Traité de La Prière
Traité de La Prière
Traité de La Prière
Évagre le Pontique
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SAINT NIL
Traité de la Prière
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SAINT NIL
TRAITÉ DE LA PRIÈRE
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PROLOGUE
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même pour les nombres, il y a la quantité qui est obvie et la
qualité qui est symbolisée par les chiffres.
En divisant mon traité de l’oraison en 153 articles, je
t’envoie un mets bien évangélique. Tu y trouveras les
charmes des nombres symboliques [2], et la figure du
triangle et de l’hexagone, dont le premier représente la
saine doctrine de la Trinité, et le second la description de
l’ordre de ce monde. 100 est un nombre carré, et 53 se
compose d’un nombre triangulaire 28, et d’un nombre
sphérique 25 fait de 5 fois 5. Dans le carré tu as le
septénaire des vertus ; et le nombre 25 figure la
connaissance profonde du siècle présent, à cause de la
révolution des temps. La semaine en effet succède à la
semaine, le mois au mois, et d’année en année le temps
reprend son circuit par le mouvement du soleil et de la lune,
suivant le cours du printemps et des autres saisons. Quant
au nombre triangulaire tu y trouveras l’image de la Sainte
Trinité. On peut opérer autrement : par l’addition des
nombres successifs depuis l’unité on obtient le nombre
triangulaire 153, ce qui fait penser à la physique, la morale
et la théologie, ou encore à l’or de la foi, à l’argent de
l’espérance et aux pierres précieuses de la charité. Voilà
pour la signification du nombre.
Quant aux chapitres mêmes, tu n’en mépriseras pas la
petitesse, car tu sais t’adapter à l’abondance et à la
privation, et tu te souviens du Maître qui n’a pas rejeté les
deux liards de la veuve, mais les a même préférés à la
richesse des autres. Enfin, comme tu connais le prix de la
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bienveillance et de la charité, tu recommanderas à tes bons
frères de prier pour l’infirme afin qu’il aille bien, et
emportant son grabat qu’il marche désormais, par la grâce
du Christ notre vrai Dieu, à qui soit la grâce dans les siècles
des siècles. Amen.
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13. Toute œuvre de vengeance contre un frère qui t’a
offensé te sera une pierre d’achoppement au temps de
l’oraison.
14. L’oraison est fleur de la douceur et de la mansuétude.
15. L’oraison est fruit de la joie et de l’action de grâces.
16. L’oraison est sauvegarde contre la tristesse et le
découragement.
17. Vends tes biens et donne-les aux pauvres, prends ta
croix et renonce-toi, et tu pourras prier sans distraction.
18. Si tu veux prier dignement, renonce-toi à chaque
instant, et accepte avec sagesse toute espèce d’ennuis en
vue de l’oraison.
19. Toute peine acceptée et supportée avec sagesse, tu en
trouveras le fruit au temps de l’oraison.
20. Si tu veux prier comme il faut, n’aie pas l’âme triste,
sans quoi vains efforts.
21. Laisse ton offrande, est-il dit, devant l’autel, et va
d’abord te réconcilier avec ton frère, après quoi tu prieras
en paix [4]. Car la rancune obnubile l’esprit de celui qui prie
et enténèbre ses oraisons.
22. Qui pense prier en amassant chagrins et rancunes,
ressemble à celui qui puise de l’eau et la verse dans un
tonneau percé.
23. Si tu es patient, tu prieras toujours dans la joie.
24. Au milieu d’une bonne oraison, des incidents
surviendront tels que tu estimes parfaitement juste de te
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mettre en colère ; mais la colère contre le prochain n’est
jamais justifiée : cherche, et tu trouveras une manière de
tout arranger sans colère. Use donc de tous les moyens pour
ne pas éclater en colère.
25. Prends garde, sous prétexte de guérir ton prochain, de
devenir incurable et de ruiner ton oraison.
26. Si tu ne t’emportes pas, tu apprendras à pardonner : tu
te montreras prudent dans tes jugements et tu seras homme
d’oraison.
27. Armé contre la colère, tu ne seras jamais vaincu par
la convoitise ; car c’est elle qui fournit matière à la colère,
trouble l’œil de l’esprit et ruine la constance de l’oraison.
