Construire Un Pont Haubané

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CONSTRUIRE UN PONT HAUBANÉ


Le pont de la Poya, à Fribourg,
possède la plus longue portée pour un pont
haubané de Suisse. Récit des étapes charnières
de la construction.

Bernard Houriet, Sylvain Plumey, Antonio La Cola,


François Prongué et Michel Thomann

1 Vue sur la plateforme de travail (Photo Eric Sauterel)


8 TRACÉS n° 09 / 15 mai 2013

D’ une longueur totale de 851.6 m, l’ouvrage com-


posé d’un tablier en structure mixte acier-béton
franchit la vallée de la Sarine au-dessus de la STEP à une
hauteur d’environ 70 m. Comme décrit dans un précé-
dent article (lire TRACÉS n° 22/2011), le pont peut être
divisé en trois parties distinctes (fig. 2) :
- côté St-Léonard, le viaduc d’accès Palatinat (253 m)
- l’ouvrage central (358 m) haubané réalisé par
encorbellement
- le viaduc d’accès Schönberg (231 m)

Construction des mâts


Les fûts verticaux des piles ont été réalisés avec un cof-
frage grimpant, selon des étapes de 4.20 m par semaine.
Pour construire la partie en V au sommet des fûts, une 3
première plateforme de travail de 8 par 12 m a dû y être
installée. Elle accueille un échafaudage et est capable de L’ouvrage est réalisé selon le phasage global suivant :
supporter le poids de l’importante armature de la partie - viaduc d’accès Palatinat (axes 0 à 5)
- fléau 6 (étapes 1 à 4 symétriques en porte-à-faux)
en V (fig. 5).
- clavage arrière du fléau 6 côté Palatinat
La partie inférieure en V construite, la première pla- - achèvement asymétrique du fléau 6 (étapes 5 à 7)
teforme de travail a été démontée et une seconde de 15 - viaduc d’accès Schönberg (axes 8 à 13)
- fléau 7 (étapes 1 à 4 symétriques en porte-à-faux)
par 27 m a été installée au niveau de l’entretoise pour
- clavage arrière du fléau 7 côté Schönberg
permettre la réalisation de la partie en Y inversé (fig. 6). - achèvement asymétrique du fléau 7 (étapes 5 à 7)
Cette partie du pylône – creuse afin de pouvoir accéder - clavage central
- étanchéité, revêtement et autres équipements
à la tête de mât et régler les haubans – a été réalisée
- réglage final des haubans
avec un coffrage grimpant, par étape de 4 m. Les cages
d’armatures ont été préfabriquées au sol puis montées
à l’aide de la grue dans leur emplacement final (fig. 7).
Les 16 derniers mètres du pylône sont constitués
2 Coupe longitudinale de l’ouvrage et profil géologique
d’une caisse en acier, noyée dans environ un mètre de 3 Mât 6, coupe longitudinale et élévation transversale
béton fortement armé que les haubans traversent dans 4 Tête du mât en acier avec les tubes pour les haubans.
des tubes en acier (fig. 4). Le positionnement de cette Le ferraillage très dense doit être posé à la main
autour des tubes et des goujons.
caisse sur la tête de mât a nécessité une très grande pré- 5 Plateforme de travail no 1 et échafaudage de travail
cision (tolérance de 1‰) afin de garantir l’orientation des pour les branches du V.
ancrages des haubans. Le béton a été coulé en trois étapes 6 Plateforme no 2 et coffrage du Y inversé. Les travaux
se déroulent alors à près de 100 m du sol.
d’environ 5 m. 7 Démarrage de l’encorbellement : poutres de 8 m,
1er hauban provisoire, montage de la plateforme inférieure
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8 Démarrage de l’encorbellement : poutres de 18 m,


2e hauban provisoire, plateforme inférieure complétée
9 Poutre de lancement et plateforme de travail complète
au début de la 4e étape (14 mètres de porte-à-faux
pour 110 to)
10 Vue schématique du montage d’une étape de
structure métallique.
< Plateforme de travail du mât 6 (côté tunnel) avec les
câbles verticaux de stabilisation (Photo Eric Sauterel)
12 Haubans avant montage (Photo Eric Sauterel)

