08 Figures de La Figure Texte Complet
08 Figures de La Figure Texte Complet
08 Figures de La Figure Texte Complet
de la figure
Sémiotique et rhétorique générale
Sous la direction de
Sémir BADIR
& Jean-Marie KLINKENBERG
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Figures de la figure
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Nouveaux Actes Sémiotiques - Recueil
Collection dirigée par Jacques Fontanille
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sous la direction de
Sémir Badir et Jean-Marie Klinkenberg
Figures de la figure
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Sémiotique et rhétorique générale
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Dans la même collection :
Herman Parret
Epiphanies de la présence
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Claude Zilberberg
Eléments de grammaire tensive
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Manar Hammad
Lire l’espace, comprendre l’architecture. Essais sémiotiques
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Gianfranco Marrone
Le traitement Ludovico. Corps et musique dans « Orange Mécanique »
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Louis Hébert
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bon ? Qui, ou qu’est-ce que cela sert ? Un tel état des lieux correspond-il
simplement à une récapitulation du chemin parcouru, ou bien peut-il
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être aussi un bilan prospectif pour des travaux à venir ? Bien que
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simple qu’elle ne se pose même pas (et pour certains c’est le cas : on
pourrait en effet avancer que si la rhétorique linguistique est une
province des sciences du langage, alors la rhétorique générale doit être
dans le même rapport avec la sémiotique générale, la pertinence de la
première étant garantie par celle de la seconde). Non que le sujet ait été
épuisé en cours de route, ou que son enjeu soit devenu obsolète. C’est
plutôt que la question de la place de la rhétorique dans la sémiotique et
celle des apports de la sémiotique à la rhétorique sont largement restées
jusqu’ici en suspens. D’abord pour des raisons historiques qui seront
examinées par certains des contributeurs de l’ouvrage. Mais aussi parce
que quelque chose dans la rhétorique a toujours résisté à une
8 Sémir Badir & Jean-Marie Klinkenberg
R
de conceptualisation. Du reste, il n’est pas opportun de borner cette
SE
actualisation aux rapports que la rhétorique entretient avec la seule
sémiotique : elle peut s’étendre aux sciences du langage en général.
Il y a toutefois davantage à proposer qu’une actualisation. L’occasion
FU
est également donnée de faire retour sur un programme : observer ce qui
a été accompli en rhétorique depuis que le projet d’une rhétorique
IF
générale a été formulé ; quels ont été les obstacles et quels les contour-
nements ; et comment ont interagi le projet rhétorique et l’aventure
D
R
première vue paraître plus modeste, se restreignant, quant aux objets,
SE
aux figures de sens (ou tropes) et, quant à leur application, au domaine
linguistique. En réalité, c’est une autre forme de généralisation, plus
épistémologique que modalisatrice, que fournit son argument.
FU
L’intégration des processus rhétoriques à une théorie linguistique
demande en effet à être située en termes de réception historique du
IF
R
collectif : Rhétorique générale, ouvrage qui connaîtra un retentissement
SE
certain (il sera tôt traduit en une quinzaine de langues) et auquel la
réputation du Groupe demeurera liée. Sept ans plus tard, leurs
réflexions trouvent un habitacle dans Rhétorique de la poésie, où se
FU
manifeste un tropisme plus affirmé pour les questions discursives. Mais
c’est dès les débuts que la question de l’intégration de la rhétorique à la
IF
sémiotique est posée (elle le sera explicitement dans le titre d’un recueil
de 1979, Rhétoriques, sémiotiques). En 1992, ce sera le Traité du signe
D
R
tradition à la fois théorique et pratique. C’est en regard d’autres théories
SE
de l’image, en particulier de celle de Wölfflin, que Fulvio Vaglio
questionne pour sa part la transposition des concepts de la rhétorique,
soutenus à l’origine par des exemples linguistiques, au domaine visuel.
FU
Deux instruments théoriques sont ainsi examinés : la notion de « degré
zéro » et les opérations fondamentales de production des figures. Ces
IF
Pour s’en faire une idée, Tiziana Migliore étudie le parcours épisté-
PA
Il est vrai que c’est alors la part sémiotique qui entre en connexion avec
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R
peut se jouer la généralisation d’un modèle rhétorique — à cet égard, il
SE
n’y a guère qu’une analogie entre la rhétorique linguistique et la
rhétorique de l’image — mais que c’est bien dans sa relation à la théorie
sémiotique — tout aussi généralisante — que se situe la généralité du
FU
fonctionnement rhétorique.
Sonesson et Bonhomme appuient leur démonstration sur l’analyse
IF
R
comme un paradigme de « l’écran », et que la redécouverte du plastique
SE
par le Groupe µ permet également de concevoir. De fait, le partage entre
linguistique et visuel n’est pas sémiotiquement fondé, mais correspond à
une simple distribution sociale des pratiques. Il faut alors observer
FU
comment s’opère la conjonction du linguistique et du visuel dans un
énoncé. Et c’est ce à quoi s’attellent ici-même Inna Merkoulova et Nicole
IF
mouvement.
Si donc le visuel ne constitue pas un domaine homogène, on doit
alors démultiplier les sémiotiques nécessaires pour couvrir ce vaste
territoire encore trop peu défriché. Des sémiotiques aptes à rendre
compte tant des caractéristiques formelles des phénomènes qu’on y
rencontre (point de vue adopté par le Groupe µ dans sa distinction de
l’iconique et du plastique) que des usages et des pratiques.
Cependant, l’hétérogénéité du visuel ne se limite pas à ces
potentialités polysémiotiques. En fait, la frontière entre le sémiotique et
le non sémiotique est condamnée à rester particulièrement floue dans le
domaine visuel. Car c’est de sa saisie visuelle que dépend avant tout,
plus que de tout autre sens, la constitution du réel. Il s’ensuit qu’un jeu
14 Sémir Badir & Jean-Marie Klinkenberg
R
Enfin il faut aussi admettre la possibilité qu’il existe des sémiotiques
SE
qui ne sont ni visuelles ni linguistiques. C’était du moins une hypothèse
qui pouvait tenter des musicologues, comme ici Jean-Pierre Bartoli et
Nicolas Meeùs. Pour élaborer la rhétorique musicale, il faut tabler sur
FU
l’existence d’un langage musical. Postulat qui ne mène pas à tomber
dans le piège d’un référentialisme complaisamment projectif, impropre à
IF
dire quoi que ce soit sur la spécificité de telle ou telle structure musicale,
ou à se contenter d’un formalisme étranger aux processus d’énonciation.
D
dans la seconde moitié du XXe siècle, elle n’a cessé d’être une incitatrice
N
pour les sciences du langage. Elle a en effet invité celles-ci à briser les
limites qu’avec une indubitable pertinence méthodologique elles s’étaient
données au début du même siècle. La nécessité de rendre compte du
dynamisme instaurateur de la sémiosis, qui est celui de la science
comme celui de l’art, invitait ces sciences du langage à s’élargir dans
trois dimensions. En longueur, elles étaient invitées à rendre compte du
phrastique et du discursif, voire même du continuum entre le
linguistique et ce qui est réputé non linguistique. En hauteur, il
s’agissait de rendre compte de l’ambivalence, de la polyphonie, des
feuilletages de sens, des conflits qui se posent et se résolvent parfois
dans le même temps, dans la figure comme dans les énoncés complexes.
En largeur, il fallait rendre compte de l’articulation entre les signes et le
Présentation 15
monde, monde dont les sujets sentant, connaissant et agissant sont des
composants privilégiés.
Il serait naïf de croire que c’est partout et toujours la rhétorique qui
a déclenché ce mouvement. Mais qu’elle y ait joué un puissant rôle
d’incitatrice n’est pas douteux. Ce mouvement d’élargissement n’est pas
terminé. Puissent les réflexions ici rassemblées le prolonger.
Les éditeurs ont plaisir à remercier François Provenzano pour l’aide qu’il leur a
apportée lors de la relecture du manuscrit.
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La dimension rhétorique du discours :
les valeurs en jeu
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Jacques Fontanille
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Préambule et hypothèses
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plus rarement une discussion sur les catégories et les opérations qui
fondent les figures.
C’est justement pour remettre en discussion cette tradition que le
Groupe µ (1970) s’est efforcé, en deux temps, de reconsidérer l’ensemble
des figures sous l’angle des catégories et opérations élémentaires qui les
constituent : (1) l’adjonction et la suppression (Groupe µ 1970), dans un
premier temps, et (2) le degré perçu et le degré conçu (Groupe µ 1992), à
propos des signes visuels. C’est aussi dans cette perspective que la
sémiotique des années quatre-vingt-dix a introduit dans la réflexion
rhétorique la question des modes d’existence (modes virtualisé,
actualisé, potentialisé et réalisé) et celle de la praxis énonciative
(Bordron & Fontanille 2000).
18 Jacques Fontanille
R
du même coup de se soumettre aux exigences d’une pratique scientifique
SE
empirique : un point de vue, en somme, où l’effort de cohérence
conceptuelle et théorique reste sous le contrôle de l’adéquation aux
objets d’analyse, qui sont des textes, des images, des pratiques
FU
sémiotiques. Par conséquent, d’un point de vue sémiotique, la valeur
opératoire d’une théorie rhétorique, quelle qu’elle soit, ne peut
IF
que la tradition nous les lègue, et cet héritage contient à la fois des
PA
R
Ce déplacement a quelques conséquences sur la méthode, et même
SE
sur l’usage des figures de rhétorique : dans la perspective du
« répertoire », du « système » ou de la « macro-structure », la méthode
d’analyse visera pour l’essentiel l’identification des figures et tropes, la
FU
reconnaissance de leur forme, de leurs composants et de leurs
variantes ; dans la perspective de la « praxis énonciative » et du discours
en acte, la méthode d’analyse s’efforcera en revanche de décrire et
IF
dans son intensité et dans son étendue. Ou aura donc d’un côté les
N
R
par la dérision ; le ravalement, en l’occurrence, est celui de la croyance
SE
et de l’engagement de l’énonciation dans les figures qu’il manipule, c’est-
à-dire celui de l’assomption énonciative.
Mais, telles que nous venons de les évoquer rapidement, ces
FU
« catégories discursives » ne suffisent pas à fonder une « dimension
rhétorique du discours », et ce pour deux raisons.
IF
La séquence canonique
Ce modèle catégoriel et syntagmatique, que nous conviendrons
d’appeler la « séquence rhétorique canonique », constituerait donc la
forme prototypique de toute opération sur la dimension rhétorique du
discours, et elle prendrait en charge en quelque sorte l’ « intentionnalité »
opérative des transformations rhétoriques. Nous avons déjà présenté
cette séquence ailleurs (Bordron & Fontanille 2000 : 7-13) ; nous en
rappelons ici seulement les grandes lignes.
L’opération rhétorique prototypique, comme toute opération relevant
de la praxis énonciative, repose sur l’existence, en tout point ou moment
du déploiement syntagmatique d’un discours, de « pressions » concur-
R
rentes, de figures et de bribes d’énonciation en mal d’expression, voire,
de manière plus systématique et plus organisée, de « voix » et/ou
SE
d’isotopies qui sont en compétition en vue de la manifestation
syntagmatique. Le propre d’une opération rhétorique, à cet égard, est de
codifier le processus qui conduit d’une situation de confrontation
FU
sémantique à sa résolution interprétative.
La séquence rhétorique canonique aura donc la même forme
IF
R
tique du corpus traditionnel des figures de rhétorique : chacune des
SE
phases de la séquence canonique actualise spécifiquement un type de
catégories et de valeurs, ou, inversement, chaque phase de la séquence
canonique se caractérise par le type de catégories discursives qu’elle
FU
actualise. Dans cette perspective, chaque figure rhétorique peut être
définie, du point de vue du discours en acte, par les différentes
catégories qu’elle affecte successivement au cours des trois phases de la
IF
séquence canonique.
D
problématisation »
PA
Déplacement
Une part importante des modalités de la confrontation-
E
Conflit
La catégorie du conflit, en rhétorique, est sans doute celle qui a
suscité le plus grand nombre de commentaires, ne serait-ce que parce
qu’elle est au cœur de la figure reine, la MÉTAPHORE (Ricœur 1975 ; Prandi
R
1992).
Elle est suffisamment générale pour être opposée directement au
SE
déplacement et à ses nombreuses variétés : le déplacement confronte des
grandeurs complémentaires, qui s’impliquent mutuellement, ou unilaté-
FU
ralement, alors que le conflit confronte des grandeurs contraires ou
contradictoires, quand elles appartiennent au même domaine
sémantique (l’OXYMORE, et les figures de la polémique argumentative) ou
IF
l’assomption énonciative.
PA
R
De fait, il s’agit toujours du conflit sémantique, mais transposé dans
SE
l’échange verbal, distribué entre des voix et des tours de paroles : dès
lors, la différence entre conflit sémantique et conflit énonciatif est bien
mince, surtout si l’on s’avise de généraliser le fonctionnement polypho-
FU
nique de ces figures d’argumentation à l’ensemble de la dimension
rhétorique : il n’y aurait alors de distinction qu’entre une polyphonie
IF
conflit d’isotopies, une association non retenue par l’usage ; (ii) l’ATTELAGE,
qui procède de la même manière, mais entre des termes qui
n’entretiennent pas de relation hiérarchique (éléments coordonnés) ; le
ZEUGME procède de même, mais entre des éléments qui, par leur contenu,
se prêtent à cette mise en série au même rang syntaxique ; (iii)
l’ HYPALLAGE provoque lui aussi une prédication impertinente, par
croisement de la relation sémantique et de la relation syntaxique.
Ruptures du lien syntaxique. — La régularité de la construction
syntaxique induit une attente, qui est prise en défaut par une rupture de
construction : la rupture du lien syntaxique est donc une forme de la
confrontation, car, en suscitant un problème de lecture, elle engage un
R
processus de résolution. Un grand nombre de figures relèvent de ce type,
mais l’ ANACOLUTHE est le cas général, qui consiste à associer deux
SE
constructions incompatibles, ce qui crée une tension demandant
résolution ; en général, la résolution est de type hiérarchique (un des
FU
énoncés est traité comme dominant l’autre).
La SYLLEPSE DE GENRE est une forme d’anacoluthe, du point de vue de
la confrontation, mais qui aboutit, au moment de la résolution, à un fait
IF
TRAJECTION, TMÈSE).
Globalement, la rupture du lien syntaxique affecte donc la linéarité
du discours, soit parce qu’elle confronte des constructions incom-
patibles, soit parce qu’elle exploite les enchaînements pour ouvrir des
bifurcations syntaxiques et thématiques.
Figures d’énonciation. — Les figures d’énonciation sont d’abord, le
plus souvent, des figures d’adresse : l’ ALLOCUTION , l’ APOSTROPHE , la
DÉPRÉCATION, l’IMPRÉCATION, entre autres. Mais elles comprennent aussi
des figures de locution (la PROSOPOPÉE, la SERMOCINATION) : en ce sens, elles
relèvent de la phase de confrontation, dans sa version « déplacement »,
parfois même dans celle du « conflit », car elles peuvent conduire à la
mise en présence ou à la substitution de formes énonciatives
26 Jacques Fontanille
R
SE
Catégories et opérations portant sur la phase « domination – contrôle »
FU
Assomption
L’assomption énonciative engage plusieurs paramètres que peuvent
IF
Configuration
On appellera « configuration » tout ensemble de figures textuelles
composé de parties, niveaux et propriétés dépendants les uns des
autres, et formant un « système » ou un « réseau » de dépendances,
sur lequel repose le « contrôle » d’interprétation. Une « scène » descrip-
tive, une « situation » narrative sont des configurations ; de même, une
structure syntaxique, syntagme ou phrase ; un ensemble d’occurrences
des mêmes expressions, répétées et disposées selon un certain ordre,
forment aussi une configuration, et, a fortiori, une totalité composée de
parties.
L’accès à une configuration, peut faire appel à la perception (comme
R
dans l’HYPOTYPOSE), à une règle syntaxique (comme dans l’ANACOLUTHE), à
SE
un phénomène relevant de l’isotopie (comme dans l’ATTELAGE) ou à un
schéma narratif, thématique ou figuratif (comme dans la MÉTONYMIE) ;
dans tous les cas, il est d’ordre cognitif, et il s’apparente à l’effet d’une
FU
« pression gestaltique ».
Les propriétés pertinentes d’une configuration, eu égard à son rôle
de contrôle d’interprétation, sont : (i) l’étendue (la portée textuelle) ; (ii) le
IF
R
variations de présence et d’absence d’un élément (redondance ou
SE
ELLIPSE ), de sens lexical ( ANTANACLASE ), de nuances sémantiques
(DIAPHORE), de morphologie (POLYPTOTE), de désinence verbale (TRADUCTION),
de place ou de fonction (GÉMINATION).
FU
Distribution (relations topologiques : symétrie, parallélisme, inversion,
incidence, ...). — La catégorie de la distribution relève du contrôle, car,
IF
R
phrase est intense ou détendue ; la CONCESSION et la PARAMOLOGIE, selon
SE
que la figure est détendue ou intense, etc.
L’intensité est donc une variable généralisable, applicable à toutes
les autres figures, tout comme la position et la quantité, pour assurer le
FU
contrôle de l’interprétation. Elle permet d’apprécier, dans la mise en
œuvre de la figure, le degré d’engagement affectif du sujet d’énonciation.
IF
La présence
R
La conjugaison des formes d’assomption énonciative et des
configurations définit le mode de « présence » de la figure en discours,
SE
puisqu’elle associe la distribution, la force et les valeurs de l’assomption,
l’intensité en général, l’organisation méréologique et la quantité en
FU
général des éléments mis en présence. Le degré de présence (intensive et
extensive) détermine donc le contrôle d’interprétation, parce que
l’intensité et l’étendue sont des manifestations de la valeur de la figure :
IF
que (2) J’ai acheté un billet pour le Modigliani, ou encore (3) J’ai visité le
PA
les films sur sa vie (2 & 3) est plus rare, ou faiblement prévisible. De fait,
dans ce cas, la fréquence de l’usage ne fait que sanctionner la plus ou
N
moins grande distance entre les positions actantielles, et, par consé-
quent, le caractère plus ou moins diffus ou compact de la configuration
actualisée.
En somme, on peut : (1) rabattre la phase de contrôle sur les deux
catégories de la quantité textuelle et de l’intensité énonciative, (2) prévoir
à partir de cette association aussi bien des effets d’assomption que des
effets de configuration, et enfin (3) définir ainsi le degré de valeur
investie dans la figure. En bref, le « contrôle », c’est le mode général de la
présence axiologisée de la figure.
La dimension rhétorique du discours : les valeurs en jeu 31
R
la figure, au point qu’il peut être oublié ; dès lors, la confrontation ayant
disparu, la similitude n’est plus perçue ; (2) la CATACHRÈSE est le cas
SE
ultime de ce même processus : la similitude n’est plus perçue, car la
confrontation elle-même est devenue inapparente ; (3) la COMPARAISON est
FU
une forme de prédication qui présente en même temps la confrontation
et la résolution par similitude, sous le contrôle d’une modalisation
cognitive ou perceptive (le prédicat ou l’adverbe de comparaison) ; (4) le
IF
R
seulement une relation systémique. Dans Le pardessus noir s’est
SE
engouffré dans le couloir, la relation à rétablir est hiérarchique (entre une
partie d’habillement et la personne toute entière : c’est la hiérarchie
« partie / tout ») ; dans J’ai acheté un Modigliani, c’est le système
FU
actantiel où le produit et le producteur sont associés qui conduira à la
résolution du problème. Le cas de l’ANTONOMASE est plus délicat, dans la
IF
Récapitulation
Chaque figure, qu’elle soit déjà répertoriée ou qu’elle soit inventée,
affecte donc des catégories spécifiques à chacune des phases de la
R
séquence canonique.
Par exemple, l’ HYPALLAGE s’analyse ainsi : (1) confrontation par
SE
déplacement d’un déterminant entre deux segments déterminés ; (2)
assomption et contrôle par une perception globale de l’ensemble
FU
syntaxique où s’est produit le déplacement, qui actualise de ce fait une
« configuration » ; (3) résolution par connexion systémique entre les deux
segments déterminés au sein de la même configuration.
IF
Notes
1 Sur ce concept, on pourra consulter Bertrand 1993 : 25-32 ; Fontanille &
Zilberberg 1998 : chapitre « Praxis » ; Fontanille 2000 : chapitre « L’énonciation ».
2 L’assomption énonciative regroupe l’ensemble des phénomènes de la « prise en
charge » de l’énoncé par l’énonciation ; la force illocutoire en relève, les évaluations
axiologiques et affectives aussi ; mais, tout particulièrement, l’affirmation ou la
négation de la « position subjective » (qui se marque, pour Jean-Claude Coquet, par
la présence du « méta-vouloir » dans la compétence énonciative : cf. Coquet 1985).
3 À cet égard, par exemple, il n’y aurait pas de différence de nature entre un lapsus
et un trope, si l’on ne considère que les conditions immédiates de la production du
discours : un ensemble de pressions s’exercent sur le locuteur, plusieurs isotopies
et de nombreuses formulations sont en concurrence, sous des modes d’existence
différents, en chaque point du discours, et ces rapports de force peuvent s’inverser
R
à tout moment ; la différence commence à apparaître si on prend en compte les
conditions de production plus largement (les contraintes de genres, par exemple),
SE
mais surtout au moment de l’interprétation, sous la contrainte d’instructions de
lecture conventionnelles, et d’une « compétence rhétorique » spécifique. La
différence est souvent bien mince, par exemple, entre un lapsus par interpolation
FU
et contamination phonétiques et une paronomase ; si on pouvait totalement ignorer
les « intentions » de l’énonciateur, il serait même très facile de convertir la plupart
des lapsus en jeux de mots, calembours et autres figures ou tropes.
IF
D
Bibliographie
S
Bertrand, Denis
1993 « L’impersonnel de l’énonciation », Protée 21/1.
PA
Fontanille, Jacques
2000 Sémiotique du discours. Limoges : Pulim.
Fontanille, Jacques & Zilberberg, Claude
1998 Tensions et signification. Liège : Mardaga.
Groupe µ
1970 Rhétorique générale. Paris : Larousse [Paris : Seuil, = Points, 1982].
1992 Traité du signe visuel. Paris : Seuil.
Prandi, Michele
1992 Grammaire philosophique des tropes. Paris : Minuit.
Ricœur, Paul
1975 La métaphore vive. Paris : Seuil.
Le rhétorique dans le sémiotique :
la composante créative du système1
R
Jean-Marie Klinkenberg
SE
FU
Examiner les rapports entre rhétorique et sémiotique ne pourrait se
IF
débats du XXe siècle ont mis l’accent sur une opposition de même type,
N
moins connue sans doute des sémioticiens. C’est elle qui nous permettra
de souligner les premières parentés entre rhétorique et sémiotique.
R
d’argumenter). Ses champs d’application ont donc d’abord surtout été la
SE
propagande (politique ou commerciale), la controverse juridique ou
encore la discussion philosophique. La deuxième néo-rhétorique s’est
développée chez des linguistes stimulés par la recherche de structures
FU
linguistiques qui seraient spécifiques à la littérature, de sorte que si la
première a tôt cousiné avec la pragmatique, la seconde a plutôt aidé à
IF
R
figure, elle consiste, comme on va le rappeler ci-après, à associer
SE
dialectiquement deux sens différents, donc à les médier. Et du coup, elle
a une valeur argumentative (Klinkenberg 2000b). Ce rôle argumentatif
de la figure a été mis en évidence par la pragmatique (Sperber & Wilson,
FU
Moeschler & Reboul...) autant que par la philosophie (Rastier, Prandi,
Charbonnel...). En quatrième et dernier lieu, toutes deux font voir que
IF
Aux yeux de qui accepte de prendre cette hauteur, il est évident que
sémiotique et rhétorique ont partie liée, comme l’indique déjà à
suffisance l’énumération des problématiques qui viennent d’être
cavalièrement soulevées : l’opposition, la médiation, la coopération,
l’encyclopédie, l’énonciation, la discursivité, l’échange social. Toute
sémiotique est la formalisation (nécessairement sociale) d’une substance,
et constitue dès lors une théorie de la connaissance. Or la rhétorique
joue essentiellement sur les encyclopédies (e.g. Eco, Lakoff & Johnson,
Meyer, Prandi, Groupe µ, etc.), c’est-à-dire sur les représentations
socialisées telles qu’elles sont formalisées dans les systèmes de signes :
d’une part, les figures se fondent sur ces représentations, d’autre part
elles les affectent, comme on le verra plus loin.
