Management Emotionnel
Management Emotionnel
Management Emotionnel
Mots clés :
Management émotionnel ; intelligence émotionnelle ; quotient émotionnel ;
compétences émotionnelles ; émotions positives ; émotions négatives ; intelligence
intra personnelle ; intelligence inter personnelle ; émotions d’approche ; émotions
antagonistes ; émotions d’accomplissement ; émotions de résignation ; processus
émotionnel ; modèles d’intelligence émotionnelle ; leviers préventifs ; leviers curatifs
Abstract :
A partir des années 30, les facteurs liés aux émotions ont commencé à être pris en
compte. Ce sont les années 90 qui vont permettre l’émergence du concept d’intelligence
émotionnelle. La prise en compte de cette forme d’intelligence va se faire à travers une
approche à la fois intra et interpersonnelle, que l’on va chercher à mesurer, en particulier
par le quotient émotionnel. Ce concept va alors être repris pour identifier et développer
de nouvelles compétences en management ; permettant surtout de comprendre la
complexité mais aussi d’agir, en particulier, dans la gestion de groupe, la prise de
décision et la négociation. Plusieurs grands modèles existent, avec comme point
commun, une double aptitude à se connaître et se gérer mais aussi à percevoir et gérer
les autres. Un véritable système d’analyse du processus émotionnel et de mise en
œuvre d’actions managériales émerge de ces approches.
« L’émotion est une certaine façon d’appréhender le monde » disait Sartre en 1938,
au cœur même de l’économie taylorienne dont les fondements rationnels allaient jeter
les bases d’un management classique, dans lequel les analyses comportementales ne
seront que l’apanage de quelques écoles ou chercheurs alternatifs.
Selon le Forum Mondial Economique (WEF), les compétences qui sont jugées comme
critiques pour réussir professionnellement (voire humainement) dans le monde de
demain sont principalement développées par des méthodologies dites SEL : Social –
Emotional Learning. Les experts du WEF estiment qu’il est urgent d’aider les étudiants
d’aujourd’hui à développer leurs aptitudes à interagir socialement et émotionnellement.
Même si l’école des relations humaines a prétendu, très tôt, qu’une « logique des
sentiments » (Roethlisberger, 1939) animait les cadres et employés ; c’est la logique
des coûts et de l’efficacité qui a servi longtemps de fondement à l‘économie industrielle.
Les recherches vont alors porter sur la motivation au travail, pendant les 30 glorieuses ;
puis sur les aspects cognitifs, dans les années 70. C’est lorsque le débat sur les théories
de la décision va se développer, dans les années 90, que les aspects affectifs vont être
de nouveau explorés, à la lumière d’approches plus scientifiques, comme l’utilisation de
l’IRM (dans l’analyse de la décision).
Au-delà de cette approche, il s’agirait également d’en saisir les limites pour mieux la
présenter, voire la développer auprès des managers et éviter les abus (du même type
que ceux rencontrés avec le QI) liés à une sur utilisation, sans formation.
Dans un article du CREG, nous nous sommes intéressés aux « approches humaines »
et au rôle de l’émotion dans la décision ( voir : http://www.creg.ac-versailles.fr/de-l-
hypothese-de-rationalite-aux-apports-recents-de-la-neurobiologie-comment). Il ne
s’agit plus, ici, d’opposer deux approches (rationnelle et intuitive), mais bien de
comprendre ce qui amène cet intérêt du management pour ce qu’on appelle
« l’intelligence émotionnelle ». Certains ont même cherché à modéliser des
comportements liés en partie aux émotions et à les décliner en compétences, appelées
« compétences relationnelles (voir le référentiel AFNOR écrit à ce propos par Alain
Labruffe). Il serait donc intéressant d’identifier les principales compétences de base
liées à l’intelligence émotionnelle. Mais si la « managérialité » constitue un vrai
processus émotionnel (Delavallée, 2006), quels pourraient alors en être les leviers ?
Les années 90 vont marquer un tournant dans l’émergence des émotions au niveau
managérial. De nombreux chercheurs explorent des échelles de positionnement, à
l’image du modèle de Goldberg, basé sur 5 traits de personnalité :
Dimension Extraversion-Introversion
Dimension agréabilité́
Dimension conscience
Dimension stabilité́ émotionnelle
Dimension ouverture
Cependant, ce sont les travaux du psychologue Daniel Goleman qui vont véritablement
projeter l’intelligence émotionnelle dans l’univers des sciences de gestion. Ses travaux
sont à rapprocher de ceux d’Howard Gardner sur les formes d’intelligence. Parmi les
huit formes d’intelligences identifiées, on en retrouve deux qui s’appuient clairement sur
les émotions :
Percevoir/intégrer/comprendre/gérer
Certains auteurs célèbres avaient déjà mis en perspective les aspects émotionnels du
management, principalement dans la prise de décision :
Howard Gardner, qui a formalisé les différents types d’intelligences, a identifié quatre
aptitudes composant l’intelligence émotionnelle des managers performants :
. La capacité d'analyse sociale, qui permet d’appréhender les autres et de capter leur
ressenti.
