu’il constitue un marqueur à découvrir dans le texte théâtral, pour le dire possiblement
jouable. Les textes qui ne se laissent pas lire de ce point de vue, ne sont pas théâtraux. Cet effet
d’art, indépendant des codes génériques, pour dire qu’un texte-livre contient dans son écriture
un texte-spectacle, résulte de la présence d’autres indices d’une préséance du théâtre sur la
fable qu’au niveau des didascalies ( Acteurs au lieu de personnage; la scène est dans au lieu de
Une chambre, Paraissant –qui ouvre l’imaginaire spectaculaire de l’apparition sur le théâtre au
lieu de poussant la porte –, comme de la conversation qui doit se lire comme mise en accord
des acteurs (et non des personnages) pour jouer un jeu dont les règles sont dites par un acteur et
validées par les autres, et, tacitement, par le spectateur, à qui les acteurs peuvent s’adresser
tacitement. Si ces conditions sont résumées dans un texte-livre le texte de théâtre existe puisque
ce livre est aussi un texte spectacle.
Ryngaert (1996:23) dans le même sens note qu’«Un bon texte de théâtre est un
formidable potentiel de jeu. […] Le texte de théâtre apparaît alors, en dernière analyse, comme
un passionnant jeu de paroles en quête de destinataires, comme des fragments de langage en
route vers une destination». C’est dans ce sens que nous pouvons comprendre l’avis de Molière
au lecteur de L’Amour médecin (1667): «On sçait bien que les comédies ne sont faites que pour
estre jouées; et je ne conseille de lire celle-cy qu’aux personnes qui ont des yeux pour découvrir
dans la lecture tout le jeu du Théâtre […] il y a beaucoup de choses qui dépendent de l’action».
(Hubert, 2008:60).
A vrai dire, nous pouvons considérer que parce que mimétique, le théâtre est jeu. Ces
deux caractéristiques sont corrélatives, et de ce point de vue, distancient l’art théâtral des autres
arts. C’est à travers le jeu qu’on imite. Mulongo (2003:1) renchérit la corrélation entre la
mimesis et le jeu en montrant que l’homme est donc un acteur naturel, condamné ainsi à bien
jouer pour sa survie, le contraire le condamnant à la mort. Et pour mieux jouer, pour mieux
accomplir les actions de sa vie, il sent sans cesse le besoin de se les représenter, de se mirer.
115
Aussi se regarde-t-il, s’observe-t-il en observant ses semblables mimer les faits quotidiens.
Francœur (1997: 118-119) dans «Le théâtre brèche» montre que cette brèche dans laquelle la
pensée crée, dans le flux temporel, sa propre représentation et celle du monde, nous la devons
essentiellement et depuis toujours aux œuvres artistiques en général, peinture, littérature,
musique, architecture, mais surtout au théâtre, manifestation par excellence de ce theatrum
mundi, de ce théâtre du monde que de tout temps l’homme s’est inventé pour représenter sa vie
et pour assurer sa survie. Ionesco (1962:104) en était bien conscient qui écrivait dans ses Notes
et contre notes: «Le théâtre [est] l’art suprême, celui qui permet la matérialisation la plus
complexe de notre profond besoin de créer le monde». C’est ce qui donne la licence aux acteurs
et/ou aux comédiens de se moquer de certaines personnalités, de certains comportements: la
dictature, l’incompétence de certains chefs, l’inefficacité de certains systèmes, la corruption,
l’arrogance, «l’inhumanisme», etc. C’est précisément ce qui traduit le point de vue de Lecoq
(1997: 128, 127) sur les bouffons dont il dit qu’ils
Et parlant des contes, Belmont (1999:10) note qu’«En tout cas grâce au héros, l’auditeur-
lecteur pénètre le monde d’animal qui lui renvoie le spectacle, de travers humains
(l’impatience, la lâcheté, l’égoïsme) et fondamentalement les problèmes que pose l’exercice du
pouvoir». Ainsi Carvalho (2006:18) parle de la construction artificielle de la vie dans le théâtre.
La vie n’est pas montrée comme elle est, mais comme elle est malheureusement devenue dans
notre monde régi par le mode de production actuel; un espace y est offert au spectateur pour
qu’il puisse penser la vie en termes historiques et envisager les changements possibles.
Comment «le jeu du théâtre» se joue-t-il ? Il faut noter que le théâtre est surtout un
genre de la parole. C’est vrai que le théâtre est polysémique dans la mesure où il implique la
combinaison de plusieurs signes. Mais il est d’abord une parole qui dit et ordonne les actions et
même qui indique les autres signes complémentaires. D’où la formule suivante de Gouhier
(2002), au commencement du théâtre comme de l’univers. Son principe est donc une parole,
mais une parole qui dessine un geste, un verbe qui ne veut pas rester verbal. Une œuvre
dramatique ou pièce de théâtre repose donc sur un ensemble de gestes transportés par le verbe
et qui esthétiquement est appréciée au cours d’une représentation scénique. Larthomas(2005)
considère de ce fait que le théâtre est avant tout le domaine de la parole, de la parole en action.
116
Le théâtre est un genre de la parole où les acteurs, sur scène, parlent des choses qui sont
inscrites dans un contexte de vie bien déterminé; même si le monde qu’ils décrivent émane de
l’imagination de l’auteur ou du metteur en scène. C’est dans ce sens qu’Hubert (2008:12)
considère que l’ouvrage dramatique, autrement dit actif ou imitatif, ou représentatif, est celui-là
qui représente les actions d’un sujet par des personnes entreparlantes, et où le poète ne parle
jamais lui-même.
Le théâtre est donc un genre de la parole. C’est par la parole, à travers elle et avec elle
que ce genre prend forme. Les drames philosophiques du Renan (1878) ne sont pas des drames,
non parce qu’ils sont philosophiques, mais tout simplement, parce qu’ils ne sont pas du théâtre.
Ce qui leur manque est une condition bien humble, une virtualité, une possibilité, la possibilité
d’être représentés qui dessine la scène dans le dialogue et pousse les personnes hors du livre.
La représentation tient à l’essence même du théâtre; l’œuvre dramatique est faite pour être
représentée: cette intention la définit. Sans cette intention, il y aura un dialogue, un texte qui,
sur papier, offre les apparences d’un ouvrage théâtral: rien d’autre. Car, toutes les manières de
représenter appartiennent à la représentation dramatique. La seule loi est que la représentation
réponde aux exigences du drame. Elle signifie qu’un art participe à la représentation lorsqu’il a
ou parce qu’il a quelque chose à dire. Répondant à la question quels sont les arts du théâtre,
Copeau (1926) montre qu’il est de l’essence du drame, en son origine, d’être à la fois parole et
chant, poésie et action, couleur et danse.
Le théâtre est surtout et beaucoup plus un genre d’action. En cela, Ricard (1985)
considère que ce sont les comédiens qui sont les créateurs du théâtre. Bien évidemment parce
que ce sont eux qui agissent, par leurs paroles et gestes, sur les spectateurs. Memel Fote
(1971:27) dans ce sens dit que «Le conteur ou gilitola, sous maints aspects est un véritable
personnage de théâtre, un véritable acteur». C’est ainsi qu’il faut comprendre les propos
suivants de Gouhier (2002:23,24 ,25) qui dit:
La chose littéraire n’est pas «chose littéraire» précisément parce qu’elle n’est pas une chose; même
dans le livre, c’est toujours l’acteur. Le lecteur, ici, chercherait en vain le tête-à-tête avec l’auteur.
Une intuition confuse des entrées et des sorties crée un espace où les personnages les plus rebelles à
l’imagerie trouvent une ombre de corps; les mots se détachent du texte avec les inflexions qui
doublent leur sens d’une valeur dramatique ; la fable, surtout, n’apparaît jamais à travers l’écriture
qui la voit. […] L’auteur ne monte pas sur la scène, ni sur la scène imaginaire de son lecteur; il
disparait comme écrivain afin de laisser face à face ses personnages et les témoins de leur vie; même
lorsque ceux-ci ne sont pas des spectateurs, ils demeurent des assistants. Le texte de l’œuvre
dramatique est déjà un monde de formes en mouvement. Pour une œuvre vraiment dramatique,
demeurer dans une bibliothèque, ce n’est pas seulement attendre les lecteurs: c’est attendre des
117
acteurs. Représenter, c’est rendre présent par des présences. Le «fait dramatique», c’est donc
l’acteur. Il n’y a point de théâtre sans poète, mais il y a poésie sans théâtre.
Genre mimétique, le théâtre est défini en fonction de tous ces éléments lesquels en font
un genre complexe. Le jeu, la parole, l’acteur, l’espace, l’intrigue etc. C’est tout cela le théâtre.
C’est ce que viennent apprécier les spectateurs et/ou les téléspectateurs. C’est en fonction de
toutes ces conditions qu’un spectateur se dit «je suis au théâtre». Ce sont toutes ces conditions
qui doivent intéresser l’analyse du théâtre. Aussi aimerions-nous nous étendre davantage sur
cette propriété. C’est l’objet de la sous-section suivante.
En quoi réside cette complexité de l’art théâtral? Est-ce le fait de la juxtaposition de ces
différentes caractéristiques ou c’est une essence qui lui est naturellement inhérente? Le théâtre
constitue un art complexe. A cause de la diversité de l’art théâtrale, Munch (2001:489)
considère même que «Le théâtre n’est pas définissable en tant que tel». Tout est complexe:
discours, temps, espace, parole. Pénétrer le théâtre, c’est dénouer toute cette complexité.
Chacun des éléments qui le constitue a un fonctionnement spécifique mais qui, associé aux
autres, doit faire un. Cette nature est tout aussi importante qu’elle le caractérise. Fraisse &
Mouralis (2001:244) voient ainsi le théâtre. Pour eux, que le texte théâtral soit transcrit ou qu’il
laisse une large part à l’improvisation et donc à l’interprétation, il soulève des problèmes d’une
complexité plus grande encore. Tout d’abord, il ne peut y avoir totale coïncidence entre le texte
écrit et les paroles effectivement proférées puisque le décor et les indicateurs de scène sont
immédiatement visibles. Se trouve ensuite posée la question de la distribution des rôles, et du
choix par l’auteur [ou selon les époques ou les cas par le directeur du théâtre, son mécène, le
metteur en scène, etc.] de ses interprètes.
Cette complexité est décrite par Helbo (2007:51) qui considère le théâtre comme unique
à ce genre parce qu’il prend pour matériaux des êtres vivants qui sont et ne sont pas ceux que
nous connaissons dans le monde. Et que ces êtres sont à la fois le peintre et la toile du peintre.
Seul art à s’inventer dans l’instant, en présence de l’autre, sous des formes quotidiennement
renouvelées, le théâtre mobilise des traditions, des répertoires, des genres, des textes, lieux,
corps, objets qu’il brasse, traverse et défie sans relâche.
Le théâtre est donc complexe par sa nature inhérente, il met en rapport le monde de la
fiction et celui de la réalité, faisant jouer des personnes que nous connaissons et ignorons à la
fois. Il l’est aussi par la symbiose des éléments qui le constituent et le forment dans son essence
118
complexe. Mangieri (2013:67) fait le même constat pour les arts du spectacle en montrant que
«Les multiples pratiques des arts du spectacle constituent un “objet complexe”, syncrétique et
multimodal, une trame vivante de codes et de formes de production des signes de diverses
matérialités et substances». Ces éléments s’impliquent tellement qu’ils ne peuvent être une
simple juxtaposition. Vigeant (1997:53) le dit: «Effectivement, la rencontre des signes
théâtraux n’est pas superposition, mais syncrétisme ». Ils sont tellement interdépendants qu’ils
sollicitent une analyse multiple. Même si nous venons de faire constater que la parole permet
de comprendre les autres signes, elle n’est pas aussi spéciale pour autant. Et c’est par cette
multiplicité d’aspects sous lesquels on peut le saisir que le théâtre tire sa puissance
d’ébranlement et de charmes et qu’il constitue une excitation continue pour l’esprit. Une chaise
placée dans la salle ne constitue pas un simple ornement. Elle appelle une action et conditionne
la parole qui sera dite sur elle. En effet Naugrette (2007:27) signale que
Dès lors que le théâtre est reconnu pour cet objet complexe qui ne se réduit pas au texte mais
comprend aussi les différents éléments de sa réalisation scénique, le discours qui l’appréhende ne
peut que refléter lui-même cette complexité, être lui-même composite et multiple. Dans la mesure où
tout est théâtre: le texte, le décor, les costumes, la lumière, le jeu de l’acteur, son corps et sa voix, il
faut parler de tout, à la fois ou séparément.
En ce sens, Scherer (1998:598) conclut qu’«Il n’y a pas une esthétique théâtrale, il y en
a nécessairement plusieurs»; non seulement, pensons-nous, par rapport à la lecture que peut en
faire chaque auteur, mais beaucoup plus encore parce que chaque élément qui le compose est
une esthétique particulière. Et donc toutes ces esthétiques s’influencent mutuellement et
peuvent orienter la lecture théâtrale dans cette multiplicité, même si nous devons noter que
dans cette multiplicité l’intérêt est de trouver une unité. Nous devons faire comprendre ici que
la polysémie littéraire est une polysémie cadrée et orientée. C’est dans ce sens qu’Eco
(1992:130) réagit contre les excès de certaines écoles du «déconstructionnisme» qui, mettant de
l’avant la notion de glissement continu du sens, ont cherché à justifier l’idée d’une
interprétation illimitée. Or l’habileté incontrôlée à glisser de signifié à signifié, d’une
ressemblance à une autre, d’une connexion à une autre, a entraîné, selon Eco, une dérive
herméneutique. Eco pense que si tout texte littéraire est ouvert, cela ne signifie pas que toutes
les lectures soient possibles. Par sa forme ou sa structure, l’œuvre d’art impose des limites au
«processus de sémiosis illimitée». C’est à l’image du réseau que recourt Eco pour figurer un
espace textuel dans lequel il est possible d’aller de n’importe quel nœud à n’importe quel autre
nœud, mais où les passages sont contrôles par des règles de connexion que notre histoire
culturelle a en quelque sorte légitimées.
119
Eco pense que, ce qui nous paraît évident, le lecteur n’est pas libre d’établir toutes les
connexions: chaque association, chaque métonymie, chaque lieu inférentiel doit être mis à
l’épreuve afin de réguler le processus de sémiosis. Interpréter, selon Eco, consiste à se déplacer
à l’intérieur d’un réseau dont les connexions sont préétablies, guidées comme par des rails qui
dessinent un tracé préalable que le lecteur suit de poche en poche. Ce dernier est ainsi contraint
d’emprunter certains passages obligés: il se déplace dans un espace préconstruit qui, tout en
ménageant des ouvertures, des bifurcations, des intersections, restreint sa liberté de mouvement
dans la mesure où il actualise certaines liaisons possibles et en narcotise d’autres. Barthes dans
Z/S(1970:12) fait mention du caractère pluriel dont chaque texte est fait. Il pose comme
préalable qu’un texte idéal est constitué de réseaux multiples qui jouent entre eux sans
qu’aucun puisse coiffer les autres; ce texte est une galaxie de signifiants, non une structure de
signifiés; il n’a pas de commencement; il est réversible; on y accède par plusieurs entrées dont
aucune ne peut être à coup sûr déclarée principale; les codes qu’il mobilise se profilent à perte
de vue; ils sont indécidables. Deleuze & Guattari (1980:31) parlent des principes de connexion
et d’hétérogénéité. La littérature connecte parfois un point quelconque à un autre point, et
chacun de ses traits ne renvoie pas nécessairement à des traits de même nature, elle met en jeu
des régimes de signes très différents et même des états de non-signes.
Ainsi, «Le littéraire se caractérise par l’orientation de l’œuvre vers ses propres signes,
orientations internes; il marque ainsi dans la perte de la valeur dénotative des symboles, (l’)
accentuation de leur importance en tant que structure de motifs reliés.» (Frye 1968; 2001:26).
Comprise comme complexe et multilangage, Artaud (1964:106) n’a pas tort de
considérer la mise en scène comme «Le langage de tout ce qui peut se dire et se signifier sur
une scène indépendamment de la parole, de tout ce qui trouve son expression dans l’espace, ou
qui peut être atteint ou désagrégé par lui». En cela, nous sommes de l’avis d’Hubert (2008:222)
qu’
Il ne convient pas non plus de créer un décor dans un but ornemental. Le décor perd alors sa raison
d’être, qui est de mettre en évidence l’influence du milieu sur les individus. Tout décor ajouté à une
œuvre littéraire comme un ballet, écrit Zola dans Le Naturalisme au théâtre, uniquement pour
boucher un trou, est un expédient fâcheux. Au contraire, il faut applaudir, lorsque le décor exact
s’impose comme le milieu nécessaire de l’œuvre, sans lequel elle resterait incomplète et ne se
comprendrait plus.
Cela étant, il faut comprendre que le théâtre est un tout dont les différents éléments
constitutifs contribuent à faire du sens et surtout à exprimer le genre. Le théâtre est un multi-
système de communication, un multi-langage. Il a la particularité de mettre en synergie
120
plusieurs moyens d’expression qui le rendent très complexe, très expressif. Le théâtre étant
pluri-langage, son message est codifié au moyen d’autant de médiums dont il est constitué. Il
s’agit d’une codification esthétique, à travers laquelle le public arrive à cerner le contenu (le
thème: faits et contextes, etc.) et discerner le message par la mise en cohérence de tout ce qu’il
voit, entend et sent en provenance de la scène.
Melone (1970:148) voit dans le théâtre africain une multiplicité des moyens
d’expressions, source d’enrichissement et d’expressivité qui permet de saisir un monde
communiqué de façon totale, dans la mesure où la conscience créatrice est un univers contracté
reproduisant la vie dans sa totale et complexe dimensionnalité. De Craig (1992:137) nous le fait
vivre dans un dialogue entre un homme de métier et un amateur de théâtre. Le régisseur
déclare:
L’art du théâtre n’est ni le jeu des acteurs, ni la pièce, ni la mise en scène, ni la danse; il est formé
des éléments qui le composent: du geste qui est l’âme du jeu; des mots qui sont les corps de la pièce;
des lignes et des couleurs qui sont l’existence de la pièce; des lignes et des couleurs qui sont
l’existence même du décor, du rythme qui est l’essence de la danse.
L’amateur demande alors: Et du geste, des mots, des lignes et des couleurs, du rythme
Réponse
L’un n’importe pas plus que l’autre. De même qu’une couleur n’est pas plus qu’une autre utile au
peintre, un son plus qu’un autre employé par le musicien. Ainsi, Celui qui définit le théâtre par le
geste s’exprime comme celui qui le définit par le mot, mais leurs intentions sont opposées comme
les définitions qui les inspirent. Au lieu de servir des mots seulement à la manière des poètes
lyriques, le dramaturge forgea sa première pièce, à l’aide du geste, des mots, de la ligne, de la
couleur et du rythme en s’adressant en même temps à nos yeux et à nos oreilles par un jeu adroit de
ces cinq facteurs.
La représentation appelle l’acteur qui joue et l’acteur traine avec soi le monde où il joue.
Le théâtre est donc une synthèse d’art. En fait, le théâtre est la part de la convergence de tous
les moyens d’expression: il est dans son essence d’annexer tous les arts. Notons donc, comme
Gouhier (2002:57), que
Les arts du théâtre ne sont pas juxtaposés. Les acteurs jouent ensemble. Le décor est dans le texte.
Le costume, tâche de couleur, n’est pas indépendant de ce décor. La danse ne peut être que la suite
mutuelle de la comédie. La musique n’intervient qu’afin d’ajouter ce que les mots ne disent pas et au
moment où leur pouvoir expire. Synthèse d’arts, la représentation exige une pensée de son unité.
Synthèse d’arts, le théâtre demande un art de synthèse.
121
Tous ces éléments ensemble, conditionnent l’énonciation théâtrale qui de cette manière
ne peut être une énonciation ordinaire. Evidemment, étant entendu les divers procédés et
concepts esthétiques à travers lesquels le théâtre s’exprime, son message ne peut être lu et
compris de manière linéaire. L’analyse dans ce contexte devra, comme le dit Greimas
(1979:392), «Concilier la présence de signifiants multiples avec celle d’un signifié unique». En
effet «La saisie du théâtre est avant tout syncrétique et transversale: la réception est à la fois
linéaire (logico-temporelle) et tabulaire (brassage de signifiants». (Helbo, 1983:34). Aussi, la
compréhension profonde ou superficielle du message par le public est-elle liée à quelques
paramètres, qui déterminent l’énonciation. C’est quoi donc l’énonciation théâtrale. Nous allons
tenter d’y répondre ci-dessous.
L’énonciation théâtrale observe des normes qui la distinguent tout nettement des autres
énonciations. Petit Jean (2009:28), présentant son article, précise l’objet en martelant sur la
différence entre le discours théâtral et les autres. Il note cependant que l’objectif principal de
son travail est de montrer qu’il existe une identité discursive générique dramatique. Ses
particularités peuvent être objectivées comparativement tant par rapport aux œuvres
romanesques que par rapport aux conversations dites ordinaires et en fonction de la présence
réitérée de traits discursifs et subséquents.
La compréhension de l’énonciation théâtrale résulte de ce point de vue, nous l’avons dit
haut, de la considération de tout ce, verbal ou non, qui implique non seulement à signifier –le
théâtre est sémiotique –; mais aussi à plaire –le théâtre est esthétique par essence –. Ceci fait
comprendre effectivement, selon Ryngaert (1996: 94) qu’il existe des écarts évidents entre la
parole ordinaire et l’usage de la parole au théâtre. Les cas particuliers du théâtre dans la
littérature viennent du fait qu’à la représentation, ce sont généralement des émetteurs humains
qui font un usage non ordinaire de la langue ordinaire.
Helbo (2007:62,103) beaucoup plus que Ryngaert explique cet écart en faisant observer
que l’énonciation théâtrale est liée à des contraintes qui la définissent et la caractérisent. C’est
ce qu’il appelle le collectif d’énonciation. Helbo montre en effet que la tradition théâtrale
(culture, patrimoine, dramaturgie, critique) intègre des consignes qui régissent le collectif
d’énonciation: un certain nombre de contraintes, définies implicitement notamment par la
convention, permettent le fonctionnement de l’énonciation selon la modalité spectaculaire
propre aux arts vivants. Ces contraintes, explique-t-il, peuvent être repérées et identifiées. Le
collectif d’énonciation porte sur le caché-montré, sur le travail collectif de destruction par le
122
spectateur du continuum scénique, pour construire son propre montage, son prélèvement
d’images au moment de la réception: le geste du revolver et l’ironie produite sur scène par
l’observateur in praesentia au moment de leur émission. L’effet présentatif est compris dans le
cadre de l’image. L’activité sensorielle du spectateur de théâtre, et sans doute sa sémiose sont,
en fait, contemporaines de l’acte de production. Focalisation sensorielle, attribution de sens,
différenciation, stabilisation s’opèrent à travers la définition de cadres, de «seuils» construits
par le spectateur au moment de la production scénique. On peut définir ainsi ce que Helbo
appelle une stratégie métacommunicative: la présence de l’observateur au moment de la
réception fonde la simulation théâtrale.
Aristote dans La Poétique (1990) conserve le mode d’énonciation comme critère
essentiel de la différenciation entre la forme narrative et le théâtre. C’est de ces préalables que
nous appelons mécanismes fondamentaux de l’énonciation théâtrale que dépend la
compréhension de l’œuvre théâtrale.
L’énonciation théâtrale suppose des acteurs sur scène qui échangent non pas pour eux
[c’est vrai que dans une certaine mesure ils sont concernés par leur discours], mais pour les
spectateurs. D’abord parce que ces derniers doivent prendre plaisir à leurs actions, leurs
discours, ensuite parce qu’ils doivent se retrouver dans ce que font les acteurs et se sentir
concernés par leurs propos. Ils en sont les témoins. C’est pourquoi, Helbo (2007:67) le dit,
«L’énonciation théâtrale a pour caractéristique d’être à la fois dédoublée et clivée. C’est-à-dire
il y a production de deux textes spectaculaires». Par ces mots, Helbo montre que l’acteur sur
scène, le spectateur installé dans un fauteuil inventent du sens et s’inventent ensemble. Dans ce
discours à la marge, chacun est le grand résonateur de l’autre. Un nombre indéterminé
d’instances, rassemblées dans un polysystème, assument à la fois les rôles d’émission et de
réception du message. La rencontre n’est possible que parce qu’elle a lieu en présence du
regard, de l’écoute de l’observateur quel qu’il soit: présence non intervenante (si l’observateur
sort de son rôle, il interrompt le faire-semblant) qui permet au spectacle de suivre son cours
dans les limites définies consensuellement. L’énonciation du message est elle-même spécifique
de la situation spectaculaire, des conditions d’observation. Robert (1997:100) parle de la double
énonciation du théâtre qui engendre une double situation linguistique. Aux échanges
fictionnels, explique-t-il, s’ajoute une relation d’échange «communicationnel» entre le scripteur
et son public, entre l’énonciateur et l’énonciataire. Une telle relation suppose l’existence d’un
code commun qui rend possible la communication.
Nous le verrons d’ailleurs dans les lignes qui suivent et dans le chapitre 3 de notre
analyse comment, dans le cadre du théâtre africain, le public est coinventeur de l’œuvre. Dans
123
le théâtre participatif africain, par exemple, le spectateur intervient très souvent, par son
jugement, dans l’élaboration et la production de la pièce. Ainsi dans ces conditions, le
destinataire et le destinateur sont des partenaires de l’énonciation. Eno-Belinga (1965:52) parle
de la narration traditionnelle dans ce sens: «Quand on se réunit le soir pour deviser et conter,
chacun prend une part active car il n’y a ni plateau, ni parterre et chaque personne est à la fois
acteur et spectateur».
A ce propos, Hubert (2008) considère résolument que la double médiatisation du
discours caractérise le théâtre. En effet, dans le genre dramatique, l’artiste s’exprime à travers
le discours de ses personnages, lui-même médiatisé par la voix de l’acteur; mais ce discours
doit être référé à la présence et aux attentes des spectateurs qui participent dans une certaine
mesure à l’énonciation. Helbo (2007:68) formalise la situation énonciative au théâtre selon le
schéma ci-dessous:
Observateur
Helbo par cette schématisation montre en fait que l’énonciation théâtrale ne peut aboutir
si destinateur et destinataire ne se retrouvent pas. Dans le chapitre précédent, nous l’avons
démontré, comment l’auteur et l’acteur participent à la construction d’une œuvre littéraire en
montrant que les deux devaient appartenir à une même communauté linguistique et culturelle;
elle implique que les deux participent à un même code esthétique, celui-ci pouvant varier d’une
époque à une autre, d’un pays à un autre, d’une catégorie sociale à une autre. La
communication littéraire implique enfin que le lecteur participe là encore dans une certaine
mesure, au mode culturel de l’auteur. «La maîtrise insuffisante du code ou des codes utilisés
constitue un obstacle à la communication littéraire». (Fraisse & Mouralis, 2001:62). Ainsi, On
ne comprendra pas, dans le même sens, l’énoncé théâtral selon que l’on est en Occident, en
Afrique ou en Asie. Le code linguistique, culturel et esthétique n’étant pas les mêmes. C’est
parce qu’ils sont témoins des événements que les spectateurs savent juger et apprécier. De cette
manière, le dramaturge et/ou le metteur en scène montent la pièce en fonction seulement et
surtout des attentes des lecteurs et/ou spectateurs. Le spectateur ne peut se sentir concerné que
s’il y a un rapport de cause à effet entre les différents événements de l’action.
De ce fait, il faut considérer que c’est aussi le public qui, en fin de compte, donne un
sens au travail du comédien, à la représentation dont il est le destinataire. C’est lui qui, de par
124
lui-même, qui constituent les choix artistiques du metteur en scène et du scénographe. Cette
dualité fondamentale existe à l’état latent au cœur du texte théâtral, comme un non dit, qu’il
s’agit de débusquer.
Comme le souligne Helbo (2007: 85), il faut savoir distinguer «l’espace scénique
(également en relation dialectique avec la salle et «le monde» que celle-ci reproduit
éventuellement) et l’espace extérieur à la scène (la salle ou le dispositif de substitution
implantés dans le tissu urbain ou géographique du «monde», formes qui dialoguent dans un
contexte historique et culturel). L’espace est un déterminant de la construction conventionnelle
parce que:
- C’est un espace de spectateur ou comédien qui ressortit au présupposé «je suis au théâtre»,
- L’espace dans lequel je suis, les objets et les corps proposés renvoient à ceux que je
connaîs dans le monde réel,
- par le seul fait qu’ils sont présentés dans un contexte théâtral, ils figurent des objets, espace
et corps de théâtre.
un comédien qui joue son propre rôle, un lieu qui renvoie à sa propre existence. Le monde
imaginaire représenté dans un conte n’a de sens que pour celui dont le répertoire culturel
permet d’identifier les traits pertinents;
- la construction d’une identité iconique générale permet par certains traits, d’évoquer ou de
représenter certains lieux, certains événements;
2. De manière plus générale, l’espace théâtral constitue un des déterminants qui contribuent
à orienter le discours vers la compétence spectaculaire. Il a pour fonction
- de renvoyer aux règles propres du dispositif théâtral (lieu ouvert ou édifice en dur, clivé,
frontal, élisabéthain, cruciforme, en tréteaux) et éventuellement de l’œuvre/ la fiction
représentée (mimétique ou ludique). Sans doute l’opposition scène/salle, commode sur le
plan pédagogique, est-elle contestable au niveau dramaturgique. L’espace véhicule une
véritable fracture sémiotique;
- de faire référence au monde naturel auquel il est adossé. Il incarne le monde, l’invente et
montre qu’il invente. Lieu dans la cité, le topo articule la fiction, l’exhibition du
spectaculaire et le monde naturel. Le théâtre suppose l’affrontement entre un espace en
rapport avec le monde et un espace où les événements sont fictifs. Le spectacle construit
une fiction qu’une communauté reconnaît et où elle se reconnaît.
La convention «je suis au théâtre» doit tenir compte de l’aspect fictionnel du spectacle
qui est présenté. Déjà, savoir que les acteurs ou les comédiens sont des masques, c’est un
dédoublement qu’il faut savoir démonter pour entrer dans la profondeur de l’énonciation.
Hubert (2008:32) atteste en fait que l’art de la fiction dramatique est d’inventer quelque chose
de crédible. Il ressort clairement que le rôle du poète est de dire non pas ce qui a lieu
réellement, mais ce qui pourrait avoir lieu dans l’ordre du vraisemblable ou du nécessaire.
Evidemment, face à un discours qui présente un monde ancré à la fois dans le savoir
épistémique (authentique, confronté à l’expérience du réel) et autoréférentiel, la question de la
fiction se pose de manière spécifique. Nous savons qu’au théâtre la construction fictionnelle
relève du processus; elle entre en dialogue avec les autres constituants du discours
spectaculaire.
Helbo (2007:94) donne les étapes des processus de fictionnalisation telles que les
cernent les narratologues:
- la narration (ou fable au théâtre): les matériaux structurés comme un monde peuvent
comprendre le principe d’un récit, susceptible de servir de point d’appui à la
128
A la lumière de tout ce qui vient d’être dit précédemment, nous allons analyser les
propos sur le théâtre africain. Nous avons aligné ici un certain nombre d’arguments à partir
desquels certains auteurs qui se sont penchés sur cette question ont apprécié, en bien ou en mal,
la question du théâtre africain. Certains ont usé et abusé de cette notion «théâtre africain». A
partir de ces arguments, nous pensons construire notre argumentaire concernant cette question
129
Une faiblesse majeure: l’absence de textes rigoureusement écrits et édités. D’où la difficulté
(l’impossibilité) de reproduction scénique d’une pièce par d’autres troupes. Et par voie de
conséquence, l’émergence des auteurs (et donc de la littérature) en langues nationales est sans cesse
repoussée. L’on pourrait également y ajouter le problème de la langue employée: le travail de la
langue. La langue du peuple est-elle condamnée à trop de simplicité, trop de légèreté dans la trame
discursive? A l’absence de rigueur dans l’observance des règles linguistiques?
Deux éléments sont soulignés dans leurs propos qui sont des allégations très graves
contre l’existence d’un théâtre africain. D’abord l’absence du texte écrit, mais aussi le rapport
entre la construction poétique et l’écriture. Ce qui signifie qu’en dehors de l’écriture, on ne peut
trouver de construction poétique. Nous pouvons, par exemple, opposer à Mulongo que
l’analyse du discours ne se limite pas à ce qui se dit ou qui se voit, comme nous allons le
démontrer dans le chapitre 5 , mais c’est au-delà de ce qui est dit qu’il faut chercher le sens du
discours théâtral. Le problème ne réside pas dans la simplicité ou la banalité du mot ni même
du style. Nous n’allons pas insister sur ces propos, car ils feront l’objet d’analyse dans les
chapitres cinq et six. Mais nous remarquons que Ricard comme Mulongo tombent dans les
travers des craintes ressenties par Derive et Baumgardt (2008) concernant les œuvres de
l’oralité.
Derive (2008b:22) soutient, avec raison d’ailleurs, que dans les contextes des cultures
orales africaines, il faut tenir compte de certaines précautions spécifiques de production pour
qualifier la littérature orale. Il convient d’abord de chercher à comprendre la philosophie
générale de la communication verbale qui est impliquée dans la logique de ces cultures. Aussi,
pense-t-il, l’expression littérature orale peut donc recevoir une certaine légitimation à propos de
l’Afrique. Elle comporte certes des dangers par l’amalgame trop rapide que la présence du
terme littérature peut favoriser entre une expression culturelle propre à l’écrit et une autre
propre à l’oralité, alors que les modalités de chacune sont très différentes. Il pense alors que cet
130
inconvénient peut être en grande partie évité si l’on prend soin de préciser que ce qui distingue
le concept de littérature orale de celle de la littérature telle qu’on l’entend dans les sociétés de
l’écriture n’est pas seulement une question de canal [la littérature orale n’est pas l’équivalent
parlé de la littérature écrite], mais aussi une question de relation un peu différente au langage et
à la communication qui a ses implications culturelles propres. Donc si ces précautions sont
respectées, l’application du terme de littérature à une partie de la production verbale des
civilisations de l’oralité comme des civilisations de l’écriture, présente, en revanche, l’avantage
de rendre compte d’une commune conscience poétique du langage dans les deux types de
culture.
Cela étant, il faut se méfier de l’amalgame entre les productions linguistiques des
cultures de tradition écrite et celles de tradition orale; amalgame que pourrait favoriser l’emploi
sans précaution de l’expression littérature orale, risquant ainsi de conduire à aborder le domaine
de l’oralité avec un outillage conceptuel et méthodologique qui, ne lui étant pas au départ
destiné, pourrait ne pas être toujours adéquat. Une distinction entre civilisations de l’écrit et de
l’oral est d’autant plus nécessaire que les spécificités évoquées de la culture orale ont des
conséquences anthropologiques sur la façon même de se représenter le patrimoine verbal et de
se situer par rapport à lui.
Ce n’est pas sans raison que Baumgardt (2008a) étudiant la performance, considère que
le niveau de performance, comme nous l’avons évoqué à l’introduction générale, permettant de
cerner la littérature en tant que littérature orale, doit être étudié en fonction des éléments qui
déterminent l’ancrage du texte dans l’oralité.
Comme Baumgardt et Derive, nous lisons chez Diagne (2005: 32) qu’il n’est pas
possible d’entreprendre une étude des civilisations africaines sans mettre hors-circuit un certain
nombre d’a priori sur leur qualification, la nature de leurs productions culturelles et les
procédures mises en œuvre à cette fin. Aussi bien, le fait oral, tout comme la littérature orale et
les pratiques discursives doivent-ils faire l’objet d’un examen qui écarte les confusions
méthodologiques préjudiciables à la compréhension des phénomènes aussi complexes que ceux
que nous nous proposons d’étudier tout au long de la présente recherche.
Ngangala (2002:221) fait comprendre aussi, en effet, que le texte herméneutique
occidental est généralement défini comme écrit ou œuvre. Ici l’aspect graphique est essentiel.
Cependant, le texte de notre littérature qui est écrit ou œuvre, est aussi et surtout marqué par
l’oralité. Ce qui évidemment pose le problème d’une distorsion qui peut intervenir dans le
mécanisme de fixation de ce texte au moment du procès herméneutique. D’où les précautions à
prendre sur le plan méthodologique pour réduire la possibilité de la distorsion, de l’introjection
131
de ces textes.
Beaucoup de ces confusions, qui fonctionnent, ainsi que nous l’avons dit, comme de
véritables obstacles épistémologiques, reposent sur des bases nettement idéologiques. Certains
auteurs, africains et non africains, tentent de les débusquer; c’est ainsi qu’Ablemagnon
(1969:16) passe en revue quelques-uns des jugements dévalorisants qui, se fondant sur la
fétichisation de l’imprimé et le prestige de l’écrit, frappent la littérature dite orale d’un certain
ostracisme sociologique.
Nous l’avons dit dans le premier chapitre, l’écriture ou l’oralité ne suffit pas pour
qualifier une littérature. Celle-ci n’étant pas réduite à tout ce qui s’écrit ni à tout ce qui peut se
réciter. Que le théâtre occidental repose sur le texte écrit n’est pas une faiblesse. C’en est une
caractéristique fondamentale. On ne déniera pas l’existence du théâtre occidental pour autant.
Et pourtant, elle est insuffisante pour qualifier le théâtre. Ainsi le démontre Pruner (2010:6) en
parlant du théâtre occidental qui semble avoir du mal à se passer du texte. Le répertoire est une
réalité qui commence sur les rayons d’une bibliothèque. Ainsi pour exister, soutient-il, le
théâtre, comme la musique, a souvent besoin d’une partition qui le détermine. Pourtant,
poursuit-il, le texte est insuffisant, dans la mesure où il ne livre qu’une mince partie de ce qui
deviendra la représentation. Artaud surenchérit en notant que «Un théâtre qui soumet la mise en
scène et la réalisation, c’est-à-dire, tout ce qu’il a en lui de spécifiquement théâtral, au texte, est
un théâtre d’idiot, de fou, d’investi, de grammairien, d’épicier, d’antipoète et de positiviste,
c’est-à-dire d’occidental». (Artaud 1964; Pavis 1987:391). Tout ceci laisse comprendre que le
texte n’est pas suffisant pour disqualifier l’existence d’un théâtre, fût-il en Afrique. D’ailleurs
dans un article intitulé «Théâtre et Théâtres», Duvignaud (1983) souligne que Molière ou
Shakespeare n’ont écrit ou rédigé le texte de leurs pièces qu’après de longues répétition; parce
qu’en effet « […] un texte qui se joue n’est pas forcément un texte qui se lit ». (Deffontaines,
2006:22).
Le théâtre est un art véritablement indépendant fondé beaucoup plus sur la scène que sur
le texte; parce que, à mon sens, un texte si bien écrit soit-il, n’est pas théâtre; alors qu’une
scène, si sobre soit-elle, représentée révèle bien du théâtre. En effet, Melone (1970:148) le
montre bien qu’
Une pièce de théâtre ne se réalise vraiment que lorsqu’elle est jouée. L’obsession géométrico-
spatiale décontracte la masse allusive de l’œuvre, ajoute une dimension supplémentaire au donné
oral, par le jeu, par l’incarnation dans un espace social réalisé, par l’insertion dans la vie: non plus
une vie imaginée mais une vie vécue.
132
recueillies par la tradition orale, quand on a trouvé l’ancien lac Kisale en RDC. La tradition
orale ésotérique détenue par les sages, a dévoilé des données conservées à travers les siècles,
qui coïncident avec des preuves actuelles.
Or, comme nous l’avons démontré précédemment l’une des accusations les plus anti-
historicistes faites aux peuples africains est celle de les avoir tenus pour des instruments
perpétuellement passifs: soit l’accusation de passivité historique. D’après cette légende, il n’y a
pas eu, et il n’y a pas, de dynamique progressive dans leurs sociétés. Des pensées contre
lesquelles réagissent Vidrovitch & Moniot (1984:8) en soutenant que «L’Afrique n’attendait
pas impassible et immuable le progrès des autres et les experts pour démarrer. Elle vivait,
simplement, menant d’une autre manière le propre de toute vie en société, qui n’est autre que
l’alternance entre la continuité et le changement». La prééminence de l’oralité ne signifie pas
l’absence des autres formes de pensée. Celle-là constitue pour l’Africain le moyen, la forme la
plus privilégiée parce que simplement traduisant mieux sa façon de voir les choses.
Owomoyela (1979:1) exprimait le même sentiment concernant L’Art oral traditionnel, car il
écrivait:
It is logical that we begin our study of African literature with a brief survey of the traditional verbal
art which collectively forms an important element in African cultures and inevitably continues to
influence modern literary developments. This art was practiced orally and preserved in the memory,
since the popular use of writing as a means of communicating and preserving texts is a relatively
recent event. This is not to say that Africans were total strangers to the art of writing before
widespread literacy came with foreign incursions. In the traditional context the Mende of Sierra
Leone, the Kpele of Liberia, the Bamum of elaborate systems of writing, but these were not for
popular use.
Voilà pourquoi les autres formes sont reléguées au second plan. Dans les sociétés
africaines, aujourd’hui encore, le support culturel prioritaire et majoritaire s’appuie sur la
parole, dans la mesure où elle exprime le patrimoine traditionnel et constitue le lien entre les
générations du passé et du présent, héritage qui, dans sa suite solidaire, aboutit à la
configuration de la culture, de l’histoire et de la civilisation.
Ainsi avons-nous constaté que dans ces sociétés, l’attitude par rapport à la parole est
bien différente de celle des civilisations où l’écriture est dépositaire de tous les messages
importants. C’est pourquoi, Ngal dans Giambatistavico ou le viol du discours africain
(1984:74) fait ce procès au personnage qu’il accuse de profaner la tradition:
La raison fondamentale qui m’interdit de vous interpeller directement est que nos univers ne se
rencontrent pas, la parole et l’écriture. Vous avez irrévérencieusement mis entre vous et nous un
134
abîme. Vous avez choisi l’univers du livre –espace scriptural –abandonnant celui qui a nourri votre
enfance; alimenté vos rêves; meublé votre subconscient. Vous avez prétendu expulser ce lac profond
de symboles, d’images, noyau où se soude la cohésion culturelle de notre communauté. Nous
sommes pour vous des parfaits étrangers; nous avons suivi votre aliénation avec un cœur gros. Mais
nous savions que vous n’iriez pas très loin, qu’une nostalgie vous ramènerait sur nos rivages… La
gravité de votre impiété réside dans la tentative de désacralisation de l’oralité. La liberté, l’espace, le
temps du conteur, vous avez voulu les réapprivoiser; les introduire dans le discours romanesque.
Démarche athée, dépourvue de foi. N’étant pas parvenu au résultat criminel escompté, vous avez
poussé la présomption jusqu’à vous laisser initier à nos rites, espérant ainsi arriver au but. Ce
faisant, vous introduisez de la subversion dans l’oralité et dans le discours occidental. Vous alliez
accoucher des personnages, des héros, des textes hybrides. C’est pourquoi ce sacrilège ne peut rester
impuni…
D’ailleurs, notre propos n’a pas pour objectif de montrer l’existence de l’écriture. Si nous le
faisons, c’est pour mieux mettre en évidence la place de l’oralité dans cette société, et beaucoup
plus pour nuancer cette critériologie qui fait de l’écriture le critère existentiel du théâtre. Le
primat du texte dans l’explication du théâtre fait déjà problème chez plusieurs auteurs. Donc,
on ne doit pas assimiler cet art à l’écriture. Analysant le nouvel horizon épistémologique du
spectacle vivant, Triffaux (2013: 116,117) pense que le concept théâtre dans son acception
traditionnelle doit être revisité. Son exploration du théâtre joué et du spectacle vivant, l’étude
critique de leurs formes, lui conduit à pencher pour une tendance assez marquée en faveur d’un
théâtre «post – textuel» et d’un spectacle «hybride», qui essaie de se dégager de la domination
de l’écrit, de mêler les arts et les cultures, autant qu’il n’a pas pu conclure à l’identification
d’un «théâtre-après-la-fable», et encore moins d’un «théâtre-après-le-drame», «après-l’action».
Il donne les raisons d’une telle démarche: Premièrement, j’ai toujours du mal à désigner
par le terme générique théâtre un art qui a plus à voir avec la littérature dramatique qu’avec
l’art du théâtre lui-même. Deuxièmement, la vision littéraire du théâtre me semble trop
occidentalisée et culturellement associée à des références grecques et aristotéliciennes à
réévaluer. Cette deuxième raison rencontre Helbo (1975b:19) qui pense que la littérature
théâtrale semble à la fois obnubilée et imposée par l’ancrage idéologique de la tradition
occidentale. Fertat (2012:6) dans la même optique pense que nous devons décloisonner la
recherche théâtrale en nous affranchissant d’un certain européocentrisme qui a longtemps altéré
nos approches théâtrales en les confinant dans des impasses idéologiques et méthodologiques
dont l’évolution accélérée qu’a connue et connaît toujours ce petit village qu’est le monde
aujourd’hui a définitivement et irrémédiablement montré les limites et l’indulgence.
Pluridisciplinarité, interculturalité, transversalité sont des mots clés qu’il revendique, telle une
135
22
C’est nous qui précisons.
136
d’une dizaine de pièces qui ont été montées et diffusées ça et là. Une seule, Les conquêtes de
Zalbarou a été publiée, près de deux ans après la création du spectacle. Il précise en notant que
«Dans tous les autres cas, le projet de spectacle a devancé l’écriture de la pièce, et l’édition n’a
jamais été un objectif. Au mieux une hypothèse, une possibilité, un désir ».
C’est le point de vue qui ressort clairement des propos de Ricard (1986:21-22) qui
déclare solennellement:
Affirmons ici avec force que rituels et fêtes constituent des spectacles –pour l’observateur extérieur
qui en est par définition exclu –, d’un type particulier qui en Afrique, n’ont ni plus –ni moins –
qu’ailleurs à voir avec le théâtre. Qu’il s’agisse de rites de propitiation, d’initiation, ou
d’intronisation, il est par trop sommaire d’en faire des actes théâtraux, voire, pour les plus prudents,
pré-théâtraux. Le langage performatif du rituel exclut le jeu et la mise à distance23 de la narration
qu’implique le langage expressif ou poétique du théâtre. L’action rituelle peut certes représenter un
mythe, comme la messe; elle implique la constitution d’un espace –à titre de règle constitutive, au
sens de J. Searle –dans lequel il n’y a que des participants. Que cela ne soit pas toujours dans la
pratique, le cas, ne change rien au statut de l’événement et ses règles constitutives.
Le théâtre est une pratique artistique et non un rite, considère-t-il. Dans cette même logique,
Ricard (1972:60) reprenant le propos de Kuper (s.d : 90) soutient que le rituel n’est pas le
théâtre24. Il instruit par la participation, non la distraction. Dans ces conditions, renchérit-il, tout
le monde doit participer et personne ne peut sortir ou trouver le sujet mauvais. Les participants
sont le public. Bien que le rituel ne soit pas de l’art, il est une source d’art, de masques, de
chants, de musique et de danse, affirme-t-il.
Ricard (1986) à travers ses propos veut faire croire que le théâtre qu’il défend (qui serait
à l’origine de tout théâtre) a commencé à exister dans sa forme actuelle. Nous pensons que non.
Nous devons considérer que le théâtre est un art universel, mais qui se vit et se pratique
différemment selon les sociétés et qui a subi partout des évolutions. Fertat (2012:155)
concernant le théâtre marocain accrédite cette thèse en disant que «Le théâtre marocain a connu
la même évolution et les mêmes mutations que les autres arts dramatiques». Et concernant cette
évolution, il montre que d’après les recherches qui ont été faites sur l’histoire des différentes
formes théâtrales, il ressort que ces dernières ont suivi le même schéma évolutif en subissant
plusieurs mutations: d’abord la naissance sous forme de spectacle rituel ou de rituel
23
C’est nous qui soulignons.
24
Nous nous posons la question de savoir si le théâtre n’est-il pas déjà rituel?, Recherche, pédagogies et culture,
n°3, pp. 3-6.
137
spectaculaire (qu’il soit religieux ou païen), ensuite une première mutation vers un spectacle
populaire se détachant de son contexte sacré, puis une deuxième mutation vers un théâtre
populaire inventant son propre langage représentatif, et enfin une dernière mutation vers un
théâtre moderne et urbain quand la société humaine est entrée dans l’ère de la modernité.
D’ailleurs, si nous retenons cette critique de Ricard, «le mythe instruit par la
participation», nous serons obligé de revoir l’évolution du théâtre en Occident, car plusieurs
notent l’évolution de ce théâtre vers cette participation du public. C’est en cela qu’Artaud
(1964) propose à la société occidentale, un théâtre de la cruauté inspiré de l’oriental. Hubert
(2008:229) relaye cette observation d’Artaud et souligne que «L’influence des théâtres
orientaux sur la dramaturgie européenne au 20èmesiècle est immense. Ils offrent un spectacle
complet où le chant, la musique et la danse, occupent une place aussi importante que la
déclamation. L’Occident découvre grâce à eux la stylisation». Nous croyons que si Artaud avait
élargi ses recherches en Afrique, il n’aurait pas manqué de proposer le modèle africain, qui
fondamentalement correspond à la grille de lecture qu’il a faite du théâtre oriental.
Il faut noter que les mythes et les légendes, et particulièrement les épopées sont
exprimés sous formes scénique où la mise à distance est tout aussi de mise. Le caractère
participatif de ce théâtre, de la littérature orale d’ailleurs, ne réduit en rien cette notion. Le
conteur ou l’aède ne joue pas avec le spectateur mais pour le spectateur, lui-même supposant
jouer avec d’autres dont il incarne le rôle. Il convient de noter à ce sujet que le public qui vient
assister à la représentation ne vient pas d’abord pour participer. Il vient avant tout assister et
apprécier le conteur ou l’aède. La participation [qui d’une part peut traduire le caractère
collectif de la littérature orale en général] est aussi fonction de l’inventivité de l’acteur ou du
conteur. A ce propos d’ailleurs, Melone (1970:146) dit assez clairement que
Le public exerce sur l’artiste une étroite surveillance critique, intervient quand il le désire, et
l’ensemble est entrecoupé de chants, de danses, de silences, de soupirs, de cris. La performance de
l’artiste est un véritable jeu. S’il n’invente rien du contenu, il y apporte sa manière de dire, ses jeux
du visage, son sens de la tonétique, sa mimique, ses gestes, son émotivité, c’est-à-dire toute une vie
du masque théâtral dont il est l’unique créateur et qui porte la marque de son originalité. Au-delà et
en dépit du contrôle critique auquel il est soumis, l’artiste réussit toujours cette échappée
individuelle définissant son art personnel, sa technique, ce qu’il a ajouté au naturel, au donné, pour
la réalisation de son beau spectacle.
Bérad (2006:97) montre en effet, combien le théâtre antillais de ces vingt dernières années est
marqué par une réappropriation et une revalorisation de la culture caribéenne qui nourrit en
profondeur la création esthétique théâtrale. Les rituels religieux et profanes, hérités d’Afrique et
138
Une grande confusion existait entre le théâtre et folklore; les groupes congolais étaient des groupes
folkloriques, exotiques (du point de vue belge); ce n’était pas du théâtre au sens où l’on concevait par
exemple le Théâtre National de Bruxelles,… cette confusion entre théâtre et folklore, c’est-à-dire la
non intégration des formes artistiques traditionnelles dans un acte théâtral vivant, voilà qui constitue
un mauvais point au passif du théâtre au Congo belge.
Strowiski (1934:9, 10) rapporte à ce propos que le jeu scénique répond à un puissant instinct
139
naturel. Il pense que le reflexe dramatique est la chose du monde la mieux partagée et la plus
répandue, contrairement à une opinion universellement admise, d’ailleurs sans preuves, le
théâtre est aussi primitif que le chant ou le récit.
Le théâtre africain, pourrait-on dire en utilisant le terme dans son sens le plus large,
articule symboliquement tous les moments rituels qui ponctuent les saisons et les activités des
hommes; il marque les évocations mythologiques, l’intégration de l’enfant à la vie collective,
l’insertion de l’individu dans une communauté religieuse. Et donc, il accompagne toutes les
mutations qui altèrent, formellement, la personnalité humaine. Ces mutations elles-mêmes se
modulent au rythme de grandes fêtes rituelles, comme pour marquer mythologiquement la
dimension euphorique et religieuse de toute différenciation culturelle.
S’agissant du théâtre occidental, Pavis (1987:68) affirme que c’est du chœur de
danseurs masqués et chantant que la tragédie grecque serait née. Il précise que le chœur est un
groupe homogène de danseurs, chanteurs et récitants prenant collectivement la parole pour
commenter l’action à laquelle ils sont diversement intégrés; et souligne en plus que la choréia
réalise une synthèse entre poésie, musique et danse: c’est l’origine du spectacle occidental. Il
considère enfin qu’«A l’ origine du théâtre, on s’accorde à placer une cérémonie religieuse,
réunissant un groupe humain célébrant un rite agraire ou de fécondité…». (Pavis, 1990:15).
Donc que le théâtre résulte du mythe n’est pas qu’africain. Tout théâtre est passé par là.
Dans son ouvrage, Mise en scène théâtrale et sa condition esthétique, Veinsten (1955),
rapporte entre autres, les résultats des recherches menées en Chine, en Inde, au Japon et même
en Occident, démontrant que le théâtre trouve son origine dans la danse. L’auteur y précise,
évoquant le théâtre japonais, le «Nô», que ce dernier est à l’origine l’art d’exprimer
artistiquement une action dramatique, un récit ou un sentiment par le geste ou par la danse.
Nous avons présenté à l’introduction générale de notre thèse comment le Chevalier de
Boufflerg (1786) décrivait comme une véritable pantomime, la danse des paysans sénégalais à
laquelle il avait assisté; autant que lui Mage (1868) un des explorateurs du Soudan faisait la
même description de la danse des paysans soudanais qu’il a vu jouer lors de son voyage.
Comme il en est des voyageurs européens qui en témoignèrent au Maghreb aux 18 ème et 19ème
siècles. Pavis (1987) confirme non seulement que le théâtre vient de la danse, mais également,
rappelle-t-il à la mémoire de tous, que tout jeu de l’acteur, tout mouvement sur scène, toute
organisation des signes possèdent une dimension chorégraphique. La chorégraphie comporte
aussi bien les déplacements et la gestuelle des acteurs, le rythme de la représentation, la
synchronisation de la partie et du geste que l’arrangement fondamental des acteurs sur le
plateau. La description que Dupont (2000: 9) fait du théâtre romain ne nous écarte pas de ce
140
point de vue. Elle démontre que la dénomination du théâtre par les Romains eux-mêmes
comme «jeux scéniques» nous invite à reconstruire à partir de la scaenale le fonctionnement
propre de la théâtralité romaine. Ce que nous appelons aujourd’hui théâtre est à Rome un des
deux spectacles intégrés au rituel religieux des jeux – ludi. Après la procession solennelle qui
au lever du jour ouvre les jeux, vient un spectacle offert aux dieux et aux hommes – ludicrum –
: des courses au char dans l’hippodrome – circus – ou une pièce de théâtre devant un mur de
scène – scaena.
Pourquoi ne pas croire Duvignaud (1983:4) qui révèle, selon lui la contribution
dramaturgique africaine. A tout prendre, ce que nous devons à la culture africaine dans le
domaine de la représentation du corps et du symbolisme, si l’on pense à la danse, à la musique,
à la peinture, est peut-être plus important que ce que notre «théâtre» a pu apporter à un monde
qui pratique à tous les niveaux de sa vie collective une dramatisation intense. En effet, c’est
vrai, comme nous venons de le dire en nous référant à Artaud (1964), que le théâtre africain
repose sur un symbolisme, un rituel qui remonte au mythe. Mais le théâtre occidental n’ignore
pas cette voie, même s’il est resté beaucoup plus déclamatif. Ce symbolisme, cette participation
vivante du public semble rentrer aujourd’hui dans les canaux définitoires du genre théâtral.
Après avoir fait le point sur «la nostalgie d’un théâtre populaire», en soulignant quelques
périodes phares qui gouvernent la mémoire de ceux qui se méfient du texte, Ryngaert (1996)
fait comprendre, à partir de ces exemples, comment le théâtre sans texte s’est parfois assimilé
au refuge du théâtre vivant et par contrecoup, de la suspicion qui pèse toujours sur le texte.
La spécificité théâtrale de chaque peuple contribue à l’œuvre théâtrale universelle. A
considérer ce qu’on ne peut pas faire, c’est de ne pas considérer les spécificités spectaculaires
de chaque civilisation comme richesse de l’art spectaculaire. Il est d’ailleurs intéressant de
souligner les propos de Biet et Triau (2006:6) concernant la tendance actuelle des théoriciens
sur les traditions de jeu et des spectacles. Leurs propos attestent que depuis l’aube du
19èmesiècle, les théoriciens, les metteurs en scène, les auteurs et les comédiens ont commencé à
prendre en compte les traditions de jeu, des répertoires et des spectacles (entre autres asiatiques
et africains) qu’ils avaient l’habitude d’appeler extra-européens avant de considérer la diversité
et la spécificité de chaque forme de théâtre et de chaque civilisation qui nourrissent la réflexion
sur le théâtre occidental aujourd’hui. Hubert (2008:247-248) montre que Craig comme
beaucoup d’auteurs dramaturgiques et de metteurs en scène européens, à leur suite, voudraient
redonner au théâtre la force dont il était investi aux origines, quand il se distinguait à peine du
culte, dans la Grèce antique ou dans l’Europe médiévale. C’est ainsi que Genet (1981), qui s’est
toujours montré fasciné, par les fastes de la liturgie et par la théâtralité des rites religieux,
141
déclare, se référant aussi à Pauvert (1954) que le plus haut drame moderne s’est exprimé
pendant deux mille ans et tous les jours dans le sacrifice de la messe. Théâtralement il n’y a
rien de plus efficace que l’élévation, pense-t-il. Le théâtre apparaît comme un lieu privilégié où,
dans des moments d’exception, peut se manifester quelque chose. De ce fait, si nous
considérons le théâtre comme trouvant principalement matière dans le folklore, c’est-à-dire
dans un ensemble de mythes, de légendes, de contes, nous pouvons noter, comme le souligne
Traoré (1958:17) qu’«Il existe un théâtre spécifiquement négro-africain, remontant aussi loin
que les civilisations africaines».
A ce sujet, il convient de souligner que le théâtre à l’Antiquité grecque n’est pas loin de
la description du théâtre africain. En effet, la tragédie grecque dérive du culte dionysiaque, les
bacchanales ou dionysies, fêtes et rite en l’honneur de Dianysos, Bacchus, dans l’Antiquité.
Cette forme de théâtre historiquement datée est émanation du dithyrambe: hymne fait d’un
chœur de danseurs, des masques, des mimiques, des gestes, des récitants, etc. auxquels s’est
ajoutée l’écriture en tant que technique de transcription et moyen de conservation des faits et
actes liés à cette célébration. Pairault (1970:18) montre évidemment que le théâtre classique en
Grèce a lui-même une histoire qui s’origine au 6èmesiècle avant Jésus-Christ dans les fêtes
religieuses en l’honneur du dieu Dionysos. Même alors il sied de mentionner comme le fait
observer Fetar (2012:154-155) qu’
Aussi différentes soient-elles, toutes les sociétés humaines ont eu leurs propres cérémonies
culturelles et leurs propres rituels pour célébrer leurs divinités. Toute société humaine a, donc,
forcément eu son ou ses “débuts théâtraux”. En tout état de cause, les débuts culturels de l’art
dramatique ne se résument pas aux seules fêtes dionysiaques qu’une certaine conception
européocentriste de l’art dramatique, longtemps véhiculée par des théoriciens et des dramaturges
occidentaux, considère comme l’unique origine du théâtre. Aujourd’hui, nous savons que ce genre
de célébrations où l’homme recourt à différentes manières d’expression comme le mime, la danse et
le chant…, pour se rapprocher des forces surnaturelles, ont été pratiquées par d’autres peuples, et
bien avant que les grecs ne le fassent.
Traoré (1958), qui a écrit un ouvrage essentiel sur le théâtre africain, fait remonter les origines
de ce théâtre à l’époque des grands empires africains et des civilisations précoloniales. Cette
assertion se justifie si on rappelle, comme il le fait précisément dans son étude, que toutes les
manifestations rituelles et mythologiques des sociétés culturellement organisées procèdent de
certaines formes de théâtralisation. Même si nous devons souligner que même dans la société
traditionnelle l’on devait démarquer le théâtre de ce qui ne l’était pas. En soi, le théâtre est en
lui-même une ritualisation. C’est là d’ailleurs qu’il faut noter la différence entre la
142
théâtral.
La spécificité du monde africain dans son humanité, dans sa faune, dans sa flore, dans
sa manière d’organiser le discours, c’est-à-dire de susciter la médiation entre les divers sujets
locuteurs, dans le climat général de l’espace social, dégage en premier lieu une forêt de
symboles inédits au niveau de la grande littérature mondiale, des symboles jadis même ravalés
au rang d’inessentiel ou de laid, et qui, situés dans la perspective africaine, se trouve soudain
promus au rang du poétisable.
Peut-on constater l’absence de la mise à distance dans les genres fictifs, j’en doute. La
mise à distance se justifie très bien dans le genre spectaculaire africain. Le théâtre dans le
Kenya précolonial, c’était aussi une distraction au sens d’un plaisir partagé; c’était une
instruction morale. Il est à la fois un jeu, un cadre d’instruction mais aussi une occasion de la
critique sociale, disait Ngugi wa Thiong’o (1986). Comme nous l’avons déjà dit, il faut bien
remarquer dans la représentation (même quand le théâtre est participatif) la démarcation entre
d’une part l’acteur dont l’aire de la représentation est intangible et de l’autre part le public qui
est placé en fonction de l’acteur. La participation ne peut donc pas diluer la distanciation. En
plus, l’acteur qui joue (le conteur) ne peut pas s’approprier le «je». Derrière son je, il faut voir
toute la communauté (la tradition étant communautaire). Donc c’est la communauté qui parle à
elle-même par la voie du conteur. Le conteur Medhi interviewé par Hernandez (2006:135)
montre que
Dans un rituel, les participants accèdent à des positions qui leur permettent non seulement d’être des
acteurs tenant des rôles sans confusion entre eux et les personnages qu’ils représentent, mais aussi
d’entretenir un lien spécial avec ces personnages. […] les acteurs ne sont pas leurs ancêtres
puisqu’ils se déclarent héritiers et parlent de leurs pères, mais ils ne sont pas non plus une essence
différente de leurs pères. […] le locuteur alterne le style indirect dans lequel les ancêtres sont les
objets du discours avec le style direct où l’ancêtre invoqué parle par la bouche du locuteur.
Munch (2001:489) montre que le théâtre n’est pas définissable en tant que tel à cause de
la diversité des architectures théâtrales «… de la boîte à l’italienne à l’espace en plein air […]
On peut allonger cette liste; on peut même en déduire que le phénomène «théâtre» n’est pas
définissable en tant que tel.» Brook (1972:11) explicite le concept théâtre de la manière ci-
après: «I cant take any empty space and call it a bare stage. A man walks across this empty
space whilst someone else is watching him, and this is all that is needed for an act of theatre to
be engaged».Il affirme que quand un comédien fait son entrée dans un espace vide et
144
commence à agir devant quelqu’un qui le regarde, c’est tout ce dont on a besoin pour qu’il y ait
du théâtre. Ce qui revient à comprendre qu’il n’y a de théâtre que sur la scène, devant un
public, et ce, indépendamment de l’infrastructure (lieu théâtral), du matériel ou de
l’équipement.
Dans ce même sens, Munch (2001: 489) montre l’apport de l’acteur et du spectateur
avant tout dans l’appréciation du théâtre. Il pense que la présence de l’acteur n’est pas une
banalité parce qu’il implique toute la problématique du genre. En effet dès qu’il y a acteur, il y
a nécessairement d’abord espace de jeu et regard d’un public, puis geste, lumière, costume,
décor; ensuite une architecture d’accueil pour cet ensemble; enfin le temps et l’espace vécus en
commun par l’acteur et le public prolongés par des temps et des espaces qui, eux, ne sont pas
réels mais imaginaires. Toute l’énorme diversité des esthétiques du théâtre se situe dans cet
ensemble.
Cornevin (1970) a montré l’apport non conditionnel d’un cadre rigide d’un théâtre à
l’italienne en démontrant que ce soit en Europe ou en Amérique, la recherche théâtrale actuelle
insiste sur la nécessaire communion des acteurs et des spectateurs et sur les inconvénients d’un
cadre rigide d’un théâtre à l’italienne.
Que le théâtre africain (traditionnel) se joue en plein air ne constitue pas une faiblesse.
C’est lié à la culture. Le soir, tout le monde était convié, souvent dans des endroits bien
indiqués pour ce faire, pour voir jouer, raconter des histoires. Nous l’avons vu avec le conte
analysé au chapitre premier sur l’indication du lieu où les gens avaient l’habitude se de réunir.
Cette affirmation résume tout le propos de l’ouvrage de Ricard. Il le dit si bien, «C’est là
tout le propos de mon ouvrage». (Ricard, 1986:24). Nous n’allons pas revenir sur la restriction
du projet esthétique qui se retrouverait dans certains groupes sociaux (entendez ici occidentaux:
c’est le point de vue de Ricard(1986). Nous sommes un peu tenter de qualifier d’idéologique ce
propos, si nous considérons qu’après avoir démontré l’inexistence du théâtre africain, Ricard
(1972:61) jette des fleurs au théâtre africain moderne parce que ce dernier se veut part de la
littérature d’Etats modernes, à fondements universalistes, où la différenciation des rôles
s’accroît avec l’industrialisation et l’urbanisation. Il est alors normal que l’auteur
s’individualise, que les comédiens se spécialisent, que le public s’organise. Mais à ce niveau,
145
nous nous appesantissons sur cette affirmation (que nous ne partageons pas) selon laquelle
l’expression théâtrale ne relève pas d’une expérience pratique de la vie politique et religieuse.
En fait, même si nous nous mettons dans l’optique des civilisations qui prônent la
notion de l’art pour l’art, nous pensons que le théâtre est un art social qui ne peut pas être
détaché (ou sinon difficilement) de la société. Séparer le théâtre de la société, c’est soutenir
l’absence du théâtre; parce que le théâtre, c’est la société, c’est la vie; et d’ailleurs, l’une des
caractéristiques du théâtre c’est le mime. Le théâtre, c’est d’abord l’imitation de l’homme dans
sa vie de tous les jours. C’est le point de vue qui ressort des mots de Corneille (1632) repris par
Hubert (2008:79) selon lesquels la Comédie n’est qu’un portrait de nos actions, et de nos
discours, et la perfection des portraits consiste en la ressemblance. Sur cette maxime je tâche de
mettre dans la bouche de mes acteurs, reprend Hubert, que ce que diraient vraisemblablement
en leur place ceux qu’ils représentent, et de les faire discourir en honnêtes gens, et non pas en
Auteurs.
Les propos de Ricard, auxquels nous avons déjà fait allusion à l’introduction générale,
qui donnent de la force aux arguments d’Hussein qui critique Ngug’i wa Thiong’o: [l’écrivain
tanzanien rejette la confusion de la vie sociale et religieuse du théâtre: il y a d’un côté la
religion et la politique, de l’autre le théâtre], semblent trouver le théâtre hors du monde. Où
faut-il rechercher l’origine du théâtre si ce n’est dans la religion ou la politique: dans la
vie!Introduisant son ouvrage Le théâtre des origines à nos jours, Moussinac (1966:5) écrivait
C’est sans doute dans l’animisme et dans la magie qu’il faut rechercher les origines du théâtre.
L’animisme, élément passif, et la magie, élément actif de la religion à sa naissance, caractérisent en
effet une part de l’activité des groupes humains primitifs et l’on remarque que les premières formes
réelles du théâtre se créent et se développent en même temps que se créent et se développent les
rites, les cérémonies et les cultes.
Il est vrai de constater que Ricard, par ces propos, martèle sur le caractère fonctionnel des
genres africains où la nette distinction entre esthétique et fonction n’est peut être pas
perceptible. Là encore, nous avons démontré dans le premier chapitre que même dans les
conditions de l’art pour l’art, la littérature a toujours un retentissement social, et le théâtre de
surcroît. Jadot (1959:62) rapporte la valeur esthétique du genre africain en témoignant que la
fonctionnalité ne dilue pas l’esthétique. Il précise cependant qu’
Il importe peu que l’art de ces spectacles, comme la plupart des arts des Africains avant notre arrivée
dans le bassin du Congo ne soit point de l’art pour l’art ou de l’art pour l’artiste, obéisse à des fins
d’utilité clanique, religieuses, magiques, sociales ou politiques. Bien des cérémonies d’initiation aux
droits et devoirs de la puberté, d’introduction dans une classe d’âge plus élevée d’un indigène
146
sortant de la classe d’âge inférieure, de l’intronisation d’un chef de droit divin, de l’élévation parmi
toutes les épouses de quelque Assuérus d’une Esther de sa couleur, d’une ordalie intéressant toute
une communauté ou des funérailles d’un homme libre, sont à la fois rituel pour d’aucuns, spectacle
et délassement de nature esthétique pour d’autres, mais sans que l’art soit jamais en marge de la vie.
Certes, avant toute chose, l’homme doit manger, boire, s’abriter; les forces extérieures,
et d’abord celles de la nature, dominent la vie quotidienne des origines et se présentent à lui
avec un caractère d’étrangeté inexplicable. L’homme imite par utilité et sans doute d’abord
l’animal qu’il doit nécessairement tuer. Autour du feu, où la horde est assemblée, les ombres
ajoutent au mystère; le mouvement des flammes invite le corps à danser, et modèle déjà des
reflets. Un masque sur le visage, un homme alors se sert de son corps pour communiquer avec
le groupe, et ses mouvements créent le premier langage. Ce jeu mimétique est déjà du théâtre;
en se donnant en spectacle, l’homme est déjà un acteur. Mais chez cet homme, impuissant à
lutter contre certains éléments, la foudre ou l’inondation est provoquée par la croyance en un
surnaturel, en des esprits. A un stade plus évolué, l’homme croira en une survivance des
ancêtres, puis en des dieux. Pour lui encore, le monde se dédouble, et naît alors un monde
mystérieux, où il découvre des apparences enchantées, des images surgies de son cerveau,
celui-ci s’animant peu à peu d’une vie propre, ébauchant bientôt des représentations. C’est
pourquoi il a pu être dit de la religion qu’elle est le reflet fantastique de l’existence humaine.
Les moyens du théâtre seraient donc nés, en quelque sorte, de la nécessité technique d’exprimer
ce reflet fantastique.
A ces propos d’ordre général de la genèse théâtrale du monde primitif, Traoré (1958)
apporte le point de vue spécifique de l’Afrique noire lorsqu’il montre que dans la société négro-
africaine, les rapports des dieux et des hommes sont à l’image des rapports des hommes entre
eux. Les dieux sont des ancêtres et ces derniers sont des héros. Le culte des héros tient aussi
une place importante dans la tradition. Les manifestations théâtrales sont réglées par le
calendrier saisonnier et par l’ordre des fêtes. Il arrive que la représentation se traduise
complètement en action, elle se mêle intensément au rituel.
Et parlant des bouffons, Lecoq (1997:129, 128) dit que «Les bouffons parlent
essentiellement de la dimension sociale des relations humaines, pour en dénoncer l’absurdité.
Ils parlent également du pouvoir, de sa hiérarchie et en renversent les valeurs ». Et Gouhier
(2002:31) montre bien qu’à l’origine su théâtre se trouve la volonté, avec ce privilège qu’a
l’homme de jouer sa vie avant de la vivre. Ricard et Hussein semblent séparer le théâtre de la
société. Et pourtant ils sont liés. Mauss (1966) dans «les techniques du corps» montre bien que
c’est grâce à la société qu’il y a intervention de la conscience. Ce n’est donc pas grâce à
147
l’inconscience qu’il y a intervention de la société. Comme le dit Imad (2010), le théâtre, art de
société, doit être compris sur le champ d’un groupe de personnes unies par une culture, un
langage et des préoccupations communes. En somme, le théâtre est le lieu de conventions avec
lesquelles auteur, metteur en scène, acteurs et spectateurs s’accordent. La représentation, à
partir ou non du texte d’un auteur, est avant tout la manifestation d’un regard sur le monde, la
manifestation d’un univers poétique singulier, l’œuvre d’un artiste metteur en scène. Mettre en
scène est un acte de création. Comme le dit Prédal (200:136) « […] la mise en scène consiste
non seulement à utiliser la technique pour capter le réel, mais aussi pour lui permettre de
peaufiner une écriture créatrice de sens». Représenter, c’est manifester un regard intérieur qui
révèle un rapport particulier au monde. Si Artaud (1964:45) considère le théâtre comme un mal,
parce qu’effectivement le théâtre est l’équilibre suprême qui ne s’acquiert pas sans destruction.
Il invite l’esprit à un délire qui exalte les énergies. Ainsi considère-t-il que, du point de vue
humain, l’action du théâtre comme celle de la peste est la bienfaisante, car poussant les
hommes à se voir tels qu’ils sont, elle fait tomber le masque, elle découvre le mensonge, la
veulerie, la bassesse, la tartuferie. Ainsi, pense-t-il que le théâtre, comme la peste, est à l’image
de ce carnage, de cette essentielle séparation. Il dénoue des conflits, il dégage des forces, il
déclenche des possibilités et si ces possibilités et ces forces sont noires, c’est la faute non pas
de la peste ou du théâtre, mais de la vie. Nous ne voyons pas que la vie telle qu’elle est et telle
qu’on nous l’a faite offre beaucoup de sujets d’exaltation. Il semble que par la peste et
collectivement un gigantesque abcès, tant moral que social, se vide; et de même que la peste, le
théâtre est fait pour vider collectivement des abcès.
