Dossier de Veille de l'IFÉ - N° 113 - Novembre 2016

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n° 113 Sommaire

Nov. 2016 l Page 2 : S’interroger sur le concept de


différenciation l Page 10 : Les conditions
de la différenciation l Page 18 : Le passage
de la théorie à la pratique l Page 23 :
Discussion : Les enjeux d’une différenciation
pédagogique l Page 27 : Bibliographie

LA DIFFÉRENCIATION
PÉDAGOGIQUE EN CLASSE
Dossier de veille de l’IFÉ

En septembre 2016, deux rapports institution- Par Annie Feyfant


nels offrent deux analyses ou éclairages sur
le système éducatif français. D’un côté celui Chargée d’étude et de
du CNIRE (Conseil national de l’innovation recherche au service
pour la réussite éducative), plutôt positif, et Veille et Analyses de
de l’autre celui du CNESCO (Conseil natio- l’Institut français de
nal d’évaluation du système scolaire), assez l’Éducation (IFÉ)
négatif. Le raccourci est un peu facile car ces
deux conseils n’ont ni la même composition, ni
les mêmes missions ou attributions. Le CNIRE
pays ayant ouvert l’École à tous les enfants,
« vise à donner une dynamique nouvelle à la
dans un mouvement de massification/dé-
création d’une politique publique de réussite
mocratisation, selon un principe d’« égalité
éducative » en diffusant les bonnes pratiques,
des chances ». Le nombre d’enfants à ins-
alors que le CNESCO éclaire, évalue, exper-
truire, les savoirs en évolution, la recherche
tise et formule des recommandations.
d’une éducation « bienveillante » et surtout
la diversité sociale des élèves ont été autant
Le rapport que ce dernier vient de publier
d’écueils à la réalisation d’une école équi-
porte sur l’ampleur des inégalités sociales à
table dans l’accès aux savoirs.
l’école, dans lequel il pointe l’inefficacité des
dispositifs de suivi individualisé, dans ou hors
Plus prosaïquement, les enseignants
temps scolaire (CNESCO, 2016)  l. Si ce
et les enseignantes (surtout les moins
constat pose question sur les choix des poli-
expérimenté.e.s) expriment leur désarroi
tiques éducatives successives, sur le « mil-
face à ces classes hétérogènes à de mul-
lefeuille » des dispositifs et leur peu d’effica-
tiples égards. Les politiques éducatives et
cité, les critiques débordent assez vite vers
les chercheurs se sont emparés de cette
les pratiques enseignantes et leurs effets sur
problématique dès les années 1970, aussi
la réussite du plus grand nombre, remettant
bien dans le monde francophone qu’anglo-
en cause des pratiques qui n’induisent pas
phone. Pédagogie différenciée, différencia-
une amélioration des résultats scolaires des
tion pédagogique, enseignement différencié
élèves les plus en difficulté.
l
Le principe de transmission descendante Toutes les références bibliographiques dans
ce Dossier de veille sont accessibles sur notre
a rapidement posé problème dans tous les bibliographie collaborative.

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La Différenciation pédagogique en classe 1/32
(differentiated instruction), autant de no- Enfin, pour certains (didacticiens), la dif-
tions qui se déclinent à différents niveaux férenciation vue comme un mode de re-
du système éducatif, entre politique médiation (a posteriori de la séance de
éducative et stratégie d’enseignement, classe) et individualisée (ou en groupe
et qui peuvent à la fois être jugées posi- restreint d’élèves en difficulté), conduit
tives pour lutter contre l’échec scolaire et l’enseignant.e à souvent s’éloigner des
contreproductives quant à leur impact sur savoirs collectifs, communs à la classe. Il y
l’accroissement des inégalités scolaires. a donc risque de déconnexion des élèves
Comment aborder la différenciation pé- les plus fragiles du temps didactique de la
dagogique du point de vue des pratiques classe (Toullec-Théry, 2016).
en classe sans avoir une forte contrainte
négative à l’esprit, celle de la discrimina- Sans chercher l’exhaustivité, nous avons
tion négative, comme l’évoquent Crahay balayé les principales approches de la
et Wanlin (2012) ? L’objectif n’est pas tant différenciation pédagogique, identifiant
de différencier « en soi » que la nécessité des convergences et surtout des référen-
d’accompagner au mieux les élèves dans cements communs, partant de Burns à
leurs apprentissages. Przesmycki, en passant par Astolfi, Jobin,
Kahn, Meirieu, Perrenoud, Tomlinson, etc.
La différenciation est pensée au niveau Très présente dans la littérature des an-
macro soit comme une « différenciation nées 1980-1990, la théorie de la pédago-
verticale » opérant une répartition des gie différenciée se précise au fil du temps.
élèves en fonction d’un jugement global Au travers d’enquêtes et d’entretiens avec
porté sur les facultés générales des élèves le corps enseignant, les chercheurs la re-
(exemple du système allemand), soit pèrent dans les pratiques d’enseignement
comme une « différenciation horizonta- et d’apprentissage en général, mais aussi
le  » juxtaposant des formations spéciali- dans l’enseignement des mathématiques
sées (exemple de l’enseignement profes- ou de lecture, à différents niveaux de l’en-
sionnel dans le secondaire supérieur). Au seignement obligatoire, ou encore dans
niveau méso, plusieurs recherches et/ou ses relations avec la didactique. Il existe
méta-analyses ont montré l’inefficacité des néanmoins peu de données sur l’impact
options de différenciation par homogénéi- de ces pratiques sur les apprentissages.
sation adoptées ici ou là : redoublement, C’est pourquoi nous avons choisi un entre
classes de niveaux, filières d’enseigne- deux, passant d’une tentative de défini-
ment au secondaire inférieur (Monseur & tions de ce que peut être la différenciation
Lafontaine, 2009 ; OCDE, 2016 ; Hattie, pédagogique (en classe) aux modalités de
2009 ; Felouzis et al., 2011 entre autres). sa mise en œuvre, décrivant ponctuelle-
ment les pratiques au primaire et au se-
La différenciation est également envisa- condaire inférieur (collège).
gée pour pallier les difficultés des élèves
« à besoins particuliers ». Ainsi, au Cana-
da, les institutions éducatives aussi bien S’INTERROGER SUR
que les collectivités et les enseignant.e.s LE CONCEPT DE
se préoccupent de ces élèves, mais en
intégrant les problématiques spécifiques DIFFÉRENCIATION
dans une vision plus large. Il en est ainsi
de la prévention du décrochage préco- Si on s’attarde sur les problématiques du
ce comme de la pédagogie différenciée travail personnel de l’élève, d’une éva-
(Feyfant, 2012). luation bienveillante, de la réduction des
inégalités scolaires, etc., on voit appa-
La littérature de recherche montre à l’évi- raître au fil des discours deux éléments
dence que l’invocation d’une nécessaire récurrents : une meilleure formation des
différenciation ne part pas d’une acception enseignant.e.s sur ces différents sujets et
commune des modalités de cette différen- l’apport de la différenciation pédagogique.
ciation et ne donne pas forcément les clés Cette « pédagogie » est présentée
de ces modalités, au niveau micro (dans comme réponse à une hétérogénéité qui
la classe) ou méso (dans l’établissement). perturbe les pratiques d’enseignement,

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2/32 La Différenciation pédagogique en classe
pour pallier les inégalités entre élèves en Kahn (2010) explique cette évolution du
difficultés (ou « surdoués ») et les autres fait des « échecs successifs des tentatives
et, originellement, pour répondre à une pour réduire les effets différenciateurs de
volonté de centration sur l’élève plutôt que l’école qui conduiront à l’idée de pédagogie
sur les savoirs. Par ailleurs, plutôt qu’être différenciée ». Au XVIIIe siècle, Condorcet
envisagée comme une réponse à une prône l’accès au même savoir pour tou.
situation négative (l’hétérogénéité pose te.s, même si certain.e.s n’en recevront
problème), elle peut être abordée comme effectivement qu’une part moindre, du fait
une posture positive face à une situation de leurs activités. Il met en avant l’amé-
potentiellement enrichissante. C’est sans lioration des méthodes d’enseignement
doute le point de vue de Tomlinson et afin qu’elles permettent de faire acquérir,
McTighe (2010), qui utilisent l’expression dans ce temps plus restreint, un maximum
« différenciation pédagogique » pour par- de savoirs. La généralisation de la scola-
ler d’un enseignement axé sur les besoins risation dès la fin du XIXe siècle va mettre
des élèves. à mal ce principe d’indifférenciation, en
scolarisant en école primaire les enfants
UNE QUESTION DE SENS d’ouvriers, et en offrant un parcours long
en lycée aux enfants de la bourgeoisie.
La « différenciation institutionnelle origi-
La masse non négligeable de travaux de
nelle » (Legrand, 1995) répartit donc l’en-
recherche sur la différenciation pédagogi-
seignement de savoirs utiles pour les uns,
que (ou la pédagogie différenciée) néces-
de savoirs savants pour les autres.
site de sérier les points de vue exprimés.
Une tentative de caractérisation peut être
Paradoxalement, la pédagogie différenc-
de rechercher le sens donné à ce concept,
iée apparait comme une solution au
en regard des acteurs concernés et des
caractère inégalitaire de la standardisa-
théories en présence.
tion supposée assurer l’égalité d’accès à
l’éducation. Elle se heurte aux prérequis
Le(s) sens du concept du monde scolaire, « des savoirs au sens
classique, mais aussi des attitudes devant
Le sens de l’histoire l’étude, des “postures” […] qui font difficile-
ment l’objet d’une programmation et d’un
En France, on associe la (ré)apparition découpage par séquences, mais aussi et
du concept de pédagogie différenciée au surtout, d’une explicitation » (Bautier &
souci de démocratisation de l’enseigne- Rayou, 2013).
ment, au milieu des années 1970. Prenant
appui sur les modèles d’enseignement Le sens des mots
individualisé développés aux États-Unis
dans les années 1960, Legrand propose En France, la circulaire de rentrée 2016
l’expérimentation d’une différenciation pé- utilise les concepts de «  diversification
dagogique, en même temps que se met des pratiques », « différenciation des
en place le collège unique et la prise de pratiques », pour associer des enseigne-
conscience de l’hétérogénéité des élèves ments communs, des enseignements
induite par la massification de l’ensei- d’accompagnement personnalisé et des
gnement. « À cela s’ajoute une évolution enseignements pratiques interdiscipli-
sociale, économique et culturelle de la naires. Cette circulaire précise l’objet de
société qui a provoqué des changements ces enseignements « non communs » :
dans le rapport des individus à l’école » soutenir et approfondir les apprentissages
(Suchaut, 2007). Avec la loi Jospin de (accompagnement) ; croiser les connais-
1989 et l’idée d’organiser l’enseignement sances et mettre en œuvre de nouvelles
primaire par cycle, la différenciation péda- compétences. En diversifiant les modali-
gogique est à nouveau un objet d’intérêt tés d’enseignement, on vise « à garantir
pour la recherche, qui prend alors de la la réussite du plus grand nombre d’élèves
distance avec le modèle d’individualisa- relevant de la grande difficulté scolaire ».
tion. Parmi les modalités auxquelles le minis-
tère pense fortement : le numérique et

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La Différenciation pédagogique en classe 3/32
« des pratiques pédagogiques plus “ac- (Kahn, 2010). Ainsi, qu’il s’agisse d’un
tives” (travail en groupe, différenciation manque cognitif ou culturel, le traitement
pédagogique, auto-évaluation) ». des difficultés sera dès lors envisagé « en
termes de compensation ou d’ajout ». De
L’idée de différencier fait référence aux plus, ces écarts à la norme, ces manques,
processus pédagogique et didactique seront attribués à l’élève (en échec) sans
(stratégies et activités d’apprentissage) que cette situation ne soit analysée en
et aux contenus et programmes d’études, référence aux relations de l’élève avec
alors que diversifier ferait plutôt référence l’école, avec les tâches qui lui sont de-
à la structuration de l’enseignement-ap- mandées.
prentissage, c’est-à-dire à l’organisation
de la classe (Barry, 2004). Les années 1970 et 1980 ont été riches
en travaux d’observation proposant des
Du point de vue des enseignant.e.s, peu actions visant à résoudre les problèmes
importe finalement ce qui sous-tend le d’hétérogénéité. Dans les années 1970,
concept, si on considère que l’essentiel les débats portent essentiellement sur la
est d’envisager et de rendre lisible la mul- distinction à opérer quant aux modalités
tiplicité de moyens d’amener (tous) les d’adaptation pédagogiques existantes :
élèves à réussir leurs apprentissages. adaptation des objectifs aux différences l
En effet, la différenciation pédagogique individuelles, des méthodes en fonction Rappelons que
la notion de style
suggère plutôt la mobilisation d’une di- des styles d’apprentissage  l, des temps d’apprentissage
versité de méthodologies disponibles afin d’apprentissage l, par enseignement cor- et sa pertinence
d’optimiser les prises de décision des rectif (évaluation des prérequis, évalua- sont fortement
enseignant.e.s. tion formative). questionnées voire
controversées (voir
Gaussel, 2016).
Le sens de l’hétérogénéité Le premier type d’adaptation est d’em-
blée «  amplificateur des différences  »  : l
Plusieurs travaux
Kahn (2010) pose la question du concept sélection, filières, dans l’enseigne- décrivent la
d’hétérogénéité et donc de différence. ment secondaire inférieur (Allemagne) différenciation
En quoi les élèves sont-ils différents ? ou supérieur (France), formation sup- curriculaire, les