Leur modèle est assez complet car il dégage les différents éléments de la
problématique. Trois niveaux de caractéristiques sont concernés quant aux émotions,
qui s’expriment de différentes manières (pathologiquement et par les humeurs).
L’impact sur le management sera mesuré par des indicateurs. Les émotions sont
souvent étudiées à l’occasion de pathologies, comme l’ont démontré les travaux de
Christophe Dejours, sur le mal être au travail et les risques psycho-sociaux (stress
chronique en particulier). Le fait d’obtenir un climat émotionnellement stable et positif
permet de limiter l’apparition du stress chronique. Même si les auteures de la recherche
ont surtout étudié les liens entre un mode de management et les émotions qui y sont
liées ; leur contribution a donc permis de démontrer que l’intelligence émotionnelle du
manager et sa compréhension des autres pouvaient permettre d’éviter des
conséquences graves (stress, burn out). Elles préconisent donc de mettre en place un
management adéquat au maintien d’un capital humain coopératif et non individuel, le
tout au sein d’un climat émotionnellement stable, homogène, favorisant la productivité.
Les émotions ne peuvent être évitées en entreprise, il faut donc les comprendre et les
gérer.
On peut même aller plus loin en pensant que l’intelligence émotionnelle, bien utilisée
permet de comprendre les émotions ; cela implique de comprendre ce que les autres
ressentent et pourquoi, c’est-à-dire parvenir à « cerner » les autres, comprendre leurs
points de vue, « anticiper » les émotions, et donc mieux comprendre la complexité
émotionnelle.
Dans les années 2000 les chercheurs (Barling, Wexler, 2000) ont réaffirmé que, dans
l’économie actuelle, les compétences émotionnelles sont nécessaires pour créer les
conditions permettant le partage des connaissances et pour établir la confiance
essentielle à la formation d’équipes performante. Le modèle du manager
transformationnel s’est alors développé, à l’image du « servant leader » mis en place
dans les magasins Auchan. Le succès d’un manager serait plus lié à la composante
émotionnelle qu’à la composante cognitive (Mayer, 1990 ; Goleman, 2002). : selon eux,
c’est donc l’intelligence émotionnelle qui permet aux collaborateurs de donner le
meilleur d’eux-mêmes.
Au niveau du management, l’intelligence émotionnelle est aussi utilisée pour réduire les
biais dans les prises de décision. Dans un précédent article (Management de la
décision, de l’hypothèse de rationalité aux apports récents de la neurobiologie…
comment décider dans un environnement de plus en plus incertain ?
http://www.creg.ac-versailles.fr/de-l-hypothese-de-rationalite-aux-apports-recents-de-
la-neurobiologie-comment ), nous avions cherché à mettre en avant le rôle de l’intuition
et de l’émotion dans la prise de décision. Une étude menée par l’IAE d’Aix, sur des
cadres français en 2007, a conclu qu’un niveau d’intelligence émotionnelle élevé
permettait de diminuer certains biais dans la prise de décision. La décision est donc un
mécanisme multidimensionnel qui s’appuie sur les émotions (Van Hoorebeke, 2008).
Les émotions permettent de générer des idées alternatives et de trouver des solutions,
mais aussi des process d’évaluation et de sélection (Bellinghausen, 2009).
L’intelligence émotionnelle est également déployée dans le domaine de la négociation,
qui concerne certains managers. L’émotion constitue, ainsi, la base des la
communication interpersonnelle et des relations sociales dans les entreprises. Elle doit
être prise en compte dans toutes les situations de communication, principalement en
négociation. Le contrôle et l’analyse de la communication constituent des éléments
essentiels de la négociation et certaines émotions peuvent jouer un rôle important,
tantôt positives, tantôt négatives. Certains auteurs se sont intéressés à ce domaine et
ont cherché à lister ces émotions en les catégorisant (Fisher et Shapiro, 2006) :
Source : Fisher et Shapiro Beyond Reason : Using Emotions As You Negotiate. Penguin Books, octobre 2006
Ces émotions permettent aux acteurs de la négociation d’intégrer des informations
permettant de s’adapter à l’évolution de la situation. Un client en colère ou humilié sera
difficile à satisfaire et son problème deviendra complexe à traiter. L’intelligence
émotionnelle va alors constituer une habileté que l’on peut travailler pour progresser.