28. Ne prie pas seulement par des gestes extérieurs ; mais
avec une grande crainte de Dieu, porte ton esprit à prendre
conscience de l’oraison spirituelle.
29. Parfois à peine appliqué à l’oraison tu prieras bien ;
d’autres fois après un long travail tu n’atteindras pas le but.
C’est pour que tu redoubles d’efforts, et que ta conquête
ensuite soit inviolable.
30. À la venue d’un ange, de suite tous les artisans de nos
ennuis s’écartent, et l’esprit jouissant d’une grande liberté
se trouve prier comme il faut. Parfois au contraire la guerre
accoutumée nous presse, l’esprit se débat sans pouvoir
reposer, assiégé qu’il est de passions diverses. Et pourtant,
qu’il prolonge sa recherche et il trouvera, et il lui sera
ouvert s’il frappe avec insistance.
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31. Ne prie pas pour l’accomplissement de tes volontés,
car elles ne concordent pas du tout avec la volonté de Dieu.
Bien plutôt, suivant l’enseignement reçu, prie en disant :
que votre volonté se fasse en moi [5] ! En toute chose
demande-lui ainsi ce qui est bon et convient à l’âme, car de
toi-même tu ne le chercherais aucunement.
32. Souvent dans mes prières j’ai demandé d’obtenir ce
qui me semblait bon ; et j’insistais dans ma requête
violentant follement la volonté de Dieu, sans lui permettre
de me procurer ce que lui-même savait me mieux convenir.
Puis une fois exaucé, j’étais peiné à l’extrême d’avoir tant
demandé que ma volonté se fît ; car la chose ne tournait pas
pour moi comme je m’étais figuré.
33. Rien n’est bon que Dieu. Remettons-lui donc tout ce
qui nous concerne, et nous nous en trouverons bien ; car
celui qui est pleinement bon ne peut donner que de bonnes
choses.
34. N’exige pas à la manière des puissants satisfaction
immédiate de ta requête, car Dieu veut accroître ses
bienfaits par ta persévérance à la prière. Rien n’est plus
grand en effet que de converser avec Dieu et d’être retenu
dans sa société.
35. La prière est une ascension de l’âme vers Dieu.
36. Si tu veux prier, renonce à toutes choses afin de
posséder le tout.
37. Prie d’abord pour être purifié des passions, puis
délivré de l’ignorance, et enfin de toute tentation et
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déréliction.
38. Dans ta prière cherche seulement la justice et le règne
de Dieu, c’est-à-dire la vertu et la science, et tout le reste te
sera ajouté.
39. Il est juste de ne pas prier seulement pour sa propre
purification, mais encore pour tous les frères, afin d’agir
comme les anges.
40. Examine si tu es vraiment attaché à Dieu dans
l’oraison, ou asservi aux louanges des hommes, te servant
de l’oraison comme d’un voile pour les capter.
41. Que tu pries avec les frères ou bien seul, efforce-toi
de prier de cœur et non par routine.
42. Le propre de l’oraison c’est le recueillement
accompagné de piété, de componction et de douleur de
l’âme, qui confesse ses péchés avec de muets
gémissements.
43. Si ton esprit regarde dehors au temps de l’oraison, tu
ne pries pas encore comme un moine, mais comme un
mondain qui prend soin de l’extérieur.
44. Quand tu pries, prends bien garde de laisser ta
mémoire te proposer ses souvenirs, qu’elle te serve plutôt à
ramener ton attention à Dieu ; car la mémoire a coutume de
ravager terriblement l’esprit au temps de l’oraison.
45. La mémoire te rappelle à l’oraison l’image des faits
passés, ou de nouveaux soucis, ou encore le visage d’un
fâcheux.
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46. Le démon est fort envieux de l’homme qui prie, et il
use de tout moyen pour ruiner ses desseins. Sans cesse donc
il lui suggère des pensées par la mémoire, et par la chair il
soulève toutes les passions, afin d’empêcher, s’il le peut, sa
marche excellente et son ascension vers Dieu.
