Combats Pour La Langue Dans Le Pays D'arlon
Combats Pour La Langue Dans Le Pays D'arlon
Combats Pour La Langue Dans Le Pays D'arlon
© Jean-Marie TRIFFAUX
Chemin des Espagnols. 249 - 6700 ARLON
J.-M. T.
4
I. INTRODUCTION
Pendant les huit siècles qui l'ont mené de l'âge féodal à l'épo-
que contemporaine. le duché de Luxembourg est resté partagé
par une frontière linguistique qui a résisté à tous les avatars de
l'histoire.
L'origine de cette frontière linguistique demeure un sujet con-
troversé. Durant tout le 19e siècle et la première moitié du 20e
siècle. le monde scientifique empreint d'antagonisme franco-
allemand a décrit nos régions submergées par les envahisseurs
germaniques à la fin de l'empire romain. Massacrés ou expulsés
par des païens iconoclastes. les Gallo-Romains auraient aban-
donné leurs terres colonisées massivement par les Francs. Ceux-
ci se seraient arrêtés devant des obstacles tels que les chaussées
romaines ou les forêts Oa forêt charbonnière). La frontière lin-
guistique se serait formée soudainement et épouserait le point
d'arrêt de la colonisation germanique dans nos contrées. face
aux territoires restés gallo-romains. Dans la partie germanique.
le latin aurait complètement disparu en même temps que la chute
de l'Empire romain. en 476.
De multiples découvertes archéologiques faites dans notre ré-
gion transfrontalière au cours des dernières décennies tendent à
prouver que la réalité est fort éloignée de cette théorie produite
par les nationalismes d'une époque aujourd'hui révolue.
Qu'en est-il exactement?
Il est certain que la douceur de vivre de la société gallo-
romaine est sérieusement perturbée dès la seconde moitié du me
siècle de notre ère par des incursions germaniques. En 291. après
des attaques dévastatrices dans le pays des Trévires. l'empereur
5
Maximien autorise des Francs à s'installer dans leur territoire. Il
pourrait s'agir de colons-soldats chargés de défendre le pays en
échange de terres. Ces premiers Francs se seraient implantés no-
tamment autour de Trèves. Luxembourg, Arlon, Thionville. Dans
les décennies suivantes, la société gallo-romaine connaît une pé-
riode faste dans nos régions. Promue au rang de résidence impé-
riale par Dioclétien. Trèves détrône Rome jugée trop éloignée des
frontières et accède au rang de capitale de la partie occidentale de
l'empire. Constantin y réside régulièrement et d'importants mo-
numents. comme les thermes impériaux et une grande basilique.
témoignent des efforts de l'empereur pour faire de la ville une
capitale à la mesure de ses ambitions. Non seulement notre ré-
gion est loin d'être un amas de ruines fumantes durant la pre-
mière moitié du ive siècle. mais elle abrite une des plus grandes
cités d'Occident
A cette époque. l'armée romaine recrute des Germains pour
pallier le manque de citoyens-soldats et faire face aux menaces
extérieures. Les Francs sont connus pour former deux unités
d'élite de l'armée de Constantin. Les carrières d'officiers leur sont
ouvertes et l'armée romaine compte bientôt des généraux francs.
Après avoir servi dans les armées de campagne ou les garnisons
frontalières, ces vétérans barbares accèdent à la citoyenneté ro-
maine. Ils bénéficient des mêmes avantages que les légionnaires
romains. Ils reçoivent des terres où leur installation est favorisée
par divers avantages comme l'octroi d'un pécule. de bétail. de
semences et l'exonération d'impôts Ol,
Vers 360, nos régions sont à nouveau durement éprouvées.
Les incursions des Alamans et la détérioration de la situation
politique à l'intérieur de l'empire en seraient la cause. De nom-
breuses villas sont détruites et des refuges fortifiés établis à tra-
vers tout le pays. Entre 395 et 406, Trèves perd son rang de rési-
dence impériale au profit de Milan et la préfecture du prétoire
est déplacée vers Arles (2).
Le 31 décembre 406, une série de peuples germaniques. les
Vandales. les Alains et les Suèves. traversent le Rhin gelé près de
(6
lHervé HASQUIN. La Wallonie. son histoire. Bruxelles. 1999.
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nombreux îlots romans et zones-reliques en pays germanique.
La vallée de la Moselle allemande et la ville de Trèves sont répu-
tées pour leur rôle dans la résistance des parlers romans. Le latin
y domine jusqu'à la fin de l'époque carolingienne. On cite même
le cas d'un patois roman qui s'est maintenu dans le domaine de
la viticulture jusqu'au xmesiècle.
Cela nous amène à examiner une autre thèse.
Pour Alain Simmer. l'accession des Francs au pouvoir et la
germanisation de nos régions sont sans rapport de cause à effet.
L'origine franque de la frontière linguistique dans l'Est de la Gaule
est une théorie qui ne tient plus la route. Les progrès de l'archéo-
logie et de la dialectologie l'ont ébranlée. Les paradoxes et les
anachronismes s'y ramassent à la pelle. En voici un avant-goût.
Nulle part ailleurs en zone germanique qu'entre Bitburg et Ech-
ternach, le long de la Moselle, de Bemkastel à Trèves et entre
Moselle et Sarre. on atteint une telle densité de nécropoles mé-
rovingiennes. L'occupation franque y est donc d'envergure. Les
chercheurs allemands ont découvert que la romanité s'y main-
tient à un degré record en l'absence de toute empreinte germa-
nique plusieurs siècles après la fin de l'empire romain.
Autre exemple : les franciques mosellans, baptisés ainsi par
des philologues persuadés qu'ils furent apportés par les Francs,
relèvent de l'allemand moyen (Mitteldeutsch). Or, les Francs par-
laient un dialecte bas-allemand (Niederdeutsch). Comment des
peuples pratiquant une langue du Nord auraient-ils pu en intro-
duire une autre, presque méridionale, foncièrement différente,
d'autant qu'il s'agit de dialectes auxquels la recherche moderne
hésite à assigner un véritable ancêtre commun ? Si les Francs
avaient joué un rôle quelconque dans la transmission des dia-
lectes lorrains, les Mosellans parleraient aujourd'hui néerlandais,
tout comme les trois quarts de l'Allemagne.
Une hypothèse de travail est que les Francs du VIe siècle ne
parlaient peut-être plus le dialecte bas-allemand qui leur était
propre. Minoritaires et rapidement intégrés dans leur nouveau
pays. ils n'auraient fait qu'adopter la langue des régions où ils
s'établissaient. Le véritable francique aurait disparu selon un pro-
cessus tout à fait naturel.
Dans la foulée, le linguiste-archéologue ouvre la porte à de
nouveaux horizons de recherches. Une frontière linguistique en-
tre gaulois et germanique existait probablement déjà avant l'arri-
vée de César. Nous voici amenés à nous interroger sur l'origine
10
de ceux qui peuplaient la Gaule Belgique avant la conquête ro-
maine. Ces Belges. de loin les plus braves de tous. ne seraient-ils
pas des envahisseurs d'origine germanique venus s'établir au
milieu des Celtes vers 200 avant J.C. ? La Gaule Belgique présen-
terait alors un mélange de deux ethnies : l'arrière-garde des Cel-
tes et l'avant-garde des Germains. Des «Gaulois» qui ont su habi-
lement emprunter à la civilisation romaine ce qu'elle avait de
meilleur tout en conservant leurs particularités. donnant ainsi
naissance à la brillante civilisation gallo-romaine. Ce serait donc
la romanité qui serait venue se superposer à une civilisation celto-
germanique et non pas un germanisme d'envahisseurs qui se
serait plaqué sur la civilisation gallo-romaine. La romanisation
n'aurait fait qu'effleurer les masses rurales où survivaient lan-
gues et coutumes.
Pour expliquer la formation de la frontière linguistique en Lor-
raine. Alain Simmer songe à la résurgence d'un germanisme in-
digène. parallèlement à celle du celtisme. alors que la romanité
s'estompe. Un simple retour de valeurs traditionnelles en dou-
ceur et sans heurt. Dans les campagnes. le germanisme était po-
pulaire, écrit-il. et il l'est resté jusqu'à nos jours. Atavique, ancré
dans les populations rurales, il a imprimé à la langue et au pay-
sage mosellan un sceau indélébile.
Le duché de Luxembourg :
un quartier allemand et un quartier wallon
14
appeler à eux nombre de modestes lettrés arlonais qui font à la
cour de Bruxelles ou à la cour impériale d'étonnantes carrières.
Chaque famille bourgeoise ou patricienne d'Arlon voit un de ses
membres grandir dans les Conseils des électeurs de Trèves. Co-
logne. Mannheim. et. si de nombreux postes de la Secrétairie
d'Etat de langue allemande des Pays-Bas - qui régit les rapports
avec le Saint-Empire - sont occupés pendant plusieurs généra-
tions par des fonctionnaires et des diplomates nés à Arlon (que
l'on se souvienne des Huart. Pütz. Pratz. Weller...). c'est d'abord
parce que ces derniers manient aussi bien le français que l'alle-
mand. Des ministres et des prélats comme les Busleyden. des
évêques comme Elchardus. des chanceliers de l'Empire comme
Naves et Held. des diplomates comme Houst. des grands magis-
trats comme les Bock. les Everlang. les Beyer ou les Ludovici. des
juges à la cour de Wetzelar comme les Neufforge. des princes
d'armée et d'église comme Aldringen. des administrateurs ecclé-
siastiques comme Georges d'Eyschen. des aumôniers de l'em-
pereur comme Lamorménil. des hauts dignitaires princiers
comme les Dujardin de Bemabruck ou les Nisette devenus ba-
rons de Loewenburg ... n'auraient jamais existé s'ils n'avaient eu
le privilège de parler naturellement deux langues. Même en 1830.
il y a encore en Autriche une série de généraux et de feld-maré-
chaux venus des confins arlonais tels les Wacquent. les Gallois.
le baron Ensch ... ce qui fait dire à Pierre Nothomb :
«ll ny a pas en Occident une ville qui ait produit autant d'hom-
mes éminents que l'humble Arlon de deux mille habitants. Pour-
quoi tant de grands fonctionnaires, de grands professeurs, de
diplomates sont-ils venus dïci ? Certes. à cause de leur intelli-
gence, de leur travail et de leur goût du travail, mais combien de
fois à cause de la supériorité que leur donnait. même dans une
Belgique que la neutralité repliait sur elle-même, leur participa-
tion à deux expression de la culture européenne. Privés de cette
supériorité, nos concitoyens du bas Luxembourg risquent de ne
plus dépasser pour la plupart. le grade de chef de bureau !» 0 3l
Le bilinguisme arlonais se retrouve encore dans les rares ar-
chives que les nombreux incendies qui ravagèrent la ville ont
préservées ou dans celles conservées à l'extérieur de la cité. On y
découvre des textes tantôt en allemand. tantôt en français selon
les époques et la prépondérance de l'une ou l'autre langue. D'une
18
Sous une vigne chargée de grappes de raisins. un musicien joue du tibia tandis
qu'une m énade danse. un tambourin à la main. Au marché. des cultivateurs
vendent leur production de fruits. Mythologie ou scènes de vie quotidienne. les
bas-reliefs du musée d'Arlon sont parmi les plus beaux d'Europe.
19
Les Francs ont laissé des traces
ostensibles d e leur présence
dans le pays d'Arlon.
21
Le songe d'Ermesinde (vitrail de la chapelle Notre-Dame du Bel Amour à
Clairefontaine, 1877).
Selon la légende, la comtesse s'endormit et eut une vision, près de la source
bénie par saint Bernard, dans la vallée de la Durbach. Ce serait là l'origine de
l'abbaye de Clairefontaine, un couvent cistercien devenu la sépulture de la mai-
son de Luxembourg.
22
Tombeau de la comtesse Ermesinde à Clairefontaine (l 9e siècle).
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La ville d'Arl ond~ . · ·
24 près le plan de J. d e Deventer (début d es années 1560)
II. LA SÉPARATION DE 1839
25
la campagne environnante à la recherche d'un abri. Durant l'hi-
ver qui suit les réfugiés s'entassent dans les couvents où les con-
ditions d'hygiène sont déplorables. Une maladie épidémique, la
fièvre putride, fait son apparition. La mort emporte 200 person-
nes '18l.
A peine reconstruite, la ville d'Arlon se trouve plongée en pleine
guerre entre l'Autriche et la France. Le passage des émigrés est le
prélude au choc des deux armées, impériale et républicaine. En
1793. à l'issue de la bataille de Weyler, les Français occupent
Arlon durant trois jours. pillant la ville à leur départ. En 1794.
Jourdan remporte une bataille décisive sur les Autrichiens à Ar-
lon, ce qui vaut à la ville d'avoir son nom gravé sur l'Arc de Triom-
phe. place de !'Etoile à Paris. L'abbaye de Clairefontaine est dé-
truite. La route de Luxembourg est ouverte. Après six mois de
siège, la forteresse capitule le 7 juin 1795. Quatre mois plus tard,
les anciens Pays-Bas autrichiens sont annexés par la France o9l,
La plus grande partie du duché devient le département des Fo-
rêts avec Luxembourg pour chef-lieu '20J. il le reste jusqu'à la chute
de Napoléon en 1814.
Après le départ des Français, c'est au tour des Alliés d'oc-
cuper le Luxembourg. Remarquablement aménagée par Vau-
ban '2 1l, la forteresse de Luxembourg est considérée comme
l'une des plus formidables places fortes d'Europe. C'est pour-
quoi les Prussiens décident de l'utiliser contre la France. «Elle
était la clef de la Lorraine, le pays qu'elle dominait en était la
porte.» (nJ
Luxembourg a un gouverneur prussien et le département des
p. 18.
26
Forêts est d'abord réuni au Gouvernement général du Rhin-
Moyen. puis au Gouvernement général du Bas-Rhin. Le proto-
cole de Londres de juin 1814. créant le Royaume des Pays-Bas au
profit de la maison d'Orange-Nassau. ne fait aucune réserve à
l'égard du duché de Luxembourg qui en théorie. est à nouveau
réuni avec les anciens Pays-Bas autrichiens et la principauté de
Liège. sous la dénomination générale de Belgique.
En mai 1815. les grandes puissances réunies en congrès à
Vienne pour remettre un peu d'ordre dans les affaires de l'Eu-
rope et se partager les dépouilles de la France vaincue.
redessinent la carte de nos contrées. La Hollande (anciennes
Provinces-Unies) et la Belgique (anciens Pays-Bas autrichiens et
principauté de Liège) sont réunies au sein d'un nouveau pays.
le royaume des Pays-Bas avec Guillaume Ier d'Orange-Nassau
comme souverain.
Cependant un sort tout à fait particulier est réservé au Luxem-
bourg. Elevé au rang de grand-duché. il est donné en possession
personnelle à Guillaume Ier pour l'indemniser de la perte. au
profit de la Prusse. de petites principautés situées au nord de
Coblence et qui faisaient partie de son patrimoine familial
(Dillenbourg. Siegen. Hadamar et Dietz). Guillaume Ier est donc
roi des Pays-Bas et grand-duc de Luxembourg. Selon l'article 67
de l'Acte final du congrès de Vienne. lui et ses successeurs peu-
vent disposer à perpétuité du Luxembourg. en toute propriété et
souveraineté '23l.
Mais ce n'est pas tout. Le Grand-Duché est également am-
puté de l'arrondissement de Bitburg et d'une longue bande de
terre sur la rive droite de la Moselle au profit de la Prusse. Par
contre. on y incorpore le duché de Bouillon. Enfin. il entre dans
la Confédération germanique et une garnison prussienne s'ins-
talle dans la forteresse de Luxembourg (24l_La création du royaume
des Pays-Bas et l'intégration du Luxembourg dans la Confédéra-
tion germanique s'inscrivent dans le cadre de la mise en place
d'un système défensif destiné à prévenir toute nouvelle agres-
sion de la France.
1z3l Albert
CALMES. Naissance et débuts du Grand-Duché. op. cit
124 l Devenue
forteresse fédérale (Bundesfestung). la forteresse de Luxembourg
est occupée par une garnison prussienne jusqu'en 1867.
27
Arlon, chef-lieu provisoire du
Grand-Duché de Luxembourg
Malgré ses spécificités. le Grand-Duché de Luxembourg parti-
cipe pleinement à la vie des autres provinces belges durant les
quinze années qui suivent Ne respectant pas les stipulations du
Congrès de Vienne, Guillaume 1er ne le traite pas en Etat séparé
mais il le considère comme la 18e province de son royaume '25l.
Les députés luxembourgeois siègent dans la même assem-
blée que tous les autres députés belges. En 1830. le Luxembourg,
théoriquement Etat distinct mais pratiquement simple province
belge. se joint tout naturellement à la Révolution belge. Ses vo-
lontaires accourent spontanément à Bruxelles, en même temps
que ceux de Liège. de Flandre et du Hainaut «ll en vient de tous
les coins du Grand-Duché». écrit Louis Lefèbvre '26l : Vianden, Ar-
lon, Luxembourg. Habay. Mersch. Koerich. Neufchâteau, Diekirch,
Bastogne. Esch-sur-Alzette. Marche. Grevenmacher, Bertrix, Virton.
Rernich, Mussy-la-Ville, Bellange, etc. Les uns sont à pied, les
autres en diligence. Certains voyagent isolément d'autres en
groupe. Bientôt c'est toute une compagnie franche luxembour-
geoise qui voit le jour. Ses volontaires se distinguent notamment
lors de l'attaque et de la prise du pont de Waelhem. au nord de
Malines, le jeudi 21 octobre 1830.
La volonté des Luxembourgeois est claire : ils veulent faire
partie de la Belgique. Le 16 octobre 1830. le Gouvernement pro-
visoire de Bruxelles, sous l'inspiration de François d'Hoffschrnidt<27J
et de Jean-Baptiste Nothomb '28l, déclare la province de Luxem-
bourg (c'est-à-dire le Grand-Duché de Luxembourg). «partie
31
réduit à néant ces espoirs. Les troupes hollandaises ayant en-
vahi la Belgique. l'armée belge ne se montre pas à la hauteur et la
situation ne peut être sauvée que grâce à l'intervention militaire
de la France. Les pourparlers reprennent à Londres et aboutis-
sent en novembre 1831. au traité des XXIV articles. beaucoup
moins favorable à la Belgique car il prévoit le partage du Lim-
bourg et du Luxembourg entre les deux protagonistes et non
plus un hypothétique rachat du Grand-Duché par les Belges.
Lors de la négociation de ce traité, le principe de base retenu
pour le démembrement du Luxembourg est celui de la sépara-
tion en vertu de la frontière linguistique. La partie orientale. de
langue germanique, revient à Guillaume. tandis que la partie oc-
cidentale où l'on parlait des idiomes d'origine romane. est con-
servée par la Belgique. En réalité. la ligne de partage ne coïncide
pas exactement avec la frontière linguistique. Elle s'en écarte as-
sez largement par endroits.
La zone de langue germanique du district de Bastogne n'est
attribuée au Grand-Duché que pour les deux tiers environ. Bien
qu'étant d'idiome germanique, les villages de Nothomb (Noutem).
Parette (Parrt). Martelange (Martel). Radelange (Réidel). Grumelange
(Grémeil). Bodange (Biedeg). Wisembach (Wüsbech). Tintange
(Tënnen) et Warnach (Warnech) demeurent à la Belgique.
Selon von Franqué (36l, cette entorse au principe de la sépara-
tion linguistique est causée en partie par l'ignorance et la négli-
gence du ministère des Affaires étrangères de Berlin. qui ne sait
pas se renseigner à temps. ni quant aux limites des zones du
wallon et de l'allemand. ni auprès du gouverneur militaire à
Luxembourg quant aux nécessités militaires à sauvegarder. Le
10 septembre 18 31. le ministère des Affaires étrangères de Berlin
écrit à Bülow qu'il n'est pas encore documenté, et c'est ainsi que
le plénipotentiaire prussien ne peut exiger dans la région de
Bastogne un tracé strictement conforme au principe de la sépa-
ration des langues.
De plus. toute la région d'Arlon. également germanique. est
attribuée à la Belgique et non au Grand-Duché. S'étendant au
nord de la frontière française et de la place forte de Longwy. ce
territoire englobe une soixantaine de localités. les anciennes com-
munes suivantes et leurs sections :
136l VON FRANQUE. Luxemburg. die belgische Revolution und die Mach te. Bonn.
1933. p. 225 . repris par A CALMES. Le Grand-Duché de Luxembourg dans la
Révolution belge. op. cit. p. 202.
32
- Nobressart (Gehaanselchert). Almeroth. Luxeroth. Louchert
(Luchert). Heinstert (Heeschtert) ;
- Attert. Grendel. Faascht. Schadeck (Schuedeck). Schockville
(Schakeler). Post (Pass). Rodenhoff (Roudenhaff);
- Tontelange (Tontel). Côte Rouge (Beierchen). Metzert;
-Thiaumont (Diddebuurg). Lischert (Leschert). Tattert. Lottert;
- Hachy (Haerzeg). Fauches (Affen). Sampont (Sues);
- Heinsch (Haischel). Freylange (Frallen). Stockem (Stackem).
Schoppach (Schappech);
- Bonnert (Bunnert). Frassem (Fruessem). Viville (Alenuewen).
Seymerich (Seimerech). Quatre-Vents (Katterwang). Waltzing
(Walzèng);
- Guirsch (Giisch). Heckbous (Heckbuus). Gaichel (Giechel);
- Arlon (Arel):
- Autelbas (Nidderalter). Bamich (Bamech). Autelhaut (Ueweralter).
Clairefontaine (Badeburg). Stehnen (Stienen). Wolberg (Wolbierg).
Sterpenich (Sterpenech). Rosenberg (Rousebierg). Weyler (Weller).
Birel (Birelhaff);
- Wolkrange (Woulker). Buvange (Béiwen). Sesselich (Siesselech):
- Hondelange (Hondel):
- Toernich (Temech). Udange (Eiden):
- Habergy (Hiewerdang). Guelff (Giélef). Bébange (Biében);
- Messancy (Miezeg). Turpange (Türpen). Differt (Déifert). Longeau
(Laser). Guerlange (Gierleng). Noedlange (Néidleng);
- Sélange (Seilen);
- Athus (Attem);
- Aubange (Eibeng). Clémarais (Klamerech);
- Halanzy. Battincourt (Béetem). Aix-sur-Claie (Esch-op-der-Huurt) (37l,
Selon une légende couramment répandue dans l'historiogra-
phie locale. qu'on se plaît encore à conter aujourd'hui. l'attribu-
tion d'Arlon à la Belgique s'expliquerait uniquement par «un acte
de sympathie des plénipotentiaires de la Conférence de Lon-
dres à l'adresse du jeune et actif représentant de la Belgique
qu'était Jean-Baptiste Nothomb. député d'Arlon, auquel des di-
plomates sensibles n'auraient pas voulu faire le crève-cœur de
l4 zl VON FRANQUE. Luxemburg, die belgische Revolution und die Mach te. op.
cit. p. 323.
l43l Gilbert TRAUSCH. Le Luxembourg sous l'Anden Régime. Luxembourg, 1977. p. 65.
l44l Emile TANDEL. Les Communes Luxembourgeoises, tome II. Arlon. 1889. p. 187.
145 l Edouard KAYSER. Un aspect méconnu de la réalité linguistique belge :la région
d'Arlon. in Eis sprooch iwert ail grenzen. Diddebuurg-Heeschtert, 1979. p. 4.
36
En résumé, le traité des XXIV artides stipule que la Belgique con-
serve du Luxembourg. les districts de Marche, de Neufchâteau et de
Virton en entier, le district de Bastogne presque en entier, et 18
communes sur 34 dans le district d'Arlon (46l. Guillaume garde en
entier les trois districts de Luxembourg. Diekirch et Grevenmacher.
Selon des chiffres de 1842, le Luxembourg grand-ducal compte
175.223 habitants répartis sur une superficie de 2.793 km 2 tandis
que le Luxembourg belge compte 176.493 habitants répartis sur
4.319 km 2• La Belgique obtient presque les deux tiers, c'est-à-dire
la partie wallonne, la plus pauvre et proportionnellement la moins
peuplée.
La frontière politique ne respecte nullement la séparation lin-
guistique puisqu'une bande de terre d'une longueur de 40 km
sur une largeur dépassant à certains endroits 15 km, englobant
une population de 23.000 habitants (47l qui parlent l'idiome luxem-
bourgeois. reste attachée à la Belgique. Cette région qui s· étend
de Tintange à Athus et de Hachy à Sterpenich. est baptisée
«Arelerland». c'est-à-dire «pays d'Arlon».
Nothomb. particulièrement réaliste. n'hésite pas à prôner l'ac-
ceptation et le respect du traité par la Chambre des Représen-
tants. malgré l'injustice de la décision.
«ll sent l'horreur de s'arracher soi-même un membre, mais ne
faut-il pas que le corps vive ?» (48l.
Mais dans ses discours prononcés lors de l'acceptation des
XXIV articles par la Belgique, on voit apparaître une lueur d'es-
poir en l'avenir. comme si tout n'était pas perdu et qu'un jour
peut-être. l'impossible se produirait: «Belges, j'ai foi en l'avenir.
Le jour de la réparation se lèvera pour nous, et tous les enfants
de la grande famille belge se réuniront de nouveau... » (49 l
Y croit-il réellement ou se contente-t-il de faire miroiter un évé-
nement plus improbable que possible pour mieux faire passer
une mesure injuste mais indispensable à la survie du jeune Etat ?
Nous ne le savons pas mais il est surprenant de constater qu'à la
37
même époque. la Ville d'Arlon, s'inquiétant d'un éventuel dépla-
cement du chef-lieu vers une autre localité luxembourgeoise.
avance. comme principal argument en faveur du maintien de son
statut. la nécessité de rester à proximité des frères grand-ducaux,
dans l'hypothèse d'une réunion future, jugée très possible :
«Un motif politique qui domine tous les autres, c'est de ne
point consacrer d'une manière définitive le douloureux déchire-
ment qui est près de s'opérer. en déplaçant d'Arlon le chef-lieu,
centre d'action si propre à entretenir chez les habitants de la
partie enlevée cet esprit de fraternité, par lequel ils se regarde-
ront toujours comme la moitié d'un même tout comme les mem-
bres d'une même famille, que des événements de force majeure
ont violemment séparés, mais que des événements plus heu-
reux peuvent réunir,
«ôter le centre provincial à Arlon, pour le placer dans les Ar-
dennes. c'est rompre définitivement avec des frères, c'est travailler
à établir au moral une scission qui n'existerait qu'au physique.
«Et dans l'hypothèse d'une réunion qui est loin d'être impos-
sible, ne serait-ce pas Arlon qui se trouverait être le chef-lieu
naturel de la province rétabli sur l'ancien pied. soit parce que la
ville de Luxembourg ne nous serait pas restituée, soit à la raison
de la présence d'une garnison étrangère dans la forteresse, cir-
constance qui serait toujours un grand obstacle au remplace-
ment des autorités belges dans Luxembowg.» (5oJ
Le partage de l'antique famille des Luxembourgeois en deux
familles nouvelles n'a toutefois pas lieu avant 1839. Guillaume,
dont l'opiniâtreté est connue, n'est nullement disposé à accep-
ter les XXIV articles, pas plus qu'il n'avait auparavant agréé les
XVIII articles. La convention solennelle entre la Belgique et les
cinq Puissances n'est pas acceptée ni ratifiée par la Hollande qui
tient tête à l'Europe en maintenant l'occupation d'Anvers.
Le Luxembourg tout entier reste à la Belgique. Arlon conserve
à titre provisoire son rang de chef-lieu provincial et promesse est
faite aux populations concernées de tout faire pour essayer de
les conserver, sans se suicider pour autant
En décembre 1832, les Français du maréchal Gérard s'empa-
rent de la citadelle d'Anvers mais l'entêtement du roi Guillaume
(5oi Mémoire. Motifs qui militent pour laisser le siège de l'administration provin-
ciale et le tribunal chef-lieu à Arlon. Arlon. novembre 1831. p. 1 (Archives
Générales du Royaume).
38
n'est pas pour autant brisé. Pendant cinq années encore, il se
montre intraitable et l'idée qu'il se résigne à abandonner le Lim-
bourg et le Luxembourg dont les députés siègent aux Chambres
législatives belges, fait son chemin. Le 14 mars 1838. c'est le volte-
face et le drame : le Roi de Hollande adhère aux XXIV articles. Ce
douloureux réveil atterre la Belgique qui connaît crises et tentati-
ves désespérées pendant une année encore. Rien n'y fait et le 19
avril 1839. à Londres. les représentants de la Belgique, des Pays-
Bas. de la Grande-Bretagne. de la France, de l'Autriche. de la Prusse
et de la Russie. signent les trois traités mettant un terme définitif
au conflit. La Révolution belge connaît son épilogue. le Luxem-
bourg la séparation. La Belgique perd définitivement le Limbourg
septentrional et le Luxembourg allemand (5n,
Quelques semaines plus tard, le partage du Grand-Duché est
réglé sur le terrain par une commission belgo-néerlandaise et
par l'action de «commissaires démarcateurs». Plusieurs difficul-
tés apparaissent alors. La Belgique refuse d'évacuer Steinfort mais
l'intervention d'une cinquantaine d'uhlans venus de la forteresse
de Luxembourg oblige les douaniers belges à se replier à l'ouest
du village le 24 juin.
C'est à Martelange que la division du territoire pose le plus
gros problème. Selon le traité. la route d'Arlon à Bastogne revient
à la Belgique et le village de Martelange au Grand-Duché. Mais à
Londres. les négociateurs ont utilisé la carte de Ferraris établie
vers 1770, qui mentionne uniquement l'ancienne route située à
l'ouest de Martelange. Or depuis 1826. une nouvelle route a été
construite à l'est de Martelange. C'est bien elle qui. pour des rai-
sons stratégiques et commerciales. doit revenir à la Belgique.
Martelange, peuplée d'un millier d'habitants. ne peut donc pas
appartenir à Guillaume 1er.
Tandis que sur le terrain. les réunions des commissaires
démarcateurs se multiplient sans résultat. des patriotes arlonais
arrivent à Martelange pour défendre la localité et maintenir les
communications avec le nord du pays. La question n'est pas ré-
solue lorsque le 7 octobre 1840. Guillaume 1er abdique en faveur
de son fils. avant de se retirer à Berlin. Après diverses péripéties,
un règlement définitif intervient le 7 août 1843 lors de la
«Convention des limites» qui attribue à la Belgique la route et la
localité de Martelange située à l'ouest de celle-ci. Seuls le Haut-
Martelange et Rombach. situés à l'est. sont au Grand-Duché.
40
La bataille d'Arlon (17 avlil 1794 - 29 ge1minal An II), d'après un tableau de
Despinassy au Musée de Versailles.
41
Les ruines de l'abbaye de Clairefontaine après l'incendie de 1794. dessin d'Emile
Puttaert
42
Arlon vers 1800. Le couvent des Capucins domine la cité fortifiée par les ingé-
nieurs de Vauban.
MÉMORIAL ADMINISTRAT.CF
DU GRAND-DUCHÉ DE' . LUXEMBOURG.
Durant l'hiver 1816- 17. tandis que la famine sévit dans le Luxembourg. le roi des
Pays-Bas Guillaume Ier visite pour la première fois son grand-duché. N'étant
pas le maître absolu de la ville de Luxembourg où loge une garnison prus-
sienne. le Roi décide de ne pas s'y rendre et de s'arrêter à Arlon pour y recevoir
les autorités grand-ducales.
44
Guillaume d'Orange-Nassau. devenu Roi des Pays-Bas et premier Grand-Duc de
Luxembourg. par la volonté du Congrès de Vienne (1815).
45
L'enthousiasme à Bruxelles lors des journées de septembre 1830. Les volontai-
res affluent de partout y compris des quatre coins du Grand-Duché de Luxem-
bourg : Vianden, Arlon, Luxembourg. Habay. Mersch, Koerich. Neufchâteau,
Diekirch, Bastogne, Esch-sur-Alzette. Marche. Grevenmacher...
46
Deux vues d'Arlon en 1830.
DU . .ROI~
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CONCITOYE.'lS,
Je m'ernpre,,e de porter a' TOl?C connoissonce la
rolit6ûrgn!
nouvclle ollicicllo qui ~ , et que je ICÇC)ÎI a Sdi ~ifrt midi, ~ntn l!otAt~rnbt amtlid)t !Jlru,
iarril, bir id) fo rben trbaltr, mir,atb(ilta,
finstont.
SdJ aœrif(r· aor aid)t, bG8 E5ir birfrlbt mit btm
cloàÎe pa qÙo-. ne foecueillia 1-, la
Je ne
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TÏTC atufection qu'cllo impire . l tous los amis de bn !lltbolurtoa unb brr Uuabbdnaiatrit btf 21ttbt5
la réwlulÏota • de rnaMpendanee du pep. riafi681, tllqfanara 11,nbta.
Arlon, le ,s juiDec 1H1. Wrloa, bra 1stra Sffl9 1831.
L, C:0-Mor t:MI, !)te JEll,Urllollbffllrur,
l'HOI\N. -lb,orll.
- '
48
Jean-Baptiste Nothomb en 1830. Tableau de Jean-Nicolas Bernard au Musée
national d'histoire et d'art de Luxembourg.
Né à Messancy le 3 juillet 1805. jeune avocat diplômé de l'université de Liège.
Jean-Baptiste Nothomb est l'un des principaux rédacteurs de la constitution
belge. Plus jeune membre du Congrès national. il est choisi pour plaider la cause
de la Révolution belge devant les représentants des grandes puissances à la
Conférence de Londres.
49
Charles Maurice de Talleyrand-Périgord est ministre plénipotentiaire de Louis-
Philippe. roi des Français. A la Conférence de Londres (18 30-31 ). Talleyrand exige
que la région d'Arlon soit détachée du Luxembourg allemand et donnée à la
Belgique. Son objectif est de protéger la zone couvrant le nord de la forteresse
de Longwy.
50
'~ ' 1.
51
La conférence de Londres vue par un caricaturiste du 19e siècle : le dogue hol-
landais, le cheval prussien (Bülow). le singe autrichien (Esterhazy). l'ours russe
((Matusjewic). le renard anglais (Palmerston). le lièvre français (Talleyrand) et le
dindon belge.
52
u
·i
r
,·-._)
/
JEUDI, tl .IIABS 18110. Nl!UVIEU E ANMl ll, , • 23.
BÉ BISTOPHÉLÈS.
fait part de la
MÉPHISTOPHÉLÈS
54
Le 7 août 1843, la Convention des limites entre le
Grand-Duché de Luxembourg et le Royaume de Bel-
gique est signée à Maestricht 286 bornes en fonte
sont aussitôt placées sur la nouvelle frontière. Millé- =..,,.....,.
simées 1843, elles portent les armes de la Belgique -,b'?'i,..
et du Luxembourg. La plus méridionale (n° 1) est ~. ~-..,.--
plantée au point de rencontre des territoires belge, -~ ,~ ...::
français et luxembourgeois; la plus septentrionale &œ:-;:;
(n° 286) se dresse au point de rencontre de la Belgi- . •
que, de la Prusse et du Grand-Duché. Posées dans ·
un dé de maçonnerie enfoui à un mètre sous terre,
ces bornes sont coulées d'un seul jet et pèsent cha-
cune 367 kg. D'autres bornes en pierre jalonnent l'es-
pace entre les bornes en fonte.
D'après la tradition. le baron de Marches. propriétaire du château de Guirsch
ainsi que de nombreuses terres à Heckbous et Guirsch. aurait pesé de tout son
poids pour maintenir ces deux villages frontaliers en Belgique où la situation
fiscale était plus intéressante.
56
Quel chef-lieu pour la province belge de
Luxembourg ?
Aussitôt après la signature des traités définitifs à Londres. une
véritable lutte d'influence s'engage entre les principales villes du
Luxembourg belge pour l'attribution à titre définitif des sièges de
l'administration provinciale et des arrondissements judiciaires.
Arlon qui peut invoquer une possession et une expérience de
huit années devient rapidement la cible privilégiée de Saint-Hu-
bert et de Neufchâteau.
Le 24 avril 1839. le bourgmestre, les échevins et les membres
du conseil de la ville de Saint-Hubert s'adressent à la Chambre
des Représentants et au Sénat pour obtenir une réorganisation
administrative et judiciaire de la province. jugée imminente. à
l'avantage de Saint-Hubert (5zi. Battue de vitesse. Neufchâteau sort
précipitamment de sa torpeur et fait de même le 30 avril '53 l. Si
leurs avis s'accordent bien sur un point c'est l'impossibilité de
laisser le chef-lieu du Luxembourg dans une ville tout à fait ina-
daptée.
Arlon est désormais située à moins d'une lieue de la frontière
hollandaise. au centre d'une ligne de douanes. et ne se prête
absolument pas à l'établissement définitif des administrations.
de la conservation des hypothèques et autres. dont les archives
seraient constamment exposées à la première tentative de l'en-
nemi. Pour les deux cités ardennaises, Arlon est manifestement
destinée à devenir une place forte frontalière et on ne peut cou-
rir le risque de voir ses activités suspendues et ses hauts fonc-
tionnaires menacés chaque fois qu'elle sera en état de siège.
De plus. la situation géographique de la ville par rapport à la
province. est depuis la séparation tout à fait excentrique. il n'existe
plus aucune centralité et on est trop éloigné du plus grand nom-
bre des administrés. Sans parler des déplacements très pénibles
qui seront imposés aux conseillers provinciaux. pour lesquels il
faudra encore augmenter l'indemnité accordée en vertu de la loi
(57 J Idem. p. 7.
60
hardiesse de son maître-autel, par la quantité et la richesse des
marbres qui entourent le chœur et forment le pavé de l'édifice,
enfin par la rare beauté de la sculpture des salles... Elle est digne
de la majesté de la religion et d 'une grandeur proportionnée au
nombre de fidèles.)) (60l
Enfin, la «bonne terre d'Ardenne)) entourant Saint-Hubert est
faite de terrains labourables et de belles prairies. dont près d'un
tiers de première qualité. La forêt commence à une lieue de là.
Les mémoires envoyés par Saint-Hubert au Parlement belge,
développant tous ces points. sont accompagnés de nombreux
plans et tableaux relatifs à l'ancienne abbaye. au cadastre, à la
situation de la ville. etc.
A Neufchâteau. le conseil communal ne l'entend pas du tout
de cette oreille. Neufchâteau se voit évidemment plus au centre
que Saint-Hubert. à une lieue et demie de la province de Namur.
On n'hésite pas à se référer à une adresse faite au Roi par la
députation des Etats du Grand-Duché en 1824:
«Nous avons primitivement proposé d'établir le siège du tri-
bunal à Saint-Hubert. comme étant le lieu le plus central, il a été
reconnu depuis que cette centralité n'était vraiment que mathé-
matique, et qu'elle n'offrait pas celle de la population, non plus
que des affaires et des relations commerciales... » (61l
Pour le président Gourdet. le véritable centre de la partie wal-
lonne du Luxembourg est. sous le rapport démographique et éco-
nomique, Neufchâteau. On n'y manque pas de maisons. ni de
bâtiments spacieux et commodes, ni de quartiers. Le conseil com-
munal offre une somme de cent mille francs pour la construc-
tion d'un hôtel provincial et on est prêt à s'empresser de cons-
truire de nouvelles demeures si le développement l'exige. An' en
pas douter. on rattraperait très rapidement le nombre d'habita-
tions d'Arlon. Quant à l'aridité du centre des Ardennes : «depuis
longtemps. l'on cherche les moyens de fertiliser ce pays; ces
moyens, on les trouvera sûrs et prompts dans l'agglomération
au milieu de ces contrées, de fonctionnaires dont la présence
donnera à toutes les industries un essor qu'elles ne peuvent guère
attendre que d'une circonstance semblable.)) (62l
' 63l
Adresse de la Ville de Neufchâteau. 30 avril 1839. op. cit., pp. 9-10.
(Ml La Ville de Marche à MM les Présidents et Membres de la Chambre des
Représentants et au Sénat. Marche. 1839 (AG.R).
Un dernier mot de la Ville de Marche. en réponse aux motifs invoqués par la
Ville de Saint-Hubert dans son deuxième mémoire du 17 mai courant.
Marche, 19 mai 1839 (AG.R).
62
Ville de bourgeois et de boutiquiers. située aux portes de l'Al-
lemagne et de la France, à l'embranchement de quatre routes
fréquentées par des diligences, toutes les affaires s'y traitent Grâce
aux nombreux chemins vicinaux, Arlon est au contact immédiat
des forges de Clairefontaine, du Prince. du Pont d'Oye. de Buzenol.
de La Claireau. du Châtelet. de Bologne. des fourneaux de
Luxeroth et de Piérard.
Depuis les XXIV articles, elle est l'agglomération la plus peu-
plée du Luxembourg belge. Les cantons d'Arlon, de Messancy.
d'Etalle. de Virton, de Florenville et de Fauvillers réunis repré-
sentent les 2/ 5 de la population (67.018 habitants sur 168.000).
Ces habitants entretiennent des relations journalières avec
Arlon où ils vont s'approvisionner. Arlon est «la» ville. le centre
économique et démographique le plus important de la plus vaste
et de la plus pauvre des provinces belges (65 l.
Pour le banquier Charles Printz (66'. bourgmestre d'Arlon en
1839. ces faits sont simples et sans appel. Arlon n'est ni dans les
landes ni dans les forêts rendues inabordables durant les mau-
vaises saisons de l'année, en raison des neiges et des torrents.
Elle est cinq lieues moins loin des localités du nord de la pro-
vince que ne l'était Luxembourg. La neutralité de la Belgique et la
proximité de la forteresse de Longwy sont des garanties contre
toute irruption étrangère.
Depuis 1830, elle n'a pas hésité à faire des sacrifices inouïs
pour accueillir les administrations. Tous les locaux nécessaires
ont été construits et aménagés. La ville a même participé à l'édi-
fication d'une prison et d'une école moyenne. L'important ré-
seau routier a été amélioré. En neuf ans, le nombre de maisons
est passé de 352 à 475 et sa population. de 3.500 à 4.200 habi-
tants. Les parties les plus riches et les plus peuplées tant en hom-
mes capables qu'en grandes propriétés, avoisinent Arlon. A une
distance moyenne de trois lieues autour de la cité. on dénombre
plus de 160 jurés potentiels contre 140 pour tout le reste de la
64
la loi, des juges et des avocats versés dans leur langue. Partant.
un tribunal doit être établi à Arlon.» (69l
En mai 1839. Charles Printz est beaucoup plus direct:
«Neufchâteau invoque la différence de langage: tout le monde
à Arlon parle français et allemand; les Wallons se rendant à Ar-
lon ne doivent pas craindre de ne pouvoir se faire comprendre;
les Allemands se rendant à Neufchâteau ne sauraient à qui
s'adresser.» (7ol
L'affirmation du bourgmestre est certainement sincère mais plu-
sieurs nuances s'imposent Lorsqu'il parle de l'allemand et des
Allemands, il entend en fait le patois arlonais et les Arlonais. ou
plutôt il assimile à la langue allemande l'idiome germanique d'Ar-
lon. En effet s'il est probable que la totalité des indigènes utilisent
familièrement le luxembourgeois, tous ne parlent pas pour autant
la langue allemande. Cette dernière. tout comme la langue fran-
çaise, n'est vraisemblablement connue que d'une partie seulement
de la population. Ces deux langues ont pu être apprises soit à
l'école - mais une minorité d'enfants la fréquentent - soit dans la
pratique de la vie courante, par exemple en tenant un commerce.
Le français et l'allemand à la fois sont utilisés depuis des siècles
dans l'administration. dans la justice et comme langues écrites à
Arlon. Si on consulte les registres de Justice d'Arlon, les collections
d'affiches ou encore les archives des notaires. on constate que les
litiges. les enquêtes. les jugements, les interrogatoires. les actes
notariés, les emegistrements de testaments. les quittances. les
conventions... sont en français ou en allemand ou que les deux
langues sont utilisées dans le même document. En justice, le ma-
gistrat et le greffier entendent. parlent et emploient tour à tour,
sans aucune différence ni aucune traduction officielle. les deux.
Un avocat plaide en français. l'autre en allemand. la réponse est
faite en français. Jamais de problème de prééminence. ni de règle-
ment. Pierre Nothomb explique ce phénomène en déclarant :
«Le bilinguisme parfait du magistrat et la courtoisie native des
Luxembourgeois arrangeaient tout. Personne ne songea jamais
à se plaindre, ni à se vanter d'une solution qui était toute natu-
relle. Et l'on se débrouillait fort bien.» (71 l
(69l Mémoire. Motifs qui militent pour laisser le siège de l'administration provin-
ciale et le tribunal chef-lieu à Arlon. Arlon. novembre 1831. p. 6.
(7oi Traité des XXIV articles... Mémoire de la régence d'Arlon. ... op. cit. p. 29.
P 21 Traité des XXIV Articles... Mémoire de la régence d'Arlon .... op. cit.. p. 7.
66
représenter la Belgique et seule propre à rester lïntermédiaire
entre la Belgique et le Luxembourg germanique ?» (73l
La langue allemande et l'idiome germanique de l'Arelerland.
le caractère et les mœurs de ses habitants. désormais communs
au Grand-Duché de Luxembourg et à une infime partie du terri-
toire belge. la proximité d'Arlon de la frontière faisaient de cette
région et de cette ville, le seul lieu d'où il était possible d'entrete-
nir le plus de relations avec la partie cédée et le seul refuge d'où
on pouvait espérer la récupérer un jour.
Le député Bekaert-Baekelandt avait déclaré avant de s'effon-
drer foudroyé par une crise cardiaque en pleine séance de la
Chambre. le 14 mars 1839:
«En attendant le jour où les députés du IJrnbourg et du Luxem-
bourg reviendront solennellement occuper leur siège à la repré-
sentation nationale, nous ne cesserons pas de les estimer et de
les chérir. ..
«En attendant ce jour de jubilation, que nous appelons de
tous nos vœux, ils resteront Belges comme nous. et. assurés de
nos sympathies. de notre fidélité, ils seront assez généreux, as-
sez justes pour ne voir dans nos votes à la suite du gouverne-
ment qu'un vote arraché de nous par la force. qu'un douloureux
sacrifice impérieusement imposé par la politique étrangère.» (74l
Cet espoir sert les intérêts d'Arlon qui emploie toute son éner-
gie pour lui faire dominer les esprits. Les Belges ne peuvent évi-
demment pas le renier et s'il y a un geste à faire, c'est à Arlon et
seulement là qu'il faut le faire. ôter le chef-lieu provincial d'Ar-
lon. lui enlever son arrondissement judiciaire, reviennent à «dé-
nationaliser le Luxembourg rompre avec le passé et fermer 1'ave-
niL Vous circonscrivez à tout jamais la Belgique dans les limites
qu'on lui a faites.» (75i
Le résultat ne se fait pas attendre. La loi du 6 juin 1839 modi-
fie complètement les circonscriptions judiciaires du Luxembourg
et confirme l'arrêté du 16 octobre 1830: un tribunal de première
instance et le siège de l'administration provinciale demeurent à
Arlon. Neufchâteau sauve son tribunal et Saint-Hubert perd la
bataille.
-( 73 lTraitédes XXIV Articles ... Mémoire de la régence d 'Arlon .... op cit.. pp. 7-8.
(74 l Pierre NOTHOMB. La mort de Bekaert-Baekelandt. in Le drame de 1839. Liège.
1938. p. 106.
175 l Traité des XXIV articles... Mémoire de la régence d'Arlon. ... op. cit.. p. 19.
67
Le nouvel arrondissement judiciaire d'Arlon comprend les can-
tons d'Arlon, Etalle. Fauvillers. Florenville. Messancy et Virton.
c'est-à-dire les 15 communes restées belges de l'arrondissement
de Luxembourg et 44 communes distraites de l'arrondissement
de Neufchâteau. Celui-ci perd ces 44 communes. plus 5 cédées
au roi de Hollande et 14 attribuées à l'arrondissement de Mar-
che. il en reçoit 29 de l'arrondissement de Saint-Hubert supprimé,
dont les 7 autres sont réunies à Marche (76l.
(76) Emile TANDEL. Les Communes Luxembourgeoises. tome 1. Arlon. 1889. p. 186.
68
III. ÉVOLUTION DES LANGUES DANS
LE PAYS DruuDN ENTRE 1839 ET 1890
77
( ! Alfred BERTRANG. Une émeute à Arlon en 1837 à propos d'un projet d'impôt
sur le revenu, Arlon, 1928.
70
après la promulgation de la loi du 30 mars 1836. on avait systé-
matiquement écarté ces intrus des votes. de peur d'innovations
ruineuses. La défiance à leur égard s'estompe et l'occasion paraît
propice:
«La campagne fut dirigée avec habileté. On B.t observer que le
conseil se composant de onze membres. on pouvait sans dan-
ger y faire entrer trois étrangers: l'élément purement arlonais y
dominerait toujours : par contre, on donnerait au conseil un ca-
ractère nouveau et ]'on ferait sans inconvénient une expérience
peut-être salutaire, sans compter la légitime satisfaction accor-
dée à une fraction importante de la population.» '78l
La campagne réussit parfaitement et trois étrangers sont élus.
Le jour de leur installation. un quatrième conseiller démissionne.
Lors d'une nouvelle élection en janvier 1838. il est remplacé par
un étranger. L'élan est donné. n se révélera irréversible. Les Wal-
lons contre qui plus aucun grief ne pèse ont acquis droit de cité
à Arlon grâce à leurs capacités et à leur dévouement aux intérêts
publics. Désormais. ils ne cesseront de renforcer leur position à
la tête de la ville.
Après 1839. Arlon ayant obtenu l'assurance de conserver son
rang, les transformations se poursuivent de plus belle. Pour hé-
berger tous les organismes nouveaux qui s'implantent dans le
chef-lieu, il faut construire des bâtiments. éventrer les remparts,
agrandir la ville. On procède à l'alignement des rues. à leur éclai-
rage. à leur pavement. On crée un square et des places publi-
ques. On installe des pompes pour remplacer les vieux puits à
ciel ouvert. On prend des mesures relatives à l'hygiène et à la
salubrité publique. On nomme un commissaire de police. On
érige une prison et une caserne.
Avant 1830. il n'existait à Arlon qu'une seule école primaire
où un instituteur et une institutrice s'efforçaient de former la jeu-
nesse. Chose difficile car le nombre des enfants était parfois de
300 en hiver. Pour les études moyennes supérieures. les jeunes
gens fréquentaient traditionnellement l'athénée de Luxembourg.
A partir de 1839. la capitale grand-ducale est d'un abord difficile.
Les fonctionnaires envoyés en masse à Arlon réclament énergi-
quement des établissements sérieux. On multiplie les classes de
l'enseignement primaire et en 1838. la Ville ouvre un collège com-
munal. institution baptisée «athénée royal» dès 1842. et reprise par
l'Etat en 1850. «Onse Koleisch», tel est le nom que la population
178l Alfred BERTRANG, Histoire d'Arlon. op.dt. p. 288.
71
donne par admiration et par affection à l'établissement
En 1845, débute la construction du palais du gouvernement
provincial et. en 185 3. il faut créer un nouveau cimetière qui sera
agrandi par la suite à plusieurs reprises. En 1858, est inaugurée la
ligne de chemin de fer entre Bruxelles et Arlon. Le chef-lieu du
Luxembourg belge s'enrichit d'une gare de premier rang et de
grands ateliers occupant des centaines d'ouvriers. De nouveaux
quartiers pour loger les ouvriers wallons poussent comme des
champignons. C'est le cas de Schoppach:
«Comment expliquer l'existence de cet espèce de ghetto ? A
peu près chaque maison abrite un ou plusieurs ménages de che-
minots. Pendant plusieurs années, ]'habitation de mes parents
en compta trois : mes parents au rez-de-chaussée (machiniste),
un chauffeur au premier et un serre-frein au deuxième. A côté un
cabinier et un ajusteur: puis un commis d'ordre, un nettoyeur et
un agréé. En face, une kyrielle d'agents du personnel roulant et
de la voirie, avec, en plus, un garde-salle, quelques visiteurs et
même un portier à la jambe de bois. Puis une série de gardes et
de chefs-gardes et - suprême raffinement - un sous-chef de sta-
tion.
«Ces cheminots, presque tous importés, avaient fait de
Schoppach un quartier purement wallon, un îlot dans une ville
se servant encore beaucoup du dialecte allemand Le patois ger-
manique s'utilisait très rarement entre habitants de ce quartier.
Par contre, tous les parlers wallons couraient de maison en mai-
son, d'une fenêtre à celle d'en face. d'un bout à l'autre des rues.
Ces ménages provenaient. en effet. de la Gaume et de l'Ardenne.
du Namurois comme du pays de Liège. L'abondance des che-
mins de féristes était telle que, chaque nuit. on entendait un
veilleur arrêté devant l'une ou l'autre maison, crier «François» ou
«Joseph» ou «Jules» afin de réveiller celui dont approchait l'heure
de prendre son service.11 (79l
En 1860, la Ville construit un important abattoir. En 1858, les
Jésuites s'installent à Arlon. édifiant une église romane à deux
tours massives. L'importante colonie israélite d'Arlon demande
la construction d'une synagogue qui est inaugurée en 1865. En
1864. les Sœurs de Notre-Dame construisent un couvent et
ouvrent des écoles primaire et moyenne. La même année, sont
inaugurés un hospice et un orphelinat. En 1866. Léopold II inau-
gure le palais de justice. En 1867. la Ville crée une école moyenne
1791 Omer HABARU. Au Pays des Braves Gens. Vieux-Virton, 1965. p. 74.
72
et une école normale pour filles. reprises toutes deux par l'Etat
en 1881. En 1870. c'est au tour d'une académie des beaux-arts et
d'une école industrielle. En 1888. les frères maristes. récemment
arrivés, érigent d'imposants bâtiments abritant école primaire,
section d'humanités et école normale pour instituteurs.
Pendant des siècles. le nombre d'habitants était resté à peu
près stationnaire et n 'avait guère dépassé les deux mille. A partir
de 1830. il augmente de plus d'un millier d'unités tous les dix
ans: 3.283 habitants en 1831. 4.507 en 1841. 5.707 en 1851. 6.174
en 1863. 7.461 en 1879. 8.269 en 1886 et d'après le recensement
de 1910. on franchit le cap des 12.000 (80l.
Dans le sud du pays d'Arlon. un phénomène comparable se
produit avec l'exploitation de la minette dans les mines de Halanzy
et le développement industriel dans la région d'Aubange-Athus-
Rodange. Sur le territoire de l'ancienne commune d'Aubange. la
population est multipliée par sept entre 1846 et 1930. principale-
ment par l'installation de Wallons. de Français et d'Italiens. Si l'on
prend en considération la ville d'Arlon et les trois communes in-
dustrielles du sud (Halanzy. Aubange. Athus). la population passe
de 8.176 à 19.060 habitants entre 1846 et 1910 (8 1l.
Par contre. dans les communes rurales où les Wallons ne s'ins-
tallent pas, la tendance est plutôt à l'émigration. Le phénomène
s'accentue durant la première moitié du :xxesiècle. Entre 1910 et
1930. la disparition de la population de certains villages devient
préoccupante. Huit communes perdent pratiquement le quart
de leurs habitants (Nobressart: 43.3 %). quatorze communes per-
dent plus de 10 % de leur population. Selon le spécialiste alle-
mand Matthias Zender qui parcourt la région. 10 % des maisons
habitables d'Habergy et de Nothomb sont vides vers 1930 (32l. Si
certains émigrent vers les régions industrielles pour aller grossir
le flot wallon, d'autres partent pour l'étranger.
