04.zones Humides PDF
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RÉSUMÉ. Analyse de la biodiversité floristique des zones humides du Maroc: flore rare, menacée et
halophile. La flore des zones humides du Maroc montre une grande richesse floristique de ces
écosystèmes, estimée à plus de 670 espèces et sous-espèces (83 familles) auxquelles s’ajoutent au
moins 272 autres considérées plutôt comme terrestres, mais qui peuvent coloniser périodiquement
ces milieux. Le taux d’endémisme se rapproche de 6,5 %, mais le fait le plus marquant est la grande
proportion des taxons rares ou menacés, évaluée à 34 %. La flore halophile fait l’objet d’un
commentaire particulier vu la prédominance de milieux salés au Maroc à la fois par le nombre et par
l’étendue des sites. Elle compte environ 115 espèces et sous-espèces réparties entre 20 familles.
Mots clés. Biodiversité, zones humides, flore rare, flore menacée, flore halophile, Maroc.
Abstract. Analysis of the moroccan wetlands floristical diversity: rare, threatened and halophilous
flora. The moroccan wetlands flora shows a great floristical richness of these ecosystems, estimated
at more than 670 species and subspecies (83 families) which can be supplemented by at least 272
others taxa considered rather as terrestrials but can colonize periodically these biotopes. This flora
shows a rate of endemism close to 6,5 %, but the most fact is the great proportion of rare or threatened
taxa (estimated at 34%). The halophilous flora was a subjet of particular comment considering the
prevalence of the salt biotopes in Morocco, either by the number or the extent of the sites. It counts
115 species and subspecies distributed among 20 families.
Key words. Biodiversity, wetlands flora, rare flora, threatened flora, halophilous flora, Morocco.
recherches de Nègre (1956, 1960) sur la campagnes d’herborisation ont été effectuées
dépression de Sedd El Mejnoun et sur le lac à l’occasion d’études réalisées dans vingt
Zima. zones humides (Dakki et al., 1995) avec
Les recherches ont continué à des l’objectif de tester au Maroc les techniques
rythmes irréguliers au moins localement, MedWet d’inventaire des zones humides
avec des approches écologiques sur la daya (Farinha et al., 1996).
de Sidi Amira (Sasson, 1959), sur l’estuaire Plus tard, un programme de recherche
du Bou Regreg (Mazancourt, 1960; El Kaim, fut lancé par le Centre d’Etude des
1972) et sur les lacs Iffer et Sidi Ali au Migrations d’Oiseaux (Institut Scientifique)
Moyen Atlas (Somers, 1972). dans le but de connaître les habitats des
Au Sud, dans les régions sahariennes, oiseaux d’eau et d’identifier les causes de
Mathez et Sauvage (1975) ont publié un leur régression. Les premiers résultats,
catalogue des végétaux vasculaires de la exposés dans des mémoires de fin d’étude
province de Tarfaya, où sont mentionnées ont concerné trois grands complexes
plusieurs espèces propres aux zones estuariens: le Bas Loukkos (Chebaata, 1994;
humides. Ce travail fut plus tard complété Ibourik, 1997), Sidi Moussa-Walidia
par une étude de la végétation de la lagune (Abdoul, 1996) et le Bas Tahadart
de Khnifiss (Burt, 1988; Edmondson et al., (Guerinech, 1998; Hansali, 1998).
1988). La végétation hygrophile de la façade
Durant les deux dernières décennies, les méditerranéenne a été un peu abordée grâce
recherches hydrobiologiques se sont à un travail de Ennabili et Ater (1996) qui
multipliées; les algues y ont occupé une place donne une idée de la diversité des
de première importance, à la fois sur les plans peuplements en plus de quelques aspects
de la biodiversité (Loudiki, 1990; Kazzaz, écologiques et phytosociologiques.
2003) et de la qualité des eaux (Hammada et La plus grande masse d’informations
al., 1996). Les connaissances écologiques et récentes est due aux nombreuses
dynamiques de la végétation hygrophile ont prospections réalisées essentiellement à
été enrichies par les travaux d’Atbib (1980, l’occasion de divers diagnostics de zones
1988) sur la réserve biologique de Mehdia, humides pour des projet de conservation. En
et par ceux de Bendaanoun (1981, 1991) sur plus du catalogue sus-mentionné (Hammada
la végétation halophile et halohygrophile du et al., ibid), plusieurs données de ces
littoral marocain. En plus des listes prospections figurent dans des rapports
floristiques qu’ils ont produites, ces deux inédits: projet MedWet II relatif à Merja
auteurs ont analysé et cartographié les Zerga (Dakki et al., 1998); projet MedWet-
groupements végétaux des régions étudiées. Coast concernant les zones humides du
Le premier essai d’inventaire floristique Nord-Oriental (Dakki et al., 2003;
spécial aux zones humides marocaines Benhoussa et al., 2003; Haloui et al., 2003);
remonte à 1994 avec l’identification d’un projet de conservation des marais de Larache
réseau de zones humides continentales à (Dakki, 2001) et projet d’inscription des sites
protéger. Les plantes récoltées lors de ces Ramsar (Hammada, 2003a; 2003b).