47. Quand le méchant démon après beaucoup d’efforts
n’a pu empêcher l’oraison du religieux, il se retire pour un
temps, et prend sa revanche quand elle est finie. Il allume le
feu de la colère pour dissiper l’excellent repos établi par
l’oraison, ou il insulte à l’esprit par l’aiguillon d’un plaisir
sensuel.
48. Après une bonne oraison, attends-toi à des
suggestions mauvaises, et garde soigneusement le fruit de ta
prière. Car dès le principe tu as été établi pour travailler et
garder [6]. Garde donc le fruit de ton labeur, sans quoi ton
oraison est vaine.
49. Tous les assauts que nous livrent les esprits impurs
n’ont pas d’autre enjeu que l’oraison spirituelle ; car elle
leur fait une guerre acharnée, tandis qu’elle est pour nous
une source de salut et de joie.
50. Quand ils excitent en nous la gourmandise,
l’impureté, l’avarice, la colère, la rancune et les autres
passions, les démons n’ont qu’un but, c’est que notre esprit
appesanti ne puisse plus prier comme il faut ; car, sous
l’empire des passions inférieures, il n’est plus libre de se
mouvoir suivant la raison et de chercher le Verbe de Dieu.
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51. Nous atteignons les vertus par les raisons d’être des
choses, et ces raisons par le Seigneur qui les constitue.
Quant à Dieu, il a coutume de se manifester dans la
contemplation.
52. La contemplation est une forme de prière dégagée de
tout le sensible, qui par un amour extrême ravit aux
sommets du monde spirituel l’âme [7] vraiment sage et
spirituelle.
53. À qui veut prier vraiment il ne suffit pas de dominer
colère et concupiscence, mais il faut encore être dégagé de
toute notion sensible.
54. Qui aime Dieu converse toujours avec lui comme
avec son Père, dans le dégagement de toute notion sensible.
55. Il ne suffit pas d’être dégagé du sensible pour aussitôt
prier en vérité ; car on peut s’attacher à des notions
abstraites, et se distraire à leurs développements en
demeurant loin de Dieu.
56. Quand l’esprit ne s’attarde plus aux notions abstraites
des choses, il n’a pas pour autant atteint le domaine de la
contemplation. Car il peut s’occuper de la théorie des
choses et de leurs raisons d’être. Or ces discours, par le fait
qu’ils sont des représentations des choses, impressionnent
l’esprit et l’écartent loin de Dieu.
57. Si même l’esprit a dépassé la théorie des choses
matérielles, il ne voit pas encore le domaine parfait de
Dieu ; car il peut demeurer dans la connaissance des
intelligibles et s’y disperser.
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58. Si tu veux faire oraison, c’est Dieu qui donne
l’oraison à qui l’en prie. Invoque-le donc en lui disant : Que
votre nom soit sanctifié, que votre règne arrive ! c’est-à-dire
le Saint-Esprit [8] et votre Fils unique. Car tel est son
enseignement, d’adorer Dieu, c’est-à-dire le Père en Esprit
et en Vérité ; et ces trois sont un seul Dieu.
59. Celui qui prie en Esprit et en Vérité ne tire plus des
créatures les louanges qu’il donne au Créateur, mais c’est
de Dieu même qu’il loue Dieu.
60. Si tu es théologien, tu prieras vraiment ; et si tu pries
vraiment, tu es théologien.
61. Si ton esprit, dans son grand désir de Dieu, se dégage
peu à peu de la chair pour ainsi dire, et écarte toutes les
pensées qui viennent de la réflexion ou du tempérament, et
qu’en même temps il soit rempli de piété et de joie ; alors tu
peux penser être parvenu aux confins de la contemplation.
62. L’Esprit-Saint, par compassion pour notre faiblesse,
nous visite même encore non purifiés. Si alors nous le
prions avec droiture, il se rend maître de notre esprit et
dissipe la tourbe des raisonnements et des pensées qui
l’assiègent, et ainsi il le porte aux œuvres de l’oraison
spirituelle.
63. Par leur action sur les sens, les créatures [9] impriment
dans notre esprit des visions, pensées et raisonnements.
Dieu au contraire investit l’esprit même, lui infuse la
connaissance à son gré, et par l’esprit apaise le déséquilibre
de la chair.
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64. Colère et rancune sont une insanité chez le dévot de
la vraie oraison. Autant vaudrait rechercher une vue
perçante en se troublant les yeux.
