Une Femme Inspirée, Hildegarde de Bingen
Une Femme Inspirée, Hildegarde de Bingen
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plaçait les cadets au couvent. A huit ans, ses parents confièrent son éduca-
tion à la fille du comte de Spannheim, Jutta. Celle-ci fonda une commu-
nauté, l'admit comme oblate de saint Benoît, lui enseigna le décacorde et lui
apprit à lire en chantant les psaumes. Hildegarde s'intéressait aux textes
plus qu'à la grammaire et assimilait ce qu'on lui enseignait. Son oreille se
forma au contact des chœurs au point de faire d'elle une créatrice de
mélodies grégoriennes. Elle prit le voile après sept années de noviciat et
prononça ses vœux à 15 ans. Vers 1130 les moniales se retirèrent dans un
ermitage qui s'adjoignit au couvent des Bénédictins de Disiboden. Hilde-
garde y observa la construction de l'église romane. Voyant, selon ses dires,
«une multitude de figures et de signes», elle refoula ses inquiétudes avant
de confier ses visions à une moniale, Richardis, puis à la supérieure, Jutta.
Celle-ci demanda l'avis du moine Volmar, guide spirituel des religieuses.
Ce dernier, à la fois confesseur, conseiller et secrétaire, compléta sa forma-
tion et contribua à son évolution spirituelle. Une vision particulière, enjoi-
gnit à Hildegarde, âgée de trente ans, de dire ce qu'elle percevait «des
célestes merveilles venues de Dieu».
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Les premières lignes du Sci vias nous éclairent sur son expérience :
«Et voici que, dans la quarante-troisième année du cours de ma vie tempo-
relle, alors que dans une grande crainte et une tremblante attention, j'étais
attachée à une céleste vision, j ' a i vu une très grande clarté, dans laquelle se
fit entendre une voix venant du ciel et disant : "Fragile être humain,
cendre de cendre et pourriture de pourriture, dis et écris ce que tu vois et
entends. Mais parce que tu es peureuse pour parler, naïve pour exposer et
ignorante pour écrire cela, dis-le et écris-le en te fondant non pas sur le
langage de l'homme, non pas sur l'intelligence de l'invention humaine,
non pas sur la volonté humaine d'organisation, mais en te fondant sur le
fait que tu vois et entends cela d'en haut, dans le ciel, dans les merveilles
de Dieu, en le rapportant dans un compte rendu semblable à celui de
l'auditeur qui, recevant les paroles de son maître, les publie en respectant
la teneur de son expression, avec l'accord, l'exemple et la volonté de ce
dernier. De la même manière, toi aussi, créature humaine, dis ce que tu vois
et entends : et écris cela, non pas en te fondant sur toi-même, ni en te
fondant sur un autre humain, mais en te fondant sur la volonté de celui qui
sait, qui voit et qui dispose toutes choses dans les secrets de ses
mystères"...» (19).
Dans quelle langue Dieu s'est-il adressé à elle ? Les visions, en tant
que phénomènes extraordinaires, ressemblent à des signes d'une langue
étrangère. Le paradoxe est que ce qui est "visible" demeure difficilement
communicable. Hildegarde s'exprime à l'aide d'allégories influencées par
l'Apocalypse. Aussi l'expérience se déploie en un discours insolite dans sa
forme. Prendre ses descriptions à la lettre serait absurde. Les textes qu'elle
dicte relèvent du langage poétique. Aucun commentaire n'épuise ses
visions, à la fois précises et opaques. Couleurs et formes se heurtent et se
confondent (20). Elle n'éprouve pas de ravissement et n'entre pas en
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transe. Le combat entre Dieu et le diable décrit dans le Sci vias ressemble à
un tableau de Jérôme Bosch. Quoique musicienne, c'est par l'image qu'elle
communique ce qu'elle voit. Mais le message paraît incertain. Elle a peur de
le trahir et s'en prend à l'avance aux copistes qui le déformeraient. Elle-
même interprète ses visions «sous la plus grande réserve», exprimant avec
peine ce qu'elle voit et ressent. Ses descriptions, quoique constamment
référées à la lettre de l'Ecriture, sont plus riches de couleurs que de sens.
