Mornet Pensee FR 18e
Mornet Pensee FR 18e
Mornet Pensee FR 18e
Daniel MORNET
LA PENSÉE FRANÇAISE
AU XVIIIe SIÈCLE
2
La pensée française au XVIIIe siècle
à partir de :
3
La pensée française au XVIIIe siècle
Avertissement
PREMIÈRE PARTIE
Les survivances de l’esprit classique.
DEUXIÈME PARTIE
Le prolongement et les transformations
du rationalisme classique.
TROISIÈME PARTIE
L’esprit nouveau. L’observation et l’expérience.
4
La pensée française au XVIIIe siècle
QUATRIÈME PARTIE
La philosophie et la littérature du sentiment.
CINQUIÈME PARTIE
La diffusion de l’esprit nouveau.
Conclusion.
Bibliographie. — Index des notices sur les auteurs cités.
5
La pensée française au XVIIIe siècle
AVERTISSEMENT
6
La pensée française au XVIIIe siècle
7
La pensée française au XVIIIe siècle
PREMIÈRE PARTIE
LES SURVIVANCES DE
L’ESPRIT CLASSIQUE
8
La pensée française au XVIIIe siècle
CHAPITRE PREMIER
9
La pensée française au XVIIIe siècle
10
La pensée française au XVIIIe siècle
11
La pensée française au XVIIIe siècle
12
La pensée française au XVIIIe siècle
13
La pensée française au XVIIIe siècle
14
La pensée française au XVIIIe siècle
15
La pensée française au XVIIIe siècle
16
La pensée française au XVIIIe siècle
17
La pensée française au XVIIIe siècle
18
La pensée française au XVIIIe siècle
19
La pensée française au XVIIIe siècle
Ce n’est pas, bien entendu, que tout soit classique clans leur
œuvre. Dans le Gil Blas de Lesage il y a très souvent un dédain
du « bon ton » et des strictes « bienséances », un goût de la
caricature, et une verve populaire qui sentent la taverne et les
« Joyeux devis » beaucoup plus que la cour, les salons,
l’Académie ou les collèges. Lesage s’y met à l’aise, comme après
boire, aux Porcherons. L’intrigue du roman s’y donne les mêmes
libertés. Dans un roman, depuis L’Astrée, et si l’on en excepte La
Princesse de Clèves et quelques autres, on voulait des surprises
et du merveilleux plus que du naturel et de la vraisemblance. Les
aventures de Gil Blas ne se font pas faute d’être
invraisemblables. Celles de la plupart des héros de l’abbé
Prévost, Manon Lescaut mise à part, le sont plus encore ; car
elles mènent Cleveland, le doyen de Killerine et d’autres à
travers des « orages surprenants » jusque chez les sauvages et
dans les îles désertes. Par surcroît, ces héros de Prévost ont des
âmes qui ne sont plus celles des héros classiques. Ils ont des
« tristesses invincibles » et sans cause, un appétit de souffrir
sans remède qui font d’eux les ancêtres lointains des Obermanns
ou des Renés. Il n’y a rien de ces aventures singulières ni de ce
romantisme chez Marivaux, mais on y trouve un « goût peuple »
et des curiosités qui n’auraient plu ni aux salons du grand siècle,
20
La pensée française au XVIIIe siècle
21
La pensée française au XVIIIe siècle
22
La pensée française au XVIIIe siècle
CHAPITRE II
L’ESPRIT MONDAIN
23
La pensée française au XVIIIe siècle
24
La pensée française au XVIIIe siècle
25
La pensée française au XVIIIe siècle
26
La pensée française au XVIIIe siècle
27
La pensée française au XVIIIe siècle
28
La pensée française au XVIIIe siècle
29
La pensée française au XVIIIe siècle
30
La pensée française au XVIIIe siècle
dix autres. Les problèmes qu’il pose sont ceux qu’on se posait
depuis des siècles ou ceux que vingt écrivains discutaient autour
de lui. Les solutions qu’il apporte ne sont, le plus souvent, ni
profondes, ni très originales. Mais c’est lui qui leur donne la
« grâce inimitable », ce « je ne sais quoi » dont on aimait à
disserter depuis cent ans. Et c’est donc lui qui leur donne la force
et la vie.
31
La pensée française au XVIIIe siècle
vous jaloux ? — Parce que je serais cocu. — Qui vous a dit que
vous seriez cocu ? — Je serais trompé parce que je le mériterais.