Nous pensons une fois de plus que l’on ne peut pas séparer l’art de la société de laquelle
d’ailleurs il tire toute sa quintessence. Nous avons pu comprendre dans le chapitre premier que
même quand on définit la littérature selon la forme, l’on ne peut pas la détacher de la société,
ne serait-ce qu’en la considérant en tant que produit de la société, elle repose sur cette dernière
pour trouver sa vraie valeur. Il y a lieu dans cette optique de renforcer les propos de Munch
(2001:487) qui trouve que
[…] l’œuvre d’art réussi est celle qui crée dans le psyché du lecteur ou du spectateur un effet de vie.
Pour préciser un peu, disons que le lecteur qui entre dans une œuvre est d’abord pleinement dans sa
propre vie, mais que peu à peu il s’en éloigne partiellement pour expérimenter d’autres faits,
d’autres gens, d’autres émotions et d’autres pensées qui lui sont suggérées par le texte et qu’il
construit en collaboration avec lui. Cet effet n’est pas une simple prise de connaissance ou de
compréhension mais qu’il touche toutes les facultés de l’être humain grâce à des techniques propres
et parfaitement analysables. […]. Comme la vraie vie qui s’adresse à tout l’être, le texte de valeur
148
Le théâtre n’est donc pas un art ex-nihilo. En effet, l’art en général est une expérience qui se
nourrit de l’interaction entre l’homme et son environnement. Toute représentation, à quelque
niveau que ce soit, implique la dualité homme objet. C’est en ces termes que Dewey
(2010:406) explique l’expérience esthétique. Dewey trouve que l’expérience esthétique en tant
qu’interaction entre sujet et objet, entre un soi et son monde, n’est en elle-même ni simplement
physique ni simplement mentale. Elle consiste ainsi communément à trouver du plaisir dans
l’objet, un plaisir qui lui est à ce point inhérent que l’objet et le plaisir forment dans
l’expérience une seule et même chose. Car le trait distinctif unique de l’expérience esthétique,
c’est précisément le fait que pareille distinction entre soi et l’objet n’y est pas reçue, vu que
l’expérience est esthétique dans la mesure où l’organisme et l’environnement coopèrent pour
instaurer cette expérience au sein de laquelle les deux sont si intimement intégrés que chacun
disparaît.
Et d’ailleurs nous trouvons quelque peu contradictoire la position de Ricard (1972:18,
31), car étudiant Wole Soyinka et Leroi Jones, il semble faire un rapprochement entre les
auteurs, leurs œuvres et la société. Puisque Ricard montre que par leur engagement et la
situation enracinée de leur œuvre Wole Soyinka et Leroi Jones nous offrent la possibilité rare
de comparer deux univers théâtraux dans lesquels conflits raciaux, revendications d’identité
culturelle et mythes politiques cohabitent. Il pense décrire ainsi, de ces œuvres, un ensemble de
thèmes qui entretiennent avec l’idéologie politique des groupes d’artistes et d’intellectuels afro-
américains et nigérians des rapports complexes. Une sociologie du théâtre qui se propose
l’étude du rapport fonctionnel du contenu des pièces ainsi que de leur style, avec les cadres
sociaux réels, en particulier les types de structures sociales globales et les classes sociales peut
être d’un grand recours à la littérature comparée en permettant un meilleur enracinement des
thèmes dans des sociétés concrètes. De cette manière d’ailleurs, Ricard ne s’écarte pas de
Sainte-Beuve qui ne sépare pas l’homme de l’œuvre.
La littérature, déclare-t-il [sainte Beuve], n’est pas pour moi distincte ou, du moins, séparable du
reste de l’homme et de l’organisation… Que pensait-il de la religion? Comment était-il affecté du
spectacle de la nature? Comment se comportait-il sur l’article des femmes, sur l’article de l’argent?
Etait-il riche, pauvre; quel était son vice ou son point faible? Aucune réponse à ces questions n’est
indifférente pour juger l’auteur d’un livre et son livre lui-même… (Nisin, 1960:33).
149
Pour appuyer, à juste titre d’ailleurs, l’existence du théâtre en Afrique, les auteurs
soulignent que ce n’est pas le texte du récit, qu’il soit oral ou écrit qui importe; nous venons de
le comprendre dans les analyses faites ci-haut. Mais c’est le jeu théâtral, le jeu d’incarnation du
narrateur. Ce dernier représente les personnages du récit. Il les rend visibles, palpables et
audibles pour le public, par le jeu d’incarnation, qui consiste à représenter physiquement les
personnages dans les faits. C’est seulement à cette condition que le conte relève du théâtre. Il
s’agit de la prestation du conteur dans laquelle les spectateurs le voient en train de représenter
des personnages fictifs du récit, créant ainsi, un univers poétique; de sorte que, la narration qui
est aussi un des procédés théâtraux, devient plutôt un jeu où, l’interprète rentre dans la peau
d’autant de personnages que comporte le récit. Nous en parlons dans le chapitre suivant où
nous montrons que l’interprète ou le conteur s’adaptait à la physionomie d’autant de
personnages que renferme son récit. Aussi, le registre de sa voix change-t-il au gré des
sentiments ou des émotions qui entraînent des intonations et des inflexions assorties. Par
ailleurs, son allure générale, son regard, la dynamique de ses mouvements et gestes, s’adaptent
aux différents états d’âme des personnages concernés. Le jeu du conteur doit permettre au
public de contempler les personnages à l’œuvre, engagé dans les événements qui suscitent soit
la sympathie, soit la répugnance, soit l’antipathie aussi bien du public que de l’un ou l’autre
personnage fictif du récit.
Introduisant la table ronde sur le théâtre zaïrois et précisément sur le sous-thème théâtre
zaïrois et critique, Ngal Mbuil aMPaang (1977) confirme l’existence d’un théâtre africain
traditionnel et indique qu’il faut le chercher dans notre personnalité spectaculaire. C’est dans ce
sens que Caron (2000:102) parle de théâtre haoussa: Une pratique religieuse haoussa, le culte
de possession du bori, comprend, hors de la musique, les chants et les kirari (devises), au cours
de la possession, la représentation, l’incarnation de l’esprit qui «chevauche» son adepte. On a
affaire là à une représentation, certes, mais qui échappe au domaine du théâtre occidental. Dans
le même sens, Mikanza Mobyem (1977), répondant à une question liée au théâtre africain
traditionnel, à la suite de son intervention sur «le théâtre zaïrois à la dérive», dans le cadre de la
table ronde susmentionnée, avait affirmée: «Le théâtre zaïrois existe, mais je suis incapable de
vous convaincre si vous ne voulez pas être convaincus».
Le R.P Struyf (1936:3) étudiant les légendes Bakongos y voyait déjà de véritables
pièces de théâtre. Ainsi écrivait-il «La vie indigène que ces fables et légendes reflètent est tout
d’une pièce: superstitions, morale, croyances naturistes et animistes, soucis de la nourriture
150
The scene of story-telling is in itself a miniature theatre where the audience sit in a semi circle
facing the narrator who is the protagonist. The narrator, for effective communication, must not only
be heard, but seen. The oral tale narration far transcends ordinary verbal communication; it is a
dramatic performance with gestures, voice modulations, facial twists, dramatic body movements like
jumping, body side twists, elboy edging, rythmic leg flexing and other acts, all designed for better
communication and to enhance the appeal of the words.
Lecoq (1997: 71) dans son ouvrage Le corps poétique, dit ceci, parlant du théâtre:
«Nous n'abordons pas le théâtre dans sa dimension symbolique, telle qu'elle se manifeste dans
certains grands théâtres orientaux». Pruner (2010:6) a défini les théâtres orientaux en
l’opposant au théâtre occidental. Il démontre ainsi que le théâtre occidental a longtemps été
subordonné au primat du texte. C’est à partir de celui-ci que la représentation se construit,
qu’elle s’y soumette pleinement ou qu’elle le mette en question. Alors que dans les traditions
orientales (Kathakali indien, Nô japonais) la représentation théâtrale se compose de danses, de
chœurs et de musique, articulés en des sortes de cérémonies liturgiques qui ne privilégient
aucun de ces éléments mais le fondent ensemble de façon spectaculaire, le jeu théâtral en
Occident s’élabore le plus souvent à partir des discours et des actions contenues dans les textes
dramatiques.
Nous concluons cette section par cette mathématique judicieuse d’Helbo (1983) qui
résume tout ce que nous avons dit dans cette section et même un peu concernant la situation
africaine. Nous ne saurons résumer cette pensée de crainte d’escamoter un détail important,
étant donné que toute cette pensée semble apporter beaucoup plus de force dans ce qui est dit
ci-haut. Nous sommes malheureusement obligé de la rendre in extenso:
Helbo (1983:50) montre que les dramaturgies occidentales n’ont guère contribué à
clarifier l’investissement du sujet face à la convention spectaculaire: si certains s’accordent sur
l’idée qu’un spectacle ne peut être conçu comme l’association exclusive du mot et du sens,
rares sont les analyses qui se hasardent à proposer par exemple une approche pulsionnelle du
sujet. La dramaturgie indienne abonde pourtant de pareilles typologies, pour ne citer qu’une
théorie parmi d’autres, celle du Masa25, les états émotionnels représentés au théâtre et auxquels
le spectateur participe fournissent une grille d’analyse très développée. Déterminations
causales, signes extérieurs, états émotionnels permettent d’élaborer un système articulé sur
25
Marché des Arts et des Spectacles Africains. (Yoka, 2010).
151
deux postulats:
Helbo reprend ainsi en cela, les postulats d’Artaud (1964) a qui, d’ailleurs, il réserve la
prescience des conclusions qu’on peut tirer d’une approche énergétique du théâtre:
- le spectacle est dispositif énergétique conçu moins pour la vue que pour l’ouïe
«les sons, les bruits, les cris sont cherchés d’abord pour leur qualité vibratoire,
ensuite pour ce qu’ils représentent »;
Cette observation d’Helbo n’est donc pas loin de propos tenus par Senghor (2009:13)
dans la préface de l’ouvrage d’Ibanez où il montre qu’en fait l’Africain ne dit pas «Je veux que
tu me comprennes», mais «Je veux que tu me sentes».
Senghor montre que le fondement de la vie de l’homme africain noir singulièrement de
la religion et de l’art était l’animisme. Il faut entendre par ce mot croyance, le sentiment que,
dans l’univers, singulièrement sur la terre des hommes, tout est vivant26, possède une âme, tous
les éléments naturels –l’eau, la terre, les arbres, les images – jusqu’aux hommes et aux êtres
surnaturels.
Libotte (2004:31) décrit l’animisme comme la religion des Bantous avant leur
christianisation et il montre d’ailleurs que le christianisme n’a pas pu l’éliminer (tel était
pourtant l’objectif). Il montre comment ces derniers communiquent avec les forces de la nature
pour maîtriser cette dernière. Pour qu’ils puissent communiquer avec elles, afin de les rendre
favorables, il fallait qu’ils se dotent d’une âme semblable à la leur, accessible par un langage et
des rites appropriés, connus des chamans et autres sorciers. Il montre évidemment que
26
C’est nous qui soulignons.
152
l’animisme, culte de la force vitale incarnée dans tous les êtres dotés de force ou de mouvement
(les êtres vivants, la pluie, le vent, les eaux, les sources et les mers p.ex.), conjugué au culte des
ancêtres était notamment la religion des Bantous, avant leur christianisation. Loin d’avoir été
totalement éliminée, son influence demeure considérable; toute mort ou maladie grave est
suspecte des traces des cultes antérieurs sous la forme des danses et chants collectifs qui, dans
l’ancienne religion, étaient censés imprégner la communauté de forces positives, ou d’effrayer
les mauvais esprits, sans oublier les exorcismes, explicite-t-il.
Dans ce sens d’ailleurs, Ramsaran (1970:55) analysant certaines œuvres africaines
notamment Prayer to Mask de Senghor (1948), The Brave African Huntress(1958) de Tutuola
déclare: «These examples from sculpture, drawing, literature and the theatre indicate the
fluidity of the artistic mind unimpeded by set forms art. It is a fluidity which perhaps comes
more naturally to the African mind in societies where the old cultures are still virile […] ».
Si l’Orient possède un théâtre qu’Artaud (1964) considère de vivant à cause de toutes
ces caractéristiques énoncées par Helbo (1983), donc nous sommes en droit de considérer, et
Helbo cite d’ailleurs l’exemple de Masa, sur base des caractéristiques décrites ci-dessus, que
l’Afrique n’est pas hors série.
Après cette confrontation argumentaire, nous pensons qu’il y a lieu de tirer
objectivement, des conclusions sur la situation du théâtre africain, en suivant ses
caractéristiques telles qu’elles seront exposées dans le chapitre suivant. Il serait peut être plus
convenable de penser comme Centner (1963: 369-370) en précisant que
Le théâtre en tant que tel n’existait pas jadis… il serait plus juste de préciser qu’il n’existait pas
d’œuvres dramatiques, ni d’édifices spéciaux, ni d’acteurs de métier… cette fois encore, les Bantous
ont fait de l’art sans le savoir. Comment appeler autrement ces festivals grandioses que sont les
danses de guerre ou de chasse… dans le cadre prestigieux de la nature elle-même et le décor,
effrayant ou fascinant, parfois irréel, toujours suggestif, de leurs masques, de leurs armes, de leurs
costumes d’apparat, les danseurs nerveux et souples miment avec brio les péripéties et l’ardeur
guerrière du combat, stimulés par les roulements des tambours et les chants des chœurs.
Même si nous partageons le point de vue de Centner ci-dessus, nous voulons nuancer
que les Bantous n’ignoraient pas qu’ils faisaient de l’art. Plusieurs raisons peuvent l’attester: les
catégorisations de différents discours, l’existence des lieux appropriés pour ces genres
d’événements, les fonctions assignées à ces genres de spectacle et l’existence des noms les
désignant. A ce propos, nous pensons que la meilleure manière de juger une littérature est de
l’examiner dans son contexte d’énonciation. En effet, en vue de bien appréhender la spécificité
de la littérature africaine [ou de l’Art africain] par rapport aux autres, nous devons bien définir
153
les critères qui permettent de la reconnaître comme littérature africaine d’abord. Comme le
proposent Chinweizu, Onwuchekwa and Ihechukwu (1980:10) concernant la question What is
African Literature?
The central issue is: (1) by what criteria should African literature be judged? In attempting to
answer this question, it is important to investigate two underlying matters: (2) what is African
literature? – that is, what works, and for what reasons, fall within the body of African literature? (3)
what is the proper relationship between this body of works and the other national or regional
literatures in the world?
C’est seulement de la sorte que l’on peut faire une démarcation entre les différentes
littératures et savoir comment chacune a contribué à enrichir la littérature universelle. Si Artaud
(1964) a su considérer l’influence du théâtre oriental sur le théâtre occidental, c’est parce qu’il
a étudié le théâtre balinais en tant que théâtre oriental et non en tant que théâtre occidental:
assurément il n’aurait rien trouvé d’intéressant. En effet, pour référer aux mêmes auteurs: «In
other words, if the mission of the African novel is to attain universality, it can be quite easily
accomplished, at least with regard to the problem of setting, by having the African novel set
entirely outside Africa! In short, the proper sitting for the African novel is the West. African
novelists ostensibly create problems for ‘universalist’ critics by setting their nivels in Africa! ».
(1980:99).
Libotte (2004:31) a su trouver, par exemple, que longtemps méconnu, l’apport bantou à
la culture universelle apparaît maintenant considérable. Il a introduit une nouvelle conception
de la musique, avec la prédominance du rythme et d’un état d’esprit particulier, le «blues», qui
a également imprégné les façons de penser, entre le romantisme, la nostalgie et l’expression des
forces intérieures. Dans les arts figuratifs, aussi, ils ont été des précurseurs de la stylisation des
formes, et de la matérialisation des forces spirituelles. Enfin, dit-il,
Kesteloot (1963:323) n’a pas moins souligné l’apport nègre dans l’enrichissement de la
littérature: l’émotivité à la fois robuste et hypersensible, «poreuse à tous les souffles du monde»
qui caractérise l’âme nègre et ses manifestations, cette émotivité transfigure jusqu’à la langue
employée.
154
Thomas L-V (1992:7) en fait une digestion importante concernant l’analyse des
proverbes judiciaires kongos de Ryckmans (1992). Il vint à conclure que l’oralité négro-
africaine réconcilie le réel et le sur-réel par le biais de l’émotion. Cela revient à dire que
l’homme, sans cesser d’être l’homme concret, vivant, accède au sens profond du monde, non
pas par sa seule raison, par abstraction, mais par son être total, corps et esprit liés; la parole
engage la sensualité avec la rationalité. On peut ainsi com- prendre, connaître avec le corps,
avec le rythme du sang qui bat dans ce corps. Là est l’émotion. Le mot-image dégage, rayonne
l’émotion. Pour l’Afrique, observe Thomas L-V, être é-mu, c’est donc participer au jeu de
forces qui anime l’univers, en communion étroite avec les membres du groupe (village, clan,
lignage, classe d’âge) et par le truchement du verbe, déclencheur de forces. Emotion-jeu dans
l’activité ludique (fables, légendes), Emotion-initiation dans la saisie des vérités primordiales
(récit mythique), Emotion-sacrée dans le contact avec le numineux (paroles sacrificielles) en
résument les modalités existentielles. Les détails décrits ci-haut ne sont pas loin des
caractéristiques du théâtre balinais que décrit Artaud (1964:86,87-88) en l’opposant au théâtre
occidental:
Notre théâtre qui n’a jamais eu l’idée de cette métaphysique de gestes, qui n’a jamais su faire servir
la musique à des fins dramatiques aussi immédiates, aussi concrètes, notre théâtre, purement verbal
et qui ignore tout ce qui fait le théâtre, c’est-à-dire ce qui est dans l’air du plateau, qui se mesure et
se cerne d’air, qui a une densité dans l’espace: mouvements, formes, couleurs, vibrations, attitudes,
cris, pourrait, eu égard à ce qui ne se mesure pas et qui tient au pouvoir de suggestion de l’esprit,
demander au Théâtre Balinais une leçon de spiritualité. Ce théâtre purement populaire, et non sacré,
nous donne une idée extraordinaire d’un peuple, qui prend pour fondement de ses réjouissances
civiques les luttes d’une âme en proie aux larves et aux fantômes de l’au-delà. […] C’est quelque
chose qu’on ne peut aborder de front que ce spectacle qui nous assaille d’une surabondance
d’impressions toutes riches les unes que les autres, mais en un langage dont il semble que nous
n’ayons plus la clef, […] Et par langage je n’entends pas l’idiome au premier abord insaisissable,
mais justement cette sorte de langage théâtral extérieur à toute langue parlée, et où il semble que se
retrouve une immense expérience scénique, à côté de laquelle nos réalisations, exclusivement
dialoguées, font figure de balbutiements. […] Il y a là tout un amas de gestes rituels dont nous
n’avons pas la clef, et qui semblent obéir à des déterminations musicales extrêmement précises avec
quelque chose de plus qui n’appartient pas en général à la musique et qui paraît destiné à envelopper
la pensée, à la pourchasser, à la conduire dans un réseau inextricable et certain.
155
Conclusion
Nous avons dans ce chapitre confronté certains arguments portés sur le théâtre africain.
Notre souci était de saisir avec pertinence leur portée dans l’appréciation de ce théâtre. Et ici,
nous pensons comme Hubert (2008) que le théâtre sera ce que nous le ferons, n’est pas théâtre,
c’est que nous ne désignons pas. Ce qui revient à dire que chaque peuple à des canons
esthétiques propres à partir desquels il juge et classe les œuvres d’art. De ce point de vue, il
appartient à chacun de définir son répertoire de formes théâtrales selon les codes spectaculaires
propres. Ici, il y a lieu de comprendre le métafolklorisme de Ben Amos (1974), à travers lequel
il considère que les différentes taxinomies de la littérature [notamment dans le domaine de
l’oralité] devront tenir compte de la taxinomie propre de chaque groupe, comment les différents
groupes désignent leur littérature et quel commentaire ils font à ce propos. Nous l’avons
évoqué à l’introduction générale en référence à Calame Griaule. Ce chapitre qui prépare celui
qui suit aide à comprendre comme nous le dirons dans la conclusion du chapitre suivant, que
l’Afrique n’ignore pas de théâtre. Sheriff (2004:171) montre que le théâtre traditionnel est
antérieur à l'Etat Sierra Léonais. Ainsi déclare-t-il que “As in other parts of Africa, traditional
theatre from the pre-colonial era is as old as Sierra Leone's existence itself.”
Il est évident de conclure comme le dit Todorov (1977:358) que chaque société, chaque
culture possède un ensemble de discours, dont on peut former la typologie. Il n’y a pas lieu de
condamner l’un au nom de l’autre (autant traiter la glace d’eau déviante, disait Richards), mais
cela ne veut pas dire non plus: chaque discours est individuel et ne ressemble à aucun autre.
Entre le discours et les discours: il y a les types de discours. Ce qui revient à comprendre
comme Calame Griaule et al. (1982:201) que chaque culture découpe et organise à sa façon son
expression littéraire dans le cadre de l’usage spécifique qu’elle fait de ses produits culturels, ce
qui comporte aussi une définition sociale et un classement particulier des genres. Force est
donc de constater de ce point de vue, comme le soutiennent Chinweizu, Onwuchekwa and
Ihechukwu (1980:4):
But African literature is an autonomous entity separate and apart from all other literatures. It has its
own traditions, models and norms. Its constituency is separate and radically different from that of
the European or other literatures. And its historical and cultural imperatives impose upon it concerns
and constraints quite different, sometimes altogether antithetical to the European .
C’est dans ce sens qu’il faut considérer à leur juste valeur les catégorisations que chaque
peuple fait de son discours, pourvu que cette dernière entre dans la catégorisation générale des
discours. Ainsi par exemple, que l’Africain considère le conte comme une forme de théâtre
156
dépend de l’acception qu’il pose pour le présenter comme tel. Et d’ailleurs le texte d’un conte
folklorique, par exemple, se trouve à l’intersection de deux ensembles: l’ensemble des
possibilités du système d’énonciation (code formel) et l’ensemble des valeurs, des idées de base
qui constituent un système culturel (code sémantique) caractérisé par la présence de certaines
oppositions sémantiques en dépit d’autres. Tous ces codes sont compréhensibles dans le
contexte de leur application et ne peuvent pas être jugé en dehors de ce dernier.
A partir du moment où les deux systèmes se rencontrent dans le texte ils commencent à
entretenir des rapports de conditionnement réciproques: le code formel est une nécessité pour la
formation du sens textuel – pas de sens sans une énonciation syntaxique du sens – et le code
culturel, à son tour, régit l’articulation syntaxique du discours. Il est donc fallacieux de vouloir
décider entre la structure syntaxique d’un texte, déterminée à partir du choix fait par le sujet
énonciateur parmi les possibilités offertes par le système d’énonciation, et la structure
sémantique du même texte constituée par les oppositions du sens propres à un code culturel
donné quand nous voulons établir les traits distinctifs d’une manifestation discursive. De ce
fait, à partir de la théorie générale du théâtre (les fondamentaux du théâtre), nous avons voulu
faire comprendre comment le théâtre africain s’insère en tant que discours spécifique.
157
Chapitre Trois
Introduction
le livre que ce dernier lui a consacré, Grotowski précise «Qu’il n’est pas de théâtre lorsque
disparaît le commerce direct, vivant et palpable de l’acteur et du spectateur». Ainsi comme
nous l’avons dit précédemment avec Brook (1972), le théâtre commence à exister dès lors qu’il
y a d’une part un acteur qui joue et de l’autre un spectateur qui regarde.
Dans le domaine africain, nous devons comprendre, par exemple, que la limite entre la
littérature et le quotidien est identifiable par des formules qui créent automatiquement le cadre
de ce qui va être fait, le changement de régime. C’est dans ce sens que nous pouvons
comprendre la description que Diagne (2005:130) fait du déroulement de la narration du conte.
Il considère d’abord que les formules introductives ont du moins, entre autres fonctions, celles
d’avertir l’auditoire du genre du récit qui va être produit, et du type de réalités qui y ont cours.
Il montre que tout leur coefficient existentiel résidant dans le fait d’être proféré et entendu, les
formules initiales permettent d’installer la scène et le décor du conte et, ce faisant, d’ouvrir un
espace-temps en rupture avec la quotidienneté. Espace-temps infini de l’imaginaire et du rêve
régi par la fantaisie, utopique et chronique par vocation, qui trouve pourtant à s’insérer, par
effraction dans le monde ordinaire, de créatures et des faits extraordinaires, soit annoncé et
sanctionné au moyen d’un pacte narratif auquel souscrivent, par des déclarations
circonstanciées, les parties contractantes que sont le narrateur et l’auditoire. Dans l’échange de
propos qui ouvre l’espace du conte se produit ce que Brès (1989) appelle la négociation
interactive de l’acte narratif à travers laquelle le narrateur vérifie par avance que le narrataire
est disposé à l’écouter: il tâche de le placer en position de demandeur.
Toutes ces considérations nous permettent de poser le principe que la nature du théâtre,
c’est le spectacle, et que son objet est la représentation des personnes fictives (engagées dans
des situations tout aussi fictives) par des comédiens (des humains: des hommes réels) devant
des spectateurs (également humains: des hommes réels).
Si nous observons les genres dramaturgiques en Afrique, suivant les principes que nous
avons posés dans le chapitre premier et les descriptions que nous avons faites dans le chapitre
deux, leurs conditions existentielles et d’énonciation (le jeu d’incarnation dans la prestation
dont ils font l’objet, la fiction à laquelle elles confèrent l’illusion du réel à l’intention du
public), il y a lieu de décrire, comme nous venons de le dire ci-haut, sans conteste comme du
théâtre authentique, certaines formes spectaculaires africaines. Ces dernières existent sous
diverses formes et appellations. Si l’état actuel de nos recherches ne nous permet pas encore de
donner une liste exhaustive de ces formes de théâtre africain traditionnel, (il en est de même
pour celle de notre propre pays: la R.D.C), nous pouvons néanmoins citer, à titre indicatif, les
quelques unes qui donnent des arguments à l’existence d’un théâtre africain.
160
Le point de vue de Cornevin (1970:17,11) à ce sujet nous paraît étayant. Pour Cornevin,
les nombreuses manifestations religieuses constituent en Afrique de véritables spectacles. Il
aligne dans cette catégorie, entre autres, les cérémonies d’initiation ou de sorties de couvent
fétichiste où les jeunes gens en uniforme dansent ensemble constituent un ballet souvent très
beau à voir. Il souligne pour ce faire que pour des êtres aussi religieux que les noirs, certaines
manifestations de cultes, danses collectives, scènes mimées, pour se rendre favorable les
divinités de la chasse, chœurs alternés constituaient de véritables spectacles d’autant plus
goûtés qu’ils se situaient, dans les pays de savane, en période sèche, durant la morte saison
agricole, en un temps de loisirs où la sécheresse rend la bière de mil ou le vin de palme
agréable au palais de chasseurs. Durant ces périodes, les cérémonies commençaient à la nuit
tombée quand il fait frais aux lueurs du feu de camp. Il n’y avait pas besoin de salle. Par
ailleurs les souverains avaient autour d’eux griots traditionnalistes et griots chansonniers. C’est-
à-dire les éléments du drame historique et de la farce.
Le point de vue de Cornevin a une portée d’autorité en ce que non seulement elle
témoigne de la théâtralité des cérémonies d’initiation, mais aussi en décrit les circonstances
d’énonciation, les personnages, et l’espace. Des éléments très liés dans le théâtre urbain
kikongophone, ainsi que nous allons le démontrer dans le chapitre cinq et six.
Il y a une évidence face à laquelle on ne doit pas tergiverser. C’est celle d’affirmer que
des formes de théâtre existaient en Afrique bien avant les manifestations des élèves de l’E.P.S.
de Bingerville ou de l’Ecole Normale William Ponty et même avant l’arrivée des
Européens.C’est de cela que Cornevin (1970:8) rend témoigne en déclarant:
Conscient de l’apport positif que le théâtre africain peut apporter au théâtre européen et américain,
j’ai pensé qu’il était absolument nécessaire de le faire connaître bien que ce sujet paraisse éloigné de
161
Ces formes évoquées par Cornevin constituent ce que nous appelons théâtre
traditionnel. Le théâtre traditionnel est le théâtre typiquement africain dont le modèle, comme
nous venons de le faire observer, se trouve être le conte et ses corollaires. De ce point de vue,
pour revenir à Sony Labou-Tansi (1984), l’Afrique n’a pas besoin de chercher des modèles de
cet art ailleurs que chez soi. Et Omotosso (2004:12) montre dans le même sens que ce théâtre
est identitaire.
In the meantime, theatre drama and performance will continue to assert that the holy places of
African peoples are not Jerusalem, not Mecca and Medina, not in the consumer emporiums of
London, Paris, New York and Tokyo. Rather, our performance traditions will continue to assert that
our holy places are next door to us, in identity within the embrace of our modernity, and that our
everyday sacred and secular rituals continue in our indigenous languages.
C’est un théâtre total et vivant. En ceci, il partage les mêmes caractéristiques que le Nô
japonais ou le Kathakali indien. Nous avons vu, dans le chapitre deux, la description que Pruner
(2010) a fait du Nô japonais ou Kathakali indien , que Artaud (1964) a fait du théâtre balinais
en démontrant que dans les traditions orientales, la représentation théâtrale se compose de
danses, de chœurs et de musique, articulés en des sortes de cérémonies liturgiques qui ne
privilégient aucun de ces éléments mais le fondent ensemble de façon spectaculaire, alors que
le jeu théâtral en Occident s’élabore le plus souvent à partir des discours et des actions
contenues dans les textes dramatiques. Nous venons de voir comment Helbo (1983) fustige, en
référence à Artaud (1964), des conceptions qui ne tiennent pas compte de cette particularité
vivante (émotion, sensibilité) dans la caractérisation du théâtre. Or Senghor (2009), vient de le
dire et nous le verrons dans le chapitre six précisément, que tout est vivant en Afrique. Et
comme tout est vivant, tout parle. Ce qui signifie que l’Homme africain dans sa vie de tous les
jours entre très souvent en interaction avec la nature à divers niveaux. En effet, dans le théâtre
africain tout joue. L’eau, la nature participe à la pièce parce que faisant partie intégrante de la
société. C’est pourquoi, les représentations africaines nous montrent que le Noir africain dans
sa vie de tous les jours parle à la nature et celle-ci participe à des degrés divers à la
restructuration de la vie par des réponses idéales. Ceci justifie aussi l’aspect total de ce théâtre
comme nous allons en parler dans le chapitre suivant.
Nous pouvons démontrer avec des exemples la probité d’une telle démarche. Ainsi, par
162
exemple, l’épopée Lyanja chez les Mongo, le nstàka et le wala chez les Kongo, l’épopée
Mwendo chez les Nianga à l’Est de la République démocratique du Congo, les mythes de
Dogon du Mali, l’épopée mandingue, le mvèt au Gabon et au Cameroun constituent-ils des
genres de représentation et de spectacle très captivants. Tous ces genres sont exprimés sous
forme scénique, et leur représentation ne sort pas du canon théâtral, très vivant et spectaculaire.
Nous pouvons, par exemple, illustrer cet aspect à travers ces extraits des textes qui renferment
déjà par leur conception l’aspect scénique; ce qui corrobore bien les propos de Durand (1975)
qui estime que dans le théâtre la représentation est déjà inscrite dans le texte ou Helbo (1975a)
qui considère que la mise en scène peut être énoncée ou intégrée dans le texte verbal ou non. Le
premier est tiré de Légendes Bakongos, Struyf (1936:161) le deuxième de Mwendo. Une
épopée nyanga, Biebuyck & Kahombo Mateene (1969).
Kilumbu kimosi bavwende gana ziku. Yandi mwana nde: E tata, wu nlele ivwete, bu isumba wo,
ngeye tata kani k’ubutuka ko!
Tata nde: ye! Ngeye mwana, mono ikubuta, mu nima mono mu utuka, bubu nde nlele uvwete,
bu usumba wau, mono tat kani k’ibutuka ko? Oh, Oh! Diambu dinkaka didi, mama ngwa!
Mwana uyikidi diaka kingana nde : Ngeye tata, mono mwan’aku, buna ivila, keti sa unsosa?
Mu dia, mu nwa. Lelo kiki, yandi mwana muna nzodi nguba ukotele; nguba, koko di nsusu
minini; koko di nsusu, mfwenge bakidi; mfwenge, ngo bakidi; ngo, ngandu bakidi; ngandu,
muna nswa uyika tata, fwidi.
Yandi tata, buna wele tala ngandu muna nswa, nde: E ngwa ngandu umana bantu!
Utombwele mu nseke, utukisi mbele, utetele ngandu. Ga katala, ngo mu kati ki ngandu, nde:
Tata nde: Nki ngeye mwana ibuta, mu nima mono mu utuka, bubu ngeye umvioka ngangu!
Bu bakele,bakele, yandi tata nde: twenda mwana mu mfinda, tukwenda konda mbisi.
Bele; bakondele, bakondele. Yandi tata tele mbomfo; bu banata, nkatu. Mbisi inene.
Mwana wele ku gala. Mu dila nde: Tat’aku fwidi! E ngwa mama, tat’aku fwidi! Ngeye tata
ukwisa samuna!
Mwana uvutukisi kuna masa, tata ubokele ngolo nde: bele kwe?
Tata nde: Malu-malu imona mu meso bantu, besa; tusasa mbisi, kuma sa kuyila.
Yandi mwana nde: E bambuta lutwenda, tusasa mbisi. Tata mu samuna kaka kena!
Ba ngudi ye bambuta: E ngwa! Mwana yu u zoba kwandi! Tata’aku ufwidi, ngeye k’ulenda
mona nkenda ko, ngeye k’una ngangu ko! tat’aku ufwidi. I yu ulambelele… Ngeye mu landa
mambu!
Ba kawidi buna, wele vutuka diaka kuna masa, kuna tat’andi. Tat’aku nde: Keti kwe bele?
Tata nde: E mwana widi, ngeye i mbuta, kansi si bongi! ku ikutuma uzeyi keti kwe? Ku gata di
matebo ikutuma. Ngeye ulengana-lengana mu mwini wu ngolo. Kansi keti usengomwene? Widi,
ngeye uluta mono mu ngangu!
Bambuta batela kingana nde: Makutu ka maluta ntu ko. Nleke, nleke kwandi; mbuta, mbuta
kwandi.
Un jour, tous les deux étaient assis autour du feu. L’enfant dit: «Père, tu vois ce pagne que je
revêts, eh bien! Lorsque je l’ai acheté, toi, mon père tu n’étais pas encore né!»
Le père s’écria: «Hein! Tu es mon fils, c’est moi qui t’ai engendré, tu es sorti de moi, et
maintenant, que me racontes-tu? Quand tu achetais le pagne que tu portes, moi, ton père, je
n’étais pas encore né! Oh! Oh! Quelle curieuse histoire! C’est une autre affaire, parbleu!»
L’enfant fit encore cette question: «Tu es mon père, je suis ton fils, si je me perdais, me
chercherais-tu?»
Ils burent, ils mangèrent. A quelque temps de là, l’enfant entra dans une grosse arachide. Un
coq mangea l’arachide. Une fouine prit le coq, un léopard prit la fouine. Un crocodile prit le
léopard. Le crocodile, lui se fit prendre au piège préparé par le père, et creva…
Le père, voyant le crocodile dans le piège, s’exclama: «Oh! Oh! Camarade crocodile! C’est toi
qui extermines les hommes!»
Il tira le crocodile sur la berge, s’empara de son couteau et dépeça l’animal. En regardant, il vit
le léopard à l’intérieur du crocodile.
«Oh! Oh! Je comprends; si les poules disparaissent si vite, c’est parce que les fouines me les
prennent!»
«Vous voyez! Si les arachides disparaissent si vite, c’est parce que les poules les mangent!»
Il écossa l’arachide… Et voici que l’enfant apparut. «Voilà donc, s’écria le père, je ne t’ai pas
cherché!»
- Comment! Toi, mon enfant, je t’ai engendré, poursuivit le père, tu es sorti de moi, et
aujourd’hui tu me dépasserais en intelligence!
Longtemps après, le père dit au fils: «Allons à la forêt, allons chasser le gibier.»
Ils y allèrent, ils chassèrent des heures et des heures. Le père abattit une antilope «mbomfo».
La grande grande; personne pour la porter.
- Va, mon fils, avertis les gens demeurés au village, qu’ils viennent porter la bête.
L’enfant courut au village. Tout le monde pleurait: «ton père est mort! Ton père est mort!
Comment peux-tu dire que ton père nous appelle?»
L’enfant retourna à la rivière, le père lui cria de toutes ses forces: «Où sont-ils allés?»
L’enfant de répondre: «Je suis allé au village, tous pleurent, disant que tu es mort!»
- Allons, vite, vite, que je voie de mes yeux des hommes! qu’ils viennent donc, le jour est
avancé et nous devons dépecer la bête!
L’enfant se hâta de nouveau vers le village. Quand il y arriva, les pleurs retentissaient
toujours.
Il cria: «Allons, allons les anciens, venez dépecer la bête. Mon père vous fait avertir une
fois de plus!»
Mais hommes et femmes de répondre: «Eh quoi! Cet enfant est fou! Ton père est mort! Tu
n’as donc point de cœur! Tu n’as donc point d’esprit! Ton père est mort. Cet homme qui gît
là, c’est lui… Quelles histoires viens-tu nous raconter? Toi tu viens susciter des palabres!
166
Sur ce, l’enfant retourna à nouveau à la rivière, près de son père. Celui-ci lui demanda: «Où
donc sont-ils allés? » L’enfant répliqua: «Je suis allé au village. Tous les gens pleurent,
répétant que toi, père, tu es mort!».
L’enfant était hors d’haleine. La chaleur était accablante, il n’en pouvait plus de fatigue. A
cette vue, le père reprit: «Mon fils, tu as voulu jouer le malin, mais tu es pris! Sais-tu où je
t’ai envoyé? Au village des revenants. Tu es à bout de souffle, car la chaleur est forte.
Trouveras-tu encore que tu me dépasses en intelligence? Nos ancêtres répétaient souvent ce
proverbe: «Les oreilles ne doivent pas dépasser la tête: l’enfant est enfant, le vieillard est un
vieillard!»
Wére esénkari wé, mbo wé wénda kasa okohyange, erihumbe raKasiyémbé nte iyé réshéréngé.
Kwarikanga Kasiyémbé, bakéé mbo basesemoké, érihumbe raKasiyembe rabonga na mo kasha,
érumini rwéya na momwanya, asânda siti n’étohoka tuti kasanga torikiré momuntwé n’e, étuti
twatinda na.
Beba, mbo: éa, motorere émuntwé monté! Asânté sahena mobea bati, émono abo aruka maté.
Bakéé bamasonga bobo, béba, mbo: Kasiyémbé ngo wasékwa, mwênde kamokaéré
kanyerékorwabo, kwaMokiti ngé korikanga moriba.
Béta ko. Mbo béyé ko, bakumana Mokiti ékebabari n’émentsâri nt engé emotimbange mo, nâ
wé nte wakokamérwa n’émeca, émoriba uti nte wakokama, angâ na n’itondi.
Esénkari wakéé mbo wasongé ca, wénda karakéréré koré moseke wé, mbo: kokora émotéma,
ango moseke wé wamomobe, mwanauma, weyanga ké kono koré w ente ongo wendaa ké to
kahénda bo, sica émotéma, oboro moké hima n’émotambo wé ngo Kasiyémbé, oramye bo,
ang’ishunane to bo.
Esénkari wakéé wamakindi kwitondoora koré moseke wé, Mwendo wasica émotema,
Kasiyémbé nte omobotée éconga cé, wasémba. (p.116-117).
167
Il dit à sa tante paternelle qu’en un clin d’œil la tignasse de Kasiyembe prendrait feu. Là où se
tenait Kasiyembe, tout le monde fut sidéré de voir les cheveux hirsutes de Kasiyeme prendre
feu: les langues de feu s’élevaient dans l’air; tous les poux et toutes les vermines qui nichaient
sur sa tête, tous, furent consumés.
Quand ils virent que les cheveux de Kasiyembe avaient pris feu, les gens de Kasiyembe crièrent
de prendre de l’eau dans des jarres pour éteindre le feu sur la tête de Kasiyembe. Quand ils
arrivèrent aux jarres, à leur arrivée, il n’y avait plus d’eau; elle s’était évaporée, plus d’une
goutte d’eau n’y restait.
Ils allèrent directement vers les stipes de bananiers. Lorsqu’ils y arrivèrent, ceux-ci étaient
desséchés depuis longtemps, ne contenant plus une goutte de sève.
Ils dirent: «Que faire? Crachons vite de la salive sur sa tête!» Tous les gens étaient privés de
salive; leur bouche manquait de salive.
Réalisant cela, ils dirent: «Ce Kasiyembe risque de mourir; allez lui chercher de l’aide chez son
Maître Mokiti, là où il réside dans le tourbillon.»
Ils s’y rendirent. Arrivés là, ils trouvèrent Mokiti entouré de Papillons et de mouches qui
voltigeaient autour de lui: là aussi l’eau s’était évaporée! Le tourbillon tout entier était
desséché. Plus une goutte d’eau!
Quand sa tante paternelle vit cela, elle alla implorer son fils: «Ouvre ton cœur, toi, mon fils de
la chair, toi enfant unique. Serais-tu venu ici, où je suis, pour nous attaquer? Apaise ton cœur;
délivre mon mari ainsi Kasiyembe, le doyen des Batambo. Soulage-les sans plus leur garder de
rancune.»
Après que la tante paternelle eut fini d’implorer humblement son fils, Mwendo apaisa son
cœur; il réveilla Kasiyembe, agitant Tchonga au-dessus de lui; il chanta:
Otokocέ Mwéndo
Kábotwa-kέnda.
Mwendo, Petit-Qui-Sitôt-Né-Marche.
Ces récits sont transcrits pour des besoins de conservation. Leur vie est orale. Si déjà la
transcription n’a pas pu éroder leur caractérisque des scènes dialoguées, [la simple lecture nous
le témoigne], il faut reconnaître que leur représentation se faisait suivant des normes
dramaturgiques que le texte tel que transcrit ne peut pas rendre. Notons, par exemple, que rien
que l’intitulé de la légende Le pari d’un père et d’un fils suffit pour comprendre que le récit met
en scène deux protagonistes, sans compter d’autres personnages qui interviennent pour nouer
l’intrigue. Mais au cours de leur représentation, il y a un seul acteur qui se met dans la peau de
tous les personnages.
Si grâce aux caractéristiques énoncées au deuxième chapitre, les théâtres orientaux sont
dits «grands théâtres», selon les termes de Lecoq (1997), nous pouvons aussi considérer
certaines formes spectaculaires africaines comme de représentations scéniques correspondant à
ce que l’on désigne par théâtre ailleurs étant donné qu’elles renferment les éléments
fondamentaux qui permettent de reconnaître ce genre: la parole en action comme le considère
Larthomas (2005), Les mots et les gestes par lesquels Helbo (1983) le désigne aussi.
Comparativement au théâtre oriental, tel que défini par Lecoq (1997), le symbolisme, la danse,
le chant ne sont pas une nouveauté en Afrique. La musique et la danse ont une part très
importante dans ce théâtre. Le théâtre africain a ses chantres, les griots; créateurs, ils
retransmettent le reflet de l’âme noire dans leurs chants, dans leurs poèmes, et sont les
organisateurs, du moins l’étaient-ils jusqu’à ces dernières années, de la plupart des
manifestations artistiques en Afrique noire. Si le théâtre est un mime de la vie sociale, c’est
donc normal que le chant, pour le contexte africain, y ait une grande part. Nous devons signaler
que l’accompagnement musical joue un rôle dramatique très important et relève de la
construction de ce théâtre total et vivant. Cet accompagnement musical se réalise de deux
169
manières, tel que le démontre Baumgardt (2002: 22-23). Soit pour constituer une musique de
fond qui soutient le texte de manière continue sans véritablement l’interpréter, soit comme un
moyen expressif qui intervient à plusieurs niveaux. On peut citer l’exemple des déplacements
des personnages qui sont soulignés par la musique: plus le personnage se rapproche de son but,
plus le rythme de la guitare s’accélère. Ici, l’accompagnement remplit une fonction de
dramatisation, là où la simple répétition des énoncés peut paraître monotone. C’est dans ce sens
qu’Ugochukwu (2002:113) met en évidence le rôle du chant dans le déroulement du récit. Cela
en considérant que, outre le fait qu’il mette en évidence le cœur du conte, son noyau central, le
chant sert parfois d’écho au texte qu’il met alors en valeur, récréant les scènes principales du
conte en mettant l’auditoire à contribution et en l’identifiant au personnage-auditoire. Ce
faisant, le chant crée le suspense.
Le théâtre africain est une réalité descriptible, tel que nous venons de le voir
précédemment. Il s’agit d’une émotion collective partagée dans une atmosphère de convivialité,
de solidarité et de recherche d’harmonie existentielle. La représentation n’atteint son plein
impact que donnée en plein air et accompagnée de musique, de chants et de danses auxquelles
participe le public. Ce théâtre constitue ici un élément essentiel de la vie sociale, par rapport à
son rôle didactique et évasif. Par son jeu, il crée l’atmosphère de convivialité, de communion,
de sérénité, de compassion, de régulation sociale. Traoré (1958) observe ainsi le théâtre africain
et en définit la fonction sociale. Le griot, le chanteur de kasala dans la société luba, le poète
dynastique au Rwanda ou dans les royaumes du sud (par exemple, dans l’empire Mofolo dans
son Chaka), les pleureuses dans la société kongo et yaka sont à la fois poètes et acteurs,
metteurs en scène et techniciens du théâtre, possédant parfois des talents de mimique
exceptionnels (par les jeux de physionomie, le recours à la voix de fausset et à la ventriloquie,
l’imitation des gestes et des attitudes, la représentation des sentiments).
Bref le théâtre africain, tout proche encore de ses origines, n’a pas encore perdu le
secret de cette communion que certains théâtres recherchent encore laborieusement
aujourd’hui. La multitude de ballets que l’on trouve à travers toute l’Afrique et qui se sont
développés en marge du théâtre africain d’inspiration occidentale et d’expression étrangère,
constituent le modèle de théâtre total qui n’a rien à envier aux autres formes, fussent-elles
occidentale ou asiatique. Et d’ailleurs, le théâtre moderne occidental tend vers cette forme
orientale ou africaine: Artaud(1964), une des figures de cette évolution en fait une
démonstration sérieuse. Helbo (1983) en a fait une attestation à laquelle nous avons tirée la
sève exploitée dans le chapitre précédent. Nous ne voulons pas dire que le moderne occidental
tend vers le traditionnel africain. Si nous pouvons le dire, c’est démontrer combien, comme le
170
dit déjà Cornevin (1970), ce théâtre a aussi enrichi les autres théâtres. Ce que l’on a coutume
d’appeler «ballet», «danse traditionnelle» et souvent «folklore», est un théâtre à part entière. Ce
modèle renferme tous les fondamentaux du théâtre que nous avons décrits dans le deuxième
chapitre. Il y a dans certaines danses dites traditionnelles, des personnages fictifs et des
histoires (actions) fictives que représente le danseur et/ou la danseuse. Ces derniers prestent,
généralement, dans une aire de jeu en plein air, aménagé en cercle ou en demi-cercle, à
l’intention d’un public donné, fut-il passif ou actif. On y trouve toute la propriété du théâtre,
tous les moyens humains d’expression scénique, ainsi que les procédés de composition
scénique (scénographie et mise en scène).
Il est rural par ses origines et son cadre. Comme nous le verrons dans les analyses qui
vont suivre, dans les sociétés urbaines, ce théâtre, qui se déroule dans les quartiers et sur les
places publiques, dans les deuils ou des cérémonies festives, retrouve encore le cadre des
villages africains davantage que celui des villes modernes.
Ce théâtre est une synthèse artistique, technique et poétique. Par un lien de structure, il
apparaît lié à d’autres fonctions culturelles: au rite, à la musique, à la danse. Le théâtre
proprement dit se présente ainsi, tantôt comme une partie d’un tout (mamnon, ozila,
atoungblan, duka), tantôt comme un aspect de la partie (conte ou roman, sawl ou mvet) d’un
tout. Dans ce dernier cas, où musique et danse accompagnent la littérature, la représentation est
une phase du récit, un aspect développé de celui-ci, enveloppé d’abord en lui, issu de lui et le
complétant. Cette totalité porte un nom significatif chez les Adioukrou de Côte-d’Ivoire:
«esgbêgbl», le jeu. Est appelé jeu toute activité culturelle productrice d’émotion esthétique
«sos-êm-ijn», de joie: activité ludique des enfants, activités intellectuelle et sportive (awarê:
devinette, lutte, etc.), activité collective qu’anime la musique que rythme le tam-tam et que le
corps transpose en mouvements de danse. Cette totalité, ce jeu, c’est «l’art». La représentation
n’existe en Afrique noire que dans et par la synthèse des fonctions artistiques. Chinweizu,
171
Onwuchekwa and Ihechukwu (1980:82) décrit cet aspect synthétique du théâtre africain en des
termes ci-après:
[…] in an oral narrative performance, the pure narrative is interspersed with singing, dancing,
chanting, recitals, and dramatic action. These kinds of notations would be needed to supply the
reader with things that were the meat and sinews of the performance, such as gestures, body
movements, facial expressions, tonal inflections, speech rhythms, mood and atmosphere.
There are singer-storytellers who tell stories in sung verse, accompanying themselves with a musical
instrument, and there storytellers who simply tell stories in prose without music. The stories are
generally myths, religious legends and fairy folk tales. The storyteller himself decides the space
where he will perform by means of imaginary circle, from which derives the name for the genre. The
audience gathers around this circle, which attracts passersby interested by what they hear; the
storyteller is known by a variety of names, gawwal, meddah, rawi, muqallid, berrah, hakiya, fdawi,
depending on the country or region in question.
Dans le même sens, le conteur Sophie dans son entretien avec Hernandez (2006:222) montre
que les conteurs incarnent plein de personnages, pas un personnage. On n’est qu’une personne
mais on n’est pas la même personne, affirme-t-elle. C’est ce qui est beau quand une histoire est
bien racontée, un vrai conteur doit voir son histoire devant lui et que les spectateurs la voit
aussi. En ces moments-là et dans ces conditions là, on est tous dans l’histoire. « […] il faut être
témoin, quand tu es témoin, tu peux parler d’une chose, parce que tu l’as vu, il était à côté.
C’est ça un conteur. […] Parfois il est acteur, il est carrément dans un personnage, mais il est
témoin, il est dans l’histoire, c’est comme si il y était».
Les drames représentés reproduisent, enfin, la vie totale, telle qu’elle est donnée et
vécue quotidiennement: rires et larmes, vilenie et prouesse, vie et mort. Ils sont comédie,
tragédie et épopée à la fois, selon les distinctions grecques.
Le théâtre traditionnel est populaire, en premier lieu, par la source des thèmes. Ceux-ci
proviennent, en effet, soit de la littérature collective (contes, légendes, mythes), soit de la vie
quotidienne (vie domestique, vie économique, vie politique. Salhi (2004:45) le reconnaît ainsi
“this theatre thus reflected the demands and hopes of the popular mass”. Ensuite, par sa
172
destination, les œuvres s’adressent d’abord au peuple, au sens national du terme: hommes et
femmes, adultes et enfants, gens libres et esclaves. Elles sont ensuite jouées dans la place
publique, (agora, marché, etc.). Or cette place est le cercle où dans les sociétés villageoises, les
enfants viennent se divertir, quand l’assemblée politique des adultes a cessé de siéger. Elles
sont enfin offertes gratuitement au peuple, éliminant toute exclusive de caractère économique.
Enfin, il l’est, par la participation du peuple. Le public qui assiste au spectacle –ici le peuple en
entier –participe à la création des œuvres, c’est-à-dire à la mise en scène, aux chants, à la danse,
de telle sorte qu’en un sens, on peut dire que ces œuvres collectives sont recréées par le peuple
pour le peuple. La participation consiste à entrer en complicité avec la scène et à accepter,
comme le dit Brook (1991:27) que la bouteille de plastique devienne la Tour de Pise ou une
fusée qui part sur la lune. Le regard du public, indépendamment de l’espace et du temps, exige
à chaque instant du conteur que rien ne soit gratuit, que rien ne soit dans la mollesse, mais tout
dans l’éveil, on comprend alors que le public n’a pas une fonction passive.
C’est au regard de tout cela que la vie africaine est vue comme une sorte de théâtralité.
Le moindre événement y sert de prétexte à toute une vaste liturgie où les libations, les repas
lourds, la musique et la danse, la débauche de gestes, soulignent par leur éclat le propos, même
insignifiant, que tiendra le porte parole. Et la somptuosité, la théâtralité de la mise en scène sera
relative à l’importance de l’événement, la solennité de la fête à la classe du héros. C’est celle-ci
qui détermine le niveau des économies à consentir, comme la masse des invités à accueillir,
tout comme la diversité des spectacles qui s’intègreront dans un ensemble imaginé par le
comité des fêtes, pour créer une impression que l’on transmettra à ceux qui n’ont pas été de la
fête, selon le processus habituel multiplicateur de la communication africaine. Enfin le
discours, qui sera prononcé, ne sera jamais un monologue, mais un dialogue sollicité. L’orateur
s’interrompt à tout moment selon un scénario savamment synchronisé pour interroger
l’assistance. Ramsaram (1970:52) renchérit la nature populaire de ce théâtre en notant que
This drama enacted by a village or tribal group is a part of the African cultural heritage that has
come down the centuries through oral tradition. If acted regularly and frequently it is known to all or
most of the people; and there is no denouement in the sense of the unraveling of a plot presented to a
first night audience. The rhythm of the legend or story is therefore different of western drama…
[…]the oral narrative tradition favors characterization through allusions with the audience is
familiar; through the character’s salient traits as evoked by praise names or by metaphoric
identifications of the character with animals or objects known to be associated in the minds of the
audience with certain traits or qualities, e.g., the leopard for bravery, the elephant for strength, the
gazelle for graceful movement, and the mountain for insurmountable hugeness. Thus, in each
tradition, a narrator has a range of techniques available to him, but he needs not employ each and
every one of them in each and every story.
1. Du point de vue de l’acteur et des personnages, le conteur ou le narrateur fait office à la fois
du metteur en scène [c’est lui qui organise toute l’intrigue] et de l’acteur «multicolore» qui joue
tous les rôles en s’adaptant aux personnages que fait intervenir sa narration. Nous venons de le
dire ci-haut, nous pouvons renchérir avec Hernandez (2006: 223) qui considère que le conteur
n’est pas un personnage et est amené à incorporer le récit en son entier en étant à la fois
récitant, témoin oculaire, décor. Il incarne aussi les personnages auxquels il prête voix. Il passe
d’éléments narratifs à des éléments dialogués, chantés, au gré de sa fantaisie et de sa
perception. C’est ce que dit Conteh-Morgan (2004:93),
But theatre in the indigenous societies of Francophone Africa is more than just the work of a solo
artist (stand-up comic) who plays multiple roles in an action that is part narrated, part dramatized. It
also consists of idioms with several actors, in which the entire action is dramatized. Four examples
of such idioms will successively examine: the kotèba, the sounougounou, the hira gasy and the tyi
wara.
Il faut souligner que l’auditoire intervient aussi comme acteur dès lors que le narrateur
l’implique à jouer un rôle des personnages de la narration [chanter, danser, juger...]. C’est
pourquoi, il faut noter la participation de l’auditoire qui n’assiste pas passivement à la
représentation. C’est en cela que Ngandu Nkashama (1998) distinguent les formes de théâtre
africaines des formes de théâtres occidentales. Il témoigne de l’existence en Afrique des
«Formes de théâtre, parfois inconnues en France, où les spectateurs sont tellement impliqués
dans le spectacle qu’ils n’hésitent pas à intervenir, à se mêler aux acteurs, et cela va transformer
leur vie». (Ngandu 1998; Cviklinski 2006:117). Ce théâtre n’est pas un pur divertissement: il a
174
une fonction sociale précise. Les récitations pouvaient parfois prendre des journées entières.
C’est le cas des épopées auxquelles nous venons de faire allusion ci-haut. Hampâté
Hampaté Bâ (1991:100, 255) fait une description du conteur dans ses mémoires. Il
évoque sur un ton épique et avec une admiration non dissimilée, les grands artistes de la
tradition orale, les spectacles en plein air qu’ils savaient si bien animer lors des veillées. A la
belle saison, sur la grande place de Kérétel, à Bandiagara, on allait regarder s’affronter les
lutteurs, écouter chanter les griots musiciens et entendre des contes, des épopées et des poèmes,
raconte-t-il. Dans les lignes qui suivent, nous pouvons voir comment il décrit Danfo Siné, un
artiste traditionnel. Le Danfo était donc un doma, c’est-à-dire un grand guérisseur au sens de
savant en matière de connaissances traditionnelles. C’était un merveilleux conteur auprès de
qui Hampaté Ba avait entendu pour la première fois, de nombreux contes et légendes bambaras
et peuls de la région woussoulou.
On l’appelait Danfo Siné, le joueur de dan car il ne quittait jamais son dan, sorte de luth
à cinq cordes confectionné avec une virtuosité étonnante. En pinçant les cordes de son dan, il
déclamait certaines incantations qui avaient la propriété de le plonger en transe, et en ce
moment il se mettait à prédire l’avenir avec une exactitude qui stupéfiait tous les habitants de la
région et même des pays environnants. Il se déplaçait à travers le pays avec un groupe de
néophytes qu’il formait à Bougouni, il donnait presque chaque soir une séance de chants et de
danses; s’il s’exhibait ainsi, ce n’était pas seulement pour distraire la population et moins
encore pour en tirer profit, car rien de ce qu’il faisait n’était à proprement parler profane. Ses
danses étaient rituelles, ses chants souvent inspirés et ses séances toujours riches
d’enseignements. Musicien virtuose, il faisait ce qu’il voulait de ses mains mais aussi de sa
voix. Il pouvait faire trembler son auditoire en imitant les rugissements d’un lion en furie, ou le
bercer en imitant à lui seul tout un cœur d’oiseaux-trompettes. Il savait croasser comme un
crapaud ou barrir comme un éléphant. Et quand il dansait, souple comme une liane, aucune
acrobatie ne lui était impossible.
Pour le conteur, la performance consistait à maintenir l’intérêt et l’attention des
auditeurs [qui, en fait, sont également des spectateurs] par une mimique appropriée. C’est ainsi
qu’il devenait tour à tour, selon son texte, panthère ou lion [en imitant les rugissements et les
allures des félins], vieille femme ou jeune fille. Cela veut dire aussi que tout conteur africain
possédant des talents mimétiques devait être acteur.
2. Du point de vue de la proxémique, les manifestations théâtrales sont réglées par le calendrier
saisonnier et par l’ordre des fêtes, reconnaît Bakary (1958). Mais nous devons souligner que
175
cela se passait (ou se passe) souvent en plein air. Trois situations peuvent être notées à cet effet:
1. Le spectacle en cercle: le narrateur se tient au milieu, entouré de part en part par les
auditeurs. Il contourne de temps en temps le cercle pour s’exhiber. 2. En face à face: le
narrateur se tient devant et a en face de lui, tous ses auditeurs. 3. En rectangle: l’auditoire
occupe une longueur et les deux largeurs, le narrateur se met seul devant occupant la longueur
opposée. Tout au long de sa narration, il circule à l’intérieur de la figure où il déroule son récit.
Il faut noter que le déroulement du récit peut nécessiter une danse générale de tout le monde,
cela ne dérange pas pour autant l’ordre dans lequel le récit est narré. Hernandez (2006:235)
parle de l’une de ces dispositions en notant que
Le conteur doit se trouver en général au centre d’un demi-cercle d’auditeurs. Si ce cercle n’est pas
créé par une scène ou des chaises, les spectateurs ont tendance à la créer spontanément et se
positionnent “tout naturellement” en arc de cercle. Conter exige la création d’un espace précis dans
lequel les symboles, les normes et expériences vont s’échanger. Pourtant, les auditeurs se doivent
d’être assis et surtout à l’écoute silencieux. C’est le conteur qui donnera le signal de l’échange, de
l’interaction. Le public peut interférer dans le spectacle et en modifier le cours [le conteur va
augmenter ou diminuer sa performance en fonction de son rapport au public] mais selon des règles
précises dans lesquelles sont soulignés le respect du conteur et l’acceptation du caractère fictif de la
représentation.
Le théâtre traditionnel est une mosaïque, comme le dit Lamko (2006). Banham (2004:
XV) le souligne aussi en considérant que “The variety of performance forms in African society
is immense, ranging from dance to storytelling, masquerade to communal festival, with a
vibrant and generally more recent ‘literary’ and developmental theatre”. C’est pourquoi
d’ailleurs préfaçant l’ouvrage History of the theatre in Africa, il [Banham] précise le sens du
terme théâtre en soulignant que «In this volume the world theatre is used in a way of that
embraces a wide range of aspects of performance, in truth we use it in its largest and most
inclusive sense». Ibidem.
Il se vit sous diverses formes que nous décrivons ici à titre indicatif.
Nous rangeons dans cette catégorie, tout ce qui est appelé récit, notamment, la légende,
le mythe, la fable, l’épopée… Ce qui est vrai pour le mythe, dans ce sens, l’est aussi très
souvent pour le conte qui en est en quelque sorte «l’avatar populaire et pédagogique» (Seydou
1980; Diagne 2005:124). Le mot nsàka ou kipha en kikongo traduit selon Laman (1936:752):
jeu, réjouissance, amusement, farce, fable, joie; et kufikula, selon le même auteur (1936:149)
interpréter.
- Dispenser un enseignement moral (par une morale de portée générale, par une morale
sociale propre au groupe)
Leloup (1983:100), reconnaît, à juste titre, que le conteur fut sans doute le premier
acteur en Afrique, et peut être dans tous les pays du monde. Le conteur africain n’est pas
seulement un narrateur, mais aussi et surtout un comédien doublé d’un danseur, d’un musicien
et d’un poète, d’un amuseur et éducateur. Et d’ailleurs, Sartre (1938:64) le dit déjà bien dans La
nausée «Pour que l’événement le plus banal devienne une aventure, il faut et il suffit qu’on se
mette à le raconter». Il s’agit ici des conteurs professionnels, à ne pas confondre avec les
177
conteurs occasionnels: les parents, les aînés etc. Et pour Ricard (1986), les comédiens et les
acteurs sont les créateurs du théâtre [en le disant, il soutenait leur absence en Afrique, pensons-
nous]; si nous pénétrons le sens de sa pensée, nous pensons qu’il n’y a pas de raison de penser
contrairement.
Dans la tradition, les conteurs pouvaient jouer à deux. Il y avait aussi des compétitions
lors de grandes veillées. Et parfois, le même conte était joué à tour de rôle par des conteurs
différents, et le public approuvait ou désapprouvait la prestation de l’un ou de l’autre. Les
conteurs faisaient aussi des tournées de village en village. C’est ainsi qu’il y en avait dont le
prestige dépassait les frontières de leurs villages respectifs. Et, ils étaient souvent invités dans
d’autres villages à l’occasion des grandes fêtes. Kazi Tani (1995, 126-7) nous fait visiter cette
situation de compétition des conteurs à travers le roman Dans l’honneur de la tribu de
Mimouni (1989):
Dans l’épisode où le narrateur montre la foule attendant qu’on invente l’histoire de l’idole pour
célébrer la fable, le groupe pittoresque de conteurs tunisois se partage la place et établit ses cercles.
Au milieu de leur troupe, ils plantaient l’étendard rouge écarlate roue dentée tête de dragon l’œil
agonisant, l’épée à son extrémité fendue de l’intrépide et courageux Ali, réparateur des torts,
restituteur de l’état avancé de la civilité face au chaos du désert, siège de la terrifiante bête, royaume
sans loi, ni hommes. Un véritable concours de l’art de conter commence à partir de cet instant car,
dit le narrateur, “chacun raconte à sa manière la même trame”. Il écoute d’abord la version du nabot
qui «chuchote l’histoire comme par délice, lèvres colées, au sourire figé, tic inexpressif», puis celle
du borgne ventriloque dont la voix est “caverneuse, hideuse […] ne rompant pas avec le ton de la
confidence”. Un peu plus loin, un conteur “pied bot […], l’œil torve, la voix fade, barbe sombre,
turban blanc” retient davantage son attention car il fait preuve d’une plus grande imagination. Mais
c’est incontestablement le quatrième conteur qui le séduit par son “étourdissante faconde”, ses dons
d’acteur, sa voix vibrante et forte comme cherchant à motiver les tonitruantes péripéties, comète
éclairant le visage de Sidna vainqueur du dragon. […] A l’entendre parler et redire sans secret les
normes du combat, le bendir s’affole […] Et le sabre frappa à droite et la patte du monstre coupée
remua mille fois loin du corps […] et le sabre éclaira à notre gauche le mirage du paradis, parmi les
moignons, débris, morceaux, lambeaux de tant de victimes…
Raconter était une compétition. Les gens venaient écouter et apprécier le service du
meilleur conteur, selon que ce dernier savait bien rendre ou incarner le rôle, bien introduire son
public dans la fiction de sa représentation et qu’il permettait à ce dernier de se retrouver à
travers les scènes décrites.
Le costume était tantôt très fonctionnel, tantôt très approprié au conte, suivant la
particularité de la fête et des invités. Le service du conteur était sollicité à tout moment quand
la nécessité de corriger les mœurs se faisait sentir. Il comptait parmi les conseillers du roi, au
178
même titre que le griot. Ce dernier, contrairement au conteur, est plutôt à considérer comme un
Historien, archiviste, préposé d’état civil, maîtrisant la généalogie royale et sociétale et
historique de la société, et le devoir du mémoire pour le roi dans la prise de décisions.
Tous les éléments ci-haut énoncés renforcent les propos que nous avons tenus au
chapitre premier où nous montrions que les analyses des contes suivant les approches qui
limitent les analyses au niveau linguistique, anthropologique ou psychanalytique étaient très
réductionnistes. Et pourtant, la plupart des analyses s’y conforment. Verrier (1999:235) montre
qu’on a proposé trois façons de considérer et d’étudier un conte. La première est de considérer
le conte comme un objet langagier, comme du texte, c’est une approche linguistique, la
seconde, comme un élément d’une culture, qui aide à comprendre la société qui l’a fait naître,
et la troisième, c’est d’essayer de s’interroger sur le rapport du conte avec l’inconscient.
Alvarez-Pereyre (1980:170) présentant quelques tendances et problèmes de l’étude des
littératures orales, ne va pas au-delà des orientations exprimées par Verrier, car il évoque
l’analyse linguistique des corpus de littérature orale, l’étude ethnosociologique de littérature
orale, l’étude psychologique des récits, les études stylistiques de littérature orale, l’étude des
structures narratives, l’étude des contenus. Nous pensons que l’approche dramaturgique du
conte doit être encouragée. Elle permet de donner une lecture beaucoup plus complète du
genre; parce qu’en effet, le conte est à la fois représentation, spectacle que texte. Zumthor
(1981) posaient déjà le problème dans ce sens. En effet, étudiant la poétique de l’oralité, il
démontre que la communication orale déborde le langage. Il pense pour ce faire qu’on peut
envisager un degré de codification des faits non langagiers qui, à notre sens, appelle la
dramaturgie. D’abord il considère que chez l’acteur, la mimique (visage), la gestualité (qui peut
aller jusqu’à la danse), des effets de tonalité (jusqu’au chant); les deux derniers faits peuvent
être prolongés par des instruments, les trois peuvent se définir en termes de rythmes. Ensuite
chez l’auditeur, des réactions psychiques, des réactions physiques devraient conduire à l’étude
d’une rhétorique du geste (plutôt qu’une grammaire ou syntaxe) et à une analyse de la fonction
signifiante de la gestualité. Enfin, si l’on envisage le passage du discours à la vocalise, on
pourrait étudier la façon dont la voix se libère en chant.
Ce n’est donc pas étonnant que Zahan (1963) considère le conte comme une petite pièce
dans laquelle les acteurs déguisés dévoilent leur caractère, leurs qualités et leur défaut.
S’attachant ensuite à son déroulement dans le contexte spécifiquement africain, il l’assimile à
une véritable leçon de choses mimée, dansée, organisée à la manière d’une pièce de théâtre.
Diagne (2005:149) dit du conte qu’il
179
Est mis en scène, autant qu’il procède lui-même d’une mise en scène. L’espace performanciel, en
tant que contenant extérieur, est celui de la veillée, lieu d’avènement du conte où se réalise le rapport
fusionnel narrateur-acteur-spectateur. Mais le conte procède lui-même à une mise en scène, par la
distribution interne des rôles qu’il organise et articule en scénario.
A côté de cette forme de théâtre qui a un caractère profane, nous devons distinguer une autre
qui relève beaucoup plus du sacré, du religieux: le théâtre rituel. Nous tenons cette distinction
de Kesteloot (1970a:21, 23). Kesteloot pense qu’en Afrique où le domaine religieux était si
développé qu’il empiétait souvent sur les autres aspects et besoins de l’existence, il est normal
qu’un nombre de manifestations culturelles soient liées au culte. Cela est évident pour la
sculpture, est valable aussi pour ces représentations à grand spectacle qui se font à l’occasion
de cérémonies religieuses et qu’elle appelle théâtre sacré. Cependant, dans la tradition africaine
non polluée par le tourisme, tout théâtre n’était pas que religieux, précise-t-elle. Il existait et il
existe encore un théâtre traditionnel profane, comme il existe une littérature profane, dont le but
est le divertissement d’abord.
2. Le théâtre rituel
Le théâtre rituel est le fondement du phénomène théâtre, il en est la racine. Nous devons
retenir que tout part de l’homme, de ses idées et/ou croyances, de sa quête constante du
bonheur, de ses besoins d’identification aux êtres supérieurs invisibles, mais aussi d’évasion, de
contemplation. Tout ceci est mis en œuvre aussi bien par son intelligence que par son
imagination. C’est en cela qu’il convient d’établir, non seulement les correspondances entre les
rites et le théâtre, mais aussi et surtout, d’éclairer la filiation de celui-ci à ceux-là. Associées à
son corps et à l’espace, l’imagination, la contemplation confèrent à l’homme un pouvoir que
nul autre être que lui ne possède sur terre. Effectivement, par son intelligence et son
imagination, l’Homme comprend et maîtrise le monde qui, au demeurant, se trouve en lui.
Bastide (1965) dit que la réincarnation n’est qu’un des moyens par lesquels l’homme
tente de se diviniser, car, poursuit-il, l’Africain a compris que l’homme n’est pleinement
homme que dans la mesure où il incarne en lui les éléments du monde surnaturel et que jusque-
là, il n’est qu’un être incomplet. Parmi les moyens d’expression de la réincarnation, Bastide
cite les langages des images du rêve, de la danse des masques, de la possession extatique. Il
s’agit là de ce que l’on voit dans les rites africains. En effet, dans beaucoup de rituels africains,
il y a des moments spécifiques où, les officiants, leurs aides, fidèles ou patients, incarnent soit
les dieux, soit les ancêtres, soit les animaux, soit les morts, soit les esprits etc. Nul n’est besoin
de souligner que cela se fait devant une assistance. Celle-ci est composée des membres de la
180
communauté. Nous devons souligner le fait que, quel que soit l’objet spécifique du rite, celui-ci
comporte plusieurs dimensions ou fonctions: éducative, communautaire, esthétique,
contemplative, évasive, d’intégration. Dans ce sens seulement, on peut soutenir que le fait que
toutes les étapes rituelles de la vie aient à revêtir une forme expressive, mimétique et ludique,
constitue une fonction théâtrale.
Le dédoublement de l’homme (l’incarnation) s’opère morphologiquement et
métaphysiquement de la même manière et utilise les mêmes moyens d’expression aussi bien
dans certains rites qu’au théâtre. Aussi, pouvons-nous comprendre, qu’en perdant l’objet initial
du rite, par extinction de celui-ci, une fois hors du contexte initial, les mêmes moyens
d’expression dramatique inhérents à l’homme, s’adaptent aux nouvelles réalités.
Mikanza (1978:61) explicite cette notion en soulignant la nature spectaculaire de
cérémonies rituelles. Certaines cérémonies rituelles commençaient en dehors des villages, dans
un lieu retiré, c’était alors des spectacles interdits aux enfants, aux femmes et aux non-initiés. Il
précise que ces cérémonies se terminaient souvent sur les places du village, dans des
réjouissances populaires, auxquelles devaient participer toute la communauté. Il conclut en
montrant que la communauté y participait dans une création effective, permanente, chansons,
contes, gestes exécutés, pas de danse connus mais toujours améliorés. Chacun se retrouve
enfermé dans le cercle collectif, où son imagination était perpétuellement sollicitée, dans un
mouvement de créativité et d’inventivité permanentes.
Le «nsimbulu ndumba» du verbe «kusimba: toucher» nsimbulu ndumba (ce avec lequel
on fait garder une fille) est un «Kidimbu» c’est-à-dire symbole. Dans le processus de mariage,
le «simbulu ndumba» est une modique somme que la famille de l’homme verse à la belle
famille pour se faire reconnaitre, exclusivement en tant que futur époux de leur fille. Par ce
signe qui fait office de réservation, la famille de la fille s’engage publiquement à ne jamais
accepter quelqu’un d’autre.
Par analogie à ce rite social, le «simbulu ndumba» est donc une forme de comédie qu’on
trouve dans la cérémonie de la pré-dot chez le peuple kongo, dans la province du Bas-Congo,
en République démocratique du Congo. Cette pratique a également gagné des ressortissants des
autres provinces vivant à Kinshasa. Le jeu pré-dotal est un théâtre introductif qui se joue en
prélude aux négociations entre deux belles-familles. Le jeu consiste pour la famille de la
femme, de feindre de ne pas connaître le prétendant à qui on demande de se présenter et
d’annoncer le motif de sa visite. Après quoi, au lieu de faire venir la fille dont il sollicite la
181
main, on lui présentera un groupe de filles, composé d’amies et sœurs de la fille enviée.
Chacune des filles se pavane et déploie son charme. Le prétendant doit désigner sa bien-aimée
parmi les filles dont certaines peuvent avoir une forte ressemblance avec sa future épouse.
Dans certains cas, du reste, très rares, la confusion ainsi créée et voulue peut être totale.