prospections couvrent une centaine de La végétation des dayas temporaires a
localités de différentes régions du Maroc bénéficié d’une importante étude focalisée
dont une grande proportion a été présentée sur la région de Benslimane (Rhazi, 1990,
dans le Plan Directeur des Aires Protégées 2001), cette recherche consiste en des
du Maroc (AEFCS 1996). D’autres approches descriptives et analytiques des
46 S. Hammada et al.
Thérophytes 32%
Hémicryptophytes 31%
Hydrophytes 14%
Géophytes 9,5%
Types biologiques
Chaméphytes 5,3%
Nanophanérophytes 4,2%
Phanérophytes 4%
30 Total
Nombre de taxons endémiques
Endémiques du Maroc
25
Endémiques du Maroc et de l'Algérie
10
HA MA Man AA Mam R Ms Op LM
Divisions géographiques
Figure 2. Répartition géographique de la flore des zones humides endémique: R : Rif; LM: Littoral de
la Méditerranée; Man: Maroc atlantique nord; Mam: Maroc atlantique moyen; Om: Monts du Maroc
oriental; Op: Plaines et plateaux du Maroc oriental; MA: Moyen Atlas; HA: Haut Atlas ; AA : Anti
Atlas; Ms: Maroc saharien; As: Atlas saharien.
48 S. Hammada et al.
Méditerranée, aux Hauts Plateaux et au 34% de taxons rares ou menacés, soit environ
Maroc saharien. Toutefois, les deux dernières 11 % de la flore rare du pays. Il s’agit
régions, bien arides, ont été jusqu’à présent d’environ 226 espèces et sous-espèces
peu prospectées et les résultats obtenus sont réparties entre 58 familles dont 39
à compléter par des études plus détaillées. Dicotylédones, 16 Monocotylédones et 4
Du point de vue bioclimatique, les Ptéridophytes. Les familles montrant les plus
endémiques montrent une forte présence grands nombres de taxons rares sont au
dans les ambiances subhumide et semi-aride nombre de sept: Cyperaceae (10%), Poaceae
avec respectivement des effectifs de 36 et 34 (8%), Asteraceae (5,8%), Apiaceae (5,8%),
taxons. L’étage humide contient 23 Ranunculaceae (5,8%), Plumbaginaceae
endémiques, alors que les étages aride et de (4%), Fabaceae et Potamogetonaceae (3%).
haute montagne en sont pauvres. Les 52 autres familles totalisent 55 % de
Rappelons que l’importance de taxons rares, chacune étant représentée par
l’endémisme dans le subhumide a été déjà 1 à 7 taxons. Pour comparaison, à l’échelle
soulignée pour l’ensemble de la flore du Maroc, les Asteraceae, les Poaceae et les
vasculaire du pays (Fennane & Ibn Tattou, Apiaceae sont les familles les plus riches en
1998). taxons rares ou menacés.
RÉSULTATS Les catégories très rares et rares
concernent plus de 80 % de la flore rare ou
A. Flore rare ou menacée menacée des zones humides; les premières
La flore des zones humides contient représentant à elles seules 60%. Ces fortes
100
Nombre de taxons
Total
Rare
60
Soupçonné rare
50
vulnérable
40
30
20
10
R Man MA HA Mam Ms Op AA LM Om
Divisions géographiques
Figure 3. Répartition géographique de la flore des zones humides rare ou menacée: R : Rif; LM:
Littoral de la Méditerranée; Man: Maroc atlantique nord; Mam: Maroc atlantique moyen; Om: Monts
du Maroc oriental; Op: Plaines et plateaux du Maroc oriental; MA: Moyen Atlas; HA: Haut Atlas ;
AA : Anti Atlas; Ms: Maroc saharien; As: Atlas saharien.
Flore zones humides du Maroc 49
Guigou, Békrit, bords du Senoual et sources de R?. R (j. Gourougou, Tetouan, Tanger) Mam
l’Ari Hayan. (Aguelmous) MA central.
Suaeda infniensis Maire Genista carpetana subsp. nociva (Pau & Font
R?. Mam (Oued Tamri), AA Litt. (Ifni, Oued Quer) C. Vicioso & Lainz
Noun) Ms (Lemsid, Tarfaya, env. de Goulimine). RR. R (Issaguène, 1600 m).