Elles suivent le même processus : une image lui apparaît dans la lumière :
une montagne, un coin de firmament, un abîme, un édifice, une tour, une
silhouette saisissante de bête, d'homme ou de monstre. Elle voit, mais :
«elle ne saisit pas tout d'abord. Alors, du foyer de lumière, une voix
s'exhale qui explique la signification symbolique et mystique de la projec-
tion. Nous étions avec la voyante devant une énigme, et l'énigme se change
en un tableau d'où se dégage l'enseignement doctrinal, historique, prophé-
tique ou moral» (21). Son œuvre présente les traits des mystiques vision-
naires (22): hantise de l'unité, importance de la lumière et des couleurs ;
l'homme est le réceptacle de l'univers ; le diable, diviseur, sépare le monde
d'en bas du monde d'en haut ; il se présente aussi bien sous la forme de
celui qui accorde trop de place aux plaisirs du corps que de celui qui les
nie (23). Mais la lumière divine rend les ténèbres transparentes. Influencée
par le mysticisme de saint Bernard, elle écrit en marge des courants univer-
sitaires, ce qui lui vaudra d'être admirée ou ignorée pour des raisons
contraires (24).
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Les féministes prétendent que dans une société dominée par les
hommes les visions sont un moyen inconscient utilisé par les femmes pour
s'affirmer. Hildegarde posséderait ses dons parce qu'elle est à la fois
femme et malade, donc doublement fragile. Il s'agirait là d'un artifice
inconscient, seul moyen à une femme de l'époque, même noble, de dire son
mot sur les dérives du siècle. En tant que femme et que religieuse, elle
paraît impropre à recevoir comme à transmettre l'enseignement des doctes.
Mais "frappée de lumière", elle devient "comme un soleil ardent", dépas-
sant de loin les docteurs (32). Tout se passe comme si, l'écriture étant
réservée aux hommes, il aurait fallu des autorisations non seulement
humaines mais surnaturelles pour que les femmes deviennent écrivains.
Le style des dernières œuvres d'Hildegarde fut embelli par les succes-
seurs de Volmar. Le genre hagiographique n'arrange rien : ainsi le récit de
sa Vie relate des prodiges dans son enfance et des miracles après sa mort qui
n'ont jamais été reconnus. Cependant si certains de ses textes sont
apocryphes, il est peu probable que celle qui eut la force de créer deux
couvents et qui alla réclamer et obtenir les droits territoriaux des moniales
auprès des moines de Disiboden se soit laissée manipuler. Avec une
autorité, revendiquée comme d'essence divine, elle a participé à la
réforme, sans pour autant confondre le pouvoir des hommes avec celui de
Dieu. Enfin, dernier point, mais non le moins important, le Dictionnaire de
Spiritualité précise que les "Visions" constituaient un genre littéraire avec
ses conventions. Les souvenirs de rêves ou d'extases étaient alors décrits
comme un tableau (34).
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l'invitent à aller vers les autres. Ce faisant, elle porte en elle la même
contradiction qu'un saint Bernard qui exaltait l'idéal monastique et
pourtant voyageait pour agir sur le monde. Elle participa à l'essor de la
prédication qui bouleversa les consciences, selon Duby, de façon compa-
rable aux médias aujourd'hui. Parlant un langage que le peuple comprend,
elle l'exhorte à suivre l'enseignement de l'Evangile. Mais la clôture est
incompatible avec une mission qui l'entraîne au loin. Il est exceptionnel
qu'une religieuse quitte son couvent. On comprend que ses charismes lui
aient donné la vocation de visiter des monastères, pour vivifier le zèle des
moines et apaiser des conflits. Mais elle a prêché en des lieux publics. Au
e
XII siècle, le pouvoir était exercé par des hommes, souvent
misogynes (40). Certes la clôture des religieuses était moins stricte que par
la suite (41). Hildegarde avait correspondu avec des puissants qui lui
avaient demandé conseil ou qui la louaient. Aussi, vu l'ordre reçu en son for
intérieur et sa force de caractère, il n'est pas surprenant qu'elle ait pu
obtenir l'autorisation de voyager ainsi que d'utiles recommandations. Bien
que n'ayant pas elle-même fréquenté les écoles, elle fut donc appelée à
prêcher, en raison de sa réputation, d'abord dans les villes du bassin
rhénan, puis au-delà.