65. Si tu désires prier, ne fais rien d’opposé à l’oraison,
afin que Dieu s’approche et marche avec toi.
66. Dans l’oraison ne te fais pas en toi-même de
représentation de Dieu, et ne laisse pas ton esprit subir
l’impression d’aucune forme ; mais va immatériel à
l’Immatériel et tu le joindras.
67. Prends garde aux pièges des ennemis. Au milieu
d’une oraison pure et tranquille, soudain se présente à
l’esprit quelque forme nouvelle et étrange. C’est pour te
faire croire que tu as touché Dieu, et te persuader par cette
vision soudaine que Dieu est mesurable. Mais Dieu n’a ni
mesure ni figure.
68. Quand l’envieux démon ne peut agiter la mémoire
durant l’oraison, alors il pèse sur les humeurs du corps pour
former quelque phantasme nouveau et en impressionner
l’esprit. Celui-ci est aisément vaincu s’il est attaché aux
notions distinctes, et trompé il prend la fumée pour le feu,
lui qui tendait à une connaissance dégagée de matière et de
forme.
69. Fais bonne garde, préservant ton esprit de toutes
notions au temps de l’oraison, afin qu’il demeure dans sa
solitude. Alors celui qui compatit aux ignorants te visitera,
et tu recevras un degré éminent de contemplation.
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70. Embarrassé dans les choses matérielles et agité de
continuels soucis, tu ne peux prier avec pureté ; car
l’oraison est le dégagement de toutes notions.
71. On ne court pas enchaîné. De même l’esprit soumis
aux passions ne peut parvenir à l’oraison spirituelle ; il est
tiré et poussé çà et là par les notions sensibles et ne peut se
fixer.
72. Quand l’esprit prie avec pureté, stabilité et vérité,
alors les démons ne l’attaquent plus par la gauche mais par
la droite. Ils lui représentent la gloire divine en quelque
tableau agréable aux sens afin qu’il pense avoir atteint
parfaitement le but de l’oraison. Mais cela, disait un
admirable contemplatif, est une illusion et le jeu du démon
qui touche le cerveau et secoue les veines.
73. Le démon qui touche ainsi le cerveau tourne la
lumière de l’esprit comme il veut et excite les illusions. Il
oriente l’esprit à de subtiles et savantes considérations, en
vue de se former une connaissance substantielle de la
divinité. Comme l’esprit n’est plus gêné par les passions
charnelles mais établi dans la pureté, il ne peut croire que
des forces ennemies agissent encore en lui ; alors il regarde
comme divine cette révélation que le démon opère en lui.
74. Si l’ange de Dieu survient, d’un seul mot il nous
débarrasse de toute l’action de l’ennemi, et ramène la
lumière de l’esprit à son œuvre de vérité.
75. Quand l’Apocalypse déclare que l’ange prend un
parfum pour le joindre aux prières des saints [10], je pense
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qu’elle parle de cette grâce opérée par l’ange. Il
communique en effet la science de la vraie oraison, et
l’esprit demeure désormais délivré de toute agitation,
paresse et négligence.
76. Les parfums des coupes [11], est-il dit, sont les prières
des saints offertes par les 24 vieillards.
77. Par la coupe il faut entendre l’amour envers Dieu, la
parfaite charité spirituelle dans laquelle s’opère la prière en
Esprit et en Vérité.
78. Si tu penses n’avoir plus besoin de pleurer tes péchés
dans la prière, considère combien tu t’étais éloigné de Dieu
alors que tu devrais toujours être avec lui, et tes larmes
redoubleront.
79. Certainement oui, si tu connais ta mesure, tu gémiras
sans peine, te condamnant avec Isaïe comme impur, ayant
des lèvres impures, au milieu d’un peuple impur [12]. Tu as
l’audace au contraire de te présenter au Seigneur des
armées.
80. Si ton oraison est vraie, ta foi trouvera une parfaite
assurance, et des anges viendront illuminer pour toi les
raisons des événements.