Ainsi L’intelligence émotionnelle apporte énormément (Bobot, 20010), car elle permet
de :
Plusieurs tests existent et ils cherchent à évaluer les 4 piliers des compétences
émotionnelles : la conscience de soi (capacité à se saisir de ses propres émotions), la
régulation de soi (contrôle de ses impulsions, conscience professionnelle, prise
d’initiative...), la conscience des autres (écoute, sens du service, capacité à identifier
les enjeux stratégiques...) et la régulation des relations (aider les autres à progresser,
inspirer les autres, travail en équipe...). Ils permettent de sortir un modèle visuel en 2
dimensions, sous forme de carte perceptuelle à 2 axes :
Un profil « équilibré » présentera une figure proche d’un carré, le test visant à confronter
le candidat avec ses résultats et non obtenir une figure parfaite.
Par exemple, dans la figure suivante, le candidat montre une aptitude très forte à
comprendre les autres et à gérer les relations interpersonnelles, mais devra expliquer
le score assez faible en « connaissance de soi » (à droite de l’axe horizontal).
Source : extrait d’un test Assesfirst d’intelligence émotionnelle
A l’image du QI, un « niveau » de base a même été établi ainsi qu’une répartition des
employés par « niveaux ».
Source : i centraltest.com
Daniel Goleman prône une forme d’empathie. Il préconise d’observer son propre
comportement, d’identifier ses émotions et de chercher les mots pour les exprimer ; pour
mieux développer la conscience de soi. En examinant ses actions, en réfléchissant à
leur déroulement, en bannissant de cette analyse toute critique négative, on devient
plus apte à prendre de bonnes décisions. On développe donc l’empathie en essayant
de se mettre à la place des autres. D’ailleurs certains auteurs ont proposé de mesurer
cette empathie par un indicateur (Cooper et Sawaf, 1998).
Source : Cooper et Sawaf, 1998 ; cité par Denis Morin (« le développement d’une compétence
appelée intelligence émotionnelle », 2005) ; UQAM
Ce travail de catégorisation ouvre des possibilités d’analyse et d’exploitation, en termes
de ressources humaines, que ce soit dans le cadre de la gestion d’équipe, mais aussi
pour les entretiens d’évaluation ou pour les projets de développement d’un
collaborateur.
Le tableau suivant fait état, de manière assez précise, d’habilités, utilisées de manière
opérationnelle, pour faciliter les apprentissages :
. Une résolution proactive des problèmes, grâce à une prise d’initiatives favorisée ;
. Une meilleure expression des sentiments et donc un climat de respect pour travailler ;
Tous ces travaux se sont appuyés sur une nécessaire modélisation des compétences
émotionnelles.
Le modèle de Bellinghausen
Pour bien comprendre les compétences émotionnelles, il faut d’abord revenir aux
émotions de base. Elles ont été parfaitement décrites et analysées par Lisa
Bellinghausen dans son travail de thèse sur le sujet (Bellinghausen, 2014). Elle a
démontré que l’intelligence émotionnelle est au cœur de la relation de travail et que
nous vivons tous les jours une multitude d’émotions négatives et positives au travail.
Elle préconise de s’appuyer sur les émotions positives :
Les émotions de résignation (culpabilité, honte, peur et tristesse) peuvent avoir des
conséquences négatives sur les individus mais, paradoxalement, aider à renforcer les
liens au sein d’un groupe et favoriser une réaction collective en cas de crise. La
culpabilité augmente la conformité, quand la honte encourage le comportement pro-
social (Tran, 2005).
Les émotions antagonistes (colère, mépris, dégoût, envie) sont connotées de manière
négative, car souvent associées à des conflits ou problèmes relationnels. Cependant,
elles peuvent être utilisés comme levier réactif (l’envie par exemple) de motivation. La
colère permet de renforcer les valeurs groupales (et de réunir les gens, comme lors
d’une manifestation). Même si plusieurs tentatives de conceptualisation de l'intelligence
émotionnelle existent, trois modèles se sont distingués, depuis l'émergence du concept
: le modèle de Goleman, celui de Reuven Bar-On et modèle de Salowey et Mayer. On
peut y ajouter les travaux récents de Bellinghausen. Le modèle de Goleman demeure
le plus connu par le grand public car il est centré sur le monde du travail et son approche
est utilitariste. Ce sont les deux autres modèles qui ont cherché à mettre en avant
l'intelligence émotionnelle comme habilité cognitive (Salowey et Mayer) ou combinaison
de traits de personnalités et d'habilités cognitives (Reuven Bar-On).