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de vivre dans l'éternité (59). On le voit : l'ennemi ici paraît plus interne
qu'externe. Ainsi la réputation d'Hildegarde s'étendait jusqu'à Metz. Mais
aucun renseignement ne nous informe sur sa prédication dans la ville. Nous
pouvons en subsumer le contenu, connaissant sa complexion religieuse à
e
cette époque. Jacques Le Goff fait naître au XII siècle les intellectuels
urbains qui feront la force de l'occident alors que paradoxalement le spiri-
tualisme monastique se tourne vers le mysticisme (60). Metz, aux marches
de l'Empire, est vers 1160 inclus dans un ordre de type féodal où l'espace
n'est pas encore quadrillé par le pouvoir des princes. Les impositions
touchent le peuple des campagnes au profit des villes. L'Eglise s'organise,
perd une partie de son pouvoir temporel, mais profite de l'ordre féodal tout
en le régulant par la législation de paix et le contrôle moral (61). La
Moselle était alors l'axe des transports entre Metz et le Rhin, le commerce
se faisant par voie d'eau vers Trêves, Coblence et Cologne. L'évêque de
Metz dépendait de la circonscription ecclésiastique de Trêves (62). Il y
avait dans la cité une église-cathédrale et quatre grandes abbayes bénédic-
tines, au temporel étendu (63). A cela s'ajoutaient trois abbayes féminines,
dont Sainte-Glossinde (64). On dénombrait environ 25 églises ou
sanctuaires. L'abbé de Saint-Arnoul joue un rôle politique et écono-
mique (65). Les curés commencent à fréquenter les écoles de la ville. De
jeunes clercs instruits, viennent d'au-delà du Rhin. La cité était la plus riche
de Lorraine, d'où à la fois un relâchement des mœurs et un désir élargi de
culture. Les monastères les plus anciens étaient les plus riches et donc les
plus convoités, en raison de donations, de fondations ou d'exemptions
diverses (66). La tentation était grande de se détourner de l'idéal monas-
tique, d'autant que des féodaux mettaient la main sur certains monastères.
Les nobles cherchaient de même à "caser" dans le collège des chanoines les
cadets de famille. Ils pouvaient y suivre une vie moins stricte que celle des
moines. Ainsi les bénédictins oublient les leçons de Cluny et de Gorze.
D'où l'appel aux réformes. Des fondations nouvelles, comme les Prémon-
trés, ou d'observance plus stricte, comme les Cisterciens, apparaissent et
contestent l'humanisme bénédictin (67). Pour l'administration, l'évêque
était aidé par les officiers du chapitre, les archidiacres, mis en place au
e
XI siècle. Ils avaient la charge d'un ensemble de paroisses regroupées en
archidiaconés, dont quatre à Metz. Or ils étaient "plus ou moins ardents et
faisaient rarement leur office comme il aurait fallu, surtout quand leur
archidiaconé était trop vaste" (68). Mais les autorités religieuses repre-
e
naient de la vigueur (69). Certes dans la seconde moitié du XII siècle
l'évêque et les moines perdent du pouvoir par rapport aux laïcs. Mais, en
matière de foi et de morale la réforme s'applique et les croyants font corps
avec le clergé. L'évêque Etienne a fort bien pu inviter Hildegarde à venir à
Metz en raison de sa renommée (70). Car Hildegarde a prêché dans
plusieurs églises de Trêves et "sans aucun doute dans la cathédrale". Elle a
prononcé des sermons dans d'autres cathédrales : Cologne, Bamberg,
Mayence. Il n'est donc pas étonnant qu'elle ait été appelée aussi à prêcher
dans la cathédrale de Metz. Selon Bernard Gorceix, traducteur du Livre des
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pendance des éléments, sur les conflits entre le bien et le mal, sur la place
éminente de l'homme dans le projet divin, évoque ses transgressions et la
Rédemption.
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Ainsi d'une part elle contribua à définir l'orthodoxie, d'autre part elle
encourut les foudres de ses représentants. En écho à la voix de Bernard, elle
fit entendre une voix féminine, exprimant la conscience de son temps. Dans
une époque qui connut le combat contre les hérétiques, elle apporta une note
d'humanité. Elle sut dialoguer avec les exclus, défendant la Loi divine
contre l'interprétation que certains en font.
Ainsi Hildegarde fut une femme forte dans une Eglise d'hommes
Elle n'a pas choisi son itinéraire spirituel : les règles de partage des
biens dans les familles ont décidé de son sort. Mais la noblesse de ses
parents, les qualités exceptionnelles de son éducation et la discipline du
milieu bénédictin ont favorisé sa vocation. Très vite elle a été attirée par le
mystère de l'Absolu. Attentive à la tradition religieuse de l'époque, il
semble qu'elle ait appris, dans son milieu, autant de choses que si elle avait
passé de nombreuses années dans les universités. Elle est devenue une
femme dont on attendait une aide. Aussi est-il difficile de réduire ses
visions selon les principes de l'une ou l'autre des sciences humaines,
même si son imagination a su recréer, en de multiples configurations, les
faces insondables du Transcendant. Théologienne du salut par le Christ,
elle a révélé un Christ humanitaire et cosmique, préfigurant une vision
planétaire, à la fois pluraliste et une du Divin. Elle a contribué, par ses
lettres et ses sermons, à la mutation religieuse, politique et civile de
l'époque.