81. Les saints anges nous meuvent à l’oraison et nous
assistent joyeusement en priant pour nous. Si donc nous
sommes négligents et accueillons des pensées profanes,
nous les irritons vivement : tandis qu’ils combattent si bien
pour nous, nous ne voulons même pas implorer Dieu pour
nous-mêmes ; nous méprisons leurs services et nous
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abandonnons le Seigneur leur Dieu, pour nous mêler aux
démons impurs.
82. Prie avec calme et sans trouble, psalmodie avec
intelligence et harmonie, et tu seras comme l’aiglon
suspendu en l’air.
83. La psalmodie réduit les passions et apaise
l’intempérance du corps ; mais l’oraison fait agir à l’esprit
son acte propre.
84. L’oraison est l’acte vraiment digne de l’esprit, qui y
exerce son meilleur discernement en toute pureté.
85. La psalmodie est l’image de la sagesse multiforme,
mais l’oraison est le prélude de la connaissance simple [13]
et immatérielle.
86. La science est une chose excellente. Elle collabore
avec l’oraison et excite la puissance supérieure de l’esprit à
la contemplation des choses divines.
87. Si tu n’as pas encore reçu la grâce de l’oraison ou de
la psalmodie, insiste et tu la recevras.
88. Le Seigneur dit à ses disciples en une parabole
comment il faut toujours prier sans se décourager [14]. Donc
ne te décourage pas ni te dépite pour n’avoir pas encore
reçu, tu recevras plus tard. Il termine ainsi la parabole :
Encore que je n’aie pas crainte de Dieu ni souci des
hommes, néanmoins à cause des importunités de cette
femme je lui rendrai justice [15]. Ainsi Dieu fera justice à
ceux qui l’invoquent constamment jour et nuit. Aie donc
bon courage et persévère avec zèle dans la sainte oraison.
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89. Ne veuille pas que ce qui te concerne réussisse à ton
gré, mais suivant le bon plaisir de Dieu ; alors ton oraison
sera toujours dans la tranquillité et l’action de grâces.
90. Même dans la familiarité de Dieu, prends garde au
démon de l’impureté, car c’est un rude trompeur et très
envieux. Il espère par sa subtilité triompher de l’entrain et
de la vigilance de ton esprit, et le distraire de Dieu près de
qui il se tenait dans la piété et la révérence.
91. Si tu as souci de l’oraison, sois prêt aux assauts des
démons et supporte patiemment leurs coups ; car ils se
jetteront sur toi comme des bêtes fauves et te mettront à mal
tout le corps.
92. Tiens-toi prêt comme un lutteur éprouvé. Si un
fantôme apparaît soudain, ne bronche pas ; si une épée est
brandie contre toi ou si un éclair frappe ta vue, ne sois pas
troublé ; si tu vois quelque spectre hideux et sanglant, que
ton âme ne défaille pas. Mais tiens ferme dans la confession
de ta sainte foi, et tu domineras facilement tes ennemis.
93. Qui supporte la peine trouvera la joie, qui persévère
au milieu des ennuis aura sa part d’agrément.
94. Prends garde aux visions trompeuses des méchants
démons. S’il s’en présente, demeure recueilli et attentif à
l’oraison, et demande à Dieu de te faire voir lui-même si la
chose vient de lui, sinon de chasser vite le séducteur. Sois
sûr que les chiens lâcheront prise, si tu t’adresses à Dieu
avec ardeur ; ils fuiront vite bien loin sous les verges
mystérieuses et invisibles de la puissance divine.
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95. Une ruse des démons est bonne à connaître : À
l’occasion ils se divisent en deux groupes, et si tu demandes
de l’aide, les autres viennent sous forme angélique chasser
les premiers. C’est pour te mieux tromper ensuite, te faisant
croire que ce sont vraiment de saints anges.
96. Applique-toi beaucoup à l’humilité, et la malice du
démon ne blessera pas ton âme, et aucun fléau ne
s’approchera de ta tente, car il a ordonné à ses anges de te
garder : ils chasseront invisiblement loin de toi toute
l’activité des ennemis.
97. Qui s’adonne à une oraison pure pourra entendre
bruits et fracas, voix et coups ; mais sans être abattu ni
perdre son sang-froid il dira à Dieu : Je ne crains aucun mal,
car vous êtes avec moi ; et autres paroles semblables.
98. Au temps de pareilles tentations, use d’une prière
brève et intense.
