Bakhouche Calcidius 01introduccion (2011)

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H IS T O IR E DES D O C T R IN E S DE L ’A N T IQ U IT É C L A S S IQ U E
Fondateur : Jean Pépin Directeur : Luc Brisson

----------------------------------- x l ii ---------------------------------

CALCIDIUS

COMMENTAIRE
AU
TIMÉE DE PLATON

TOME I

Édition critique et traduction française,


par
Béatrice BAKHOUCHE

avec la collaboration de
Luc Brisson pour la traduction

Ouvrage publié avec le concours


du Centre national du livre et de ΓÉquipe CRISES (EA 4424)

P A R IS

LIBRAIRIE PHILOSOPHIQUE J. VRIN


6, Place de la Sorbonne, Ve

2011
En application du Code de la Propriété Intellectuelle et notamment de ses articles L 122-4,
L 122-5 et L 335-2, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le
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Ne sont autorisées que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du
copiste et non destinées à une utilisation collective, ainsi que les analyses et courtes citations, sous
réserve que soient indiqués clairement le nom de l ’auteur et la source.

© Librairie Philosophique J. VR1N, Paris, 2011


Imprimé en France
ISSN 0153-0828
2 volumes
ISBN 978-2-7116-2264-1

www.vrin.fr
INTRODUCTION GENERALE

Celui dont l’œuvre « constitue l’un des heureux témoignages de la spécula­


tion de l’antiquité tardive où se sont amalgamés, sur un fond commun platoni­
cien, des éléments de différentes traditions qui ont fini par former une synthèse
originale appelée à avoir une profonde influence sur la culture médiévale » 1
est pour nous un auteur quasiment inconnu. Personne à son époque, presque
personne plus tard ne parle de lui. Nous ne le connaissons que par son œuvre :
une version latine du Timée de Platon et un commentaire sur ce même dia­
logue. Et encore ceux-ci sont-ils peu exploitables pour cerner la vie de leur
auteur : l’œuvre est indissociable du dialogue grec, et la réception de Calcidius
est virtuellement celle du texte platonicien. En outre, Calcidius fait partie, avec
Macrobe, Martianus Capella, et, plus tard, Boèce, de ces « platoniciens » de
l’Antiquité finissante, si bien que, là encore, l’étude de cet auteur s’inscrit dans
celle, plus générale, de la transmission du platonisme 12.

L ’AUTEUR

Son nom
Chalcidius ou Calcidius ? De A Giustiniani (1520) à J. Wrobel (1876), tous
les éditeurs 3 ont adopté la première graphie sur la foi de quelques manu-

1. T. Gregory, « L e platonisme du XIIe siè c le » , Revue des sciences philosophiques et


théologiques 71, 1987, p 243-259 [p. 244] ; cf. déjà P. Duhem, Le système du monde I, Paris, rééd.
1958, p. 418 ; St.E. Gersh, « Calcidius’ Theory of First Principies », Studia Patristica 18-2, 1989,
p. 85-92, qui souligne le rôle prééminent de Calcidius « as a transmitter of Plato’s cosmological
doctrine to the Middle Ages » [p. 85] et, plus récemment, P.E. Dutton, « Médiéval Approaches to
Calcidius », dans G.J. Reydams-Schils (éd.), P lato’s ‘Timaeus’ as Cultural Icon, Notre Dame
(Indiana), University of Notre Dame Press, 2003, p. 183-205 [p. 183].
2. P.L. Donini (« Medioplatonismo e filosofi medioplatonici. Una raccolta di studi », Elenchos
11, 1990, p. 79-93) déplore le silence sur plusieurs textes ou figures qui, comme Sénèque,
Calcidius et Maxime de Tyr, montrent quelques structures conceptuelles importantes ou, à tout le
moins, la diffusion et l ’influence du médioplatonisme [p. 92].
3. Sur les éditions, cf. infra p. 98-102.
8 BÉATRICE BAKHOUCHE

scrits l. S’il faut lire dans ce nom la transcription d ’un χα λ κ ιδίο ς, il ne peut
désigner qu’un ethnique de Chalcis en Eubée (χαλκιδεύς ou χαλκιδικός) 12,
mais deux arguments de J.H. Waszink 3 font désormais autorité pour l’abandon
définitif de la première orthographe : d’abord, les meilleurs manuscrits ne por­
tent pas de H 4, pas plus - et c ’est la seconde preuve - que le dédicataire de
Y Expositio sermonum antiquorum de Fulgence, Calcidius grammaticus 5.
P.E. Dutton, s’il adopte la graphie sans H, s’interroge néanmoins sur le nom,
évoquant une origine grecque pour notre auteur 6. Ce qui permettrait du reste
de trancher la question à la fois du nom et de l’origine, ce serait peut-être l’aspect
linguistique : est-ce que les traductions (c’est-à-dire la méthodologie, les trans­
positions, le choix des m ots...), et pas seulement dans la version mais aussi
dans le commentaire, sont celles d’un Grec qui transpose en latin ou l’inverse ?
La question n’est-elle pas insoluble ?

Son époque

L ’identification de Calcidius est intimement liée à celle de son dédicataire


Osius (ou Hosius). Or celui-ci a longtemps été pris pour l’évêque de Cordoue

1. Au début de YÉpître à Osius dans Paris, BnF Lat. 6282 (XIe s.) et München, Nationalbibl.
Lat. 14663 (XIIe s.) ; au début du commentaire dans Leiden, Bibi. Univ. B.P.L. 64 (XIe s.) et
Vaticano, Barber. Lat. 21 (XIIe s.) de même que, pour ce dernier manuscrit, à la fin de la première
partie, en marge ; pour Yexplicit du commentaire enfin, dans Milano, Ambros. I. 195. Inf. (XIe s.),
Bamberg, Bibl. Publ. Μ. V. 15 (XIe s.), Vaticano, Reg. Lat. 1861 (XIe s.), Wien, Ôsterreichische
Nationalbibl. Lat. 443 (XIe s.) et Napoli, Bibi. Naz. VIII F 11 (XIIe s.).
2. A Lexicon ofGreek Personal Names (Oxford, Oxford University Press, 1987-2005, 4 vol.)
ne donne aucun témoignage concluant. P.A.C. Vega, de son côté, a cherché à justifier la graphie
avec un H par une origine grecque dont le sens serait « petite cruche de bronze » (« Calcidio gran
escritor platonico espanol dei siglo IV », La Ciudad de Dios 152, 1936, p. 145-164 [p. 147, n. 3]).
Sur l ’origine espagnole de Calcidius, cf. infra « Son époque ».
3. Timaeus a Calcidio translatus commentarioque instructus, Leiden, 1962, praef. p. XVII ;
art. « Calcidius », Reallexicon für Antike und Christentum 15, 1975, p. 236-244 [p. 236].
G. Briscoe Kerfer suit toutes les conclusions de J.H. Waszink dans sa notice sur « Calcidius »,
Theologische Realenzyklopàdie, Berlin-New York, De Gruyter, 1981, p. 546-550.
4. Cet argument a été repris par A.H.M. Jones, J.R. Martindale & J. Morris, The Prosopo-
graphy of the Later Roman Empire I: AD. 260-395, Cambridge, Cambridge University Press,
1971, p. 172. Pourtant, dans le manuscrit Vatican, Reg. lat. 1068, qui passe pour une excellente
copie, on lit « Chalcidius » ; cf. infra « L ’établissement du texte ».
5. M. Huglo identifie, à tort selon nous, ce Calcidius avec notre auteur : « La réception de
Calcidius et des Commentarii de Macrobe à l ’époque carolingienne », Scriptorium 44, 1990, p. 3-
20 [p. 5 et n. 8], et « Recherches sur la traduction des diagrammes de Calcidius », Scriptorium 68,
2008, p. 185-233 [p. 185 n .l] ; de même, Jones, Martindale et Morris ( The Prosopography of the
Later Roman Empire I, p. 173) identifient notre auteur au « poet Calcidius who translated Greek
verses into Latin », alors que les vers cités par E. Baehrens dans l ’édition des Poetae Latini
Minores (Leipzig, 1879-86) ne sont que des extraits du Commentaire au Timée.
6. « Médiéval Approaches to C alcid iu s», art. cité, p. 185 ; cf. également l ’hypothèse de
Cl. Moreschini ( Calcidio. Commentario al Timeo di Platone, Milano, Bompiani, 2003, Introduz.
p. XII-XIII, n. 9), selon laquelle Calcidius pourrait avoir composé son œuvre à Constantinople.
INTRODUCTION GÉNÉRALE 9

qui a vécu centenaire (d’environ 256 à 358) et était connu pour sa participation
active au concile de Nicée, en 325, puis à celui de Sardique en Dacie, en 343 l.
C ’est dire que ce personnage, sorte de « ministre du culte » 2 de l ’empereur
Constantin, s’est fermement engagé dans la lutte contre les ariens. Il est l ’un
des responsables du dogme de la consubstantialité du Fils et du Père défini au
concile de Nicée, et c’est sur son instigation également que fut convoque le
concile de Sardique pour réaffirmer l’orthodoxie nicéenne 3. Les précisions sur
le destinataire de l ’œuvre apparaissent dans des manuscrits de Calcidius des
XIe, XIIe ou XIIIe siècles, c’est-à-dire dans des copies datant d’une époque où
des personnages dont on ne sait rien sont fréquemment identifiés avec d’autres
du même nom qui sont restés connus. Si Osius est évêque, Calcidius est diacre
ou archidiacre 4. L ’association des deux hommes (l’illustre et l ’obscur) a été
largement accréditée par les historiens 5.
Situer Calcidius dans l’entourage de l ’évêque de Cordoue oblige à le faire
vivre dans la première moitié du IVe siècle. Or le style de notre auteur ressortit
à l’éloquence latine d’une période plus tardive, c ’est-à-dire de la fin du IVe ou

1. Sur ce personnage, cf. V.C. de Clercq, Ossius ofCordova. A Contribution to the History of
the Constantinian Period, Washington, Catholic University of America Press, 1954 ; sur la
participation d ’Osius au concile de Sardique, cf. le témoignage d ’A. Giustiniani (ed. princeps
1520), Epist. Dedicat. : [...] Haec autem scripsit Chalcidius abhinc mille centum et triginta annis,
ad Osium Cordubensem Episcopum, qui concilio praefuit Sardicensi [...].
2. L’expression est de M. Meslin, Les Ariens d ’Occident 335-440, Paris, Seuil, 1967, p. 33.
3. Cf. H. Hess, The Canons of the Council of Sardie a A.D. 343: A Landmark in the Early
Development of Canon Law, Oxford, Clarendon Press, 1958.
4. Cf. les débuts des mss. suivants : Madrid (Escorial S .111.5) : Osio episcopo Calcidius archi-
diaconus ; Vienne (lat. 278) : Osii episcopi Cordubensis rogatu Calcidius hunc librum suscepit
transferendum ; Oxford (Bodl. Auct. F., 15) : Ossius Hispaniae episcopus fuit, Calcidius uero
archidiaconus fuit ; Vatican (lat. 3815) : Osio episcopo Calcidius diaconus ; Florence (Riccard.
139) : Osio episcopo hispaniae conflator huius operis archidiaconus ; sur ces manuscrits, cf. infra
« La tradition manuscrite ».
5. Cf. J. Wrobel, Platonis Timaeus interprete Chalcidio cum eiusdem commentario, Leipzig,
Teubner, 1876, praef. p. X ; W. Kroll, « Calcidius », Realencyclopadie der classischen Altertum-
wissenschaft III, coi. 2042-2043 ; D. Tamilia, « De Chalcidii aetate », Studi Italiani di Filologia
Classica 8, 1900, p. 79-80 ; B.W. Switalski, Das Chalcidius Kommentar zu Piatos Timaeus,
Miinster, Aschendorff, 1902, p. 3 et 6 ; P.A.C. Vega, « Calcidio gran escritor... », p. 154-156 ;
G. Bardy, « Chalcidius », dans A. Baudrillart (éd.), Dictionnaire d ’histoire et de géographie
ecclésiastiques XII, Paris, Letouzey et Ané, 1953, p. 278 ; V.C. de Clercq, Ossius of Cordova,
p. 69-75 ; M. Schanz & C. Hosius, Geschichte der Rômischen Literatur 1, München, Beck’sche,
1959, p. 137 ; J.C.M. van Winden, Calcidius on Matter. His Doctrine and Sources, Leiden, Brill,
1965, p. 2 ; et encore J. Dillon, The Middle Platonists. A Study of Platonism 80 B.C. to A.D. 220,
London, Duckworth, 1977, p. 401-402; art. «C halcidius, IVe s iè c le » [J. Salem], dans
D. Huisman (dir.). Dictionnaire des philosophes, Paris, PUF, 1984, p. 509-510 ; art. « Calcidius »
[J. Dillon], dans R. Goulet (dir.), Dictionnaire des philosophes antiques II, Paris, CNRS, 2000,
p. 156-157 ; et R. Herzog (éd.), Nouvelle histoire de la littérature latine 5. Restauration et
renouveau, tr. fr. Paris, Brepols, 1993, §566 «C alcid iu s» [G .M adec], p. 405-407. De même,
J.T. Muckle situe Calcidius au début du IVe siècle (« Greek Works Translated Directly into Latin
Before 1350 », Mediaeval Studies 4, 1942, p. 40).
10 BÉATRICE BAKHOUCHE

du début du Ve siècle l, mais guère plus tard 12. D ’autre part, J.H. Waszink a
contesté l’origine espagnole de Calcidius en se fondant sur le silence d’Isidore
de Séville à propos de l’ami d ’Osius et en déniant tout point commun entre les
deux auteurs 3 ; or, pour nous, cet argument n ’emporte guère l ’adhésion 4 ;
l’absence de manuscrit d ’origine espagnole est en revanche d ’un plus grand
poids. Enfin, D. Tamilia 5, sans toutefois contester l’identification de l’ami de
Calcidius avec l’évêque de Cordoue, remarque que jamais Calcidius ne donne
à son ami ce titre religieux. Autant d ’éléments qui battent en brèche l ’asso­
ciation du dédicataire de l’œuvre de Calcidius avec Osius de Cordoue et qui
nous obligent à envisager une autre datation 6.
Il est possible d ’affiner le cadre chronologique étudié si nous arrivons à
identifier ce fameux Osius. Or nous connaissons deux autres personnages
ayant porté ce no m 7 : l’un, originaire d ’Espagne, ancien esclave et cuisinier,
aurait exercé la charge de magister officiorum à la cour orientale du 28 janvier
396 au 15 décembre 398. Cet Osius apparaît cependant totalement étranger aux
lettres et n ’aurait probablement pas commandé un commentaire au Timée.
L’autre, originaire de Milan, était l’arrière-petit-fils d ’un consulaire de Vénétie
et d’Istrie ; il aurait occupé à la cour la charge de comes rerum privatarum et
celle de comes sacrarum largitionum 8. C ’est peut-être lui qui est présenté par
Claudien 9 comme un membre du conseil impérial qui se réunit en 399 pour
discuter de la révolte du Goth Tribigildus. L ’époque correspond à celle que
nous avons jusque-là vaguement définie ; en outre, cet Osius est chrétien, ainsi
que le prouvent les allusions calcidiennes à son christianisme 10. Son épitaphe
a été fort heureusement conservée :
LVX PATRIAE SVBLIME DECVS PATER OSIVS VRBIS
MVNDO FLENTE IACENS CONDITVR HOC TVMVLO

1. Cf. infra « Le style ».


2. Les formes des clausules excluent une datation « basse » (fin Ve-début VIe s.) ; cf. éga­
lement J.H. Waszink (praef. p. XV), qui compare le stilus ornatus de Calcidius à celui de Claudien
Mamert, Sidoine Apollinaire ou Ennode ; cf. également infra « Le style ».
3. Cf. praef. p. XIII-XIV ; J. Fontaine {Isidore de Séville et la culture classique dans l ’Espagne
wisigothique II, Paris, Études augustiniennes, l ère éd. 1959, p. 758-759) cite notre auteur entre
autres sources possibles des Origines d ’Isidore sans voir néanmoins le moindre parallèle entre les
textes ; contra « La fortune de l ’œuvre », infra.
4. Cf. infra p. 53-54, les parallèles textuels entre les deux auteurs ; de toute façon, Calcidius
n’est jamais nommé par ceux qui utilisent son œuvre.
5. « De Chalcidii aetate », p. 80.
6 .Contra J. Dillon, The Middle Platonists, p .4 0 2 et 408, et J.M. Rist (Platonism and its
Christian Heritage , London, Variorum Reprints, 1985, p. 152-155), qui insiste sur une datation
haute (premier quart du IVe siècle), car il nie toute influence porphyrienne sur Calcidius.
7. Cf. RE VIII.2, s.v. « Hosius », col. 2492-2493 [Seeck].
8. Cf. l ’épitaphe ci-après.
9. In Eutropium II, p. 346 sq. Cf. Jones, Martindale et Morris, The Prosopography ofthe Later
Roman Empire II, p. 445.
10. Cf. les expressions comme ut optime nosti (chap. 133), lorsque Calcidius se réfère à des
idées chrétiennes.
INTRODUCTION GÉNÉRALE 11

HVNC mediolani POPVLVS NVNC LVGEAT OMNIS


NOVERIT VT TANTI PIGNVS OBISSE VIRI
COMMVNIS PLACIDVS HILARIS IVCVNDVS HONESTVS 5
MORIBVS HIS VRBEM FECERAT ESSE SVAM
CELSA DOMVS PROAVVUSQ POTENS VENETAE ARBITER ORAE
SED MERITIS MENTIS VICERAT ISTE GENVS
PRIVATAE COMES ATQ REI PROVECTVS IN ALTVM
SACRARVM MERVIT SVMEREIVRA COMES 10
PATRICIVM CVLMEN GRADIBVS CONSCENDIT HONORIS
CREVIT ET EX TANTO PRAESVLE CENSVS HONOR
DOMNICA SED CONIVNX RETINET COMMVNE SEPVLCRVM
IVNCTA TORIS QVONDAM IVNGITVR ET TVMVLIS 1.

S’il s’agit bien du dédicataire de Calcidius, les indications biographiques


ci-dessus évoquées nous permettent de voir dans l’ami de Calcidius un des
grands personnages de la cour occidentale. D’autre part, si Osius occupe un
poste important en 399, on peut imaginer que quelques années auparavant, il
était déjà assez occupé pour demander à Calcidius un travail qu’il n’avait pas
le temps de mener à bien lui-même. Or, s’il admet que Calcidius a écrit vers
l’an 400, J.H. Waszink considère que son origine milanaise est une conjecture
douteuse 12. Reprenant l’analyse après l’éditeur hollandais, P. Courcelle va plus
loin en montrant à plusieurs reprises que l’œuvre de Calcidius trouve des échos
dans celle d ’Ambroise de Milan, d ’où sa conclusion : « J ’aurais tendance à
croire que ce philosophe fut contemporain d ’Ambroise et à placer son
Commentaire environ deux décennies plus tôt que ne le supposait M. Waszink 3 »,

1. C /L V , 6253. Traduction :
« Lumière de la patrie, sublime gloire de la ville, le vénérable Osius,
Quand le monde est en larmes, gît caché au tombeau.
Qu’à Milan tout le peuple le pleure,
Et, comme ses enfants, apprenne son trépas.
Amène, paisible, joyeux, charmant et honorable,
Il faisait par ces mœurs que la ville était sienne.
Une noble maison et un puissant aïeul maître de la côte vénète.
Mais lui l ’avait emporté dans sa famille par les mérites de l ’esprit.
Comte des biens privés, se dressant vers le haut.
Comte des largesses sacrées il mérita de rendre la justice.
Au faîte du patriciat, il gravit les degrés des honneurs ;
Avec un tel président l’honneur de la censure grandit,
Mais son épouse Domnica garde le sépulcre commun,
Elle a partagé sa couche et partage aussi son tombeau. »
2. Praef. p XVI. Sur la date, cf. ibid., p. XIV-XV, et E. Mensching (« Zur Calcidius-Überlie-
ferung », Vigiliae Christianae 19, 1965, p. 42-56 et sa recension de l ’édition de J.H. Waszink,
Gnomon 37, 1965, p. 26-36.
3. « Ambroise de Milan et Calcidius », dans Romanitas et Christianitas, Amsterdam, North
Holland, 1973, p. 45-53 [p. 49] ; pour les autres études de P. Coucelle sur Calcidius et Ambroise,
cf. infra « La fortune de l ’œuvre » et notes ad loc. Cf. également la brève notice de H. Chadwick
consacrée à « C(h)alcidius », dans N.G.L. Hammond & H.H. Scullard (éd.), Oxford Classical
Dictonnary, Oxford, Oxford University Press, 2e éd. 1970, p. 226.
12 BÉATRICE BAKHOUCHE

soit en 380. Enfin, l’étude des passages « philoniens » chez notre exégète
permet à D.T. Runia de conclure dans le même sens L L ’œuvre de Calcidius
pourrait donc s’inscrire dans les vingt dernières années du IVe siècle 12, dans le
milieu platonicien de Milan.
Par ailleurs, le lien d'amicitia 3 qui unit les deux hommes conduit égale­
ment à penser qu’ils sont du même monde. Ils appartiennent à l’élite de la fin
du IVe siècle, époque où les hommes de la haute société aiment à faire étalage
de leur érudition, voire d’une certaine préciosité. L ’épître dédicatoire reflète
assez bien cette ambiance intellectuelle : elle apparaît comme une « lettre
d’art » 4. Protestations d’humilité, éloge du destinataire, recherche artistique... :
rien n’y manque.
D’un autre côté, la culture de Calcidius n ’est pas seulement littéraire ou
rhétorique, elle est aussi scientifique et philosophique. Calcidius est un homme
de lettres, un intellectuel qu’on estime assez pour lui demander une tâche déli­
cate. C ’est un homme cultivé : il connaît bien le grec, au point de se lancer
dans la traduction d ’une œuvre réputée difficile à lire, encore plus difficile à
rendre en latin 5. Les disciplines scientifiques ne lui font pas peur : toute la pre­
mière partie du commentaire est le lieu d ’exposés plus ou moins riches sur les
quatre grandes disciplines que le Moyen Âge, à la suite de Boèce, appellera
quadrivium. Et il n’est pas vrai qu’en vil plagiaire, le commentateur se con­
tente de démarquer sa source, puis se détourne d ’elle dès qu’il ne la comprend
plus 6. On peut créditer au contraire notre auteur de connaissances personnelles
qu’il maîtrise assez pour les intégrer à son exégèse.
Comme on l’a vu, la proximité d ’expression, sinon toujours de pensée,
entre Calcidius et Ambroise 7 nous invite à le juger connu des cercles chrétiens

1. Philo in Early Christian Literature, 1993, Assen, Van Gorcum, p. 290 : « It is more likely
of the second half of the 4th century than in distant Spain (even if it is possible to rob the
arguments of Dillon and Jones of ail their force). It is to the centre of this Western renaissance,
the figure of Ambrose himself... ».
2. Ce qui corroborerait une précision donnée dans la lettre dédicatoire de l’édition princeps de
Giustiniani (1520) : [...] Haec scripsit Chalcidius abhinc mille centum et triginta annis [...] ; si
Calcidius a écrit « il y a 1130 ans », il est facile de dater l ’œuvre de l’an 390.
3. Cf. Épître à Osius : [...] Eadem est, opinor, uis amicitiae parque impossibilium paene
rerum extricatio, cum alter ex amicis iubendi religione, alter parendi uoto complaciti operis admi­
niculentur effectui [...].
4. L ’expression est de H.-I. Marrou, Saint Augustin et la fin de la culture antique , Paris, de
Boccard, 1937 (réimpr. 1983), p. 96. Sur cette Épître, cf. B. Bakhouche, Les textes latins d'astro­
nomie, un maillon dans la chaîne du savoir, Leuven-Paris, 1996, p. 65-70 ; cf. Annexe I et infra
« Le style ».
5. Cf. Ep. : [...] primas partes Timaei Platonis aggressus non solum transtuli sed etiam partis
eiusdem commentarium feci putans reconditae rei simulacrum sine interpretationis explanatione
aliquanto obscurius ipso exemplo futurum [...]. Ce ne pourrait être qu’un topos de la rhétorique des
préfaces, mais il y a une part de vérité s ’agissant du Timée, un dialogue réputé difficile entre tous,
cf. infra p. 15.
6. C ’était l ’avis de W.H. Stahl, Roman Science, Madison, University of W isconsin Press,
1 962,p . 145.
7. Cf. supra p. 11 et n. 3.
INTRODUCTION GÉNÉRALE 13

milanais des années 380, et L. Jerphagnon 1 n’exclut pas l’idée que Calcidius
ait pu faire partie du fameux « cercle de Milan », groupe informel d’amateurs
du platonisme auquel appartenait Ambroise lui-même : il n’est pas impossible
non plus de penser qu’Augustin a connu l’œuvre lors de son séjour milanais.
C’est à Milan, en tout cas, que le futur évêque d’Hippone aurait envisagé de
composer une série de manuels scientifiques qu’il devait appeler, dans la plus
pure tradition varronienne, les Disciplinarum libri 12. Pour mener à bien ce
projet, il s’était peut-être intéressé à la première partie du commentaire de
Calcidius.
Un dernier argument en faveur d ’un séjour à Milan est à tirer de l’œuvre
même : R.T. Runia a montré en effet que Calcidius n’aurait pu connaître - de
façon directe ou indirecte - l’œuvre de Philon dans la lointaine Espagne, mais
beaucoup plus vraisemblablement dans l’Italie de la seconde moitié du IVe
siècle 3.
Si l’on peut considérer comme quasiment prouvé que Calcidius a composé
son œuvre à Milan, était-il pour autant Italien ? Ce serait par défaut, car cette
question rejoint celle du nom, et J.H. Waszink, après avoir récusé l’hypothèse
d’une origine espagnole ou gauloise, ne croit guère à un Calcidius africain 4.

L ’ŒUVRE

L’œuvre offre deux volets nettement distincts, la traduction et le commen­


taire, et chacun de ces volets est à son tour subdivisé en deux parties 5 : la pre­
mière partie du commentaire s’attachant à l’exégèse de la première partie de la
traduction, et de même pour les secondes parties respectives, si bien qu’il n’est
pas rare de trouver couplées, dans les manuscrits, les premières parties de la
traduction et du commentaire ensemble, et les secondes également6.

1. Saint Augustin, Les Confessions, Œuvres /, éd. par L. Jerphagnon, Paris, Gallimard, 1998,
Répertoire : « Cercle de Milan », p. 1462-1463.
2. Cf. Œuvres de Saint Augustin VII. Dialogues philosophiques 4. La musique, éd. par
G. Finaert, Paris, Cerf, 1946, Introduction, p. 7 ; H.-I. Marrou, Saint Augustin..., 2e partie et
appendice note C, p. 570-579. Sur les rapports de Calcidius à Favonius Eulogius par l ’inter­
médiaire d’Augustin, et sur Augustin lecteur de Calcidius, cf. infra « La fortune de l’œuvre ».
3. Philo in Early Christian Literature, p. 290 ; cf. infra « Les sources » pour l ’influence de
Philon.
4. Praef. p. XVI-XVII ; P.E. Dutton (« Médiéval Approaches to Calcidius », p. 185) pense à tort
que pour J.H. Waszink, Calcidius était un Africain installé près de Milan.
5. Cf. pour le commentaire, la phrase de clôture de la première partie (chap. 118) : Hactenus
de mundi sensilis constitutione tractauit. J.H. Waszink cependant attribue à Calcidius l’idée d ’une
division au chapitre 268, par référence à Tim. 47E3-5, ce qui est possible (cf. infra « Une œuvre
inachevée ? »), mais ne correspond pas à la réalité de la transmission du texte.
6. Sur la présentation originelle du texte, cf. infra « La tradition manuscrite ».
14 BÉATRICE BAKHOUCHE

L·importance du Timée
Le Timée est incontestablement le dialogue de Platon le plus cité dans
l’Antiquité, le plus lu et le plus commenté à l ’époque médio-platonicienne.
Considéré comme la bible des platoniciens l, il a joui d ’une faveur extraor­
dinaire dans la tradition platonicienne, comme en témoignent les multiples
commentaires qui ont vu le jour dans le monde grec. On en connaît en effet au
moins une vingtaine, dont la plupart ne nous sont parvenus que de façon indi­
recte, par citation. H. Krause 12 en a depuis longtemps donné une liste, en dis­
tinguant, à la suite de Th.-H. Martin 3, commentaire, paraphrase ou interpré­
tation sur une partie du texte. Parmi les commentateurs, citons Crantor, le pre­
mier exégète de Platon (cf. Proclus, In Tim. I, 76. 3-10), Albinus 4 (cf. Proclus,
In Tim. II, 219. 2-14), Adraste (cité par Porphyre, In Ptol. Harm., p. 96, 1-2,
éd. Düring), Taurus (cité par Philopon, De aet. mundi XIII, 520.4, éd. Rabe),
Galien, Harpocration, Porphyre et Sévère. S’il est aujourd’hui douteux que
Posidonius 5 ait réellement écrit un commentaire au T im ée, il faut ajouter
l’exégèse de Longin 6, les commentaires anonymes (par exemple dans le Pap.
Oxyr. 1609) et les exégèses partielles comme celles de Nicomaque de Gérase,
Plutarque de Chéronée ou Théon de Smyrne, pour ne citer que les textes qui
intéressent l’œuvre de Calcidius. Le Timée reste donc le principal texte de

1. L ’expression est de H. Dôrrie, « L e renouveau du platonisme à l ’époque de C icéron»,


Revue de théologie et de philosophie 24, 1974, p. 13-29 [p. 23] ; sur la centralité du Timée dans le
médio-platonisme, cf. Fr. Ferrari, « Struttura e funzione d ell’esegesi testuale nel medioplato-
nismo : il caso dei Timeo », Athenaeum 29-2, 2001, p. 525-574 [p. 529] ; « Interpretare il Timeo »,
dans Th. Leinkauf & C. Steel (éd.), Plato’s ‘Timaeus’ and the Foundations of Cosmology in Late
Antiquity, the Middle Ages and Renaissance , Leuven, Leuven University Press, 2005, p. 1-12
[p.4.]
2. Studia neoplatonica (diss.), Leipzig, Oswald Schmidt, 1904, p. 46-54 : « Appendicula : De
antiquis Timaei interpretibus ».
3. Études sur le Timée de Platon II, Paris, Ladrange, 1841, p. 389-404.
4. A l ’identification d’Albinus et d’Alcinoos depuis longtemps proposée par J. Freudenthal
(.Der Platoniker Albinos und der falsche Alkinoos, Berlin, 1879) et jamais contestée par la critique
s’oppose la ferme démonstration de J. Whittaker qui dissocie bien d ’Albinus l ’auteur du Didaska-
likos {cf. « Platonic Philosophy in the Early Centuries of the Empire », ANRW II, 36.1, p. 81-123
[p. 83-102], et Alcinoos, Enseignement des doctrines de Platon, éd. par J. Whittaker et P. Louis,
Paris, Les Belles Lettres 1990, Introduction, p. VII-IX).
5. Il est cité par H. Krause comme auteur de commentaire {Studia neoplatonica, p. 49), mais
M. Baltes l ’ignore {Der Platonismus in der Antike III, Stuttgart, Fromann-Holzboog, 1993, « Die
Kommentare zum Timaios », p. 48-54 et 162-224). Sur Posidonius, cf. Realencyclopadie der
classischen Altertumwissenschafi X X II.1, s.v. Poseidonios, 558-826 [K. Reinhardt] ; A. Nock,
« Posidonius », Journal of Roman Studies 49, 1959, p. 1-15 ; M. Laffranque, P oseidonios
d ’A pam ée, Paris, PUF, 1964; et L. Edelstein et I.G .K idd, Posidonius : 1. The Fragments,
Cambridge, Cambridge University Press, 1972, rééd. 1989, et 2. The Commentary, Cambridge,
Cambridge University Press, 1988.
6. Cf. Longin, Fragments, éd. par M. Patillon et L. Brisson, Paris, Les Belles Lettres, 2001,
fr. 24-37 (qui ne portent que sur le prologue du dialogue) et notice, p. 24-28.
INTRODUCTION GÉNÉRALE 15

référence à partir duquel s’élaborent les œuvres philosophiques les plus signi­
ficatives de l’époque médio-platonicienne l.
Cette abondance d ’études s’explique assurément par plusieurs raisons.
C’est d’abord que le Timée est un texte difficile, exemple paradigmatique de
l’obscurité que les auteurs anciens attribuaient à Platon 12. Souvent allusif, il est
présenté par Platon-Timée lui-même comme un είκώς μύθος 3 ou un είκ ώ ς
λόγος 4, c ’est-à-dire un récit vraisemblable et chronologique de ce qui, en réa­
lité, doit transcender le temps 5. Mais l’adjectif peut être entendu également,
selon L. Brisson, qui joue sur la polysémie de είκώ ς et sur la paronomase
είκών / είκώς, comme signifiant « qui porte sur les copies des formes intelli­
gibles, c’est-à-dire sur les choses sensibles » 6. Du reste, qu’on parle de dis­
cours ou de mythe, un exposé sur l ’univers sensible ne peut ressortir à la
science car, pour Platon comme pour Aristote, il ne peut y avoir de science que
d ’objets immuables et éternels ; de ce fait, la radicale infériorité ontologique
de la copie (le monde sensible) est corrélée à un discours qui ne saurait être
vrai mais seulement vraisemblable, selon l’analogie onto-épistémologique
exprimée par Platon lui-même en 29C2-3 : « Ce que l ’être est au devenir, la
vérité l’est à la croyance. » Dès lors, un discours sur le devenir ne peut qu’être
plausible. D’un autre côté, ce dialogue, en proposant un modèle de l’univers
physique, se présente comme un traité de cosmologie, le premier en fait à nous
être parvenu ; il offre une véritable somme des connaissances humaines, une
encyclopédie scientifique (dont la brièveté même exigeait d’emblée des éclair­
cissements et des explications préliminaires pour qui ne possédait pas une
solide culture scientifique). Ce qui ressortit à la cosmogonie et à la « psycho-
gonie » est en effet associé aux quatre sciences « mathématiques » (arithmé­
tique, géométrie, musique, astronomie) ; en revanche, pour ce qui se rapporte à
l’homme et à l ’anthropologie, le texte platonicien fait intervenir des sciences

1. Voir J. Bames, « Impérial Plato », Apeiron 26, 1993, p. 129-151 [p. 140] ; Fr. Ferrari, « I
commentari specialistici aile sezioni matematiche tel Timeo », dans A. Brancacci (ed.), La filosofia
in età imperiale , Roma, Bibliopolis, 2000, p. 169-224 (« 1. L ’esegesi dei Timeo nei primi secoli
dell’epoca imperiale », p. 171-179, et « 2. La diffusione dei commentari specialistici al Timeo »,
p. 179-186), et également « Interpretare il Timeo », p. 1-2.
2. Sur l ’obscurité du texte platonicien, voir le témoignage de Cicéron : rerum obscuritas non
uerborum facit ut non intellegatur oratio, qualis est in Timaeo Platonis (De fin. II, 5, 15) ; cf. de
même Calcidius, chap. 1 et note ad. loc., et, pour les autres références, B. Bakhouche, « La trans­
mission du Timée dans le monde latin », dans D. Jacquart (éd.), Les voies de la science grecque,
Genève, Droz, 1997, p. 1-31 [p. 3, n. 4], et Fr. Ferrari, « I commentari specialistici... », p. 186-187.
3. Tim. 59c7, 68D1-2 ; μύθος seulement en 69b1.
4. Tim. 30 b 8, 48 d 2, 53 d 6, 55 d 5, 56 a 2, 57 d 6, 68 d 1-2, 90 e 8.
5. Voir ce que disait déjà J. Moreau, L ’âme du monde de Platon aux Stoïciens, Paris, Les
Belles Lettres, 1939, p. 5 : « La genèse transcendantale est décrite dans les termes d’une genèse
naturelle ; la procession se traduit en succession temporelle ; l ’antériorité du principe s ’exprime
par une antériorité chronologique » ; et L. Brisson, Platon, les mots et les mythes, Paris, Maspéro,
1982.
6. Platon, Timée. Critias, Paris, GF-Flammarion, 1992, Introduction, p. 70-71, et Platon, les
mots et les mythes, p. 161-163.
16 BÉATRICE BAKHOUCHE

comme l’optique ou la médecine. On peut donc comprendre que le caractère


« mythique » de l ’énoncé et sa dimension scientifique constituaient autant
d’éléments de nature à désarçonner un lecteur non averti. Dans un monde latin
où quelques lettrés soucieux de préserver l ’héritage grec se lançaient dans
diverses traductions l, presque personne n ’avait osé s’attaquer au T im ée,
dialogue réputé, on l’a dit, difficile entre tous. Si le dialogue était connu des
lettrés 12, rares en sont les traducteurs : Cicéron et Calcidius en sont les seuls
connus. Pour l ’étude comparative des deux traductions, on se reportera à
l’introduction à la traduction. Qu’il nous suffise ici de préciser les différences
et ressemblances entre les deux travaux. D ’abord, Cicéron actualise le dialogue
grec en substituant aux pages introductives du Timée une mise en scène romaine :
il ne s’agit plus d ’une conversation entre le pythagoricien Timée, Socrate,
Hermocrate et Critias, mais d ’une entrevue entre 1’Arpinate lui-même, Cratippe
et Nigidius Figulus campé en nouveau Timée 3. Calcidius, en revanche, traduit
d’emblée le texte grec dès sa première page : sa version fait totalement dispa­
raître son identité et sa personnalité, si bien que la version calcidienne a été
systématiquement transmise sous le titre Platonis Timaeus 4. Ensuite, s’il tra­
duit à partir de la page 17a du Timée 5, son commentaire permet cependant
d’inférer que seule la première partie du dialogue, de la page 27 à la page 53c,
l ’intéressait ; de même, en dehors de trois lacunes réelles., la traduction de
Cicéron concerne les pages 27d -47d . Cicéron comme Calcidius se sont donc
attachés à une fraction du Timée sensiblement identique6. C ’est en général
cette partie du dialogue platonicien qu’ont connue les Latins, car elle offrait un
véritable traité de philosophie de la nature, premiers tâtonnements d ’une cos­
mologie scientifique.

1. Déjà au IIe siècle, Apulée, auteur d’une traduction aujourd’hui perdue du Phédon, traduit le
De Mundo du Ps.-Aristote ; Marius Victorinus, au IVe siècle, traduit des ouvrages néoplato­
niciens ; et surtout, deux siècles plus tard, Boèce traduit et commente Aristote et veut offrir à son
public romain des traductions latines d ’originaux grecs pour les quatre disciplines scientifiques
constituant le quadrivium. Nous avons conservé les traités d ’arithmétique et de musique ; le traité
d’astronomie est aujourd’hui perdu ; quant à la Géométrie qui lui est attribuée, c ’est un texte apo­
cryphe.
2. Cicéron naturellement, mais aussi Sénèque, Apulée, Minucius Félix et, plus tard, Macrobe,
Martianus Capella, puis Boèce... ( cf. M. Lemoine, « Le Timée latin en dehors de Calcidius », dans
A. de Libera, A. Elamrani-Jamal et A. Galonnier (éd.), Langages et philosophie. Hommage à Jean
Jolivet, Paris, Vrin, 1997, p. 63-78 ; B. Bakhouche, « La transmission du Timée... », p. 10-11).
3. Cf. Cicéron, Tim. 1, 1-2. Sur Nigidius Figulus, cf. Realencyclopadie der classischen Alter-
tumwissenschaft XVII.1, col. 200-212 [W. Kroll] ; A. Petit, « Le pythagorisme à Rome à la fin de
la République et au début de l ’Empire », Archivum Latinitatis Medii Aevi 15, 1988, p. 23-32 ; et
D. Liuzzi, Nigidio Figulo « astrologo e mago », Lecce, Milella, 1983.
4. Cf. infra « La tradition manuscrite ».
5. Selon la pagination et la division du texte réalisées par H. Estienne dans son édition de
1578.
6. Cf. B. Bakhouche, « La transmission du Timée... », p. 6-7.
INTRODUCTION GÉNÉRALE 17

Le genre du commentaire philosophique


Dans son édition, J.H. Waszink justifie le terme de « commentaire »
appliqué au second volet de l’œuvre de Calcidius par référence au passage
suivant de la dédicace à Osius : ... primas partes Timaei Platonis aggressus
non solum transtuli sed etiam partis eiusdem com m entarium fe c i... l, bien
qu’au chapitre 7, l ’auteur parle de son liber à propos de l’organisation de la
matière, la dispositio libri12. De même, les manuscrits, quand ils nomment la
partie exégétique, l’appellent simplement liber, expositio 3, ou s’en tiennent la­
coniquement à des expressions comme Calcidius in Timaeum 4. Un titre
s’adresse au lecteur - ou plutôt à un lecteur - , d’où les changements de titre
suivant les époques et un certain flou dans les textes anciens eux-mêmes ; c’est
un élément paratextuel indispensable dans toute tradition éditoriale et celui de
« commentaire » permet aujourd’hui une meilleure identification du genre au­
quel appartient le texte 5.
Le commentaire philosophique résulte de la métamorphose de la pratique
philosophique à l’époque impériale, et devient le fruit d’une pratique scolaire.
On ne vit plus en philosophe, on se contente d ’étudier les textes du Maître :
« L ’écrit des fondateurs, écrit P. Hadot, remplace l’institution scolaire qu’ils
avaient créée. Mais il marque aussi une étape dans l ’évolution des rapports
entre oralité et écriture 6. » Sur ce point, il convient néanmoins de bien distin­
guer l ’Orient (où la littérature philosophique de commentaire s’est poursuivie
sans interruption des IIIe-IVe siècles au VIIe, et dont on a des dizaines de spé­
cimens) de l’Occident (où l’on n’a que quelques maigres produits, tous com­
posés sous influence grecque directe, comme les travaux de Calcidius, Macrobe
et plus tard Boèce). La dynamique de la recherche se transforme et se fige en
une matière d’enseignement destinée à constituer corpus exégétique et doxo-
graphie. On n’apprend plus à penser de façon originale mais à expliquer, et le
cours de philosophie se transforme en une lecture commentée des textes, abor-

1. Cf. la note ad loc. J. Wrobel (éd. de 1876, p. 69) donne le même titre sans justification :
Chalcidii in Platonis Timaeum commentarius.
2. Cf. infra « L ’organisation du commentaire ».
3. Dans la langue médiévale, ce dernier terme désigne automatiquement un commentaire.
4. Cf. cependant, au début de la première partie du commentaire, les incipit de deux manu­
scrits des IXe et Xe siècles, Valenciennes BM 293 et Brussel Bibl. Roy. 9625-9626 : Incipit prolo­
gus in commentum Calcidii (éd. J.H. Waszink, p. 347, et notre a.c. ad loc).
5. Cf. les études de J.-Cl. Fredouille, « Hésitations titrologiques et interprétation des œuvres »
(p. 385-396) et de L. Holtz, « Titre et incipit» (p. 469-489), dans J.-Cl. Fredouille et alii (éd.).
Titres et articulations du texte dans les œuvres antiques, Paris, Institut d’études augustiniennes,
1997.
6. « Théologie, exégèse, révélation », dans M. Tardieu (éd.). Les règles de T interprétation,
Paris, Cerf, 1987, p. 13-34 [p. 16]. Sur la transformation de l ’enseignement de la philosophie à
l ’époque impériale et l ’avènement de l ’ère du commentaire, cf. P.L. Donini, « Testi e commenti,
manuali e insegnamento : la forma sistematica e i metodi délia filosofia in età postellenistica »,
ANRW II, 36.7, 1992, p. 5027-5100 [p. 5033], et la synthèse de P. Hadot, Qu’est-ce que la
philosophie antique ?, Paris, Gallimard, 1995, p. 227-237.
18 BÉATRICE BAKHOUCHE

dant des points précis d’exégèse, dans le souci de sauvegarder la tradition con­
sacrée par les « autorités » et de transmettre dès lors une certaine forme
d’orthodoxie philosophique. Le commentaire est le résultat écrit d’un exercice
oral. Il pouvait porter sur une partie du texte-source ou sur sa totalité. Les
commentateurs antiques pouvaient recourir à des procédés herméneutiques de
nature différente : soit ils choisissaient, comme Galien, une exégèse κατά
λ έξιν, qui consistait dans la détermination du sens précis et sa re-formulation
en langage clair 1 ; soit ils adoptaient l ’exégèse κατά ζητήματα, comme
Plutarque sur le passage de la divisio animae, et s’efforçaient de rendre compte
du sens du texte à travers une série de quaestiones qui, à l’époque, devaient
déjà avoir un caractère topique 12.
Cantonné dans l’école, le commentaire philosophique ne pouvait atteindre
le grand public 3, et c’est peut-être ce qui a motivé les rares initiatives latines.
Le commentaire au Timée de Calcidius est en effet, avec celui au Songe de
Scipion de Macrobe, le seul écrit de ce genre de la littérature latine. Perpétuant
la tradition hellénistique, il se présente, comme ses homologues grecs, sous
forme d’une série de lemmes citant le texte à commenter et suivis de l’explica­
tion proprement dite, qui pouvait parfois se réduire à une simple paraphrase.
Le commentaire pouvait porter sur des questions purement littéraires - gram­
maticales, linguistiques, voire historiques ou mythiques - si le texte étudié
était un texte littéraire. Dans le cas du commentaire philosophique, l’explica­
tion grammaticale ou lexicale, sans être exclue4, n ’était jamais essentielle.
L ’exercice était assez strictement codifié : après la citation du texte de réfé­
rence, on rappelait les principales interprétations, puis l’auteur donnait - en
principe - celle à laquelle il adhérait. Il semble que, de la même façon que
l’exégète pouvait avoir à sa disposition des morceaux choisis de l’œuvre, de la
même façon il disposait de petits traités scientifiques destinés à éclairer les
passages commentés : nous en avons conservé un exemplaire significatif avec
l ’ouvrage de Théon de Smyme, Exposition des connaissances mathématiques

1. L ’origine de ce genre de commentaire serait liée à la nécessité d ’une ré-écriture, dès


l ’époque de la koinè grecque, quand la langue d’un Platon ou d’un Aristote n’était pas comprise de
tous (c/. D. Sedley, « Plato’s Auctoritas and the Rebirth of the Commentary Tradition », dans
M. Griffin & J. Bames, Philosophia Togata II, Oxford, Clarendon Press, 1997, p. 110-129 [p. 112-
115]).
2. Cf. D.T. Runia, Philo of Alexandria and the ‘Timaeus *of Plato, Leiden, Brill, 1986, p. 47-
5 3 ; Fr. Ferrari, « I commentari specialistici... », p. 186-191 et 204-213, et «Interpretare il
Timeo » ,p . 4-5.
3. Cf. I. Hadot, « Le commentaire philosophique continu dans l’Antiquité », Antiquité tardive
5, 1997, p. 169-176 : « C’est probablement l ’absence d ’un programme adapté aussi au grand
public qui a causé le déclin de la philosophie païenne. » [p. 176]. Voir également Commentaries -
Kommentare, Gôttingen, G.W. M ost, 1999, en particulier I. Sluiter, « Commentaries and the
Didactic Tradition», p. 173-205 ; M.-O. Goulet-Cazé (éd.), Le commentaire entre tradition et
innovation, Paris, Vrin, 2000 (ne concerne que le monde grec).
4. On en a un exemple, chez Calcidius, au chap. 98, à propos de la définition du terme caelum.
INTRODUCTION GÉNÉRALE 19

utiles pour la lecture de Platon l. Pour les passages scientifiques, un dévelop­


pement technique souvent général et dépassant le cadre exégétique suivait le
texte qu’il était censé éclairer. Présentés souvent en latin sous le titre à'Insti­
tutio 12, ces traités techniques n’avaient pas toujours de finalité en eux-mêmes,
mais se rattachaient obliquement à des œuvres - surtout celles de Platon et
spécialement le Timée - que le lecteur moyen ne pouvait plus comprendre,
faute d’une culture scientifique suffisante 3.
C’est dire que le commentaire peut se rattacher de façon assez lâche au
support commenté. C ’est un peu ce que l’on retrouve dans le commentaire de
Calcidius ou celui de Macrobe sur le Songe de Scipion. Du coup, chez l’un
comme chez l’autre, le support à l’exégèse en vient parfois à constituer un
cadre artificiel mais commode pour introduire des développements qui n’ont
pas toujours de rapport étroit avec le texte commenté 4. Il ne s’agit plus de
commentaire proprement dit, mais de commentaire spécialisé, pratique qui se
multiplie dans le moyen platonisme 5. Du reste, reconstituer un texte unique­
ment à partir des lemmes de son commentaire serait éclairant pour mesurer la
distance entre l’œuvre originelle et la partie expliquée, et pour mesurer égale­
ment la pertinence entre les extraits et leur interprétation d ’un côté et le sens
du texte premier de l’autre.
Par ailleurs, si certains commentaires s’attachent à l’exégèse de l’ensemble
du texte6, d ’autres n’offrent des développements explicatifs que sur un nombre
limité de passages. C’est cette méthode sélective qu’adopte Calcidius. Cependant
l’originalité du commentaire de Calcidius est d’épouser les deux formes d ’exé­
gèse : κατά λέξιν quand le lemme est suivi d ’une simple reformulation 7 et
κατά ζητήματα quand la citation sert de prétexte à un développement clos sur
lui-même, véritable mini-traité - scientifique ou philosophique. Par delà cette
distinction, l’intérêt de l’exégèse calcidienne est d’offrir un véritable cours de
philosophie, par l’intégration de développements scientifiques et doxogra-
phiques 8 assez complets au sein de l’exégèse philosophique proprement dite.