— Et pourquoi le mériteriez-vous ? — Parce que je me serais
marié. »
32
La pensée française au XVIIIe siècle
33
La pensée française au XVIIIe siècle
34
La pensée française au XVIIIe siècle
DEUXIÈME PARTIE
LE PROLONGEMENT
ET LES TRANSFORMATIONS
DU RATIONALISME CLASSIQUE
35
La pensée française au XVIIIe siècle
CHAPITRE PREMIER
LES ORIGINES
36
La pensée française au XVIIIe siècle
37
La pensée française au XVIIIe siècle
38
La pensée française au XVIIIe siècle
39
La pensée française au XVIIIe siècle
40
La pensée française au XVIIIe siècle
41
La pensée française au XVIIIe siècle
42
La pensée française au XVIIIe siècle
43
La pensée française au XVIIIe siècle
CHAPITRE II
L’OPTIMISME RATIONALISTE
ET SES CONSÉQUENCES
44
La pensée française au XVIIIe siècle
45
La pensée française au XVIIIe siècle
Il faut citer enfin des ouvrages médiocres, mais qui ont eu, au
XVIIIe siècle, un grand succès et de l’influence :
46
La pensée française au XVIIIe siècle
47
La pensée française au XVIIIe siècle
48
La pensée française au XVIIIe siècle
49
La pensée française au XVIIIe siècle
50
La pensée française au XVIIIe siècle
51
La pensée française au XVIIIe siècle
52
La pensée française au XVIIIe siècle
53
La pensée française au XVIIIe siècle
54
La pensée française au XVIIIe siècle
55
La pensée française au XVIIIe siècle
56
La pensée française au XVIIIe siècle
57
La pensée française au XVIIIe siècle
58
La pensée française au XVIIIe siècle
59
La pensée française au XVIIIe siècle
60
La pensée française au XVIIIe siècle
Le premier est que si la morale est une règle elle ne doit pas
être une contrainte. Est-ce que, dit « la maréchale » de Diderot,
« est-ce que l’esprit de religion n’est pas de contrarier cette
vilaine nature corrompue ? ». La morale naturelle s’efforce au
contraire de contrarier le moins possible. Les philosophes
reprennent et précisent les raisonnements de Saint-Evremond,
61
La pensée française au XVIIIe siècle
62
La pensée française au XVIIIe siècle
leur obéis. Mais celles du voisin sont bonnes aussi pour lui. Il
faut donc que je m’accorde avec le voisin. Et la morale est la
science de cet accord. Science qui serait peut-être compliquée
s’il n’était pas facile, selon les philosophes, d’enseigner que la
passion la plus agréable est de s’oublier pour les autres, que la
jouissance la plus sûre est celle de « l’humanité ». Septième
Discours de Voltaire sur l’Homme : « La vertu consiste à faire du
bien à ses semblables et non pas dans de vaines pratiques de
mortification ». La troisième partie des Mœurs de Toussaint est
consacrée aux « vertus sociales ». « Que le législateur, conclut
Mably, ordonne d’accoutumer les jeunes citoyens à juger du plus
grand bien ou du plus grand mal d’une action par le plus grand
avantage ou le plus grand tort qui résultera pour les autres ». Le
Catéchisme universel de Saint-Lambert insistera sur les Devoirs
envers les hommes en général — envers la patrie — envers la
famille. C’était le catéchisme de tous les philosophes, Turgot,
Morellet, Morelly, Delisle de Sales, L. S. Mercier, Raynal. Et
c’était aussi bien celui des matérialistes, La Mettrie, Helvétius,
d’Holbach et Diderot.
63
La pensée française au XVIIIe siècle
64
La pensée française au XVIIIe siècle
65
La pensée française au XVIIIe siècle
66
La pensée française au XVIIIe siècle
67
La pensée française au XVIIIe siècle
68
La pensée française au XVIIIe siècle
69
La pensée française au XVIIIe siècle
70
La pensée française au XVIIIe siècle
71
La pensée française au XVIIIe siècle
72
La pensée française au XVIIIe siècle
73
La pensée française au XVIIIe siècle
74
La pensée française au XVIIIe siècle
75
La pensée française au XVIIIe siècle
Il est donc très vrai que cette philosophie est une force de
raisonnement abstraite qui prétend légiférer dans l’absolu, pour
76
La pensée française au XVIIIe siècle
77
La pensée française au XVIIIe siècle
78
La pensée française au XVIIIe siècle
TROISIÈME PARTIE
L’ESPRIT NOUVEAU
L’OBSERVATION ET
L’EXPÉRIENCE
79
La pensée française au XVIIIe siècle
CHAPITRE PREMIER
LE SENTIMENT DE LA DIVERSITÉ ET DE LA
COMPLEXITÉ HUMAINES
80
La pensée française au XVIIIe siècle
81
La pensée française au XVIIIe siècle
82
La pensée française au XVIIIe siècle
83
La pensée française au XVIIIe siècle
Plus clairement encore que l’Essai sur les mœurs, L’Esprit des
Lois, de Montesquieu a imposé cette idée que pour comprendre
l’histoire et les institutions des hommes il fallait s’attacher non
pas aux ressemblances, mais aux différences. Sans doute
L’Esprit des Lois est en partie conduit ou même déduit par la
raison raisonnante qui prétend dégager de la diversité des lois
humaines l’unité et la simplicité des lois rationnelles.