Différents par rapport à qui mais aussi plémentaire pour les meilleurs élèves moments et processus
de différenciation (cf.
par rapport à quoi, autrement dit par rap- (États-Unis). Une adaptation induite par la deuxième partie de
port à quelle norme ? Elle met en garde des styles cognitifs, des styles d’ap- ce Dossier).
contre la confusion entre une pédagogie prentissage différents repose sur une
différenciée (qui répond aux différences hypothèse psychologique controversée,
existantes) et une pédagogie différenc- basée sur les concepts de faculté, ca-
iatrice (qui engendre des différences). pacité, aptitude. Cette hypothèse laisse-
Une pédagogie indifférenciée peut fort rait à penser qu’on ne peut enseigner un
bien être différenciatrice, ne serait-ce, par socle commun de connaissances, sans
exemple, que par l’utilisation d’une éva- risquer de laisser forts et faibles sur le
luation basée sur l’écart à la norme : ca- côté du chemin (Claparède, 1920, cité
ractérisation des individus en fonction de par Crahay & Wanlin, 2012).
leur performance, de la réalisation d’une
tâche que la majorité des élèves arrivent à Quelques enseignant.e.s vaudois.es
réaliser ; objectivation de cette catégorisa- interrogé.e.s en 2015 indiquent qu’ils.elles
tion par la mesure de cette performance, différencient leurs pratiques pour viser
sur une échelle linéaire. l’hétérogénéité des compétences cogni-
tives de leurs élèves (39 %), l’hétérogé-
La difficulté scolaire va alors se définir par néité des motivations (37 %), et dans une
un moindre niveau sur cette échelle de moindre mesure l’hétérogénéité culturelle
performance, et donc par des manques : (14 %) ou sociale (10 %) (Brandan, 2015).
« manque de connaissances, manque de On pourrait ajouter bien d’autres « indi-
travail, manque de motivation, manque cateurs » d’hétérogénéité dépendant de
d’efforts, manque d’attention, manque de stratégies familiales, du cadre scolaire,
méthode, manque d’intelligence, etc. » des comportements, etc.

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4/32 La Différenciation pédagogique en classe
Le sens des acteurs performances ou d’efficacité dans les
apprentissages. La différenciation peut
Considérer la différenciation pédagogique tenir d’une « diffraction », c’est-à-dire d’un
dans le cadre de la classe, c’est recentrer «  désajustement relationnel de l’élève
la problématique sur les acteurs directe- avec la culture scolaire » (Kahn, 2010) :
ment concernés, l’enseignant (comment il ne perçoit pas ce qui est essentiel dans
gérer sa classe et son enseignement : cette culture ou bien il n’en comprend pas
guidage, organisation des espaces et du l’intérêt, voire il la ressent comme une
temps, outils et démarches ?) et l’élève menace vis-à-vis de son identité juvénile.
(comment apprendre, qu’est-ce qui favo- On se trouve face à des savoirs norma-
rise son engagement dans une tâche, tifs, très textuels dont la teneur rebute les
comment mettre en œuvre des stratégies élèves et se heurtent aux préconceptions
d’apprentissages, quelles sont les res- des élèves. Il devient dès lors difficile de
sources mises à disposition en classe et contrer cette « diffraction » par des mé-
en dehors de la classe, etc.). thodes pédagogiques qui « marchent »
dans d’autres contextes.
Les élèves et la différenciation
Les enseignant.e.s et la différenciation
Les postulats de Burns sont très souvent
utilisés pour caractériser l’hétérogénéité Au début des années 2000, plusieurs cher-
des élèves : cheurs ont montré que les enseignant.e.s
− il n’y pas deux apprenants qui pro- différencient peu (Prud’homme et al.,
l gressent à la même vitesse ; 2005). L’enquête TALIS 2013  l montre
TALIS : « Teaching And
− qui soient prêts à apprendre en même que les enseignant.e.s français.es uti-
Learning International
Survey », enquête temps ; lisent moins de méthodes actives (au
internationale sur − qui utilisent les mêmes techniques sens de l’enquête : travail en groupe, sur
les pratiques et les d’étude ; projets, avec le numérique) et que 22 %
représentations
− qui résolvent les problèmes exacte- des enseignant.e.s français.es pratiquent
déclarées des
enseignant.e.s de ment de la même manière ; une différenciation selon le niveau des
collège (secondaire − qui possèdent le même répertoire de élèves, contre 44 % pour la moyenne des
inférieur), en classe et comportements ; enseignant.e.s de l’enquête. Pour mé-
hors de la classe.
− qui possèdent le même profil d’inté- moire, la France, la Finlande et les Pays-
rêts ; Bas ont des taux de réponses proches,
− qui soient motivés pour atteindre les notamment à l’item : « Donner des travaux
mêmes buts (Burns, 1971). différents aux élèves qui ont des difficultés
d’apprentissage et/ou à ceux qui peuvent
Une pratique différenciatrice doit prendre progresser plus vite ».
en compte l’élève en tant qu’individu, ses
apports culturels, ses représentations, ses Une approche didactique considère que
modes d’expression, ses problèmes maté- si les difficultés sont envisagées comme
riels mais aussi, en termes d’apprentissage, spécifiques à chaque élève (individualisa-
ses besoins, ses modes de compréhension. tion), alors cette manière de penser peut
conduire à une cécité des propriétés didac-
La compréhension des consignes est un tiques d’une situation d’enseignement-ap-
exemple souvent repris pour expliquer prentissage. C’est pourtant l’analyse des
ces différentes attentions à l’élève néces- savoirs à enseigner et la localisation d’obs-
saires pour favoriser ses apprentissages. tacles que les élèves pourraient rencontrer
Donner des consignes claires, les réexpli- qui aideraient l’enseignant à réguler la si-
quer durant l’activité ou la tâche, vérifier tuation et à faire progresser l’ensemble des
la compréhension de tous les élèves, font élèves (Toullec-Théry & Marlot, 2012).
partie de la panoplie de la différenciation
pédagogique. Le non-usage de la différenciation se-
rait du à un manque de clarification du
Les différences entre élèves ne tiennent concept de différenciation pédagogique
pas uniquement à des différences de et donc aux représentations floues que
peuvent en avoir les enseignant.e.s. Lors

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La Différenciation pédagogique en classe 5/32
d’une enquête auprès d’une vingtaine recherche traitant de la diversité/hétérogé-
enseignant.e.s du primaire dans le canton néité des élèves. Ce peuvent être des ca-
de Berne, Beuchat (2015) constate que la ractéristiques de genre, d’âge, ethnocul-
plupart des enseignant.e.s considèrent la turelles, culturelles et socioéconomiques,
pédagogie différenciée comme une adap- cognitives, affectives et motivationnelles.
tation, un ajustement et une individualisa- Certains auteurs ont ciblé telle ou telle ca-
tion de l’enseignement  l. Cette différen- ractéristique (comme par exemple les tra- l
ciation n’est que très rarement « située » vaux réalisés aux États-Unis sur les intelli- Cette adaptation
est au centre de la
par rapport au groupe-classe. gences multiples ou les styles d’apprentis- réponse apportée par
sage), d’autres ont opposé à cette vision Corno et Snow (1986)
Cependant, pour Perrenoud (2005a), potentiellement réductrice la nécessité quant aux différences
il n’y a pas deux élèves qui sont traités de considérer la diversité interindividuelle individuelles entre
élèves. Ces auteurs
de la même manière de la part d’un.e dans sa globalité, en prenant en compte font partie des
enseignant.e. Ainsi, Perrin (2011) tente plusieurs facteurs et donc plusieurs ca- référents théoriques
de trouver des points communs entre ractéristiques. La conception modulaire les plus cités.
les postulats de Burns et les représenta- des intelligences multiples s’oppose à la
l
tions de quelques enseignantes suisses conception d’une intelligence générale l ; Voir Gaussel & Reverdy
de cycle 2 du primaire, lorsque celles-ci pour d’autres, elle offre l’opportunité de (2013).
évoquent le rythme de travail des élèves, diversifier les pratiques pédagogiques.
leurs rythmes de compréhension, leur Cependant, s’intéresser à une caractéris-
caractère ou leur âge. Si certaines en- tique en particulier ou rechercher le style
seignantes évoquent également les ca- d’apprentissage d’un élève peut faire cou-
ractéristiques physiques ou culturelles, rir le risque d’un enfermement de l’élève
cette chercheuse a peu rencontré d’en- (Astolfi, 2002  ; Meirieu, 2011), d’autant
seignantes faisant part des différences que l’enseignant.e n’est jamais neutre et
tenant aux stratégies d’apprentissage que l’on pourrait opposer aux styles d’ap-
(résolution de problème, techniques prentissage des styles d’enseignement
d’étude, etc.). (transmissif, incitatif, associatif, permis-
sif, etc.).
Lorsque les enseignant.e.s font de la
pédagogie différenciée, ils.elles disent le On peut néanmoins prêter attention aux
faire par conviction : « faire réussir tous différentes manières d’apprendre ou de
les élèves » ou bien pour aider les plus travailler : adopter une approche globale
faibles, mais toujours pour faire réussir le ou parcellaire, privilégier l’analyse ou la
plus grand nombre. Des enseignant.e.s synthèse, être plus ou moins influencé par
belges interrogé.e.s sur leur pratique le contexte, craindre les situations d’incer-
disent privilégier la pédagogie différenc- titude, préférer travailler en autonomie ou
iée à la remédiation, préférant prévenir en étant fortement guidé (Zakhartchouk,
que remédier, mais pratiquent néanmoins 2014).
l’une et l’autre, déclarant noter les résultats
positifs suivants : « savoirs-êtres scolaire- UNE QUESTION DE
ment valorisés, efficacité pédagogique, DÉCLINAISONS
équité et organisation au sein de l’école »
mais aussi les points négatifs : « le travail
des enseignants, les difficultés liées aux Un modèle philosophique ?
collègues et parents et les risques de la
différenciation (stigmatisation, gestion de Le concept de différenciation pédagogi-
conflit, gestion des groupes, conduites que parait être une « vielle Lune », à la fois
d’évitement...) » (Descampe et al., 2007). des politiques éducatives et des pratiques
pédagogiques. Torres en réfère même « à
Les facteurs de différenciation la maïeutique de Socrate qui s’attachait
à faire advenir en chacun la vérité qu’il
Grenier (2013) liste les facteurs de diffé- recèle : accompagnant chaque “élève”
renciation susceptibles d’influencer les au plus près de ses aptitudes et de ses
apprentissages, à travers les travaux de envies d’apprendre ». Longtemps, dans le
but de « construire l’homogénéisation des