1. Éd. par E. Hiller, Leipzig, Teubner, 1878, rééd. 1995 ; trad. J. Dupuis, Paris, 1892 ; trad.
J. Delattre Biencourt, Toulouse, Anacharsis, 2010.
2. Voir, par exemple, YInstitution mathématique de Nicomaque de Gérase, YInstitutio arith­
metica et YInstitutio musica de Boèce.
3. Sur le rapport, par exem ple, des Institutiones de Boèce au Timée, cf. B.Bakhouche,
« Boèce et le Timée », dans A. Galonnier (éd.), Boèce ou la chaîne des savoirs , Leuven, Peeters,
2002, p. 247-265.
4. Cf. B. Bakhouche, Les textes latins d'astronomie, un maillon dans la chaîne du savoir,
Leuven, Peeters, 1996, p. 34-40.
5. Cf. Cl. Moreschini, Calcidio..., p. IX, n. 5.
6. Cf. Proclus, In Tim. I, 204. 24-27, passage auquel se réfère A.R. Sodano, Porphyrii in
Platonis Timaeum Commentariorum fragmenta, Naples, sans nom d ’éd., 1964, praefatio, p. VII ;
cf. également A. Smith, « Porphyrian Studies since 1913 », ANRW II, 36.2, 1987, p. 717-773
[p. 751].
7. Voir surtout les derniers chapitres (chap. 322-354).
8. Sur les doxographies, le travail de H. Diels a été déterminant ( Doxographi Graeci, Berlin,
de Gruyter, 1879, 1965), car, si les résultats de sa Quellenforschung ont été remis en question,
20 BÉATRICE BAKHOUCHE

L ’organisation du commentaire
Si Calcidius ne traduit pas le dialogue platonicien en entier, mais seulement
les pages 17a à 53c, la partie exégétique, elle, s’applique à une fraction encore
plus limitée du texte grec, puisqu’elle ne concerne en gros que les pages 31-53
d’un texte qui en compte 76 (de 17 à 92), soit bien moins d’un tiers l.
Le choix des passages à expliquer est justifié par Calcidius lui-même : [...]
sic interpretatus ut ea sola explanarem quae incognitarum artium disciplina­
rumque ignoratione tegerentur [...] Denique de principio libri, quo simplex
narratio continebatur rerum ante gestarum et historiae ueteris recensitio nihil
dixi, rationem tamen totius operis et scriptoris propositum et ordinationem
libri declaranda esse duxi2. Ces précisions appellent deux remarques. D ’abord,
si le commentateur prend délibérément le parti d ’expliquer uniquement ce que
son lecteur ne peut, selon lui, comprendre, s’il ne s’agit pas pour Calcidius de
rendre compte de tout le texte, mais seulement des passages incompréhensibles
faute des connaissances scientifiques nécessaires, une telle précaution cepen­
dant ne vaut que pour la première partie du commentaire, car, pour la seconde,
l’exégèse est purement philosophique et ne présuppose pas la maîtrise d ’inco­
gnitae artes disciplinaeque. Ensuite, Calcidius néglige délibérément l’explica­
tion des premières pages du dialogue, témoignant ainsi d’un véritable parti-pris
et d’une attitude particulière aux Platonici. C ’est le cas déjà de Galien 3 ; ce
sera plus tard celui de Sévère 4.

notamment par J. Mansfeld et D.T. Runia ( The Method & Intellectual Context o fa Doxographer,
vol. I The Sources, Leiden, Brill, 1997), l ’importance de ce type d ’ouvrages dans la formation
intellectuelle des hommes de l ’Antiquité - dès les présocratiques - est désormais reconnue. Voir
aussi B. W yss, « Doxographie », Reallexicon für Antike und Christentum 4, 1959, col. 197-210 ;
G. Cambiano (éd.), Storiografia e dossografia nella filosofia antica, Torino, Tirrenia, 1986 ; le
numéro spécial de la Revue de métaphysique et de morale (97-3, 1992) sur la doxographie antique
(A. Laks, « Avant-propos. Qu’est-ce que la doxographie ? », p. 307-309, et M. Frede, « D oxo­
graphie, historiographie philosophique et historiographie historique de la philosophie », p. 311-
325) ; A. Laks, « Histoire critique et doxographie. Pour une histoire de l ’historiographie de la phi­
losophie », Les études philosophiques 4, 1999, p. 465-477 ; St. Gersh & M.J.F.M. Hoenen (éd.),
The Platonic Tradition in the Middle Ages. A Doxographie Approach, Berlin-New York, de
Gruyter, 2002. A propos de Cicéron, voir H. Dôrrie, « Le renouveau du platonisme... », p. 25-26 ;
C. Lévy, Cicero Academicus, Roma, École française de Rome, 1992, p. 337-376 et 541-556, et
« Doxographie et philosophie chez Cicéron », dans C. Lévy (éd.). Le concept de nature à Rome,
Paris, Presses de l ’École normale supérieure, 1996, p. 109-123. Citons enfin l ’étude d ’A. Solignac
sur saint Augustin : « Doxographies et manuels dans la formation philosophique de saint
Augustin », Recherches augustiniennes 1, Paris, 1958, p. 113-148.
1. Cet usage partiel du dialogue n ’est pas nouveau, cf. H. Baltussen, « Early Reactions to
Plato’s ‘Timaeus’ : Polemic and Exegesis in Theophrastus and Epicurus », dans R.W. Sharples &
A. Sheppard (éd.), Ancient Approaches to Plato's 'Timaeus', London, Institute of Classical
Studies, 2003, p. 49-71 [p. 69-70].
2. Chapitre 4.
3. Compendium Timaei Platonis, éd. par P. Kraus et R. Walzer, London, Warburg Institute,
1951,1,5-8.
4. Cf. Proclus, In Tim. I, 204. 16-18.
INTRODUCTION GÉNÉRALE 21

La division du commentaire, si celle que nous avons conservée correspond


à la partition originelle, est liée à un projet herméneutique bien précis : l’exé­
gèse se fait à deux niveaux - un niveau « mathématique », scientifique, qui
fonctionne moins comme une propédeutique 1 que comme une première étape
dans le cursus philosophique, et un niveau proprement philosophique. En outre,
le Timée - à tout le moins son exégèse par Calcidius - constitue une totalité
qui ne traite pas seulement des trois grandes parties de la philosophie - logique,
physique et éthique 12 - , mais aborde les trois grands domaines de la recherche
philosophique - sciences, physique, théologie - , tripartition qui peut donner la
clé de composition du commentaire.
Le plan du commentaire
Après les précisions méthodologiques du commentateur au chapitre 4, le
lecteur pourrait s’attendre à ce que l’exégèse du texte grec commençât par le
passage qui suit Y historia uetus, c’est-à-dire à partir de 25d5. Or le début du
commentaire s’attache à un passage postérieur, celui où Platon commence à
traiter des proportions (31c2).
De fait, la première partie de la traduction de Calcidius concerne les pages
17-39E du dialogue et, dans ces pages, seules les pages 31-39 seront commen­
tées ; la seconde partie de la traduction correspond, elle, aux pages 39e -53 c et
le commentaire y afférent s’intéressera surtout aux pages 40-48 et 52-53. Ainsi
les 355 chapitres du commentaire s’attachent à expliquer moins de 20 pages du
Timée. Pourtant les lignes qui concernent les deux modèles du monde appe­
laient un commentaire. Leur interprétation eût aidé à saisir la pensée de Platon.
Or, au début du chapitre 8, le lecteur se trouve brusquement plongé dans un
univers mathématique dont il ne voit pas bien la fonction, et il peut, dès lors,
s’interroger sur la cohérence du commentaire : celui-ci n’est-il pas constitué de
la juxtaposition d ’explications différentes? Une telle inquiétude est encore
justifiée par l’annonce du plan du livre au chapitre 7, que nous reproduisons ci-
après, avec, pour chaque section, les chapitres correspondants du commen­
taire :
I. Quaeritur primo de genitura mundi. Chap. 8-25.
IL Dehinc de ortu animae. Chap. 26-39
III. Tune de modulatione siue harmonia. Chap. 40-45.
IV. De numeris. Chap. 46-55.
V. De stellis ratis et errantibus, in quarum numero sol etiam constitui­
tur et luna. Chap. 56-97.
VI. De caelo. Chap. 98-118.

1. Cf. I. Hadot, Arts libéraux et philosophie dans la pensée antique, Paris, Vrin, 1984, 2e éd.
2006.
2. Dans ce dernier cadre, Calcidius met en relief la iustitia et Yaequalitas qui existent dans le
monde naturel.
22 BÉATRICE BAKHOUCHE

VII. De quattuor generibus animalium, hoc est caelestium praepetum


nantium terrenorum. Chap. 119-201.
VIII. De ortu generis humani. Chap. 202-207.
IX. Causae cur homines plerique sint sapientes, alii insipientes.
Chap. 208-235.
X. De uisu. Chap. 236-248.
XI. De imaginibus. Chap. 249-263.
XII. Laus uidendi. Chap. 264-267.
XIII. De silua. Chap. 268-355.
XIV. De tempore.
XV. De primis materiis siluestribus et perpessionibus earum.
XVI. De diuersis humoribus corporum et phlegmate.
XVII. De sensibus odorationis et gustatus.
XVIII. De colorum uarietate et conuersione ex alio in alium quaeque colo­
ribus similia sunt.
XIX. De principali uitalis substantiae.
XX. De anima et partibus eius et locis.
XXI. De corporis membris et artubus.
XXII. De nationibus diuersarum gentium.
XXIII. De aegritudine corporis.
XXIV. De aegritudine animae.
XXV. De medela utriusque materiae.
XXVI. De uniuerso mundo et omnibus quae mundus complectitur.
XXVII. De intellegibili deo.
Cette dispositio libri, que concerne-t-elle en fait ? Est-ce le plan du Timée
lui-même ? C ’est vraisemblable, selon J.H. Waszink l. Est-ce celui du présent
commentaire ? On serait tenté de le croire en observant les subdivisions éta­
blies dans le texte calcidien par l’éditeur hollandais (et par J. Wrobel avant lui)
et qui correspondent à chaque section évoquée. Dans ce cas, le travail qui nous
serait parvenu ne serait pas terminé 12. Est-ce enfin - dernière hypothèse - le
plan d’un commentaire thématique dont s’inspire Calcidius et qu’il suit plus ou
moins ? Ce n’est pas impossible. Assurément, les « plans » marqués par des
titres chez les Anciens ne correspondent que très rarement à l’analyse que nous
faisons des contenus de ces textes, à une table des matières en quelque sorte ;
et si pourtant, dans le cas du commentaire de Calcidius, les différents thèmes
permettent de grouper ensemble plusieurs paragraphes avec une certaine cohé­
rence, le terme de species utilisé par Calcidius fait difficulté : on s’attendrait
plutôt à capitula, généralement utilisé dans la tradition antique3. D ’ailleurs,

1. Cf. l ’éd. de J.H. Waszink, praef. p. XVIII, et J.C.M. van Winden, Calcidius on Matter, p. 13-
14.
2. Cf. infra « Une œuvre inachevée ? ».
3. Cf. P. Petitmengin, « Capitula païens et chrétiens », dans Titres et articulations du texte...,
p. 491-507.
INTRODUCTION GÉNÉRALE 23

species paraît traduire un είδος grec, ce qui plaiderait en faveur de notre der­
nière hypothèse : le commentateur propose le plan du texte grec qu’il a sous
les yeux et qu’il commence à traduire. Faut-il voir enfin une volonté délibérée
- ou délibérément pythagoricienne - dans le nombre de species - 27, soit 33 -
ainsi déterminées ? En tout cas, si on peut dire que la dispositio libri de
Calcidius est sans doute un des premiers sommaires de la littérature latine éta­
bli par l’auteur lui-même l, les « prolégomènes » des premiers chapitres cor­
respondent aux schémas « isagogiques » 2.
Néanmoins, dans le commentaire de Calcidius, la dispositio libri du cha­
pitre 7 ne met pas assez en relief le lien qui unit les différents thèmes entre
eux, ni la progression de l’un à l’autre, d’où l’impression indéniable d’un com­
mentaire-patchwork. Pour rendre compte de la macro-structure du commen­
taire, on pourrait, à un premier niveau, voir dans la bipartition du commentaire
un reflet de la bipartition de la traduction, laquelle reflète à son tour la clôture
de 39D-E dans le texte platonicien. On pourrait également déceler une bipar­
tition du commentaire, entre traité de la nature et traité de la raison, dans la
phrase de conclusion au chapitre 107 : Verum haec disputatio, quia nihil per­
tinet ad naturalem tractatum, cum sit rationabilis, differetur. L ’analyse du
commentaire fort judicieusement dégagée par J.H. Waszink 3 permet d ’offrir
un plan tout à fait recevable du texte calcidien, même s’il faut faire litière de la
division en deux parties (1-118 et 119-355) attestée dans tous les manuscrits. Il
distingue en effet, s’appuyant sur la transition du Timée en 47e3-5, l’œuvre de
l’Intelligence et celle de la Nécessité 4 :
1. Ce qui a été créé par Dieu (8-267)
A. La création du monde (8-118)
- la création du corps du monde (8-25)
- la création de l’âme du monde (26-55)
- l ’harmonie entre l’âme et le corps (56-97), long excursus sur les
étoiles fixes et les planètes1234

1. De même, dans la Cité de Dieu où la capitulatio est de saint Augustin, cf. H.-I. Marrou,
« La division en chapitres des livres de la Cité de Dieu », dans Mélanges Joseph de Ghellinck I,
Gembloux, J. Duculot, p. 235-249 = Patristique et humanisme, Paris, Seuil, 1976, p. 253-265.
2. Cf. les schemata isagogica dans J. Mansfeld, Prolegomena, Questions to Be Settled Before
the Study of an Author, or a Text, Leiden-New York-Kôln, Brill, 1994, p. 21.
3. « Calcidius », p. 239-240. Cf. également éd. praef. p. xxix-xxxv, mais l ’articulation du
commentaire y est moins bien dégagée.
4. C ’est également le plan du Timée que propose L. Brisson dans son édition du Timée (Paris,
2e éd. 1995) : après un prélude qui va de 17a à 27c, l ’exposé de Timée (27C-92C) s ’articule en
effet en trois temps : « ce qu’a fait la Raison (29D-47E) », « ce qu’il en est de la Nécessité (47e-
69a) » et « la coopération de la Raison avec la Nécessité » (introduction, p. 65-69) ; cf. de même
D.T. Runia, Philo of Alexandria and the ‘Timaeus ’ of Plato, p. 298. Par rapport à ce plan, le com ­
mentaire de Calcidius ne s’intéresse qu’à la première partie et au début de la seconde. Sur ce pro­
blème du plan du Timée - et celui de ses commentateurs, en particulier Proclus - , cf. C. Natali,
« Antropologia, politica e la struttura dei Timeo », dans Plato Physicus..., p. 225-241 [p. 232-
235].
24 BÉATRICE BAKHOUCHE

- la liaison entre le corps et l’âme du monde (98-118)


—comment l’âme est donnée au corps (98-104)
-- éternité et temps (105-118)
B. L’état du monde après sa création (119-267)
- préface (119)
- l’être immortel (120-136)
—les dieux visibles : étoiles fixes, Terre et planètes (120-126)
—les dieux invisibles : les démons (127-136)
- les êtres mortels (137-267)
-- création de l’âme humaine (137-141)
—le sort (142-190)
-- les lois du destin (191-199)
—la naissance de l’être humain (201-267)
2. La création de la Nécessité : la matière (268-355)
A. Paraphrase introductive (268-274)
B. L ’exposé sur la matière (275-320)
- sommaire doxographique (275-301)
- comment Calcidius voit la matière et les άρχαί en général (302-320)
C. Preuve de ce qui précède grâce à une interprétation du Timée (321-
355).
Cette articulation rend assurément cohérence à un développement qui pou­
vait paraître au premier abord assez décousu. En outre, on peut remarquer qu’à
la partie l.A de J.H. Waszink correspondent les sections I-VI énoncées au cha­
pitre 7 et dont les titres mêmes évoquent le macrocosme ; le 1.B développe les
sections VII-XII sur l ’homme, tandis que la seconde partie coïncide avec la
seule section XIII sur la matière. La tripartition du commentaire calcidien
(chap. 8-118, 119-267 et 268-355) est une hypothèse également formulée par
J.C.M. van Winden 1 ; elle reproduirait la division traditionnelle du dialogue
platonicien en quatre parties, réduite à trois puisque l’exégète latin ne s’inté­
resse pas à la première (de 17a à 27d ), soit IL 27D-39E, III. 39E-47E, et IV.
47E-53C 12.
Reprenant à son tour le difficile problème du plan, Gr. Reydams-Schils 3
suggère une nouvelle organisation : en partant de la division de la philosophie
théorétique, au chap. 264 4, entre théologie, physique et science mathématique,
cette dernière division correspond aux chap. 8-118 du commentaire, la seconde
aux chap. 119-267 et la première partie à la section sur la matière (chap. 268-

1. Calcidius on Matter, p. 15 ; cf. de même Cl. Moreschini, Calcidio..., p. XL.


2. Cf. J. Hankins, « The Study o f the ‘Timaeus’ in Early Renaissance Italy », dans A. Grafton &
N. Siraisi (éd.), Natural Particulars. Nature and the Disciplines in Renaissance Europe, Cambridge,
Cambridge University Press, 1999, p. 77-117 [p. 81, n. 22].
3. « Meta-Discourse : Plato’s ‘Timaeus’ according to Calcidius », Phronesis 52, 2007, p. 301-
327 [p. 314-317].
4. Consideratio... diuiditurporro haec trifariam, in theologiam et item naturae sciscitationem
praestandaeque etiam rationis scientiam.
INTRODUCTION GÉNÉRALE 25

355). Cette division en trois parties sensiblement égales est éminemment péda­
gogique en ce sens qu’elle offre une progression graduelle à partir du type de
connaissance de base - les mathématiques - , suivi de la physique, puis des
principes fondamentaux de la réalité qui ressortissent à la théologie. D’où :
A. Mathématique et univers
B. a. Physique
B.b. Théologie
La structure du commentaire peut se lire in fine comme l’expression d’une
hiérarchie à travers le passage d ’un niveau de réalité à l’autre : de la création
du cosmos par le démiurge, on passe à son action, à celle du destin, puis à la
matière.
Une œuvre inachevée ?
La question de l’inachèvement de l’œuvre peut paraître incongrue, et pour­
tant plusieurs indices peuvent plaider en sa faveur, emportant l’adhésion sans
explication, il y a longtemps déjà, de P.A.C. Vega *, ou suscitant la question,
encore récemment, de P.E. Dutton : « Is Calcidius' work complete ? » 12. Ce
dernier, se fondant sur le pluriel primas partes de la lettre de dédicace à Osius,
pense en effet que Calcidius aurait envisagé à l’origine une division du dia­
logue platonicien en quatre parties, ce qui impliquait une partition analogue de
la version et du commentaire. L ’œuvre qui est parvenue jusqu’à nous ne cor­
respondrait qu’aux deux premières parties. Si le projet a été mené à bien, les
sections 3 et 4 ont exigé un second codex. D’où deux hypothèses : ou les der­
nières parties projetées ont été écrites, et le second codex s ’est perdu ; ou ces
parties n’ont jamais été écrites.
De fait, dans l’Épître à Osius, le commentateur attend un encouragement
pour continuer : Causa uero in partes diuidendi libri fuit operis prolixitas,
simul quia cautius uidebatur esse si tamquam libamen aliquod ad degustan­
dum auribus atque animo tuo mitterem ; quod cum non displicuisse rescribe­
retur%faceret audendi maiorem fiduciam. Si cette remarque est autre chose
qu’un topos propre à la rhétorique des préfaces, on pourrait voir dans le travail
qui nous est parvenu un libamen qui, n ’ayant pas reçu les encouragements
attendus, serait resté à l’état de prémices 3.

1. « Calcidio gran escritor platonico espanol dei siglo IV », p. 161 : « Calcidio ténia animos
de comentar todo el Timeo, pero fuese que la muerte le sorprendiera aun joven y a la mitad de la
obra, como parece mds probable ; sea que los acontecimientos de los ultimos dias de su prelado
le envolviesen también a él de rechazo ; sea por alguna otra razon, para nosotros desconocida, es
lo cierto que nos dejo la obra sin terminar, aunque facilmente se puede deducir la orientaciôn que
habia de tener. » ; cf. également G. de Callataÿ, Annus Platonicus. A Study of World Cycles in
Greek, Latin and Arabie Sources , Louvain-la-Neuve, Institut orientaliste de l ’Université
catholique de Louvain, 1996, qui estime que la seconde partie du commentaire calcidien est
perdue : « The second part ofthis work was already lost in the Latin Middle Ages. » [p. 106].
2. « Médiéval Approaches to Calcidius », p. 190.
3. Cf. J.H. Waszink, « Calcidius », p. 239.
26 BÉATRICE BAKHOUCHE

Assurément, un certain nombre d ’autres signes textuels peuvent corroborer


cette conjoncture. D ’abord, l’annonce du plan, au chapitre 7, ne correspond
pas, on l’a dit, à la réalité. D ’autre part, dans le cours du commentaire, l ’exé­
gète prend soin de conclure tel développement ou d ’en introduire tel autre.
Pour les conclusions, les formules sont souvent les mêmes et parfois aussi la
clôture d’un développement se double de l’annonce du développement suivant,
comme au chapitre 256 1 : De somniis satis dictum ; sermo nunc ipse conside­
randus. Le début d’un nouvel exposé est fréquemment marqué par l’adverbe
nunc et l’emploi d ’un adjectif verbal ou d’un verbe au futur, comme au cha­
pitre 155 2 : Nunc iam de his agemus quae in hominis potestate sunt. Les dif­
férentes étapes du raisonnement sont également signalées par des adverbes
comme deinde, porro, rursum ... 3. Parfois, des interrogations contribuent à
relancer le commentaire 4. Ces articulations formelles témoignent certes du
souci de clarté de l’auteur, et elles montrent aussi que la démonstration se veut
cohérente. Or, très étrangement, alors que la première partie du commentaire
s’achevait sur une phrase de conclusion 5, nous ne trouvons rien de tel pour la
seconde, qui se clôt assez brusquement. On peut donc se demander si Calcidius
envisageait d’arrêter son travail définitivement au chapitre 355.
Hypothèse plausible, mais plusieurs remarques s’imposent. Si le commen­
taire s’achève brusquement, il commence de la même façon. Le chapitre 8 en
effet débute d ’une manière particulièrement abrupte : Iam ut doceat mundi
corpus perfectum esse..., à telle enseigne qu’on pourrait se demander de la
même façon si le début n’a pas été tronqué ! Par ailleurs, l’annonce de la tra­
duction, toujours dans YEpître à Osius, comme travail préalable laisse suppo­
ser que, s’il avait voulu commenter tout le dialogue, l’exégète aurait peut-être
commencé par en traduire tout le texte, comme il en avait traduit les premières
pages sans avoir l’intention de les commenter, puisqu’aucune des species du
chapitre 7 ne correspond aux premières pages du Timée. En outre, la partie
commentée par Calcidius, on l’a dit, correspond grosso modo à la version de
Cicéron et, d ’une façon générale, à la section du dialogue qui intéressait les
Romains, ce qui plaiderait pour une exégèse d ’emblée limitée aux pages 27-53
du dialogue grec 6.
Enfin, ce qui est frappant à la lecture des chapitres d ’introduction, c ’est la
façon dont le commentateur souligne la nécessité de connaissances scienti­
fiques pour le lecteur du Timée : dès le premier chapitre, Calcidius insiste en
effet sur le recours indispensable à l’astronomie s’il est question du mouve­
ment des astres, ou à la musique si on parle de la variété des cordes et des
accords. Au chapitre suivant, il y ajoute la géométrie avec le recours aux123456

1. Cf. de même aux chap. 23, 8 4 ,9 1 , 118, 159, 264.


2. Cf. aussi aux chap. 39, 56, 64, 10 5 ,1 3 8 ,1 4 8 .
3. Comme aux chap. 40, 59, 202, 261,267.
4. Id. aux chap. 4 9 ,7 8 , 107,174.
5. Chap. 118 : Hactenus de mundi sensilis constitutione tractauit.
6. Cf. supra « L’importance du Timée », p. 14 sq.
INTRODUCTION GÉNÉRALE 27

figures planes ou solides. Or ces disciplines scientifiques ne sont convoquées


que pour l’exégèse de la première partie. Tout se passe donc comme si cette
entrée en matière ne concernait que les chapitres 8-118, et non pas l’ensemble
du commentaire. Il n ’est pas impossible, dès lors, de penser que Calcidius a
d’abord envoyé la première partie de son travail (traduction et commentaire
jusqu’au chapitre 118), puis qu’encouragé par Osius, il se soit mis à la seconde.
Ou encore - ultime hypothèse - les primas partes de la lettre à Osius pour­
raient-elles correspondre aux chap. 1-267, groupe qui est nettement clôturé par
un exposé sur les divisions de la philosophie, exactement comme dans le Com­
mentaire au Songe de Scipion de Macrobe ? Dès lors, le traité sur la matière
(chap. 268-355) constituerait le second envoi.
En tout état de cause et sans multiplier les hypothèses à l’infini, on peut
tout de même penser que le dessein de Calcidius a été d ’offrir à son ami Osius
ce que nous avons conservé et rien de plus - que cela se soit fait en une ou
deux fois.
Les rapports de la traduction au commentaire
Les rapports entre la traduction, présente sous forme de lemme, et le com­
mentaire sont riches d ’enseignement. Les citations de la version latine du
Timée sont généralement repérables, dans l ’édition de J.H. Waszink, par la
typographie (en lettres espacées). Nous n ’avons pas toujours suivi ici l’éditeur
hollandais : nous avons conservé - qu’il s’agissse de véritable citation ou de
simple paraphrase - les passages nettement rattachés par Calcidius au texte de
Platon, par des formules du genre ait, inquit, dicens, progreditur, addidit. .. ,
ainsi que les extraits de la version sans mot introducteur mais fidèles à la ver­
sion de Calcidius.
L ’insertion des citations du Timée dans le commentaire peut se présenter
sous la forme du tableau suivant :
T im ée C itation d a n s le T im ée C itation d an s le
co m m en ta ire com m en taire
31 c 3-32 a 7 ch ap .8 44 b 8-C4 chap.211
32 a 7- b 8 ch a p .13 45 a 3-4 chap.235
31 c4-32 a 2 chap. 21 45B2-C6 chap. 247
32C6-7 ch ap .24 45C2-6 chap. 248
35Α1-4 ch ap .27 45 d 3 ”
35 a 4-5 chap. 28 45 e 3-46 a 2 chap. 249
35B4-C2 chap. 32 46 a 2-b 3 chap. 257
35 c 2-36 a 5 chap. 40 46 b 3-4 chap. 258
36 b 2-5 chap. 44 46 b 6-7 chap. 259
36 a 6-b 1 chap. 47 46 c 7- d 1 chap.260
36 b 6- c 2 chap. 52 46 d 4 chap. 261
37 a 2-b 3 ” 46 e 3-4 chap.263
37 a 2-c 5 chap. 56 46 e 7 chap. 264
28 BÉATRICE BAKHOUCHE

36 b 6- d 7 chap. 58 47B6-C1 chap. 265


36 b 5- c 2 chap. 92 47B3-4 chap. 266
36C4-7 ch ap .93 47C4-6 chap. 267
36C7-D2 chap. 94 47C7-D1 ”

36 d 2-3 ch ap .95 47E3-5 chap. 268


36 d 5-6 ch ap .97 47E5-48A2 chap. 269
36 d 8-e 5 chap. 98 48 a 2-5 chap. 270
36 e 2-3 chap. 99 48 a 5-7 chap. 271
36 e 5-37 a 2 chap. 102 48 d 4- e 1 chap. 273
37A2-C3 chap. 103 30 a 5 chap. 298
37E4-7 chap. 106 49 a 6 chap. 321
38D1-6 chap. 108 49 a 6- b 5 chap. 322
38E3-6 chap. 113 49 b 7- c 1 chap. 323
38 e 6-39 a 3 ch a p .114 49 c 6- d 3 chap. 325
39 a 4-5 chap. 115 49 e 2-50 a 1 chap. 326
39A5-6 ch a p .116 50A7-B2 ”

39B2-5 ch a p .117 50B5-C2 chap. 327


39D2-7 chap. 118 50C2-6 chap. 329
40 b 8-C2 chap. 122 50D2-4 chap. 330
40C8-D2 chap. 125 50D4-E1 chap. 331
40 d 6-7 ch a p .127 50 e 1-4 chap. 332
41 a 7 chap. 138 50 e 5-51 a 3 chap. 334
41 d 6-7 ch a p .140 51A7-B1 ”

41 d 8-e 2 chap. 141 51B7-8 chap. 337


41 e 2-3 chap. 142 51D3-E6 chap. 340
41 d 8-e 3 chap. 143 52 a 1-7 ”

42 e 5-43 a 2 chap. 146 51C4-8 chap. 341


41 d 8-e 3 chap. 147 51D5-6 chap. 343
39 d 2-7 chap. 148 52 a 1-4 ”

42 a 3-4 chap. 192 52 a 8 chap. 344


42A7-C4 chap. 195 52 b 2 chap. 345
42 c4- d 4 chap. 199 52 b 2 chap. 346
42D4-5 chap. 200 52 b 3-5 chap. 348
42 e 8-43 a 1 chap. 202 52 b 6- c 2 chap. 349
43 a 5-6 chap. 203 52D2-3 ch ap .350
43 a 6-7 chap. 204 52D4-6 chap. 351
43 b 5-6 chap. 206 52E1-3 chap. 352
43C1 chap. 207 52 e 5-53 a 5 chap. 353
43E4-8 chap. 210 53 b 1-4 ch ap .354
44A4-5 ” 53B2-4 ”

44 b 1-4 et 8 ch ap .211 53 b 7- c 3 ch ap .355


INTRODUCTION GÉNÉRALE 29

Ce tableau appelle plusieurs remarques : il confirme que la première partie


du commentaire s’attache aux pages 31-39, et la seconde aux pages 40-53.
Cependant, dans cet ensemble, certains passages du Timée ne sont absolument
pas étudiés 1 ; d’autres, en revanche, sont cités plusieurs fois 12 à quelques cha­
pitres d’intervalle, ce qui produit un effet de « zig-zag ». Parfois, sans qu’il y
ait redite, il arrive que le commentateur revienne en arrière : ainsi au chapitre
148, il cite 39D-E7, alors qu’il est question dans les chapitres précédents et sui­
vants de la page 41 du dialogue grec. Bien plus, le chapitre 298 offre un sou­
venir de 30a , créant une certaine circularité qui sera entretenue, on le verra,
par des échos d’une partie à l’autre et même des répétitions au sein d’une même
partie, comme on peut déjà le voir à la lecture même du tableau.
Le rapport des citations au commentaire fait aussi apparaître clairement
que Calcidius centre son exégèse sur les grandes questions qui ont intéressé le
monde latin : l’origine du monde, la nature du temps, la création de l’âme du
monde et de l ’âme humaine par le démiurge, qui délègue ensuite aux « dieux
créés » le soin de façonner les êtres vivants, dont l’homme, et enfin la matière.
Les pages du Timée négligées, au début du commentaire, amputent le déve­
loppement sur la création du monde de postulats philosophiques importants
(modèle du Beau, nécessité de l’Intellect et de l’âme et suprématie de la forme
sphérique), alors que sont privilégiés, de façon insistante, l’aspect physique
(les quatre éléments) et la dimension géométrique (la nécessité de deux médi-
étés).
Ce tableau appelle encore une autre remarque : il rend en effet apparent le
rythme de citations adopté par Calcidius. Au début du commentaire en effet,
elles sont plutôt ponctuelles ; en revanche, à partir du chapitre 92, nous pou­
vons relever plusieurs séries de chapitres qui proposent chacun une phrase ou
quelques mots du Timée : ce sont les ensembles 92-118, 138-148, 192-211,
247-249, 257-273 et enfin 321-355. Corrélativement, des groupes de chapitres
apparaissent sans lien étroit avec le Timée : entre les chapitres 58 et 92, 127 et
138, 148 et 192, 273 et 321, le commentateur s’éloigne du texte platonicien.
Effectivement, le premier ensemble offre un exposé sur les astres, puis viennent
les développements sur les démons, sur le destin, sur les songes, sur l’âme, et
le dernier enfin sur la matière. Ce sont de véritables monographies, des mini­
traités qui forment un tout susceptible d’être étudié indépendamment du reste
du commentaire et du texte platonicien 3.
D’un autre côté, les rapports entretenus entre la traduction et le commen­
taire sont complexes : tantôt il arrive que le texte traduit soit enrichi de gloses

1. Ce sont les pages 33 et 34, sur la sphéricité du monde qui contient tout, et sur l ’âme du
monde qui l ’enveloppe et lui est antérieure.
2. Il s ’agit de 36B6-C2, cité aux chapitres 52, 58 et 92 ; 37A2-C5, cité aux chap. 52, 56, 103 ;
41D8-E3, cité aux chap. 141-142, puis 143 et 147.
3. Voir d’ailleurs les études séparées qui ont été consacrées à ces chapitres: J.C.M. van
Winden, Calcidius on Matter, Leiden, Brill, (1959) 1965 2e éd. ; J. den Boeft, Calcidius on Fate,
Leiden, Brill, 1970, et Calcidius on Démons, Leiden, Brill, 1977.
30 BÉATRICE BAKHOUCHE

que l’on retrouve dans le commentaire l, à telle enseigne que l’on peut s’inter­
roger sur la place première de ces ajouts (traduction ou commentaire ?) ;
tantôt, comme en 40c, la traduction offre accessus pour rendre le grec
προσχω ρήσεις tandis que, dans le commentaire (chapitre 124), on lit p ro ­
gressus qui traduit un προχωρήσεις 12. Tout se passe, semble-t-il, comme si
Calcidius n’avait pas toujours le même texte grec sous les yeux en traduisant et
en commentant. En réalité, les différences que nous pouvons relever dans les
citations du texte platonicien, entre la traduction et le commentaire, bien que
mineures le plus souvent3, se réduisant à l’emploi de synonymes ou à des
changements dans l ’ordre des mots, pourraient cependant plaider en faveur
d’une source différente du Timée pour chacun des deux volets de l’œuvre.
Il devient dès lors possible qu’une telle organisation du commentaire reflète
l’utilisation soit d ’une double série de sources - un commentaire au Timée, et
des développements annexes, de nature doxographique, sur des points particu­
liers - , soit d ’un commentaire incluant déjà des monographies scientifiques ou
philosophiques. Si cette hypothèse d ’une double source exégétique est valide,
elle pourrait expliquer certaines contradictions, à tout le moins des différences,
d’un groupe de chapitres à l’autre, ainsi de la révolution de Vénus : évaluée à
environ un an au chapitre 70, sa durée passe à 584 jours au chapitre 112.

Le style
Il a déjà été question de l’articulation du développement assez lourdement
marquée par des phrases-types. Ces balises dans le commentaire témoignent
d’un souci pédagogique de clarté de la part du commentateur. Pourtant le style
est en général recherché 4.

1. C ’est deux fois le cas, par exemple, en 35 a {cf. notes ad loc.).


2. Cf. Platon, Timée, éd. A. Rivaud, a.c. ad loc.
3. Voir cependant les différences plus importantes entre la traduction et le commentaire du
chapitre 201. Sur ce type d ’écarts, cf. J.T. Muckle, « Greek Works Translated Directly into Latin
Before 1350 », Med. Stud. 4, 1942, p. 33-42 [p. 40], cité par M. Lemoine, « La tradition indirecte
du Platon latin », dans R. Ellis et R. Tixier (éd.), The Médiéval Translator. Traduire au Moyen
Âge, Turnhout, Brepols, 1996, p. 337-346 [n. 38], et les « mirror quotations » dont H. Baltussen
parle à propos d’Alcinoos, « Early Reactions to Plato’s ‘Timaeus’... », p. 62.
4. Cf. M. Bertolini, « Aspetti letterari dei Commentarius di Calcidius al Timeo », Koinônia 14-
2, 1990, p. 89-112 ; Cl. Moreschini, Calcidio..., p. LXXXI-LXXXII ; et M. Huglo, « Recherches sur
la tradition des diagrammes de Calcidius », qui cite (p. 203) l ’expertise du style de Calcidius par
P. Bourgain, professeur de latin médiéval à l ’École des Chartes : « (style) soigné, attentif aux
effets à atteindre, mais ce n ’est pas celui de Cicéron. C ’est plutôt celui d’un contemporain de saint
Augustin, avec cette tendance discrète au parallélisme, et surtout l ’ordre des mots qui ne s ’interdit
pas de légères hyperbates, mais se rapproche assez souvent de l ’ordre “moderne”, surtout lorsque
l ’on passe à des notions un peu techniques ».
INTRODUCTION GÉNÉRALE 31

Le lexique
Les répétitions dans le commentaire, qui viennent en partie de Timée lui-
même et qu’a mises en évidence le tableau précédentl, s’expriment également
par des formules similaires et des reprises lexicales, ce qui produit un senti­
ment de « déjà vu ». L ’impression de répétitivité qui se dégage parfois du texte
vient également de ce que Calcidius aime les doublets 12 qui, sous une for­
mulation redondante, alourdissent la phrase peut-être inutilement, même si on
peut reconnaître des effets de variatio, comme dans les groupes auctoritas et
origo, origo et arx,pontificium et auctoritas. Cependant, il ne s’agit pas tou­
jours de formulation redondante : le groupe punctum et medietas, par exemple,
fonctionne comme un hendyadis, de même que facilitas et error (chap. 270), et
les exemples de cette figure de rhétorique sont très nombreux dans le commen­
taire. Ailleurs, le doublet associe un terme neutre au mot précis, ainsi de (post)
conuentum coitumque (solis), doublon dans lequel le premier terme, qui calque
le grec σύνοδος, désigne techniquement la conjonction de deux astres (en
l’occurrence le Soleil et la Lune). C’est peut-être encore la recherche de la variatio
qui incite le commentateur à utiliser indifféremment quadratus ou quadratura
dans les chapitres sur la création du monde.
L ’étude du vocabulaire montre que Calcidius cherche à formuler en latin
des notions originales et ne recule pas devant les mots nouveaux. J.H. Waszink3
a relevé un certain nombre de néologismes (dans les deux sens du terme -
morphologique et sémantique : soit formation d’un mot nouveau, soit emploi
d ’un mot déjà existant dans un sens nouveau), qui se retrouvent chez des
auteurs plus tardifs comme autant de « signatures » calcidiennes, mais les créa­
tions verbales sont loin de se limiter à cette liste 4. Elles constituent autant
d ’essais pour rendre en latin une terminologie scientifique ou philosophique
d’origine grecque. À lire telle phrase ou tel mot du commentaire, on cherche
parfois quelle phrase, quel mot grec Calcidius avait sous les yeux. C ’est ainsi
que (origo) non temporaria (chap. 23) calque le grec άναρχος et silua la ύλη
aristotélicienne. Dans la langue scientifique, signalons les innovations séman­
tiques comme momentum (degré), competens (proportionnel) et autres. Ch.Mugler
a vu depuis longtemps, dans les chapitres 11, 12, 18 et 19, «un des textes
géométriques les plus anciens de la langue latine. Ils sont intéressants surtout
parce qu’ils nous montrent les commencements d’une langue technique de la

1. Cf. supra « Les rapports de la traduction au commentaire » ; il est ainsi question de l ’âme
aux chap. 26 et suivants, 57 et 227.
2. Par exemple, forma et figura (chap. 20, 21), seriem et continuationem (chap. 23), detrimen­
tum et interitus (chap. 24), exordium et fons (chap. 29), officiorum et munerum (chap. 32), uisum
et imaginatio (chap. 74), (ad) exemplum et similitudinem (chap. 268), cf. J.C.M. van Winden,
Calcidius on Matter, p. 30-31.
3. Praef. p. XIV-XV. En réalité, J .H. Waszink pense que Calcidius réutilise les termes des
autres. Voire. Même dans ce cas, comme nous le montrerons plus bas (cf. infra « La fortune de
l ’œuvre »), il s ’insère dans une sorte de chaîne lexicale.
4. Cf. Index rerum.
32 BÉATRICE BAKHOUCHE

géométrie en latin. Dans beaucoup de termes, nous pouvons reconnaître le modèle


grec dont ils sont la traduction L » C ’est cet arrière-plan grec quasi-constant
qui permet de comprendre l ’abondance des créations verbales ou des inno­
vations sémantiques chez Calcidius.
La syntaxe
La structure de la phrase, comme le vocabulaire, calque volontiers le
modèle grec : c’est ainsi, par exemple, qu’au chapitre 34, on reconnaît, derrière
la phrase latine, la formulation grecque : Quaeritur hoc loco primo quidem
cur... deinde... tertio... //ζη τείτα ι ένταϋθα πρώτον μέν διότι... επειτα... τό
τρίτον...
La syntaxe obéit aux règles du style recherché. Les phrases sont souvent
longues, avec des développements syntaxiquement annexes qui fonctionnent
comme autant de parenthèses explicatives 12. Certaines structures syntaxiques
qu’affectionne le commentateur contribuent à donner à la phrase un caractère
alambiqué : c’est le cas de sum construit avec un adjectif au lieu du verbe de
même sens. Du coup, le commentateur se voit contraint de forger de nouveaux
mots, comme recreatio (chapitre 24), opinatrix (chapitre 137) ou delenitrix (cha­
pitre 167).
La phrase épouse volontiers le rythme de la période. Parallélisme, opposi­
tions, métaphores : Calcidius sait exploiter toutes les ressources de la rhéto­
rique. Ce travail de la forme est nettement perceptible dans les pages d ’ouver­
ture, ainsi au début de Y Epistula ad Osium 3 : Isocrates in exhortationibus suis
uirtutem laudans, cum omnium bonorum totiusque prosperitatis consistere
causam penes eam diceret, addidit solam esse quae res impossibiles redigeret
ad possibilem facilitatem. Praeclare. Quid enim generosam magnanimitatem
uel aggredi pigeat uel coeptum fatiget ut tamquam uicta difficultatibus tempe­
ret a labore? Eadem est, opinor, uis amicitiae parque impossibilium paene
rerum extricatio, cum alter ex amicis iubendi religione, alter parendi uoto
complaciti operis adminiculentur effectui.
La première phrase établit un parallèle entre la vertu et l’amitié qui, l’une
comme l’autre, arrivent à vaincre toutes les difficultés. Cette victoire inespérée
s’exprime par les mêmes mots repris en chiasme : res impossibiles/impos­
sibilium rerum, comme nous avions déjà dans la première phrase le même
groupe res impossibiles en chiasme également avec ad possibilem facilitatem.
Ce dernier groupe, assez redondant puisque les deux termes sont synonymes
(facilitas, ici, ne signifie pas « facilité » mais « faisabilité »). À partir de là se
met en place une structure binaire: uirtus... impossibiles/uis amicitiae...

1. Platon et la recherche mathématique de son époque, Strasbourg, Heitz, 1948, rééd.


Naarden, Van Bekhoven, 1969, p. 92.
2. Notons la fréquente subordination par quod pour les propositions com plétives
(c/. A. Emout et Fr. Thomas, Syntaxe latine, Paris, Klincksieck, 1972, p. 311-312).
3. Titre que nous traduisons par « Épître à Osius » pour tenir compte du rythme du texte.
INTRODUCTION GÉNÉRALE 33

im possibilium , et, plus loin, eadem/par, alter/alter. Dans ce dernier paral­


lélisme, la similitude de l ’expression souligne paradoxalement la différence
entre les amis : il s’établit de fait entre eux un rapport d’inégalité exprimé à
l’aide des gérondifs iubendüparendiL
La préciosité de la forme, en dernière analyse, inscrit le projet de Calcidius
dans la continuité des plus grands maîtres d’éloquence. Et le nom d ’Isocrate,
jeté en tête de l’Épître, n’est pas indifférent : Calcidius, en se posant comme
son aemulus, veut donner à son œuvre entière toutes les dimensions de Y opus
oratorium : il se soucie assurément du docere, mais sans le séparer du placere.
Enfin, la structure de l’Épître fait apparaître un certain nombre de topoi obligés
de la dédicace : l’originalité de l ’œuvre en même temps que sa difficulté, la
surestimation du dédicataire allant de pair avec la dévalorisation de l’auteur
par lui-même, et surtout, par delà le destinataire immédiat, c’est un public plus
large qui est assurément visé.
Le rythme
Le dernier caractère de cette prose d’art est le rythme. Si l’Épître, en tant
que morceau d ’ouverture, est particulièrement travaillée et offre tous les aspects
d’une rhétorique parfaitement maîtrisée, les remarques stylistiques valent cepen­
dant - quoique dans une moindre mesure - pour le reste de l’œuvre.
Le passage de l’Épître précédemment cité suffira à montrer que la musique
de la phrase est produite par le recours à la fois au style périodique et aux
clausules métriques. Le nombre de celles-ci, dans les trois phrases qui nous
occupent, a de quoi étonner :
... penes eam diceret : dicrétique avec résolution de la première longue en
deux brèves ;
... facilitatem : dichorée avec résolution de la première longue en deux
brèves ;
... aggredi pigeat : crétique et trochée avec résolution de la troisième
longue en deux brèves ;
... (coep)tumfatiget : dichorée ;
. . . a labore : dichorée ;
... uis amicitiae : crétique et trochée avec résolution de la troisième longue
en deux brèves ;
... extricatio : spondée, crétique ;
... religione : dichorée avec résolution de la première longue en deux
brèves ;
... (adminicu)lentur effectui : dicrétique ;
soit deux dicrétiques, quatre dichorées, deux crétiques-trochées, un spondée-
crétique. L’élément de base, le crétique, était déjà l ’élément le plus fréquent
des clausules cicéroniennes, ce qui pourrait révéler de la part de Calcidius un1

1. Pour l ’étude de ce passage, voir B. Bakhouche, Les textes latins. .., p. 65-70.
34 BÉATRICE BAKHOUCHE

certain souci de classicisme dans la recherche du rythme. D’autre part, dans


ces groupes métriques, le mot final compte généralement plus de trois syl­
labes : or une telle recherche des mots longs contribue également à produire un
effet de solennité qui s’accorde parfaitement à l’emphase de l ’entrée en
matière h
En dernier ressort, le style permet de confirmer, d ’une certaine façon, la
datation (approximative) de l’œuvre, puisque E. Mensching 12, dans son étude
sur le rythme de la phrase calcidienne dans l’Épître, découvrant des clausules
susceptibles d’être interprétées comme des exemples de cursus (<maiorem fidu­
ciam : cursus tardus ; principaliter illud agi : cursus velox ; tempore suggeres :
cursus tardus, et ordo solidetur : trispondiacus), est amené à situer chronolo­
giquement notre auteur entre Arnobe et Favonius Eulogius, soit autour des
années 400 3.
L ’étude du style calcidien ne serait cependant pas complète si nous omet­
tions d’évoquer la traduction systématique en hexamètres dactyliques des
poètes grecs cités par l’exégète 4 - qu’il s’agisse d ’Homère, d ’Empédocle ou
d’Euripide - , ultime témoignage de la façon dont Calcidius maîtrise aussi bien
les ressources rhétoriques que les richesses métriques de la langue latine.