e
L'historien Georges Duby ne croit pas que dès le XII siècle il y eut
promotion des femmes. Cependant il avoue, à la fin de son enquête,
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qu'elles étaient plus fortes qu'il ne l'imaginait a priori (83). C'est la raison
pour laquelle les mâles s'employaient "à les affaiblir par les angoisses du
e
péché". Selon lui la femme du XII siècle était encore un objet pour
l'homme qui pourtant craignait sa rébellion. Il y a en elles une "pulsion dont
le ressort est dans la chair et qui les portent à aimer". Mais l'amour doit être
canalisé, dans le mariage ou dans la clôture. On consent à considérer la
femme, selon le mot d'Augustin, comme une aide (mulier in adjutorium
facta). Si la femme est faite pour procréer, il peut aussi y avoir des procréa-
tions spirituelles. Mais l'homme, éclairé par la sagesse divine, devait
diriger (regere) et la femme obéir (obtemperare). Ainsi Hildegarde devait
aider l'Eglise, mais obéir aux hommes d'Eglise. Cependant, après Augustin,
elle a interprété positivement le verset biblique : «Il les créa mâle et
femelle». Pour elle, le masculin et le féminin se trouvent dans chaque
créature humaine. La raison virile doit se soumettre le désir, partie animale
par quoi l'âme commande au corps (84). Il y a là une réflexion étonnam-
ment moderne.
e
Son charisme de femme inspirée. Au XII siècle une osmose s'opère
entre la culture des clercs, des chevaliers et de la bourgeoisie urbaine
naissante. Mais deux lignes de partage traversent la société : entre nobles et
non nobles, entre hommes et femmes. Aux hommes l'espace public, la
guerre et le pouvoir. Aux femmes l'espace privé, la maison ou le couvent.
Hildegarde trouble ce clivage : femme, elles sort de son couvent ; noble,
elle prêche la conversion et non la croisade (85). Partout elle éveille des
foyers de rénovation spirituelle. Hildegarde illustre le conflit entre
conscience et pouvoir. Il est certes difficile de distinguer la part divine
dans une conscience éclairée. Mais sans l'aiguillon de la conscience, les
hommes de pouvoir peuvent manquer leur mission. Est-ce une coïnci-
dence ? Duby situe vers 1180, c'est-à-dire un an après la mort d'Hildegarde,
"le moment où la situation des femmes fut quelque peu rehaussée, où les
hommes s'accoutumèrent à les traiter comme des personnes, à débattre
avec elles, à élargir le champ de leur liberté, à cultiver ces dons particuliers
qui les rendent plus proches de la surnature" (86). Hildegarde mérite à cet
égard de figurer parmi les plus inspirées.
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NOTES
1. La cathédrale actuelle a été rebâtie au siècle suivant. Cf. Régine Pernoud, Hilde-
e
garde de Bingen, Conscience inspirée du XII siècle, Ed. du Rocher, 1994.
2. Georges Duby fait allusion à la "grande Hildegarde, récemment disparue et dont
le souvenir demeurait vivace", à propos de Juette dont il qualifie les visions de
e
"divagations d'un esprit tourmenté". Cf. Dames du XII siècle, Gallimard, 1995,
pp. 143 et 149.
3. Cf. la célèbre "vision" qui aurait été à l'origine de la vocation prophétique
d'Isaïe (Isaïe, VI, 1-3).
4. D'après le Nouveau Dictionnaire de Théologie, page 596 : «Au sens strict, la
mystique semble être une notion générale pour désigner des phénomènes
religieux extraordinaires : visions, extases et prophéties, mais également des
performances ascétiques singulières ou un style de vie hors du commun. A la
frontière entre ce qui est accessible à tous et ce qui est exceptionnel, on trouve le
phénomène de la contemplation, ou en grec théôria, la vision, qui sans doute
dépasse les formes de la méditation commune, mais dont l'essence consiste dans
une expérience de soi où paradoxalement l'unité et la dualité entre l'homme et
Dieu coexistent». La compréhension de tels phénomènes est difficile à l'historien
qui s'appuie sur des documents. En effet «Le propre de la foi, c'est d'ajouter, au
monde et aux choses tels qu'ils sont, une dimension surnaturelle perceptible aux
seuls croyants ; de raccorder l'univers à un univers superposé dont elle seule
assure la vision et la certitude». Jean Bottero, Naissance de Dieu, La Bible et
l'historien, Gallimard 1992, p. 28. La diffusion des religions de L'Inde a vulga-
risé certaines techniques de contemplation naturelles, comme la pratique du
yoga. Nous laissons de côté le débat théologique sur la place exacte de la
contemplation acquise (naturelle) et de la contemplation infuse (surnaturelle),
seule orthodoxe dans le catholicisme. Celui-ci a été parfois brouillé par la confu-
sion des plans psychologique et métaphysique. La contemplation infuse a été
définie comme «une vue simple de la vérité procédant d'un principe surnaturel».
