Al Manhaj
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perfectionner les usages et méthodes utilisées pour mieux planifier l’offre en fonction
de la demande. Une telle question sur la planification, nous pousse à chercher comment
est-elle affectée par les problèmes inhérents à ses pratiques et au contexte de la gouver-
nance éducative et d’urbanisation?
Pour élucider cette problématique, l’objectif est donc de mettre en lumière les problè-
mes vécus par les planificateurs, à travers un effort de recherche basée sur l’analyse
des facteurs qui influencent la démarche planificatrice et la synthèse de leurs effets, en
vue d’une proposition de perspectives d’amélioration future. Ce qui nous conduit dans
cet article vers la nécessité d’analyser ce constat à travers trois dimensions à savoir,
l’impact du contexte de gestion sur la planification, l’effet des pratiques et techniques
de planification elles-mêmes, et enfin les conséquences du contexte d’urbanisation sur
la démarche planificatrice.
2 Jean-Pierre Helfer, Michel kalika, jack DROSNI « Management stratégie et organisation » 7 eme
édition, Vuibert. Paris juin 2008.
3 Royaume du Maroc – Conseil Supérieur de l’Enseignement – Etat et perspective du système d’éd -
cation et de formation-Volume1 : réussir l’école pour tous--rapport annuel – Rabat 2008-107p.;
42 ATTADRISS Revue de la Faculté des Sciences de l’Education N°5 Nouvelle série 2013
Planification de l’éducation au Maroc, Enjeux des pratiques et contraintes de la réalité
processus profond, progressif et continu de transfert des compétences les plus larges
possibles et des moyens d’action»4. Cependant, si la planification a été l’objet égale-
ment de transfert des compétences et des attributions de l’administration centrale vers
les AREFs, en réalité, le niveau central continue non seulement à exercer des fonctions
opérationnelles qui structure les attributions des AREFs, mais aussi à souffrir d’une
réparation des attributions de la planification sur plusieurs entités (Directions) centrales
alors qu’en réalité ces attributions devraient être gérées par une seule Direction de la
planification de l’éducation au niveau central pour assurer plus de cohérence dans les
stratégies et les orientations . Par exemple, différentes Directions centrales demeurent
toujours engagées dans le processus de planification. Ceci est perçu au niveau de la carte
scolaire5, la préparation des plans de développement de la scolarisation6, l’élaboration
des projets d’établissement7 et son appropriation par le niveau local. Alors que de telles
missions doivent être rassemblées dans une seule structure qui en assure les orientations
stratégiques, le suivi et l’évaluation. Alors que la mise en œuvre de ces attributions re-
lève en réalité des compétences des Académies. Ces dernières sont les plus concernées
par ces missions et devraient avoir plus de responsabilisation dans leur planification et
gestion.
2. En termes de planification des ressources humaines
La planification des ressources humaines constitue une opération importante pour le
système éducatif. A ce propos, la charte dans son levier 13 a incité à la motivation de ces
ressources, au perfectionnement de leur formation continue et à l’amélioration de leurs
conditions de travail, en révisant les critères de recrutement, d’évaluation et de promo-
tion. Ceci, à travers entre autres, l’article 146 qui stipule que « à l’échelon régional, les
académies actuelles seront réorganisées et érigées en autorités régionales d’éducation et
de formation, déconcentrées et décentralisées … pour exercer, …la gestion des ressour-
ces humaines, au niveau de la région, y compris le recrutement, la formation et l’éva-
luation »8. Cependant, les attributions conférées par la législation aux Académies sont
plus timides que celles proposées dans la Charte : la loi n° 07-00, et ne prévoient pas la
délégation totale de la gestion des ressources humaines (recrutement, formation et éva-
luation compris) aux autorités régionales. Ce constat, a été fait également par le bilan de
la COSEF qui dénote une gestion des ressources humaines du secteur de l’éducation et
de la formation, qui a toujours connu de nombreuses difficultés. Les Académies ne sont
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pas dotées de leviers d’action suffisants pour avancer dans le processus de planification
des ressources humaines.
A ce titre, le constat du plan d’urgence précise également que les académies « maîtri-
sent peu la planification des besoins en enseignants et sont peu incitées à développer la
formation continue en raison du turn-over important des enseignants. Ce turnover est
imputable à la coexistence de deux systèmes de mouvement, l’un national et l’autre
régional»9. Ce plan a lancé une série de mesures pour parvenir au parachèvement de
la délégation des compétences de gestion de ces ressources aux AREFs dans un cadre
contractuel d’opérationnalisation. Ainsi, il convient de citer que parmi les recommanda-
tions actes de la rencontre du réseau des gestionnaires des ressources humaines10 a été
préconisée la simplification des procédures administratives. Cette mesure est considérée
comme une entrée principale pour le transfert des compétences aux AREFs et Déléga-
tions.