Les sources
La seule chose que l ’on puisse affirmer, concernant les sources, c ’est
qu’elles sont grecques, comme on peut s’en convaincre à lire un commentaire
qui, le plus souvent, transpose ou traduit - parfois mal - un modèle grec. La
recherche des sources est d ’autant plus difficile pour l’œuvre de Calcidius que
celui-ci, comme c’est l’habitude de tous les Anciens, prend soin de ne jamais
nommer ses sources directes. S’il cite un grand nombre d 'auctores5, c ’est en
qualité d’autorités susceptibles de donner une plus grande validité à son dis­
cours, et non comme l’origine directe de son information. Les citations nomi­
natives ne donnent donc pas de renseignement sur les sources, qui restent tou­
jours opaques et controversées.
Pendant longtemps, l’attitude des érudits face au texte de Calcidius a con­
sisté à chercher un modèle quasi unique. En 1902, déjà, B.W. Switalski 6
estimait que Calcidius perpétuait la pensée posidonienne. Dix ans plus tard,
E. Steinheimer, s’élevant contre cette conclusion, s’est efforcé de prouver le

1. Voir en Annexe I les clausules de l ’ensemble du texte de l ’Épître, travail réalisé grâce aux
conseils et aux remarques de J. Soubiran.
2. « Zur Calcidius-Überlieferung », p. 55.
3. Sur l ’évolution de la prose métrique, cf. M. Nicolau, L ’origine du ‘cursus’ rythmique, Paris,
Les Belles Lettres, 1930.
4. Vingt citations ont été répertoriées et éditées par A. Baehrens, Fragmenta poetarum Roma­
norum , Leipzig, Teubner, 1886, rééd. par W. Morel, Fragmenta poetarum Latinorum epicorum et
lyricorum, Leipzig, Teubner, 1927, rééd. 1982.
5. Cf. Index nominum.
6. Das Chalcidius Kommentar zu Piatos Timaeus, Münster, Aschendorff, 1902.
INTRODUCTION GÉNÉRALE 35

caractère néo-platonicien de l’œuvre ÉEn 1918, R. Miller Jones contestait à


son tour l’analyse de son prédécesseur et minimisait la dette de Calcidius à
l ’égard des néo-platoniciens 12. À cela s’ajoutent quelques monographies plus
récentes : en 1964, J.H. Waszink étudiait la première partie du commentaire
dans la perspective d’une filiation porphyrienne 3. J.C.M. van Winden, de son
côté, s’attachant à l ’ensemble des chapitres sur la matière, optait pour une
influence médio-platonicienne 4, en quoi il sera suivi par J. Dillon 5. J. den Boeft,
quant à lui, analysait le traité sur le destin, puis, quelques années plus tard, les
chapitres 127-136 sur les démons, avant de conclure prudemment que l’exposé
calcidien n’était pas incompatible avec les idées de Porphyre 67.
St. Gersh, étudiant certaines références nominales - « sources cited by
name » 7 - , s’attache aux noms de Philon d’Alexandrie, Numénius et Origène,
cités ensemble en effet dans les chapitres sur la matière (chap. 276, 278 et 295)
pour conclure que la référence à Philon est de seconde main et vient d’Origène
(p. 428) qui, lui, serait la source immédiate de Calcidius. De même, Numénius
serait paraphrasé ou cité, lui aussi directement. En réalité, ces citations se trou­
vent dans un ensemble de chapitres où l ’exégète examine les unes après les
autres les différentes définitions de la matière : certaines opinions sont attri­
buées nominalement à telle ou telle autorité, comme les trois noms précédents,
mais aussi à Aristote, Zénon, Chrysippe et d ’autres. Certaines restent ano­
nymes (cf. sunt qui..., chap. 281, ueteres physici, chap. 284, ou encore Stoici,
chap. 289). C ’est la technique de l ’exposé doxographique et, dès lors, les
« autorités » ne peuvent guère être isolées de l’ensemble.
C ’est également à Origène que P.F. Béatrice 8 ramène la source de la
documentation d ’un Calcidius, qu’il situe, lui, au début du IVe siècle tout
comme l’évêque Osius de Cordoue. Gr. Reydams-Schils 9, pour sa part, reje­
tant comme une petitio principii l’idée de J.H. Waszink que seul un chrétien
peut être la source des références à la Genèse, souligne néanmoins les proxi­
mités entre Origène et Calcidius : Origène est tributaire du platonisme et a
montré un grand intérêt pour le Timée - il aurait écrit en outre un traité sur les

1. Untersuchungen über die Quellen des Chalcidius, Aschaffenburg, Werbrun, 1912.


2. « Chalcidius and Neo-platonism », Classical Philology 13, 1918, p. 194-208.
3. Studien zum Timaioskommenîar des Calcidius, Leiden, Brill, 1964.
4. Calcidius on Matter : aux p. 243-247, J.C.M. van Winden avance les noms de Numénius,
Albinus (Alcinoos), Adraste et Origène, mais, dans les « Supplementary Notes to the Photographie
Reprint » de la réédition de 1965 (p. 248-259), il reprend à son compte l ’hypothèse porphyrienne
de J.H. Waszink.
5. The Middle Platonists ..., p. 401-408 ; cf. de même J.M. Rist, Platonism and its Christian
Heritage, p. 151-155, et T.D. Barnes, Constantine and Eusebius, Cambridge [Mass.], Harvard
University Press, 1981, p. 74, 324.
6. Calcidius on Fate. .. et Calcidius on Démons.
7. Middle Platonism.. ., p. 425-430.
8. «Ein Origeneszitat in TimaiosKommentar des Calcidius», dans W A.Bienert &
U.Kühneweg (éd ),Origeniana Septima. Origenes in den Auseinandersetzungen des 4. Jahr-
hunderts, Leuven, Leuven University Press, 1999, p. 75-90.
9. « Meta-Discourse... », p. 310.
36 BÉATRICE BAKHOUCHE

démons. Si son intérêt pour les Écritures est attesté aussi par d ’autres plato­
niciens comme Numénius, Galien ou Porphyre, il a interprété le Parménide
selon un angle d ’approche essentiellement ontologique, en rapport avec la
réalité intelligible, exactement comme le fera Calcidius.
Dans son édition de 1962, J.H. Waszink l, à la fin de l’étude détaillée des
sources, avance les noms de Numénius (Sur le Bien), Adraste (Commentaire
au Timée), Porphyre (Commentaire au Timée), Origène (Commentaire sur la
Genèse) et peut-être YÉpitomé d’Albinus (= Alcinoos, Enseignement des doc­
trines de Platon). Dans son article sur Calcidius, l’éditeur hollandais ajoute le
nom de Jamblique 12, dont Calcidius, selon lui, connaissait le Commentaire au
Timée, même s’il n ’est pas sûr qu’il l’ait utilisé et même s’il lui a préféré le
commentaire porphyrien. Dans la réédition du texte calcidien de 1975 enfin
(p. C L X X X V Il), il insiste sur le commentaire de Porphyre comme source pre­
mière de Calcidius. De même, A.R. Sodano compte, parmi les fragments du
Commentaire au Timée de Porphyre, huit groupes de chapitres tirés du com­
mentaire calcidien3. Désormais, l ’hypothèse d ’une source porphyrienne pre­
mière est généralement accréditée 4. Nous y reviendrons.
Qu’en est-il des autres ? Adraste est convoqué comme source des chapitres
scientifiques de la première partie : « ...flir die Kapitel 1-25, 32-50 und 58-
118, conclut J.H. Waszink 5, die Timaioserklàrung des Adrasto s und der
Timaioskommentar des Porphyrios als Vorlagen nachgewiesen werden konn-
ten ». Une « explication du Timée » et un « commentaire du Timée » : deux
termes différents pour désigner en fait, dans le cas d ’Adraste et dans celui de
Porphyre, un même type d ’exercice - un commentaire philosophique ; mais
peut-être la méthode n ’était-elle pas la même. Néanmoins, le nom d’Adraste
est, en réalité, indissolublement lié, dans le cas de Calcidius, à celui de Théon
de Smyrne, dont l’œuvre, elle, nous est parvenue : il s’agit de Y Exposition des
connaissances mathématiques utiles pour la lecture de Platon. L’auteur passe
systématiquement en revue les quatre disciplines « mathématiques » - géomé­
trie (géométrie plane et dans l’espace) 6, arithmétique, musique et astronomie -

1. Praef., p. CVI.
2. « Calcidius », p. 241.
3 . Porphyrii in Platonis Timaeum..., fr. 83 à 91, qui correspondent aux chapitres 129-136,
142-190,227-235,244-248,249-256, 257-259, 260-263 et 264-267.
4. Cf. É. des Places, « Études récentes (1953-1973) sur le platonisme moyen du IIe s. ap. J.-
C. », Bulletin de l ’Association Guillaume Budé, 1974-3, p. 347-358 [p. 357-358] ; St. Gersh,
Middle Platonism ..., p. 421-433, et « Calcidius’ Theory of First Principies », p. 85-92 ; ainsi que
A. Smith, « A Porphyrian Studies... », p. 1771 ; M.Zambon (.Porphyre et le moyen-platonisme ,
Paris, Vrin, 2002 , pas sim) ne remet pas en cause cette filiation ; contra J.M. Rist ( Platonism and
its Christian Heritage, p. 152-154) qui, à la suite de J. Dillon, privilégie Numénius et Cronius ;
Cl. Moreschini, Calcidio..., p. XXIV-XXX.
5. Studien zum Timaioskommentar..., p. 82 ; dans son édition, l ’érudit pense qu’Adraste
pourrait être également la source des passages techniques de la seconde partie du commentaire
{praef. p. Cl), cf. de même, Fr. Ferrari, « Interpretare il Timeo », p. 5.
6. Les traités d ’arithmétique, de musique et d ’astronomie sont parvenus jusqu’à nous, mais
pas les livres sur la géométrie.
INTRODUCTION GÉNÉRALE 37

et donne les enseignements nécessaires pour comprendre Platon, comme il le


dit lui-même en introduction (d’où le titre de l’ouvrage). Or des passages entiers
de Théon paraissent avoir été traduits par Calcidius L Les érudits, au premier
rang desquels prend place J.H. Waszink, ont pensé que Théon ne faisait que
plagier le texte d’Adraste. Et les différences entre la version latine de Calcidius
et le texte de Théon tenaient, selon eux, au rapport qu’entretenaient les deux
textes avec celui d’Adraste : c’est ainsi, par exemple, qu’au chapitre 74, Calcidius
suit Théon de très près, mais l’omission d’une phrase de ce dernier par l’auteur
latin incite l ’éditeur hollandais à noter : manifesto a Theone textui Adrasti
additum, om. C. (p. 123). Cette attitude quelque peu abusive est généralement
adoptée par la critique 12. Or dans son ouvrage, Théon ne cite pas seulement
Adraste ; il nomme également Ératosthène, Platon et Aristote. D’autre part,
nulle part nous n’avons la moindre référence précise ou directe au Timée, alors
qu’un long excursus est accordé à la citation du fuseau de la Nécessité dans la
République et à son exégèse 3. Et quand il cite Adraste, c’est assurément pour
se référer à son commentaire avant de donner les explications complémentaires
destinées à le rendre intelligible à qui n ’est pas « géomètre » : c ’est ainsi
qu’après le passage consacré à la République, Théon revient aux explications
astronomiques en citant Adraste et le terme de ύπολειπτικ ά 4 que le philo­
sophe péripatéticien appliquait, selon toute vraisemblance, aux deux lumi­
naires et que Théon va expliquer. En d’autres termes, l’ouvrage de Théon est à
nos yeux le type même du manuel technique dont l’élaboration et la réception
sont indissociables d’un texte - en l’occurrence ici le Commentaire au Timée
d ’Adraste - qu’ils sont censés éclairer : YExpositio de Théon appartient au
genre des commentaires scientifiques, qui fonctionnent comme des outils épis­
témologiques indispensables, en préalable ou en complément d ’un commen­
taire philosophique difficile. Calcidius y a sans doute puisé ce dont il avait
besoin pour son commentaire technique, et uniquement cela. C ’est donc l’ou­
vrage du Smyrnien, selon nous, que Calcidius avait sous les yeux et non celui
d’Adraste 5.
La façon dont Calcidius utilise longuement le texte de Théon sans jamais
en nommer l’auteur - pas plus d’ailleurs qu’il ne cite Adraste - suffit d’autre
part à confirmer que le commentateur n’a pas l’habitude de citer ses sources
directes. En bonne logique, les références nominatives à Numénius et Origène
pourraient exclure dès lors toute utilisation directe de ces auteurs, qui étaient

1. Cf. les notes ad loc., surtout dans la section « Étoiles fixes et planètes ».
2. Par exemple, par Fr. Ferrari, « I commentari specialistici... », p. 183 : « Teone di Smirne
ripporta ampi brani tratti da un ’opera di Adrasto, senza tuttavia specificare il tipo di testo di cui
si serve. »
3. Hiller, p. 143-147.
4. Hiller, p. 147,8.
5. Cf. de même P. Tannery, Mémoires scientifiques II, n°55-1894, « Sur Théon de Smyrne »,
p. 455-465 ; contra J.H. Waszink, praef. p. XXXV-XXXVIII, et Fr. Ferrari, « I commentari specia­
listici... », p. 184.
38 BÉATRICE BAKHOUCHE

sans doute déjà cités dans la source utilisée par l’exégète. De même, les extraits
d’autres textes de Platon par Calcidius peuvent ne pas être tirés directement de
ces œuvres : il est vrai en effet qu’on trouve les mêmes extraits chez divers
auteurs, comme la fameuse page du Phèdre (245c) sur l’immortalité de l’âme
liée à son auto-motricité traduite aux chapitres 57-58, après l ’avoir été par
Cicéron et avant de l’être par Macrobe K
Porphyre n’est pas plus cité, et pourtant il serait, dit-on, largement utilisé.
S’il ne s’agit pas ici de confirmer ou d’infirmer cette filiation, qu’il nous suf­
fise cependant de préciser quelques points de méthodologie qui, dans le com­
mentaire de Calcidius, ne sont pas porphyriens. C ’est d’abord le refus délibéré,
clairement exprimé 12, de s’intéresser au prologue, alors que Porphyre y atta­
chait une grande importance, comme le notait déjà J. Bidez : « Dans l’intro­
duction du dialogue, Porphyre s’attache à découvrir des symboles représentant
les luttes de l’âme contre les mauvaises influences de la matière 3. » Porphyre
a été un des premiers à penser que la première section du dialogue platonicien
valait la peine d’être commentée ; jusque là, les commentateurs estimaient -
comme Calcidius - que l’introduction était un simple ornement et ne présentait
aucun intérêt. D ’autre part, pour étudier l’organisation des nombres qui prési­
dent à la naissance de l’âme, l’ami d ’Osius recourt trois fois à un schéma en
forme de A, alors que, selon le témoignage de Proclus 4, Porphyre préférait une
disposition en ligne. De même, Calcidius, au chapitre 29, établit trois plans de
la réalité : l’idée, la matière et la forme, alors que la distribution porphyrienne
est quadripartite 5. À propos de la matière encore, Calcidius est plus proche de
Plutarque ou d ’Atticus, pour qui selon Proclus « avant la création, il y a non
seulement la Matière inordonnée, mais encore l’Âme malfaisante qui meut
cette masse discordante » 67, que de Porphyre ou Jamblique selon lesquels « le
Monde ordonné est par lui (scil. le démiurge) créé éternellement » 7. Enfin,
l’exégète platonicien paraît ignorer la théorie néoplatonicienne de la proces­
sion et envisage la matière comme totalement séparée des réalités intelli­
gibles 8. Par ailleurs, si on compare Calcidius à Macrobe dont la dépendance à
l’égard de Porphyre est avérée 9, on peut noter des écarts significatifs comme
celui-ci : si Macrobe, à la suite de Porphyre, développe longuement la montée

1. Cf. notes ad loc.


2. Chap. 4 : ...d e principio libri, quo simplex narratio continebatur rerum ante gestarum et
historiae ueteris recensitio nihil dixi... , déjà cité supra, « L ’organisation du commentaire ».
3. Vie de Porphyre , Gent-Leipzig, Van Goethem-Teubner, 1913, p. 109.
4. In Tim. III (II, p. 171.4-9).
5. Cf. note ad loc.
6. In Tim. Fest. p. 244.
7. In Tim. Fest. p. 245.
8. Cf. le traité sur la matière, chap. 268-355, et la monographie de J.C.M. van Winden, Cal­
cidius on Matter.
9. Voir le status quaestionis de M. Armisen-Marchetti, dans son édition du Commentaire au
Songe de Scipion I, Paris, Les Belles Lettres, 2001, Introduction, p. liv-lv et n. 126, et lviii-lix.
INTRODUCTION GÉNÉRALE 39

et la descente de l’âme après et avant l’incorporation, Calcidius reste très dis­


cret là dessus et n’envisage que la position médiane (et médiatrice) de l’âme K
Il est vrai qu’en l’absence des textes-sources, les filiations restent toujours
problématiques. Il en est ainsi de la typologie des songes : Calcidius propose,
dans un chapitre pourtant mis au compte de Porphyre par A.R. Sodano, une
classification à cinq éléments (cf. chap. 256 : somnium I uisum / admonitio /
spectaculum / r eue latio), alors que Macrobe, qui est tributaire lui aussi d’un
modèle porphyrien, avance également une quintuple classification qui cepen­
dant, en plus d ’une terminologie légèrement différente (I, 3, 1 : somnium /
uisio / oraculum / insomnium / uisum), ne coïncide pas exactement avec celle
de Calcidius 12. Les différences seraient-elles simplement le signe de traduc­
tions originales, personnelles, d ’un même modèle grec ? Cet exemple illustre
en fait la difficulté à établir l’origine des textes, par le fait en outre que l’hypo­
thèse de la source porphyrienne, généralement adoptée pour le passage de
Macrobe, a elle-même été contestée 3 ; d ’ailleurs, J.H. Waszink suggère ici
pour Calcidius une filiation numénienne 45.À cela s’ajoute le fait que Porphyre
est réputé avoir changé d’idée sur un même thème. Il est vrai d’autre part que
les parallèles textuels qu’appelle le commentaire calcidien ressortissent plutôt
au champ médio-platonicien : ce sont les noms d ’Apulée, Alcinoos, Galien,
Plutarque, Ps.-Plutarque, Némésius qui apparaissent avec la plus grande fré­
quence dans nos notes. Cela n’infirme pas pour autant une dépendance por­
phyrienne, comme le montre la synthèse de M. Zambon sur les rapports de
Porphyre avec le moyen platonisme. En dernière analyse, Gr. Reydams-Schils
a repris la question de la filiation porphyrienne 5 en étudiant le chapitre 301,
dans lequel on trouve l’écho d’un passage de Philopon explicitement attribué à
Porphyre : Calcidius condense une argumentation qui se développe en deux
étapes : la source du mal n ’est pas la matière mais les éléments, et, d ’autre
part, la matière et la Forme sont les principes des corps tandis que les élé­
ments, en tant que corps, sont les principes de l’univers. Mais, pour Calcidius,
les éléments, vu leur caractère dérivé, ne peuvent être considérés comme des
principes (chap. 307). Donc, même s’il avait utilisé Porphyre, le commentateur
latin montre son indépendance, et, surtout, la théorie ainsi exposée est insérée
dans un schéma doxographique, deux arguments qui plaident contre une dépen­
dance de Calcidius à l’égard de Porphyre.

1. Cf. Porphyre, L ’antre des Nymphes dans l ’Odyssée, tr. d ’Y. Le Lay, Paris, Verdier, 1989 ;
Macrobe, In somn. I, 12, et Calcidius, chap. 31.
2. Cf. Macrobe, Commentaire au songe de Scipion I, éd. de M. Armisen-Marchetti, p. 10,
n. 32.
3. Cf. A.H.M. Kessels, « Ancient Systems of Dream-Classification », Mnémosyne 22, 1969,
p. 389-424 [p. 413].
4. La classification calcidienne est en effet mise sur le compte des Hébreux (cf. note ad loc.).
5. Cf. « M eta-Discourse... », p. 311-314 (« I.iii. Unacknowledged Debts : The Case of Por-
phyry? »).
40 BÉATRICE BAKHOUCHE

Reste à étudier la source des Hebraica. Ces passages qui renvoient explici­
tement ou non à la Bible sont d ’un intérêt d ’autant plus grand qu’ils consti­
tuent un exemple rare - comme le traité anthropologique de Némésius - , dans
la littérature patristique, de l ’intégration d ’un matériau dérivé de la tradition
judéo-chrétienne dans un commentaire philosophique, alors que les auteurs
comme Clément d ’Alexandrie ou Origène l, si influencés soient-ils par le pla­
tonisme, ne s’en sont pas moins engagés dans une exégèse biblique selon une
perspective explicitement théologique. J.H. Waszink, tout en reconnaissant que
les chapitres 276-278 sur la théorie de la matière des Hébreux sont empruntés
à un commentaire d’Origène sur la Genèse 12, opte d’une façon générale pour
une source numénienne, peut-être, comme il le suggérera 3, par la médiation de
Porphyre. Plus tard, D.T. Runia, après l ’étude approfondie de quelque huit
passages calcidiens, conclut que, sauf dans les chapitres 276-278 où Philon est
nommé dans la doxographie sur les différentes conceptions de la matière, le
rôle du matériau biblique est secondaire. Cependant l ’analyse des deux pas­
sages les plus importants - les chapitres 219 et 276-278 - montre que le maté­
riau « hébraïque » dérive, chez Calcidius, de Philon, que ce soit directement ou
indirectement4.
Enfin, si l’on a pu rapprocher Calcidius de Posidonius, c’est par la dimen­
sion stoïcisante de certaines parties de son commentaire, vôire par l’utilisation
de la terminologie stoïcienne. Est-ce à dire pour autant que l’exégète exploite
directement une source issue du Portique ou que le caractère stoïcien de tel
passage soit indirectement hérité de la lecture posidonienne de Platon 5 ? À
l’époque de Calcidius, la langue de la philosophie était devenue une véritable
koinè, intégrant et mêlant ensemble des notions platoniciennes, aristotéli­
ciennes et stoïciennes, et, du reste, l’influence de Posidonius, un temps suresti­
mée, est ramenée aujourd’hui à une plus juste mesure. En outre, les dépen-

1. Il ne s ’agit pas d’Origène le platonicien mais d ’Origène d ’Alexandrie ; cf. R. Goulet (dir.),
Dictionnaire des philosophes antiques IV, n°41 pour le premier et n°42 pour le second.
2. Praef. p. LXXX ; de même J.C.M. van Winden, Calcidius on Matter, p. 65-66, ainsi que
J. den Boeft, Calcidius on Fate, p. 135-136.
3. « Porphyrios und Num enios », dans P orphyre, Entretiens de la Fondation Hardt 12,
Genève-Vandœuvres, 1966, p. 35-83 [p. 62].
4. Philo in Early Christian Literature, « III. Philo in the West », chap. 13 « Beginnings in the
West », p. 281-290 ; cf. B. Bakhouche, « Calcidius {In Tim., chap. 276-278) or Scripture in the
Service of Philosophical Exegesis », dans S. Aufrère (éd.), Palimpsests Two: Commentary Litté­
rature in the Ancient Near Eastern and Ancient Mediterranean Cultures, Leuven, Brill (coll.
Analecta Orientalia Lovaniensa), 2011, p. 277-291.
5. Cf. déjà J. Baudry, Le problème de Forigine et de Véternité du monde, Paris, Les Belles
Lettres, 1931, p. 286-287, et, plus récemment, les études de Gr. Reydams-Schils : « Posidonius
and the ‘Timaeus’: Off to Rhodes and Back to Plato? », Classical Quarterly 47-2, 1997, p. 455-
476 ; Demiurge and Providence, Stoic and Platonist Reading of P lato’s ‘Timaeus’, Turnhout,
Brepols, 1999. Par ailleurs, si la proximité avec Galien apparaît nettement en différents passages
du commentaire, l ’influence de Posidonius sur le médecin de Pergame est plusieurs fois repérée
par C J. Larrain {Galens Kommentar zu Platons Timaios, Stuttgart, Teubner, 1992), mais il est vrai
qu’aujourd’hui on est plus prudent sur le « tout Posidonius ».
INTRODUCTION GÉNÉRALE 41

dances et les traditions auxquelles se rattache Calcidius sont d ’autant plus


difficiles à saisir de façon univoque que sa terminologie est souvent impropre
et fluctuante et que l ’usage de doxographies a souvent un effet réducteur sur
l’expression de notions complexes l.
Bref, les sources de Calcidius relèvent essentiellement de l ’aire médio-
platonicienne, même si l’on n’exclut pas une influence porphyrienne, quand on
sait le prestige dont jouira le disciple de Plotin dans l ’Occident latin du IVe
siècle 12. En tout cas, le commentaire de notre auteur est d’autant plus précieux
que l’on reste mal renseigné sur le médio-platonisme.

L'intérêt de l'œuvre
Calcidius ne trouve pas grâce aux yeux de la critique : tantôt il est accusé
de professer un platonisme « attardé » 3, tantôt son œuvre est qualifiée de para­
phrase creuse et stérile4. Dans le meilleur des cas, on cherche constamment
ses sources, comme si l’exégète était incapable de la moindre pensée person­
nelle.
La méthode de Calcidius 5
Nombreuses sont les occurrences de verbes à la première personne, ce qui
montre que le commentateur, avec une claire conscience de son rôle et de sa
responsabilité, construit sa voix auctoriale, et il le fait en relation avec ses pré­
décesseurs. Son exégèse n’est pas le produit désincarné de l’école mais établit
une relation inter-personnelle forte en deux sens : entre l’auteur et son desti­
nataire d ’un côté, et avec la tradition platonicienne de l’autre. Là dessus, les
pages d’introduction sont particulièrement éclairantes.
Reconnaissant en effet que le Timée a été écrit pour des spécialistes,
Calcidius attaque les interprètes qui ne s’adressent qu’à une élite :
Ex quo apparet hoc opus illis propemodum solis elaboratum esse ac uideri qui
in omnium fuerant huius modi scientiarum usu atque exercitatione uersati ;
quos cum oporteret tantam scientiae claritudinem communicare cum ceteris,
infelicis inuidiae detestabili restrictione largae beatitudinis fusionem incommu­
nicabilem penes se retinuerunt, (chap. 3)

1. Sur l ’ambiguïté du vocabulaire calcidien, cf. par exemple St. E. Gersh, « Calcidius’ Theory
of First Principies ».
2. Cf. P. Hadot, Porphyre et Victorinus I, p. 80-86.
3. Cf. Cl. Moreschini, « Boezio e la tradizione dei neoplatonismo latino », dans Atti dei Con­
gresso Internazionle di studi boeziani (Pavia, 5-8 ottobre 1980), Roma, Herder, 1981, p. 297-310
[p. 300-301]. La même idée est reprise dans l ’étude « Il Commento al Timeo di Calcidio tra
platonismo e cristianesimo », dans M. Barbanti, G.R. Giardine & P. Manganaro (éd.), Unione e
amicizia. Omaggio a Francesco Romano, Catana, CUECM, 2002, p. 433-440, et dans l ’introduc­
tion à son édition Calcidio..., p. xvi : « Medioplatonico è, invece, il complesso delle dottrine di cui
Calcidio si serve per il suo commento, il che conferisce alV opera una forte arcaicità. », et p. xix.
4. G. de Callataÿ, Annus Platonicus, p. 106-107.
5. Pour ce paragraphe, cf. Gr. Reydams-Schils, « Meta-Discourse... ».
42 BÉATRICE BAKHOUCHE

Si cette attaque paraît cibler ici les écoles de philosophes professionnels,


elle signe également une rupture avec la tradition platonicienne. À la diffé­
rence des néo-platoniciens qui adhèrent aux idées de certains de leurs prédé­
cesseurs - le plus souvent leurs maîtres - pour critiquer les autres, Calcidius
supprime tout intermédiaire entre lui et Platon, qui représente à ses yeux le
point culminant de toute la philosophie.
Par ailleurs, le projet du commentaire est conçu en fonction du destinataire,
et c’est lui qui en commande le plan et l’organisation. Le commentateur ne suit
qu’apparemment le fil du texte, et on a déjà noté son silence sur le début même
du discours de Timée. Son commentaire apparaît plutôt comme une lecture séquen­
tielle orientée. Le commentaire s’adressant à un non-philosophe, ses limites
sont peut-être la conséquence des limites du destinataire avant d ’être le révé­
lateur des insuffisances de l’exégète. Naturellement, il est loisible de noter que
le choix d ’un texte aussi difficile que le Timée pour un Osius peu philosophe
est à tout le moins paradoxal, et sans doute y a-t-il une part de vérité dans la
lettre de dédicace où le choix du dialogue platonicien revient à Osius.
Ainsi le commentaire est construit à la fois en fonction de la culture philo­
sophique de son destinataire et dans un rapport direct et exclusif avec la pensée
du Maître.
Religion et philosophie
Le christianisme de Calcidius, fièrement affiché par les copistes médiévaux
dans certains manuscrits par l’attribution du titre de diacre ou d ’archidiacre, ne
constitue cependant pas une donnée incontestable.
L’historien des sciences P. Duhem a émis des doutes sur son christianisme
et a formulé l’hypothèse que l ’exégète de Platon était juif l. Cette hypothèse
n ’a guère été suivie, car rien ne prouve que notre auteur ait été réellement un
adepte de cette religion qu’au demeurant, il qualifie lui-même de secta sanc­
tior12, ce qui n’implique pas qu’il en ait fait partie. Déjà en 1938, Fr. Blatt, en
étudiant l’histoire des traductions latines 3, comparait celle de Cicéron et celle
de Calcidius comme les versions d’un païen et d’un chrétien. Beaucoup plus
tard, Chr. Ratkowitsch a analysé elle aussi un passage significatif de la traduc­
tion calcidienne - le discours du démiurge - , pour en conclure que son auteur
était un crypto-chrétien4. C ’est ainsi qu’au début du dialogue platonicien,
quand Socrate invite Timée à invoquer les dieux, θεούς, Calcidius substitue au
pluriel le singulier diuinitate (27b 10). Dans la réponse de Timée, le double
pluriel θεούς τε και θεάς est remplacé par la formule diuinam opem (27c6).
Dans la phrase suivante, une fois encore, le pluriel est traduit par un singulier

1. Le système du monde II, p. 420.


2. Chap. 55 et 219.
3. « Remarques sur l ’histoire des traductions latin es», Classica et Mediaevalia 1, 1938,
p. 217-242.
4. « Die Timaios-Übersetzung des Chalcidius, ein Plato Christianus », Philologus 140, 1996,
p. 139-162.
INTRODUCTION GÉNÉRALE 43

(deo). Plus loin, à la page 41, à propos de la création des dieux, le commen­
tateur latin ajoute la restriction qui dii putantur (41a5) ; dans le discours que le
démiurge adresse aux dieux créés, le groupe έπείπερ γεγένησθε (41b2) est
traduit par quia facti generatique estis, dans lequel le doublet n’est pas pure­
ment rhétorique mais refléterait, selon Chr. Ratkowitsch, le dogme nicéen
genitus non factus. Nous aurions là une tentative sinon de christianiser Platon,
du moins de donner du dialogue grec une vision qui ne contredise pas fonda­
mentalement l’enseignement de l’Église.
La plupart des érudits s’accordent effectivement à penser que Calcidius
était chrétien, même si Cl. Moreschini parle d ’une « patine de christianisme » 1 :
il connaît l’Écriture, cite aussi bien (sinon plus) l’Ancien que le Nouveau
Testament12, et mentionne volontiers les H ébreux3. Certes, Calcidius était
versé dans la littérature sacrée... tout comme dans la littérature profane, et les
hypothèses divergentes quant à la religion de Calcidius prouvent au moins une
chose : c’est que son christianisme est peut-être modéré4, mais surtout qu’en
l’occurrence, voulant écrire sur le Timée de Platon, il emploie la littérature
païenne, sans hésiter à indiquer les points de convergence avec la Bible et sans
renoncer aux dogmes chrétiens - la création, l’immortalité de l’âme, etc.
Néanmoins, la religion de l’exégète détermine peut-être certains choix dans
le commentaire. Il se peut ainsi que l’omission des premières pages du Timée
(29e2-31b2), sur la création du monde, soit délibérée ; le commentateur en
effet, bien qu’il donne de Y artifex une vision qui n’a rien d’un créateur tout-
puissant, comme le Dieu de la Genèse, passe sous silence le modèle du Vivant-
en-soi, qui n’a nul correspondant dans la Bible. Il se peut également que ses
idées religieuses expliquent son insistance à dire le monde créé ou sa volonté
de tempérer une vision dualiste de la matière 5. Il se peut enfin que son attitude
réticente à l’égard des théories de la Grande Année, fort goûtées des stoïciens
et des astrologues, exprime une réaction de chrétien 6, ou qu’au contraire, nous
ayons, au chapitre 26, dans l’allusion aux mains du créateur, la trace de l’inter­
prétation allégorique de l’expression manus D ei7.
En tout cas, il est de mauvaise méthode de juger avec nos yeux de Modernes
ce que nous considérons comme un hiatus entre culture païenne et culture
chrétienne. À l ’époque de Calcidius, au contraire, il pouvait ne pas être
inintéressant de lier le Timée à la Genèse pour un public qui, par-delà le desti­
nataire direct Osius, était sans doute constitué de lettrés chrétiens. Ce n’est

1. Calcidio . .., Introduz. p. XXXIV.


2. Cf. par exemple le chap. 126, qui fait allusion à l ’étoile des Mages ; au chap. 133, l’idée que
les démons puissent aussi indiquer les bons anges ; au chap. 135, référence à la Genèse ; à la fin du
chap. 219, allusions claires au Nouveau Testament ; influence du Commentaire sur la Genèse
d’Origène pour les chapitres 276-278 (cf. J.H. Waszink, « Calcidius », p. 236).
3. Cf. Index nominum.
4. Cf. J. Dillon, The Middle Platonists..., p. 401.
5. Sur ce dernier point, cf. J.C.M. van Winden, Calcidius on Matter, p. 246.
6. Cf. G. de Callataÿ, Annus Platonicus, p. 108.
7. Cf. note ad loc.
44 BÉATRICE BAKHOUCHE

peut-être pas un hasard non plus si c ’est ce même lien intertextuel qui a assuré
la promotion de l’exégèse calcidienne de façon durable.
Le platonisme de Calcidius
L ’importance de Calcidius pour l ’histoire de la philosophie ne fait désor­
mais plus de doute 1 : pendant des siècles en effet, l’Occident a connu Platon à
travers Calcidius. « Platon », c ’était le Timée, traduit et commenté par l’ami
d’Osius 12. De nos jours encore, le lecteur découvre, dans les longs développe­
ments doxographiques, des témoignages irremplaçables, et pour certains iné­
dits, d’idées miraculeusement sauvegardées. Ne serait-ce que pour cela, le
commentaire de Calcidius constitue un témoin précieux - encore insuffisam­
ment exploité - pour l’histoire de la philosophie.
Mais l’opacité qui entoure, on l’a vu, la vie du commentateur entoure éga­
lement sa pensée. S’il a appartenu au cercle de Milan, un cercle généralement
qualifié de néo-platonicien, l’était-il lui-même ? Était-il médio-platonicien ?
C’est sur ce point, on l’a vu, que, depuis plus d ’un siècle, s’opposent les cri­
tiques, tandis qu’en 1875, J. Wrobel, dans l’introduction à son édition, attachait
plus d’importance à la religion de Calcidius qu’à ses idées.
En réalité, la distinction n ’est pas aisée entre les deux courants du plato­
nisme tardif, comme le prouvent les différentes tentatives de « catalogage »
proposées par les historiens des idées. On a d ’abord distingué 3 en effet un pla­
tonisme éclectique et un platonisme orthodoxe qui refusait l’apport des autres
écoles de philosophie. À cette dualité doctrinale a succédé une distinction entre
médio- et néo-platonisme fondée sur des discriminations temporelles dont les
limites restent floues. H.J. Krâm er4 s’inscrit en faux contre ces catégories en
plaidant au contraire pour une continuité ininterrompue entre l’Académie et
Plotin. Du reste, le médio-platonisme est très difficile à cerner sur le plan chro­
nologique et sur le plan doctrinal, car il est saisi généralement comme une
époque transitoire entre la Nouvelle Académie et le néo-platonisme. Contraire­
ment à la thèse de H.J. Krâmer, il faut bien constater qu’après la disparition de
l’Académie (1er s. av. notre ère), apparaissent trois courants fondamentaux :
sceptique (Plutarque), stoïcisant (Atticus) et pythagorisant (Eudore). En plus
de ces tendances doctrinales, M. Zambon 5 dégage trois caractéristiques qui
concernent spécifiquement le courant médio-platonicien : l’application du cri­
tère de vérité à la pensée de Platon, souvent difficile à valider étant donné les
variations de ses idées d ’une œuvre à l ’autre ; la mise en place d ’autre part
d ’un curriculum qui doit conduire l ’étudiant des connaissances préliminaires

1. Cf. par exemple É. Gilson, La philosophie au Moyen Âge. Des origines patristiques à la fin
du XIVe siècle, Paris, Payot, 1952, p. 117-121.
2. Cf. J.C.M. van Winden, Calcidius on Matter, p. 2, et infra, « Introduction à la traduction ».
3. Voir, pour le status quaestionis, M. Zambon, Porphyre et le moyen-platonisme, p. 23-28.
4. Der Ursprung der Geistmetaphysik. Untersuchungen zur Geschichte des Platonismus zwi-
schen Platon und Plotin , Amsterdam, Schippers, 1964.
5. Porphyre et le moyen-platonisme, p. 28-31.
INTRODUCTION GÉNÉRALE 45

au sommet de la recherche philosophique, à savoir l’assimilation à Dieu ; et


enfin une expression littéraire qui s’appuie sur les commentaires, les doxogra-
phies ou les résumés, ce qui correspond d ’ailleurs aux outils exégétiques uti­
lisés par Calcidius. On voit donc que la démarche du commentateur latin s’in­
scrit parfaitement dans ce cadre, d’autant que le Timée est, on l’a dit, au cœur
même de la spéculation médio-platonicienne.
Par ailleurs, s’il est loisible de relever nombre de parallèles textuels grecs
en regard du texte calcidien, il est possible cependant d ’affiner les liens de
l’exégète à ses sources. En effet, en deux passages au moins, Calcidius paraît
directement tributaire d’Alcinoos 1 : c’est ainsi qu’au chapitre 176, la conuer-
sio du noûs vers le dieu suprême traduit le grec επιστροφή 12. Plus important,
au chapitre 339, à propos des trois principes de la métaphysique médio-pla­
tonicienne - Matière, Formes et Dieu - , le second est défini d’une manière
remarquablement identique par les deux auteurs (avec déplacement d ’un
groupe chez Calcidius) :
ALCINOOS, 163,14-16 CALCIDIUS, c. 339
Έ στι δέ ή ιδέα ώς μέν προς Est igitur principalis species, ut
θεόν νοήσις αυτού, ώς δέ προς cum aliqua dicatur effigie, iuxta
ημάς νοητόν πρώτον, ώς δέ nos quidem, qui intellectus com-
προς την ύλην μέτρον, ώς δέ potes sumus, primum intelle-
προς τον α ισθητόν κόσμον gibile, iuxta deum uero perfectus
παράδειγμα, ώς δέ προς αυτήν intellectus dei. iuxta siluam
έξεταζομένη ουσία. modus mensuraque rerum corpo-
rearum atque siluestrium, iuxta
ipsam uero speciem incorporea
substantia causaque eorum om­
nium quae ex ea similitudinem
mutuantur, iuxta mundum uero
exemplum sempiternum omnium
quae natura progenuit.
Par delà l’expression bavarde et redoublée de Calcidius, on retrouve les paral­
lélismes de la phrase d ’Alcinoos, et il est possible d’établir soit une filiation
entre ces passages, soit une source identique 3. Or le Didaskalikos d’Alcinoos
témoigne de l’enseignement de Gaius 4. De même, dans le traité sur le destin,
la doctrine έξ ύποθέσεως appartient à l’enseignement dispensé dans l’école de

1. Il est à noter par ailleurs qu’en plusieurs passages, Alcinoos et Calcidius paraissent avoir lu
la même leçon du texte grec (c/. notes ad loc).
2. Cf. Alcinoos, 165,2 et 169, 38 ; mais aussi Plutarque, De an.procr. 1024C-D et 1026E-F.
3. Cf. J.C.M. van Winden, Calcidius on Matter, p. 210-211, pour la première hypothèse ;
J. Whittaker (note ad loc.) suppose une source commune, de même que St.E. Gersh, « Calcidius’
Theory of First Principies », p. 91 n. 25.
4. Cf. J. Whittaker, « Platonic Philosophy in the Early Empire », ANRW II, 36.1, p. 81-123
[p. 97-98],
46 BÉATRICE BAKHOUCHE

Gaius. Il est donc vraisemblable que certains éléments médio-platoniciens du


commentaire calcidien dérivent de cette école.
Calcidius, un homme de son temps
Il est vain de vouloir établir - comme l’a fait J.H. Waszink - des filiations
presque pour chaque phrase calcidienne. Le commentateur latin est un homme
cultivé et n ’a pas à tirer tout son savoir de ses sources. Mais son œuvre
témoigne des limites mêmes de ses connaissances. Ch. Mugler a signalé depuis
longtemps ses erreurs en géométrie : « Dans la théorie de la similitude de
figures même simples comme le triangle ou le parallélépipède, Chalcidius
confond constamment les hypothèses et les conclusions h » De même, quand il
suit Théon, les erreurs ne manquent pas - que ce soit dans la traduction de sa
source ou dans son interprétation. Quelques exemples suffiront : au chapitre
70, nous avons un bel exemple d ’erreur de traduction quand le commentateur,
au lieu de rendre le grec άνατολικώτεροι ή δυσμικώτεροι, substitue à l’ori­
entation est-ouest un axe nord-sud : ... uel ad aquilonem uel nonnumquam ad
austrum propensior12. Plus loin, au chapitre 84, Calcidius offre une image
céleste avec des sphères fixées au ciel, alors que ce sont uniquement les
planètes qui sont fixées sur les sphères dans le système des sphères homo-
centriques d ’Eudoxe (que le commentateur attribue à Aristote - à juste titre
puisque le système n’est connu que par Met.). Au chapitre 87, les planètes sont
étrangement dotées d ’une lumière propre - c’était la doctrine de certains plato­
niciens - , et, au chapitre 92, la sphère des fixes est à tort assimilée au méri­
dien : Et exterior quidem circulus, quem dicit eundem, is est qui in apiani
globo summus est, quem meridialem nos, Graeci mesembrinon appellant...
On dirait aujourd’hui que Calcidius est plus littéraire que scientifique.
Nous connaissons son aptitude à traduire des vers grecs en hexamètres dacty-
liques, son goût des fins de phrases rythmées et sa maîtrise de la rhétorique.
Ajoutons à cela l’introduction, ici et là, de citations personnelles, ainsi, dans un
chapitre (chap. 76) où Calcidius suit Théon, d ’une citation étrangère au modèle
grec, puisqu’il s’agit d ’un vers de Virgile (G. I, 243) : Sub pedibus Styx atra
uidet Manesque profundi, pour désigner, dans le commentaire calcidien, l’hori­
zon. Or Macrobe {In somn. I, 16, 6) cite le même vers, qu’il applique, lui, au
cercle antarctique. Le parallèle est intéressant car, dans les deux cas, le même
vers est convoqué pour désigner la frontière entre la partie visible du monde et
sa partie invisible. Les deux auteurs latins témoignent donc de la même culture
(scolaire ?).
Enfin, l’intérêt de l’œuvre calcidienne tient au témoignage unique qu’elle
offre sur telle théorie ou telle expression. Ainsi du chapitre 246, qui nous ren­
seigne, entre autres, sur les pratiques d’Alcméon de Crotone et la vivisection 3.

1. Platon et la recherche mathématique de son temps, p. 93.


2. Cf. note ad loc. ; l ’erreur n’a pas été relevée par J.H. Waszink.
3. Cf. note ad loc.
INTRODUCTION GÉNÉRALE 47

Au chapitre 266, Calcidius est encore le seul témoin de l ’étymologie


beauté/vue qu’il attribue à Théophraste : ... Theophrastus uisus pulchritudi­
nem asserens uisum formae nomine appellat...1. De même, la théorie des
Formes exposée au chapitre 276 n ’a pas d’équivalent dans la tradition latine
antérieure à Calcidius 12, et tout se passe comme si l’exégète élaborait une pen­
sée originale en contractant plusieurs de ses sources.
À la croisée des chemins antiques et médiévaux, l’œuvre de Calcidius revêt
donc une importance capitale pour l’histoire de la philosophie et des idées, et
cela selon deux directions - le passé et le futur : elle nous renseigne en effet
sur les développements antérieurs de l’exégèse platonicienne, et elle sert elle-
même de vecteur quasi-essentiel du platonisme pour les époques qui ont suivi.
L’exégète se présente comme un médiateur culturel, non seulement entre Rome
et la tradition grecque, mais aussi entre le christianisme et la philosophie non
chrétienne, spécialement platonicienne 3.

La f o r t u n e d e l ’œ u v r e

La publication de l’œuvre n’a pas suscité de réactions expresses de la part


des contemporains : aucun d ’entre eux ne cite ni Calcidius ni son commen­
taire. Et pourtant certains signes permettent de constater que le Commentaire
au Timée était connu dès la fin du IVe siècle.

Dans TAntiquité tardive


Influence immédiate
Les hapax - sémantiques ou morphologiques - relevés par J.H. Waszink
(praef'. p. X IV -X V ) chez Calcidius et ses contemporains conduisaient l’éditeur
hollandais à supposer que Calcidius aurait réutilisé un lexique trouvé chez des
auteurs connus, par exemple Ambroise de Milan : Porro ualde probabile uide-
tur Calcidium, utpote scriptorem minime illustrem, haec uerba apud auctores
magna fama uigentes cognouisse. Plus tard, ce même éditeur, convaincu par
les études de P. Courcelle sur les rapports entre l’évêque de Milan et Calcidius,
est revenu sur son idée de dépendance du second à l’égard du premier 4.
P. Courcelle, en effet, a depuis longtemps relevé les lectures néo-plato­
niciennes d’Ambroise de Milan 5. Ses études l’ont également conduit à trouver

1. Cf. note ad loc.


2. Cf. St.E. Gersh, « Calcidius’ Theory of First Principies », p. 86-87.
3. Cf. Gr. Reydams-Schils, « Meta-Discourse... » ,p . 307.
4. Cf. éd. 1975, Addenda ad Praefationem, ad. cap. I, p. CLXXXVI.
5. Cf. « Nouveaux aspects du platonisme chez Saint Ambroise », Revue des études latines 34,
1956, p. 220-239.
48 BÉATRICE BAKHOUCHE

des expressions similaires chez l’évêque et chez l ’ami d ’Osius l. Plusieurs


points de contact entre les deux œuvres ont ainsi pu être relevés. Par exemple,
s’agissant de la Providence divine, les deux auteurs se réfèrent à Aristote pour
limiter l’action divine à la région supra-lunaire 12, mais l’argument était banal.
D’autres parallèles sont encore moins probants : il s’agit du chapitre 184 de
Calcidius et d’un passage du De paenitentia (II, 96, 47) d ’Ambroise ; le texte
de Calcidius repose explicitement sur les vers 46-49 de Y Eunuque de Térence,
et Ambroise s’est attaché aux mêmes vers que Calcidius, et dans le même sens,
pour leur intérêt psychologique 3. Mais Térence constitue un des éléments essen­
tiels du bagage culturel des Romains, dès l ’école du grammaticus. De même
des références au Timée qui, pour la page 42d, conduisent P. Courcelle à trou­
ver des échos entre les chapitres 198, 186 et 201 de Calcidius et le De excessu
fratris (128, 5) ou le De philosophia (cité par Augustin, Contra Iulianum II, 7,
15). La confrontation des textes n’est pas non plus probante pour Timée 41d
cité par Calcidius au chapitre 140 et par Ambroise dans le De fuga saeculi 8,
51 : le mélange dans le cratère était connu de tout platonicien, ce qui opacifie
la source de l’information. En revanche, au chapitre 198, le commentateur
platonicien est le premier à utiliser le calque morphologique du grec ένσω-
μάτω σις - incorporatio - pour désigner la descente de l’âme dans le corps.
Cet hapax sera repris par Ambroise, qui l ’applique à l’Incarnation du Verbe
(cf. Virg. I, 8,46 ; Fide I, 15, 96 ; Apol. Dau. 32, 2).
En dernière analyse, c’est l’appropriation de termes rares ou nouveaux uti­
lisés par Calcidius et réutilisés par Ambroise dans des contextes différents 4
qui constitue un élément de poids pour conclure à une bonne connaissance du
Commentaire au Timée par l’évêque de Milan.
Si J.H. Waszink, convaincu par les études de P. Courcelle, a admis les
rapports Calcidius-Ambroise, sa retractatio vaut également pour les rapports
entre Calcidius et Favonius Eulogius, et ce à la suite de l’étude de M. Sicherl5.
Les développements arithmologiques et musicaux de Favonius Eulogius, dans
son commentaire au Songe de Scipion 6, présentent effectivement maints
points de contact avec les passages analogues du Commentaire au Timée.
Comment s’en étonner quand on sait que ces considérations sur les vertus des
nombres ressortissaient à l’arithmétique, telle qu’elle était enseignée dans les

1. Cf. « Ambroise de Milan et Calcidius », Romanitas et Christianitas, Amsterdam-New


York, North Holland, 1973, p. 45-53.
2. Cf. Calcidius, In Tim. chap. 250, et Ambroise, De off. I, 13,48.
3. Cf. P. Courcelle, « Ambroise de Milan face aux comiques latins », Revue des études latines
50, 1972, p. 223-231 [228-231].
4. Ainsi du mot également rare prospicientia du chap. 250, qu’Ambroise utilise dans YHexae­
meron III, 9, 38, dans un autre contexte.
5. Beitrage zur Kritik und Erklarung des Favonius Eulogius, Wiesbaden, Steiner, 1959 ;
cf. éd. J.H. Waszink, 1975, Addenda..., p. CLXXXVI.
6. Disputatio de Somnio Scipionis, éd. et trad. R.E. van Weddingen, Brussels, Latomus, 1957.
INTRODUCTION GÉNÉRALE 49

écoles 1 ? C ’est ainsi, par exemple, qu’au paragraphe 16, Favonius propose un
tableau (suivi d’une référence à Platon et à son cratère qui rappelle la psycho-
gonie et le crater de Calcidius 2) avec les mêmes nombres - premiers carrés
des premiers nombres pairs et impairs - que ceux du premier schéma « lamb-
doïde » de Calcidius au chapitre 32, mais également avec la même mise en
relation de ces nombres et des différentes figures géométriques. À ces ressem­
blances, qui ne sauraient passer pour des dépendances puisque les développe­
ments arithmologiques sont connus de tous et s’inscrivent en outre dans la tra­
dition exégétique liée au Timée, s’ajoute un passage où les parallélismes dans
l’expression sont beaucoup plus significatifs. F. Skutsch 3 en effet a été le pre­
mier à voir que le chapitre 44 de Calcidius et le paragraphe 22 de Favonius
étaient pratiquement identiques, à tel point même que le texte de Favonius a
permis de corriger celui de Calcidius et vice-versa 4 :
CALCIDIUS FAVONIUS EULOGIUS
Etenim quem ad modum arti- Sicut in arte grammatica arti-
culatae uocis principales sunt et culatae uocis maximae ac prin-
maximae partes nomina et uer- cipales partes edocentur nomi-
ba. horum autem syllabae. syl- na et uerba. horum autem sunt
labarum litterae. quae sunt pri- syllabae partes ac litterae sylla-
mae uoces indiuiduae atque ele­ barum. per quas in unum coi-
mentariae - ex his enim totius lectae significant aliquid, et in
orationis constituitur continen­ eas rursus diductae soluuntur,
tia et ad postremas easdem lit­ ita canorae uocis. quae a Grae-
teras dissolutio peruenit oratio­ cis emmeles dicitur et est
nis - ita etiam canorae uocis. numeris modulisque contexta.
quae a Graecis emmeles dicitur principales portiones habentur
et est modis numerisque com- systemata. Systematum uero
posita principales quidem par- partes ex certo contractu pro-
tes sunt hae, quae a musicis nuntiationis existant, quae dia-
appellantur systemata. Haec stemata Graeci, nos interualla
autem ipsa constant ex certo nominamus. Diastematum uero
tractu pronuntiationis quae partes sunt phtongoi. qui soni
dicuntur diastemata. diastema- Latine dicuntur. Hi soni quasi
tum porro ipsorum partes sunt fundamentum sunt cantus.
phtonzi. qui a nobis uocantur
soni ; hi autem soni prima sunt
fundamenta cantus.

1. Cf. les nombreuses notes aux chap. 32-45. Les parallèles proposés par C. Fries (« D e
M. Varrone a Favonio Eulogio expresso », Rheinisches Museum fur Philologie 58, 1903, p. 115-
125) sont ténus et ne permettent pas d’envisager des filiations.
2. Cf. chap. 140, mais le terme était déjà utilisé par Amobe ( Adv. nat. II, 25 et 52).
3. « Zu Favonius Eulogius und Chalcidius », Philologus 15,1902, p. 193-200.
4. Cf. a.c. ad loc.
50 BÉATRICE BAKHOUCHE

Est autem in sonis differentia iuxta Est autem sonorum plurima diffe-
chordarum intentionem, siquidem rentia iuxta cordarum intentionem,
acuti soni uehementius et citius quae non ut libet efficitur, sed cer­
percusso aere excitantur, gra- ta obseruatione numerorum, de
uiores autem, quotiens leniores et quibus mox loquemur. Et acuti
tardiores pulsus erunt, et accentus quidem soni uehementius et citius
quidem existunt ex nimio inci- percusso aere excitantur. gra-
tatoque pulsu, succentus uero leni uiores autem quotiens lenius tar-
et tardiore, ex accentibus porro et diusque pulsatur, et ubi nimius
succentibus uariata ratione musi- incitatiorque pulsus e s f accentio
uocitatur, succentio uero cum
cae cantilena symphonia dicitur.
lenior tardiorque pulsatio est. Ex
accendonibus <et succentionibus>
ratione musicae cantio temperata
symphonia dicitur, quam ita defi-
niunt : symphonia est consonae
uocis continua modulatio. Dicun-
turque aliae simplices symphoniae,
aliae uero copulatae.
Prima igitur symphonia in quat- Prima igitur symphonia in quatuor
tuor primis modulis inuenitur. primis modulis inuenitur. quae
quae diatessaron dicitur, secunda diatessaron a musicis appellatur.
uero. quae ex quinque primis Secunda, quae ex quinque primis
modulis constat, diapente cogno- modulis constat, fa ci diapente
minata est. Ouibus compositis in nominatur. Ouibus mixtis in ordi-
ordinem nascitur ea cantilena quae nem atque compositis nascitur ea
epogdous et diapason uocatur. cantilena, quae diapason habetur,
propterea epogdous quia ueteres per epogdoum numerum, quia
musici octo solis chordis uteban- ueteres musici octo tantum cordis
utebantur.
tur.
D ’où trois hypothèses : (1) soit Calcidius a copié Favonius, (2) soit c’est
l ’inverse, (3) soit les deux ont exploité une même source. Comme Favonius
aurait écrit son commentaire entre 390 et 410 1 et qu’à cette époque Calcidius
avait sans doute déjà terminé le sien 12, la première hypothèse est, pour nous,
exclue. Les autres parallèles, relevés dans les notes aux chapitres calcidiens sur
les nombres et les accords musicaux, ne font jamais apparaître une aussi gran­
de proximité dans l’expression, ce qui pourrait infirmer l’hypothèse 3. Par ail­
leurs, on sait que Favonius Eulogius était un ancien élève d’Augustin. Or ce­
lui-ci rapporte le songe singulier où le rhéteur de Carthage, en 386 ou 387,
voyait son ancien maître de rhétorique l’aider à débrouiller un passage obscur
de Cicéron :

1. Cf. éd. R.E. van Weddingen, introduction p. 7.


2. Cf. supra « Son époque ».
INTRODUCTION GÉNÉRALE 51

... nobis apud Mediolanum constitutis Carthaginis rhetor Eulogius, qui meus in
eadem arte discipulus fiiit, sicut mihi ipse, posteaquam in Africam remeauimus,
retulit, cum rhetoricos Ciceronis libros discipulis suis traderet, recensens
lectionem quam postridie fuerat traditurus, quendam locum offendit obscurum,
quo non intellecto uix potuit dormire sollicitus, qua nocte somnianti ego illi
quod non intellegebat exposui, immo non ego, sed imago mea nesciente me et
tam longe trans mare aliquid aliud siue agente siue somniante et nihil de illius
curis omnino curante 1.

