Musique À Voir

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MUSIQUE VOIR

LAACDUNKERQUE
C ompositeur de musique lectro exprimentale et
musicologue, musicien nomade, Jean-Yves Bosseur,
tmoin direct dune grande partie de lart du XXe sicle, a
tudi avec Karlhein Stockhausen, a travaill avec John Cage et
Merce Cunningham, Pierre Henry... Ces rencontres nourrissent
la conviction de Jean-Yves Bosseur quaucune cloison entre
les disciplines nest respecter ou subir. Les tensions, les
chocs issus de la coexistence des arts permettent linvention, la
surprise et vitent limitation.
En concevant lexposition Musique voir, prsente au LAAC
du 29 avril au 17 septembre 2017, il nous propose une approche
des relations entre les arts plastiques et la musique, partir
des productions artistiques de Jean Tinguely, Yves Klein, Nam
June Paik, John Cage, Vasarely, Pierre Bastien, Cleste Boursier-
Mougenot... soit 150 uvres visuelles, sonores et installations.
Le Conservatoire de Musique et dArt Dramatique de
Dunkerque, linitiative de ce projet, est naturellement
le partenaire essentiel du LAAC pour offrir une riche
programmation musicale qui accompagne lexposition.
Musique voir se prolonge au Frac Nord-Pas de Calais avec
lexposition Le son entre, propose du 29 avril au 31 dcembre.

Cette dition est produite par la direction des muses de la Ville de


Dunkerque dans le cadre de lexposition Musique voir prsente au
LAAC, Lieu dArt et Action Contemporaine, du 29 avril au 17 septembre
2017 et a bnfici du soutien de la communaut urbaine de Dunkerque
et du Casino de Dunkerque Groupe Tranchant..
Commissariat dexposition
Jean-Yves Bosseur, compositeur et musicologue
Production
Sophie Warlop, directrice-conservatrice des muses
Assistante dexposition
Sophie Dzierzynski
Suivi ditorial
Sophie Warlop, Sophie Dzierzynski, Anne Rivollet, Richard Schotte
Conception graphique
Sbastien Morel & Alexie Hiles
Impression
Nord Imprim
Ville de Dunkerque - 2017

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dito
Les rapports sons/images Certains sont capables de
nous concernent tous, et percevoir nettement un son
naturellement de nombreux en voyant une image, dautres
plasticiens ou musiciens. associent les consonnes et
Musique voir ou comment
Depuis plus dun sicle, des voyelles des colorations trs
se laisser dborder par le
travaux sur les perceptions prcises... La synesthsie nest
syndrome Bouba Kiki
ont donn lieu des exp- pas une pathologie mais une
Dans nos socits hyper- riences sur les correspon- simple caractristique phy-
rationnelles, peu de place dances harmoniques entre sique qui largit le champ des
est laisse la sensibilit. son et couleur. Le visuel perceptions et de ce fait les
Pourtant, nos sens nous investit ainsi la musique, et le facults cratrices.
guident, nous tiennent en son: le visuel. Certains artistes
Wassily Kandinsky voyait
veil, nous alertent Ils sont le ont voulu crer une unit
des couleurs en mouve-
vecteur des plus grandes sur- polysensorielle, cherchant des
ment lorsquil coutait de la
prises et du monde ordinaire. donnes objectives comme
musique.
celles de la thorie vibratoire
Ils saccordent, se compen-
des couleurs ou au contraire Auguste Herbin associait
sent et se combinent naturel-
purement subjectives, auto- naturellement des phonmes
lement.
suffisantes et singulires. des couleurs et des formes
Dans le but de comprendre De nouveaux mdias telle la do son alphabet plastique...
mme ce qui semble vido ont investi ce champ. Le LAAC, Lieu dArt et Action
irrationnel et particulier Les rflexions sur le rythme Contemporaine et le Conser-
chacun, les neuroscienti- comme une organisation de vatoire de Musique et dArt
fiques tudient leur facult lespace mais aussi du temps Dramatique de Dunkerque
dinteragir. Ils ont dcouvert sont dterminantes. Des se sont tout naturellement
Sommaire des standards mais aussi des
exceptions.
machines-uvres ont vu le
jour. Les systmes dcriture
associs pour vous proposer
Musique voir, une exposition
Le syndrome Bouba Kiki du son deviennent aussi un tonnante, en invitant Jean-
toucherait 98% de la popu- terrain de cration visuelle. Yves Bosseur, compositeur et
Musique voir
P. 4 lation. Il dmontre que la Mais plus encore, pour vous, musicologue, spcialiste de
majorit des personnes sou- le bruit est-il par nature ces questions.
Entretien mises aux tests associent invisible? Une image est-elle Musique voir: un voyage au
avec Jean-Yves Bosseur les mmes sons aux mmes sonore? cur des sens, pour se laisser
P. 8 formes: bouba une
Laudition colore est un don dborder par des syndromes
forme arrondie etkiki qui pourraient vous rendre
L'exposition un peu trange mais parfai-
P. 14
une forme anguleuse. heureux!
tement naturel pour une part
Dautres tudes parviennent
infime de la population. La
La cration sonore la conclusion quune musique Sophie Warlop
synesthsie est une particula-
contemporaine: une double rapide et rythme est gn- conservatrice/directrice
perspective rit neurologique involontaire,
ralement associe des cou- des muses de dunkerque
P. 26 consciente, permanente et
leurs chaudes (jaune, orange,
immuable. Elle justifie une Rgis Kerckhove
rouge) et une musique lente
Le son entre forme de subjectivit de la
P. 30
des couleurs froides ou directeur du conservatoire
perception. de musique et d'art dramatique
sombres (bleu, violet, bleu-
Remerciements & crdits vert). de dunkerque