Stabilisation des mâts est soutenu par un hauban provisoire et on y suspend


Les mâts ont dû être stabilisés pendant la construc- ensuite deux éléments de plateforme de travail à partir
tion des fléaux afin d’assurer la reprise des sollicitations desquelles les entretoises et les consoles de la structure
transversales et longitudinales induites par le vent ou par métallique définitive peuvent être soudées. Suspendu par
le bétonnage asymétrique. Le mât 6 a été stabilisé après le un deuxième hauban provisoire, un second tronçon de
bétonnage de la 2e étape de la dalle de roulement (fig. 11) poutres longitudinales de 12 mètres est alors assemblé
à l’aide de huit câbles provisoires verticaux, situés à à l’extrémité du premier et la plateforme est complétée
proximité des quatre premiers haubans. Ces câbles lient par deux éléments supplémentaires. Le premier hauban
le tablier à quatre massifs de béton, chacun scellé dans la définitif est alors mis en place et en tension, afin que le
molasse par six tirants d’ancrage précontraints. tablier puisse être bétonné : on dispose dès lors d’une
Plus élancé, situé entre la STEP et la Sarine, le mât 7 surface de tablier suffisante pour le montage des outils
requiert un dispositif de stabilisation différent (fig. 17) : complets (fig. 8).
- deux haubans provisoires reliant la tête de fût du mât Jusqu’ici suspendue aux poutres principales, la plate-
7 au pied du mât 6 forme de montage est complétée par deux poutres laté-
- deux haubans provisoires reliant la tête de fût du mât rales en treillis, munies de roues motorisées. La plate-
7 au pied de la pile 8 forme est désormais fixée à ces deux poutres en treillis
- deux haubans (n° 7) définitifs partiels (10 torons sur 55) qui peuvent rouler sur la bordure en béton pour suivre
reliant la tête du mât à l’ancrage fixe situé sur le viaduc l’avancement de l’encorbellement. On installe alors la
d’accès Schönberg (stabilisation pas encore installée). poutre de lancement : réalisée exclusivement pour les
Le haubanage provisoire diagonal est indispensable besoins du chantier de la Poya, il s’agit d’une structure
pour achever la réalisation de la partie supérieure du qui permet de transporter les éléments de charpente dans
mât 7, très élancé, alors que le haubanage arrière définitif le vide à l’extrémité de l’encorbellement, de les régler
partiel sert à reprendre les sollicitations horizontales lors géométriquement et de les maintenir en position durant
du bétonnage 100% asymétrique de la dalle de roulement. le soudage (fig. 9).

Démarrage et équipement Avancement symétrique


Le montage en encorbellement se fait par étapes de Le cycle standard d’encorbellement par étapes symé-
12 m (distance entre deux haubans). Exception notable, triques de 12 m se déroule de la manière suivante : la
le premier hauban se trouve à 18 m de l’axe de la pile. charpente métallique de l’étape est pré-assemblée et
Pour atteindre ce premier point d’accroche, on com- soudée dans un gabarit posé sur le tablier, proche du mât,
mence par fixer de part et d’autre de l’entretoise en en macro-éléments composés d’une poutre principale
béton les poutres longitudinales d’un tronçon de huit de 12 m, de deux consoles et d’une poutre de rive avec
mètres de la charpente métallique définitive. Ce tronçon ancrage inférieur du hauban (fig. 10).
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Technologie des haubans


Le bulletin n° 30 de la fib « Acceptance of stay cable systems using
prestressing steels » définit les standards actuels en termes de
technologie de haubans et en particulier les recommandations
propres à garantir la durabilité de ces derniers. Le produit mis en
place par Freyssinet au pont de la Poya répond aux exigences de
ce document. Les aciers des haubans bénéficient d’une protec-
tion anticorrosion à triple barrière constituée d’une galvanisation,
d’une cire de protection et d’une gaine individuelle PEHD, le tout
étant protégé par la gaine générale. Les torons sont parallèles et
le volume annulaire entre les torons et la gaine générale reste
vide. Exposée aux sollicitations du vent, cette dernière est munie
d’un profil hélicoïdal. Les ancrages ont subis avec succès les tests
très exigeants d’étanchéité définis dans le document cité plus
haut. De nombreux ouvrages de renommée mondiale tels que le
viaduc de Millau, le pont de Rion-Antirion et, dernier en date, le
pont de Russky à Vladivostok, qui détient le nouveau record du
monde (1104 mètres de portée !), ont été réalisés par Freyssinet
avec cette technologie.
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La plateforme et la poutre de montage sont avancées


