Modalisateurs, Connecteurs, Et Autres Formules
Modalisateurs, Connecteurs, Et Autres Formules
Modalisateurs, Connecteurs, Et Autres Formules
2 | 2012
Les théories de l'énonciation : Benveniste après un
demi-siècle
Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/aes/500
DOI : 10.4000/aes.500
ISSN : 2258-093X
Éditeur
Laboratoire LISAA
Référence électronique
Laurent Perrin, « Modalisateurs, connecteurs, et autres formules énonciatives », Arts et Savoirs [En
ligne], 2 | 2012, mis en ligne le 15 juillet 2012, consulté le 29 juillet 2019. URL : http://
journals.openedition.org/aes/500 ; DOI : 10.4000/aes.500
Modalisateurs, connecteurs, et
autres formules énonciatives
Laurent Perrin
1 L’objectif de cette étude est d’ordre théorique général. Il concerne aussi bien les verbes
dits « parenthétiques » (certains verbes de parole, d’opinion ou de perception dans
certains de leurs emplois), que les adverbes ou adverbiaux « d’énonciation », jusqu’aux
interjections, formules énonciatives, connecteurs et autres marqueurs discursifs.
Relégués à la marge des théories grammaticales, échappant plus ou moins gravement aux
propriétés des catégories dont ils relèvent à la base (sous un angle morphosyntaxique et
diachronique), ces éléments représentent un défi général qui mérite d’être pris au
sérieux. Il s’agit de déterminer s’ils peuvent finalement être l’objet d’une grammaire de la
rection micro-syntaxique et dès lors être assimilés à des sortes d’adverbes, ou si en
revanche ces éléments relèvent d’un autre niveau de relation, sémantico-pragmatique,
qui ne serait nullement rectionel et propositionnel, ni même de nature symbolique (sous
un angle sémiotique). Reste évidemment dans ce cas à préciser en quoi et comment
certaines expressions linguistiques pourraient ne pas être de nature symbolique, ne pas
être soumises à des contraintes de rection grammaticale et de représentation
conceptuelle ou propositionnelle. Est-ce une quête plus désespérée que de vouloir
soumettre toute la sémantique à l’ordre du symbolique ? Rien n’est moins sûr.
2 Bien qu’aventureuse de prime abord, et toujours iconoclaste pour certains sans doute,
cette option sera pourtant adoptée résolument dans cette étude, sous l’influence en cela
de différentes hypothèses formulées tout de même de longtemps par Bally (1932),
Benveniste (1966), et ensuite notamment par Culioli (1978), Milner (1978) ou Banfield
(1982), ou encore à sa façon par Ducrot (1984), dont certaines observations se retrouvent
aujourd’hui sous diverses formes chez Nølke (1994), Anscombre (2009), Kronning (2009),
et finalement un peu partout, dans différents travaux récents sur l’un ou l’autre aspect
formel de l’énonciation. Ces recherches diverses ont vocation à démontrer que les
expressions énonciatives partagent certaines propriétés syntaxico-sémantiques, qui les
opposent en bloc aux catégories lexico-grammaticales traditionnelles, associées aux
contraintes de rection (au plan syntaxique) et de dénotation (au plan sémantique) en quoi
consiste leur fonction symbolique (dite aussi conceptuelle ou propositionnelle, selon les
approches ou les terminologies).
3 Les expressions énonciatives appartiennent à une même catégorie fonctionnelle,
étrangère et irréductible, transversale en quelque sorte, relativement aux catégories et
fonctions associées à la construction de phrases et en particulier à l’expression de
propositions en linguistique. Au plan syntaxique, ces expressions peuvent être plus ou
moins extraites des phrases ou clauses dont elles relèvent, détachées de l’expression de
propositions dont elles ne régissent (ou ne sont régies par) aucun élément, mais dont elles
modalisent la prise en charge énonciative (Combettes 2006). Au plan sémantique, elles ne
consistent pas à décrire, mais à montrer conventionnellement telle ou telle propriété de
l’énonciation d’une clause ou période discursive dont elles relèvent (i.e. de leur propre
énonciation, et de celle de la proposition qu’elles modalisent).
4 Sous un angle sémiotique, ce qui est énonciatif n’est pas symbolique, mais indiciel ; les
expressions énonciatives ne sont pas des symboles (au sens peircien) consistant à
dénommer ce qui est censé exister par ailleurs (le monde auquel les expressions réfèrent,
qu’elles décrivent au plan propositionnel), mais des indices (ou symptômes) consistant à
montrer, c’est-à-dire à attester conventionnellement, en vertu de leur présence matérielle
dans le discours, ce qui est avéré contextuellement par l’énonciation de la phrase1. Ces
expressions résultent d’un processus de figement diachronique aboutissant au codage
linguistique de la valeur pragmatique indicielle associée à l’énonciation d’une forme
souvent symbolique à l’origine. Au terme de cette dérivation, qui correspond à une sorte
de grammaticalisation (Traugott 1991, Combettes & Marchello-Nizia 2003) ou de
pragmaticalisation (Perret 1995), l’expression a perdu sa force de rection et sa valeur
descriptive, en vue d’instruire linguistiquement sa valeur pragmatique. Plutôt qu’à la
formation de nouveaux lexèmes, le figement aboutit alors à diverses formes de
lexicalisation formulaire , c’est-à-dire de grammaticalisation par délexicalisation de
l’expression (Perrin 2011). Seules les formules énonciatives parachèvent leur dérivation
en se grammaticalisant sous la forme d’une catégorie spéciale, purement indicielle, c’est-
à-dire à la fois détachée syntaxiquement, et descriptivement affaiblie ou défunte. C’est le
propre justement des interjections et autres formules énonciatives, modalisateurs,
connecteurs, au terme de leur dérivation diachronique, que d’acquérir ce complet
détachement syntaxico-sémantique qui les caractérise.