Il n’est pas impossible de penser qu’Augustin ait eu, dans ses bagages, à
son retour d’Italie, tout ou partie de l’œuvre de Calcidius, qu’il aurait laissée
au rhéteur lors de son passage à Carthage. Dans cette hypothèse, le futur évêque
d’Hippone a pu lire lui aussi le Commentaire au Timée soit à Milan, soit lors
de sa retraite à Cassiciacum, puis 1’« abandonner » à son retour en Afrique. La
question des rapports entre Calcidius et Augustin reste de fait controversée.
P. Courcelle est catégorique : « Je ne vois nulle part qu’Augustin ait utilisé la
traduction de Chalcidius, comme l’ont répété MM. Alfaric, Combès et Marrou 12. »
La remarque est incontestable : il est avéré en effet qu’Augustin connaissait le
Timée à travers la version latine de Cicéron, mais le commentaire ? J.H. Waszink
a de fait relevé un certain nombre de parallélismes entre les deux auteurs 3.
Ainsi de la définition des démons en tant qu’êtres omniscients 4, ou de celle de
la matière par Anaxagore 5, ou encore de l’absence de qualité de la matière
pré-cosmique 6. Assurément, ces parallèles sont insuffisants pour établir une
filiation : la définition des démons, tirée du Cratyle, était bien connue, et la
référence à Anaxagore se trouve déjà chez Cicéron {Luc. 37, 118). Dans l’exé­
gèse augustinienne à la Genèse, nous retrouvons également des idées déjà
développées par l ’ami d ’Osius, mais qui ressortissent à la tradition platoni­
cienne : ainsi de la perfection du nombre 6 (IV, 1-2), des éléments d ’astro-

1. De cura pro mortuis gerenda, CSEL XLI, 1900, p. 642, 12 sqq. = Les soins dus aux morts
dans Oeuvres de saint Augustin IL Problèmes moraux, éd. G. Combès, Paris, Desclée de Brouwer,
1948, p. 494-496 : « ... quand j ’étais encore établi à Milan, il arriva à Eulogius, professeur
d’éloquence à Carthage, mon disciple en cet art, comme il me l ’a rappelé, l ’événement suivant
dont il me fit lui-même le récit, à mon retour en Afrique. Son cours portant sur les ouvrages de
rhétorique de Cicéron, il préparait sa leçon pour le lendemain ; il tomba sur un passage obscur
qu’il n’arriva pas à comprendre. Préoccupé, il eut toutes les peines du monde à s ’endormir. Or
voilà que je lui apparus pendant son sommeil et lui expliquai les phrases qui avaient résisté à son
intelligence. Ce n’était pas moi bien sûr, mais, à mon insu, mon image. J’étais alors bien loin, de
l ’autre côté de la mer, occupé à un autre travail ou faisant un autre rêve et n’avais cure le moins du
monde de ses soucis. »
2. Les lettres grecques en Occident de Macrobe à Cassiodore, Paris, de Boccard, 1943, p. 157 ;
cf. P. Alfaric, L'évolution intellectuelle de saint Augustin, Paris, E. Nourry, 1912, p. 231 et n. 4 ;
G. Combès, Saint Augustin et la culture classique , Paris, Pion, 1927, p. 14 ; et H.-I. Marrou, Saint
Augustin et la fin de la culture antique, p. 34 et n. 3. M. Lemoine (« Le Timée latin en dehors de
Calcidius », p. 72) est de l ’avis de P. Courcelle.
3. Cf. son Index locorum, p. 427.
4. Calcidius, In Tim. chap. 132, et Augustin, Ciu. IX, 20.
5. Calcidius, In Tim. chap. 203, et Augustin, Ciu. VIII, 20.
6. Calcidius, In Tim. chap. 272, et Augustin, Gen. 1 ,4, 9.
52 BÉATRICE BAKHOUCHE

nomie au livre II, de Γantériorité causale et de l’antériorité temporelle au livre


V (12, 13), ou de l’utilisation du terme uehiculum pour exprimer le véhicule de
l’âme, Γόχημα platonicien l. De même, dans le De natura boni écrit en 399, le
futur évêque d ’Hippone définit la matière sous le terme de silua 2, déno­
mination qui rappelle le chapitre 123 du commentaire de Calcidius et la section
sur « La matière ». Dès lors, si les convergences d ’expressions ne trahissent
pas toujours nécessairement l’utilisation du texte le plus ancien par l’auteur le
plus récent, le choix des mots peut être parfois significatif, comme celui de
l’adverbe indeclinabiliter3. Mais, si l’on reprend la liste des hapax legomena
que J.H. Waszink 4 pointe à la fois chez Calcidius et Augustin - adminiculor 5,
assecutio 6, immobilitas 7, inordinatio, inrefrenabilis 8 et praecessio 9 - , les
parallèles ne sont pas pour autant tous concluants : inordinatio, par exemple,
désigne chez Calcidius 10 le désordre de la matière, tandis que pour Augustin 11,
le désordre est senti comme moral et lié au péché.
Enfin, si, dans les Saturnales, Macrobe reprend presque mot à mot la tra­
duction de Platon par Calcidius à propos de la fabrication d ’onguents parfu­
més 12, le Commentaire au Songe de Scipion présente, de son côté, des simili­
tudes lexicales avec le commentaire de Calcidius : J.H. Waszink 13 estime en
effet que cet auteur emprunte à l’exégète platonicien les termes d 'Aristoteli-

1. Voir J. Pépin, « Pourquoi l ’âme automotrice aurait-elle besoin d’un véhicule ? », dans JJ. Cleary
(éd.), Traditions of Platonism. Essays in Honour of John Dillon, Aldershot, Ashgate, 1999, p.293-
305 [298-299].
2. De nat. boni 18, éd. J. Doignon, Paris, Cerf, 1997. Le parallèle a été relevé par O. du Roy,
L· intelligence de la foi en la Trinité selon Saint Augustin, Paris, Cerf, 1966, p. 275 n. 4.
3. Calcidius, T 40A ; Augustin, Ciu. IX, 22, à propos des démons dans les deux textes.
4. Praef., p. xiv.
5. Calcidius, Ep. et T 45 a , adminiculus, chap. 141 et 201 ; Augustin, Contra Acad. I, 7 ;
Ep. 155, 157, 186 ; De doctr. christ. I, 3 ; CD VI, 3 ; X, 1 ; Contra philos.. Disput. 3 ; adminiculus.
Contra Iui. op. imp. IV (PL 1377,1. 39) et De dialectica, chap. 6.
6. Calcidius, T 46 a (cité au chap. 257) ; chap. 59, 267, 335 ; Augustin, Contra Iui. op. imp. V
(PL, 1433,1.6).
7. Pour désigner immutabilité ou impassabilité : Calcidius, chap. 222-223, 281, 301, 329, im­
mobiliter, chap. 77 ; Augustin, In Iohan. 110, 3 ; In Psalm. Ps. 138, §8 et Ps 147, §22 ; Contra lui.
VI (PL 847,1. 7) ; Contra Iui. op. imp. III (PL 382,1. 3) ; Contra Maxim. I (PL 755,1. 44) ; immo­
biliter, Conf. XII, 20, 29 ; Serm. 213, 18.
8. Calcidius, chap. 106 et 325 ; Augustin, De bono boni chap. 5, §5 ; Serm. 239 (PL 1127,
1.11) et 265 (PL 1219,1. 19).
9. Calcidius, chap. 150-153 ; Augustin, Genes. VIII.
10. Chap. 206, 207, 263, 271, 276, 299, 301, 304, 352, 353 ; inordinatus, T. 30A, 4 3 b , 46 e ,
53 a , chap. 352.
11. De moribus eccl. II (PL 1348,1. 49) ; De diu. quaest. I, qu. 2, chap. 18 ; CD XIV, 26 ; De
natura boni §23 ; inordinatus, très nombreuses occurrences chez Augustin (cf. par exemple De
musica 6 ; De libero, arb. I, 16 ; Epist. 44, 1 ; 140, 31 ; 251, Salutatio ; 262, 11 ; Epist. nuper in
lue. prol. 6, 8 ; 9, 3 ; De Genesi V, 22 ; XI, 13 ; De Genesi imperf. lib. 4 ; Quaest. In Heptat. V,
Quaest. Deuteron. 34...).
12. Cf. M. Lausberg, « Seneca und Plato (Calcidius) in der Vorrede zu den Saturnalien des
Macrobius », Rheinisches Museum fur Philologie 134, 1991, p. 167-191 [p. 175-176].
13. Praef. p. XIV.
INTRODUCTION GÉNÉRALE 53

eus 1, exemplaris (au sens de «conforme aux modèles, aux idées [platoni­
ciennes] » )2. Il faut ajouter également les ré-emplois de siluestris 3, de cor­
pulentus A et de competentia 5. C. Fries, comparant les passages relatifs aux
qualités du nombre 6 (dont on sait qu’ils ressortissent à la tradition arithmolo-
gique la plus générale), va même jusqu’à faire de Macrobe la source de
Calcidius 6. Or le commentaire au Songe de Scipion a été composé vraisem­
blablement dans les années 430 7 - date incompatible avec l’époque à laquelle
a vécu Osius, le dédicataire de Calcidius 8 - , ce qui rend impossible la filiation
Macrobe-Calcidius, mais n’interdit pas l’inverse. En dernière analyse, les
proximités lexicales peuvent se lire plus modestement comme le reflet d’une
environnement culturel proche.
Influence médiate
Boèce (ca 480-524) s’est particulièrement intéressé au Timée de Platon et
aux exégèses scientifiques auxquelles on peut rattacher ses Institutio arithme­
tica et Institutio musica. Quant à la Consolation de Philosophie 9, elle a été
systématiquement rattachée à des sources grecques 10. Pourtant, sans aller jus­
qu’aux conclusions de J. Sulowski 11 pour qui, en plusieurs passages, Boèce
aurait purement et simplement démarqué le Commentaire au Timée de Calcidius,
nous avons cru pouvoir montrer que le platonisme de Boèce, dans la Conso­
lation, est d ’inspiration latine et que, sur plusieurs points, Boèce exprime les
mêmes idées que Calcidius : ainsi, pour Boèce (IV, 6) comme pour Calcidius
(chap. 145-146), le destin est soumis à la Providence ; en V, 11, Boèce distin­
gue éternité et perpétuité, et souligne l’impermanence absolue du présent, dans
des termes qui rappellent les développements des chapitres 105-106 du com­
mentaire calcidien 12. Enfin, pour J.H. Waszink 13, le ministre de Théodoric
emprunte encore à Calcidius le terme de carentia H.

1. Calcidius, chap. 286 ; Macrobe, In somn. II, 14,7 ; 14, 22 et 15, 23.
2. Calcidius, chap. 304 ; Macrobe, In somn. I, 8, 5.
3. Calcidius, chap. 197, 289, 300, 337-338 ; Macrobe, In somn. I, 6 ,9 ; 12, 7 et 22, 6.
4. Calcidius, chap. 2 1 ,2 2 , 236, 289, 297 ; Macrobe, In somn. I, 22, 5.
5. Calcidius, chap. 19 ; Macrobe, In somn. I, 6, 24.
6. « De M. Varrone a Favonio Eulogio exp resso», p. 117: Vidimus Chalcidium sequi
Macrobium...
7. Cf. le status quaestionis de M. Armisen-Marchetti, dans son édition du Commentaire au
Songe de Scipion I, Introduction, p. XVI-XVIII.
8. Cf. supra « Son époque ».
9. Pour une liste des éditions pertinentes, voir la Bibliographie générale (volume II).
10. Cf. P. Courcelle, Les lettres grecques.. ., p. 278-300.
11. « Les sources du ‘De consolatione Philosophiae’ de Boèce », Sophia 25, 1957, p. 76-85, et
« The Sources of Boethius ‘De Consolatione Philosophiae’ », Sophia 29, 1961, p. 67-94.
12. Cf. B. Bakhouche, « Boèce et le Timée », dans Boèce ou la chaîne des savoirs, p. 247-265.
13. Praef. p. XV.
14. Calcidius, chap. 283 ; Boèce, Ar. Top. 3 ,2 , chap. 936B.
54 BÉATRICE BAKHOUCHE

Toujours selon le même éditeur l, Cassiodore (ca 490-580), qui, à première


vue, n’est guère redevable du commentaire calcidien, aurait puisé cependant,
lui aussi, dans l’exégèse calcidienne un terme original, celui de uisualis 12... à
moins que le mot n’ait été « vulgarisé » entre-temps ! Un fil ténu permet donc
d’apprécier la réception de l’œuvre calcidienne dès les premiers siècles qui ont
suivi sa parution.
L ’œuvre de Calcidius, qui aurait été connue en Gaule au VIe siècle et en
Espagne à l’époque de Braulio de Sarragosse 3, a-t-elle été lue par Isidore de
Séville (560-636) ? Dans l’Espagne wisigothique du VIIe siècle, l’évêque de
Séville connaissait-il l’œuvre de Calcidius ? J. Fontaine 4, bien qu’ayant relevé,
dans son index, de nombreuses similitudes entre les deux oeuvres, doute que le
Sévillan soit redevable au commentateur platonicien. Certes, un certain
nombre de développements généraux peuvent ressortir à la tradition doxogra-
phique. Cependant, en deux passages de son De natura rerum, l’évêque de
Séville utilise une terminologie proche de celle de Calcidius. C’est le cas du
chapitre 18, 7, quand il est question des différentes phases de la Lune. Elles
sont dénommées de la même façon qu’au chapitre 37 du Commentaire au
Timée, comme on peut s’en convaincre en mettant en parallèle les textes sui­
vants tous différents :
FAVONIUS CALCIDIUS M ACROBE M .CAPELLA ISIDORE
8 ,3 1 ,6 ,5 5 VII, 738
άνατολή bicornis cum corniculata bicornis
nascitur μηνοειδής
άμφίκυρτος sectilis διχότομος διχότομος sectilis
διχότομος dim idiata άμφίκυρτος άμφίκυρτος dim idia
m aior
πανσέληνος plena plen a plena plena
πληροσέληνος
διχότομος m aior άμφίκυρτος άμφίκυρτος dim idia
dim idiata ex
m aiore
άμφίκυρτος sectilis διχότομος διχότομος sectilis

1. Praef. p. XV.
2. Calcidius, chap. 241 ; Cassiodore, Var. 4 ,5 1 ; 1 2 ,1 4 ,6 .
3. Cf. M. Huglo, « La réception de Calcidius... », p. 5.
A. Isidore de Séville et la culture classique dans l ’Espagne wisigothique , index p. 940 et
p. 758-759 (texte dont la version remaniée et augmentée est parue sous le titre : Isidore de Séville :
genèse et originalité de la culture hispanique au temps des Wisigoths, Tumhout, Brepols, 2000), et
art. « Isidore de Séville », dans R. Goulet (dir.). Dictionnaire des philosophes antiques III, n°34,
p. 879-890. Cf. également A.H. Armstrong (éd.), The Cambridge History of Later Greek and Early
Médiéval Philosophy, Cambridge, Cambridge University Press, 1967, p. 563-564, et J.M. Rist,
Platonism and its Christian Heritage, p. 152 n. 58 ; contra J. Dillon, The Middle Platonists,
p. 402, et J.H. Waszink, « Calcidius », p. 237 ; cf. supra « Son époque ».
INTRODUCTION GÉNÉRALE 55

συνοδική bicornis luminis corniculata bicornis


uniuersitate μηνοειδής
priuatur

De même, au chapitre 11, 1 du même ouvrage d ’Isidore, on peut faire


correspondre les chapitres 21 et 22 du Commentaire au Timée sur les trois
qualités attribuées à chacun des éléments naturels, avec une différence néan­
moins - la corpulentia de la terre est remplacée par la crassitudo - mais égale­
ment une convergence significative : le terme obtunsus pour désigner ce qui
est émoussé est uniquement utilisé par Calcidius et Isidore :

CALCIDIUS ISIDORE
Ignis... acumen quod est acutus et Ignis tenuis, acutus et mobilis ;
penetrans, deinde quod est tener
et delicata quadam subtilitate,
tum quod mobilis et semper in
motu.
(c. 22) Aer obtunsus subtilis mo­ Aer mobilis, acutus et crassus ;
bilis.
...aquae substantia, quod est Aqua crassa, obtunsa et mobilis ;
corpus obtunsum corpulentum
mobile.
Terrae... <obtunsitas>, quod est Terra crassa obtunsa et
retunsa, quod corpulenta, quod inmobilis.
semper immobilis.
Les paragraphes 20-21 de Étymologies XI. 1 sur la vue offrent également
des points de contact avec le chapitre 248 de Calcidius l. Et dans des études
récentes enfin, A. Somfai et Br. Eastwood ont à leur tour décelé d’autres traces
de l’influence de Calcidius sur Isidore 12.

1. Cf. F. Gasti, L'antropologia di îsidoro. Le fonti dei libro XI delle Etimologie, Como, New
Press, 1998, p. 39 ; Isidoro di Siviglia De homine partibus (.Etymologiae X I.1), ed. F. Gasti,
Palermo, Palumbo, 1999, n. ad loc.
2. A. Somfai, The Transmission and Réception ofP lato’s ‘Timaeus’ and Calcidius’ Commen-
tary during the Carolingian Renaissance, PhD dissertation (non publiée), Cambridge, 1998, p. 99-
100 ; Br. Eastwood, « The Diagram of the Four Eléments in the Oldest Manuscripts o f Isidore’s
‘De Natura Rerum’ », Studi medievali 42, 2001, p. 547-564 + 6 planches. Sur la réception du
Timée de Calcidius du IXe au XIIIe siècle, cf. A. Speer, « Lectio physica. Anmerkungen zur
r/mfl/os-Rezeption im Mittelalter », dans Plato’s ‘Timaeus’ and the Foundations of Cosmology...,
p. 213-234 [p. 214-217].
56 BÉATRICE BAKHOUCHE

Au Moyen Age
À l’époque carolingienne le Timée de Platon, à travers sa version latine et
le commentaire de Calcidius, passe généralement pour avoir été moins recher­
ché pour les théories scientifiques que pour le problème de l’origine de l’âme
et de l’éternité du monde, car il était bien connu du cercle d’Alcuin. Mais
l’intérêt scientifique suscité par le texte dès cette époque ne saurait être nié :
Ps.-Bède par exemple (dont l ’époque reste incertaine), dans son De mundi
constitutione, se sert aussi de l’exégèse scientifique du commentateur platoni­
cien, notamment à propos des étoiles qui apparaissent après un long laps de
temps 12. De même, un scribe qui a travaillé au monastère de Fulda dans les
années 827-829 a réuni une importante collection de textes scientifiques, dont
témoigne le manuscrit Paris BnF Lat. 13955 : neuf chapitres scientifiques issus
du commentaire au Timée de Calcidius (sans figure) sont mêlés à des extraits de
Pline ou de Macrobe, qu’il s’agisse de la sphère céleste, de l’ordre des planètes,
du mouvement du Soleil, des levers et couchers planétaires3. Calcidius est cité
par Dunchad 4 et Jean Scot Érigène5 au milieu du IXe siècle. Ce dernier, dans
ses Annotationes in Marcianum 6, emprunte à Calcidius ses idées sur l’âme et
son extension à l’intérieur de l’âme du monde 7. C’est encore dans le Commen­
taire au Timée (chap. 71), mais aussi chez Macrobe et Pline, qu’il trouve quel­
ques-unes de ses théories sur la distribution des planètes et sur l’harmonie des
sphères ; enfin, la difficile définition de Y Entelechia entraîne une référence
obligée à Calcidius (chap. 219-222) 8. À la même époque, Hucbald de Saint
Amand, auteur d ’un traité de musique, possédait un manuscrit de Calcidius,
texte qu’il a peut-être connu et acquis de Rémi d’Auxerre quand celui-ci était à
Reims : ce centre est connu pour avoir joué un rôle non négligeable dans la

1. Pour cette période, cf. A. Somfai, The Transmission and Réception...


2. De mundi constit. 1,402-410 (éd. Bumett, p. 52-55) =Calcidius, chap. 125-126.
3. Cf. Br. Eastwood, « Calcidius’ Commentary on Plato’s ‘Timaeus’ in Latin Astronomy of
the Ninth to Eleventh Centuries », dans L. Nauta & A. Vanderjagt (éd.), Between Démonstration
and Imagination, Leiden-Boston-Koln, Brill, 1999, p. 171-209 [p. 172-178].
4. Cf. M. Huglo, « La réception de Calcidius et des Commentarii de Macrobe à l ’époque
carolingienne », Scriptorium 44-1, 1990, p. 3-20 [p. 5].
5. Cf. J. Marenbon, « Platonism - A Doxographic Approach: the Early Middle Ages », dans
St. Gersh & M.J.F.M. Hoenen (éd.), The Platonic Tradition in the Middle Ages, p. 67-89 [p. 74-
77].
6. Iohannis Scotti. Annotationes in Marcianum, ed. Cora E. Lutz, Cambridge-Mass., 1939.
1 .Cf. G. Mathon, « Jean Scot Érigène, Chalcidius et le problème de l ’âme universelle », dans
L ’homme et son destin d ’après les penseurs du Moyen âge, Leuven-Paris, 1960, p. 361-375, et
A.H. Armstrong (éd.), The Cambridge History of Later Greek and Early Médiéval Philosophy,
p. 577-578 ; sur les emprunts lexicaux d’Érigène à Calcidius, cf. C. Martello, « Il termine e la
nozione di analogia in Calcidio e Giovanni Scoto », Quaderni Catanesi di Studi Classici e
Medievali 3, 1991, p. 135-157.
8. Cf. G. Madec, « Jean Scot et ses auteurs », Cahier d ’études médiévales, Montréal-Paris,
1986, p. 143-186, et R.D. Crouse, « Hic sensilis mundus : Calcidius and Eriugena in Honorius
Augustudunensis », dans H J. Westra (éd.), From Athens to Chartres. Neoplatonism and Mediae-
val Thought. Studies in Honour of Edouard Jeauneau, Leiden, Brill, 1992, p. 283-288.
INTRODUCTION GÉNÉRALE 57

transmission des textes scientifiques et philosophiques de l’Antiquité classique


et tardive, à l’époque carolingienne l. C’est d ’ailleurs dans ce centre qu’a ensei­
gné un temps Gerbert d ’Aurillac, avant de devenir pape sous le nom de
Silvestre II : or la culture scientifique de cet ancien pâtre s’est nourrie entre
autres de la lecture de Calcidius, comme en témoignent, outre des références
anonymes, deux citations précises dans son traité de Géométrie 12. Un de ses
élèves, Bernelin, connaissait lui aussi le commentateur platonicien 3.
Un autre centre s’intéresse au platonisme d ’époque tardive : à Fleury en
effet, à l’époque d ’Abbon (ca. 940-1004), l’école et le scriptorium de l’abbaye,
déjà actif dans les années 850, sont devenus fameux, et entretiennent avec les
autres centres de copie de la vallée de la Loire des relations au moins aussi
étroites qu’au milieu du IXe siècle. Dans un tel cadre, les copies d’auteurs
comme Macrobe ou Calcidius ne sont pas surprenantes. C ’est dans ce milieu
aussi qu’a été composé un manuscrit dont la première partie offre le commen­
taire d’Abbon de Fleury sur le Calculus de Victor d’Aquitaine, texte suivi de
passages de Calcidius, résumés et adaptés, sur les problèmes de cosmologie et
d’astronomie 4.
Au XIe siècle, qui correspond à la période de sa plus grande popularité 5, et
au siècle suivant6, le Timée de Calcidius connaît un regain de faveur 7*, après

1. Citons comme témoin de cette activité un manuscrit actuellement conservé à Valenciennes,


BM 293 (283), et particulièrement étudié par M. Huglo (« La réception de Calcidius... », p. 5 et 7-
8) et R. McKitterick (« Knowledge of Plato’s ‘Timaeus’ in the Ninth Century... », p. 93-94) ; sur
ce manuscrit, voir infra « L ’établissement du texte ».
2. Geom. (in Opera mathematica , éd. N. Bubnov, Hildesheim, Olms, 1963) II, 6 : Calcidius
Timaeum Platonis exponens..., et VI, 7 : Plato in Cosmopeia Timaei de planis figures... ;
cf. M. Folkerts, Essays on Early Médiéval Mathematics, Aldershot, Ashgate, 2003 ; « The
Importance of the Latin Middle Ages for the Development of Mathematics », p. 1-24 [p. 4] ;
J. Marenbon, « Platonism - A Doxographic Approach : the Early Middle Ages », p. 84 ; A. Somfai
(« The Eleventh-Century Shift in the Réception o f P lato’s ‘Tim aeus’ and C alcidius’s
‘Commentary’ », Journal of the Warburg and Courtauld Institute 65, 2002, p. 1-21) va plus loin :
« It was probably through Gerbert9s personal influence and through his students, such as the
future emperor Otto III, that Calcidius ’ translation and Commentary began to be copied in
Germany during the eleventh century. » (p. 19).
3. Cf. J. Marenbon, « Platonism - A Doxographic Approach : the Early Middle Ages », p. 79
n. 65.
4.11 s ’agit du manuscrit Berlin, Staatsbibliothek MS Phillipps 1833 (Rose 138); voir
Br. Eastwood, « Calcidius’s Commentary on Plato’s ‘Timaeus’ in Latin Astronomy... », p. 178-
183, Appendix p. 195-199 ; P.E. Dutton, « Médiéval Approaches to Calcidius », p. 191-192, n. 52 ;
et A. Somfai, « The Eleventh-Century Shift... », p. 18.
5. Cf. P.E. Dutton, « Material Remains o f the Study o f the ‘Timaeus’ in the Later Middle
Ages », dans Cl. Lafleur (éd.), L'enseignement de la philosophie au XIIIe siècle. Autour du ‘Guide
de Tétudiant’ du ms. Ripoll 109, Turnhout, Brepols, 1997, p. 203-230 [p. 204] ; « M édiéval
Approaches to Calcidius », p. 184 ; et infra, « Histoire du texte ».
6. Voir M. Huglo, « The Study of Ancient Sources of Music Theory in the Médiéval Univer-
sities », dans A. Barbera (éd.), Music Theory and Its Sources. Antiquity and Middle Ages, Notre
Dame, University of Notre Dame Press, 1990, p. 150-172 [p. 166-168].
7. Cf. R. Klibansky, The Continuity of the Platonic Tradition, London, Warburg Institute,
1950, rééd. 1982 : sur l ’importance (longtemps méconnue par les historiens) de la traduction et du
58 BÉATRICE BAKHOUCHE

un certain recul de son audience, comme en témoigne le très petit nombre de


manuscrits des IXe-Xe siècles, à cause peut-être de la concurrence de Boèce et
de Macrobe ou plus simplement du recul de l’activité intellectuelle au Xe siècle 2.
D ’ailleurs, désormais, le destin du Commentaire au Timée est indissoluble­
ment lié à celui du Commentaire au Songe de Scipion de Macrobe, des Noces
de Mercure et Philologie de Martianus Capella et de la Consolation de Philosophie
de Boèce, les « maîtres-livres », comme les a appelés E. Jeauneau, « les grandes
voies par lesquelles l ’héritage de la Philosophie antique a pu être transmis au
Moyen Âge3 ». Pour les hommes de ce temps, Platon se réduit à la cosmologie
du Timée, et l’étude de ce texte central était un moyen d’expliquer les relations
de Dieu au monde - création et Providence. Dans un tel contexte, les gloses se
multiplient, dans un rapport au texte qui change : on s’intéresse à ce dialogue
platonicien pour commenter la Genèse, pour le modèle trinitaire, mais aussi
pour discuter des noms divins. La philosophie platonicienne sert désormais
d’auxiliaire à la théologie chrétienne 4.
Avant d’aborder les grandes figures du milieu chartrain, il faut citer le nom
de Papias qui, dans son dictionnaire de 1041, Y Elementarium, établit déjà des
distinctions que l’on retrouvera dans les Glosae super Platonem attribuées à
Bernard de Chartres 5 : ainsi des ideae, les formes exemplaires, et des species
nativae, les formes nées, pour lesquelles il utilise la terminologie de Calcidius
(chap. 344) ; d’autre part, le premier des trois articles correspondant à l’entrée
noys semble également dériver du Commentaire au Timée (chap. 205), de même
que ceux consacrés aux termes intellectus, ratio ou endelechia, où le nom du

commentaire calcidiens : « . . . their significance for the history of ideas has perhaps not been
sufficiently grasped by historians » (p. 28) ; M.-D. Chenu, La théologie au douzième siècle, Paris,
Vrin, 1957, p. 118-128 ; JJFr. Sulowski, « Studies on Chalcidius », dans Actes du 1er Congrès in­
ternational de philosophie médiévale, Leuven-Paris, Nauwelaerts, 1960, p. 153-161 ; et St. Gersh,
Middle Platonism..., p. 13 sq.
1.Cf. M. Huglo, « La réception de Calcidius... », p. 13 ; cependant, comme l ’a remarqué
P.E. Dutton (« Médiéval Approaches to Calcidius », 183), le nombre de manuscrits n ’est pas ici
très significatif, car les plus anciennes copies ont le plus de chances de disparaître. Sur les manus­
crits de Macrobe, cf. P.K. Marshall, « Macrobius », dans L.D. Reynolds (éd.), Texts and Trans­
mission. A Survey ofthe Latin Classics, Oxford, Clarendon Press, 1983, p. 222-235.
2. Cf. L.D. Reynolds et N.G. W ilson, D ’Homère à Érasme, Paris, CNRS, 1984, p. 73 : « Le
Xe siècle est avant tout une période de transition entre l ’ère carolingienne et l ’expansion tant éco­
nomique qu’intellectuelle des deux siècles suivants. La culture et la production des manuscrits
sont partout en déclin... »
3. « L ’héritage de la philosophie antique durant le haut Moyen Âge », dans La cultura antica
nelT occidente latino dal VU αΙΓ XI secolo I, Spoleto, Presso la sede dei Centro, 1975, p. 19-54
[p. 27]. Sur la philosophie au XIIe siècle, cf. P. Dronke (éd.), A History of Twelfth-Century
Western Philosophy, Cambridge, Cambridge University Press, 1988 ; sur la réception du Timée
aux XIe et XIIe siècles, cf. de même M. Gibson, « The Study of the ‘Timaeus’ in the Eleventh and
Twelfth Centuries », Pensamiento 25,1969, p. 183-194, et From Athens to Chartres.
4. Cf. T. Gregory, « The Platonic Inheritance », dans History of Twelfth-Century Western Phi­
losophy, p . 54-80.
5. Bernard of Chartres, Glosae super Platonem, éd. P.E. Dutton, Toronto, Pontifical Institute
of Mediaeval Studies, 1991.
INTRODUCTION GÉNÉRALE 59

commentateur est cité l. Quelques années plus tard, en 1050, Lanfranc de Bec
met en parallèle le début du discours du démiurge en 41A6-8, dont il cite la tra­
duction cicéronienne trouvée dans la Cité de Dieu (XIII, 16) d ’Augustin, avec
la version calcidienne qu’il reproduit jusqu’en 41b6 12.
Au sein de l’école de Chartres, Thierry, le premier, plus intéressé par les
rapports du quadrivium et de la théologie 3, écrit des Gloses sur le Timée où
l’on retrouve les idées des quatre « piliers » du platonisme latin tardif. Ail­
leurs, dans un commentaire anonyme au livre VIII des Noces de Martianus
Capella, nous avons un écho des idées du Chartrain : ainsi, pour commenter le
paragraphe 814 de Martianus, il propose une définition aristotélicienne de la
matière qui rappelle le chapitre 288 du Commentaire au Timée 4. De même,
l’exégète appelle la Terre antiquissima dea, « selon Platon » précise-t-il, alors
que c’est la traduction de Calcidius en 40c 5.
Chez Bernard de Chartres, qui, lui aussi, aurait écrit des gloses sur Platon 6
en s’intéressant plutôt aux questions philosophiques, relevons, par exemple,
les formae nativae assimilées à Y endilichia ou forma corporis d ’origine aristo­
télicienne 7, mais présente chez Calcidius (chap. 222) comme chez Macrobe
(In somn. I, 14, 19). Que ces gloses soient ou non de Bernard ne doit pas nous
conduire à minimiser l’intérêt spécifique du maître chartrain pour le Timée,
car, dans son Metalogicon, Jean de Salisbury, qui a suivi à Chartres les ensei­
gnements du maître normand, fournit d’amples témoignages du platonisme de
Bernard ; lui-même, quand, en 1159, il publie les Metalogicon et Policraticus,
écrit en dédicace une lettre qui se révèle être un petit essai sur l’amitié où il
invoque les noms de Calcidius et Platon ; en réalité, le modèle de cette lettre n’est
autre que la dédicace de Calcidius à Osius 8. En outre, il souligne, dans une
page célèbre de son Policraticus, les concordances entre le Timée et l’Écri­
ture :

1. Cf. G. Dahan, « Éléments philosophiques dans Y Elementarium de Papias », dans From


Athens to Chartres, p. 225-245 ; et I. Caiazzo, Lectures médiévales de Macrobe , Paris, Vrin, 2002,
p. 136.
2. Cf. M. Gibson, « The Study of the ‘Timaeus’... », p. 184.
3. Cf. É.Jeauneau, «Mathématiques et Trinité chez Thierry de Chartres», M iscellanea
m ediaevalia, Berlin, de Gruyter, 1963, p. 289-296 = Lectio philosophorum, Amsterdam,
A.M. Hakkert, 1973, p. 92-99.
4. Cf. É. Jeauneau, « Note sur l ’École de Chartres », Studi Medievali, 5, 1964, p. 821-865
[p. 835-837 et n. 96] = Lectio philosophorum, p. 5-49.
5. Cf. É. Jeauneau, « N ote... », p. 836 et n. 89.
6. Cf. P.E. Dutton, « The Uncovering of the ‘Glosae super Platonem’ o f Bernard of Chartres »,
Mediaeval Studies 46, 1984, p. 212-219; et Bernard de Chartres. Glosae super Platonem. Cette
attribution est contestée ; cf. le status quaestionis de I. Caiazzo, Lectures médiévales de Macrobe,
p. 135-141. Sur l ’influence de Calcidius sur Bernard de Chartres, cf. Th. Ricklin, « Calcidius bei
Bernhard von Chartres und Wilhelm von Conches », Archives d'histoire doctrinale et littéraire du
Moyen Âge 67, 2000, p. 119-141.
7. Cf. W. Wetherbee, « Philosophy, Cosmology, and the Twelfth-Century Renaissance », dans
History ofTwelth-Century Western Philosophy, p. 34-35.
8. Cf. P.E. Dutton, « Médiéval Approaches to Calcidius », p. 188-189.
60 BÉATRICE BAKHOUCHE

In libris Platonis inveniuntur multa dictis consona prophetarum. Nam in Thi-


meo, dum causas mundi subtilius investigat, manifeste videtur exprimere Trini­
tatem quae Deus e s t 1.

La culture platonicienne de ces hommes nourris de la lecture de textes


comme celui de Calcidius est indéniable. C ’est également ce qui peut carac­
tériser le successeur de Bernard, Gilbert de Poitiers qui, lui aussi, s’intéresse
aux formae nativae, mais élabore également une théorie de la matière directe­
ment ancrée dans le commentaire de Calcidius 123.
Quant à un autre maître chartrain Guillaume de Conches, sa dette à l’égard
de Calcidius est plus visible, car il rédige des Glosae super Platonem 3 (en réa­
lité sur le Timée) qui sont intégralement parvenues jusqu’à nous, si bien qu’on
a longtemps vu en lui le premier lecteur de Calcidius. Dans ces gloses, qui occu­
pent une place centrale dans son œuvre, Guillaume, étudiant toute la version
latine du Timée par Calcidius - de la page 17 à la page 53c - , s’appuie certes
sur le commentaire de Calcidius, mais assez discrètement 4 ; il s’inspire surtout
de la Consolation de Boèce et emprunte à Macrobe ses remarques cosmogra­
phiques 5. À l’inverse, dans ses Glosae super Boetium, sa critique des elemen-
tata 6, des corps constitués du mélange des elementa, vise en réalité le Timée
49C-E, passage que Calcidius explique au chapitre 326 de son commentaire.
Sensiblement à la même époque, Bernard Silvestre, commentant Martianus
Capella7, précise qu’il a également expliqué le Timée de Platon8, mais ce
commentaire est malheureusement perdu : nous ne pouvons donc évaluer la
dette de l ’exégète tourangeau à l’égard de son prédécesseur platonicien. En

1. Policraticus VII, 5, éd. Cl.C.I. Webb, Oxford, Clarendon Press, 1909, t. II, p. 108-110 ; cité
par T. Gregory, « Le platonisme au XIIe siècle », p. 245.
2. Cf. J. Jolivet, « La question de la matière chez Gilbert de Poitiers », dans From Athens to
Chartres, p. 247-257. Voir également F. Bezner, « Simmistes veri. Das Bild Platons in der Théolo­
gie des zwolften Jahrhunderts », dans St. Gersh & M.J.F.M. Hoenen (éd.), The Platonic Tradition
in the Middle Ages. A Doxographic Approach, p. 124-128.
3. Guillaume de Conches, Glosae super Platonem, éd. É. Jeauneau, Paris, Vrin, 1965. Sur
Guillaume de Conches, cf. W. Wetherbee, « Philosophy, C osm ology... », p. 43-47 ; T. Gregory,
Anima mundi. La filosofia di Guglielmo di Conches et la scuola di Chartres, Firenze, Sansoni,
1955, et « The Platonic inheritance », p. 63-64 ; D. Elford, « William de Conches », p. 308-327,
dans History of Twelfth-Century Western Philosophy ; Th. Ricklin, « Calcidius bei Bernhard von
Chartres und Wilhelm von Conches » ; sur l ’« école de Chartres », Th. Kobusch, « Der Timaios in
Chartres », dans Plato’s ‘Timaeus’ and the Foundations of Cosmology..., p. 240-250.
4. Comme Calcidius, Guillaume avait associé les puissances de l ’air et de l ’éther aux démons,
cf. I. Caiazzo, Lectures médiévales de Macrobe, p. 80.
5. Cf. l ’édition d ’É. Jeauneau, Introduction p. 26-31.
6. Cf. I. Caiazzo, Lectures médiévales de Macrobe, p. 62-65.
7. The Commentary on Martianus Capella’s ‘De nuptiis Philologiae et Mercurii’ attributed to
Bernardus Silvestris, éd. H.J. Westra, Toronto, University of Toronto Press, 1986.
8. Cf. É. Jeauneau, « N ote... », p. 846 ; Cosmographia, ed. P. Dronke, Leiden, Brill, 1978,
Introduction, p. 4. Voir également Th. Ricklin, « Plato im zwolften Jahrhundert : Einige Hinweise
zu seinem Verschwinden », dans St. Gersh et M.J.F.M. Hoenen (éd.), The Platonic Tradition in
the Middle Ages, p. 139-162 [p. 151-152].
INTRODUCTION GÉNÉRALE 61

revanche, dans la Cosmographia 1 qu’il dédie à Thierry de Chartres (ce qui


montre ses liens avec le milieu chartrain), il apparaît également tributaire aussi
bien de la traduction que de l’exégèse calcidiennes. Là encore, cette source est
indissociable des autres « maîtres-livres », les Noces de Martianus à qui Bernard
emprunte l’affabulation et la technique du prosimetrum, mais aussi le Com­
mentaire au Songe de Scipion de Macrobe et la Consolation de Philosophie de
Boèce. Par ailleurs, sa lecture du commentaire de Calcidius est plus critique
que celle de la traduction, qu’il semble considérer comme le texte même de
Platon. Il emprunte certes au Commentaire la notion de Silva, mais en la trans­
formant considérablement : Silva est assurément devenue l ’héroïne de la Cos­
mographia, mais une héroïne ambiguë qui n’a pas le pouvoir de changer la
matière qu’elle a engendrée. Quant à Endelichia, ce ne saurait être un emprunt
à Calcidius, car elle est assimilée non pas, comme chez Calcidius, à Y absoluta
perfectio aritstotélicienne, mais à Γanima mundi, au mouvement perpétuel,
telle qu’elle est exprimée par Cicéron dans les Tusculanes (I, 22) 12.
Alain de Lille, à son tour, hérite de l’exégèse chartraine qui s’est dévelop­
pée à partir de la lecture du Timée : c ’est ainsi que le schéma tripartite de la
société, tel qu’il est exprimé aux chap. 232-233 du commentaire de Calcidius,
sert à gloser TiméellC, mais aussi le commentaire de Macrobe ; ce schéma est
spécialement médité par Guillaume de Conches et Bernard Silvestre, qui le
réutiüsent et le complexifient. Chez Alain de Lille, si l’image du monde comme
une cité dans le De planctu Naturae est inspirée de ce même passage du com­
mentaire calcidien, le schéma trifonctionnel des imperantes, operantes et obtem­
perantes du De arte praedicatoria suggère également une influence du dia­
logue platonicien et de son commentateur3. De même, dans VAnticlaudianus,
R. Bossuat a relevé depuis longtemps des traces de la lecture du commentaire
calcidien 4.
Dans la seconde moitié du XIIe siècle, les œuvres de Robert Grosseteste
révèlent elles aussi une intime connaissance du Commentaire de Calcidius 5.
Dans son Hexaemeron 6, il perpétue la tradition des exégètes de la Genèse qui
n’hésitent pas à recourir aux textes antiques, c’est-à-dire, pour la physique, à
ceux de Pline, Calcidius, Macrobe, Martianus Capella et Isidore. À la même

1. Bernardus Silvestris, Cosmographia, éd. P. Dronke, Leiden, Brill, 1978.


2. Cf. chap. 222, note ad loc. et notre étude : « La définition aristotélicienne de l ’âme dans
quelques textes latins : endelechia ou entelechia ? », Interférences ïhttp://ars-scribendi.ens-lsh.fr/ï
4, 2006. Sur cette période, c f A. Speer, « Lectio physica. Anmerkungen zur Timaios-Rezeption im
Mittelalter », dans Platos Timaios..., p. 213-234 [p. 214-217].
3. Cf. P.E. Dutton, « Illustre duitatis et populi exemplum : Plato’s ‘Timaeus’ and the Trans­
mission from Calcidius to the End of the Twelfth Century of a Tripartite Schema of Society », Me-
diaeval Studies 4 5 ,1 9 8 3 , p. 79-119 [p. 112-117].
4. Alain de Lille, Anticlaudianus, éd. R. Bossuat, Paris, Vrin, 1955, Introd. p. 32-33, 36-38.
5. Cf. R.C. Dales, « Robert Grosseteste’s Place in Médiéval Discussions of the Etemity of the
World », Speculum 61, 1986, p. 544-563.
6. Robert Grosseteste. Hexaemeron, éd. R.C. Dales & S. Gieben, Oxford-New York, Oxford
University Press, 1991.
62 BÉATRICE BAKHOUCHE

époque, si Abélard n’a sans doute pas exploité le commentaire de Calcidius, il


connaît sa traduction qu’il cite scrupuleusementl, et applique aux textes plato­
niciens, et spécialement au Timée, une exégèse fidèle aux canons herméneu­
tiques de son temps et qui, « insérée dans le contexte d ’un discours théolo­
gique et qui présuppose une inspiration prophétique des philosophes anciens,
ne peut être prise que comme un aspect extrême de l’utilisation du Timée et de
la tradition philosophique qui lui est liée 12 ».
À l’abbaye de saint Victor enfin, Absalon fustige à souhait une culture pro­
fane inutile au clerc, mais répète lui-même au moins deux fois dans ses Ser­
mons une phrase tout droit issue de la traduction du Timée (22b) par Calcidius :
« O Solo, Graeci pueri semper estis... nec est, inquit, ulla penes uos cana
scientia. . . 3 »
Ainsi, indépendamment de ce dernier exemple, les autres auteurs illustrent
la remarque de T. Gregory 4 : « L ’insistance avec laquelle le platonisme du
XIIe siècle revient au Timée pour y retrouver la source de toute la spéculation
théologique successive rappelle un itinéraire analogue de la religiosité hellé­
nistique qui voyait en Platon le maître divinement inspiré : au-delà des rap­
prochements continuels entre la genèse du Timée et la genèse de Moïse, la
reprise de quelques passages du dialogue platonicien comme points de réfé­
rence pour la discussion sur les noms divins, sur le caractère ineffable de l’un,
sur la docte ignorance, apparaît encore plus significative. »
Mais le succès des gloses sur le Timée des maîtres chartrains tend à éclip­
ser celui du commentaire calcidien, et il est vrai qu’il n’est pas toujours facile
ensuite de faire le départ entre l’influence directe de Calcidius et celle de ses
glosateurs. En outre, le Timée faisait, dans la première moitié du XIIIe siècle,
partie du curriculum des Artiens de l’Université de Paris, et, même s’il n’occu­
pait pas une place centrale dans la formation, tout étudiant connaissait l’œuvre,
le plus souvent commentée à l’aide des gloses de Guillaume de Conches 5. Et
cette période, dans la transmission des connaissances au sein de l ’école, a
favorisé les copies de fragments, choisis pour leur intérêt scientifique ou philo­
sophique.
Quand, vers 1255, Platon est remplacé par Aristote dans les programmes
de l’Université de Paris, l’œuvre de Calcidius est moins étudiée dans le cadre
de l’école mais continue à alimenter la réflexion des intellectuels. La grande
ironie de l ’histoire du Timée au Moyen Age, comme le souligne P.E. Dutton 6,

1. Cf. Lawrence Moonan, « Abelard’s Use of the Timaeus », Archives d'histoire doctrinale et
littéraire du Moyen Age 5 6 ,1 9 8 9 , p. 7-90.
2. Cf. T. Gregory, « Le platonisme du XIIe siècle », p. 247-248.
3. Cf. P. Courcelle, « La culture antique d’Absalon de Saint-Victor », Journal des savants,
1972, p. 270-291 [p. 281].
4. « Le platonisme du XIIe siècle », p. 257.
5. Cf. P.E. Dutton, « Material Remains of the Study of the ‘Timaeus’ in the Later Middle
A ges » ,p . 211 -2 1 3 .
6. « Material Remains... », p. 219.
INTRODUCTION GÉNÉRALE 63

c’est qu’au XIIIe siècle, après avoir quitté les mains des étudiants, le texte con­
naît cependant un regain de faveur.
De fait, Albert le Grand possédait un manuscrit de la version du Timée par
Calcidius, texte en marge duquel il avait ajouté un certain nombre de titres l.
Thomas d ’Aquin a lui-même l ’intention de composer un commentaire sur le
Timée, lorsqu’il quitte Paris en 1272. « Bien qu’il n’ait connu de Platon que le
Timée de Calcidius », note C. Steel 12, « il montre qu’il a excellemment connu
les thèses essentielles du platonisme », mais aussi l’exégèse calcidienne puis-
qu’en se référant à Platon dans sa distinction des bons et des mauvais démons,
il est plus tributaire du commentateur latin que du philosophe grec 3. De même,
dans le Commentaire des Sentences II (éd. Moos, II, p. 27-41) sur l’éternité du
monde, Thomas joue sur les deux sens de principium , origine temporelle et
origine ontologique, d ’une façon qui n’est pas sans rappeler l ’origine « cau­
sative » du monde proposée par Calcidius au chap. 23 de son commentaire4.
Plus tard, dans un milieu totalement différent, l’averroïste padouan Pietro d’Abano
utilise la traduction de Calcidius dans son De motu octavae sphaerae 5.
En marge de l’activité des intellectuels qui continuent plus ou moins, tou­
jours en latin, à commenter ou à critiquer le Timée, d’autres s’attachent à des
exercices de retractatio en langue vernaculaire : c ’est ainsi qu’au milieu du
XIVe siècle, Goswin de Metz rédige une encyclopédie qui allait connaître un
immense succès, Image du Monde, en s’inspirant à la fois du Timée et de la
Philosophia mundi de Guillaume de Conches. A la fin de ce même siècle, un
autre auteur l’imite dans un dialogue intitulé Placides et Timéo. Mais la plus
brillante production de la littérature vernaculaire inspirée du Timée est incon­
testablement le Roman de la Rose dont la première partie, écrite par Guillaume
de Lorris dans les années 1230, ressortit au roman courtois, tandis que la
seconde, œuvre de Jean de Meung (fin du XIIIe siècle), prend les allures d’une
encyclopédie fortement inspirée par la version calcidienne du dialogue dont
des passages entiers sont traduits 6.
Au début du XIVe siècle, à une époque où la connaissance de Platon est
puisée au mieux dans les textes d ’Aristote ou d’Augustin, au pire dans les

1. P.E. Dutton, « Material Remain... », p. 216. Sur Albert le Grand, cf. H. Anzulewicz, « Die
platonische Tradition bei Albertus Magnus. Eine Hinführung », dans The Platonic Tradition...,
p. 207-277.
2. « Plato Latinus (1939-1989) », dans Rencontres de cultures dans la philosophie médiévale,
Louvain-la-Neuve-Cassino, Institut d’études médiévales de TUniversité catholique de Louvain,
1990, p. 301-316 [p. 309],
3. Cf. P.E. Dutton, « Material Rem ains... », p. 216-217, et « Médiéval Approaches to Cal­
cidius », p. 193. Sur Thomas, cf. également, W J. Hankey, « Aquinas and the Platonists », dans
The Platonic Tradition.. p. 279-324 [p. 288-292].
4. C. Michon, qui propose une traduction du passage dans Thomas d ’Aquin et la controverse
sur l ’éternité du monde, Paris, Flammarion, 2004 (p. 69-92), n’évoque absolument pas les lectures
du Timée par Thomas.
5. Cf. G. de Callataÿ, Annus Platonicus, p. 180-181.
6. Cf. P.E. Dutton, « Material Remains... », p. 217-219.
64 BÉATRICE BAKHOUCHE

florilèges, Henri Bâte de Malines reste un des vrais connaisseurs du maître de


l’Académie, comme en témoigne son Speculum divinorum et quorumdam alio­
rum , qui révèle une bonne connaissance de différents écrits platoniciens, en
particulier du Timée calcidien l. Ce siècle connaît lui aussi, comme le pré­
cédent, des utilisateurs atypiques de l’œuvre de Calcidius : ainsi de Philippe
Eléphant, médecin polymathe, professeur à l’Université de Toulouse au milieu
du siècle, qui avait conçu le projet d ’une encyclopédie en neuf livres, dont
seuls les traités d ’alchimie, de mathématiques et d ’éthique ont survécu. Aux
dires d’un de ses contemporains, il embrassait les idées de Platon, et un de ses
lecteurs, l’excentrique Enrique de Villa, précise que Philippe avait écrit un
ensemble de gloses au Timée 12. Dans la seconde moitié de ce même siècle,
Wyclif, théologien anglais précurseur de la Réforme, connaît la traduction cal-
cidienne du Timée, qu’il n ’hésite pas à citer dans ses ouvrages, tout comme,
dans son école, Jérôme de Prague. Pierre d’Ailly, pour sa part, considère Platon,
à travers le Timée dont il connaît la version de Calcidius, comme le philosophe
qui révèle « les secrets de Dieu » 3.
C ’est l’époque cependant où le centre de gravité des études platoniciennes
se déplace vers l’Italie ; c ’est le moment d ’un authentique renouveau de ces
études qui passent des universités françaises aux maîtres italiens, dans une
perspective qui change et s’affranchit de la tradition chartraine. C’est ainsi que
Pétrarque a lui-même annoté un exemplaire complet de l’œuvre de Calcidius
conservé actuellement à la Bibliothèque Nationale (Paris BnF Lat. 6280), et ce
de façon très originale car ses gloses sont personnelles et ne tiennent pas
compte de la tradition exégétique des siècles précédents : à travers le Timée,
Pétrarque trouvait encore la confirmation des vues d ’Augustin, si importantes
pour l’histoire du platonisme de la Renaissance, que Platon était le philosophe
antique le plus proche du christianisme 4. Au tournant du siècle, daté exacte­
ment de 1363, apparaît un nouveau commentaire, anonyme (peut-être d ’un
disciple de Pétrarque, selon J. Hankins), sur le Timée traduit par Calcidius :
l’exégèse, surtout paraphrastique, se réfère parfois, pour les matières tech­
niques, à Boèce, Macrobe, Cicéron, Apulée et, sans le nommer, Calcidius5.