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6/32 La Différenciation pédagogique en classe
consciences garante de paix sociale »,
chez Freinet.
l’École républicaine a assuré la formation
Les postulats philosophiques d’un
d’une élite contre une qualification minimale
enseignement axé sur les besoins des
et peu exigeante des autres (Torres, 2015).
élèves…
Désormais, la différenciation pédagogique
s’impose comme réponse à la massifica-
− « être attentif à la relation enseignant-
tion de l’école et à la volonté d’amener
élève contribue à augmenter l’énergie
tous les élèves à l’acquisition d’un socle
que ce dernier investit dans l’appren-
commun de connaissances et de com-
tissage ;
pétences. La pédagogie différenciée se
− mettre en place un environnement axé
réalise donc par la façon d’entrevoir ou de
sur les besoins des élèves crée un
penser l’éducation ; c’est une philosophie
contexte favorable à l’apprentissage ;
qui sous-entend l’adoption de certaines
− prêter attention aux antécédents et aux
valeurs et attitudes.
besoins des élèves permet de tisser
des liens entre les apprenants et un
Les professionnel.le.s de l’éducation
contenu important ;
aussi bien que les chercheur.e.s en de-
− tenir compte du niveau de préparation
meurent convaincu.e.s. La différenciation
des élèves favorise leur développe-
pédagogique « fait donc appel, d’une part,
ment sur le plan scolaire ;
aux croyances des enseignants et à leurs
− prendre appui sur l’intérêt de l’élève
connaissances de la question et, d’autre
mobilise sa motivation ;
part, à leur capacité de l’appliquer dans
− respecter le profil d’apprentissage de
leur travail quotidien » (Kirouac, 2010).
l’élève permet à l’apprentissage d’être
Différencier sa pédagogie c’est rompre
l
La formule est efficace » (Tomlinson & McTighe,
avec « l’indifférence aux différences l et
attribuée à Bourdieu 2010).
(1966) dont les propos favoriser les défavorisés, de manière ac-
exacts sont : « l’égalité tive, explicite et légitime, au nom de l’éga-
formelle qui règle la lité des chances » (Perrenoud, 2005b) ; … qui s’accompagnent de pratiques
pratique pédagogique c’est un long processus qui réfère à des fondamentales de l’enseignement axé
sert en fait de masque sur les besoins des élèves
et de justification à savoirs complexes et qui exige de la pa-
l’indifférence à l’égard tience et de la rigueur (Kirouac, 2010). Et
des inégalités réelles finalement, « l’expression de pédagogie
devant l’enseignement − « trouver des occasions régulières de
différenciée [serait] un pléonasme, il n’y
et devant la culture faire connaissances avec ses élèves ;
a de pédagogie que différenciée, puisqu’il
enseignée ou plus − intégrer des périodes d’enseignement
exactement exigée ». n’y a de savoir que dans et par le chemin
à de petits groupes aux routines de
qui y mène » (Meirieu, 2000).
classe quotidiennes ou hebdoma-
daires ;
Trop souvent l’amalgame a été fait entre − apprendre à enseigner en visant le
individualisation et différenciation, un peu sommet ;
comme si l’une était la conséquence de − offrir plus de façons d’apprendre et de
l’autre. Si la différenciation est la prise en faire la preuve d’un apprentissage ;
compte de chaque individu, elle n’induit − faire régulièrement des évaluations
pas une approche individuelle mais une informelles afin de vérifier la compré-
manière d’accompagner l’individu au sein hension de l’élève ;
d’un collectif. Meirieu (2012) rappelle le − enseigner de différentes façons ;
lien entre « droit à la différence » et « droit − faire appel aux stratégies de lec-
à la ressemblance », citant Makarenko et ture pour l’ensemble du programme
son système de rotation des tâches (les d’études ;
rôles, au sein du groupe, sont assumés − permettre aux élèves de travailler indi-
par tou-te.s de manière tournante), Mon- viduellement ou en dyade ;
tessori « qui intègre “l’esprit absorbant” − utiliser des échelles de performance
de l’enfant dans une prise de conscience claires qui visent la qualité ;
du groupe » ou l’articulation des projets − cultiver un goût pour la diversité »
collectifs et des progressions collectives (Tomlinson & McTighe, 2010).

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La Différenciation pédagogique en classe 7/32
Dans cette approche de l’attention portée ligences multiples par exemple (Grenier,
à autrui, les chercheur.e.s se réfèrent au 2013 ; Prud’homme et al., 2011). Or, les
principe de l’éducabilité universelle (pos- articles de Tomlinson, notamment les
ture éthique), à la conviction qu’une mani- plus récents, relativement pragmatiques,
festation n’est jamais totalement indépen- envisagent une différenciation multiforme
dante du contexte (posture épistémolo- (Tomlinson & McTighe, 2010) même si
gique) et à « la volonté de vouloir contri- elle est basée sur les centres d’intérêt et
buer à la compréhension de la diversité les profils d’apprentissage, selon une ca-
comme un élément constitutif de l’équilibre tégorisation par les enseignant.e.s. Cette
d’une citoyenneté démocratique (posture différenciation multiforme caractérise une
idéologique) » (Prudhomme et al., 2011 ; classe devenue multitâche.
Descampe et al., 2007).
Un ou des modèles théoriques ?
Un modèle éducatif éthique,
épistémologique, idéologique ? Les thèses ou mémoires professionnels
ont tendance à considérer la « pédagogie
Depuis les années 1970, les chercheurs différenciée » comme un référencement
ont modélisé les principes d’une diffé- allant de soi, au même titre qu’ils men-
renciation pédagogique en croisant, par tionnent la pédagogie active, la pédago-
exemple, les niveaux de différenciation gie de maitrise ou la pédagogie Freinet.
potentiels (contenus, processus, produc- Peut-on considérer qu’il existe un courant
tions), les facteurs de différenciation chez théorique ayant posé les bases de ce
les élèves (styles d’apprentissage, niveau qu’est une pédagogie différenciée ?
de maitrise des prérequis, intérêts) et les l
stratégies et moyens à mettre en œuvre l. Les postulats de Burns
Dans les années 1980-1990, « la péda- (1971) et la taxonomie
gogie différenciée est une méthode ori- de Bloom (1979) font
Pour Meirieu, deux modèles ou plutôt alors référence, la
deux visions de la différenciation s’oppo- ginale prenant en compte la spécificité taxonomie de Bloom,
sent, l’une qu’il qualifie de gestion tech- du savoir, la personnalité de l’élève et les datant des années
nocratique, l’autre de pédagogie de ressources du maître » (Meirieu, 2000). 1950, ayant été remise
Les modalités de la différenciation l’as- à jour dans les années
l’invention ou de l’occasion. La première 1970.
fait suite à un « diagnostic a priori », par socient à une diversification des supports
lequel l’enseignant.e classe l’élève dans et des modes d’apprentissage, « pour un
une catégorie « pour laquelle il dispose groupe d’apprenants aux besoins hété-
d’un ensemble de solutions », selon un rogènes mais aux objectifs communs »
parcours balisé, prévu, planifié, «  selon (Perraudeau, 1997).
une logique inéluctable ». Dans la se-
conde, les informations récupérées par C’est « une pratique d’enseignement qui
l’enseignant.e sont autant d’indices qui consent aux différences inter-individus et
«  permettent seulement de statuer sur qui tente d’organiser les apprentissages
les besoins du moment » et de faire des en tenant compte de chacun » (Fresne,
propositions, selon un schéma et pour 1994), vers un objectif de réussite,
un effet comportant une part d’aléatoire, puisque cette diversité « ne doit donc
simple « palier qui devra être dépassé » plus être considérée uniquement comme
(Meirieu, 2011). un handicap, mais peut devenir une base
qui permettra d’obtenir de bien meilleurs
résultats et qui, quelquefois, mettra en
Trouver des exemples, issus de la re- évidence les richesses de chacun »
cherche, de modèles aussi radicalement (De Vecchi, 2000).
opposés n’est pas aisé. Ainsi Grenier
et d’autres considèrent que le modèle Plus qu’une méthode d’enseignement,
Tomlinson et ses collègues (2000) se base la pédagogie différenciée est une « dé-
sur des études empiriques qui ne prennent marche qui cherche à mettre en œuvre
en compte qu’un facteur de différenciation un ensemble diversifié de moyens et de
à la fois, styles d’apprentissage ou intel- procédures d’enseignement et d’appren-

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Du point de vue des pratiques ensei-
tissage, afin de permettre à des élèves
gnantes, la pédagogie différenciée est une
d’âges, d’aptitudes, de comportements,
pédagogie de processus qui encourage la
de savoir-faire hétérogènes, mais regrou-
diversification des apprentissages à l’inté-
pés dans une même division, d’atteindre
rieur d’un cadre souple pour que les élèves
l par des voies différentes des objectifs
Cette citation a été travaillent selon leur propre itinéraire dans
moult fois utilisée, avec communs » (IGEN, 1980) l.
des référencements
une démarche collective (Przesmycki,
multiples. Ces apports 1991, 2008). Dès lors, « si la pédagogie
Dans la même période apparait la Théorie
théoriques sont repris différenciée est une évidence théorique, ce
des situations didactiques de Brousseau :
et développés par de n’est vraiment pas une sinécure pratique »
nombreux auteurs. «  elle est née comme simple méthode de
(Grandserre, 2013, cité par Beuchat, 2015).
Ajoutons comme description et d’interrogation mathématique
exemples les textes de Il s’agit d’« analyser et ajuster sa pratique de
des dispositifs psychologiques et didac-
Levy (2008) prônant même que l’environnement d’apprentissage
tiques  » (Brousseau, 2011). La didactique
un enseignement de façon à tenir compte des préalables et
différencié pour s’est-elle emparée de la problématique de
caractéristiques d’un ou de plusieurs élèves
répondre aux besoins la pédagogie différenciée ? Celle-ci est-elle
des élèves ou de Ruys au regard d’un objet d’apprentissage parti-
didactique ou adidactique ? Pour Avanzini
et al. (2013) portant culier » (Guay et al., 2006).
sur la formation des (1986), par exemple, on ne peut qualifier
enseignant.e.s. une « pédagogie » comme « différenciée »,
Nous sommes là dans le domaine de la
car la pédagogie est une doctrine et non
stratégie, stratégie pour reconnaître les
une méthode. Il convient donc de distinguer
caractéristiques individuelles des élèves,
la pédagogie de la différenciation (« dis-
pour gérer un groupe d’élèves aux be-
cussion autour de la différenciation ») et la
soins hétérogènes, pour les mener vers
didactique différenciée (« techniques et pra-
des objectifs communs, mais aussi straté-
tiques différenciées de l’enseignant »).
gie pour « maximiser le talent de chacun
[en adoptant] une philosophie particulière
Perrenoud garde l’idée de la pédagogie
pour enseigner » (Jobin & Gauthier, 2008).
différenciée, tout en la liant à des pro-
blématiques didactiques : s’« il est indis-
Comment résoudre les tensions de telles
pensable de substituer au contrat tacite
exigences ? Comment répondre aux
et unique qui liait le maître à toute une
besoins des élèves différents tout en
classe, des contrats individuels et diversi-
préservant un principe d’équité ? Com-
fiés qui engagent chaque élève », ce type
ment réduire l’hétérogénéité lorsqu’elle
de pédagogie est une façon d’organiser
est un obstacle mais aussi la prendre en
« les interactions et les activités, de sorte
compte comme source d’enrichissement
que chaque élève soit constamment ou du
(Zakhartchouk, 2001) ? Comment optimi-
moins très souvent confronté aux situa-
ser les situations d’apprentissage, diver-
tions didactiques les plus fécondes pour
sifier les parcours possibles car « il n’y a
lui » (Perrenoud, 2005a).
vraiment d’apprentissage que si l’appren-
tissage est accessible à l’élève, si l’élève
est motivé à apprendre et ce dernier est
Situation adidactique : « Dans
efficace dans l’appropriation de son ap-
les situations adidactiques,
prentissage » (Caron, 2003) ?
les interactions des élèves
avec le milieu sont supposées
Przesmycki, souvent citée comme réfé-
suffisamment “prégnantes et
rent théorique, associe une pédagogie in-
adéquates” pour qu’ils puissent
dividualisée « qui reconnaît l’élève comme
construire des connaissances,
une personne ayant ses représentations
formuler des stratégies d’action,
propres de la situation de formation » à
valider des savoirs en utilisant les
une pédagogie diversifiée qui « propose
rétroactions de ces milieux sans
un éventail de démarches, s’opposant
que leur activité ne soit orientée
ainsi au mythe identitaire de l’uniformité,
par la nécessité de satisfaire
faussement démocratique, selon lequel
aux intentions supposées du
tous doivent travailler au même rythme,
professeur » (Sensevy, 2001).
dans la même durée, et par les mêmes iti-
néraires » (Przesmycki, 1991, 2008, citée

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La Différenciation pédagogique en classe 9/32
par Beuchat, 2015). Et pour Tomlinson mide de planification  » qui permet à
(2001), cela signifie «  secouer ce qui se l’enseignant.e de croiser les contenus et
passe en classe », donner aux élèves des les besoins des élèves, à partir de cinq
options multiples de prendre des informa- points d’entrée : sujet, élèves, contexte de
tions, donnant sens et corps à ce qu’ils. la classe, enseignant.e et méthodes péda-
elles apprennent. gogiques appropriées. D’autres ont défini
un curriculum par couches divisant le pro-
Pour résumer, il est possible de reprendre gramme d’études selon la profondeur avec
les propos de Prud’homme et al. (2005), laquelle l’élève va étudier une matière,
cherchant à rationnaliser le concept de dif- l’une des couches étant la partie com-
férenciation pédagogique, selon lesquels mune et la plus importante (Descampe et
la différenciation suggère une ouverture al., 2007).
à la mobilisation par l’enseignant.e et par
l’élève de toute une série de stratégies, Appelé par les Canadiens « programme-
une décentration de leurs représenta- cadre » (AEFO, 2007), cette base du
tions et préférences personnelles pour les cours doit comprendre les apprentissages
confronter et enrichir leurs connaissances considérés comme essentiels, les ques-
et compétences. tions auxquelles pourront répondre les
élèves ayant assimilé ces apprentissages
mais aussi les connaissances expérien-
LES CONDITIONS DE LA tielles ou préalables de la discipline ensei-
DIFFÉRENCIATION gnée. Ensuite, l’enseignant.e peut choisir
d’insister sur telle ou telle partie du pro-
QUE PEUT-ON DIFFÉRENCIER gramme, compléter telle ou telle notion :
« un élève ou un groupe d’élèves peut tra-
EN CLASSE ? vailler ou développer des compétences,
des concepts, des habiletés, des notions
Qu’ils s’intéressent aux concepts ou aux différentes  » (Caron, 2003, repris par Ki-
discours d’enseignant.e.s, les écrits de rouac, 2010).
recherche déclinent quatre dispositifs
de différenciation, portant sur des élé- En France, l’approche par compétences,
ments tels que les contenus, les produc- quand elle est bien conduite, laisse la
tions d’élèves, les structures et les pro- place à une diversité de scénarios pour
cessus. On verra que leur mise en œuvre amener les élèves à l’appropriation de
peut intervenir dans des temps différents, connaissances et compétences. C’est
selon des modalités qui, toujours, doivent par exemple diversifier les pratiques
s’adapter aux besoins des élèves (Meirieu, de lecture, s’interroger sur l’opportu-
2000 ; Przesmycki, 2008 ; Caron, 2003 ; nité de passer plus de temps sur tel
Kirouac, 2010). point de vocabulaire ou certains points
de grammaire, choisir une formulation
Différencier les contenus qui convienne aux élèves auxquels on
s’adresse. « Raisonner ainsi, c’est rester
Vouloir différencier les contenus d’ap- au plus près de la réalité des apprentis-
prentissage nécessite de s’intéresser à sages opérés et des obstacles repérés,
ce que les élèves apprennent et comment contenu d’enseignement par contenu
ils.elles le font. Il s’agit ici d’adapter et de d’enseignement » (Astolfi, 1997, cité par
proposer des contenus d’apprentissage en Zakhartchouk, 2014).
fonction des caractéristiques d’un.e élève
ou d’un groupe d’élèves. Pour autant, il Des suggestions de pratiques
ne s’agit pas de réduire les exigences en
matière de savoirs et compétences dis- − offrir des textes selon le niveau de lec-
ciplinaires attendues. Cette adaptation ture des élèves ; l
doit partir d’un « programme-noyau »  l − offrir du matériel supplémentaire ; Cette expression est
qui permet à l’élève de faire des liens − fournir des référentiels et des outils
attribuée à Astolfi. Elle
a été utilisée par Host
entre les contenus. Des chercheur.e.s organisationnels ; (1985).
américain.e.s ont imaginé une « pyra-

