La Liberte de Traiter Des Etats Et Le Jus Cogens
La Liberte de Traiter Des Etats Et Le Jus Cogens
La Liberte de Traiter Des Etats Et Le Jus Cogens
Julio A. Barberis
Sommaire
Introduction
I. Les ordres juricliques internes
1. La structure hi6rarchique des normes
III. Les restrictions a la libert6 de traiter des Etats relevant des causes extra-normatives
5. Les restrictions d'ordre logique
6. Les restrictions impos6es par la r6alit6 naturelle
V. Les restrictions la. libert6 de traiter des Etats relevant du jus cogens
11. G6neralites
12. Normes juridiques internationales relevant du jus cogens
a) La norme interdisant la traite des esclaves
b) La norme interdisant la traite des femmes
C) La, norme interdisant le genocide
d) La norme pacta tertiis non nocent
particip6 ses travaux. Cette hude est neanmoins Neuvre exclusive du signataire de
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20 B a r b e r i s
Introduction
Dans ce sens nous estimons qu'il est utile de considerer d'abord le droit
interne des Etats ou la notion du jus cogens presente des caract plus nets
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se trouve dans la Constitution. La loi est valable dans la mesure ou' elle a
libert6 tr6s ample en ce qui concerne le contenu a donner aux lois qu'il pose.
Mais il arrive que le l6gislateur politiquement inconvenableestime
d'6dicter toutes les normes
qui doivent regir les relations civiles et commer-
ciales des citoyens. Il prefere laisser a eux-memes la tache de creer leurs
propres normes. Dans ce but la loi confere au contrat le caract6re de source
'
ce sens, on peut dire que la loi est une norme hierarchiquement superieure au
contrat. Celui-ci trouve sa source de validite dans une norme legislative.
Les normes qui constituent Pordre juridique etatique, ont donc une struc-
conclu selon les dispositions de la loi et, a son tour, la loi est valable si elle
a ete creee d-apres les regles. de la Constitution. Celle-la, 6tant la norme
supreme du systeme, ne tire sa validite d-aucune autre. Dans le cadre du droit
positif il n'y a pas de sens de se demander pour la validite de la norme
premiere. Ce serait la meme chose que de nous demander, dans le cadre d'un
systeme axiomatique, pour la verite d'un de ses postulats, ou de se demander
tout simplement si le m&re prototype de Sevres a exactement un m&re de
longueur-1).
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mutari non potest") et privatorum conventio iuri publico non derggat7) font
partie aujourdhui du droit positif de- la plupart des Etats").
Les normes imp6ratives qui limitent la liberte contractuelle ont requ le
nom de jus cogens. R a d n i t z k y ecrit que le jus cogens (zwingendes
Recht) heißt so, weil diejenigen, die es angeht, sich seiner Geltung schlechter-
dings nicht entziehen können11). Les codes civils contiennent aussi des dis-
positions qui r les principaux contrats (societe, louage, vente, äpot,
etc.) et dont la plupart n'a pas de caractere imp6ratif. Elles remplissent une
fonction subsidiaire car elles vont complete'r les aspects de la norme contrac-
tuelle que les parties contractantes Wont pas consiäres. A cette cat
appartiept, exemple,
par l'art. 1943 du Code civil frangais qui, falsant
ref6rence'au depot, dispose: Si le designe point le lieu de la
contrat ne
Nous avons deja exprime que la loi precise par rapport aux contrats la
capacit des parties, la procedure de leur conclusion et le contenu des
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La libert6 de traiter des Etats et le jus cogens 23
principe, regles dordre public. Ainsi, le droit civil n'autorise pas les
des
personnes priv6es a d6roger aux normes interdisant aux mineurs, de contrac-
ter. Il en est de meme quant a la proc6dure a suivre pour la conclusion du
contrat. La loi civile etablit les conditions que doit remplir une declaration
Par cons6quent, le seul domaine laisse 'a la liberte des parties contractan-
tes, au moins dans une certaine mesure, est celui du contenu des contrats. Cc
domaine r6gle par des normes: imperatives (jus cogens) et dispositives 11).
est
jus cogens ne sont pas susceptibles de derogation par les conventions parti-
culieres parce qu'il y a une norme du meme ordre juridique qui Pinterdit. Il
faut remarquer donc que la raison de l'impossibilit6 de d6rogation dune
norme ne se fonde pas sur son contenu, mais sur une norme de droit positif.
sieurs normes; qui interdisent de deroger aux autres: normes par des conven-
tions particulkres. Dans la mesure ou' ces normes font partie d'un ordre
positif, on dit qu-'il y existe un jus cogens 12). Par consequent, la question de
savoir si dans un ordre juridique d6termine il y a des normes du jus cogens
est la meme que de se demander si dans cet ordre juridique il y a une norme
dont le contenu est une interdiction de deroger par convention aux autres
normes appartenant au meme ordre.
