Santé Connectée
Santé Connectée
Santé Connectée
1
Ministère des affaires sociales et de la santé, juillet 2016. http://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/strategie_e-sante_2020.pdf
2
Ordre des Pharmaciens, avril 2017. http://www.ordre.pharmacien.fr/Le-Dossier-Pharmaceutique/Sa-genese-et-son-evolution
sont des applications « bien-être »)3. Cependant, les dispositifs de santé numérique, appuyés par l’evidence-based
medicine, peinent à trouver leur public en France. On peut regarder avec des yeux ébahis le contre-exemple
britannique, où le National Health System encourage les médecins à prescrire des applications santé parmi une liste
de plus de 500 références certifiées par les autorités de santé4. Là réside peut-être une partie de la solution : une
reconnaissance officielle des dispositifs par les autorités nationales, avec une certification et une prise en charge
financière.
Ethique et TIC
La question du modèle économique en santé numérique est délicate. Une réponse pourrait résider dans une prise
en charge par l’Assurance maladie du prix d’outils numériques certifiés intervenant en complément de la prise en
charge par l’équipe soignante, à l’instar de ce qui se fait au Royaume-Uni. Or, en période de restrictions budgétaires,
l’heure ne semble pas être à une généralisation de ce mode de financement de la santé numérique. Les organismes
complémentaires pourraient prendre le relais sur l’Assurance maladie obligatoire, cependant la question de la sécurité
des données se poseraient, dans la mesure où certains assureurs pourraient être tentés d’utiliser les données
collectées pour pénaliser les assurés se comportant « mal ».
Même si nous jouissons d’un reste à charge moyen faible, les disparités entre les patients chroniques et le reste de
la population mettent en exergue des restes à charge parfois impressionnants dans le cas des premiers7. Or c’est
surtout aux patients chroniques que s’adresseraient les applications de santé numérique certifiées, pour les aider à
coordonner leur parcours de santé et à améliorer la qualité de leur prise en charge. Il ne serait pas raisonnable de faire
financer ces applications par les patients eux-mêmes au vu des dépenses de santé qui pèsent déjà sur eux (3x
supérieur à la moyenne des Français).
Il reste la solution qui consiste à financer la santé numérique par la revente des données collectées ; c’est d’ailleurs
le cas de nombreuses applications « bien-être », qui se veulent « gratuites » (dans un autre domaine, la revendication
de gratuité a été qualifiée de clause abusive dans le cas des réseaux sociaux, car les utilisateurs consentent à céder
leurs données personnelles pour une utilisation lucrative par le fournisseur du service de réseau social8). Les questions
éthiques sont ici nombreuses et un cadre strict doit être défini, notamment dans un premier temps pour le recueil du
consentement de l’utilisateur quant à l’utilisation de ses données, la sécurité de ces données et l’assurance d’une
impossibilité de réidentification de leur source. Les applications « bien-être » échappent, elles, à la législation sur les
données de santé, car elles collectent ce que l’on nomme des « données frontières », qui ne sont pas réellement des
données de santé, mais qui pourraient tout de même être utilisées comme telles (par exemple en utilisant les
métadonnées du téléphone pour établir un profil de santé psychique de son utilisateur, comme l’application
3
IFOP, 2015. Observatoire de la m-santé.
https://apps.beta.nhs.uk
4
5
Ministère des affaires sociales et de la santé, juillet 2016. Stratégie nationale e-santé 2020, Axe 2.
6
Accord cadre du 31 décembre 2015. http://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/accord_cadre_version_definitive_20151231.pdf
7
http://leciss.org/sites/default/files/Dossier-presse_Rac-Ald.pdf
8
http://www.clauses-abusives.fr/recommandation/contrats-de-fourniture-de-services-de-reseaux-sociaux-nouveau/
ginger.io9). La sécurité de ces données très lucratives, qu’elle soient qualifiées de « données frontières » ou de
« données de santé » est cruciale. Pourquoi ?
Rappelons-nous le cas des dispositifs de pression positive continue pour les patients souffrant d’apnée du sommeil
auxquels un dispositif numérique de transmission des données d’utilisation avait été intégré : la mauvaise observance
de patients avait été pointée par l’Assurance maladie qui avait voulu les sanctionner de ce fait. Le Conseil d’Etat a bien
heureusement annulé la sanction des patients10. Les dérives potentielles sont nombreuses, et elles inquiètent 88%
des médecins selon une étude QuintilesIMS11. « Se surveiller, oui ; être surveillé, non », tel était le slogan du CISS en
2015 au moment de la publication du rapport de l’IGAS sur la téléobservance.
Une dernière piste qui ne rencontre pas un franc succès en France serait l’émergence de partenariats public-privé,
qui sont pour l’heure le plus souvent conclus pour la construction et la gestion de bâtiments. Le modèle de la
communauté de Ribera en Espagne pourrait nous inspirer dans une certaine mesure. La collectivité a octroyé à un
consortium privé une concession de service public pour doter le territoire d’un hôpital, et la gestion de la santé des
habitants leur est totalement déléguée avec des résultats spectaculairement bons. La rémunération des acteurs privés
se faisant par capitation ou au forfait, le consortium a tout intérêt à « faire mieux avec peu », et donc à miser sur la
prévention, qu’elle soit primaire, secondaire ou tertiaire. Ce dernier point permet de mettre en exergue une des
difficultés majeures à laquelle se heurte le développement de la santé numérique, composante essentielle de la
prévention au XXIè siècle : la tarification à l’acte des professionnels de santé, et notamment des médecins. Ces derniers
n’ont aucun intérêt à miser sur la prévention, qui devient contre-productive puisqu’allant contre leur intérêt financier.
Un facteur culturel fort qui a formaté de manière importante la plupart des politiques de santé depuis la création de
la Sécurité sociale et qui fait de la prévention le parent pauvre des politiques de santé.
Naviguant entre gadgets « bien-être » à la mode, dispositifs de coordination des soins et applications d’éducation
thérapeutique, le champ de la santé numérique gagnerait à être défini clairement une fois pour toute. La
réglementation doit s’adapter aux réalités de l’environnement de la recherche et du développement pour laisser
émerger de véritables initiatives prometteuses, à valoriser et mettre en avant pour une éventuelle généralisation
nationale, en suivant l’exemple des pays étrangers. Cela appellera cependant un changement paradigme : notre
système de santé curatif doit entrer dans l’ère du proactif et miser sur la prévention. La santé numérique peut nous y
aider ; elle servira à appuyer, accompagner, compléter et optimiser l’offre de santé, et en aucun cas à remplacer une
prise en charge humaine. C’est peut-être là aussi une des confusions qui freinent son développement, à l’heure où la
santé fait partie des préoccupations principales des Français, même si selon QuintilesIMS11 seuls 28% des médecins
rapportent qu’une majorité de leurs patients seraient prêts à sauter le pas de la e-santé (les médecins n’étant eux-
mêmes que 7% à recommander « souvent » des applications).
Biographie
Diplômé de l’Ecole normale supérieure en sciences cognitives, je suis actuellement analyste dans un institut d’études
spécialisé dans la santé.
Conflits d’intérêts
Aucun.
https://ginger.io
9
10
Conseil d’Etat, 28 novembre 2014. http://www.conseil-etat.fr/Actualites/Communiques/Apnee-du-sommeil2
11
Institut QuintilesIMS, 2016. Etude nationale sur la perception de la médecine connectée.