Creissels - Langues Africaines
Creissels - Langues Africaines
Creissels - Langues Africaines
Denis Creissels
Université Lumière Lyon2
1. Introduction
Les langues qui font l’objet de cette présentation sont parmi les plus importantes dans la
partie de l’Afrique de l’ouest où elles sont parlées, et elles sont toutes bien représentées dans
l’immigration africaine en France. Prises globalement, leur domaine recouvre essentiellement
trois pays (Sénégal, Guinée et Mali), à quoi il faut ajouter deux pays (le Burkina-Faso et la
Côte d’Ivoire) où le dioula, langue très peu différente du bambara, joue un rôle important.
La section 2 expose la situation linguistique des pays concernée. La section 3 est consacrée
à une présentation de trois langues mandé (bambara/malinké1, sooso2 et soninké). Les sections
4 à 6 sont consacrées à une présentation de deux langues atlantiques (peul et wolof).
2. Aspects sociolinguistiques
En dehors de la Mauritanie (dont la langue officielle est l’arabe), aucun pays ouest-africain
n’a jusqu’ici accordé le statut de langue officielle à une langue autre que celle de l’ancienne
puissance coloniale. Cela veut dire que dans tous les pays d’Afrique de l’ouest, la langue de
l’ancien colonisateur (français, anglais ou portugais) occupe une place exclusive au moins
dans la haute administration et l’enseignement secondaire et supérieur, et généralement bien
au-delà de ces deux domaines, mais avec des différences considérables d’un pays à l’autre,
comme on le verra dans ce qui suit. La plupart des pays ouest-africains reconnaissent une
partie de leurs langues comme ‘langues nationales’, mais ce terme ne correspond à aucun
statut juridique précis. En règle générale, en soi, cette reconnaissance est purement
symbolique et n’a aucun effet pratique notable. L’importance plus ou moins grande que telle
1
Le terme de malinké se réfère ici au malinké parlé dans l’est de la Guinée, notamment dans la ville de Kankan.
Cette précision est importante car d’autres langues peu différentes du malinké de Kankan mais néanmoins
distinctes sont aussi couramment désignées comme malinké. Bambara et malinké font partie de l’ensemble des
langues mandingues, très proches les unes des autres. Pour le malinké, on trouve aussi parfois le terme
‘maninka’, qui est celui qu’utilisent les locuteurs eux-mêmes.
2
Le nom de cette langue peut aussi se trouver avec l’une des orthographes suivantes : soso, sosso, susu, soussou.
L’orthographe ‘sooso’ est celle qui reflète le plus fidèlement la prononciation, en donnant aux lettres les valeurs
qu’elles ont habituellement dans les transcriptions des langues africaines en alphabet latin.
CASNAV, Mieux connaître les langues subsahariennes, 25 janvier 2017
ou telle langue peut avoir à l’échelle d’une région ou même d’un pays tout entier est le
résultat d’une dynamique sociologique, pas d’une politique systématiquement menée, et le
fait qu’une langue soit qualifiée de ‘nationale’ ne donne aucune indication sur son statut réel.
Les états ouest-africains ne font rien qui puisse s’interpréter comme visant délibérément à
restreindre les domaines d’usage des langues autochtones, mais ils ne font rien non plus (ou
très peu) pour favoriser ou planifier leur développement, et pour permettre que leur usage
s’étende à des domaines autres que ceux dans lesquels elles sont traditionnellement utilisées.
On trouve dans les pays concernés toute la gamme des situations possibles entre des langues
dont l’utilisation ne sort pas du cadre des activités quotidiennes de villages traditionnels
vivant de l’agriculture, jusqu’à des langues comme le wolof ou le bambara, qui au moins à
l’oral sont présentes dans à peu près tous les domaines que l’on peut imaginer. Il y a des
langues qui ne sont utilisées que dans les situations de la vie quotidienne entre personnes qui
se connaissent pour faire partie de la même communauté, et qu’il serait tout à fait incongru de
vouloir utiliser en dehors de ce cadre. Mais il y a aussi des langues qu’il est normal d’utiliser
à peu près en toutes circonstances pour s’adresser à un inconnu, même dans des situations
relativement formelles (par exemple au guichet d’une administration, dans le secrétariat d’un
département universitaire, entre médecin et malade, ou bien entre un policier et
l’automobiliste qu’il verbalise, entre un journaliste et son interlocuteur dans un débat télévisé,
etc.).
En ce qui concerne les médias autres que la presse écrite, pratiquement toutes les langues
en dehors de celles qui n’ont qu’un tout petit nombre de locuteurs sont bien représentées dans
les radios locales. A la télévision, sans que cela résulte d’une quelconque planification,
certaines langues se taillent la part du lion (le wolof au Sénégal, le bambara au Mali), alors
que d’autres sont absentes ou presque.
En dehors des domaines où aucune concurrence des langues autochtones n’est concevable
dans l’état actuel des choses, l’utilisation du français est évidemment particulièrement limitée
dans les pays où l’une des langues autochtones est une langue véhiculaire largement
dominante et bien acceptée par les locuteurs des autres langues. Inversement, la diffusion du
français est particulièrement forte dans les pays où les langues véhiculaires potentielles ne
dépassent pas le cadre régional, et où leur usage se heurte à des réticences plus ou moins
fortes de la part des membres des autres ethnies. Dans ce genre de situation, pour les locuteurs
qui ont une maîtrise suffisante du français, le choix du français pour communiquer avec les
autres groupes ethniques peut être une façon de marquer son opposition à ce qui est ressenti
comme la domination d’un autre groupe.