Enfin, il faut signaler aussi que lorsqu'on parle de jus cogens, on fait
seulement reference aux restrictions a la liberte contractuelle issues d'une loi.
Les parties contractantes peuvent, elles aussi, restreindre leur liberte con-
") Pour des consid6rationsg6n6rales sur le jus cogens en droit inteme, voir: M o r e 11 i,
Norme dispositive di diritto internazionale, Rivista di Diritto Internazionale 1932, p.
388 ss. j u r t, Zwingendes V61kerrecht (1933), p. 16 ss. M a r e k, Contribution 1'etude
du jus cogens en Droit international, dans Recueil d'etudes de Droit International en
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24 B a rb eris
normes sont cr6ees par les m8mes membres de la conanunaute, soit par
leur
participation la formation de la coutume, soit par trait6. Le droit inter-
national ne conneit pas de legislateur, dorgane sp6cialis6 pour 6dicter les
normes. Quant a la juridiction des tribunaux, elle est entierement volontaire
Le droit des gens comprend d'abord les normes fondees par la voie de
coutume. Ces normes constituent le droit international general et appar-
L'une des plus importantes normes coutumi est la regle pacta sunt
servanda qui autorise les Etats membres de la communaute internationale a
conclure des traites reglant leur conduite reciproque. La validite du droit
conventionnel repose j ustement sur la norme coutumi Pacta sunt servanda.
Les normes creees par convention constituent un degr6 infirieur par rapport
a la regle qui erige la coutume en source
de droit, cest-a-dire en procede de
creation de normes juridiques 15).
C. P. J. I., S6rie A No. 2, p. 16; S6rie A No. 15, p. 22; Serie A No. 17,
13) COA:
pp. 37-38; Serie B No. 5, p. 27. C. I. J., Recueil 1949, p. 178; Recueil 1950, p. 71; Recueil
1953, p. 19; Recueil 1959, p. 142. Conf. aussi: H ii r I e Die allgemeinen Entscheidungs-
grundlagen des Stindigen Internationalen Gerichtshofes (Berlin 1933), p. 219 ss.
14) M a r e k, op. cit., p. 434.
15) K e Ise n Contribution la theorie du traitS international, Revue internationale
de la th6orie du droit 1936, p 254.
Sur la structure hi6rarchique de Pordre international, voir notamment K e I s e n
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Theorie du Droit international public, Rec. d. C. 1953 111, pp. 170-171; le m6me auteur,
Reine Reditslehre, p. 324 ss. V e r d r o s s Die Verfassung der V61kerrechtsgemeinschaft
(Wien et Berlin 1926), p. 42 ss.
16) Conf.: C. P. J. I., S6rie A No. 13, p. 27 (opinion dissidente de M. A n z i I o t t i);
C. 1. J., Recueil 1951, p. 147 (opinion individuelle de M. A I v a r e z). Conf. aussi:
V e r d r o s s Les principes gen6raux du droit
comme source du droit des gens, dans:
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mesure ou elle West pas juridiquement interdite 24). Par consequent les Etats
deroger a' n-importe quelle norme dans la mesure ou il n'existe pas une norme
Juridique interdisant de le faire.
Prenons donc comme point de depart la liberte absolue de traiter. Tout
nous pourrons constater que cette liberte presente certaines restric-
d'abord
tions relevant des causes extra-normatives, telles que la logique fo et
la realite naturelle. Et puisque le droit ne peut se äpartir ni de Pune ni de
Pautre, il faut considerer premierement ces restrictions.
22) S e
au 11
L'errore negli atti giuridici internazionali (Milano 1963).
23) Gk, Die völkerrechtlichen Wirkungen verfassungswidriger Verträge (Beiträge
e c
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La liberte de traiter des Etats et le jus cogens 27
Il serait aussi impossible de penser que la norme lex posterior derogat legi
priori soit susceptible de derogation par convention. Il y aurait une contra-
diction logique. Si une norme conventionnelle va deroger a cette norme, elle
appliquerait la fois le principe auquel elle deroge.