Il arrive aussi, pour abréger, que l’élue soit parmi elles. Au cas où celle-ci ne serait pas du
groupe, il sera demandé à l’homme de verser une somme symbolique, suivant le contexte, soi-
disant pour le transport aérien, routier ou fluvial de sa future épouse et ceux qui doivent aller la
chercher. Cette somme fait l’objet de discussions dont la durée peut atteindre une quinzaine de
minutes, voire plus, alors que tout le monde, y compris le prétendant et les membres de sa
famille qui lui ont fait l’honneur de l’accompagner, sait qu’il s’agit d’un jeu, d’une mise en
scène collective, à laquelle ils se prêtent à cœur joie. Dès qu’il libère la somme ainsi exigée,
l’élue apparaitra sous escorte, avec des ovations et des youyous des femmes et des filles de
toute à l’heure. On est donc en plein dans le jeu d’incarnation, dès lors que, et l’homme, et sa
belle-famille, sans oublier sa propre famille, se livrent à la représentation de la fiction devant
l’assistance. Par ailleurs, aucune des personnes présentes sur le lieu, n’ignore qu’il s’agit d’un
jeu, d’un moment d’évasion, de contemplation; un grand moment de détente avant de passer
aux négociations coutumières qui, à terme, déboucheront sur le versement de la pré-dot.
Le «wala» est une danse traditionnelle kongo. Elle est organisée pour dire au revoir à
une fille qui quitte le village pour se marier dans un autre village. Elle se déroule pendant trois
semaines au cours desquelles jeunes filles et jeunes garçons du village chantent et dansent.
Cette danse est une sorte de taquinerie où l’on présente le marié sous un mauvais jour avec tous
les défauts possibles (qui dans la réalité ne sont pas vraies) et même les mauvais côtés de son
village; on vante les qualités de la fille et du village (dont on oppose les qualités aux défauts du
village de l’homme). Jeunes filles et garçons défilent représentant le garçon dans les défauts
qu’on lui fait porter et la fille dans toutes ses qualités. Cette danse a pour objectif de vérifier la
solidité du consentement de la fille. La fille (très souvent en pleur au cours de la cérémonie)
peut renoncer au lien, si elle est poussée au bout.
A second type of popular theatre in francophone Africa is what has been called the ‘théâtre
d’animation politique’, a theatre of political cheerleading. Widely practiced in many African
countries, especially those with charismatic leaders who sought to build mass political organizations
–for example, Guinea and Togo, under Sékou Touré and Gnassingbe Eyadema respectively- it
reached an unrivalled level of organization in the Zaire of Mobutu. […] the basic ingredients of a
performance are the same: paeans to the leader composed around his policy slogans, miming,
marching band, traditional or Soukouss, music –the whole interspersed with chanted slogans in call-
and –response mode and carefully choreographed modern and traditional dances whose performers
sometimes fall into formations that reproduce the colors of the national flag or name of the
president-father of the nation.
Le but de la pièce ekumbwelo ey’omoto est d’instruire, d’éduquer le peuple kundo afin
d’éveiller sa conscience sur le comportement des jeunes filles kundo. Cette pièce a été
enregistrée par le père de Rop (1959). Missionnaire de Sacré-Cœur, né en Belgique, il a
183
avec beaucoup de grâce, pendant que la guérisseuse procède à des incantations mêlées de
danses lentes et des temps d’immobilité, pendant lesquels l’assistance est subjuguée par la
beauté et les transformations ou métamorphoses en esprits auxquelles elle assiste.
La patiente fait tantôt des mouvements de pulsion qui, harmonieusement et
progressivement donnent lieu aux mouvements giratoires. Ces mouvements auxquels
s’associent ceux des initiées, débouchent sur la transe. Celle-ci s’arrêtera avec la mort
symbolique de la malade. Vient par la suite, la naissance. La patiente, une fois guérie, rentre
dans la confrérie des initiées et devient également guérisseuse. Cette sorte de danse-thérapie
peut durer six mois, voire une année, durant laquelle, tous les samedis, ce spectacle qui attire un
public nombreux est réédité. A ce stade, «le Zebola» réunit déjà tous les éléments constitutifs
du théâtre: interprète, jeu, fiction, scène, public. C’est par analogie à ce rite qu’à Kinshasa, à
partir des années 1963, toute danse qui rappelle ce rite, que ce soit par la danse ou par le
costume ou par le rythme, ou encore par le maquillage est appelé «Zebola». Comme on peut le
constater, le «Zebola» non rituel est donc de la perte de l’objet de certains rites d’exorcisation,
funéraire, d’initiation ou rite de passage. Détachés de leurs contextes et de leurs rituels
spécifiques, saisonniers ou cycliques, les danses, gestes, masques, maquillages, masques
faciaux ou habités, les chants, etc. ont donné lieu à une danse dramatique nouvelle à laquelle se
sont ajoutés, à côté de la parole chantée ou non et de la mimique, l’acrobatie, la jonglerie, la
prestidigitation, le burlesque, la poésie, et la satire des réalités quotidiennes. C’est un théâtre
total, typiquement africain et exclusivement ethnique, à l’origine. Les colons l’ont nommé
ballet traditionnel ou folklore, suivi du nom de la tribu ou de l’ethnie des danseurs, suivant la
classification occidentale et coloniale des arts et des populations indigènes. Il s’agit là, d’une
préfiguration de ce qu’on appellera ballet national, à l’échelle nationale, avec les danses
interethniques où tout le monde danse toutes les danses, y compris celles des contrées dont il
n’est pas originaire. Avec l’accession de certains pays africains à la souveraineté internationale,
dans les années 1960, en conformité avec les recommandations du colloque du premier Festival
Mondial des Arts Nègres (1966), qui demandait aux chefs d’Etats africains, entre autres, de
créer des théâtres et des ballets nationaux dans leurs pays respectifs, ce spectacle (ballet
national) eut de l’impact un peu partout en Afrique.
8. L’«eboo» chez les Bonda au Bandundu, le «bikassa» chez les Lubas du Kasaï.
spectacle comportant des complaintes tantôt psalmodiées, tantôt chantées et dansées. Un vrai
mélodrame qui met en exergue les talents des pleureuses à travers les évocations et les allusions
verbales ou mimiques basées, non seulement sur les mérites du défunt, mais aussi sur ses
travers avérés. La famille éprouvée, elle-même n’est pas ménagée. Un spectacle très émouvant
qui va du tragique au comique, et destiné à distraire, à soulager, un tant soit peu, la douleur de
la famille endeuillée.
Les ballets traditionnels Bonda de Kinshasa donnent une version essentiellement
artistique, éthique et divertissante, tant dans les deuils que dans les spectacles n’ayant aucun
lien avec les funérailles quelconques. A quelque différence près, on trouve le même genre de
spectacle au Burkina Faso, avec les mêmes caractéristiques théâtrales dérivant du rite appelé
«sygnana». Dans ce rite, les petits fils du défunt sont toujours de la partie pour mettre de
l’animation, banaliser la mort en mimant le passé du défunt pour faire rire l’assistant.
Il en est de même pour le rite funéraire «Bikasa», chez les Luba de deux Kasaï (R.D.C)
qui présente beaucoup de similitudes avec les deux précédents. Les ressortissants de ces deux
provinces en donnent, à Kinshasa, une version purement scénique qui ne se limite plus au
contexte de deuil, devenant ainsi, comme chez les autres peuples qui le pratiquent ou qui s’en
inspirent, une vraie comédie-ballet à l’africaine: un théâtre total, «Utilisant totalement tous les
moyens d’expression que peut apporter l’être humain: chant, diction lyrique et
danse…».(Veinstein, 1968:68).
Si le «Bikasa» met en scène pour ainsi dire les comédiens professionnels, hommes et
femmes confondus, l’«Eboo» qui a déjà fait l’objet d’un travail théorique de fin d’études par
Makulu Bwitikong Marlène, à l’Institut National des Arts (I.N.A), est exclusivement joué par
des pleureuses ou comédiennes professionnelles, avec l’accompagnement musical des hommes.
Elles le font sur commande et vivent de leur métier.
9. Le Mbuya phende
immémoriaux. Le mbuya appartient à la confrérie des initiés au rite de «mukanda» qui en fixe
les mécanismes et en règle la distribution des rôles, les conditions, les modalités et les procédés
de production. La troupe de musiciens et danseurs, comédiens ou interprètes qui, dans la
société traditionnelle, se livrent à cette forme de représentation théâtrale, appartiennent
exclusivement à cette société secrète des initiés dont l’accès est interdit aux profanes que sont
les femmes et les garçons incirconcis.
Par ailleurs, en vertu de l’exclusion des femmes de la société secrète et de l’interdiction
formelle du port de masque dont elles font l’objet, les rôles féminins sont joués par de travestis.
Ainsi constituée et dirigée par un ou des maîtres des initiés, la troupe comporte généralement
une dizaine de musiciens, voire plus. Ceux-ci sont recrutés parmi les plus entraînés des initiés
par classage d’âge ou génération. Ce spectacle aux personnages types que présente
cycliquement la confrérie des initiés au «mukanda» est bel et bien structuré et bien équilibré,
pour peu qu’on veuille s’y attarder. Le mbuya phende réunit toutes les conditions inhérentes au
théâtre. Il procède du théâtre par sa nature, ses caractéristiques essentielles, ses fonctions, ses
procédés, son mode de représentation et ses moyens d’expression scénique.
L’action dans le mbuya phende n’est pas linéaire. Elle n’est pas faite d’une histoire
chronologique, ayant un début et un développement logique. L’action du mbuya phende est
plutôt un ensemble de faits, des situations créés spontanément par le comédien (danseur
masqué ou interprète) en rapport avec l’événement, le contexte, l’ambiance générale. Aussi,
peut-il incorporer les faits et les idées qui surgissent pendant l’événement par la représentation.
Ceci peut s’inscrire dans le sens narratif, pédagogique, divertissement, suivant les normes
édictées par l’institution «mukanda» en rapport avec l’ordre culturel, social, politique, etc.
Cela suppose que l’interprète qui habite doit avoir une imagination très fertile et souple.
Cette prédisposition lui permet d’improviser avec beaucoup de cohérence en tenant compte de
toutes les intercurrences. Par ailleurs, notons que le comédien qui est sous le masque et dont
l’identité n’est connue que du gardien des masques, peut à tout moment arrêter son jeu quand il
a trop chaud sous le masque ou quand il est à court d’imagination. L’action peut être
simplement une suite de numéros de prestidigitation, une exhibition de pas suivant des
variantes ou fantaisies très compliquées de sa propre création, mais qui respectent la logique, la
personnalité, l’esthétique et l’éthique du «mukanda».
Il existe aussi dans la tradition des formes théâtrales beaucoup plus élaborées; un peu
plus proche des formes modernes qui obéissent aux lois de la structuration scénique et de la
187
dramaturgie moderne avec des jeux de rôle bien spécifique même si l’imagination et la
fabulation restent traditionnelles.
Il s’agit du «koteba» et de la chorégraphie de l’ethnie ekonda. Le «koteba» bambara met
en scène des personnages marginaux de la société, soit pour souligner leurs ridicules, soit pour
les intégrer dans la communauté qui les a marginalisés. Ce sont surtout les infirmes, les griots
(avec leur cupidité et leur hypocrisie), les femmes adultères. Si la finalité du «koteba» est
surtout didactique, ce didactisme se dégage d’un contexte où la farce prédomine et où ces
personnages marginaux prennent leur revanche sur la société. Seulement, ce théâtre de
divertissement ne met pas en cause les fondements idéologiques de la société, même si la
marginalisation de certains personnages trahit souvent les incohérences et les inconséquences
des rapports sociaux. Théâtre de récupération donc, qui confirme au contraire la cohésion
sociale, mais qui permet aussi de noter au passage la fonction symbolique et sociale des
interdits et des mythes culturels. Le décor reste simple, les effets de caricature dominent, la
stylisation de l’imaginaire s’accorde bien à l’improvisation.
Cviklinski (2006:117) le décrit précisément. Le «Koté ba» signifie «grand escargot».
Spirale formée par tout le village dansant frénétiquement avant le spectacle, c’est aussi la
course du monde que représente la coquille d’escargot devenue toupie entre des mains
d’enfants. Un groupe des jeunes gens d’une même classe d’âge, au terme de son initiation joue
des saynètes comiques qui tournent en dérision les travers du quotidien villageois. Ce «castigat
ridendo mores» malien est d’ailleurs nommée «kotényogolon», «nyogolon» signifiant, selon la
prononciation, «acteur du village», ou «ce qui permet de se connaître soi-même»! Chants et
danses ponctuent la représentation, et un faux chef du village, le «dugu tigui», sert
d’intermédiaire entre acteurs et spectateurs, qui le prennent à partie tour à tour pour influer sur
le déroulement du spectacle. Souvent, les acteurs improvisent en fonction des réactions du
public, libre à tout moment d’entrer dans le cercle du jeu.
En deuxième lieu, mentionnons les chorégraphies des ethnies ekonda en République
démocratique du Congo. Il s’agit, en fait, de mises en scène de certains aspects de la vie
quotidienne: la chasse, les guerres tribales, la pêche, l’installation des villages, Ces spectacles
qui n’ont rien à envier aux chorégraphies modernes, frappent encore par leur mimique,
l’harmonie des gestes, la souplesse dans les exercices acrobatiques. Il faut y assister pour
apprécier la symbolisation des mouvements du corps, le rythme extatique des danses
collectives, les sauts périlleux exécutés par des acrobates parfaits, cette sorte de gymnastique
chorégraphique qui va inspirer les ballets actuels.
Les mêmes formes apparaissent dans un théâtre de cour que Traoré (1958) décrit ainsi
188
en ce qui concerne l’empire du Mali en montrant que la civilisation mandingue brilla autrefois
d’un vif éclat. Aussi ne saurait-on s’étonner de trouver, dans la région qui la vit rayonner, des
institutions sociales très particulières et des manifestations artistiques méritant d’être étudiées.
Ces dernières, soutient-il, se traduisent notamment par une littérature orale abondante
comprenant des mythes, des légendes et des œuvres satiriques. Il ne s’agit pas d’exhibitions
banales de marionnettes, des prestidigitateurs, de magiciens, mais bien des véritables pièces
parfaitement ordonnées et réglées, destinées à exposer une intrigue déterminée en employant
pour interpréter celles-ci, des acteurs humains.
Dans le même sens, Eno Belinga (1984:466) décrit le mvet comme
Un art total comprenant les danses, les mimiques, les chants et des poèmes joués par le poète qui
s’est perfectionné dans cet art. Il joue d’un instrument, le cordophone appelé également Mvet, avec
accompagnement des femmes-assistantes chantant et rythmant avec les claquements des mains, ou
avec les sonnailles (nyas). A l’occasion, le poète incite les spectateurs à participer à la séance en leur
demandant de chanter ou en leur posant des devinettes…
Selon Rey-Hulman (1981:53), le «kùrúbì» c’est d’abord une prière dans laquelle chacun
des clans islamisés intervient suivant une participation spécifique. Ensuite, le «fἐmἑ» y apparaît
individuellement mais en relation directe avec l’assemblée de ses gens, de tous ses gens. Un
conte donne une image déconcertante de l’origine du «kùrúbì», mais très éclairante sur le
processus d’intégration de ce rituel dans l’ensemble des catégories sociales: la danse «kùrúbì»
est tout d’abord une chose étrangère à laquelle personne ne participe. C’est la chose de la
brousse. Rapportée par le chasseur, la chose de la brousse reste étonnante au sens fort tant que
le chasseur lui-même ne rentre pas dans la danse. Le chasseur est initiateur par deux fois: la
première fois à la découverte de la chose, de quelque- chose sans dénomination, ensuite au
moment où il est le premier à accomplir l’acte de participation à la danse.
Dans le «kùrúbì», les acteurs sont en même temps spectateurs. Seuls les enfants qui ne
sont pas encore intégrés dans les rapports sociaux ne participent pas à la production des genres
considérés, mais assistent à la fête. Le conteur n’est pas solitaire lors de la récitation: il est
accompagné par le groupe qui l’entoure, le soutient. Seuls les adultes interviennent au cours du
récit et dialoguent avec le conteur momentané. Ceci peut aller de la simple exclamation, à
l’interruption du récit par une autre histoire. Au cours du rituel «kùrúbì», les petites filles ne
peuvent pas accompagner leurs grandes sœurs dans leurs déplacements. Un conte aussi fait état
de l’incongruité du comportement d’une jeune fille qui laisse sa petite sœur se substituer à elle.
189
En ce qui concerne les funérailles, les jeunes filles ou garçons ne doivent pas y assister. Les
acteurs du rituel «kùrúbì» mettent ce rituel non seulement en rapport avec l’organisation sociale
mais en tout premier lieu ils y aperçoivent des significations étymologiques clés de l’histoire et
de la représentation sociale qu’ils en font.
confréries mystiques, ou bien les danses des derviches sont souvent conçues comme des
spectacles. Dans plusieurs cas, il existe des lieux destinés à ces représentations. Au Caire, au
17ème siècle, s’établit un centre de la confrérie turque Mawlawī à l’intérieur duquel se trouve un
vrai théâtre dédié à la danse extatique sacrée.
Toutefois la manifestation sacrée qui se distingue par une nature plus strictement
dramatique est la «ta’ziya» (cérémonie funèbre). Répandue surtout en milieu chuhte, ce
spectacle célèbre la fête de la ‘āšūrā et commémore le martyre de Husayn, fils de ‘Ali, cousin
du Prophète, qui eut lieu à Karbala le 10 muharram de l’an 680. Le spectacle est organisé dans
les places et y participent villages, faubourgs et quartiers entiers, dont les habitants se déguisent
en soldats ou animaux sauvages, et s’arment avec sabres et lances. La récitation est
accompagnée par une voix narrative et la musique souligne et dynamise l’action.
Lbsat représente la forme la plus évoluée d’un théâtre possible traditionnel […] c’est un théâtre
populaire qu’on a un peu perdu et qui était jusqu’aux années 1930 […] nous essayons non pas de le
faire revivre tel qu’il était, parce que c’était un théâtre très simple et très populaire, avec ses forces et
ses faiblesses […] il n’y a aucune raison pour qu’on gomme de notre mémoire un théâtre qui a existé
et qu’on fait revivre. Nous donnons automatiquement au théâtre marocain trois siècles
d’activité…c’est-à-dire que le théâtre marocain ne date pas uniquement de quarante ans, mais il y a
bel et bien trois siècles. (Sadiki 1998;Fertat 2012:162).
A l’origine, lbsat fut une grande manifestation festive et populaire qui comprenait plusieurs
formes artistiques. Elle débutait par le défilé d’un cortège carnavalesque qui regroupait
comédiens, chanteurs, danseurs et tous ceux qui allaient donner un spectacle. Fetar (2012:160)
Considère les personnages de lbsat comme «Universels puisqu’ils jouent le drame de
l’existence humaine et ajoute que, malgré le caractère divertissant et ludique de ce théâtre, il
reste profondément dramatique et sérieux». Les pièces de lbsat se présentent sous forme de
farces courtes et amusantes connues sous le nom de «waqia» qui peut se traduire par
événement, dont le but premier est la distraction et l’édification. Comme les comédiens de lbsat
dénoncent souvent dans leurs pièces les faits et gestes de personnalités connues et assez
influentes, ils recourent à un langage symbolique plein de métaphores, de jeux de langue et de
191
mots à double sens. Quant au vocabulaire utilisé, il est très populaire, voire vulgaire, mais il
plaît au peuple et amuse les rois. Néanmoins, les comédiens de lbsat ne faisaient pas que
dénoncer les injustices et critiquer les notables du pays, ils savaient aussi rendre hommage à
des personnalités dont ils appréciaient les qualités morales pour inciter les gens à suivre leur
exemple. Leurs pièces étaient appréciées par les souverains alaouites car leur critique à portée
sociale, savait aussi être constructive et modérée.
Comme nous l’avons dit au point précédent, et selon Mniaï (1999) «La halqa est le
berceau du théâtre marocain». Behraoui (1994) classe les halqa, selon leur contenu, leur rôle et
leur but, en plusieurs catégories:
- La halqa dont l’animateur tente de faire renaître les traditions et coutumes bucoliques en
relation avec le milieu traditionnel;
- La halqa dont l’animateur est spécialisé dans la narration des histoires populaires se référant
au vécu des marocains, des légendes arabes et des contes anciens;
- La halqa lyrique dans laquelle l’animateur, qui est un musicien, donne des spectacles
musicaux à base de chants et de danses prisés dans le répertoire marocain (Taktouka, Ayta…);
- La halqa totale dont l’animateur, sorte de comédien acrobate doublé d’un musicien danseur,
est un artiste complet capable de tenir son public en haleine en recourant à presque toutes les
formes artistiques possibles.
Un théâtre populaire dont les représentations sont assurées par quelques personnes spécialisées dans
l’art de conter, de mimer, d’exécuter des jeux acrobatiques (de clown). L’acteur qui peut être
meddah ou bakchich ou un personnage amusant, présente ses créations dans les souks, dans les
places de grandes villes […] le répertoire traditionnel basé sur les histoires et les mythes, attire les
passants qui forment un cercle autour des acteurs, des acrobates et des musiciens, ou autour des
conteurs dont Henri Duquaire disait dans son anthologie qu’ils ont une fantaisie échevelée, qu’ils
laissent libre cours à leur imagination, inventent sur l’heure des faits, se jettent dans les imbroglios
qu’ils dénouent avec facilité, ils font faire n’importe quoi à leurs héros, c’est-à-dire de l’inattendu».
Le public participe souvent à l’événement représenté quand l’animateur de la halqa désigne une
personne du public pour lui donner un accessoire qui fait partie de la pièce, ou pour qu’elle devienne
d’une façon définitive un médiateur ou un instrument dans la scène jouée.
Mais à chaque société, à chaque époque d’une société, son théâtre. Maintenant que la civilisation
africaine rurale devient en même temps de plus en plus urbaine, que la technologie se développe,
que la société connaît des clivages internes, parmi lesquels celui qui différencie lettrés et illettrés, ne
voilà-t-il pas que le théâtre se dédouble, qu’un nouveau théâtre est né avec sa critériologie propre et
sa signification particulière?
La recherche sur le théâtre moderne atteste bien les deux choses: le renouvellement du théâtre
193
But it was through the medium for the school –the parochial and later the state school –that French
drama was to take form root in Africa. Aware of the importance of performance in indigenous
societies, missionaries were quick to seize on it as a medium for the propagation of Christianity and
its values. Missionary regularly organized dramatic sketches around religious themes to mark feasts,
such as Easter or Joarn of Arc Day, or end of year school activities.
As a result, performances of secrets societies, along with various masquerades and traditional
theatrical forms were considerably scaled down and all but replaced by a formal western – style
spoken theatre and musical performances in Freetown. This new theatre had its origin in the
dramatization of biblical stories by Christian religious organizations, as a way of propagating
Christianity and Winning adherents to the faith. Such organizations also performed established
British plays with Christian Themes. These performances, which normally took place on Sunday
afternoons, became the most popular form of entertainment for a long time.
Ricard (1972:63) montre évidemment que c’est des églises protestantes qu’est sorti le
théâtre populaire Yoruba, qui constitue, souligne-t-il, jusqu’à maintenant un des genres en
langue africaine les plus populaires du continent. Il montre que les églises avaient , dès 1930,
senti le besoin de donner un caractère plus sacré au culte en montant des jeux théâtraux sur
Adam et Eve, Joseph et ses frères. Les protagonistes vêtus de maillots de bain noirs se livraient
à des remarques obscènes sur leur nudité. Ces jeux théâtraux faisaient un usage habile de la
langue Yoruba qui, par sa structure tonale, se prête à la diction chantée.
Kadima Nzuji (2012:15) attribue cette influence aussi à la guerre entre les missionnaires
catholiques et les protestants pour l’adhésion des fidèles et la conquête des terrains. Ainsi le
théâtre constituait-il un moyen d’évangélisation. Les rivalités entre catholiques et protestants
dans l’occupation du terrain ont poussé chaque confession religieuse à user de stratagèmes pour
attirer le plus grand nombre possible d’adeptes. Et le théâtre, au même titre que la procession,
est tôt apparu aux missionnaires catholiques comme un instrument efficace de vulgarisation et
de propagande.
Nous devons signaler la même situation dans le monde arabe où Toelle & Zakhalia
(2003:195) témoignent, concernant le renouveau littéraire. Ils montrent qu’au Liban et en Syrie,
la conséquence de l’activité accrue des missionnaires, protestants et catholiques, qui se servent
de l’arabe pour leur enseignement et leur propagande, fondent des établissements scolaires,
puis universitaires, et installent des imprimeries, si bien que vers le milieu du siècle émerge au
Proche-Orient ce que l’on a pu appeler «l’intellectuel moderne».
La plupart des auteurs qui ont écrit sur le théâtre, surtout subsaharien, considère l’école
William Ponty comme le point de départ de ce nouveau théâtre. Parler de la naissance du
théâtre africain contemporain, c’est rappeler en même temps la personnalité de Charles Béart,
directeur en 1931 de l’école normale supérieure de Binger ville en Côte-d’Ivoire et, trois ans
195
plus tard, de l’école William-Ponty au Sénégal. Dans cette dernière, Béart (1962) s’intéressera
particulièrement aux talents dramatiques de ces élèves africains.
Toelle & Zakharia (2003:195) fixent la Renaissance de la littérature arabe au début du
19ème siècle et moitié 20ème siècle. C’est dans le courant du 19ème siècle, écrivent-ils, et
particulièrement en Egypte et avec la participation de nombreux Syro-libanais que la littérature
arabe va connaître un nouveau départ. Ce réveil, qu’il est convenu d’appeler Nahda, le terme,
souvent traduit par renaissance, signifie littéralement essor, envol.
Pendant longtemps, le théâtre était l’apanage des écoles où il était pratiqué à
l’instigation et sous la direction des missionnaires et des professeurs de français, suivant en cela
une pratique généralisée dans l’Afrique coloniale (exemple du théâtre William Ponty). Ce
théâtre avait pour finalités principales de servir la cause apostolique et éducative, de
familiariser les jeunes élèves, futurs fonctionnaires auxiliaires, avec la langue de travail qui
était le français.
27
Interview à Mulongo (2003) une année avant sa mort.
196
populaire dans le cadre de théâtre a subi un glissement sémantique. C’est notre point de vue. Il
n’a plus le sens d’autrefois. Et après plusieurs observations, nous avons constaté que c’est ça le
théâtre moderne africain (nous allons y revenir dans la suite).
Ce théâtre populaire en Afrique subsaharienne est très vivant en langues locales
africaines. Tel est le cas du groupe Maboke ou Salongo à Kinshasa, Mufwankolo à Lubumbashi
en République démocratique du Congo, le groupe Ma famille en côte d’Ivoire, ou du groupe
Schekania à Boma dont nous analysons les pièces. Il s’agit, en fait, des sketches qui passent
souvent à la radio et à la télévision, des pièces de théâtre préenregistrées que les différents
groupes vendent à leurs spectateurs qui le regardent à la maison. Les mêmes pièces sont aussi
diffusées dans les chaînes de télévision pour divertir la population. Ce théâtre, même s’il
dénonce les méfaits de la société, est souvent l’occasion d’une catharsis collective, charriant les
problèmes épineux des populations sans survie, des familles disloquées à cause de la
souffrance, des injustices, des faits de sociétés.
A côté de ce théâtre dit populaire, se développe le théâtre dit classique qui se joue en
langues étrangères avec comme modèles d’inspiration, les auteurs classiques occidentaux; mais
l’influence de la tradition est aussi très marquée dans ce théâtre. Souvent présenté dans des
salles de spectacle avec un public sélectionné. Nous pouvons faire remarquer, par exemple,
qu’un écrivain comme Bernard Dadié (1957), a pu faire revivre certaines légendes de son
enfance dans ses premières œuvres de l’école William-Ponty. Le théâtre nigérian, en particulier
celui de Soyinka, sera marqué par d’autres mythes, des formes différentes de symbolisation.
Ce théâtre (qu’on appelle à mon sens abusivement classique) est l’interprétation des
pièces occidentales ou l’adaptation des pièces sur ce modèles; très souvent en langues
étrangères notamment le français, l’anglais, le portugais. Les intellectuels africains, dans la
plupart, sortis des écoles coloniales, vont créer des compagnies théâtrales qui seront fondées
sur le modèle occidental, on assiste à l’adaptation de Shakespeare, ou même à la représentation
de ses pièces. Kadima Nzuji (2012:177-178) nous en donne une illustration concernant le
théâtre congolais. Ce théâtre sous la deuxième République présente un corpus de textes
entièrement pensés et rédigés pour la scène, écrit-il. Ce sont des comédies, des drames, des
tragi-comédies, des mélodrames, etc. dont l’écriture est encore dans son ensemble et dans une
très large mesure fortement tributaire des modèles littéraires occidentaux. Depuis son
introduction dans le paysage dramatique congolais, au début des années soixante-dix, avec
Mundele Ndombe (Le Blanc à peau noire), une adaptation par le Théâtre National Congolais du
Bourgeois Gentilhomme de Molière, la comédie musicale provigne et le dispute aux autres
genres dramatiques, atteste-t-il.
197
Nous allons analyser les deux formes de théâtre en vue d’en relever les spécificités.
Comme nous venons de le dire si haut, l’influence de l’école William- Ponty a entrainé
le développement de deux types de théâtre: populaire que nous considérons comme le théâtre
moderne africain et le théâtre dit classique, qui est en fait le développement du théâtre
occidental en Afrique, c’est pourquoi nous l’appelons le théâtre importé.
Nous devons souligner que l’adjectif «populaire» collé à ce théâtre avait, chez la plupart
des théoriciens une connotation idéologique. Il avait (ou a) une charge sémantique très
négative. Il justifie le dédain, la répugnance avec lesquels est regardée cette forme de théâtre. Il
signifie le côté «peuple» par opposition au caractère «bourgeois», «noble» «vertueux» du
théâtre dit classique auquel on l’oppose, abusivement, pensons-nous. On peut comprendre, par
exemple, par rapport à cet esprit, le propos de Ngandu Nkanshama (1982:41) qui qualifiant ce
théâtre déclare que «Ce théâtre est souvent épique, gonflé jusqu’à une phraséologie excessive,
qui ne trouve sa justification que dans le tragique social occulté, par lequel se transpose le
véritable discours historique ». C’est le retentissement du point de vue de Mulongo que nous
avons évoqué à la deuxième section du chapitre 2.
Dans le même ordre, préfaçant l’ouvrage de Mulongo (2003: II), Yoka fait une
description méprisante de ce théâtre. Il déclare à ce sujet que
Mulongo, bien entendu, ne tarit point d’éloges envers ce théâtre populaire qui pour ainsi dire fait la
nique à ce qu’il appelle –peut-être hâtivement – “la bourgeoisie”et “l’élite” congolaises. Peut-être
également passe-t-il, à cause de cela, un peu trop vite sur les questions épineuses d’esthétique,
entendue comme la marque du travail d’embellissement de la langue, la preuve à la fois de la rigueur
et de la poésie, à l’exclusion de l’improvisation gratuite et d’une familiarité de ton burlesque et
éparpillée.
Les descriptions qui sont faites ci-haut traduisent le dédain avec lequel ce théâtre est
regardé par ceux-là même qui sont censés en faire large diffusion. Certains sont même allés
plus loin décrivant ce théâtre comme un «non art». Tel est l’esprit des propos ci-après: « Il faut
noter cependant qu’en raison de leur répétition, les thèmes de ce théâtre finissent par constituer
des clichés, ce qui provoque la saturation des situations conflictuelles. L’action est alors
ramenée aux simples mythes, et l’irruption d’un folklore convenu –danses, masques, beuveries,
sacrifices et offrandes de poules ou des chèvres, présence inévitable du griot ou du chanteur
public rend la représentation à une bouffonnerie sans forme et sans art». (Anonyme, s.d). Même
ici, nous pensons que la notion d’art est très relative. L’appréciation de l’art diffère
198
énormément selon les sociétés, l’Afrique où l’art est symbolique et fonctionnel ne peut pas lire
l’art de la même manière que l’Occident réputé par la notion de l’art pour l’art. Comme le
montrent bien Helbo & Butor (1979:13), «On ne peut pas poser la question «Qu’est-ce que
l’art? Sans y ajouter les questions: Quand? Où? Comment?»
Badian (1977:12) voit l’art nègre comme la forme majeure du langage sacré puisque les
masques invitent à une autre vie, et dans La carte d’identité, Adiaffi (1992:74) le considère
comme l’expression sacrée des formes invisibles, force que doit capter, maîtriser, séduire à
travers des formes esthétiques. Ces formes esthétiques de «l’art nègre» trouvent explication
chez Ngal (1979:26,27) dans L’errance où nous pouvons lire que «La symbolique des
tatouages, des tissus Dogon et Bakuba, ainsi que les masques, les statuettes, ont surgi d’une
interrogation fondamentale du Nègre en face de la nature, de la société, de lui-même. […] Les
poètes, les sculpteurs appelés abusivement «traditionnels» sont source de philosophie».
Parmi les différentes formes d’art traditionnel, la littérature orale occupe une place
particulière en tant qu’expression de toutes les dimensions de la vie, de la culture et de la
religion car elle est un régulateur de tensions et un puissant facteur d’intégration sociale. Ngal
(1979:21) considère que «Mythes, légendes et contes sont des instances du foyer créateur,
véritables métaphores dans lesquelles, sans trêve, l’Africain enrichit le monde de son univers
de significations».
Considérer le théâtre «populaire» comme un «non art» à cause de sa forme, c’est
démontrer une grille calquée sur un modèle, occidental notamment; l’art, nous l’avons dit est
géographiquement situé. En ce qui nous concerne, nous la considérons comme la forme
moderne du théâtre africain, partant de l’évolution qui la caractérise. Ce théâtre est une
évolution du théâtre traditionnel dont il se démarque par sa manière de représenter les
événements. Il constitue à la fois une rupture et une évolution. C’est donc dans cette catégorie
que nous classons les pièces de théâtre de notre corpus. Le théâtre moderne est donc une
évolution du traditionnel. Cette évolution est due au contact [colonial beaucoup plus] qui a
entraîné la fusion dans la forme traditionnelle du théâtre des éléments étrangers ou même une
nouvelle façon de faire du théâtre qui est à la base de la rupture; rupture du point de vue de la
langaga, des personnages, de la thématique, de la proxémique. Ceci ne peut qu’être normal, car,
comme nous l’avons déjà dit dans les précédents chapitres, la modification des rapports intimes
de l’homme avec lui-même, avec le corps social entraîne nécessairement la modification de sa
littérature; le contraire aurait étonné. Anozie (1970:18,19) avait déjà démontré que les pays du
tiers monde, ceux de l’Afrique en particulier, qui ont vécu l’expérience coloniale sous la
domination de l’Occident, avaient subi des changements sociaux. Lesquels changements étaient
199
beaucoup plus influencés par les facteurs économiques, technologiques, spirituels, sociaux-
culturels et politiques.
Ambassa Betoko (2010) parle du théâtre populaire francophone au Cameroun comme
une nouvelle forme de littérature orale née de la rencontre du français et des langues
camerounaises. Il est produit de l’imagination des auteurs comme Daniel Ndo (Oncle Otsama),
Dieu donné Afana Ebogo (Jean Miché Kankan), Dieudonné Kemseu (Dave K. Moktoï) et
Essindi Mindja. L’imagination de ces auteurs et l’imagination collective constituent le langage
de ce théâtre à travers lequel se reconnaît la société camerounaise. Concernant la littérature
moderne arabe Toelle & Zakharia (2003:200) parlent de deux faces de la Nahda: ‘ihyâ’ et
iqtibâs à partir desquelles cette dernière se forme. Le premier de ces termes signifie «vivifier»,
et «faire revivre» et consiste à se tourner vers le patrimoine littéraire arabe pour le réinventer et,
de ce point de vue, la Nahda a des analogies avec la Renaissance européenne; le second terme
signifie littéralement «allumer son feu au foyer d’un autre» et, métaphoriquement «emprunter
des passages à un auteur». Il consiste, en l’occurrence, à puiser son inspiration dans les œuvres
littéraires européennes, voire à les adapter ou à les imiter et, de ce point de vue, la Nahda
diffère de la renaissance européenne. Ces deux versants contradictoires se développent par
ailleurs parallèlement et coexistent parfois dans une seule et même œuvre. Et, ils montrent que,
peu à peu, s’élaborera une synthèse qui conduira à l’apparition d’une littérature qui, pour
adopter les techniques littéraires et les genres européens, n’en restera pas moins ancrée dans la
culture d’origine. C’est ce que renchérissent Hallaq & Toelle (2007:13) en poursuivant qu’ «En
effet, les deux facteurs se conjuguent tout au long de la mutation dont l’Egypte du 19 ème siècle,
lieu premier du renouveau littéraire, est le théâtre, car il s’agit, à la fois, de s’ouvrir aux
sciences modernes et de conserver le socle de la culture héritée du passé».
Nous avons vu avec Don Rubin (1997) à l’introduction générale de notre thèse que le
théâtre contemporain africain était fait d’une riche fusion entre le théâtre traditionnel et le
théâtre occidental. Kazi Tani (1995:115), parlant de prétexte narratif, qui est la participation du
public à la création de la littérature mentionne cette implication entre les deux formes
théâtrales. Il note évidemment que le prétexte narratif, mettre en scène le spectacle d’un
spectacle se prête à cette intention (de participation du public). Il y a là une mise en abîme du
travail même de l’écriture, qui montre l’interdépendance des deux formes de théâtrales: celle
du terroir, réactivée dans celle d’importation28. Toelle et Zakharia (2003:9) parlant des auteurs
arabes modernes écrivent dans leur ouvrage:
28
C’est nous qui soulignons.
200
Nous espérons aussi avoir réussi à montrer que les auteurs modernes et contemporains ont su donner
à leurs œuvres une saveur particulière, due au dialogue constant qu’ils ont entretenu non seulement
avec la littérature mondiale, mais aussi et surtout avec les grands classiques dont ils ont, la plupart
du temps, une connaissance intime et dont ils ont intégré, en les transformant, des éléments relevant
tantôt du contenu, tantôt de la forme, tantôt les deux à la fois.
C’est en ce sens que Voisin (1988) Elève de Dullin et disciple d’Artaud, voulait, pour reprendre
l’expression de son collaborateur Nugue, provoquer l’émergence d’un théâtre marocain,
original, populaire et contemporain. Pour cela, pense-t-il, il fallait faire que la technique
théâtrale importée de l’Occident vienne féconder un folklore marocain qui paraissait être une
source.
Et nous trouvons aussi des arguments chez Ricard (1986) qui, dans son ouvrage
L’invention du théâtre en Afrique, abordant le chapitre sur des comédiens en quête d’auteurs
déclarait avoir analysé la naissance et le développement d’une dramaturgie populaire qui
emprunte à la tradition orale une partie de ses modes de narration et les combine avec des
dramatisations bibliques. La dramatisation biblique, nous l’avons souligné est une influence du
contact. Le folklore prend une plus grande ampleur, c’est la puissance d’évocation des farces
villageoises dans les villes à la veille des indépendances. On s’inspire des traditions et des
légendes historiques pour créer un théâtre nouveau.
Makhélé (1995:7) réalise aussi la naissance d’une nouvelle dramaturgie dont les personnages
ne sont plus ni des figures mythiques, mais avant tout des humains ordinaires pris dans la
tourmente du monde contemporain, «Des personnages qui ont tirés les maux de la ville, les
éclats du choc des cultures».
Il faut noter cependant que l’influence de l’art oral ne s’arrête pas seulement à cet aspect
de la légende; il joue aussi dans l’esprit même du théâtre, dans l’inspiration de l’intrigue, dans
la structuration des dialogues, dans l’intrusion des proverbes et des contes. Elle se manifeste
surtout par la présence d’un conteur –griot, dyâli, chanteur ou poète public. C’est ainsi que les
scènes purement folkloriques s’associent souvent sur la parole, et que les danses transforment
la scène en espace chorégraphique.
Plusieurs auteurs, notamment Anozie (1970), ont montré, à partir de l’analyse de leur
corpus romanesque, comment les romans africains de langue française (dits modernes) puisent
au théâtre africain traditionnel leur structure. En le faisant, il souligne l’implication du théâtre
traditionnel sur le moderne en évoquant dans une certaine mesure cette rupture-évolution du
théâtre moderne par rapport au théâtre traditionnel. Ils prouvent dans ce sens que les techniques
empruntées au théâtre sont le plus largement greffées sur le corps romanesque pour donner
201
naissance à un style original où se métissent les codes du roman et ceux du théâtre traditionnel
(qui est souvent un théâtre d’improvisation pour impliquer fortement le public) ou moderne de
type brechtien où Fantouré puise notamment l’ancrage politique, les effets de distanciation et
les techniques empruntées au cinéma.
Il s’avère utile de faire observer que le théâtre contemporain n’est pas le seul à subir
l’influence de la tradition.Toutes les autres formes de la littérature aussi étaient marquées par ce
bouleversement. Ce qui prouve à suffisance que le contact a bouleversé un bon nombre des
choses. Même dans les romans écrits en langues étrangères, l’influence du récit traditionnel est
incontournable chez la plupart des auteurs comme le souligne O’mos Ikuppas (1988:4).
L’auteur a réalisé que le phénomène romanesque de l’oralité littéraire est un fait dont
l’universalité ne trouve de justification que dans la polygenèse littéraire. Ainsi soutient-il que la
création romanesque actuelle n’en est que le dernier stade évolutif et les deux premières étapes
sont l’épopée et le conte; le schéma du monologue héroïque ne résume rien d’autre que la
substance même du roman: le passage de l’état d’innocence à l’état de connaissance, de
l’ignorance et de la naïveté à la connaissance du monde.
Tout en reconnaissant que le roman africain contemporain s’éloigne beaucoup de son
modèle traditionnel [ici nous voulons parler de la narration traditionnelle], même dans un
roman de la modernité comme Les soleils des indépendances d’Ahmadou Kourouma (1970), la
survivance des traits du récit héroïque est évidente. Alors que le sujet de ce roman se présente
comme éclaté car plusieurs aspects de la société de référence, également importants, y sont
abordés, on peut facilement reconnaître dans celui qui se projette au premier plan, le thème
traditionnel de la lutte du héros pour sa réhabilitation. La quête légitime de Fama contre la
spoliation dont il a été victime, est épique et tragique à la fois car elle le dépasse et les moyens
qu’il met en œuvre pour y parvenir paraissent, pour cette raison, dérisoires. Cependant
Kourouma remodèle ce personnage hérité de la tradition orale.
Le fait de retrouver dans plusieurs romans africains la présence du schéma triadique du
récit traditionnel: Départ-initiation-Métamorphose, souvent accompagnée de retour au point de
départ), prouve la force de la tradition à demeurer le cadre qui oriente et imprime la marque
culturelle des peuples de l’Afrique noire. Le théâtre moderne, comme nous allons le voir dans
le chapitre quatre, cinq et six, ne continuent pas moins de charrier la culture africaine telle
qu’exprimée dans les époques les plus anciennes. La culture entendue dans le sens de Robert
(1968:14), c’est-à-dire,
La culture d’un groupe humain est d’abord l’ensemble de ses modèles explicites et implicites. La
202
culture explicite comprend tous les éléments matériels et concrets de la vie d’un peuple: sa
nourriture, son habit, ses vêtements, ses armes, sa langue, ses danses, ses rites, ses réalisations
artistiques, ses coutumes funéraires, etc. La culture implicite est le système latent ou sous-jacent des
représentations, des sentiments et des valeurs qui donne son unité et son sens à la culture explicite.
C’est ce que le langage habituel désigne sous le terme de mentalité.
Conteh-Morgan (2004:91) fait le même constat chez certains auteurs francophones: “But even
when the play is not the dramatization of an oral text, some play wrights, such as Cheikh Ndao
in L'Exil d'Albouri, Maxime Ndébéka in Equatorium and Tchicaya U'Tamsi in Le Maréchal
Nnikon Nniku, have techniques that gave rise in the Ivory Coast, between 1970 and 1974, to an
influential acting style known as griotisation”. C'est ce que Porquet (1978:46) définit comme
«Une nouvelle expression dramatique dans laquelle s'intègrent de manière méthodique et
harmonieuse, le verbe, le chant, le mimétisme et la gestuelle, la musique et la danse». C’est
pourquoi, faisant observer que le théâtre traditionnel est une marque identitaire qui définit
l’Afrique dans son espace, Omotosso (2004:12) montre la prégnance du discours traditionnel
même dans le discours moderne africain:
In the meantime, theatre drama and performance will continue to assert that the holy places of
African peoples are not Jerusalem, not Mecca and Medina, not in the consumer emporiums of
London, Paris, New York and Tokyo. Rather, our performance traditions will continue to assert that
our holy places are next door to us, in identity within the embrace of our modernity, and that our
everyday sacred and secular rituals continue in our indigenous languages.
Les troupes populaires qui se sont développées à cette époque [qui vont donner la forme
actuelle du théâtre africain] avait [et continue d’avoir] pour intention première le divertissement
et le jugement moral de la société; tout aussi inspirée des contes africains qui sont un genre
satirique par excellence.
Il nous convient d’énoncer les différents niveaux de démarcation de ce théâtre:
La langue: le théâtre moderne africain se joue en langues locales. Mais la nouvelle situation
socioéconomique et politique fait que, cette langue homogène, confrontée à de nouvelles
réalités à désigner soit obligée, soit d’importer des termes en langues étrangères, soit carrément
de déformer celles-ci. En effet deux langues mises ensembles impliquent deux visions du
monde différentes; car dans toute langue réside une vision du monde particulière. C’est
pourquoi, si nous considérons comme Todorov (1970) que toutes les catégories discursives
viennent de la langue; et que pour identifier ces catégories discursives, il nous faut reconnaître
auparavant la pluralité de systèmes qui fonctionnent à l’intérieur de celle-ci; nous devons donc
203
comprendre que la langue soit contrainte à se transformer du fait des mélanges des systèmes
qu’elle est censée exprimer .
Kazi Tani (1995:120) montre bien cela en formulant que l’interaction entre le roman
africain écrit en langue française et le récit oral aboutit à un nouveau genre. Il montre en effet
que le mélange des genres aboutit à la création de formes nouvelles qui portent un contenu
actuel pour un public contemporain. En cela, il considère que la régénération formelle ne
consistant jamais en une simple reconduction des techniques empruntées à la narratique du
terroir dans le genre d’importation, mais en un travail de déstructuration/restructuration des
catégories romanesques de la représentation, qui permet de «populariser» et généraliser les
enjeux symboliques qui alimentent les luttes sociales. Dans ce sens, le langage neuf ainsi créé
permet une nouvelle perception de l’espace, perception globale et dynamique comme celle du
temps et de l’espace réellement vécus où les images visuelles, auditives ou tactiles se rejoignent
dans un monde qui se fait et se refait sans cesse, donnant ainsi l’impression du mouvement, de
la simultanéité et de l’immédiateté.
Mulongo (2003) nous explique ce qu’il appelle «un nouveau langage» caractéristique du
théâtre populaire [présentement théâtre moderne]. En effet, Avec sa (ou ses) langue(s), le
peuple s’est mis à développer un autre code langagier: souvent en «colonisant» certains
vocabulaires et/ou locutions françaises auxquels il attribue son propre contenu sémantique,
différent du contenu originel. Ainsi des mots suivants:
Mystique (souvent prononcé «mistik»); qui en lingala, en swahili, en kikongo, dit plusieurs
choses compréhensibles seulement par des initiés au code langagier très souvent des jeunes
kinois, lushois ou nekongo, etc. veut dire compliqué, incompréhensible, insaisissable, mauvais,
qualité supérieure, étonnant, surprenant, impressionnant, drôle, etc., la liste n’est pas
exhaustive.
Vieux qui, en lingala, en kikongo et en swahili veut dire ainé, supérieur, respectable, par rapport
à l’âge, au métier, au rang social, au rang sociologique etc.
Coopération, souvent abrégé en «coop» qui ne veut plus dire «collaboration», «action
conjointe», pour signifier toute action négociée et financièrement bénéfique dont les contours
restent insaisissables pour les non-bénéficiaires. Une transaction dont les autres ne maîtrisent
pas la forme exacte. «Naza na coop» veut dire je suis sur une belle affaire. Ces notions sont
diverses et variées. Seul le peuple profond qui en définit le champ sémantique. C’est le
contexte de la locution qui sélectionne et impose le sens concerné par le discours. C’est lui qui
204
régule le code et sélectionne les destinataires. C’est pourquoi, comme nous allons le remarquer
dans l’analyse qui sera faite après, on assiste à un mélange des langues avec un rôle
sociolinguistique bien déterminé. C’est à juste titre que parlant de la littérature orale Derive
(1975:43) dit: «On comprend aisément que ces épopées, contes, chantefables, poèmes, offrent
une matière de tout premier choix pour qui veut connaître la langue d’un peuple, et cherche à
découvrir ses valeurs culturelles…».
A travers le théâtre se déduit les habitudes linguistiques d’un peuple. Ce qui peut faire
comprendre, selon Zima (1978:17) que «La littérature n’a pas affaire à une grammaire
“neutre”mais à des intérêts sociaux transformés en textes, articulés sur le plan discursif. C’est
sur ce plan qu’il s’agit d’examiner la situation sociolinguistique d’une société pour y situer un
texte littéraire particulier».
C’est le même cas dont parle Gauffre (2004:247) dans son article «Villes et utopie dans
les romans de Kojo Laing». Elle décrit la langue de ces romans qui résultent du contact Europe-
Afrique. La langue, explique-t-elle, rend compte de ces entrecroisements, du passage de la
simple gémellité, symétrie faite à la fois de concordance et d’antagonisme, au métissage.
L’union des contraintes actualisée par le rapprochement des pôles Afrique et Europe se
construit sous les yeux du lecteur. Avec prudence, l’écriture n’étant pas réductible à la mise en
œuvre mécanique de procédés à effets constants, il est même possible de repérer des figures
ressortissant à la gémellité et au redoublement: la plus courante consiste en la juxtaposition
d’un mot ghanéen et de son synonyme anglais, ou inversement. D’autres relèvent du
croisement, de l’hybridation: l’enchâssement de mots ghanéens et de néologismes dans un texte
anglais a pour effet la création d’une langue nouvelle.
Aussi, appliqué à son corpus romanesque, Kazi Tani (1995) parle des interférences
lexicales dans la rencontre de deux genres: romans africains écrits en langues française et
l’oral résultant de la tradition. Face à cette situation, le recours au principe décrit par Mulongo
ou Gauffre semble s’imposer de soi. C’est de cette sorte qu’il explique l’ambivalence du
discours dans le roman africain contemporain. En cela, Kazi (1995:237) écrit
Soigner la «frigidité» du français, signifie tout à la fois, l’enrichir de concepts qu’il ne possède pas et
l’assouplir en «cassant» sa syntaxe pour qu’il fonctionne selon les lois d’une autre rhétorique, mise
au service d’un discours nouveau. Ce sont d’abord les emprunts au niveau du lexique qui
«rajeunissent» l’écriture en créant un effet d’étrangeté, immédiatement perçus par le lecteur parce
qu’ils sont nombreux et qu’ils renvoient à une manière de vivre, d’être et de penser spécifiquement
africaines.
Ricard (1972:72) relève la même situation concernant les écrivains nigérian qui sur le
205
choix de langue étaient parfois amenés à africaniser les formes occidentales ou à occidentaliser
les formes africaines. Ainsi note-t-il,
Chinua Achebe, par exemple, souhaite une adaptation de l’anglais aux besoins des écrivains et non
le contraire. A l’anglais de s’africaniser s’il veut être langue littéraire en Afrique; pour sa part il
n’hésite pas et toujours avec succès à notre sens à «ibo-iser» sa syntaxe et à parsemer son
vocabulaire de mots ibo facilement acceptés dans un contexte ibo. Certes Chinua Achebe et Wole
Sonyika n’écrivent pas en pidgin. Pourtant leurs efforts pour africaniser l’anglais au moyen de
calques linguistiques remplissent une fonction paradoxalement identique au pidgin.
Gonzalez-Quijano (2007:30, 31) montre combien la langue a été aussi importante dans
la Renaissance arabe. Elle constituait le point de départ même de la renaissance arabe. Il note
évidemment que mettre de la sorte l’accent sur l’acte de communication, et donc sur la teneur
d’un message qui vaut, entre autres critères, par sa clarté, constituait naturellement un
changement radical par rapport aux conceptions du monde classique. Les auteurs de la
Renaissance arabe élaborèrent une nouvelle approche de l’écriture qui imposait une profonde
mutation à cet instrument premier de la médiation du monde qu’est la langue. On vit se
manifester un désir de la «moderniser» afin de lui permettre de remplir ses nouvelles fonctions
dans le domaine de la représentation du monde.
Gonzalez-Quijano montre de ce point de vue qu’une grande partie de la production
littéraire à l’époque de la Nahda était également, directement ou indirectement, la «traduction»
d’œuvres étrangères ou plus précisément leur arabisation car bien souvent il y avait une volonté
délibérée d’adaptation, voire de recréation (tamsῑr, ta’ rῑb, bi-tasarruf). Et ce n’est pas nier
l’apport spécifique de la littérature arabe de cette époque, apport manifeste, entre bien d’autres
exemples, par l’élaboration d’une narrativité spécifique, que de reconnaître l’importance de
cette inspiration que les auteurs de la Nahda trouvèrent chez leurs modèles étrangers. Ce que
l’on pourrait appeler des «tradaptations» étaient naturellement étroitement lié au processus de
renouveau linguistique, renouveau dont elles étaient à la fois vecteurs et laboratoire, ne serait-
ce que par la nécessité de forger des structures lexicales et morphologiques appropriées à la
nature des «textes sources» et aux visées «des textes cibles». Mais elles étaient également, sur
un autre plan, «L’instrument d’un renouvellement de l’imaginaire collectif à travers la
propagation, y compris sous une forme diffuse, médiatisée par l’arabisation, de nouveaux
modèles de représentation du monde». (Gonzalez-Quijano, 2007:95). Pour Zola (2012:111),
«Dans le récit de fiction, la modernité reste un approfondissement du langage et de ses
possibilités expressives» .
Garnier (2006:63) montre que, par rapport à l’évolution du roman swahili, Shabban
206
Robert (1971) fait deux usages possibles de la langue swahilie qui vont marquer cette littérature
romanesque: un usage territorialisé, qui fait confiance à la langue et à ses valeurs pour fonder le
récit; un usage déterritorialisé, qui n’accorde aucun fond propre à la langue et qui oblige le
roman à se chercher un territoire. Le territoire revendiqué sera celui de la réalité. Ainsi il fait
comprendre que
Tous les historiens de la littérature swahilie s’accordent sur le rôle crucial de Shaaban Robert (1909-
1962) dans le passage à la modernité. A l’heure où l’on est en train de forger un swahili standard
répondant aux exigences du monde moderne, il est de toute urgence de composer une littérature qui
accompagne cet effort linguistique. L’œuvre de Shaaban Robert veut constituer un corpus littéraire
de référence pour une langue que l’on crée pour répondre à des impératifs nouveaux. Cette œuvre est
par excellence un lieu de passage. On y trouve des formes traditionnelles, des poèmes directement
démarqués de la tradition poétique swahilie, des contes repris et adaptés des Mille et une nuits, […]
Un écrivain comme Shaaban n’est pas à moitié classique à moitié moderne, il est ouvert à la
modernité à la mesure même de son inscription dans la dynamique de la poésie swahilie orientée,
depuis des siècles, vers le nouveau.
La thématique
En effet, la façon de voir les choses a beaucoup changé depuis le contact de l’Afrique
avec le reste du monde. Cela a influencé notamment son art, son théâtre. Le thème comme le
chômage, le viol, l’enfant de la rue, le christianisme, l’islam sont exploités, même s’il faut noter
que le dénouement est souvent fidèle à la forme authentique. Développant les thèmes nouveaux
qui caractérisent le théâtre contemporain, Ngandu Nkashama (1982:67) parle des thèmes
élargis qui peuvent se classer sous quatre rubriques principales: la famille disloquée, le procès
permanent de la société, la parodie dramatique (fortement inspirée de la révolte sociale,
particulièrement celle qui se déroule en Afrique du Sud), les mythologies sociales qui, non
seulement dénigrent le folklorisme (ou le modernisme), mais qui s’accrochent facilement à une
expérience particulière de l’histoire. Le thème de l’amour contrarié est souvent invoqué pour
poser le problème des rapports à une plus grande échelle et mettre en évidence la nette
dichotomie qui s’est effectuée entre les traditions et l’Afrique actuelle.
207
Aujourd’hui, le théâtre moderne africain utilise des acteurs qui avec toute la liberté
incarne des rôles individuels là où, traditionnellement, il n’y avait qu’une personne qui
incarnait tous les rôles et qui, de temps à autre, au cours de sa narration, pouvait faire intervenir
son auditoire dans l’un ou l’autre rôle. L’utilisation des personnages rentre dans le cadre du
sens que Diagne (2005:139) donne à la dramatisation. Parler de la dramatisation, de la mise en
scène, bref du théâtre, c’est évoquer la présence simultanée d’un ou de plusieurs acteurs et d’un
auditoire, et donc un partage des rôles et de l’espace qu’ils occupent. Il faut noter l’exploitation
des personnages traditionnels dans les différentes pièces modernes.
Les personnages de notre corpus rentrent effectivement dans les types de description
faite par Hubert (2008:221). Ces personnages modernes, individualisés, agissant sous l’empire
des influences environnantes, vivant notre vie sur la scène, seraient parfaitement ridicules dans
le décor du 17ème siècle. Ils s’assoient, et il leur faut des fauteuils; ils écrivent, et il leur faut un
mobilier complet. D’autre part, nous étudions tous les mondes, nos pièces nous promènent dans
tous les lieux imaginables, les tableaux les plus variés doivent forcément défiler devant la
rampe. Ayant pour fonction, comme les costumes, de renseigner sur les personnages, de les
situer dans leur milieu, dans leurs habitudes de vie, les décors tiennent lieu de description
continue. Un décor exact, un salon par exemple avec ses meubles, ses jardinières, ses bibelots,
208
pose tout de suite une situation, dit le monde où l’on est, raconte les habitudes des personnages.
Ainsi les acteurs-personnages des pièces que nous analysons se livrent à des rôles
individuels avec des décors adaptés qui permettent de situer leurs actes dans l’espace de leur
représentation. Par exemple, dans la pièce Enfants de la rue, le spectre de l’enfant qui est mort
de ce sort revenait de temps en temps menacer son oncle et sa belle tante. Ceci est un
personnage très régulier dans les traditions africaines et coutumes où des contes parlent des
revenants qui ont un impact sur la vie des vivants; qui font partie des classes sociales.
Dans la pièce Et après, le père de ya Za, acteur principal incarne un personnage dans
nos traditions qui imposent sa volonté (dans une société gérontocratique) et ya Za son fils est
caractérisé par une rupture, à la recherche d’une identité de liberté, d’ouverture (ce qui est
nouveau dans les traditions africaines). Ainsi en est-il du conte de chez nous «l’éléphant et le
caméléon» où l’éléphant représente le fort, le grand qui impose sans contradiction sa volonté,
alors que le caméléon représente ce peuple qui travaille sans tirer profit de son travail, il
représente le petit peuple dans une société où la raison du plus fort est souvent la meilleure.
La proxémique
Les pièces se jouent dans des salles de spectacle où l’accès est payant. Nous devons
noter l’apport de la télévision dans la propagation de ce type de théâtre. Ce qui le rapproche du
cinéma dont il emprunte quelques techniques. Mais nous devons aussi rappeler ici que de plus
en plus, le théâtre de salle se vit de moins en moins, les troupes théâtrales qui signent des
contrats avec des chaines de télévision de la place, préenregistre les pièces que les chaînes de
télévision diffusent par la suite. Notons aussi ici que l’espace scénique démarque bien le théâtre
moderne du théâtre traditionnel.
Le groupe Salongo avec le Réalisateur moderne Tshitenge N’sana est un exemple
probant de la révolution dans l’espace théâtral congolais. Dans le groupe Salongo (l’un des plus
modernes et des plus talentueux de la RDC), le scénario n’est pas nécessairement écrit; dans
bien des cas, il est simplement rapporté en «Histoire», c’est-à-dire raconté comme un fait
divers. La mise en scène aussi a subi une cure, l’histoire, ainsi racontée à tous les acteurs, est
alors développée en tableaux successifs, librement, après discussion créative entre les acteurs et
le réalisateur-metteur en scène; si bien que chaque tableau est corrigé non seulement par le
metteur en scène attitré, mais par tout le monde, bien sûr sous l’œil vigilant du réalisateur. Une
grande interaction s’étant ainsi établie entre les destinateurs (groupe Salongo et ses acteurs) et
le destinataire (les masses populaires) qui fournit du reste les sujets, les acteurs se voient
plusieurs fois interpellés par des citoyens qui leur font des remarques ou des suggestions. Bien
209
plus, ils leur proposent des sujets qu’ils tiennent à voir joués. Il y a donc une véritable
interaction «masse-sujets-acteurs».
Nous lisons aussi cet aspect chez Mouralis (1984:527,531).Dans sa thèse, il note, à juste
titre, que Le récit du cirque de la vallée des morts, roman théâtral selon (Kazi Tani 1995) n’a
de romanesque que le titre; les quelques fragments narratifs qu’on pourrait détacher de
l’ensemble, sont davantage des résumés de scènes que des récits proprement dits. Sans cesse,
«La perspective romanesque s’abolit et l’expression théâtrale devient la seule réalité du texte».
Il y a ici une rupture très tranchée avec le modèle romanesque classique mais non avec
l’héritage littéraire oral car l’écriture théâtrale permet à Fantouré «D’investir dans le texte un
des caractères essentiels de l’esthétique traditionnelle: faire participer le public à la rédaction
du texte», lui donner la parole, lui permettre de faire de la littérature».(Ngal, 1985 :60).Pour
cela, il remplace le théâtre-spectacle par le théâtre-participation en obligeant les spectateurs,
amateurs de «mystère» et de «sensations fortes», à participer à l’élaboration du scénario et
même à jouer un rôle dans la pièce.
Lamko (2006:15) dans le même sens note que dans les cas précis des théâtres
contemporains du sud, les compagnies (qui déjà ne comptent pas sur les subventions publiques)
sont contraintes de vivre ce passage en quelques années seulement, et donc d’inventer les
techniques de la médiation de leur pratique pour résister et rendre possible la création tout en
confrontant leurs acquis esthétiques et idéologiques. C’est là qu’intervient, selon Lamko, la
logique participatoire, cette notion du public cocréateur de l’acte théâtral. Le théâtre de la
participation est un théâtre-action qui sollicite la participation du spectateur en amont, in situ et
en aval du phénomène créatif (prise en compte de la réception du public.) Ce public est invité à
quitter son cocon de passivité pour réfléchir et agir afin de se transformer et de transformer son
monde: une espèce de catharsis constructive. C’est donc un théâtre où le «je» participant est
appelé à se joindre au «nous» constructif et collectif. Ceci est bel est bien une intrusion du
traditionnel dans le théâtre contemporain, notamment moderne où le public participe aussi
comme acteur. Bérard (2006:102) parle de cette mise à contribution du public dans le théâtre
antillais des vingt dernières années où les rituels religieux et profanes, hérités d’Afrique et
d’Europe, constituent notamment un réservoir où les dramaturges et les metteurs en scène de
Guadeloupe, de Martinique et d’Haïti puisent régulièrement leur source d’inspiration. Elle note
en effet qu’«Il n’est pas surprenant que le public soit sollicité pour participer aux pièces
inspirées des rituels, qui sont des pratiques collectives où les spectateurs sont nécessairement
des participants». Cette transformation de l’art théâtral, avec comme arme principale la langue,
disons les langues nationales, nous fait assister à un autre type d’art, de thématisation, un autre
210
type de discours, un autre support linguistique. Bref, un autre type d’identité, c’est le théâtre
moderne.
-Né du contact avec l’occident: c’est l’Occident qui apporte la notion d’urbanité et
d’individualisation d’acteur. Cela ne peut qu’être logique, comme nous venons de le dire ci-
haut. Le changement d’époque ne pouvait pas laisser indemne le domaine artistique. Celui-ci
étant bien le miroir de la société. Toelle & Zakharia (2003:215) l’attestent à propos du roman
(riwâya) et la nouvelle (qissa qasîra) arabes. En effet, en leur qualité de genres littéraires, le
roman et la nouvelle arabes, expliquent-ils, sont, eux aussi, empruntés à l’Occident. Cependant,
leur dette à l’égard de la littérature européenne leur paraît beaucoup moins grande qu’on a bien
voulu le dire. L’existence d’une littérature narrative très diversifiée dont peut s’enorgueillir le
patrimoine arabe, qu’il soit classique ou «populaire», les orientations prises par les deux genres
à leurs débuts, étroitement liées à la conception de l’ancien ‘adab, en font foi, même si les
techniques d’écriture se transforment peu à peu au contact des œuvres occidentales et si le
personnage individualisé finit par l’emporter sur le personnage type29.
-Théâtre à espace binaire: même si le lieu scénique est la ville, il ya lieu de constater pour ce
théâtre, concernant le lieu dramatique, une alternance régulière entre la ville et le village.
-Populaire, synthétique, total et vivant: comme nous l’avons dit pour le théâtre traditionnel,
ce théâtre partage aussi ces critères. La synthèse à ce niveau est artistique et poétique et non
technique. Dans le théâtre traditionnel, nous assistons à une synthèse technique où le conteur
est à la fois l’organisateur et le personnage multiple qui à lui-seul joue tous les rôles de sa
pièce; alors que dans le théâtre moderne nous assistons à une individualisation d’acteur.
Consetino (1981:10) montre aussi bien cette influence du théâtre traditionnel dans le théâtre
moderne:
The fact that the oral narrative (folktale) and the short written narrative (short story) represent closed
artistic systems is important to recognize, if only because critics so often miss the perfection of form
that each of the narrative types has achieved. Easy generalizations on the ‘oral influence’in modern
African fiction confuse the depiction of folkloric characters (the spider trickster, the ‘compleat’
gentleman) or the use of certain verbal devices (the proverb, the ideophone) with the actual
29
C’est nous qui soulignons.
211
recreation of oral narrative performances with the written word: an impossible feat as anyone knows
who has tried to transcribe a tape into coherent written text. The two media generate utterly
dissimilar verbal styles. And the two cultures use the short narrative for strikingly different ends.
-Symbiose du traditionnel et de l’occidental: nous vivons une mise ensemble des éléments du
traditionnel qui influence fortement dans l’organisation de l’intrigue et de l’occidental qui
enrichit le théâtre dans la distribution des rôles et la gestion de l’espace et l’usage de la langue
(bref dans la forme). Ruocco (2007:151) atteste pour le théâtre moderne arabe que
Le théâtre arabe moderne naquit au 19ème siècle dans le cadre de l’iqtibas, de l’adaptation d’un
répertoire étranger aux exigences d’un nouveau public. Mais il est indéniable que des formes pré-et
para-théâtrales, plus ou moins anciennes, influencèrent le développement de l’art dramatique arabe,
trouvant dans ce patrimoine une identité originale.
Nous pensons à notre sens que ce théâtre est appelé classique abusivement. C’est un
théâtre importé. La langue et même l’organisation de ce théâtre sont étrangères à l’Afrique à
ses débuts. Même si avec le temps, on y a associé beaucoup d’Africain, il reste un genre
d’importation. D’ailleurs, parlant de la littérature africaine, de manière générale, Bol & Allary
(1964:11) font observer que
Quand on considère les débuts de cette littérature africaine récente, on doit d’abord enregistrer le fait
212
de la langue dans laquelle elle s’exprime. L’adoption d’une langue importée par la colonisation
indique que cette littérature n’est pas le fruit de la transformation interne de la littérature
traditionnelle, qu’elle ne la continue pas; elle instaure quelque chose de neuf répondant à des besoins
spirituels nouveaux.
Donc si le théâtre moderne est une continuation, sous une autre forme, du théâtre traditionnelle,
le théâtre importé est une nouveauté.
Le théâtre importé, c’est l’interprétation des pièces occidentales ou l’adaptation des
pièces sur ces modèles, comme nous venons de l’illustrer en exemple ci-haut avec Kadima
Nzuji; très souvent en langues étrangères notamment le français, l’anglais, le portugais. C’est
vrai qu’on joue les classiques occidentaux avec l’influence de l’occupation. Ils sont en rien
classiques africains. Ce théâtre est un tournant décisif (à ce moment de l’histoire) sur la
différenciation sociale marquée sur la langue. Nous retrouvons donc, dès le départ, l’élément
langue et son rôle dans l’idéologie de la différence. L’on remarque que ce sont les élèves qui
s’adonnent à ce nouveau jeu, à l’école. Et dans la vie pratique, ce sont les anciens élèves
devenus évolués qui s’assemblent pour créer dans les centres extra-coutumiers (villes) que sont,
principalement 1. Léopoldville 2. Mbandaka (Equateur), 3. Lemfu (Congo Central) et 4.
Lubumbashi où se créent des marionnettes. Cela fut le cas dans plusieurs villes africaines:
Lagos, Accra, Abidjan, Brazzaville, Lomé, Dakar, Caire, Rabat, Tunis… Il sera donc l’œuvre
des évolués et des intellectuels, qui vont constituer une classe sociale élitiste et bourgeoise. Et
c’est même cet aspect des langues qui va renforcer sa chute par rapport à l’autre théâtre
contemporain: moderne.
C’est un théâtre qui intéresse une minorité de la population: les intellectuels. A propos,
Mikanza (1982:62) raconte la mésaventure qu’ils ont vécue alors qu’ils s’apprêtaient à jouer
une pièce en langue nationale à l’Université de Kinshasa, alors qu’ils venaient déjà de vivre la
même chose dans d’autres milieux. Il raconte:
Curieux, nous sommes allés au Campus de Kinshasa, dans l’espoir que les intellectuels
apprécieraient mieux que le public de la cité. Même réaction inattendue? Et pis encore, dès les cinq
premières minutes, cris, chahuts, insultes, vitupérations: «Allez-vous en à votre INA (Institut
National des Arts), ne revenez plus qu’avec une pièce de Molière, en français. Partez avec vos
dialectes pour analphabètes.
Et en discutant avec les quelques audacieux (quarante ou cinquante sur les cinq cents qui
assistaient au début du spectacle), ils se sont rendus compte des habitudes acquises de ne voir
que des pièces en français, avec une mise en scène classique traditionnelle. Donc le public
acquis à ces genres de pièce étaient et est bel et bien l’élite, qui constitue une minorité. Salhi
213
[...] Unlike typical western experimental drama, the appeal of which is limited to a particular section
with the intellectual élite, it reaches wider audiences and appeals more to the popular taste. This
borrowed western form has been through different stages of imitation, translation, adaptation and
experimentation in the three countries, but has often failed to achieve its aims because it represents
an attempt to absorb several centuries of theatrical experience all at the same time, which could not
have acted as a stimulant to dramatic innovation.
Nous devons faire remarquer que les Etats africains ont beaucoup privilégié l’émergence du
théâtre dit classique. En créant des compagnies nationales de théâtre, l’optique ou la politique
était beaucoup plus de former des artistes à copier les modèles occidentaux. Ceci constitua un
grand frein à l'épanouissement d'un théâtre africain selon le goût de la population. En voulant
trop faire comme l'Occident, la première génération d'après la colonisation a dénaturé un tout
petit peu l'imaginaire social. Ainsi, par exemple, concernant la langue, Mc Laughlin (2009:3)
montre que “African elites have also played a role in perpetuating these inequalities by keeping
power in their own hands and recruiting new elites from their own ranks…”C'est peu après
avec un regain culturel que beaucoup d'auteurs ont fait rejaillir cette question entraînant ainsi le
développement d'un théâtre africain moderne fait des aspirations purement africaines. Cette
situation est pareille dans bien des sociétés africaines.
Salhi (2004:62) concernant les pays de Maghreb notamment le Maroc, la Tunisie et
l’Algérie renseigne à ce propos:
The french administration interfered in all indigenous affairs and a faction of the extreme right that
was hostile to the nationalist organisations provoked trouble whenever the administration criticised.
In addition to these obstacles, the theatre suffered from considerable financial problems. Hence the
restriction of this theatre to its basic vocation of propaganda. It was a product of its historical,
political and social environnement, and was developped by a large number of theatre groups. The
Saisons Arabes of theatre productions and public shows were conceived during this period. This
development saw the genuine popular theatre of the three countries forced to abandon the
spontaneity and improvisation that had helped it to escape French restriction and take on a more
formal, institutional status. This new situation imposed obligations on the theatre groups.
There is a major blockage: it is the design of the theatre and the settings in which we evolve. The
architecture of these settings, of these setting-cages conceives exactly with the aims of identification
illusion that embarrass us again and again. We are working very seriously to set up a space for our
drama that is different from Italian theatres, where everything is done to ensure that viewer is a
passive consumer of the illusion...
214
Les auteurs et les acteurs n’hésitent pas à introduire des locutions en dialectes locaux,
des chants traditionnels et même des scènes chorégraphiques inspirées des rites et liturgies des
villages. On comprend alors que ce théâtre ait pu obtenir un grand succès auprès du public qui
y reconnaissait les scènes de conte et légendes.
Le regard jeté sur le théâtre conduit à revisiter la typologie du théâtre africain. Bipolaire,
selon la plupart des auteurs (marqués par l’influence de l’Occident), nous pensons, à notre sens,
que cette typologie ne traduit pas complètement la situation africaine. En général, réduire le
théâtre à la bipolarité [théâtre classique <> théâtre populaire] induit la méconnaissance d’un
théâtre typiquement africain. En effet, chez les gens qui soutiennent ce point de vue, même
quand on oppose populaire à classique, on semble, très souvent, situer populaire avec l’arrivée
du colonisateur, avec comme conséquence page blanche avant cette période. Ce qui signifie
que ce qui est fait avant cette période ne peut pas être qualifié de théâtral.
