Les Temps Dans La Ficelle PDF
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Lise Lapierre
BIBLIOGRAPHIE
L.L.
La Ficelle 10H 1
Nous indiquons les verbes à l'imparfait
par un trait continu et les verbes au d'humains et de bêtes mél:rn~ês. l .cs cornes tics h1cufs, 30
les liauts ch<lpcnux :\ longs poils tics p11ys:1ns rid1cs cl les
passé simple par un pointillé. coiffes <les pays1tnncs éTcrgcak111 à l:t smfoce t1c l'asscm-
hlée. Et les voix crian es, :11guës, gl:1pissantes formaient
une clameur continue et sauv<t,~e 'lue clomin:ttt flatfois
un grand éclat poussé 'Jar 1:1 ro >U~tc po1tr111c d'un cam-
p:1gnar<l en gaieté, ou e long meuglement tl'une vache
attachée au mur d'une maison.
LA FICELLE Tout cela sentait l'étable, le lait et le fumier, le foin
et la sucur,~geait cette saveur aigre, affreuse,
humaine et bc~1âe, particulière aux gens tics champs. 40
Maitre Hauchecorne, Je Bréauté•, venait d'arriver à
À 1-lt1rrJ Afisa•. Goderville, et il se tfüigcait vers la place, Ïuancl il
ape~ut par terre un petit houl tic ficelle. Maitre l:mche-
Sur toutes les routes autour t1c Gmlerville•, les paysans ë(jrne~ économe en vrai Normand, pensa tiue tout était
et leurs femmes s'en venaient vers le bourg; car c'élait bon• à ramasser qui peut servir; et if së baissa pénible-
~mr de marché. Les milles allaient, à pas tranquilles, ment, car il souffrait de rlmma1ismes.1r1l!it, par terre,
tout le corps en avant à chaque mouvement de leurs le morceau de corde mince, et il se Jisposâfi à le rouler
longues jambes torses, déformées par les rue.les travaux, avec soin, quand il rcm:uqu:t, sur le seuil de sa porte,
1ar la 11esée sur la chartue qui fait en même temps monter maitre Malamlain'>, rc-m,fü1clicr, qui le tcftartlau. Ils
1'épau e gauche et dévier la taille, par Je fauchage tles avaient eu des affaires cnscmhlc au sujet ll'un 1col, nutre- 50
blés qui fait écarter les ~enoux rour prendre un aplomb fois, et ils étaient re~tés fâchés, étant rancuniers tous
solide, par toutes les besognes lentes el pénibles de la deux". Maître Hauchccorne fut rris d'une sorte tic honte
lO campagne. Leur blouse bleue, empesée, brillante, comme d'être vu ainsi, par son enné1iii, clierd1ant tians la crotte
vernie, ornée au col et aux poignets d'un petit dessin de un bout de ficelle. Il p~cb~ brust1ucmcnt sa 1rouvailte
fil blanc, gonflée autour de leur torse· osseux, semblait sous sa blouse. puis dans la poche tic sn culotte; 'mis
un ballon prêt à s'envoler, d'où sortaient une tête, deux
bras et deux pieds.
il ~t_ l!,.Cll!l~l:'.!t! de ~hercher et~l:orc par terre llue
chose qu"'1I ne~ point, et 1i _!'c11 !Il.! vers le nuuc 1é.
'l"c
1.es uns tiraient au bout d'une corde une vache, un la tête en avant, courbé en deux par ses tlouleurs.
venu. Bt leun femmes, derrière l'animal, lui fouettaient ,Il .!<.:. p~r~lil. nussitê1t tians la foule cri:mlc et lente,
les reins d'une branche encore garnie de feuilles, pour a~atée par les lnlerminahlcs 1narcl1amlagcs. Les paysans 60
biter sa marche. Elles portaient au bras de larges paniers tataient les vaches, s'en allaient, rcvènaicnt, perplexes,
d'où smtaicnt des têtes de poulets par-ci, des têtes de tou1ours dans la cramte d'être mis tledans, n'osant ja-
20 callards par-là. Et elles marchaient d'un pas plus court mais se déciller, épiant l'œil du vendeur, cherchant sans
et plus vif que leurs hommes, la taille sèche, droite et fin à découvrir la ruse de l'homme et le lléfaut tic la bête.
drapée dans un petit châle étriqué, épinglé sur leur Les femmes, ayant posé à leurs pieds lems grnruls
poitrine plate, la tête enveloppée d'un hnge hlanc collé paniers, en avaient tiré leurs volailles qui ~isaicnt par
sur les cheveux et surmontée d'un bonnet. 4crre, liées par les \>attes, l'u:il effaré, l:t cretc ccarlalc.