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(intellectuelles et manuelles), variation de
l − exploiter l’interdisciplinarité des no-
Sur l’intérêt de l’organisation spatiale et de la discipline
tions et des concepts l;
l’interdisciplinarité, attendue. La recherche de l’engagement
on lira le Dossier de − encourager l’utilisation du numérique ;
et de l’autonomie des élèves relève bien
veille de l’IFÉ n° 100 : − offrir des occasions de travailler en
Éduquer au-delà des souvent d’une différenciation implicite de
équipe ;
frontières disciplinaires la part de l’enseignant.e, du fait de ses
− enseigner ou consolider des concepts
(Reverdy, 2015). attentes, en termes d’engagement intel-
de base à la suite de l’évaluation dia-
lectuel, d’engagement dans l’administra-
l gnostique ;
Les exemples tion des savoirs et les règles scolaires
− proposer de travailler avec un matériel
évoqués sont issus de (planification, autoévaluation, réflexivité),
documents réalisés différent pour une même tâche l.
d’engagement moral ou intéressé.
par des enseignant.e.s
(AEFO, 2007). Les enjeux épistémiques d’une On peut aussi considérer que si la diffé-
différenciation curriculaire renciation curriculaire se traduit par le
l
« Le terme de recours à une simplification des atten-
curriculum désigne, Comment permettre à tous les élèves de dus et des tâches, elle permet de placer
selon une acception progresser dans leurs apprentissages l’élève « en situation de réussite et éviter
large, les modalités sans risquer de mettre en place des par- une confrontation directe avec le groupe
de sélection, de
transmission et
cours plus lents ? Telle est la question d’élèves » (Peltier-Barbier, 2004, citée par
d’évaluation des de la différenciation curriculaire abordée Baluteau, 2014).
savoirs » (Baluteau, par les sociologues du curriculum, entre
2011, d’après Bautier & autres. Prenons l’exemple publié sur le site
Rayou, 2009).
Éduscol dans une fiche sur la différenci-
l Lorsque Baluteau (2014) aborde la diffé- ation pédagogique, en mathématiques,
Le cycle 4 correspond
aux trois dernières
renciation pédagogique, il le fait du point au cycle 4  l, proposant de modifier les
années du secondaire de vue du curriculum  l et plus précisé- variables didactiques d’une situation de
inférieur français (5e, ment de la différenciation opérée par les référence, à savoir le puzzle de Brous-
4e, 3e du collège). enseignant.e.s selon les publics, à l’ins- seau sur la proportionnalité : il s’agit de
tar d’Anyon qui, dans les années 1980, «  proposer à certains élèves des agran-
étudie le rapport entre classe sociale et dissements du type “le côté qui mesure
construction différenciée des savoirs, 8 cm devra mesurer 16 cm sur le puzzle
dans une approche tenant à la fois de la agrandi”, à d’autres “le côté qui mesure
sociologie du curriculum, des interactions 8 cm devra mesurer 12 cm sur le puzzle
en classe et de l’analyse du discours et agrandi”, à d’autres encore “le côté qui
constate que « dans les écoles popu- mesure 7 cm devra mesurer12 cm sur le
laires les enseignants privilégient un tra- puzzle agrandi”. [Ceci] permet d’adapter
vail mécanique [peu de manipulation des la situation à différents niveaux de maî-
idées et des symboles] avec un contrôle trise des nombres. Le fait que, pour les
ferme  » ; « dans les écoles favorisées, uns le coefficient d’agrandissement soit
les enseignants encouragent l’autono- un entier, pour d’autres un nombre déci-
mie, la prise d’initiative et le dialogue mal non entier, et pour d’autres enfin un
avec les élèves » (Anyon, 1980, citée par rationnel non décimal, ne nuit pas à l’ob-
Baluteau, 2014). jectif principal de formation (le caractère
multiplicatif de la situation), tout en tenant
Ainsi, Baluteau (2014) observe « une compte du degré de maîtrise de la notion
hiérarchisation du curriculum et […] une de quotient ».
“socialisation” différentielle selon les pu-
blics quels que soient l’enseignement, le Un tel exemple de différenciation péda-
niveau scolaire et le contexte national ». gogique en mathématiques, assimilable
Il relie cette variation du curriculum et à une aide apportée aux élèves en diffi-
sa hiérarchisation à la composition de la cultés, pose le problème d’un possible
classe. La manière d’enseigner change affaiblissement des enjeux d’apprentis-
selon la composition sociale de la sage. Comment l’élève, qui maitrisera
classe : variations des dimensions péda- la proportionnalité pour les nombres
gogiques, cognitives, comportementales, entiers, pourra-t-il gérer, ultérieurement,
répartition des activités dans la journée un problème plus complexe ? Marlot et

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Toullec-Théry ont identifié des situations
« énigmatiques » similaires en cycle 3 l, La différenciation consiste à l
dans lesquelles elles perçoivent un souci Le cycle 3
accepter d’utiliser des moyens correspond aux deux
de « faire réussir » plutôt que de « faire différents, afin de permettre dernières années
apprendre », induisant des formes de aux élèves de se développer de l’enseignement
productions convenues, une réduction de façon optimale à partir des primaire et à la
de l’étayage didactique et une différen- première année du
ressources internes de chacun secondaire français
ciation didactique passive puisque la et aux enseignant.e.s d’acquérir (CM1, CM2 et 6e).
répétition d’une telle « aide » peut ac- des savoir-faire pédagogiques
croitre les inégalités entre élèves (Marlot jusque-là inédits, parfois même
& Toullec-Théry, 2013). marginaux, pour permettre
la réalisation de parcours
Différencier les processus d’apprentissage différents à
d’apprentissage l’intérieur d’un même laps de
temps (Caron, 2003).
On l’a vu précédemment, la pédagogie
différenciée est assez souvent définie
comme un ou des processus différen-
ciés d’appropriation des savoirs (Meirieu, À l’hétérogénéité des élèves on répond par
2000 ; Przemycki, 2008). Ce sont les une hétérogénéité des stratégies d’ensei-
moyens utilisés par les élèves pour gnement : stratégies socioconstructivistes
comprendre les contenus qui sont (projet, tutorat, apprentissage coopératif),
visés. Le tutorat, le monitorat, le travail stratégies interactives (débats et groupes
en ateliers, l’accompagnement, etc. sont de discussion), stratégies de travail indi-
autant d’approches, d’aides méthodo- viduel (apprentissage par problèmes et
logiques différentes, prenant en compte études de cas) ou stratégies magistrales
l
les rythmes d’apprentissage de l’élève. Il (exposés et démonstrations) l. Cf. le site « La
s’agit de favoriser l’appropriation d’infor- différenciation
mations et d’habiletés pour faire mieux Des suggestions de pratiques pédagogique »
(Commission scolaire
comprendre. « Les différences entre − offrir un niveau de soutien approprié des Phares, Québec).
apprenants sont des réalités qui doivent (par l’adulte ou par les pairs) ;
être prises en compte : donc, plusieurs − mettre en place des activités de réin-
voies d’accès doivent être offertes, pour vestissement dans des centres d’ap-
un ensemble d’élèves, selon leur profil prentissage ;
pédagogique » (Perraudeau, 1997). − maintenir un rythme d’apprentissage
qui permet de garder l’attention des
Les travaux de recherche et les préco- élèves ;
nisations de praticiens diffèrent quelque − poser des questions qui aident à déve-
peu d’un pays à l’autre, d’une conviction lopper les habiletés supérieures de la
pédagogique à l’autre, au moins dans les pensée ;
termes utilisés. Ainsi, on trouvera, dans − faire appel à la métacognition (retour
les pratiques ontariennes ou québécoises, sur les apprentissages, stratégies effi-
des suggestions relatives aux styles d’ap- caces utilisées) ;
prentissage ou à l’enseignement explicite. − favoriser les échanges d’idées et d’opi-
Car il ne s’agit pas uniquement de diffé- nions ;
rencier les pratiques d’apprentissage en − varier le temps alloué à une tâche
fonction des élèves, mais aussi, pour les (opportunité d’un soutien supplémen-
enseignant.e.s, d’utiliser différentes stra- taire pour les élèves en difficulté, d’un
tégies d’enseignement. encouragement aux élèves souhaitant
approfondir un sujet).

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12/32 La Différenciation pédagogique en classe
Différencier les productions d’élèves & Poliquin-Verville, 2004, cités par
Kirouac, 2010). Le fait de multiplier les
Les travaux d’élèves sont la trace de dispositifs structurels permet d’éviter
ce qu’ils ont appris ou compris et un des tout excès d’homogénéité ou d’hété-
moyens de montrer la façon dont ils uti- rogénéité : groupe de besoin, groupe
lisent et représentent l’apprentissage niveau-matière, groupe homogène,
d’un savoir ou savoir-faire. La différencia- groupe hétérogène, dyade, travail indi-
tion consiste à donner le choix des sup- viduel (Gillig, 2001 ; Caron, 2003).
ports, des outils, selon les activités, mais
aussi de moduler le format ou le type de Le groupement par besoin est un mode
travail au sein d’une même activité, le but de répartition qui permet aux élèves de
étant que les élèves atteignent l’objectif travailler pour l’essentiel en groupes hé-
fixé, à savoir (dé)montrer l’acquisition de térogènes et ponctuellement en groupes
connaissances ou compétences atten- homogènes sur certaines matières
dues. Pour autant, « il est indispensable (l’exemple le plus souvent cité étant celui
de ne pas faire travailler chaque élève de l’apprentissage des langues). « La ré-
uniquement avec les méthodes qui lui partition entre ces groupes se fonde sur
conviennent, puisqu’il est important qu’il la progression dans la matière concer-
puisse aussi s’approprier les autres stra- née, et non sur les acquis scolaires glo-
tégies » (De Vecchi, 2010). baux  » (Galand, 2009). L’intérêt de ces
groupes de besoin ponctuels est de pou-
voir adapter les contenus d’enseigne-
Des suggestions de pratiques
ment, en les articulant à la progression
des élèves dans la matière. On note un
− cibler des objectifs précis à atteindre (ex. :
gain d’apprentissage sans pour autant
rédiger un récit dont le sujet est libre) ;
que l’écart entre élèves soit réduit.
− permettre des productions variées à
divers niveaux de complexité ;
Pour Meirieu (2000) ou Descampe et al.
− offrir la possibilité à l’élève de montrer sa
(2007), le regroupement d’élèves ne doit
compréhension sous différentes formes
pas être ressenti comme une stigma-
(ex. : présentation orale, débat, exposé) ;
tisation. Il doit plutôt se traduire par la
− offrir la possibilité de montrer ses ap-
constitution de groupes de besoins ou de
prentissages au moyen de supports
projets permettant une coopération entre
variés (ex. : présentation multimédia,
pairs. Pour certains, « il est communé-
croquis au tableau) ;
ment acquis que ces groupes de niveau
− autoriser les productions individuelles
ne sont pas bénéfiques pour les élèves
et en petits groupes ;
faibles ou “moyens” mais le sont pour les
− utiliser des modalités d’évaluation par
élèves plus forts » (Ruys et al, 2013) ;
gradation des compétences.
pour d’autres, des regroupements de ce
type, s’ils se font ponctuellement dans la
Différencier la structuration du travail en classe, s’avèrent positifs.
classe

