Bakhouche Calcidius 01introduccion (2011)
Bakhouche Calcidius 01introduccion (2011)
Bakhouche Calcidius 01introduccion (2011)
H IS T O IR E DES D O C T R IN E S DE L ’A N T IQ U IT É C L A S S IQ U E
Fondateur : Jean Pépin Directeur : Luc Brisson
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CALCIDIUS
COMMENTAIRE
AU
TIMÉE DE PLATON
TOME I
avec la collaboration de
Luc Brisson pour la traduction
P A R IS
2011
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INTRODUCTION GENERALE
L ’AUTEUR
Son nom
Chalcidius ou Calcidius ? De A Giustiniani (1520) à J. Wrobel (1876), tous
les éditeurs 3 ont adopté la première graphie sur la foi de quelques manu-
scrits l. S’il faut lire dans ce nom la transcription d ’un χα λ κ ιδίο ς, il ne peut
désigner qu’un ethnique de Chalcis en Eubée (χαλκιδεύς ou χαλκιδικός) 12,
mais deux arguments de J.H. Waszink 3 font désormais autorité pour l’abandon
définitif de la première orthographe : d’abord, les meilleurs manuscrits ne por
tent pas de H 4, pas plus - et c ’est la seconde preuve - que le dédicataire de
Y Expositio sermonum antiquorum de Fulgence, Calcidius grammaticus 5.
P.E. Dutton, s’il adopte la graphie sans H, s’interroge néanmoins sur le nom,
évoquant une origine grecque pour notre auteur 6. Ce qui permettrait du reste
de trancher la question à la fois du nom et de l’origine, ce serait peut-être l’aspect
linguistique : est-ce que les traductions (c’est-à-dire la méthodologie, les trans
positions, le choix des m ots...), et pas seulement dans la version mais aussi
dans le commentaire, sont celles d’un Grec qui transpose en latin ou l’inverse ?
La question n’est-elle pas insoluble ?
Son époque
1. Au début de YÉpître à Osius dans Paris, BnF Lat. 6282 (XIe s.) et München, Nationalbibl.
Lat. 14663 (XIIe s.) ; au début du commentaire dans Leiden, Bibi. Univ. B.P.L. 64 (XIe s.) et
Vaticano, Barber. Lat. 21 (XIIe s.) de même que, pour ce dernier manuscrit, à la fin de la première
partie, en marge ; pour Yexplicit du commentaire enfin, dans Milano, Ambros. I. 195. Inf. (XIe s.),
Bamberg, Bibl. Publ. Μ. V. 15 (XIe s.), Vaticano, Reg. Lat. 1861 (XIe s.), Wien, Ôsterreichische
Nationalbibl. Lat. 443 (XIe s.) et Napoli, Bibi. Naz. VIII F 11 (XIIe s.).
2. A Lexicon ofGreek Personal Names (Oxford, Oxford University Press, 1987-2005, 4 vol.)
ne donne aucun témoignage concluant. P.A.C. Vega, de son côté, a cherché à justifier la graphie
avec un H par une origine grecque dont le sens serait « petite cruche de bronze » (« Calcidio gran
escritor platonico espanol dei siglo IV », La Ciudad de Dios 152, 1936, p. 145-164 [p. 147, n. 3]).
Sur l ’origine espagnole de Calcidius, cf. infra « Son époque ».
3. Timaeus a Calcidio translatus commentarioque instructus, Leiden, 1962, praef. p. XVII ;
art. « Calcidius », Reallexicon für Antike und Christentum 15, 1975, p. 236-244 [p. 236].
G. Briscoe Kerfer suit toutes les conclusions de J.H. Waszink dans sa notice sur « Calcidius »,
Theologische Realenzyklopàdie, Berlin-New York, De Gruyter, 1981, p. 546-550.
4. Cet argument a été repris par A.H.M. Jones, J.R. Martindale & J. Morris, The Prosopo-
graphy of the Later Roman Empire I: AD. 260-395, Cambridge, Cambridge University Press,
1971, p. 172. Pourtant, dans le manuscrit Vatican, Reg. lat. 1068, qui passe pour une excellente
copie, on lit « Chalcidius » ; cf. infra « L ’établissement du texte ».
5. M. Huglo identifie, à tort selon nous, ce Calcidius avec notre auteur : « La réception de
Calcidius et des Commentarii de Macrobe à l ’époque carolingienne », Scriptorium 44, 1990, p. 3-
20 [p. 5 et n. 8], et « Recherches sur la traduction des diagrammes de Calcidius », Scriptorium 68,
2008, p. 185-233 [p. 185 n .l] ; de même, Jones, Martindale et Morris ( The Prosopography of the
Later Roman Empire I, p. 173) identifient notre auteur au « poet Calcidius who translated Greek
verses into Latin », alors que les vers cités par E. Baehrens dans l ’édition des Poetae Latini
Minores (Leipzig, 1879-86) ne sont que des extraits du Commentaire au Timée.
6. « Médiéval Approaches to C alcid iu s», art. cité, p. 185 ; cf. également l ’hypothèse de
Cl. Moreschini ( Calcidio. Commentario al Timeo di Platone, Milano, Bompiani, 2003, Introduz.
p. XII-XIII, n. 9), selon laquelle Calcidius pourrait avoir composé son œuvre à Constantinople.
INTRODUCTION GÉNÉRALE 9
qui a vécu centenaire (d’environ 256 à 358) et était connu pour sa participation
active au concile de Nicée, en 325, puis à celui de Sardique en Dacie, en 343 l.
C ’est dire que ce personnage, sorte de « ministre du culte » 2 de l ’empereur
Constantin, s’est fermement engagé dans la lutte contre les ariens. Il est l ’un
des responsables du dogme de la consubstantialité du Fils et du Père défini au
concile de Nicée, et c’est sur son instigation également que fut convoque le
concile de Sardique pour réaffirmer l’orthodoxie nicéenne 3. Les précisions sur
le destinataire de l ’œuvre apparaissent dans des manuscrits de Calcidius des
XIe, XIIe ou XIIIe siècles, c’est-à-dire dans des copies datant d’une époque où
des personnages dont on ne sait rien sont fréquemment identifiés avec d’autres
du même nom qui sont restés connus. Si Osius est évêque, Calcidius est diacre
ou archidiacre 4. L ’association des deux hommes (l’illustre et l ’obscur) a été
largement accréditée par les historiens 5.
Situer Calcidius dans l’entourage de l ’évêque de Cordoue oblige à le faire
vivre dans la première moitié du IVe siècle. Or le style de notre auteur ressortit
à l’éloquence latine d’une période plus tardive, c ’est-à-dire de la fin du IVe ou
1. Sur ce personnage, cf. V.C. de Clercq, Ossius ofCordova. A Contribution to the History of
the Constantinian Period, Washington, Catholic University of America Press, 1954 ; sur la
participation d ’Osius au concile de Sardique, cf. le témoignage d ’A. Giustiniani (ed. princeps
1520), Epist. Dedicat. : [...] Haec autem scripsit Chalcidius abhinc mille centum et triginta annis,
ad Osium Cordubensem Episcopum, qui concilio praefuit Sardicensi [...].
2. L’expression est de M. Meslin, Les Ariens d ’Occident 335-440, Paris, Seuil, 1967, p. 33.
3. Cf. H. Hess, The Canons of the Council of Sardie a A.D. 343: A Landmark in the Early
Development of Canon Law, Oxford, Clarendon Press, 1958.
4. Cf. les débuts des mss. suivants : Madrid (Escorial S .111.5) : Osio episcopo Calcidius archi-
diaconus ; Vienne (lat. 278) : Osii episcopi Cordubensis rogatu Calcidius hunc librum suscepit
transferendum ; Oxford (Bodl. Auct. F., 15) : Ossius Hispaniae episcopus fuit, Calcidius uero
archidiaconus fuit ; Vatican (lat. 3815) : Osio episcopo Calcidius diaconus ; Florence (Riccard.
139) : Osio episcopo hispaniae conflator huius operis archidiaconus ; sur ces manuscrits, cf. infra
« La tradition manuscrite ».
5. Cf. J. Wrobel, Platonis Timaeus interprete Chalcidio cum eiusdem commentario, Leipzig,
Teubner, 1876, praef. p. X ; W. Kroll, « Calcidius », Realencyclopadie der classischen Altertum-
wissenschaft III, coi. 2042-2043 ; D. Tamilia, « De Chalcidii aetate », Studi Italiani di Filologia
Classica 8, 1900, p. 79-80 ; B.W. Switalski, Das Chalcidius Kommentar zu Piatos Timaeus,
Miinster, Aschendorff, 1902, p. 3 et 6 ; P.A.C. Vega, « Calcidio gran escritor... », p. 154-156 ;
G. Bardy, « Chalcidius », dans A. Baudrillart (éd.), Dictionnaire d ’histoire et de géographie
ecclésiastiques XII, Paris, Letouzey et Ané, 1953, p. 278 ; V.C. de Clercq, Ossius of Cordova,
p. 69-75 ; M. Schanz & C. Hosius, Geschichte der Rômischen Literatur 1, München, Beck’sche,
1959, p. 137 ; J.C.M. van Winden, Calcidius on Matter. His Doctrine and Sources, Leiden, Brill,
1965, p. 2 ; et encore J. Dillon, The Middle Platonists. A Study of Platonism 80 B.C. to A.D. 220,
London, Duckworth, 1977, p. 401-402; art. «C halcidius, IVe s iè c le » [J. Salem], dans
D. Huisman (dir.). Dictionnaire des philosophes, Paris, PUF, 1984, p. 509-510 ; art. « Calcidius »
[J. Dillon], dans R. Goulet (dir.), Dictionnaire des philosophes antiques II, Paris, CNRS, 2000,
p. 156-157 ; et R. Herzog (éd.), Nouvelle histoire de la littérature latine 5. Restauration et
renouveau, tr. fr. Paris, Brepols, 1993, §566 «C alcid iu s» [G .M adec], p. 405-407. De même,
J.T. Muckle situe Calcidius au début du IVe siècle (« Greek Works Translated Directly into Latin
Before 1350 », Mediaeval Studies 4, 1942, p. 40).
10 BÉATRICE BAKHOUCHE
du début du Ve siècle l, mais guère plus tard 12. D ’autre part, J.H. Waszink a
contesté l’origine espagnole de Calcidius en se fondant sur le silence d’Isidore
de Séville à propos de l’ami d ’Osius et en déniant tout point commun entre les
deux auteurs 3 ; or, pour nous, cet argument n ’emporte guère l ’adhésion 4 ;
l’absence de manuscrit d ’origine espagnole est en revanche d ’un plus grand
poids. Enfin, D. Tamilia 5, sans toutefois contester l’identification de l’ami de
Calcidius avec l’évêque de Cordoue, remarque que jamais Calcidius ne donne
à son ami ce titre religieux. Autant d ’éléments qui battent en brèche l ’asso
ciation du dédicataire de l’œuvre de Calcidius avec Osius de Cordoue et qui
nous obligent à envisager une autre datation 6.
Il est possible d ’affiner le cadre chronologique étudié si nous arrivons à
identifier ce fameux Osius. Or nous connaissons deux autres personnages
ayant porté ce no m 7 : l’un, originaire d ’Espagne, ancien esclave et cuisinier,
aurait exercé la charge de magister officiorum à la cour orientale du 28 janvier
396 au 15 décembre 398. Cet Osius apparaît cependant totalement étranger aux
lettres et n ’aurait probablement pas commandé un commentaire au Timée.
L’autre, originaire de Milan, était l’arrière-petit-fils d ’un consulaire de Vénétie
et d’Istrie ; il aurait occupé à la cour la charge de comes rerum privatarum et
celle de comes sacrarum largitionum 8. C ’est peut-être lui qui est présenté par
Claudien 9 comme un membre du conseil impérial qui se réunit en 399 pour
discuter de la révolte du Goth Tribigildus. L ’époque correspond à celle que
nous avons jusque-là vaguement définie ; en outre, cet Osius est chrétien, ainsi
que le prouvent les allusions calcidiennes à son christianisme 10. Son épitaphe
a été fort heureusement conservée :
LVX PATRIAE SVBLIME DECVS PATER OSIVS VRBIS
MVNDO FLENTE IACENS CONDITVR HOC TVMVLO
1. C /L V , 6253. Traduction :
« Lumière de la patrie, sublime gloire de la ville, le vénérable Osius,
Quand le monde est en larmes, gît caché au tombeau.
Qu’à Milan tout le peuple le pleure,
Et, comme ses enfants, apprenne son trépas.
Amène, paisible, joyeux, charmant et honorable,
Il faisait par ces mœurs que la ville était sienne.
Une noble maison et un puissant aïeul maître de la côte vénète.
Mais lui l ’avait emporté dans sa famille par les mérites de l ’esprit.
Comte des biens privés, se dressant vers le haut.
Comte des largesses sacrées il mérita de rendre la justice.
Au faîte du patriciat, il gravit les degrés des honneurs ;
Avec un tel président l’honneur de la censure grandit,
Mais son épouse Domnica garde le sépulcre commun,
Elle a partagé sa couche et partage aussi son tombeau. »
2. Praef. p XVI. Sur la date, cf. ibid., p. XIV-XV, et E. Mensching (« Zur Calcidius-Überlie-
ferung », Vigiliae Christianae 19, 1965, p. 42-56 et sa recension de l ’édition de J.H. Waszink,
Gnomon 37, 1965, p. 26-36.
3. « Ambroise de Milan et Calcidius », dans Romanitas et Christianitas, Amsterdam, North
Holland, 1973, p. 45-53 [p. 49] ; pour les autres études de P. Coucelle sur Calcidius et Ambroise,
cf. infra « La fortune de l ’œuvre » et notes ad loc. Cf. également la brève notice de H. Chadwick
consacrée à « C(h)alcidius », dans N.G.L. Hammond & H.H. Scullard (éd.), Oxford Classical
Dictonnary, Oxford, Oxford University Press, 2e éd. 1970, p. 226.
12 BÉATRICE BAKHOUCHE
soit en 380. Enfin, l’étude des passages « philoniens » chez notre exégète
permet à D.T. Runia de conclure dans le même sens L L ’œuvre de Calcidius
pourrait donc s’inscrire dans les vingt dernières années du IVe siècle 12, dans le
milieu platonicien de Milan.
Par ailleurs, le lien d'amicitia 3 qui unit les deux hommes conduit égale
ment à penser qu’ils sont du même monde. Ils appartiennent à l’élite de la fin
du IVe siècle, époque où les hommes de la haute société aiment à faire étalage
de leur érudition, voire d’une certaine préciosité. L ’épître dédicatoire reflète
assez bien cette ambiance intellectuelle : elle apparaît comme une « lettre
d’art » 4. Protestations d’humilité, éloge du destinataire, recherche artistique... :
rien n’y manque.
D’un autre côté, la culture de Calcidius n ’est pas seulement littéraire ou
rhétorique, elle est aussi scientifique et philosophique. Calcidius est un homme
de lettres, un intellectuel qu’on estime assez pour lui demander une tâche déli
cate. C ’est un homme cultivé : il connaît bien le grec, au point de se lancer
dans la traduction d ’une œuvre réputée difficile à lire, encore plus difficile à
rendre en latin 5. Les disciplines scientifiques ne lui font pas peur : toute la pre
mière partie du commentaire est le lieu d ’exposés plus ou moins riches sur les
quatre grandes disciplines que le Moyen Âge, à la suite de Boèce, appellera
quadrivium. Et il n’est pas vrai qu’en vil plagiaire, le commentateur se con
tente de démarquer sa source, puis se détourne d ’elle dès qu’il ne la comprend
plus 6. On peut créditer au contraire notre auteur de connaissances personnelles
qu’il maîtrise assez pour les intégrer à son exégèse.
Comme on l’a vu, la proximité d ’expression, sinon toujours de pensée,
entre Calcidius et Ambroise 7 nous invite à le juger connu des cercles chrétiens
1. Philo in Early Christian Literature, 1993, Assen, Van Gorcum, p. 290 : « It is more likely
of the second half of the 4th century than in distant Spain (even if it is possible to rob the
arguments of Dillon and Jones of ail their force). It is to the centre of this Western renaissance,
the figure of Ambrose himself... ».
2. Ce qui corroborerait une précision donnée dans la lettre dédicatoire de l’édition princeps de
Giustiniani (1520) : [...] Haec scripsit Chalcidius abhinc mille centum et triginta annis [...] ; si
Calcidius a écrit « il y a 1130 ans », il est facile de dater l ’œuvre de l’an 390.
3. Cf. Épître à Osius : [...] Eadem est, opinor, uis amicitiae parque impossibilium paene
rerum extricatio, cum alter ex amicis iubendi religione, alter parendi uoto complaciti operis admi
niculentur effectui [...].
4. L ’expression est de H.-I. Marrou, Saint Augustin et la fin de la culture antique , Paris, de
Boccard, 1937 (réimpr. 1983), p. 96. Sur cette Épître, cf. B. Bakhouche, Les textes latins d'astro
nomie, un maillon dans la chaîne du savoir, Leuven-Paris, 1996, p. 65-70 ; cf. Annexe I et infra
« Le style ».
5. Cf. Ep. : [...] primas partes Timaei Platonis aggressus non solum transtuli sed etiam partis
eiusdem commentarium feci putans reconditae rei simulacrum sine interpretationis explanatione
aliquanto obscurius ipso exemplo futurum [...]. Ce ne pourrait être qu’un topos de la rhétorique des
préfaces, mais il y a une part de vérité s ’agissant du Timée, un dialogue réputé difficile entre tous,
cf. infra p. 15.
6. C ’était l ’avis de W.H. Stahl, Roman Science, Madison, University of W isconsin Press,
1 962,p . 145.
7. Cf. supra p. 11 et n. 3.
INTRODUCTION GÉNÉRALE 13
milanais des années 380, et L. Jerphagnon 1 n’exclut pas l’idée que Calcidius
ait pu faire partie du fameux « cercle de Milan », groupe informel d’amateurs
du platonisme auquel appartenait Ambroise lui-même : il n’est pas impossible
non plus de penser qu’Augustin a connu l’œuvre lors de son séjour milanais.
C’est à Milan, en tout cas, que le futur évêque d’Hippone aurait envisagé de
composer une série de manuels scientifiques qu’il devait appeler, dans la plus
pure tradition varronienne, les Disciplinarum libri 12. Pour mener à bien ce
projet, il s’était peut-être intéressé à la première partie du commentaire de
Calcidius.
Un dernier argument en faveur d ’un séjour à Milan est à tirer de l’œuvre
même : R.T. Runia a montré en effet que Calcidius n’aurait pu connaître - de
façon directe ou indirecte - l’œuvre de Philon dans la lointaine Espagne, mais
beaucoup plus vraisemblablement dans l’Italie de la seconde moitié du IVe
siècle 3.
Si l’on peut considérer comme quasiment prouvé que Calcidius a composé
son œuvre à Milan, était-il pour autant Italien ? Ce serait par défaut, car cette
question rejoint celle du nom, et J.H. Waszink, après avoir récusé l’hypothèse
d’une origine espagnole ou gauloise, ne croit guère à un Calcidius africain 4.
L ’ŒUVRE
1. Saint Augustin, Les Confessions, Œuvres /, éd. par L. Jerphagnon, Paris, Gallimard, 1998,
Répertoire : « Cercle de Milan », p. 1462-1463.
2. Cf. Œuvres de Saint Augustin VII. Dialogues philosophiques 4. La musique, éd. par
G. Finaert, Paris, Cerf, 1946, Introduction, p. 7 ; H.-I. Marrou, Saint Augustin..., 2e partie et
appendice note C, p. 570-579. Sur les rapports de Calcidius à Favonius Eulogius par l ’inter
médiaire d’Augustin, et sur Augustin lecteur de Calcidius, cf. infra « La fortune de l’œuvre ».
3. Philo in Early Christian Literature, p. 290 ; cf. infra « Les sources » pour l ’influence de
Philon.
4. Praef. p. XVI-XVII ; P.E. Dutton (« Médiéval Approaches to Calcidius », p. 185) pense à tort
que pour J.H. Waszink, Calcidius était un Africain installé près de Milan.
5. Cf. pour le commentaire, la phrase de clôture de la première partie (chap. 118) : Hactenus
de mundi sensilis constitutione tractauit. J.H. Waszink cependant attribue à Calcidius l’idée d ’une
division au chapitre 268, par référence à Tim. 47E3-5, ce qui est possible (cf. infra « Une œuvre
inachevée ? »), mais ne correspond pas à la réalité de la transmission du texte.
6. Sur la présentation originelle du texte, cf. infra « La tradition manuscrite ».
14 BÉATRICE BAKHOUCHE
L·importance du Timée
Le Timée est incontestablement le dialogue de Platon le plus cité dans
l’Antiquité, le plus lu et le plus commenté à l ’époque médio-platonicienne.
Considéré comme la bible des platoniciens l, il a joui d ’une faveur extraor
dinaire dans la tradition platonicienne, comme en témoignent les multiples
commentaires qui ont vu le jour dans le monde grec. On en connaît en effet au
moins une vingtaine, dont la plupart ne nous sont parvenus que de façon indi
recte, par citation. H. Krause 12 en a depuis longtemps donné une liste, en dis
tinguant, à la suite de Th.-H. Martin 3, commentaire, paraphrase ou interpré
tation sur une partie du texte. Parmi les commentateurs, citons Crantor, le pre
mier exégète de Platon (cf. Proclus, In Tim. I, 76. 3-10), Albinus 4 (cf. Proclus,
In Tim. II, 219. 2-14), Adraste (cité par Porphyre, In Ptol. Harm., p. 96, 1-2,
éd. Düring), Taurus (cité par Philopon, De aet. mundi XIII, 520.4, éd. Rabe),
Galien, Harpocration, Porphyre et Sévère. S’il est aujourd’hui douteux que
Posidonius 5 ait réellement écrit un commentaire au T im ée, il faut ajouter
l’exégèse de Longin 6, les commentaires anonymes (par exemple dans le Pap.
Oxyr. 1609) et les exégèses partielles comme celles de Nicomaque de Gérase,
Plutarque de Chéronée ou Théon de Smyrne, pour ne citer que les textes qui
intéressent l’œuvre de Calcidius. Le Timée reste donc le principal texte de
référence à partir duquel s’élaborent les œuvres philosophiques les plus signi
ficatives de l’époque médio-platonicienne l.
Cette abondance d ’études s’explique assurément par plusieurs raisons.