Traditionnellement, il existait pour les langues dont il est question dans cette conférence,
surtout pour le peul, une pratique d’écriture en alphabet arabe, qui toutefois n’a jamais touché
qu’une faible proportion des populations. Actuellement, cette pratique est en perte de vitesse.
Par ailleurs, toutes les langues en question ont une écriture en alphabet latin officiellement
codifiée, mais dont l’utilisation reste très marginale, même pour les langues les plus
dynamiques. Par exemple, même dans les pays où une langue s’impose nationalement dans
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CASNAV, Mieux connaître les langues subsahariennes, 25 janvier 2017
presque tous les domaines de la communication orale, l’utilisation de cette langue reste
marginale dans l’affichage public, et la presse en langues africaines est inexistante ou presque.
Dans les langues mandingues, surtout en malinké (mais aussi dans une moindre mesure en
bambara), on a assisté depuis une vingtaine d’années au développement d’un alphabet créé de
toutes pièces (et en dehors de tout encouragement officiel) pour écrire le mandingue :
l’alphabet nko. Il est toutefois trop tôt pour faire des prévisions sur l’avenir de ce mouvement.
La Guinée de Sékou Touré avait essayé de remplacer le français par les langues nationales
dans l’enseignement primaire, mais cette réforme, faite dans de très mauvaises conditions et
très impopulaire, a été un échec retentissant, et une des premières mesures du régime qui a
succédé à Sékou Touré a été le retour au tout-français. D’autres pays ont lancé des
programmes d’introduction des langues nationales dans l’enseignement primaire, mais il y a
très peu de réalisations concrètes, et le moins qu’on puisse dire est que ces programmes sont
vus avec beaucoup de méfiance par les populations, pour des motifs variés (crainte d’un écart
encore plus fort entre les écoles qui accueillent les enfants des élites et celles pour les enfants
des classes populaires, crainte d’une accentuation de la domination des langues déjà
dominantes, etc.). Ceci dit, on ne dispose d’aucune information précise sur les pratiques
langagières réelles dans les classes, mais tout laisse à penser que la situation sur ce point est
très variable. Un facteur à ne pas négliger est le faible niveau en français de beaucoup
d’enseignants du primaire.
Au niveau individuel, le multilinguisme est infiniment plus répandu en Afrique qu’en Europe.
Il n’est pas rare de rencontrer des personnes dont le répertoire linguistique inclut 4 ou 5
langues locales (en plus éventuellement de la langue officielle apprise à l’école), maîtrisées
bien sûr à des degrés très divers, mais toutes apprises « sur le tas ». Il y a toutefois de fortes
variations d’un groupe ethnique à l’autre : le monolinguisme n’est pas rare chez les membres
d’ethnies importantes dont la langue est largement pratiquée comme langue seconde par les
autres ethnies (Wolofs ou Bambaras par exemple), il est par contre exceptionnel dans les
ethnies minoritaires, où tout individu adulte maîtrise à des degrés divers, en plus de la langue
de son ethnie, une ou plusieurs autres langues qu’il utilise pour la communication en dehors
de son groupe.
Au niveau de la société, le multilinguisme peut être plus ou moins harmonieux ou au
contraire conflictuel, pour des raisons qui ne sont pas propres à l’Afrique : là où existent des
tensions plus ou moins fortes entre groupes ethniques ou communautés religieuses, l’usage
des langues tend à cristalliser ces tensions. L’utilisation des langues dans le contexte de
contacts entre personnes d’ethnies différentes peut alors se charger de connotations, et prendre
une dimension plus ou moins conflictuelle, d’où le développement de stratégies pour éviter le
choix d’une langue ressenti comme impliquant d’accepter la suprématie de l’autre, ou comme
une provocation qu’on souhaite éviter. Il y a de ce point de vue des différences considérables
d’un pays à l’autre.
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CASNAV, Mieux connaître les langues subsahariennes, 25 janvier 2017
Au Sénégal, les Wolofs représentent près de la moitié de la population, et leur langue est
omniprésente comme langue véhiculaire, y compris dans les régions où l’ethnie wolof est très
peu représentée. Dans tous les centres urbains où les groupes ethniques se mélangent,
l’assimilation au wolof est un phénomène massif. C’est le cas depuis longtemps dans la
capitale Dakar, mais aussi par exemple à Ziguinchor (Casamance), où la langue véhiculaire
traditionnelle était le créole portugais, ou encore à Kédougou (Sénégal Oriental), où les
Wolofs ne sont qu’une infime minorité.
Cette diffusion du wolof est certainement facilitée par le fait que, tout en étant un pays
multiethnique, le Sénégal est dans l’ensemble remarquablement épargné par les conflits inter-
ethniques. Le problème casamançais est souvent évoqué, mais il ne s’agit pas à proprement
parler d’un problème de relations inter-ethniques. Chaque ethnie revendique son identité et
l’usage de sa langue, mais sans que cela prenne des aspects véritablement conflictuels. En ce
qui concerne les langues, chaque groupe ethnique a la fierté de parler sa langue, et a le souci
de la transmettre dans la mesure du possible aux enfants (ce qui toutefois devient de plus en
plus problématique, surtout en milieu urbain). L’assimilation au wolof, même si elle est jugée
négativement, est vécue comme une conséquence inévitable des évolutions de la société.