de 12 m en prenant appui sur le béton encore jeune. Les
macro-éléments sont ensuite mis en place au moyen du
chariot mobile de la poutre de lancement. Les joints des
poutres de rive et des poutres principales sont soudés au
nez de l’étape précédente à partir de la plateforme de tra-
vail, et les macro-éléments restent pendus aux câbles de
la poutre de lancement. Une contreflèche transversale est
créée en tirant les semelles inférieures de deux poutres
principales l’une contre l’autre. Elle permet de compen-
ser les déformations transversales lors du bétonnage du
tablier. Le cycle se poursuit avec :
- la mise en place et le soudage des deux entretoises
- le contrôle de toutes les soudures et les reprises
de peinture
- l’activation du poids propre de la charpente métallique
par le relâchement des câbles de la poutre de lancement
- l’installation et la première mise en tension des haubans
- le ripage et la mise en place des coffrages sur la plate-
forme de travail, suivi du ferraillage et du bétonnage. 13
L’étape se termine par un contrôle géométrique durant
la cure du béton. Au besoin, une deuxième mise en ten-
sion est apportée après 72h. Sinon, l’étape suivante peut
démarrer. Une étape nécessite deux semaines de travail
intensif. Compte tenu du délai de cure et des contrôles
géométriques, une étape débute toutes les trois semaines.
Dès que l’ossature métallique est soudée en porte-
à-faux, les ancrages inférieurs des haubans sont insérés
dans les oreilles métalliques. La première mise en tension
des haubans permet de relever légèrement le porte-à- 14
faux en prévision des déformations qu’il subira lors du
bétonnage.
Le procédé d’isotension (voir encadré) permet l’instal-
lation des haubans à l’aide de moyens de levage conven-
tionnels. Pour commencer, seul le toron de référence et
la gaine sont hissés au moyen de la grue (fig. 15). Après
ancrage et tension du toron de référence, les autres
torons sont hissés un par un à l’aide d’un treuil à câblette
et de poulies de renvoi. Grâce à cette méthode, même les
haubans les plus lourds – 55 torons, près de 100 mètres 15
et plus de 6 tonnes – sont mis en place sans aucun moyen
de levage particulier.

Maîtrise des déformations et réglage final


La maîtrise des déformations d’une étape de fléau est
très délicate. Tout d’abord, bien qu’on dispose d’outils de
montage symétriques (plateforme inférieure et poutre de
lancement supérieure), la pose de l’ossature métallique
se fait asymétriquement de part et d’autre du mât, tout
comme le montage des haubans et le bétonnage. 16
Ces difficultés ont nécessité la mise en œuvre d’une
procédure de suivi des déformations interactive avec le
chantier comprenant les étapes suivantes :
- mise en place d’un point de référence altimétrique sur
le tablier au niveau de l’entretoise du mât
- mise en place systématique de cibles au droit
des ancrages fixes des haubans, à chaque étape
d’encorbellement 13 Haubans du mât 6 (Photo Eric Sauterel)
14 Fixation inférieure d’un hauban (Photo François Prongué)
- calcul des niveaux requis lors de la pose asymétrique 15 Navette de treuillage des torons (Photo François Prongué)
de l’ossature métallique 16 Mise en tension à l’intérieur du mât
- nivellements de contrôle après soudure de l’ossa- (Photo François Prongué)
17 Vue d’ensemble (Photo Eric Sauterel)
ture métallique et réalisation des contreflèches 18 Mise en tension progressive des torons
transversales (Photo François Prongué)
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- prise en compte des écarts significatifs de position de Isotension