C’est d’abord que le Timée est un texte difficile, exemple paradigmatique de
l’obscurité que les auteurs anciens attribuaient à Platon 12. Souvent allusif, il est
présenté par Platon-Timée lui-même comme un είκώς μύθος 3 ou un είκ ώ ς
λόγος 4, c ’est-à-dire un récit vraisemblable et chronologique de ce qui, en réa
lité, doit transcender le temps 5. Mais l’adjectif peut être entendu également,
selon L. Brisson, qui joue sur la polysémie de είκώ ς et sur la paronomase
είκών / είκώς, comme signifiant « qui porte sur les copies des formes intelli
gibles, c’est-à-dire sur les choses sensibles » 6. Du reste, qu’on parle de dis
cours ou de mythe, un exposé sur l ’univers sensible ne peut ressortir à la
science car, pour Platon comme pour Aristote, il ne peut y avoir de science que
d ’objets immuables et éternels ; de ce fait, la radicale infériorité ontologique
de la copie (le monde sensible) est corrélée à un discours qui ne saurait être
vrai mais seulement vraisemblable, selon l’analogie onto-épistémologique
exprimée par Platon lui-même en 29C2-3 : « Ce que l ’être est au devenir, la
vérité l’est à la croyance. » Dès lors, un discours sur le devenir ne peut qu’être
plausible. D’un autre côté, ce dialogue, en proposant un modèle de l’univers
physique, se présente comme un traité de cosmologie, le premier en fait à nous
être parvenu ; il offre une véritable somme des connaissances humaines, une
encyclopédie scientifique (dont la brièveté même exigeait d’emblée des éclair
cissements et des explications préliminaires pour qui ne possédait pas une
solide culture scientifique). Ce qui ressortit à la cosmogonie et à la « psycho-
gonie » est en effet associé aux quatre sciences « mathématiques » (arithmé
tique, géométrie, musique, astronomie) ; en revanche, pour ce qui se rapporte à
l’homme et à l ’anthropologie, le texte platonicien fait intervenir des sciences
1. Voir J. Bames, « Impérial Plato », Apeiron 26, 1993, p. 129-151 [p. 140] ; Fr. Ferrari, « I
commentari specialistici aile sezioni matematiche tel Timeo », dans A. Brancacci (ed.), La filosofia
in età imperiale , Roma, Bibliopolis, 2000, p. 169-224 (« 1. L ’esegesi dei Timeo nei primi secoli
dell’epoca imperiale », p. 171-179, et « 2. La diffusione dei commentari specialistici al Timeo »,
p. 179-186), et également « Interpretare il Timeo », p. 1-2.
2. Sur l ’obscurité du texte platonicien, voir le témoignage de Cicéron : rerum obscuritas non
uerborum facit ut non intellegatur oratio, qualis est in Timaeo Platonis (De fin. II, 5, 15) ; cf. de
même Calcidius, chap. 1 et note ad. loc., et, pour les autres références, B. Bakhouche, « La trans
mission du Timée dans le monde latin », dans D. Jacquart (éd.), Les voies de la science grecque,
Genève, Droz, 1997, p. 1-31 [p. 3, n. 4], et Fr. Ferrari, « I commentari specialistici... », p. 186-187.
3. Tim. 59c7, 68D1-2 ; μύθος seulement en 69b1.
4. Tim. 30 b 8, 48 d 2, 53 d 6, 55 d 5, 56 a 2, 57 d 6, 68 d 1-2, 90 e 8.
5. Voir ce que disait déjà J. Moreau, L ’âme du monde de Platon aux Stoïciens, Paris, Les
Belles Lettres, 1939, p. 5 : « La genèse transcendantale est décrite dans les termes d’une genèse
naturelle ; la procession se traduit en succession temporelle ; l ’antériorité du principe s ’exprime
par une antériorité chronologique » ; et L. Brisson, Platon, les mots et les mythes, Paris, Maspéro,
1982.
6. Platon, Timée. Critias, Paris, GF-Flammarion, 1992, Introduction, p. 70-71, et Platon, les
mots et les mythes, p. 161-163.
16 BÉATRICE BAKHOUCHE
1. Déjà au IIe siècle, Apulée, auteur d’une traduction aujourd’hui perdue du Phédon, traduit le
De Mundo du Ps.-Aristote ; Marius Victorinus, au IVe siècle, traduit des ouvrages néoplato
niciens ; et surtout, deux siècles plus tard, Boèce traduit et commente Aristote et veut offrir à son
public romain des traductions latines d ’originaux grecs pour les quatre disciplines scientifiques
constituant le quadrivium. Nous avons conservé les traités d ’arithmétique et de musique ; le traité
d’astronomie est aujourd’hui perdu ; quant à la Géométrie qui lui est attribuée, c ’est un texte apo
cryphe.
2. Cicéron naturellement, mais aussi Sénèque, Apulée, Minucius Félix et, plus tard, Macrobe,
Martianus Capella, puis Boèce... ( cf. M. Lemoine, « Le Timée latin en dehors de Calcidius », dans
A. de Libera, A. Elamrani-Jamal et A. Galonnier (éd.), Langages et philosophie. Hommage à Jean
Jolivet, Paris, Vrin, 1997, p. 63-78 ; B. Bakhouche, « La transmission du Timée... », p. 10-11).
3. Cf. Cicéron, Tim. 1, 1-2. Sur Nigidius Figulus, cf. Realencyclopadie der classischen Alter-
tumwissenschaft XVII.1, col. 200-212 [W. Kroll] ; A. Petit, « Le pythagorisme à Rome à la fin de
la République et au début de l ’Empire », Archivum Latinitatis Medii Aevi 15, 1988, p. 23-32 ; et
D. Liuzzi, Nigidio Figulo « astrologo e mago », Lecce, Milella, 1983.
4. Cf. infra « La tradition manuscrite ».
5. Selon la pagination et la division du texte réalisées par H. Estienne dans son édition de
1578.
6. Cf. B. Bakhouche, « La transmission du Timée... », p. 6-7.
INTRODUCTION GÉNÉRALE 17
1. Cf. la note ad loc. J. Wrobel (éd. de 1876, p. 69) donne le même titre sans justification :
Chalcidii in Platonis Timaeum commentarius.
2. Cf. infra « L ’organisation du commentaire ».
3. Dans la langue médiévale, ce dernier terme désigne automatiquement un commentaire.
4. Cf. cependant, au début de la première partie du commentaire, les incipit de deux manu
scrits des IXe et Xe siècles, Valenciennes BM 293 et Brussel Bibl. Roy. 9625-9626 : Incipit prolo
gus in commentum Calcidii (éd. J.H. Waszink, p. 347, et notre a.c. ad loc).
5. Cf. les études de J.-Cl. Fredouille, « Hésitations titrologiques et interprétation des œuvres »
(p. 385-396) et de L. Holtz, « Titre et incipit» (p. 469-489), dans J.-Cl. Fredouille et alii (éd.).
Titres et articulations du texte dans les œuvres antiques, Paris, Institut d’études augustiniennes,
1997.
6. « Théologie, exégèse, révélation », dans M. Tardieu (éd.). Les règles de T interprétation,
Paris, Cerf, 1987, p. 13-34 [p. 16]. Sur la transformation de l ’enseignement de la philosophie à
l ’époque impériale et l ’avènement de l ’ère du commentaire, cf. P.L. Donini, « Testi e commenti,
manuali e insegnamento : la forma sistematica e i metodi délia filosofia in età postellenistica »,
ANRW II, 36.7, 1992, p. 5027-5100 [p. 5033], et la synthèse de P. Hadot, Qu’est-ce que la
philosophie antique ?, Paris, Gallimard, 1995, p. 227-237.
18 BÉATRICE BAKHOUCHE
dant des points précis d’exégèse, dans le souci de sauvegarder la tradition con
sacrée par les « autorités » et de transmettre dès lors une certaine forme
d’orthodoxie philosophique. Le commentaire est le résultat écrit d’un exercice
oral. Il pouvait porter sur une partie du texte-source ou sur sa totalité. Les
commentateurs antiques pouvaient recourir à des procédés herméneutiques de
nature différente : soit ils choisissaient, comme Galien, une exégèse κατά
λ έξιν, qui consistait dans la détermination du sens précis et sa re-formulation
en langage clair 1 ; soit ils adoptaient l ’exégèse κατά ζητήματα, comme
Plutarque sur le passage de la divisio animae, et s’efforçaient de rendre compte
du sens du texte à travers une série de quaestiones qui, à l’époque, devaient
déjà avoir un caractère topique 12.
Cantonné dans l’école, le commentaire philosophique ne pouvait atteindre
le grand public 3, et c’est peut-être ce qui a motivé les rares initiatives latines.
Le commentaire au Timée de Calcidius est en effet, avec celui au Songe de
Scipion de Macrobe, le seul écrit de ce genre de la littérature latine. Perpétuant
la tradition hellénistique, il se présente, comme ses homologues grecs, sous
forme d’une série de lemmes citant le texte à commenter et suivis de l’explica
tion proprement dite, qui pouvait parfois se réduire à une simple paraphrase.
Le commentaire pouvait porter sur des questions purement littéraires - gram
maticales, linguistiques, voire historiques ou mythiques - si le texte étudié
était un texte littéraire. Dans le cas du commentaire philosophique, l’explica
tion grammaticale ou lexicale, sans être exclue4, n ’était jamais essentielle.
L ’exercice était assez strictement codifié : après la citation du texte de réfé
rence, on rappelait les principales interprétations, puis l’auteur donnait - en
principe - celle à laquelle il adhérait. Il semble que, de la même façon que
l’exégète pouvait avoir à sa disposition des morceaux choisis de l’œuvre, de la
même façon il disposait de petits traités scientifiques destinés à éclairer les
passages commentés : nous en avons conservé un exemplaire significatif avec
l ’ouvrage de Théon de Smyme, Exposition des connaissances mathématiques
1. Éd. par E. Hiller, Leipzig, Teubner, 1878, rééd. 1995 ; trad. J. Dupuis, Paris, 1892 ; trad.
J. Delattre Biencourt, Toulouse, Anacharsis, 2010.
2. Voir, par exemple, YInstitution mathématique de Nicomaque de Gérase, YInstitutio arith
metica et YInstitutio musica de Boèce.
3. Sur le rapport, par exem ple, des Institutiones de Boèce au Timée, cf. B.Bakhouche,
« Boèce et le Timée », dans A. Galonnier (éd.), Boèce ou la chaîne des savoirs , Leuven, Peeters,
2002, p. 247-265.
4. Cf. B. Bakhouche, Les textes latins d'astronomie, un maillon dans la chaîne du savoir,
Leuven, Peeters, 1996, p. 34-40.
5. Cf. Cl. Moreschini, Calcidio..., p. IX, n. 5.
6. Cf. Proclus, In Tim. I, 204. 24-27, passage auquel se réfère A.R. Sodano, Porphyrii in
Platonis Timaeum Commentariorum fragmenta, Naples, sans nom d ’éd., 1964, praefatio, p. VII ;
cf. également A. Smith, « Porphyrian Studies since 1913 », ANRW II, 36.2, 1987, p. 717-773
[p. 751].
7. Voir surtout les derniers chapitres (chap. 322-354).
8. Sur les doxographies, le travail de H. Diels a été déterminant ( Doxographi Graeci, Berlin,
de Gruyter, 1879, 1965), car, si les résultats de sa Quellenforschung ont été remis en question,
20 BÉATRICE BAKHOUCHE
L ’organisation du commentaire
Si Calcidius ne traduit pas le dialogue platonicien en entier, mais seulement
les pages 17a à 53c, la partie exégétique, elle, s’applique à une fraction encore
plus limitée du texte grec, puisqu’elle ne concerne en gros que les pages 31-53
d’un texte qui en compte 76 (de 17 à 92), soit bien moins d’un tiers l.
Le choix des passages à expliquer est justifié par Calcidius lui-même : [...]
sic interpretatus ut ea sola explanarem quae incognitarum artium disciplina
rumque ignoratione tegerentur [...] Denique de principio libri, quo simplex
narratio continebatur rerum ante gestarum et historiae ueteris recensitio nihil
dixi, rationem tamen totius operis et scriptoris propositum et ordinationem
libri declaranda esse duxi2. Ces précisions appellent deux remarques. D ’abord,
si le commentateur prend délibérément le parti d ’expliquer uniquement ce que
son lecteur ne peut, selon lui, comprendre, s’il ne s’agit pas pour Calcidius de
rendre compte de tout le texte, mais seulement des passages incompréhensibles
faute des connaissances scientifiques nécessaires, une telle précaution cepen
dant ne vaut que pour la première partie du commentaire, car, pour la seconde,
l’exégèse est purement philosophique et ne présuppose pas la maîtrise d ’inco
gnitae artes disciplinaeque. Ensuite, Calcidius néglige délibérément l’explica
tion des premières pages du dialogue, témoignant ainsi d’un véritable parti-pris
et d’une attitude particulière aux Platonici. C ’est le cas déjà de Galien 3 ; ce
sera plus tard celui de Sévère 4.
notamment par J. Mansfeld et D.T. Runia ( The Method & Intellectual Context o fa Doxographer,
vol. I The Sources, Leiden, Brill, 1997), l ’importance de ce type d ’ouvrages dans la formation
intellectuelle des hommes de l ’Antiquité - dès les présocratiques - est désormais reconnue. Voir
aussi B. W yss, « Doxographie », Reallexicon für Antike und Christentum 4, 1959, col. 197-210 ;
G. Cambiano (éd.), Storiografia e dossografia nella filosofia antica, Torino, Tirrenia, 1986 ; le
numéro spécial de la Revue de métaphysique et de morale (97-3, 1992) sur la doxographie antique
(A. Laks, « Avant-propos. Qu’est-ce que la doxographie ? », p. 307-309, et M. Frede, « D oxo
graphie, historiographie philosophique et historiographie historique de la philosophie », p. 311-
325) ; A. Laks, « Histoire critique et doxographie. Pour une histoire de l ’historiographie de la phi
losophie », Les études philosophiques 4, 1999, p. 465-477 ; St. Gersh & M.J.F.M. Hoenen (éd.),
The Platonic Tradition in the Middle Ages. A Doxographie Approach, Berlin-New York, de
Gruyter, 2002. A propos de Cicéron, voir H. Dôrrie, « Le renouveau du platonisme... », p. 25-26 ;
C. Lévy, Cicero Academicus, Roma, École française de Rome, 1992, p. 337-376 et 541-556, et
« Doxographie et philosophie chez Cicéron », dans C. Lévy (éd.). Le concept de nature à Rome,
Paris, Presses de l ’École normale supérieure, 1996, p. 109-123. Citons enfin l ’étude d ’A. Solignac
sur saint Augustin : « Doxographies et manuels dans la formation philosophique de saint
Augustin », Recherches augustiniennes 1, Paris, 1958, p. 113-148.
1. Cet usage partiel du dialogue n ’est pas nouveau, cf. H. Baltussen, « Early Reactions to
Plato’s ‘Timaeus’ : Polemic and Exegesis in Theophrastus and Epicurus », dans R.W. Sharples &
A. Sheppard (éd.), Ancient Approaches to Plato's 'Timaeus', London, Institute of Classical
Studies, 2003, p. 49-71 [p. 69-70].
2. Chapitre 4.
3. Compendium Timaei Platonis, éd. par P. Kraus et R. Walzer, London, Warburg Institute,
1951,1,5-8.
4. Cf. Proclus, In Tim. I, 204. 16-18.
INTRODUCTION GÉNÉRALE 21
1. Cf. I. Hadot, Arts libéraux et philosophie dans la pensée antique, Paris, Vrin, 1984, 2e éd.
2006.
2. Dans ce dernier cadre, Calcidius met en relief la iustitia et Yaequalitas qui existent dans le
monde naturel.
22 BÉATRICE BAKHOUCHE
1. Cf. l ’éd. de J.H. Waszink, praef. p. XVIII, et J.C.M. van Winden, Calcidius on Matter, p. 13-
14.
2. Cf. infra « Une œuvre inachevée ? ».
3. Cf. P. Petitmengin, « Capitula païens et chrétiens », dans Titres et articulations du texte...,
p. 491-507.
INTRODUCTION GÉNÉRALE 23
species paraît traduire un είδος grec, ce qui plaiderait en faveur de notre der
nière hypothèse : le commentateur propose le plan du texte grec qu’il a sous
les yeux et qu’il commence à traduire. Faut-il voir enfin une volonté délibérée
- ou délibérément pythagoricienne - dans le nombre de species - 27, soit 33 -
ainsi déterminées ? En tout cas, si on peut dire que la dispositio libri de
Calcidius est sans doute un des premiers sommaires de la littérature latine éta
bli par l’auteur lui-même l, les « prolégomènes » des premiers chapitres cor
respondent aux schémas « isagogiques » 2.
Néanmoins, dans le commentaire de Calcidius, la dispositio libri du cha
pitre 7 ne met pas assez en relief le lien qui unit les différents thèmes entre
eux, ni la progression de l’un à l’autre, d’où l’impression indéniable d’un com
mentaire-patchwork. Pour rendre compte de la macro-structure du commen
taire, on pourrait, à un premier niveau, voir dans la bipartition du commentaire
un reflet de la bipartition de la traduction, laquelle reflète à son tour la clôture
de 39D-E dans le texte platonicien. On pourrait également déceler une bipar
tition du commentaire, entre traité de la nature et traité de la raison, dans la
phrase de conclusion au chapitre 107 : Verum haec disputatio, quia nihil per
tinet ad naturalem tractatum, cum sit rationabilis, differetur. L ’analyse du
commentaire fort judicieusement dégagée par J.H. Waszink 3 permet d ’offrir
un plan tout à fait recevable du texte calcidien, même s’il faut faire litière de la
division en deux parties (1-118 et 119-355) attestée dans tous les manuscrits. Il
distingue en effet, s’appuyant sur la transition du Timée en 47e3-5, l’œuvre de
l’Intelligence et celle de la Nécessité 4 :
1. Ce qui a été créé par Dieu (8-267)
A. La création du monde (8-118)
- la création du corps du monde (8-25)
- la création de l’âme du monde (26-55)
- l ’harmonie entre l’âme et le corps (56-97), long excursus sur les
étoiles fixes et les planètes1234
1. De même, dans la Cité de Dieu où la capitulatio est de saint Augustin, cf. H.-I. Marrou,
« La division en chapitres des livres de la Cité de Dieu », dans Mélanges Joseph de Ghellinck I,
Gembloux, J. Duculot, p. 235-249 = Patristique et humanisme, Paris, Seuil, 1976, p. 253-265.
2. Cf. les schemata isagogica dans J. Mansfeld, Prolegomena, Questions to Be Settled Before
the Study of an Author, or a Text, Leiden-New York-Kôln, Brill, 1994, p. 21.
3. « Calcidius », p. 239-240. Cf. également éd. praef. p. xxix-xxxv, mais l ’articulation du
commentaire y est moins bien dégagée.
4. C ’est également le plan du Timée que propose L. Brisson dans son édition du Timée (Paris,
2e éd. 1995) : après un prélude qui va de 17a à 27c, l ’exposé de Timée (27C-92C) s ’articule en
effet en trois temps : « ce qu’a fait la Raison (29D-47E) », « ce qu’il en est de la Nécessité (47e-
69a) » et « la coopération de la Raison avec la Nécessité » (introduction, p. 65-69) ; cf. de même
D.T. Runia, Philo of Alexandria and the ‘Timaeus ’ of Plato, p. 298. Par rapport à ce plan, le com
mentaire de Calcidius ne s’intéresse qu’à la première partie et au début de la seconde. Sur ce pro
blème du plan du Timée - et celui de ses commentateurs, en particulier Proclus - , cf. C. Natali,
« Antropologia, politica e la struttura dei Timeo », dans Plato Physicus..., p. 225-241 [p. 232-
235].
24 BÉATRICE BAKHOUCHE
355). Cette division en trois parties sensiblement égales est éminemment péda
gogique en ce sens qu’elle offre une progression graduelle à partir du type de
connaissance de base - les mathématiques - , suivi de la physique, puis des
principes fondamentaux de la réalité qui ressortissent à la théologie. D’où :
A. Mathématique et univers
B. a. Physique
B.b. Théologie
La structure du commentaire peut se lire in fine comme l’expression d’une
hiérarchie à travers le passage d ’un niveau de réalité à l’autre : de la création
du cosmos par le démiurge, on passe à son action, à celle du destin, puis à la
matière.
Une œuvre inachevée ?
La question de l’inachèvement de l’œuvre peut paraître incongrue, et pour
tant plusieurs indices peuvent plaider en sa faveur, emportant l’adhésion sans
explication, il y a longtemps déjà, de P.A.C. Vega *, ou suscitant la question,
encore récemment, de P.E. Dutton : « Is Calcidius' work complete ? » 12. Ce
dernier, se fondant sur le pluriel primas partes de la lettre de dédicace à Osius,
pense en effet que Calcidius aurait envisagé à l’origine une division du dia
logue platonicien en quatre parties, ce qui impliquait une partition analogue de
la version et du commentaire. L ’œuvre qui est parvenue jusqu’à nous ne cor
respondrait qu’aux deux premières parties. Si le projet a été mené à bien, les
sections 3 et 4 ont exigé un second codex. D’où deux hypothèses : ou les der
nières parties projetées ont été écrites, et le second codex s ’est perdu ; ou ces
parties n’ont jamais été écrites.
De fait, dans l’Épître à Osius, le commentateur attend un encouragement
pour continuer : Causa uero in partes diuidendi libri fuit operis prolixitas,
simul quia cautius uidebatur esse si tamquam libamen aliquod ad degustan
dum auribus atque animo tuo mitterem ; quod cum non displicuisse rescribe
retur%faceret audendi maiorem fiduciam. Si cette remarque est autre chose
qu’un topos propre à la rhétorique des préfaces, on pourrait voir dans le travail
qui nous est parvenu un libamen qui, n ’ayant pas reçu les encouragements
attendus, serait resté à l’état de prémices 3.
1. « Calcidio gran escritor platonico espanol dei siglo IV », p. 161 : « Calcidio ténia animos
de comentar todo el Timeo, pero fuese que la muerte le sorprendiera aun joven y a la mitad de la
obra, como parece mds probable ; sea que los acontecimientos de los ultimos dias de su prelado
le envolviesen también a él de rechazo ; sea por alguna otra razon, para nosotros desconocida, es
lo cierto que nos dejo la obra sin terminar, aunque facilmente se puede deducir la orientaciôn que
habia de tener. » ; cf. également G. de Callataÿ, Annus Platonicus. A Study of World Cycles in
Greek, Latin and Arabie Sources , Louvain-la-Neuve, Institut orientaliste de l ’Université
catholique de Louvain, 1996, qui estime que la seconde partie du commentaire calcidien est
perdue : « The second part ofthis work was already lost in the Latin Middle Ages. » [p. 106].
2. « Médiéval Approaches to Calcidius », p. 190.
3. Cf. J.H. Waszink, « Calcidius », p. 239.
26 BÉATRICE BAKHOUCHE
1. Ce sont les pages 33 et 34, sur la sphéricité du monde qui contient tout, et sur l ’âme du
monde qui l ’enveloppe et lui est antérieure.
2. Il s ’agit de 36B6-C2, cité aux chapitres 52, 58 et 92 ; 37A2-C5, cité aux chap. 52, 56, 103 ;
41D8-E3, cité aux chap. 141-142, puis 143 et 147.