Ces pertes touchent surtout la population patoisante attachée
au sol. Au même moment. l'inondation d'Arlon, Athus et Aubange
par des fonctionnaires. des employés et des ouvriers de culture
française. porte des coups très durs à l'idiome germanique dans
le sud-est du Luxembourg belge.
184l Souvenirs de Godefroid Kurth. in Fernand NEURAY. Une grande figure natio-
nale : Godefroid Kurth . Bruxelles. 19 31. p. 20.
185 l Une section allemande est créée à l'Ecole normale pour jeunes filles d'Arlon.
,s7J Rapport sur l'état de lïnstruction primaire dans le Luxembourg pendant l'an-
née 1846. op. cit
80
Compte tenu du nombre toujours plus important de petits
Wallons fréquentant les écoles de l'enseignement primaire
d'Arlon, du fait que cet enseignement est devenu par la force des
choses totalement bilingue et prenant en considération le suc-
cès remporté par le français chez les Arlonais de souche germa-
nique, l'administration communale d'Arlon prend en 1867 la
très importante décision de faire du français la langue véhicu-
laire exclusive de ses écoles. L'allemand est relégué au rang de
seconde langue '88l. D'après Bertrang. on ne garde que trois peti-
tes heures par semaine '89l.
Dans les villages. c'est l'allemand qui demeure la langue véhi-
culaire des écoles de l'enseignement primaire même si les incur-
sions du français sont toujours plus nombreuses. Dans les com-
munes industrielles du sud. l'enseignement devenu également
bilingue s'oriente résolument vers le français.
Quant aux établissements d'enseignement moyen créés à Arlon
au 19e siècle. le français y est la langue véhiculaire dès le début Cela
s'opère sans difficulté car c'est le vœu de la population. Aussi les
élèves ne tardent-ils pas à parler de plus en plus le français. A
l'athénée. on crée un cours spécial pour les élèves d'origine alle-
mande mais Alfred Bertrang, professeur de langues germaniques et
historien de l'établissement. juge qu'il est insuffisant et ajoute:
«Pour des raisons à la fois naturelles, sentimentales et utilitai-
res. il eût fallu consacrer à l'étude de l'allemand une attention
toute particulière, ou du moins pro.iter des dispositions innées
des jeunes gens natifs d'Arlon et de la région, pour leur permet-
tre d'acquérir une solide connaissance de l'allemand. Tout en
donnant la prépondérance au français, puisque ce dernier était
en fait l'unique langue of.i.cielle employée en Belgique. on eût pu
faire la part plus large à l'allemand.» ,9o)
On ne le fait pas. La plupart des élèves sont fils de bourgeois
arlonais ou de fonctionnaires wallons et se contentent parfaite-
ment du français. De plus, on confie l'enseignement de la langue
allemande à des maîtres dont Bertrang souligne l'insuffisance
notoire : «sans diplôme, ils connaissaient l'allemand, comme
1 '.
Arlon . - La Synagogue
fir!on
(93 l Matthias ZEND ER Die Deutsche Sprache in der Gegend von Arel. op. cit. p. 38.
90
disparurent lentement les traditions populaires d'Arlon et la lan-
gue allemande qui, pour les nouveaux Messieurs, était une lan-
gue étrangère, par conséquent de bas étage et de valeur moin-
dre. Elle fut reléguée à l'usage domestique,» (94l
On remarque que l'auteur, écrivant en 1943 dans les Cahiers
de la Communauté culturelle wallonne, veille tout particulière-
ment à ne pas assimiler les colonisateurs du pays d'Arlon à des
Wallons.
Outre ce recul du luxembourgeois dans la région arlonaise, on
assiste à son appauvrissement lexical. Les termes français utilisés
dans la conversation des patoisants deviennent nombreux (95l, Suite
à l'influence romane et probablement au manque de pratique, les
jeunes gens ont de plus en plus de mal à s'exprimer avec leur
dialecte et on les voit passer au français en plein milieu de la
conversation dès qu'ils rencontrent la moindre difficulté. Parallè-
lement à cette attitude, leur connaissance du français s'améliore.
Alors que par le passé, l'Arlonais s'exprimant en français avait un
accent tout à fait caractéristique, celui-ci disparaît peu à peu :
«Alors que jadis la prononciation se distinguait par la force de
l'aspiration, la prédominance des sons gutturaux, le ton rude et
chantant, ce qui faisait sourire les Wallons, nos jeunes bourgeois
prononcent nonnalement et même nos ouvriers francisent en
singeant l'accent boulevardier rapporté de la Villette ou d'autres
coins populaires de Paris... » (96l
Alfred Bertrang décrit le déclin du patois arlonais, particuliè-
rement parmi les étudiants fréquentant l'athénée royal d'Arlon :
«Veis 1880, les familles bourgeoises délaissent peu à peu le pa-
tois. On commence par ne plus le parler avec les enfants. Déjà à la
veille de la guerre, beaucoup de jeunes gens d'origine locale igno-
raient lïdiome du cru et se fâchaient quand un professeur leurre-
prochait de ne plus connaître leur langue maternelle. Plus d'un pro-
testa en dédarant que sa langue maternelle était le français ...
«A l'athénée, nous constatons cette décadence du patois
même chez nos campagnards. Que de mots, que j'ai appris dans
mon enfance à Arlon, en ville par conséquent, sont inconnus
' 96l Alfred BERTRANG. Le patois allemand de la région d'Arlon. notes inédites
(Institut Archéologique du Luxembourg).
91
des jeunes villageois. Leur vocabulaire se restreint de plus en
plus. Le séjour des jeunes gens en ville contribue largement à cet
appauvrissement: ils partent de chez eux à six ou sept heures
du matin, suivent de 8 à 12 h. et de 14 à 16 h. des cours tous faits
en français. Pendant la récréation et au réfectoire à midi, on leur
interdit l'usage du patois. lls rentrent à la maison vers 5 ou 6
heures pour sy occuper de leurs tâches à domicile. lls ne sont
donc presque pas en contact avec les leurs. lls vivent pour ainsi
dire à l'écart de la communauté villageoise. Quoi d'étonnant que
loin d'enrichir leur connaissance de la langue maternelle, ils
désaprennent leur dialecte. ll en va de même de leur connais-
sance de l'allemand littéraire. Soumis à une étude intensive du
français à l'athénée, n 'ayant que trois malheureuses leçons d'al-
lemand par semaine, tous les autres cours se faisant en français,
comment voulez-vous qu'ils puissent s'exprimer librement en
allemand? A leur entrée à l'athénée, leur vocabulaire était plus
ou moins en rapport avec leurs connaissances. Au fur et à me-
sure qu'ils avancent, ils acquièrent de nouvelles notions en his-
toire, en géographie, en mathématiques, en sciences naturelles,
en religion, en morale et que sais-je encore, qu'il leur est impos-
sible de faire valoir au moyen de la langue allemande puisqu'ils
n'ont appris ces notions qu'en français; de sorte que leur facilité
d'élocution en allemand s'en trouve réduite et que proportion-
nellement ils connaissent moins d'allemand en sortant de
l'athénée qu'au moment de leur entrée en septième.
«Malgré cette éducation purement française, la majeure partie
de nos jeunes gens de la campagne ne possèdent le français
qu'imparfaitement, le manient gauchement et lourdement, se
trouveront longtemps dans une réelle infériorité. Ce sont des
hybrides connaissant mal le français et plus mal encore l'alle-
mand et leur langue maternelle, des déshérités, comme a été
forcé de le reconnaître un directeur pourtant hostile à une
meilleure organisation des cours d'allemand.» (97 l
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94
revient au système antérieur et la toute dernière lettre pastorale
en langue allemande, rédigée par Mgr Chame. date du 27 janvier
1950.
A la messe, le sermon du curé et les prières se font en alle-
mand. De la même manière, le catéchisme est enseigné égale-
ment en allemand. Les curés ont recours à la bible allemande de
Schmitt et au catéchisme allemand de Scouville (99i, Dans les re-
lations journalières avec leurs paroissiens, ils utilisent naturelle-
ment le patois. La langue maternelle et l'allemand sont les
meilleurs garants de la religion. quand bien même les paysans
ne comprennent pas toujours les prières qu'ils récitent machina-
lement ou la signification des lettres pastorales.
Afin de faire face à l'arrivée de nombreux Wallons dans les
communes d'Aubange et d'Arlon, les curés sont bien obligés de
recourir à la langue française. ils utilisent la bible et le catéchisme
de l'abbé Martin de Noirlieu. Le français s'introduit progressive-
ment dans la vie religieuse.
Avec l'évolution. les recrues allemandes du clergé commen-
cent à faire défaut tout comme les instituteurs dans l'enseigne-
ment il faut demander aux prêtres d'apprendre l'allemand et
l'idiome local.
«Vous êtes insuffi.samment versés dans la langue allemande.
Ceux qui seront convoqués à vos conférences rurales ne sont
pas des érudits: ce sont de braves ouvriers et cultivateurs. n vous
suffira d 'étudier davantage cette langue, tout en vous appliquant
à rester bien à la portée de ]'auditoire, au besoin en empruntant
l'idiome populaire. Vous vous exercerez à ce genre de conféren-
ces, simples et d'autant plus fructueuses.» (woi
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96
allemande ayant une certaine importance est Die Wahrheit un
mensuel libéral fondé par le ministre Victor Tesch. originaire de
Messancy. Il paraît de 1876 à 1889. Les libéraux ont réussi à voler
aux catholiques une de leur meilleure arme : la langue allemande.
Ceux-ci la reprennent rapidement en main avec la création du
mensuel Der Katholik, qui paraît de 1879 à 1887. En 1887. Der
Katholik, qui subsiste difficilement. cède la place à un hebdoma-
daire d'informations locales, le Deutsche Arloner Zeitung Ce sont
les frères Willems. originaires d'Aube! et installés depuis peu à
Arlon, qui le fondent C'est la seule feuille allemande qui parvient
à se maintenir pendant plusieurs décennies.
L'Arloner Zeitungpublie quatre pages d'un caractère typogra-
phique très dense. Il n'offre d'intérêt que pour les agriculteurs
des villages et adapte ses rubriques aux exigences de sa clien-
tèle. Les annonces. les faits divers. le résumé de conférences agro-
nomiques. les relevés de l'activité de l'abattoir communal et la
mercuriale des grains en constituent les éléments. Quelques an-
nées après sa fondation, il est déjà en difficulté.
Tous les quotidiens arlonais sont édités en langue franç aise
et on peut observer que l'allemand littéraire ne réussit jamais à
s'imposer dans le monde de la presse régionale. La population
lit essentiellement les organes catholiques et libéraux tels L'Echo
du Luxembourg(bi-hebdomadaire libéral devenu quotidien, de
1836 à 1920), Le Jaumal d'Arlon et de la province de Luxem-
bourg(bi-hebdomadaire libéral. de 1848 à 1850). L'Indépendant
du Luxembourg(quotidien catholique, de 1848 à 1863). La Voix
du Luxembourg(quotidien catholique. de 1863 à 1888). L'Jndé-
pendantdu Luxembourg(hebdomadaire neutre, de 1865 à 1893).
Le Luxembourg (quotidien catholique. de 1888 à 1894). L'A ve-
nir du Luxembourg (quotidien catholique fondé en 1893. qui
paraît toujours actuellement), Les Nouvelles (quotidien libéral.
de 1914 à 1960). Le Jaumal d'Arlon (hebdomadaire libéral. de
1921 à 1939) (lO I)_
Toute cette presse arlonaise n'exclut pas les publicités occa-
sionnelles en allemand. De même. à l'approche des élections.
les appels en langue allemande se multiplient y compris dans
les organes libéraux.
Abonnement:. Insertions :
Un an . • fr. 7 00 Annonces ordinaires, la ligne. . t5 cem.
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D.,ARLON Tout ce qui concerne la rédaclion, les rt·
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A Arlon, au hureau du journal, 8, Marehé- Oo reçoi t e>:cl usivcment les aunonccs du
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da1-po,1c. 46, rue de la lladcleinc, à Bruxelles.
Eo province, chez 1c,ns le~ percepteurs, corn·
mi!- 1,,i f.ictcur& des postes.
1. 1 f
AIIL_"'&TJl[!!lîiil- por le lrailéde Berlin soilprécisémrnl 1i1utour, ùans chaque école; il délnmi_oe I Art. 7. La nominalion de• inst ,luleur s · rilé,, en l'a llsence même de toute récla•
crllc qui ~"i nsurge le (lins ouverl emcn l
1
,es
école, qni scroni, eiclu,ire'."eul dtali- I•
lieu _P~.r 1~ con,eil ~orunrnna l, co ufo rm_é-1 ruation de lï~_,1i1~1eur. . ,
No:is rappclor.s ; r.os ,bon n es rrcc - con Ir~ 1,s J éc,'s_ïons des grandes . puis- ores' "' enfaois, de I un o~ de l aulre sexe, _j menl a 1_ar11cle 84, n 6, de la 101 •Ju 50 Art. !O. _L insl1lule~r fr,p~ e J uoe, des
,·anl le jo11riul sous lia o<lf", a,·<·c ll'Ur sanccs ; la resislrnce 0 ~ sau~ail, du 1 el ce lle. J ,,ns l•.squ•iles _e•. enfar,\s. des I mars 1856. . . . . deux prem1êres pe1oe, prévnc, par 1>ri ,
n ·s le, t'h c ùc Ion gui~ Lhirér. de1n isrxes pourront ê1re aùm 1s ; 1110 d1que Pour pouvoir êlre nom iue rnst11u1eur 8 peu l udresst"r, d.1ns IPs quuan te-huit
adrrS.iC in1pr i1née , q,1c. dclontt~ foçon.
I.e correspond·a nl d~ Londres du les écolo, au,que lles des écoles gudien~ communal,'.' foui ~Ire Belge ou na1ura•isé heures de IJ ool ifi caiio n à lui fai1e de la
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Jo t:RNAL DtS DfoATS dit Ufl · ra candi-· ne'. OOJ des cours d'adulles dovrool être e_l ê lr~ muni d un d,plôrue d:asp:'.anl ins- couùa mni lion, un appel motivé augouv6r•
ticipation. Les qnillrnc,·s (<lu d d . H _q ad1om1s. l1lulcu, ou de professeur de I eose1g,1emenl neur de 13 pro,ince ; il donne en même
{•' scm,·slrc l 879 ùu l•' janvi " r a_u 1
". '"" u princ: •·nri de Reuss _a u Art. 3. Les er.fon t, pauvres rrçoi,eot moyen du 2• dcgre. temps conna iss, nce der.c l appel à l'ios -
I•' ju il let) lllil rdirécs en févrirr se· ltone _de Dulgaric gagne . dn lerrain .. l'inslruclioo gra\uilemeol. Si aucun cand ida t diplômé ne sollicite pecleur, '" nouverneur \raosmel l"aµpel,
ronl pr<;s ·n li rs :\Ill rrla.rdal.1ire~ l'n
1 Le prinr.c de Reuss, ancien ambassa -· (.3 commune e;I tenue do 1, procurer une plore vacante d'ins1i1u1eur, le wnse;f dans les hui1 jours rie la récep lion , ou roi-
mars ou en ;.avril :1u plus lard, a,·ec deur d 'Al lemagne •Sain! Pélersliourg, doos les écules corumunales à lou, les en- communal peul être aulorisé p,r le minis- ni s!r, de l" in ;l rucl ion , en y joisnanl son
augmenlalion Je W CENTDIES par esl oclucllemrol accrédilé en la même fai,ts pauvre;. 1re de l'instrucli on pul,lique à choisir uo avis el c,•lu; de l'i nspecleur.
quillancc · polir frais de rt·cot.\'remrnl. qualilé à Conslanlinoplc. L~ prince . Le cunseil communal, après avoir en- cand ida! non dipl/Jrné; 1ou1efois celui-ci Arl. 11 Lonqu'uoe place d'in;liluteur
de llallrnberg rdo~e, parai1-i1 la can- leodu le llurrau de lli eu foiunce, fixe tous o'rotre en fo,,ctions qu'après avoir prooté es i vacante. le bourgmesire en informe
dida1ur,. ' le, ans le nomllre ù'enfanls pauvres qui sa capaci1é ,1evanl un jury nommé par le immé.Jialemen l l'in specteur . D,n, le délai
AII LO N, 25JANVIER. On annonce qut· le pr.ince Arnolphe doivenl recernir l'ioslruelion gralu ile, gouvernement. • da hni1 jours, il '51 procé_Jé par lec~Uége
d Il .. - • . 1 aio51 que la sul,veolioo à payer de ce chef Arl 8 Les pein•s suivrnte• peu,enl des bnurjlmeslre r i éch•Y1ns ~ ~ désigoa -
Bulletin politique 1 1
e H1ere ava, aussi accep t une ou, s'il v· a lieu. la rétribut,oo due par être p~o~oncée ; coo1re lïnsli1 ~;~ur com tion d'un inlér im,ire. Si le col lège ne pro•
o,~ . "~
~T~
~ -·. · -:··• ~ -- --,.:_:.-_.'.=! .~.-,,.....,,.,...:: -•• ..: '\;.·.-·, .,· -:"':,P. • •• ~.~ ·- ,b•i.?~- - -·· ;. :_. •. ::-.·:'.":: .. -:_•- ·:~·.r1: :;':.11t'°;;f'''' .":'.i'C..-~ · - : ~; ~ ·:n~J:~t~."'l-:.~.,:: :·:~·-',:üft'i=.:"" .,. --~ ,::_::-73:.•,:-:t.~__;! ï.,;..-·:e ";.;.:.. ".!oi>::,,,:.t~'tJ.t' Mlihi,.~~•.-,
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..,,.. "l"UJI • 6 mo!A <i, !iO r,, j)-0:à~ lime, ... pace, 10 _ ,
.,....... " • 8 molli 2,50 1Ai'tando llpe,l•pqe, IO - t
l mot, 1,00 L1.fP'&lld• li(De, 4• pife, Il cntl
il.'l liilftt!œ ' kploit a'hllilller .,. ll'nll!lf(
fdaàt l'1llo11.Qe1Deat o r ~ lallpelO-t.
· tlfférenot do I>Orl OIi pl11a. hlf>4lnn, la llpt. 1 Ir. 11,
-o-- Nécrolorft, la llpf, 1 lrUI,
16daotlo» e\ Aclmlnlntnt!O!l l lar..mont, la llpe, l fr ;If
'11 1 RWf i,, .lH..-bo••I, Il , l'onr loo IIDIIOtl09I autre tllf
eall9 dn La.aomboUJ, clDG,·D
uw~ lhl Lu. et dèi notairel del d6p,
.lnno. limltroph. et del 0111f>oat
JollWI del prmma de Nam•
....,.,...... l'i• • •
D~ :
llamllle -'OSET
DU LUXEMB(i)lJDO~~~~·
~ _ On traite 6 forfait ·
-o- ~
L'ELECTION DE PIE X
lcggis et d~i:01~nt s•n' !a balastrad~ un gm1d diur!, des hwts . prélat, et des dignitai re,
Vive le Pape ! :~pis J.1 foute ~',gile; 13 graade croix ap· de la cour qui se rendent en U te an Va-
Nous avons un Pape I la dépêche de R ome qzli nous est parven11e hier atl•
-,ionce que le Sacré-Collège vient d'élever sur le trône de Pierre le cardinal Del
- \lflr-(J; su r la lpggla ; les trou pea pré1eDtent
let ù ,nen ; le ·moment e8\ so!eone!.
be cedinal Macchi apparaît revêtu da la
mo,,,d te rouge et de la roataDa viclett<',
~cl!l)111 p•ga6 dea cérém0ntaire1.
lic,n.
Lea cloche• de la bMilique 0011tinnent t.
r~nnrr à tm1te volée, aio~I qne lei cloche•
dM aqlre• églises de la ville.
Dans l'enceinte du Conclavt1
f)arto, Patriarche de Venise. J.111. {oole pou12e dei scclamRliouA. Le car• Dès que l'on a annoncé ilu peuple que le
Nous saluons avec respect le nouveau chef de l'Eglise catholique romaine ; dinai M& .cchi bit nn signe do l~ main pour nouveau Pape était élu, le maréchal da
'O
'O Nous saluons cette torche ardente - ignis ardens - qui doit jeter lss del'lsnder le 1ilence.
L9. foule 10 porte aabitemn,nt vers la ba•i·
Conclav~, prince Ch'gl, le gouverneur
toas les prélat, chugée de la garde du Con·
e,
flammes dzi zèle sur les apôtres modernes ; liq"<i e; ne maue aur l'esplaaade du grand r.b1ve 10 sont r•ndus aux to11rs pour recevoir
Nous saluons l'âme cle feu qui doit réaliser le vœu d11 C7irist disant: u Je Atnatt11, ponr mieox eDt~ndro annoncer h con tirm~tlon officielle de l'élection et le,
suis venu apporter le feu sur la tene et !UOU désir est qu'il embrase tout ". l'élt9tiol dn oouveau Pape ; mais, vu le.a odrcs don11é1 par le Pape pour l'ouverture
rQ111P111·s de la foule qTJi accourt, peu de tlca porte• du Conclave. Suivant le cérémo-
Et, dès ce jour, nous déposons aux piecls du Souverain Pontife, successeur perl!()3Dea pou1.~t cDteD<l!O ks paroles tra• nial, à l'iDtériear du Oo11clav11,, aartoat 1ur
de Pierre, le très respectueux hommage dB nos félicitations, de notre dévouement et ditiilpn~(les pr?~onc~~, pH 1~. cardinal Mac- l'escalier reyal et dan, 1~ cour da Màr6cha_l,
CARTE LINGUISTIQUE DE LA VILLE D'ARLON
d'après A. BERTRANG , Grammatik der Areler Mundart,
Mémoire couronné par l'Académie royale de Belgique, Bruxelles, 1921.
•Il
luxembourgeois (vieil Arlon)
Quartiers où la population parle le français
et le dialecte luxembourgeois
1102 l Max KIESEL. Le dialecte local. in Arlon en 1890. Bruxelles. 1967. pp. 33-40.
Max Kiesel fut nommé commissaire d'arrondissement pour Arlon et Virton
le 1er avril 1924.
1103! et 1104! Idem. pp. 35-36.
101
Comparaison entre les recensements
de 1866 et de 1890:
HABITANTS PARLANT
COMMUNES ANNEES POPULATION SEULEMENT SEULEMENT LE FRANCAIS
LE FRANCAIS L'ALLEMAND ET L'ALLEM ANr
ARLON 1866 5.426 59 1 10.9 % 1.994 36.7 % 2.622 48.3 %
1890 8.029 1.501 18.7 % 2.002 24.9 % 4.16 1 51.8 %
ATIIUS 1866 -- - - - - - -
1890 1.612 420 26 % 363 22.5 % 814 50.5 %
ATTERT 1866 2.163 53 2.4 % 2.020 93.4 % 74 3.4 %
1890 1.851 55 3 % 1.060 57.3 % 712 38.5 %
AUBANGE 1866 1.183 103 8.7% 780 65.9% 294 24.8%
1890 705 107 15.2 % 114 16,2 % 480 68 %
AUTELBAS 1866 1.570 86 5.5 % 1.158 73.7 % 325 20,7 %
1890 1.685 98 5.8% 807 47.9% 768 45.6 %
BONNERT 1866 1.261 57 4.5 % 1.050 83.3% 153 12.1 %
1890 1.382 92 6,6 % 582 42.1 % 679 49.1 %
FAUVILLERS 1866 1.261 5S3 46,2 % 309 24.5 % 364 28.9%
1890 1.134 607 53.5 % 136 12 % 387 34.1 %
GUIRSCH IS66 2S2 - - 260 92,2 % IS 6.4 %
1890 284 4 1.4% 200 70.4 % 69 24.3 %
HABERGY 1S66 784 - - 644 S2.l % 140 17.8%
1S90 773 - - 547 70.8% 226 29.2 %
HACHY IS66 1.663 35 2.1 % 1.253 75.3 % 365 21.9 %
1890 1.883 39 2 % 1.204 63.9 % 640 34 %
HALANZY 1866 1.656 798 48.2 % 822 49.6 % 35 2.1 %
1890 1.912 927 48.5 % 316 16.5 % 653 34.1 %
HEINSCH 1866 1.570 15 0.9% 1.171 74,6 % 375 23.9%
1890 1.667 31 1.8 % 1.166 69.9% 466 27.9%
HONDELANGE 1866 1.324 19 1.4 % 1.147 86,6 % 148 11.2 %
1890 1.388 15 1 % 770 55.5 % 592 42.6%
MARTELANGE 1866 1.361 45 3.3% 740 54.4 % 568 41.7 %
1890 1.308 103 7.9% 803 61.4 % 394 30.1 %
MEIX-LE-TIGE 1866 600 582 97 % 9 1.5% 8 1.3%
1890 646 627 97 % 0 19 2.9%
MESSANCY 1866 2.361 64 2.7 % 2.260 95.7 % 37 1.6 %
1890 2.003 26 1.3 % 1.121 56 % 850 42.4 %
NOBRESSART 1866 1.422 11 0.7 % 1.289 90.6% 121 8.5 %
1890 1.518 6 0.4 % 1.340 88.3% 170 11.2 %
RACHECOURT 1866 706 690 97.7 % - - 14 2 %
1890 718 6SS 95.8 % - - 30 4.2%
SELANGE 1866 - - - - - - -
1890 723 10 1.4 % 451 62.4 % 259 35.8%
THIAUMONT 1866 921 1 0.1 % 665 72.2 % 251 27.2 %
1890 794 - - 610 76.8 % 184 23,2 %
TINTANGE 1866 649 35 5.4% 490 75.5 % 124 19.1 %
1890 639 70 10.9 % 215 33.6 % 349 54.6 %
TOERNICH 1866 1.703 19 1.8% 948 88.3 % 104 9.7 %
1890 1.031 Il 1 % 654 63.4 % 364 35.3 %
TONTELANGE 1866 694 16 2.3 % 465 67 % 210 30,2 %
1890 659 17 2,6 % 357 54,2 % 276 41.9%
TOTAL 1866 29.930 3.803 12.7 % 19.474 65 % 6.350 21.2 %
1890 34.344 5.454 15.9 % 14.818 43.1 % 13.542 39.4 %
102
Ce tableau présente les données linguistiques en chiffres ab-
solus et en pourcentages pour toutes les communes de l'arron-
dissement d'Arlon et deux communes de l'arrondissement de
Bastogne (Fauvillers et Tintange). Précisons qu'Athus est séparé
de la commune d'Aubange et érigé en commune distincte en
1878. De même. Sélange est détaché de la commune de Messancy
en 1889. Ajoutons que le recensement général de la population
au 31 décembre 1866 est le seul qui demande aux gens s'ils par-
lent le luxembourgeois. Le bulletin à remplir par chaque ménage
donne le choix entre trois possibilités: français ou wallon. néer-
landais ou flamand. allemand ou luxembourgeois. Les person-
nes parlant le flamand ou aucune des trois langues nationales
ne sont pas reprises dans le tableau.
La comparaison des résultats des deux recensements montre
que la proportion d'habitants connaissant le français dans la ville
d'Arlon passe de 59 % en 1866 à 70 % en 1890. et pour l'ensem-
ble des communes. de 34 % à 55 %. Ceux connaissant l'allemand
passent de 85 % en 1866 à 77 % en 1890 à Arlon et de 86 % à
82 % dans l'ensemble des communes.
Pour Alfred Bertrang. les chiffres des recensements décennaux
sont sujets à caution. A la question «quelle langue parlez-vous
habituellement ?». Bertrang pense que nombre de citoyens ont
hésité à mentionner le patois comme de l'allemand et ont donc
indiqué le français oos).
On peut raisonnablement en douter pour cette période car la
plupart des Arlonais considèrent que leur patois est un dialecte
allemand et ont l'habitude qu'on les appelle «des Allemands».
Enfin. il n'existe aucune hostilité envers l'Allemagne qui ne s'in-
téresse d'ailleurs jamais à cette région au :xrxesiècle.
Cela n'enlève rien au fait que la population autochtone parle
encore de préférence son dialecte francique mosellan dans les
relations de famille et d'amitié. Le déclin du patois est amorcé.
Quant à l'allemand littéraire. il est la langue d'enseignement dans
toutes les écoles du niveau primaire en dehors d'Arlon et le clergé
l'utilise encore largement. Mais le bilinguisme est en passe de
triompher.
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110
rv. 1890-1914 : PREMIERS DÉFENSEURS
DE LA LANGUE ALLEMANDE ET
RISPOSTE FRANÇAISE À ARLON
1111
) Deutsch-Belgien. Organ des Deutschen Vereins zur Hebung und Pilege der
Muttersprache im deutschredender Belgien. Arel-Brüssel. 1899. p. 8.
1112 l Idem. p. 9.
111 3
) Jahrbuch des Deutschen Vereins zur Hebung und Pilege der Muttersprache
im deutschredenden Belgien. Are!. 1914, pp. 74-77.
) Le Vingtième Siècle. lundi 13 août 1906. n ° 225. p. 1.
111 4
112
modeste place «pour le bien de notre peuple». Kurth insiste par-
ticulièrement sur «la belgiocité et le patriotisme» des Belges de
langue allemande qui ont toujours combattu pour le droit la li-
berté et la religion. La nouvelle société veut poursuivre en ce
sens. Sa fondation s'explique par:
- la nécessité dans la situation sociale actuelle d'avoir accès à la
population d'expression allemande;
- la nécessité de ne pas laisser dépérir l'enseignement en langue
allemande dans l'intérêt de l'éducation et de la formation;
- la nécessité de permettre à tous les citoyens belges d'expres-
sion allemande d'être servis dans leur pays par des fonction-
naires connaissant leur langue O15l.
L'objectif de Kurth est de modifier les conditions de vie des
germanophones belges. Ignorés du monde officiel. les Allemands
de Belgique sont isolés de leurs concitoyens et traités comme
s'ils n'existaient pas. dit-il.
«S'ils n 'ont pas la chance d'avoir appris une autre langue, on
les exclut de toutes les jouissances intellectuelles de la civilisa-
tion.» 016l
Or les ouvriers et surtout la population agricole n'apprennent
pas de seconde langue (français ou flamand) et ne disposent
d'aucun autre instrument de formation intellectuelle pour rattra-
per leurs compatriotes plus favorisés. Condamnés à l'ignorance
dans l'abandon le plus total. les Belges allemands sont relégués
dans une condition jugée inférieure et humiliante. Même ceux
qui symbolisent la patrie. les officiels et les fonctionnaires. leur
parlent en français ou ne leur parlent pas du tout. Le paysan de
l'Arelerland ou celui de Montzen est laissé en dehors de toute
conversation compréhensible pour lui. Ce qui amène Kurth à
déclarer : «Pour le paysan allemand de Belgique, la civilisation
belge est une marâtre.» 0 17l
S'ils ont pu survivre au sein d'un tel état pendant près de
cinquante années. c'est grâce à deux catégories d'hommes, les
instituteurs et les curés de villages, au secours desquels il faut
maintenant se porter avant qu'il ne soit trop tard. Avec beau-
coup de vaillance, ceux-ci ont déployé des trésors d'abnégation.
113
d'intelligence et de patience, parlant au peuple dans sa langue.
la seule qu'il comprenne. Le catholicisme est le seul lien des pay-
sans avec le monde extérieur et le seul défenseur de leur langue
maternelle. le seul véhicule de civilisation et le seul instrument
de formation morale et intellectuelle du peuple des campagnes.
«Que deviendrait le peuple si l'Eglise catholique n'était pas là,
qui. du haut de toutes ses chaires. lui fait encore entendre les
accents familiers de sa langue. et qui lui rappelle ses vérités éter-
nelles sans lesquelles il ny a pour l'homme ni salut dans l'autre
monde ni existence digne de lui dans celui-ci ?
«Prêtres et instituteurs, ouvriers d'une grande œuvre sacrée,
vous avez été pendant un demi-siècle les bons génies du peuple
allemand de Belgique : sans vous. il serait plongé aujourd'hui
dans la nuit totale.» oisJ
La conservation de la langue allemande irrémédiablement liée
à celle du catholicisme assure aussitôt au mouvement une con-
notation religieuse très forte. Celle-ci se retrouve dans les statuts
du mouvement qui assignent aux membres de la société. la con-
servation «de la langue, de la foi et des mœurs de nos ancêtres».
Avec un tel article, le Verein est à l'abri de toute participation
libérale arlonaise. Par contre. les personnages marquants de la
magistrature. du barreau, de l'enseignement. appartenant au parti
catholique, s'y donnent rendez-vous.
A l'aube du xxesiècle. l'Eglise a besoin du soutien de nouvel-
les forces éducatives. Il est grand temps d'intervenir car «la
wallonisation et la francisation anti-patriotiques, visant à la perte
de la moralité du peuple» 01 9l gagnent chaque jour du terrain.
L'influence des publications françaises peu recommandables au
point de vue moral. grandit sans cesse à Arlon. Pour protéger la
population au point de vue moral. religieux et même politique. il
faut défendre la langue maternelle. Dans une lettre écrite à son
ami Fernand Neuray. Godefroid Kurth ne cache pas qu'à Arlon.
le Deutscher Verein est aussi une machine politique : «Si le Verein
prend un peu, il sera une citadelle catholique pour ]'arrondisse-
ment d'Arlon et il défiera libéraux et socialistes.» '120l
Dans la presse nationale. Kurth organise une vaste campagne
121
( l Notre Troisième Langue Nationale. op. cit
115
tout ce qu'elle publie et qui revendique des mesures en faveur
de l'allemand car c'est le seul moyen de protéger le luxembour-
geois qui n'est pas une langue et pour lequel il serait suicidaire
de demander quoi que ce soit au Palais de la Nation. Les deux
sont désormais associés, le sort de l'un dépendant des progrès
de l'autre.
A l'extérieur de la région germanophone. dans les relations
avec les dirigeants francophones et flamands, on entretient vo-
lontairement une certaine confusion entre l'allemand et le luxem-
bourgeois par nécessité et par facilité. On réclame par exemple
des fonctionnaires capables de s'exprimer en langue allemande
et capables de comprendre leurs administrés, ajoute-t-on sans
trop préciser. A Bruxelles. on en déduit tout naturellement que
les administrés parlent l'allemand, ce qui n'est pas exact.
Si officiellement l'activité littéraire et culturelle de la société
est destinée aux masses paysannes. il est clair que dans la réa-
lité, elle ne peut s'adresser qu'aux élites catholiques allemandes
du Luxembourg. le clergé en tête. Elle permet également de for-
tifier la position de l'ensemble des germanophones vis-à-vis de
Bruxelles en donnant plus de poids à leurs revendications.
Dans la mesure où une grande partie des masses populaires
n'est pas instruite et ne comprend déjà pas la signification du
sermon ou des prières dites en allemand à la messe. elle est
obligatoirement hors de portée de la production littéraire du
Deutscher Verein. même si la vocation de celle-ci est de les pro-
téger.
Durant ses deux premières années d'existence. le cercle ne
connaît pas d'intenses activités (m l. L'assemblée générale du 29
septembre 1894 décide d'ouvrir une bibliothèque allemande à
Messancy et de la doter de cent volumes. Godefroid Kurth pro-
pose également d'organiser des cycles de conférences. Comme
l'argent manque. le comité se met en quête de bénévoles. L'as-
semblée examine encore une éventuelle aide à apporter à
l'Arloner Zeitung qui connaît une situation financière difficile. Il
est convenu à l'unanimité de lui chercher de nouveaux abonnés
et de lui faire de la propagande. Mais le cercle ne peut se per-
mettre d'aller plus loin.
' l Les
122
rapports d'activités du cercle sont publiés par la revue Deutsch-Belgien
en 1899 et en 1900. puis par le Jahrbuch des Deutschen Verein. de 1901 à
1914.
116
Fin de l'année 1895. la société déploie une activité beaucoup
plus nourrie et offensive. Aucune conférence n'a encore eu lieu,
aucune publication n'est sortie de presse. aucune bibliothèque
n'a été installée à Arlon. Tout change. Le 30 septembre 1895. le
comité de la section d'Arlon prend la décision de créer une bi-
bliothèque dans «la capitale de la Belgique allemande» 0 23i. n se
prononce également en faveur de la publication d'annales sous
la direction de Kurth. Une assemblée extraordinaire et publique
du Deutscher Verein avec sa première conférence. a lieu le 26
décembre. A en croire les comptes rendus dans la presse au len-
demain de cette première grande séance. elle se déroule devant
«un public nombreux et choisi» '124' . Le secrétaire de la société. le
juge de paix Jungers. retrace dans quelles conditions le Verein
est né avant d'exposer le but de ses fondateurs : rassembler tous
les amis de l'idiome national et développer chez eux le goût et
l'usage de la parole allemande. orale et écrite. Ensuite. un très
jeune et distingué professeur. enseignant la philologie germani-
que à l'université de Liège. lui-même originaire de Montzen. dans
la partie allemande de la province de Liège. apporte un témoi-
gnage de sympathie aux frères luxembourgeois et fait un brillant
exposé sur la place occupée en Belgique par les dialectes alle-
mands. il s'agit vraisemblablement d'Henri Bischoff. Quelques
jours plus tard. Le Patriote titre en première page : «Notre troi-
sième langue nationale». Le quotidien apprécie :
«Pour la première fois, depuis un temps immémorial, la lan-
gue allemande a retenti de nouveau à Arlon, dans une réunion
littéraire. Et la séance a pleinement réussi.» 0 25 J
Grâce au prestige et à la publicité apportés à cet événement.
le cercle enregistre de nouvelles adhésions qui portent le nom-
bre de ses membres à une soixantaine. Parmi eux, plusieurs per-
sonnalités dont le ministre et sénateur provincial Alphon se
Nothomb. frère de Jean-Baptiste, qui est nommé président d'hon-
neur du Verein: le comte de Llmburg-Stirum, député d'Arlon et
questeur de la Chambre. nommé membre d'honneur.
Pendant les dernières années du siècle, les activités se multi-
plient A partir de 1899. la revue annuelle «Deutsch-Belgien, Organ
des Deutschen Vereins» sort de presse. On y lit les comptes ren-
dus des assemblées. des conférences. la liste des membres. les
117
rapports d 'activités. des articles historiques. folkloriques.
philologiques. rédigés sous la plume de Kurth. Jungers. Bischoff.
Bertrang. Warker... A partir de 1901. la publication prend le titre
de «jahrbuch des Deutschen Vereins». Le numéro de 1903 con-
tient une histoire assez drôle mais reflétant bien le type de pro-
blèmes auxquels on peut être confronté à Arlon 0 26l.
Une carte postale destinée à l'imprimeur Willems. installé de-
puis 1879 sur la Grand-Place d'Arlon. est postée à Arlon avec
l'adresse suivante : «An Herr A Willems. Drucker, Wohlgeb, Hier.»
«Hien> signifie en allemand «ici» et équivaut dans la suscription
d'une lettre. à la formule française «en ville». Et la ville en ques-
tion est Arlon, la capitale de la Belgique allemande comme se
plaisent à le répéter les dirigeants du Deutscher Verein.
Qu'arrive-t-il à cette carte postale? Après un voyage circulaire
en pays flamand. elle prend enfin le chemin de Hyères (Hier !) en
France, et c'est là qu'un employé plus doué en langues que le
postier wallon d'Arlon la renvoie à son lieu d'origine avec la note:
«Voir à Arlon même».
Une supplique adressée au ministère de l'Intérieur et de l'ins-
truction publique permet d'obtenir un subside destiné à finan-
cer la revue du Deutscher Verein. Grâce à cette aide gouverne-
mentale. la situation du cercle s'améliore et il promet de soute-
nir moralement et matériellement les oeuvres d'auteurs belges
en langue allemande. L'effort porte surtout dans le domaine des
manuels utilisés par les écoliers de l'enseignement primaire.
F. Perbal. instituteur en chef à Messancy. publie en 1896 Der
Deutsche Sprachschüler. en 1898. Der Ackerbau in den
Primarschulen. L'inspecteur de l'enseignement Emering publie
en 1906 Geographie für die untere et mittlere Abteilung der
Primarschulen. De son côté, Warker poursuit l'édition de ses con-
tes et de ses pièces de théâtre. En 1909. il écrit De Baltes vum
Bichenhaf. Volkssteck a véier Akten.
A la fin du siècle. les conférences et les pièces de théâtre po-
pulaires prennent également de l'ampleur sous l'égide du Verein.
La compagnie d'art dramatique de Toernich anime des soirées;
le professeur Duqué raconte la guerre des paysans; le doyen
Knepper évoque la présence des Capucins à Arlon; le curé Goedert
conte son pèlerinage à Jérusalem; Bischoff analyse les chansons
populaires allemandes; Perbal explique le système des pensions
(t
27
l Deutsch-Belgien. 1899. op. cit. pp. 15-16.
119
Godefroid KURTH {1847-1916}
120
121
Kurth entre à l'Ecole Normale des Humanités, annexée à
l'université de Liège, et y fait des études de lettres. Son
cœur balance entre la poésie et l'histoire. C'est cette der-
nière qui l'emporte. il débute sa carrière professorale à
l'athénée de Liège. Le 7 juin 1872, il obtient le titre de
docteur spécial en sciences historiques à l'université de
Liège, après avoir défendu avec brio des thèses sur Ca-
ton l'Ancien et sur l'histoire politique des ducs de Bour-
gogne. A la rentrée académique, l'université de Liège lui
confie la chaire d'histoire du Moyen Age et d'histoire de
littérature moderne.
Dans l'enseignement universitaire, Godefroid Kurth va
faire œuvre de pionnier. Non seulement, il instaure des
cours novateurs comme l'épigraphie ou l'archéologie mais
il crée le premier séminaire de recherche historique tel
qu'il a pu le voir fonctionner en Allemagne. Toutes les
universités belges lui emboîtent le pas. Kurth a réussi à
donner une impulsion des plus bénéfiques pour la criti-
que historique et l'épanouissement d'une l'école histo-
rique belge.
En 1874, il épouse Eva Lavaux, fille d'un industriel de
Saint-Léger. La jeune femme apprend le latin et le grec
pour aider son mari dans ses travaux et l'accompagne
dans ses voyages et ses randonnées scientifiques.
Godefroid Kurth laisse une œuvre diversifiée. Parmi ses
principaux ouvrages : Les origines de la civilisation mo-
derne (1886), Histoire poétique des Mérovingiens (1893),
Clovis (1896), La frontière linguistique en Belgique et dans
le nord de la France (1895-97), L'Eglise aux tournants de
l'histoire (1900), Notger de Liège (1905). La cité de Liège
au Moyen Age (1910), La nationalité belge (1913).
Dès sa plus tendre enfance, Godefroid Kurth se signale
par son fervent catholicisme. il se considère comme un
enfant de l'Eglise, persuadé d'être né dans une maison
érigée sur l'emplacement de l'ancienne église médiévale
122
Sainte-Catherine qui s'élevait jadis dans la rue Basse d'Ar-
lon. A l'université, son cléricalisme marqué ne lui vaut
pas que des amitiés et plus d'un le juge inapte à ensei-
gner. En pleine guerre scolaire, il frôle la destitution lors-
qu'il prend nettement position, en 1879, contre le gou-
vernement libéral qui veut déchristianiser l'école en Bel-
gique. En 1893. en pleine explosion de la question so-
ciale, il se rallie publiquement à la démocratie chrétienne
par une lettre adressée à l'abbé Pottier, ce qui lui vaut
l'inimitié de la frange conservatrice du parti catholique.
L'historien qui n'hésite pas à haranguer des milliers
d'ouvriers chrétiens à Charleroi devient une personna-
lité de premier plan en Belgique. A la même époque, il
crée le Deutscher Verein afin de défendre et promouvoir
la langue allemande en Belgique.
En 1906, ce professeur à la réputation internationale
obtient l'éméritat et s'établit à Assche, aux portes de
Bruxelles. Le gouvernement le nomme directeur de l'Ins-
titut historique belge de Rome, un titre qui s'ajoute à
ceux de membre de l'Académie royale de Belgique, de la
Commission royale d'Histoire, ou encore docteur hono-
ris causa de l'université de Louvain.
Grand admirateur de l'Allemagne et de la culture germa-
nique, Kurth est suzpris par l'invasion allemande de 1914.
Les atrocités commises en territoire belge par les armées
du Kayser le perturbent au point de le briser. n s'éteint à
Assche, le 4 janvier 1916, après avoir signé un violent
réquisitoire qui paraît après-guerre : Le Guet-Apens prus-
sien en Belgique (1919). Le 25 septembre 1921, ses cen-
dres sont transférées au cimetière de Frassem (Arlon)
lors d'une imposante cérémonie présidée par le cardi-
nal Mercier.
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Dans l'enseignement
Quand ils sont chez eux, les enfants du pays d'Arlon parlent
exclusivement le patois. Lorsqu'ils entrent à l'école primaire, li-
bre ou officielle, ils reçoivent un enseignement de base en fran-
çais. Kurth le déplore vivement mais ses justifications sont am-
biguës. D'une part, il affirme que la transition est tellement bru-
tale que les enfants ne comprennent rien ou presque à ce qui
leur est enseigné. D'autre part. il déclare que les écoliers sont
alors soumis à l'influence malsaine de brochures immorales que
des librairies parisiennes répandent à profusion dans le sud de
la Belgique. De cette dernière plainte, on peut déduire que les
jeunes Arlonais savent lire et comprennent le français. ce qui est
en contradiction avec son premier argument.
Dans les villages, les résultats sont encore plus désastreux, nous
dit Kurth. L'enseignement de base se donne d'abord en allemand
et en français durant les dernières années. Les quelques notions
d'allemand sont aussitôt oubliées et celles de français se rédui-
sent à très peu. Les enfants quittent l'école à 11 ans sans connaî-
tre aucune des deux langues. S'ils arrêtent là leurs études, ils re-
prennent chez eux l'utilisation exclusive du patois et tout est perdu.
Dans un cas comme dans l'autre, il est impossible de leur
enseigner les principes de la religion ou de la morale par la pa-
role ou les écrits allemands. De plus, les Belges de langue alle-
mande ne sortent pas de l'enseignement primaire avec les mê-
mes chances que les autres Belges. Kurth juge cette situation con-
traire à la constitution déclarant que tous les Belges sont égaux
devant la loi 0 2si. En conclusion, les Belges germanophones sont
condamnés à «passer leur vie entière à creuser des sillons, à faire
inconsciemment le geste auguste du semeur; par le fait même
de cette éducation défectueuse, tout horizon intellectuel leur est
fermé sans retour.» 0 29i
La solution préconisée par le Deutscher Verein est l'instaura-
tion de l'allemand comme langue véhiculaire officielle dans
(
131
HENRY. Allemands de Belgique. op. cit, p. 11.
l Ren é
o,zl Deutsch-Belgien, 1899. op. cit, p. 24.
Onl Godefroid KURTH. Ce que demandent les Allemands. in Le Vingtièm e Siè-
cle, lundi 27 août I 906, n ° 239. p. 1.
Deutsch-Belgien. I 900. op. cit. p. I 2.
127
projet avorte car. le 19 septembre 1900. le ministre fait savoir
qu'il était pleinement d'accord mais que trop d'enseignants ne le
sont pas et que la plupart des communes concernées ont refusé
de leur donner congé le samedi après-midi 0 34i. Cette tentative
résulte pourtant d'une pétition signée par 55 enseignants. S'agis-
sait-il des enseignants déjà membres du Verein? Les véritables
intéressés ont-il manqué d'intérêt pour l'offre qui leur était faite ou
les a-t-on découragés de suivre cette formation supplémentaire?
Le Deutscher Verein revendique encore l'organisation à
l'athénée royal d'Arlon d'un régime allemand similaire au régime
flamand dans les régions flamandes. n propose notamment de
consacrer suffisamment d'heures à l'étude de l'allemand dans
les classes du degré inférieur pour pouvoir faire de l'allemand la
première langue durant les trois dernières années du cycle supé-
rieur. Cela pourrait facilement se faire aux dépens du grec o35 l
mais aucune suite n'est réservée à cette proposition.
Chaque fois qu'une décision doit être prise au niveau natio-
nal en matière d'enseignement. le Deutscher Verein se mani-
feste sans grand succès tant auprès du ministre qu'auprès des
Chambres. Choisi parmi d'autres. l'exemple qui suit date du 11
mars 1910:
«Messieurs.
«A l'occasion de la discussion prochaine du projet de loi sur
l'emploi du flamand dans l'enseignement moyen. nous venons
vous prier, au nom du «Deutscher Verein» de bien vouloir rendre
justice aux Belges de langue allemande en votant. quelle que
soit la solution qui intervienne. un article additionnel ainsi conçu :
«Les prescriptions de la présente loi sont également applica-
bles à la langue allemande dans la partie allemande du pays.
arrondissements d'Arlon. de Bastogne et de Verviers.»
«Confiant dans votre esprit de justice. nous vous prions, Mes-
sieurs. d'agréer l'hommage de nos sentiments respectueux.
«Au nom du Deutscher Verein :
«Le secrétaire: N Warker- Le 1er vice-président: N Lecler.» '136l
0 341 jahrbuch des Deutsch en Vereins. Are!. 1902. pp. 8-9: 1903. p. 9.
(iisi Deutsch-Belgien. 1899. op. cit. pp. 13 et 25.
128
Donnez-nous des fonctionnaires de langue
allemande!
Le problème le plus épineux et le plus important pour le Deuts-
cher Verein concerne la nomination des fonctionnaires. C'est lui
qui fait l'objet du plus grand nombre d'interventions et peut-être
du plus de résultats quoique impossibles à mesurer.
Le Deutscher Verein demande que «l'on con.ie les fonctions
exigeant des relations fréquentes avec le public à des personnes
capables de s'exprimer en langue allemande» car la grande ma-
jorité de la population connaît l'allemand seul. les autres ayant
une connaissance très imparfaite du français. Une démarche
auprès du ministre des Chemins de Fer. des Postes et Télégra-
phes porte ses fruits. Jules Vandenpeereboom promet formelle-
ment de ne nommer aux postes supposant des rapports entre
les agents et le public en pays allemand que des candidats par-
lant la langue du pays. Cependant l'administration est réduite à
donner la préférence aux candidats allemands pour autant qu'il
s'en présente. Mais après le départ de Vandenpeereboom. en
1899. cette mesure qui touche essentiellement les guichetiers et
les gardes-convois. est abandonnée. ce qui vaut une lettre du
Deutscher Verein au nouveau ministre Julien Llebaert. le 12 sep-
tembre 1900. avec une revendication supplémentaire :
«De plus, dans bon nombre de gares, de postes et le long des
lignes de chemin de fer dans notre partie allemande, les avis
concernant le public qui souvent ne connaît que sa langue ma-
ternelle, ne sont qu'en français et en flamand. ou en français
seulement. Pour que ces avis aient leur entière utilité, il faudrait
qu'ils fussent rédigés en langue allemande.» 0 37 )
Les choses n'évoluant guère à Bruxelles. le Deutscher Verein
envoie une nouvelle pétition aux Chambres le 31 octobre 1902.
Il y est demandé au ministre des Chemins de Fer de reprendre la
tradition de son prédécesseur et aux ministres de la Justice et de
la Guerre d'agir de la même manière envers leurs fonctionnaires.
Le 17 décembre. le rapporteur Colis déclare à ses collègues dé-
putés:
«Les pétitionnaires afBrment que le nombre des fonctionnai-
res ignorant complètement la langue de leur population
(
14 1
l Annales Parlementaires. Chambre des Représentants. Séance du 19 novem-
bre 1896. p. 41.
132
La campagne de 1906 et les réponses des
partisans de la langue française
En 1906, Godefroid Kurth monte personnellement en première
ligne afin d'alerter l'opinion publique sur la situation faite aux
«60.000 Belges dont ]'allemand est la langue maternelle». Le se-
crétaire de la Commission d'Histoire se lance corps et âme dans
le combat et signe une série d'articles intitulés «Les Belges de
langue allemande», parus dans Le Vingtième Siècle. d'août à dé-
cembre de la même année o42l. La direction de l'équipe rédac-
tionnelle de ce grand quotidien catholique fondé en 1895. est
assurée depuis 1898 par Fernand Neuray. l'ancien rédacteur en
chef de L'A venir du Luxembourg et ami intime de Kurth. Parallè-
lement à cette campagne. Henri Bischoff redouble d'efforts et
fonde à Montzen un Schillerverein organisé selon un modèle
identique à celui d'Arlon.
La démonstration de Kurth fait avant tout appel à l'histoire en
reprenant les grandes lignes développées dans «La Frontière lin-
guistique en Belgique» o43 i. Kurth y rappelle que les souverains
des Belges, tant bourguignons qu'espagnols. ont toujours fait
preuve d'une largeur de vue remarquable en matière linguisti-
que, malgré une puérile légende qui les a transformés en persé-
cuteurs de la «moedertaal». Plus tard. sous Marie-Thérèse et Jo-
seph II. les Etats de Luxembourg ont eu recours aussi bien à la
langue française qu'à la langue allemande tandis que le Conseil
de Luxembourg jugeait en allemand les causes des villages de
langue allemande.
Par contre. le régime français passe très mal chez Kurth qui
parle carrément du «principe antinational de la domination ex-
clusive d 'une seule langue». Après une évocation très brève du
régime hollandais, des colonnes entières du journal narrent la
mise sur pied d'égalité du français. du flamand et de l'allemand
en 1830. Citant tous les décrets qui prévoient la publication en
allemand des textes officiels. des affiches, etc. dans les provinces
concernées. l'historien en arrive à la mutilation du Luxembourg
1142 l Le Vingtièm e Siècle. lundi 13 août 1906, n° 225. p. 1: lundi 20 août 1906 ,
n° 232. p. 1 : lundi 27 août 1906. n° 239. p. 1 : lundi 3 septembre 1906, n° 246,
p. 2 ; lundi 12 novembre 1906. n° 316, p. 2: lundi 3 décembre 1906. n° 337,
p. 2.
ll 43 l Godefroid KURTH, La Frontière Linguistique en Belgique et dans le Nord de
la France. Bruxelles. 1896.
133
Convocation des membres du Deutscher Verein à l'assemblée du 9 février 1905.
en la salle Orban.
134
en 1839 et à la loi du 28 février 1845 qui, par omission, frappe de
mort civile une des trois langues nationales 0 44l,
Le «scandale)) que s'efforce de dénoncer Godefroid Kurth à
travers sa campagne est l'absence à Arlon de fonctionnaires maî-
trisant la langue de la population. Pourtant les Belges de langue
allemande ont de par la constitution, les mêmes droits que leurs
compatriotes wallons et flamands. Ils paient leurs contributions,
craignent Dieu. respectent l'autorité, ne font guère d'émeutes et
fournissent nombre de bons serviteurs à l'Etat dans tous les do-
maines. Malgré cela. on les traite dans leur propre patrie comme
des Belges de seconde catégorie tandis que les Wallons bénéfi-
cient d'une nette supériorité grâce à l'universalité du français et
que les Flamands obtiennent graduellement grâce à des mesu-
res législatives, le libre usage de leur langue et l'égalité dans les
textes officiels avec le français.
Kurth explique que les Belges de langue allemande attendent
le jour de la justice et de la réparation mais que. pour l'instant ils
demeurent administrés et jugés par des fonctionnaires et des
magistrats qui ne savent pas leur langue. Tels peuvent se résu-
mer très brièvement les propos de l'historien au travers de cette
vaste offensive. Les généralités qu'ils développent sont illustrés
par des exemples concrets. L'un d'eux. largement inspiré de l'af-
faire Coecke et Goethals. revient fréquemment : un malheureux
patoisant ne comprenant pas un mot de la langue de Voltaire. a
été traduit en justice et condamné sans réaliser ce qui lui arrivait.