Chacune de ces deux dimensions est ensuite divisée en deux branches, l'une basique
avec le processus psychologique de base et l'autre plus complexe qui intègre les
processus cognitifs.
Le modèle de Goleman
C’est, historiquement, le plus connu mais aussi le plus simple à retenir. Il regroupe 4
grandes compétences, autour de 2 « axes » (conscience de soi/des autres et maîtrise
de soi/régulation des autres). La conscience de soi regroupe plusieurs capacités autour
de nos ressources personnelles et de leur exploitation, alors que la conscience sociale
est plus liée à la détection des émotions d’autrui. Quant à l’autre axe, il est dynamique
car il s’agit de maîtriser ses propres émotions ou de gérer celles des autres, ce qui
demeure essentiel pour un manager. Voici la déclinaison de ces 4 compétences en 20
sous-compétences :
Source : L’intelligence émotionnelle comme porte d’entrée aux compétences managériales,
HOS.SO, cours de GRH, Michellod, Vuistinier et Gaillard
Le modèle de Bar-On :
Ce modèle reste plus complet, car il intègre les 2 dimensions, intra personnelle et
interpersonnelle, qui correspondent globalement aux 2 axes de Goleman ; mais il va
également plus loin en présentant 23 grandes compétences complémentaires.
A travers ces modèles, on voit donc apparaître la nécessité, pour le manager, de gérer
les émotions au travail. Cette méta compétence peut être précisée dans ses deux
aspects ; l’analyse du processus émotionnel et l’action du manager pour gérer les
émotions. C’est l’émergence d’un véritable système d’analyse de l’intelligence
émotionnelle.
Le système d’analyse :
Cette action est difficile et délicate à la fois, mais indispensable. En effet, l’entreprise
demeure responsable, socialement, des conditions de travail et du climat social interne.
Le mouvement actuel autour du « bonheur au travail », illustre bien cette demande
latente et exprimée des collaborateurs, surtout ceux issus des générations nouvelles (Y
et Z), qui recherchent du sens au travail et donnent de l’importance aux émotions.
Ensuite, il s’agirait de gérer, dès leur apparition, ces problèmes, à l’aide des différents
leviers que peuvent nous apporter une connaissance fine des mécanismes émotionnels.
On peut parler de travail émotionnel, lorsque les conséquences émotionnelles liées aux
problématiques sont apparues. Elles ne sont pas les mêmes suivant les individus et
supposent une analyse en profondeur ainsi qu’une action effective, pour éviter les
dérives liées à la sur-adaptation (conduites addictives par exemple) de la personne.
On peut voir que c’est de la dissonance émotionnelle (divergence entre les attendus et
les ressentis) que naissent les émotions, parfois négatives, avec les conséquences à
un double niveau. Lors de l’expression des émotions, on peut se heurter à des
perceptions erronées ainsi qu’à des effets pervers quant au travail (inhibition, perte de
confiance, blocage…). Dans un second temps, lors du travail émotionnel (plus en
profondeur), la dissonance persistante peut donner lieu à des effets négatifs lourds
(absentéisme, stress, problèmes de santé…).
On voit également sur ce schéma que les effets peuvent également être bénéfiques,
tant dans l’expression que suite au travail émotionnel. Quelle peut-être, alors, l’action
du manager ?
On parlera alors de leviers curatifs, car il faudra organiser des espaces et temps de
discussion, pour identifier les conduites à risques et les signaux négatifs pouvant
impacter l’organisation et l’individu.
Dans un monde de big data, ultra connecté, un paradoxe touche le manager de demain :
aurait-il encore le temps « d’être aux autres » et de capter les émotions pour mieux
manager ? Ce n’est donc pas le temps mais la capacité à comprendre et l’intensité de
la relation qui semblent déterminants. L’intelligence sociale se présente alors comme
une compétence fondamentale du manager de demain. Si Matthieu Ricard prétend
que : « l’altruisme n’est plus un luxe mais une nécessité », alors il faudrait réhabiliter,
en particulier dans les cursus de formation, l’intelligence émotionnelle ; comme clé de
compréhension de la complexité qui fait la richesse de l’Homme et aussi la difficulté du
travail du manager.
Bibliographie :
GOLEMAN, « L’intelligence émotionnelle », Robert Laffont, 1999