P. 34

Couverture: From here to hear Cleste Boursier-Mougenot. Courtesy Museum of Old and New Art (MONA), Hobart, Tasmania. ADAGP, Paris, 2017

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Musique voir
JEAN-YVES BOSSEUR, COMMISSAIRE DE LEXPOSITION

Comme la musique, la peinture a son propre alphabet.


Auguste Herbin

L es tentatives dchange, voire dosmose entre les


domaines du visuel et du sonore nont cess de se
ramifier et se diversifier notre poque. Face une
telle floraison, on ne peut que sinterroger sur les formes dex-
dtournement. Et cela parat dautant plus important que, aprs
le foisonnement dides et les bouleversements esthtiques
qui se sont oprs au dbut du XXe sicle et aprs la Seconde
Guerre mondiale, on peut nouveau observer un certain cloi-
pression artistique qui jouent dlibrment sur le paradoxe que sonnement des disciplines artistiques tandis que, dans le mme
suppose toute ambition de classification, aussi bien au niveau temps, les dveloppements mdiatiques et technologiques les
de leur conception que de leur perception. Nombreux sont en plus rcents devraient plutt inciter transgresser toute atti-
effet les compositeurs qui ont pris pour source dinspiration une tude frileuse de repli sur les catgories conventionnellement
uvre picturale; encore plus nombreux sont les peintres qui associes lhistoire de lart.
ont adopt la pense musicale, ou bien une partition en parti-
Les cinq thmatiques centrales de Musique voir sont les
culier, comme base de rflexion, ou dimprgnation sensorielle,
quivalences sensorielles, le rythme entre temps et espace,
pour leur propre pratique. Le temps deviendra ainsi une com-
les correspondances structurelles, la plasticit de la notation
posante concrte dun travail plastique; lespace sera envisag
musicale, les interactions effectives entre modes dexpression;
comme une dimension part entire dun projet musical; un
chaque tendance prsentant des formes de rsonance jusqu
objet sonore sera considr sous le double aspect de son appa-
aujourdhui. Il ne sagit bien sr l que de directions schma-
rence visuelle et de ses consquences acoustiques...
tiques, certaines uvres intervenant la croise de plusieurs
Il sest donc avr ncessaire dorganiser lespace de lexpo- d'entre elles. Les relations entre musique et arts visuels
sition autour de quelques grandes orientations gnrales. Or continuent en effet sarticuler autour de ces grandes familles
les salles que le LAAC consacre ses expositions temporaires de proccupations, quels que soient les moyens techniques
nous permettaient prcisment de concevoir la disposition des utiliss.
uvres par rapport cinq thmatiques principales.
Cest ainsi que des notions telles que la vibration, le rythme,
Les relations les plus souvent voques entre ces disciplines la variation, le collage, la srie, le hasard... peuvent tre envi-
artistiques demeurent de lordre de lanalogique, du mtapho- sags dans leurs relations ambivalentes au temps et lespace,
rique alors que, lorsque lon envisage les centres dintrt des dans le souci de prserver un caractre fondamentalement
peintres pour le domaine musical, on saperoit quil existe interrogatif.
quasiment autant dinterprtations de tels rapports que dar-
Cest avec le romantisme que le questionnement dun art par un
tistes et que la qute dun simple paralllisme entre les modes
autre en vient remettre en cause les certitudes admises, donc
dexpression concerns demeure relativement mineure. De
les acadmismes, et sinterroger sur les racines communes
plus, des personnalits comme Kandinsky, Scriabine ou Klee
toute expression artistique, en de des savoir-faire propres
tant le plus frquemment cites ce sujet, il nous a sembl
chaque discipline. Sans doute devra-t-on y voir la nostalgie dun
ncessaire de montrer que bien dautres artistes ont avanc
ge dor, de la fte primitive, dune unit originelle, antrieure
des hypothses dchange originales, susceptibles dinviter
la sparation des sens, seule capable doprer une authentique
de multiples formes de prolongement, de ramification, voire de
fusion avec la nature.