5 L’objectif de cette étude sera de démontrer que l’ensemble des expressions énonciatives,
quelle que soit leur catégorie lexico-grammaticale originelle, correspond à une même
sorte d’expressions linguistiques à l’arrivée, généralement ignorée des grammairiens,
dont la fonction indicielle est de coder les opérations pragmatiques susceptibles d’être
effectuées dans le discours. Ces opérations seront analysées sous l’angle de deux
principales distinctions segmentales au plan discursif, qui correspondent à deux niveaux
d’opposition sémantique entre formules énonciatives. La première opposition, entre
modalisateur de proposition simple et connecteur, a souvent été étudiée sous l’angle de
ce qui oppose les plans énonciatif et respectivement textuel à l’intérieur du sens (chez
Combettes 2006, par exemple) ; ce qui a trait d’un côté à la subjectivité du locuteur ou
énonciateur dans l’acte d’énonciation, et ce qui a trait d’un autre côté aux relations
discursives entre différents actes à l’intérieur d’interventions (au sens Roulet 1985) ou
périodes discursives complexes (macro-syntaxiques, selon Berrendonner 2002). Quant à la
seconde opposition, elle repose sur ce qui sépare le niveau monologique d’une part,
relatif à la construction des interventions ou périodes dont il vient d’être question, et le
niveau dialogique d’autre part, qui concerne la construction des échanges (selon Roulet),
et corrélativement les formules modales que nous dirons précisément dialogiques et
parfois polyphoniques (par opposition aux simples modalisateurs ou connecteurs). Nous
observerons que ces oppositions permettent de rendre compte aussi bien du sens des
interjections (abordées au point 2.1), que de celui des adverbes dits d’énonciation (en 2.2),
et finalement des modalisateurs centrés sur un emploi parenthétique du verbe dire (ou
autre verbe de parole ou d’attitude) (au point 3).
somme. Les premiers modalisent l’énonciation d’une phrase en tant que période, la prise
en charge d’une proposition par le locuteur, le haut degré d’émotion qui s’y rapporte.
Entre la fonction émotive des interjections comme oh, ah, ouf, hélas, chic, et celle
d’adverbes d’énonciation comme franchement, sincèrement, heureusement,
apparemment, les nuances de sens se recoupent. Dans le passage ci-dessous, par exemple,
ah ! pourrait être substitué à sincèrement sans perturbation sémantico-pragmatique
majeure :
(7) Donc cette question-là n’est pas résolue, la question du chômage n’est pas
résolue, les cinq mille milliards qu’annonce Gordon Brown, c’est quand même…
Sincèrement, c’est pas très très honnête ! (France Inter, L’édito éco, 1 avril 2009,
Corpus14, Nathalie Gerber)
24 Quel que soit ce qui les distingue d’un cas à l’autre (entre subjectivité exclamative,
appréciative, épistémique, ou autre), les adverbes comme les interjections sont alors des
indices consistant à coder l’intensité d’une forme d’émotion ou attitude du locuteur,
relative à la prise en charge d’un point de vue exprimé dans la proposition modalisée.
L’émotion est ici au premier plan indiciel, comme arrachée malgré lui au locuteur par la
situation. Rien de tel en ce qui concerne le second groupe d’adverbes, comme décidément,
finalement, justement, ou lors de certains emplois de formules comme oh, ah, enfin, en tant
que connecteurs (exemples (3) et (4)). Non que l’émotion, la subjectivité du locuteur
disparaissent subitement, mais elles tiennent dès lors indirectement à la force de
connecteur de la formule. En (8) et (9), l’emploi de décidément présente le contenu
modalisé comme une forme de confirmation conclusive auto-initiée, fondée sur un
argument préalable supplémentaire :
(8) Impossible, décidément, de se détourner du Proche-Orient. (Jean Daniel, Le Nouvel
Observateur, 1-4 février 2009)
(9) Tout ce qui est intéressant se passe dans l’ombre, décidément. On ne sait rien de
la véritable histoire des hommes. (Céline, Le voyage au bout de la nuit, p. 72)
25 La confirmation conclusive que manifeste décidément est une forme de consécution
différente de ce qu’indiquerait finalement, en lieu et place de décidément en (8) ou (9) ou
ailleurs, qui marquerait une sorte de révision conclusive. Décidément implique ainsi
indirectement une subjectivité empreinte de fatalisme, relative à l’opération de
confirmation conclusive qu’il instaure12. Il s’oppose en cela à finalement qui marquerait
une réorientation conclusive et donc une forme de remords ou du moins de remise en
cause des croyances du locuteur, ou encore à justement ou à précisément qui impliqueraient
en ce qui les concerne une forme de coïncidence d’orientation entre plusieurs arguments
et donc une attitude plus ludique, de la part du locuteur.