Les propos suivant de Ricard (1972:63) est un indicateur poignant de ce point de vue,
car il écrit concernant le Yoruba: «L’unité linguistique et culturelle du pays Yoruba est une
condition très favorable au développement d’une littérature. Mais le théâtre demande plus
qu’une langue commune, des centres urbains, un public, des mécènes, voilà grossièrement les
conditions socio-économiques de tout développement théâtral». C’est une mauvaise lecture de
la situation. Et chez plusieurs auteurs, même certains qui reconnaissent bien le théâtre en
Afrique, lorsque l’on parle de théâtre moderne, on fait allusion au théâtre écrit, Kesteloot
(1970b), Mouralis (1970b), Kotchy (1970). Etudiant, par exemple, «La théâtralité du théâtre
nigérian moderne», Jahn (1970a:167): écrit «Le théâtre populaire écrit en langue yoruba
compte à lui seul près de 200 pièces. C’est surtout de ce théâtre qu’il va être question ici…». Et
dans «L’exemple du théâtre anglophone et surtout nigérian» Jahn (1970b: 219) note «Le théâtre
nigérian que nous appellerons conventionnellement intellectuel a puisé beaucoup dans le
théâtre populaire…». Cuche (1970:137) dans «L’utilisation des techniques du théâtre
traditionnel africain dans le théâtre négro-africain moderne» montre l’emploi de certains
personnages, les formes d’expression scéniques et verbales, l’utilisation de l’espace et du temps
dans les œuvres comme l’Exil d’Alburi de Cheikh N’Dao ou les Trois prétendants à un mari
d’Oyono. Valbert (1970:237) soutient, dans le même sens, dans «Le théâtre négro-africain et le
public européen», que «Si nous traitons cette question, c’est que tout genre littéraire, toute
forme d’art sont par vocation universels. D’autre part, le fait que le Théâtre négro-africain
moderne s’exprime dans les langues européennes lui permet d’être immédiatement abordable
215
par le public européen». C’est cette logique qui transparaît dans les propos de certains
spécialistes.
C’est le cas aussi de Ricard (1986) qui souligne que le théâtre n’est pas un donné
culturel, mais bien une construction poétique. En cela, il revient en somme à ceux qui
connaissent l’histoire et les techniques du théâtre, à ceux qui savent analyser une situation et
bâtir un texte théâtral pense-il, c’est-à-dire aux intellectuels – n’ayons pas peur de les appeler
par leur nom! – (ajoute-t-il); il s’agit donc à ceux-là de proposer de nouvelles formes
d’expression de l’expérience. Ils ne pourront faire cela en s’enfermant dans une tour d’ivoire.
Ils doivent au contraire chercher à connaître le mieux possible leur pays, leur culture, leur
langue, et admettre que leurs créations se confrontent aux nouvelles réalités. Le théâtre est ce
lieu unique où une expérience peut se textualiser et en même temps se diffuser, prolonger tous
les arts fragmentaires du spectacle vivant, dans une forme synthétique, porteuse d’une parole
sur l’histoire. Le théâtre peut ainsi contourner l’analphabétisme, voire l’alphabétisation
partielle, de grandes parties du continent; il permet d’utiliser un langage plastique et musical,
plus directement lisible par une partie des spectateurs potentiels. De telles formes de spectacle
ont été amenées en Afrique il y a près d’un siècle, conclut-il.
Nous croyons que c’est trop sévère de considérer les œuvres de l’oralité comme
analphabètes. Les sociétés, bien structurées avant l’occupation, montrent bien que des
structures éducatives ont bien existé et ont fait et continuent de faire leur preuve, parce que
même aujourd’hui la plupart des villages africains sont tenus par ceux-là qui n’ont pas été à
l’école du type «Occidental»; et pourtant ils ne sont pas mal tenus. Zumthor (1983:26,34) s’est
avisé à montrer qu’
Il est stérile de penser l’oralité de façon négative, en ne relevant les traits par contraste avec
l’écriture. Oralité ne signifie pas analphabétisme, lequel est perçu comme un manque, dépouillé des
valeurs propres de la voix et de toute fonction sociale positive […], l’oralité ne se définit pas plus
par soustraction de certains caractères de l’écrit que celui-ci ne se réduit à une transposition de celle-
là.
La même bipolarité peut se lire chez Yoka (2003: IV) qui, dans ces propos suivant
concernant l’ouvrage de Mulongo, oppose théâtre populaire au théâtre classique. Il note
cependant que le théâtre est devenu en Afrique le moyen de préciser et d’exprimer les
différenciations sociales. Il existe un théâtre bourgeois, réservé aux petits intellectuels et aux
«ministères de la culture»: souvent sans envergure, possédant un langage artificiel, c’est un
théâtre condescendant, qui évite de dire à cette «élite» ses angoisses, et qui se contente
habituellement de railler la lutte du peuple en accentuant davantage les équivoques et les abus
216
des institutions. A côté de ce théâtre, presque exclusivement en langue française et qui rappelle
par bien des points les spectacles des cénacles et des podiums parisiens réservés à une classe
sociale, on remarque un théâtre plus simple, fait de spontanéité et de violence, qui s’adresse
particulièrement au peuple et annonce les luttes en galvanisant les énergies, martèle-t-il.
Cette bipolarité a aussi existé ou existe dans le contexte arabe où Toelle et Zakhalia
(2003:164) écrivent:«Parallèlement à cette littérature savante, dont les qualités font l’unanimité,
une autre, souterraine et longtemps méprisée, marque le patrimoine arabo-musulman à l’époque
classique […]».
Nous sommes en train de comprendre que chez plusieurs auteurs la situation théâtrale
africaine se résume à une opposition entre d’une part le théâtre populaire dont certains donnent
une description déformée et le théâtre classique, qui pour la plupart semblent revêtir le costume
du vrai théâtre. Chez ces auteurs, même quand ils énoncent la notion de théâtre traditionnel, ils
ne semblent pas lui réserver la connotation reconnue aux autres théâtres. C’est le cas par
exemple qui ressort des propos de Mudimbe (1978:138) chez qui, l’on ne peut désigner la
littérature africaine que celle écrite en langues étrangères. La littérature orale comme la
littérature en langues africaines, de par leur statut de marchandise objectivement non
exportable, prennent une valeur particulière: objets spécifiques des recherches de rares savants
qui s’y intéressent, elles semblent être aussi des objets de consommation presque
exclusivement réservés aux classes les plus défavorisées de la société.
Owomoyela (1979:I) fait le même constat concernant la littérature africaine. Il montre
que «The mention of African literature, or modern African literature, automatically suggests to
the hearer African writing in one of the languages of the late colonial, especially English and
French» .Nous pensons que c’est une illusion de considérer que c’est seulement la langue dans
laquelle une littérature est écrite qui permet à cette dernière de traverser les frontières. La
littérature russe n’est pas écrite en anglais ou en français, la littérature italienne, japonaise,
norvégienne ou chinoise non plus; elles ne sont pas pour autant restées dans les frontières
nationales. C’est l’objection que fait Owomowela (1979:II) à ceux qui réduisent la littérature
africaine à celle écrite en langues étrangères :
Finally, it is obvious that the fact that Russian literature is written in Russian, Norwegian literature
in Norwegian, and Japanese literature in Japanese has not excluded the world from access to them. If
there is enough reason to interested in a literature and a culture, language proves no barrier but
rather adds to the excitement of discovery. The literary world is not so self-indulgent that it will
refuse to make the effort to learn a new language if that language is the key to valuable literary
treasures. The suggestion cannot be taken seriously that the African writer must woo foreign readers
217
by writing in their languages, when no other national writers are obliged to do so.
Aujourd’hui, la littérature africaine, en langues locales, n’a pas moins pénétré les autres
frontières. Le rapport serait autre si elles n’étaient écrites qu’en langues locales .
Nous voyons chez la plupart une description trop idéologique du théâtre africain, parfois
aligné comme un «non art». C’est un manque de connaissance sur la réalité africaine qui a
souvent trahi bon nombre des auteurs. Sheriff (2004:171) atteste notre point de vue sur
l'analyse de la situation en Sierre Leone et montre que “A history of theatre in Sierra Leone
begins with the traditional theatre, which today coexists with a western-style African theatre
that evolved as a result of the country's contact with European culture in the colonial era”.
C’est ce que décrie Lamko (2006:9) quand il montre la situation conflictuelle que crée
la dénomination des formes théâtrales en Afrique: Théâtre africain, théâtres en Afrique, théâtres
contemporains du Sud? L’auteur y montre que l’une des sources du conflit réside dans le regard
porté par la critique sur le théâtre pratiqué en Afrique. La critique émanant des milieux de
chercheurs francophones occulte assez souvent –pour des raisons de méconnaissance – la
multiplicité des expériences que vivent les différentes communautés en Afrique. Cette situation
a été encouragée par une critique occidentale paternaliste et condescendante qui a tendance à
fixer les normes différentielles du théâtre en Afrique. L’autre justification de la généralisation
outrancière est liée au contexte historique. Toujours dans la préface de l’ouvrage de Mulongo,
Yoka Lye (2003) déclarait qu’il écrivait lui-même dans les années 70 que sur dix personnes qui
parlent du théâtre congolais, neuf en disent du mal, et la dixième qui tente d’en dire du bien, le
fait quand même mal. Aujourd’hui, dit-il, nous n’oserons plus parler dans les mêmes termes. Il
est vrai qu’à l’époque, dans les années 60-70, aux yeux des censeurs impénitents et autres
critiques puristes issus des facultés des Lettres, tout théâtre qui n’était pas composé à l’image
de la dramaturgie classique française était une hérésie.
Aujourd’hui, analysant les propos de Yoka, nous pensons que, croyant bien dire du
théâtre congolais et donc africain, il le faisait quand même déjà mal. Ce, pour deux raisons:
d’abord son éducation qui le trahit presque toujours, ensuite l’opposition qu’il propose toujours
entre théâtre populaire et classique et la description qu’il fait de ce théâtre populaire (nous
l’avons déjà indiquée ci-haut). Et nous lui opposons ici les mêmes critiques qu’il faisait à
Mulongo en préfaçant son ouvrage. « Le mérite du professeur Mulongo est d’abord le devoir
d’humilité. L’universitaire qu’il s’est évertué à sortir des sentiers battus de la scholastique et du
classicisme pur et dur pour aborder le champ en friche et si complexe du discours populaire.
Son éducation –peut-être même sa passion – ne peut que le trahir de temps en temps».
218
En disant cela, nous pensons que Yoka faisait une projection sur beaucoup d’auteurs
(lui-même compris) qui ont pensé le théâtre africaine, mais qui ont été trahi dans leur pensée,
peut-être sans le savoir, par les lunettes avec lesquelles ils voyaient ce théâtre: le modèle
occidental. Et d’ailleurs, dans son dernier ouvrage Combats pour la culture (2012), les mots
qu’il emploie pour désigner la musique congolaise ne peut pas nous surprendre: «La musique
connaîtra ensuite un essor fulgurant à travers le monde, exportant aisni la passion de vivre des
Congolais à l’extérieur et les tonalités inédites, singulièrement amplifiées par une langue
«débrouillarde30»: le lingala». (Yaka, 2012:114).
Chinweizu, Onwuchekwa Jemie and Ihechukwu Madubuike (1980:3) examinant la
critique sur la littérature africaine attestaient le fait en notant que«In examining the criticism of
African writting we find that a signifiant number of African critics are eurocentric in their
orientation, whereas they ought to be afrocentric. Such critics habitually view African culture
through European eyes».
Aujourd’hui, nous pensons qu’il est beaucoup plus convenable à notre tour, de
considérer que le théâtre africain est bien bipolaire: théâtre traditionnel et théâtre contemporain.
Mais que le théâtre contemporain se vit sous deux formes, d’une part nous avons le théâtre
moderne (oral ou écrit): théâtre de la majorité qui traduit le mieux la personnalité modale des
peuples africains, parce que simplement il tire son origine de la personnalité spectaculaire de
ces mêmes peuples et de l’autre nous avons le théâtre importé, nourri des mamelles de
l’occidental, même si on y retrouve des scènes représentant des situations traditionnelles. De ce
point de vue, il serait préférable de leur faire mériter des chances égales d’analyse et de
promotion; surtout que notre culture s’exprime mieux à travers ces genres souvent délaissés. Si
nous voulons savoir l’avenir de nos langues, nous devons voir comment nos enfants les parlent.
Donc si nous voulons aussi vérifier la vie de nos cultures, nous devons voir comment nos
enfants les maîtrisent. Que seront-ils dans la suite: sans culture. Et la faute incombera à ceux
qui n’ont pas permis que les enfants connaissent la culture.
Conclusion
Nous avons présenté dans ce chapitre les différents types de théâtre en Afrique. Nous
avons procédé à une typologie qui reconnaît deux types de théâtre en Afrique. Le théâtre
traditionnel dont nous avons noté, selon nos informations, quelques formes constitutives et dont
nous avons présenté une critériologie. Les formes de théâtre énumérées traduisent les
30
C’est nous qui soulignons.
219
Chapitre 4
Introduction
Les pièces que nous analysons sont situées géographiquement. Elles ont été recueillies
dans la ville de Boma dont elles traduisent certains aspects socio- historico-culturels. Elles
permettent aussi de saisir la configuration géopolitique de cette ville, car à travers leurs
dialogues, les acteurs-personnages tracent la cartographie de cette ville en soulignant ses
limites géographiques et les relations que sa population entretient avec les pays limitrophes
notamment l’Angola (Cabinda, Soyo) et Brazzaville (Pointe-Noire). Ceci présente du coup une
situation sociolinguistique avec un impact significatif sur la sociologie frontalière.
Avant de procéder à l’analyse langagière proprement dite, nous allons présenter les
pièces analysées et les langues qui y sont utilisées.
Le théâtre dans la ville de Boma a connu un moment de répit. Après avoir été longtemps
animé par certains groupes nés des écoles de la place qui jouaient des pièces en français,
l’activité théâtrale n’a plus été développée. Nous pouvons signaler l’existence de quatre troupes
semi-professionnelles entre 1980 et 1990: Bana Boma Cosmos, Bana Boma Stars (dissidents de
Cosmos), Mbwetete, et Les dragueurs, troupe de la CVM (Compagnie des Voies Maritimes).
Ces troupes ont été créées par des enseignants qui animaient des troupes scolaires et avaient
besoin d'échapper au contrôle des écoles pour s'affirmer et s'exprimer librement. En 1982,
Cosmos va se produire à Kinshasa; ce qui lui fait découvrir l'INA (l’Institut National des Arts).
Du partenariat qui va naître de ce contact, des représentations des troupes professionnelles vont
être programmées dans le Bas-Congo, grâce au leadership notamment du Professeur Yoka, dont
le beau-frère était chargé de la culture de l'entreprise pétrolière SOCIR de Moanda. La troupe
de l'INA va donc faire une tournée dans le Bas-Congo, précisément à Boma et à Moanda. Deux
pièces seront jouées: Les masques de djinn et La tragédie de Zinsou. Cette découverte amènera
le metteur en scène de Bana Boma cosmos: Mavungu Yongo Jeskens à s'inscrire à l'INA et à
faire des études d'Arts Dramatiques d'où il sortira gradué en option Réalisation Scénique (Mise
en scène).
De toutes les troupes précitées, la troupe Bana Boma Cosmos a été la plus performante
et la mieux organisée. Elle a présenté une cinquantaine de pièces dont: Commandant Jésus et
La salle fille n'avortera jamais de Wembo Osako; aujourd'hui j'accuse, la tragédie de Sansoa,
le faux prétendant, le curé pressé, héritage… Toutes ces troupes ont cessé d’exister pour deux
223
raisons. D’abord certains meneurs sont morts ou se sont déplacés, mais aussi à cause du théâtre
radiodiffusé qui a effacé celui de la salle que produisait ces troupes.
Après ces moments d’effervescences culturelles théâtrales, il faut reconnaître des
organisations sporadiques de divertissement montées circonstanciellement sans aucune
projection dans la durée. Dans les églises comme dans les écoles, on pouvait assister à des
représentations scéniques liées à des circonstances bien déterminées: la proclamation, l’accueil
d’un dirigeant, la Noël, la Pacques.
C’est l’arrivée de la télévision qui redonna du goût aux jeunes de s’adonner encore aux
spectacles théâtraux. En effet, la télévision provinciale diffusait des pièces de théâtre de troupes
kinoises notamment «Muyombe Gauche». C’est cette troupe dont les pièces passaient à la
télévision provinciale qui influença beaucoup les jeunes qui commencèrent à réveiller leur
instinct théâtral. Le groupe dont nous analysons les pièces était jusqu’à très récemment l’unique
groupe dans la ville. Ses pièces étaient retransmises dans une des chaines de la place.
données qui ont orienté notre analyse et non l’inverse; c’est-à-dire notre projection qui oriente
nos données.
1. L’enfant de la rue
2. Et après
4. Je suis innocent
5. Ezui ezui
6. Colis ya patron
7. Trouble total
8. Tom et Gerry
Les septième et huitième pièces ont été réalisées par les amis du Leader Sita (ya Za)
après qu’il eût quitté Boma pour la ville de Cabinda.
1. Enfants de la rue
La pièce pose le problème existentiel de l’enfant Kongo. Tout enfant qui naît est
d’office membre du clan suivant en cela les principes édictés par ce dernier. L’enfant appartient
donc au clan de son père, mais il suit la lignée de sa mère dont il est héritier. Ainsi du vivant ou
à la mort du père ou de la mère tout problème (mariage, deuil, dispute…) se résout en présence
de toutes ces parties (que nous avons appelées des alliés) qui jouent chacune une part de
responsabilité très importante. Si le papa est le responsable de son enfant, il ne peut pas en user
comme il veut sous peine de s’attirer la foudre des oncles maternels qui en sont le protecteur
parce qu’héritier de leur pouvoir familial ; si l’oncle aussi est responsable de l’enfant, il ne peut
rien faire sans l’autorisation préalable du père géniteur. Cela étant, l’initiation du neveu au
pouvoir par les oncles maternels se fait suivant des rituels au cours desquels la permission est
demandée au papa de céder son fils pour le règne.
Dans cette pièce, l’on met en scène des enfants, Mukuwa et Mbinzo [orphelins de père et
225
de mère] dont les familles [maternelle comme paternelle] décidèrent de léguer la responsabilité
parentale [parce qu’à ce moment ils étaient encore mineurs] à leur oncle paternel, le frère cadet
de leur père.
Comme cet oncle paternel du nom de ya Za n’était pas encore marié, sa famille lui
proposa d’épouser la fille de sa tante31 en vue de mieux s’occuper de ces enfants: mariage
préférentiel qui dans certaines conditions n’est pas incestueux selon la tradition kongo. Il y a
même l’expression «vutula menga» (retourne le sang dans la famille) chez les Bakongos pour
traduire ce genre de mariage. Ya Za qui vivait au village devait donc s’installer dans la maison
de feu son grand-frère, s’habituer avec les enfants avant de faire venir la femme. Arrivé à
Boma, il était étourdi par la vie de la ville. Emporté par le charme de la demoiselle Syntyche, il
laissa tomber la fille de sa tante et prit Syntyche pour femme; c’est alors que les choses
commencèrent à mal tourner.
La femme amenée à la maison monta un coup pour chasser les enfants de la maison et
rester seule avec son mari bénéficier de cet héritage. Envoûté par le charme de cette femme, ya
Za, à son cœur défendant, chassa les enfants (mineurs) de la maison, les contraignant ainsi à
une vie de rue. C’est au cours de cette vie de rue que l’un des enfants trouva la mort dans des
conditions tragiques.
Spirituellement, la famille maternelle de ces enfants qui avait l’œil sur leurs fils
(neveux) savait déjà ce qui se passait et menaçait de faire mourir leur oncle paternel,
responsable de leur situation.La tante de ya Za dont la fille n’a pas été prise en mariage
surprend ce dernier miraculeusement dans sa maison. Elle les menaça de mort pour n’avoir pas
pris sa fille en mariage. Elle fit savoir au même moment à son neveu que c’est grâce à elle que
ce dernier survit encore; car c’est elle qui le protège contre la furie de la famille maternelle des
enfants dont question. Ici, il y a deux notions à retenir, d’abord que cette tante avait le pouvoir
(sorcellerie) de protection de la famille paternelle de Za; ensuite l’idée selon laquelle si un
sorcier cause du tort à quelqu’un c’est qu’il y a un membre de sa famille qui a donné l’accord.
Physiquement, la famille maternelle de ces enfants informée de cette situation, chercha
à rencontrer ya Za pour des explications. Pour essayer d’effacer les traces, ya Za [avec
l’instigation de sa femme], chercha à tuer l’autre enfant qui était resté en vue de bénéficier
31
Mwanaku mfumu (ton enfant chef: l’enfant de ton chef): désigne la fille de la tante paternelle épousée par le
fils de l’oncle maternel. Et dans la coutume yombe, il y a l’expression «tata kento, kento kwandi» pour dire que la
tante est aussi une femme. En effet, la fille de la tante paternelle est aussi tante paternelle pour le neveu de
cette dernière. Et donc, en cas de mariage, le neveu devra savoir que la fille qu’il a prise en mariage [en plus
d’être sa tante paternelle] est avant tout la fille de sa tante paternelle qui coutumièrement a un pouvoir sur lui.
De ce point de vue, il traitera cette femme avec tout le respect dû à son rang de mwanaku mfumu: la fille de son
chef.
226
totalement de cette richesse. Il échoua dans cette mission. Le frère de l’orphelin qui était
décédé se mêla de l’affaire et aida son frère à récupérer l’héritage. C’est ainsi qu’il [ce frère
décédé] tua la femme de ya Za [qui auparavant était rendue aveugle par le mystique de la tante
de ya Za]. Ya Za, ne pouvant plus, était obligé de retourner au village.
Deux leçons à tirer comme nous le verrons dans les analyses que nous allons faire. Dans
la société kongo, la coutume est sacrée. On ne peut pas s’en passer de manière négligée; mais
on peut négocier sa sortie par la voie des personnes qui en détiennent le monopole.
Plusieurs personnes entrent en jeu. Principalement, les membres du clan de deux
familles, les morts, notamment le frère de l’héritier. Mais aussi les espaces qui
sémiologiquement apportent du sens et aident à comprendre la réalité. Chaque acte porté sur un
espace ou des espaces particuliers subit l’influence de cet espace dans la compréhension des
dialogues ou des scènes qui sont présentées. La pièce se déroule dans deux endroit différents: à
Boma principalement et au village au Mayombe.
2. Et après
La pièce met en scène une famille au village composée du père, de la mère et de leurs
deux enfants. Le récit montre que la famille était composée de quatre enfants dont deux étaient
morts précédemment. La scène se passe dans deux endroits différents.
Nous sommes au village où le papa vit avec sa famille décrite ci-haut. Le père dans cette
famille se montre très coriace vis-à-vis de ses enfants. Il leur astreint à certaines restrictions qui
parfois brisent l’harmonie familiale. Le papa défendit, par exemple, à ses enfants de toucher à
ses vins de palme. Comme souvent, les gens aiment savoir pourquoi l’interdiction, l’un des
enfants, du nom de Philosophe, incité par ses voisins du village alla tirer le vin de palme de son
père. Quand celui-ci l’apprit, il se mit en colère contre ce dernier et le maudit. Par cette
malédiction, l’enfant attrapa la folie. Son grand-frère, ya Za ayant appris la nouvelle, ne put se
contenir; il tomba sur son père et le frappa rudement après lui avoir rappelé que c’est lui qui
était à la base de la mort de son frère et de sa sœur. Il décida dans cette colère de quitter le
village pour aller à Cabinda en passant par Boma. A cause de cet acte, le père de ya Za (Papa
Mayuku) prit encore la décision de maudire son fils en lui promettant de ne pas retrouver la
voie qui le mènera à la ville de Boma. Sur le chemin, l’enfant se perdit dans la forêt et ne
retrouva la voie que par l’intervention de Dieu à qui il sollicita secours.
227
Ensuite à Boma
Arrivé à Boma, il eut la chance de trouver de l’emploi par le canal du grand-frère de son
ami Mukuwa qui vit à Cabinda, mais qui était venu en vacances chez son frère. Plusieurs fois,
ce dernier (ya Za) ne put toucher son salaire; parce que chaque fois qu’il en était question, il se
trouvait que quelqu’un d’autre avait déjà apposé sa signature [la signature de ya Za] à sa place
indiquant donc qu’il avait déjà touché son salaire. Cela indignait son patron qui reconnaissait
lui avoir donné son salaire en bonne et due forme. Pour ne pas laisser pourrir la situation, il
chercha à voir clair. Il alla ainsi voir un «ngàngà» qui lui montra comment son père se
déguisait en sa personne et venait toucher son salaire. Ayant perdu son boulot, il résolut de
vendre du pétrole; malheureusement la malédiction lui colla dans la peau, parce que ce pétrole
se transformait en eau, ce qui finalement le poussa à retourner au village arranger avec son
père.
Dans cette pièce, l’on met en scène un conflit de religion. Dans ce conflit, deux forces
se confrontent: d’une part, celle qui croient en Jésus et de l’autre celle qui croient aux dieux des
ancêtres. La pièce se déroule dans deux sites. D’abord au village. Alors que les chrétiens étaient
en train de prier Dieu et de suivre la prédication de leur pasteur, il intervint un groupe de gens
qui interrompirent la cérémonie et leur proposèrent deux choses: «Soit de rester fidèle à son
Dieu et l’on est tué, soit de rejoindre leur camp en priant les dieux des ancêtres et on reste en
vie». Les gens qui se sont montrés fidèles furent tués sur place alors que d’autres changèrent de
camp.
La nouvelle se répandit au village. Et l’on vint en informer le chef du village qui devait
chercher à trouver des solutions. Un groupe de prédicateurs s’en mêlèrent et tous cherchèrent à
trouver des solutions à cet événement. Alors que le chef du village préconisait une solution de
force, l’équipe de prédicateurs lui proposa une solution pacifique, parce que soutinrent-ils, c’est
un combat spirituel et non physique. Malgré son mécontentement à la proposition qui lui a été
faite, le chef du village s’inclina et ensemble, de concert avec le groupe de prédicateurs, ils
allèrent à la rencontre de ce groupe pour faire la médiation.
A la forêt
La forêt est le siège qu’on a donné aux dieux des ancêtres dans cette pièce. La scène se
déroule à la forêt où le sacrificateur avec ses acolytes invoquent leurs dieux et leur présentent
228
des holocaustes faites de sang. A l’arrivée de la troupe du chef du village, le sacrificateur et ses
acolytes commencèrent à invoquer leurs dieux qui étaient impuissants face à la prière de l’autre
camp dont le Dieu terrassa tous les fidèles à l’exception de ceux qui adhérèrent volontiers à la
parole qu’ils leur apportèrent.
C’est une mise en scène de la situation de l’Eglise dans l’espace Kongo où il faut
signaler l’existence de beaucoup de tendances religieuses. Une bonne concentration des
croyances aux religions autochtones. La pièce, évidemment traduit la conviction de son metteur
en scène. Mais elle met en scène le conflit de religion qui opposa un certain temps les adeptes
de «Bundu dya kongo» [Communauté (Assemblée, Eglise) de Kongo] et les autres religions
(chrétiennes). Beaucoup de gens trouvèrent la mort après l’intervention musclée de l’état
Congolais.
4. Je suis innocent
La pièce se joue dans trois espaces différents: au village (au Mayombe), à Boma et à
Moanda. Les actes qui se déroulent à Boma présentent des scènes d’une situation à finalité
tragique. Ya Za, acteur principal de cette pièce avait quitté son village pour aller vivre à Boma
chez son frère, à la recherche d’une vie meilleure. Là-bas, il se lia d’amitié à un autre garçon du
village, Ndele. Ce dernier avait sa petite amie avec laquelle ils avaient l’habitude de se
rencontrer chez ya Za. Cette dernière se retrouva finalement enceinte. Ils prirent la décision
d’avorter par des moyens manuels. Malheureusement, la fille mourut de cet avortement dans la
chambre de ya Za. Ndele l’ayant remarqué, abandonna le cadavre et s’enfuie en direction de
Cabinda en Angola. Il fit une escale à Moanda, le temps de chercher des moyens lui permettant
d’arriver à Cabinda.
La police s’étant saisie de l’affaire arrêta ya Za et l’emmena au poste de la police. Le
frère de ya Za fut arrêté aussi. C’est alors que ce dernier enverra une lettre au village informant
son père de l’arrestation de son frère pour le meurtre d’une fille [lui-même ne sachant pas
encore que son frère était innocent]. Ce message emmena leur père à Boma. De l’autre côté, le
père de la fille envoya aussi un message à son père au village. Ce dernier s’emmena aussitôt.
Au village
Boma pour voir son fils. Au même moment le grand-père de la victime, qui vit dans un village
proche de Boma s’empressa à venir assister au jugement du meurtre de sa petite fille.
A Moanda
La pièce met en scène deux frères qui sont tombés amoureux sans le savoir d’une même
fille. La fille qui était déjà fiancée du grand-frère depuis beaucoup de temps se trouva enceinte
de celui-ci. Cette situation contraignit le garçon d’en informer sa famille qui vit au village pour
venir procéder au mariage de la fille. Roulée par des paroles mielleuses du frère de son fiancé
qui venait d’arriver du village, la fille attribua cette grossesse au petit frère, renonça ainsi au
mariage avec son vieux copain. Le garçon interpellé par ses amis au sujet de cette grossesse
quitta la maison de son ami et alla se réfugier chez son grand-frère.
En effet, ya Za qui vient d’arriver à Boma, il y a à peine treize jours ne pouvait pas
endosser la responsabilité d’une grossesse de deux mois. C’est lorsque les parents de la fille et
la fille se sont mis à la recherche de ya Za que cette dernière ira trouver et les deux frères et la
famille qui se préparaient au mariage de leur fils [ya Za y compris qui ne connaissait pas la
fiancée de son grand-frère]. La famille venue du village fut étonnée de cet acte de leur fils
qu’elle avait, et pourtant, envoyé à Boma aux bons soins de son frère pour y apprendre du
métier. Il préféra rester auprès de son ami dépensant toute la bourse qui lui a été remise à
230
entretenir cette fille dont il ignorait être la fiancée de son grand frère. La scène se passe dans
deux lieux différents au village et à Boma.
Au village
A Boma
Arrivé à Boma, ya Za est reçu par un ami (Ndele) qui le présente comme venant de
Cabinda et travaillant dans la société pétrolière de Malongo. Ce jeu plut à ya Za qui en profita
pour séduire une jeune fille du nom de Satellite, la fiancée de son frère. Ya Za dépensa tout
l’argent que son père lui avait donné pour l’apprentissage du métier pour tromper la fille. Une
fois enceinte, ya Za résolut de chercher à louer une maison pour habiter avec cette fille et lui
promit de l’emmener à Cabinda. C’est alors que la fille va renoncer à toutes les promesses que
lui avait faites son fiancé, Liziba le grand-frère de ya Za. Mais la finalité est que la fille se
retrouva nulle part, son père la chassa de la maison, comme sa mère, un conflit fut entamé entre
les deux frères; et la famille qui était présent regretta l’acte de ya Za qui, au lieu de faire ce qui
lui avait été demandé par la famille, s’aventura au point de tomber dans un piège qui n’honora
pas la famille.
6. Colis ya Patron
Ya Za est un homme riche qui vit seul. Il prit l’option d’engager un domestique pour la
surveillance de sa maison pendant qu’il se trouve dans ses courses. Il engagea ainsi Philosophe
comme domestique. Il lui interdit de faire entrer quiconque dans sa maison, quel qu’il soit.
Ayant remarqué que son domestique avait un esprit quelque peu étourdi, il engagea un
deuxième Liziba pour équilibrer la surveillance. Le patron insista auprès de ses domestiques de
ne laisser personne entrer dans sa maison, surtout pas des filles. Il préfère que les animaux
puissent entrer, mais en tout cas pas des espèces humaines.
231
7. Tom et Gerry
La pièce se passe essentiellement à Boma. Il met en scène deux jeunes qui se cherchent
pour la conquête d’une jeune fille. Le plus faible se sentant ridicule et, ayant moins de chance
de convaincre la fille va solliciter le service d’un «ngàngà» pour s’attirer la faveur de la fille
qui était déjà entre les mains de son ami. Arrivé chez le «ngàngà», il lui expliqua les
problèmes. Alors ce dernier lui dit ceci:«Pour amener la fille à repousser ton ami, je vais faire
que quand vous irez voir la fille, qu’il se mette à péter devant la fille et son frère. Cela ne
réussira à condition qu’il soit le premier à qui tu serres la main à ton retour». C’est ce qui fut
fait.
Liziba provoqua son ami Maloba pour aller rendre visite à sa petite amie Getou. Dès
qu’ils sont arrivés et que Maloba eut salué sa petite amie, il se mit à péter et il n’arrêta pas de
péter si bien qu’il fut chassé laissant son ami qui récupéra la fille. Ayant compris que son ami
Liziba avait été voir un «ngàngà», il décida lui aussi de faire autant pour récupérer sa petite
amie. Ainsi de suite, comme Tom et Gerry.
8. Trouble général
Tiflo est député dans la ville de Boma, il a bien gagné sa vie. Il mène une vie
d’opulence, roule carrosse. Ces deux enfants vivent comme des princes à qui ils ne manquent
rien. La fille est envoyée à Kinshasa pour ses études, alors que le garçon qui avait déjà fini ses
études vit avec son père. Un jour, alors qu’il revenait d’une promenade, le fils du député
Maloba, croisa un ancien ami qui faisait payer le droit de passage sur le pont en planche qu’il
plaça sur une petite rivière qui facilite la traversée aux passants. Maloba reconnut bien son ami,
alors que ce dernier ne le reconnut pas. Son ami le somma de payer le droit. Il lui fila un billet
de mille francs avant de lui rappeler qu’il était son collègue de classe et ami d’enfance. Maloba
232
fut apitoyé du sort de son ami. Il l’invita chez eux à la maison, et l’entretint comme un frère de
la maison. Il lui offrit un téléphone pour faciliter la communication.
Un jour, alors que Liziba téléphonait à un ami, il composa mal le numéro; par hasard, le
numéro était celui de la sœur de son ami, qu’il ne connaîssait pas avant. Ils se sont aimés au
téléphone. Il se fit que la fille devait venir à Boma pour ses vacances; c’est alors que Liziba
remarqua que cette fille était la sœur de son ami. Malgré les efforts qu’il voulut fournir pour
s’en débarrasser, la fille ne put se retenir au point que la nouvelle sonna aux oreilles des
parents, cela créa une panique générale. Les bonnes relations dégénèrent à la haine et
provoquèrent un désordre entre les différents partis.
Nous faisons une petite description du genre que nous avons analysé pour éviter toute
confusion dans sa caractérisation. Evidemment, par rapport à la nature de nos données, nous
devons bien préciser si nous sommes en présence du théâtre ou du film. Nous sommes de l’avis
de ceux qui pensent que filmer le théâtre détruit la vivacité de cet art. Prédal (2007:9) l’a
démontré, ce n’est pas la même chose d’élaborer une représentation vivante devant des
spectateurs et d’enregistrer avec une caméra quelque chose qui sera projeté dans la version fixé
sur la pellicule et organisée en récit du montage.
Dans ce même sens, Paz Gago (2013:213) note la différence entre un spectacle
représenté devant les spectateurs et un spectacle enregistré et organisé en récit de montage. Il
montre que le spectacle vivant construit une situation d’énonciation en temps réel, en présence
des spectateurs dont la réception est plus active et intense, spécialement émotive et plus – ou
moins, cela dépend – plaisante. S’il est ouvert, basé sur l’expérience événementielle, «en vif»,
le spectacle enregistré est, au contraire, prévu, fermé, clos, achevé…, un produit dont le
processus de réception est assuré et déterminé par le dispositif technique et artistique, même si
les spectateurs ne sont pas aussi passifs qu’on le pense parfois. La réception du théâtre et des
autres manifestations spectaculaires vivantes étant plus active pour construire et déconstruire le
sens, plus libre, plus autonome d’une détermination imposée par le dispositif énonciatif.
Déterminés par la présence physique des énonciateurs –fondamentalement, les acteurs – les
spectacles vivants présentent une corrélation des systèmes de signes [gestuels, corporels,
sonores, verbaux, etc.] et une continuité spatio-temporelle intrinsèque. Au contraire, le
spectacle issu de la technologie électronique ne respecte pas ces corrélations sémiotiques,
déconstruites par la fragmentation liée au montage, la manipulation des images tournées ou la
simulation numérique, en proposant une continuité spatio-temporelle purement imaginaire.
233
L’argument n’est pas ici de prétendre qu’il ne s’agit pas de théâtre, au contraire, ce spectacle […]
contribue à fixer la pratique initiée par Svoboda. Il intègre ainsi dans le vingtième siècle les
spectacles multimédias qui deviendront plus tard, au vingt-et-unième siècle, la pratique dominante.
La présence de l’image dans la scène, filmée ou projetée, remplit différentes fonctions dans
l’itinéraire des déplacements au sein de l’espace scénique. Espaces imaginaires, ils renouvellent les
procédés d’illusion scénique. […] Ce type de pratique spectaculaire visuelle qui spatialise les temps
et les proximités brise tous les schémas performatifs habituels du public afin, non seulement de
modifier leur activité perceptive, mais de fragmenter leurs points de vue. Ces nouvelles esthétiques
permettent d’imploser une certaine unicité discursive en projetant divers discours sur le monde et sur
la réalité, entremêlant fragments scéniques d’ici et de là, introduisant par exemple l’extérieur dans
l’intérieur. L’extra-scène devient ainsi partie intégrante de l’intra-scène et transforme le public en un
être observé en même temps qu’il observe, retournant son regard comme face à un miroir.
L’image télévisée devient dès lors une partie fondamentale du tissu spectaculaire. Le
public doit effectuer un travail délicat de composition, un véritable travail de synthèse face à un
spectacle éclaté. La projection détient la fonction d’oblitérer la fiction, c’est-à-dire de pouvoir
fournir des images relatives au réel de manière à ce que le spectateur puisse les intégrer comme
fait du réel. De Toro (2013:150) pense dans ce sens que les projections produisent une
sémiotisation complexe, où les divers fragments du spectacle sont déployés en bribes de sens,
encadrés par l’écran du fond de la scène et par deux moniteurs suspendus à gauche et à droite
de la scène. Les projections filmiques permettent de saisir le sens du spectacle qui serait
235
autrement incompréhensible. C’est pourquoi, Paz Gago (2013:216) pense que pour aborder
l’analyse et l’interprétation de ces nouveaux phénomènes, «Il est nécessaire d’avoir recours aux
différents champs d’une sémiotique globale et transdisciplinaire: non seulement la sémiologie
du spectacle et de la représentation, mais aussi la sémiotique visuelle et de l’image, la
sémiotique du cinéma et de l’espace». C’est l’avis de plusieurs spécialistes (Bouko 2010),
(Hebert & Perelli-Contos 1997), (Helbo 2013, 2011,1998, 1987), (Morin 2008), Moncond’Huy
& Noudelmann (2000), (Pavis 2011, 2001), (Rush 2005), (Someville 2000), Triffaux
(2011,2010, 2009,1999) et d’autres auxquels nous avons fait allusion à l’introduction et dans
l’ensemble de cette recherche.
Il faut noter que ces phénomènes ont suscité depuis beaucoup de temps des questions
auprès de spécialistes et des professionnels. Self (2014:43) pense à ce sujet que :
La mort du roman, ce n’est pas vraiment une nouvelle. Aux Etats-Unis, le débat autour de ce décès a
éclaté dès les années 1960. En 2009, l’écrivain américain Philip Roth prédisait aussi cette issue
fatale: il ne voyait pas la lecture survivre à cette époque saturée d’images et rétive à la concentration,
il ne voyait pas le livre résister au magnétisme de l’écran.
Popper (1997:172) montre que l’introduction de la lumière fluorescente dans les œuvres
plastiques a aussi un effet comparable à une illumination ponctuelle scénique. En ce qui
concerne l’art de l’environnement, on peut constater que la création plastique à l’échelle
environnementale et l’élargissement de l’espace théâtral hors des limites de la scène
traditionnelle ont également eu lieu simultanément, surtout à partir des années 1950. Les
mêmes impressions sont décrites dans l’ouvrage de Schechner Environmental Theater (1973).
Popper dans son ouvrage Art, action et participation (1993) décrit les multiples
développements et applications relatifs à la notion d’environnement dans les arts plastiques
notamment la notion d’environnements visuels et polysensoriels.
Les données que nous avons exploitées constituent bien un art théâtral qui rentre dans le
cadre de la description faite ci-haut. En effet, la convention spectaculaire pour reprendre le mot
de Helbo(2007) a changé avec le temps. Les différents groupes de théâtre montent des pièces
qu’ils vendent à leurs spectateurs qui réagissent après avoir regardé ces pièces par des critiques
sur l’un ou l’autre aspect: intrigue, acteur,… Comme le reconnaît Mulongo (2003), on a
apporté le théâtre dans les bureaux et dans les maisons. Le réalisateur congolais du groupe
salongo, Tshitenge N’sana, l’initiateur de cette forme de représentation en République
démocratique du Congo va l’appeler «le théâtre de chez nous». A propos de ce groupe, l’on
témoigne que
236
Ce groupe a été le premier à nous donner le goût du théâtre vers les années 80. C’est la troupe de
théâtre la plus populaire hissée au 1er plan par la radio et la télévision nationale. Les cassettes vidéo
de ce groupe se vendaient comme des petits pains chauds que ce soit au Congo tout comme à
l’étranger […] Il fallait voir comment les téléspectateurs se regroupaient devant le petit écran pour
suivre les pièces jouées par ce groupe que ce soit dans la capitale ou dans les provinces du pays.» 32.
Les gens se regroupent dans des bars, ou se retrouvent chez ceux qui disposent d’un poste de
télévision ou de radio pour suivre la pièce. Même si on peut posséder les pièces à la maison, on
aime suivre avec les autres quand c’est diffusé par la télé ou la radio pour se partager les avis.
Et comme les programmes sont connus, généralement la nuit, on entend sous-forme d’échos les
avis du public. Les cris de désapprobation, de satisfaction, des soupirs, comme quand on suit un
match de football. A la fin de la pièce, on entend, les gens qui restent suspendus, si la pièce
était accrocheuse, souhaitant qu’elle continue. Sous-forme d’un brouhaha, on entend des gens
qui commentent sur la pièce et ces commentaires arrivent chez les acteurs qui s’améliorent au
gré des observations.
Tout est conçu comme si l’on jouait en face de spectateurs. Ainsi par exemple, dans la
pièce Tom et Gerry, deux jeunes se disputent une fille. Le premier est allé voir le «ngàngà» qui
l’aida à récupérer la fille aux mains de son ami. Quand celui-ci s’en était rendu compte, il est
allé lui aussi voir le «ngàngà» pour récupérer la même fille. Mais la réaction était beaucoup
plus forte. Aux regrets de son ami, il prend le public à témoin. C’est ce qu’illustre cet extrait
qui clôture la scène:
Liziba (qui arrive à la maison tout trempé de cacas; il trouve Getou dans les mains de Maloba):
Maloba mambu nge mesala munu… Maloba mambu nge mesala munu…. Maloba mamu nge
mesala munu…. Beto ke tete awa.Yamemanisa tete ve. (kikongo ya leta).
Maloba: baphangi beeno tadila munu tete. Tangu yandi bandaka bamambu, est-ce que
muniongaka? Tangu yandi bandaka, est-ce que mudilaka? Beeno yuvusa yandi nini yandi ke
nakudidila. Kokende liboso eza kokoma te. (kikongo ya leta/ lingala).
Traduction
Liziba: Maloba ce que tu m’as fait… Maloba ce que tu m’as fait… Maloba ce que tu m’as
fait… Nous sommes (encore) là. Ce n’est pas encore la fin…
32
Voir l’article «Le groupe Salongo et le théâtre de chez nous» du 23 septembre 2010 publié in www.
Mbokamosika. Com/article-le-groupe-salongo-le-teatre-de-chez-nous-57.6080003.html.
237
Maloba: Mes frères, regardez-moi un peu ça! Quand il a commencé le problème, est-ce que
moi j’avais regretté? Quand il a commencé, est-ce que moi j’avais pleuré? Demandez-lui
pourquoi il pleure. «Partir le premier ne signifie pas qu’on doit arriver le premier!»
Nous devons cependant noter que même si l’imaginaire collectif nous présente ce
corpus comme du théâtre [ce qui n’est pas forcément faux, parce que les actions reposent plus
sur le dialogue et les acteurs, leurs gestes et leurs répliques…], mais le caractère de montage
édulcore quelques éléments théâtraux, notamment, le contact direct avec le public, la réaction
spontanée de ce dernier et introduit la dimension du film. C’est pourquoi nous l’avons reconnu
avec Prédal (2007:6) que filmer le théâtre détruit la vivacité de cet art. Ce que reconnaît aussi
Paz Gago (2013: 214) qui souligne bien que «Déterminés par la présence physique des
énonciateurs – fondamentalement, les acteurs – les spectacles vivants présentent une corrélation
de signes (gestuels, corporels, sonores, verbaux, etc.) et une continuité spatio-temporelle
intrinsèque.
Parlant de ce théâtre d’image, Paz Gago (2013) montre que la frontière radicale entre la
scène vivante et l’écran disparaît, se brouille de plus en plus. Il pense que le spectacle vivant et
le discours qui veut l’expliquer s’imposent un changement nécessaire, une mutation
méthodologique indispensable. Pavis (2001) propose une interdisciplinarité élargie dans l’étude
du théâtre aujourd’hui; celle qui tient compte de la rencontre de plusieurs arts au sein de la
représentation théâtrale ou de la performance (l’interartistique), du contraste avec les médias
(l’intermédialité) et des autres pratiques spectaculaires dans le cadre des cultural performances
spectaculaires (l’interculturalité). Le concept d’intermédialité, esquissé par Walter Benjamin
dans les années trente et théorisé par Jürgen Müller dans les années quatre-vingt-dix, rend
compte de l’impact des modèles perceptifs et médiatiques sur l’acteur et le spectateur. Pour
Müller (1992:19) «L’intermédialité signifie une intégration des concepts esthétiques des
différents médias dans un nouveau contexte». Appliqué au théâtre, Pavis (2001: 23-24) propose
la recherche de l’intermédialité de la mise en scène, conçue comme analyse de l’impact des
différents médias spécifiques sur les composants scéniques. Il s’agit de médias extérieurs à
l’œuvre théâtrale, lesquels s’intègrent aux matériaux de la représentation en exploitant des
propriétés historiquement attestées de ces médias d’origine, en prenant une tout autre
dimension dans ce nouveau contexte.
Dans cette configuration, Paz Gago (2013) cite des spectacles de troupes comme la
Societas Raffaello Sanzio de Romeo Castellucci ou Motus, d’Italie, La Cubana et La Fura dels
Baus d’Espagne et surtout Robert Lepage au Québec, Anatoli Vasiliev en Russie et Bob Wilson
aux Etats-Unis… Exemples de cette nouvelle visualisation, basée sur les effets de
238
Il faut une véritable discipline d’interface entre le spectacle vivant et le spectacle médiatisé, dont les
limites sont aujourd’hui brouillées, effacées même, en vertu d’une alliance créative très positive et
très féconde. Cette discipline, mieux encore cette interdiscipline peut prendre le chemin d’une
néosémiotique créative du spectacle, telle que nous la proposons depuis plusieurs années.
Les langues utilisées dans les pièces analysées reflètent la situation sociolinguistique de
la ville de Boma qui se présente de la manière ci-après:
- les parlers ethniques: tous les parlers de la province du Bas-Congo sont parlés dans la ville de
Boma avec une domination du kiyombe parlé et/ou compris par la majorité de la population. La
ville de Boma est habitée en majorité par des Bayombes ou les gens supposaient tels. En effet,
il faut noter que de l’extérieur, tous les habitants du Bas-fleuve sont dits Bayombes. Ils sont, de
tous les groupes ethniques de la ville de Boma, les mieux organisés socialement et
culturellement. Peut-être aussi, ils jouissent de l’avantage démographique. Au sujet de ces
parlers, Diansonsisa (2009:17) fait remarquer que «La façon de représenter les langues du Bas-
Congo telle qu’elle est faite jusqu’à ce jour ne reflète pas la réalité. Pour lui, il n’y a qu’une
seule langue dans le Bas-Congo à savoir le kikongo vernaculaire ». Cette considération a déjà
été attestée par plusieurs auteurs qui voyaient en tous ces différents parlers un même système,
une même langue. Tel est le cas de Le R.P. Hulstaert (s.d) repris par Van Bulk (1952:38) qui
considère les langues du Royaume du Kongo comme des dialectes d’une seule langue, le
kikongo. Et le R.P. Léon Dérau (1955:6,255) abonde dans le même sens lorsqu’il montre que le
kikongo a si peu et de si petites variantes. Il montre en effet que le commerce et la facilité de
voyage ont accusé un tel brassage de la langue, qu’il est malaisé de trouver ce qui se dit ou se
disait typiquement dans tel village précis. Il doit certainement y avoir eu, il y a plusieurs
siècles, une généralisation, une simplification, un nivellement général de la langue à partir d’un
point central, sans doute San Salvador. C’est ainsi qu’il illustre son propos par cet exemple:
«Donnez à un Mufôndo ou à un Mugângala un écrit bien construit en n’importe quel dialecte
du Bas-Congo, ce dialecte fût-il parlé dans une région distincte de chez lui de plusieurs
centaines de kilomètres, il le comprendra, il le goûtera ». Comme eux, Lavaleye (1883:22)
239
montre que «There are only a few differences between the kongo, kisendi, kibwende, kisesa
and the kiwumba languages…».
De Grauwe (2009:7) n’a pas moins fait le constat puisqu’il démontre que les langues
limitrophes du yoόmbe à savoir le woyo, langue parlée le long de la côte atlantique à partir de
Banana et au Cabinda, le vili, au Cabinda, le solongo, le long du fleuve Congo entre Nzambi et
Banana, le sundi parlé dans la partie sud de la République du Congo vers le fleuve Tshiloango
et sur l’autre rive en RDC, et le nyanga, à l’est du yoόmbe, sont comprises par les Bayoόmbe et
vice versa.
Notre propre expérience de natif ne nous trompe pas. Les Bakongos se comprennent
bien entre eux. Et cette intercompréhension existe aussi entre eux tous, qu’ils soient de
l’Angola, du Congo Kinshasa ou du Congo-Brazzaville. Il est vrai de mentionner que cette
intercompréhension est relative et fonction de la distance qui sépare les parlers:
l’intercompréhension est aisée lorsque les parlers sont voisins, tandis qu’elle devient difficile
lorsque ceux-ci sont éloignés. C’est ainsi qu’un Muwoyo du littoral (parlant kiwoyo) aura plus
de peine à communiquer avec un Munyanga de Luozi (parlant Kimanyanga) ou avec un
Mutandu (parlant kintandu) qu’avec un Muyombe de Tshela (parlant kiyombe) qui est son
voisin direct. Propos que Lumwamu (1973) soutient en étudiant la situation au Congo-
Brazzaville. En effet au Congo-Brazzaville, soutient-il, l’intercompréhension divise les
dialectes en deux groupes dont la ligne de partage est réduite à néant par le kikongo
véhiculaire. Il s’agit d’une part des dialectes dont l’intercompréhension est aisée (immédiate) et
d’autre part, des dialectes dont l’intercompréhension est difficile (médiate).
-Le kikongo ya leta (H10) est l’une des quatre langues nationales du pays. Elle est parlée dans
le Bas-Congo et le Bandundu. Au Bas-Congo, elle est parlée principalement à Matadi, Boma,
Moanda et ponctuellement dans certains grands centres du Bas-Fleuve (Kinzau-Mvwete,
Tshela, Seke-Banza, Lukula, Lemba) et quelques (rares) centres des Cataractes proches de
Matadi (Kenge, Palabala, Tombangadio, Tadi di Mosi). A propos du kikongo ya leta, il nous
faut dire un mot, étant donné son attachement à l’histoire des Bakongos, mais aussi de la ville
de Boma.
D’abord au sujet de son origine. S’il y a une évidence à propos du kikongo ya leta, c’est
le fait que la plupart des auteurs considèrent qu’il est issu du contact entre les Bakongos et
d’autres peuples : africains ou européens. Ainsi cela apparaît clairement chez Samarin (1990:-
56) “The best explanation to date for the origin of Kituba is that emerged in the contact
between the Bakongo people and the foreign workers, first from the east and west coast and
240
than from the Upper Congo.” Mais quant à la période de son émergence, les avis divergent.
Certains auteurs, notamment Fehderau (1966:108-109), projettent son origine loin avant
l’époque coloniale, à l’époque des premiers contacts entre le Royaume Kongo et les Portugais.
Fehderau (1966: 99,103) note à ce propos que:
The many facts of history, language, and geography can be accounted for adequately only by the
assumption that a pidgin kikongo existed before this contact situation [between colonizers and
indigenous people in the 1880s, WSS] in the Boma area took place. Il ajoute en précisant que
«Kituba beginnings took place according to him in the late 15th century shortly after the arrival of
the Portuguese or between 1500 and 1875.
Dans ce sens, il considère simplement que “[T]he Belgians cannot be said to have created the
situation that gave rise Kituba, but they “Gave impetus to the use and spread of Kituba by
adopting it for certain levels of administration”. (Fehderau, 1966:99, 103).
A l’inverse, d’autres auteurs comme Samarin (2013:111) soutiennent l’origine de cette
langue au 19ème siècle, donc à l’époque coloniale. C’est donc le point de vue que consolide son
ouvrage où il note:
[…] The present contribution is, first, our overview of various attempts at explaining its origin and
development. Second, argued and arguable explanations are examined from different perspectives
and with data not available before recent research. Finally, the author adds Kituba to his list of
African vehicular languages that emerged in the late 19 th century, when a significant number of
auxiliaries –Africans in the majority, foreign and indigenous – solved their communication needs by
contriving make-shift idioms that quickly gelled as languages. Still far from the work that will
hopefully be accomplished by others, this modest study suggests the kind of historiography and
linguistic analysis that will helpfully characterize it
Lembe Masiala (2011:9) pense également que le kikongo ya leta se serait constitué
progressivement, à partir du milieu du 19ème siècle, en réponse au défi posé par le probléme de
communication interethnique, d’où sa “métissité” originaire et caractéristique. Son expansion
rapide a eu pour catalyseur la construction du chemin de fer de Matadi-Léopoldville (1890-
1898).
Qui parle cette langue? A propos des locuteurs du kikongo ya leta, selon Jacquot (1971),
Lumwamu (1980) et Samarin (2013:113)
Kituba is a lingua franca (synonym for langue véhiculaire) that is spoken in parts of the Republic of
Congo (Brazzaville, RC), especially at mining centers, where foreign workers are numerous, and
along the roads from Brazzaville to Dolisie, Mouyondzi, Mossendjo, and Mayoko. It is also spoken
in the Democratic Republic of the Congo (Kinshasa, RDC) mostly in the urban centers of Boma,
241
Matadi, Tshiela, Mbanza-Ngungu, in the regions of Kwango and Kwilu (especially in the area of
Bandundu –formerly Banningville, 400km from Kinshasa – in what was the province of Bas-
Congo), but also in a part of the «zone» of Ilebo (also Irebu) in western Kasaï and Kikwit.
Mary take machete have a cut caus ending cl1a man her
variétés du kikongo repris par Samarin (2013:124) n’atteste pas que c’est le kimanyanga qui est
pourvoyeur «privilégié» du kikongo ya leta. Même si Samarin semble y trouver l’attestation.
En conséquence, considérer que le kimanayanga est l’une des langues pourvoyeuses du
kikongo ya leta, j’en conviens; mais considérer que le kimanyanga est la principale langue
pourvoyeuse du kikongo ya leta, j’en doute.
Enfin, si nous considérons les hypothèses émises par les mêmes auteurs: “The many
facts of history, language, and geography can be accounted for adequately only by the
assumption that a pidgin kikongo existed before this contact situation [between colonizers and
indigenous people in the 1880s, WSS] in the Boma area took place”. (Fehderau 1966:108-
109).“The vernacularization and normalization of the pidgin (also ‘creolization’; quotation
marks in original [ WJS] took place outside the Lower Congo in these centers”.(Mufwene,
1993:134; 1997:195).“The first such center was Boma near the mouth of the Congo River.
Because it was the first capital of the EIC, it must certainly have been the most linguistically
diverse place in the earliest years of colonization in West Central Africa. It had a camp for the
training of soldiers. Upstream of Boma, at Vivi, where took the land route to go farther inland,
there was another center.”Si donc nous considérons que Boma aussi serait le premier foyer du
kikongo ya leta pour des raisons évoquées par les auteurs ci-haut, nous pouvons renforcer le
doute en considérant que Boma est géographiquement très loin des zones du Manyanga et que
entre ces deux zones on doit noter plusieurs autres parlers.
-Le lingala est une langue nationale comme d’ailleurs le kikongo ya leta, mais qui supplante
présentement toutes les langues nationales de la République démocratique du Congo, parce
qu’elle est parlée dans la capitale du pays. De ce point de vue, mieux que chaque autre, elle
facilite la communication sur toute l’étendue de la République. Cet avantage, disons-le, est
renforcé par l’armée, elle est la langue de l’armée. C’est également la langue de la musique
congolaise (la majorité des chansons de la musique congolaise moderne est chantée en cette
langue) et aussi, elle était la langue du feu le Président Mobutu (qui faisait souvent ses discours
en cette langue).
-Le portugais: le portugais se parle de plus en plus à Boma à cause de la proximité avec les
provinces angolaises (Cabinda, Soyo). Les fréquentes transactions entre ces peuples font que la
population (les jeunes surtout) apprenne et parle le portugais. Les frontières géographiques
243
étant moins étanches, les populations traversent quotidiennement les frontières et cela implique
des influences culturelles mutuelles, linguistiques notamment.
par une population peut conduire à des changements profonds par l’action du substrat.
L’évolution matérielle et spirituelle d’une société est suivie de l’apparition d’un grand nombre
de mots nouveaux et de sens nouveaux qui ont des répercussions sur d’autres parties du
système linguistique. Toutes les nouveautés de vie, avec l’industrialisation, l’école occidentale,
l’urbanisation qui ont envahi l’Afrique ont eu des effets considérables, qui ont été emportés
dans son art.
L’analyse que nous allons faire à partir de discours des acteurs-personnages de théâtre
dans ce chapitre va nous permettre de connaître l’état de la langue ou des langues qui est/sont
parlée(s), de savoir comment la population pratique-t-elle la langue ou les langues qui sont
parlée(s) ? Aussi les motivations à la base de certains comportements langagiers? L’analysant
ainsi, nous considérons avec Humboldt (s.d) repris par Tododrov (1977:353,354) que
La langue est d’abord expression de l’individu. Le premier [élément dans le langage], est
naturellement la personnalité du sujet parlant lui-même, qui se trouve en contact permanent et
immédiat avec la nature et qui ne peut s’empêcher de lui opposer, jusque dans le langage,
l’expression de son je. Mais le seuil de variance le plus significatif dans le domaine du langage est
celui des langues même, l’expression la plus importante est celle d’un peuple. C’est même le moyen
privilégié d’expression de l’esprit d’un peuple, de sorte que celui-ci est à son tour formé par la
langue: “Chaque langue acquiert un certain caractère grâce au caractère de la nation, et agit en retour
sur celui-ci de façon également déterminante”.
Dans les grandes villes africaines, les gens ont tendance à s’ouvrir à d’autres identités
en copiant certains éléments culturels [ce qui traduit l’esprit d’ouverture qui caractérise la vie
urbaine]; en même temps, on a tendance, au sein des grands groupes, à s’identifier en tant que
différent des autres, en faisant prévaloir ces identités spécifiques. Nous assistons à ce que nous
appelons la dialectique de l’exclusion et de l’inclusion. C’est le fait que certaines personnes ont
245
tendance, à l’intérieur de leur groupe, de vouloir s’en exclure en adoptant des réflexes (dans la
langue, les habitudes) des autres groupes, mais une fois en face des autres groupes, elles ont
tendance à s’identifier comme appartenant à un groupe. Ce comportement se vit très souvent
dans de grandes villes africaines.
Evidemment l’identité urbaine étant complexe, il est normal que les gens cherchent à
s’ouvrir pour des intérêts quelconques; mais l’identité urbaine étant aussi une menace à
l’existence identitaire, c’est encore plus normal que les gens se rétractent dans des petits
groupes pour se protéger ou savoir opposer leur identité face aux autres.
Ya Za: mwaana wa widi kwaku! Yayoyo arche de noé ya Monsieur Jules Kizaza? Bakheembi kwawukoko kwidi
mwaanama khazi. Mukuwa kwawu koko kakala, nya ndizi landa. Kotati kukhati tusolula. Mambu mama
lulembu lundanga. Beeno lusi nzaba ko mambu malembu luta mudiambu di mwana wowo. (kiyombe)
Maloba: nge banzidi ti minu ndi wangako kiyombi; weka kukholukila kiyombe (kiyombe)
Ya Za: kadi diambu. Vasi kwandiko kadi diambu, vayi minu ndisi tuba kwami kadi diambu di bubiko. (kiyombe)
Traduction:
Ya Za: cet enfant est là! C’est ça donc l’arche de Noé de Monsieur Jules Kizaza? On m’a dit que c’est ici que
réside mon neveu. Mukuwa! C’est-ici qu’il habite, c’est lui que je viens chercher. Entre d’abord à l’intérieur que
nous puissions discuter. Ce sont des problèmes que vous êtes en train de garder (ici).
Maloba: nous sommes en train de te chercher! C’est toi l’oncle paternel de Mukuwa, entre!
Maloba: tu penses que moi je n’entends pas le kiyombe; tu te mets à me parler en kiyombe.
Ya Za: pas de problème. Il n’y a aucun problème, mais moi je n’ai pas dit quelque chose de mauvais.
246
Cet extrait représente la scène de l’oncle paternel, qui avait, avec la complicité de sa
femme, chassé de la maison les enfants dont il a hérité des biens de leurs pères. Ayant appris
que le rescapé était pris en charge par un certain Jules Kizaza, l’oncle se présente devant ce
protecteur pour récupérer cet enfant. Cette récupération n’était pas positive, parce que selon un
plan machinalement monté avec sa femme, il tenait à éliminer l’enfant restant pour bénéficier
sans problème de cet héritage. Arrivé à la maison indiquée, il est reçu par un jeune homme,
avec lequel il discute longtemps. Dans leur dispute, le personnage ya Za qui incarne ici le
conservatisme se sert de sa langue maternelle pour s’exprimer; alors que son protagoniste (qui
maîtrisent parfaitement bien la langue de son interlocuteur parle en lingala). Finalement, pour
revendiquer lui aussi son identité à ya Za, il va déclarer son identité.
Traduction
Dans cet extrait, on met en scène ya Za qui a quitté le village et qui vit maintenant à Boma. Il
se retrouve devant un patron chez qui il vient demander de l’emploi. Le patron est aussi yombe
comme lui. Mais dans leur discussion le patron lui pose la question de savoir s’il savait parler
français. Cette question traduit encore ce qui caractérise l’esprit urbain. La complexité de la
ville fait que la maîtrise des langues soit une identité avec diverses fonctions dont nous allons
parler.
Fils (Maloba): vous ne le reconnaîssez pas papa. Mon ami d’enfance avec qui nous avons grandi. Donc oyo
vraiment, camarade na ngayi. Tokolaki na ye depuis tozalaki bana mike. Namoni ye na esika moko ya bien te.
Yango wana na ye naye awa to partager ata oyo ya muke nga nazwaka, nakoki kobosana ye te. (Français/lingala)
Père (Tiflo): ngeyo, mu me mona nge ke nakusimba mambu muketubilaka nge:«Bolingo, mibeko pe
misala»33(kikongo ya leta/ lingala)
33
C’est la devise de l’Eglise Kimbanguiste.
247
Traduction:
Fils (Maloba): vous ne le reconnaîssez pas papa! Mon ami d’enfance avec qui nous avons grandi. Donc, celui-ci
est vraiment mon camarade. Nous avons grandi ensemble depuis notre petite enfance. Je l’ai vu dans un endroit
pas trop bien. C’est pourquoi, je l’ai amené ici pour partager avec moi le peu que je gagne. Je ne peux pas
l’oublier.
Père (Tiflo): toi, je trouve que tu gardes bien ce que je te dis: «l’amour, la discipline et le travail».
Cet extrait résume la scène d’une famille aisée. Le papa est un député de la ville. Malgré qu’il
soit député, le papa ne parle avec les enfants qu’en langue locale, alors que les enfants ont
tendance à parler français, même avec leur papa ou leurs amis
Nous sommes en train de voir à quels degrés les acteurs-personnages jouent avec et sur
la langue en nous la présentant comme indicatrice du statut social de la personne et que donc
son usage, comme le montre Fishman cité ci-dessous, est fonction d’interlocuteur. Ces
éléments de référence extraits de quelques discours nous permettent de comprendre les
interlocuteurs et leurs situations sociales, comme déjà le faisait (Fishman, 1971:17). En effet,
Fishman montre que la langue n’est pas seulement un moyen de communication entre les
hommes, ni un moyen de s’influencer réciproquement. Il montre en plus que la langue n’est pas
uniquement porteuse d’un contenu, que celui-ci soit inexprimé ou manifesté. Il montre que la
langue est elle-même un contenu, c’est-à-dire un moyen d’exprimer l’amitié ou l’animosité,
elle est un indicateur de la position sociale et des relations de personne à personne. Elle
détermine les situations et les sujets, les buts et les aspirations d’une classe sociale ainsi que
l’important et vaste domaine de l’interaction qui donne à chaque communauté linguistique son
caractère particulier. C’est pourquoi, Fishman (1971:17) pense que
Chacune de ces communautés, -même la moins complexe, - contient un certain nombre de variétés
linguistiques, toutes différentes les unes des autres selon leur fonction. Dans la plupart des cas, ces
variétés correspondent à diverses spécialisations relevant du domaine de la profession ou de
l’intérêt, ― par exemple, la langue des affaires, celle des hippies, etc., ― et c’est la raison pour
laquelle le vocabulaire, la prononciation et la structure de la phrase comportent des éléments qui ne
sont généralement pas utilisés et qui, parfois, ne sont même pas compris par toute la communauté
linguistique… c’est pourquoi les utilisateurs de ces variétés spécialisées ne peuvent pas toujours les
employer. Non seulement ils doivent passer à d’autres variétés linguistiques quand ils entrent en
relation avec un groupe spécialisé, ― ou dont la spécialisation est autre, ― mais ils n’utilisent pas
nécessairement entre eux leur langue spécialisée. En certaines occasions, ils se servent d’une variété
linguistique dont l’audience est plus large ou qui est typique d’une autre sphère d’intérêts ou
d’autres relations que celles associées à leur spécialisation. Dans les grandes lignes, ce sont ces
passages d’une variété à l’autre qui forment l’objet de la sociologie du langage, ― ou encore
248
sociolinguistique, ― science qui, entre autres, s’efforce de déterminer qui parle quelle variété de
quelle langue, quand, à propos de quoi et avec quels interlocuteurs.
premier cas, nous l’avons même déjà dit, l’identité urbaine est culturellement et socio-
économiquement très complexe. Pour ne pas être noyé, il faut s’intégrer. Un des facteurs
d’intégration, c’est la langue. C’est ce projet que représente un des acteurs-personnages qui, à
partir du village où il vit pose le problème dans ce sens. Ainsi le témoigne le texte ci-après tiré
de la pièce Et après. Cet extrait met en scène deux jeunes du village qui projettent d’aller vivre
en ville. Ensemble, ils se définissent un profil qui traduit une identité urbaine qu’ils doivent
adopter.
Ndele: za mweni mambu madi va, beeto tuidi bajor. Todoworoso lingala. (kiyombe/portugais)
Ndele: toza bajeunes, il faut heure moko boye tobetaka lingala (lingala/français)
Ya Za : ya solo, lelo ti tokozonga na mboka; ngayi na ko-banda koloba kaka lingala (lingala)
Ndele : vieux na ngayi moteki ya ba CD alobi na ngayi, il faut bolobaka mingi lingala; po jeune l’heure moko
boye po bacheries balelaka yo, il faut lingala. Yo ozalaka na projet ya kokenda na Boma te? (lingala)
Ya Za : oui.
Ndele : Akasi. Sikoyo côté kuna bamangala; po tango bakomona yo na lingala, bachéries bazo banga yo, mokili pe
bazobanga yo.(lingala).
Traduction
Ndele: Za tu vois ce qu’il y a ici, nous sommes des jeunes. Nous devons parler lingala.
Ndele: Nous sommes des jeunes, il nous faut parfois parler lingala.
Ya Za: C’est vrai, aujourd’hui jusqu’à ce que nous rentrions au village, moi je vais commencer à parler lingala.
Ndele: Mon vieux le vendeur de CD m’a dit que nous devons souvent parler lingala, car pour s’attirer la sympathie
des chéries, on doit parler lingala. (Mais) toi tu as toujours un projet d’aller à Boma, n’est-ce pas?
Ya Za : oui.
Ndele: Alors, de ces côtés-là, il faut le lingala; car si on te voit parlant lingala les chéries vont te craindre et les
gens aussi vont te craindre.
Nous voyons bien comment les acteurs-personnages posent la langue comme élément
d’intégration dans la ville avec des fonctionnalités auxquelles nous allons faire allusion plus
250
bas. Il y a lieu de remarquer ce qu’Ibongo (2009:35) appelle la culture urbaine. Il montre dans
ce sens que «Les deux éléments du brassage des cultures ethniques et la présence de nouveaux
modèles sont d’une importance capitale pour pénétrer la nouvelle culture urbaine. On peut la
résumer en mythes: du pouvoir, de la personnalité, de l’aisance matérielle ». Point de vue que
renforcent les propos de Berger (1983:11) selon lesquels
Ce qui distingue la ville, c’est qu’elle n’est pas un lieu d’ex-position, mais, sans jouer sur les mots,
un lieu d’im-position. La ville m’impose, au sens fort, non seulement sa physionomie, mais son
physique, sa manière de fonctionner. […] Le citadin s’est binarisé à l’instar des faux de
signalisation. Citadins? Terme anachronique quand la cité efface sa mémoire. C’est pourquoi je suis
tenté de parler d’“urbanicoles”, suggérant par là que la ville moderne, en modelant nos
comportements à son image, est devenue le lieu d’une “culture ”qui, même si elle nous échappe,
nous impose un apprentissage auprès duquel celui de l’école semble déjà appartenir à un autre âge.
Même s’il ignore les examens, ses impératifs et ses sanctions sont sans appel. [Combien d’enfants
ont payé de leur vie la croyance que la rue pouvait encore être une aire de jeu!].
Nous pouvons comprendre dans ces conditions que ya Za qui vient du village, parle en
lingala avec le patron qui l’as embauché à Boma. Ici c’est le papa de ya Za qui s’incarne en la
personne de ya Za.
Patron (Liziba): signer awa. Na kati yo 5 dollars po na manquant osalaki. Ozoyeba? (Lingala/français)
Traduction
Patron (Liziba): signe ici. Je t’ai coupé 5 dollars pour le manquant que tu as fait.
Dans ce cas, l’acteur-personnage fait preuve de son intégration par la langue. Cette
ouverture en ville n’empêche pas les gens à se protéger en tant que identité spécifique.
Plusieurs raisons peuvent argumenter en faveur de cet esprit en ville: se sentir en protection vis-
251
à-vis des siens, faciliter l’incorporation dans les groupes plus influents; dans ce deuxième cas,
beaucoup de gens bradent leur identité première pour des groupes proches à cause de
l’influence de ces dernières dans la ville (administrative, économique, politique). Ceci traduit
en ville des retrouvailles des groupes en fonction des origines. Ce qui du coup peut expliquer la
forte influence des traditions dans la ville influençant même les comportements des citadins.
Un fort risque de domination de la culture la plus dominante.
Banu (1997:113) dans ces conditions considère que la grande ville, de plus en plus,
apparaît comme un concentré de la planète. Dans l’espace d’une métropole cohabitent races et
nations qui entretiennent de plus en plus un rapport approximatif à la langue du pays, à sa
culture et son passé. La ville se présente comme un milieu multiple et varié, un milieu à identité
variable, un milieu impur. C’est le cas par exemple, pour le cas qui nous concerne où le
kiyombe domine la ville de Boma au point d’influencer les autres, qui s’identifient à ce groupe.
Et d’ailleurs au niveau de l’extérieur, les habitants du Bas-Fleuve sont identifiés comme des
Bayombes, nous l’avons dit un peu plus haut.
C’est comme cela, par exemple, que Chimbutane (2011) concernant l’enseignement des
langues locales au Mozambique montre qu’au niveau de l’école, l’utilisation des langues
africaines et la référence à des formes locales de connaissances et pratiques culturelles suscite
l’apprentissage de l’élève et aussi l’affirmation de leur identité ethnolinguistique. En effet en
situation de code-switching entre le portugais et les langues locales, Chimbutane atteste que la
référence aux langues locales traduit l’affirmation de l’identité collective. Les langues locales
étant perçues comme le symbole d’identité et d’appartenance au groupe.
Dans ces conditions, nous remarquons dans les discours des acteurs-personnages, un
recours fréquent entre d’une part les langues étrangères [français, lingala ou portugais], le
kikongo véhiculaire et les parlers locaux notamment le kiyombe. Dans le cadre des Bakongos,
notamment dans la ville de Boma, le kikongo ya leta ne traduisant pas une identité spécifique,
c’est donc normal qu’en pleine ville, le kiyombe se parle beaucoup; c’est-à-dire le kiyombe
permet de mieux s’identifier par rapport au français ou au lingala ou au portugais. Ce qui
traduit l’idée que le kikongo ya leta a un degré zéro de prestige. Ce qui signifie que parler le
kikongo ya leta paraît normal, avec aucun effet subjectif ou psychologique, alors que le recours
au français au lingala et au kiyombe ou portugais est quelque fois motivé. Ainsi donc, nous
pouvons tracer la fonctionnalité de ces différents parlers selon leur symbolique. Comme nous
l’avons vu dans l’exemple précédent, connaître le français (ou peut être d’autres langues aussi)
facilite l’emploi. Nous venons de le voir que le français est la langue officielle, la langue de
l’administration. Beaucoup de patrons auprès de qui on peut trouver l’emploi voudraient bien
252
imposer le français comme critère. Ainsi dans l’exemple que nous venons d’évoquer du député
dont l’enfant parle souvent en français. Si l’on doit engager un travailleur dans une telle
situation, la maîtrise du français serait exigée pour savoir accueillir des personnalités qui
arrivent chez son patron.