Il en résulte qu’une responsabilisation des académies en termes de recrutement et de
gestion des ressources humaines est une condition primordiale pour la reforme et le
parachèvement de la décentralisation du processus de planification de ces ressources.
Cette dernière doit se baser sur l’identification des besoins locaux en ces ressources en
dotant les académies de tous les moyens technico-financiers de leurs recrutements.
44 ATTADRISS Revue de la Faculté des Sciences de l’Education N°5 Nouvelle série 2013
Planification de l’éducation au Maroc, Enjeux des pratiques et contraintes de la réalité
1. A
u niveau de l’élaboration des plans de développement de la scolarisa-
tion
L’élaboration des plans et une démarche primordiale dans le processus de planification
en ce sens que le plan (selon Jacques Chevalier, 1986)12 vise à anticiper l’avenir, et
doit s’efforcer de réduire la part du pari qui s’attache à toute projection de type, par le
recours à la prévision. Au Maroc, comme dans nombreux pays, l’élaboration des plans
de développement de l’éducation a débuté avec les premiers plans de développement
économique et social. Cependant, cette démarche n’a été conçue et préparé d’une ma-
nière régulière qu’au début des années 2000, avec la charte d’éducation et de formation.
En effet, ces cadres et plans sont venus, incontestablement, en réponse à la nécessité de
s’engager résolument sur la voie des plans d’action qui fixent les objectifs à atteindre,
cependant l’état des lieux affiche des dysfonctionnements quant à l’élaboration des dits
plans qui sont caractérisés, selon une analyse de concordance « par une double discor-
dance: d’une part entre le plan stratégique régional et le plan stratégique national et
d’autre part, entre le plan stratégique régional et le plan d’actions régional validé par le
Conseil d’Administration des Académies »13.
Une des causes de ce problème réside dans la non implication des décideurs locaux
dans le processus général de planification. Ces discordances semblent être dues aussi à
l’absence de procédures de planification formalisées et continues, faites par les AREFs,
d’une manière indépendante des directives du central. Les AREFs attendent toujours une
note ministérielle avec son canevas pour se lancer dans l’élaboration de ces plans, mais
qui butent sur une non-conformité généralement avec le modèle de référence centrale et
qui restent à la merci des allocations budgétaires qui limitent souvent leur portées.
Par ailleurs, les établissements scolaires constituent pour les planificateurs le point de
départ dans la mise en œuvre d’une logique ascendante des données depuis le local
jusqu’aux services centraux. Cependant ces établissements ne sont pas encore impré-
gnés complètement par le processus d’élaboration de plans d’action. Ceci, malgré les
incitations et les encadrements pour l’élaboration de projets d’établissements, lancées
par le Ministère ou avec l’aide de projet d’assistance technique des organismes de dé-
veloppement de la scolarisation.
2. Au niveau de l’élaboration des cartes prospectives scolaires
La technique des cartes scolaires qui est la plus ancienne des pratiques de micro-pla-
nification, et en est l’un des principaux instruments, a été introduite dans bon nombre
12 Jacques Chevalier « Science administrative » Thémis, collection dirigée par Maurice Duverger,
science politique, presses universitaires de France, Paris 1986
13 Cette analyse entreprise par la Direction de la Stratégie des Statistiques et de la Planification (DSSP)
et le Projet de renforcement des capacités institutionnelles, du système éducatif dans la mise en
place de la décentralisation/déconcentration au Maroc (PROCADEM) , et cité in ROYAUME DU
MAROC-MENESFCRS-Pour un nouveau souffle de la réforme de l’Education-Formation – Rapport
détaillé du Programme d’Urgence 2009-2012 – Juillet 2008.
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de pays, comme un complément indispensable de la macro-planification14. Au Maroc.
Si ces cartes permettent de prévoir les besoins en ressources humaines, matérielles et
en équipement pour les années futures à court terme, cependant la démarche de prépa-
ration de ces cartes demeure complexe. Ceci apparait dans la multitude de techniques
et niveaux d’intervention, en termes notamment de données en entrée de sources et de
procédures de collecte, de calendrier, de traitements et de données en sortie.
En effet, pour élaborer la carte scolaire, les AREFs attendent chaque année une note
d’organisation qui précise les orientations à suivre par les planificateurs au niveau local.