99. Si les démons te menacent par des apparitions
soudaines en l’air, de folles terreurs qui emportent ton
esprit, ou des attaques sur ton corps comme des fauves, ne
t’épouvante pas et ne prends aucun souci de leurs assauts.
Par ces terreurs ils expérimentent si tu fais quelque attention
à eux, ou au contraire si tu les méprises complètement et
demeures dans ton oraison, bien uni à Dieu tout-puissant
Créateur et Providence.
100. Quelle absurdité, étant appliqué à Dieu, d’oublier sa
crainte souveraine et de te troubler pour des moustiques ou
des scarabées ! Ne sais-tu donc pas qu’il est écrit : Tu
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craindras le Seigneur ton Dieu [16] ? Et encore : Lui dont la
puissance est l’objet de l’effroi et du tremblement
universels [17]. Et le reste.
101. Comme le pain est la nourriture du corps et la vertu
celle de l’âme, ainsi la contemplation est la nourriture de
l’esprit.
102. Prie dans le sanctuaire de l’oraison comme le
publicain et non comme le pharisien, afin d’être toi aussi
justifié par le Seigneur.
103. Prends bien garde de ne prier contre personne dans
ton oraison, sans quoi tu ruinerais l’édifice en rendant ta
prière abominable.
104. Instruis-toi par le débiteur des dix mille talents ; si
tu ne remets pas à ton débiteur, tu ne trouveras pas merci
toi-même, comme il est écrit : Il fut livré aux bourreaux [18].
105. Quand tu vaques à l’oraison, néglige les
incommodités du corps. Pour un pou, une puce, un
moustique ou une mouche, ne va pas perdre l’excellent fruit
de l’oraison.
106. On nous a rapporté qu’un saint homme d’oraison fut
étrangement persécuté par le malin. À peine il étendait les
mains que le diable, sous la figure d’un lion les pattes
dressées, enfonçait ses griffes dans les deux joues de
l’athlète, et ne le lâchait pas qu’il n’eût baissé les mains.
Mais il ne les laissa jamais retomber avant d’avoir achevé
ses prières accoutumées.
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107. Nous connaissons un fait analogue de Jean le Petit,
assurément un très grand moine, qui vivait solitaire dans
une fosse. Il demeura inébranlable dans son union à Dieu,
tandis que le démon, sous forme de dragon enroulé autour
de lui, malaxait sa chair et lui éructait au visage.
108. Tu as sûrement lu aussi dans les vies des moines de
Tabenne le cas de l’Abbé Théodore faisant la conférence
aux frères. Deux vipères vinrent à ses pieds ; tranquillement
il les reçut sous sa tunique comme dans une chambre
jusqu’à la fin de la conférence. Alors il les montra aux
frères en leur racontant l’incident.
109. J’ai lu d’un autre homme spirituel, que durant son
oraison une vipère vint lui mordre le pied. Mais il ne laissa
pas fléchir ses mains jusqu’à la fin de sa prière
accoutumée ; il ne subit aucun dommage, lui qui avait aimé
Dieu plus que soi-même.
110. Garde tes yeux recueillis pendant la prière, et
renonçant à ta chair et à ton âme vis suivant l’esprit.
111. Un saint solitaire priait fortement quand des démons
l’assaillirent deux semaines durant. Ils jouaient à la paume
avec lui, le lançant en l’air et le recevant sur une natte ;
mais ils ne purent jamais détacher son esprit de sa fervente
oraison.
112. Un autre ami de Dieu assidu à l’oraison marchait
dans le désert. Deux anges survinrent qui se plaçant à ses
côtés faisaient route avec lui. Mais il ne fit aucune attention
à eux, afin de ne pas perdre le bien suprême. Il se souvenait
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du mot de l’Apôtre : ni les anges, ni les principautés, ni les
puissances ne pourront nous séparer de la charité du
Christ [19].
113. Par la vraie oraison le moine devient semblable aux
anges.
114. Si tu désires voir la face du Père, écarte toute forme
ou figure au temps de l’oraison.
115. Ne désire pas voir sensiblement les anges ni les
puissances ni le Christ même, de crainte de perdre
complètement la raison, et de recevoir le loup au lieu du
berger, en adorant les démons ennemis.