Dans ce sens, il faut donc noter que la ville ici est le symbole de l’élite. Cette classe
sociale qui vit beaucoup plus dans la ville, travaillant dans l’administration ou dans les grandes
entreprises de la place a développé ce reflexe. Myers-Scotton (1990:27, 28, 29) décrit ce
phénomène concernant l’élite africaine. Il écrit à ce propos:
This tactic involves institutionalizing the linguistic pattern of the elite, either through official policy
or informally established usage norms in order to limit access to socioeconomic mobility and
political power to people who possess the requisite linguistic patterns. “Elite” is narrowly defined as
the bourgeois and petty-bourgeois classes. […] They prefer to use the former colonial language
rather than the local ones because: […] to use this language in certain situations becomes the
unmarked choice if one wants to be recognized as a member of the elite.
Ainsi, pour corroborer ce fait, nous pouvons encore faire allusion à l’exemple suivant tiré de la
pièce Trouble total où l’acteur-personnage Maloba, fils d’un député de la ville, rencontre un
ami d’enfance dans une situation malaisée. Dans sa conversation avec son ami, il utilise
beaucoup plus le français pour traduire à l’attention de son interlocuteur son niveau
d’instruction.
Maloba: tango tokabuanaki, moi j’ai poursuivi mes études et j’ai fini. Et mon père, c’est l’actuel député de la ville.
(lingala/français)
Liziba: biso papa akueyaki na nzete ya mbila. En tout cas muzengaka classe. Mutu ya kufuta mbongo vwandaka
diaka ve. (lingala/français/kikongo)
Traduction
Maloba: Quand nous nous sommes séparés, moi j’ai poursuivi mes études et j’ai fini. Mon père, c’est l’actuel
député de la ville.
Liziba: Nous, notre papa est tombé du palmier. J’étais obligé d’arrêter les études parce qu’il n’y avait personne
pour payer la scolarité.
Cela ressort aussi bien de la réponse de ya Za qui répond à son patron que lui n’a pas
étudié et donc ne maîtrise pas toutes ces langues. Le français ici traduit un certain prestige lié à
un avancement de niveau dû à l’instruction. Dans cette situation, la non maîtrise du français
peut paraître un handicap au demandeur d’emploi.
Nous pouvons voir aussi, comment le lingala est présenté par les acteurs-personnages.
Dans le texte 5 ci-haut, le personnage Ndele dit «parler lingala fera qu’on nous craigne et que
nous soyons aimés des filles». La crainte ici est liée à trois faits: le lingala est la langue du feu
le Président Mobutu. Ses discours à la nation étaient souvent faits en lingala. La dictature qui a
caractérisé son règne traduit la crainte que les gens avaient de lui, mais aussi de sa langue.
Aussi, l’arrogance de sa famille peut traduire aussi ce fait. Ensuite le lingala est la langue de
l’armée dont le comportement vis-à-vis des civils est souvent entaché de beaucoup
d’irrégularité. Enfin et surtout, elle est la langue de la capitale. Une personne qui parle lingala
est censée habiter la capitale ou y avoir été. Cela porte un certain prestige. Nous pensons que
l’acteur-personnage ya Za le fait observer, dans la pièce Et après. Quand son interlocuteur lui
propose de parler lingala, il réagit en soulignant:
Ya Za : ya solo, lelo ti tokozonga na mboka; ngayi na ko-banda koloba kaka lingala. Ngayi Kisasa kala (lingala)
Traduction:
C’est vrai, aujourd’hui jusqu’à ce que l’on rentre au village; moi je vais commencer à parler seulement lingala.
Moi, Kinshasa (j’y ai déjà été); ça fait longtemps.
En plus, le lingala est la langue de la musique congolaise. La plupart des chansons
amoureuses sont chantées en cette langue. Faire la cour à une fille, suppose maîtriser certains
versets, certaines mélodies, certaines approches. C’est donc une condition de s’attirer le regard
des filles.
Nous pouvons donc faire constater que le code-switching est un comportement qui,
254
conscient ou non, permet de situer les rapports entre les interlocuteurs et identifie chacun par
rapport à sa classe, mais aussi par rapport à une norme sociale connue de deux. Comme le dit
Blommaert (1992:57)
[…] As such, switching from one language to another, or using a mixed code, signals a new (and
situation specific) complex of mutual rights and obligations and thus becomes a crucial element in
the establishment of a role-pattern among speakers. Mixing codes is therefore always a socially
meaningful element of behavior.
Dans le cas de l’alternance codique, les éléments des deux langues font partie du même acte de
parole minimal, les parties du message sont reliées par des rapports syntaxiques et sémantiques
équivalents à ceux qui relient les passages d’une même langue, et il existe un rapport beaucoup plus
complexe entre l’usage langagier et le contexte social. […] Les normes ou les règles sociales qui
régissent l’usage langagier, du moins à première vue, semblent fonctionner plutôt comme des règles
grammaticales faisant partie des connaissances sous-jacentes que les locuteurs utilisent pour
produire un sens.
Cela ressort clairement dans la conversation suivante entre deux jeunes du village, tirée de la
pièce Et après.
Ndele: bilumbu bia, mutu niakukamba diambu, il faut oyebisa ye«suba olala» (kiyombe/français/Lingala)
Ndele: suba olala, ce que zala posé! Koloba lisusu mingi te. (lingala)
Traduction:
Ndele: ces jours-ci, si quelqu’un te dit quelque chose, il faut lui dire «suba olala» (urine et dors).
Ce discours, déplacé de son contexte d’énonciation ne pourra jamais être compris. Deux adultes
du même coin ne saisiront pas le langage de ces jeunes gens.
Ainsi, au regard des exemples cités ci-haut, nous pouvons déduire trois faits: d’abord, le
code-switching en tant qu’identité urbaine permet de situer la classe sociale des interlocuteurs,
des jeunes, dans le cas ci-présent. C’est qui peut induire à comprendre que le code-switching
est un comportement très attesté auprès de cette catégorie d’âge. Et d’ailleurs, comme nous le
fait remarquer les acteurs-personnages, nous le verrons encore dans la suite, le personnage qui
joue les papas ou les adultes font rarement usage du code-switching. Nous aurons à l’attester
dans le chapitre six, dans l’interlocution entre papa et ses enfants, il est curieux de constater que
le papa parle seulement en kikongo, alors que les enfants, eux lui rétorquent tantôt en lingala,
tantôt en français ou en kikongo. Ensuite, comme l’a indiqué la conversation entre ya Za et
Ndele ci-haut, le code-switching permet de comprendre une norme auprès de la jeunesse: «c’est
de recourir au lingala pour faire la cour aux filles». Cela est bien mis en scène dans la pièce
Tom et Gerry. Enfin le code-switching traduit l’esprit d’ouverture qui frappe le plus souvent la
jeunesse caractérisée par sa mobilité. L’exode rural n’en est pas moins une explication. Si les
parents ne sont pas tentés par cette mentalité, du moins ils peuvent aussi, pour des raisons
quelconques influencer leurs enfants.
En outre, comme attesté par Gumperz (1982:58,61), le code-switching a pour fonction
de produire du sens. En effet, il est des situations où l’on ne peut transposer le sens d’un énoncé
d’une langue A en une langue B qu’en empruntant à la première le terme pour désigner ce sens.
Cela pour trois raisons
D’abord dans le cas de désignation d’un objet dont le terme n’existe pas dans la langue.
L’on a tendance à chercher le terme dans la langue ou les langues qui le possèdent. Ensuite si le
sens complet de la réalité à désigner est intraduisible dans une langue, on est donc contraint de
recourir à la langue A pour traduire effectivement le sens voulu. Enfin par accoutumance, cette
dernière raison n’est pas motivée. L’habitude (souvent due à l’emprunt) fait que des mots
étrangers sont devenus d’usage courant dans toutes les catégories de la population. Instruite ou
non, toute la population fait usage à des mots étrangers qui sont inculqués dans les registres
locaux devenant comme faisant partie de la langue ou des langues locales.
En plus, le code-switching est une stratégie conversationnelle à travers laquelle le choix
des langues fait par les interlocuteurs est fonction des objectifs à atteindre. Dans cette optique
les interlocuteurs savent bien (dans le cadre de leur compétence communicative) que le choix
d’un parler plutôt qu’un autre à une portée sociale très significative. Ce principe est donc inscrit
256
dans le principe de négociation qui voit le choix de code comme un facteur déterminant de
négociations d’identité. Ce que Heller (1982) appelle la négociation de la langue d’interaction.
En outre, nous devons noter que dans le cadre d’alternance entre la variété locale et
véhiculaire, la variété locale joue un rôle d’identité culturelle et collective. Le cas de
«Ranamal» et «Bokmal», deux parlers d’un village de Norvège étudié par Swann (2000:164).
Deux parlers linguistiquement similaires, mais qui ont été considérés par les intervenants
locaux comme des entités distinctes. En outre, leurs traits distinctifs ont été maintenus, en
grande partie à cause de différentes fonctions sociales qu'ils remplissent. Ranamal symbolise
l'identité culturelle locale: elle a été associée à la maison, la famille et les amis, et plus
généralement des activités et des relations basées localement. Bokmal, sur les autres actions, la
religion et les médias de masse, elle a également été utilisée par ceux (souvent non-locaux) qui
occupaient un statut social élevé dans la communauté.
Les deux variétés ont été, ensuite, utilisées à des occasions différentes. Swann fait
remarquer que l’on pourrait passer d’une variété à une autre au cours d’une même
manifestation sociale. Il montre dans cette situation que le choix de la langue est fonction du
maintien ou de la négociation d’un type d’identité sociale. Ce qui signifie que le code de
commutation entre les langues donne aux locuteurs simultanés l’accès aux différentes identités
sociales. Cette situation est donc similaire à la situation du kikongo véhiculaire et les variétés
locales au Bas-Congo, du point de vue de leur usage et de leur représentation sociale. Il faut
noter que ce genre de symbolisme des langues est caractéristique de plusieurs sociétés
africaines qui, avec la colonisation, s’étaient vues dans l’obligation de parler plus d’une langue
sur lesquelles, après l’époque coloniale, elles devaient porter certains choix [langues nationales,
transnationales, véhiculaires]. Ainsi le note Mc Laughlin (2009:3)
In most African countries the official language is the language of the former colonial power –
usually French, English, or Portuguese. As official languages they have, since independence,
typically been used in the official domains of power such as governement and bureaucracy as well
as formal education, thereby creating a language-based system of social stratification that favors a
small, educated African elite and limits access to economic betterment for the majority of the
African population.
Ainsi, par exemple, concernant le kiswahili, nous pouvons noter les propos de Rhoades (1977)
tels que rapportés par Luffin (2009:48)
L’attitude des Africains vis-à-vis du kiswahili varie d’une communauté à l’autre selon différents
critères dont les plus importants sont la religion, les affinités linguistiques, le background historique.
257
Les protagonistes aspirent, grâce à leur expérience imageante, à modifier l’expérience réelle des
spectateurs. Les spectateurs aspirent à trouver dans l’expérience imagée une confirmation de leur
expérience réelle, donc à éviter la modification de celle-ci. Dans le rapport entre les deux groupes
émergent ainsi des valences conflictuelles. C’est un changement, entre la fiction scénique [dont les
messages sont les protagonistes] et la réalité extra-théâtrale [dont les messages sont les spectateurs].
L’analyse à ce niveau nous donne un niveau de connaissance qui ne peut être complète
qu’associée aux autres éléments, notamment le personnage, l’espace qui traduisent ensemble le
message. En effet Sartre (1967:20) écrit
Faute de pouvoir s’en servir comme signe d’un aspect du monde, il (le poète) voit dans le mot
l’image d’un de ces aspects. Du coup d’importants changements s’opèrent dans l’économie interne
du mot, sa sonorité, sa longueur, ses désinences masculines ou féminines, son aspect visuel, lui
composent un visage de chair qui représente la signification.
L’intérêt du codage ne s’arrête pas, en effet, à une transcription, plus ou moins révélatrice, du texte.
En face de celui-ci, il érige un système de signes qui, métalangage ad hoc, a des propriétés
génératrices. Plus spécifiquement, son “triangle sémiotique”», à peine surgi du référent-texte, à
peine ancré en son propre signifiant, se met à décrire un arc de cercle à mesure que son signifié –
libéré, grâce à une forme chiffrée, des servitudes connotantes ou dénotantes – balaie le champ de
tous les autres référents possibles.
258
I do not propose a single model of code-mixing since I do not think there is such a model, apart from
the general models provided by grammatical theory and language processing. The challenge is to
account for the patterns found in terms of general properties of grammar. Notice that only in this
way can the phenomena of code-mixing help refine our perspective on general grammatical theory.
259
These three basic processes are constrained by different structural conditions, and are operant to a
different extent and in different ways in specific bilingual settings. This produces much of the
variation in mixing patterns encountered. The three processes correspond to dominant models for
code-mixing that have been proposed.
Ainsi, nous allons tenter de comprendre comment cette population arrive-t-elle à rallier, au
cours d’un même procès de communication, deux ou même plus de deux langues en faisant
adapter l’une ou l’autre au fonctionnement spécifique de la langue dans laquelle elle est
enchâssée.
4.3.3.1. Insertion
- Insertion nominale
Les extraits attestant ce cas sont tirés de la pièce Enfants de la rue. La première phrase est
prononcée par le jeune oncle au cours de la palabre réunissant les deux familles qui siègent sur
les sorts de deux orphelins dont le père et la mère venaient de décéder. La deuxième phrase est
prononcée par ya Za qui était désigné comme responsable de ces deux orphelins. Ici, il leur
donne l’argent de transport pour l’école.
Voici 1500 francs congolais avec lesquels vous payez le transport et avec lesquels vous
mangez.
Si nous observons les phrases (1) et (2), nous constatons que nous sommes en présence
d’un cas d’insertion nominale qui a une application double. Au premier cas (1), le locuteur a la
possibilité d’employer le terme correspondant en kikongo (ndinga), mais il préfère l’emprunt;
alors qu’au deuxième (2) c’est tout à fait normal qu’il emprunte au français un terme qu’il n’a
pas dans le registre local. Et ceci explique bien l’évolution dont nous avons parlé. Avec le
contact, la société résout la communication en recourant au terme d’emprunt ou au calque pour
désigner de nouvelles notions. Il faut noter, à ce niveau d’insertion, qu’au pluriel l’élément
inséré peut s’adapter aux règles grammaticales de la langue accueillante. Ainsi comme on peut
le constater avec la phrase (3), «baaffaires» est un dérivé de «affaires» qui en kikongo prend la
classe 2, classe du pluriel, avec le préfixe du pluriel à partir duquel le pluriel est formé par
dérivation.
La phrase suivante est prononcée par l’ami du feu grand-frère de ya Za dont celui-ci a
hérité les avoirs. Nous sommes toujours dans la pièce Enfants de la rue. Il (Liziba) est venu
voir ya Za pour savoir celui qui était resté responsable des affaires laissées par leur frère en vue
de s’acquitter de la dette qu’il avait contractée auprès de ce dernier de son vivant.
- Insertion verbale
Les phrases qui illustrent ce cas sont prononcées par la femme de ya Za, celle-là même
qui l’a poussé à chasser les enfants de son frère de la maison, dans la pièce Enfants de la rue.
Ayant appris que l’un des enfants laissés par son ami est décédé à cause de l’irresponsabilité de
leur oncle paternel ya Za, Liziba est venu voir ce dernier pour lui tirer les oreilles sur la
manière avec laquelle il a géré les enfants laissés par son frère avec la complicité de sa femme.
C’est alors que la femme va entrer dans leur discussion pour tenter d’expliquer les faits à sa
manière. Dans la cinquième phrase, la même femme veut recueillir des informations auprès de
son mari qui devait récupérer l’enfant qui était resté en vue de l’éliminer. A son retour
bredouille de cette mission, la femme veut en savoir plus:
Il ne sait pas expliquer. (Il n’est pas en mesure d’expliquer/il ne saura pas expliquer)
Comme les phrases (4) et (5) l’attestent, l’insertion des verbes français est régulière
dans les phrases kikongo. A l’infinitif, le verbe suit la déclinaison des mots en kikongo et entre
en classe 15, classe de l’infinitif en prenant le préfixe Ku-, cfr (4). Conjugué, le verbe inséré
suit la règle de conjugaison des verbes kikongo. Ainsi au (5), le verbe s’investir prend la
personne et le nombre que lui affecte le sujet Ba-.
- Insertion adjectivale
Dans leur parler, les gens ont tendance à insérer des adjectifs français dans le discours
kikongo ou lingala. Cela peut se comprendre, car le kikongo et le lingala ont un nombre limité
d’adjectifs; mais même avec les adjectifs qui existent, la tendance est toujours d’utiliser des
adjectifs français. Il s’agit régulièrement des adjectifs qualificatifs cf. (6), (7), numéraux (cf. 2)
ou de couleur.
La sixième phrase, comme nous venons de l’énoncer dans l’exemple (3) précédent est
prononcée par Liziba, l’ami du feu grand-frère de ya Za. La phrase (6) est prononcée par la
femme de ya Za, Syntyche. La famille maternelle des orphelins est arrivée chez ya Za pour
s’informer sur leurs enfants. La tante maternelle de ses enfants qui vit en Angola taquine la
femme de ya Za et cette dernière réagit.
- Insertion adverbiale
Les extraits suivants attestant ce cas sont tirés da la même pièce. La tante des orphelins
dans les phrases (8) et (9) parle de ses neveux qui sont introuvables auprès de son amie. Cette
dernière lui indique Liziba qui doit connaître où elle peut trouver ces enfants; alors que toute la
famille venait d’être déjà chez ya Za où ce dernier les a floués. Dans la phrase (8) et (9), elle
insiste pour montrer sa détermination à retrouver les enfants laissés par sa sœur. Cela est aussi
attesté à l’exemple (5).
(8) Maintenant ni façon beto kesala samu na kumona Liziba ngo. (français/kikongo ya leta).
Maintenant ni façon beto kele sal- a samu na - ku- mon-a Liziba yango
Maintenant comment façon SUJ1pp AUX- faire- VF- SUB - INF- voir- VF Liziba ce.
La liste des adverbes étant très limitée comme celle des adjectifs, l’insertion de cette catégorie
dans les phrases kikongo ou lingala est très régulière. Ainsi l’atteste les phrases (7) et (8).
- Insertion conjonctivale
La tendance dans les habitudes langagières des Bomatraciens est de relier des
propositions indépendantes ou d’introduire des subordonnées par des conjonctions ou des
locutions conjonctives françaises, alors même que cette classe n’est pas si stérile. Les extraits
qui illustrent ce cas sont tirés des pièces Je suis innocent et Enfants de la rue. La phrase (10)
tirée de Je suis innocent est prononcée par le papa (Tiflo) dont la fille a été trouvée morte dans
la chambre de ya Za. Cette dernière est décédée suite à l’avortement fait avec la complicité de
son petit ami qui s’est échappé par la suite. La phrase (11) est tirée de la pièce Enfants de la
263
rue. Elle est prononcée par Maloba chez qui est hébergé un des neveux de ya Za. Ce dernier est
venu pour récupérer son neveu, mais la personne qui le reçoit doute de lui à cause de ses
apparences. Comme cela est attesté dans les phrases (10) et (11), l’emprunt dans cette classe se
fait régulièrement, même quand ce n’est pas obligatoire.
(10) Enquête fwete salama parce que mambu mingi trop. (kikongo ya leta/ français).
(11) Mon cher oza clair te et puis oza sérieux te. (lingala/français)
Les extraits qui illustrent ce cas sont tirés des pièces Tom et Gerry et Et après. La phrase douze
est prononcée par Gétou. Gétou est la fille convoitée par deux amis Liziba et Maloba. Alors
qu’elle sort déjà avec Maloba, Liziba veut lui aussi attirer la jeune fille vers lui. Mais face à son
langage et ses manières, la fille lui pose la question:
(12) Est-ce que nge juste kwandi nge kele? (kikongo ya leta/français).
La phrase suivante est tirée de la pièce Et après. Les jeunes gens sont partis à la forêt pour
chercher à manger et à boire. En route ils se rendent compte qu’un étang de poissons
appartenant à un grand-frère était fendu.
4.3.3.2. L’alternance
Comme le dit Stell (2010), l’alternance consiste en une suite alternée de deux sous-
systèmes différents dans un même procès de communication; chacun fonctionnant selon ses
propres structures. Et Muysken (2000:43) considère que “alternation is a very common strategy
of mixing in which the two languages present in the clause remain relatively separate”.
Nous pensons que l’alternance est une insertion d’un segment structurellement
autonome (phrase indépendante ou complexe), mais qui du point de vue de l’énoncé fait corps
avec la partie dans laquelle elle s’insère ou elle se greffe pour produire du sens. C’est ce que
nous pouvons observer dans les phrases (14) et (15).
La phrase 14 est tirée de la pièce Et après. Elle est prononcée par le papa de ya Za qui,
mécontent de son fils, Philosophe, frère cadet de ya Za, s’en va lui jeter un mauvais sort.
265
(14) Philosophe, philosophe, okomona nga naza nani; ndidi siaku, bu ndidi va. (lingala/ kiyombe)
Philosophe, philosophe, tu vas voir qui je suis moi; je suis ton père, comme je suis ici.
La phrase (15) est tirée de la pièce Et après; elle est prononcée par Maloba qui reçoit ya Za qui
vient chercher son neveu garder par eux.
(15) munu nde mutu responsable ya bima bikaka grand-frère, qu’est-ce que cela a à avoir avec moi! (kikongo ya
leta/français)
C’est moi le responsable de tous les biens laissés par mon grand-frère, qu’est-ce que cela a à avoir avec moi.
Une autre illustration d’alternance est donnée par la phrase (16) suivante tirée de la pièce Je
suis innocent. Elle est prononcée par le papa dont la fille vient de mourir d’avortement. Devant
l’officier de police judiciaire, il présente ya Za comme le responsable du crime.
(16) Vraiment Monsieur le commandant, c’est un grand bandit; vana yandi kele yandi mekufwa mutu.
Vraiment Monsieur le commandant, c’est un grand bandit; là où il est, il vient de tuer quelqu’un.
A propos de l’alternance, nous devons noter que selon la position des éléments alternés,
elle peut être médiane, antéposée ou postposée. Selon la position des éléments alternés,
Kitengye (2009:47) reprenant les propos de Myers-Scoton (2005) distingue l’alternance de
codes classique de l’alternance de codes composite. Dans la première alternance, la langue
matrice et la langue enchâssée sont plus ou moins préservées intactes. Dans la seconde, la
matrice connaît une convergence avec la langue enchâssée. Poplack (1980: 581, 618) établit en
cela une catégorisation des alternances liée à leur structure morphosyntaxique et au mode
d’insertion des segments d’une langue dans l’autre langue. Aussi qualifie-t-on son modèle de
linéaire ou topologique. Dans sa méthode descriptive formelle globale, elle distingue au niveau
266
(17) C’est ce que je t’informe parce que tu m’as posé la question, naza nani? (français/lingala).
C’est ce que je t’informe parce que tu m’as posé la question (de savoir) qui je suis.
C’est ce que je t’informe parce que tu m’as posé la question (de savoir), (ngayi) na- zal- i nani?
La phrase 18 ci-dessous est tirée de la pièce Je suis Innocent. Elle est prononcée par le
commandant de la police qui reçoit le grand-frère de ya Za au poste de la police. Ce dernier se
sachant innocent résistait aux agents de l’ordre qui sont venus le chercher chez lui. C’est alors
que le menace. La phrase atteste une alternance médiane:
IMPER (2ps) toi essayer VF moi AUX (être) dire VF eux – frapper VF toi
4.3.3.3. Congruence
Ce cas, comme l’indiquent Hout &Ramat (1995), est souvent attesté dans le cas
d’alternance entre le véhiculaire et le vernaculaire. Il s’agit d’une situation d’alternance où la
structure grammaticale de l’énoncé est partagée par les deux parlers qui s’alternent. Muysken
(1995:127) le considère ainsi: “In congruent lexicalization both languages contribute to the
grammatical structure of the sentence, which, in many cases, in fully shared by the languages
involved. The vocabulary comes from two or more different languages, but may also be
shared” Distinguant l’alternance de congruence, Muysken (1995:132) soutient qu’on parle
d’alternance“when only the top node (the sentence node) is shared, and congruent
lexicalization when all or most nodes are shared between the two languages. […] Et l’on parle
267
(19) Camarade ya munu kwizaka lomba tsabi ya kivinga munu, mwingi babaka busoludila (kikongo ya
leta/kiyombe)
Mon camarade est venu demander la clé de ma chambre pour qu’ils aient la possibilité de
causer.
Camarade (Muninga ou Nkundi) ya munu kwizaka lomba tsabi ya kivinga (disyuku) na munu samu
babaka dilwaku yakusoludila. (kikongo ya leta).
Nkundi ama wuyisi lomba tsabi yi vinga kyami mwingi babaka busoludila. (kiyombe).
Une autre attestation de la congruence est donnée par la phrase 20 suivante tirée de la
pièce Enfants de la rue. Elle est prononcée par ya Za qui explique à sa femme Syntyche le sens
de Minsanga (collier) que cette dernière n’arrivait pas à saisir parce que ne maîtrisant pas le
vocable. En kikongo ya leta que cette femme maîtrise, on parle de chaînette ou carrément de
collier.
(20) Ngewukadi zabako34 minsanga! minsanga miluka dengidika va dinga, nge zaba yau ve?
(kiyombe/ kikongo ya leta).
34
Kadi zabako: être non connaissant.
268
Toi tu ne connaîs pas les colliers! Les colliers que vous avez l’habitude de suspendre au cou, tu ne les connaîs pas?
Toi PP2ps passé (kala: être) savoir VF les colliers les colliers que PP2pp AUX
Nge ukadi zaba minsanga! Minsanga miluka dengidika va dilaka; wukadi zaba miau? (kiyombe)
Nge, nge zaba ve minsanga! Minsanga yina benu kedengidikaka na dilaka; ngazaba yau ve? (kikongo ya leta).
Dans ce cas, l’organisation structurelle et fonctionnelle de la phrase est donnée par les
deux parlers qui, ayant presque un vocabulaire commun et fonctionnant suivant des mêmes
règles se superposent dans l’organisation de l’énoncé.
Conclusion
de ses formes aussi sûrement qu’un principe d’écriture ou qu’un mode de jeu.
En déconstruisant ce code, en tant que signe théâtral, nous avons pu observer le
comportement langagier de la population de la ville de Boma. Les acteurs-personnages ont su
jouer sur le langage en mettant en exergue la fonction et le prestige que cette société colle aux
différents parlers: le kikongo ya leta, les variétés ethniques (plus spécifiquement le kiyombe),
le lingala et le français ou le portugais. Ainsi, avons-nous noté que dans leurs habitudes
langagières, les populations de Boma passent de la langue A à la langue B ou C par l’usage des
processus grammaticaux tels que l’insertion, l’alternance ou la congruence.
Cet usage n’est pas fortuit, il joue un rôle sociolinguistique très important, car il permet,
en situation de communication, à chaque acteur de négocier l’usage des parlers qui lui permet
de produire du sens mais aussi permet à chacun de définir son identité qui crée ainsi le rapport
entre les interlocuteurs. En cela le metteur en scène met bien en exergue les propos de Zima
(1978) que nous avons souligné au chapitre trois où l’auteur montre que la littérature n’a pas
affaire à une grammaire «neutre» mais à des intérêts sociaux transformés en textes, articulés sur
le plan discursif. C’est sur ce plan qu’il s’agit d’examiner la situation sociolinguistique d’une
société pour y situer un texte littéraire particulier. Dans ce sens, nous avons compris comme
Bakhtine (1978) que la prose romanesque, le texte théâtral regorgent de matériaux
«pluristylistiques» dont l’intérêt dépasse le cadre de la fiction pour renvoyer le lecteur ou
l’auditeur ou le spectateur35 à une réalité langagière complexe, elle-même conditionnée par la
structure sociale dominante. La sociologie des langages qui se dégage de cette cohabitation est
toutefois à considérer non pas comme le reflet fidèle d’une réalité, mais bien comme une
réfraction qui s’effectue selon des présupposés qui l’importe à l’analyste de mettre à jour. Ainsi
les pièces de théâtre analysées dans ce chapitre sont à comprendre comme le roman selon
Bakhtine (1978:88): «C’est la diversité sociale de langage, parfois même de langues et des voix
individuelles, diversité littérairement organisée». En effet dit Kabuta (2003:33), «Les choix que
fait un individu, la manière dont il s’approprie les ressources de la langue, le distinguent
nettement d’un autre individu ».
C’est vrai que, pour dire comme Hamers et Blanc (1983:9), «Dans le monde moderne,
les besoins de communication et d’échanges ne peuvent qu’augmenter et le contact des langues
se multiplier; de même, avec le développement de la scolarisation, on peut penser que chaque
individu aura quelque connaissance d’au-moins une seconde langue et aura atteint un certain
degré du bilingualité». Mais la grande question qui en ressort est celle de savoir les
35
C’est nous qui ajoutons.
270
The applied sociology of language is of particular interest whenever: (a) language varieties must be
«developped» in order to function in the vastly new settings, role relationships, or purposes in which
certain important networks of their speakers come to be involved, or (b) whenever important
networks of a speech community must be taught varieties (or varieties in particular media or uses)
that they do not know well (or at all), so that these networks may function in the vastly new settings,
role relationships, or purposes that might then become open (or more open) to them. In many
instances (a) and (b) co-occur, that is, language varieties must be both developed and taught in order
that important within a speech community may be fruit fully involved in the new settings, role
relationships, and purposes that have become available to them. This is but another way of saying
that planned language change and planned social change are highly interrelated activities and that
the sociology of language is pertinent to their interaction.
271
Chapitre 5.
Introduction
Il est évident que le langage théâtral est simple, si proche de l’ordinaire (ce qui relève de
sa caractéristique mimétique); mais cela ne réduit en rien sa nature littéraire. Derrière cette
simplicité du langage théâtral réside la fiction et la figuration qui traduisent l’intelligence du
genre théâtral. En cela d’ailleurs, en tant que genre de la représentation, nous pensons que le
théâtre joue mieux la fonction de la littérature, en ce que selon les mots de Rancière (2007) tel
que cela ressort chez André (2012:166)
En effet, en littérature il ne faut pas chercher le sens des mots dans les mots, mais derrière les
mots, ni la valeur des images dans les images, mais derrière les images, encore moins le sens
des gestes dans les gestes mais derrière les gestes. Tout cela résulte d’une certaine organisation
qui permet de relier le fictif au réel. Helbo (2007: 96) démontre que la fiction théâtrale revêt un
caractère organisateur, une fonction d’accessibilité, de concrétisation, assumant des
interconnexions, réglant une circularité au carrefour des conventions spectaculaires, plus ou
moins référentielles, et des mondes possibles. Il soutient que l’univers fictionnel, intégrateur et
pluriel, du théâtre combine des éléments de catégories différentes (relevant du socio-matériel et
du suiréférentiel, du renvoi conjugué au monde et aux codes spécifiques). Il constitue en
quelque sorte le déclencheur de la convention spectaculaire. C’est pourquoi, la logique dans
cette conception est de considérer que la littérature ne se définit pas par rapport à un rapport de
vérité absolue. En littérature d’ailleurs les réalités ne sont pas désignées par des termes qui les
expriment clairement et véridiquement, mais par rapport à une forme qui surdétermine les
réalités, fussent-elles contradictoires dans la pratique. Dans ce sens, comme l’écrit Mitterrand
(1977:4), «Est littéraire ce qui peut se lire sans considération du vrai ou du faux, pour le plaisir,
sur le mode de l’imaginaire et du symbole. Un texte quelconque devient littéraire s’il est pris
comme métaphore du vécu. De même, un objet quelconque déplacé de son usage fonctionnel
donne à voir, à penser, à rêver».
Ceci étant dit, nous devons considérer, selon qu’il a été souligné par Schaeffer
(1996:305), que les textes littéraires sont en effet des actes verbaux particuliers qui n’ont pas la
273
même finalité que, par exemple, les textes scientifiques. Lorsqu’un physicien écrit “l’énergie
est égale à la masse multipliée par la vitesse de la lumière au carré”, il sait exactement ce qu’il
veut dire (Rimbaud ou Nerval, ce n’est pas sûr). En d’autres termes, le contrat de lecture du
texte scientifique n’est pas le même que le contrat de lecture de texte littéraire. Il est inexact
que nous considérions l’œuvre littéraire comme l’expression d’un “vouloir-dire cohérent”.
C’est de la sorte que Macherey (1970) définit le langage littéraire. Celui-ci a pour fonction
d’instituer l’illusion en produisant un effet de réalité. D’où, un lecteur qui essaierait de trouver
dans un texte littéraire qu’un reflet de la réalité en cherchant à repérer des identités de situation
entre monde réel et monde fictif, au pire passerait à côté du texte, au mieux le mutilerait en
occultant la multiplicité de sens qui y circulent. L’univers fictif n’est pas le monde de la
reproduction mais de la représentation. La littérature parait ainsi se définir comme la
transposition au travers de l’écriture de contradictions, de conflits, de tensions. Et qui dit
transposition dit masques, écrans. Une littérature qui se contenterait de nous dire voilà ce qu’il
faut sentir, voilà ce qu’il faut penser, ne serait plus vraiment de la littérature. Nisin (1960:73)
montre que
Le poète fait une seconde digestion des mots; il en recherche les premières saveurs, et c’est des
effets sentis de leur diverse harmonie qu’il compose son dictionnaire poétique. Déjà les mots du
romancier sont bien ceux de l’usage commun, mais employés selon une autre intention. Ils ne
veulent pas nous faire tenir pour réel des événements imaginaires –ce sont les mots du menteur qui
veulent- ils veulent qu’une construction d’événements imaginaires deviennent pour nous un
événement.
C’est pourquoi, même si en apparence simple, le langage théâtral est tout aussi différent de
l’ordinaire. Le discours théâtral diffère sur plusieurs points du discours ordinaires. Entre autres,
selon Kerbrat (1984) que reprend Ryngaert (1996:95) «Le discours théâtral élimine nombre de
scories qui encombrent la conversation ordinaire (bredouillement, inachèvements,
tâtonnements, lapsus et reformulations, éléments à fonction phatique, compréhension ratée ou à
retardement) et apparaît comme bien édulcoré par rapport à la vie quotidienne». Ainsi, «Le
personnage, par exemple, utilise les éléments extra-articulatoires ou articulatoires du langage
ordinaire; mais les utilise d’une façon particulière, et surtout le texte qu’il récite ou plutôt qu’il
joue obéit à certaines lois de concentration des effets ou de rythme qu’ignore le dialogue de
tous les jours». (Larthomas, 2005: 30). L’analyse devra donc déceler ces éléments
apparemment invisibles, mais qui traduisent la nature même du théâtre. Pour progresser, le
dialogue dramatique utilise les mêmes procédés que ceux de la conversation ordinaire. Des
personnages se parlent, plaisantent, tentent de se convaincre ou de se disculper, se brouillent ou
274
état psychologique. Il y a une véritable mobilisation des possibilités qu’offre la langue pour
tenter d’exercer l’influence souhaitée sur l’esprit de ceux à qui l’on s’adresse. Mais avant d’y
arriver, nous voulons donner une petite précision sur le fonctionnement du dialogue théâtral.
l’énonciation, soit de l’énoncé. Les présupposés reposent tantôt sur la définition précise des
rapports de force existant entre les personnages dans la situation d’échange, tantôt sur la
connaissance des enjeux idéologiques qui sont présents dans le discours sans qu’il en soit
jamais vraiment question. Ceci justifie le questionnement de (Ryngaert, 1996: 95). En effet,
chaque fois la question qui revient est de savoir pourquoi le personnage s’autorise à parler
comme il le fait, en nous souvenant que le silence est la norme et qu’aucune parole ne va de
soi. Ryngaert met en place deux cadres principaux qui permettent d’expliquer les présupposés
de la parole:
- Le cadre social: le code social est-il ou non respecté. Dans toute analyse, remarquons si
la parole va dans le sens de ce qui est attendu, ou au contraire si elle rompt avec le code
prévisible. Helbo (2007: 96) parle dans le même sens d’une double axialité énonciative pour la
fiction spécifique du théâtre:
- Le cadre relationnel: les paroles échangées présupposent qu’un type de relation existe
entre les personnages qui leur permet de se parler comme ils se parlent. Leurs discours se
fondent sur un implicite, sur des éléments relationnels connus d’eux dont l’auteur tire des
conséquences et qu’il décide ou non de faire partager au lecteur ou au spectateur. Cela peut
justifier le recours souvent à l’ellipse.
Les éléments ci-haut, sobrement développés, permettent de caractériser le théâtre en tant
que discours. Nous présentons dans ce chapitre quelques aspects du discours propres du style
oral tels qu’ils sont rendus dans les pièces analysées. Ces différents procédés permettent de
reconnaître le théâtre en tant que genre particulier. Parlant de l’étude du théâtre en tant que
discours, Pruner (2010) fait allusion, par exemple, au monologue, aux conversations,… Ces
formes de discours permettent de lire le théâtre et de l’analyser. Communication
unidirectionnelle, par exemple pour le monologue, le jeu de réplique dans la conversation,
l’humour qui colore la parole théâtral, la charge relationnelle et le cadre social qui
277
accompagnent la saisie du discours des personnages, sont autant de faits de discours qui
permettent de saisir la trame théâtrale et d’en décoder le sens. Nous allons essayer de voir
comment ces différents procédés fonctionnent dans le théâtre urbain kikongophone et leur
apport dans la déstructuration du multilangage qu’est le théâtre.
Helbo (1983:64) distingue dans le discours théâtral les critères ci-après. Sur le plan
syntaxique, le discours théâtral est soumis à un ensemble de critères qui le rapprochent et
l’éloignent tout à la fois des langues naturelles:
1) La grammaticalité: puisque le savoir spectaculaire repose sur une rhétorique, sur des
codes particuliers, il importe de déterminer, outre les normes du spectacle, la syntaxe
minimale en action. Que l’on admette ou non la dette du comportement spectaculaire à
l’égard de contraintes biologiques ou socioculturelles, on est forcé de constater que
certaines combinaisons sont préférées à d’autres. Quelles sont les règles qui
commandent la sélection? Avant même de se lancer dans une définition de la
compétence discursive et de l’écart, il importe cependant de souligner les imperfections
de l’analogie grammaticale. Même la grammaire transformationnelle préfère recourir au
concept d’acceptabilité pour caractériser des séquences qui, en dépit «d’écarts
stylistico-rhétorique», demeurent compréhensibles.
2) Dès l’instant toutefois où il est fait allusion à une compétence discursive plus vaste, le
critère syntaxique doit être assorti d’une perspective pragmasémantique.
Combinatoire/contradiction d’autant plus justifiée qu’au théâtre le langage présente la
particularité d’être non seulement formé «grammaticalement» mais surtout approprié à
la situation de communication (public présent et actif). Le terme de grammaire implique
un système modélisant fondé sur l’énumération stricte (en l’occurrence abusive) de
règles abstraites de fonctionnement; or, en s’ouvrant à l’extralinguistique, la
pragmatique conteste une normalité formelle de type syntaxique pur. Progressant de la
mimesis vers l’abstraction, une grille de syntaxe théâtrale reprendrait:
- Le contexte socioculturel,
Selon l’analyse que nous avons faite, le monologue (dans le sens de notre corpus) exprime
1) l’état d’une personne angoissée, qui face à des situations difficiles, entre au-dedans
d’elle-même, en se parlant et en entrant en interaction avec un autre être qu’il présente comme
solution à son problème. Le feed-back de cette conversation est rendu possible par la réaction
attendue et obtenue par le soliloque. En effet, souvent, l’évolution du récit dépend du
dénouement qui résulte de la conséquence du monologue voulue ou cherchée par le metteur en
scène.
C’est le cas par exemple de l’acteur- personnage ya Za, dans l’extrait ci-après tiré de la
pièce Et après, qui, s’étant perdu dans la forêt, cherche comment sortir de l’impasse, il se met à
parler à sa conscience et à invoquer Dieu pour retrouver la voie. Ce monologue scelle le sort du
récit, car la suite du récit n’est possible que par l’enchaînement qui le lie au monologue.
En effet, dans cette pièce, l’acteur-personnage ya Za vient de quitter le village à cause
du comportement sorcier de son père. Avant de quitter le village, il a tabassé ce dernier et a pris
la décision de partir pour la ville. Son père a décidé de lui faire payer cet acte en lui brouillant
les repères.
279
Texte 10
Ya Za: yiwa zimbembo zibatu, vayi baatu ndikadi kubamona. Ndiwa buka makalu mankwiza ndisi mamonako ,
nzila yisibweyizaba. Kwé yikwesukila. Bika yizengisila bwa ka mayimona. Nyina kuna papa, papa nina! Milele
mina papa miakavweeti. Tezo ndi membika ku bwala abwa wola mbi kametudila kwa, eh! Papa, papéé! A Yesué!
A Yesué! Kokwisiko kadi batwé, a Yesué, kuisiko, kadi batué! Yesué Yesué eh eh. O Yesué, o Yesué, beeno
kumamwo, kwisiko kadi batwé! Minu fuidi minu ndi buula papé, papa wisikumbonikina. Beeno nzila ndisi bwe
yimona. Ndisi bwemona nzila. Yesu wutsadiséeee. «Za nzela okoteli omoni yango, mais yako bimela okomona
yango te. Signé Papa Mayuku, Kiazi ki ngazi.» Papéeee, papa pa nge wulembu kutshombulanga, pa mambi
yimekuvanga wulembu tshombulanga. «Nzila kotila yamemona, yibatsikila yikadi yimona» ah tata nzambi, tata
Nzambi, bwé ndieka nsukilé? Bilumbu biole ndieka mu tsi zinsitu. A yesué, Tata Nzambi, ngewuvanga dizulu ayi
ntoto, mfumu nlongo, mfumu nlongwé ngieti tambika mbila kudi ngeye; nge wusema zulu yen toto mfumu, ngeyo
zeyi mamosono mfumu, eh tata Nzambi, ngekumbiké ngemezaba; minu nzaba yi nzaba, minu siama yi mbula, yisé
diama yandi yibula, nge veka zebi kuaku nya mbi kamekuevanganga mambi. Tata diau ndi kukantinina, kundukula
zikhomi, apfumu wundevukila, ti mambu mabubi ndivanga mu bula siaama, tidi kumona nzila mfumu, a tata
Nzambi, minu mona nzila yela kwe kusadila; amfumu sadisa yimona nzila, muna zina di yesu, Amen.
(Soudainement la voie devient claire).
Traduction:
J’entends des voix des hommes, mais ces hommes je ne les vois pas. J’entends des bruits des véhicules qui
arrivent, mais ces véhicules, je ne les vois pas. La route (en question), je ne la reconnaîs plus. Où vais-je finir! Que
je traverse ici (peut-être que) je vais voir la route. Celui- là là-bas, c'est papa, c'est papa celui-là! Ça fait longtemps
que je l'ai laissé au village, maintenant à quel moment il est arrivé ici ? Ah Jésus, ah Jésus, ici il n'y a pas des gens!
Ah Jésus, il n'y a pas de gens ici. Ah Jésus! Eh vous! Dans ces endroits-ci, il n’y a pas des gens! Moi je suis mort,
moi qui ai tapé papa; papa m'est apparu. Mais vous, je ne vois plus la route, la route je ne la vois pas. Jésus aide-
moi. (…) « Za la voie que tu as prise pour entrer (dans la forêt), tu l’as vue, mais celle de la sortie tu ne la verras
pas. Signé papa Mayuku, Kiazi kingazi». Papa, qu’est-ce que je t’ai fait pour que tu me provoques chaque fois. «
Za la voie que tu as prise pour entrer (dans la forêt), tu l’as vue, mais celle de la sortie tu ne la verras pas. Signé
papa Mayuku, Kiazi kingaz». Ça fait deux jours que je suis dans cette forêt-ci. Oh! Jésus, Dieu le père! C’est toi
qui as créé le ciel et la terre! Seigneur saint, Seigneur saint J'élève ma voix vers toi! Toi qui as créé le ciel et la
terre Seigneur! Toi qui connaîs tout, Seigneur! Eh Seigneur! Si tu m'abandonnes, toi même tu sais. Moi je
reconnaîs que mon père, je l'ai tapé. Mon père, c'est lui que j'ai tapé. Toi-même tu sais, lui, comment il est en train
de (toujours) faire du mal. C'est pourquoi mon Dieu, je l'ai attaqué. Je lui ai assené des coups. Ah, Seigneur!
Pardonne-moi si j'ai commis un péché en tapant mon père! J'ai envie de voir la route. Seigneur si je vois la route,
Dieu le père, je vais commencer à te servir. Seigneur aide-moi à retrouver le chemin! Amen.
Comme, nous l’avons compris, ya Za qui vient de quitter sa famille doit traverser la
forêt pour prendre la voie qui doit le conduire à Boma. Comme, nous le verrons dans le
chapitre suivant, aussitôt que ya Za est entré dans la forêt, le papa a maudit son fils en
promettant d’obscurcir sa route. Il a donc passé deux jours dans la forêt où il voyait, à son
étonnement, son père qui lui disait de ne pouvoir pas sortir de cette forêt. Ya Za n’a pu se
280
2) L’autre cas du monologue est celui où un être quelconque cherche à nuire à l’autre par
des voies mystiques. Dans l’extrait qui suit, nous apercevons le père (Papa Mayuku) qui entre
dans la forêt, et débite des paroles incantatoires en vue de maudire son fils. C’est la scène
représentée par le texte (11) tirés de la pièce Et après:
Texte 11
Père: Nakolakisaye, nakolakisaye naza nani. Soki obeli liboma te, loba ngayi te tata nayo. Ngayi te nabotaki yo.
Nge mwana na munu, nge mesala tembe na munu. Nge mezonzisa munu! um! oswanisi ngayi papa nayo! Eh, ozali
pamba po na ngayi, nakolakisa yo nazali nani. Nakolakisa yo. Soki obeli libomate, loba ngayi te tata nayo to ngayi
te moto na botaki yo. Philosophe, philosophe, okomona nga naza nani; ndidi siaku, bu ndidi va. Okomona an! Na
mbila na ngayi, pe oswanisi ngayi, obeti ngayi. (lingala/kikongo ya leta)
Traduction :
je vais lui montrer, je vais lui montrer qui je suis. Si tu n’attrapes pas de folie, dis que je ne suis pas ton père. Ce
n’est pas moi qui t’ai engendré. Toi, mon fils, tu as rivalisé avec moi. Tu t’es querellé avec moi! Hum, tu t’es
querellé avec moi! Eh, tu n’es rien pour moi, je vais te montrer qui je suis, je vais te montrer. Si tu n’attrapes pas
de folie, dis que ce n’est pas moi ton père ou ce n’est pas moi qui t’ai engendré. Philosophe, philosophe, tu vas
voir qui je suis; je suis ton père tel que je suis ici. Tu vas voir. Han! Pour mes noix de palme, et puis tu as rivalisé
avec moi, tu m’as frappé.
3) Le troisième cas de monologue que nous avons observé dans ce corpus, c’est la
communication avec des êtres absents (Dieu, esprits ou les morts).
C’est presque la même chose que le premier cas, sauf qu’ici, la particularité est que le
monologue peut se faire en présence des gens sans pour autant s’adresser à eux directement.
Dans l’extrait que nous illustrons ci-après, tiré de Seul Christ nous suffit, un homme vient de
tuer, lors d’une bagarre, un autre. Il va s’adresser (mais en présence des autres) aux ancêtres
pour demander pardon, à cause de l’acte odieux et donc répréhensible qu’il vient de poser.
Texte 12
B: eh! mekumvonda!(kiyombe)
Traduction:
A: que les ancêtres me pardonnent, car, c’est à cause de la douleur que je l’ai tué.
Il en est de même de la prêtresse qui dit la prière aux ancêtres en présence de ses adeptes. C’est
ce que représente le texte (13) ci-après tiré de la pièce Seul Christ nous suffit où la prière est
adressée aux ancêtres absents.
Texte 13.
Prêtresse: ntangweno yimefwana bakulu, beeto baana beeno twiizi tambika minkayilu myeeto. Tambuleeno
meenga meeno. (kiyombe)
Traduction:
votre temps est arrivé, chers ancêtres, nous vos enfants venons vous présenter nos sacrifices. Recevez votre sang.
Nous pouvons comprendre à travers ces extraits que le discours théâtral est en lui-même
une mise en scène bien orchestré par le metteur en scène. Les mots sont chargés de manière à
créer chez les spectateurs un effet de sens que ce dernier doivent construire non en dissociant
les différents signes; nous savons bien que le théâtre est un métalangage, mais en créant un sens
unique en fonction de divers signes qui lui sont offerts. C’est ça le théâtre; l’intelligence de la
mise en scène réside dans la manière dont les signes sont compilés pour produire un sens
unique. Cette compilation donne au spectateur, non seulement le plaisir de voir, mais aussi le
travail de savoir décoder les nœuds de l’intrigue noués par les différents signes qui in fine
aboutit à une communication, à un message un et unique. Biet et Triau (2006: 395, 396) en
donnent une démonstration en montrant que le signe théâtral, qu’il soit l’objet, le corps du
comédien, le costume, la lumière ou tout autre élément concret placé dans le même
plurisignifiant, est intégré dans un réseau général de significations qui organise l’espace.
Et c’est cet empilement complexe qui, parce qu’il donne au spectateur à résoudre une figuration
problématique, donne du plaisir en même temps que du travail… dès lors, la question à poser à la
mise en scène n’est pas celle du décryptage au coup par coup, qui pourrait par ailleurs donner des
interprétations aussi variées que fantaisistes –puisque, si le spectateur décide d’interpréter un signe
sans la cohérence de son contexte, il peut le faire sans retenue et en fonction des connotations qu’il
conçoit personnellement-, mais la fonction du réseau général, de la cohérence de l’ensemble des
signes disposés dans la mise en scène. L’observation, puis la définition de l’espace dramatique et
des moyens utilisés par les praticiens pour définir cet espace, sont alors nécessaires. Car il s’agit de
noter les éléments qui, mis les uns à côté des autres, font un sens, ou forment un sens, à partir d’un
certain nombre d’indices plus ou moins ostensiblement figurés. C’est donc à partir d’une série de
signes qu’on peut conclure à un principe (qui peut être multiple ou polysémique) d’organisation de
282
l’espace, comme c’est en fonction d’une organisation de l’espace que les metteurs en scène
disposent, plus ou moins consciemment, des signes. En conséquence, la forme la plus simple de
l’organisation des signes sera de placer dans un lieu scénique des objets, des costumes, des éléments
de décor qui renvoient à un seul univers, et l’on ira vers l’illusion réaliste.
Des extraits analysés ci-dessous, nous pouvons relever quatre niveaux de représentation
selon Lokijne (2008:105). En effet la scène du discours, c’est-à-dire non seulement le cadre
dans lequel il est prononcé (le lieu, les circonstances, le public), mais ce qu’il donne à voir de
l’histoire et au contraire ce que, d’elle, il rend invisible, révèle ici l’enjeu non rhétorique
fondamental d’une représentation nécessaire toujours étagée en 4 niveaux,
-L’objet du discours, qui n’est pas le réel, mais le tekmêrion, ou l’histoire, c’est-à-dire déjà une
élaboration du réel par le langage et un contournement de l’ombre primitive;
d’activité qui les conduit à chercher à savoir le sens du discours derrière tous les signes
langagiers et paralangagiers. En effet face à une image peinte, photographiée, filmée, narrée,
«Le spectateur, c’est une évidence ne se borne pas à regarder: il ressent, il imagine, il pense».
(Siety, 2009:7). C’est vrai qu’au nom de l’interactivité, le spectateur participe, dans une
certaine manière à faire du sens, mais c’est le metteur en scène qui conditionne et développe la
pensée du spectateur devant l’image qu’il regarde. Car, lorsque se présentent devant lui des
figures au statut ambivalent, à l’incarnation énigmatique, le spectateur voit «La dimension
imaginaire du théâtre en fait le lieu d’une transmutation indéfinie, dont la réussite dépend aussi
bien des intentions dramaturgiques du metteur en scène36 que des consciences qui regardent et
s’irréalisent dans le jeu». (Noudelmann 2000:5). C’est pourquoi, comme le reconnaît Siety
(2009), la plupart des études cinématographiques estiment qu’entre ce que le film nous donne à
voir (des personnages, une histoire, un univers fictionnel) et ce qu’il est (une projection
lumineuse, un assemblage de plans, le résultat d’une fabrication complexe), le spectateur est
obligé de choisir. Soit il adhère à la fiction, et à la conscience qu’il a de voir un film est comme
suspendu, mises en parenthèses, soit il s’intéresse à l’enchaînement des séquences, à
l’agencement des plans, à la composition des images, à condition de pouvoir résister aux
sollicitations affectives du film.
De ce point de vue, nous réconfortons l’opinion de Dorigo-Ceccato (2002:189) qui
concernant la construction de l’espace scénique pense que le public se voit alors imposer une
reconstruction spatiale qui n’est, naturellement, qu’un des très nombreux possibles que contient
en puissance le texte. L’espace imaginé et en partie construit par l’auteur lors de l’écriture de
l’œuvre connaît donc en pareil cas un processus d’interprétation et de création par lequel le
metteur en scène suggère aux spectateurs sa propre vision. C’est ce qu’il appelle la dimension
du référent spatial de l’œuvre et de sa traduction concrète lors de la mise en scène. De cette
manière, nous considérons l’exposition de Descola (2010) & Leveratto (2013:40) sur La
fabrique des images. Ces dernières sont ontologiques, à partir des diverses manières qu’elles
offrent
D’organiser l’expérience du monde, et de doter les choses ou non, de certaines aptitudes les rendant
capables de tel ou tel type d’action. Ces ontologies informent, aussi bien la relation intime que nous
pouvons avoir au quotidien avec les spectacles artistiques, qu’il s’agisse d’arts plastiques, d’arts de
la scène ou d’arts visuels, que le discours intellectuel qui vise à les décrire et à les analyser. […]
Elles définissent des cadres de l’expérience collective, elles sont les moyens de qualification des
objets qui assurent le partage sensible, le passage de la sensibilité personnelle à la communauté
36
C’est nous qui ajoutons.
284
Le discours de tout le récit, du théâtre dans le cas précis, est construit selon ce modèle
impliquant le spectateur à se situer par rapport aux événements. C’est pourquoi après avoir
regardé un film, assisté à une représentation, chacun restitue les éléments, sans évidemment
s’écarter du sens général, selon son adhésion à telle ou telle scène, à tel personnage, à
l’intrigue. Dans le cas de monologue que nous avons présenté ci-haut, nous devons noter que le
metteur en scène propose au spectateur des images de la vie auxquelles il est habitué certes;
mais représentées sur scène avec l’apparence de la fiction, ces images passent à lui comme une
suggestion. En fait, il arrive que le spectateur penche sur une image non conforme à cause de la
charge de la fiction. Nous soulignons de ce point de vue, Siety (2009: 8) l’avait vu dans le
même sens, que si le fait de savoir que le contenu d’un film est fictif n’empêche pas d’y croire
tout en y croyant pas, le fait de savoir qu’une image est le support réel d’un contenu imaginaire
n’empêche pas davantage le spectateur de lui attribuer des propriétés fictives, tout en le sachant
réelle. C’est pourquoi, comme le souligne Rancière (2008: 23) «Etre spectateur n’est pas la
condition passive qu’il nous faudrait changer en activité. C’est notre situation normale. Nous
apprenons et nous enseignons, nous agissons et nous connaissons aussi en tant que spectateur
qui lient à tout instant ce qu’ils ont vu et su, fait et rêvé».
Comme nous venons de le dire dans les lignes précédentes, le texte littéraire a bien une
valeur sémiotique. Toute son organisation n’a déjà d’autres objectifs que la médiatété de
l’information. Le texte littéraire est entouré d’éléments qui rendent sa compréhension médiate.
C’est dans l’optique de cette tendance qu’il faut ranger ces propos de Schaeffer (1996:81) qui
considère que« Si toute œuvre d’art n’est pas nécessairement un objet sémiotique, l’œuvre
littéraire est, en revanche, toujours un effet de sens. Ainsi, les propres ou la particularité de la
littérature est de (tenter de) satisfaire à la fois une attente esthétique et une exigence
intellectuelle ».
L’intertextualité a l’option d’apporter des éléments dans la compréhension du discours
dans lequel un autre est enchâssé. Cela est bien vrai. Mais il est aussi évident que si
l’intertextualité apporte des suppléments dans la construction et la déconstruction d’un texte,
elle en renforce la médiatété. Il faut donc déconstruire deux textes au fonctionnement parfois
différent.C’est pourquoi, Bessière (2001:26) pense que «L’œuvre littéraire est somme des
symboles, eux-mêmes lisibles, suivant la somme qu’ils constituent de manière constante».
285
L’introduction dans un discours d’un autre genre de discours, est souvent régulière, et
fait partie du style du discours oral. Le théâtre en tant que genre social en fait usage. En effet,
les romans écrits en langues étrangères ont suffisamment utilisé ces modèles en mettant
ensemble divers niveaux du discours africains. Nous devons par contre noter que
l’intertextualité n’est pas un simple assemblage de genres oraux, elle est une mise ensemble de
plusieurs niveaux de discours, qui fonctionnent différemment, mais qui ensemble dans le sens
de leur mise en commun contribuent à faire du sens selon le contexte. Dans ce sens, Edgar-
Hunt, Marland & Rawle (2010:70) définissent l’intertextualité comme «L’influence sur un
texte d’autres textes; relation entre les textes ». Nous pouvons nous arrêter un peu pour illustrer
le cas à travers cette mise en scène entre trois acteurs-personnages dans la pièce Enfants de la
rue. Un qui vient rendre visite à deux autres pour chercher à reprendre son neveu qu’il loge
chez eux. Son allure ne plaît pas le jeune qui le reçoit à la porte; ce dernier le tourmente par des
questions qui n’arrangent pas le visiteur. Cet échange entraîna du bruit qui fit entrer en scène le
grand-frère du jeune homme pour essayer de calmer la tempête. Il s’ensuit alors un échange des
proverbes entre le grand-frère et le visiteur.
Ya Za: (devant la porte face à Maloba): bon moi, on m’appelle ya Za. Je suis professeur ku bwala. J’ai donné
cours à Nlemba deux ans. Je suis responsable yibisalu bibio bibikidi grand-frère ami wuyizifwa. Alors bwabu
minu mi yisiala responsable mubisalu biandi bio bikabikidi, zimagasins, matoma (kiyombe/français)
Maloba : mon cher oza clair te, puis oza sérieux te. Oye awa okomi ko se vanter je suis le responsable, je suis
professeur, munu nde mutu responsable ya bima bikaka grand-frère, qu’est-ce que cela a à avoir avec moi? Etali
ngayi te (lingala/kikongo ya leta/français)
Ya Za: c’est ce que je t’informe parce que tu m’as posé la question naza nani! (français/lingala)
Ya Za: mwaana wa widi kwaku! Yayoyo arche de noé ya Monsieur Jules Kizaza? Bakheembi kwawukoko kwidi
mwaanama khazi. Mukuwa kwawu koko kakala, nya ndizi landa. Kotati kukhati tusolula. (Kiyombe)
Ya Za: mambu mama lulembu lundanga. Beeno lusi nzaba ko mambu malembu luta mudiambu di mwana wowo.
(Kiyombe)
Maloba: mon cher oye awa po omata scenario to ndenge nini! (lingala)
Ya Za: non non c’est-à-dire mon cher mwa j’explique ti minu mindidi ngwandikhazi, ndidi khomba wadi siandi.
(Kiyombe)
286
Maloba: non ekomi humour oyo olingi otourner awa! (il appelle l’ainé) eh ya tifio! (Puis s’adresse encore à ya Za)
mon cher, boyaka na mipepe ya mabe boyete. (Lingala)
Maloba: nge banzidi ti minu ndia wangako kiyombi; weka kukholukila kiyombe (kiyombe)
Ya Za: kadi diambu. Vasi kwandiko kadi diambu, vayi minu ndisi tuba kwami kadi diambu di bubiko. (Kiyombe)
Traduction:
Ya Za: bon moi on m’appelle ya Za. Je suis Professeur au village. J’ai donné cours à Nlemba (pendant) deux ans.
Je suis responsable de toutes les affaires laissées par mon grand-frère qui est décédé: des magasins, des voitures…
Maloba: mon cher, tu n’es pas clair et puis tu n’es pas sérieux. Tu viens ici, tu commences à te vanter: je suis le
responsable, je suis professeur, c’est moi le responsable des biens laissés par feu mon grand-frère, qu’est-ce que
cela a à avoir avec moi? Ça ne me concerne pas.
Ya Za: ce sont des problèmes que vous êtes en train de garder (ici).
Maloba: nous sommes en train de te chercher! C’est toi l’oncle paternel de Mukuwa, entre.
Ya Za: non, non. C’est-à-dire mon cher ami, moi j’explique que moi je suis son oncle paternel, je suis le frère de
son père.
Maloba: Non. C’est devenu de l’humour, c’est que tu es en train de tourner ici. Mon cher, il ne faut jamais venir
avec des airs mauvais.
Maloba: tu penses que moi je n’entends pas le kiyombe; tu te mets à me parler en kiyombe.
Ya Za: pas de problème. Il n’y a aucun problème, mais moi je n’ai pas dit quelque chose de mauvais.
niveau.
Tiflo: (sortant de la maison s’adresse à son frère Maloba) Maloba ni bamambu yayi! Maloba plina ve
bakesadilaka. Ngemeka mona mutu, yamba yandi tete yandi mevwanda bosi beeto kuwa ni mambu, nini yandi
mekwizila. (Kikongo ya leta)
Traduction:
Maloba! Quels genres de problème ici! Maloba, ce n’est pas de la sorte qu’on agit. Si tu vois quelqu’un, reçois le
d’abord, tu le fais assoir après nous écoutons pourquoi il est venu.
Tiflo (grand-frère de Maloba) s’adressant encore à son petit frère, lui dit ce proverbe:
(Sens) Accueille bien quelqu’un et ce dernier pourra te dire quelque chose de bien qui arrange ta situation
Tiflo:Papa muzona diaka ve kuwa bamakelele, yayi mukena kuwa ya mekuma on dirait baventure. Kwiza na
respect, nge mekuwé! (kikongo ya leta)
Traduction:
papa, je ne veux plus entendre du bruit, ce que j’entends, c’est devenu on dirait des aventures. Viens
respectueusement, tu as compris?
Traduction:
toi tu es un adulte, il ne faut pas trop suivre les jeunes
Sens: Il faut savoir accepter ses erreurs, même si les autres ont les leurs.
Traduction:
maintenant dis-moi, pourquoi tu es venu.
Texte
Ya Za: Matondo mawombo tata. Kadi lumeesaala kisaalu mulunda mwaana wo Mukuwa. bon, mambu mi
mekwizila kwaku, masi kwandiko keni mamwadi kani matatu. Diambu kwa a dimweka ndimekwizila kwaku.
Minu mindi siandi nleki nia mwana wowo. Baba bau babwadi, tuwilu munsamu ti nawunka wufwidi. Mafwa kaadi
diambu. Les linges sales se lavent en famille. Alors bu kamefwa, beeto veka en famille matuzaba sukula les linges
linges linges sales. (…) Dikanda yoso bameba kubwaala , bamekwiza, baadi kuna nzo. Minu mibametuma. Minu
mindiwilu nsamu kudi mwaana wo Liziba ti mwaana ku Mukuwa, widi ku nzo Jules Kizaza, na arché de Noé kuna
8 kuna ku secteur, nya Mukuwa kwa kadi. Minu ndimetéléphona baasi bwaala bamekwiza, bababoso.
Bamakhamba minu ndiza laanda nya Mukuwa , nya Mukuwa minu nya ndizi landi, minu ndi kubonga nya
Mukuwa ndi nata kunadikanda tubaka busoludila misamu mioso, tubonga tshula kioso kibika nya siandi tuvutula
mu mioko miandi. Minu tangu yivutuka kubwaala yifweni. Mambu mana kwa ndizidi kooko. Beeno kadi
kukhangileno ntima. Nya ditoko wukukwamisa wamisa kunganda, twaleno mwana ndi naaté, tubonga kimvwama
tuvutula, kakala miyivutuka kwami kubwaala, mi kiprof kiama yisalanga ; kadisia ti minu zingazi yeta kwanga.
Po mi minu ndikala conseyé yi dikanda yonso; minu yeta kubavana malongi mi conseiller yau.
Bakulu bau vo
Traduction:
Merci beaucoup papa parce que vous avez fait un travail de garder cet enfant Mukuwa ici. Bon, le problème dont
je suis venu ici, il n’y en a pas deux ou trois. Un seul problème m’a emmené ici. Moi, c’est moi son oncle paternel
cet enfant-ci. Ils étaient à deux, nous avons appris que l’autre est décédé. Le deuil, pas de problème. Les linges
sales se lavent en famille. Alors comme il est mort, nous saurons nous-mêmes en famille laver les linges sales.
(…) Tous les membres de la famille sont venus du village, ils sont là à la maison. C’est moi qu’ils ont envoyé.
Moi, c’est moi qui ai appris la nouvelle par cet enfant Liziba que mon enfant Mukuwa est chez Jules Kizaza, arche
de Noé au km8 au secteur; c’est ici qu’il est Mukuwa. Moi j’ai téléphoné aux gens du village. Ils sont arrivés, eux
tous. Ils m’ont dit de venir le chercher Mukuwa, lui Mukuwa c’est lui que je viens chercher, dès que je l’aurais
289
pris, je l’emmènerais en famille pour que nous ayons le moyen d’arranger tous les problèmes, que nous prenions
tout l’avoir de son père, que nous le remettions entre ses mains. Pour moi, il est temps que je rentre au village.
C’est pour cela que je suis venu ici. Quant à vous, ne m’endurcissez pas votre cœur (ne me compliquez pas la
tâche).Ce jeune homme me tourmentait dehors, donnez l’enfant que je l’emmène, que nous restituons la richesse,
qu’il reste… que moi je rentre au village car moi je suis enseignant; ne pensez pas que je suis un coupeur des noix
de palme. Moi je suis le conseiller de la famille; c’est moi qui leur prodigue des conseils, c’est moi leur conseiller.
Bákiisi ba kipheénzi bavíídí mbáázu (kiyombe) les fétiches du chimpanzé ont péri dans un incendie
Míínú ndíímmbuukulungu bô. Ce n’est pas moi qui me fais soigner avec.
Sens: il faut savoir compatir aux malheurs des autres. Il ne faut pas non plus se mêler inutilement dans les
affaires d’autrui.
Texte 16:
Ya Tiflo: eh Maloba! Nge mekuwa! Lokola mukena kumona bamambu yango yake bamambu ya famille; moyen
beeto sala cale na ba mambu yayi me tala, parce que mukena mona yandi ke vraiment papa leki nandi, yandi
mezaba yandi. Les problèmes c’est quoi, même munu l’heure muvwandaka vwanda na Moanda na inzo ya ya
Lumusu; donc l’heure tata munu yandi vwandaka na tshela, papa leki yandi kwiza déclarer balibérer munu na ya
Lumusu. Yandi salaka ve ni discussion. Alors le problème c’est quoi munu façon memona bakwenda bawu nioso
zoole bika bakwenda. Papa baka mwaana nge, Mukuwa kota na inzo baka bimange beeno kwenda po ya mekuma
déjà mambu ya (kikongo ya leta)
Bakhúuku mu nteéte
Beka ddoodasána
Traduction:
eh, Maloba! Tu as entendu! C’est comme si, j’ai l’impression que ce problème est un problème familial; il n y a
pas moyen que nous résistions, parce que je réalise qu’il est vraiment son oncle paternel, il le connaît. Les
problèmes c’est quoi, même moi quand j’habitais à Moanda dans la maison de ya Lumusu; quand mon père était à
Tshela, mon oncle paternel est venu me déclarer chez ya Lumusu pour qu’il me libère. Il n’avait pas discuté. Alors
le problème c’est quoi, moi je trouve qu’ils doivent aller tous les deux.
Sens: en temps de malheur, les gens doivent s’entraider mutuellement pour sortir de ce malheur au lieu de
290
Kiadi minu kani bwe ndyala sukila. Bana babo balembu yendi. Nya wuntete wufwa, wumwadi bobwawu, bwa nya
mebwe lawuka.
Traduction
Je ne sais pas moi, comment je vais finir. Tous les enfants sont en train de partir. Le premier est déjà mort,
mêmement pour le deuxième; celui-ci devient fou.
Texte 18 (chant)
Bau babaka khazi zau zikubatadilanga mambu Eux, ils ont des oncles qui traitent des problèmes pour eux,
chapitre. Si le discours théâtral apparaît simple, le saisir ne l’apparaît pas pour autant. Comme
nous allons le voir dans le point qui suit concernant le présupposé, il convient de détecter la
charge des présupposés qu’il renferme pour essayer de le saisir. Le discours théâtral réside
souvent dans ce qu’il ne dit pas. Et dans ces conditions le théâtre puise dans le signe qui permet
de cacher et de montrer à la fois. La sémiotique dans ce cas permet de saisir la part équilibrée
de différents signes par lesquels le théâtre cherche à signifier. Si l’on entre dans l’ombre du
discours chanté par cette femme, nous observons que la femme se plaint et présente un
problème social très régulier: des hommes qui souvent maltraitent des femmes dont ils savent
qu’elles sont sans soutien ou s’ils existent, ils sont moins efficaces dans la gestion quotidienne
de la famille. C’est pourquoi une des conditions de choix de chef de famille est le dynamisme
de celui-ci face à tous les problèmes du clan.
Le chant ou le proverbe, en tant que genres autonomes, dans ces conditions, apportent
des précisions que le langage ordinaire tel que représenté par le théâtre ne peut pas rendre
explicitement. Par leur esthétique particulière et par leur façon d’exprimer la vision du monde,
ils permettent mieux de saisir de manière lapidaire une information alors que le théâtre pouvait
en faire toute une pièce ou toute une série des répliques. A ce niveau, il faut donc considérer
que l’intertextualité, à notre sens, renforce la médiatété de la littérature autant qu’elle constitue
aussi une voie de sortir de la médiatété. Mais, à ce niveau, nous devons aussi noter un fait
important, dans le premier cas d’intertextualité, l’usage de proverbe vient apporter une autre
information culturelle: c’est le fait qu’il soit un langage ésotérique réservé à une catégorie de
personnes: les adultes. Dans sa discussion avec le jeune à la porte, ya Za ne pouvait pas user de
ce discours, parce qu’il doit supposer qu’il serait incompris de ce jeune. Et d’ailleurs le grand-
frère du jeune homme Maloba, qui prend l’initiative des proverbes évoque le fait en disant à ya
Za: «nge wudi nkulutu, kadi landakananga baana baleezi » (kiyombe) «toi tu es un adulte, il ne
faut pas suivre les petits enfants». Cette phrase suffit déjà pour expliquer le niveau du discours
entre les deux personnes. Tout ceci, nous l’avons déjà dit, ajoute de la littérarité à la littérature.
Nous avons le devoir de mentionner que l’intertextualité ne réside pas dans une simple
compilation des genres; mais elle traduit le retentissement social et culturel dans un texte. C’est
la manière dont le discours d’un texte travaille et produit le discours social contemporain ou
antérieur. Ce qui impose donc que la lecture d’un texte est une superposition de deux textes.
D’une part de celui du producteur et de l’autre de celui du lecteur. C’est ce que Bakhtine (1987)
appelle le dialogisme, le fait que «Tout discours comporte du déjà-dit, et le dialogisme peut être
défini comme l’ensemble des discours déjà tenus qui constituent le fond des discours actuels»
(Longhi & Sarfati, 2011:45). Bourdieu (1987:175) dans ce sens pense que pour lire
292
adéquatement une œuvre dans la singularité de sa textualité, il faut la lire consciemment dans
son intertextualité c’est-à-dire à travers le système des écarts par lesquels elle se situe dans
l’espace d’œuvres contemporaines. De la sorte Tynianov (1965:124) pense que «Toute œuvre
littéraire se construit par rapport aux textes du passé considérés comme“modèles” (modèles
imitables, récusables ou à recréer)». Seydou (2008:127) pense que «L’introduction de
l’intertextualité et de l’opération de lecture dans la “signifiance”, a en effet réveillé l’exigence
d’une prise en compte, dans l’analyse textuelle, de certains paramètres qui, en situation
d’oralité, s’imposent d’eux-mêmes, tel par exemple celui de la socialité». Ce qui signifie, que
Dans cette même logique, Todorov (1981:8) pense que le caractère le plus important de
l’énoncé, ou en tout cas le plus ignoré, est son dialogisme, c’est-à-dire sa dimension
intertextuelle. Chaque discours entre en dialogue avec les discours antérieurs tenus sur le même
objet, ainsi qu’avec les discours à venir, dont il pressent et prévient les réactions. La voix
individuelle ne peut se faire qu’en s’intégrant au chœur complexe des autres voix déjà
présentes. Cela est vrai non seulement de la littérature, mais aussi de tout discours, et Bakhtine
se trouve ainsi amené à esquisser une nouvelle interprétation de la culture: la culture est
composée des discours que retient la mémoire collective (les lieux communs et les stéréotypes
comme les paroles exceptionnelles), discours auxquels chaque sujet est obligé de se situer.
Nisin (1960:82) nous illustre cette productivité en nous faisant vivre le débat entre
Valéry et Servais Etienne sur le sens de la poésie où dans la prise de position de différents
auteurs nous lisons que le sens du texte relève aussi de la construction participante du lecteur.
