Signes Et Explications Du Fa
Signes Et Explications Du Fa
Signes Et Explications Du Fa
ALAIN SINOU
ÉDITI NS KARTHA LA
DÉCOUVERTE ET CONQUÊTE DE LA
GUADELOUPE
GUADELOUPE, ANTILLES
ET RÉVOLUTION
IMAGES D'AFRIQUE
PORTO-NOVa
DJENNÉ, IL Y
A CENT ANS
MAURITANIE
TERRE D'ACCUEIL
LES
BEAUX LIVRES AUX ÉDITIONS KARTHALA
ALAII\J SII'lOU
LE COMPTOIR DE OUIDAH
EDITIOI'lS KARTHALA
1.
Cet ouvrage a été réalisé avec le concours financier de la Mission française de coopération et d'action
culturelle en République du Bénin
© Édition Karthala. 1995. ISBN: 2-86537-566-8
1
ALAIN SINOU
LE COrvlPTOIR DE OUIDAH
UNE VILLE AFRICAINE SINGULIÈRE
avec la collaboration de :
Bernardin AGBO
Imbert AKIBODE
Wilfrid CAPO
Patrick ECOUTIN
Luc GNACADJA
Aimé GONCALVEZ
Blandine LEGONOU-FANOU
Kadya TALL
Editions KARTHALA
22-24/ boulevard Arago 75013 PARIS
1
Cet ouvrage a été élaboré à partir d'une recherche menée en 1990 sur la
ville de Ouidah, réalisée dans le cadre d'une action de coopération entre
l'ORSTOM, Institut français de recherche scientifique pour le
développement en coopération, et le SERHAU, Service d'études
régionales d'habitat et d'aménagement urbain de la République
du Bénin
10 REPERES HISTORIQUES
1
TROISIEME PARTIE
l'islam 159
188 BIBLIOGRAPHIE
1
Ouidah, Juda, Ajuda, cette époque, un mouvement de retour des
Whydah, Grégoy, esclaves. Le plus souvent, ils ne souhaitent
Gléhoué ... Toutes ces pas revenir dans leurs terres ancestrales qu'ils
appellations différentes ignorent, et se fixent dans les établissements
désignent un même côtiers.
espace et renvoient Ouidah accueille une part importante
chacune à des catégories de cette communauté qui se regroupe autour
d'habitants. Les d'un personnage emblématique, Francisco de
premières sont d'origine européenne et la Souza, dit Chacha, un aventurier brésilien. Ce
dernière est considérée comme étant groupe introduit dans la ville des éléments de
d'origine fon, le groupe ethnique lié au modernité (culinaire, vestimentaire, éducative,
royaume du Dahomey qui domine la région au architecturale...), et forme une nouvelle élite.
XVIIIe et au XIXe siècle. Paradoxalement, on De plus, il développe une activité de
ne peut attribuer à aucune de ces populations substitution au commerce négrier, la culture
la fondation de la cité qui relève du peuple du palmier à huile, qui intéresse des maisons
houédah. de commerce occidentales. A la même
Ces appellations «étrangères» époque, les missions chrétiennes
soulignent le caractère cosmopolite de la ville. commencent leur oeuvre d'évangélisation et
En effet la raison d'être de la cité pendant s'établissent sur la côte.
deux siècles est le commerce et en particulier Ouidah perd son dynamisme avec la
celui des esclaves. De la moitié du XVIIe colonisation française. Le nouveau maître de
siècle au milieu du XIXe, Ouidah est un lieu de la colonie décide d'installer la capitale dans un
stockage et d'échange du «bois d'ébène». comptoir voisin et concurrent, Porto-Novo.
Le négoce ne met pas en jeu seulement la Malgré un accueil favorable aux
ville mais concerne une vaste région qui communautés étrangères, Ouidah reste une
fonctionne dans une économie guerrière, cité du royaume du Dahomey, hostile aux
chaque royaume cherchant à capturer le plus colonisateurs.
grand nombre d'hommes en vue de les Au début du XXe siècle, les
vendre aux négriers. commerçants émigrent vers Porto-Novo puis
Le royaume d'Allada domine la région vers Cotonou, un petit hameau côtier où
jusqu'au début du XVIIIe siècle et contrôle le l'administration installe des infrastructures
royaume houédah centré sur la capitale portuaires. Ouidah se vide progressivement
Sahè/Savi dont dépend la place de Ouidah. de ses forces vives et devient une ville
Après une brève période d'autonomie politique sanctuaire, mémoire de la traite des esclaves
liée à la disparition du royaume d'Allada, le qui a marqué pendant plus de deux siècles
royaume houédah est à son tour anéanti par l'Afrique noire.
les troupes du Dahomey. La capitale est alors
détruite, mais Ouidah est épargné car Ouidah est aujourd'hui une ville
Français, Portugais et Anglais y ont établi des «moyenne» d'une vingtaine de milliers
fortins. La cité conservera sa fonction de d'habitants, située entre la frontière togolaise
stockage et deviendra le principal lieu de et Cotonou. Evitée depuis quelques années
vente des esclaves du Dahomey, royaume par la route côtière qui relie les quatre
dont la capitale, Abomey, est distante de la grandes métropoles Accra-Lomé-Cotonou-
côte d'une centaine de kilomètres. Lagos, la cité semble à l'écart du monde.
Si les puissances occidentales se Le visiteur qui s'aventure dans la cité
désengagent de la traite négrière à la fin du ne trouve guère d'éléments susceptibles de
siècle, le négoce continuera, notamment avec retenir son attention: le temple des pythons,
le Brésil, jusqu'au milieu du XIXe siècle. attraction pour les touristes de passage, ne
Parallèlement, depuis ce pays, s'amorce à contient que quelques reptiles enfermés dans
1
une case; la basilique catholique qui lui fait La multitude de cultes vodouns qui s'y sont
face rappelle les autres églises coloniales de développés rend compte de certaines
la côte; quant au fort portugais récemment permanences culturelles qui contrebalancent
réhabilité, ses murailles n'impressionnent les transformations engendrées par les
guère et les collections du musée qu'il influences étrangères. En ce sens, la cité
accueille sont pauvres et poussiéreuses. fonctionne également comme une mémoire
Telles sont pourtant les principales «curiosités d'un système de croyance particulièrement
de la ville» déjà recensées dans le guide bleu complexe à comprendre pour le non initié.
de 1957 1 Eloigné d'une mer où la barre rend
impossible toute baignade, le site ne peut non A différents titres, Ouidah est une
plus prétendre à un développement ville particulière en Afrique. Moins spectaculaire
touristique; les bâtiments inachevés d'un au niveau architectural que d'autres comptoirs
hôtel «en construction» depuis presque dix comme l'île de Gorée au Sénégal, cette place
ans en témoignent. a vue transiter un grand nombre d'esclaves.
L'urbaniste ne trouvera pas non plus Le développement de la cité ne s'est pas
dans cette cité des éléments d'une grande traduit comme en Europe par la production
originalité. La ville a perdu son caractère de d'un patrimoine architectural et urbain majeur.
«village africain» : comme sur toute la côte, la Les traces en sont plus discrètes, et méritent
majorité des habitants a depuis longtemps d'être soulignées afin d'être identifiées et
remplacé les murs en terre par des parpaings appréciées.
et le chaume des toits par de la tôle ondulée. Néanmoins, elles existent:
Quant aux quartiers du centre ville, qui le ralentissement de l'urbanisation et le départ
semblent plus «authentiques» avec leurs des forces vives au XX e siècle ont
ruelles «étroites et tortueuses» et paradoxalement permis à la ville ancienne de ne
l'enchevêtrement des cours, des passages et pas être détruite. Dans un contexte culturel où
des constructions, ils surprennent par leur une forme spatiale ancienne n'a pas de valeur
quiétude voire leur silence que ne troublent en tant que telle, il est logique de détruire les
pas les cris des vendeuses du marché, habitations lorsqu'elles sont dégradées et de
lui aussi est déserté. les remplacer par des constructions neuves. Ce
mouvement n'a que partiellement eu lieu dans
Il peut sembler curieux de raconter le centre ville. La pauvreté a permis de
l'histoire d'une bourgade de quelques milliers conseNer un patrimoine bâti qui, dans un autre
d'habitants, pauvre en faits d'armes, ainsi contexte économique, aurait disparu depuis
qu'en monuments, et qui ne peut même pas longtemps. Il est néanmoins très menacé du
se glorifier d'un titre de capitale, ou d'une fait de sa lente dégradation.
réputation de microcosme ethnologique.
Ouidah ne rentre pas dans les catégories qui Ce livre cherche à mettre en évidence
qualifient la ville patrimoniale dans les cultures les composantes historiques et
occidentales. anthropologiques de la cité à travers la lecture
Mais ce lieu de rencontre et de formes architecturales et urbaines qu'il est
d'opposition de cultures très différentes souvent difficile de saisir immédiatement. Les
témoigne d'un genre urbain original, le facteurs culturels qui les
comptoir, que l'on retrouve décliné en ont générés doivent être
d'autres points de la côte africaine, (de Porto- d'abord analysés, et leur
Novo à Saint-Louis du Sénégal), ainsi que sur matérialisation décodée,
les côtes asiatiques et sud-américaines. car elle ne s'accorde pas
De plus, à une histoire avec les règles du monde
mouvementée, s'ajoute la présence dans la occidental et ses canons
ville d'un système religieux particulier. esthétiques.
1
LA PÉRIODE HOUÉDAH XVIe siècle Naissance du royaume houédah centré sur la capitale Sahè/Savi
Rencontre entre le roi Kpassé et les Portugais
XVIIe siècle Relations entre le roi d'Allada et les négriers hollandais
Le royaume d'Allada domine la région
1664 Venue de missionnaires capucins dans le royaume d'Allada
1666 Voyage du Français Villault de Bellefond le long des côtes
1670 Construction d'une loge à Ouidah par la Compagnie française des Indes Occidentales
1681 Installation de la compagnie anglaise dans les mêmes conditions
1704 Le corsaire Jean Doublet fait bâtir une nouvelle fortification à Ouidah
1721 Installation des Portugais dans leur nouveau fort
1724 Prise d'Allada par le roi du Dahomey
1725 Voyage du Chevalier de Marchais
1727 Occupation et destruction de la capitale houédah par le Dahomey
LA PÉRIODE FON 1741 Mise en place d'une administration fon à Ouidah, dirigée par le Yovogan
1750 La ville compte, au milieu du siècle, de 8 à 10000 habitants, Abomey, plus de 20000 A
1772 Séjour de l'abbé Bullet dans le fort français de Ouidah
1797 Evacuation du fort français par ses derniers occupants
1818 Francisco de Souza, dit Chacha, représente le roi Guézo dans les affaires commerciales
1830 Début du retour des Afro-Brésiliens
1849 Guézo reçoit des Anglais venus négocier la cessation de la traite _ .
1851 Guézo reçoit des Français venus négocier des garanties de commerce
1865 Construction de la première chapelle catholique à Ouidah
1876 Retour des missionnaires à Ouidah
1884 Blocus de la plage de Ouidah par les Anglais
1885 Conférence de Berlin qui prépare le partage colonial de l'Afrique
1890 Attaque française menée contre Ouidah suite à l'arrestation de négociants français
1892 Capitulation de Béhanzin face à Dodds le 30 Novembre
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la Côte des Esclaves à la fin du XIXe siècle, dressée par l'abbé Bouche, in Foa, 1895
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LES ETABLISSEMENTS HOUEDAHS
12
1
e royaume houedah qui apparaît sans
L doute au XVIe siècle est situé dans une
région relativement peu boisée si on la
compare aux grandes forêts qui bordent les
côtes des pays voisins. Son territoire est
composé de deux zones physiquement très
distinctes. En bordure de mer, sur
13
1
Les paysages aux environs de Ouidah au début du XVIIIe siècle:
(( .. Tous ceux qui y ont été
conviennent unanimement que c'est
un des plus agréables pays du monde.
La quantité prodigieuse et la variété
infinie de beaux arbres de haute
futaie, qui semblent être plantés
exprès pour servir d'ornements, de
beaux fossés ... des champs du plus
vert du monde cultivés partout, et qui
n'on t d'autre séparation que des
fossés, et dans d'autres endroits un
petit sentier; des campagnes ornées
d'une quantité prodigieuse de petits
et jolis villages, entourés chacun d'un
mur bas de terre, et bâtis
régulièrement en face de tout le
district qui les environne; toutes ces
circonstances concourent à former la
plus belle vue qu'on puisse imaginer,
et il n 'y a ni montagne, ni colline qui
l'arrête. Le pays s'élève par une pente
douce et presque imperceptible,
jusqu'à quarante ou cinquante milles
Jusqu'à l'arrivée des Occidentaux, au
de la mer. Il n 'y a pas d'endroits dans
XVe siècle, ces régions n'entretiennent guère le royaume, d'où l'on ne voit en plein
de relations avec le monde extérieur par voie l'océan, et plus on s'en éloigne, plus
maritime. Les populations côtières sont le pays paraÎt beau et peuplé. En un
tournées vers le nord où sont situés les mot, la plume ne saurait exprimer les
charmes de cet admirable royaume;
grands royaumes et d'où partent les routes
c'est pourquoi je n'en dirai davantage,
caravanières qui rejoignent la Méditerranée. et je me contente d'assurer mon
Tous les voyageurs qui visitent la lecteur, que les beautés imaginaires
région et qui se désolent de la monotonie des Champs Elysées n'approchent
des côtes rectilignes et sablonneuses, sont pas les beautés réelles de ce pays.
Cependant il ne fournit point d'or... ))
séduits par l'environnement qu'ils découvrent
G. Smith, Nouveau voyage de Guinée, (1744).
en s'aventurant à l'intérieur des terres.
Ils s'accordent pour vanter la richesse des
cultures, l'abondance des vergers et la beauté
des paysages. Le capitaine Phillips remarque
en 1694 que ((le chemin (menant à la capitale
houédah) est une belle plaine, couverte de
bled d'Inde et de Guinée, de patates,
d'ignames et d'autres fruits dont le pays
produit deux moissons chaque année» (cité
par S. Berbain, 1942). A la même époque, le
Hollandais Bosman note qu'au delà des
marais et lagunes, la campagne ((offre un
aspect ravissant; ce ne sont que lacs,
fleuves, ruisseaux, prairies, bosquets d'arbres
gigantesques, bouquets de bananiers et
d'arbustes à travers lesquels on aperçoit
des cases nombreuses)). Un peu plus tard,
l'Anglais Guillaume Smith en dresse un
tableau encore plus élogieux
(cf. description ci-contre)
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1
LES ETABLISSEMENTS HOUEDAHS
la lagune, habitée par les pêcheurs, longe la côte; l'alternance d'étendues d'eau et de zones végétales dessine un paysage heureux et contrasté
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LES ETABLISSEMENTS HOUEDAHS
depuis les navires mouillés au large, des pirogues font passer la barre aux hommes et aux marchandises, in Foa, 1895
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1
Quant aux habitants qui cultivent la négrière qui se développe au XVIIe siècle.
plaine, ils se regroupent en villages de petite Néanmoins, la maJorité de la population
taille, proches les uns des autres. Les demeure attachée à l'exploitation des sols et
voyageurs parlent d'une multitude de hameaux continue à vivre dans les villages.
qui couvrent la campagne. Ils utilisent la terre La principale mutation du paysage
argileuse pour bâtir les murs de leurs végétal entre le XVIIIe siècle et aujourd'hui
maisons, le bois et le feuillage des arbres résulte de l'introduction intensive de cocotiers
pour les toitures Certains établissements et de palmiers. Si ces arbres existaient à l'état
humains sont plus peuplés que d'autres en naturel à cette époque et fournissaient de
raison des marchés où sont échangés les l'huile aux habitants, au début du XIXe siècle,
produits, mais les fortes concentrations sont les Occidentaux encouragent la plantation de
rares dans cette économie agricole. Les villes ces espèces à des fins économiques:
résultent de l'organisation politique des l'Europe est demandeuse de produits
sociétés en royaumes, centrés sur des oléagineux. Les champs de culture comme
capitales, toujours situées à l'intérieur des les bois sont progressivement remplacés sur
terres et éloignées de la mer. des centaines d'hectares par les alignements
L'économie de la région est réguliers qui impriment un paysage nouveau à
profondément bouleversée par la traite la côte comme à l'intérieur des terres.
17
1
LES
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1
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1
LES ETABLISSEMENTS HOUEDAHS
20
1
L'ECONOMIE o E TRAITE
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1
LES ETABLISSEMENTS HOUEDAHS
22
1
Dans ce contexte, la durée de vie d'un comptoir
peut être courte et les investissements y sont
toujours limités. Si Ouidah devient un important
centre de traite, la place sera concurrencée
par d'autres comptoirs, notamment celui de
Porto-Nova où sont acheminés les esclaves
en provenance du royaume d'Oyo et ceux,
tout proches, de Jacquin et d'Offra.
23
1
La première hypothèse suggère que
cette population, d'origine yorouba, se serait
fixée au bord de la lagune de l'Ouémé puis à
proximité du lac Nokoué avant d'émigrer sur
les rives du lac Ahémé ; pour d'autres, les
Houédahs seraient un sous-groupe de la
population houélah (appelée également Popo)
installée autour du lac Ahémé, qui émigrera
ensuite vers la côte, un peu plus à l'est, autour
de l'établissement aujourd'hui appelé Grand-
Popo. Cette supposition repose sur le culte
commun du python chez ces peuples. Une
autre hypothèse leur donne comme origine la
ville de Tado, d'où aurait émigré un lignage.
Quoiqu'il en soit. il est à peu près sûr
que les Houédahs se fixent au bord du lac
Ahémé puis migrent vers la côte. Ils s'établissent
dans le site de Ouétokpa, avant de s'installer
à Sahè, capitale d'un royaume identifié au
XVIIe siècle par les Européens. Celui-ci s'étend
des environs de Ouidah jusqu'à l'embouchure
du Mono (Bertho, 1936), et ses limites au nord
L E ROYAUME HOUEDAH sont les terres contrôlées par le royaume
d'Allada. Ce peuple possède plusieurs caracté-
ristiques permettant de le distinguer, en premier
lieu, la déification du python. Par ailleurs, la
pêche semble occuper une part importante de
la population, comme en témoigne la
localisation de ses différentes installations
L'établissement à Sahè remonterait
au XVIe siècle Il aurait été fondé par le plus
ancien roi houedah, Aholo. Ce site n'est pas
clairement identifié; il est sans doute localisé
à proximité du village de Savi (à une dizaine
de kilomètres au nord de Ouidah), avec lequel
s'établit parfois une confusion: Savi est-il
fondé par les Fons au début du XVIIIe siècle
ou est-il déjà un lieu de résidence du lignage
'origine du peuple houedah est mal royal houédah ? Cette dernière hypothèse
L connue. C. Merlo et P Vinaud ont analysé,
à travers l'étude des cultes et des lignages,
est privilégiée par
C Merlo (1984),
les différentes hypothèses apparemment L'appellation de la
contradictoires. Néanmoins, le milieu capitale visitée par
physique et en particulier la présence de deux les Européens à la
grands fleuves (l'Ouémé à l'est et le Mono à fin du XVIIe siècle,
l'ouest), d'une lagune côtière et des lacs Xavier, ne permet
Ahémé et Nokoué facilitent les mouvements pas de privilégier
de populations qu'il est difficile de suivre l'une de ces deux
précisément sur plusieurs siècles. solutions,
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1
LES ETABLISSEMENTS HOUEDAHS
marchés, ruelles étroites et dépôts d'ordures, décrits par le Chevalier de Marchais, n'ont pas disparu aujourd'hui du paysage urbain
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1
LES ETABLISSEMENTS HOUEDAHS
D'après leurs récits, il est en revanche clair en ouest et huit à neuf lieues à partir de la
que la capitale est détruite par les troupes fons, côte (soit au maximum 2000 km2), le pais
celles-ci s'implantant sur le site ou à proximité, est tellement peuplé et rempli de hameaux,
en un lieu nommé Savi. que tout l'Etat ne paraÎt que comme une très
Le nombre de souverains houédahs grande ville, divisée en plusieurs quartiers,
est difficile à établir. Au fondateur Aholo, séparés les uns des autres par des terres
succède Kpassé (qui aurait créé le hameau de cultivées avec soin, qui semblent n'être que
Gléhoué à la fin du XVIe siècle), puis Haye- des Jardins, dont le sol est d'une si
Houinè Ama au XVIIe siècle et Houffon, le prodigieuse fécondité qu'à peine une récolte
dernier souverain. Mais les historiens est-elle faite, que la même terre est semée
s'accordent pour penser que bien d'autres ou plantée sur le champ d'autre chose, de
rois ont régné. manière qu'on y fait trois ou quatre récoltes
La capitale politique possède par an)). Voyage du Chevalier de Marchais
également une fonction économique. Elle est en Guinée (1725)
un lieu d'échange de marchandises entre L'importance du peuplement se
Africains et Européens. A l'approvisionnement traduit par une forte densité de hameaux et
en vivres (poisson, viande, sel, légumes, une intense activité agricole et commerciale,
fruits ...), s'ajoute au milieu du XVIIe siècle la remarquées par tous les voyageurs.
vente d'esclaves. Ceux-ci sont capturés par Les appréciations de la capitale sont plus
les armées du royaume d'Allada qui les contrastées. Le Chevalier de Marchais, qui
acheminent ensuite vers les côtes, mais dresse un tableau minutieux des comptoirs
également par des ,drancs-tireurs» qui occidentaux, critique les descriptions
attaquent les personnes isolées. élogieuses, comme celle de Smith
L'enrichissement que procure le négoce (cf documents ci-contre) La différence
induit de nombreux conflits entre les d'appréciation de la ville résulte d'une part de
royaumes. Ceux des côtes tentent de profiter la personnalité de l'auteur, d'autre part de ses
au maximum de leur fonction d'intermédiaire conditions de voyage: faute d'outils précis de
mais restent dépendants des fournisseurs. comptage, l'évaluation de la taille d'une ville
Les descriptions du royaume et de sa population est très subjective;
témoignent de son dynamisme: (quoique elle peut enfler ou diminuer simplement en
l'étendue du royaume ne soit pas bien fonction de l'impression donnée par la ville
considérable... quatorze ou quinze lieues d'est précédemment visitée.
comptoirs des Européens à Savi vers 1725; les bâtiments ouvrent tous sur des cours intérieures, in Labat,1731
26
1
Serait c= laltUJ du. "7ù;yd'e Jr.tda/
a. Xanér
Description du palais royal en 1725 :
«••• L 'enceinte (du palais royal)
est fort grande, elle est fermée par un
mur de terre de 8 à 10 pieds de
hauteur (2,5 à 3 m) ; le chaperon de
ces murs est couvert de paille, afin
que les pluies ne le détrempent pas et
ne la fassent pas ébouler. Les angles
sont couverts de tours rondes de la
même hauteur et de la même matière
que les murs; elles servent à mettre
les sentinelles.
On distingue (sur le plan) le
grand et le petit sérail; ce dernier sert
Com?tUl.·r.r a'eJ tu.rOJ'U,n.r d'entrée au grand. C'est une grande
cour environnée de bâtiments de trois
ct Judct..
côtés... il ya au dehors douze pièces
de canon sur des affûts de marine à
plate terre sans embrasures... Le
logement du premier valet de
chambre du roi occupe l'aile droite de
cette cour. On entre de cette cour
palais du roi et des comptoirs des Européens dans celle des cuisines du roi, et de
(figurés par des drapeaux) dans la capitale houédah vers 1725, rapporté par le Chevalier de Marchais celle-ci dans une troisième que l'on
appelle la cour des coutumes, parce
que c'est dans celle-ci que l'on paye
les droits au roi, tant ceux qu'il exige
de ses sujets que ceux que les
Description de la capitale houédah : Européens sont obligés de lui payer.
«La ville n'avait pas moins de cinq Le fond de cette cour est occupé par
milles dans sa circonférence; les un grand salon, qui sert de salle
maisons étaient bâties avec assez de d'audience. Le trône du roi est un
propreté, quoiqu'elles fussent grand fauteuil posé sur une large
couvertes de chaume. Le pays n'a pas estrade couverte d'un tapis de
de pierres; on n 'y trouve pas même Turquie; il y a des nattes sur tout le
un caillou de la grosseur d'une noix; reste du plancher, et des fauteuils
cependant, les comptoirs étaient bâtis pour les blancs qui vont à
à la manière de l'Europe; ils étaient l'audience... »
solides, spacieux, bien ouverts, et Voyage du Chevalier de Marchais,
composés de plusieurs appartements in Etudes dahoméennes, pages 82-83.
fort commodes qui avaient chacun
leur salle et des balcons pour prendre
l'air. Les magasins étaient au rez-de-
chaussée, et les logements faisaient
le second étage. De si belles
demeures contribuaient non
seulement à la satisfaction mais
encore à la santé des Européens. La
ville était si peuplée qu'il était difficile
à toute heure de marcher dans les
rues, quoiqu'elles eussent beaucoup
de largeur. 1/ s 'y tenait tous les jours
des marchés, bien fournis de
marchandises d'Europe et d'Afrique,
et d'une grande variété de provisions.
Près des comptoirs de l'Europe, on
voyait une grande place, plantée de
beaux arbres, à l'ombre desquels les
marchands et les capitaines traitaient
de leurs affaires comme une espèce
de bourse»
Smith, pages 130-132.
27
1
LES ETABLISSEMENTS HOUEDAHS
De Marchais est sensible au manque séparés par des zones végétales fréquemment
d'ordonnancement des voies et à l'absence cultivées, et reliés par des sentiers; le hameau
d'hygiène, ses remarques sont corroborées du lignage du chef ou du roi est généralement
par d'autres voyageurs qui visitent les villes le plus développé, notamment en raison du
voisines. En cela, il rend compte d'une marché qui y siège Ce type d'organisation se
préoccupation qui ira en se développant et qui retrouve dans les descriptions de presque
justifiera l'installation des Européens en tous les voyageurs qui visitent cette côte
dehors des villages «indigènes)) (Sinou, 1993) Malgré les enceintes et le marché, Sahè ne
Smith s'appuie en revanche sur d'autres répond guère aux critères de l'urbanité
sources car la ville a été détruite peu de occidentale, d'un point de vue spatial comme
temps avant son voyage Il reprend la d'un point de vue économique: la traite
description qui en a été faite par un directeur négrière, activité temporaire, n'occupe pas
anglais du fort de Ouidah et n'apporte pas toute la population dont une grande partie
d'éléments péjoratifs au tableau très élogieux continue à vivre de l'agriculture.
qu'il dresse de toute la contrée. Les modes de construction
n'appellent pas une main-d'oeuvre spécialisée.
Ces documents sont riches en Le bâtisseur, généralement un chef
enseignements sur la capitale et les modes de lignage ou de famille, s'adresse au chef
de construction. Les comptoirs anglais, du village pour obtenir une terre Celui-ci lui
français, hollandais et portugais sont situés donne volontiers, l'accueil de nouveaux venus
dans le domaine du roi, à proximité de son étant un moyen d'accroître son prestige et de
palais. L'ensemble ressemble à une suite de développer l'économie locale. Le demandeur
cours bordées chacune de bâtiments, chaque consulte ensuite le «chef de terre)) (s'il diffère
cour accueillant une compagnie. Le domaine du chef de village) qui préside une cérémonie
réunissant le roi et les comptoirs est localisé à pour s'assurer de la bienveillance des esprits
proximité du village, sans y être rattaché: il du lieu et pour
forme un quartier, quasi autonome, fermé par faciliter l'instal-
une enceinte fortifiée. lation des divi-
L'origine des traditions palatiales nités propres
remonte au monde yorouba (Ojo, 1966) au lignage Ce
Certains domaines royaux peuvent couvrir type de rituel
plusieurs dizaines d'hectares et accueillir une donne lieu à
cour de plus de mille personnes. Les palais des échanges
d'Abomey et de Porto-Novo, plus tardifs, symboliques
s'inspireront également de ce modèle spatial et monétaires
où les bâtiments ne se différencient guère (cauris).
entre eux. Seules les galeries bordant les
façades, remarquables également dans le
palais de Savi, constituent un facteur de
distinction. La construction sur plusieurs
niveaux est exceptionnelle (les matériaux ne
sont guère adaptés à ce principe et la place
ne manque pas) Les quelques bâtiments à
étage de la capitale houédah ont été
construits à l'initiative des Européens.