38 Jean-Marie Klinkenberg
R
auxquels les hommes communiquent entre eux » — a commencé à
SE
s’élaborer, elle a volontairement réduit son champ de juridiction. Et cette
réduction a également été le lot de la sémiotique qui s’est développée à la
faveur de l’élargissement du projet saussurien. Avec une indéniable
FU
pertinence méthodologique, la pensée structuraliste a ainsi érigé une
véritable muraille pour séparer les codes d’un côté, le monde et les
acteurs qui y jouent de l’autre. Séparation purement instrumentale,
IF
être adéquat(e) à son objet » (Greimas 1970 : 51). Dans la mesure où elle
entend de surcroit expliquer l’intersubjectivité plus ou moins large dans
le corpus des connaissances et dans les méthodes d’acquisition de
E
R
conditions : (a) il faut qu’il y ait conflit, mais (b) que ce conflit n’appa-
SE
raisse pas comme insurmontable au point que l’on refuse l’interaction.
La rhétorique peut donc se définir comme la négociation de la distance
sémiotique entre partenaires.
FU
La deuxième tendance lourde de la sémiotique a été adoptée pour les
mêmes raisons d’efficacité, et n’est d’ailleurs qu’un corollaire de la
IF
qu’ils ont du monde, et les codes dont ils usent sont susceptibles de leur
N
R
Par exemple, pour elle, la perception n’est plus « extérieure » à la
SE
structure : c’est bien au niveau de l’expérience que la structure se met
en place. Elle insiste sur le fait que le sens — qui est son objet
principal — émerge de l’expérience. Elle met ainsi l’accent sur la
FU
corporéité des signes, et souligne que si le signe émerge de l’expérience,
il oriente également l’action. Action qui est son second lien avec
IF
R
appartient au présent ou au futur, et qui est objet d’éloquence, puisque
SE
l’orateur doit faire accéder ces éléments au réel. Enfin ce qui appartient
non au réel, mais au possible vraisemblable, qui est objet de fiction, et
dès lors de construction (poiein)3.
FU
Or savoir comment les cultures structurent leurs connaissances et
leurs croyances, fondement du vraisemblable, comment elles les
communiquent et les modifient, comment le possible virtuel accède à
IF
régler devant une instance reconnue comme légitime par tous, et non
plus directement entre les personnes impliquées. À la force physique, qui
N
R
perception (Kennedy, Hochberg...). Et surtout lorsque le modèle
SE
rhétorique a trouvé à s’appliquer à des sémiotiques non verbales. On est
actuellement à même de réaliser le programme exposé par Barthes dans
son article fameux « Rhétorique de l’image » (1964) : celui de la
FU
transposition de la notion de trope à la communication visuelle. Le
modèle structural alors dominant ne permettait pas de traiter
IF
R
posant une question qui fait son originalité : quel est leur sens ? Même
SE
si la chose est moins évidente dans son cas, cette absence d’objet propre
est vraie aussi pour la rhétorique, qu’on l’aborde par son versant
argumentatif ou son versant figural. Comme on l’a vu, la première néo-
FU
rhétorique veut se donner pour objet l’étude des mécanismes du
discours social général et son efficacité pratique ; elle se confond donc
IF
R
objets langagiers momentanément délaissés par la linguistique et qui
SE
n’avaient été envisagés que par la critique littéraire ou par la stylistique :
il en va ainsi du récit verbal, des processus discursifs et textuels, des
mécanismes linguistico-cognitifs, ou encore, bien évidemment, de
FU
l’argumentation et des figures.
Cette transversalité de la sémiotique et de la rhétorique les rend
IF
Deux exemples
Qu’une rhétorique postule une sémiotique peut aussi être démontré
à travers certains exemples précis. Nous en choisirons deux, l’un repris
à la rhétorique de l’argumentation, l’autre à la rhétorique des figures.
Soient les fondements de la rhétorique selon Perelman & Olbrechts-
Tyteca. Ces derniers ont pris pour point de départ de leur étude un
certain nombre de processus argumentatifs généraux, appelés schèmes,
et se demandent si certaines configurations langagières sont de nature à
remplir les fonctions reconnues à ces procédés, « si elles peuvent être
considérées comme une des manifestations de celui-ci ». Dans la
présentation des prémisses, par exemple, on distingue des « figures de
R
choix », des « figures de présence » et des « figures de communion ». Les
SE
figures de choix — entre autres, la définition, la périphrase, la
correction — ont pour effet d’exhiber la manœuvre de sélection des
arguments ; autrement dit leur formalisation dans la substance du
FU
monde intelligible. Dans l’exposé argumentatif proprement dit (donc
dans la dispositio), on distingue des « figures de liaison » et des « figures
de dissociation ». Les premières sont des schèmes qui rapprochent des
IF
qui est visé à chaque étape de la typologie des schèmes est bien
l’organisation de l’univers par le signe.
Perelman insiste sur la spécificité de ce qu’il nomme les faits :
« Grâce à leur statut privilégié, les faits et vérités fournissent des
prémisses que l’on ne s’avise pas de contester » (1958 : 110). Mais
pourquoi « ne s’avise-t-on pas de contester » les faits ? Pour examiner
cette question, partons d’un exemple fourni par Perelman. Soit
l’exemple : « J’ai rencontré ton ami hier, il ne m’a pas parlé de toi ». Pour
Perelman, il s’agit de deux faits, et l’interprétation complète de l’énoncé
serait « ton ami ne m’a pas parlé de toi bien qu’il en ait eu
l’occasion » (1958 : 211). Le sémioticien fera toutefois observer qu’il y a
ici bien plus que deux faits, et que de toute manière il ne s’agit pas de
46 Jean-Marie Klinkenberg
faits juxtaposés mais bien de faits structurés. Le premier fait désigné par
le terme « rencontré » pose en effet une possibilité de converser que l’on
ne pourrait déduire de « aperçu », « vu », « heurté », « surpris »,
« remarqué », « croisé ». Il y a donc ici non un fait, mais au moins deux
faits dont l’un présuppose l’autre. De l’enchainement produit par le
deuxième membre de la phrase, on peut déduire que la virtualité
« possibilité de converser » a été actualisée. À partir de là, les objets
possibles d’échange sont nombreux, mais leur probabilité est
hiérarchisée : l’ami peut parler de l’autre ami, mais aussi de sa belle-
mère, du rhume de son petit dernier ou de son teckel à poils ras. La
précision « ton ami », renvoyant à des relations entre deux personnes
oriente les potentialité de la conversation vers un objet mobilisant cette
R
relation. Voilà pourquoi l’énoncé « il ne m’a pas parlé de toi » est à la fois
SE
informatif et pertinent. Informatif puisque la probabilité de l’occurrence
« il ne m’a pas parlé de toi » est moins forte que « il m’a parlé de toi »,
fortement attendu, mais pertinent, puisque « il ne m’a pas parlé de toi »
FU
est plus isotope que « il m’a parlé de son teckel à poils ras ».
On voit qu’il y a là une organisation des faits, non en soi mais dans
IF
une culture donnée, de sorte que le fait est un événement sémiotisé (et
qu’un même événement peut déboucher sur plusieurs faits distincts, un
D
même fait pouvant se fonder sur des événements distincts). Ces faits
sont non seulement des objets, mais encore des scenarii, des processus,
S
R
règles qui dans le code assignent un certain sens au mot « tigresse »,
SE
mais c’est aussi opérer à partir d’un système de lieux communs. Lieux
communs au sens fort du terme : le locuteur d’une langue, s’inscrivant
dans une encyclopédie, est lié par une sorte de contrat aux préjugés et
FU
aux opinions courantes de la culture dans laquelle il se meut. Ici, la
figure ne serait pas décodable si de tels stéréotypes ne prêtaient à
IF
R
évolutif des systèmes sémiotiques. Cette hypothèse, ou plutôt cette
SE
définition, semble d’ailleurs aujourd’hui faire l’objet d’un large
consensus. Elle se retrouve par exemple comme un fil rouge dans un
très grand nombre des contributions présentées au colloque
FU
international « Sémiotique et rhétorique générale » (Centro Internazionale
di Semiotica d’Urbino, juillet 20025). Si, comme nous le notions dans
IF
dynamisme.
Qui parle d’évolution prend deux responsabilités. Il doit d’une part
S
même qu’elle inscrit sa marque dans les énoncés, avec les figures et les
schèmes.
La rhétorique permet ainsi d’étudier ce que la linguistique a
longtemps récusé : l’homologie entre les structures de l’énoncé et celles
de l’énonciation. Entre ces deux ensembles, on peut toutefois faire de
nombreuses bijections.
Deux exemples de cette possibilité nous sont fournis par les
concepts de coopération et d’isotopie. Le premier est réputé concerner
l’énonciation, et le second regarder l’énoncé. Or ce sont en fait deux
faces d’un même mécanisme (de sorte que nous aurions dû parler non
de deux exemples mais d’un exemple double). La coopération peut en
effet être conçue comme une tendance à la pertinence, observable au
Le rhétorique dans le sémiotique : la composante créative du système 49
R
De ce que l’énonciation mobilise des individus et les groupes
SE
auxquels ils appartiennent, individus et groupes mobilisant eux-mêmes
des codes (qui peuvent se superposer), dans des lieux et des temps
donnés, en vue d’objectifs donnés, il s’ensuit nécessairement qu’elle est à
FU
la fois citative et plus généralement intertextuelle, aussi bien que
multimodale.
IF
Affirmer cette dernière propriété est certes une tarte à la crème. Les
travaux sur les relations entre texte et image, par exemple, sont légion.
D
Mais ils mobilisent trop souvent des concepts ad hoc et on ne s’est pas
encore vraiment donné les moyens théoriques d’envisager la
S
R
comme devant être catégorisé soit en quelque façon en puissance de
SE
catégorisation » (Bordron 2000 : 12) et il s’agit d’admettre « qu’il existe
une phénoménalité des entités du monde » (Bordron 1998 : 99).
Au moment d’examiner les forces internes à même de faire évoluer
FU
les systèmes, on peut se permettre d’être un peu structuraliste. Le fait
qu’avec les énoncés on ait affaire à des ensembles multimodaux rend
IF
métaphore, et donc les figures (la figurativité), […] pour comprendre les textes (la
littérarité) qui sont fabriqués dans le même tissu de rupture, pour comprendre enfin
la rhétorique (la rhétoricité), il faut convoquer tout le discours, avec ses opinions, ses
lieux communs… (Lempereur 1990 : 147)7.
R
filtre, limitant les potentialités du système : une production (parole) non
conforme à la norme peut cependant être conforme aux règles du niveau
SE
supérieur (celui de la langue). Ce schéma, qui a été élaboré pour rendre
compte de la variation linguistique (cf. Helgorsky 1982), peut être
FU
généralisé. On peut postuler un emboitement de normes tel que tout
écart constaté à un niveau m constitue l’application conforme d’une
norme située à un niveau supérieur (niveau n). Chaque écart serait dès
IF
cela — et ceci est important pour la suite — l’écart est à la fois dans le
système et hors du système.
S
R
des règles de l’échange langagier, et celle qui y voit un usage tout à fait
SE
conforme à ces règles. Paradoxe que pas mal de rhétoriciens —
s’étonnant que l’usage des tropes soit à la fois déviant et quotidien, donc
« normal » — ont eu du mal à résoudre jusqu’à présent.
FU
Mais revenons au statut de l’écart. Dans le second cas, et au rebours
du précédent, le statut de la création est précaire. En effet, le résultat de
IF
R
encyclopédies.
SE
Le rhétorique voit ainsi son statut se préciser. C’est la partie
créative8 du système sémiotique : celle qui permet de faire évoluer celui-
ci par la production de nouvelles relations entre unités et donc (puisque
FU
ce sont les relations qui fondent la nature des unités) par la production
de nouvelles unités. Elle est donc un élément moteur, qui se situe en un
IF
Notes
E
R
créativité rule governed. « Créativité » était un mot mal choisi dans le second cas : le
SE
mot vise simplement l’application des règles, c’est-à-dire passage du virtuel au réel.
C’est à la première seulement, décrite chez Dubois et al. (1973) comme « des
variations individuelles dont l’accumulation peut modifier les systèmes de règles »,
que l’on devrait réserver le nom de créativité.
FU
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SE
Tiziana Migliore
FU
Un modèle rhétorique, inséré dans le cadre des règles, des
IF
R
approfondissements, les récursivités, les réorientations et les repentirs
SE
de l’école de Liège. On analysera les logiques de cette approche
spécifique de façon à assigner, sur cette base, des objectifs raisonnables
à la recherche.
FU
Traiter le signe visuel aujourd’hui : le découvert à combler
IF
R
visuels, on est amené à s’interroger sur les chemins d’unification que la
SE
perception dessine aux yeux du Groupe µ.
Tout en confirmant la célèbre distinction d’Eco (1971) entre structu-
ralisme ontologique et structuralisme méthodologique, Klinkenberg et
FU
ses collègues favorisent la seconde ligne, sans toutefois se libérer du
credo en une objectivité et en une phénoménologie « réalistes ». Ils
IF
rendu célèbre par Piaget, ainsi que les notions de forme et de prégnance,
développées par Moles (1971), la loi chromatique de l’addition grise —
quand le monde se projette en nous — et le mécanisme de l’inhibition
latérale — où c’est l’homme qui projette son schéma corporel sur le
monde. Toutes ces démarches motivent le fonctionnement symbolique de
la théorie du Worldmaking par les valeurs du sensible et introduisent
dans les études sur la signification le dynamisme vital propre aux
phénomènes d’intersubjectivité. Loin de se résoudre en procédures
mécaniques de reconnaissance opérant sur la base de systèmes
d’expectatives, le dialogue avec les autres domaines du savoir porte la
rhétorique du Groupe µ à « cesser de regarder les choses avec l’œil de
l’habitude » (Klinkenberg 1996 : 13).
R
Examinons ceci de plus près.
SE
Tout d’abord, le problème du passage du stimulus au signe est
résolu en termes pragmatiques : ce sont les règles d’usage qui
déterminent la sémioticité des objets. Il s’agit sans aucun doute là d’un
FU
retour à l’horizon ontique de l’expérience. Cette impasse n’empêche
toutefois pas le groupe de créer une structure du signe iconique,
IF
R
nous empêche de voir qu’il existe aussi des styles de perception et de
SE
réception, avec des éléments de similarité et de contraste, des nouvelles
formes de création — lorsque la lecture devient linguistiquement
disponible — qui font encore la différence ?
FU
La mobilisation du principe de distinction entre « ordre proche » et
« ordre lointain », emprunté à l’esthétique informationnelle, a
IF
R
projette en nous, et nous nous adaptons au monde ; de l’autre, notre
SE
schéma corporel tend à se projeter sur le monde. C’est le cas de
l’inhibition latérale, qui fait que chaque cellule photosensible de la
rétine, ne se limitant pas à transmettre l’information à son neurone mais
FU
influençant les neurones voisins, accentue les contrastes. L’œil est au
point de rencontre de ce double mouvement anthropocosmocentrique.
IF
R
« dominance » et « équilibre ». Le groupe belge pose que chaque
SE
formant — soit eidétique, soit chromatique, soit textural — est
individuellement doté d’un capital d’énergie, qui équivaut à une capacité
à attirer le regard sur soi. Ce sont des rapports de réciprocité — les
FU
positions, les dimensions et les orientations que les formes montrent les
unes par rapport aux autres —, qui amorcent le fonctionnement des
IF
des formes (ce qui crée la texture) […] et intègre des faits isolés à des
PA
÷ 1b. éloignement
R
÷ 2Ab. extér iorité
SE
2. Cohé rence
(ou I ntimité)
+ 2Ba. contact
FU
B. Adhérence 0 2Bc. indifférence
IF
÷ 2Bb. non-contact
D
S
+ 3a. subjectivité
PA
R
l’on est en état de sortir des sentiers battus et de rejoindre le plus grand résultat
SE
artistique. Quant à la non-réussite, la cause pourrait être en raison d’avoir mal
calculé l’effet réciproque de choses différentes ou mal choisi les valeurs. Ceci vaut
surtout alors que les choses sont superposées ou accostées (Klee 1970 : 450).
FU
Tentons de paraphraser : figure et personne ne sont pas des
individus, mais les membres de collectivités qui s’attirent ou se
IF
R
Pour en revenir aux catégories plastiques, et en ce qui concerne les
SE
principes gouvernant la riche théorisation de la composante chroma-
tique, on s’aperçoit que la subdivision en chromèmes — « dominance »,
« saturation » et « luminance » (ou « brillance ») —, et l’importance du rôle
FU
constructif de la lumière, postérieurement reconnu par Fontanille dans
Sémiotique du visible (1995), sont motivées encore une fois par les
IF
donc être rendu, sous diverses facettes. Il nous paraît important que,
PA
R
diffuse, combinant les deux situations, les théoriciens distinguent une
SE
émission régulière (qui génère la sensation de transparence), une
émission diffuse (translucidité), une réflexion régulière (effet spéculaire)
et une réflexion diffuse (matité). Ils ajoutent à cela la sensation du noir,
FU
due à un degré relativement élevé d’absorption de la lumière. L’appari-
tion des objets en termes de transparence, de translucidité, de réflexion
IF
R
des manifestations du visible à partir de quatre effets de sens récurrents
SE
et communs — l’éclat, l’éclairage, le chromatisme et la matérialisation —
et y retrouve les propriétés sémantiques de la quantité, de la spatialité et
de l’intensité. Comme chaque état de la lumière acquiert sur le champ
FU
différents types de modulations — respectivement clôturante, ouvrante,
suspensive et cursive —, il est possible, selon Fontanille, de projeter sur
IF
un carré les termes qui prennent en charge les styles tensifs suivants :
D
concentration diffusion
S
immobilisation circulation
PA
R
le monde à son image, avec ses propres limites et ses propres rythmes.
SE
Elle offre des points de vue et de fuite, elle sélectionne, réduit, bouge et
transforme le sujet et ce qui l’entoure. C’est pour cela, peut-être, que son
pouvoir de performance a un temps limité. De nos jours les systèmes
FU
artistiques récupèrent des expériences de ce type, mettant au point des
tactiques pour les argumenter, aménagent des équilibres et des conflits
entre apparaître et transparaître, se structurent sur les paradoxes de
IF
R
l’énonciataire. Insistant à juste titre sur la distance critique nécessaire à
SE
la discrimination, le Groupe µ renforce le poids du jeu interactantiel
liant œuvre et interprète et rappelle la possibilité de l’oscillation entre
activité intégratrice et activité désintégratrice, même à négocier des
FU
rapports entre le sens des formes et celui des textures. Le passage sur le
choix du pigment (« minéral », « naturel », « organique » ou « métallique »)
IF
lumineuse, que parce qu’elle est liée, à un niveau plus profond, à une
PA
Les formèmes sont des structures sémiotiques qui constituent sans nul doute une
projection de nos structures perceptives, celles-ci étant à leur tour déterminées par
nos organes et par leur exercice (lequel est physiologiquement, mais aussi
culturellement, déterminé) (Groupe µ 1992 : 211).
R
dominance chromatique, que l’on perçoit consciemment et que l’on
SE
verbalise plus aisément, est aussi l’élément le moins spontanément
codifiable, alors que la saturation, beaucoup moins familière et qui n’a
reçu son nom que récemment, exerce une influence maximale sur les
FU
associations. C’est comme si la luminance et la saturation induisaient
une réponse sémiotique profonde, générale et intersubjective, là où la
IF
Autres réflexions
À la séparation souvent opérée entre le niveau plastique et le niveau
E
R
— en la filtrant à travers ses propres modalités de saisie sensorielle, et
SE
en la manipulant. Ce sont encore les effets d’une présence mobile —
techniquement définis comme énonciatifs par la sémiotique grei-
masienne — à caractériser le discours rhétorique. Quels sont alors les
FU
changements de sens de la præsentia d’un projet plastique dans un
énoncé hyperréaliste et, à l’inverse, d’un projet iconique dans un
IF
frise dont la séquence rend l’idée d’une icône. Cela se comprend bien que
PA
R
bordure, qu’ils appellent « index à puissance variable », les spécialistes de
SE
Liège examinent les cas de disjonction (hétéromatérialité) et de
conjonction de l’énoncé bordé, fournissent des exemples visuels de
bordure rimée, de bordure représentée, de compartimentage,
FU
d’imbordement, de débordement, de compénétration de la bordure et de
l’énoncé, et examinent des cas de substitutions plastiques (affectant la
IF
théorie de la métapeinture.
PA
Après le Traité
Stimuler les recherches à venir : cet objectif orientera aussi notre
stratégie de sélection et de réévaluation de quelques articles du Groupe µ.
Le plus connu est peut-être « Tension et médiation. Analyse
sémiotique et rhétorique d’une œuvre de Rothko » (1994), article qui
constitue la contribution belge à l’étude d’une image sur laquelle
diverses écoles se sont simultanément mesurées. Les critères de
segmentation de l’énoncé, les phénomènes de redondance et d’isotopie
plastique, de transition et d’interpénétration entre zones différemment
colorées sont ici toujours établis à partir de l’expérience perceptive de
l’œuvre, dans les trajets imposés à notre sensorialité par les manœuvres
R
rhétoriques. L’occurrence visuelle — fragile d’après le Groupe µ — brise
SE
toutefois paradoxalement la solidité des types, montrant, en jouant sur
eux, la valeur de sa propre singularité. Encore une fois, on ne reconnaît
les normes que dans leur actualisation, c’est-à-dire lorsque des énergies
FU
tensives et des rapports d’équilibre les décristallisent en un
syntagme. L’équipe n’aboutit pas à une seule solution interprétative. Il
faut toutefois apprécier l’idée constante de la formation d’effets
IF
R
innovations dans la répétition et une intentionnalité dont la
SE
reconnaissance est assurée par les traces que laisse l’énonciation. Le
style est ainsi produit simultanément par les instances énonciatrice et
énonciataire. Une fois atteint un certain niveau de stabilité, il peut
FU
devenir objet de transformations, exactement comme un signe iconique :
il est possible de « faire un Miró ». Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les
IF
Héritage
Au lecteur à présent de choisir, grâce aux indications fournies, quel
parcours suivre et comment le mener jusqu’au bout. Il pourra
E
Bref, la générosité des idées est là, qui est pour nous la condition
première d’un programme de recherche efficace : germination, en des
terrains encore fertiles, et diffusion. S’enfermer dans les moules
préformés d’un système théorique de peur de sortir à découvert, voilà qui
interdirait toute attitude créative, et qui relierait nostalgiquement la
sémiotique au passé. À cette attitude, nous préférons le modèle
écologique décrit par Gregory Bateson :
Si l’esprit est immanent non seulement dans les canaux d’information situés au-
dedans du corps, mais aussi dans les canaux externes, alors la mort prend un aspect
différent. Le ganglion individuel des canaux que j’appelle « moi » n’est plus si
précieux, car ce ganglion n’est qu’une partie d’un esprit plus ample. Les idées qui
R
paraissaient « moi » peuvent devenir immanentes en « vous ». Elles peuvent survivre.
(Bateson 1991 : 249.)
Notes SE
FU
1 La transition vers la sémiotique du discours, du moins dans sa visée productive,
présuppose l’existence du passage contraire. Ainsi, si selon l’analyse la
IF
notion, élaborée par le Groupe µ dans Rhétorique générale (1970) et plus en détail
dans « Isotopie et allotopie : le fonctionnement rhétorique du texte » (1976), remet
en cause le projet, conçu par Francois Rastier en 1972 (« Systématique des
isotopies »), relatif à l’individuation des redondances, syntaxiques, prosodiques et
phonétiques. L’objectif est de dresser une « stylistique des isotopies » qui favorise
des études sur les corrélations entre les différents niveaux. On n’est pas totalement
convaincu qu’il s’agisse, comme soutient le Groupe µ, d’une simple « répétition
réglée des mêmes unités du signifiant », de « structures additionnelles telles à ne
pas garantir homogénéité au discours, à l’inverse des isotopies du contenu »
(1976 : 43). Dans ses études comparatives entre textes poétiques et tableaux, la
perspective de Jakobson sur le phénomène est assez différente (cf. Jakobson 1973).
4 Face à l’hypothèse de la forme comme résultat de la comparaison entre
occurrences successives d’une figure (Groupe µ 1992 : 68), il vaudrait mieux, sans
doute, insister davantage sur le fait que le procès de mobilisation de la mémoire,
Face à l’éloquence de l’image 77
réalisable grâce à notre capacité de rétention, a une nature valorielle. Il n’est pas
suffisant d’affirmer son rôle dans la reconnaissance des patterns et dans la
détermination des habitudes ; il faut aussi comprendre quelles modalités de
présentification et quels fonctionnements de sens (réveils affectifs, réactions)
produit un tel mécanisme.
5 Rosenstiehl la définit comme « cohésion ». Le mathématicien convient que la
crédibilité, la stratégie du faire-croire, s’appuie sur la capacité d’un sujet,
individuel ou collectif, de se donner une cohérence, reconnue comme telle par
l’autre. Mais puisque pour lui il ne s’agit pas d’identité, le concept de cohésion,
préféré à celui de cohérence, lui semble plus approprié pour définir le problème.