Par consequent il faut conclure que les pacta
normes sunt servanda et lex
posterior derogat legi priori ne sont pas susceptibles de derogation par voie
conventionnelle.
Outre ces deux normes, V i r a 11 y et K e 1 s e n estiMent qu-'il y en a
encore dautres au xquelles on ne peut d6roger par vOie de traite pour des
raisons logiques.
Le professeur de Geneve sIncline a' considerer la derogation au principe
de la bonne foi comme logiquement impossible 26).
K e 1 s en, pour sa part, krit qu-une norme conventionnelle ne peut
enNver a' la coutume le caracterede fait cr6ateur de droit. Il part du principe
qu'une norme est valable dans la mesure oU' elle a un minimum d
efficacit6 et, par cons6quent, sa validite. Cela revient au meine que de dire
qu-'elle peut tomber en desuetude. Pour ces raisons Kelsen arrive a la con-
clusion que Pon ne peut, par la voie conventionnelle, enlever a la coutume le
caractere de source de droit, au moins, quant a la fonction derogatoire
La nature des choses impose aussi des limitations aux parties contractantes.
Le principe impossibilium nulla obligatio est 211) est applicable tout
ordre juridique. Un Etat ne peut s'obliger valablement a' r6aliser un acte qui
25) Sur ce sujet, voir aussi: V i r a 11 y Rhflexions sur le jus cogens, Annuaire Frangais
de Droit International 1966, p. 10. S t r u p p Theorie und Praxis des Völkerrechts (Berlin
1925), p. 69. M a r c k op. cit. (ci-dessus note 11), p. 448. M o r e 11 i op. cit. (ci-dessus
note 11), p. 403.
26) V i r a 11 Y, op. Cit.' p. 10.
27) K e 1 s e n, Reine Rechtslehre, p. 219.
28) Ist Wirksamkeit Bedingung der Geltung nicht nur der Rechtsordnung als eines
Ganzen, sondern auch der einzelnen Rer-htsnorm, dann kann die rechtserzeugende Funktion
der Gewohnheit zumindest insoweit durch Satzung nicht ausgeschlossen werden, als die
negative Funktion der desuetudo in Betracht kommt (Reine Rechtslehre, p. 220).
29) Dig., L, 17, 185.
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est impossible du point de vue physiques"). Une norme qui etablit comme
du^e (gesollt) une conduite physiquement impossible, n'a pas de sens. Ainsi,
par exemple, un Etat ne peut s'engager a faire des transmissions telegraphi-
'
7. G6neralites
30) Sur cette question voir notamment W r i gh t Norm and, Action (London 1963)
chap. VIL
D a h in V61kerrecht (Stuttgart 196 1) t. 3, p. 59. B e r b e r Lehrbuch des' V61ker-
31)
rechts (MUndien et Berlin 1960) t. 1, p. 438. V e r z i j I La validite et la nullite des actes
juridiques internationaux, Revue de Droit International (La Pradelle) 1935, p. 317.
32) C. P. J. L, S6rie A. No. 1, p. 25; Serie B No. 14, p. 3 6. Voir aussi: C. P. J. I., Serie
A/B No. 63, p. 93 (opinion dissidente de M. A I t a m i r a).
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33) Conf.: art. 30, alinea 5, de la Convention de Vienne sur le droit des traites. Voir
aussi: Guggenheim, Trait6 de Droit International Public (Geneve 1967, 2eme. 6d.)
t. 1, p. 269.
34) Anales de la Corte de Justicia Centroamericana, t. V No. 14-16, p. 150.
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qui frappe de nullite les: traites contraires ses; dispositions conclus meme
depend en derniere analyse des moyens dont disposent les Nations Unies
pour empecher son ex6cution>> 38).
Le fait qu'un Etat signe un accord en limitant sa, libert6 contractuelle ne
constitue pas un obstacle juridique pour que cet Etat sengage apres envers
au premier traite
Un traite peut avoir des dispositions s'opposant 'a une convention conclue
apr entre quelques des Parties au premier traite. Les situations prati-
ques; qui se presentent offrent certaines diff6rences. Mais, 6tant donne le but
de etude, nous allons consid6rer le cas extreme d'un traite signe
notre
par les
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ties ont restreint par leur volont6 leur liberte de traiter et ont m8me prevu la
nullite comme cons6quence de la violation de I'accord. Dans le cas que nous
considerons, le deuxi traite serait nul. A notre avis, la seule hypothese oU'
un probleme d'incompatibilit6 de traites peut entralner la nullite d'une des
conventions se presente lorsquun traite multilateral prevoit la nullite de
toute convention ayant un contenu contraire qui soit signee par un nombre
vention non enregistree ne saurait etre consideree comme obligatoire, pas meme
nationaux,>42).