L'organisation générale de la cité ne
recherche ni les proximités ni les densités. La
capitale est composée de hameaux
réunissant un ou plusieurs lignages, souvent
28
1
la cour d'un temple, couverte de coquillage
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1
LES ETABLISSEMENTS HOUEDAHS
L'économie du royaume reflète une Face à ses velléités d'indépendance, ((le roi
prospérité due principalement au négoce des d'Allada ferma les chemins de ce port et
esclaves. A la fin du XVIIe siècle, le Chevalier ouvrit ceux d'Ajuda (Ouidah))} (Barbot cité par
d'Amon, un négrier français, négocie avec le Pazzi, 1979).
roi la fourniture de 10000 captifs par an. Les négriers s'adaptent rapidement à
Le récit du Chevalier de Marchais souligne cette nouvelle donne et se déplacent dans le
également cette richesse: (des coutumes ou royaume houédah, certains acceptant
présents ordinaires que les Européens font au d'abandonner Jacquin comme l'exige le roi
roi pour être assurés de sa protection et avoir d'Allada. En échange, celui-ci offre aux
la liberté du commerce, lui produisent un commerçants certains avantages, comme le
revenu considérable de sorte qu'on peut dire droit de résider dans la ville d'Allada et donc
qu'un Etat des plus petits de la Côte de de se passer de certains intermédiaires
Guinée... ne laisse pas de faire un royaume (traditionnellement, les souverains refusent
très riche et un roi des plus puissants de côtoyer des étrangers). A la fin du siècle,
seulement par le commerce des esclaves qui le royaume houédah cherchera à son tour à
est le plus considérable de toute la côtell. s'affranchir d'Allada, et profitant des luttes
La traite doit être cependant replacée que mène celui-ci contre son nouveau voisin
dans un système économique dominé par du nord, il bénéficiera au tout début du XVIIIe
d'autres royaumes. La capitale houédah reste siècle d'une courte période d'autonomie.
concurrencée par d'autres places, en particulier La présence dans la capitale AYOES
ou
Offra-Jacquin (appelé aussi Petit-Ardres ou houédah de comptoirs de nationalités
Petit Allada), également contrôlé par Allada. différentes est rare dans une région où les EYOES
Cet essor si rapide, particulièrement visible à Européens n'hésitent pas à se livrer bataille
la fin du XVIIe siècle, résulterait des mesures pour obtenir le monopole du commerce dans
de rétorsion d'Allada vis à vis d'Offra-Jacquin un lieu de traite. Elle résulte de la volonté du
considéré jusqu'au milieu du siècle comme le roi qui, contrairement aux autres souverains,
principal débouché du royaume. leur refuse toute exclusivité:
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DE DAHOME
dontk-Jroi Guadia 'frodo. C~ h'&:ya=J'.L)'arafudJ~fu7a.en-~Jfl.7
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BAYE DE BENIN
30
1
le couronnement du roi : le souverain, assis devant sa résidence à colonnes, est protégé par un parasol (emblème
royal), les Européens sont assis; les guerriers, musiciens, sujets et esclaves sont regroupés en divers coins de la cour
Chevalier de Marchais, 1725
«il convoqua les Français, les Anglais et Le traité assure la coexistence entre
les Hollandais, et leur proposa un accord qui Occidentaux ainsi qu'une demande plus forte
permettrait de vendre régulièrement des d'esclaves à laquelle le souverain tente de
esclaves, tout en maintenant la paix dans la répondre. Il ne protège cependant pas des
rade... Le roi fixa les peines qui frapperaient voisins. Lors de l'attaque de la capitale par le
ceux qui porteraient atteinte au traité: celui Dahomey, les Européens se réfugient dans
qui s'emparerait d'un vaisseau d'une autre leurs fortifications de Ouidah, tandis qu'un
nation dans la rade devrait payer la valeur de grand nombre de Houédahs sont massacrés.
huit esclaves pour chaque pied de la longueur La conquête de la capitale en 1727
du bâtiment capturé» (Van Dantzig, 1980). marque la fin du royaume. Les survivants se
dispersent; certains se réfugieront à Ouidah
tandis que d'autres rejoindront les rives du lac
Ahémé. La vie économique se déplace plus
au sud, vers le site de Ouidah où sont installés
les forts des Européens. Dans le même
temps, la vie politique se déplace au nord,
,le 1.. dans la capitale du royaume vainqueur,
A
COTE D'AFRIQUE Abomey.
Compreolatlt 1" FI,,"-vC'" \/oil.. , L'établissement de Savi, habité par
L.E CAP .l'.AOOS, les Fons, ne possède pas d'activité de traite.
ET Sa population sera d'abord composée des
soldats installés lors de la conquête puis de
familles d'Abomey, notamment celles de
deux fils du roi Agadja, Soglo et Aza, à
l'origine des deux grands quartiers actuels.
Les familles fons s'installeront souvent dans
le même temps à Ouidah, tissant de
ROYAUME DE BENIN nouveaux liens entre ces différentes places.
Savi, reléguée à une fonction d'étape sur l'axe
Abomey Ouidah, ne se développera guère,
comme en témoigne encore aujourd'hui son
aspect essentiellement rural.
31
1
LES E T A B L 1 S SEM E N T S HOU E D A H S
32
,1
La tradition orale la plus entendue
raconte que la naissance du hameau est liée
au roi Kpassè, un des successeurs d'Aholo,
qui aurait fondé une petite ferme appelée
Gléhoué (littéralement la maison des champs).
Elle aurait donné plus tard son nom, encore
utilisé actuellement, à l'établissement tout
entier, ((Gléhoué Kpassè-Tomè». Le récit de
fondation du hameau mélange comme le veut
la tradition un événement à une histoire de
chasse, mais il s'en écarte en racontant la
rencontre entre un Houédah et un Européen
(cf. texte page 34). Ce scénario se
substitue au cadre habituel qui met en scène
un autochtone et un
U N E T A B LIS SEM E N T N 0 U V EAU migrant d'une région
voisine. L'intégration d'un
Européen dans ce type de récit marque la
nature radicalement nouvelle de l'établis-
sement, tourné vers le commerce et la mer,
contrairement aux autres cités.
33
1
LES ETABLISSEMENTS HOUEDAHS
34
1
L E H A M E A u
35
1
LES ETABLISSEMENTS HOUEDAHS
36
1
L'importance du trafic, la durée du Tous ces lieux, s'ils s'avèrent avoir
voyage (il existe sur le parcours plusieurs été fondés par des Houédahs, ne formaient
douanes du roi qui ralentissent le transport pas une agglomération compacte et n'étaient
des hommes et des marchandises) rendent sans doute pas peuplés uniquement par eux:
parfois impossible d'accomplir le trajet entre il est probable que des familles de pêcheurs
la plage et la capitale houédah en une seule et de piroguiers houélahs et guins s'y soient
journée. Afin de se prémunir contre les fixées à la même époque. Aucun récit ne
voleurs qui profitent de la nuit, les Européens parle de fortifications. L'établissement qui se
demandent au souverain le droit de bâtir des développe grâce aux Occidentaux sera
enclos à mi-parcours. Ce souhait répond protégé, non pas par une enceinte, mais par
également à un souci de sécurité, les leurs canons.
Occidentaux préférant stocker les produits
dans des sites non habités et éloignés des
lieux de stationnement des troupes royales:
le Chevalier d'Amon invoque (cie bel air au
bord de la mer qui lui serait plus sain)), pour
tenter d'échapper aux propositions du roi qui
veut le retenir dans la capitale (Dung las,
1956). Le hameau de Gléhoué fut l'heureux
bénéficiaire de ces nécessités.
~
D'autres récits suggèrent que le
quartier Docomé aurait été fondé par Kpatè.
Le troisième quartier d'origine houédah,
", Adamè, aurait été créé par un successeur de
"
Kpassè, sans doute à la fin du XVIIe siècle. Il
-"?=::i~ est situé au sud-ouest de Tovè et ne semble
pas avoir été aussi important que les deux
précédents. Les traditions orales évoquent
aussi le site de Gléhoué-Bedji, aujourd'hui
appelé Agoli, à proximité duquel se trouve le
temple aux pythons. Cet emplacement aurait
été habité par un dignitaire descendant du roi
Houffon, Zossoungbo, qui aurait ensuite
--
fondé un nouveau quartier, Sogbadji.
..__--CS'
coupe sur une habitation à la structure en bois recouverte de terre et de chaume au niveau du toit
(village de Djegbadji)
le grand nombre de sentiers identifiés sur cette carte
atteste de la densité et de la dispersion de l'habitat; les axes rectilignes, routes et chemin de fer, ont été tracés au XXe siècle
37
1
LE DEVELOPPEMENT COMMERCIAL
38
1
LES FRA N ç A S Ce sont sans doute les représentants
de la compagnie française qui s'établirent les
premiers de façon permanente dans la
u milieu du XVIIe siècle, Colbert décide capitale houédah, vers le milieu du XVIIe siècle.
A de combler son retard sur les autres
nations européennes dans le commerce
Arrivés dans la région après les Hollandais qui
avaient des liens étroits avec le royaume
triangulaire et le roi accorde le privilège de d'Allada, ils ne réussissent pas à s'implanter
commercer sur les côtes africaines à dans les lieux de traite existants et recherchent
plusieurs compagnies. Sur la côte occidentale, d'autres sites En 1670, le commissaire général
la compagnie du Sénégal s'installera à de la Marine, le Chevalier d'Elbée, débarque à
l'embouchure de ce fleuve et créera le Offra, le principal comptoir alors du royaume
comptoir de Saint-Louis. Sur la Côte des d'Allada, accompagné d'un marchand
Esclaves, la compagnie des Indes brandebourgeois Caerlof (écrit également
Occidentales envoie plusieurs représentants Caroloff) auparavant au service des Hollandais.
en vue d'y fonder des comptoirs (voyage de Il demande au chef local, le «fidalgo»
Villault de Bellefond en 1666) (appellation portugaise), le droit d'y fonder un
comptoir et envoie dans le même temps son
émissaire négocier avec le roi d'Allada. Celui-
ci accueille favorablement le représentant de
la France' un ambassadeur est même envoyé
à la cour de Louis XIV; mais la compagnie
hollandaise obtient finalement le départ de
Caerlof qui, pour s'assurer la fourniture
d'esclaves, vendait à moitié prix ses
marchandises (Van Dantzig, 1980)
Barbot rapporte que Caer lof alla
s'établir plus à l'ouest, à Pillau, et suggère
que ce site serait celui de Gléhoué. D'autres
sources signalent que le Chevalier d'Elbée
négocie directement auprès du roi
l'établissement d'un fortin sur le site de
Gléhoué. Les récits des voyageurs mélangent
souvent Gléhoué avec la capitale du royaume:
ils emploient les mêmes termes, Juda,
l'Afrique en 1633 selon Henricus Hondius, in Kupcik, 1980 Whydah, etc., sans qu'il soit toujours possible
de savoir s'ils parlent du royaume, de sa
population ou du site Il est donc difficile de
distinguer les deux établissements et leurs
"'cr".
E A fonctions Il est cependant probable que vers
=-----
case). En 1698, la compagnie demande au
souverain le droit de bâtir une nouvelle
TALI construction, demande qui sera d'abord
refusée, le souverain préférant voir les
traitants résider dans la capitale.
de simples canons posés devant les habitations suffisent pour protéger les établissements des Occidentaux
39
1
LES ETABLISSEMENTS HOUEDAHS
~
Le fort français vers 1727 : on met en
((il est composé de ... place une nouvelle assise))
quatre bastions, avec des cité par S. Berbain, (1942).
fossés larges et
profonds, sans chemin
couvert, glacis ni
palissades, excepté à un
ouvrage en forme de
demi-lune qui couvre la plan du fort français vers 1725, rapporté par le Chevalier de Marchais
porte, qui, outre les
ventaux, se ferme avec
un pont-levis. il y a trente
canons montés tant sur
les bastions que sur les
courtines, et principalement sur celle
qui regarde le fort des Anglais. Les
quatre corps de logis, qui forment une
grande place d'armes carrée, servent
de magasins, de logement pour les
officiers et la garnison, et de
captiverie; c'est ainsi que l'on appelle
le lieu où l'on garde les captifs, en
attendant de les embarquer. Il y a au
milieu de cette place une chapelle, où
l'on dit la messe quand il ya un
aumônier. Ce fort est sous le
commandement du lieutenant du
directeur général qui demeure à
Xavier (Savi) ville capitale du royaume.
La garnison n'est que de dix soldats
blancs, deux sergents, un tambour.
deux canotiers et trente esclaves
bambaras qui appartiennent à la
compagnie... ))
40
1
Mais sous la pression du corsaire Jean Avant de repartir, Doublet y installe
Doublet, originaire de Honfleur et qui agit le commis français, Gommet (ou Gommat)
alors pour la Compagnie de l'Assiente, le roi jusqu'alors établi dans la capitale. Celui-ci
revient sur sa décision. Arrivé à Ouidah devient en 1704 le premier directeur du fort
le 27 septembre 1704, il le convainc, peut- «Saint-Louis de Grégoy», appellation qui
être grâce aux cinquante canons qu'il vient de rappelle comme le veut la tradition le roi
débarquer et dont le roi pense qu'ils l'aideront régnant en France, à laquelle est ajoutée la
à acquérir plus d'autonomie vis-à-vis de son transcription du lieu-dit «Grégoy» qui
puissant voisin du nord. Le souverain lui correspond à Gléhoué. Le choix du terrain se
fournit plusieurs centaines d'esclaves pour la fait dans une zone inhabitée à l'ouest du
construction, et en quelques semaines, un village existant. Un nouveau quartier se forme
fortin est élevé, «à une portée de fusil» du à proximité du fort, d'abord peuplé d'esclaves
bâtiment construit par les Anglais. fournis par le roi. Il sera appelé «Ahouandjigo»,
Alors même que la construction littéralement «où il est interdit de faire
s'engage, la compagnie néerlandaise ayant eu la guerre», en référence au traité imposant
ouïe dire de ce coup de force, envoie des la paix entre les négociants européens.
émissaires ((pour convaincre le roi de Fida, Le fort occupe alors un terrain de
avec amabilité ou violence, de chasser les cent mètres sur quatre-vingt. Les murs
Français et les autoriser à construire un fort d'enceinte comme les habitations sont
considérable)) (Van Dantzig ). L'entreprise montés en terre de barre et peints d'une
échoue, le roi refusant de remettre en cause couche de chaux élaborée à partir de la cuisson
le principe de libre accueil des traitants. des coquillages ramassés sur la plage; les
toits sont couverts de chaume. Le personnel
de la compagnie est composé de quelques
hommes, le directeur, le contrôleur, le teneur
de livres, le garde-magasin, l'aumônier et le
chirurgien. Un établissement permanent
d'Européens prend forme alors à Ouidah,
au détriment de la capitale.
Dans les années suivantes,
des travaux sont engagés pour l'améliorer:
de nouveaux bâtiments sont élevés, un corps
....... de garde, un corps de logis et un magasin.
-'-- .. _,
Construits en matériaux locaux, les édifices
....
.....
.... doivent être reconstruits régulièrement;
' ...., en outre, les toits en chaume s'enflamment
facilement et peuvent entraîner la destruction
"
de tout l'établissement. En 1727, Le Chevalier
\ .... de Marchais présente le fort comme le plus
important de la place (cf. description ci-
....... contre). L'allure générale ne semble guère
"'. s'être modifiée mais on notera que des
esclaves y sont gardés et qu'une chapelle a
été bâtie (même si elle semble manquer alors
d'aumônier). Le directeur général de la
compagnie continue de résider dans la capitale.
41
1
LES A N G L A S
42
1
LES ETABLISSEMENTS HOUEDAHS
LES HOLLANDAIS
le site du fort anglais dont les ruines étaient encore visibles dans les années cinquante, est aujourd'hui occupé par différents commerces
43
1
LES ETABLISSEMENTS HOUEDAHS
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1
LES PORTUGAIS
45
1
L'investissement est limité: {(tout cet
ouvrage doit être de pisé, comme le sont les
autres qui sont éngés là et qui servent de
fortification; parce que sous le nom de
factorerie, on fait une sorte de forteresse
ayant bastions, murailles, parapets, fosses
d'artillerie, palissades, comme en ont fait les
Français et les Anglais dans ce même port
d'Ajuda et qui, bien qu'elles soient en pisé, se
conservent bien, car on donne une épaisseur
suffisante aux murs)) (Verger, 1966).
Le souverain houédah propose
un terrain (le futur quartier Docomé), à l'est
des forts anglais et français, et fait «raser la
localité» existante. En 1721, les travaux
commencent grâce à la cinquantaine
d'esclaves fournis par le roi. La construction,
dénommé Fort Sao-Jao-Batista d'Ajuda
(Saint-Jean Baptiste), n'a sans doute pas la
splendeur que suggèrent le plan et les
descriptions qui en sont faites. Bien que les
autres traitants s'inquiètent de
l'établissement des Portugais, aucun d'entre
eux ne signale la nouvelle fortification. Le l'enceinte récemment restaurée du fortin portugais de Ouidah
Chevalier de Marchais note seulement leur
présence dans la capitale. Cette implantation
n'empêche d'ailleurs pas le capitaine de Torres
de faire bâtir quelques années plus tard un
autre fortin dans le comptoir de Jacquin, à un
moment où Ouidah manque d'esclaves.
1
LES ETABLISSEMENTS HOUEDAHS
LE PEUPLEMENT DE L'ETABLISSEMENT
UX Occidentaux résidant dans les forts, se compte au mieux en dizaines et qui est peu
A mandatés par les compagnies de stable: les directeurs des compagnies se
commerce, s'ajoutent des traitants succèdent rapidement et les employés
indépendants, d'origines diverses aspirent à partir au plus vite d'un continent
(brandebourgeois, danois .. ), dont la durée de dont ils craignent les ,dièvres» (paludisme,
séjour est difficile à déterminer précisément fièvre jaune ..) , les épidémies sont fréquentes
La campagne de traite, c'est-à-dire le moment et déciment les Européens. La population la
pendant lequel les Européens troquent leurs plus permanente est composée des
marchandises contre des esclaves, ne dure intermédiaires dans la traite, que dominent les
que quelques mois Pendant cette période, descendants mulâtres des négriers et de
propice aux échanges de toutes sortes, le leurs «épouses" africaines.
comptoir se peuple pour perdre avec le départ
des navires une partie de sa population. La Aux hameaux fondés avant la
reconduction chaque année de cette migration construction des forts, s'ajoutent ceux créés à
est soumise aux aléas des guerres qui cette occasion. L'Image d'un groupe de
peuvent arrêter l'approvisionnement. Tous les hameaux plutôt que d'une ville composée de
comptoirs se retrouvent certaines années en quartiers reste toujours valable. Ces
partie désertés. Ils sont également à plusieurs établissements, AhouandJigo, Sogbadji,
reprises détruits, pour les mêmes raisons. Dokomé, situés respectivement à proximité
Dans ce contexte, comment qualifier des forts français, anglais et portugais,
un résident) Les esclaves destinés à connaissent le même type de peuplement
l'exportation, enfermés parfois plusieurs mois A l'origine habités par les manoeuvres
dans les geôles en attendant d'être vendus, esclaves chargés de la construction, ils se
grossissent la population sans jamais être gonflent progressivement d'une population
comptabilisés 1 Les travaux historiques vivant de la présence du fort: autres
s'appuient pour la plupart sur les sources catégories d'esclaves, intermédiaires dans la
écrites laissées par les Occidentaux; elles traite, (les courtiers), fournisseurs de denrées,
valorisent obligatoirement une population qui soldats employés par la compagnie.
47
1
Cette population n'est pas nécessai- L'accroissement de la population (au
rement exclusivement houédah. Les piroguiers milieu du XVIIIe siècle, le comptoir se rapproche
minas amenés de la Côte de l'Or par les de la dizaine de milliers d'habitants) se traduit
négriers s'installent dans l'établissement. Les par l'extension et le rapprochement des
pêcheurs houélahs fournissent le comptoir en hameaux; lorsqu'ils ne se touchent pas, des
poissons, tandis que les populations de sentiers les relient au travers de zones encore
l'intérieur qui y émigrent se chargent d'autres boisées ou cultivées. De plus, Ouidah est sur la
besognes, en premier lieu le portage des piste qui va de la capitale houédah à la mer. Les
marchandises entre la mer et les marchés. activités économiques suscitent la production
Quant aux esclaves, il faut distinguer d'espaces spécifiques, les forts, mais il n'existe
ceux destinés à l'exportation de ceux qui pas d'organisation spatiale globale du comptoir.
occupent des fonctions d'employés auprès Chaque unité, dotée de son réseau
des traitants. Les premiers peuvent se d'approvisionnement, est gérée de façon
compter en milliers: certaines années, plus autonome par son chef qui distribue, à son gré,
de dix mille personnes y transitent (Berbain, les terrains vacants. Les souverains houédahs,
1942). Ils logent dans différents endroits. repliés dans leur capitale, ne semblent guère
Avant d'être acheminés dans les forts puis intervenir dans l'organisation foncière du
dans les navires, ils stationnent, enchaînés, comptoir ou dans son fonctionnement.
dans des enclos à l'extérieur de la ville.
Les «esclaves de case)) constituent
très certainement le groupe résidant le plus
nombreux des comptoirs. Il est fréquent
qu'un riche traitant soit entouré d'une
domesticité forte de plus de cent personnes
qui logent dans son domaine. Ce groupe est
d'ailleurs hiérarchisé et spécialisé (cultivateur,
porteur, artisan, cuisinier, serviteur, garde...).
Leur concentration dans le domaine du maître
explique la taille de certaines concessions,
composées de plusieurs dizaines de
bâtiments et de cours et formant à elles seules
un petit quartier. Les descendants de cette
population perdent parfois le statut de captif
et peuvent être intégrés dans le lignage.
la «concession mère)) d'un ancien lignage dans le quartier Sogbadji ; aux pièces
d'habitation (CH chambre, SA salon, CU cuisine, Ta toilette, MA magasin) s'ajoutent les espaces religieux (AS pièce aux Assins, TOM tombe, FE fétiche-vodoun)
48
1
LES ETABLISSEMENTS HOUEDAHS
49
1
LES ETABLISSEMENTS HOUEDAHS
50
1
LE CULTE DES ANCETRES assurer les différentes dépenses: toutes les
femmes d'un lignage se parent d'une même
toilette achetée pour l'occasion; des présents
l repose sur l'idée que toute personne est sont offerts aux vivants et aux morts; des
I la réincarnation d'un parent
plus ou moins lointain. Son existence met en
repas sont préparés pour les centaines
d'invités; des prêtres de cultes vodouns sont
jeu l'échelle sociale du lignage ou du clan qui invités pour honorer les morts et des artistes
commémore à l'occasion de la mort du chef pour animer les festivités ..
son origine commune et les liens existant Ces cérémonies éphémères sont le signe le
entre tous les membres. plus visible du culte et se déroulent dans
Il se manifeste l'espace domestique du
dans ces sociétés (yorouba, lignage: aucun temple
houédah, fon, éwél par n'est érigé à l'extérieur
des cérémonies qui se pour cette activité. Parfois,
déroulent dans les maisons les familles font construire
où ont résidé les chefs des à l'intérieur de la
«collectivités familiales». concession un bâtiment
Elles sont organisées à destiné aux invités de
l'occasion des décès de marque. Ces pièces de
membres importants de la «réunion», qui ne servent
famille (même si elles ont au mieux que quelques
lieu souvent plusieurs mois jours par an, n'ont ni
après le décès effectif, le localisations. ni formes
temps de préparer la fête). particulières. En revanche, il
puis à intervalles irréguliers, existe toujours dans les
une fois par an ou une fois maisons où ont lieu les
tous les deux ou trois ans, cérémonies une pièce
afin de rappeler aux vivants réservée aux ancêtres, qui
l'existence de tous les accueille leurs reliques, les
ancêtres. «assins».
Funérailles et
commémorations sont Les «assins» sont des
organisées à peu près de la représentations des morts
même façon et sont qui prennent la forme
d'abord l'occasion de d'objets métalliques,
gigantesques ripailles. composés d'une tige
Pendant plusieurs Jours, surmontée d'un disque, lui-
un arbre sacré du village de Savi
des centaines de même bordé de figurines
personnes liées aux morts se rapportant au souvenir
se retrouvent et festoient du défunt: (<la canne et le
dans la concession familiale, qui ne suffit plus chapeau sont en général les symboles d'un
pour les recevoir. Des ruelles et des placettes chef de famille. l'éléphant est celui de la
sont détournées de leur trafic pour accueillir richesse du disparu et le baobab celui
les nombreux hôtes. de sa nombreuse descendance»
L'importance sociale de la cérémonie (Tall/Légonou-Fanou, 1991). Ces objets
(elle marque la puissance du groupe) se étaient confectionnés par des artisans qui
traduit par un coût économique, tant pour les travaillaient les métaux (fer, cuivre et parfois
organisateurs que pour les invités qui or) et qui manifestaient leur génie créatif,
épargnent pendant plusieurs mois pour notamment au niveau des figurines.
51
1
LES ETABLISSEMENTS HOUEDAHS
comme dans les cérémonies vodouns, les fidèles «s'habillent» à la sortie de la Basilique
52
1
Le culte des morts se manifeste
également par la présence de nombreuses
tombes dans les concessions. Celles-ci sont
installées dans les cours comme dans les
pièces d'habitation. Cette pratique souligne le
lien qui demeure entre morts et vivants qui
cohabitent ainsi dans le même lieu: cet usage
vise aussi à protéger les vivants des
manipulations magiques qui pourraient être
réalisées avec le cadavre; les défunts ne
perdent pas avec la mort tous leurs pouvoirs
et les vivants pour survivre doivent protéger
leurs dépouilles.
des assins, autels dédiés aux ancêtres, déposés dans la chambre des morts
53
1
Les bâtiments sont en général LES CULTES DES VODOUNS
reconstruits en matériaux «modernes» afin de
marquer l'investissement du groupe envers
ses ancêtres. L'existence de constructions
anciennes, en terre et en chaume, témoigne
de la pauvreté de la collectivité ou de son
C es divinités apparaissent comme des
outils de compréhension du monde: tout
phénomène jugé inexplicable est attribué à un
désintérêt vis-à-vis des ancêtres, ce qui vodoun. En d'autres termes, la divinité
constitue socialement un manquement à la représente une force mystérieuse capable de
règle. Certains grands lignages de Ouidah, les produire ce qu'un vivant ne peut pas faire.
Ouénum par exemple, ont bâti un véritable Cette force provient soit d'un élément naturel,
sanctuaire pour leurs morts. La demeure soit d'un animal, soit d'un ancêtre mythique
familiale, récemment reconstruite, est Les vivants doivent composer avec ces forces
composée d'une habitation, inoccupée, et de occultes pour «habiter le monde».
nombreuses pièces réservées aux morts. Des Les vodouns occupent une place
grandes salles sont destinées aux cérémonies, prépondérante dans la vie sociale en raison du
tandis que les tombes sont toutes disposées pouvoir qui leur est accordé: leur puissance
autour d'une petite cour, dont l'organisation peut être mise au service des hommes
spatiale rappelle les cours des palais comme à l'encontre de ceux-ci, mais elle
(cf. photo ci-dessous). Cette villa est sans n'est pas reconnue par tous de la même
doute l'une des plus luxueuses de la ville. façon. Les vodouns sont innombrables,
Le culte des parfois éphémères, et la même divinité peut
ancêtres constitue être crainte par certains tandis que d'autres
la facette ne lui accordent qu'un pouvoir mineur. Les
domestique d'un divinités sont d'ailleurs calquées sur les
système religieux humains' elles naissent. disparaissent
Nous écrivons {(vodoun)) qui possède une (certaines peuvent même renaître sous une
de cette manière afin de
dimension plus autre appellation donnée par le groupe qui
le distinguer du ((vaudou))
sacrée à travers s'en est emparé, de gré ou de force); elles se
haïtien. Ce terme s'écrit
aussi {(vodun)) ou {(vodù)) le culte des nourrissent, s'abreuvent (parfois de sang);
en référence à divinités appelées elles ont chacune un caractère, se regroupent
l'orthographe phonétique vodouns. en famille, voire en couple.
la concession Quenum, les tombes sont disposées dans des pièces ouvrant sur une cour co
54
1
LES ETABLISSEMENTS HOUEDAHS
le dans les palais; ci-dessus, une tombe dans une maison; ci-contre, dans un cimetière
55
1
LES ETABLISSEMENTS HOUEDAHS
56
1
Pendant cette période d'isolement. le prêtre Les anthropologues distinguent plusieurs
leur apprend le langage du vodoun et ses catégories. La première est composée de
différents rituels (danses, chants ...). Les vodouns dont l'audience est très large et la
cérémonies propres à chaque culte ont puissance reconnue par tous. Ils constituent
plusieurs fonctions. Elles sont l'occasion de un premier cercle et renvoient directement à
remodeler et de régénérer les divinités par des la nature: vodouns de la création du monde,
sacrifices, de recruter de nouveaux adeptes et, (Ma hou et Lissa), vodouns célestes (Héviosso
plus globalement, en mettant en scène les la foudre, Dan l'arc-en-ciel), vodouns de la
relations entre les dieux et les hommes, elles terre comme Sakpata et vodouns de la mer.
enseignent et rappellent l'ordre social. Le groupe suivant dans la hiérarchie
Selon le type et l'importance de la se compose de vodouns dont l'origine renvoie à
divinité, les rituels sont plus ou moins un clan ou à un lignage. Certains acquièrent
développés, et l'initiation plus ou moins longue une audience et une autorité considérable, à
et difficile. Les vodouns les plus puissants l'égal des précédents, tels ceux liés aux
sont de ce point de vue les plus exigeants lignages royaux dont ils symbolisent la force,
tandis que les vodouns propres à un petit puisée chez certains animaux dont les
groupe ou liés à la protection de l'espace souverains sont la réincarnation, le python
domestique ne nécessitent pas d'initiation. chez les Houédahs, l'éléphant chez les
Il est difficile de classer et de hiérar- Yoroubas, la panthère chez les Fons.
chiser les vodouns. Ils sont trop nombreux M. Palau-Marty suggère même que la
pour être comptabilisés mais il existe presque puissance de certains lignages royaux repose
toujours des liens entre eux. Ces relations qui sur l'union physique entre un animal,
diffèrent selon les sociétés, peuvent constituer considéré comme l'élément masculin,
un critère d'identification d'un groupe social. et un homme, l'élément féminin
57
1
Il existe également un autre genre Les vodouns se distinguent aussi par
de vodouns, au service des précédents leur caractère. Certains sont bienveillant et
et qui font fonction d'intermédiaires avec les protecteur (les vodouns domestiques
hommes, les "Legbas,) et d'une certaine notamment) ; d'autres sont ambivalents, à la
manière le "Fa» qui ont été analysés en détail fois protecteurs et malfaisants, selon la
par l'anthropologue B. Maupoil Enfin, il est relation qui s'établit entre la divinité et l'homme.
possible de réunir dans une autre catégorie Il y en a de particulièrement violents et cruels
tous les vodouns personnels aux pouvoirs qui s'alimentent de sacrifices humains
plus limités, sortes de dieux lares liés aux (le vodoun de la foudre) tandis que d'autres,
individus et à l'espace domestique. plus proches des hommes, ne sont pas
dépourvus d'humour et d'arrogance (les
La recherche menée par K. Tall et legbas). Quel que soit son caractère, le vodoun
B. Légonou-Fanou a permis de distinguer ces est considéré comme un "juste» et ses
différents groupes à Ouidah. Les plus manifestations ne sauraient être mises en
célébrés sont liés aux royaumes présents cause; en définissant le destin de chacun, il
dans la région, houédah puis fan. D'autres n'est pas seulement un reflet des structures
vodouns, présents sur cette côte, concernent sociales mais remplit une fonction de
toute la population, Sakpata, Héviosso... conservation de l'ordre social.