Elle est donc indémontrable par définition et au-delà de tout discours, y compris
des discours scientifiques : «C'est parce qu'il y a une contemplation acquise des
vérités naturelles qu'il ne peut y avoir de contemplation acquise des vérités
surnaturelles»., Roland Dalbiez, in Technique et contemplation, Desclée de
Brouver, 1989, p. 108. Aldous Huxley déclare, quant à lui : «Les grâces
ordinaires sont les seules qui sont propres à amener les âmes au ciel : dès lors,
pourquoi s'embarrasser des extraordinaires - d'autant plus qu'on ne sait jamais si
les choses de ce genre proviennent de Dieu, de l'imagination, d'un truquage
voulu, ou du diable». Cf. Les Diables de Loudin, Pion, 1952, p. 267.
5. Cf. Dan Sperber, La contagion des idées, Editions Odile Jacob, 1996, p. 59. Cf.
Françoise Hildesheimer, L'histoire religieuse, Publisud, 1996, pp. 100 et 101 :
«L'histoire des mentalités a provisoirement achevé le retournement de l'histoire
religieuse qui, de l'officiel, de l'individuel et du conscient, se retourne vers la
profondeur du collectif, la marge, la déviance, la contestation, l'inconscient.
[...] l'accent mis actuellement sur les représentations n'implique aucune prise de
position sur la réalité du phénomène religieux. A sa façon, elle maintient et
élargit le point de vue extériorisé de la sociologie se consacrant au fait religieux,
partie visible et extérieure du domaine du religieux qu'elle assimile au culturel».
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«Il n'y a pas de maladies, rappelle avec force Hildegarde, mais des hommes
malades, et ces hommes sont intégrés dans un univers qui, de même qu'il participe
à leur malheur, doit aussi prendre sa part dans la guérison ; ils doivent être
soignés dans leur totalité, corps et âme, et, même si la nature peut et doit venir à
leur aide, c'est bien souvent dans leur propre sagesse, leur modération, leur
maîtrise d'eux-mêmes, qu'ils trouveront les forces qui soutiendront le processus
de guérison. Enfin, ils doivent se souvenir que, créés par Dieu, ils sont entièrement
en sa main et que rien en eux, maladie ou guérison, ne peut se produire sans
l'intervention de la volonté divine. Pour Hildegarde, si les causes premières sont
en l'homme, comme le dit le récit de la chute originelle, c'est aussi en lui que,
avec l'aide de la nature et le secours de Dieu, peuvent se trouver les causes de la
guérison, les remèdes». Hildegarde de Bingen, Causae et curae, (Les causes et les
remèdes), traduit du latin et présenté par Pierre Monat, Jérôme Million, 1997, p. 8.
16. La réforme de Gorze n'avait pas complètement aboli l'ordre féodal, contraire-
ment à celle de Cluny. Aussi le comportement d'Hildegarde n'avait rien d'éton-
nant pour l'époque.
17. La consultation du plus ancien livre des morts du couvent du Rupertsberg atteste
qu'il y avait des moniales nobles, des sœurs converses (conversae) et des laïques
(laicae).
18. Dans une lettre à un excommunié elle suggère que ceux qui prononcent une
excommunication auront à rendre compte de leurs actes devant Dieu. Mais elle
invite le malheureux à se repentir pour mériter de revenir au sein de l'Eglise.
19. Hildegarde de Bingen, Sci vias, traduit par Pierre Monat, Cerf, 1996, p. 25-26.
20. Le langage se présente toujours comme une médiation. Aussi ne parvient-il pas
à rendre compte de "l'immédiateté" de l'expérience. D'où son articulation en un
processus ouvert fait d'images et d'analogies qui sans cesse se heurtent pour
renvoyer à un au-delà du discours.
21. Franche, Sainte Hildegarde, p. 160-161, cité par A. Vacant et E. Mougenot,
Dictionnaire de théologie catholique, tome 6, p. 2472.
22. La mystique "visionnaire" englobe toutes les facultés de l'âme dans l'activité
visionnaire.
23. Les parfaits refuseront de se marier.
24. «Tandis que les hommes formés au système bien établi d'une école théologique
paraissent incapables de sortir des rails conceptuels de ce système, les femmes
osent développer un mode de pensée original et dynamique, qui correspond à
e
l'expérience et qui est corroboré par l'Ecriture». Dict. Spir., X, 2 p., p. 1906.