Mais pourtant il ne s'agit pas ici dun cas dexistence d'une norme imperative.
Les Parties au traite multilat6ral ont restreint leur liberte, mais elles l'ont
fait au moyen d'une convention a laquelle elles. peuvent mettre fin par un
autre accord. La norme qui limite la liberte de traiter dans ce cas n"est pas
une norme imperative ne peuvent echapper 43). Il s'agit, en
dont les Etats
revanche, dune limitation conventionnelle a la liberte contractuelle. Aussi
tantes le veulent.
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V. Les restrictions a'la liberte de traiter des Etats relevant du jus cogens
11. G6n6ralites
On aaussi que les Etats peuvent limiter leur liberte de traiter par
signale
la voie conventionnelle. La seule hypothese possi dans ce sens serait le cas
d'une convention multilaterale dans laquelle l'interdictign serait prevue pour
un nombre restreint des Parties, de conclure entre elles des traites ayant un
parce que les: Nations sont absolument:obligees a lobserver>> 44). Vattel ajoute:
-Puis donc que le Droit des Gens n6cessaire consiste dans Papplication, que
I
I
Von fait aux Etats, du Droit Naturel, lequel est immuable il sen suit que
le Droit des Gens n6cessaire est immuable>>, et il conclut: -Des-M que ce
44
Le Droit des Gens ou Principes de la Loi naturelle (Londres 1748) Preliminaires,
par. 7.
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sid6rer le cas de la nullite des traites. contra bonos mores, comme sT s'agissait
de la seule restriction possible a la liberte contractuelle des Etats 4"). La
litterature juridique de langue allemande parue entre les deux guerres s-est
occupee notamment des traites. contra bonos mores dans le but de trouver un
argument justifiant la nullite des traites de paix de 1919 4"). D'autres auteurs
conventionnel. Ainsi, on peut examiner si le droit des gens contient des nor-
mes limitant la volonte des Etats: pour agir non seulement par la voie con-
Conference on International Law, Lagonissi, April 3-8, 1966; Papers and Proceedings,
vol. II) Geneva 1967, p. 59.
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s'il y a des normes restreignant la libert6 juridique des Etats pour sobliger
au moyen d'actes juridiques unilateraux.
Dans les paragraphes suivants: nous analysons le jus cogens en nous bor-
nant au droit conventionnel. Sans vouloir elaborer une liste complete des
normes juridiques ayant cette caract6ristique, nous en donnons quelques:
exemples et examinons le r6le joue par cette notion dans la jurisprudence
internationale.
existantes dans le droit des gens. En ce sens, il faut rappeler que Part. 9 de
I'Acte g6neral de Berlin d6clarait interdite la traite des esclaves -confor-
mement aux principes du droit des gens, tels qu-'ils sont reconnus par les: Puis-
sances signataires>>. Cela montre quelle etait deja en 1885 Popinio gentium..
qui ne sont pas Partie aux conventions indiqu6es. Cela.veut dire quaucun
Etat ne peut signer des accords reglant, prot6geant ou encourageant, de
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<des principes qui sont la base de la Convention sont des principes reconnus
par les nations civilisees comme obligeant les Etats menle en dehors de tout lien
conventionnel>>53).
Dans le droit international positif A est actuellement un principe bien 6tabli
que les: Etats ne peuvent conclure de conventions ayant pour objet de com-
mettre des actes de nature telle a etre qualifies comme g6nocide. Cette norme
internationale releve du jus cogens").
d) La norme pacta tertiis non nocent. Les normes conventionnelles ne
creent des
obligations que pour les Parties contractantes. En principe, un
traite ne peut imposer des obligations 'a la charge des Etats tiers-15). Cette
regle est affirmee par la jurisprudence constante des tribunaux inter-
nationaux-1") et des cours internes 57) Le principe pacta tertiis non nocent est
une norme coutumi6re qui informe tout le droit des traites. La regle a ete
53) C. 1. J., Recueil 195 1, p. 23. Le juge T an a k a fit mention de ce precedent dans
C. 1. J., Recueil 1966i p. 297.
54) Conf.: S c h e u n e r Conflict of Treaty Provisions with a Peremptory Norm of
General International Law and its Consequences, Za6RV, t. 27 (1967), p. 526. G u g g e n -
p. 532.
