FISCALITE
FISCALITE
FISCALITE
Réalisé Par :
RAHMANI Chaymae
ZNASSNI ISLAM
GRARI YOUSRA
AMROUS LAMYAE
GUERROUJ RACHID
RABHI MOHAMMED
Conclusion Générale......................................................................................................................168
Listes des Annexes:........................................................................................................................169
BIBLIOGRAPHIE.............................................................................................................................178
Table des matières........................................................................................................................186
2
Table des principales abréviations
3
PLF: Projet de Loi de Finances
PIB: Produit Intérieur Brut
PME: Petites et Moyennes Entreprises
REC: Référentiel des Emplois et des Compétences
SA: Société Anonyme
SARL: Société A Responsabilité Limitée
TVA: Taxe sur la Valeur ajoutée
4
Introduction Générale
Devant la grande fortune internationale qu’a connue le concept des dépenses fiscales
dans la majorité des pays de l’organisation de coopération et de développement
économique (OCDE)1, le Maroc s’est vite inspiré de leur expérience en la matière. Ainsi,
l’acclimatation marocaine de la notion s’est faite par la publication annuelle d’un rapport sur
les dépenses fiscales adossé, depuis l’année 2005, au projet de la loi de finances dont
l’objectif est d’assurer une meilleure gestion des aides indirectes. Ces dernières sont
octroyées par l’instrument fiscal qui fournit un cadre favorable à la mise en œuvre des
réformes du système fiscal envisagé par les autorités. Ce rapport représente un recueil
englobant l’ensemble des dérogations fiscales avec une estimation de leur coût respectif par
type d’impôt et secteur.
Le rapport sur les dépenses fiscales est un outil conçu spécialement pour répertorier
l’ensemble des dispositions dérogatoires parsemant le système fiscal marocain. A priori, ce
travail d’assemblage se fait, sans difficulté majeure, dans la mesure où il suffit, tout
bonnement, de se référer à la définition préétablie du concept de dépense fiscale. Pour y
parvenir, l’approche marocaine, et en dépit de l’absence d’une définition claire et concise de
la notion de dépense fiscale, a déterminé quelques éléments de définition, servant de fil
conducteur, afin de qualifier une mesure dérogatoire de dépense fiscale. Il n’en demeure
pas moins qu’il existe un autre élément aussi déterminant à démontrer, au préalable, afin de
pouvoir procéder au tamisage permettant de répertorier les mesures qualifiées de
dépenses fiscales. Il importe de déterminer, à cet effet, le périmètre du système fiscal
marocain de référence afin de pouvoir, en conséquence, distinguer l’authentique dépense
fiscale de l’ivraie.
1
L'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) a, en 1961, succédé à l'Organisation
européenne de coopération économique (OECE), fondée en 1948 pour gérer l'aide américaine d'après-guerre
(plan Marshall). L'OCDE regroupe plus d'une trentaine de pays: toute l'Europe occidentale et l'Amérique du
nord, plus le Japon, l'Australie, la Nouvelle- Zélande, la Corée et, depuis 1995 et 1996, certains pays d'Europe
centrale (République tchèque, Hongrie, Pologne) et, depuis 2010 le Chili, la Slovénie, Israël, et l'Estonie. L'OCDE
est le principal rassembleur de statistiques sur les pays développés. L'OCDE siège à Paris
5
l’impact budgétaire occasionné par l’institution des mesures préférentielles fiscales qui ne
cessent de s’étoffer chaque année avec l’avènement de chaque loi de finances. La
conception de ce rapport n’est, absolument, pas une fin en soi, ce dernier, n’est, en fait,
qu’un outil technique dont le but principal est de « rendre comparables, les interventions
gouvernementales émanant de la politique fiscale et celles réalisées par l’intermédiaire des
dépenses budgétaires »2.
Toutefois, il faut reconnaître que le rapport sur les dépenses fiscales a pu jouer, entre
autres, au moins un double rôle informationnel. Depuis 2005 marquant l’avènement du
premier rapport marocain, les dépenses fiscales sont devenues un fait connu de la part des
décideurs marocains. Les données contenues dans le rapport ont alerté, au moins 3, les
pouvoirs publics sur la manne budgétaire importante volatilisée et non comptabilisée dans le
compte général des dépenses budgétaires et avoir, en concomitance, une idée
approximative sur le coût du produit de l’impôt, délibérément, non collecté. Cette prise de
conscience leur permettra, indéniablement, de mesurer le degré de déperdition de la
matière imposable afin de pouvoir en rationaliser, en bon père de famille, l’usage qu’on fait
de l’impôt, comme un instrument de politique publique.
Le rapport marocain sur les dépenses fiscales adossé, chaque année, à la loi de
finances, a été conçu en 2005, et depuis, beaucoup de choses ont changé dans
l’architecture fiscale marocaine à une exception près, celle relative aux dispositions
2
L. GODBOUT, « L’intervention gouvernementale par la politique fiscale », op. cit., p. 108.
3
A savoir que le champ du périmètre reste encore entaché de plusieurs imperfections et marqué par une
information souvent tronqué loin de donner une idée exacte sur l’impact économique et budgétaire de la
mesure préférentielle objet de chiffrage .
6
dérogatoires. Chaque loi de finances apporte son lot de nouveautés concernant les
avantages fiscaux. Une multiplicité de mesures intarissables que le rapport est censé
prendre, perpétuellement, en charge dans l’inventaire annexé à la loi de finances de chaque
année budgétaire. En quoi consiste donc cette rationalité des dépenses fiscales prônée lors
des assises sur la fiscalité ?
7
Chapitre I : L’analyse des dépenses fiscales marocaines
contemporaines
Les dépenses fiscales, en leur qualité d’instrument de politique publique,
s’imposent « comme des outils de substitution aux dépenses classiques, afin d’encourager un
certain nombre de secteurs d’activités ou des catégories de contribuables prédéfinies. A cet
égard, elles peuvent, donc, impacter, significativement, le budget de l’Etat »4. Ainsi et
compte tenu de leur impact sur les finances publiques, l’évaluation des dépenses fiscales
n’est plus un effet de mode mais, plutôt, une impérieuse nécessité « pour réaliser une
transparence financière effective du budget général et pour assurer plus de rationalisation
en matière d’allocation des ressources »5.
D’après les différents rapports publiés au Maroc, depuis 2005, les dépenses fiscales, objet
d’évaluation, sont, en réalité, des dérogations fiscales. Cette appellation laisse entendre que
l’approche marocaine renvoie, en premier lieu, à la notion de norme ou de règle générale sous-
jacente, pour qualifier une dépense fiscale. A ce titre, ne sont assimilées à ce type de dépenses que
les dispositions fiscales qui s’écartent d’un régime fiscal de référence, préalablement, défini6.
8
La tradition de publication d’un rapport a commencé aux Etats-Unis qui ont été les
premiers à rédiger des rapports annuels sur les dépenses fiscales (Tax Expéditeurs) avant que
la plupart des pays de l’OCDE leur emboîtent le pas. De très nombreux gouvernements se
sont engagés, en effet, dans la même voie, à commencer par la France, et plus précisément,
son Conseil des impôts9 en 1979 qui s’est chargé de l’étude de la notion de dépenses fiscales
dans l’Hexagone. Une année après, le Parlement a adopté la démarche dans le cadre de la
Loi de finances de 1980.
C’est ainsi que « la publication des données relatives aux dépenses fiscales s’est
imposée, par la loi, dans au moins neuf pays de l’OCDE. Une enquête menée en 1999 indique
que la plupart des pays membres de cette organisation communiquent, régulièrement, des
informations sur les dépenses fiscales »10.
Ainsi, à partir de 2005, le Maroc a publié son premier rapport sur les dépenses
fiscales12 dont l’architecture a pris l’allure d’un document comportant l’évaluation d’une
grande partie du dispositif dérogatoire fiscal. Pour parvenir à montrer comment le Maroc a
tenté de rationaliser ses dépenses fiscales depuis les Assises nationales sur la fiscalité de
2013 (section II), il convient tout d’abord de définir les éléments nécessaires permettant la
bonne maîtrise de la gestion des dépenses fiscales (section I).
Section I - La gestion marocaine des dépenses fiscales
9
CONSEIL DES IMPOTS, « Rapport au Président de la République relative à l’impôt sur le revenu », 1979, p. 105.
10
DGI, « Rapport sur les dépenses fiscales 2005 », p. 10.
11
Ibid
12
La présentation de rapports sur les dépenses fiscales est considérée comme une pratique exemplaire à
l’échelle internationale en matière de transparence budgétaire et financière des gouvernements, et un nombre
croissant de pays adoptent cette pratique. La portée et l’étendue des rapports sur les dépenses fiscales varient
selon le pays. Certains pays fournissent des renseignements uniquement pour des catégories restreintes de
mesures fiscales, comme les « dispositions fiscales préférentielles » ou les « subventions fiscales ». La plupart
des pays ont toutefois adopté la pratique de présenter des rapports sur un plus grand nombre de mesures
fiscales qu’ils considèrent comme s’écartant d’un régime fiscal de référence. Cette pratique contribue à la
transparence en établissant un fondement objectif pour la sélection des mesures fiscales présentées.
9
A s’en tenir au rapport adossé au projet de loi de finances13, pour l’année
budgétaire 201814, le nombre des dépenses fiscales répertoriées a dépassé, depuis deux
années, la barre des quatre cent pour atteindre en 2017 le nombre de quatre cent dix-huit,
alors que les mesures dérogatoires évaluées ont dépassé, également, la barre des trois cent
pour atteindre exactement trois cent neuf dans la même année15 .
D’un point de vue purement économique, toute dépense fiscale est une affectation
de ressources pour atteindre un objectif de politique publique bien défini. A ce titre, chaque
disposition dérogatoire traduit un choix gouvernemental voulant recourir au système fiscal
mis en place pour réaliser un programme de politique publique, au même titre que les
autres instruments classiques que sont les dépenses budgétaires, sauf que ces dernières
sont, souvent, soumises à une procédure de contrôle et de suivi draconienne, alors que les
dépenses fiscales, et nonobstant la croissance incontrôlée de leur manque à gagner
budgétaire, peinent toujours à trouver un encadrement rationnel et efficient digne d’un
instrument de politique publique. A cette fin, et dans l’optique d’instaurer un cadre propice
qui permettrait d’assurer un suivi permanant des dépenses fiscales marocaines et de mieux
maitriser leur enjeu budgétaire pour une grande transparence dans leur gestion, la loi
organique n°130-1 relative à la loi de finances de l’année 2015 a imposé un cadre légal à la
présentation annuelle d’un rapport sur l’évolution des dépenses fiscales.
Pour pouvoir analyser la manière dont les pouvoirs publics marocains sont parvenus
à appréhender leurs dépenses fiscales, il importe, d’une part, de bien resituer le cadre
général du système dans lequel il s’intègre, et, d’autre part, de décrire la démarche
méthodologique qu’ils ont adoptée.
13
Conformément aux dispositions de l’article 48 de la loi organique130-13 relative à la loi de finances : Le
projet de loi de finances de l'année est déposé sur le bureau de la Chambre des représentants, au plus tard le
20 octobre de l'année budgétaire en cours
14
DGI, « Rapport sur les dépenses fiscales relatif au projet de loi de Finances pour l’année budgétaire 2018 »,
op. cit., p. 2.
15
Il importe, néanmoins, de souligner que ces statiques ont été relevées avant l’amorce du projet de
refonte, initié par la Direction générale des impôts, se basant sur une relecture globale du système fiscal
marocain.
10
L’analyse de l’architecture marocaine de dépenses fiscales requiert de définir, de
prime abord, quelques notions conceptuelles, permettant de cerner l’approche
méthodologique utilisée afin de mesurer le coût du manque à gagner des mesures évaluées.
Comme il a été souligné par les ateliers sur les dépenses tenus à Rabat les 9-11 mars
200516, l’approche méthodologique en matière de dépenses fiscales dépend de la définition
apportée à ce concept qui varie selon que l’on adopte une démarche académique ou que
l’on retienne une analyse pragmatique des implications de certaines dispositions fiscales qui
consacrent l’abandon budgétaire de recettes définitives comme un moyen de politique
économique et sociale.
Cette situation a caractérisé la politique des dépenses fiscales depuis les années
1970, politique marquée notamment par la prolifération des codes des investissements, ce
qui n’avait pas manqué de mettre les finances publiques en mauvaise posture.
A la fin des années 1980, il est apparu impératif, afin de mobiliser plus de
ressources fiscales, de procéder, en premier lieu, à la réduction de la durée du quantum des
avantages fiscaux prévus par les différents codes d’investissements, pour pouvoir, ensuite,
entamer une politique progressive tentant de réduire les taux d’imposition afférents aux
différents impôts et taxes, en concomitance avec une démarche visant l’élargissement de la
matière imposable.
16
Ces ateliers ont constitué les travaux inauguraux consacrés pour une large part à la méthodologie qui sera
adoptée pour procéder aux évaluations des dépenses fiscales, des Aides directes et à leurs impacts sur les plans
budgétaire et économique L’objectif de cette initiative est d’impulser les actions menées par les directions
concernées par ce projet, en vue de l’élaboration d’un document de synthèse faisant état des dépenses fiscales
qui sera annexé au projet de loi de finances 2006.
Les conclusions de cet atelier ont été capitalisées dans le cadre de la réforme fiscale, composante essentielle de
la modernisation de nos finances publiques qui bénéficie de l’appui de nos partenaires de l’Union Européenne.
La libéralisation de nos échanges a introduit une mutation importante dans la structure du financement des
recettes du budget général de l’Etat.
11
Dans cette perspective, la charte de l’investissement 17 adoptée en 1995, a préconisé
une nouvelle vision focalisée sur l’encouragement de l’acte d’investir, la réduction du coût
de l’investissement, l’allègement de la charge fiscale sur les revenus, essentiellement, par la
baisse des taux d’imposition de l’impôt sur les sociétés et de l’impôt général sur le revenu,
ainsi qu’une meilleure répartition de la charge fiscale et une plus grande neutralité fiscale
par la limitation des exonérations sur les revenus.
L’intérêt d’une démarche pragmatique réside dans le fait qu’elle permet de faire le
diagnostic de l’existant, à partir d’un cadre de droit commun qui régit l’ensemble des
activités et des opérations en excluant tout traitement particulier.
17
La charte d’investissement est un nouveau code d’investissement qui prévoit des avantages à tous les
secteurs d’activités,
sauf le secteur agricole. Elle a pour objet de fixer les objectifs fondamentaux de l’action de l’Etat en matière de
développement et de promotion de l’investissement pour les dix années allant de 1995 à 2005.
12
budgétaire. Ainsi, et étant donné que la définition du concept de dépenses fiscales dépend
de la définition du régime fiscal de référence utilisé, nous tenterons d’analyser les
paramètres retenus pour la détermination du système fiscal de référence marocain, qu’il
convient maintenant d’appréhender tels que contenus dans le cadre des rapports
marocains.
La définition des dépenses fiscales et après plus de cinquante ans de son apparition18
fait toujours l’objet d’un certain flou juridique. « Le premier problème auquel est confronté
un chercheur travaillant sur les dépenses socio-fiscales est sémantique : il est déjà
extrêmement compliqué d'obtenir un accord sur le concept même d'impôt ou de prélèvement
obligatoire car chaque pays, soucieux de conserver sa souveraineté fiscale, dispose de sa
propre définition. Malgré les efforts de l'OCDE et de l'Union européenne (EUROSTAT) pour
harmoniser les notions, il reste de grandes disparités dans ce que l'on entend par
prélèvements obligatoires, indépendamment des différences de systèmes »19.
Le rapport marocain a tenté, à notre sens, à deux reprises, de donner une définition
du concept de la dépense fiscale. D’emblée, dans son introduction, le document
d’évaluation, publié en 2018, nous fait savoir que « les dépenses fiscales font partie des
outils de politique fiscale des gouvernements, elles peuvent être définies comme des écarts
par rapport au système fiscal de référence. Il s’agit en effet de mesures incitatives se
traduisant par une renonciation de l’Etat à une partie de ses recettes fiscales afin de soutenir
le secteur productif ou social »20.
Ainsi, le premier élément que le document marocain a fait valoir, afin de qualifier une
mesure incitative de dépense fiscale, est celui afférent à l’écart par rapport au système fiscal
de référence. Une dépense fiscale est, par essence, un écart ou une dérogation à la norme
18
L’année 1968 est en effet celle où l’administration américaine a fait usage pour la première de ce concept
pour publier un budget de dépenses fiscales (Tax Expenditures).
19
E. PICHET, « Théorie générale des dépenses socio- fiscales », op. cit., p. 259
20
DGI, « Rapport sur les dépenses fiscales relatif au projet de loi de finances pour l’année budgétaire 2018 », op.
cit., p. 1
13
fiscale qu’il faut, impérativement, définir, autant que faire se peut, avec une extrême
précision21.
Pour y parvenir, la première tâche est de définir l’étendue du système de base 22 pour
pouvoir repérer les écarts constituant les dispositions dérogatoires qualifiées, selon cette
approche de dépenses fiscales.
Mais quoi que l’on dise, la définition du système de référence, tant proclamée dans la
littérature s’intéressant à la problématique des dépenses fiscales comme étant un critère
déterminant dans la qualification d’une dépense fiscale, reste, toutefois, très controversée
et très subjective. Chaque pays s’ingénie, donc, à la concevoir selon ses propres spécificités.
A ce titre, le caractère éminemment subjectif de la notion de dépense fiscale est indéniable.
Il se traduit, concrètement, par des variations, parfois, importantes du périmètre des
dépenses fiscales, liées au déclassement de certaines mesures de la liste des dépenses
fiscales. Il suscite, par conséquent, des débats sur l’opportunité de préciser ou de modifier la
définition des dépenses fiscales. C’est ainsi que le critère d’ancienneté, dans la définition de
la dépense fiscale, s’est trouvé en butte à certaines critiques du Parlement 23.
Cette approche par le haut que le Maroc a adopté « pourrait a priori sembler difficile
à mettre en œuvre. Comment, en effet, définir le système de référence ? En pratique, les
questions qui se posent sont assez peu nombreuses, dès lors que l’on accepte de « jouer le
jeu » et de ne pas y inclure des allégements qui, de toute évidence, relèvent d’une volonté
politique, et ne devraient donc pas en faire partie »24
21
C’est l’approche par le haut qui tente de définir la dépense fiscale comme un allégement par rapport à un système
fiscal de référence large.
22
C’est un exercice crucial, celui consistant à déterminer quelles dispositions constituent la règle générale à
laquelle les autres mesures incitatives représentent des dispositions dérogatoires. Autrement dit, où s’arrête le
système de référence et où commence une dépense fiscale.
23
C. WENDLING & al., « La dépense fiscale en France : un enjeu crucial pour nos finances publiques », op. cit., p.
752.
24
M.-P. MARINI, «Rapport d’information fait au nom de la commission des finances sur les allègements de
prélèvements obligatoires », op. cit., p. 14.
14
qui sont d'une nature fondamentalement différente, forment des mesures,
consubstantiellement, liées à la structure du système des prélèvements obligatoires » 25.
Pour cela, nous devons, d'abord, identifier les principales caractéristiques des
dépenses fiscales en précisant le premier terme de l'oxymore. On utilise, en effet, le mot
dépense pour rappeler le fait que toute niche fiscale ou sociale se traduit,
fondamentalement, par une perte de recettes publiques qui doit être compensée dans le
budget. Il s'agit, là, de la caractéristique la plus connue et la plus visible des niches ; mais une
analyse de la littérature sur le thème va permettre d'identifier quatre caractéristiques
majeures des dépenses socio-fiscales.
Dans la même introduction et sans, toutefois, donner une définition claire et concise,
le rapport fait allusion à d’autres critères, aussi déterminants, pour catégoriser une
disposition dérogatoire comme dépense fiscale. Il s’agit, en effet « de mesures incitatives se
traduisant par une renonciation de l’Etat à une partie de ses recettes fiscales afin de soutenir
le secteur productif ou social »26
A s’en tenir aux termes utilisés, deux critères indissociables se dégagent. En premier
lieu, toute dépense fiscale est, par essence, une mesure incitative. Ce critère se retrouve
dans la quasi-totalité des définitions. Qualifier une mesure préférentielle de dépense fiscale
présume, donc, que, derrière sa mise en application, se trouve, en second lieu, un but non
fiscal et une finalité autre que budgétaire, « c’est-à-dire une visée sociale, économique ou
environnementale, sinon la niche devient un simple avantage fiscal, injustifié et contraire à
l'égalité devant la loi et les charges publiques. Cela implique une dimension incitative non
fiscale »27 .
Cette position adoptée par l’approche marocaine dans sa gestion des dépenses
fiscales rejoint, en fait, la position préconisée par le conseil français des impôts qui
recommande « de différencier allégements structurels et instruments de politique publique.
Les premiers répondants à un objectif de nature fiscale, les seconds à un but non
exclusivement fiscal. Cette distinction ne manque pas de pertinence, dès lors que certains
25
E. PICHET, « Théorie générale des dépenses socio- fiscales », op. cit., p. 260 .
26
DGI, « Rapport sur les dépenses fiscales relatif au projet de loi de finances pour l’année budgétaire 2018 »,
op. cit., p. 1.
27
E. PICHET, « Théorie générale des dépenses socio- fiscales », op. cit., p. 269 .
15
dispositifs recensés comme dépenses fiscales n'ont pas d'autre objet que d'assurer le respect
des principes d'une « bonne » fiscalité. Ainsi, lorsqu'il existait, l'avoir fiscal avait pour objet
de garantir la neutralité fiscale en évitant la double imposition d'un même revenu »28 .
Mais reconnaissons que cette difficulté n’est pas, uniquement, marocaine et que «
dans la pratique la définition peut poser encore certains problèmes. Il ne semble pas y avoir
d'unanimité sur ce point et, par conséquent, pas d'unanimité sur la norme encadrant la
détermination des dépenses fiscales. Dans les faits, la définition des dépenses fiscales diffère
dans chaque pays observé. En fait, la définition du concept de dépense fiscale est ce que les
gouvernements du moment veulent que les dépenses fiscales soient. Les distinctions dans la
définition des dépenses fiscales des pays rendent éventuellement toutes comparaisons
difficiles »29 .
28
D. MIGAUD & al., « Rapport d’information sur les niches fiscales », op. cit., p. 25
29
L. GODBOUT, « L’intervention gouvernementale par la politique fiscale », op. cit, p. 51.
30
Ibid.
16
notre système fiscal »31. Il est, toutefois, raisonnable de considérer que plus une mesure
incitative est ancienne, plus l’examen de sa pertinence est nécessaire. Pour autant,
l’expérience internationale laisse entendre des pays étrangers semble montrer « qu’il n’est
pas facile de parvenir à une définition simple et opérationnelle de la « dépense fiscale », et
qu’un certain flou de la notion est inévitable, compte tenu, de la complexité d’un système
fiscal moderne »32 .
Ceci étant dit, le régime fiscal marocain foisonne de dérogations. Elles prennent,
entre autres, de multiples formes : exonérations, déductions d’impôt et du taux d’imposition
favorable et autres. Ces dérogations, comme le précise le rapport 2005 « représentent un
enjeu fiscal important. Elles constituent un manque à gagner pour le Trésor et leur effet sur
le budget de l’Etat est comparable à celui des dépenses publiques » 33. Ainsi, et dès les
premières pages du rapport, on a droit à une esquisse de définition portant sur quelques
éléments intrinsèques caractérisant, généralement, une dépense fiscale, comme nous
l’avons déjà soulevé auparavant, à savoir le caractère dérogatoire de la mesure, l’objectif
incitatif et la perte de recettes. En somme et à notre sens, cette tentative de vulgarisation de
la notion de dépenses fiscales, à ce stade préliminaire du rapport, n’a pas voulu apporter
une définition au concept, mais plutôt justifier quelles sont les raisons derrière cette
appellation de « dépenses fiscales » 34.
La première remarque est que le document marocain peine encore, après plus d’une
décennie de publication, à trouver une définition, claire et définitive, à la notion de dépenses
31
C.WENDLING & al., « La dépense fiscale en France : un enjeu crucial pour nos finances publiques », op. cit., p.
752.
32
Ibid.
33
DGI, « Rapport sur les dépenses fiscales relatif au projet de loi de finances pour l’année budgétaire 2006 »,
op. cit., p. 4 .
34
DGI, « Rapport sur les dépenses fiscales relatif au projet de loi de finances pour l’année budgétaire 2005 », op.
cit., p. 48.
17
fiscales. Il se contente d’annoncer qu’il s’agit, uniquement, de quelques éléments de
définition et objectifs. Alors que sous d’autres cieux, l’expérience internationale nous
renseigne sur des pays qui ont tranché sur la question, par la formulation d’une définition
concise et nuancée35 .
35
A l’instar de la définition française rituellement reprise chaque année dans le tome II du chapitre « voies et
moyens », les dépenses fiscales s’analysent comme « des dispositions législatives ou réglementaires dont la
mise en œuvre entraîne pour l’État une perte de recettes et donc, pour les contribuables, un allègement de
leur charge fiscale par rapport à ce qui serait résulté de l’application de la norme, c’est- à-dire des principes
généraux du droit fiscal français ».
36
Le périmètre de cette définition a subi des changements sensibles dans le cadre de la refonte du rapport sur
les dépenses fiscales annexé au PLF pour l’année budgétaire 2019.
37
DGI, « Rapport sur les dépenses fiscales relatif au projet de loi de finances pour l’année budgétaire 2018 »,
op. cit., p. 48.
38
Nous pensons que cette esquisse de définition a péché par son vouloir de s’inspirer de la définition françaises
des dépenses fiscales lorsqu’elle les a qualifiées de dispositions législatives ou réglementaires. Alors qu’il est,
généralement, connu, que l’ensemble des mesures incitatives parsemant le système fiscal marocain sont de
source législative introduite par les lois de finances respectives.
18
Pour conclure et sans vouloir aller vite en besogne, nous nous abstenons, pour
l’instant, d’émettre des remarques critiques sur ce changement impromptu et hâtif du
périmètre présidant la définition de la notion de dépenses fiscales.
Pour la première fois, dans les annales des différents documents marocains, on fait
prévaloir l’aspect juridique des dépenses fiscales. Le document annuel nous fait ainsi savoir,
explicitement, que les dépenses fiscales ne sont, en aucun cas, une simple invention
prétorienne mais, bien désormais, une notion légale.
Ainsi le rapport sur les dépenses fiscales afférentes à l’année budgétaire a précisé
que « compte tenu de leur impact sur les finances publiques, l’évaluation des dépenses
fiscales est donc une nécessité. En effet, et conformément aux dispositions de l’article 48 du
39
C’est la notion de la perte de recettes rattachée à la mesure dérogatoire évoquées par les définitions de
plusieurs pays de l’OCDE : USA, France, Belgique, Autriche. Aussi le même critère est évoqué par les définitions
professées par le FMI et l’OCDE. A contrario, Canada s’est abstenu d’intégrer ce critère dans sa définition. Sans
omettre de signaler à ce titre que certaines dispositions fiscales désignées par certains courants de pensée sous
le vocable de « dépenses fiscales négatives » pouvant être source de recettes supplémentaire et non d’un
manque à gagner comme certaine surimposition ou surtaxe sur des produits spécifique afin d’orienter le
comportement à une baisse de consommation. Comme l’a souligné le professeur Gilbert Orsoni, le recours à
l’instrument fiscal pouvant prendre la forme d’une pénalisation de certains produits ou de certaines activités
( cf. les diverses manifestations d’accroissement des droits portant sur l’alcool et surtout le tabac afin d’en
freiner la consommation dans l’objectif proclamé de protection de la santé publique, la taxation des activités
polluantes sur le principe pollueur payeur, dans une volonté de meilleure protection de l’environnement ou
encore la mise en place d’une taxe sur les bureaux, particulière à la région Ile-de-France, afin de favoriser des
décentralisations d’activités, etc...)
40
DGI, « Rapport sur les dépenses fiscales relatif au projet de loi de finances pour l’année budgétaire 2018 »,
op. cit., p. 48.
19
Dahir n°1-15-62 du 14 Chaabane 1436 (2 juin 2015) portant promulgation de la loi organique
n°130-1 relative à la loi de finances41, le projet de loi de finances est accompagné d’un
certain nombre de rapports, dont celui portant sur les dépenses fiscales » 42. Ces dernières
sont, en réalité, des dispositions fiscales qui sont votées par le Parlement, mais le rappeler
dans une définition n’a, à notre sens, rien de superflu.
C’est la première fois, selon nos investigations, que le rapport marocain parle de la
norme fiscale, au lieu du système fiscal de référence, rituellement, utilisé dans les rapports
précédents. Cette norme fiscale est prise comme un système de référence, dont une
disposition devrait déroger pour être qualifiée de dépense fiscale. A ce stade d’esquisse de
définition pour justifier cette qualification, deux éléments-clés sont cités. Le premier est le
caractère dérogatoire de la mesure fiscale par rapport à une norme d’imposition de
référence. L’approche marocaine rejoint, à cet effet, les définitions de plusieurs pays de
l’OCDE « référent d’une manière ou d’autres, à une norme ou à un système fiscal de
référence »43, bien que ce soit tellement rare que des pays se soient donné la peine de
définir leur système fiscal de référence.
Recettes qui devrait être rattaché à toute mesure fiscale voulant faire partie des
dépenses fiscales, quoique le fait d’intégrer cette dimension budgétaire dans la définition
parût comme une évidence dans la mesure où toute dépense fiscale, comme son nom
l’indique, entraîne, inéluctablement, un manque à gagner pour les caisses de l’Etat,
comparable à la dépense classique. Mais, le fait de le signaler, au cœur de la définition elle-
même, ne serait pas, à notre sens, sans intérêt, car une fois que le coût de ce manque à
gagner est évalué, il sera possible de le rapprocher avec les dépenses budgétaires, afin de
comparer leur efficacité respective.
41
Cette loi organique relative à la loi de finances a été élaborée selon une démarche pragmatique qui tient
compte des capacités de gestion des administrations et ministères et fait appel aux meilleures pratiques
internationales dans le domaine de la modernisation de la gestion publique tout en les adaptant au contexte
national sur le plan constitutionnel, institutionnel et administratif. Ces propositions de réformes concernent les
trois axes suivants : le renforcement de la performance de la gestion publique, le renforcement des principes et
règles financiers et l'approfondissement de la transparence des finances publiques , l'accroissement du
contrôle parlementaire sur les finances publiques.
42
DGI, « Rapport sur les dépenses fiscales relatif au projet de loi de finances pour l’année budgétaire 2018 »,
op. cit,. p. 1.
43
L. GODBOUT, « L’intervention gouvernementale par la politique fiscale », op. cit., p. 68.
20
A ce stade de la définition, les choses ont été, plus ou moins, précises. Mais, à force
de vouloir tout dire, le dernier paragraphe a péché par excès d’explication, à telle enseigne
qu’il a fini par s’embrouiller dans des détails et des redondances inutiles.
Devant cet état de fait, il importerait d’avancer que l’approche marocaine s’est
contentée d’une esquisse de définition, ce qui pourrait porter préjudice à l’évaluation exacte
des dépenses fiscales au Maroc. Une autre caractéristique importante propre à définir ce
que sont les dépenses fiscales marocaines est celle consistant à déterminer les paramètres
du système fiscal de référence, qu’il convient maintenant d’analyser.
Dans l’absolu, cette démarcation paraît anodine. Mais dans les faits ce n’est,
absolument, pas une sinécure. Ainsi, partant du postulat annoncé dans le rapport, en guise
d’esquisse de définition, « les dépenses fiscales font partie des outils de politique fiscale des
gouvernements, elles peuvent être définies comme des écarts par rapport au système fiscal
de référence » 44.
21
analyse parfaitement positive serait exempte de tout jugement de valeur et se contenterait
seulement de rendre compte de ce qui est, de manière descriptive. Or, d’une part, l’exercice
de recensement des mesures dérogatoires implique nécessairement une part de normativité
puisqu’il s’agit de lister toutes les dispositions qui s’écartent de la norme représentée par le
régime général. D’autre part, concernant la fiscalité indirecte, une approche normative,
correspondant aux meilleures pratiques, permet de définir l’assiette de référence, par
exemple, pour la TVA à l’importation, la valeur en douane majorée des droits de douane et
des droits d’accises45. L’approche retenue peut donc être qualifiée de pragmatique »46
Cependant, il importe de signaler que bien que la majorité écrasante des pays de
l’OCDE ont décidé, chacun dans son périmètre spécifique, de se référer à un régime fiscal de
base réputé comme la norme ou système de référence, mais sans pour autant pouvoir, pour
la plupart d’entre eux, définir d’une manière expresse les contours de ce système fiscal de
référence47.
22
par un contribuable, accordée par le fisc dans des circonstances parfaitement définies par la
loi. Ce dégrèvement peut provenir d'une réclamation du contribuable » 48.
A cet effet, chaque mesure prétendant avoir le statut de dépense fiscale, devrait être
passée, impérativement, au crible pour se prononcer sur son caractère dérogatoire par
rapport au système de référence. Il importe, toutefois, de préciser que la mise en place de ce
critère, comme un élément capital pour la détermination d’une dépense fiscale, n’est pas
une invention purement marocaine. Notre travail de recherche sur la thématique débattue,
nous a permis de constater que la quasi-totalité des définitions relatives à la notion de
dépense fiscale évoque le concept de système de référence, comme un critère déterminant,
afin de pouvoir qualifier une mesure dérogatoire de dépense fiscales. Bien qu’ils utilisent des
termes différents, aussi bien le rapport marocain que le fascicule français 50, tous les deux, se
référant à un système de référence servant de critère pour qualifier une mesure de dépense
fiscale. Au moment où le rapport marocain, à l’instar de la définition du recueil de l’OCDE 51
parle de système fiscal de référence regroupant les régimes fondamentaux des différents
48
E. PICHET, « Théorie générale des dépenses socio- fiscales », op. cit., p. 269.
49
MINISTERE CANADIEN DES FINANCES, « Rapport sur les dépenses fiscales fédérales, concept, estimations et
évaluation », 2017, p. 6.