Pour le Mali, à part la question des régions du Nord-Est (qui sont un héritage des frontières
coloniales mais n’ont pas grand-chose à voir historiquement et culturellement avec le reste du
pays), on peut répéter point pour point ce qui a été dit pour le Sénégal. Le Mali est un pays
multiethnique, mais en dehors des ethnies du Nord-Est (et plus spécialement les Touaregs),
les groupes ethniques coexistent sans problème majeur. Les Bambaras constituent près de la
moitié de la population, et en dehors du Nord-Est, leur langue est largement acceptée comme
langue véhiculaire par les autres groupes ethniques, et elle est présente à l’oral dans
pratiquement tous les domaines de la vie publique. La domination du bambara sur les autres
langues est particulièrement forte dans la capitale Bamako et dans tous les centres urbains, y
compris ceux situés en dehors des régions peuplées par les Bambaras, et l’assimilation au
bambara en milieu urbain est un phénomène très important.
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minoritaires), mais dont aucune ne peut prétendre à jouer au niveau du pays tout entier un rôle
comparable à celui que jouent le wolof au Sénégal ou le bambara au Mali.
Le cas de la Côte d’Ivoire est encore différent. En effet, les conflits inter-ethniques qui
caractérisent la Guinée n’ont pas leur racine dans des différences culturelles fondamentales
entre les ethnies concernées, et du point de vue religieux, l’Islam est partout la religion
dominante en Guinée. Dans le cas ivoirien par contre (et des choses semblables peuvent
s’observer dans des pays voisins comme le Ghana, le Togo, le Bénin ou le Nigéria), le
problème est que les frontières héritées de la colonisation ont réuni en un même pays des
régions très différentes d’un point de vue historico-culturel. On a ainsi en Côte d’Ivoire une
opposition très forte entre la partie sud, de tradition animiste (et actuellement largement
christianisée), et la partie nord, largement islamisée. A cela s’ajoute le fait que le dynamisme
économique du sud a eu pour conséquence une très forte immigration en provenance du nord
du pays, mais aussi des pays du Sahel, au point qu’actuellement, les ethnies du sud sont
souvent en minorité sur leur propre territoire, d’où les sentiments de frustration et de rejet
qu’on imagine aisément. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que, depuis
l’indépendance, la Côte d’Ivoire ait été le théâtre de conflits ethniques plus ou moins localisés
et plus ou moins sanglants, le dernier en date, qui a été particulièrement violent, ayant
embrasé le pays tout entier.
Sur le plan linguistique, la Côte d’Ivoire connaît une situation qui ne ressemble à celle
d’aucun autre pays ouest-africain, avec une très forte tendance du français (souvent sous des
formes plus ou moins pidginisées) à concurrencer fortement les langues autochtones jusque
dans des situations où, dans les autres pays, la concurrence du français ne se fait pas sentir de
manière notable. Il y a notamment de plus en plus d’enfants ivoiriens, y compris dans les
milieux populaires et dans les petites villes en zone rurale, qui ont pour première langue le
français (ou une variété plus ou moins pidginisée de français), et qui ne maîtrisent bien, ni la
langue traditionnelle de leur groupe ethnique, ni aucune autre langue locale. Ce phénomène
s’observe dans des pays comme le Gabon ou le Cameroun, mais en Afrique de l’ouest il est
très marginal, sauf précisément en Côte d’Ivoire.
En Côte d’Ivoire, même les langues les plus importantes numériquement tendent à n’être
utilisées que dans des situations de la vie quotidienne, et par des personnes qui se connaissent
comme appartenant à une même communauté. Même pour les ethnies les plus importantes, il
y a une proportion significative (et qui va en augmentant) de personnes qui ne maîtrisent bien
ni la langue de leur ethnie, ni aucune autre langue africaine. Il y a bien sûr sur tous ces points
des variations importantes selon les régions et les ethnies, mais de manière générale les
ethnies minoritaires du sud sont les plus touchées par cette évolution.
La famille des langues mandé, qui proviennent selon toute vraisemblance d’un ancêtre
commun qui a commencé à se fragmenter en langues différentes il y a environ 5.000 ans,
5
CASNAV, Mieux connaître les langues subsahariennes, 25 janvier 2017
– Le sooso est l’une des trois langues principales de Guinée ; il est dominant dans la
partie de la Guinée qui longe la côte de l’Océan Atlantique, y compris dans la capitale
Conakry.
– Le bambara est la langue principale du Mali, parlée comme langue maternelle par près
de la moitié de la population et largement pratiqué au moins comme langue seconde
dans tout le Mali, sauf le nord-est ; le bambara fait partie de l’ensemble des langues
mandingues, groupe de langues très proches les unes des autres et largement
intercompréhensibles ; outre le malinké (ou maninka), qui est l’une des trois langues
principales de Guinée, on peut notamment mentionner le dioula (ou jula), très peu
différent du bambara, qui est une langue importante au Burkina-Faso et en Côte
d’Ivoire, ainsi que le mandinka, qui est la langue principale de la Gambie et une langue
régionalement importante au Sénégal et en Guinée Bissau..