1. Cf. Z. Kaluza, « L’organisation politique de la cité dans un commentaire anonyme du Timée


de 1363 », dans A. Neschke-Hentschke (éd.). Le Timée de Platon. Contributions à Thistoire de sa
réception , Leuven-Paris, Peeters, 2000, p. 141-171 [p. 143-144] ; P.E. Dutton, « Material Re­
m ains... », p. 220 ; G. Galle & G. Guldentops, « Ferrandus Hispanus on Ideas », dans G. Van Riel
& C. Macé (éd.), Platonic Ideas and Concept Formation in Ancient and Médiéval Thought,
Leuven, Leuven University Press, 2004, p. 51-80 [p. 55 n. 17].
2. Cf. P.E. Dutton, « Material Remains... », p. 221-222.
3. Cf. Z. Kaluza, « L ’organisation politique de la cité dans un commentaire anonyme du Timée
de 1363 »,p. 147-149.
4. Cf. P.E. Dutton, « Material Rem ains... », p. 221 ; J. Hankins, « The Study of the ‘Timaeus’
in Early Renaissance Italy », p. 79-80 ; et, pour le manuscrit, cf. J.H. W aszink,prae/. p. CXX-CXXI,
et J. Hankins, n. 26 p. 93.
5. Cf. J. Hankins, « The Study of the ‘Timaeus’... », p. 80-81, et Z. Kaluza, « L ’organisation
politique de la cité... », p . 150-171.
INTRODUCTION GÉNÉRALE 65

Associé, comme le précédent, à la tradition des grammairiens du nord de l’Ita­


lie, Antonius de Romagno de Feltro, dont le floruit se situe dans les dernières
décennies du XIVe siècle, revient au commentaire calcidien et à l ’interpré­
tation chartraine. Son interprétation la plus originale concerne la théorie des
éléments : il défend contre Aristote l’idée que la matière est un tertium quid
entre l’être et le non-être l.
C ’est vers le milieu du XVe siècle que nous commençons à trouver des
gloses au Timée liées à la tradition grammaticale issue du Moyen Âge : c’est
ainsi qu’un humaniste, peut-être d’origine romaine, un certain « Maître Recanati »
comme l’appelle J. Hankins 12, a glosé le Timée pour en résumer et en clarifier
le texte, sans toujours éviter un certain syncrétisme en christianisant le philo­
sophe grec et son dialogue. Les grammairiens continuent à lire le Timée dans
la version calcidienne, comme en témoigne un ensemble de gloses datant du
troisième quart du siècle, et vraisemblablement d’un maître ès arts du studium
de Padoue 3.
À cette époque, Florence tend à devenir un centre d ’études philosophiques
digne de rivaliser avec Rome et Padoue ; c’est là que travaille et écrit Marsile
Ficin, qui s’est occupé du Timée toute sa vie. Il a commencé en effet, en 1454
- à peine âgé de 21 ans - , à copier et annoter le commentaire de Calcidius 4,
avant d’avoir accès à l ’original grec et de s’essayer lui-même à un Compen­
dium in Timaeum5. Si ce qui intéresse le plus l’humaniste, c’est la dernière et
longue section du commentaire calcidien sur la matière, ses gloses assurément
donnent l’impression d ’une nouvelle lecture du texte platonicien, et une partie
de ce travail exégétique sera réutilisée dans son commentaire au Timée de la
maturité. Le philosophe a la chance de pouvoir exploiter les richesses conte­
nues dans la bibliothèque des Médicis et dans celle de San Marco, où il peut se
reporter directement aux textes philosophiques - grecs et latins. Par ailleurs, se
conformant à une attitude depuis longtemps adoptée par les exégètes, Ficin, en
dépit d’une position « concordiste » dans l’opposition Platon-Aristote, défend
la supériorité du maître de l’Académie, dont la philosophie constitue, à ses
yeux, une base plus adéquate pour la théologie chrétienne.
Calcidius et Ficin s’inscrivent dans une espèce d ’authentique chaîne exégé­
tique, car le commentateur latin est utilisé par le philosophe italien comme une
source doxographique ; à leur tour, les annotations de Ficin seront exploitées
par son élève le plus fameux, Pic de la Mirandole, à qui le maître avait même
prêté sa propre copie du Timée. On peut dire que le Compendium sert en quelque

1. Cf. J. Hankins, « The Study of the ‘Timaeus’... », p. 81-82.


2. « The Study of the ‘Timaeus’... », p. 83.
3. « The Study o f the ‘Tim aeus’... », p. 82-83 ; V. Nutton, « De placitis Hippocratis et
Platonis in the R enaissance», dans P. Manuli & M. Vegetti (éd .), Le opere psicologiche di
Galeno, Napoli, Bibliopolis, 1988, p. 281-309 [p. 293].
4. Manuscrit daté et conservé à M ilano, Biblioteca Ambrosiana, S. 14. Sup. ( c f . éd.
J.H. Waszink,/?rae/. p. CVIII, et J. Hankins, n. 17 p. 92).
5. Voir, à propos de Tim. 39 d , les remarques de G. de Callataÿ, Annus Platonicus, p. 213-215.
66 BÉATRICE BAKHOUCHE

sorte de frontière entre l’exégèse traditionnelle et l’approche moderne. Enfin,


même pour les sciences, ce commentaire, par la recherche d’une plus grande
unité et simplicité dans l ’explication scientifique, annonce les recherches
scientifiques du début du XVIe siècle 1.
Deux noms enfin pour clore cette revue des grands lecteurs de Calcidius :
un contemporain de Copernic, l’humaniste Lilio Giraldi, dans son traité sur le
temps, témoigne d ’une bonne culture latine en utilisant, pour désigner la grande
année, l’expression calcidienne d’« année parfaite » 12. Le maître de Ficin, Pier
Leoni de Spolète, de son côté, médecin fameux qui a soigné le roi de Naples,
le duc de Milan, peut-être aussi le pape Innocent VIII mais surtout Laurent de
Médicis, a annoté un manuscrit de Calcidius actuellement conservé au Vatican
(Barber, lat. 2 1 )3.
Même si l’on ne trouve pas toujours des traces de sa lecture chez les intel­
lectuels, le texte calcidien ne cesse d ’être transcrit - et donc lu - et trouve sa
place dans les plus prestigieuses bibliothèques. Gérard d’Abbeville, l’adver­
saire de saint Thomas à l’Université de Paris, a ainsi légué à la Sorbonne une
copie du Timée (Paris BnF Lat. 16579). Nous avons également conservé un
manuscrit (Londres, Brit. Libr. Harley 2652) issu de la bibliothèque de Nicolas
de Cues 4. Pic de la Mirandole possédait lui aussi un manuscrit de Calcidius 5.
En Italie, au début de la Renaissance, on trouvait également des copies de
l’œuvre dans les plus importantes bibliothèques publiques ou privées, ainsi de
celles de Colludo Salutati, Niccolo Niccoli, du cardinal Bessarion, Frédéric
d’Urbino, Alexandre Sforza et d’autres 6.
Les lecteurs anonymes de Calcidius peuvent apparaître également, en
creux, à qui étudie la fortune des autres « maîtres-livres ». Ainsi des gloses au
Commentaire au Songe de Scipion de Macrobe qui ont fait l’objet de nom­
breuses études soulignant le « bagage » platonicien des glosateurs, emprunté
directement ou indirectement à l’œuvre de Calcidius. Ainsi des « gloses Theo-
protus », présentes dans des manuscrits du XIIe siècle (dont l’un contient préci­
sément la traduction du Timée par Calcidius - Florence, Riccardiana 139) et

1. Cf. J. Hankins, « The Study o f the ‘Tim aeus’ in Early Renaissance Italy », p. 83-88, et
A. Étienne, « Entre interprétation chrétienne et interprétation néo-platonicienne du Timée : Marsile
Ficin », dans Le Timée de Platon. Contributions à Thistoire de sa réception , p. 173-200.
2. Cf. G. de Callataÿ, Annus Platonicus, p. IX-X.
3. Cf. J. Hankins, « Pierleone da Spoleto on Plato’s Psychogony (Glosses on the Timaeus in
Barb. lat. 21) », dans J. Hamesse (éd.), Roma, magistra mundi : Itineraria culturae medievalis.
Mélanges offerts au Père L.E. Boyle, Louvain-la-Neuve, FIDEM, 1998, t. 1, p. 337-348 ; et infra
« L ’établissement du stemma ».
4. Sur Nicolas de Cues, cf. M.L. Fuehrer, « Cusanus Platonicus. References to the Term
‘Platonici’ in Nicholas o f Cusa », dans St. Gersh et M. J.F.M. Hoenen (éd.), The Platonic Tra­
dition in the Middle Ages. A Doxographie Approach, p. 344-357.
5. Cf. L. Thorndike et P. Kibre, A Catalogue of Incipits of Mediaeval Scientific Writings in
Latin, Cambridge [Mass.], The Mediaveal Academy of America, 1937, rééd. 1963, p. 182 n. 469.
6. Cf. J. Hankins, « The Study of the ‘Timaeus’ in Early Renaissance Italy », p. 79.
INTRODUCTION GÉNÉRALE 67

qui offrent des échos du commentaire calcidien 1. Dans un manuscrit de Berne


de la même époque (Burgerbibl. 266), des Glosae super Macrobium ont été
rattachées, sur la foi d’un lecteur du XIIIe siècle, à Guillaume de Conches et à
sa théorie de la vision : or, si l ’on a déjà souligné la dette de Guillaume à
l’égard de Calcidius, il n ’est pas impensable que la théorie de la vision et de
ses trois éléments, exposée au fol. 8v° dudit manuscrit, se rattache directement
au chapitre 245 du commentaire de Calcidius. Éditant d’autres gloses macro-
biennes, les Glosae Colonienses super Macrobium, I. Caiazzo souligne la
complexité de l’arrière-plan épistémologique en relation avec le Timée :
Il nous semble, en tout cas, que les Glosae appartiennent à cette vague de plato­
nisme découlant de la lecture du Timée , avec le commentaire de Calcidius et,
bien évidemment, des Commentarii in Somnium Scipionis de Macrobe. Le Timée
est le grand dialogue de la genèse philosophique dans lequel Platon développe
son plan du κόσμος en envisageant une nouvelle relation entre le monde
sensible et le monde intelligible, et cela grâce au Démiurge qui porte l’ordre
dans le chaos de la matière primordiale par un intermédiaire, l’âme du monde
participant du bien et de la sphère intelligible, conçue pour répartir harmo­
nieusement les différentes formes de vie entre les êtres sensibles : cette âme
réglant la vie dans le monde sensible est donc le vrai principe médiateur entre la
divinité et ses créatures 12.

Les lectures croisées de l’œuvre de Calcidius et de celle de Macrobe - mais


aussi de Martianus Capella et Boèce - dont témoignent les gloses produisent
des agrégats, des sédimentations dont on ne sait pas toujours l’origine : s’agit-
il ici et là de la marque d ’une lecture directe de Calcidius ou d’un écho indi­
rect ?
En tout état de cause, la riche postérité, quelque peu éclatée, qu’a connue
l’œuvre de Calcidius témoigne de l’importance d’un texte reçu comme un relais
capital entre l’Antiquité et la Renaissance. Jusqu’à la fin du Moyen Âge et à
l’aube de la Renaissance, voire plus tard encore3, le Timée, dans sa version latine,
continue à susciter l’intérêt et à exercer une influence indéniable dans le domaine
non seulement philosophique, mais aussi politique et même lexical. Il faut
cependant remarquer que l’exégète platonicien est rarement nommé par les
auteurs qu’il a pu influencer. Quand une autorité est citée, c’est uniquement
Platon 4, surtout pour la traduction, à tel point que Calcidius peut passer pour
un simple agent de transmission, un chaînon quasi anonyme du platonisme de
l’époque romaine au monde médiéval.

1. Cf. I. Caiazzo, Lectures médiévales de Macrobe , p. 53, à propos des trois principes, Dieu, la
matière et les idées.
2. Lectures médiévales de Macrobe, p. 108-109.
3. Pour K. Hartbecke en effet, l ’identifiation de la matière et de la nécessité chez Holbach
viendrait du commentaire au Timée de Calcidius soit directement soit par l ’intermédiaire de
Bessarion (« Der Timaios in der franzôsischen Aufklàrung », dans Plato's ‘Timaeus’ and the
Foundations of Cosmology..., p. 453-479 [p. 456-461]).
4. Cf. P.E. Dutton, « Médiéval Approaches to Calcidius », p. 193-194.
68 BÉATRICE BAKHOUCHE

L ’HISTOIRE DU TEXTE

L ’histoire du texte est indissolublement liée à sa fortune ; pour l’étudier, il


convient de s’appuyer nécessairement sur l’édition qui sert à ce jour de réfé­
rence, celle de J.H. Waszink J, mais aussi sur des études plus récentes.

La tradition manuscrite
Les manuscrits
J.H. Waszink a recensé 138 manuscrits 12 pour l’ensemble de l’œuvre - tra­
duction et commentaire - , pour la traduction seule ou le commentaire seul ;
qu’il s’agisse encore de la totalité du texte ou de fragments. Depuis la dernière
mise à jour de l ’édition hollandaise, un certain nombre d ’études ont permis
d’affiner l’approche d ’un texte volumineux et à la tradition complexe.
Tout d ’abord, la liste des manuscrits doit être actualisée, et ce en deux
sens : le manuscrit de la bibliothèque du Chapitre de la Cathédrale de Tortosa,
compté par J.H. Waszink parmi les manuscrits existants, a vraisemblablement
disparu 3. Au contraire, le manuscrit de Cheltenham (Philipps 816), considéré
comme introuvable 4, est réapparu à l’occasion d’une vente aux enchères orga­
nisée par Sotheby’s : il se trouve maintenant à l’Université d’Austin au Texas
sous la cote Ms 29, et a été collationné par M.R. Dunn et C.A. Huffman 5.
D’autre part, le manuscrit du Vatican, Reg. lat. 123, et celui de Cracovie, Bibl.
Jagiellonska 529, répertoriés par J.H. Waszink parmi les œuvres complètes,
devraient plutôt être rangés parmi les copies fragmentaires, car ils ne con­
tiennent que des extraits.
Des études plus récentes permettent par ailleurs de connaître l’existence
d ’autres manuscrits. L’un d ’entre eux a aujourd’hui disparu : il s’agit d ’un manu­
scrit de Prague Universitatsbibliothek 1669, écrit entre 1403 et 1420 et d ’ori­
gine tchèque 6. Et un manuscrit du XIe siècle 7, mentionné dans un catalogue
des livres de Reichenau et qui aurait peut-être servi de modèle pour le
manuscrit de Bamberg, Class. 18 8, est introuvable.

1. Timaeus a Calcidio translatus commentarioque instructus, London-Leiden, Warburg


Institute-Brill, 1 9 6 2 ,2e ed. 1975.
2. 133 ont été décomptés dans l ’édition de 1962 ipraef. p. CVII-CXXXI) ; cinq ont été ajoutés
dans la seconde édition de 1975 (<addenda ad praefationem p. CLXXXVII-CLXXXVIII).
3. Cf. éd. J.H. Waszink, Praef, p. x n. 5.
4. Cf. éd. J.H. Waszink, Praef., p. cxiii : Hic codex ubi hodie asseruetur ignotum est.
5. M.R. Dunn et C.A. Huffman, «T h e Cheltenham Ms o f Calcidius’ Translation of the
Timaeus », Manuscripta 24, 1980, p. 76-88 ; cf. M. Huglo et N.C. Phillips, The Theory of Music
IV. Manuscripts from the Carolingian era up to c. 1500 in Great Britain and in the United States
of America, Part II : United States of America, München, 1992, p. 137-139.
6. Cf. É. Jeauneau, « Plato apud Bohemos », Revue des études augustiniennes 8, 1962, p. 365-
373.
7. Cf. M. Huglo, « La réception de Calcidius... », p. 9-10.
8. Sur les fragments plautiniens contenus dans ce manuscrit, cf. A. Aragosti, « Frammenti
plautini nella tradizione di Calcidio », dans Fr. Bellandi et R. Ferri (éd.), Aspetti délia scuola nel
INTRODUCTION GÉNÉRALE 69

L’étude des catalogues de bibliothèques offre également l’occasion de faire


des découvertes. À la bibliothèque municipale de Bergame, G. Cremaschi a
ainsi trouvé un manuscrit du XVe siècle, le Δ, 6.35, qui contient la version du
Timée par Calcidius. L ’étude du texte a permis au savant italien de le rattacher
à la famille représentée par les manuscrits viennois Lat. 278 (XIIe s.) et 272
(XIIIe s.) 2. Plus tard, E. Jeauneau, à l’occasion d’un séjour à Prague, a recensé,
parmi les manuscrits intéressant « la fortune médiévale de Platon », une copie
conservée à Olomouc, le CO 565, du XIVe siècle, et qui offre l’œuvre com­
plète de Calcidius (traduction et commentaire)3.
D ’autre part, l’étude de la réception du Timée, en particulier à travers les
gloses, a encore donné l’occasion au même savant de répertorier un manuscrit
du Vatican inconnu de l’éditeur hollandais, le Chigi E.V. 152, expressément
daté de l’année 1363, qui offre la traduction du Timée par Calcidius assortie
d’un nouveau commentaire 4, tout comme le codex parisien BnF Lat. 14176 5.
On peut également recenser de nouveaux manuscrits de façon oblique, comme
dans l ’étude de M. Gibson qui associe à la traduction du Timée par Calcidius
conservée dans un manuscrit viennois (Lat. 2376) quatre autres manuscrits à
peu près contemporains (milieu et fin du XIIe siècle) dont trois sont ignorés de
l’éditeur hollandais : un trouvé en Allemagne (München Clm. 540Bdu XIIIe
siècle)6, un autre en France (Orléans 260), et le dernier en Angleterre
(Durham CIV.7), lequel transmet l ’enseignement des écoles du Nord de la
France. L ’ensemble de ces manuscrits offre un même commentaire au Timée
(dans la traduction calcidienne) qui n’est pas celui de notre auteur 7. Ces trois
copies, avec une quatrième - Paris, BnF, Nouvelles acquisitions lat. 281, 125r-
13lv (XIIe s.) - , ont d ’ailleurs servi à P.E. Dutton à établir l’édition des Glosae
super Platonem attribuées à Bernard de Chartres 8, et, en annexe, l’éditeur a
recensé d ’autres copies du Timée ignorées de J.H. Waszink : Leipzig, Univer-
sitàtsbibliothek Lat. 1258, lr-8v (seconde moitié du XIIe s.), Upssala, Uni-
versitàtsbibliothek C620, fol. 82v-89r (XIIIe s.), Firenze, Bibl. Nazionale

mondo romano : atti del convegno (Pisa, 5-6 dicembre 2006), Amsterdam, A.M. Hakkert, 2008,
p. 253-288.
1. Cf. M. Huglo, « La réception de Calcidius... », p. 9-10.
2. Cf. G. Cremaschi, « Versioni latine di dialoghi platonici in un codice délia Biblioteca civica
di Bergamo », Aevum 30, 1956, p. 550-553.
3. « Plato apud Bohemos », Mediaeval Studies 41, 1979, p. 161-214.
4. « Gloses sur le Timée et commentaire du Timée dans deux manuscrits du Vatican », Revue
des études augustiniennes 8-4, 1962, p. 365-373 [p. 370-373] = Lectio philosophorum, p. 200-
203 ; cf. supra « La fortune de l ’œuvre ».
5. Cf. Z. Kaluza, « L’organisation politique de la cité dans un commentaire anonyme du Timée
de 1363 » ,p . 150-151.
6. Cf. L. Thorndike & P. Kibre, A Catalogue of Incipits of Mediaeval Scientific Writings in
Latin, col. 1512.
7. « The Study o f the ‘Timaeus’ in the Eleventh and Twelfth Centuries », Pensamiento 25,
1969,p. 183-194 [p. 188].
8. Cf. Bernard of Chartres, Glosae super Platonem, p. 109-116 et 120-124, et Appendix 1.
70 BÉATRICE BAKHOUCHE

Conv. soppr. J.2.49, lr-27v (seconde moitié du XIIe s.), Admont, Stiftsbi-
bliothek Cod. 514, fol. lv-13v (seconde moitié du XIIe s.) h
Dans ses études sur la réception de Calcidius au Moyen Âge 12 et spécia­
lement sur les manuscrits offrant des gloses de nature différente, P.E. Dutton a
encore recensé des manuscrits inconnus de l’éditeur hollandais et qui, pour
certains, ne contiennent que de courts fragments du texte calcidien :
- Bamberg, Staatsbibliothek 82, fol. 140-142 (XIIe s.)
- Bergamo, Biblioteca civica “Angelo Mai” MS MA 350, fol. 66v (XVe s.)
- Giessen, Universitàtsbibliothek 82, fol. 45r-v (XIIe s.)
- München, Staatsbibliothek, Clm. 225, fol. 80v (XVe s.)
- Paris, BnF lat. 15124, fol. 160r-241r (fin XIIe s.)
- Paris, BnF lat. 18104, fol. 177r-178r (fin XIIe s.)
- Praha, Stâtni knihovna IX.A.4 (1669), fol. 304-315 (début XVe s.)
- Stuttgart, Württembergische Fandesbibliothek, Cod. theol. et philos. 58,
fol. 75r (XVe s.)
- Upssala, Universitàtsbibliothek C.647, fol. 13v-18r (XIIIe s.)
- Wroclaw, Biblioteka Uniwersytecka IV.Q.48a (XVe s.)
et des commentaires anonymes dans les manuscrits suivants :
- Oxford, Corpus Christi 243, fol. 136v-138r (XVe s.)
- Salamanca, Biblioteca universitaria 2322, fol. 158v-160r (XIIe s .)3.
Si la revue des catalogues des bibliothèques nous a permis d ’ajouter encore
deux manuscrits 4, le caractère très fragmentaire et tardif de ces nouveaux témoins
leur ôte toute importance fondamentale pour l’établissement du texte. Aujour­
d ’hui, en tout état de cause, le nombre de manuscrits connus s’élève à 198
copies 5.
Dans la liste établie par J.H. Waszink - qui doit donc être revue à la hausse
- , l’œuvre complète a été transmise dans 44 manuscrits, le commentaire seul
dans 14 manuscrits assez tardifs (XIIIe et XVe siècles) et la traduction dans
77 6, ce qui témoigne du prestige incontestable dont a joui cette dernière. Parmi
les manuscrits qui sont parvenus jusqu’à nous soit intégralement, soit presque
intégralement, le plus grand nombre date des XI-XIIe siècles (40%), puis du
XVe siècle (30%). Ces ébauches de statistiques ne sont pas démenties par les
études plus récentes. En tenant compte en effet des copies nouvellement recen­
sées, P.E. Dutton a établi un graphique 7 qui, même s’il doit être interprété

1. Cf. Glosae super Platonem , Appendix 3, p. 252-260, 267-274 et 295-296.


2. « Material Remains... », p. 205, et « Médiéval Approaches to Calcidius », Annexe II.
3. Cf. « Material Remains... », p. 226-228.
4. Vaticano, Reg. lat. 1623, XIIIe s. (contient une phrase de la traduction, 29 e : quam
quidem-consentiam ), et Vaticano, Urbinate 1491, XVe s. (offre, aux fol. 78-80, un extrait du
commentaire, chap. 176).
5. Cf. J. Hankins, « The Study o f the ‘Timaeus’ in Early Renaissance Italy », p. 77-78, et le
tableau de M. Huglo, « Recherches sur la tradition des diagrammes de Calcidius », p. 186.
6. Cf. J.H. W aszink,praef. p. CXXXI.
7. Reproduit en Annexe II.
INTRODUCTION GÉNÉRALE 71

avec prudence l, est riche d ’enseignements et corrobore les précédentes con­


clusions déjà tirées de l’influence de l’œuvre calcidienne : le grand nombre de
manuscrits du commentaire pour la période qui va grosso modo de 975 à 1125
(24) confirme que c’est la période de plus grande importance pour cette partie
de l’œuvre. Pour le siècle suivant, le Timée est copié près de 50 fois et le com­
mentaire à peine 10 fois : cela est dû, on l’a vu, aux gloses des maîtres char-
trains - et surtout à celles de Guillaume de Conches - qui tendent à éclipser
l’exégèse calcidienne et à dominer l ’interprétation médiévale du Timée. Les
courbes établies par M. Huglo 12 pour les textes musicaux aboutissent aux mêmes
conclusions : les XIIe et XVe siècles sont ceux qui comptent le plus grand nombre
de copies du commentaire. Le schéma qui illustre le devenir des textes est
intéressant car les « pics » de popularité du texte calcidien sont les mêmes -
mais en mineur - que ceux du Commentaire au Songe de Scipion de Macrobe.
Les courbes confirment le devenir commun de ces deux textes perçus et trans­
mis comme les « maîtres-livres » de la philosophie antique. En même temps,
les nombreux fragments trouvés dans des manuscrits inconnus de J.H. Waszink
paraissent ressortir au genre du florilège, particulièrement goûté dans le cadre
de l’école.
Ainsi le foisonnement des copies de l’œuvre - complète, partielle ou frag­
mentaire - et les croisements entre différentes parties interdisent de cloisonner
les filiations. Pour établir ces dernières de façon pertinente, il faut donc prendre
en compte tous les éléments précédents.
Pour établir le texte de la présente édition, nous nous sommes livrée à une
triple tâche : nous avons d ’abord vérifié la validité des filiations textuelles éta­
blies par J.H. Waszink ; puis nous avons étudié les figures et nous avons enfin
tenu compte des études précédentes et de nos propres découvertes extérieures
au texte pour confirmer ou nuancer les stemmas précédemment établis.
Les stemmas de J.H. Waszink
Selon l’éditeur hollandais, seule la traduction aurait commencé à être tran­
scrite et tous les textes remonteraient à un archétype très ancien, de peu posté­
rieur à l’époque de Calcidius. À cet archétype se rattacheraient deux grandes
familles dont l’une recoupe celle des commentaires. Ces derniers présentent
d’ailleurs tous une lacune entre les chapitres 346 et 347, et deux passages cor­
rompus (l’un au chap. 266 et l’autre à la fin du chap. 338). Le principe édito­
rial adopté par J.H. Waszink a consisté à collationner presque tous les manu­
scrits. Étant donné l’ampleur de la tâche, les filiations ont été dégagées à partir
de la lecture de trois passages : la lettre à Osius et le début de la traduction

1. Il se peut en effet que le petit nombre des témoins les plus anciens soit moins dû à un
manque d’intérêt pour le texte qu’à la disparition des copies.
2. « The Study of Ancient Sources of Music Theory in the Médiéval Universities », dans A. Barbera
(éd.), Music Theory and Its Sources. Antiquity and Middle Ages, Notre Dame, University of Notre
Dame Press, 1990,p. 150-172 [figure 5 p. 167].
72 BÉATRICE BAKHOUCHE

jusqu’à 19d inclus ; les chapitres 57-69 et 166-167 du commentaire. Deux


stemmas ont été établis, un pour l’œuvre complète (traduction et commentaire)
ou le commentaire seul et l ’autre pour la traduction. Pour cette dernière, les
deux grandes familles dégagées, ω et oo, regroupent, pour la première, l’œuvre
complète, tandis que la seconde, subdivisée dans les sous-groupes φ, χ et ψ, ne
concerne que les copies de la seule traduction. Enfin, les diagrammes ont été
étudiés par P.J. Jensen 1 pour qui les meilleurs se trouvent dans un manuscrit
du Xe siècle, actuellement conservé à Bruxelles (Bibl. Roy. 9625-9626). Ce
sont ceux qui sont reproduits dans l’édition hollandaise à l’exception du des­
sin du chapitre 80, qui est une version corrigée, l’original n’apparaissant qu’en
appendice.
Nous avons repris les groupements entre manuscrits établis dans l’édition
de J.H. Waszink pour en vérifier la validité, en collationnant, dans les deux
grands groupes, trois types de copies : de l’œuvre complète, de la traduction
seule ou du commentaire seul. Nous avons adopté pour principe de choisir les
plus anciens de chaque branche et de confronter, chaque fois, des passages dif­
férents de ceux de J.-H. Waszink, à savoir la fin de la première partie de la tra­
duction (37e Dicimus enim ...-39b ...extaret animantium) et le début de la
seconde (40a Et diuini quidem...-41A ... qui dii putantur), et, dans le com­
mentaire, les chapitres 54-55, 266-267 et 338-347, qui correspondent, pour les
premiers et les derniers chapitres du commentaire, à des passages jugés cor­
rompus 12.
Les quelque soixante manuscrits qui offrent l ’œuvre complète ou le com­
mentaire - le groupe ω - ont été répartis, dans l’édition de 1962, en deux
grandes classes A* et B*, celle-ci à son tour étant subdivisée en deux sous-
classes Γ et Δ.
Dans la classe A*, les manuscrits que nous avons collationnés - Brussel,
Bibliothèque royale Albert Ier, 9625-9626, Xe siècle ( B r l ) 3, Vaticano,
Barberini lat. 22, début du XIe siècle (B2), Vaticano lat. 1544, daté de 1470
(Vatl) - présentent en commun la leçon genuina au début du chapitre 54 ; Brl
et B2, quant à eux, présentent la même leçon au chapitre suivant : consilium
animaeque consilium significans ; mais ils n’ont aucune leçon commune dans
la partie de la traduction collationnée. Quant à la seconde partie du commen­
taire, on lit, dans Brl et V atl, au chapitre 267 (B2 s’arrêtant au chap. 207),
praesentiam quam absentiam ; au chapitre 338, conceptum ; chap. 341, sus­
tentat ; chap. 342, sub oculis ; chap. 342, (interitu) procedere et, chap. 345,
intueri intuentis.

1. Cf. praef. p. CLXXX.


2. Cf. éd. J.H. W aszink,praef. p. CXXXIII et app. critique ad loc.
3. Nous faisons suivre entre parenthèses l ’indication du manuscrit par les sigles utilisés dans
l ’édition Waszink.
INTRODUCTION GÉNÉRALE 73

Les manuscrits de la classe B* sont répartis en deux sous-classes Γ et Δ’*,


qui, pour les passages étudiés, présentent une leçon commune : sequatur (musi­
cam), au chapitre 267.
La sous-classe Γ compte les quatre groupes suivants : Λ, Σ, T et Ψ. Dans le
premier de ces groupes, nous avons collationné deux manuscrits - Valen­
ciennes, Bibl. munie. 293, IXe siècle (Val) et Milano, Ambrosianus I. 195. Inf.,
fin du XIe siècle (Am2). Mais l’état lacunaire de ce dernier (en particulier du
début du chapitre 318 aquae... au début du chapitre 345 ...quod alicuius) ne
permet pas de dégager des leçons communes.
Σ est subdivisé en deux sous-groupes. Dans le premier, η, nous avons col­
lationné trois manuscrits - Vaticano, Reginensis lat. 1068, fin IXe siècle
(Reg3), Lyon, BM 324, IXe siècle (Lu) et Paris, BnF Lat. 2164, Xe siècle (PI)
- et, dans le second, Θ, le seul Paris, BnF Lat. 6282, milieu du XIe siècle (P5).
Voici les leçons communes : circumirent (Val, Lu, PI) en 38a ; conuertunt
(Lu, P I, P5) en 40 b ; sed (Lu, P I, P5) en 40e . Pour le commentaire genuina,
chap. 54, et, chap. 55, consiliumque dans les quatre manuscrits. Pour la fin du
commentaire, Lu étant mutilé à partir du folio 57, la comparaison ne peut se
faire qu’entre Val, PI et P5 : chap. 338, quae res (est simplex), et silua (nega­
tur) ; chap. 340, intellectui (particeps) en PI et P5 ; dans le même chapitre,
alterum-assumptio et est omis dans PI et rajouté dans Val2 ; chap. 344, ex
natura et ex natiua (Val2) et supradicit et non superaddidit (Val2).
Le groupe T compte deux sous-groupes, dont le premier se réduit au manu­
scrit Paris, BnF Lat. 10195, XIe siècle (P li) ; dans le second, δ, nous avons
collationné les trois manuscrits suivants : Vaticano, Barberinianus lat. 21, XIIe
siècle pour la traduction et XIe siècle pour le commentaire (B l) ; Paris, BnF
Lat. 6281, XIIe siècle (P4), et Paris, BnF Lat. 6570, XIIe siècle (P8 qui ne com­
porte que le commentaire). Dans la partie de la traduction étudiée, la seule le­
çon commune se trouve en 40 d , o ù nous lisons posteritatis et non posteritati.
Au chapitre 54 du commentaire, nous lisons genuina et, dans P8 et P li , dic­
tum est, au chap. 55. Au chap. 338, quae res (est) et silua (negatur) ; au cha­
pitre 341, pertringens dans Bl et P8, de même qu’au même chapitre, est enim,
cetera (mente), recipiet au chap. 342 et contigua (putatur) au chap. 345.
Dans le groupe Ψ, J.H. Waszink a distingué deux sous-groupes, i et λ, dont
le premier compte les manuscrits Bamberg, Staatsbibliothek Μ. V. 15 (class.
18), XIe siècle (Ba) et Napoli, Bibi. Naz. VIII F il (XIIe siècle et offrant le seul
commentaire) (N4), et le second huit manuscrits dont nous avons collationné
les deux viennois de l’Ôsterreichische Nationalbibliothek : lat. 443, XIe siècle
(U l) et lat 176, XIIe siècle (U2) ; un de Londres, Brit. Lib. Addit. 19968 du
XIe siècle (A4) et un du Vatican, Regina lat. 1861, XIe siècle (Reg8). Dans la
traduction, les leçons communes sont circumferentur en 39a, conuertunt et
terrenarum en 40b, ainsi que ut (aliquanto) en 41c. Au chapitre 54 du com­
mentaire, nous retrouvons genuina ; au chapitre suivant, denique (diuisione) ;
chap. 340, certe (habenda) et diuidet (intellectus) ; chap. 341, (ratio) sustentat
74 BÉATRICE BAKHOUCHE

et, chap. 343, {interitus) praecedere ; chap. 344, censeo {ideae) et, chap. 345,
{altitudinem) peccatoris.
La sous-classe Δ’* compte trois groupes - Θ, Ξ et Π - qui sont à leur tour
plusieurs fois subdivisés. Laissant de côté le manuscrit de Cracovie, Bibl.
Jagellonica 529 (fin Xe ou début XIe siècle) qui est très lacunaire 1 de même
que celui de Leipzig, Bibl. Sénat. Cod. Rep. I. 4, 84 (XIIIe siècle) pour la
même raison 12, ainsi que les copies tardives, nous avons collationné, pour les
deux premiers groupes, les copies de Paris, BnF Lat. 7188, début du XIIe siècle
(P9) ; de Leiden, Bibliothek der Rijksuniversiteit, B.P.L. 64, XIe siècle (L3) ;
d’Edinburgh, Univ. Bibl. 16 (D.b. IV. 6), XIIe siècle (Ed) ; du Vaticano, Reg.
Lat. 1308, Xe siècle 3 (Reg6), et de Paris, BnF Lat. 6280, XIe siècle (P3). Les
leçons communes sont rares entre les manuscrits consultés ; nous avons seule­
ment relevé genuina au chapitre 54, qui est commun à d’autres branches com­
me la classe A* ou le groupe T.
Dans le dernier sous-groupe, nous nous sommes intéressée aux manuscrits
actuellement conservés à Florence : Bibl. Naz. Centr. I. IV. 28 du XIe siècle
(F3) et I. IX. 40 du XIIIe siècle (F4), ainsi que celui de la Bibl. Medicea Laur.,
Gaddi, plut. 84, cod. 51, du XIe siècle (La2). Ce dernier groupe se distingue
des autres par l’abondance des négligences - modification de l’ordre des mots,
omissions diverses. Des huit différences dans la traduction, nous relèverons
seulement : 38e, {post) exequamur ; 39b, gemino suo et alieno et, 40b, coer-
tione. Parmi les différences dans le commentaire, contentons-nous de citer :
chap. 340, electorum {uirorum), et {hominem) cadit ; chap. 343, plene {sub
oculos) ; chap. 344, censeo {ideae) et, chap. 347, {opinione) perceptibilis.
Si certaines filiations comme la précédente permettent de grouper les manu­
scrits de façon convaincante, ce n’est pas toujours le cas : ainsi, les groupes Θ
et Ξ ne donnent pas, pour les passages étudiés, de filiations probantes. En
outre, nous avons relevé, au chapitre 338, la même lacune nec uero-formata
dans trois manuscrits distribués dans des branches différentes : PI, P8 et P3, ce
qui nous contraindra à revoir au moins ces groupements.
Du reste, ceux-ci s’avèrent trop précis et ramifiés pour rendre compte de
toutes les variantes, comme le prouve l’apparat critique où l’éditeur hollandais
est très souvent obligé d ’isoler certains manuscrits pour des leçons attribuées à
tout un groupe. En outre, le stemma de la traduction proposé par J.-H. Waszink,
qui offre deux grandes familles - l’une ω pour les traductions associées au com­
mentaire et qu’on vient de vérifier, et l’autre, oo, pour les traductions seules -
ne paraît pas pertinent, car certaines traductions, copiées seules, peuvent être
glosées à l’aide de citations tirées du commentaire : c’est le cas du manuscrit
de Paris, BnF lat. 16579, dont les gloses marginales tirées du commentaire cal-
cidien permettent de rattacher ce manuscrit au même groupe que le Paris, BnF

1. Cf. éd. J.H. W aszink,praef. p. CX.


2. Cf. éd. J.H. W aszink,praef. p. CXVI.
3. Et non du XIe comme le pensait J.H. Waszink, cf. praef. p. CXXIV.
INTRODUCTION GÉNÉRALE 75

lat. 6281 L À l’inverse, un manuscrit « complet », c’est-à-dire offrant à la fois


la traduction et le commentaire au Timée, London, Brit. Libr. Royal 12B XXII
(RI), figure malencontreusement dans le groupe °o des traductions seules
(sous-groupe p) du stemma codicum translationis de l’édition hollandaise 12.
Étant donné les restrictions qui précèdent, il ne nous paraît donc guère oppor­
tun d ’envisager, comme le fait J.H. Waszink, une double tradition textuelle,
pour la traduction et pour le commentaire 3.
Les principes de la présente édition
Outre les manuscrits déjà cités, nous avons collationné un certain nombre
de copies offrant la traduction seule et figurant dans la branche oo du stemma
codicum translationis de l’édition Waszink. Leur choix a été conditionné par
leur ancienneté et, partant, par leur place au sommet du stemma. Voici les manu­
scrits retenus :
- Berlin, Nationalbibl. lat. quart. 202, XIIe s. (Bll)
- Cambridge, S. John’s College 107, fin du XIe s. (Caml)
- Eton, Libr. College 90 (Bk 6, 17), XIIIe s. (Et)
- London, Brit. Libr. Addit. 15601, début du XIe s. (A3)
- London, Brit. Libr. Addit. 22815, XIIe s. (A2)
- London, Brit. Libr. Addit. 11942, XIIe s. (Al)
- Milano, Ambrosianus E. 5. Sup., XIIe s. (Ami)
- München, Nationalbibl. lat. 514, XIIe s. (M2)
- Oxford, Digby 23, XIIe s. (01)
- Oxford, Rawlinson G 38 (14769), seconde moitié du XIIe s. (02)
- Vaticano, lat. 3815, XIIe s. (Vat4)
- Wien, Nationalbibl. lat. 272, XIIIe s. (U4)
mais aussi tous les manuscrits français (sauf le Paris, BnF Lat. 2389 [P2] dont
le mauvais état a rendu la consultation impossible) :
- Paris, BnF lat. 2164, Xe ou début du XIe s. (PI)
- Paris, BnF lat. 6280, XIe s. (P3)
- Paris, BnF lat. 6281, début du XIIe s. (P4)
- Paris, BnF lat. 6282, milieu du XIe s. (P5)
- Paris, BnF lat. 6283, fin du XIIIe s. (P6)
- Paris, BnF lat. 6569, fin du XIIIe s. (P7)

1. Cf. B. Bakhouche, « Marginalia et histoire du texte : l ’exemple du manuscrit latin Paris


BnF 16579 », Revue d ’histoire des textes 4, 2009, p. 1-22.
2. Inconséquence remarquée par Br.St. Eastwood, « Heraclides and Heliocentrism : Texts,
Diagrams, and Interprétations», Journal for the History of As tronomy 23, 1992, p. 233-260
[n. 69].
3. Cf. éd. J.H. Waszink, Praef., p. CL ; M. Huglo conclut lui aussi : « On voit donc sur le
stemma codicum translationis que la séparation dichotomique entrte l ’ensemble des manuscrits du
Timaeus, dépendant du ms perdu oo et, d’autre part, l’ensemble des manuscrits du Timaeus suivi
du Commentaire dépendant du manuscrit ω est conventionnelle. » (« Recherches sur la tradition
des diagrammes de Calcidius », p. 208).
76 BÉATRICE BAKHOUCHE

- Paris, BnF lat. 6570, XIIe s. (P8)


- Paris, BnF lat. 7188, début du XIIe s. (P9)
- Paris, BnF lat. 8677, XVe s. (P10)
-Paris, BnF lat. 10195, XIe s. (P li)
- Paris, BnF lat. 15078, XIIe s. (P12)
- Paris, BnF lat. 16579, seconde moitié du XIIe s. (P 13).
et :
- Avranches, Bibl. munie. 226, fin XIIe s. (Av)
- Reims, Bibl. munie. 862, XVe s. (Rem)
- Tours, Bibl. munie. 675, XVe s. (Tur)
- Valenciennes, Bibl. munie. 293, IXe s. (Val).
Les collations ont permis de confirmer un certain nombre de conclusions
de l’éditeur hollandais :
- Effectivement, parmi les manuscrits les plus anciens, seul Vatican, Regi-
nensis lat. 1068 (Reg3) offre, en 40c9, la bonne leçon metus (c f. le grec
φόβους) au lieu de motus attesté dans tous les autres manuscrits. On peut donc
penser avec vraisemblance que le texte copié dans ce manuscrit est un des plus
sûrs.
- De même, les passages jugés corrompus ou lacunaires par J.H. Waszink
ne donnent pas, sans correction, un sens satisfaisant. Il s’agit particulièrement
du chapitre 54 {cf. app. critique ad loc.), de l ’articulation entre les chapitres
346 et 347 qui est inintelligible, et du chapitre 338 où doivent être supposés
des chaînons manquants dans le raisonnement.
Il ne s’agit pas pour autant d’en conclure à une double tradition, bien sépa­
rée, pour la traduction seule (qui aurait été transcrite en premier) et pour
l’ensemble de l’œuvre et le commentaire seul qui constitueraient un second
grand groupe ; il faut à tout le moins envisager, entre ω et °°, un troisième
groupe pour les traductions qui, comme celle de P I3, sont glosées à l’aide
d’extraits du commentaire h II nous paraît dès lors plus pertinent d’adopter les
conclusions que E. Mensching a tirées de son étude approfondie de la tra­
duction figurant dans trois manuscrits du IXe siècle, Lu, Val et Reg3 : un
certain nombre d ’erreurs peuvent en effet s’expliquer par un passage d ’une
écriture majuscule en minuscule. Les deux grandes familles ω et ^ déri­
veraient d ’un modèle Ω en onciales, qui ne serait pas lui non plus exempt
d ’erreurs. Dès lors, Ω (onc.) dériverait d ’une copie plus ancienne écrite en
majuscules rustiques. Il est impossible néanmoins de savoir si cette copie était
totalement dépourvue de fautes, en d ’autres termes, si Ω (cap. rust.) était le
modèle originel. Il paraît plus sensé de voir dans ce manuscrit une copie très1

1. Cf. P.E. Dutton, « Illustre duitatis et populi exemplum : Plato’s ‘Timaeus’ and the Trans­
mission from Calcidius to the End of the Twelth Century of a Tripartite Scheme of Society », Me-
diaeval Studies 45, 1983, p. 79-119 [p. 80-86] ; B. Bakhouche, « Marginalia et histoire du texte :
l ’exemple du manuscrit latin Paris BnF 16579 ».
INTRODUCTION GÉNÉRALE 77

récente de l’autographe, datant peut-être du Ve siècle. Puis le texte aurait été


transcrit en onciales au VIe siècle, et, vers la fin du VIIe siècle, une copie de
tout le manuscrit aurait été créée en minuscules continentales (ω min.) h
En outre, si la division du commentaire en sections et sa subdivision en
chapitres sont d ’origine récente - les chapitres ont été introduits par J. Wrobel
et légèrement modifiés par J.H Waszink, et l’éditeur allemand a introduit éga­
lement le regroupement en sections en cherchant une adéquation entre la dis­
positio libri telle qu’elle est annoncée au chapitre 7 et l’ensemble d’un déve­
loppement scandé par des phrases d ’introduction et de conclusion - , la bipar­
tition de la traduction et celle du commentaire sont attestées en revanche par
les différents incipit et explicit des manuscrits. Ceux qui n’offrent que la tra­
duction la font précéder de l’épître, d ’où la série : Ep, Timl, Tim2 12. En revanche,
quand l ’œuvre est complète, deux cas de figures peuvent se rencontrer : soit
nous avons la séquence Ep, Tim l, Calcl, Tim2, Calc2, soit nous trouvons la
suite Ep, Tim l, Tim2, Calcl, Calc2. C ’est cette dernière disposition que nous
adopterons, à la suite des derniers éditeurs du texte, et ce pour séparer éga­
lement l’étude de la traduction de celle du commentaire. Pourtant ce n’est sans
doute pas l’organisation originelle du texte : les trois quarts des manuscrits, à
commencer par les deux plus anciens Val et Lu, présentent l’ordre Ep, Tim l,
C alcl, Tim2, Calc2 3.
D’autre part, les différentes leçons, pour les passages étudiés, ne permettent
pas, on Ta vu, d’envisager des stemmas aussi ramifiés que ceux de l’édition
hollandaise. Seuls, F3 et La2 sont remarquablement semblables. En revanche,
un certain nombre d’éléments extra-textuels comme lacunes, omissions ou
sauts du même au même doivent être pris en compte. C ’est ce dernier genre
d ’omission que nous avons relevé dans 0 2 en 40A-B : obeuntem-semper ;
dans le commentaire, au chapitre 338, le groupe nec uero-formata dans les
manuscrits P I, P3, P8 et P10 ; au chap. 340, le groupe persuasionis-alterum
est omis, dans un saut du même au même, dans Ba, F3, PI et P10, et a été
rajouté en marge de Val, et au chap. 346, neque opinabile quia est omis dans
PI, Val et F3.
Enfin, des éléments extra-textuels peuvent aider à relier certains manus­
crits, ainsi d’un même schéma arborescent (intellectus qui se divise en scientia

1 . E. Mensching, « Zur Calcidius-Überlieferung », p. 42-56.


2. Pour plus de commodité, nous avons adopté les abréviations de l ’éditeur hollandais pour
désigner les différentes unités textuelles :
- Ep pour l’épître dédieatoire,
- Tim 1 pour la première partie de la traduction, du début du dialogue à la page 39 e 2,
- Tim 2 pour la seconde partie de la traduction, jusqu’à 53c4,
- Cale 1 pour la première partie du commentaire, jusqu’au chapitre 118,
- Cale 2 pour la seconde partie du commentaire, jusqu’à la fin.
3. Cf. P.E. Dutton, « Médiéval Approaches to Calcidius », p. 190-191.
78 BÉATRICE BAKHOUCHE

et recordatio, et opinio en credulitas et aestimatio) en marge du chapitre 342


dans les manuscrits B rl, P5 et PI 1.
En dehors des passages spécialement étudiés, on peut mentionner que le
manuscrit viennois Lat. 278 présente les mêmes gloses que le Digby 23
d’Oxford (XIIe s .) 1 et Vatican Lat. 2063 (XIVe s.) 12, tout comme sont liés les
manuscrits parisiens P3, P4 et P I3 par la même glose au début de la traduc­
tion 3. Un même distique est encore trouvé dans les manuscrits Av (fol. 11Or),
et Pet (fol. 1 lr) :
Yle prima fuit, quam pura elementa sequ(u)ntur ;
Tercia mixta manent quibus omnia constituuntur 4.