51) Conf.: arts. 34 et 35 de la Convention de Vienne sur le droit des traites.
56) Conf.: sentence arbitrale sur les limites entre la Guyane frangaise et le Surinam
(13/25. V. 1891), L a F o, n t a i n e, Pasicrisie internationale, p. 329; arbitrage sur Pac-
quisition de la nationalit6 polonaise (10. VII. 1924), Recueil des sentences arbitrales, t. I,
p. 413; arret de la C. P. J. 1. du 25. V. 1926, Serie A No. 7, p. 29; d6cision du tribunal
arbitral mixte turco-anglais dans le cas Eastern Bank Ltd. clGouvernement turc (28. XII.
1927), Recueil des d6cisions des tribunaux arbitraux mixtes, t. VIII, p. 192; decision de
Max H u b e r dans le cas de Nile de Palmas (4. IV. 1928), Permanent Court of Arbitration,
Arbitral Award, p. 62; d6cision du tribunal arbitral mixte roumano-hongrois dans le cas
Ungarische Erdgas A. G. clEtat roumain (8. VII. 1929), Recueil des d6cisions des tribunaux
arbitraux mixtes, t. IX, p. 455; sentence arbitrale sur Mile de Clipperton (28. 1. 1931),
Recueil des sentences arbitrales, t. II, p. 1110.
57) Quant la jurisprudence des cours internes, voir V i t t a, op. cit. (ci-dessus note 39),
pp. 209-210; K o j a n e c, Trattati e terzi Stati (Padova 1961), p. 193 ss.
58) Conf.: I'affaire de I'Appam o Pon decida que Part. 19 du trait6 du 11. VII. 1799
entre la Prusse et les Etats-Unis, qui d6rogeait au droit commun de la neutralite, n'etait pas
effets internationaux des actes accomplis par les gouvernements de facto, n'etait pas oppo-
sable la Grande-Bretagne (Recueil des sentences arbitrales, t. I, p. 382).
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La liberte de traiter des Etats et le jus cogens 37
que certains traites dits <<objectifs>> s'imposent meme aux Etats tiers. A cette
son contenu. Le principe pacta tertiis non nocent aussi bien que son exception
relative aux traites, objectifs sont r6gis exclusivement par le droit couturnier.
II est juridiquement impossible aux Etats de d6roger par une convention
a la norme pacta tertiis non nocent. Les Etats ne peuvent non plus, d'un
commun accord 6tablir dans un traite une obligation a la charge d'un Etat
tiers et conferer a cette convention un caractere objectif. La determination
du caractere objectif d'un traite se trouve au-dela des possibilites convention-
nelles des Parties contractantes. Pour cette raison, on peut conclure donc
que la norme pacta tertiis non nocent releve du jus cogens,19).
69) Conf.: B e r b e r op. cit. (ci-dessus note 3 1), t. 1, p. 439. Voir aussi Popinion, a
notre avis, erron6e de B kh
u r c a r d t, Die Organisation der Rechtsgemeinschaft (Basel
1927), p. 391.
60) Permanent Court of Arbitration. North Atlantic Coast Fisheries Tribunal of Arbi-
tration (The Hague 1910), p. 134.
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38 B a r b e r i s
les trait6s de paix et il affirme: -On peut se demander s'il n'y a pas une
certaine contradiction a imposer 'a un Etat de vivre et a le mettre en meme
temps dans une situation qui rend sa vie extremement dif ficile>> '11).
Dans I'affaire Oscar Chinn, entre la Grande-Bretagne et la Belgique
(12 decembre 1934), le juge S c h i! c k i n g dit: <<Jamais la Cour n'ap-
pliquerait une convention dont le contenu serait contraire aux bonnes
mccurs,,> 62).