« Le système est composé de parties mues par des intérêts très divers, mais douées
d’une cohésion de communication ». Cf. Fabbri & Rosenstiehl 1983 : 53.
6 Paradoxalement aucun des auteurs ne médite ni ne mentionne les remarquables
travaux de Gombrich (1959 ; 1963), quoiqu’ils soient ici pertinents.
R
7 La notion, avancée par Wattenbach en 1866 et ensuite reprise par Barthes,
SE
comprend en même temps l’ordre dans lequel la main exécute les différents
caractères qui composent une lettre (ou un idéogramme) et le sens selon lequel
chaque caractère est réalisé. À une date plus récente, Rastier commente : « Gestes
et mouvements, points nodaux et moments critiques, tempo du rythme et phrasé
FU
des contours permettent de concevoir le texte comme un cours d’action sémiotique,
au-delà d’une concaténation de symboles. Le genre codifie la conduite de cette
action, mais ce qu’on pourrait appeler le ductus particularise un énonciateur, et
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PA
François Rastier
R
SE
FU
Deux problématiques
IF
R
concepts. La signification résulte d’un processus de décontextualisation,
SE
comme on le voit en sémantique lexicale et en terminologie ; d’où son
enjeu ontologique, puisque traditionnellement on caractérise l’Être par
son identité à soi. En revanche, le sens suppose une contextualisation
FU
maximale, aussi bien dans l’étendue linguistique — le contexte, c’est
tout le texte — que par la situation, qui se définit par une histoire et une
IF
tégorème, etc. La seconde n’a guère connu d’unité et, apparemment, tout
N
Problématiques
Logico-grammaticale Rhétorique /
herméneutique
Relation fondamentale
Représentation Interprétation
Objets
Langage Textes
Système Procès
Signification Sens
R
Mode opératoire
SE
Spéculation Action
Fondements
Métaphysique Éthique
FU
Ontologie Déontologie
R
Le regain d’intérêt pour la rhétorique est l’indice encourageant
SE
d’évolutions convergentes vers une sémantique du texte. La tradition
rhétorique, dans son courant principal, n’a jamais défini ses domaines
par rapport à des opérations abstraites de l’esprit humain : elle s’attache
FU
aux effets et non aux causes supposées des formes discursives.
Alors que la rhétorique était une technique sémiotique théorisée, un
IF
R
théoriques de la linguistique, mais ne peut les combler. Bien au
contraire, il revient à la linguistique de décrire le fonctionnement des
SE
tropes, qui pour être nommés et reçus, n’en sont pas pour autant définis
de manière systématique.
FU
L’écart et le discours pédestre
La théorie des figures et la grammaticalisation du grec ont
IF
écrite du grec pour établir les grands textes, en premier lieu le corpus
homérique. Ils rapportèrent les écarts par rapport à cette norme soit à
S
R
pédagogique, etc.) qui reflète par ses normes l’incidence de la pratique
SE
sociale où il prend place. Même la violation des normes grammaticales,
telles qu’elles sont édictées par les linguistes, dépend des normes du
genre et du discours considéré.
FU
Constituées par l’oubli originel de cet espace des normes, la
grammaire puis la linguistique négligent que les règles linguistiques
IF
édifiées sur cet oubli partagent le statut des normes rhétoriques. Si l’on
convient que les langues sont des formations culturelles, les règles
D
sinon de degré dans l’espace des normes qui unit langue et parole (au
PA
Ontologie et figures
E
R
mot. Complémentairement, la thèse que la signification du mot reste
identique à elle-même — sauf travestissement par une figure — affirme
SE
ou confirme la permanence de l’essence. Créations de l’essentialisme, les
mots propres et le langage pédestre assurent une fonction ontogonique :
ils assurent que le monde est bien un ensemble d’objets, puisqu’ils le
FU
représentent.
Les tropes dès lors ne peuvent que voiler, masquer, farder, travestir.
IF
R
dans une dé-ontologie.
Sémie type
1 2 3
instanciation
Sémies- par défaut
occurrences
R
inhibition
SE
Contexte propagation
FU
Figure 1. Le trope dans le rapport entre type lexical et occurrence
IF
contextuels, dont les sens tropiques ; dans cette mesure, elle est donc
N
elle-même dérivée…
(ii) Le statut des tropes reste à généraliser, bien au delà de la
catachrèse : ils sont fort communs dans tous les genres ; sans doute
beaucoup d’entre eux ne sont pas identifiés et n’ont pas reçu de nom.
Par exemple, dans Fromage ou fromage blanc, lu au menu d’un
restaurant, la première occurrence de ‘fromage’ est tropique, car le trait
/fermenté/ qui n’appartient pas au type, se trouve actualisé par
dissimilation contextuelle.
(iii) Enfin, il faut élaborer une typologie des parcours interprétatifs
qui en fonction de contraintes et de licences contextuelles prescrivent ou
inhibent des actualisations, ou encore modifient le relief relatif des
sèmes au sein des sémies occurrences (cf. Rastier 2001b).
90 François Rastier
Plutôt que faire une nouvelle taxinomie des tropes, nous entendons
décrire les opérations de construction du sens ; en sémantique lexicale,
cela conduit à rapporter les tropes à la structure du lexique et à l’action
du contexte qui tout à la fois l’institue et la remanie sans cesse. En effet,
pour une sémantique interprétative, le problème se pose ainsi : comment
décrire les parcours interprétatifs qui constituent le trope ? Subsidiai-
rement, quelles prescriptions et contraintes définissent ces parcours ?
C’est alors le contexte qui institue le trope, non son écart par rapport à
un sens propre. Précisons donc les chemins élémentaires de ces
parcours, leurs opérations élémentaires et leurs conditions.
(i) La mise en rapport de sémies appartenant à deux domaines ou
dimensions sémantiques différents est une connexion métaphorique (cf.
R
Rastier 1987 : ch. VIII), qui propage dans la sémie comparée des traits
SE
génériques afférents. Les traits évaluatifs affectés au domaine ou
dimension comparant sont également propagés, d’où les effets de
promotion évaluative ou de dévaluation, discutés jadis dans les débats
FU
sur la convenance des métaphores. Enfin, des traits spécifiques de la
sémie comparée sont mis en relief par assimilation, voire propagés à
IF
et celle qui dénomme le taxème où elle est incluse instaure des relations
N
R
Ces quatre parcours élémentaires, décrits ici en synchronie, trouvent
SE
des corrélats en diachronie ; par exemple, le trait /humain/, afférent à
‘ouailles’ en ancien français, est devenu inhérent en français moderne.
FU
Les parcours élémentaires reposent sans doute sur des opérations
fondamentales, comme la dissimilation et l’assimilation, qui jouent
assurément un grand rôle en perception sémantique (cf. Rastier 1991 :
IF
ch. VIII).
D
Une lexie n’a donc pas de « référent » stable qui permettrait de lui
N
R
Indice supplémentaire que la rhétorique s’est grammaticalisée, bien
SE
des auteurs estiment que l’identification des tropes va de soi et qu’une
métonymie ou une antithèse se reconnaissent comme un pronom ou une
FU
préposition ; comme souvent, atomisme et positivisme vont ici de pair.
Avant de questionner leur interprétation, il faut restituer la dimension
textuelle des figures. Comme la grammaticalisation de la rhétorique
IF
qualité des textes étudiés que par le statut du palier textuel : Dumarsais
et la plupart de ses successeurs ont éludé la dimension textuelle où se
déploient les tropes et le problème fort délicat de la composition des
E
R
Contemplations), ange au regard de femme inverse l’orientation méta-
SE
phorique du cliché femme au regard d’ange en faisant de la femme un
ange superlatif. L’incompatibilité ou simplement l’allotopie entre deux
syntagmes n’entraîne pas que l’un soit déviant et l’autre non : quand elle
FU
impose ou suppose une dissimilation d’isotopies génériques, elles
peuvent contracter des relations de dominance et/ou de hiérarchie. Ce
IF
à l’isotopie dominée.
S
Sur les côtés ici et là s’étageant au-dessus / Du sol aplani les tables
[Tische] » (trad. Bollack et al.)4. Au cours de la controverse élevée pour
établir si la description de cette salle de banquet était une métaphore du
monde divin, Szondi a détaillé, en s’appuyant sur d’autres poèmes, à
quelles conditions l’on pouvait lire ‘montagnes’ dans cette occurrence de
‘tables’ [Tische] (cf. 1982 : 16-19) : en fait, à partir d’une certaine date, il
n’y a plus de métaphore de cette sorte dans la poésie de Hölderlin, parce
que le monde humain et le monde divin n’y sont plus séparés.
Enfin, comment identifier les relations métaphoriques à longue
distance ? Dans l’Hérodias de Flaubert, nos hypothèses sur les
connexions métaphoriques entre la citadelle de Machærous et la tête de
saint Jean, dont les descriptions sont séparées par toute l’étendue du
R
texte, n’ont pu être corroborées que par la lecture ultérieure des
SE
brouillons (cf. 1992 a). L’acte herméneutique consistant à sélectionner
des passages parallèles doit bien entendu être problématisé : ainsi, nous
avons dû rapprocher, dans la description du Temple de Jérusalem : « Le
FU
soleil faisait resplendir ses murailles de marbre blanc », et « des
gouttelettes à son front semblaient une vapeur sur du marbre blanc »
IF
R
comme les molécules sémiques, les figures sont perçues relativement à
SE
des fonds sémantiques, dont les mieux décrits sont les isotopies
génériques. On ne saurait les détacher de ces fonds, même si, comme le
suggérait jadis le Groupe µ, l’écart peut être redéfini comme une
FU
allotopie. En admettant le caractère perceptif du traitement sémantique,
on admet la fonction constituante du contexte, conçu d’abord comme
fond : le rapport énigmatique du littéral au figuré se transpose dans
IF
celui qui unit les formes aux fonds constitués par des récurrences
systématiques de sèmes génériques. Les figures sont alors des moyens
D
Luire et s’élancer —
E
N
Inhibition :
Activation :
R
/duratif/, preuve que l’actualisation de traits inhérents peut être
SE
l’aboutissement de parcours tropiques. Dans cet exemple cependant, on
ne parvient pas à l’univocité, car le et qui unit luire et s’élancer est
l’interprétant d’une sorte d’hypallage, qui permet de reconnaître,
FU
conformément à la topique littéraire, la lueur du couteau et le
mouvement des étoiles, et, allusivement, la brièveté de l’aphorisme et la
IF
formes et fonds :
(i) Rupture de fonds sémantiques (allotopies) et connexion de fonds
sémantiques (polyisotopies génériques).
(ii) Rupture ou modification de formes sémantiques : si on les décrit
comme des molécules sémiques, ces transformations s’opèrent par
addition ou délétion de traits sémantiques.
(iii) Modification réciproque de formes sémantiques par allotopies
spécifiques (antithèses) ou métathèses sémantiques (ex. l’hypallage).
(iv) Modification des rapports entre formes et fonds : toute
transposition d’une forme sur un autre fond modifie cette forme, d’où
par exemple les remaniements sémiques induits par les métaphores.
Rhétorique et interprétation des figures 97
Fond 1
rapports formes/fond
Forme 1
axe des métamorphismes
Formes 2 :
R
rapports formes/fond
SE
Fond 2
En outre, les parcours entre fonds ou entre formes ne sont pas des
passages d’un fond à un autre, ou d’une forme à une autre : dans
PA
formes ou deux parties de formes, dans une ambiguïté qui rappelle les
classiques illusions visuelles du canard-lapin ou de la duègne-ingénue.
Esthésies
Enfin, ce problème à ma connaissance n’a guère été posé depuis
Longin6, des figures sont groupées ou associées en massifs. Certaines
figures sont propres à certains discours et à certains genres. L’hypallage,
dans notre tradition, se rencontre dans le discours littéraire, et
généralement en poésie lyrique. Mais ce cas n’est point isolé.
Chaque figure relève d’un type d’impression référentielle que l’on
peut appeler esthésie. Par exemple, en étudiant les formes du réalisme
transcendant en littérature, nous avons remarqué l’association fréquente
98 François Rastier
R
Directions de recherche
SE
FU
Bref, les tropes ne peuvent être compris que rapportés à leurs
conditions génétiques, à leurs effets mimétiques et à leur fonction
herméneutique. Dès que l’on quitte l’ontologie pour la praxéologie, les
IF
formes, les font évoluer et les démembrent. Loin donc de se réduire à des
PA
Ils varient selon les cultures, les langues et les traditions. Par
exemple, dans la tradition hellénique puis chrétienne, qui ne s’est pas
départie d’un ontologie dualiste, la métaphore doit ses privilèges
exorbitants au fait qu’elle est utilisée pour relier les deux règnes de
l’Être. En revanche, dans la tradition japonaise, dominée par le
bouddhisme, pensée non dualiste et dont l’ontologie reste toute négative,
la métaphore est rarissime — tout comme d’ailleurs la personnification
des objets ou forces naturelles. En particulier dans les haikus, elle le
cède au jeu de mot, qui n’a évidemment rien de son caractère hiératique.
Rhétorique et interprétation des figures 99
R
*
SE
S’il est bien nécessaire de rhétoriser la linguistique, la simple
importation de concepts et de catégories hérités de la rhétorique n’y
FU
suffit pas. Au lieu de réduire la rhétorique à ce que la morphosyntaxe
peut tolérer et d’utiliser les tropes comme des catégories descriptives non
IF
R
de rhétorique à Mexico.
Notes SE
FU
1 Le premier intéresse les phrases, le second les énoncés. La linguistique n’étudierait
que les phrases (selon Sperber 1975 : 388). On retrouve chez Ducrot une division
IF
autant dans la composition physique que dans l’artificieuse, est la part la plus
noble et, même si sa perfection repose sur celle des parties, il ajoute à celle des
unes et des autres celle qui est essentielle, leur harmonieuse union » (1983 : 182).
4 Les vers cités sont les vers 5 à 8. La traduction de Jean Bollack et al. est donnée
E
Töne voll, / Und gelüftet ist des altgebaute, / Seeliggewohnte Saal ; um grüne
Teppiche duftet / Die Freudenwolk’ und weithinglänzend stehn, / Gereifsteter
Früchte voll und goldkränzter Kelche, / Wohlangeordenet, eine prächtige Reihe, /
Zur Seite da und dort aufsteigend über dem/ Geebneten Boden die Tische. / Denn
ferne kommend haben / Hieher, zur Abendstunde, / Sich liebende Gäste
beschieden » (Hölderlin 1943 : III 533).
5 Dans l’Orator, Cicéron propose une bipartition des ornements du discours en
translatio et mutatio : « Comme d’étoiles, le discours est orné de mots transposés ou
échangés. Par transposés, j’entends comme à l’ordinaire ceux qui par ressemblance
sont pris, pour l’agrément ou par besoin, d’une autre chose. Par échangés, ceux
qui à la place du mot propre sont pris avec la même signification d’une autre chose
qui suit par voie de conséquence » (§ 27).
6 Traité du Sublime : XX, 1 : « Le concours des figures vers un même point met
Rhétorique et interprétation des figures 101
Bibliographie
Char, R.
1983 Œuvres complètes. Paris : Gallimard.
Douay, F.
1988 Édition et notes du Traité des tropes de Dumarsais. Paris : Flammarion.
Gracián, B.
1647 Art et figures de l’esprit [traduction, introduction et notes par B. Pelegrin].
R
Paris : Seuil, 1983.
SE
Groupe µ
1970 Rhétorique générale. Paris : Larousse.
Hölderlin, F.
FU
1943 Sämtliche Werke. Grosse Stuttgarter Ausgabe. Stuttgart : F. Beissner.
Rastier, F.
1991 Sémantique et recherches cognitives. Paris : P.U.F.
IF
ment 10 : 81-119.
1997a « Stratégies génétiques et destruction des sources — L’exemple d’Hérodias » in
Le Calvez, Éric & Canova-Green, Marie-Claude (éds.), Texte(s ) et intertexte(s).
S
R
Göran Sonesson
SE
FU
Tout en s’enracinant dans la perception, la rhétorique produit des
IF
R
fondamentale de fonder la rhétorique sur la perception et sur le système
SE
cognitif des êtres humains1. Néanmoins, je ne parlerai ici que de la
dimension qui ressemble le plus à la rhétorique du Groupe µ, ou qui en
tient lieu, la dimension appelée ailleurs indexicale, qui concerne la
FU
contiguïté et la factoralité (la relation du tout aux parties) (voir annexe
p. 132). Nous allons voir par la suite que, pour situer la rhétorique
IF
la vie, dans le sens d’un Umwelt commun à tous les êtres humains.
N
R
Il importe d’abord de se demander quelles sont les raisons pour ne
SE
pas se contenter du modèle développé par le Groupe µ tel qu’il apparaît
actuellement. Le présent auteur est depuis longtemps l’un des
FU
« compagnons de route » le mieux disposé à l’égard du Groupe µ : alors
qu’à l’origine je me suis inspiré des premiers articles sur la « métaphore
visuelle » (cf. par exemple Groupe µ 1976), reprenant l’analyse de « la
IF
R
sémiotique de l’image, chez Floch, Thürlemann, Saint-Martin, etc. Dans
SE
l’analyse du système, le chercheur, guidé par son intuition de membre
de la communauté humaine, détermine quels concepts sont susceptibles
de se combiner, ainsi que les limites de la variation permise à l’intérieur
FU
de chaque concept. On trouve cette méthode chez les disciples de Peirce
mais aussi, en partie, chez Eco. La méthode expérimentale a aussi été
IF
construit un « texte » artificiel qui doit ensuite être évalué par rapport au
système ou complété par un texte créé par le sujet expérimental.
S
Sonesson 1992c), j’ai été amené à faire une part spéciale à l’analyse
classificatoire, représentée surtout par le Groupe µ : elle combine le
caractère de combinatoire conceptuelle que l’on trouve dans l’analyse du
système, avec le choix d’un exemple concret pour chaque combinaison
E
R
systèmes des oppositions. Autrement dit, ou bien le système a des
SE
lacunes, ou bien les cases du système sont appelées à contenir des
choses trop différentes, ou bien encore des objets pertinents restent à
l’extérieur du système. En formulant ce dernier genre de critique, il faut
FU
évidemment tenir compte du domaine du modèle, qui, dans la
sémiotique visuelle de Jean-Marie Floch ou de Fernande Saint-Martin,
IF
norme5.
La rhétorique visuelle du Groupe µ (1992) constitue une analyse
S
que les termes descriptifs ne sont pas adéquats pour opposer les objets
analysés ; parce que certains objets, c’est-à-dire les images qui, à un
niveau pré-théorique, semblent être différentes de manière intéressante,
ne sont pas distinguées par le modèle ; ou parce qu’il y a d’autres objets,
dans ce cas-ci des images, qui n’entrent naturellement dans aucune des
catégories fournies par le modèle. Toutes ces observations s’appliquent
au modèle du Groupe µ.
Je retiendrai ici deux points critiques qui permettent d’avancer :
primo, les prédicats descriptifs n’expliquent rien et ne sont compréhen-
sibles qu’à partir des exemples, simplement parce que le monde de la
perception recèle tout genre de cas intermédiaires entre les conjonctions
et les disjonctions ; secundo, la distinction entre éléments présents et
R
éléments absents n’est pas recevable, parce que, sauf dans quelques cas
SE
marginaux, toute rhétorique suppose à la fois une absence et une
présence.
FU
Extrait du bestiaire µ-tologique : de Haddock à la chafetière
IF
Haddock est conjointe, parce qu’elle concerne une pièce attachée à une
totalité, la chafetière est disjointe, parce qu’elle associe deux objets
N
R
éléments dont on attendait l’absence sont présents (les bouteilles et
SE
quelques parties diverses du chat et de la cafetière). Ceci est le cas le
plus commun dans la rhétorique : à vrai dire, il est assez difficile de
trouver des exemples où il y a seulement une absence ou une présence
FU
qui contredit les attentes. D’autre part, dans les deux cas, il y a des
éléments qui sont disjoints dans le monde de la vie qui apparaissent
IF
conjoints (la bouteille et la partie des yeux, aussi bien que le chat et la
cafetière) et quelques éléments qui sont conjoints dans le monde de la
D
vie qui se présentent comme disjoints (la pupille et d’autres parties des
yeux, aussi bien que quelques éléments du chat et de la cafetière).
S
R
comme une évidence. Comme je l’ai soutenu dans un livre déjà ancien
(Sonesson 1989a), dès que nous voulons aller au-delà du modèle
SE
linguistique dans la sémiotique, nous sommes obligés de passer par la
perception.
FU
Que le signe, avant d’être autre chose, soit un objet de perception,
l’école de Prague l’avait parfaitement reconnu dès les années quarante.
Selon Mukarovsky (1974), l’œuvre d’art est un artefact qui n’acquiert
IF
une vie réelle que du moment où il est perçu par quelqu’un, qui par là
même le transforme en une « concrétisation », remplissant ses « lieux
D
formées dans la société dans laquelle vit le sujet percevant. Donc chaque
PA
acte de perception est surdéterminé par des normes, des canons, et des
répertoires des œuvres exemplaires.
Ce modèle repose sur quelques principes plus généraux tirés de la
E
R
naturel », dans le sens où on parle d’une sémiotique des langues
SE
naturelles, à savoir la linguistique. Dans le cas du monde aussi bien que
dans celui du langage, la naturalité vient du sentiment du sujet qui en
fait usage.
FU
On retrouve également le Lebenswelt dans la notion de « physique
naïve » chère aux sciences cognitives (cf. Smith 1995a ; Smith & Casati
IF
non pas ceux de la physique tout court, qui sont détournés par la magie
N
R
signe, mais aussi au niveau des significations qui précèdent la
SE
constitution du signe : le dé n’est pas perçu d’une manière moins
immédiate que le cube. À plus forte raison, ceci vaut pour la formulation
de l’argument dont parle le Groupe µ7. Contrairement à Greimas, qui
FU
voudrait voir dans « le monde naturel » un système sémiotique comme
un autre, il faut sans doute admettre, avec Gibson aussi bien qu’avec
IF
R
en d’autres termes, de la contiguïté à la factoralité. Une première
rhétorique consiste en un bouleversement de ces rapports, qui est
SE
semblable à la magie telle que la conçoit Gibson. Nous nous attendons
donc à retrouver dans les images les « objets indépendants » du monde
FU
de la vie, ni dissous dans des entités plus larges, ni divisés dans des
objets plus petits. Si le degré d’enchevêtrement des choses est modifié, il
y a rupture de normes et donc rhétorique.
IF
Pour faire face d’abord à une certaine idée erronée de l’iconicité, j’ai
proposé, dans Pictorial concepts (Sonesson 1989a), une écologie
D
R
l’indexicalité est basée sur « une vraie contiguïté », et qu’elle peut être
SE
identifiée à l’axe syntagmatique du langage, ainsi qu’à la figure
rhétorique connue sous le terme de métonymie. Pour Jakobson,
cependant, la métonymie ne concerne pas seulement la relation de
FU
contiguïté de la rhétorique traditionnelle, mais également celle de la
partie au tout, connue dans la rhétorique comme une synecdoque. Ce
IF
qui se perd ici est sans doute la distinction entre l’ « objet indépendant »
et ses parties. Cette distinction peut être rétablie à l’intérieur de la
D
indexicalités qui ne sont pas encore des signes consistent dans des
N
rapports entre des objets qui ne sont pas situés à différents niveaux
d’accessibilité ou de thématisation, ou qui ne sont pas clairement
différenciés l’un de l’autre. On peut alors parler de contextes ou de
couplages (dans le sens de Husserl). Toute expérience de deux éléments
reliés par la proximité, conçue comme un fait perceptif primordial, peut
être considérée comme un contexte perceptif réel impliquant la conti-
guïté. Un contexte perceptif réel impliquant la factoralité est une expé-
rience quelconque de quelque chose en tant que partie d’une totalité, ou
en tant que totalité ayant des parties (cf. Sonesson 1989a : I.2.5).
Selon Peirce, la démarche ondulante d’un homme est un index pour
la propriété d’être marin : mais être un marin est un rôle social, non pas
un fait singulier8. Plus exactement, la démarche fait partie d’un habitus
La rhétorique de la perception 115
social définissant ce rôle, ce qui en fait une partie d’une totalité (une
factoralité). Mais si la relation d’une propriété à la totalité dont elle fait
partie est indexicale, alors il est raisonnable de penser que l’indexicalité
expliquera également la relation entre un objet et la classe dont il est
membre. De tels exemples ne sont apparemment pas parmi ceux
mentionnés par Peirce, mais ils ont souvent été cités par des sémioti-
ciens postérieurs : ainsi, par exemple, si un bretzel peut fonctionner
comme index d’une boulangerie, c’est parce qu’il est membre de la classe
des produits vendus dans la boulangerie. Une classe n’est certainement
pas un objet singulier, mais elle peut être considérée comme une
collection d’objets. Souvent, cependant, une telle classe est elle-même
déterminée par des propriétés abstraites. L’échantillon que nous montre
R
un couturier, par exemple, est le signe d’une classe de tissus ayant la
SE
même qualité d’étoffe et le même dessin, mais non la même forme ou la
même taille. Certains échantillons, par exemple les échantillons de
couleur, peuvent même être les index de propriétés abstraites (Sonesson
FU
1989a : 43 & 137 ; 1989b : 60 ; 1998b).