M. Gibson, de la même manière, a relevé des gloses identiques dans quatre


manuscrits : London, British Libr. Harley 2610 et Add. 19968 (A4), Paris BnF
Lat. 6282 (P5) et Vaticano Reg. 1861 5.
De façon également significative, le troisième diagramme harmonique
{Descriptio tertia) est redoublé dans deux manuscrits actuellement conservés à
Paris, PI et P5 6. Une même addition se retrouve à la fin du texte, dans trois
manuscrits de la traduction conservés au Vatican : Vat. lat. 3815 (XIIe s.), Reg.
lat. 1107 (XIIe s.) et Ottobonianus lat. 1516 (XIIIe s.) :
In naturalibus rationabiliter in diuinis lector sermonem super inposuisse Plato­
nem intellectualiter in mathematicis disciplinaliter uersari oportet. E X P L IC IT
TIMEVS PLATONIS 7 .

L ’étude systématique et complémentaire de ces éléments extérieurs au


texte proprement dit, de même que celle des incipit, explicit, dédicaces et gloses,
doivent aider à grouper les manuscrits, au même titre que l’étude des figures.

U histoire des figures


La première partie du commentaire de Calcidius offre, dans l’édition de
J.H. Waszink, vingt-six figures régulièrement réparties pour illustrer les diffé­
rentes explications ressortissant au domaine scientifique :

1. Sur ce manuscrit, cf. A. Taylor, Textual Situations. Three Médiéval Manuscripts and their
Readers, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 2002, c. 2. « Bodleian MS Digby 23 »
p. 26-75.
2. Cf. T. Gregory, « Note e testi per la storia del platonismo medievale », p. 353 n. 2.
3. Cf. B. Bakhouche, « Marginalia et histoire du texte : l ’exemple du manuscrit latin Paris
BnF 16579».
4. Cf. É. Jeauneau, « Gloses marginales sur le Timée de Platon, du manuscrit 226 de la Bi­
bliothèque Municipale d’Avranches », Sacris Erudiri 17, 1966, p. 71-89 = Lectio philosophorum ,
p. 209-228 [p. 225 η. 39], et « Note sur l ’École de Chartres », Studi medievali 5, 1964, p. 821-865
= Lectio philosophorum, p. 5-49 [p. 19 n. 86].
5. « The study of the ‘Timaeus’... », p. 186-187.
6. Cf. M. Huglo, « La réception de Calcidius... », p. 12.
7. Cf. Manuscrits classiques latins de la Bibliothèque Vaticane, Paris, CNRS, 1 9 7 5 ,1, p. 603.
INTRODUCTION GÉNÉRALE 79

1/ Arithmétique et géométrie (création du monde) :


- chap. 9 : moyenne entre les nombres 6 et 24 : 12
- chap. 11 : moyenne entre deux quadrilatères
- chap. 12 : moyenne entre deux triangles
- chap. 15 : deux moyennes entre deux figures solides
- chap. 16 : schéma de la proportion continue entre deux termes et de la
proportion discontinue entre quatre termes
- chap. 18 : schéma de deux parallélépipèdes entre lesquels on insère deux
moyennes.
2/ Musique (naissance de l’âme, modulation ou harmonie) :
- chap. 32 : 1er schéma lambdoïde avec au sommet l’unité et, des deux
côtés, les premières progressions binaires et ternaires
- chap. 41 : 2e schéma lambdoïde avec au sommet 6, et, sur les côtés, ses
doubles et ses triples, et leur moyennes harmonique et arithmétique
- chap. 48 : 3e schéma lambdoïde avec, au sommet, 192, à la base, 432, et,
entre les deux, les nombres liés aux intervalles du ton (9/8) ou du demi-
ton (256/243).
3/ Astronomie (astres fixes et errants, ciel) :
- chap. 62 : surface arrondie de l’eau
- chap. 67 : sphère céleste
- chap. 73 : ordre, vitesse et grandeur des étoiles fixes et des planètes
- chap. 78 : inégalité des saisons
- chap. 80 : explication de l’inégalité des saisons par l’hypothèse d’un
excentrique solaire
- chap. 81 : hypothèse des épicycles
- chap. 85 : explication des apparences célestes par l’hypothèse des épi-
cycles
- chap. 88 : éclipse de Soleil et de Lune
- chap. 90 : trois figures correspondant à trois formes d’ombre
- chap. 92 : trois figures servant à illustrer 77m. 36b5-c 2
- chap. 97 : les sept cercles planétaires
- chap. 111 : deux figures pour rendre compte du mouvement de Vénus
- chap. 117 : mouvements planétaires comparés aux volutes de l’acanthe.
Les domaines scientifiques abordés dans le commentaire correspondent à la
distribution traditionnelle des quatre disciplines du quadrivium organisées
dans une structure hiérarchique allant de l’arithmétique à l’astronomie en pas­
sant par la géométrie et la musique, et telles qu’on les retrouvera, par exemple,
dans l’encyclopédie d ’Isidore de Séville. Contrairement aux conclusions de
J. Jensen, qui, après avoir étudié les différents tracés, a estimé que les dessins
les plus fidèles à l’archétype se trouvaient dans Brl l, des études récentes per-

1. Cf. éd. J.H. Waszink ,praef. p. CLXXX.


80 BÉATRICE BAKHOUCHE

mettent au contraire de mettre l’accent sur l’hétérogénéité de certains schémas


et soulignent de fait la complexité de la tradition graphique, qui nous oblige à
adopter une attitude plus nuancée, et ce à partir de l’étude comparative des
dessins.
Il est d ’abord à remarquer que certains manuscrits ne présentent aucune
figure : parfois en effet comme en PI 1, un espace a été prévu pour chaque des­
sin mais il est resté vierge. De même, P 10 n ’offre aucun schéma après le cha­
pitre 62, bien que les places en aient été prévues. Ailleurs, certaines figures
manquent ponctuellement comme celle du chap. 18 dans L3 et B l, ou les deux
premières figures du chap. 90 dans V atl, ou encore celle du chap. 97 dans B l.
Dans d’autres cas au contraire, le schéma est redoublé (comme en B2 pour le
dessin du chap. 18), voire triplé ou quadruplé, comme dans U1 à propos du
mouvement excentrique du Soleil (chap. 80). Il peut arriver enfin que la figure
soit elle-même accompagnée d’un petit tableau explicatif. Autant de situations
qui témoignent de la complexité de la tradition graphique.
Il faut en outre tenir compte des dessins présents dans les manuscrits de la
seule version du Timée : ils se trouvent souvent regroupés au début ou à la fin
du texte et privilégient certaines représentations, spécialement la division har­
monique de l’âme, dont les trois schémas peuvent êrtre regroupés en un seul,
comme en A2, ou suivis par un regroupement global comme en Ami ou 01,
manuscrit dans lequel le schéma musical est en outre appliqué aux distances
planétaires. Les figures astronomiques se rencontrent souvent, en particulier la
figure liée, au chap. 111, au mouvement de Vénus, soit en marge (A2), soit en
pleine page (Am i, 01). S’y ajoutent des dessins qu’on ne rencontre pas dans
les autres manuscrits, comme un cercle zodiacal à douze rayons (Ami, 01), un
cercle céleste portant une série de lignes ondulées correspondant au mouve­
ment en latitude des planètes (Am i, Av, U l). Ce dernier schéma peut égale­
ment se présenter sous forme de lignes brisées sur un fond quadrillé et repré­
sentant la largeur du zodiaque comme en F2 l. Un cercle céleste représente
ailleurs les différentes zones - sidérale, éthérée, aérienne ou terrestre - , comme
en 01 et F2. Certains schémas, un peu informels, paraissent spécifiques à la
traduction : ainsi des différentes qualités des éléments (tableau qui se présente
parfois sous forme graphique et dédoublée comme en 0 1), ou de la distinction
entre scientia et opinio. Enfin, il arrive que le texte calcidien soit contaminé
par le Commentaire au Songe de Scipion de Macrobe, car on trouve, au sein de
la version du Timée, des représentations de la Terre qui ne sont pas sans rap­
peler les figures servant à illustrer le commentaire cicéronien.
Les figures géométriques
Abordant, pour commencer, des questions de mathématique assez simples
sur les proportions entre deux grandeurs déterminées, l ’exégète platonicien

1. Pour d’autres exemples, cf. Br.St. Eastwood, « Latin Planetary Studies in the IXth and Xth
Centuries », Physis NS 32, 1995, p. 217-226.
INTRODUCTION GÉNÉRALE 81

émaillé la première section sur la création du monde de développements ex­


plicatifs qu’illustrent différentes figures L Celles des chapitres 9, 11, 12, 16, -
bien que présentant, d’un manuscrit à l’autre, de légères différences, en dépit
de leur inexactitude dans la mesure où elles ne sont pas entre elles dans un
véritable rapport de grandeur proportionnelle - , sont à peu près semblables
dans les manuscrits consultés. En revanche, les figures plus complexes de
cubes - disjoints (chap. 15) ou conjoints (chap. 18) - font l’objet de traite­
ments variés. C ’est ainsi que dans P9, les solides sont dessinés comme des
plans, et que, dans F3 et La2, sont tracés, au chap. 15, quatre carrés égaux, au
double périmètre, non reliés entre eux et sur lesquels les mesures des trois
côtés se mêlent à celles des surfaces et des volumes. Dans Reg6, on trouve
deux séries de quatre carrés, avec les surfaces pour la première série et les
volumes pour la seconde. Dans plusieurs manuscrits (P3, P4, P8 et Reg6), la
figure est glosée, en quelque sorte, par un schéma qui établit le lien de double
entre 24 (1er volume) et 48 (2e volume), entre 48 et 96 (3e volume) et entre 96
et 192 (4e volume). Tout se passe comme si le tracé de figures solides posait
problème ou comme si la figure ne paraissait pas assez claire. C’est peut-être
encore la difficulté d ’un tracé en perspective qui explique l’absence de figure,
au chap. 18, dans PI et L3.
Les diagrammes harmoniques 12
Trois diagrammes illustrent le passage de Timée 35b4-36b 5 sur la division
de l’âme. La forme choisie par Calcidius était, au témoignage de Proclus, celle
adoptée par Adraste :
Certains théoriciens ont l’habitude de construire trois triangles... Adraste a pro­
cédé de cette façon. D’autres ont rejeté la figure en forme de A et rangent à la
suite les unes des autres, comme sur l’arête d’une règle, les trois espèces de
nombres... C’est aussi le procédé adopté par Porphyrius et Severus 3.

1. Une partie d’entre elles a été étudiée par A. Somfai, « The Brussels Gloss : a Tenth-Century
Reading of the Geometrical and Arithmetical Passages of Calcidius’s Commentary (ca 400AD) to
Plato’s ‘Timaeus’ », dans Ch. Bumett et D. Jacquart (éd.). Scientia in margine : étude des margi­
nalia dans les manuscrits scientifiques du Moyen Âge à la Renaissance , Genève, Droz, 2005,
p. 139-169.
2. Sur ces figures, cf. les études de M. Huglo : « La réception de Calcidius et des Commentarii
de Macrobe à l’époque carolingienne », Scriptorium 44, 1990, p. 3-20 et 46-2, 1992, col. 27-28 ;
« The Study of Ancient Sources o f Music Theory in the Médiéval Universities », p. 150-172 ;
« Les diagrammes d ’harmonique interpolés dans les manuscrits hispaniques de la Musica Isidori »,
Scriptorium 48, 1994, p. 171-186; « L ’étude des diagrammes d ’harmonique de Calcidius au
Moyen Age », Revue de musicologie 91-2, 2005, p. 305-319 ; « Recherches sur la tradition des
diagrammes de Calcidius », Scriptorium 67-2, 2008, p. 185-230 + 5 pl.
3. A J . Festugière, Proclus. Commentaire sur le Timée , Paris, Vrin, 1967, t. 3, livre III,
p. 216 ; Procli Diadochi In Platonis Timaeum commentaria, Leipzig, Teubner, 1904, t. II, 171.
82 BÉATRICE BAKHOUCHE

Les diagrammes en ligne, utilisés également par Plutarque, Isidore et


Boèce, seraient plus récents, car le schéma lambdoïde serait dû à Crantor, un
des premiers maîtres de l’Académie 1.
Directement tributaire de Théon pour les chapitres sur l’harmonie, est-ce
cependant à lui que Calcidius emprunte ses figures ? On en douterait, car les
schémas que nous trouvons aussi bien dans l’édition Hiller que dans celle de
Dupuis se présentent en ligne et non en triangles. Dans le commentaire calci-
dien, les deux premiers schémas ne posent aucun problème, alors que le troi­
sième, dont le tracé est souvent particulièrement travaillé, avec des arcatures
soulignant le rapport musical (ton ou demi-ton) entre deux nombres consécu­
tifs et d ’autres arcs de cercles reliant les nombres qui sont dans un rapport
numérique égal aux différents intervalles de quarte ou de quinte, offre des vari­
antes dont le dessin choisi par Jensen pour l’édition du texte par J.H. Waszink
n’est qu’un exemple : ce dessin en effet, de forme triangulaire, avec des traits
horizontaux pour séparer les différents nombres, est une rareté, compte tenu de
ce que nous pouvons rencontrer dans les manuscrits, le schéma adopté étant le
triangle sans base. En outre, la série, qui commence à 192, ne s’arrête pas,
comme sur les dessins consultés, à son double, 384, mais insère, après la série
de l’octave, un dernier nombre, 432 (= 384 x 9/8), qui correspond à un ton
supplémentaire ou au début d ’une nouvelle série. Certes, selon Proclus, « les
théoriciens récents... ont étendu l’intervalle utilisé à deux octaves augmentées
d’un ton en créant ainsi la gamme à 15 notes » 12, mais il est peu vraisemblable
que ce soit ici le cas. Dès lors, nous préférons limiter la série à 384. Du reste,
les séries peuvent se suivre à l’infini, comme le suggère le schéma lambdoïde
du manuscrit d ’Oxford (Bodleian Library Auct. F. 3.15) qui va de 192 à
41472 3.
Enfin, les trois triangles emboîtés dont parle Proclus se retrouvent dans des
manuscrits de la version seule du Timée et dans quelques manuscrits du Com­
mentaire au Songe de Scipion de Macrobe, comme le note M. Huglo 4, qui,
après avoir suggéré que Calcidius adopte « une solution intermédiaire » entre
la disposition des nombres en ligne droite ou sur les bords obliques d ’un Λ,
précise : « Calcidius répartit les trois diagrammes groupés du Grand diagramme
lambdoïde sur trois passages différents de son commentaire 5 ». La remarque

1. Cf. Plutarque, De an. procreat. 1027D ; bien que M. Huglo, « Les diagrammes d’harmo­
nique interpolés dans les manuscrits hispaniques de la Musica Isidori », p. 171 n. 3, fasse égale­
ment état de constructions carrées interpolées dans le livre I du De Institutione Musica de Boèce et
précise : « Ce carré des consonances pythagoriciennes figure dans plusieurs manuscrits du com ­
mentaire du Timée de Calcidius », nous n ’en avons trouvé aucun exemplaire dans les manuscrits
consultés.
2. A.J. Festugière, Proclus. Commentaire sur le Timée, t. 3, livre III, p. 215 ; Procli Diadochi
In Platonis Timaeum commentaria, t. II, p. 70.
3. Cf. Chr. Meyer, « Le diagramme lambdoïde du ms. Oxford Bodleian Library Auct. F. 3.15
(3511) », Scriptorium 49, 1995, p. 228-237.
4. « Les diagrammes d’harmonique interpolés... », p. 178 n. 18.
5. « Les diagrammes d ’harmonique interpolés... », n. 21.
INTRODUCTION GÉNÉRALE 83

ne manque pas de vérité, puisque le commentateur lui-même annonce une


nouvelle figure, mais ce qui n’est pas sûr, c’est la forme originelle de celle-ci.
Du reste, sans la référence explicite à une tertia descriptio dans le texte, on
pourrait même se demander, à voir leur disposition marginale dans les manu­
scrits, si les deux premiers diagrammes ne sont pas d’abord l’œuvre de glosa-
teurs, avant d’être intégrés au texte même de Calcidius.
Les figures astronomiques
Progressant dans la complexité des exposés scientifiques, Calcidius aborde,
dans les deux dernières sections de la première partie du commentaire, les pro­
blèmes d ’astronomie descriptive et normative. Nous distinguerons les dessins
à valeur d ’illustration, qui ne posent guère de problème et se retrouvent, à
quelques variantes près, sous la même forme d ’un manuscrit à l’autre, et les
dessins démonstratifs qui, eux, sont d’une interprétation complexe.
À la première catégorie appartiennent les dessins des chapitres 62, 67, 81,
85,88,90,92,96 et 117.
Chap. 62 - La sphéricité de la surface de l’eau, lieu commun de la tradition
physique, est illustrée par un arc de cercle limité par deux rayons. On peut
avoir le tracé d’un cercle entier avec la même mise en valeur d’un arc, comme
en P 10 et PI 1, ou un schéma triangulaire comme en P 10 h Le seul dessin erro­
né se trouve dans P8 et L3, où les deux rayons sont prolongés après le centre
de l’arc de cercle.
Chap. 67 - Pour illustrer un développement sur les cercles de la sphère
emprunté essentiellement à Théon, le dessin reproduit dans l’édition Waszink
est surchargé et erroné, surchargé par le redoublement de termes arcticus et
septentrionalis, australis et antarcticus pour les régions et les cercles polaires,
limitans zi finalis pour désigner l’horizon 12 ; erroné par l’emploi de colurus
(qui désigne les cercles horaires 3) à la place de l’équateur, par l’ajout, en des
places différentes, de aequidialis et aequinoctialis, et le placement de la Voie
Lactée comme symétrique du zodiaque. Les manuscrits consultés reproduisent
en revanche un schéma plus sobre, plus proche de celui qu’on trouve chez
Théon, dessin que nous avons choisi de reproduire (même si les distances entre
les cercles ne sont pas exactes), et qui est assorti des mêmes annotations.
Chap. 81 sur les différentes positions de l’épicycle solaire - À la différence
de P8, de L3 qui groupent les trois dessins des chapitres 80, 81 et 85, et de P9
où l’épicycle, dans ses différentes positions sur le déférent, n’apparaît que sous
la forme de l’arc de cercle compris entre le déférent et le cercle zodiacal, tous
les manuscrits consultés présentent la même forme, avec parfois quelque inexac-

1. Cf. Théon, Expos, éd. Hiller, p. 123.


2. Dans PI et P4, l ’horizon est nommé limitaris et non limitans.
3. Sur ce terme et les cercles qu’il désigne, cf. A. Le Bœuffle, Astronomie, Astrologie. Lexique
latin , Paris, Picard, 1987, n. 287, p. 96 ; B. Bakhouche, Les textes latins d ’astronomie, p. 137-140.
84 BÉATRICE BAKHOUCHE

titude comme en F3 et La2, où le déférent ne passe pas par les centres des épi-
cycles.
Chap. 85 - Le mouvement du Soleil sur un épicycle est illustré par un des­
sin identique dans tous les manuscrits, avec, pour seule inexactitude, la non-
tangence du cercle M aux rayons du grand cercle (cela en Reg6, L3, F3, La2,
P9).
Chap. 88-90 - Les quatre dessins sur les épicycles et la forme de l’ombre
de la Terre n’appellent guère de commentaire : si l’on excepte le manuscrit
P li où le dessin ressemble plus à une épreuve ratée, partout ailleurs nous trou­
vons sensiblement la même figure. Les deux dessins qui présentent les deux
formes d ’ombre sont omis dans La2 et V atl. En revanche, dans le dernier des­
sin, un cercle passe par le sommet du cône (C) et par le Soleil, comme si l’ombre
de la Terre arrivait au cercle du zodiaque. Parfois ce cercle est redoublé
comme en La2, P5, F3 (où s’ajoute une figure sur laquelle la Terre n’est pas
tangente aux deux obliques) ou B1 (où c’est le cercle du Soleil qui coupe les
deux obliques).
Chap. 9 2 - Les trois figures qui illustrent Tint. 3 6 b 5 - c 2 sont les mêmes
partout.
Chap. 96 - la figure qui présente sept cercles planétaires concentriques au
cercle extérieur du zodiaque ne se trouve pas en B1 ; circulaire en P2 et V atl,
ailleurs c’est seulement le demi-cercle supérieur qui est divisé en autant de fois
qu’il y a de planètes. À chacune est associé un nombre, de 1 à 27, qui corres­
pond à la partition de l’âme (cf. les diagrammes harmoniques). L ’explicitation
du lien avec la division harmonique est notable dans les gloses de PI 1 {prima
portio Lunae ad terram, secunda Solis dupla ad terram, tertia Veneris tripla
ad primam sesquialtera ad secundam, quarta Mercurii dupla secundae qua­
drupla primae, quinta Martis octupla primae, sexta louis tripla tertiae, septi­
ma Saturni septem et uiginti sectionum), et par la mention pythagorica en L3.
Enfin, au chapitre 117, pour illustrer les mouvements planétaires semblables
aux « volutes de l’acanthe », le dessin circulaire avec une boucle centrale au
bout de laquelle se trouve un astre (parfois nommé Vénus) est remplacé en PI,
Lu et P5, par la reproduction de vraies volutes d’acanthe.
Les illustrations les plus énigmatiques sont celles qui sont censées rendre
compte du mouvement particulier des planètes inférieures - Vénus en l’occur­
rence. Deux dessins illustrent généralement les chapitres 111 et 112. En dépit
des explications assez claires du chapitre 111 sur l’hypothèse d’Héraclide du
P o n tl, le dessin de l’édition Waszink est particulièrement fautif : le cercle de
Vénus, au lieu d’être tangent aux deux obliques ΞΑ et ΞΓ, est sécant, et c’est
celui du Soleil qui est tangent. La Terre, Ξ, au lieu d’être au centre du cercle se
trouve sur le cercle de Vénus. En outre la disposition des cercles planétaires

1. Cf. notes ad loc., et, sur ces chapitres, B. Bakhouche, « Tradition graphique et tradition tex­
tuelle dans le Commentaire au Timée de Calcidius », Revue belge de philologie et d ’histoire 86,
2 0 0 8 ,p . 97-113.
INTRODUCTION GÉNÉRALE 85

concentriques ainsi placés ne saurait rendre compte du mouvement limité de


Vénus par rapport au Soleil. Ce schéma et ses différentes variantes ont été étu­
diés depuis longtemps par B.L. van der Waerden !, dont les conclusions ont été
partiellement reprises par J.G. van der Tak 12 et récemment par Br .St. Eastwood3.
Le premier a distingué trois classes de variations dans les manuscrits : les deux
premières regroupent les manuscrits des IXe-Xe siècles : ce sont les dessins de
la classe I, les meilleurs pour le texte et qui ont été choisis dans l ’édition de
J.H. Waszink. La seule différence entre les classes I et II est la place de la Terre
qui, dans ce second groupe, se trouve sur le cercle zodiacal (F3, La2, L3). Le
groupe III, constitué de copies postérieures au Xe siècle, offre un dessin qui
suit, lui, les indications textuelles - c’est celui que nous avons choisi de repro­
duire. B.L. van der Waerden estime que ce dernier schéma (dans lequel l’orbite
solaire n ’est pas tracée) serait de création plus récente, produit par un scribe
qui aurait cherché à corriger l’inadéquation entre le texte et les dessins.
J.G. van der Tak, qui reprend les conclusions de B.L. van der Waerden, remarque
que certains manuscrits offrent deux dessins, pour chacune des deux premières
classes. Or L3 et P8, qui sont cités dans ce groupe, présentent bien deux
dessins, mais un mauvais (classe II) et un bon de la classe III (bien que le
cercle de Vénus, dans P8, ne soit pas tangent mais sécant aux deux obliques).
De quand date l’apparition du dessin de classe III ? Il est vrai que, si P8 est du
XIIe s., L3 (fin du XIe siècle) pourrait dériver de U1 (début du XIe siècle) 4, qui
serait alors le plus ancien témoin de la reconstruction du diagramme, d’autant
plus qu’on verra plus loin le soin avec lequel le copiste de U1 a cherché, pour
un autre passage, le dessin le plus exact.
Contrairement à ce que pense Br.St. Eastwood pour qui le dessin « corri­
gé » (c’est-à-dire celui de la classe III) pouvait servir économiquement pour
les deux chapitres 111 et 112 5, le texte de Calcidius impose deux schémas
bien distincts avec des lettres différentes pour la Terre et les différentes posi­
tions planétaires. Pour ce dernier chapitre, le dessin de l’édition Waszink pré­
sente les mêmes erreurs que celui du chapitre précédent : la Terre (maintenant
désignée par la lettre K) n’est pas au centre et, si le cercle de Vénus est au-
dessus de celui du Soleil comme il est dit dans le texte, il n’est pas tangent aux
deux obliques AK et ΚΓ.
Il est enfin à noter que d ’autres schémas, très fidèles, eux, aux explications
des chapitres 111 et 112, se trouvent illustrer la traduction de Tintée 38D-39A,

1. « D ie Astronomie des Heraklides von P ontos», Berichte der matematisch-naturwissen-


schaftlichen Klasse der sachsichen Akademie der Wissenschaften zu Leipzig 116, 1944, p. 47-56 ;
Die Astronomie der Pythagoreer, Amsterdam, North Holland, 1951, p. 62-73.
2. « Calcidius’ Illustration o f the Astronomy of Heracleides o f Pontos », Mnemosyne 25,
19 7 2 ,p . 148-156.
3. « Heraclides and Heliocentrism : texts, diagrams, and interprétations », Journal for the
History of Astronomy 23-4,1992, p. 233-260.
4. Cf. Br.St. Eastwood, « Latin Planetary Studies...», p. 225.
5. « Heraclides and Heliocentrism... », p. 252.
86 BÉATRICE BAKHOUCHE

soit dans des manuscrits qui ne contiennent que la version latine comme Ami
ou A2, soit dans des copies de l’œuvre complète comme L3 T On y voit en
effet deux épicycles (voire trois quand celui de Mercure est représenté), non
pas concentriques mais avec des centres alignés avec la Terre. Dès lors, les
deux cercles sécants (dont l’orbite solaire) que l’on voit dans certains manuscrits
et dans le dessin reproduit dans l ’édition Waszink 12 pour le chap. 112, loin
d’être une dégénérescence de l’épicycle solaire comme le pense Br .St. Eastwood3,
représentent les cercles du Soleil et de Mercure nettement séparés de celui de
Vénus.
Restent deux séries de dessins, l’un concernant le chapitre 73 et deux sur
l’inégalité des saisons et l’excentrique solaire (chap. 78-80).
Les chapitres 72-73 sur l’ordre des planètes nous ramènent à U l. La figure
la plus fréquente dans les manuscrits est celle qui est reproduite dans l’édition
Waszink : huit cercles concentriques entourent le globe terrestre, et les pla­
nètes y sont distribuées selon trois critères de classement : l’ordre, la grandeur
et la vitesse (ces indications sont omises dans V atl), et l’ensemble est peu
intelligible. La difficulté tient en effet à l ’opacité du tableau : ainsi la liste
Aplanes Maxima jusqu’à Lunae secunda est-elle à relier à MAGNITVDO ou à
VELOCITAS ? D ’après le contenu des chapitres précédents, ce serait à VELO­
CITAS : en effet, la sphère des fixes dont le mouvement dure un jour est la
plus rapide, la Lune qui accomplit sa révolution en un mois est la seconde et
Saturne, qui tourne en 30 ans, la dernière. D’autre part, comme les vitesses du
Soleil, Vénus et Mercure sont dites égales puisque leur durée de révolution est
évaluée à un an, on déduit du dessin reproduit dans l’édition Waszink que la
référence (ici VELOCITAS) se trouve indiquée à gauche de la colonne concer­
née. Ce classement selon les vitesses devrait se retrouver en principe dans
l’ordre (ORDO) ; en principe seulement, car Tordre des planètes ne tient pas
compte de l’isodromie des deux planètes inférieures - Mercure et Vénus -
avec le Soleil. Enfin, la série liée à la MAGNITVDO ne correspond à rien dans
le texte même de Calcidius ; il s’agit sans doute des dimensions apparentes des
astres. Les témoignages de Ps.-Eratosthène (Catast. 43) et d’Hygin (.Astr. IV,
15-19) ne permettent qu’un classement approximatif : après le Soleil et la
Lune, Vénus est la plus grande, Jupiter et Saturne sont « de grosseur impor­
tante » (c/. Hygin : corpore est magno s’applique à Tune et à l’autre planète),
Mars, lui, n ’est pas gros (non magno est corpore) et Mercure non plus (in
aspectu non magnus) - ce qui correspond à la troisième colonne dans le dessin
de l’édition Waszink. Proclus, In Remp. II, 218, 18 sq., propose la suite Soleil-

1. Cf. Br. St. Eastwood, « Plato and Circumsolar Planetary Motion in the Middle Ages »,
Archives d'histoire doctrinale et littéraire du Moyen âge 60, 1993, p. 7-26 = The Revival of Plane­
tary Astronomy in Carolingian and Post-Carolingian Europe, Aldershot, Ashgate, 2002, VIII.
2. Cf. Annexe III.
3. « Heraclides and Heliocentrism... », p. 253.
INTRODUCTION GÉNÉRALE 87

Lune-Vénus-Mars-Jupiter-Saturne-Mercure. On le voit, cette distribution est


plus aléatoire 1.
Dans U1 en revanche, le dessinateur a réduit l’information en supprimant
la grandeur et la vitesse, et a rendu la figure plus claire en donnant en réalité
les deux ordres planétaires canoniques qui sont explicités dans le texte même
de Calcidius : l’ordre dit cicéronien ou chaldéen (Lune - Vénus - Mercure -
Soleil - M ars- Jupiter - Saturne - sphère des fixes) dont il a été question au
chapitre 72, et l’ordre platonicien ou égyptien (Lune - Soleil - Mercure -
Vénus - M ars...) évoqué au chapitre 73. Il n ’est pas nécessaire de voir, à la
suite de Br.St. Eastwood 12, une influence de Martianus Capella, puisqu’au
chapitre 109 et suivants, Calcidius lui-même a l ’occasion d ’associer étroi­
tement les planètes inférieures au Soleil.
Pour les deux derniers diagrammes des chapitres 78 et 80 sur la durée des
saisons et l’orbite solaire, diagrammes qui en fait pourraient être regroupés en
un dessin unique comme en L3, les quatre essais du copiste de U1 3 ont permis
à Br.St. Eastwood de reconstituer les différentes étapes de l’altération. Sur la
couronne zodiacale compartimentée en douze sections correspondant aux
différents signes, deux diamètres perpendiculaires divisent le cercle en quatre
quarts égaux et, sur ce quadrillage, le cercle du Soleil, excentrique par rapport
à la Terre qui est au centre, détermine quatre arcs inégaux, soit les quatre sai­
sons dont les différentes durées sont notées sur la figure. C ’est également ce
que l ’on trouve dans L3 où le cercle zodiacal est divisé par douze rayons et
non par deux diamètres. En revanche, les manuscrits consultés, comme l ’édi­
tion Waszink au chapitre 79, proposent, sur un quadrillage formé de diamètres
perpendiculaires, un cercle solaire concentrique à la Terre et des valeurs numé­
riques différentes sont marquées dans chacun des quatre quarts, ce qui rend la
figure incompréhensible.
Quand le dessin est exact comme dans L3, il se suffit à lui-même. Dans la
plupart des manuscrits cependant, comme dans l’édition Waszink, mais aussi
et surtout comme dans le texte de Théon, source avérée de Calcidius pour ce
développement, un second schéma illustre les explications du chapitre 80 : le
cercle zodiacal est coupé par deux diamètres obliques, AT et ΒΔ, et par un dia­
mètre vertical (qui n’est d ’aucune utilité). Le tracé d ’un troisième diamètre
constituerait pour Br.St. Eastwood 4 la première étape de l’altération de la
figure. Que, sur un tel cercle, l’orbite solaire soit excentrique ou non ne résout
pas pour autant le problème, car les trois diamètres déterminent six portions et

1. Cf. là-dessus W. et H. Gundel, art. « Planeten », Realencyclopadie der classischen Alter -


tumwissenschaft XX 2, 1950, col. 2017-2185 [2102-2104] ; A.E. Taylor, A Commentary..., p. 161
n. 2.
2. « Calcidius’s Commentary on Plato’s ‘Timaeus’ in Latin Astronomy of the Ninth to Ele-
venth Centuries », dans L. Nauta et A. Vanderjagt (éd.), Between Démonstration and Imagination.
Essays in the History of Science and Philosophy, Leiden, Brill, 1999, p. 171-209 [p. 189].
3. Cf. la reproduction en Annexe IV.
4. « Calcidius’s Commentary on Plato’s ‘Timaeus’... », p. 190.
BÉATRICE BAKHOUCHE

non plus les quatre qui correspondent aux saisons. D’où les visibles difficultés
des copistes qui, d ’un côté, laissent des portions vides de nombres ou de signes
zodiacaux, et de l’autre offrent des saisons qui correspondent à deux signes,
c’est-à-dire grossièrement à deux mois.
Assurément, si un troisième diamètre déforme le dessin et rend la figure
incompréhensible, il convient également de se demander ce que peut représen­
ter le tracé de deux diamètres qui ne sont plus perpendiculaires mais obliques :
leur obliquité de part et d ’autre d ’un diamètre horizontal non tracé (qui repré­
senterait l’équateur céleste) pourrait être interprétée, pour l’un d’entre eux,
comme l’écliptique et les quatre points d ’intersection marquer les points solsti­
ciaux et équinoxiaux qui, traditionnellement, signalent le début des saisons. En
tout cas, un tel tracé brouille et entache d’erreur la figure originelle. En outre,
il y manque souvent le diamètre qui, dans l ’excentrique solaire, joint les deux
positions solaires à l’apogée et au périgée, comme dans la figure de L3 que
nous avons adoptée, ou dans le dessin qui, dans U1, est en haut, à droite du folio
reproduit en Annexe IV 1.
Récapitulons : confirmant les filiations textuelles établies par J.H. Waszink,
les figures de F3 et La2 sont remarquablement semblables. De même, le dessin
spécial des volutes de l’acanthe (chap. 117) se trouve dans trois manuscrits
appartenant au même groupe : Lu, PI et P5. En revanche, L3 paraît directe­
ment ou indirectement tributaire des heureuses innovations de U 1 ; ce sont les
dessins de ces manuscrits que nous reproduirons de préférence. Le schéma du
mouvement en latitude des planètes se retrouve dans U l, L3, mais aussi dans
deux manuscrits du XIIe siècle qui n’offrent que la version du Timée : Av et
Ami. À l’inverse, si l’on confronte les résultats des différentes études sur les
dessins et le stemma codicum de J.H. Waszink, on constate des groupements
qui ne sont pas pertinents pour les illustrations, ainsi de P3 et P9, de P3 et
Reg6, bien que des copies du groupe Y de l’édition Waszink appartiennent
bien au groupe II établi par B.L. van der Waerden 12.
L ’étude des diagrammes permet donc de conforter ou de contester les dif­
férents groupements, qu’il convient maintenant de confronter pour établir notre
propre stemma.

L es p r in c ip e s d e l a p r é s e n t e é d it io n

U établissement du texte
Les remarques précédentes permettent de voir que la critique textuelle est
insuffisante pour établir à elle seule les filiations : il faut également prendre en

1. Sur les dessins de ces chapitres, cf. B. Bakhouche, « Tradition graphique et tradition tex­
tuelle dans le Commentaire au Timée de Calcidius ».
2. Cf. Br.St. Eastwood, « Heraclides and Heliocentrism... », p. 249.
INTRODUCTION GÉNÉRALE 89

compte tous les éléments extérieurs (gloses, dessins...) dont nous avons donné
plus haut quelques exemples.
Pour établir le texte de la présente édition, nous avons choisi, dans la plé­
thore de manuscrits existants, les plus anciens et les textes complets (à deux
exceptions près néanmoins : Γex-manuscrit Cheltenham n ’offre que la pre­
mière partie de la traduction, mais il nous a paru intéressant de le faire figurer
dans la présente édition car il n’a pu être collationné par J.H. Waszink, et en
outre il contient quelques-unes des meilleures leçons 1 ; et le manuscrit vien­
nois lat. 443, bien qu’il comporte une lacune entre les fol. 162 et 163, est essen­
tiel pour l’établissement des dessins), si bien que, dans les versions jumelles de
Lu et PI, nous avons sélectionné ce dernier manuscrit, car la seconde partie du
texte (fol. 57-101) est mutilée dans la copie lyonnaise. Soit :

- pour la traduction seule :

A VATICANO Reg. lat. 1068 (Reg3), parchemin, troisième quart du IXe


siècle, fol. 2r-44r ; fol. 44v, schéma des tons musicaux avec légendes :
diatessaron, diapente... Quelques gloses et corrections marginales ou
interlinéaires des XIe-XIIe siècles. Origine française. Écriture régulière. A
appartenu à Alexandre Petau (c f. fol. 2 : Alexander Pauli filius Petavius
senator Parisiensis anno 1647) et à la reine Christine de Suède.
Incipit : Osio Chalcidius...
Bibliographie :
HUGLO M., « La réception de Calcidius et des Commentarii de Macrobe à
l’époque carolingienne », Scriptorium 44, 1990, p. 3-20 [p. 12 n. 35].
—, « Recherches sur la tradition des diagrammes de Calcidius », Scriptorium
68, 2008, p. 185-235 [p.226].
Manuscrits classiques latins de la Bibliothèque Vaticane II.7, Paris, CNRS,
1975, p. 142-143.
McKlTTERlCK R., « Knowledge of Plato’s ‘Timaeus’ in the Ninth Century :
the Implications of Valenciennes », Bibliothèque Municipale MS 293, dans
H J. Westra (éd.), From Athens to Chartres, Leiden, Brill, 1992, p. 85-95
[p· 90].
SOMFAI A., «The Eleventh-Century Shift in the Réception of Plato’s
‘Timaeus’ and Calcidius’ ‘Commentary’ », Journal o f the Warburg and
Courtauld Institutes 65, 2002, p. 1-21 [p. 15-16].
T a m ilia D., « De Chalcidii aetate », Studi Italiani di Filologia Classica 8,
1900,p .79.
Waszink J .H .,praef. p. cxxiv.

1. Cf. M.R. Dunn & C.A. Huffman, « The Cheltenham ms of Calcidius’ Translation of the
‘Timaeus’ », p. 86 n. 36.
90 BÉATRICE BAKHOUCHE

B AUSTIN TX, Univ. of Texas, Ms 29 (ex-Cheltenham, Phillipps 816)


(Chel), velin, première moitié du XIe siècle l, fol. 12v-24r. Ep, Tim l. Le
scribe peut être identifié à l ’Abbé Ellinger12 (ca 975-1056) du monastère
bénédictin de Saint Quirinus à Tegernsee, dans le sud de la Bavière, où le
manuscrit est resté pendant des siècles. En 1803, quand le monastère est sécu­
larisé, sa bibliothèque est transférée à Munich. Le codex apparaît ensuite
dans un catalogue publié par Auguste Chardin en 1811, puis sera acheté
pour le compte de l’excentrique bibliophile anglais, Sir Thomas Phillips,
qui le place dans sa bibliothèque à Cheltenham. Celle-ci sera transportée à
Londres en 1946 et deviendra la propriété de la firme William H. Robinson,
Ltd. Le codex réapparaît dans un groupe de quarante-deux manuscrits de la
collection Phillipps lors d ’une vente aux enchères organisée par Sotheby’s
en novembre 1967, et a été acquis par l’Université d ’Austin au Texas. Le
ms. compte 103 fol. numérotés de façon irrégulière :
- fol. lr-12r : excerptum de Bède de Y Histoire naturelle de Pline,
- fol. 12v-25r : Calcidius, Ep et T im l,
- Incipit : Osio suo Calcidius...
- fol. 25v : Hygin, extrait {Duo sunt uertices...),
- fol. 32, extraits de Pompeius Festus,
- fol. 100v, lettre de Jérôme.
Bibliographie :
Dunn M.R. et Huffman C.A., « The Cheltenham MS of Calcidius’ Transla­
tion of the ‘Timaeus’ », Manuscripta 24, 1980, p. 76-88.
HUGLO M., «L a réception de Calcidius et des Commentarii de Macrobe à
l’époque carolingienne », Scriptorium 44, 1990, p. 3-20 [p. 12 n. 35].
—, « Recherches sur la tradition des diagrammes de Calcidius », Scriptorium
68,2008, p. 185-235 [p. 211].
H uglo M. et PHILLIPS N.C. (éd.), The Theory o f Music IV. Manuscripts from
the Carolingian Era up to c. 1500 in Great Britain and in the United States
o f America, Part II : United States o f America, München, 1992, p. 137-
139.
KRISTELLER P.O., Iter Italicum V, London-Leiden, Warburg Institute-Brill,
1990,p . 204.
SCHENKL H., Bibliotheca patrum latinorum Britannica IV, Wien, 1892, p. 26-
27.
W ASZINK J .H .,praef p . CXII-CXIII.

C LONDON, British Libr. Addit. 15601 (A3), parchemin, probablement fin


du Xe-début du XIe siècle. Il faut distinguer deux éléments hétérogènes, les

1. Le manuscrit est daté du XIIe siècle par O. Kristeller, Iter Italicum V, p. 204, du Xe par
M. Gibson.
2. Cf. fol. 103v : Abbas indignus ego Ellinger peccator istam glosam scripsi dum essem in
Alta Hengi( ?) Monasterio.
INTRODUCTION GÉNÉRALE 91

fol. 1-74 et 75-108. Origine française. A appartenu à la bibliothèque du


monastère des Célestines d’Avignon :
- fol. lr-59r, Boèce, Consolation de la Philosophie avec comm.,
- fol. 59r-60r, Lupus Metr. Boeth.,
- fol. 60v-74v, Perse, Satires avec comm.,
- fol. 75r-88r, Calcidius, Ep, Timl, Tim2,
- Incipit : Ho sio suo Chalcidius...
- fol. 88r-101v, Prudence Opera avec Gennadius Vita Prud.,
- fol. 102r, Ante per exemplum. ..,
- fol. 102v-108r, Épitomé de VIliade.
Bibliographie :
Catalogue o f Additions to the Manuscripts in the British Museum 1841-1845,
London, 1964, p. 30-31.
HUGLO M., «Recherches sur la tradition des diagrammes de Calcidius»,
Scriptorium 68, 2008, p. 185-235 [p. 216].
KRISTELLER P., Iter italicum IV, London-Leiden, 1990, p. 416.
W aszink J .H .,praef. p. cvii.

Pour la traduction et le commentaire :

D VALENCIENNES, Bibl. Munie. 293 (283) (Val), parchemin, IXe siècle.


Figures à l’encre. Écrit par plusieurs mains. Le manuscrit apparaît dans
l’index major de l ’abbaye de Saint-Amand (CLXXVIII ; ancien K, 258 ;
Sanderus, K, 271), avec la mention Hucbaldus. Peut-être copié d’après un
modèle venu de Saint-Denis, ce manuscrit se trouvait à Reims au milieu du
IXe siècle, durant l’épiscopat d ’Hucbald (845-882) qui l’apporta à Saint-
Amand et le légua, à sa mort, à l’abbaye :
- fol. 2r-131v, Calcidius, Ep, Timl, Calcl, Tim2, Calc2,
- Incipit : Osio suo Calcidius...
- fol. 132r-145r, Servat Loup de tribus questionibus liber incipit-Quae
nobis utilia judicamus... (PL, Migne, 119, col. 621),
- fol. 145v-147v, Ad dominum regem. Domino glorioso regi Karolo sincere
fidelis Lupus. Dudum in urbe Biturigum. .., Epist. 128,
- fol. 148r, Collectaneum Servati Lupi de tribus questionibus-Multis
laudabiliter studiosis.... (PL, Migne, 119, coi. 647).
Bibliographie :
Catalogue général des manuscrits des bibl. publ. de France, Départements,
t. 25, Paris, 1894, p. 321.
HUGLO M., « La réception de Calcidius et des Commentarii de Macrobe à
l’époque carolingienne », Scriptorium 44,1990, p. 3-20 [p. 7-9].
—, « Recherches sur la tradition des diagrammes de Calcidius », Scriptorium
68,2008, p. 185-235 [p.225].
92 BÉATRICE BAKHOUCHE

M c K itterick R., « Knowledge of Plato’s ‘Timaeus’ in the Ninth Century :


the Implications of Valenciennes, Bibliothèque Municipale MS 293 », dans
H J. Westra (éd.), From Athens to Chartres, Leiden, Brill, 1992, p. 85-95.
Waszink J .H .,praef. p. cxxvi-cxxvn.

E PARIS, BnF lat. 2164 (Colbert 2285, Regius 4028/3-A) (PI), parchemin,
première moitié du Xe siècle L Rubriques en onciales. Figures astrono­
miques. Notes marginales contemporaines (d’autres datent des XVIe-XVIIe
siècles). Ecrit dans le nord de la France selon J .H. Waszink, il aurait été
copié, selon M. Huglo, à l’abbaye de Fleury, mais, pour L.D. Reynolds, il
viendrait du scriptorium de la cour de Charlemagne, tandis que pour
B. Bischoff, si le manuscrit a figuré dans la bibliothèque de Charlemagne,
il a été copié dans les années 800, au monastère de Corbie. A appartenu, au
XVIIe siècle, au Président Jacques-Auguste de Thou (son nom se trouve au
bas du folio 1) qui l’a reçu soit de Nicolas Le Fèvre, soit de Pierre Pithou 12.
Aux fol. 1 et 9, ancienne cote : « 115 » (Colbert 2285 ; Regius 40283A) :
- fol. 1, Faustus de Riez, Epist. III,
- fol. 2-22v, Claudien Mamert, De statu animae avec prol.,
- fol. 23r-71v, Calcidius, Ep, Tim l, Calcl, Tim2, Calc2.
- Incipit : Osio Chalcidius (presque illisible).
Bibliographie :
Bibliothèque Nationale, Catalogue général des manuscrits latins, t. 2,
Paris, 1940, p. 348.
BISCHOFF B Manuscripts and Libraries in the Age of Charlemagne, tr. angl.
M. Gorman, Cambridge, Cambridge University Press, 1994, 19952, p. 29,
64 et 139.
HUGLO M., « Trois livres manuscrits présentés par Helisachar », Revue béné­
dictine 99, 1989, p. 272-285 [p. 278].
—, « La réception de Calcidius et des Commentarii de Macrobe à l’époque
carolingienne », Scriptorium 44, 1990, p. 3-20 [p. 11-13].
—, « Recherches sur la tradition des diagrammes de Calcidius », Scriptorium
68,2008,p . 185-235 [p. 219]
M c K itterick R., « Knowledge of Plato’s ‘Timaeus’ in the Ninth Century :
the Implications of Valenciennes, Bibliothèque Municipale MS 293 », dans
H.J. Westra (éd.), From Athens to Chartres, Leiden, Brill, 1992, p. 85-95
[p. 89].

1. La datation du manuscrit est fluctuante : d’abord daté du XIe siècle, il a été ramené au Xe
voire au IXe siècle par les codicologues, avant d ’être reporté par M. Huglo (c/. ses études citées
dans la bibliographie du manuscrit) à la fin du Xe ou au début du XIe siècle. Nous optons pour une
datation médiane qui est celle de J.H. Waszink et d’A. Somfai (« The Eleventh-Century Shift in
the Réception of Plato’s ‘Timaeus’ and Calcidius’ ‘Commentary’ », n. 40).
2. Sur la bibliothèque des Pithou, cf. Fr. Bibolet, « Bibliotheca Pithoena », dans D. Nebbiai-
dalla Guarda et J.-Fr. Genest (éd.), Du copiste au collectionneur. Mélanges d'histoire des textes et
des bibliothèques en l'honneur d'André Vernet, Turnhout, Brepols, 1998, p. 497-521.
INTRODUCTION GÉNÉRALE 93

REYNOLDS L.D., Texts and Transmission, Oxford, Clarendon Press, 1983,


rééd. 1998, Introduction, p. XXV.
WASZINK J .H .,praef. p. CXX.

F VATICANO, Reg. lat. 1308 (Reg6), parchemin, première moitié du Xe


siècle l. Initiales à entrelacs et palmettes en couleur ; nombreux croquis en
couleur illustrant le texte ; fol. 1, croquis d ’une mappemonde, et, sous le
titre du manuscrit, trois lignes effacées donnent une liste d’œuvres qui se
trouvaient autrefois dans le codex (dont le Songe de Scipion de Cicéron et
son commentaire par Macrobe). Numérotation des cahiers en anciens chiffres
arabes avec leur nom en arabe déformé. Origine italienne. Petite écriture
assez régulière. A appartenu à Nicolas Heinsius (1620-1681) qui l’a reçu
de son père Daniel (cf. note du fol. 1 : Nicolai Heinsij ex dono D. Heinsij
p a tris, et le fol. 62v porte la date de 1598), puis à la reine Christine de
Suède :
- fol. lv-61r, Calcidius, Ep, T im l, C alcl, Tim2, Calc2 (fol. 21-22
reproduits sur le site www.ibiblio.org)
- Incipit : Osio Calcidius...
- fol. 62, De proprietate tonorum,
- fol. 62v (add. XIIe siècle), suite d’alphabets et notes tironiennes ; deux
notae : (XIIe s.) Philosophia est amor concipiendi ueritatem rerum se­
cundum quod sunt... (3 lignes), et (XIIIe s.) Philosophia est comprehen­
sio ueritatis eorum que sunt suique... (3 lignes).
Bibliographie :
Manuscrits classiques latins de la Bibliothèque Vaticane, Paris, CNRS, 1975,
II.1, p. 163-165.
SOMFAI A., «The Eleventh-Century Shift in the Réception of Plato’s
‘Timaeus’ and Calcidius’s ‘Commentary’ », Journal o f the Warburg and
Courtauld Institutes 65, 2002, p. 1-21 [p. 16].
TAMILIA D., « De Chalcidii aetate », p. 79.
WASZINK J.H.,praef. p. CXXIV.

G BRUSSEL, Bibl. Roy. 9625-9626 (ol. 278C) (Brl), parchemin, Xe siècle,


fol. lr-90r, Ep, Timl, Calcl, Tim2, Calc2. Quelques notes marginales con­
temporaines de la copie. Aucune indication sur l’origine et les possesseurs
du manuscrit : pour J.H. Waszink, ce manuscrit viendrait du nord de la
France.
- Incipit : Osio suo Chalcidius...
Bibliographie :
BRUYNE Dom E. DE et WlLMART A., « Membra disjecta », Revue bénédictine
36, 1924,p . 121-136.