Si cette opération est nécessaire pour harmoniser les pratiques, elle dénote, en revanche,
l’absence de procédures claires et formalisées qui permettent d’agir d’une manière auto-
nome en favorisant la libre initiative pour des solutions pratiques adaptées aux niveaux
des AREFs et des Délégations et qui peuvent servir de modèles à généraliser. En plus
les canevas de ces cartes, élaborés par l’administration centrale15, ont pour longtemps
obéi à une logique descendante des données. Ce mode d’action, jugé « trop vertical »16
se concrétise, par exemple, par une formulation des objectifs et une planification des
moyens qui, pour l’essentiel, intègre rarement le niveau local dans la mesure où les
établissements et les communes ne sont pas suffisamment impliqués, et continue à se
faire le plus souvent de l’administration aux établissements, sans réelle prise en compte
des priorités de ceux-ci.
3. Au niveau de la mise en œuvre des modèles de simulation
Il est généralement admis que pour planifier rationnellement l’éducation et maitriser
l’évolution des moyens humains, matériels et financiers, les statistiques scolaires consti-
tuaient à l’origine, comme l’a précisé Sylvain Lourié17, l’essentielle, sinon la seule,
source d’information permettant le « diagnostic » et la préparation de propositions. Pour
assurer cette tâche, les décideurs se basent sur des scenarii basés sur des techniques de
simulation conçues selon des modèles. Ces derniers consistent à se baser sur des projec-
tions de la population utilisées pour estimer la population scolarisable en tenant compte
des possibilités de développement quantitatif et qualitatif du système éducatif. Ensuite,
procéder par le choix, parmi les scenarii, de la démarche convenable aux exigences du
contexte.
14 Par ses travaux de recherche et de formation sur la carte scolaire, les disparités régionales et l’analyse
des coûts au niveau local, l’IIPE a largement contribué à ce récent développement. Voir, en particulier
: J. Hallak, La mise en place des politiques éducatives: rôle et méthodologie de la carte scolaire, Paris,
Unesco/Nathan, 1976; G . Carrón et C . Ta Ngoc, Réduction des disparités régionales et planification
de l’éducation, Paris, Unesco, 1981.
15 L’élaboration de cette carte faisait intervenir trois directions centrales: la Direction de l’évaluation, de
l’organisation de la vie scolaire et des formations; la Direction de la stratégie, des statistiques et de la
planification et la Direction des ressources humaines et de la formation des cadres.
16 Royaume du Maroc – Conseil supérieur de l’enseignement – Etat et perspective du système d’éduc -
tion et de formation-Volume1 : réussir l’école pour tous--rapport annuel – Rabat 2008-107p
17 Sylvain Lourié « La planification de l’éducation » in « Les sciences sociales de l’éducation, appr -
ches disciplinaires et planification » Revue trimestrielle publiée par l’Unesco Vol. XXXVII, n° 2,
1985, pp 269-281
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Planification de l’éducation au Maroc, Enjeux des pratiques et contraintes de la réalité
Si la technique des simulations est considérée par les planificateurs comme l’outil pers-
picace pour pronostiquer l’évolution future maitrisée du système éducatif, cependant
cette démarche rencontre des difficultés qui entravent l’atteinte de ses objectifs. L’ab-
sence de données statistiques démographiques actualisées et validées, notamment pen-
dant les périodes intercensitaires, cause souvent un décalage des scenarii préconçus
pour connaitre les flux futurs d’élèves à scolariser, par rapport à la réalité démographi-
que des localités.
En plus, sur le plan décisionnel, les résultats des projections restent souvent tributaires
de la volonté politique des décideurs dont les scenarii se trouvent souvent révisés voire
même contrecarrées par les orientations politiques et le changements même de politi-
ciens à l’intérieur du système éducatif, et au niveau même du gouvernement. Concrè-
tement, il y a lieu de citer un exemple qui a eu un impact considérable sur l’évolution
de la scolarisation depuis les années 80, et qui demeure jusqu’à nos jours, celui des po-
litiques qui ne prennent pas en compte la dimension sociale dans les programmes gou-
vernementaux, en l’occurrence la « politique d’ajustement structurel». Cette politique,
mise en œuvre à partir de 1983 dans un contexte de récession économique et d’expan-
sion démographique, tendait à « réduire la charge budgétaire de l’éducation, renforcer
son efficacité, décharger l’État de certaines responsabilités au profit du secteur privé,
considérer l’éducation comme un service payant et non comme un bien social... »18. Par
conséquent, cette politique a été matérialisée par une série de mesures adoptées en vue
de comprimer les dépenses du secteur, à savoir:
1. La modulation des effectifs des niveaux supérieurs selon les besoins de l’écono-
mie en main-d’œuvre;
2. La diminution des bourses du secondaire et du supérieur;
3. La rationalisation de l’utilisation des ressources humaines et matérielles, en par-
ticulier par l’allongement en moyenne de 20 % de l’obligation hebdomadaire de
service des enseignants sans contrepartie salariale et par une révision du mode
d’occupation des salles;
4. La diminution sensible des taux de redoublement afin de désengorger le système.
Si cette politique « d’ajustement structurel » a été conçue pour pallier à la crise écono-
mique causée par l’endettement, les mesures qui en ont découlé ont retardé, voire créée
des « problèmes structurels » pour ce secteur qui pèsent sur le développement et le dé-
collage du pays jusqu’à nos jours.