La méréologie, qui est la science du tout et de ses parties, s’inspire
IF
gen (Husserl 1913 : II 225-293). Elle doit toutefois son nom au logicien
Lesniewski qui en a donné la formulation logique (cf. Smith 1994 ;
S
R
dans Stjernfelt 2000). Même si ces genres restent à définir, il n’est pas
SE
trop malaisé d’en trouver des illustrations, comme nous allons le voir par
la suite. Néanmoins, c’est plutôt dans la psychologie cognitive actuelle
qu’il faut aller chercher les rudiments d’une méréologie fonctionnelle.
FU
IF
un tout — même s’il y a sans doute des totalités relatives qui font partie
PA
R
peut parfois être plus commode de parler des objets spatiaux et des
SE
objets temporels, respectivement (tout en admettant toujours le terme
« objets », sans qualification, comme l’équivalent des objets spatiaux). Je
prendrai donc ceci pour l’opposition de base de l’écologie sémiotique :
FU
des objets qui se trouvent (d’une manière essentielle) dans l’espace et
des objets qui se trouvent (d’une manière essentielle) dans le temps.
IF
étroit du terme (« la tête », « la jambe droite », etc., dans le cas d’un corps
humain), dans ses propriétés (« masculin », « féminin », etc.), et dans les
perspectives à partir desquelles il peut être perçu.
Pour essayer de cerner la notion d’objet indépendant dans l’espace,
E
hiérarchies, mais dans une note (388), ils font remarquer qu’ils ont
éliminé de leurs études toutes les catégories contenant un rapport de la
partie au tout. Toutefois ils ne justifient jamais ce choix.
En accord avec une distinction de la logique traditionnelle, je sépare
donc les hiérarchies extensionnelles, où les sous-catégories occupent de
moins en moins d’espace, et les hiérarchies intensionnelles, où l’exten-
sion reste constante. Il est vrai que tous les niveaux et tous les éléments
dans le premier type de hiérarchie, à la différence de ceux dans le second
type, « ont une existence concrète » (Rosch & al. 1976 : 345). En fait,
quand nous descendons plus bas dans la hiérarchie, l’extension occupée
par les éléments devient continuellement plus petite dans la première
hiérarchie, mais il n’y a aucun changement dans le deuxième type. Par
R
exemple, la vieille sorcière, la vieille femme, la femme, et l’être humain
SE
remplissent l’espace à un degré égal, tandis que lorsque nous appliquons
le schéma corporel à un corps humain, chaque palier de la hiérarchie
correspond à une plus petite partie de l’espace. Selon un exemple
FU
classique, le même événement peut être décrit comme l’acte de plier son
doigt, de serrer un morceau de métal, de faire jouer le déclic d’un
IF
quatre vies. Ceci suggère que le même événement (ou, dans d’autres cas,
le même objet), tout en continuant à être thématique, peut être redécrit à
S
plus large.
Ainsi, quand nous descendons l’échelle intensionnelle, nous devons
tenir compte d’une extension plus large, exactement comme quand nous
montons la hiérarchie extensionnelle, mais le thème de la catégorie, ce
E
qui doit être caractérisé, reste tout le temps le même. Quand une jeune
N
fille est peinte dans le contexte plus large contenant une épée, un
chargeur avec la tête d’un homme décapité et une bonne, elle peut être
décrite à un autre niveau intensionnel comme étant « Judith »; mais si la
même fille est présentée dans le contexte d’un chargeur avec une tête
d’un homme décapité et, de plus, un vieux couple qui peut être identifié
comme ses parents, elle devrait correctement être décrite comme
correspondant à « Salomé ».
On peut donc se demander s’il existe également un niveau de base
dans la hiérarchie extensionnelle, comme l’a démontré Rosch dans le cas
de la hiérarchie intensionnelle. Intuitivement il semble, de façon
beaucoup plus évidente que dans l’équivalent intensionnel, qu’il existe
un niveau privilégié dans une hiérarchie extensionnelle : le corps paraît
La rhétorique de la perception 119
avoir la priorité devant les bras aussi bien que devant le couple et le
groupe. Cependant, les caractéristiques du niveau privilégié sont peut-
être différentes dans le cas de la hiérarchie extensionnelle : les catégories
superordonnées peuvent avoir moins d’attributs en commun (par
exemple, « le groupe ») que les catégories de niveau de base (par exemple,
« le corps »). Tandis que les catégories subordonnées (par exemple, « le
bras ») semblent posséder beaucoup d’attributs que l’on ne retrouve pas
au niveau de base, des formes ramenées à une moyenne ainsi comme
des figures cachées dans un bruit visuel peuvent être identifiées plus
facilement au niveau de base qu’aux niveaux superordonnés.
Il pourrait être intéressant de répéter certaines des expériences de
Rosch dans le cas des hiérarchies extensionnelles. Il semble probable
R
qu’aussi dans ce cas-ci les objets de niveau de base sont plus rapide-
SE
ment classés dans les catégories que des objets à n’importe quel autre
niveau. Mais peut-être que des critères tout à fait différents doivent être
employés pour déterminer le niveau de base d’une hiérarchie
FU
extensionnelle : les facteurs gestaltistes du destin commun dans le
mouvement, la fermeture parfaite, etc. C’est d’ailleurs une variante de ce
IF
premier critère que l’on trouve chez Gibson. Ici nous supposerons qu’un
niveau de base extensionnel peut être isolé. Ce niveau de base
D
pièces de linge, qui ne forment une totalité que parce qu’ils sont
présentés d’un certain point de vue dans une photographie (fig. 2). Il
s’agit sans doute de différents degrés de dépendance, mais le système
minimal de Husserl ou de Hjelmslev, qui ne fait la distinction qu’entre la
dépendance, unilatérale ou bilatérale, et l’absence de dépendance, ne
saurait être suffisant pour en rendre compte. Il faut aller de l’environne-
ment (du contexte) qui relève toujours sans équivoque de la contiguïté,
par l’intermédiaire des ensembles tels que le seau à glace avec ses
glaçons et sa bouteille, à une constellation accidentelle comme le
réverbère et les lignes, et, au-delà, aux totalités agrégées du niveau
supérieur comme l’essaim.
120 Göran Sonesson
R
Commençons par le cas de la contiguïté, où, malgré ce que nous
avons dit ci-dessus, présence et absence ne semblent pas
SE
nécessairement aller ensemble. Je n’ai pas pu trouver des exemples
d’absence d’une contiguïté attendue (ou suppression) qui ne suppose pas
FU
aussi la présence de quelque chose d’inattendu. En revanche le cas
inverse est très commun, notamment dans la publicité. En effet, la
présence d’une contiguïté inattendue (ou adjonction) est réalisée par des
IF
cas aussi banals qu’une couronne placée à côté d’une bouteille de gin
d’une certaine marque, ou la classique fille nue dans une voiture. Même
D
R
Au niveau de la contiguïté, il est malaisé de trouver des exemples
SE
d’une présence des contiguïtés attendues dans des positions inatten-
dues, soit un déplacement ou une permutation. La bouteille de gin peut
indifféremment se trouver à droite ou à gauche de la couronne.
FU
Certaines séries d’objets ont sans doute leur ordre particulier qui peut
être modifié, comme la soucoupe en-dessous de la tasse, ou les glaçons à
l’intérieur du seau. Pour le reste, on trouve surtout des réalisations
IF
l’espace. Dans un sens assez général, ceci est aussi vrai pour les
paraphrases de « Las Meninas » créées par Picasso et Hamilton.
N
R
pour les mêmes raisons que la suppression de tête peut le faire. Et on
SE
peut évidemment mentionner « L.H.O.O.Q. » de Duchamp (par rapport à
Mona Lisa). Un objet avec une propriété supplémentaire est aussi difficile
à s’imaginer. Par contre, une adjonction des perspectives peut se trouver
FU
facilement, précisément dans le Cubisme, mais également parmi les
icônes russes.
Le domaine le plus riche de la factoralité est sans doute le résultat
IF
pouvoir classifier ces cas, il faut commencer par faire une distinction
méréologique (ayant des origines gestaltistes) entre les cas où la partie se
S
détache sur le fond de la totalité, et les cas où la totalité prédomine sur les
PA
que celui que nous avons anticipé, où une partie de l’objet a été
remplacée par une partie (de même catégorie ou non) d’un autre objet.
N
peut être substituée à l’une des couleurs que l’on trouve dans la nature,
dans certaines bandes dessinées, ainsi que dans les statues des dieux
hindous (exemples tirés du Groupe µ 1992). Pour illustrer la
substitution des perspectives, nous avons la perspective inversée de
l’icône russe (selon Ouspenskij) et les perspectives déformées de
Reutersvärd et Escher (cf. Sonesson 1989a : III.3.4).
Dans tous ces cas, le rapport de factoralité est dominé par la partie
qui se détache de la totalité, mais on peut aussi envisager le cas inverse,
où c’est la totalité qui prédomine en absorbant les parties. La chafetière
représente ici le cas le plus simple, où plusieurs totalités sont fondues
dans une unité ; mais le cas limite est peut-être plutôt celui où une
totalité est entièrement présente, alors que l’autre est seulement
R
représentée par un détail caractéristique (la capsule d’une bouteille de
SE
jus ajoutée à une orange). Dans les tableaux d’Arcimboldo la totalité est
une seule « substance », une tête, alors que les parties correspondent à
toute une collection d’objets d’un même genre, dont chacun est une
FU
totalité en soi-même.
En effet, la grille envisagée ci-dessus ne permet pas d’analyser toute
une foule d’exemples, où la substitution ne concerne pas des parties
IF
totalités. Ce sont les cas où la totalité prédomine sur les parties. On peut
nous présenter une totalité à laquelle s’ajoute la partie d’une autre. C’est
S
donc la relation de la première totalité à (la partie de) l’autre qui est en
PA
écart par rapport à la norme. C’est le cas d’une publicité montrant une
orange avec la capsule d’une bouteille de jus, mais également celui
d’ « Absolut Rome » où le guidon d’une mobylette prend la forme
E
R
figure ayant la forme de la bouteille d’ « Absolut Vodka » ; c’est pourtant
SE
ce que nous voyons dans la publicité « Absolut Venice » (fig. 1). Comme
dans les cas antérieurs, donc, c’est le rapport entre le schéma de la
totalité et les parties qui le remplissent qui est en écart par rapport à la
FU
norme. Cependant, dans ce deuxième cas, la relation hiérarchique des
totalités dans l’échelle extensionnelle est parfaitement normale. Ce qui
est rare, ce sont les propriétés de la totalité supérieure.
IF
l’image, ils ont toute l’apparence d’une configuration. L’exemple qui sert
à illustrer ce cas est le réverbère et quelques cordes à linge au-dessus
N
Conclusions
Le modèle rhétorique à quatre dimensions, dont nous avons
commencé par prédire la nécessité, reste donc encore en chantier. Ceci
est notamment vrai de la première dimension, qui est particulièrement
R
difficile à concevoir puisqu’elle concerne le monde de la vie dont elle
bouleverse l’organisation, ainsi que le font, selon Gibson, les tours de
SE
passe-passe. Il est néanmoins possible de tirer quelques conclusions
provisoires.
FU
Contrairement à ce qui se passe dans les images fonctionnant selon
le régime de la factoralité, la contiguïté produit souvent un effet
rhétorique, bien que relativement faible (sauf quand il se combine avec
IF
parfois que ce soit la relation entre deux objets, et non pas l’absence ou
la présence de l’un ou de l’autre qui est à l’origine de l’effet rhétorique. Il
N
faut donc étudier la différence entre les cas où un objet est inattendu et
celui où c’est plutôt la relation entre les objets qui est inattendue. Et il
faut analyser les différents genres de totalité. Les deux problèmes ne
manquent pas de rapports. En fait, je me suis rendu compte de la
différence entre l’objet attendu et la relation inattendue en analysant la
contiguïté. Mais, en fin de compte, il semble assez clair que la plupart
des cas de factoralité concernent des relations inattendues.
Effectivement, le deuxième problème que j’ai abordé sans complète-
ment le résoudre concerne la structure du monde de la vie, notamment
la manière dont il est organisé sous forme d’objets indépendants aux
différents niveaux d’abstraction. Nous avons vu que la rhétorique
126 Göran Sonesson
R
SE
Notes
1 D’autre part, je mets sans doute beaucoup plus l’accent sur l’existence sociale des
FU
êtres humains, et je pense que la tradition phénoménologique est essentiellement
compatible avec — et ajoute quelque chose à — la psychologie cognitive.
2 Je souscris ici au propos par lequel Klinkenberg introduit le présent recueil.
3 Expression due à Klinkenberg, dont je ne retrouve plus la source.
IF
4 Ailleurs nous avons parlé de modèle dans un sens quelque peu différent, par
exemple, le modèle linguistique, qui est une surdétermination souvent abusive du
D
modèle dans le sens esquissé ici (cf. Sonesson 1989a, 1992a, c).
5 Or, comme je l’ai fait remarquer ailleurs, toutes les images sont en écart par
S
est tout d’abord régi par une sémiotique de combinaison (cf. Sonesson 1997a,
1998c). Nous allons ignorer cette observation dans l’article actuel.
6 Ces distinctions sont censées s’appliquer aux figures purement picturales (ou
« iconiques ») et purement plastiques : en revanche, le cas des figures picturo-
E
plastiques est différent. L’espace nous manque pour discuter ces distinctions ici.
N
théorie des prototypes formulée par Rosch qui est plus proche de la perception et
de la « pensée sauvage » au sens de Lévi-Strauss.
11 Il s’agit bien des modes π et ∑ , respectivement, du Groupe µ (1970 : 97 ; 1977 :
90), même si la manière dont le premier mode est présenté prête à confusion : on
passe de l’arbre à peuplier, ou à chêne, ou à saule, etc. au lieu de descendre ou de
remonter l’échelle conceptuelle à partir de l’une de ces instances.
12 En réalité, ce n’est pas la présence de tel ou tel objet que cause l’effet rhétorique,
mais la co-présence des deux objets, c’est-à-dire la relation.
13 À vrai dire, la tête est plutôt déplacée ; nous avons affaire à une permutation.
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(a paraître b) « La rhétorique du monde de la vie », à paraître dans Hénault, Anne &
S
University Press.
N
Illustrations
1 « Absolut Venice ». Under permission by V&S Vin & Sprit AB (publ).
2 « Absolut Naples ». Under permission by V&S Vin & Sprit AB (publ).
3 « Absolut Rome ». Photographe : Graham Ford. Under permission by V&S Vin &
Sprit AB (publ).
4 « Absolut Athens ». Photographe : Graham Ford. Under permission by V&S Vin &
Sprit AB (publ).
1-4 ABSOLUT COUNTRY OF SWEDEN VODKA & LOGO, ABSOLUT, ABSOLUT
BOTTLE DESIGN AND ABSOLUT CALLIGRAPHY ARE TRADEMARKS OWNED BY
V&S VIN & SPRIT AB (publ). 2004, © V&S VIN & SPRIT AB (publ). 2004.
La rhétorique de la perception 131
R
SE
FU
IF
1 2
D
3 4
S
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E
N
132 Göran Sonesson
R
SE
FU
IF
D
S
PA
E
N
La retraite de la rhétorique ?
Degré zéro, mécanismes rhétoriques
et production du sens dans le langage visuel
R
SE
Fulvio Vaglio
FU
Vers l’analyse des langages visuels
IF
D
R
même de déboucher sur la courageuse initiative du groupe québécois, le
SE
passage de l’histoire de l’art à la sémiotique visuelle se donnait comme
l’exigence de plusieurs analystes et historiens de l’art et correspondait à
la sensation d’impasse dans laquelle se trouvaient la critique esthétique
FU
et ses instruments. Face au « signifié (unique) des arts visuels » dont
parlait Panofsky, la sémiotique découvrait la pluralité des codes, la
IF
deux noms.
Et nous, à quel point de notre voyage sommes-nous arrivés ?
Faudra-t-il admettre que la distance parcourue a été moindre que ce
qu’on imaginait, et qu’on a peut-être déjà repris la voie du retour ? Les
réflexions qui suivent ne prétendent pas donner une réponse définitive :
elles vont plutôt ajouter des doutes et des questions supplémentaires,
avec la conscience que, quand la situation paraît trop enchevêtrée, il
faut quelquefois l’embrouiller davantage pour qu’une solution commence
à se présenter.
La retraite de la rhétorique ? 135
R
redondance et d’information formulées par Shannon et Weaver. Le
SE
raisonnement, ici très schématisé, était le suivant : 1) si l’emploi
rhétorique est destiné à provoquer une surprise chez le lecteur, et 2) si
dans le binôme redondance-information, c’est la seconde qui produit le
FU
maximum d’intérêt, alors 3) le degré zéro devra s’identifier avec la
redondance, et l’emploi rhétorique avec son opposé. Cette espèce
d’enthymème multiple laissait pas mal de questions sans réponse. Par
IF
dernier a été identifié, mais non résolu, par le Traité : il y a des aspects
du langage qui sont produits sur la base d’un respect presqu’absolu des
codes préexistants (Eco les nommera « ratio facilis », Gubern « hyper-
E
plus ou moins large du même code (ceux qu’Eco nomme « ratio difficilis »
et Gubern, « hypoformalisés »). Cette distinction ne recouvre pas celle de
langage verbal vs langage visuel (même si elle peut éclairer de manière
satisfaisante quelques différences importantes entre les deux). Au
contraire, elle trouve d’abord à s’appliquer à l’intérieur même du
discours verbal et met en question la notion de « métataxe ». Il est certes
peu douteux que les mots sont produits par « ratio facilis », mais la
chose n’est pas sûre pour les phrases, et moins encore pour les textes.
Prétendre qu’il y aurait un « degré zéro » de la phrase, aussi aisé à
déterminer que celui du mot, était certes cohérent avec le caractère
normatif de la grammaire gréco-latine ; mais la position devient obsolète
dans les nouveaux paradigmes linguistiques et littéraires. La conscience
136 Fulvio Vaglio
R
poser qu’il y a une limite inférieure de l’image, en deçà de laquelle on
SE
percevrait une lacune, mais non une limite supérieure, au–delà de
laquelle l’image paraîtrait « trop contenir » ? Une analyse sommaire de
certains phénomènes d’adjonction (répétition et accumulation) et de
FU
suppression montre que la réponse n’est pas simple et qu’il faut
l’articuler davantage. Le phénomène que les designers nomment « effet
IF
à l’ « unité » ?
N
R
n’apparaissent pas dans le cadre restent dormantes, aussi virtuelles que
SE
les sèmes spécifiques de « doberman » ou de « caniche » quand on entend
le mot « chien ». D’ailleurs, même dans le cas où la suppression de
l’information visuelle s’écarte de ce qui est accepté comme « normal », le
FU
spectateur vit une espèce de « dissonance iconographique » qui ne le
pousse pas nécessairement à restituer ce qui n’est pas contenu dans
IF
l’image, mais qui lui fait sentir que certains détails visuels lui sont
inaccessibles. On devrait probablement relire à ce propos les pages que
D
R
moment dans sa Rhétorique générale puis utilisés à nouveaux frais dans
le Traité.
SE
J’avoue ne pas trouver de raison suffisante pour réduire ces
mécanismes à quatre. Une brève et incomplète exploration me convainc
FU
de plus en plus qu’il faudrait ouvrir cette liste, même au prix de la perte
de son apparence de solidité. Prenons par exemple la catégorie de
l’ « inversion ». À première vue, elle est présente dans le schéma du
IF
Les deux objets sont d’abord présentés à l’œil du spectateur, qui réalise
les processus nécessaires, bien décrits par la Gestalt, pour identifier
leurs ressemblances et leurs différences. Dans le second temps, ils sont
partiellement fusionnés, de façon à ce qu’ils soient reconnaissables en
même temps, comme deux objets distincts mais formant une sorte
d’hybride visuel. Enfin, l’un des deux objets disparaît, remplacé par
l’autre.
Il est assez clair que ce procès peut prendre le caractère de la
métaphorisation, quoique le Traité nous conseille de ne pas parler de
métaphore avec trop de précipitation. En effet, le plus intéressant est
que cette séquence nous permet d’apprécier un parallélisme, au moins
La retraite de la rhétorique ? 139
R
sait être impossible. D’où la force du paradoxe, qui est telle qu’on a pu le
SE
considérer simultanément comme l’origine et la possibilité de traitement
de la schizophrénie. Faudra-t-il donc admettre que métaphore et
paradoxe sont deux tropes étroitement associés, avec la même séquence
FU
mais un sens différent ? L’une et l’autre présentent de toute évidence
une violation du sémantisme rigide fondé sur une logique fermée (ce que
IF
davantage explorée.
N
Un principe général
Il y a un troisième groupe de considérations que je voudrais
soumettre à l’attention.
Mus par le souci de libérer la rhétorique visuelle de l’héritage verbal,
nous avons souvent rejeté l’utilisation de termes provenant de la
rhétorique classique, comme « métaphore », « métonymie », « paradoxe ».
Cette attitude était certes justifiée. À présent, il faut se demander si on
ne s’est pas trop centré sur une cible apparente, en manquant l’objectif
réel. Il y a quelques années, nous avancions qu’il valait mieux étudier les
140 Fulvio Vaglio
R
a touché, chacun depuis son point de vue : Chomsky (et Greimas) avec
SE
leurs « structures profondes », le Groupe µ et Eco avec la notion de
« type » ou de « type cognitif », et Wilden avec sa distinction entre une
rhétorique de l’analogique (qu’il identifie avec la métonymie) et une
FU
rhétorique du digital (qu’il associe au domaine de la métaphore, en un
tournemain surprenant mais peu convaincant). Ce qui me paraît
IF
qu’il s’agisse et où qu’il soit), est une langue pour Lacan, tandis que pour
N
Conclusion
Pour conclure, récapitulons sommairement quelques points soumis
ici à la discussion.
1) La rhétorique contemporaine propose une dichotomie essentielle.
D’un côté, on a une rhétorique générative, vouée à la systématisation des
mécanismes de production des figures et de leurs combinaisons
possibles ; il s’agit donc d’une rhétorique structuraliste. Elle a joué un
rôle très important pour faire sortir les études rhétoriques du marasme
La retraite de la rhétorique ? 141
dans lequel elles étaient tombées ; elle peut encore produire des
résultats importants, bien que sa valeur heuristique apparaisse comme
en déclin. De l’autre côté, on a une phénoménologie des faits rhétoriques,
attentive aux effets de sens et se défiant des schémas trop rigides ; elle a
un caractère substantiellement pragmatique et doit vivre (ou survivre) à
la frontière entre la rhétorique du texte et la rhétorique de la réception.
2) Pour le moment, ce n’est pas possible de dire si la rhétorique
pourra se maintenir comme un domaine autonome ou si elle devra
finalement se considérer comme une variante de la stylistique. Les
références à Heinrich Wölfflin contenues dans cette intervention avaient
partiellement pour but de souligner cette question. Il est possible que les
réponses doivent varier selon le langage qu’on choisit d’analyser : dans le
R
cas du langage verbal et littéraire, la notion de « style » se réfère à
SE
l’emploi idiosyncrasique de la langue par un auteur déterminé ; les
domaine de la rhétorique et de la stylistique ne paraissent donc pas
coïncider ici. Mais dans le cas de la communication graphique et visuelle
FU
(autant que dans le langage musical ou corporel), le terme de « style » est
employé d’une façon moins subjective et individuelle, et vise plutôt un
IF
R
Herman Parret
SE
FU
Rêveries urbinates
IF
voyage en Orient sur les traces d’Alexandre jusque dans l’Inde fabuleuse.
Passant par Ninive, Apollonius s’arrête un moment devant un temple
immense et il s’entretient de peinture avec son disciple Damis :
E
La peinture est donc une imitation, Damis ? […] Est-ce que l’on voit dans le ciel,
N
lorsque les nuages s’effilochent : centaures, boucs-cerfs, et même, par Zeus, loups et
chevaux, de tout cela, que diras-tu ? Est-ce que ce ne sont pas aussi des imitations ?
Il ne faut pourtant pas en conclure que Dieu est peintre et que l’image dans les nuées
est l’oeuvre d’un jeu divin. Il faut juger, bien au contraire, que ce sont là des figures
sans aucune signification, emportées dans le ciel au hasard, mais que c’est nous,
naturellement portés à rechercher partout des représentations, qui leur donnons des
formes et les créons.