1. J.H. Waszink datait ce manuscrit du début du XIe siècle.


94 BÉATRICE BAKHOUCHE

HuGLO M., « La réception de Calcidius et des Commentarii de Macrobe à


l’époque carolingienne », Scriptorium 44, 1990, p. 3-20 [p. 11].
— , « Recherches sur la tradition des diagrammes de Calcidius », Scriptorium
68, 2008, p. 185-235 [p. 2131.
S O M F A I A., «The Eleventh-Century Shift in the Réception of Plato’s
‘Timaeus’ and Calcidius’s ‘Commentary’ », Journal o f the Warburg and
Courtauld Institutes 65, 2002, p. 1-21.
—, « The Brussels Gloss : a Tenth-Century Reading of the Geometrical and
Arithmetical Passages of Calcidius’ ‘Commentary’ (ca. 400 AD) to Plato’s
‘Timaeus’ », dans D. Jacquart et Ch. Burnet (éd.), Scientia in margine
Études sur les marginalia dans les manuscrits scientifiques du Moyen Age
à la Renaissance, Genève, Droz, 2005, p. 139-169.
WASZINK J .H., praef. p. CX.

H WIEN, Ôsterreichische Nationalbibliothek lat. 443 (U l), parchemin. D’ori­


gine allemande, ce manuscrit résulte de la fusion de trois manuscrits d’époques
différentes (XIe, XIIe et XVe siècles). Fol. lr : Codex s. marie magdalenae
in frankendal (monastère près de Worms). A appartenu à L. Muller en
1572, puis à Zimbern-Wittgenstein (mort en 1594) qui donna, dès 1576,
une grande partie de ses manuscrits à l’archiduc Ferdinand d’Autriche pour
la bibliothèque du château d ’Ambras (cf. la cote sur le fol. lr : Ms Ambras
315) dont les manuscrits furent réunis à la bibliothèque impériale à la mort
de l’archiduc Sigismund Franz (en 1665) :
- fol. lv-18v (XIe s.), Bède le Vénérable, Historia ecclesiastica gentis An-
g lorum,
- fol. 89r-130r (XIIe s.), Paul Diacre, Historia Langobardorum,
- fol. 131r-153r (XVe s.), Regulae cancellariae Romanae paparum (Jean
XXII, Benoît XII, Clément VI, Innocent VI, Urbain V, Grégoire XI,
Urbain VI et Boniface IX),
- fol. 154r-240v (XIe s),E p , Calcl (lacune jusqu’au chap. 14), Tim 2,
Calcl. 37 figures de géométrie et d’astronomie ; entre les fol. 162 et 163,
un folio a disparu.
- Incipit : Osio Chalcidius...
Bibliographie :
Catalogus codicum philologicorum Latinorum Bibliothecae
E n d l ï CHER S t .,
Palatinae Vindobonensis, Wien, 1836, p. 303-304.
Tabulae cod. manuscipt. in Bibli. Palatina Vindobonensi asservatorum, vol. 1,
Wien, 1864, p. 72.
Tabulae codicum manuscriptorum praeter Graecos et Orientales in biblio­
theca palatina Vindobonensi asservatorum, vol. I-II, Graz, 1965.
WASZINK J.H.,praef. p. CXXV.
WROBEL J., praef. p. XVIII-XIX.
INTRODUCTION GÉNÉRALE 95

pour le commentaire seul :

I VATICANO, Barberinianus lat. 21 (VIII.21) (B l). Parchemin. Le codex


contient deux manuscrits réunis : le premier, de la fin du XIIe siècle, con­
tient, aux fol. lr-33r, l’Épître à Osius et la traduction (.Ep, T im l, Tim2)
avec des gloses interlinéaires et marginales ajoutées au XIIIe siècle, et, au
XIVe siècle, un autre scribe a ajouté des numéros de chapitres ; le second,
qui nous intéresse ici, est du XIe siècle et offre, aux fol. 34-1 lOv (folio-
tation ancienne 1-77 au verso des feuillets), le commentaire (C alcl, Calc2)
avec des gloses marginales des XIe, XIIIe et XIVe siècles ; fol. llOv, add.
<De philosophico : Phylosophya est amor concipiendi ueritatem rerum
secundum que sunt... (3 lignes). D’après un sommaire du contenu de cette
seconde partie (c/. fol. 1) : Time us Platonis et Boetius de disciplina scolas-
tica, le manuscrit aurait perdu cette œuvre attribuée à Boèce. Origine fran­
çaise, peut-être italienne pour le commentaire. Ce codex appartenait aux
frères Mineurs de Sienne (c/. fol. 34 : Iste liber est conuentus fratrum mino­
rum de Senis), et certaines annotations marginales seraient de la main de
Pier Leoni de Spolète, médecin de Laurent le Magnifique.
Bibliographie :
Bibliothèque du Vatican, Fonds Barberinianus lat cat. IV, p. 1-35.
DUTTON P.E., « Material Remains of the Study of the ‘Timaeus’ in the Later
Middle Ages », dans Cl. Lafleur (éd.), L ’enseignement de la philosophie au
XIIIe siècle. Autour du « Guide de Tétudiant » du ms. Ripoll 109, Turnhout,
Brepols, 1997, p. 203-230 [p. 207-208].
H a n k i n s J., « Pierleone da Spoleto on Plato’s Psychogony (Glosses on the
‘Timaeus’ in Barb.lat. 21) », dans J.Hamesse (éd.), Roma, magistra mun­
di : Itineraria culturae medievalis. Mélanges offerts au Père L.E. Boyle,
t. 1, Louvain-la-Neuve, FIDEM, 1998, p. 337-348.
Manuscrits classiques latins de la Bibliothèque Vaticane, Paris, CNRS, 1975,
I,p. 72-73.
Ru YSSCHAERT J., « Nouvelles recherches au sujet de la bibliothèque de Pier
Leoni, médecin de Laurent le Magnifique », Académie royale de Belgique,
Bulletin de la classe des lettres et des sciences morales et politiques, 5e
série, t. 46, Brussel, p. 50 n°3.
W ASZINK J .H., praef. p . CIX.

Le choix délibéré de manuscrits anciens limite la possibilité de rencontrer


une même glose dans plusieurs manuscrits ; néanmoins F (Reg6) et I (Bl)
présentent, en nota, la même définition de la philosophie. Si, aux chapitres 15-
16, un même schéma est ajouté dans ces deux manuscrits, il se retrouve égale-
96 BÉATRICE BAKHOUCHE

ment dans d ’autres copies, y compris des copies de la traduction. Plus signifi­
cative en revanche est la glose au dessin du chapitre 32 que l’on retrouve dans
H et I.
D ’ailleurs, pour les dessins, les manuscrits retenus appartiennent en majo­
rité à la classe I selon la classification de B.L. van der Waerden \ quelques-
uns à la classe II et un seul à la classe corrigée. Précisément, H (Ul) est le seul
manuscrit qui, on l’a vu, offre, pour les diagrammes difficiles, des dessins cor­
rigés et plus exacts.
L ’étude des incipit peut-elle aider au groupement des copies ? Faut-il lire
les variantes de Y incipit en termes chronologiques, comme le pense P.E. Dutton12,
la première forme étant la plus ancienne et la présence du possessif signalant la
marque d ’un ajout postérieur ? En réalité, les deux manuscrits du IXe siècle,
D (Val) et A (Reg3), offrent les deux formes d 'incipit, soit respectivement
Osio suo Calcidius et Osio Chalcidius et, comme D est vraisemblablement
antérieur à A, il faudrait adopter la première de ces deux formules.
Concernant la tradition textuelle, A (Reg3) est, on le sait, la seule copie de
la version qui offre, sans nul doute, la bonne leçon, metus, en 40c9. Mais dans
F (Reg6), de la même façon, en 24E2, quondam est la bonne traduction du
grec ποτέ alors que partout ailleurs, nous trouvons quandam. De même, D2
(Val2) présente, au chapitre 54 du commentaire, la meilleure leçon - gemina -
au lieu de genuina que l’on trouve partout ailleurs. Plus loin, au chapitre 343,
le groupe inuisibilem insensibilem soli mentis ne se rencontre que dans D (Val)
et G (Brl) ; partout ailleurs, nous lisons : inuisibile mentis... Si R. McKitterick3
considère que G (Brl) présente les mêmes variantes que D (Val) dans son état
non corrigé, cela n’est vrai, dans les passages que nous avons collationnés, que
pour le chapitre 339, où conceptum se lit dans les deux copies. Pour le reste du
texte, c’est surtout avec D2 (Val2) que G (Brl) présente de très nombreuses
variantes communes, comme le montrent les quelques exemples qui suivent,
empruntés au début de la seconde partie du commentaire : chap. 119 : con­
templationem generationis ; chap. 129, iuxta quam ; chap. 130, ambientes ;
chap. 132, deumones ; chap. 150, collati ; chap. 152, posita ; eorum quae ;
chap. 154, amicas sibi paratura necem ; chap. 156, non sunt est répété dans les
deux copies ; chap. 159, quam libet, là où les autres textes offrent quam ;
chap. 160, illas et illa, educatio ; le préfixe de iniustitiae a été omis dans G et
barré dans D2 ; chap. 163 natura talis, nihil est ; chap. 166, (blanditiis) et a été
ornis dans les autres copies ; chap. 173, hac enim ; chap. 194, autem ; chap. 195,
le groupe usque immanium ferarum congruas induant formas est commun
uniquement à ces deux copies ; chap. 196, on a encore, dans les deux, formam,
etc.

1. Cf. supra p. 85 η. 1.
2. « Médiéval Approaches to Calcidius », p. 185-186.
3. « Knowledge o f Plato’s ‘Timaeus’ in the Ninth Century... », p. 92.
INTRODUCTION GÉNÉRALE 97

Par ailleurs, pour la fameuse leçon metus de 40c, la seconde lettre du mot
m-tus dans E (PI) est illisible et une seconde main a rajouté un O au-dessus,
comme dans A (Reg3). Même leçon également en 39A où nous lisons, dans les
deux manuscrits, circumferentur, avec la même correction : l’adjonction d ’un
second R au-dessus de -feren-. En outre les deux copies sont les seules à pré­
senter les variantes suivantes pour la traduction du Timée : en 27a considera et
omission de o ; en 31b quoque ; en 36b curuabitque ; en 37d sensilem ; en 39a
circumirent ; en 40a, terrenarum ; en 46c deiciet ; en 50d discordauit ; en 5lA
aliqui ; en 52d modo (ignitam) est omis ; en 53b est et non deest.
On a vu plus haut que E (PI) et D (Val) présentent les mêmes omissions
(dont l’une est corrigée dans D2-Val2), ce qui permet de grouper ces copies,
car en outre E (PI) présente nombre de leçons communes avec D (Val) dans
les passages étudiés plus haut (chap. 55, consilium animae consiliumque ;
chap. 266, sequatur ; chap. 344, censita ; chap. 346, superdicit) ; l’apparat cri­
tique du début de la seconde partie du commentaire met également en valeur
les mêmes variantes pour ces deux seuls manuscrits aux chapitres suivants :
chap. 147, diligere ; chap. 150, et et non sed ; chap. 160, ne et non nec et nauem ;
chap. 166, par atque est répété ; chap. 168, quoque item ; chap. 172, inter, et
(diuersas) se se lit uniquement dans ces deux copies ; chap. 189, ipse ;
chap. 195, (his) sunt est omis ; chap. 197, mandare ; chap. 201, affectu... Pour
nombre de ces variantes, la seconde main de B les a corrigées en conformité
avec les leçons de G, comme on l’a vu.
De son côté, F (Reg6) présente un texte assez négligé qui n’a apparemment
pas reçu les corrections d’un réviseur : assez nombreuses adjonctions ou omis­
sions de petits mots, variations dans l’ordre des mots et sauts du même au
même qui ne sont pas corrigés. Le groupement de ce manuscrit avec I (Bl) par
le doublement d’un dessin et par une même note ajoutée après le commentaire
sur la définition de la philosophie 1 est confirmé par au moins une leçon
commune aux deux codices ainsi qu’à H (Ul) : c’est au chapitre 341 la leçon
diuersae erunt, pour les passages étudiés plus haut. Cette proximité est encore
étayée par les variantes propres à F et I au début de la seconde partie du com­
mentaire : chap. 199, eas rata ; chap. 218, sine (compositione) est omis ;
chap. 228, cogitationem, mais les proximités avec D sont encore plus nom­
breuses (cf. a.c.). On ne saurait néanmoins établir des filiations directes entre
le plus ancien F (Reg6) et les plus récents, à cause, comme on l’a dit, de plu­
sieurs sauts du même au même non corrigés et d ’une lacune propre à F (Reg6)
(chap. 338 : [necessaria] carere silua...).
Enfin, l’étude de B (Chel) par M.R. Dunn et C.A. Huffman 12 permet de ratta­
cher cette copie au groupe Y selon le stemma de J.H. Waszink, groupe auquel
appartient également le manuscrit H (Ul), mais il se trouve que la seule partie

1. Cf. supra description des manuscrits.


2. « The Cheltenham Ms of Calcidius’ Translation of the Timaeus », Manuscripta 24, 1980,
p. 76-88.
98 BÉATRICE BAKHOUCHE

de la traduction offerte par B - la première - est omise dans H ; en revanche,


l’étude des variantes permet plus d ’une fois d ’associer B à F : on lit en effet,
dans l’une et l’autre copie, en 17a , absentiam ; en 18C, propter et non prae­
ter \ en 21 e , urbs et non urbis ; en 22d , hi est omis ; en 23b , distent ; en 23d ,
facere est omis ; en 25d , concreta ; en 26c, socrates ; en 33b , similitudinem ;
en 36c, uero et non porro ; en 37c, animaduerterit ; en 37d , de et non unde ;
en 39c, inen(n)arrabili.
D’où le stemma suivant :

Ω
(maj. rust.)

Ω
I
(onc.)

ω
I
(min.)

ÉDITIONS ET TRADUCTION DU COMMENTAIRE AV TIMÉE

Texte latin
Les éditions offrent toutes l ’ensemble de l’œuvre, dans l ’ordre Ep, Timl,
Tim2, C alcly Calc2. Elles sont relativement peu nombreuses, si on les com­
pare, par exemple, à celles de Macrobe L
J.H .W aszink2 a appliqué aux éditions les mêmes principes de critique
textuelle qu’aux manuscrits, ce qui lui permet de continuer les filiations, mais
il convient de relativiser ses conclusions - sur lesquelles nous reviendrons plus
loin - par deux remarques : tout d ’abord, il faut rappeler que les premiers

1.7 de 1520 à 1962, contre 31 de 1472 à 1963 pour le Commentaire au Songe de Scipion de
Macrobe (c/. éd. M. Armisen-Marchetti, p. LXXXVIII-XC).
2. Praef. p. CLXVIII-CLXXVIII.
INTRODUCTION GÉNÉRALE 99

éditeurs se servent rarement de plus de deux manuscrits (comme le précise


A. Giustiniani) ; ensuite, le(s) manuscrit(s) de référence est (sont) le plus sou­
vent détruit(s) après utilisation par l’éditeur, entraînant la disparition d ’une
partie, si petite soit-elle, de la tradition manuscrite. Il faut donc rester prudent à
propos de groupements de ce genre.
1520 Genova : A. Giustinani1 (editio princeps) édite le texte de Calcidius
sous le titre : Chalcidii Viri Clarissimi Luculenta Timaei Platonis traductio, et
eiusdem artutissima explanatio : Auspicio longe Reuerendi domini Ioannis
Lotharingi, Cardinalis : per Nebiensium Episcopum in lucem editae. Vaenun-
dantur in officinis Iodoci Badii Ascensii : Cum gratia et priuilegio in trien­
nium proximum 1520. Le commentaire, qui suit la version, est illustré par 26
dessins géométriques et astronomiques. L ’éditeur, à la fin du commentaire,
précise qu’il a utilisé deux copies : Finis diuinorum plane commentariorum
doctissimi et disertissimi Chalcidii in Timaeum Platonis: ad gemina exempla­
ria, utraque quidem ueterrima, sed nonnihil discrepantia, collatorum. Proinde
quoties ambiguum uisum est iudicium, alterius lectionem in contextu, alterius
in margine, ut libera sit cuique electio, reposuimus. J.H. Waszink a essayé
d’identifier les manuscrits à l’origine de l’édition en collationnant le texte édité
d’abord avec un groupe de manuscrits italiens tardifs, puis, pour le second codex,
avec un texte conservé à Londres (Britsh Libr. Addit. 19968) ; mais la colla­
tion n ’a pas donné de résultats probants. Toujours selon l’éditeur hollandais, le
texte de la version serait le résultat de la confrontation de plusieurs manuscrits,
rencontrés au gré des voyages du bibliophile qu’était Giustinani, ce qui paraît
peu probable, à lire la lettre de dédicace que ce dernier adresse au cardinal de
Lorraine et dans laquelle il souligne la difficulté à trouver le texte calcidien :
... Chalcidius abhinc mille centum et triginta annis, ad Osium Cordubensem
Episcopum, qui concilio praefuit Sardicensi : unde non me magna capit admi­
ratio, quod nec genus, nec patriam hominis reperire potuerim, praesertim cum
liber eius rarissimus esset inuentu.
Il se peut au demeurant, comme le pense J. Hankins 12, que Giustiniani ait
pu consulter un texte conservé par les humanistes italiens de l’époque, voire la
copie que possédait, dans sa bibliothèque, Nicolaus Modriussensis associé au
cercle de Bessarion à Rome. Dans le Catalogus codicum italicorum Biblio­
thecae Medie eae Laurentianae 3, enfin, le manuscrit III 253.1 est dit avoir ser­
vi en partie de base à l’édition de Giustiniani qui se serait également servi d ’un
autre manuscrit pour les figures et différentes variantes.

1. Cf. J. Wrobel, praef. p. III-IV ; J.H. Waszink, praef. p. CLXVIII-CLXXI ; M. Huglo, « Recher­
ches sur la tradition des diagrammes de Calcidius », p. 229.
2. « The Study of the ‘Timaeus’ in Early Renaissance Italy », p. 78-79 et n. 7.
3. Bibl. Laur. Plut. 84-24, p. 253-256.
100 BÉATRICE BAKHOUCHE

1563 Paris : Morel 1 édite : Timaeus Platonis, siue de uniuersitate, inter­


pretibus M. Tullio Cicerone et Chalcidio, una cum eius docta explanatione.
Parisiis, M.D.LXIIL Apud Guil. Morelum typographum Regium. Le titre
explicite le contenu de l’ouvrage : le texte grec du Timée (Ρλάτωνος Τίμαιος,
περί φύσεως) est suivi de la traduction cicéronienne, puis de la version de
Calcidius et de son commentaire. Le texte établi est sensiblement celui de
l’édition princeps.
M. Huglo, étudiant les diagrammes harmoniques dans les manuscrits, con­
state qu’entre les fol. 32 et 33 du ms. Paris BnF latin 2164, se trouve un feuil­
let sur lequel une main du XVIe siècle a commencé à copier la Descriptio ter­
tia. Or cette figure manque dans l’édition de Morel. D ’où l’hypothèse sui­
vante : « Ce copiste anonyme - sans doute un savant chanoine de Senlis 12, -
n’aurait-il pas accepté de participer à la préparation de l’édition du Timée de
1563... ? Il est en effet très curieux que cette édition ne comporte plus le
fameux diagramme de la Descriptio tertia... harmonica, qui avait pourtant été
imprimé tant bien que mal - et plutôt mal que bien ! - dans l’édition précé­
dente de 1520... 3 ». On peut aussi bien imaginer qu’un lecteur de l ’édition
1563 se sera reporté à un manuscrit parce qu’il aura voulu réparer l ’absence de
la troisième figure.
D ’où deux hypothèses : l’éditeur s’est inspiré du manuscrit parisien soit
pour le texte et les figures, soit plus vraisemblablement pour les seules figures.
1617 Leiden : J. Meursius, en éditant : Chalcidii V. C. Timaeus De Platonis
Translatus. Item Ejusdem in eundem Commentarius. Ioannes Meursius Recen­
suit, denuo edidit, et Notas addidit. Lugduni Batavorum, ex officina lusti Col-
steri, revient à la publication des seuls traduction et commentaire de Calcidius,
mais dans un texte bien plus mauvais que l ’édition princeps 4, accompagné
cependant de notes exégétiques que J.A. Fabricius, sévère censeur de cette édi­
tion, n’hésitera cependant pas à reproduire dans sa propre édition.
H. Grotius se servira du travail de J. Meursius (dont il corrigera ici ou là le
texte) pour éditer les chapitres 141-201 du commentaire de Calcidius sur le
destin, aux pages 89-137 de son recueil Philosophorum sententiae de fato
(Amsterdam, 1648)5.

1. Cf. J.H. Waszink,/?rae/. p. CLXXI-CLXXII ; M. Huglo, « Recherches sur la tradition des dia­
grammes de Calcidius », p. 229-230.
2. Ce qui suppose que le manuscrit BnF 2164, après avoir quitté Fleury, Corbie ou la biblio­
thèque de Charlemagne, aurait transité par Senlis avant de passer dans la bibliothèque de
J.-A. de Thou, cf. supra p. 92.
3. « La réception de Calcidius... », p. 12.
4. Cf. J. Wrobel,praef. p. V ; J.H. Waszink,/?rae/. p. CLXXII-CLXXIII ; J. Hankins, « The Study
of the ‘Timaeus’ in Early Renaissance Italy », p. 113 n. 7.
5. Cf. J.H. Waszink, p ra ef. p. CLXXIII ; M. Huglo, «Recherches sur la tradition des dia­
grammes de Calcidius », p. 230.
INTRODUCTION GÉNÉRALE 101

1718 Hamburg : J.A. Fabricius 1 a publié, à la fin du second volume des


œuvres de saint Hippolyte (.Bibliotheca Ecclesiastica II, p. 225-407), la traduc­
tion et le commentaire de Calcidius suivis du texte grec et de la version cicéro-
nienne, sous le titre : Chalcidii Christiani scriptoris, qui sub quarti saeculi ini­
tia vixit, Timaeus, de Platonis translatus, et in eundem commentarius, adjunc­
tis Platonis Graecis, et Latina Ciceronis interpretatione. Emendatus ex veteri­
bus libris et animadversionibus illustratus a Io. Alberto Fabricio. Notae Io.
Meursii integrae ad uoluminis calcem subjectae. Pour le texte du commen­
taire, Fabricius n ’a utilisé lui-même aucun codex, mais a adopté une voie
médiane entre l ’édition princeps et deux exemplaires annotés de l ’édition
Meursius qu’il possédait personnellement ; pour le texte de la version en
revanche, il dit avoir utilisé un manuscrit de la bibliothèque Bodléienne
d’Oxford 12, mais il s’est contenté de rapporter une partie des leçons diver­
gentes en bas de page, sans modifier le texte même. Le plus souvent, Fabricius
corrige le texte à l’aide des émendations de Rigault et du savant hollandais
Dobbeler3.
1867 (rééd. 1881) Paris : G. A. Mullach 4 édite l’œuvre de Calcidius dans
le second volume d ’une grande collection intitulée : Fragmenta Philosopho­
rum Graecorum. Malgré l’annonce qu’il fait, dans la préface, d ’avoir comparé
les éditions antérieures et les manuscrits florentins, malgré l’insistance avec
laquelle il évoque ce travail de collation pour améliorer le texte, dans l’intro­
duction à l’édition elle-même : Nos paucis diebus codices Medie eos Florentiae
nuper percurrimus, ut si quid utile continerent, quod ad emendandum hunc
scriptorem adhiberi posset, id festinanter in itinere excerperemus. Itaque
quaedam codicum ope, alia nostro Marte correximus, l’éditeur paraît avoir peu
ajouté à l’édition Fabricius, en tout cas rien qui provienne d’un manuscrit flo­
rentin (parmi ceux, tout au moins, qui sont parvenus jusqu’à nous).
1876 Leipzig (= 1963 Frankfurt) : J. Wrobel5, sous le titre : Platonis Timaeus
interprete Chalcidio cum eiusdem commentario ad fidem librorum manu
scriptorum recensuit lectionum uarietatem adiecit indices auctorum rerum et
uerborum, descriptiones geometricas et astronomicas et imaginem codicis
Cracouiensis photographicam addidit Dr Ioh. Wrobel Professor Czernouiciensis,
propose la première édition véritablement scientifique d ’un texte qu’il a établi,
pour la version, à partir de deux manuscrits viennois (Nationalbibliothek, lat.
278, du XIIe siècle, et lat. 272 du XIIIe siècle) et, pour le commentaire, à partir

1. Cf. J. Wrobel, praef. p. V ; J.H. Waszink, praef. p. CLXXIII-CLXXVII ; M. Huglo, « Recher­


ches sur la tradition des diagrammes de Calcidius », p. 230.
2. Il s ’agit du manuscrit Auct. F III 15 (3511) ; sur ce manuscrit, cf. éd. J.H. Waszink, praef.
p. CXIX, et M. Huglo, « La réception de Calcidius... », p. 12 n. 35.
3. Cf. éd . J.H. W a s z in k , praef. p. CLXXVI-CLXXVII.
4. Cf. J. W robel,praef. p. VI ; J.H. W aszink,praef. p. CLXXVII.
5. Cf. J.H. Waszink, praef. p. CLXXVII-CLXXVIII ; M. Hugo, « Recherches sur la tradition des
diagrammes de Calcidius », p. 230.
102 BÉATRICE BAKHOUCHE

de quatre manuscrits, deux de Vienne (Nationalbibl. lat. 443 du XIe siècle et


lat. 176 du XIIe siècle) et deux de Cracovie (Biblioteca Jagiellonska 529 de la
fin du Xe ou du début du XIe siècle, et 665 du XVe siècle). L ’éditeur a
également tenu compte des éditions antérieures, de l’édition princeps et de
celles de Fabricius et Mullach, et a parfois suggéré quelques émendations.
Enfin, le texte édité est accompagné d ’un apparat critique.
1962 (rééd. 1975) Leiden : J.H. Waszink, en collaboration avec P.J. Jensen,
édite Calcidius au volume IV de la collection Plato Latinus, dirigée par
R. Klibansky : Timaeus a Calcidio translatus commentarioque instructus, in
societatem operis conjuncto P.J. Jensen, edidit J.H. Waszink. Cette imposante
édition de plus de 600 pages a été immédiatement saluée comme un outil de
travail désormais indispensable l. Elle est le fruit de plusieurs décennies de
recherches commencées par C. Blum, de 1937 à sa mort en 1945, et P.J. Jensen,
puis continuées après 1945 par J.H. Waszink. L ’édition présente trois grands
volets. D ’abord une très riche introduction de 183 pages, en latin, permet de
faire le point sur l’identité de Calcidius, s’attache ensuite à la disposition du
commentaire et surtout à ses sources (p. xxxv-cvi), avant d’aborder l’étude de
la tradition manuscrite, elle-même suivie de l’établissement d’un double stem­
ma - un pour la traduction et un pour le commentaire. Enfin sont étudiées les
éditions antérieures.
Puis vient l’œuvre de Calcidius, distribuée en deux parties, la traduction
suivie du commentaire, selon l’ordre adopté par tous les éditeurs.
Enfin six indices terminent le volume, répartis en deux groupes, Index ad
translationem Latinam pertinentes {K. Index graeco-latinus, B. Index latino-
graecus) et Indices ad Commentarium pertinentes (A.. Index nominum, B. Index
uocabulorum arithmeticae astronomiae geometriae musicae opticae proprio­
rum, C. Index uocabulorum philosophiae et medicinae propriorum, D. Index
locorum).
Pour l’établissement du texte, le travail de recension des manuscrits a été
considérable : 133 codices considérés comme complets ont été répertoriés et,
pour leur plus grand nombre, collationnés. J.H. Waszink en a conclu que les
manuscrits les plus fidèles au texte originel sont ceux de Bruxelles, Bibl.
Royale 9625-9626 du Xe siècle (G [Brl]) et du Vatican, Barberinianus lat. 21
(XIIe siècle pour la traduction et XIe siècle pour le commentaire) (I [Bl]).

Traduction commentée
CALCIDIO, Commentario al Timeo di Platone, Claudio Moreschini (dir.),
Milano, Bompiani, 2003 (texte latin de l’édition Waszink).

1. Cf. A.R. Sodano, « Su una recente edizione critica dei commento di Calcidio al Timeo di
Platone », Giornale Italiano di Filologia 16, 1963, p. 353-353 ; c.r. P. Langlois, Revue des études
latines 40, 1963, p. 349-351, ou E. Franceschini, Rivista di Filologia e di Istruzione Classica 93,
1965, p . 102-105.
INTRODUCTION GÉNÉRALE 103

C ’est la seule traduction en langue moderne, réalisée à partir du texte latin


établi par J.-H. Waszink.

L es c h o ix é d it o r ia u x

Les principes de la présente édition


L ’édition de référence est naturellement celle de J.H. Waszink : le principe
qui a guidé l’éditeur hollandais pour l’établissement du texte n’a pas été de se
conformer aux leçons des meilleurs manuscrits, dans la tradition du XIXe
siècle, mais d ’aller plus loin et d ’essayer de retrouver le texte originel, au delà
de l’archétype Ω L Ce travail, de fait, peut ne pas connaître de fin : c ’est pour­
quoi la riche édition de 1962 a été complétée à la fois par les conjectures expo­
sées dans l’article « Calcidiana » 12 et les addenda de la réédition de 1975 3. Par
rapport à cette édition, voici quels sont les principes qui ont guidé notre travail
éditorial.
Nous avons intégré au texte les conjectures de J.H. Waszink étayées par
des études postérieures à son édition de 1962, tout en gardant le plus possible
les leçons des manuscrits pour éviter une édition hypercritique, ce qui donne
une trentaine de différences avec le texte établi par J.H. Waszink.
Nous avons également étudié de très près les rapports entre la version latine
du Timée par Calcidius et son modèle pour signaler ajouts ou omissions, ce qui
n’a jamais été fait.
Nous nous sommes enfin attachée à l’étude des figures qui occupent une
grande place dans la première partie du commentaire : dans son édition,
J.H. Waszink précisait que P.J. Jensen avait choisi les figures du manuscrit de
Bruxelles Bibl. Roy. 9625-9626 sans que ce choix ne fût justifié.

La présentation du texte
Nous avons choisi de conserver la distribution des sections déjà établie, en
signalant toutefois au lecteur qu’elle n’est pas originelle, qu’elle ne coïncide
pas toujours avec les coupures signalées dans les manuscrits par des majus­
cules et/ou des enluminures 4 et peut parfois séparer artificiellement des groupes
de chapitres.
Dans les manuscrits, les citations du Timée, au sein du commentaire, sont
signalées, en marge, par des petits signes conventionnels de ce genre JJ. C’est
uniquement en F que le copiste a repris juste le début et la fin de la citation, en

1. Cf. éd. J.H. Waszink, praef. p. CLXXVIII-CLXXIX.


2. Vigiliae Christianae 29, 1975, p. 96-119.
3. Cf. éd. 1975, Textus loci aliter legendi, p. CLXXXIX-CXCI.
4. C ’est ainsi qu’au chapitre 91, la dernière phrase, Ac de his quidem..., présente une grande
majuscule dans les manuscrits F et G ; de même, en D, on remarque un alinéa et une grande
majuscule au milieu du chapitre 24, à ... igitur extra necessitatem incommodi..., et au chapitre 32.
104 BÉATRICE BAKHOUCHE

les reliant par usque ; en plus, les citations ne présentent pas toujours les mêmes
limites que dans les autres copies : ainsi, au chapitre 27, la citation de 35A est
prolongée jusqu’à gemina natura diuisionem instaurans (35b) ; de même, au
chapitre 40, la citation ne se termine pas en 36a mais en 36b, à epogdois
spatiis epitritorum omnium interualla complebat (cf '. a.c. ad loc.).

L ’apparat critique
L ’apparat critique concernant les dessins, pour la première partie du com­
mentaire, est inséré en note dans le texte français.
Les notes interlinéaires des manuscrits ne servent pas toujours à rétablir le
texte du modèle, elles peuvent être également exégétiques, ainsi des gloses
synonymiques comme limites glosé par les chiffres correspondant à la figure,
au chapitre 15, ou puncti au-dessus de notae au chapitre 59 en G, ou zodiaci
au-dessus de circuli au chapitre 78, en F et I. À l’inverse, en particulier en I,
les notes marginales exégétiques ne se distinguent pas des ajouts textuels pour
pallier des sauts du même au même dans la copie.
Enfin, pour éviter la multiplication de leçons sans intérêt et ainsi alléger
l’apparat critique, nous n ’avons pas retenu les corrections de première main
qui auraient pu se noter X 1, pas plus que les leçons de 2e ou 3e main étrangères
au texte établi. De même, nous avons omis les variantes orthographiques
(comme faciundum pour faciendum, quatinus pour quatenus, rursus ou rur­
sum, aduersus ou aduersum etc.), les répétitions d’un même mot (surtout en I)
ou les leçons manifestement fantaisistes.

La traduction
Nous avons essayé de restituer ce texte difficile en donnant une traduction
lisible pour un lecteur moderne qui ne soit pas nécessairement latiniste. C ’est
ainsi, par exemple, que les temps des verbes ne sont pas toujours conservés,
pas plus que les particules qui indiquent en latin la structuration du dévelop­
pement.

R e m e r c ie m e n t s

B. Vitrac (UMR 8567, Centre Louis Gernet, Paris) a accepté de relire les
chapitres 8-55 : qu’il soit ici vivement remercié pour toutes les remarques qui
m ’ont permis d ’améliorer mon texte. Les compléments de notes extensifs
portent ses initiales (BV). J ’adresse également mes plus sincères remercie­
ments à J.-P. Si van (Observatoire Astronomique Marseille-Provence), qui s’est
aimablement chargé de la relecture des chapitres 56-118 ; de même qu’à
Fr. Fauquier (UPR 76) qui a accepté la lourde tâche de relire toute la seconde
partie du commentaire.
INTRODUCTION À LA TRADUCTION DU T IM É E

Nous avons conservé deux versions latines du Timée, preuve malgré tout
du prestige de ce dialogue à Rome pour un texte jugé très difficile ; l’une est
de Cicéron et l’autre de Calcidius.
En dehors de deux lacunes réelles 1, la version cicéronienne correspond aux
pages 27d5 - 47b2 du Timée. Celle de Calcidius, elle, s’étend à toute la pre­
mière partie du dialogue, de la page 17a1 à 53c3. Les pages 17a1 à 27d4 , qui
offrent simplement une mise en scène - et en perspective - du dialogue et l’évo­
cation du mythe de l’Atlantide, ne font pas l’objet de commentaire de la part
de Calcidius, et les deux auteurs, comme nous l’avons montré ailleurs 12, s’inté­
ressent en réalité à la même section du texte grec.
Qu’ils s’attachent l’un et l’autre à transposer en latin la même partie du Timée
n ’est pas inintéressant. Cette convergence confirme d ’abord que les Latins
n’ont retenu du dialogue que l’exposé de physique, mais elle doit également
faciliter les comparaisons entre les textes à qui se propose d’étudier le principe
de la traduction à Rome. L’exercice auquel se sont livrés les deux auteurs, ren­
contre entre l’expression latine et la pensée grecque, s’il peut nous éclairer sur
ce qu’il révèle de pensées ou d ’arrière-pensées des traducteurs 3, permet du
moins ici d’établir le plus grand nombre possible de parallèles, à défaut d’une
étude comparative systématique qui dépasserait le cadre de cette notice. Une
telle étude au demeurant manque cruellement4. Certes R. Poncelet a depuis
longtemps étudié la technique de traduction de Cicéron en adoptant une atti-

1. En 37C2-38C3 et 43 b 3-46 a 2.
2. B. Bakhouche, 1997 [pour les références complètes, voir la Bibliographie à la fin de cette
Introduction ]. Le Compendium de Galien commence également à la page 28 du dialogue plato­
nicien, cf. éd. P. Krause et R. Walter, c. II, p. 38.
3. Cf. C. Steel, 1990. Sur les traductions latines, cf. l ’étude déjà ancienne de Fr. Blatt, 1938.
4. Il faut cependant reconnaître que ces deux versions ont été étudiées par B.W. Switalski,
1902, p. 10 η. 1, Fr. Blatt, 1938, p. 226, et récemment encore par M. Lemoine qui a entrepris une
étude lexicographique qui « devrait être prolongée par une étude portant sur la syntaxe et le style,
c ’est-à-dire sur le fonctionnement de la langue de chaque traducteur. Il serait alors possible de
saisir comment chacun, globalement, a transposé le texte original du Timée, de comparer ces ver­
sions à d’autres témoins de la tradition latine de Platon, de les situer, enfin, dans l ’histoire du latin
philosophique » (1996, p. 73 ; cf. également, 2002). Vaste programme !
106 BÉATRICE BAKHOUCHE

tude hypercritique au point de conclure : « Cicéron se voit condamné à utiliser


au mieux, sans le transformer, l ’arsenal de moyens pauvres en nombre et en
qualité, que lui fournit le latin de ses ancêtres. » (1957, p. 363).
Il compare ailleurs (1950) les deux méthodes de version pour louer celle de
Calcidius, qui a bénéficié - selon l’érudit - de l’évolution linguistique et de la
traduction des textes sacrés, deux éléments favorisant l’éclosion d ’une langue
latine authentiquement philosophique, conclusion à laquelle il aboutit égale­
ment dans sa thèse complémentaire (1953). Si N. Lambardi, 1982, a étudié elle
aussi la technique de traduction de Cicéron en réhabilitant, contre R. Poncelet
et à la suite de A. M ichell, le caractère exemplaire de sa version du Timée 12,
elle ignore totalement le travail de Calcidius. Seule, Chr. Ratkowitsch (1996)3
a consacré plus récemment un article à la version calcidienne, mais en y cher­
chant uniquement un reflet du christianisme de son auteur. Quant à la thèse de
Chr. Nicolas (1996) sur les calques sémantiques4, elle ignore totalement - et
de façon dommageable ! - le travail de Calcidius. Enfin, dans J.N. Adams, 2003,
les problèmes spécifiques à la traduction ne sont abordés que dans une partie
de chapitre 5, et les versions latines du Timée ne sont pas davantage citées.
S’il est trop tôt pour contester ou nuancer telle ou telle conclusion, il faudra
cependant les reconsidérer après nous être reportés aux textes eux-mêmes et
d’abord à celui de Calcidius. Certes, c’est un truisme de dire que l’exercice de
traduction n ’obéit pas, dans le monde latin, aux mêmes règles que dans le
monde moderne, mais cela n ’empêche pas de trouver entre les travaux de
Cicéron et de Calcidius des différences importantes et significatives. L ’étude
de la technique de traduction de Calcidius nous permettra de mettre en paral­
lèle, aussi souvent que possible, texte grec, version cicéronienne et version cal-

1. « Rhétorique et philosophie dans les traités de Cicéron », ANRWl, 3, p. 139-208.


2. Autres études consacrées aux traductions cicéroniennes : Clavel, De M. Tullio Cicerone
graecorum interprete, Paris, 1898 ; C. Atzert, De Cicerone interprete Graecorum, Diss. Gottingen,
1908 ; A. Engelbrecht, « Zu Ciceros Übersetzung aus dem platonischen Timaeus », WS 34, 1912,
p. 216-226 ; R. Fischer, De usu uocabulorum apud Ciceronem et Senecam Graecae philosophiae
interpretes. Diss. Friburg, 1914 ; G. Cuendet, « Cicéron et Saint Jérôme traducteurs », Revue des
études latines 11, 1933, p. 380-400 ; T. De Graff, « Plato in Cicero », CPh 35, 1940, p. 143-153 ;
H.J. Hartung, Ciceros Methode bei der Übersetzung grieschischer philosophischer Termini,
Hamburg, 1970 ; A. Traglia, « Note su Cicerone traduttore di Platone et di Epicuro », Studi V. De
Falco, Napoli, 1971, p. 305-340 ; Cl. Moreschini, « Osservazioni sui lessico filosofico di Cicerone »,
ASNP 19, 1979, p. 99-178 ; M. Puelma, « Cicero als Platon-Übersetzer », MH 37, 1980, p. 137-
177 ; K. Bayer, « Antike Welterklàrung, ausgehend von Ciceros Timaeus sive de universo », dans
P. Neukam (éd.), Struktur und Gehalt, München, 1983, p. 122-148 ; J.G .F. Powell (éd.), Cicero.
The Philosopher, Oxford-New York, 1999 : surtout les études n°4 de J. Glucker, « Probabile, Veri
Simile, and Related Terms », p. 115-143 et n°10 de J.G.F. Powell, « Cicero’s Translations from
Greek », p. 273-300 ; C. Lévy, « Cicero and the Timaeus », dans Gr. Reydams-Schils (éd.), Plato’s
‘Timaeus’ as Cultural Icon, Univ. Notre Dam e, 2003 p. 95-110. Voir égalem ent la riche
bibliographie, bien qu’un peu vieillie, de N. Lambardi, 1982, p. 145-156.
3. Voir également l ’étude de J.H. Waszink, 1986.
4. Le chapitre 3.2 est consacré à « La traduction et les traducteurs du grec en latin ».
5. Chap. 4 : « Bilingualism, Linguistic Diversity and Language Change ».
INTRODUCTION À LA TRADUCTION DU TIMÉE 107

cidienne, ce qui devrait nous permettre, in fin e, de dégager le rapport des deux
traductions latines à la fois entre elles et au texte grec.

PRÉSENTATION GÉNÉRALE

Dans la version calcidienne, la structure même du dialogue n’est pas totale­


ment respectée, le traducteur modifiant à loisir la mise en scène : par exemple,
en 19A-B, il ajoute une réplique à Timée, alors que, plus loin, en 21A2-9, la
réplique de Socrate n’est pas traduite, pas plus que le tout début de la réponse
de Critias (cf. note ad loc). Ailleurs, la traduction tient compte de son destina­
taire : c’est ainsi qu’en 21b 2-3, le traducteur latin passe sous silence les préci­
sions sur la fête grecque des Apatouries ; le grec peut aussi être modifié,
comme en 22d 6, o ù Athenas explicite le groupe τη πόλει. De même, si Timée
s’adresse directement aux Athéniens en utilisant soit la seconde personne du
pluriel (24d 3) soit la première personne du pluriel (34c3), la distanciation
s’exprime, dans la version latine, par le recours soit au groupe ueteres Athe­
nienses soit au terme hominibus. En 36a , les rapports « épitrites » ou « épogdes »
sont explicitement présentés sous leur dénomination grecque 1, et un peu plus
loin la lettre χ est dite littera graeca. Le traducteur adapte donc le texte plato­
nicien à son public latin.

En outre, un simple coup d ’œil aux notes qui recensent, entre autres, les
ajouts et les omissions du traducteur permet de déduire aisément que la version
calcidienne est sujette à dilatation et à contraction. Ici la traduction est volon­
tiers glosée ou paraphrastique, alors que là des phrases entières du texte plato­
nicien sont négligées, par exemple en 30C5-8 :

P la to n C ic ér o n C alcidius
Των μέν οΰν έν Sunt enim om nia in S p ecia li quidem n e ­
μέρους εϊδει quaedam genera p a rti­ m ini sim ilem (siq u i­
πεφυκότων μηδενι ta au t inchoata, nulla dem p e r f e c tio in
καταξιώσωμεν · ex p a rte p erfecta ; im ­ g e n e re est, non in
άτελεΐ γάρ έοικός p e r fe c to au tem nec specie, pro p terea q u e
ούδέν ποτ' αν a b so lu to sim ile p u l­ m undus im perfectae
γένοιτο καλόν · οΰ chrum esse nihil p o ­ re i sim ilis m in im e
δ' έστιν τάλλα ζώα test. Cuius ergo omne p e rfe c tu s e sse t), a t
καθ' έν και κατά anim al quasi particu la uero eius, in quo om ­
γένη μόρια, τούτω qu aedam est, siue in nia g en era et quasi
πάντων όμοιότατον singulis siue in uniuer- quidam fo n te s con ti­
αυτόν είναι so g e n e re c ern a tu r, nentur animalium in­
τιθώμεν. eius sim ilem mundum telleg ib iliu m , siq u i­
esse dicam us. dem anim aliu m ge-

1. ... Quod genus a Graecis epitritum dicitur... Qui numerus epogdous ab isdem uocatur...
108 BÉATRICE BAKHOUCHE

n e ra m undus a lte r
co m p lectitu r perinde
ut hic nos et cetera
sublecta uisui et cete­
ris sensibus.

Le début de la phrase originale est traduit de manière très concise par


Calcidius qui ajoute, en guise de glose, la parenthèse siquidem-esset.
Un autre exemple nous convaincra de l’absence de rigueur dans la traduc­
tion calcidienne. Prenons le passage 40d 6-e5 :

Platon C ic é r o n C a l c id iu s
Περί δε των άλλων R e liq u o r u m a u te m , A t uero inu isibiliu m
δαιμόνων ειπειν και quos G raeci daim onas diu in a ru m p o t e s ta ­
γνώναι την γένεσιν a p p e lla n t, n o stri opi­ tum quae daem on es
μεΐζον ή καθ' ήμάς, nor Lares, si m odo hoc nuncupantur p ra e sta ­
πειστέον δε τοις recte conuersum uideri re rationem m aius est
είρηκόσιν p o test, et nosse et nun­ opus quam fe rre ua-
έμπροσθεν, έκγόνοις tiare ortum eorum m a­ le a t h om in is in g e ­
μέν θεών οΰσιν, ώς ius est quam ut p ro fi­ nium ; ig itu r c o m ­
εφασαν, σαφώς δέ teri nos scire a u d ea ­ p e n d iu m ex c r e d u ­
που αυτών mus. Credendum nim i­ lita te su m atu r. C re­
προγόνους ειδόσιν · rum e st u eterib u s et dam us ergo his qui
αδύνατον ούν θεών p risc is, ut aiunt, uiris, apud saeculum prius,
παισιν άπιστεΐν, qui se progen iem d e o ­ cum ip s i c o g n a ­
καίπερ άνευ τε rum esse d iceban t ita­ tio n e m p r o p i n q u i ­
είκότων καί que eorum uocabula tatem diuini gen eris
άναγκαίων n o b is prodiderunt. p raeferren t, de natu­
άποδείξεων N o sse autem genera­ ra deorum , m aiorum
λέγουσιν, άλλ' ώς tores suos optim e p o te ­ atque auorum , deque
οικεία φασκόντων rant, ac difficile fa c tu gen itu ris singulorum
άπαγγέλλειν e st a d eis o rtis fid em a e te rn a m onum enta
επομένους τώ νόμφ non h a b e re : quam ­ in lib ris p o s te r ita ti
πιστευτέον. quam nec argu m entis r e liq u e r u n t. C e r te
nec ra tio n ib u s c e rtis d e o ru m f i l i i s a u t
eorum o ra tio c o n fir­ n epotibu s non cre d i
m atu r ; s e d quia de s a tis in re lig io su m ;
suis nobis rebus uiden- q u a m u is incongruis
tur loqu i, u eteri legi nec n ecessa riis p r o ­
m orique parendum est. bationibus dicant, ta­
m en, q u ia de d o ­
m e stic is rebu s p r o ­
nuntiant, credendum
esse m erito puto.

Ούτως ούν κατ' Sic igitur, ut ab his est Sit igitur nostra quo­
έκείνους ήμιν ή traditu m , horum deo- que credulitas com es
INTRODUCTION À LA TRADUCTION DU TIMÉE 109

γένεσις περί τούτων rum ortus habeatur a t­ asseu erationi p r is c o ­


των θεών έχέτω και que d icatu r . .. rum uirorum . ..
λεγέσθω.

Si les deux traducteurs glosent le terme grec de démon, les ajouts de


Calcidius délaient sa traduction tandis que la traduction de la dernière phrase
de l’extrait implique, chez Calcidius, une distanciation par rapport à l’orignal
grec dont il ne perçoit pas l’ironie (pas plus d’ailleurs que Cicéron). En outre -
mais on y reviendra - l’idée de génération des dieux n’est pas rendue correcte­
ment par rationem.
Il s’agit moins, dans ces deux exemples, d ’infidélité systématique que de
séries d ’inexactitudes qui dénaturent, au bout du compte, le texte originel. De
plus, on ne voit pas Calcidius utiliser les termes choisis par Cicéron.

Si certains passages sont traduits avec exactitude et, en tout cas, en respec­
tant l’ordre du texte grec, d ’autres, au contraire, se signalent par des regrou­
pements de phrases, voire des inversions ou des mélectures.
L ’ordre des phrases n’est pas toujours respecté, comme c ’est le cas en
43e 9-44a 2 :

P laton C alcidius
ταύτόν δή και τοιαύτα ετερα αί Id ipsum anim ae quoque circu itus
περιφορά! πάσχουσαι σφοδρώς, pa tiu n tu r v ro p te r e a q u e e rra n t in
όταν τέ τω των έξωθεν τού eiusdem diuersique generis contem ­
ταύτού γένους ή τού θατέρου platione.
περιτύχωσιν, τότε ταύτόν τω και
θάτερόν του τάναντία των
άληθών προσαγορεύουσαι
ψευδείς...

La place du groupe souligné est modifiée par rapport à l’original grec. On


note une interversion identique de l’ordre des groupes dans l’extrait suivant :

P laton (44 d 3-e 3) C alcidius


τάς μέν δή θείας περιόδους δύο . . . e x mundi figu ra m utuatae teretem
ούσας, τό τού παντός σχήμα slo b o sa m q u e finxerunt, eidem qu e
άπομιμησάμενοι περιφερές όν, εις duos circu itu s ueneran dae diuini-
σφαιροειδές σώμα ένέδησαν, tatis innexerunt. E st autem ca p u t
τούτο ο νύν κεφαλήν p ra e te r ceterum corpus honoratius
έπονομάζομεν, ο θειότατόν τέ et optim ati quadam em inentia ; cui
έστιν καί τών έν ήμίν πάντων reliqu a m em bra dom in anti p a re n t
δεσποτούν *ω καί παν τό σώμα atqu e obsequu ntur iure m eritoque
παρέδοσαν ύπηρεσίαν αύτώ su biecta. ne sine sede hum iliter in
συναθροίσαντες θεοί, imo plane iacens asperas, cum mo-
κατανοήσαντες ότι πασών όσαι u e re tu r. te rre n a ru m lacu n aru m
110 BÉATRICE BAKHOUCHE

κινήσεις εσοιντο μετέχοι. 'Iv' ούν offensiones p ro c liu ita tis et item de-
μή κυλινδούμενον έπι γης ύψη τε cliuitatis in cu rreret . m axim e cui e s­
και βάθη παντοδαπά έχούσης se t n ecesse cuncta motuum genera
άποροί τά μέν ύπερβαίνειν, ένθεν experiri.
δε έκβαίνειν, όχημα αύτφ τούτο
και ευπορίαν εδοσαν.__________

Les deux groupes soulignés traduisent les passages grecs (également souli­
gnés), qui se trouvent - on le voit bien - soit dans la phrase précédente, soit
plus haut dans le texte grec. La traduction ne suit donc pas l’ordre du texte pla­
tonicien l.
Une source d ’erreur peut également venir d ’une accentuation erronée 12 ou
d’une mauvaise ponctuation. Ainsi en 39B6-C1 :

Platon C ic é r o n C a l c id iu s
φως ό θεός άνήψεν . .. d e u s ip se so le m ... igniuit lucem cla ris­
έν τή προς γην qu asi lum en a c ce n d it sim a m d e u s reru m
δευτέρα των a d secu n du m su p ra con ditor e regione s e ­
περιόδων, ο δη νυν te rra m a m b itu m , ut cundi a terra g lo b i,
κεκλήκαμεν ήλιον, quam m axim e caelum quam solem uocam us,
ινα ότι μάλιστα εις o m n ib u s c o n lu c e r e t cuius sp le n d o re c a e ­
άπαντα φαίνοι τον an im an tesqu e, quibus lum in fra q u e illu s ­
ουρανόν μετάσχοι τε ius e s s e t d o c e r i, ab trarentur omnia nume­
άριθμού τά ζώα e iu sdem m otu e t ab rusque omnium extaret
όσοις ήν προσήκον, eiu s . quod sim ile e sse t . animantium. Hinc ergo
μαθόντα παρά τής n u m eroru m n atu ram noctis dieique ortus ex
ταύτού και όμοιου uim que cogn osceren t. eodem sem per et iner-
περιφοράς. Νύξ μέν N ox igitu r et d ies a d rabili motu factu s...
ήμέρα τε γέγονεν hunc modum et ob has
ούτως και διά generata c a u sa s ...
ταύτα...