Quant aux memoires et plaidoiries des Parties devant la Cour, il y a lieu
de 8ter passage du discours. de M. L o g o z repr6sentant de la Suisse
un
dans I'affaire des Zones franches, ou' lon nie categoriquement 1'existence
des normes imperatives en droit des gens'13).
c) La sentence du troisi Tribunal Militaire de Nuremberg du 31 juillet
1948 dans le proces suivi contre Alfried Krupp von Bohlen und Halbach
nous offre un precedent interessant. Krupp avait ete accus6 d'avoir employe
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La libert6 de traiter des Etats et le jus cogens 39
que nous avons cite plus haut. Le deuxieme concerne la declaration faite par
la Cour dans I'affaire du d&roit de Corfou sur le fondement de Fobligation
qu'avait I'Albanie de faire connalitre Pexistence d'un camp de mines dans. ses
eaux territoriales. La Cour dit que les: obligations des autorites albanaises
-sont fondees non pas sur la Convention VIII de La Haye, de 1907, qui est
115) C. I. J., Recueil 1949, p. 22. La Cour fit aussi une ref6rence au jus cogens dans
C. L J., Recueil 1969, p. 42.
66) C. I. J., Recueil 1958, p. 106.
67) 41 est vrai que le droit particulier deroge, en regle, au droit gen6ral, mais donner
comme acquis que, en Pespke, le droit particulier est diff6rent du droit general, c'est
tomber dans p6tition de principe. D'autre part, cette regle n'est pas sans exceptions.
une
Le droit g6neral Vemporte sur tout droit particulier. Et les principes g6n6raux dont
cogens
je ferai mention plus loin constituent de v6ritables r de ius cogens auxquelles il ne
saurait Ctre de'rogh par une pratique particuliere,> (C. I. J., Recueil 1960, p. 135).
68) C. I. J., Recueil 1966, p. 298.
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40 B a r b e r i s
des gens.
e) Il y a lieu de citer aussi sujet la decision de la Commission
sur ce
ditions, mais que lorsque ces mesures sont prises dans un traite, elles ne peu-
vent porter atteinte au droit international gen6ra174).
d6finitif d'un projet d'articles sur le droit des traiteS75). Ce sont les arts. 50
et 61 du projet") qui font reference au jus cogens et dont le texte est
le
suivant:
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La liberte de traiter des Etats et le jus cogens 41
genre mentionne est etablie, tout traite existant qui est en conflit
I'article 50
avec cette norme devient nul et prend fin 77).
s'il y a ou non des normes de jus cogens dans le droit international actuel ce -
de soi que s'il s'agit d-une norme imperative, elle n'admet aucune d6rogation.
Par consequent, on aurait pu supprimer les termes: tautologiques. Morelli
souligna aussi avec raison que I'art. 61 confond la nullit6 et 1'extinction d'un
traite, malgre qu'elles soient dif ferenteS79) En realite, Part. 61 etablit une
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42 B a r b e r i s
pondance avec Part. 41 sur la divisibilit6 des dispositions des trait6s. Cet
auteur estime
lorsqu'une disposition conventionnelle divisible est
que
contraire au. jus cogens c'est seulement celle-ci qui doit etre nulle et non pas
le traite. Scheuner proposa. d'aJouter a Part. 50 un deuxi6me alinea conqu
dans ces. termes:
"(2) Under the conditions specified in art. 41 if only certain clauses of the
treaty are in conflict with the peremptory norm of general international law,
these clauses only shall be void" 80).
19698,3). Les arts. 53 et 64 prevoient la question du jus cogens et leur texte est
le suivant:
Art. 53. Est nul tout trait6 qui, au moment de sa conclusion, est en conflit
avec une norme imperative dudroit international general. Aux fins de la pre-
sente Convention., une norme imp6rative du droit international general est une
norme acceptee et reconnue par la communaute internationale des Etats clans
I
son ensemble en tant que norme a laquelle aucune d6rogation nest permise et
qui ne peut modifi6e que par une nouvelle norme du droit international
general ayant le meme caract6re.
Art. 64. Si une nouvelle norme imperative du droit international general
survient, tout traite existant qui est en conflit avec cette norme devient nul et
prend fin.
113) Document A/CONF. 39/27, reproduit en anglais et en frangais Za6RV t. 29, p. 711 ss.