Kurth date ce scandale du tribunal d'Arlon. du 11 septembre 1903 :
«Pendant ma jeunesse, les journaux flamingants protestaient
avec indignation contre des scandales de ce genre, qui alors écla-
taient de temps à autre au pays flamand. Sont-ils moins révol-
tants parce qu'ils se produisent aujourd'hui dans la partie alle-
mande du pays. et les flamingants toléreront-ils qu'on réserve à
leurs compatriotes allemands un traitement contre lequel ils se
sont insurgés ?)) o45 l
A la suite de la parution de ces articles. une vive réaction se
135
manifeste à Arlon dans les rangs francophones. C'en est vrai-
ment assez ! La coupe déborde et la mauvaise publicité natio-
nale faite par les catholiques au chef-lieu du Luxembourg ne fait
plus rire personne. Plusieurs périodiques belges - et plus seule-
ment d'obédience catholique - font écho à cette propagande
sans parler de L'Avenirdu Luxembourg qui reproduit systémati-
quement les textes de Kurth. A partir de la fin août 1906. on voit
paraître à Arlon. en réponse aux attaques du Vingtième Siècle.
des brochures anonymes défendant les intérêts francophones
de la région 0 46l.
Cette réaction porte d'abord sur le «soi-disant scandale du
tribunal d'Arlon». L'auteur a procédé à une petite enquête à ce
sujet Les résultats sont surprenants. Non seulement on ne trouve
pas trace de l'affaire mais en plus. l'audience du 11 septembre
1903. incriminée par Kurth. était présidée par le juge Jungers. un
magistrat originaire du Grand-Duché de Luxembourg et natura-
lisé belge. qui préside également aux destinées du Deutscher
Verein depuis 1901. Dès lors. c'est plutôt la légèreté. les inven-
tions et les contre-vérités du savant à la réputation internatio-
nale. qui constituent le scandale. Quant aux autres anecdotes du
jahrbuch des Deutschen Vereins. déjà négligeables auparavant.
leur authenticité est maintenant très sérieusement ébranlée. Ce
n'est pas la première aventure. peut-on lire. dans laquelle l'histo-
rien arlonais jette. sans réflexion suffisante et sans mesure. l'auto-
rité de son talent et l'abus de sa haute situation.
Le ou les auteurs anonymes se livrent ensuite à une profonde
réflexion remettant en cause le bien-fondé de toute l'action du
Deutscher Verein et des publications de Kurth ou de René Henry
au cours des dernières années.
«La question allemande que M Kurth essaye de susciter... n'est
en définitive qu'une pastiche dérisoire de la déplorable question
fi.amande, particulièrement dominée par des considérations
d'amour-propre et des intérêts secondaires.» 0 47 l
136
La thèse développée dans ces brochures ne manque pas d'in-
térêt L'explication de toutes ces revendications «prétendument
linguistiques» serait en réalité une question de collation et de chasse
aux emplois. Par leur action. les catholiques allemands manœu-
vrent afin d'obtenir le monopole des places rémunérées par l'Etat
dans l'administration et la magistrature tant à Arlon qu'à Liège et à
Verviers. L'opération vise les Wallons. les francophones et à tra-
vers eux. la gauche anti-cléricale et surtout les libéraux. L'affaire
est politique. le prétexte est linguistique. Voilà une théorie qui re-
joint étonnamment l'allusion de Godefroid Kurth à son ami
Fernand Neuray neuf ans plus tôt : le Deutscher Verein sera une
citadelle catholique défiant libéraux et socialistes o4sJ.
Pour les opposants au cercle allemand. la tactique de Kurth et
de ses amis est claire. En exigeant des mesures législatives ex-
cluant des emplois publics les Belges ne parlant pas l'allemand.
toutes ces places sont réservées à des membres de l'élite catho-
lique regroupée au sein du Deutscher Verein. En effet tous les
Allemands quelque peu instruits connaissent le français en rai-
son de son universalité et de son importance dans l'Etat belge.
Par contre, tous les jeunes gens de langue française ou wallonne
ne connaissent pas l'allemand. C'est pourquoi Kurth revendique
que tous les gendarmes. gardes-convois. magistrats et employés
à la disposition du public sachent l'allemand.
Les francophones jugent cela inacceptable. Le tribunal d'un
arrondissement. au sein duquel les Wallons prédominent. doit
sans doute compter dans ses rangs des magistrats comprenant
et parlant l'allemand mais il n'est pas question d'exclure dans le
futur tous ceux qui ne le parlent pas. Kurth lui-même reconnaît
que sur sept juges de paix à Arlon, deux au moins sont d'origine
patoisante et pratiquent couramment l'allemand o49 J_ Partout des
gendarmes. des notaires. des greffiers. des douaniers. des em-
ployés d'administration. même s'ils ne sont pas les plus nom-
breux, connaissent la langue du peuple. nn'y a pas de véritables
plaintes ou de récriminations vraies de la population allemande
mais seulement de sombres manœuvres de l'élite catholique
s'inscrivant dans un contexte d'opposition politique et religieuse.
La conclusion de cette réflexion est que le Deutscher Verein.
à la tête duquel on trouve un Grand-Ducal naturalisé belge.
!148l Lettrede Godefroid Kurth à Fernand Neuray. Liège. le 17 mai 1897. Papiers
Fernand Neuray (AG.R Bruxelles).
!149l Le Vingtième Siècle. lundi 3 septembre 1906. n° 246. p. 2.
137
comprend une centaine de membres «triés sur le volet de la haute
bourgeoisie de langue allemande, apte aux emplois qu'elle ré-
clame pour elle seule» o5ol. n n'y a pas de mouvement allemand.
Après avoir exposé la position des francophones arlonais. il
nous faut revenir sur cette affaire du tribunal d'Arlon et la com-
menter car elle a. en réalité. bien eu lieu. C'est à la suite d'une
grave erreur que Godefroid Kurth a mentionné la date du 11 sep-
tembre 1903 à la place de celle du 19 septembre 1902. Manifes-
tement l'historien arlonais s· est référé au jahrbuch des Deutsch en
Vereins qui avait dénoncé en son temps le scandale en publiant
un extrait du quotidien L'Echo du Luxembourgrelatant l'audience.
L'affaire s'est déroulée en septembre 1902 mais le jahrbuch pa-
raissant une fois par an. n'a pu en faire état avant 1903 0 51l. De
surcroît. l'Echo a rapporté des faits du 19 septembre dans son
numéro du 21 du même mois. Mais à la suite d'une coquille
typographique. le jahrbuch s'est référé à l'Echo du 11 septembre
au lieu de celui du 21. il n'en a pas fallu moins à Kurth pour
transformer le 21 septembre 1902 en 11 septembre 1903. date
historique du mouvement allemand. Plein de sincérité sur ce
point. l'auteur de la brochure anonyme contestant Kurth. n'a pas
trouvé trace de cette affaire et l'a automatiquement attribuée à
l'imagination ou à la mauvaise foi de l'historien.
Voyons maintenant de quoi il retourne exactement. Dans
son édition du 21 septembre 1902. le quotidien libéral arlonais
L 'Echo du Luxembourg relate en ces termes l'audience du tri-
bunal correctionnel d'Arlon :
«A l'audience de ce jour, aucun des juges du siège, ni le subs-
titut du procureur du Roi, ne parlant la langue allemande - situa-
tion vraiment bizarre - il a dû être procédé à l'interrogatoire des
prévenus et des témoins assez nombreux. ne parlant pas le fran-
çais, par voie d'interprète.» 0 52i
Or. Godefroid Kurth. se référant à ce même article reproduit
fidèlement par le Jahrbuch. rapporte quatre années plus tard ceci :
«ll y a quelques années, à Arlon. on a eu ce spectacle scanda-
leux d'un individu allemand qui ne savait pas un mot de français
et qui fut jugé et condamné par des magistrats wallons sans rien
comprendre à ce qui se passait autour de lui.» 0 53i
(
150
l Réponse à M Godefroid Kurth. 1906. op. cit., pp. 11-12.
0 51 l Jahrbuch des Deutschen Vereins. 1903. p. 10.
o5zl L'Echo du Luxembourg. vendredi 21 septembre 1902. p. L
(
15
,l Le Vingtième Siècle. lundi 13 août 1906. p. L
138
Une brève critique de l'attitude de Godefroid Kurth s'impose.
n est indiscutable que l'historien arlonais passe volontairement
sous silence la présence d'interprètes lors de la séance du tribu-
nal. nne commence à en faire état que beaucoup plus tard lors-
que celle-ci est dénoncée dans la seconde brochure anonyme.
Naturellement. s'il avait dû y faire allusion dès le départ. cela
annulait en grande partie le caractère scandaleux du fait Mais
rapporter, uniquement parce que cela sert son intérêt. que le pré-
venu a été jugé et condamné sans rien comprendre à ce qui se
passait autour de lui, alors que l'on sait pertinemment qu'il a
bénéficié d'un traducteur, est une attitude incompatible avec la
démarche de l'historien à la recherche de la vérité.
Quand on suit le cheminement judiciaire de cette affaire. on
s'aperçoit encore que le prévenu est acquitté par le tribunal d'Ar-
lon et que ce sont les conseillers de la Cour d'Appel de Liège qui
réforment le jugement d'Arlon et condamnent le prévenu à trois
mois de prison. n n'est pas précisé si ces conseillers parlaient
l'allemand.
D'une manière générale, remarquons que le recours à un in-
terprète en matière judiciaire est une procédure régulière prévue
par le code pénal. Elle est d'ailleurs utilisée constamment dans
la vie judiciaire arlonaise durant tout le XIXe siècle et une bonne
partie du :xxesiècle. depuis que le tribunal siège à Arlon et cha-
que fois que le magistrat ne comprend pas la langue d'un pré-
venu ou d'un témoin. De telles situations se produisent encore
après la seconde guerre mondiale et le phénomène se caracté-
rise par sa permanence et sa périodicité. A partir de 1830, on
envoya à Arlon des magistrats wallons ignorant l'allemand qui,
progressivement. devinrent majoritaires. Et jusqu'en 1945. il y eut
des patoisants luxembourgeois ayant besoin de traducteurs de-
vant le tribunal.
En conclusion, on peut déplorer que des magistrats belges ne
connaissent pas la langue de leurs justiciables, que ces derniers
soient jugés dans une langue qu'ils ne comprennent pas et qu'il
faille recourir à des interprètes. Remarquons toutefois que si des
magistrats wallons avaient fait l'effort durant leurs études d'ap-
prendre la langue allemande, leur nomination à Arlon n'aurait
pas modifié fondamentalement la position des justiciables luxem-
bourgeois car l'allemand et le luxembourgeois sont deux lan-
gues différentes. la compréhension de l'une n'entraînant pas la
compréhension de l'autre. Les interprètes auxquels on recourt
devant le tribunal d'Arlon, ne traduisent pas de l'allemand en
139
français mais bien du luxembourgeois en français. Pratiquant l'al-
lemand, ces magistrats wallons auraient eu de grandes facilités
pour apprendre l'idiome local. mais à partir de ce moment on
peut considérer que des problèmes similaires existaient partout
en Belgique. notamment en Wallonie chaque fois que l'on ju-
geait en français un patoisant wallon. En fait. il n'était pas possi-
ble d'exiger des fonctionnaires de l'Etat la connaissance des dia-
lectes locaux. La seule solution était de faire appel à des magis-
trats allemands originaires de la région ou du Grand-Duché de
Luxembourg qui maîtrisaient le luxembourgeois.
Selon Kurth, en 1906. Arlon compte deux juges sur sept capa-
bles de parler le luxembourgeois. Les cinq autres recourent à des
interprètes quand la nécessité s'en fait sentir car la majorité des
gens concernés sont des francophones.
Précisons encore que l'utilisation d'interprètes lors d'un pro-
cès ne signifie pas que la justice soit mal rendue et qu'elle trompe
le prévenu. U n'y a pas eu d'affaire Coecke et Goethals à Arlon.
Le francophone désireux de rester dans l'anonymat ne mâ-
che pas ses mots à propos de la tentative de Kurth d'exploiter
l'affaire du tribunal d'Arlon. U parle de «scandale inventé de tou-
tes pièces. à J'aide de données mal interprétées. non sufB.sam-
ment contrôlées, et avec la hâte maladroite de gens heureux de
trouver l'occasion d'un mauvais coup à faire ... ». «d'étranges tripa-
touillages n'ayant que des rapports très éloignés avec l'histoire
impartiale, la discussion sérieuse, la bonne foi et même la plus
vulgaire honnêteté.» 0 54 i
Outre cette polémique. son argumentation et la seconde en-
quête qu'il mène à propos de cette affaire révèlent certains dé-
tails intéressants. Nous n'avons pas pu vérifier ceux-ci. Us doi-
vent être considérés avec prudence.
D'après lui. l'audience correctionnelle du 19 septembre 1902,
présidée par un magistrat wallon assisté de deux assesseurs wal-
lons, traita onze affaires. Huit d'entre elles concernaient unique-
ment des prévenus et des témoins wallons. Dans deux autres
affaires. les prévenus ne se présentèrent pas et furent jugés par
défaut. Le dernier était le prévenu allemand mais qui. contraire-
ment à ce que l'Echo annonça. parlait le français. S'il fallut recou-
rir à un interprète. ce fut uniquement pour deux ou trois témoins.
Une faut pas généraliser hâtivement cette singulière statistique
(t
54
1 Deuxième réponse à M Godefroid Kurth. 1906. op. cit, p. 6.
140
dans les proportions où elle nous est présentée mais il est sûr
qu'au début du xxe siècle, le volume d'affaires relatives à des
Luxembourgeois comprenant le français est de loin supérieur à
celui concernant des Luxembourgeois ne parlant que le patois.
L'auteur anonyme ajoute encore:
«Depuis un an ou deux, les audiences du tribunal correction-
nel d'Arlon sont le plus souvent présidées par un magistrat wal-
lon, qui ne doit d'ailleurs cet honneur qu'à son rang ll ne se
présente pas que des Allemands, bien entendu, à ces audiences,
puisque les Wallons forment la majorité de la population de l'ar-
rondissement: mais il y a toujours un interprète pour les cas
spéciaux et rares qui pourraient donner lieu au fameux «scan-
dale» si singulièrement découvert par M Kurth. Et qu'arrive-t-il?
C'est que ces Allemands qui dénient pouvoir s'exprimer en fran-
çais, tout à coup se mettent le plus naturellement du monde à
parler dans cette langue, à interrompre leur interprète et à recti-
Ber, en français, la traduction quelque peu fautive de celui-ci. Ce
cas n'est pas unique, mais il est fréquent» 0 55J
Poursuivant. le contradicteur affirme que le 20 septembre 1902,
le tribunal tient une audience complémentaire dans le cadre d'une
affaire mettant en présence cinq prévenus. Les deux principaux
sont des Flamands originaires de Clercken en Flandre occiden-
tale, le troisième est un Wallon tandis que les deux derniers sont
Allemands d'Arlon dont un. assez âgé. ne parle pas le français.
Plusieurs témoins déclarent ne pas parler le français. On recourt
à deux interprètes : un interprète flamand et un interprète alle-
mand. Cela n'empêche pas le prévenu allemand d'être acquitté.
D'autre part le contestataire anonyme ne s'attaque pas seule-
ment à la version de Kurth mais également à la «manière perni-
cieuse» dont le chroniqueur de L'Echo du Luxembourg a rap-
porté les faits. Celui-ci aurait eu des motifs d'ordre privé et des
rancunes personnelles contre le magistrat nouvellement promu
qui traitait l'affaire. Cette récente nomination avait donné lieu à
de longues et ardentes compétitions entre deux candidats libé-
raux. L'un d'eux était wallon, tandis que l'autre était allemand.
Finalement c'est le Wallon qui obtint le siège. Parmi les partisans
du candidat évincé. on trouvait le chroniqueur en question dont
l'article n'avait pour autre objectif que de nuire ou d'être désa-
gréable à l'heureux magistrat 0 56l.
o57 l Alfred BERTRANG. Die Sterbende Mundart 1936. op. cit, p. 138.
142
professeur de rhétorique française à !'Athénée royal d'Arlon, res-
pectivement président et secrétaire du comité local de !'Exten-
sion. sont conscients que quelques conférences à l'audience li-
mitée ne peuvent décemment pas concurrencer des campagnes
dans la presse nationale et des interventions politiques auprès
du Gouvernement ou du Parlement Même si le succès remporté
par le mouvement de Kurth est très contestable au niveau local.
le retentissement de ses activités est grand à travers toute la Belgi-
que. Ce ne sont pas les tentatives catholiques en vue de renfor-
cer leur position politique ou d'obtenir des avantages subséquents
dans l'administration ou dans la magistrature qui dérangent le
plus. Ce qu'ils ont acquis en plusieurs années est négligeable et
les libéraux sont suffisamment forts pour y faire face, mais la
propagande en faveur de la culture germanique à Arlon, baptisée
«capitale de la Belgique allemande» et son impact à travers tout
le pays, est ressentie comme insupportable. Pour remédier à cette
situation. il faut recourir aux grands moyens. Jean Van Dooren
décide de faire appel à un de ses amis personnels. une toute
grande figure de la culture française en Belgique : Maurice
Wilmotte, membre de l'Académie royale et professeur de philo-
logie romane à l'université de Liège.
En 1905. Maurice Wilmotte a organisé à Liège un congrès in-
ternational pour la défense et l'extension de la langue française.
«Titre ambitieux mais la jeunesse est audacieuse et elle a bien
raison de l'être.» 0 5s)
A part une modeste tentative faite à Paris dans les locaux de
l'Alliance française, on n'avait jamais essayé de convoquer en un
même lieu tous les amis étrangers de la langue française. «tous
ceux qui, l'ayant apprise, sinon dans la famille, à l'école, en avaient
goûté le charme et lui devaient un complément de culture dont
ils avaient le droit d'être Bers .11 o59) Profitant de !'Exposition uni-
verselle dont la ville de Liège est le siège en 1905. Maurice
Wilmotte a brillamment réussi ce rassemblement grâce au sou-
tien de la Mission laïque française et de l'Alliance française qui
ont couvert les frais de l'entreprise.
Toutes les associations et tous les groupes d'amis de la lan-
gue française s'y sont retrouvés. Parmi les personnalités pré-
sentes : le représentant officiel de la France, Jules Gautier, chef
143
de cabinet du ministre de l'instruction publique et futur mem-
bre du Conseil d'Etat. Paul Meyer et Salomon Reinach. tous
deux membres de l'Institut de France. le Suisse Bouvier. futur
recteur de l'université de Genève. le conseiller russe Novicow.
célèbre par ses livres sur l'universalité du français et venu spé-
cialement d'Odessa. le gouverneur du Cambodge de Lamothe.
représentant les colonies françaises. le baron de Lépine. délé-
gué du Gouvernement du Québec. etc. Le congrès s'est ter-
miné sur la promesse d'en tenir bientôt un deuxième encore
plus grandiose.
A la suite de ces curieuses assises liégeoises. on voit durant
les années suivantes la multiplication des conférences françai-
ses et la création de nombreux cercles d'amis de la culture fran-
çaise en Belgique. A l'étranger. les congressistes suisses fondent
l'Union romande pour la culture et l'enseignement du français
tandis que les Luxembourgeois du Grand-Duché lancent un co-
mité de l'Alliance française.
Une des réactions inattendues de ce congrès est la mise sur
pied dans la province de Liège d'un Lüttischer Schillerverein créé
à l'initiative d'Henri Bischoff.
«Chaque fois que nous créions un cercle de culture française.
d'autres Belges. mus par des in tentions mystérieuses jusqu 'en
1914, fondaient aussitôt un Schillerverein ...11 ' 160)
Vers 1907. Wilmotte bien décidé à récidiver se met en quête
d'une autre ville et d'un comité prêts à accueillir sa nouvelle or-
ganisation. La Belgique ayant déjà eu les honneurs. il se tourne
tout naturellement vers l'étranger. Genève semble toute désignée
mais les Suisses. pourtant très actifs dans ce domaine. sont par-
ticulièrement embarrassés. craignant que des conflits naissent à
la suite d'une telle manifestation pourtant pacifique.
«Peut-être aussi le particularisme helvétique s'effarouche-t-il
à l'idée d 'une affirmation trop brutale de la suzeraineté intellec-
tuelle de la France.» '1 6 1)
Wilmotte pense alors au Grand-Duché de Luxembourg qui a
l'avantage de posséder une culture mixte. les Luxembourgeois
pratiquant chacun deux langues tandis qu'en Suisse il y a
simplement voisinage de l'élément roman et de l'élément
alémanique. situation plus délicate. Malgré des premiers signes
0601 Association pour la culture et l'extension de la langue fran çaise. op. cit. p. 14.
061 1Maurice WILMOTfE. Mes Mémoires. op. cit, p. 171.
144
encourageants. la réponse grand-ducale est finalement négative.
le ministre d'Allemagne à Luxembourg ayant pesé de tout son
poids à cet effet.
Amer. Wilmotte déclare plus tard : «Peuh ! à Luxembourg, il
est vrai que tout le monde entend le français. Mais la première
langue est et restera l'allemand.» 0 62l
Plusieurs Liégeois conseillent encore à Wilmotte de prospec-
ter à l'est. Mais la seule ville de langue française qu'on y trouve
est Malmédy. incorporée depuis 1815 dans le Deutschtum. Y réu-
nir le congrès tiendrait de la provocation et est littéralement im-
possible. Déjà en 1905. les congressistes liégeois avaient été ser-
rer la main des «frères de race et de langue» mais les choses
n'avaient pas été commodes. Tous les habitants de Malmédy
qui avaient osé arborer un drapeau français en signe d'accueil,
s'étaient vu infliger par le landrat. cinq marks d'amende. Dès lors.
seule la Belgique apparaît susceptible d'accueillir la seconde réu-
nion des amis étrangers de la langue française. n ne reste plus
qu'à choisir une des grandes villes du pays. C'est à cet instant
que Jean Van Dooren entre en scène.
Wilmotte connaît bien Arlon. En tant que «missionnaire» de
!'Extension. il s'y est déjà rendu pour donner des conférences
sur des sujets littéraires. Recourant à tous les arguments imagi-
nables. Van Dooren s'efforce de convaincre Wilmotte de choisir
Arlon. idée qui ne lui serait assurément jamais venue à l'esprit.
Non seulement. Arlon est connue comme une ville de langue
allemande. mais sa population germanique est traditionnelle-
ment considérée par les gens de l'intérieur du pays comme froide
et peu aimable. De plus. les problèmes matériels ne manquent
pas car le chef-lieu luxembourgeois est grand comme un mou-
choir de poche :
«Que d 'objections à vaincre ! Pas d'hôtels confortables ! Pas
de locaux spacieux pour recevoir tant d'hôtes étrangers ! Pas de
théâtre où la Comédie Française dont je comptais bien obtenir
le concours, pût offrir à une population émerveillée un spectacle
de choix! Dans la villette même, on ne pouvait compter sur des
concours généreux. comparables à ceux que Liège avait sponta-
nément procurés... » (163l
061 l Association pour la rnlture et l'extension de la langue française. op. cit. p. 14.
0 63 l Maurice WILMOTI'E. Mes Mémoires. op. cit.. pp. 174-175.
145
BRUXELLES , 5 SEPTEMBRE 1906 . Le Numéro é~ix centimes DEUXIÈME ANNÉE, N • 52.
•'..
ADMINISTRATION R8DACTION
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bnurg B1lge 1t Orand-Daul Rapporlea.ra, pro®.ernent de phi eu ph:i1 inlt11,1te dN Jauy.
LE CONGRÈS MM:. Vau D00r1o, proreeaear l l 11ihtuèt1
d'Arlon, d Marllu d 'Ruarl, preh,11eur à
peapl ... faPorlal! par la r•pldUé dee com·
mnnlce.Uon,. li •ppll'Uol "11 Oougre1
Bouv.u t. 1., profetMDr 1. l'Unl'fereit6 de
Hadrld .
l'•tb6uée de Ltuembourc. d'ug1aer iN U't'&Dta, lo'DI au. eolo, dN CJ..TS Aua, M.. nct.Rr • l'Unherahé d'Ath ~
POUR LA IV. Lo fra.nÇ&11 et la qauUou dH lupM p111 lallnl e1 •1'•ea, l adoptar le lrt11ç1i1 Dfll.
11111UooalN •o BulNt, Bapporlen"r, M. René pour lenrs commanlcallen1 .cttlnUflquff · Cnwot.aoll'., o .•D., pr of - u r l IUnlnnlU
Bonry, prolH•Hr . A l'Boote llbr. det luternaUonalea. P •r 10118, de l'60011omle da Saln1,Ptienbourr .
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V aimA&JI.B!'I:, E11rLa, IIU6r11t.eur, l Parla. Milll!mCo,·¾ ;irorene~W..illlln~
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les 1111.tionl!i de l'Enrope, de liUét?,lenrs & r:nt litllroir« tl• B01t1ri1. ÛtUe néoeasité s'impose 1nrtont ans: aens Mm~aaur., R., profHNur A l'Uol't'er, IUI de
HORAIRE DU CONGRÊS D'ARLON
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de l.a11g11e franç,.i.Ju d1H l'en1eigue111eut g,r. Dans lear coogrèa , ils oo\ adm ia j111qo ' â
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NOVICO", L, pnbllet.tt, ._ OdNU.
la. laugne. Une place impotb.ute a été A. 2 heure1,1e«1:1ot ,olennelle d'onorlnre; de l'hlatoiro llU6r11ire, 11neHe Mt ln J)lll'L U pré3enl l 'uaage de troia langnes en raison PSLSaNDa, membre de l'A.cadéui le de Bel·
Les adhé81ous sont reçn86 ro.o de lo. 1 Nnrdi 22 saplemfm: teu r du f'l1Jr1t, Il) par lu re't'uH de prop,11· la. première consiat, daca le mainüon do
Fer ure, 118, on rne do Ton lonse, 33, 1 E1:cnralon à Lnn11.1bour1. D,.part l 9 b. M m.. l!•uùe. Rapport.enr, M. Oaat.on BorJat, statu q1'o, à la condition to utefois de déter• Exposé des raisons militant en faveur de
à Bro:xollos. ar rlT6e à! lb. S8 111 . (heu1"8 allH1ude1- JUceptlon ùlreo,eu r de la.R,PtU poar k.J PrtlH~aU. miner toc s les suants, sans distiaction de l'adoption de la langue française
1 d• c,ooi:rnu\1lo• par l'J.Ui1Uufn111p,i11 deL11nm• IV. L'ex\enlon Je J.,. lanrue frn.nçalte p• r le
1 boura. R11tour à 8 Il. 17 m. lb1u.re alleu1ande).
n:üiooalité, à ndopler eue des ~rois l~ngoes comme langue auxiliai,e
1\ot ,\l r11. Rn n nnrtflur. M. OlLarlH Dulalt. Y.
«...et pourquoi ne pas le dire, une administration, intelligente
certes, et disposée à tous les sacrifices, mais limitée dans son
budget et contrainte à toutes sortes de ménagements politiques,
philosophiques et. .. autres.» 0 64l
Van Dooren balaie une à une toutes les objections. Pas de
théâtre ? Le gymnase de l'athénée est assez spacieux pour deve-
nir une salle de spectacle. On édifiera une scène et il y aura même
des loges d'artistes. Les hôteliers sont enchantés de l'aubaine et
renseignements pris. certains s· engagent à faire les travaux né-
cessaires pour recevoir les voyageurs qui vont affluer. Le notaire
Hubert accepte d'accueillir sous son toit quelques hôtes de mar-
que. Et on logera chez l'habitant ceux qui seront en surnombre.
La ville sera pavoisée, bref rien ne manquera pour donner à la
réception le caractère qu'elle mérite (165 l.
Historiquement. Arlon est admirablement désignée. Poste fron-
tière de la culture française. la ville a un important passé romain
dont son musée archéologique conserve l'éclatant souvenir. Elle
est pour la langue française. ce qu'après 1870. Belfort est pour le
patriotisme français et ce que Malmédy deviendra pour les Belges
de la Grande Guerre 0 66 l.
U est évident que sans le charme et la persuasion de Van
Dooren, jamais Wilmotte n'aurait accepté de se lancer dans une
telle entreprise. Mais devant l'insistance du vieil ami, et peut-
être en considérant les raisons impératives de la lutte entre fran-
cophones et germanophones à Arlon. Wilmotte succombe aux
arguments de Van Dooren et donne son accord.
«Il y avait à l'athénée royal du lieu, un professeur d'origine
verviétoise, donc wallonne, et dont le nom était flamand. qui
avait par des publications excellentes, témoigné de son zèle pour
notre culture. C'était plus que sufB.sant pour m 'encourager à re-
nouveler là-bas une tentative qui n'aurait pas réussi à Lwœm-
bourg.» 067'
La date du congrès est fixée au mois de septembre 1908 et
Van Dooren entame aussitôt les démarches nécessaires. Le co-
mité local d'organisation est immédiatement constitué avec la
participation de toutes les personnalités libérales du chef-lieu.
0 64l Association pour la culture et l'extension de la langue française. op. cit. p. 16.
0 65 lMaurice WILMOTI'E, Mes Mémoires, op. cit., p. 175.
066l Association pour la culture et l'extension de la langue française. op. cit, p . 15.
147
Numa Ensch-Tesch. ancien membre de la Chambre des Repré-
sentants et bourgmestre d'Arlon. en prend la présidence. Mau-
rice Wilmotte écrit à son sujet :
«Un peu fruste, et même revêche à la première rencontre, il se
révèle bientôt infiniment accessible à mes sollicitations, Je lui fis
savoir quels utiles effets la présence de quelques centaines de
congressistes, venus de partout. et la plupart intellectuellement
qualifiés, aurait sur la mentalité un peu terne de ses administrés,
La bourgade, de ce jour-là. allait prendre un rang supérieur dans
une province, dont elle était le chef-lieu administratifplus nomi-
nal que réel Je n 'eus pas besoin d'insinuer ce que le succès du
Congrès éveillerait de jalousies passionnées à Luxembourg car
je connaissais la vieille rivalité des deux cités voisines et les fa -
çons de supériorité que la plus grande affectait à l'égard de celle
moins favorisée du nombre et de la fortune.» 0 68l
La vice-présidence est partagée par André Mortehan. agent
consulaire de France à Arlon. et Paul Reuter. échevin de }'Instruc-
tion publique et futur bourgmestre. tandis que la cheville ouvrière
du comité est Jean Van Dooren. au poste de secrétaire, aidé par
l'hôtelier Jules Feider. Le comité compte encore parmi ses mem-
bres : le trésorier Victor Birnbaum. professeur à !'Athénée. Auguste
Netzer. avocat et conseiller provincial. Charles Hubert. notaire et
conseiller communal. Emile Appelman. avocat et conseiller com-
munal.
Comme ils devaient s'y attendre. ils se heurtent à une vive
résistance catholique, Le Deutscher Verein de Kurth n'élève tou-
tefois pas la voix et ne fait pas la moindre allusion à l'affaire.
s'efforçant de ne pas paraître un ennemi de la langue française
mais Camille Joset. directeur de L'Avenir du Luxembourg. en-
tame une campagne virulente contre le Congrès dès que celui-ci
est annoncé.
Dans ses Mémoires. Maurice Wilmotte évoque brièvement
l'opposition dont il est l'objet:
«Si le magistrat communal était libéral, l'administration provin-
ciale ne l'était pas, Un gouverneur catholique siégeait. en face de
l'hôtel de ville, dans une grande bicoque qui tenait du couvent et
de la prison Un journal inspiré par lui et dirigé par un assez habile
homme, fut tout de suite adversaire d'une initiative qu'il jugeait
p érilleuse pour la moralité publique. A Liège (et il ne l'ignorait pas)
1ml, 1i 74l et 1i 75 l L'A venir du Luxembourg. lundi 25 et mardi 26 mai 1908. n° 123. p. 1.
149
Jamais l'Avenir du Luxembourg ne présente explicitement le
Congrès comme une action destinée à lutter contre la langue
allemande ou contre le Deutscher Verein d'Arlon, mais unique-
ment comme une tentative d'expansion de la langue française
et des idées libérales au détriment de la religion et des valeurs
chrétiennes.
Van Dooren, Ensch-Tesch et les autres libéraux arlonais ne
sont pas directement pris à parti par le quotidien catholique. Le
seul nom de Wilmotte rend Camille Joset malade et provoque
chez lui une telle colère qu'il ne lui est plus possible de la dépas-
ser et d'atteindre ceux qui se trouvent derrière l'organisateur. Au
mieux, Joset parvient encore à attaquer le Juif Salomon Reinach,
membre de l'Institut de France qui, au Congrès de Liège, avait
prôné le remplacement des classiques du xvrresiècle par ceux
du xvme, et quelques dirigeants maçons de la Mission laïque,
juste pour souligner le caractère judéo-maçonnique du «com-
plot».
Pendant l'été, les préparatifs se poursuivent sans que les or-
ganisateurs répondent aux attaques. Seul l'Echo du Luxembourg
entretient l'une ou l'autre polémique avec l'Avenir. notamment
lorsque l'Association flamande pour la vulgarisation de la langue
française, présidée par Firmin Van den Bosch, avocat général à
Gand, fait connaître son refus de participer au Congrès d'Arlon
après avoir estimé que par respect pour ses membres catholi-
ques. elle ne peut y adhérer: ou encore chaque fois que Joset
dénonce le comportement de Wilmotte, qu'il juge aux antipodes
de la neutralité, méprisant la littérature belge. ne se souciant que
de Paris, de ses mœurs, de son esprit et... de ses décorations.
Enfin, les invitations sont lancées et le mois de septembre
arrive.
Durant quatre jours. du 20 au 23 septembre inclus, se tient à
Arlon le Deuxième Congrès International pour ]'Extension et la
Culture de la Langue Française. Des hôtes de marque venus de
Belgique. de France, d'Angleterre. de Hollande. de Hongrie, de
Suisse. du Grand-Duché. du Canada. etc., se rencontrent dans le
chef-lieu du Luxembourg. Parmi les personnalités présentes, on
reconnaît le délégué officiel de la France, Jules Gauthier. direc-
teur du cabinet du ministre de l'instruction publique et directeur
de l'Enseignement secondaire. le délégué officiel de la Suisse.
Jean Bonnard, professeur à l'université de Lausanne et président
du conseil municipal. plusieurs Luxembourgeois grand-ducaux
dont Martin d'Huart, professeur à l'athénée de Luxembourg.
150
bibliothécaire de la ville et ancien élève de l'école normale de
Paris, l'avocat Simonis. président de l'Alliance française de Luxem-
bourg et son second, Tony Wenger, receveur des hospices à
Luxembourg. le vice-président Bonnet et le secrétaire
Dufourmantelle de l'Alliance française à Paris, le secrétaire Ber-
nard. de la Mission lalque française. des délégués de Londres. de
Nuremberg. Paul Meyer. membre de l'Institut. le professeur
Baldensperger de la Sorbonne. Henri Albert. du Mercure de France.
le Hongrois Huszar, directeur de la Revue de Hongrie. venu spé-
cialement de Budapest. et de nombreuses autres personnalités :
Emile Verhaeren, Fürstenhoff. Charles-Maxime Leconte, etc.
La plupart des journaux belges dépêchent sur place leurs
meilleurs correspondants et c'est une activité intense qui règne
à Arlon durant ces quatre jours.
De nombreuses fêtes sont organisées à cette occasion : des con-
certs par des musiques belges (Musique militaire du 1oede Ligne et
Royale Philharmonie d'Arlon) ou française (Harmonie des Aciéries
de Longwy-Mont-Saint-Martin) sont donnés en divers endroits de
la ville. La cantate «Douce France». écrite par J.J. Van Dooren, étu-
diant à l'université de Liège. est interprétée sur la place Léopold par
la chorale «Les Echos de la Semois». Un grand cortège de sociétés
belges. françaises et luxembourgeoises traverse la ville pavoisée aux
couleurs nationales et françaises. Une réception est offerte par l'ad-
ministration communale dans les salons trop exigus de l'hôtel de
ville; une grande fête gymnique et athlétique a lieu au jardin Waltzing;
le belvédère des Capucins est illuminé la nuit; etc. 0 76l.
Toute la population participe à ces festivités et c'est elle qui
loge la plupart des professeurs. comédiens. publicistes, poètes.
artistes, journalistes ... qui n'ont pas trouvé de lits dans les hôtels
de la place. Emile Verhaeren est hébergé chez un négociant
arlonais qui reçoit en remerciement un volume dédicacé.
Le dimanche 20 septembre, une soirée artistique se déroule
au gymnase de l'athénée royal. transformé en théâtre. On y en-
tend la cantatrice Jeanne de Bussy et Lucienne Roger, du Théâtre
royal de !'Alcazar. le chansonnier Dumestre et le professeur
Kauffrnann du Conservatoire de Bruxelles ainsi que l'artiste Baillet
de la Comédie Française. On y voit également des danses grec-
ques réglées par le maître de ballet de la Monnaie.
....
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PRO GALLIA
Organe Officiel Numéro spécial
PUBLIÉ PAR
DU
CONGRÈS
- - ~ 10UT-1.ltGE
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20-23 SÉPTEMBRE 1908
-·1\-'-'-'~----~-.-
_:_·:. . :, ~-"'~'-'~r:;:-,•
·-·-·-·-·-·-·-·-·-·-·-·-·-·-·-·-·-·-·-·-·-··-·-·-·-·-·-·-·-·-·-·-··-·-·-·-·-·-·-·-·-·-·-·-·-·-·-·-----·-··-·-·-·-·-·-··-·-··-·-·-·-··-·-·-·-·-··-·-·
2ME'GON-GR-ÈS POlJR L~EXT-E-N-SiON E'.f LA iCUL TURE
DE LA LANGU·iE· f':RANCAISE
' ' ,
·-·-·-··-·-·-·-·-·-·-·-·-·-·-·-·-·-·-·-··-·-·-·-·-·-·-·-·-·-·-·-·-·-. -·-·-·-·--·-··-·-··-·-·-·-·-·-·-·-··--·-·-·-·-·-·-·-·-··-·-·-··-·-·--··-·-·-·-·
' .
156
Impact et répercussions du Congrès
d'Arlon
On peut se poser la question de savoir si ce congrès connaît
un succès réellement considérable comme l'affirment ses orga-
nisateurs ou s'il est un lamentable échec comme le soutiennent
les milieux catholiques.
L'A venir du Luxembourg précise que sur 125.000 invitations
lancées au mois de mai, il n'y eut que 125 congressistes. Pour
Camille Joset. le «Easco» de la «kennesse maçonnique» d'Arlon
est indiscutable o73l_ Le Vingtièm e Siècle va dans le même sens et
dresse le procès-verbal de carence de «ce congrès d'opérette, vau-
devillesque». en rapportant même les propos qu'aurait tenus à
Arlon «un ami de M Wilmotte» :
«Heureusement la jeunesse célibataire peut se consoler de
cette manifestation puribonde en allant faire, la nuit venue. le
tour des maisons agréables de ce délicieux Arlon.»
Il adresse ensuite ses condoléances à «l'activité prompte, in-
lassable. despotique du philologue désabusé qui organisa le con-
grès. en un mot le touche-à-tout national.» 0 79l
Toutefois il n'y a que quelques organes catholiques pour con-
tester le succès et les résultats du congrès car l'ensemble de la
presse belge. française. suisse. grand-ducale et même britanni-
que. lui fait une importante publicité, Plusieurs journaux comme
L'Echo du Luxembourg. L'Action Wallonne. organe de défense
des intérêts matériels. intellectuels et moraux de la race wal-
lonne. Le Jaumal des Débats, Le Jaumal du Matin, La Meuse. .. lui
consacrent des pages entières tandis que des dizaines d'autres
feuilles rapportent jour après jour. au travers d'articles plus mo-
destes, les événements qui se déroulent dans le chef-lieu du
Luxembourg belge,
A Arlon. on distribue un journal spécial de huit pages. intitulé
Pro Gallia, organe offlciel du Congrès d'Arlon, édité par le «Tout-
Liège» o3oJ_
Outre les comptes rendus des travaux des sections. des festivi-
tés. la présentation des congressistes. du comité de patronage. des
159
«Le congrès international pour l'extension et la culture de la
langue française qui tenait, il y a trois ans, ses assises à Liège en
terre wallonne, a siégé l'autre semaine dans une petite ville du
Luxembourg belge, région où le génie latin s'est imposé au cours
des siècles à une population de race purement germanique.» (i s 4)
Quant au Deutscher Verein, il est discrédité tant à Bruxelles
qu'à l'étranger et c'est la suspicion qui plane désormais sur lui.
Belle victoire pour Van Dooren grâce au soutien de Wilmotte et
des responsables libéraux.
A l'exception du ministre d'Etat Jules Lejeune, les catholiques
boudent ou combattent le Congrès. Le matin même de son ouver-
ture. le comte de Briey. gouverneur de la province de Luxem-
bourg. quitte la ville. nest ce jour-là dans l'obligation impérieuse
de passer la fin des vacances scolaires en compagnie de ses en-
fants. ce qui fait dire à Maurice Wilmotte lors de l'inauguration :
«Le gouverneur est un excellent père de famille».
Camille Joset ne change pas d'attitude et continue d'appeler à la
«coalition de toutes les énergies nationales et catholiques pour s'op-
poser à l'un des pires ennemis qui aient jamais menacé notre pays :
lïnfl.uence dissolvante, anarchique et démoralisatrice du laidsme
français» 085l. Un mois après le congrès. le Vingtième Siède. qui lui
aussi se remet difficilement de cette manifestation. déclare :
«Nous n'entendons pas que l'on bafoue devant les étrangers nos
écrivains, nos joumaux, notre parler, nos mœurs, notre magistra-
ture, nous ne sommes pas disposés à nous vendre à un gouverne-
ment étranger quel qu'il soit nous avons plus que les thwiféraires
du florentin de la Batte le souci de la dignité de la Belgique.» 086l
Les libéraux répondent :
«L'hostilité des catholiques s'explique parl'étrange confusion que
certains catholiques étroitement nationalistes, et qui craignent de
voir leurs électeurs leur échapper dès qu'ils cesseront de regarder
plus loin que le docher de leur village, font entre la culture française
et lïdéal révolutionnaire. lls préféreraient que les paysans ne sus-
sent pas lire, mais en tout cas ils veulent qu'ils ne lisent que de
petits joumaux flamands et le catéchisme de Malines.» 0 87l
1871
( DUMONT-WINDEN, Pour la culture et l'extension de la langue française. Le
congrès d'Arlon. Coupure de Presse. Papiers Omer Habaru.
160
Jean VAN DOOREN (1861-1945)
Jean Van Dooren n'est pas un
:><;
Arlonais pur sang. Mais ce
Wallon né à Petit-Rechain,
près de Verviers, y a acquis un
droit de cité indiscutable. Di-
plômé de l'Ecole normale des
humanités à Liège. il débarque
à Arlon le 19 septembre 1885,
désigné pour la chaire de rhé-
torique française à l'athénée.
Il se révèle comme le plus
brillant professeur de l'établis-
sement. Esprit de grande fi-
nesse, possédant des lectures
étendues. se tenant au courant
des productions les plus ré-
centes. la rectitude de son jugement. sa vaste érudition et
sa parole vive, lui valent une vénération inégalée. Ses an-
thologies des poètes lyriques de France et de l'étranger
(1901), ainsi que des prosateurs français (1907). sont cou-
ronnées par l'Académie royale de Belgique.
Populaire auprès de ses élèves, Van Dooren l'est aussi auprès
de ses concitoyens. Marié à Arlon où il construit sa maison.
cet humaniste se dépense sans compter pour animer la vie
locale. Fondateur de !'Extension de l'U.L.B .. inspirateur de
la revue La Vie Arlonaise, cheville ouvrière de l'Association
pour la culture et l'extension de la langue française, organi-
sateur de soirées culturelles et artistiques, Jean Van Dooren
est l'âme de la vie intellectuelle locale. Après sa retraite en
1921, il est nommé rédacteur en chef du quotidien Les
Nouvelles. La France l'honore à plusieurs reprises. Lauréat
de l'Académie Française, chevalier de la Légion d'honneur.
ce «champion de la langue française» s'éteint le 13 mars
1945.
161
Nous ne connaissons pas le nombre de participants au Con-
grès d'Arlon, pas plus que le nombre d'invitations lancées par les
organisateurs, mais il paraît matériellement impossible que les
organisateurs aient attendu et reçu plus de deux à trois cents
invités.
Le fond du problème se situe certainement à un autre niveau.
Ce qui importe est l'impact de la publicité faite à la culture fran-
çaise à Arlon. Dans la ville même, elle est considérable. A travers
le pays, le retentissement est grand pendant trois jours mais en-
suite s'estompe rapidement. Le Congrès a-t-il réussi? L'avis du
Jaumal de Liège semble précieux :
«Un congrès a réussi lorsqu'il a eu une bonne presse, qu'il a
provoqué l'éclosion de rapports intéressants et activé les bon-
n es volontés de ses paiticipants: le congrès d'Arlon n 'a pas man-
qué, comme on peut le voir. à cet idéal.» ossl
Deux ans plus tard, le comité organisateur du congrès se mue
en comité directeur de l'Association Française d'Arlon. Pendant
trente années, il va accueillir dans le Luxembourg les conféren-
ces françaises organisées par Maurice Wilmotte.
0891 AL. CORIN. Henri Bischoff. in Liber Memorialis. l'Université de Liège de 1936
à 1966. tome II. Liège. 1967. p. 28.
0 901 Association pour la culture et l'extension de la langue française. op. cit. p. 20.
163
Ce témoignage émanant de l'un des principaux leaders libéraux d'Ar-
lon. apparaît naturellement suspect Mais celui du professeur Alfred
Bertrang n'est guère plus flatteur. Pourtant ce dernier. auteur de la
«Grammatik der Areler Mundarb1, ne peut pas être soupçonné d'hos-
tilité envers la langue maternelle ou le Deutscher Verein. En 1936. il
écrit dans Die Sterbende Mundait:
«Unter den hundert Mitgliedem. die man alle Mühe batte
zusammenzubringen und deren Zahl nie überstiegen wurde.
waren die Dorfpfarrer und die Dorfschullehrer am starksten
vertreten. In der Stadt Arlon fand der Verein nur wenige Anhanger.
auszer einigen aus dem Groszherzogtum Luxembourg
stammenden Gymnasiallehrern. Aus beschrankte sich die
Tatigkeit des Vereins aufdie Abhaltung einiger popularisierenden
Vortrage. Nach dem Volkerkriege fiel es niemanden ein, den
Verein wieder ins Leben zu rufen. 11 0 91 l
L'impact du Deutscher Verein au niveau local semble avoir
été faible et sans commune mesure avec le véritable tapage qu'il
organisa au niveau national et avec ses pétitions au Parlement.
Ce cercle avant tout catholique ne toucha guère la masse de la
population patoisante si ce n'est par l'intermédiaire des prêtres
et des instituteurs. Pourtant après sa disparition survenue lors
du déclenchement des hostilités en 1914. son importance allait
devenir capitale.
Le Deutscher Verein avait amorcé un mouvement et aussi fai-
ble ait été son importance. il allait être poursuivi, récupéré ou
détourné par ceux venus après lui. au cours des quatre décen-
nies suivantes.
D'autre part. le respect suscité par tous ces notables et ces
ecclésiastiques rassemblés autour de la personne de
Godefroid Kurth et de la foi chrétienne. devint tellement grand
que tous ceux qui lui succédèrent. se présentèrent comme
ses héritiers.
Enfin. au lendemain de la première guerre mondiale. on vit
naître à Arlon un culte. une adoration. une admiration sans bor-
nes pour Godefroid Kurth. disparu en 1916. C'est tout un mythe
qui se développa autour de lui et c'est à ce moment qu'il devint
le père de tous les germanophones belges et de leur mouve-
ment. Le fait d'avoir tant aimé l'Allemagne et la culture allemande
et d'en être presque mort lorsque l'Allemagne attaqua la
Belgique et massacra par milliers des innocents. permit à cette
'' 9 ' l Alfred BERTRANG . Die Sterbende Mundart. op. cit.. p. 138.
164
passion et à cet émerveillement pour Godefroid Kurth et pour
son œuvre. de se répandre dans tous les foyers du pays d'Arlon.
165
Le Deutscher Verein a toutefois une troisième raison de ne
pas accepter le don, outre son patriotisme et la publicité que son
geste lui assure. En effet un membre du cercle, le chanoine Lecler,
ayant connaissance de la liste des livres proposés, conseille aus-
sitôt de rejeter l'offre car le cadeau est empoisonné: les livres
sont d'inspiration protestante 0 9sl.
Le Deutscher Verein, en tant que société catholique, n'hésite
jamais à condamner le protestantisme allemand. Des articles pu-
bliés dans le jahrbuch dénoncent la politique menée par Bismark.
rendu présomptueux par ses victoires sur la France, et racontent
comment il a conçu le projet de fondre toutes les convictions
religieuses en un catholicisme d'Etat sans obédience à Rome.
Persécutions des catholiques, fermeture des séminaires et des
écoles catholiques, fuite des étudiants. brimades. etc. sont décri-
tes 096l.
On peut conclure que les relations entre le Deutscher Verein
et l'Allemagne sont quasiment inexistantes. ou en tout cas très
rares. S'il y en a. elles sont aimables sans plus. On peut même
signaler un incident entre Godefroid Kurth et la Frankfürter
Zeitung durant l'année 1906 0 97l,
A la suite de la campagne de l'historien dans les colonnes du
Vingtième Siècle. le correspondant bruxellois du grand quoti-
dien allemand s'en prend à Kurth et à son organisation. D'après
lui. il est absolument faux de prétendre que la Belgique néglige
ses germanophones. il s'évertue à prouver que le mouvement
allemand n'est pas justifié et que son promoteur va beaucoup
trop loin. il y a en Belgique. remarque-t-il. 1.457 communes wal-
lonnes. 1.137 communes flamandes et en tout et pour tout 26
communes allemandes comptant 36.344 habitants dont 15.900
seulement ne parlent que l'allemand. Kurth exagère largement
en réclamant la mise sur pied d'égalité de l'allemand avec le
français et le flamand. Pour le journaliste, la question des lan-
gues est admirablement résolue en Belgique.
Malgré ces rapports très limités entre le Deutscher Verein et
la nation germanique. certains n'hésitent pas à affirmer que
Godefroid Kurth fait le jeu des pangermanistes. Dans le cadre de
son article consacré à l'influence allemande en Belgique. paru en
166
1907 dans la Revue de Paris. Maurice Wilmotte consacre un pa-
ragraphe aux sociétés allemandes de Kurth et de Bischoff:
«Né germain et plébéien. M Kurth ne pouvait aimer les raffi-
nements de la civilisation latine, et tout s'accordait pour faire de
lui le champion, sincère jusqu'aux ardeurs fanatiques, du germa-
nisme en Belgique. nn 'eut pas de peine à trouver des collabora-
teurs dans un milieu qu'il dominait de toute sa stature.» o9sl
Poursuivant Maurice Wilmotte fait remarquer que les résul-
tats de ce genre de cercles linguistiques sont dangereux. Les
Leitfaden für den Unterricht in der Geographie du professeur
Daniel et l'Alldeutscher Atlas du professeur Langhans. tracent
une ligne de démarcation surprenante entre le Deutschtum et
les territoires de langue française :
«Est-il besoin de dire qu'Arlon et les petites bourgades luxem-
bourgeoises du Sud-est de la Belgique sont également restituées
au Deutschtum ?Le Grand-Duché n'est pas simplement annexé,
il est débaptisé comme Arlon est Arel.» o99l
]&AN GOEDERT.
Isidore POIRY ÉPISODE DE LA GU ERRE DE 191 4- 1918
"'q
LES BOCH ES DANS LE LUXEMBOURG
allemandes
DANS LA
.,,. BRUXELLES
TROIS IÈME .D1Tl0N J. LEBÈGUE & c;,
LA BE LGIQ UE ME U RTRI E
(revue ~t c.orriirée)
1200
l Jean SCHMTTZ et Norbert NIEUWLAND. La bataille de la Semois et de Virton.
in L'invasion allemande dans les provinces de Namur et de Luxembourg.
tome vm, Bruxelles et Paris. 1924.
Jean-Marie TR.IFFAUX. Les tragiques événements d'août 1914 à Arlon. in
Arlon-Carrefour, mercredi 30 août 1989, p. 7.
Jean-Marie TR.IFFAUX, Le Pays d'Arlon et la Gaume au fil du XX' siècle, Arlon.
1999, pp. 31-33.
1201 l Dominique ZACHARY. Villages gaumais choqués, in L'.A venir du Luxembourg.
' 203) Lucien THIRY et Nestor OUTER. Les Larmes Gaumettes. Bruxelles.
' 2041 Omer HABARU. Je fais fusiller 121 Belges. in Les Annonces du Luxembourg.
août 1934.
, 2o51 Jean DAUPHIN et Patrice DUMONT. 22 août 1914. Virton. 1985.
206
' 1 Dominique ZACHARY. Villages gaumais choqués. op. cit.
171
centrale classe d'office la région d'Arlon panni les communes de
langue allemande, à savoir:
1) dans la province de Liège : Aubel. Balen, Gemmenich, Henri-
Cha pelle, Homburg. Membach, Montzen. Moresnet.
Sippenaken et Welkenraedt :
2) dans la province de Luxembourg : Arel. Athem, Attert, Bocholz,
Bonnert, Diedenburg. Elcheroth, Feiteler, Girsch. Heischligen,
Herzig. Hewerdingen, Holdingen, Hondelingen, Ibingen,
Martelingen. Metzig, Niederelter, Seligen, Tintingen, Tëmich et
Tontelingen.
Cela ne modifie en rien la situation à Arlon, pas plus que la
parution de l'arrêté du 22 avril 1916 concernant la langue véhicu-
laire dans les écoles communales, adoptées et adoptables de la
région allemande de Belgique. Pourtant cette législation scolaire
précise que :
Article 2 : «Dans la partie allemande du pays, l'allemand est
considéré comme étant la langue maternelle des enfants, à moins
que le chef de famille. en faisant inscrire l'enfant, ne fasse par
écrit une déclaration spéciale désignant une autre langue comme
langue maternelle et usuelle.»
Article 8 : «On consacrera à l'enseignement de la langue ma-
ternelle. donné dans cette langue. six heures entières au moins
par semaine, dans les classes du premier degré, cinq heures dans
celles du deuxième degré, quatre dans celles du troisième et qua-
tre dans celles du quatrième.»
Article 9 : «La commune où l'administration scolaire a le droit
d'inscrire au programme des cours, une ou plusieurs langues à
titre de branches facultatives ... on ne devra pas, jusqu'à nouvel
avis, commencer l'enseignement de ces langues avant la 6e an-
née d'études ni y consacrer plus de trois heures entières ou de
six demi-heures par semaine...»
Article 10: «Aucun instituteur n'a le droit d'enseigner dans
une classe s'il ne possède pas à fond la langue véhiculaire de
cette classe.» (zo7l
Au début de l'année 1917. l'administration communale d'Ar-
lon n'ayant rien modifié dans son enseignement primaire, l'ins-
pecteur des écoles de la région allemande du pays. Jean-Pierre
(zo
7i Table des lois, arrêtés et avis pour le tenitofre belge occupé, du 1er avril au 30
juin 1916, p. 2054.
172
Fraikin (208l, nommé à ce poste par l'occupant prend contact
avec les responsables arlonais afin d'obtenir sans plus tarder
l'application du décret.