50
L’annexe « Voies et Moyens » associée au projet de loi de finances permet de donner une information
exhaustive sur les dispositifs de « dépenses fiscales », en détaillant notamment leur impact global sur les
recettes du budget de l’Etat et en expliquant l’évolution de leur coût depuis le dernier projet de loi de finances.
Cette annexe présente aussi des informations détaillées pour chaque dispositif de dépenses fiscales.
51
Dans le rapport sur les dépenses fiscales dans les pays de L'OCDE (2010) les dépenses fiscales sont définies
comme « un transfert de ressources publiques, réalisé en réduisant des obligations par rapport à un système
fiscal de référence, plutôt qu’en procédant à des dépenses directes ».
23
impôts ou droit commun, le fascicule français52 préfère une autre terminologie, en parlant de
la norme fiscale ou les principes généraux du droit fiscal français. Autrement dit, dans les
deux approches et afin de qualifier une mesure préférentielle de dépense fiscale, il est
recommandé de se référer à une législation de base par rapport à laquelle elle constitue une
dérogation. Il conviendrait de préciser que, dans les deux pays, la notion de système fiscal de
référence n’est pas définie par la loi, ce qui prête à des interprétations imprécises voire
arbitraires.
Ainsi, le rapport marocain a emboîté le pas aux expériences internationales dans leur
démarches de se référer à leurs systèmes de références respectifs. Il n’en demeura pas
moins très important de cerner les contours de ce système de référence dans les régimes
fondamentaux des différents impôts, comme le laisse entendre l’esquisse de définitions du
rapport précité.
A s’en tenir littéralement aux termes utilisés dans le rapport, pour parler du système
fiscal de référence, en spécifiant le périmètre du concept dans le droit fiscal marocain, on
s’aperçoit aisément que le système de référence est un ensemble composite. Ce dernier
regroupe, comme il est précisé dans l’esquisse de définition, les régimes fondamentaux des
différents impôts ou droit commun. Dans la structure fiscale marocaine, il n’existe, donc, pas
52
Dans ce fascicule « Evaluation des voies et moyens » : « Les dépenses fiscales s’analysent comme des
dispositions législatives ou réglementaires dont la mise en œuvre entraîne pour l’Etat une perte de recettes et,
donc, pour les contribuables, un allégement de leur charge fiscale par rapport à ce qui serait résulté de
l’application de la norme, c’est-à- dire des principes généraux du droit fiscal français ». Toute mesure
impliquant une perte de recettes pour le budget de l’Etat n’est donc pas une dépense fiscale , qualifier une
mesure de dépense fiscale suppose se référer à une législation de base à laquelle elle dérogerait. Mais cette
norme n’est pas définie de façon intangible. Elle résulte d’une observation des faits et d’une interprétation, a
posteriori, des intentions du législateur.
24
un seul système de référence global. Mais à chaque impôt et taxe, il faut chercher son
système de référence correspondant.
Par ailleurs, depuis son avènement, le rapport marocain sur les dépenses indique,
dans son esquisse de définition, que seules les dispositions qui s’écartent d’un régime fiscal
de référence, constituent des dépenses fiscales. Ainsi, pour déterminer ce système de
référence, il est recommandé dans le rapport de se référer aux principes généraux du droit
fiscal marocain. Là aussi, l’approche marocaine est apparue très austère quant à son analyse
sur la portée de la norme fiscale marocaine. Toutefois et comme l’a bien souligné le Conseil
des Impôts « si le choix de la norme à retenir pour définir une dépense fiscale ne s'impose
pas toujours avec évidence et peut être différent suivant les époques, il convient de
souligner que les mesures qui soulèvent des problèmes d'appréciation ne sont finalement
pas nombreuses en pratique »55.
53
E. PICHET, « Théorie générale des dépenses socio- fiscales », op. cit., p. 265.
54
Ibid, p. 259.
55
CONSEIL DES IMPÔTS, « La fiscalité dérogatoire, pour un réexamen des dépenses fiscales », op. cit., p. 3.
25
obligatoires, les dispositions pour faciliter l’administration de l’impôt et les obligations
fiscales internationales »56. Mais chacun de ces points laisse une grande latitude au jugement
et, quand on observe les pratiques nationales, chacune d’entre elles apparaît d’une certaine
façon unique.
Ainsi, et sans vouloir s’attarder sur le fondement d’une telle démarche, le document
marocain s’est attelé, sans attendre, à nous annoncer, sans détours que le système de
référence retenu correspond au droit commun en ce qui concerne les dispositions légales en
vigueur en matière d’impôts et taxes gérés, respectivement, par l’administration générale
des impôts et par l’Administration des Douanes et Impôts Indirects57 .
La gestion marocaine des dépenses fiscales est, donc, marquée par l’adoption d’une
approche par le haut, celle préconisant comme préalable la conception d’une définition de la
dépense fiscale comme un allégement par rapport à un système fiscal. Mais, la mise en place
de cette démarche ne peut se réaliser sans embuche et sans s’ingénier à définir, autant que
faire se peut, les contours de ce prétendu système de référence. A priori, la tâche est loin
d’être une sinécure, mais la doctrine fiscale marocaine décide de s’abstenir d’intégrer dans
le périmètre de ce système de référence les mesures dérogatoires faisant écho à la volonté
politique du gouvernement, afin de réaliser leur politique de promotion économique et
sociale.
56
OCDE, « Les dépenses fiscales dans les pays de l’OCDE », op. cit., p. 16.
57
DGI, « Rapport sur les dépenses fiscales relatif au projet de loi de finances pour l’année budgétaire 2018 »,
op. cit., p. 49.
26
l'imposition au taux normal de la totalité des bénéfices constitue le régime de base appliqué
à cet impôt. Concernant la TVA, le système fiscal de référence englobe l'imposition de la
totalité de la consommation au taux normal. Enfin, en matière des droits d’enregistrement,
l'imposition au taux normal est considérée comme le système de référence.
Le système de base retenu relatif à l’impôt sur le revenu et à l’impôt sur les sociétés «
a fait l’objet d’une abondante littérature académique. Il est généralement préconisé de
s’approcher, autant que possible, de la taxation du revenu global dit de Schanz-Haig-
Simons58, défini comme la somme de la consommation et de la variation de la richesse nette.
Autrement dit, ce revenu comprend l’ensemble des revenus nets (donc après déduction des
dépenses faites pour les obtenir), quelle que soit leur origine. Ainsi, si le taux d’imposition
peut être progressif sans que cela corresponde à une dépense fiscale, dans le cas de l’impôt
sur le revenu la taxation plus légère des revenus du capital correspond, selon cette
approche, à des dépenses fiscales »59.
Dans la même perspective, nous allons maintenant analyser avec plus de détails les
régimes de base respectifs de chaque catégorie d’impôts prévus dans le code général des
impôts marocain.
Pour l’impôt sur les sociétés, deux structures sont retenues pour désigner le système
de référence60, à savoir les différents taux prévus par le code général des impôts et une base
imposable de référence. Ce système de référence est composé d’une multitude de taux
proportionnels de l'impôt sur les sociétés selon le bénéfice net réalisé : 10%, 20% 30% et
58
Le revenu Haig-Simons ou Schanz-Haig-Simons est une mesure du revenu utilisée par les économistes des
finances publiques pour analyser le bien-être économique, qui définit le revenu comme étant la consommation
plus la variation de la valeur nette. La consommation fait référence à l'argent dépensé en biens et services de
toutes sortes. D'un point de vue théorique parfait, la consommation n'inclut pas les dépenses en capital et les
dépenses totales seraient amorties.
59
M.-P. MARINI, « Rapport d’information fait au nom de la commission des finances sur les allègements de
prélèvements obligatoires », op. cit., p. 1
60
DGI, « Rapport sur les dépenses fiscales relative au projet de loi de finances pour l’année budgétaire 2018 »,
op. cit.,p. 49.
27
31%61, 8% du montant hors taxe sur la valeur ajoutée des marchés réalisés par les sociétés
non résidentes adjudicataires de marchés de travaux, de construction ou de montage ayant
opté pour l’imposition forfaitaire62,10% du montant des produits bruts, hors taxe sur la
valeur ajoutée, perçus par les personnes physiques ou morales non résidentes 63, 15% du
montant des produits des actions, parts sociales et revenus assimilés 64, 20% du montant,
hors TVA, des produits de placements à revenu fixe65.
La première structure est composée des différents taux, prévus par le code général
des impôts qui sont considérés comme une norme d’imposition y compris, les taux du
barème progressif appliqué aux revenus catégoriels (revenus professionnels, revenus
fonciers, revenus salariaux et assimilés, ainsi que les taux applicables sur d’autres profits
passibles de l’impôt sur le revenu. La seconde structure est, tout simplement, celle relative à
la base imposable de référence.
A côté du barème progressif de calcul de l’impôt sur le revenu 66, plusieurs taux
proportionnels67 sont à retenir aussi dans le système fiscal de référence relatif à l’impôt sur
61
Conformément aux dispositions de l’article 19-I du code général des impôts.
62
Conformément aux dispositions de l’article 19-III-A du code général des impôts.
63
Conformément aux dispositions de l’article 19- IV-B du code général des impôts.
64
Conformément aux dispositions de l’article 19-IV-D du code général des impôts.
65
Conformément aux dispositions de l’article 19-IV-C du code général des impôts.
66
Article 73-I du code général des impôts.
67
10% du montant des produits bruts, hors taxe sur la valeur ajoutée, perçus par les personnes physiques ou
morales non résidentes (Article 73-II-B du CGI), 15% du montant des revenus et profits de capitaux mobiliers de
source marocaine (Article 73-II-C-3° du CGI), 20% du montant des revenus de placements à revenu fixe (Article
73-II-F-1° du CGI), 20% du montant des capitaux mobiliers de source étrangère (Article 73-II-F-5° du CGI), 20%
du montant des profits nets fonciers réalisés ou constatés (Article 73-II-F-6° du CGI), 30% du montant des
profits nets réalisés ou constatés à l’occasion de la première cession à titre onéreux d’immeubles non bâtis
inclus dans le périmètre urbain (Article 73-II-G-7° du CGI), 20%, 25% ou 30% du montant des profits nets
réalisés ou constatés à l’occasion de la cession d’immeubles urbains non bâtis (Article 73-II-H ° du CGI), 30% du
montant des rémunérations et les indemnités occasionnelles ou non versées à des personnes ne faisant pas
partie du personnel permanent de l’employeur (Article 73-II-G-I ° du CGI).
28
le revenu : 20%, 25% ou 30% du montant des profits nets réalisés ou constatés à l’occasion
de la cession d’immeubles urbains non bâtis, 30% du montant des rémunérations et les
indemnités occasionnelles ou non versées à des personnes ne faisant pas partie du
personnel permanent de l’employeur.
Aussi il est retenu comme système fiscal de référence les abattements pour frais
professionnels plafonné à 30 000 DH, abattement de 20% pour les revenus fonciers,
abattement de 40% pour les pensions et rentes viagères et enfin les exonérations du
personnel diplomatique.
Pour la taxe sur la valeur ajoutée, qu’elle soit à l’intérieur ou à l’importation, elle est
sujette au même système de référence, selon les termes du rapport marocain. Ce dernier a
apporté, néanmoins, cette fois-ci, une information supplémentaire. Conformément aux
propositions issues des Assises nationales sur la fiscalité de 2013, et dans le cadre de la
politique de simplification du système par l’adoption d’un nombre réduit de taux de TVA, ce
document se fonde sur l’hypothèse d’une TVA à deux taux, un premier à 20% et un second à
10%. Aussi, faut-il noter que le même système de référence est retenu, qu’il s’agisse de la
TVA à l’intérieur ou de la TVA à l’importation.
Compte tenu de la perpétuelle réforme que connaît cette taxe et pour les besoins
d’évaluation, le rapport est fondé sur l’hypothèse d’une TVA à deux taux : 20% et 10%.
Ainsi, la structure retenue est la suivante, avec deux taux de référence : 20%, 10% et
une base imposable de référence composée du seuil de 500 000 DH applicable aux
fabricants et prestataires de services, du seuil de 2 000000 DH applicable aux commerçants
sur les ventes et les livraisons en l'état effectuées et des exonérations des opérations
d’exportation et de transport international.
29
Après avoir passé en revue les différents paramètres déterminant le système
marocain de référence, il convient, à présent, d’analyser la démarche adoptée par le Maroc
dans sa gestion de ses dépenses fiscales.
La gestion des dépenses fiscales diffère d’un pays à l’autre. Mais, partant du constat
que la détermination du manque à gagner généré suite au recours au dispositif dérogatoire
comme un instrument de politique publique constitue une étape capitale dans la mise en
œuvre du concept de dépenses fiscales, il est, toutefois, important de signaler que cette
détermination ne pourra se faire sans un travail préliminaire dont le but premier est de
répertorier l’ensemble des dispositions dérogatoires parsemant le système fiscal en vigueur,
selon une typologie, dans un compte de dépenses fiscales. C’est au terme de ce travail
d’inventaire préalable, que l’estimation du cout de ces dépenses pourra se faire afin de les
rendre, in fine, comparables aux dépenses budgétaires.
Le montant global de dépenses fiscales est de l’ordre de 33 421 MDH contre 32 423
MDH en 2016, soit une hausse de 3,1%. Il importe de signaler, à ce titre, que la part des
dépenses fiscales dans les recettes fiscales représente 15 % en 2017 contre 15,5% en 2016 68
68
DGI, « Rapport sur les dépenses fiscales relatif au projet de loi de finances pour l’année budgétaire 2018 »,
op. cit., p. 2.
30
indirecte s’accapare la part du lion dans les dépenses fiscales marocaines avec cent huit
mesures évaluées, pour un total recensé de cent dix-sept69.
Cette évaluation révèle un coût de manque à gagner totalisant 16 267 MDH. Elle
constitue, à cet égard, la part la plus importante des dépenses fiscales 70.
Dans la dernière catégorie des dépenses fiscales concernant les impôts régis par le
code général des impôts, on trouve celle relative aux droits d’enregistrement et de timbre,
avec soixante-quatorze mesures répertoriées, comme unités recensées pour ne soumettre,
en définitif, à la procédure de l’évaluation que soixante-quatre mesures incitatives, avec un
volume de perte de recettes, évalué à 4 038 MDH.
Ainsi, on constate, aisément, que le nombre des mesures recensées a enregistré une
légère augmentation. Il est passé de quatre cent sept en 2016, à quatre cent dix-huit en
2017. Alors que le nombre des mesures évaluées est passé de trois cent six à trois cent neuf.
A ce rythme, 73,9% des dépenses recensées ont fait l’objet d’évaluation, alors qu’à titre
purement indicatif en France « le montant des dépenses fiscales s’est élevé à 87,6 Md€ en
2016 (montant définitif, + 1,85 Md€ par rapport aux prévisions) et s’élèverait à 93 Md€ en
2017 (+ 3,1 Md€ par rapport aux prévisions) et 99,8 Md€ en 2018. Pour 2016, l’écart
s’explique par des changements de méthode, à hauteur de 0,8 Md€, et par des écarts de
69
Ibid.
70
DGI, « Rapport sur les dépenses fiscales relatif au projet de loi de finances pour l’année budgétaire 2018 »,
op. cit., p. 3.
31
prévision, à hauteur de 1 Md€, dont 0,4 Md€ au titre des dépenses fiscales relatives à la
TICFE71 et 0,2 Md€ au titre du dégrèvement en cas de perte de récolte ou de bétail.
Si les mesures proposées en projet de loi de finances 2018 sont adoptées, le nombre
des dépenses fiscales serait légèrement supérieur à celui du projet de loi de finances 2017,
soit 457 (+ 6), sous l’effet conjugué de la création de dix-sept dépenses fiscales (dont quatre
en projet de loi de finances 2018), du déclassement de cinq d’entre elles et de la suppression
de six »72 .
La part des dépenses fiscales au Maroc représente 18,3% dans les recettes fiscales
contre 17,4% en 2010. Quant à la part des dépenses fiscales dans le PIB, elle est de 3,9% en
2010 et en 2011.
Par ailleurs, la part des dépenses fiscales au Maroc représente 18,3% dans les
recettes fiscales contre 17,4% en 2010. Quant à la part des dépenses fiscales dans le PIB, elle
est de 3,9% en 2010 et en 2011.
71
TICFE : Taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité. Elle est due par les fournisseurs sur toute
livraison à un consommateur final où toute consommation finale quelle que soit la puissance souscrite.
72
Annexe au projet de loi de finances pour l’année 2018, « Evaluation des voies et moyens », Tome II, p. 8.
73
Sur le plan international et à titre indicatif, en Finlande, le montant des dépenses fiscales est d’environ 23
Milliards d’euros représentant approximativement 28% des recettes fiscales et environ 12,7% du PIB. En
Espagne, le montant des dépenses fiscales est d’environ 96 Milliards d’euros représentant approximativement
66% des recettes fiscales nettes et environ 20% du PIB. En Turquie, les dépenses fiscales représentent 11% des
recettes fiscales et 2,43% du PIB. En Tunisie, actuellement aucun rapport officiel d’évaluation des dépenses
fiscales découlant des avantages fiscaux en vigueur n’est publié par le Ministère des Finances Tunisien.
Toutefois, des travaux sur la question ont été réalisés depuis 2007. Un projet qui vise la mise en place des
méthodes de budgétisation par objectifs (GBO) et du programme PEFA (Public Expenditure and Financial
Accountability) est en cours de déploiement en Tunisie et ce, avec l’aide de la Banque Mondiale, de l’Union
Européenne et de la Banque Africaine de Développement. Toutefois, et jusqu’à cette date, le projet demeure
en phase d’expérimentation.
32
Globalement, au Maroc, des Assises nationales sur la fiscalité d’avril 2013 à nos jours,
la courbe de l’évolution, en nombre et en valeur, de mesures dérogatoires a toujours connu
une tendance haussière. On remarque que l’évolution des mesures recensées, de 2014 à
2017, a connu une tendance haussière. Le nombre minimum des mesures recensées a été
enregistré en 2015, avec trois cent quatre-vingt-dix-neuf mesures et le maximum en 2017,
avec quatre cent dix-huit mesures recensées.
Aussi, le nombre des mesures recensées a augmenté de 2,7% entre 2016 et 2017. On
remarque que l’évolution des montants évalués des dépenses en MDH a une tendance
baissière. Ainsi, le montant minimum des dépenses a été constaté en 2015 (31 749 MDH) et
le montant maximum a été enregistré en 2014 (34 407 MDH). Aussi, le montant des mesures
évaluées a augmenté de 3,1% entre 2016 et 2017.
Les dépenses fiscales marocaines peuvent être classées en deux catégories, selon
leurs structures fiscales ou selon leurs techniques.
33
implications de certaines dispositions fiscales qui consacrent l’abandon budgétaire de
recettes définitives comme un moyen de politique économique et sociale. L’intérêt d’une
démarche pragmatique réside dans le fait qu’elle permet de faire le diagnostic de l’existant,
à partir d’un cadre de droit commun qui régit l’ensemble des activités et des opérations en
excluant tout traitement particulier.
Pour commencer, nous allons passer en revue les différentes classifications relevant
de structures fiscales, avant d’aborder celles relatives aux structures socio- économiques.
L’approche des dépenses fiscales préconisée par la Direction Générale des Impôts ne
se distingue guère de celle adoptée par son homologue français consistant à évaluer le
dispositif dérogatoire au régime d’imposition de base concernant les différents secteurs
d’activités spécifiques à chaque impôt en terme de taux et de base imposable, mais sans
pour autant chercher à éliminer la double imposition ou se conformer à des pratiques
internationales chaque fois que le besoin se fait sentir.
Pour l’Administration des Douanes et Impôts Indirects, les dépenses fiscales sont
définies d’une manière générale comme des dérogations par rapport au droit commun.
Le champ des dépenses fiscales gérées par l’Administration des Douanes sera limité
aux trois principales taxes : le droit d’importation, la taxe sur la valeur ajoutée et les taxes
intérieures de consommation.
Concernant le droit d’importation, il s’agit d’un prélèvement ad valorem opéré sur les
marchandises. Ce prélèvement est fixé dans le tarif des droits à l’importation qui constitue,
en principe, le droit commun.
34
Le volume des importations originaires des pays ayant conclus un accord de libre-
échange représente plus de 75%. Ainsi, le régime fiscal de référence est le régime
conventionnel.
Concernant la TVA à l’importation, elle s’applique à tous les produits importés sous
réserve des exonérations ou des suspensions prévues par la loi ou des textes particuliers.
S’agissant d’une taxe neutre, le régime fiscal de référence, pour évaluer la dépense fiscale au
titre de cette taxe, est le même que celui retenu au niveau de la TVA intérieure.
Pour ce qui est de la Taxe intérieure de consommation, elle s’applique sur une
catégorie restreinte de marchandises importées ou fabriquées localement. Le régime fiscal
de référence est constitué des quotités applicables aux différentes catégories de
marchandises.
Les dépenses fiscales relatives à l’impôt sur les sociétés, représentent une part de
13,6% du total des dépenses fiscales évaluées de cet impôt.
Pour l’impôt sur le revenu, la courbe des dépenses fiscales évaluées y afférentes a
enregistré une hausse de 300 MDH, soit du montant de 4165 MDH enregistré en 2016 à un
montant de 4 465 MDH en 2017 avec une part de 13,6% dans l’ensemble des dépenses
fiscales évaluées portant sur l’impôt sur le revenu.
35
l’ensemble des dépenses dérogatoires, alors que pour l’année 2016, les mêmes dépenses
ont enregistré un total de 3 692 MDH. Mais l’observation la plus significative est, sans doute,
celle concernant les dépenses fiscales relatives aux activités immobilières constituant une
part de 83,1% du total des dépenses liées aux droits d’enregistrement et de timbre.
Nous allons étudier maintenant une autre catégorie de classifications, celle relative
aux secteurs socio- économiques du pays.
Ainsi, les bénéficiaires se répartissent en cinq catégories majeures 75. Chaque fois
qu’on se trouve face à une disposition dont le périmètre est difficilement repérable en
termes de bénéficiaires, on l’affecte à la dernière catégorie, désignée par défaut, sous la
dénomination « autres ». En somme, le rapport répertorie six catégories de bénéficiaires. Ce
tableau nous informe que les entreprises occupent la première place, selon cette ventilation
par bénéficiaire dans la mesure où, en 2017, « les dépenses fiscales évaluées bénéficient
pour 54,1% aux entreprises et pour 31,4% aux ménages, soit une hausse de 2,0% et 0,3%,
respectivement, par rapport à 2016 »76. Cette catégorie de bénéficiaires s’est emparée de la
part du lion, avec cent quatre-vingt-quatre mesures recensées, pour une manne de
dépenses fiscales dont le coût du manque à gagner avoisine 18 066 MDH en 2017 contre 16
879 MDH enregistré en 2016 pour un nombre de cent soixante-dix-huit mesures recensées.
Par ailleurs, les secteurs d’activité bénéficiant des mesures incitatives sont au nombre
de quinze, sans compter une catégorie d’activité indéterminée, désignée sous l’intitulé «
74
Voir ANNEXE n° 2.
75
DGI « Rapport sur les dépenses fiscales 2016 », op. cit., p. 4.
76
Ibid.
36
autres secteurs » retraçant l’évolution entre 2016 et 2017 des différentes dispositions
dérogatoires réparties par secteurs d’activité77 .
Cette ventilation, par secteur d’activité, nous a permis de relever, sans étonnement 78,
la prédominance des mesures préférentielles dédiées au profit des activités immobilières.
Celles-ci caracolent en tête avec quarante-neuf mesures dont trente-sept ont été évaluées à
8 486 MDH en 2017.
77
Voir ANNEXE n° 3.
78
Le secteur de l’Immobilier est de loin, avec 8,5 milliards de DH, le plus grand bénéficiaire de dépenses fiscales
et qu’il est en surcapacité, son ministre de tutelle, sans doute poussé par des lobbies, en réclamait toujours
plus. En plus, il bénéficie d’un traitement bien plus généreux par rapport à son poids réel dans l’économie. Ce
secteur représente à peu près 7% du PIB et 9% d’emplois.
79
DGI, « Rapport sur les dépenses fiscales relatif à l’année budgétaire 2018 », op. cit., p. 6.
80
Ibid
37
Dans les mêmes proportions, les mesures incitatives, instituées en faveur des
entreprises exportatrices, ont totalisé 2 295 MDH en 2017 de dépenses avec une part,
relative à l’impôt sur les sociétés, qui dépasse 87%, alors que les dépenses fiscales
consenties en faveur du secteur de la santé et l’action sociale et du transport ont enregistré
des montants respectifs inférieurs à 2 000 MDH, soit 1 750 MDH pour le premier et 1 450
MDH pour le deuxième.
A côté de la ventilation par structures, le rapport annuel sur les dépenses fiscales
procède à une autre catégorie de classification d’ordre purement technique.
En deuxième lieu, dans le classement des dérogations, on trouve celles relatives aux
réductions d’impôts avec cinquante-six mesures recensées en 2017 avec une part de 13,4%
pour un montant total de 6 511 MDH.
38
Ainsi, uniquement, ces trois types de dérogations ont pu enregistrer un total de 31
782 MDH, alors que le montant total, toute dérogation confondue, avoisine 33 421 MDH .
A l’aune de ces objectifs, le chercheur peut, aisément, cerner les secteurs prioritaires
dans l’action gouvernementale mais, aussi, détecter les zones de défaillance que l’Etat
s’acharne à pallier. Toutefois, le rapport ne nous renseigne guère sur la manne du coût des
dépenses fiscales dédiées à chaque objectif. Toutefois, il tente de nous éclairer sur le
nombre des dispositions dérogatoires affectées à chaque objectif, détaillé, selon le tableau
en annexe81.
81
Voir ANNEXE n°3.
82
DGI, « Rapport sur les dépenses fiscales relatif à l’année budgétaire 2018 », op. cit., p. 10.
39
soixante-trois mesures dérogatoires, à savoir les objectifs consistant à développer
l’économie sociale, faciliter l’accès au logement, mobiliser l’épargne intérieure, encourager
l’investissement et, enfin, alléger le coût de la santé. Dans le bas du tableau, la dernière
catégorie répertoriée nous renvoie à un compte fourre-tout, intitulé abusivement « autres
objectifs » avec un nombre de quarante-neuf mesures recensées dont quarante-deux
évaluées en 2017.
Par nature, toute action collective requiert des procédés d’évaluation. Les partis
politiques, la Cour des comptes, les médias et le juge administratif opèrent constamment
des évaluations, ils portent des jugements des diagnostics sur action des pouvoirs publics 83.
L’évaluation des politiques et des programmes publics constitue aujourd’hui une
composante essentielle pour toute initiative cherchant à améliorer leur efficacité. Les
dépenses fiscales comme un instrument de politique les dépenses fiscales ne dérogent pas à
cette règle.
Evaluer une politique publique, c’est avant tout tenter de porter une appréciation sur
sa valeur et sonder le degré de sa pertinence, se prononcer sur son efficacité et son
83
INSPECTION GENERALE DES FINANCES, « Cadrage méthodologique de l’évaluation des politiques publiques
»,guide, décembre 2012.
40
efficience, autrement dit, c’est jauger sa capacité de répondre aux besoins qui l’on fait
exister. « Or, au Maroc, cette pratique reste très peu répandue étant donné la prégnance
des contrôles classiques et de l’audit. C’est ainsi que le Maroc est appelé à renforcer le
recours et l’utilisation de l’évaluation pour qu’elle devienne une démarche systématique au
sein des institutions publiques, à travers notamment un dispositif institutionnel et juridique
permettant son intégration dans le processus des politiques publiques »84.
Le Maroc ne pourrait, donc, dans son action managériale que s’impliquer davantage
dans cette tendance internationale qui essaye de moderniser ses systèmes de gestion, et
d’introduire l’évaluation comme composante essentielle de tout processus d’intervention
publique.
Et comme l’a souligné Monsieur Didier Migaud 85, « il est utile que des rapports
d’évaluation puissent provoquer un débat public. Les décideurs ne doivent pas craindre
d’avoir un regard indépendant, extérieur et impartial, étant entendu que ce sont eux qui
décident en dernier ressort de ce qu’ils font de ce travail d’évaluation. A partir du moment
où vous avez une connaissance plus précise de l’impact d’une politique publique, vous
pouvez en tirer les conséquences et les leçons pour ensuite mieux décider » 86, d’où
l’importance des travaux d’évaluation des dépensés fiscales amorcés depuis 2005, afin de
leur assurer un contrôle permanent et une utilisation rationnelle, dans le cadre d’une
politique incitative efficace efficiente et performante.
Partant du principe que le gouvernement fait souvent appel aux dépenses fiscales,
afin de mettre en marche sa stratégie de développement économique et social, elles sont à
ce titre une solution de rechange incontournable aux dépenses budgétaires. De fait,
l’accumulation des dispositifs dérogatoires marquant des décennies sans pour autant les
soumettre à une évaluation systémique affecte l’action publique et décèle probablement des
84
A. ABOULAAGUIG, « L’évaluation des politiques publiques au Maroc : état des lieux et perspectives », Thèse
soutenue le 13 mars 2015, faculté des Sciences Juridiques, Economiques et Sociales de Meknès, p. 1.
85
D. MIGAUD a été président de la Commission des finances de l’Assemblée nationale. Il a été plusieurs fois
député et membre du secrétariat national du parti socialiste.
86
D. MIGAUD, « Evaluer pour mieux décider », article publié dans le journal L’Economiste n° 5133 du
24/10/2017.
41
politiques obsolètes (les objectifs initiaux ont été atteints), inefficaces (les objectifs sont mal
atteints ou à un coût trop important), ou détournés (servant de facto d’autres buts que ceux
affichés). Le tout est coûteux pour les finances publiques et manque de transparence
démocratique. Il est, donc, légitime de vouloir soumettre l’ensemble des dépenses fiscales à
une évaluation rigoureuse et systématique.
L’enjeu principal de la notion de dépense fiscale est de mesurer les moindres recettes
fiscales engendrées par les règles d’imposition dérogatoires. A ce titre, un simple travail
d’assemblage, purement technique, de l’ensemble de mesures préférentielles dans un
recueil administratif, n’aurait aucune valeur ajoutée, s’il ne s’ensuivrait pas par un travail de
chiffrage du coût de chaque mesure dérogatoire. C’est, justement, avec une recension
complète des mesures préférentielles, et une évaluation du manque à gagner qui lui sont
rattachées, que l’on pourra les rapprocher des dépenses ordinaires, afin d’atteindre les
objectifs préconisés par Stanley et les autres auteurs s’intéressant à la notion de dépenses
fiscales.
87
Deux techniques existent pour évaluer les dépenses fiscales: estimer le montant des pertes de recettes «
toutes choses égales par ailleurs » en mesurant ex post le coût de « l’écart à la norme » en supposant inchangé
le comportement des agents qui en bénéficient, ou estimer le « gain en recettes » qui résulterait de la
suppression d’une mesure en tenant compte de l’effet qu’elle induit sur le comportement des agents.
88
DGI, « Atelier sur les dépenses fiscales », op. cit., p. 5.
42
possibilité, si le besoin s’en fait sentir, de recourir « au cas par cas » 89 à d’autres estimations,
qu’il jugerait plus appropriées et plus pointues, émanant des études spécifiques.
Les mesures d’exonération pour lesquelles une formalité est obligatoire concernent,
principalement, la TVA. Ces exonérations sont traitées par les services de la Direction
Générale des Impôts sous deux formes :
Les dépenses fiscales pour lesquelles l’information n’est pas disponible dans les
déclarations des contribuables ont fait l’objet de reconstitution de la base taxable à partir de
données non fiscales. A cette base taxable, il a été appliqué un taux effectif moyen. Pour ce
type de dépenses fiscales, l’estimation reste approximative.
89
DGI, « Rapport sur les dépenses fiscales relatif au projet de loi de finances pour l’année budgétaire 2018 »,
op. cit., p. 51.
43
titre que les dépenses directes, un instrument de politique économique et sociale,
entraînant, comme ces dernières, des conséquences sur l'équilibre budgétaire. Elles doivent,
donc, contribuer elles aussi à la réalisation de la performance et tenter d’orienter l’action
publique le plus efficacement possible, conformément à la lettre à l’esprit de la loi organique
relative aux lois de finances de 2015.
Cette dernière a fait partie des principales recommandations des Assises de 2013
préconisant l’entame du processus de rationalisation des mesures incitatives depuis la loi de
finances de l’année 2014 par, selon les termes mêmes de cette recommandation, « la
nécessité d’avoir une vision claire et de se doter d’ un cadre global et cohérent qui prend en
considération l’impact économique et social des dépenses fiscales, leur évolutions, leur
importance stratégique pour le développement, leur sensibilité, les distorsions économiques
qu’elles peuvent créer... »91. Ainsi, et à l’aune de cette recommandation prônant la
rationalisation du système incitatif marocain, il convient, maintenant, de faire l’étude des
cinq lois de finances ayant précédé ces Assises fiscales, afin de dresser un bilan de cette
rationalisation.
Au Maroc, trois grandes phases de réflexion fiscale 92 ont marqué la politique fiscale
au cours des trente dernières années. Les années 1980 ont connu le premier colloque fiscal
90
F. BARQUE, « La rationalisation du coût des dépenses fiscales », op. cit., p. 34.
91
DGI, « Synthèse des propositions issues des Assises nationales sur la fiscalité », tenues le 29 et 30 Avril 2013 à
Skhrirate.
92
Connus aussi sous l’appellation officielle : Assises fiscales.
44
qui a accompagné l’adoption de la loi-cadre de 1984. Cet événement a été suivi par deux 93
autres grands moments de réflexion, à l’occasion des Assises fiscales de 1999 94 et de 2013.
Ainsi, et après avoir passé en revue l’ensemble des nouvelles dispositions fiscales
introduites respectivement dans les cinq dernières lois de finances, nous procéderons à un
travail sélectif visant à identifier, exhaustivement en premier lieu, les nouvelles dépenses
fiscales instituées durant ce quinquennat et tenter, ensuite, de désigner les différentes
dépenses fiscales qui ont été, tout bonnement, supprimées ou déclassées. C’est au terme de
ce tamisage liminaire que nous pourrons, en second lieu, nous prononcer et dire, en toute
connaissance de cause, à quel point les pouvoirs publics ont pu donner corps à la deuxième
recommandation des Assises de 2013 95, préconisant l’entame du processus de
rationalisation des mesures incitatives.
