Édito BAC Nord

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BAC Nord, Les Misérables, La Haine ou de la caricature des conflits en banlieue

Si j'écris ce petit édito, c'est pour revenir sur le traitement cinématographique régulier des
problèmes de banlieue, dans le cinéma français.

À une époque où les violences policières n'ont jamais été autant recensées, filmées et
documentées, et où la gestion des manifs en Macronie ressemble plus à de la terreur gratuite et
dissuasive qu'à un respect d'un droit constitutionnellement fondamental, à savoir celui de
manifester, il me semble que les films prétendant pouvoir dépeindre la misère des banlieues
françaises sont en pleine obsolescence programmée.

Dans une France sans réseaux sociaux, sans journaux indépendants et non-parisiens et sans
contradiction critique des émissions de télé et des grands médias, ce genre de films pouvait
encore se faufiler dans le réel et donc relativiser la brutalité d'une police ne souhaitant que "faire
son travail" et donc elle-même soumise à la "violence des racailles"... tout en tentant de faire le
pont entre misère banlieusarde et misère policière, le tout au nom d'une fictive solidarité possible
entre ces deux camps.

Mais aujourd'hui, les critiques envers l'institution policière n'ont jamais été aussi vives et
nombreuses, de l'affaire Théo jusqu'à l'affaire Zecler, en passant également par les affaires Steve
et Redouane, entre temps.

La déstructuration critique de la police des polices, à savoir l'Inspection Générale de la Police


Nationale (ou IGPN), désormais épinglée en camoufleuse experte de bavures en tout genre, mais
aussi en tant que grande intimidatrice de jeunes policiers victimes de racisme, de harcèlement
moral et sexuel et autres bizutages, est également une parfaite négation de cette idée selon
laquelle la police serait empêchée dans l'exercice apparemment noble et légitime de casser
gratuitement de la racaille, comme le film BAC Nord semble le suggérer.

Mais vous allez sûrement me demander : et les voyous alors ? Faudrait les excuser ? Ce à quoi je
répondrai : vouloir expliquer, ça n'est pas vouloir excuser.
En fait et même si ça paraît fou ou dingue, le meilleur prisme pour traiter des problèmes de
banlieue serait un prisme amoral, c'est-à-dire un prisme qui aurait d'abord à cœur d'évaluer
concrètement ce qui s'y passe, sans y mettre du manichéisme et de prendre irrationnellement
parti pour un camp ou l'autre.

C'est facile de faire dans le larmoyant en montrant la "misère des banlieues", avec tout ce que ça
implique en matière de trafic de drogue, trafic humain ou trafic d'autoroute.

C'est tout aussi facile de dépeindre un monde parallèle où le problème central des flics serait la
difficulté à "faire régner l'ordre" dans les quartiers miséreux et que, si on leur en laissait
l'opportunité et la possibilité, non seulement ils voteraient en grande majorité à gauche, mais ils
se comporteraient comme de bienveillants éducateurs peu prompts à immédiatement faire usage
de la violence.

Tout ça, au fond, cela manifeste un problème fondamental et central : le manque de regard
politiquement critique dans une fiction traitant de ces problématiques.

Parce que, soit on cherche à totalement dédouaner les banlieusards à coup de pitié larmoyante
("mais c'est pas de leur faute ! Ils sont pauvres, m'voyez ?"), soit on veut montrer que les
policiers sont tout autant atteints, si ce n'est plus, d'une forme de misère sociale qui fait que leur
statut de brutes décérébrées les empêchent d'être de bons justiciers, en plus d'être violentés par le
monde entier... soit on fait les deux en même temps pour prétendre à une pseudo-nuance
inconséquente et stupide.

Dans tous les cas, on ne questionne jamais les choses de façon radicale, c'est-à-dire en pensant
par exemple une société sans police et sans répression ou en allant au fond du pourquoi du
comment une misère sociale immigrée s'est fabriquée au fil des décennies, dans l'indifférence
généralisée des administrations publiques.

Non. À la place, il faut faire pleurer dans les chaumières et faire dans le sentimentalisme bas de
gamme pour prétendre aux récompenses type César et Festival de Cannes.
Parce qu'au final, qui a envie de réfléchir devant un film ? Qui ? Si ce n'est ces maudits critiques
ciné indépendants qui politisent et complexifient trop les choses, alors qu'il faudrait tout
simplement "laisser parler son cœur" et rendre uniquement compte des émotions que l'on a
ressenties, sans analyse de fond, sans le moindre approfondissement.

Si un film est émouvant et "sincère", c'est tout ce qui compte.

Tant pis s'il annihile le réel, tant pis s'il crée des réalités parallèles qui n'ont cours que dans la tête
du réalisateur et des acteurs (la réaction de Gilles Lellouche aux propos du journaliste irlandais
s'inquiétant du caractère fascisant de BAC Nord est assez éloquente, à ce sujet...) : l'heure n'est
pas à la réflexion, mais à l'émotion.

Car même après Nuit Debout, les marches pour le Climat, les Gilets Jaunes, le mouvement
contre la contre-réforme des retraites et leur cortège de documentation effroyable des répressions
policières... On est tous des êtres humains, finalement.

Et puis quand même, on est d'accord, non ? L'ordre, c'est quand même mieux que l'anarchie ?
Donc le carcéral, le pénal et l'autoritaire, quand ça grogne trop chez les populations immigrées,
c'est totalement légitime, non ?

Et puis c'est vrai, après tout : les policiers sont des super-héros censés se porter au chevet de la
veuve et de l'orphelin.

On ne les laisse tout simplement pas "faire leur travail". On les malmène. On les persécute. Alors
qu'ils veulent juste "travailler en paix"...

Mais quelques questions aux défenseurs de tels discours : quel est le travail de la police,
exactement ? Préserver l'ordre ? Ou le décontracter ? Et cet ordre, quel est-il ? Celui de la
"République" démocratique et sociale ? Ou celui de la haute bourgeoisie craignant pour ses
avoirs et son intégrité ?
J'ai ma petite idée sur la question, personnellement... et ça n'est pas demain la veille qu'un film
"social" sortant à grandes pompes dans les salles obscures aura le courage, l'audace et la présence
d'esprit nécessaire au traitement de problématiques sociales et difficiles.

Car au fond : peut-on être encore "de gauche" quand en dernier ressort, on préfère l'ordre au
chaos ? Le silence des miséreux au brouhaha des émeutiers ?

J'ai pareillement ma petite idée là-dessus, étrangement...

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