Montesquieu n’étudie pas les despotismes, les monarchies, les
républiques, mais le despotisme, la monarchie, la république, et
il est convaincu, ou il en a l’air, qu’ils reposent de Pékin à
Londres, et des Esquimaux aux Patagons sur le principe que la
raison de Montesquieu en dégage. Il y a aussi bien dans L’Esprit
des Lois un idéal de l’organisation des lois qui a les apparences
d’un idéal rationnel. Ce bel « équilibre des pouvoirs », cette
savante combinaison de forces agissantes et de forces
stabilisantes est bien construit comme une théorie abstraite du
gouvernement parfait. Pourtant derrière la théorie il y a, et
aucun lecteur ne l’ignore, la réalité précise et vivante de
l’Angleterre. Derrière l’étude du principe despotique,
monarchique, républicain, il y a l’étude historique et réaliste des
84
La pensée française au XVIIIe siècle
85
La pensée française au XVIIIe siècle
Italien. Une moitié de L’Esprit des Lois est une étude si l’on peut
dire « géographique » des lois. Elle est non pas un raisonnement
sur les lois, mais une observation réaliste des lois.
86
La pensée française au XVIIIe siècle
87
La pensée française au XVIIIe siècle
88
La pensée française au XVIIIe siècle
89
La pensée française au XVIIIe siècle
90
La pensée française au XVIIIe siècle
91
La pensée française au XVIIIe siècle
92
La pensée française au XVIIIe siècle
93
La pensée française au XVIIIe siècle
94
La pensée française au XVIIIe siècle
CHAPITRE II
95
La pensée française au XVIIIe siècle
96
La pensée française au XVIIIe siècle
97
La pensée française au XVIIIe siècle
98
La pensée française au XVIIIe siècle
99
La pensée française au XVIIIe siècle
100
La pensée française au XVIIIe siècle
101
La pensée française au XVIIIe siècle
102
La pensée française au XVIIIe siècle
103
La pensée française au XVIIIe siècle
104
La pensée française au XVIIIe siècle
105
La pensée française au XVIIIe siècle
106
La pensée française au XVIIIe siècle
107
La pensée française au XVIIIe siècle
108
La pensée française au XVIIIe siècle
109
La pensée française au XVIIIe siècle
110
La pensée française au XVIIIe siècle
111
La pensée française au XVIIIe siècle
112
La pensée française au XVIIIe siècle
113
La pensée française au XVIIIe siècle
114
La pensée française au XVIIIe siècle
CHAPITRE III
115
La pensée française au XVIIIe siècle
116
La pensée française au XVIIIe siècle
117
La pensée française au XVIIIe siècle
118
La pensée française au XVIIIe siècle
119
La pensée française au XVIIIe siècle
120
La pensée française au XVIIIe siècle
121
La pensée française au XVIIIe siècle
122
La pensée française au XVIIIe siècle
123
La pensée française au XVIIIe siècle
124
La pensée française au XVIIIe siècle
secrétariats d’État. Chaque fois qu’il a pu, il est allé aux sources
de première main. L’Essai sur les mœurs et l’esprit des nations
résume une immense et patiente enquête, un prodigieux effort
de recherche et d’organisation. Ce n’est plus un « système » ou
des « Réflexions », c’est vraiment un exposé ordonné des faits,
des connaissances qu’on pouvait avoir, entre 1740 et 1760, sur
ce qui s’était réellement passé dans l’Univers. Et si Voltaire est le
seul qui possède la puissance d’esprit nécessaire pour organiser
et faire vivre, il n’est pas le seul à travers tout le XVIIIe à tenter
de fonder l’histoire sur des recherches exactes. Avant lui, depuis
longtemps, les Bénédictins s’étaient plongés dans le « fatras »
des vieux manuscrits. L’Académie des Inscriptions s’était tout de
suite désintéressée de la rédaction des inscriptions à la gloire de
Louis XIV. Elle était devenue, vers 1700, et de plus en plus, une
assemblée d’érudits où l’on étudiait de fort près les monuments,
les textes, l’histoire documentaire. Pour décider des origines et
de la marche des civilisations, Voltaire et dix érudits (dont
l’Encyclopédie résume les recherches) étudient l’écriture, les
langues, les monuments, les textes. Les voyages et les
explorations de toutes sortes multiplient d’ailleurs ces
documents ; la découverte des ruines de Pompéï et
d’Herculanum substitue à la Rome oratoire et livresque des
collèges une Rome vraie et vivante. Et le Voyage du jeune
Anacharsis de l’abbé Barthélemy (1788), qui fut l’un des livres
illustres de la fin du XVIIIe siècle, résume, avec les recherches
savantes de l’abbé, celles de vingt archéologues ou historiens.