3. Voir d’ailleurs les études séparées qui ont été consacrées à ces chapitres: J.C.M. van
Winden, Calcidius on Matter, Leiden, Brill, (1959) 1965 2e éd. ; J. den Boeft, Calcidius on Fate,
Leiden, Brill, 1970, et Calcidius on Démons, Leiden, Brill, 1977.
30 BÉATRICE BAKHOUCHE
que l’on retrouve dans le commentaire l, à telle enseigne que l’on peut s’inter
roger sur la place première de ces ajouts (traduction ou commentaire ?) ;
tantôt, comme en 40c, la traduction offre accessus pour rendre le grec
προσχω ρήσεις tandis que, dans le commentaire (chapitre 124), on lit p ro
gressus qui traduit un προχωρήσεις 12. Tout se passe, semble-t-il, comme si
Calcidius n’avait pas toujours le même texte grec sous les yeux en traduisant et
en commentant. En réalité, les différences que nous pouvons relever dans les
citations du texte platonicien, entre la traduction et le commentaire, bien que
mineures le plus souvent3, se réduisant à l’emploi de synonymes ou à des
changements dans l ’ordre des mots, pourraient cependant plaider en faveur
d’une source différente du Timée pour chacun des deux volets de l’œuvre.
Il devient dès lors possible qu’une telle organisation du commentaire reflète
l’utilisation soit d ’une double série de sources - un commentaire au Timée, et
des développements annexes, de nature doxographique, sur des points particu
liers - , soit d ’un commentaire incluant déjà des monographies scientifiques ou
philosophiques. Si cette hypothèse d ’une double source exégétique est valide,
elle pourrait expliquer certaines contradictions, à tout le moins des différences,
d’un groupe de chapitres à l’autre, ainsi de la révolution de Vénus : évaluée à
environ un an au chapitre 70, sa durée passe à 584 jours au chapitre 112.
Le style
Il a déjà été question de l’articulation du développement assez lourdement
marquée par des phrases-types. Ces balises dans le commentaire témoignent
d’un souci pédagogique de clarté de la part du commentateur. Pourtant le style
est en général recherché 4.
Le lexique
Les répétitions dans le commentaire, qui viennent en partie de Timée lui-
même et qu’a mises en évidence le tableau précédentl, s’expriment également
par des formules similaires et des reprises lexicales, ce qui produit un senti
ment de « déjà vu ». L ’impression de répétitivité qui se dégage parfois du texte
vient également de ce que Calcidius aime les doublets 12 qui, sous une for
mulation redondante, alourdissent la phrase peut-être inutilement, même si on
peut reconnaître des effets de variatio, comme dans les groupes auctoritas et
origo, origo et arx,pontificium et auctoritas. Cependant, il ne s’agit pas tou
jours de formulation redondante : le groupe punctum et medietas, par exemple,
fonctionne comme un hendyadis, de même que facilitas et error (chap. 270), et
les exemples de cette figure de rhétorique sont très nombreux dans le commen
taire. Ailleurs, le doublet associe un terme neutre au mot précis, ainsi de (post)
conuentum coitumque (solis), doublon dans lequel le premier terme, qui calque
le grec σύνοδος, désigne techniquement la conjonction de deux astres (en
l’occurrence le Soleil et la Lune). C’est peut-être encore la recherche de la variatio
qui incite le commentateur à utiliser indifféremment quadratus ou quadratura
dans les chapitres sur la création du monde.
L ’étude du vocabulaire montre que Calcidius cherche à formuler en latin
des notions originales et ne recule pas devant les mots nouveaux. J.H. Waszink3
a relevé un certain nombre de néologismes (dans les deux sens du terme -
morphologique et sémantique : soit formation d’un mot nouveau, soit emploi
d ’un mot déjà existant dans un sens nouveau), qui se retrouvent chez des
auteurs plus tardifs comme autant de « signatures » calcidiennes, mais les créa
tions verbales sont loin de se limiter à cette liste 4. Elles constituent autant
d ’essais pour rendre en latin une terminologie scientifique ou philosophique
d’origine grecque. À lire telle phrase ou tel mot du commentaire, on cherche
parfois quelle phrase, quel mot grec Calcidius avait sous les yeux. C ’est ainsi
que (origo) non temporaria (chap. 23) calque le grec άναρχος et silua la ύλη
aristotélicienne. Dans la langue scientifique, signalons les innovations séman
tiques comme momentum (degré), competens (proportionnel) et autres. Ch.Mugler
a vu depuis longtemps, dans les chapitres 11, 12, 18 et 19, «un des textes
géométriques les plus anciens de la langue latine. Ils sont intéressants surtout
parce qu’ils nous montrent les commencements d’une langue technique de la
1. Cf. supra « Les rapports de la traduction au commentaire » ; il est ainsi question de l ’âme
aux chap. 26 et suivants, 57 et 227.
2. Par exemple, forma et figura (chap. 20, 21), seriem et continuationem (chap. 23), detrimen
tum et interitus (chap. 24), exordium et fons (chap. 29), officiorum et munerum (chap. 32), uisum
et imaginatio (chap. 74), (ad) exemplum et similitudinem (chap. 268), cf. J.C.M. van Winden,
Calcidius on Matter, p. 30-31.
3. Praef. p. XIV-XV. En réalité, J .H. Waszink pense que Calcidius réutilise les termes des
autres. Voire. Même dans ce cas, comme nous le montrerons plus bas (cf. infra « La fortune de
l ’œuvre »), il s ’insère dans une sorte de chaîne lexicale.
4. Cf. Index rerum.
32 BÉATRICE BAKHOUCHE
1. Pour l ’étude de ce passage, voir B. Bakhouche, Les textes latins. .., p. 65-70.
34 BÉATRICE BAKHOUCHE
Les sources
La seule chose que l ’on puisse affirmer, concernant les sources, c ’est
qu’elles sont grecques, comme on peut s’en convaincre à lire un commentaire
qui, le plus souvent, transpose ou traduit - parfois mal - un modèle grec. La
recherche des sources est d ’autant plus difficile pour l’œuvre de Calcidius que
celui-ci, comme c’est l’habitude de tous les Anciens, prend soin de ne jamais
nommer ses sources directes. S’il cite un grand nombre d 'auctores5, c ’est en
qualité d’autorités susceptibles de donner une plus grande validité à son dis
cours, et non comme l’origine directe de son information. Les citations nomi
natives ne donnent donc pas de renseignement sur les sources, qui restent tou
jours opaques et controversées.
Pendant longtemps, l’attitude des érudits face au texte de Calcidius a con
sisté à chercher un modèle quasi unique. En 1902, déjà, B.W. Switalski 6
estimait que Calcidius perpétuait la pensée posidonienne. Dix ans plus tard,
E. Steinheimer, s’élevant contre cette conclusion, s’est efforcé de prouver le
1. Voir en Annexe I les clausules de l ’ensemble du texte de l ’Épître, travail réalisé grâce aux
conseils et aux remarques de J. Soubiran.
2. « Zur Calcidius-Überlieferung », p. 55.
3. Sur l ’évolution de la prose métrique, cf. M. Nicolau, L ’origine du ‘cursus’ rythmique, Paris,
Les Belles Lettres, 1930.
4. Vingt citations ont été répertoriées et éditées par A. Baehrens, Fragmenta poetarum Roma
norum , Leipzig, Teubner, 1886, rééd. par W. Morel, Fragmenta poetarum Latinorum epicorum et
lyricorum, Leipzig, Teubner, 1927, rééd. 1982.
5. Cf. Index nominum.
6. Das Chalcidius Kommentar zu Piatos Timaeus, Münster, Aschendorff, 1902.
INTRODUCTION GÉNÉRALE 35
démons. Si son intérêt pour les Écritures est attesté aussi par d ’autres plato
niciens comme Numénius, Galien ou Porphyre, il a interprété le Parménide
selon un angle d ’approche essentiellement ontologique, en rapport avec la
réalité intelligible, exactement comme le fera Calcidius.
Dans son édition de 1962, J.H. Waszink l, à la fin de l’étude détaillée des
sources, avance les noms de Numénius (Sur le Bien), Adraste (Commentaire
au Timée), Porphyre (Commentaire au Timée), Origène (Commentaire sur la
Genèse) et peut-être YÉpitomé d’Albinus (= Alcinoos, Enseignement des doc
trines de Platon). Dans son article sur Calcidius, l’éditeur hollandais ajoute le
nom de Jamblique 12, dont Calcidius, selon lui, connaissait le Commentaire au
Timée, même s’il n ’est pas sûr qu’il l’ait utilisé et même s’il lui a préféré le
commentaire porphyrien. Dans la réédition du texte calcidien de 1975 enfin
(p. C L X X X V Il), il insiste sur le commentaire de Porphyre comme source pre
mière de Calcidius. De même, A.R. Sodano compte, parmi les fragments du
Commentaire au Timée de Porphyre, huit groupes de chapitres tirés du com
mentaire calcidien3. Désormais, l ’hypothèse d ’une source porphyrienne pre
mière est généralement accréditée 4. Nous y reviendrons.
Qu’en est-il des autres ? Adraste est convoqué comme source des chapitres
scientifiques de la première partie : « ...flir die Kapitel 1-25, 32-50 und 58-
118, conclut J.H. Waszink 5, die Timaioserklàrung des Adrasto s und der
Timaioskommentar des Porphyrios als Vorlagen nachgewiesen werden konn-
ten ». Une « explication du Timée » et un « commentaire du Timée » : deux
termes différents pour désigner en fait, dans le cas d ’Adraste et dans celui de
Porphyre, un même type d ’exercice - un commentaire philosophique ; mais
peut-être la méthode n ’était-elle pas la même. Néanmoins, le nom d’Adraste
est, en réalité, indissolublement lié, dans le cas de Calcidius, à celui de Théon
de Smyrne, dont l’œuvre, elle, nous est parvenue : il s’agit de Y Exposition des
connaissances mathématiques utiles pour la lecture de Platon. L’auteur passe
systématiquement en revue les quatre disciplines « mathématiques » - géomé
trie (géométrie plane et dans l’espace) 6, arithmétique, musique et astronomie -
1. Praef., p. CVI.
2. « Calcidius », p. 241.
3 . Porphyrii in Platonis Timaeum..., fr. 83 à 91, qui correspondent aux chapitres 129-136,
142-190,227-235,244-248,249-256, 257-259, 260-263 et 264-267.
4. Cf. É. des Places, « Études récentes (1953-1973) sur le platonisme moyen du IIe s. ap. J.-
C. », Bulletin de l ’Association Guillaume Budé, 1974-3, p. 347-358 [p. 357-358] ; St. Gersh,
Middle Platonism ..., p. 421-433, et « Calcidius’ Theory of First Principies », p. 85-92 ; ainsi que
A. Smith, « A Porphyrian Studies... », p. 1771 ; M.Zambon (.Porphyre et le moyen-platonisme ,
Paris, Vrin, 2002 , pas sim) ne remet pas en cause cette filiation ; contra J.M. Rist ( Platonism and
its Christian Heritage, p. 152-154) qui, à la suite de J. Dillon, privilégie Numénius et Cronius ;
Cl. Moreschini, Calcidio..., p. XXIV-XXX.
5. Studien zum Timaioskommentar..., p. 82 ; dans son édition, l ’érudit pense qu’Adraste
pourrait être également la source des passages techniques de la seconde partie du commentaire
{praef. p. Cl), cf. de même, Fr. Ferrari, « Interpretare il Timeo », p. 5.
6. Les traités d ’arithmétique, de musique et d ’astronomie sont parvenus jusqu’à nous, mais
pas les livres sur la géométrie.
INTRODUCTION GÉNÉRALE 37
1. Cf. les notes ad loc., surtout dans la section « Étoiles fixes et planètes ».
2. Par exemple, par Fr. Ferrari, « I commentari specialistici... », p. 183 : « Teone di Smirne
ripporta ampi brani tratti da un ’opera di Adrasto, senza tuttavia specificare il tipo di testo di cui
si serve. »
3. Hiller, p. 143-147.
4. Hiller, p. 147,8.
5. Cf. de même P. Tannery, Mémoires scientifiques II, n°55-1894, « Sur Théon de Smyrne »,
p. 455-465 ; contra J.H. Waszink, praef. p. XXXV-XXXVIII, et Fr. Ferrari, « I commentari specia
listici... », p. 184.
38 BÉATRICE BAKHOUCHE
sans doute déjà cités dans la source utilisée par l’exégète. De même, les extraits
d’autres textes de Platon par Calcidius peuvent ne pas être tirés directement de
ces œuvres : il est vrai en effet qu’on trouve les mêmes extraits chez divers
auteurs, comme la fameuse page du Phèdre (245c) sur l’immortalité de l’âme
liée à son auto-motricité traduite aux chapitres 57-58, après l ’avoir été par
Cicéron et avant de l’être par Macrobe K
Porphyre n’est pas plus cité, et pourtant il serait, dit-on, largement utilisé.
S’il ne s’agit pas ici de confirmer ou d’infirmer cette filiation, qu’il nous suf
fise cependant de préciser quelques points de méthodologie qui, dans le com
mentaire de Calcidius, ne sont pas porphyriens. C ’est d’abord le refus délibéré,
clairement exprimé 12, de s’intéresser au prologue, alors que Porphyre y atta
chait une grande importance, comme le notait déjà J. Bidez : « Dans l’intro
duction du dialogue, Porphyre s’attache à découvrir des symboles représentant
les luttes de l’âme contre les mauvaises influences de la matière 3. » Porphyre
a été un des premiers à penser que la première section du dialogue platonicien
valait la peine d’être commentée ; jusque là, les commentateurs estimaient -
comme Calcidius - que l’introduction était un simple ornement et ne présentait
aucun intérêt. D ’autre part, pour étudier l’organisation des nombres qui prési
dent à la naissance de l’âme, l’ami d ’Osius recourt trois fois à un schéma en
forme de A, alors que, selon le témoignage de Proclus 4, Porphyre préférait une
disposition en ligne. De même, Calcidius, au chapitre 29, établit trois plans de
la réalité : l’idée, la matière et la forme, alors que la distribution porphyrienne
est quadripartite 5. À propos de la matière encore, Calcidius est plus proche de
Plutarque ou d ’Atticus, pour qui selon Proclus « avant la création, il y a non
seulement la Matière inordonnée, mais encore l’Âme malfaisante qui meut
cette masse discordante » 67, que de Porphyre ou Jamblique selon lesquels « le
Monde ordonné est par lui (scil. le démiurge) créé éternellement » 7. Enfin,
l’exégète platonicien paraît ignorer la théorie néoplatonicienne de la proces
sion et envisage la matière comme totalement séparée des réalités intelli
gibles 8. Par ailleurs, si on compare Calcidius à Macrobe dont la dépendance à
l’égard de Porphyre est avérée 9, on peut noter des écarts significatifs comme
celui-ci : si Macrobe, à la suite de Porphyre, développe longuement la montée
1. Cf. Porphyre, L ’antre des Nymphes dans l ’Odyssée, tr. d ’Y. Le Lay, Paris, Verdier, 1989 ;
Macrobe, In somn. I, 12, et Calcidius, chap. 31.
2. Cf. Macrobe, Commentaire au songe de Scipion I, éd. de M. Armisen-Marchetti, p. 10,
n. 32.
3. Cf. A.H.M. Kessels, « Ancient Systems of Dream-Classification », Mnémosyne 22, 1969,
p. 389-424 [p. 413].
4. La classification calcidienne est en effet mise sur le compte des Hébreux (cf. note ad loc.).
5. Cf. « M eta-Discourse... », p. 311-314 (« I.iii. Unacknowledged Debts : The Case of Por-
phyry? »).
40 BÉATRICE BAKHOUCHE
Reste à étudier la source des Hebraica. Ces passages qui renvoient explici
tement ou non à la Bible sont d ’un intérêt d ’autant plus grand qu’ils consti
tuent un exemple rare - comme le traité anthropologique de Némésius - , dans
la littérature patristique, de l ’intégration d ’un matériau dérivé de la tradition
judéo-chrétienne dans un commentaire philosophique, alors que les auteurs
comme Clément d ’Alexandrie ou Origène l, si influencés soient-ils par le pla
tonisme, ne s’en sont pas moins engagés dans une exégèse biblique selon une
perspective explicitement théologique. J.H. Waszink, tout en reconnaissant que
les chapitres 276-278 sur la théorie de la matière des Hébreux sont empruntés
à un commentaire d’Origène sur la Genèse 12, opte d’une façon générale pour
une source numénienne, peut-être, comme il le suggérera 3, par la médiation de
Porphyre. Plus tard, D.T. Runia, après l ’étude approfondie de quelque huit
passages calcidiens, conclut que, sauf dans les chapitres 276-278 où Philon est
nommé dans la doxographie sur les différentes conceptions de la matière, le
rôle du matériau biblique est secondaire. Cependant l ’analyse des deux pas
sages les plus importants - les chapitres 219 et 276-278 - montre que le maté
riau « hébraïque » dérive, chez Calcidius, de Philon, que ce soit directement ou
indirectement4.
Enfin, si l’on a pu rapprocher Calcidius de Posidonius, c’est par la dimen
sion stoïcisante de certaines parties de son commentaire, vôire par l’utilisation
de la terminologie stoïcienne. Est-ce à dire pour autant que l’exégète exploite
directement une source issue du Portique ou que le caractère stoïcien de tel
passage soit indirectement hérité de la lecture posidonienne de Platon 5 ? À
l’époque de Calcidius, la langue de la philosophie était devenue une véritable
koinè, intégrant et mêlant ensemble des notions platoniciennes, aristotéli
ciennes et stoïciennes, et, du reste, l’influence de Posidonius, un temps suresti
mée, est ramenée aujourd’hui à une plus juste mesure. En outre, les dépen-
1. Il ne s ’agit pas d’Origène le platonicien mais d ’Origène d ’Alexandrie ; cf. R. Goulet (dir.),
Dictionnaire des philosophes antiques IV, n°41 pour le premier et n°42 pour le second.
2. Praef. p. LXXX ; de même J.C.M. van Winden, Calcidius on Matter, p. 65-66, ainsi que
J. den Boeft, Calcidius on Fate, p. 135-136.
3. « Porphyrios und Num enios », dans P orphyre, Entretiens de la Fondation Hardt 12,
Genève-Vandœuvres, 1966, p. 35-83 [p. 62].
4. Philo in Early Christian Literature, « III. Philo in the West », chap. 13 « Beginnings in the
West », p. 281-290 ; cf. B. Bakhouche, « Calcidius {In Tim., chap. 276-278) or Scripture in the
Service of Philosophical Exegesis », dans S. Aufrère (éd.), Palimpsests Two: Commentary Litté
rature in the Ancient Near Eastern and Ancient Mediterranean Cultures, Leuven, Brill (coll.
Analecta Orientalia Lovaniensa), 2011, p. 277-291.
5. Cf. déjà J. Baudry, Le problème de Forigine et de Véternité du monde, Paris, Les Belles
Lettres, 1931, p. 286-287, et, plus récemment, les études de Gr. Reydams-Schils : « Posidonius
and the ‘Timaeus’: Off to Rhodes and Back to Plato? », Classical Quarterly 47-2, 1997, p. 455-
476 ; Demiurge and Providence, Stoic and Platonist Reading of P lato’s ‘Timaeus’, Turnhout,
Brepols, 1999. Par ailleurs, si la proximité avec Galien apparaît nettement en différents passages
du commentaire, l ’influence de Posidonius sur le médecin de Pergame est plusieurs fois repérée
par C J. Larrain {Galens Kommentar zu Platons Timaios, Stuttgart, Teubner, 1992), mais il est vrai
qu’aujourd’hui on est plus prudent sur le « tout Posidonius ».
INTRODUCTION GÉNÉRALE 41
L'intérêt de l'œuvre
Calcidius ne trouve pas grâce aux yeux de la critique : tantôt il est accusé
de professer un platonisme « attardé » 3, tantôt son œuvre est qualifiée de para
phrase creuse et stérile4. Dans le meilleur des cas, on cherche constamment
ses sources, comme si l’exégète était incapable de la moindre pensée person
nelle.
La méthode de Calcidius 5
Nombreuses sont les occurrences de verbes à la première personne, ce qui
montre que le commentateur, avec une claire conscience de son rôle et de sa
responsabilité, construit sa voix auctoriale, et il le fait en relation avec ses pré
décesseurs. Son exégèse n’est pas le produit désincarné de l’école mais établit
une relation inter-personnelle forte en deux sens : entre l’auteur et son desti
nataire d ’un côté, et avec la tradition platonicienne de l’autre. Là dessus, les
pages d’introduction sont particulièrement éclairantes.
Reconnaissant en effet que le Timée a été écrit pour des spécialistes,
Calcidius attaque les interprètes qui ne s’adressent qu’à une élite :
Ex quo apparet hoc opus illis propemodum solis elaboratum esse ac uideri qui
in omnium fuerant huius modi scientiarum usu atque exercitatione uersati ;
quos cum oporteret tantam scientiae claritudinem communicare cum ceteris,
infelicis inuidiae detestabili restrictione largae beatitudinis fusionem incommu
nicabilem penes se retinuerunt, (chap. 3)
1. Sur l ’ambiguïté du vocabulaire calcidien, cf. par exemple St. E. Gersh, « Calcidius’ Theory
of First Principies ».
2. Cf. P. Hadot, Porphyre et Victorinus I, p. 80-86.
3. Cf. Cl. Moreschini, « Boezio e la tradizione dei neoplatonismo latino », dans Atti dei Con
gresso Internazionle di studi boeziani (Pavia, 5-8 ottobre 1980), Roma, Herder, 1981, p. 297-310
[p. 300-301]. La même idée est reprise dans l ’étude « Il Commento al Timeo di Calcidio tra
platonismo e cristianesimo », dans M. Barbanti, G.R. Giardine & P. Manganaro (éd.), Unione e
amicizia. Omaggio a Francesco Romano, Catana, CUECM, 2002, p. 433-440, et dans l ’introduc
tion à son édition Calcidio..., p. xvi : « Medioplatonico è, invece, il complesso delle dottrine di cui
Calcidio si serve per il suo commento, il che conferisce alV opera una forte arcaicità. », et p. xix.
4. G. de Callataÿ, Annus Platonicus, p. 106-107.
5. Pour ce paragraphe, cf. Gr. Reydams-Schils, « Meta-Discourse... ».
42 BÉATRICE BAKHOUCHE
(deo). Plus loin, à la page 41, à propos de la création des dieux, le commen
tateur latin ajoute la restriction qui dii putantur (41a5) ; dans le discours que le
démiurge adresse aux dieux créés, le groupe έπείπερ γεγένησθε (41b2) est
traduit par quia facti generatique estis, dans lequel le doublet n’est pas pure
ment rhétorique mais refléterait, selon Chr. Ratkowitsch, le dogme nicéen
genitus non factus. Nous aurions là une tentative sinon de christianiser Platon,
du moins de donner du dialogue grec une vision qui ne contredise pas fonda
mentalement l’enseignement de l’Église.