93
Maintenant on est à trois grands moments de réflexion après la tenue tout récemment de la 3ème édition
des Assises de la fiscalité qui s’est déroulée les 3 et 4 mai 2019 à l’initiative du ministère de l’Economie et des
Finances.
94
Les Assises nationales sur la fiscalité tenues les 26 et 27 novembre 1999 dont les recommandations sont le
fruit d’une radioscopie du système fiscal marocain ont permis de tracer la voie aux travaux de codification
menés suivant les étapes suivantes : La mise à niveau progressive des textes fiscaux par des mesures
d’harmonisation, de simplification et d’adaptation à l’évolution de l’environnement général de l’économie,
• La réforme des droits d’enregistrement en 2004,
• L’élaboration du livre des procédures fiscales en 2005,
• L’élaboration du livre d’assiette et de recouvrement en 2006,
• L’élaboration du code général des impôts en 2007,
• La refonte des droits de timbre et de la taxe spéciale annuelle sur les véhicules automobiles et leur insertion
dans un livre III du code général des impôts en 2009.
95
Il s’agit des propositions issues des Assises nationales sur la fiscalité tenue le 29 et 30 Avril 2013 à Skhrirat qui
constituent la synthèse des débats instructifs et approfondis. La thématique débattue concerne le Premier
Panel « Législation Fiscale et Equité » dont la proposition 2 a porté sur la rationalisation du système des
incitations fiscales. Les intervenants se sont mis d’accord sur une réduction progressive des distorsions
concurrentielles induites par la multiplicité des dépenses fiscales et des exonérations dont bénéficient certains
secteurs.
45
que le second volet s’est assigné le rôle de déterminer le processus technique permettant la
rationalisation des mesures incitatives.
Cette loi a été conçue, spécialement, dans l’optique de mettre en œuvre les
dispositions de la Constitution de 2011, notamment celles relatives à la gestion des finances
publiques, et de poursuivre la série des réformes entamées dans ce domaine. Il était
impératif de procéder à la refonte du cadre juridique qui organisait les finances de l’Etat.
Pour ce faire, il a été question de faire de la loi organique n°130-13 relative à la loi de
finances promulguée en 201597 , un procédé opérationnel visant à « transformer en
profondeur les modalités de gestion des deniers publics, en faisant de la performance, la
cible de l’action de l’Etat. Les nouvelles dispositions ont pour vocation de changer,
profondément, le sens des lois de finances, le budget de l’Etat devant regrouper, désormais,
des crédits selon des objectifs assortis d’indicateurs permettant d’évaluer la performance de
la dépense publique. Les principaux objectifs stratégiques assignés aux nouvelles
dispositions sont les suivants :
96
C. WENDLING & al., « Les dépenses fiscales en France : un enjeu crucial pour nos finances publiques », op.
cit., p.752.
97
La « LOLF » devrait viser en outre à mieux assurer l’exercice du pouvoir budgétaire du Parlement, en
restaurant la portée de l’autorisation budgétaire qu’il accorde, en accroissant la lisibilité et la sincérité des
documents budgétaires pour permettre un meilleur contrôle et en établissant un calendrier favorisant
l’exercice de la fonction budgétaire du Parlement tout au long de l’année. La « LOLF » donne les moyens
juridiques pour atteindre ces objectifs en mettant l’accent sur le passage d’un budget de moyens à un budget
d’objectifs et de résultats, articulé en programmes subdivisés en régions et projets ou actions. Le dispositif
devrait conduire à ce que, dans l’avenir, un gestionnaire ne soit plus jugé sur sa capacité à obtenir et à
dépenser le maximum de crédits, mais sur la façon dont il atteint les objectifs mesurables assignés aux
politiques publiques dont il a la charge.
46
Le renforcement du rôle de la loi de finances comme principal outil de mise en œuvre
des politiques publiques et des stratégies sectorielles,
Le renforcement de l’efficacité, l’efficience et la cohérence des politiques publiques ;
L’amélioration de l’équilibre financier et le renforcement des principes de la
transparence des finances publiques »98.
Les Assises nationales sur la fiscalité représentent un grand moment de réflexion dans
l’histoire fiscale du Maroc. Chemin faisant, comment les décideurs ont-t-ils appréhendé les
recommandations issues de ces Assises fiscales ? Ont-ils intégré toutes les recommandations
? Y a-t-il un mécanisme de suivi conçu, spécialement, pour assurer leur mise en application ?
La revue analytique des cinq lois de finances que nous allons faire permettra de répondre à
ces interrogations.
Nous traiterons, dans un premier temps, les modalités de la rationalisation des dépenses
fiscales dans les lois de finances de 2013 jusqu’au 2019, ensuite, nous dresserons un bilan du
système adopté par le Maroc en matière de rationalisation de ces dépenses fiscales.
98
www.fsjes.usmba.ac.ma/la-reforme-de-la-loi-organique-relative-aux-lois-de-finances.
99
Cette étude s’est intéressée aussi, à titre indicatif, à la loi de finances de l’année budgétaire 2019.
100
Ce sont les trois grandes parties du code général des impôts élaboré en 2007 qui ont été codifiées dans un
seul texte. Ce code a mis fin à la dispersion des mesures fiscales à travers une multitude de textes et prévoit
que toute disposition fiscale doit être insérée dans ledit code.
47
fiscale, objet de notre revue analytique. Mais aussi, et afin de se prononcer sur le degré de la
mise en application de la réforme de rationalisation prescrite aux dépenses fiscales
marocaines, nous procéderons, par un travail sélectif, à la ventilation des dépenses fiscales
pour chaque impôt, en deux volets majeurs, le volet portant sur la suppression des dépenses
fiscales et le volet portant sur la création des nouvelles dépenses fiscales.
Cette rationalisation concerne deux types d’impôts : ceux taxant les revenus ou les
bénéfices et ceux imposant le chiffre d’affaires.
1 - Les incitations fiscales supprimées en matière d’impôts sur les revenus ou les
bénéfices
Pour assurer un pilotage efficient des dépenses fiscales, les pouvoirs publics ont tenté
d’entamer depuis l’année 2014, selon une démarche progressive, dans le cadre de chaque
loi de finances, une politique de rationalisation qui doit viser à réduire le coût et le nombre
101
Le périmètre de cette étude analytique concerne, uniquement, les cinq lois de finances promulguées durant
la période allant de 2014 à 2018.
48
de plusieurs incitations fiscales qui deviennent sans utilité pour le système fiscal en matière
d’impôt sur le revenu ou sur les bénéfices.
Depuis la loi de finances n° 110-13 pour l’année budgétaire 2014 102, les pouvoirs
publics ont tenté de mettre en exergue la ligne réformatrice préconisée « lors des travaux de
la deuxième édition des Assises nationales sur la fiscalité tenues à Skhirat, les 29 et 30 avril
2013 et visant à entreprendre, par étapes, une réforme profonde du système fiscal national,
dans le sens de l’amélioration de son efficience sans pour autant afficher une volonté claire
et expresse d’amorcer le processus de la rationalisation du système des incitations fiscales
»103 .
49
périmètre du système fiscal de référence, pour pouvoir, à compter du 1er janvier 2014, subir
le même traitement que celui applicable à l’ensemble des revenus locatifs, en vertu les
dispositions de la loi de finances pour l’année 2014 précitée, en modifiant les règles
d’imposition édictées par les dispositions de l’article 63-I du code général des impôts. Mais, il
importe de signaler que les contribuables titulaires de revenus fonciers continuent à
bénéficier de l’application de l’abattement de 40%.
De prime abord, il importe de signaler que durant les cinq lois de finances qui ont
suivi les Assises 2013, aucune disposition fiscale dérogatoire en matière de l’impôt sur les
sociétés n’a été abrogée dans le cadre de la réforme de rationalisation du système
d’incitation comme il avait été préconisé par les pouvoirs publics. Il a fallu attendre, donc,
l’avènement de la loi de finances 2019 pour voir, enfin, deux dispositions dérogatoires font
l’objet de suppression.
Ainsi, la loi de finances 2019 a procédé à l’abrogation pure et simple d’un régime
fiscal dérogatoire qui était dédié, spécialement, aux centres de coordinations. Ce dispositif
consistait à faire bénéficier ces centres d’un traitement particulier permettant de déterminer
une base imposable forfaitaire, par l’application d'un taux de marge égale à 10% à de leurs
dépenses de fonctionnement.
50
2 - Les incitations fiscales supprimées en matière d’impôts sur le chiffre d’affaires
La loi de finances pour l’année budgétaire 2014 a entamé la réforme des dépenses
fiscales relatives à la TVA106, déclinée en deux grandes catégories. La première catégorie
concerne l’application du taux de 10% à certains produits ou services exonérés ou soumis au
taux de 7%, la seconde catégorie concerne l’application du taux de 20% à certains produits
exonérés ou soumis au taux de 14%. La réforme des mesures incitatives en matière de la
TVA portant sur la suppression consiste, techniquement parlant, en l’application de deux
taux différents dans le système fiscal de référence107, à savoir 20% et 10%.
A ce titre, sont devenus obligatoirement soumises à la TVA au taux réduit de 10%, les
opérations de vente réalisées par les exploitants forestiers (grossistes et commerçants
détaillants), mais à condition de réaliser un chiffre d’affaires qui dépasse 2 MDH.
Aussi, il est important de préciser que les personnes qui se contentent de vendre des
coupes de bois ou de liège sont traitées comme les personnes opérant dans le secteur
agricole, elles exercent, donc, une activité de nature agricole non soumise à la TVA.
Autrement dit, les propriétaires forestiers privés et publics ne sont, en aucun cas, appelés à
106
DGI, « Note circulaire n° 727 relative aux dispositions fiscales de la loi de finances n° 73-16 pour l’année
budgétaire 2017 », op. cit., p. 15.
107
Conformément aux propositions issues des Assises nationales sur la fiscalité de 2013, et dans le cadre de la
politique de simplification du système par l’adoption d’un nombre réduit de taux de la TVA, ce document se
fonde sur l’hypothèse d’une TVA à deux taux. Un premier à 20% et un second à 10%.
108
Les opérations de vente portant sur les bois en grumes, les bois écorcés ou équarris, le liège à l’état naturel
et le charbon de bois étaient exonérées de la TVA, conformément aux dispositions de l’article 91 (I-C-2°) du
code général des impôts.
51
payer la TVA pour la simple raison qu’ils n’y sont pas assujettis. Mais, une fois que ces
mêmes personnes s’adonnent à un travail de transformation de bois en grumes, en bois
écorcés, équarris, et font appel à des moyens identiques à ceux utilisés par les industriels,
elles deviennent, de par la loi, assujetties à la TVA dans les conditions du régime d’imposition
de base.
Par ailleurs, la loi de finances pour l’année 2014 a prévu la taxation, au taux réduit de
10%, des opérations de restauration fournies, directement, par l’entreprise à son personnel
salarié, à l’instar des opérations de restauration d’une manière générale.
Cette dépense fiscale dont l’objectif principal est d’encourager les entreprises pour
qu’elles fidélisent leurs salariés, a enregistré au cours de sa dernière année d’évaluation,
avant sa suppression, un manque à gagner pour le trésor qui aurait coûté à l’Etat, en cas de
son maintien, un total de 8 millions de dirhams.
Ainsi, à compter du 1er janvier 2014, les opérations de restauration précitées sont
devenues, de par la loi, soumises au taux réduit de 10% et ce, conformément aux
dispositions de l’article 99-2° du code général des impôts.
Signalons encore qu’avant la loi de finances 2014, les produits et matériels destinés,
exclusivement, à usage agricole, bénéficiaient de l’exonération de la TVA à l’intérieur et à
l’importation. Ainsi, l’exonération de la TVA d’un certain nombre de biens d’équipement
agricoles a été supprimée à compter du 1er janvier 2014109 .
52
une baisse logique. Il a enregistré, à ce titre, un montant de 376 millions de dirhams en 2016
pour reprendre une tendance haussière en 2017 en enregistrant un montant total de 590
millions de dirhams.
Dans le cadre de la mise en œuvre des recommandations des Assises nationales sur la
fiscalité d’avril 2013 visant la rationalité des dépenses fiscales par la suppression des
exonérations qui ne se justifient plus, « la loi de finances pour l’année 2015 a soumis les
opérations de crédit foncier et de crédit à la construction, se rapportant au logement social
visé à l’article 92 (I-28°) du code général des impôts, au taux de 10%, en harmonisation avec
les opérations bancaires de manière générale »112 .
Il importe de signaler que l’application du taux réduit de 10% dédié aux intérêts de
crédit concerne, exclusivement, les contrats qui sont conclus à compter du 1er janvier 2015,
conformément aux dispositions de l’article 6 de la loi de finances pour l’année 2015. Cette
exonération113, réservée aux opérations de crédit se rapportant au logement social, a
enregistré un manque à gagner pour le trésor estimé au titre de l’exercice de l’exercice 2014
d’un montant de 400 millions de dirhams.
Dans le cadre de « La loi de finances pour l’année 2015 a soumis les opérations de
crédit foncier et de crédit à la construction, se rapportant au logement social visé à l’article
92 (I-28°) du code général des impôts, au taux de 10%, en harmonisation avec les opérations
bancaires de manière générale »114.
Par ailleurs, les opérations de vente des raisins secs et des figues sèches
bénéficiaient, depuis l’avènement115 de la TVA, d’une exonération totale116. Dans le cadre de
l’élargissement de l’assiette, la loi de finances pour l’année 2014 a supprimé cette
exonération. Ainsi, à compter du 1er janvier 2014, les opérations portant sur les raisins secs
et les figues sèches, à l’intérieur ou à l’importation, sont passibles de la TVA au taux normal
53
de 20% conformément aux dispositions des articles 98 et 121 du code général des impôts. Le
statut de l’exonération de la vente des dattes, conditionnées et produites au Maroc, ainsi
que les raisins secs et les figues sèches, a fait ressortir un manque à gagner de 33 millions de
dirhams117 . Cette manne d’argent, après la suppression de l’exonération précitée, est
considérée comme une dépense non affectée, donc un gain pour le trésor.
Enfin, les acquisitions effectuées par l’Université Al Akhawayn d’Ifrane, portant sur des
matériels et marchandises acquis, à l’intérieur ou à l’importation, bénéficiaient avant 2014
de l’exonération de la TVA, en vertu des dispositions des articles 92 (I-11°) et 123- 27° du
code général des impôts. Mais, la loi de finances 2014 120 a mis fin à cet avantage qui a coûté,
aux caisses de l’Etat, un équivalent budgétaire de 17 millions de dirhams.
54
composés destinés à l’alimentation du bétail et des animaux de basse-cour qui étaient
toujours soumis à la TVA au taux réduit de 7%, se sont vus, et ce depuis 2014, reconvertis à
10%, d’où une économie au profit du budget de l’Etat d’un montant estimé en 2013 à 60
millions de dirhams.
Il reste à préciser que par aliments simples, on entend les céréales, issues, pulpes
sèches de betteraves, drêches ou fibres de maïs, pailles, coques de soja, luzernes
déshydratées, le son politisé et, d’une manière générale, toutes sortes de drêches, fibres,
pulpes et issues quelle que soit leur origine, pourvu qu’elles soient destinées à la fabrication
des aliments composés ou à l’alimentation directe du bétail et des animaux de basse-cour.
A cet égard, il y a lieu de noter que les aliments simples sont soumis à un traitement
différencié, selon qu’ils sont acquis localement ou importés.
Avant les Assises nationales sur la fiscalité, les graisses alimentaires (animales ou
végétales), margarines et saindoux, acquis localement ou à l’importation, étaient soumises
au taux réduit de 14%121 conformément aux dispositions des articles 99-3° et 121-3° du code
général des impôts.
Dans le cadre de la réforme de la TVA, ces produits ont été soumis au taux normal de
20% à compter du 1er janvier 2014. Le gain a été estimé au titre de l’exercice 2014 à 71
millions de dirhams.
Une autre modification concerne les véhicules utilitaires qui étaient soumis au taux de
14%, depuis la loi de finances de 1996, ainsi que tous les produits et matières entrant dans
leur fabrication.
La loi de finances pour l’année budgétaire 2014 a prévu la taxation desdits véhicules
au taux normal de 20%. Le coût de la mesure dérogatoire représentant l’application du taux
de 14% avec droit à déduction sur le véhicule automobile pour le transport de marchandises
dit véhicule utilitaire léger économique, ainsi que le cyclomoteur dit cyclomoteur
économique, était évaluée, lors de l’élaboration du rapport sur les dépenses fiscales, à un
total de 20 millions de dirhams en 2013.
121
487 Ibid, p. 20.
55
Outre les opérations de suppression et de reclassement qui ont touché une multitude de
dispositions dérogatoires, d’autres dépenses fiscales sont venues étoffer le Code Général des
Impôts.
Les mêmes lois qui ont procédé à la suppression des incitations fiscales sus-
indiquées, se sont chargées de créer aussi, en même temps et à contre-courant, des
nouvelles dispositions dérogatoires. Elles ont introduit, ainsi, d’autres dépenses fiscales qui
viennent s’ajouter au dispositif dérogatoire existant, tant en matière d’impôts directs que
d’impôts indirects.
Alors que la loi de finances 2014 n’a institué aucune nouvelle incitation fiscale, celle
de 2015 a introduit une exonération, limitée dans le temps, sur le salaire mensuel brut
plafonné à 10 000 dirhams122, afin de promouvoir l’emploi et encourager la compétitivité de
122
La loi de finances 2015 a modifié l’article 57-20° du code général des impôts pour exonérer le salaire
mensuel brut plafonné à 10000 dirhams.
56
l’entreprise. Le manque à gagner pour le Trésor a été estimé, pour la première fois, à 5
millions de dirhams en 2017.
Dans le même ordre d’idées, la loi de finances 2016 s’est chargée d’étendre le
bénéfice de l’abattement de 40% aux revenus fonciers afférents aux propriétés agricoles.
Ainsi, « le revenu foncier net imposable des propriétés agricoles est déterminé, après
application de l’abattement de 40% prévu à l’article 64-II du CGI : soit au montant brut du
loyer ou du fermage stipulé en argent dans le contrat ; soit au montant brut obtenu en
multipliant le cours moyen de la culture pratiquée par les quantités prévues dans le contrat,
dans le cas des locations rémunérées en nature, soit à la fraction du revenu agricole
forfaitaire, dans le cas des locations à part de fruits »123 .
Aussi, est-il est constaté que le manque à gagner n’a pas changé pendant trois années
successives. Pourtant, dans la pratique, la méthode d’évaluation de cette dépense fiscale
relative à l’abattement de 40% applicable aux revenus fonciers n’est pas compliquée. Il suffit,
à notre sens, de se référer à l’ensemble des déclarations déposées ou taxées d’office, afin de
dégager le produit total des loyers bruts et le montant d’abattement de 40% consigné, a
priori, dans les déclarations de l’impôt sur le revenu et pris en charge par le système
d’information mis en place. Abstraction faite de notre réserve 124 sur les montants des coûts
enregistrés, nous serions obligés de les intégrer, dans notre revue analytique. Ainsi, leur
évolution quinquennale est déclinée par année.
Bien que qu’il ne s’agisse aucunement d’une nouvelle disposition dérogatoire, mais
plutôt d’une prorogation d’un avantage fiscal déjà mis en place, pour une durée déterminée,
123
DGI, « Note circulaire n° 726 relatives aux dispositions fiscales de la loi de finances n° 70-15 pour l’année
budgétaire 2016 », p. 18.
124
Nous proposons, à cet effet, de revoir la méthode d’évaluation empruntée à cet effet, car l’évolution du
manque à gagner dans les quatre dernières années concernant cette dépense fiscale nous laisse dubitatifs
quant aux montants des coûts, respectivement, enregistrés.
57
entériner le maintien d’une mesure incitative c’est, aussi, entériner l’évaluation y afférente
au sein du rapport sur les dépenses fiscales, puisqu’elle continue, suite à cette prorogation,
de générer une perte de recettes pour la caisse de l’Etat.
Signalons également que les dispositions de l’article 57-16° du code général des impôts
qui prévoyaient, avant la loi de finances 2017, l’exonération de l’indemnité de stage
mensuelle brute plafonnée à 6 000 dirhams versée au stagiaire, lauréat de l’Enseignement
Supérieur ou de la Formation Professionnelle, recruté par les entreprises du secteur privé,
pour une période allant du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2016.
Dans une perspective visant « une meilleure insertion des jeunes diplômés dans le
marché du travail, les dispositions de l’article 6 de la LF pour l’année budgétaire 2017 ont
modifié l’article 57-16° du CGI pour prévoir l’exonération de manière permanente de cette
indemnité, au lieu de l’exonération temporaire prévue initialement » 125 .
Selon le rapport sur les dépenses fiscales, cette mesure préférentielle recensée est,
spécialement, dédiée au bénéfice des établissements d’enseignement afin d’encourager la
recherche. Le manque à gagner qu’elle a généré n’a pas encore été évalué 127.
125
DGI, « Note circulaire n° 727 relatives aux dispositions fiscales de la loi de finances n° 73-16 pour l’année
budgétaire 2017 », p. 26.
126
Ibid.
58
Par ailleurs, afin d’accompagner davantage les entreprises individuelles à adapter
leur structure juridique aux exigences des mutations économiques et aux impératifs de la
compétitivité, les dispositions de l’article 6 de la loi de finances pour l’année 2017 ont
institué, d’une manière permanente, un dispositif relatif à l’apport du patrimoine
professionnel d’une ou de plusieurs personnes physiques à une société passible de l’impôt
sur les sociétés128. Ainsi, depuis la loi de finances précitée, un nouvel article a été créé au
niveau du code général des impôts, spécialement pour intégrer à droit constant le dispositif
prévu, initialement, à l’article 247-XVII-A du code général des impôts, en y prévoyant un
certain nombre de modifications. Les personnes physiques ayant procédé aux opérations
d’apport doivent souscrire la déclaration prévue par l’article 82 du code général des impôts,
au titre de leur revenu professionnel, réalisé au titre de l’année, précédant celle au cours de
laquelle l’apport a été effectué, la cession des titres acquis par les personnes physiques, en
contrepartie de l’apport des éléments de leur entreprise, ne doit pas intervenir avant
l’expiration d’une période de quatre ans, à compter de la date d’acquisition desdits titres.
Par ailleurs, les dispositions de l’article 6 de la loi de finances pour l’année 2017 ont
institué de manière permanente le dispositif relatif aux opérations d’apport du patrimoine
agricole à une société soumise à l’impôt sur les sociétés.
Ainsi, les exploitants agricoles soumis à l’impôt sur le revenu au titre de leurs revenus
agricoles et qui réalisent un chiffre d’affaires supérieur ou égal à cinq millions de dirhams,
sont exonérés de l'impôt sur le revenu, au titre de la plus-value nette réalisée à la suite de
l'apport de l'ensemble des éléments de l'actif et du passif de leurs exploitations agricoles à
une société soumise à l’impôt sur les sociétés, au titre des revenus agricoles qu’ils créent
entre le 1er janvier 2015 et le 31 décembre 2016. Le manque à gagner a enregistré au titre
de l’année 2017 un total d’un million de dirhams.
Il est à signaler, également, que pour les personnes qui deviennent imposables au
titre d’un exercice donné, elles ne peuvent bénéficier de l’exonération totale permanente
127
DGI, « Rapport sur les dépenses fiscales relatif au projet de loi de finances pour l’année budgétaire 2017 », p.
91
128
DGI, « Note circulaire n° 727 relative aux dispositions fiscales de la loi de finances n° 73-16 pour l’année
budgétaire 2017 », p. 33.
59
susvisée que lorsque le chiffre d’affaires réalisé reste inférieur à cinq millions de dirhams
pendant trois exercices consécutifs129.
Nous devons, encore, évoquer l’article 6 de la loi de finances pour l’année 2017 qui a
procédé à la création d’un nouvel article 161bis-II du code général des impôts dédié à
l’instauration d’une neutralité fiscale en faveur des opérations d’apport des biens
immeubles. Cette incitation a été introduite dans l’optique de renforcer la compétitivité des
entreprises et de faciliter leurs opérations de restructuration et de réallocation de leurs
moyens de production pour optimiser l’exploitation de leurs actifs. Ainsi, les contribuables
personnes physiques qui procèdent à l’apport de leurs biens immeubles et/ou de leurs droits
réels immobiliers à l’actif immobilisé d’une société, autre que les organismes susvisés, ne
sont pas soumises à l’impôt sur le revenu au titre des profits fonciers constatés ou réalisés
suite au dit apport.
Il reste à signaler, cependant, que, pour des raisons indéterminées, cette neutralité
fiscale échappe, encore de nos jours, à toute démarche de recensement ou évaluation.
Pourtant, il est très aisé, à notre sens, de le faire. Il suffit de se référer aux différentes
déclarations déposées par les personnes physiques qui ont procédé à l’apport de leurs biens
immeubles ou de leurs droits réels immobiliers à l’actif immobilisé d’une société. Mieux
encore, ladite déclaration doit, impérativement, être accompagnée « de l’acte par lequel
l’apport a été réalisé et comportant le prix d’acquisition et la valeur des éléments apportés,
évaluée par un commissaire aux apports, choisi parmi les personnes habilitées à exercer les
missions de commissaire aux comptes »130. En somme, toutes les informations nécessaires à
l’évaluation du manque à gagner occasionné par la mise en application de cette mesure
incitative sont disponibles.
129
Article 161- ter régissant le régime d’incitation fiscale dédié aux opérations d’apports du patrimoine institué
par l’article 6 de la loi de finances n° 73-16 pour l’année budgétaire 2017.
130
DGI, « Note circulaire n° 727 relative aux dispositions fiscales de la loi de finances N° 73-16 pour l’année
budgétaire 2017 », op. cit., p. 29.
60
de leurs associés dans les placements immobiliers. Il échappe à l’impôt sur les sociétés, et les
revenus qu’ils distribuent à leurs associés sont imposés comme des dividendes 131.
Après avoir présenté les créations de dépenses fiscales relatives à l’impôt sur le
revenu, nous allons passer maintenant en revue les différentes créations relatives à l’impôt
sur les sociétés.
Les créations de dépenses fiscales relatives à l’impôt sur les sociétés concernent
essentiellement le secteur financier et le secteur immobilier.
A cet effet, nous avons constaté l’institution d’un régime de transparence fiscale au
profit des Organismes de Placement Collectif Immobilier (OPCI) comportant triple
exonération.
Elle représente une exonération totale de l’impôt sur les sociétés, qui était retenu à
la source sur les sommes distribuées provenant des prélèvements sur les bénéfices pour le
rachat d’actions ou de parts sociales des organismes de placement collectif immobilier.
L’objectif qui lui a été assigné, est la mobilisation de l’épargne intérieure au bénéfice
des entreprises opérant dans le secteur de l'intermédiation financière. A en croire le rapport
annuel sur les dépenses fiscales, le chiffrage de cette mesure incitative n’est pas encore
effectué.
131
M. COZIAN, F. DEBOISSY, M .CHADEFAUX, « Précis de fiscalité des entreprises », 2019/2020, op. cit., p. 335.
132
DGI, « Note circulaire n° 727 relative aux dispositions fiscales de la loi de finances pour l’année budgétaire
2017 », op. cit., p. 5.
61
Pour ce qui est des sociétés industrielles nouvellement créées, elles bénéficient d’une
exonération pendant cinq ans. L’objectif de cette disposition dérogatoire, sous forme
d’exonération, par la loi de finances 2017 est, de donner au secteur industriel un nouvel
élan133.
L’article 8 de la loi de finances pour l’année 2001 avait institué une réduction
temporaire de l’impôt sur les sociétés pour une durée de trois ans, du 1er janvier 2001 au 31
décembre 2003, au profit des sociétés dont les titres sont introduits en bourse par ouverture
ou augmentation de capital.
Cette réduction a été prorogée, successivement, jusqu'au 31 décembre 2016, par les
lois de finances pour les années 2004, 2007, 2010 et 2013.
Depuis 2017, cette réduction n’est plus limitée dans le temps. Il est, donc, légitime de
se demander si elle fait, dorénavant, partie du système fiscal de référence ou bien si elle
continue d’être qualifiée de dépense fiscale. Le manque à gagner en 2017 s’est
substantiellement augmenté en passant de 21 millions de dirhams à 144 millions de
dirhams, soit une hausse de 123 millions de dirhams. Cette montée s’explique par
l’engouement constaté des entreprises à l’adhésion à cette réduction d’impôts depuis
qu’elle est devenue permanente.
62
immobilier, par l'institution d'un abattement de 60% sur les bénéfices versés à leurs sociétés
actionnaires.
Une autre disposition d’une importance capitale a été instituée. Elle accorde la
possibilité aux promoteurs immobiliers de conclure avec l’Etat une convention pour la
réalisation d’un programme de construction d’au moins cent logements sociaux en milieu
rural et ce, dans les mêmes conditions prévues pour la réalisation des programmes de
construction de cinq cent logements sociaux.
Et, enfin, il importe de signaler que ces trois dernières mesures incitatives ne sont
encore pas évaluées dans la mesure où elles ont été fraîchement, introduites et elles le
seront, a priori, dès l’année prochaine, dans le cadre du rapport sur les dépenses fiscales de
l’année budgétaire de 2020.
Après avoir présenté les créations de dépenses fiscales relatives aux impôts directs, il
convient maintenant de traiter des impôts indirects.
Les créations de dépenses fiscales en matière d’impôts indirects touchent tant la TVA
que les droits d’enregistrement et de timbre.
Deux mesures nouvelles peuvent être relevées. La première concerne les opérations
d’importation des aéronefs qui, après avoir été, pendant des années, soumises à la TVA au
taux de 20%134, sont devenues exonérées en vertu des dispositions de l’article 123- 46° du
code général des impôts et, ce, à compter du 1er janvier 2016 135. Pour sa première année
d’évaluation, le rapport sur les dépenses fiscales 2017 502 a fait apparaître un manque à
gagner d’un montant de 157 millions de dirhams.
134
En application des dispositions de l’article 121 du code général des impôts.
135
DGI, « Note circulaire n° 724 relative aux dispositions fiscales de la loi de finances n°100-14 pour l’année
budgétaire 2015 », op. cit., p. 16.
63
La seconde mesure relève de la loi de finances pour l’année 2016 qui a introduit une mesure
relative à l’exonération des importations des trains et matériels ferroviaires destinés au
transport de voyageurs et de marchandises à compter du 1er janvier 2016 et ce, en vertu
des dispositions de l’article 123-47 du code général des impôts 136. L’évaluation du coût de
cette exonération dédiée à l'importation des trains et matériels ferroviaires destinés au
transport des voyageurs et des marchandises a été, ainsi, estimée à 32 millions de dirhams.
Voyons maintenant ce qu’il en est quant aux dépenses fiscales concernant les droits
d’enregistrement et de timbre.
Le fonds Afrique 50, ainsi que les acquisitions réalisées pour son compte, ont été
recensées137 , depuis 2015, comme une disposition dérogatoire qualifiée de dépense fiscale,
mais restée sans évaluation à nos jours.
Pour ce qui est l’exonération des opérations d’attribution des lots de terres collectives
situées dans les périmètres d’irrigation, aucune évaluation ne lui a été attribuée dans sa
première apparition, au niveau du rapport sur les dépenses fiscales pour l’année budgétaire
2018.
Concernant les actes réalisés par les organismes de placement collectif en immobilier, le
coût de son manque à gagner a été jugé d’une minime importance, sans mentionner aucune
valeur correspondant dans le rapport sur les dépenses fiscales138.
136
DGI, « Note circulaire n°726 relative aux dispositions fiscales de la loi de finances n°70-15 pour l’année
budgétaire 2016 », op. cit., p. 22.
137
Cette mesure incitative est codifiée dans le rapport sur les dépenses fiscales sous la référence 50-129-48.
138
Le montant des dépenses fiscales évaluées s’élevait à 14 995 millions de dirhams au titre de l’année 2004. En
2018, le montant évalué a dépassé la barre de 34 000 millions de dirhams.
64
En vue de stimuler le développement des infrastructures touristiques, la loi de finances
pour l’année 2018 a complété l’article 129-IV du code général des impôts par un nouvel
alinéa (24°) prévoyant l’exonération, en matière de droits d’enregistrement, des actes
portant acquisition de terrains nus destinés à la construction d’établissements hôteliers.
Afin de dynamiser le marché des capitaux mobiliers, la loi de finances pour l’année
2018, a complété l’article 129-IV du code général des impôts par un nouvel alinéa (25°)
portant exonération des droits d’enregistrement des cessions, à titre onéreux ou gratuit, des
actions et parts précitées.
Ainsi, après l’étude analytique des cinq lois de finances successives à laquelle nous nous
sommes livrés, nous pouvons à présent nous livrer, in fine, à un premier bilan de la
rationalisation des dépenses fiscales.
Rationaliser le système des incitations veut dire, tout simplement, qu’il faut
s’attaquer de front aux dépenses fiscales inutiles ou injustes qui devront être soit
supprimées, soit ajustées si besoin est. La rationalisation de la fiscalité dérogatoire devrait
être, à ce titre, au centre des priorités du gouvernement.
Mais, apparemment, la réforme des dépenses fiscales est, encore une fois, reportée
sine die et le gouvernement, selon toute vraisemblance, se montre, encore une fois, réticent
à entreprendre une réforme des dépenses fiscales. Pourtant chaque année, les mesures
incitatives coûtent de plus en plus cher à l'Etat. En 2018, le manque à gagner a dépassé pour
la première fois les 30 MDH. D’après plusieurs études, une multitude de dépenses fiscales
seraient inefficaces, voire peu efficientes, et constituent à ce titre une perte sèche,
puisqu’elles sont coûteuses et sans effet économique palpable.
Aussi, à quoi bon organiser des Assises si leurs recommandations restent en fin de
compte lettre morte ? « Le cycle de vie des Assises est intergénérationnel dans la mesure où
une génération de recommandations interfère avec celle qui suit et ainsi de suite. Pourtant,
devant l’ampleur et le rôle important des recommandations dans le développement du
système fiscal marocain, le besoin se fait sentir d’un suivi continu des Assises. L’objectif
65
étant d’évaluer quantitativement et qualitativement la faisabilité des propositions en
recensant d’abord ce qui est concrétisé, ensuite ce qui nécessite un réajustement à mi-
parcours et enfin, ce qui n’est plus d’actualité et peut tomber en désuétude » 139.