On discerne parfois, dans les veines du marbre, dans les stries de l’agate ou dans les
auréoles de l’albâtre, d’étonnantes compositions qui, légèrement corrigées, font de
merveilleux camées (cité in Chastel 1982 : 93).
R
dans le tronc d’un arbre ou dans une motte de terre ou dans quelque autre objet du
même genre, certaines figures qu’il suffisait de modifier très légèrement pour les
SE
rendre fort ressemblantes aux apparences naturelles. En se rendant attentif à ces
phénomènes et en les remarquant avec soin, on essaya de voir si l’on ne pouvait pas,
en ajoutant, en retranchant ou en achevant ce qui était imparfait, obtenir une
FU
parfaite ressemblance. En corrigeant et en polissant ainsi les contours et les surfaces
selon ce que l’objet lui-même incitait à faire, on réussit à réaliser ce qu’on voulait,
non sans y trouver de plaisir (voluptas) (Alberti 1435 : 29).
IF
que le sculpteur met en forme. L’image picturale est d’une autre nature
que l’image sculpturale. Et surtout, la relation entre matière et forme est
radicalement différente dans les deux cas. Pour le sculpteur, l’image est
dans la mise en forme d’une matière préformée, pour le peintre par
contre l’image est dans la tension constitutive d’une rhétorique historiale
(l’historia comme matière) et une rhétorique formelle (exploitant les
virtualités du signifiant pictural).
C’est le statut de cette rhétorique à double face dans la théorie de la
peinture chez Alberti qui mobilisera notre attention, en vue d’une
homologation éventuelle avec un théorème de la rhétorique générale du
Groupe µ. Leon Battista Alberti2, grand ami de Mantegna à la cour des
Gonzagues à Mantoue et très apprécié par les Montefeltre à Urbino,
La rhétorique de l’image : quand Alberti rencontre le Groupe µ 145
R
Alberti passe de la mathématique à la rhétorique, de l’oeil à la main. Pas
SE
de peinture sans que les constructions de l’œil mental ne s’appliquent en
stratégies de la main : pragmatisation ou rhétorisation du cognitif. C’est
que la géométrie du cône visuel doit se syntagmatiser en situations et en
FU
combinaisons de figures — on passe par conséquent de l’image à la
figure —, elle doit se syntagmatiser en historia, l’histoire étant une
IF
des relations narratives entre les figures. En d’autres mots, l’histoire (le
PA
R
n’est pas inférieure à la lecture d’une belle histoire. [Peinture et écriture] sont toutes
deux œuvres de peintres: l’un peint avec des mots, l’autre enseigne avec le pinceau ;
SE
pour tout le reste, la situation des deux est identique (Alberti 1435 : 59).
R
circonscription d’une lettre d’alphabet ; la seconde effectue la compo-
SE
sition, en analogie avec la formation morphologique de lettres en syllabes
et en mots ; la troisième, enfin, procède à la distribution des lumières ou
coloration des surfaces, correspondant à la vocalisation, à l’ « esthéti-
FU
sation » phonique, dirions-nous, de la langue écrite6.
Voyons cela plus en détail. La circonscription consiste à inscrire dans
IF
R
toute sa beauté convainc et séduit. La beauté de l’historia sert à faire
SE
participer celui qui regarde l’action, à émouvoir, à toucher. L’espace que
la main de l’artiste doit conquérir, l’espace de la toile, est attente de
l’historia, mais cette histoire elle-même est en attente d’une forme
FU
plastique. L’historia, par conséquent, est un contenu transitionnel
puisqu’elle est contrainte par les stratégies de la main de l’artiste, de la
IF
pratique artistique.
La plupart des interprétations du De Pictura se concentrent sur la
D
R
Rappelons deux thèses fortes du Traité du signe visuel : d’abord la
SE
distinction fondamentale entre le signe plastique et le signe iconique
(113-135 & 186-196) et ensuite la pertinence d’une rhétorique icono-
plastique (345-360).
FU
La distinction fondamentale entre le signe plastique et le signe
iconique. — L’iconique n’est pas une condition sine qua non de la
IF
une simple tache informe serait plastique, le dessin d’un visage serait iconique, mais
une figure géométrique serait quelque part entre les deux : plastique parce qu’elle n’a
pas pour référent un être du monde naturel, iconique parce qu’elle n’est pas seule de
son genre, mais renvoie à une idée extérieure à elle, et à une actualisation de ce
concept qui ne pouvait se définir que par sa forme dans l’espace (Groupe µ 1992 : 120).
R
signes icono-plastiques. Mais il existe des figures icono-plastiques
SE
(Groupe µ 1992 : 279-83). Le passage du signe à la figure marque le
passage de la sémiotique à la rhétorique.
FU
La pertinence d’une rhétorique icono-plastique. — La conjonction ou
le couplage du plastique et de l’iconique est fréquent dans l’histoire de la
peinture. Le traité de sémiotique visuelle en donnent quelques exemples
IF
couleur, ligne]. Mais ce signifiant plastique n’est que potentiel : il tend à s’effacer au
profit de l’iconisme (Groupe µ 1992 : 345).
R
l’iconique.
SE
L’essai d’homologation annoncé entre la rhétorique albertienne et la
rhétorique du Groupe µ peut être formulée ainsi. Le Livre II du De
Pictura préfigure la théorie de l’image du Groupe µ concernant un
FU
théorème précis. Notre hypothèse est que la rhétorique à double face,
historiale et structurale, d’Alberti exhibe une tension épistémologique
IF
la mise en scène d’une historia. L’historia est ce que le peintre voit dans
la Nature. L’acte de peindre est un acte d’iconisation. Toutefois, le peintre
n’est capable d’iconiser que par la mise en œuvre de techniques
plastiques (dans la rhétorique du Groupe µ : forme, texture, ligne,
couleur) et/ou structurales (dans la rhétorique d’Alberti : circonscription,
composition, remplissage par la couleur). Qu’on n’en doute pas : ce qui
est homologable, ce ne sont pas tant les termes substantiels (de
l’historial et de l’iconique d’une part, et du structural et du plastique de
l’autre), mais la tension dans ces deux couples, le fait que la relation
rhétorique elle-même est une relation comme si, une relation d’analogie
ou d’hypotypose : le plastique est présenté comme s’il était iconique, le
structural, comme s’il était historial.
152 Herman Parret
R
relation rhétorique, dans la double formulation que nous avons relevée
SE
— celle d’Alberti, celle du Groupe µ — est essentiellement tensive, c’est
que l’iconique ou l’historial, s’il prime téléologiquement, n’est jamais
réalisé, est non réalisable : l’iconique ou l’historial est l’effet du désir de
FU
ressemblance, un désir qui travaille la main de l’artiste et ses techniques
plastiques. C’est que le désir du peintre est contraint par sa main et sa
IF
Notes
PA
rhetorica pictura ».
N
concept of the ‘creative act’ and the ‘creative moment’ or his vision of the
‘relationship of the artist to the work of art’, is entirely peripheral » (Katz 1978 : 24).
On ne peut pas plus sous-estimer le statut épistémologique de la conception
albertienne de l’art.
4 « Alberti told the painter that he should prepare himself to carry out his « most
capacious » and « highest » task : to paint history. As his many complementary
references to historia and its Italian equivalent storia or istoria reveal, Alberti had in
mind a carefully composed picture, in which a substantial number of characters —
ideally nine — appeared. He told the painter how to plan histories in advance,
where to find appropriate subjects for them, how to avoid errors of taste, and how
to set his aesthetic goals. The term became central in Alberti’s work. A close
examination of what it meant to Alberti reveals exactly how he tried to transform
the existing language and practices of art. In doing so he drew on an existing, if
inchoate, forming of new and more precise term — one carefully crafted to embody
R
a particular aesthetic program » (Grafton 2000 : 127). Grafton analyse en détail la
SE
notion de historia (124-133). Masaccio, Donatello et Uccello sont parmi les peintres
préférés d’Alberti, mais ses principes picturaux semblent introduire les grands
génies de la fin du Quattrocento, Mantegna, Botticelli, Bellini…
5 « Alberti followed Quintilian, through much of his work, point by point, in order to
FU
produce an introductury work on painting as thorough, consistent, and complete
as his ancient forerunner’s… The ancient writers on oratory had set out to produce
what they called a « good man skilled in speaking » (bonus homo dicendi peritus), a
IF
man both trained in effective political speech and equipped with historical and
moral training, one who spoke well and wisely. Alberti, similarly, drew up a manual
D
for the training of a bonus pingendi peritus, and in it described the art, its
practitioner, and his education in full detail » (Grafton 2000 : 117) ; « the analogy
S
between rhetoric and painting […] gave Alberti much more than an attractive
conceit to work with. It also provided him with an intellectual framework and a
PA
6 Voici une longue citation concernant ces trois techniques : « Nous avons divisé la
N
peinture en trois parties et cette division, nous l’avons trouvée dans la nature elle-
même. En effet, puisque la peinture s’efforce de représenter les choses visibles,
notons de quelle façon les choses se présentent à la vue. Tout d’abord, lorsque
nous regardons quelque chose, nous voyons que c’est une chose qui occupe un
lieu. De fait, le peintre circonscrira ce lieu et appellera cette manière de tracer le
contour du terme approprié de circonscription. Toute de suite après, la vue nous
apprend que le corps regardé est constitué de très nombreuses surfaces qui se
combinent entre elles. Et ces réunions de surfaces, l’artiste, en les assignant à
leurs lieux, les nommera justement composition. Pour finir, le regard nous permet
de discerner plus distinctement les couleurs des surfaces ; la représentation de ce
fait, en peinture, parce que cette dernière tire des lumières toutes ses différences,
nous l’appellerons très justement réception des lumières » (Alberti 1435 : 145).
154 Herman Parret
Bibliographie
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1982 Art et humanisme à Florence au temps de Laurent le Magnifique. Paris : P.U.F.
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FU
University Press of America.
Panza, Pierluigi
1994 Leon Battista Alberti. Filosofia e teorie dell’arte. Milano : Guerini Studio.
IF
D
S
PA
E
N
Sémiotique versus rhétorique ?
Jan Baetens
R
SE
FU
La couleur, richesse du poète, est si coûteuse
IF
science.
H.D. Thoreau, Journal, 1852
S
PA
Un conflit nécessaire
Il convient de le rappeler : sémiotique et rhétorique, fût-elle générale,
ne sont pas faites pour s’entendre « simplement ». Dans un certain sens,
E
À un niveau tout à fait naïf, nous avons tendance à concevoir les systèmes de
grammaire comme tendant à l’universalité et comme étant simplement génératifs,
c’est-à-dire capables de produire une infinité de versions à partir d’un seul modèle
(lequel peut déterminer des transformations aussi bien que des dérivations) sans
l’intervention d’un autre modèle qui puisse déranger le premier. Nous envisageons
donc le rapport entre grammaire et logique, le passage de la grammaire aux
propositions, comme relativement non problématique […]. La grammaire et la logique
se tiennent dans un rapport dyadique de soutien inentamé (de Man 1979 : 28-29).
R
« grammaire » des faits rhétoriques, quelle que soit du reste la définition
qu’on en utilise, elle transforme inévitablement toute rhétorique en une
SE
forme de grammaire.
Or, la vraie rhétorique, qu’on la rattache au champ tropologique ou
FU
aux techniques de persuasion, relève pour de Man d’un autre ordre,
d’une tout autre épistémologie :
IF
suivante :
Sémiotique = grammaire = logique
vs
(Herméneutique ?) = rhétorique = littérature
R
voudrais m’éloigner un peu des théories de Paul de Man, pour me
SE
tourner davantage vers les recherches en sémiotique visuelle. Il me
semble en effet que cette discipline multiplie les avancées qui permettent
justement de donner au fait rhétorique une certaine place dans
FU
l’ensemble de la pensée sémiotique. Pour le dire autrement : c’est du côté
de la sémiotique visuelle que s’effectue une sorte de révolution culturelle
IF
rhétorique (au sens fort que lui donne Paul de Man) dans le sémiotique.
Certes, la sémiotique visuelle n’est pas un bloc homogène, et souvent
elle commet exactement la même « erreur » que la sémiotique
structuraliste traditionnelle, à savoir la réduction du rhétorique au
grammatical. Cette éviction du rhétorique domine même souvent dans
les sémiotiques visuelles de l’image publicitaire et, plus généralement,
dans les sémiotiques visuelles qui ne distinguent pas entre un corpus
artistique et non-artistique (entre « rhétorique » et « grammaire », pour
parler comme de Man) 4. Il va sans dire que, du point de vue de la
sémiotique structuraliste, cette confusion ne pose aucun problème. Pour
une sémiotique soucieuse de rhétorique, elle est évidemment fatale.
Nulle vraie rhétorique, au sens de Paul de Man, ne peut sérieusement se
158 Jan Baetens
penser à partir d’un type d’image dont l’enjeu est toujours, qu’on le
veuille ou non, d’imposer un sens unique. Qu’une image publicitaire soit
riche ou complexe, ne l’empêche jamais de tendre toujours au même but
(vendre et plaire, pour paraphraser les classiques). Il y a là, à mon sens,
un sérieux avertissement : il ne faut pas qu’une sémiotique visuelle soit
trop près de l’image publicitaire (cf. par exemple Forceville 1996, quels
que soient du reste les mérites).
Outre le Traité du signe visuel du Groupe µ (1992), qui se manifeste
du reste autant comme une rhétorique que comme une sémiotique, ou,
plus exactement peut-être, dans le sillage de ce travail essentiel,
j’aimerais signaler ici deux pistes de réflexion capitales.
R
SE
Sémiotique du signe, rhétorique de l’écran
La première, que représente exemplairement la pensée sémiotique
FU
d’Anne-Marie Christin et de son équipe à Paris VII, concerne la mise en
question du signe comme « unité » sémiotique de base. Réfléchissant sur
le statut de l’écriture comme « image », cette sémiotique conteste
IF
R
a de figé, tout en précisant bien le cadre, même littéralement, à
SE
l’intérieur duquel s’effectue le geste rhétorique de l’interprète. Il ne paraît
pas absurde de dire que la sémiotique telle que l’envisage Christin met
un terme à la combinaison traditionnelle des modes de signifiance que
FU
Benveniste appelait « sémiotique » et « sémantique »5, pour mettre en
valeur la force du sémantique, non plus comme simple ajout au
IF
R
l’autonomie absolue du plastique étant bien sûr une vue de l’esprit, un
SE
plastique suffisamment indépendant pour brouiller rhétoriquement
l’empire du sémiotique). Le refus du modèle verbal a permis non
seulement de créer une place, dans les structures profondes, pour le
FU
sens non verbal, voire non verbalisable, mais aussi et surtout
d’envisager d’autres trajets génératifs, où les images ne sont pas des
IF
[…] que la phrase poétique peut imiter (et par là elle touche à l’art musical et à la
science mathématique) la ligne horizontale, la ligne droite ascendante, la ligne droite
descendante ; qu’elle peut monter à pic vers le ciel, sans essoufflement, ou descendre
perpendiculairement vers l’enfer avec la vélocité de toute pesanteur ; qu’elle peut
suivre la spirale, décrire la parabole, ou le zigzag figurant une série d’angles
superposés (Baudelaire 1983 : 183 ; cité in Gullentops 2002).
R
rêva de ramener le monde), et c’est en termes également visuels que l’on
SE
pense les transitions graduelles du plus général au plus singulier. On ne
passe pas d’une structure profonde verbale à une structure de surface
visuelle ; on part au contraire d’une structure profonde sensorielle, et
FU
partant visuelle, que l’on précise et façonne ensuite par l’ajout de
perspectives supplémentaires, le langage n’étant qu’un des moyens
IF
Pourquoi avoir choisi cette œuvre ? D’abord parce qu’il s’agit d’un
mélange texte / image, où il est clair que les deux sémiotiques n’arrivent
N
détailler plus loin, se situe déjà là. Il est important de souligner, dans la
sémiotique traditionnelle, l’interaction unité / récit, car le récit
fonctionne souvent comme une machine à « iconiser » ce que l’image a de
plastique : en imposant l’ordre du récit à l’image, on efface souvent ce
que l’image a de plastique, et l’on tend ainsi à soumettre la force
virtuellement rhétorique du plastique à la grammaire et à la logique du
récit (le suprasémiotique, on l’a vu, sert de vocation et de levier à
l’infrasémiotique).
De manière plus schématique :
sémiotique :
signe verbal + signe visuel (niveau 1) = récit verbo-visuel (niveau 2)
R
rhétorique :
SE
divers brouillages de ce schéma
R
nouvelle illustration du conflit entre sémiotique et rhétorique qui était ici
SE
mon point de départ.
Dans Gloria Lopez l’impact du rhétorique consiste à dissoudre,
d’abord les deux niveaux sémiotiques des images d’une part et du récit
FU
d’autre part, puis le rapport sémiotique entre ces deux niveaux, où le
niveau supérieur du récit est généralement convoqué pour donner sens à
IF
ce qui resterait de non sémiotique dans l’image. Ce que fait Gloria Lopez,
c’est exactement l’inverse : le livre suggère que l’image agit de façon
D
say nothing clearly — or else, in the best case, they clearly say nothing »
N
Notes
1 Tous mes remerciements à Jack Post (Université de Maastricht), Jan van Looy et
Dirk de Geest (Université de Leuven), qui m’ont aidé à penser et repenser une toute
première version de ce texte. Un grand merci aussi à tous les participants du
colloque à Urbino, dont les remarques critiques m’ont permis de formuler avec plus
de clarté ce que j’avais dit d’abord de manière moins nuancée.
2 « Une autre discipline nouvelle, née de la linguistique, a recouvert pour une part le
champ de la rhétorique, mais en s’en démarquant nettement : la sémiotique. Son
père fondateur en France, Algirdas Julien Greimas (mort en 1992), l’avait à l’origine
écartée pour deux raisons : d’une part, parce que la rhétorique décrivait un usage
164 Jan Baetens
R
sur leur travail.
SE
5 Rappelons ici la définition connue : « La langue combine deux modes distincts de
signifiance, que nous appelons le mode SÉMIOTIQUE d’une part, le mode
SÉMANTIQUE de l’autre. Le sémiotique désigne le mode de signifiance qui est
propre au SIGNE linguistique et qui le constitue comme unité. […] Avec le
FU
sémantique, nous entrons dans le mode spécifique de signifiance qui est engendré
par le DISCOURS. Les problèmes qui se posent ici sont fonction de la langue
comme productrice de messages. […] Qu’il s’agit bien de deux ordres distincts de
IF
signe) doit être RECONNU ; le sémantique (le discours) doit être COMPRIS. »
(Benveniste 1974 : 63-65).
S
Bibliographie
E
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N
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Sémiotique versus rhétorique ? 165
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Gullentops, David
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Mitchell, W.J.T.
IF
1980 « Spatial form in literature. Toward a general theory », Critical Inquiry VI.
Schwenger, Peter
D
Sémir Badir
R
SE
FU
Flatter ne profite pas à celui qui l’écoute, dit mon maître vénéré.
IF
Suivre est toujours trahir un peu. Critiquer n’est pas discerner. Variante
de ce précepte : il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. J’ai fait
D
R
Horizons épistémologiques
SE
Pour commencer de me conformer à cette simplicité souhaitée,
j’exposerai tout de go le plan d’ensemble de ma réflexion, quitte à n’en
FU
pouvoir donner par la suite que des morceaux grossièrement découpés,
car ce genre d’intervention se prête assez peu aux formes chirurgicales, à
moins de planer très haut au-dessus des choses, ce que je ne souhaite
IF
R
dans la première moitié du XXe siècle, après un crochet en psychologie
SE
expérimentale, d’abord avec Bloomfield, puis avec Hjelmslev (cf. Garza-
Cuaròn 1991). La critique littéraire s’y attache à travers les développe-
ments d’une science des signes, la sémiologie, inaugurée en France par
FU
Greimas et Barthes. L’histoire de la connotation témoigne ainsi d’une
ratiocination sur le sens et sur les rapports entre le langage et le monde.
IF
univoque et qui lie, moins par convention que par ordre et raison
naturelle, le mot à une et une seule unité du monde. Certes, dès lors que
les langues ont fait l’objet d’études particulières, l’adéquation du mot
avec la chose est devenue toujours de plus en plus difficile à maintenir.
E
mesure des obstacles rencontrés, n’a pas moins puisé dans son origine
logicienne une force suffisante pour les surmonter tous. Ce qui revient à
dire que la connotation, par son histoire et jusqu’à sa grande popularité
dans les théories structuralistes, est l’une des manifestations
exemplaires de l’expansion d’une pensée monologique, descriptiviste et
rationaliste, jusque dans les zones les moins propices à ce régime de
savoir — dans l’étude de la littérature, des expressions affectives, des
mythes, des phénomènes idéologiques, parmi d’autres choses.
Tout au contraire, la rhétorique concourt dès son origine à une
appréhension littéraire du monde. Je rappelle au pas de course qu’elle
constitue chez les Grecs un savoir technique, et non un savoir
spéculatif. Il est vrai que chez les Romains, la rhétorique n’est plus
170 Sémir Badir
R
sera consacré par la modernité, réduisant la rhétorique à ce qui en elle
SE
est le plus aisément scolarisable, à savoir les figures. Pendant deux
siècles, ceux qui en seront les descripteurs et les théoriciens
soumettront la rhétorique à une opération de logicisation du savoir. Il ne
FU
fait pas de doute que le Groupe µ contribue lui-même à cette manœuvre.
Il cherche à formaliser le mécanisme rhétorique en le décrivant par des
IF
Le rhétorique
Parler du rhétorique, au masculin substantivé, ce n’est pas nécessai-
rement partir à la recherche d’une essence, comme voudrait le dénoncer
Kuentz. Si je dis que le froid s’est abattu sur nos régions, je n’invoque
pas nécessairement la colère d’un dieu Froid. Je parle de réalités
R
climatiques sous le biais d’une représentation abstraite. De la même
manière, parler du rhétorique, c’est s’efforcer d’embrasser dans une
SE
représentation conceptuelle la diversité des procédures rhétoriques. Bref,
c’est procéder à une réduction, et cette réduction n’a nul besoin d’être
FU
ontologique (elle ne conduit pas à une essence), ni même phénomé-
nologique (elle n’assigne pas au rhétorique un domaine) ; elle est
seulement épistémologique.
IF
traité des figures. Dans Rhétorique générale, la partie qui traite des
figures s’intitule « Rhétorique fondamentale » ; il y est question
S
« Vers une rhétorique générale », par quoi elle indique que le titre retenu
pour l’ouvrage commet une synecdoque généralisante, peut-être imposée
par l’éditeur — ce ne serait pas la première fois ni la dernière qu’on
exagérerait un peu la marchandise, la Bible ayant montré l’exemple. La
seconde partie de Rhétorique générale, donc, montre que les opérations
rhétoriques peuvent s’appliquer non seulement aux textes littéraires,
mais également à d’autres types d’énoncés linguistiques, parmi les plus
répandus dans la société, tels la réclame et le slogan, ainsi qu’à d’autres
types de communications, à d’autres sémiotiques, tels le cinéma ou la
conversation. Jean-Marie Klinkenberg a remarqué que c’est à tort qu’on
a souvent confondu l’écart, qui est au principe des mécanismes
172 Sémir Badir
R
toutefois se demander pour quelle raison elle le fait. Ce n’est pas, là
SE
encore, à cause d’une restriction qu’elle s’imposerait. L’autonomisation
de l’elocutio n’est pas un retranchement. C’est une manœuvre qui vise à
réorienter l’ensemble de la rhétorique à partir de cet axe objectiviste. Sa
FU
réduction est celle d’un expérimentalisme en laboratoire qui ne se coupe
du monde des discours que pour répondre de lui au moyen de lois.
IF
R
générale du Groupe µ, bien que ses applications circonscrivent un
SE
champ de recherches effectives, est d’une puissance d’explication
susceptible de couvrir l’ensemble des phénomènes sémiotiques. On peut
avoir un aperçu de cette puissance par les travaux que le Groupe µ et
FU
ses membres individuels ont consacrés au domaine visuel (cf. Groupe µ
1992) et au domaine de l’épistémologie et de la pensée scientifique (cf.
IF
Degré zéro
Le second point théorique que je voudrais aborder vise le concept de
degré zéro. Là non plus les critiques n’ont pas rendu justice au Groupe µ
de leurs intentions proclamées ni des outils conceptuels qu’ils ont
utilisés pour les mettre en œuvre. Ils ont d’ailleurs souvent critiqué
Rhétorique générale conjointement au livre de Jean Cohen Structure du
langage poétique. Or, si les deux livres ont d’indubitables points
communs en terme d’objets (la poésie) et de représentations épistémo-
logiques (qui sont celles de leur temps, c’est-à-dire, pour faire vite,
structuralistes), ils diffèrent sensiblement par le niveau de technicité
conceptuelle et le registre de discours, lequel se montre volontiers
R
épidictique chez Cohen.