D’où la productivité langagière qui confère au texte un caractère intertextuel, celui-ci vu
comme une combinaison de deux niveaux textuels. Nisin rapporte donc que
La notion d’un sens vérifiable régulateur du sens ajusté n’est d’ailleurs pas restée étrangère à Valéry;
reconnaissant à l’amateur de poésie «une très grande liberté quant aux idées, liberté analogue à celle
que l’on reconnaît à l’amateur de musique», il ajoute cette importante restriction: «quoique moins
étendue»; or toute la question est là. La liberté du lecteur vaut pour toutes les idées qui échappent au
contrôle de ce sens vérifiable qu’ignore la musique –elle ne vaut pas pour les autres. Il est donc clair
que Valéry parlait uniquement du sens total, du sens vécu par chacun, du poème. Mais quand
Servais Etienne s’élève contre le laxisme de Valéry, il ne considère à son tour d’autre sens que le
293
sens vérifiable. «Un poème, écrit-il, a un sens et il n’en a qu’un.» Des poètes ont dit le contraire: ils
fabriquent des obstacles pour que leur art les surmonte… un mot a plusieurs sens dans le
dictionnaire, mais dans un contexte donné il n’en a qu’un.»37 Valéry ajoutait évidemment à ce sens
«le complément secret du texte, qui montre la fonction du lecteur»; son «sens» était le sens d’un
objet pour qui s’en sert (en l’occurrence Alain, peuplant en philosophe les constructions de paroles
du poète).
Le propos de Nisin ci-dessus nous fait comprendre comme Barthes (1997: 814,815,817) que Le
texte est une productivité. Cela ne veut pas dire qu’il est le produit d’un travail (tel que
pouvaient l’exiger la technique de la narration et la maîtrise du style), mais le théâtre même
d’une production où se rejoignent le producteur du texte et son lecteur: le texte ‘travaille’, à
chaque moment et de quelque côté qu’on le pense; même écrit, il n’arrête pas de travailler,
d’entretenir un processus de production. «La productivité se déclenche […] le texte survient,
dès que, par exemple, le scripteur et/ou le lecteur se mettent à jouer avec le signifiant […]: le
signifiant appartient à tout le monde; c’est le texte qui, en vérité, travaille inlassablement, non
l’artiste ou le consommateur […] Le texte ne s’éprouve que dans un travail, une production: par
la signifiance». Appliquée dans le domaine de cinéma Edgar-Hunt, Marland & Rawle
(2010:71) montrent que l’intertextualité n’est pas un vol, mais le destin de toute forme
d’expression artistique. Ils montrent que chaque film naît de ce qui a existé auparavant. Cela
peut ne pas sembler très engageant, mais l’art du cinéma consiste précisément à créer quelque
chose qui semble nouveau à partir de cet héritage. Non seulement le préexistant représente-t-il
une mine d’idées avec lesquelles vous pouvez jouer à loisir, mais le genre constitue une toile
sur lequel vous pouvez déposer une touche personnelle de couleur ici et là pour accentuer un
relief et attirer l’attention du spectateur davantage sur ce coin du tableau.
Ce procédé très souvent utilisé dans le cinéma, où souvent pour besoin d’économie de
temps et de lieu, on escamote certains détails qu’on fait vivre dans l’esprit des auditeurs ou des
téléspectateurs. Ellipse, c’est-à-dire «Manque semble le mot juste pour traduire le grec
elleipsis. Ellipse, ou absence de quelque chose. Ce quelque chose, néanmoins, voulant être sous
entendu: non dit, mais à comprendre». (Durand, 1993:11). C’est une technique que nous
trouvons fréquemment utilisée dans l’échantillon que nous avons analysé. L’annonce du lieu
suffit pour faire comprendre que (dans la logique du récit) un événement s’était passé à tel
endroit. Cette annonce donne parfois des spécifications sur la caractéristique de l’endroit
37
Discours de réception à l’Académie Royale, Bruxelles 1938.
294
indiqué. C’est en quelque sorte ce dont parle Baumgardt (2001: 506) en évoquant la notion de
«nous culturel» où il démontre que le texte s’inscrivant dans l’univers culturel de la
performance, dans l’espace du «nous culturel» qui est pensé comme identique ou du moins
proche de l’espace de l’énonciation, la littérature orale a moins besoin que la littérature écrite
de développer l’effet du réel; ceci a pour conséquence que le texte de littérature orale et
notamment le conte peut, si son énonciateur le veut, réduire l’importance des indices qui
permettent d’identifier l’espace narratif: ainsi, lorsqu’un conte mentionne par exemple un
baobab, la simple dénomination suffit pour créer l’image. Il n’est pas nécessaire de décrire
l’objet pour qu’il puisse être visualisé, identifié, reconnu voire compris dans sa dimension
culturelle et symbolique par le public.
Pour illustration, la conversation suivante entre deux amies. L’une vit en Angola et
vient à Boma pour le problème des enfants laissés par sa sœur. Elle en profite pour rendre visite
à son amie d’alors. En effet, son éloignement a fait qu’elle eût été absente lors des rencontres
ayant décidé du sort des enfants laissés par sa sœur décédée. Maintenant que l’un de ces deux
enfants vient à décéder, elle s’est vue dans l’obligation de se rendre à Boma pour apporter son
poids dans la résolution de ce conflit.
Tante: ça va.
Tante: bon, mekwiza samu na problème ya bana défunte grande sœur bikaka na Boma; yau mekwizila sinon
mukwizave. Kuna pe beetoke beeto bien nge mezaba kaka; ngolwa nge kaka na kulukisa. Kaana nge lukisave
moyen nge baaka, ikele ve. (Kikongo ya leta)
Tante: baana bika défunte grande sœur ya munu, na bakala nandi bazoole bamekufwaka. Babikana bau zoole
kaka. Maintenant tellement tata na maman mekufwaka, phangi ya bakala ya grande sœur, katuka na bwala
yandimekwiza awa na Boma yandi mebengana baana. Dès que yandi mebengana bau, maintenant mambu yango
bamekwiza funda yau na niveau ya Matadi. Na Matadi mambu yango moyen ya simba ikeleve. yau yina
mumekwiza munu mosi en personne tellement me kwendaka, yau yina mekwiza comme ça beeto tala bamambu
yango parce que baana ngo bakenamonana diakave, nikuzaba niplace bakwendaka. (Kikongo ya leta)
295
Traduction:
La tante: ça va.
La tante: bon, je suis venue pour le problème des enfants laissés par la défunte grande sœur à Boma; c’est à cause
de ça que je suis venue; sinon je ne serais pas venue. Là aussi, nous sommes bien; comme tu le sais, il faut savoir
chercher (se débrouiller). Si tu ne cherches pas, tu ne trouveras pas.
L’amie: les enfants de la grande sœur en question, qu’est-ce qu’ils ont fait?
La tante: les enfants laissés par ma défunte grande sœur et son mari, les deux sont déjà décédés. Ils sont restés
seulement à deux. Maintenant, comme le papa et la maman sont déjà décédés, le petit-frère du mari de la grande
sœur qui venait du village; c’est lui qui est venu ici à Boma et a chassé les enfants. Comme il les a chassés,
maintenant on a porté l’affaire à la justice au niveau de Matadi. A Matadi cette affaire n’a pas marché. C’est
pourquoi je suis venue moi-même en personne, tellement que j’ai quitté il ya longtemps; c’est pourquoi, je suis
venue pour que nous traitions de cette affaire car les enfants en question ne se voient plus, on ne sait pas où ils sont
partis.
Dans l’intervention de la tante, elle fait allusion à Matadi et l’Angola. Cette allusion
laisse comprendre que dans la logique du récit, il y a des événements non représentés mais dont
l’absence est présente. Ainsi l’on comprend qu’il y a des scènes qui se sont passées à Matadi: la
comparution devant les juges, par exemple, ensuite elle évoque l’Angola dont l’absence est tout
aussi présente par rapport à la logique du récit: notamment la réception de la nouvelle par
téléphone ou par un envoyé, qui la fait venir à Boma; ensuite par son discours, elle dévoile la
vie que la plupart qui va en Angola mène: la débrouille. Même si ses scènes ne sont pas
représentées, leur idée est présente dans l’idée des spectateurs qui comprennent à partir des
simples dires la réalité telle qu’elle s’était déroulée dans les endroits cités.
La suppression de certaines séquences du récit fait participer le spectateur à l’esprit de
la conception. Car, ils sont amenés à combler le vide en reconstituant l’unité ou les unités
manquantes. De cette manière, comme le dit Durand (1993:19, 29)
Montrer sans montrer […] l’ellipse permet de voyager dans le temps narratif, à quel bon compte elle
peut rapprocher deux époques, deux instants, deux gestes, deux visages, deux répliques, etc. Notons
que de tels bonds ne se pratiquent pas seulement dans le sens du temps qui passe (de maintenant vers
plus tard), mais tout aussi bien à contre-courant: d’aujourd’hui vers hier, vers autrefois.
296
5.3.4. La pause
Dans le domaine kongo, la prise de parole dans des situations solennelles est
accompagnée de plusieurs précautions: la clarté, la compréhension, l’exactitude, mais aussi
l’embellissement. La pause est parmi les procédés dans le style qui expliquent ces précautions.
Dans la pause, selon Mbanga (1996:125), l’énoncé s’interrompt et reprend sur un ton tout à fait
différent: grave, affaibli ou exclamatif. Les dialogues sont les formes les plus expressives dans
la mesure où grâce à l’échange, chaque personnage tente d’exprimer ses émotions et d’étaler
ses humeurs en fonction des paroles d’un autre personnage. La pause a une valeur rhétorique
très certaine que nous pouvons relever dans les situations ci-après:
a) Elle annonce l’importance de l’information qui sera donnée et appelle donc l’attention
de l’auditoire.
Texte 20 tiré de la pièce Enfants de la rue. Cet extrait est une prise de parole au cours
de la palabre qui réunit deux familles qui doivent décider du sort des enfants dont les
parents sont décédés respectivement fils et fille de deux familles réunies. Il en est de
même du texte 20 tiré de la même pièce où ya Za cherche à récupérer son neveu auprès
de la famille qui a hébergé ce dernier lorsqu’il les avait chassés de la maison.
Texte 20
Nsamu twidi yeno vava, luzebi ti ndyetu me fwa. Alors, bwa diambu luekansia, Babana (pause) bakabikidi (pause)
Kudi na tukubabikila (kiyombe)
Traduction
Le problème que nous avons ici, vous savez que notre frère est décédé. Alors, ce que nous allons faire; les enfants
(pause) qu’il a laissés (pause), auprès de qui les laissons-nous?
Texte 21
Bamakhamba minu ndiza laanda nya Mukuwa,(pause) nya Mukuwa (pause) minu nya ndizi landi, minu ndi
kubonga nya Mukuwa ndi nata kunadikanda(pause) tubaka busoludila misamu mioso, (pause); tubonga tshula
kioso kibika nya siandi tuvutula mu mioko miandi. Minu tangu yivutuka kubwaala yifweni. Mambu mana kwa
ndizidi kooko. Beeno kadi kukhangileno ntima.
Traduction
Ils m’ont dit de venir le chercher Mukuwa (pause) lui Mukuwa (pause), c’est lui que je viens chercher, dès que je
297
l’aurais pris, je l’emmènerais en famille (pause) pour que nous ayons le moyen d’arranger tous les problèmes
(pause), que nous prenions tout l’avoir de son père (pause), que nous le remettions entre ses mains. Pour moi, il
est temps que je rentre au village. C’est pour cela que je suis venu ici. Quant à vous, ne m’endurcissez pas votre
cœur (ne me compliquez pas la tâche).
Ici le locuteur veut plus attirer l’attention de l’assemblée sur les enfants laissés par les défunts
et sur leur responsabilité. Ainsi, voudrait-il que ce message soit entendu par tous, dans ces plus
petits détails. L’intonation et la diction donnent une valeur rhétorique qui plaît à l’oreille mais
aussi qui laisse imprégner le message. Notons cependant qu’il n’y a pas une norme pour
spécifier l’endroit où il faut placer la pause. Le locuteur fait intervenir la pause à côté de
l’information qui constitue le socle de son message.
b) Elle crée un effet de surprise: toute information, quelle qu’elle soit, a toujours un effet
de surprise dès lors que son contenu reste dans le secret de celui qui l’émet. Dans ce
sens, la personne qui a la parole, le sachant, peut prendre un temps à livrer l’information
de manière à susciter l’envie aux autres qui ont hâte de posséder l’information. C’est le
cas dans cet extrait tiré de la pièce Et après qui représente la scène de la maman qui
vient annoncer à son fils ainé le cas de la folie de son frère cadet. En effet dans cet
extrait, la maman de ya Za qui était restée au village a vécu les manifestations de la
folie de son fils juste après que ce dernier eût salué son père qui revenait de la forêt.
Elle accourt prévenir son fils qui était loin de la maison auprès de ses amis :
- Ya Za: bweévi?
- Ya Za: demba ku ntu? A mama bika kutudisa phila demba.Nya philosophe demba ku ntu?(Kiyombe).
Traduction
- Ya Za : quoi?
298
- Maman: car philosophe a attrapé la folie, viens voir comment il est devenu.
-Ya Za: la folie dans la tête? Ah maman, ne me dis pas cette sorte de folie. Le philosophe a la folie dans sa
tête?
Cet effet de surprise peut être rendu par la musique, car, selon Baumgardt (2002:23), «le
flux narratif continu du texte oral est interrompu par des pauses instrumentales qui créent des
silences: laisser un public le temps de s’imprégner du texte, souligner l’importance d’un
événement qui vient d’être dit, ou encore créer du suspense en aiguisant l’attente de la suite».
c) Elle permet de choisir les mots justes: en effet, le choix de mots justes, surtout dans le
cadre de circonstances coutumières, traduit un effet esthétique et cognitif qui caractérise
le style oral. Ainsi, et l’orateur et toute l’assemblée se livrent à un effort cognitif de
recherche du mot juste et voulu dans le contexte d’énonciation du discours. C’est
pourquoi d’ailleurs, l’assemblée peut contredire l’orateur dès lors qu’elle se rend
compte que le mot employé par ce dernier n’est pas celui qui doit l’être dans tel
contexte. Très en usage dans le cas de discours inachevé, un genre très utilisé dans la
littérature orale.
d) Elle permet d’insister sur un fait, sur une information: dans ces conditions, l’exemple
illustré au point a) de cette section s’applique également dans le cas d’insistance; nous
illustrons par un autre extrait qui a la même valeur que l’extrait illustré au a):
Texte 23 tiré de Seul Christ nous suffit. Dans cet extrait, un jeune homme du village
vient voir le Chef du village pour s’informer sur le sort des gens qui ne sont pas rentrés
depuis qu’ils sont allés dans le village des adeptes de dieux des ancêtres.
Le discours sous-entendu n’est toujours pas perceptible par tous. Il est souvent illustré
par deux personnes qui, en situation d’échange partagent certaines connaissances idéologiques
qui leur permettent de déduire la vérité cachée dans l’expression non exprimée mais insinuée
par son interlocuteur. Le discours théâtral est fait des insinuations, des sous-entendus, des
présupposés. Dans le cas de notre analyse, nous assistons à des échanges où les personnages ne
disent pas ce qu’ils veulent exprimer, mais les insinuent à travers d’autres mots. La
compréhension de ce message appelle donc un code culturel.
C’est ce qu’illustrent des extraits suivants: texte 24 tiré de Et après, textes 25, 26 tirés
de Christ seul nous suffit, le texte 27 tiré de la pièce Ezui ezui et le texte 28 tiré de Enfants de la
rue auquel nous avons déjà fait allusion en expliquant l’intertextualité. Dans l’extrait 24, nous
sommes en phase de la mise en scène de la tante de ya Za qui débarque abruptement chez son
neveu pour lui faire des remontrances au sujet de sa décision de prendre une autre femme à la
place de celle que lui a proposée la famille. L’extrait 25 met en scène le mea culpa d’un jeune
homme qui vient de tuer lors d’une bataille un autre jeune (pourtant opposé à leur religion). Il
présente son mea culpa aux ancêtres. L’extrait 26 met en scène un jeune du village qui vient
voir le Chef du village pour le problème qui sévit dans la communauté; dans ces entrefaites, il
parla de sa journée passée dans la forêt. L’extrait 27 met en scène la réunion de la famille qui se
prépare à envoyer leur enfant ya Za en ville pour y apprendre du métier. Au cours de cette
réunion, chaque membre donne son point de vue et un conseil à l’enfant qui doit partir. Un des
membres fait recours au sous-entendu dans son discours. Enfin l’extrait 28 que nous avons déjà
évoqué dans d’autres circonstances, met en scène ya Za qui vient chercher son neveu chez les
personnes qui ont pris soin de ce dernier. Il rencontre à la porte la résistance de Maloba qui lui
pose tout un tas de question. Nous reprenons cet extrait ici pour illustrer un autre aspect de
sous-entendu qu’il comporte.
Tante: tala! Wukadi wa mukento wa! Ti mengi fwa bika nketo wa; minu ndi komba siaku. (kiyombe)
Traduction: regarde! Tu ne veux pas écouter avec cette femme! Si tu ne veux pas mourir, abandonne cette
femme. Moi je suis la sœur de ton père.
En insistant dans son intervention sur «moi, je suis la sœur de ton père». Elle veut rappeler
à son neveu [ce que ce dernier est censé connaître] que
300
- En dernier essor, c’est un droit de veto face auquel, le neveu devait se plier.
Traduction: que les ancêtres me pardonnent, car, c’est à cause de la douleur que je l’ai tué.
- que c’est un acte involontaire qu’il a commis et mérite une circonstance atténuante.
Traduction: j’étais dans la forêt, j’ai vu un gros serpent. Je lui ai coupé la tête.
Cette conversation peut paraître comme un quiproquo. Il n’y a aucun rapport entre le discours
de A (j’ai vu un gros serpent au champ que j’ai tué) et la réaction de B (les soleils sont très
coriaces ces derniers temps). Le discours est interprété culturellement.
En disant que le soleil est très coriace ce denier temps, B veut insinuer:
- Une expérience culturelle qui fait que pendant les moments très chauds, les serpents
sortent de leur tanière pour se chauffer au soleil. Ils se mettent ainsi à découvert. Les
villageois sont donc très habitués à ce spectacle qui est régulier au moment de fortes
chaleurs.
301
Ah semeki, problème yoyo yi Za, depuis thama yitona. Bika mwaana bakala bukadi vovo, kafweti tambula,
kafweti dyata mwingi kabaka luzingu. Yandi baka luzingu, buna beeto mamveeto mpe kabéki mukutusadisila.
Mukwevwandanga kubwaala, luzingu lubwala lwidi phasi na phasi. Bika! Zibuleeno mintimamwaana kakenda.
Nzambi kansakumuna.
Traduction
Ah, beau-frère, ce problème de Za a commencé depuis longtemps. Regarde, un garçon doit marcher (s’ouvrir), il
doit marcher pour chercher la vie. S’il réussit à trouver la vie; nous aussi, il saura comment nous secourir. Rester
au village, avec cette vie du village qui est si difficile… Laissez!Ouvrez-le cœur, que l’enfant parte! Que Dieu le
bénisse.
Cet extrait tiré de la pièce Ezui ezui résulte d’une réunion où la famille décide d’envoyer leur
fils à Boma pour y apprendre du métier. Au cours de cette réunion la tante maternelle (grande
sœur à la maman de ya Za) prenait la parole.
Dans le discours de la tante, il y a une notion sous entendue, c’est la sorcellerie. En
disant ouvrons nos cœurs, elle fait une demande implicite aux gens de mauvais cœurs, aux
sorciers de pouvoir laisser à l’enfant la liberté de voyager afin que rien de mal ne lui arrive.
Nous allons y revenir au chapitre suivant où l’on nous montre que le sorcier a deux cœurs. La
journée, il peut être très bien, alors que la nuit, il est nuisible.
Maloba: nge banzidi ti minu ndi wangako kiyombi; weka kukholukila kiyombe (kiyombe)
Ya Za: kadi diambu. Vasi kwandiko kadi diambu, vayi minu ndisi tuba kwami kadi diambu di bubiko. (kiyombe)
Traduction:
Maloba: tu penses que moi je n’entends pas le kiyombe; tu te mets à me parler en kiyombe.
Ya Za: pas de problème. Il n’y a aucun problème, mais moi je n’ai pas dit quelque chose de mauvais.
En disant «tu penses que moi je n’entends pas le kiyombe (…) moi aussi je suis Muyombe.
L’acteur-personnage Maloba veut insinuer que:
Maloba veut insinuer aussi, si nous poussons loin l’imagination en creusant l’ombre de son
discours, à l’intention de son interlocuteur que:
- Tu dois savoir qu’ici (dans cette ville), les gens comprennent facilement le kiyombe et
donc
- Ne pense pas parler du mal ou d’un secret devant les gens en kiyombe, car
- Tu seras surpris d’être interpellé.
Ce qui met en exergue les propos de De Grauwe (2009:1) qui écrit: «A Boma se parle surtout le
munukutuba ou kikongo ya leta, influencé par le yoόmbe. Lors de notre dernier séjour en 1988,
nous avons constaté que bien des habitants de Boma n’hésitèrent pas à nous parler en yoόmbe».
Nous pouvons aussi le remarquer dans le Texte 29 tiré de la pièce Colis ya Patron. Cet
extrait met en scène un patron qui vient d’engager un domestique à qui il donne quelques
consignes sur le fonctionnement de sa maison:
Domestique: kadi teba minkandi, kadi dya bikedi, kadi dya mayaka!
Patron Za: vasi ko mawu (vava kwisi ko mawu). Yiza (il traine son domestique jusqu'au dehors en lui montrant
toute sa parcelle et lui dit) wumona luphangu lua lwami. Mi muluphangu lwami lwalu, kadi kukotisa kadi mutu.
Phuku, kakota, nkawu, kakota, ngwadi yikota tsikadi, tsikota, mona mwana kento wukota muluphangu lwama…
Domestique: nana
Traduction:
Domestique: ne pas piler les amendes de noix de palmier, ne pas manger les cosettes de manioc, ne pas manger
les maniocs.
303
Patron Za: Ici, il n’y en a pas ça. Viens! Tu vois ma parcelle-ci! Dans ma parelle-ci, il ne faut pas faire entrer
quelqu’un. La souris peux entrer, nkawu peux entrer, ngwadi peut entrer; si tu vois une fille, qu’elle entre dans ma
parcelle…
Domestique: non!
Nous revenons sur la discussion entre Maloba et ya Za dont nous amputons un extrait
pour illustrer un comportement humoristique:
Ya Za: (devant la porte face à Maloba): bon moi, on m’appelle ya Za. Je suis professeur ku bwala. J’ai donné
cours à Nlemba deux ans. Je suis responsable yibisalu bibio bibikidi grand-frère ami wuyizifwa. Alors bwabu
minu mi yisiala responsable mubisalu biandi bio bikabikidi, zimagasins, matoma. (Kiyombe).
Maloba : mon cher oza clair te, puis oza sérieux te. Oye awa okomi ko se vanter je suis le responsable, je suis
professeur, munu nde mutu responsable ya bima bikaka grand-frère, est-ce que cela a à avoir avec moi? Etali ngayi
te. (Lingala)
304
Traduction
Ya Za: bon moi on m’appelle ya Za. Je suis Professeur au village. J’ai donné cours à Nlemba (pendant) deux ans).
Je suis responsable de toutes les affaires laissées par mon grand-frère qui est décédé: des magasins, des voitures…
Maloba: mon cher, tu n’es pas clair et puis tu n’es pas sérieux. Tu viens ici, tu commences à te vanter: je suis le
responsable, je suis professeur, c’est moi le responsable des biens laissés par feu mon grand-frère, qu’est-ce que
cela a à avoir avec moi? Ça ne me concerne pas.
Texte 31
Liziba: ehen. Mbo muzona tubila nge kwandi. teka ten. teka nge ofele, kupia nge ve mbongwe hen!
Moyen ve ya mefuluka.
Donc muzona tubila nge mambu mosi plina mais muna sentir tsooooni (pause) na kutuba!
Liziba: a rien, donc awa muke muke sala na Cilu telecom, ya Babi grand prêtre. Muntwa ntete me
nata moto ya quatre pneu na Boma. Muke sala kuna, maintenant yandi ke futa mu na mois vingt
mille. Bon muke na soixante mille na inzo, mbo yake déjà na inzo muke tula na itsya pfulu, muna
zaba ve ni muke sadila ya, maintenant ya muzona tubila nge, beto sala beto kitata na mama.
Getou: ni nge metuba beto vwa beto na nge! Nge ke playi ni façon mukezodila nge bombese mu
mukwenda mu.
Liziba: mu awa muke, phila mutu kwaaandi. Batu ketubila munu muke vwanda beau gare. Kana
muke natambula, matama munnu kedendaka. Tolingana Na biso ko.
Getou: chérie
Traduction
Liziba: ehen! Bon, je voulais te dire… puise d’abord. Je voulais seulement te dire. Puise d’abord.
Tu puises de l’eau gratuitement, ne donne pas l’argent, n’est-ce pas! N’est-ce pas, c’est rempli (ta
marmite). En fait je voulais te dire quelque chose, mais j’ai honte.
Liziba: non, tu me vois ici, je travaille chez Cilu telecom. Maintenant, il me paie vingt mille le
mois. Bon j’ai soixante mille à la maison, c’est déjà à la maison, je mets ça sous le lit; je ne sais pas
ce que je ferai avec ça. Maintenant, je voulais te dire que nous fassions le jeu de papa et maman.
Getou: qu’est-ce que tu veux dire! Que j’accepte de vivre avec toi! Toi qui a une forme bizarre,
comment je vais faire pour t’aimer. Aide-moi à soulever ma marmite que je m’en aille.
Liziba: tu sais moi c’est ma façon. Les gens me disent que je suis un beau garçon. Quand je marche,
mes joues bouge. Aimons-nous, seulement!
Getou: ça va, j’ai entendu tout ce que tu as dit chérie. Fais-moi soulever, chérie.
Liziba: ehen, ehen, ehen! Que je te fasse soulever? Comment tu m’as appelé?
Getou: chéri.
Ou encore dans cet extrait tiré da la pièce Et après où l’acteur personnage ya Za est reçu chez
le grand-frère de son ami et qui s’assoit sur le fauteuil avec son bidon sur la tête.
Ya Za: nzye ndi tala mwingi ndi kulula kyo bidon beeni.
Traduction
Ya Za: c’est toi que je regarde pour que je le pose par terre (tu ne m’as pas donné la permission de la poser par
terre.
Les éléments relevés dans cette analyse nous permettent de comprendre que l’art
théâtral est une rhétorique spécifique. La simplicité du discours peut trahir l’analyse. Un grand
306
effort sémiotique de déconstruction du signe est nécessaire pour une analyse efficace; encore
que le théâtre est un multilangage; le dédoublement des signes sollicite un regard très raffiné.
C’est qui nous rapproche de la considération que les images-signes ne peuvent être comprise
que dans leur ambiguïté. A ce propos, Agel Henri & Geneviève (1957:22) notent: «A l’écran, la
signification de l’image n’est pas épuisée par ce qu’elle représente: elle est “multivalente”,
ambiguë, et à la limite, pourrait se définir par cette ambiguïté même. On ne doit donc pas
réduire une suite d’images à une équation précise à un symbolisme rigoureux et déterminé».
L’on peut se poser la question de la valeur de la rhétorique autour de laquelle s’organise
le récit. En effet, les effets voulus et proposés par l’auteur ont quelle fin? Seulement de
satisfaire l’oreille, la vue? Nous pensons que la rhétorique a une valeur significative qui,
comme nous l’avons dit au début de ce chapitre, relève de l’essence même de l’œuvre littéraire.
C’est une évidence, l’artiste (dramaturge, metteur en scène, musicien,…) a pour matière
première le langage de son groupe social. Mais son génie se reconnaît et se démarque, à ce que,
de l’utilisation de cette langue commune, il parvient à tirer un effet esthétique et à créer dans la
tête de ses admirateurs une représentation dans laquelle ceux-ci se mirent sous l’effet de
l’esthétique qui les emporte. Ainsi un musicien qui communique ses états d’âme par
l’agencement original d’une gamme de sons, un écrivain qui joue avec les mots pour créer un
effet de réalité dans la fiction que transportent ses mots. Ce qui explique bien les propos de
Leroy (1966:190) qui souligne que l’écrivain utilise la langue commune (cette condition est
indispensable, car le poète qui ne serait compris que de lui seul n’est pas, du point de vue de sa
production artistique, un être social), mais il en discerne mieux que d’autres les ressources: il
réussit à créer des combinaisons phoniques, morphologiques, sémantiques qui exercent sur
l’auditeur (ou le lecteur) une impression esthétique et éveillent dans son esprit la représentation
voulue. Il précise dans ce sens qu’il y a une restriction à faire: la réceptivité de l’œuvre littéraire
est plus ou moins grande selon le degré de compréhension et le niveau de sentiment esthétique
qu’elle exige, car la communion d’un groupe d’individus dans un même sentiment de la beauté
réclame de ceux-ci une connaissance plus ou moins approfondie des moyens d’atteindre à la
beauté.
C’est pourquoi, nous pensons comprendre que c’est derrière l’opacité qui la caractérise
que réside sa singularité. Méchoulan, 2004:19 pense que c’est même à partir de là que l’on
pourrait concevoir certains effets et certains enjeux de l’écriture littéraire: une façon de faire
habiter des mondes des paroles et des idées. Si avec l’autonomie de la littérature s’est glissée
l’opinion que la narration et l’argumentation, univers de l’écriture et connaissance du monde
relevaient des territoires étrangers, une approche topique permet de reconnaître que la
307
littérature est savoir du monde et qu’une idée n’est jamais qu’un scénario, une intrigue tenue
dans sa contraction maximale. «La nature du topos tient à son indication –autrement dit – il
nécessite l’horizon d’un public pour lequel, dans certaines conditions, il existe des textes, en
effet, “littérarisables”».
Ainsi, dans le même sens que Méchoulan, Zumthor (1972:23) considère que «Le texte
poétique en déployant son discours et quelqu’en soit le contenu intentionnel, s’ordonne par
rapport à une vision du monde, rencontre une logique profonde et comme une univocité de
comportement propre à cette culture ou à un tel moment de l’histoire». Ce qui permet de dire
comme Makouta (2004:265) que « Ceci est particulièrement vrai, s’agissant des arts qui se
servent du langage, c’est-à-dire, des mots. Le mot, quand bien même il ne se révèlerait que sous
la forme d’un beau son, a toujours un sens. Y’ a-t-il seulement un moyen d’empêcher un mot
d’avoir un sens, d’apporter avec lui une idée et de les répandre?» En effet, «Dans tout art qui se
sert du mot, l’humanité entre, l’âme humaine, l’esprit humain et la conscience humaine, et avec
tout cela nécessairement, l’artiste doit compter». (Faguet, 1904:218). C’est pourquoi
Quand on examine le rapport du langage à l’œuvre, la première illusion dont il convient de se garder
est cette illusion d’immanence: les mots ne sont que des moyens et ce n’est pas en eux que réside
l’art, mais dansl’acte qui les a assemblés pour que notre lecture, sur ses traces, les rassemble à son
tour. Encore qu’elle puisse exister sans eux pas plus que le monument sans les pierres, l’œuvre se
distingue des matériaux qu’elle emploie comme la capture se distingue du piège. Au niveau du
langage, il s’agit donc moins de se demander ce qui, en lui, la rend possible […] la visée de la
littérature n’est pas d’abord une communication à quoi le langage ne servirait que de véhicule orné.
Encore que tout langage véhicule une notion et reflète de quelque façon son auteur, l’œuvre ne nous
renvoie pas d’abord à cet auteur ni seulement à un contenu. Elle se définit d’abord par une structure.
Objet spirituel construit avec les matériaux du langage, elle est, comme tout objet, susceptible d’un
emploi. (Nisin, 1960: 60, 80).
Conclusion
Si nous avons compris dans le chapitre 4 comment le metteur en scène construisait son
monde à partir du code-switching comme signe théâtral, l’analyse à ce niveau nous a bien
montré que «Le vrai de la scène ne consiste pas à montrer, les choses selon Diderot, “comme
elles sont en nature”. L’acteur ne reproduit jamais une réalité brute». (Hubert, 2008:171). La
littérature est une surdétermination du réel. Derrière les mots ou les images se cachent une
vérité non exprimée, mais que font sentir les mots qui la suggèrent. Cette suggestion est rendue
possible par une rhétorique qui traduit les fondements d'une science littéraire. «La rhétorique
308
n’est pas la négation de la signification mais sa construction par une médiation qui sait sa
limite». (Bessière, 2001:12). Derrière les banalités des mots réside la sacralité de la notion
véhiculée; derrière la grossièreté d'un geste réside l'intelligence de la mise en scène. C’est
pourquoi il faut considérer comme le dit Ramadhani, 1972:7 que la littérature est une étude de
l’homme: elle fait la lumière sur la vie humaine. Voilà pourquoi certains l’appellent le miroir
de la vie. Un miroir que l’homme peut utiliser pour se regarder évoluer dans sa vie quotidienne
et peut être s’améliorer. La littérature n’est pas simplement un ornement de la langue, c’est un
outil important utilisé par un homme pour parler à un autre homme.
Tous les faits de discours relevés ci-haut peuvent paraître inutiles, mais leur haut degré
cognitif nous permet d'appréhender la réalité au delà des mots. L’encodage autour du
monologue, discours sous-entendu, humour, ou de l’intertextualité traduit la caractéristique de
la littérature à figurer les faits en vue de solliciter la capacité interprétative du lecteur ou du
spectateur. Car, nous pouvons dire avec Perelli-contos (1997:43) que même dans le cas où les
messages des créateurs sont transmis de façon plutôt claire, nous ne pouvons nous empêcher
d’interpréter, en trahissant nécessairement ces messages. Mais C’est en raison de cette
«trahison» que nous sommes aussi des créateurs, car nous substituons, le plus souvent
inconsciemment, notre propre représentation mentale à la représentation scénique.
En codant ces faits de discours comme signe théâtral, nous avons pu comprendre que le
metteur en scène croise les codes de manière à créer une unité sémantique dans l’interprétation
et la compréhension du message. Ainsi l’encodage au niveau du code-swhitching et des faits
des discours nous conduisent de manière transversale à la construction d’un monde binaire où
les oppositions projetées entre jeunes et vieux cachent bien le code du vouloir vivre ensemble,
harmonieux que veut inculquer le metteur en scène. Ici, nous pensons reconnaître
l'omnipotence de la littérature qui, selon Bessière (1999: 71,73), suggère la double
caractérisation du signe: celui-ci fonctionne par-delà la fin du sujet, et dans un dehors itérable,
constant par ses actualisations. Il démontre dans cette omnipotence qu’il n'est de pertinence du
signe que spécifique à tel moment, en tel lieu. L’exercice de la pertinence est ponctuel et
contingent. Il n'est paradoxalement de pertinence que selon la reconnaissance d'un non-sens: il
y a, par définition, une limite des capacités interprétatives, liée à la multiplicité des réseaux qui
sont le support et l'objet de l'interprétation; noter un défaut de sens, revient à noter que le degré
de pertinence prêté à la littérature, à l'écriture, peut être d'une ampleur telle qu'il y ait parasitage
des réseaux de signification. La construction explicite de l'œuvre suivant un tel savoir du lieu
commun, suivant un tel savoir du paradoxe de la pertinence fait de l'œuvre non pas ce qui
expose sa propre impossibilité mais la banalité et l'impropriété: ce lieu commun, s'il doit être un
309
jeu dialectique par lequel il expose ses conditions, fait du langage commun une manière
d'impossible et une manière de singularité commune. Le texte littéraire ne peut sans doute
valider sa métaprésentation; il peut cependant placer cette métaprésentation dans le paradoxe de
la pertinence, en se tenant aux jeux du langage quotidien.
Les faits des discours sont un des aspects de l’analyse théâtral. Nous avons analysé ce
chapitre, en tenant compte de la manière dont les différents acteurs-personnages jouent sur
certains aspects culturels relatifs au maniement de la parole dans la société kongo. Ainsi, nous
pouvons soutenir que les mots, du moins dans le domaine de la littérature, sont des barricades
au-delà desquels il faut toujours chercher le vrai sens exprimé. Il faut donc franchir ces
barricades pour savoir ce qu’il cache. Robic-Diaz (2013:12) le pose dans l’introduction de
l’ouvrage Au-delà des images où il explique l’ambiguïté des discours des arts qui constitue
l’objet commun de tous les auteurs de cet ouvrage collectif. Il montre donc que leur intention
était alors d’engager un décryptage du réel tel qu’il nous est restitué par les médias d’arts
(cinéma, photographie) et d’information (presse, télévision). Ainsi l’ambition de leur ouvrage
s’inscrit dans cette logique: aider le récepteur de produits culturels à prendre conscience de
l’ambiguïté d’un discours qui prétendrait traiter d’une réalité parallèle. Car, il démontre que
Toute représentation qui donne à voir, à lire, ou à entendre quelque chose qui enfreint la réalité
traditionnelle, ouvrirait donc des perspectives de décryptage habituellement verrouillés par un
rationalisme étroit. Les réalités parallèles gardent les facultés des mondes imaginaires enfantins,
elles permettent, en débridant le discours, d’ouvrir un accès au sens caché des événements. En
d’autres termes, c’est au-delà du sujet que se situe le champ de son analyse, ce qui est doit être
compris excède largement ce qui est explicitement donné à comprendre. L’Au-delà peut dès lors se
concevoir comme une manière de délocaliser un discours supposé dérangeant voire subversif afin de
libérer tant son énonciateur que son récepteur. Ces ailleurs sont un refuge, un espace protégé par le
fait même que leur intérêt échappe à un sens immédiat.
Ryngaert (1996:29) montre d’ailleurs que «Tout texte de théâtre contient des marques
spatiales […] qui ne sont pas à prendre en compte à un premier niveau d’analyse». C’est le
travail qui sera fait dans le chapitre suivant où nous allons essayer de décortiquer les mots en
les questionnant au dedans en vue de tirer la pertinence du sens qu’ils portent: le vrai, selon leur
contexte d’usage. Et de ce fait si le recours à la sémiotique est autorisé en vue de déconstruire
le différent signe; une lecture herméneutique nous permet encore mieux de démonter les
différents symboles dont sont porteurs les différents signes qui placés dans leur contexte
d’usage ne manqueront pas de faire appel à la pragmatique. En effet, comme le souligne
Fontanille (2013:18) «Il y a une manière d’aborder la question, et qui est celle des niveaux de
310
pertinence sémiotique (ou plans d’immanence), la pratique spectaculaire trouvera une place par
différence avec les autres niveaux». Et Boussiac (2013:61) montre enfin que «La sélection des
codes culturels (costume, gestes, musique, chorégraphie) […] est de nature purement
sémiotique».Cela met en exergue le point de vue déjà soutenu par Elam (1988:32) qui écrivait
Theatrical signification is not reductible to a set of one –to –one relationship between single sign –
vehicles and their andividual meanings. If it were possible to break down the performance texte into
atomic units of meaning; the task of analusing theatrical semiosis would be elementary, but by the
same token the performance itself would scarcely more than a parade of items to which the audience
has merely to assign fixed values. The production of meaning on stage is too rich and fluid to be
accounted for in terms of discrete objects and their representation roles.
311
Chapitre 6
Introduction
Le théâtre est complexe et polysémique. Il réside dans la polysémie des signes qui le
constituent. C’est pourquoi Eco (1975:35) considère que l’élément primaire d’une
représentation théâtrale (au delà de la collaboration des autres signes, tels que signes verbaux,
scénographiques, musicaux) est fourni par un corps humain qui se meut. Un corps humain qui
se meut se présente comme une chose vraie, éventuellement comme l’objet de signes possibles
(objet photographiable, définissable verbalement, désignable…). Il précise en cela que
l’élément purement «sémiologique» du théâtre consiste dans le fait que ce corps humain n’est
plus une chose parmi les choses, parce que quelqu’un le montre, en le détachant du contexte
des événements réels, et le constitue comme signe, constituant en même temps signifiant les
mouvements dans lequel ces mouvements s’inscrivent.
Dans cette optique, comme le reconnaît Helbo (1983:8), dans l’analyse du théâtre le
modèle se veut de décloisonnement et convie tout à la fois les théories du langage, le regard de
la psychanalyse, l’expérience du praticien. L’analyse doit s’investir à l’intérieur de concepts-clé
(sujet, parole, société) un réseau de rapports et d’échange; exigence obligée d’une espèce de
check-up intellectuel préalable au sens, à la censure, au plaisir; cérémonie multiple et
dialectique qui est aussi celle du théâtre.
L’analyse du théâtre dépend, en plus, de l’interprétation sémantique qu’en fait chaque
société. Nous voulons dire, et nous l’avons même dit précédemment, que chaque société définit
et vit son théâtre conformément à son code sémantique, esthétique et spectaculaire. C’est
pourquoi, il y a un rapport de cause à effet entre les différents signes et leurs significations
concrètes. Leur interprétation devant dépendre du code théâtral reconnu par la société qui le
consomme. Nous y avons fait mention dans le chapitre précédent en nous référant à Helbo
(2007) et à Ryngaert (1996).
A propos, l’Occident, l’Orient ou l’Afrique n’interpréteront jamais un théâtre de la
même manière ; les schèmes cognitifs liés à la représentation, à l’incarnation des personnages,
au discours et à l’espace n’étant pas les mêmes. Déjà au niveau de la langue, les codes
intonatifs et rythmiques, les codes non verbaux [gestuels, mimiques, posturaux…]; les codes
conversationnels et narratifs [la façon de mener une conversation, d’interagir avec
l’interlocuteur, de construire un récit, d’argumenter…]; les codes rituels ne se posent pas de la
même manière. Tous ces codes varient d’une culture à l’autre et posent donc, au même titre que
la langue, des problèmes de traduction et d’interprétation qui, non pris en compte peuvent être
la source de malentendus ou d’intercompréhensions ou encore d’incommunicabilité. Ainsi
313
voudrions-nous voir, dans le contexte du théâtre moderne kongo, comment l’espace concourt à
la construction du sens et donc influence le discours et la psychologie du personnage agissant
sur scène entraînant ainsi à composer avec l’acteur un couple indispensable dans la définition
du théâtre.
Comme nous l’avons indiqué dans le chapitre quatre au sujet de la langue, nous le
notons aussi au niveau de l’espace. En effet, autant que la langue, l’imaginaire de l’Africain a
été conditionné dans bien des cas par l’occupation coloniale, notamment la notion de l’espace.
Des nouvelles notions de l’espace entrainèrent une réorganisation cognitive en cette matière.
En effet, comme le souligne Dulucq & Soubias (2004:5), les multiples sociétés africaines ont
saturé d’imaginaire leur environnement. Les projections des uns et des autres se sont
rencontrées en s’hybridant ou en se télescopant, parfois au prix du malentendu. Eco (1975:40)
montre qu’ «Aucune modification, si minime soit-elle, de la distance spatiale entre deux
individus, qui n’ait une signification différentielle». Cela parce que «Le lieu exprime une
spécificité nationale, et reflète une vision du monde». (Halasā 1984; Hallaq 2002:11). Kane
(2004:193) montre que L’espace et ses représentations constituent un enjeu important dans le
cinéma africain. Il n’est pas un simple décor dans lequel évoluent les personnages. Il apparaît
au contraire comme le personnage principal dont le discours, pour être implicite n’en est pas
moins prégnant. Les représentations de l’espace constituent autant des tentatives de
«réinvestissements». L’introduction des notions urbaines [avec toutes les nouveautés qu’elles
ont emmenées] a changé les habitudes et a introduit une nouvelle façon de voir les espaces.
Nous assistons à une binarisation de l’espace (dont nous allons parler dans la suite). Abomo-
Maurin (2002:136) fait le constat en étudiant l’Epopée bulu du Sud- Cameroun «Ayono ala»,
parce qu’elle écrit: «Si l’on remarque dans «Ayono ala» de nombreuses occurrences concernant
le ‘nlàm/dzál [village], progressivement rentrent dans l’épopée des localités nouvelles, c’est-à-
dire des villes, unités spatiales qui relèvent fondamentalement de la création coloniale». Ibongo
(2009:30) abonde dans le même sens, en parlant de la ville de Kinshasa. Il montre que l’espace
urbanistique a été marqué par trois environnements successifs. Les contraintes naturelles et
l’établissement d’un noyau colonial ont sécrété un premier visage de la ville; bientôt l’action
des administrations coloniales et des étrangers du secteur privé imposent progressivement un
nouveau visage; une troisième étape est celle des initiatives proprement urbanistiques,
affrontées à l’appropriation de l’espace.
314
[…] d’autres réalisations divergent du théâtre carnavalesque pour proposer une perception différente
de l’espace. […] S’inspirant davantage du présent que du passé, les auteurs préfèrent évoquer un
espace, plutôt que de recréer dans la mise en scène. Al-Baht’ an rajul yahmilu ‘aynayn faqatt, Rajul
ismuhu al-Hallāj et al-Sayyid jimjima de al-Maskīnī al-Saghīr présentent des mises en scène très
simples et stylisées, et renvoient seulement, à travers différentes allusions au théâtre d’ombres, aux
zāwiya des soufis, et aux monastères des Qarmates. Tous ces exemples sont révélateurs d’un théâtre
qui se sert de l’espace pour résoudre la dualité métropole occidentale/ville arabe, ou encore
ville/monde rural38. […] Cette exigence se traduit par une réflexion sur le patrimoine urbain
magrébin et par la valorisation conjointe, sans sacralisation, de la culture arabe en général et des
lieux traditionnels en particulier. L’expérience du théâtre maghrébin révèle une pratique à la
confluence de deux sources d’inspiration, apparemment antagonistes: tradition et révolution. Dans
les espaces évoqués par les auteurs se déroule un combat qui oppose la pensée musulmane classique
aux idées occidentales modernes.
38
C’est nous qui soulignons.
315
(2004:160) que «L’état d’esprit du personnage est souvent manifesté par des indices extérieurs,
soit sur le plan corporel, soit dans l’espace qu’il occupe. Le lien entre l’individu est son
environnement est clair et indéniable».
La littérature permet tout autant de saisir l’œuvre dans son temps, dans son époque. La
polysémie de l’œuvre est faite de ses différents retentissements: philosophique, historique,
social, moral. La littérature est un objet sémiotique à travers lequel nous pouvons relever le
sens que la société attribue à certaines réalités transposées dans une œuvre littéraire. A cet
égard, l’espace constitue bien ce à quoi les personnages se confrontent, métaphoriquement ou
réellement, pour progresser, agir, se connaître. Comme nous allons le remarquer dans certaines
pièces de notre corpus, les espaces traversés sont les signes véritables de l’évolution des
personnages. Ainsi le village, la ville et le pays étranger expliquent sémiotiquement tout le
discours des acteurs-personnages, souvent les jeunes. Ainsi en témoigne les extraits ci-après
tirés de la pièce Et après et Ezui ezui. Le texte suivant met en scène l’acteur-personnage ya Za
qui est fatigué du comportement de son père. Celui-ci, après avoir ensorcellé son frère aîné et
sa sœur (décédés), vient de rééditer le fait en rendant fou le frère cadet de ya Za. Face à cet
acte, ya Za se décide de quitter le village et de s’en aller.
Ya Za: minu bu ndidi bwabu, ndyedi kuyenda Nza. Yenka kwenda, même kufalisi ndyeka kwenda,
même ku phovo yenka kwenda. Zimbakananu ti mwana mwidi lubuta widi zina Za. Tshimbakananu,
minu yedi bundidi bwabu. Kubulanu mu buku ti mwana lubuta… Ya José, pa wundia, Charufa, Pa
wundia, bwa philosophe mebwe lawuka. Ndisyediko mwanéno. Ndyele koso ku yenda nza.
(Kiyombe).
Traduction:
Ya Za: moi comme je suis ici, je pars où est-allé le monde. Je vais partir, même au Congo-Brazza,
même à Cabinda je vais partir. Oubliez que vous avez un enfant que vous avez enfanté du nom de
Za. Oubliez-moi, moi je pars comme je suis ici. Effacez de vos documents que vous avez eu un
enfant.... ya José, papa l'a mangé, Charufa, papa l'a mangé, maintenant Philosophe vient d'attraper
la folie. Je ne suis pas votre enfant. Je vais partout où est allé le monde.
Dans cet autre texte tiré de la pièce Ezui ezui, l’acteur-personnage ya Za envoyé en ville
pour y apprendre du métier est tombé amoureux d’une jeune fille qu’il engrosse. Il promet à la
fille de l’amener à Cabinda.
317
Ya za: nga na sepeli lokola okomi na zemi na ngayi. Batu bayebisaka ngayi nakomi mukolo kasi naza na mwana
te. Kolongola zemi wana te. Soki baye kotika yo awa, nakoluka mbongo po to luwe ndaku, sima na ngo
nakomema yo na Cabinda. Papa na ngayi asalaka na Malongo.
Petite amie de ya Za: eh, papa na bino asalaka na Malongo! Boza na mbongo ebele! Na sepeli.
Traduction
Ya Za: moi, je suis très content comme tu es enceinte de moi. Les gens me disent toujours que j’ai grandi, mais je
manque d’enfant. N’ose pas enlever cette grossesse. Si on vient te laisser ici (chez son ami), je veux chercher
l’argent que nous louions la maison (notre propre maison); après je t’amènerai à Cabinda. Moi, mon père travaille
à Malongo (Une société pétrolière de Cabinda).
Petite amie: ah bon, votre père travaille à Malongo! (Donc), vous avez beaucoup d’argent. Je suis contente.
Dans le premier texte, extrait tiré de la pièce Et après, l’acteur -personnage ya Za qui
veut quitter le village pour une raison quelconque, trace sa trajectoire qui traduit en fait la
volonté des jeunes ces derniers temps. Il faut savoir que déjà avant, l’acteur-personnage ya Za
et son ami Ndele avaient pris l’option d’apprendre le lingala parce qu’ils envisageaient d’aller à
Boma et à Cabinda. Et dans le deuxième texte, extrait tiré de Ezui ezui, le même personnage ya
Za qui avait quitté le village et qui vit maintenant à Boma promet d’amener sa future épouse à
Cabinda avec une réaction très attendue de la fille. Cette deuxième proposition est, à notre sens,
une continuité de la proposition faite dans Et après, car l’itinéraire tracé dans Et après
prévoyait une escale à Boma avant de poursuivre dans les autres milieux. Nous allons revenir
vers le bas pour une analyse sémiotique de ses espaces. Comme l’explique Riffaterre (1971:22)
«Une sémiotique décrira l’organisation des signes au niveau (supérieur) du texte ». Et surtout
en matière théâtrale, car «Le théâtre, fait de communication, mérite d’être l’objet d’une analyse
qui rende compte des méthodes et modèles sémiotiques; tant le texte que le phénomène théâtral
présentent, à tous niveaux, des fonctions spécifiques…» (Helbo, 1975b:27).
Ce qui est important de noter à ce niveau est que tout le discours (de ces acteurs-
personnages) est orienté dans le sens de la trajectoire de leur évolution. C’est pourquoi, nous
pensons, comme Paravy (1999:8), que «L’espace social, avec son architecture, sa topographie,
mais aussi son code proxémique, est un véritable objet sémiotique qui livre les secrets des
fondements sous-jacents d’une société». Dans ces conditions, il faut considérer que
La mimésis souligne naturellement les formes de l’instrument et le trajet de la procédure qu’elle met
en scène; elle révèle, en prêtant une certaine ostentation aux objets qu’elle manipule, leur puissance
318
figurative et les entraîne, à partir de là, dans un processus de symbolisation où ils sont souvent
conduits à pointer une réalité plus large que celle qu’ils maîtrisent dans la vie quotidienne. (Ortel,
2008: 7).
Ainsi, à travers le théâtre moderne kongo, il y a lieu de faire remarquer que l’interaction
entre le personnage, le discours, l’espace construit le sens des pièces et situe ces dernières dans
leur contexte de dénouement. L’espace détermine la psychologie de l’acteur-personnage et la
psychologie de l’acteur-personnage conditionne son discours. En effet, c’est l’espace qui
définit ou détermine le statut de l’individu par rapport au groupe social et construit son rapport
avec celui-ci. Par ses réactions, son langage [déterminé par son espace], on peut situer
l’individu face aux autres, et déterminer les rapports sociaux qui déterminent cette société. Une
relation implication/explication structure espace et action. Le public qui regarde un théâtre peut
induire les actions ou le comportement de l’acteur en fonction de l’espace; parce que les lieux
véhiculent des sens qui reproduisent des discours sociaux. Chaque espace détermine un type
d’intervention spécifique, un langage spécifique et des constructions mentales y afférentes.
Ainsi, comme nous venons de le comprendre précédemment, les villes «Boma» ou «Cabinda»
pour le cas des acteurs-personnages analysés constituent des signifiants avec des signifiés
multiples que nous avons pu déconstruire avec le discours des acteurs-personnages dans les
chapitres quatre et cinq.
Dans cette interaction, ils fonctionnent comme une tripartite qui ne peut pas se détacher.
La compréhension de l’un implique celle de l’autre, et inversement. On ne peut pas prétendre
saisir une action sans l’avoir saisie dans un contexte. Et le contexte implique les lieux et le
discours qui le déterminent. Ce n’est pas faux de comprendre que l’action constitue d’une part
le vecteur primordial de l’appréhension de l’espace, d’autre part le fondement même de tout
récit. Ce que précise Levy-Leboyer (1980:100) qui pense que «L’environnement est perçu et
évalué à travers et par l’action, la séquence d’action étant inséparable de la perception dont elle
constitue à la fois une fonction essentielle, un des moteurs et le feed-back qui permet de vérifier
que l’élaboration perceptive est pertinente». Si donc l’environnement est perçu et évalué à
travers et par l’action, c’est donc que l’action ne s’exprime qu’en fonction de l’espace dans
lequel elle est portée. La porosité entre ces variables est très étanche. Ainsi, comme le déclare
Ruocco (2002:186) «L’espace scénique devient l’élément central d’un jeu complexe de
significations». Si le comportement humoristique de ya Za qui s’assoit sur le fauteuil avec son
bidon sur la tête peut paraître normal au village, il ne peut pas passer inaperçu en milieu urbain.
La scène traduisant ainsi «le ridicule d’un villageois» qui voit la ville pour la première fois; ou
«l’étourderie» face à un rêve qui s’accomplit. L’ensemble de la fiction de Gordimer (1994,
319
1990, 1987,1981) selon Serrurier (2004:162) semble établir que «[…] le caractère d’un
personnage est souvent reflété dans les détails du lieu qu’il occupe».
Reprenant les mots d’Amadi (1973:4), [il est possible que la frontière entre les morts et
les vivants soit bien plus ténue que nous le pensions. Il est possible que nous laissions nos
traces dans l’espace aussi clairement que nous laissons nos empreintes digitales sur les objets
matériels; et ces traces modifient l’espace d’une manière qui affecte ses occupants
ultérieurs…], Segers (2004:173) explique que ces quelques lignes d’Elechi Amadi, témoin de la
guerre39, mettent l’accent à la fois sur la continuité et la chaîne humaine et la coexistence des
générations, de façon indissociable de leur environnement. Elles suggèrent un échange constant
entre individu et espace, aussi malléables l’un à l’autre, vis-à-vis l’un de l’autre. En bref, elles
mettent en relief une sorte de porosité vitale entre l’individu et l’espace. Ainsi, pensons-nous,
dans ce sens, que le discours (qui détermine la théâtralité) implique l’acteur (qui exprime la
théâtralité) et l’acteur implique l’espace (représenté) à partir duquel le théâtre se joue et à
l’absence duquel le théâtre n’est pas compréhensible. Le théâtre en tant que genre de la
représentation est le mime de la société. Par une déformation de la réalité, il fait vivre à
l’homme, comme dans une sorte de miroir, les velléités de son environnement.
Il est ainsi naturel de faire du théâtre, au sens où il est naturel de s’écarter du réel –perçu comme
distinct du virtuel –et de notre aptitude de juger, autrement dit de nos conduites sociales
conventionnelles, pour aller vers la célébration commune d’une cérémonie “métaphysique”qui est
au-delà du bien et du mal: le cérémonie de la croyance, de la confusion des leurres et du réel. (Biet
& Triau, 2006:499).
Et l’acteur -personnage n’est qu’un représentant d’une société, d’un monde supposé. La
manière dont les acteurs se comportent sur scène permet de comprendre en effet que
«L’environnement agit sur l’homme qui réagit sur lui dans une boucle de feedback où l’être
prend conscience de lui-même par l’image de ses actes que lui renvoie le monde environnant
comme une sorte de miroir».(Moles, 1978:165).
Mais la question est celle de savoir quelles sont les implications de cette interaction,
comment à travers elle saisir toute la trame du drame dans son organisation figurative et
cognitive?
Nous l’avons dit que l’espace est en soi une construction signifiante. Il témoigne de la
structuration sociale d’une société dans l’œuvre littéraire. Toute œuvre littéraire construit un
univers référentiel; l’univers qui est réellement présent dans la communication ordinaire est le
39
Il s’agit de la guerre de Biafra sur laquelle porte l’article de l’auteur cité.
320
plus souvent fictivement recréé dans la littérature. Dans ces conditions, nous ne devons pas
seulement considérer que les actions se situent dans l’espace, mais aussi, il y a donc lieu de
considérer que les espaces (dans le théâtre notamment) créent les actions autant que les actions
appellent les espaces dans lesquelles elles sont situées. En effet, il faut, de ce point de vue,
savoir qu’
A côté de la fonction mimétique se trouve donc une fonction créatrice, tout aussi fondamentale, qui
vise la production textuelle d’espaces possibles, d’espaces concevables. La relation entre ces deux
fonctions est de nature complexe: le texte est aussi bien un médium pour la transmission d’images
des espaces vécus qu’un modèle pour la transformation et la production d’espace possibles. Il
n’existe pas de représentation simple de l’espace vécu: à chaque fois, on met en œuvre le processus
créatif permettant l’invention de formes, et qui contribue par là même à l’articulation et à
l’élaboration des formations d’espace d’une culture. Et inversement, il n’y a pas de création
d’espaces expérimentaux qui ne transforme et actualise des possibilités ou des virtualités inhérentes
à une culture. Les deux s’entre-mêlent immanquablement; les techniques spécifiquement textuelles
de présentation d’espaces se réfèrent toujours aux virtualités historiques de produire, d’imaginer et
de sentir des espaces, tantôt en les affirmant, selon la fonction mimétique, tantôt en les déformant,
selon la fonction modélisante. (Tygstrup, 2001:62-63).
Ainsi tout discours sur l’espace, notamment le discours littéraire est donc une
construction au second degré, qui informe, trie, et hiérarchise le matériau pré-construit offert
par le réel. Il apparaît donc légitime comme un champ privilégié de significations
psychologiques, sociologiques, esthétiques ou philosophiques. Dans ce sens, pour comprendre
ce qu’est l’espace de la littérature, il faut s’appuyer sur le fait que la littérature ébauche son
univers à partir de l’horizon de l’expérience immédiate de l’homme historique, et donc analyser
l’espace qui est représenté et qualifié à partir des actions et des situations humaines. Bien que la
capacité du texte à construire des images d’espaces soit déterminée par ce contexte historique,
il le transgresse en même temps. Cette capacité de construction, en tant que procédure textuelle,
nous rend libre de modifier le donné, de capter l’inouï, bref de créer tout un imaginaire virtuel à
partir des possibles non articulés d’une culture. Le texte contribue ainsi à sa manière à la
production continue d’espaces, par sa capacité de fixer les espaces évanescents du vécu, et par
l’acte fondamental d’inventer des espaces humains: la construction d’espaces vivables,
d’espaces possibles, d’espaces autres.
Le metteur en scène ne peut s’échapper à ce principe, dont dépend la compréhension de
la pièce. En effet, l’espace littéraire est infini, avec un signifié sans fin. Il fait son montage en
faisant des choix qui lui permettent de faire correspondre les personnages et leurs discours aux
espaces qui le véhiculent. L’acteur- personnage ya Za dans Enfants de la rue et Et après dans
321
son évolution dans les différents espaces représentent deux identités différentes. Inverser les
personnages dans ces espaces aurait conduit à une autre scène ou une autre pièce. Le même
personnage dans la pièce Je suis innocent se détermine par rapport aux espaces sur lesquels il
se meut. Hubert (2008:221) a souligné ce fait en parlant des Romantiques chez lesquels la
multiplicité des lieux est également utile lorsqu’ils veulent montrer plusieurs facettes de leur
personnage en le plaçant dans des situations différentes. L’espace et les décors qui structurent
la pièce ne sont que des multiples signifiants. Ils ne sont là que pour être pris en charge par le
spectateur qui les identifiera en signifiés. Le spectateur donne un signifié au langage littéraire
pour lui donner un sens. Cette illusion du monde créé doit rencontrer les accointances du
spectateur avec l’espace représenté ou décrit. Tout le talent du metteur en scène consiste à
rendre visible l’idée du monde que se fait le spectateur grâce à tous les procédés d’art qu’il a
appris et dont il peut disposer. En effet, donner au lieu scénique un maximum de vérité, c’est
visualiser le poids du milieu sur les individus, et aider les acteurs à trouver un jeu spontané. On
recrée la vie sur scène pour faciliter l’identification au personnage que les acteurs incarnent,
pour qu’ils vivent leur rôle. C’est pourquoi il faut considérer que la mise en scène n’est pas
seulement un travail technique qui ressort de la spécificité du travail de plateau, la tâche visible
du réalisateur dans la phase de tournage, direction d’acteurs; mais elle est une création du
monde. Elle «consiste alors à exprimer un regard personnel sur le monde, à représenter le réel
de telle façon qu’il prenne sens par l’opération de communication esthétique, c’est-à-dire,
justement par la maîtrise des moyens spécifiques […] » (Prédal, 2007:9), qui permettent une
expression sensible et sensuelle des événements.
Notre corpus présente ainsi des personnages situés dans des lieux, à travers lesquels l’on
peut déterminer par les actions et les discours, la passion du peuple qu’il représente, la vision
de la société véhiculée. Ainsi l’analyse du discours confronté à l’espace peut nous dire la
structure de la société qui est représentée par les acteurs. Les différentes pièces nous présentent
un conflit toujours permanent entre deux espaces, deux mondes, comme nous allons les
expliciter plus bas. Il faut préciser que ce conflit résulte du renouvellement social. Cela ne peut
qu’être normal, comme le pense Buakasa (1973:67). En effet, dans une situation où, d’une part,
l’ancien système social continue à dicter, de façon le plus souvent inconsciente, des
comportements, attitudes, croyances et pensées, et où, d’autre part, le nouveau système envahit
et domine tout, on arrive, au niveau des personnes, à une situation caractérisée par des soucis,
des craintes, une anxiété et une opposition d’intérêts.
A ce propos, nous prenons, par exemple, la situation de la palabre kongo, comme espace
de discussion, de traitement, des décisions… La palabre dite «kinzonzi» est un espace où se
322
traitent des problèmes, des questions épineuses. En société kongo, on assiste à plusieurs
palabres notamment autour du mariage et du deuil: elle est inconditionnelle, surtout quand il
s’agit de la mort d’un adulte; c’est pourquoi, en kiyombe au cours d’une palabre de deuil, on
entend souvent cette formule: «mutu yandi fwa, mambu kabikanga» «quand un homme meurt,
il laisse des problèmes (derrière lui)». Parmi les problèmes, existent ceux des enfants, de
l’héritage... La famille siège de la responsabilité des enfants et de la destination de l’héritage.
L’extrait qui suit tiré de la pièce Enfants de la rue illustre bien la palabre autour de la mort et de
l’héritage. Cet extrait met en scène une palabre autour de laquelle les membres de deux familles
(d’une part de l’homme décédé de l’autre, celle de la femme décédée aussi) discutent sur
l’avenir des enfants et de l’héritage laissés par les défunts.
Tous: yo!
Tous : bakulu.
Tous: Ngana.
Tous : Tuyiza.
Traduction:
Tous: yo!
Tous: un proverbe.
Ami du défunt: Lufwa lumebwetubula. Nzambi zaba kutuvanga, bwe tukitulanga tebe byandi, bikwangi.Une fois
de plus cette mort vient d’emporter l’un de nous. Ah, Kadi busya!!! Nsamu twidi yeno vava, luzebi ti ndyetu me
fwa. Luzebi kweno ti mutu yandi fwa mambu kabikanga. Alors, bwa diambu luekansia, Babana (pause) bakabikidi
(pause) Kudi na tukuba… (Kiyombe).
Tous: bikilé
Traduction: la mort nous a encore frappés. Dieu nous a si bien façonnés, mais il fait encore de nous ses bananiers
à faucher. Ah, nous n’y pouvons rien! [Qu’y pouvons-nous face à la volonté non négociable de Dieu]. La nouvelle
pour laquelle nous sommes avec vous ici, vous savez que notre frère est mort. Et vous savez que quand un Homme
meurt, il laisse derrière lui des problèmes. Alors, ce que vous allez faire, les enfants qu’il a laissés. A qui allons-
nous les lai…?
Tous: laisser.
Le texte 35 ci-dessus nous montre que la palabre n’est pas un monde ordinaire. C’est un
espace clos qui, par ses principes et ses exigences appelle l’ésotérisme. Déjà sa formule
introductive indique qu’il ne s’agit pas d’une situation ordinaire, il s’agit plutôt d’un autre
endroit différent de l’ordinaire. Et le propos de la personne qui ouvre la palabre le dit d’ailleurs,
«le problème qui nous réunit ici». Le déictique adverbial de lieu (ici) emmène une précision sur
l’importance du lieu; c’est-à-dire, ce n’est pas un endroit où l’on parle comme d’habitude, où
l’on réfléchit comme d’habitude. C’est un endroit caractérisé par son discours, le comportement
des gens qui y siègent. Nous l’avons vu avec le conte analysé au chapitre premier à la page 99
«l’antilope-naine est le plus intelligent de tous les animaux». Ainsi on peut comprendre
l’humour, la délicatesse du discours, le niveau de réflexion, les jeux de physionomie, les
incarnations des rôles qui caractérisent les palabreurs. Dans cette joute oratoire, l’essentiel est
de cacher sa véritable pensée sous des apparences de clarté et de précision afin de mieux jauger
les intentions de l’adversaire et de retourner contre lui ses propres armes; maximes et proverbes
servent d’arguments irréfutables mais aussi, par leur polysémie, de voiles à la pensée qui ne
324
doit jamais se découvrir dans sa nudité. Nous l’avons vu dans le chapitre 5 avec l’échange
verbal entre les deux personnages (ya Za et Tiflo) qui, dans leur interaction, enfilaient tout un
tas de proverbes pour exprimer leur pensée de manière voilée. Au fur et à mesure que le duel
verbal approche de son dénouement, l’aspect esthétique s’estompe car la fatigue gagne les
interlocuteurs qui perdent de plus en plus la maîtrise de leurs sentiments, et donc de leur parole,
sans que cesse pour autant l’intérêt des spectateurs pour l’issu du conflit. Comme le fait
remarquer Abglemagnon (1969:54) «En Afrique Noire, la palabre est une technique obéissant à
des canons précis qui ne permettent en aucun cas à l’orateur d’user immodérément et
inconsidérément de la parole».
Aussi, la partie introductive de la palabre énoncé au texte 35, permet de préciser,
comme nous l’avons déjà énoncé dans le premier chapitre, que la tradition nous est léguée par
les ancêtres. Elle cache le code du bien-être, du bien faire, du bien vivre communautaires. La
socialisation, l’intégration, passe par elle; uniquement par elle. Le retour et le recours à la
tradition traduisent la fidélité de l’assemblée à l’organisation léguée par les ancêtres: les sages,
les savants. Ce va-et-vient rend présent en nous le témoignage éloquent de la vision des
ancêtres. C’est dans ce sens qu’il faut retenir cette formule introductive qui fait office d’indice
littéraire que nous appelons aussi régulateur de communication. Cette formule trace le cadre et
indique à tous que ce qui se fait en cet endroit précis vient des ancêtres. Comme l’indique
Vansina (1972:2): «il était une fois» et on est transporté dans un autre monde, «celui des contes
et des fantaisies». Ce monde est celui des ancêtres, sous entendu, c’est déjà tellement bien
réfléchi par eux que l’on doit se conformer à ses principes (édictés par la palabre selon ses
contextes d’usage). Les décisions qui en découlent sont opposables à tous. Les ancêtres en
société kongo constituent un recours d’autorité. C’est comme qui dirait «rien ne se fait, rien ne
se crée, tout se transforme», c’est-à-dire, nous ne créons rien sinon se référer à ce qui a déjà été
créé par les ancêtres. En ceci, il convient de rappeler le débat qui a existé un certain temps sur
l’origine des proverbes. Les uns soutenant que les proverbes étaient créés une fois pour toute
par les ancêtres, alors que d’autres soutiennent que les proverbes nouveaux sont aussi créés
suivant le contexte. Il y a lieu de dire que même si des proverbes sont créés à nos jours, ils le
sont suivant le modèle laissé par les ancêtres. Et comme l’a fait remarquer Traoré (1970b:55),
les ancêtres sont vénérés comme les créateurs du cadre social où la vie se perpétue et
s’intensifie. Le théâtre contribue à cette intensification. Il est, en tant que transposition du
mythe, une formule de vie. Il reflète la vie de la communauté et son éthique. A travers le
théâtre, le mythe fait prendre à l’homme conscience de sa place pour lui faire accepter ensuite
ses obligations sociales.
325
Il convient donc de comprendre ici que les ancêtres qui constituent les détenteurs du
savoir en Afrique l’ont codifié et l’ont caché avec eux. Le retour vers eux symbolise le permis
d’usage de ces connaissances; car, selon Hampaté Bâ (1972:24),
Il n’est pas inutile de préciser ici qu’en Afrique, au côté visible et apparent des choses, correspond
toujours un aspect invisible et caché qui en est comme la source ou le principe. De même que le jour
sort de la nuit, toute chose comporte un aspect diurne et un aspect nocturne, une face apparente et
une face cachée. A chaque science apparente correspondra toujours une science beaucoup plus
profonde, spéculative et, peut-on dire, ésotérique, basée sur la conception fondamentale de l’unité de
la vie et de l’inter-relation, au sein de tous les différents niveaux d’existence.
Parlant de l’histoire de Mandé, Niane (1960:9, 11) fait allusion à cet aspect hermétique et
ésotérique de la connaissance. Car il souligne que la véritable histoire du Mandé qui, elle, n’est
connue que des griots des rois, traditionnalistes, attachés à leur généalogie, aux clans princiers;
cette version, elle, serait conservée et transmise de façon plus confidentielle et plus formalisée à
l’occasion des rituels précis liés à la réfection septennale du sanctuaire du Kama-blon à
Kangaba, au cours des séances privées où ce savoir qui ne doit pas être divulgué
inconsidérément, se trouve périodiquement vérifié entre connaisseurs. Ceux-ci se qualifient de
«sacs à paroles qui renferment des secrets plusieurs fois séculaires»; et, déclarant «ignorer le
mensonge», ils affirment toutefois que toute science véritable doit être un secret. Les ancêtres
sont donc les dépositaires de ces connaissances et donc mérite référence permanente. Comme,
nous l’avons déjà dit au chapitre premier, le degré de maîtrise de la sagesse des ancêtres permet
de mesurer la maturité et le niveau d’individu; parce que «C’est la connaissance de l’homme et
l’application de cette connaissance dans la vie pratique qui fait de l’homme un être supérieur
dans l’échelle des êtres vivants. Alors seulement peut-on dire qu’il est dans l’état de
«neddaaku» (peul) ou de «maaya» (bambara), c’est-à-dire dans l’état d’homme complet ».
(Hampaté Bâ, 1972:24).
Comme nous l’avons indiqué dans le chapitre cinq sur les procédés discursifs
concernant les implications et les sous-entendus, le jeune qui assiste à la palabre, dans la pièce
Enfants de la rue, en sa qualité de l’oncle des enfants de sa sœur a beau être interlocuteur au
même titre que les autres intervenants, mais sa classe sociale lui imprime un comportement
face aux aînés. Ainsi, par exemple, quand il prend la parole en s’adressant à son interlocuteur
(qui est un aîné), il commence en disant «muzenga nge ve parole» «je ne te coupe pas la
parole», il veut exprimer deux faits:
a) Il ne peut pas normalement prendre la parole dans cette assemblée à cause de son âge
326
(parce que supposé ne pas maîtriser les règles du jeu et ce monde très ésotérique…)
b) Il peut prendre la parole (parce qu’initié), mais ne peut pas arracher la parole à un vieux
(considérations gérontocratiques du pouvoir dans nos sociétés). Le rapport n’est pas
horizontal, plutôt vertical. Le jeune qui parle ici, du point de vue des responsabilités est
égal à son protagoniste, mais qui du point de vue de l’âge doit respecter les principes.
En effet, l’âge étant une variable sociale très déterminante dans les relations interhumaines,
en Afrique subsaharienne surtout, il demeure immuable quel que soit le cas. Face aux adultes,
le jeune doit s’effacer. C’est pourquoi, le jeune commence par des formules d’humilité, pour ne
pas indisposer l’assemblée. «Je ne vous coupe pas la parole» a une connotation subjective très
grande; il traduit déjà la discrimination des classes sociales liée à l’âge. Ainsi peut se
comprendre la formule mathématique d’Abglemagnon (1969:54) symbolisant la modélisation
de la prise de parole chez les ewe (qui du reste est applicable dans presque toutes les sociétés
d’Afrique Noire). Dans une assemblée la parole n’est donnée à une personne qu’après un rituel
précis et cette personne doit en user selon une forme également convenue; de plus, la parole
apparaît comme un objet que l’on transmet selon un itinéraire précis et tracé d’avance; même
en face de son chef, l’Ewe doit s’adresser à lui par personne interposée, et la réponse lui est
transmise par cette personne interposée. Soit A voulant s’adresser à B (chef ou vieillard,
supérieur). A dit à C: se ne de gbo be… («Entends et fais parvenir à B que…»). B qui est en
face de A et qui a tout aussi bien entendu (ou qui comprend et même devine bien l’intention de
A) et qui a tout aussi bien entendu que C, ne dit rien; B attendra que C le lui dise: B sea. C’est
seulement à partir de ce moment que B dira à C et non directement à A: Enyo, c’est-à-dire:
«c’est bien, c’est entendu».