On remarque également de nombreux cultes Il aura fallu le travail des anthropo-
lignagers, qui ne sont pas accessibles à tous, logues pour percevoir la fonction de cultes qui
contrairement aux vodouns attachés à la existent depuis des siècles et que les
personne humaine. Ouidah, ville cosmopolite Européens reléguèrent au rang de croyances
qui reçoit dans son histoire des populations primitives, à l'image de la barbarie supposée
d'origines très diverses, a accueilli une de leurs adorateurs. La connotation très
multitude de cultes' au début du XX e siècle, péjorative attribuée à ce système de croyance
C. Merlo en a identifié plusieurs centaines résulte en partie du manque de manifestations
et il a compté plus d'une centaine de grands matérielles des cultes. Les vodouns sont
temples. Très peu sont liés aux premiers généralement symbolisés par des objets de
résidants, les Houédahs. La plupart sont petite taille (des poteries, des monticules de
apportés par différentes communautés, terre, des pièces de métal, des statuettes
les Fons, mais également les Yoroubas et parfois anthropomorphes, voire des
divers autres groupes adjas. assemblages de ces différents genres 1). Le
Ce système de classification doit résultat visible se limite souvent à un petit tas
être relativisé car la place des vodouns varie d'objets hétéroclites recouverts de traces de
selon le statut de l'interlocuteur. Certaines sacrifices, sang, lait, huile de palme, nourriture.
divinités propres à un groupe sont parfois De plus, la localisation des symboles
réappropriées par un autre groupe, par des cultes ne s'accompagne pas d'une mise
exemple à l'issue d'un conflit. Cette nouvelle en valeur esthétique. Les vodouns domestiques
donne se manifeste de diverses manières: sont souvent disposés à même le sol, dans
depuis l'intégration pure et simple dans un une encoignure de mur ou dans un coin de
nouveau panthéon jusqu'à de simples signes cour. Quant aux vodouns qui appellent un
d'assujettissement d'une divinité à une autre clergé, ils sont installés dans des "temples»
qui peuvent se lire dans certains rituels. En qui ne sont ni plus ni moins que de classiques
outre, un vodoun lignager peut faire partie du habitations. Le caractère sacré du site ne
panthéon d'un vodoun royal Les relations de s'accompagne pas de techniques constructives
parenté entre différents vodouns (rapport particulières mettant en scène le culte ou la
d'aîné à cadet, rapport féminin/masculin) divinité. Il se manifeste uniquement par la
peuvent également recouper ce principe de production d'interdits de circulation et de
classification. frontières immatérielles.
les différents éléments disposés sur les disques des assins figurent l'ancêtre dans son environnement (assis sur une chaise, entourés d'arbre!
58
1
LES ETABLISSEMENTS HOUEDAHS
ainsi que des symboles de certains cultes vodouns (le cercle et le croissant représentent le couple fondateur, Mahou, la lune et Lissa le soleil)
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1
LES ETABLISSEMENTS HOUEDAHS
autel vodoun dédié au python mythique la buvette "Kpassé» du nom de l'ancien roi houédah
60
1
LES VODOUNS HOUEDAHS
61
1
La cérémonie est assez
représentative d'un rituel identifiable dans de
nombreux cultes Dirigée par le prêtre et la
prêtresse attachés au culte, elle réunit les
serviteurs, en majorité des femmes (fillettes
ou femmes ménopausées afin d'éviter tout
saignement qui risquerait d'exciter la divinité)
Elie débute dans un bois où sont déposées .~
~
'.,.:..-
des offrandes, se poursuit par la présentation
dans le temple d'animaux qui seront sacrifiés.
Après des chants et de nombreuses danses,
le cortège traverse la ville: selon C. Agbo qui
décrit la cérémonie au début du siècle,
«plusieurs centaines de jeunes filles vierges
richement parées et portant les jarres sur
leurs têtes marchaient les yeux baissés l'une
derrière l'autre».
62
1
LES ETABLISSEMENTS HOUEDAHS
le temple des pythons, les animaux sont réunis dans une seule pièce (rectangulaire) et sont protégés par des autels vodouns installés
dans les autres bâtiments
. ;
63
1
Cet acte constitue le moment le plus
fort du culte et concerne, directement ou
indirectement, toute la population de la cité.
Le temple principal où résident les pythons
n'accueille qu'une partie des rituels dont
certains se déroulent hors de la cité et des
regards indiscrets, dans des bois ou au bord
d'une mare. Il existe dans la ville d'autres
temples dédiés aux divinités serpents (une
dizaine environ) que ne visite pas la cérémonie.
En outre, le python est partout présent dans
la cité, comme en témoignent encore
aujourd'hui les nombreuses fresques murales ..,..q
v--
dans les concessions.
Le temple du python, situé
actuellement face à la Basilique catholique,
a peut-être connu d'autres localisations. Les
voyageurs qui visitent la ville le remarquent au la grande cérémonie du culte dédié au python part du
XVIIIe siècle mais certains d'entre eux parlent lieu dit Gléhoué (1), contourne le temple des pythons (2),
d'un temple plus ancien, localisé près du site rejoint un arbre sacré (3), revient sur ses pas jusqu'au
de l'actuel grand séminaire qui serait lieu dit de <d'expiation» (4), passe devant le domaine de
Chacha (5), s'arrête devant le marché (6) pour quitter
également antérieur à celui implanté dans la
ensuite la ville par le sud en direction de la mare sacrée (7)
capitale du royaume. D'après Guillaume
Bosman (1692). «la maison du serpent est
éloignée d'environ deux lieues du village où
demeure le roi et bâtie sous un arbre fort
beau et fort élevé; c'est là, disent-ils, que se
tiennent le chef et le plus grand de tous les
serpents» (cité par C. Merlo). Il est probable
que ce temple soit situé à Ouidah, même s'il
demeure possible que cette description
concerne un autre site.
64
1
LES ETABLISSEMENTS HOUEDAHS
ili
français de Ouidah en 1763, mentionne {(que
les Houédahs lui bâtirent une case en terre
telle que celle qu'ils habitent eux-mêmes. Ils
::::::-- en ont une à trois portées de fusil des forts où
l l'on porte à boire et à manger à cet animal))
S:-
r
(e. Merlol
Le temple a sans doute d'abord été
construit dans la capitale. Si aucun élément
ne nous permet de situer son installation à
Ouidah avant 1727 (description du Chevalier
de Marchais), nous savons que le temple était
présent en 1763 sur un site correspondant à
l'emplacement actuel. Il est probable que les
Houédahs aient bâti ce temple à la suite de la
destruction de leur capitale.
'~""
65
1
Le culte du python au début du XVIIIe siècle:
«On en entretient plusieurs (pythons)
dans les maisons de fittish (fétiche),
ou temples bâtis exprès pour cet
usage dans les fossés .. Les Laïques
marchent la nuit en grandes bandes,
battant le tambour et sonnant des
trompettes faites de dents d'éléphant,
pour faire leurs dévotions, pour
demander une heureuse journée, un
beau temps, une bonne récolte ou
autre besoin. Pour être exaucés du
serpent, ils lui font leurs offrandes et
s'en retournent chez eux. toute cette
nation est si bigote, et a un respect si
décidé pour cet animal, que si
quelque nègre en touchait un avec un
bâton, ou lui fairait le moindre mal, il
serait sur le champ condamné au
feu. .. !!
Smith, pages 141-142 (1751)
fresque sur un mur du temple des pythons représentant une adepte portant une jarre sacrée
66
1
LES ETABLISSEMENTS HOUEDAHS
67
1
LES ETABLISSEMENTS HOUEDAHS
68
1
('.;. ( j
'v' 'V
r
,.'r
.
;- Cette anecdote contemporaine, qui
"
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. J'
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"
"
f:. souligne la vivacité des cultes, permet
de mieux comprendre cette
.....
croyance. Les divinités Kpaté et
Kpassé sont à l'origine liées à des
lignages et acquièrent avec le temps
une audience chez tous ceux qui se
considèrent houédahs. Aujourd'hui,
les cérémonies dédiées aux vodouns
célébrés par toute la ville débutent
toujours chez les descendants
de Kpaté.
Parallèlement, la collectivité
"
'.'
développe sur le même site son
{'
propre culte et rentre même en
/:':'
,~
conflit avec certains responsables du
'if, ..' , . culte de Kpassé qui considèrent que
/' ),.'1:.'. ' cette collectivité tente de
>
\
,
69
1
L E c o M p T o R F o N
70
1
L A CONQUETE D A HOM E E N N E L es raisons expliquant l'attaque
contre les Houédahs sont d'abord
d'ordre économique. Le Dahomey,
situé à l'intérieur des terres, n'a pas
d'accès direct à la mer et doit traiter avec le
royaume côtier qui détient ainsi un outil de
pression et de ponction: il prélève des taxes
sur tous les produits en transit et bloque à
plusieurs reprises le commerce vers l'intérieur
des terres En occupant le territoire houédah,
le Dahomey se libère d'un intermédiaire
indocile Selon R. Arnold (19521. il occupe la
côte afin de se ménager des territoires de
repli, en cas d'attaque par les armées d'Oyo
L'invasion doit être aussi replacée dans
l'organisation politique originale du Dahomey
Contrairement aux royaumes voisins où les
rapports de pouvoir reposent sur une relation
de vassalité (les Houédahs étaient
subordonnés à Allada, lui-même Inféodé
à Oyol. le Dahomey développe une
politique d'opposition à la domination
yorouba et engage de nombreuses
actions guerrières. L'ancien système
faisait l'économie des conquêtes
territoriales; si un vassal remettait en
cause l'ordre des choses, il suffisait de
couper les routes économiques ou
emblème du roi du Dahomey, Agadja, qui rappelle la conquête de la côte d'envoyer quelques troupes pour que le
rebelle verse de nouveau les «coutumes».
La nature nouvelle du Dahomey ne
résulte pas seulement d'éléments
culturels propres; les enjeux
économiques du négoce des esclaves,
l'introduction sur la côte de nouvelles
armes, en particulier les fusils, modifient
les rapports de force C Agbo (1959)
relate que (Iles rois houédahs avaient
paralysé l'essor commercial des Etats qui
les avoisinaient dans le nord Le roi
Houffon de Sahè vendait aux rois
d'Abomey des fusils d'efficacité
diminuée en les amputant de leurs
chiens)). En outre, le souverain pouvait
craindre que les Houédahs,
intermédiaires directs des Européens et
protégés par leurs forts, ne cherchent à
rompre définitivement avec lui comme ils
l'avaient fait peu avant avec Allada
71
1
LE COMPTOIR FON
72
1
Le monarque se garde d'attaquer Quelques années plus tard. le gouverneur du
Ouidah. où les compagnies possèdent des fort anglais. Testaford (appelé par les Français
fortins bien armés. Après s'être assuré de la Testefollel. qui soutient activement la
neutralité des Occidentaux capturés dans la rébellion des Houédahs. sera tué par les
capitale. il les autorise à rejoindre les forts à soldats du royaume dahoméen.
la condition qu'ils continuent à commercer A la mort d'Agadja. en 1740. le
avec lui. Les troupes fons s'installent à Savi royaume du Dahomey s'affirme dans la
dont l'appellation, «la clef». marque sa région. Son successeur. Tegbessou.
fonction de contrôle: Ouidah est verrouillée. poursuivra l'oeuvre de conquête.
Les directeurs des forts n'interfèrent pas L'occupation définitive de Ouidah par
directement dans le conflit, mais tolèrent les Fons résulte paradoxalement de l'appui
l'organisation d'une certaine résistance par apporté par le directeur du fort anglais. En
les Houédahs. leurs partenaires habituels. 1741, profitant du déplacement des troupes
De plus. ils tentent de déplacer le commerce du Dahomey, les Houédahs se rendent maître
vers d'autres comptoirs non soumis au de la place trois mois durant avant que les
nouveau royaume. Juste après la conquête troupes de Tegbessou ne se présentent devant
de la ville. les armées du la ville. Une bataille s'engage
Dahomey étendent leurs devant les Européens qui. de
conquêtes et pourchassent leurs forts. se contentent d'ob-
les réfugiés houédahs dans server. Alors que les soldats
la région de Popo. En 1732. houédahs semblent avoir le
elles parviennent à occuper dessus, une balle. provenant
Jacquin où les négriers ont de leur camp. atteint le fort
réactivé la traite afin de anglais et tue la femme du
compenser la diminution directeur. Celui-ci pointe
d'activité à Ouidah. Le roi fait alors ses canons contre le
prisonnier la totalité des camp houédah, distribue des
Européens et pour les punir. armes à feu aux soldats fons
brûle leurs factoreries et et modifie le rapport de force
confisque toutes leurs au profit du Dahomey. La
marchandises. Dans les tradition rapporte que le chef
années qui suivent, il réduit houédah. du nom de Foli. se
les poches de résistance et suicida sur le site de l'actuelle
brûle à nouveau le comptoir place Kendji, dénommée
de Jacquin (1734). Maître militairement de la ensuite «Foli-ouli». Le vainqueur, rapporte
côte. il ne peut cependant installer son C. Agbo, détruit en représailles deux quartiers,
administration et contrôler toutes les activités Docomè et Ahouandjigo, et massacre de
de traite car il mène dans le même temps un nombreux habitants.
autre front contre l'armée d'Oyo. On peut considérer que la domination
Ouidah n'est pas directement gérée par fon à Ouidah date de cette époque, même si
le Dahomey et se retrouve sous l'autorité des les Houédahs continuent de harceler les
directeurs de forts qui assurent la police et la troupes du Dahomey. En 1743. ils organisent le
continuation des activités économiques. S'ils blocus des forts pendant plusieurs mois avant
comblent momentanément un vide politique. d'être délogés par Tegbessou. A cette
leur pouvoir est fragile car le monarque peut occasion, le directeur du fort portugais est
à tout moment engager des opérations de emprisonné, puis expulsé. pour avoir soutenu
représailles: en 1728. le gouverneur du fort la rébellion. Quatre ans plus tard, la garnison
français. Gallot, voit son établissement dahoméenne stationnée sur la plage est
incendié pour avoir soutenu les Houédahs. attaquée (Akinjogbin, 1967).
73
1
LE COMPTOIR FON
74
1
L'excès de zèle et les nombreuses
exactions des fonctionnaires fons limitent
également l'activité: Labarthe observe
le déclin de la traite qui passe de 10150
esclaves exportés en 1776, à 3065 en 1787
et l'attribue à l'augmentation exagérée des
coutumes payées au roi et au pnx élevé des
esclaves que les Fons fixent arbitrairement
(cité par Labat)
Sous le règne d'Agonglo (1789-1797),
la situation semble se modifier
((pour ses débuts, le roi Agonglo fit une
impression sur les commerçants de Ouidah
prinCipalement sur les Européens, car il
supprima certaines taxes et coutumes))
(Dunglas, 1956). La traite demeure un facteur
d'attraction comme en témoignent l'activité
du marché et la venue de migrants de plus
en plus lointains.
_.....__ .•
75
1
LE COMPTOIR FON
L'activité du comptoir:
La description d'Isert (ci-contre), montre «Il n 'y a proprement que ces trois nations
(française, anglaise et portugaise)
la force des liens qui existent entre les qui puissent faire le commerce ici. Mais
différents agents du commerce et suggère comme les revenus du roi y gagnent
que la traite n'est pas sous la seule autorité lorsque d'autres nations
du roi, même s'il demeure le principal y apportent leurs marchandises,
fournisseur d'esclaves. Le comptoir on m'en accorda la permission
(Isert est danois).
fonctionne comme un port, isolé du reste du Chaque navire qui arrive ici pour
territoire et en contact quelques mois par an faire le commerce ouvre une factorerie et
avec les capitaines négriers. fait ses affaires lui-même.
Outre la concurrence des comptoirs Pour ce privilège, il paie au roi,
à l'ouest, Ouidah subit celle d'un nouveau s'il est à trois mâts, la valeur de douze
esclaves,
comptoir à l'est, «Porto-Novo», dont le s'il n'est qu'à deux mâts,
royaume d'Oyo a suscité la création, et qui il n'en paie de sept.
contrôle une portion de côte (Sinou-Oloudé, Cette circonstance a souvent engagé
1989). Les rois du Dahomey, malgré leur les Français à abattre leur mât de derrière,
politique belliqueuse, n'aboutiront pas à la avant d'arriver à la rade, pour épargner
les cinq esclaves.
maîtrise de l'ensemble des activités de traite. Les gouverneurs ont tous liberté entière
Le royaume d'Oyo possède, jusqu'au début de commerce pour les marchandises
du XIXe siècle, les moyens de détourner qu'ils ont dans le fort, à raison de quoi le
certains circuits commerciaux et d'écouler roi tire son tribut...))
en d'autres lieux les esclaves. «... Dans la factorie, on a outre cela
deux courtiers et deux Nègres
pour le travail,
tous ces gens sont ordonnés par le vice-roi.
Les courtiers vont tous les matins par
toute la ville demander à chaque
négociant
s 'il lui est arrivé des esclaves.
Ils le font savoir au facteur,
qui va avec eux, la mesure à la main,
dans la maison de ces négociants noirs,
voit les esclaves,
et s'ils lui conviennent, il les achète,
donne une spécification
des marchandises d'échange
dont ils sont convenus, et imprime
sa marque à feu
sur le corps des esclaves.
Ceux-ci, s'ils ne sont point esclaves du
roi,
sont transportés dès le soir même
au fort ou dans la factorie ;
mais si ce sont des nègres du ro,;
ils doivent demeurer chez le marchand,
jusqu'à ce qu'ils puissent être
transportés de suite à bord...
Les marchands d'esclaves
ont un privilège particulier du roi.
Un simple voyageur n'oserait vendre
lui-même ses esclaves aux Européens.
Les marchands d'esclaves sont ici de
grands capitalistes:
ils sont souvent en compte avec les Blancs,
par où il leur revient jusqu'à
mille risdallers ;
ils ne se présentent volontiers
avec leurs reconnaissances que
76
1
L A OOMII\JATION FON L a prise de contrôle du
royaume houédah
marque pour le Dahomey son implication
directe dans le négoce des esclaves, depuis
la capture jusqu'à la vente aux Européens.
Les souverains développent à cet effet une
administration composée de deux groupes.
Les militaires sont chargés des conquêtes
territoriales et de l'approvisionnement en
esclaves; les «fonctionnaires civils» vendent
les esclaves et les produits importés, et
prélèvent les taxes. Ceux qui possèdent des
armes sont séparés de ceux qui manient
l'argent. Ils ne résident d'ailleurs pas dans
les mêmes lieux. Les uns sont plutôt à
Abomey tandis que les autres logent à
Ouidah, dont la fonction commerciale est
affirmée. Ce principe vise à éviter que ne se
reconstituent des entités politiques capables
de remettre en cause le pouvoir central.
Cette politique s'accompagne d'un
véritable contrôle territorial. Le Dahomey
interdit la libre circulation des négociants.
Les Occidentaux sont cantonnés dans le
quand ils savent que
les marchandises qui leur sont destinées comptoir de Ouidah et sont tenus de s'adresser
sont au fort, aux courtiers du roi pour commercer. Ils ne
ce qui n'est pas toujours praticable peuvent sortir de l'établissement que sur
à cause des incommodités et convocation du roi. Un corps de police
des risques de la barre. surveille très étroitement les mouvements
Les marchandises
qui ont le plus grand cours ici sont de personnes et des postes de contrôle sont
l'eau de vie, les cauris, le tabac, les installés sur les routes ainsi qu'aux
bassins de laiton, les coraux de verre, différentes sorties d'Abomey et de Ouidah.
le fer et les toiles et
étoffes propres à faire des pagnes... »
P. E. Isert, {1785l.
77
L'ADMINISTRATION puisse s'employer exclusivement à la lutte
contre les rebelles (A Gavoy et C. Agbol. On
peut penser que le roi lui-même est à
78
1
LE COMPTOIR FON
Le négoce:
« .. Le directeur du Fort Saint-Louis
la lagune à proximité du village de Djégbadji
dépêche vers le navire (négrier) sa
pirogue avec une lettre de
renseignements sur les ressources
du pays en esclaves tandis que Yo-
vogan ne cesse d'insister auprès de
lui afin de faire descendre le capi-
taine. Sur la grève, les hommes de
Yovogan ne manquent pas de venir
souhaiter la bienvenue, attention qui
vaut naturellement à toute l'aimable
L'autorité du Yovogan et du roi repose à compagnie quelques rasades d'eau
Ouidah, sur une administration nombreuse et de vie (de la part du négrier!. Le
sur l'apport de populations d'origine fon. Le premier soin est d'établir une liste
des marchandises qui serviront à
second personnage de la ville est le payer les coutumes ou droits de traite
Koussougan plus particulièrement chargé de dus au roi liste que le Yovogan
la sécurité des hommes et des marchandises. discute. Yovogan loue (au négrier) sur
Il existe en outre de multiples «fonctionnaires» la plage une baraque de paille et de
qui ont une charge spécifique: Bosman roseau où seront entreposées
provisoirement les marchandises du
identifie les «capitaines des esclaves, du bord avant leur transport au comptoir
marché, de la côte, des prisons, du fort anglais, Il choisit pour lui un chapeau bordé
du fort français ... JJ. A ces hommes, s'ajoutent d'or une pièce de satin pour ses
tous les intermédiaires dans l'organisation et jupes, 4 pièces de mouchoirs et
perçoit pour son entremise 47 livres
le contrôle des transactions commerciales.
de cauris, un ancre d'eau de vie et un
De nombreux «douaniers» surveillent le baril de boeuf salé. Ces dernières
commerce dans la ville et sur le chemin libéralités coûtent 6 onces au
emprunté par les esclaves afin d'éviter toute Capitaine... Le débarquement
traite clandestine (objectif qui, selon certains s'effectue. Un garçon procuré par
historiens, ne sera pas atteint). S. Berbain Yovogan assure la réception des
marchandises. Deux courtiers fournis
(1942) signale que deux camps de soldats par Yovogan s'occupent chaque matin
défendent la ville contre les incursions et à courir la ville afin de connaÎtre les
assurent la police. arrivages d'esclaves .. ))
S Berbain, (page 70)
79
1
LE COMPTOIR FON
80
1
La réception d'un gouverneur par le Yovogan : comme le portent nos cordons bleus
((Lorsqu'un nouveau commandant et nos cordons rouges, suivant sa
arrive à Grégoy, le roi du Dahomey lui dignité. " amène avec lui l'envoyé du
envoie aussitôt un ou deux de ses roi, qui a la moitié de la tête rasée,
valets ou gardes du corps, avec la l'autre moitié de la tête avec tous ses
canne du prince, qui est la marque cheveux, une bandoulière, comme
qu'on vient de sa part. Cet envoyé, nos gardes du corps, si ce n'est
en arrivant à Grégoy, va descendre qu'elle est composée de quatorze ou
chez Yovogan... et lui fait part de quinze rangs de dents d'hommes,
l'objet de sa mission. Le gouverneur enfilées les unes contre les autres, et
nègre, après l'avoir entendu, pour tout vêtement, une espèce de
assemble aussitôt la suite de sa petit jupon de soie, de vingt à vingt
dignité, qui consiste ordinairement en deux pouces de hauteur.
soixante-soixante-dix hommes armés, Avec cette suite, qui fait grand
qui marchent en tête, chantant les bruit le long du chemin, ils se rendent
louanges, et tirant force coups de tous au fort, à l'appartement du
fusils, pour lui faire honneur. Derrière nouveau commandant... arrivé à la
le cortège est placé Yovogan, sous un chambre d'audience, chacun se place
très grand parasol, qu'un homme assis par terre; le seul Yovogan a la
placé derrière lui porte au dessus de permission de s'asseoir sur une
sa tête. Plusieurs domestiques chaise, et le nouveau commandant
suivent, portant sa chaire de dignité, des forts à ses côtés. Alors l'envoyé
et quelquefois Yovogan a le corps du roi, assis par terre, au pied du
couvert d'un grand cordon de corail, Yovogan, lui remet entre les mains la
canne de son maÎtre.
Aussitôt Yovogan, avant de
parler, tire cette canne de son
fourreau; à cette vue, chaque nègre,
de quelque qualité qu'il soit, est
obligé de se jeter à plat ventre, le
visage en terre, de se couvrir la tête
de poussière. Après cette marque de
respect, le gouverneur nègre met la
canne entre les mains du nouveau
commandant, et lui fait part des
ordres qu'il vient de recevoir, qui
consistent ordinairement à lui dire
que le roi, ayant appris son arrivée au
fort, il lui envoie faire es
compliments, et le prie de venir le
voir au plus tôt, pour faire
connaissance et concerter ensemble
les arrangements du commerce.
Ensuite l'on congédie l'envoyé,
avec quelques petits présents. Le
lendemain, le commandant du fort
envoie à son tour son interprète, avec
sa canne chez le prince, le remercier
et lui annoncer qu'il ira le voir dans
huit ou quinze jours...
Ensuite, pour effectuer sa promesse
et rendre son voyage fructueux, il
ramasse tout ce qu'il a rapporté de
plus précieux d'Europe pour ce
souverain, comme velours, satin,
damas, et grands parasols d'étoffe
d'or, capables de couvrir douze
personnes. Ce parasol se vend
toujours fort cher, et donne un très
grand bénéfice... ))
Pruneau de Pommegorge,
(directeur du fort français en 1763-64) in Etudes dahoméennes, n018, page 68.