La plupart des érudits s’accordent effectivement à penser que Calcidius
était chrétien, même si Cl. Moreschini parle d ’une « patine de christianisme » 1 :
il connaît l’Écriture, cite aussi bien (sinon plus) l’Ancien que le Nouveau
Testament12, et mentionne volontiers les H ébreux3. Certes, Calcidius était
versé dans la littérature sacrée... tout comme dans la littérature profane, et les
hypothèses divergentes quant à la religion de Calcidius prouvent au moins une
chose : c’est que son christianisme est peut-être modéré4, mais surtout qu’en
l’occurrence, voulant écrire sur le Timée de Platon, il emploie la littérature
païenne, sans hésiter à indiquer les points de convergence avec la Bible et sans
renoncer aux dogmes chrétiens - la création, l’immortalité de l’âme, etc.
Néanmoins, la religion de l’exégète détermine peut-être certains choix dans
le commentaire. Il se peut ainsi que l’omission des premières pages du Timée
(29e2-31b2), sur la création du monde, soit délibérée ; le commentateur en
effet, bien qu’il donne de Y artifex une vision qui n’a rien d’un créateur tout-
puissant, comme le Dieu de la Genèse, passe sous silence le modèle du Vivant-
en-soi, qui n’a nul correspondant dans la Bible. Il se peut également que ses
idées religieuses expliquent son insistance à dire le monde créé ou sa volonté
de tempérer une vision dualiste de la matière 5. Il se peut enfin que son attitude
réticente à l’égard des théories de la Grande Année, fort goûtées des stoïciens
et des astrologues, exprime une réaction de chrétien 6, ou qu’au contraire, nous
ayons, au chapitre 26, dans l’allusion aux mains du créateur, la trace de l’inter
prétation allégorique de l’expression manus D ei7.
En tout cas, il est de mauvaise méthode de juger avec nos yeux de Modernes
ce que nous considérons comme un hiatus entre culture païenne et culture
chrétienne. À l ’époque de Calcidius, au contraire, il pouvait ne pas être
inintéressant de lier le Timée à la Genèse pour un public qui, par-delà le desti
nataire direct Osius, était sans doute constitué de lettrés chrétiens. Ce n’est
peut-être pas un hasard non plus si c ’est ce même lien intertextuel qui a assuré
la promotion de l’exégèse calcidienne de façon durable.
Le platonisme de Calcidius
L ’importance de Calcidius pour l ’histoire de la philosophie ne fait désor
mais plus de doute 1 : pendant des siècles en effet, l’Occident a connu Platon à
travers Calcidius. « Platon », c ’était le Timée, traduit et commenté par l’ami
d’Osius 12. De nos jours encore, le lecteur découvre, dans les longs développe
ments doxographiques, des témoignages irremplaçables, et pour certains iné
dits, d’idées miraculeusement sauvegardées. Ne serait-ce que pour cela, le
commentaire de Calcidius constitue un témoin précieux - encore insuffisam
ment exploité - pour l’histoire de la philosophie.
Mais l’opacité qui entoure, on l’a vu, la vie du commentateur entoure éga
lement sa pensée. S’il a appartenu au cercle de Milan, un cercle généralement
qualifié de néo-platonicien, l’était-il lui-même ? Était-il médio-platonicien ?
C’est sur ce point, on l’a vu, que, depuis plus d ’un siècle, s’opposent les cri
tiques, tandis qu’en 1875, J. Wrobel, dans l’introduction à son édition, attachait
plus d’importance à la religion de Calcidius qu’à ses idées.
En réalité, la distinction n ’est pas aisée entre les deux courants du plato
nisme tardif, comme le prouvent les différentes tentatives de « catalogage »
proposées par les historiens des idées. On a d ’abord distingué 3 en effet un pla
tonisme éclectique et un platonisme orthodoxe qui refusait l’apport des autres
écoles de philosophie. À cette dualité doctrinale a succédé une distinction entre
médio- et néo-platonisme fondée sur des discriminations temporelles dont les
limites restent floues. H.J. Krâm er4 s’inscrit en faux contre ces catégories en
plaidant au contraire pour une continuité ininterrompue entre l’Académie et
Plotin. Du reste, le médio-platonisme est très difficile à cerner sur le plan chro
nologique et sur le plan doctrinal, car il est saisi généralement comme une
époque transitoire entre la Nouvelle Académie et le néo-platonisme. Contraire
ment à la thèse de H.J. Krâmer, il faut bien constater qu’après la disparition de
l’Académie (1er s. av. notre ère), apparaissent trois courants fondamentaux :
sceptique (Plutarque), stoïcisant (Atticus) et pythagorisant (Eudore). En plus
de ces tendances doctrinales, M. Zambon 5 dégage trois caractéristiques qui
concernent spécifiquement le courant médio-platonicien : l’application du cri
tère de vérité à la pensée de Platon, souvent difficile à valider étant donné les
variations de ses idées d ’une œuvre à l ’autre ; la mise en place d ’autre part
d ’un curriculum qui doit conduire l ’étudiant des connaissances préliminaires
1. Cf. par exemple É. Gilson, La philosophie au Moyen Âge. Des origines patristiques à la fin
du XIVe siècle, Paris, Payot, 1952, p. 117-121.
2. Cf. J.C.M. van Winden, Calcidius on Matter, p. 2, et infra, « Introduction à la traduction ».
3. Voir, pour le status quaestionis, M. Zambon, Porphyre et le moyen-platonisme, p. 23-28.
4. Der Ursprung der Geistmetaphysik. Untersuchungen zur Geschichte des Platonismus zwi-
schen Platon und Plotin , Amsterdam, Schippers, 1964.
5. Porphyre et le moyen-platonisme, p. 28-31.
INTRODUCTION GÉNÉRALE 45
1. Il est à noter par ailleurs qu’en plusieurs passages, Alcinoos et Calcidius paraissent avoir lu
la même leçon du texte grec (c/. notes ad loc).
2. Cf. Alcinoos, 165,2 et 169, 38 ; mais aussi Plutarque, De an.procr. 1024C-D et 1026E-F.
3. Cf. J.C.M. van Winden, Calcidius on Matter, p. 210-211, pour la première hypothèse ;
J. Whittaker (note ad loc.) suppose une source commune, de même que St.E. Gersh, « Calcidius’
Theory of First Principies », p. 91 n. 25.
4. Cf. J. Whittaker, « Platonic Philosophy in the Early Empire », ANRW II, 36.1, p. 81-123
[p. 97-98],
46 BÉATRICE BAKHOUCHE
La f o r t u n e d e l ’œ u v r e
écoles 1 ? C ’est ainsi, par exemple, qu’au paragraphe 16, Favonius propose un
tableau (suivi d’une référence à Platon et à son cratère qui rappelle la psycho-
gonie et le crater de Calcidius 2) avec les mêmes nombres - premiers carrés
des premiers nombres pairs et impairs - que ceux du premier schéma « lamb-
doïde » de Calcidius au chapitre 32, mais également avec la même mise en
relation de ces nombres et des différentes figures géométriques. À ces ressem
blances, qui ne sauraient passer pour des dépendances puisque les développe
ments arithmologiques sont connus de tous et s’inscrivent en outre dans la tra
dition exégétique liée au Timée, s’ajoute un passage où les parallélismes dans
l’expression sont beaucoup plus significatifs. F. Skutsch 3 en effet a été le pre
mier à voir que le chapitre 44 de Calcidius et le paragraphe 22 de Favonius
étaient pratiquement identiques, à tel point même que le texte de Favonius a
permis de corriger celui de Calcidius et vice-versa 4 :
CALCIDIUS FAVONIUS EULOGIUS
Etenim quem ad modum arti- Sicut in arte grammatica arti-
culatae uocis principales sunt et culatae uocis maximae ac prin-
maximae partes nomina et uer- cipales partes edocentur nomi-
ba. horum autem syllabae. syl- na et uerba. horum autem sunt
labarum litterae. quae sunt pri- syllabae partes ac litterae sylla-
mae uoces indiuiduae atque ele barum. per quas in unum coi-
mentariae - ex his enim totius lectae significant aliquid, et in
orationis constituitur continen eas rursus diductae soluuntur,
tia et ad postremas easdem lit ita canorae uocis. quae a Grae-
teras dissolutio peruenit oratio cis emmeles dicitur et est
nis - ita etiam canorae uocis. numeris modulisque contexta.
quae a Graecis emmeles dicitur principales portiones habentur
et est modis numerisque com- systemata. Systematum uero
posita principales quidem par- partes ex certo contractu pro-
tes sunt hae, quae a musicis nuntiationis existant, quae dia-
appellantur systemata. Haec stemata Graeci, nos interualla
autem ipsa constant ex certo nominamus. Diastematum uero
tractu pronuntiationis quae partes sunt phtongoi. qui soni
dicuntur diastemata. diastema- Latine dicuntur. Hi soni quasi
tum porro ipsorum partes sunt fundamentum sunt cantus.
phtonzi. qui a nobis uocantur
soni ; hi autem soni prima sunt
fundamenta cantus.
1. Cf. les nombreuses notes aux chap. 32-45. Les parallèles proposés par C. Fries (« D e
M. Varrone a Favonio Eulogio expresso », Rheinisches Museum fur Philologie 58, 1903, p. 115-
125) sont ténus et ne permettent pas d’envisager des filiations.
2. Cf. chap. 140, mais le terme était déjà utilisé par Amobe ( Adv. nat. II, 25 et 52).
3. « Zu Favonius Eulogius und Chalcidius », Philologus 15,1902, p. 193-200.
4. Cf. a.c. ad loc.
50 BÉATRICE BAKHOUCHE
Est autem in sonis differentia iuxta Est autem sonorum plurima diffe-
chordarum intentionem, siquidem rentia iuxta cordarum intentionem,
acuti soni uehementius et citius quae non ut libet efficitur, sed cer
percusso aere excitantur, gra- ta obseruatione numerorum, de
uiores autem, quotiens leniores et quibus mox loquemur. Et acuti
tardiores pulsus erunt, et accentus quidem soni uehementius et citius
quidem existunt ex nimio inci- percusso aere excitantur. gra-
tatoque pulsu, succentus uero leni uiores autem quotiens lenius tar-
et tardiore, ex accentibus porro et diusque pulsatur, et ubi nimius
succentibus uariata ratione musi- incitatiorque pulsus e s f accentio
uocitatur, succentio uero cum
cae cantilena symphonia dicitur.
lenior tardiorque pulsatio est. Ex
accendonibus <et succentionibus>
ratione musicae cantio temperata
symphonia dicitur, quam ita defi-
niunt : symphonia est consonae
uocis continua modulatio. Dicun-
turque aliae simplices symphoniae,
aliae uero copulatae.
Prima igitur symphonia in quat- Prima igitur symphonia in quatuor
tuor primis modulis inuenitur. primis modulis inuenitur. quae
quae diatessaron dicitur, secunda diatessaron a musicis appellatur.
uero. quae ex quinque primis Secunda, quae ex quinque primis
modulis constat, diapente cogno- modulis constat, fa ci diapente
minata est. Ouibus compositis in nominatur. Ouibus mixtis in ordi-
ordinem nascitur ea cantilena quae nem atque compositis nascitur ea
epogdous et diapason uocatur. cantilena, quae diapason habetur,
propterea epogdous quia ueteres per epogdoum numerum, quia
musici octo solis chordis uteban- ueteres musici octo tantum cordis
utebantur.
tur.
D ’où trois hypothèses : (1) soit Calcidius a copié Favonius, (2) soit c’est
l ’inverse, (3) soit les deux ont exploité une même source. Comme Favonius
aurait écrit son commentaire entre 390 et 410 1 et qu’à cette époque Calcidius
avait sans doute déjà terminé le sien 12, la première hypothèse est, pour nous,
exclue. Les autres parallèles, relevés dans les notes aux chapitres calcidiens sur
les nombres et les accords musicaux, ne font jamais apparaître une aussi gran
de proximité dans l’expression, ce qui pourrait infirmer l’hypothèse 3. Par ail
leurs, on sait que Favonius Eulogius était un ancien élève d’Augustin. Or ce
lui-ci rapporte le songe singulier où le rhéteur de Carthage, en 386 ou 387,
voyait son ancien maître de rhétorique l’aider à débrouiller un passage obscur
de Cicéron :
... nobis apud Mediolanum constitutis Carthaginis rhetor Eulogius, qui meus in
eadem arte discipulus fiiit, sicut mihi ipse, posteaquam in Africam remeauimus,
retulit, cum rhetoricos Ciceronis libros discipulis suis traderet, recensens
lectionem quam postridie fuerat traditurus, quendam locum offendit obscurum,
quo non intellecto uix potuit dormire sollicitus, qua nocte somnianti ego illi
quod non intellegebat exposui, immo non ego, sed imago mea nesciente me et
tam longe trans mare aliquid aliud siue agente siue somniante et nihil de illius
curis omnino curante 1.
Il n’est pas impossible de penser qu’Augustin ait eu, dans ses bagages, à
son retour d’Italie, tout ou partie de l’œuvre de Calcidius, qu’il aurait laissée
au rhéteur lors de son passage à Carthage. Dans cette hypothèse, le futur évêque
d’Hippone a pu lire lui aussi le Commentaire au Timée soit à Milan, soit lors
de sa retraite à Cassiciacum, puis 1’« abandonner » à son retour en Afrique. La
question des rapports entre Calcidius et Augustin reste de fait controversée.
P. Courcelle est catégorique : « Je ne vois nulle part qu’Augustin ait utilisé la
traduction de Chalcidius, comme l’ont répété MM. Alfaric, Combès et Marrou 12. »
La remarque est incontestable : il est avéré en effet qu’Augustin connaissait le
Timée à travers la version latine de Cicéron, mais le commentaire ? J.H. Waszink
a de fait relevé un certain nombre de parallélismes entre les deux auteurs 3.
Ainsi de la définition des démons en tant qu’êtres omniscients 4, ou de celle de
la matière par Anaxagore 5, ou encore de l’absence de qualité de la matière
pré-cosmique 6. Assurément, ces parallèles sont insuffisants pour établir une
filiation : la définition des démons, tirée du Cratyle, était bien connue, et la
référence à Anaxagore se trouve déjà chez Cicéron {Luc. 37, 118). Dans l’exé
gèse augustinienne à la Genèse, nous retrouvons également des idées déjà
développées par l ’ami d ’Osius, mais qui ressortissent à la tradition platoni
cienne : ainsi de la perfection du nombre 6 (IV, 1-2), des éléments d ’astro-
1. De cura pro mortuis gerenda, CSEL XLI, 1900, p. 642, 12 sqq. = Les soins dus aux morts
dans Oeuvres de saint Augustin IL Problèmes moraux, éd. G. Combès, Paris, Desclée de Brouwer,
1948, p. 494-496 : « ... quand j ’étais encore établi à Milan, il arriva à Eulogius, professeur
d’éloquence à Carthage, mon disciple en cet art, comme il me l ’a rappelé, l ’événement suivant
dont il me fit lui-même le récit, à mon retour en Afrique. Son cours portant sur les ouvrages de
rhétorique de Cicéron, il préparait sa leçon pour le lendemain ; il tomba sur un passage obscur
qu’il n’arriva pas à comprendre. Préoccupé, il eut toutes les peines du monde à s ’endormir. Or
voilà que je lui apparus pendant son sommeil et lui expliquai les phrases qui avaient résisté à son
intelligence. Ce n’était pas moi bien sûr, mais, à mon insu, mon image. J’étais alors bien loin, de
l ’autre côté de la mer, occupé à un autre travail ou faisant un autre rêve et n’avais cure le moins du
monde de ses soucis. »
2. Les lettres grecques en Occident de Macrobe à Cassiodore, Paris, de Boccard, 1943, p. 157 ;
cf. P. Alfaric, L'évolution intellectuelle de saint Augustin, Paris, E. Nourry, 1912, p. 231 et n. 4 ;
G. Combès, Saint Augustin et la culture classique , Paris, Pion, 1927, p. 14 ; et H.-I. Marrou, Saint
Augustin et la fin de la culture antique, p. 34 et n. 3. M. Lemoine (« Le Timée latin en dehors de
Calcidius », p. 72) est de l ’avis de P. Courcelle.
3. Cf. son Index locorum, p. 427.
4. Calcidius, In Tim. chap. 132, et Augustin, Ciu. IX, 20.
5. Calcidius, In Tim. chap. 203, et Augustin, Ciu. VIII, 20.
6. Calcidius, In Tim. chap. 272, et Augustin, Gen. 1 ,4, 9.
52 BÉATRICE BAKHOUCHE
1. Voir J. Pépin, « Pourquoi l ’âme automotrice aurait-elle besoin d’un véhicule ? », dans JJ. Cleary
(éd.), Traditions of Platonism. Essays in Honour of John Dillon, Aldershot, Ashgate, 1999, p.293-
305 [298-299].
2. De nat. boni 18, éd. J. Doignon, Paris, Cerf, 1997. Le parallèle a été relevé par O. du Roy,
L· intelligence de la foi en la Trinité selon Saint Augustin, Paris, Cerf, 1966, p. 275 n. 4.
3. Calcidius, T 40A ; Augustin, Ciu. IX, 22, à propos des démons dans les deux textes.
4. Praef., p. xiv.
5. Calcidius, Ep. et T 45 a , adminiculus, chap. 141 et 201 ; Augustin, Contra Acad. I, 7 ;
Ep. 155, 157, 186 ; De doctr. christ. I, 3 ; CD VI, 3 ; X, 1 ; Contra philos.. Disput. 3 ; adminiculus.
Contra Iui. op. imp. IV (PL 1377,1. 39) et De dialectica, chap. 6.
6. Calcidius, T 46 a (cité au chap. 257) ; chap. 59, 267, 335 ; Augustin, Contra Iui. op. imp. V
(PL, 1433,1.6).
7. Pour désigner immutabilité ou impassabilité : Calcidius, chap. 222-223, 281, 301, 329, im
mobiliter, chap. 77 ; Augustin, In Iohan. 110, 3 ; In Psalm. Ps. 138, §8 et Ps 147, §22 ; Contra lui.
VI (PL 847,1. 7) ; Contra Iui. op. imp. III (PL 382,1. 3) ; Contra Maxim. I (PL 755,1. 44) ; immo
biliter, Conf. XII, 20, 29 ; Serm. 213, 18.
8. Calcidius, chap. 106 et 325 ; Augustin, De bono boni chap. 5, §5 ; Serm. 239 (PL 1127,
1.11) et 265 (PL 1219,1. 19).
9. Calcidius, chap. 150-153 ; Augustin, Genes. VIII.
10. Chap. 206, 207, 263, 271, 276, 299, 301, 304, 352, 353 ; inordinatus, T. 30A, 4 3 b , 46 e ,
53 a , chap. 352.
11. De moribus eccl. II (PL 1348,1. 49) ; De diu. quaest. I, qu. 2, chap. 18 ; CD XIV, 26 ; De
natura boni §23 ; inordinatus, très nombreuses occurrences chez Augustin (cf. par exemple De
musica 6 ; De libero, arb. I, 16 ; Epist. 44, 1 ; 140, 31 ; 251, Salutatio ; 262, 11 ; Epist. nuper in
lue. prol. 6, 8 ; 9, 3 ; De Genesi V, 22 ; XI, 13 ; De Genesi imperf. lib. 4 ; Quaest. In Heptat. V,
Quaest. Deuteron. 34...).
12. Cf. M. Lausberg, « Seneca und Plato (Calcidius) in der Vorrede zu den Saturnalien des
Macrobius », Rheinisches Museum fur Philologie 134, 1991, p. 167-191 [p. 175-176].
13. Praef. p. XIV.
INTRODUCTION GÉNÉRALE 53
eus 1, exemplaris (au sens de «conforme aux modèles, aux idées [platoni
ciennes] » )2. Il faut ajouter également les ré-emplois de siluestris 3, de cor
pulentus A et de competentia 5. C. Fries, comparant les passages relatifs aux
qualités du nombre 6 (dont on sait qu’ils ressortissent à la tradition arithmolo-
gique la plus générale), va même jusqu’à faire de Macrobe la source de
Calcidius 6. Or le commentaire au Songe de Scipion a été composé vraisem
blablement dans les années 430 7 - date incompatible avec l’époque à laquelle
a vécu Osius, le dédicataire de Calcidius 8 - , ce qui rend impossible la filiation
Macrobe-Calcidius, mais n’interdit pas l’inverse. En dernière analyse, les
proximités lexicales peuvent se lire plus modestement comme le reflet d’une
environnement culturel proche.
Influence médiate
Boèce (ca 480-524) s’est particulièrement intéressé au Timée de Platon et
aux exégèses scientifiques auxquelles on peut rattacher ses Institutio arithme
tica et Institutio musica. Quant à la Consolation de Philosophie 9, elle a été
systématiquement rattachée à des sources grecques 10. Pourtant, sans aller jus
qu’aux conclusions de J. Sulowski 11 pour qui, en plusieurs passages, Boèce
aurait purement et simplement démarqué le Commentaire au Timée de Calcidius,
nous avons cru pouvoir montrer que le platonisme de Boèce, dans la Conso
lation, est d ’inspiration latine et que, sur plusieurs points, Boèce exprime les
mêmes idées que Calcidius : ainsi, pour Boèce (IV, 6) comme pour Calcidius
(chap. 145-146), le destin est soumis à la Providence ; en V, 11, Boèce distin
gue éternité et perpétuité, et souligne l’impermanence absolue du présent, dans
des termes qui rappellent les développements des chapitres 105-106 du com
mentaire calcidien 12. Enfin, pour J.H. Waszink 13, le ministre de Théodoric
emprunte encore à Calcidius le terme de carentia H.
1. Calcidius, chap. 286 ; Macrobe, In somn. II, 14,7 ; 14, 22 et 15, 23.
2. Calcidius, chap. 304 ; Macrobe, In somn. I, 8, 5.
3. Calcidius, chap. 197, 289, 300, 337-338 ; Macrobe, In somn. I, 6 ,9 ; 12, 7 et 22, 6.
4. Calcidius, chap. 2 1 ,2 2 , 236, 289, 297 ; Macrobe, In somn. I, 22, 5.
5. Calcidius, chap. 19 ; Macrobe, In somn. I, 6, 24.
6. « De M. Varrone a Favonio Eulogio exp resso», p. 117: Vidimus Chalcidium sequi
Macrobium...
7. Cf. le status quaestionis de M. Armisen-Marchetti, dans son édition du Commentaire au
Songe de Scipion I, Introduction, p. XVI-XVIII.