Le comportement de ce jeune dans l’assemblée justifie la reconnaissance de Bascom
(1965:469) sur le double rôle que joue la littérature orale dans le système traditionnelle
d’éducation en faisant remarquer notamment qu’ «Il renforce la conformité aux normes
sociales, il donne leur pleine valeur aux institutions sociales et aux rites religieux, et il fournit
une décharge psychologique des restrictions imposées par la société». Cette même façon de
faire qui privilégie l’âge est attestée par Görög (1997:13) dans l’analyse des contes bambara et
malinkés où on présente des pères qui s’opposent au mariage de leurs filles ou fils. Cela
respectant la logique des gestions de ces sociétés; car, explique –t- elle, dans les sociétés
bambara-malinké, comme dans d’autres sociétés patrilinéaires de l’Afrique occidentale, l’ordre
social repose sur l’organisation de l’autorité selon le principe d’âge (au niveau généalogique,
père/fils; au niveau générationnel, séniorité/juniorité) et selon le principe de sexe
327
Les pièces analysées nous indiquent, à travers les personnages, une société où les
espaces se réalisent de manière toujours opposée. Un type d’espace en appelle toujours l’autre.
Ce caractère binaire des espaces africains est attesté dans le roman africain de langue française
par Kazi Tani (1995:180). Il écrit que
Ceci explique en grande partie les comportements des acteurs-personnages des pièces que nous
analysons. Confrontés à ces différents espaces, ils agissent selon les modalités imposées par les
lieux dont ils véhiculent la vision du monde. Nous allons tenter de comprendre sémiotiquement
les différents espaces et leurs implications cognitives dans le comportement de ces acteurs-
personnages et dans la compréhension des messages véhiculés.
L’espace d’origine, c’est le village d’origine de son père ou de sa mère. Pour les
Bakongo, l’origine est matrilinéaire; mais les liens entre les deux origines sont très serrés. Tout
Mukongo reconnaît en cet espace son espace vital. Qu’on soit né au village ou pas, qu’on y
vive ou pas. C’est le centre de toutes les décisions. L’on y décide de la vie ou de la mort, de
l’évolution ou de la régression des membres du clan. C’est là que résident les responsables des
familles. C’est le milieu de toutes les initiations. C’est cet espace qui détermine l’organisation
sociale de la famille, même les modes de relation entre les membres (conflictuel ou non). C’est
le milieu de tous les pouvoirs. C’est ce que Kazi Tani (1995:180) appelle «les lieux bénéfiques
ou le pays natal». Le lieu bénéfique, saturé de sacré, est par excellence, le pays natal, protecteur
comme un ventre maternel, dispensateur de la plénitude et de sécurité, et, plus précisément le
Bois Sacré où ont lieu les initiations et les métamorphoses, la forêt ou tout simplement le
village. Dans cet espace, le monde est saisi selon la vision animiste du monde qui
40
C’est nous qui soulignons.
329
Exprime la spécification de la vie en figures et puissances [d’où l’existence des âmes, des génies,
des esprits des Ancêtres sublimés, des déités associées ou dérivées] intermédiaires nécessaires entre
Dieu et l’Homme qui animent l’univers et peuplent les panthéons traditionnels, et plus précisément
sous la forme de cosmomorphisme qui conçoit le monde comme un ensemble de signifiants, comme
langage vivant, comme tissu de messages divins à interpréter. (Thomas L-V, 1981:12).
Les relations sont très fortes et les liens de sang déterminent presque toute l’organisation
sociale. Nous comprenons par là la lecture du clan telle que donnée par (Munkulu 2006). Le
«kanda» (clan) est, chez les Bakongos, l’institution génératrice de la solidarité. Basé sur la
consanguinité, il dégage une contraignante conscience du «nous». Les membres y sont soumis
aux règles de partage réciproque, d’assistance mutuelle, de jouissance collective des biens et
des avantages. Ils s’identifient les uns aux autres de sorte que l’appellation de «frère» y trouve
son sens profond.
Pour le Mukongo, la solidarité est affirmée et alimentée par le système clanique comme
élément essentiel de la vie communautaire traditionnelle. Elle reste, un sentiment humain,
naturel dont la vivacité et l’efficience dépendent du réveil et de la sensibilité de la conscience
morale collective. Elle est la force sociale sur laquelle les sociétés ont établi la base de leur
système de sécurité sociale collective. Ainsi elle unit les membres dans un tout social
économique cohérent. D’où l’importance de la parenté, matrice sur laquelle celle-ci se greffe.
L’homme Mukongo naît dans le clan et lui reste dépendant à tout bout de champ. Nous en
avons déjà parlé au niveau de l’introduction quand nous montrions la stratification de la société
kongo.
Ainsi, par exemple, l’acteur personnage ya Za acteur principal de la pièce Enfants de la
rue qui est désigné comme héritier des biens laissés par son frère l’a été au cours de la palabre
réunissant les familles. Les décisions qui y sont prises sont opposables à tous. Dans ce sens,
sommé à épouser la fille de sa tante, ni le concerné, ni son père ou sa mère ni la mère ou le père
de la fille, personne ne pouvait s’y opposer. Il en est de même de la pièce Je suis innocent où le
papa dont la fille vient de mourir suite à l’avortement fait sur elle par son petit ami, ne pouvait
prendre ses responsabilités de père qu’après avoir fait venir son père du village. Ceci prouve
comme le montrent Munkulu (2006:184) que chez les Bakongos, la parenté est à la base du
réseau d’interdépendance et d’entraide qui crée des obligations entre les membres et entre
ceux-ci et leurs alliés. Elle est une relation sociale de secours mutuel, de réciprocité, de
solidarité, mais aussi un système de principes qui affirment l’existence et la nécessité des liens
extra-familiaux, autrement dit qui permettent l’extériorisation des relations de solidarité hors de
la famille. C’est auprès de son frère dans la pièce Ezui ezui que ya Za venu du village, est
330
envoyé pour apprendre du métier en ville, selon que l’exige l’esprit communautaire. Chemain
(1984:241) reconnaît en cela la caractéristique solidaire de la famille africaine. La réalité
africaine, note-t-il, c’est la famille étendue fortement intégrée dans le réseau des solidarités
lignagères et ethniques, même en milieu urbanisé. Bousculée, altérée, dégradée par l’instruction
de l’économie monétaire imposée par la conquête européenne, elle n’en continue pas moins à
fournir le cadre social, mental, affectif, dans lequel se déroule l’enfance de l’écrasante majorité
des jeunes Africains; et cela était encore plus vrai voici trois ou quatre décennies. Dans le cas,
par exemple, du mariage exogamique, la reconnaissance des futurs époux par leurs clans est
précédée d’une cérémonie d’identification au cours de laquelle chaque chef de clan ou son
délégué décline les origines de leur protégé. La suite nous montrera que la non tenue des
principes établis par le clan astreint à des conséquences souvent fâcheuses.
Tous ces principes paraissent aux yeux des jeunes comme une corvée. Très attirés par
les nouveautés, les jeunes sont parfois dérangés par cette prééminence des adultes qui
caractérise cet espace. Nous l’avons dit dans le chapitre premier de notre étude, la gestion est
gérontocratique. Les jeunes dans cette situation, ne font que subir la loi des vieux. Ils ne
peuvent rarement proposer, sinon que cela soit dans l’entendement de vieux. Et même quand le
jeune fait partie de la société ésotérique, sa voix est portée par les autres, ainsi que nous venons
de l’évoquer un peu plus haut. «Les oreilles ne dépassent pas la tête, oppose-t-on souvent».
Dans ces conditions, Paravy (1999) parle de l’espace subi pour désigner ce phénomène. Les
jeunes subissent et doivent attendre un certain ’âge pour accéder à certaines obligations. Ce
totalitarisme inscrit en profondeur dans l’organisation de l’espace collectif avec ses fonctions
essentielles de contrôle, de surveillance et parfois de répression nuit quelque fois à la jeunesse.
L’espace d’installation, c’est l’espace de vie. Les lieux où l’on s’installe pour une raison
ou une autre. Dans le contexte présent, il constitue un espace d’évasion, de liberté. C’est
l’optique où les jeunes (surtout) s’installent loin des clans pour s’éloigner de cet espace
d’origine, très contraignant. C’est souvent les grandes villes ou les pays étrangers qui
constituent ce que nous pouvons appeler «espace convoité»; nous l’avons démontré au texte 32
et texte33. Mais comme nous le verrons dans les exemples qui suivront, même en ville,
l’influence du premier espace est considérable. C’est pourquoi, même vivant en ville, le
pouvoir est reconnu à un représentant du clan qui est le centre de toutes les décisions. Cet
espace est considéré comme milieu de fuite, mais aussi un milieu de la recherche du mieux-
être. Dans ce cas, il ya lieu de croire Moles (1978:17) pour qui le déplacement, le trajet, le
voyage sont de ce point de vue des actions cardinales, dans la mesure où elles introduisent des
distances, diversifient l’espace vécu, et sont souvent l’occasion d’une épreuve et d’une
331
Texte 36
Ya Za: minu bu ndidi bwabu, ndyedi kuyenda Nza. Yenka kwenda, même kufalisi ndyeka kwenda,
même ku phovo yenka kwenda. Zimbakananu ti mwana mwidi lubuta widi zina Za. Tshimbakananu,
minu yedi bundidi bwabu. Kubulanu mu buku ti mwana lubuta… Ya José, pa wundia, Charufa, Pa
wundia, bwa philosophe mebwe lawuka. Ndisyediko mwanéno. Ndyele koso ku yenda nza.
(kiyombe).
Traduction:
Ya Za: moi comme je suis ici, je pars où est-allé le monde. Je vais partir, même au Congo-Brazza,
même à Cabinda je vais partir. Oubliez que vous avez un enfant que vous avez enfanté du nom de
Za. Oubliez-moi, moi je pars comme je suis ici. Effacez de vos documents que vous avez eu un
enfant.... ya José, papa l'a mangé, Charufa, papa l'a mangé, maintenant Philosophe vient d'attraper la
folie. Je ne suis pas votre enfant. Je vais partout où est allé le monde.
Je n’ai pas le désir d’aller. Je vais au soleil couchant. C’est absurde. On ne va pas au coucher de
soleil, devant soi. C’est absurde. On ne va pas au coucher du soleil. […] Je fuis vers ce nulle part.
Le «je fuis vers ce nulle part» du héros décrit par Paravy traduit bien le «je vais où est allé le
332
monde» de ya Za. Ces propos témoignent de ce désir d’évasion qui permet de renaître dans un
monde nouveau où l’on devrait recommencer. La fuite de Salimata après l’excision, le viol, et
les deux mariages forcés, constitue ainsi un épisode important du roman de Kourouma (1970).
La fuite étant un exorcisme, chaque lieu traversé, contourné, dépassé, constitue un jalon de la
libération et la course éperdue revêt une allure cathartique. Voici comment Salimata trouve du
bonheur à fuir:
Elle n’avait vu, entendu, pensé qu’à ce qu’elle fuyait, et avec l’air inspiré et soufflé dans la fatigue,
avec les montagnes escaladées, les rivières passées, les forêts traversées, ce qui s’éloignait, ce
qu’emportaient les graviers projetés par ses pieds dans les plaines, ce qui partait, ce qui se taisait
avait les aboiements et hurlements dépassés, les sifflements des serpents contournés, c’était
l’excision, le viol, la séquestration, le couteau, les pleurs, les souffrances, les solitudes, toute une vie
de malheur. (Paravy, 1999:183).
Cette situation conditionne le comportement et le discours des jeunes dans notre corpus,
qui dans leur imaginaire créent un monde, non seulement qui soit le monde rêvé, mais aussi qui
traduit parfois leur propre vision de ce monde. L’imaginaire des jeunes construit un monde
idéal convenant à leurs attentes et se prête un agir par rapport à ce monde.
Ainsi, même avant que le pire arrive, le héros ya Za, avec ses amis, s’étaient déjà
préparés avant à quitter le village, pour se débarrasser de toutes ses impositions. Dans leur
préparation, ils avaient adopté un certain comportement citadin à partir du village. Quel est
donc cet imaginaire? L’imaginaire des jeunes crée donc l’identité de la ville. Nous avons fait
allusion à ça dans le chapitre quatre. Nous pouvons toutefois, en nous référant à Moles (1978)
cité au début de ce chapitre considérer que si l’environnement agit sur l’homme, celui-ci agit
aussi sur lui de manière que l’un influence l’autre et inversement. Donc, par leur perception de
la ville, ils (les jeunes) créent cet espace qui au retour influence tout leur agir pour ainsi devenir
naturel. Et d’ailleurs, il faut noter que la ville africaine est créée à partir des villages. Balandier
(1967: 192) le souligne en montrant que les nouveaux impératifs socio-économico politique
imposèrent la destruction d’anciens villages et la construction de nouveaux qui deviendront des
villes par la suite. Il pense donc que la présence d’une nouvelle série de faits: l’expropriation
des villageois pour la création de nouveaux villages pour l’exploitation des mines et des terres,
la destruction des anciens villages pour répondre aux besoins du système social «moderne»,
l’application des impôts, la nouvelle juridiction et ses institutions (police, tribunaux, prisons),
l’école et la presse dans leur rôle d’adaptation de la main - d’œuvre recrutée aux nouvelles
conditions sociales et techniques de production, ne va pas sans ravalement des anciennes
valeurs. C’est le sens que nous donnons à ce texte auquel nous avons déjà fait référence au
chapitre quatre concernant la langue. Ici, nous démontrons à partir de ce même extrait qu’en
333
ayant une certaine perception d’une réalité, on crée une image qui finalement incarne cette
réalité et qui par la suite va influencer davantage sa perception.
Ndele: za mweni mambu madi va, beeto tuidi «bajor». «Todoworoso» lingala.
(kiyombe+«portugais»+lingala
Ndele: «todoworo»…. Tufuetikolukanga lingala. Il faut tolobaka heure moko boye lingala.
Ozomona te, tuidi «bajove». Eh za, boniko nzie. (kiyombe+«portugais» +lingala)
Ndele: toza bajeunes, il faut heuremoko boye tobetaka lingala na ndenge moko boye ya bien.
(lingala + français)
Ya Za: ya solo, lelo te tozozonga namboka, ngayi nakobandaka koloba lingala. (Lingala)
Ndele: ehee!
Ndele: um! Ndenge kaka ozoyebela. Nga tangu nakendaki na Cabinda, vieux nanga moteki ya CD
alobi na nga il faut bolobaka mingi lingala pojeunel’heure moko boye po bacheries balelaka yo, il
faut lingala. Yo ozalaka na projet yakokende na Boma te? (lingala + français)
Ya Za: um!
Ndele: akasi. Sikoyo coté kuna bamangala. Po tangu bakomonayo na lingala bacheriesbazobanga
yo, mokili pe bazobanga yo. (lingala)
Traduction
Ndele : Za tu vois ce qu’il y a ici, nous sommes des jeunes. Nous devons parler lingala.
Ndele: todoworo, nous devons parler lingala. Il faut que de temps en temps nous parlions lingala. Tu
ne vois pas, nous sommes des jeunes. Hein Za, comment ça!
Ndele: nous sommes des jeunes, il faut que de temps en temps nous parlions lingala, d’une certaine
manière.
Ya Za: c’est vrai, aujourd’hui jusqu’à ce que nous arrivions au village je vais commencer à parler
lingala
Ndele: um!
Ndele: Comme tu es en train de le comprendre. Moi quand je suis allé à Cabinda, mon vieux le
vendeur de CD m’a dit il faut que nous parlions souvent lingala parce que les jeunes pour que les
chéries s’intéressent à vous, vous devez parler lingala
Ndele: oui
Ya Za: maintenant de ce côté là le lingala. Parce que quand on te voit parlant lingala, les chéries
vont te respecter, le monde aussi va te respecter.
Cette conversation nous montre que l’idéal rêvé pour les deux interlocuteurs, c’est
d’arriver en ville et au besoin sortir du pays. Le comportement du père de ya Za dans la pièce
Et après n’est peut-être qu’un élément déclencheur. Dans cette conversation, nous pouvons
traduire chez ces interlocuteurs deux psychologies et comportements différents. Ce sont des
villageois qui prennent les allures des citadins ou qui dévoilent leur conception de la ville. Ici, il
y a lieu de comprendre ce que soutenait Munkulu (2006), pour l’Africain, la modernité est une
sorte de difficile mimétisme. En effet, une fois en ville la personnalité première sera toujours-là
en conflit permanent avec la deuxième, nous avons vu dans le chapitre cinq que malgré ses
préparations, le comportement de ya Za dans Et après qui débarque chez le grand-frère de son
ami, trahit son allure villageoise. Et d’autres auteurs (selon Munkulu) parlent de la
«villagisation» de la ville africaine. En fait, parce que la ville est constituée de tous ces groupes
de gens qui ont quitté le village et s’y sont installés pour une raison ou une autre. En cela, le
discours des acteurs-personnages fait relever le fait que l’identité urbaine est construite en
fonction de ces différentes perceptions.
Ceci nous fait comprendre en effet que le récit se construit sémantiquement en essayant
de rallier, selon la culture, des réseaux d’image qui permettent de créer ou de susciter dans le
comportement de spectateur une représentation mentale relative aux attentes, lesquelles attentes
sont inscrites dans le fonds culturel.
335
Texte 38
Za nzila yomekwendila yau memona; mais yivutukila kulendi yomonako. Vingila mawu zaba.
(Kiyombe).
Traduction:
Za la voie que tu as empruntée pour aller tu l'as vue, mais celle du retour tu ne pourras pas la voir.
336
Attends tu verras.
Traduction
Ya Za: Papa, papé, papa tu me provoques, papa, quel mal t-ai-je fait, tu es en train de me provoquer.
"La voie pour entrer je l'ai vue, mais pour sortir je ne la verrai pas". Dieu le père, Dieu le père,
comment je vais finir, c'est déjà deux jours que je suis dans le fonds de ces forêts.
Le même père ne va pas abandonner son fils. Il continue à lui faire payer son
comportement. Alors que ce dernier avait trouvé un emploi rémunérateur en ville, il ne pouvait
pas toucher à son salaire, parce que chaque fois qu’il en était question, on lui faisait savoir que
lui-même était passé toucher à son salaire; alors que c’est son père qui jouait tous ces coups. En
effet, de manière mystique, le père de ya Za se transformait en son fils. Cette transformation se
fait en quatre phases : le père invoque à partir du village et se retrouve directement à Boma, le
père qui atterrit à Boma, le père qui se transforme en son fils et le père qui se retrouve devant le
patron de son fils en train de toucher au salaire au nom de son fils. Le texte 39 illustre le papa
de ya Za qui, à partir du village, se rend compte que son fils se prépare à aller toucher son
salaire, il se décide de se transformer pour le devancer.
Texte 39
Za eke kozwa mbongo naye ya salaire! Nalingi nakoma Za po nakende kozwa mbongo wana (lingala)
Traduction:
Za va retirer son argent de salaire! Je vais me transformer en Za pour que je retire ce salaire là.
Traduction
Patron Liziba: signe ici. Je t’ai coupé 5 dollars pour le manquant que tu as fait.
Dans le même ordre d’idée, le même ya Za, acteur principal de la pièce Enfants de la
rue, est à la base de plusieurs complications à cause de son refus de prendre en mariage la fille
de sa tante, tel que cela a été décidée par la famille; la conséquence, il est rentré au village
reprendre sa vie villageoise.
En soulignant ces échecs, le metteur en scène insinue sur l’omniprésence des ainés, des
parents, et des ancêtres en ce qui concerne du moins leur force vitale. Le texte 41 ci-après, met
en scène la tante de ya Za qui quitte le village mystérieusement pour venir le menacer. Cette
sorcellerie est donc omniprésente, elle est transfrontalière.
Syntyche: kasi kindokya bawu ve! Kindoki ya bau ya bwala. (Kikongo ya leta)
Traduction: mais, c’est leur sorcellerie, n’est-ce pas! Leur sorcellerie du village.
Ici, l’acteur personnage Syntyche, la femme que ya Za a prise en lieu et place de celle
proposée par la famille, parle de la tante de ya Za (la mère de la femme que ce dernier devrait
prendre en mariage) qui est venue, de manière mystique, les menacer de cet acte. Syntyche
parle donc de cette tante en fustigeant sa sorcellerie (du village). Cette déclaration montre
comment le village (qui est l’espace de référence, d’origine) agit sur la vie même de ceux qui
sont en ville de manière mystique. Par la sorcellerie, le village a le regard sur tous ses enfants
où qu’ils soient et peut en bien ou en mal les influencer. Tous les membres du clan sont liés
comme par un cordon ombilical.
La manière dont les acteurs-personnages jouent la sorcellerie pose le problème de
l’existence réelle de la sorcellerie et de ses effets dans la société. Les acteurs personnages
bousculent cette sorcellerie par leur propos. Ainsi dans leur discussion, avec la tante accusée de
sorcellerie, les acteurs-personnages Syntyche et ya Za ont tenté de s’opposer à cette sorcellerie.
Ainsi en témoignent leurs propos ci-après tiré de la pièce Enfants de la rue:
Texte 42
sorcier. Nous en avons déjà parlé dans le chapitre premier. Et les acteurs-personnages nous font
vivre cette catégorisation. Toujours dans la discussion qui oppose la tante et son neveu et la
femme de ce dernier, la tante (sorcière) se présente en protectrice de son neveu. C’est en cela
qu’elle menace la femme qui est la source des difficultés de son neveu. En effet, nous l’avons
déjà dit, ya Za a pris une autre femme à la place de celle que la famille lui avait proposée. Ce
qui a entraîné dans sa vie des tourments. Voici, comment la tante de ya Za se présente en
protectrice de son neveu, face au projet de la famille maternelle de ses neveux (neveux de ya
Za).
Texte 43
Tante: kiadi baana balezi, kiaadi. Bika nketo wu, wilwé? Mwingi wuzaba ti minu ndidi khomba
siaku. Za tikadi minu, nginu mefwa. Dikanda di Mbinzo balembu kukanina. Munloko widi sumbu
widi vovo. Nloko beeni kwé! Mu kabine. Mukabini widi. Tikadi minu, nginu wufwidi muna kabini.
(Kiyombe).
Traduction
Tante: pitié, les petits enfants, pitié. Laisse cette femme, tu as entendu? Pour que tu saches que je
suis la sœur de ton père, Za sans moi, tu serais décédé. La famille de Mbinzo est en colère contre toi.
Tu es en prison comme tu es là. Cette prison, c’est où c’est aux toilettes. C’est aux toilettes que tu
es. Sans moi, tu serais décédé là aux toilettes.
La tante montre que son neveu est emprisonné, mystérieusement, par la famille
maternelle des enfants qu’il a déshérités et dont l’un a trouvé la mort à cause de cet acte. Et à
cause de cette mort, cette famille menace à mort ya Za son neveu, et c’est donc elle qui
s’interpose. Cette représentation traduit bien l’idée de (Balandier 1965:254) au sujet de la
sorcellerie. Il note, à ce sujet, que celui qui a le kindoki s’appelle ndoki. Sa kindoki lui attribue
une intelligence spéciale et supérieure aux intelligences humaines ordinaires; avec cette
intelligence qui lui permet de savoir comment se présente la réalité fondamentale des choses et
des êtres humains, il possède le pouvoir de se placer au niveau de cette réalité et d’en influencer
le cours dans un sens néfaste. Dans le cas ci-présent, la tante influence négativement la décision
de sa belle-famille qui tente d’éliminer son neveu. Donc elle s’interpose en protégeant ce
dernier malgré ses méfaits. C’est le sens du proverbe yombe: «kubiziami kutwama waku»
«Dans les cimetières, (la tombe), que les tiens t’y précèdent». Pour que les jours que tu y
seras, ils te guident et te fassent connaître comment est la vie là bas. Sens: là où, l’on traite des
problèmes, mieux vaut être représenté; cela procure toujours l’un ou l’autre avantage.
Finalement à la question, la sorcellerie est-elle un mythe ou une réalité? Le Père
340
susmentionné y répond que «c’est à la fois un mythe et une réalité. Sans l’ombre d’un doute,
pour ne pas me mentir, avoue-t-il, comme chercheur, Africain, chrétien, comme homme tout
simplement, je dois répondre, haut et fort: «la sorcellerie c’est une réalité. C’est un ensemble
d’énergies psychologiques spirituelles que tous les hommes ont reçues du Créateur, à des
degrés divers. La sorcellerie devient même noble quand chacun ou chacune de nous utilise ses
énergies, dans nos relations interpersonnelles pour le bien…» De là à nous inviter à devenir
tous de «bons sorciers», comme son père l’était –«protecteur du village»-. N’est-ce pas cette
invite au positivisme sorcier qui traduit la représentation faite par les acteurs-personnages. En
effet l’ombre des discours des acteurs-personnages ne semble pas repousser la sorcellerie. Au
contraire ils font croire à la sorcellerie, comme un discours social dans lequel les choses
s’organisent, une représentation mentale des événements; mais seulement ils sont de temps en
temps intrigués par son image nuisible. La manière dont les acteurs personnage soulèvent cette
question atteste que la sorcellerie fait partie intégrante de la vie dans leur société. Leur vie
réelle est vivement influencée par la sorcellerie. C’est pourquoi Mudimbe (s.d) cité par Yoka
(2012:131) la considère à la fois comme institution, idiome et langage.
Dans ce sens, le titre de la pièce Et après pose un bilan! En considérant que les deux
étaient perdants c’est-à-dire «pourquoi moi ya Za (qui représente une catégorie de gens) me
suis-je opposé à la logique du clan et aussi pourquoi mon père (qui représente aussi une
catégorie) s’est-il comporté en «mauvais sorcier» contre moi? Parce que finalement ils sont
revenus à la case de départ. Et même quand l’acteur-personnage ya Za se considère innocent de
l’acte qu’il a commis dans la pièce Je suis innocent: il n’accuse pas nécessairement son ami qui
est à la base de la tuerie. Il accuse la société qui est à la base de ses difficultés. Lui et son ami
se sont installés en ville en provenance du village. C’est pourquoi, nous considérons que les
acteurs-personnages sont en train de poser le problème d’équilibre et d’harmonie.
L’opposition monde d’origine et monde d’installation nous projettent deux situations.
Partout où l’on se retrouve, on doit chercher à se conformer aux principes du clan, car le
contraire peut comporter des risques: la non réussite, des complications dans tout ce qu’on
entreprend. C’est le problème que posent en général, les quatre pièces Enfants de la rue, Et
après, Ezui ezui et Je suis innocent.
Dans la première pièce, nous l’avons dit, le personnage ya Za a été choisi comme
héritier des biens laissés par son frère, ensuite on lui avait choisi pour femme la fille de sa tante.
En tant qu’héritier, il devait prendre soin de ses neveux, et en prenant la fille de sa tante en
mariage, il devait permettre à la famille de continuer de jouir de cet héritage. N’ayant pas
observé ces principes, ya Za a subi des conséquences. L’ultime conséquence peut être la mort.
341
Ya Za: papa tshiento papa tshiento, kwe wumebasikila papa tshiento (kiyombe)
Tante: za wukadi wa, mbindi lembu kambanga kudi kento wa ehen! Mbi tidi. (Kiyombe).
Ya Za: bwa nge nge weka ku tsodila kento yikwela, ah papa tshiento kwé wumebasikila? Kwé
wumebimina nzieyo! (Kiyombe)
Tante: tala wukadi wa mukento wa ti mengi fwa bika nketo wa; minu ndi komba siaku. (Kiyombe)
Traduction
Tante: Za, tu n’entends pas, qu’est-ce que je suis en train de te dire sur cette femme, hein! Que
veux-tu?
Ya Za: maintenant c’est toi qui dois choisir pour moi la femme à prendre en mariage, ah, tante d’où
sors-tu, d’où sors-tu?
Tante: regarde tu n’entends pas avec cette femme, si tu ne veux pas mourir abandonne cette femme; moi je suis la
sœur de ton père.
La tante de ya Za est menaçante vis-vis de ce dernier. Elle lui dit ouvertement que la
conséquence de la désobéissance de l’ordre familial, c’est la mort. Et la mort se situe à
plusieurs niveau, matériel (la destruction mystique des biens) et physique (la perte de la vie).
Ainsi, nous pouvons comprendre les propos ci-dessus de la tante du héros.
Nous comprenons par là que les décisions du clan sont opposables à tous. Ne pas s’y
conformer entraine des conséquences, nous venons de le dire, au regard des propos de la tante.
Dans le cadre de mariage, nous devons souligner que le mariage chez lesBakongos est un
342
problème des clans. Ce sont les familles qui se marient. C’est pourquoi, l’on dit «makwela
mvila» «le mariage, c'est un problème des clans». Nous venons de le dire d’ailleurs ci-haut,
que dans le mariage exogamique, c’est le chef de clan qui possède à la présentation de leurs
enfants. C’est pour montrer que les clans sont intimement liés. Nous avons dit d’ailleurs à
l’introduction, que les familles constituent des alliés. Et donc le fait que ya Za repousse la
décision du clan met le clan en disharmonie qui engage même les morts. Ainsi par exemple
dans l’extrait suivant tiré de Enfants de la rue, nous nous trouvons en face d’une prosopopée où
Mukuwa devant le cadavre de son frère Mbinzo qui vient de mourir s’adresse à celui-ci en
envoyant un message à leurs parents décédés lui demandant d’accuser leur oncle paternel pour
le comportement inhumain qu’il a manifesté face à eux. Cela parce qu’il estime que ceux-ci ont
un pouvoir d’agir sur leur oncle.
Funda papaleki na papa tina mama. Accuse l’oncle paternel chez papa et chez maman.
Dans ces conditions, c’est l’individu qui est sacrifié au bénéfice de la communauté. Il y
a dans la légende kongo un proverbe qui dit que le roi condamna à mort sa sœur qui avait
enfreint à la loi. Ceci traduit l’esprit de la justice, mais aussi de l’observance des institutions
traditionnelles qui caractérise la société. C’est donc tout cela qui explique les mésaventures que
vit ya Za dans sa trajectoire. (Exemple: ya Za dans sa fuite vers la ville s’est perdu dans la forêt
suivant les paroles prononcées par son père, ou le même acteur qui en ville travaille sans
toucher son salaire parce que son père resté au village se déguise en sa personne et touche son
salaire à sa place). Smadja (2001:65) atteste la thèse que l’espace vécu projette aussi l’image du
corps en particulier. Il écrit cependant:
S’il est une thèse, en effet, sur laquelle se rejoignent et convergent toutes les réflexions, c’est celle
qui fait de l’espace vécu non un pur donné de l’ordre de l’extériorité, mais le produit d’une genèse,
solidaire comme tel, dans ses structurations et déstructurations, de la psychogénèse en général, des
relations objectales et de l’image du corps en particulier.
Les représentations de ces pièces projettent un idéal: celui de faire les choses selon la
343
volonté du clan représentée soit par ses parents, soit par les frères ou les sœurs de ses parents.
Dans ce cas, la sortie ou l’envoi en ville est la volonté de la famille et l’enfant qui sort de cette
manière bénéficie de la bénédiction de cette dernière. Dans ces conditions, la non réussite n’est
pas du tout le problème du clan.
Dans les extraits de texte qui suivent tirés de la pièce Ezui ezui, la famille entière se
décide d’envoyer leur enfant en ville, pour le bien être de toute la famille. Nous pouvons lire
dans la prise de parole de chacun, un discours programme d’un enfant qui va en ville. Ce qui
traduit la représentation ou la symbolique de la ville pour les villageois. Ces extraits traduisent
en même temps la mise en scène de l’esprit d’harmonie, de collaboration et de dialogue qui
caractérise le village. En effet, les grandes décisions sont souvent concertées et généralement
en présence de deux familles. Si elles ne sont pas ensemble, du moins la famille absente est
informée d’avance des décisions qui vont être prises. Cette collaboration tient aussi des
réserves, surtout lorsqu’on traite des problèmes des enfants qui sont neveux par ailleurs. La
famille paternelle en informe la famille maternelle pour ne pas être accusée par cette dernière
en cas de problème. La succession étant matrilinéaire, les oncles maternels veillent au grain au
soin de leurs neveux (de près ou de loin) qui, en fait, sont leurs héritiers suivant les principes de
succession établies. D’abord la souche ainée ensuite les suivantes, selon l’ordre d’importance
(liée à la position). De la même manière, si c’est la famille maternelle qui traite des neveux, la
famille paternelle doit être au courant. En effet, nous l’avons dit si l’oncle est responsable vis-
à-vis des neveux, par rapport à la succession; c’est le papa qui a le pouvoir de protection et de
bénédiction des enfants. C’est pourquoi, comme nous l’avons dit à l’introduction, le neveu ne
succède à son oncle qu’après un rituel où l’oncle fait la demande à la famille paternelle de
libérer le neveu pour prendre le trône.
Père de ya Za: Za! Ngee nakwenda na Boma. Nge kwenda ve samu nakulandakana loyenge ya bana Boma. Mais
nge mekwenda samu na kulonguka kisalu. Kwenda longuka kisalu mbote samu beto pe beto vwanda na courage.
Kana kima mezanga, bokila munu. Et puis metinda nge na inzo ya grand-frère ya nge Liziba. (kikongo ya leta).
Traduction:
Za! Tu es en train d’aller à Boma. Tu n’y vas pas pour suivre le comportement pervers des jeunes de Boma. Tu y
vas pour apprendre du métier. Vas! Apprends bien le métier afin que nous aussi, nous ayons du courage. S’il y a
344
quelque chose qui manque, appelle-moi pour que j’envoie. Et puis, je t’envoie chez ton grand-frère Liziba.
Texte 47
Petit-frère de za: Ya za buumkwenda wundatina kupa, ayi caleçon ayi kipelekese. Ya Nkulutu nlonguka kisalu,
mwingi nge m’vaku wundongisa. (Kiyombe).
Traduction:
Ya Za comme tu es en train d’aller à Boma, apporte-moi une culotte, un caleçon et une babouche kipelekese. Cher
grand- frère, apprends bien ton métier pour que à ton tour, tu m’apprennes aussi.
Texte 48
Ya Za:Munu pfuete kaka kwenda. Ma wumona âge ndyeka, ndyeka kulutu bungyena vo. Pfueti kaka kwenda ku
Boma kulonguka kisalu. Wumona kaka bwala kwaku kisaalu kaka kuyoka zitsoola, kwaanga zingazi. Wumona
bankaka balonguka bisalu, yono yono mwaana beeni yandi wela kulusaadisa. Minu mbote ndi mona.
Traduction:
Ya Za: Moi je dois seulement partir. Maman, tu vois l’âge que j’ai maintenant; je suis devenu adulte comme je
suis ici. Je dois seulement aller à Boma pour apprendre du métier. Tu vois bien ici au village, l’occupation
principale, c’est seulement faire du champ, couper des noix de palme. Tu vois certains ont appris du métier,
demain ou après demain, c’est le même enfant qui va vous aider. Moi, je trouve que c’est bon.
Texte 49
Tante maternelle: Ah semeki, problème yoyo yi Za, depuis thama yitona. Bika mwaana bakala bukadi vovo,
kafweti tambula, kafweti dyata mwingi kabaka luzingu. Yandi baka luzingu, buna beeto mamveeto mpe kabéki
mukutusadisila. Mukwevwandanga kubwaala, luzingu lubwala lwidi phasi na phasi. Bika, zibuleeno mintima
mwaana kakenda. Nzambi kansakumuna.
345
Traduction
Ah, beau-frère! Ce problème de Za a commencé depuis longtemps. Regarde, un garçon doit marcher, il doit
marcher pour chercher la vie. S’il réussit à trouver la vie; nous aussi, il saura comment nous secourir. Rester au
village, avec cette vie du village qui est si difficile… Laissez. Ouvrez-le cœur, que l’enfant parte! Que Dieu le
bénisse.
Il faut noter que la réponse de ya Za à la question de sa mère (texte 48) ou les conseils
de son père (texte 47) et de sa tante (texte 49) posent le problème de déménagement, concept
central chez Shaaban Robert. Selon cet auteur, «Déménager, quitter le monde simplement
hérité, c’est changer de perspective sur le monde, et sortir du dualisme rigide entre les bons et
les mauvais». (Robert 1968b; Garnier 2006:77).
Pour montrer la joie de la famille, le papa procède à la bénédiction de l’enfant, à travers
le rituel suivant: «le wupu yobo». Il se fait en quatre phases: d’abord le papa qui demande à son
fils d’entrer sous ses jambes, ensuite l’enfant qui exécute la demande de son père, après le papa
qui soulève les bras de l’enfant en haut en disant le wupu yobo (bonne chance et que rien de
mal ne t’arrive) enfin le papa qui crache sur son fils.
Donc, nous avons vécu deux situations où la ville a la même symbolique. Sauf que dans
la première situation, l’arrivée en ville est faite contre l’assentiment de la famille est a entraîné
des conséquences pas très bonnes, alors que dans le second cas, le déplacement se fait sous la
bénédiction de la famille. Ce qui donne beaucoup plus de chance de réussite. Donc la ville est
la symbolique du progrès, du travail, alors que le village dans ces conditions est la source du
conservatisme, de la tradition.
L’homme Mukongo dans ces conditions, tel que nous le fait vivre les acteurs-
personnages, traduit l’image d’une culture située dans un espace caractérisé par un certain
nombre de traits révélés par les textes analysés. La socialisation des personnages, à travers une
expérience spatiale partagée implique de considérer que dans les arts de représentation
Pour mieux saisir ce peuple, il ne faut pas seulement, considérer l’aspect de façade, il faut aussi
346
et surtout saisir l’aspect de l’intérieur. Ces aspects sont bien représentés dans les œuvres d’art,
notamment dans le théâtre, la littérature. La perception et le comportement des acteurs –
personnages posent donc que « […] la ville, tissée de jeux sociaux, évide les corps des
personnages et les transforme en êtres de rêves et de discours. Toute une dialectique de la
présence et de la fuite sous-tend les récits». (Garnier, 2006:153).
Nous assistons également à d’autres espaces qui modèlent la conduite des acteurs-
personnages dans les textes analysés.
Texte 50
Enfant du village: mfumu kudi nge ngizidi. Batu bayenda kuna bwala …
Chef du Village: bwala buna batu baminkisi baadi. Kadi kwendanga kuna.
347
Traduction
Enfant du village: Chef, c’est auprès de toi que je viens; les gens qui sont partis dans le village de Mansi mandou
ne sont pas rentrés depuis lors.
Chef du village; ce village-là est réputé à cause des fétiches. Les habitants de ce village sont forts en fétiche. Il ne
faut jamais aller là –bas.
Liziba: um
Ngàngà: mambu moso wizidi, tumazebi, vayi yoluka kaka mwingi bakulu bawa.
Liziba: nazalaka na camarade na nga na inzo. Camarade wana soki pe totali bien ngayi moko naleki
ye pe na beauté. Mais na lulaki kento na na ngayi, ye mbala moko ake zona kento, kento na ngayi po
kaka na zangaki mbongo. Soki nazalaka mbongo mbele na pesaki ye mbongo, sikoyo akelinga
camarade na nga po apesaki ye mbongo. Kento na nga azwi ye; yango naza na posa ngàngà osalela
nga jeu, po na zwa kento na ngayi. (D’une voix pleurnicharde).
Ngàngà: tala nge meka continuer kusala bajeux, mukezenga nge dikulwé
Liziba: um um!
Ngàngà: kana nge zona banda tuba dyambu, banda kutubaka maître. Po munu muke maître jules
César Dicaprio, maître batindaka samu na bamambu na beno. Nge Liziba kubanga ve. Batu mingi...
munu salaka bawu. Ba chacal, bakala soeur Mimi, balutilaka awa. Ba Chiporge Bayaya ba lutilaka
awa. Maintenant, beto ke na luta na invocation, beto kena invoquer ba ancêtres samu basala. Allez
fukama
Liziba: eh oui.
Ngàngà: fukama
Ngàngà: oui, les ancêtres, beno lumvana ngolo yidyatila va yilu bima byoso. benu luphana tsabi yo
batedilanga. Benu luphana pouvoir. Benu luyekula mwanenu, lubika yekula Liziba. Oui les ancêtres.
Liziba, ba ancêtres metuba, pesa dibokwange
Liziba: maître diboko mosi ka ke na munu, zoole ve, oh mamé, maître pardon, o yamekwenda.
Traduction
Liziba: kokokoko
Liziba: merci.
Ngàngà: nous connaissons tous les problèmes qui t’amène ici. Mais parle seulement pour que les
ancêtres entendent.
Liziba: j’ai un ami à la maison. Apparemment, je suis plus beau que cet ami. Je suis allé aimer une
fille, cet ami a aussi aimé la même fille parce qu’il avait l’argent. Si (moi aussi) j’avais de l’argent,
j’allais donner à la fille La fille a aimé mon camarade parce qu’il lui a donné l’argent. Ma femme
que j’ai eue vraiment! C’est pourquoi, je suis venu voir le ngàngà pour qu’il fasse un jeu et me
permettre de récupérer ma femme.
349
Liziba: oui
Ngàngà: si tu veux dire quelque chose, tu commences par dire maître. Moi, je suis le maître
philosophe César Ducaprio. C’est moi qu’on a envoyé pour vos problèmes. Alors toi, n’aies pas
peur. Beaucoup de gens sont passés par moi (pour leur succès). Maintenant, nous allons procéder à
l’invocation. Nous allons invoquer les ancêtres pour qu’ils agissent. Mets-toi à genoux.
Liziba: oui.
Ngàngà: oui, les ancêtres. C’est vous qui m’avez donné la force de marcher sur toute chose. C’est
vous qui m’avez donné la clé pour ouvrir. C’est vous qui m’avez donné le pouvoir. C’est vous qui
avez sacrifié votre fils. N’abandonnez pas Liziba. Liziba, les ancêtres disent de montrer ta main.
Liziba: maître, j’ai seulement un seul bras, pas deux. Oh ma mère! Oh! Ma main est partie.
Ngàngà: oh, les ancêtres! Entre vos mains, je remets cet enfant Liziba.
Dans ces autres textes 52 et 53, nous illustrons comment le personnage ya Za dans la
pièce Et après, dont l’argent de salaire est touché par son père qui se déguise en sa personne,
s’en va voir les ngàngà pour en savoir plus de la personne qui lui cause ce tort:
Ngàngà: kamba mambu mawizidi. Beto tumazeyi, vayi ngeveka kambi buna
Ya Za: nalingi nayeba basanza mibale eleki nazo zwa mbongo na ngayi ya salaire te. Nalingi nayeba, nani azosala
bongo tango mosusu patron azokosa ngayi.
Attends! Kilumbu kinka ndibeteka phita; thumbu zimbukila, phita beni yeka langu.
Maître: ah ah ah! Mbinzo ozoyoka makambo azoloba? Alingi ayeba nani akosala bongo. Za owutaki na mboka,
okomona mutu akobima na miroir ye mutu akosala bongo
Invocation: beeto tusambilanga Nzambi a mpuungu ko, kasi beto bisimbi tusambilanga. Maître 666.
350
Traduction
Nganga: dis-moi pourquoi tu es venu. Nous le savons déjà, mais dis ça d’abord toi-même.
Ya Za: je vais savoir […] ça fait deux mois que je ne touche pas à mon salaire. Je vais savoir qui me fait ça, peut-
être que mon patron est en train de me mentir. […] Attends! L’autre jour, j’étais en train de vendre du pétrole;
subitement, ce pétrole se transforma en eau.
Ngàngà: ah! Ah! Ah! Mbinzo, tu entends ce qu’il dit? Il veut savoir qui lui fait ça. […] Za, tu viens du village, tu
vas voir! Celui qui fait cela va sortir du miroir.
Invocation: nous, nous ne prions pas le Dieu tout puissant, nous nous prions les esprits. Maître 666.
Ya Za: nya nio nya papa. Vrai ndoki. Nya wulembu kukwamisanga.
Traduction: c’est celui-là, mon père. C’est un vrai sorcier. C’est lui qui est en train de me faire
souffrir.
Le recours à cet espace par les deux jeunes dans la pièce Tom et Gerry explique leur
souci non seulement de se dominer mutuellement mais d’affecter la fille dont ils veulent chacun
conquérir le cœur. Le discours du féticheur montre que cet espace n’est pas l’espace de tout le
monde. C’est l’espace des esprits, notamment des ancêtres. Ce sont eux qui lèguent le pouvoir
ou qui donnent des directives au guérisseur sur la solution au problème que pose la personne.
Même ceux qui viennent solliciter ses services sont étrangers à ce monde. Ils y sont sans rien
maîtriser. Les réactions de Liziba en face du ngàngà l’attestent bien. Il n’y maîtrise ni le
langage, ni les pratiques. Mêmement, pour l’acteur personnage ya Za qui, impuissance devant
le sort qu’il est en train de subir, a recouru auprès du ngàngà pour son secours. Et, selon
Thomas L-V (1992:7)
[…] Ce sont les mots ou expressions sacrées, plus spécialement empreints de puissance créatrice ou
émotionnelle, qui interviennent directement dans le circuit des forces et parviennent, en vertu du
principe de correspondance sympathique, à les orienter dans le sens voulu par le fidèle (magie) ou la
communauté des fidèles (religion). Cela permet d’apprécier la place de choix qui revient, dans le
rituel animiste, aux formules occultes que le non-initié ne peut entendre; ou à celles, franchement
ésotériques, que l’homme, non parvenu aux degrés les plus hauts du savoir profond ou du savoir
lourd ne saurait comprendre D’où la langue secrète des prêtres et l’hermétisme systématique de la
plupart des récits mythiques.
Il en est de même de l’acteur personnage Liziba dans Je suis innocent qui, après avoir
commis un forfait à Boma (il a fait faire un avortement sur sa petite amie qui décéda de cet
351
acte), fuyait vers Cabinda. Et dans le souci de s’échapper de cette situation, il s’en va voir le
ngàngà pour dominer le problème qui l’accable et les personnes qui peuvent lui causer du tort.
Mayuku: Liziba
Mayuku: Liziba
Liziba: maître
Mayuku: mukemonisa nge, nabayina nge ke kutanaka, na munu ve. Hé, Liziba mambwa nge
nyonso nge zabisaka munu mezaba, kana yankaka kele tuba samu bakhulu ba kuwa.
Liziba: maître muvwanda na mwana kento mosi plina yandi vwanda kentwa munu, beto kwiza
katusa bwemba, mupesa yandi kinsi na chambre ya camarade, na chambre ya camarade munu, tumu
zimbukulu kaka menga mebanda bima ame kufwa; maintenant yandi kena kwimonikina munu
maître.
Mayuku: bakhaka, bakhaka, beno mekuwa mambu bamekutubila beno, ahaaa, makhondo. Liziba...
Liziba: maître
Mayuku: na mambwa nge yina muzo ladikisa yau. Na mambwa nge nionso yina muzo ladikisa
yau.Kansi nge telema samu muladikisa mambu na nge.
Traduction:
Liziba: Mayuku
Mayuku (qui réagit) ici tu ne m’appelles pas Mayuku. Appelle-moi plutôt maître.
Mayuku: Liziba
Liziba: Maître.
Mayuku: je vais te montrer que tu as échoué chez les autres, pas chez moi. Eh, Liziba! Je connaîs le
problème dont tu m’avais parlé la fois passée. S’il y en a d’autres, parle pour que les ancêtres
entendent.
Liziba: Maître, j’avais une amie à moi qui s’était retrouvée enceinte. Nous avons pris l’option
d’avorter. Je lui avais donné des produits dans la chambre de mon camarade. Dans cette chambre,
352
elle a fait une hémorragie dont elle est décédée. Maintenant Maître, cette fille m’apparaît chaque
nuit.
Mayuku: chers ancêtres! Chers ancêtres! Vous avez entendu ce qu’on vous a dit. Liziba!
Liziba: Maître
Mayuku: je vais endormir ton problème là. Tout ton problème là, je vais l’endormir. Alors toi,
mets-toi debout pour que j’endorme ton problème.
Les ancêtres sont ceux qui sont invoqués pour secourir l’infortuné. Non seulement les
ancêtres, mais aussi les sorciers sont concernés par cet espace mystique. En effet, la sorcellerie
ne se voit pas à l’œil nu, s’il peut l’être, c’est donc entre sorciers ou personnes d’un haut degré
de spiritualité. On note une certaine prédilection pour les lieux isolés, profondément cachés.
Ainsi, nous l’avons vu, les initiations se passent à l’écart des villages, dans des endroits isolés,
enfermés. Nous l’avons vu comment le père se retirait à la forêt pour aller jeter de mauvais sort
à ses enfants. Même pour passer au rituel «awupu yobo», le papa isole son fils derrière la
maison à l’absence de tout le monde. La forêt est donc un domaine du sacré où les esprits
circulent. Dans la tradition, on interdisait souvent aux enfants de pénétrer seuls dans la forêt.
Tout ce qui est dans la forêt est une symbolique relevant souvent du sacré. Ainsi l’arbre devant
lequel le papa de ya Za se trouve pour dire des incantations n’a pas la même connotation en
temps normal. Les paroles du texte 55 tiré de la pièce Et après où le papa vocifère sur son fils
revêtent un caractère très sacré par rapport au contexte dans lequel elles sont employées.
Texte 55
Père: Nakolakisaye, nakolakisaye naza nani. Soki obeli liboma te, loba ngayi te tata nayo. Ngayi te nabotaki yo.
Nge mwana na munu, nge mesala tembe na munu. Nge mezonzisa munu, um! Oswanisi ngayi papa nayo! Eh,
ozali pamba po na ngayi, nakolakisa yo nazali nani. Nakolakisa yo. Soki obeli libomate, loba ngayi te tata nayo to
ngayi te moto na botaki yo. Philosophe, philosophe, okomona nga naza nani; ndidi siaku, bu ndidi va. Okomona
an! Na mbila na ngayi, pe oswanisi ngayi, obeti ngayi. (lingala/kikongo ya leta/kiyombe)
Traduction
Père: Je vais lui montrer, je vais lui montrer qui je suis. Si tu n’attrapes pas la folie, dites que je ne suis pas ton
père. Ce n’est pas moi qui t’ai engendré. […] Toi mon fils, tu m’as rivalisé! Tu t’es querellé avec moi, um! Tu t’es
querellé avec moi! Eh, tu n’es rien pour moi, je vais te montrer qui je suis, je vais te montrer. Si tu n’attrapes pas la
folie, dis que ce n’est pas moi ton père ou ce n’est pas moi qui t’ai engendré. Philosophe, philosophe, tu vas voir
qui je suis; je suis ton père tel que je suis ici. Tu vas voir. Han! Pour mes noix de palme, et puis tu m’as rivalisé, tu
m’as frappé.
353
Pour renforcer cette atmosphère secrète, mystérieuse, certains espaces, comme les cases
de fétiches, sont surdéterminés, avec la présence d’objets hétéroclites, curieux, à l’allure
terrifiante et insolite: queues de taureaux, statuettes, masque au visage infernal, cornes rouges,
vertes. L’emploi de ces expressions montre que l’espace sacré n’est pas un endroit comme tous
les autres. Des principaux emplacements qui entrent dans l’infrastructure du lieu sacré, il
apparaît que du plus petit canari à la montagne la plus élevée, il n’est rien qui ne puisse en
devenir le siège et revêtir, aux yeux de l’individu ou de la collectivité, un prestige sans égal.
Les uns, par leur hauteur, leur verticalité, participent au symbolisme spatial de la
transcendance; les autres, comme les épiphanies végétales, frappent par leur profondeur et leur
opacité. L’ensemble conjugue ainsi la dialectique du clos et de l’ouvert. A cet effet, selon
Melone (1972) repris par Sanvee (2001:140)
L’identification des différents lieux présentés dans les romans d’auteurs négro-africains comme
sacrés met en concurrence le domaine de la nature et celui de la culture. Le premier confond en une
seule unité les forces telluriques, c’est-à-dire toutes les hiérophanies qui s’étaient réalisées dans le
milieu cosmique environnant –terre, pierres, arbres, eaux, etc.- auxquelles on pourrait ajouter bas-
fonds, brousse, forêts, montagnes, savane.
Ces détails peuvent se lire avec le décor que donnent les ngàngà qui se présentent avec
des bandeaux rouges sur leurs têtes et aux bras ou aux hanches; nous l’avons aussi identifié
chez le personnage qui joue la prêtresse de la religion de dieux des ancêtres qui porte des
cornes sur sa tête avec des bandeaux, et une baguette symbolisant le pouvoir.. Un espace
terrifiant conditionnant la peur et l’horreur aux non habitués.
Dans Le sang des masques, il est attesté que «Si les dieux abandonnent le village, il faut
abolir la sagesse, les fausses joies, violer les nuées, y bâtir de nouveaux sanctuaires et planter
aux quatre portes de l’espace l’arbre des transes et du village…». (Badian, 1977b:118). On peut
lire dans La transfiguration de Bantji, l’illustration du triomphe des vérités du village, de
l’absolu éthique traditionnel sur certaines tares de la modernité. Cette scène de théâtre rituel,
qui se déroule au Bois Sacré, donne en spectacle également l’art de guérir, à la manière
traditionnelle, les maladies qui frappent «l’invisible», une psychothérapie de l’angoisse
d’abandon que Bantji considère pire que la mort. Les masques, les prières, les cris, la
percussion des tambours ainsi que la présence de nombreux spectateurs- acteurs qui facilitent la
transe, permettent à cet homme de se métamorphoser en un être qui par définition lui est
supérieur; on assiste ici à une véritable prise d’identité comme le souligne l’éloge funèbre d’un
des compagnons de Bantji.
Dans la pièce Seul christ nous suffit, le chef du village montre à ses protégés que
354
Ya Za: papa tshiento papa tshiento, kwe wumebasikila papa tshiento (kiyombe)
Tante: za wukadi wa, mbindi lembu kambanga kudi kento wa ehen! Mbi tidi (kiyombe)
Traduction
Tante: Za, tu n’entends pas, qu’est-ce que je suis en train de te dire sur cette femme, hen! Que veux-
tu?
A travers cette discussion, nous voyons bien que l’espace mystique est l’espace de tous
les enjeux. Beaucoup de situations qui se vivent dans la réalité sont déterminées par ce qui se
passe dans cet espace. Il y a lieu de faire un lien entre l’espace d’origine et l’espace mystique,
étant donné que, comme nous sommes en train de le remarquer, l’espace d’origine est très
impliqué par le mystique. Nous ne disons pas que cela ne se vit pas dans le milieu urbain, mais
même s’il se vit en milieu urbain, son origine est bien l’espace rural, selon évidemment notre
corpus.
Nous pouvons encore faire remarquer à travers la conversation ci-après, extraite de la
pièce Enfants de la rue, l’influence du monde mystique sur le réel:
Ya Za: papa kento, mambi makumvanga. Mukunwana mekwiza, papa kento mukunwana mekwiza, mayi
nzimbakana kwaama. Ayi ngutu, ngutu (kiyombe)
Syntyche: kana kindoki ya beeno ni place beeno ke nata munu ve, beeno kekoka munu ve. (Kikongo ya leta)
Tante: ndieka bwela kumonisina kinkaka. (Kiyombe) (Elle lui envoie une sorte de rayons qui lui abîme les yeux.)
Syntyche: ehé mamé meeso. Meeso munu mukena mona diaka ve. (Kikongo ya leta)
355
Ya Za: lamuka lamuka. Aza mona susu te? Yikuvana nlangu wusukula zizi? (Lingala/kiyombe)
Ya Za: aza mona lisusu te. Mbi mambi mekuvanga, papa tshiento. Mwana ngana. Bika ndi sukula meeso.
(Kiyombe)
Syntyche: (pleurant) beeno sa bikana na inzo ya beeno, mekweenda munu. Kana kutu muzaba ke playi ya kele,
sinon mukwendaka munu, muzona bikana ve awa.Mekwenda munu.Kusosa munu diakave, mukele diakave
nketwa nge, mekwenda munu.(Kikongo ya leta).
Tante: kiadi baana balezi, kiaadi. Bika nketo wu, wilwé? mwingi wuzaba ti minu ndidi khomba siaku. Za tikadi
minu, nginu mefwa. Dikanda di Mbinzo balembu kukanina. Munloko widi sumbu widi vovo. Nloko beeni kwé!
Mu kabini. Mukabini widi. Tikadi minu, nginu wufwidi muna kabini. (kiyombe)
Tante: ti kadi minu ndilembu kuvovilanga, nginu wufwidi. Bila babeki, mwaana wu Mukuwa. Nge tulembu
vingilanga kubwaala. Sya nswaalu wiza tubongisa dikwela diaku ayi mwanaku mfumu. Ti tidi zinga wufweti
kwela mwaanaku mfumu Fallone. (Kiyombe).
Traduction
Ya Za: tante, qu’est-ce que tu lui as faite. Tu es venue pour te battre, tante! Tu es venue pour te battre, je vais
t’oublier. Ah! Coup de tête, coup de tête.
Syntyche: avec votre sorcellerie, vous ne m’emmènerez nulle part, vous ne m’aurez pas.
Ya Za: réveille-toi, réveille-toi. Tu ne vois plus? Je te donne de l’eau que tu te laves la figure?
Ya Za: tu ne vois plus. Quel mal tu lui as fait, tante. L’enfant d’autrui. Laisse que je te lave les yeux.
356
Syntyche: restez dans votre maison, moi, je m’en vais. Si je savais que c’était ainsi, je serais partie, je n’allais pas
rester ici. Je m’en vais. Ne me cherche plus, je ne suis plus ta femme, je m’en vais.
Tante : pitié, les petits enfants, pitié. Laisse cette femme, tu as entendu? Pour que tu saches que je suis la sœur à
ton père, Za sans moi, sinon tu es décédé. La famille de Mbinzo est en colère contre toi. Tu es en prison comme tu
es là. Cette prison, c’est où c’est aux toilettes. C’est aux toilettes que tu es. Sans moi, tu serais décédé là aux
toilettes.
Tante: sans moi qui te défends toujours, sinon tu serais mort. Le mal qu’il te reproche, c’est cet enfant Mukuwa.
C’est toi que nous sommes en train d’attendre au village. Fais vite viens qu’on arrange ton mariage avec mwanaku
mfumu. Si tu veux vivre, tu dois prendre en mariage mwanaku mfumu Fallone.
Traduction:
Nous voulons souligner ici, selon la logique de notre corpus, la puissance dominatrice de ce
monde par rapport au monde réel; mais aussi le pouvoir du dire et du faire qui caractérise la
sorcellerie. Dans les mêmes conditions, dans la pièceTom et Gerry, le ngàngà demanda à Liziba de
saluer son ami en vue de connecter le sort qu’il a été chercher contre ce dernier. Et dans la pièce Et
après, dès que le papa salua son fils, ce dernier fut hypnotisé, et la folie fut connectée comme sous
357
forme d’onde maïeutique. Et nous avons évoqué au chapitre premier, le proverbe lingala qui dit que
«Si tu vois un sorcier parle le premier sinon tu perds la voix». Donc le pouvoir du faire découle de la
puissance du dire. Après avoir salué son fils, ce dernier fut hypnotisé, et quelques temps après les
effets de la folie commencèrent.
Comme nous l’avons déjà dit avant, c’est l’espace des initiés (sorciers, féticheurs), des
ancêtres, des dieux. Ainsi l’indique ces incantations où l’invocation des ancêtres constitue la formule
d’entrée ou de possession de cet espace. Le ngàngà, comme nous l’avons fait remarquer, font partie
de ceux qui aident les non initiés à pénétrer le monde mystique. C’est aussi le monde des ancêtres,
parce que les ancêtres font partie de cette catégorie (des mystiques). En cela, il est un monde
mystique, un monde ésotérique, un monde des initiés. Il n’est pas ouvert à tout le monde. Ceci permet
de comprendre certains rôles des incarnations dont nous avions parlé. Ces incarnations nous
introduisent dans un espace hors de celui-ci. Mais il importe de comprendre que l’espace mystique,
comme l’espace d’installation, constitue un monde de secours, un monde d’évasion, un monde
d’accomplissement face à l’espace réel où on est souvent confronté à des échecs de tous genres. Pour
sortir de l’emprisonnement de son père dans la forêt où il ne voyait plus de route, ya Za a recouru à la
prière à Dieu d’où est venu son secours. Dieu fait parti de ce monde mystique et d’esprit. Ceci nous
permet d’attester, comme le souligne Owomoyela (1979:10), que
Africans believe that the forces that control the universe are susceptible to human manipulation and
control mainly through the use of the power of the word, which is man’s exclusive preserve. In fact,
man creates the universe by the use of the word; it is because he says that things are the way they are
that they are the way they are. Man plucks leaves and through the use of the word gives them the
power to heal or kill; he carves a wooden idol and makes it a potent, protective divinity by naming
it; and man establishes an order of things by giving it expression.
C’est dans ce sens que Biodun Jehifo (1970:60) considère que « In general, therefore, man is
more or less on his own, in the East and Southern African plays, while in west African plays,
the gods, the ancestors, the spirit world and the symbolic projections of man’s fears and
credulities find a more accustomed, even sometimes a more dominant place by the side of
man».
Par leurs propos, les acteurs- personnages nous introduisent aussi dans l’organisation et
la croyance dans la société kongo. Les Bakongos croient à la vie dans l’au-delà, c’est pourquoi,
l’on voit de temps en temps des personnages parler aux morts. Donc l’espace kongo est
constitué des vivants et des morts. Et dans l’organisation sociale, l’espace kongo est structuré
comme suit: le créateur, ancêtres morts, ancêtres vivants, le Chef de clan, les ainés, les
membres du clan. Le chef de clan est investi du pouvoir de veiller sur le clan, en faisant
358
respecter l’autorité ancestrale détenue par les bambuta (les ancêtres) morts ou vivants. Ces
derniers ont une influence sur la vie du clan et ses membres.
Comme nous venons de le voir dans cette sous section, le ngàngà joue un rôle
déterminant dans la vie sociale kongo. Aujourd’hui, avec le christianisme, il semble partager ce
rôle avec le pasteur et le prêtre de manière parfois, pas toujours paisible. Comme cela a été mis
en scène dans la pièce Seul Christ nous suffit, où l’on a démontré l’opposition farouche entre
les pasteurs et les adeptes de dieux des ancêtres. Cette pièce est une mise en scène de la crise
qui a opposé les adeptes de Bundu dia Kongo et les autres religions (chrétiennes: en général). A
propos de ngàngà, Nsondé (1995:126) écrivait
En ce qui concerne les ngàngà proprement dits, les informations, loin d’être exhaustives, n’en sont
pas moins précises et édifiantes. La première certitude à leur sujet montre la place importante qu’ils
occupent dans les sociétés de langue koongo aux 17e et 18e siècles, et en particulier l’influence qu’ils
exercent sur les esprits peut-être exagérément. Les ngàngà interviennent donc dans tous les aspects
de la vie d’un individu et d’un groupe, de la naissance à la mort. Selon le père Jean -françois de
Rome, témoin privilégié des débuts capucins au milieu du 17 ème siècle au Kongo, les habitants
consultent les sorciers qui font office de médecins… pour connaître les choses sécrètes et futures;
par exemple pour savoir qui a dérobé telle ou telle chose, pour savoir si en allant à la guerre ils y
laisseront la vie et choses semblables.
De ce qui précède, il ressort que l’animisme constitue une source d’inspiration très
importante dans l’art africain. Il offre par sa plasticité, sa richesse, son adaptabilité, un vaste
champ de représentation pour la société africaine où tout paraît motivé.
Donc, il est important de faire remarquer ici que l’on ne peut pas détacher le théâtre de
la réalité sociale et politique de la société qu’il représente; car le récit témoigne non seulement
des hommes, mais de tout ce qui les entoure et aussi de tout ce qui les représente. Dans les
récits des acteurs - personnages, même sans le savoir, ces derniers se dévoilent et dévoilent la
société dans laquelle ils vivent et/ou celles dans lesquelles ils préféreraient vivre. Dans ces
conditions, comme nous l’avons souligné dans les chapitres précédents, la littérature est un art
qui se déroule dans le temps, tout comme la musique, avec un commencement, un milieu et une
fin, et une logique de transformation qui en assure la cohésion. Mais l’expérience de la
littérature –l’expérience de lire aussi bien que l’expérience humaine qui s’exprime dans un
texte littéraire donné –comporte plus qu’une expérience d’un processus temporel: elle est aussi
l’expérience d’un univers singulier, avec des lieux, des sensations, des sentiments qui lui sont
propres: à savoir des phénomènes qui sont de l’ordre de l’espace et du temps. L’œuvre qui ne
traduit pas l’espace et le temps de son public risque bien de paraître étrangère à ce dernier. Et
359
les artistes le savent et jouent sur ça pour créer l’osmose entre l’imaginaire et le réel. Il faut que
le public retrouve dans l’imaginaire, la copie de ses préoccupations sociales, fussent-elles,
déshonorantes. En effet, nous l’avons dit dans le chapitre précédent, la littérature est aussi le
lieu d’autorégulation. C’est pourquoi, pour Méchoulan (2004:211, 222), la littérature se
définirait comme un moyen de reconnaître, d’accepter, de modifier, par le jeu topique, par
exemple, bref d’extérioriser ces critères: d’entreprendre de savoir jusqu’où on peut les dire, les
lire, jusqu’à quel point on peut en faire son deuil et on ne doit pas en faire son deuil. La
littérature serait donc, selon Méchoulan, un moyen de formuler où nous nous trouvons,
précisément dans ce jeu d’alternative au regard des représentations et des critères qui forment
notre quotidien. Si la littérature joue sur les représentations et les critères qui forment notre
quotidien en faisant des lieux communs des lieux communs paradoxaux, elle est encore ce qui
joue de l’ordinaire dès lors que l’ordinaire est défini comme le commun de commun, le lieu
commun des lieux communs, leur pratique et leur mesure. L’ordinaire est dans l’œuvre, ce qui
caractérise le lieu commun une fois qu’il a été soumis à un jeu réflexif, à un jeu d’opacité, et
que l’œuvre vient à la seule intuition de la pertinence.
Les acteurs-personnages que nous soumettons à l’analyse nous font comprendre donc
cette réalité. A travers les pièces analysées, les acteurs-personnages présentent un miroir de la
société; à chacun de se reconnaître, d’enrichir ou de modifier sa vision selon les représentations
qui le concernent.
Le clivage de la jeunesse dans ces pièces repose sur leur double appartenance spatiale. Elle est
incluse dans l’espace réel en même temps qu’elle est sujet de leur propre espace mental.
L’antagonisme survenu entre ces deux espaces conduit à l’errance physique et mentale. Les frontières
entre le réel et l’imaginaire se brouillent, l’espace mental ayant tendance à envahir l’espace réel par le
biais des hallucinations visuelles et auditives. Dans la forêt ya Za est habité par des fantasmes qui
créent une instabilité sur son mental. Son moi intérieur dicte son extérieur et crée en lui, par moment,
des projections instables. Comme on peut le remarquer dans ces questionnements tirés du texte
suivant tiré de Et après
Texte 59
Ya Za: yiwa zimbembo zibatu, vayi baatu ndikadi kubamona. Ndiwa buka makalu mankwiza ndisi mamonako ,
nzila yisibweyizaba. Kwé yikwesukila. Bika yizengisila bwa ka mayimona. Nyina kuna papa, papa nina! Milele
mina papa miakavweeti. Tezo ndi membika ku bwala abwa wola mbi kametudila kwa, eh!
360
Traduction
Ya Za: J’entends des voix des hommes, mais ces hommes je ne les vois pas. J’entends des bruits des véhicules qui
arrivent, mais je ne les vois pas. La route (en question), je ne la reconnaîs plus. Où vais-je finir! Que je traverse ici (peut-
être que) je vais voir la route. Celui- là là-bas, c'est papa, c'est papa celui-là! Ça fait longtemps que je l'ai laissé au village,
maintenant à quel moment il est arrivé ici ?
L’itinéraire de la forêt dans ce sens n’est pas vain. Il traduit toutes les angoisses qui
tourmentent les pensées du héros ya Za. Le passage de la forêt à la route préfigure toutes les
oppositions qui vont caractériser son expérience: mort-vie, obscurité-lumière, réussite-échec, aller-
retour. Il faut remarquer une lutte incessante entre l’intérieur et l’extérieur. Cette lutte se traduit par
une double culpabilité qui serait à l’origine d’une situation extérieure: manque, désert, enfermement,
échec. Désert pris «Dans son rapport consubstantiel au désir, maintient ainsi l’articulation dialectique
du vide et du tout, du manque et de la plénitude, de la perte et de l’intensité, de la discorde et de la
séduction, de la mort et d’Eros […]». (Souny, 2001:329). Ainsi par exemple ya Za dans la pièce Et
après se reconnaît coupable de son sort parce que, s’étant perdu dans la forêt, il s’accuse lui-même
d’en être la cause:
Texte 60
Ya Za: A yesué, Tata Nzambi, ngewuvanga dizulu ayi ntoto, mfumu nlongo, mfumu nlongwé ngieti tambika mbila kudi
ngeye; nge wusema zulu yen toto mfumu, ngeyo zeyi mamosono mfumu, eh tata Nzambi, ngekumbiké ngemezaba; minu
nzaba yi nzaba, minu siama yi mbula, yisé diama yandi yibula, nge veka zebi kuaku nya mbi kamekuevanganga mambi.
Tata diau ndi kukantinina, kundukula zikhomi, apfumu wundevukila, ti mambu mabubi ndivanga mu bula siaama, tidi
kumona nzila mfumu, a tata Nzambi, minu mona nzila yela kwe kusadila; amfumu sadisa yimona nzila, muna zina di
yesu, Amen.
Traduction:
Ya Za: Ah, Jésus, Dieu le père! C’est toi qui as créé le ciel et la terre! Seigneur saint, Seigneur saint J'élève ma voix
vers toi! Toi qui as créé le ciel et la terre Seigneur! Toi qui connaîs tout, Seigneur! Eh Seigneur! Si tu m'abandonnes, toi
même tu sais. Moi je reconnaîs que mon père, je l'ai tapé. Mon père, c'est lui que j'ai tapé. Toi-même tu sais, lui, comment
il est en train de (toujours) faire du mal. C'est pourquoi mon Dieu, je l'ai attaqué. Je lui ai assené des coups. Ah, Seigneur!
Pardonne-moi si j'ai commis un péché en tapant mon père! J'ai envie de voir la route.
Mais également face à ses échecs constants, devant les ngàngà, dans la même pièce, il accuse
son père [c’est celui-là, mon père. C’est un vrai sorcier. C’est lui qui est en train de me faire souffrir: cfr texte 42] ou
dans la pièce Enfants de la rue où il accuse sa tante être à la base de son malheur, oubliant la
responsabilité qui est la sienne. C’est pourquoi dans la pièce Je suis innocent, le reflexe du
personnage-acteur ya Za est de se considérer innocent, accusant les autres. Kane (2004:188) fait la
même lecture du personnage Kodou d’Ababacar Samb Macaram:
361
Ayant été bridé par l’intransigeance d’un système de prescription trop rigoureux, l’univers affectif
de Kodou se réfugie dans le fantasme. Il s’y déploie à un espace ouvert où Kodou occupe une
position centrale. Cet espace fonctionne comme le double inversé de l’espace réel qui, en raison de
son fort régime de prescription, est placé sous le signe de la clôture. Il est représenté sur le plan
visuel par les trois séquences censées figurer la pensée de Kodou. On remarque que par un jeu de
renversement, l’espace mental de Kodou est représenté par la rareté et est placé sur le signe de
l’illimité de l’infini. Il se manifeste par des paysages semi-désertiques, des sentiers à travers les bois,
des grèves océanes. Le caractère invisible de ce type d’espace opère un décloisonnement, on y
remarque l’absence de toute présence humaine, et par voie de conséquence, de toute règle sociale.
La vocation compensatoire de ces espaces ne doit cependant pas cacher que l’absence de limite est
aussi génératrice d’angoisse, car synonyme de solitude et de manque.
La description que fait Kane du personnage Kodou est bien celle qui ressort du comportement
du personnage ya Za. Nous lisons dans le fond de son être une position ambivalente. Dans un certain
sens, il se soustrait par sa fuite aux contraintes de la vie sociale mais, s’étant toujours définie par
l’existence de ces mêmes contraintes (alliées aux avantages qui découlent de l’obéissance aux
règles), il est incapable d’assumer sa liberté. Le fait de toujours parler de son père (en mal) ne
signifie en rien qu’il le rejette; au contraire l’acteur –personnage ya Za se défoule de cette lutte
incessante qui menace son être réel: «ai-je raison ou ai-je tort?». La prière qu’il adresse à Dieu quand
il se perd à la forêt traduit d’une part sa culpabilité et de l’autre sa reconnaissance aux règles sociales.
Les pleurs apparaîssent ici comme un refuge face au conflit entre deux types de désirs
contradictoires, le désir de soustraire son corps à la douleur et celui d’être aimée et reconnue par les
siens. C’est pourquoi d’ailleurs, quand le ngàngà lui propose de tuer son père, il va refuser; parce que
se sentant aussi coupable, il sait que la solution peut passer aussi à travers ceux qu’il accuse,
notamment son père; car comme le dit Kane (2004:189) Le père apparaît comme le garant de la non-
violabilité de l’espace clos. Le frère cadet de ya Za a attrapé la folie pour avoir ouvert la clôture ou
dans la pièce Ezui ezui où ya Za va au-delà de l’enclos érigé par le père pour son bonheur et son
évolution. En effet, le fait de représenter cette lutte incessante entre l’espace interne et externe traduit
bien le souci des acteurs-personnages de projeter l’élaboration d’une tentative de réorganisation de
cet espace déstructuré afin de lui donner un sens. Nous comprenons dans ce sens, comme Smadja
(2001:74) que «Le corps est, en effet, à la fois sujet et objet parmi les objets du monde; la potentialité
hallucinatoire de tout être humain reposant, en partie au moins, sur cette confusion des contenus
internes et externes de la conscience». Ce qui signifie que, comme le faisait aussi observer Husserl
(1982: 226, 227), dans cette sphère du sentir, l’objectif et le subjectif sont si intimement liés qu’il
n’est pas aisé de distinguer –sinon de cliniquement reconnaître– l’Hallucination (la perception – sans
– objet – à –percevoir), là où précisément l’objet est toujours et nécessairement une propriété du
362
sujet.