En plus, même avec les séries de reformes qui ont eu lieu pendant les dernières dé-
cennies, en l’occurrence le Plan d´Urgence, qui est actuellement en cours, le système
éducatif devait encore faire face au même défi. Il en résulte que l´enveloppe budgétaire
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du Ministère ne couvre pas les coûts estimés. Ceci, en témoigne Sobhi Tawil et al19, par
l’écart entre les moyens apportés et les objectifs affichés qui semble ainsi se perpétuer.
Ainsi s’impose la condition d’adapter les objectifs de la réforme aux possibilités finan-
cières et humaines réelles qui serait un meilleur gage de succès, et cela exige une plani-
fication minutieuse de la transformation du système sur le moyen et long terme.
III. Un contexte d’urbanisation défiant
Comme le contexte d’urbanisation interpelle l’obligation d’engager une politique de
proximité, les Académies sont les plus concernées par la réalité locale de la desserte en
équipements scolaires du territoire auquel elles sont rattachées. En effet, et tout d’abord
sur le plan technique, l’évolution quantitative du système éducatif est intimement liée
aux changements démographiques concrétisés par des fluctuations des populations lo-
cales. Ce changement est souvent dû aux flux migratoire orienté vers les agglomérations
d’habitats aux niveaux des espaces urbains offrant plus d’opportunité ou de facilité
d’acquisition de logement règlementaires ou clandestins. Les AREF sont donc obligées
de se conformer aux emplacements des équipements scolaires désignés par les docu-
ments d’urbanisme. Ces derniers « définissent une direction générale à suivre pour amé-
liorer la cohérence des programmes d’action»20 et constituent une référence en termes
de réserves foncière pour les planificateurs.
Cependant, la majeure partie des emplacements scolaires désignés par les documents
d’urbanismes ne sont pas utilisés par les planificateurs. Ce constat est dû à la qualité
du terrain et la disponibilité de ces emplacements qui sont souvent partiellement ou
totalement occupés. D’après une évaluation faite par l’Agence Urbaine du Grand Casa-
blanca, « sur les 571 parcelles de terrains projetés par les documents d’urbanisme,
seulement 79 sont effectivement acquis, soit 14% »21, donc une faible acquisition des
terrains.
En plus des facteurs urbains qui ont un impact négatif sur la disponibilité des emplace-
ments scolaires, il y a une mise en cause de la coordination imparfaite entre les admi-
nistrations impliquées dans la gestion des réserves foncières. Parmi ces administrations
on trouve la Direction des Domaines, l’Agence Urbaine de Casablanca et le Ministère
concerné (Enseignement), qui doivent coordonner autour des dispositions appropriées
à prendre à cette fin.
Conclusion
Vu l’importance de la planification de l’éducation dans l’administration et son rôle dans
la l’efficacité de la gestion, ses pratiques suscitent d’être révisées et repensées. Cette
19 Sobhi Tawil, Sophie Cerbelle, Amapola Alama « Education au Maroc, Analyse du Secteur »
UNESCO, Bureau multi pays pour le Maghreb, Rabat 2010.
20 Jean-Paul Lacaze « planification stratégique des territoires » in futuribles –analyse et prospective –
No 295 mars 2004.pp 25-41
21 Lettre No 8175 du 21 octobre 1997 de l’Agence Urbaine du Grand Casablanca.
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Royaume du Maroc Commission Spéciale Education Formation « Charte nationale d’éduca-
tion et de formation » Octobre 1999.
Royaume du Maroc – Conseil supérieur de l’enseignement – Etat et perspective du système
d’éducation et de formation-Volume1 : Réussir l’Ecole Pour Tous – rapport annuel – Rabat
2008-107p.
Royaume du Maroc-MENESFCRS-Pour un nouveau souffle de la réforme de l’Education-
Formation – Rapport détaillé du Programme d’Urgence 2009-2012 – Juillet 2008.
Royaume du Maroc-Ministère de l’Education Nationale, Bulletin d’information, Numéro
103 du 29 juin 2012.
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