– Le soninké est une langue régionalement importante au Mali ; il est aussi parlé dans le
sud-est de la Mauritanie, dans l’est de la Gambie et dans l’est du Sénégal ; comme les
Soninkés vivent dans des zones où les aléas climatiques perturbent régulièrement
l’économie agricole traditionnelle, l’émigration pour raisons économiques est une
tradition chez les Soninkés, qui constituent notamment le groupe numériquement le plus
important dans l’immigration africaine en France.
3.1. Phonétique
– Dans les inventaires de consonnes, on note fréquemment l’absence de [ʃ], [v], [z] et [ʒ] ;
il s’ensuit une tendance à confondre [v] avec [f], et [ʃ], [z] et [ʒ] avec [s].
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– Dans les inventaires de voyelles, on note l’absence des voyelles antérieures arrondies
[y], [ø] et [œ], que les locuteurs de ces langues vont donc tendre à confondre
respectivement avec [i], [e] et [ɛ].
Inversement, il peut aussi y avoir dans ces langues des consonnes ou des voyelles qui
n’existent pas en français, mais ceci ne constitue en aucun cas une gêne pour l’acquisition du
français.
En ce qui concerne la structure des syllabes, les langues mandé (notamment celles
présentées ici) ont des restrictions beaucoup plus fortes que le français (ou en tout cas,
différentes de celles du français) en ce qui concerne les consonnes qui peuvent se trouver en
fin de syllabe, ainsi que les groupes de consonnes possibles en début de mot. C’est pour les
locuteurs de ces langues une source majeure de difficulté dans l’acquisition du français.
Par exemple, un locuteur d’une langue qui n’a pas la consonne [ʃ], et dans laquelle le
groupe de consonnes [bl] est impossible, va spontanément restituer le mot français ‘blanche’
comme [balãs], créant ainsi une confusion avec ‘balance’.
On peut enfin signaler que les langues mandé, comme l’immense majorité des langues
d’Afrique Subsaharienne, sont des langues à ton, c’est-à-dire des langues dans lesquelles la
hauteur musicale des syllabes est pertinente. Par exemple, en bambara, dán (ton haut)
‘compter’ s’oppose par la hauteur de la voix à dàn (ton bas) ‘semer’, et deux phrases comme
les suivantes se distinguent uniquement par leur courbe mélodique (indiquée par des accents
au-dessus des voyelles) :
(1) bambara
a. Í yé mùn dán ?
toi ACP quoi compter
‘Qu’est-ce que tu as compté ?’
b. Í yé mǔn dàn ?
toi ACP quoi semer
‘Qu’est-ce que tu as semé ?’
Une particularité remarquable des langues mandé est de construire invariablement la phrase
simple selon l’ordre suivant :
Le verbe ne porte aucune marque d’accord avec le sujet, et les variations morphologiques du
verbe en liaison avec l’expression du temps et du mode sont très limitées (plus ou moins
toutefois d’une langue à l’autre). Le temps et le mode s’expriment largement au moyen de
mots grammaticaux qui suivent immédiatement le sujet. Souvent, ces mots grammaticaux
expriment conjointement temps-mode et négation. Les compléments autres que l’objet direct
(qui suivent le verbe) sont généralement marqués par des postpositions (mots grammaticaux
qui ont les mêmes fonctions que des postpositions, mais qui se placent à la fin du groupe
nominal au lieu de le précéder).
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CASNAV, Mieux connaître les langues subsahariennes, 25 janvier 2017
(2) bambara
(3) sooso
(3) soninké
Pour l’essentiel, la structure du groupe nominal dans les langues mandé peut être schématisée
comme suit :
(4) bambara
Les langues mandé ignorent le genre grammatical : chaque modifieur du nom a une forme
invariable, quel que soit le nom qu’il accompagne. En outre, dans presque toutes les langues
mandé (et notamment celles présentées ici), aucune distinction de genre n’apparaît dans le
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CASNAV, Mieux connaître les langues subsahariennes, 25 janvier 2017
choix des pronoms : le pronom personnel a à la troisième personne une forme unique de
singulier et une forme unique de pluriel, quel que soit le nom sous-entendu.
En soninké, l’expression du pluriel est morphologiquement complexe. Par contre en
bambara et en sosso, comme on peut le voir à l’exemple (4), si la pluralité est indiquée par un
numéral, le pluriel n’est tout simplement pas marqué. Et en l’absence d’un numéral, quels que
soient les modifieurs ajoutés au nom (adjectifs épithètes et/ou déterminants divers), une
marque de pluriel unique apparaît à la fin du groupe nominal, ce qui veut dire qu’il n’y a pas
de mécanisme grammatical d’accord en nombre.
(5) bambara
Le bambara et le sooso (mais pas le soninké) distinguent deux façons possibles de construire
le nom qui constitue le complément d’un autre nom (possesseur) : avec les possessions
‘inaliénables’, le possesseur est simplement juxtaposé au nom dont il est le complément,
tandis qu’avec les possessions ‘aliénables’ il en est séparé par une marque possessive.
(6) sooso
De même en bambara : Sékù fǎˋ ‘le père de Sékou’ / Sékù ká wùlû (ká est la marque
possessive), alors qu’en soninké la construction est identique : Séexù hàabá ‘le père de
Sékou’ / Séexù wùllê ‘le chien de Sékou’.