L'échevin de l'instruction publique Paul Reuter fait rapport de
la situation au Conseil communal lors de sa séance du 10 avril
1917. Pour lui la situation est très claire :
«Actuellement la majorité de la population appartient à la race
wallonne, et le patois vulgaire, qui n'a d'ailleurs que des rapports
fort lointains avec la langue allemande proprement dite, cède de
plus en plus le pas au français.» (2o9J
Reuter agite les derniers recensements et les dernières listes
électorales, d'après lesquelles la proportion d'électeurs d'origine
wallonne est officiellement de 61 % contre 39 % seulement d'élec-
teurs autochtones. D'ailleurs les conséquences de ce mouvement
d'immigration trouvent leur reflet dans la composition même du
Conseil, du personnel administratif. enseignant. etc. U rappelle
que c'est pour cette même raison qu'en 1867, le Conseil commu-
nal a modifié les bases de l'enseignement élémentaire pour
l'adapter à l'afflux toujours croissant d'élèves d'origine wallonne.
De l'égalité des langues française et allemande dans les écoles,
on est passé à la prépondérance de la langue française. en tant
que langue véhiculaire, tout en laissant à l'enseignement de l'al-
lemand, considéré comme seconde langue obligatoire. la «part
légitime qui lui revient dans la formation intellectuelle de nos
jeunes générations».
A ses yeux. la décision adoptée en 1867 a depuis lors été rati-
fiée par l'unanimité des pères de famille qui n'ont jamais émis la
moindre plainte en confiant leurs enfants aux écoles de la ré-
gion.
Uva sans dire que Paul Reuter passe sous silence les revendica-
tions du défunt Deutscher Verein. En conséquence. la décision
208
1 lJean-Pierre-Dieudonné Fraikin. inspecteur cantonal de l'enseignement pri-
maire. né à Herstal le 9 novembre 1871. est directeur au ministère wallon
des Sciences et des Arts pendant l'occupation. Le 3 octobre 1919. la Cour
d'Assises de Namur l'a condamné par contumace à 20 ans de travaux forcés.
Archives du Palais de Justice de Namur. Dossier Fraikin.
Procès des Activistes Wallons. Condamnation des Fugitifs. in Province de
Namur. vendredi 19 décembre 1919. n° 297, p. 2.
12091 Rapport fait au Conseil communal par M. Reuter, échevin de !'Instruction
(
2 11
! Extrait
du Registre aux délibérations prises par le Conseil communal de la
Ville d'Arlon. Séance du 21 juillet 191 7.
175
facultative avec quatre heures par semaine et sera maintenu dans
ces classes au même titre et avec la même importance pendant
toute la période scolaire.
Enfin. l'occupant veut que dans toutes les classes usant du
français comme langue véhiculaire. l'allemand soit enseigné
comme langue obligatoire avec six heures de cours par semaine.
Au sein du collège échevinal. personne n'est prêt à accepter la
création de classes wallonnes regroupant les francophones. aux
côtés de classes allemandes rassemblant les patoisants. L'idée
selon laquelle l'occupant veut jouer l'élément allemand contre
l'élément wallon se précise et le bourgmestre Ensch-Tesch n'est
pas disposé à accepter ce jeu dangereux. Nul ne sait quel sera le
prochain arrêté. ni quand se terminera la guerre et qui la rempor-
tera. Déjà, l'ombre de l'annexion se profile. C'est sans aucun mal
que le premier magistrat convainc le conseil communal qui se
déclare unanime pour résister à cette mesure quelles que puis-
sent en être les conséquences. La lettre de Fraikin se termine
par:
«Veuillez me faire connaître dans la huitaine quand et com-
ment vous comptez appliquer cet arrêté ainsi que ces conces-
sions. Agréez... » (212)
La réponse est envoyée à la suite de la séance du conseil
communal du 21 juillet 191 7 et c· est à une bonne surprise que
l'inspecteur de l'enseignement a droit.
La tactique adoptée par les dirigeants de la ville d'Arlon est
tout à fait légale et respecte scrupuleusement les volontés de
l'occupant: à Arlon. tous les parents ont déclaré que l'allemand
n'est pas la langue maternelle de leurs enfants. En conséquence.
il n'y a pas d'écoliers à mettre dans d'éventuelles classes alle-
mandes mais uniquement des enfants pour former des classes
wallonnes. Le problème est donc définitivement résolu.
Si le Conseil communal a le culot d'adopter soudainement
un pareil point de vue face à l'occupant. c'est parce que l'échevin
de l'Instruction publique est en possession des résultats tenus
secrets jusqu'alors. des démarches que l'administration commu-
nale a menées auprès des parents d'élèves dès le mois de mai
1916 et lors de la rentrée scolaire 1916-191 7. En effet. immédia-
tement après la parution de l'arrêté du 22 avril 1916. les respon-
sables communaux se sont préparés à faire face à toutes les
12121
Extrait du Registre aux délibérations prises par le Conseil communal de la
Ville d'Arlon. Séance du 21 juillet 1917.
176
situations et ils ont eux-mêmes contacté les chefs de famille
arlonais pour les prévenir du danger et pour qu'ils déclarent que
l'allemand n'est pas la langue véhiculaire de leurs enfants. Ce
qui est tout à fait exact en soi dans la mesure où les patoisants
parlent le luxembourgeois à la maison et non l'allemand. Même
les récalcitrants ont accepté. C'est la guerre. Personne ne veut
être germain et puis il y a Rossignol. et aussi Godefroid Kurth
que l'on a enterré en janvier 1916.
Dans sa réponse. le Conseil communal dévoile à l'occupant
cette arme ultime, savamment et discrètement préparée (ml. Les
chefs de famille ont déclaré unanimement que le français cons-
titue la langue maternelle ou usuelle de leurs enfants. à l'excep-
tion des parents de huit élèves de l'école communale des gar-
çons et de trois élèves de l'école communale des filles. Sur les
huit cas divergents chez les garçons. quatre concernent des en-
fants de nationalité allemande dont les familles résident depuis
peu d'années à Arlon. De plus. ceux-ci ont quitté l'école commu-
nale depuis février 191 7 pour gagner l'école allemande créée à
cette époque à Arlon à l'initiative de l'occupant. Deux autres gar-
çons concernés ont plus de 14 ans et sont en dehors des condi-
tions d'âge prévues par la loi scolaire du 19 mai 1914. Quant à
l'école des filles. une des trois élèves en question, est issue d'un
ménage habitant le territoire de la commune de Heinsch dont le
père n'a sollicité l'admission dans une école communale d'Arlon
que pour lui permettre d'apprendre le français. En conclusion,
sur un total de 998 élèves fréquentant les écoles communales
d'Arlon, il n 'y a que quatre enfants arlonais en âge d'école (deux
garçons et deux filles) pour lesquels leurs parents ont reconnu
de façon formelle la langue allemande comme étant leur langue
maternelle ou usuelle.
Paul Reuter assure que les résultats de cette enquête ont été
vérifiés consciencieusement par les chefs des écoles et recueillis
sans intervention ni pression aucune de la part de l'administra-
tion communale. il rappelle une nouvelle fois que le français est
depuis cinquante ans la langue véhiculaire de l'enseignement
primaire à Arlon et que. sous l'empire de ce régime. l'enseigne-
ment fondamental de cette ville a su gagner. non seulement la
confiance de plus en plus marquée de la population arlonaise,
mais encore une réputation qui dépasse de loin les limites du
!216l Rapport fait au Conseil communal par M. Reuter... sur son entrevue du 22
juillet 1917. op. cit
!2 17l L'école primaire allemande d'Arlon est créée à l'initiative de l'autorité occu-
pante au début de l'année 1917. Le manque d'informations quant à sa fré-
quentation et à son fonctionnement est total. Il est probable que seuls les
citoyens de nationalité allemande installés à Arlon y inscrivent leurs en-
fants. Un conseil d'administration chargé de diriger les affaires et d'adminis-
trer les fonds de cette école est créé le 30 mai 191 7. Il est composé du prési-
dent de l'administration civile à Arlon. en qualité de président. du commis-
saire civil de l'arrondissement d'Arlon. vice-président. du directeur de l'école
et de deux personnes appartenant à la colonie allemande d'Arlon. en tant
que membres.
179
la Deutsche Schule réalise pleinement les vœux de l'autorité alle-
mande. Les modalités pratiques de cette admission ne se heurte-
raient vraisemblablement à aucune objection insurmontable.
Haniel refuse ce compromis de dupes et demande plutôt la
mise en place d'une commission spéciale composée du prési-
dent de l'administration civile de la province, de l'inspecteur can-
tonal et de l'échevin de !'Instruction publique. afin de vérifier les
déclarations des chefs de famille. Pour gagner du temps. Paul
Reuter, très ennuyé, déclare devoir d'abord en référer au conseil
communal. Sur ce. l'entrevue prend fin.
La Ville d'Arlon ne peut évidemment pas accepter la mise en
place d'une telle commission. Reuter s'y trouverait en minorité
et il ne s· écoulerait guère de temps avant que Kaufmann et Fraikin
ne lui fassent constater que la plupart des enfants ont pour lan-
gue maternelle et usuelle le luxembourgeois et non le français
comme les pères de famille l'ont déclaré. Ufaut empêcher à tout
prix qu'ils en arrivent à interroger les enfants.
Devant le conseil communal, Paul Reuter souligne à quel point
cette solution implique une suspicion imméritée des conditions
dans lesquelles les pères de famille ont été appelés à formuler
leurs déclarations. Elle tend à substituer à leur appréciation sou-
veraine la décision d'un jury composé en majeure partie de per-
sonnes étrangères à l'enseignement.
Il rappelle encore que d'après les prescriptions des lois et ar-
rêtés, la vérification de l'exactitude des déclarations des chefs de
famille ne peut être faite que par le chef de l'école sauf en cas de
désaccord entre celui-ci et le père de famille. Dans ce cas, un
recours du père de l'enfant uniquement. peut avoir lieu auprès
de l'inspection scolaire qui décide en dernier ressort.
Le 11 août 1917. le Conseil communal se basant une nouvelle
fois sur la légalité, rejette la création d'une telle commission et
déclare s'en référer à sa résolution du 21 juillet 1917.
Après deux nouvelles mises en demeure inefficaces. le
Verwaltungschef Haniel nomme un commissaire spécial chargé
de procéder à une enquête au sujet de la langue maternelle ou
usuelle parlée par les enfants fréquentant les écoles communales.
Il s'agit du Dr Lohmeyer, directeur de l'Ecole allemande de Bruxel-
les. Il va rencontrer quelques difficultés pour remplir sa mission.
En effet. il commet l'erreur d'annoncer la date de sa visite. Le jour
en question. après avoir débarqué du train de Bruxelles. il se
présente dans les écoles pour y enquêter. Malheureusement pour
180
lui, les classes sont entièrement vides ... dépeuplées par une mys-
térieuse épidémie de «croup» qui vient de se déclarer de façon
fort inopportune ! (218l
L'ahurissement se mue bientôt en colère, qui devient de la
rage. lorsqu'au Gouvernement provincial et à la Kommandantur.
on apprend la déconvenue de l'émissaire du Verwaltungschel
reparti furieux et bredouille pour la capitale. Ce n'est qu'une par-
tie remise car peu après le même personnage débarque à nou-
veau et cette fois à l'improviste. il trouve les bancs des classes
occupés par les enfants subitement guéris.
Son rapport est absolument formel : la langue allemande est
la langue maternelle de la majorité prédominante des écoliers
d'Arlon. Le 6 novembre 1917, le Verwaltungschef für Wallonien
revient à la charge en agitant les résultats de sa propre enquête
et met une fois de plus le Conseil communal en demeure de
substituer l'allemand au français comme langue véhiculaire (21 9l.
Le 17 novembre 191 7, le Conseil communal. imperturbable.
lui répond en concluant :
«Dans ces conditions, le fait de substituer à la volonté de pè-
res de famille, librement et souverainement manifestée, la déci-
sion d 'une commission non prévue par la loi, aurait pour résultat
inévitable d 'apporter une profonde perturbation dans l'enseigne-
ment primaire de la Ville d'Arlon, de faire déserter les écoles
communales et de compromettre gravement lïnstmction de la
jeunesse arlonaise.
«A l'unanimité, le Conseil confirme sa décision du 21 juillet et
passe à l'ordre du jour.» (noi
Cette fois-ci. c'en est trop pour les Allemands. Reuter est con-
voqué pour la deuxième et dernière fois au Gouvernement pro-
vincial. il ne modifie nullement son attitude et l'entrevue se ré-
vèle orageuse.
Dans les jours qui suivent. l'inspecteur d'étape de la Ve Armée.
Von Seydewitz, décrète, sur proposition du président de l'admi-
nistration civile du Luxembourg, la déportation en Allemagne de
Paul Reuter. échevin de l'instruction publique à Arlon. Reuter est
1zisJ Comment Arlon se défen dit pendant l'occupation allemande contre les cir-
culaires Huysmans. in La Défen se Wallonne. dimanche 24 avril 1927. pp. 1-2.
1119l Extrait du Registre aux résolutions prises par le Conseil communal de la
181
La Résistance ~u Conseil comm1al
aux tentatives de germanisation
des Ecoles
â la lumi~re des -documents authentiques
Séances des 10 avril, 21 julllet, 11 aofit et 17 novembre 1917 ;
11 mai et 26 septembre 1918.
Les a,;ooss,in.a.ts, les in~dies et les pilla- li' , l'our ceila, il :fa.llait commencϥ pua: nons
get:J d'août 1914, lea odie:useis déporlation~ 1 dot.el,• d'un fa.u.x-nœ genJUliDique;: il f&llait
de nove;m;bte 1916 ert- de ma,i 1917, 1~ vexa.- fair.e de nous, de gré OU dl! foroe_ d«t «fré-
t io.us ot les bru;taJ.it,és sa.us nom;bre, nE! cons- l"e's» de langue et de ra.œ.
tiltu.ctnt qu'un des aspeJCte dei i' oooupa,tion
boche. C'elSt dans œ but *qlU!!
* * dès 1916, quelques
A la. vio~ ma.télielle, ces défein.seu.r·s «forj;es tê~ de. Bocli.ie, imaginèrent de
de la. «Klùina,, deva.ie111t a.jouter la con- gex:xnaari!relll DOIS éoolee d' a.boll'd, nos instiiu-
tr<ainto moa'SJ.e, l'~,priS10 9Ull' illba coosai.en- tfüOillS adm!imi,sjit'll;tii.veis ensu;i.tei.
cœ, s ur nos S0111Jtiment!l intimes, 811111 notre G1"âœ, à l' éneJ'gie dCI nœ éd.iilee, le mau-
la.n.gue, S'llll" oel qui, ~lgl'é t.out, leiw, de- vai:s OOUlp éohoiua., Dll'.IÏ& ce ne fuit pes la. fa.u-
me,.u'ait impénétrable et inacœlsBi.ble.. re. des Halflll ~ -delil KIUffmavt, SI'. lem-- en-
Sou.a préteode qu'un œrtaàn_ n:omb1<e de ill'eprise :faifl déjouée. ~ edfot!!B vini'tlttlt,
noo habiœ;nt& pa.rlenit u.n pa.tois bas-ailler se b1iser c:o;niir'el l'.inviinaible l'éa$lB.nœ op-
:rnand , ils nous avaieln.t .ami.exés déjà pa.i: pœée pll,Il le Oom.-1 oom.m.lllJl.llll, :fœtt de l'a.p-
a.\""SJlOO ,nmouvelaill.t cher,: nqus, ruveo la pqi l ~ d~ fouie' la. populadiun:
lou,rdeuir qui les œ.l:ootécise, et d'.a.ill:etü'S
sans plus de su.cc:ès, la_politique de genn'a,
nise.tioli pou,1;suivie 8lll Pologne et en Alsae
. "' "'
Ne pou,va.n)tl opéiretr PÇ' lui-m.ême, le Boche
o.vaitl \tmiuv&, poolll" li'a.i.dei1 da.n.s !18 si.nJis1:re
ce,.Lolfllii.ine. bœogne, quelq1œ9 Belgeis, tmîtœs à leiur
Ils poun."stiivaietnt, ce WSQllJ.t, un but -po- pa.ys: l'uu d ' ~ eux, un nommé Frai•
litique =i.bitie.u.x. C'était à 1/ époque où ils kïn, ci:.aeva:nt lll&peoœjull' C88l!looai à Bous-
se voya.ient le.a :rnaâti-es déjà, et à tout jae . !fU', a.ujourd'hu$ eo:11 fuite - .la. Oiiu.r d.'aai-
mai.s, du bassin de Briey eit de Longwy. TI ses de Nam.lu/Ii lui aym11 imlig& 20 années
&' a,gissa.it de OO!D&titwn', pa.r l' llill.D.oocion du . de tr'avlllUix fo.roés -- s'ébl,iJtl e;luwgé dœ pl'e-
wd du Luxembourg beilge au «Deutsch- mi~ tiJ!a.vaux d'a.JlI)Il:>c;heJ. - Nommé pea1
1.a.n:d übe1j Alles• - en attendant l'airuiexioin l' ooou,pant , ~ d4*1 écdlel, il;ane la
politique du G1<and-Duché, déjà &onomi- ll"égÏO'Il ~ e l du pa.ys, il s'~ti mÎé
que«Iœ!nt asservi, grioe au Zollverein - uné en ra.ppootti avec n.os édilee, a.u début ,le
CO"Illtinui·t!é géographiqiiEI qui eût gÎlmdem.ent 1917, ~ pùl Utt groêelr ~ clei pl'O-
facilité l es plans d'éxpa,ni9ion -tmrit.oa1i'aJe. mèsgcl,j et. d~ m.ielnaclelJ, &'.§tait e:lromé d'ob-
-------~-- '
182
averti que s'il essaie de se soustraire par la fuite à l'exécution de la
mesure prise à son égard. la Ville d'Arlon sera frappée d'une
amende de trois millions de francs. il ne choisit pas la dérobade et
est déporté en Allemagne fin de l'année 191 7 '22 !).
Loin de fléchir la position des autorités communales. cette
répression spectaculaire a pour effet de renforcer la détermina-
tion du Conseil qui ne répond même plus aux mises en de-
meure de l'occupant. Se rendant compte de son impuissance,
Kaufrnann change de ton et propose de nouvelles concessions
dans une lettre datée du 15 septembre 1918:
«Attendu que la mission spéciale confiée en novembre 191 7
au directeur Lohmeyer à Bruxelles, est terminée, je désire rece-
voir la décision prise par le Conseil communal et cela le plus tôt
qu'il sera possible, décision concemant l'emploi de la langue al-
lemande dans l'enseignement du calcul et du chant dans la pre-
mière et dans la seconde années d'études des écoles communa-
les à partir du premier octobre 1918.
«L'introduction de l'allemand dans ces deux branches d 'en-
seignement se fera de telle façon que lors de la prochaine année
scolaire, les deux langues soient employées :jusqu'à Noël, le fran -
çais aura le premier rang et après Noël, ce sera l'allemand.» (ml
Une dernière fois. le Conseil communal refuse catégorique-
ment d'appliquer ce qui lui est demandé. il répond qu'il suit à la
lettre une circulaire du 17 mai 1916 précisant les dispositions
d'application de l'arrêté du 22 avril 1916. il y est notamment dit :
«En aucun cas, il n'est pennis dans les classes inférieures d'en-
seigner dans une autre langue que dans les classes supérieures
et de former ou de maintenir des classes transitoires ayant deux
langues véhiculaires.» (ml
Six semaines plus tard, l'armée allemande plie armes et baga-
ges et reprend le chemin <l'outre-Rhin. La germanisation de l'en-
seignement primaire de la ville d'Arlon a totalement échoué. A
Athus aussi. l'Administration communale a courageusement ré-
sisté aux tentatives de germanisation de ses écoles (zz 4l, Quant
221 1
' La Résistance du Conseil communal aux tentatives de germanisation des
écoles. Arlon. éditions Bourger.
' 2221 Extrait du Registre aux résolutions prises par le Conseil communal de la
Ville d'Arlon. Séance du 26 septembre 1918.
' 2231 Idem.
'
2241
Comment l'Administration communale d'Atbus s'opposa patriotiquement à
la germanisation de ses écoles. in Les Nouvelles. vendredi 7 mai 1920. p. 1.
183
aux villages du pays d'Arlon, le statu quo y est maintenu ou par
réaction aux obligations nouvelles, on utilise davantage le fran-
çais. En effet. il est aisé pour l'instituteur du village de s'arranger
avec les enfants patoisants pour que le jour de la visite de l'ins-
pecteur cantonal, celui-ci ne remarque rien.
L'occupant visait surtout l'enseignement primaire d'Arlon car
renverser le mouvement dans la ville où depuis 1867 le français
était la langue véhiculaire dans les écoles, eut signifié endiguer
la francisation de toute la région. Les dirigeants du Deutscher
Verein l'avaient très bien compris quelques années auparavant.
Les Allemands ne réussirent pas car la bourgeoisie libérale
francophone, siégeant à la tête de la ville, s'y opposa systémati-
quement. De plus les catholiques la rejoignirent pour former avec
elle un bloc uni face à un occupant détesté par tous, qui avait
violé la neutralité du pays et répandu le sang luxembourgeois
sur le sol des villages calcinés par le feu. U ne fait guère de doute
que si Godefroid Kurth n'était pas mort en janvier 1916. il aurait
pleinement soutenu Paul Reuter et Numa Ensch-Tesch dans leur
résistance. Cela peut paraître paradoxal car même si le père du
mouvement germanophone n'avait jamais demandé la distinc-
tion et la création de classes wallonnes et de classes alleman-
des. il faut reconnaître que le texte des arrêtés promulgués par
l'occupant allait tout à fait dans le sens de ce qu'il avait réclamé
pendant des années pour défendre les patoisants. le luxembour-
geois et la langue allemande.
La guerre avait tout changé. Non pas les hommes mais les
circonstances. On ne se situait plus dans le cadre unitaire de la
Belgique indépendante. mais face à un envahisseur sanguinaire
dont l'objectif n'était pas de défendre les intérêts de la popula-
tion ou d'une partie d'entre elle au sein de la structure nationale.
mais plutôt de faire éclater celle-ci à son profit Tout naturelle-
ment il tentait de répandre et d'imposer sa langue et sa culture
dans les régions germanophones car. en cas de paix victorieuse.
il y aurait des annexions territoriales. L'Est de la Belgique faisait
partie de ses projets comme ailleurs il y avait le bassin de Briey
et de Longwy pour d'autres raisons. La culture de Kurth n'avait
rien à voir avec la Kultur de l'occupant. La plupart le comprirent
mais d'autres comme Warker ne saisirent pas cette subtile diffé-
rence.
184
Nicolas WARKER (1861-1940)
Né à Echternach, Nicolas Warker
est nommé professeur d'allemand
à !'Athénée royal d'Arlon en 1886.
Passionné de folklore local, il s'ef-
force de rendre accessible à ses
concitoyens les traditions, les lé-
gendes, les contes de fées et les
chansons populaires des villages
de l'Arelerland. En 1889-90, il pu-
blie ses premiers récits populaires
dans l'Arloner Zeitung. Le succès
est immédiat et l'amène à rédiger
son chef-d'œuvre: Wintergrün.
Sagen, Geschichten, Legenden und
M:Jrchen aus der Provinz Luxem-
burg(l890). Aujourd'hui encore, c'est un honneur et un plaisir pour
un patoisant de sortir de sa bibliothèque le précieux volume tout
écorné par l'usage. De 1902 à 1914, Warker est le principal collabo-
rateur de Godefroid Kurth dans la lutte menée par le Deutscher
Verein en faveur de la langue allemande.
Durant la guerre 1914-18, Warkercollabore de son mieux avec l'oc-
cupant n est le seul germaniste de l'athénée à accepter de donner
cours d'allemand aux instituteurs et institutrices de la région pour
leur permettre d'appliquer les ordonnances allemandes dans les
villages du pays d'Arlon. A la rentrée d'octobre 1917, sa servilité est
récompensée. L'occupant le nomme préfet de l'établissement A la
libération, dès l'entrée des troupes américaines, des étudiants or-
ganisent une manifestation hostile devant son habitation et par-
courent les rues de la ville avec des calicots pourvus d'inscriptions
vengeresses. La Justice enquête sur son attitude durant la guerre.
L'affaire se termine par un non-lieu. Warker est finalement pen-
sionné. n meurt en décembre 1940, alors qu'une nouvelle occupa-
tion allemande a débuté.
185
Les tentatives de gennanisation de
l'administration arlonaise
Le 18 avril 1918. paraît un arrêté du Gouverneur général pres-
crivant aux administrations communales de la région linguisti-
que allemande en Belgique d'employer exclusivement la langue
allemande dans leur service intérieur. dans leurs relations entre
elles. avec leurs autorités supérieures et dans tous leurs rapports
verbaux ou écrits avec leurs administrés. Von Falkenhausen vient
de créer le statut linguistique de la région belge de langue alle-
mande (m l.
Pas plus qu'en matière scolaire. le Conseil communal de la
ville d'Arlon ne se laisse impressionner. Si sa réaction n'est pas
smprenante. son argumentation est intéressante (226l. L'article 23
de la Constitution prévoit que l'emploi des langues usitées en
Belgique est facultatif et qu'il ne peut être réglé que par la loi et
seulement pour les actes de l'autorité publique et pour les affai-
res judiciaires. Se référant à l'ensemble de la législation prise en
exécution de cette disposition, le Conseil constate qu'il n'existe
en Belgique que deux langues officielles : le français et le fla-
mand.
D'autre part. la Convention de La Haye. par son article 43.
exige que les autorités d'occupation d'un pays. prennent toutes
les mesures en vue de rétablir et d'assurer. autant que possible.
la vie et l'ordre publics en respectant. sauf empêchement absolu.
les lois en vigueur dans ce pays.
Or. à Arlon. la population comprend une très forte proportion
de ménages de fonctionnaires. agents et ouvriers des diverses
administrations publiques. venus pour la plupart des régions
wallonnes du pays et qui n'ont pas la moindre connaissance de
la langue allemande. Le Conseil rappelle à ce propos le recense-
ment décennal effectué en 1910. accusant un total de 9.9 23 habi-
tants parlant le français. soit exclusivement (2.684). soit en par-
tage avec le dialecte local ou le flamand. contre 8.444 seulement
parlant le dialecte local. soit exclusivement (1.5 5 2). soit en
partage avec le français ou le flamand. Les dernières listes
221
( i Extrait du Registre aux résolutions prises par le Conseil communal de la
Ville d'Arlon. Séance du 11 mai 1918.
187
En d'autres circonstances. il va de soi que l'élite catholique et les
dirigeants du Deutscher Verein se seraient élevés contre la plupart
des affirmations du Conseil et auraient hurlé au scandale. Mais, comme
pour les pères de famille en 1916. il ne vient à l'idée de personne
d'élever la voix dans ce sens et de dire ou de faire quoi que ce soit qui
puisse apporter de l'eau au moulin de l'occupant A l'unanimité. le
Conseil communal rejette l'arrêté et décide de maintenir le statu quo.
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.. .. ~cn·t611r_ll-i>l>• lion '5otli• -. . odteu, bic ficli , m lhte;idJr ii"t 1'bcr -bin ber . rumà11 ij~rn : ~eutidi!u .l)n ~~tq~nrticr nuJ i)[e n!l gn nein 1;rofie 6 \:>;tt11'M""
.!llotbhdJ non 2t~o11.! gr,ffen un\cte St?t1trui,\)~ bit \Jor , .(fürnba~,r ~rftelltm !B tbing.iuoi virWidJtrn un~ "'Î Int i• [ ulirr nie trgel>ll •nc ber !!r1ptr ~J1:nRen un) jagt: .lt3_ le!!
~mn engli\djen !Joftenlin ien ~u, nn!J:nc_n ~te 2le[Al11t!t9 g_efon, trrge~rnbr llluf~rfidJe Dtl'i idJtrn. , o~w_c !lerncuju[ier1:11g ,o~ aŒttn fr. ftgr[tr!It lt>tr~tll,. hl AŒe
gc11 :mb toe!Jrtm mrljrfadje ~egenaugrtfft ~e; 3ttnbe~ :ib . · gtol!m 'ibg1[cgrnge1tca, bte mrf]t nnt ml! brm ~ t, r g, iou,
EiilttotjllidJ bon ~~aulne~ fcljlugen ·111ir eiucn am ll!bcnb n~dj . • . . bcrn audj mit leDt lJrie !lm a•iammcn~ingen, in 11:mt,11
futAtm ljruerrampf li!orbr~d)en~en jeinUitfic11 ilng~ifi AUtili. ~il~ llll~t'6hlf)C ij 1eî>e11ëangel111t 3üg~u Gci~1·ot!)en n:11r~_e11, ilet O(~ !'t',mimaim i~ btuti~t11
!Jlot?t~ejtlidj non !Roi,e g-rtfi. ber ~rnn1afe erneut mit '.jlonier, ~er ~n •utc. 11,~o&tll .pAu~tquutm in n_ll.~u b; cft:~ [ïr1gr11 iu u ber t In,
111a11m ·au; rr rourbe abgmmfen. . ;; . •. • . . ft 1• 111 e 11) e • @ 11 t f dl l h li e n r, , fn~rt [jabrn u11b bai a11tli
,!llliijd}e• . l!le11ut11i11n ci.! unb i:lifc ta11~iiber _ n~t!tcrler . Œrn •tt 1~1illcr bcutl tt' Sloll!Uttntotr. nid)t )rr 9lefl eiur· \lliffHen,1 ~l!rii.!'.lgcuiielien ift. _'.&ai !5latt
ta1111>f. -~Il l>hittr iton~ giua ~1er ber \jra11&D1f, AIIDt tetl tiu·1t~1, 17. m_ug. U~trr b!t leberfdjnft: 2lo~b llleorgc 3 fjigt ljin,1 11 , ~A% )it Dberïr, ~t11tid_1e _ t,ee~t~!tttun~ .» ~ 1
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!Jiali?Gll>f ,tvlitbt ~et lieinb i~Jift!Je:t 2an isn~ un~ :t~ tt ~• fuu r'.e l?nca~1•~r ~at _btr lll t r b no 'llnr,ng HJ18 jba3 llll~tt ftlACII JJage cciutgt fj a&, 11 . 'Il•~ .. iirembcabJott" [d)he.it _:
. _,ontt - cw~ · , r·n.: , _, •. . . jdjre,bt .ueocn ljebrui~· .un~ lu !l•.~b (!)«ocgtl Œrfla,~11; ~"' . ••meia\am i!t~ea bit !!Jlifülmëdltc im Sl'amJI, lllll> tml_g
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Jl) C·- a11jllJ!!,!f.enbe1: _ ~t~, .9 Af~ ~a;.t~~<~t ffiitd,nadjte -~,u a((e f!debralo_~ (l.trn ber $.nbanblw,iidlt, br, 1ft lm ber ju11p~en fi'a11erAuf1a11ne11tunf1 rottbt; fe_~Qe[te!f
surévalué car il n'existe pas dans tout le pays d'Arlon 10.000 in-
tellectuels capables de lire un journal en gothique et suscepti-
bles de l'acheter chaque jour. D'ailleurs, c'est pour effacer l'échec
du Luxemburger Zeitung et pour contrebalancer l'influence du
Luxemburger Wort qui. malgré la censure allemande, est par-
venu à garder une certaine liberté à Luxembourg et continue à
parvenir dans la région arlonaise. que Julius Loeb est chargé de
ressusciter l'Arloner Zeitung
Le nouveau journal auquel il donne naissance le 26 août 1917
n'a malheureusement plus grand chose de commun avec son
vieux prédécesseur, à commencer par son nom : l'Arlon du titre,
«sorte de moyen terme assez peu philologique, mais dont tout le
monde se contentait» '231) est symboliquement germanisé et rem-
placé par Arel. L'Areler Zeitung est né. De plus, la feuille d'infor-
mations locales et agricoles, destinée aux bons villageois
patoisants qui ont fait toutes leurs études primaires dans la lan-
gue de Goethe, est remplacée par une feuille d'allure plus litté-
raire où la politique tient une place considérable. Julius Loeb as-
sure pendant quatorze mois la direction et la rédaction de ce
quotidien, mais nul ne reconnaît l'ancien journal sans préten-
tions.
Quel est le succès de ce nouvel organe de la propagande alle-
mande dans le Bas-Luxembourg? Selon Marcel Bourguignon. les
abonnés d'autrefois accueillent mal la résurrection sous une autre
forme de leur journal préféré et ils s'en détournent totalement '232).
Selon von der Lancken, ce journal destiné à cultiver le sentiment
ethnique allemand des germanophones de l'arrondissement d'Ar-
lon, remporte un large succès dès sa naissance '233). Il passe rapide-
ment d'un millier d'exemplaires par jour à 2.000 numéros, puis à
3.000 le dimanche. Avec les 10.000 exemplaires du Luxemburger
Zeitung. d'après lui la barre des 12.0000 numéros en langue alle-
mande serait atteinte. On croit rêver... A moins que les soldats
allemands en garnison à Arlon ne soient responsables d'une bonne
partie de ce succès.
Ce que Julius Loeb nous a laissé de plus important est un
petit ouvrage consacré à la région allemande de Belgique et plus
~as l)ocl)beutfcl)e
6pracl)gebiet
in
2.,elgien.
mte alte beuff d)e 6fabt filrel.
- - -•·- - -
1918.
<.Uerlag ber ,,2lreler 3elfung" ln 2lrer.
192
précisément à la vieille ville allemande d'Arlon. La lecture de ce
livre édité à Arlon au début de l'année 1918, montre clairement
dans quel sens et avec quelle intention le journaliste prussien
développe son action dans «la capitale de la Belgique allemande».
ll lui faut avant tout préparer les esprits à l'acceptation de l'idée
qu'un jour le pays d'Arlon devra être incorporé à l'Allemagne.
«leur commune patrie linguistique, terre où s'épanouit une sorte
de déesse qui doit primer toutes les contingences et tous les
sentiments : la Muttersprache.» (234l
Ce petit livre de 71 pages en caractères gothiques s'intitule
«Das hochdeutsche Sprachgebiet in Belgien. Die alte deutsche
Stadt Arel. » Loeb y étudie notamment le dialecte arlonais, son
importance en tant que langue maternelle, sa situation à travers
le temps et son recul face au français. Il y décrit les actions du
Deutscher Verein avant la guerre, la manière dont les droits des
germanophones ont été bafoués par l'Etat belge ...
Un chapitre est également consacré aux régions allemandes
de la province de Liège. Loeb se sert abondamment des ouvra-
ges de Godefroid Kurth sur la frontière linguistique en Belgique
et dans le nord de la France, et des publications annuelles du
Deutscher Verein. En reprenant les arguments et la manière de
penser de Godefroid Kurth, Loeb essaie en fait de tirer le trait
d'union entre la politique de l'occupant en faveur des germano-
phones belges et les revendications d'avant-guerre des Verein
d'Arlon et de Liège.
Sa présentation des faits s'inspire largement de celle de
Godefroid Kurth. Les Belges de langue allemande font partie d'une
unité politique dont le français est la langue officielle. Victimes
de cette situation, ils sont opprimés car leurs protestations in-
cessantes et leurs revendications en matière d'enseignement. de
justice, de connaissance de la troisième langue nationale dans
l'administration. se heurtent à la sourde hostilité du Gouverne-
ment de Bruxelles.
Quant à son évocation historique. autant les défenseurs de la
langue française ont souligné en 1908 les bienfaits. les magnifi-
ques réalisations et les apports de la culture française à Arlon à
travers les siècles, autant Loeb insiste sur la manière dont la ville
a été pillée et saccagée par les troupes de François 1er, les armées
de Louis XIV, de Napoléon ...
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lutftli c!J bon Urra~, nadj Eüben über bie !Somme ~inauil loenig m,t ber jrmnbjdjajt!idJen !tnb ;:ittcrlidjc1t .paituug,
~,a l!:qaulue~ ou~gtbefiut. S!lie ~rmcm be~ GleArrarn non mit ber €panirn feine !llf!id)un a!d n e >:,' t r a ! c 11 \Dt a dJ t
6ie, meiue ~trrrn, hie @ cf in nu n g be; 91 u ; r o t tu n o ~-
! r j • g e ! jU er~olttn, ba; g,rabe ifi btr ~lllctf foldjer !llct,n,
blic bic bd ~·n• !Balfour. ;}rgenblllann muw ~•dJ einmaJ .3mifdjen
~illf unb malt fe rtto1§ 11.ufteimen, b:lie eine Oieguu.11 bDn fatr•
llidow nub uon ·ber @aUiuiiJ brad)en ben \l!nfturm beil an trfü!lt. S!lie lRegieruug g!a·•&tc btlllt:adJ rüu~igqin uidJt o§nt tranen, irgenblllann mni. jitfi bie berg,malti!I• ntenfdjlidje 9lotnr
jaijl i:&cr!egenen ljeinbe~. .pi'ntnnfe!;uug i~m lllcjcntlidjften !81't{Jllid)tunocn !maüna§ntrn aufbâum,n g,g,n jene ;}rrle~re bel ~an,;, bie in i~r bie tiefe
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loeftli<'q bon ll!~paume na~ram mir brn lfam~f in ber ~inie I Vlcutrcl_(tot fii~tcn. ID!tine {imtn l \i)it jl f :j c1J o I o g il dJ e @i i t u a t i o Il,
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bie ;l;r,i!jr.ngrifjc be~ f(einbe~ 0ujammtn . ~let !l!aclJmi!lc9 ; lc irtjam &ricbcn, bejci)!oii bie ~hgi, rua~ itt fr e II n b j dJ a j t,
ernrner!(! ~11ftt1r?t geruantt in -~füi1tung IDlor~ Sobe!t. 1 ! i 01 e r ~ ci i e; iuic frii!;e r fd; , u, j,c!J nn bic foiftrli:~ beut, fj an b ! un g en. 9«:dJ einm~( gcljt bic fillc!le ~e; Ueber,
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be~ tlcgncr:. , )ie bon hcr !Jloil"rnbigfcit bi!titrl. if!, fommt ttiner befini• genb 111ja111meµ3nraffen, iuic in ber gro!iett l.\:r~eu,mg llom
Dtit!idJ n_o1t ia_mel foute. ber 3'eb~ c:if b:m iiftliir;en \'ln, ( t(Ut\t WejdJ!~gunfJrn~ bief cr GciJif e o!_eidj. l!;i. fj_aubdt .fidJ l!luguft 1514. l:int 111eitm Scl!lufljo!gtrul111 idJeint fidJ àit
creufcr l!'ua. E:eme !llngnift oltij 21Œert ~ercu~ brndirn , emi;c nnt e111c uorubergc~cnb ·: !lofung, btt im mnge1t• tr1elltR. 6olfm mir gefü~!ôméiflig reagimn, folfct1 mir uni
iiiHidi ber iitn~t ;ujan:meu. Snr_ (llen, ir.nung be~ \li>,, i 6lid b_cr . ;'iricb:·n~be[~redjung btigc:egr !oürbc, 1uc11n O!té!j bit c6enfa!lii auj ben !!loben ~ci 18erniciJ!ung~roi!lcn} ber lhtocf.
i_~l!tjj!3 bei $~• itl!ten l!lir unfre !l.inie ~on !U!iromont 6i~ J ia§!retrl;cn anbmn fdJmebenben •fpnni[d;rn lRcf!amatiDnm o11Mll0Iitif jttllen 11nb atit alleu ienrn SideR bred)eu, !Jin•
s1!!td1 !1Il&ert lion ber ~ncrc ab. Snb:idJ ber ~ommr. fc!)'.11• 1 3ur lïrlc~1~•n~ ~clattArlt. ter btntn ber @ebanfe ber $ii!feruerfofjnung i!t~!, nur b,~.
gen preuil,fdJe %ru~~tn; bit idiou at:t 9. ~lunuft ben eug• t Unj~>:( !llcrlincr @rjanbtjdjaft fjnt !Seifung erljalten, ~iefc megtn, mei! b,m !l'tittbt bie elru11blagc btr ttotlllrnbigtn i!lt•
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1ifcfim ~:trd,J&ndJ ~~r~ inhert ~atten, aud) geftern ~ie n•om )!lt.fdJ!unc ;ur Si'cnutmi! ber faifn!id) brutfc!Jen lRegitruna jinuun, ftlJ(t ? !Dteine vmeu ! 3'dJ !tfjne bicfe !Jlolitif ab,
~t wiire ~ie btn!&or griiite ll:r!tidjterung bci ftitiblidjen
l!:a1>~1l'll'oucauc,urM8trman~obilferG geridjtetrn englijd)m 3u bringen. ~it fl1anifd1t ll'!egit~ng ..1mc:felt nidjt baron,
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h,f.J bnm ij\Pnn_,.,.. l\;u;,..,."-"" r... r.:"- o.,,,.~ ~ .__
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revendications. ils s· élèvent avec véhémence contre lui. aux cô-
tés de leurs anciens adversaires avec les mêmes arguments que
ceux-ci ont utilisé jadis contre eux.
L'ouvrage de Loeb nous montre également à quel point l'oc-
cupant est attaché à l'utilisation des noms allemands des locali-
tés du Luxembourg belge. Bourguignon considère cette
germanisation contre-nature. ne tenant aucun compte des habi-
tudes locales. comme ridicule. Il le signifie habilement en posant
le problème inverse:
«Quel est le Wallon des environs de Saint-Léger qui. pour dé-
signer le village allemand de Guelff. emploie le mot équivalent
mais français de Juvilloncourt ?» (238l
Le livre de Julius Loeb n'a qu'un succès très limité. Déposé en
stock aux bureaux de l'Areler Zeitung et de la Zivilverwaltung au
Gouvernement provincial. il est surtout diffusé dans les
Kommandanturen et dans les différentes administrations bel-
ges. On le retrouve souvent entre les mains d'officiers ou de fonc-
tionnaires civils allemands. Malgré tout. «Die alte deutsche Stadt
Arel» constitue un précédent dangereux. laissant croire à beau-
coup d'Allemands mal informés qu'Arlon et sa région font tou-
jours partie du Deutschtum et que sa population opprimée at-
tend qu'on la libère de l'envahisseur wallon.
Pour preuve. on trouve dans cette brochure les actions me-
nées par «le grand et défunt historien belge Godefroid Kurth, qui
s'est fait connaître avant la guerre comme l'un des plus fidèles
admirateurs de la langue et de la culture allemandes». Loeb dis-
simule que le Deutsche Verein s'est spontanément dissout dès
les premiers jours de la guerre. que ses annales de 1914 bien
quïmprimées n'ont jamais été envoyées aux affiliés, que
Godefroid Kurth est mort davantage de tristesse. de honte et de
haine envers l'Allemagne que de maladie. Pris individuellement.
les membres du Deutscher Verein se sont opposés avec énergie
à toutes les entreprises de l'occupant.
Loeb a ouvert une voie dans laquelle d'autres pangermanis-
tes pourront un jour s'engouffrer. poursuivant le travail et le com-
bat de ce journaliste prussien des années 1916-1918.
!239l et !240l Fernand NEURAY. Une Grande Figure Nationale. Godefroid Kurth. Un
Demi-Siècle de Vie Belge. Bruxelles-Paris. p. 15.
!24 1l Idem. p. 198.
199
Godefroid KURTH
ProfeB1eur émérite à l'Université de Liége
Le
Ouet=Apens .Prussien
en Belgique
Avec une Préface de
PARIS BRUXELLES
Honoré CHAMPION Albert D!EWIT
5, QUAI MALA.QUAIS, 5 53, RUE ROY ALE, 53
1919
200
commençant la rédaction d'un livre dénonçant les exactions prus-
siennes en Belgique.
En novembre 1915. quatre policiers allemands perquisition-
nent chez lui, bouleversant ses livres et ses manuscrits. l'obli-
geant à les suivre de pièce en pièce. même dans sa bibliothèque
non chauffée faute de combustible. nprend froid et s'alite le même
jour. C'est la pneumonie. U meurt le lundi 3 janvier 1916. un peu
avant minuit. dans sa 69e année.
'
244
1Henri PIRENNE. Godefroid Kurth, in Le Flambeau, 1921. tome m. pp. 1-9.
202
pour une demière fois œuvre d'historien, en racontant le guet-
apens dont sa patrie était victime.» (245 l
Le 25 septembre 1921. le corps de Godefroid Kurth est ra-
mené à Arlon. Les Arlonais et tous les Luxembourgeois lui font
des funérailles grandioses.
Tandis qu'il repose dans une chapelle ardente dressée dans
l'église Saint-Martin. on voit arriver des quatre coins du pays et
du Grand-Duché, une foule considérable. Le drapeau est arboré
en berne à toutes les façades de la ville. Sur la place Léopold. le
gouverneur de Briey. le nouveau bourgmestre d'Arlon. Paul Reu-
ter. et l'ancien bourgmestre Numa Ensch-Tesch. prennent place
aux côtés des plus hautes personnalités civiles et militaires de la
région. pendant la cérémonie d'hommage. Lors de l'éloge funè-
bre de Godefroid Kurth, le cardinal Mercier rappelle à la foule les
dernières paroles du grand historien :
«lls m 'ont frappé au cœur. Je les avais toujours estimés et aimés.
Mon père était allemand. Je comptais pam1i eux des amitiés an-
ciennes, des relations de confraternité sociales avec les hommes
du Centre.
«Et ramassant tout ce qui lui restait de souffle :
«Eminence, Eminence, quelle déception amère pour moi ! Leur
trahison, leurs violences, leurs calomnies m'ont brisé...
«Je cite l'Allemagne devant le tribunal de la conscience h u-
maine: qu'elle essaie de répondre à mon acte d'accusation ! Je
ne produis que des faits et des témoignages soigneusement con-
trôlés. j'ai enseigné et pratiqué pendant quarante ans la critique
historique, et j'en ai appliqué la méthode ici, avec d'autant plus
de rigueur que je sens toute la responsabilité que [assume.» 246l
(
247
i Godefroid KURTH. Le Guet-Apens Prussien en Belgique, op. cit. pp. 18-19.
(
248
l Alfred BERTRANG, Die Sterbende Mundart op. cit, p . 145.
(249l Idem. p. 146.
204
régime linguistique varie de village à village et que les frictions
entre les autorités compétentes ne sont pas rares. Certaines éco-
les abandonnent complètement l'allemand, d'autres le mettent
sur pied d'égalité avec la langue française dès la première année
d'étude. Toutefois il semble que le système adopté le plus fré-
quemment soit le régime mixte avec l'allemand comme langue
véhiculaire durant les deux premières années. puis son rempla-
cement progressif par le français durant les deux années suivan-
tes, et la fin des études exclusivement en français.
A Arlon, le catéchisme se donnait avant la guerre en allemand
et en français. De même, le sermon à l'église se faisait très sou-
vent en allemand. Tout cela change et l'allemand est totalement
éliminé du chef-lieu par le clergé '250l.
Par dégoût pour l'Allemagne. on se tourne exclusivement vers
la langue française. Revirement spectaculaire car quelques an-
nées auparavant l'allemand et la religion catholique étaient in-
dissociables tandis que chaque avancée du français était inter-
prétée comme une progression de la laïcisation et un recul de
l'Eglise. Dans un livre publié en 1919. le curé de Fauches écrit:
«Quelle nation dépravée, qui se vante de sa haute culture et
de sa prétendue civilisation. Elle est toute imprégnée de la doc-
trine de Martin Luther, dont le corps repose à Wittenberg, tandis
que son esprit dissolu vit partout «La Prusse», dit Donoso Cortèse,
«vit dans le protestantisme, par le protestantisme, pour le pro-
testantisme. Là est le mystère de sa gloire, mais là aussi le mys-
tère de sa mort Je crois la Prusse vouée au démon depuis sa
naissance et je demeure convaincu que par une fatalité de son
histoire, elle lui est vouée pour toujours.» Voilà ce que les der-
niers événements de la guerre 1914-1918 ont prouvé suffisam-
ment» '25 1l
Avant la guerre, le fossé entre libéraux et catholiques arlonais
était également un fossé linguistique. Pour un curé du pays d'Ar-
lon, langue française était synonyme de libéralisme. Sans faire
disparaître cette séparation, les événements d'août 1914 et les
tentatives de germanisation l'ont considérablement atténuée. La
Gaume, région qui était perçue par le clergé arlonais comme un
foyer de libéraux et de socialistes. n'est plus aussi mal considé-
rée.
205
En 1901. l'abbé Jean Goedert. curé de Fauches. avait publié
chez l'imprimeur local Willems. le récit de son pèlerinage à Jéru-
salem au départ d'Arlon, via Rome, Naples, Athènes et Constan-
tinople. Son livre avait connu un beau succès. U était écrit en
allemand, cela va de soi. La description du paysage par l'ecclé-
siastique commençait lorsque le train quitte la gare d'Arlon. En
voici un extrait traduit en français :
«Le 16 août, lendemain de ]'Assomption, après m'être placé
sous la protection de la Sainte-Vierge et de mon Ange Gardien,
je prends place, avec annes et bagages dans le train. Pendant
trois jours, je vais voyager dans les entrailles de ce cheval de feu,
où plutôt y rester enfermé comme jadis Ulysse dans le cheval de
Troie et Jonas dans le ventre de la baleine...
«Nous jetons un bref regard sur l'entrepôt d'un certain mar-
chand de bois du parti libéral et nous prenons la direction de
Virton et de la France.
«Pas du tout une terre sainte ! Virton et ses alentours sont la
partie la moins ragoûtante de notre province. La population croit
y vivre au siècle des lumières. Ces «Gaumais» sont imbus d'eux-
mêmes, parlent vite et haut, nasillant comme les Juifs. La plupart
appartiennent au parti libéral.» (252l
En 1920. soit deux ans après la fin de la guerre, le même curé
publie une réédition de son livre en langue française. Si le récit
de son installation dans le «cheval de feu» avec «annes et baga-
ges» est identique à celui de 1901, la description du pays de Virton
est tout à fait différente :
«Virton est la localité principale du pays gaumais, renommé
par la beauté de ses sites, la richesse de son sol et l'amabilité de
ses habitants...
«Pauvre pays gaumais ! ll n'offre plus aujourd'hui que des rui-
nes, car les barbares y sont passés et ont laissé des traces indélé-
biles de leur haute culture. Ses villages riants ont été réduits en
cendres: la gaieté si pétillante d'autrefois a fait place aux pleurs
et aux lamentations des veuves et des orphelins, ses courageux
habitants ayant été fusillés ou étant morts en déportation dans
les géhennes allemandes.» (253 l
Si le rejet de l'allemand par le clergé est complet à Arlon et
1252l Jean GOEDERT. Konstantinople. Ath en. Neapel, Jerusalem. Rom.. Arlon. 1901.
p. 2. Traduction de M. Roger Paring.
125 ,i Jean GOEDERT. Un pèlerinage à Jérusalem. Arlon. 19 20. p. 6.
206
dans les environs immédiats. les sermons et le catéchisme en
allemand subsistent dans la plupart des villages. D'ailleurs les
lettres pastorales de l'évêque de Namur sont toujours traduites
et imprimées en allemand pour le Sud-Luxembourg (254l. Les gens
continuent également à prier en allemand. ce qui ne va pas sans
provoquer des critiques comme celles formulées par un «Jass»
après la procession du Très Saint Sacrement de l'église Saint-
Martin d'Arlon, le dimanche 22 juin 1919. procession à laquelle
participaient de nombreux villageois de l'Arelerland :
«j'ai fait partie du détachement qui, sous les ordres du major
Badart et des capitaines Boucquey et Collard a assisté, en service
commandé, à la procession de la Fête-Dieu, dimanche demier. ..
Ce contre quoi je voudrais protester par la voie d'un joumal qui,
comme «Les Nouvelles», se tient en dehors des luttes politiques
ou confessionnelles, c'est un fait qui nous a tous vivemen t et
désagréablement impressionnés, nous les soldats.
«Comment! après nous être battus pendant plus de quatre
ans pour chasser de Belgique les Boches exécrés, il nous faut
escorter, dans une ville belge, une procession dont des groupes
entiers récitent à nos oreilles, une heure durant des prières... en
AILEMAND !!!
«Certes, nous ne nous attendions pas à celle-là et je le répète,
cela nous a produit une impression très désagréable et même
douloureuse. Les gens qui priaient en allemand - des camp a-
griards pour la plupart - ne pensaient évidemment pas à mal.
Mais j'estime que les curés de leurs villages devraient s'attacher
à leur faire perdre cette habitude, tout au moins dans des céré-
monies publiques. N'êtes-vous pas de mon avis, monsieur le ré-
dacteur? Nous sommes en Belgique que diable ! et non en
Bochie !» '255 l
Commentaire du journaliste :
«Nous pensons que les observations du brave Jass sont par-
faitement justifiées. Nous avons tous suffisamment eu l'occasion
d'apprécier le «Gott mit uns» des Boches pour qu'il soit inutile de
l'évoquer encore dans des cérémonies religieuses belges, quel-
les qu'elles soient!»
2571
' Alfred BERTRANG. Grammatik der A.1:eler Mundart. Mémoire couronné par
]'Académie royale d e Belgique. Bruxelles. 1921.
2581
' Idem. p. 4.
209
«Quand nos troupes victorieuses eurent balayé l'ennemi, qui
avait si longtemps souillé le sol sacré de la patrie, les popula-
tions de la région allemande de Belgique exultèrent de joie et
d'allégresse. Si une réaction violente, que le Gouvernement eût
jugée nécessaire, s'était produite contre leur idiome matemeL
elles n'auraient guère protesté. Un homme de cœur est profon-
dément attaché à son pays natal avec son patois et ses tradi-
tions locales: mais, en bon citoyen. il met au-dessus de tout le
salut de la patrie et lui sacrifie généreusement ses affections les
plus chères.» '259 )
Cet extrait montre à quel point la population arlonaise est
prête à se séparer de son patois. Le dialecte est coupable de par
son origine germanique et le peuple qui le parle, l'est tout autant.
Les Arlonais se sentent montrés du doigt car ils sont le symbole
de la culture germanique en Belgique. Leur isolement est grand
mais. selon Bertrang. ils le comprennent parfaitement.
L'Etat belge ne prend pas de mesure contre le patois luxem-
bourgeois. En échange. la population ne veut plus avoir de liens
quels qu'ils soient avec la culture et la langue allemandes et elle
se tourne largement vers la langue française. tout en conservant
son patois pour elle et rien que pour elle.
L'Avenirdu Luxembourg du 15 mai 1920:
«ll y eut de la résistance qui fait honneur au patriotisme de la
population. Mais n'est-il pas naturel que, par réaction, après no-
tre victoire, l'idée soit venue à des Belges d'ouvrir plus largement
la voie à l'influence française ... de manière à aniver à une substi-
tution progressive du français à ]'allemand là où les autorités
communales et ecclésiastiques l'estimeraient souhaitable... : la
vulgarisation du français chez nos patoisants leur vaut des avan-
tages d'ordre matériel, intellectuel et même moral considérables
dont ils comprennent généralement l'importance... » '260)
ll y a bien quelques voix pour s'élever contre cette attitude.
Après tout. la résistance de la population à la germanisation est
le meilleur garant de l'avenir et de son patriotisme. Le danger
d'une infiltration de la «Kultur» germanique n'existe pas. Et de
toute manière, le pays d'Arlon n'a de leçon de patriotisme à re-
cevoir de personne.
212
Cette comparaison entre les résultats du recensement linguis-
tique de 1910 et celui de 1920 '262' pour l'arrondissement d'Arlon et
les communes de Fauvillers et de Tintange (arrondissement de
Bastogne). montre clairement la régression de l'allemand ou en
tout cas du nombre de personnes ayant déclaré parler l'allemand.
En dix années, on chute de 25 % à 16 % pour les habitants parlant
uniquement l'allemand. Quand à ceux parlant les deux langues. il
augmente à peine de 2 %. Par contre. le nombre d'habitants par-
lant le français monte de 9 %. Plus de 7 % de la population con-
naissant l'allemand ont disparu de la circulation en une décennie.
Rien qu'à Arlon. ce sont 18 % qui s'évanouissent. Les Arlonais
sachant seulement l'allemand passent de 1.552 à 572. tandis que
ceux connaissant le français et l'allemand régressent de 6.747 à
5.159. Ce n'est pas le cas dans tous les villages où il arrive parfois
que l'allemand progresse. En général. parmi les habitants ayant
déclaré en 1910 connaître seulementl'allemand. beaucoup d'entre
eux se retrouvent en 1920 dans la colonne «français et allemand».