1
LE COMPTOIR FON
LE PEUPLEMENT FON
82
1
LES LIEUX POLITIQUES
83
1
LE COMPTOIR FON
plan du domaine occupé par les descendants du dernier Yovogan, Dagba, qui a
dû quitter le centre ville avec la colonisation pour se fixer en péripherie; plusieurs temples y sont installés dont un est dédié à la divinité royale Ninssouhoué
84
1
.- --------.--1
G
\
\
0:J ') \
@I
~\
~~~ o
La résidence du Yovogan est décrite par Les galeries et les colonnes constituent
Isert comme «très spacieuse, sur un seul un des rares signes distinctifs de
étage, bâtie de terre glaise et couverte de l'architecture «aristocratique». Cet espace
paille. On y trouve tant de cours et avant- intermédiaire entre le dehors et le dedans
cours que c'est un labyrinthe dans lequel on permet de présider à certaines cérémonies et
se perd. Dans le centre est une salle dans introduit une hiérarchisation spatiale,
laquelle on conduit les Européens lorsqu'ils habituellement absente. En dehors de ces
ont quelque chose à traiter avec le éléments, l'organisation du domaine ne
gouverneur. Elle est ouverte d'un côté diffère pas fondamentalement dans son
comme une galerie et soutenue de colonnes. principe de celle des habitations populaires:
On n 'y voit d'autres meubles que des sièges des corps de bâtiments ouvrent sur des
de Nègres, et de temps en temps une chaise cours et délimitent des zones, réservées à
européenne. Les sièges de Nègres sont ici certains groupes, voire à certaines fonctions,
d'une invention particulière. fis sont plus religieuses par exemple. On y trouve un
hauts que chez les autres nations. ils sont temple dédié au vodoun Ninssouhoué, signe
faits de bâtons de palmier, ajustés en carré de l'autorité royale. D'autres voyageurs
très artistiquement; l'on y est assis signalent la présence de prisons et d'un lieu
commodément)}. de jugement.
85
1
~
...
.~ ..
.. '~-'
--." " ...... '
en haut à gauche, conservé par le dernier de ses descendants, le parasol du Yovogan ... objet de prestige
86
1
L E COMPTOIR FON
87
1
LE COMPTOIR FON
~.
. plan origirlé
.~
88
1
A titre d'illustration, en nous référant à
l'étude de Simone Berbain, nous en proposons
la description suivante: elle rend compte de
certaines modalités de la traite qui ont
certainement évolué avec le temps.
Les esclaves, après avoir quitté la ville,
passent près de «l'arbre des Capitaines». Sous
cet arbre (aujourd'hui disparu), le roi Agadja
aurait rencontré des négriers et aurait
débouché pour la première fois une bouteille
de gin prise dans un bateau. Il y installa un
autel au vodoun Legba. L'arbre fut divinisé et
appelé Agadjatin. Les négriers qui rendaient
visite au roi y faisaient une pause. Le
Koussougan, le «douanien), y choisissait les
cadeaux destinés au roi, au Yovogan, aux
cabécères (terme portugais désignant les
dignitaires) et à lui-même. Si les cadeaux'
étaient suffisants, il autorisait les donateurs à
poursuivre leur chemin. Dans l'autre sens, les
esclaves en partance faisaient trois fois le
tour de l'arbre sacré «afin d'y laisser leur
haine contre celui qui leur assigna ce sort)).
Ensuite, ils reprenaient la route jusqu'au
village de Zoungbojdi, sans doute fondé par le
roi Agadja. Les esclaves étaient marqués au
fer chaud dans le barracon de son chef, un
dignitaire fon Osert signale que des esclaves
étaient également marqués dans les forts).
Les esclaves étaient ensuite amenés
s'étend à l'intérieur du au bord de la lagune où étaient amarrées des
continent sur presque deux pirogues pour les faire traverser. Ils étaient
cents kilomètres. divisés en fonction du type d'échange auquel
Lorsque la route atteint Ouidah, ils étaient destinés (tabac, fusils, alcool. ..). La
les gardes enferment à l'extérieur marchandise qui n'était pas stockée dans les
de l'agglomération les esclaves dans forts était apportée depuis les navires jusqu'à
des «barracons», expression d'origine ce site où elle était échangée. Les pirogues
portugaise qui désigne un enclos gardé traversaient ensuite la lagune, composée de
où sont disposées des «baraques)) en plusieurs bras à certaines époques, et les
paille servant d'abri. Les dignitaires esclaves étaient réceptionnés par un
choisissent les esclaves auxquels ils ont droit représentant du roi, Gankpè, qui effectuait un
.' , et les tractations commencent entre les dernier contrôle avant de les remettre aux
".'.', " .
courtiers et les Européens. Les esclaves sont négriers. Ces derniers les dirigeaient vers la
ensuite acheminés vers les forts, avant d'être plage et les regroupaient dans des enclos en
convoyés vers les navires mouillés dans la attendant l'arrivée des pirogues qui les
rade. Ils empruntent alors la route des Esclaves transportaient jusqu'aux navires. Ce dépla-
qui, à cette époque, devait être plus sinueuse cement, de quelques dizaines de kilomètres,
que l'actuel tracé qui date du début du siècle. nécessitait la totalité d'une journée.
1de l'abbé Bullet (1772) qui représente Ouidah (en bas) et ses environs jusqu'à la côte où sont embarqués les esclaves (cf. plan détaillé page 99)
89
1
LE COMPTOIR FON
90
1
Les forts en 1785 :
Il ...Il ya ici trois forteresses;
une française, une anglaise et une
portugaise. Elles sont toutes les trois
construites sur le même plan. Elles
consistent en un amas de maisons
qui forment un carré; ces maisons
sont couvertes de paille; sur le front
elles ont deux étages, les autres
côtés n'en ont qu'un. Les flancs sont
garnis de bastions, mais élevés de
trois pieds de terre au plus. Chaque
sociétés sont souvent mises en faillites, bastion a douze canons de fer. Le fort
notamment les compagnies «à privilège» est entouré d'un fossé, de vingt pieds
de large sur autant de profondeur,
françaises qui possèdent l'exclusivité du
dans lequel il vient rarement de l'eau;
commerce sur une portion de côte. sur le front est un pont, qui en cas
En outre, l'irrégularité des d'attaque peut être facilement levé.
approvisionnements, soumis aux conflits Le fort français est le mieux
opposant les royaumes, n'incite pas à investir entretenu, et le portugais est dans le
plus mauvais état. Le premier a des
lourdement sur un seul site. Les compagnies
bastions ronds. Sur celui de l'est, il y
préfèrent avoir une «loge)) dans le plus grand a une haute cour de briques
nombre de villages côtiers afin d'être toujours d'Europe, qui sert de piédestal pour y
présentes lors d'une arrivée d'esclaves. arborer le pavillon. Les bastions des
La concentration n'est pas à l'ordre du jour, autres forts sont carrés. Tous ont leur
magasin à poudre dans le milieu de la
malgré les demandes répétées des chefs
cour, qui est également couvert de
locaux qui voudraient ainsi pérenniser paille, et en forme de pigeonnier...
l'établissement d'Occidentaux et conforter Les forts français et anglais ont de
la fonction commerciale du comptoir. La grands jardins avec des allées
demande de construction d'un fort, réitérée d'orangers. Ils en tirent pendant toute
l'année toutes sortes de légumes,
à plusieurs reprises par le roi de Porto-Novo,
des oranges, des citrons, limons et
est refusée par la compagnie française; celle- autres fruits. Le fort français occupe
ci préfère maintenir simplement quelques cent vingt Nègres seulement pour
représentants sur place car elle craint l'entretien du jardin... Il
d'indisposer le roi d'Abomey qui y verrait un PE. lsert, (1785).
signe de trahison et qui pourrait exercer des
représailles contre les Français de Ouidah.
91
1
LE COMPTOIR FON
~
comme un des seuls moyens de lutter contre
les «miasmes», particules minuscules jugées
~A
responsables de l'insalubrité ambiante qui se Construits à une époque où les
manifeste par les fièvres et les dysenteries Occidentaux imaginent se protéger du
auxquelles sont particulièrement sensibles monde qui les entoure par des
les Européens. murailles, ils perdent rapidement leur
raison d'être: le développement des
L'isolement du fort du monde extérieur échanges, l'installation d'Européens
vise à répondre à ce «fléau)) qui décime dans les quartiers, rendent inutiles
chaque année une partie des résidents ainsi ces fortifications qui ne leurrent
qu'à les isoler des «indigènes» aux moeurs personne. Les capitaines des navires,
qualifiées de «barbares». Les directeurs, plutôt que de résider à l'étroit dans les
chargés d'organiser et de contrôler le négoce forts, prennent l'habitude de loger
dans leur quartier, sont censés y faire régner dans le quartier avoisinant et d'y
les disciplines occidentales. Ils craignent traiter directement en louant une
notamment qu'au contact des autochtones, habitation (ce que font également
les employés de la compagnie désertent le les représentants de la compagnie
fort et la garnison pour traiter à leur compte hollandaise), Ils entrent en contact
en vivant en compagnies de femmes direct avec les représentants du roi sans avoir
africaines, crainte fondée comme en à subir l'intermédiaire du directeur du fort qui
témoigne par exemple le destin du Chacha exige en échange de ses services une part
de Souza (cf. chapitre sur les Afro-Brésiliens). des bénéfices des tractations. Le mémoire de
Les forts ont une durée d'activité l'abbé Bullet (1772) souligne la difficulté du
relativement courte: environ un siècle sépare directeur du fort français à contrôler les
la date de leur création du moment de leur activités de traite dans son quartier.
abandon par les compagnies européennes. L'abandon des forts s'explique
De plus, ils sont à plusieurs reprises désertés également par le départ des compagnies et
par leurs occupants. La dégradation des marque le désengagement «officie!» des
constructions semble rapide du fait de leur nations européennes. Les négriers qui
médiocrité structurelle et de l'absence demeurent continuent à traiter depuis leurs
d'entretien. En effet, les directeurs, à leur habitations, comme à Porto-Novo, où aucun
arrivée, les jugent immuablement en ruines. fort ne sera bâti.
92
1
LE FOR T FRANÇAIS
Il Il
93
1
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\.__'L .-.' -~_..........-_--
dessin établi par F. Bourgeon d'après la maquette conservée au musée historique de Ouidah, in .des passagers du vent», tome 3, 1981
En 1772, l'abbé Bullet y compte une sur l'enceinte. Les communications entre ces
soixantaine de canons contre une quinzaine deux zones se limitent à quelques portes pour
au début du siècle et il en fait un descriptif des raisons de sécurité. D'éventuelles révoltes
très précis. Si les fortifications ne semblent peuvent être matées depuis les bastions et
guère avoir évolué, l'intérieur s'est densifié. l'étage d'où il est facile de pointer des armes,
Certains bâtiments sont accolés à l'enceinte: précautionneusement mises à l'abri.
à l'ouest, celui accueillant le directeur Au centre de la grande cour, trône la
(à l'étage) et au nord, ceux destinés aux poudrière où est stockée cette matière
esclaves, en rez-de-chaussée. d'échange précieuse. délivrée avec
Les autres édifices s'articulent autour parcimonie aux Africains. Certains bâtiments.
d'une vaste cour intérieure et forment une comme ce dernier, sont construits en briques
enceinte supplémentaire, Les pièces où cuites, afin de les solidifier. L'abbé Bullet
logent les Occidentaux (chirurgien, commis signale qu'un four a été installé à l'extrémité
aux écritures, sous-directeur, aumÔnier. ..) et du grand jardin extérieur. D'autres cours et
où ils se retrouvent (salle à manger, office, jardinets sont disposés à l'intérieur de
chapelle .. ,) sont tournés vers la cour, tandis l'enceinte. La plupart du personnel
que celles des esclaves et des domestiques domestique loge dans le quartier attenant,
(cellules, cuisine, magasin, écuries .. ,) ouvrent «le camp français».
94
1
L'organisation des activités est calquée
sur le système mis en place sur les bateaux:
la cloche du fort sonne chaque matin le début
du travail (l'abbé Bullet se plaint de la paresse
des hommes qui tardent à rejoindre le fort ou
se font porter malades !). Les officiers en
poste appartiennent d'ailleurs à la Marine et
se représentent le fortin comme un navire
ancré dans un environnement dangereux
avec lequel les contacts doivent être réduits.
Ce sont souvent d'ailleurs les mêmes qui ont le site du fort français aujourd'hui: une place plantée a été
dirigé ou dirigeront un navire négrier. aménagée sur les anciens jardins
u~····
95
1
En 1860, le docteur Repin, chirurgien L E FOR T ANGLAIS
de la Marine, remarque les dégradations des
fortifications, à moitié écroulées et envahies
par la végétation. Les bâtiments qui e fort William, très semblable au fort
demeurent abritent les ateliers de tonnelage
et des machines pour traiter les huiles.
L Saint-Louis de Grégoy, en était éloigné de
quelques centaines de mètres. Son activité
Quatre ans plus tard, un incendie détruit une perdure jusqu'au début des années 1780,
grande partie de l'établissement. La maison l'Indépendance des Etats-Unis signifiant pour
de commerce Régis reconstruit d'autres les négriers anglais la perte d'un débouché
bâtiments sans restaurer les fortifications, important pour leur négoce. Concurrencée
inutiles depuis longtemps. par les Français et les Portugais, la
"En 1890, les fossés étaient comblés, compagnie anglaise délaisse alors plusieurs
le pont-levis avait disparu; les bastions postes sur la côte.
étaient déserts et les canons dormaient sur Le fort de Ouidah est définitivement
l'herbe, la plupart à moitié enterrés. L'ouvrage abandonné en 1807 Depuis la fin du siècle,
en demi-lune qui défendait la porte était son activité est réduite et les bâtiments ne
remplacé par un balcon. La chapelle n'existait sont plus entretenus. Quelques années plus
plus. Il V avait un beau jardin planté d'orangers, tard, le site est vendu à la maison de
et la forteresse à l'aspect menaçant commerce allemande de Hambourg, Goedelt,
d'autrefois, qui servait de prison à des milliers qui achète l'huile de palme aux planteurs. De
d'esclaves, s'était changée en une maison nouvelles constructions sont élevées et les
paisible. JJ (Foa, Le Dahomey, 1895). fossés sont comblés. Ne subsistent que
Le départ de la maison de commerce quelques murs d'enceinte, à plusieurs
au début du XXe siècle entraîne la dégradation reprises remaniés.
puis la disparition des derniers vestiges La maison allemande est amenée à
L'Etat colonial n'entretient plus les bâtiments quitter la place avec la victoire française à la
et en 1908, l'administrateur fait combler les fin du premier conflit mondial. La maison
derniers fossés. Peu après, un hôpital est anglaise, John Walkden, s'y substitue. De
élevé, sans doute sur le site du fort. La place nouveaux édifices sont bâtis. Dans les
plantée, aménagée dans les années années cinquante, le Guide Bleu signale
cinquante, est probablement localisée sur qu'une portion d'enceinte est encore visible.
une partie de l'ancien jardin qui le bordait. Aujourd'hui, elle a disparu de même que la
maison de commerce anglaise.
Seules les limites de l'îlot
permettent de localiser
l'implantation du fort. Sa proximité
avec le marché y a favorisé
J'installation de négociants qui
tiennent de nos jours des
commerces de proximité. Le
bâtiment le plus ancien, au style
«coloniaj)" à étage, date sans doute
du tout début du XXe siècle.
le fort anglais, vers 1746, semblable aux autres fortins de Ouidah, in Abbé Prévost, tome IV
96
1
LE COMPTOIR FON
LE FOR T PORTUGAIS
97
1
L'établissement, dénommé de ce projet semblent être issues d'un plan
«Residencia de Sâo Baptista de Ajuda», est datant de 1890 où figurent les bâtiments de
considérablement remanié. Les anciens la caserne, du corps de garde et de l'église
bâtiments sont détruits et le Résident se fait aujourd'hui reconstitués en matériaux
construire un nouveau logement (la maison à «durables» (parpaings de ciment, tuiles
étage qui demeure aujourd'hui). L'intérieur de mécaniques.. ,), L'opération a été achevée en
l'enceinte devient un vaste jardin planté de 1990; le musée a été réinstallé dans le bâti-
manguiers et d'orangers et occupé par un ment à étage. Quant aux autres édifices, ils
potager. Quant aux murailles devenues n'étaient pas encore occupés au moment de
inutiles, elles se dégradent progressivement. l'élaboration de ce travail.
La colonisation
française ne remet pas
en cause la souverai-
neté portugaise sur
le fort qui conserve
son autonomie symbo-
lique : jusqu'en 1960,
le drapeau portugais
flotte sur l'enclave qui
connait dans la colonie
un statut relativement
semblable à celui des
premiers forts dans le
royaume du Dahomey.
A l'indépendance, le
bâtiment est rendu au
Bénin mais un litige
apparaît entre le Rési-
dent portugais et les
nouvelles autorités, et
le fortin est incendié
Le plan levé vers 1772 ..... /' .
lors de son départ.
par l'aumônier du fort I.A.:,.; .~ IJ.:.....
L'ensemble demeure français souligne ',' /iJ!;':!Ù.iJt'
très dégradé pendant l'extension de la cité (L) _/ ::-" r' .., . '
de longues années. au nord du domaine du·· ,:.::. ~ .....r··
Vers la fin des années
Vovogan (M) .::.::>;./ _ .
Ces quartiers forment ",..,...__1 .,'
soixante, l'Etat du Dahomey restaure le bâti-
un demi-cercle ,/ .
ment à étage et y installe un musée historique, et représentent environ 90% de==-..::'~:::::::::::::~
où sont exposés des objets relatifs à la traite l'agglomération , . . ' ~.~
et au royaume du Dahomey. Dans les années Ils accueillent le marché (Tl . '.:. . ~
quatre-vingts, la France décide de restaurer Les «villages» (R) . S0
des forts anglais (0) ......,
les fortifications mais peu après, la fondation
et portugais (S)-.~~"~-;··--.", <
portugaise Calouste Gulbenkian propose une forment au sud, un quartier isolé tandis que le .'; •.~~~
action de plus grande envergure. «village» (G) . ~~
En 1984, un ingénieur portugais définit du fort français (E)
les bases du projet qui vise à restaurer les borde les quartiers fons à l'ouest
murailles, à reconstruire quelques bâtiments Le domaine du chef guerrier
Caquaracon (I)~ ...
disparus et à édifier un théâtre en plein air, à qui surveille la cité, est établi au nord-ouest, :.. '
des fins culturelles, Les références historiques non loin de l'actuel camp militaire
L:abbé Bullet signale également de nombreux
temples «fétiches» établis hors de la ville (H, X)
ou à la limite des quartiers (F)
auxquels ils sont attachés.
Il attribue au Vovogan la responsabilité
du temple des pythons (N),
localisé sur son site actuel. ./"
98 Il remarque encore les traces §:;
des talus élevés par les guerriers houédahs ,/
en lutte contre les Fons (V) ;:::-..; ....
1
L E DEVELOPPEMENT D E LA C 1T E
S i la durée de
fonctionnement
des forts est relati-
vementcourte, ces
établissements sont néanmoins à l'origine de
foyers de peuplement. Tout autour de chaque
fort, se forme un quartier où logent d'abord
les esclaves attachés à la compagnie puis
d'autres populations attirées par la protection
qu'offre le directeur qui fait toujours fonction
de chef de quartier. Le Yovogan n'y interfère
qu'en cas de délit mettant en cause son
autorité et tolère certains particularismes
culturels, comme la pratique de la religion
chrétienne. Peu à peu, le quartier du fort tout
entier fait fonction de lieu de traite, le fortin
n'accueillant que les représentants de la
compagnie.
Aux trois quartiers des forts s'ajoute
celui dirigé par le Yovogan dont la taille va en
s'accroissant. Il est centré sur sa demeure et
sur un nouvel équipement, le marché, signalé
par tous les Européens au XVIIIe siècle.
Duncan évalue sa surface à un demi-hectare
(cité par Verger, 1968) ; Isert le décrit en 1788 :
({les vendeurs viennent au matin
avec leurs marchandises, et s'en
retournent au soir. Chaque
quatrième jour est jour de marché,
auquel les étrangers peuvent
étaler. On trouve dans ces
boutiques toutes sortes de
marchandises européennes, aussi
bien que celles du pays, à des prix
qui ne sont point trop surfaits».
99
1
LE COMPTOIR FON
100
1
La disparition du commerce des Plusieurs éléments peuvent expliquer
esclaves ne remettra pas en cause ce particularisme. Les rituels royaux
l'existence du marché qui conservera sa mobilisent des centaines de personnes qui,
fonction et qui continuera à attirer les en fonction de leur statut, n'assistent qu'à
commerçants de la région. Certains certaines cérémonies Les plus intimes ne
s'établiront souvent dans le voisinage peuvent se dérouler dans les cours et ont lieu
immédiat. Ce quartier accueillera aussi au à l'intérieur de bâtiments qui doivent
cours du XIXe siècle une nouvelle catégorie néanmoins pouvoir accueillir un nombre
de négociants, les représentants des maisons important d'individus
de commerce occidentales. La forme circulaire réduit les
Jusqu'à l'arrivée des Afro-Brésiliens, possibilités d'extension d'un édifice, en
l'habitat urbain ne semble guère évoluer. raison de la structure conique du toit qui ne
L'habitant témoigne de son identité culturelle, peut être agrandie au-delà des limites
"ethnique», par le système de culte et non constructives' la portée des poutres en bois
par un marquage particulier de l'architecture n'est pas extensible. La forme rectangulaire
Toutes les constructions sont de plain-pied; autorise au contraire le développement d'un
elles sont édifiées en terre de barre et bâtiment· si la largeur reste limitée par la
couvertes de toits en chaume (la brique de portée des poutres, la longueur peut
terre, crue puis cuite, introduite par les s'accroître, et la surface d'une pièce
Européens, leur est d'abord réservée) Les finalement augmenter
murs d'enceinte sont également en terre, De plus, les édifices royaux appellent la
recouverts de feuilles de palme pour les présence de zones d'attente pour les
protéger des pluies. nombreux courtisans et de lieux de filtrage où
Il est difficile d'établir une antériorité de se tiennent les gardes qUI font également
la forme circulaire des bâtiments sur la forme respecter l'étiquette. Les bâtisseurs semblent
carrée ou rectangulaire Les plus anciens répondre à cette nécessité par l'adjonction au
voyageurs au XVIIe siècle signalent la corps de bâtiment d'une galerie extérieure
présence des deux figures, contrairement à sur une ou plusieurs façades, remarquable
d'autres régions d'Afrique où la "case» ronde dans tous les palais ainsi que devant certains
domine Les édifices au dessin rectangulaire temples. Celle-ci, généralement assez large
semblent plutôt rèservés aux hommes dotés (1,5 à 2 mètres), s'accorde plus facilement
d'une autorité, notamment les souverains. avec la forme rectangulaire d'un bâtiment.
Enfin, l'édification de murs d'enceinte
autour du domaine du souverain rend
possible l'édification de bâtiments mitoyens
qui s'y appuient. La forme rectangulaire
s'accorde également mieux à cet usage
Au regard des relevés effectués, il est
impossible de distinguer morphologiquement
l'habitat houédah de l'habitat fon (il en est de
même entre les différentes ethnies de la
région). Les techniques constructives sont
identiques ainSI que les modes d'organisation
spatiale. Seule la présence d'assins et de
signes propres aux cultes permettent de
repérer des appartenances (par exemple, les
fresques murales figurant le python Ou bien
la présence d'un temple Ninssouhoué
remarquable par ses parois tachetées).
101
1
Les domaines familiaux qui continuent Il est cependant difficile de comparer
à regrouper des lignages ou des segments de ces deux sites dans la mesure où l'espace
lignages et leurs esclaves domestiques mesuré à Savi n'est sans doute pas
s'organisent toujours autour de cours totalement bâti, contrairement à celui de
intérieures et réunissent plusieurs dizaines de Ouidah. Un autre élément de comparaison
pièces, voire plus. Leurs formes ne diffèrent est la surface occupée par le plus grand
guère selon les activités qui s'y déroulent. palais royal d'Abomey qui atteint 40 hectares
(la population de cette ville étant estimée en
La population, qui avoisine au milieu du 1772 par Norris à 24 000 personnes). Là
XVIIIe siècle la dizaine de milliers d'habitants, encore, les comparaisons sont délicates:
n'est toujours pas stable: elle évolue d'une un domaine royal n'est pas une ville; il est
saison sur l'autre ou d'une année sur l'autre, composé d'une multitude de cours et de
en fonction de l'intensité du commerce. Le bâtiments occupés temporairement lors de
document graphique rapporté par l'abbé cérémonies, entrecoupés de zones non
Bullet en 1772 permet d'apprécier le bâties. Toutes ces données tendent à laisser
développement spatial de la cité. Ce plan penser que, malgré son accroissement,
dessine une agglomération compacte Ouidah n'est pas, d'un point de vue
contrairement aux documents antérieurs qui démographique comme en termes de
ne signalent que la présence de forts (ce qui superficie, la plus grande ville du royaume.
ne veut pas dire que des quartiers Malgré la continuité du tissu urbain et
d'habitation n'existaient pas). La ville est la présence d'éléments structurants comme
limitée au sud par les forts, situés à l'écart les forts, le marché et la demeure du
des habitations par crainte des incendies et Yovogan, il est difficile d'établir une
d'éventuelles révoltes. organisation spatiale de l'ensemble de la ville.
Les quartiers des forts ne constituent Aucun axe ne la traverse; les circulations
plus qu'une petite partie de la ville composée semblent toujours définies par les contours
par ailleurs d'une vaste zone au nord, des murs des domaines familiaux. De même,
occupée par les Fons. La présence du aucune grande place ne semble se dessiner.
Yovogan depuis une trentaine d'années a Les visiteurs signalent simplement la
bousculé le mode d'établissement. Il est présence de placettes, situées souvent à
probable qu'il exige que tout nouvel arrivant proximité des temples vodouns et qui
s'installe dans son quartier, ceux des forts permettent d'accueillir la foule des adeptes
n'accueillant que la population employée par lors des cérémonies. D'autres remarquent
la compagnie. non loin du fort anglais (quartier Sogbadji) une
Les visiteurs ne signalent plus à cette place de sinistre réputation, occupée par un
époque la discontinuité urbaine et la présence petit marché: plusieurs centaines de victimes
de vastes terrains cultivés à l'intérieur de y auraient été inhumées au tout début du
l'agglomération; l'abbé Bullet remarque XIXe siècle, à la suite d'une épidémie.
simplement la présence de jardins et de Ce paysage confirme le fait que la cité
plantations dans les cours des habitations. n'est toujours pas dirigée par une autorité
La ville, d'après son plan (cf page 84) unique. Si le Yovogan commande la population
et l'évaluation du voyageur Danois Isert, qui de son quartier, les directeurs contrôlent les
date de la même époque, a un périmètre quartiers des forts. Ce schéma reste dans la
d'environ trois kilomètres, soit moins que la forme assez proche de l'agglomération de
capitale houédah dont la circonférence était hameaux qui prévalait dans le royaume
évaluée par Smith en 1727 à au moins cinq houédah; néanmoins, le développement du
miles (environ 8 km). En terme de superficie, quartier fon et la relative stagnation des
celle de Ouidah serait proche de 60 hectares, autres quartiers marquent la prédominance
soit bien moins que Savi. croissante du Dahomey dans la cité.