Pour ce faire, nous allons, dans un premier temps, dresser un bilan, en nombre et en
quantum, des dépenses fiscales sur la période étudiée et, ainsi, voir le degré de
concrétisation du processus de rationalisation entamé depuis 2014. Nous procéderons,
ensuite, à l’analyse de la réforme touchant la nouvelle méthodologie dédiée au pilotage de
ce dispositif dérogatoire.
Ainsi, notre revue analytique portant sur les cinq lois de finances qui se sont
succédées depuis les Assises fiscales de 2013, a montré que le nombre maximum des
mesures créées concerne les droits d’enregistrement et de timbre avec vingt-cinq mesures
créées d’une valeur de 575 MDH, alors que l’impôt sur les sociétés et l’impôt sur le revenu
sont ex aequo avec dix mesures incitatives nouvellement créées, mais avec un manque à
gagner évalué à 992 MDH pour le premier impôt et 845 MDH pour le second impôt, tandis
139
M. ALAOUI, « Les Assises fiscales au Maroc, pour un pilotage durable revue d’évaluation et d’anticipation des
politiques publiques », op. cit ., p. 7.
140
Ibid, p. 8.
66
que la TVA a occupé la dernière place concernant les mesures nouvellement créées avec
neuf mesures incitatives dont le manque à gagner a été évalué à 217 MDH.
En somme, les dépenses de l’Etat ont connu des fluctuations durant la période 2014-
2018. En effet, on a créé cinquante-quatre mesures d’exonération et de réductions à l’impôt
sur les sociétés, l’impôt sur le revenu, la TVA et les droits d’enregistrement et des timbres.
Ainsi, le nombre maximum des mesures créées concerne les droits d’enregistrement et du
timbre avec vingt-cinq mesures créées, donc une dépense de cinq cent soixante-quinze
MDH. Quant à la TVA, elle a enregistré le nombre minimum de création avec neuf mesures
créées et une valeur de deux cent dix-sept MDH. En outre, la valeur maximale des mesures
créées revient à l’impôt sur les sociétés avec une dépense de neuf cent quatre-vingt-douze
MDH (dix mesures créées), suivi de l’impôt sur le revenu avec une dépense de huit cent
quarante-cinq MDH (dix mesures créées).
Le constat de départ est que les dépenses fiscales marocaines se sont érigées, depuis
l’Indépendance, comme un instrument de politique publique avec pour rôle principal de
promouvoir le développement économique et social du pays. Ainsi, les pouvoirs publics
renoncent délibérément à une partie du produit de l’impôt dans le but d’encourager des
secteurs d’activités en difficultés ou une frange de population vivant dans des conditions
sociales défavorables.
67
Outre l’impact budgétaire des dépenses fiscales sur les finances publiques déjà en situation
déficitaire, ce sacrifice fiscal ne saurait être justifié que par des effets visiblement positifs de
l’intervention de l’Etat, assis sur une parfaite lisibilité du dispositif d’aide, et un schéma de
gouvernance clair, efficace et parfaitement maîtrisé. Mais nonobstant les différentes études
et analyses141 qui se sont intéressées dernièrement à ce phénomène fiscal dérogatoire, son
ampleur ne cesse de prendre des proportions inquiétantes.
Or, depuis les Assises de 2013, nous sommes en mesure de conclure, que nonobstant
les efforts déployés et la volonté affichée des pouvoir publics, le pilotage des dépenses
fiscales n’a pas connu de réformes notoires et la rationalisation tant recommandée n’a pas
été menée à terme. Ainsi, le processus de création de nouvelles mesures dérogatoires a
continué de s’opérer, sans aucun contrôle, et avec le même laxisme qu’auparavant. Pas
encore, les dépenses fiscales prévues au code général des impôts ont continué de
s’appliquer sans être soumises à des études d’impact socioéconomiques, afin de pouvoir
évaluer leurs degrés de pertinence et d’efficacité au regard de leurs objectifs respectifs.
141
Aussi bien par des départements relevant du ministère des finances que par des organes indépendants
nationaux (notamment la Cour de comptes et le CESE).
142
DGI, « Rapport de synthèse sur les Assises fiscales », 2019, p. 2
68
B - La nouvelle refonte méthodologique de la gestion des dépenses fiscales amorcée
en 2018
Le recours aux dépenses fiscales constitue, pour les Etats modernes, l’un des
instruments les plus utilisés, pour soutenir une tranche de contribuables ou certains secteurs
d’activités pour des raisons de politique publique bien définies. Au Maroc, ces dépenses,
comme nous l’avons signalé précédemment, constituent des dérogations par rapport à
l’ensemble des dispositions formant le socle d’imposition du système fiscal mis en place et
entrainent, à ce titre, un manque à gagner considérable
Mais « si l’option des dépenses fiscales est largement répandue partout dans le
monde et ne pose pas, en principe, de controverses quant à ses effets potentiellement
positifs, le rendement économique et social de ces dépenses et leur efficience globale
constituent, toutefois, des critères incontournables pour apprécier leur opportunité et juger
du bien-fondé de leur maintien ou de leur suppression. Le système fiscal national, qui a
connu des évolutions positives au cours des dernières années en termes de modernisation et
d’ancrage progressif aux principes de la justice et de l’équité fiscales, se trouve aujourd’hui
confronté au poids sans cesse croissant des dépenses fiscales, avec des impacts davantage
contraignants sur le budget de l’Etat. Cette situation pose avec acuité l’impératif de procéder
à une refonte du cadre global de la fiscalité dérogatoire, dans le souci de relever
substantiellement la gouvernance des dépenses fiscales et veiller à leur rationalisation. Un
tel objectif s’inscrit, d’ailleurs, en ligne avec les recommandations préconisées par la Cour
des Comptes, le Conseil Economique, Social et Environnemental, et celles des Assises
nationales sur la fiscalité de 2013 »143.
143
DGI, « Rapport sur les dépenses fiscales de l’année budgétaire 2019 », op. cit., p. 1.
69
Pour corroborer ces dires, il est important de signaler que le nombre des dispositions
dérogatoires évaluées en 2005 n’a guère dépassé 30% des dépenses répertoriées. Au fil des
années, une multitude d’améliorations ont été apportées au périmètre présidant les travaux
d’évaluation, pour atteindre en 2017 un taux de 74% de mesures évaluées, d’où la nécessité
impérieuse de changer de méthode de travail, en opérant une refonte nécessaire au travail
de rationalisation du système dérogatoire tant galvaudé par les pouvoirs publics.
Pour ce faire, les décideurs ont choisi, à l’occasion de la présentation du projet de loi de
finances 2019, de procéder à une refonte soutenue de la gestion des dépenses fiscales sous
la houlette de la direction générale des impôts. Cette nouvelle façon de gestion s’inscrit dans
une démarche de relecture globale du système fiscal. Cette démarche réformatrice cherche
à accomplir un saut qualitatif visant « le renforcement de la soutenabilité de ce système,
condition sine qua non pour consolider la gouvernance et la transparence des finances
publiques »144 .
Cette réforme méthodologique a été dictée, essentiellement, pour affiner les outils
de chiffrage et assurer une appréhension optimale de l’ampleur budgétaire du dispositif
dérogatoire, autrement dit, tenter d’élaborer un système permettant à la fois et de manière
objective et incontestable de distinguer deux catégories d'allégements, d’une part, les
dépenses fiscales dont l’objectif assigné est d’ordre incitatif ou de redistribution en faveur
des ménages à faibles revenus ou secteurs d'activité ou produits spécifiques, et, d’autre part,
les modalités de calcul de l'impôt, dont le but n’est pas de redistribuer la richesse en faveur
d’une catégorie donnée, mais plutôt de faciliter les modalités de calcul de l’impôt.
L’exemple type est la dépense fiscale dédiée aux produits de première nécessité 145 ,
comme le lait ou le pain, dont l’exonération en matière de la TVA est dictée par des raisons
144
Ibid.
145
Article 91 du code général des impôts concernant l’exonération sans droit à déduction. Sont exonérées de la
taxe sur la valeur ajoutée : I.- A) Les ventes, autrement qu’à consommer sur place, portant sur le pain, le
couscous, les semoules et les farines, le lait, le sucre brut, les dattes conditionnées produites au Maroc, les
produits de la pêche à l'état frais, congelés, entiers ou découpés, la viande fraîche ou congelée et l'huile d'olive
et les sous-produits de la trituration des olives.
70
d’ordre social, depuis l’avènement de cette taxe au Maroc. Au fil des années, cette
exonération est devenue très ancrée dans la structure, à telle enseigne qu’elle est devenue
maintenant une norme difficile à supprimer. C’est justement, selon la nouvelle approche,
que l’exonération relative aux produits de première nécessité est considérée, dorénavant,
comme une composante du système fiscal de référence.
Toute analyse portant sur les dépenses fiscales cherche à éclairer le gouvernement
dans la mise en œuvre de sa politique fiscale. Pour y parvenir, deux procédés d’évaluation
combinés sont en lice : procéder, tout d’abord, à quantifier le coût budgétaire des mesures
fiscales dérogeant à la norme afin de pouvoir, ensuite, sonder leur degré d’efficacité et
d’efficience par rapport aux objectifs qui leur ont été, initialement, assignés. Sans la
conjugaison de ces deux variables, le chiffrage du coût et l’évaluation de l’efficacité, la
rationalisation du système des incitations fiscales préconisée par les assises de 2013 ne
pourrait, à notre sens, et en aucun manière, se voir réaliser, car la publication d’un rapport
sur les dépenses fiscales en annexe de projet de loi de finances n’est pas une fin en soi, s’il
n’est pas corroboré par un chiffrage estimatif fiable et une étude de faisabilité pointue ;
sinon le tout n’est que littérature inutile.
A cet effet, il ne suffit pas de se contenter d’apporter un chiffrage global du coût du manque
à gagner occasionné par le recours au dispositif dérogatoire. Mais pour accompagner les
décideurs dans leur gestion de la chose publique, il est impératif de procéder à un chiffrage
71
spécifique de chaque mesure incitative. Cette spécification chiffrée contribue, à coup sûr, à
éclairer le pouvoir décisionnel, afin d’emprunter la bonne direction, et agir en toute célérité
« à partir des données fiscales détaillées plutôt qu’à partir des données agrégées de la
comptabilité nationale. Sa principale limite est, évidemment, la sous-estimation des DF,
compte tenu de la faible disponibilité de celle-ci. Il convient également de noter que cette
approche basée sur les données acceptées par l’administration estime les DF, toutes choses
étant égales par ailleurs, y compris la capacité de l’administration à appliquer la loi et à
détecter les fraudes »146 .
C’est dans une perspective pragmatique, pour établir une feuille de route retraçant les
éléments nécessaires à une gestion rationnelle des dépenses fiscales, que le gouvernement
marocain a décidé de revoir sa version initiale de gestion dédiée à l’évaluation des dépenses
fiscales, afin d’éclairer annuellement ses choix budgétaires.
Pour établir des bases rationnelles et crédibles de bonne gouvernance fiscale, les
pouvoirs publics ont tenté, pour la première fois au Maroc, et à l’instar de ce qui a été fait en
France, de déterminer les critères déterminant le point de vue permettant de qualifier une
disposition fiscale soit comme une composante du système de référence soit comme une
dépense fiscale. Dès lors, ladite disposition dérogatoire fera l’objet d’estimation chiffrée
traduisant le coût de son manque à gagner pour le Trésor. Ainsi, la nouvelle approche
réformatrice de la gestion des dépenses fiscales est fondée sur trois principaux critères
déclinés comme suit.
72
généralisée à l’international » 147 . Sur la base de ces principes, un système fiscal de référence
a été établi pour les quatre types d’impôts qui ont un fort impact sur la charge fiscale de
l’Etat, à savoir la taxe sur la valeur ajoutée, l’impôt sur les sociétés, l’impôt sur le revenu et
les droits d’enregistrement et de timbre.
Suite à cette relecture du système fiscal de référence, il est devenu, a priori 148, tout à fait
possible de faire le distinguo entre une disposition purement fiscale et une disposition
qualifiée de dépense fiscale. Ainsi, et une fois que les contours de ce système de référence
ont été définis, il a été procédé, ce faisant, à un travail de tamisage visant à repérer les
dépenses fiscales devant être inventoriées dans le document annexé au projet de loi de
finances. Au terme de cette relecture, il a été procédé à des ajustements en reconsidérant
une panoplie de mesures dérogatoires comme faisant partie de la norme fiscale, alors
qu’elles étaient, une année auparavant, classées comme dépenses fiscales selon l’ancien
référentiel.
Cette étude revêt, à notre sens, une importance capitale dans la mesure où elle
permettra, lors de sa concrétisation, de pouvoir se prononcer en toute connaissance de
cause sur l’efficacité et la pertinence de la politique incitative choisie par les pouvoirs
publics, pour mener à bon port leur stratégie de développement économique et social, et
contrecarrer, in fine, toute politique d’improvisation entraînant des effets d’aubaine. Cette
systématisation des études d’impact socio-économique constituera, sans doute, le premier
jalon du processus de rationalisation tant réclamé par les participants lors des Assises de
2013, mais qui en était resté au stade des vœux pieux.
73
gagner adosser à l’ensemble du dispositif dérogatoire fiscal parsemant notre système
d’imposition, notamment les dépenses fiscales les plus significatives du point de vue
financier. Ainsi, des fiches méthodologiques seront, systématiquement, établies, afin de
retracer la portée de toute dépense qui sera soumise au crible de l’évaluation. Cette fiche
sera conçue de manière à renseigner sur tous les aspects relatifs à la disposition incitative
étudiée portant sur son objectif, sa méthode de chiffrage estimatif et son coût budgétaire.
150
74
régime à triple taux a été instauré. Le taux de 20% est réputé comme le taux normal
applicable à la majorité écrasante des opérations imposables ; les taux de 10% et de 0%, bien
qu’ils soient réduits ou nuls, et chaque fois qu’ils seront appliqués et porteront sur des
incitations fiscales, seront qualifiés par le nouveau référentiel cible nouvellement établi
comme des dépenses fiscales. En second lieu, deux seuils ont été institués, à savoir 500 000
DH et 2 000 000 DH applicables, respectivement, aux fabricants et prestataires de services et
aux commerçants sur les ventes et les livraisons effectuées en l’état. En troisième lieu enfin,
des régimes spécifiques ont été créés pour certaines opérations relatives aux exonérations
des opérations d’exportation et les exonérations des opérations de transport international.
Suite à cette nouvelle lecture, et afin de tenter de la mettre en œuvre, il a été procédé à
l’examen de l’effectivité des dispositions dérogatoires recensées relatives à la TVA, suite au
passage de l’ancien système de référence appliqué durant les années précédentes, au
nouveau système appelé dorénavant « référentiel cible ». Pour ce faire, il a suffi d’appliquer
ce nouveau référentiel sur les données consignées dans le rapport sur les dépenses fiscales
annexé au projet de loi de 2018, en vue de comparer les résultats estimés avec les
réalisations. Ainsi, cette mise en application a pu changer l’ancienne physionomie des
dépenses fiscales recensées sous l’empire de l’ancien système de référence.
A ce titre, l’effectif du dispositif dérogatoire inventorié s’est traduit par une baisse
substantielle, en passant de cent dix-sept mesures répertoriées selon l’ancien système de
référence à quatre-vingt-quatre mesures qualifiées de dépenses fiscales selon le référentiel
cible en matière de TVA 2017, « soit une baisse nette de 33 mesures dérogatoires (-28%).
Cette baisse est due à l’effet conjugué de la qualification de 43 mesures en tant que normes
et l’intégration de 10 mesures dans la liste des dépenses fiscales, alors qu’elles étaient
considérées comme normes selon l’ancien système fiscal de référence » 151.
151
518 Ibid.
75
L’examen de cette transition méthodologique nous enseigne que les quarante-trois
mesures préférentielles considérées, initialement, comme des dépenses fiscales avant leur
reconversion en mesures faisant partie de la norme fiscale selon le référentiel cible
nouvellement conçu, représentent, en fait, des mesures dérogatoires bénéficiant de
l’application du taux réduit de 0%. Ce basculement s’explique par le fait que la nouvelle
logique apportée par le référentiel cible a préconisé que toute incitation fiscale jouissant
d’un taux réduit ou nul ne devrait pas être assimilée, systématiquement, à une dépense
fiscale comme les incitations fiscales. Autrement dit, la nouvelle architecture du nouveau
référentiel s’articule autour trois taux : 0% ,10% et 20%.
En revanche, d’autres mesures dérogatoires ont intégré, pour la première fois, et selon
la conception du nouveau référentiel cible, le périmètre des dépenses fiscales alors qu’elles
étaient réputées, sous l’emprise de l’ancien système fiscal, comme règles normatives. A cet
effet, il a été institué que l’écart entre le taux de 20% et le taux de 10% est qualifié, de facto,
comme une dépense fiscale à inventorier et évaluer dans le rapport annuel sur les dépenses
fiscales.
En matière de l’impôt sur les sociétés, le nouveau système fiscal de référence se distingue
de l’ancien système par l’importance de l’analyse accordée individuellement à chaque
mesure incitative, afin de s’assurer s’il s’agit d’une simple modalité d’imposition, ou bien si
elle constitue, tout bonnement, une dépense fiscale à répertorier dans le rapport publié
annuellement à l’occasion de la présentation du projet de la loi de finances. Selon cette
nouvelle approche, et en dépit de l’application des taux réduits ou nuls, les mesures
incitatives concernées ne sont pas qualifiées systématiquement comme des dépenses
76
fiscales. Aussi, est considéré comme partie prenante du régime d’imposition, selon le
référentiel cible, l’ensemble des mesures visant à éviter la double imposition ainsi que celles
ayant un caractère d’intérêt général.
Enfin, ce référentiel cible peut être présenté sous forme de dispositions spécifiques,
tantôt pour éviter la double imposition, tantôt visant, entre autres, la réalisation ou le
financement de projets d’intérêt général.
152
Depuis la loi de finances 2018, le barème progressif de l’impôt sur les sociétés comprend désormais trois
taux applicables selon les tranches d’imposition établies comme suit :
Inférieur ou égal à 300 000 : Taux de 10%
De 300 001 à 1 000 000 : Taux de 20%
Supérieur à 1 000 000 : Taux de 31%
77
montant global de 4 757 MDH, alors que la même année, avec l’ancien système de
référence, le montant a été de 5 128 MDH, soit une baisse de 371 MDH 153.
Dans la perspective visant à cerner les contours du nouveau référentiel, l’impôt sur le
revenu a vu, lui aussi, son système de référence subir des changements sensibles s’articulant
autour de trois axes majeurs : taux de référence, base imposable et dispositions
spécifiques154 .
Après l’application, pour la première fois, du nouveau référentiel cible, plusieurs mesures
incitatives recensées initialement comme des dépenses fiscales se sont vues déclassées et
intégrées dans le périmètre du régime de base. Elles sont considérées, depuis l’avènement
du nouveau référentiel, comme de simples règles d’imposition. Ainsi, ce passage
méthodologique et l’application de la nouvelle approche sur les données de l’année 2017, se
sont traduits par le déclassement de douze mesures incitatives. Cette diminution est due,
spécialement, à la conjugaison de deux effets contradictoires, à savoir, d’une part,
l’appréhension de dix-neuf dispositions dérogatoires comme règles d’imposition faisant
partie du régime de base et l’insertion, d’autre part, de sept mesures incitatives dans le
périmètre des dépenses fiscales, alors qu’elles étaient catégorisées une année avant comme
norme selon l’ancien système de référence.
153
Ibid
154
Barème de calcul de l’impôt sur le revenu :
• 10% du montant des produits bruts, hors taxe sur la valeur ajoutée, perçus par les personnes physiques ou morales
non résidentes,
• 15% du montant des revenus et profits de capitaux mobiliers de source marocaine,
• 20% du montant des revenus de placements à revenu fixe,
• 20% du montant des capitaux mobiliers de source étrangère,
• 20% du montant des profits nets fonciers réalisés ou constatés,
• 30% du montant des profits nets réalisés ou constatés à l’occasion de la première cession à titre onéreux
d’immeubles non bâtis inclus dans le périmètre urbain,
• 20% du montant des profits nets réalisés ou constatés à l’occasion de la cession d’immeubles urbains non bâtis,
• 30% du montant des rémunérations et les indemnités occasionnelles ou non versées à des personnes ne faisant pas
partie du personnel permanent de l’employeur. * Base imposable,
• Abattement pour frais professionnels plafonné à 30 000 dirhams,
• Abattement de 20% pour les revenus fonciers,
• Abattement forfaitaire de : 55% sur le montant brut annuel inférieur ou égal à 168 000 dirhams et 40% pour le
surplus des pensions et rentes viagères,
• Exonération du personnel diplomatique, * Dispositions spécifiques,
• Dispositions portant sur un organisme particulier/sous population particulière exerçant une activité à but non
lucratif et non concurrentielle,
• Dispositions portant sur les opérations visant la réalisation/financement des projets d’intérêt général,
• Dispositions évitant la double imposition.
78
d’intérêt général. En revanche, celles qui sont dorénavant insérées dans le sérail des
dépenses fiscales, selon le référentiel-cible, sont spécialement dédiées à une frange
spécifique d’une population bénéficiant d’atténuations fiscales. A cet égard, seulement
quatre-vingt et un des dispositions dérogatoires répertoriées sont prises en charge, en tant
qu’une composante des dépenses fiscales, alors que, sous l’ancien système, ce nombre été
de quatre-vingt-treize dispositions dérogatoires.
155
DGI, « Rapport sur les dépenses fiscales 2019 », op. cit., p. 13
79
comme dépenses fiscales, soit trente-sept mesures dérogatoires comptabilisées, en moins,
par rapport à l’ancien document retraçant le dispositif fiscal mis en place, et qualifié de par
l’ancienne définition comme dépenses fiscales.
Quant au coût des mesures dérogatoires relatives aux droits d’enregistrement évaluées
nouvellement selon le référentiel cible, il a enregistré, pour l’année 2017, un total de 860
MDH, au lieu de 4 038 MDH, comparativement avec les données consignées dans le rapport
établi sous l’ancien système fiscal, soit une suppression nette de 3 178 MDH.
156
Ibid.
157
Ibid.
80
Dans la même lignée, l’évaluation effectuée, selon le nouveau référentiel du coût des
dépenses fiscales dédiées aux droits d’enregistrement, a connu une diminution remarquable
en nombre et en valeur. Le montant global de cette estimation est passé de 4 038 MDH,
correspondant à soixante-quatorze mesures dérogatoires, à 860 MDH, l’équivalant d’une
estimation de trente-sept mesures incitatives.
En revanche, ce sont les dépenses fiscales dédiées à l’impôt sur le revenu qui ont pu
résister aux changements apportés par le référentiel cible en gardant, à quelques différences
près, selon la même architecture élaborée sous l’ancien système de référence.
Ainsi, la valeur estimée du coût global n’a guère changé passant de 4 592 MDH à 4 590
MDH, alors que le nombre est passé de quatre-vingt-treize à quatre-vingt et un mesures
dérogatoires estimées.
Sous un autre angle, celui de l’impact du nouveau référentiel par type de bénéficiaire, il
a été relevé que la mise en marche de la nouvelle méthodologie instituant le référentiel-
cible a, également, modifié l’ancienne architecture des dépenses fiscales.
81
référentiel, soit une diminution de 42%. Le total du coût occasionné est, donc, passé de 14
394 MDH à 14 603 MDH, soit une augmentation de 1%.
De même, une part de dépenses fiscales a été dédiée aux activités culturelles pour
lesquelles le nombre de dépenses fiscales est passé de dix-sept à quatorze, alors qu’en
termes de perte de recettes, elles ont été estimées à 161 MDH au lieu de 169 MDH,
comparativement aux indications consignées dans l’ancien rapport sur les dépenses avant
l’avènement du nouveau référentiel cible.
Le processus de création ou de suivi d’une dépense fiscale devrait, a priori, être soumis
à un tamisage rigoureux, susceptible de donner aux décideurs une visibilité et des éléments
d’éclairage, leur permettant de se prononcer en toute efficacité sur les démarches à suivre
pour créer ou maintenir une dépense fiscale.
En outre, le montant des dépenses créées a connu une augmentation jusqu’en 2015,
avec des dépenses supplémentaires de 1 647 MDH, pour diminuer ensuite à 5 MDH en 2016.
On constate, d’une part, que la politique de réduction des dépenses fiscales suite aux
assisses fiscales entretenues, depuis 2013, a été bien menée jusqu’en 2015, avec une
suppression de 4 487 MDH de dépenses, pour baisser, ensuite, en 2016 à 784 MDH.
D’autre part, on peut conclure que le maximum de dépenses a été relevé au cours de
l’année 2014, avec un total de 34 406 MDH, et que le minimum des dépenses a été relevé au
cours de l’année 2015, avec un total de 23 088 MDH, pour augmenter, ensuite, à 32 422
MDH en 2016 et 33 421 MDH en 2017.
82
A ce niveau, on peut dire qu’après un début soutenu en 2014 et, notamment, en 2015, la
réforme des dépenses fiscales marocaine s’est vite essoufflée et son rythme ascendant s’est,
soudainement, estompé en 2016, pour reprendre, avec plus de force, puis revenir à la case
départ, en dépassant la barre de 33 000 MDH. Pire encore, aucune mesure parmi les trois
outils de pilotage159 visant à la rationalisation du système des incitations recommandées à
l’issue des assises n’a été concrétisée, en rappelant que cette recommandation conditionne
l’octroi d’un avantage fiscal par une limitation de durée dans le temps et la définition de
leurs objectifs, dans le cadre conventionnel du strict respect d’un cahier des charges, alors
que, dans les faits, rien de concret n’a eu lieu. Le comble, enfin, est que certaines mesures
incitatives temporaires, lors de leur création, sont devenues permanentes dans leur
application.
159
Les outils que les intervenants, lors des Assises ont proposé d’instituer pour l’octroi des exonérations fiscales
à savoir : la limitation de leur durée dans le temps, la définition de leurs objectifs et leur octroi dans un cadre
conventionnel respectant un cahier de charges et la mise en place de mécanismes d’évaluation de leur
efficacité par rapport aux objectifs escomptés.
83
Conclusion du Chapitre I
La poursuite d’un rythme soutenu d’augmentation des recettes fiscales nécessite une
plus grande mobilisation du potentiel fiscal, notamment par la rationalisation des dépenses
fiscales. Il est, donc, temps d’aborder cette thématique en présentant, d’abord, une
évaluation critique de l’existant, sur la base de laquelle seront étayées les préconisations
avancées, ici, que nous estimons être en adéquation, avec l’esprit de la recommandation
prônant une réforme globale du système incitatif marocain.
160
DGI, « Rapport de synthèse sur les incitations fiscales », Assises nationales sur la fiscalité, 2019.
84
Chapitre II - La nécessaire réforme générale du régime
incitatif marocain actuel
161
Les dépenses fiscales, selon les détracteurs présentent une série d’effets pervers. Outre leur participation à
la dérive des finances publiques, elles sapent le principe de l’équité fiscale mais sans une efficacité apparente.
85
système fiscal marocain, afin qu’il se mette au diapason des évolutions politiques, sociales et
économiques du Maroc.
Sans tergiverser, le gouvernement a adopté la démarche d’un bon père de famille, afin
de concevoir une nouveau modèle de gouvernance des dépenses fiscales, très utile en ces
temps de crise, pour faire de la réforme fiscale en général, et de la réforme de la fiscalité
incitative en particulier, le cheval de bataille propre à assurer une bonne gouvernance de la
gestion des dépenses fiscales marocaines, tant décriées ces dernières années, souvent sans
raison, comme source de toutes les failles entachant le système de prélèvement obligatoire.
Devant le solide consensus sur la nocivité des niches fiscales, comment les décideurs
ont-t-ils appréhendé la recommandation portant sur la rationalisation du système des
incitations fiscales ? Et quelles sont les voies empruntées, après la succession de cinq lois de
finances, afin d’atteindre l’équilibre recherché entre la neutralité du système fiscal et le
soutien des ménages et des entreprises ? Enfin, quel mécanisme de suivi a été conçu
spécialement afin de parvenir à la rationalisation escomptée ?
A cet effet, notre démarche sera réservée à la formulation des critiques à l’encontre
des dépenses fiscales, avant de passer à la présentation des propositions aptes à améliorer
le système actuel des incitations fiscales.
86
Mais, cette politique fiscale généreuse à l’égard de l’initiative privée et du bien-être
social de la collectivité a un coût considérable. Une manne considérable de recettes fiscales
est, ainsi, sacrifiée, chaque année, sans pour autant garantir que les objectifs assignés aux
dépenses fiscales seront atteints, d’autant que, compte tenu de la surenchère des pays
émergents à la conquête des investisseurs étrangers par leur politique fiscale, le Maroc se
trouve, lui aussi, contraint de poursuivre sa politique incitative.
Les critiques à l’encontre de cette générosité fiscale débridée sont légion. Les
principales sont celles relatives à l’opacité et au manque de rationalisation dans la gestion
des dépenses fiscales.
L’argumentaire le plus soutenu par les détracteurs est que le gouvernement s’entête, à
l’avènement de chaque loi de finances, à procéder à des dépenses fiscales, sans être en
mesure de se prononcer sur l’impact réel de cette politique incitative sur l’économie et sur le
bien-être social. Ainsi, la politique des dépenses fiscales est souvent victime de jugements de
valeur. C’est la raison pour laquelle notre travail de recherche a entrepris de dépoussiérer la
notion de dépenses fiscales de tous préjugés et idées préconçues, afin de défendre la thèse
selon laquelle le concept de dépense fiscale n’a d’autres finalités que de rappeler l’origine, la
portée et le coût de chaque disposition dérogatoire, afin de pouvoir la comparer et,
éventuellement, lui substituer par une dépense budgétaire.
A ce titre, les dépenses fiscales ne sont pas nocives en elles-mêmes, c’est l’usage qui
en est fait, qui est souvent remis en cause. C’est pourquoi nous sommes convaincus qu’il
faut faire la part des choses et distinguer entre l’outil qu’est la dépense fiscale et l’utilisation
qu’on en fait.
Ceci étant dit, on s’abstiendra de s’attarder sur les jugements de valeur accablant la
notion de dépenses fiscales, sans être en mesure d’apporter des éléments corroborant cette
position nihiliste. En revanche, nous nous emploierons à passer en revue une série de
contraintes entravant la mise en place d’une gestion rationnelle de la politique de dépenses
fiscales au Maroc.
87
dépenses fiscales
Hormis des difficultés de définition des dépenses fiscales au regard d’une norme
fiscale peu précise, « la norme de référence n’est pas définie de façon intangible. En effet,
elle résulte d’une observation des faits et d’une interprétation a posteriori des intentions du
législateur qui explique en grande partie les changements de périmètre (classements et
déclassements de dépenses fiscales). Cette précision confirme que la norme n’en est pas
une, la notion d’« observation des faits » n’étant de surcroît ni expliquée, ni justifiée. Quant
aux intentions a posteriori du législateur, il serait plus logique de prendre appui sur les
études d’impact, voire sur les débats législatifs plutôt que d’interpréter les intentions du
législateur a posteriori. Si la méthode de détermination d’une dépense fiscale mérite d’être
162
C. WENDENG & al.,« La dépense fiscale en France : un enjeu crucial pour nos finances publiques », op. cit., p.
10.
163
Ce document est le rapport annuel sur les dépenses fiscales, annexé au projet de loi de finances pour chaque
nouvelle année budgétaire.
88
considérée plus sérieusement, les évolutions annuelles qui en résultent sont en revanche
retracées chaque année dans le projet de loi de finances »164.
Il a, ainsi, mis, dès le début, l’accent sur le volet budgétaire des dispositions
dérogatoires, en expliquant plutôt les raisons pour lesquelles les dispositions dérogatoires
sont appelées dépenses fiscales. Selon le rapport marocain « les dérogations fiscales
représentent un enjeu budgétaire important. Elles constituent un manque à gagner pour le
budget et leur effet sur ce dernier est comparable à celui des dépenses publiques. C’est la
raison pour laquelle elles sont appelées dépenses fiscales »168.
L’approche s’est chargée, en premier lieu, sans définir le concept, de cerner la finalité
première de la notion de dépenses fiscales et d’analyser son impact sur le budget d’Etat.
164
La Cour des comptes, « Gestion des dépenses fiscales en faveur du logement », op. cit., p. 34. Document
disponible en ligne www.ccomptes.fr@Courdescomptes.
165
C. WENDLING & al., « La dépense fiscale en France : un enjeu crucial pour nos finances publiques », op. cit.,
p. 10
166
En application de l’article 32 de la loi de finances pour 1980 : « Chaque année, dans le fascicule « Voies et
Moyens » annexé au projet de loi de finances, le Gouvernement retracera l’évolution des dépenses fiscales, en
faisant apparaître de manière distincte, les évaluations initiales, les évaluations actualisées, ainsi que les
résultats constatés. Les dépenses fiscales seront ventilées, de manière détaillée, par nature de mesures, par
catégories de bénéficiaires et par objectifs ».
167
C’est le terme utilisé par le conseil des impôts dans son 21ème rapport au Président de la République sur la
fiscalité dérogatoires, septembre 2003 « ces dispositions dérogatoires sont qualifiées, par les spécialistes, de
dépenses fiscales, Oxymore introduit aux Etats-Unis à la fin des années 1960 puis en France à la fin des années
1970 ».
168
DGI, « Rapport sur les dépenses fiscales 2006 », op. cit., p. 5.
89
Ainsi, et au lieu de tenter, avant toute démarche, de définir la notion de dépense
fiscale, oxymore, tant galvaudé par les médias que par le grand public, le rapport marocain
s’est contenté de mettre en exergue l’enjeu budgétaire du concept, et s’évertue à expliquer,
ensuite, la portée de ces mesures dérogatoires. Il a tenté, enfin, de définir le périmètre des
dépenses fiscales en précisant que « ne sont assimilées à ce type de dépenses que les
dispositions fiscales qui s’écartent d’un régime fiscal de référence préalablement défini » 169.