Mais il est indéniable que certains. connaissant l'allemand en
191 O. ont déclaré l'ignorer en 19 20.
Où les résultats sont encore plus nets, c'est quand on demande
aux habitants de choisir entre le français, l'allemand et le flamand
pour désigner la langue qu'ils utilisent le plus fréquemment ou la
seule qu'ils savent parler. Voici les résultats pour les deux langues qui
nous intéressent. uniquement dans l'arrondissement d'Arlon '263l :
- en 1910: 70.76 % de la population totale (soit 29.195 habitants)
déclarent utiliser l'allemand contre 23.58 % (soit 9.728 habitants)
parlant le français :
- en 19 20, le pourcentage de gens parlant uniquement ou le plus
fréquemment l'allemand est tombé à 55,72 % (soit 22.353 habi-
tants) contre 40.51 % de la population (soit 16.25 3 habitants)
ayant préféré indiquer le français ;
- en 19 30. on constate que le processus s· est légèrement ralenti mais
que les personnes pratiquant le français sont désormais majori-
taires avec 51.96 % de la population (soit 21.575 habitants) contre
43.48 % (soit 18.053 habitants) ayant déclaré parler l'allemand.
Les années qui suivent la guerre sont sans cesse marquées par
des cérémonies d'hommage et de souvenir des sauvageries dont
la culture allemande est responsable. Parallèlement on remercie
213
constamment la France pour être venue au secours des Luxem-
bourgeois. Le 17 août 1919. la Ville d'Arlon inaugure le «Coq Gau-
lois», monument érigé à la mémoire des soldats français morts à
Arlon. La colonne de pierre est surmontée du coq français fière-
ment perché sur un casque allemand. Ce coq en bronze, œuvre
du sculpteur arlonais Jean-Marie Gaspar, sera enlevé et fondu
durant la seconde guerre mondiale par l'occupant
Le 18 juillet 1920. les Luxembourgeois se rendent en masse à
Arlon pour assister à la cérémonie d'hommage rendue. en pré-
sence du roi Albert 1er, aux victimes de Rossignol. Les corps. ex-
posés sur la place Léopold, sont ensuite solennellement transfé-
rés au cimetière de Rossignol.
Le 25 septembre 1921. on rapatrie le corps de Godefroid Kurth
et les Arlonais lui font d'imposantes funérailles en présence du
cardinal Mercier. avant de le conduire au cimetière de Frassem.
sa dernière demeure.
La première guerre mondiale et ses atrocités ont considérable-
ment rapproché le pays d'Arlon et la culture française. L'Allema-
gne. par ses exactions. y a tué la langue allemande pour plus d'un
demi-siècle et a placé le patois luxembourgeois dans une situa-
tion précaire. Elle est responsable de la mort de Godefroid Kurth,
le père du mouvement germanophone. Elle a rendu difficiles les
relations entre les patoisants et leur patrie car non seulement ils
sont orphelins mais ils se sentent coupables. Après une courte
phase d'isolement ils se tourneront résolument vers la langue fran-
çaise sans pour autant renier leur patois qu'ils parleront entre eux,
mais dont l'importance ne cessera de décroître. Quant à la langue
allemande. elle disparaîtra rapidement des églises et ne sera con-
servée que dans les écoles où elle est indispensable. A !'Athénée
d'Arlon, les élèves choisissant l'allemand comme deuxième lan-
gue se feront toujours moins nombreux et c'est vers le flamand
qu'ils s· orienteront La population vivra dans le souvenir perpétuel
du mois d'août 1914 et à tous les étrangers qui prétendront défen-
dre ses droits linguistiques ou qui la considéreront comme une
population allemande. elle répondra unanimement:
«j'étais à Arlon. .. pendant ces journées tragiques d'août 1914...
j'étais là lorsque nos frères. les martyrs de Rossignol et d'ailleurs,
sont tombés sous les balles ennemies. Si vous aviez été là aussi...
vos idées seraient peut-être autres que celles que vous professez
en ce moment» (264l
12641 Discours de Camille Ozeray à la Chambre des Représentants. Annales Parle-
mentaires. Séance du vendredi 10 juin 1932. pp. 2037-2038.
214
LE PATRIOTE ILLUSTRÉ
~ -~-~~- ~-===
AD?.fli'HSTRATION
=r=====~~====d!...-=.---===============~===
... -·----.. ····-----------·------------- - ----~
S11r nuictaUve de la. « JcuucsHo Arloui1also o, Arlon a, é1'1gé ,111 momrnwnt. n ux morts glorh, ux do .1 0l•l, tn1x .," 1't\t1rats
qut reposent en terJ'e luxcmhout·geoiRe . Notro l)llolo J'l' J>rCtï('l nto la <'él'lmoz1 lo d'h111.11gura11ou 1h1 mr,m1nu nt 1\\1
m om ent ou 10 général do CnKtclnnu pronouco un l >&.t.rl oLl que dhwours. ,u,,,r," '"''"'}
LES FÊ TES FRANCO- B EL G ES D'ARLO N.
215
~·.1
1--~1,11
---- 1
216
VL PASSE Di\RMES ENTRE PAUL
REUTER ET CAMILLE HUYSMANS
(1926-1927)
Le 26 avril 1926. une circulaire du ministre belge des Sciences
et des Arts (265l, le socialiste Camille Huysmans, provoque un vé-
ritable coup de tonnerre parmi les dirigeants de l'administration
communale d'Arlon qui n'en croient pas leurs yeux et leurs
oreilles. Les instructions du ministre aux responsables de l'en-
seignement primaire d'un certain nombre de communes des ré-
gions de langue allemande et de langue flamande du pays pré-
voient notamment ceci :
1) Dans la commune de Beho (arrondissement de Bastogne), le
français qui était la langue d'enseignement dans les écoles pri-
maires. doit céder la place à la langue allemande. La mesure
concerne l'école communale du Centre. l'école communale de
la section de Deyfeld et celle de la section <l'Ourthe.
2) De la même manière. les écoles des villages de Tontelange et
de Wolkrange. dépendant de Hondelange (arrondissement
d'Arlon). doivent adopter l'allemand comme seule langue d'en-
seignement primaire alors que précédemment il y était ensei-
gné comme seconde langue. le français étant la langue véhicu-
laire à tous les niveaux.
3) Mêmes instructions aux communes de Heinsch, Nobressart et
Thiaumont (arrondissement d'Arlon) où existait un régime
mixte. accordant une importance égale aux deux langues.
4) Mêmes instructions aux communes de Guirsch, Habergy et
Hondelange (arrondissement d'Arlon) où l'allemand était la lan-
gue d'enseignement durant les premières années d'études et
le français durant les dernières années.
' 2651 Circulaire du 26 avril 1926. Ministère des Sciences et des Arts. Papiers Paul
Reuter (AE.A).
217
5) Mêmes instructions aux communes de Fauvillers, Hachy,
Nothomb, Sélange et Toernich (arrondissement d'Arlon). La si-
tuation antérieure n'est pas connue avec exactitude pour ces
communes mais il semble que l'allemand y était encore la lan-
gue d'enseignement au moins durant les premières années
d'études.
6) Mêmes instructions pour les sections d'Aix-sur-Cloie et de
Battincourt (commune de Halanzy, arrondissement d'Arlon),
où l'enseignement était exclusivement français, et Gemmenich
(arrondissement de Verviers).
Le ministre Huysmans annonce encore que des propositions
seront faites ultérieurement pour les communes d'Arlon, Athus,
Aubange, Attert, Autelbas. Bonnert et Martelange. Il ne précise
nullement en quoi consisteront ces propositions.
Pour le bourgmestre d'Arlon, Paul Reuter (266l, déporté en Alle-
magne moins de dix ans auparavant pour avoir résisté aux ten-
tatives de germanisation de l'occupant. il est impossible d'ac-
cepter de telles mesures. C'est à se demander comment on peut
en arriver à de telles aberrations.
«Monsieur le Ministre Huysmans ne fait que renouveler une
tentative antérieure, remontant à 1917, faite par ceux qui ont pour
devise : LA FORCE PRIME LE DROIT.
«La lutte que nous avons menée - victorieusement - contre
l'occupant boche, nous la recommencerons s'il le faut et avec le
même succès, croyez-le bien.» (267l
Effectivement. entre les mesures de Camille Huysmans et cel-
les des Allemands durant l'occupation, il n'y a aucune différence
si ce n'est qu'Arlon. Athus, Aubange ... ne sont pas encore concer-
nées. Pour ces communes, le ministre réserve sa décision tant
que l'inspection n'a pas procédé à une enquête approfondie.
Evidemment. malgré leurs similitudes. les deux attitudes se
situent dans des contextes tout à fait différents et les intentions
divergent totalement Le ministre n'est pas un envahisseur san-
guinaire qui germanise en vue du rattachement ultérieur du pays
d'Arlon à l'Allemagne, mais il mène une politique linguistique
' 266l Paul Reuter devient bourgmestre d'Arlon en 1921. à la suite de Numa Ensch-
Tesch. et le reste jusqu'à sa mort en 1949.
' 267 l Lettre de Paul Reuter à Joseph-Maurice Remouchamps. Arlon. le 12 avril
1927. Publiée in Un Foyer de Civilisadon Française. La Défense Wallonne.
dimanche 24 avril 1927. p. 1.
218
bien intentionnée, tant pour l'enseignement dans la région fla-
mande du pays. que pour l'enseignement dans la région alle-
mande. Il est directement dans le prolongement des revendica-
tions de Godefroid Kurth. auxquelles il répond. exactement
comme si la première guerre mondiale n'avait jamais eu lieu.
Pour la première fois, un membre du Gouvernement belge agit
comme Kurth l'avait tant souhaité. Les Belges de langue alle-
mande bénéficient d'une politique et de mesures identiques à
celles qui touchent les Flamands. Il y a au moins un responsable
flamand, comme Kurth l'a toujours espéré, pour ne pas refuser
aux germanophones belges. ce qu'il revendique pour les siens.
Hélas. Huysmans a vingt ans de retard Une effroyable guerre
est passée. Godefroid Kurth repose au cimetière de Frassem et
même ceux qui ont animé autrefois le Deutscher Verein ne veu-
lent plus rien qui puisse rappeler la politique de l'occupant dans
le Sud-Est de la Belgique. Par sa méconnaissance totale du senti-
ment des populations patoisantes, le ministre se fourvoie com-
plètement
La réaction est rapide et unanime. Toutes les communes con-
cernées refusent catégoriquement d'appliquer cette circulaire. Le
sentiment anti-allemand est tellement grand que des commu-
nes comme Heinsch déclarent que le français est la langue prin-
cipale. voire la seule langue que les habitants parlent alors qu'en
réalité la majorité des gens sont patoisants.
Personne ne veut qu'un étranger vienne imposer l'allemand
comme langue de base dans l'enseignement fondamental et tous
les conseils communaux votent le statu quo malgré la menace du
retrait des subsides. Les quelques villages qui ne sont pas touchés
par ce changement car la position de l'allemand dans leurs écoles
est celle requise par la circulaire, déclarent ne pas se soumettre au
ministre mais être conformes à ses propositions (ZMl. On peut dire
que la réaction provoquée est contraire à l'objectif que Camille
Huysmans s'est fixé.
Devant la persévérance et la ténacité du ministre des Scien-
ces et des Arts. et pour prévenir une nouvelle tentative de
germanisation des écoles de la ville d'Arlon, Paul Reuter monte
une nouvelle fois aux créneaux. Le bourgmestre en appelle à
l'Assemblée Wallonne. Plusieurs de ses connaissances dontYvan
(269l Adresse au Roi concemant les circulaires illégales de son ministre des Scien-
ces et des Arts. Bruxelles. le 16 novembre 1927. Papiers Paul Reuter (AE.A).
(27 ol Lettre de Paul Reuter à Joseph-Maurice Remouchamps. Arlon. le 16 avril 1927.
Publiée in Un Foyer de Civilisation Française. La Défense Wallonne. diman-
che 24 avril 1927. p. 1.
220
français. C'est encore moins qu'à Bruxelles, où la proportion est
de huit.»( 271 l
Pour le bourgmestre d'Arlon et son ami Remouchamps. les
fantaisies illégales du ministre flamand fanatique traduisent une
volonté de défrancisation de la région. Et la Défense Wallonne
pose la question suivante :
«Quel but poursuit-il en essayant de détacher certains Arlonais
de la communauté belge et de les forcer- fatalement - à regar-
der vers l'Allemagne ? ll est plus que temps que M Jaspar inter-
vienne et dise : Assez !» (ml
On peut objecter qu'il n'est nullement question de détache-
ment et d'orientation vers l'Allemagne. Apparemment le minis-
tre tient simplement à rétablir dans les écoles de certains villa-
ges du pays d'Arlon, le régime d'avant-guerre afin de permettre
un meilleur épanouissement des populations luxembourgeoi-
ses. il est probable qu'il s'interroge sur l'opportunité et la faisabi-
lité de restaurer la langue allemande comme langue véhiculaire
dans les autres localités fortement francisées comme Arlon, Athus,
Aubange. etc. nse refuse à prendre une décision générale et uni-
latérale pour toutes les communes de la région et recherche la
meilleure solution dans l'intérêt des populations. Mais à Arlon.
personne n'est capable de comprendre cela. car plus personne
ne fait de différence entre les menées pangermanistes de l'occu-
pant et celles d'un «flamingant fanatique». tout ministre qu'il soit.
Afin de soutenir les protestations de l'administration com-
munale d'Arlon, la Défense Wallonne édite une brochure rédi-
gée par Remouchamps, vraisemblablement grâce à des informa-
tions fournies par Reuter. Elle s'intitule «Arlon et la langue fran -
çaise. Ce qu'a produit en quarante ans le régime de la liberté
linguistique» (ml.
L'influence de Reuter s'y retrouve dès la première page car
Remouchamps signale que les Arlonais parlent un patois «bas-
allemand», faute classique commise sans cesse, volontairement
ou non, par le bourgmestre d'Arlon. Ce qui agace particulière-
ment les linguistes arlonais tel Alfred Bertrang, ancien secrétaire
du Deutscher Verein. qui ne manque pas Remouchamps lorsque
(271 l
M Huysmans sévit à Arlon. in La Défense Wallom1e. dimanche 27 mars
1927. p. l.
(ml Idem.
222
erreurs que celui qu'il combat. Tout comme Huysmans. il évacue
la première guerre mondiale et additionne froidement les chif-
fres sans tenir compte de la réalité et sans se poser la moindre
question quant à l'évolution spectaculaire des déclarations en
faveur du français depuis la fin de l'occupation.
«En présence de cet élan spontané de toute une population
vers la clarté française, il n'est pas possible qu'un ministre belge
vienne dire: «Vous parlez l'allemand!» (276)
Le Bureau permanent de l'Assemblée Wallonne intente une
nouvelle action (ml. Le 16 novembre 19 27. il s· adresse au roi Albert
Ier en soulignant le caractère illégal et anticonstitutionnel des me-
sures Huysmans. S'appuyant sur le principe de la liberté des lan-
gues. proclamé en 1830 après une période de contrainte linguisti-
que, il rappelle l'arrêté du Gouvernement provisoire du 16 no-
vembre 1830 - jadis utilisé par Kurth - assurant à chaque citoyen
«la faculté de se servir de l'idiome qui convient le mieux à ses
intérêts et à ses habitudes». ce qui pour lui implique le droit d'en-
seigner ou de faire enseigner à son enfant la langue de son choix.
D'ailleurs. assure-t-il. la loi de 1914 va dans le même sens en affir-
mant que la langue maternelle des enfants doit être la langue d'en-
seignement. «détenninée par la déclaration du chef de famille».
Or. le ministre ayant l'Education nationale dans ses attribu-
tions refuse de prendre en considération la déclaration du père.
en chargeant l'inspecteur de dire quelle est la langue maternelle
de l'enfant. Violation flagrante de la loi car l'inspecteur ne peut
légalement intervenir que lorsque le chef d'école estime l'enfant
inapte à suivre avec fruit les cours dans la langue désignée par le
père. Dans ce cas. le chef de famille a encore la possibilité d'in-
troduire un recours auprès de l'inspecteur qui décide en dernier
ressort. non pas quelle est la langue de l'élève. mais si celui-ci est
en état de recevoir l'enseignement dans la langue désignée.
Il est évident aux 22 membres du Bureau permanent de l'As-
semblée Wallonne que lorsque Huysmans prétend que l'inspec-
teur a le droit d'intervenir de son propre chef ou qu'il a l'autorité
d'imposer l'enseignement en flamand ou en allemand. malgré la
volonté du père de famille et même si la direction de l'école
reconnaît l'enfant apte à recevoir l'enseignement en français. le
ministre se situe hors-la-loi.
225
«Aber da sah er gleich wo der Hase im PEeffer lag Eisige Kalte
berrscbte im Saal: waren seine Zubôrer keine Gesinnungs-
genossen gewesen, so ware ibm ein anderer Empfang zu teil
geworden ! » (zso)
Le socialiste anversois n'insiste pas avec ses projets en faveur
de la langue allemande dans la région d'Arlon. Le 22 novembre
1927. il quitte son poste de ministre des Sciences et des Arts.
Dans le pays d'Arlon. tout le monde est satisfait Les villages res-
tent seuls maîtres de l'enseignement des langues dans leurs éco-
les et l'administration communale d'Arlon est soulagée d'avoir
pu éviter une nouvelle tentative de germanisation de son ensei-
gnement primaire. Le bourgmestre Paul Reuter triomphe mais
son répit sera de courte durée.
227
Celle-Schloss. Son retour le 1er décembre 1918 lui vaut un
triomphe de la population arlonaise.
Le domaine social est un autre terrain de prédilection
pour cet infatigable travailleur. Les oeuvres de la Soupe.
du Vêtement. du Trousseau, la Crèche Arlonaise, etc. sont
autant d'associations au sein desquelles il est actif. n ac-
corde une sollicitude constante au Bureau de bienfaisance
et à la Commission d'assistance publique. En 1922. il fonde
la société coopérative d'habitations à bon marché «La
Maison Arlonaise». n assumera aussi la présidence de la
Terrienne arlonaise.
Paul Reuter a bien d'autres centres d'intérêt Membre
passionné du Cercle Horticole d'Arlon, il cultive et entre-
tient lui-même le jardin de sa belle propriété située ave-
nue Tesch. Pour se déplacer, le sportif qu'il est préfère le
vélo à l'automobile. On le voit parfois gagner la Justice de
Paix de Florenville, les dossiers sur le porte-bagages. Avec
son épouse, Cécile Barré, il se passionne pour le folklore,
collectionne les meubles et les faïences luxembourgeoi-
ses. Membre de l'Institut archéologique depuis 1904, il
met à disposition le batiment qui deviendra le Musée
Luxembourgeois, débloque des crédits pour organiser l'ex-
position «La vie populaire luxembourgeoise» (1925} ou
acheverles fouilles au vieux cimetière (1938}. L'Académie
Luxembourgeoise le choisit comme vice-président Pas-
sionné de voyages, il est parmi les premiers membres du
Touring Club.
Patoisant luxembourgeois, il se montre réservé voire
hostile à tous les mouvements pro ou pangermanistes.
Grand amoureux de la culture française. il préside l'Asso-
ciation française d'Arlon. C'est lui qui est à la base des
cérémonies belgo-françaises organisées durant l'entre-
deux-guerres. Chaque année, le 14 juillet. il prononce un
discours devant le mémorial français, le Coq gaulois élevé
par la Jeunesse Arlonaise au cimetière.
En 1940, Paul Reuter a 75 ans. Au lendemain de la dé-
faite. l'occupant a la désagréable surprise de le retrouver
aux commandes de la ville, non plus comme échevin mais
comme bourgmestre. Pour mettre en place une politique
228
de germanisation à Arlon, il
lui faut s'en débarrasser à tout
prix. Le 13 mars 1941, Reuter
est informé qu'il n'est plus
autorisé à poursuivre ses
fonctions en raison de son
grand age. Devant les difficul-
tés à lui trouver un rempla-
çant. les nazis doivent cepen-
dant renoncer à l'écarter im-
médiatement Ce n'est que le
1er novembre 1941 qu'il est
«démissionné» au profit du
collaborateur Lucien
Eichhom. Dans une lettre de
protestation auprès du secré-
taire général du ministère de l'Intérieur, Reuter annonce
qu'il fait réserve expresse de ses droits pour le jour où la
légalité sera rétablie en Belgique. Le 10 septembre 1944,
jour de la libération, Paul Reuter est de retour à l'hôtel
de ville d'Arlon.
Au lendemain de la guerre, Paul Reuter est devenu un
mythe vivant n incarne Arlon plus qu'aucun de ses pré-
décesseurs. Toujours alerte malgré les années, il poursuit
ses activités tant politiques que professionnelles. n in-
carne la quiétude et l'incomparable ressource d'avoir à sa
portée l'homme expérimenté, sage et de bon conseil. Les
11 et 12 septembre 1948, la Ville d'Arlon organise de gran-
des festivités en son honneur. Des fêtes de quartier, un
cortège, une réception à l'hôtel de ville en présence de
ministres belge et luxembourgeois... trouvent leur apo-
théose lorsque Paul Reuter est invité à dévoiler son buste
élevé au pied de la montée de Saint-Donat Un hommage
mérité pour un homme qui n'a jamais accepté d'être ré-
tribué pour les fonctions communales auxquelles il a con-
sacré sa vie entière. Victime d'un malaise au palais de
justice, il s'éteint chez lui le 14 juillet 1949. Derniers ges-
tes post-mortem, il lègue sa maison à !'Assistance publi-
que, sa bibliothèque au Barreau d'Arlon, ses collections
de meubles et de faïences au Musée Luxembourgeois.
229
Le 24 août 1930. ont lieu à Arlon de grandes manifestations franco-belges. En
présence du général Derbeaux. représentant du gouvernement français. Lucien
Hubert. sénateur des Ardennes. remet à la Ville d'Arlon la Médaille de la Recon-
naissance française.
230
VII. LES ANNÉES TRENTE :
LES ANNÉES DIFFICILES
HABITANTS PARLANT
COMMUNES POPULATION SEULEMENT SEULEMENT LE FRANCAIS
LE FRANCAIS L'ALLEMAND ET L'Al.LEMAND
232
Recensement de 1930
HABITANTS PARLANT UNIQUEMENT OU
LE PLUS FREQUEMMENT
COMMUNES POPULATION LE FRANCAIS L'ALLEMAND
233
parle encore le patois à cette même époque. Le germaniste re-
connaît toutefois que la situation est préoccupante (282l.
Uest effectivement possible qu'une partie non négligeable des
Arlonais préfère cacher sa connaissance du patois. Douze ans
après la guerre. la blessure n'est pas encore cicatrisée? Ne vou-
lant pas être considérés comme des Allemands. des patoisants
ont pu affirmer ne pas parler l'allemand quoique pratiquant le
luxembourgeois. Ce phénomène apparaît davantage lorsque 83 %
des habitants déclarent parler le plus fréquemment le français. Si
un sentiment anti-allemand a réellement existé, il est impossi-
ble de savoir dans quelle mesure il fausse les recensements lin-
guistiques de l'après-guerre.
En tout cas. Arlon apparaît comme très largement francisée. A
Aubange également la romanisation est fortement avancée, si les
chiffres du recensement correspondent plus ou moins à la réalité :
1.671 personnes ne parlent que le français, 625 connaissent encore
l'allemand et 26 ne parlent que l'allemand. De sorte qu'il n'y a plus
qu'un quart de la population qui est encore de langue allemande.
A Athus. sur une population de 5.403 habitants. 2.933 ne parlent
que le français. 1.860 connaissent encore l'allemand et 211 ne parlent
quel' allemand Ce phénomène peut s'expliquer par l'essor économi-
que de la région En 1870. Athus est une toute petite localité. En 1930.
elle est une agglomération relativement considérable, en raison du
développement qu'y a pris l'industrie sidérurgique (283l. Depuis un demi-
siède, on assiste à l'expansion des bassins industriels du Grand-Du-
ché de Luxembourg, de Longwy et d'Athus. ce qui a eu pour effet
d'attirer dans le sud de la province une population ouvrière très dense
qui est d'expression française. Beaucoup de domestiques de fermes
ardennais, attirés par de meilleurs salaires. sont descendus vers le
sud C'est ainsi qu'Athus et Aubange. d'expression allemande à l'ori-
gine. se sont francisés et sont devenus les deux localités les plus
peuplées du Luxembourg germanophone autour d'Arlon Heinsch et
Halanzy sont aussi fortement touchées par la romanisation. Quant à
Rachecourt et Meix-le-Tige. elles ne sont plus considérées comme
appartenant à la région germanophone.
(282 l Alfred Bertrang. Die Sterbende Mundart. op. cit. pp. 140-141.
283
( l En 1865. avec la découverte de la minette. la sidérurgie prend une allure
résolument moderne dans la région. En 1871. les barons d'Huart fondent la
Société Anonyme des Hauts Fourneaux d'Athus. La population s'accroît con-
sidérablement et. en 1878. Athus. qui était jusqu'alors une section d'Aubange.
est érigée en commune.
234
Par contre, dans les autres villages. le luxembourgeois demeure
la langue parlée le plus fréquemment par la grande majorité de
la population. La survie du dialecte apparaît liée à l'évolution des
campagnes.
CANTON DE MESSANCY
ATHUS 16
AUBANGE 9
HABERGY 3
HALANZY
Aix-si cloie
Battincourt 4
HONDELANGE 2
MESSANCY 1 1 1 3 1
SELANGE 2
WOLKRANGE 1 2
CANTON DE MARTELANGE
FAUVILLERS
Wisembach 1
MARTELANGE 2 3 1 2
TINTANGE 1 2
CANTON D'ETALLE
HACHY 1 4
TOTAUX 52 4 57 1 4 3 17 2
235
Remarquons qu'officiellement l'allemand est enseigné dans
toutes les classes, à titre de seconde langue. Dans les communes
rurales, le régime bilingue est très largement développé. Le jour-
naliste Camille Decker, qui connut ce système, raconte son fonc-
tionnement :
«Les toutes premières leçons nous furent données en patois.
Au bout d'une semaine environ. sans difB.culté, le patois avait
cédé la place à l'allemand. Dès la deuxième année scolaire, on
nous faisait faire la connaissance du français, par le moyen de
petites causeries et du livre de lecture. Au degré moyen, le fran-
çais occupait déjà une place importante. Enfin, au degré supé-
rieur. il dominait tout à fait Résultat: ceux qui n'étaient pas des
cancres possédaient en sortant de l'école primaire de solides
notions de grammaire française et un vocabulaire suffisant. Si
bien que beaucoup d'entre eux briguaient les premières places à
]'Athénée et au Collège où la langue véhiculaire était le français
et se permettaient même d'enlever le prix du français.» (284l
En résumé, sur 140 classes primaires, le français constitue la
langue véhiculaire dans 70 classes et l'allemand dans 10 classes.
Dans 62 classes. l'allemand est la langue véhiculaire au degré
inférieur mais il cède le pas au français aux degrés moyen et
supérieur.
Dans l'administration, on n'utilise plus que le français. A l'église.
les prêches dans la langue de Voltaire se font de plus en plus
nombreux. Les curés, les magistrats. les employés communaux.
les gendarmes ... parlant le patois avec leurs fidèles ou leurs ad-
ministrés ne sont cependant pas rares. Mais le français reste la
langue officielle automatiquement et tout naturellement utilisée.
Ce qui n'empêche pas deux patoisants se rencontrant d'employer
leur langue maternelle. C'est encore le cas aujourd'hui.
Le seul défenseur du patois. dans la mesure où il continue à le
parler. c'est le paysan.. Bertrang fait cependant remarquer que l'in-
cursion d'expressions ou de mots français devient très forte. Le
dialecte ne se maintient dans sa forme la plus pure que chez les
personnes âgées. Par contre. chez les jeunes. il apparaît considéra-
blement appauvri et ne cesse de régresser devant le français.
Ce phénomène s'explique par l'élargissement des relations
entre les différentes communautés. Les mariages entre Wallons
(
284
l Camille DECKER. Tribune IJbre, in L'Avenir du Luxembourg. 12 novembre
1931. p . 1.
236
CARTE LINGUISTIQUE DE L'ARRONDISSEMENT D'ARLON
d'après J.M.
REMOUCHAMPS
La francisation des
arrondissements de
Bruxelles, Arlon et
Verviers , au cours d'un
demi-siècle , 1880-1930,
Bruxelles-Liège, 1936.
.
1.__. .. , .•
Nothomb\•
. ·,
-
Frontière linguistique
C=:J
Communes où la
majorité des habitants
parlent le plus
fréquemment un
dialecte bas-allemand
C=:J
Communes où la majorité
des habitants parlent le
plus fréquemment le
français ou le wallon :
a) depuis au moins 1910 :
Meix-le-Tige
Rachecourt
Halanzy
Au bange
Athus
b) depuis 1920 : Arlon
c) depuis 1930 : Heinsch
237
et Arlonaises. ou l'inverse. se multiplient Les enfants choisissent
la meilleure langue, c'est-à-dire le français. Quant aux fils des
paysans, ils subissent de plus en plus l'influence française. Leur
séjour forcé à la caserne d'une grande ville. le fait de «monten> à
la ville ou d'aller à l'usine pour avoir un métier s'ils veulent se
livrer à des activités autres que le travail de la terre familiale,
l'obligation de poursuivre leurs études à }'Athénée s'ils veulent
une éducation plus approfondie, sont autant d'éléments justi-
fiant l'évolution.
En 19 30, le patois est malade. L'établissement incessant de
francophones dans les communes et la nécessité de connaître le
français pour vivre. provoquent un changement définitif dans le
rapport des langues du pays d'Arlon. S'il reste une majorité de 90
% de gens pratiquant habituellement le luxembourgeois dans
les villages. le nombre de ceux comprenant. parlant et écrivant le
français est en augmentation constante.
En résumé. on peut dire que le patois demeure la langue uti-
lisée dans la vie courante par beaucoup. Mais les habitants par-
lant uniquement le luxembourgeois sont condamnés à disparaî-
tre à court terme et le dialecte apparaît lui-même menacé à plus
longue échéance. Bertrang estime toutefois que l'on n 'est pas
autorisé à déclarer que la francisation atteint la majorité de la
population :
«Das wird zwar einst geschehen. Man warte jedoch das
Resultat ab, ehe man den Sieg des Romanischen triumphierend
in alle Welt hinausposaunt f » (zs5)
La francisation totale n'est sans doute pas pour demain mais
elle poursuit son avancée inexorable.
Au sein de la population. il n'existe pas de sentiment d'op-
pression linguistique et on ne trouve pas de trace de nationa-
lisme linguistique. De même la population n'a aucune sympa-
thie pour la culture ou la langue allemande. Elle est simplement
consciente qu'il est utile de maintenir dans les écoles des villa-
ges un régime basé sur l'allemand. au moins durant les premiè-
res années d'études.
Les accommodements afin de satisfaire les besoins des ger-
manophones comme ceux des francophones sont décidés au
niveau local. par les conseils communatDc Même si le français
Le réveil de Bischoff
Dès avant la création d'une section de philologie germanique
à l'Université de Liège en 1889-1890. on avait institué à la Faculté
de philosophie et lettres. des cours se rapportant à cette disci-
pline. C'est ainsi qu'en 1884, on confia l'enseignement de la lan-
gue et de la littérature allemandes au Grand-Ducal Jean Wagner
qui mourut prématurément en 1895. Son successeur fut un de
ses anciens élèves, le Belge de langue allemande Henri Bischoff,
né à Montzen en 1867 (286l.
Durant toute son existence, Bischoff porta un intérêt considé-
rable à la langue allemande en Belgique. En 1896. il est aux côtés
de Godefroid Kurth à Arlon lors de la première manifestation de
prestige du Deutscher Verein et y donne une brillante confé-
rence. En 1906, il fonde le Lütticher Verein dont Kurth et le bourg-
mestre de Liège. G. Kleyer, acceptent la présidence d'honneur.
Ses importantes publications connaissent autant de succès dans
les milieux littéraires belges qu'allemands. il consacre sa vie en-
tière à la langue allemande et ne ménage aucun effort pour aug-
menter et renforcer la culture allemande en Belgique.
«Bischoff était pleinement conscient du rôle que lui. Belge de
langue allemande et professeur de littérature allemande, avait à
jouer: être le truchement entre la Belgique et l'Allemagne.» (287l
il semble cependant que son attitude et ses activités littérai-
res durant l'occupation allemande de 1914-1918 aient été jugées
incompatibles avec la fonction qu'il occupait car il est admis à
l'éméritat le 15 mars 1920, à l'âge de 52 ans. Le Liber Memorialis
de l'Université de Liège se contente de mentionner
laconiquement :
(286l Liber Memorialis, l'Université de Liège de 1867 à 1935. tome I. 193 6. pp. 476-
479.
(zs 7l A.L. CORIN, Henri Bischoff. 1867- 1940, in Liber Memorialis, 1936-1966.
Université de Liège. tome II, 1967. p. 27.
239
«La Grande Guerre anéantit les efforts de Bischoff et mit fin à
sa carrière professorale.>> (288l
Henri Bischoff cesse pratiquement toute activité, ne publiant
que quelques articles littéraires dans les années vingt Mais en
juillet 19 30. profitant du centenaire de l'indépendance et de l'ap-
proche du vote par le Parlement belge des grandes lois linguisti-
ques. il rompt brusquement son silence et entame une vaste of-
fensive en faveur de la «troisième langue nationale».
Cette seconde jeunesse le conduit d'abord à la publication de
livres. constituant la première phase de son action. En 1930. pa-
raît sous sa signature à Bruxelles : «Notre Troisième Langue Na-
tionale» (289l. L'année suivante, il sort : «Die deutsche Sprache in
Belgien. Ihre Geschichte und ihre Rechte» (290l, publié dans les
cantons de l'Est à Eupen.
Bischoff reprend les revendications du Deutscher Verein qu'il
a jadis animé et dénonce les conditions de vie imposées aux
Allemands de Belgique :
«Comment expliquer. .. que les 10.000 Wallons de Malmédy
ont obtenu. dès le début. un athénée français, tandis que les
60.000 Allemands des deux cercles et du territoire neutre de
Moresnet n'ont pas d'athénée aflemand ?» (29 1l
Mais il regrette surtout que les quelques mesures prises en
faveur de la langue maternelle des nouveaux Belges n'aient pas
été étendues aux Allemands de l'ancienne Belgique. Bischoff exige
le même traitement pour le territoire neutre de Moresnet les
cantons d'Aubel et de Limbourg. dans la province de Liège. ceux
d'Arlon, Fauvillers. Messancy et Vielsalm dans la province de
Luxembourg. que celui qui est en vigueur dans les cantons
d'Eupen et de Saint-Vith. Ces régions comptent une population
compacte d'Allemands. placée dans une situation plus difficile
encore que celle de la nouvelle Belgique. Il déplore que le canton
de Malmédy. comprenant 40 % d'Allemands. soit considéré
comme français. l'allemand n'y étant admis judiciairement que
sur demande.
240
«Il est si peu français, que 90 % des habitants comprennent
l'allemand et s'en servent comme seconde langue et que 10 %
seulement ont une connaissance plus ou moins approfondie de
la langue française. Il comprend, du reste, quatre communes sur
dix entièrement allemandes et une minorité allemande de près
de 2.000 dans la partie wallonne.» (292l
Le premier objectif de Bischoff est d'obtenir que les neuf can-
tons ayant une majorité ou une minorité allemande. soient re-
connus comme allemands et que les ge1manophones de l'an-
cienne Belgique soient placés sur pied d'égalité avec ceux de la
nouvelle Belgique.
Ensuite, il demande aux politiciens d'élever l'allemand au rang
de langue nationale au même titre que le français et le flamand,
ce qui suppose la fin de «la politique d 'autruche vis-à-vis de l'al-
lemand» (293 l, Sur ce point il rend hommage à Léon Troclet pour
avoir osé affirmer dans une interview que la seule minorité lin-
guistique réelle existant en Belgique est celle des Belges de lan-
gue allemande.
L'exemple de la Suisse inspire profondément l'ancien profes-
seur. ll admire le patriotisme exemplaire de ce pays et l'explique
par son respect des langues, des droits et des caractères particu-
liers de ses populations. Bref. tout ce qui manque en Belgique. A
ses yeux. tenter d'uniformiser et d'assimiler ne peut aboutir qu'à
la rupture et à une résistance locale. Et c'est plein d'incertitude
qu'il se lance à nouveau. corps et âme. dans ce combat en faveur
de la troisième langue nationale.
«Réussirai-je à attirer une petite partie de l'attention et de la
sympathie des Chambres et de l'opinion publique sur cette cause,
au moment où la Belgique s'apprête à donner une solution défi-
nitive à la question des langues ?Je ne le sais.» (294l
t292i Henri BISCHOFF. Notre Troisième Langue Nationale. op. cit, p . 24.
t29 iiIdem. p. 25.
t294l Idem. pp. 27-28.
241
La résistance du Luxembourg allemand au
projet de loi linguistique en matière
d'enseignement
Lors de sa séance du 8 juillet 1931. le Sénat discute le texte
d'un amendement. présenté sous l'impulsion de parlementaires
flamands. et portant modification de l'article 20 de la loi organi-
que sur l'enseignement primaire. Passé inaperçu à Arlon. ce texte
est voté le 14 du même mois. par 108 voix contre 11 et 8 absten-
tions.
L'article 20 modifié stipule le plus innocemment du monde
que:
«La langue véhiculaire de l'enseignement dans les écoles pri-
maires communales, adoptées ou adoptables. est le flamand dans
la région flamande du pays. le français dans la région wallonne et
l'allemand dans les communes d'expression allemande.» '295l
' 295 l Jean GYSELINX. L'allemand va+il devenir langue véhiculaire et prindpale
dans la région arlonaise ?, in L'Avenir du Luxembourg. m ardi 21 et m ercredi
22 juillet 19 31. n ° 172. p. 1.
' 296l Idem.
242
Paul Reuter est horrifié lorsqu'il se rend compte de ce que le
Sénat a réellement voté dans l'indifférence générale. il faut quel-
ques jours pour réaliser à Arlon ce qui a été fait à Bruxelles. Le
bourgmestre mobilise aussitôt. Les groupes politiques arlonais -
libéraux, socialistes et catholiques - se réunissent d'urgence et
s'engagent à soutenir une action commune contre ce qui risque
de devenir une résurgence du «régime exécré de Von Standt» (297l.
L'Association commerciale et industrielle d'Arlon (ACIA) se réu-
nit en assemblée générale extraordinaire et dénonce «le côté
odieux et ridicule de la nouvelle loi» (298l. Son bureau est chargé
de rédiger une énergique protestation. Au nom de ses adminis-
trés, le bourgmestre Reuter exprime publiquement sa désappro-
bation et est «longuement applaudi par la foule qui l'écoute» (299l.
Le 20 juillet il s'adresse officiellement au ministre des Scien-
ces et des Arts, le libéral Petitjean. Comme Arlon n'a pas été visé
directement par l'amendement et qu'après tout il n'est pas im-
possible que le ministère modifie de son propre chefla délimita-
tion de la zone dite d'expression allemande. la protestation de
Reuter s'avère finalement prudente et surtout préventive :
«ll nous revient qu'un amendement déposé par le Gouverne-
ment au cours de la discussion au Sénat, du projet linguistique
en mati.ère d'enseignement primaire, tendrait à considérer comme
étant «d'expression allemande», la ville d'Arlon et les communes
des alentours, et leur imposer dès lors, ]'allemand comme lan-
gue véhiculaire dans leurs écoles.
«S'il en était ainsi, nous serions au regret de devoir consta ter
que la religion du Gouvernement a été surprise par des rensei-
gnements erronés et tendancieux...» (3ooJ
Le président du conseil communal d'Arlon extrapole et pré-
voit des problèmes qui ne se concrétiseront peut-être jamais mais
«l'expérience Camille Huysmans» lui a fait comprendre qu'Arlon
a tout à redouter del' évolution législative en faveur des Flamands.
' 3061 Lettre du bourgmestre Paul Reuter au ministre des Sciences et des Arts à
Bruxelles. Arlon, le 13 août 1931. Archives de l'Administration communale
d'Arlon.
' 3071 Jean GYSELlNX. La langue allemande dans la région arlonaise. in L '.A venir du
Luxembourg, vendredi 21 août 1931. n° 197, p. 1.
0081 De Bund der Deutsch-Belgier. Abteilung Provinz Luxemburg. in Fliegende
Taube, samedi 4 août 1934. n° 62, p. 1.
247
Pendant ce temps. la campagne contre l'allemand bat son
plein. L'hebdomadaire publicitaire Les Annonces du Luxembourg
titre «Les Arlonais ne sont pas des Boches» 009l, «Arlon n 'est pas
allemand» '310l, etc. Le journaliste Omer Habaru envisage la grève
générale scolaire et cite un extrait du nouveau livre «Une Femme
s'en alla ... ». publié par le Liégeois Justin Sauvenier :
«Le patriotisme se manifeste partout par des plaques com-
mémoratives aux inscriptions cinglantes et brutales.... On décou-
vre les racines profondes du loyalisme et de la francophilie des
Arlonais.» '311 )
Omer Habaru s'en prend particulièrement à Bischoff dont il rap-
pelle les récentes publications. Pressentant le danger, il dit encore :
«Les fronti.stes vont sans doute s'attacher à démontrer qu'Ar-
lon se rattache à la zone allemande... Mais ils auront tous beau
faire: on ne voudra jamais la langue allemande obligatoire. L'al-
lemand. .. on sort d 'en prendre... !» (312)
Le Journal du Luxembourg. organe de la démocratie libérale
d'Arlon et de la province. soutient pleinement Paul Reuter et
scande: «Arlon ne veut pas être germanisé.» ,3, 3l
De son côté le bourgmestre Reuter accorde des interviews à la
presse nationale. Par exemple, la Dernière Heure écrit : «La
Germanisation du Luxembourg - L'œuvre de l'occupant reprise par
des Belges. Nous ne tolérerons pas cela, nous dit M Reuter. » '314l
Le bulletin des annales mensuelles des «Amitiés françaises»
et de la «Ligue nad.anale pour la Défense de la Langue française»
s'interroge : «Arlon, ville d'expression allemande ?». Aucune am-
biguïté dans la réponse :
«Le bourgmestre d'Arlon a mille fois raison de protester con-
tre le régime de séparatisme... et d'émiettement que l'on est en
' 3111 Omer HABARU. Les Arlonais ne sont pas des Boches. in Les Annonces du
Luxembourg. dimanche 26 juillet 1931. n° 30. p. 3.
' 3121 Omer HABARU. La guerre des langues. in Les Annonces du Luxembourg.
dimanche 9 août 1931. n° 32. p. 4.
' 3131 Jaumal du Luxembourg. dimanche l " novembre 1931. n° 44. p. 1.
248
train d'établir en Belgique, sous prétexte de mettre fin aux hurle-
ments frontistes.
«Tous les Flamands et les Wallons qui voient un peu plus
haut que la pointe de leur clocher le comprennent aisément
Mais s'ils s'avisent de le dire. on les traite de ... Bruxellois, ce qui
est devenu lïnjure suprême.» (315l
Remouchamps n'hésite pas non plus dans la Défense Wal-
lonne : «La ville d'Arlon résiste à la politique de gennanisation
du Gouvernement et du Parlement belges». Pour lui. les flamin-
gants cherchent à réduire par tous les moyens l'usage du fran-
çais en Flandre et ailleurs si possible. L'ancien sénateur liégeois
imagine le dénouement le plus extrême :
«Cette œuvre de défrancisation. limitée jusqu'ici à la Flandre.
a déjà provoqué un mécontentement qui ne contribue guère à la
consolidation de l'unité nationale belge. En essayant d'imposer
ces mesures de défrancisation dans les provinces du sud. le Par-
lement et le Gouvernement belges exciteront des ressentiments
qui. comme un ancien ministre, M le vicomte Berryer, le prédi-
sait il y a quelques années déjà. pousseront les populations à
demander la liberté à la France.» (316l
L'Avenir du Luxembourg attaque au passage Bischoff. «ger-
manophile bien connu». dont un récent ouvrage «cachant très
mal une sympathie plutôt équivoque pour la Kultun1 (3i 7J, a dû
influencer des sénateurs mal informés. Mais le quotidien catho-
lique ne s'en tient pas à la polémique classique sur l'amende-
ment. il ouvre ses colonnes au débat.
Pour Jean Gyselinx. le meilleur système est l'enseignement
mixte là où le patois germanique est encore la langue usuelle.
Les conseils communaux des villages concernés s'y sont ralliés
ou ont adopté des méthodes s'en rapprochant. Le journaliste
justifie et défend ce choix (318l.
Un tel enseignement s'inspire uniquement de l'intérêt de l'en-
fant. Son but est de voir celui-ci. à la fin de ses études primaires,
' 319l Jean GYSELINX. L'allemand va-t-il devenir. ... op. cit
251
Un son de cloche un peu différent mais probablement isolé.
se fait entendre. Un lecteur préférant rester dans l'anonymat ma-
nifeste à plusieurs reprises son désaccord avec l'A venir qui. pour
convaincre et par souci du dialogue. lui ouvre ses colonnes '320l.
Prenant comme exemple Martelange. ce lecteur constate que
l'enseignement mixte n'est pas appliqué dans bon nombre de
communes. De plus. là où il est en vigueur, les résultats ne sont
pas brillants. A 14 ans. les enfants ne comprennent plus un mot
d'allemand et ils accusent un retard considérable parce que leur
instruction s'est faite en français qui n'est pas leur langue mater-
nelle. L'application de l'article 20 dans le pays d'Arlon est néces-
saire pour sauver la situation et ce. même à Arlon. Athus et
Aubange où les enfants sont empêchés d'apprendre l'allemand.
Gyselinx réplique que ces trois communes ne pourront ja-
mais s'accoutumer à un changement de régime. Quant au bilin-
guisme. s'il n'est pas appliqué là où il doit l'être et comme il doit
l'être. c'est une autre affaire. S'interroger pour savoir si le système
mixte ne mérite pas certaines améliorations est une question
différente n'affaiblissant en rien la «manière de voir de l'immense
majorité de la population» (ml. Mais à supposer que ce régime ne
permette pas à l'enfant de connaître aussi bien la langue alle-
mande que le français, une fois ses classes terminées. cette si-
tuation est toujours moins grave que celle lui retirant la faculté
de connaître suffisamment le français. Quant à la possibilité pour
les écoliers d'Arlon. Athus et Aubange d'apprendre l'allemand.
elle existe car des cours d'allemand sont donnés dans plusieurs
écoles.
L'A venir signale encore à son contradicteur deux faits signifi-
catifs ayant leur valeur :
- la section allemande de l'Ecole normale de l'Etat pour jeunes
filles à Arlon vient d'être supprimée. Au cours de l'année sco-
laire écoulée. elle n'a compté qu'une seule élève.
- tous les soldats du 10e régiment de Ligne originaires de la ré-
gion d'expression allemande, comprennent le français et sa-
vent s'exprimer en cette langue mieux qu'ils ne peuvent le faire
en allemand.
260
DIMANCHE, LE S1 JÀNVIER 1932 AUJOURD'HU( SIX tACES 20 CENTIMES (E NUMER~ 18e ANNEE N. 26
______ ___________
't'élopbone ua.
Compte chèquea pootau:,: 1348811
....;
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smvre attentivemen t les efforts tenti'S en tuat ion économique et finan cière de la Be\ fero.iJ. de, pied.! t:t <ka mat'l1• - et. de la. po-
vue de rêsoudre le problème des répa ra - giquc demeure relativeme nt ,solide si l'on chef - pou.1· s'implanter dm11t r.otro r égW'11,
tion s et, cette se maine encore. les tendan- tient comp te de la crise actuc!~e.
C'es des. marQ~~s financie rs - .cl~,·enues 1 _Cette situation a été m ise en rel ief tout
pou.r 'JI erü1· Wlt! agitatio" c!ttonomis tC", ,Bpa--
337
( l Jaumal du Luxembourg. dimanche 31 janvier 1932. n° 5. p. 3.
338
( l Les Nouvelles. dimanche 31 janvier 1932. n° 26. p. 1.
(339i Jaumal du Luxembourg. dimanche 31 janvier 1932. n° 5. p. 3.
(34oi Idem.
262
français» ne spécifie pas s'il s'agit de l'allemand ou du patois.
Dès lors il :µ'y a plus pour lui que deux solutions : ou bien il ne
s'agit pas du patois allemand et dans ce cas on doit carrément
supprimer de l'amendement les mots «communes de l'arrondis-
sement d'Arlon» car tout le monde. dit-il. sait bien que dans no-
tre province. on ne parle pas l'allemand; ou bien le patois alle-
mand est considéré comme une autre langue et dans ce cas les
intentions des représentants qui ont déposé l'amendement sont
claires: imposer l'allemand et germaniser. Il ne fait pas l'ombre
d'un doute, selon lui, que le patois allemand entrera en ligne de
compte dans le calcul du pourcentage de l'utilisation des lan-
gues. Aux sceptiques. Habaru explique :
«On nous dit qu'il faut que 50 % des habitants parlent habi-
tuellement une autre langue que le français pour que ]'allemand
soit mis à égalité avec le français. Croyez-vous donc que dans
certains villages. on ne pourra pas les réunir ces 50 % ? Que si. et
dans bien des villages; mais 50 % de patois allemand bien en-
tendu. car s'il s'agissait de bon allemand, on ne trouverait même
pas 0,1 %.» (34 1l
L'.A venir du Luxembourg tente désespérément de minimiser
l'incident. En titrant «Beaucoup de bruit pour riem (342l, il expli-
que que l'amendement est inspiré par un grand désir de servir la
cause des populations luxembourgeoises et qu'il n'est nullement
équivoque. Au contraire, il laisse la pleine liberté au point de vue
linguistique et permet même aux populations de témoigner leur
attachement à la langue française. On sent malgré tout dans le
quotidien catholique une grande gêne et il est vrai que le statu
quo défendu peu auparavant par Camille Decker en matière d'en-
seignement primaire semble très lointain.
Les Nouvelles n'effacent pas l'embarras de leur confrère ca-
tholique en répliquant :
«Sans blââââgue... laissez-moi rire. On nous chante sur tous
les tons : «Dormez bel ange», et en sous main, on nous germa-
nise.» (343)
(341 l Omer HABARU, Non jamais. pas ]'allemand chez nous, in Les Nouvelles,
dimanche 31 janvier 1932. n° 26, p. 1.
' 342 l L'Avenirdu Luxembourg, mardi 2 février 1932. n ° 27, p. 1.
!344l Omer
HABARU. L'allemand chez nous: au nom de qui parlez-vous ?, in Les
Nouvelles, lundi 1er et mardi 2 février 1932. n° 27. p. 1.
!345l Archives de l"Association Commerciale et Industrielle d'Arlon (AC.LA).
264
livrée aux excès des activistes allemands. Nous vivions en paix,
demain ce sera la bagarre. Le projet de loi de ces messieurs per-
mettra aux activistes d 'exiger l'emploi de l'allemand comme lan-
gue véhiculaire dans les écoles comme dans toutes les adminis-
trations... 11 (346)
De son côté. Paul Reuter contacte les autres parlementaires
luxembourgeois. notamment son ami Camille Ozeray. représen-
tant libéral de l'arrondissement d'Arlon-Marche-Bastogne. et le
gaumais Edmond Jacques. représentant socialiste de l'arrondis-
sement de Neufchâteau-Virton. Ce dernier se révèle le plus com-
batif et dépose le 4 février le sous-amendement suivant :
«Dans les communes de l'arrondissement de Verviers, dans
lesquelles... (supprimer simplement les mots «et d'Arlom), le reste
comme le texte des auteurs de l'amendement11 (347)
En s'efforçant d'enlever «tout effet de nocivité» o4s) à l'amende-
ment catholique. le député socialiste est acclamé par la presse
libérale d'Arlon car il est à l'origine de la première bonne nou-
velle des huit derniers jours. Elle n'est d'ailleurs pas la seule. Im-
médiatement après son intervention à la Chambre. Van den
Corput demande la parole au président
Le député catholique commence son intervention en expli-
quant que ce sont les nombreuses plaintes d'habitants de la ré-
gion de Bastogne et d'Arlon qui l'ont poussé à adhérer à l'amen-
dement incriminé. U cite l'exemple d'une affaire d'expropriation
dans le village de Turpange (349l, L'Etat a réglé des expropriations
à l'amiable avec les propriétaires mais les travaux projetés n'ayant
pas été exécutés. un droit à rétrocession s'ouvre en faveur des
propriétaires expropriés. L'ayant réclamé, ceux-ci sont étonnés
d'apprendre qu'ils y ont renoncé. Au moment de la signature de
la convention, ils ont reçu communication d'un imprimé, qu'on
leur a mis sous les yeux, mais auquel. parce que rédigé dans la
seule langue française. ils n'ont rien compris, ne parlant eux-
mêmes que leur idiome maternel.
266
L'amendement préparé par son collègue David propose tout
simplement l'adjonction d'une traduction en allemand, à tous les
documents obligatoirement rédigés en français dans la régi.on d'ex-
pression allemande, ce qui est de nature à empêcher le retour de
semblables malentendus. C'est avec la meilleure intention du
monde qu'il y a adhéré mais rapidement de nombreuses voix se
sont fait entendre dans le Luxembourg allemand pour lui faire
comprendre que cette démarche n'est pas nécessaire.
Soucieux de respecter la volonté de leurs concitoyens, les deux
représentants d'Arlon-Marche-Bastogne ont aussitôt procédé à une
enquête dont Van den Corput livre les résultats à la Chambre :
«Mon enquête m 'a amené à con dure que dans ces demières
années la connaissance de la langue française s'est beaucoup éten-
due dans la région luxembourgeoise d'expression allemande et que
les inconvénients signalés ont tendance à s'atténuer beaucoup.
«ll faut aussi rendre hommage à tous les fonctionnaires de la
région qui s'emploient avec toute la bonne volonté possible à
comprendre ceux de leurs administrés qui ne connaissent pas
sufBsamment le français et à se faire comprendre d'eux soit di-
rectement. soit à l'aide d'interprètes.
«ll faut ajouter qu'au gouvemement provincial d'Arlon la tra-
duction des documents se fait régulièrement en idiome de la
région, chaque fois que l'utilité s'en fait sentir.
«ll y a lieu de constater ensuite que dans toutes les commu-
nes d 'expression allemande les secrétaires communaux connais-
sent les deux langues et que, par conséquent, sur le terrain com-
munal il ne se produit plus d'inconvénients.
«En présence des efforts réalisés. nous renonçons à appuyer
l'amendement présenté par M David. Je suis heureux d'avoir ac-
quis la conviction que les inconvénients constatés diminueront
de plus en plus, en raison de la bonne volonté des fonctionnai-
res et de la population.» (35oJ
Malgré son isolement. David maintient son amendement dont
la discussion et le vote sont cependant reportés à l'article 12 de
la même loi. Le premier round de «l'affaire des amendements»
est terminé.
Le lendemain, Omer Habaru prend sa plume et écrit :
«L'erreur est humaine. nny a que celui qui ne fait rien qui ne
(35 ' 1 Omer HABARU. L'allemand chez nous : M Van den Corput retire son amen-
dement. in Les Nouvelles. samedi 6 février 1932. n° 31. p. l.
(3521 Pour germaniser le Luxembourg. in L'indépendance Belge. mercredi 17 fé-
vrier 1932. p. l.
' 3531 La tentative de germanisation de deux députés catholiques. in Jaumal du
Luxembourg. dimanche 7 février 1932. n° 6. p. l.