26 Quant à notre seconde opposition, elle tient au fait que les formules énonciatives peuvent
aussi servir à marquer une relation qui est à la fois dialogique (relative à un échange) et
dans certains cas polyphonique à l’égard de la proposition modalisée, lorsque cette
dernière est présentée comme une reformulation de ce que vient de dire ou de ce que
pense le destinataire. Tout comme certains hein ou ah, ah bon (abordés en 2.1.3.), ou
encore comme oui, certes, les adverbes comme naturellement, parfaitement ou effectivement,
en effet impliquent une forme de reprise ou du moins de rappel, si ce n’est de
reformulation hétéro-initiée, tout à fait exclue par sincèrement et que n’impliquent en rien
les adverbes comme heureusement, décidément ou finalement. La substitution de
naturellement à décidément en (8) et (9) à ce sujet est éloquente. Contrairement à décidément
qui marque un effet de confirmation auto-initiée, y compris lorsqu’il est
contextuellement avéré que le locuteur enchaîne et reformule le contenu d’une
(13) Obama a peut-être gagné, mais le Parti démocrate est un champ de bataille.
Après une résistance farouche, Hillary Clinton a finalement reconnu sa défaite. (Le
Point, 12 juin 2008)
31 À côté de ses emplois respectivement épistémiques et concessifs, peut-être peut aussi
marquer une forme de réfutation, lorsqu’il est postposé comme dans « Obama a gagné
peut-être, tu rigoles ? » Entre ces trois peut-être, les différences d’emplois ne sont pas loin
de séparer trois unités lexico-grammaticales distinctes.
Modalisateurs parenthétiques
32 Outre les interjections et les adverbes d’énonciation, les formules énonciatives reposent
aussi fréquemment sur des constructions verbales dites parenthétiques (au sens de Urmson
1952), centrées sur un verbe de parole ou d’attitude comme dire ou penser. Au plan
syntaxique, les modalisateurs parenthétiques peuvent être issus de constructions liées
comme je dirais que…, je pense que…, j’imagine que…, dont le verbe à la première personne
consistait à régir, au départ, une proposition complétive en que. Le détachement relevé
précédemment en ce qui concerne les adverbes d’énonciation correspond alors à un
affaiblissement de la force de rection du modalisateur, qui autorise son déplacement en
incise ou en postposition15. On peut dire aussi bien, à peu près indifféremment, « Je pense
que Paul est un garçon sérieux », que » Paul est un garçon sérieux, je pense », ou encore
« Paul, je pense, est un garçon sérieux ». Ces déplacements sont plus difficiles lorsque le
verbe a conservé sa pleine force de rection. Dans le cadre de constructions comme « Paul
est un garçon sérieux, j’observe (ou je considère, je cogite) », ou comme « Paul, j’observe, est
un garçon sérieux », le détachement n’est pas neutre syntaxiquement, car la force
indicielle associée au clivage de la construction n’a pas (encore) atteint diachroniquement
le comportement de la formule. Au terme de leur dérivation diachronique, les formules
parenthétiques issues de constructions liées jouent un rôle analogue à celui de
constructions libres comme je vous dis pas, je vous dis que ça, c’est pas peu dire, soi-disant, tu
parles, tu penses. Qu’elles soient libres ou liées à la base, l’ensemble de ces constructions
verbales parenthétiques jouent un rôle analogue.
33 Au plan sémantique, les modalisateurs parenthétiques confirment nos observations sur
les interjections et les adverbes d’énonciation. Ils sont alors plus ou moins affaiblis
descriptivement, à mesure que se renforce leur valeur indicielle de symptôme. Cet
affaiblissement descriptif (ou conceptuel, symbolique) est bien entendu graduel, selon le
degré de codage, de grammaticalisation, de la force indicielle de l’expression. Certaines
observations semblent révéler que la force indicielle de Je pense est davantage codée que
celle de je crois, qui l’est davantage que celle de j’observe ou je considère. Les formules
comme soi-disant, ou même tu parles, en tant que marqueurs de réfutation, sont davantage
grammaticalisées que tu rigoles, ou c’est vous qui le dites. À l’origine, tu parles avait toute sa
force descriptive et devait déclencher une inférence du genre ‘Tu peux parler, les paroles
sont vaines, je ne suis pas d’accord avec toi’. À l’arrivée de la dérivation diachronique
désormais, une telle inférence n’a plus lieu d’être. L’expression est devenue simplement
l’indice (ou symptôme) conventionnel d’un rejet, par le locuteur, de la proposition
modalisée. La différence entre tu penses comme formule d’assentiment, et penses-tu
comme formule de réfutation en témoigne notamment.
34 Comme on peut s’y attendre, les formules en dire ou autres verbes de parole ou d’attitude
ont globalement les mêmes fonctions pragmatiques que celles observées en vue de rendre
(23) Olivier Masset-Depasse […] était hier au septième ciel tant l’accueil de son film
[« Illégal »] fut à la hauteur de ses espoirs […]. Il faut dire que le sujet est universel […] (
Cf. www.lalibre.be)
48 D’autres en revanche comme c’est tout dire, ça veut tout dire, c’est pas peu dire modalisent un
argument en vue de suspendre au contraire l’explicitation d’une conclusion sous-
entendue. Difficilement substituables à il faut dire que dans l’exemple précédent en raison
du caractère explicite de la conclusion qui précède, un énoncé comme « Le sujet est
universel, c’est tout dire (ou ça veut tout dire) » permet de sous-entendre que le locuteur a
des arrières pensées conclusives. Un énoncé comme « Paul a réussi ses examens c’est tout
dire (ou ça veut tout dire) », sous-entend indirectement une conclusion comme « Les
examens devaient être faciles » ou « Il y eu de la fraude », par exemple.