C’est vraiment un Télémaque où la curiosité historique aurait pris
la place des moralités.
125
La pensée française au XVIIIe siècle
126
La pensée française au XVIIIe siècle
127
La pensée française au XVIIIe siècle
Peu à peu, et non pas d’ailleurs dans toutes les œuvres, tout
cela se transforme. Il y a des physionomies, dont on ne se
contente pas de nous dire qu’elles sont « parlantes », mais qui
nous parlent, dans le Gil Blas, dans les Mémoires du comte de
Grammont d’Hamilton. Il y a dans Voltaire non pas des portraits
en pied, mais du moins des silhouettes expressives. Nous
apercevons Cunégonde, haute en couleur, fraîche, grasse,
appétissante, la courte et ronde demoiselle de Kerkabon. Vers
1750, les romans anglais de Fielding et de Richardson révèlent
un réalisme plus hardi. Romans sublimes, écrit ou plutôt chante
Diderot, parce qu’ils sont l’image non pas de la vie choisie,
embellie, travestie, mais de toute la vie. « Je connais la maison
des Harlowe comme la mienne, la demeure de mon père ne
m’est pas plus familière que celle de Grandisson ». Et il a voulu
peindre les êtres et les choses avec la vérité de Richardson. Il a
donné du « conte », c’est-à-dire du roman réaliste, la plus
précise définition qui soit. Marquez une verrue sur le visage de
Jupiter, une cicatrice de petite vérole sur celui de Vénus, et vous
aurez votre voisin ou votre voisine et non plus Vénus ou Jupiter.
Jacques le Fataliste et Le Neveu de Rameau surtout se sont
appliqués à nous donner des portraits où il y ait les verrues et
les cicatrices. On trouverait ces mêmes scrupules d’exactitude, le
dessin d’une veine ou l’exacte figure d’une maison dans La
Nouvelle Héloïse, dans l’Émile de Rousseau, dans d’autres
romans (bien que ce réalisme y reste timide et précautionneux).
Au théâtre, vers 1752-1760, l’opéra-comique habille des
paysannes en paysannes, robes plates, tabliers, sabots. Mlle
Clairon porte des habits orientaux pour jouer Roxane, des
128
La pensée française au XVIIIe siècle
129
La pensée française au XVIIIe siècle
130
La pensée française au XVIIIe siècle
131
La pensée française au XVIIIe siècle
132
La pensée française au XVIIIe siècle
133
La pensée française au XVIIIe siècle
134
La pensée française au XVIIIe siècle
135
La pensée française au XVIIIe siècle
136
La pensée française au XVIIIe siècle
137
La pensée française au XVIIIe siècle
Même lorsqu’il s’agit des idées qui leur sont les plus chères,
les philosophes font des distinctions et des réserves. Ils croient
que le seul instrument du progrès est l’intelligence et que c’est
un instrument infaillible. Ils devraient donc avoir demandé la
diffusion de l’instruction. Or, au XVIIIe siècle, c’est l’Église qui
travaille à multiplier les écoles primaires et qui d’ailleurs y
réussit. Ni Voltaire, ni d’Holbach, ni Diderot, ni Louis Sébastien
Mercier, ni Rousseau bien entendu, ni dix autres n’ont demandé
« l’égalité devant l’instruction ». Ils ont cru qu’elle était,
pratiquement, impossible et dangereuse, et c’est le procureur
philosophe La Chalotais qui résume leur opinion dans son Essai
d’éducation nationale : « Le bien de la société demande que les
138
La pensée française au XVIIIe siècle
139
La pensée française au XVIIIe siècle