En bambara et en sooso, les pronoms personnels ont une forme unique quelle que soit la
fonction qu’ils occupent dans la phrase, et leur position dans la phrase est invariablement
identique à celle des groupes nominaux correspondants. Autrement dit, il n’y a rien qui
ressemble à la différenciation que font les langues romanes (dont le français) entre plusieurs
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CASNAV, Mieux connaître les langues subsahariennes, 25 janvier 2017
séries de pronoms personnels, dont certaines (les pronoms clitiques) occupent des positions
spéciales.
(7) bambara
b. À má à dí à mà.
3SG ACP.NEG 3SG donner 3SG à
‘Il ne le lui a pas donné.’
C’est aussi la même forme des pronoms personnels qui s’utilise en fonction de complément
de nom, ce qui veut dire que la notion d’adjectif ou déterminant possessif n’a aucun sens pour
la description de ces langues.
(8) bambara
a. Sékù ká wùlû
Sékou POSS chien
‘le chien de Sékou’
b. à ká wùlû
3SG POSS chien
litt. ‘le chien de lui/elle’ > ‘son chien’
En soninké, les choses sont un peu moins simples, car certains pronoms ont un ton qui varie
selon leur fonction.
Parmi les particularités syntaxiques remarquables des langues mandé, deux seulement seront
mentionnées ici à titre illustratif : (a) l’expression de la focalisation, et (b) les contraintes sur
l’expression du COD des verbes transitifs et l’existence de constructions passives sans aucune
marque morphologique.
Dans les langues mandé, l’expression de la focalisation ne met en jeu, ni une intonation
particulière, ni une construction syntaxique particulière. La phrase est construite exactement
comme une phrase qui n’exprime aucune focalisation, avec simplement en plus une particule
de focalisation placée immédiatement après le terme de la phrase mis en relief. En soninké, un
marqueur de sujet propre aux phrases à focalisation apparaît lorsque le terme focalisé est le
sujet, mais ce phénomène ne se produit pas dans les autres langues mandé.
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CASNAV, Mieux connaître les langues subsahariennes, 25 janvier 2017
(9) soninké
c. Ó dà Múusá yà qìrì.
1PL TR Moussa FOC appeler
‘C’est Moussa que nous avons appelé.’
De manière générale en bambara et en sooso, et pour une partie des verbes en soninké, il suffit
d’utiliser intransitivement le verbe transitif, sans aucune autre modification ou adjonction,
pour obtenir une construction passive.
(10) sooso
Par ailleurs, la règle générale est que dans ces langues, on ne peut pas utiliser intransitivement
les verbes transitifs pour signifier une action portant sur un objet indéterminé, à la différence
de ce qui se passe en français dans des phrases comme Je n’ai pas mangé.
En soninké, il est tout simplement impossible d’utiliser intransitivement ‘manger’, et on
doit utiliser une forme dérivée de ce verbe pour éviter de mentionner l’agent ou le patient.
(11) soninké
11
CASNAV, Mieux connaître les langues subsahariennes, 25 janvier 2017
b. Séexù má yìgè.
Sékou ACP.NEG manger.DETR
‘Sékou n’a pas mangé.’
c. Tíyé ké má yìgè.
viande la ACP.NEG manger.DETR
‘La viande n’a pas été mangée.’
(12) bambara
c. *Sékù má dún.
Sékou ACP.NEG manger
Cette phrase pourrait seulement signifier
‘Sékou n’a pas été mangé.’
Les langues mandé ont des systèmes très productifs de formation de mots, soit par
composition de mots qui ont par ailleurs une existence autonome, soit par l’adjonction de
suffixes dérivatifs (parfois aussi de préfixes, mais de façon beaucoup plus limitée).
(13) bambara
a. composition
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CASNAV, Mieux connaître les langues subsahariennes, 25 janvier 2017
Les langues atlantiques sont une famille de langues qui, à l’exception du peul, sont localisées
dans la partie de l’Afrique de l’ouest qui longe l’Océan Atlantique du sud de la Mauritanie à
la Sierra Leone. Il s’agit d’une famille de langues d’une profondeur historique supérieure à
celle de la famille mandé, mais elle aussi assez homogène dans ses structures. Les langues
atlantiques se rattachent à la super-famille Niger-Congo à laquelle appartiennent beaucoup
d’autres familles de langues de l’Afrique de l’ouest, ainsi que les langues bantoues d’Afrique
centrale et australe. Curieusement, les langues atlantiques ont en commun avec les langues
bantoues le fait d’avoir particulièrement bien conservé des structures (notamment le système
de classes nominales) qu’on peut considérer comme très anciennes dans la famille Niger-
Congo
La situation géographique particulière du peul peut s’expliquer de la façon suivante : cette
langue a probablement été parlée à l’origine dans le nord de l’actuel Sénégal (et
linguistiquement, le plus proche parent du peul est le sérère, parlé dans le centre-ouest du
Sénégal), mais du fait du mode de vie traditionnel des Peuls, qui sont des éleveurs de bétail
pratiquant le nomadisme pastoral, ils se sont répandus dans toute la zone sahélienne, et on
peut trouver des populations peules plus ou moins compactes jusque dans le nord du
Cameroun.