Euphorbiaceae Hypericaceae
Lamiaceae Onagraceae
Aquilegia vulgaris subsp. cossoniana (Maire & Reseda battandieri subsp. limicola (Maire &
Flore zones humides du Maroc 55
Verbenaceae Butomaceae
RR. R (Cap Spartel, j. Souna dans une RR. Man (Maâmora, merja Rhédira au sud
tourbière à Sphagnum, Issaguène, j. Outka). de Larache, merja Ras-el-Âïn à 9 km au SSW de
Sidi Allal Tazi).
Juncus heterophyllus Dufour
R. R (entre Tétouan et Sebta, vallées Najadaceae
d’Issaguène et Issaguène Immezin) Man
(Oulmes, El Harcha). Najas marina L.
RR. Mam (Marrakech, dans un bassin de
Juncus squarosus L. l’Agdal, embouchure de l’assif-n-Aït-Amer) Ms
RR. R (vallée d’Issaguène). (Guelta Zerga, Guelta Oued Aabar).
Puccinella distans subsp. embergeri (Lindberg) Potamogeton trichoides Cham. & Schlechtd.
Maire & Weiller RR. Man (merja Rhédira près de Larache,
E, RR. Man (embouchure du Bou Regreg). Benslimane) Mam (Marrakeche) Om (Oued
Berkane dans les gorges de Zegzel).
Puccinella distans subsp. fontqueri Maire
Ruppia cirrhoza (Petagna) Grande
E, RR. Man (Larache).
V. Man (daya Douyet près de Fès, Bou
Regreg, oued Ghebar, barrage de l’oued Mellah)
Puccinella festuciformis (Host.) Parl. subsp.
Mam (sources salées au pied de j. Amsittène,
convoluta (Hornem.) W. E. Hughes
embouchure de l’oued Tamri, Oualidia, nord du
RR. R (Tanger).
lac Zima) Ms (Mchraâ Sfi entre Goulimime et
oued Noun).
Puccinella festuciformis subsp. festuciformis
RR. R (Tanger) Man (littoral du Gharb, rive Ruppia maritima L.
droite de l’oued Loukkos à Larache, embouchure V. Man (Bouregreg, Merja zerga1) Mam
des oueds Nefifikh et Ghebar). (Doukkala, Oualidia, nord du lac Zima , sources
salées au pied de j. Amsittène, Sidi Moussa5,
Puccinella stenophylla Kerguélen Mellah5) Ms (Hassi Zehar, Meqta Chammar,
RR. R (Tanger) Man (Rabat). Guelta oued Aabar).
Posidoniaceae Zannichelliaceae
60 S. Hammada et al.
Taxons éteint ou de
présence douteuse
120 Très rare
100 Rare
Soupçonné rare
80 vulnérable
60
40
20
SH H Sad Saf A HM S
Etages biclimatiques
Figure 4. Valeur bioclimatique de la flore des zones humides rare ou menacée: S: saharien, A: aride,
Sad: semi-aride doux (m> 0ºC), Saf: semi-aride froid (m< 0ºC), SH: subhumide, H: humide, HM:
haute montagne.
Althenia filiformis subsp. barrondonii (Duval- subhumide (129 taxons, soit 37 %), l’humide
Jouve) Ascherson & Graebner (79 taxons, soit 23 %) et le semi-aride (62
RR. Man (Rabat, embouchure du Bou taxons, soit 18%).
Regreg).
B. Flore halophile
Zannichellia contorta (Desf.) Chamiso & Les données écologiques disponibles,
Schlech.
quoique fragmentaires, indiquent une bonne
RR. Op (Haute Moulouya, Sidi Saïd).
diversité de la végétation halophile (halophytes
Zannichellia obtusifolia Talavera strictes et halo-résistantes) du Maroc,
RR. R (Tanger). représentée par 114 taxons, répartis entre 20
familles. Cette proportion s’explique par le
Zannichellia pedunculata Reichenb. grand nombre de milieux salés ou saumâtres
RR. HA (lac Tisslit : 2350m) Ms (puits de (7 lagunes, baies plus ou moins fermées, plus
Talrhaïcht). de 30 estuaires, nombreux marais et oueds
saumâtres, plusieurs sebkhas). Les familles les
La répartition de la flore rare ou mieux représentées sont les Poaceae (24
menacée des zones humides selon les étages taxons), les Chenopodiaceae (17 taxons), les
bioclimatiques (fig. 4) rappelle celle de toute Plumbaginaceae (16 taxons) et les Caryo-
la flore des zones humides, voire celle de phyllaceae (10 taxons). Le reste des halophytes
l’ensemble de la flore vasculaire du pays. Les (48%) se répartit entre 16 autres familles,
nombres les plus élevés se trouvent dans le chacune étant représentée par 1 à 7 taxons.