L’environnement de travail peut favo- « Une organisation hétérogène


riser la différenciation des apprentis- des classes reste, tant aux
sages. Cela passe par l’organisation du yeux des enseignant(e)s qu’à
temps et de l’espace, en aménageant ceux des acteurs et actrices du
la salle de classe (disposition des pu- système scolaire en général,
pitres, accessibilité aux ressources), en essentiellement assimilée à
facilitant le travail en groupes, en met- un projet égalitaire, alors que
tant en place un calendrier des activités la répartition par niveaux sera
évolutif et adaptable. « La différenciat- défendue au nom de l’efficacité »
ion des structures propose que chaque (Le Prévost, 2010).
élève se trouve aussi souvent que
possible regroupé dans des situations
fécondes pour lui » (Leclerc, Picard

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La Différenciation pédagogique en classe 13/32
L’organisation du travail en classe − définir avec les élèves des modalités
s’organise parfois en ateliers. Il peut de travail différentes (permettre de
s’agir d’ateliers au sens où on l’entend bouger ou de rester calme, selon les
en maternelle, structurant la classe situations et les élèves).
en différents espaces et permettant
de découper les apprentissages et les Deux exemples de pratiques
occupations en temps plus ou moins
courts. Plus tard, ces ateliers évoquent Dans certaines régions germanophones
des regroupements d’élèves, on parle (Autriche et Suisse), dans les zones ru-
également de travail en ilots, puisque rales ou de montagne à forte hétérogénéi-
l’espace classe est déstructuré pour té, c’est une « pédagogie progressive » qui
être ré-agencé, et ce, pour une tâche est mise en place, alternant des méthodes
commune à la classe ou bien des d’apprentissage ouvertes laissant l’élève
tâches différentes. L’enseignant.e « se travailler en autonomie, en groupes, et
servira des ateliers pour les aménager des stratégies recentrées, impliquant des
en groupes d’appui, en lieux d’entraî- formes plus structurées d’apprentissages
nement, de soutien ou de régulations » multi-niveaux. Les groupes sont donc
(Ghanmi & De Angelis, 2015). évolutifs, selon les compétences atten-
dues (22 écoles primaires et secondaires,
La différenciation par les structures « ouvre 162 enseignant.e.s et 1 180 élèves, voir
la porte aux trois autres dispositifs [conte- Smit & Humpert, 2012).
nus, productions, processus]. Elle contient
la gestion des apprentissages, le climat or- Au primaire, en Communauté française
ganisationnel, le contenu organisationnel et de Belgique, Descampe et al. (2007) ont
l’organisation de la classe » (Caron, 2008). observé 77 activités déclarées comme
différenciées par les enseignant.e.s, en
Que de nombreux auteurs insistent sur français, mathématiques, éveil ou autres,
le couple différenciation pédagogique et dans le cadre d’un travail par cycles : « 40
gestion de classe traduit bien la difficulté activités jouent sur la différenciation par
pour les enseignant.e.s à imaginer des les structures, 34 sur la différenciation
pratiques qui risquent de bousculer un par les contenus et 25 sur les proces-
climat de classe fragile  l. La littérature sus » et 10 uniquement sur les produits l
Au Québec, la gestion
de recherche met d’ailleurs en évidence (projets personnels, théâtre) l. Lors d’une de classe serait un
la corrélation entre le sentiment d’effi- session de formation des enseignant.e.s facteur important
d’abandon prématuré
cacité personnelle à gérer la classe et concerné.e.s, ceux ou celles-ci ont de la profession
la mise en œuvre de pratiques différen- échangé sur la pratique de groupement enseignante (Girouard-
ciées (Girouard-Gagné, 2015). d’élèves. Apprécié par les enseignant.e.s, Gagné, 2015).
le regroupement constitue un outil de
Des suggestions de pratiques gestion du travail en cycle et « permet l
Descampe et al. (2007)
la “verticalité” entre les groupes-classes ont noté que dans
d’un même cycle, aide à la gestion de la 14 autres cas (soit
− prérequis : connaître les élèves, ne 20 % des activités), les
discipline dans un cycle par le fait que les
pratiques déclarées
pas s’attarder forcément sur les plus enseignant.e.s connaissent plus d’élèves comme différenciées
faibles ; connaître les dispositifs pos- et sont alors moins attachés à un groupe » ne l’étaient pas et
sibles de différenciation : le choix dé- (Descampe et al., 2007). consistaient plutôt en
pend de l’intention de l’enseignant.e aide personnalisée
ponctuelle, avec
et du besoin de l’élève ; maitriser le LES MOMENTS D’UNE un passage de
programme de formation (différencia- l’enseignant dans les
PÉDAGOGIE DIFFÉRENCIÉE
tion des contenus) ; fournir des textes rangs.
qui reflètent une diversité de cultures
et modèles familiaux ; Quelles que soient les modalités de la dif-
− travailler en équipe, par cycle (sur le férenciation envisagée, elles sont étroite-
temps long) ; ment impactées par les moments au cours
− aménager des espaces de calme ou desquels elle est mise en œuvre.
propices à la collaboration ;

Dossier de veille de l’IFÉ • n° 113 • Novembre 2016


14/32 La Différenciation pédagogique en classe
Évaluation et différenciation en mode tennes » (selon Caron), correspondent
synchronisé des manières de différencier.

Assez logiquement, la différenciation La différenciation peut être « méca-


peut intervenir tout au long de la phase nique », par l’utilisation de tests diagnos-
d’apprentissage. Elle est souvent asso- tiques, d’exercices selon une progres-
ciée à la pratique évaluative, entendue sion structurée, avec la constitution de
comme évaluation pour les apprentis- groupes de besoins, etc., ou « intuitive »
sages. (informelle), l’enseignant.e va « sentir »
la situation de l’élève, sans pour autant
Avant de mettre au travail l’élève, une avoir le sentiment de différencier son
évaluation diagnostique va permettre enseignement. Il va, par exemple, lais-
d’anticiper sa pratique d’enseignement, ser du temps supplémentaire à un élève
dans une perspective préventive : « elle retardataire, ou varier naturellement une
offre un contexte de réussite à l’élève » procédure sans le formaliser auprès des
(Caron, 2003). Dans le même esprit, une élèves (Caron, 2003 ; Meirieu, 2011).
évaluation au fil des apprentissages,
formative dans la plupart des cas, va La différenciation peut être successive,
permettre par la concertation, la remé- l’enseignant.e va, pour un même objec-
diation (le feedback) de déterminer les tif, proposer plusieurs outils, méthodes
stratégies d’apprentissages, de réguler et situations (ex. : dans l’univers narratif
l les apprentissages, d’ajuster l’enseigne- en classe de français, utilisation du des-
Pour appréhender les
différentes formes ment, d’expliquer, de moduler les exer- sin, de l’outil informatique, de la commu-
d’évaluations et cices  l. Cette différenciation au cours nication orale ou écrite) ; elle peut être
leur impact sur les
des apprentissages est à croiser avec simultanée, c’est-à-dire « distribuer à
apprentissages, voir chaque élève le travail qui lui convient »
Rey & Feyfant (2014). les modalités évoquées précédemment,
relatives au « quoi » différencier, aux (exemple du plan de travail individuel,
processus, réalisations, environnement du contrat d’apprentissage, du tableau
ou contenus. de programmation, avec une évaluation
et une régulation régulières). Elle inter-
Après ces étapes évaluation diagnos- vient souvent après une évaluation for-
tique-enseignement-apprentissage-éva- mative.
luation formative, la phase sommative
peut se traduire, la encore, par une diffé- Dans une enquête auprès
renciation des modalités d’évaluation, en d’enseignant.e.s vaudois.es, Forget et
fonction du rythme et des particularités Lehraus (2015) ont cherché à connaitre
de l’élève (évaluation orale, écrite, à dif- le (ou les) moment(s) de différenciation,
férents moments, en concertation élève/ dans le processus d’enseignement. En
enseignant.e). effet, les enseignant.e.s décrivent les
modalités de différenciation mises en
place sans les situer dans le proces-
Le passage des objectifs aux modalités
sus : avant d’aborder une notion, pen-
de différenciation dant ou après. Le modèle envisagé par
les chercheuses est le suivant :
Le caractère régulateur de cette péda-
gogie la corrèle avec une pratique éva- − différenciation avant l’enseignement
luative bienveillante mais aussi avec d’une notion : tester les prérequis de
des tâches ou des temps adaptés, et va certains élèves ; réactiver les notions
induire le caractère planifié et réfléchi de utiles à l’enseignement qui va suivre ;
la différenciation qui s’ensuit (modifica- « préparer certains élèves à une activi-
tion du plan de travail, réorganisation de té en leur fournissant une clé d’accès,
l’espace classe, variation des dispositifs). des repères » ;
Ce sont les trois conditions d’opération- − différencier pendant les apprentis-
nalité définies par Caron (2003)  : une sages : soutenir ou étayer les élèves
différenciation se doit d’être authentique, «  de manière plus ou moins rappro-
régulatrice et planifiée. À ces trois « an- chée eu égard à leur niveau de com-

Dossier de veille de l’IFÉ • n° 113 • Novembre 2016


La Différenciation pédagogique en classe 15/32
différences entre les élèves d’une même
pétence » ; adapter les conditions de
classe et, par la reconnaissance de ces
réalisation d’une tâche (aménagement
différences, de leur légitimité, se fonde sur
des supports, consignes, exigences,
celles-ci « pour assurer l’ordre de l’appren-
quantité de travail, temps mis à dispo-
tissage dans la classe » (Legrand, 1995).
sition) ; évaluer (évaluation formative)
On peut décomposer les formes de tra-
ponctuellement tel.le ou tel.le élève
vail en classe entre les moments où
dont la progression pose problème ;
l’enseignant.e parle et les élèves écoutent
− différencier après l’enseignement
et répondent (« oral collectif ou classe dia-
d’une notion : exercer pour consolider
logue ») et ceux où l’enseignant.e distri-
les automatismes ; réviser les éléments
bue le travail puis les élèves sont en acti-
non acquis par certain.e.s ; évaluer en
vité. Lorsque les élèves sont en activité,
adaptant cette évaluation (certificative
soit lors d’un travail individuel, soit par
ou sommative).
groupe, ils font la même chose ou non.
Lorsque les élèves font simultanément
Les résultats de l’enquête (42 en-
la même chose, la différenciation peut
seignant.e.s du primaire, 57 enseignant.e.s
prendre la forme d’une aide individuelle ou
du secondaire) montrent que près de
non, peut se faire par l’utilisation d’outils
80 % des enseignant.e.s du primaire dif-
rendant l’élève autonome (comme le port-
férencient pendant l’enseignement d’une
folio) ou, lors de travail en groupe, par la
notion, 15 % après et 5 % avant. Forget et
collaboration entre pairs (tutorat). Lorsque
Lehraus expliquent ce faible pourcentage
les élèves ne font pas la même chose, le
par une résonance encore faible des tra-
travail en groupe peut être organisé par
vaux traitant de la différenciation a priori
groupes de besoin, en autonomie ou avec
(un des deux modèles cités par Meirieu,
l’aide de l’enseignant.e ; lors de travail
cf. supra).
individuel, les objectifs sont différenciés
autour d’un parcours individualisé (plan
Différencier des phases d’apprentissage de travail), ou bien d’objectifs communs
ou différencier les situations (plus ou moins d’exercices ou exercices
d’apprentissage… différents).

Selon les méta-analyses étudiées par Hat- Pour éclairer les modalités de regroupe-
tie (2009), la différenciation se rapporte ment des élèves ou non, Levy (2008) file
plus à des phases différentes d’appren- la métaphore en expliquant qu’enseigner
tissage qu’à des activités différenciées au groupe-classe hétérogène revient à
selon les élèves. Heacox (2012) évoque peindre un tableau avec un pinceau large
une collection de stratégies qui aideront (base commune, pour tous). Ensuite, les
l’enseignant.e à mieux aborder et gérer la détails du tableau sont apportés grâce à
diversité des besoins d’apprentissage de un pinceau plus fin (soutien individualisé,
la classe. Pour Houssaye (2012), la péda- travail en petits groupes).
gogie différenciée prend en compte les

Conseils aux futurs enseignant.e.s, par Grandserre (2013)


« Pour différencier le travail des élèves, on doit actionner tous les leviers
d’une classe : le temps (en donner plus ou moins) ; la difficulté (graduer le
travail autour d’une même notion avec des exercices différents) ; les outils
(autoriser ou pas le dictionnaire, le cahier de leçons, les anciens exercices,
les affichages ...) ; la quantité (plus ou moins de travail à faire en un même
temps) ; les aides (avec ou sans celles de l’adulte ou des camarades) ;
l’autonomie (un travail aux étapes indiquées ou pas), l’organisation (temps de
travail collectif et individuel) ».