Le wolof est la langue traditionnellement parlée dans la partie nord-ouest de l’actuel
Sénégal, mais à l’heure actuelle il s’est répandu comme langue véhiculaire dans le pays tout
entier, avec une tendance à assimiler les autres langues qui est particulièrement sensible dans
les centres urbains, et son usage tend à progresser dans tous les domaines.
Le peul est une langue régionalement importante dans tous les pays de la zone sahélienne,
mais nulle part il ne domine à l’échelle d’un pays tout entier, et sauf dans le nord du
Cameroun, son utilisation comme langue véhiculaire est relativement limitée.
Pour comprendre les relations souvent compliquées que les Peuls entretiennent avec les
autres groupes ethniques, outre les traditionnels conflits entre cultivateurs sédentaires et
éleveurs nomades, il faut garder à l’esprit deux choses. D’abord, les Peuls ont été longtemps
méprisés et brimés par les autres peuples parmi lesquels ils vivaient. Ensuite, à date plus
récente, des Peuls sédentarisés et islamisés ont constitué des états qui, tout au long du 19ème
siècle, ont mené des guerres de conquête sous prétexte de conversion à l’Islam, et ce
mouvement a été stoppé net, vers la fin du 19ème siècle, par la conquête coloniale de
l’intérieur de l’Afrique de l’ouest.
Linguistiquement, tout en partageant de nombreuses particularités dans leur structure, les
deux langues atlantiques présentées ici (wolof et peul) sont trop différentes pour envisager
une présentation conjointe comme on l’a fait pour le bambara/malinké, le sooso et le soninké.
On présentera donc d’abord le peul, puis le wolof.
En ce qui concerne la phonétique, en restant à un niveau élémentaire on pourrait seulement
répéter ce qui a été dit précédemment pour les langues mandé, notamment en ce qui concerne
les particularités de ces langues qui peuvent être source de difficulté dans l’acquisition du
français. A noter toutefois que le wolof et le peul ne sont pas des langues à tons. L’absence de
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CASNAV, Mieux connaître les langues subsahariennes, 25 janvier 2017
système tonal est assez courante parmi les langues atlantiques, alors qu’elle est très
exceptionnelle dans les autres familles de langues d’Afrique de l’ouest.
Dans les deux sections suivantes, on se limitera donc à des questions de grammaire.
5. Le peul
Selon les régions, les peuls désignent leur langue comme pulaar (à l’ouest) ou fulfulde (à
l’est). Le terme français ‘peul’ est en fait un emprunt au wolof. La présente esquisse se base
sur la variété dialectale du peul parlée dans l’est de la Gambie et le sud-est du Sénégal.
Les langues atlantiques ont dans l’ensemble une morphologie relativement complexe, et cette
complexité est particulièrement marquée en peul. On la remarque notamment dans la
formation du pluriel. A première vue, on a l’impression qu’une forme de pluriel comme kine
‘nez (pl.)’ peut difficilement être formée régulièrement à partir de hinɛrɛ ‘nez (sg.)’. En
réalité, ces deux formes sont toutes deux formées très régulièrement à partir d’un radical kin-.
Elles sont reliées l’une à l’autre par des procédés de suffixation et d’alternance consonantique
à l’initiale du nom parfaitement réguliers, mais d’une grande complexité.
Les compléments autres que les objets directs sont introduits par des prépositions.
(14) peul
Il est toutefois remarquable que le peul utilise beaucoup moins les prépositions que le
français, à cause notamment du système d’extensions verbales, qui a comme effet que
beaucoup de participants qui sont traités comme compléments prépositionnels en français sont
traités comme compléments directs du verbe en peul (cf. 5.5).
Il n’y a pas d’accord du verbe en personne, mais comme le français, le peul distingue
plusieurs séries de pronoms selon les fonctions syntaxiques, avec des séries spéciales de
pronoms clitiques sujet et objet qui se placent obligatoirement dans des positions spéciales à
14
CASNAV, Mieux connaître les langues subsahariennes, 25 janvier 2017
proximité immédiate du verbe. Comme en français, les clitiques sujet sont obligatoires
lorsque le sujet n’est pas exprimé sous forme de groupe nominal, sauf à l’impératif.
Une particularité que le peul partage avec les autres langues atlantiques et beaucoup
d’autres langues d’Afrique sub-saharienne (mais qu’on ne trouve pas parmi les langues
mandé) est l’existence de constructions ‘à objet multiples’ où le verbe est suivi de deux
groupes nominaux ou plus qui ont tous les comportements caractéristiques de l’objet direct
des verbes typiquement transitif. La chose la plus évidente est l’absence de toute préposition,
mais en outre, dans les constructions à plusieurs objets, c’est le même paradigme de pronoms
qui est utilisé pour tous les objets. La règle générale est que le groupe nominal qui correspond
au COI du français précède celui qui correspond au COD (comme d’ailleurs dans la
construction à deux objets de l’anglais).
(15) peul
La règle générale en peul est que dans le groupe nominal, les modifieurs suivent le nom qui
est la tête du groupe.
Un nom complément d’un autre nom (possesseur) est simplement postposé, et on peut
trouver dans la même position un pronom personnel clitique, qui est alors l’équivalent de
l’adjectif possessif du français.