116. Le principe de cette erreur, c’est l’illusion de l’esprit
qui le pousse à chercher Dieu sous des formes ou des
figures.
117. Je dirai ma pensée que je dis même aux jeunes
moines : Heureux l’esprit dégagé de toute forme au temps
de l’oraison.
118. Heureux l’esprit qui par une oraison sans distraction
conçoit toujours un plus grand désir de Dieu.
119. Heureux l’esprit qui au temps de l’oraison est
immatériel et pauvre.
120. Heureux l’esprit qui au temps de l’oraison possède
la parfaite insensibilité.
121. Heureux le moine qui s’estime la balayure de tous.
122. Heureux le moine qui regarde avec pleine joie le
salut et le progrès de tous comme le sien propre.
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123. Heureux le moine qui après Dieu estime tous les
hommes comme Dieu même.
124. Le vrai moine est séparé de tous et uni à tous.
125. Le vrai moine se considère en union avec tous, car
en chacun il croit toujours se voir soi-même.
126. C’est la parfaite oraison que de toujours offrir à
Dieu les prémices de toutes ses pensées.
127. Comme moine et ami de l’oraison évite tout
mensonge et tout serment, sinon c’est peine perdue de
simuler ce que tu n’es pas.
128. Si tu veux prier en esprit, ne tire rien des sens ; ainsi
tu seras débarrassé des nuages qui t’enténèbrent au temps
de l’oraison.
129. Remets à Dieu le soin de ton corps, et par là tu lui
prouveras que tu lui confies aussi ton esprit.
130. Si tu gagnes les promesses, tu régneras. Regarde
donc de ce côté, et tu porteras joyeusement la pauvreté
présente.
131. Ne récuse pas pauvreté ni tribulation, ce sont les
matériaux de la prière alerte.
132. Les vertus du corps doivent s’ordonner à celles de
l’âme, et celles-ci à celles de l’esprit ; ces dernières enfin à
la contemplation immatérielle.
133. Si à l’oraison les distractions renaissent facilement,
examine quelle en est la cause, pour éviter de t’égarer dans
quelque embûche et de te livrer à la séduction.
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134. Il arrive que les démons te suggèrent des
distractions, puis ils t’excitent à prier contre et à leur
résister, et ils se retirent spontanément. C’est pour te
tromper et te donner de la vanité, comme si tu étais parvenu
à vaincre les distractions et à effrayer les démons.
135. Dans la prière contre une passion ou un démon
importun, souviens-toi de la parole : Je poursuivrai mes
ennemis et je les atteindrai, je ne m’arrêterai pas qu’ils ne
tombent et je les écraserai, ils ne pourront tenir et
s’abîmeront sous mes pieds [20] ; et le reste. Avec ces
paroles opportunes arme-toi d’humilité contre les
adversaires.
136. Ne crois pas posséder la vertu avant d’avoir lutté
jusqu’au sang pour l’acquérir ; car suivant le divin apôtre, il
faut tenir bon contre le péché jusqu’à la mort, virilement [21]
et sans reproche.
137. Si tu as rendu service à quelqu’un, un autre va te
faire tort, afin que l’injustice t’abatte et que tu fasses
quelque sottise, dissipant mal ce que tu avais bien gagné.
Tel est le but des méchants démons, il faut donc prendre
garde.
138. Reçois les assauts furieux des démons avec le souci
d’échapper à leur servitude.
139. De nuit c’est par eux-mêmes que les démons
cherchent à troubler le maître spirituel. Puis de jour à l’aide
des hommes ils le soumettent aux dangers, accidents et
calomnies.
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140. Ne récuse pas les foulons, s’ils battent en piétinant
et s’ils cardent en étirant ; c’est par ce travail que ta
sensibilité se clarifie.
141. Tant que tu n’as pas renoncé aux passions et que ton
esprit s’oppose à la vérité et à la vertu, tu ne trouveras pas
de suave parfum dans ton sein.
142. Désires-tu prier ? Quitte ce bas monde et prends
toujours ta société dans les cieux, non pas seulement en
paroles, mais par des actes angéliques et la divine
contemplation.