140
La pensée française au XVIIIe siècle
QUATRIÈME PARTIE
LA PHILOSOPHIE
ET LA LITTÉRATURE DU
SENTIMENT
141
La pensée française au XVIIIe siècle
CHAPITRE PREMIER
LA PHILOSOPHIE
142
La pensée française au XVIIIe siècle
143
La pensée française au XVIIIe siècle
144
La pensée française au XVIIIe siècle
145
La pensée française au XVIIIe siècle
146
La pensée française au XVIIIe siècle
147
La pensée française au XVIIIe siècle
148
La pensée française au XVIIIe siècle
les arts ou celui sur les origines de l’inégalité parmi les hommes,
il n’a pas du tout, pour le premier, et il a très peu pour le second,
l’impression qu’il se sépare des philosophes. Il raisonne sur les
progrès de l’intelligence ou sur la propriété comme un
philosophe pouvait en raisonner, avec de la logique, des faits
d’histoire, d’histoire naturelle, de voyages. Ses conclusions
mêmes intéressent les philosophes sans les scandaliser. Il y avait
longtemps qu’on réfléchissait sur les sauvages et la vie primitive
et qu’on les croyait heureux. Il y avait longtemps qu’on discutait
par raisons raisonnantes des bienfaits ou des méfaits du théâtre,
des romans, du luxe ou même des académies. Rousseau était
plus éloquent, plus tranchant que les autres ; mais d’autres,
dont parfois même l’Encyclopédie, avaient assez souvent conclu
comme lui.
149
La pensée française au XVIIIe siècle
150
La pensée française au XVIIIe siècle
le justifie pas. Et elle n’offre à qui cherche une règle de vie que
des ironies cyniques et des négations désespérées. Certes on
peut vivre en honnête homme tout en étant sceptique et
philosophe. Rousseau le croit ou essaie de le croire quelques
mois encore. Le M. de Wolmar de la Nouvelle Héloïse pratique
toutes les vertus humaines ; et il fait le bonheur de Julie.
Pourtant il ne croit point en Dieu. Mais Rousseau se persuade
très vite qu’une pareille sagesse ou bien n’est qu’une affectation
menteuse ou bien ramène invinciblement à ce que nient les
philosophes. Le scepticisme de M. de Wolmar se heurte au
désespoir, à la mort de celle qu’il aime. Il faut qu’il sombre dans
l’horreur ou qu’il se renonce. M. de Wolmar à la fin du roman est
donc sur le seuil de la conversion. Il revient à la religion ou
plutôt à la philosophie religieuse de Julie et de Saint-Preux.
151
La pensée française au XVIIIe siècle
152
La pensée française au XVIIIe siècle
153
La pensée française au XVIIIe siècle
154
La pensée française au XVIIIe siècle
155
La pensée française au XVIIIe siècle
156
La pensée française au XVIIIe siècle
vérité avec son cœur, et non avec son esprit. — L’esprit n’a point
de science, si le cœur n’en a la conscience. — La science nous a
mené par des routes séduisantes à un terme aussi effrayant. Elle
traîne à la suite de ses recherches ambitieuses cette malédiction
ancienne prononcée contre le premier qui osa manger du fruit de
son arbre ». Les Études et leurs formules eurent le plus éclatant
succès. Du jour au lendemain Bernardin de Saint-Pierre fut
célèbre. Ses démonstrations, c’étaient des « harmonies », des
harmonies physiques et des harmonies morales, des
« charmes » et des « douceurs », des mélancolies et des
rêveries, des tableaux colorés et des tableaux pathétiques.