49 Outre les conclusifs et les justificatifs, il y a bien sûr les adversatifs (proches de mais, quand
même, pourtant, cependant), lorsque la formule modalise une proposition comme anti-
orientée relativement à ce qui précède, orientée en faveur d’une conclusion inverse. À
l’intérieur du paradigme des adversatifs, ceci dit, cela dit se comportent comme mais :
(24) http://groups.skyrock.com/group/4da7-L-alcool-ne-resoud-pas-les-
problemes-Ceci-dit-l-eau-et-le-lait-non l'eau et le lait non plus. (Cf. http://
groups.skyrock.com)
50 Tandis que on a beau dire, par exemple, ou y a rien à (re)dire, quoi qu’on puisse dire, quoi
qu’on die (en ancien français), se rapprochent de pourtant ou quand même.
51 Les adversatifs se distinguent notamment des correctifs comme à vrai dire, disons, je
veux dire, j’entends, qui modalisent une proposition non comme l’inversion
argumentative, mais comme la révision d’une prédication préalable. À l’intérieur de ce
paradigme, la différence entre disons et que dis-je ? par exemple – qui correspond d’assez
près, parmi les interjections correctives, à l’opposition entre oh et ah comme connecteurs
analysées en 2.1.2 – est intéressante. Disons marque un réajustement par affaiblissement
de la prédication associée à la proposition modalisée relativement à ce qui précède. Que
dis-je en revanche marque un réajustement par renforcement de cette prédication19. Pour
cette raison ces expressions ne sont pas permutables en (25) et (26) :
(25) Le fait qu’aucun acteur financier n’échappe à la supervision, disons au contrôle,
est-ce que cela va redonner la confiance nécessaire au crédit et à la relance ? (L’édito
éco, 5 avril 2009, Corpus 16 NG)
(26) Cette école où l’on menace – que dis-je ? – où l’on frappe les institutrices avec des
couteaux de cuisine […]. (Le Nouvel Observateur, F. Bazin 2009)
52 Pour terminer ce survol des expressions de la catégorie B, à fonction de connecteur, on
peut encore mentionner les simples reformulatifs auto-initiés comme c’est-à-dire, autrement
dit, ou entendez, à savoir, qui modalisent une proposition comme une simple reformulation
de ce qui a été dit préalablement, visant à qualifier plus adéquatement, à résumer ou à
préciser un point de vue préalablement exprimé (ou du moins assumé) par le locuteur.
Les formules de simple reformulation sont compatibles avec diverses sortes de
consécutions, justifications, éclaircissements d’un jugement préalable du locuteur :
(27) Le marché, c’est une action, une voix, 10 000 actions, 10 000 voix, autrement dit
le contraire de la démocratie : un homme une voix. (France Inter, L’édito éco, 5 mars 2009,
Corpus 23 NG)
53 Parmi les reformulatifs auto-initiés tout comme parmi les correctifs et autres
connecteurs, certaines locutions comme que dis-je, ou en d’autres termes, en un mot portent
sur la voix du locuteur, non seulement sur le contenu, mais sur la forme linguistique
associée à l’énonciation de la proposition modalisée.
mais (ou ceci dit) il va se calmer », ou encore dans « Paul est aux anges, j’entends bien,
pourtant il va déchanter », l’assentiment au point de vue du destinataire est subordonné à
une réorientation adversative du point de vue finalement pris en charge par le locuteur.
Sous forme liée, je vois bien que…, je sais bien que…, il est vrai que…, et même tout simplement
bien que… ont un effet identique24. Dans le passage suivant, c’est vrai que… modalise à deux
reprises une proposition comme une forme d’assentiment concédé par le locuteur au
pessimisme ambiant sur la crise économique :
(29) c’est vrai hein, qu’avec une récession telle qu’on la connaît, ça peut paraître
dérisoire. Cela dit, c’est toujours bon à prendre, hein, sur le fond, réellement. Mais c’est
vrai aussi que tout ça c’est un moyen de changer de terrain politique alors que la
crise est profonde. (France Inter, L’édito éco, 2 avril 2009, 11 NG)
59 La première occurrence de c’est vrai modalise d’abord l’énonciation concessive d’une
proposition (« Avec une récession telle qu’on la connaît, ça peut paraître dérisoire »), comme
subordonnée argumentativement à l’énonciation d’une seconde proposition (« C’est
toujours bon à prendre sur le fond ») modalisée à la fois comme anti-orientée relativement à
la concession qui précède (en vertu de cela dit, connecteur adversatif de la catégorie B), et
renforcée par réellement (adverbe d’engagement de la catégorie A). La hiérarchie des
séquences ainsi établie est toutefois rééquilibrée, de part et d’autre, par l’usage de hein
(interjection dialogique abordée plus haut), qui soumet chacune des séquences de ce
premier mouvement périodique à une appréciation confirmative du destinataire. Quant à
la seconde occurrence de c’est vrai, assortie de mais, elle modalise finalement