8. Cf. supra « Son époque ».
9. Pour une liste des éditions pertinentes, voir la Bibliographie générale (volume II).
10. Cf. P. Courcelle, Les lettres grecques.. ., p. 278-300.
11. « Les sources du ‘De consolatione Philosophiae’ de Boèce », Sophia 25, 1957, p. 76-85, et
« The Sources of Boethius ‘De Consolatione Philosophiae’ », Sophia 29, 1961, p. 67-94.
12. Cf. B. Bakhouche, « Boèce et le Timée », dans Boèce ou la chaîne des savoirs, p. 247-265.
13. Praef. p. XV.
14. Calcidius, chap. 283 ; Boèce, Ar. Top. 3 ,2 , chap. 936B.
54 BÉATRICE BAKHOUCHE
1. Praef. p. XV.
2. Calcidius, chap. 241 ; Cassiodore, Var. 4 ,5 1 ; 1 2 ,1 4 ,6 .
3. Cf. M. Huglo, « La réception de Calcidius... », p. 5.
A. Isidore de Séville et la culture classique dans l ’Espagne wisigothique , index p. 940 et
p. 758-759 (texte dont la version remaniée et augmentée est parue sous le titre : Isidore de Séville :
genèse et originalité de la culture hispanique au temps des Wisigoths, Tumhout, Brepols, 2000), et
art. « Isidore de Séville », dans R. Goulet (dir.). Dictionnaire des philosophes antiques III, n°34,
p. 879-890. Cf. également A.H. Armstrong (éd.), The Cambridge History of Later Greek and Early
Médiéval Philosophy, Cambridge, Cambridge University Press, 1967, p. 563-564, et J.M. Rist,
Platonism and its Christian Heritage, p. 152 n. 58 ; contra J. Dillon, The Middle Platonists,
p. 402, et J.H. Waszink, « Calcidius », p. 237 ; cf. supra « Son époque ».
INTRODUCTION GÉNÉRALE 55
CALCIDIUS ISIDORE
Ignis... acumen quod est acutus et Ignis tenuis, acutus et mobilis ;
penetrans, deinde quod est tener
et delicata quadam subtilitate,
tum quod mobilis et semper in
motu.
(c. 22) Aer obtunsus subtilis mo Aer mobilis, acutus et crassus ;
bilis.
...aquae substantia, quod est Aqua crassa, obtunsa et mobilis ;
corpus obtunsum corpulentum
mobile.
Terrae... <obtunsitas>, quod est Terra crassa obtunsa et
retunsa, quod corpulenta, quod inmobilis.
semper immobilis.
Les paragraphes 20-21 de Étymologies XI. 1 sur la vue offrent également
des points de contact avec le chapitre 248 de Calcidius l. Et dans des études
récentes enfin, A. Somfai et Br. Eastwood ont à leur tour décelé d’autres traces
de l’influence de Calcidius sur Isidore 12.
1. Cf. F. Gasti, L'antropologia di îsidoro. Le fonti dei libro XI delle Etimologie, Como, New
Press, 1998, p. 39 ; Isidoro di Siviglia De homine partibus (.Etymologiae X I.1), ed. F. Gasti,
Palermo, Palumbo, 1999, n. ad loc.
2. A. Somfai, The Transmission and Réception ofP lato’s ‘Timaeus’ and Calcidius’ Commen-
tary during the Carolingian Renaissance, PhD dissertation (non publiée), Cambridge, 1998, p. 99-
100 ; Br. Eastwood, « The Diagram of the Four Eléments in the Oldest Manuscripts o f Isidore’s
‘De Natura Rerum’ », Studi medievali 42, 2001, p. 547-564 + 6 planches. Sur la réception du
Timée de Calcidius du IXe au XIIIe siècle, cf. A. Speer, « Lectio physica. Anmerkungen zur
r/mfl/os-Rezeption im Mittelalter », dans Plato’s ‘Timaeus’ and the Foundations of Cosmology...,
p. 213-234 [p. 214-217].
56 BÉATRICE BAKHOUCHE
Au Moyen Age
À l’époque carolingienne le Timée de Platon, à travers sa version latine et
le commentaire de Calcidius, passe généralement pour avoir été moins recher
ché pour les théories scientifiques que pour le problème de l’origine de l’âme
et de l’éternité du monde, car il était bien connu du cercle d’Alcuin. Mais
l’intérêt scientifique suscité par le texte dès cette époque ne saurait être nié :
Ps.-Bède par exemple (dont l ’époque reste incertaine), dans son De mundi
constitutione, se sert aussi de l’exégèse scientifique du commentateur platoni
cien, notamment à propos des étoiles qui apparaissent après un long laps de
temps 12. De même, un scribe qui a travaillé au monastère de Fulda dans les
années 827-829 a réuni une importante collection de textes scientifiques, dont
témoigne le manuscrit Paris BnF Lat. 13955 : neuf chapitres scientifiques issus
du commentaire au Timée de Calcidius (sans figure) sont mêlés à des extraits de
Pline ou de Macrobe, qu’il s’agisse de la sphère céleste, de l’ordre des planètes,
du mouvement du Soleil, des levers et couchers planétaires3. Calcidius est cité
par Dunchad 4 et Jean Scot Érigène5 au milieu du IXe siècle. Ce dernier, dans
ses Annotationes in Marcianum 6, emprunte à Calcidius ses idées sur l’âme et
son extension à l’intérieur de l’âme du monde 7. C’est encore dans le Commen
taire au Timée (chap. 71), mais aussi chez Macrobe et Pline, qu’il trouve quel
ques-unes de ses théories sur la distribution des planètes et sur l’harmonie des
sphères ; enfin, la difficile définition de Y Entelechia entraîne une référence
obligée à Calcidius (chap. 219-222) 8. À la même époque, Hucbald de Saint
Amand, auteur d ’un traité de musique, possédait un manuscrit de Calcidius,
texte qu’il a peut-être connu et acquis de Rémi d’Auxerre quand celui-ci était à
Reims : ce centre est connu pour avoir joué un rôle non négligeable dans la
commentaire calcidiens : « . . . their significance for the history of ideas has perhaps not been
sufficiently grasped by historians » (p. 28) ; M.-D. Chenu, La théologie au douzième siècle, Paris,
Vrin, 1957, p. 118-128 ; JJFr. Sulowski, « Studies on Chalcidius », dans Actes du 1er Congrès in
ternational de philosophie médiévale, Leuven-Paris, Nauwelaerts, 1960, p. 153-161 ; et St. Gersh,
Middle Platonism..., p. 13 sq.
1.Cf. M. Huglo, « La réception de Calcidius... », p. 13 ; cependant, comme l ’a remarqué
P.E. Dutton (« Médiéval Approaches to Calcidius », 183), le nombre de manuscrits n ’est pas ici
très significatif, car les plus anciennes copies ont le plus de chances de disparaître. Sur les manus
crits de Macrobe, cf. P.K. Marshall, « Macrobius », dans L.D. Reynolds (éd.), Texts and Trans
mission. A Survey ofthe Latin Classics, Oxford, Clarendon Press, 1983, p. 222-235.
2. Cf. L.D. Reynolds et N.G. W ilson, D ’Homère à Érasme, Paris, CNRS, 1984, p. 73 : « Le
Xe siècle est avant tout une période de transition entre l ’ère carolingienne et l ’expansion tant éco
nomique qu’intellectuelle des deux siècles suivants. La culture et la production des manuscrits
sont partout en déclin... »
3. « L ’héritage de la philosophie antique durant le haut Moyen Âge », dans La cultura antica
nelT occidente latino dal VU αΙΓ XI secolo I, Spoleto, Presso la sede dei Centro, 1975, p. 19-54
[p. 27]. Sur la philosophie au XIIe siècle, cf. P. Dronke (éd.), A History of Twelfth-Century
Western Philosophy, Cambridge, Cambridge University Press, 1988 ; sur la réception du Timée
aux XIe et XIIe siècles, cf. de même M. Gibson, « The Study of the ‘Timaeus’ in the Eleventh and
Twelfth Centuries », Pensamiento 25,1969, p. 183-194, et From Athens to Chartres.
4. Cf. T. Gregory, « The Platonic Inheritance », dans History of Twelfth-Century Western Phi
losophy, p . 54-80.
5. Bernard of Chartres, Glosae super Platonem, éd. P.E. Dutton, Toronto, Pontifical Institute
of Mediaeval Studies, 1991.
INTRODUCTION GÉNÉRALE 59
commentateur est cité l. Quelques années plus tard, en 1050, Lanfranc de Bec
met en parallèle le début du discours du démiurge en 41A6-8, dont il cite la tra
duction cicéronienne trouvée dans la Cité de Dieu (XIII, 16) d ’Augustin, avec
la version calcidienne qu’il reproduit jusqu’en 41b6 12.
Au sein de l’école de Chartres, Thierry, le premier, plus intéressé par les
rapports du quadrivium et de la théologie 3, écrit des Gloses sur le Timée où
l’on retrouve les idées des quatre « piliers » du platonisme latin tardif. Ail
leurs, dans un commentaire anonyme au livre VIII des Noces de Martianus
Capella, nous avons un écho des idées du Chartrain : ainsi, pour commenter le
paragraphe 814 de Martianus, il propose une définition aristotélicienne de la
matière qui rappelle le chapitre 288 du Commentaire au Timée 4. De même,
l’exégète appelle la Terre antiquissima dea, « selon Platon » précise-t-il, alors
que c’est la traduction de Calcidius en 40c 5.
Chez Bernard de Chartres, qui, lui aussi, aurait écrit des gloses sur Platon 6
en s’intéressant plutôt aux questions philosophiques, relevons, par exemple,
les formae nativae assimilées à Y endilichia ou forma corporis d ’origine aristo
télicienne 7, mais présente chez Calcidius (chap. 222) comme chez Macrobe
(In somn. I, 14, 19). Que ces gloses soient ou non de Bernard ne doit pas nous
conduire à minimiser l’intérêt spécifique du maître chartrain pour le Timée,
car, dans son Metalogicon, Jean de Salisbury, qui a suivi à Chartres les ensei
gnements du maître normand, fournit d’amples témoignages du platonisme de
Bernard ; lui-même, quand, en 1159, il publie les Metalogicon et Policraticus,
écrit en dédicace une lettre qui se révèle être un petit essai sur l’amitié où il
invoque les noms de Calcidius et Platon ; en réalité, le modèle de cette lettre n’est
autre que la dédicace de Calcidius à Osius 8. En outre, il souligne, dans une
page célèbre de son Policraticus, les concordances entre le Timée et l’Écri
ture :
1. Policraticus VII, 5, éd. Cl.C.I. Webb, Oxford, Clarendon Press, 1909, t. II, p. 108-110 ; cité
par T. Gregory, « Le platonisme au XIIe siècle », p. 245.
2. Cf. J. Jolivet, « La question de la matière chez Gilbert de Poitiers », dans From Athens to
Chartres, p. 247-257. Voir également F. Bezner, « Simmistes veri. Das Bild Platons in der Théolo
gie des zwolften Jahrhunderts », dans St. Gersh & M.J.F.M. Hoenen (éd.), The Platonic Tradition
in the Middle Ages. A Doxographic Approach, p. 124-128.
3. Guillaume de Conches, Glosae super Platonem, éd. É. Jeauneau, Paris, Vrin, 1965. Sur
Guillaume de Conches, cf. W. Wetherbee, « Philosophy, C osm ology... », p. 43-47 ; T. Gregory,
Anima mundi. La filosofia di Guglielmo di Conches et la scuola di Chartres, Firenze, Sansoni,
1955, et « The Platonic inheritance », p. 63-64 ; D. Elford, « William de Conches », p. 308-327,
dans History of Twelfth-Century Western Philosophy ; Th. Ricklin, « Calcidius bei Bernhard von
Chartres und Wilhelm von Conches » ; sur l ’« école de Chartres », Th. Kobusch, « Der Timaios in
Chartres », dans Plato’s ‘Timaeus’ and the Foundations of Cosmology..., p. 240-250.
4. Comme Calcidius, Guillaume avait associé les puissances de l ’air et de l ’éther aux démons,
cf. I. Caiazzo, Lectures médiévales de Macrobe, p. 80.
5. Cf. l ’édition d ’É. Jeauneau, Introduction p. 26-31.
6. Cf. I. Caiazzo, Lectures médiévales de Macrobe, p. 62-65.
7. The Commentary on Martianus Capella’s ‘De nuptiis Philologiae et Mercurii’ attributed to
Bernardus Silvestris, éd. H.J. Westra, Toronto, University of Toronto Press, 1986.
8. Cf. É. Jeauneau, « N ote... », p. 846 ; Cosmographia, ed. P. Dronke, Leiden, Brill, 1978,
Introduction, p. 4. Voir également Th. Ricklin, « Plato im zwolften Jahrhundert : Einige Hinweise
zu seinem Verschwinden », dans St. Gersh et M.J.F.M. Hoenen (éd.), The Platonic Tradition in
the Middle Ages, p. 139-162 [p. 151-152].
INTRODUCTION GÉNÉRALE 61
1. Cf. Lawrence Moonan, « Abelard’s Use of the Timaeus », Archives d'histoire doctrinale et
littéraire du Moyen Age 5 6 ,1 9 8 9 , p. 7-90.
2. Cf. T. Gregory, « Le platonisme du XIIe siècle », p. 247-248.
3. Cf. P. Courcelle, « La culture antique d’Absalon de Saint-Victor », Journal des savants,
1972, p. 270-291 [p. 281].
4. « Le platonisme du XIIe siècle », p. 257.
5. Cf. P.E. Dutton, « Material Remains of the Study of the ‘Timaeus’ in the Later Middle
A ges » ,p . 211 -2 1 3 .
6. « Material Remains... », p. 219.
INTRODUCTION GÉNÉRALE 63
c’est qu’au XIIIe siècle, après avoir quitté les mains des étudiants, le texte con
naît cependant un regain de faveur.
De fait, Albert le Grand possédait un manuscrit de la version du Timée par
Calcidius, texte en marge duquel il avait ajouté un certain nombre de titres l.
Thomas d ’Aquin a lui-même l ’intention de composer un commentaire sur le
Timée, lorsqu’il quitte Paris en 1272. « Bien qu’il n’ait connu de Platon que le
Timée de Calcidius », note C. Steel 12, « il montre qu’il a excellemment connu
les thèses essentielles du platonisme », mais aussi l’exégèse calcidienne puis-
qu’en se référant à Platon dans sa distinction des bons et des mauvais démons,
il est plus tributaire du commentateur latin que du philosophe grec 3. De même,
dans le Commentaire des Sentences II (éd. Moos, II, p. 27-41) sur l’éternité du
monde, Thomas joue sur les deux sens de principium , origine temporelle et
origine ontologique, d ’une façon qui n’est pas sans rappeler l ’origine « cau
sative » du monde proposée par Calcidius au chap. 23 de son commentaire4.
Plus tard, dans un milieu totalement différent, l’averroïste padouan Pietro d’Abano
utilise la traduction de Calcidius dans son De motu octavae sphaerae 5.
En marge de l’activité des intellectuels qui continuent plus ou moins, tou
jours en latin, à commenter ou à critiquer le Timée, d’autres s’attachent à des
exercices de retractatio en langue vernaculaire : c ’est ainsi qu’au milieu du
XIVe siècle, Goswin de Metz rédige une encyclopédie qui allait connaître un
immense succès, Image du Monde, en s’inspirant à la fois du Timée et de la
Philosophia mundi de Guillaume de Conches. A la fin de ce même siècle, un
autre auteur l’imite dans un dialogue intitulé Placides et Timéo. Mais la plus
brillante production de la littérature vernaculaire inspirée du Timée est incon
testablement le Roman de la Rose dont la première partie, écrite par Guillaume
de Lorris dans les années 1230, ressortit au roman courtois, tandis que la
seconde, œuvre de Jean de Meung (fin du XIIIe siècle), prend les allures d’une
encyclopédie fortement inspirée par la version calcidienne du dialogue dont
des passages entiers sont traduits 6.
Au début du XIVe siècle, à une époque où la connaissance de Platon est
puisée au mieux dans les textes d ’Aristote ou d’Augustin, au pire dans les
1. P.E. Dutton, « Material Remain... », p. 216. Sur Albert le Grand, cf. H. Anzulewicz, « Die
platonische Tradition bei Albertus Magnus. Eine Hinführung », dans The Platonic Tradition...,
p. 207-277.
2. « Plato Latinus (1939-1989) », dans Rencontres de cultures dans la philosophie médiévale,
Louvain-la-Neuve-Cassino, Institut d’études médiévales de TUniversité catholique de Louvain,
1990, p. 301-316 [p. 309],
3. Cf. P.E. Dutton, « Material Rem ains... », p. 216-217, et « Médiéval Approaches to Cal
cidius », p. 193. Sur Thomas, cf. également, W J. Hankey, « Aquinas and the Platonists », dans
The Platonic Tradition.. p. 279-324 [p. 288-292].
4. C. Michon, qui propose une traduction du passage dans Thomas d ’Aquin et la controverse
sur l ’éternité du monde, Paris, Flammarion, 2004 (p. 69-92), n’évoque absolument pas les lectures
du Timée par Thomas.
5. Cf. G. de Callataÿ, Annus Platonicus, p. 180-181.
6. Cf. P.E. Dutton, « Material Remains... », p. 217-219.
64 BÉATRICE BAKHOUCHE
1. Cf. J. Hankins, « The Study o f the ‘Tim aeus’ in Early Renaissance Italy », p. 83-88, et
A. Étienne, « Entre interprétation chrétienne et interprétation néo-platonicienne du Timée : Marsile
Ficin », dans Le Timée de Platon. Contributions à Thistoire de sa réception , p. 173-200.
2. Cf. G. de Callataÿ, Annus Platonicus, p. IX-X.
3. Cf. J. Hankins, « Pierleone da Spoleto on Plato’s Psychogony (Glosses on the Timaeus in
Barb. lat. 21) », dans J. Hamesse (éd.), Roma, magistra mundi : Itineraria culturae medievalis.
Mélanges offerts au Père L.E. Boyle, Louvain-la-Neuve, FIDEM, 1998, t. 1, p. 337-348 ; et infra
« L ’établissement du stemma ».
4. Sur Nicolas de Cues, cf. M.L. Fuehrer, « Cusanus Platonicus. References to the Term
‘Platonici’ in Nicholas o f Cusa », dans St. Gersh et M. J.F.M. Hoenen (éd.), The Platonic Tra
dition in the Middle Ages. A Doxographie Approach, p. 344-357.
5. Cf. L. Thorndike et P. Kibre, A Catalogue of Incipits of Mediaeval Scientific Writings in
Latin, Cambridge [Mass.], The Mediaveal Academy of America, 1937, rééd. 1963, p. 182 n. 469.
6. Cf. J. Hankins, « The Study of the ‘Timaeus’ in Early Renaissance Italy », p. 79.
INTRODUCTION GÉNÉRALE 67
1. Cf. I. Caiazzo, Lectures médiévales de Macrobe , p. 53, à propos des trois principes, Dieu, la
matière et les idées.
2. Lectures médiévales de Macrobe, p. 108-109.
3. Pour K. Hartbecke en effet, l ’identifiation de la matière et de la nécessité chez Holbach
viendrait du commentaire au Timée de Calcidius soit directement soit par l ’intermédiaire de
Bessarion (« Der Timaios in der franzôsischen Aufklàrung », dans Plato's ‘Timaeus’ and the
Foundations of Cosmology..., p. 453-479 [p. 456-461]).
4. Cf. P.E. Dutton, « Médiéval Approaches to Calcidius », p. 193-194.
68 BÉATRICE BAKHOUCHE
L ’HISTOIRE DU TEXTE
La tradition manuscrite
Les manuscrits
J.H. Waszink a recensé 138 manuscrits 12 pour l’ensemble de l’œuvre - tra
duction et commentaire - , pour la traduction seule ou le commentaire seul ;
qu’il s’agisse encore de la totalité du texte ou de fragments. Depuis la dernière
mise à jour de l ’édition hollandaise, un certain nombre d ’études ont permis
d’affiner l’approche d ’un texte volumineux et à la tradition complexe.
Tout d ’abord, la liste des manuscrits doit être actualisée, et ce en deux
sens : le manuscrit de la bibliothèque du Chapitre de la Cathédrale de Tortosa,
compté par J.H. Waszink parmi les manuscrits existants, a vraisemblablement
disparu 3. Au contraire, le manuscrit de Cheltenham (Philipps 816), considéré
comme introuvable 4, est réapparu à l’occasion d’une vente aux enchères orga
nisée par Sotheby’s : il se trouve maintenant à l’Université d’Austin au Texas
sous la cote Ms 29, et a été collationné par M.R. Dunn et C.A. Huffman 5.
D’autre part, le manuscrit du Vatican, Reg. lat. 123, et celui de Cracovie, Bibl.
Jagiellonska 529, répertoriés par J.H. Waszink parmi les œuvres complètes,
devraient plutôt être rangés parmi les copies fragmentaires, car ils ne con
tiennent que des extraits.
Des études plus récentes permettent par ailleurs de connaître l’existence
d ’autres manuscrits. L’un d ’entre eux a aujourd’hui disparu : il s’agit d ’un manu
scrit de Prague Universitatsbibliothek 1669, écrit entre 1403 et 1420 et d ’ori
gine tchèque 6. Et un manuscrit du XIe siècle 7, mentionné dans un catalogue
des livres de Reichenau et qui aurait peut-être servi de modèle pour le
manuscrit de Bamberg, Class. 18 8, est introuvable.
mondo romano : atti del convegno (Pisa, 5-6 dicembre 2006), Amsterdam, A.M. Hakkert, 2008,
p. 253-288.
1. Cf. M. Huglo, « La réception de Calcidius... », p. 9-10.
2. Cf. G. Cremaschi, « Versioni latine di dialoghi platonici in un codice délia Biblioteca civica
di Bergamo », Aevum 30, 1956, p. 550-553.
3. « Plato apud Bohemos », Mediaeval Studies 41, 1979, p. 161-214.
4. « Gloses sur le Timée et commentaire du Timée dans deux manuscrits du Vatican », Revue
des études augustiniennes 8-4, 1962, p. 365-373 [p. 370-373] = Lectio philosophorum, p. 200-
203 ; cf. supra « La fortune de l ’œuvre ».
5. Cf. Z. Kaluza, « L’organisation politique de la cité dans un commentaire anonyme du Timée
de 1363 » ,p . 150-151.
6. Cf. L. Thorndike & P. Kibre, A Catalogue of Incipits of Mediaeval Scientific Writings in
Latin, col. 1512.
7. « The Study o f the ‘Timaeus’ in the Eleventh and Twelfth Centuries », Pensamiento 25,
1969,p. 183-194 [p. 188].