Cette lutte de l’interne et de l’externe, qui se traduit par des hallucinations récurrentes pose la
problématique de la recherche d’un certain équilibre, d’une certaine harmonie. De ce fait, si, selon
Benveniste (1971), comme l’écrit Diagne (2005:13) «C’est ce qu’on peut dire qui délimite et
organise ce qu’on peut penser»; ce qui est vrai d’autant plus que le langage est l’expression de la
pensée, nous pensons en plus que l’espace dans lequel l’on vit influence la pensée et donc, suivant
un mouvement inverse, oriente le dire. La pensée découle dans ces conditions d’un mouvement
triangulaire, Homme-Espace-Langage avec une implication réciproque. Smadja (1988:50) explique
ainsi l’espace fantasmatique Chez Baudelaire. Il montre que l’espace baudelairien, sa nature, sa ville
et ses correspondances, étaient structurés comme une immense fantasmatique du corps maternel. La
situation familiale y occupe une place privilégiée. C’est de cette manière qu’il pense que tout espace
fantasmatique, loin de se réduire à un tableau statiquement donné dans la seule intuition de l’instant,
totalise dans l’espace de sa représentation des pans entiers de l’histoire et de la préhistoire du sujet
dont les éléments, dans les meilleurs cas, peuvent être suivis dans les textes d’association en
association, à la lumière dont une ville au riche passé exhibe son architecture, son urbanisme ou son
sous-sol, des pans entiers de son histoire; ou dont un rêve, par la surimpression de divers espaces,
superpose plusieurs couches temporelles de la vie du sujet.
Dans les oppositions binaires des événements, l’opposition jour et nuit est très
significative dans le monde kongo. La nuit constitue bien le moment d’opération ou de vie des
esprits alors que la journée est le moment naturel de vie de tout le monde. Ainsi, tous les
événements qui peuvent arriver aux membres du clan pendant la journée sont la conséquence
des opérations menées pendant la nuit par un homme sorcier ou par décision d’un groupe de
sorciers. Même certaines séances de guérison ne s’opèrent que de nuit. Nous pouvons faire
vivre cette opposition à travers ce morceau d’incantation kongo (qui n’a pas été représentée
dans les pièces analysées) qui permet de situer les événements par rapport aux moments.
Nda go mono mbuta imvwidi, Par contre, si moi l’ancien qui le possède
Ikangila nleke amo mbundu, Si j’ai fermé mon cœur à mon petit-frère
363
Buna beno babiteke ludia mono Alors, vous les nkisi, mangez-moi.41
La promenade dont il est question dans cette incantation (ligne 24) n’est pas une simple
ballade. La nuit est, en effet, l’empire «des hommes à double cœur» les «ndoki». C’est aux
heures de nuit que ces derniers usent le mieux de leur faculté spéciale qui consiste à rendre
leurs corps spirituels, subtils (non soumis aux lois physiques). Cette subtilité leur permet de
pénétrer n’importe où et d’en sortir. Pendant la nuit, ils sortent de leur état d’hommes naturels,
pour se vêtir de leur corps de «kindoki» et aller discuter comme dans des réunions d’affaires, à
la faveur de la nuit quand tous les humains normaux dorment. Mais aussitôt le jour revenu, les
ndoki redeviennent simples hommes et comme tout le monde, hors de tout soupçon.
C’est ce qu’explique le Père Van Wing (1938:18) en ces termes: «Par un moyen
magique ils “les ndoki” parviennent […] à s’introduire dans le corps d’un homme et à le tuer.
Or tandis que se déroule ce drame infernal, leur corps humain reste dans la hutte; personne ne
peut soupçonner que ces paisibles dormeurs sont des sorciers néfastes qui se repaissent de
sang».
Nous l’avons démontré ci-haut comment le père de ya Za se dédoublait en prenant le
corps de son fils pour agir au nom de son fils sans pour autant cesser d’exister en tant que lui-
même. Mais la tradition montre aussi que l’apparition d’un défunt peut-être l’effet
d’incarnation d’un sorcier. Nous pouvons encore revenir à l’incantation sus indiquée pour
illustration
E kani bau bakûlu bayenda ku masa, ou encore si parmi les ancêtres partis dans l’eau
Kasa na: ngyenda ku gata kusala baleke, il en est qui disent: je vais au village où sont restés les jeunes
Buna mpongo mpi landa kuna masa! Eh bien, nkisi, poursuis-le aussi dans l’eau!
Kutomboka matomboka nkadi ko. Ce n’est pas sans motif qu’il remonte.
Nteki kasikama, muntu wusikimisi, s’il est éveillé, c’est quelqu’un qui l’a réveillé,
Kasisamisa bakulu ye kuna bundoki bwau, Qui va réveiller les ancêtres et leur kindoki;
Kina kivumu keti kibokila ngulu Eh bien dans cette lignée qu’il n’y grogne plus un porc.
41
Cette incantation complète peut être lue dans l’ouvrage de J.Van Wing, Etudes Bakongo, Tome II: Religion et
Magie, Bruxelles, M. Hayer, 1938. Nous n’avons exploité que les lignes 22-26 et les lignes 57-66 pour l’extrait qui
va suivre.
364
La conclusion de cette incantation illustre aussi le rôle de «ngàngà»ou des devins qui
ont le pouvoir de dévoiler les malfaiteurs et de causer du tort à ces derniers. Nous avons vu
quand ya Za est allé consulter le ngàngà pour connaître la personne qui était à la base de son
malheur. Quand le ngàngà lui a montré que c’était son père, la question qu’ils lui avaient posée
était de savoir ce qu’il fallait faire de lui. C’est pour dire qu’en ces moments-là, ils avaient le
pouvoir d’agir sur le père de ya Za, fût-il sorcier.
Les acteurs-personnages ont su jouer un fait qui de tout le temps constitue une question
épineuse. Buakasa (1973) présente un récit qui exprime quelques faits qui permettent de
soutenir davantage, conformément à la pensée de Méchoulan (2004) que la littérature joue sur
les représentations et les critères qui forment notre quotidien. Ce récit entre dans le corpus
analytique de sa thèse sur la sorcellerie. Il s’agit de la situation d’un certain Kimputu originaire
du Bas-Congo, de la tribu ndibu qui raconte:
Je m’appelle Kimputu; mon père s’appelait Bemba. Son lignage s’appelle Ngana. Maman est née avec l’oncle
Buku et la tante nzenze. Les oncles de maman sont déjà morts. Maman a mis au monde mon grand frère Sina et
moi-même. Elle nous a laissés avec une petite fille, Wumba, qu’on lui avait confié jadis pour l’élever. Cette petite
fille appelée aussi nluta mia ntaku (cadeau ajouté à un objet acheté), est d’une autre origine lignagère. Elle n’est
pas de notre lignage. Lorsque, par notre aïeule, nous devînmes esclaves, elle, Wumba, fut ajoutée en supplément
(aux esclaves que nous devînmes). C’est ainsi qu’elle est notre «sœur».
Mon père est mort; il a laissé un grand lignage; celui-ci possède plusieurs segments de lignage et plusieurs
esclaves. Mais nous, les esclaves, nous ne sommes pas de même lignage; nous avons chacun notre lignage.
Jeune, alors élève à l’Ecole normale de Tumba, j’ai eu un ami, nommé Maki. Un jour, un élève perdit sa valise.
Le directeur fît une enquête. La valise fut retrouvée entre les mains de mon ami Maki. Lorsque le directeur lui a
demandé de s’expliquer, Maki dit que c’était moi qui la lui avais confiée pour qu’il me la garde. Je fus donc pris
pour un voleur et dus passer en jugement devant un conseil de discipline de l’école. Le directeur fit venir alors
mon oncle Mbwanga, qui habitait au village, pour assister à mon procès. Maki eut tort. Il eut aussi une punition de
Dieu: ses yeux sont morts.
En 1928, je suis devenu enseignant à l’école primaire rurale, dans la ville de mes «pères». J’ai commencé à
enseigner pendant six ans. Mais, quand le mois arrivait à sa fin, et que je me présentais au bureau de paie, j’y
apprenais que mon argent avait été pris. Un jour, j’ai posé la question au Révérend Père: pris par qui? Il m’a
répondu:
En allant arbitrer le
J’ai acheté le pagne et je l’ai donné à mon «oncle». Je fus muté dans une autre école rurale, à Kiba, en
1929. Là, chaque fois que j’allais chez le Révérend Père toucher mon salaire, on avait déjà été le toucher à ma
place. Ou quand je le touchais, le salaire se perdait. Je revins alors au village, pour exposer cette situation aux
anciens. Un procès eut lieu. Je fus conduit chez un ngàngà, qui m’habilla d’un nkisi appelé nsunga. Et je fus guéri.
En 1931, j’ai quitté l’enseignement. Je suis allé me présenter au bureau de l’OTRACO 42 à Mbanza-
Ngungu. On me fit passer un examen. J’ai réussi et j’ai commencé à travailler. «Ils» sont venus la nuit, ayant
appris que j’étais engagé dans un bureau. Le lendemain matin, lorsque je me rendis au lieu de travail, je fus surpris
de m’entendre dire: il n’y a plus de place vacante pour vous, vous pouvez aller vous distraire au village. J’ai posé
la question: pourquoi? Les gens du bureau me répondirent: «Allez demander à vos parents». Je suis alors rentré
chez moi où j’ai tout raconté aux vieux Ndibu qui ont fort déploré ma situation et ont dit:
42
Office des Transports Coloniaux qui gérait notamment la ligne ferroviaire Matadi-Kinshasa.
366
séquence de relation, chacun de ces caractères ayant des effets selon des modes spécifiques».
(Caune, 1981: 36).
6. 3. Les personnages
L’analyse des pièces de notre corpus nous montre deux types de personnages qui
incarnent un agir déterminé par la culture et qui trace l’espace (ou l’itinéraire vital) de chacun.
Ces deux types de personnages déterminent un comportement lié. Nous avons d’une part la
jeunesse, et de l’autre les adultes.
Incarnés par l’acteur principal ya Za dans la pièce Enfants de la rue, dans la pièce Et
après, Ezui ezui, Je suis innocent et par l’acteur personnage Maloba dans Trouble total, les
jeunes se caractérisent par la révolte face à un monde fermé où leurs libertés semblent
étouffées. Le caractère très hermétique de l’espace clanique étouffe les ambitions des jeunes à
se définir dans la liberté. Comme le dit Munnick (2004:237), ils font face à un «[…] espace
clos qui emprisonne les êtres, mais aussi leurs désirs, qui bâillonne leurs voix, qui n’est plus
synonyme de sécurité ou de stabilité, mais au contraire, de précarité, l’espace qui ne peut
devenir place, car il ne peut être investi que de valeurs négatives ». Ya Za, metteur en scène de
toutes ses pièces nous paraît un personnage mosaïque et constant. Son adaptation dans des
situations aussi complexes que variées a un seul objectif. Il porte la voix de tous les jeunes qui
souffrent (parfois malencontreusement) des excès de la tradition (selon les dires des acteurs-
personnages). Pour cette génération, le village symbolise dans ce cas, le blocage, le frein à
l’épanouissement, la dictature de la tradition. C’est du village que découle la décision (ci-
dessous représentée par la palabre du conseil de famille) du conseil familial obligeant le
personnage ya Za d’épouser la fille de sa tante. Cela s’est même fait en l’absence de ce dernier.
Texte:
Ndele: Bwa bwe tweka nsya mudiambu di makwela ma Za. Tufweti keba sina kidikanda.
Mambu: mbe tuwizani déjà, nketo tu nkwedidi Mamie mwana syandi nketo.
Papa de Za: nya Mamie bwa kwe kadi mwingi kenda ku Boma!
Traduction
Ndele: maintenant, comment on va faire pour le mariage de ya Za. Nous devons protéger la richesse de la famille.
Mambu: mais on s’était déjà entendu; nous lui avons pris pour femme la fille de sa tante.
Papa de Za: où est-elle Mamie! Elle doit s’arranger pour aller à Boma.
Liziba: ehein. Mbo muzona tubila nge kwandi. […] Teka ten. teka nge ofele, kupia nge ve
mbongwe hen! […]Moyen ve ya mefuluka. […]
Donc muzona tubila nge mambu mosi plina mais muna sentir tsooooni na kutuba!
Liziba: a rien […] Donc awa muke muke sala na Cilu telecom, ya Babi grand prêtre. Muntwa ntete
me nata moto ya quatre pneu na Boma. Muke sala kuna, maintenant yandi ke futa mu na mois vingt
mille. […] Bon muke na soixante mille na inzo, mbo yake déjà na inzo muke tula na itsya pfulu,
368
[…] muna zaba ve ni muke sadila ya […], maintenant ya muzona tubila nge, beto sala beto kitata na
mama.
Getou: ni nge metuba beto vwa beto na nge! Nge ke playi ni façon mukezodila nge bombese mu
mukwenda mu.
Liziba: mu awa muke, phila mutu kwaaandi. Batu ketubila munu muke vwanda beau gare. Kana
muke natambula, matama munnu kedendaka. Tolingana na biso ko.
Getou: chérie!
Traduction
Liziba: ehen! Bon, je voulais te dire […] Puise d’abord! Je voulais seulement te dire. Puise d’abord.
[…] Puise gratuitement, ne donne pas l’argent, n’est-ce pas! N’est-ce pas, c’est rempli (ta marmite).
[…] En fait je voulais te dire quelque chose, mais j’ai honte pour le dire.
Liziba: non, […] tu me vois ici, je travaille chez Cilu telecom. Maintenant, il me paie vingt mille le
mois. […] Bon j’ai soixante mille à la maison, c’est déjà à la maison, je mets ça sous le lit […]; je
ne sais pas ce que je ferai avec ça. […] Maintenant, je voulais te dire que nous fassions le jeu de
papa et maman.
Getou: qu’est-ce que tu veux dire! Que j’accepte de vivre avec toi! Toi qui a une forme bizarre,
comment je vais faire pour t’aimer. Aide-moi à soulever ma marmite que je m’en aille.
Liziba: tu sais moi c’est ma façon. Les gens me disent que je suis un beau garçon. Quand je marche,
mes joues bougent. Aimons-nous, seulement!
Getou: ça va, j’ai entendu tout ce que tu as dit chérie. Fais-moi soulever, chérie.
Liziba: ehen, ehen, ehen! Que je te fasse soulever? Comment tu m’as appelé?
Getou: chérie
369
Cette scène se passe dans la ville de Boma. Cette pièce atteste réellement les
perceptions que l’acteur-principal ya Za, dans la pièce Et après, a de la vie des jeunes en ville.
Au niveau du village, il s’était préparé à vivre cette vie de ville. Et d’ailleurs une fois en ville,
l’acteur-personnage ya Za tombe dans ce piège qu’il s’était lui-même tendu. Ce comportement
de la jeunesse (qu’il a tant admiré) est à la base de sa condamnation innocente dans la pièce Je
suis innocent face aux forfaits de son ami, comme nous allons voir dans l’extrait de texte 63 ci-
dessous. Il faut noter que ya Za dans cette pièce est venu vivre en ville sous la bénédiction de
ses parents qui attendaient de lui aide et soutien. Embarqué dans cette vie de la ville, il paye les
frais d’un acte dont il est innocent, mais condamné à cause de sa collaboration au mal. C’est lui
qui prête sa chambre à son ami, pour accueillir son amie. La naïveté villageoise est à la base de
sa condamnation. Et mêmement dans la pièce Ezui ezui où son comportement provoqua des
tensions dans la famille entre lui et son frère.
Commandant: maintenant bawu mambu bake nakutuba mwana bau mekufwa, ni mutindu bake nakutuba nge
kufwaka mwana bau
Domestique: voisin na présence ya beto zole, mwana yina tubilaka munu ve kengekebakala nandi!
Commandant : mukena poser question pourquoi nge ndimaka que mwana yina ke kentwa nge
Ya Za: ya ke camarade ya munu. Camarade ya munu nde kwizaka lomba tsabi ya kivinga na munu, dyawu
370
Ya Za: Liziba.
Traduction
Commandant: alors tout ce qu’ils disent, que leur fille est décédée. Comment disent-ils que c’est toi qui l’as tuée?
Domestique: voisin, en présence de nous deux, cette fille ne m’avait-elle pas dit que tu étais son petit ami?
Ya Za: c’est sorti de la bouche, mais ce n’était pas le cœur (qui avait parlé).
Père de la fille: comment la fille est-elle venue mourir dans votre maison?
Commandant: je te pose une question: pourquoi avais-tu accepté que cette fille fût ta petite amie?
Comme nous venons de le dire concernant l’espace intérieur et extérieur, les jeunes sont
caractérisés par une lutte entre la liberté et la responsabilité. Leur fuite du milieu
communautaire pour vivre la liberté ne leur permet pas malheureusement de la vivre en toute
responsabilité. D’ailleurs, quand ils sont coincés, très souvent ils recourent au même espace
qu’ils ont fui pour se ressaisir. Cela traduit l’ambiguïté et l’ambivalence du caractère du
personnage ya Za qui présente les événements à contrario.
371
Incarné ici par le père de ya Za dans la pièce Et après et par la tante de ce dernier dans
la pièce Enfants de la rue ou par l’acteur-personnage Tiflo dans Ezwi ezwi ou Trouble total; le
vieux représente la tradition avec tout ce qui l’implique. Dans ces pièces, nous pouvons noter la
puissance des parents sur les enfants, la force prédictive de leur parole. Ceci atteste davantage
que dans les sociétés africaines le dire est une forme d’action ou même une action, un agir déjà.
Celui qui dit agit. Et souvent les paroles des parents ont des effets sur les enfants.
Ainsi nous l’avons évoqué pour le cas de l’acteur- personnage philosophe qui a attrapé
la folie à cause des effets de la parole de son père, c’est vrai que dans cette scène son père joue
le sorcier et que, comme nous l’avons dit, le sorcier a une puissance du dire et du faire qui sort
de l’ordinaire; mais il n’est pas moins vrai qu’en Afrique, les paroles des parents aient une
valeur projective assez prononcée. Cet aspect détermine évidemment l’agir des jeunes qui se
voit dans une sorte d’espace subi où ils subissent le monde des vieux; le pouvoir étant
gérontocratique. Nous avons vu comment la décision de se marier ne dépend pas seulement des
mariés, mais de leurs familles respectives. Nous avons d’ailleurs montré à l’introduction,
comment les différents alliés s’associaient pour toute cause. Cela suppose qu’est logique ce
mariage qui est avalisé par les deux familles ou mieux celui qui est proposé par les deux
familles. La situation de mariage imposé est à la base d’une tension récurrente dans la société.
Elle crée des crises sociales qui déstabilisent des vies entières. Ce thème n’a pas été abordé en
vain. Derive (1994) en parle à travers l’intitulé de son article «L’alliance matrimoniale, un
équilibre difficile entre deux familles». Görög (1994) montre comment la loi du père s’impose
dans le mariage en Afrique notamment chez les Bambara et les Malinké. Et finalement Seydou
(1994:85) montre que «L’alliance matrimoniale, en instaurant un lien nouveau entre deux
partenaires – les conjoints – introduit aussi des modifications dans la situation de chacun de
ceux-ci au sein de sa propre unité familiale». Le thème de mariage constitue bien un miroir
d’une société parfois déchirée par des choix inavoués.
Ainsi, l’acteur-personnage ya Za s’est retrouvé dans une situation inconfortable à cause
du non respect du choix fait par sa famille de prendre en mariage la fille de sa tante. Mais ici ya
Za incarne un moment, une période caractérisée par une rupture, une évolution. Les jeunes
veulent bien vivre autrement. Faire les choses selon eux, pas toujours selon les vieux qui n’ont
pas toujours raison. Mais, ils sont souvent sans force face à la puissance de ceux-ci. La solution
dans ces conditions, c’est la fuite.
Par ailleurs, les vieux, dans l’un ou l’autre sens ne sont pas toujours contre les jeunes.
372
Ils s’en tiennent aux principes qui peuvent parfois être utiles pour les jeunes. Par exemple, dans
la pièce Ezwi ezwi, alors que toute la famille approuvait que leur fils ya Za aille à Boma
apprendre du métier, la maman seule s’est opposée à cause du comportement de son fils dont
elle n’était pas confiante. Et la conséquence, c’est que ce dernier n’a pas réussi à apprendre du
métier au contraire il est tombé dans ce que la famille lui interdisait de faire. Donc
psychologiquement, la maman comprenait d’avance que son fils n’était pas encore préparé à
cette nouvelle aventure. Souvent quand les jeunes tiennent à quelque chose, ils veulent toujours
l’obtenir même au fruit de sacrilège tel n’est pas l’option des parents.
Nge meyuku ku bwala. Nge widi nwana yi nwana.En tout cas minu boma. […]Buna kamba syaku. A minu buna
bwe ndyela bela. Nge memana yuku ayi baleka baku!
Traduction
Toi, tu es habitué au village. Et puis toi qui te bats pour toute cause. En tout cas moi j’ai peur. […] Peut-être ton
père. Et moi comment je deviendrais (s’il t’arrivait quelque chose de mal)! C’est toi qui es habitué avec tes petits
frères!
Dans la pièce Trouble total, l’acteur-personnage Tiflo qui joue le père incarne bien la
conservation de la tradition par l’usage de la langue. Il parle toujours à ses enfants en kikongo
(nous avons illustré le cas dans le chapitre quatre), les enfants qui comprennent et savent parler
le kikongo lui rétorquent en lingala:
Nous l’illustrons à travers les extraits suivants reprenant tour à tour la conversation entre papa
et sa fille et papa et son fils :
Papa: nge ke mbote kuna? Bacours, nge ke nakutravailler. Mu ke nakubongisa mambu ya mbote samu na nge.
Nge ke na landa munu? Avant nge lala, il faut kusambilaka. Nge zaba kulomba lemvo na Tata Nzambi comme ça
yandi zibula nge mayele. Mu ketinda nge na USA. Avant nge kwenda kuna, nge kekwenda tete na Nkamba.
Fille: naza malamu. Bon, bacours ezoleka na ngo bien. Nazolanda papa. Merci papa.
Traduction:
Papa: Tu vas bien? Et les cours, tu travailles (bien)? Je suis en train de préparer quelque chose de bien pour toi.
Avant de dormir, il faut avoir l’habitude de prier. Que tu saches demander pardon à Dieu afin qu’il t’ouvre
373
l’intelligence. Je vais t’envoyer aux USA. Avant que tu n’ailles là bas, tu dois d’abord partir à Nkamba 43.
Fille: je me porte bien. Les études évoluent bien. Je suis en train de te suivre, papa. Merci.
Fils: vous ne le reconnaissez pas papa. Mon ami d’enfance avec qui nous avons grandi. Donc oyo vraiment,
camarade na ngayi. Tokolaki na ye depuis tozalaki bana mike. Namoni ye na esika moko ya bien te. Yango wana
na ye naye awa to partager ata oyo ya muke nga nazwaka, nakoki kobosana ye te.
Papa: ngeyo, mu me mona nge ke nakusimba mambu muketubilaka nge:«Bolingo, mibeko pe misala»
Traduction:
Fils: vous ne le reconnaissez pas, papa. C’est mon ami d’enfance avec qui nous avons grandi. Donc, lui, c’est
vraiment mon ami. Nous avons grandi ensemble depuis notre petite enfance. je l’ai vu dans un endroit pas trop
bien. C’est pourquoi, je l’ai amené ici (à la maison) pour qu’on se partage le peu que je gagne, je ne peux pas
l’oublier.
Papa: toi je trouve que tu retiens très bien ce que je t’ai toujours dit: «amour, discipline et travail»
Nous avons aussi vu un peu plus loin comment le jeune Maloba qui connaît et
comprend parfaitement le kiyombe emmerde son visiteur ya Za en lingala. Et comme ya Za ne
parlait que kiyombe, le jeune finira par lui déclarer son identité yombe. Nous voyons avec
quelle intelligence ces acteurs-personnages utilisent la langue comme mobile de rupture et
d’évolution par rapport à deux visions. Celle des parents et celle des jeunes.
De cette analyse des personnages, nous pouvons faire les évidences suivantes: le
personnage ya Za n’est pas univoque. Il a exploré l’imaginaire spatial de sa classe et en tire une
conclusion: «deux mémoires en conflit: extraction de la coutume ancienne et adoption des
formes nouvelles» pour reprendre les mots de Mudimbe(1994). Et le jeu est bien joué. Nous
avons vu comment dans la conversation entre père et enfants, le premier ne parle qu’en kikongo
alors que les autres ne lui rétorquent qu’en lingala. Ya Za joue le juste milieu. En effet, en
critiquant l’esprit fermé du clan qu’il fait porter à son père et à sa tante, il montre évidemment
que les jeunes, même s’ils peuvent avoir la possibilité de se retrancher de l’espace premier ne
doivent pas chambouler toute l’organisation sociale. Il n’est pas en train de repousser
totalement l’organisation sociale, mais il est en train de montrer que l’équilibre social permet
mieux de vivre l’harmonie. Cela nous permet d’emprunter à Garnier (2006:174) sa formule
concernant l’analyse de Bina-Adamu de Wamitila(2002) où il montre que «Le narrateur est
parti en quête d’une vérité sur le monde, mais au cours de son voyage, il comprend que la
43
Nkamba, est le village du prophète Simon Kimbangu. C’est là qu’est construit le temple central de l’Eglise
Kimbanguiste. Les restes de Simon Kimbangu exhumés de la province orientale sont enterrés là-bas.
374
construction ne peut pas se faire dans la naïveté, mais lucidement. C’est parce qu’il était naïf,
qu’il a presque gâché sa vision, et pourtant bonne pour la société. Naïf de bafouer tous les
principes de la famille qui reposent sur le respect des principes, l’observance de la coutume, le
dialogue. Car nous avons vu comment les parents, tout aussi stables dans leur pensée,
favorisent quand même l’ouverture de leurs enfants, mais en leur inculquant des valeurs par
lesquelles ils ont été construits. Et d’ailleurs même quand ya Za avait tabassé son père pour
s’en aller, son père a essayé de le retenir, parce que nous supposons que, selon le père, ses
regrets, puisqu’il ne pouvait pas le retenir, devraient nécessairement avoir des conséquences
fâcheuses sur l’évolution du fils (fût-il rebelle). Nous venons de le dire les paroles des parents
ont des effets prédictifs sur les enfants. C’est pourquoi il a voulu le retenir en considérant qu’ils
pouvaient négocier. C’est donc cette valeur par laquelle les Bakongo sont réputés: la non
violence et la coopération, la tolérance et le dialogue.
C’est pourquoi, nous allons comprendre, par exemple, que l’acteur-personnage ya Za
dans la pièce Enfants de la rue, poussé par sa femme à éliminer l’autre enfant qui est resté, pris
en charge par un certain Jules Kizaza, va prendre comme prétexte la famille. Ce n’est vraiment
pas un prétexte, c’est la norme face à laquelle il s’était écarté. Dans son inconscience, il revient
à la situation normale qui régit la société. Dans les extraits ci-après tiré de ‘Enfants de la rue’,
le texte montre que le conseil de famille est l’instance supérieure de gestion du clan. Dans cet
extrait ya Za est en train de convaincre ses interlocuteurs de lui libérer l’enfant qu’ils ont gardé
chez eux. Comme argument, il évoque la famille. Ses interlocuteurs, dubitatifs au départ, ont dû
fléchir parce qu’ils ont compris que c’était un problème familial.
Ya Za: bon, mambu mi mekwizila kwaku, masi kwandiko keni mamwadi kani matatu. Diambu kwa
a dimweka ndimekwizila kwaku. Minu mindi siandi nleki nia mwana wo. Baba bau babwadi, tuwilu
munsamu ti nawunka wufwidi. Mafwa kaadi diambu. […] Les linges sales se lavent en famille.
Alors bu kamefwa, beeto veka en famille matuzaba sukula les linges linges linges sales (kiyombe)
Traduction:
Ya Za:bon, le problème dont je suis venu ici, il n’y en a pas deux ou trois. Un seul problème m’a
emmené ici. Moi, c’est moi son oncle paternel cet enfant-ci. Ils étaient à deux, nous avons appris que
l’autre est décédé. Le deuil, pas de problème! […] Les linges sales se lavent en famille. Alors
comme il est mort, nous saurons nous-mêmes en famille laver les linges sales.
Ya za: buka kwandi bukametuba ditoko, bwa kwandi matutomba bubongisila nsamu. Dikanda yoso
376
bameba kubwala, bamekwiza, baadi kuna nzo. Minu mibametuma. Minu mindiwilu nsamu kudi
mwaana wo Liziba ti mwaana ku Mukuwa, widi ku nzo Jules Kizaza, na arché de Noé kuna 8 kuna
ku secteur, nya Mukuwa kwa kadi. Minu ndimetéléphona baasi bwaala bamekwiza, bababoso.
Bamakhamba minu ndiza laanda nya Mukuwa!, nya Mukuwa minu nya ndizi landi, minu ndi
kubonga nya Mukuwa ndi nata kuna dikanda tubaka busoludila misamu mioso, tubonga tshula kioso
kibika nya siandi tuvutula mu mioko mandi. Minu tangu yivutuka kubwala yifweni. Mambu mana
kwa ndizidi kooko. Beeno kadi kukhangileno ntima. Nya ditoko wukukwamisa kwamisa kunganda,
twaleno mwana ndi naaté, tubonga kimvwama tuvutula, kakala miyivutuka kwami ku bwaala, mi
kiprof kiama yisalanga; kadisia ti minu zingazi yeta kwanga. Po mi minu ndikala conseyé yi dikanda
yonso; minu yeta kubavana malongi mi conseiller yau. (Kiyombe).
Traduction: c’est comme a dit le jeune homme, c’est comme cela que nous allons chercher à
résoudre le problème. Tous les membres de la famille sont venus du village, ils sont là à la maison.
C’est moi qu’ils ont envoyé. Moi, c’est moi qui ai appris la nouvelle par cet enfant Liziba que mon
enfant Mukuwa est chez Jules Kizaza, arché de Noé à km8 au secteur; c’est ici qu’il est Mukuwa.
Moi j’ai téléphoné les gens du village. Ils sont arrivés, eux tous. Ils m’ont dit de venir le chercher,
Mukuwa. Lui Mukuwa, c’est lui que je viens chercher, dès que je l’aurais pris, je l’emmènerais en
famille pour que nous ayons le moyen d’arranger tous les problèmes, que nous prenions tout l’avoir
de son père, que nous remettions entre ses mains. Pour moi, il est temps que je rentre à la maison.
C’est pour cela que je suis venu ici. Quant à vous, ne m’endurcissez pas votre cœur. Ce jeune
homme me tourmentait dehors, donnez l’enfant que je l’emmène, que nous restituons la richesse,
qu’il reste… que moi je rentre au village car moi je suis enseignant; ne pensez pas que je suis un
coupeur des noix de palme. Moi je suis le conseiller de la famille; c’est moi qui leur prodigue des
conseils, c’est moi leur conseiller.
Maloba: j’ai quand même saisi ce que tu viens de dire. Mais nga ndenge nazomonela, makambo oyo
oyeli biso awa est-ce que eza sérieux, po biso tondima kolibérer yo Mukuwa, po Mukuwa aza quand
même bien portant ndenge aza awa…. Amonaka penza santé ya petit eza très bien tobombaka ye
kitoko. Alors tangu yo ozozwa mwana oyo, il faut ko assurer biso est-ce que bandeko nayo nionso
ya mboka baza awa! Nayebi te, nga ndenge kaka na monaki elongi nayo, et puis façon na yo kaka
yakosabiyer, ezo lobela ngayi déjà, c’est comme si tu n’es pas sérieux. (Français/Lingala).
Traduction : j’ai quand même saisi ce que tu viens de dire. Mais moi tel que je vois (cette affaire),
(je me demande si) ce problème que tu nous emmène ici est sérieux! Pour que nous acceptions de te
libérer Mokuwa, parce que Mokuwa est quand même bien portant tel qu’il est ici. Voyez que la
santé du petit est très bonne, nous prenons bien soin de lui. Alors comme tu viens prendre cet enfant,
il faut nous assurer que tous tes frères du village sont ici. Je ne sais pas, moi tel que j’ai vu ton
visage et puis à voir ta façon de t’habiller, ça m’intrigue, c’est comme si tu n’es pas sérieux.
Ya Za: non non, c’est sérieux, c’est sérieux. Baatu bameba kubwaala baadi kuna bababoso baadi
kuuna. Balembu vingila Mukuwa nio ndiza landi (kiyombe)
Traduction: non, non, c’est sérieux. Les gens qui sont venus du village sont là tous. Tous ils sont là.
377
Ils sont en train d’attendre Mukuwa, c’est lui que je viens chercher.
Ya Tiflo: eh Maloba! Lokola mukena kumona bamambu yango yake bamambu ya famille; moyen
beeto sala cale na ba mambu yayi me tala, parce que mukena mona yandi ke vraiment papa leki
nandi, yandi mezaba yandi. Les problèmes c’est quoi, même munu l’heure muvwandaka vwanda na
Moanda na inzo ya ya Lumusu; donc l’heure tata munu yandi vwandaka na Tshela, papa leki yandi
kwiza déclarer balibérer munu na ya Lumusu. Yandi salaka ve ni discussion. Alors le problème c’est
quoi munu façon memona bakwenda bawu nioso zoole bika bakwenda. Papa baka mwaana nge,
Mukuwa kota na inzo baka bimange beeno kwenda po ya mekuma déjà mambu ya famille (kikongo
ya leta)
Traduction: eh, Maloba! C’est comme si, j’ai l’impression que ce problème est un problème
familial; il n y a pas moyen que nous résistions, parce que je réalise qu’il est vraiment son oncle
paternel, il le connait. Les problèmes c’est quoi, même moi quand j’habitais à Moanda dans la
maison de ya Lumusu Donc quand mon père était à Tshela, mon oncle paternel est venu me déclarer
chez ya Lumusu pour qu’il me libère. Il n’avait pas discuté. Alors le problème c’est quoi, moi je
trouve qu’ils doivent aller tous les deux.
Mukuwa: bon nge memona munu kukwenda yakenawu na problème ve, kimvwama nionso yina,
sinon mufwana kwenda ku récupérer yau, mais diambu mosi kaka kenakusala munu phasi, awa
kudia munu, kunua munu, kuvwata munu, mukuwaka il paraît que mbongo vwanda katuka na
monsieur Jules Kizaza, bakala Mireille Kizaza, maintenant mukuwaka ke bakena kwiza, mukesala
mona bawu ve? Batu melunda munu, me sauver luzingu ya munu, ne fût ce que mu mona bau na
meeso! Munu avant mukwenda ti papa Jules Kizaza na maman Mimi Kizaza kekwiza, memona bau
na meeso; bau yayi batu vwandaka zingisa munu, bosi muke kwenda. N’est-ce pas? Papa leki buna
vutuka nge tete ti papa Jules Kizaza kekwiza bosi mukekwiza. (Kikongo ya leta).
Traduction: bon, aller n’est pas un problème pour moi, toute cette richesse, je dois normalement
aller la récupérer; mais j’ai seulement une seule inquiétude, j’ai mangé, j’ai été vêtu, j’ai bu avec
l’argent provenant de monsieur Jules Kizaza, avec sa femme Mimi Kizaza; maintenant j’ai appris
qu’ils viennent, je ne le verrai pas? Les gens qui m’ont gardé, qui ont sauvé ma vie, ne fût –ce que
les voir de mes yeux? Moi je ne partirai pas avant que Monsieur Jules Kizaza et Madame Mimi
Kizaza ne soient venus. Je les vois de mes yeux que ce sont eux qui m’ont nourri. C’est seulement
après que je partirai. N’est-ce pas? Papa, tu peux d’abord rentrer jusqu’à ce que papa Jules Kizaza
sera là, c’est alors que je vais venir.
Maloba: non Mukuwa, lokola yake mambu ya famille, yandi mosi papa leki ya nge ke awa kuma
teti kuna. Nge meka mona ya simbave porte ke ouverte, kota beeto ke yamba nge po ngeke petit
mevwanda na beeto tsika moosi. Hum! Kwenda teti. (Kikongo ya leta)
378
Traduction: non Mokuwa comme ce sont des affaires familiales, et que lui-même ton oncle est là,
vas d’abord. Si tu trouves que ça ne marche pas, la porte est ouverte, entre nous allons te recevoir
parce que tu es un petit qui a habité avec nous ensemble. Hum! Vas d’abord.
Nous comprenons à travers cette conversation que le conseil de famille est l’instance
supérieure qui décide de la survie de la famille et de ses membres. Toute contradiction, doit
nécessairement être négociée malignement.
En plus de ces deux types de personnages mise en scène, nous trouvons d’autres types
de personnages secondaires qui sont en fait des adjuvants, aidant le héros à s’accomplir ou
facilitant le dénouement de l’intrigue. Ces personnages apparaissent donc comme faisant partie
de la société kongo. C’est le cas des ancêtres, des revenants, des esprits, des ngàngà. Cette
bigarrure d’éléments que nous fait explorer cette analyse permet de comprendre que l’unicité
du théâtre est un fait. L’œuvre est alors perçu comme «La totalité des facteurs de la
performance – tout ce qui est poétiquement communiqué, hic et nunc, mots et phrases,
sonorités, rythmes, éléments visuels et par texte la séquence linguistique, mots et phrases, qui
constitue l’un de ces facteurs». (Zumthor, 1987:246). Tout cela participe à signifier l’art
théâtral. Et nous l’avons indiqué au chapitre deux dans ce sens,
Le langage théâtral dans son étrange complexité, en postulant une maximale expressivité, fait
apparaître en définitive les ressources de la communication comme l’élément déterminant de la
théâtralité. Sa richesse, on s’en doute, se situe d’abord dans ce profond sentiment qu’en tant que
signifiant autre chose que lui-même, le langage est essentiellement créateur. Et s’agissant du théâtre,
l’efficience créatrice s’exerce de manière collective, réciproque et simultanée. Les ressources de la
communication simultanément et collectivement partagée entre les sujets locuteurs et le public des
spectateurs. Entre les divers groupes de sujet, s’établit alors une médiation qui nous renseignera sur
l’atmosphère des relations entre les humains concernés, à la manière d’un indicateur bavard du
phénomène social. La masse des symboles sélectionnés par l’artiste, pour leur puissance
“désignative” autant qu’“évocative”, achève d’incarner l’ensemble dans un espace social à
l’intérieur duquel il faudrait situer l’œuvre si l’on veut l’appréhender en profondeur. (Melone,
1970:147,148).
Comme le cinéma, le théâtre est un langage hétérogène, dans lequel on repère facilement la présence
de signifiants très différents qui viennent «s’empiler» les uns sur les autres. Ces différents systèmes
signifiants ou codes sont eux-mêmes homogènes, c’est leur combinaison qui est hétérogène. Une
première approche de la spécificité de la forme dramatique sera donc possible à partir de la
définition suivante (adaptée de Metz): le théâtre sera étudié comme une combinaison spécifique et
hétérogène de plusieurs codes qui sont tous homogènes mais ne sont pas forcés d’être
379
spécifiquement théâtraux.
atterrissage à Boma. Dans ces conditions, la langue leur apparaît, quelque fois comme porteuse
de germe de la vie qu’il récuse.
Ndele :toza bajeunes, il faut heuremoko boye tobetaka lingala na ndenge moko boye ya bien. (lingala + français)
Traduction: nous sommes des jeunes, il faut que de temps en temps nous parlions lingala, d’une certaine manière.
Ya Za: ya solo, lelo te tozozonga namboka, ngayi nakobandaka koloba lingala. (lingala)
Traduction: c’est vrai, aujourd’hui jusqu’à ce que nous arrivions au village je vais commencer à parler lingala.
Ndele: ehee.
Dans cet extrait, par exemple, nous voyons comment, pour rejeter leur espace réel
d’origine, l’acteur- personnage ya Za évoque la langue en disant que le kifioti reste derrière.
Par métonymie, le kifioti représente ici tout l’espace où il vit avec tous les maux contre lesquels
il s’insurge. Ici nous revenons à la conception que la langue traduit la culture. Donc il faut
oublier cette langue qui nous fait penser à tous les poids du village, insinue-t-il.
La fuite vers un autre espace (la ville, l’étranger) serait donc l’état de celui qui va à la
recherche et à la rencontre de son propre cœur où l’autre habite. A travers cette lutte incessante
de se retrouver dans son autre, le théâtre structurerait un mouvement de la conscience vers elle-
même; la recherche, la pratique, l’expérience textuelles par lesquelles le sujet opère par lui-
même/sur lui-même l’exigence spirituelle et sémiologique d’interprétation et de transformation
nécessaires pour avoir accès à l’autre, à soi-même comme autre. Dans cette optique Kunene
(1985) oppose le départ et l’ailleurs. Le départ est lié à un manque d’harmonie. L’ailleurs
procure des occasions pour refaire l’harmonie et occasionner le retour au point de départ
maintenant harmonisé.
Les différents espaces que le personnage parcourt sont donc une possibilité de la réalité,
ils sont à la base d’une expérience (bonne ou mauvaise) le lieu d’une relation en puissance où il
marche vers l’autre, le lieu qui conduit à «L’oasis de la vraie rencontre de deux libertés se
découvrant capables d’alliance au-delà des impasses de la séparation-réparation». (Ben Amara,
2001:40). Ce qui nous pousse à reconnaître comme le fait Granier (2006:117) que «Le bonheur
381
est une utopie. La proposition ici est que le bonheur est une pensée. Sa mise en forme n’existe
que dans le monde des mots». C’est ce qui ressort de la lecture du bonheur que fait Kezilahabi
(1975:163) dans son roman: « […] le bonheur n’est qu’une pensée qui peut faire avancer
l’homme vers la destruction ou le progrès». Mzee Chilongo, personnage analysé par Kezilahabi
(1979:38) se méfie ainsi de la parole des jeunes. Il a compris que dans la bouche des jeunes, les
mots étaient trop livrés à eux-mêmes. Voici une belle formule pour réserver la parole aux
anciens, dit-il: «Je ne veux pas entendre de mots prononcés par une langue qui n’est pas restée
au moins cinquante années dans une bouche!»
Nous devons aussi comprendre les lieux comme espace éthique du désir, projet
permanent d’une alliance à l’autre, à la cité nouvelle d’une communauté retrouvée, au monde.
Le rapport entre village et cité, entre le monde naturel et mystique, clos ou ouvert comme lieu
d’évasion, de sécurité est significatif de cette dimension éthique du désir. Nantet (2000) repris
par Souny (2001:337), à propos des nomades mauritaniens, nous enseigne que le chamelier a
depuis toujours une ville dans son imaginaire; pour lui, les grands espaces ne sont que des
intermédiaires entre des lieux et des idées, projets et désirs germés en piste prennent
consistance par la construction des espaces loyaux exempts de tout contrôle.
A travers cette confrontation entre l’espace, discours et personnage, nous avons senti
une certaine tension ou opposition entre deux générations. La première, celle des vieux, mue
par l’esprit de conservation et de protection des traditions, est caractérisée par la domination,
l’assujettissement. La deuxième, celle des jeunes, fatiguée de vivre l’asservissement, mue par la
révolution, la mutation, la transformation. Chaque catégorie a une certaine représentation
mentale de l’espace que lui édictent ses schèmes cognitifs liés à ses représentations spatiales
qui sont les fruits d’une construction collective liée à l’imaginaire du groupe.
Dans le comportement des personnages que nous avons fait défiler à travers cette étude,
nous lisons le mouvement d’une rupture et celui d’un avènement qui caractérise la jeunesse
kongo. Le dessein même de ces représentations est que la rupture puise dans ce qu’elle veut
détruire l’image même de ce qu’elle peut posséder. La charge traditionnelle étant très forte dans
la société kongo, il est très risqué de vouloir s’en débarrasser brusquement. Cela nous paraît
logique dans la mesure où les illusions et les naïvetés assassinent quelque fois les destins. Pour
se réaliser pleinement, la jeunesse a besoin d’un monde qui rend possible, ouvre, creuse ou
infinitise son désir. Ce monde dont rêve la jeunesse ne peut se construire qu’à travers les liens
qu’elle entretient avec les autres (vieux), avec le lieu comme condition de ce lien. Parce que la
société kongo se définit à travers les schèmes que détiennent les anciens. Vouloir faire
autrement trahirait bien cette spécificité. Nous l’avons dit au chapitre premier avec les auteurs
382
comme Mukala (1987), Hernandez (2006) que la tradition était à la fois héritage et projet pour
le premier et substance et transmission pour le second. C’est donc tout cela qui construit
l’humanité kongo. Le projet de bien-être communautaire c’est une substance créatrice et
civilisatrice. En cela, il se transmet comme un héritage dans la vie de chaque fils. Même sans le
savoir, on y baigne. Mais ce projet est tout aussi rigoureux, par rapport aux principes, que
flexible, par rapport aux ouvertures constructives. L’acteur- personnage veut faire comprendre
à ses confrères, à partir de ses expériences, que si l’on agit en fonction des idées séparatistes, on
risque de créer un espace de désert où règne le chaos. Une espèce de désert que décrit Wamitila
(2002:123):
[…] c’est-à-dire que c’est un espace culturellement vidé de tout. Même la vérité et l’illusion sont
fondues et ne forment plus qu’une chose unique. Les frontières entre le bien et le mal ont été
balayée, radicalement. Cette dualité qui a informé toute l’histoire a disparu. Cette dualité qui était la
cause du chaos originel a disparu et à la place nous héritons de l’unité du chaos.
C’est ce que Sleiman (2002: 44, 45) appelle la négation de la création. Pour éviter cette
négation, le personnage-acteur ya Za était obligé de s’arrêter et de retourner; parce qu’en effet
les récits présentent un mouvement continu. Aussitôt un événement s’éclipsait qu’un autre
apparaissait. Il vivait dans un monde où le caché et le montré, la surface et la profondeur
renvoient à une même vérité, le complot d’une absence. L’élément commun entre l’espace nu,
le vide et l’horizon né de la distance et de l’éloignement, de cette impossibilité d’atteindre et
d’aboutir, mirage, apothéose d’une absence qui prend les traits d’une présence qui n’est que
vacuité. Tous ces éléments Convergence, fusion, anéantissement: le mouvement inverse de tous
les objets et des êtres nie la Création en ce qu’il élimine l’acte de la séparation première et les
distances pour ramener la multitude à l’unité où elle se résorbe. Toutes les frontières entre
objets et être tombent et toutes les choses deviennent l’image d’une seule. Les angles
disparaissent, il ne reste que la forme d’un cercle dans cet espace illimité. Le cercle ne
connaissant pas les angles, il ne connaît pas non plus le point de virée puisque, à l’image du
désert, les distances sont infinies et continues.
Le système de relations d’où découle l’image des espaces kongos implique une manière
singulière de représenter et explique la spécificité formelle du texte Les juxtapositions
d’éléments que propose le texte, grâce à la présence des éléments choisis, établit un espace
sémantique, c’est-à-dire la signification de l’ensemble relationnel. C’est la conception de
l’espace du texte que l’on retrouve chez Lotman (1973), pour qui les relations sémantiques
impliquent un espace, en ce qu’elles établissent un système de positions relatives d’où découle
383
nécessairement une organisation spatiale. Pour lui la structuration consécutive du texte devient
donc aussi une production continue de spatialité où la syntagmatique interne des éléments du
texte devient un langage de modélisation spatiale.
Dans une telle optique se dessine un étagement conceptuel: premièrement, on a la
distribution formelle des éléments du texte et de leurs relations internes, qui ne concernent pas
seulement les éléments géométrisables comme une juxtaposition d’objets, mais tout aussi bien
d’éléments hétérogènes, distribuant des faits de l’ordre de la sensation, de la pensée, des
affects, etc. Deuxièmement, et à la base de cette distribution formelle, se déploie un espace
sémantique, autrement dit l’organisation d’un système de significations formant un réseau
coordonné qui implique une image d’espace, c’est-à-dire le sens de l’ensemble des éléments
donnés comme repères d’un espace humain vécu. Et troisièmement, il y a l’actualisation de
l’image dans la conscience imaginante en tant qu’intuition concrète, une idée d’espace résultant
de l’agencement formel d’éléments.
Ainsi les personnages, le décor, le discours traduisent ce réseau relationnel par lequel
l’espace se construit et s’exprime. Le théâtre moderne kongo, nous a permis de construire et de
déconstruire l’homme Mukongo en tant qu’être spécifique vivant représenté dans des lieux qui
traduisent sa personnalité modale. Nous pouvons reconnaître que chez les Kongos, le «je» est
absorbé par le «nous» à partir duquel tout le monde se détermine. Dans la relation du je au nous
se succèdent des étapes qui mettent les gens dans des espaces parfois conflictuels. On parle de
l’espace hallucinatoire. Dans cet espace, c’est la spatialité du corps propre qui se trouve en
premier lieu affectée [l’enfant qui frappe son père, le père qui fait payer à l’enfant son acte]; le
rapport de symbolisation qui, dans l’espace du fantasme, reliait plus ou moins lisiblement le
corps à ses projections, se trouve aboli; le rapport de la partie au tout détruit; les frontières du
corps oblitérées; le dedans et le dehors confondus. Et nous notons forcément l’idée, selon
Munch (2001: 489) que
[…] le théâtre repose sur la présence de l’acteur. S’il est vrai que tous les moyens de l’art littéraire
tournent autour d’une plus forte présence des mots dans la psyché, il est clair que la présence de
l’acteur est le moyen que le théâtre privilégie parce qu’il donne aussitôt aux mots une voix réelle, un
corps actif, des gestes et un espace concrets.
C’est dans cette optique que nous pouvons comprendre que la spatialité de l’expérience ne se
réduit pas à un espace simple et aux coordonnées d’un espace lisse, continu, c’est-à-dire à un
espace théorique. La spatialité de l’expérience renvoie à un espace vécu qui juxtapose et
combine tout un faisceau de spatialités. Michels Serres (1977:201, 202) l’a bien dit:
384
Mon corps habite […] autant d’espaces qui en ont formé la société, le groupe ou le collectif. La
maison euclidienne, la rue et son réseau, le jardin ouvert et fermé, l’église ou les espaces clos du
sacré, l’école et ses variétés à point fixe, et l’ensemble complexe des organigrammes. […] C’est
qu’une culture, en général, construit, dans son histoire et par elle, une intersection originale entre des
telles variétés, un nœud des connexions bien précis, et particulier.
“Have-you seen a woman throw away her pestle when she really means to pound yam? When
Iredale took her case to Orunmila he said, if the worm doesn’t jig near the roost, the fowl may
still want to peck, but at least it can’t say the worm was throwing dust in his face.”
Avez-vous vu une femme jeter son mortier au moment de piler l’igname? Quand Iredale amena
son cas à Orunmila il dit; si le ver ne danse pas à côté du coq, la volaille peut vouloir picorer,
mais au moins il ne peut pas dire que le ver lui envoie de la poussière à la figure.
De cette réplique poétique, Beier (1959:10) donne les traits distinctifs que sont l’humour, les
images et la philosophie des Yoruba. Les images identifient nous semble-t-il avec précision le
style typiquement yoruba de ces répliques; les objets sont familiers (mortier, igname), ainsi que
les animaux (ver, volaille) et les dieux (orunmila, le dieu créateur). L’humour est léger et
témoigne du cynisme que l’on prête parfois aux Yoruba. La poésie odu au sens ésotérique et
aux images surprenantes n’est qu’un des genres de poésie Yoruba.
Donc comme le dit Ricard (1972:99), «L’usage de la langue est difficilement séparable
du traitement de l’espace dans une œuvre littéraire. Espace et langue sont deux composantes
primordiales de toute culture». Ceci est d’autant plus vrai qu’ils constituent les invariants par
lesquels et avec lesquels une culture se définit. C’est que Diop (1981:290) formalise en
écrivant:
Les invariants culturels, c’est-à-dire des éléments que des transformations culturelles
révolutionnaires, même radicales, laissent indemnes, le sentiment esthétique profond, par exemple.
Il s’agit de:
1. Une culture humaine est impensable sans une langue. Toute culture est sous-tendue par une langue.
2. Aucune culture n’ignore l’expression et la jouissance esthétique (arts, musique, peinture, coiffure,
poésie, etc.)
3. Toute culture fournit certaines attitudes standardisées devant les problèmes les plus profonds comme
385
celui de la mort, de la naissance, de mariage, etc. il est inconcevable, par exemple, qu’il s’observe un
cas de deuil lorsqu’un nouveau-né vient au monde! Aucune culture ne peut réaliser une telle folie.
Tout comme, une société qui penserait organiser une réjouissance populaire face au décès d’un
membre de famille.
4. Toute culture est organisée de façon à perpétuer la solidarité du groupe en répondant à l’exigence
portée par tout homme, d’un mode de vie ordonnée, qui lui permette de satisfaire ses besoins vitaux.
Conclusion
Cette analyse nous permet de mettre en évidence la pensée d’Helbo (1983:76) qui
soutient la thèse que le théâtre est bien un moyen de communication, contrairement à Mounin
(1971) qui semble réserver la communication que dans des procès linguistiques de type Sa-Sé.
Cette communication (théâtrale) dont Helbo décrit le fonctionnement à partir de l’œuvre de
Jean Tardieu ne fonctionne pas comme la communication linguistique. Selon Helbo (1975:15)
le mode de fonctionnement du code de la pièce [qui ne constitue d’ailleurs pas en soi un code
strictement bi-univoque sémantique/syntaxique: les altérations lexicales greffent des Sa
nouveaux aux Sé, sans accentuer toutefois l’écart Sa-Sé] impose au spectateur le creux
d’interprétation.
Un creux compétent, condition du plaisir, oblitère la relation d’interprétation: les indices
de la re-présentation théâtrale offrent des clés possibles (information) d’un message dont le
sens (la signification) sera obnubilé pour autoriser la jouissance esthétique. Tous ces éléments
ensemble, conditionnent l’énonciation théâtrale qui de cette manière ne peut être une
énonciation ordinaire. Evidemment, étant entendu les divers procédés et concepts esthétiques à
travers lesquels le théâtre s’exprime, son message ne peut être lu et compris de manière
linéaire. Le décodage théâtral se distingue donc dans ce cas de la communication linguistique.
La réaction des spectateurs ne dépend guère d’une intercompréhension, au contraire. Malgré la
présence de jalons culturels ou situationnels, le code repose sur une part d’altération dans
l’échange. Il demande, comme l’a dit Greimas (1979), de concilier la présence de signifiants
multiples avec celle d’un signifié unique. Ce qui entraîne, comme l’a dit Helbo (1983), que la
saisie du théâtre est avant tout syncrétique et transversale: la réception est à la fois linéaire
(logico-temporelle) et tabulaire (brassage de signifiants).
Dans ce chapitre sur les interactions entre l’espace, les personnages et les discours, nous
avons pu comprendre comment le discours théâtral se construit sur base des éléments qui le
structurent. Et là nous pensons qu’Helbo (1983:7) a bien montré que « […] l’analyse théâtrale
386
n’aurait jamais dû perdre de vue sa praxis: elle aborde des actes, prend en compte des instances
de parole et de comportement, embrasse leur contrat événementiel».
Dans sa vie de tous les jours, le jeune mukongo est confronté à des situations qui le font
vaciller d’un monde à un autre, à la recherche de l’équilibre vital et existentiel. Le passage de
l’espace d’origine à l’espace d’installation traduit un besoin: échapper au totalitarisme, et créer
un équilibre. Le passage de l’espace réel à l’espace mystique traduit un autre besoin, c’est
maîtriser la nature qui l’entoure et la dominer. Le passage de l’espace ouvert à l’espace clos, en
traduit un autre, entrer dans le secret de la maîtrise et de la domination. Tout ceci résulte de la
recherche d’une harmonie. Dans ce sens, nous pouvons tirer la substance des fonctions sociales
incontestables du théâtre africain dont parle Traoré (1970b:55):
Son contenu émotionnel et mystique correspond certainement à un besoin d’abord. Dans le régime
tribal ou communautaire qui est celui de l’Afrique traditionnelle, les loisirs sont intégrés dans un
ensemble harmonieux [chants, danses, légendes, contes, rites]. Le théâtre africain est une
communion avec la nature cosmique. L’homme en lutte contre les forces de la nature veut s’allier
ces forces et affirmer son pouvoir sur elles. Il invente des mythes, où il évoque ses rêves, ses peines,
ses espoirs. De ces symboles populaires, il a fait un ensemble rayonnant d’humanité, le théâtre. Dès
lors le théâtre africain cherche à traduire la totalité des manifestations humaines de la vie. Il tend
vers le contenu total de celle-ci. Ainsi, cet art contribue à la cohésion de la communauté par une
«“chaîne qui s’attache les uns aux autres” (Platon).
Nous avons pu comprendre que l’équilibre social ne résulte pas de la table rase, mais de
l’équilibre de l’équilibre. C’est ce à quoi les acteurs - personnages se sont livrés en spectacle.
En cela, Kolawaski (s.d) repris par Okolo Okanda (1991: 148) formalisent bien cet équilibre de
l’équilibre: «Si les nouvelles générations ne se révoltaient pas continuellement contre la
tradition, nous vivrions encore dans la caverne et si la révolte contre la tradition devenait
globale, nous sérions de nouveau dans la caverne». La révolte est à considérer dans le sens
positif comme un souci de renouvellement ancré dans l’effort de construction et de
stabilisation. C’est d’ailleurs en cela que Zola-ni-Vunda (2002:103) dans son étude portant sur
«Des traits de la modernité dans le récit hispano-américains» considère que la modernité est un
besoin de renouvellement perpétuel et chaque époque doit avoir sa propre conception de
modernité. Elle traduit une poussée spirituelle, un souci profond de renouveau et d’autonomie
de conscience que l’on oppose à l’étouffement de l’homme par la matière envahissante.
Si donc ces pièces nous ont communiqué la société Kongo dans ses différentes topiques,
elles ne nous ont pas moins montré que le comportement des acteurs- personnages, ou les
notions de l’espace et le langage constituaient bien une critériologie qui permet de classifier le
387
théâtre africain, conformément à la typologie que nous avons présentée au chapitre trois.
388
CONCLUSION GENERALE
Vo zaya sika ngoma kukisèmi ko, bazèye zo sika bééngi: Si tu sais jouer du tambour, ne t’en
vante pas; beaucoup le savent44.
44
- on ne se vante pas de ce qui est notoire.
- Nul n’a le monopole de la science. (Ryckmans and Mwelanzambi, 1992:255).
389
Nous voici arrivé au terme de notre dissertation qui a porté sur «Le théâtre africain et
ses caractéristiques. Analyse de quelques critères définitoires à travers le théâtre urbain
kikongophone». Nous allons en rappeler les grandes articulations en revenant beaucoup plus
sur la méthodologie, les résultats et l’apport de notre thèse tant du point de vue scientifique que
social.
Nous devons rappeler que l’objet principal de cette thèse était d’analyser et de décrire
les pièces produites par la troupe théâtrale « Schecania » de la ville de Boma comme genre de
la littérature orale de manière à définir et à classifier, à partir de cette analyse, le théâtre africain
et d’examiner dans quelles mesures ces pièces représentent le théâtre africain. Ainsi nous
fallait-il vérifier, à partir de la théorie générale du théâtre, si les différents genres constitutifs de
ce théâtre renfermaient les éléments fondamentaux par lesquels on reconnaît un genre théâtral.
Or, il nous a semblé que l’on ne peut pas y arriver sans au préalable avoir répondu à la question
de l’existence ou non du théâtre africain. Question toujours et souvent en actualité. Ne pas le
faire aurait rendu notre recherche incomplète et moins objective. En effet, à supposer que le
théâtre africain n’existe pas et que nous classifions le genre que nous avons analysé dans un
type donné, nous aurions été très subjectif et même en dehors de la réalité; et à supposer que ça
existe et que nous n’en ayons pas tenu compte dans notre classification, nous aurions escamoté
certaines notions essentielles à la construction de notre argumentaire. Ainsi, ce travail de
classification impliquait de répondre à la question de l’existence ou non du théâtre africain en
s’appuyant sur la théorie générale du genre théâtral. Nous avons pour cela analysé les différents
critères de définition et de classification du théâtre africain de manière à saisir les éléments
nous permettant de reconnaître notre corpus comme rentrant dans un type de théâtre africain t
d’analyser les éléments démarquant ce type des autres.
Comme nous l’avons remarqué, la nature de nos matériaux de base constitués des textes
oraux (pièces de théâtre) nous a imposé une démarche plurielle qui consistait à faire de
recoupement sur plusieurs domaines des sciences humaines; autant que cela avait déjà été
exploré par Agblemagnon (1969), Diagne (2005), Gosselain, Zeebroek, & Decroly (2008);
Helbo (1983, 1987, 1998, 2006, 2011, 2013), Kazi Tani (1995), Laya (1972), L-V Thomas
(1960), Pavis (2008). Ainsi avons- nous procédé par ce que nous avons appelé la méthode
interactive inspirée de la méthode de synthèse d’Helbo (1983) ou la méthode critique
englobante de Kazi Tani (1995) où nous avons puisé les biens dans plusieurs approches qui
nous ont permis d’atteindre nos objectifs. Face à cette multiplicité d’information qu’apportent
390
les textes oraux et face à cette lutte incessante entre la tradition et la modernité, il n’y avait pas
d’autre choix que de recourir à une démarche multiple. La société elle-même est multiple et les
données que nous analysons ne l’étaient pas moins. Ainsi l’interdisciplinarité était-elle de mise.
Fondamentalement, nous avons procédé à une herméneutique des textes. Nous avons
cherché à pénétrer toute la symbolique de l’univers kongo tel que transporté par les discours
des acteurs - personnages. Nous avons donc dépouillé ces textes des intentions de sens dont ils
étaient révélateurs. Pour y arriver, il nous fallait de temps en temps recourir à la sémiotique et à
la pragmatique, de manière à comprendre dans le contexte particulier kongo, le sens de certains
aspects du texte dont la compréhension dépendait de certaines influences paraverbales; d’où
l’apport de l’intertextualité, en vue de pénétrer les intentions du metteur en scène à projeter sur
les discours des acteurs-personnages la compréhension et/ou la réaction implicite des
spectateurs. Nous avons questionné la philosophie du langage, de manière à questionner la
pensée kongo à travers le mot qui la porte; la sociolinguistique, pour essayer de comprendre le
rapport entre les classes sociales et les parlers. Ce qui ne nous a pas interdit de faire usage de
l’anthropologie du spectacle, dès lors que nous avons compris que le théâtre n’est pas que l’art
de l’acteur , mais aussi du spectateur qui contribue à son existence. Ainsi l’explique Leveratto
(2013:27). Réintégrer l’usage conscient de son corps que fait le spectateur à travers les
situations de consommation culturelle quotidienne, soit toute la dimension de la gestion des
émotions suscitées par les objets culturels qu’il rencontre dans le cadre de son loisir, c’est
reconnaître la culture du spectacle, au sens à la fois du savoir et de l’action de cultiver sa
sensibilité et son jugement, qu’il possède. Il s’agit de réintroduire dans l’observation non
seulement le savoir qu’apporte au spectateur sa familiarité avec des objets artistiques, mais
celui qui résulte de son engagement personnel ici et maintenant dans le spectacle, au sens d’un
agencement à la fois social et technique.
Les résultats
Il est important de nous demander si nous avons atteint les objectifs assignés au départ
de cette thèse?
Après avoir possédé à l’analyse de nos données, nous pouvons affirmer que nos objectifs ont
été bien atteints.
Après avoir déconstruit les textes, en démontant la structuration du langage, des
espaces, des personnages et de leurs discours, [le texte est à la fois une structuration et un
destructeur d’un système de signes. «En effet, le texte dans son ensemble constitue un effort de
391
structuration du signe dont le premier moment peut être, provisoirement, décrit de la façon
suivante: certains éléments du texte fonctionnent non seulement comme signes, mais aussi
comme signes de signes, et éventuellement comme signes de signes de signes et ainsi de suite».
(Greimas, 1972:65, 68-69).], nous avons pu établir que le théâtre urbain kikongophone entrait
dans ce que nous appelons théâtre moderne. Nous l’avons considéré comme théâtre moderne en
ce que sa structure est celle du théâtre africain :
- Né pendant la colonisation
- Comportant les stigmates du contact de civilisation du point de vue du langage, de
l’espace et des personnages
- Renfermant certains aspects renvoyant aux représentations traditionnelles (palabre,
religion, croyance, rituels…)
C’est pourquoi nous avons réalisé que cette façon de faire du théâtre était une rupture et une
évolution par rapport au théâtre traditionnel. Cette rupture et cette évolution résultent du
langage utilisé, de la manière d’utiliser le personnage et l’espace, comme nous l’avons déjà
indiqué au chapitre trois en précisant la critériologie spécifique de chaque type de théâtre. Et le
comportement des acteurs personnages nous l’ont attesté. Cette attestation nous poussait de
facto à définir le théâtre traditionnel dont le moderne constituait une évolution. C’est alors que
nous tombions dans la question de dire si oui ou non l’Afrique avait un théâtre. Après une
confrontation théorique et après l’analyse de certains arguments à ce sujet, nous avons pu
établir que l’Afrique connaissait et connaît bien un théâtre qui remplit bien les fondamentaux à
partir desquels on reconnaît un genre théâtral ainsi que nous les avons décrits dans les chapitres
deux (la mimesis, le dialogue, la convention spectaculaire, les acteurs, l’espace…). Ce théâtre
est à la fois traditionnel et moderne en suivant en cela la critériologie de démarcation que nous
avons définie dans le chapitre 3. Ceci n’est qu’une suite logique des propos déjà défendus
longtemps par plusieurs auteurs, notamment Cornevin (1970:295) qui comprenait déjà que
l’Afrique apporte une nouvelle dimension historique au monde. En cela, il conseillait aux
hommes de théâtre africains de le comprendre et de chercher dans l’incomparable fonds
historique de l’Afrique noire les sujets, les personnages plutôt que de se lancer en de hasardeux
syncrétismes scéniques afro-anglo-saxon qui, pour certains, offensent la mémoire de
Shakespeare et pour d’autres offensent les traditions africaines. Même rétentissement chez
Centner (1963:33) qui après avoir assisté à un spectacle offert par les jeunes africains considère
qu’
392
On ne pouvait ignorer ce talent. Les mouvements de jeunesse, entre autres, l’ont exploité et nous
avons bien ri et applaudi de grand cœur aux saynètes inventées et jouées par nos garçons. Il y a là
une richesse qui n’a pas été suffisamment exploitée et il faudrait que des Africains s’attellent à la
tâche de créer un théâtre qui soit à la fois de l’art authentique et un art authentiquement bantou.
Comme eux, Anozie (1970: 141) l’avait fait observer dans sociologie du Roman
Africain que pour créer des actions et des intrigues romanesques ces écrivains (écrivains
africains) n’ont pas besoin de chercher en dehors de leur propre milieu local ou de déplacer les
situations de leurs héros sur une métropole. Il leur suffit de porter leur regard sur leur propre
société traditionnelle pour y discerner aussitôt un état de drame permanent. Ceci évite de
tomber au reproche que Lero le Martiniquais (1932) repris par Eliet (1965:11) fait à la
bourgeoisie antillaises, à un certain moment de l’histoire, en dénonçant le conformisme de ses
compatriotes dont la poésie n’est rien de plus à ses yeux qu’une hypocrite parodie de la poésie
française, avec un décalage dans le temps. C’est aussi le point de vue de Kesteloot (1963:42,
43) qui de la littérature antillaise écrivait que cette dernière n’avait, en effet, pas grande valeur
esthétique. On pourrait, certes y découvrir, dit-elle, quelques beaux vers –voire quelques
poèmes entiers – qui touchent les Européens. Mais cela ne la sauve pas de la médiocrité
générale. Cette pauvreté, pense Kesteloot, est due au fait que cette littérature passe à côté de la
vie et, poursuivant un mirage occidental, elle se coupe de ses sources. C’est ainsi qu’elle pense
qu’il n’y a pas d’art sans authenticité.
Ces analyses nous ont conduit à proposer pour le théâtre africain une typologie avec
deux grandes catégories:
D’une part, le théâtre traditionnel enfoui dans les traditions africaines et qui se vit selon les
normes esthétiques africaines, et d’autre part les théâtres contemporains composé de deux
formes notamment le théâtre en langues étrangères dont les pièces sont copiées ou adaptés sur
les modèles des classiques occidentaux et le théâtre moderne: théâtre en langues locales (oral
ou écrit) qui résulte de la symbiose entre d’une part des éléments traditionnels et de l’autre de
l’enrichissement du théâtre occidental. Et vu l’apport très frappant du traditionnel dans cette
façon de faire du théâtre, nous sommes tenté, dans le domaine kongo du moins, de proposer de
désigner simplement le théâtre par le mot traditionnel: «ntsàka».
Nous avons pu comprendre qu’en fait le théâtre appelé populaire est bien le théâtre
moderne africain. Les éléments classificatoires d’analyse apportés à partir du théâtre urbain
kikongophone montrent que ce théâtre constitue une rupture et une évolution du théâtre
traditionnel africain partant de la critériologie du théâtre africain traditionnel. Nous avons pu
393
démontrer en cela que l’opposition traditionnel et moderne ne tient pas du support, mais du
système existentiel du genre. Dans ce sens est moderne tout texte (oral ou écrit) qui rentre dans
la critériologie définie à cet effet (suivant l’affabulation africaine). Enfin, nous avons considéré
comme importé, le théâtre dit classique qui est un modèle occidental, même si nous le
reconnaîssons comme rentrant, avec le théâtre moderne, dans le théâtre contemporain africain.
Nous pouvons dire que notre thèse est une valeur ajoutée dans la théorisation sur
l’esthétique africaine. Il vient ajouter un plus dans la manière de définir l’esthétique africaine.
Particulièrement, elle vient inaugurer une recherche qui, dans le domaine kongo, semble, à
notre connaissance, trouver un précédent.
Quand nous commencions la rédaction de cette thèse, nous ne nous rendions pas compte
qu’elle allait aboutir avec ce cheminement, notamment «aller à la rencontre d’un acteur-
personnage porte parole». Ceci ne peut que traduire l’esprit de la lecture de Vinavert (1982)
que Ryngaert (1996:34) traduit suivant les mots ci-après:
Au départ d’une pièce il n’y a aucun sens. Mais aussitôt l’écriture de la pièce commencée, il y a une
poussée vers le sens, une poussée vers la constitution de situations, de thèmes, de personnages. A
partir d’un noyau indéterminé issu de l’explosion initiale, la pièce n’arrête pas à se construire. A la
fin, si elle est réussie, elle se présente comme un objet aussi rigoureusement construit que s’il y avait
eu un plan préalable.
C’est au fil des analyses que nous avons pu construire, après déconstruction, les personnages et
leurs discours dans un espace bien défini. L’acteur principal et metteur en scène de ces pièces,
ya Za, si naïf que moins professionnel, a une pulsion encrée dans le vécu sociétal kongo. Un
encadrement d’une expertise pointue a manqué. Cela aurait conduit à pousser à comprendre le
mieux un monde qu’il présente à la limite de l’isolement et de l’ouverture. Mais sa rencontre
nous a permis d’apprécier cette note de lecture qu’Elikia Mbokolo (1982:144) fait de l’ouvrage
d’Obenga sur Le Zaïre.Civilisations traditionnelles et culture moderne. Il écrit
Obenga présente sous cette expression “la production intellectuelle” des Zaïrois. Or cette conception
est doublement indéfendable. D’une part, et les autorités académiques et politiques du pays s’en
plaignent, la production intellectuelle nationale est encore faible: les ouvrages cités sont trop souvent
394
des travaux universitaires, coupés du pays et rattachés aux recherches et aux problématiques
scientifiques des universités étrangères. D’autre part, et surtout, la culture dans le Zaïre
d’aujourd’hui ne s’exprime pas seulement dans les livres et dans les universités: elle n’est pas portée
par les intellectuels. Elle est dans la rue, dans les bars, dans les masures des grandes cités. Elle est
avant tout une culture populaire. Et, à cet égard, Kabasele, Franco, Rochereau et leurs pairs
représentent eux aussi la culture zaïroise avant tout une culture.
Puisque nous avons compris que la vraie culture, la bonne, la meilleure est celle vécue par la
population dans sa vie de tous les jours, nous pensons que cette thèse qui naît du soubassement
de cette culture a une forte dette face à cette population de rue, des bidonvilles, des masures:
leur restituer un encadrement à la taille de leur contribution à la rédaction de cette recherche, ne
serait pas moins me reconnaître comme enfant qui est né et qui a grandi dans l’imaginaire
spatial ci-dessus décrit.
L’analyse de nos données a relevé une question très épineuse qui mérite d’être étudiée
dans les études futures. C’est le rapport entre le théâtre et le film africains. Une telle étude
permettra de définir les limites des apports cinématographiques dans ce genre de théâtre. Le
constat était déjà fait en 1970 par Ramsaran (1970:53) qui faisant le rapport entre le théâtre
traditionnel et moderne notait:
But times are changing and the concentration of population in urban areas, with the influence of the
cinema and the other vehicles of non- African culture, is creating a demand for ready-made leisure
entertainment in place of communally created functional drama which is still very much alive in
rural Africa. So side by side with traditional drama is being formed the modern African theatre
which exploits the ideas and techniques of the European stage. A wise direction of the new schools
of drama should ensure that African drama while being enriched by foreign influences will remain
African, not only in content but also in form.
395
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431
Prologue……………………………………………………………………………………….. i
In Mémoriam………………………………………………………………………………….. ii
Dédicace………………………………………………………………………………………. iii
Remerciements………………………………………………………………………………… iv
Résumé de la thèse………………………………………………………………………….......1
0. Introduction générale……………………………………………………………………2
1. Présentation du problème……………………………………………………………......3
2. Problématique……………………………………………………………………….….. 7
3. Hypothèses ……………………………………………………………………………...8
4. Objet…………………………………………………………………………………....13
5. Objectifs……………………………………………………………………………..…13
6. Méthodologie…………………………………………………………………………...15
7. Etat de la question………………………………………………………………………25
8. Situation sociohistorique de la ville de Boma………………………………………….32
9. Plan de la thèse…………………………………………………………………………41
Introduction…………………………………………………………………………………….43
Conclusion ……………………………………………………………………………………105
437
Introduction…………………………………………………………………………………...109
Conclusion …………………………………………………………………………………....155