l’enchaînement d’un second mouvement concessif, portant sur une troisième et ultime
proposition (« Tout ça n’est qu’un moyen de changer de terrain politique alors que la
crise est profonde ») consistant à nouveau à inverser l’orientation argumentative de ce
qui précède. La dynamique des séquences consiste donc dans ce passage à insérer, entre
deux propositions concédées au pessimisme ambiant sur la gravité de la crise
économique, l’énonciation d’une proposition centrale exprimant un point de vue
optimiste du locuteur concernant certaines mesures à prendre en vue de contrecarrer
cette crise. Allez savoir après ça s’il faut croire ou non à l’optimisme affiché du locuteur…
60 L’originalité de l’exemple précédent tient à sa façon de présenter, entre deux concessions
au point de vue de la partie adverse, un point de vue quant à lui bel et bien revendiqué
par le locuteur. Il n’en demeure pas moins que la concession consiste fondamentalement
à exprimer un point de vue que le locuteur admet certes, mais pour ainsi dire à
contrecœur, à l’insu de son plein gré si j’ose dire25, en le présentant comme opposé au
point de vue auquel il croit, qu’il revendique même personnellement, si ce n’est
explicitement par un enchaînement adversatif, du moins sous forme sous-entendue. Un
énoncé comme « Paul est fâché, je dis pas » concède que Paul est fâché, mais ce faisant
annonce par avance, même en l’absence d’enchaînement adversatif, que le locuteur pense
le contraire, que Paul n’est pas vraiment fâché en fait. L’absence d’enchaînement
adversatif crée ainsi généralement un effet de suspension (de l’inversion argumentative
annoncée), auquel l’exemple (29) ne réussit à échapper que dans la mesure où, en
l’occurrence, le point de vue revendiqué personnellement par le locuteur a déjà été
exprimé préalablement.
61 Ces observations nous conduisent à formuler une dernière remarque en ce qui concerne
les constructions concessives, relatives au changement de sens de certaines formules
verbales négatives à la première personne en construction libre ou liée. Il apparaît en
effet qu’un énoncé comme « Paul est fâché, je dis pas », qui concède que Paul est fâché, ne
correspond pas sémantiquement à la forme liée « Je dis pas que Paul est fâché », qui
concède au contraire que Paul ne l’est pas. La différence tient au fait que la première
forme dérive de la contraction d’un enchaînement du type : « Paul est fâché, je ne dis pas le
contraire », où le locuteur réfute avoir dit que Paul n’est pas fâché (et concède donc qu’il
l’est), alors que la seconde relève de la réfutation d’une proposition selon laquelle le
locuteur aurait dit (ou pensé) que Paul est fâché. Les deux formules sont issues d’un acte
de réfutation, mais de deux propositions contraires. La dérivation indicielle dont sont
issus certains modalisateurs concessifs comme je dis pas que…, on peut pas dire que…, je
prétends pas que…, certains emplois de je sais pas si… résultent à la base d’un acte ayant
consisté à réfuter formellement (rituellement) avoir dit ou pensé quelque chose, sans
pour autant avoir renoncé à le dire ou à le croire. « Je dis pas que Paul est fâché » en est
venu ainsi à concéder que Paul ne l’est pas, et ce faisant à laisser entendre qu’il l’est
quand même. Et de même inversement, « Je dis pas que Paul est pas fâché » concède que
Paul est fâché, sans y croire vraiment donc. L’énoncé est alors équivalent à « Paul est
fâché, je dis pas » (qui sous-entend que « non pas tant que ça », en vertu d’une dérivation
analogue). À l’arrivée de la dérivation indicielle dont ils sont issus, je dis pas que…, on peut
pas dire que… modalisent donc une proposition que réfute explicitement le locuteur en
vue de concéder le point de vue contraire, mais pour reprendre finalement cette
proposition à son compte au plan de la période. Le procédé est assez élaboré mais
parfaitement automatisé, codé linguistiquement dans la formule et donc insensible, en
terme d’effort interprétatif. Cela est d’autant plus remarquable que certains
modalisateurs (ou certains emplois) de formes analogues comme je pense pas que…, je
trouve pas que…, je dirais pas que… ont conservé, en ce qui les concerne, leur pleine force de
réfutation. Nullement concessives, ce sont alors des formules que nous appellerons
polémiques ou d’opposition, de réfutation.
62 Fussent-elles concessives et proches parfois de l’expression d’un désaccord indirect, les
formules d’assentiment ne doivent pas pour autant en effet se confondre avec celles d’
opposition ou de réfutation, qui marquent explicitement un désaccord et ont pour effet
interactionnel de différer la clôture d’un échange, en forçant l’interlocuteur à se
déterminer face à une prise de position polémique de la part du locuteur.