l’ossature métallique et transmissions des consignes Le procédé d’isotension a été mis au point afin de faire face à une
de première mise en tension des haubans (MT1, allon- particularité inhérente à l’installation des haubans et résultant de
gements et forces) la souplesse des ponts haubanés. En effet, contrairement à ce
qui se produit lors de la mise en tension d’un câble de précon-
- nivellements de contrôle lors du bétonnage asymé- trainte traditionnelle, non seulement les ancrages d’un hauban se
trique des deux étapes de dalle de roulement de 12 m déplacent l’un vers l’autre lors de la mise en tension, mais la géo-
de longueur métrie du hauban varie de manière à influencer les forces dans les
torons constitutifs du hauban. L’isotension permet de surmonter
- éventuellement deuxième mise en tension des hau- cette difficulté : le toron de référence, premier installé, est tendu
bans (MT2) si la position des cibles est significative- à une force calculée en fonction de la décroissance attendue lors
ment trop basse (mise en tension individuelle d’un ou de l’installation et la mise en tension des torons suivants, il est par
ailleurs équipé d’une cellule de force. C’est grâce à cette dernière
plusieurs haubans des quatre haubans de l’étape en que chaque toron supplémentaire est réglé en tension afin qu’au
cours) terme de l’installation ils soient tous tendus à la même force, d’où
- avancement asymétrique des outils et initialisation de le nom d’isotension.
l’étape suivante.
Avec des écarts finaux inférieurs à 20 mm entre la
théorie et le comportement effectif de l’ouvrage, la réa-
lisation du fléau 6 a permis de valider la pertinence de la
méthode adoptée.
Le montage des fléaux est dicté par le souci de suivre
au mieux la nivelette théorique finale de l’ouvrage. Un
réglage de la nivelette par détente de certains haubans
n’est pas possible dans la procédure conventionnelle de
mise en tension toron par toron. Une telle procédure
conduirait à une morsure de clavette sur la longueur utile
des torons qui ne peut être admise. Le réglage final se fait 18
dès lors de la façon suivante :
- nivellement du tablier avant la pose du revêtement
- adaptations locales éventuelles du projet de revêtement
- mise en œuvre du revêtement et de l’ensemble des
autres surcharges permanentes
- nivellement du tablier, dont la flèche maximale en tra-
vée principale est estimée à 30 cm
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19 La vieille ville et le pont de la Poya (Photo Eric Sauterel)

Sauf mention, tous les documents illustrant cet article ont


été fournis par les auteurs.

- troisième mise en tension des haubans (MT3) pour de montage de quelques mètres. Dans les deux cas,
imposer la contreflèche d’environ 20 cm nécessaire on génère une déformation sur l’ensemble du fléau, ce
pour couvrir les influences du retrait, du fluage, qui évite une cassure locale dans le profil en long. Dès
de la température ainsi que les incertitudes de réalisation du clavage avec les viaducs d’accès, le point
l’analyse structurale. fixe provisoire réalisé sur chacune des culées doit être
désactivé. Le pont devient alors flottant.
Clavage de l’ossature métallique
Trois clavages doivent être réalisés : avec les viaducs Bernard Houriet, chef de projet du groupement GIPP, et Sylvain
d’accès ainsi qu’au centre de la travée principale. La dif- Plumey sont ingénieurs et travaillent chez GVH Tramelan SA.
ficulté consiste à maîtriser la géométrie pour garantir une Antonio La Cola est ingénieur civil et travaille chez Implenia.
parfaite concordance spatiale de la charpente métallique. Directeur chez Freyssinet, François Prongué est ingénieur civil.
Longitudinalement, une pièce courte d’environ 1 m est Michel Thomann est ingénieur et travaille chez Zwahlen & Mayr.
fabriquée en usine au dernier moment, sur la base d’un
relevé géométrique précis. L’introduction de cette pièce
de clavage doit se faire en tenant compte de la tempé-
rature de l’ouvrage. Transversalement, les deux tabliers
peuvent être alignés au moyen d’un vérinage transversal, Intervenants projet Poya
lequel ne demande que de très faibles forces grâce à la Maître d’ouvrage :
souplesse en torsion de la pile. Enfin, le réglage vertical Etat de Fribourg, Service des ponts et chaussées
peut être obtenu de deux manières : soit en agissant sur Groupement MPP :
GVH Tramelan SA, Implenia, Freyssinet et Zwahlen & Mayr
les haubans de stabilisation, soit en déplaçant les outils

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