102
1
LE COMPTOIR FON
103
Le roi Guézo (1818- les cultes .... Selon
1858), poursuit cette certains historiens,
politique; toutefois il voit Akinjogbin en particulier,
pendant son long règne le Dahomey constitue en
se transformer l'économie Afrique noire un exemple
locale. Le souverain Joue quasi unique de royauté
un rôle important dans absolue, à la manière
l'affirmation du Dahomey occidentale, par
dans la région. Son action opposition aux autres
fut étudiée par un grand royaumes dont le
nombre d'historiens qui ont eu accès à des fonctionnement est plus proche du
sources plus nombreuses du fait de féodalisme, où les relations entre les entités
l'accroissement des contacts politiques politiques sont en termes de vassalité plutôt
directs entre le monde occidental et le que de domination directe.
royaume. La somme de ces travaux ainsi que Son action dans le domaine religieux
ceux concernant son successeur, Glélé, font est parfois analysée comme un «retour aux
que parfois la puissance et l'organisation du valeurs». Il semble plutôt qu'à travers
royaume dahoméen qui se développe sur l'instauration de cultes royaux, il tente
deux siècles sont assimilées à celles de ce d'affirmer un peu plus son pouvoir. On peut
moment «d'apogée» également interpréter cette action comme
Guézo réussit, contrairement à ses une tentative d'alignement des cultes
prédécesseurs, à s'affranchir de la tutelle du vodouns sur les religions monothéistes qui
royaume d'Oyo, dont la puissance régionale commencent à se manifester sur la côte;
est remise en cause par les attaques des en valorisant certaines divinités, il pense
Peuls venus du nord. Afin d'alimenter les accroître leur audience et pouvoir rivaliser
négriers, il poursuivra les razzias chez ses avec les «vodouns chrétiens».
voisins, notamment en terre yorouba et dans Ouidah, le «ventre» du royaume, est au
le pays Mahi, mais il établit dans le même centre de ce projet politique et économique.
temps des contacts diplomatiques avec les En fonction des victoires, le comptoir voit
Européens. Confronté à la diminution de la affluer des milliers d'esclaves qui attirent les
demande en esclaves, il favorise le navires négriers. En revanche, les échecs de
développement de plantations, cultivées par l'armée du Dahomey paupérisent la
ses esclaves. population de la ville (et du royaume) qui n'a
A son action politique et économique, momentanément plus aucun produit à
s'ajoute une réorganisation «administrativo- échanger La disparition du commerce des
religieuse» du royaume. Il découpe le esclaves ne bouleverse cependant pas
territoire en provinces, nomme de nouveaux radicalement le développement de la cité où
responsables à leur tête (notamment un Afro- de nouveaux acteurs économiques, Afro-
Brésilien à Ouidah - cf. chapitre suivant), Brésiliens et Européens, s'implantent et
redéfinit l'assiette de l'impôt sur les développent les cultures de plantation.
marchandises de traite et impose le culte
dans tout le royaume de certaines divinités Il existe deux histoires de la fin de la
qui témoignent de son autorité (les vodouns traite négrière, la première faite de traités
Tohossou et Héviosso en particulier) signés en Europe, et la seconde, sur le terrain
Ce souverain mène à terme le projet qui montre le décalage entre les pièces
de contrôle des populations et des activités écrites et l'activité des négociants Ce
engagé par ses prédécesseurs, en commerce, ouvertement critiqué en Europe
intervenant dans de nombreux champs de depuis le milieu du XVIIIe siècle par les
la vie sociale. l'économie, la police, philosophes puis par d'autres courants
104
1
progressistes de la société, subit une satisfaisant (les marchés des villages de
première déconvenue avec l'indépendance l'intérieur et les comptoirs). Dans les années
des Etats-Unis dont pâtissent les négriers 1840, des firmes françaises, allemandes et
anglais En France, la Révolution entraîne anglaises (les plus dynamiques), s'installent
l'abolition de la traite, rétablie un peu plus sur la côte, notamment à Lagos où l'adminis-
tard par Napoléon Le Danemark sera le tration anglaise commence à s'implanter
premier pays européen à l'abolir La première mission politique menée
définitivement, en 1802, suivi cinq ans plus auprès du roi Guézo est conduite en 1849 par
tard par l'Angleterre qui instaurera en 1819 l'Anglais Sir John Beecroft, qui propose de lui
une brigade maritime chargée d'arraisonner le verser une indemnité s'il consent à cesser la
long des côtes africaines les navires négriers. traite négrière. Il se heurte aux réticences du
La disparition de la brigade en 1869 souverain et des négociants, pour lesquels le
marque la fin effective d'un commerce, qui commerce des produits agricoles semble
ne survit pas à l'abolition de l'esclavage aux incertain Le roi refuse de s'engager tant que
Etats-Unis proclamée quatre ans plus tôt les autres ports, Lagos, Sèmè, Agoué. Porto-
Entre-temps, les autres nations européennes Séguro, continueront la traite.
impliquées dans la traite ont également aboli Du côté français, en 1851, le lieutenant
l'esclavage, la France en 1848, mais ne se de vaisseau Bouët se contente d'entretenir le
sont pas toujours opposées vigoureusement roi sur les intentions de la France de
à sa continuation sur le terrain. Cette position promouvoir le développement de l'agriculture
ambiguë explique la politique des royaumes Les articles du traité signé à l'issue de cette
africains qui poursuivent cette activité. Si rencontre insistent surtout sur la protection
officiellement, les nations occidentales ne des maisons de commerce françaises Ins-
sont plus présentes depuis le début du Xlxe tallées à Ouidah. En 1846, environ 800 tonnes
siècle dans le comptoir de Ouidah, les d'huile sont exportées vers la France
négociants indépendants, en particulier ceux Progressivement des autochtones se lancent
originaires du Brésil, continuent à assurer le dans l'agriculture, encouragés par le roi qui
négoce qui structure depuis presque deux confie la gestion des nouvelles palmeraies à
siècles l'économie locale (Dunglas, 1956) des dignitaires (les familles Adjovi et Quenum
Les nations occidentales s'attachent avec sont particulièrement entreprenantes)
plus ou moins de succès à proposer aux Parallèlement, les maisons de commerce
souverains négriers des activités de s'implantent dans d'autres sites: la maison
substitution. Ils encouragent l'installation de Régis se fixe à Porto-Novo, ville autour de
maisons de commerce dans les comptoirs et laquelle commence à se développer une
engagent des négociations politiques vaste palmeraie et où la France établit en
Le passage en quelques dizaines 1863 un traité de protectorat avec le roi En
d'années d'une économie où l'esclave 1876, environ 1700 tonnes sont exportés
"produit d'exportation" devient producteur de depuis Ouidah; plus de 4000 tonnes quittent
biens, s'explique localement par l'existence à la même époque la côte (1 Houéchenou,
de structures favorables: un milieu naturel 1985) Les derniers esclaves" invendus" sont
propice aux cultures de employés dans les
plantation (le palmier à champs de culture du roi
huile), une main-d'oeuvre La propriété foncière
abondante et disponible devient un facteur
(les esclaves), la présence d'enrichissement mais
des intermédiaires (les cette valeur nouvelle du
marchands qui cherchent sol ne va pas sans
à se reconvertir), et enfin susciter des conflits entre
un réseau de distribution, les nouveaux acteurs.
105
1
Des rivalités existent entre les maisons de Dans la première moitié du Xlxe siècle,
commerce de différentes nationalités, entre d'autres populations migrent vers les
celles-ci et les acteurs locaux, en particulier le comptoirs. Les esclaves en route vers
roi qui contrôle un vaste domaine et les Afro- l'Amérique dont les navires ont été
Brésiliens. La conquête coloniale entreprise à arraisonnés par les vaisseaux anglais sont
la fin du siècle s'inscrit dans ce contexte d'abord ramenés dans leurs bases, en
économique. particulier dans la ville nouvelle de Freetown
Les maisons de commerce occidentales en Sierra Leone. Une partie d'entre eux,
à Ouidah ne sont pas nombreuses, environ originaire du monde Adja et Yorouba, émigrera
une dizaine au milieu du XIXe siècle. rapidement vers les comptoirs de la Côte des
Certaines négocient le droit d'occuper les Esclaves. Cette communauté, présente à
anciens forts comme la maison Régis qui Ouidah dès le début du XI Xe siècle (Verger,
s'installe en 1841 dans le fort français. Après 1968), s'installe dans les quartiers existants
accord du roi du Dahomey, le site sert et loge dans les habitations des propriétaires
d'habitation et de lieu de stockage des fûts de plantations qui les emploient pour cultiver
d'huile de palme. D'autres, en l'occurrence la ou comme domestiques. Leur statut n'est
maison Swanzy de Londres et la maison pas radicalement différent de celui des
Goedelt de Hambourg, se font construire des anciens esclaves.
bâtiments non loin du marché. En 1864, A ces hommes s'ajoutent des Yorubas
l'abbé Bouche remarque quelques maisons venus de l'ouest, des terres du royaume
à étage, habitées par des Européens. d'Oyo. Ils fuient le nouveau pouvoir peul qui
L'influence sur le développement domine désormais la région et demandent
urbain des acteurs économiques européens asile aux habitants des comptoirs avec
est beaucoup plus faible que celle de leurs lesquels ils ont depuis longtemps des liens.
prédécesseurs. Leurs établissements sont Ils s'installent selon les mêmes modalités
pour la plupart installés dans un quartier que les anciens esclaves et n'ont pas non
existant, qui possède déjà une vocation plus nécessairement un statut meilleur. Un
commerciale. Ils ne génèrent pas comme les autre groupe, les Afro-Brésiliens, aura à cette
forts la formation de nouveaux quartiers: la époque une toute autre place dans les
main-d'oeuvre, contrôlée par le roi, travaille comptoirs et une toute autre incidence sur
désormais dans les champs. leur développement.
vue cavalière du fort français de Ouidah en 1846 occupé par la factorerie Régis
106
1
LE COMPTOIR FON
107
1
LE COMPTOIR FON
108
1
La diversité des statuts induit des Tous ces hommes, en arrivant en
niveaux différents de «brésilianisation ou de Afrique, ont un statut particulier et la plupart
Bahianisation» comme le souligne l'écrivain d'entre eux ne retournent pas dans leurs
brésilien Gilberto Freyre Leur «intégration» villages «ancestraux», que souvent ils
dans la société brésilienne se remarque ignorent. Ils préfèrent s'installer dans les
notamment au niveau religieux. Si ces comptoirs dont l'économie leur rappelle plus
peuples apportent les cultes vodouns à Bahia, le monde où Ils ont vécu de longues années
et même pour certains l'islam, dans le même Ils y rencontrent ceux qui les ont précédés
temps, certains investissent la religion dans le retour mais également d'autres
catholique et diffuseront ce culte à leur retour «étrangers» qui leur sont culturellement
en Afrique. souvent plus proches que les «autochtones»
Il s'agit des commerçants et des navigateurs
brésiliens et portugais qui ont cherché à faire
fortune en Afrique dans le négoce des
esclaves de manière indépendante ou en
représentant les intérêts des maisons de
commerce de Bahia ou de la compagnie
portugaise de traite. Ils sont également
qualifiés d'Afro-Brésiliens et sont installés
parfois depuis plusieurs générations dans les
comptoirs où ils ont formé une micro société.
Ce type d'acteur économique est
d'ailleurs présent sur toute la côte ouest de
l'Afrique, de Saint-Louis du Sénégal à l'Angola.
Quelle que soit leur nationalité d'origine, ces
négociants se sont unis «à la mode du pays»
avec des Africaines. Leurs descendants,
qualifiés selon les lieux de mulâtres, métis ou
créoles, deviennent des agents économiques
très dynamiques du fait de leur connaissance
de deux mondes culturels.
Les éléments qui réunissent tous ces
hommes sur la Côte des Esclaves sont l'usage
du portugais et l'exercice de certaines activités.
La majorité des Afro-Brésiliens qui reviennent
n'était pas assignée au Brésil aux tâches les
plus dures et vivait dans les villes. Ils
recherchent en Afrique des sites où ils
peuvent exercer leurs savoir-faire et se fixent
dans les comptoirs où existe une certaine
demande et où les échanges sont
monétarisés. Ils y introduisent de nouvelles
activités, telles que les métiers de charpentier,
peintre, maçon, boulanger, pâtissier, tailleur,
coiffeur. Dans le même temps, d'autres font
du commerce, en devenant parfois
intermédiaires à leur tour dans le négoce des
esclaves, d'autres enfin se consacrent à
l'agriculture dans les périphéries des villes.
109
1
une maison brésilienne à proximité de Bahia
une maison afro-brésilienne de Ouidah
LE QUARTIER AFRO-BRESILIEN
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LE COMPTOIR FON
112
1
LE COMPTOIR FON
LE CHACHA DE SOUZA
113
1
LE COMPTOIR FON
114
1
L'incendie prend une valeur nouvelle
avec les investissements immobiliers des
Afro-Brésiliens. Très fréquents dans les
établissements humains en raison des
matériaux employés pour les toitures et de
l'installation des feux de cuisson à l'intérieur
des habitations, ils sont considérés
traditionnellement comme une fatalité, voire
un châtiment. Les habitants, ne sachant
comment lutter contre le fléau, s'en
remettent aux divinités pour les protéger.
Après avoir consulté les vodouns appropriés,
ils reconstruisent leurs maisons, ce qui dans
l'économie locale ne nécessite pas un
investissement important: les matériaux
(terre, bois et paille) sont trouvés sur place et
les esclaves fournissent une main-d'oeuvre
abondante et gratuite.
La densification des constructions dans
les comptoirs (cf. plan de l'abbé Bullet)
accroît les dangers. En 1864, un incendie
ravage les deux tiers de la ville y compris le L'incendie de la ville en 1864 :
fort qui accueille alors la maison Régis. De (rie commencement de l'année fut
plus, les Afro-Brésiliens (comme les marqué par une terrible catastrophe,
qui détruisit les deux tiers de notre
Européens). en investissant sur le bâti et ville. Le vent du nord soufflait depuis
dans l'ameublement. accordent plus de huit jours. En traversant le désert, ce
valeur à l'habitation et refusent la fatalité de vent acquiert une chaleur qui
l'incendie. Le tracé des premières voies de dessèche bien vite toute végétation;
communication dans le tissu urbain s'inscrit et les toits, recouverts d'herbes
sèches, présentent une matière
dans cette logique. inflammable que la moindre étincelle
D'autres Afro-Brésiliens eurent leur suffit à embraser... en moins de
heure de prospérité à Ouidah, par exemple, quarante minutes, la ville était en
Pedro Félix d'Almeida, qui se livra au flamme, et l'incendie devint si
commerce d'huile de palme ou Sabino Viera,
intense, qu'il gagna les campagnes, et
ne s'arrêta qu'aux premières nappes
un des anciens esclaves de Chacha, originaire d'eau qui lui barrèrent le passage. La
du Nigeria. La richesse et la puissance du factorerie française offrit un spectacle
Chacha disparaissent avec sa mort en 1849. indescriptible: de vastes bâtiments,
Ses biens sont partagés entre le roi Guézo et de grands chantiers, des centaines de
sa nombreuse descendance (il reconnut une
tonneaux d'huile de palme et d'eau-
de-vie, des marchandises de toute
cinquantaine de fils). espèce formaient un foyer dont la
flamme s'élevait vers le ciel à une
immense hauteur»
P. Borghéro, cité par A. Bouche in la côte des Esclaves (1885).
115
1
Politiquement, le successeur du roi Guézo ne
s'appuie plus aussi directement sur cette
famille; l'un de ses descendants, Chacha «Vn,
commettra d'ailleurs l'erreur de tenter de
faite signer au roi Glélé un traité de protectorat
entre le royaume et la puissance portugaise
en lui dissimulant certaines clauses. Lorsque
le roi s'aperçut de cette supercherie, il ne dut
son salut qu'à la fuite.
Si la fortune des Chacha se dissout au
point de n'être plus identifiable quelques
dizaines d'années après sa mort, en dehors
des propriétés foncières (qui n'ont pas en ville
une valeur monétaire importante). la
communauté afro-brésilienne acquiert une
place essentielle dans l'économie locale. Elle
ne constitue cependant pas un groupe très
nombreux. Le Résident français recense en
1884 une centaine de personnes à Porto-Novo
(il s'agit sans doute des chefs de famille) ;
.... on peut penser qu'il y en a à peu près le
même nombre à Ouidah à cette époque.
A Lagos, l'administration anglaise
l'estime en 1871 à 1237 personnes, chiffre
qui ira en s'accroissant du fait de
l'encouragement des autorités britanniques.
~13 ~ q Celles-ci, conscientes de l'innovation
qu'apporte ce groupe, feront de Lagos leur
principal pôle de regroupement sur la côte et
le domaine de Chacha occupe un vaste îlot du quartier Brésil, s'appuieront sur cette communauté pour
il abrite le cimetière privé et les bâtiments réservés aux cérémonies familiales (hachurés) développer des activités nouvelles.
plan du cimetière de la collectivité de Chacha récemment restauré grâce aux dons des descendants, y compris ceux qui habitent
aujourd'hui au Brésil
116
1
Le Chacha ((bâtit une vaste et
commode maison pour sa résidence
principale dans un site pittoresque,
près d'un ancien fort portugais en
ruines. Tous les conforts de la vie,
tout ce que le luxe peut imaginer pour
la gratification des sens abondaient
dans son établissement. La Havane,
Londres et Paris étaient également
mis à contribution par lui. Les vins,
les mets les plus exquis chargeaient
sa table. Sa garde-robe aurait fait
honneur à plus d'un prince; les plus
belles femmes de la côte ne
-
r
ms a ~ §§ ~ . - ~
CDlO 11 11 00 DOi
DO;
DD il li 1i 00 ~ ~
117
1
LE COMPTOIR FON
118
1
LA P E R MAN E NeE D U RELIGIEUX
119
1
LE COMPTOIR FON
De nouveaux vodouns ?
((Le roi Guézo avait depuis
longtemps voulu s'initier à notre
L E CUL T E ROY A L religion à laquelle il attribue notre
supériorité sur les noirs; comprenant
difficilement l'idée abstraite que nous
e caractère divin du roi se manifeste de nous faisons de l'être suprême, il
L différentes façons, qui ont sans doute
évolué avec le temps: les analyses
pouvait encore moins la rendre
saisissable à son entourage et, à
forces d'instances, il avait obtenu de
historiques des cultes concernent en priorité la factorerie française qu'on lui
l'époque des «grands rois», Guézo et Glélé envoyât à Abomey un certain nombre
au XIXe siècle. La personne du roi fait l'objet de statues représentant Dieu et
de multiples marquages qui le différencient quelques saints, et, comme celles qui
ornent nos églises, destinées à fixer
de tout un chacun: tatouages du corps,
les idées des néophytes de son
attitudes et déplacements définis selon une royaume...
étiquette rigoureuse; le souverain ne peut se Au nombre des cadeaux que la
déplacer en certains lieux, par exemple au factorerie destinait à Guézo, il y avait
bord de la mer, et ses contacts avec les sept statues de grandeur naturelle:
une majestueuse figure de Dieu,
«humains» sont limités. Son statut particulier Saint-Paul, Saint-Laurent, Saint-
se manifeste également par le port de Etienne, Saint-Roch, Saint-Vincent-de-
certains attributs mettant en valeur son corps Paul et Saint-Bernard, auxquelles le roi
(sceptre, colliers...). par son habillement (lui avait ordonné de rendre les plus
seul porte des vêtements rouges). par des grands honneurs»
ln revue coloniale, cité par Cornevin, Histoire du Dahomey, page 282.
sièges ouvragés (coutume reprise de la
tradition des rois Ashantis). La confection de
ces ornements mobilise de nombreux
artisans (de même que les parures des
vodouns lors des cérémonies). Le génie
artistique ne s'exprime quasi exclusivement
qu'à l'intérieur de cet espace social.
Le culte de la dynastie royale est
complété par une autre croyance qui marque
plus directement la toute puissance du roi:
Les divinités «Tohossou», enfants monstres
fruits d'une alliance entre un homme et un
être inhumain, sont directement attachées
aux rois. L'adhésion au culte, d'abord réservé
aux dignitaires royaux, implique le respect
"O~'
d'un certain nombre de règles pour bénéficier
de la puissance du vodoun et bien entendu
", •• • • • • • 1 '.'
plan du temple Ninssouhoué {CH chambre, FE fétiche, SA salon, TE temple, TOM tombel
120
1
La plupart des souverains se font
construire un temple Tohossou à proximité de
leur palais: on en compte onze à Abomey,
auxquels s'aloutent les petits temples privés
des dignitaires royaux.
L'entreprise de colonisation fon se
traduit par l'installation à Ouidah et dans sa
région du culte royal qui se manifeste sous
une appellation particulière: les divinités
prennent le nom de Ninssouhoué,
(Nensuxwe), tout en étant intégrées au
panthéon des vodouns Tohossou. (Cette
distinction n'est pas totalement éclaircie;
selon S Agninikin, 1985, Tohossou et
Ninssouhoué constituent deux facettes du
même culte).
Comme à Abomey, la divinité,
représentée par une série de petits pots en
terre percés de trous, est toujours logée dans
marques caractéristiques des murs des temples Ninssouhoué un bâtiment rectangulaire assez bas et tout
en longueur, également reconnaissable par le
badigeon de chaux blanche tachetée de
rouge qui recouvre les murs. A Ouidah, le
temple est situé dans le quartier Fonsramé.
Au bâtiment abritant la divinité, s'ajoute une
vaste concession occupée par le prêtre et
quelques adeptes. L'une des pièces accueille
Selon d'autres sources, c'est son les assins des ancêtres. D'autres temples
successeur Tegbessou qui l'aurait installée, Ninssouhoué sont bâtis dans les domaines
sous l'influence de sa mère. La diffusion du des dignitaires royaux (on en dénombre
culte s'étale sur une longue période. Il aujourd'hui sept à OUidah).
semble que les rois Guézo et Glélé aient joué
un rôle important dans ce processus. Sous
leur règne, chaque clan fon est affilié au culte
qui acquiert une fonction identitaire et qui
ordonne les relations entre les différentes
composantes de la société
Contrairement à la majorité des autres
croyances, il se manifeste par la présence de
nombreux temples immédiatement
identifiables par leur forme: un bâtiment tout
en longueur, de forme rectangulaire et de
faible hauteur, souvent bordé par des
colonnades de section carrée. En outre, les
murs sont presque toujours parsemés de
tâches rouges (couleur royale), à l'image de
l'ancêtre animal, la panthère. Lors des
cérémonies, les adeptes se peignent le corps
de tâches identiques.
121
1
LE COMPTOIR FON
1
LES CULTES POPULAIRES Présent dans les sociétés adja et
yorouba, le culte de la divinité Héviosso a été
encouragé par les Fons, en particulier par le
Si les cultes royaux sont apportés par le roi Guézo, qui l'ont progressivement diffusé
Dahomey, de nombreuses autres croyances dans tout le royaume et ont ainsi affirmé leur
présentes à Ouidah résultent d'autres domination (sa place et sa fonction ont été
migrations. La ville draine une population notamment étudiées chez les Ouatchi, une
venant d'horizons divers, du monde AdJa au population côtière localisée aUJourd'hui à la
monde yorouba. Certains cultes ont une large frontière du Togo, in Gilli, 1976)
audience sur la côte et peuvent être Divinité céleste de la foudre et de la
pratiqués par tout un chacun; d'autres sont pluie, qui symbolise à la fois le feu et l'eau,
plus privés. A partir de la recherche menée elle présente comme tous les vodouns
par Mmes Légonou-Fanou et Tall, nous plusieurs aspects: elle est à la fois un
présentons ici ceux qui sont encore bienfaiteur (la pluie alimente les cultures) et
particulièrement vivants dans la cité. un justicier implacable. La foudre qu'elle
envoie n'est jamais le fruit du hasard mais un
châtiment divin: la personne qui pérît à cette
occasion est considérée coupable des pires
méfaits et ne mérite même pas d'être
enterrée; sa dépouille appartient aux
adeptes: ((ils s'approprient le cadavre, le
traÎnent dans la rue en le maltraitant et en
l'injuriant, puis ils exigent des parents de
fortes sommes d'argent pour apaiser la
divinité. Seule une partie du corps du cadavre
(ongles, cheveux et crâne) est restituée à la
famille pour les funérailles La place Sogbadji,
littéralement l'emplacement de 50, la foudre,
est le lieu où l'on procédait aux interrogations
de cadavres)) (Tall/Légonou-Fanou, 1991).
Cheveux et ongles ont une
valeur particulière dans les
cultes vodouns. Ils
constituent les symboles de
la croissance de la personne
et sont particulièrement
précieux. Le chef d'un culte
peut exiger que les adeptes
donnent au vodoun ces
éléments, signes de leur
soumission (les adeptes des
cultes ont généralement le
crâne rasé). Tout
manquement à la règle peut
être ainsi puni par le chef du
culte qui conserve ces
éléments. De même, leur vol
ou leur confiscation permet
les pires manipulations.
vêtue de rouge, une prêtresse du temple Ninssouhoué ; lors des cérémonies, hommes et femmes se parent de leurs plus beaux vêtements
on
123
1
Le vodoun ne possède cependant pas
de temple propre à Ouidah, contrairement à
d'autres lieux mais il est souvent représenté
sur les façades des temples des autres
divinités La double hache stylisée,
généralement de couleur rouge, couleur
royale, rappelle de manière discrète la
suprématie du Dahomey. Ses liens avec les
autres divinités sont nombreux et diffèrent
selon les régions. Dans le royaume yorouba
d'Oyo, Héviosso est associé au vodoun du
fer et de la guerre, Ogoun. Dans le monde
fon, il est placé dans une relation de cadet
face à son aîné, le vodoun de la terre,
Sakpata (Palau-Marti). Dans le même temps,
il est associé à la divinité de l'arc-en-ciel, Dan,
qui symbolise la prospérité: l'arc-en-ciel
apparaît souvent après l'orage où la foudre
peut se manifester. A Ouidah, il est présent
dans d'autres cultes, notamment les cultes
ci-dessus: le temple de Dagbo Hounon lignagers, et dans celui d'Adantohou, le
ci-dessous: une adepte du culte au crâne rasé et Dagbo Hounon, le «chef des féticheurs» vodoun de la mer.
Ce dieu cruel et implacable, à l'image
de la royauté, n'épargne pas les étrangers:
Un prêtre catholique fut même jeté en prison
en 1863 car la foudre était tombée sur le fort
portugais où il résidait. Finalement, il fut
contraint, face à la vindicte populaire, de
payer une forte amende.
124
1
le temple de Mahou Adimoula,
dans tous les temples, organisés comme des concessions, de nombreuses pièces servent aux retraites des adeptes
125
1
LE COMPTOIR FON
126
1
Il s'organise comme de nombreuses
habitations autour de plusieurs cours; certains
bâtiments, réservés aux adeptes, forment le
«couvent», occupé de manière temporaire.
La grande fête de célébration de la
divinité, dont les rituels s'étalent sur une
quinzaine de Jours, ne semble pas s'être
déroulée selon un rythme très régulier, même
si elle est très ancienne: plusieurs voyageurs
considéré comme responsable des accidents de la route occidentaux du XVIIe siècle la décrivent.
Actuellement, elle a lieu tous les sept-huit ans.
Elle est caractérisée par une grande
procession allant de Ouidah à la plage où initiés
et non initiés se réunissent pour festoyer.
Entouré des adeptes portant des jarres et les
symboles du culte, le prêtre se rend à la plage
puis monte seul sur une barque qui s'éloigne
en pleine mer. La légende raconte qu'il
pénétrait autrefois dans la mer et s'y enfonçait
à la rencontre du vodoun. Les adeptes
déposent dans des plats qui flottent les
offrandes afin que la divinité se restaure
A son retour, les festivités commencent.
Il est fréquent que des femmes entrent dans
des transes interprétées comme des
manifestations du vodoun. Une fois les jarres
sacrées remplies d'eau de mer, le cortège se
met en marche vers la ville tout en chantant
et en dansant. Les femmes saisies de
transes iront ensuite se retirer dans le
couvent afin d'être initiées.
Le culte le plus célèbre à Ouidah, peut-
être en raison de la grande cérémonie qu'il
occasionne, est celui dédié à la divinité
incarnant la mer, Adantohou, initialement
honorée par les pêcheurs houélahs. Ce Le pouvoir de la divinité Dan:
vodoun génère plusieurs sous divinités (Source de richesses
(Hou, le père, Naété, la mère.), composant merveilleuses, - ne dit-on pas que ses
un panthéon et figurées chacune par différents excréments sont des perles et des
pierres précieuses -, cette divinité
états de la mer, calme ou déchaînée ..
protège également les orphelins et
Adantohou est placée sous l'autorité de aide les femmes stériles. Son avatar
la divinité fon Heviosso. Le chef de culte, moderne est Mami Wata que l'on
Dagbo Hounon est également considéré retrouve sur toute la côte du Golfe de
comme le chef de l'ensemble des cultes Guinée. Considéré comme un esprit
bienfaiteur, Oan dans son aspect
vodouns à Ouidah Le vodoun de la mer
négatif est terrifiant .' il peut
possède le plus grand temple de la ville et apparaÎtre sous les traits d'une
le plus grand nombre d'initiés. L'édifice où femme n'ayant qu'un seul sein au
réside le prêtre, ne présente pas d'intérêt milieu de la poitrine ou encore
architectural (cf plan page 124) comme un homme très grand recou-
vert d'un drap blanc. Ces apparitions
sont considérées comme pouvant
entraÎner la mort"
(Tall/Légonou-Fanou op. ciL)
127
1
AUJourd'hui, tous les chefs de culte de LES AUTRES CROYANCES
Ouidah se retrouvent dans cette fête, pouvant
réunir plus d'un millier de personnes. La
ux cultes qui touchent une grande part
notoriété de la cérémonie, qui attire de
nombreux touristes, est liée à sa dimension
festive mais également à la diffusion du culte
A de la population, s'ajoutent ceux réseNés
à un clan ou à un lignage L'enquête menée à
au Brésil par les esclaves: une cérémonie Ouidah identifie plusieurs dizaines de clans
similaire a lieu régulièrement sur une plage associés à des ancêtres éponymes. Les
bordant la ville de Bahia. vodouns de chacun de ces clans sont pour la
plupart rattachés au panthéon de la divinité
La divinité Sakpata est également très Héviosso.
présente dans la ville. Elle incarne un autre
élément naturel, la terre, et manifeste sa
force par les maladies éruptives et
contagieuses. L'apparition d'épidémies de
variole fut longtemps considérée comme le
signe d'une offense à Sakapta. D'origine
yorouba, elle a été diffusée sur cette côte par
l'ethnie mahi qui lui voue un culte très
important Le roi Agadja la leur aurait
subtilisée lors d'une guerre pour décimer les
troupes ennemies A Ouidah, d'autres
vodouns relèvent du panthéon Sakpata, mais
aucun temple ne lui est consacré.