143. Si dans l’adversité seulement tu te souviens du Juge
et combien il est terrible et incorruptible, tu ne sais pas
encore servir le Seigneur dans la crainte et te réjouir en lui
dans le tremblement. Sache bien que même dans la
prospérité et les consolations spirituelles, il faut l’adorer
avec d’autant plus de respect et de réserve.
144. Vraiment sage est l’homme qui, avant sa parfaite
conversion, ne quitte pas le souvenir douloureux de ses
propres péchés, et de la damnation au feu éternel qui les
punit.
145. Celui qui, retenu encore dans les péchés et la colère,
ose impudemment se hausser à la contemplation des choses
divines et s’élever à l’oraison purement spirituelle, mérite le
blâme de l’Apôtre, et il lui est dangereux de prier tête nue et
sans voile : La femme doit, dit-il, avoir un voile de dignité
sur sa tête, à cause des anges présents [22], se revêtant de la
pudeur et de l’humilité convenables.
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146. Qui a mal aux yeux ne profite pas de l’éclat du soleil
en plein midi, inaccessible en son intensité et son extrême
splendeur : de même l’esprit encore impur et troublé par les
passions ne saurait profiter aucunement de la forme
d’oraison en Esprit et en Vérité, si redoutable et éminente.
Bien au contraire ce serait provoquer contre lui
l’indignation divine.
147. Le Seigneur n’a besoin de rien et ne se laisse pas
corrompre par des présents ; il n’accueille pas celui qui
offre ses dons à l’autel avant réconciliation avec le prochain
chagriné contre lui. Juge par là de quelle garde et de quelle
discrétion il faut user pour offrir un encens agréable à Dieu,
sur l’autel spirituel.
148. Ne sois pas verbeux ni glorieux, sans quoi ce n’est
pas sur ton dos mais en plein visage que travailleront les
pécheurs ; tu seras leur jouet au temps de l’oraison séduit et
attiré par eux en des distractions.
149. La recherche attentive de l’oraison trouvera
l’oraison ; il faut donc s’y appliquer, car même s’il y a des
délais cette recherche aboutit à l’oraison.
150. La vue est le meilleur des sens, ainsi l’oraison est la
plus divine des vertus.
151. Ce n’est pas tant la quantité que la qualité qui fait le
prix de l’oraison, comme le montrent les deux hommes qui
montèrent prier au temple ; et encore : quand vous priez,
pas de flux de paroles [23] ; et le reste.
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152. Tant que tu t’occupes de la commodité du corps et
en recherches les agréments, tu ne connais pas encore
l’oraison ; tu es même loin de l’heureux chemin qui y
conduit.
153. Si dans l’oraison tu rencontres une joie supérieure à
toute autre, tu as trouvé la vraie prière.
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9. ↑ Littéralement : les autres, et comme l’opposition est à Dieu, ce sont les
créatures ; nos connaissances nous viennent en effet par les sens. Mais il
est vraisemblable que Nil songe ici plus spécialement aux démons.
10. ↑ Apoc., viii, 3.
11. ↑ Le grec porte : les coupes de parfums. Mais le sens est attesté par
Apoc., v, 8, et déjà rappelé au ch. 75 ; au contraire au ch. 77, Nil donnera
le symbolisme de la coupe.
12. ↑ Is., vi, 5.
13. ↑ Le grec a ποικίλης, le même adjectif traduit plus haut : sagesse
multiforme. L’erreur est manifeste par l’opposition du présent chapitre et
par tout le contexte. Le plus simple est de supposer la chute d’un α, et de
lire ἀποικίλης. La traduction latine de Bibliotheca veterum Patrum,
t. VII, p. 1153, Lyon 1677, l’entend de même.
14. ↑ Luc, xviii, 1.
15. ↑ Luc, xviii, 4, 5.
16. ↑ Deut., x, 20.
17. ↑ Cf. Joel, ii, 10, 11.
18. ↑ Matth., xviii, 34.
19. ↑ Rom., viii, 38.
20. ↑ Ps. xvii, 38, 39.
21. ↑ Hebr., xii, 4. En comparant les deux textes grecs, la citation n’est pas
douteuse.
22. ↑ I Cor., xi, 10.
23. ↑ Matth., vi, 7.
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