SE
En ce qui concerne le concept de degré zéro, les arguments
théoriques liminaires de Rhétorique générale (1970 : 35-38) ne doivent
pas être tenus pour de simples précautions oratoires, même si, dans les
FU
chapitres ultérieurs, on peut regretter quelques formulations mala-
droites — sans doute peut-on y voir une des limites du travail à six
mains, qui présente par ailleurs bien des avantages. Je regroupe ici en
IF
R
impossible qu’un historien de l’art finisse par trouver dans le corpus des
SE
textes dada un énoncé conforme à l’acronyme duchampien. Mais c’est
une autre interprétation qui s’impose ordinairement. La norme invoquée
est alors celle du mode de fabrication des métaplasmes dans les textes
FU
dada. Le titre de Duchamp devient un rébus alphabétique. Par
transcodage, le degré perçu du métaplasme peut être donné comme un
IF
c’est une norme générique — celle du remake — qui permet cette fois de
N
On voit une tendance, dans nombre de cultures, à nommer une nation ou une
collectivité par sa spécialité gastronomique supposée. En vertu de ces schémas, un
franchouillard xénophobe pourra s’exclamer Eh va donc, Rosbif ! en s’adressant à un
sujet de la reine d’Angleterre, ou encore traiter un concitoyen de M. Berlusconi de
macaroni. Il s’agit là d’un moule disponible, qui renvoie à une architecture du monde,
architecture soutenue par de grands stéréotypes. De cette architecture, un Roland
Barthes avait fort bien traité, […] lorsqu’il parlait de l’‘italianité’ comme d’un moule
idéologique producteur de figuralité (Klinkenberg 1996 : 196).
R
mode (1967) nommait explicitement niveau connotatif le système
SE
rhétorique. Mais que peut valoir ce « système rhétorique » ? Comme les
figures d’un texte ne sauraient être tenues elles-mêmes pour un
système, c’est bien l’ensemble des normes sur lesquelles repose leur
FU
interprétation qui forme système, et cela quand même, comme je l’ai
rappelé, ces normes seraient multiples et diversifiées.
Il est vrai toutefois que, pour le Groupe µ, une certaine norme
IF
propos, « c’est-à-dire des sèmes que l’on ne pourrait pas supprimer sans
retirer du même coup toute signification au discours » (1970 : 36). La
paraphrase ne me paraît pas très éclairante et témoignerait plutôt d’une
E
R
serait alors un discours ramené à ses sèmes essentiels (par une démarche métalin-
SE
guistique, puisque ces sèmes ne sont pas des espèces lexicales distinctes) (Groupe µ
1970 : 35-36).
degré zéro absolu exige une positivisation hors des formes de la langue,
N
Topique et dynamique
Mais je poursuivrai avec un dernier point de rapprochement entre
rhétorique et connotation qui mettra à nouveau en rapport le projet
théorique de la nouvelle rhétorique avec la glossématique.
178 Sémir Badir
R
sémiotique connotative. On se rappelle que chez Hjelmslev il y a deux
SE
concepts qui désignent le système d’une langue (ou les systèmes, et c’est
là précisément le problème dont leur dualité rend compte) : le schéma en
définit l’analyse, tandis que les normes servent de descriptions. Eh bien :
FU
aux normes, la sémiotique connotative offre une hiérarchie, dans
laquelle la norme dénotative sera considérée comme la première (si on
IF
R
même de son projet théorique. Dans nombre de travaux récents, les
SE
membres du Groupe µ ont développé l’analyse dynamique de la
rhétorique, en minimisant les nécessités topiques, ou en en suspendant
certaines facilités.
FU
*
IF
R
doute que la nouvelle rhétorique soit à même de réaliser la fusion entre
SE
les deux idéaux gnoséologiques mentionnés, l’épistémè des sciences et la
paedeia des Lettres.
FU
Notes
IF
1 D’abord paru en 1977 dans Poétique, le texte d’où est extait la citation est inséré,
en guise de postface, dans l’édition de poche de Rhétorique générale (1982). Le
D
Groupe µ réagissait ainsi notamment aux articles de Pierre Kuentz 1971 & 1975. À
noter que Pierre Kuentz avait anticipé la réaction du Groupe µ, puisque dans le
second de ces articles, il écrivait : « Tant que ‘ça marche’, on avance ; nous verrons
S
bien, disent-ils, ce qui nous arrête et reconnaîtrons ainsi les limites de notre
PA
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R
Badir, Sémir
SE
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R
SE
FU
IF
D
S
PA
E
N
Rhétorique « multimodale »
Essai de définition
R
Nicole Pignier
SE
FU
L’hétérogénéité au cœur du sens rhétorique
IF
selon Fontanille). Ainsi, dans Traité du signe visuel. Pour une rhétorique
de l’image (1992), le Groupe µ s’attache d’abord à isoler des systèmes de
signes distincts mais conjoints dans les énoncés, afin d’y repérer les
unités sur lesquelles portent les opérations rhétoriques telles
l’adjonction, la suppression, la juxtaposition, le retour en arrière, la
coordination, condensation, amplification, similarité, contiguïté,
déplacement, etc. Pour le système plastique, ces opérations portent sur
des unités de couleur, de forme, de support, de cadrage, de cadre, de
texture, pour le système iconique, ce sont les motifs, les messages, les
isotopies. Le sémioticien questionne ainsi les rhétoriques spécifiques
(parler en effet de « rhétorique » en général ne veut rien dire) à l’œuvre
184 Nicole Pignier
R
cohérence, et comment, in fine, la signification advient de la congruence,
SE
alliant cohésion textuelle et cohérence discursive.
Cette synthèse cavalière entend attirer l’attention sur deux
notions absentes de la rhétorique classique.
FU
Du point de vue du parcours théorique à suivre, il y a d’abord celle
de la pluralité des rhétoriques qu’il convient de poser et de décomposer
IF
R
le soumettre à une « vision totalisante ». Cet usage « synchrétique » de
SE
l’énumération,
Il n’y a signification rhétorique que parce que l’usage des figures les
D
bien de l’usage positiviste : les énoncés cubistes portent en eux cet écart,
PA
chaise et table : si vous voulez vous mettre à table, vous avez besoin des
N
deux » (Godard 1993 ; cité in Joly 1993 : 101). Chaque langage agit avec
l’autre pour faire advenir le sens, il n’y en a pas un qui soit
hiérarchiquement inférieur ou supérieur à l’autre. De plus en plus, la
rhétorique est multimodale au sens où elle se compose de sons, images,
mots. Nous aurons l’occasion d’y revenir avec les spécificités de l’écriture
multimédia sur Internet.
Par ailleurs, les instances énonciatives sollicitent souvent les figures
parce que les mots, comme les images, sont hétérogènes aux realia : ils
ne singent pas le réel, et ont même la réputation de maintenir l’écart
entre ce que l’énonciateur veut dire et ce qu’il dit, entre le mot et la
chose à saisir, entre l’énonciateur et le co-énonciateur. La figure cherche
tantôt à réduire l’écart, tantôt à l’élargir. Si Jacqueline Authier-Revuz
186 Nicole Pignier
R
correspond à la pluralité des instances énonciatives. Plus précisément, le
« Je » se caractérise par les tropes décrivant les états de chose tandis que
SE
le « Tu » se fonde sur un régime figuratif des tropes décrivant les états
d’âme, les figures de dérision assurant le passage d’un régime poétique à
FU
l’autre. L’intérêt est alors de regarder l’évolution, d’un poème à l’autre,
des corrélations plus ou moins inverses ou converses entre les diverses
couches figuratives.
IF
En tant qu’énoncé, le texte produit par quelqu’un et adressé à un autre dans une
situation donnée, est individuel, unique et non reproductible Ce pôle ne le relie pas
aux éléments reproductibles d’un système, mais aux autres textes (non
reproductibles) en un rapport dialogique. Ce pôle ne se révèle que dans la chaîne des
textes et c’est là que se trouve le sens (Amorim 1996 : 128).
R
retour, cette évolution fait émerger une nouvelle forme de vie culturelle5.
Nous proposons, en reprenant la thèse de Joly et d’Adam & Bonhomme
SE
(cf. Joly 1993 : 75), de voir en quoi les figures de l’elocutio sont indispen-
sables, dans un énoncé, à l’inventio mais aussi à la dispositio et à l’actio.
Comment les figures posent-elles, dans l’écriture multimodale, le
FU
problème de l’hétérogénéité inhérente à l’énoncé et/ou tentent-elles de le
résoudre ? Inévitablement, se pose la question des méthodes d’analyse.
IF
R
modulation d’états d’âme et d’états de choses : il est esthésique. Le
SE
premier rôle est intentionnel, le second tensif, le premier porte sur le
sens stabilisé et voulu, le second sur l’émergence du sens (pour
l’énonciateur comme pour le co-énonciateur) au cours de l’énonciation.
FU
Les figures de style, qui donnent à sentir autant qu’à percevoir les
manières d’être au monde, y font advenir des rapports au monde
IF
d’effectuation de l’être.
PA
d’actes de langage, au-delà d’un genre spécifique. Ces usages ont amené
certains sémioticiens à penser une rhétorique du sensible et de
l’esthétique dans un discours de la présence.
D’un autre côté, et plus en amont dans l’histoire récente de la
sémiotique, les énoncés publicitaires, entre autres, ont renouvelé les
fonctions hédonique et argumentative des figures via leur hétérogénéité
langagière visuelle, verbale, sonore. L’approche théorique en a été
renouvelée et, dans le même temps, elle a fait évoluer les énoncés
publicitaires, visant maintenant à mettre en place des mondes
paradoxaux et non à mimer le réel. Qu’en est-il aujourd’hui des
nouveaux usages des figures de style dans les rhétoriques plastique et
iconique des énoncés multimodaux sur Internet ? C’est de ceci, et plus
R
précisément de la fonction des figures dans la poésie multimodale, que
SE
nous souhaitons traiter.
FU
L’écriture multimédia : une aventure dynamique de la figure
Nos propositions s’appliquent à un poème multimodal d’une artiste
IF
québécoise, Huguette Bertrand6. Sur son site, elle a créé un applet poé-
tique (programme informatique). Le poème Sombre le vent forme un bloc
D
de texte bleu que l’on devine, fondu dans l’arrière-plan noir de la page
web ; à gauche de la page, face au poème, on entr’aperçoit une nuée
S
R
En parcourant l’espace dans un mouvement croisé, récurrent en
boucles, la boule lumineuse esquisse ce que nous pouvons identifier
SE
comme un chiasme aux sommets arrondis et à l’aspect itératif. Après
avoir analysé ses statuts, nous cherchons désormais à comprendre ses
FU
fonctions. De nature dynamique et visuelle, la figure se caractérise
par les rôles suivants.
1) Son rôle de cohésion syntaxique : le chiasme assure une conti-
IF
croisée rappelle celle des mots du poème soulevés par la boule. Par
exemple,
Poâme
Je ne suis que le vent
Abandonné aux tempêtes
Enveloppé de matière
Dénudé par l’instant
Je ne suis que tempête
Abandonné par le vent
La matière dénudée
Me transporte dans l’instant
Rhétorique « multimodale » 191
R
discours pourra entrer en communication avec les images qui sont
réputées lui être extérieures, mais qui justement relèvent pour leur
SE
organisation de la même matrice signifiante que lui.
2) Son rôle de cohérence discursive : il donne à voir et à vivre par
mouvements oculaires l’isotopie du mouvement en tension entre stabilité
FU
et instabilité; cette isotopie se prolonge avec le motif du tourbillon
dessiné par les nuées flottantes, dans l’image de gauche. On a en outre,
IF
la création d’un réseau de classes avec les termes du poème soulevés par
la boule : ‘dénudé’ ; ‘instants’ ; ‘tempêtes’ ; ‘vent’ ; ‘suis’ ; ‘transporte’ ;
D
— le temps : ‘instants’ ;
— l’espace-matière : ‘tempêtes’ ; ‘vent’ ;
— les mouvements : ‘transporte’ ; ‘abandonne’ ; ‘enveloppé’ ; ‘dénude’ ;
— l’action ; ‘poursuis’ ; ‘sombre’ ;
E
R
sensorielle. Il est une forme synesthésique8 stabilisante et orchestre la
SE
multimodalité. En outre, il harmonise les différentes instances énoncia-
tives à l’œuvre dans la réalisation de la musique d’une part, de l’applet
d’autre part, du poème, des logiciels servant à composer les images
FU
visuelles, etc. Sous l’orchestration cinétique du chiasme, l’hétérogénéité
énonciative se transforme en un seul énoncé, non pas homogène car il se
IF
originale et ludique.
5) Son rôle esthésico-symbolique : en réponse à son clic sur la page
d’accueil du site, l’internaute appréhende ce poème multimodal comme
un tout gestaltique, une forme dynamique structurée, vivante, un corps
multimodal, grâce au chiasme récurrent. Mais en même temps cette
figure vient brouiller les cartes d’une lecture ordinaire. En effet, les
différents publics que nous avons amenés sur cette page web ont tous
reconnu une totalité synesthésique, à tel point que la lecture d’unités
distinctes en est interdite : le chiasme en boucle de la boule lumineuse
et la récurrence musicale, liants spatio-temporels, font obstacle à une
lecture linéaire du poème, à une lecture de gauche à droite de la page,
disséminent le poème et l’image. L’œil ne choisit pas son mouvement, ne
Rhétorique « multimodale » 193
retrouve pas une pratique fixée par l’usage mais est tout entier absorbé
par le mouvement.
Du point de vue des modalisations, la figure confronte un Vouloir
lire, par réflexe et habitude, à un ne pas Pouvoir lire et à un Devoir suivre
la musique et le mouvement. La forme totalisante de la page ne permet
pas un verbe de vue du type scruter, examiner, qui correspondrait à un
point de vue pluralisant (ce que l’on fait quand on lit un poème avec
attention), mais à un composé entre la fixation, la focalisation (cf.
Ouellet 2000) sur une unité (la boule) et la contemplation de l’ensemble
dynamique, multimodal, puisque le chiasme assure une globalisation
spatio-temporelle. Le mode de saisie de la page, à la fois sélectif et
totalisant, impose une visée intense, une tension forte, et, au début, il se
R
caractérise par une saisie cognitive et symbolique faible inversement à
SE
une saisie esthésique forte. Cet impératif modal provoque, avant toute
interprétation, un effet affectif soit négatif (si les tensions exercées par le
corps textuel sont insupportables pour l’internaute) soit positif (si elles
FU
stimulent celui-ci avec euphorie). On a affaire à un corps à corps non
entre des états affectifs d’un auteur (d’ailleurs, l’hétérogénéité des
IF
R
de la saisie symbolique car il construit une représentation de la page
SE
fondée sur un rythme structurant, fondée sur la rencontre répétée et
aléatoire entre trois éléments : un mouvement, une matière lumineuse et
un sujet. Rappelons-nous en effet, avec Henri Meschonnic, que le
FU
rythme n’est pas seulement une alternance entre un tempo et une durée,
une
IF
organisation prévisible d’une intensité entre éclat et modulations, mais bien plutôt un
D
signe. […] Le rythme est l’organisation d’une forme de vie, d’une force de vie, en forme
PA
R
unités diverses nous fait accéder à la signification de la totalité formée
SE
par l’image et le texte verbal.
Dans le poème seul, on part d’une saisie cognitive pour aborder la
saisie symbolique puis s’imprégner de la saisie impressive. Sur support
FU
Internet, le système d’oppositions caractéristiques de tout langage visuel
et verbal s’estompe, et se substitue à lui une épaisseur toute plastique,
IF
on n’est plus dans le visuel, le langage ici communique avec la danse en irradiant ses
E
fréquences et ses amplitudes dans le corps du lecteur […]. Les grandes figures
linguistiques, de discours, de style, sont l’expression, en plein milieu du langage,
N
R
Elle est faite de tension entre voix énonciatives et co-énonciatives
SE
plurielles fournissant une profondeur à la page, entre modalités
plurielles, tension résolue par un minimum de durée puisque, si
énonciation et co-énonciation impressives sont en corrélation inverse, au
FU
début de la lecture, avec les voix symboliques, après quelque temps
d’imprégnation, la figure dynamique, provenant des voix impressives et
IF
au sens.
PA
chiasme sur support Internet). Cela, pour répondre à des types d’actes
de langage qui se veulent de plus en plus incitatifs et persuasifs pour
faire ensemble (corps textuel-corps de l’internaute), en co-présence pour
faire en sorte que ce ne soit plus le lecteur qui aille vers l’énoncé mais
que ce soit l’énoncé qui vienne à l’internaute. Les différentes strates de
figures composeraient alors non seulement différentes instances
énonciatives mais aussi diverses instances co-énonciatives. Elles se
composeraient d’une temporalité spécifique modulant, orchestrant les
relations inverses et converses entre les voix et les modes de saisie ; elles
se composeraient de modalités (Devoir ; ne pas Pouvoir ; Vouloir ;
Savoir ; se mouvoir) aux effets émotionnels. En fait, la rhétorique
multimodale peut non seulement attribuer plusieurs fonctions à une
R
figure mais aussi en faire un condensé de plusieurs figures tradition-
SE
nelles : le chiasme dynamique est à la fois récurrence (grâce à son aspect
temporel), analogie (on a observé un chiasme syntaxique), hyperbole
(dans sa durée illimitée), rythme.
FU
La complexification de sa constitution, de ses fonctions, de sa
temporalité, de son corps textuel montre la nécessaire mise en place
IF
R
— sa durée et son tempo ;
SE
— son aspect ;
— ses valeurs modales ;
— la répartition de ses moments forts ou faibles (rythme) ;
FU
— son rôle d’agentivité et/ou de passivité sur la source perceptive ;
— le ou les point(s) de vue qu’elle implique.
IF
tensif.
Le deuxième point méthodologique est l’orientation de l’analyste :
par où aborder les discours multimodaux, et les figures de style qui les
constituent ? Nous retiendrons le point de vue du lecteur, du consom-
E
hende des pages web, des affiches, des discours comme totalité sensible
et perceptive et non comme découpage entre telle et telle modalité
sémiotique. Comment les discours se donnent-ils à saisir ? Comment
font-ils sens en relation avec une nécessaire visée ? Fontanille, dans une
communication récente au séminaire de Tours « Du traitement du
discours dans des recherches en communication », souligne que les
confrontations des sujets aux discours de tout genre sont de plus en
plus nombreuses, hétérogènes, mais aussi de plus en plus rapides dans
des conditions spatio-temporelles pas toujours idéales. À l’ère de
l’Internet, la plupart des sujets ne cherchent pas souvent à découper,
analyser en détail : ce n’est donc pas en partant du décorticage unité par
unité que l’on se positionne en phase avec les processus sensori-
Rhétorique « multimodale » 199
Notes
R
1 Voir Fontanille 1998 : 37-38 : « La présence, qualité sensible par excellence, est
une première articulation sémiotique de la perception. L’affect qui nous touche,
SE
cette intensité qui caractérise notre relation au monde, est l’affaire de la visée […] ;
la position, l’étendue et la quantité caractérisent en revanche les limites et le
contenu du domaine de pertinence, c’est-à-dire la saisie. La présence engage donc
FU
les deux opérations sémiotiques élémentaires dont nous avons déjà fait état : la
visée, plus ou moins intense, et la saisie, plus ou moins étendue. » L’actant
positionnel à l’origine de l’acte de visée est la source, celui qui est saisi ; la cible.
IF
Dans un cas comme dans l’autre, un actant de contrôle se place entre la source et
la cible.
D
R
l’analyseur corporel » est étayée, entre autres, par « les données physiologiques
SE
récentes qui montrent que lors de l’observation d’un corps en mouvement, le
cerveau de l’observateur présente des activités analogues à celles qu’il aurait s’il
réalisait lui-même cette activité motrice » (Cosnier 2001 : 30). Dans le cas de la
communication par animation multimodale, si d’évidence la page web ne peut
FU
s’assimiler à un individu, elle propose pourtant, avant tout décodage et à la
différence d’une lecture objectivante d’un texte verbal, une utilisation du corps de
l’internaute comme récepteur de mouvements, de tensions entre la voie du
IF
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N
E
PA
S
D
IF
FU
SE
R
Pour une rhétorique de la graphie
dans les messages artistiques
R
Inna Merkoulova
SE
FU
Cette étude s’intéresse au fonctionnement des figures — l’hypo-
IF
R
le lieu de dialogue entre deux sémiosphères : verbale et visuelle (Lotman
SE
1999 : 38). En outre, elle permet de s’interroger sur le statut même de
l’écriture : double statut sémiotique. L’écrit en quelque sorte « gère » le
verbal et le visuel en introduisant une tension entre les deux. L’interac-
FU
tion entre la sémiotisation « verbale » et la sémiotisation « visuelle » sera
d’ordre temporel : selon Édeline, par exemple, « c’est le même œil qui
IF
déchiffre les messages écrits et les dessins. Il faut donc qu’il dispose de
deux programmes différents : le programme TEXTE et le programme
D
activée (cette dimension est ‘de même famille’ que la dimension rhéto-
rique), il faut et il suffit qu’une déhiscence quelconque apparaisse dans
le discours, un débrayage interne qui puisse faire place à l’exercice de la
réflexivité (le discours a pour objet le discours) » (Fontanille 2001a : 22).
E
R
véritable effet de présentification du mot de l’Autre (la Bible) (voir
annexe 1).
SE
Le roman se compose de deux textes : texte d’ « accueil » (histoire du
pasteur) et texte « accueilli » (mot biblique) qui l’influence et l’ « habite ».
FU
L’interaction entre les deux textes se traduit par différents degrés de
prise en charge énonciative auxquels correspond l’opposition des
caractères. C’est justement le processus de « l’habitat » d’un texte par un
IF
(la domination) d’un grandeur par une autre (la comparaison : Californie
[…] comme une terre fertile). Enfin, l’acte d’interprétation (résolution)
accompli par le personnage (Californie = Canaan, caractères romains).
E
Telle était la révélation qu’eut Eléazar sur le destin de Moïse […]. Il ne regardait plus
avec les mêmes yeux les êtres et les choses qui avaient été toute sa vie (cf. annexe 1 :
101).
R
on observe la co-existence de deux sous-textes (cf. annexe 2). Mais ici le
principe de base est différent : le texte « accueilli » n’habite pas le texte
SE
d’accueil mais le réfléchit et le commente. L’italique répond bien à cette
tâche métadiscursive en marquant la distance temporelle (le passé).
FU
L’italique produit un dédoublement de la voix de l’énonciateur. Il se
trouve double au moment où il utilise l’italique, son énonciation prend la
forme d’un autocommentaire. Mais prendre une distance temporelle
IF
la nouvelle fait que ses sens « se touchent » (Louria 1995, cité par Szendy
2001 : 35), l’ouïe cède la place à la vue, la capacité d’entendre, à la
perception visuelle :
Ce qui me reste du concert qui suivit l’enregistrement ? La jubilation sur les visages,
le geste « paternel » de fon Krause, introduisant mon frère dans la confrérie des
grands artistes […]
Mon frère a joué comme jamais. J’ai vu la surprise naître sur les traits des deux
hommes qui ne s’étonnent depuis longtemps. […] Des pleurs calmes (cf. annexe 2 :
147).
R
distance. Plutôt, plus tôt que l’unité ou la proximité. Une distance de soi
SE
à soi » (Szendy 2001 : 49).
La forme graphique que la synesthésie prend dans le texte de la nou-
velle fait de cette figure rhétorique « une figure-argument » (Bonhomme
FU
1998 : 68), c’est-à-dire celle qui par son expression signale la présence
d’un autre sens, d’un autre univers sémiotique. L’italique « ouvre une
IF
par contiguïté avec une image, dont l’absence est convertie en présence
actuelle mais invisible. Le déplacement métonymique entre deux parties
contiguës d’un même ensemble peut être présenté sous la forme
schématique suivante : photo-titre + commentaire.
Le déplacement métonymique symbolise une nouvelle physique et
une structure de l’hypertexte-papier (= album de photo). Ainsi, les signes
périphériques servent de points d’intervention pour passer d’un univers
sémiotique (verbal) à l’autre (visuel).
Engendré comme simulacre de l’album (une représentation avec le
changement de genre : album-nouvelle), le texte devient un dérivé de
l’hypotypose qui assure la présence lisible d’un type de discours ou de
réalité à l’intérieur d’un autre type de discours. Nous proposons de le
R
considérer comme un cas particulier de l’ekphrasis. Dans notre exemple
SE
ce n’est pas seulement une description d’une œuvre d’art, mais « un
modèle codé de discours qui décrit une représentation […]. Cette
représentation est donc à la fois elle-même un objet du monde, un
FU
thème à traiter, et un traitement artistique déjà opéré, dans un autre
système sémiotique ou symbolique que le langage » (Molinié 1992 : 121).