Il faut encore citer Gou (également écrit
Ogou ou Ogoun), la divinité du fer et de tous
ceux qui manipulent ce métal, forgerons,
cultivateurs, guerriers et aujourd'hui
mécaniciens et chauffeurs. D'origine yorouba.
elle aide les hommes et les vodouns dans
leur vie quotidienne. Comme la divinité du
tonnerre, Gou a des manifestations très
violentes: autrefois les guerres et les crimes
commis avec des armes blanches,
aujourd'hui les accidents de la route et les
meurtres perpétrés avec des armes à feu,
sont les signes d'un châtiment divin ou de la
sollicitation du vodoun par un ennemi.
Afin de connaître les coupables des
morts violentes, il est fréquent de l'invoquer
et de lui offrir des présents. Honorée à
l'intérieur des habitations, et dans certains
temples, la divinité est représentée par un
amas de pièces métalliques, aujourd'hui
souvent composé de pièces usagées de
moteurs automobiles ou d'autres objets en
métal (machine à coudre ...), installés le plus
souvent dans les cours. A Ouidah aucun
temple ne lui est dédié.
128
1
D'autres cultes ont une dimension plus
domestique et plus personnelle, à la manière
des dieux lares de l'Antiquité. Ils ne
nécessitent pas d'intermédiaires humains
pour bénéficier de la protection de la divinité
et protègent les familles et leur maisonnée.
Celui dédié à "Houéli» qui signifie
littéralement "asseoir la maison», est présent
dans toutes les habitations, excepté celles
des Yoroubas. Il rend serein l'espace
domestique en chassant les mauvais esprits
qui voudraient s'y introduire. L'autel au
vodoun, généralement isolé des autres
autels, est situé dans une petite cour ou dans
un renfoncement de mur.
Les Jumeaux sont également perçus
comme des divinités protectrices et font
l'objet de rites particuliers. Dans les
habitations et aux abords des temples, les
autels ont la forme de petites poteries
retournées. En outre, les personnes en
voyage peuvent emporter un petit autel
portatif ressemblant à une maison de poupées.
Enfin, certaines divinités ont un statut Protecteur des lieux et des gens qui les
original. Plus proches des humains, elles ne fréquentent, on le retrouve à l'entrée de la
possèdent pas le pouvoir et la cruauté plupart des maisons familiales. Doté d'un statut
attribués aux précédents vodouns. de messager et de médiateur, il est présent
Le Fa est à la fois une divinité personnelle et dans les temples (souvent à l'entrée) et se
un art divinatoire qui permet de communiquer manifeste sous la forme d'un autel. En outre,
avec les divinités et de connaître son destin. les adeptes rappellent son existence lors des
La plupart des familles possèdent un "Fa», cérémonies vodouns : ({coiffés de chapeaux
dont la matérialisation est un petit autel, et vêtus de jupes de paille, couverts de
présent dans l'habitation Le culte, d'origine nombreux colliers de perles et de cauris .. ils
yorouba, aurait été apporté à Ouidah au cours brandissent au cours de la cérémonie, caché
du Xlxe par un prince vendu à un marchand sous leur jupe, un volumineux phallus de
d'esclaves. bois, ce qui ne manque pas de faire hurler de
rire l'assemblée» (Tall/Légonou-Fanou, 1991)
Le culte dédié à Legba, l'enfant terrible Enfin, certains souverains se l'appro-
du couple créateur Mahou-Lissa, est très prient et l'utilisent pour marquer le territoire.
populaire. A la fois bon et mauvais, Legba est Le roi Agadja dispose des Legba le long de la
le plus humain de tous les vodouns. route reliant Abomey à la mer et encadre au
Généralement présenté par un phallus ou nord et au sud l'établissement de Ouidah de
sous une forme humaine grossièrement deux autels qui rappellent sa conquête. L'un
taillée, il est présent à la campagne est localisé dans le village de Zoungbodji ;
(aux carrefours de routes) comme en ville: l'autre est aUJourd'hui situé dans la périphérie
le Legba du marché Zobé, Ayizan, en est le nord de Ouidah, au carrefour de deux routes,
gardien; la légende raconte que son autel est non loin du temple Ninssouhoué, où ont lieu
bâti sur le corps d'un homme sacrifié. les cérémonies dédiées à "Agadja Legba».
129
1
LES FONCTIONS DES CULTES indique la raison d'être de la cité et de ses
habitants, l'échange avec les sociétés
d'Europe et d'Amérique. Dans le même
a vie cultuelle à Ouidah se structure au
L cours de l'histoire autour de quelques
grandes divinités. Celle du python est propre
temps, elle rappelle le brassage social à
l'intérieur de la ville. En ce sens, Ouidah
affirme sa différence avec les sociétés rurales
aux Houédahs. Ninssouhoué et Héviosso voisines, généralement peu ouvertes sur
(et dans une moindre mesure Agadja Legba) l'extérieur.
marquent de différentes façons la Ce système de croyance établit
prédominance du Dahomey dans la cité. également une représentation originale de
Les «Dan» symbolisent l'accès à la richesse l'espace. La maisonnée accueille les assins
matérielle qu'incarne le Chacha De Souza. des ancêtres et les autels des vodouns
En d'autres termes, ces cultes mettent en lignagers et domestiques. Les assins sont
scène une étape de l'histoire sociale. généralement localisés dans une pièce tandis
Aux grands cultes, aux rituels parfois que les autels des vodouns peuplent plutôt
spectaculaires, il faut ajouter ceux dont les les cours.
rites sont plus discrets, en particulier Sakpata Les temples ne sont bâtis que pour les
et Gou, qui rappellent la place prépondérante grands cultes qui exigent généralement des
de la civilisation yorouba, et de ses rituels d'initiation enseignés dans les pièces
royaumes. Leur force à Ouidah (on peut qualifiées de «couvents». Les constructions,
également citer le culte des Revenants). rend à l'exception de celles de la divinité royale
compte du peuplement de la ville: Ninssouhoué, ne sont pas repérables par leur
de nombreux esclaves y ont fait souche. architecture. Seul un drapeau blanc accroché
Même s'ils ont été assimilés aux familles de à un mât ou surmontant un toit signale la
leurs maîtres, et sont qualifiés de fon, leurs présence d'un temple (pratique ancienne
croyances religieuses les renvoient à leurs remarquée par de nombreux voyageurs). Les
origines. En outre, depuis le début du peintures murales peuvent également
Xlxe siècle, des Yorubas ont émigré de plein rappeler la présence d'un espace religieux.
gré dans la cité. Il faut encore signaler les nombreux
Les cultes familiaux permettent autels propres à certains cultes, installés au
également d'identifier les appartenances bord des rues et des routes. Il est parfois
socioculturelles des groupes résidants. Quant difficile de les identifier tant leur volume et
aux cultes domestiques, ils n'ont pas une leur forme sont peu remarquables pour un
fonction identitaire aussi lisible mais oeil occidental: petites poteries posées dans
rappellent, au niveau quotidien, un renfoncement de mur, monticule de terre
l'omniprésence du sacré. de quelques dizaines de centimètres de
La multitude de cultes, qui se haut... Enfin, il convient d'ajouter dans cette
développent à différents niveaux géographie sacrée les sites des cérémonies
sociologiques, souligne la force d'une pensée qui relèvent plus directement de
religieuse qui préside à la plupart des l'environnement naturel: les mares où les
activités humaines, et qui, dans le même adeptes vont puiser l'eau pour les
temps, permet de distinguer les groupes cérémonies, les bosquets où ont lieu certains
sociaux. Ce système de distinction est rituels, la mer...).
accompagné de manifestations qui scellent La diversité et la dispersion des
l'union de toutes ces communautés. espaces sacrés font que tout l'environnement
La grande cérémonie dédiée à la mer, humain est traversé par une pensée
d'origine sans doute Houélah, reprise par les religieuse, qu'il est difficile encore aujourd'hui
Houédahs puis contrôlée par les Fons, et qui d'autonomiser de la vie sociale. La fondation
réunit aujourd'hui tous les chefs de culte, d'une habitation nécessite toujours d'obtenir
130
1
LE COMPTOIR FON
la protection du génie du lieu et son accord coloniale, ne les amène pas à abandonner les
pour qu'il cohabite avec les divinités anciennes croyances. Malgré le
familiales; à cette fin, des rituels sont développement de religions monothéistes, le
accomplis. Les sites des lieux de cultes ne système vodoun est toujours présent et
sont cependant pas figés: les vodouns et les conserve les mêmes fonctions chez une part
reliques sacrées peuvent être transportés en encore importante de la population, en
fonction d'événements qui modifient les particulier à Ouidah, ville mémoire d'un
rapports sociaux et économiques (guerres .. .). système religieux et politique, au même titre
Mais ce déplacement ne peut se faire de qu'Abomey.
manière inconséquente, au risque de perdre Ce dynamisme s'explique par la
la protection de la divinité. fonction sociale des cultes mais également
A de nombreuses reprises réinstallés par leurs très grande adaptabilité à la
dans de nouvelles constructions, voire de modernité. Si les sacrifices humains ont
nouveaux sites, les vodouns de Ouidah disparu, le système d'interprétation et les
participent à l'élaboration d'une rituels intègrent régulièrement des éléments
représentation du monde que plusieurs du monde d'aujourd'hui, comme en
siècles d'histoire mouvementée n'ont pu témoignent la place accordée aux accidents
radicalement modifier. La matérialité des lieux de voitures dans le culte du vodoun Gou ou
des cultes est presque inversement bien le regroupement de toutes les
proportionnelle à la puissance attribuée aux cérémonies vodouns à une même époque,
vodouns. Le système de culte repose sur la en dehors de la saison des cultures,
croyance en cette société imaginaire, double demandé il y a quelques années dans un
de la société humaine, composée de divinités souci de rationalité économique par le
regroupées en familles et rappelant dans leur gouvernement à tous les prêtres
hiérarchisation l'ordre politique en place tout <,féticheurs». Dans ce contexte, il n'est pas
en définissant une morale extrêmement étonnant de voir comment la matérialisation
sévère. Tout individu pour avoir une place des cultes (autel, construction ... ) fait appel à
dans la société est tenu de respecter l'ordre des matériaux contemporains, parfois de
Institué par les cultes et de subir ou de récupération.
supporter l'inhumanité des divinités. En outre, la valeur accordée à une
Des centaines d'esclaves, hommes et divinité implique la construction d'un espace
femmes, seront régulièrement sacrifiés lors cultuel digne d'elle, c'est-à-dire faisant l'objet
des cérémonies dédiées aux grands cultes d'un sacrifice, qui se traduit aujourd'hui
(Héviosso, Ninssouhoué, Gou ... ) afin que les principalement par des dépenses d'argent.
vodouns, ainsi régénérés, assurent la L'usage de matériaux coûteux, donc importés
protection et la prospérité du roi et de sa (ciment, carrelage ...) atteste du respect
cour. La puissance du vodoun ne se donne accordé à la divinité; à l'inverse, la
pas à lire dans la magnificence des lieux de conservation d'un temple en matériaux
culte mais repose plutôt sur le nombre de locaux aUJourd'hui marque, comme pour le
personnes dont la vie est offerte à la divinité. culte des ancêtres,
L'apparition de nouvelles religions, en la perte de notoriété
particulier le catholicisme à la fin du XIXe voire de puissance
siècle ne remet pas en cause ce système, du vodoun. Nous
même si les prêtres vodouns voient d'un sommes bien loin
mauvais oeil le traitement de faveur accordé du système de valo-
par les colonisateurs à la nouvelle divinité risation patrimoniale
qu'incarne le Christ. L'adhésion des habitants des lieux de culte
à ce culte, souvent perçu comme un moyen dans les sociétés
d'ascension sociale dans l'économie occidentales !
131
1
partir du milieu du XIXe siècle, les
A grandes nations européennes, en
particulier la France et l'Angleterre,
développent un projet de colonisation du
monde. En
Afrique, les
deux pays L'ENTREPRISE D E COLONISATION
se trouvent
en concurrence Sur la Côte des Esclaves, les
Anglais sont les plus présents car ils sont
déjà impliqués dans la lutte contre la traite
clandestine. Ils envoient des missions auprès
des souverains locaux, visant à obtenir son
interdiction et à développer des cultures de
plantation.
Dès 1851, ils s'installent dans le Dahomey autorisant les Français à
comptoir de Lagos, situé à une centaine de commercer dans ce comptoir. Le souverain
kilomètres à l'est de Ouidah. L'établissement les préfère aux Anglais qui n'hésitent pas à
et les terres environnantes seront user des armes pour imposer leurs vues:
progressivement annexés par l'administration leurs navires de guerre bloquent à plusieurs
anglaise qui en fera sa première zone de reprises les ports et empêchent tout trafic.
colonisation dans la région. Dans le même Un accord avec les Français lui semble
temps, les Anglais entrent en contact avec le un bon moyen de contrer leur pouvoir. De
roi du Dahomey. Dès 1840, un consul est plus, ils sont moins regardants en ce qui
nommé à Ouidah. Il tente à plusieurs reprises concerne le commerce des esclaves et
d'obtenir du souverain la cessation du bénéficient sur place du soutien de tous ceux
commerce d'esclaves. encore impliqués dans ce négoce. Des
La France, inquiète de cet activisme, négociations sont engagées par la France
engage aussi des négociations, d'abord avec d'autres autorités politiques. en particulier
menées par le représentant de la maison le souverain de Porto-Novo qui subit les
Régis installée à Ouidah. En 1851, une attaques des troupes du Dahomey. Un premier
convention est établie avec le roi du traité de protectorat est établi en 1863.
132
1
u N E v L L E A u v N G T E M E
s E c L E
Un peu plus à l'ouest (actuel Togo), un
troisième acteur, l'Allemagne, s'ajoute à la
France et à l'Angleterre. Les maisons de
commerce allemandes font pression sur leur
gouvernement, initialement hostile à la mise
en œuvre d'une politique coloniale, et
obtiennent en 1884 le débarquement de
troupes qui concluent avec les chefs côtiers
un traité de protectorat
133
1
En 1885, la Conférence de Berlin définit Cette situation crée une ambiance de
des principes d'action pour la conquête suspicion; le Yovogan arrête et parfois
coloniale de l'Afrique noire. Les militaires exécute les personnes soupçonnées
occidentaux sont tenus de respecter les d'appuyer les Français. C. Agbo rapporte
traités déjà conclus entre des Européens et qu'une rafle enleva plus d'un millier de
des souverains africains. Cette règle change personnes qui furent réparties dans les chaînes
les rapports de force sur le terrain : de Mêhou et de Gbêdavo : (des détenus de la
le Dahomey ne peut plus jouer des uns chaÎne de Mêhou, dont un grand nombre
contre les autres pour conserver son pouvoir. étaient des mulâtres et des mulâtresses,
La France, déjà présente dans la région, en périrent tous d'une mort affreuse».
profite pour préparer un projet de colonisation. Le roi Béhanzin, refusant de voir son
autorité diminuer, ne respecte guère le traité.
Quatre ans plus tard, le roi Glélé meurt. La France saisit cet argument pour faire
Les premiers conflits entre son successeur, intervenir la troupe. En mars 1892, elle occupe
Béhanzin, et la France apparaissent à propos sans difficulté Ouidah puis avance sur la ville
de Porto-Novo qui tire profit de la protection d'Abomey qu'elle investit quelques mois plus
de la puissance coloniale pour détourner une tard. Le roi s'enfuit tandis qu'un de ses frères
part du commerce régional. Le négoce à s'allie aux Français et le remplace. Peu après,
Ouidah en subit les conséquences et le Béhanzin est fait prisonnier.
souverain, mécontent de l'autonomie de son En 1894, un traité de protectorat est
vassal et du jeu de la France dans cette établi. Le successeur de Béhanzin ne
affaire, remet en cause le traité concernant demeurera sur le trône que peu de temps et
Cotonou, où les échanges échappent sera à son tour exilé. Le traité sera aboli un
également à son royaume. peu plus tard, le territoire devenant la colonie
Ouidah se retrouve au coeur du conflit: du Dahomey, sous administration directe d'un
Les soldats français installés à Porto-Novo Gouverneur. Elle sera intégrée à la fin du
emprisonnent les représentants du roi à siècle dans la Fédération de l'Afrique
Cotonou, lequel prend en otage, en mesure Occidentale (A.O.F.) et placée sous l'autorité
de rétorsion, toute la communauté européenne de son Gouverneur général. Le Lieutenant-
de Ouidah (dix à vingt personnes). L'armée Gouverneur installé dans le chef-lieu de la
française menace alors de bombarder la ville colonie, Porto-Novo, sera chargé de mettre
depuis une canonnière et de l'occuper; tous en oeuvre les choix politiques décidés depuis
les otages sont finalement libérés. Une les deux nouveaux centres décisionnels,
nouvelle négociation permet de conclure un Dakar, la capitale de la Fédération, et Paris,
accord qui stipule que le roi Béhanzin, d'une distants de plusieurs milliers de kilomètres.
part, reconnaît à la France le droit d'occuper
Cotonou en échange d'un loyer annuel, et L'Allemagne et l'Angleterre ont des
d'autre part, s'engage à respecter le démarches analogues. Cette dernière contrôle
protectorat de Porto-Novo (Cornevin, 1962). un vaste territoire à l'est du Dahomey, le
Ces épisodes font apparaître au sein de Nigéria, et installe son administration dans la
la population de Ouidah deux camps qui ville de Lagos, ainsi qu'un autre territoire plus
modifient les clivages traditionnels. Des à l'ouest, la «Golden Coast)) (futur Ghana) qui
traitants brésiliens apportent leur aide au roi est séparée du Dahomey par la colonie
Béhanzin tandis que d'autres rejoignent les allemande du Togo (gérée par la Société des
Occidentaux, également soutenus par certains Nations après 1914 puis rattachée à l'Union
dignitaires dahoméens ayant eu maille à partir Française après 1945). Le découpage, qui
avec le roi. Ils profitent de l'occasion pour privilégie l'Angleterre, permet aux grandes
prendre leur revanche et se tournent vers les puissances occidentales d'avoir chacune une
Français en leur fournissant des vivres. colonie ouvrant sur le Golfe de Guinée.
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localisation des postes français (drapeaux). lors de la conquête coloniale du Dahomey, in Foa, 1895
135
1
vant la période coloniale, la LES RÉSEAUX D E TRANSPORT
A circulation des hommes et
des marchandises se faisait selon deux grands
axes L'un longeait la côte, par la mer ou par
la lagune; l'autre mettait en relation les
comptoirs côtiers avec les villes de l'intérieur:
Porto-Novo avec le monde yorouba, Ouidah
avec la capitale fon, Abomey.
La colonisation, en définissant de
nouvelles frontières politiques, modifie ce
système. Le territoire, découpé en subdivisions
et en cercles, réunit des régions qui avaient
jusqu'alors peu de contacts, par exemple
l'ancien territoire du Dahomey et les régions
montagneuses du nord, peuplées par des
populations culturellement très différentes.
De plus, le statut de capitale coloniale de
Porto-Novo établit une nouvelle hiérarchie
urbaine dont bénéficient ses habitants et que
les autres populations supportent mal. Enfin,
le long de la côte, les activités d'échanges sont
concentrées dans quelques sites, desservis
par un réseau ferroviaire.
136
1
LA VILLE AU VINGTIEME SIECLE
137
1
Si l'administration coloniale s'implante La création de Cotonou fait l'objet de
d'abord dans certains comptoirs, elle vise, nombreux débats au sein de l'administration.
dans un projet idéologique de transformation A ceux qui considèrent le projet inutile et
sociale, à produire de nouveaux coûteux, les autres répondent qu'il convient
établissements, plus conformes à l'idéal de créer une véritable capitale coloniale
urbain occidental. En Afrique de l'Ouest, la adaptée aux nécessités économiques et qui
ville nouvelle de Dakar qui se substitue aux propose un cadre «moderne» d'habitation.
anciens comptoirs de Gorée, Rufisque et Les débats animent le cercle restreint
Saint-Louis du Sénégal, en est le meilleur des officiers, des cadres coloniaux et des
exemple: elle accueille la capitale fédérale négociants; ces derniers, réunis dans une
(Sinou, 1993). Au Dahomey, le projet prend chambre de commerce, regimbent devant les
forme plus lentement, par manque de travaux qui ne sont pas liés directement à
moyens; la colonie est géographiquement l'exploitation économique et qui accroissent
excentrée dans la fédération et ne constitue les taxes. Plus globalement. ils critiquent le
pas une priorité. centralisme colonial: la plupart des projets
Les autres nations occidentales sont instruits à Dakar et à Paris par des
adoptent le même schéma avec plus ou fonctionnaires qui ignorent le pays. Aux
moins de célérité. Le gouverneur de la négociants, dans la lignée des négriers, qui
colonie allemande du Togo se fixe d'abord n'ont que faire d'un appareil administratif,
dans l'ancien comptoir d'Anécho, avant de s'opposent certains cadres porteurs d'un projet
faire bâtir une capitale sur le site de Lomé, politique d'intégration des colonies dans le
plus à l'ouest. La ville nouvelle, au plan radio- territoire national dont le signe visible est la
concentrique, bénéficie d'investissements production d'un paysage urbain «moderne».
importants (wharf, chemin de fer...) : 7 000 La localisation de Porto-Novo et de
habitants y sont recensées en 1913 contre Ouidah ne s'accorde guère à ce projet. Elles
environ deux milliers à Cotonou (Lulle, 1993). présentent l'énorme inconvénient d'être
La France, lorsqu'elle reprend la colonie après éloignées de la côte de plusieurs kilomètres.
le premier conflit mondial, s'installe quelques La construction d'un port (c'est-à-dire alors
années à Anécho avant de confirmer la ville d'un appontement, le wharf) impliquerait
«allemande» de Lomé comme capitale. un dédoublement de l'agglomération.
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1
LA VILLE AU VINGTIEME SIECLE
140
1
uidah acquiert avec UNE BOURGADE COLONIALE
O la colonisation une
fonction de centre admi-
nistratif «secondaire». Pendant la période de
conquête (jusqu'en 1898), les troupes
chargées de combattre le Dahomey y
stationnent. Une fois la guerre achevée,
l'administration décide d'y installer une
garnison permanente et les services civils du
«cercie» dont la ville est le «chef-lieu».
le rez-de-chaussée de magasin
L E R EG 1 M E FON CIE R
141
1
\
carte foncière du centre de Ouidah en 1955 qui indique le nombre de parcelles officiellement «immatriculées» par l'administration coloniale
142
1
Le phénomène a été étudié à Lagos Afin de réduire le pouvoir économique
(K. Mann, 1987) où les négociants yoroubas que pourrait générer la propriété de
usent et abusent des prêts usuriers qu'ils plantations, l'Etat colonial renforce les
délivrent aux particuliers et récupèrent ainsi privilèges accordés aux maisons de
de vastes domaines imprudemment gagés. commerce françaises qui acquièrent un
Dans la périphérie de Porto-Novo et Cotonou, véritable monopole. Cette situation entraîne
les volumineuses villas des Yorubas le départ de nombreux commerçants qui
témoignent aujourd'hui des emprises foncières émigrent dans les colonies voisines, en
acquises depuis le début du siècle. Ces particulier à Lagos, où les règles du
édifices s'inspirent de ceux édifiés par les commerce sont plus souples. La France,
Saoudiens, qu'ils découvrent lors de leur en voulant favoriser à outrance ses colons,
pèlerinage à la Mecque. reproduit les mêmes erreurs que du temps
de la traite où une compagnie «à privilège»
possédait le droit exclusif de négocier dans
toute une région.
143
1
LE QUARTIER COLONIAL
u moment de la conquête,
A l'administration coloniale, par manque de
moyens, se contente de louer des bâtiments
pour accueillir ses services. Une fois le
territoire «pacifié», elle cherche à produire
son espace propre dans la ville, pensée
comme le lieu privilégié d'apprentissage des
nouvelles règles sociales et économiques.
L'idéologie qui préside à son organisation
repose sur un principe de séparation des
communautés en fonction de leur degré
«d'occidentalisation». Les fonctionnaires
coloniaux, militaires puis civils, sont placés au
sommet de cette nouvelle pyramide sociale et
«méritent» d'habiter dans un lieu où sont
réunies les meilleurs conditions de confort et
d'hygiène (Sinou, 1993).
144
1
A Porto-Novo comme à Ouidah, l'Etat
envisage d'établir ses quartiers, conformément
à la tradition militaire, à la périphérie.
A Abomey, il préfère installer ses services à
plusieurs kilomètres des quartiers royaux,
dans un site peu habité, Bohicon. Desservi
par la voie de chemin de fer, il deviendra le
nouveau pôle administratif et commercial de
l'agglomération et marginalisera un peu plus
l'ancienne cité royale.
Au début du XXe siècle, la France n'est
plus présente à Ouidah depuis presque un
siècle. Le site de l'ancien fort a été concédé
à une maison de commerce. Aussi, l'Etat
colonial recherche de nouveaux terrains et les
trouve à l'ouest de "agglomération, sur des
terres appartenant aux descendants du Chacha
de Souza. Dès 1894, plusieurs hectares sont
cédés, à très bas prix (la communauté afro-
brésilienne donne ainsi une preuve de sa
bonne volonté au colonisateur). ci-contre: Ouidah en 192
ci-dessus et ci-dessous: rez-de-chaussée et façade sud de la «résidence du Commandant de Cercle
Les bâtiments page 144: la poste et la «résidence du Commandant de Cercle
administratifs sont
dispersés sur de
vastes parcelles afin
de respecter les
réglementations
hygiénistes qui
proscrivent toutes
formes de
promiscuités,
«sources d'infections
et de propagation
des épidémies)). La
localisation à l'ouest
(comme à Porto-
Novo ou à Lomé)
répond également à
cette crainte. Les
vents dominants
viennent de cette
direction et sont
censés repousser
<des miasmes
maléfiques qui
émanent des
quartiers indigènes)) !
145
1
architectures coloniales à Ouidah: ci-dessus, le tribunal; ci-dessous, les ruines du «chalet Carder» et la résidence du Commandant de Cercle en 1984
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146
1
De plus, le domaine présente la qualité Les édifices bâtis à partir des années
d'être quasiment inhabité, ce qui évite d'avoir vingt ne se distinguent plus de ceux des
à «faire déguerpir» les occupants. Son autres colonies: des catalogues de
éloignement des quartiers existants permet constructions coloniales sont élaborés en
aussi de le protéger des risques d'incendie. France par les ingénieurs du Ministère et mis
De fait, comme les Afro-Brésiliens, les à disposition du personnel local. L'ancien
Français veulent s'isoler des autochtones et tribunal est un parfait exemple d'une
invoquent diverses raisons. Les incendies architecture modélisée, où toutes les formes
sont encore fréquents (en 1873, le feu détruit et les dimensions sont pré-définies. La
totalement le comptoir d'Agoué dont la véranda qui borde chaque côté du bâtiment
population était de 6000 habitants) La tôle ne devient le symbole d.'un style visant avant
remplacera la paille des toitures qu'à partir du tout à protéger le colon des «rigueurs» du
début du XXe siècle. climat (ensoleillement, chaleur, pluies)
La résidence du Commandant de A cet espace civil, s'ajoute le camp
Cercle (cf. p. 145 et 146) est sans doute militaire qui s'étend sur plusieurs hectares au
le bâtiment colonial le plus ancien de Ouidah nord. Il est agrandi dans les années quarante,
et architecturalement, un des plus intéressants lorsque l'Etat décide d'y concentrer un plus
de cette époque. L'édifice est construit à grand nombre de soldats, au point d'attribuer
partir d'une structure métallique sur plusieurs une nouvelle réputation à la cité, celle d'une
niveaux, qui ménage tout autour du corps ville de garnison. AUJourd'huI, les plus anciens
central d'habitation une véranda que bâtiments se distinguent par leurs vérandas,
ferment des menuiseries en bois ajouré les autres ont perdu cette figure, au profit
afin d'assurer une bonne ventilation et en d'appareils de climatisation artificielle installés
même temps une protection contre le soleil. au bas des fenêtres.