268
-le Bund a été fondé en septembre 1931. à l'approche du vote
par le Parlement des grandes lois linguistiques :
- quinze jours avant le début de la discussion par la Chambre du
projet de loi linguistique en matière administrative. le Luxem-
bourg allemand a été inondé de prospectus et de brochures
appelées «Flugschriften» dans lesquelles il est fait appel à la
population pour rendre aux 22 communes leur «vrai visage» et
restaurer dans ses droits la langue allemande :
- depuis plusieurs jours. le journal Fliegende Taube d'Aubel con-
sacrait des articles aux populations «opprimées» du Luxem-
bourg belge.
Devant ces constatations. il est possible que les événements
relatifs à la langue allemande dont le Parlement est le théâtre.
résultent d'une action souterraine du Bund der Deutsch-Belgier
et de son président Henri Bischoff.
Quand on étudie les statuts du Bund et les articles qui lui
sont consacrés dès sa naissance à la fin de 1931. on se rend
compte qu· en réalité cette association des Belges de langue alle-
mande. jugée si maléfique dans les milieux arlonais. ressemble
énormément au Deutscher Verein de Godefroid Kurth. D'ailleurs
certains. mal informés. comme !'Indépendance Belge. ne font
aucune différence entre les deux comme si de 1914 à 19 31 . il n 'y
avait eu aucune interruption.
A la direction du Bund. apparaissent trois personnages : le pro-
fesseur Bischoff. déjà cité. dont «l'amour pour la langue allemande
était celui d'un fils pour sa mère» (354l; un ecclésiastique. l'abbé Fré-
déric Schaul de Tintange. défenseur de la langue maternelle. mais
également réputé pour ses sympathies envers l'Allemagne et con-
sidéré comme proche de l'évêque de Namur. Mgr Heylen: l'avocat
et député socialiste Marc Somerhausen. représentant l'arrondis-
sement de Verviers de 1925 à 1929 et de 1932 à 1936. futur prési-
dent du Conseil d'Etat en 1963. Ce dernier s'est fait connaître
comme défenseur des droits des germanophones dans les régions
d'Eupen et de Saint-Vith. notamment par la publication d'articles
en faveur de la langue allemande dans le mensuel socialiste l'A venir
Social '355 l, dont la direction est assurée par le ministre Camille
(354 l AL. CORIN, Henri Bischoff, 1867-1940. in Liber Memorialis. 1936-1966. Uni-
versité de Liège. tome II, 196 7, p. 30.
, 355 l Marc SOMERHAUSEN. La langue allemande en Belgique, in L'Avenir Social.
avril 1924, n ° 4.
269
Huysmans. nsemble toutefois qu'il se désintéresse de l'action de
Bischoff dans les régions luxembourgeoises '356l.
Paul Lespineux, avocat près la Cour d'Appel de Bruxelles, est
le premier à présenter officiellement le Bund dans le cadre d'un
article intitulé «La Belgique alémanique», paru le 5 février 1932,
dans la Revue Catholique des Idées et des Faits '357l.
Après la présentation de la situation linguistique des cantons
de l'Est Lespineux en arrive à «notre Cendrillon linguistique»
comme il les a baptisées. c'est-à-dire les 22 communes de lan-
gue allemande du Luxembourg belge. Il y répond clairement à
ceux qui prétendent que le pays d'Arlon n'est pas de langue alle-
mande:
«Un patois, ricanent certains? L'argument se retoume contre
ses auteurs : car si l'on prétend que les Arlonais de patois alle-
mand, ne sont pas de langue allemande parce qu'en raison de
certaines circonstances, leur langue de culture est le français, il
est alors aussi vrai de dire que les Malmédiens wallons ont
comme langue de culture non le français, mais l'allemand qui
leur était imposé avant la rétrocession.» '358l
Paul Lespineux se trompe totalement en affirmant en 1932
que le Luxembourg allemand réclame justice. En imaginant la
population opprimée par l'imposition du français, il fait fausse
route sur toute la ligne. projetant peut-être certaines caractéristi-
ques des cantons de l'Est dans le pays d'Arlon. Lui aussi a qua-
rante ans de retard et ne tient aucun compte de la volonté pré-
sente et de l'évolution du sentiment des populations:
«Ces populations demandent justice; sera-t-il dit que la Belgi-
que, fière de ses libertés centenaires, et de l'hommage des na-
tions, refuse à certains de ses enfants, ce que l'Etat Bolchevik
accorde aux Tartares du Turkestan ... Est-il défendu d'espérer et
de prévoir un compromis qui sera le signe du relèvement d'une
population et le gage de la pacification définitive.
«Et ainsi sera réalisé le vœu d'un grand Belge, de cet homme
courageux qui lui, n'hésita pas à soutenir le mouvement flamand
à l'époque héroïque, et qui, il y a quarante ans, poussa le premier
!356l Selon la version du journal Mir welle jo keng Preisen sin, dimanche 19 août
1934, p. 1. le député Somerhausen se désintéresse du Luxembourg car il n'y
a pas d'électeurs.
!,57l Paul LESPINEUX. La Belgique alémanique, in Revue Catholique des Idées et
des Faits. vendredi 5 février 1932, n° 46, pp. 23-25 :
!3581 Idem.
270
cri d'alarme pour sa petite patrie arlonaise. .. j'ai dit Godefroid
Kurth.» (359l
272
sa réalisation. Jamais le Bund ne parviendra à organiser une acti-
vité quelconque dans le Luxembourg et on peut légitimement se
demander si le comité du district du Luxembourg allemand com-
prit jamais d'autres personnes que l'abbé Schaul. En tout cas.
leurs noms ne sont pas connus et ne furent jamais publiés. S'il y
en eut. le secret fut bien gardé.
Selon l'Indépendance Belge. la stratégie du Bund dans le
Luxembourg est mise au point lors d'un «congrès catholique à
Eupen». Sans préciser davantage. le quotidien bruxellois affirme
que l'objectif global est de soustraire les populations des campa-
gnes luxembourgeoises à l'emprise de la langue française par
l'extension au Luxembourg de la propagande germanophile déjà
entreprise dans les cantons de l'Est.
«Le but du Bund est d'y introduire un virus et une agitation
dont le germanisme espère bien réaliser quelque profi.t11 (362l
Malgré toutes ces critiques. il est possible que Bischoff se croit
un moment investi d'une mission : ressusciter le combat de
Godefroid Kurth en faveur de la langue allemande. Nous savons
par Alfred Bertrang (363l que Bischoff entreprend des démarches
dans la région auprès de toutes les personnalités influentes du
clergé, de l'administration et de la politique, pour qu'elles se joi-
gnent à son mouvement. Ces démarches échouent. surtout. ex-
plique Bertrang. parce que Bischoff n'est pas originaire de la ré-
gion et qu'il n'inspire aucune confiance.
Nicolas Warker. alors âgé de 70 ans. ne se manifeste pas non
plus. Sa retraite forcée depuis 1918 l'a définitivement éloigné de
toute action linguistique non culturelle. Le radicalisme et l'im-
portance du programme du Bund doivent également refroidir
les plus chauds défenseurs de la langue maternelle. Lespineux a
beau déclarer que la logique le dispute à la modération. c'est dur
à croire. Habaru l'exprime mieux que quiconque :
«Ne croyez pas que vous rêvez : vous avez bien lu. Modéré.
vous entendez, ce programme est modéré ! Le Bund met donc
carrément les pieds dans le plat nous saute à la gorge et veut
nous obliger à chanter le «Deutsch über alles».
«N'est-ce pas à devenir enragé, lorsque nous nous entendons
dire de pareilles choses. à nous. Luxembourgeois de la frontière.
qui savons comment nous vivons, ce que nous parlons, ce que
nous voulons ? N'est-ce pas à devenir enragé de voir des gens.
l362 l Pour germaniser le Luxembourg. op. cit.
' 3631 Alfred BERTRANG. Die Sterbende Mundart. op. d t., pp. 150-151.
273
qui ne connaissent certainement pas nos aspirations, prendre
d'un air apitoyé, notre défense ( !), défense dont nous n'avons
que faire, et revendiquer pour nous des choses qui vont à l'en-
contre de tous nos désirs et de notre culture ?
«Non, Messieurs, ce n'est pas vers l'Est que nous nous tourne-
rons ; c'est vers vous qu'iront nos regards courroucés, vous trou-
verez devant vous, dressés comme un obstacle infranchissable,
toutes les poitrines des Luxembourgeois.» <364 l
Ce qui effraie le plus les habitants d'Arlon. c'est la présence
parmi les 2 2 communes où le Bund veut voir la langue allemande
régner, d'agglomérations en grande partie francisées comme Ar-
lon, Athus et Aubange. il n'est plus question de défendre les vil-
lages. C'est la ville elle-même qui est mise en danger par ce pro-
gramme. La menace de germanisation apparaît plus grande en-
core que la tentative de l'occupant car elle se situe dans le cadre
institutionnel belge et dans la légalité. Et si les lois linguistiques
que le Parlement s'apprête à voter mettent en péril le statu quo,
que faut-il redouter d'autre pour le futur?
Dans de telles circonstances. on comprend pourquoi l'oppo-
sition au récent amendement est si vigoureuse alors que deux
députés naïfs croyant bien faire, ont seulement voulu que leurs
concitoyens patoisants puissent être compris dans leurs rela-
tions avec les agents des administrations publiques. L '.A venir a
beau affirmer à juste titre que «pour découvrir dans le texte de
cet amendement et dans la généreuse pensée qui l'inspire, une
tentative de germanisation, vraiment, il faut avoir la phobie des
moulins-à-vents !» <365 l, il est pleinement conscient du danger, de
même que l'Association catholique d'Arlon. Ce n'est pas pour
rien que les deux députés ont retiré leur appui à l'amendement
et que Van den Corput éprouve le besoin d'écrire à !'Etoile Belge
le 23 février 1932 :
«Nous réprouvons les tendances du Bund, de la façon la plus
énergique et la plus absolue.»
L'amendement Renkin
Le 17 février 1932. la Chambre aborde la discussion de l'article
13641 Omer HABARU. Révélations sensationnelles sur le Bund der Deutsch-Belgier.
in Les Nouvelles, lundi 8 février 1932. n ° 33. p. 1.
13651 A propos de l'emploi des langues dans l'administration, in L '.A venir du Luxem-
bourg. vendredi 12 février 1932, n ° 37, p. 1.
274
12 du projet de loi relatif à l'emploi des langues en matière admi-
nistrative. Cet article, auquel on a renvoyé l'amendement David
primitivement rattaché à l'article 3. stipule que la présente loi ne
s'applique pas aux cantons d'Eupen. de Malmédy et de Saint-Vith,
jouissant déjà de mesures spéciales en matière linguistique '366l.
A Arlon, tous les espoirs reposent maintenant en la personne
du député socialiste Jacques qui par son sous-amendement sup-
prime les mots «et d'Arlon» pour ne laisser l'amendement David
efficient que pour l'arrondissement de Verviers. Le député libéral
Camille Ozeray. bien qu'âgé de 77 ans, est également prêt à inter-
venir et à se battre jusqu'au bout pour obtenir satisfaction. il n'est
pas possible de compter sur Van den Corput et Merget qui peu-
vent difficilement combattre un jour ce qu'ils ont présenté la veille.
Le premier ministre Renkin prend tout le monde de court en
proposant dès le début du débat un nouvel amendement en
faveur des communes de langue allemande, amendement qu'il
dépose au nom du Gouvernement '367l.
Pour les communes de la frontière linguistique, la question
de savoir quelle langue elles adopteront est tranchée comme
suit: les communes qui, d'après le dernier recensement décen-
nal. ont une population de langue française supérieure à 50 %,
doivent être administrées en français tandis que les communes
ayant une population de langue flamande supérieure à 50 %,
doivent l'être en flamand. Pour ces communes, le régime fran-
çais ou le régime flamand, suivant le cas. devient obligatoire.
En outre, dans les communes où la minorité compte 30 % de
la population, d'après le dernier recensement. l'administration
est obligée de faire ses avis et communications dans les deux
langues. C'est exactement ce régime que le premier ministre pro-
pose d'appliquer aux communes de langue allemande «avec la
différence que pour celles-ci, il n y aurait pas d'obligation de choisir
comme langue de leur administration la langue allemande, mais
seulement la possibilité de le faire, selon ce qui conviendra aux
autorités communales et aussi l'obligation de publier les avis de
l'administration en langue allemande et dans la langue de la
région linguistique où ces communes se trouvent, dès l'instant
où le demier recensement révèle l'existence d'une minorité d'au
275
moins 30 %. Je pense que cette solution donnera satisfaction aux
honorables membres intéressés à la question.» '368l
David se rallie immédiatement à l'amendement du premier
ministre et du Gouvernement. finalement peu éloigné de ce qu'il
a lui-même proposé. Il ajoute que les communications verbales
entre la population et les fonctionnaires locaux se fassent en
allemand, en français ou même en flamand, au gré des intéres-
sés. Pas en allemand littéraire bien sûr, mais en allemand du
pays, «c'est-à-dire dans une langue qui n'est pas tout fait la lan-
gue de Goethe» '369l.
Ozeray. à qui Reuter a expliqué qu'il faut obtenir à tout prix le
retrait de l'amendement David, demande si celui-ci est bien re-
tiré et paraît satisfait lorsqu'il en a la confirmation. Mais Jacques,
à l'esprit plus vivace, ne se laisse pas berner:
«Si M David a retiré son amendement, celui présenté par M
le premier ministre y correspond tout à fait. Cet amendement
n'est pas de nature à satisfaire les populations du Luxembourg
qui parlent le patois allemand. .. Là-bas, il ny a pas de question
linguistique, les gens de la région d'Arlon sont d'accord pour ac-
cepter le français comme langue ofB.cielle et personne ne de-
mande à remplacer le français par ]'allemand.
«L'amendement de M le premier ministre me paraît dange-
reux et je prie le Gouvemement de bien vouloir le retirer... Tout
le monde sera satisfait et la région d'Arlon sera sauve. La que-
relle linguistique ny aura pas de prise!» ,37ol
C'est un véritable dialogue de sourds qui s'engage ensuite.
D'un côté, Jacques et Ozeray s'efforcent de démontrer que per-
sonne ne parle l'allemand à Arlon et que l'existence d'un patois
germanique ne justifie en aucune manière une germanisation
de la région. Tous les Luxembourgeois ne désirant que le fran-
çais et pas l'allemand ! De l'autre côté, Merget et Van den Corput
se demandent où leurs deux confrères luxembourgeois voient
une germanisation là où le Gouvernement souhaite seulement
que la population comprenne les avis officiels et les fonctionnai-
res avec lesquels elle est en rapport Les deux mandataires ca-
tholiques soulignent que les conseils communaux conservent la
278
Enfin. le premier ministre Renkin est bien obligé de constater
que toute la presse locale d'Arlon est d'expression française. que
la langue véhiculaire dans presque toutes les écoles primaires
est le français et il croit sur parole les parlementaires luxembour-
geois lui assurant que tous les campagnards parlent le français
avec les fonctionnaires. que dans le commerce. les foires et les
marchés. le français facilite la communication. etc. En consé-
quence. le premier ministre lâche :
«MessieUIS, je demande à la Chambre de voter l'amendement
que j'ai proposé, mais je me réserve le droit de le modifier en se-
conde lecture parce que les observations qui ont été présentées au
sujet du Luxembourg ont attiré mon attention et je m'incline à limi-
ter l'application de cet amendement aux régions qui parlent réelle-
ment la langue allemande et non pas à des régions qui parleraient
un idiome qu'on ne peut appeler la langue allemande.» (376l
Après une nuit de réflexion, Jules Renkin ajoute encore sous
la pression expresse de Jacques :
«Le Luxembourg est classé dans la partie française du pays.
La langue du Luxembourg est le français.11 (m)
A l'opiniâtreté du député socialiste qui veut dissiper toutes
les craintes luxembourgeoises et lui demande encore de ma-
nière formelle s'il est bien entendu que le français est la langue
officielle dans toutes les communes de la province de Luxem-
bourg. le premier ministre, ministre de l'Intérieur et de !'Hygiène.
répond : «Parfaitement.11
Une seconde plus tard. l'amendement du Gouvernement est
adopté par la Chambre. Le deuxième épisode de «l'affaire des
amendements» se termine sur un article 12 ne faisant pas men-
tion du Luxembourg alors que l'article 2 de la même loi précise :
«Dans les provinces de Liège, de Luxembourg, de Namur et
du Hainaut et dans l'arrondissement de Nivelles. les administra-
tions de l'Etat font usage de la langue française.11 (37 s)
A Arlon. le quotidien Les Nouvelles affiche sa joie et titre «VIC-
TOIRE !li:
«La lutte a été chaude. violente même: mais nous étions
279
soutenus par la plupart des Luxembourgeois. On est fort quand
on défend une juste cause...
«Victoire! Les employés communaux, provinciaux et de l'Etat
peuvent être rassurés : ils ne verront pas leurs bureaux inondés
de fonctionnaires-traducteurs venant de la région d'Eupen.
«Victoire... la seconde offensive allemande a été repoussée!» <379l
Les Annonces du Luxembourg plus moralistes déclarent :
«Est-on convaincu maintenant qu'Arlon est une ville de cul-
ture française ? Se rend-on compte maintenant combien il est
pénible pour un Arlonais de s'entendre traiter de «Boche» ?» 0 80l
En effet il n'est pas inhabituel que des Arlonais en déplace-
ment à l'intérieur du pays soient affublés de ce qualificatif. Le
phénomène est encore d'actualité et il arrive parfois de nos jours
qu'un public sportif non luxembourgeois accueillant une équipe
de football arlonaise. traite les joueurs de «Boches». Cette atti-
tude est le vestige d'un sentiment plus répandu autrefois parmi
les Belges assimilant les Arlonais aux Allemands. Ce n'est sans
doute pas demain que les footballeurs en déplacement seront
délivrés de cette épithète car en 1931. Habaru écrivait déjà à pro-
pos de ce problème précis: «Voyons. criez «Bandits, Landru, tue-
le, à mort .. , hurlez si tel est votre caractère et si cela vous soulage,
mais ne criez plus jamais «Boches». ll y a des injures qui dépas-
sent toutes les limites.» '38 1l
m9i Omer HABARU. Victoil"e !. in Les Nouvelles. samedi 20 février 1932, n° 42. p. 1.
Omer HABARU, Arlon. ville de culture française. in Les Annonces du Luxem-
(J 80l
(3821 Toujours à propos de l'emploi des langues dans notre province. in L'A venir
du Luxembourg. dimanche 21 et lundi 22 février 1932. n° 46. p. 1.
281
L'Association commerciale et industrielle d'Arlon y adhère en
bloc.
D'autre part. Reuter multiplie lettres et télégrammes à Bruxel-
les auprès de Jacques et Ozeray afin qu'ils refusent l'amende-
ment du Gouvernement lorsque celui-ci passera en seconde lec-
ture une dizaine de jours plus tard. Ces derniers profitent du
répit pour se faire expliquer par le bourgmestre d'Arlon quelques
points nébuleux. Camille Ozeray dans une lettre adressée à Paul
Reuter:
«Van den Corput. quand on lui dit que notre patois n'est pas
de l'allemand, dit que le curé prêche en allemand à l'église ?
«Si l'on publie des avis en allemand, nos nationaux des envi-
rons d'Arlon les comprendront-ils ?
«L'amendement se sert toujours du mot langue allemande.
Que veut-il dire ?Allemand véritable ou patois ?» (383l
Le 1er mars. à l'approche de la seconde lecture. Xavier Michaëlis
fait parvenir à chaque député, au nom de la Ligue Belge de Dé-
fense Luxembourgeoise. une note les mettant en garde contre
les menées du Bund (3 84).
Le jour fatidique. le mercredi 2 mars. l'Association commer-
ciale d'Athus envoie à chaque représentant luxembourgeois, au
Palais de la Nation, le télégramme suivant :
«Notre association, vivement émue de la question linguisti-
que dans nos régions, demande le statu quo. Le comité : Martin,
Schiltz, Kinard, Johan, Lozet. Lepot. Dujeux, Bems, Mathieu.» (385)
C'est dans l'après-midi que la Chambre aborde la seconde
lecture de l'article 12. Quelques jours auparavant. Ozeray a écrit à
Reuter:
«Maintenant. nous aurons beaucoup de Flamands contre nous.
Huysmans surtout Enfin, je ferai de mon mieux. j'ai été heureux
de ta lettre, je ne savais pas ce qu'on pensait de l'amendement
Renkin à Arlon. .. » (386l
(333 l Lettre de Camille Ozeray à Paul Reuter. Bruxelles. le 23 février 1932. Papiers
Paul Reuter (AE.A).
(334l Lettre de Xavier Michaëlis à Paul Reuter. Arlon. le 29 février 1932. Papiers
Paul Reuter (AE.A).
(335 l Annales Parlementaires. Chambre des Représentants. Séance du mercredi 2
mars 1932. p. 1066.
386
( l Lettre de Camille Ozeray à Paul Reuter. Bruxelles. le 27 février 1932. Papiers
Paul Reuter (AE.A).
282
Le président de la Chambre annonce que le député Jacques a
déposé un nouvel amendement à l'article 12, ajoutant comme
paragraphe final :
«Les dispositions du présent article ne sont pas applicables
aux communes de la province de Luxembourg.>> (337 l
Camille Ozeray attaque aussitôt en affirmant qu'il ne votera
pas l'article avec l'amendement Renkin. Il entame alors un long
exposé historique débutant au x_ve siècle et consacré à l'utilisation
des langues dans la région d'Arlon. Ce qui fait dire à de méchan-
tes langues qu'il parle de son enfance (388l. A plusieurs reprises, le
président de la Chambre doit demander à l'assemblée un peu de
déférence vis-à-vis des collègues les plus anciens ...
Poursuivant sans sourciller. le député libéral rappelle une nou-
velle fois les atrocités commises par l'occupant et ses tentatives
de germanisation. Il cite de récents articles des Nouvelles et la
traduction d'un article du Fliegende Taube que Reuter vient de
lui expédier :
«Victoire! Après une grande bataille, le «Bund» est parvenu
grâce à son active propagande à faire remplacer l'article 12 du
projet de la loi linguistique par un amendement déposé par le
gouvemement lui-même. na vaincu, quoique tous les joumaux
lui aient prédit une défaite.» '389l
Cette citation fait sûrement impression sur la Chambre et
Ozeray, afin de culpabiliser davantage ses collègues, enchaîne
avec la réponse du Jaumal du Luxembourg:
«En lisant ces mots en allemand, amis lecteurs, ne croyez-
vous pas retoumés aux jours maudits d'août 1914, où les Alle-
mands dans des communiqués arrogants. annonçaient à nos
populations terrorisées des «victoires sur victoires». Cela n'a-t-il
pas une odeur germanique ?» (39oi
Edmond Jacques prend la relève lorsque son collègue a épuisé
ses batteries. Le Saint-Mardois s'efforce d'abord de rallier à lui
tous les parlementaires socialistes en soulignant qu'il parle au
nom de toutes les Unions communales socialistes de la région.
Il débouche ensuite sur l'unanimité régnant dans le Sud-Est du
Luxembourg, tant parmi les libéraux que les catholiques.
283
Paysans. ouvriers et commerçants luxembourgeois ont uni leurs
voix pour se faire entendre à Bruxelles. On ne peut pas ne pas
les écouter.
Enfin Jacques s'en prend longuement au Bund der Deutsch-
Belgier dont il critique le programme et les objectifs. Le Bund
veut. par exemple. le remplacement des noms français des loca-
lités par les noms allemands. Citant les formes allemandes de
plusieurs villages, il se tourne vers les deux mandataires catholi-
ques luxembourgeois et leur dit :
«Y a-t-il un de mes honorables collègues qui, à l'audition de
ces noms allemands, peut me situer l'une ou l'autre de ces loca-
lités ?» o91l
Aucune réponse ne vient. Evidemment il a pris soin de choi-
sir préalablement les formes allemandes les plus éloignées des
formes françaises. comme Diedenberg pour Thiaumont.
Il expose encore les résultats du dernier recensement de 19 30
et ne cesse jamais de soutenir la thèse selon laquelle ce sont
uniquement des germanophiles d'Aubel qui viennent semer la
discorde dans le Luxembourg. Avant de clôturer. Jacques lance
un ultime avertissement à tous les socialistes. Qu'ils prennent
garde car «ces populations ouvrières n'ont pour vivre que la France
et particulièrement le bassin de Longwy. A Arlon. il n y a point
d'industries: à Athus. il y en a un peu. Mais la généralité des
hommes du pays d'Arlon vont dans le bassin de Longwy. Prenez
garde que cette loi ne soit interprétée. en France. comme un vote
hostile à la culture française. ce que les ouvriers wallons et patoi-
sant l'allemand ne veulent à aucun prix. j'attire votre attention
sur la situation pendant qu'il est encore temps. Acceptez l'amen-
dement que j'ai déposé. si vous ne voulez rejeter celui voté lors
du premier vote, et nos populations seront tranquilles : la ques-
tion linguistique aura vécu chez elles !» '392l
Pour le premier ministre Renkin. silencieux jusqu'alors. les dé-
putés luxembourgeois agitent des mystères impénétrables :
«je ne comprends littéralement rien à cette discussion ... (hila-
rité). Je ne vois pas comment nous pouvons soulever l'émotion
en proposant pour les communes qui. d'après le dernier recen-
sement. sont en majorité de langue allemande. le droit. si les
administrations communales le désirent. d'user et d'organiser
285
pas les soustraire à la loi. Le rapporteur considère qu'une telle
solution constituerait une méconnaissance des droits de ces
populations et au lieu de prévenir l'agitation linguistique, on lui
fournirait la meilleure raison de se développer.
En définitive, c'est l'éloquence et la persuasion de trois autres
parlementaires qui font pencher la balance en faveur du statu
quo. Dans les rangs socialistes, l'appel de Jacques a été entendu.
Léon Troclet se met à évoquer ses souvenirs et raconte à ses
collègues dans quelles circonstances en 1896. il a pris la parole
devant les ouvriers grévistes des ardoisières de Martelange. n
avait parlé en français, lentement et tous l'avaient parfaitement
compris. Depuis cette époque, explique-t-il, la langue française
est encore plus répandue. Après cet exemple peu convaincant
dans un sens ou dans l'autre. Troclet insiste sur l'unanimité
luxembourgeoise contre l'amendement et le ridicule de chercher
à provoquer ou à animer des luttes linguistiques dans une ré-
gion où le conflit des langues est inexistant :
«Les commerçants d'Arlon et des régions avoisinantes sont
contre l'amendement de M le ministre. Les ouvriers aussi, puis-
que nous avons déjà reçu des lettres de plusieurs groupements
de travailleurs insistant dans le même sens. Eh bien, parce que
vous voyez les commerçants, les bourgeois et les ouvriers d'ac-
cord entre eux, allez-vous donc chercher à les tracasser?» '396l
Le député libéral Jennissen ajoute à ce discours que le retrait
de l'amendement s'appliquant au Luxembourg par Van den
Corput et Merget. le langage que ceux-ci ont tenu en reconnais-
sant les progrès du français et l'inutilité d'une telle mesure, doi-
vent être interprétés par la Chambre comme un désaveu et une
opposition à ce projet de tous les députés luxembourgeois.
Cela est pleinement exact et la discrétion dont font preuve
les deux catholiques le prouve. Partant de là. Jennissen conteste
au rapporteur de la commission tout pouvoir ou toute autorité
pour exiger que l'article 12 s'appliquât au Luxembourg. Allant
encore plus loin que Jacques. il demande le retour au texte pri-
mitif de la section centrale où il est dit que la loi ne s'applique
pas aux cantons d'Eupen, de Saint-Vith et de Malmédy, et la
suppression pure et simple des mesures relatives aux provinces
de Liège et de Luxembourg.
Emile Vandervelde parachève la discussion en constatant qu'il
286
n'y a jamais eu de protestation dans le Luxembourg contre le
régime actuel. Dans ces conditions. il propose de rétablir le texte
original et de supprimer toute disposition en faveur des com-
munes du Luxembourg ou de la province de Liège.
Van Cauwelaert reconnaissant le silence ou l'émotion qui se
sont emparés des représentants du Luxembourg dit :
«ll n y a dans cette affaire aucune obstination de la part de qui
que ce soit: nous avons toujours estimé qu'il importait de faire
œuvre de conciliation. .. Dans ces conditions, je propose de re-
prendre le texte primitif..» (397l
Quelques instants plus tard. Ozeray télégraphie à Arlon. à son
ami Reuter : «Amendement Renkin retiré. Remerciements.
Ozeray.» (393l
287
«Notre honorable collègue n'ignore sans doute pas les crédits
extraordinaires qui se trouvent au budget allemand en faveur de
cet organisme. Pourquoi ignorerions-nous que l'association
subsidie les groupements ayant les mêmes buts, qui se trouvent
à l'étranger?» (4oo)
Il s'agit là d'une pure hypothèse. introduite à point nommé
dans un discours partisan dont le but est d'obtenir le retrait d'un
amendement. Mais il est certain que le «Verein Eür das
Deutschtum im Ausland», association créée après 1919 pour la
promotion du caractère allemand à l'étranger, apporte son aide
aux divers organismes ou mouvements défendant la langue et
la culture allemandes à travers le monde. Peu après l'affaire des
amendements, Habaru consacre un article fort à propos à la pro-
pagande allemande dans les pays étrangers. Il s'attache spécia-
lement au «Deutsches Ausland Institut», complément du V.DA
mais entièrement distinct. Il décrit les relations constantes de
l'Institut avec ses milliers de correspondants à travers le monde
et les millions d'émigrés allemands des deux Amériques. Selon
Habaru, cet organisme s'intéresse davantage encore aux «frères
de race ou de langue allemande» résidant en Europe et plus par-
ticulièrement à ceux des régions citées par l'Allemagne dans les
traités de paix. Avec une régularité impressionnante. la revue
mensuelle de l'Institut consacre dans chacun de ses numéros.
un chapitre spécial au germanisme dans les «territoires séparés»
où l'Alsace arrive en tête. Habaru cite les paroles récentes d'un
sénateur du Bas-Rhin, Frédéric Eccard, dénonçant lui aussi ce
«foisonnement de propagande» :
«L'intervention du Reich le secours de la race mère. est de-
mandée contre les injustices des Etats étrangers à l'égard de leurs
citoyens d 'origine allemande, qui veulent conserver leur Volkstum
germanique.» (4o1l
Sans mettre directement en cause le Bund. Habaru conclut
que la propagande allemande en Belgique qui se limitait jus-
qu'alors aux cantons rédimés, s'efforce à présent «d'empoison-
ner l'opinion publique même en vieille Belgique. ll n 'est que temps
d'y mettre le holà.» (4oz)
La campagne des Arlonais pour sensibiliser les Belges à la
288
situation linguistique existant dans leur région se poursuit. Paul
Reuter fait appel à une personnalité de choix : Charles Magnette.
le président du Sénat. Compte tenu des circonstances. on ne
pouvait trouver mieux. Originaire de Virton. l'homme politique
libéral dit bien connaître le pays d'Arlon. On le voit accorder des
interviews à différents journaux belges :
«M Magnette n'a pas hésité à nous dire que. de plus en plus,
l'usage du français se répandait dans tout l'arrondissement d'Ar-
lon. que le patois luxembourgeois. qu'il connaît et a beaucoup
pratiqué quand il était jeune avocat. n 'a avec l'allemand que de
très lointaines ressemblances. qu'il est mélangé à haute dose de
français et même d 'un peu de flamand. mais qu'il est tout à fait
inadmissible d'assimiler à une langue organisée, ou même de
l'en rapprocher. ce patois informe qui. d 'ailleurs, tend de jour en
jour à disparaître.
«C'est. nous a-t-il dit. une mauvaise action, d'ailleurs réprou-
vée par l'immense majorité des Luxembourgeois du Sud. de vou-
loir éveiller dans cette partie du pays, une nouvelle querelle lin-
guistique qui ne peut avoir qu'un résultat- comme ceux qui l'ont
suscité ne peuvent avoir qu'un but - nuire à la culture française
et tendre à la germanisation progressive de la Belgique.» (4o3J
A l'approche de l'examen par le Parlement des projets de lois
linguistiques. Paul Reuter propose aux différents responsables
politiques locaux que la Ville d'Arlon rappelle de manière offi-
cielle sa volonté en cette matière. On ne se répète jamais assez
et une surprise du Bund est toujours à redouter.
Alors que le bourgmestre préconise une protestation en ter-
mes généraux. le leader catholique du conseil communal. l'avo-
cat Michaëlis. fait remarquer qu'une protestation contre l'usage
de l'allemand serait beaucoup plus efficace si le Bund der Deutsch-
Belgiers·y trouvait flétri. il propose un texte plus sévère débutant
par les mots: «Vu le programme du Bund.... ». Le bourgmestre se
ralliant à cette suggestion. le texte est adopté à l'unanimité par le
Conseil communal (4o4J
il est remarquable de constater qu'à une époque où les séan-
ces du conseil communal sont célèbres par leur chahut par leur
surenchère réciproque de cris et de poings brandis. où des
' 4051 Protestation votée par le Conseil communal d'Arlon réuni en séance ordi-
naire le 16 mars 1932. Archives de l'Administration communale d'Arlon.
290
Parmi toutes les polémiques qui suivent. relevons une prise
de position de la Fédération Nationale des Anciens Combattants,
section d'Arlon, qui lors de sa séance du 1e, mars 1932. la veille
de la discussion à la Chambre de l'amendement Renkin, lance
un appel à ses membres pour «qu'ils ne tolèrent jamais, ni de
personne, que leur patois familial et ancestral. devienne le pivot
- intéressé pour des indignes - d'une campagne tendant à une
division nouvelle de la Patrie sous le souffle à peine déguisé, du
Gennain férocement combattu et battu.» (406l
Naturellement le comité du B.D.B. répond comme à chaque
attaque (4o7l_ Mais les anciens combattants n'en restent pas là. Us
prennent contact avec Joseph Willems, l'éditeur du journal, afin
d'obtenir la publication des noms, titres et qualités des membres
du comité du BD.B. (4osl. En effet. à l'exception de l'article de
Lespineux paru en février dans la Revue Catholique des Idées et
des Faits, et renseignant Bischoff. Schaul et Somerhausen comme
dirigeants du mouvement. les noms des membres et autres diri-
geants ne sont mentionnés nulle part Personne ne sait qui en fait
partie. Par contre la lettre envoyée par les anciens combattants est
signée par les 13 membres du comité de la section d'Arlon parmi
lesquels figure en deuxième position l'inspecteur de l'enseigne-
ment Perbal. n n'y aura jamais de réponse à cette demande. Le
caractère fantomatique et secret du Bund persiste, ce qui encou-
rage la population dans son sentiment d'avoir affaire à un mouve-
ment subversif et malfaisant dont l'origine se situe à l'étranger.
Les esprits se troublent encore davantage lorsque l'abbé
Keufgens, révérend doyen d'Eupen, consacre un article au pro-
blème linguistique dans le doyenné de Montzen, qui paraît le 18
mars dans la Revue Catholique des Idées et des Faits, et se ter-
mine par : «que l'on me pennette une remarque pour Bnir : je
n'ai aucune accointance avec le Bund der Deutsch-Belgier dont
on a beaucoup parlé ces temps derniers. Ne le connaissant même
pas, je ne l'approuve, ni le désapprouve.» (4o9l
Revue Catholique des Idées et des Faits, vendredi 18 mars 1932. n° 52.
291
Si l'abbé Keufgens. originaire de Montzen. doyen d'Eupen. en
relation avec nombre d'intellectuels. de fonctionnaires. d'ouvriers ...
de la région. ne connaît pas le Bund sept mois après sa création.
il y a de quoi s'interroger quant à sa réelle existence. Tandis que
les anciens combattants d'Arlon refusent de «se battre contre un
fantôme» - suspect de vouloir détruire la patrie et donc de haute
trahison - le Bund se fâche devant toutes les accusations de pan-
germanisme dont il est victime dans la région et répond à ses
ennemis en leur posant huit questions. dont certaines doivent
embarrasser plus d'un Arlonais. C'est à n'en pas douter Bischoff
qui se trouve à l'origine de ces interrogations (4 ioi.
Le Bund rappelle en premier lieu que le mouvement en fa-
veur de la langue allemande a été déclenché par Godefroid Kurth
quarante ans auparavant. Il ne fait que continuer son œuvre. Dès
lors. il pose la question: Godefroid Kurth était-il pro-allemand?
Poursuivant. il se souvient qu'une trentaine d'années plus tôt.
Camille Ozeray a emboîté le pas au député Lorand et d'autres
encore pour demander à la Chambre la mise sur pied d'égalité
du français et de l'allemand dans la région. Et le Bund s'inter-
roge: Camille Ozeray et ces parlementaires étaient-ils pro-alle-
mands? Entre 1893 et 1914. de nombreuses requêtes et péti-
tions en faveur de la langue allemande ont été envoyées au Roi
et au Gouvernement par les instituteurs du pays d'Arlon et les
membres du Deutscher Verein. Le Bund se demande : ces insti-
tuteurs et ces membres du Verein étaient-ils pro-allemands?
Outre ces trois questions pertinentes. axées sur l'idée de con-
tinuité entre le Bund et le très respectable Verein de l'illustre
Godefroid Kurth. suivent cinq autres questions moins intéres-
santes. fondées parfois sur des inexactitudes ou des faits contes-
tables.
Lors de la discussion à la Chambre du projet de loi linguisti-
que en matière d'enseignement. en juin 1932. Camille Huysmans
reprend le reproche du Bund à Camille Ozeray quant à son chan-
gement d'attitude envers la langue allemande depuis une tren-
taine d'années (4 1Il.
293
les pensées, sert également de réponse au Bund qui se présente
comme l'héritier de Kurth :
«ll y a eu la guerre. Et savez-vous comment il l'apprécie, la
guerre, votre champion Godefroid Kurth, votre porte-drapeau.
votre bouclier ?
«Ouvrons le Guet-Apens Prussien et lisons:
«La Belgique était jusqu'au 3 août 1914, le jardin de la civilisa-
tion européenne: elle n'en est plus aujourd'hui que le cimetière.
Ses villes sont détruites, ses villages brûlés, ses beaux monu-
ments réduits en cendres, ses bibliothèques anéanties, ses habi-
tants massacrés ou déportés en Allemagne ou réduits à la mi-
sère. .. Je cite l'Allemagne devant le tribunal de la conscience hu-
maine: qu'elle essaie de répondre à mon acte d'accusation !» (4 i 5J
Le Bund a beau clamer qu'il n'a rien à voir avec l'Allemagne et
la guerre mais qu'il est le descendant du Verein de Kurth et que
rien n'a changé depuis 1893. il se trompe totalement. En plus. la
presse libérale ne s'efforce jamais de le comprendre et le combat
ni plus ni moins comme un nouvel envahisseur teuton.
Le jugement le plus modéré et probablement le plus juste, car
dégagé de toute polémique facile et inutile. se retrouve dans }'Ave-
nir du Luxembourg. sous la plume de Camille Decker (41 6l. Ce
dernier se félicite que le Bund ne veuille pas voir disparaître de
la province le patois luxembourgeois et l'allemand littéraire «qui
malgré tout ce que l'on en a déjà dit. n y sont pas si inconnus ou
délaissés». Mais la prétention du Bund de faire de l'allemand la
langue véhiculaire des écoles et des administrations des com-
munes patoisantes et même d'Arlon. d'Athus et d'Aubange. est
«mauvaise».
Pour Decker, le bilinguisme administratif dans certaines com-
munes est à la limite défendable et ne mérite pas que l'on crie à
la germanisation. Par ce point de vue, le journaliste catholique
soutient l'attitude récente de Van den Corput et Merget. Mais
faire systématiquement ou sournoisement la guerre au français
devient suspect et Decker regrette le comportement du Bund
(415l Omer HABARU, Les huit questions du Bund. Réponse d'un ancien combat-
tant. in Jaumal du Luxembourg. dimanche 26 juin 1932. n° 26. p. 1 ; diman-
che 3 juillet 1932, n° 27. p. 1 : dimanche 10 juillet 1932. n° 28. p. 1.
(416l Camille DECKER. La réponse du Bund der Deutsch-Belgier. in L'A venir du
Luxembourg. jeudi 9 juin 1932, p. 1.
294
Le caractère étranger (non luxembourgeois) du mouvement
dérange profondément Même si le curé de Tintange est mem-
bre de la direction, il est évident que le Bund ne trouve aucune
assise dans la province. L'agacement atteint son comble chez
Decker chaque fois que le Bund dit «Notre Langue» ! Ce patois
est aux Luxembourgeois et à eux seuls. Ce n'est ni de l'allemand,
ni la langue parlée dans les cantons rédimés ou dans certaines
communes de la province de Liège. On n'a donc pas besoin que
des étrangers tentent de l'imposer aux Luxembourgeois. Quant
aux «calomnies» dont le Bund se plaint Camille Decker se mon-
tre très clair :
«Vous a-t-on calomnié? Si c'est exact reconnaissez qu'il y a
beaucoup de votre faute. On vous pardonnerait de défendre si
vigoureusement la pauvre langue allemande en Belgique, tout
en n'étant pas de votre avis, si tout d'abord vous ne donniez pas
l'impression de travailler suivant un mot d'ordre venu l'on n e
sait d'où: si vous étiez plus modéré dans vos revendications: si
vous teniez compte de l'évolution linguistique en nos régions: si.
surtout vous n 'attaquiez aussi inconsidérément la France, le fran -
çais, et quiconque admire et cultive la langue française. le génie
français: si. en.in, vous travailliez moins dans l'ombre, dévoiliez
votre but, vos moyens, les noms de vos dirigeants. Croyez-vous
que les articles comme celui qu'un des vôtres a publié dans la
Revue Catholique des Idées et des Faits, comme votre grossière
réponse aux anciens combattants soient de nature à faire du
bien à votre propre cause ?
«Pour preuve de votre civisme, vous répondez : «Nous n 'avons
jamais crié Vive l'Allemagne !». n ne manquerait plus que cela !
Mais ici encore vous faites une confusion lamentable, en repro-
chant à d'autres de crier: «Vive la France!». Vous n 'allez tout de
même pas mettre ces deux nations sur le même pied, je sup-
pose ! Avez-vous oublié que la France fut notre alliée et l'Allema-
gne notre ennemie mortelle, dont nous devons encore et plus
que jamais nous méBer? Ne prétendez-vous pas d'autre part
défendre la culture allemande en Belgique ?Et vous nous repro-
chez d'appeler la France notre patrie spirituelle, sans que d'ailleurs
cette appellation ne nous fasse d1llusion sur le caractère égoïste
de la politique économique française à notre égard! Vraiment
vous prenez plaisir à confondre et à créer de la confusion.
«Nous voulons bien que dans l'intention vous ne soyez pas
des pangermanistes, et cela, malgré vos exagérations si mala-
droites. Mais nous persistons à croire, que inconsciemment ou
295
non, vous faites en Belgique, le jeu des pangermanistes. ll y a
d'ailleurs chez vous des gens qui sont loin de nous donner à ce
sujet tous nos apaisements.» (41 7l
La voix de la sagesse n'est pas entendue du côté de Montzen
ou de Tintange. Le Bund continue sur sa lancée, avec les mêmes
méthodes et toujours dans le mystère. Les coups bas entre
Fliegende Taube et journaux libéraux se poursuivent. Les prises
de position contre le Bund se multiplient. Le conseil communal
d'Athus, dans la foulée de celui d'Arlon, vote à l'unanimité une
protestation contre le programme et la propagande du Bund. ll
demande le statu quo en matière linguistique.
Au Sénat. le vote de la loi linguistique en matière administra-
tive ne soulève pas de difficultés. Les sénateurs ne remettent pas
en cause la décision de la Chambre: «ll faudra que le Bund re-
passe une autre fois» (41 8l.
A la Chambre, l'ancien premier ministre Prosper Poullet dé-
pose son rapport sur les différents textes, propositions et projets
en matière de langue dans l'enseignement. Parmi eux. le projet
relatif à l'enseignement primaire amendé par le Sénat le 8 juillet
de l'année précédente. Le ministre propose au nom de la com-
mission un nouveau texte plus général et baptisé «Projet de loi
concemant le régime linguistique dans l'enseignement gardien,
primaire et moyen». Il sert de base au débat.
D'après les différents articles de ce nouveau projet. la langue
véhiculaire de l'enseignement dans les écoles gardiennes, pri-
maires et moyennes des communes d'expression allemande est
l'allemand. Il en va de même pour le français et le flamand dans
les régions wallonne et flamande du pays.
A Arlon. on est toujours inquiet et les journaux provoquent la
panique dans le corps enseignant en annonçant que le projet Poullet
suppose le remplacement des instituteurs. institutrices et profes-
seurs dont la connaissance de l'allemand n'est pas approfondie.
par des enseignants venus d'Eupen qui attendent avec impatience
des places et l'occasion de germaniser la jeunesse arlonaise (419l.
En réalité, il n'en est rien. Lors du vote de la dernière loi
linguistique. la Chambre a formellement reconnu que le Luxem-
bourg tout entier est de langue française. Aussi. à part quelques
14171 C. DECKER. La réponse du Bund.... op. cit
14 181 Omer HABARU, Pas d'allemand à l'hôtel de ville. in Les Annonces du Luxem-
bourg. dimanche 26 juin 1932. n ° 26, p. 3.
14 191 La troisième langue nationale, in L 'Etoile Belge. mercredi 20 avril 1932. p. 1.
296
heurts entre Camille Huysmans et Camille Ozeray, tout se passe
bien. Léon Troclet demande immédiatement des éclaircissements :
«Si je comprends bien lïntention du gouvernement, les com-
munes d'expression allemande sont celles qui sont devenues
belges d'après le traité de Versailles et où la langue habituelle de
la population est l'allemand. ll ne peut être question, je pense,
d'aucune des communes de l'ancienne Belgique.. » (4 zo)
La réponse du ministre des Sciences et des Arts. Robert Peti-
tjean. est définitive et sans équivoque possible :
«Comme je l'ai déclaré au Sénat, le législateur vise les com-
munes de la nouvelle Belgique où la langue maternelle des en-
fants est incontestablement l'allemand.» (421 l
Les communes de l'ancienne Belgique ne furent plus jamais
considérées par le Parlement belge comme d'expression alle-
mande. Elles n'étaient donc plus concernées par ces lois.
Cet événement peut être considéré comme une défaite pour
le responsable luxembourgeois du Bund, l'abbé Schaul. Quel-
ques mois auparavant le comité du Bund était intervenu direc-
tement auprès du vicomte Poullet en faveur des Belges de lan-
gue allemande. Le Fliegende Taube, véritable moniteur du Bund.
s'en vanta en déclarant que le projet Poullet portait les traces
visibles des entretiens les plus amicaux que le Bund avait eus
avec le vicomte. En fait même sans intervention de Bischoff, le
texte de loi aurait probablement été le même, la véritable ques-
tion étant de savoir s'il s'appliquerait ou non au Luxembourg. La
réponse fut négative.
A partir de juillet 1932. la pression du Bund dans le Luxem-
bourg décroît progressivement. Les articles relatifs à la neuvième
province se font de plus en plus rares dans la feuille d'Aube! et
les tracts disparaissent des boîtes aux lettres. La ligue des Belges
de langue allemande n'a rien obtenu pour la province. Pire. elle
n'y a rencontré qu'hostilité générale, protestations de conseils
communaux, d'associations diverses et création d'une ligue de
défense luxembourgeoise. La région d'Arlon n'obtient rien du
vote des grandes lois linguistiques. A regret Bischoff délaisse le
Luxembourg allemand. terre natale et terre de combat de son
maître, Godefroid Kurth. pour se consacrer davantage aux autres
régions de langue allemande en Belgique, moins difficiles.
'
420
l Annales Parlementaires. Chambre des Représentants. Séance du 2 juin 1932,
p. 1900.
(42 1l Idem.
297
nest cependant une chose pour laquelle l'ancien professeur re-
nonce à baisser les bras : son procès pour calomnie intenté aux An-
nonces du Luxembourg et à travers elles. à Omer Habaru et à Paul
Reuter. L'article litigieux date du 8 novembre 1931 mais le procès a
été reporté tout au long de 1932. nva défrayer la chronique en 193 3.
L'affaire se plaide devant la deuxième chambre du Tribunal civil
de Bruxelles. L'avocat Marc Somerhausen représente les intérêts
d'Henri Bischoff tandis que Paul Reuter. avocat à Arlon, a demandé
à son ami bruxellois Albert Devèze de défendre Omer Habaru.
Alors que l'affaire s'annonce pour le mois de mars 19 33. Devèze
est appelé le 17 décembre 1932 aux fonctions de ministre de la
Défense nationale. il se fait remplacer par son fils Michel et par
l'avocat Mayer (4 22l.
Bischoff réclame 20.000 francs de dommages et intérêts, plus
dix insertions du jugement dans des journaux au choix. Son er-
reur est d'intenter l'action contre Habaru à Bruxelles. Se basant
sur la loi qui déclare que le préjudice résultant d'un article, peut
être porté devant le tribunal de tout lieu où un exemplaire du
journal a été distribué. il choisit la capitale car la société bruxel-
loise l'Awdliaire de la Presse fait la distribution des Annonces du
Luxembourg (423 l_ Evidemment. il n'aurait eu aucune chance de-
vant un tribunal arlonais.
Les avocats d'Habaru plaident aussitôt l'incompétence du tri-
bunal de Bruxelles. Le député socialiste Somerhausen s'efforce
de démontrer que des numéros incriminés ont été diffusés à
Bruxelles. y causant des dommages pour son client. Sans doute
n'est-il pas suffisamment convaincant car le tribunal de Bruxel-
les se déclare incompétent et condamne Bischoff aux dépens.
En effet. les avocats d'Habaru parviennent à démontrer que l'Awd-
liaire de la Presse n'a pas reçu le journal en question par les
Annonces du Luxembourg mais par les Annonces Liégeoises de
Liège. En conséquence, la distribution à Bruxelles est étrangère à
la société défenderesse et cette subtilité juridique l'emporte (424 )_
il reste toujours à Bischoff la possibilité d'intenter un procès
ailleurs, à Arlon par exemple. Il ne le fait pas.
(
422
l Télégramme d'Albert Devèze à Paul Reuter. Bruxelles. le 30 janvier 19 33. Pa-
piers Paul Reuter (AE.A.).
423
' l Exposé des faits. par Henri Bischoff. demandeur. contre la société anonyme
Les Annonces du Luxembourg. défenderesse. Papiers Omer Habaru (Arlon).
l Le procès du Bund devant le Tribunal de Bruxelles. in Les Nouvelles. mer-
424
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MIB WELLE JO
KEKG PBEISEl\T SIN Nous ne voulons pas être des Prussiens
1ouraal cré~ par IOUIICl'Îptioo publique pour. n!pondre au ·FLIEGENDE TAUBE
303
de disputes et de mésententes. Il donne l'occasion aux anticléri-
caux de jeter le discrédit sur certaines personnalités catholiques
et. par suite d'une généralisation fatale, sur tout ce qui est catho-
lique dans la région.
A l'Administration communale d'Arlon, on ouvre une sous-
cription publique pour pouvoir éditer un journal répondant au
Bund et qui sera distribué à chaque habitant du pays d'Arlon.
C'est le jour des manifestations patriotiques, le dimanche 19
août 19 34. que le journal sort de presse. Le titre de ce spécimen
unique est inscrit en énormes caractères gras très expressifs : «MIR
WELLE JO KENG PREISEN SIN», avec comme sous-titre : «Nous
ne voulons pas être des Pmssiens». L'éditeur responsable de cette
publication est Omer Habaru. Mais ce sont tous les Arlonais qui
serrent les rangs autour de lui. Jean et Xavier Michaëlis. neveux
de Godefroid Kurth, ont versé 50 francs à la souscription pour
«protester contre ]'accaparement de ce grand nom par les propa-
gandistes du Fliegende Taube». Le gouverneur. les responsables
communaux. les anciens combattants ...y condamnent le Bund
On rappelle ses défaites au Parlement. le procès intenté par
Bischoff, les atrocités de la guerre et on compare Bischoff à Loeb.
Le principal article de la première page s'intitule «Une infâme
provocation». Il décrit la surprise des patoisants découvrant chez
eux le Fliegende Taube:
«Quelle ne fut pas l'indignation de nos populations luxem-
bourgeoises en trouvant dans leur counier. au matin de ce jour
sinistre, un joumal rédigé en allemand qui nous incitait à retour-
ner totalement vers la culture allemande.
«Beaucoup crurent à première vue, qu'il s'agissait d'un joumal
hidérien payé par les fonds de propagande pour l'extension du ger-
manisme à l'étranger. Mais les quelques rares patoisants qui l'exa-
minèrent et qui furent capables de le déchiffrer. remarquèrent avec
stupéfaction qu'il était imprimé en Belgique, à Aubel, dans les envi-
rons de Vervier.s, et que c'était un habitant de notre province qui en
prenait la responsabilité : le curé Schaul de Tintange.» (435 l
Jusqu'en 1933. c'est le président Henri Bischoff qui s'est trouvé
au centre de tous les tirs. A partir du 4 août 19 34. le curé Schaul lui
succède en première ligne. Omer Habaru lui écrit une lettre ouverte :
«On vous l'a déjà dit: si vous vous ennuyez en Belgique, per-
sonne ne vous y retient Partez sans crainte, on ne versera pas
!435 i Une infâme provocation. in Mir welle jo keng Preisen sin, dimanche 19 août
1934, p. 1.
304
beaucoup de larmes. Surtout depuis votre dernier exploit, de-
puis que vous avez fait diffuser dans toute notre région un jour-
nal activiste allemand qui portait comme date: 4 août, anniver-
saire de la déclaration de guerre. C'est à se demander si vous
n'avez pas souvent mal à la tête ! Pourquoi avoir choisi cette date ?
Pour le plaisir de nous froisser? Pour nous faire enrager?
«Vous êtes désapprouvé et condamné par tous les dirigeants
catholiques de la province, vous ne rencontrez aucun encourage-
ment parmi vos collègues, vous ne réussissez pas à faire des adep-
tes.... et vous voyez au contraire, tout le monde se dresser contre
vous ! Cela vous amuse ?Mais vous finirez bien par vous aperce-
voir que tant va la cruche à l'eau qu'à la En elle se casse.» (436)
Et la cruche casse. Toute la presse s'y met : le curé Schaul à
Tintange ? Adhésion formelle à un groupement activiste, refus
d'arborer le drapeau national et de sonner le glas à l'occasion de
la mort du roi Albert. paroles regrettables prononcées en chaire,
propagande en faveur de livres et de journaux allemands, reçoit
fréquemment des visiteurs en voiture avec un grand «D». etc.
Autant d'informations invérifiables pour l'historien mais qui por-
tent leurs fruits. On n'entendit plus parler du Bund dans la pro-
vince de Luxembourg et il semble que le curé Schaul cessa toute
activité dans ce domaine. Peut-être que Mgr Heylen. évêque de
Namur, prit les mesures qui s'imposaient lorsqu'un membre de
son clergé commença à éclabousser l'Eglise. Mais la disparition
du Bund peut aussi s'expliquer d'une toute autre manière.
Dès la distribution gratuite du Fliengende Taube. le 4 août
Camille Decker pose à nouveau l'importante et éternelle question :
«D'où vient l'argent? Nous aurions beau faire si nous devions
poser cette question à propos d'un tas d'articles et de procès
dont l'inspiration vient d'un côté opposé de l'horizon.» (437)
Curieusement. il semble qu'à cette époque. Bischoff est reçu à
plusieurs reprises à Berlin dans le cadre de ses efforts en faveur
de la langue allemande en Belgique. Cela explique le soutien de
la presse allemande dont il bénéficie lors de son procès (43s).