63 On l’a vu, à propos de certains adverbes comme vraiment, franchement, on peut regrouper
notamment les emplois (ou formules) qui manifestent une relation polémique directe à
l’égard de la proposition modalisée, comme dans nos exemples (10) et (11). La formule
sert alors à réfuter directement ce qui est exprimé dans la proposition modalisée,
notamment sous forme libre plus ou moins grammaticalisée centrée sur le verbe dire (soi-
disant, c’est vite dit, c’est beaucoup dire, c’est vous qui le dites, que tu dis, je sais pas que te dire),
ou autres verbes de parole ou d’opinion (tu parles, tu rigoles, penses-tu, pensez-vous), ou
locutions diverses (enfin !, allons !, voyons ! , n’importe quoi !, non). Ou sous forme liée,
toujours plus ou moins grammaticalisée, notamment de modalisateurs à la forme
négatives première personne (je pense pas que…, je trouve pas que…), de phrases
interrogatives ou contrefactuelles (qui vous dit que…, qu’est-ce qui t’dit que…, si tu crois que…,
s’ils croient que…, comme si…). Dans les exemples suivants notamment (d’abord une parodie
de Nicolas Sarkozy par Anne Roumanoff, et ensuite le vrai Sarkozy dans une conférence
de presse), s’il croient que…, soi-disant, vous voyez… sont des modalisateurs polémiques
directs consistant à réfuter ce qui est exprimé dans les propositions qu’ils modalisent :
(30) Franchement, vous voulez que je vous dise ? Les Français, ils se rendent pas compte
de la chance qu’ils ont de m’avoir comme président. S’ils croient que c’est facile
comme métier ! Soi-disant je contrôlerais la presse, mais vous avez vu toutes ces
BIBLIOGRAPHIE
ANDERSEN , Hanne Leth, Propositions parenthétiques et subordination en français parlé, Thèse de
doctorat de l’université de Copenhague, 1997.
ANSCOMBRE, Jean-Claude, « Note pour une théorie sémantique des jurons, insultes et autres
exclamatives », Lagorgette, Dominique (dir.), Les insultes en français, Éditions de l'Université de
Savoie, 2009b, p. 9-30.
BALLY, Charles, Linguistique générale et linguistique française, Berne, Francke, [1932] 1965.
BANFIELD , Ann, Unspeakable Sentences, Londres Routledge & Kegan Paul, 1982.
BLANCHE-BENVENISTE , Claire & WILLEMS, Dominique, 2007, « Un nouveau regard sur les verbes
faibles ». Bulletin de la société linguistique de Paris 102/1, 217-254.
BORILLO, Andrée, « Les adverbes et la modalisation de l’assertion », Langages 43, 1976, p. 74-89.
BRES, Jacques, « ‘Hou ! Haa ! yrrââ’ : interjections, exclamation, actualisation », Faits de langues 6,
1995, p. 81-91.
BURIDAN , Claude, L’interjection en français : esquisse d’une étude diachronique. Essai de synthèse des
travaux et aperçu sur l’histoire et les emplois de « Hélas », Strasbourg, Université Marc Bloch, 2001.
CARON-PRAGUE, Josiane & CARON , Jean, « Les interjections comme marqueurs du fonctionnement
cognitif », Cahiers de praxématique 34, 2000, p. 51-76.
COMBETTES, Bernard & KUYUMCUYAN , Annie, « La formation des modalisateurs en français : le cas
des locutions formées sur vérité », Langue française 156, 2007, p. 76-92.
DENDALE, Patrick & Tasmowski, Liliane (dir.), 1994, « Les sources du savoir », Langue française102.
MILNER, Jean-Claude, Introduction à une science du langage, Paris, Éditions du Seuil, 1989.
MOLINIER, Christian, Une classification des adverbes en -ment, Paris, Éditions Ophrys, 1990.
NØLKE, Henning, Linguistique modulaire : de la forme au sens, Louvain/ Paris, Peeters, 1994.
OLIVIER, Claudine, Traitement pragmatique des interjections en français, thèse de doctorat 3 e cycle,
Université Toulouse-le-Mirail, 1986.
PEIRCE, Charles Sanders, Philosophical Works of Peirce, New York, Dover Publications Inc, 1955.
PERRIN, Laurent, « Aspects de la voix du locuteur à l’intérieur du sens », Cahiers de praxématique 49,
Praxiling, Université Paul-Valéry, Montpellier III, 2007, p. 79-101.
PERRIN, Laurent, « La voix et le point de vue comme formes polyphoniques externes. Le cas de la
négation », Langue française 164, 2009, p. 61-79.
RABATEL, Alain, Homo narrans. Pour une analyse énonciative et interactionnelle du récit, Limoges,
Lambert-Lucas, 2008.
REINHART, Tanya, « Point of View in Language. The Use of Parentheticals », in Rauh G., Essays on
Deixis, Tübingen, Gunter Narr Verlag, 1983, p. 169-194.
ROULET, Eddy et al., L’articulation du discours en français contemporain, Berne, Peter Lang, 1985.
SWIATKOWSKA , Marcella, « L’interjection : entre deixis et anaphore », Langages 161, 2006, p. 47-56.
TRAUGOTT Elizabeth & Heine, Bernd (dir.), Approches to Grammaticalization, Amsterdam, John
Benjamins, 1991.
WITTGENSTEIN , Ludwig, Tractatus Logico-philosophicus, Londres, Routledge & Kegan Paul, [édition
allemande 1921] 1961.
NOTES
1. Voir à ce sujet l’opposition entre dire1 et dire2 selon Oswald Ducrot, Le dire et le dit, Paris,
Minuit, 1984, p. 187-189 ; la notion d’expression montrée, chez Hans Kronning, « Modalité et
diachronie : du déontique à l’épistémique. L’évolution sémantique de debere/devoir », Actes du XI
e
congrès des romanistes scandinaves , Université de Trondheim, 1990 ; ou Henning Nølke,
Linguistique modulaire : de la forme au sens, Louvain/ Paris, Peeters, 1994 ; qui s’inspirent de Ludwig
Wittgenstein, Tractatus Logico-philosophicus, Londres, Routledge & Kegan Paul, [édition allemande
1921] 1961. Voir aussi sur ce sujet, Laurent Perrin, « L’énonciation dans la langue : ascriptivisme,
pragmatique intégrée et sens indiciel des expressions », dans Vahram Atayan, & Ursula Wienen
(dir.), Ironie et un peu plus. Hommage à Oswald Ducrot pour son 80 e anniversaire, Francfort, Peter Lang,
2010, p. 65-85.