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La liberte de traiter des Etats et le jus cogens 43
conflit entre la norme du jus cogens et le traite doit avoir lieu au moment de
la conclusion de celui-ci. C'est-a-dire que Part. 53 fait reference a un conflit
entre un trait6 et une norme preexistante du jus cogens. La deuxieme modifi-
cation introduite par la Convention est que la norme du jus cogens doit etre
pactum. Ainsi, par exemple, prenons la norme qui interdit aux Etats de con-
clure des traites favorisant la traite des esclaves. En realite, cette norme ne
fait que limiter Petendue du concept pactum en ce sens que le traite ayant
pour objet Pencouragernent de la traite West pas un pactum de ceux prevus
par la regle pacta sunt servanda. Celle-ci est dailleurs la fonction de toute
norme appartenant au jus cogens.
Le role joue par les normes du jus cogens montre aussi pourquoi elles ne
sont pas susceptibles de derogations. Il s'agit d'une simple consequence logi-
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44 B a r b e r i s
effet juridique. En consequence, tout accord qui aurait comme but la deroga-
tion a la norme interdisant aux Etats de favoriser le crime de genocide ne
serait pas un pactum et n'aurait donc aucun effet
juridique. La derogation
par la voie conventionnelle devient par consequent impossible.
b) Les sources A jus cogens. II est gen6ralement admis que les normes du
jus cogens peuvent etre des normes coutumieres ou des principes gen6raux du
droit. En revanche, les: opinions sont partagees en ce qui concerne la pos-
sibilite de creation des normes du jus cogens par la voie de trait6s.
Avant dexaminer cette question, il faut tout d'abord distinguer entre le
cas de la creation d'une normede jus cogens par un traite et celui de la codi-
fication, dans une convention, dune norme coutumi&e ou d'un Principe
g6neral ayant un caract6re imperatif. Le probl6me doit se borner au premier
cas car, dans le deuxieme, le traite ti
pas comme fait createur du droit.
A la base du procede createur du jus cogens on trouve toujours certaines
valeurs telles: que la dignite de la perso-nne humaine, des considerations
d'humanite, le respect de la vie du prochain, etc. Ce sont ces valeurs, ou
plutot leur reconnaissance par les: nations civilisees, qui provoquent la
formation de la norme juridique imperative, soit par la voie coutumiere,
soit comme Principe general du droit. Ce procede de reconnaissance de cer-
taines: valeurs et la formation d'une conscience de la necessite de les proteger
(opinio juris) se deroule sans besoin de la conclusion de traites. En general,
lorsque ce procede' s'est manifest6 et qu'une norme s'est deja formee, les Etats
interviennent alors Pour la recevoir dans un texte conventionnel afin de lui
donner un enonc6 plus precis. Tel est, par exemple, le procede de creation de
la norme relative au genocide.
Il faut que si la norme juridique creee ne se presente pas comme
souligner
un instrument protegeant une valeur generalement reconnue, elle ne peut
atteindre le caractere de norme imperative. La formation du jus cogens est
Ii6e etroitement avec: des considerations axiologiques. Le processus de recon-
naissance des valeurs comme des objets meritant d'etre proteges sedeveloppe
dans les societes humaines en dehors. du contrOle de I'Etat ou, au moins, il
dun processus que I-Etat ne peut entierement diriger. D'autre part, les
s'agit
valeurs ne sont pas cr6ees de fa arbitraire par la volonte des individus,
elles: possedent une existence objective.
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La libert.6 de traiter des Etats et le jus cogens 45
jus cogens devrait s'imposer aux Etats tiers et, par consequent, elle irait 'a
1'encontre d'une norme imp6rative d6ja existante, connue- sous la formule
pacta tertiis non nocent.
Cette argumentation. nous permet darriver a la conclusion que les normes
du jus cogens ne peuvent etre cre6es par trait6. Le seul cas possible, tr hypo-
thetique d"'ailleurs, serait celui detablir une norme de ce type dans un traite
auquel tous les Etats du monde prendraient part. En principe, les Etats, au
moyen d'une convention, peuvent fonder seulement ce que nous avons appele
juscogens conventionnel.
La terminologie adoptee par la Convention sur le Droit des traites dans
les arts. 53 et 64 semble aussi admettre cette these. En effet, la Convention
prevoit comme possible le conflit entre une norme conventionnelle et une
pas pour lui8',',) et la coutume nest qu'un traite tacite87). Par consequent, si
Tunkin affirme que le jus cogens existe en droit des gens et que la seule source
formelle de celui-ci est le trait6, il doit necessairement conclure que le jus
cogens peut etre cree par convention. Mais les postulats dont Tunkin part ne
sont pas valables et ils constituent une deformation de la description de
Pordre juridique positif.
p. 376 s.
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