Séquence Poésie 2nde

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Séquence poésie, niveau : seconde

Dénoncer la cour et les courtisans aux 16e- 18e s.

TEXTE 1. Olivier de MAGNY, Les soupirs (1557), sonnet 147


Paschal1, je vois ici ces courtisans romains
Ne faire tous les jours que masques et boubances2,
Que joutes et festins, et mille autres dispenses,
Ou pour leur seul plaisir, ou bien pour les putains.

Je vois un Ganymède3 avoir entre ses mains


Le pouvoir de donner offices et dispenses.
Toute sorte de brefs4, d’indults5, et d'indulgences,
Et faire impunément mille actes inhumains.

Je vois cet Innocent qui mendiait naguère,


Pour avoir dextrement jouxté par le derrière,
Maintenant vivre au rang des plus grands demi-dieux.

Je vois le vice infect qui les vertus assomme,


Je vois régner l'envie, et l'orgueil odieux,
Et voilà, mon Paschal, des nouvelles de Rome

TEXTE 2. Joachim Du BELLAY, Les regrets (1558) sonnet 86


Marcher d'un grave pas et d'un grave sourcil,
Et d'un grave sourire à chacun faire fête,
Balancer tous ses mots, répondre de la tête,
Avec un Messer non, ou bien un Messer si :

Entremêler souvent un petit Et cosi,


Et d'un son Servitor' contrefaire l'honnête,
Et, comme si l'on eût sa part en la conquête,
Discourir sur Florence, et sur Naples aussi :

Seigneuriser chacun d'un baisement de main,


Et, suivant la façon du courtisan romain,
Cacher sa pauvreté d'une brave apparence :

1
Pierre de PASCHAL fut historiographe du Roi Henri II ainsi que l’ami et le confident, le dédicataire parfois, de
plusieurs membres de la Pléiade, dont RONSARD.
2
Mascarades et bombances.
3
Dans la mythologie grecque, Ganymède le berger, est repéré par Zeus qui en fait son serviteur et son favori.
4
Brève papale.
5
Dérogation spéciale accordée par le Pape à quelques privilégiés.
Voilà de cette cour la plus grande vertu,
Dont souvent mal monté, malsain, et mal vêtu,
Sans barbe et sans argent on s'en retourne en France.

TEXTE 3. Marc-Antoine de PAPILLON de LASPHRISE, Poésies diverses, sonnet 73 (1597).


Je ne m'ébahis pas s'on vous appelle fous.
Hé ! quoi ? n'êtes-vous point comme enflés de folie,
Lorsque vous honorez par docte Poésie
Des Messieurs Courtisans qui médisent de vous ?

Mais comme sans raison un faux mari jaloux


Maltraite sa moitié chastement accomplie,
Ainsi ces ignorants gonflés de laide envie
Méprisent vos labeurs honorablement doux.

Encore les voit-on au front de vos ouvrages,


Poètes aveuglés, que vous êtes peu sages,
Mendiant la faveur qui feintement vous rit

Écrivez aux vaillants d'âmes doctement belles,


Et laissez-là ces fols : s'ils avaient de l’esprit
Ils ne blâmeraient pas vos grâces immortelles.

TEXTE 4. Jean de LA FONTAINE, « La cour du lion », Fables, livre VII, 6 (1678).


Sa Majesté Lionne un jour voulut connaître
De quelles nations le ciel l'avait fait maître.
Il manda donc par Députés
Ses Vassaux de toute nature,
Envoyant de tous les côtés
Une circulaire écriture,
Avec son sceau. L'écrit portait
Qu'un mois durant le Roi tiendrait
Cour plénière, dont l'ouverture
Devait être un fort grand festin,
Suivi des tours de Fagotin1 .
Par ce trait de magnificence
Le Prince à ses sujets étalait sa puissance.
En son Louvre2 il les invita.
Quel Louvre ! un vrai charnier, dont l'odeur se porta
D'abord au nez des gens. L'Ours boucha sa narine :