Assurément Paul et Virginie, qui vint ensuite, ne prouvait pas
que la concorde, le dévouement, la tendresse naissent dans les
cœurs que n’égarent pas les mensonges des villes, comme les
fleurs sur les bords des ruisseaux. La religion et la morale de
Paul et de Virginie ou de leurs parents étaient peintes et non
prouvées. Mais on voulait justement des peintures et non plus
des démonstrations. Qu’importaient les arguments de Voltaire, la
critique des Évangiles et les méfaits du fanatisme lorsqu’on était
touché, entraîné, convaincu ! On pleurait, et l’on croyait,
lorsqu’on lisait la prière au bord des flots : « J’aperçus une
troupe de jeunes paysannes, jolies comme le sont la plupart des
Cauchoises, qui sortaient de la ville avec leurs longues coiffures
blanches que le vent faisait voltiger autour de leur visage... Une
d’entre elles se tenait à l’écart, triste et rêveuse... Elle
s’approcha d’un grand calvaire qui est au milieu de la jetée, tira
quelque argent de sa poche, le mit dans le tronc qui était au
pied, puis elle s’agenouilla et fit sa prière, les mains jointes et les
157
La pensée française au XVIIIe siècle
158
La pensée française au XVIIIe siècle
CHAPITRE II
159
La pensée française au XVIIIe siècle
160
La pensée française au XVIIIe siècle
161
La pensée française au XVIIIe siècle
162
La pensée française au XVIIIe siècle
163
La pensée française au XVIIIe siècle
164
La pensée française au XVIIIe siècle
165
La pensée française au XVIIIe siècle
166
La pensée française au XVIIIe siècle
167
La pensée française au XVIIIe siècle
168
La pensée française au XVIIIe siècle
169
La pensée française au XVIIIe siècle
170
La pensée française au XVIIIe siècle
171
La pensée française au XVIIIe siècle
172
La pensée française au XVIIIe siècle
173
La pensée française au XVIIIe siècle
174
La pensée française au XVIIIe siècle
CHAPITRE III
175
La pensée française au XVIIIe siècle
176
La pensée française au XVIIIe siècle
177
La pensée française au XVIIIe siècle
178
La pensée française au XVIIIe siècle
179
La pensée française au XVIIIe siècle
180
La pensée française au XVIIIe siècle
181
La pensée française au XVIIIe siècle
182
La pensée française au XVIIIe siècle
183
La pensée française au XVIIIe siècle
184
La pensée française au XVIIIe siècle
185
La pensée française au XVIIIe siècle
186
La pensée française au XVIIIe siècle
187
La pensée française au XVIIIe siècle
188
La pensée française au XVIIIe siècle
Les gens de lettres ne sont pas les seuls d’ailleurs à avoir pris
comme guide de leur vie le sentiment, même s’il les guidait vers
la souffrance et le désespoir. « Vous êtes, dit Ducis à Deleyre, un
incurable mélancolique » et il lui choisit un ermitage « près des
bois, dans le voisinage de ces larges étangs où les vents
semblent soulever des tempêtes... au bord d’un vallon tortueux
qui se prolonge dans un site lugubre ». Si Deleyre est encore
une façon d’homme de lettres, nous en entrevoyons d’autres qui
ne le sont à peu près pas. Un comte de Montlosier s’est retiré
dans ses montagnes d’Auvergne pour y vivre, avant Lamartine,
L’Isolement et Le Vallon, pour s’asseoir au crépuscule, sur la
montagne, et contempler dans le lointain le château où vécut
son amie, le clocher qui domine son tombeau. Fonvielle s’enfuit
tout jeune du collège, passe par vingt métiers, s’engoue
fiévreusement et se dégoûte sans cause, fait quatorze lieues à
189
La pensée française au XVIIIe siècle
190
La pensée française au XVIIIe siècle
191
La pensée française au XVIIIe siècle
CINQUIÈME PARTIE
LA DIFFUSION
DE L’ESPRIT NOUVEAU
192
La pensée française au XVIIIe siècle
CHAPITRE PREMIER
1 Je pense en achever quelque jour l’histoire dans une étude sur Les origines
intellectuelles de la révolution.
193
La pensée française au XVIIIe siècle
194
La pensée française au XVIIIe siècle
195
La pensée française au XVIIIe siècle
196
La pensée française au XVIIIe siècle
197
La pensée française au XVIIIe siècle
198
La pensée française au XVIIIe siècle
199
La pensée française au XVIIIe siècle
CHAPITRE II
200
La pensée française au XVIIIe siècle
201
La pensée française au XVIIIe siècle
202
La pensée française au XVIIIe siècle
203
La pensée française au XVIIIe siècle
204
La pensée française au XVIIIe siècle
205
La pensée française au XVIIIe siècle
206
La pensée française au XVIIIe siècle
207
La pensée française au XVIIIe siècle
208
La pensée française au XVIIIe siècle
209
La pensée française au XVIIIe siècle
210
La pensée française au XVIIIe siècle
211
La pensée française au XVIIIe siècle
CHAPITRE III
212
La pensée française au XVIIIe siècle
213
La pensée française au XVIIIe siècle
214
La pensée française au XVIIIe siècle
215
La pensée française au XVIIIe siècle
216
La pensée française au XVIIIe siècle
217
La pensée française au XVIIIe siècle
218
La pensée française au XVIIIe siècle
219
La pensée française au XVIIIe siècle
220
La pensée française au XVIIIe siècle
CHAPITRE IV
221
La pensée française au XVIIIe siècle
222
La pensée française au XVIIIe siècle
223
La pensée française au XVIIIe siècle
224
La pensée française au XVIIIe siècle
Car les philosophes ont pour eux la mode et les salons. Dans
la première moitié du siècle les salons sont surtout des
« bureaux d’esprit ». Les philosophes, Voltaire, Fontenelle,
Montesquieu, Rousseau y fréquentent. Mais ni Mme de Lambert,
ni Mme de Tencin, ni Mme Geoffrin, ni même Mme du Deffand
n’aiment qu’on parle des puissances de ce monde. On peut
causer chez elles de galanterie, de littérature, de beaux-arts ou
de sciences ; elles défendent qu’on y touche à la religion ou à la
politique. Les choses changent dans la deuxième moitié du
siècle. Chez Mlle de Lespinasse, chez Mme Helvétius, chez le
baron d’Holbach, on dit tout ce qu’on veut et comme l’on veut.