Faute de définition précise, tout ceci laisse entendre que pour qualifier une mesure
dérogatoire de dépense fiscale, il suffit, tout simplement, de s’assurer que cette mesure
s’écarte d’un système fiscal de référence 170. Ce dernier doit être clairement défini, sauf qu’il
169
Ibid, p. 2.
170
Le rapport sur les dépenses fiscales dans les pays de l’OCDE (2010) a souligné qu’il faut « comprendre les
critiques de la méthodologie actuelle qu’il tire de la littérature économique. Citons quelques-uns des points
essentiels : Selon certains critiques américains, le système fiscal normal n’ayant jamais été établi, à partir de
principes de base, avec une rigueur suffisante pour servir de référence, on pourrait faire de mauvais choix en
recensant les dépenses fiscales. Certains pensent, comme Kraan, que les analystes ont des valeurs trop
différentes pour arriver à un consensus sur la nature de la référence (Burman, 2003). Des critiques considèrent
le système fiscal normal comme un moyen détourné ou un objectif au service d’un certain type de réforme
fiscale, une référence centrée sur les impôts directs ferait, par exemple, obstacle à la mise en place d’un impôt
assis sur la consommation (Bartlett, 2001).
•Le fait que l’on centre depuis peu le concept de dépense fiscale sur des questions de politique fiscale peut
être interprété comme l’abandon de sa motivation avouée d’origine : comparer les dispositions fiscales avec les
90
n’est mentionné, nulle part, dans la littérature fiscale marocaine, ce qu’est ce système fiscal
de référence, pour pouvoir s’y référer chaque fois que l’on devrait qualifier une disposition
de dérogatoire ou pas.
Cette difficulté, faut-il l’avouer, n’est pas une spécificité marocaine. Elle fût un temps
soulevée même en France, dans le rapport de la cour des comptes qui précisait qu’« aucun
document officiel ne décrit l’ensemble des principes de la fiscalité française. Aussi ne
s’étonnera-t-on pas qu’au fil du temps, le concept de dépense fiscale évolue. En 1998, une
nouvelle définition est donnée. Les critères désormais mis en avant sont l’ancienneté et
surtout « le caractère général de la mesure : une disposition applicable à la grande majorité
des contribuables peut être considérée comme la norme (par exemple, l’abattement de 20%
sur les traitements et salaires). A l’inverse, l’avantage accordé à une catégorie particulière de
contribuables ou d’opérations constitue une dépense fiscale »171
Il est vrai que le rapport marocain a essayé d’atténuer cette difficulté en précisant que
« le système fiscal de référence regroupe les régimes fondamentaux des différents impôts,
souvent désignés sous le vocable « droit commun »172. Mais cette précision a tenté
uniquement d’expliquer une notion par une autre celle de droit commun, un vocable aussi
vague et arbitraire que celui du système de référence fiscal.
Quoiqu’il en soit, le phénomène est très compliqué et difficile à cerner d’avance, tant
la définition des dépenses fiscales est tributaire de la détermination de la norme fiscale dont
le périmètre est souvent incertain et sujet à débat.
Peu importe le vocable utilisé pour justifier la dérogation constituant une dépense
fiscale173, le système fiscal de référence ou le droit commun est, en fait, deux faces d’une
91
même pièce. Les deux notions supposent, a priori, la limitation claire et précise de leurs
périmètres. Mais, dans les faits, il n’en est rien, car « parler de mesure dérogatoire ou faire
référence à une norme et à des principes généraux du droit français » soulève la question de
l’existence d’une telle norme. Or, en vertu du principe de légalité de l’impôt, les régimes
applicables aux impôts, tant pour les principes généraux que pour les éventuelles mesures
dérogatoires, sont en règle générale définis par la loi. L’établissement d’une norme ne peut
se limiter à la prise en compte de la norme législative, de même qu’il serait illusoire de
chercher à mettre en évidence un modèle idéal d’imposition, par rapport auquel toute
dérogation serait qualifiable de dépense fiscale. En conséquence, la définition des dépenses
fiscales résulte d’un travail nécessairement arbitraire d’interprétation de la loi fiscale, pour
tenter de dégager certains principes permanents, et d’observation de ses effets, pour
éventuellement mettre en évidence des avantages particuliers. Les résultats de ces analyses
peuvent varier dans le temps, en fonction de l’évolution de la législation nationale ou
communautaire »174.
Devant cette ambiguïté qui entoure la notion des dépenses fiscales, toute tentative de
définir cette dernière serait condamnée, à bien des égards, à l’échec et ne pourrait résister
longtemps, afin d’assurer au concept de dépense fiscale la stabilité requise pour une
application pérenne. En conséquence, la définition des dépenses fiscales résulte d’un travail
nécessairement arbitraire d’interprétation de la loi fiscale, pour tenter de dégager certains
principes permanents, et d’observation de ses effets, pour éventuellement mettre en
évidence des avantages particuliers. Les résultats de ces analyses peuvent varier dans le
temps, en fonction de l’évolution de la législation marocaine.
L’objectif majeur de la notion des dépenses fiscales, c’est évaluer la perte de recettes
occasionnée par la mise en œuvre des dispositions dérogatoires. Pour y parvenir, un
l’écart par rapport à un système fiscal de référence (van den Ende, Haberham et den Boogert, 2004). On
pourrait en conclure que les définitions opérationnelles des dépenses fiscales varient sensiblement selon les
pays, mais qu’un élément commun revient fréquemment : une certaine notion de déviation par rapport à un
système fiscal de référence. En pratique, on peut penser qu’une partie des autres critères sont, dans une
certaine mesure, objectifs – notamment la perte de recettes, la conversion en un programme de dépenses
ordinaires et l’existence d’une catégorie limitée de bénéficiaires. En revanche, la conception d’un système fiscal
de référence peut donner lieu aux plus grandes différences de jugement. En fait, la conception d’une fiscalité
de référence ». En fait, la conception d’une fiscalité de référence diffère selon les experts et les pays. On lit,
dans le résumé précité de la Banque mondiale, que la référence ou « la norme comprend la structure des taux,
les conventions comptables, la déductibilité des frais obligatoires, les dispositions pour faciliter l’administration
de l’impôt et les obligations fiscales internationales ».
174
CONSEIL DES IMPOTS, « La fiscalité dérogatoire – pour un réexamen des dépenses fiscales », op. cit., p. 24.
92
document est publié chaque année175 mettant le doigt sur le coût des dépenses fiscales
évaluées. « La préoccupation première concernant le dispositif fiscal dérogatoire devrait être
l’appréciation du coût budgétaire des dépenses fiscales, afin de réaliser une transparence
financière effective du budget général ainsi qu’une meilleure rationalisation en matière
d’allocation des ressources »176.
Le concept de dépense fiscale a été conçu spécialement pour faire connaitre le fait
que les pouvoirs publics font appel à leur système fiscal pour réaliser des programmes de
développement économique et social. Mais, l’application de ce concept, entraînant une
moins-value budgétaire parfois non maîtrisée, résulte de la mise en œuvre d’un instrument
de politique publique mal contrôlé.
175
Cette publication a commencé depuis octobre 2005. L’estimation des dépenses fiscales entre, d’ailleurs,
dans le cadre du programme d’appui à la réforme fiscale financée par l’Union Européenne.
176
DGI, « Rapport sur les dépenses fiscales 2018 », op. cit., p. 5.
177
Ce rapport est classé sixième dans une série de treize documents qui devrait accompagner le projet de loi de
finances. Ce projet est immédiatement soumis à l'examen de la commission chargée des finances de la
Chambre des représentants.
178
C. WENDLING & al., « La dépense fiscale en France : un enjeu crucial pour nos finances publiques », op. cit.,
p. 753
93
A. Les dépenses fiscales : une moins-value budgétaire perpétuellement en hausse
Au Maroc, depuis le premier rapport sur les dépenses fiscales publié en 2005, la courbe
du manque à gagner évalué chaque année179 n’a cessé d’augmenter pour atteindre des
proportions importantes180 . Cette tendance croissante traduit le foisonnement, au fil des
années, des dispositions dérogatoires qu’a connues le système fiscal.
Chaque année, le cercle des dépenses fiscales ne cesse, donc, de s’élargir pour contenir
d’autres dispositions dérogatoires, afin de venir en aide à des secteurs d’activités
économiques ou bien à contribuer au bien-être social des citoyens. Annuellement, des
nouvelles dépenses fiscales et de facto, l’ardoise budgétaire évaluée y afférente ne cesse de
s’alourdir.
Hormis son impact néfaste sur les finances publiques en contribuant au creusement
déficitaire, elles participent activement au contournement de la norme d’évolution qui
contraint les dépenses budgétaires. Leur manque à gagner a pris des proportions inédites,
sans pour autant être soumis à un aucun contrôle. Au moment où, sous d’autres cieux, les
décideurs sont vite intervenus pour stopper cette dérive, par la mise en place des règles
d’encadrement appropriées181, le gouvernement marocain semble moins préoccupé par
l’ampleur de cette problématique budgétaire.
179
Chaque année un rapport sur les dépenses fiscales est publié en annexe du projet de loi de finances
conformément à l’article 48 de la loi organique des finances
180
Le recours aux dépenses fiscales s’est accru, depuis les années 80, pendant les périodes ou le déficit
budgétaire a connu des proportions inquiétantes. Afin de remédier à ce déficit, devenu chronique, que des
outils de gouvernance et de pilotage dédiés spécialement à la maitrise des dépenses budgétaires ont été
instaurés. Et c’est justement pour contourner ces outils budgétaires que cette prolifération des dépenses
fiscales semble vouloir contourner, à bien des égards, les règles draconiennes imposées par la discipline
budgétaire.
181
En France, une « règle de gage » a été introduite en 2009, afin de limiter la prolifération des niches (toute
création de niche nouvelle doit être compensée par la suppression d’une niche d’un montant au moins
équivalent.
94
Les dépenses fiscales marocaines ont augmenté tendanciellement depuis plusieurs
décennies. Leur montant évalué s’élevait, en 2005, à 15 457 millions de dirhams avec cent
deux mesures recensées pour passer, après plus d’une dizaines d’années en 2017, à 33 421
millions de dirhams avec quatre cent dix-huit mesures recensées dont trois cent neuf sont
évaluées182.
Ainsi, on remarque que le nombre des mesures recensées connait une tendance
haussière passant d’un minimum de trois cent quatre-vingt-dix-neuf en 2015 à quatre cent
dix-huit mesures en 2017. Aussi, le nombre a augmenté de 2,7% de 2016 à 2017, quant à la
baisse enregistrée lors de la présentation du rapport annexé au projet de la loi de finances
2019, il faut la prendre avec beaucoup de réserve. En effet, cette cure d’amaigrissement des
dépenses fiscales dépassant de 34,6 milliards de dirhams à 29,45 milliards de dirhams est
due spécialement à la nouvelle méthodologie, exposée en haut, de pilotage dédiée aux
dépenses fiscales et nullement à un coup de rabot volontariste183.
D’autre part, on constate que le nombre de mesures évaluées a une évolution plus ou
moins stable, passant de trois cent mesures en 2014 et 2015 à trois cent neuf mesures en
2017. Ainsi, le nombre de mesures évaluées a augmenté de 1% de 2016 à 2017.
182
Dans le fascicule Français, le montant des dépenses fiscales s’est élevé à 93,4 Md€ en 2017 (montant
définitif, + 0,4 Md€ par rapport aux prévisions) et s’élèverait à 100,2 Md€ en 2018 (+ 0,4 Md€ par rapport aux
prévisions) et 98,2 Md€ en 2019. Pour 2017, l’écart s’explique par des changements de méthode, à hauteur de
– 0,1 Md€, et par des écarts de prévision, à hauteur de + 0,5 Md€ .Le nombre des dépenses fiscales
apparaissant dans le tome II des Voies et moyens annexé au PLF pour 2019 s’élève à quatre cent soixante-
quatorze. Depuis la publication du tome II du projet de loi de finances pour 2018, dix-sept nouvelles dépenses
fiscales ont été votées, sept dépenses fiscales ont été classées et quatorze suppressions de dépenses fiscales
ont été votées.
183
Le rapport qui accompagne le projet de loi de finances pour 2019 a enregistré une baisse du coût des
dépenses fiscales de 2018. Ces dépenses totalisent 29,45 milliards de dirhams contre 34,6 milliards de dirhams
en 2017. Mais pour ne pas se leurrer, il importe de signaler que cette baisse est due spécialement à la refonte
de l’ancien système de calcul pour un nouveau référentiel. Car, si on applique ce nouveau système aux
dépenses fiscales de l’année dernière, ce chiffre de 34,6 milliards de dirhams tombe à 28,443 milliards de
dirhams. A périmètre égal de comparaison (c’est-à-dire le nouveau référentiel appliqué aux deux exercices
2017 et 2018), l’encours aura donc enregistré une hausse. L’application du référentiel cible a permis de
considérer un montant de 28,443 milliards de dirhams comme dépenses fiscales au lieu de 34,640 milliards,
soit une baisse de 18% et 6,197 milliards de dirhams. Cette baisse est expliquée essentiellement par la
diminution du coût relatif aux DET (3,178 milliards de DH) et à la TVA (2,622 milliards de dirhams). L’impact du
nouveau référentiel par type de bénéficiaire profite aux ménages En effet, l’application du référentiel cible a
permis de ramener le nombre de mesures dérogatoires à 92 au lieu de 106, soit une baisse de 13%. L’impact en
termes de coût pour cette catégorie est passé de 13,072 milliards de dirhams à 14,163 milliards de dirhams, en
progression de 17%. Quant aux incitations fiscales pour les entreprises, elles ont baissé de 18%, en passant de
186 à 152 mesures incitatives. L’impact en termes de coût est également en recul pour s’établir à 14,413
milliards de dirhams.
95
Il ressort de l’analyse des différentes lois de finances, depuis une décennie, que le
processus de promulgation des mesures préférentielles, malgré une levée de boucliers, ne
s’est jamais estompé. Critiquées de tous bords et souvent pointées du doigt comme la cause
principale de la défaillance du système d’imposition, les dépenses fiscales s’ancrent
davantage dans le paysage fiscal et se voient rejointes par d’autres mesures incitatives.
Outre le fait que les dépenses fiscales sont de plus en plus nombreuses et à un coût
souvent croissant, l’architecture de ces mesures incitatives est conçue d’une manière très
concentrée à plusieurs niveaux : au niveau des techniques de mise en œuvre 184, les dépenses
fiscales sous forme d’exonérations accaparent, à elles seules, un montant total de 23 206
MDH représentant 69,4% du total des mesures évaluées 185. Ainsi, au niveau de la ventilation
par impôt le montant des dépenses fiscales relatives à la TVA s’élève à 16 267 MDH soit
48,7% du montant global des mesures en 2017. La deuxième place est occupée par l’impôt
sur les sociétés avec un montant de 4 533 MDH et l’impôt sur le revenu, à la troisième place,
dont les dépenses fiscales ont atteint un montant de 4 465 MDH.
96
réprobateur et la pratique ambiante. Ce décodage devrait instaurer plus de transparence et
bonne gouvernance de la chose publique.
Ainsi, privilégier une minorité réduite opérant dans un secteur d’activité par l’octroi
d’une subvention directe pourrait susciter le désarroi et le sentiment d’injustice chez le
citoyen ordinaire. Le pouvoir public se contente, donc, de déguiser, subtilement, la
subvention préconisée en un avantage fiscal, puisque seule une partie de la communauté est
en mesure d’en évaluer l’ampleur.
188
OCDE, « Les dépenses fiscales dans les pays de l'OCDE », op. cit., p. 24.
189
Le contrôle budgétaire parlementaire est une fonction essentielle pour renforcer la bonne gouvernance des
finances publiques qui constitue un élément essentiel pour les Etats qui voudraient renforcer leurs capacités
nécessaires pour le développement économique et la réduction de la pauvreté. La bonne gouvernance en
matière des finances publiques consiste en la réalisation des services publics par « des dépenses publiques qui
sont accessibles, transparentes et responsables et financent les priorités gouvernementales, sans gaspillage ou
corruption ».
97
Le laxisme fiscal n’a, apparemment, pas de limite. Une fois promulguée, la mesure
fiscale préférentielle perdure sans la moindre crainte d’être reformulée. Par contre, la
dépense budgétaire est sujette à un suivi permanent et à un besoin d’être revotée chaque
année. Contrairement à d’autres pays 190, au Maroc, il n’existe aucune obligation d’expliciter
les raisons du recours à une dépense fiscale, plutôt qu’à une dépense budgétaire.
Les dépenses fiscales sont devenues, parfois, une sorte de palliatif pour calmer les
esprits d’une partie de contribuables opérant dans un secteur d’activité en marasme, mais
faute de disponibilités financières pour leur assurer un plan de sauvetage bien étudié, le
gouvernement se contente donc de la voie facile, celle de leur accorder de cadeaux fiscaux.
A priori, les gouvernements font appel aux dépenses fiscales dans le but d’atteindre des
objectifs économiques et sociaux. Elles se substituent, à ce titre, aux modes classiques de
financement directs et occasionnent inéluctablement un manque à gagner pour le Trésor.
Mais quid de leur efficacité ? Leurs effets de retour sont-ils mesurables ? Quant aux objectifs
qui leur ont été assignés, sont-ils aisément identifiables pour plaider pour leur efficience ?
190
Les Pays-Bas ont, à titre d’exemple, instauré depuis 2001 un « cadre de contrôle », applicable à chaque
proposition de nouvelles dépenses fiscales ou d'intensification d'une dépense fiscale existante. Ce « cadre de
contrôle », qui consiste en un questionnaire préalable en six points, demande, notamment, d’expliciter
pourquoi une mesure fiscale est privilégiée par rapport à une subvention. Dans la même perspective,
l’Allemagne recourt à un logigramme visant, également, à formuler clairement les raisons des choix portant sur
les dépenses fiscales.
98
Tant de questions viennent à l’esprit du fait des zones d’ombre qui entourent la raison
d’être des dépenses fiscales, toutefois, aucune réponse relative à leur utilité n’a été
apportée.
Le premier constat est que le recours se fait de manière aléatoire sans aucune autre
mesure d’accompagnement de politique publique. On pourrait naïvement croire que la
technicité fiscale, à elle seule, pourrait créer l’effet d’entraînement attendu, afin de donner
la bouffée d’oxygène salvatrice à une économie fatiguée et, partant, créer la richesse tant
convoitée. Mais la pratique consiste, souvent, à consentir des efforts budgétaires
conséquents, sans vision globale et en vue d’objectifs incertains. Il semble, toutefois, qu’une
grande partie des mesures incitatives sont décidées sans réflexion aucune et, souvent,
utilisées à contre-courant. Ainsi, l’effet incitatif des dépenses fiscales se trouve, en fin de
compte, érodé par la contingence des choix incongrus opérés par les pouvoirs publics 191.
En fait, à quoi rimerait cette générosité débordante d’octroyer des avantages fiscaux,
192
sans limite, à des secteurs stériles et parfois non productifs , si ce n’est à satisfaire aux
exigences des lobbies ou servir des politiques politiciennes ? Il importe par contre d’exiger
un effet de retour, ou au moins de mener des études approfondies visant à éclairer les
décideurs sur les secteurs porteurs, afin de dépenser l’argent là où le besoin se fait sentir.
Pour cette raison, des voix s’élèvent pour instaurer une systématisation de l’évaluation des
dépenses fiscales car « l’évaluation de l’ensemble des dispositifs d’atténuation de recettes
fiscales permettra d’éclairer le Gouvernement et le Parlement sur leur coût, leur efficacité et
le cas échéant les réformes possibles, voire nécessaires »193.
191
K. WEIDENFELD, « A l’ombre des niches fiscales », op. cit., p. 67.
192
Les dispositions dérogatoires sont souvent perçues comme des privilèges fiscaux plutôt que comme des
incitations assorties de droits et de devoirs, à titre indicatif on peut citer :Agriculture, Immobilier, export…
193
Budget-info n° 14-10 février 2009, « La nouvelle gouvernance des dépenses fiscales et des niches sociales ».
99
qu’il poursuit, en concomitance, une autre politique, diamétralement opposée à la
première : celle d’octroi d’avantages fiscaux avec une générosité débridée et, ce, sans exiger
en contrepartie un effet de retour, ni soumission à un mécanisme de contrôle aussi
rigoureux que celui réservé aux dépenses budgétaires. Cette démarche requerrait une
évaluation permanente des dépenses fiscales, à partir de deux éléments majeurs : un
encadrement rigoureux de leur coût et un suivi, systématique, de leur efficacité.
Ainsi, dans leur gestion de la chose publique, les gouvernants ont la latitude souveraine
d’entreprendre les démarches administratives et procédurale qui leur semblent appropriées,
afin de mener à bien leurs programmes politiques, dont le recours aux dépenses fiscales est
une alternative.
Ceci étant dit, l’état actuel des choses est loin d’être prometteur, car c’est l’opacité
totale. A ce titre, il a été constaté que « l’impact du système d’incitation n’est pas rigoureux.
La mise en place des dispositifs d’aides fiscales à l’investissement ne conduit pas à un boom
194
Le professeur N .AKESBI fait remarquer que l’incitation, quand elle est « gratuite », sans engagement, sans
effet sur le comportement recherché, devient une « rente fiscale » (elle peut être supprimée, le comportement
ne changerait pas. Pour corroborer ses allégations M AKESBI donne une multitude d’exemples : « Si on abaisse
l’IR en faveur d’une catégorie de ménages, et que cela ne conduise ni à une augmentation de la consommation,
et/ou de l’épargne, ou encore à un accroissement de l’offre de travail. Si on abaisse le taux de l’IS en faveur des
entreprises sans que cela produise plus d’investissements, plus d’emplois. Si l’on exonère longtemps tout un
secteur sans que cela produise le développement souhaité (Agriculture, promotion immobilière…). Si l’on
accorde un privilège fiscal à une région sans que cela provoque l’essor recherché ou les changements de
comportement voulus (Tanger, Sahara…). Si l’on exonère des terrains urbains et que les propriétaires se
contentent de les garder nus, objet de spéculation ».
195
K. WEIDENFELD, « A l’ombre des niches fiscales », op. cit., p. 65.
100
d’investissement. On a même, paradoxalement, assisté à des replis de l’investissement suite
à des élargissements de l’éventail des mesures incitatives ! L’incitation fiscale n’a donc pas
sur les décisions des entreprises, l’influence qu’on se plaît, généralement, à lui reconnaître
»196.
Certes, un rapport sur ces incitations est publié, chaque année, afin d’éclairer les
représentants de la Nation, et l’opinion publique, sur l’effort fourni, par le truchement de
l’impôt, afin de venir en aide aux différents secteurs d’activité et aux différents acteurs
économiques. Ce rapport pointe en cascade un panorama d’évaluation, tantôt par impôt,
tantôt par bénéficiaire, mais sans se prononcer sur l’efficacité et l’effet-retour de la mesure
sur la santé économique du pays, ni sur les citoyens197.
L’octroi des avantages fiscaux n’est pas une réalité exclusivement marocaine. Le Maroc
n’est pas le seul Etat à faire appel à son système d’imposition pour venir en aide à son
économie et faire face aux disparités sociales. Il a emboîté le pas, dans cette perspective, à
d’autres pays développés. Tout cela pour dire que ce n’est pas le recours aux dépenses
fiscales qui est condamnable en soi, mais plutôt l’acclimatation faite du concept de dépenses
fiscales qui devrait être revu, afin d’assurer un bon dosage en tenant compte des spécificités
locales. En fin de compte, « tout comme les dépenses budgétaires, les niches peuvent être
un instrument pertinent pour assurer les fonctions de redistribution et d’allocation. Elles
permettent de soutenir le pouvoir d’achat des catégories les moins favorisées. Elles peuvent
pallier des imperfections de marché, telles que les externalités (ex. crédit d’impôt
recherché). Le recours à des taux réduits, ou nuls, d’impôts indirects, vise, généralement, à
soutenir des catégories de populations ou des secteurs économiques »198.
La réforme fiscale au Maroc s’est réduite, ces dernières années, autour d’une seule
problématique, à celle relative à l’octroi des avantages fiscaux. Comme par enchantement,
ces derniers sont devenus source de tous les maux qui minent le système fiscal actuel
marocain. Paradoxalement, à chaque avènement de loi de finances, d’autres avantages
196
M. NMILI, « L’impôt juste », op. cit., p. 205.
197
A l’occasion de la présentation du projet de loi de finances 2019, le rapport sur les dépenses fiscales a tenu à
préciser qu’« au-delà de l’impact fiscal, l’impact socio-économique est un aspect jugé important dans
l’évaluation des dépenses fiscales.A cet effet, et pour apporter un éclairage sur certaines mesures dérogatoires
à vocation économique ou sociale, l’intégration systématique des études d’impacts socio-économiques
constitue l’un des aspects importants à considérer dans l’évaluation des dépenses fiscales ».
198
ENA, « Dépenses fiscales et niches sociales », Groupe de travail n° 3, 2008, p. 6.
101
viennent trouver leur place dans le code général des impôts. Aussi ne « s'étonne-t-on pas de
lire, à quelques lignes ou pages de distance, une condamnation sévère de la prolifération des
niches fiscales et un appel à l'adoption de nouvelles règles dérogatoires incitatives et/ou
dissuasives. Et ce paradoxe traverse, largement, les clivages politiques » 199.objet de réduire
ces dépenses, mais plutôt de permettre de les évaluer correctement et de les comparer à
d’autres mesures qui pourraient être prises pour atteindre certains objectifs de l’action
publique »200.
Pourquoi le même instrument utilisé sous d’autres cieux a bien fonctionné alors qu’au
Maroc, le même procédé n’a pas apporté les résultats escomptés ? Ainsi, toute analyse
critique des dépenses fiscales ne devrait pas se porter uniquement sur la technicité fiscale
pour l’incriminer, mais il faudrait plutôt creuser en profondeur afin de mettre en exergue les
facteurs endogènes et exogènes expliquant la non réalisation des objectifs initialement fixés.
« En fonction de cet objectif, l’Etat fera un choix entre les différentes techniques qui
s’offrent à lui. S’il favorise l’équilibre social, il aura recours aux procédés qui adoucissent la
charge fiscale pesant sur les revenus faibles (abattement à la base d’imposition, réduction de
prélèvement, exonération des biens de consommation de première nécessité), comme il
utilise les procédés permettant d’imposer, durement, les revenus élevés (taux progressif,
prélèvement de superposition), il cherchera à atteindre la situation personnelle du sujet
fiscal par un système d’imposition frappant le revenu exact » 201, cela pour conclure qu’il ne
faudrait pas en vouloir au système d’incitation mis en place, mais, plutôt, aller chercher en
profondeur le bien-fondé des objectifs déterminant les orientations qui animent la politique
du gouvernement.
Avant de continuer d’analyser à quel point les mesures incitatives sont efficaces, il
conviendrait, à notre sens, d’arrêter de poser de fausses questions concernant le recours aux
dépenses fiscales pour ne pas se tromper de direction et tomber dans le dénigrement
199
K .WEIDENFELD, « A l’ombre des niches fiscales », op. cit., p. 3.
200
Rapport du FMI, de l’OCDE, des Nations Unies et de la Banque mondiale au groupe de travail du G20 sur le
développement incitations fiscales à l’investissement - options pour les pays à faible revenu, 15 octobre 2015,
p. 13.
201
M. FELLAH, « Problématique du choix du système fiscal entre efficacité économique et équité », Recherches
économiques et managériales, 2008, p. 3.
102
infondé digne des faits divers202. En fait, les dépenses fiscales sont un instrument parmi
d’autres d’intervention publique, dont disposent les pouvoirs publics pour promouvoir
certains objectifs d’ordre économique, social ou autres. La bonne question, donc, à poser,
concerne l’efficacité de l’utilisation de cet instrument de politique publique, et non
l’efficacité de l’outil lui-même : les dépenses fiscales 203. La différence est de taille. C’est
l’usage de l’instrument qui devrait, normalement, être examiné pour savoir la pertinence du
choix opéré pour atteindre l’efficacité requise. Cette dernière s’entend ici par le fait que les
dépenses fiscales ont pu atteindre l’objectif escompté. Mais, chemin faisant, les études ont
tendance à confondre l’efficacité et la pertinence de la dépense fiscale. L’efficacité de la
dépense fiscale devrait être évaluée, indépendamment du montant du manque à gagner
occasionné suite à sa mise en application. Il conviendrait, en premier lieu, de s’assurer de la
réalisation de l’objectif qui y est assignée abstraction faite du coût correspondant. Qu’il soit
modéré ou exorbitant, le coût engendré n’importe guère à ce stade d’analyse. Par contre, on
parle d’efficience de l’utilisation d’une dépense fiscale, une fois que les objectifs recherchés
sont réalisés, mais avec un coût faible pour la collectivité. « La redondance importe aussi
pour l’efficience, dans la mesure où elle implique un manque à gagner pour l’Etat dans le cas
de projets qui auraient été réalisés, même en l’absence d’incitations fiscales » 204.
Le débat sur l’efficacité et l’efficience de l’ensemble des avantages fiscaux prévu par le
code général des impôts est certes salutaire et, même, impératif, mais ne doit être cantonné
à un aspect, purement, technique.
202
C’est à ce titre que le conseil des prélèvements obligatoires dans son rapport d’octobre 2010 a tenu à
préciser que les dispositifs dérogatoires devraient être utilisés lorsqu’ils apparaissent comme le mode
d’intervention publique le plus adéquat. D’un point de vue économique, un dispositif dérogatoire fiscal ou
social est avant tout une dépense publique, c'est-à-dire une affectation de ressources, à un objectif donné. Les
dispositifs dérogatoires fiscaux et sociaux font ainsi partie de la palette des instruments de politique publique.
Afin d’apprécier la pertinence de la création d’un dispositif dérogatoire afin d’atteindre un objectif donné, il est
utile de comparer les avantages du recours à un dispositif dérogatoire et aux mesures alternatives.
203
Pour être plus basique, c’est comme si une personne, lors de ses courses, veut acheter des choses pour son
foyer. Elle a la latitude de payer par carte magnétique, donner un chèque ou, tout simplement, payer en
espèce. Dans ce cas de figure, ce n’est pas le mode de paiement qui est condamnable, s’il s’est avéré que le
produit acheté est de mauvaise facture ou le produit, lui-même est périmé.
204
Rapport du FMI, de l’OCDE, des Nations Unies et de la Banque mondiale au groupe de travail du G20 sur le
développement des incitations fiscales à l’investissement-options pour les pays à faible revenu, op. cit., p. 13.
103
de la défaillance en profondeur et pouvoir se prononcer à la fois sur l’efficacité et l'efficience
des stimulants fiscaux.
Evoquer les dépenses fiscales aboutit couramment à reprocher leur inefficacité et leur
inefficience sans toutefois préciser la portée de l’efficacité attendue.
La dépense fiscale est qualifiée, a priori, d’efficace et d’efficiente chaque fois que son
objectif est nettement défini et sa mise en application étalée sur une période déterminée
avec un sacrifice fiscal proportionné aux résultats attendus. Mais en réalité, atteindre le
résultat requis n’est pas aussi évident, tellement de confusions et d’amalgames entourant
l’octroi des dispositions dérogatoires en faveur de l’investissement ou de la redistribution.
Aucun effort de recherche n’a été fait pour étudier l’efficacité de l’incitation fiscale, afin de
se prononcer sans équivoque sur l’impact réel de ces dispositions en fonction des objectifs
qui lui ont été assignées.
Il s’agit, donc, pour le chercheur de prendre en compte la diversité des voix qui
s’élèvent, afin de rationaliser les dépenses fiscales marocaines connues pour leurs effets
néfastes et incertains sur la vie économique et sociale du pays, ainsi que les revendications
incessantes des acteurs économiques pour plus d’avantages afin de faire faire face à la
concurrence internationale.
Cette approche se fonde, généralement, sur le principe selon lequel l’impôt est conçu,
spécialement, pour générer des fonds dont l’Etat a besoin, afin de faire face aux charges
publiques qui ne cessent d’augmenter.
Vouloir attribuer à la fiscalité d’autres tâches que la collecte d’impôt, notamment, par
le truchement des dispositions dérogatoires, c’est aller contre le sens des choses. Le sacrifice
fiscal, par les temps qui courent, est un luxe que le déséquilibre budgétaire des pays du tiers
monde ne permet guère.
104
des fins autres que la collecte d’impôts, ces dernières décennies, a démontré son efficacité à
bien des égards dans différents domaines et secteurs d’activité.
A cet effet, il apparaît que, dans l’état actuel des choses, vouloir se prononcer sur
l’efficacité et l’efficience d’une mesure incitative n’est pas une sinécure. Souvent, les études
élaborées à cette fin se limitent à la partie visible de l’iceberg, en se focalisant sur les effets
directs des dépenses fiscales, alors que la grande et importante partie des effets reste non
apparente. De ce fait, tout travail entrepris sans prendre en compte les effets indirects
manquerait d’exhaustivité, et partant, ne pourrait mesurer l’efficacité recherchée de la
mesure incitative, objet de l’étude.
Ainsi, au stade où nous en sommes en matière d’évaluation des dépenses fiscales, nous
restons sceptiques à propos des rares études élaborées sur l’efficacité de l’incitation fiscale.
Après des années de recherches sur le sujet, nous sommes tentés de dire qu’en
l’absence de données très pointues et d’une conjugaison d’efforts entre plusieurs acteurs
(décideurs, institutions, université), toute tentative de réponse à la problématique
d’efficacité des dépenses fiscales serait tronquée et approximative, voire subjective.
Dans le même ordre d’idées, un autre problème, et pas des moindres, lié,
foncièrement, à celui des effets indirects des dépenses fiscales, est celui relatif à la difficulté
d’identifier, nettement, le véritable bénéficiaire de la mesure dérogatoire, objet de la
dépense fiscale. Parfois, et suite à l’étude de la même mesure incitative, plusieurs acteurs
économiques peuvent être catégorisés comme les prétendants bénéficiaires, sans pouvoir,
conséquemment, identifier la part proportionnelle de chacun dans l’avantage fiscal.