Dossier de veille de l’IFÉ • n° 113 • Novembre 2016


16/32 La Différenciation pédagogique en classe
« Inverser l’idée qu’on se fait du travail collectif en classe : non pas une
tâche que ne finissent jamais les derniers mais un travail que tout le monde
réalise, la différenciation intervenant pour ceux qui ont réussi le plus vite au
travers d’activités en autonomie : approfondir par un autre exercice ; écrire
un texte libre qu’on présentera à la classe ; effectuer des recherches pour
un exposé à venir ; mémoriser sa poésie, une chanson, une leçon, son texte
de théâtre (selon projet) ; fabriquer un exercice ou un jeu en lien avec le
travail collectif ; mettre à jour sa correspondance (lettre, invention de jeux,
mise au propre) ; lire en silence (notamment pour préparer une présentation
d’ouvrage à la classe) ; préparer une lecture pour une autre classe
(notamment maternelle) ; faire des jeux d’entraînement sur l’ordinateur ;
rédiger son courrier pour les boîtes aux lettres de la classe (propositions,
problèmes, félicitations...) ; illustrer sa poésie, sa correspondance, avancer
dans le projet d’arts visuels ; créer une construction géométrique pour la
classe (mesurer, tracer, utiliser les outils) ; avancer dans son plan de travail
notamment dans les fichiers de lecture ou de math ; faire des jeux : sudoku,
mots mêlés, mots croisés, charades ; aller aider les autres qui le demandent
et sans faire à leur place ».

Des temps et espaces dédiés à pement par groupes homogènes bénéficiant


l’accompagnement et au soutien d’un curriculum adapté (Anderson, 1995 ;
Tomlinson, 2003, cités par Ruys et al., 2013).
Bien que nous ayons privilégié la différenc-
iation pédagogique dans la classe, il est L’analyse historique faite par Houssaye
nécessaire, tout en restant au niveau de (2012) de la gestion de l’hétérogénéité
l’établissement de mentionner une autre des élèves, en France, montre le passage
acceptation du concept de différenciation, d’une pédagogie alliant soutien et objectifs
impliquant une externalisation de celle-ci. (déclinaison de la pédagogie de maitrise)
à une pédagogie de soutien, dès la fin des
Cette organisation du travail est consti- années 1970 et de façon marquée dans
tutive d’une certaine approche de l’en- les années 2000. Dans un souci d’égalité
seignement : les injonctions faites aux entre les élèves, la pédagogie de soutien
enseignant.e.s d’adapter leurs pratiques, est plutôt de l’ordre de la compensation,
voire de les changer se heurtent en effet à du rattrapage.
une organisation de l’enseignement qui reste
encore fortement ancrée dans le principe du Ce reproche sous-jacent à la différenc-
triangle pédagogique (élève-savoir-ensei- iation des situations d’apprentissage
gnant). Dès lors que la relation pédagogique concerne les dispositifs d’aide pour les
ne fonctionne plus, qu’il devient trop difficile élèves ayant échoué là où l’ensemble
d’enseigner au plus grand nombre, le choix de la classe a réussi, et notamment
a été d’externaliser les difficultés des des dispositifs d’aide a posteriori. Les
élèves selon deux types de régulations, soit enseignant.e.s sachant pouvoir s’appuyer
par un soutien ponctuel, ciblé, visant à une sur ces moments a posteriori réduisent
(ré)intégration des élèves dans son groupe leurs exigences pendant l’activité collec-
de référence, soit dans « des structures tive. De plus, cette aide différée consiste
étanches, sans aller-retour pour les élèves le plus souvent en techniques compensa-
ainsi écartés des autres, ni travail commun trices, par lesquelles les élèves refont le
entre les enseignants » (Maulini & Mugnier, travail non réussi en classe, sans que ne
2012). soit garanti le lien avec les apprentissages
abordés en classe. La classe (« système
Au sein de l’établissement, la différenciation didactique central ») et le groupe d’élèves
peut se faire dans le cadre d’un travail par en difficulté (qui passe par un « système
cycle, en gestion interclasses, par un regrou- didactique auxiliaire temporaire ») sont

Dossier de veille de l’IFÉ • n° 113 • Novembre 2016


La Différenciation pédagogique en classe 17/32
deux institutions qui se désolidarisent. La difficulté de passer de la
L’aide passe ainsi par un dédoublement préoccupation à l’action
du temps didactique de la classe qui tout
en déconnectant l’élève de ce temps Les travaux de recherche dénoncent le
didactique le déconnecte des enjeux de décalage entre théorie et pratique, et une
savoirs (Toullec-Théry, 2016). Enfin, l’ai- formation dans laquelle le concept de
de après-coup présente des temps trop pédagogie différenciée reste à l’état de
fragmentés, n’offrant pas aux élèves un principe, difficile à mettre en œuvre sans
temps suffisant passé sur le contenu et/ quelques ficelles.
ou suffisant pour assurer leur engage-
ment. « Elle permet de maintenir une pra- Au Canada où la problématique de la dif-
tique traditionnelle dans le cadre simulta- férenciation est prégnante depuis presque
né, tout en ayant fait quelque chose dont vingt ans, les préconisations institution-
on sait que ce n’est pas suffisant quant nelles ont été suivies par la publication de
aux résultats mais que c’est satisfaisant nombreux sites ou guides à l’attention des
en termes de coûts et d’intentions » enseignant.e.s. Pour autant, comme le
(Houssaye, 2012). souligne Grenier (2013), ces informations,
documents, fiches pratiques, s’ils «  per-
L’externalisation de la différenciation hors mettent de rendre plus compréhensible
de l’établissement ne peut s’envisager la notion de différenciation pédagogique
d’un point de vue pédagogique, comme le et de fournir des stratégies pour la mettre
souligne Bautier et Rayou (2013) : « Les en œuvre », s’ils décrivent ou synthé-
modalités actuelles de remédiation […] au tisent des expérimentations ou initiatives
lieu de diagnostiquer ces difficultés et de locales, n’ont pas fait l’objet d’études em-
les pallier dans la classe ou dans l’école piriques, ni en amont (avant de pratiquer
tendent à en externaliser le traitement », la différenciation), ni en aval, quant à leur
sans assurer de lien entre les interve- efficacité sur la réussite des élèves ou à
nants extérieurs et les enseignants. Autre leur dissémination.
point de vue convergent, pour d’autres
raisons, celui des didacticiens, pour les- Si les enquêtes auprès des enseignant.e.s
quels l’objectif de l’enseignement est de montrent une conviction partagée sur la
«  connecter les élèves peu avancés au nécessité de tenir compte de la diversité
temps didactique collectif et non de les en des élèves pour les faire réussir au mieux,
dissocier » (Toullec-Théry, 2016). les observations montrent la difficulté
à transposer cette conviction en pra-
LE PASSAGE DE tiques en classe. Encore une fois, les
attentes sont fortes quant aux comporte-
LA THÉORIE À LA ments et compétences attendues de la
part des enseignant.e.s. Pour aider les
PRATIQUE élèves dans leurs apprentissages, il leur
faut (Tomlinson & McTighe 2010) :
L’ENSEIGNANT.E ET SA − définir les notions et habiletés fonda-
PRATIQUE mentales du programmes d’études ;
− endosser la responsabilité de la réus-
L’enseignement différencié fait partie des site de l’apprenant ;
compétences à acquérir pour les futur.e.s − encourager le respect entre les appre-
enseignant.e.s, alors même que c’est sur nants ;
le tas, une fois dans leur classe qu’ils se − prendre conscience de ce qui fonc-
trouvent confrontés à cette nécessaire tionne pour chaque élève ;
différenciation, après avoir été confor- − développer une gestion de routines de
tés dans leurs certitudes sur l’efficacité classe favorisant la réussite ;
d’un enseignement face à un groupe- − aider les élèves à devenir des parte-
classe ressemblant à une entité de niveau naires efficaces de leur propre succès ;
moyen, recevant le même savoir, selon la − élaborer des routines d’enseignement
même méthode d’apprentissage. souples ;

Dossier de veille de l’IFÉ • n° 113 • Novembre 2016


18/32 La Différenciation pédagogique en classe
− accroitre son répertoire de stratégies Un travail enseignant transformé
d’enseignement ;
− réfléchir au progrès individuel des De même que la différenciation appelle-
élèves tout en gardant en tête leur dé- rait à une communauté d’apprentissage
veloppement personnel et les objectifs et à la coopération pour les élèves, elle
du programme d’études. se trouverait facilitée par la collaboration
et la construction de communauté de pra-
tiques chez les enseignant.e.s. Puisque
L’écueil des conduites différenciatrices les résultats de recherche rendent essen-
tiellement compte d’entretiens et d’obser-
On impose des savoirs aux élèves des vations de pratiques enseignantes, il est
écoles favorisées, on les négocie avec plus facile de décrire des interactions pos-
les moins favorisés, pour s’assurer de leur sibles entre enseignant.e.s, soit au sein de
engagement. Cet accommodement relève l’établissement, soit dans des pratiques
d’un sur-ajustement didactique (activi- de co-intervention, soit dans des disposi-
tés simplifiées) ou d’un sous-ajustement tifs « Plus de maitres que de classe ». La
didactique (situations trop floues ou trop co-intervention est par exemple mention-
larges, voir Bautier & Goigoux, 2008). Ces née lors de regroupements d’élèves, de
situations floues conduisent ainsi à un niveau ou pour des activités diversifiées.
cadrage variable du contrat didactique Les enseignant.e.s évoquent la difficulté
qui « opérerait de façon récurrente une de répondre aux attentes d’élèves aux-
différenciation souvent “active” entre les quelles ils.elles ne sont pas habitué.e.s.
élèves » (Baluteau, 2014). Les enseignant.e.s évoquent les interac-
tions avec des collègues partageant leurs
L’observation des pratiques différencia- préoccupation comme facilitatrices « pour
trices des enseignant.e.s montre que mieux reconnaître et comprendre la diver-
celles-ci « résultent d’une représentation sité qui se manifeste en classe » et pour
dominante […] d’un élève supposé suffi- opérer « un processus de décentration au
samment armé devant les formes de rai- regard de ses propres caractéristiques ou
sonnement scolaire » (Baluteau, 2014, préférences personnelles » (Prud’homme
citant Bonnéry, 2011). et al., 2005).

Le raisonnement scolaire, tout est dit… Les travaux de recherche ne donnent pas
Les élèves de milieu défavorisé auraient uniquement dans la prescription bienveil-
une certaine incapacité intellectuelle ou lante, ils admettent que « c’est un long
bien auraient une moindre capacité à processus qui réfère à des savoirs com-
entrer dans le cadre cognitif (abstraction) plexes et qui exige de la patience et de
imposé par l’école (Baluteau, 2014). Une la rigueur » (Kirouac, 2010) et font éga-
telle représentation induit une non-prise lement mention des risques de perte de
en compte des manières de penser et de contrôle, du sentiment de travailler avec
faire des élèves et les privent d’un accès l’imprévu, de la difficulté de trouver du
au savoir. Pour Bonnéry (2009, 2011) temps et des idées. Face à cet incon-
les dispositifs pédagogiques proposent fort, voire souffrance, les enseignant.e.s
des étapes de cheminement intellectuel peuvent rejeter l’option pour irréaliste ou
qui ont l’apparence de l’évidence alors contester une nouveauté qui n’en est pas
qu’elles nécessiteraient une explicitation une (Zakhartchouk, 2001a). De plus, la
de la part des enseignant.e.s. On rejoint majorité des enseignant.e.s interviewé.e.s
ici la problématique largement exprimée, témoignent du caractère chronophage de
à savoir que les pratiques différenciées pratiques différenciées, cela demande
« ne devraient pas uniquement se centrer une grande préparation, c’est-à-dire anti-
sur des procédures de base mais plutôt cipation et investissement. Il est néces-
sur l’articulation de ces procédures dans saire d’observer et connaitre ses élèves,
la réalisation d’une tâche d’apprentissage avant d’adapter son enseignement aux
nouvelle » (Descampe et al., 2007). besoins des élèves. Enfin, cela demande
créativité et imagination, et « cela exige
une réflexion pédagogique, la nécessité