8. Cf. Bernard of Chartres, Glosae super Platonem, p. 109-116 et 120-124, et Appendix 1.
70 BÉATRICE BAKHOUCHE
Conv. soppr. J.2.49, lr-27v (seconde moitié du XIIe s.), Admont, Stiftsbi-
bliothek Cod. 514, fol. lv-13v (seconde moitié du XIIe s.) h
Dans ses études sur la réception de Calcidius au Moyen Âge 12 et spécia
lement sur les manuscrits offrant des gloses de nature différente, P.E. Dutton a
encore recensé des manuscrits inconnus de l’éditeur hollandais et qui, pour
certains, ne contiennent que de courts fragments du texte calcidien :
- Bamberg, Staatsbibliothek 82, fol. 140-142 (XIIe s.)
- Bergamo, Biblioteca civica “Angelo Mai” MS MA 350, fol. 66v (XVe s.)
- Giessen, Universitàtsbibliothek 82, fol. 45r-v (XIIe s.)
- München, Staatsbibliothek, Clm. 225, fol. 80v (XVe s.)
- Paris, BnF lat. 15124, fol. 160r-241r (fin XIIe s.)
- Paris, BnF lat. 18104, fol. 177r-178r (fin XIIe s.)
- Praha, Stâtni knihovna IX.A.4 (1669), fol. 304-315 (début XVe s.)
- Stuttgart, Württembergische Fandesbibliothek, Cod. theol. et philos. 58,
fol. 75r (XVe s.)
- Upssala, Universitàtsbibliothek C.647, fol. 13v-18r (XIIIe s.)
- Wroclaw, Biblioteka Uniwersytecka IV.Q.48a (XVe s.)
et des commentaires anonymes dans les manuscrits suivants :
- Oxford, Corpus Christi 243, fol. 136v-138r (XVe s.)
- Salamanca, Biblioteca universitaria 2322, fol. 158v-160r (XIIe s .)3.
Si la revue des catalogues des bibliothèques nous a permis d ’ajouter encore
deux manuscrits 4, le caractère très fragmentaire et tardif de ces nouveaux témoins
leur ôte toute importance fondamentale pour l’établissement du texte. Aujour
d ’hui, en tout état de cause, le nombre de manuscrits connus s’élève à 198
copies 5.
Dans la liste établie par J.H. Waszink - qui doit donc être revue à la hausse
- , l’œuvre complète a été transmise dans 44 manuscrits, le commentaire seul
dans 14 manuscrits assez tardifs (XIIIe et XVe siècles) et la traduction dans
77 6, ce qui témoigne du prestige incontestable dont a joui cette dernière. Parmi
les manuscrits qui sont parvenus jusqu’à nous soit intégralement, soit presque
intégralement, le plus grand nombre date des XI-XIIe siècles (40%), puis du
XVe siècle (30%). Ces ébauches de statistiques ne sont pas démenties par les
études plus récentes. En tenant compte en effet des copies nouvellement recen
sées, P.E. Dutton a établi un graphique 7 qui, même s’il doit être interprété
1. Il se peut en effet que le petit nombre des témoins les plus anciens soit moins dû à un
manque d’intérêt pour le texte qu’à la disparition des copies.
2. « The Study of Ancient Sources of Music Theory in the Médiéval Universities », dans A. Barbera
(éd.), Music Theory and Its Sources. Antiquity and Middle Ages, Notre Dame, University of Notre
Dame Press, 1990,p. 150-172 [figure 5 p. 167].
72 BÉATRICE BAKHOUCHE
et, chap. 343, {interitus) praecedere ; chap. 344, censeo {ideae) et, chap. 345,
{altitudinem) peccatoris.
La sous-classe Δ’* compte trois groupes - Θ, Ξ et Π - qui sont à leur tour
plusieurs fois subdivisés. Laissant de côté le manuscrit de Cracovie, Bibl.
Jagellonica 529 (fin Xe ou début XIe siècle) qui est très lacunaire 1 de même
que celui de Leipzig, Bibl. Sénat. Cod. Rep. I. 4, 84 (XIIIe siècle) pour la
même raison 12, ainsi que les copies tardives, nous avons collationné, pour les
deux premiers groupes, les copies de Paris, BnF Lat. 7188, début du XIIe siècle
(P9) ; de Leiden, Bibliothek der Rijksuniversiteit, B.P.L. 64, XIe siècle (L3) ;
d’Edinburgh, Univ. Bibl. 16 (D.b. IV. 6), XIIe siècle (Ed) ; du Vaticano, Reg.
Lat. 1308, Xe siècle 3 (Reg6), et de Paris, BnF Lat. 6280, XIe siècle (P3). Les
leçons communes sont rares entre les manuscrits consultés ; nous avons seule
ment relevé genuina au chapitre 54, qui est commun à d’autres branches com
me la classe A* ou le groupe T.
Dans le dernier sous-groupe, nous nous sommes intéressée aux manuscrits
actuellement conservés à Florence : Bibl. Naz. Centr. I. IV. 28 du XIe siècle
(F3) et I. IX. 40 du XIIIe siècle (F4), ainsi que celui de la Bibl. Medicea Laur.,
Gaddi, plut. 84, cod. 51, du XIe siècle (La2). Ce dernier groupe se distingue
des autres par l’abondance des négligences - modification de l’ordre des mots,
omissions diverses. Des huit différences dans la traduction, nous relèverons
seulement : 38e, {post) exequamur ; 39b, gemino suo et alieno et, 40b, coer-
tione. Parmi les différences dans le commentaire, contentons-nous de citer :
chap. 340, electorum {uirorum), et {hominem) cadit ; chap. 343, plene {sub
oculos) ; chap. 344, censeo {ideae) et, chap. 347, {opinione) perceptibilis.
Si certaines filiations comme la précédente permettent de grouper les manu
scrits de façon convaincante, ce n’est pas toujours le cas : ainsi, les groupes Θ
et Ξ ne donnent pas, pour les passages étudiés, de filiations probantes. En
outre, nous avons relevé, au chapitre 338, la même lacune nec uero-formata
dans trois manuscrits distribués dans des branches différentes : PI, P8 et P3, ce
qui nous contraindra à revoir au moins ces groupements.
Du reste, ceux-ci s’avèrent trop précis et ramifiés pour rendre compte de
toutes les variantes, comme le prouve l’apparat critique où l’éditeur hollandais
est très souvent obligé d ’isoler certains manuscrits pour des leçons attribuées à
tout un groupe. En outre, le stemma de la traduction proposé par J.-H. Waszink,
qui offre deux grandes familles - l’une ω pour les traductions associées au com
mentaire et qu’on vient de vérifier, et l’autre, oo, pour les traductions seules -
ne paraît pas pertinent, car certaines traductions, copiées seules, peuvent être
glosées à l’aide de citations tirées du commentaire : c’est le cas du manuscrit
de Paris, BnF lat. 16579, dont les gloses marginales tirées du commentaire cal-
cidien permettent de rattacher ce manuscrit au même groupe que le Paris, BnF
1. Cf. P.E. Dutton, « Illustre duitatis et populi exemplum : Plato’s ‘Timaeus’ and the Trans
mission from Calcidius to the End of the Twelth Century of a Tripartite Scheme of Society », Me-
diaeval Studies 45, 1983, p. 79-119 [p. 80-86] ; B. Bakhouche, « Marginalia et histoire du texte :
l ’exemple du manuscrit latin Paris BnF 16579 ».
INTRODUCTION GÉNÉRALE 77
1. Sur ce manuscrit, cf. A. Taylor, Textual Situations. Three Médiéval Manuscripts and their
Readers, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 2002, c. 2. « Bodleian MS Digby 23 »
p. 26-75.
2. Cf. T. Gregory, « Note e testi per la storia del platonismo medievale », p. 353 n. 2.
3. Cf. B. Bakhouche, « Marginalia et histoire du texte : l ’exemple du manuscrit latin Paris
BnF 16579».
4. Cf. É. Jeauneau, « Gloses marginales sur le Timée de Platon, du manuscrit 226 de la Bi
bliothèque Municipale d’Avranches », Sacris Erudiri 17, 1966, p. 71-89 = Lectio philosophorum ,
p. 209-228 [p. 225 η. 39], et « Note sur l ’École de Chartres », Studi medievali 5, 1964, p. 821-865
= Lectio philosophorum, p. 5-49 [p. 19 n. 86].
5. « The study of the ‘Timaeus’... », p. 186-187.
6. Cf. M. Huglo, « La réception de Calcidius... », p. 12.
7. Cf. Manuscrits classiques latins de la Bibliothèque Vaticane, Paris, CNRS, 1 9 7 5 ,1, p. 603.
INTRODUCTION GÉNÉRALE 79
1. Pour d’autres exemples, cf. Br.St. Eastwood, « Latin Planetary Studies in the IXth and Xth
Centuries », Physis NS 32, 1995, p. 217-226.
INTRODUCTION GÉNÉRALE 81
1. Une partie d’entre elles a été étudiée par A. Somfai, « The Brussels Gloss : a Tenth-Century
Reading of the Geometrical and Arithmetical Passages of Calcidius’s Commentary (ca 400AD) to
Plato’s ‘Timaeus’ », dans Ch. Bumett et D. Jacquart (éd.). Scientia in margine : étude des margi
nalia dans les manuscrits scientifiques du Moyen Âge à la Renaissance , Genève, Droz, 2005,
p. 139-169.
2. Sur ces figures, cf. les études de M. Huglo : « La réception de Calcidius et des Commentarii
de Macrobe à l’époque carolingienne », Scriptorium 44, 1990, p. 3-20 et 46-2, 1992, col. 27-28 ;
« The Study of Ancient Sources o f Music Theory in the Médiéval Universities », p. 150-172 ;
« Les diagrammes d ’harmonique interpolés dans les manuscrits hispaniques de la Musica Isidori »,
Scriptorium 48, 1994, p. 171-186; « L ’étude des diagrammes d ’harmonique de Calcidius au
Moyen Age », Revue de musicologie 91-2, 2005, p. 305-319 ; « Recherches sur la tradition des
diagrammes de Calcidius », Scriptorium 67-2, 2008, p. 185-230 + 5 pl.
3. A J . Festugière, Proclus. Commentaire sur le Timée , Paris, Vrin, 1967, t. 3, livre III,
p. 216 ; Procli Diadochi In Platonis Timaeum commentaria, Leipzig, Teubner, 1904, t. II, 171.
82 BÉATRICE BAKHOUCHE
1. Cf. Plutarque, De an. procreat. 1027D ; bien que M. Huglo, « Les diagrammes d’harmo
nique interpolés dans les manuscrits hispaniques de la Musica Isidori », p. 171 n. 3, fasse égale
ment état de constructions carrées interpolées dans le livre I du De Institutione Musica de Boèce et
précise : « Ce carré des consonances pythagoriciennes figure dans plusieurs manuscrits du com
mentaire du Timée de Calcidius », nous n ’en avons trouvé aucun exemplaire dans les manuscrits
consultés.
2. A.J. Festugière, Proclus. Commentaire sur le Timée, t. 3, livre III, p. 215 ; Procli Diadochi
In Platonis Timaeum commentaria, t. II, p. 70.
3. Cf. Chr. Meyer, « Le diagramme lambdoïde du ms. Oxford Bodleian Library Auct. F. 3.15
(3511) », Scriptorium 49, 1995, p. 228-237.
4. « Les diagrammes d’harmonique interpolés... », p. 178 n. 18.
5. « Les diagrammes d ’harmonique interpolés... », n. 21.
INTRODUCTION GÉNÉRALE 83
titude comme en F3 et La2, où le déférent ne passe pas par les centres des épi-
cycles.
Chap. 85 - Le mouvement du Soleil sur un épicycle est illustré par un des
sin identique dans tous les manuscrits, avec, pour seule inexactitude, la non-
tangence du cercle M aux rayons du grand cercle (cela en Reg6, L3, F3, La2,
P9).
Chap. 88-90 - Les quatre dessins sur les épicycles et la forme de l’ombre
de la Terre n’appellent guère de commentaire : si l’on excepte le manuscrit
P li où le dessin ressemble plus à une épreuve ratée, partout ailleurs nous trou
vons sensiblement la même figure. Les deux dessins qui présentent les deux
formes d ’ombre sont omis dans La2 et V atl. En revanche, dans le dernier des
sin, un cercle passe par le sommet du cône (C) et par le Soleil, comme si l’ombre
de la Terre arrivait au cercle du zodiaque. Parfois ce cercle est redoublé
comme en La2, P5, F3 (où s’ajoute une figure sur laquelle la Terre n’est pas
tangente aux deux obliques) ou B1 (où c’est le cercle du Soleil qui coupe les
deux obliques).
Chap. 9 2 - Les trois figures qui illustrent Tint. 3 6 b 5 - c 2 sont les mêmes
partout.
Chap. 96 - la figure qui présente sept cercles planétaires concentriques au
cercle extérieur du zodiaque ne se trouve pas en B1 ; circulaire en P2 et V atl,
ailleurs c’est seulement le demi-cercle supérieur qui est divisé en autant de fois
qu’il y a de planètes. À chacune est associé un nombre, de 1 à 27, qui corres
pond à la partition de l’âme (cf. les diagrammes harmoniques). L ’explicitation
du lien avec la division harmonique est notable dans les gloses de PI 1 {prima
portio Lunae ad terram, secunda Solis dupla ad terram, tertia Veneris tripla
ad primam sesquialtera ad secundam, quarta Mercurii dupla secundae qua
drupla primae, quinta Martis octupla primae, sexta louis tripla tertiae, septi
ma Saturni septem et uiginti sectionum), et par la mention pythagorica en L3.
Enfin, au chapitre 117, pour illustrer les mouvements planétaires semblables
aux « volutes de l’acanthe », le dessin circulaire avec une boucle centrale au
bout de laquelle se trouve un astre (parfois nommé Vénus) est remplacé en PI,
Lu et P5, par la reproduction de vraies volutes d’acanthe.
Les illustrations les plus énigmatiques sont celles qui sont censées rendre
compte du mouvement particulier des planètes inférieures - Vénus en l’occur
rence. Deux dessins illustrent généralement les chapitres 111 et 112. En dépit
des explications assez claires du chapitre 111 sur l’hypothèse d’Héraclide du
P o n tl, le dessin de l’édition Waszink est particulièrement fautif : le cercle de
Vénus, au lieu d’être tangent aux deux obliques ΞΑ et ΞΓ, est sécant, et c’est
celui du Soleil qui est tangent. La Terre, Ξ, au lieu d’être au centre du cercle se
trouve sur le cercle de Vénus. En outre la disposition des cercles planétaires
1. Cf. notes ad loc., et, sur ces chapitres, B. Bakhouche, « Tradition graphique et tradition tex
tuelle dans le Commentaire au Timée de Calcidius », Revue belge de philologie et d ’histoire 86,
2 0 0 8 ,p . 97-113.
INTRODUCTION GÉNÉRALE 85
soit dans des manuscrits qui ne contiennent que la version latine comme Ami
ou A2, soit dans des copies de l’œuvre complète comme L3 T On y voit en
effet deux épicycles (voire trois quand celui de Mercure est représenté), non
pas concentriques mais avec des centres alignés avec la Terre. Dès lors, les
deux cercles sécants (dont l’orbite solaire) que l’on voit dans certains manuscrits
et dans le dessin reproduit dans l ’édition Waszink 12 pour le chap. 112, loin
d’être une dégénérescence de l’épicycle solaire comme le pense Br .St. Eastwood3,
représentent les cercles du Soleil et de Mercure nettement séparés de celui de
Vénus.
Restent deux séries de dessins, l’un concernant le chapitre 73 et deux sur
l’inégalité des saisons et l’excentrique solaire (chap. 78-80).
Les chapitres 72-73 sur l’ordre des planètes nous ramènent à U l. La figure
la plus fréquente dans les manuscrits est celle qui est reproduite dans l’édition
Waszink : huit cercles concentriques entourent le globe terrestre, et les pla
nètes y sont distribuées selon trois critères de classement : l’ordre, la grandeur
et la vitesse (ces indications sont omises dans V atl), et l’ensemble est peu
intelligible. La difficulté tient en effet à l ’opacité du tableau : ainsi la liste
Aplanes Maxima jusqu’à Lunae secunda est-elle à relier à MAGNITVDO ou à
VELOCITAS ? D ’après le contenu des chapitres précédents, ce serait à VELO
CITAS : en effet, la sphère des fixes dont le mouvement dure un jour est la
plus rapide, la Lune qui accomplit sa révolution en un mois est la seconde et
Saturne, qui tourne en 30 ans, la dernière. D’autre part, comme les vitesses du
Soleil, Vénus et Mercure sont dites égales puisque leur durée de révolution est
évaluée à un an, on déduit du dessin reproduit dans l’édition Waszink que la
référence (ici VELOCITAS) se trouve indiquée à gauche de la colonne concer
née. Ce classement selon les vitesses devrait se retrouver en principe dans
l’ordre (ORDO) ; en principe seulement, car Tordre des planètes ne tient pas
compte de l’isodromie des deux planètes inférieures - Mercure et Vénus -
avec le Soleil. Enfin, la série liée à la MAGNITVDO ne correspond à rien dans
le texte même de Calcidius ; il s’agit sans doute des dimensions apparentes des
astres. Les témoignages de Ps.-Eratosthène (Catast. 43) et d’Hygin (.Astr. IV,
15-19) ne permettent qu’un classement approximatif : après le Soleil et la
Lune, Vénus est la plus grande, Jupiter et Saturne sont « de grosseur impor
tante » (c/. Hygin : corpore est magno s’applique à Tune et à l’autre planète),
Mars, lui, n ’est pas gros (non magno est corpore) et Mercure non plus (in
aspectu non magnus) - ce qui correspond à la troisième colonne dans le dessin
de l’édition Waszink. Proclus, In Remp. II, 218, 18 sq., propose la suite Soleil-
1. Cf. Br. St. Eastwood, « Plato and Circumsolar Planetary Motion in the Middle Ages »,
Archives d'histoire doctrinale et littéraire du Moyen âge 60, 1993, p. 7-26 = The Revival of Plane
tary Astronomy in Carolingian and Post-Carolingian Europe, Aldershot, Ashgate, 2002, VIII.
2. Cf. Annexe III.
3. « Heraclides and Heliocentrism... », p. 253.
INTRODUCTION GÉNÉRALE 87
non plus les quatre qui correspondent aux saisons. D’où les visibles difficultés
des copistes qui, d ’un côté, laissent des portions vides de nombres ou de signes
zodiacaux, et de l’autre offrent des saisons qui correspondent à deux signes,
c’est-à-dire grossièrement à deux mois.
Assurément, si un troisième diamètre déforme le dessin et rend la figure
incompréhensible, il convient également de se demander ce que peut représen
ter le tracé de deux diamètres qui ne sont plus perpendiculaires mais obliques :
leur obliquité de part et d ’autre d ’un diamètre horizontal non tracé (qui repré
senterait l’équateur céleste) pourrait être interprétée, pour l’un d’entre eux,
comme l’écliptique et les quatre points d ’intersection marquer les points solsti
ciaux et équinoxiaux qui, traditionnellement, signalent le début des saisons. En
tout cas, un tel tracé brouille et entache d’erreur la figure originelle. En outre,
il y manque souvent le diamètre qui, dans l ’excentrique solaire, joint les deux
positions solaires à l’apogée et au périgée, comme dans la figure de L3 que
nous avons adoptée, ou dans le dessin qui, dans U1, est en haut, à droite du folio
reproduit en Annexe IV 1.
Récapitulons : confirmant les filiations textuelles établies par J.H. Waszink,
les figures de F3 et La2 sont remarquablement semblables. De même, le dessin
spécial des volutes de l’acanthe (chap. 117) se trouve dans trois manuscrits
appartenant au même groupe : Lu, PI et P5. En revanche, L3 paraît directe
ment ou indirectement tributaire des heureuses innovations de U 1 ; ce sont les
dessins de ces manuscrits que nous reproduirons de préférence. Le schéma du
mouvement en latitude des planètes se retrouve dans U l, L3, mais aussi dans
deux manuscrits du XIIe siècle qui n’offrent que la version du Timée : Av et
Ami. À l’inverse, si l’on confronte les résultats des différentes études sur les
dessins et le stemma codicum de J.H. Waszink, on constate des groupements
qui ne sont pas pertinents pour les illustrations, ainsi de P3 et P9, de P3 et
Reg6, bien que des copies du groupe Y de l’édition Waszink appartiennent
bien au groupe II établi par B.L. van der Waerden 12.
L ’étude des diagrammes permet donc de conforter ou de contester les dif
férents groupements, qu’il convient maintenant de confronter pour établir notre
propre stemma.
L es p r in c ip e s d e l a p r é s e n t e é d it io n
U établissement du texte
Les remarques précédentes permettent de voir que la critique textuelle est
insuffisante pour établir à elle seule les filiations : il faut également prendre en
1. Sur les dessins de ces chapitres, cf. B. Bakhouche, « Tradition graphique et tradition tex
tuelle dans le Commentaire au Timée de Calcidius ».
2. Cf. Br.St. Eastwood, « Heraclides and Heliocentrism... », p. 249.
INTRODUCTION GÉNÉRALE 89
compte tous les éléments extérieurs (gloses, dessins...) dont nous avons donné
plus haut quelques exemples.
Pour établir le texte de la présente édition, nous avons choisi, dans la plé
thore de manuscrits existants, les plus anciens et les textes complets (à deux
exceptions près néanmoins : Γex-manuscrit Cheltenham n ’offre que la pre
mière partie de la traduction, mais il nous a paru intéressant de le faire figurer
dans la présente édition car il n’a pu être collationné par J.H. Waszink, et en
outre il contient quelques-unes des meilleures leçons 1 ; et le manuscrit vien
nois lat. 443, bien qu’il comporte une lacune entre les fol. 162 et 163, est essen
tiel pour l’établissement des dessins), si bien que, dans les versions jumelles de
Lu et PI, nous avons sélectionné ce dernier manuscrit, car la seconde partie du
texte (fol. 57-101) est mutilée dans la copie lyonnaise. Soit :
1. Cf. M.R. Dunn & C.A. Huffman, « The Cheltenham ms of Calcidius’ Translation of the
‘Timaeus’ », p. 86 n. 36.
90 BÉATRICE BAKHOUCHE
1. Le manuscrit est daté du XIIe siècle par O. Kristeller, Iter Italicum V, p. 204, du Xe par
M. Gibson.
2. Cf. fol. 103v : Abbas indignus ego Ellinger peccator istam glosam scripsi dum essem in
Alta Hengi( ?) Monasterio.
INTRODUCTION GÉNÉRALE 91
E PARIS, BnF lat. 2164 (Colbert 2285, Regius 4028/3-A) (PI), parchemin,
première moitié du Xe siècle L Rubriques en onciales. Figures astrono
miques. Notes marginales contemporaines (d’autres datent des XVIe-XVIIe
siècles). Ecrit dans le nord de la France selon J .H. Waszink, il aurait été
copié, selon M. Huglo, à l’abbaye de Fleury, mais, pour L.D. Reynolds, il
viendrait du scriptorium de la cour de Charlemagne, tandis que pour
B. Bischoff, si le manuscrit a figuré dans la bibliothèque de Charlemagne,
il a été copié dans les années 800, au monastère de Corbie. A appartenu, au
XVIIe siècle, au Président Jacques-Auguste de Thou (son nom se trouve au
bas du folio 1) qui l’a reçu soit de Nicolas Le Fèvre, soit de Pierre Pithou 12.