IF
déception : c’est une vie en miniature » (Bonhomme 1998 : 44). Une vie
de texte en miniature, dirons-nous.
Chacun des effets évoqués possède aussi des traits d’énallage, figure
reposant sur l’instabilité des références déictiques. On voit bien, par
E
exemple, que les « déictiques graphiques » (les italiques, les gras, les
N
alinéas) sont bien « l’usage des formes décalé par rapport à la valeur
usuelle » (Kerbrat-Orecchioni 1980 : 88) qui représentent le je comme un
autre (le dédoublement du sujet dans le cas de l’autocommentaire à quoi
correspond l’opposition des caractères), ici comme un ailleurs (présentifi-
cation matérielle où ici signifie à cet endroit dans le texte).
Si on passe maintenant à l’étude de l’organisation visuelle de la
partition musicale, une question se pose : est-ce que la notation conven-
tionnelle est descriptive ou prescriptive par nature ? Autrement dit, est-
ce que les éléments de la notation servent d’instructions à exécuter la
musique ou bien d’informations sur les événements sonores, leur
agencement, leur interaction ? Et comment ces éléments de la notation
peuvent-ils marquer les figures rhétoriques ?
Pour une rhétorique de la graphie dans les messages artistiques 209
R
lignes, puis de cinq ; les conventions d’écriture des notes : blanche,
SE
noire, croche, double croche ; celles des silences et des signes de clés.
Il est à noter que la recherche de précision dans la notation des
hauteurs et de l’inflexion chromatique (par exemple, deux formes de la
FU
lettre b pour désigner le si bémol et le si bécarre – b rotundum / « rond »
et b quadratum / « carré » qui évoluera vers le dièse) coïncide avec la
IF
R
(notes-s, selon la terminologie de Tarasti) on y trouve les notes-gestes
SE
(notes-g indiquant la position des doigts : 1/4 2/5) et ce que nous
pouvons appeler les éléments de la ponctuation :
— périphériques : mentions des intitulés affichés (titres, dédicaces,
FU
épigraphes) (ex. : Shandor : Pour A. Shnittke), notations d’expression
en différentes langues (passionato, sombrement, nezno, etc.)
IF
— centraux (même fonction mais une autre forme visuelle que celle de
« vrais » signes de ponctuation ) : un crescendo correspond au point
D
R
fication de Mot autoritaire de l’Autre — de Bach), l’ekphrasis (description
SE
métalinguistique du prélude — redondance visuelle), l’énallage (effets
d’instabilité discursive).
FU
Macro-niveau du syntagme rhétorique : la page comme figure de
IF
l’empreinte
Nous avons montré que les effets visuels à l’intérieur de la page (au
D
langage « plastique ».
PA
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espectáculo 48 : 1-31.
Lotman J.
1966 La Sémiosphère. Limoges : Pulim, 1999.
Pour une rhétorique de la graphie dans les messages artistiques 213
R
Schnittke A.
1988 Bessedy [Conversations]. Moscou : Kultura, 1994.
SE
Shandor S.
2001 Symphonie n° 12. Moscou : Musyka.
FU
Szendi P.
2001 « C. ou le clavecin des sens », Les Cahiers du MNAM : 32-55.
Tarasti E.
IF
1997 « The Emancipation of the Sign: on the Corporeal and Gestural Meanings in
Music », Sémiotique appliquée 4 : 180-188.
D
Annexe
S
PA
1) Les mots qui mentionnent un autre univers sémiotique (la musique, les sons, les
titres des pièces musicales) :
214 Inna Merkoulova
2) Les mots « bivocaux » , à deux strates dont l’une adhère à la position de l’acteur
et l’autre reste à la distance :
R
SE
[…] il refuse toute présence dans la salle, mais il me veut à côté de lui […] ;
[…] voyait-elle quand il fallait marquer le pas ? […]
FU
3 Saumont, A., OH LA MER EST TELLEMENT BLEUE, Les voilà quel bonheur. Paris :
Julliard, 1993 : 120.
IF
Photo n° 1 : Pilou et son père jouent au ballon près du temple du Poséidon, un dieu.
Papa a la jambe droite un peu brouillée parce qu’il tirait au but quand maman a
D
expliqué comment il fallait faire et c’est pas mal, sauf qu’elle a des pieds coupés.
PA
Photo n°8 : Pilou sur le stade d’Olympie en position « À vos marques ». On dirait que
Pilou (moi) est prêt pour une galipette. On peut pas le prendre pour un vrai
coureur (grec). Pourtant maman dit bravo, tu as belle allure mon Pilou.
E
Photo n°10 : ratée. Pilou (moi) allait fixer pour les siècles la tronche d’Anthême Méry
il avait mal aux dents, une clinique énorme c’était marrant. Mais y a eu panne de
N
quelque chose. Ou alors c’est que l’appareil refuse de prendre les mecs immondes.
Peut-on parler de métonymie iconique?
Marc Bonhomme
R
SE
FU
Introduction
IF
chacune étant délimitée par le système qui constitue son objet d’étude ?
Ce problème de l’ouverture ou du cloisonnement du domaine rhétorique
se révèle avec l’une des composantes privilégiées de ce dernier : celle des
E
pas de cas de conscience. Parmi eux, on peut citer Dolle (1979), Kerbrat-
Orecchioni (1979), Serre-Floersheim (1993) ou Gervereau (1997). Entre
ces deux positions, on relève la conception plus nuancée de théoriciens
comme Klinkenberg (1993) pour qui, si l’image renferme effectivement
des figures rhétoriques, l’extension aveugle de la terminologie linguis-
tique à celles-ci ne manque pas d’être problématique.
Dans ce débat, une figure pourtant importante comme la métonymie
paraît rester à l’arrière-plan, même si plusieurs analystes ont fait
quelques suggestions sur l’élargissement de cette figure à l’image, qu’ils
se placent dans une perspective générale (Cocula & Peyroutet 1986) ou
qu’ils se cantonnent dans tel ou tel système visuel : filmique (Jakobson
1963), publicitaire (Durand 1970 ; Eco 1972)1... Dans cette étude, nous
R
nous proposons d’approfondir leurs réflexions encore succinctes sur le
SE
statut intersémiotique de la métonymie, en nous appuyant sur un
corpus homogène : celui verbo-iconique de la publicité, et en tentant de
répondre à une question a priori simple : peut-on transposer la notion
FU
linguistique de « métonymie » à l’image ?
IF
Lieu Instrument
a
Composantes d ynamiques
d
Cause Source Proc ès Effe t But
r
(agent) (action) (produit )
e
R
Temps Matière
SE
Les rôles sémantiques profonds représentés sur ce graphe assurent
tantôt le cadrage circonstantiel (lieu, temps), tantôt la dynamisation
actantielle, centrale (cause, source, procès...) ou périphérique (instru-
FU
ment, matière) des univers notionnels en question. Par ailleurs, autant il
existe de transferts entre ces rôles sémantiques profonds, autant ils
IF
suivants :
— connexion du lieu sur le produit :
S
vendus.
N
R
sous-tendent les divers domaines sémiotiques et qui sont susceptibles de
SE
générer des figures aussi bien dans l’image que dans le langage4. Ainsi,
au lieu d’être actualisées sur des lexèmes et des énoncés, les refonction-
nalisations isotopiques affectant les images publicitaires sont
FU
perceptibles à travers des agencements figuratifs dont la topographie
singulière crée des saillances iconiques particulièrement remarquables5.
Par exemple, on peut interpréter une connexion de l’agent sur le produit
IF
R
en fait du décalage fonctionnel entre ce que dénote le slogan (à savoir le
SE
produit-thème de la publicité) et le dénotatum suggéré par l’image (la
matière première de ce produit : l’orge). Un tel montage intersémiotique
révèle en fin de compte au lecteur un transfert Matière => Produit au
FU
sein de l’image et une refonctionnalisation matérialisante — orientée très
positivement — du produit dénoté. Tantôt encore, dans une interaction
IF
beauté entre vos mains »), transfert que l’image permet d’élucider en
montrant une jeune femme tenant un pot de Diadermine entre ses
mains. Inversement, le texte peut receler les indices d’une « métonymie
iconique », comme dans l’annonce Paco Rabanne déjà vue. Le slogan «
E
R
week-ends »)8 ou une agrammaticalité dans la détermination (cf a : « Le
SE
«Renaison» [...] »). De même, les métonymies verbales se traduisent par
des incongruences sémantiques dans la combinatoire isotopique du
discours, suite à diverses ruptures classémiques (comme en f : « Achetez
FU
[+ COMMERCIAL, + CONCRET] le plaisir [– COMMERCIAL, – CONCRET] »).
À cela s’ajoutent des ruptures typographiques fréquentes (tels les
IF
R
en produit dans l’image Woodwatch Tissot. Mais aussi substitution d’un
SE
agent — ou d’un Africain type — au lieu désigné,à savoir le continent
africain, dans une image Air Afrique10 ; ou encore arcimboldesque 11
indiquant une connexion Lieu-Produit dans une image pour les vins de
FU
Corse (fig. 3).
En outre, l’indétermination structurale des « métonymies iconiques »
IF
encore par une substitution, comme dans une annonce Liebig qui nous
PA
R
métonymique incertaine, l’image pour les vins de Corse peut encore être
SE
interprétée comme une synecdoque (connexion Partie-Tout) ou comme
une métaphore (analogie de la grappe avec la Corse), selon l’adage
fréquemment revisité par la pratique publicitaire : « Qui s’assemble se
FU
ressemble » 12. Surtout, on voit mal comment on pourrait trouver
l’équivalent verbal de certaines « métonymies iconiques ». Prenons une
IF
sations isotopiques que cette image visualise en une seule saisie? Celle-
ci combine en effet une double substitution de la source végétale (le
S
R
ces sémiotiques non verbales présentent des réalisations figurales qu’il
SE
faut bien dénommer et pour lesquelles la création d’une nouvelle
terminologie serait fastidieuse. C’est pourquoi, dans l’état actuel de nos
réflexions, nous nous en tenons à un compromis provisoire, en
FU
proposant d’utiliser la dénomination de « métonymie iconique » entre
guillemets, comme nous l’avons fait durant cette étude15.Avec cette idée
IF
Notes
1 Jakobson voit notamment une gamme de gros plans synecdochiques et de
E
relation de différence (ce qui est contestable, puisque la plupart des théoriciens
s’entendent sur le fait que la métonymie constitue une figure isotopique, et donc
du « même »). Quant à Eco, il situe la métonymie au niveau tropologique de
l’image publicitaire. Ainsi lorsqu’une boîte de produits alimentaires est présentée
à travers l’animal auquel elle est destinée.
2 Il s’agit d’un vin des Côtes roannaises produit à Renaison, dans la Loire.
3 Cet exemple répond au processus suivant :
Louer Maison [pour] Week-ends —> Week-ends => Maison.
4 Identifiées sous diverses formes, ces matrices génériques ont entre autres retenu
l’attention du Groupe µ (1970), de Lotman & Gasparov (1979) ou de Lakoff &
Johnson (1985). Contentons-nous de citer ces deux derniers qui s’intéressent plus
spécifiquement à la métaphore : « La métaphore n’est pas seulement question de
langage mais aussi de structure conceptuelle. Cette dernière ne concerne pas
seulement l’intellect, elle met en jeu toutes les dimensions naturelles de notre
224 Marc Bonhomme
R
dynamique (cf. Groupe µ 1992).
SE
7 Le flou syntaxico-sémantique de l’image contribue à sa plurivalence informative,
selon ses contextes de réception. Pour les débats sur la double articulation
improbable de l’image, voir Eco (1972), Baticle (1985) ou Cocula & Peyroutet
(1986).
FU
8 La grammaire des cas de Fillmore (1968) rend bien compte de ces transferts de
fonctions syntaxiques. Ainsi, dans l’exemple d susmentionné, on assiste à un
déplacement du cas temporel sur le cas objectif.
IF
droit replié en hauteur sur le cou, et dont l’aspect général offre une ressemblance
avec la carte de l’Afrique.
PA
Bibliographie
Adam, J-M. & Bonhomme, M.
1997 L’Argumentation publicitaire. Paris : Nathan.
Aristote
1977 Poétique. Paris : Les Belles Lettres.
Barthes, R.
1964a « Rhétorique de l’image », Communications 4 : 40-51.
1964b « Éléments de sémiologie », Communications 4 : 91-135.
Baticle ,Y.
1985 Clés et codes de l’image. Paris : Magnard.
Bonhomme, M.
1987 Linguistique de la métonymie. Berne : Peter Lang.
R
1995 « La syntaxe de l’image publicitaire », Scolia 5 : 375-387.
SE
1998 Les Figures clés du discours. Paris : Seuil, = Mémo.
Cocula, B. & Peyroutet, C.
1986 Sémantique de l’image. Paris : Delagrave.
FU
Dolle, G.
1979 « Éléments pour l’analyse rhétorique d’une image », in Rhétoriques,
sémotiques. Paris : U. G. E. 10/18, 234-253.
IF
Durand, J.
1970 « Rhétorique et image publicitaire », Communications 15 : 70-95.
D
Eco, U.
1972 La Structure absente. Paris : Mercure de France.
S
Fillmore, C.
PA
1968 « The case for case » in Universals in Linguistic Theory. New York, Chicago :
Bach, Emmon & Harmas, 1-88.
Fontanier, P.
1821 Les Figures du discours. Paris : Flammarion, 1968.
E
Gervereau, L.
N
R
1974 « L’oscillation métonymico-métaphorique », Topique 13, 75-99.
Serre-Floersheim, D.
SE
1993 Quand les images vous prennent au mot. Paris : Éditions d’Organisation.
FU
Illustrations
1 Publicité Woodwatch Tissot.
IF
2
E
N
Peut-on parler de métonymie iconique? 227
R
SE
FU
IF
1
D
3
S
PA
E
N
228 Marc Bonhomme
R
SE
FU
4
IF
5
D
S
PA
E
N
Image rhétorisée des corps sexués sur papier glacé
Agnès d’Izzia
R
SE
FU
Le cadre de la démarche
IF
R
masculins et féminins, représentations acceptées et diffusées par la
SE
presse. Ces représentations supportent les signes normatifs et idéaux de
féminité et de masculinité comme aussi leurs transformations. Plusieurs
titres de presse ont été sélectionnés, au long d’ « années tests » échelon-
FU
nées de 1947 à 1997, ce qui représente un corpus de près de 30 000
pages. Pour comprendre le sens social des transformations des registres
IF
R
L’analyse des corps sexués dans l’image de presse
SE
Il a tout d’abord fallu élaborer des outils pour décrire les apparences
physiques et leur sexuation.
FU
Comme M. Mauss l’a montré, la féminité et la masculinité norma-
tives s’expriment visuellement par un rituel qui codifie, le plus souvent
IF
R
1979 : 14), caractérisant la société d’une décennie donnée.
SE
Cette construction abstraite d’une forme englobante du corps sexué
ne relève pas seulement du simple silhouettage, et donc d’une rhétorique
du type du signe iconique. Car l’intérieur de ces formes les détermine
FU
aussi. Il semble procéder plutôt de la recherche d’un référent du signe
iconique, celui de la silhouette idéale d’un corps sexué, existante à une
IF
R
SE
L’analyse des images sur papier glacé
Cependant, je me suis rapidement rendu compte que les outils que
je venais de forger laissaient l’image dans l’ombre. Or elle participe
FU
pleinement à la construction des représentations de la sexuation
énoncée par les apparences, à celles des ordres bio-sociaux et des
IF
corps sexués sur l’image qui les représente, et ainsi être attentive à la
mise en scène des corps dans l’image. La démarche ne devait pas toute-
S
fois s’arrêter là. Par exemple, il a fallu analyser le fond, les couleurs, les
PA
Je n’irai pas plus avant dans la description cette lecture des images,
N
R
‘figures’ rhétoriques sont le résultat de quatre opérations fondamen-
SE
tales » : la suppression, l’adjonction, la suppression-adjonction, la
permutation, dont il étudie l’application à différents éléments de
structuration et d’articulation du verbal. Leurs résultats, synthétisés
FU
dans un « tableau général des métaboles ou des figures de rhétoriques »,
m’ont permis d’adapter les processus d’analyse de la rhétorique verbale
IF
logique supportée selon moi par les lois de l’isomorphisme. Après avoir
analysé les corps sur des images et les images présentant des corps ou
S
degré perçu et un degré conçu lorsqu’une attente était perturbée sur une
image de presse (qui présente toujours le spectacle artificiel du corps
sexué ou d’un thème social mais donne à voir ce spectacle comme un
spectacle naturel), j’ai recherché à quel niveau du visuel le producteur
E
d’images avait choisi (et c’est toujours consciemment pour des images de
N
elle perturbait une articulation des signes visuels attendue qui forme
le corps, celle de l’image présentant ce corps, ou la représentation
visuelle d’un contexte social, ou encore si l’impertinence modifiait le
sens et la logique de l’image ;
— de montrer quelle opération de rhétorique était à l’œuvre dans
l’énoncé où une impertinence était identifiée, quelles relations cette
opération établissait entre degré perçu et degré conçu ;
— d’établir ensuite si cette impertinence altérait l’expression ou le
contenu d’une image ;
— de comprendre enfin quel effet cette rhétorisation de l’image
produisait sur le sens social de l’image.
Certes, j’ai couru le risque de conserver une terminologie provenant
R
de la rhétorique verbale, notamment pour décrire les tropes visuels. Par
SE
exemple, j’ai utilisé le terme de métaphore visuelle. Je voulais en effet
faciliter l’accès à ma démarche à des non-sémioticiens. Dans ces
conditions, j’ai dû décrire avec la plus grande précision possible les
FU
processus d’altération de l’image, notamment les modes de relation qui
combinent l’opposition In Praesentia vs In Absentia avec la présence
IF
R
d’un visage de femme qui a subi un travail de rajeunissement d’au
SE
moins 30 ans : celle de la femme « avant », celle qui est remaniée par un
travail sur les apparences, et celle où elle est transformée par le travail
numérique.
FU
IF
d’une façon tout à fait inédite. Elle met en œuvre un couplage iconique
In Praesentia Disjoint avec un corps qui ne mêle pas visuellement les
signes corporels féminin et masculin : l’image juxtapose deux corps, l’un
féminin et l’autre masculin, corps parfaitement identifiables dans leur
différence sexuelle. Elle est en puissance porteuse de la représentation
d’un individu pluriel, fait d’une association intime et tensionnelle de la
féminité et de la masculinité, « qui donne les instruments de la civilisa-
tion » tel Faro aux « deux âmes jumelles et de deux sexes différents »,
figure mythique des Bambara (cf. Balandier 1985 : 34-36).
La rhétorisation des images peut aussi infléchir leurs sens sociaux
en jouant sur les représentations des ordres bio-sociaux.
Image rhétorisée des corps sexués sur papier glacé 237
R
un bouquet de fleurs prend la place d’un slip ; un empilement de
SE
chaussures, en treillis, celle d’une robe trouée sur la peau nue. La
nudité et le vêtement sont ici dans une relation de couplage In
Praesentia Conjoint. La nudité d’un corps féminin peut être supprimée et
FU
remplacée par un signe visuel de la nudité. Par exemple par un signe
plastique : deux seins sont dessinés sur un tee-shirt en coton blanc. La
IF
d’étoiles dessinées est ajouté (fig. 1). Ou aux postures des corps de
N
R
une même couleur : le bleu ; une dominance chromatique qui peut ici
SE
être interprétée comme un signe de la masculinité traditionnelle, d’une
luminance intense qui peut dans ce contexte prendre la signification
d’une lumière de vie. Cette image peut évoquer la filiation continue, et
FU
l’engendrement des hommes par les hommes, un des thèmes récurrents
de la pensée de l’identité masculine (cette pensée d’Aristote est citée in
IF
Conclusion
Les apports de la rhétorique visuelle et des théories du Groupe µ à la
sémiologie visuelle ont été déterminants pour mener à bien cette
recherche, fondée sur une méthode de lecture des images de magazine.
Mais je n’ai pas épuisé les questions posées par le travail. Il semble que
le sens de ces images soit également relié au contexte social par les lois
de l’isomorphisme structural. Un champ de recherche s’ouvre donc ici,
où doivent se déployer les ressources d’une socio-sémiotique et d’une
socio-rhétorique visuelles.
Image rhétorisée des corps sexués sur papier glacé 239
Bibliographie
Badinter, E.
1992 XY. De l’identité masculine. Paris : Odile Jacob.
Balandier, G.
1985 Anthropo-logiques. Paris : Librairie Générale Française.
Barthes, R.
1964 « Rhétorique de l’image », Communication 4 : 40-51.
Cassirer, E.
1972 La Phénoménologie des formes corporelles, 1. Paris : Minuit.
Descamps, M. A.
1972 Le Nu et le vêtement. Paris : Éd. Universitaires.
R
Eco U.
1965 L’Œuvre ouverte. Paris : Seuil.
SE
Groupe µ
1992 Traité du signe visuel. Paris : Seuil.
Hall, E. T.
FU
1971 La Dimension cachée. Paris : Seuil.
Le Breton, David
1999 L’Adieu au corps. Paris : Métaillé.
IF
Lévi-Strauss, Cl.
D
Panofsky, E.
1979 Essai d’iconologie. Paris : Gallimard.
N
Sibony, D.
1991 L’Entre-deux en partage. Paris : Seuil.
Illustrations
1 Photographie de Nich Night, in Vogue Homme International Mode, printemps-
été 1997 : 138.
2 Photographie de Mickael Thompson, in Vogue, mars 1997 : 37.
3 Photographie de Jean-Paul Goude, in L’Officiel Hommes 13 [1997] : 4e de
couverture.
240 Agnès d’Izzia
R
SE
FU
1
IF
2 3
D
S
PA
E
N
Trompe-l’œil et piège visuel
Pour une rhétorique de l’accommodation du regard
R
Odile Le Guern
SE
FU
IF
Wang commença par teinter de rose le bout de l’aile d’un nuage posé sur une
montagne. Puis il ajouta à la surface de la mer de petites rides qui ne faisaient que
D
tout le premier plan du rouleau de soie. Le bruit cadencé des rames s’éleva soudain
dans la distance, rapide et vif comme un battement d’aile. […]
Et [Ling] aida le maître à monter en barque. […]
– Ne crains rien, Maître, murmura le disciple. […] Ces gens ne sont pas faits
E
Et il ajouta :
– La mer est belle, le vent bon, les oiseaux marins font leur nid. Partons, mon
Maître, pour le pays au-delà des flots.
– Partons, dit le vieux peintre.
Wang-Fô se saisit du gouvernail, et Ling se pencha sur les rames. La cadence
des avirons emplit de nouveau toute la salle, ferme et régulière comme le bruit d’un
cœur. […]
Le rouleau achevé par Wang-Fô restait posé sur la table basse. Une barque en
occupait tout le premier plan. Elle s’éloignait peu à peu, laissant derrière elle un
mince sillage qui se refermait sur la mer immobile. […] le sillage s’effaça de la surface
déserte, et le peintre Wang-Fô et son disciple Ling disparurent à jamais sur cette mer
de jade bleu que Wang-Fô venait d’inventer.
Marguerite Yourcenar, Nouvelles orientales. Paris : Gallimard, 1963.
242 Odile Le Guern
R
cheval de bataille, une femme nue ou une quelconque anecdote — est
SE
essentiellement une surface plane couverte de couleurs en un certain
ordre assemblées » (1987 : 349), phrase qu’il commente en soulignant
l’impossible simultanéité des deux processus en réception : « Mais
FU
comment pourrons-nous voir en même temps le cheval de bataille et la
surface plane ? [...] Comprendre le cheval de bataille, c’est oublier
IF
R
processus de lecture d’une référence donnée, une forme d’énonciation de
SE
la réception fondée sur l’appréhension de cette référence par les
capacités sensorielles de la vision. Gombrich a posé cette opposition
entre les caractéristiques des choses et leur « apparence »1. Envisager des
FU
phénomènes relevant de l’illusion référentielle et du trompe-l’œil nous
place, non pas du côté de l’objet de perception, mais du côté du sujet
percevant, et ceci d’autant plus fortement que la reconnaissance de cet
IF
de rapport d’un sujet à son prédicat : voir, c’est voir quelque chose ‘situé
là-bas’ » (1987 : 324). Interpréter une image revient donc à comprendre
PA
proportion que l’objet entretient avec les autres éléments qui l’entourent
N
R
situation.