1
Singe savant.
2
Palais royal.
Il se fût bien passé de faire cette mine,
Sa grimace déplut. Le Monarque irrité
L'envoya chez Pluton1 faire le dégoûté.
Le Singe approuva fort cette sévérité,
Et flatteur excessif, il loua la colère
Et la griffe du Prince, et l'Antre, et cette odeur :
Il n'était ambre, il n'était fleur,
Qui ne fût ail au prix. Sa sotte flatterie
Eut un mauvais succès, et fut encor punie.
Ce Monseigneur du Lion-là
Fut parent de Caligula2.
Le Renard étant proche : Or çà, lui dit le Sire,
Que sens-tu ? dis-le-moi : parle sans déguiser.
L’autre aussitôt de s’excuser,
Alléguant3 un grand rhume : il ne pouvait que dire
Sans odorat ; bref il s’en tire.
Ceci vous sert d’enseignement.
Ne soyez à la cour, si vous voulez y plaire,
Ni fade adulateur4, ni parleur trop sincère ;
Et tâchez quelquefois de répondre en Normand5.

TEXTE 5. Jean de LA FONTAINE, « le lion, le loup et le renard », Fables VIII, 3 (1678)


Un Lion décrépit, goutteux, n'en pouvant plus,
Voulait que l'on trouvât remède à la vieillesse :
Alléguer l'impossible aux Rois, c'est un abus.
Celui-ci parmi chaque espèce
Manda des Médecins ; il en est de tous arts :
Médecins au Lion viennent de toutes parts ;
De tous côtés lui vient des donneurs de recettes.
Dans les visites qui sont faites,
Le Renard se dispense, et se tient clos et coi.
Le Loup en fait sa cour, daube6 au coucher du Roi
Son camarade absent ; le Prince tout à l'heure
Veut qu'on aille enfumer Renard dans sa demeure,
Qu'on le fasse venir. Il vient, est présenté ;
Et, sachant que le Loup lui faisait cette affaire :
Je crains, Sire, dit-il, qu'un rapport peu sincère,
Ne m'ait à mépris imputé
D'avoir différé cet hommage ;

1
Dieu des Enfers chez les Romains.
2
Empereur romain réputé pour sa cruauté et sa folie.
3
Prétextant.
4
Adorateur.
5
Répondre de façon ambiguë, en « jouant sur les deux tableaux », fam. « en ménageant la chèvre et le choux ».
6
Dauber : moquer, railler.
Mais j'étais en pèlerinage ;
Et m'acquittais d'un vœu fait pour votre santé.
Même j'ai vu dans mon voyage
Gens experts et savants ; leur ai dit la langueur
Dont votre Majesté craint à bon droit la suite.
Vous ne manquez que de chaleur :
Le long âge en vous l'a détruite :
D'un Loup écorché vif appliquez-vous la peau
Toute chaude et toute fumante ;
Le secret sans doute en est beau
Pour la nature défaillante.
Messire Loup vous servira,
S'il vous plaît, de robe de chambre.
Le Roi goûte cet avis-là :
On écorche, on taille, on démembre
Messire Loup. Le Monarque en soupa,
Et de sa peau s'enveloppa ;
Messieurs les courtisans, cessez de vous détruire :
Faites si vous pouvez votre cour sans vous nuire.
Le mal se rend chez vous au quadruple du bien.
Les daubeurs1 ont leur tour d'une ou d'autre manière :
Vous êtes dans une carrière
Où l'on ne se pardonne rien.

TEXTE 6. J.-Pierre CLARIS de FLORIAN, « Le courtisan et le dieu Protée », Fables III (1793)

On en veut trop aux courtisans ;


On va criant partout qu’à l’état inutiles
Pour leur seul intérêt ils se montrent habiles :
Ce sont discours de médisants.
J’ai lu, je ne sais où, qu’autrefois en Syrie
Ce fut un courtisan qui sauva sa patrie.
Voici comment : dans le pays
La peste avait été portée,
Et ne devait cesser que quand le dieu Protée
Dirait là-dessus son avis.
Ce dieu, comme l’on sait, n’est pas facile à vivre :
Pour le faire parler il faut longtemps le suivre,
Près de son antre l’épier,
Le surprendre, et puis le lier,
Malgré la figure effrayante
Qu’il prend et quitte à volonté.
Certain vieux courtisan, par le roi député,
Devant le dieu marin tout-à-coup se présente.