147
1
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148
1
En revanche, au nord d'une ligne allant de la les modèles français: la largeur de 8 à 10
place du fort français au fort portugais, peu mètres s'inspire des normes en vigueur pour
d'opérations ont lieu: quelques voies la «petite voirie». Ce surdimensionnement ne
nouvelles sont ébauchées au nord de la ville favorise pas la création de points de fixation
mais ne rejoignent pas encore le centre. ou de concentration dans la cité. Le tissu
Trente ans plus tard, on peut mesurer urbain, déjà peu dense en habitants, devient
l'importance des percements réalisés (plan encore plus lâche.
p. 153). A l'exception du quartier Fonsramé La puissance coloniale se manifeste
aux tracés encore irréguliers, toute la ville est aussi par un équipement nouveau, le
traversée de voies rectilignes. Au nord, cimetière public. La putréfaction rapide des
apparaissent deux autres pénétrantes, tandis cadavres sous ces climats amène les médecins
qu'au sud, un axe presque parallèle à la route militaires à exiger dans toute implantation
de ceinture devient la nouvelle route d'accès. d'Occidentaux, la création d'un cimetière à
A cette époque, le quartier administratif l'extérieur de l'établissement afin de réduire
présente une configuration spatiale quasi les risques d'infection. Cette pratique se
définitive et forme la limite ouest de la cité. heurte aux usages des habitants qui ont
A l'est, le fort portugais marque l'entrée l'habitude d'enterrer leurs morts dans le sol
de Ouidah. Son extra-territorialité, tolérée par de la «maison mère», afin de les honorer et
l'Etat français, ne favorise pas l'extension du de les protéger des pilleurs de cadavres.
quartier. Autrefois pôle d'urbanisation, le fort Seules les épidémies, qui peuvent décimer
devient une limite. La cité, bloquée également en quelques semaines plusieurs centaines de
au sud par des marécages, ne peut s'étendre personnes ont amené, dans le passé, la
que vers le nord. création de charnier: la place «Kindji» à
Le réseau de voirie améliore la proximité du domaine de Chacha, occupée par
circulation mais ne joue pas un rôle un petit marché vivrier, aurait eu cette fonction
structurant. Toutes les rues ont à peu près le à la suite d'une épidémie particulièrement
même profil et délimitent des îlots d'assez meurtrière au début du XIXe siècle, ce qui
petite taille. Les administrateurs reproduisent expliquerait son surnom de place maudite.
149
1
Tout d'abord, J'administration n'interfère pas Aux commerçants européens s'ajoutent
dans ce domaine hautement sensible et crée des négociants d'origines diverses, brésilienne,
un cimetière pour les soldats français morts fon et même libanaise dès les années 1910
pendant la conquête. Il est localisé à l'est, afin Le dynamisme de Ouidah attire, jusqu'au
de favoriser la dispersion des "émanations début du XXe siècle, des habitants des
pestilentielles» sous l'action des vents d'ouest comptoirs voisins La stratégie des négociants
dominants Un peu plus tard, le cimetière consiste à posséder une succursale dans le
accueille les missionnaires et les plus grand nombre d'établissements côtiers
fonctionnaires morts dans la cité. Les (Porto-Novo, Cotonou mais aussi Lagos ou
autorités catholiques encouragent les Lomé), afin de devenir des interlocuteurs
Chrétiens à y enterrer leurs morts, pratique obligés des sociétés occidentales.
qu'adoptent peu à peu les Afro-Brésiliens. Le commerce de l'huile de palme profite
L'augmentation du nombre de tombes en priorité aux Européens mais leurs
amène l'administration, dans les années investissements immobiliers sur place restent
cinquante, à créer un cimetière "plus faibles; le Dahomey n'est pas une colonie de
populaire» : la partition «indigène/évolué» qui peuplement et les Occidentaux y sont rares:
prévaut dans la société coloniale est reproduite quelques dizaines à Ouidah, célibataires pour
chez les morts. Mais, il est encore toléré que la plupart; de plus, ils ne restent que peu
les chefs de lignage et de culte soient inhumés d'années dans la colonie et après leur bref
dans les maisons mères. Situé au nord de la séjour, ils se rendent vers d'autres colonies
ville, le cimetière est agrandi à plusieurs plus dynamiques ou retournent en France.
reprises, signe de l'évolution des mentalités.
Mais les habitants se plaignent du manque
de gardiennage qui favorise les profanations
de sépulture. Dans la même logique, il est
créé un cimetière pour les Musulmans. Leur
faible nombre limite son expansion.
La création d'un quartier administratif
ne déplace pas les activités commerciales,
traditionnellement concentrées autour du
marché. On y trouve la plupart des maisons
européennes ( la maison Fabre est à l'écart,
sur le terrain de l'ancien fort français) Le site
du fort anglais, proche du marché, est lôti et
plusieurs négociants s'y installent.
1
D'ordinaire, les colons font édifier des
constructions d'un étage; l'agent commercial
y réside et le rez-de-chaussée fait office de
magasin et d'entrepôt. Les édifices sont
généralement plus simples que les bâtiments
administratifs. Les négociants refusent
d'investir pour respecter des principes
hygiènistes et pour bâtir des vérandas. Ce
type de bâtiment, souvent en briques cuites,
parfois en pierres, s'avère massif et. d'une
colonie à une autre, il ne présente guère
d'originalité constructive ou décorative
les marques coloniales sur la ville: la villa Adjavon, le monument aux morts, la poste (en haut)
151
1
LA VILLE AU VINGTIEME SIECLE
\
Certaines maisons de commerce Au début des années cinquante, l'ancien
possèdent un style particulier, comme celle de jardin du fort, abandonné depuis longtemps,
la famille Adjavon. Bâtie en 1922, la maison de est transformé en une place publique, plantée
ce riche négociant africain exportateur d'huile de nombreux arbres. L'espace est bordé des
de palme, auparavant installé à Anécho, se symboles de l'Etat colonial «moderne» :
distingue de tous les autres édifices de Ouidah. la poste, le «centre culturel», tous deux
Elle est composée d'un corps principal, bordé remarquables par les brise-soleil des façades
de deux ailes, surmontées chacune par un toit qui assurent avec les ventilateurs la protection
octogonale, qui encadrent la façade, rythmée climatique (à la place des vérandas). Le
au rez-de-chaussée et à l'étage par des monument aux morts africains disparus en
colonnes ornées d'un motif géométrique Europe lors des deux conflits mondiaux est
original. La qualité architecturale résulte du érigé à la croisée de plusieurs routes qui
talent du bâtisseur, sans doute simple maçon. rejoignent la place: à son tour, la colonie
D'autres maisons de commerçants dans les sacrifie au rite de célébration des morts 1
villes côtières (notamment Lomé), A cette époque, un nouveau pôle urbain se
témoignent de ce génie constructif. dessine autour de ce site; il s'ajoute au
La localisation de la villa Adjavon rend quartier commercial et fait plutôt fonction
compte aussi du dynamisme économique au d'espace public.
début du siècle Le bâtiment est situé à La société urbaine coloniale est dominée
proximité de la Basilique et non pas à côté du par des groupes aux relations conflictuelles.
marché; d'autres négociants s'y implantent, Au couple fonctionnaire/commerçant français,
ne trouvant sans doute pas suffisamment de s'ajoutent, juste en dessous, les Afro-Brésiliens
terrains dans le quartier commercial. Leur pouvoir économique est néanmoins
Peu après, le départ de négociants offre remis en cause par l'Etat colonial, bien qu'ils
des opportunités foncières. Le domaine du fort, aient en majorité soutenu la colonisation.
abandonné par la maison Régis, revient à l'Etat De plus, l'administration tente, par le biais du
qui y implante différents équipements publics droit, de les assimiler à la population
dont un hôpital. Tous ces aménagements «indigène», en les assujettissant aux
s'adressent aux colons et aux «évolués». réglementations valides pour cette population
bâtiments de commerçants
152
1
Dès le début du siècle, ils demandent la
création d'une juridiction spécifique pour la
communauté et font appel à un avocat métis
de Saint-Louis du Sénégal, Germain Crespin,
qui interviendra aussi à Porto-Novo. Certains
Afro-Brésiliens, cadres de l'administration, sont
en poste dans la capitale fédérale et ont établi
des contacts avec le groupe des métis
sénégalais dont le statut est assez proche.
En 1936, à l'occasion d'une réorganisation
administrative de Ouidah, ils obtiennent que le
quartier brésilien constitue une entité libérée
de l'autorité des «chefs indigènes» et qu'il soit
dirigé par un descendant du Chacha de Souza.
Cette volonté d'autonomie rappelle l'histoire
de la cité: le quartier Brésil (comme ceux des
forts) échappe à l'autorité du Yovogan.
Ouidah en 1955
Les Afro-Brésiliens, christianisés et
lettrés, possèdent une place particulière. Ils
constituent les auxiliaires indispensables des
colons, trop peu nombreux pour gérer le pays.
Ils les assistent même dans d'autres colonies.
Conscients de leur rôle, ils constitueront à
partir des années trente, le fer de lance des
mouvements de contestation de l'ordre colonial.
A Ouidah, un autre groupe s'oppose
aussi aux colons sur des bases différentes.
Il regroupe les responsables des cultes qui
supportent mal la concurrence de la religion
catholique et la lutte de l'administration contre
les cultes vodouns (non respect par les colons
des interdits, prohibition de certains rituels...).
Ce groupe «traditionaliste)) s'oppose au
précédent, plus moderniste. Il manifeste à de
nombreuse reprises son hostilité, notamment
en 1912 : plusieurs centaines d'habitations
sont incendiées dans les quartiers Ahouandjigo
et Tové en représailles d'un sacrilège commis
par un prêtre vodoun
(Codo/Anignikin, 1985).
La construction de
temples pour accueillir
les nouvelles religions,
encouragée par
1 .11 l'administration coloniale,
est aussi une occasion
pour ces hommes de
manifester leur courroux.
1
LES MISSIONS CHRETIENNES
154
1
Les relations sont néanmoins tendues
avec le représentant du Dahomey, encouragé
par les prêtres vodouns • en 1863, le prélat
catholique est rendu responsable de la chute
de la foudre sur le fort; cet événement,
interprété comme une manifestation de la
divinité Héviosso, lui
vaudra d'être emprisonné
LES RELIGIONS IMPORTÉES et de payer une forte
amende. Deux ans plus
tard, le représentant du Portugal réinvestit les
locaux du fort et lui demande de partir. Le
prêtre obtient un terrain excentré à l'ouest de
la ville où il fait élever un bâtiment sommaire
faisant fonction d'église En 1871, il est
accusé par la population d'être responsable
de la sécheresse et doit quitter la ville pour
se réfugier à Porto-Novo.
Ce n'est qu'en 1884 qu'un prêtre
catholique revient à Ouidah. Le père Dorgère
s'appuie sur les Afro-Brésiliens et ouvre une
école avec un des leurs. Dans le même
temps, il fait construire une petite chapelle
dans le quartier Zomaï. Ses rapports
demeurent touJours aussi difficiles avec
l'autorité dahoméenne. Il lui faudra attendre la
disparition de ce royaume pour commencer
l'oeuvre d'évangélisation.
155
1
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Î ê" } '~...- \) ~fl \:I;.r </, <'~~.0'-3:'1~. ~';.: ..
la surface au sol de la Basilique contraste avec la taille des construction du quartier (en bas, le temple des pythons)
156
1
L'édification d'un séminaire entre Quidah
et Savi complète ces interventions urbaines.
L'idée en revient également au père Steinmetz
qui décida, en 1899, de créer une ferme afin
de nourrir la communauté religieuse et
d'accroître ses ressources (le domaine compte
aujourd'hui 11000 caféiers, 2000 cocotiers,
1700 palmiers à huile répartis sur une centaine
d'hectares). Afin de favoriser l'instruction des
futurs prêtres et de les soustraire à l'influence
des <déticheurs», il décida d'implanter le
séminaire dans ce site isolé.
L'établissement, inauguré en 1914, reçut
aussi les séminaristes des colonies voisines.
En 1929, le diocèse suisse de Saint-Gall en
devint le tuteur et finança la construction de
nouveaux bâtiments. Ce nom lui fut alors
La Basilique a récemment été restaurée attribué. Aujourd'hui, le centre continue à
pour le centenaire du retour des prêtres accueillir de nombreux novices africains.
catholiques à Ouidah. A cette occasion, Toute la région est marquée par l'oeuvre
d'importants travaux de réfection ont été missionnaire des prêtres catholiques. A ces
entrepris. La construction d'un mur de clôture grandes implantations, s'ajoutent dans de
a d'ailleurs suscité la colère des prêtres nombreux villages de petites églises, et aux
vodouns qui regrettent son édification sur croisées des routes, des croix, comme celle
l'itinéraire de la grande cérémonie du python. dressée sur la plage de Ouidah. Se faisant,
La Basilique est aussi le point de départ d'un les missionnaires tentent de marquer
chemin de croix qui aboutit à l'entrée est de le territoire des symboles de leur Dieu et
la cité, où fut élevé en 1961 un calvaire, pour de signifier sa
célébrer le centenaire de l'arrivée des premiers prééminence
missionnaires. Sur les terrains de la mission, face aux idoles
La construction de la Basilique
des édifices ont peu à peu été construits, qui peuplent ce
((II fallut beaucoup de sable;
notamment des établissements scolaires. monde. on le cherchait sur la route de la
plage, à une petite distance au sud de
l'école Brésil. Avec le concours et
l'entremise de Monsieur Agnilo,
bokonon réputé (grand prêtre du Fa
de Ouidah et ami du père qui le
convertit sous le nom de Simon), tous
les quartiers de la ville allaient à tour
de rôle au sable. Les femmes
portaient le sable dans des
calebasses, les hommes avaient des
tonneaux en bois de 800 litres qu'ils
remplissaient et roulaient jusqu'à
l'église. Le quartier Tovè avait
toujours le plus gros tas de sable.
Les féticheurs les plus notables
étaient assis à la carrière et veillaient
à ce que les récipients fussent bien
replis. Le soir, ils venaient me rendre
compte et dégustaient le petit goûter
que je leur avais préparé: Pain et vin»
texte de Monseigneur Steinmetz au dos d'une carte postale.
localisation de la grande mosquée ( M ), des autres mosquées ( m ), des cimetières ( c ), du temple protestant ( p ), de la basilique ( B ) et des autres églises ( e )
157
1
LA VILLE AU VINGTIEME SIECLE
158
1
ci-dessus, l'intérieur de la plus vieille mosquée de la ville; en haut, la grande mosquée avec au premier plan un pelillemple dédié il la divinité de la mer
L' S LAM
159
1
La présence dans la ville d'esclaves La communauté musulmane est de
yorubas fut un autre facteur d'islamisation, de tout temps peu nombreuse (deux cents
même que plus tard, l'arrivée du Brésil cinquante pratiquants sont comptabilisés en
d'anciens esclaves musulmans. Néanmoins, 1920) et elle n'est pas socialement
les enquêtes menées chez les Afro-Brésiliens homogène. Elle réunit des hommes aux
de Ouidah montrent qu'ils étaient en majorité origines et aux statuts très différents:
catholiques. Il est probable que ceux de foi yoruba ou haoussa; descendants d'esclaves
musulmane se soient plutôt installés dans ou de trafiquants d'esclaves, Afro-Brésiliens ...
d'autres comptoirs côtiers plus à l'est, De plus, elle ne développe pas,
Lagos, Porto-Novo, Badagry, où l'islam était comme dans d'autres villes, une activité
déjà bien implanté. commune. Le déclin des activités n'attire pas
Outre les originaires du monde yoruba, les riches négociants yoroubas qui joue un
on compte aussi à Ouidah des Musulmans rôle actif dans l'économie de Porto-Novo
d'origine haoussa (nord du Nigeria). Ils ou de Lagos.
seraient les descendants d'esclaves ayant Les Musulmans de Ouidah ne
appartenu au Chacha de Souza : certains se participent guère à la vie locale et sont
seraient fixés dans la ville vers 1818, tandis tournés économiquement et socialement
que d'autres, envoyés au Brésil à cette vers les communautés musulmanes des
époque, y seraient revenus une trentaine grandes villes voisines: la cérémonie
d'années plus tard. Le premier imam, d'intronisation de l'imam se fait en présence
identifié vers 1850, aurait appartenu à ce de délégations des autorités religieuses de
groupe (Marty, 1926). Porto-Novo et Cotonou.
160
1
Ce groupe a longtemps été concentré Un premier hangar en bambous fut
dans deux quartiers. Maro, dans la vieille d'abord élevé, remplacé un peu plus tard par
ville, et un quartier au nord où se retrouvent. un bâtiment en terre. L'idée de construire un
conformément à l'usage, les Haoussas Dans édifice plus Imposant se dessine dans les
la plupart des villes d'Afrique de l'Ouest. années vingt Elfe fait l'objet de longues
ceux-ci ont pris l'habitude de vivre à part, tractations oL intervient l'administration et
dans un quartier spécifique, qu'ils appellent rappelle la situation de Porto-Novo où les
Zongo. Dans chacun de ces quartiers, une différents clans musulmans furent en
mosquée est édifiée. concurrence pour avoir la maitrise de la
L'idée de construire une grande construCtiOn (Marty, 1926) L'allure du
mosquée à Ouidah apparaît au début du premier bâti lent, d'inspiration
siècle; elle est encouragée par afro- résihenne, évoque aussi celle de la
l'administration coloniale qui propose le site mosquée de Pal to-Novo, dont la construction
où aurait été construit le premier temple débute au même moment.
dédié à la divinité de la mer, dont l'audience Le chantier, faute de moyens, s'étale
est très forte dans la ville. Le choix de SUr plusieurs dizaines d'années et n'est
l'emplacement rappelle celui opéré pour la toujours pas vraiment achevé. A la partie la
Basilique (face au temple du python), et p! s ancièl1ne à l'ouest. remarquable par sa
témoigne de la volonté des autorités de façade au style inspiré des édifices religieux
tenter de réduire l'audience des cultes baroques du Brésil, s'oppose aujourd'hui la
vodouns, en favorisant le développement des partie à l'est. dominée par deux tourelles
religions monothéistes taisant fonction de minaret.
161
1
LA VILLE AU VINGTIEME SIECLE
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IJ D 0
162
1
Les religions ont imprégné l'histoire de
Ouidah. De nombreux lieux de culte sont
dispersés dans tous ses quartiers.
Paradoxalement, son organisation ne semble
pas marquée par ceux-ci, qui ponctuent
l'espace plus qu'ils ne le structurent. En
revanche, l'omniprésence des cultes confèrent
à la cité une image inquiétante, plus proche
de la nécropole que de la métropole.
163
1
L 'indépendance de la colonie en 1960 ne
modifie pas immédiatement le réseau
urbain de la côte. Porto-Novo conserve sa
fonction de capitale, tandis
que Cotonou, dotée d'un port UN CENTRE SECONDAIRE
en eaux profondes, renforce
sa position de centre économique. Cette ville
voit sa population croître considérablement;
elle devient un pôle d'Immigration pour tout
le pays, y compris pour la classe politique.
extrait de la carte IGN de la région de Ouidah (1991) :
les services de l'Etat émigrent les uns après
les autres vers le port Aujourd'hui, bien que
Porto-Novo conserve son titre de capitale, on
n'y trouve plus que quelques services
administratifs subalternes. Néanmoins, cette
cité compte plus de cent soixante mille
habitants et conserve une fonction
commerciale grâce à sa proximité avec Lagos.
La géographie urbaine de la région doit
d'ailleurs intégrer cette métropole forte de
plusieurs millions d'habitants, malgré les
frontières, fermées à plusieurs reprises, qui
n'empêchent pas les échanges. Cotonou, qui
compte aUJourd'hui plus de cinq cents mille
habitants, en bénéficie économiquement·
les navires qui ne peuvent débarquer à Lagos
leurs marchandises se détournent vers le port
béninois
En revanche, Ouidah ne profite guère
des villes voisines. Sa population commence
à croître après 1970, mais de façon très
modérée en comparaison avec ces cités.
Elle est estimée aUJourd'hui à environ
25000 personnes.
Cette situation s'explique d'abord par
sa localisation. Distante d'une trentaine de
kilomètres de Cotonou, elle ne peut ni faire /
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L'axe Ouidah-Abomey n'est plus qu'une piste
à peine fréquentée, concurrencée par le
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«goudron» reliant Cotonou au nord du pays; /-------",,-' .
quant à la route côtière, elle évite la cité tell
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Enclavement, déclin économique,
pesanteurs sociales font que l'Etat est le
principal acteur du développement de la cité.
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Mais ses moyens sont limités et les projets
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ne peuvent naître que si des bailleurs
étrangers interviennent En 1985, la Chine
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1\ \
~ \ \ populaire, qui mène une politique active de
Zoungbodji
~\ \ +
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'>le- coopération avec le pays alors dirigé par un
gouvernement d'idéologie marxiste, finance
, , la construction d'une usine d'allumettes et de
./
cigarettes, implantée le long de la route
nationale, à la limite nord de Ouidah. Sont
alors créées plusieurs centaines d'emplois
dont profitent les citadins. Mais au début des
années quatre-vingt-dix, l'entreprise sera
privatisée et le nombre d'emplois réduit
... <If - •
165
1
A cette époque, un riche commerçant plantent des arbres fruitiers et développent
envisage de construire un petit hôtel en bord des cultures maraîchères.
de mer; un chantier est ouvert à l'arrivée de Ce mode d'implantation n'est pas
l'ancienne route des esclaves sur la plage, spécifique à la cité; il est aujourd'hui
mais à ce jour, il reste inachevé. Les raisons dominant dans la plupart des agglomérations
en sont multiples: les capitaux ne suivent africaines. Plutôt que de chercher à
pas et le projet, monté sans l'assentiment de s'implanter dans les quartiers centraux, les
la communauté «ouidanienne», est vivement nouveaux citadins préfèrent se fixer (parfois
critiqué. après un temps de résidence dans les vieux
La croissance relativement faible de la quartiers) dans des «périphéries» encore peu
population urbaine ne justifie pas d'importants habitées. Le manque de services urbains,
investissements en matière d'équipements et auxquels ils ont de toutes façons souvent
d'infrastructures de la part d'un Etat dont les difficilement accès par manque de moyens,
moyens sont comptés. La priorité est donnée est compensé par un accès plus facile et
aux réseaux d'électricité et d'adduction d'eau, moins coûteux au sol et par des contraintes
progressivement étendus à de nouveaux sociales moins lourdes.
quartiers. Quelques voies nouvelles relient le Ce mode d'urbanisation aboutit dans
centre ville à la route côtière. Si certaines les vieilles villes à une nouvelle partition:
rues sont goudronnées, dans le même aux anciens quartiers désertés par les forces
temps, d'autres perdent leur trafic, comme vives, mais paradoxalement dotés d'un
l'ancienne voie traversant la cité, et certain nombre d'équipements, datant pour la
deviennent à peine praticables. plupart de l'époque coloniale, s'opposent les
La construction de la déviation déplace quartiers neufs aux faibles densités
au nord le centre de gravité de d'habitants et de constructions. Longtemps
l'agglomération. Des commerces et un hôtel considérés comme des banlieues, ceux-ci
s'installent en bordure; un marché y est acquièrent un mode de fonctionnement de
implanté. Quant aux habitants, nombreux plus en plus autonome.
sont ceux qui acquièrent un terrain dans la L'urbanisation progressive de la
zone entre la ville et cet axe, autrefois palmeraie témoigne du regain de croissance
plantée de palmiers à huile. Un tissu urbain démographique de la cité. Les nouveaux
à dominante résidentielle s'y dessine. arrivants sont, d'une part des populations
Les nouveaux venus «s'arrangent» avec venant du nord et attirées par les «richesses»
un propriétaire terrien pour obtenir le droit de la côte, d'autre part des populations vivant
d'occuper un sol et de bâtir. La faible de l'économie générée par l'axe Accra-Lomé-
pression foncière permet d'obtenir des Cotonou-Lagos. Ouidah fait fonction de ville
surfaces assez grandes, souvent plus d'un étape où le manque d'activité est compensé
millier de m 2, qui seront ensuite souvent par un accès facile au sol; après quelques
de nouveau divisées. années, une partie des habitants émigre vers
Cette démarche intéresse les les grandes métropoles, les membres moins
émigrants comme les habitants des vieux «actifs» des familles (enfants, vieillards ...)
quartiers qui aspirent à vivre ailleurs que dans demeurant plus longtemps à Ouidah.
les concessions familiales, inconfortables et Les événements politiques peuvent
porteuses de pesanteurs sociales, et dans avoir aussi une incidence sur l'accroissement
lesquelles il est difficile d'affirmer sa démographique de certaines villes. Il y a
propriété. Les terrains périphériques se quelques années, le Nigeria, confronté à la
couvrent progressivement de maisons en crise liée à la baisse de la rente pétrolière,
parpaings même si la vocation agricole ne ferme ses frontières et fait expulser de Lagos
disparaît pas totalement: les enclos sont les émigrés étrangers dont un grand nombre
suffisamment vastes pour que les occupants se fixe le long de la côte.
166
Plus récemment, une partie des habitants de Dans ce contexte, les opérations
Lomé fuit la répression politique sanglante du d'urbanisme ne concernent que le domaine
régime du général Eyadéma et trouve refuge de l'Etat (privé et public). quand celui-ci n'a
au Bénin. Certains s'établiront à Ouidah. pas été occupé «illégalement» par des
habitants comme dans le nord de la cité. Sur
L'Etat ne trouve pendant longtemps les terrains autrefois immatriculés au nom de
rien à redire à la croissance «informelle» la colonie et dont il a hérité en 1960, l'Etat
des villes, notamment lorsque celles-ci ne fait bâtir quelques équipements, bâtiments
réunissent qu'une ou deux dizaines de administratifs, école, dispensaire... L'aide de
milliers d'habitants. L'effort en matière la Chine a permis récemment de construire
de politique urbaine concerne en priorité une salle de spectacle le long de la voie
Cotonou, et dans une moindre mesure Porto- reliant la place du fort français à la déviation.
Novo. Ce n'est qu'en 1986 qu'est prise la Parallèlement, les vieux quartiers sont
décision de lotir les quartiers nord de Ouidah. abandonnés, tant par la puissance publique
Des études sont menées mais les projets que par les habitants qui auraient les moyens
n'aboutissent pas en raison de la complexité d'investir et qui préfèrent bâtir ailleurs. Les
du statut des terrains. De multiples cessions constructions nouvelles dans le centre ville se
se sont déroulées entre des occupants et des comptent en unités, tandis que les anciennes
personnes se jugeant responsables d'un sol maisons familiales sont de plus en plus
qui relevait de fait de toute une «collectivité», désertées; n'y demeurent que les «vieux et
mais dont ils étaient les seuls représentants les vieilles» qui font fonction de gardiens des
présents. reliques familiales et des secrets des cultes.
L'intervention de l'Etat est Seules les fêtes dédiées aux vodouns et aux
particulièrement difficile dans la mesure où ancêtres, auxquelles les membres des
elle implique avant de lancer une opération familles ne peuvent se soustraire, sont
d'aménagement d'un domaine privé, une l'occasion de la venue dans les «maisons
identification précise de tous les propriétaires mères» de centaines de personnes qui,
fonciers. Ceci s'avère impossible dans les une fois la cérémonie achevée, se hâtent de
familles n'ayant pas divisé leurs biens retourner dans leurs lieux de résidence.
fonciers depuis souvent plusieurs
générations. Face aux conflits entre ayants Le contraste entre les vieux quartiers
droit que ce type de mesure risquerait de en voie de taudification et le tissu périphérique
susciter, la puissance publique préfère en extension se remarque dans la plupart des
renoncer à toute intervention. centres urbains anciens de la côte d'Afrique
Telle est également sa position vis-à-vis de l'Ouest. A Saint-Louis du Sénégal, un
des quartiers anciens. Lorsque des divisions nouveau centre urbain se constitue sur la rive
de domaines ont eu lieu, elles se sont faites continentale du fleuve, au carrefour des axes
sans, pour la plupart, avoir été enregistrées routiers, et concurrence le vieux centre établi
officiellement (la carte foncière établie sur l'île, qui perd ses habitants et ses
vers 1955 répertorie seulement quelques activités. Comme à Ouidah, l'identification
dizaines de propriétés immatriculées à des des propriétaires fonciers devient de plus en
personnes privées). De plus, aujourd'hui plus complexe avec le temps et bloque tout
encore, les limites physiques des domaines investissement immobilier.
ne sont même pas toujours matérialisées. En l'espace de quelques dizaines
La mise en place de procédures de d'années, les sites urbains témoins de
régularisation foncière provoquerait des l'histoire africaine, sont entrées dans une
conflits encore plus violents en réveillant les logique de disparition. La question de la
jalousies et les querelles qui peuvent exister conseNation des signes physiques du passé
entre les habitants. se pose désormais dans l'urgence.
167
1
CONCLUS o N QUELLES T R ACE S ?