Les salons se multiplient et presque tous se vantent d’être
« philosophiques ». Même chez la marquise de Castellane qui est
dévote, chez Mme Necker qui est pieuse, on rencontre
d’Alembert, Condorcet, Raynal, Diderot, Mably. Et dans beaucoup
d’autres on se « jette tout à fait dans le torrent ». Salons de
Mme de la Briche où l’on rencontre Saint-Lambert, Morellet ; de
la duchesse de Choiseul, de la maréchale de Luxembourg, de la
comtesse de Ségur, de la duchesse de Grammont où viennent
Raynal, Mably, Marmontel, où on lit Helvétius, Rousseau,
Voltaire, Diderot ; hôtels de la duchesse d’Enville ou du duc de
225
La pensée française au XVIIIe siècle
Ceux qui n’ont pas de salon pour les recevoir lisent les livres
des philosophes. Des voyageurs anglais, Talleyrand, Montbarey,
le duc de Croÿ et d’autres s’accordent à reconnaître que les idées
nouvelles ont gagné les gens de loi, les avocats, les officiers.
C’est, dit Dutens, « une manie à la mode » et il connaît un
cordonnier enrichi qui s’est fait philosophe. Ph. Lamare,
secrétaire de dom Goujet, bénédictin, lit l’Encyclopédie. N.
Bergasse, pieux, prudent, respectueux, admire Voltaire et visite
Rousseau. Sicaire Rousseau, seigneur de la Jarthe en Périgord,
est un seigneur qui croit à sa religion ; il s’abonne pourtant, avec
l’avocat Cœuilhe, au Journal encyclopédique. A Grenoble,
Laurent de Franquières va visiter Voltaire à Ferney. Dans sa
jeunesse le poète Chabanon a des crises mystiques ; il croit,
avec son curé, qu’aller au théâtre est un crime. Et pourtant il fait
à Ferney plusieurs voyages, pour y rester, une fois, six mois.
226
La pensée française au XVIIIe siècle
227
La pensée française au XVIIIe siècle
228
La pensée française au XVIIIe siècle
CHAPITRE V
229
La pensée française au XVIIIe siècle
230
La pensée française au XVIIIe siècle
231
La pensée française au XVIIIe siècle
232
La pensée française au XVIIIe siècle
233
La pensée française au XVIIIe siècle
234
La pensée française au XVIIIe siècle
235
La pensée française au XVIIIe siècle
236
La pensée française au XVIIIe siècle
CHAPITRE VI
L’INQUIÉTUDE POLITIQUE
237
La pensée française au XVIIIe siècle
238
La pensée française au XVIIIe siècle
239
La pensée française au XVIIIe siècle
240
La pensée française au XVIIIe siècle
241
La pensée française au XVIIIe siècle
242
La pensée française au XVIIIe siècle
décident. Mais dès qu’elle est décidée, elle sympathise non pas
seulement avec un peuple contre un autre peuple, mais avec des
idées, avec une philosophie politique. Le philosophe Morellet ne
comprenait pas cet enthousiasme « chez un peuple qui jouit de
la plus belle constitution connue sur la terre » ; mais il constatait
que ce peuple « veut toaster à la liberté des Américains, à la
liberté de conscience, à la liberté du commerce ». Le succès de
Franklin, ce qui fait de lui le héros des salons, c’est qu’il apparaît
comme un « philosophe » qui unit l’esprit de Voltaire à la
simplicité de Rousseau. Les âmes sensibles, disciples de
Rousseau, se mettent d’accord avec les « raisonneurs » de la
liberté. On s’attendrit sur la vie évangélique des Quakers, sur le
bonheur paisible et laborieux des défricheurs de forêts vierges.