1
Esprits moqueurs.
Celui-ci, surpris, irrité,
Se change en noir serpent ; sa gueule empoisonnée
Lance et retire un dard messager du trépas,
Tandis que, dans sa marche oblique et détournée,
Il glisse sur lui-même et d’un pli fait un pas.
Le courtisan sourit : je connais cette allure,
Dit-il, et mieux que toi je sais mordre et ramper.
Il court alors pour l’attraper :
Mais le dieu change de figure ;
Il devient tour-à-tour loup, singe, lynx, renard.
Tu veux me vaincre dans mon art,
Disait le courtisan : mais, depuis mon enfance,
Plus que ces animaux avide, adroit, rusé,
Chacun de ces tours-là pour moi se trouve usé.
Changer d’habit, de mœurs, même de conscience ;
Je ne vois rien là que d’aisé.
Lors il saisit le dieu, le lie,
Arrache son oracle, et retourne vainqueur.
Ce trait nous prouve, ami lecteur,
Combien un courtisan peut servir la patrie.

TEXTES COMPLEMENTAIRES

TEXTE A. Jean de LA BRUYERE, Les Caractères, « De la cour », 19 (1688, 1696)

Ne croirait-on pas de Cimon et de Clitandre qu’ils sont seuls chargés des détails de tout l’État,
et que seuls aussi ils en doivent répondre ? L’un a du moins les affaires de terre, et l’autre les
maritimes. Qui pourrait les représenter exprimerait l’empressement, l’inquiétude, la curiosité,
l’activité, saurait peindre le mouvement. On ne les a jamais vus assis, jamais fixes et arrêtés :
qui même les a vus marcher ? on les voit courir, parler en courant, et vous interroger sans
attendre de réponse. Ils ne viennent d’aucun endroit, ils ne vont nulle part : ils passent et ils
repassent. Ne les retardez pas dans leur course précipitée, vous démonteriez leur machine ;
ne leur faites pas de questions, ou donnez-leur du moins le temps de respirer et de se
ressouvenir qu’ils n’ont nulle affaire, qu’ils peuvent demeurer avec vous et longtemps, vous
suivre même où il vous plaira de les emmener. Ils ne sont pas les Satellites de Jupiter, je veux
dire ceux qui pressent et qui entourent le prince, mais ils l’annoncent et le précèdent ; ils se
lancent impétueusement dans la foule des courtisans ; tout ce qui se trouve sur leur passage
est en péril. Leur profession est d’être vus et revus, et ils ne se couchent jamais sans s’être
acquittés d’un emploi si sérieux et si utile à la république. Ils sont au reste instruits à fond de
toutes les nouvelles indifférentes, et ils savent à la cour tout ce que l’on peut y ignorer ; il ne
leur manque aucun des talents nécessaires pour s’avancer médiocrement. Gens néanmoins
éveillés et alertes sur tout ce qu’ils croient leur convenir, un peu entreprenants, légers et
précipités. Le dirai-je ? ils portent au vent, attelés tous deux au char de la Fortune, et tous deux
fort éloignés de s’y voir assis.
TEXTE B. Paul Thiry d’HOLBACH, Essai sur l’art de ramper, à l’usage des courtisans (1790).

Il faut avouer qu’un animal si étrange est difficile à définir ; loin d’être connu des autres, il peut
à peine se connaître lui-même ; cependant il paraît que, tout bien considéré, on peut le ranger
dans la classe des hommes, avec cette différence néanmoins que les hommes ordinaires n’ont
qu’une âme, au lieu que l’homme de cour paraît sensiblement en avoir plusieurs. En effet, un
courtisan est tantôt insolent et tantôt bas ; tantôt de l’avarice la plus sordide et de l’avidité la
plus insatiable, tantôt de la plus extrême prodigalité1, tantôt de l’audace la plus décidée, tantôt
de la plus honteuse lâcheté, tantôt de l’arrogance la plus impertinente, et tantôt de la politesse
la plus étudiée ; en un mot c’est un Protée2, un Janus3, ou plutôt un dieu de l’Inde qu’on
représente avec sept faces différentes.

LECTURE CURSIVE

Joachim Du BELLAY, Les regrets (1558)

1
Aptitude à la dépense.
2
Dans la mythologie grecque, divinité marine au service de Poséidon et qui avait le pouvoir de se
métamorphoser.
3
Dans la mythologie romaine, divinité qui présentait deux visages, l’un tourné vers le passé, l’autre vers l’avenir.

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