Aux fol. 1 et 9, ancienne cote : « 115 » (Colbert 2285 ; Regius 40283A) :
- fol. 1, Faustus de Riez, Epist. III,
- fol. 2-22v, Claudien Mamert, De statu animae avec prol.,
- fol. 23r-71v, Calcidius, Ep, Tim l, Calcl, Tim2, Calc2.
- Incipit : Osio Chalcidius (presque illisible).
Bibliographie :
Bibliothèque Nationale, Catalogue général des manuscrits latins, t. 2,
Paris, 1940, p. 348.
BISCHOFF B Manuscripts and Libraries in the Age of Charlemagne, tr. angl.
M. Gorman, Cambridge, Cambridge University Press, 1994, 19952, p. 29,
64 et 139.
HUGLO M., « Trois livres manuscrits présentés par Helisachar », Revue béné
dictine 99, 1989, p. 272-285 [p. 278].
—, « La réception de Calcidius et des Commentarii de Macrobe à l’époque
carolingienne », Scriptorium 44, 1990, p. 3-20 [p. 11-13].
—, « Recherches sur la tradition des diagrammes de Calcidius », Scriptorium
68,2008,p . 185-235 [p. 219]
M c K itterick R., « Knowledge of Plato’s ‘Timaeus’ in the Ninth Century :
the Implications of Valenciennes, Bibliothèque Municipale MS 293 », dans
H.J. Westra (éd.), From Athens to Chartres, Leiden, Brill, 1992, p. 85-95
[p. 89].
1. La datation du manuscrit est fluctuante : d’abord daté du XIe siècle, il a été ramené au Xe
voire au IXe siècle par les codicologues, avant d ’être reporté par M. Huglo (c/. ses études citées
dans la bibliographie du manuscrit) à la fin du Xe ou au début du XIe siècle. Nous optons pour une
datation médiane qui est celle de J.H. Waszink et d’A. Somfai (« The Eleventh-Century Shift in
the Réception of Plato’s ‘Timaeus’ and Calcidius’ ‘Commentary’ », n. 40).
2. Sur la bibliothèque des Pithou, cf. Fr. Bibolet, « Bibliotheca Pithoena », dans D. Nebbiai-
dalla Guarda et J.-Fr. Genest (éd.), Du copiste au collectionneur. Mélanges d'histoire des textes et
des bibliothèques en l'honneur d'André Vernet, Turnhout, Brepols, 1998, p. 497-521.
INTRODUCTION GÉNÉRALE 93
ment dans d ’autres copies, y compris des copies de la traduction. Plus signifi
cative en revanche est la glose au dessin du chapitre 32 que l’on retrouve dans
H et I.
D ’ailleurs, pour les dessins, les manuscrits retenus appartiennent en majo
rité à la classe I selon la classification de B.L. van der Waerden \ quelques-
uns à la classe II et un seul à la classe corrigée. Précisément, H (Ul) est le seul
manuscrit qui, on l’a vu, offre, pour les diagrammes difficiles, des dessins cor
rigés et plus exacts.
L ’étude des incipit peut-elle aider au groupement des copies ? Faut-il lire
les variantes de Y incipit en termes chronologiques, comme le pense P.E. Dutton12,
la première forme étant la plus ancienne et la présence du possessif signalant la
marque d ’un ajout postérieur ? En réalité, les deux manuscrits du IXe siècle,
D (Val) et A (Reg3), offrent les deux formes d 'incipit, soit respectivement
Osio suo Calcidius et Osio Chalcidius et, comme D est vraisemblablement
antérieur à A, il faudrait adopter la première de ces deux formules.
Concernant la tradition textuelle, A (Reg3) est, on le sait, la seule copie de
la version qui offre, sans nul doute, la bonne leçon, metus, en 40c9. Mais dans
F (Reg6), de la même façon, en 24E2, quondam est la bonne traduction du
grec ποτέ alors que partout ailleurs, nous trouvons quandam. De même, D2
(Val2) présente, au chapitre 54 du commentaire, la meilleure leçon - gemina -
au lieu de genuina que l’on trouve partout ailleurs. Plus loin, au chapitre 343,
le groupe inuisibilem insensibilem soli mentis ne se rencontre que dans D (Val)
et G (Brl) ; partout ailleurs, nous lisons : inuisibile mentis... Si R. McKitterick3
considère que G (Brl) présente les mêmes variantes que D (Val) dans son état
non corrigé, cela n’est vrai, dans les passages que nous avons collationnés, que
pour le chapitre 339, où conceptum se lit dans les deux copies. Pour le reste du
texte, c’est surtout avec D2 (Val2) que G (Brl) présente de très nombreuses
variantes communes, comme le montrent les quelques exemples qui suivent,
empruntés au début de la seconde partie du commentaire : chap. 119 : con
templationem generationis ; chap. 129, iuxta quam ; chap. 130, ambientes ;
chap. 132, deumones ; chap. 150, collati ; chap. 152, posita ; eorum quae ;
chap. 154, amicas sibi paratura necem ; chap. 156, non sunt est répété dans les
deux copies ; chap. 159, quam libet, là où les autres textes offrent quam ;
chap. 160, illas et illa, educatio ; le préfixe de iniustitiae a été omis dans G et
barré dans D2 ; chap. 163 natura talis, nihil est ; chap. 166, (blanditiis) et a été
ornis dans les autres copies ; chap. 173, hac enim ; chap. 194, autem ; chap. 195,
le groupe usque immanium ferarum congruas induant formas est commun
uniquement à ces deux copies ; chap. 196, on a encore, dans les deux, formam,
etc.
1. Cf. supra p. 85 η. 1.
2. « Médiéval Approaches to Calcidius », p. 185-186.
3. « Knowledge o f Plato’s ‘Timaeus’ in the Ninth Century... », p. 92.
INTRODUCTION GÉNÉRALE 97
Par ailleurs, pour la fameuse leçon metus de 40c, la seconde lettre du mot
m-tus dans E (PI) est illisible et une seconde main a rajouté un O au-dessus,
comme dans A (Reg3). Même leçon également en 39A où nous lisons, dans les
deux manuscrits, circumferentur, avec la même correction : l’adjonction d ’un
second R au-dessus de -feren-. En outre les deux copies sont les seules à pré
senter les variantes suivantes pour la traduction du Timée : en 27a considera et
omission de o ; en 31b quoque ; en 36b curuabitque ; en 37d sensilem ; en 39a
circumirent ; en 40a, terrenarum ; en 46c deiciet ; en 50d discordauit ; en 5lA
aliqui ; en 52d modo (ignitam) est omis ; en 53b est et non deest.
On a vu plus haut que E (PI) et D (Val) présentent les mêmes omissions
(dont l’une est corrigée dans D2-Val2), ce qui permet de grouper ces copies,
car en outre E (PI) présente nombre de leçons communes avec D (Val) dans
les passages étudiés plus haut (chap. 55, consilium animae consiliumque ;
chap. 266, sequatur ; chap. 344, censita ; chap. 346, superdicit) ; l’apparat cri
tique du début de la seconde partie du commentaire met également en valeur
les mêmes variantes pour ces deux seuls manuscrits aux chapitres suivants :
chap. 147, diligere ; chap. 150, et et non sed ; chap. 160, ne et non nec et nauem ;
chap. 166, par atque est répété ; chap. 168, quoque item ; chap. 172, inter, et
(diuersas) se se lit uniquement dans ces deux copies ; chap. 189, ipse ;
chap. 195, (his) sunt est omis ; chap. 197, mandare ; chap. 201, affectu... Pour
nombre de ces variantes, la seconde main de B les a corrigées en conformité
avec les leçons de G, comme on l’a vu.
De son côté, F (Reg6) présente un texte assez négligé qui n’a apparemment
pas reçu les corrections d’un réviseur : assez nombreuses adjonctions ou omis
sions de petits mots, variations dans l’ordre des mots et sauts du même au
même qui ne sont pas corrigés. Le groupement de ce manuscrit avec I (Bl) par
le doublement d’un dessin et par une même note ajoutée après le commentaire
sur la définition de la philosophie 1 est confirmé par au moins une leçon
commune aux deux codices ainsi qu’à H (Ul) : c’est au chapitre 341 la leçon
diuersae erunt, pour les passages étudiés plus haut. Cette proximité est encore
étayée par les variantes propres à F et I au début de la seconde partie du com
mentaire : chap. 199, eas rata ; chap. 218, sine (compositione) est omis ;
chap. 228, cogitationem, mais les proximités avec D sont encore plus nom
breuses (cf. a.c.). On ne saurait néanmoins établir des filiations directes entre
le plus ancien F (Reg6) et les plus récents, à cause, comme on l’a dit, de plu
sieurs sauts du même au même non corrigés et d ’une lacune propre à F (Reg6)
(chap. 338 : [necessaria] carere silua...).
Enfin, l’étude de B (Chel) par M.R. Dunn et C.A. Huffman 12 permet de ratta
cher cette copie au groupe Y selon le stemma de J.H. Waszink, groupe auquel
appartient également le manuscrit H (Ul), mais il se trouve que la seule partie
Ω
(maj. rust.)
Ω
I
(onc.)
ω
I
(min.)
Texte latin
Les éditions offrent toutes l ’ensemble de l’œuvre, dans l ’ordre Ep, Timl,
Tim2, C alcly Calc2. Elles sont relativement peu nombreuses, si on les com
pare, par exemple, à celles de Macrobe L
J.H .W aszink2 a appliqué aux éditions les mêmes principes de critique
textuelle qu’aux manuscrits, ce qui lui permet de continuer les filiations, mais
il convient de relativiser ses conclusions - sur lesquelles nous reviendrons plus
loin - par deux remarques : tout d ’abord, il faut rappeler que les premiers
1.7 de 1520 à 1962, contre 31 de 1472 à 1963 pour le Commentaire au Songe de Scipion de
Macrobe (c/. éd. M. Armisen-Marchetti, p. LXXXVIII-XC).
2. Praef. p. CLXVIII-CLXXVIII.
INTRODUCTION GÉNÉRALE 99
1. Cf. J. Wrobel, praef. p. III-IV ; J.H. Waszink, praef. p. CLXVIII-CLXXI ; M. Huglo, « Recher
ches sur la tradition des diagrammes de Calcidius », p. 229.
2. « The Study of the ‘Timaeus’ in Early Renaissance Italy », p. 78-79 et n. 7.
3. Bibl. Laur. Plut. 84-24, p. 253-256.
100 BÉATRICE BAKHOUCHE
1. Cf. J.H. Waszink,/?rae/. p. CLXXI-CLXXII ; M. Huglo, « Recherches sur la tradition des dia
grammes de Calcidius », p. 229-230.
2. Ce qui suppose que le manuscrit BnF 2164, après avoir quitté Fleury, Corbie ou la biblio
thèque de Charlemagne, aurait transité par Senlis avant de passer dans la bibliothèque de
J.-A. de Thou, cf. supra p. 92.
3. « La réception de Calcidius... », p. 12.
4. Cf. J. Wrobel,praef. p. V ; J.H. Waszink,/?rae/. p. CLXXII-CLXXIII ; J. Hankins, « The Study
of the ‘Timaeus’ in Early Renaissance Italy », p. 113 n. 7.
5. Cf. J.H. Waszink, p ra ef. p. CLXXIII ; M. Huglo, «Recherches sur la tradition des dia
grammes de Calcidius », p. 230.
INTRODUCTION GÉNÉRALE 101
Traduction commentée
CALCIDIO, Commentario al Timeo di Platone, Claudio Moreschini (dir.),
Milano, Bompiani, 2003 (texte latin de l’édition Waszink).
1. Cf. A.R. Sodano, « Su una recente edizione critica dei commento di Calcidio al Timeo di
Platone », Giornale Italiano di Filologia 16, 1963, p. 353-353 ; c.r. P. Langlois, Revue des études
latines 40, 1963, p. 349-351, ou E. Franceschini, Rivista di Filologia e di Istruzione Classica 93,
1965, p . 102-105.
INTRODUCTION GÉNÉRALE 103
L es c h o ix é d it o r ia u x
La présentation du texte
Nous avons choisi de conserver la distribution des sections déjà établie, en
signalant toutefois au lecteur qu’elle n’est pas originelle, qu’elle ne coïncide
pas toujours avec les coupures signalées dans les manuscrits par des majus
cules et/ou des enluminures 4 et peut parfois séparer artificiellement des groupes
de chapitres.
Dans les manuscrits, les citations du Timée, au sein du commentaire, sont
signalées, en marge, par des petits signes conventionnels de ce genre JJ. C’est
uniquement en F que le copiste a repris juste le début et la fin de la citation, en
les reliant par usque ; en plus, les citations ne présentent pas toujours les mêmes
limites que dans les autres copies : ainsi, au chapitre 27, la citation de 35A est
prolongée jusqu’à gemina natura diuisionem instaurans (35b) ; de même, au
chapitre 40, la citation ne se termine pas en 36a mais en 36b, à epogdois
spatiis epitritorum omnium interualla complebat (cf '. a.c. ad loc.).
L ’apparat critique
L ’apparat critique concernant les dessins, pour la première partie du com
mentaire, est inséré en note dans le texte français.
Les notes interlinéaires des manuscrits ne servent pas toujours à rétablir le
texte du modèle, elles peuvent être également exégétiques, ainsi des gloses
synonymiques comme limites glosé par les chiffres correspondant à la figure,
au chapitre 15, ou puncti au-dessus de notae au chapitre 59 en G, ou zodiaci
au-dessus de circuli au chapitre 78, en F et I. À l’inverse, en particulier en I,
les notes marginales exégétiques ne se distinguent pas des ajouts textuels pour
pallier des sauts du même au même dans la copie.
Enfin, pour éviter la multiplication de leçons sans intérêt et ainsi alléger
l’apparat critique, nous n ’avons pas retenu les corrections de première main
qui auraient pu se noter X 1, pas plus que les leçons de 2e ou 3e main étrangères
au texte établi. De même, nous avons omis les variantes orthographiques
(comme faciundum pour faciendum, quatinus pour quatenus, rursus ou rur
sum, aduersus ou aduersum etc.), les répétitions d’un même mot (surtout en I)
ou les leçons manifestement fantaisistes.
La traduction
Nous avons essayé de restituer ce texte difficile en donnant une traduction
lisible pour un lecteur moderne qui ne soit pas nécessairement latiniste. C ’est
ainsi, par exemple, que les temps des verbes ne sont pas toujours conservés,
pas plus que les particules qui indiquent en latin la structuration du dévelop
pement.
R e m e r c ie m e n t s
B. Vitrac (UMR 8567, Centre Louis Gernet, Paris) a accepté de relire les
chapitres 8-55 : qu’il soit ici vivement remercié pour toutes les remarques qui
m ’ont permis d ’améliorer mon texte. Les compléments de notes extensifs
portent ses initiales (BV). J ’adresse également mes plus sincères remercie
ments à J.-P. Si van (Observatoire Astronomique Marseille-Provence), qui s’est
aimablement chargé de la relecture des chapitres 56-118 ; de même qu’à
Fr. Fauquier (UPR 76) qui a accepté la lourde tâche de relire toute la seconde
partie du commentaire.
INTRODUCTION À LA TRADUCTION DU T IM É E
Nous avons conservé deux versions latines du Timée, preuve malgré tout
du prestige de ce dialogue à Rome pour un texte jugé très difficile ; l’une est
de Cicéron et l’autre de Calcidius.
En dehors de deux lacunes réelles 1, la version cicéronienne correspond aux
pages 27d5 - 47b2 du Timée. Celle de Calcidius, elle, s’étend à toute la pre
mière partie du dialogue, de la page 17a1 à 53c3. Les pages 17a1 à 27d4 , qui
offrent simplement une mise en scène - et en perspective - du dialogue et l’évo
cation du mythe de l’Atlantide, ne font pas l’objet de commentaire de la part
de Calcidius, et les deux auteurs, comme nous l’avons montré ailleurs 12, s’inté
ressent en réalité à la même section du texte grec.
Qu’ils s’attachent l’un et l’autre à transposer en latin la même partie du Timée
n ’est pas inintéressant. Cette convergence confirme d ’abord que les Latins
n’ont retenu du dialogue que l’exposé de physique, mais elle doit également
faciliter les comparaisons entre les textes à qui se propose d’étudier le principe
de la traduction à Rome. L’exercice auquel se sont livrés les deux auteurs, ren
contre entre l’expression latine et la pensée grecque, s’il peut nous éclairer sur
ce qu’il révèle de pensées ou d ’arrière-pensées des traducteurs 3, permet du
moins ici d’établir le plus grand nombre possible de parallèles, à défaut d’une
étude comparative systématique qui dépasserait le cadre de cette notice. Une
telle étude au demeurant manque cruellement4. Certes R. Poncelet a depuis
longtemps étudié la technique de traduction de Cicéron en adoptant une atti-
1. En 37C2-38C3 et 43 b 3-46 a 2.
2. B. Bakhouche, 1997 [pour les références complètes, voir la Bibliographie à la fin de cette
Introduction ]. Le Compendium de Galien commence également à la page 28 du dialogue plato
nicien, cf. éd. P. Krause et R. Walter, c. II, p. 38.
3. Cf. C. Steel, 1990. Sur les traductions latines, cf. l ’étude déjà ancienne de Fr. Blatt, 1938.
4. Il faut cependant reconnaître que ces deux versions ont été étudiées par B.W. Switalski,
1902, p. 10 η. 1, Fr. Blatt, 1938, p. 226, et récemment encore par M. Lemoine qui a entrepris une
étude lexicographique qui « devrait être prolongée par une étude portant sur la syntaxe et le style,
c ’est-à-dire sur le fonctionnement de la langue de chaque traducteur. Il serait alors possible de
saisir comment chacun, globalement, a transposé le texte original du Timée, de comparer ces ver
sions à d’autres témoins de la tradition latine de Platon, de les situer, enfin, dans l ’histoire du latin
philosophique » (1996, p. 73 ; cf. également, 2002). Vaste programme !
106 BÉATRICE BAKHOUCHE
cidienne, ce qui devrait nous permettre, in fin e, de dégager le rapport des deux
traductions latines à la fois entre elles et au texte grec.
PRÉSENTATION GÉNÉRALE
En outre, un simple coup d ’œil aux notes qui recensent, entre autres, les
ajouts et les omissions du traducteur permet de déduire aisément que la version
calcidienne est sujette à dilatation et à contraction. Ici la traduction est volon
tiers glosée ou paraphrastique, alors que là des phrases entières du texte plato
nicien sont négligées, par exemple en 30C5-8 :
P la to n C ic ér o n C alcidius
Των μέν οΰν έν Sunt enim om nia in S p ecia li quidem n e
μέρους εϊδει quaedam genera p a rti m ini sim ilem (siq u i
πεφυκότων μηδενι ta au t inchoata, nulla dem p e r f e c tio in
καταξιώσωμεν · ex p a rte p erfecta ; im g e n e re est, non in
άτελεΐ γάρ έοικός p e r fe c to au tem nec specie, pro p terea q u e
ούδέν ποτ' αν a b so lu to sim ile p u l m undus im perfectae
γένοιτο καλόν · οΰ chrum esse nihil p o re i sim ilis m in im e
δ' έστιν τάλλα ζώα test. Cuius ergo omne p e rfe c tu s e sse t), a t
καθ' έν και κατά anim al quasi particu la uero eius, in quo om
γένη μόρια, τούτω qu aedam est, siue in nia g en era et quasi
πάντων όμοιότατον singulis siue in uniuer- quidam fo n te s con ti
αυτόν είναι so g e n e re c ern a tu r, nentur animalium in
τιθώμεν. eius sim ilem mundum telleg ib iliu m , siq u i
esse dicam us. dem anim aliu m ge-
1. ... Quod genus a Graecis epitritum dicitur... Qui numerus epogdous ab isdem uocatur...
108 BÉATRICE BAKHOUCHE
n e ra m undus a lte r
co m p lectitu r perinde
ut hic nos et cetera
sublecta uisui et cete
ris sensibus.
Platon C ic é r o n C a l c id iu s
Περί δε των άλλων R e liq u o r u m a u te m , A t uero inu isibiliu m
δαιμόνων ειπειν και quos G raeci daim onas diu in a ru m p o t e s ta
γνώναι την γένεσιν a p p e lla n t, n o stri opi tum quae daem on es
μεΐζον ή καθ' ήμάς, nor Lares, si m odo hoc nuncupantur p ra e sta
πειστέον δε τοις recte conuersum uideri re rationem m aius est
είρηκόσιν p o test, et nosse et nun opus quam fe rre ua-
έμπροσθεν, έκγόνοις tiare ortum eorum m a le a t h om in is in g e
μέν θεών οΰσιν, ώς ius est quam ut p ro fi nium ; ig itu r c o m
εφασαν, σαφώς δέ teri nos scire a u d ea p e n d iu m ex c r e d u
που αυτών mus. Credendum nim i lita te su m atu r. C re
προγόνους ειδόσιν · rum e st u eterib u s et dam us ergo his qui
αδύνατον ούν θεών p risc is, ut aiunt, uiris, apud saeculum prius,
παισιν άπιστεΐν, qui se progen iem d e o cum ip s i c o g n a
καίπερ άνευ τε rum esse d iceban t ita tio n e m p r o p i n q u i
είκότων καί que eorum uocabula tatem diuini gen eris
άναγκαίων n o b is prodiderunt. p raeferren t, de natu
άποδείξεων N o sse autem genera ra deorum , m aiorum
λέγουσιν, άλλ' ώς tores suos optim e p o te atque auorum , deque
οικεία φασκόντων rant, ac difficile fa c tu gen itu ris singulorum
άπαγγέλλειν e st a d eis o rtis fid em a e te rn a m onum enta
επομένους τώ νόμφ non h a b e re : quam in lib ris p o s te r ita ti
πιστευτέον. quam nec argu m entis r e liq u e r u n t. C e r te
nec ra tio n ib u s c e rtis d e o ru m f i l i i s a u t
eorum o ra tio c o n fir n epotibu s non cre d i
m atu r ; s e d quia de s a tis in re lig io su m ;
suis nobis rebus uiden- q u a m u is incongruis
tur loqu i, u eteri legi nec n ecessa riis p r o
m orique parendum est. bationibus dicant, ta
m en, q u ia de d o
m e stic is rebu s p r o
nuntiant, credendum
esse m erito puto.
Ούτως ούν κατ' Sic igitur, ut ab his est Sit igitur nostra quo
έκείνους ήμιν ή traditu m , horum deo- que credulitas com es
INTRODUCTION À LA TRADUCTION DU TIMÉE 109
Si certains passages sont traduits avec exactitude et, en tout cas, en respec
tant l’ordre du texte grec, d ’autres, au contraire, se signalent par des regrou
pements de phrases, voire des inversions ou des mélectures.