2. Voir néanmoins à ce sujet le numéro 6 de la revue Faits de langue (1995), ainsi que le n° 161 de
Langages (2006). Voir aussi la thèse de Claudine Olivier (1986), ainsi que, parmi différents articles
récents sur l’interjection en bibliographie, notamment Claude Buridan, L’interjection en français :
esquisse d’une étude diachronique. Essai de synthèse des travaux et aperçu sur l’histoire et les emplois de «
Hélas », Strasbourg, Université Marc Bloch, 2001.
3. Dans tous nos exemples authentiques numérotés, je transcris en italique les interjections (ou
autres formules énonciatives), et certaines séquences propositionnelles qu’elle modalise.
4. Entre le cri pur et simple comme indice contextuel et l’interjection comme indice
conventionnel, il existe toutes sortes de cas intermédiaires dans les corpus. Sur ce point
notamment, comme sur différents aspects de l’interjection, voir certaines observations de
Jeanne-Marie Barberis, « Onomatopée, interjection, un défi pour la grammaire », L’information
grammaticale 53, 1992 et du même auteur : « L’interjection : de l’affect à la parade, et retour »,
dans « L’exclamation », Faits de langues 6, 1995, p. 93-104. et de Bres (1995), qui ouvrent plusieurs
pistes de recherches intéressantes. Pour ce qui concerne les interjections ah !, oh !, voir Olivier
C., 1995, « L’interjection Ah !, logique et subjectivité », Champs du Signe, Toulouse, Presses
Universitaires du Mirail. Et voir aussi Laurent Fauré, « Actualisation et production interjective du
sens : le cas de la forme vocalique oh », Cahiers de praxématique 34, 2000.
5. Voir notamment sur ce sujet Jean-Claude Milner, De la syntaxe à l’interprétation. Quantité, insultes,
exclamation, Paris, Éditions du Seuil, 1978. Ainsi que Ann Banfield, Unspeakable Sentences, Londres,
Routledge & Kegan Paul, 1982. Voir aussi Jean-Claude Anscombre, « Note pour une théorie
sémantique des jurons, insultes et autres exclamatives », Dominique Lagorgette, (dir.), Les insultes
en français, Éditions de l'Université de Savoie, 2009b, p. 9-30.
6. Nous laisserons ici de côté les interjections comme ouste, stop, chut, qui qualifient leur
énonciation comme l’association d’une force illocutoire (directive en l’occurrence) à une forme
de contenu intégré (Ouste signifie quelque chose comme « Je vous demande de vous en aller »,
Stop « Je vous demande de vous arrêter », et ainsi de suite). Nous laisserons aussi de côté les
interjections comme pst, ohé, assimilables à de simples interpellations, qui n’expriment ni ne
modalisent aucun contenu propositionnel. Sur la fonction modale des interjections, voir Marcella
Swiatkowska, Entre dire et faire. De l’interjection, Krakov, Wydawnictwo, Uniwersytetu
Jagiellonskiego, 2000 et du même auteur, « L’interjection : entre deixis et anaphore », Langages
161, 2006. Voir également Albena Vassileva, Vers un traitement modal de l’interjection en français,
Tirnovo, Presses Universitaires de Veliko-Tirnovo, 1998.
7. Sur ce point, voir Josiane Caron-Prague & Jean Caron, « Les interjections comme marqueurs du
fonctionnement cognitif », Cahiers de praxématique 34, 2000. Certaines observations sont
intéressantes, en particulier celles qui abordent cette question sous un angle plus cognitif.
8. Il en irait de même d’une formule comme enfin, par exemple, qui pourrait commuter avec ah !
en (4), avec en l’occurrence à peu près la même valeur de réfection de ce qui précède. Tout
comme ah !, enfin serait alors délesté de la valeur émotive dont ces formules sont pourvues
lorsqu’elles portent sur une clause assimilable à une période simple (ou comme totalité) comme
en (1) et (2).
9. Pour une analyse polyphonique des usages de ah ! dans cette scène de Tintin se référer à
Hugues De Chanay, « Dialogisme, polyphonie, diaphonie : approche interactive et multimodale »,
dans Laurent Perrin (dir.), Le sens et ses voix. Dialogisme et polyphonie en langue et en discours,
Université Paul Verlaine – Metz, Recherches linguistiques 28, 2006, p. 49-75.
10. Sur les adverbes d’énonciation, voir notamment Claude Guimier qui parle à ce sujet
d’adverbes de phrase in Les adverbes français, Paris, Éditions Ophrys, 1996. Voir aussi Christian
Molinier, Une classification des adverbes en -ment, Paris, Éditions Ophrys, 1990. Et aussi Henning
Nølke, Linguistique modulaire : de la forme au sens, Louvain/ Paris, Peeters, 1994. Pour ce qui
concerne les approches énonciatives, se référer à Henning Nølke, op. cit., p. 113s, et à Jean-Claude
Anscombre « Des adverbes d’énonciation aux marqueurs d’attitude énonciatives : le cas de la
construction tout + adjectif », Langue française 161, 2009, p. 59-80.