(16) peul
A la différence des langues mandé, qui ignorent les mécanismes d’accord en genre ou en
nombre, le peul a des mécanismes d’accord entre le nom, les adjectifs épithètes et les
déterminants, en liaison avec l’existence d’un système de genres (ou de ‘classes nominales’,
selon le terme consacré en linguistique africaine).
En effet le peul, comme presque toutes les langues atlantiques et beaucoup d’autres
langues appartenant à la super-famille Niger-Congo, a un système de genre qui diffère
toutefois des systèmes de genre que l’on trouve dans les langues indo-européennes ou
sémitiques sur un certain nombre de points fondamentaux.
D’abord, au lieu d’une répartition des noms en deux ou trois genres, comme dans les
langues indo-européennes, le nombre des genres grammaticaux du peul (variable d’une
variété dialectale à l’autre) est de l’ordre d’une vingtaine.
Ensuite, en ce qui concerne la base sémantique de la répartition des noms en genres
grammaticaux, la distinction masculin / féminin ne joue strictement aucun rôle en peul :
gorko ‘homme’ et dɛbbo ‘femme’ appartiennent au même genre grammatical o/ɓe.
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CASNAV, Mieux connaître les langues subsahariennes, 25 janvier 2017
(17) peul
nom art.déf.
gorko o ‘l’homme’
haayre nde ‘la pierre’
leydi ndi ‘le pays’
rawaandu ndu ‘le chien’
nagge ŋge ‘la vache’
yeeso ŋgo ‘le visage’
kɛnnii ŋgi ‘le grand vent’
mbaalu ŋgu ‘le mouton’
gertogal ŋgal ‘la poule’
cukayel ŋgel ‘le petit enfant’
laawol ŋgol ‘la route’
ŋgayka ka ‘le trou’
lɛkki ki ‘le médicament’
huɗo ko ‘l’herbe’
ndiyam ɗam ‘l’eau’
mbabba mba ‘l’âne’
lamkal kal ‘la petite quantité de sel’
Pour désigner le genre auquel appartient un nom, il est commode de se référer à la forme de
l’article défini qu’il sélectionne au singulier et au pluriel. Par exemple, on dira que mbaalu
‘mouton’ appartient au genre ŋgu/ɗi, cf. mbaalu ŋgu ‘le mouton’ / baali ɗi ‘les moutons’.
En règle générale, la terminaison des noms est un suffixe qui varie selon le genre et le
nombre, ce qui explique d’ailleurs qu’on puisse souvent noter une certaine ressemblance entre
la terminaison des noms et l’article. En plus, les noms subissent souvent une alternance
consonantique à l’initiale lors du passage du singulier au pluriel, et il arrive aussi que des
alternances se produisent à la jonction de la base nominale et du suffixe de genre-nombre. Ces
changements ne se font pas au hasard, mais selon des règles phonétiques précises, qu’il serait
toutefois trop long d’exposer ici.
(18) peul
singulier pluriel
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CASNAV, Mieux connaître les langues subsahariennes, 25 janvier 2017
L’exemple suivant illustre l’accord des adjectifs épithètes en genre et en nombre. Dans tous
les cas, l’adjectif suit le nom, et son suffixe, qui est semblable à celui d’un nom, exprime la
même valeur de genre et de nombre que le nom qu’il modifie. Si l’article défini est présent, il
suit l’adjectif. L’adjectif dans l’exemple suivant (‘grand’) a pour base maw-, assimilé en
maŋ- si l’accord demande un suffixe commençant par nasale.
(19) peul
Outre les phénomènes d’accord, un aspect intéressant du système de genres du peul est la
possibilité qu’il offre souvent d’exprimer des relations sémantiques entre noms en changeant
simplement leur genre. Par exemple, en changeant simplement de genre saa-re (pl. ca’-e)
‘village’, qui appartient au genre nde/ɗe, on obtient le diminutif ca’-ɛl (pluriel ca’-ony, genre
ŋgɛl/kony).
Le peul a un système de voix (actif / moyen / passif) qui par beaucoup d’aspects est très
semblable à celui du grec ancien.
(20) peul
b. Mi loot-iima.
moi laver-ACP.MOYEN
‘Je me suis lavé.’
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CASNAV, Mieux connaître les langues subsahariennes, 25 janvier 2017
Comme de manière générale les langues atlantiques, mais aussi beaucoup d’autres langues
appartenant à des familles regroupées dans la super-famille Niger-Congo (langues bantoues
en particulier), le peul a un système développé d’extensions verbales, suffixes qui s’ajoutent
au verbe dont ils modifient de diverses manières la signification : ‘faire quelque chose pour
quelqu’un’ (bénéfactif), ‘aller faire quelque chose’, faire semblant de faire quelque chose’,
‘faire quelque chose au moyen de’ (instrumental), etc.
On notera qu’en règle générale, lorsque ces dérivations ajoutent un participant à l’action
verbale, celui-ci est traité comme un objet direct, ce qui veut dire qu’aucune préposition n’est
nécessaire pour l’introduire.
(21) peul
(22) peul
a. Samba majj-ii.
Samba se_perdre-ACP
‘Samba s’est perdu.’
b. Samba majj-intin-ii.
Samba se_perdre-SIMUL-ACP
‘Samba a fait semblant de s’être perdu.’