L ’ordre des phrases n’est pas toujours respecté, comme c ’est le cas en
43e 9-44a 2 :
P laton C alcidius
ταύτόν δή και τοιαύτα ετερα αί Id ipsum anim ae quoque circu itus
περιφορά! πάσχουσαι σφοδρώς, pa tiu n tu r v ro p te r e a q u e e rra n t in
όταν τέ τω των έξωθεν τού eiusdem diuersique generis contem
ταύτού γένους ή τού θατέρου platione.
περιτύχωσιν, τότε ταύτόν τω και
θάτερόν του τάναντία των
άληθών προσαγορεύουσαι
ψευδείς...
κινήσεις εσοιντο μετέχοι. 'Iv' ούν offensiones p ro c liu ita tis et item de-
μή κυλινδούμενον έπι γης ύψη τε cliuitatis in cu rreret . m axim e cui e s
και βάθη παντοδαπά έχούσης se t n ecesse cuncta motuum genera
άποροί τά μέν ύπερβαίνειν, ένθεν experiri.
δε έκβαίνειν, όχημα αύτφ τούτο
και ευπορίαν εδοσαν.__________
Les deux groupes soulignés traduisent les passages grecs (également souli
gnés), qui se trouvent - on le voit bien - soit dans la phrase précédente, soit
plus haut dans le texte grec. La traduction ne suit donc pas l’ordre du texte pla
tonicien l.
Une source d ’erreur peut également venir d ’une accentuation erronée 12 ou
d’une mauvaise ponctuation. Ainsi en 39B6-C1 :
Platon C ic é r o n C a l c id iu s
φως ό θεός άνήψεν . .. d e u s ip se so le m ... igniuit lucem cla ris
έν τή προς γην qu asi lum en a c ce n d it sim a m d e u s reru m
δευτέρα των a d secu n du m su p ra con ditor e regione s e
περιόδων, ο δη νυν te rra m a m b itu m , ut cundi a terra g lo b i,
κεκλήκαμεν ήλιον, quam m axim e caelum quam solem uocam us,
ινα ότι μάλιστα εις o m n ib u s c o n lu c e r e t cuius sp le n d o re c a e
άπαντα φαίνοι τον an im an tesqu e, quibus lum in fra q u e illu s
ουρανόν μετάσχοι τε ius e s s e t d o c e r i, ab trarentur omnia nume
άριθμού τά ζώα e iu sdem m otu e t ab rusque omnium extaret
όσοις ήν προσήκον, eiu s . quod sim ile e sse t . animantium. Hinc ergo
μαθόντα παρά τής n u m eroru m n atu ram noctis dieique ortus ex
ταύτού και όμοιου uim que cogn osceren t. eodem sem per et iner-
περιφοράς. Νύξ μέν N ox igitu r et d ies a d rabili motu factu s...
ήμέρα τε γέγονεν hunc modum et ob has
ούτως και διά generata c a u sa s ...
ταύτα...
Calcidius paraît avoir lu une ponctuation forte avant παρά et avoir négligé
le participe μαθόντα. Nous trouvons au moins un autre exemple de mauvaise
coupe en 43b 1 3.
1. Cf. également 24d, 25c et 32c pour la première partie et notes ad loc., et, pour la seconde,
41C, 45a, 49e, 52c et notes ad loc.
2. Cf. en 21 e 3, νομός a été lu - ou compris - νόμος.
3. Cf. note ad loc.
INTRODUCTION À LA TRADUCTION DU TIMÉE 111
La TECHNIQUE DE TRADUCTION
Les prépositions
L ’élagage des rapports prépositionnels relevé par Poncelet (1957, p. 56)
comme une des caractéristiques du style cicéronien ne peut être accepté tel
quel, quand il s’agit de la version calcidienne. Certes il faut tenir compte de
tous les passages du Timée omis ; cependant une étude systématique de la tra
duction des deux prépositions κατά et περί donne les résultats suivants.
Περί est employé, dans les passages qui nous intéressent, soit avec le sens
logique de « au sujet de » quand la préposition est suivie d ’un génitif, soit au
sens local de « autour de » quand elle est construite avec un accusatif. Dans ce
dernier cas, les deux prépositions latines utilisées par Calcidius sont per en
35a 2 :12
Platon C a l c id iu s
... τής α ΰ π ερ ί τ α σ ώ μ α τ α p e r eadem corpora se scindere
γ ιγ ν ο μ έ ν η ς μ ερ ισ τή ς...
et iuxta en 38d 1 2 :
Platon C ic é r o n C a l c id iu s
(τον) π ερ ί γ η ν supra terram iuxta terram
P laton C ic é r o n C alcidius
περί αυτού in omni quaestione in omni tractatu
P la ton C ic é r o n C alcidius
... περί τε είκόνος D e iis igitur quae dixi ... distinguendae sunt
καί περί τού m us h a ec s it p rim a im aginis exem pliqu e
παραδείγματος distinctio naturae
αυτής διοριστέον...
P la to n C alcidius
... περί την έν χρόνφ γένεσιν Cum quid sensile spectat...
Ιούσαν
1. Également en 50B7-8.
2. C f. aussi en 17b 5, 18cl, 19b 3-4, 21 d 4, 22 a 4, 23 d 3, 23 e 4, 27 b 5, 28 b 5-6, 38 b 3-4, 48 c 3,
49A8, 49 b 6, 49 d 4, 50 a 5 et 51B7-8.
3. Cf. également 17c2, 24B7-8, 27 c 4, 28C5-6, 40 d 4-5 et aussi 37 e7, 38 a 1, 39B3-4 et 40 b 9.
4. Cf. 20a 5 et 20c7.
INTRODUCTION À LA TRADUCTION DU TIMÉE 113
les groupes prépositionnels dépendant d ’un verbe et ceux qui sont, en grec,
intégrés à un groupe nominal.
Dans le premier cas, la préposition est rendue soit par un mot de même
nature, soit par un groupe verbal, soit par un groupe nominal. La préposition
grecque, avec le sens local, est traduite par in (22d3, 31B1 ,46e3),pro (36d3)
et per (36c7 et 8, 51d4). Pour exprimer la conformité, Calcidius a le choix
entre pro (17b1), ad (17cl0), e(x) (21e2, 24a1), secundum (41c6) et surtout
iuxta (27b 1, 31A3-4, 36d8, 37e7 et 47a2). Le choix de la forme verbale se
justifie quand le verbe grec a un sens faible ou quand la valeur de la prépo
sition se reporte sur le verbe, comme en 21d1 o u 25d3 :
P laton C alcidius
... κατά τής θαλάττης δϋσα . . . e t A tlan tis insula to ta ... su bm e
ήφανίσθη... rg eretu r...
Dans ce cas, le sens verbal est renforcé, mais l’idée véhiculée par le régime
de la préposition (« sous la mer » dans l’exemple ci-dessus) est négligée.
L’emploi de la relative, en revanche, dénature encore plus le rapport logique
institué par la préposition, comme en 41c6 1 :
P laton C ic ér o n C alcidius
... καθ' όσον μέν ... ut deoru m inm or- ...q u ib u s co n so rtiu m
αυτών άθανάτοις talium qu asi g e n tile s diu in ita tis e t a p p e lla
ομώνυμον είναι esse d e b ea n t... tionis p a rilita s com pe
προσήκει... tit. ..
tandis que la traduction par un ablatif, soit sous forme d’ablatif absolu (22C5-6
et 48C5-6) soit sous forme de groupe nominal, comme en 40c8 12 :
P laton C ic ér o n C alcidius
κατά χρόνους quisque tem poribus a liq u a n to in te r u a llo
ούστινας tem poris
1. Cf. également en 25 e 1 .
2. Cf. également en 35a6, 38 b 8, 39A7-8.
114 BÉATRICE BAKHOUCHE
Le lexique
Les adjectifs ou participes substantivés posent problème au traducteur dont
la langue ne permet pas - comme le latin - , du fait de l’absence d’article, de
spécifier la notion et de faire la différence entre partitif et défini. Prenons trois
notions importantes dans le Timée : le tout, l’étant et le devenant.
Τό παν est traduit comme κόσμος, essentiellement par mundus 1 et uni-
uersa res 123.Res au pluriel est employé une seule fois (27A4) et peut être asso
cié à mundus (48a5) ; quant aux indéfinis cuncta et omne, leur polysémie limite
leurs emplois, réduits à deux occurrences, respectivement en 29d6 et 53a7.
En revanche, les participes substantivés, τό ον et τό γιγνόμενον, sont tra
duits systématiquement par des relatives : quod e s t3 (27d 6) et quod gignitur
(27d 6, 28a4, 50c 7-8, 50d 2).
Une certaine indigence du lexique latin fait qu’un même mot traduit des
termes grecs différents. Ainsi, motus, terme générique pour désigner le mouve
ment, sert naturellement à traduire son homologue grec κίνησις 4 mais est
aussi employé pour rendre le terme φ ορά 5. De même commotio est la traduc
tion à la fois de φορά et de περίοδος (mouvement périodique) dans une même
phrase, en 47d2. De telles imprécisions sont de nature à trahir la pensée de
Platon. Pouvons-nous attendre plus d ’exactitude pour l’expression originale
d’idées grecques ?
L ’usage paraît donc être celui du calque tel qu’il est défini plus haut, car le
composé latin existait déjà avant d’être utilisé dans un autre sens emprunté au
lexème grec. Il s’agit en fait de l’extension du champ sémantique du lexique 4.
1. Cf. de même la définition que LN. Adams, 2003, p. 459, emprunte à H.H. Hock & B.D. Joseph,
Language History, Language Change, and Language Relationship : an Introduction to Historical
and Comparative Linguistics, Berlin, 1996, p. 264 : « Calquing consists of translating morpholo-
gically complex foreign expressions by means ofnovel combinations of native éléments that match
the meanings and the structure of the foreign expressions and their component parts. »
2. C f 39A6.
3. 2003, p. 461-462, définition empruntée à R. Coleman, « Greek Influence on Latin Syntax »,
TPhS 69, 1971, p. 106 ; cf. également Fr. Biville, 1989.
4. J.N. Adams, 2003, p. 462 n. 182 et p. 465, donne les exemples de ambitus pour περίοδος
(équivalence que Calcidius utilise dans le commentaire) ou potentia avec le sens de « quantité »,
dérivé de δύναμις.
5. Cf. aussi infra p. 116, et, de même, pour le sens de imaginarius, p. 117.
116 BÉATRICE BAKHOUCHE
P la to n C ic é r o n C alcidius
... μιμούμενοι την ... im ite m in iq u e uim Im itantes ergo m eam
έμήν δύναμιν περί m eam , qua me in ues- iuxta effectu m ues-
την ύμετέραν tro ortu usum esse m e trum sollertiam . ..
γένεσιν. m inistis.
P laton C ic é r o n C alcidius
Όπόταν γάρ Quando enim trium uel Cum enim ex tribu s
άριθμών τριών είτε num erorum uel fig u ra uel num eris uel m oli
όγκων εϊτε rum uel quorum cum - bus uel ulla alia po-
δυνάμεων que generum contin git ten tia m ed ie ta s imo
ώντινωνούν η τό ut, quod m edium sit, ut p e r in d e q u a d ra t ut
μέσον, ότιπερ τό ei prim u m p r o p o r tio summ itas m ed io ...
πρώτον προς αυτό, ne, ita id p o stre m o
τούτο αυτό προς τό com paretu r...
έσχατον...
P laton C ic é r o n C alcidius
... εωσφόρον δέ και Lucifer deinde et san c ... tum L u c ife ri e t
Ιερόν Έρμου ta M ercuri ste lla cu r M e r c u r ii c o ll o c a t
λεγόμενον εις τον sum habent solis c ele ignes in eo m otu qui
τάχει μέν ισόδρομον rita ti p a rem , se d uim concurrit quidem sol-
Ces trois exemples suffisent à montrer que la polysémie de mots grecs cou
rants, utilisés dans des contextes bien différents, n’est pas toujours bien maîtri
sée par le traducteur. Le sens général de la phrase grecque paraît compris. Le
traducteur est-il cependant dans l ’incertitude ou faut-il mettre sur le compte
d’une certaine indigence du latin le manque de précision de sa traduction ?
Dans la version de Calcidius, le sens des mots est souvent fluctuant, tout
comme leur degré de précision et d’exactitude. Parfois même, il faut entendre
les termes dans leur sens étymologique comme institutio en 19d , generale en
37c, ou ingenerata (47c). Bien plus, les hapax legomena sont suffisamment
nombreux 1 dans la traduction pour qu’on ne puisse passer sous silence la créa
tion verbale comme autre procédé de traduction.
Il faut enfin relever le goût marqué du traducteur pour les mots abstraits, en
particulier ceux qui sont construits à l’aide du suffixe - tio, comme concretio,
assumptio, perpessio, assertio,peragratio, assecutio, etc. Mais si ces choix
lexicaux traduisent le goût de Calcidius pour les mots longs qui cadrent bien
avec son esthétique de 1’amplificatio, une telle prédilection aboutit parfois à
des structures syntaxiques d ’une grande lourdeur quand ces noms entrent dans
des périphrases verbales qui se substituent au verbe simple comme en 52c :
... at enim uere existentium rerum assertio perspicua rationis luce firm a tu r...
pression ειδώλου εϊδωλον, qui n ’est pas de Platon mais qui est proche pour le
sens de « reflet de reflet » de République X L Bref, l’arrière-plan sémantique
à 'imaginis imaginaria est assez complexe.
Ailleurs en revanche - en 43a 6 2 - , l ’effet phonique du polyptote grec est
observé par Cicéron mais non par Calcidius :
P laton C ic é r o n C alcidius
... (τάς τής ... in eo influente at- (circu itus im m ortalis
άθανάτου ψυχής que efflu en te (an im i an im ae c ir c u m lig a
περιόδους ένέδουν) diuini am bitus inliga- bant) in risu o fluido-
εις έπίρρυτον σώμα b a n t)... que c o rp o ri...
και άπόρρυτον.
1. Cf. J. Pépin, « L ’épisode du portrait de Plotin. La théorie de l ’art », dans Porphyre, La vie
de Plotin II, Paris, Vrin, 1992, p. 307-311.
2. Cf. également en 43 d 8-9 et note ad loc.
3. Contra R. Poncelet, 1953, chap. V.
4. 1986, p. 58 : le stylus floridus de Calcidius présente des parallèles beaucoup plus nombreux
avec les auteurs des Ve et VIe siècles qu’avec Jérôme ou Rufin, l’éditeur hollandais donnant dès
lors raison à Vossius qui envisageait une datation « basse », pour un auteur Theodosianis quam
Constantianis temporibus propior.
INTRODUCTION À LA TRADUCTION DU TIMÉE 119
Les images, d’autre part, contribuent elles aussi à donner une tonalité parti
culière à la version. Celles de Platon, quoique fort rares, ne sont pas toujours
rendues : c ’est ainsi que le philosophe associe aux sensations, dans l’âme,
l’idée de flux et de reflux, et, comme on l’a vu, ce double courant n’est pas tra
duit par Calcidius. À l’inverse, le traducteur latin introduit des images étran
gères au texte grec, comme en 41D, à la fin du discours du démiurge, où appa
raît la notion de tribut (faenus) K Destinées soit à enjoliver le discours soit à le
rendre plus abordable pour un public non averti, ces images ne sont pas ano
dines. Elles révèlent apparemment les habitudes de pensée du traducteur. Si le
procédé est parfois dangereux, dans la mesure où elles introduisent, comme l’a
remarqué R. Poncelet2, du concret dans de l’abstrait, entraînant ainsi un glis
sement de plan, le danger vient alors d’une mauvaise compréhension soit de
l’image initiale soit du texte grec, ou induit une mésinterprétation. Au lieu
d’éclairer le texte, l’image peut l’obscurcir au contraire et le trahir en devenant
source d ’erreur : c ’est ainsi qu’en 53a 4, le crible du texte platonicien se voit
adjoindre une seconde comparaison, celle du flot impétueux de l’Euripe qui
n’exprime pas l’idée de discrimination exprimée par la première image.
P laton C ic ér o n C alcidius
μίαν άφειλεν το Vnam p rin c ip io p a r Vnam sum psit ex uni-
πρώτον άπό παντός tem d e tra x it ex to to , uerso p rim itu s p o r
μοίραν, μετά δε secundam autem p r i tion em , p o s t quam
ταύτην άφήρει mae p a rtis duplam , d e duplicem eius quam
διπλάσιάν ταύτης, inde tertiam , quae se su m p s e r a t, te r tia m
την δ' αΰ τρίτην cu n dae se sq u ia lte r a , uero sescuplam qu i
ημιολίαν μέν τής p rim a e trip la , dein de dem se c u n d a e , tr i
δευτέρας, quartam , quae secu n p la m uero p rim itu s
τριπλασίαν δέ τής dae dupla esset, quin su m p ta e , a t u ero
πρώτης, τετάρτην δέ tam inde, quae tertiae quartam sum psit du
τής δευτέρας tripla, tum sextam o c p lic e m secu n d a e,
διπλήν, πέμπτην δέ tuplam prim ae, p o stre quintam triplam te r
τριπλήν τής τρίτης, m o se p tim a m , qu ae tia e . sex ta fuit as-
τήν δ' εκτην τής septem et uiginti p a rti sum ptio partibus sep-
πρώτης, bus a n te c e d e r e t p r i tem quam prim a pro-
όκταπλασίαν, mae. p e n sio r . septim a sex
έβδόμην δ' e t u ig in ti p a r tib u s
1. Cf. de même en 45d : lucis eius auxilio consortioque uelut uiduatum hebet ; et en 46c ;
similis porro ut mento genisque ad superiora sublatis.
2. 1957, p. 227 : « Le rôle philosophique de l ’image est la saisie immédiate du rapport, c ’est-
à-dire qu’il s ’achève dans un acte intellectuel ; le rôle de l ’image littéraire est la restauration de la
sensibilité dans sa pureté et dans sa naïveté originelles. »
120 BÉATRICE BAKHOUCHE
Enfin, le choix du lexique, s’il est souvent dicté par des considérations sty
listiques, peut aussi l’être pour des raisons métriques. C’est ainsi qu’en 45 d 7-
8, par exemple, le groupe illecebra somni clôt la phrase par une clausule parti
culièrement recherchée (péon 1er + spondée), de même que posse uideatur en
5lB l.
Le r a p p o r t à l a v e r s io n c ic é r o n ie n n e
D’un autre côté, les parallèles établis jusqu’à présent - si partiels soient-ils
- ne laissent transparaître aucun calque du texte plus récent sur le plus ancien,
ce qui ne constitue pas une preuve irréfutable de l’originalité totale du second
traducteur qui, par coquetterie, aurait pu systématiquement traduire autrement.
Certes, la traduction de Cicéron est, dans l’ensemble, beaucoup plus pré
cise, et R. Poncelet lui-même, en dépit de son anti-cicéronisme, reconnaît que,
dans sa version du Timée, « Cicéron essaie d ’amener sa langue au plus haut
degré de précision dont elle est susceptible » (1957, p. 81), sans cependant attein
dre toujours une parfaite exactitude.
Qu’il nous suffise ici d’établir d’ultimes parallèles, en complétant l’étude
de la notion d’intériorité et de centre géométrique par R. Poncelet :
P la to n (41 b 9) C ic é r o n C alcidius
τά γά ρ άπαντ' έν Omnia enim genera (si) uniuersa morta
αύτφ γένη ζώ ω ν animalium complexu lia genera intra con-
ο ύ χ εξει... non tenebit... septum suum minime
continebit...
Platon C ic é r o n C a l c id iu s
έκ μ έσ ο υ π ά ντη προς ... cuius omnis extre ... quae a medietate
τάς τελευτά ς ϊσ ο ν mitas paribus a medio ad omnem ambitum
ά π έ χ ο ν ... radiis adtingitur... extimarum partium
spatiis aequalibus
distat...
Platon C ic é r o n C a l c id iu s
... δι' α ρ ε τ ή ν δε quod secum ipsum qui uirtutum praestan
αυτόν α ύτφ propter uirtutem facile tia sufficeret concilia-
δυνάμ ενον esse posset... tioni propriae...
σ υ γ γ ίγ ν ε σ θ α ι
Par ailleurs, le texte grec étant assez souvent obscur et allusif, si les contre
sens sont relativement nombreux dans le travail de Calcidius, ils sont égale
ment à déplorer chez Cicéron, et recoupent parfois - mais sous des expressions
différentes - ceux de notre auteur. C ’est ainsi qu’en 40a 6, les deux donnent à
φρόνησις le sens traditionnel, Cicéron le traduisant par mens et Calcidius par
prudentia, alors qu’ici le mot grec a le sens de « régularité ». De même, en
37 a 8, les deux ont lu les interrogatifs comme des sujets et non comme des
compléments :
P laton C ic ér o n C alcidius
ότω τ' άν τι
... ... quid sit eiusdem g e ... quid sit eiusdem in-
ταύτόν ή και ότου neris, quid a lte riu s... diuiduaeque, quid item
αν έτερον... d iu ersa e d isso lu b ilis-
que natu rae...
T r a d u c t io n s e t é t a b l is s e m e n t d u t e x t e g r e c
Enfin l’étude des deux traductions devrait aider à affiner l’histoire du texte
du Timée. Quel texte grec les deux auteurs avaient-ils sous les yeux ? Des manu
scrits émanant de traditions différentes ou, au contraire, des copies relevant
d’une même transmission ?
1. Cf. Opt. 14 : Non conuerti ut interpretes, sed ut orator, sententiis iisdem et earum formis,
tamquam figuris, uerbis ad nostram consuetudinem aptis ; in quibus non uerbum pro uerbo ne-
cesse habui reddere, sed genus omnium uerborum uimque seruaui. Non enim ea me annumerare
lectori putaui oportere, sed tanquam appendere.
INTRODUCTION À LA TRADUCTION DU TIMÉE 125
Bien que les doublets n ’aient pas été relevés dans leur totalité, les nom
breuses notes qui accompagnent la version latine ci-après signalent les diffé
rences avec l’original grec. Dernière remarque : les multiples libertés du tra
ducteur par rapport à son modèle ont pour ultime conséquence de rendre diffi
cile le respect, dans la version latine, du découpage du texte grec.
B ib l io g r a p h ie s u r l a t r a d u c t io n
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Centrale Huisdrukkerij V U , 1989.
C o d ic e s
1. Codices translationis
A VATICAN Reg. lat. 1068 (Reg3)
B AUSTIN TX, Univ. of Texas, Ms 29 (ex-Cheltenham, Phillipps 816)
(Chel)
C LONDRES, British Libr., Addit. 15601 (A3)
3. Codex commentarii
I VATICAN, Barberinus lat. 21 (B1)
E d it io n e s