14411
L'Avenirdu Luxembourg. mardi 21 août 1934, n° 191. pp. 1-2-3.
14421 Idem. p. 1.
14431 Né en 1872, le député catholique Fernand Van den Corput devient gouver-
t45 oi Paul REUTER. Quelques hôtes d'Arlon dans le passé. in Association pour la
culture et l'extension de la langue française. XXV' anniversaire. 1910-1935.
Arlon. 1936. pp. 22-26.
t45 ,i Paul REUTER. idem. p. 20.
310
«Le Deutscher Verein fondé en 1909, au lendemain de notre
Congrès d'Arlon (452 ), n'a fait que végéter lamentablement...
«Pendant l'occupation, l'envahisseur teuton s'est ingénié à ger-
maniser l'administration et ]'enseignement .. Le mouvement de
réaction a été spontané et unanime...
«ll y a quelques années, certains germanophiles impénitents
ont tenté de ressusciter la propagande pro-allemande dans nos
contrées, sous les espèces d'un Bund der Deutsch-Belgier. qui
n'a jamais compté comme membres que la trinité de ses fonda-
teurs... Les désaveux les plus cinglants sont venus tuer dans le
germe cette campagne malsaine...» (453l
Pour Paul Reuter. il ne pouvait en être autrement et l'Associa-
tion Française a fait œuvre utile et fructueuse au cours de ses
vingt-cinq années d'existence. Elle peut fêter son jubilé avec le
sentiment d'avoir largement rempli la mission qu'elle s'était fixée :
contribuer à l'extension de la langue et de la culture françaises.
(452l Contrairement à ce que Reuter déclare. le Verein ne fut pas fondé en 1909 en
réaction au succès du Congrès d'Arlon. il fut créé en 189 3 et c· est le Congrès
d'Arlon qui constitua une réaction aux menées des germanophones luxem-
bourgeois.
(453l Paul REUTER. Quelques hôtes d'Arlon dans le passé. op. cit. pp. 20-21.
311
IX. INTERLUDE
Cinq années de calme et de paix linguistique succèdent à cette
étonnante période de lutte et de combat dont peu se souvien-
nent aujourd'hui. Dans une situation internationale préoccupante,
face à une Allemagne nazie toujours plus agressive, ce sont les
problèmes de défense de la frontière qui animent désormais les
esprits et rassemblent les combattants de la veille dans de nou-
veaux comités pour de nouvelles polémiques. Le Luxembourg
est en alerte. Fort de la triste expérience de 1914. il exige une
armée capable d'arrêter l'invasion à sa frontière.
A la veille de la guerre, plus personne en Belgique ne se pré-
occupe de la question des langues dans la région si ce n'est un
journaliste bruxellois en quête de contrées touristiques incon-
nues:
«Des rares pays bilingues qui existent encore en Europe, on
rapporte un souvenir confus et dédaigneux. Jamais, je n'ai res-
senti si profondément la honte et le ridicule du bilinguisme qu'en
débarquant dans la gare d'une ville située au Sud-Est de la Belgi-
que. Toutes les indications étaient en plusieurs langues, mais les
trois ou quatre personnes auxquelles je m'adressais pour leur
demander un renseignement me répondirent dans un effroya-
ble charabia d'allemand et de français, dont on avait toutes les
peines à comprendre un traître mot Non ce n'est pas un bon
moyen pour attirer les touristes que de s'avilir au rang de bâtard,
bien au contraire...» (454l
Matthias Zender :
un spécialiste allemand à Arlon
Du côté allemand. on a parfaitement perçu les effets désas-
treux des campagnes menées dans la région arlonaise par le
mouvement du professeur Bischoff. L'effort en faveur de la lan-
gue allemande et de la germanisation de l'Arelerland, financé
indirectement par le «Verein für das Deutschtum im Ausland»
(V.DA) est un échec complet. Jamais les réactions anti-alleman-
des n'ont été aussi vives et aussi nombreuses à Arlon (455l,
La stratégie développée jusqu'alors est à repenser. Mais il faut
avant tout se documenter et s'informer sur la réalité du caractère
allemand du pays d'Arlon car le fourvoiement très grave des res-
ponsables du V.DA est dû à une méconnaissance quasi totale
de la situation linguistique de cette région.
Par le passé. on s'est peu intéressé au problème. Seules. les
publications du Deutscher Verein de Kurth et le petit ouvrage de
Loeb. vieux de plusieurs décennies, ont laissé supposer l'exis-
tence d'un germanisme arlonais et d'une oppression linguisti-
que de la population. S'appuyant sur des textes démodés et sur
une analyse superficielle. on a cru aisée la création rapide d'un
mouvement local revendicatif. desservant à moyen terme les in-
térêts et la politique du meReich. Mais on n'a pas pris en compte
le développement chez les patoisants de sentiments de culpabi-
lité et d'hostilité à l'Allemagne et à sa langue après la guerre 1914-
1918. Beaucoup de questions restent sans réponse. Quelle est
l'importance actuelle de la mentalité et du dialecte germaniques ?
(455 l Audition de Paul Lespagnard à Arlon, le 25 avril 1946. Sûreté de l'Etat P.V.
n° 5498. Papiers Omer Habaru.
313
Arlon peut-elle être considérée comme une ville allemande ?
Quelle est la situation dans l'enseignement? Où en est la franci-
sation? Est-elle irréversible? Comment modifier la tendance?
Où se situent les ennemis et les amis de la langue allemande ?
Qui sont-ils ?
Envoyer un spécialiste sur place est une nécessité pour savoir
à quoi s'en tenir. Dès 1935. un jeune assistant universitaire quitte
le «Geschichtliches Institut für die Kunde des Rheinlandes» de
l'université de Bonn pour le sud du Luxembourg belge. Issu d'une
famille de cultivateurs de Niederweis. dans l'arrondissement de
Bitburg. Matthias Zender a pour langue maternelle un dialecte
allemand qui n'est autre que le francique mosellan utilisé com-
munément depuis plus d'un millénaire de Thionville à Saint-
Vith, et d'Arlon à Sarrebrück.
Agé de 19 ans à sa sortie du Friedrich Wilhelmgymnasium de
Trèves, il s'est inscrit en 1926 à l'université de Bonn pour y suivre
des cours d'histoire. d'allemand. de latin et de folklore. En 1928.
il a suivi des cours identiques dans les universités d'Innsbruck et
de Vienne. Enfin, le 1er novembre 1929. il entre comme assistant
au bureau du « Rheinisches Wôrterbuch », dictionnaire du patois
utilisé dans la région rhénane, rédigé à Bonn sous la direction du
professeur d'université Joseph Muller. grâce à des subsides de
l'administration provinciale de Düsseldorf '456l. Poursuivant ses
cours à l'université de Bonn. Zender se spécialise dans l'histoire.
le folklore et la langue de l'Eifel. Il publie plusieurs articles à ce
sujet et obtient en 1938 le diplôme de docteur es-sciences folk-
loriques. Le 1er avril 1939. il est nommé à un poste d'assistant
permanent à l' «Institut für Geschichtliche Landeskunde» de l'uni-
versité de Bonn. sous la direction du professeur Franz Steinbach.
C'est Zender qui est choisi pour étudier sur place le problème
arlonais. Son premier voyage s'effectue en 1935 et dure plusieurs
semaines, le deuxième a lieu en août 1936. un troisième suit en
1937 et le dernier se termine au bout de deux jours au prin-
temps 19 38 car Zender tombe malade '457 l.
Officiellement. ces séjours décidés par le professeur Stein-
bach ont un but d'études folkloriques. Il s'agit de rédiger un
recueil de contes et de légendes de l'Eifel. du Grand-Duché de
1456l Justice Militaire Belge (J.M.B.). Procès Zender, P.V. n ° 8940. 18 novembre 1946.
!457l J.M.B. Procès Zender, P.V. n° 1067K. 12 février 1946.
314
Luxembourg et du pays d'Arlon. Le V.DA de Düsseldorf finance
les travaux (45 sl.
Profitant de sa bonne connaissance du français et du patois
local. Zender parcourt la contrée en tous sens. contactant les
personnalités locales. écoutant les vieux des villages. rencontrant
les paysans aux champs. fréquentant les cafés d'Attert et de
Weyler, dévalisant la bibliothèque communale d'Arlon et celle
de l'Institut archéologique du Luxembourg, logeant tantôt chez
l'habitant à Aubange ou à Habergy. tantôt à l'hôtel du Luxem-
bourg à Arlon. Cela lui permet d'observer précisément la situa-
tion et l'emploi de la langue allemande. Zen der rencontre le pro-
fesseur Alfred Bertrang. ainsi que le professeur Michel qui ensei-
gne également la philologie germanique à l'Athénée royal d'Ar-
lon. l'archiviste Marcel Bourguignon, le magistrat Jean Michaëlis.
l'abbé Feck de Metzert. etc. Naturellement. il s'entretient longue-
ment avec l'abbé Frédéric Schaul. de Tintange. qui lui conte l'his-
toire du Bund der Deutsch-Belgier. et avec le professeur Nicolas
Warker. pour qui il éprouve une grande admiration (459l_
Le résultat escompté est atteint. Non seulement Zender a bien
compris la position de l'allemand, du patois et du français dans
la région, mais il a repéré la plupart des personnalités importan-
tes. prenant contact avec une partie d'entre elles. n connaît les
différents groupes d'intérêt et d'influence qui règlent la vie de la
région et sait où trouver les ennemis de l'Allemagne.
Toute la documentation possible a été rassemblée : géogra-
phique, topographique. démographique. linguistique. politique,
littéraire. historique et folklorique. Même des livres scolaires et
des catéchismes sont envoyés à l'institut de Bonn et au siège du
V.DA à Berlin. Muni d'un Leica. il a photographié tous les villa-
ges.
En 19 38. avant de rentrer à Bonn. Matthias Zender donne une
conférence à l'université de Louvain dans une salle mise à la
disposition du mouvement «De Vlag». sur les problèmes linguis-
tiques de la Belgique vus par un Allemand (460l.
46
( n Matthias ZENDER. Die deutsche Sprache in derGegend von Arel. in Deutsches
Archiv fur Landeskunde und Volksforschung. tome 3. 1939. pp. 1-40.
Zender a bien publié des recueils de contes et de légendes en 1935 et en 1936.
( l Martin SCHÀRER. Deutsche Annexionspolitik im Westen Die Wiedereingliederung
461
(463l Jules
GERARD-LIBOIS et José GOTOVITCH. L'an 40. La Belgique occupée.
Bruxelles. 1971.
Albert DE JONGHE. La lutte HinmJler-Reeder pour la nomination d 'un HSSPF
à Bruxelles. La Sicherheitspolizei en Belgique. Centre de Recherches et d'Etu-
des Historiques de la Seconde Guerre Mondiale. Cahiers n ° 3. Bruxelles. 1974.
pp. 110-112.
José GOTOVITCH et Francis BALACE. Militarverwalti.mg. in Jours de Guerre.
Jours de Chagrin. Bruxelles. 1991.
317
Vue d'Arlon. depuis la rue des Déportés. au début des années 40.
318
hésite. Une cinquantaine de communes belges sont néanmoins
directement ou partiellement annexées. dans les régions d'Eupen.
Malmédy. Saint-Vith. Moresnet. Montzen et Beho. dans les pro-
vinces de Liège et de Luxembourg (464l.
Le 29 juillet 1940. le Grand-Duché de Luxembourg est sous-
trait à l'autorité militaire. et c'est une administration civile con-
duite par le Gauleiter Gustav Simon. du Gau de Coblence-
Trèves. qui s'installe à Luxembourg. En sa qualité de «Chef der
Zivilverwaltung in Luxemburg», Simon dépend directement
d'Hitler. Dès sa prise de fonction. il entreprend sans ménage-
ment un vaste programme d'assimilation forcée du Grand-
Duché. Son effort porte sur deux plans: la germanisation de la
population et la destruction des structures de l'Etat luxembour-
geois. Le 6 août 1940. le Gauleiter publie une ordonnance lin-
guistique : l'usage du français tant oral qu'écrit est interdit (465l.
Simon a des ambitions qui l'emmènent au-delà de Steinfort.
Dès son installation dans la capitale grand-ducale. il manœuvre
en vue d'incorporer la région patoisante d'Arlon et d'Athus dans
le nouveau territoire placé sous sa juridiction. n estime absurde
que l'autorité de l'administration civile s'arrête à une frontière
politique purement artificielle. issue de négociations plus que
centenaires. Seule la frontière linguistique doit être respectée.
nulle autre.
L'administration militaire de Bruxelles ne l'entend pas de cette
oreille. Il n'est pas question de céder un pouce du pays d'Arlon à
Luxembourg (466l.
La Belgique et le nord de la France sont divisés en cinq
Oberfeldkommandanturen dirigées chacune par un général. Une
d'entre elle réunit les provinces de Liège et de Luxembourg. A
l'échelon inférieur. des Feldkommandanturen exercent leur auto-
rité sur une province elle-même subdivisée en Ortskom -
mandanturen qui constituent les commandements locaux.
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320
La première Feldkommandantur de la province de Luxem-
bourg siège à Bastogne. localité jugée moins excentrique qu'Ar-
lon et plus facile pour les communications. Elle est dirigée par le
colonel Freiherrvon Pechmann. Commandant militaire de la pro-
vince de Luxembourg jusqu'au 30 septembre 1941. il se com-
porte d'une façon correcte à l'égard de la population.
Le comte d'Aspremont Lynden. ancien chef de cabinet du gou-
verneur:
«Par son attitude générale et au cours de ses conversations. il
a toujours témoigné un manque absolu de sympathie à l'égard
du régime nazi et de ses méthodes. Sa correction, son indépen-
dance d'esprit ont vivement contrasté avec le comportement de
ses successeurs.» l467 l
321
A Luxembourg. le Gauleiter Gustav Simon rêve de détacher le pays d'Arlon de la
Belgique pour une annexion immédiate mais il se heurte à l'Administration
militaire de Bruxelles qui ne l'entend pas de cette oreille.
322
Le point de vue de Bruxelles est simple. Le général Eggert
Reeder. chef de l'administration militaire. l'explicite le 18 avril
194 7 lors d'un interrogatoire mené par la Justice belge :
«Le Militarbefehlshaber ne désirait d 'aucune façon céder une
partie du territoire belge avant la .in des hostilités. En effet sa
politique visait à maintenir l'ordre dans les territoires sous sa
juridiction et il nïgnorait pas que les Arlonais et les habitants
des villages voisins ne voyaient pas d'un œil favorable une in-
corporation éventuelle au Grand-Duché. 11 ,47ol
De même le collaborateur grand-ducal Damien Kratzenberg.
qui fonde le 10 juin 1940, à Luxembourg, un petit groupe de sym-
pathisants nazis, la Volldsdeutsche Bewegung (V.D.B.), déclare
après la guerre :
«Il était notoirement dit que l'annexion n 'aurait pas lieu parce
que la Wehm1acht sy opposait et que la défense venait du
Militarbefehlshaber de Bruxelles.
«La Wehmlacht avait fait savoir quïl y avait lieu d'attendre la
Bn de la guerre avant de modifler les frontières et qu'en cas d 'an-
nexion, il y avait lieu de craindre des réactions populaires belges.
En un mot l'occupation deviendrait moins paisible et cela nui-
rait à la «Stimmung», c'est-à-dire à l'ambiance et à l'atmosphère
publiques.» (47 1l
A Luxembourg. le Gauleiter Gustav Simon décide de passer
outre à l'interdiction. A cette époque, les services allemands de
contre-espionnage et de renseignements dans la région d'Arlon
et dans le Luxembourg sont en pleine réorganisation. Le com-
merçant arlonais d'origine grand-ducale Jean-Pierre Majeres, dit
«Bistro». agent allemand dès avant la guerre. a reçu pour mission,
après son installation comme agent officiel de l'Abwehrstelle
(A.S.T.) de former à Arlon un réseau d'informateurs (472 l_
Afin de mieux camoufler cette organisation. Luxembourg pro-
pose de créer à Arlon une section de la Volksdeutsche Bewegung
(V.D.B.) (473 l qui comprendrait d'office tous les Grand-Ducaux
47
( ol J.M.B. Procès Reeder. P.V. du 18 avril 194 7.
47 1
( l J.M.B. Procès Lespagnard. Déclaration non datée de Damien Kratzenberg(l878-
1946).
(
472
l Service de sécurité et de renseignement allemand.
(473 l Les quelques Luxembourgeois gagnés aux idées nazies, appuyés par des
Allemands résidant au Grand-Duché. fondèrent la V.D.B. fin juin 1940. Le but
de cette association animée par Damien Kratzenberg. était de préparer l'an-
nexion du Luxembourg à l'Allemagne sous forme d'un « retour» à la m ère-
patrie. Son slogan était «Heim ins Reich».
323
habitant la région (474l, D'une part. cela permettrait de les ras-
sembler, de mieux les contrôler et de les forcer à donner des
informations. D'autre part. au travers de cette association dé-
pendant de Luxembourg, c'est le Gauleiter Simon qui prendrait
pied à Arlon. sur le territoire de l'administration militaire. Il es-
père pouvoir former le noyau d'un vaste mouvement populaire
allemand qui appuiera son action afin d'obtenir l'annexion du
pays d'Arlon.
A l'automne 1940. un membre de la Zivilveiwaltungde Luxem-
bourg. nommé Dietzler. chargé du développement de la V.D.B. et
futur responsable de l'Ausland Organisation de Paris. se rend à
Arlon pour mettre au point la création de la V.D.B. arlonaise. Il
est accompagné de son secrétaire Richards. du référendaire de
presse Edouard Gerlach et de l'adjoint de ce dernier Paul-Léon
Muller, chef de propagande à la V.D.B. de Luxembourg. Ils s'en-
tretiennent avec une poignée de collaborateurs rassemblés par
Majeres du sort de la région. Parmi eux, un sujet allemand ins-
tallé à Arlon et travaillant pour l'A.S.T. de Trèves. le libraire
Mathias Moritz, le tailleur arlonais Jules Knepper. le militaire René
Reichling de Habay et une personnalité locale. le docteur Nicolas
Muller. Tout cela se déroule dans le plus grand secret (475 l,
La campagne se poursuit à la même époque dans la presse
grand-ducale. Probablement suite à une intervention de Gerlach,
le Luxemburger Wort publie un grand article intitulé « Are] as
eng deitsch Stadt » (476l.
Basée sur les travaux de Zender. la thèse développée soutient
qu'Arlon a été arraché au Grand-Duché de Luxembourg en 1839.
Décision injuste puisqu'Arlon a toujours appartenu au Luxem-
bourg et que la frontière ne respecte pas la limite des langues.
L'auteur de l'article souligne la situation difficile dans laquelle
s'est trouvée cette minorité fondamentalement allemande. Il dé-
crit la lutte pour la langue maternelle menée depuis lors, particu-
lièrement sous l'action du grand patriote belge Godefroid Kurth.
Après avoir mentionné les pétitions du Deutscher Verein et les
multiples démarches du Bundluxembourgeois, il conclut qu'une
rectification de frontière s'impose maintenant qu'il est possible
de rendre justice à cette population.
474
( ) J.M.B. Procès Majeres. Exposé des faits.
475
( ) J.M.B. Procès Lespagnard, P.V. 21 avril 1946. n ° 5498.
476
' l Dr E. GLASS, Are] as eng deitsch Stadt. in Luxemburger Wort. samedi 21 et
dimanche 22 décembre 1940.
324
A Arlon, Majeres commence son action. Afin de gagner des
sympathies parmi la population belge, il se met à distribuer des
pommes de terre et des flocons d'avoine. Un important stock est
mis à disposition par le chef de la Zivilverwaltung de Luxem-
bourg sur réquisition du parti nazi. Environ 700 Arlonais profi-
tent de ces distributions. D'autre part, une librairie allemande est
fondée à Arlon par la Propagandaamt de Luxembourg. Simon
réussit secrètement à obtenir. en décembre 1940, que la
Propaganda Abteilung de Bruxelles défère à Luxembourg toutes
les affaires concernant Arlon et ses environs.
Aussi incroyable que cela puisse paraître, la direction de l'ad-
ministration militaire n 'est pas tenue au courant de toutes ces
dispositions. Lorsque la Feldkommandantur d'Arlon lui signale
que la population commence à s'agiter suite aux rumeurs d'an-
nexion imminente confirmée par une série de dispositions ré-
centes. c'est la surprise qui se transforme en colère quand les
précisions supplémentaires demandées parviennent à Bruxel-
les. Enfin. quand on apprend qu'un membre de la Zivilverwaltung,
Paul-Léon Muller. vient de réquisitionner l'imprimeur arlonais
Fasbender pour publier un journal en langue allemande à Arlon,
c'est l'explosion et l'incident (477 )_
327
culturelle, et de Volkstum des Volksdeutschen de nationalité
belge.
«Le Sprachverein comprendra également les membres du
VD.B. de nationalité luxembourgeoise.
«La création et l'organisation du Sprachverein sont entre les
mains du chefde la succursale de l'OfB.ce de Propagande du Reich
Le chargé d'affaires est le préposé au Volkstum. membre du parti
Gerlach Comme collaborateur de la direction du VD.B .. on fera
appel au chargé d'affaires du Gauleiter. membre du parti, Dietzler.
ainsi qu'à monsieur le docteur Zender, de l'Institut d'Histoire Na-
tionale de Bonn. On fera appel à d 'autres collaborateurs suivant
les besoins.
«Le Sprachverein est formé d'après l'organisation politique du
Reich et comprendra un groupe local dans chaque localité de
langue allemande. C'est au Sprachverein qu'incombe l'organisa-
tion politique et culturelle du Volkstum, ainsi que la création de
bibliothèques et d'une organisation d'aides.
«Le professeur Michel d'Arlon sera nommé président du
Sprachverein. ll a déjà collaboré à l'ancien Sprachverein de Warker
et jouit d'une considération particulière dans toute la région d'Ar-
lon. ll aura à ses côtés un état-major composé de Volksdeutschen
arlonais de nationalité belge ou luxembourgeoise...
«En raison de la situation politique actuelle en Belgique, les
rapports entre Luxembourg et le Sprachverein ne peuvent en
aucun cas être connus. étant donné en outre que le Comman-
dant militaire pour les territoires occupés de la Belgique et du
Nord de la France. se charge du travail administratif et politique
en Belgique.
«Les mesures nécessaires à la fondation seront prises par
Bruxelles après entretien avec le chef du Service de Propagande
pour la Belgique, Sonderführer Brouwers, chefprovincial de pro-
pagande à Düsseldorf. Toutefois l'OfB.ce de Propagande du Reich.
succursale de Luxembourg. est chargé de l'action générale. » (4s4J
Le 4 avril 1941. à la suite d'une disposition del' Oberkommando
de l'Armée, Zender est nommé « Kriegsverwaltungsrat » à Arlon.
avec dans ses attributions : «Deutschsprachiger Unterricht, PEege
(
484
l Traduction d'un rapport émanant du Dr Perizonius. chef du Kunstkreis à
Luxembourg. en date du 12 février 1941. J.M.B. Procès Zender, P.V. n ° 12775.
l Matthias ZENDER. Rapport au sujet de mon activité à Arlon, février 1946.
485
(
Ci-dess ous : une pa1tie du comité du Deutscher Sprachverein devant les locaux
du mou vement. rue d'Aubange à Athus. Autour du président Léopold Maas, on
reconn;üt notamment Bernard Huss. Jean-Pierre Majeres. Re né Sand et Alphonse
Arnbroes.
serait malvenue car il a déjà des difficultés avec la Kommandan-
tur à la suite d'une affaire de devises.
Le Kriegsverwaltungsrat doit alors se rabattre sur « le moins
capable et le moins éclairé du groupe » (488l, le patoisant Léopold
Maas. Le Sprachverein est divisé en deux sections : l' Ortsgruppe
Are] et l' Ortsgruppe Athem. couvrant approximativement les can-
tons d'Arlon et de Messancy. La création officielle de la section
d'Athus a lieu le 12 juin 1941 .
Le comité du «Deutscher Sprachverein in Arel» se compose
comme suit :
- Président du Sprachverein : Léopold Maas;
- Président local à Arlon : Léopold Maas;
- Président local à Athus : Bernard Huss.
Les protecteurs à Arlon sont : Jean-Pierre Majeres. le futur
bourgmestre Lucien Eichhorn. les docteurs Eugène et Nicolas
Muller. Jules Knepper et Joseph Hiéronimus.
Les protecteurs à Athus : le pharmacien Sand. le docteur
Heyaert. etc.
Lors de la première réunion. Zender définit les objectifs du
mouvement:
1) réunir dans un groupement tous les Arlonais et les habitants
du cercle linguistique conscients de leur qualité allemande:
2) par tous les moyens. rétablir la langue allemande dans ses
droits de langue principale de la région d'Arlon;
3) soutenir matériellement les membres du groupe pendant la
guerre;
4) préparer par le travail du groupement la politique ultérieure
de l'Allemagne en ce qui concerne la région d'Arlon (4s9i.
Uest évident que par ce dernier point il faut comprendre l'an-
nexion territoriale d'Arlon au meReich sur le même modèle de
ce qui se fait au Grand-Duché de Luxembourg. Cependant Zender
ne prononce jamais le mot «annexion».
Les trente personnes assistant à cette naissance deviennent
les trente premiers membres. Parmi eux. aucun membre de l'an-
cien Verein de Kurth, aucun patoisant qui avant la guerre s'est
particulièrement préoccupé de la langue, rien que des
433
1 1 J.M.B. Procès Lespagnard. P.V. 28 avril 1946.
1489l Idem.
331
pro-Allemands. des agents de renseignements. des collabora-
teurs, des opportunistes.
«Il était naturel que tous les arrivistes se rencontrent au
Sprachverein. Et qu'on ne nous parle pas de désintéressement.
d'intoxication idéologique chez des gens pour qui ]'adhésion à
Rex n'avait jamais été que l'expression d'une mauvaise humeur
ou l'impuissance d'un arrivisme impatient!» (49o,
Zender les assure de la compréhension et du soutien sans
réserve de l'administration militaire allemande, lui-même étant
désigné pour représenter le D.S.V. auprès d'elle. Le seul Allemand
présent. hormis Zender, est Edouard Gerlach. venu spécialement
de Luxembourg.
!4961 Johann Jospeh von Gôrres, publiciste allemand, naquit à Coblence en 1776.
il devint l'animateur d'un groupe d'écrivains romantiques nationalistes. auquel
appartinrent Arnim et les &ères Grimm. il s'attacha avec eux à l'étude des
légendes allemandes. il mourut à Munich en 1848. Le prix Gôrres fut fondé
en 1940 pour récompenser un représentant de «la race franque-rhénane.
ayant contribt1é au maintien de l'essence et de la nature même de ce peu-
ple». il fut surtout attribué à des lauréats étrangers ayant milité en faveur du
Deutschtum. Son premier lauréat fut un prêtre irrédentiste alsacien fusillé
par les Français en 1939. Le second fut le professeur Nicolas Warker et le
troisième lauréat fut le professeur Henri Bischoff décédé le 24 juin 1940.
!497 l Alfred BERTRANG, Nicolas Warker. in Biographie Nationale. tome 32. sup-
plément. (tome IV. fasc. 2). Bruxelles. 1964. pp. 756-757.
!49sl Matthias ZENDER. Nikolaus Warker. ein deucscher Kampfer aus Arel. in
Rheinische Blatter. Deutsche Kultrnpolitische Zeitschrift im Westen. Kain.
avril 1941. heft nr 4, pp. 165-167.
338
Der Rektor
der Rheini sd,en Friedrid,. WiJhelms - Un iversitiil Donn , den 13. Juni 1941
Le président du
Sprachverein .
Léopold Maas.
dépose une
gerbe sur la
tombe du pro-
fesseur Warker
au cimetière
d'Arlon.
339
réticente à l'organisation de cette manifestation et refuse d'y as-
sister. Les Allemands prennent soin de ne pas mentionner l'ab-
sence des proches de Warker à la cérémonie dans les nombreu-
ses relations de presse dont elle bénéficie. Un rapport confiden-
tiel de l'Oberfeldkommandanturen fait cependant état. Le jour-
nal Le Soir relate l'événement en ces termes :
«La cérémonie débuta par l'exécution du Trio en sol majeur
de J Haydn, interprété par des artistes arlonais, Ed. Perbal (vio-
lon), F Nickel (violoncelle) et Alfred Niemann (piano). On joua
ensuite la Sonate n °32 de Mozart,
«Le professeur Dr Neumann de Bonn prit alors la parole. Au
nom du recteur de l'université de Bonn, il souhaita la bienvenue
à tous les assistants, puis il donna un aperçu historique du Prix
Carres, fondé par une famille hanséatique pour être décemé cha-
que année à un représentant de la race franque-rhénane, qui
aura contribué au maintien de l'essence et de la nature même de
ce peuple.
«Dans une allocution empreinte d 'une haute élévation de
pensée, le professeur Dr Emst Bertram, de Cologne, parla de la
destinée de la région frontalière et du peuple rhénan.
«Puis, le Dr Matthias Zender. de Bonn, donna un aperçu de la
vie de Nikolaùs Warker qui. pendant 50 ans, combattit pour les
droits de la langue allemande dans la région arlonaise...
«Les orateurs furent très applaudis. Après ]'exécution d'œuvres
de Schubert et de Schumann, M Léo Maas, président de l'Asso-
ciation de la langue allemande à Arlon. prit la parole pour remer-
cier l'université de Bonn de son geste en faveur d'un Bls de la
ville d'Arlon. Il promit, au nom de l'Association. de continuer à
travailler dans le sens indiqué par Nikolaùs Warker. en vue du
maintien de la langue matemelle allemande.» (499J
Le supérieur de Zender. le Dr Petri. a fait le déplacement de
Bruxelles pour assister à cette manifestation. Le soir. une réu-
nion intime se tient chez Majeres afin de fixer l'organisation du
mouvement. Elle réunit Petri. Zender. Gerlach. le président Maas.
le Dr Nicolas Muller et le libraire Matthias Moritz (sooJ. Trois déci-
sions importantes sont prises :
1) La Deutsche Buchhandlung fondée peu auparavant à Arlon.
sera pleinement financée par le D.S.V. pour lequel elle doit
343
Les différents dignitaires du Sprachverein se réunissent à plu-
sieurs reprises pour discuter de la succession de Paul Reuter mais
aucun d'entre eux ne veut accepter cette fonction. Le plus intelli-
gent et le plus capable d'entre eux, le Dr Nicolas Muller, refuse
d'accepter tout poste de ce genre tant que la guerre n'est pas
terminée et la victoire assurée. D'autres comme le président du
Sprachverein, Léopold Maas, ou le commerçant collaborateur
Pierre Ambroes, semblent prêts à accepter en dernier recours les
sièges d'échevins mais pas de celui de maïeur (5osJ.
De son côté, Greindl contacte tous les conseillers commu-
naux et toutes les personnalités locales en qui il a confiance. La
réponse est la même partout. Devant la volonté de toutes les
parties intéressées d'en finir et de voir un nouveau collège se
former, tous acceptent la proposition du Sprachverein. Un de ses
membres, inconnu jusqu'alors, s'est porté volontaire. Il s'appelle
Lucien Eichhom.
Ambitieux, partisan d'un régime fort, royaliste et admirateur
d'Adolf Hitler, Eichhom est un ancien affilié du Verdinaso. Son
maître à penser se nomme Joris Van Severen. Ancien secrétaire
de la Fédération provinciale du Tourisme, Eichhom correspond
au profil recherché: jeune, d'origine arlonaise, patoisant attaché
à sa langue maternelle, favorable à un ordre nouveau.
Le 1er novembre 1941, le Moniteur publie un arrêté du minis-
tre de l'Intérieur en date du 29 octobre, déclarant que démission
de ses fonctions est accordée au bourgmestre d'Arlon, Paul Reu-
ter. Celui-ci envoie aussitôt un recommandé au secrétaire géné-
ral du ministère de l'Intérieur :
«Cette mesure est contraire au droit public belge et constitue
en réalité une révocation déguisée, ou tout au moins un retrait
d'emploi absolument arbitraire. Ayant depuis près de 46 ans,
consacré le meilleur de mon temps et de mes forces à l'adminis-
tration de la ville d'Arlon, je ne puis que protester énergique-
ment contre l'abus de pouvoir dont je suis l'objet. tout en faisant
réserve expresse de mes droits pour le jour où la légalité sera
remise en honneur dans notre malheureux pays.» '509l
Pendant toute la durée de la guerre, Paul Reuter cesse toute
activité politique. Ecarté de la direction communale, le vieil
347
acquittés par des membres du comité du Sprachverein et un
compte est ouvert à la famille chez un commerçant où elle effec-
tue des achats. Chaque famille reçoit un carnet à couverture en
toile cirée noire pour l'inscription du montant du crédit et des
achats effectués (5 19l.
La distribution la plus importante est celle des timbres belges
supplémentaires. Les ménages reçoivent environ chaque semaine
sept livres de pommes de terre par personne. De la même ma-
nière. ils ont droit à des quantités variables de beurre (environ
1/4 kg par personne et par mois); de la viande (environ 1/ 4 kg
par personne et par mois); du pain ou de la farine (environ 3 kg
par personne et par mois); des œufs (un à trois par personne et
par semaine): de la graisse (12 5 grammes par ménage); des gruaux
d'avoine et de la semoule (de 1 à 5 kg en quantité variable et non
proportionnée à la composition du ménage).
Dès la fin de l'hiver 1941, période de grande misère, ont lieu à
Arlon et à Athus les premières distributions spéciales de den-
rées alimentaires provenant du Secours d'Hiver allemand et de
saisies de douanes. Quiconque se présente peut en profiter. Au
départ. elles se font sans timbres et de manière occasionnelle
mais avec la création du Sprachverein. elles s'amplifient et se
régularisent.
Une certaine partie de la population se laisse tenter, surtout
dans les milieux ouvriers. petits bourgeois. employés. chômeurs
et nécessiteux (520l. Les organisateurs de ces distributions n'exi-
gent pas d'adhésion au Sprachverein. Ils demandent seulement
aux bénéficiaires la signature d'un formulaire en allemand afin
d'éviter qu'une même personne ne se présente à plusieurs repri-
ses, et pour justifier les quantités distribuées auprès du Secours
d'Hiver allemand (52 1J. Tout comme la libération anticipée des pri-
sonniers originaires de la région. ces distributions font partie de
la propagande du Sprachverein.
Certains réagissent énergiquement en faisant des reproches
aux bénéficiaires. Ils voient dans ces mesures le prélude d'une
propagande d'annexion à l'Allemagne. Ils se méfient particuliè-
rement de la collecte des signatures et traitent de «Preisse» ou de
«Boches» ceux qui se rendent aux distributions. A la suite de cette
(5 i 91 J.M.B.
Procès Lespagnard. P.V. 28 avril 1946.
(5201 Rapport sur Je D.S.V. du sous-lieutenant Arend. commandant le district de
gendarmerie d'Arlon. Arlon. le 18 novembre 1944.
( 1J.M.B. Procès Lespagnard. P.V. 28 avril 1946.
52 1
348
contre-propagande. de nombreuses personnes ne retournent plus
aux nouvelles distributions. D'autant qu'une fois les deux sec-
tions du Sprachverein organisées. l'adhésion au mouvement est
obligatoire pour bénéficier de ces avantages.
Les membres doivent verser une cotisation de deux francs
par mois. acquittée par des timbres adhésifs spéciaux. Au bout
de plusieurs mois. le Sprachverein compte quelques centaines
d'affiliations. Pendant près d'une année. leur nombre reste sta-
tionnaire entre 500 et 600. En janvier 1942. on dénombre 580
membres. il semble que le plafond soit atteint.
Le Sprachverein déploie alors toute son énergie afin de ras-
sembler encore davantage de membres. Le nombre de distribu-
tions augmente et de nouvelles facilités sont accordées. Un ouvrier
à la recherche de travail est casé sans difficulté à l'usine d'Athus
ou à celle de Rodange s'il se fait membre du Sprachverein. En
mai 1943. une quarantaine de paysans. pour échapper aux ré-
quisitions de chevaux. s'empressent de payer leur cotisation. Les
familles désirant envoyer leurs enfants en colonie de vacances
n'hésitent pas non plus. Les bourgmestres de la région reçoivent
l'interdiction de porter les membres du mouvement sur les listes
des réquisitions. corvées ou punitions.
Le chantage sévit aussi. surtout à Athus où les protecteurs du
Sprachverein utilisent la menace. Quiconque ne veut pas être
envoyé au travail obligatoire en Allemagne ou souhaite éviter
des ennuis avec la police allemande paie sa cotisation (522).
En septembre 1941. soit cinq mois après la fondation du cer-
cle. un rapport envoyé à Berlin par le général Reeder. adjoint de
von Falkenhausen. mentionne 400 affiliés (523). En septembre 1942.
il en renseigne 700. Et selon les informations fournies par le
gestapiste Paul Lespagnard. la progression est constante de dé-
cembre 1942 à juillet 1943: 783 membres en décembre 1942.
803 en janvier 1943. 820 en février. 831 en mars. 844 en avril. 880
en mai. 91 7 en juin. 95 2 en juillet.
Après la guerre. la presse locale publie les noms d'au moins
737 membres (463 pour Arlon et 274 pour Athus). et selon les
t535 l Paul LESPAGNARD, Rapport sur la province de Luxembourg. op. cit, janvier
1943.
t536l Jean-Marie TRIFFAUX. Arlon 1939-45. de la mobilisation à la répression.
op. cit. p. 229.
357
La librairie du Deutscher
Sprachverein dans la Grand-
Rue d'Arlon.
Edités à deux reptises par le '> prachverein. les almanachs du pays d'Arlon rem-
po1tent un large succès dan~ les milieux ruraux en reprenant la succession du
«Strasb urger Winkende Bote e t du «Ma1jenkalender».
AR _LER
Die Aufbauarbeil
des Chefs der Zivilverwaltuag
Arel - Vorposlen
des Deulsehlums im Weslen
(5371 J.M.B.
Procès Lespagnard. P.V. 28 avril 1946.
J.M.B. Procès Zender. P.V. 18 novembre 1946, n ° 8940.
362
Sur intervention de Zender, Maas fait envoyer à chaque membre
du D.S.V. une lettre l'invitant vivement à inscrire ses enfants à l'Aca-
démie allemande car le maintien de la langue du pays d'Arlon dé-
pend d'une excellente formation des jeunes en allemand '538l.
Comme cette opération de promotion ne donne pas les ré-
sultats escomptés. Majeres exerce une «pression économique»
sur les parents : si les enfants ne s'inscrivent pas à l'Académie.
les timbres allemands pour le ravitaillement et les précieux pas-
seports permettant de ramener des marchandises du Grand-Du-
ché sont supprimés (539l.
En décembre 1942. on recense 105 élèves pour les deux sec-
tions de la DA à Arlon et à Athus (54ol. Deux séries de cours sont
données : une à destination des enfants. une autre pour les adul-
tes. au rythme de trois heures par semaine. Grammaire. histoire
de l'Allemagne et d'Arlon. géographie et conversation allemande
sont au programme. Les adultes reçoivent des cours à domicile.
soit individuellement. soit par groupe. Les leçons d'histoire et de
géographie sont données en français car aucun enfant n'est capa-
ble de les suivre en allemand. Lespagnard y démontre que jusqu'à
la Révolution française. Arlon appartenait au Saint Empire de la
Nation germanique et que la région s'est toujours orientée vers
Trèves. Toutes les remarques ont lieu en luxembourgeois (54 1l.
Les cours sont considérablement restreints à partir de 194 3
car Lespagnard ne peut plus faire face à toutes ses attributions.
Depuis octobre 1942. il est au service de Graaf. responsable du
S.D. de Liège. et fournit des rapports détaillés sur ce qui se passe
dans les arrondissements d'Arlon et de Virton. A lui seul, il re-
présente le S.D. à Arlon car les gestapistes allemands n'y ouvrent
une succursale qu'en 1943. Par ailleurs. Lespagnard fonde les jeu-
nesses hitlériennes arlonaises.
bre 1942.
541
1 1J.M.B. Procès Lespagnard. P.V. 28 avril 1946.
363
Août 1942 : sur le quai de la gare de Luxembourg. lU1 groupe d'enfants d'Arlon
et d'Ath us s'apprête à partir en vacances dans le Reich grâce à l'action sociale du
Sprachverein.
La gennanisation de l'enseignement
primaire
Dès le 30 octobre 1941, Zender fait passer une loi relative au
régime linguistique dans les écoles des communes de la pro-
vince de Luxembourg dont la population est en majorité d'ex-
pression allemande (545 l_ Pour l'occupant. il s'agit d'un jalon im-
portant dans l' œuvre de rétablissement de conditions saines au
point de vue linguistique et racique dans la région d'Arlon.
Cet arrêté prévoit que l'allemand est introduit comme langue
!544l Grâce au Sprach verein. 120 enfants du pays d 'Arlon en vacances dans le
Reich in Jean-Marie TRIFFAUX. Arlon 1939-1945. de la mobilisation à la ré-
pression. op. cit. p. 269.
!545 J Moniteur Belge des arrêtés ministériels et autres arrêtés des Secrétaires gé-
n éraux. Bruxelles. 13 nove mbre 1941. p. 7471.
367
principale d'enseignement dans les écoles primaires des villages
d'Attert. Autelbas, Bonnert, Guirsch, Habergy, Hachy, Hondelange.
Messancy. Nobressart. Nothomb. Sélange. Thiaumont. Toernich,
Tontelange et Wolkrange. Le français devient la seconde langue
avec six heures de cours par semaine en 1ère et 2e années, puis
passe de huit à dix heures de cours dès la 3e année. Une période
d'adaptation d'une demi-année est envisagée.
Un régime transitoire est prévu pour les écoles de Heinsch.
Tintange. Warnach, Fauvillers (sections de Bodange et
Wisembach), Halanzy (sections d'Aix-sur-Cloie et de Battincourt).
Pour la première fois, la langue véhiculaire est l'allemand. Elle
doit le rester pour ces enfants tout au long de leurs études. Pro-
gressivement l'allemand s'imposera comme langue véhiculaire
dans toutes les années. Quant aux enfants ayant déjà commencé
leurs études. ils suivront des cours d'orthographe et de lecture
allemandes en 2e année. Un tiers de leur horaire sera consacré à
l'allemand dès la 3e année.
Rien n'est prévu pour Arlon. Athus et Aubange. Zender leur
prépare une ordonnance pour la rentrée suivante.
En août 1942. un arrêté instaure un nouveau régime pour les
écoles du niveau primaire de ces trois communes situées au cen-
tre ou à proximité de communes d'expression allemande et comp-
tant elles-mêmes des minorités allemandes. L'allemand y devient
la seconde langue à raison de trois heures par semaine au pre-
mier degré. quatre au deuxième. cinq au troisième, six au qua-
trième. A partir de la 5e année, l'étude de la seconde langue devra
être renforcée par l'organisation de cours répétés d'allemand (546l.
L'entrée en vigueur de ce nouveau régime ne se fait pas sans
mal. Voici comment Lespagnard décrit la situation en décembre
1942. puis en février et en juillet 1943 :
«Lïnspecteur de l'enseignement Perbal s'est adressé aux ad-
ministrations communales pour l'application de la loi linguisti-
que. Les administrations, n'ayant aucune expérience dans ce
domaine, se sont adressées à leur tow· aux directeurs d'école,
lesquels ont déclaré ignorer encore tout de cette loi scolaire.» (547J
«Dans toutes les écoles de la région arlonaise, la langue alle-
mande est maintenant enseignée obligatoirement, toutefois avec
un succès minime, car la plupart des enseignants et des
546
( l Moniteur Belge des airêtés ministériels. op. cit.. 10 août 1942. p. 5010.
(
547
l Paw LESPAGNARD, Rapport sur la province de Luxembourg. op. cit., décem-
bre 1942.
368
bourgeois de marque ont su présenter l'enseignement de l'alle-
mand comme une mesure arbitraire de l'occupant. Dans toutes
les écoles on cherche à ridiculiser la langue allemande et la plu-
part des professeurs déclarent aux élèves à toute occasion qu'ils
ont été contraints d'enseigner l'allemand. On n ·a pas songé non
plus à nommer un nouvel inspecteur des écoles chargé de veiller
à une application stricte de la nouvelle loi scolaire.» (54si
«Le niveau de l'enseignement a en général. fortement baissé
partout. D'après les constatations de l'inspection belge des éco-
les. 40 % des enfants assujettis à l'obligation scolaire, ne fréquen -
tent plus l'école.» (549l
En outre. devant l'incapacité de beaucoup de maîtres en fonc-
tion à enseigner l'allemand. Zender doit faire venir des profes-
seurs originaires des territoires d'Eupen-Malmédy. Les livres ap-
propriés font également défaut. Les écoles qui possédaient des
manuels allemands avant la guerre. en histoire notamment. ont
vu l'occupant les confisquer car la description des événements
de 1914 était jugée subjective et même subversive. C'est pour-
quoi on recourt à d'anciens manuels d'Eupen-Malmédy mais leur
nombre est insuffisant ,55 oi.
Lespagnard estime que ces arrêtés rédigés par Zender et ren-
dus obligatoires par l'instruction publique. sont généralement
mieux observés dans les écoles cléricales. Mais les résultats es-
comptés ne sont pas pour autant atteints :
«Chez les Frères Maristes à Arlon. la loi est théoriquement
appliquée: mais pratiquement cet enseignement est donné par
des professeurs incapables. de telle façon qu'aucun progrès n ·est
possible chez les élèves. On reste toujours aux premiers éléments
intentionnellement. on ne va pas au-delà.» ,55 ,i
Pour Edouard Gerlach. ces réglementations sont provisoires
et il faut envisager d'aller encore plus loin dans le futur :
«Um die Volkstumsarbeit in Belgien und besonders im Areler
Gebiet entscheidend zu beeinflussen. dürfte es über die oben
erwahnten Masznahmen hinaus notwendig sein. dasz fuszend
auf dem Gesetz von 1831. in dem die deutsche Sprache ofB.ziell
370
dédoublées. Une section pour les enfants provenant des com-
munes à majorité de langue allemande et une autre pour les
enfants provenant de la partie wallonne du pays sont créées.
Quant aux enfants d'Athus, Aubange et Arlon. ils ont le droit de
choisir entre les deux. Dans la section allemande, il faut autant
d'heures de cours de langue allemande que de langue française.
En plus. les cours de géographie et d'histoire doivent être don-
nés en langue allemande exclusivement C'est un programme
de départ, le premier pas vers l'enseignement complet en lan-
gue allemande pour les élèves patoisants.
Gendebien déclare qu'il lui est impossible d'appliquer ces ins-
tructions à la lettre car il va bouleverser tout son horaire. Zender
réplique qu'il existe d'autres préfets que lui. Il s'incline '556l.
Si Zender croit l'affaire réglée à ce moment il se trompe lour-
dement Bouleversant les horaires, modifiant les prestations des
professeurs. Gendebien change tout sans rien changer. Il réduit
les volontés de son maître à néant maintenant à peu de choses
près le statu quo. Lespagnard, alerté, informe le S.D. de Liège :
« Au gymnase, les horaires ont été établis de telle façon qu'un
enseignement fondamental de la langue allemande est impossi-
ble. .. On continue à avoir le même nombre d'heures de cours... on a
placé au cours supérieur d'allemand les élèves les plus faibles. Le
directeur de l'école, Emest Gendebien, déjà connu avant la guerre
pour sa germanophobie, s'oppose par tous les moyens en son pou-
voir à l'application pratique de la loi linguistique et invente journel-
lement de nouvelles cliJiicultés. na déjà tenté d'éloigner les élèves
de l'académie allemande et cherche par tous les moyens à nuire au
groupement de la jeunesse. Vis-à-vis des autorités allemandes, il
est tout humble. Les professeurs Dony, Gouverneur. Anclries et
Verstraeten sont les adversaires les plus acharnés du cours d'alle-
mand. Un déplacement de Gendebien serait opportun. »'557l
Le préfet de !'Athénée poursuit son sabotage en soulevant cons-
tamment de nouveaux problèmes : les appellations de deuxième et
troisième langues sont ambiguës dans la loi relative à l'emploi des
langues; des contradictions apparaissent avec ses directives ... '558l
371
Furieux, Zender demande à Gendebien de dresser la liste des
élèves patoisants afin de vérifier lui-même s'ils fréquentent bien
une section allemande. Pour établir la liste, il donne comme cri-
tère. les enfants nés à Arlon ou dans la région, de parents nés
eux-mêmes à Arlon ou dans la région. L'officier allemand s'at-
tend à voir apparaître sur ces listes environ 70 % de la popula-
tion scolaire. En réalité les listes remises n'en comprennent que
35 à 40 % (559i. Gendebien n'y a repris que les élèves portant un
nom à consonance allemande et ayant manifesté le désir d'aller
dans la section allemande. Les résultat est édifiant. Même lape-
tite sœur de Lespagnard ou le fils du pharmacien Sand d'Athus.
un dirigeant du Sprachverein, ne figurent pas sur ces listes (560J.
Zender cherche par tous les moyens à faire partir Gendebien.
mais la situation n'est pas simple. Aucun professeur d'allemand
de !'Athénée ne veut prendre sa succession. Tous se souvien-
nent de ce qui est arrivé à Nicolas Warker trente ans plus tôt (561 l.
Devant les plaintes répétées de Zender. l'Administration mi-
litaire de Bruxelles décide d'envoyer sur place la Commission de
contrôle linguistique afin de voir ce qui se passe dans les écoles
primaires de la région et à !'Athénée d'Arlon. Gendebien. averti
de leur visite par la Kreiskommandantur. les reçoit fort aimable-
ment et leur montre la parfaite organisation des cours d'alle-
mand à !'Athénée. Il cache son jeu et à leur sortie de l'établisse-
ment. les membres de la Commission vont féliciter Zender du
bon fonctionnement de l'apprentissage de la langue allemande
à !'Athénée ! (562 l
En mars 1943. voici comment le gestapiste Paul Lespagnard
résume la situation à ses supérieurs :
«L'introduction de la langue aflemande comme branche obli-
gatoire dans les écoles de la région d'Arlon a réussi, du moins
sur le papier. Mais en général cette disposition est sabotée et ne
donne aucun résultat pratique.
«En outre, les enfants de descendance aflemande qui sont
dans les sections aflemandes, sont sursaturés de propagande
belgiciste. Ainsi le jour anniversaire de la mort du roi Albert, le
directeur du gymnase d'Arlon. Gendebien, a fait une conférence
Résistance de la population
Les rapports de Reeder à Berlin prouvent que l'action du
Sprachverein ne se déroule pas sans mal. En décembre 1942. il
(563l Paul Lespagnard. Rapport sur la province de Luxembourg. op. cit.. mars 1943.
(564l J.M.B. Procès Lespagnard. P.V. 23 août 1946. n ° 7292.
373
mentionne pour la première fois une action contraire croissante
de la part de cercles français opposés à l'Allemagne. Cependant.
le chef de l'administration militaire à Bruxelles s'empresse d'ajou-
ter que grâce aux conseils éclairés et continus des délégués de la
Kreiskommandantur d'Arlon auprès de la direction du
Sprachverein, la prise de conscience des Arlonais de leur appar-
tenance au peuple allemand porte ses fruits et continue à se
développer (565 l.
En mars 1943. Reeder fait remarquer que malgré une conjonc-
ture générale peu propice à l'Allemagne. à Arlon. les membres
du D.S.V. continuent à manifester fermement leur appartenance
à la nation germanique. preuve évidente qu'ils ne sont pas du
côté allemand pour profiter de la situation. Le travail se poursuit
sans encombre (566l.
Pourtant. à la même époque, Lespagnard informe le S.D. de
Liège que suite à l'influence grandissante de Gerlach et des nazis
de Luxembourg dans le cercle linguistique. toute l'affaire a perdu
sa vraie couleur locale et que la population le considère comme
une simple création de guerre sans grande importance. Au sein
même du mouvement. c'est le malaise. Le nombre de gens réel-
lement actifs est minime. la méfiance règne. Les uns sont irrités
que l'affaire soit dirigée par des Luxembourgeois: les autres sont
mécontents de l'attitude équivoque des autorités militaires. esti-
mant que l'administration militaire joue davantage le soutien des
germanophones contre celui des germanophiles.
Les attaques contre le président Léa Maas se multiplient. Son
employeur. la direction du service de Contrôle belge. a ouvert
contre lui une enquête disciplinaire et essaye de le déplacer en
Wallonie (567l.
En septembre 1943. Reeder informe Berlin que la situation se
gâte à Arlon. Récemment des résistants se sont procurés. soit par
le vol. soit par une interception du courrier postal. la liste des
membres du Sprachverein qu'ils ont imprimée en de nombreux
exemplaires et distribuée à travers toute la ville. Depuis. les mem-
bres du Spracbverein sont soumis à un boycott général dans les
domaines commercial. économique et social. Certains reçoivent
Le "Schutzgruppe»
Durant les derniers mois de l'année 1942. d'inquiétantes ru-
meurs se répandent à Arlon quant à l'organisation par la Résis-
tance d'un attentat contre le bourgmestre Eichhom, les échevins
collaborateurs et certaines personnalités du Sprachverein comme
les deux frères Muller, Majeres, Jules Knepper. Alphonse Theis,
Bernard Huss d'Athus, etc. La surveillance et la protection des
' 568l Verordmmgsblatt des Militarbefehlsbabers. op. cit. septembre 1943. A49. et
décembre 1943. A45.
(569l Idem. avril 1944. Al2 et A13.
' 511 l Verordnungsblatt des Militarbefehlsbabers, op. cit. avril 1944. Al2 et A. 13.
375
intéressés sont considérablement renforcées. Des Feldgendannes
sont placés en faction devant leurs domiciles et leurs lieux de
travail. mais cela ne les rassure pas pour autant et contrecarre
l'activité du cercle linguistique (ml.
Afin de répondre à leurs inquiétudes. Zender décide la for-
mation au sein du mouvement d'un groupe de défense armé.
Plusieurs d'entre eux ont déjà demandé des permis de port d'ar-
mes. La Kommandantur décide non seulement de les armer mais
de les entraîner et de les organiser en une force susceptible d'ap-
porter un appui à la Wehrmacht en cas de coup dur contre l'Ar-
mée Blanche '573 l.
La première réunion du Scbutzgruppe a lieu en avril 1943 sous
la houlette de Zender. Vingt-trois personnes forment cette garde
armée du Spracbverein. La plupart d'entre elles sont des mem-
bres du comité déjà âgés; huit seulement sont aptes au service
militaire '574l. Zender désigne un comité de direction et décide
qu'une réunion les rassemblera tous les dimanches.
L'objectif est de constituer une petite milice d'une trentaine
de personnes comparable à une unité SS en Allemagne. Chaque
membre reçoit un parabellum 9 mm et un capitaine leur ensei-
gne son maniement. De même. on les entraîne au tir avec des
fusils de guerre au cas où la Kreiskommandanturdevrait recourir
à leur appui. Lorsque le Spracbverein s'établit la même année
dans ses nouveaux locaux à la place Didier à Arlon. Majeres ins-
talle un stand de tir dans la cave.
Différents plans sont mis au point L'un d'entre eux prévoit l' éva-
cuation des familles des dirigeants du cercle. en collaboration avec
l'armée allemande. Ce plan est appliqué le 1er septembre 1944 '575l.
D'autres prévoient des actions contre les Arlonais suspectés d'être
des ennemis. Un responsable du D.S.V. par quartier et parfois un
par rue sont désignés parmi les plus sûrs pour fournir des infor-
mations. Des signaux de transmission optique sont mis au point
Un courrier. un chauffeur, un téléphoniste sont formés. Bref. les
préoccupations de la langue maternelle sont bien loin.