Et cet enthousiasme, où se mêlent l’amour des idées et les élans
du cœur, gagne bientôt la nation tout entière. Toute la jeune
noblesse veut partir avec La Fayette combattre pour un peuple
qui ignore la noblesse, qui proclame l’égalité et dont la
constitution sera la condamnation de leurs privilèges. Les
collégiens se passionnent pour la cause américaine. Au collège
du Plessis on est « républicain » avec La Fayette. Le P. Petit, au
collège de Juilly, entretient ses élèves « autant de la guerre
d’Amérique et des exploits de Washington et de La Fayette, que
des odes d’Horace et des oraisons de Cicéron ». Au couvent, dit
Mme de Fars-Fausselandry, « la cause des Américains semblait la
nôtre ; nous étions fiers de leurs victoires ». Ni la bourgeoisie ni
le peuple ne les ignorent. Le mémorial de Ph. Lamare les note. A
Clermont-Ferrand on célèbre par des réjouissances publiques la
déclaration d’indépendance. Un paysan de Provence nommé
243
La pensée française au XVIIIe siècle
244
La pensée française au XVIIIe siècle
245
La pensée française au XVIIIe siècle
CONCLUSION
246
La pensée française au XVIIIe siècle
Dans tous les cas ces hommes de la fin du XVIIIe siècle sont
infiniment plus proches de ceux de la fin du XIXe que de ceux de
la fin du XVIIe. On peut dire qu’ils ont connu toutes les formes
de notre pensée contemporaine, et même qu’ils en ont mesuré
les conséquences, saisi les contradictions. Ils ont poussé l’esprit
d’examen, exercé les droits de la critique rationnelle, jusqu’à
leurs limites les plus audacieuses. S’ils n’ont pas eu de la critique
historique, de la reconstruction du passé une idée aussi nette et
aussi méthodique que les historiens et les exégètes du XIXe
siècle, ils en ont compris du moins les exigences essentielles et
ébauché les méthodes. Ils ont vu, avec la plus grande clarté, que
la vérité logique et abstraite, l’accord de l’esprit avec lui-même,
la raison géométrique et mathématique étaient une construction
humaine et qu’elles n’étaient pas nécessairement toute la vérité
ni même peut-être la vérité. Ils ont compris, aussi nettement
que nos savants modernes, ce qu’était la vérité expérimentale,
les lois qui s’induisent des faits et de l’expérience et non plus
celles qui se déduisent du raisonnement. Systèmes abstraits,
hypothèses, lois expérimentales, ils ont discerné comment tous
ces efforts d’explication se complétaient ou se contredisaient. Ils
ont compris en même temps que la raison et la science
n’enfermeraient jamais tout l’univers. Le déroulement des vérités
rationnelles et des vérités expérimentales nous entraîne à l’infini
sur un chemin sans borne, et qui s’éloigne de plus en plus des
vérités nécessaires à la vie. Si précises et si nombreuses que
soient les raisons de la raison et les lois de nos sciences, elles ne
peuvent nous donner l’explication de notre destinée, nos raisons
d’agir, le secret du bonheur. Nous ne pouvons apercevoir ces
247
La pensée française au XVIIIe siècle
248
La pensée française au XVIIIe siècle
Elle l’est enfin non pas chez quelques-uns, non pas sans
doute chez tous, mais chez beaucoup. L’intelligence n’a pas
seulement conquis ses droits sociaux et le respect de presque
tous contre les dédains des gens bien nés et l’hostilité des gens
en place. Elle est devenue un bien commun. Non pas, si l’on
veut, qu’il y ait beaucoup plus de gens instruits en 1770 qu’en
1670 ; la preuve rigoureuse n’est pas faite, et elle est difficile à
faire. Mais les gens instruits vers 1670 sont le plus souvent
d’éternels élèves ; ils pensent pendant leur vie comme on les a
appris à penser jusqu’à vingt ans. Vers 1770, il y a tant de
façons de penser, si neuves, si diverses, si tentantes qu’on ne
peut plus rien imposer ; il faut bien laisser un choix. Non plus
dans les milieux littéraires ou mondains, mais dans tous les
249
La pensée française au XVIIIe siècle
250
La pensée française au XVIIIe siècle
BIBLIOGRAPHIE
@
Travaux d’ensemble sur la pensée du XVIIIe siècle.
1e partie : Chapitre I
251
La pensée française au XVIIIe siècle
Chapitre II
2e partie : Chapitres I et II
252
La pensée française au XVIIIe siècle
5e partie
253
La pensée française au XVIIIe siècle
INDEX
254