Dossier de veille de l’IFÉ • n° 113 • Novembre 2016


La Différenciation pédagogique en classe 19/32
pour l’enseignant de savoir se remettre en (rétroaction et pro-action), allant du simple
question, être flexible  » (Beuchat, 2015), au complexe. La contextualisation des ap-
sans pour autant maitriser toutes les don- prentissages est forte, la mise en activité
nées et résultantes de cette différencia- s’appuie sur des situations-problèmes ou
tion. des problèmes ouverts, mais cette tech-
nique n’offre souvent d’intérêt que pour
L’enseignement des mathématiques : un remobiliser les élèves, sans garantie sur
sujet d’étude ? les apprentissages effectifs. Cette mise
en activité, qui peut amener les élèves
L’enseignement des mathématiques ne à viser la finalité de l’action plus qu’une
semble pas de prime abord susceptible recherche de la compréhension peut
de différenciation notable, du fait d’un s’avérer payante « tant que la procédure
cadrage national fort, et d’un cadrage amène au résultat visé et que l’élève se
didactique dominant. Pourtant, plusieurs satisfait de la réussite » mais peut alimen-
articles interrogent cet enseignement, ter les difficultés de l’élève dès lors que
donnent quelques exemples. Comment, survient un changement de procédure,
du point de vue de la sociologie du cur- comme de nouveaux contenus, un inci-
riculum, par exemple, les enseignant.e.s dent, etc. (Cèbe et al., 2015).
de collège font-ils « de la classe un es-
pace d’intéressement en fonction des QUELQUES PRATIQUES
contraintes sociales, institutionnelles et DISCUTÉES DE
didactiques » ? DIFFÉRENCIATION
PÉDAGOGIQUE
Dans les collèges favorisés, l’horaire d’en-
seignement est parfois plus volumineux et
le travail hors la classe est systématique Parmi les principes et méthodes d’une
(soutien, approfondissement, jeux, devoirs différenciation pédagogique déclinés à
à la maison). « La continuité entre le tra- l’envi, la nécessité d’aider les élèves fait
vail encadré et le travail autonome, propre figure d’évidence. Aider avant, pendant,
à l’organisation moderne du secondaire après une séance ? Pourquoi ne pas en-
(Kherroubi, 2009), se présente comme visager une aide en amont, non pas une
une évidence pour les enseignants » remédiation, souvent vécue comme une
(Baluteau, 2011). Dans un enseignement stigmatisation, mais de la prévention ?
le plus souvent très ritualisé (correction Ne pas organiser sa pédagogie en termes
des exercices, mise en activité construc- de manques mais préparer la séance
tive, inscription de la connaissance, puis suivante : lire un texte avant que ne soit
mise en exercice), le faible engagement étudiés les personnages du roman ou du
ou les difficultés de certain.e.s élèves conte ; expliquer le contexte d’un docu-
incitent les enseignant.e.s « à atténuer le ment qui sera à étudier en histoire-géo-
caractère abstrait de l’enseignement en graphie ? Parmi les nombreuses pistes l
l’articulant à l’actualité », tout en évitant proposées dans des ouvrages et guides l, Guide pratiques de
on peut retenir des pratiques spécifiques différenciation, Des
trop de détours, trop de travail en groupes pistes pour diversifier,
susceptible de perturbations. Enfin, c’est pendant la séance, collectives ou indivi- adapter et modifier son
l’évaluation certificative qui est privilégiée. dualisées, mais aussi des pratiques qui enseignement, etc.
Dans les collèges en milieu plutôt défavo- bousculent à la fois les contenus, les pro-
risé, l’horaire suivi est l’horaire officiel, les cessus, les productions et l’organisation
créneaux hors la classe ne sont pas systé- de la classe.
matiques (l’essentiel des apprentissages
se fait en classe) et les entretiens avec La classe inversée, une modalité de
les enseignant.e.s montrent la tension différenciation pédagogique ?
entre respect du programme et réin-
terprétation en fonction des difficultés Alors que le « premier congrès franco-
des élèves. Les enseignant.e.s évoquent phone » sur la classe inversée s’est tenu
un enseignement spiralé, c’est-à-dire en juillet 2016 à Paris, on constate qu’une
s’appuyant sur les notions antérieures majorité des praticiens de le classe inver-

Dossier de veille de l’IFÉ • n° 113 • Novembre 2016


20/32 La Différenciation pédagogique en classe
sée motivent leur choix par l’ouverture à Alors que la différenciation est censée
une véritable différenciation. réduire les inégalités des élèves face aux
apprentissages, la classe inversée ne les
La classe inversée est une méthode péd- accroit-elle pas ? Tout comme les « de-
agogique fondée sur l’emploi, en amont voirs à la maison » posent problèmes en
d’une séance en classe, dans le cadre termes d’égalité entre élèves et d’effica-
du travail à la maison, de courtes pré- cité dans les apprentissages, la pratique
sentations vidéo asynchrones (capsules de la classe inversée pose question quant
vidéo), réalisées par l’enseignant.e, ainsi à l’accès au numérique, au soutien des
que des exercices pratiques (question- parents, aux conditions du travail person-
naires, recherches documentaires, etc.). nel de l’élève. D’autres écueils sont égale-
Le travail en classe est alors consacré ment évoqués : l’utilisation du numérique
à des projets, aux échanges entre pairs et des vidéos ne garantit pas la motivation
et avec l’enseignant.e, d’activités de ré- et l’engagement des élèves.
solution de problèmes et autres activités
l
Cette méthode est collectives et collaboratives en classe  l. Un visionnage est alors envisagé dans le
issue des travaux de «  Il s’agit d’une combinaison unique de cadre scolaire, au CDI (Centre de docu-
Bergmann et al. (2014). théories d’apprentissage […], activités mentation et d’information) par exemple,
d’apprentissage actives fondées sur une de même que des recherches documen-
idéologie constructiviste et des confé- taires préparatoires. On peut envisager
rences (lectures) pédagogiques dérivées une hybridation de ces deux formes de
de méthodes d’enseignement direct fon- classe inversée, reposant sur la construc-
dées sur des principes behavioristes » tion de séquences pédagogiques (arti-
(Bishop & Verleger, 2013). culant, vidéos, recherches documen-
taires, débats, textes à s’approprier en
Ce qui est assez largement mis en avant amont, etc.) adaptées aux différents
par les enseignant.e.s qui pratiquent la « évènements d’apprentissage » (une
classe inversée est la possibilité de tra- forme d’adaptation au rythme d’apprentis-
vailler en groupes, en ilots. Cette nouvelle sage), en raisonnant par cycles d’appren-
organisation du temps de travail permet tissages. Lebrun évoque trois niveaux de
de consacrer plus de temps à la vérifica- classes inversées permettant de mieux
tion de la compréhension du cours et des utiliser les espaces et les temps, d’indi-
connaissances. D’autres évoquent la pos- vidualisation des apprentissages, de
sibilité de créer des groupes de besoins. « mieux balancer la transmission des sa-
Pour Dufour, présidente d’Inversons la voirs et développement des savoir-faire,
classe, « on n’est pas obligé de faire de savoir-être, des compétences et de l’ap-
la classe inversée pour faire de la diffé- prendre à apprendre » (Lebrun, 2016),
renciation, mais elle la facilite » (citée par de rendre les élèves (inter)actifs. Outre
Soyez, 2016). la différenciation induite par ces « évène-
l
ments d’apprentissage », la classe inver-
Voir Thibert (2016). Nous avons vu que la différenciation pé- sée « hybride » réintroduirait le travail
dagogique peut s’entendre comme un dis- personnel de l’élève dans la classe (ou
positif d’aide, a priori ou a posteriori pour dans l’école) l.
les élèves en difficulté ou d’adaptation
aux besoins des élèves au sein du groupe Parmi les limites de ces pratiques pédago-
classe, dans une situation d’apprentis- giques, on peut citer la difficile gestion du
sage collectif ou par petits groupes. Nous temps à libérer dans la journée de l’élève
savons aussi que l’externalisation des (et ce autant de fois qu’il y a de cours in-
élèves en difficulté n’a pas fait la preuve versés), ainsi que la nécessaire formation
de son efficacité pour certains élèves. des enseignant.e.s, dans la réalisation de
supports adéquats, les moyens financiers
Dans quel schéma s’insère la classe in- et techniques à mettre en œuvre et le
versée, d’un point de vue didactique ? caractère chronophage du dispositif, sou-
Comment s’intègrent les savoirs dans vent évoqué par les plus fervent.e.s, qui
cette modalité d’enseignement ? voudraient améliorer leur pratique inver-
sée.

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La Différenciation pédagogique en classe 21/32
L’individualisation comme outil de cettes et modèles méthodologiques et peut
différenciation ? déstabiliser bon nombre d’enseignant.e.s
(Perrenoud, 1993). La déconstruction
L’individualisation est assez largement évo- d’une assimilation de la différenciation à
quée pour expliquer, justifier ou clarifier l’individualisation est confortée par l’idée
les dispositifs d’accompagnement, d’aide qu’a contrario la mise en œuvre de la dif-
et de soutien dans l’établissement ou hors férenciation en classe peut être associée à
de l’établissement. Pour Crahay et Wanlin, la création d’une communauté d’apprentis-
cette « croyance » dans la concrétisation sage (i.e. le collectif déjà mentionné) dans
des enseignements et l’individualisation des laquelle confrontation d’idées, soutien mu-
apprentissages, largement partagée par les tuel et exploitation de ressources variées
enseignant.e.s français, belges, suisses ou conduisent au développement des appren-
encore américains (qui souhaitent répondre tissages (Prud’homme et al., 2011).
à des idéaux démocratiques, en visant d’un
côté une meilleure connaissance des élèves Des pratiques actives et explicites de
par les enseignant.e.s, de l’autre une plus différenciation
grande motivation des élèves), comporte
de graves risques d’isolement de l’élève Discutés ou exemplaires, les principes de
(Crahay & Wanlin, 2012). Pour étayer leurs la pédagogie de maitrise proposent une
propos, les deux chercheurs s’appuient sur démarche d’enseignement susceptible de
des méta-analyses et des programmes ou répondre à l’hétérogénéité des élèves tout
dispositifs existants (essentiellement anglo- en ne transformant pas fondamentalement
saxons). Les analyses utilisées datent des les pratiques. Cette pédagogie repose sur
années 1960 et 1970, la plus récente datant trois principes : « cibler les stratégies d’en-
de 1980. L’autre méta-analyse utilisée par seignement sur les apprentissages à réa-
Crahay et Wanlin est celle de Hattie (2009), liser, ne pas aborder un nouvel apprentis-
beaucoup plus récente et donc susceptible sage avant de s’être assuré de la maîtrise
de mieux appréhender des contextes édu- des prérequis, veiller à ce que chaque élève
catifs qui ont fortement évolués depuis la dispose d’un temps d’apprentissage suffi-
fin des années 1980, sans que les relations sant » (Galand, 2009). Dans ces principes,
individualisation/différenciation ne soient là on retrouve les éléments déclinés dans les
encore clairement évaluées. modalités de différenciation exposées plus
haut , en termes de temporalité (segmen-
Certains didacticiens n’envisagent pas ter l’activité, maximiser le temps d’engage-
l’individualisation dans leurs pratiques. En ment dans la tâche), de processus (définir
effet, si l’élève est bien un des trois élé- clairement les objectifs, expliciter, évaluer
ments de la triade didactique (savoirs- de manière formative), de production (pro-
élève-enseignant) il n’en reste pas moins poser des exercices supplémentaires), de
qu’il.elle est considéré.e comme élément structuration (faire corriger). De nombreux
d’un tout qu’est le collectif de la classe. travaux de recherche montrent l’efficacité
Les élèves progressent en « collectif de de la pédagogie de maitrise notamment du
pensée », « la différenciation s’effectue à fait de la combinaison entre un niveau d’exi-
partir [d’une situation collective] avec une gence élevé et la pratique répétée d’une
attention particulière au rapport des élèves, évaluation formative. On constate une forte
dans leur hétérogénéité, aux savoirs » progression des élèves les plus en difficul-
(Toullec-Théry, 2016). Dans un groupe hé- tés (Crahay, 2000).
térogène, il peut y avoir dévolution, « ceux
qui savent constituent le milieu favorable Bien que plus « passif », l’enseignement
à l’apprentissage des autres » (Mercier, explicite ne doit pas s’entendre comme
2012, cité par Toullec-Théry, 2016). C’est un enseignement magistral, frontal mais
sans doute pourquoi Perrenoud en appelle comme un enseignement reposant sur une
à un réalisme didactique supposant une explicitation des objectifs, savoirs et compé-
régulation interactive ou rétroactive avec tences en jeu, de même que sur les procé-
les élèves (en tant qu’individus), même dures, stratégies et connaissances à mobili-
s’il admet que cette vision éloigne des re- ser (phase de modelage). Viennent ensuite

Dossier de veille de l’IFÉ • n° 113 • Novembre 2016


22/32 La Différenciation pédagogique en classe
des phases de pratique guidée et de pra- dès les années 1980 restent d’actualité,
tique autonome. Cette démarche, qui met compliqués depuis par un accroissement
l’accent sur la compréhension plutôt que sur des inégalités contre lesquelles était cen-
la simple transmission fait partie des pra- sée lutter cette pédagogie, sans que les
tiques efficaces mises en avant par Bisson- enseignant.e.s aient le sentiment d’avoir
nette et al. (2005), même si la traduction du plus d’outils pour gérer l’hétérogénéité,
mot explicite en actes d’enseignement reste sans que le concept ne soit véritablement
l
Voir Centre Alain discutée l. La pratique d’une enseignement toiletté à l’aune des évolutions et sans que
Savary (2015). explicite n’est pas explicitement associée soient appréhendés les effets sur les ap-
aux problématiques d’hétérogénéité mais prentissages, du point de vue des élèves.
indéniablement aux différences, puisque
présentée comme plus efficace dans la ges- Retour sur le renforcement des
tion des élèves en difficultés. inégalités