573
' lJ.M.B. Procès Majeres. P.V. 1er octobre 1945. n ° 4367.
J.M.B. Procès Lespagnard. P.V. 18 avril 1946. n ° 5466.
J.M.B. Procès Zender. P.V. 18 novembre 1946. n ° 8940.
t574 l Paul LESPAGNARD. Rapport sur la province de Luxembourg. op. cit. avril 194 3.
t575 i Gaston et Jean-Marie TRIFFAUX. La Libération d'Arlon. Arlon. 1984. pp. 42-43.
La fuite des collaborateurs. in Jean-Marie TRIFFAUX. Arlon 1939-45. de la
mobilisation à la répression. op. cit. pp. 443-444.
376
Selon Lespagnard. Zender tente de former une unité d'élite
au sein du Sprachverein afin de satisfaire ses dirigeants. Mais
lorsqu'il se rend compte que le secret n'est pas gardé et que la
haine grandit encore plus parmi la population, il doit freiner son
action et se limiter à un groupe de défense (576l.
Selon Zen der, c'est Lespagnard qui propose de créer une unité
SS au sein du Sprachverein. Combattant cette idée et craignant
qu'il ne parvienne à ses fins. Zender aurait alors pris les devants
en créant le Schutzgruppe. plus modéré et placé sous son con-
trôle (ml.
Cette dernière version est tout à fait plausible car Lespagnard
est déjà à l'origine de la création de l'Areler Volksjugend sur le
modèle des jeunesses hitlériennes allemandes.
Quoiqu'il en soit. ces détails traduisent l'affolement des diri-
geants du Sprachverein et de la Kreiskommandanturface à l'hos-
tilité de la population et aux actions de la Résistance.
Ce Schutzgruppe ne se manifestera finalement jamais si ce
n'est lors de la fuite de ses membres et de leurs familles en Alle-
magne. huit jours avant l'arrivée des troupes américaines.
Le problème de l'annexion
Selon les rapports transmis par Reeder à Berlin. le cercle lin-
guistique a pour mission de faire prendre conscience aux Arlonais
qu'ils appartiennent à la nation germanique. On peut en déduire
que le but éloigné est leur rattachement à l'Allemagne.
Toutefois le chef de l'administration militaire à Bruxelles est
assez mal pris. D'une part il doit démontrer que le pays d'Arlon
ne peut pas être annexé dès maintenant. car il ne tient en aucune
manière à perdre une portion supplémentaire du territoire belge
au profit des SS. ce qui causerait certainement des troubles à
travers tout le pays; et d'autre part. il doit prouver que le
Sprachverein travaille bien et progresse s'il veut en conserver le
contrôle par l'entremise de Zender et éviter le retour de la V.D.B.
il y a, semble-t-il. un certain malentendu entre l'administra-
tion militaire et les dirigeants du Sprachverein lors de la fonda-
tion du mouvement. il ne fait pas l'ombre d'un doute qu'à ce
(57 a1 J.M.B.
Procès Lespagnard. P.V. 28 avril 1946.
J.M.B. Procès Zender. P.V. 26 février 1946. n ° 1088K
378
Eichhom. attaqué à tort par la presse clandestine comme ayant
pris part à cette réunion alors qu'il n'en est rien, proteste auprès
de Zender qui fait rapport à Bruxelles. Luxembourg reçoit des
remontrances (579l,
Selon différents bruits qui courent dans les milieux réputés
bien informés pendant la guerre. Simon effectue un voyage à
Berlin durant ce même été 1942. nplaide en personne auprès du
gouvernement du Reich pour obtenir le pays d'Arlon. terre de
langue et de sang allemands. Léon Haulot. directeur de la Ban-
que Nationale à Arlon raconte :
«ll lui aurait été répondu que cette annexion n 'était pas possi-
ble tout d'abord en raison de l'hostilité des hautes personnalités
militaires et en second lieu, parce que le dit Sprachverein appa-
raissait à Berlin comme n'étant pas sérieux.» '580)
Camille Decker écrit dans l'Avenir. en octobre 1944:
«Nos führers locaux se Brent violemment tirer les oreilles à
Coblence, où ils avaient été convoqués après le 1er septembre
1942, par le Gauleiter Simon. Celui-ci voulait à tout prix nous
annexer. mais il avait contre lui la majorité des ofB.ciers de la
Kommandantur d'Arlon et les services de von Falkenhausen à
Bruxelles, et la nonchalance ou l'incapacité des zèbres de
Volksdeutsche d'Arlon ... » (58 1)
C'est à partir de cette période que le Sprachverein intensifie
considérablement ses activités et ses efforts dans la région.
La seconde démarche des dirigeants du cercle linguistique se
déroule en avril 194 3 '582 l. Une vingtaine de personnalités
arlonaises se rendent en bus à Luxembourg à une réception chez
le Gauleiter Simon. organisée en l'honneur du ministre du Reich
Alfred Rosenberg. un des principaux idéologues du national-so-
cialisme. spécialiste des questions raciales et de la germanisation
de l'Ukraine. ils ne parviennent toutefois pas à exprimer leurs
desiderata car Rosenberg part aussitôt après sa conférence. Seul
Eichhom réussit à se faire présenter au ministre. grâce à ses amis
du Luxemburger Wort mais partisan du maintien de la région,
(583 l J.M.B.
Procès Lespagnard, P.V. 28 avril 1946.
J.M.B. Procès Zender. P.V. 26 février 1946. n ° 1088K
(584! J.M.B. Procès Reeder. P.V. 18 avril 1947.
380
Zender et un haut dirigeant du Sprachverein. L'affaire vient aux
oreilles de Lespagnard qui avertit le chef de la Sipo d'Arlon. Heinz
Boetcher. Ce dernier prend aussitôt ses dispositions :
«Là-dessus, je me suis rendu chez Zender et lui ai demandé
sans éveiller ses soupçons s'il avait été à Luxembourg avec
Lakman, ce qu'il avoua. Suite à cela, j'en informai Liège. Ce ser-
vice écrivit immédiatement à Bruxelles. Le jour après, vint du
quartier-général du Führer l'ordre que cette annexion n'aurait pas
lieu...
«je ne sais pas jusqu'à quel point cette affaire avait été prépa-
rée militairement à Luxembourg, mais à Arlon, on avait déjà pris
des dispositions pour changer les noms français des rues en al-
lemand.» (5s5i
L'occupant est divisé sur le problème de l'annexion du pays
d'Arlon. Trois grandes tendances se font jour :
- celle de la Zivilverwaltung de Luxembourg. du parti nazi. de la
V.D.B. et des SS qui veulent l'annexion du pays d'Arlon à tout
prix: ce point de vue est partagé par la majorité des membres
influents du Sprachverein:
- celle de la Militarverwaltung de Bruxelles, hostile aux manœu-
vres annexionnistes et favorable au statu quo. Mais à partir de
1943. on note que sa résistance devient plus faible car ce pro-
blème se révèle pesant et ennuyeux. Bruxelles a la main quel-
que peu forcée par Luxembourg et il ne faut pas exclure que
Zender se soit rallié à l'idée d'annexion et aux thèses du Gau-
leiter:
- celle de la section 3 du S.D. (Lespagnard. Nossent. Schaefer.
Humeitsch ...) qui. ayant reconnu le manque de viabilité du
Sprachverein et de ce type d'organismes pro-allemands en Bel-
gique. est d'avis qu'il faut les supprimer pour se contenter de
mouvements uniquement sociaux et de recrutement de sol-
dats pour lutter contre le communisme.
D'autre part, il faut encore tenir compte de l'opposition à tout
projet d'annexion du pays d'Arlon de la part des rexistes. Un de
leurs responsables. Yvan Demaret. fonctionnaire à Athus, témoi-
gne:
«Je savais que le Sprachverein était un mouvement annexion-
niste. La meilleure preuve, c'est que le nommé Gerlach de
383
population arlonaise fortemen t « batardée » de sang germani-
que et de sang latin est violemment and-allemande. » (593l
Tout cela justifie l'attitude des militaires qui freinent la vo-
lonté annexionniste de Luxembourg et des SS. Dans cette sub-
tile mécanique, les protestations du Roi ont leur place. Elles ap-
puient et confortent celles de von Falkenhausen, surtout si le
souverain ne s'adresse pas seulement à l'administration mili-
taire de Bruxelles mais intervient également à Berlin (594l_
En fin de compte, Berlin s'en remet à l'avis de l'administration
militaire et repousse continuellement l'annexion. Les multiples
démarches de Simon n'y changent rien car son Sprachverein con-
naît peu de succès et est mal considéré dans la capitale du Reich.
Von Falkenhausen et Reeder l'emportent sur Simon et Himmler :
«A Berlin. la même double tendance existait. tendance Simon
et tendance Von Falkenhausen. Le Reichsführer SS Himmler était
partisan de l'annexion du sud du Luxembourg mais l'adminis-
tration militaire allemande a fini par accueillir les objections for-
mulées par Bruxelles qui présentaient que l'on mettrait le feu
aux poudres en agissant de la sorte.» (595 l
Si l'attitude du Roi n'est pas décisive dans cette affaire, ses
protestations jouent leur rôle et méritent d'être signalées. ll existe
à ce sujet un témoignage plus précis recueilli par Jean Gyselinx
et publié dans le Quotidien du 26 mai 1946. C'est celui de Daisy
Barnich. la fille du pharmacien Fritz Barnich. président de l'Asso-
ciation commerciale et industrielle d'Arlon.
Agée à l'époque d'une vingtaine d'années. elle se souvient très
bien dans quelles circonstances son père. personnalité locale et
membre de la Résistance. reçut la visite d'un patriote luxembour-
geois ayant dérobé dans le bureau du Gauleiter Simon des docu-
ments relatifs à une annexion imminente d'Arlon au Reich. L'ac-
tion se déroulait dans le courant de l'année 1941 (596l.
(59 ,lCamille DECKER. Intrigues nazis tes. in L '.A venir du Luxembourg. dimanche 8
et lundi 9 octobre 1944. p. 1.
(594l Selon le témoignage de Ferdinand Clesse. ancien sous-officier détaché à la
Sûreté. Camille Decker lui aurait confié durant l'occupation que l'annexion
de la région arlonaise au Reich avait pu être évitée en partie grâce à une
intervention personnelle de Léopold m auprès de sa sœur Marie-José et du
mari de celle-ci, Umberto. Ce dernier aurait alors fait une démarche directe à
Berlin auprès des plus hautes autorités. Déposition recueillie à Waltzing le 7
septembre 1984.
( i J.M.B. Procès Reeder, P.V. 18 avril 194 7.
595
(59 n Jean GYSELINX. Un point d'histoire : en 1941. la région d 'Arlon. à deux doigts
de l'annexion. fut sauvée grâce au Roi. in Le Quotidien . dimanche 26 mai
1946. p. 1.
(59sl Une tJ:agique fin d 'occupation. in Jean-Marie TRIFFAUX. Arlon 1939-45. de la
mobilisation à la répression. op. cit.. pp. 425 -440.
385
Juvénal «Panem et circenses ». Les membres recevaient des avan-
tages appréciés. La distribution gratuite de pommes de terre fut
particulièrement populaire. Tous les moyens de propagande fu-
rent utilisés, du spectacle de marionnettes en patois à la publi-
cation du Heimatkalender.
Le véritable inspirateur du Sprachverein. le «Deus ex machina»,
était le Dr Zender, Kriegsverwaltungsrat à la Kreiskommandantur.
C'est lui qui donnait toutes les directives sous forme de conseils
religieusement exécutés.
Le véritable objectif du cercle linguistique était de préparer le
pays d'Arlon à une annexion ultérieure. Toute la population en
était consciente. L'Allemagne se ménageait une zone inféodée à
son influence. qui pourrait un jour être absorbée totalement avec
ses habitants, son industrie et les produits de son sol. Au cas où
la guerre se terminerait par un compromis. l'Allemagne pouvait
éventuellement se réserver une satisfaction territoriale compen-
satoire en obtenant l'annexion au Grand Reich d'un territoire
peuplé d'individus utilisant en majorité un patois allemand et
qui avaient montré. par leur adhésion au Sprachverein. leur désir
d'être membres de la communauté germanique.
Au cas où la guerre se terminerait par une défaite de l'Allema-
gne. elle laissait dans certaines régions du pays des foyers de
discorde pouvant donner plus tard prétexte à de nouvelles in-
terventions. Enfin le cercle linguistique était un bon moyen pour
les collaborateurs et les traîtres de se noyer dans la masse des
flottants et des hésitants sous des prétextes d'ordre linguistique.
Cela n'évita pourtant pas le peloton d'exécution à Majeres.
Eichhom. Lespagnard et d'autres. de même que des condamna-
tions pour des centaines d'affiliés jugés en 1944 et au début de
1945.
Le Sprachverein fut un échec total car l'écrasante majorité de
ses membres y adhérèrent par intérêt ou par crainte. Mais pour
la seconde fois en trente ans, l'Allemagne avait tué la langue
maternelle dans la région arlonaise.
386
Attelages h étéroclites. véhicules en panne d'essence tirés par des chevaux ... Les
Allemands n'ont qu'une hâte : fuir au plus vite avant l'arrivée des Américains.
r 1··.,.--~ ,,_"T""...,._ _
Avant de quitter
Arlon. les nazis
exécutent discrè-
tement de nom-
breux suspects et
résistants dans les
bois entourant la
ville.
388
10 septembre 1944 : l'anivée des G.I.'s de la 28' division d'infanterie américaine
provoque une immense explosion de joie parmi la population.
Comme dans
tout le pays.
d e s « fai re-
part » ann on-
Herr Dok tor ZENDER. çant le décès
Mons ieur Lucien EICHORN, di t le Spirou, des d iri-
Mons ieur Léopol d MAAS, dit le Brômon t,
Monsie ur MAJER ES, dit le Bistrot, geants et des
Monsieur Dés iré LESPAGNARD, dit le Voleur, in s titution s
Les tueurs de lo Gestapo
e t les nomb re ux parents, ami s, inscrits e t sympath isa nts, du IIIe Reich
ont la profonde douleur de vous foi re part de la mor t crueHe et rap ide de sont distri-
bués à Arlon.
S prachverein mais c'est ce-
1ui con cer-
nant le
leur f ils et enfont bie n-aimé, décédé a p rès une longue frousse, le 1·• sep-
tembre dern ie r, malgré les so in s dévoués des deux docteurs Muller. Sprach verein
Le corps o é tê t ranspor té par auto-co r spéc ia l dons son pays d origine,
qui connaît le
au-delà de la Mose ll e; sa perte lai sse inconsolés tous ceux qui l'ovoient plus de suc-
f réquen té d'un peu près.
cès.
Dons l'impossibi lit é de répond re e ll es-mêm es, et pour couse, les fomi lles
éprouvées ô la suite de ce de ui l par l'a bsence de rotions supplémentaires,
vou s remercient des timbres de rav it a ill em e nt que vous avez bie., voulu leur
foire parvenir.
Le:s To ndues de le. Rue Castallum Le 11roc;l1ain n uniêro de l'~,1.reler
vou s recomma11denl tou t spéC1alen1en1 Volkz:eitung~ donnera u,1 ccmptt-ren:Iu
son :souvenir. de:s discou rs prononcés nu.r Ju néra 1Uu. 389
La Justice militaire entre en action. La foule assiste avec satisfaction à l'arresta-
tion des suspects. En l'espace de quelques semaines. plus de trois mille dos-
siers sont ouverts en province de Luxembourg.
' 5991 Jean-Marie TRIFFAUX. La répression. in Arlon 1939-45. op. cit.. p. 490.
391
Le 3 mai 1945. un avion américain attenit srn le champ d'aviation d'Evere avec
à son bord 150 p1isonniers politiques en provenance de Buchenwald. Parmi
eux. plusieillS Arlonais : Nicolas Pettinger (à gauche) et le journaliste Omer Habaru
(au centre. portant un m anteau blanc).
HABITANTS PARLANT
COMMUNES POPU- SEULEMENT SEULEMENT LE FRANCAIS
LATION LE FRANCAIS L'AILEMAND IT L'AILEMAND
395
Recensement de la population
au 31 décembre 194 7
396
Quant aux personnes connaissant l'allemand. leur total s'élève
à 10.549 en 1947. contre 24.040 en 1930. soit une différence de
13.581 germanophones en dix-sept années, pour une diminu-
tion générale de la population de 1.5 36 personnes. En suppo-
sant un instant que ces derniers aient été 1.536 germanophones,
on constate que plus de 12.000 habitants du pays d'Arlon con-
naissant l'idiome germanique ont disparu entre les deux recen-
sements.
La seconde guerre mondiale a ébranlé les villageois. En masse,
ils ont préféré déclarer utiliser habituellement le français plutôt
que l'allemand pour ne pas être considérés comme des « bo-
ches». En outre. des milliers d'entre eux. probablement plus de
dix mille, ont déclaré ne pas connaître l'allemand alors qu'ils
pratiquaient le luxembourgeois. Si on leur avait donné la possi-
bilité d'indiquer cette langue. il n'est pas certain qu'ils l'auraient
fait... Les menaces d'annexion au Reich. qui ont plané pendant
toute l'occupation à cause du patois. la répression qui a sévi en-
suite contre les membres du Sprachverein. influencent les villa-
geois dans leurs réponses lors du recensement.
La répartition des habitants du pays d'Arlon en fonction de
leur langue. d'après le recensement de la population au 31 dé-
cembre 194 7. est certainement la plus inexacte de toutes celles
faites depuis 1846.
397
Evolution du rapport de forces entre l'idiome germanique et la
langue française dans l'arrondissement d'Arlon entre 1866 et
1947. exprimé en chiffres absolus
402
culturelle, le «vague jargon en voie de disparition» (comme disait
élégamment un bourgmestre du chef-lieu) dut subir l'ultime
outrage de la récupération folklorique, Un éphémère Parti Arlonais
Folklorique s'évertua pendant quelques années à sauver de l'oubli
la Bouneschlupp, brouet de haricots, la Kwetschentaart, tarte aux
prunes, et le maitrank (Pourquoi affubler d'une étiquette alle-
mande la potion magique que l'Arlonais appelle vulgairement
Meewain ou Meedrounk ?), Virtuose, peut-être inconscient de
l'autodérision, le PAF. contracta alliance avec un cercle gaumais
arlonais tout aussi inconsistant Ni l'un ni l'autre se remirent du
mariage contre nature,
«Pendant ce temps, comme la braise sous la cendre, la vraie
langue d'Arlon survécut dans les campagnes, Elle reste vivace
dans certaines familles et les derniers cafés populaires de la ban-
lieue - Moië Pletsch ! Le jeudi, grâce à l'afflux massif des Grand-
Ducaux, la flamme se ravive sporadiquement au Marché de la
Ville, dernier foyer de convivialité authentique entre Bürger et
Baueren, bourgeois et paysans,» '610l
16 101 Neckel
BACH. Hei Gëtt och Lëtzebuergesch geschwat. le parler luxembour-
geois dans l'Arelerland. in Qué walon po dmwin ?, Eradication et renais-
sance de la langue wallonne. ouvrage collectif sous la direction de Lucien
Mahin. Gerpinnes. 1999. p. 376.
403
Messancy, Autelbas, Nothomb, Sélange, Tintange, Tontelange,
Toemich et Wolkrange sont distraites de la province de Luxem-
bourg,» (6 1 ii
Le sénateur de la Volksunie a la délicatesse de ne pas repren-
dre les communes trop francisées dans sa proposition mais pour
la plupart des villages. il propose l'annexion pure et simple aux
cantons de l'Est Heureusement pour lui. le journal Les Nouvel-
les ne paraît plus depuis 1960 et Omer Habaru. âgé de 76 ans. a
pris une retraite bien méritée.
Les six sénateurs de la Volksunie qui signent cette proposi-
tion (W. Jorissen. H. Ballet. L. Claes, E. Bouwens. G. De Paep. M.
Vanhaegendoren) dénoncent le sectarisme de l'Etat belge qui
mène une politique de francisation à outrance et une intimida-
tion propre aux dictatures :
«Le génocide linguistique qui se pratique dans la région ger-
manophone de notre pays témoigne d'intolérance et de racisme
linguistique et constitue une honte pour un pays qui se dit civi-
lisé.» (6 i zi
Pour justifier le rattachement de dix-huit communes luxem-
bourgeoises si lointaines à cette province de l'Est dont l'allemand
doit devenir la langue exclusive d'enseignement et d'adminis-
tration (6 13l, Jorissen rappelle les propos de Nothomb au Sénat le
17 juillet 1962 :
«je suis l'élu de 40.000 habitants de la province de Luxem-
bourg qui parlent l'allemand» et« N'oubliez pas qu'on parle en-
core l'allemand aux environs de Bastogne et de Goury.» (61 4l
Or le baron Nothomb a prononcé ces paroles dans un sens
tout à fait différent. A l'époque, le Sénat discutait le projet de loi
modifiant les limites des provinces. arrondissements et com-
munes. et modifiant la loi du 28 juin 1932 sur l'emploi des lan-
gues en matière administrative et la loi du 14 juillet 1932 con-
cernant le régime linguistique de l'enseignement primaire et
moyen. Pierre Nothomb avait dénoncé la logique absurde du
Parlement fixant le sort de Mouscron. Comines et Fourons. Alors
161 1
l Documents parlementaires. Sénat de Belgique. Session de 1968-1969. Pro-
position de loi créant une province de langue allemande. 25 juin 1969. n°
500. article 2.
16 12 l Documents parlementaires. Sénat de Belgique. op. cit, développements.
404
que certains allaient jusqu'à lancer l'idée d'inclure Eupen dans
le Limbourg (6 15l, il avait déclaré qu'avec des absurdités géogra-
phiques de ce genre. Arlon finirait tôt ou tard par se retrouver
dans le Limbourg car «pour ma part, je suis l'élu de 40.000 ci-
toyens belges qui parlent un patois germanique.» (6 16l
A Arlon. on n'apprécie pas la démarche de la Volksunie. Tan-
dis que la presse la tourne en dérision. l'Académie Luxembour-
geoise à laquelle appartient Omer Habaru. se rallie à une propo-
sition de Roger Brucher s· élevant contre « les tendances d'un parti
politique cantonné dans la région flamande» et proclamant «hau-
tement l'unité linguistique de la province de Luxembourg dont
le moyen d'expression est sans conteste le français.» (61 7l
L'Académie Luxembourgeoise émet une motion dans laquelle
elle s'insurge contre l'intrusion de l'activisme flamand dans la
mise en place de structures régionales propres dont l'élabora-
tion ne doit être faite que par les populations concernées elles-
mêmes; elle dénonce le caractère pernicieux et l'irréalisme dan-
gereux de projets qui. proposés ou imposés au Parlement en
dehors de toute information sociologique sérieuse et de toute
enquête statistique fondée. argueraient d'un prétendu droit de
sol ou de langue pour diviser la province de Luxembourg ; elle
lance un appel aux mandataires politiques du Luxembourg et à
la population pour qu'ils s'insurgent contre l'ingérence de tout
extrémisme; elle affirme l'unité linguistique francophone du
Luxembourg belge. au sein même de sa diversité dialectale (618l,
Toute la presse se fait l'écho de cette résolution qui met les
choses au point et qui vaut à ses auteurs les félicitations de l'Aca-
démie royale de langue et de littérature françaises.
Renvoyée en commission de la Justice. la proposition de
Jorissen et consorts n'aura jamais de suite.
6 15
' 'Annales Parlementaires. Sénat. Séance du mardi 17 juillet 1962, p. 1459.
6 16
' 'Académie Luxembourgeoise. Extrait du procès-verbal de la réunion du 10
août 1969. tenue en la salle des professeurs de !'Athénée royal d'Arlon.
617
' ' Motion de l'Académie Luxembourgeoise sur le projet de loi concernant la
création d'une province de langue allemande. in Cahiers de l'Académie
Luxembourgeoise, n° 4, 1970, pp. 7-8.
6 18
' ' Nicolas BACH. La langue luxembourgeoise. Etat de la question. in Con tre-
point bulletin d'information de la maison de la culture du sud-Luxembourg,
Arlon. mai-juin 1977. p. 2.
405
Chez nos cousins grand-ducaux
Dans le Grand-Duché voisin. le francique mosellan a entamé
un long cheminement qui le conduit. lentement mais sûrement.
à s'élever au rang de langue. rejoignant ainsi le français et l'alle-
mand. L'occupation nazie, durant laquelle on a pu voir ce cu-
rieux phénomène d'un dialecte germanique s'opposant à la lan-
gue allemande. n'est pas étrangère au déclenchement du pro-
cessus. Lors du recensement organisé sous l'impulsion des nazis
le 10 octobre 1941. on interrogeait les Luxembourgeois sur leur
nationalité, leur ethnie et leur langue maternelle. A chaque fois.
la population répondit à une écrasante majorité « luxembour-
geois ». cela malgré des pressions et une propagande inouïe en
faveur du Reich et de la langue allemande. Le dialecte narguait la
langue allemande de l'administration civile d'occupation et aurait
pu. par plébiscite. être élevé au rang de langue '619l. Avec la grève
générale du 31 août 1942. le résultat de cette «Personen-
bestandsaufnahme » marque une des plus grandes victoires psy-
chologiques de la résistance luxembourgeoise aux nazis. C'est
dans l'enfer de la seconde guerre mondiale que la langue luxem-
bourgeoise a acquis ses véritables titres de noblesse '620l.
En 1945. elle est inscrite au programme des deux premières an-
nées de l'enseignement secondaire comme cours obligatoire sous
la dénomination de «langue luxembourgeoise». Cependant. cette
décision prise sur le papier est peu appliquée à ses débuts. Malgré
la fixation de son orthographe. codifiée par décret officiel le 5 juin
1946, le francique mosellan reste avant tout une langue parlée. Il
faudra quelques décennies pour qu'il se hisse au rang d'une vérita-
ble langue officielle à usage interne au Grand-Duché. L'amorce d'un
changement général des mentalités se fait sentir dans les années
70. A son origine. on trouve peut-être l'intérêt manifesté par les ré-
sidents étrangers pour le luxembourgeois et les retombées des cours
du soir organisés à leur intention par quelques pionniers de l'Actioun
Letzebuergesch. La publication d'un dictionnaire en cinq volumes
(1975). puis de grammaires. se révèle décisive. L'arrêté ministériel
du 16 novembre 1976 fixe définitivement l'orthographe de la lan-
gue. En 1978. paraît un dictionnaire allemand-luxembourgeois puis.
' 625 1 Roger BRUCHER. Poètes français du Luxembourg belge de 1930 à nos jours.
Albert YANDE. Poètes gaumais et wallons d'Ardenne. et Nicolas BACH. Poè-
tes luxembourgeois et allemands du pays d'Arlon. Arlon-Bruxelles. 1978.
' 6261 Michèle LEONARD. Littérature dialectale gem1anophone dans le pays d 'Ar-
lon. Académie Luxembourgeoise. Cahiers 11-12. Virton. 1982.
' 6271 Frédéric KIESEL, Un dialecte sauvé de l'agonie ?, op. cit.
409
rues. à soutenir tous les efforts entrepris pour étendre l'ensei-
gnement de l'allemand, notamment en choisissant l'allemand
comme deuxième langue dès la première année du secondaire.
Le mouvement ne dresse pas l'allemand et le luxembourgeois
contre le français. Au contraire, il joue la carte du bilinguisme.
L'objectif déclaré: «sauvegarder l'avenir économique de nos jeu-
nes et respecter leur identité arlonaise» (628l.
L'activité d'AL.A.S. est intense et ses réalisations sont multi-
ples. Ses plus beaux succès sont ses cours de langue luxembour-
geoise et la renaissance du théâtre dialectal. Entre 197 6 et 1982,
Arelerland a Sprooch organise ou encourage plus de 50 repré-
sentations théâtrales jouées par des troupes locales ou grand-
ducales. A Arlon ou dans les villages, les salles sont combles
chaque fois. alors que la région ne connaît plus de telles mani-
festations depuis l'entre-deux-guerres. Le summum est atteint
lorsque la RTBF enregistre une pièce jouée par la troupe de
Wolkrange et la diffuse le 6 avril 1984. C'est la première fois que
la télévision belge restransmet un spectacle en luxembourgeois,
au même titre qu'elle le fait régulièrement pour des oeuvres wal-
lonnes. Cette organisation dont le retentissement est grand dans
la région, est possible grâce à l'intervention du club des Arlonais
de Bruxelles.
Dès sa création, AL.AS. organise des cours du soir s'adressant
à toutes les personnes désireuses d'apprendre la langue luxem-
bourgeoise, en vue d'aider à la sauvegarder ou, surtout d'obtenir
un emploi au Grand-Duché. L'attraction grandissante de la place
financière de Luxembourg attire des centaines d'élèves à ces cours
et conduit bientôt des établissements subventionnés par la Com-
munauté Française, comme l'Ecole commerciale et industrielle
de la Ville d'Arlon. à ouvrir des sections d'apprentissage de la
langue luxembourgeoise.
Citons également la création à Messancy. le 5 juillet 1980, de
la Fondation Jean-Baptiste Nothomb pour le développement du
plurilinguisme dans le pays d'Arlon. Celle-ci favorise des échan-
ges entre jeunes Belges et Allemands. et suscite l'instauration
d'un cours d'allemand dans les écoles primaires d'une série de
communes du sud-Luxembourg où le régime bilingue n'existe
plus depuis 1948-49.
Arelerland a Sprooch ne limite pas son action à l'apprentis-
sage du luxembourgeois. Le mouvement constitue en son sein
0 2 4 6 8 10 Km
A la fin des années 1970. des militants d'Arelerland a Sprooch manifestent leur
existence par le placement de panneaux en luxembourgeois aux entrées de la
ville. sur le palais de justice et dans la campagne arlonaise.
412
des commissions oeuvrant dans d'autres domaines comme la
toponymie. le patrimoine et l'environnement. Noms de rues.
lieux-dits. architecture. œuvres d'art, restauration ... sont autant
de centres d'intérêt. Le mouvement lance une action de sauve-
garde du patrimoine religieux propre à l'aire d'expression franci-
que mosellane et fait campagne pour la protection des 150 croix
et calvaires de l'Arelerland.
En février 1982, il envoie à tous les élus du pays d'Arlon un
dossier relatif aux noms des rues et des lieux. AL.AS. propose une
politique régionale en cette matière et donne en exemple des réa-
lisations récentes en Bretagne. en Occitanie, en Alsace, en Wallo-
nie et au Grand-Duché. Des dénominations en rapport avec le
passé arlonais sont réclamées : pourquoi pas des rues Alfred
Bertrang. Camille Joset ou Jean Van Dooren plutôt que des rues
Vercingétorix, Allende ou RP. Pire comme il en existe déjà ? Entre
outre, AL.AS. est favorable à des plaques bilingues '629l.
Dans un premier temps, les conseils communaux ne suivent
pas. A Arlon. les autorités communales se souviennent de l'ex-
périence de la rue des Faaschtebounen (manifestation foll<lori-
que annuelle où les mariés de l'année lancent des bonbons de
carême aux enfants) adoptée pour une rue du village de Waltzing
et de la pétition des habitants qui suivit. ceux-ci refusant cette
nouvelle dénomination. trop difficile à prononcer et à écrire se-
lon eux. Arelerland a Sprooch est réduit à poser d'initiative et
clandestinement deux plaques en dialecte au coin du Marché-
aux-Légumes (Krautmart) et de la Grand-Rue (Grousgaas). On voit
également apparaître pendant quelque temps sur les panneaux
situés à l'entrée de l'agglomération. l'inscription symétrique «Arel»
aux côtés de celle d' «Arlon».
«Quand j'ai vu un panneau à l'entrée d'Arlon, indiquant «Arel»
juste en-dessous d'Arlon. ma première réaction - parce que je
suis né en 1935 - a été d'avoir un choc. Cela faisait un peu
«Sprachverein». Je le déplorais parce que la cause est valable. entre
autre parce qu'européenne. Mes enfants sont unilingues français
car ma femme est francophone. Eh bien, ils ont un inconvénient
par rapport à moi. j'ai trouvé le bilinguisme dans mon berceau et
eux pas.» '630J
(629l Dossiers AL.AS. sur les noms de rues et de lieux dans le pays d'Arlon. Archi-
ves personnelles de l'auteur.
(630l Interview de Julien Bestgen, op. cit.
4 13
Quant au barbouillage des inscriptions françaises à la ma-
nière de Florimond Grammens et au vol systématique des dra-
peaux wallons, AL.AS. les condamne et dément toute participa-
tion. L'action de quelques extrémistes isolés ne dure pas. Bien
plus constructive est l'initiative de distribuer à une septantaine
de commerçants pratiquant la langue luxembourgeoise des auto-
collants aux couleurs bleu et blanc annonçant «Hel gëtt
Letzburgesch geschwât» (Ici, on parle luxembourgeois).
Arelerland a Sprooch est-il un mouvement séparatiste?
Précisons que le mouvement refuse de faire de la politique
même s'il a une tendance sociale-chrétienne assez marquée. Cette
clause est inscrite dans ses statuts : «L'association n'entend jouer
aucun rôle politique ni exercer aucun effet négatif à l'égard des
autres groupes sociaux et culturels.» (63 1)
Pendant le processus de fédéralisation de l'état belge,
AL.AS. se prononce résolument en faveur du maintien de la
région arlonaise en Belgique et dans la province de Luxem-
bourg. Il ne se sent pas concerné par les querelles Wallons-
Flamands :
«Vous n'êtes ni Flamands ni Wallons, et les querelles linguis-
tiques ne sont pas votre affaire car vous êtes des enfants des
frontières. Vous êtes Luxembourgeois comme vos cousins d'Ar-
denne et de Gaume. Demain, vous serez Européens et citoyens
du monde.» (632)
Arelerland a Sprooch demande un statut légal pour le luxem-
bourgeois. La Suisse reconnaît bien le rhéto-romanche aux côtés
de l'allemand. du français et de l'italien. L'Italie reconnaît l'alle-
mand dans le Tyrol du sud. L'Allemagne reconnaît le danois dans
le nord du Schleswig-Holstein. etc. En attendant une hypothéti-
que mise en place d'institutions et de moyens indispensables à
une politique culturelle cohérente et spécifique pour le pays d'Ar-
lon. il formule diverses propositions.
Un dissident d'AL.A.S., Pierre Schweitzer, exclu du mouvement
lors de l'assemblée générale de 1981. va plus loin. Ayant fondé ses
414
propres associations pour le développement de l'Arelerland (633l, il
commence par dénoncer l'oppression de la population:
«La désignation des noms de me et autres toponymes est un
acte politique, et la population de l'Arelerland s'estime suffisam-
ment bafouée (et depuis longtemps !) par le pouvoir politique,
qui refuse de donner droit de cité à la langue luxembourgeoise
dans l'Arelerland, avec la complicité active de politiciens qui sont
à ]'origine de l'unilinguisme forcé imposé à la population après
la dernière guerre, sous des prétextes fallacieux. Donner le nom
de ces politiciens à une Fondation pour le Plurilinguisme est une
véritable provocation !
«La Commission de Linguistique et de Toponymie de
l'Arelerland rappelle que, s'il y a des Luxembourgeois dans la
province dite de Luxembourg, ce sont bien des victimes NON
CONSENTANTES de l'Arelerland : Mar sin och Lëtzebuerger !
«La Commission de Linguistique et de Toponymie de
l'Arelerland demande enfin au Gouvemement belge l'autono-
mie complète de l'Arelerland, qui ne peut dépendre que du pou-
voir central, et rejette toute forme de fédéralisme provincial,
d'ailleurs utopique, les choses étant ce qu'elles sont.» (634l
A la veille des élections communales de 1982, Pierre Schweit-
zer envisage de créer un parti politique autonomiste «arelandais» :
le parti «Libération du Land Arel». il lance un «manifeste histori-
que» pour la libération d'Arlon. La missive se termine par « Prions
le Ciel que la décolonisation du Land Are] se fasse sans trop de
mines et de massacres ».
Œuvre d'un isolé, cette action farfelue ne débouche sur rien.
La presse régionale et AL.AS. la condamnent sans réserves (635 l.
' 6361 La Meuse-Luxembourg. lundi 18 juin 1984. et L'A venir du Luxembourg. lundi
25 juin 1984.
417
Journée historiques les 15 et 16 mai 1984 au Palais de l'Europe à Strasbourg où
s'expriment pour la première fois dans l'histoire européenne des délégués de
quelque 45 cultures régionales. La délégation d'Arelerland a Sprooch compre-
nait Gaston Mathey (Sampont). Denise Martin-Weycker (Heinstert). Albert Con-
ter (Turpange). Stany Demecheleer (Freylange). Louis Stephany (Thiaumont).
(647! Neckel BACH. Hei Gëtt och Lëtzebuergesch geschwat op. cit. p. 379.
(648' Jean-Marie TRIFFAUX. Astérix a appris le luxembourgeois. in Arlon-Carre-
four. mercredi 15 avril 1987; Ëmmer am ]hum. une nouvelle bande dessinée
en luxembourgeois. in Arlon-Carrefour. mercredi 26 août 1987: Tintin par-
lera bientôt luxembourgeois. in Arlon-Carrefour. mercredi 18 novembre 1987:
Astérix bei de Belsch. in Arlon-Canefour. mercredi 5 avril 1989.
425
L'album B.D. « La Tour-
née des Grands Ducs »
devient « Ëmmer am
Jhumm 11 pour les
luxembourgeophones,
grâce à une adaptation
de Gaston Mathey et
Paul Mathieu. En août
198 7, il existe au moins
deux bandes dessinées
en francique mosellan à
la disposition des
amoureux de la langue
maternelle.
ct · B.D op LETZEBUERGER
R. GOSCINNY - A. UDERZO
changement des noms de rues, en souffrance depuis la fusion
des communes. Une commission locale de toponymie est créée.
Historiens, linguistes et politiques vont travailler pendant un an,
réfléchissant fouillant le passé, le folklore et la langue du pays
d'Arlon, recevant et écoutant les plaignants. Arelerland a Sprooch
est associé à cette longue et patiente démarche en la personne
de son président Gaston Mathey. L'opération, qui privilégie lar-
gement le patrimoine régional sous toutes ses formes, permet
de sauver ou de tirer de l'oubli plus d'un savoureux toponyme
luxembourgeois.
Le 7 septembre, puis le 15 décembre 1989, le conseil commu-
nal d'Arlon vote les changements de noms de rues après avis
positif de la section wallonne de la Commission royale de Topo-
nymie et de Dialectologie. Le 22 février 1990. quelque 400 noms
de rues sont officialisés et de nouvelles plaques installées dans
toutes les rues de la commune. AL.AS. regrettera ultérieurement
la place minoritaire accordée aux appellations luxembourgeoi-
ses, et la disparité entre la ville, aux appellations largement fran-
çaises, et les villages, où le luxembourgeois s'est mieux main-
tenu.
«Notre travail ne prétend pas à la perfection mais il a été fait
avec beaucoup de sérieux et de bonne volonté. ll vise à un com-
promis qui donne satisfaction au plus grand nombre», déclare
Ignacio Cornil (649l.
En 199 2. Arelerland a Sprooch décide d'honorer diverses per-
sonnalités qui oeuvrent à la défense de la langue. de la culture et
du patrimoine du pays d'Arlon. ou qui contribuent à son déve-
loppement socio-économique. Au mois de mai. deux cents sym-
pathisants assistent à Stockem à la séance académique de la
première remise de l'Ordre du mérite «De Sëlwere Fuuss» ou «Le
Renard d'Argent» (650l.
Le renard. animal mythique de nos régions est le personnage
principal de l'œuvre monumentale de l'écrivain luxembourgeois
Michel Rodange. La médaille, qui a été frappée pour la circons-
tance. représente un renard stylisé, fruit du travail d'un jeune
graphiste de Freylange. Luc Braconnier. Les quatre décorés sont
1649l Jean-Marie TRIFFAUX. Les nouveaux noms de mes à A11on. in Arlon -Carre-
four. mercredi 13 septembre 1989.
1650l Jean-Marie TRIFFAUX. Quatre personnalités honorées par le mouvement
Arelerland a Sprooch ont reçu la médaille du Sëlwere Fuuss. in Arlon-Carre-
fow: mercredi 20 mai 1992.
427
Quelque 200 personnes assistent en mai 199 .' à la séance J.cadémique de re-
mise de l'ordre du mérite« De Sëlwere Fuuss » 11.e Rl~narc! d'Argent). par le mou-
vement Arelerland a Sprooch. Diverses persornLllités belges. luxembourgeoises
et allemandes sont présentes à cette manifesL1Lion animée par la chorale« De
Setzbaacherkouer ».
Léopold Kruchten, originaire de Messancy. ancien responsable
commercial des chemins de fer belges à Paris, auteur de nom-
breux poèmes luxembourgeois, Louis Lefèbvre. un Ardennais
devenu conservateur du Musée Luxembourgeois à Arlon. Jean-
Claude Schroeder. professeur de langues germaniques. poète du
monde rural et auteur d'une monographie sur le village de
Toernich, Claude Berg. un logopède qui voue sa vie à l'intégra-
tion des personnes handicapées, d'abord au Centre Lorrain d'Hé-
bergement à Freylange. puis à la direction de !'Atelier Protégé «La
Lorraine», à Arlon. puis à Weyler.
Agrémentée de chants interprétés par la chorale « De
Setzbaacherkouer ». la séance se déroule en présence du séna-
teur Pierre Scharff. des bourgmestres de Rambrouch et d'Ell. de
plusieurs échevins et conseillers communaux d'Arlon et de
Martelange. ainsi que de délégations d'Allemagne et du Grand-
Duché de Luxembourg. Elle se clôture par un exposé de Georges
Calteux. directeur des Sites et Monuments à Luxembourg. un
des meilleurs ambassadeurs culturels du Grand-Duché. sur le
thème «Mœurs et culture par-delà la frontière». En français. Geor-
ges Calteux plaide pour la protection de l'héritage culturel. de la
mémoire collective et des minorités, et pour le maintien du plu-
ralisme culturel dans l'Europe de demain. En luxembourgeois. il
conte, au grand amusement de l'assemblée, des anecdotes de la
vie dans les villages au bon vieux temps.
La réussite de cette manifestation de prestige n'empêche pas
les dirigeants d'A.L.AS. d'étaler leur déception un an plus tard.
en présentant à la presse belge et grand-ducale. le bilan de 17
années de combat «contre la désertification linguistique et cultu-
relle de l'Arelerland.» (65 1)
Certes. il y a le succès rencontré par les cours de langue luxem-
bourgeoise. la multiplication des soirées théâtrales en Lëtze-
buergesch. l'édition d'une revue trimestrielle rebaptisée
«Geschwënn ... », de cartes postales. de calendriers avec proverbes
et éphémérides. de deux cassettes de chants luxembourgeois. l'or-
ganisation de quelque 800 réunions culturelles, une participation
à l'élaboration du décret sur les langues régionales endogènes de
la Communauté Française. etc.« Hélas, nous sommes forcés de
constater que nous sommes les seuls. dans la région, à nous
démener pour la langue et la culture. »
(651 l Gaston TRIFFAUX. Bilan en demi-teinte ou constat d'échec? Le Kulturverain
Arelerland a Sprooch fait le point de 17 années d'activités pour la sauve-
garde et la promotion du luxembourgeois. in Arlon-Canefour. mercredi 7
avril 1993.
429
Les quatre lauréats de l'ordre du méri te d'AL.AS.: Jean-Claude Schroeder. Claude
Berg. Léopold Kruchten et Louis Le fè bvre. La séance académique se termine
avec l'exposé de Georges Calteux. directeur de l'administration des Sites et
Monuments du Grand-Duché de Luxembourg. responsable des rénovations
rurale et urbaine du Grand-Duché. vi ce-président international de «Ruralité-En-
vironnement-Développement».
Du côté des autorités locales et régionales, civiles et religieu-
ses, le bilan est jugé bien maigre. «On n'est pas loin du point
zéro !», note avec une sévérité sans doute excessive. Gaston
Mathey entouré de Stany Demecheleer et de Nicolas Bach. avant
d'épingler tout particulièrement les «politiques», les médias et la
Maison de la Culture d'Arlon :
«Les instances politiques n ationales. régionales ou locales. se
soucient fort peu de notre richesse culturelle. (..) Rien n'a changé
au point de vue de l'enseignement du luxembourgeois dans les
écoles, au point de vue de l'utilisation de la langue dans les admi-
nistrations et les services publics. Pas de prise de position offi-
cielle de la part des instances politiques en faveur de la langue.
On évite soigneusement de parler de langue régionale et de cul-
ture spécifique. Sujet tabou !!! Quelle est la personnalité politique
ou religieuse qui a osé ou qui oserait en public. s'adresser en luxem-
bourgeois à son auditoire ? ( .. ) Combien d 'attaques de la part de
certains journaux régionaux ALAS. n 'a-t-il pas endurées? (. .) A
plusieurs reprises. nous avons demandé des émissions en luxem-
bourgeois à la radio nationale. Refusé! Les étrangers et les Wal-
lons y ont droit mais nous... rien ! Pourquoi ? Ne sommes-nous
pas des Belges ?Ne sommes-nous pas des gens comme les autres ?
A vans-nous moins de droits ? Serait-ce une épuration linguisti-
que?(..) Depuis sa création. la Maison de la Culture n'a présenté
qu'un seul spectacle en luxembourgeois. Une pièce d'Alain Atten :
« De Paerdsdeif». A part cela. aucune autre trace de culture régio-
nale. Promouvoir la culture n'est pas, à notre sens, engouffrer des
millions dans des spectacles étrangers de haute facture...
«Une langue, qu'elle soit intemationale, nationale ou régio-
nale est et doit être, autre chose qu'un argument politico-lin-
guistique de repli. mais un instrument d'ouverture et de rencon-
tre. Dans le contexte du plurilinguisme. une langue ne doit ja-
mais être ni devenir un motif d'intolérance.
«La seule solution pour éviter cela et pour vivre en bonne
entente est le plurilinguisme. Si nous en sommes bien conscients,
alors, oeuvrons ensemble pour changer le comportement des
individus, ainsi que le nôtre et nous aniverons à créer une gén é-
ration d1ndividus fiers d'appartenir à l'Arelerland.
«Si cela ne devait pas changer. Arelerland a Sprooch serait
amené à tirer les conclusions qui s1mposent» (652l
l65 zJ Déclaration de Gaston Mathey sur base d'un texte rédigé à Sampont le 1er
mars 1993.
431
«Voilà qui donnerait presqu'en vie d'entonner le Zu Are] op de
Knipchen .. .>>, note avec humour Jean-Luc Henquinet dans les co-
lonnes de l'Avenir du Luxembourg'653 l, tandis qu'Eric Burgraff s'in-
terroge dans le Soir: «Chantera-t-on le requiem en luxembour-
geois ?» '654l
442
A Martelange comme dans les villages du val d'Attert. les plaques de rues sont
bilingues.
•
~ o
ATTERT
Heinstert
N
'J/ Chemin des Ecoliers Il
U.
c7,'
Kannerwee j
'~
444
r
Les toponymes luxembourgeois sont largement présents sur les plaques des
noms de rues. surtout dans les villages de l'Arelerland. La « Knippchen » (de
Knupp: butte). sur laquelle est bâtie la ville, fait quant à elle entièrement partie
du patrimoine local. tout comme le « Maitrank 11, la boisson locale. le « Judd mat
Gaardebounen 11, plat typique de cuisine familiale. le " Hellechsman 11. person-
nage mythique du folklore arlonais, la « Hètchegaass 11, le vieux quartier au cen-
tre-ville, le « Bock 11, ancien hospice, et bien d'autres aux noms savoureux.
Bien que située sur le territoire de la commune d'Arlon. en Belgique. la chapelle
de la Rentertkapell (1671) dépend de la paroisse voisine d'Eischen. au Grand-
Duché de Luxembourg.
446
il ne faut plus que quelques minutes de voiture ou de train pour relier Arlon à
Luxembourg. La distance n'est que de 23 km et des voies de communication
rapide comme l'autoroute E 411 sont empruntées quotidiennement par des
milliers de travailleurs frontaliers.
Le pays d'Arlon devient peu à peu le faubourg de la capitale luxembourgeoise.
place financière internationale et pôle européen de premier rang.
Le 18 mars 1999. la visite des souverains du Grand-Duché de Luxembourg et de
Belgique fait date dans les annales d'Arlon. Les deux familles royales, unies par
les liens du sang, ne pouvaient pas trouver meilleur lieu de rencontre que celui
de cette ville, si proche et étroitement liée à ses voisins.
En se rendant à pied de l'hôtel de ville au palais provincial. à travers la Grand-
Rue d'Arlon. Jean et Joséphine-Charlotte prennent un bain de foule au cours
duquel les habitants leur témoignent leur sympathie tant en français qu· en luxem-
bourgeois. Arrivés dans les salons du gouverneur. le Grand-Duc et la Grande-
Duchesse ne cachent pas leur surprise de rencontrer autant d'Arlonais qui par-
lent le luxembourgeois.
00
1B KM MAKTRANK
-2- Refrain :
0a lé1sst de Guckuck schallen duurch Blerg an Dan sài Udd. 0 Mâitrank wou s du pierels
Waldmeeschter an de Bëscher mat Stralekranze blitt. Vol/ Dofl a Poésie
Mir huele vun deem Krâltchen sou mannech, mannech Strauss, Do feelt Freed a Frou sin
Agi seng Kraaft vermësche mat Wain an d'Summerhaus. Bai brawe Mënschen ni.
450
DE PARADAIS
-2- -3-
Ech wees en Haus wou lëschteg Bridder, An eisem Land wou mir frâi liewen;
Soprani, Tenor a Basse Wéi de Villchen op dem Rees,
Monter sangen hîr lëschteg Lidder Soll mâin Dank sech zum Hargott hiéwen,
Wa si sêtze bâi Glas a Spaass. Wëll Aret as e Paradâis.
451
U ARltL OP DER NIPPCHEN
*"
VI
N 1
Zi, ,.. "' 1111' - .,. -. do .. • •• hu; $
·2- -3-
Wann d'Fraen ze viU gedronk hun, Hei d'Mânner wëlle bleiwen
Da geet alles zu Wee, Laang sëtze bâi dem Glas,
Da gi si gare mam Krunn An och fir ze verdreiwen
Sech wanselen op d'Hee. Hir Zâit mat lauter Spaass
Mumm Aneleis, Mumm Aneleis, Mumm Aneleis, Mumm Aneleis,
W,e kacht dann hinnen d'Zopp ? Wat maachen dann dêi Honn
Si hun eng Mad, Da spi/le se,
Déi félert de Stol Da bille se,
A waart. en och schéin op. A reiwe sech de Kênn.
Un village typique de l'Arelerland : Wisembach, dans le pays de Fauvillers.
453
454
Udange est sans doute le village aux maisons les plus fleuries de l'Arelerland.
455
Le drapeau de la province de Luxembourg, qui est aussi celui du pays d'Arlon,
flotte allègrement sur la butte de Saint-Donat
456
BILIBIOGRAPHIE
I. Sources inédites :
BERTRANG (A.), Une émeute à Arlon en 183 7 à propos d 'un projet d'im-
pôt sur le revenu. Arlon, 19 28.
BERTRANG (A.). L'Athénée d'Arlon. 1837-1929, Arlon. 1929.
Bulletin oflidel des lois et arrêtés pour le territoire belge occupé. 1916-1918.
BURGRAFF (E.). Dernier combat pour sauvegarder l'Arelerland, in Le Soir.
jeudi 8 avril 1993.
463
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doigts de ]'annexion. fut sauvée grâce au Roi. in Le Quotidien. diman-
che 26 mai 1946.
HABARU (O.). Les Arlonais ne sont pas des Boches. in Les Annonces du
Luxembourg. dimanche 26 juillet 1931.
HABARU (O.). La guerre des langues. in Les Annonces du Luxembourg.
dimanche 9 août 19 31.
HABARU (O.), Ne criez plus Boches. in Les Annonces du Luxembourg.
dimanche 1er novembre 19 31.
HABARU (O.). La presse belge mystifiée, in Les Annonces du Luxem-
bourg. dimanche 8 novembre 19 31.
HABARU (O.). Deux Zones. in Les Annonces du Luxembourg. dimanche
17 janvier 1932.
HABARU (O.), Non jamais, pas l'allemand chez nous. in Les Nouvelles,
dimanche 31 janvier 1932.
HABARU (O.). L'allemand chez nous : au nom de qui parlez-vous ?. in
Les Nouvelles, lundi 1er et mardi 2 février 1932.
HABARU (O.), L'allemand chez nous: inconscience ?, in Les Nouvelles.
mercredi 3 février 1932.
HABARU (O.), L'allemand chez nous: M Van den Corput retire son
amendement in Les Nouvelles, samedi 6 février 1932.
HABARU (O.). Révélations sensationnelles sur le Bund der Deutsch-
Belgier. in Les Nouvelles. lundi 8 février 1932.
HABARU (O.). Victoire!, in Les Nouvelles. samedi 20 février 1932.
HABARU (O.). Arlon, ville de culture française. in Les Annonces du Luxem-
bourg. dimanche 21 février 1932.
HABARU (O.). La Propagande allemande à l'étranger. in Les Nouvelles.
lundi 7 mars 1932.
HABARU (O.). Pas d'allemand à l'hôtel de ville. in Les Annonces du
Luxembourg. dimanche 26 juin 1932.
HABARU (O.). Les huit questions du Bund. Réponse d'un ancien com-
battant infoumal du Luxembourg. dimanche 26 juin 1932; dimanche
3 juillet 1932; dimanche 10 juillet 1932.
HABARU (O.). Je fais fusiller 121 Belges. in Les Annonces du Luxem-
bourg. août 1934.
HABARU (O.). Le XXV' anniversaire de l'Association Française. in Les
Nouvelles. lundi 10 février 1936.
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HABARU (O.). Vive l'Ardenne Monsieur Je Ministre!, in Les Annonces
du Luxembourg. dimanche 16 février 1936.
465
KAYSER (E.). Quelque part entre Vienne et Londres... Le Grand-Duché
de Luxembourg de 1815 à 1867. Luxembourg. 1990.
KAZANSKI (M.). Les auxiliaires francs dans l'armée romaine au Bas-
Empire. in Les Francs précurseurs de l'Europe. Paris. 1997.
KEUFGENS abbé. Le problème linguistique dans le doyenné de Montzen.
in Revue Catholique desldées et des Faits. vendredi 18 mars 1932. n° 52.
KURTH (G.). Das deutsche Belgien und der Deutsche Verein. Arlon et
Aubel. 1896.
SCHIFFLERS (L.). Die deutsche Sprache in Belgien von 1830 bis 1940,
Louvain, 1969.
Table des lois. arrêtés et avis pour le territoire belge occupé. 1916-1918.
TANDEL (E.). Les Communes Luxembourgeoises. Arlon, 1889-1914.
473
TABLE DES MATIERES
I. INTRODUCTION
X. L'OCCUPATION ALLEMANDE ET LE
SPECTRE DE L'ANNEXION (1939-1944)
XI. DE L'APRES-GUERRE A LA
RECONNAISSANCE DE LA MINORITE
LUXEMBOURGEOPHONE
Un bref aperçu de la répression 391
Le recensement de la population en 1947 394
Pierre Nothomb tente de restaurer le patois 399
Le PAF de Julien Bestgen 400
Volksunie et annexionnisme linguistique dans le pays d'Arlon 403
Chez nos cousins grand-ducaux 406
Le « Kulturverain Arelerland a Sprooch » 407
Saint Polycarpe au secours de la minorité luxembourgeophone 4 32
BIBLIOGRAPHIE 457
478
4608 Dalhem - Belgique
Tél.: 04-376.64.53 - 087-68.18.98
479