Puis, un char à bancs pasyit, au trot saccatlé tl'un Elles écoutnient es propositions, maintenaient kurs
hidet. secouant étrangement c eux hommes assis côte à prix, l'air sec, le visage impnssihlc; ou bien tout à coup,
cbte cl une femme dnns le fond du véhicule, dont elle se décidant au rabais proposé, t:riaient au dient c.1ui 70
0 tenait le hord \mur atténuer les durs cahots. s'élo~nait lentement :
0\
~la place le Goderville, c'était une foule, une cohue « ~'dt <lit, nmit' Antltime. J'vous l'c.lonnc. ,,
........ 10R2 T..t1 Ficelle J A Fiai/,. 10R~
'
1~s ~ru, ne sachant que faire, et contant toujours son en rlue; inquiet. Pourcfuôr Pa\::iit-on appelé (( Rtns
11~totre. m:llin »?
La nuit vint. JI fallait partir. 11 se mit en route avec • Q!!nntl il fut usis à table, da1111 l'nuhcrJ?e de Jmmlnin, 2ft0
trni11 voisins Attni il montra la plaëe-<)ù-H nait ram1u1sé il se remit T ëi1lli(,uer l'itffaire.
le lmut de corde; et tout fe-Jong <lu chemin H J?.!!rl=! de tin mnêruignon ce Montivillkr11• lui cria :
N 200 son aventure. « Alloni;, niions ''Îeille pr:ttic1ue, jë 1; conn:iii:, ln
0\ Le soir, il.!'! une tournée daris le village de Bré:mt~, ficelle'"
10R6 l .a Ficdle
~
O'\ l l:mC"hecorne balhutfa :
t( Pui!a1u'on l'"a- rctrÎt~IV<\ Çll porta feuille 1 ))
l\laii; l':rntre t«:.LHÎt :
•< Tais-té, mon I~~: y en n un qui crnuve, et y c-n a un
qui r'porte. Ni vu ni connu, je t'cmhronille. ,,
250 I.e pa}·11nn r~l_ll 1mffmp1é. Il cum ncuait enfin. On
l'accusait d':n;,f r Îait reporter c porte euillc pu un Tableau de la distribution des temps,
compère, p:u un complice. d'après H. Weinrich :
Il .Y2t~'!.t proldtcr. Toute la ta hic ~c_ mi! i\ rire.
Il ne Jl.!1! achever son diner et .f~•! ~l!I!.• au milieu
<le!I· moqueries.
IJ rentra chez lui, honteux et indigné, étranglé
colèrë,-11ar fa confusion, d'nut:rnt plus atterré c1u'i était
rar
la renrectivel
d'~nonc:l•-1 Vis~ Rep~re ou Vl1t~e
ntpnbll', nvec sa ftn:nulerie <le Nornrnml, de faire cc Altitude tlon r~lro~pecllve Ml!'e en IOeRt~ 7.iro pro,pective
d'~nonchulon relief
(lont on l'accusait, et même de s'en vanter comme d'un
260 hon tour:-sonttinocence lui a11pnraissait confusément lmpnrfa(t
r1u.r-q11t- Arrihe-
comme impossible À prouver, i:a m:dtce étant connue. Et discours Parfait plan F11trtr
il se sentait frappé au cœur par l'inju~lice du soupçon. narra air ----- 1 lrypothltlqut
Alon.il !tz~l!.".!.~!'.ÇI! À.conter l'a.venture, .en nllon~eant
chaque Jour son reclt, a1out:mt ch:tque fois des rimions
nouvelles, des prote~tations plu8 énerlfiques, de11 fier·
. l'a.rû
1 n11tlrltur
rremier
plan
rn.ul
.tfmplt
rnent.!I plus solennels qu'il imasinait. qu il préparait cl1me dl!teOUf!J l'o.ul composl rrl.""' Futur
!lel'I l~eure!I de 11olitude, l'esprit uniquement occupé de comrm!nlatlr 1 1 catlt"rlqut
l'hi~tnirc (1e 1:1. ficelle. On le cr<~ynit d'autant moins guc 1
sn tléfcnsc était plus compliquee et 11011 sugumentatlnn
270 plu11 tmbtil~
« Ça, c'e!tt clcs raisons d'mcnteux >» •.ili!!lt"on derrière
son dos. Adam, J.-M. 1976. Linguistique et discours
Il le sentait, se rongeait les i:angs, s'épuisait en efforts littéraire. Canada: Librairie Larousse.
inutiles-.- - · p. 311.
Il dépérissait à vue d'œil.
Les plats:tnti; m:tintenant lui faisaient conter « ln
Ficelle ,, pour s':ttnu11er, comme oÏÏÎrut conter sa batitHle
11u soldat qui n fait campagne. Son esprit, atteint l
foml, s'affaiblissait.
280 Vers ia lm de l1écembre, il s'alita.
JI mourut d:ms les rremiers joûrs ëJe janvier, et, dans
le délirë <lel'agonie, i attdtait !Ion innocence, répétant :
« Une 'titc ficelle ... une 'tite ficelle ... t'nc:i:, 111 voilA,
m'sicu Je mnire. »