Il arrive souvent que les pouvoirs publics visent, essentiellement, à venir en aide à une
catégorie opérant dans un secteur d’activité donné, mais il se peut que, subsidiairement,
l’effet du même avantage s’étende pour faire bénéficier une autre frange de contribuables,
non pris en compte, lors de la promulgation de la disposition fiscale préférentielle, d’où la
difficulté majeure de mesurer, avec exactitude, les effets bénéfiques ou néfastes de la
105
mesure dérogatoire et, partant, d’émettre un jugement rationnel sur le degré de son
efficacité.
Depuis 2015, la publication du rapport sur les dépenses fiscales a pris une tournure
historique, puisqu’il ne s’agit plus d’une des données complémentaires uniquement à titre
informatif, mais plutôt d’un document « s’inscrivant dans la continuité de cette démarche
consistant à intégrer, autant que le permettent leurs spécificités, les dépenses fiscales au
cycle de la discussion budgétaire et de la performance, que les services des ministères
financiers ont tenté d’améliorer la prise en compte et la connaissance de la dépense fiscale
»205.
Certes, l’évaluation des dépenses fiscales marocaines par le rapport annuel annexé au
projet de loi de finances est devenue, depuis 2015, une exigence dictée par la loi organique
de loi de finances dans son article 48 qui exige impérativement que le projet de loi de
finances soit accompagné d’une multitude de documents dont fait partie le rapport sur les
dépenses fiscales. Mais, contrairement au fascicule français « voies et moyens » annexé au
projet de loi de finances, le rapport marocain est resté muet sur la structure et la
composante de ce document. Alors que le fascicule précité s’est attelé à retracer dans
l’article 32 de la loi n° 80-30 du 18 janvier 1980 que « l’évolution des dépenses fiscales en
faisant apparaître, de manière distincte, les évaluations initiales, les évaluations actualisées,
ainsi que les résultats constatés. Les dépenses fiscales seront ventilées de manière détaillée,
par nature de mesures, par catégories de bénéficiaires et par objectifs » 206.
106
même, la première lecture de l’article 48 précité laisse entendre que l’ensemble des
composantes du système fiscal marocain est concerné par l’évaluation préconisée, d’autres
pans fiscaux sont restés écartés de tout dispositif évaluatif, comme c’est le cas pour la
fiscalité locale207 et certaines contributions de solidarité.
En dépit des efforts déployés par les pouvoirs publics marocains, la méthode de
chiffrage réservée à l’évaluation des dépenses fiscales souffrent de plusieurs limites et
difficultés qui donnent souvent une image tronquée de la réalité du dispositif fiscal
dérogatoire.
Comme nous l’avons déjà signalé, auparavant, trois méthodes disputent le champ
d’évaluation des dépenses fiscales.
Une première technique consiste à estimer le montant des « pertes de recettes toutes
choses égales par ailleurs », en mesurant ex post le coût de « l’écart à la norme » c’est-à-de
la variation introduite par la mesure dans la législation fiscale en supposant inchangé le
comportement des agents qui en bénéficient208.
207
Régie par la loi 47-06 relative à la fiscalité des collectivités locales a été complétée par la loi 39-07 qui
reconduit l’application de la loi 30-89 en ce qui concerne les droits et redevances. Ces deux textes constituent
désormais les deux composantes essentielles du nouveau système de la fiscalité locale.
208
C’est la méthode choisie dans le rapport marocain, elle consiste en un chiffrage : montant de la réduction
(de l’augmentation) de la recette fiscale qu’entraîne l’adoption (l’abolition) d’une dépense fiscale, présumant
que cette adoption (abolition) n’aura aucun effet sur les comportements des contribuables et les recettes
issues des autres taxes.
209
Cette méthode d’évaluation n’est utilisée dans aucun pays.
210
Équivalent en dépense : dépense directe qu’il faudrait effectuer avant impôt pour obtenir le même effet
après impôt sur le revenu des contribuables que celui de la dépense fiscale, si la dépense directe bénéficie du
traitement fiscal applicable à ce type de subvention ou de transfert entre les mains du bénéficiaire.
107
Le rapport marocain sur les dépenses fiscales s’est distingué, depuis 2005, par
l’adoption de la première méthode dont l’estimation porte sur les pertes fiscales directes,
sans exclure, selon le même rapport, bien entendu, la possibilité de recourir au cas par cas, à
des estimations plus sophistiquées en menant des études spécifiques.
A ce titre, le rapport marocain sur les dépenses fiscales n’a pas dérogé à la règle
internationalement adoptée. Ainsi, depuis 2006, il s’est approprié la méthode dont
l’estimation porte sur les pertes fiscales directes comme la méthode principale dans le
processus d’évaluation de ses dépenses fiscales. Cependant, conscient des difficultés
entachant certains champs d’application et des limites inhérentes à la méthode précitée,
l’approche marocaine n’a pas exclu la possibilité de recourir, au cas par cas, à des
estimations plus sophistiquées en menant des études spécifiques. Mais les limites de cette
approche évaluative sont légion.
En premier lieu, « l’administration fiscale ne connaît que les revenus déclarés. Or,
certaines dépenses fiscales, notamment l’exonération de certaines catégories de revenus,
sont une source de décalage entre les revenus déclarés et les revenus réels dont disposent
211
Rapport du FMI, de l’OCDE, des Nations Unies et de la Banque mondiale au groupe de travail du G20 sur le
développement des incitations fiscales à l’investissement-options pour les pays à faible revenu, op. cit., p. 16.
108
les contribuables. Il est donc impossible d’apprécier leur ampleur sans hypothèses,
simulations et recoupements avec d’autres sources statistiques. Pour les six autres
techniques, il est possible en revanche d’évaluer avec plus ou moins de précision l’effet
direct de chaque dépense fiscale, c’est-à-dire l’économie fiscale qu’elle procure. Chaque
dépense fiscale est donc évaluée en comparant la législation en vigueur à une législation qui
exclut cette seule dépense fiscale, « toutes choses égales par ailleurs »212.
Ceci étant dit, la méthode de l’évaluation de la perte initiale de recettes 213, et malgré sa
notoriété dans les pays de l’OCDE, n’est pas exempte de reproches et ses limites ne sont plus
à démontrer. Ce mode d’évaluation est, souvent considéré comme approximatif et inexact
parce qu’il ne prend pas compte, dans ses estimations, de l’éventualité d’un changement
comportemental des contribuables suite à la suppression d’une dépense fiscale. A ce titre, «
elle peut sous-estimer le surcroît de recettes que générera la suppression de la mesure si les
contribuables continuent à agir comme avant »581 214. Le coût du manque à gagner fiscal est
considérablement amoindri tant que l’effet de la mesure dérogatoire sur le comportement
humain n’est pas pris en considération. D’ailleurs, cette situation contraste avec le
fondement même de la création de la dépense fiscale qui est l'incitation à un comportement
vertueux. En l'état actuel de la recherche en fiscalité, il n’y a, malheureusement, pas de
méthode fiable pour corriger ce biais. Et c’est, justement, pour cette raison, que nous
partageons la position du professeur E. Pichet quand il conclut « qu’il faut garder à l'esprit
que les montants visés dans les dépenses fiscales sont toujours notionnels, et que
l'économie que générerait leur suppression est, au maximum, égale au montant de la
dépense mais, probablement, in fine, nettement, plus faible que celui-ci » 215.
212
LA COUR DES COMPTES, op. cit., p. 257.
213
La méthode d’évaluation marocaine retenue est celle de la « perte de recettes » ou du « manque à gagner ».
Elle consiste à estimer ex post le montant des pertes de recettes dues aux dépenses fiscales, toutes choses
égales par ailleurs. C’est-à-dire en supposant inchangé le comportement des agents qui en bénéficient. Elle est
la plus couramment utilisée, en raison de sa simplicité. En effet, elle nécessite une moindre quantité de
données puisque l’évaluation est faite toutes choses égales par ailleurs, c’est-à-dire sous l’hypothèse que les
comportements des agents économiques restaient les mêmes en l’absence de la mesure dérogatoire.
Autrement dit, l’assiette de l’impôt est considérée comme étant stable. Tenir compte des effets de la DF sur les
comportements nécessiterait d’estimer les effets de la dérogation sur l’assiette de la taxe. Les effets pourraient
être directs (lorsque le taux influence l’assiette) ou indirects (en passant par la consommation, la production, le
marché du travail). La complexité des mécanismes de la mise en œuvre nécessiterait un nombre très important
de données pour son évaluation.
214
E. PICHET,« Théorie générale des dépenses socio- fiscales », op. cit., p. 338.
215
Ibid, p. 339.
109
En somme, la méthode de calcul la plus utilisée, au Maroc comme à l’étranger «
consiste à mesurer la perte de recettes générée par le dispositif dérogatoire à la norme
fiscale de référence, toutes choses égales par ailleurs ; cette méthode suppose le
comportement des agents économiques stable, alors que l’évolution de la législation fiscale
produit sans doute des effets sur les décisions des contribuables. D’autre part, il est difficile
d’évaluer avec précision les coûts indirects des dépenses fiscales, dont certaines produisent
des effets non neutres sur le niveau de la dépense »216.
Les termes du rapport nous permettent de conclure, a priori, que la gestion marocaine
des dépenses fiscales utilise la première méthode d’évaluation. Mais en continuant notre
lecture du dernier paragraphe concernant la méthode d’évaluation, notre certitude
commence à être ébranlé en raison de la formulation suivante : « les méthodes utilisées ont
consisté à estimer le montant des pertes de recettes «toutes choses égales par ailleurs » en
mesurant ex-post le coût de « l’écart à la norme» en supposant, inchangé, le comportement
des agents qui en bénéficient »217.
Certes, depuis 2005, de notables efforts ont été déployés afin d’affiner les méthodes de
chiffrage du dispositif dérogatoire. « Deux nuances tempèrent ces progrès. D’une part, la
méthode de chiffrage retenue pour les dépenses fiscales, celle des « pertes de recette toute
chose égale par ailleurs », ne tient pas compte des effets des niches sur les comportements
ni des interactions entre niches. Les méthodes alternatives, prenant en compte ces effets,
216
D. MIGAUD, G. CARREZ et al., « Rapport d’information sur les niches fiscales », op. cit., p. 22.
217
DGI, « Rapport sur les dépenses fiscales 2018 », op. cit., p. 51.
218
Ibid.
110
sont certes d’un maniement lourd et sont d’ailleurs très rarement utilisées à l’étranger.
D’autre part, si le nombre de niches chiffrées a augmenté, la fiabilité du chiffrage stagne » 219.
Ainsi, au lieu d’opter pour une seule et unique méthode de chiffrage, l’approche
marocaine s’est compliquée la tâche par la mise en œuvre d’une multitude de méthodes
d’évaluation, de quoi, vraiment, semer le doute autour du coût réel des estimations
consignées dans le rapport et induire en erreur le chercheur voulant examiner le degré de
pertinence de l’évaluation de ces dispositions dérogatoires. Pour ce faire, il serait contraint
d’examiner, distinctement, et avant tout, l’ensemble des mesures incitatives, afin de repérer
la méthode empruntée dans l’évaluation de chaque dépense fiscale.
A ce titre, le rapport marocain sur les dépenses fiscales a souligné, à maintes reprises,
le caractère approximatif du manque à gagner fiscal ; il conseille donc que la plus grande
prudence soit de mise lors de l’interprétation des estimations et des projections des
dépenses fiscales220.
En effet, les estimations indiquent l’effet annuel de chaque mesure particulière sur la
trésorerie du gouvernement, et non son coût à long terme ou en régime permanent. De ce
fait, chaque estimation représente le revenu fiscal auquel l’Etat renonce pour une dépense
fiscale donnée, toutes choses étant égales par ailleurs. Ainsi, les estimations ne tiennent pas
compte de l’adaptation possible du comportement des contribuables, des mesures
corrélatives que le gouvernement pourrait prendre, ni des effets des changements induits
dans l’économie sur l’ensemble des revenus fiscaux perçus. Par conséquent, l’élimination
d’une dépense fiscale particulière ne procurerait pas, nécessairement, le montant total de
revenus fiscaux indiqué dans le rapport sur les dépenses fiscales.
Dans le même ordre d’idées, et au terme de notre analyse, nous pouvons déduire, à
contre-courant, une vérité qui risque de bousculer l’un des paradigmes du concept de
219
ENA, « Dépenses fiscales et niches sociales », op. cit., p. 9.
220
DGI, « Rapport sur les dépenses fiscales 2018 », op. cit., p. 1.
111
dépenses fiscales. Initialement forgé par Stanley Surrey, celui-ci n’a, en fait « d’intérêt que
s’il permet, de la façon la plus objective possible, d’identifier et de recenser toutes les
dépenses fiscales mises en œuvre, au cours d’une période donnée, dans un système fiscal
donné »221. En effet, ce n’est qu’au terme de l’établissement de ce recensement qu’il sera
possible, comme le souhaitaient les initiateurs de cette notion, d’une part, d’évaluer le coût
budgétaire des mesures fiscales de faveur et, d’autre part, de rapprocher les dépenses
fiscales des dépenses budgétaires afin de comparer leur efficacité respective.
« Ces objectifs, initialement mis en exergue par les auteurs lors des débuts de la diffusion de
la notion de dépenses fiscales, ont, semble-t-il, été perdus de vue, surtout pour le second
d’entre eux, lors de l’établissement des états de dépenses fiscales dans les systèmes
budgétaires des différents Etats. Or, ces objectifs répondent effectivement à un souci de
lisibilité et de transparence des politiques budgétaires publiques qui se manifeste tant ici
qu’à l’étranger »222.
Dans cette même lignée, la cour des comptes française a été claire sur cette
problématique liée à la limite de la méthode d’évaluation du coût des dépenses fiscales en
précisant que « non seulement l’évaluation « officielle » des effets directs, est partielle mais
l’incidence effective des dépenses fiscales est très difficile à déterminer car elle dépend à la
fois de facteurs externes, tels que les caractéristiques des bénéficiaires, et de la
combinaison, très variable, des mesures intéressant la même personne ou le même groupe
»223.
112
aux dispositions dérogatoires évaluées en termes de dépenses fiscales, c’est grâce,
essentiellement, au grand travail accompli et aux considérables efforts consentis par
l’administration fiscale marocaine. D’ailleurs, à l’occasion de chaque publication annuelle, on
ressent le degré d’investissement et d’investigation accompli pour donner une mouture
complète et riche d’informations sur le coût des dépenses fiscales. Il n’en demeure pas
moins que le travail de détection et d’évaluation n’est pas exempt d’embûches.
La Direction Générale des Impôts marocaine est, certes, dotée d’un système
d’information très performant, mais il reste insuffisant pour affiner ses investigations auprès
d’autres opérateurs et acteurs économiques, afin de pouvoir cerner le coût réel du manque
à gagner fiscal.
Parmi les failles constatées dans la méthode marocaine, nous pouvons relever que
certaines dispositions dérogatoires ont été écartées du champ d’évaluation, sans aucun
prétexte patent. Notre analyse nous a permis de constater qu’il ne s’agit, nullement, d’une
exclusion préméditée, mais tout simplement d’un manque de données disponibles. En fait, il
serait hasardeux de reprocher aux évaluateurs l’écartement de certaines dispositions
dérogatoires, pourtant recensées, du périmètre de l’évaluation, sans décrire la nature de
difficultés entravant le processus de leur évaluation 226.
Ainsi, le rapport sur les dépenses fiscales pour l’année budgétaire 2018 nous enseigne
que le nombre de mesures recensées est passé de quatre cent sept en 2016 à quatre cent
dix-huit en 2017. Parmi ces mesures, trois cent neuf ont fait l'objet d'évaluation en 2017, soit
cent neuf mesures dérogatoires recensées et non évaluées. Donc une bonne partie des
225
Dans l’état actuel des choses, ce travail d’évaluation est confié dans une grande partie à la DGI. Mais pour
plus d’efficacité il serait plus judicieux de le confier à une entité neutre et impartiale.
226
Dans le rapport annuel, on fait la distinction entre les dépenses recensées et évaluées alors que d’autres,
bien qu’elles soient recensées, elles échappent, toutefois, au procédé du chiffrage , mais sans dire un mot sur
les raisons de cette abstention.
113
dispositions dérogatoires sont répertoriées comme dépenses fiscales, selon l’approche
marocaine, sans être pour autant évaluées.
Il a été relevé, aussi, que l’approche marocaine enregistre, par période, des écarts
d’évaluation sans raison apparente. D’une année à l’autre, il peut y avoir, étrangement, des
estimations avec des écarts énormes sans apporter des explications justifiant cette situation
incongrue. Parfois, la même disposition dérogatoire est instituée depuis des années et,
pourtant, son coût du manque à gagner ne cesse de connaître, sans motif plausible, des
fluctuations non concordantes.
En 2008, le coût de la dépense fiscale de cette mesure incitative a été de 722 MDH pour
passer subitement à 572 MDH en 2009, puis à 362 MDH en 2010, pour rebondir, à plus de la
moitié, à 689 MDH en 2011 et à 758 MDH en 2012. Mais, entre 2013 et 2016, la tendance
s’est stabilisée sans dépasser la barre de 600 MDH pour connaître une chute sans précédent
en 2017 en enregistrant un manque à gagner de 404 MDH227.
Cet exemple indicatif nous en dit long sur la situation très marginale dans le débat
budgétaire des dépenses fiscales autres que les mesures nouvelles. Un écart de cette
ampleur sur n’importe quelle dépense, voire sur certaines recettes, aurait suscité de
nombreux commentaires. De fait, l’organisation du débat budgétaire aboutit d’une certaine
façon à ce que ne soient jamais ou rarement examinées les dépenses fiscales, sauf mesure
nouvelle ou modification d’une disposition existante.
Connaître le coût budgétaire des dépenses fiscales est devenu, donc, inéluctablement
nécessaire pour garantir une meilleure transparence financière du budget général de l’Etat
et assurer une plus grande rationalisation en matière d’allocation des ressources.
Cependant, cette maitrise nécessite une appréhension optimale du dispositif dérogatoire
composant l’ensemble du système fiscal qui devrait englober tant les impôts d’Etat que la
fiscalité locale, cette dernière en étant totalement absente.
227
Il aurait été souhaitable pour plus de transparence et de crédibilité de nous en renseigner au moins, dans le
même rapport, sur les raisons de cette fluctuation hypothécaire.
114
B. Le rapport sur les dépenses fiscales : une image tronquée de la réalité
Le rapport sur les dépenses fiscales au Maroc a été conçu 228 pour assurer un suivi du
coût budgétaire occasionné par la multiplicité des mesures dérogatoires accordées à certains
contribuables. Mais, malgré les efforts consentis par la puissance publique, ce rapport ne
semblerait pas être en mesure de donner une image sincère et précise du coût réel des
dépenses fiscales. Les chiffres consignés donnent, certes, le vertige, compte tenu de
229
l’ampleur du manque à gagner enregistré chaque année , en interpellant le gouvernement
afin qu’il s’intéresse davantage, dans le but de stopper la dérive et rationaliser l’octroi de ces
dépenses, pour en finir avec la gestion anarchique de la fiscalité dérogatoire.
Une bonne partie de ce laxisme est liée à l’absence d’une définition claire et précise
des dépenses fiscales. Chaque année, de nouvelles mesures dérogatoires prennent leur
place dans le code général des impôts, mais, parallèlement, on en supprime d’autres, sans
explication. En revanche, d’autres mesures dérogatoires sont toujours en vigueur sans,
toutefois, faire l’objet d’une évaluation quelconque230.
Aussi, la classification opérée 231, tantôt par bénéficiaire, tantôt par objectif, laisse
croire que bien des études très pointues sont derrières cette catégorisation, alors que ce
n'est pas le cas. En outre, l’intitulé du rapport « rapport sur les dépenses fiscales » laisse
supposer que le document en question s’est vu assigné comme mission l'évaluation de
l’ensemble des mesures dérogatoires existant dans le dispositif fiscal marocain, alors qu’en
réalité le rapport s’est intéressé uniquement aux dispositions dérogatoires afférentes aux
impôts dits d’Etat, en l’occurrence celles régies par le code général des impôts. La copie,
ainsi fournie, des dépenses fiscales marocaines est, donc, amplement tronquée, puisque la
228
Le premier rapport a été publié en 2005 suite aux travaux d’ateliers consacrés à la méthodologie qui a été
adoptée pour procéder aux évaluations des dépenses fiscales, des aides directes et à leurs impacts sur les plans
budgétaire et économique. Il est parti du principe fondamental que tout changement projeté au niveau des
dispositions fiscales ayant un impact sur les recettes, doit être mûrement réfléchi, dûment évalué et ses
répercussions mesurées avec justesse.
229
Le montant des dépenses fiscales évaluées s’élevait à 14 995 millions de dirhams au titre de l’année 2004. En
2018, le montant évalué a dépassé la barre de 34 000 millions de dirhams.
230
L’inventaire des dépenses fiscales de l’année 2005 a recensé 269 mesures dérogatoires dont uniquement 68
mesures incitatives ont pu être évaluées à partir des données prises en charge par le système informatique,
soit 25 % du total. Alors qu’en 2017, 418 mesures dérogatoires ont été recensées, 309 ont fait l'objet
d'évaluation en 2017, soit 73,9% de celles-ci.
231
Cf. supra, p. 196.
115
fiscalité locale232 comporte près de quinze taxes dont la majorité écrasante comporte des
mesures préférentielles. Mais, le concept de dépenses fiscales semble, apparemment,
réservé au domaine des seuls impôts affectés au budget de l’Etat, alors que, pour assurer
plus de transparence, l’évaluation préconisée devrait toucher, en principe, aussi bien les
dispositions dérogatoires relatives aux impôts d’Etats que celles relative à la fiscalité locale.
Partant du principe qu’une fois une disposition dérogatoire, abstraction faite de son
imputation au budget d’Etat ou local, est rangée dans la catégorie des dépenses fiscales, le
manque à gagner qu’elle engendre devrait être évalué dans le rapport annuel. Dans ce cas,
l’affectation budgétaire n’est pas prise en compte, dans la mesure où elle ne constitue pas
une caractéristique d’une dépense fiscale évoquée auparavant.
L’approche existante d’évaluation des dépenses fiscales ignore, pour l’instant, les
mesures préférentielles inhérentes à la fiscalité locale. L’argument brandi par
l’administration, le manque d’informations concernant la fiscalité locale, est à notre sens,
très fragile et difficile à soutenir.
La partie la plus importante de la fiscalité est gérée par la Direction Générale des
Impôts, à savoir : la taxe professionnelle, la taxe d’habitation et la taxe des services
communales. Excepté le volet de recouvrement confié, toujours, à la trésorerie générale, ces
trois taxes sont l’œuvre exclusive de l’administration fiscale, depuis l’appréhension de la
matière imposable jusqu’à l’émissions des rôles. Pour cette raison, invoquer le manque
d’information est surprenant pour celui qui connaît bien les prérogatives et la façon de
travailler de l’administration fiscale marocaine.
232
Les impôts locaux régis par la loi 47-06 relative à la fiscalité des collectivités locales concernent plus de 15
taxes et redevances grevés, aussi, par des dépenses fiscales qui n’ont jamais été évaluées.
233
La DGI est, dorénavant, en possession d’un système intégré d’informations, très avancé qui prend en charge
aussi bien la fiscalité d’Etat que les trois taxes rétrocédées gérées par la DGI à savoir : la taxe d’habitation, la
taxe de service communal et la taxe professionnelle
116
Le rapport sur les dépenses fiscales s’octroie la mission de cerner une information
budgétaire complète, retraçant les différentes pertes de recettes occasionnées par la mise
en œuvre des dispositions dérogatoires affectant la caisse de l’Etat.
L’état des lieux synthétique dressé ci-avant confirme la nécessité d’une remise à plat
totale de la fiscalité dérogatoire dans notre pays. Toutefois, et afin qu’il ne s’agisse pas d’un
vœu pieux, nous estimons que cette remise à plat devrait se faire dans le cadre d’un
234
En sus de la fiscalité locale qui est exclue sans raison d’ailleurs du périmètre des dépenses fiscales, les
dépenses sociales, contrairement à l’approche française, ne sont pas pris en compte. Les prélèvements sociaux
peuvent être définis par leur affectation : ce sont des prélèvements obligatoires affectés à des organismes
dédiés au financement de la protection sociale. L'identification des prélèvements sociaux au sein des
prélèvements obligatoires est rendue possible, dans le cadre français, par la prise en charge de la majorité des
prestations sociales par des organismes dédiés, également chargés de leur recouvrement. De fait les cotisations
sociales sont, par essence des prélèvements obligatoires. Pour le Conseil des prélèvements obligatoires, les
cotisations sociales sont « des transferts courants », versés par les ménages à des régimes d'assurance sociale
et ouvrant droit à des prestations d'assurance sociale. Elles sont la principale ressource du sous-secteur des
administrations de sécurité sociale.
117
nouveau cadre normatif des incitations fiscales, avec un impératif majeur
d’institutionnalisation, de pragmatisme et de praticabilité offrant de réelles Assises de mise
en œuvre et des garanties solides de réforme en profondeur.
A cet effet, quelles sont les voies de réformes à adopter par les pouvoirs publics
marocains pour dépasser ces obstacles et atteindre les objectifs escomptés de cet
instrument ?
De prime abord, il importe de signaler que la rationalité préconisée par les Assises
nationales de 2013 est demeurée lettre morte, aucune réactivité, pas même une esquisse de
tentative pour passer à l’opérationnalisation de cette proposition n’a été observée. On a cru
qu’avec l’entrée en vigueur de loi n°53.17 portant règlement de l'année budgétaire de 2015
et les objectifs phares602 qui lui ont été assignés, que la rationalisation des dépenses fiscales
allait s’imposer comme un choix irréversible. Mais cette rationalisation a été, encore une
fois, remise en cause. Il semble que les décideurs politiques ne soient pas encore conscients
de l’enjeu budgétaire des dépenses fiscales et de leurs effets néfastes sur les finances
publiques. Ainsi, et devant le silence assourdissant et l’inertie incompréhensible des
pouvoirs publics, les études académiques et les différents travaux de recherches
universitaires sont, forts heureusement, là pour tenter d’éveiller l’attention des décideurs
pour qu’ils sortent de leur léthargie et décident, in fine, de prendre à bras le corps la
rationalisation requise des dépenses fiscales. Pour y parvenir et étant donné que,
généralement, « la réforme budgétaire engagée au Maroc a été fortement inspirée par
118
l’expérience de la LOLF française promulguée le 1er août 2001 et appliquée pour la première
fois en 2006 »235 .
C’est donc avec « ces limites à l’esprit qu’il faut se pencher sur la question du poids
de la dépense fiscale pour les finances publiques au Maroc. Pour autant, le panorama est
éclairant : il fait apparaître une augmentation sensible du recours à la dépense fiscale, tant
en termes de nombre236 de dépenses fiscales qu’en termes de coût 237 agrégé de ces
dépenses »238.
Bien que le projet de refonte du système fiscal de référence, initié dernièrement par
la direction générale des impôts, a visé la consolidation de la gouvernance et la transparence
des finances publiques, il demeure inachevé tant qu’elle n’a pas établi un parallèle distinctif
entre des dispositions dérogatoires, en leur qualité de politique publique, et des allègements
structurels à vocation purement fiscale.
235
O. KHALLOUK, « La préparation du budget de l’Etat au Maroc : une nouvelle procédure au service de la
performance », GFP n° 2- 2019/mars-avril 2019, p. 109
236
Un inventaire de quatre cent dix-huit dispositions dérogatoires a été ainsi dressé en 2017, contre quatre
cent sept en 2016, et trois cent quatre-vingt-dix-neuf en 2015.
237
Le montant des dépenses fiscales évaluées en 2017 s’élève à 33 421 MDH contre 32 423 MDH en 2016, soit
une hausse de 3,1%. La part des dépenses fiscales dans les recettes fiscales représente 15,0% en 2017 contre
15,5% en 2016.
238
C.WENDLING & al., « La dépense fiscale en France : un enjeu crucial pour nos finances publiques », op. cit.,
p. 753
119
de dépense fiscale, nous allons, ensuite, passer en revue les autres pistes à explorer pour
asseoir une bonne gouvernance de la politique fiscale dérogatoire.
D’emblée, il faut rappeler que les intervenants, dans le cadre des Assises, ont
professé la rationalisation du système des incitations fiscales, sans toutefois dire par quels
moyens et par quels mécanismes cela pourrait s’effectuer.
Nous pensons, par ailleurs, qu’à ce stade de notre recherche, nous pouvons
prétendre avoir répondu à un volet capital de la recommandation, celui concernant la
nécessité de disposer d'un cadre global et cohérent. Pour ce faire, nous avons mis en
évidence la nécessité d’élaborer une définition, aujourd’hui manquante, claire et précise
selon les préceptes premiers de l’Ecole Surreyenne 239 et tenter, par-là, de proposer un cadre
typologique binaire retraçant, exclusivement, les dépenses fiscales constituant l’instrument
de politique publique et les dépenses budgétaires ayant le même objectif à réaliser, afin de
pouvoir les rapprocher dans le but de choisir l’instrument d’intervention le plus efficace.
Aussi, grâce à la symétrie des deux catégories, nous serions en mesure de veiller à ce qu’il
n’y ait pas de dépenses fiscales faisant double emploi avec d’autres formes d’aides
publiques, comme il est recommandé par les intervenants et consigné dans la proposition
précitée préconisée, se rapportant à la rationalisation du système des incitations fiscales.
239
Relatif à Stanley Surrey, le premier ayant mené une réflexion sur la nature et l’incidence des mesures
préférentielles fiscales aux États–Unis en 1967 en mettant en exergue la symétrie existante entre ces mesures
préférentielles et les dépenses budgétaires.
120
haussière depuis plus d’une décennie, tandis que les décideurs marocains ne semblent guère
s’émouvoir d’une si forte dérive budgétaire.
La seconde est de tenter, après avoir identifié les effets nocifs du système d’incitation
mettant en péril les fondements intrinsèques d’un système fiscal efficace, simple et
équitable, de proposer des mécanismes de suivi susceptibles de rationaliser le système
d’incitation.
Partant du constat que l’architecture actuelle des dépenses fiscales, telle qu’elle est
présentée chaque année dans le cadre du rapport annexé au projet de loi de finances, est
loin de permettre d’établir un comparatif entre les dépenses fiscales et les dépenses
budgétaires.
L’analyse du rapport marocain sur les dépenses fiscales par rapport aux différentes
expériences internationales, nous a permis de relever l’inexistence « d’une typologie
commune pour déterminer, identifier, nommer, classer et interpréter d’une manière
systémique les mesures fiscales apparaissant dans les comptes de dépenses fiscales.
L’absence d’une approche typologique, à la fois holistique et pragmatique, permettant de
standardiser la présentation et d’uniformiser le contenu des comptes de dépenses fiscales,
nuit à leurs utilisations. Même si l’établissement d’une typologie des dépenses fiscales n’est
pas un exercice facile en raison de leur diversité et des problèmes de définition qu’elles
posent, il demeure nécessaire »240.
240
L. GODBOUT & P. BELTRAME, « Une nouvelle typologie normative des dépenses fiscales », op. cit., p. 38
121
des programmes de politique publique (art. 7, 43, 51-5). Enfin, l’OCDE se soucie également
d’identifier les dépenses fiscales afin d’en tenir compte dans ses statistiques publiques tandis
que l’OMC les traque pour débusquer les aides indirectes d’effet équivalent à des
subventions aux exportations ».
A l’aune de cette définition, il est dorénavant plus aisé de vérifier quels sont les
objectifs de politique publique ayant motivé les pouvoirs publics à faire appel au concept de
dépenses fiscales, afin de pouvoir les répertorier selon une typologie binaire, en distinguant
les dépenses proprement dites instituées pour atteindre des objectifs de politique publique,
et les dispositions dérogatoires répertoriées comme de simples règles fiscales. Après ce
premier tamisage, seules les dépenses fiscales visant des objectifs de politique publique
peuvent être évaluées, afin de cerner leur coût de perte de recettes pour le Trésor, de les
rapprocher des programmes budgétaires et se prononcer, in fine, sur leur efficacité
respective, leur permettant le cas échéant de faire le choix budgétaire le plus performant et
le plus efficient.
C’est au terme de cette nouvelle approche que nous pourrions rendre opérationnelle
la notion de dépenses fiscales, comme elle a été prônée par ses concepteurs, et pouvoir,
ensuite, mener le processus de rationalisation, tant prôné par le gouvernement mais, hélas,
sans résultats probants.
Comme nous l’avons soulevé lors de l’étude de la politique marocaine des dépenses
fiscales, le rapport publié annuellement pèche par l’absence d’une définition claire et
241
L. GODBOUT, « L’intervention gouvernementale par la politique fiscale », op. cit, p. 283.
122
concise de la notion de dépenses fiscales. En dépit de quelques bribes apportées lors de
l’annonce officielle des éléments de définition du concept, faite dans l’annexe n°1 242,
l’approche pratiquée demeure, à notre avis, très timide et loin de répondre aux exigences du
concept des dépenses fiscales tel qu’il a été forgé par le professeur Stanley Surrey. Il ne suffit
pas, à notre sens, de donner des éléments de définition portant sur quelques éléments
intrinsèques caractérisant généralement une dépense, comme dans l’état actuel des choses.
Il faut aller bien au-delà que se contenter de donner des éléments de détermination de cette
notion. Il faut, donc, élaborer, rigoureusement, une définition digne de ce nom, aussi claire
que concise, qui manque aujourd’hui dans la littérature fiscale. C’est d’ailleurs l’un des
aspects cruciaux de la problématique traitée par ce travail de recherche fondé par l’utilité et
le devoir de contribuer à éclairer le débat.
242
L’annexe n°1 fait partie du rapport sur les dépenses fiscales, accompagnant, chaque année budgétaire le
projet de loi de finances consacré à la méthodologie empruntée pour délimiter le périmètre de la notion de
dépenses fiscales.
243
C .WENDLING & al., « La dépense fiscale, en France : un enjeu crucial pour nos finances publiques », op. cit.,
p. 75.