SE
Les lieux d’ancrage d’une rhétorique de l’accommodation du
FU
regard
L’inventaire des éléments qui interviennent dans la négation du
IF
L’univers de référence proposé par l’image doit être en accord avec les
données spatiales7 de l’espace spectatoriel. En ce sens, il doit corres-
S
R
du trompe-l’œil, mais elle n’est pas suffisante. Il faut de plus imaginer
SE
ces portraits disposés dans une pièce de telle manière qu’ils semblent
éclairés par la lumière du jour provenant d’une fenêtre voisine. La
vectorialisation opérée par la lumière semble ainsi identique, de l’espace
FU
représenté à l’espace spectatoriel. Du côté du non figuratif, si l’on
observe les dallages en mosaïque de certaines maisons romaines, les
IF
agencements de losanges en trois tons sont lus comme des cubes, tantôt
concaves, tantôt convexes, les mêmes zones claires semblant être la cible
D
R
introduire le décor en enfilade, le motif architectural du pilier. Ainsi,
SE
cette scène pourrait se dérouler dans une église étrangère à notre
univers de réception, qui devient, par l’artifice du trompe-l’œil, un
prolongement de celle, bien réelle, dans laquelle nous déambulons et qui
FU
reçoit le tableau. La relation qui existe entre les deux espaces serait une
simple relation de contiguïté. Pourtant le tableau raconte le transfert,
IF
1992 : 377 sqq), selon qu’elle est prise en charge par la représentation
ou reste un objet autonome, selon qu’elle relève du « cadre-objet »
(Aumont 1990 : 108) ou qu’elle est un objet détourné de sa fonction
première au profit de celle d’encadrement, comme ce peut être le cas
pour des éléments d’architecture. Stoichita montre bien cette ambiva-
lence du cadre dans la relation qu’il instaure entre la représentation et le
spectateur : « tandis que le cadre effectif d’un tableau a pour fonction
d’opérer une césure entre l’‘art’ et la ‘réalité’, le cadre peint sert, quant à
lui, à obscurcir cette limite » (1999 : 91). Il est tout de même paradoxal
qu’un même objet, un cadre, puisse remplir des fonctions antagonistes,
selon qu’il se manifeste comme objet ou comme représentation d’objet, et
que de l’objet au motif, s’opère un tel retournement de fonction, alors
R
que l’on s’attendrait à le lire comme redoublement de la clôture, comme
SE
figure emphatique de la limite. Et l’on est à la limite de la contradiction
si l’on garde en mémoire ce que Stoichita écrit en effet quelques pages
plus haut :
FU
Le cadre de tout tableau établit l’identité de la fiction. Donner à un tableau, en plus
de son cadre réel, un cadre peint signifie élever la fiction à la puissance 2. Le tableau
IF
à cadre peint s’affirme deux fois comme représentation : il est l’image d’un tableau
(Stoichita 1999 : 88).
D
Tout comme la représentation des encadrements réels […], celle du cadre pictural
transforme un morceau de contexte brut en peinture. La seule mais non moins
grande différence réside dans le fait que, tandis que le cadre de fenêtre ou de porte
248 Odile Le Guern
C’est sur cette possibilité d’échanger leur rôle que repose cette forme de
R
complicité entre le peintre et le spectateur, cet accompagnement du
spectateur par le peintre, aux frontières de l’illusion représentative11.
le récepteur, d’une manière plus forte que la norme. Tout paradoxe est
une question de technè. Il pousse le récepteur à vérifier la validité de
PA
R
qui relève de la fonction poétique en production et d’une démarche méta-
SE
iconique en réception peut regagner le devant de la scène et n’a pas à se
faire oublier au profit de la seule fonction référentielle.
FU
Conclusion en contrepoint
IF
R
partie, gauche ou droite, trouve sa cohérence par rapport à un point de
SE
vue donné : plongée ou contre-plongée. Il y a compatibilité de voisinage
immédiat à l’intérieur de chaque partie, gauche ou droite, de la
lithographie, pour des surfaces qui manifestent au contraire une sorte
FU
d’incompatibilité syntaxique dès que l’on adopte une lecture discontinue
ou globale de l’œuvre. Le regard du spectateur est engagé dans une
IF
dessous), ils peuvent être montés et descendus sur la même face dans
un déplacement de même orientation. Cette superposition attribue aux
éléments d’architecture une double fonction et une lecture en syllepse :
ils sont sol ou paroi, plafond ou paroi. Escher propose une mise en
forme inédite au niveau de l’expression d’un répertoire qui lui est
familier depuis longtemps. Si l’architecture est en elle-même une
structuration de l’espace, sa représentation donne à Escher l’occasion de
visualiser une réflexion sur l’architecture de la représentation 18, en
jouant des repères qui organisent nos espaces de référence et l’espace de
l’image. Escher construit des espaces paradoxaux, donne un lieu au non
lieu, moins par un travail sur le contenu que par un travail sur
l’expression et surtout sur la manière dont il utilise la perspective pour
Trompe-l’œil et piège visuel 251
R
l’œuvre : il n’est jamais dans le projet d’Escher de traduire une
SE
quelconque forme d’accessibilité. Si cette cohérence n’était pas entamée
par le mouvement de son propre corps devant l’œuvre en trompe-l’œil,
on ne peut en dire autant de la compatibilité des deux espaces, l’espace
FU
représenté et l’espace spectatoriel : tout déplacement du spectateur
remet en cause cette apparente accessibilité de l’espace en trompe-l’œil.
IF
Et c’est par cette remise en cause que le spectateur peut s’approprier les
règles de l’espace figural, espace de représentation d’une image fixe que
D
Notes
1 La manière dont Gombrich utilise le mot ne nous semble pas contradictoire avec la
E
R
réflexif et non pas transitif : le tableau ne renvoie pas à autre chose que lui-même
SE
mais se désigne en tant qu’objet.
13 Au moindre mouvement, l’illusion disparaît, puisque, sur la toile, la forme des
objets peints et les rapports entre ces objets ne peuvent pas changer. Quand nous
changeons de position, « le tableau cesse d’être en accord avec les éléments du
FU
monde extérieur, mais il garde sa propre cohérence interne », écrit Gombrich
(1987 : 346). Il souligne ainsi l’innovation que constitue le cubisme, en introdui-
sant le mouvement dans la composition, au détriment de cette cohérence logique,
IF
binôme rideau / cadre qui lui interdit [au spectateur] de devenir actant dans le
tableau et le rejette, fatalement, dans la position du ‘regardant’ » (1999 : 98-99).
S
15 Personnellement, je connais bien des distraits qui se sont cassé le nez sur une
baie ou porte vitrée trop bien astiquée. Je ne connais personne qui ait tenté
PA
d’atteindre des jardins ou des paysages, de s’engager dans des corridors peints à
la fresque et qui ouvrent les perspectives des salles de bien des palais baroques.
16 Voir par exemple la manière dont est définie la finalité du genre par Gibert (1767 :
393) : « Ce nom est donné au genre théorique, non seulement à cause que
E
l’orateur y étale les bonnes ou les mauvaises qualités de son sujet ; mais aussi
N
parce c’est le genre le plus propre pour faire connaître l’habileté de l’orateur, ou
pour faire briller son génie… Car, au lieu qu’il faut éviter dans le délibératif et
dans le judiciaire, de faire montre de son esprit, afin que l’auditeur ne se défie pas
de nous dans la décision qu’on lui demande, ou dans le conseil qu’on lui donne,
c’est justement ce qu’on exige de l’orateur dans le théorique, parce qu’il n’y a point
à se méfier dans une cause où l’on ne demande rien à l’auditeur. À quoi il faut
ajouter que cette hypothèse n’est pas moins faite pour le plaisir de l’auditeur, que
pour donner une opinion bonne ou mauvaise du sujet que l’on traite. De sorte que
l’orateur, non seulement, a la liberté, mais il est même dans l’obligation d’y étaler
tous les charmes de l’éloquence ».
17 Les éléments d’analyse qui suivent concernant Escher ont été proposés une
première fois au congrès de l’Association française de sémiotique, « Sémio 2001 »,
à Limoges, en avril 2001 (et publiés in Parouty & Zilberberg éds 2003 : 425-435).
18 Le jeu de mot est d’Hubert Damisch (1987).
253
Bibliographie
Aumont, J.
1990 L’Image. Paris : Nathan.
Damisch, Hubert
1987 L’Origine de la perspective. Paris : Flammarion.
Fontanille, Jacques
1989 Les Espaces subjectifs. Paris : Hachette.
1995 Sémiotique du visible. Des mondes de lumière. Paris : P.U.F.
1999 Sémiotique et Littérature. Paris : P.U.F.
Gibert, B.
1767 La Rhétorique ou les règles de l’éloquence. Paris : Nyon.
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SE
1996 Ombres portées, leur représentation dans l’art occidental. Paris : Gallimard.
Groupe µ
1992 Traité du signe visuel. Paris : Seuil.
FU
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2003 Sémiotique et esthétique. Limoges : Pulim.
Pascal, Blaise
IF
Stoichita, Victor I.
1999 L’Instauration du tableau. Genève : Droz.
S
PA
Illustrations
1 Claudio Coello, La Sagrada Forma, 1690, huile sur toile, dessus d’autel de la
sacristie de l’Escurial.
E
R
SE
FU
IF
2
D
S
PA
E
N
Sémiologie et rhétorique du discours musical
R
SE
FU
Autant l’analyse du discours verbal paraît devoir se placer
IF
signifié, comme on l’a dit parfois, mais que rien, hors la référence
N
R
tique baroque et sur les nombreux traités qui ont lié intimement aux
SE
XVII e et XVIII e siècles l’Affektenlehre aux figures de la rhétorique
classique — on pense évidemment aux fameux traités de Burmeister et
de Mattheson —, la musicologie n’a pas jugé que son terrain d’expé-
FU
rience devait profiter du renouveau de la rhétorique contemporaine. Ceci
est d’autant plus paradoxal que, par sa nature même, l’art musical rend
IF
Sémiotique
Les niveaux d’articulation du langage verbal sont nettement
différenciés. En particulier, le fonctionnement des niveaux supérieurs à
la phrase est absolument différent de celui de la phrase elle-même. Cette
différentiation n’existe pas en musique où, au contraire, on a noté
depuis longtemps la récursivité des fonctionnements d’un niveau à
Sémiologie et rhétorique du discours musical 257
R
années vingt, par un théoricien qui reste méconnu en France et en
SE
Europe continentale, Heinrich Schenker (cf. Meeùs 1993). Il est
particulièrement intéressant de noter que la structure profonde, l’Ursatz,
la « structure fondamentale », comme l’appelle Schenker, est décrite par
FU
lui essentiellement comme une structure du discours lui-même, du
niveau de l’œuvre entière, même si elle peut se manifester aussi, en
IF
R
SE
L’isotopie est rompue à la mesure 33, où la courbe de la figure
mélodico-rythmique se transforme, s’allonge, se ralentit puis s’arrête :
FU
IF
D
objet d’art.
N
R
durant les mesures 2 et 3 (voix 1, 2 et 4), ou durant la mesure 2 (voix 3),
SE
ou durant la mesure 3 (voix 5).
Fa
FU
Mi
Ré
Do
La
IF
Sol
Mi
D
Ré
Do
Si
S
PA
égard à leur nature complétive, des catalyses » (Barthes 1966 : 15). Les
« charnières », ici, ce sont les accords d’ut majeur par lesquels le passage
débute et s’achève ; les broderies sont des catalyses, des « remplis-
sages », elles effectuent une « prolongation »4 ; l’accord prolongé d’ut
majeur forme en outre un noyau de niveau supérieur, ici le noyau initial
de cette pièce en ut majeur.
La superposition déphasée des cinq broderies des mesures 2 et 3 et,
plus particulièrement, des voix 3 (mesure 2) et 5 (mesure 3) induit des
accords caractéristiques : les catalyses sont à la fois mélodiques et har-
moniques. Ce sont successivement do–mi–sol–do–mi, accord de tonique
(T) ; do–ré–la–ré–fa, accord du deuxième degré (sous-dominante, S) ;
260 Nicolas Meeùs & Jean-Pierre Bartoli
R
ce sens, il faut le souligner une fois encore, est absolument isomorphe à
SE
l’expression. Il faut signaler par ailleurs dès maintenant que la
succession paradigmatique T–S–D–T est aussi celle qui régit le Prélude
entier, comme on le verra dans un instant, de sorte que les quatre
FU
premières mesures apparaissent comme une première présentation
abrégée de toute la pièce.
IF
de huit mesures.
N
R
l’œuvre ;
SE
— la descente de toute une octave à la basse, partiellement doublée par
la mélodie supérieure, articulée en son milieu comme à sa fin par le
mouvement cadentiel de la basse ;
FU
— la pédale de dominante, prolongation de la dominante, et sa
préparation par la prolongation de sous-dominante, complétant la
IF
On aperçoit en outre des éléments qui n’ont pas encore été décrits :
— la carrure générale en éléments de quatre mesures (sauf pour la
S
première mesure) ;
— la poursuite de la descente de la mélodie supérieure jusqu’au ré (au
moment de la pédale de dominante) puis jusqu’au do (à la cadence
finale) ;
E
R
SE
FU
Rhétorique
Considérons maintenant une œuvre dont le pouvoir de surprise et de
IF
Inutile d’ajouter que dans les conditions usuelles d’un concert, la fin de
PA
R
SE
FU
IF
D
S
PA
E
N
Exemple. Haydn, Quatuor op. 33 n° 2, en Mi bémol majeur, Hob. III/38, IV, m. 141-fin.
264 Nicolas Meeùs & Jean-Pierre Bartoli
R
SE
• Étape 1 degré perçu
Production et repérage d’une isotopie dans un énoncé. (sa production
« Tout élément d’un énoncé est inscrit dans le contexte créé par incombe à
FU
les éléments qui l’ont précédé. [Ces] éléments projettent une l’émetteur)
certaine attente au-devant d’eux-mêmes ; cette attente peut être
comblée ou déçue par les éléments survenant ».
IF
• Étape 2
Rupture de la chaîne isotopique (allotopie) et repérage de
D
R
SE
FU
Schéma. Fonctionnement du processus rhétorique de la fin du Quatuor op. 33 n° 2 de
Joseph Haydn (de la m. 141 à la fin).
IF
public l’a déjà entendu six fois, ce qui est assez considérable pour un
N
R
La répétition du mot qui exprime le sémème en marque la confirmation
SE
(cf. le déroulement normal du thème de refrain en haut à gauche).
Toute la partie inférieure du schéma représente donc ce qui, dans la
figure rhétorique ici présentée, incombe au récepteur. Le changement de
FU
ligne correspond à une nouvelle étape d’activité perceptive. Lorsque au
concert arrive le passage ici représenté, l’auditeur sait — selon des règles
IF
inattendu : elle semble être le signe initial, un peu raide mais nullement
aberrant, de ce qui peut se révéler la fin du morceau. C’est la suite des
événements qui viendra ou non confirmer cette hypothèse (d’où le point
d’interrogation). Lorsque les musiciens entament la partie adagio (au lieu
E
qui vient interrompre l’ébauche de l’isotopie de la < fin >. Sur le schéma,
les éléments allotopes sont représentés par les deux points
d’exclamation. Aussitôt l’élément impertinent relevé, l’auditeur réévalue
le signal sonore et « superpose au degré perçu, imposé par l’énoncé, un
contenu compatible avec le reste du contexte » (Kinkenberg 2000 : 346).
Pour le public acculturé, le tempo lent des musiciens et la nature des
accords qui s’enchaînent alors peuvent être compris comme le point de
départ d’une « coda », c’est-à-dire un bref épilogue musical qui vient
apposer un point final au mouvement. Cette formule conclusive réactive
donc l’hypothèse de la fin du morceau, lorsqu’un nouvel élément
impertinent vient de nouveau la compromettre. L’auditeur entend cette
fois la phrase A, immédiatement interrompue par le silence suivant.
Sémiologie et rhétorique du discours musical 267
Autrement dit, l’isotopie du refrain qui s’enclenche une seconde fois est
immédiatement troublée par un nouveau silence allotope. Lorsque
surviennent la phrase B et le silence qui suit, de la même longueur que
le précédent, il se produit alors un phénomène très proche de ce que le
Groupe µ (1977) désigne par la réévaluation proversive d’unités qui
semblent manifester d’abord une incohérence de sens. L’impression
première d’allotopie, provoquée par le silence après la première phrase
du refrain, est corrigée par l’adjonction de la deuxième phrase puis du
silence qui suit. Ces éléments qui s’associent au premier permettent
d’indexer celui-ci au champ sémantique initial : pour l’auditeur, il s’agit
bien du déroulement du refrain, mais chacune de ses phrases constitu-
tives est désormais espacée par une portion toujours égale de silence.
R
Lorsque la phrase conclusive du refrain D intervient, la question de
SE
la fin de l’œuvre se pose à nouveau. L’hypothèse de l’amorce de cette
isotopie est d’autant plus puissante que le silence est cette fois
beaucoup plus long que les précédents. C’est alors que Haydn dispose
FU
un nouvel élément allotope, le retour de la phrase initiale du thème (A).
Le silence, cette fois définitif, provoque la dernière impertinence du
IF
R
lui-même tout au long du mouvement, les procédures rhétoriques de la
SE
fin de son quatuor reposent par exemple sur les principes d’adjonction
(de silences), de substitution, et de suppression (à l’extrême fin).
Mais du côté des « opérandes » — autrement dit : des figures et de
FU
leur typologie —, le transfert automatique des catégories issues du
langage verbal vers le langage musical implique au préalable des
IF
qui jouent sur l’aspect sémantique des mots (ou unités inférieures) et les
N
R
ration : aux passions, aux sentiments, voire à des éléments concrets ;
SE
l’autre, plus spécifiquement musicale, qui se renvoie à elle-même et dont
nous espérons avoir mieux explicité quelques principes de fonction-
nement. Il s’avère en tout cas que ces deux types parallèles de
FU
signification musicale — faute de mieux, qualifions la première d’exo-
sémantique et la seconde d’endosémantique — ne laissent pas d’évoquer
IF
Notes
N
1 Voir Barthes 1963 : 264 : « on s’aperçoit que la littérature n’est que langage, et
encore : langage second, sens parasite, en sorte qu’elle ne peut que connoter le
réel, non le dénoter […], privée de toute transitivité, condamnée à se signifier sans
cesse elle-même au moment où elle ne voudrait que signifier le monde » ; et encore,
p. 268 : « la force d’un signe (ou plutôt d’un système de signes) ne dépend pas de
son caractère complet (présence accomplie d’un signifiant et d’un signifié), […] mais
bien plutôt des rapports que le signe entretient avec ses voisins (réels ou virtuels)
[…] ; en d’autres termes, c’est l’attention donnée à l’organisation des signifiants qui
fonde une véritable critique de la signification, beaucoup plus que la découverte du
signifié et du rapport qui l’unit à son signifiant ».
2 Ce texte a son origine dans deux communications faites le 13 juillet 2002 au
colloque « Sémiotique et Rhétorique générale », au Centro Internazionale di
Semiotica e Linguistica, la première par Nicolas Meeùs, « Sémiologie du discours
270 Nicolas Meeùs & Jean-Pierre Bartoli
musical », la seconde par Jean-Pierre Bartoli, « Réflexion sur les conditions d’une
rhétorique musicale ».
3 Le phénomène est du même ordre que celui qui est à l’œuvre dans cette phrase de
Rabelais citée par le Groupe µ : Omnia clocha clochabilis in clocherio clochando,
clochans clochativo clochare facit clochabiliter clochantes (1977 : 45). Concernant la
définition du concept d’isotopie et son adaptation au domaine musical, voir Bartoli
2000.
4 Schenker insiste sur le fait que le problème essentiel de la musique, art du temps,
est d’inscrire ses éléments constitutifs dans la durée. C’est le sens qu’il faut donner
au mot « prolongation » (qui, de surcroît, était chez lui un néologisme : le mot est
assez commun en français, mais pas du tout en allemand). La prolongation s’opère
ici sur deux niveaux : d’abord, dans la mesure 1 (ou la mesure 4), l’étalement de
l’accord sous forme d’un arpège (la figure isotopique) répété est une prolongation
élémentaire ; ensuite, les broderies de chacune des notes de l’accord induisent
R
deux accords nouveaux qui engendrent une prolongation de niveau supérieur, sur
SE
quatre mesures. À un niveau supérieur encore, toute la pièce apparaît comme une
prolongation de l’accord d’ut majeur, comme on le verra dans un instant.
5 Telle qu’elle est décrite ici, la phrase paraît régie exclusivement par la succession
des accords, c’est-à-dire par l’harmonie. Il n’est probablement pas inutile de faire
FU
remarquer que la norme appliquée par Bach est aussi contrapuntique : la syntaxe
inversée, en particulier, ne résout pas correctement la septième du IIe degré. La
règle de résolution de la dissonance appartient, cela va presque sans dire, au
IF
au cinquième degré (sol, lab, sib) qui est plutôt celui d’un incipit et le motif conjoint
N
descendant de la médiante à la tonique (sol, fa, mib) qui est typiquement celui
d’une conclusion cadentielle.
9 D’ailleurs, ne peut-on pas parler aussi bien de « métalogismes » à propos des
figures présentées à l’instant par Haydn dans son quatuor ?
Bibliographie
Barthes, Roland
1963 « Littérature et signification », Tel Quel [reproduit in Essais critiques, Paris :
Seuil, 1964].
1966 « Introduction à l’analyse structurale des récits », Communications 8 [repris in
L’Analyse structurale du récit. Paris : Seuil, 1981].
Sémiologie et rhétorique du discours musical 271
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en musique de la notion d’isotopie sémantique », Musurgia VII/2 : 61-71.
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Problèmes de linguistique générale I. Paris : Gallimard, 1966].
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1970 Rhétorique générale. Paris : Larousse [Paris : Seuil, = Points, 1982].
1977 Rhétorique de la poésie, lecture linéaire, lecture tabulaire. Bruxelles : Éditions
Complexe [Paris : Seuil, 1990].
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1993 Heinrich Schenker. Une introduction. Liège : Mardaga.
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Sadaï, Y.
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Schenker, H.
1993 L’Écriture libre. Liège : Mardaga.
S
PA
E
N
N
E
PA
S
D
IF
FU
SE
R
273
R
surtout étudié dans le domaine des paralittératures (bande dessinée et
roman-photo). Il a publié récemment : Close reading New Media.
SE
Analyzing electronic literature (co-diection avec Jan van Looy, Leuven
University Press, 2003) ; Le goût de la forme en littérature. Ecritures et
lectures à contraintes. Colloque de Cerisy (co-direction avec Bernardo
FU
Schiavetta, Noésis, 2004) ; Romans à contraintes (Rodopi, 2005), ainsi que
Vivre sa vie. Une novellisation en vers du film de Jean-Luc Godard
(Impressions Nouvelles, 2005).
IF
R
ODILE LE GUERN, maître de conférences à l'université Lumière-Lyon 2,
enseigne la sémiologie générale et la sémiologie de l'image. Ses
SE
orientations de recherche concernent plus particulièrement la peinture,
mais aussi la mise en espace de l'œuvre d'art, les problèmes de
médiations qu'elle soulève auprès de publics spécifiques (non-voyants) et
FU
par l'utilisation des supports multimédia.
R
F RANÇOIS R ASTIER , directeur de recherche au Centre national de la
SE
recherche scientifique (Paris), a entrepris l'élaboration d'une sémantique
interprétative unifiée, du mot au texte, étendue au corpus. Son projet
intellectuel se situe dans le cadre général d'une sémiotique des cultures.
FU
Outre trois cents vingts articles, il a publié notamment Sémantique
interprétative (P.U.F., 1996), Sémantique et recherches cognitives (P.U.F.,
2001), Semantics for Descriptions (Chicago, 2002, en collaboration), Arts et
IF
R
Sémir BADIR et Jean-Marie KLINKENBERG SE
FU
Présentation 7
IF
Jacques FONTANILLE
D
Jean-Marie KLINKENBERG
S
Tiziana MIGLIORE
Face à l’éloquence de l’image.
Éléments pour une confrontation féconde entre rhétorique et sémiotique 57
E
N
François RASTIER
Rhétorique et interprétation des figures 81
Göran SONESSON
La rhétorique de la perception. Recherche de méthode 103
Fulvio VAGLIO
La retraite de la rhétorique ? Degré zéro, mécanismes rhétoriques et pro-
duction du sens dans le langage visuel 133
Herman PARRET
La rhétorique de l’image :
quand Alberti rencontre le Groupe µ 143
Jan BAETENS
Sémiotique versus rhétorique ? 155
Sémir BADIR
En altérant la rhétorique 167
Nicole PIGNIER
Rhétorique « multimodale ». Essai de définition 183
Inna MERKOULOVA
Pour une rhétorique de la graphie dans les messages artistiques 203
R
Marc BONHOMME
215
SE
Peut-on parler de métonymie iconique ?
Agnès D’IZZIA
FU
Image rhétorisée des corps sexués sur papier glacé 229
Odile LE GUERN
IF