11. Sur l’évolution diachronique de apparemment comme adverbe d’énonciation, voir Jean-Claude
Anscombre, Alvaro Arroyo, Caroline Foullioux, Sonia Gòmez-Jordana, Amalie Rodriguez
Somolinos, Laurence Rouanne & Jesús Salò, « Apparences, indices, et attitude énonciative : le cas
de apparemment », Langue française 161, 2009.
12. Adverbe très célinien au demeurant, on retrouve décidément à un taux de fréquence élevé
notamment dans le Voyage et dans toute l’œuvre de Céline (alors que finalement, par exemple, n’y
apparaît pratiquement pas).
13. En ce qui concerne les modalisateurs formés sur la notion de vérité, voir Bernard Combettes
& Annie Kuyumcuyan, « La formation des modalisateurs en français : le cas des locutions formées
sur vérité », Langue française 156, 2007.
14. En ce qui concerne la différence entre franchement comme adverbe polyphonique de
réfutation, et personnellement comme adverbe modal, voir Adelaida Hermoso, « Personnellement
et franchement : deux attitudes énonciatives », Langue française 161, 2009
15. Sur les verbes parenthétiques comme recteurs faibles, voir notamment Hanne Leth Andersen,
Propositions parenthétiques et subordination en français parlé, Thèse de doctorat de l’université de
Copenhague, 1997 ; Denis Apotheloz, « La rection dite “faible” : grammaticalisation ou
différentiel de grammaticité ? », Verbum 25/3, 2002, p. 241-262 ; Claire Blanche-Benveniste,
« Constructions verbales en incise et rection faible des verbes ». Recherches sur le français parlé 9,
1989.
16. Patrick Dendale & Liliane Tasmowski (dir.), 1994, « Les sources du savoir », Langue française102
.
17. Parmi d’autres études sur le classement et les propriétés des connecteurs, à commencer par
celle de Corinne Rossari, « Formal properties of a subset of discourse markers : connectives », in
Fischer K (dir.), « Approaches to Discourse Particles », Studies in Pragmatiscs 1, Amsterdam,
Elseveir, 2006 ; voir également Eddy Roulet et al., L’articulation du discours en français contemporain,
Berne, Peter Lang, 1985.
18. À ne pas confondre avec il faut le dire, qui est une formule de retenue de la catégorie A.
19. On peut relever en outre que disons et que dis-je ne suivent pas le même ordre directionnel
dans l’articulation de l’enchaînement correctif (comme l’indiquent les italiques). Disons modalise
l’énonciation d’un consécutif reformulant (il pourrait être post-posé à la séquence qu’il modalise,
comme dans : « […] à la supervision, au contrôle disons »). Que dis-je en revanche modalise
l’énonciation d’un antécédent reformulé (il pourrait être antéposé, comme dans : « que dis-je où
l’on menace, où l’on frappe… »).
20. À ne pas confondre avec penses-tu, pensez-vous, qui marquent la réfutation (cf. infra).
21. Ces effets énonciatifs hyperboliques, fondés sur l’engagement émotif du locuteur, sont à mon
sens à la base de ce qui caractérise les formes de « sur-énonciation » (tels que les conçoit
notamment Alain Rabatel, in Homo narrans. Pour une analyse énonciative et interactionnelle du récit,
Limoges, Lambert-Lucas, 2008.). Au sens large, la notion de sur-énonciation repose sur un simple
engagement énonciatif hyperbolique du locuteur ; au sens étroit, cette notion s’applique à des
formes dialogiques-polyphoniques de confirmation hétéro-initiée de la catégorie C. Elle se
traduit dès lors par une sorte de domination émotive ou subjective du locuteur sur autrui
(destinataire ou personnage) ; l’engagement hyperbolique du locuteur place alors le destinataire
(ou personnage) sous son autorité, ou du moins son contrôle, par une forme de captation de son
point de vue.
22. À ne pas confondre avec je te dis pas, je vous dis pas, qui marquent un engagement
hyperbolique de la catégorie A, c’est-à-dire une forme de sur-énonciation (au sens large).
23. À l’inverse des précédentes (cf. note 21), ces formules de retenue émotive impliquent donc
une forme de sous-énonciation au sens étroit, à savoir une énonciation placée sous l’autorité, le
contrôle d’un destinataire (ou personnage), qui se traduit parfois comme une forme de
soumission subjective du locuteur, par le jeu d’une adhésion relative et temporaire au point de
vue de son destinataire. Au sens large, la sous-énonciation implique simplement la retenue
émotive du locuteur sous quelque forme que ce soit.
24. De forme analogue, je dis bien que marque en revanche une forme d’engagement
hyperbolique à visée polémique, sur laquelle nous reviendrons dans la conclusion de cette étude.
25. S’il m’est permis de recourir ainsi coup sur coup à deux modalisateurs de retenue de la
catégorie A (signalés en 3.1.2), qui n’ont rien de polyphonique en ce qui les concerne.
INDEX
Mots-clés : énonciation, modalisateur, connecteur
AUTEUR
LAURENT PERRIN
Université de Lorraine, CREM