25. Aldous Huxley, Les Diables de Loudun, Pion, 1979 (1952), p. 261 et suivantes.
26. Cf. Jeanne Leschi, Cerf, 1987, p. 209.
27. L'expérience visionnaire a été relatée dans toutes les cultures. Même le concept
d'inspiration que Frédéric Nietzche a donné dans «Ecce Homo» présente des
analogies avec les Visions d'Hildegarde. Jung a essayé de rendre compte des
Visions en psychanalyste (1963).
28. Dans le livre des plantes (Physique), Hildegarde parle des vertus dangereuses de
la mandragore qui rendrait de nombreux services aux magiciens et produirait des
visions. On croyait cette plante douée de pouvoirs et on l'utilisait alors en
sorcellerie. Cf. Hildegarde de Bingen, Le Livre des subtilités des créatures
divines, Jérôme Million, 1988, p. 79.
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29. Elle présenterait les symptômes du "scotome scintillant". Les étoiles et les yeux
flamboyants qu'elle voit seraient une interprétation du déplacement de points
lumineux. D'après C. Singer et O. Sacks (1917) des éblouissements pendants ses
attaques de migraine expliqueraient ses visions. Cf. Laurence Moulinier, 1995,
p. 265.
30. Thèse de Hattemer, 1930. Les psychanalystes rendent compte des syndromes
hystériques par des conflits refoulés. Certains expliquent les visions par "un
mécanisme devenu indépendant du subconscient". Ils voient dans son inspiration
"comme une poussée créatrice du Surmoi", Christian Feldman, 1995, p. 82.
Werthmann, en 1993, interprète ses visions comme "un essai narcissique d'auto-
salut", Heinrich Schipperges, Hildegarde de Bingen, Brepols, traduit de l'alle-
mand par Pierre Kemner, 1996 (1995), p. 21. D'après Julian Jaynes, les deux
hémisphères de notre cerveau ressembleraient à deux personnes indépendantes.
Les visions ou voix qui affectent certains malades correspondraient à une dicho-
tomie ayant existé dans le passé entre la personne et son dieu. La fonction des
dieux aurait consisté "à diriger et à organiser l'action dans les situations
nouvelles". L'hémisphère droit, comme les dieux, verrait le sens des éléments
dans leur contexte. L'hémisphère gauche serait aujourd'hui dominant. Plus
verbal et analytique, il considérerait les éléments en eux-mêmes. Cf. Jullian
Jaynes, 1994 (1976), chapitre 5, L'esprit dédoublé, p. 121.
31. L'abbesse était malade quand "par crainte féminine, elle hésitait à accomplir la
tâche voulue par Dieu ou doutait de le faire", Christian Feldman, Hildegarde de
Bingen, Médiaspaul, Montréal, 1995, p. 82.
32. Jean-Noël Vuarnet, Extases féminines, Arthaud, Paris, 1980, p. 27.
33. Georges Duby, 1995, p, 121, conclut ainsi son enquête : «Je n'ai entrevu que des
ombres, flottantes, insaisissables. Aucune de leurs paroles ne m'est directement
parvenue. Tous les discours qui de leur temps leur furent prêtés furent mascu-
lins». Cf. t. III, 1996, p. 217.
e e
34. Dans la littérature des XIII et XIV siècles «Elles constituent un genre littéraire
et donc une convention spéciale, comme on peut avoir la "vision" d'une belle
mosaïque ou d'une fresque d'abside. [...] Ces descriptions peuvent comporter
des souvenirs de rêves ou d'extases, et normalement l'auteur l'indique alors
avec précision, mais en général le terme indique que ce qui est décrit linéairement
doit être contemplé d'un coup d'œil d'ensemble, comme un tableau». D.S., X,
e
2 partie, p. 1911.
35. L'unité de l'intuition mystique s'oppose à la multiplicité des explications scien-
tifiques. Pour Karl-A. Keller la mystique désignerait l'effort, entrepris par
l'adepte d'un système religieux, pour "s'intérioriser totalement, au prix d'une
transformation de la conscience, voire de la personnalité, la (ou les)
grandeur (s) supérieure (s) ou suprême (s) - ultime (s) - dont le système en
question affirme l'existence". L'auteur distingue quatre attitudes scientifiques
face à ces phénomènes : la suspension de jugement, l'affirmation qu'aucun
Ultime n'existe, l'affirmation qu'il n'existe qu'un seul Ultime, l'introduction
d'une hiérarchie des Ultimes. Cf. Approche de la Mystique, Albin Michel, 1996
(1989), p. 24 et 35.