244
E. PICHET, « Théorie générale des dépenses socio-fiscales », op. cit., p. 259.
123
A ce stade de notre recherche, il nous est permis de constater le flou sémantique et
conceptuel qui n’a cessé d’entourer la notion de dépenses fiscales depuis des années. Les
nombreuses confusions enregistrées dans son application et les typologies empruntées par
les gouvernements ne répondent guère à la philosophie de ce concept tel que professé par
son auteur S. Surrey depuis les années soixante. La mise en œuvre du concept de dépense
fiscale, dans la quasi-totalité des pays, est entièrement en inadéquation avec la version
originale. La tendance générale penche vers une utilisation mécanique. Cette dernière ne
tient pas compte des consignes présidant la raison d’être de la notion de dépense fiscale.
Pour ces différentes raisons, il importe, avant d’opérer un pilotage rationnel tel qu’il
est préconisé par la recommandation portant sur la réforme du système des incitations au
Maroc, de cerner la notion de dépense fiscale de façon à répondre aux objectifs visés par ses
premiers concepteurs. « En vue de revoir le concept de dépenses fiscales, nous devons
d’abord revoir les objectifs initiaux qui ont incité les gouvernements à définir leurs dépenses
fiscales et à publier un document annuel sur le sujet. Les dépenses fiscales sont l’un des
modes d’intervention utilisés par les gouvernements pour mener leurs actions. A ce titre, le
245
L.GODBOUT & P.BELTRAME, « Une nouvelle typologie normative des dépenses fiscales », op. cit., p. 37.
124
principal objectif des comptes de dépenses fiscales est de permettre une comparaison entre
les actions gouvernementales à caractère fiscal et à caractère budgétaire. Cette comparaison
a pour but de favoriser une meilleure affectation des ressources gouvernementales. Il
semble évident que lorsqu’un gouvernement décide d’examiner sa politique dans un
domaine donné, l’ensemble des formes d’intervention doit être pris en compte. A l’origine,
la mise en place de la notion de dépenses fiscales avait pour but de permettre la détection
des dispositions fiscales symétriques aux programmes de dépenses budgétaires » 246, sinon,
toute tentative d’assurer une gestion optimale de la politique de la dépense fiscale au Maroc
serait, inéluctablement, vouée à l’échec, tellement il importe que cette démarche soit
encadrée en amont et sans détour par une définition tenant compte des consignes
professées par S. Surrey.
125
Cependant, pour assurer une appréhension optimale de la notion de dépenses
fiscales, il est devenu stratégiquement impératif d’élaborer une définition formulant les
objectifs présidant à l’élaboration de cette notion par S. Surrey. Pour ce faire, il est
recommandé d’identifier au préalable la nature de ces objectifs directeurs, afin qu’ils soient
intégrés dans la définition proposée, dans la mesure où les dépenses fiscales se définissent,
comme l’un des instruments d’intervention publique que le gouvernement peut utiliser et
ce, dans la mise en œuvre de sa gestion de la chose publique.
A cet effet, la conception d’un rapport sur les dépenses fiscales devra se faire dans
une logique de comparaison entre la politique gouvernementale d’obédience fiscale et celle
menée via la dépense budgétaire. A l’aune de cette symétrie, l’autorité publique aura le
choix d’utiliser le procédé le plus adéquat pour assurer une meilleure affectation des deniers
publics. Dès lors que ce parallèle symétrique est affiné, aucune dépense fiscale ne pourra
prendre place dans le rapport public, sans passer par le mécanisme de contrôle dédié,
uniquement, dans l’état actuel des choses, aux programmes subventionnés par le
truchement des dépenses directes. Ceci étant dit, au terme de ce travail de recherche et du
tour d’horizon des différentes définitions utilisées et des comptes conçus à cet effet, nous
sommes en mesure d’avancer qu’elles ne permettent guère de cerner aisément les mesures
fiscales s’apparentant à des programmes de dépenses budgétaires.
126
Il serait, toutefois, prétentieux de laisser entendre que notre démarche consistant à
élaborer une définition pourrait surmonter les difficultés rencontrées dans le cadre de la
mise en place d’un traitement symétrique des deux catégories de dépenses en question.
Loin s’en faut. Toutefois, il importe de signaler que la gestion marocaine des dépenses
fiscales a, absolument, besoin d’une définition constituant le fil conducteur du recadrage de
la politique fiscale du pays, dans la mise en œuvre de sa stratégie économique et sociale. En
résumé et en l'absence d’une définition mettant en exergue la comparabilité requise entres
les dépenses fiscales et les dépenses budgétaires, tout travail de recensement et
d’inventaire des mesures incitatives reste, à notre sens, peine perdue et sans utilité
apparente. En somme, « les politiques à l’égard des différentes dépenses fiscales doivent
faire partie des actions de réduction du déficit budgétaire au même titre que toute autre
politique publique, notamment les programmes de dépenses ordinaires et les aspects
structurels de la fiscalité. L’évaluation des dépenses fiscales doit donc faire partie des
mesures d’assainissement budgétaire, lesquelles peuvent ou non être déclenchées par une
règle ou une procédure budgétaire. A partir de là, la question est de savoir comment
concevoir les procédures de contrôle budgétaire de façon à mettre les dépenses fiscales sur
un pied d’égalité avec les décisions de dépenses ordinaires » 251.
Hélas, dans la pratique, la gestion des dépenses fiscales a pris d’autres tournures
faisant fi des finalités premières assignées à cette notion par ses premiers concepteurs, alors
que dans une optique progressiste visant à asseoir une bonne gouvernance des politiques
gouvernementales « l’OCDE précise qu’une évaluation des dépenses fiscales doit toujours
être incluse dans le processus budgétaire afin de revoir la politique des dépenses fiscales et
permettre l’examen comparatif entre les dépenses fiscales et des dépenses directes » 252.
251
Ibid, p. 62- 63.
252
L. GODBOUT, « L’intervention gouvernementale par la politique fiscale », op. cit., p. 136.
127
Nous espérons, ainsi, pouvoir répondre à l’un des deux objectifs ayant motivé le
choix de travailler sur la problématique débattue.
Nous allons maintenant proposer des pistes à explorer et ce, afin de contribuer à
repenser la réforme de rationalisation du système des incitations telle qu’elle a été
recommandée par les Assises nationales sur la fiscalité en 2013.
Outre la symétrie entre les dépenses fiscales et les dépenses budgétaires, un autre
élément, et non des moindres, devra être pris en compte par la définition de la notion de
dépenses fiscales escomptée et sans laquelle la symétrie prétendue ne serait qu’un vain
mot. Il s’agit du caractère incitatif de la mesure fiscale permettant de la qualifier de dépense
fiscale. Autrement dit, il conviendrait d’établir un tamisage méthodologique visant à
catégoriser les dispositions dérogatoires, chacune selon la finalité qui a présidé à sa
création253.
128
publique. Mais cela s’est borné à une généralité, loin d’aboutir à la symétrie modélisée
permettant d’établir une comparaison entre les différentes interventions de politique
gouvernementale de nature purement fiscale et de nature budgétaire. En effet, cette
comparaison a pour but de favoriser une meilleure affectation des ressources
gouvernementales. Il semble évident que lorsqu’un gouvernement décide d’examiner sa
politique dans un domaine donné, l’ensemble des formes d’intervention doit être pris en
compte. La raison en est que l’objectif premier assigné à un rapport sur la dépense fiscale ne
se limite pas à répertorier toutes les dispositions dérogatoires parsemant le système fiscal
mis en place, mais notamment d’élaborer un recueil d’’informations destiné à éclairer les
décideurs sur l’ampleur du manque à gagner fiscal consenti par la collectivité,
comparativement avec son équivalent effectué par le truchement de la subvention directe.
Le rapport annuel marocain sur les dépenses fiscales fait apparaitre une multitude de
présentations synthétiques des dépenses fiscales : par impôt, par secteur d’activité, par
objectif et par bénéficiaire. Toutefois, elle demeurerait sans utilité aucune si ces données
n’étaient pas exploitées, afin de servir la raison d’être de la notion de dépense fiscale.
Depuis 2005, les pouvoirs publics n’ont pas lésiné sur les moyens pour affiner les données
publiées, chaque année, concernant les dépenses fiscales.
Bien que le concept de dépenses fiscales, dans sa version originale forgée par S.
Surrey, a pour finalité première de concevoir un compte retraçant un comparatif entre les
dépenses fiscales et les dépenses budgétaires, l’approche marocaine ne semble prêter guère
attention à cette dimension comparative, pourtant capitale dans une politique efficiente et
rationnelle. A ce titre, le rapport sur les dépenses fiscales de 2019 a complètement ignoré la
finalité comparative, même s’il a été présenté comme l’esquisse d'un projet se fondant sur
une « relecture globale du système fiscal marocain. Il se veut un pas additionnel vers le
renforcement de la soutenabilité de ce système, condition sine qua non pour consolider la
gouvernance et la transparence des finances publiques. Pour asseoir cette relecture sur des
bases rationnelles et crédibles, quelques critères et principes de référence ont été retenus
»254.
Ainsi, le premier rapport marocain sur les dépenses fiscales de 2005 a tenu à préciser
dans son introduction que « les dérogations fiscales représentent un enjeu budgétaire
254
DGI, «Rapport sur les dépenses fiscales 2019 », op. cit., p. 2.
129
important. Elles constituent un manque à gagner pour le budget et leur effet sur ce dernier
est comparable à celui des dépenses publiques. C’est la raison pour laquelle elles sont
appelées dépenses fiscales »255.
La même précision a été rituellement reproduite dans tous les rapports annexés aux
différents projets de lois qui se sont succédés depuis l’année 2005 et jusqu'à 2018 en
mettant l’accent sur le fait que « connaître le coût budgétaire des dépenses fiscales devient
nécessaire pour une meilleure transparence financière du budget général de l’Etat et pour
une plus grande rationalisation en matière d’allocation des ressources » 256. De même, le
rapport de l’année budgétaire 2018 a rappelé encore une fois qu’en « se substituant aux
dépenses directes, l’objectif principal des dépenses fiscales est donc de soutenir et
d’encourager un certain nombre de secteurs d’activités ou des catégories de contribuables
prédéfinies. Les dépenses fiscales peuvent donc impacter significativement le budget de
l’Etat »257.
255
DGI, «Rapport sur les dépenses fiscales 2005 », op. cit., p. 5.
256
DGI, « Rapport sur les dépenses fiscales 2017 », op. cit., p. 2
257
DGI, « Rapport sur les dépenses fiscales 2018 », op. cit., p. 1.
258
DGI, « Rapport sur les dépenses fiscales 2019 », op. cit., p. 1.
130
Ainsi, et devant cette refonte qualifiée faussement de progressiste, nous pensons que
la gestion des dépenses fiscales a encore besoin d’être revue pour pouvoir assurer une
gouvernance optimale, digne de celle propre à tout instrument de politique publique car, en
fait, il ne suffit pas uniquement de revoir le système fiscal de référence pour cerner
l’ampleur de l’écart d’une dérogation par rapport à ce système considéré, et élaborer par
conséquent un nouveau guide méthodologique d'estimation du coût des mesures
dérogatoires, pour aboutir à la mise en œuvre de la rationalisation requise, loin s’en faut,
tant que « la présentation actuelle des dépenses fiscales n’est pas faite de manière faciliter
la comparaison des dépenses fiscales entre elles ou encore la comparaison avec les
dépenses budgétaires »259 et tant « qu’il n’existe aucune typologie commune pour
déterminer, identifier, nommer, classer et interpréter d’une manière systémique les
mesures fiscales apparaissant dans les comptes de dépenses fiscales ».
Mais comme nous l’avons vu, la comparaison requise ne peut se faire en l’absence
d’une définition claire et précise, prenant en compte la dimension comparative en question.
Pour y parvenir, il convient, à notre sens, de se référer à la définition précédente, pour
pouvoir cerner aisément les contours des dispositions fiscales dérogatoires dont les objectifs
peuvent être réalisés, également, par le recours à la dépense directe. Autrement dit, la
259
L. GODBOUT & P. BELTRAME, « Une nouvelle typologie normative des dépenses fiscales », op. cit., p. 38.
131
définition préconisée se limite à ne prendre en charge que les mesures incitatives propres à
être substituées aux dépenses budgétaires directes, car, dans l’état actuel des choses, et, au
fil de notre étude, nous avons vu que les mesures fiscales recensées dans le rapport
marocain260 ne sont pas, toutes, des mesures incitatives, et elles ne peuvent être assimilées,
en bloc, à des instruments de politique publique. Ces mesures recensées comprennent aussi
des allégements structurels de mesures incitatives d’une portée générale, et instituées en
vue de répondre à un objectif de nature fiscale. Par ricochet, la classification actuelle ne
permet guère de rapprocher les dépenses fiscales des dépenses budgétaires, comme le
souhaitent les concepteurs premiers de cette notion.
L’architecture retenue, dans le rapport sur les dépenses fiscales, est loin d’être en
mesure de nous éclairer sur les dispositions dérogatoires visant un objectif de politique
publique et qui peuvent être remplacées par des programmes de dépenses directes. Ainsi,
nous nous trouvons face à une panoplie de classifications, aussi importantes soient elles
dans l’absolu, mais sans aucune utilité dans la pratique. Plus de dix-huit objectifs assignés
aux différentes mesures incitatives sont répertoriées dans le rapport publié annuellement,
sans pour autant nous dire, ne serait-ce qu’une seule fois, quelles sont parmi ces mesures
celles susceptibles d’être comparées et remplacées par une subvention ou une dépense
directe. Nous avons à ce titre la ferme conviction qu’il faut impérativement pour rendre à la
notion de dépense fiscale sa véritable signification, celle prônée par ses premiers
concepteurs, car sans cette régénération conceptuelle, les précieuses informations reprises
dans les rapports annuels, bien garnis certes mais qui sont, hélas, sans aucune plus-value
pour les finances publiques, tant que l’idée originelle de la notion de dépenses fiscales
continue à être éludée ou ignorée par les pouvoirs publics. « Ces constats et ces limites nous
amènent à revoir, le concept de dépense fiscale en vue de mettre en place une nouvelle
typologie normative des dépenses fiscales.
260
C’est ce que préconisait en 2003 le conseil des impôts français en suggérant de différencier « allègements
structurels » et « instruments de politique publique », les premiers répondants à un objectif de nature fiscale,
les seconds à un but non exclusivement fiscal.
132
dire de faciliter la comparaison entre les interventions gouvernementales par l'intermédiaire
des programmes de dépenses budgétaires et par l'intermédiaire du régime fiscal » 261.
Les impacts d'une nouvelle typologie normative sur la présentation des comptes de
dépenses fiscales, en regard de la classification actuelle des dépenses fiscales, se trouvent,
donc, au centre de l'analyse.
Un autre travail est, donc, fortement recommandé, afin de baliser le terrain à une
gestion optimale des dépenses fiscales.
Ainsi, au lieu de multiplier en vain les classifications des dépenses fiscales selon les
critères évoqués plus haut, il serait plus judicieux, pour les raisons sous-jacentes à la mise en
place du concept de dépenses fiscales dans sa version originale, de passer l’ensemble des
mesures dérogatoires recensées au tamisage liminaire et, ce, avant toute classification
hasardeuse, afin de distinguer les mesures constituant, par essence, bien plus des
instruments de politique publique que des simples modalités de détermination de l’impôt. «
Cette distinction ne manque pas de pertinence, dès lors que certains dispositifs recensés
comme dépenses fiscales n’ont pas d’autres objectifs que d’assurer le respect des principes
d’une bonne fiscalité »262. La nuance est de taille, les premières répondant à un objectif de
nature fiscale, les secondes à un but non exclusivement fiscal. Une fois ce travail sélectif
effectué, et après avoir exclu toutes les mesures s’apparentant à des allégements
structurels, c’est alors que l’on pourra procéder, efficacement, à rapprocher uniquement des
mesures fiscales consistant en des instruments de politiques fiscales à des dépenses
budgétaires. Cette distinction est plus que cruciale pour pouvoir avancer, qualitativement,
dans la gestion des dépenses fiscales car, contrairement aux modalités de calcul de l’impôt
qui sont partie prenante du système mis en place, les dépenses fiscales s’entendent des
dérogations à ce système fiscal de référence, bien que cette dernière n’ait aucune
signification normative. Dans la pratique, chaque système fiscal national étant unique, cela
implique qu’une mesure incitative, qualifiée comme une dépense fiscale dans un pays, peut
n’être qu’un allégement structurel ou modalité de calcul de l’impôt dans un autre pays.
261
L.GODBOUT, « L’intervention gouvernementale par la politique fiscale », op. cit., p. 261.
262
E. PICHET, « Contribution à une théorie de la dépense fiscale, pour la réforme du système français des niches
fiscales » op. cit., p. 29.
133
Mais, reconnaissons-le, compte tenu de la complexité de l’univers nébuleux des
dépenses fiscales, la tâche n’est pas une sinécure. C’est pourquoi, à notre avis, il faut en finir
avec la présentation actuelle et adopter uniquement une typologie binaire.
Dans cette perceptive, nous partageons entièrement la position du conseil des impôts
français qui plaide pour une présentation plus homogène permettant d’établir un distinguo
entre « les allégements structurels, c’est-à-dire les dépenses fiscales de portée générale et
instituées en vue de répondre à un objectif de nature fiscale, il pourrait s’agir de mesures
consubstantielles à l’impôt »263 visant à répartir le fardeau fiscal tels que les avantages
fiscaux octroyés pour des raisons se rapportant à la situation personnelle du contribuable, à
savoir les dépenses fiscales passives 264 qui sont uniquement destinées à remédier à une
situation subie.
Dans ce cas, cette première catégorie de dépenses fiscales n’est, évidemment, pas
destinée à pousser les contribuables à se faire du mal, mais elle octroie une forme d’aides
pécuniaires à une situation passive de handicap. Ces dépenses fiscales viennent justement,
afin d’instituer un traitement avantageux aux contribuables concernés, dans l’optique de
compenser un élément objectif rendant sa situation plus aggravante par rapport à d’autres
contribuables dans une posture similaire.
263
CONSEIL DES IMPÔTS, « La fiscalité dérogatoire, pour un réexamen des dépenses fiscales », op. cit, p. 151.
264
K. WEIDENFELD, « A l’ombre des niches fiscales », op. cit., p. 63.
134
contribuables, leur procurant alors un avantage fiscal choisi, tantôt à octroyer des avantages
à une catégorie de bénéficiaires ou à un secteur d’activité, « c’est-à-dire, des mesures
fiscales dérogatoires qui ont pour caractéristiques d’être spécifiques (à une catégorie de
bénéficiaires, en fonction de l’activité, de l’âge, du territoire…) et de pouvoir être rattachées
à des objectifs d’une politique publique non exclusivement fiscale. Elles devraient, donc être
retracées dans les annexes des programmes budgétaires des ministères responsables de la
mise en œuvre de ces politiques »265.
135
mettre en exergue une nouvelle typologie permettant d’établir un parallèle entre les
dépenses fiscales et les programmes de dépenses directes. Le but était de permettre de
rendre comparable l'ensemble des interventions gouvernementales avec les comptes de
dépenses fiscales. Notre objectif était « d'intégrer les dépenses fiscales au processus
budgétaire, le cadre typologique des dépenses fiscales doit accroitre le degré de parallélisme
entre certaines dépenses fiscales et programmes de dépenses directes. L'utilisation des
définitions actuelles fait en sorte que toute mesure fiscale qui déroge aux paramètres du
système fiscal de référence est déterminée comme une dépense fiscale. Parmi celles-ci,
certaines peuvent facilement être remplacées par un programme de dépenses directes, mais
pour d'autres, ce remplacement n'est pas possible dans la pratique. Ainsi, des mesures
fiscales sont répertoriées dans le compte de dépenses fiscales sans égard aux difficultés liées
à leur remplacement par des programmes de dépenses directes. Les difficultés rencontrées
par les définitions actuelles pour l'atteinte des objectifs visés par le concept de dépense
fiscale, la multitude des dépenses fiscales, les différences dans leur nature et dans leurs
objectifs de politique, rendent difficile les comparaisons entre les dépenses fiscales et les
dépenses directes » 269.
Après avoir proposé une définition et une typologie claires et précises des dépenses
fiscales, nous allons tenter de présenter un cadre normatif à adopter pour une optimisation
de la gestion des dépenses fiscales.
Généralement, les dépenses fiscales sont gérées d’une manière indépendante par
rapport à la logique budgétaire. Nous préconisons toutefois de leur appliquer tant les
principes budgétaires classiques, que des principes de bonne gouvernance.
269
L. GODBOUT, « L’intervention gouvernementale par la politique fiscale », op. cit., p. 57.
136
A - L’application de principes budgétaires aux dépenses fiscales
L’établissement, depuis 2005, d’un rapport annuel sur les dépenses fiscales ne suffit
pas, à lui seul, à cerner leur degré d’intégration dans la présentation de la politique
gouvernementale. Il nous renseigne, néanmoins, sur le degré d’’intérêt que les pouvoirs
publics portent à l’enjeu budgétaire du dispositif dérogatoire et de l’ampleur de leur manque
à gagner pour le Trésor. Il ne traduit, par contre, aucune défiance à l'égard de cet
instrument. De fait, les dépenses fiscales continuent à s'étoffer, alors même que les taux des
impôts diminuent. Si leur recension périodique n'enraye pas la croissance des dépenses
fiscales, elle suscite, toutefois, l'adoption d'une recommandation prêchant la rationalisation
du système des incitations fiscales. Issue d’un consensus national, cette recommandation a
fait de la réduction progressive des distorsions concurrentielles induites par la multiplicité
des dépenses fiscales et des exonérations dont bénéficient certains secteurs, l’un de ses
objectifs prioritaires avec un mode opératoire visant la mise en place d’« un équilibre entre
la neutralité du système fiscal et le soutien des ménages et des entreprises qui doit être
instauré, et ce, à travers la rationalisation du système des exonérations et des dépenses
fiscales. Aussi, est-il nécessaire d’avoir une vision claire et de se doter d’un cadre global et
cohérent qui prennent en considération l’impact économique et social des dépenses fiscales,
leur évaluation, leur importance stratégique pour le développement, leur sensibilité, les
distorsions économiques qu’elles peuvent créer entre les différents secteurs et activités
économiques, tout en veillant à ce qu’elles ne présentent pas un double emploi avec
d’autres formes d’aides publiques »270.
Chemin faisant, il importe de signaler que lors de la tenue des Assises nationales,
aucune voix dissidente ne prétendait s’abstenir de faire appel à la fiscalité dérogatoire
comme un instrument de politique publique. Pis encore « parmi ceux qui crient haro sur les
niches, certains sont, lorsqu’ils ont un pouvoir décisionnel, à l’origine de nouvelles dépenses
fiscales ou plaident, lorsqu’ils ont un pouvoir de proposition, pour une nouvelle fiscalité
comportementale punitive et restitutive » 271. Ces positions populistes relevant de la politique
politicienne et sans argumentaire solide interdisent toute approche visant la suppression des
270
DGI, « Synthèse des propositions issues des Assises nationales sur la fiscalité », op. cit., p. 2.
271
K .WEIDENFELD, « A l’ombre des niches fiscales », op. cit., p. 3.
137
dépenses fiscales. Il est impensable, donc, de prêcher « la tactique de la terre brûlée pour
tout construire dans la forêt vierge des dépenses fiscales, qui a poussé de manière
totalement, anarchique et luxuriante ; depuis quarante ans. Il ne s’agit pas non plus de la
transformer en jardin à la française, mais plutôt de la gérer à la manière d’une belle forêt
domaniale, en supprimant les espèces inutiles ou nuisibles et encourageant, quand il le faut,
certaines espèces utiles »272.
138
recherchant l’amélioration, le bon sens et, notamment, le suivi et le contrôle des moyens
dans le but de garantir une meilleure allocation des ressources adossées à une meilleure
performance.
Afin de pouvoir rationaliser la gestion des dépenses fiscales, il serait opportun, d’une
part, de leur attribuer une norme comparable à celle des dépenses budgétaires, et d’autre
part, d’instituer une règle de performance budgétaire.
Les effets pervers des dépenses fiscales sont légion. Hormis leur impact budgétaire
sur les finances publiques qui n’est plus à occulter, elles contribuent de surcroit à contourner
les normes draconiennes encadrant normalement les dépenses directes permettant à leur
coût de prendre des proportions alarmantes sans aucune règle de contrôle contraignante.
Au Maroc, et justement pour éluder les multiples contraintes et le rigoureux formalisme
inhérent à la procédure budgétaire, le recours aux dépenses fiscales est devenu « un
complément habituel dans le financement des politiques publiques Les dépenses fiscales ont
tendance à se substituer aux crédits budgétaires » 275. Ce contournement n’est pas une
réalité purement marocaine. D’autres pays de l’OCDE se sont retrouvés dans la même
position à cause de la facilité et de la souplesse des dépenses fiscales, à l’image de la France
où ces dépenses commencent à se substituer aux crédits budgétaires dans une période où
les dépenses fiscales n’ont été soumises à aucune norme de dépense, sachant
275
D. MIGAUD, G. CARREZ et al., « Rapport d’information sur les niches fiscales », op. cit., p. 2.
139
pertinemment qu’une norme d’évolution des dépenses budgétaires est instituée
spécialement, afin d’assurer une maîtrise des finances publiques. Or, les dépenses fiscales
ont tendance à devenir « des crédits budgétaires dans le financement des politiques
publiques, dans le dessein de contourner la norme d’évolution des dépenses. Ce n’est pas un
hasard si l’augmentation de leur nombre s’est accélérée depuis l’instauration de cette
norme. Du même coup, on tend également à remplacer des crédits limitatifs par des
mécanismes fonctionnant à « guichet ouvert », ce qui, au total, apparaît très préjudiciable à
la gestion des finances publiques, à leur transparence comme à leur maîtrise. L’évaluation
des dispositifs est aussi rendue plus difficile et, de fait, les niches fiscales sont peu suivies ».
276
D. MIGAUD, G. CARREZ et al., « Rapport d’information sur les niches fiscales », op. cit., p. 19.
140
autres crédits budgétaires alloués aux différents départements gouvernementaux, pour
atteindre les objectifs qui leur sont impartis. Cette démarche progressiste « permet, par
exemple, de mieux appréhender la réalité des moyens que consacre l’Etat à certaines
politiques publiques pour lesquelles la dépense fiscale constitue un mode d’intervention
privilégié »277. Cette nouvelle appréhension budgétaire des dépenses fiscales va permettre, à
coup sûr, de procéder au rapprochement tant souhaité par les initiateurs du concept de
dépenses fiscales, celui consistant à rapprocher ces dernières des dépenses budgétaires afin
de comparer leur efficacité respective. Ce genre de rapprochement est, aujourd’hui,
inopérant, voire inexistant dans la gestion des dépenses fiscales marocaine, ce qui vide la
démarche évaluative des différentes mesures incitatives accomplie périodiquement depuis
2005 de toute sa substance et la rend inutile et sans aucune valeur ajoutée.
Ainsi, et une fois ce parallèle entre les dépenses fiscales et les dépenses budgétaire
devenu opérationnel selon la définition et la typologie proposées, une autre question, et non
des moindres, se pose s’agissant de connaitre « les motifs conduisant à préférer cette
technique à la dépense budgétaire. A cette fin, il conviendra de veiller à ce que soit bel et
bien mise en œuvre la décision du Conseil de la modernisation des politiques publiques
évoquée, tendant à ce que la création d’une nouvelle dépense fiscale soit subordonnée à
une étude d’impact explicitant les motifs de recours à l’outil fiscal plutôt qu’à l’outil
278
budgétaire » . Nous sommes, toutefois, conscients qu’il est quasiment impossible de
pouvoir préconiser une telle étude d’impact dans l’état actuel des choses, mais nous
recommandons de l’appliquer graduellement en commençant par les dépenses fiscales les
plus coûteuses et souvent critiquées, pour pouvoir se prononcer sur leur sort dans l’arsenal
dispositif dérogatoire soit pour leur maintien, soit pour leur ajustement si besoin.
277
C .WENDLING & al., « La dépense fiscale en France : un enjeu crucial pour nos finances publiques », op. cit.,
p. 754.
278
D. MIGAUD, G. CARREZ et al., « Rapport d’information sur les niches fiscales », op. cit., p. 26
141
Là aussi, et au regard des différentes difficultés non encore résolues liées à la notion
de dépense fiscale, il serait judicieux de ne pas soumettre ces dépenses à la norme appliquée
à la dépense budgétaire. Professer une telle démarche, c’est aller vite en besogne, sans être
en mesure d’établir une symétrie optimale entre les deux catégories de dépenses. Autant la
dépense budgétaire est parfaitement mesurable et dotée d’une grande exactitude, autant la
dépense fiscale peine toujours à affiner ses méthodes d’évaluation, tributaires de
suppositions d’approximations, de supputations et de diverses incertitudes.
Une fois cette norme établie, il importerait de penser à l’établissement d’un budget
dédié spécifiquement aux dépenses fiscales. La préconisation d’un tel budget n’est plus
anodine compte tenu de la similarité et la comparabilité proposée entre les dépenses
directes et les dépenses fiscales. Pour ce faire, et afin de ne pas dénigrer le travail colossal
qui se fait depuis 2005 en matière de recension des dispositions dérogatoire, l’établissement
d’un budget de dépenses fiscales a déjà une longue et riche expérience à capitaliser, afin de
concevoir la version finale de ce budget proposé.
Concrètement, un grand pas a été fait avec le rapport publié et annexé chaque année
au projet de loi de finances.
279
D. MIGAUD, G. CARREZ et al., « Rapport d’information sur les niches fiscales », op. cit., p. 30.
142
répondant aux exigences dictées par la notion mère telle que professée par S. Surrey. Le
travail accompli à ce jour est, certes, important et louable, mais encore tronqué et inachevé
tant que les conditions de l’applicabilité du concept de dépense fiscale ne sont pas encore
réunis. Dans l’état actuel des choses, les premiers jalons sont là, et il faudrait juste affiner la
méthode, selon les préconisations formulées au terme de notre recherche.
Le rapport, dans sa version actuelle, s’est confié, comme première étape, la tâche de
recenser l’ensemble des dispositions dérogatoires dont est parsemé le système fiscal
marocain et procéder, en seconde étape, à l’évaluation du manque à gagner pour le Trésor
résultant du recours à ce dispositif dérogatoire. Mais, pour couronner ce travail louable, il
importe de passer impérativement à la phase la plus déterminante et cruciale de ce
cheminement, celle permettant aux pouvoirs publics de pouvoir rapprocher les dépenses
fiscales des dépenses budgétaires, afin d’être éclairés sur leur efficacité respective. A ce
stade de travail, les pouvoirs publics sereins dans leur gestion de la chose publique auront
plus de visibilité pour mener à bon port leurs programmes stratégiques, tout en étant bien
renseignés, afin de pouvoir jeter, in fine, leur dévolu en toute célérité sur l’instrument de
politique publique le plus efficient et le plus performant.
Toutefois, ces limites avérées ne doivent, en aucun cas, constituer une entrave pour
étendre cette démarche de performance à la gestion des dépenses fiscales dont les
indicateurs peuvent être mesurés à l’aune du degré de l’efficience et de l’efficacité
143
économique de la mesure incitative. Dans un premier temps, et en attendant d’affiner
l’approche préconisée, il serait préférable de commencer à l’appliquer aux dépenses fiscales
les plus coûteuses, dans l’optique de la généraliser par la suite. Cette performance
recherchée débute, ainsi, par l’établissement d’un programme de dépenses fiscales
triennales, réparties par le département ministériel. Cette programmation tenterait de
renforcer les objectifs sectoriels assignés à chaque mesure dérogatoire répondant au plan de
travail élaboré par le gouvernement, cela, tout en veillant aux impératifs de préservation des
équilibres fondamentaux et en évitant, autant que faire se peut, tout creusement déficitaire
portant préjudice à la santé des finances publiques. En somme, tout travail tentant de
mesurer la performance des dépenses fiscales passe, nécessairement, par l’attribution, à
chaque dépense fiscale, d’objectifs précis et mesurables corrélés à des indicateurs de
performance similaires à ceux appliqués aux dépenses directes.
Il en va de même pour les parlementaires 280 qui donnent vie, par leur vote, à ces
dépenses fiscales sans, toutefois, réaliser l’ampleur de leur impact budgétaire sur les
finances publiques. Il leur est, tout simplement, demandé de cerner la dimension budgétaire
des incitations fiscales, et d’en étudier la portée et le coût, avant de procéder au vote, en
toute connaissance de cause et en leur âme et conscience.
280
R. AMIROU, « La nouvelle loi organique relative à la loi de finances et la gouvernance financière publique au
Maroc: une analyse critique », Revue Marocaine d’Audit et de Développement, 2016, p. 8.
144
d’appliquer, à chaque mesure incitative nouvellement créée, une limitation de durée.
Autrement dit, chaque article de loi instituant une nouvelle disposition dérogatoire devrait
comporter, impérativement, selon cette consigne, la durée de sa survivance. Faute de quoi,
elle serait nulle et non avenue.
A priori, c’est une initiative louable. Sachant que plusieurs réflexions sur cette
thématique aboutissent à une durée de trois ans, nous pensons que cette limitation devrait
être très étendue dans le temps et, ce, en raison du principe de sécurité juridique du
contribuable. On ne se permettrait plus, à ce titre, de promulguer une mesure incitative dont
la durée serait très courte, sinon on endiguerait un problème pour en créer d’autres, ce qui «
conduirait inévitablement à une insécurité juridique croissante et remettrait en cause la
prévisibilité dont les opérateurs économiques ont ardemment besoin » 281, faute de cela,
cette limitation de la durée proposée spécialement pour stopper la prolifération des
dépenses fiscales, créerait, en cas de durée courte des avantages fiscaux, une autre
prolifération, celle du droit et de ses sources.
Si la loi est un outil légitime et nécessaire à la mise en œuvre des politiques publiques, elle a
également été instrumentalisée, ces dernières années, pour donner de la crédibilité aux
discours politiques. Il semble que l’annonce d’une réforme législative soit devenue le moyen
privilégié des pouvoirs publics pour démontrer leur activité et leur réactivité. Il serait plus
judicieux, donc, d’étendre l’avantage fiscal sur une durée raisonnable et raisonnée, afin que
les prétendants bénéficiaires s’imprègnent de la philosophie, présumée réfléchie, justifiant
la création de cette nouvelle disposition.