(23) peul
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6. Le wolof
Comme cela a déjà été dit, le wolof est une langue particulièrement dynamique, et ce depuis
longtemps déjà. Un facteur essentiel est que la région wolof a été très tôt une zone de contact
avec les Européens, d’où des échanges commerciaux importants et un développement
économique qui en ont fait un pôle d’attraction pour les autres ethnies.
Le wolof est une langue qui ne présente que des variations dialectales relativement faibles
(mise à part la variété lébou parlée par des communautés de pêcheurs autour de Dakar et plus
au sud sur la côte), mais du fait de la progression de l’usage du wolof comme langue
véhiculaire, notamment en milieu urbain, il y a un contraste très net entre le wolof traditionnel
des régions rurales et des variétés plus ou moins marquées par l’usage véhiculaire, avec bien
sûr tous les cas intermédiaires qu’on peut imaginer. Ceci est particulièrement apparent dans
deux domaines : la simplification du système de genre et de la morphologie, et l’utilisation
massive de termes empruntés au français
Les compléments autres que les objets directs sont introduits par des prépositions.
(24) wolof
Comme le peul, et pour les mêmes raisons, le wolof utilise beaucoup moins les prépositions
que le français : beaucoup de participants qui seraient traités comme compléments
prépositionnels en français sont traités comme compléments directs de formes dérivées du
verbe qui signifient l’introduction de participants supplémentaires.
Le verbe wolof s’accorde avec son sujet en personne et en nombre, et comme en espagnol
ou en italien, il n’est pas obligatoire d’exprimer le sujet en plus sous forme de groupe nominal
ou de pronom. Une particularité remarquable du wolof est que le lexème verbal lui-même est
invariable (et il s’écrit la plupart du temps comme un mot à part dans l’orthographe wolof).
La marque d’accord avec le sujet s’amalgame avec la marque de temps-mode, avec lequel elle
constitue un clitique qui se trouve forcément à proximité du verbe mais peut se trouver
séparée de lui par d’autres clitiques. Les règles de placement des clitiques sont complexes. A
l’exemple (24b), dinaa ‘futur + 1ère personne’ est séparé du verbe par un autre clitique, fa
‘y’). Et si on mettait au futur la phrase (24a), on aurait dina ma yóbbu ‘il m’emmèrera’ : au
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CASNAV, Mieux connaître les langues subsahariennes, 25 janvier 2017
(25) wolof
La règle générale en wolof, comme en peul, est que dans le groupe nominal, les modifieurs
suivent le nom qui est la tête du groupe. Il y a tout de même des exceptions. En particulier, le
possessif de troisième personne du singulier est suffixé au nom (xarit-am ‘son ami’), mais
aux autres personnes, le possessif précède le nom (suma xarit ‘mon ami’, sa xarit ‘ton ami’,
etc.).
Lorsqu’un nom prend un autre nom comme complément (possesseur), il doit être marqué
d’un suffixe spécial
(26) wolof
xarit-u Musaa
ami-POSS Moussa
‘l’ami de Moussa’
Le wolof a un système de genre du même type que celui du peul, avec notamment l’absence
de toute distinction grammaticale entre masculin et féminin. Comme en peul, il y a un
système d’accord en genre et en nombre entre le nom et ses modifieurs. Toutefois, il y a
beaucoup moins de genres en wolof qu’en peul, et l’expression du genre et du nombre ne
présente pas les complications morphologiques qu’on trouve en peul. En wolof, à quelques
exceptions près (que l’usage tend d’ailleurs de plus en plus à éliminer), les noms sont
invariables, et le genre ainsi que le nombre apparaissent seulement au niveau de l’accord des
modifieurs.
Comme en peul, la manifestation la plus évidente de la répartition des noms en genres
grammaticaux est le choix de l’article défini (postposé au nom). L’article défini du wolof est
constitué d’une consonne et d’une voyelle. La consonne marque le genre et le nombre du
nom, tandis que la voyelle indique la distinction entre proche (i) et éloigné (a). Il est donc
commode de désigner chaque genre par les consonnes de l’article au singulier et au pluriel.
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CASNAV, Mieux connaître les langues subsahariennes, 25 janvier 2017
Ainsi, on dira que fas ‘cheval’ appartient au genre W/Y (cf. fas wi/a ‘le cheval’, fas yi/a ‘les
chevaux’). En wolof, il y a selon le genre du nom 8 formes possibles de l’article défini au
singulier, et 2 au pluriel.
(28) wolof
nom art.déf.
Le système de genre est particulièrement affecté par les évolutions qui caractérisent le wolof
parlé en milieu urbain. Déjà en wolof traditionnel, il y a un déséquilibre évident en faveur du
genre B/Y, qui regroupe beaucoup plus de noms que les autres, mais ce déséquilibre tend à
s’accentuer en wolof urbain, où beaucoup de noms qui appartiennent traditionnellement aux
autres genres tendent à passer dans le genre B/Y.
Comme le peul, le wolof a un nombre important d’extensions verbales, suffixes qui peuvent
s’ajouter aux verbes pour modifier tel ou tel aspect de leur signification. Comme en peul,
lorsque ces suffixes introduisent un participant supplémentaire, ce participant est traité
comme un objet direct.
(29) wolof
6.4. La focalisation
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CASNAV, Mieux connaître les langues subsahariennes, 25 janvier 2017
(30) wolof
c. Leetar la indi.
enfant FOC2.3SG apporter
‘C’est une lettre qu’il apporté.’
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