36. La foi n'est pas la vision de Dieu. Elle révèle à l'homme sa fin ultime et le trans-
forme par la grâce : "Plus la sagesse mystique connaît Dieu d'expérience, plus
elle aspire à la vision". Jeanne Leschi, Cerf, 1987, p. 263 et Jacques Maritain,
Œuvres, 1912-1939, p. 877, 878.
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37. Pour Paul Magnin il faut sortir de l'herméneutique chrétienne pour comprendre
l'expérience mystique en général : «Celle-ci se vérifie dans le sujet qui
l'éprouve de cinq éléments nécessaires : expérience de "passivité", idée de
totalité, connaissance intuitive et unitive, instants privilégiés accompagnés
parfois de phénomènes particuliers, passage de l'expérience à l'être».
Paul Magnin, Le bouddhisme et Vexpérience mystique, Etudes, Mai 1997,
p. 657.
38. Le Sei vias et le Liber operarum auraient été dictés à un secrétaire pendant
e
l'extase. Sur un manuscrit du Sei vias datant de la fin du XII siècle, une enlumi-
nure représente l'illumination d'Hildegarde par cinq flammes tombant sur sa tête.
L'illustrateur a voulu montrer "la splendeur du feu qui vint du ciel ouvert
pénétrer son cerveau et embraser son cœur".
39. Le prophète souffre d'une situation de crise et s'implique dans sa résolution en
parlant au nom d'un autre, à savoir Dieu.
40. A leurs yeux le diable se servait des femmes pour apporter à la fois la douceur et
le poison aux sages.
e e
41. «Au XVI siècle et XVII siècle, on ne permettra plus aux femmes que la fonda-
tion d'ordres totalement cloîtrés. C'est dans un contexte tout différent que se
e
déroule la vie d'une religieuse au XII siècle». Régine Pernoud, 1994, p. 134.
42. Elle se déplaçait à pied, peut-être à cheval, souvent en bateau, choisissant
comme gîte quelque château fort ou monastère ami.
43. Elle se faisait transporter à la fin de sa vie deux fois par semaine pour visiter le
couvent fondé de l'autre côté du Rhin, à Eibingen. Pour se rendre de Bingen à
Trêves, Hildegarde a pu utiliser en partie la voie fluviale, remontant le cours de
la Nahe, peut-être jusqu'à la région où le fleuve est étroitement encaissé. Hilde-
garde a acquis une grande connaissance du milieu aquatique : «Ainsi décrit-elle
les principaux fleuves de la région où elle habite : il y a là, et très certainement,
une observation personnelle. Dans le livre consacré aux éléments, elle évoque le
Rhin, la Meuse, et la Moselle, la Nahe, le Glan, le Danube : autant de fleuves
qu'elle connaît, sur lesquels elle a voyagé, notamment lorsqu'elle a été appelée
à prêcher dans diverses villes de l'Empire». Régine Pernoud, 1994, ch. 7.
44. Elle met en garde contre celle du Rhin, alors que l'eau de la Meuse «prise dans
la nourriture et la boisson, et mise en contact avec la chair de l'homme dans un
bain, rend la peau et la chair de l'homme plus légères». Voir Régine Pernoud,
1994, p. 121.
45. En plus de la liste des lieux d'habitation de ses correspondants. Cf. Adelgundis
Führkötter, Hildegard Von Bingen Briefwechsel, Otto Müller Verlag Salzburg,
1990, p. 282-283.
46. «En outre, il est avant tout remarquable qu'Hildegarde, non seulement incitée,
mais obligée par Dieu (non modo acta, sed coacta), se rende à Cologne, Trêves,
Metz (Metim), Würtzbourg et Bamberg, et annonce la volonté de Dieu au clergé
et au peuple (clero et populo). De même, sur le Disibodeberg, à Siegburg,
Ebernach, Hirsau, Zwiefalten, Maulbronn, Rodenkirche, Kitzingen, Krauftal
(Crudental), Hördt, Höningen, Werden, Andernach, Marienberg, Klause et
Winkel, elle annonce ce qui contribue au salut des âmes (quae ad utilitatem
animarum pertinebant)» Vita, Gotfried et Theodoric, Patrologie latine, Migne,
tome 187, p. 122.
48. Vita, 117.
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69. L'évêque dut régler un conflit concernant les foires qui commençaient à se
tenir devant Saint-Vincent. Le pape intervenait pour des excommunications,
des mariages illégaux, la confirmation des fondations, la nomination des
évêques. Les réformateurs prônaient le célibat des prêtres et le mariage des
laïques. S'efforçant de régenter la vie sociale, ils luttaient contre la bigamie
et l'inceste. En 1190, peu de temps après la mort d'Hildegarde, l'évêque
Bertram fut pressé par Innoncent II de mettre fin à la circulation sans
contrôle de traductions de l'Ecriture Sainte. C'était le fait d'hérétiques qu'il
fallait soumettre. Cf. Encyclopédie illustrée de la Lorraine, René
Taveneaux, 1988, p. 36.