L'ESPACE URBAIN
168
1
Aussi, retrouver dans une optique
patrimoniale les formes et la localisation
d'origine d'un bâtiment se révèle difficile et
quelque peu ethnocentriste. D'une part, les
traces anciennes s'effacent rapidement et
seules des fouilles archéologiques feraient
peut-être apparaître des vestiges (les quelques
tentatives réalisées n'ont pas été concluantes) Le développement de Ouidah n'est
D'autre part, la figure de l'antériorité, pas non plus composé d'un continuum
utilisée comme modalité de légitimation d'une d'événements construisant une histoire
occupation foncière, n'est pas présente urbaine linéaire. Pendant la période de traite,
traditionnellement dans cette société. Elle a la cité subit des crises économiques, liées aux
été introduite récemment et imparfaitement guerres et aux pénuries d'esclaves qu'elles
par les Occidentaux. Pendant plusieurs siècles, provoquent. Ouidah perd à plusieurs reprises
les chefferies ne s'y réfèrent pas pour marquer une partie de sa population L'abandon des
leur autorité comme en témoignent les mythes forts, que relatent les mémoires des Directeurs,
de fondation des établissements et la capacité a sans doute été accompagné du départ
des rois à s'emparer de divinités étrangères d'autres habitants émigrant vers des
pour asseoir leur pouvoir. Néanmoins, elle comptoirs plus actifs.
commence à apparaître avec le développement Cette croissance irrégulière empêche
de l'économie de plantation. A partir du début de définir un moment d'apogée de la ville,
du XXe siècle, des groupes en contact avec figure incontournable du discours patrimonial.
les Européens en usent (et en abusent), afin Plusieurs historiens signalent l'intensité
de se forger une image sociale et d'affirme leur maximale de la traite à l'époque houédah où
contrôle sur certains domaines fonciers. Il faut Ouidah était composée de quelques hameaux.
donc lire avec prudence les informations Seul peut être affirmé son déclin économique
recueillies sur l'origine des lieux. depuis le début du XX e siècle.
169
1
D'un point de vue démographique, il
semble qu'il y ait eu une forte croissance de
la population pendant la première moitié du
XVIIIe siècle, mais celle-ci se stabilisa pendant
longtemps autour de la dizaine de milliers
d'habitants, ce qui s'avère bien inférieur à la
capitale politique, Abomey, ou même à d'autres
comptoirs, comme Porto-Nova ou Lagos.
Paradoxalement, la ville ne connait une
croissance démographique régulière que
depuis le milieu du xxe siècle.
Aujourd'hui, on ne trouve guère de __5m"--
/ ....- "- ... ..-..........
~._
1
Le marquage social de l'espace ne Quant aux domaines d'habitation des
se lit pas aussi facilement; les espaces lignages, ils forment des groupements de
sacralisés se manifestent par des morphologies constructions aux tailles très diverses et dont
très diverses: placettes, temples, couvents, les contours irréguliers définissent des
lieux-dits, bosquets, situés à proximité ou cheminements. Le percement de voies au
dans les concessions. La localisation des xx e siècle a fait disparaître la plupart des
...r·-"········'\.. .·······
temples ne semble pas obéir à un principe de ruelles dans le centre de l'agglomération mais
centralité: sur la carte levée au XVIIIe siècle, elles demeurent dans d'autres quartiers.
les temples sont dispersés dans toute la ville.
Certains se retrouvent à l'extérieur de la cité. L'histoire de la ville la plus facile à
Les grands temples sont éloignés les uns des reconstituer est évidemment celle de son
autres et ne dessinent pas un pôle religieux; urbanisation «occidentale». Les acteurs
plusieurs sont même situés à proximité de lieux dominants en sont d'abord les négriers qui
lénivelé de commerce. ont construit des forts autour desquels se
sont développés des quartiers. Mais les
véritables initiateurs de l'aménagement
restent les Afro-Brésiliens qui introduisent des
formes spatiales nouvelles et font tracer des
voies rectilignes. Leur influence se lit jusqu'au
début du xx e siècle dans le développement
de certaines pratiques architecturales et
1
COTONOU décoratives. Cependant, le quartier Brésil,
1
1
1
habité aujourd'hui par une population
1
1 composite, ne témoigne plus guère de la
1
1
1
présence de ce groupe, en dehors d'une
1
1 appellation et de quelques édifices.
1
1
1
L'arrivée de nouveaux acteurs à la fin
1
1 du XIX e siècle, l'administration coloniale et les
1
1
1
missionnaires chrétiens, éclipse les Afro-
1
1
1 Brésiliens. Les premiers fondent leur quartier
1
1
à la périphérie, développent le réseau de
1
1
1 voirie dans la ville; quant aux missionnaires,
1
1
ils s'implantent à l'intérieur de la cité.
1
1
1 Bien que la ville ait été dominée par
1
1 différents groupes souvent concurrents,
1
1
1 chaque nouveau maître n'a pas, comme dans
1
1 d'autres civilisations, éradiquer
1
1
1 systématiquement les signes du passé: si la
1
1
/
PORTO-NOVO capitale houédah et plusieurs quartiers du
"""
comptoir ont été détruits par les Fons, ceux-ci
/
/ ont respecté les cultes existants et leurs
"
1 / /
/ temples. Les logiques des différents acteurs
se sont souvent juxtaposées: les directeurs
1" / / des forts ont contrôlé chacun leur «village»,
_._.-;/~:~/-. ~:<//..
/ cité. Le chef de la communauté afro-
brésilienne fonde son propre quartier, puis à la
fin du Xlxe siècle, l'administration coloniale
investit des terres à l'extérieur de la ville.
OUIDAH
"",./
...
...............................
1
Différents éléments expliquent cette souverain houédah impose aux négriers la
démarche· tout d'abord, il n'existe pas de concurrence entre eux et la cohabitation, ce
contraintes physiques qui limiteraient qUI déroge à leurs usages. Le royaume du
l'extension spatiale et Justifieraient de fortes Dahomey, malgré ses tendances centralisa-
concentrations. Par ailleurs, l'installation dans trices, reconduit cette règle et, au XIXe siècle,
des lieux déjà habités et dotés d'une valeur favorise la venue des Afro-Brésiliens Peut-être
sacrée peut susciter de nombreux problèmes faut-il voir dans ce principe, la transposition à
aux nouveaux arrivants. Qu'ils soient l'échelle spatiale d'une règle de fonctionnement
originaires des régions voisines ou d'Europe, social nécessaire à ceux qui, dans leurs
les immigrants craignent tous de subir les nombreuses migrations, sont amenés à
maléfices des vodouns locaux et préfèrent cohabiter avec d'autres: la coexistence, voire
s'en éloigner, le temps que leurs propres la concurrence, des divinités à l'intérieur
dieux puissent les en protéger. d'une même société, conforte cette analyse.
Ouidah
Plus largement, une installation sur un site La juxtaposition n'efface pas les
inhabité permet de respecter les différences rapports de force qui s'expriment souvent à
culturelles, y compris dans la vie quotidienne. travers les cultes, véritables vecteurs des
Chaque nouveau groupe préfère d'abord se relations sociales. Elle ne supprime pas non
réunir en un même lieu, caractéristique qUI plus les interventions des migrants. La
s'estompe généralement avec le temps. hiérarchie entre les vodouns évolue en
Enfin, ce mode d'implantation évite aussi les fonction des rapports politiques. Le repré-
confrontations souvent conflictuelles entre les sentant du Dahomey; tout en imposant les
acteurs économiques qui obtiennent chacun cultes royaux, se fixe à proximité du temple
leur territoire d'action. aux pythons et interfère dans les rituels. Les
Ce principe de coexistence s'avère étrangers adoptent cette stratégie. Le Chacha
très ancien: dès le milieu du XVIIe siècle, le s'empare d'un vodoun et l'érige en grand culte
172
1
Les colonisateurs font bâtir la Basilique face urbain empêche la création d'un centre
au temple des pythons et encouragent la réunissant les principales activités. La cité
construction d'une grande mosquée à la place fonctionne à partir de plusieurs pôles, pour
d'un temple vodoun Mais, toujours inquiets certains éphémères, sans qu'aucun ne
de la force du système de culte vodoun, domine les autres. Telle est sans doute, pour
ils préfèrent fonder leur capitale sur un site une si petite ville, la principale singularitE' ,1 .
inhabité, Cotonou L'apparition d'un espace niveau organisationnel, qu'elle conser ..
propre à chaque acteur du développement encore aUJourd'hui.
Cette recherche a permis d'inventorier différentes catégories de bâtiments qui témoignent chacun d'un trait
social ou historique. Certains ont disparu, mais d'autres sont encore identifiables.
Gorée
l n'existe plus guère de traces de la traite. enchaînés dans des cases à l'intérieur des forts
I Deux des trois forts ont été détruits Le
dernier, transformé à la fin du XIX e siècle en
ou dans des enclos en plein air Le long de cet
itinéraire, aucune construction n'est
résidence, est devenu récemment un espace susceptible de rappeler la traite. Le seul
culturel Quant à la Route des Esclaves, elle est bâtiment présent en bord de mer, bâti pour la
aujourd'hui perçue simplement comme un douane au début du xxe siècle, a récemment
chemin menant à la plage en traversant des été intégré dans l'hôtel en construction
paysages pittoresques. Il est en effet difficile depuis plusieurs années. Un projet de mémo-
d'évoquer une activité de transit (les esclaves risation impliquerait d'inventer des formes
résidaient peu de temps à Ouidah) qui bien nouvelles de marquage de l'espace. Une
évidemment n'appelait pas d'importants inves- première tentative a eu lieu à l'occasion du
tissements matériels. les prisonniers étaient Festival des Arts Vodouns à Ouidah en 1992 •
173
1
des oeuvres ont été commandées à des L'aménagement en jardin des espaces
artistes africains et installées sur ce trajet. extérieurs, la création d'une salle de spectacle
Restaurer ou réhabiliter de tels sites en plein air et de bâtiments d'expositions
pose néanmoins des problèmes spécifiques, risquent de faire oublier la fonction originelle
comme sur l'île de Gorée au Sénégal où les du site. Cette question se pose pour tous les
réponses apportées présentent une certaine lieux «étapes», comme par exemple la cité de
ambiguïté. Cet ancien comptoir d'esclaves, Drancy dans la banlieue parisienne qui a vu
visité quotidiennement par des centaines de transiter entre 1942 et 1944 des milliers de
touristes, est aujourd'hui le site le plus pitto- juifs déportés vers les camps de concentration.
resque et le plus reposant de l'agglomération Les lieux de commerce les mieux
dakaroise. Les propriétaires se sont d'ailleurs conservés à Ouidah datent de la fin du XIXe
regroupés afin d'aider à la réhabilitation des ou du début du XXe et réfèrent au négoce,
maisons et à la plantation d'arbres et de fleurs. plus civil, de l'huile de palme. Celui-ci est
Le paysage coloré des bougainvilliers qui également évoqué par le paysage rural autour
bordent les ruelles en sable soigneusement de la ville, depuis les alignements de cocotiers
nettoyées n'évoque guère la violence de la le long de la côte jusqu'aux plantations de
traite; de même, les façades colorées et palmiers qui couvrent des dizaines d'hectares.
l'élégant escalier à double volée de «la maison De nombreuses maisons présentent
des esclaves», récemment restaurée, font un intérêt architectural. Leur style n'est pas
oublier les geôles du rez-de-chaussée d'où toujours clairement identifiable dans la mesure
percent à travers les meurtrières l'éclatante où il emprunte à différentes influences. Les
luminosité de la mer et du ciel. Seule la parole édifices renvoient tantôt à l'architecture
puissante et imagée du guide rappelle la brésilienne, par les motifs décoratifs, tantôt à
douleur des hommes qui y ont séjourné. l'architecture coloniale, par l'organisation
Une valorisation touristique (un club interne et les modes de construction. Ils sont
de loisirs a imaginé racheter la totalité de l'île localisés à proximité du marché et le long de
pour la transformer en village de vacances) quelques axes.
s'accorde difficilement avec le projet d'évoquer La disparition progressive du
la barbarie; elle a plutôt tendance à la commerce a entraîné leur abandon par les
banaliser. Dans le même esprit, aux Antilles, propriétaires. Lorsque des occupants y sont
certaines cases abritant autrefois les esclaves encore installés, ils n'ont ni les moyens ni
ont été transformées en chambres d'hôtel, l'envie de les entretenir et encore moins de
les plantations accueillant des activités de loisir. les restaurer. Les bâtiment vides se
La mise en valeur culturelle n'est pas détériorent sous J'effet des des pluies et des
non plus à l'abri de ce risque. Evoquer la chauves-souris qui logent sous les toitures.
souffrance des esclaves ne peut se suffire du Aujourd'hui, la plupart de ces maisons sont
dépôt de quelques souvenirs de l'époque ou très dégradées bien qu'elles impriment
d'une simple réhabilitation des bâtiments encore un paysage particulier et permettent
présentant des qualités architecturales. Telle de distinguer Ouidah de n'importe quelle
est l'ambiguïté de l'opération de restauration autre bourgade.
du fort portugais qui repose sur la mise en La réhabilitation de quelques maisons
valeur d'éléments défensifs (les bastions, les de commerce ne pose pas de question
canons), d'une chapelle, d'une caserne et de éthique comme pour la traite des esclaves (en
la Résidence, autant d'équipements destinés Europe, on restaure les maisons bourgeoises
aux seuls négriers. Les centaines d'esclaves et les châteaux). Néanmoins, il convient de se
qui y ont transité ne sont rappelés que par les demander quel usage pourrait être fait d'édifices
quelques objets et images récupérés par les qui ont perdu depuis longtemps leur fonction,
conservateurs bien avant cette opération et ~ d'autant que L'Etat béninois a d'autres
déposés dans le petit musée. priorités en matière d'aménagement urbain.
174
1
CONCLUSION
175
1
176
1
Enfin il n'existe pas de relation Les édifices chrétiens répondent
systématique entre la taille ou le nombre de mieux aux critères patrimoniaux occidentaux.
temples et la notoriété d'un culte, comme en Conçus comme des monuments, ils dominent
témoigne le temple des pythons. La force de l'espace où ils ont été implantés. Les tours de
la croyance s'exprime d'abord dans le pouvoir la basilique et du grand séminaire, imaginées
que les habitants accordent au vodoun et dans comme des signaux, surplombent
les rituels cérémoniels dont le temple n'est respectivement la ville et la campagne
que le point de départ et d'arrivée. environnante.
Dans cette perspective, le paysage Le bon entretien de ces édifices
des temples ne s'accorde guère avec l'idée témoigne d'ailleurs de la place du
que l'on se fait dans le monde occidental du catholicisme, fortement implanté dans la
patrimoine bâti. Reproduire à l'échelle de ces région (à l'inverse, la discrétion du temple
bâtiments les pratiques de «restauration» protestant marque la diffusion relativement
semble déplacé et ne pourrait aboutir qu'à faible de cette religion dans le pays).
une dévalorisation d'un système culturel: Quelles que soient leur symbolique
les récits des visiteurs occidentaux tout au et leur audience, ces bâtiments ne présentent
long des siècles mesurent la barbarie de la hélas guère d'intérêt architectural. Composés
population à leur incapacité de bâtir des dans un style très «composite», ils
maisons «dignes» de leurs idoles. Les empruntent à différents vocabulaires
«adeptes» ne manifestent d'ailleurs jamais esthétiques sans en former un nouveau. De
l'intention de conserver en état certains plus, aucun édifice ne possède d'originalité
bâtiments «anciens». Les rituels sont déjà là marquante; au contraire, bâtis pour la plupart
pour rappeler la continuité des relations entre au début du XXe siècle, ils présentent tous en
les vivants et les morts. L'analyse des cultes Afrique noire une certaine similarité pour ne
vodouns implique que l'on ne fonde pas pas dire une certaine banalité.
d'échelle de valeur à partir des signes matériels En revanche, la construction de
qui marquent cette pensée (ce qui n'est pas mosquées au début du XXe siècle a été
facile pour un Occidental qui vit depuis l'occasion d'un curieux métissage culturel.
longtemps dans ce système de représentation). Les premiers bâtiments des grandes
De plus, l'idée même d'intervenir sur mosquées de Ouidah et Porto-Novo, bâties
l'espace physique des temples afin de sous l'impulsion des Afro-Brésiliens, se
les valoriser, voire d'en faire des pôles réfèrent aux formes des églises baroques de
d'attraction, est délicate à manier. Elle San Salvador de Bahia (comme d'ailleurs
n'intéresse pas les adeptes qui préfèrent celles de Lagos).
garder une certaine discrétion au lieu. Malheureusement, l'édifice à Ouidah
Contrairement à l'église ou à la mosquée, est resté inachevé et ne possède pas la
maison de Dieu ouverte à tous, le temple splendeur de celui de Porto-Novo, bien
vodoun concerne une communauté entretenu et régulièrement repeint, dans des
particulière et fait d'abord fonction de tonalités à chaque fois différentes. Bien que
résidence de la divinité, gérée par le chef du le bâtiment, contrairement aux temples ou
culte. L'intervention d'une instance extérieure aux concessions, se réfère à un genre
au groupe des initiés, quel que soit le motif, architectural précis, les «décorateurs» ne
serait toujours perçue comme une intrusion. cherchent pas non plus à conserver les
En outre, une action visant à modifier le mêmes couleurs et plus globalement à
paysage du temple serait difficilement respecter le modèle initial. L'adjonction
compréhensible : son organisation spatiale récente de minarets d'inspiration moyen
comme son ornementation n'obéissent pas à orientale montre d'où proviennent les
un modèle ou même à des règles bien établies. influences aujourd'hui.
177
1
CONCLUSION
). ~- .... -.
élévation de la «résidence du Commandant de Cercle» avant restauration (en haut) et après (en bas)
178
1
Seule la résidence du «Commandant de L'ESPACE DOMESTIOUE
Cercle» a fait l'objet de travaux. Ceux-ci,
hélas, ont fait disparaître une de ses
principales caractéristiques architecturales, es concessions à Ouidah sont composées
les cloisons extérieures en panneaux de bois L de groupements d'habitations ouvrant sur
ajourés, remplacées par des murs en «dur». des cours, de plus ou moins grande taille.
Les critiques «rationnelles» portées Il n'existe pas morphologiquement de
sur l'architecture coloniale et sa disparition différence très visible entre ces constructions
progressive, remarquable dans tous les pays et celles des villes environnantes. On note
africains, témoignent de la difficulté d'intégrer la disparition progressive de l'utilisation de
cette époque à l'histoire nationale. Même si le la terre au profit du parpaing. En outre,
sujet est moins sensible que celui de la traite, la dégradation de nombreux édifices anciens
il renvoie à un moment historique douloureux s'explique par la disparition des activités
pour la majorité des Béninois. économiques et par le rejet de pratiques
La disparition des bâtiments considérées comme rétrogrades (la
coloniaux pose finalement la question de la construction en terre) dans la société africaine
relation qu'une population «dominée» peut contemporaine. Faut-il cependant en conclure
avoir avec son passé. Peut-on espérer que les que l'habitat à Ouidah n'est simplement
nouvelles générations porteront rapidement qu'une illustration des problèmes
un regard plus patrimonial sur ces édifices, du logement dans les villes d'Afrique noire?
comme d'autres peuples l'ont fait, par Cette analyse serait insuffisante
exemple en Amérique latine? Au-delà de la même si elle n'est pas fausse en soi.
conservation de ces vestiges, une telle Les concessions de Ouidah possèdent pour
démarche marquerait sans doute leur passage la plupart une dimension patrimoniale,
irréversible dans la modernité. au sens premier du terme.
179
1
CONCLUSION
les différentes concessions de la collectivité Quénum (hachuré), autour de la «maison mère)) (en noir)
la villa afro-brésilienne «Saint Pierre))
180
1
façade d'un bâtiment afro-brésilien d'une concession Quénum
181
1
CONCLUSION
182
1
Ouidah ne témoigne pas non plus
d'une société qui se serait conservée à l'abri
des influences extérieures tout au long de son
existence. Au contraire, la cité n'existe que
par les échanges et les métissages qui s'y
sont opérés.
Son paysage urbain, évidemment composite,
ne s'accorde donc pas avec l'image
d'homogénéité sociale et spatiale que l'on
projette généralement sur les établissements
humains des sociétés «primitives)) dont le
peuple dogon est un des archétypes en
Afrique noire. Ce critère, allié à ceux
~ d'ancienneté et de rareté, est indispensable
toiture de la villa Adjavon pour qualifier un site architectural
«traditionnel». L'espace urbain en Afrique
n'est généralement pas considéré comme
pouvant relever du patrimoine: trop récent,
il ne saurait restituer que des influences
extérieures et des transformations sociales,
bonnes ou néfastes selon les discours.
Enfin, les bâtiments de Ouidah ne
témoignent pas non plus d'un passé très
éloigné, dont ils seraient les derniers vestiges.
Les modes de construction en terre ne
permettent pas d'identifier des constructions
traditionnelles très anciennes. Il est possible
que la grande majorité des maisons en terre
crue encore présentes datent au plus du
début du siècle. Paradoxalement, les édifices
les plus vieux sont peut-être ceux édifiés en
briques cuites par les Afro-Brésiliens et les
maisons de commerce occidentales dans la
seconde moitié du Xlxe siècle.
183
\1
~,
Il
'\
L-
lill\u
, ,
T 1
plan partiel de Ouidah en 1991 où sont localisés les principaux sites «historiques» (IGN-INC-ORsrOM-SERHAUl
Toutes ces constructions rappellent Le premier repose sur une pratique sociale
des moments passés mais n'ont pas été plus que sur un support spatial. tandis que le
conçues pour évoquer des événements second oublie généralement l'usage actuel du
précis. à la différence des sites site. La transposition de ce mode de
«commémoratifs» (par exemple les arcs de représentation dans la société béninoise n'est
triomphe). Cette relation au passé s'appuie pas sans poser des questions qui ne se
pour les habitants sur les rituels qui y prennent limitent pas à des considérations
place et pour les Occidentaux sur la relation morphologiques.
mentale établie entre un événement et une Le concept de patrimoine dans les
bâtisse. Il existe une certaine contradiction sociétés africaines ne se fonde pas sur le
entre ces deux modes d'analyse. culte d'objets dotés d'une valeur évocatrice
184
1
Il est donc un peu paradoxal
d'imaginer la conservation de temples ou de
concessions pour marquer, comme le
patrimoine bâti le rappelle dans le monde
occidental, la continuité de l'espèce humaine.
Les cultes assurent déjà cette fonction.
L'image de Ouidah en tant
qu'élément du patrimoine national présente
au Bénin deux facettes contradictoires. Les
habitants émigrés depuis longtemps dans les
centres économiques du pays valorisent la
cité et s'y rendent pour les fêtes familiales.
Une association, l'UGDO, témoigne des
solidarités qui unissent symboliquement les
Ouidanais «de la diaspora du xx e siècle». Il
n'existe cependant pas un mouvement de
retour vers cette ville, par exemple des
retraités, car le dynamisme des cultes vodouns
continue d'inquiéter. Les jeunes générations
ne s'y trompent pas: elles sont singuliè-
rement absentes de la cité et répugnent
même à y retourner lors des cérémonies.
185
1
A chaque fois, au-delà de la remémoration de N'oublions pas non plus qu'en
la richesse d'une culture, c'est aussi le génie Europe, les actions de conservation du
universel de l'homme qui est rappelé, dans patrimoine bâti ancien ne sont pas nées à
lequel tout un chacun peut se reconnaître. n'importe quel moment de l'Histoire.
Cette démarche est là encore Elles se développent à la suite de la
difficile à établir dans le cadre d'une société Révolution industrielle et s'inscrivent dans un
longtemps organisée sur le commerce des contexte de modernisation sociale et
esclaves. Guel que soit le degré de économique. Souvent prôné d'ailleurs comme
responsabilité des Occidentaux dans son un outil de lutte contre le «Progrès» qui
développement. il n'en demeure pas moins éradique au nom de l'hygiène et du confort
qu'une partie des habitants de cette côte toutes traces du passé, le mouvement est
furent pendant plusieurs siècles soit esclaves, particulièrement fort dans les sites qui
soit marchands d'esclaves. La remémoration connaissent un développement important:
de la traite se heurte à cette constatation ce qui n'est pas le cas de Ouidah qui reste à
blessante (que connaissent aussi les Antillais l'écart des circuits économiques depuis de
pour lesquels il est si difficile de se penser en très nombreuses années et où les bâtiments
descendants d'esclaves). de moins de dix ans dans les quartiers
Dans ces conditions que veut-on se anciens se comptent en unités. La question
remémorer, que veut-on «restauren> et qui ne peut donc se poser dans les mêmes
veut engager une telle démarche? La termes: ces quartiers témoignent d'abord de
question mérite d'être discutée l'abandon de cette ville dans l'économie
particulièrement dans un pays neuf où la coloniale puis nationale.
notion d'identité nationale est fragile. A
travers le rappel de l'esclavage et de ses Tous ces éléments d'ordre
acteurs locaux (les royaumes houédah et du sociologique sont sans doute plus
Dahomey), ne risque-t-on pas également de déterminants que le manque de moyens
rappeler la suprématie politique et financiers et humains pour expliquer
économique des peuples côtiers par rapport à l'absence d'une politique du patrimoine.
ceux du nord dont les terres furent longtemps En l'état actuel, celle-ci ne peut susciter une
parcourues et «razziées» par les armées des adhésion populaire et en reste au niveau des
précédents à la recherche d'esclaves? voeux pieux et de quelques interventions
Les vieux quartiers de Ouidah, où symboliques qui intéressent principalement
sont installés les temples et les concessions quelques historiens nationaux et quelques
mères, qui rappellent également la traite et experts internationaux.
parfois la colonisation, sont des symboles La situation n'est cependant pas
ambigus, souvent qualifiés péjorativement de irréversible. Le rejet de certains événements
«vieilleries» : nombreux sont ceux qui de l'histoire est une attitude que l'on trouve
aimeraient voir ces traces évocatrices d'un dans toutes les sociétés et qui prend des
passé douloureux disparaître ou se banaliser à formes plus ou moins violentes. Les périodes
l'image des quartiers neufs de Cotonou. Dans de la traite et de la colonisation. vues souvent
ce contexte, on comprend mieux pourquoi la dans une continuité, sont encore aujourd'hui
dégradation des vieilles demeures et des occultées comme si elles étaient trop
temples n'est pas vécue comme un problème. proches. Mais peu à peu, l'éloignement dans
Ce phénomène n'est d'ailleurs pas spécifique le temps et surtout les nouvelles influences
à Ouidah. Il constitue un élément d'explication extérieures font qu'un certain détachement
de l'abandon de la plupart des centres urbains se manifestera au point qu'un regard
et des vieilles demeures des villes historiques, esthétique pourra être porté sur les paysages
de Saint-Louis du Sénégal à Abomey ou évocateurs de ces périodes. C'est déja le cas
Porto-Novo en passant par Grand-Bassam. par exemple dans la société brésilienne.
186
1
Dans ce contexte, qui se développera d'autant plus vite que le pays trouvera un certain
équilibre politique et économique, une valorisation patrimoniale du passé reposant sur la
préservation de vestiges physiques prendra tout son sens. Le prix à payer sera l'inscription
irréversible des habitants dans la modernité et dans la distance qu'elle induit au passé et
donc au mode de fonctionnement social contenu dans les croyances religieuses tradition-
nelles. Ce jour là seulement, il sera également possible de valoriser ce système de pensée
qui appartiendra alors aux «temps anciens».
Dans l'attente, il convient néanmoins de susciter sur place un débat qui ne se limite pas à la
question du choix des sites à conserver ou valoriser. Celui-ci ne pourra être établi par les
Béninois que si leurs enjeux symboliques sont abordés et discutés. Il sera alors possible
d'inventer des modalités d'action adaptées aux sites et aux conditions socio-économiques.
C'est à ce prix que l'idée de préservation du patrimoine bâti sortira de la liste des «curiosités»
du monde occidental et pourra être portée par les forces politiques et sociales.
187
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Achevé d'imprimer par Corlet, Imprimeur, S.A. - 14110 Condé·sur-Noireau (France)
N" d'Imprimeur: 10151 - Dépôt légal: juin 1995 -Imprimé en C.E.E.
LA VILLE DE OUIDAH AU BÉNIN,
CONNUE COMME L'UN DES PRINCIPAUX COMPTOIRS DE TRAITE DES ESCLAVES SUR LA CÔTE AFRICAINE, FUT
UN CREUSET DU SYSTÈME DU CULTE « VODOUN», DIFFUSÉ EN AMÉRIQUE LATINE PAR LES NOIRS DÉPORTÉS. CET OU
RECOMPOSE L'HISTOIRE DE LA CITÉ EN ANALYSANT LES TRACES ARCHITECTURALES ET URBAINES; SE FAISA~ )
S'INTERROGE SUR LE REGARD PATRIMONIAL QU'EUROPÉENS ET AFRICAINS PORTENT AUJOURD'HUI SUR UN
MÉMOIRE D'UNE HISTOIRE DOULOUREUSE ET D'UNE SOCIÉTÉ ORIGI
ALAIN SINOU, ARCHITECTE-URBANISTE ET DOCTEUR EN SOCIOLOGIE, A TRAVAILLÉ PENDANT PLUSIEURS ANNÉES
L'URBANISATION DES VILLES AFRICAINES. IL A RÉCEMMENT PUBLIÉ SUR CE SUJET « PORTO-NOVO, VILLE D'AFRIQUE N~ï'!:s~g~~~~
AUX ÉDITIONS PARENTHÈSES ET « COMPTOIRS ET VILLES COLONIALES D'AFRIQUE NOIRE» AUX ÉDITIONS KAR 1
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