Le plan de travail individuel Bautier et Goigoux (2004) ont observé


deux types de conduites enseignantes
L’usage d’un outil de différenciation (mais contre-productives : soit par un sous-
aussi d’autonomisation) issu des « péda- ajustement didactique et pédagogique,
gogies nouvelles » est assez systémati- « les élèves étant confrontés à des tâches
quement interrogé lors des enquêtes et et des situations trop ouvertes, à des
observations menées dans le cadre des contrats et des milieux didactiques trop
Hautes écoles pédagogiques suisses flous et trop larges » ; soit par surajuste-
(Brandan, 2015 ; Ghanmi & De Angelis, ment aux difficultés et caractéristiques des
2015). Il s’agit du plan de travail indi- élèves, en proposant des « tâches simpli-
viduel. « Le plan de travail est un docu- fiées à l’excès, morcelées et ne faisant ap-
ment à partir duquel élève et enseignant pel qu’à des compétences cognitives “de
s’entendent sur un parcours d’apprentis- bas niveau” » et des situations fermées,
sages résultant de la combinaison entre « dans lesquelles l’activité des élèves est
les choix de l’élève, ses capacités, les res- pour l’essentiel déterminée et contrôlée
sources de la classe, les obligations sco- de l’extérieur, par les procédures et les
laires définies par l’enseignant » (Connac, consignes et/ou par l’enseignant ».
2009, cité par Brandan, 2015). En fin de
semaine, un bilan permet de fixer le plan
de travail pour la semaine suivante. Le Exemple de malentendu
plan de travail peut également être utilisé Lors d’une recherche de
sur des plages plus courtes, inscrites dans mots utilisant le son [u] (ou),
l’emploi du temps. Les tâches à effectuer l’enseignant.e utilise une
sont obligatoires mais l’élève a le choix situation ludique dans laquelle
de l’ordre dans lequel il va les réaliser : les élèves doivent donner des
« cette phase de plan de travail n’interdit noms d’animaux ; certains élèves
pas, bien au contraire, l’entraide, la coopé- n’y voient qu’une recherche
ration, l’autonomie, l’initiative des élèves » d’analogie entre animaux, après
(Grandserre, 2013). « loup » ils proposent « renard »,
après « pou » ils proposent
« puce » (Bautier & Goigoux,
DISCUSSION : LES 2004).
ENJEUX D’UNE De même, à l’écrit, dans la tâche
qui consiste à comparer des mots
DIFFÉRENCIATION orthographiquement proches,
PÉDAGOGIQUE on constate que certains élèves
ne s’astreignent pas à mémoriser
Cette revue de littérature a présenté, le modèle à comparer, si celui-ci
parfois décrypté les tenants et peut-être est resté visible, tout au long de
aboutissants de la différenciation péda- l’activité (Cèbe et al., 2009).
gogique. Pour autant, les enjeux évoqués

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La Différenciation pédagogique en classe 23/32
On voit bien la fragilité de pratiques pé- selon Bernstein et qui consiste à proposer
dagogiques qui ont pour objectif d’aider des activités sans explicitation des savoirs
les élèves à adopter les stratégies les et compétences à mettre en œuvre.
plus efficaces pour apprendre (et com-
prendre pourquoi les adopter) mais aussi
d’aider les élèves à être plus autonomes, Exemple de différenciation
plus engagés dans les activités sco- passive, selon Seghetchian (2013)
laires, en cherchant, par exemple à co- Les programmes de français,
construire des situations pédagogiques proposant un travail par
avec les élèves. De nombreux travaux séquences, cherchant à
de recherche signalent les risques d’une décloisonner les savoirs
pédagogie « non directive » et son « effet (grammaire, lecture, écriture,
dans les mécanismes de différenciation savoirs littéraires) peuvent donner
pédagogique » (Baluteau, 2014), d’autres lieu à des pratiques calées sur
alertent sur les risques d’une « restandar- les modalités proposées par les
disation » des tâches leur paraissant trop manuels scolaires. La lecture
personnalisées (Bautier & Rayou, 2013). littéraire, l’analyse technique des
Mettre en avant « l’implantation de la pé- genres et des discours vont être
dagogie invisible parce qu’elle est jugée proposées et évaluées sans que
plus adaptée aux élèves moins enclins soit explicité « ce que c’est que
à respecter les normes scolaires », c’est comprendre un texte ».
prendre le risque que « cette orienta-
tion les éloigne des études futures, plus
académiques dans la forme » (Baluteau,
2014). Poussée à l’extrême, une person- Le deuxième type de différenciation qua-
nalisation des apprentissages peut in- lifiée d’«  active  » consiste à adapter les
duire ou conforter une hiérarchisation tâches aux difficultés pressenties des
pédagogique et une ségrégation so- élèves. Ce sont bien souvent des tâches
ciale entre les écoles, le développement restreintes, morcelées « au terme des-
des capacités cognitives, de l’autonomie quelles il n’y a pas de réel apprentissage
étant l’apanage des « bons élèves » alors et de réelle construction de savoir » (Ro-
que pour les plus défavorisés, « l’ensei- chex & Crinon, 2012), ou bien des activi-
gnement correspond à une réduction des tés suffisamment attractives pour garantir
ambitions cognitives, à une relation édu- l’engagement de tous les élèves dans la
cative conflictuelle conduisant autant à tâche mais où l’enjeu d’apprentissage
discipliner qu’à enseigner ou à une péda- s’en trouve brouillé.
gogie “positive” (attractive, valorisante,
immédiate, etc.) visant à réduire les ten- Retour sur la question de l’hétérogénéité
sions entre les élèves et les enseignants »
(Baluteau, 2014).
Les travaux et réflexions cités dans ce
dossier sont issus pour moitié de la re-
Nous avons vu que les enseignant.e.s
cherche en sciences de l’éducation, et
avaient une certaine idée de l’hétérogénéi-
dans une moindre mesure de la sociologie
té des élèves (cognitive, sociale, culturel-
(notamment du curriculum) ou de la psy-
le, etc.) et qu’ils ajustaient leurs pratiques
chopédagogie. La gestion de l’hétérogé-
à ces différences. Se pose alors la ques-
néité dans les pratiques enseignantes est
tion de la réactivité des enseignant.e.s
omniprésente et a bien entendu fortement
en termes didactiques et pédagogiques
guidé les lectures.
vis-à-vis de ces différences réelles ou
supposées. Rochex et Crinon (2012) ont
observé deux types de différenciation pro- On peut cependant s’interroger sur l’exis-
ductrice d’inégalités. L’une qu’ils qualifient tence de différentiels qui rendent vérita-
de « passive », que Bourdieu et Passeron blement difficiles la gestion de l’hétérogé-
appelaient « pédagogie de l’abstention néité pour les enseignant.e.s comme le
pédagogique », ou « pédagogie invisible » « rapport à la scolarité », le « rapport au

Dossier de veille de l’IFÉ • n° 113 • Novembre 2016


24/32 La Différenciation pédagogique en classe
savoir et au langage », le « rapport aux pédagogie particulière ? N’est-elle pas
tâches et activités scolaires » (Bautier & réductrice des apprentissages attendus ?
Rochex, 2007, cités par Le Prévost, 2010). Est-elle destinée aux plus faibles ou à
tous  ? N’est-elle pas, finalement, qu’un
De plus, les modèles de différenciation dé- ensemble de pratiques quotidiennes, en
veloppés depuis les années 1990 ne sont classe, plus riche, plus exigeant aussi ?
pas ou peu étayés par des expérimen-
tations robustes, ce qui laisse le champ Si nous avons laissé de côté la problé-
libre à discussion, voire réfutation. La di- matique de l’externalisation de la différen-
versité des pratiques confrontée aux ciation, la question des pratiques d’en-
diversités de contextes ne facilite évi- seignement (ou de la pédagogie) reste
demment pas la tâche des défenseurs largement ouverte au sein de la classe,
d’une pédagogie différenciée dans une puisque de multiples options s’offrent aux
position éthique, épistémologique et enseignant.e.s. Pour Galand, une pre-
idéologique. mière option consiste à ajuster les mé-
thodes d’enseignement collectif (pédago-
À côté des voix qui cherchent à réduire les gie de maitrise, enseignement explicite) ;
inégalités d’apprentissages des élèves, in- une deuxième option privilégie la trans-
voquant une nécessaire diversité des pra- formation des pratiques conventionnelles
tiques d’enseignement, des pratiques de (tutorat, apprentissage coopératif) l; la
remédiation, d’autres évoquent le risque troisième option inscrivant les différences
d’une « psychologisation-décollectivisa- individuelles au centre du processus d’en-
tion » des processus d’apprentissage, se seignement (Galand, 2009).
l référant à l’injonction de l’élève au centre
Cf. Le Prévost (2010).
comme conception centrifuge et sont très Les résultats des recherches ne mettent
critiques envers des approches qui exclu- pas en avant une pratique plutôt qu’une
raient le fait que l’enfant est un individu autre. Elles montrent encore une fois l’im-
social dont les possibilités sont indis- portance des pratiques d’enseignement
sociables de l’état de la civilisation l. sur les apprentissages et l’opportunité
l
Voir Reverdy (2016, à
de les diversifier, quel.le.s que soient les
paraître). Retour sur le concept de différenciation élèves.
pédagogique
Retour sur la relativité de la notion
La question est de savoir si la différen- d’efficacité
ciation pédagogique est uniquement une
affaire de remédiation et de traitement des
différences (autrement dit des écarts de Après avoir dit que l’effet-maître était
réussite) entre élèves, quelle que soit la primordial, les recherches peinent à dé-
méthode, ou bien si elle fait appel à un en- montrer quantitativement l’efficacité des
semble de méthodes d’enseignement-ap- pratiques enseignantes. Il ne s’agit pas
prentissage visant à l’acquisition de fon- de s’inscrire dans le mouvement de l’evi-
damentaux et favorisant, autant que faire dence-based education, mais de s’éton-
se peut, le développement de l’expressi- ner que les travaux sur les pratiques en
vité, de l’autonomie et plus globalement classe s’appuient essentiellement sur
du futur citoyen. On pourrait s’interroger des déclarations d’enseignant.e.s, ce
sur les nombreux travaux qui se préoc- qui revient souvent à consigner ce qu’ils
cupent d’une différenciation pédagogique pensent faire ou pensent qu’ils devraient
en faveur, non plus des plus défavorisés faire, mais pas forcément ce qu’ils font.
scolairement, mais des élèves en réussite Quelques observations de situations pé-
(gift student, high-ability children). dagogiques sont réalisées, mais sur des
échantillons restreints de classes, sans
véritable travail de comparaison. Par
La littérature de recherche permet-elle exemple, Piquée (2008) a entrepris entre
de trancher les questions suivantes : la septembre 2004 et juin 2007 une étude
différenciation pédagogique est-elle une empirique afin d’observer, d’une part,

Dossier de veille de l’IFÉ • n° 113 • Novembre 2016


La Différenciation pédagogique en classe 25/32
le déroulement des activités et, d’autre transmission des savoirs et bien-être
part, l’impact de la relation maitre élève des élèves, privilégiant l’une au détriment
dans des classes de CP (1re année du de l’autre, au gré des constats d’échec
primaire). Tout en suivant la progression scolaire, par tâtonnements successifs.
des élèves, son objectif était de compa-
rer les pratiques enseignantes envers «  Au-delà de ses références datées et
les élèves en difficultés et notamment la de son idéologie parfois surannée, la dif-
différenciation pédagogique. Elle a com- férenciation pédagogique ouvre donc bien
biné une approche quantitative (estimer le défi majeur de notre modernité éduca-
le degré d’efficacité relatif de 100 classes) tive. C’est par elle que saura advenir une
et une approche qualitative (caractériser école pleinement adaptée aux nouvelles
les pratiques enseignantes de 8 classes exigences du monde et aux besoins des
et 23  élèves) mais déplore la difficulté élèves, intégrant pleinement les techno-
« d’associer une description fine des pra- logies de son temps et ouverte aux diffé-
tiques enseignantes à une mesure scien- rences multiples dont une société com-
tifique de leur pertinence ». plexe est porteuse. Loin d’être une “vieille
lune”, elle porte donc une authentique lu-
On peut être amené à penser que face mière éducative sur la déréliction actuelle
aux inégalités scolaires, engendrées par de notre institution  : astre vivifiant éclai-
une inadaptation des modalités d’ensei- rant les ombres d’un système éducatif trop
gnement et/ou des curriculums, à l’hété- rapidement massifié, incapable encore
rogénéité des élèves, à l’évolution de la de s’adapter aux défis de son époque »
société et de ses pratiques, les politiques (Torres, 2015).
éducatives n’ont su trancher entre
massification et démocratisation, entre

Dossier de veille de l’IFÉ • n° 113 • Novembre 2016


26/32 La Différenciation pédagogique en classe
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La Différenciation pédagogique en classe 31/32
n° 113
Nov. 2016

Pour citer ce dossier :


Feyfant Annie (2016). La différenciation pédagogique en classe.
Dossier de veille de l’IFÉ, n°113, novembre. Lyon : ENS de Lyon.
En ligne : http://ife.ens-lyon.fr/vst/DA/detailsDossier.php?parent=accu
eil&dossier=113&lang=fr

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