A cet effet, il est recommandé de refondre le code général des impôts avec des
dispositions dérogatoires comportant des délais raisonnables, des reformulations simples et
des limitations des renvois. Il serait absurde, donc, d’instituer des incitations fiscales dont la
281
A. HAUTEFEUILLE, « Améliorer la sécurité juridique et fiscale des entreprises », op. cit., p. 37.
282
Ibid.
145
durée serait de moins de deux ans, alors que leur mise en œuvre exige parfois des
bénéficiaires, des études préalables au niveau des structures existantes.
Pour légitimer l’octroi d’une dépense fiscale, il faudrait qu’elle soit motivée par un
but non fiscal « et une finalité autre que budgétaire, c’est-à dire une visée sociale,
économique ou environnementale, sinon la niche deviendrait un simple avantage fiscal
injustifié et contraire à l’égalité devant la loi et les charges publiques » 283.
Le même principe peut-il être proposé pour l’extension des dépenses fiscales déjà
existantes ? Le raisonnement est très simple. Si on décide d’allonger la durée de vie d’une
mesure incitative, c’est qu’un argumentaire solide plaide pour son maintien. Il serait, donc,
plus logique, à notre sens, que cette prorogation soit plus longue. Une prolongation, avec
une durée de vie raisonnable, serait mieux accueillie par les contribuables, encore réticents
ou suspicieux à l’égard de l’avantage accordé, car ils auraient, dans ce cas, suffisamment de
temps pour étudier l’impact réel de cette alternative et se concerter, le cas échéant, avec
ceux qui en ont déjà bénéficié, pour décider d’en faire de même en toute sérénité. Les
exemples dans le droit fiscal marocain sont légion.
283
E. PICHET, « Théorie générale des dépenses socio-fiscales », op. cit., p. 269.
146
permettant d’adapter leur structure juridique aux exigences des mutations économiques et
de renforcer leur compétitivité. Cette mesure institue un régime fiscal dérogatoire et
temporaire en faveur des opérations d’apport du patrimoine universel des personnes
susvisées, à une société anonyme (S.A) ou à responsabilité limitée (S.A.R.L) créée à cet effet,
en prévoyant des avantages fiscaux en matière d'impôt sur le revenu. Ainsi, les personnes
physiques susvisées sont exonérées de l'impôt sur le revenu au titre de la plus-value nette
réalisée à la suite de l'apport de l'ensemble des éléments de l'actif et du passif de leur
entreprise à une société à responsabilité limitée ou à une société anonyme, à condition que
ledit apport soit effectué entre le 1er janvier et le 31 décembre 2010 » 284.
Cette mesure incitative avait, donc, une durée de vie d’une année. Mais, depuis 2011,
à chaque nouvelle loi de finances, il lui a été attribué par le législateur une année de
survivance, jusqu'à la loi de finances pour l’année budgétaire 2018, sans que l’on en
connaisse véritablement la raison ; la pérennisation de cette mesure dérogatoire a été
définitivement inscrite dans un nouvel article 161-ter-I du code général des impôts.
Ainsi, et pour en finir avec ce genre de situation embarrassante, aussi bien pour le
contribuable que pour l’administration fiscale, il faut faire en sorte que chaque dépense
fiscale ait, impérativement, une durée de vie raisonnable permettant la réalisation de
l’objectif de politique publique pour lequel elle a été créée. C’est à ce titre qu’il est jugé
impératif de procéder à la mise en place d’un pilotage rationnel des dépenses fiscales, afin
de prévoir, in fine, une évaluation systématique de leur efficacité.
De même, une autre problématique, et pas des moindres, impacte à son tour
négativement la création des dépenses fiscales, à savoir que la quasi-totalité de ces
dépenses sont instituées sans une évaluation préalable. De fait, si l’on décide de créer une
dépense fiscale, c’est qu’il y a, derrière, un objectif de politique publique escompté. Il
conviendrait donc de connaître, par le truchement d’études d’impact, les raisons justifiant la
création de toute dépense fiscale.
Il est proposé, à cet effet, d’informer et d’expliciter, ex ante, les raisons ayant justifié
le recours à toute disposition dérogatoire et, ce, avant même qu’elle ne soit introduite dans
le projet de loi destiné à être voté au parlement. Le même procédé devra être appliqué en
284
DGI, « Note circulaire n° 718 relative aux dispositions fiscales de la loi de finances n° 48-09 pour l'année
budgétaire 2010 ».
147
cas de prorogation de toute dépense fiscale, afin de détailler un argumentaire plaidant en
faveur du prolongement de la durée de cette mesure. C’est en tout cas ce que préconise
Monsieur E. Pichet en ces termes : « il faudrait donc, avant même de discuter de la création
de la mesure au Parlement, obtenir une étude d'impact beaucoup plus détaillée que ce qui
existe, actuellement, en suivant les recommandations du premier Conseil de la
modernisation des politiques publiques, réuni le 12 décembre 2007, qui avait décidé de
définir des règles d'adoption plus strictes pour les dépenses fiscales, règles parmi lesquelles
figurait la subordination de la création de toute dépense fiscale à la réalisation d'une étude
d'impact préalable: cette étude devra comporter une comparaison des outils fiscaux et
budgétaires, afin d'évaluer la pertinence du recours à l'outil fiscal. Les modalités de mise en
œuvre de cette décision devraient être arrêtées lors du prochain Conseil d'orientation des
finances publiques, ce qui aura le mérite d'associer le parlement à l'élaboration du futur
régime des dépenses fiscales »285.
Ainsi, et après cinq lois de finances respectives succédant à l’année de la tenue des
Assises fiscales, nous sommes en mesure, revue analytique à l’appui, de conclure qu’au
stade où nous en sommes aujourd’hui, les déclarations de bonnes intentions ne suffisent
plus. Il faut chercher à changer les paradigmes en vigueur et prévoir des solutions pratiques
et opérationnelles pour aller au-delà de simples recommandations, que l’on ne cesse de
répéter, mais sans aucune suite concrète.
285
E. PICHET,« Théorie générale des dépenses socio-fiscales », op. cit., p. 426
148
En fait, à quoi bon de procéder, chaque année, à la publication d’un rapport de
quatre cent soixante dépenses fiscales recensées, dont quatre cent sept ont été évaluées,
pour le seul but qu’il soit adossé au projet de loi comme le veut la loi organique. Jamais ce
rapport n’a, en effet, été discuté ou, au moins, étudié par nos parlementaires, alors que leur
entière attention est focalisée sur la manne des dépenses budgétaires répartie entre les
départements ministériels qui leur est soumise pour approbation. A ce niveau et dans
l’attente que les dépenses fiscales contenues dans ce rapport aient le même traitement que
les dépenses classiques de la part des élus, nous nous contenterons de leur proposer de
porter un intérêt particulier, au moins, aux nouvelles dépenses fiscales introduites par le
projet de loi avant la ratification. Le premier réflexe parlementaire devrait être d’exiger une
étude d’impact à chaque dépense fiscale, fraîchement créée, corroborée par une grille
d’analyse interministérielle fixant les critères justifiant le recours à cette dépense.
Comme nous l’avons signalé en introduction, la réduction des dépenses fiscales est la
deuxième piste à explorer, de façon prioritaire, afin de mener à bon port notre vision de
réforme de la politique des dépenses fiscales marocaines.
En effet, le concept de dépenses fiscales s’est imposé ces derniers décennies comme
un instrument incontournable de politique publique qui a vocation à être en plein
149
adéquation avec les choix stratégiques économiques, financiers et sociaux du pays et sans
perdre en vue les principes d’équité, de développement et de solidarité sociale. Le recours à
une dépense fiscale entraine à coup sûr une perte de recettes pour venir en aide à un
secteur productif ou social, ou pour alléger le fardeau fiscal d’une catégorie de
contribuables. Ce manque à gagner aura indubitablement un impact significatif sur le budget
de l’Etat qui ne pourra être légitimé que par la réalisation des objectifs escomptés, chose qui
n’est pas toujours évidente avec la gestion anarchique marquant le pilotage actuel 286 des
dépenses fiscales et qui ne nous renseigne guère sur les effets positifs de ce choix
d’intervention publique. Pour pallier ces défaillances et assurer la rationalisation des
dépenses fiscales, il est préconisée de procéder à la mise en place de mécanismes
susceptibles de suivre une ligne de conduite garantissant plus de lisibilité dans l’octroi des
avantages fiscaux et une plate de forme de gouvernance transparente et techniquement
maîtrisable. La mise en place de ces mécanismes va permettre aux décideurs de juger
continuellement de l’efficacité du dispositif dérogatoire par rapport aux objectifs escomptés.
Il est normal, donc, que le gouvernement commence à se préoccuper, encore une fois, de la
recrudescence des dépenses fiscales, mais la situation est devenue plus inquiétante d’où
l’impérieuse nécessité de s’ingénier à instaurer un dispositif de surveillance permanent et
plus performant, capable d’éclairer les pouvoirs publics dans leur décision de politique
publique de manière à promouvoir la pertinence et la transparence dans leurs choix
stratégiques. Ce dispositif pourrait affiner les indicateurs de mesure des coûts et des
avantages des mesures préférentielles, afin de stopper la dérive budgétaire et l’anarchie
ambiante, sans oublier le renforcement de la reddition des comptes conformément aux
dispositions marocaines de la Constitution de 2011 et la loi organique de 2015.
Ainsi, et pour contrecarrer l’érosion sans cesse de l’assiette, la réduction du poids des
dépenses fiscales est devenue plus qu’inévitable. La question cruciale est cependant de
savoir comment y parvenir ? C’est justement pour contribuer à trouver des éléments de
286
Il faut reconnaitre que,nonobstant, les diverses critiques et recommandations préconisées, le pilotage du
dispositif dérogatoire, malgré l’effort déployé ces dernières années, les résultats sont restés en deçà des
attentes affichées lors des Assises de 2013. L’effort déployé visant la réduction des dépenses fiscales durant la
période 2013-2017, notamment au titre des lois de finances 2014 et 2015 (28 mesures supprimées pour une
dépense estimée de 6 234 millions de DH), s’est vite estompé en raison du maintien des dépenses fiscales à un
niveau moyen de 3,4% du PIB, avec des variations positives de 1,5% et de 4,4% respectivement en nombre et
en montant durant la période en question. La courbe des créations des dépenses fiscales a connu en 2017 et
2018 une tendance haussière vertigineuse avec 18 nouvelles mesures incitatives qui ne font qu’empirer la
situation et plane le doute sur le processus de rationalisation amorcé depuis les Assises de 2013.
150
réponse à cette question qu’il convient de s’inspirer de nombreuses méthodes et pratiques
internationales permettant la mise en marche d’un encadrement contraignant des dépenses
fiscales. « Cette question peut être appréhendée sous l’angle du pilotage budgétaire et de la
mise en place d’une « règle de comportement ». En effet, il peut être tentant de poursuivre
le parallèle avec la dépense budgétaire et de raisonner en termes de norme de dépense
fiscale, par analogie avec le mécanisme de la norme de dépense tel qu’il s’applique à la
dépense budgétaire. Il semble toutefois que les problèmes posés, notamment liés à la
temporalité des dépenses fiscales et aux incertitudes de leur chiffrage, doivent conduire à
écarter un certain nombre d’options, telles que l’idée d’une norme contraignante sur le
stock des dépenses fiscales, au profit d’un dispositif pragmatique et expérimental » 287.
151
préciser la raison suprême ayant motivée le gouvernement à opter pour cette alternative au
lieu de choisir la subvention directe. Autrement dit, cet objectif devrait être, selon la
définition proposée auparavant, un objectif exclusif de politique publique répondant
nécessairement à un besoin bien défini de la collectivité, afin de pouvoir qualifier la mesure
incitative de dépense fiscale et non à titre de simple règle fiscale faisant partie de modalités
de calcul de l’impôt, selon la typologie binaire proposée dans ce travail. Une fois ce critère
validé288, il est alors possible de passer à l’étape suivante consistant à s’assurer que l’objectif
escompté ne saperait pas le principe d’’équité fiscale en créant plus de distorsions. Enfin, il
importe de veiller à que cette dépense fiscale soit aisément mesurable et que les modalités
de son chiffrage soient bien connues en vue d’une évaluation solide et sans difficulté
majeure.
Dans leur politique d’assainissement des finances publiques, afin d’opérer une
meilleure affectation de ses ressources, y compris, de ses dépenses fiscales et pour
reconquérir leur maitrise perdue, les pouvoirs publics ont intérêt à accorder une attention
particulière aux dépenses fiscales et faire suivre l’analyse et la réflexion par une refonte
globale.
Le temps n’est plus aux demi-mesures, mais à la mise en œuvre éclairée d’un
encadrement rationnel et efficace qui permettrait de réaliser des économies budgétaires et
d’en finir avec une gestion quasi-anarchique qui n’a que trop duré.
288
l est proposé à cet effet de constituer une commission ad hoc chargée spécialement de la validation des
dépenses fiscales proposées dans le projet de loi par l’exécutif avant d’être votées par le parlement.
289
F. BARQUE, « La rationalisation du coût des dépenses fiscales », op. cit., p. 28.
152
Parmi les procédés appliqués dans d’autres pays qu’il conviendrait d’utiliser au
Maroc, il y a le dispositif de réduction des dépenses fiscales qui pourrait permettre de tenter
de stopper la tendance haussière du manque à gagner occasionné par la mise en œuvre de
nos dispositions dérogatoires.
Partant du postulat que le coût des dépenses fiscales commence à échapper à toute
maîtrise de la part des gouvernants et que, pis encore, aucune initiative officielle n’a été
entreprise, depuis les Assises de 2013, afin de mettre en œuvre la recommandation de la
rationalisation du système d’incitation en vue de réduire les dépenses fiscales, ce qui
constitue véritablement un goulet d’étranglement pour nos finances publiques, il est temps
de réagir pour stopper les dérives budgétaires. Nous pensons, toutefois, que pour trouver
des solutions rationnelles à ce débordement, il faudrait se fonder sur des études précises et
consacrer le temps nécessaire pour aboutir à une solution adaptée à nos spécificités,
susceptibles de rationaliser le recours à ce dispositif de politique publique.
Mais, d’ici là, beaucoup d’eau aura coulé sous les ponts et, peut-être, la ligne
réformatrice que nous préconisons sera dépassée et le remède prescrit sera sans effet.
Nous pensons, en effet, qu’il faut, dans cette perspective et sans attendre, emboîter
le pas à l’expérience française en procédant à l’application provisoire de la méthode connue
sous l’intitulé imagé de coup de rabot ou de scalpel fiscal. Il s’agit d’une « technique de
réduction du coût de certaines niches (fiscales en l'occurrence) particulièrement fruste, qui
consiste à réduire l'avantage d'une catégorie de niches (en général des réductions d’impôt
sur le revenu) de manière homothétique, sans considération de la singularité de chacune
»290.
On reproche à cette méthode son manque de bon sens et son approche brusque, qui
est loin d’être rationnelle.
Nous pouvons proposer, par exemple, une réduction substantielle à raison de 20% ou
de 10% sur les dépenses fiscales les plus coûteuses et les plus critiquées, celles dédiées au
secteur immobilier en premier lieu, et le reste s’en suivra.
290
E. PICHET, « Théorie générale des dépenses socio-fiscales », op. cit., p. 438
153
Après avoir appliqué la méthode du coup de rabot 291 dès la première année, nous
proposons dans notre démarche de recherche des mécanismes permanents visant un
encadrement rationnel à nos dépenses fiscales : par exemple le mécanisme connu dans la
doctrine française sous l’appellation de « règle de gage »292.
En vertu de cette règle, aucune dépense fiscale ne saurait prétendre prendre place
dans le code général des impôts qu’à la condition sine qua non que le coût de chaque
dépense fiscale nouvellement créée ou ayant déjà existé, et pour qu’elle fera l’objet d’une
extension, devrait impérativement être compensée par le gain tiré de la suppression ou de la
réduction d’une autre dépense fiscale. Bien que la règle de gage n’ait pas été respectée en
France, compte tenu des difficultés pratiques et de sa vocation d’être une règle proprement
comptable contraire à une gestion rationnelle 293, nous la maintiendrons pour la proposer
comme un outil d’encadrement de l’évolution des dépenses fiscales.
En dépit de cette faiblesse des règles encadrant l’évolution des dépenses, les analyses
ont montré qu’elles ont eu une certaine efficacité dans la période 2009-2013, la forte
croissance des années 2000, ayant fait place à une quasi stabilisation en valeur.
On peut appliquer soit un plafonnement global dédié aux avantages fiscaux octroyés
à un contribuable, consistant à faire en sorte que le montant du manque à gagner relatif aux
allégements qui lui ont été accordés, ne puisse dépasser un pourcentage de l’impôt dû, soit
un plafonnement spécifique à chaque dépense fiscale, plafonnement qui pourrait
s’appliquer de façon complémentaire et cumulative.
291
Ibid.
292
Ibid.
293
bid, p. 431.
154
Il importe, toutefois, de signaler que ces plafonnements proposés devraient se limiter
aux dépenses fiscales constituant des instruments de politique analogue aux dépenses
budgétaires selon le principe de symétrie. Pour ce faire, une liste exhaustive des avantages
fiscaux concernés par les divers plafonnements devrait être établie d’avance avec les
modalités de calcul.
Parmi les principes de bonne gestion, celui d’une évaluation permanente des
dépenses fiscales s’impose.
Autrement dit, en l’absence d’un retour positif, la dépense fiscale engagée est
considérée sans engagement et sans effet sur le comportement recherché. Il s’agit, donc,
soit d’une erreur de ciblage, soit d’une mauvaise opérationnalisation.
Sans vouloir émettre un jugement de valeur, nous sommes, toutefois, convaincus que
les règles de la bonne gouvernance plaident pour une suppression pure et simple de
l’avantage fiscal accordé sans retour positif.
155
Partant de la position soutenue méthodiquement dans ce travail, à savoir que le
recours aux dépenses fiscales comme instrument de politique publique n’est pas condamné
en tant que tel, mais que ce sont plutôt les voies de sa mise en œuvre qui prêtent à
discussion, nous partageons parfaitement la position de l’assemblée nationale francaise sur
les niches fiscales lorsqu’il confirme que « la dépense fiscale est, en soi, un bon outil de
politique économique et sociale. Il est en effet, parfaitement, légitime de créer des régimes
fiscaux dérogatoires, afin de favoriser tel comportement économique ou de modifier la
distribution des richesses nationales »294.
Evoquer les dépenses fiscales aboutit, couramment, à leur reprocher leur inefficacité
sans, toutefois, préciser la portée de l’efficacité attendue.
La dépense fiscale est qualifiée, a priori, d’efficiente chaque fois que son objectif est
nettement défini et sa mise en application étalée sur une période déterminée, avec un
sacrifice fiscal proportionné aux résultats attendus. Mais, en réalité, atteindre l’efficacité
requise n’est pas aussi facile à faire qu’à dire, tellement de confusions et d’amalgames
entourent l’octroi des dispositions dérogatoires en faveur de l’investissement ou de la
redistribution. Pourtant, aucun effort n’a été effectué pour étudier l’efficacité de l’incitation
294
D. MIGAUD, G. CARREZ et al., « Rapport d’information sur les niches fiscales », op. cit., p. 9.
156
fiscale et pour se prononcer sans équivoque sur l’impact réel de ces dispositions en fonction
des objectifs qui leur ont été assignés. Le gouvernement, dans l’état actuel des choses, est
incapable de se prononcer sur chaque dépense fiscale et dire si elle a atteint ou pas l’objectif
qu’elle s’était fixée lors de sa création. A ce titre, nous proposons que l’ensemble des
dépenses fiscales répertoriées parmi les instruments de politique publique soit passé au
crible « sous forme de tamis ou de filtre destinés à séparer le bon grain des dépenses utiles à
la société (et donc légitime) de l’ivraie des niches inutiles, trop coûteuses, ou néfastes (et
donc illégitimes) »295.
Au terme de ce travail sélectif, nous pourrons être en mesure d’appliquer notre ligne
réformatrice du système d’incitations fiscales telle qu’elle est recommandée par les Assises
nationales et, ce, au moyen de deux procédés, la suppression pure et simple des dépenses
jugées, selon la sentence rendue, inutiles et sans effet, et la conservation de celles dont les
résultats réalisés plaident pour leur maintien.
Enfin, une autre règle de bonne gouvernance des dépenses fiscales consiste à
rechercher l’optimisation budgétaire.
295
E. PICHET, « Théorie générale des dépenses socio-fiscales », op. cit., p. 431.
157
recours est la meilleure alternative possible imposée au gouvernement dans la mise en
œuvre de sa stratégie économique et sociale, mais ce choix « gagnerait, comme il est
recommandé par le Conseil des impôts, à être davantage explicite et documenté,
notamment, dans les études d'impact qui accompagnent les projets de lois concernés » 296.
Dans cette perspective, deux critères peuvent être proposés pour justifier le choix
d’une dépense fiscale plutôt qu’une dépense budgétaire.
Le premier critère devant permettre de faire appel aux instruments fiscaux comme
une solution de rechange aux dépenses directes, est sans aucun doute, le degré de la
pertinence du choix effectué. Afin de promouvoir ses objectifs économiques et sociaux, le
gouvernement a recours à de multiples outils d’intervention publique.
296
CONSEIL DES IMPÔTS, « La fiscalité dérogatoire, pour un réexamen des dépenses fiscales », op. cit., p. 182
158
suppression des dépenses jugées inefficaces ou exploitées comme niche d’optimisation
fiscales.
Nous sommes, donc, entièrement d’accord pour une approche préconisant une
évaluation qui prendrait en compte le coût de gestion adossé à chaque dépense fiscale et
tenter, en conséquence, de conclure, dans quelle mesure, il serait rationnel d’entériner un
tel choix ou recourir, tout bonnement, à une dépense budgétaire.
297
K .WEIDENFELD, « A l’ombre des niches fiscales », op. cit., p. 1.
159
budgétaires, économiques et sociaux que politiques, de la notion de dépense fiscale dans un
contexte marqué par un marasme financier sans précédent.
Or, la revue analytique des lois de finances successives depuis 2014 nous a enseigné,
chiffres à l’appui, que les faits sont têtus et qu’ils l’emportent sur le discours. L’euphorie des
Assises s’est vite éteinte, et la chasse aux incitations infondées s’est vite métamorphosée en
un retour effréné à la création de nouvelles dépenses fiscales, reportant, ainsi, la réforme
préconisée aux calendes grecques. Ce laxisme dans la création explique le foisonnement des
dépenses fiscales et, ce, en absence d’un pilotage d’encadrement, à l’instar de ce qui fait
pour les dépenses budgétaires avec la norme d’évolution des dépenses.
Heureusement que la critique dont fait souvent l’objet la fiscalité « n’a plus de
vocation à cantonner l’impôt à une fonction budgétaire ou à justifier la réduction des
160
prélèvements ; elle vise, au contraire, à en accroître le produit, sans acter une augmentation
des taux »298.
Asseoir une fiscalité simplifiée permettrait d’avoir une vision claire des règles
appliquées et de les utiliser au profit d’un système d’imposition plus juste et équitable. La
visibilité requise nous aiderait à stopper les dérives et limiter les tares du système actuel, à
commencer par la remise en cause de la multiplicité d’avantages accordés à une catégorie
de contribuables, sans être toutefois justifiés à tous les points de vue. Aussi une fiscalité
simple est le garant de son efficacité. Trop complexe, la structure de la fiscalité « peut
parfois déstabiliser le contribuable, au point que la norme fiscale lui devient inaccessible. Il
n’est, en effet, pas toujours évident de trouver la norme applicable » 299. Un impôt fondé sur
des agrégats hétérogènes et une législation peu limpide ne favorise guère l’adhésion
spontanée des citoyens.
Dans ce contexte, simplifier la fiscalité dérogatoire est une autre voie de réforme que
nous recommandons au terme de ce travail de recherche.
La revue analytique que nous avons effectuée dans ce travail, nous enseigne que la
combinaison d’une assiette plus large, par la suppression d’une partie des dispositions
dérogatoires et des taux modérés, pourrait faire bon ménage dans une version nouvelle du
système fiscal actuel.
298
K .WEIDENFELD, « A l’ombre des niches fiscales », op. cit., p. 111.
299
J. BUISSON, « La sécurité fiscale », Ed. L’Harmattan, 2011, p. 15.
161
Toutefois, afin ne pas bousculer le régime en vigueur et compromettre, ainsi, un
travail de plus de trois décennies, nous proposons que le chantier de simplification se limite,
en premier lieu, à analyser uniquement les dépenses fiscales constituant des instruments de
politique publique selon la symétrie préconisée auparavant et faire en sorte d’épargner « les
allégements structurels » qui font partie de l’équilibre de l’impôt 300.
Dans le même ordre d’idées, une autre catégorie de dépenses fiscales mériterait
d’être concernée par la réforme de simplification proposée. Il s’agit de supprimer les
différentes dépenses fiscales qui, bien qu’elles soient, contrairement, aux précédentes,
évaluées et chiffrées, ont des coûts respectifs insignifiants, mais rendent le système fiscal
encore plus complexe.
300
CONSEIL DES IMPÔTS, « La fiscalité dérogatoire, pour un réexamen des dépenses fiscales », op. cit., p. 182.
162
suppression pure et simple chaque fois qu’une mesure recensée n’a pas été évaluée, pour
une raison technique ou autre.
Seule l’absence, à notre avis, du chiffrage d’une mesure offre l’opportunité de s’en
débarrasser une fois pour toutes. Ainsi, nous pourrions faire d’une pierre deux coups : nous
serions tenté de l’exclure des mesures catégorisées en tant que dépense fiscale afin qu’elle
n’alourdisse pas, dans le futur, la facture déjà lourde. Mais, le plus important est de la
supprimer en raison de son manque d’évaluation dans le cadre du processus de
simplification entamée. En définitive, il conviendrait d’instaurer la condition d’estimation
d’une dépense fiscale comme une règle impérative pour déclarer sa création.
Après avoir proposé de supprimer les dépenses inefficaces, nous pouvons préconiser
celles des dépenses exploitées comme niches d’optimisations fiscales.
Il est, généralement, admis que la fiscalité marocaine est « relativement libérale, car
elle offre, fréquemment, le choix entre plusieurs solutions. Là comme ailleurs, il est de bon
choix et de mauvais choix. Mais on sent immédiatement que si une certaine habilité fiscale
est une vertu respectable, elle ne doit pas, à peine de devenir coupable, franchir certaines
bornes »301. Il a été constaté que plusieurs corporations se sont spécialisées dans la
sécurisation des avantages fiscaux, en faisant fi des objectifs de politique publique qui leur
ont été assignés en amont par la confection de montages juridiques complexes. C’est
pourquoi « la chasse à l’optimisation fiscale est une priorité budgétaire, avant même de
justice sociale. L’optimisation fiscale, en permettant d’échapper à l’impôt, diminue d’autant
les recettes fiscales : elle est en contradiction absolue avec l’objectif de rendement
budgétaire. En conséquence, les « niches VIP » utilisées pour l’optimisation fiscale doivent
être supprimées en priorité ».
Bien qu’elles aient été créées pour des raisons très légitimes dans leurs principes,
elles ont été détournées par des subterfuges à des fins d’optimisation fiscale. A ce titre, on
301
M. COZIAN & F. DEBOISSY, M. CHADEFAUX, « Précis de fiscalité des entreprises », op. cit., p. 518.
163
peut citer l’exemple des montants des dons en argent ou en en nature octroyés à certains
organismes qui sont déductibles, sans plafonnement, du revenu global imposable.
La chasse à ce genre de dépenses fiscales est, donc, une exigence budgétaire, mais
avant tout éthique. De fait, ces dérapages portent préjudice aux « fondements mêmes d’une
fiscalité efficace et équitable base du consensus social et du consentement du citoyen à
l’impôt »302.
De surcroît, d’autres dépenses fiscales sont dans le viseur du fisc du fait de leur
injustice sociale et de leur caractère antiéconomique. Elles doivent, donc, être revues de
fond en comble, afin d’être rendues conformes à leur raison d’être, qui est d’être digne d’un
instrument de politique publique.
Dans son principe, cette mesure incitant à l’accès au logement est plus que louable,
car elle permet à des personnes issues de milieux défavorisés ou appartenant à la classe
moyenne l’acquisition ou la construction d’un logement destiné à l’habitation, afin qu’elles
deviennent propriétaires, a priori, pour la première fois. Mais, étendre cet avantage à des
contribuables qui achètent ou construisent des villas de grandes superficies et dans des
quartiers huppés laisse pantois le chercheur devant la vraie signification de l’objectif retenu
à cette dépense qui est de faciliter l’accès au logement 303. Cette mesure élaborée sans
condition de ressources applicables aux bénéficiaires mériterait elle aussi, selon nous, d’être
supprimée pour les contribuables à revenus très élevés.
Conclusion du Chapitre II
302
E. PICHET,« Théorie générale des dépenses socio-fiscales », op. cit., p. 25.
303
DGI, « Rapport sur les dépenses fiscales 2018 », op. cit., p. 87.
164
Au constat de tous les éléments de la problématique débattue, le consensus autour
de la nocivité catégorique des dépenses fiscales n'est pas à discuter. Ainsi, et avant de
critiquer l’ensemble des mesures dérogatoires, il serait judicieux de les passer au crible afin
de détecter, en premier lieu, les bonnes mesures dérogatoires des mauvaises.
165
Conclusion Générale
La tendance générale est, donc, pour une refonte radicale de la politique des
dépenses fiscales au Maroc. Selon ses détracteurs, toute réforme fiscale envisagée serait
166
ainsi vouée à l'échec, si elle ne s'attaquait pas frontalement aux niches fiscales qui parasitent
le système d’imposition.
Pour ces raisons, leur bannissement serait une urgence et leurs failles exigeraient de
s'y attaquer, d’autant plus que les caisses de l’Etat sont structurellement en peine de
financement depuis des années. La suppression de ces mesures d'exception serait donc une
inestimable bouffée d'oxygène budgétaire en ces périodes, voire cycles de vaches maigres.
Toutefois, le système actuel pourra être efficace à condition de cibler les secteurs ou
les personnes bénéficiaires, et de mener, tout le temps, les études d'impact nécessaire avant
la prise de décision par les décideurs marocains.
167
Annexe 1 : Comparaison des dépenses par type d’Impôts
168
Analyse des dépenses en nombre
169
Annexe 2 : Analyse des dépenses par secteur d’activité
170
171
172
Analyse en valeur par secteur d’activité pendant la période 2014- 2017
173
174
Annexe 3 : Analyse des dépenses par type de dérogation
175
Analyse en valeur
176
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Rapport sur les dépenses fiscales relatives au projet de loi de Finances pour l’année
budgétaire 2006.
Rapport sur les dépenses fiscales relatives au projet de loi de Finances pour l’année
budgétaire 2007.
Rapport sur les dépenses fiscales relatives au projet de loi de Finances pour l’année
budgétaire 2008.
Rapport sur les dépenses fiscales relatives au projet de loi de Finances pour l’année
budgétaire 2009.
Rapport sur les dépenses fiscales relatives au projet de loi de Finances pour l’année
budgétaire 2010.
Rapport sur les dépenses fiscales relatives au projet de loi de Finances pour l’année
budgétaire 2011.
Rapport sur la dépense fiscale relative au projet de loi de Finances pour l’année
budgétaire 2012.
Rapport sur les dépenses fiscales relatives au projet de loi de Finances pour l’année
budgétaire 2013.
Rapport sur les dépenses fiscales relatives au projet de loi de Finances pour l’année
budgétaire 2014
Rapport sur les dépenses fiscales relatives au projet de loi de Finances pour l’année
budgétaire 2015.
183
Rapport sur les dépenses fiscales relatives au projet de loi de Finances pour l’année
budgétaire 2016.
Rapport sur les dépenses fiscales relatives au projet de loi de Finances pour l’année
budgétaire 2017.
Rapport sur les dépenses fiscales relatives au projet de loi de Finances pour l’année
budgétaire 2018.
Rapport sur les dépenses fiscales relatives au projet de loi de Finances pour l’année
budgétaire 2019.
184
Table des matières
Sommaire..........................................................................................................................................2
Table des principales abréviations....................................................................................................3
Introduction Générale.......................................................................................................................5
185
a - Le reclassement d’opérations exonérées en opérations imposables........................51
b - Le passage d’opérations taxées d’un taux inférieur à un taux supérieur..................55
B - La rationalisation par création de dépenses fiscales nouvelles...........................................56
1 - Les incitations fiscales nouvelles en matière d’impôts directs......................................56
a - Les créations de dépenses fiscales relatives à l’impôt sur le revenu.........................57
b- Les créations de dépenses fiscales relatives à l’impôt sur les sociétés.......................61
2 - Les incitations fiscales nouvelles en matière d’impôts indirects...................................63
a - Les créations de dépenses fiscales relatives à la TVA.................................................63
b- Les créations de dépenses fiscales relatives aux droits d’enregistrement et de timbre
..........................................................................................................................................64
2 - Le bilan de la rationalisation des dépenses fiscales.................................................................65
A - Les dépenses fiscales marocaines : déperdition de ressources et opacité budgétaire........67
B - La nouvelle refonte méthodologique de la gestion des dépenses fiscales amorcée en 2018
..................................................................................................................................................69
Conclusion du Chapitre I...................................................................................................................84
186
1 - La mise en place de règles de pilotage des dépenses fiscales......................................153
a - Le pilotage par des mécanismes d’encadrement.....................................................153
b - Le pilotage par des mécanismes de réduction.........................................................156
2 - L’évaluation permanente des dépenses fiscales..........................................................156
3 – La recherche de l’optimisation budgétaire des dépenses fiscales..............................159
a - La suppression des dépenses fiscales inefficaces.....................................................160
b - La suppression des dépenses fiscales exploitées comme niches d’optimisation
fiscale.............................................................................................................................164
Conclusion du Chapitre II................................................................................................................166
Conclusion Générale......................................................................................................................168
Listes des Annexes:........................................................................................................................169
BIBLIOGRAPHIE.............................................................................................................................178
Table des matières........................................................................................................................186
187