70. Certes le schisme l'avait jeté du côté de l'empereur : il avait reçu Barberousse
à Metz en 1153 et en 1159. On serait tenté de penser qu'Hildegarde favorisa
son rapprochement avec Alexandre III et sa mort "catholique", réconcilié, à
la fin de 1162. Mais Hildegarde avait rencontré Barberousse à Ingelsheim en
1154. Persuadée que ce dernier devait participer à la réforme de l'Eglise, elle
se rendra en 1163 à la cour impériale et, à Mayence, Barberousse lui remet-
tra une lettre de sauvegarde. Elle ne prendra parti qu'en 1168 pour le pape
dans une lettre audacieuse à Barberousse. Elle avait une telle autorité que
quand Barberousse dévasta les châteaux et abbayes rhénanes des partisans du
pape, il épargna les couvents d'Hildegarde. Elle vécut avec douleur le déchi-
e
rement dans la chrétienté et garda pour cette raison le silence entre ses 3 et
e
4 voyages.
71. Bernard Gorceix, Albin Michel, 1982, p. X X .
72. Les mystiques s'expriment presque toujours dans leur langue natale. Cf.
Joseph Beaude, La mystique, Cerf, 1990, p. 16-17.
73. Ses descriptions de la nature comportent de nombreuses expressions locales
qui ne correspondant pas au latin des érudits. Un moine lui corrigeait
certaines fautes en latin. Mais, bonne élève, elle s'intéressait aux problèmes
de traduction, inventant une langue et un alphabet.
e
74. Georges Duby, Dames du XII siècle, Gallimard, 1995, p. 4 9 .
75. Les hérésies, plus que des déviations doctrinales, concernaient toute la
société. Hildegarde ne prêcha contre les cathares qu'après 1165.
76. Bernard Gorceix, 1982, p. X X .
77. La Patrologie latine de Mine (tome 197, Paris, 1882) comporte ses œuvres
complètes. D e s sermons y figurent, mais aucun prononcé à Metz.
78. Ses prédications annoncent celles des Dominicains. Mais peu formée à la
scolastique, elle se rapproche plutôt des Franciscains, plus attentifs aux
Jugements divins dont la sentence peut être terrible.
79. Le terme "mystique" vient du verbe grec "myô" qui désigne le fait de fermer
les yeux et de regarder à l'intérieur. Il a historiquement un rapport avec les
cultes à mystères. Les mystiques, par leur rapport au surnaturel, se situent en
marge des institutions religieuses tout en jouant un rôle intégrateur. Jean-
Pierre Vernant a montré le caractère étrange et la fonction particulière de la
Gorgone, d'Artémis et de Dyonisos parmi les divinités grecques anthropo-
morphes. «Un des rôles d'Artémis - qui est elle-même une déesse des
régions frontières, sauvages - est de faire passer de ce monde, situé aux
frontières de la culture, à celui de l'identité sociale et de permettre précisé-
ment que les rôles sociaux soient clairement définis». Pour Vernant, chez
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l'homme tout est symbolique, tout est significatif et la religion est ce qu'il y
a dans l'homme de plus symbolique. «La religion consiste à affirmer que
derrière tout ce qu'on voit, tout ce qu'on fait, tout ce qu'on dit, il y a un
arrière-plan, un au delà. C'est le symbole en action». Jean-Louis Vernant,
Entre mythe et politique, Seuil, 1996, p. 57 et 5 3 . Il n'y aurait pas de
mystique sans une conversion de fait. La mystique chrétienne serait une
expérience du Christ caractérisée par l'exemple de la vision contemplative ou
par la naissance de Dieu dans le cœur. Le Nouveau dictionnaire de théologie
insiste sur l'ambiguïté de la mystique et la nécessité de sa critique. Il n'y
aurait guère de mystique chrétienne dont on ne puisse montrer les ombres :
«Sans cesse la mystique a pu être politisée, et cela dans un double sens :
c o m m e domestication utilitaire d'une intériorité religieuse qui maintient le
citoyen dans la sujétion des pouvoirs publics ; et c o m m e intense développe-
ment des facteurs réduisant la foi chrétienne en une simple religiosité, qui ont
pu être abusivement utilisés comme facteurs d'inspiration soit pour des idées
de progrès, soit pour des idées de révolution». Cf., p. 597.
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