Flore zones humides du Maroc 61
Les taxons marqués par un astérisque (*) sont des Suaeda vermiculata Forssk. et J.F. Gmel.
halophytes strictes
Convolvulaceae
ANGIOSPERMAE (Dicotylédones)
* Cressa cretica L.
Aizoaceae
Frankeniaceae
Mesembryanthemum crystallinum L.
* Frankenia boissieri Boiss.
Asteraceae *Frankenia laevis L.
* Frankenia pulverulenta L. subsp. pulverulenta
* Artemisia caerulescens L.
* Aster pilosus Willd. Gentianaceae
* Aster tripolium subsp. pannonicus (Jacq.) Soó
* Cotula coronopifolia L. * Centaurium barrelieroides Pau
Dittrichia viscosa (L.) Greuter *Centaurium maritimum (L.) Fritsch
*Inula crithmoides L.
Sonchus maritimus L. Plantaginaceae
année. A cet égard, une étude de la aquatique et subaquatique, nous pensons que
dynamique de la végétation des zones la dégradation de la végétation de ces milieux
humides, comme celle réalisée pour les a malheureusement dépassé le seuil de
mares temporaires (Rhazi, 2001), serait en réversibilité dans un grand nombre de sites.
mesure de révéler des stratégies adaptatives Cette dégradation est d’autant plus grave que
très intéressantes chez la flore terrestre de la la végétation sert d’habitat à une faune très
zone méditerranéenne. diversifiée, laquelle de toute évidence subit
également de lourdes pertes.
La situation actuelle incite à tirer une
CONCLUSION fois encore la sonnette d’alarme quant à
l’urgence de mesures de protection
Cette analyse met un peu de lumière sur notamment par :
la nature et l’état de la flore des zones - l’arrêt de la mise en culture et de
humides marocaines, riches de 670 espèces l’urbanisation des zones humides ;
et sous espèces qui sont essentiellement des - la réduction du surpâturage et le
thérophytes et des hémicryptophytes. Les contrôle des coupes de végétation des zones
originalités et les caractéristiques de cette humides ;
flore résident dans le grand nombre - l’accroissement des efforts de
d’endémiques (66 dont 443 spécifiques au sensibilisation des populations locales sur la
Maroc) et d’espèces rares ou menacées (226, valeur écologique et socio-économique des
soit 34 % de la flore des zones humides dont zones humides ;
plus de la moitié sont très rares). C’est dire - l’étude et la surveillance de
que nous avons à faire à des milieux très l’évolution de la flore rare ou menacée ;
intéressants et très sensibles sur le plan de - la limitation des rejets industriels et
la biodiversité et de l’environnement aussi domestiques dans les zones humides.
bien à l’échelle marocaine que médite-
rranéenne. Leur aménagement, protection et
conservation s’imposent plus que jamais. En REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
effet, les zones humides marocaines, malgré
les efforts déployés pour leur conservation, ABDOUL, O. -1996- Valeurs écologiques, socio-
économiques et culturelles du complexe
ont subi une forte dégradation qui continue
lagunaire de Sidi Moussa-Walidia (Province
encore de façon accélérée (Dakki et El
d’El Jadida, Maroc). Mémoire 3 ème cycle,
Hamzaoui, 1998). La sécheresse naturelle, ENFI, Salé, 67pp.
très fréquente et sévère durant les deux AEFCS -1996- Plan Directeur des Aires
dernières décennies a beaucoup aggravé la Protégées du Maroc. Vol. 1-5. Rapport inédit.
situation; le rythme d’exploitation des eaux Adm. Gén. Eaux et Forêts et Cons. Sols/
a continué d’augmenter, alors que les BCEOM-SECA.
réserves hydriques ne cessent de régresser. ATBIB, M. -1979-80- Etude phytoécologique de
A l’assèchement fréquent des habitats à la réserve biologique de Mehdia : la
végétation hygrophile de la Merja Sidi bou-
travers tout le pays, s’ajoute l’augmentation
Ghaba. Bull. Inst. Sci., Rabat 4, pp. 99-188.
de la salinité des zones humides côtières
ATBIB, M. -1988- La végétation du littoral du
largement envahies par les eaux marines. Maroc septentrional. Etude phytoécologique
A l’instar d’autres études sectorielles et phytodynamique de la réserve biologique
qui ne manquent pas de sensibiliser sur la de Mehdia (littoral atlantique). Thèse Doc.
gravité des pertes affligées à la biodiversité Etat ès-Sci. Biol., Univ. Mohammed V, Rabat,
Flore zones humides du Maroc 65