Calcidius paraît avoir lu une ponctuation forte avant παρά et avoir négligé
le participe μαθόντα. Nous trouvons au moins un autre exemple de mauvaise
coupe en 43b 1 3.

Enfin, le relevé des contre-sens ou inexactitudes plus ou moins graves et


autres infidélités au texte grec est variable d’un passage à l’autre, si bien que le
lecteur est en droit de se demander pourquoi ici le traducteur suit d’assez près
le texte de Platon, alors que là il paraît presque le recomposer. Un élément de
réponse pourrait être trouvé dans le rapport que la traduction entretient avec le

1. Cf. également 24d, 25c et 32c pour la première partie et notes ad loc., et, pour la seconde,
41C, 45a, 49e, 52c et notes ad loc.
2. Cf. en 21 e 3, νομός a été lu - ou compris - νόμος.
3. Cf. note ad loc.
INTRODUCTION À LA TRADUCTION DU TIMÉE 111

commentaire. On s a it1 que, dans la première partie de son commentaire, l’exé­


gète s’intéresse aux pages 31c 3-32 b 8, 35a 1-37e 7, 38d 1-39d 7 du Timée, et,
dans la seconde, aux pages 40b 8-d 7, 41a 7-e 3, 42a 3-44a 5, 47e 5-53 c 3. Or, si
nous nous reportons à ces sections, nous pouvons constater que les passages
destinés à être commentés sont traduits avec plus de rigueur que les autres. Les
négligences relevées ailleurs ne sont pas à déplorer ici, pas plus que les nom­
breuses omissions qui, ici en nombre très réduit, sont limitées à quelques mots
considérés sans doute comme accessoires.
On a l’impression que la traduction des passages commentés a été pre­
mière, accompagnée, dans la version récapitulative précédant le commentaire,
d’une traduction paraphrastique du reste du texte, beaucoup plus inexacte, par­
fois franchement erronée, destinée seulement à donner au lecteur une vague reflet
de l’ensemble du dialogue.

La TECHNIQUE DE TRADUCTION

Les prépositions
L ’élagage des rapports prépositionnels relevé par Poncelet (1957, p. 56)
comme une des caractéristiques du style cicéronien ne peut être accepté tel
quel, quand il s’agit de la version calcidienne. Certes il faut tenir compte de
tous les passages du Timée omis ; cependant une étude systématique de la tra­
duction des deux prépositions κατά et περί donne les résultats suivants.
Περί est employé, dans les passages qui nous intéressent, soit avec le sens
logique de « au sujet de » quand la préposition est suivie d ’un génitif, soit au
sens local de « autour de » quand elle est construite avec un accusatif. Dans ce
dernier cas, les deux prépositions latines utilisées par Calcidius sont per en
35a 2 :12

Platon C a l c id iu s
... τής α ΰ π ερ ί τ α σ ώ μ α τ α p e r eadem corpora se scindere
γ ιγ ν ο μ έ ν η ς μ ερ ισ τή ς...

et iuxta en 38d 1 2 :

Platon C ic é r o n C a l c id iu s
(τον) π ερ ί γ η ν supra terram iuxta terram

1. Cf. Introd. gén., « Les rapports de la traduction au commentaire ».


2. Également en 34 a 9 et 41 c 5, 52 e7.
112 BÉATRICE BAKHOUCHE

Si la première traduction rend compte du sens du texte platonicien, la seconde,


en revanche, fait faux-sens, dans les deux versions latines, car elle oblitère le
sens local enveloppant, spécifique à la préposition grecque.
Pour traduire la même préposition suivie d’un génitif, Calcidius a recours à
la préposition la plus plastique de la langue latine, in suivie d’un ablatif, comme
en 28b5 1 :

P laton C ic é r o n C alcidius
περί αυτού in omni quaestione in omni tractatu

mais, le plus souvent, à la construction traditionnelle de suivie d’un ablatif 2 :

P la to n (40 d 4-5) C ic ér o n C alcidius


τα περί θεών... q u a e (q u e ) de d e o ­ quae de sid e rib u s...
ειρημένα ru m ... natura p ra e fa ti dicta sunt
sumus

Quand le groupe prépositionnel grec appartient à un groupe nominal, la


traduction latine par un génitif, par exemple en 29B3-4 123 :

P la ton C ic é r o n C alcidius
... περί τε είκόνος D e iis igitur quae dixi­ ... distinguendae sunt
καί περί τού m us h a ec s it p rim a im aginis exem pliqu e
παραδείγματος distinctio naturae
αυτής διοριστέον...

ou par un adjectif comme en 34a 2-3 et 37e7-38a 1 :

P la to n C alcidius
... περί την έν χρόνφ γένεσιν Cum quid sensile spectat...
Ιούσαν

opacifie considérablement le rapport logique. En revanche, le traducteur exprime


rarement (37B6-7 et 45C3-4) ce rapport à l’aide d ’un groupe verbal et une
seule fois (46a 2-3) par une relative.

Κατά de son côté exprime soit la conformité, soit la localisation. Si en


deux passages 4 la préposition n ’est pas traduite, ailleurs il faudra distinguer

1. Également en 50B7-8.
2. C f. aussi en 17b 5, 18cl, 19b 3-4, 21 d 4, 22 a 4, 23 d 3, 23 e 4, 27 b 5, 28 b 5-6, 38 b 3-4, 48 c 3,
49A8, 49 b 6, 49 d 4, 50 a 5 et 51B7-8.
3. Cf. également 17c2, 24B7-8, 27 c 4, 28C5-6, 40 d 4-5 et aussi 37 e7, 38 a 1, 39B3-4 et 40 b 9.
4. Cf. 20a 5 et 20c7.
INTRODUCTION À LA TRADUCTION DU TIMÉE 113

les groupes prépositionnels dépendant d ’un verbe et ceux qui sont, en grec,
intégrés à un groupe nominal.
Dans le premier cas, la préposition est rendue soit par un mot de même
nature, soit par un groupe verbal, soit par un groupe nominal. La préposition
grecque, avec le sens local, est traduite par in (22d3, 31B1 ,46e3),pro (36d3)
et per (36c7 et 8, 51d4). Pour exprimer la conformité, Calcidius a le choix
entre pro (17b1), ad (17cl0), e(x) (21e2, 24a1), secundum (41c6) et surtout
iuxta (27b 1, 31A3-4, 36d8, 37e7 et 47a2). Le choix de la forme verbale se
justifie quand le verbe grec a un sens faible ou quand la valeur de la prépo­
sition se reporte sur le verbe, comme en 21d1 o u 25d3 :

P laton C alcidius
... κατά τής θαλάττης δϋσα . . . e t A tlan tis insula to ta ... su bm e­
ήφανίσθη... rg eretu r...

Dans ce cas, le sens verbal est renforcé, mais l’idée véhiculée par le régime
de la préposition (« sous la mer » dans l’exemple ci-dessus) est négligée.
L’emploi de la relative, en revanche, dénature encore plus le rapport logique
institué par la préposition, comme en 41c6 1 :

P laton C ic ér o n C alcidius
... καθ' όσον μέν ... ut deoru m inm or- ...q u ib u s co n so rtiu m
αυτών άθανάτοις talium qu asi g e n tile s diu in ita tis e t a p p e lla ­
ομώνυμον είναι esse d e b ea n t... tionis p a rilita s com pe­
προσήκει... tit. ..

tandis que la traduction par un ablatif, soit sous forme d’ablatif absolu (22C5-6
et 48C5-6) soit sous forme de groupe nominal, comme en 40c8 12 :

P laton C ic ér o n C alcidius
κατά χρόνους quisque tem poribus a liq u a n to in te r u a llo
ούστινας tem poris

écrase le texte grec en gommant la nuance circonstancielle spécifique. On peut


enfin trouver un groupe verbal autonome, introduit par la conjonction ut (27b9-
10, 27d 5 et 30a 2).
Dans le cas où le groupe prépositionnel détermine un nom, la traduction la
plus fréquente consiste en un génitif qui trahit, là encore, le rapport logique
initial (comme en 38e 6-7, 40 a9, 52a 1-2 et 53C2-3), ou en un adjectif qui n’est
pas plus fidèle au grec (32b5, 35a 5 et 38a2).

1. Cf. également en 25 e 1 .
2. Cf. également en 35a6, 38 b 8, 39A7-8.
114 BÉATRICE BAKHOUCHE

Un cas particulier nous invite à accorder une place spéciale à l’expression


récurrente κατά ταύτά qui sert à désigner l ’essence intelligible. L ’idée de
permanence dans l ’identité n’est pas traduite dans la première occurrence en
28a2, puis est rendue par un groupe verbal dans la seconde : in statu genuino
(persistentis exempli), où la notion d’identité à soi-même n’est guère exprimée
par l’adjectif. Cette notion, en revanche, se lit de façon obvie dans les autres
expressions en 29a 1 et 8 : la première adjectivale, (ad) immutabile, et la seconde
sous forme de proposition relative, (his) quae semper eadem existunt.

Le lexique
Les adjectifs ou participes substantivés posent problème au traducteur dont
la langue ne permet pas - comme le latin - , du fait de l’absence d’article, de
spécifier la notion et de faire la différence entre partitif et défini. Prenons trois
notions importantes dans le Timée : le tout, l’étant et le devenant.
Τό παν est traduit comme κόσμος, essentiellement par mundus 1 et uni-
uersa res 123.Res au pluriel est employé une seule fois (27A4) et peut être asso­
cié à mundus (48a5) ; quant aux indéfinis cuncta et omne, leur polysémie limite
leurs emplois, réduits à deux occurrences, respectivement en 29d6 et 53a7.
En revanche, les participes substantivés, τό ον et τό γιγνόμενον, sont tra­
duits systématiquement par des relatives : quod e s t3 (27d 6) et quod gignitur
(27d 6, 28a4, 50c 7-8, 50d 2).

Une certaine indigence du lexique latin fait qu’un même mot traduit des
termes grecs différents. Ainsi, motus, terme générique pour désigner le mouve­
ment, sert naturellement à traduire son homologue grec κίνησις 4 mais est
aussi employé pour rendre le terme φ ορά 5. De même commotio est la traduc­
tion à la fois de φορά et de περίοδος (mouvement périodique) dans une même
phrase, en 47d2. De telles imprécisions sont de nature à trahir la pensée de
Platon. Pouvons-nous attendre plus d ’exactitude pour l’expression originale
d’idées grecques ?

Comment en effet le traducteur procède-t-il pour exprimer des mots qui


n ’ont pas d’équivalent dans sa langue ? Calcidius a le choix entre plusieurs solu­
tions. Soit il translittère le terme sans explication, comme en 43A4 pour gom­
phus. Soit il utilise certains néologismes créés par son devancier : c’est ce qu’il
fait pour μεσότης qu’il traduit par medietas, mais néglige les versions cicé-
roniennes de άναλογία ou άρμονία.

1. Cf. 31 b 8, 40 a 4-5, 4 I d 5, 44 d 3 et 53 a 7, totus animantis mundi ambitus en 30 b 5 et mundus


sensibilis en 37 d 2.
2. Cf. 29C4, 32 a 8, 41 c 3, 41 d 5 ,4 1 e 2, 47A3, 48 e 2.
3. Sur cette traduction, cf. Sénèque, Ep. 5 8 ,7 .
4. En 34 a 1, 38 a 2, 40 a 8, 40 b 3 ,4 3 b 2, 43 c 9, 44 d 8, 45 d 2 et 45 e 3.
5. En 36 b 5, 38 e4, 39 a 1 (deux occurrences) et 39 a 4.
INTRODUCTION À LA TRADUCTION DU TIMÉE 115

Comme Cicéron pourtant, il ne recule pas devant l’innovation en procédant


à des calques sémantiques, procédé ainsi défini par Chr. Nicolas (1996, p. 7) :
Le calque sémantique... consiste à solidariser un concept nouveau dans la
langue, non encore lexicalisé, et une unité lexicale préexistante sur le modèle
d’une combinaison concept-lexème telle qu’on peut la voir réalisée dans une
langue étrangère 1.

Généralement réservée à la langue technique (grammaire, rhétorique, phi­


losophie, science et médecine), cette démarche est celle des traducteurs qui ont
transposé, par exemple, άπό-στάσις en sub-stantia ou ποιό-της en quali-tas,
transposition que Calcidius reprend à son tour, tout en utilisant, par exemple,
essentia (calque créé par Cicéron mais qu’il n’utilise pas dans sa traduction du
Timée) pour exprimer Γουσία platonicienne, en 29c et 37a .
La seule adaptation calcidienne vraiment originale et susceptible de ressor­
tir au calque est la transposition du grec κ α τα - λαμβάνω en com-prehendo 12,
qui prend le sens inédit de « rattraper», appliqué au mouvement des astres.
Néanmoins le préfixe latin com- n ’est pas l’équivalent du grec κα τα -. Sans
doute faut-il ranger cette création parmi ce que J.N. Adams définit comme des
« loan-shifts », que l’on ne distingue pas toujours des calques :
By this p ro c e ss the sem antic f ie ld o f a lexem e in the recipien t language is
adjusted to replicate that an already p a rtia lly équivalent on in the source lan­
guage 3.

L ’usage paraît donc être celui du calque tel qu’il est défini plus haut, car le
composé latin existait déjà avant d’être utilisé dans un autre sens emprunté au
lexème grec. Il s’agit en fait de l’extension du champ sémantique du lexique 4.

L ’enrichissement sémantique de certains mots est parfois source de diffi­


culté. C’est ainsi que institutio sert à traduire à la fois μάθημα (1 8a 11) - sens
classique - , mais aussi - étrangement - τροφή (19d 8) 5. Pour les mots grecs
dont les sens sont bien connus du traducteur, les transpositions latines ne sont
pas toujours exactes. Prenons, par exemple, δύναμις. Le mot est généralement
compris par Calcidius au sens de potentia, uis... Il est vrai que le sens de uis a

1. Cf. de même la définition que LN. Adams, 2003, p. 459, emprunte à H.H. Hock & B.D. Joseph,
Language History, Language Change, and Language Relationship : an Introduction to Historical
and Comparative Linguistics, Berlin, 1996, p. 264 : « Calquing consists of translating morpholo-
gically complex foreign expressions by means ofnovel combinations of native éléments that match
the meanings and the structure of the foreign expressions and their component parts. »
2. C f 39A6.
3. 2003, p. 461-462, définition empruntée à R. Coleman, « Greek Influence on Latin Syntax »,
TPhS 69, 1971, p. 106 ; cf. également Fr. Biville, 1989.
4. J.N. Adams, 2003, p. 462 n. 182 et p. 465, donne les exemples de ambitus pour περίοδος
(équivalence que Calcidius utilise dans le commentaire) ou potentia avec le sens de « quantité »,
dérivé de δύναμις.
5. Cf. aussi infra p. 116, et, de même, pour le sens de imaginarius, p. 117.
116 BÉATRICE BAKHOUCHE

une extension sémantique suffisante pour correspondre au grec δύναμις L Or


en 41c5, nous lisons la traduction suivante :

P la to n C ic é r o n C alcidius
... μιμούμενοι την ... im ite m in iq u e uim Im itantes ergo m eam
έμήν δύναμιν περί m eam , qua me in ues- iuxta effectu m ues-
την ύμετέραν tro ortu usum esse m e­ trum sollertiam . ..
γένεσιν. m inistis.

La traduction de Calcidius affaiblit le sens du mot grec, car il s’agit bien du


pouvoir, de la puissance d ’engendrement du démiurge. Notons également,
dans ce passage, le nouveau sémantisme de effectus, employé comme syno­
nyme de ortus.
Deux autres occurrences de δύναμις sont traduites par Calcidius de façon
plus inexacte encore. La première est en 31c5-32a 1 :

P laton C ic é r o n C alcidius
Όπόταν γάρ Quando enim trium uel Cum enim ex tribu s
άριθμών τριών είτε num erorum uel fig u ra ­ uel num eris uel m oli­
όγκων εϊτε rum uel quorum cum - bus uel ulla alia po-
δυνάμεων que generum contin git ten tia m ed ie ta s imo
ώντινωνούν η τό ut, quod m edium sit, ut p e r in d e q u a d ra t ut
μέσον, ότιπερ τό ei prim u m p r o p o r tio ­ summ itas m ed io ...
πρώτον προς αυτό, ne, ita id p o stre m o
τούτο αυτό προς τό com paretu r...
έσχατον...

Certes le texte grec n ’est pas clair : le troisième terme de l’énumération


paraît désigner une grandeur géométrique, après les nombres et les lignes.
A. Rivaud le traduit par « (nombres) plans » (p. 144) et L. Brisson traduit par
« (nombres) en puissance » (p. 129). Les deux traducteurs latins en tout cas,
apparemment aussi gênés l’un que l’autre pour comprendre ce terme, ont l’un
et l’autre adopté une traduction qui ne correspond pas au champ sémantique du
modèle grec.
En 38d 4, δύναμ ις est encore utilisé dans un sens technique : il s’agit de
décrire les mouvements des planètes Mercure et Vénus, « isodromes » avec le
Soleil mais affectées d’une impulsion de sens contraire :

P laton C ic é r o n C alcidius
... εωσφόρον δέ και Lucifer deinde et san c­ ... tum L u c ife ri e t
Ιερόν Έρμου ta M ercuri ste lla cu r­ M e r c u r ii c o ll o c a t
λεγόμενον εις τον sum habent solis c ele ­ ignes in eo m otu qui
τάχει μέν ισόδρομον rita ti p a rem , se d uim concurrit quidem sol-

1. C/. N. Lambardi, 1982, p. 121.


INTRODUCTION À LA TRADUCTION DU TIMÉE 117

ήλίω κύκλον ίόντας, quandam c o n tr a ­ s t i ti a l i c ir c u itio n i,


την δε έναντίαν riam ... c o n tra ria tam en ab
είληχότας αύτω eo circu m fertur a g i­
δύναμιν..._________ tatione...

Ces trois exemples suffisent à montrer que la polysémie de mots grecs cou­
rants, utilisés dans des contextes bien différents, n’est pas toujours bien maîtri­
sée par le traducteur. Le sens général de la phrase grecque paraît compris. Le
traducteur est-il cependant dans l ’incertitude ou faut-il mettre sur le compte
d’une certaine indigence du latin le manque de précision de sa traduction ?
Dans la version de Calcidius, le sens des mots est souvent fluctuant, tout
comme leur degré de précision et d’exactitude. Parfois même, il faut entendre
les termes dans leur sens étymologique comme institutio en 19d , generale en
37c, ou ingenerata (47c). Bien plus, les hapax legomena sont suffisamment
nombreux 1 dans la traduction pour qu’on ne puisse passer sous silence la créa­
tion verbale comme autre procédé de traduction.
Il faut enfin relever le goût marqué du traducteur pour les mots abstraits, en
particulier ceux qui sont construits à l’aide du suffixe - tio, comme concretio,
assumptio, perpessio, assertio,peragratio, assecutio, etc. Mais si ces choix
lexicaux traduisent le goût de Calcidius pour les mots longs qui cadrent bien
avec son esthétique de 1’amplificatio, une telle prédilection aboutit parfois à
des structures syntaxiques d ’une grande lourdeur quand ces noms entrent dans
des périphrases verbales qui se substituent au verbe simple comme en 52c :
... at enim uere existentium rerum assertio perspicua rationis luce firm a tu r...

et opacifient encore plus sa traduction.

Les choix stylistiques


Traduire, c ’est aussi respecter les effets stylistiques du texte-source.
Calcidius ne le fait pas toujours. Si, en 2 9 cl, le groupe imaginis imaginaria
traduit de façon heureuse le couple είκόνος είκότας en conservant l’effet pho­
nique induit par le polyptote, cela se fait en réalité au détriment du sens :
Calcidius a compris εικώς comme un dérivé de είκώ ν, d ’où la création de
l’adjectif imaginarius dérivé de imago. Cette figure étymologique sert à dési­
gner l’image des choses sensibles, qui sont elles-mêmes des reflets des réalités
intelligibles, et le couple était déjà utilisé par Sénèque dans ce sens ontolo­
gique : « Parce qu’étymologiquement », écrit M. Armisen-Marchetti 12, « ima­
ginarius est à imago ce qu’en grec εικονικός est à είκών, l’adjectif sert à qua­
lifier l’une des formes de l’être dans la philosophie platonicienne, celle des ob­
jets sensibles, “images” dégradées des réalités éternelles (Ep. 58, 27) ; c’est là
une initiative de Sénèque. » Le doublet n’est pas non plus sans rappeler l ’ex-

1. Cf. les notes et l ’Introd. gén., « La fortune de l ’œuvre ».


2. Sapientiae faciès , Paris, 1989, p. 31.
118 BÉATRICE BAKHOUCHE

pression ειδώλου εϊδωλον, qui n ’est pas de Platon mais qui est proche pour le
sens de « reflet de reflet » de République X L Bref, l’arrière-plan sémantique
à 'imaginis imaginaria est assez complexe.
Ailleurs en revanche - en 43a 6 2 - , l ’effet phonique du polyptote grec est
observé par Cicéron mais non par Calcidius :
P laton C ic é r o n C alcidius
... (τάς τής ... in eo influente at- (circu itus im m ortalis
άθανάτου ψυχής que efflu en te (an im i an im ae c ir c u m lig a ­
περιόδους ένέδουν) diuini am bitus inliga- bant) in risu o fluido-
εις έπίρρυτον σώμα b a n t)... que c o rp o ri...
και άπόρρυτον.

Nous retrouvons ces effets phoniques indépendamment du modèle grec. Ils


sont parfois générés par des effets d ’accumulation, qui ne sont d ’ailleurs pas
propres à Calcidius. R. Poncelet les dénonçait déjà dans les traductions cicéro-
niennes, en distinguant cependant deux types de figures, « l ’accumulation
analytique, c ’est-à-dire pourvue d ’une valeur d ’analyse, parce que le contenu
d'une idée est réparti entre des termes de sens divergent, dont chacun note un
aspect de la pensée », et « l’accumulation tautologique, où le contenu séman­
tique du deuxième terme est à peu près le même que celui du premier » (1957,
p. 196).
Or Calcidius, quand il rencontre une accumulation du premier genre, ne la
reconnaît apparemment pas, puisqu’on le voit traduire le grec περί νουν και
φρόνησιν (« qui concerne l’intellect et la réflexion ») par le seul adjectif ratio­
nabilis (34a 2-3), alors que les redoublements pléonastiques, dans sa traduc­
tion, sont légion 3 : nous en avons relevé une bonne soixantaine.

Les effets de redondances se doublent de constructions chiasmatiques,


comme celle-ci : ...pars eius ignita, humectata uero pars eiusdem... (51b 5),
répétée à la page suivante : humectatam modo, modo ignitam (52d 5). Ce serait,
selon R. Poncelet, 1950, p. 160, une des caractéristiques les plus frappantes de
la méthode des traducteurs latins. C ’est un procédé stylistique particulièrement
goûté de Calcidius, et, si J.H. Waszink souligne à juste titre une exubérance,
dans la traduction du grec, qu’on rencontre pour la première fois dans la litté­
rature latine 4, cette caractéristique rejoint néanmoins une des spécificités du
style de Calcidius, puisqu’on la retrouve dans le commentaire.1234

1. Cf. J. Pépin, « L ’épisode du portrait de Plotin. La théorie de l ’art », dans Porphyre, La vie
de Plotin II, Paris, Vrin, 1992, p. 307-311.
2. Cf. également en 43 d 8-9 et note ad loc.
3. Contra R. Poncelet, 1953, chap. V.
4. 1986, p. 58 : le stylus floridus de Calcidius présente des parallèles beaucoup plus nombreux
avec les auteurs des Ve et VIe siècles qu’avec Jérôme ou Rufin, l’éditeur hollandais donnant dès
lors raison à Vossius qui envisageait une datation « basse », pour un auteur Theodosianis quam
Constantianis temporibus propior.
INTRODUCTION À LA TRADUCTION DU TIMÉE 119

Les images, d’autre part, contribuent elles aussi à donner une tonalité parti­
culière à la version. Celles de Platon, quoique fort rares, ne sont pas toujours
rendues : c ’est ainsi que le philosophe associe aux sensations, dans l’âme,
l’idée de flux et de reflux, et, comme on l’a vu, ce double courant n’est pas tra­
duit par Calcidius. À l’inverse, le traducteur latin introduit des images étran­
gères au texte grec, comme en 41D, à la fin du discours du démiurge, où appa­
raît la notion de tribut (faenus) K Destinées soit à enjoliver le discours soit à le
rendre plus abordable pour un public non averti, ces images ne sont pas ano­
dines. Elles révèlent apparemment les habitudes de pensée du traducteur. Si le
procédé est parfois dangereux, dans la mesure où elles introduisent, comme l’a
remarqué R. Poncelet2, du concret dans de l’abstrait, entraînant ainsi un glis­
sement de plan, le danger vient alors d’une mauvaise compréhension soit de
l’image initiale soit du texte grec, ou induit une mésinterprétation. Au lieu
d’éclairer le texte, l’image peut l’obscurcir au contraire et le trahir en devenant
source d ’erreur : c ’est ainsi qu’en 53a 4, le crible du texte platonicien se voit
adjoindre une seconde comparaison, celle du flot impétueux de l’Euripe qui
n’exprime pas l’idée de discrimination exprimée par la première image.

Ailleurs, quand, dans Timée 35b4- c 2, le démiurge procède au mélange de


l’âme du monde et à son découpage en sept portions, le texte grec, comme la
version cicéronienne, se présente sous forme d’énumération :

P laton C ic ér o n C alcidius
μίαν άφειλεν το Vnam p rin c ip io p a r ­ Vnam sum psit ex uni-
πρώτον άπό παντός tem d e tra x it ex to to , uerso p rim itu s p o r ­
μοίραν, μετά δε secundam autem p r i ­ tion em , p o s t quam
ταύτην άφήρει mae p a rtis duplam , d e ­ duplicem eius quam
διπλάσιάν ταύτης, inde tertiam , quae se ­ su m p s e r a t, te r tia m
την δ' αΰ τρίτην cu n dae se sq u ia lte r a , uero sescuplam qu i­
ημιολίαν μέν τής p rim a e trip la , dein de dem se c u n d a e , tr i­
δευτέρας, quartam , quae secu n ­ p la m uero p rim itu s
τριπλασίαν δέ τής dae dupla esset, quin­ su m p ta e , a t u ero
πρώτης, τετάρτην δέ tam inde, quae tertiae quartam sum psit du ­
τής δευτέρας tripla, tum sextam o c ­ p lic e m secu n d a e,
διπλήν, πέμπτην δέ tuplam prim ae, p o stre ­ quintam triplam te r­
τριπλήν τής τρίτης, m o se p tim a m , qu ae tia e . sex ta fuit as-
τήν δ' εκτην τής septem et uiginti p a rti­ sum ptio partibus sep-
πρώτης, bus a n te c e d e r e t p r i ­ tem quam prim a pro-
όκταπλασίαν, mae. p e n sio r . septim a sex
έβδόμην δ' e t u ig in ti p a r tib u s

1. Cf. de même en 45d : lucis eius auxilio consortioque uelut uiduatum hebet ; et en 46c ;
similis porro ut mento genisque ad superiora sublatis.
2. 1957, p. 227 : « Le rôle philosophique de l ’image est la saisie immédiate du rapport, c ’est-
à-dire qu’il s ’achève dans un acte intellectuel ; le rôle de l ’image littéraire est la restauration de la
sensibilité dans sa pureté et dans sa naïveté originelles. »
120 BÉATRICE BAKHOUCHE

έπτακαιεικοσιπλα - quam prim a m aior.


σίαν τής πρώτης.

Alors qu’au début de la phrase, Calcidius épouse la structure du grec en


faisant l’économie des relatives utilisées par Cicéron, brusquement, pour évo­
quer les deux dernière portions, le traducteur change de construction en intro­
duisant un double effet de variatio, à la fois sur le plan syntaxique et lexical :
au démiurge, sujet non exprimé du début de la phrase, se substitue alors une
construction indéfinie avec l’emploi d ’un nom abstrait dérivé de assumo. Ce
terme, assez peu employé, est en outre accompagné de deux comparatifs dont
le premier - propensior - n’est pas seulement d’un emploi rare, mais introduit
en outre une image d ’extension tout à fait étrangère au grec. Une fois de plus,
la phrase platonicienne n’est plus guère reconnaissable après les transforma­
tions que lui fait subir le traducteur Calcidius.

Enfin, le choix du lexique, s’il est souvent dicté par des considérations sty­
listiques, peut aussi l’être pour des raisons métriques. C’est ainsi qu’en 45 d 7-
8, par exemple, le groupe illecebra somni clôt la phrase par une clausule parti­
culièrement recherchée (péon 1er + spondée), de même que posse uideatur en
5lB l.

Les effets d’assonances et d ’allitérations, liés à l’emploi de doublets ou de


figures étymologiques, ressortissent à la même recherche stylistique et ryth­
mique. R. Poncelet, 1953, chap. V p. 1 sq., comparant la traduction du discours
du démiurge par Cicéron et par Calcidius en 4 1 A - B , a montré à quel point ce
passage constitue, dans la version du IVe siècle, un véritable morceau de bra­
voure, par le recours au chiasme, à l’antithèse, aux parallélismes rimés, par le
cliquetis des mots de même consonance et de sens contraire, et, enfin, par les
accumulations insistantes et non descriptives. La préciosité de l ’expression
témoigne donc de la volonté de Calcidius d ’inscrire sa version dans un cadre
authentiquement littéraire.

Le r a p p o r t à l a v e r s io n c ic é r o n ie n n e

Calcidius connaissait-il la traduction du Timée par Cicéron ? Les avis sont


depuis longtemps divergents. B.W. Switalski, 1902, pensait que Calcidius n’était
nullement redevable à son prédécesseur, sans quoi il aurait pu éviter un certain
nombre d ’erreurs de traduction. Plus tard, R. Poncelet concluait dans le même
sens sa thèse complémentaire, en soulignant qu’« il n’y a pratiquement aucun
souvenir du Timée de Cicéron dans celui du quatrième siècle » L Beaucoup1

1. 1953, conclusion p. 3 ; « et pourtant », ajoute-t-il, « Chalcidius n ’ignore pas l ’œuvre du


premier écrivain d ’idées de Rome », faisant allusion à une citation explicite de Cicéron au chapitre
INTRODUCTION À LA TRADUCTION DU TIMÉE 121

plus récemment, Chr. Ratkowitsch, 1996, p. 142 n. 11, se dit convaincue au


contraire de la connaissance de la version cicéronienne par un Calcidius
soucieux cependant de faire une version nouvelle, plus moderne.

D ’une façon générale, le vocabulaire philosophique grec confronte le tra­


ducteur latin à des difficultés particulières, étant donné l’indigence de sa langue
dans ce domaine, et, si la version, en tant qu’adaptation d ’un texte d ’une
culture à l’autre, implique d ’abord une lecture, c ’est-à-dire une interprétation,
celle-ci est plus nettement perceptible chez Cicéron que chez Calcidius. C ’est
ainsi, par exemple, comme l ’a montré C. Lévy (2003), que la notion de trans­
cendance est difficilement exprimée dans la version cicéronienne : le démiurge
platonicien, que Calcidius exprime généralement par le terme opifex, est mis
en scène par 1’Arpinate comme un ouvrier laborieux, ainsi au chap. 13 : mun­
dum efficere moliens. De même, la bonté du démiurge en 29a (δημοιουργός
άγαθός) est affaiblie dans la traduction cicéronienne par probus (Calcidius :
optimus). Cicéron donne l’impression de sous-estimer la puissance du démiurge
et sa transcendance. De façon analogue, le monde noétique est assimilé à la
nature, et Γουσία à la materia. Cicéron paraît donc traduire en étant influencé
par le système stoïcien dont il utilise la terminologie, alors qu’un tel arrière-
plan herméneutique est absent de la version calcidienne.

D’un autre côté, les parallèles établis jusqu’à présent - si partiels soient-ils
- ne laissent transparaître aucun calque du texte plus récent sur le plus ancien,
ce qui ne constitue pas une preuve irréfutable de l’originalité totale du second
traducteur qui, par coquetterie, aurait pu systématiquement traduire autrement.
Certes, la traduction de Cicéron est, dans l’ensemble, beaucoup plus pré­
cise, et R. Poncelet lui-même, en dépit de son anti-cicéronisme, reconnaît que,
dans sa version du Timée, « Cicéron essaie d ’amener sa langue au plus haut
degré de précision dont elle est susceptible » (1957, p. 81), sans cependant attein­
dre toujours une parfaite exactitude.
Qu’il nous suffise ici d’établir d’ultimes parallèles, en complétant l’étude
de la notion d’intériorité et de centre géométrique par R. Poncelet :

27 du commentaire de Calcidius ; mais le passage en question est un fragment étranger à la version


du Timée ( cf. note ad loc.).
122 BÉATRICE BAKHOUCHE

P la to n (41 b 9) C ic é r o n C alcidius
τά γά ρ άπαντ' έν Omnia enim genera (si) uniuersa morta­
αύτφ γένη ζώ ω ν animalium complexu lia genera intra con-
ο ύ χ εξει... non tenebit... septum suum minime
continebit...

La substitution de l’embrassement à l’intériorité ne sépare pas l’objet isolé


et son ensemble chez Cicéron - à la différence de la version calcidienne plus
proche du texte platonicien . De même en 33b 5-6 :

Platon C ic é r o n C a l c id iu s
έκ μ έσ ο υ π ά ντη προς ... cuius omnis extre­ ... quae a medietate
τάς τελευτά ς ϊσ ο ν mitas paribus a medio ad omnem ambitum
ά π έ χ ο ν ... radiis adtingitur... extimarum partium
spatiis aequalibus
distat...

L ’expression des relations géométriques par des prépositions, qui per­


mettent à Calcidius d’indiquer le point de départ et le point d’arrivée, donne à
sa traduction une plus grande précision l. À l’évaluation abstraite d ’une dis­
tance et d’un point de contact dans la version cicéronienne, Calcidius substitue
avec justesse une définition précise du milieu, ce qu’il n’aurait pu faire, s’il
avait imité le seul texte cicéronien. Au contraire, en 34b 6-7, la concentration
sur soi propre au ciel est exprimée avec précision dans la traduction de Cicéron
qui rend le préfixe grec συν- par son équivalent latin cum , alors que la tra­
duction de Calcidius est presque incompréhensible :

Platon C ic é r o n C a l c id iu s
... δι' α ρ ε τ ή ν δε quod secum ipsum qui uirtutum praestan­
αυτόν α ύτφ propter uirtutem facile tia sufficeret concilia-
δυνάμ ενον esse posset... tioni propriae...
σ υ γ γ ίγ ν ε σ θ α ι

Néanmoins, la version cicéronienne pèche elle aussi par un certain nombre


de défauts que nous avons déjà relevés chez Calcidius. Les omissions y sont
relativement nombreuses 12, allant d ’un mot (40 e 6) à une réplique entière
(29D3-5). En trois passages (41c2, 42 b 5, 46 b 2), les groupes sautés l’ont été
également par Calcidius, mais pas en totalité d ’un côté ou de l’autre : l’omis­
sion est plus importante tantôt chez l’un tantôt chez l’autre. Deux omissions se

1. Cf. R. Poncelet, 1953, chap. II, p. 3.


2. Cf. 27d4, 38b2, 29b6-7, 29C4-2, 29D3-5, 29e5, 30b3-4, 30b6-7, 30 cl, 31b2-3, 31b4, 32b5,
34c2, 36d6-7, 36e5, 38C4-5, 38C5-8, 39c8, 3 9 e1 ,3 9 e6 -7 , 40b3-4, 40d1-2, 40e6, 41a7-8, 41b1-2,
41b7, 4 1c3, 42b1-2, 42C6-7, 46b6, 46c6.
INTRODUCTION À LA TRADUCTION DU TIMÉE 123

recoupent exactement (29b 8-9 et 36d 4) et une dernière expression (47a6) se


trouvait peut-être déjà omise dans la copie grecque utilisée. Ces dernières con­
fluences ne permettent cependant pas de réduire le modèle de Calcidius à la
version de Cicéron.

Par ailleurs, le texte grec étant assez souvent obscur et allusif, si les contre­
sens sont relativement nombreux dans le travail de Calcidius, ils sont égale­
ment à déplorer chez Cicéron, et recoupent parfois - mais sous des expressions
différentes - ceux de notre auteur. C ’est ainsi qu’en 40a 6, les deux donnent à
φρόνησις le sens traditionnel, Cicéron le traduisant par mens et Calcidius par
prudentia, alors qu’ici le mot grec a le sens de « régularité ». De même, en
37 a 8, les deux ont lu les interrogatifs comme des sujets et non comme des
compléments :

P laton C ic ér o n C alcidius
ότω τ' άν τι
... ... quid sit eiusdem g e ­ ... quid sit eiusdem in-
ταύτόν ή και ότου neris, quid a lte riu s... diuiduaeque, quid item
αν έτερον... d iu ersa e d isso lu b ilis-
que natu rae...

À l’inverse, notre dernier exemple sera emprunté à une phrase platoni­


cienne particulièrement limpide qui permet des expressions latines du champ
sémantique de la connaissance remarquablement proches :

P laton (28 a 1-4) C ic ér o n C alcidius


τό μέν δή νοήσει ... quorum alterum itu ... a l te r u m intellectu
μετά λόγου te lle s e n tia et ration e p e r c e p tib ile ductu et
περιληπτόν, άει com preh en ditur, quod inuestisatione ration is .
κατά ταύτά όν, τό unum atque idem sem- sem per idem, porro a l­
δ' αΰ δόξη μετ' p e r est ; alterum , quod terum opin ion e cum
αίσθήσεως άλογου adfert opinio et sensus in r a tio n a b ili se n su
δοξαστόν, ration is e x p e r s . qu od o p in a b ile p ro p te re a -
γιγνόμενον και totum opinabile e s t . id que incertum . nascens
άπολλύμενον, όντως gignitur et in terit... et occiden s....
δε ουδέποτε όν.

Bien qu’aucun des deux auteurs ne conserve la construction en parallèle de


Platon, Calcidius cependant est plus fidèle que Cicéron à la structure de la
phrase grecque, le complément d’accompagnement (<cum...) calquant le grec
μετά (suivi du génitif) ; le vocabulaire utilisé par les deux traducteurs est ici
particulièrement proche : intellegentia ou intellectus pour νόησις, opinio et ses
dérivés pour δόξα, ratio pour tout ce qui relève de la raison, du λόγος. Ces
catégories sémantiques étaient déjà bien nettes à l’époque de Cicéron.
124 BÉATRICE BAKHOUCHE

Au terme de cette étude, aucune concordance flagrante ne peut nous ame­


ner à suivre Chr. Ratkowitsch quand elle suppose une imitation maîtrisée de la
version cicéronienne par Calcidius. Les études comparatives des deux versions
n’aboutissent jamais à une conjonction de traduction. Si rien ne permet d’assu­
rer que Calcidius ignorait la version de son illustre prédécesseur, les références
à Cicéron dans le reste du texte ne sont guère probantes, et il est loisible d’inférer
au contraire que Calcidius n ’a guère utilisé, pour cette traduction, l’héritage
cicéronien. Bref, les infidélités à l’original sont le signe, chez Cicéron, d ’un
refus de la traduction littérale, sans trahir cependant le sens du texte traduitl.
Par delà la variatio sermonis propre à l’esthétique latine, Cicéron se livre à une
authentique réélaboration stylistique et technique. Calcidius en revanche paraît
moins s’intéresser au texte qu’à son exégèse, à tel point que le commentaire
paraît être premier, comme on peut l’inférer de la traduction qui, pour les pas­
sages non commentés, est - on l’a dit - nettement négligée, voire hâtive et
souvent fautive. Pour les extraits en revanche qui feront l’objet d’explications
approfondies, l’exégète platonicien oscille entre un littéralisme scrupuleux -
ad verbum a verbo - et une paraphrase à peu près exacte, sans qu’on sente
jamais une recherche personnelle d ’appropriation du texte grec. En tout état de
cause, dans les deux cas, il n’y a pas de traduction fidèle, mais transposition de
plan, selon des perspectives et un projet différents.
La traduction du Timée s’inscrit dans le parcours intellectuel de 1’Arpinate,
à une étape de son évolution. L ’appropriation du texte platonicien par la sup­
pression de la forme dialogale et le remplacement de la scène d’ouverture par
une nouvelle mise en scène suffisent à traduire l’intérêt personnel du philo­
sophe pour un texte difficile, considéré comme voie d ’accès à la transcen­
dance. Au contraire, Calcidius ne se plie au périlleux exercice de traduction
que pour complaire à son ami Osius - en tout cas dans un but pédagogique - ,
d’où le recours plus fréquent au calque, même si, à travers les deux versions,
on reconnaît le style propre à chacun des deux auteurs.

T r a d u c t io n s e t é t a b l is s e m e n t d u t e x t e g r e c

Enfin l’étude des deux traductions devrait aider à affiner l’histoire du texte
du Timée. Quel texte grec les deux auteurs avaient-ils sous les yeux ? Des manu­
scrits émanant de traditions différentes ou, au contraire, des copies relevant
d’une même transmission ?

1. Cf. Opt. 14 : Non conuerti ut interpretes, sed ut orator, sententiis iisdem et earum formis,
tamquam figuris, uerbis ad nostram consuetudinem aptis ; in quibus non uerbum pro uerbo ne-
cesse habui reddere, sed genus omnium uerborum uimque seruaui. Non enim ea me annumerare
lectori putaui oportere, sed tanquam appendere.
INTRODUCTION À LA TRADUCTION DU TIMÉE 125

A.Rivaud, dans son édition du dialogue platonicien l, distingue deux groupes


de manuscrits, le premier représenté par le plus ancien, le Parisinus graecus
1807 (A) et le second par le Codex 21 du fonds grec de la bibliothèque de
Vienne (Y), auquel se rattachent entre autres le Vindobonensis 54 (W) et le
Parisinus graecus 1812 (1812). C ’est le premier qui a servi de base à l’édition
du dialogue dans la Collection des Universités de France. En 1989, dans un
travail qui fait désormais référence, G. Jonkers (1989) a reconsidéré toutes les
hypothèses antérieures sur les filiations entre les manuscrits du Tintée, et, en
particulier, l’hypothèse de E. Deneke 12 selon laquelle le manuscrit A serait
d ’accord avec la version cicéronienne contre F (Vindobonensis Suppl. Gr. 39)
et Y. L’érudit hollandais (1989, p. 126) montre que les choses sont loin d ’être
aussi simples, car Y est parfois en accord avec A. Aussi nous contenterons-
nous de signaler, pour un certain nombre de passages du Tintée, les différentes
leçons qui permettent de rattacher les versions latines à un groupe de manu­
scrits du texte grec.
Rappelons tout d ’abord les principaux manuscrits du Tintée concernés
ic i3 :
A Parisinus 1807, fin IXe siècle.
C Tubingensis Mb 14, XIe siècle.
F Vindobonensis Suppl. Gr. 39, XIIIe ou XIVe siècle.
V Vindobonensis Phil. Gr. 337, première partie (fol. 1-8) des années 1500
et la seconde de la première moitié du XVe siècle.
W Vindobonensis 54, seconde partie (qui contient le Tintée) du XIVe
siècle.
Y Vindobonensis Phil. Gr. 21, écrit à Constantinople à la fin du XIIIe ou
au début du XIVe siècle.
Θ Vaticanus 226, terminus ante quem est c. 1340.
Ψ Parisinus 2998, XIIIe-XIVe siècle.
g le sigle groupe Y, Θ et Ψ.
β Florentinus Laurentianus 80,19, daté entre le XIIe et le XVe siècles
suivant les codicologues.

Les remarques qui suivent tiennent compte des analyses de G. Jonkers et


de l’apparat critique de l’édition de A. Rivaud :
- en 18a1, utpote (consanguineos) traduit un άτε (φύσει) (Y) et non un
άτε καί (F) ou un καί (A).
- en 25 d 5, crasso traduit plutôt le κάρτα βαθέος de A.
- en 28 a 1, Cicéron et Calcidius ont lu la leçon de FWg, τό γιγνόμενον
μέν, et non celle de AC, τό γιγνόμενον μέν άεί.

1. Notice, p. 120-122 ; cf. M. Lemoine, 1997, p. 66.


2. De Platonis Dialogorum Libri Vindobonensis F Memoria, diss. Gottigen, 1922.
3. G. Jonkers a décrit 55 manuscrits (1989, chap. 3, p. 48-81).
126 BÉATRICE BAKHOUCHE

- en 29b8, c’est la leçon de A, άνικήτοις, qu’ont lu Cicéron (neque conuin-


ci potest) et Calcidius (inexpugnabilis) L
- en 33a7 , Cicéron (unum opus) et Calcidius (unum) ont lu ëv de ACg
plutôt que ëvcc de F.
- en 34b 1, Cicéron (et a medio) et Calcidius (et a medietate) ont lu τε και
έκ de AF et non τε έκ de Cg.
- en 35 A4, αΰ περί a été lu par Calcidius (cf. AFWY), mais pas par
Cicéron.
- en 36c 1, les traductions de Calcidius (in orbes) et Cicéron (in orbem)
calquent le grec εις κύκλον (WY) plutôt que εις εν κύκλφ (AF).
- en 37b7, immutatus et rectus de Cicéron paraît rendre ών de ACg, tandis
que fertur de Calcidius traduit ιών de FV.
- en 39a 2, ιούσης και κρατουμένης a été lu à l’accusatif par les deux
traducteurs 12 : c’est la leçon corrigée de Y.
- en 40 d 1, τοίς ού δυναμένοις λογίζεσθαι comportait la négation dans le
modèle de Cicéron (AV), mais pas dans celui de Calcidius (Fg)3.
- en 41a8, Cicéron (me inuito) a lu μή έθέλοντος de AV alors que
Calcidius (me... ita uolente) avait sans doute γε έθέλοντος de A2Fcg
sous les yeux.
- en 42a5, μίαν de Ag est rendu par Cicéron (sensum... unum), mais est
omis dans FC, comme chez Calcidius (sensum).
- en 42 b 5, καί συνήθη, négligé par les deux traducteurs, n ’apparaît pas
non plus dans Y 4.
- en 43d7, c’est la leçon de A2 (λυταί) qui est lue par Calcidius (dissoluï).
- en 44c3, Calcidius, en traduisant par cum stultitia, a lu άνοήτος de A2FV,
et non άνόνητος de AWg.
- en 47 a 5-6, le groupe καί ίσημερίαι καί τροπαί de F, non traduit par
Cicéron et Calcidius 5, était déjà omis dans AVCg.
- en 50e7, la traduction de Calcidius (nullius... odoris proprii) rend le
άώδη seulement attesté dans β2, et non ευώδη de AFCg.

La conclusion de G. Jonkers, pour l’histoire du texte du Timée, que Cg aurait


un modèle commun - qui daterait du début du IIe siècle avant notre ère ou
même avant - avec F contre A ne saurait s’appliquer à nos traductions, dont le
texte-source ne paraît pas appartenir à un groupe très défini. D’une façon géné­
rale, on peut déduire que le texte du Timée qui a circulé dans le monde latin
était un ancêtre de Y, qui offrait cependant des leçons communes avec le meil-

1. Cf. note ad loc.


2. Cf. note ad loc.
3. C f note ad. loc.
4. Cf. note ad loc.
5. Cf. note ad loc.
INTRODUCTION À LA TRADUCTION DU TIMÉE 127

leur manuscrit A l. Il est intéressant en outre de constater - comme le souli­


gnent les notes - que les manuscrits qui paraissent avoir circulé dans le monde
latin appartiennent à la famille de manuscrits utilisée par Alcinoos dont on
aura l’occasion de constater, dans le commentaire, les multiples points com­
muns avec la pensée de Calcidius !
Une dernière remarque soulignera l’importance des deux traductions latines
pour l’établissement du texte grec dans la mesure où, en 40c5 par exemple, la
leçon adoptée par A. Rivaud, προχω ρήσεις est une correction de la leçon
προσχωρήσεις commune à tous les manuscrits, et ce sur la base des versions
latines (<antecessiones chez Cicéron et progressus chez Calcidius - dans le
commentaire, il est vrai).

Bien que les doublets n ’aient pas été relevés dans leur totalité, les nom­
breuses notes qui accompagnent la version latine ci-après signalent les diffé­
rences avec l’original grec. Dernière remarque : les multiples libertés du tra­
ducteur par rapport à son modèle ont pour ultime conséquence de rendre diffi­
cile le respect, dans la version latine, du découpage du texte grec.

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128 BÉATRICE BAKHOUCHE

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CONSPECTUS SIGLORUM

C o d ic e s

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A VATICAN Reg. lat. 1068 (Reg3)
B AUSTIN TX, Univ. of Texas, Ms 29 (ex-Cheltenham, Phillipps 816)
(Chel)
C LONDRES, British Libr., Addit. 15601 (A3)

2. Codices translationis et commentarii


D VALENCIENNES, Bibi. Munie. 293 (283) (Val)
E PARIS, BnF lat. 2164 (Pl)
F VATICAN, Reg. lat. 1308 (Reg6)
G BRUXELLES, Bibi. Roy. 9625-9626 (Brl)
H VIENNE, Ôsterreichische Nationalbibliothek lat. 443 (Ul)

3. Codex commentarii
I VATICAN, Barberinus lat. 21 (B1)

E d it io n e s

wr J. Wrobel, Leipzig 1876.


wzk J.H. Waszink, Leyde 1962 (1975)
edd. éd. J. Wrobel et J.H. Waszink

L ’apparat critique de la traduction se fonde sur les séries 1 et 2 des ma­


nuscrits , et celui du commentaire sur les séries 2 et 3.

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