Ci-contre: Auteur, titre, Anne

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lorigine la fois de la musique exprimentale et des arts sonores, source dinspiration de nombreuses
pratiques performatives actuelles, la musique Fluxus ralise lanti-art de Dada et le dpassement
de lart des situationnistes en abolissant la frontire entre le crateur et le spectateur
et en proclamant lquivalence entre la musique, lart et la vie.
Fluxus et la musique, Olivier Lussac, Les presses du rel, 2010

Issue la fois de lintrt qui samplifie la fin du XIXe sicle


pour les mystres grecs et le concept de Gesamtkunstwerk
(uvre dart intgrale) dvelopp par Wagner, la conception
synesthsique a encourag lexprimentation de modes dcri-
ture synthtiques, de claviers de couleurs, dassociations mul-
tiples de sons et dimages. Cest autour de ce phnomne de
pense artistique quest orient le premier axe, quivalences
sensorielles, la personnalit de Kandinsky stant rvle
dterminante ce propos; ultrieurement, le courant du musi-
calisme, fond par Henry Valensi, a poursuivi cette qute de
symbiose entre les perceptions visuelles et auditives, que lon
peut galement dcouvrir chez un compositeur comme Ivan
Wyschnegradsky. Historiquement plus prs de nous, plusieurs
peintres nont pas manqu de mettre en relief les affinits
lectives quils ont ressenties lcoute de leurs musiques de
prdilection.
Ce manifeste a t reproduit in extenso par Comoedia dans son
numro du 17 avril 1932, comment dj par vingt-six journaux
de France et de ltranger, traduit en quatre langues: allemand,
anglais, italien et tchque.
Une tout autre manire dinflchir les domaines artistiques les
uns vers les autres consistera prendre comme point de dpart
le fait que lnergie corporelle est dterminante dans tous les
cas et que la notion de rythme est commune aux catgories de
lespace et du temps. En rflchissant sur les changes fertiles,
certes, mais parfois galement nafs ou illusoires entre musique
et arts plastiques, il faudrait, mon sens, toujours garder
lesprit cette rflexion de Paul Klee qui, dans son extrme
concision, nous transporte par-del les dualismes acadmiques
qui ont trop longtemps pes sur lesthtique traditionnelle:
Un rythme, cela se voit, cela sentend, cela se sent dans les
muscles. Ce troisime terme nous loigne dfinitivement de
toute vise comparative, de tout systme de correspondances
plus ou moins arbitraire. Le constat de Klee est imparable: ce
quil souligne ici, cest la part physique du geste, quil soit li
une action de nature instrumentale, vocale, graphique ou chor-
graphique; que loutil dont on choisit de se servir soit un archet
frotter sur une corde, un pinceau dplacer sur une toile, ou
Auteur, titre, Anne que lorigine de lacte se confonde avec la respiration, apparem-
ment sans intermdiaire extrieur, on retrouve des principes
lmentaires dnergie ancrs dans les composantes muscu-
laires du corps. Cest pourquoi le transfert, mieux, le voyage
dun mode dexpression un autre na nul besoin de sappuyer
sur des conventions trangres aux pratiques artistiques pro-
prement dites; le passage peut dsormais soprer sans heurt.
Pour ce deuxime axe sont proposes des uvres qui mettent
en vidence le phnomne du rythme, faisant rimer geste gra-
phique et geste instrumental, linfluence du jazz se rvlant par
ailleurs dcisive cet gard.

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En-de des conjonctions sensorielles, dautres artistes ont travers la pluralit des dmarches signales ici, des notions
tent dexplorer les relations entre musique et arts plastiques pivots viennent sinsinuer la manire dune basse continue:
au niveau mme de leur structure formelle, de leur nombre. le jeu (avec la flexibilit et le risque qui lui sont inhrents),
Ce troisime axe prsente par consquent des uvres dont lcart par rapport aux systmes conventionnels et aux cat-
le paradigme sinscrit dans la proximit de la pense musicale, gories artistiques convenues, linterrogation sous-entendue par
ctoyant par exemple lesprit sriel. Dans ce cas, laspiration des projets saisir en tant que processus dynamiques plutt
ultime nest plus tant daboutir une fusion de tous les arts, quuvres immuables; et le plus souvent, loin dtre valorise
une communion polysensorielle, que de trouver une loi gn- en tant que telle, la technologie fait elle-mme partie de ce
rale suprieure, apte passer outre les contraintes matrielles questionnement.
propres chaque art et tendre vers dauthentiques correspon-
dances structurelles. Les uvres correspondant aux premier
et troisime axes ont t runies dans la salle 1.
Nous aurions pu articuler un quatrime axe autour des diverses
facettes de la reprsentation visuelle de la musique. Toutefois,
il y aurait l matire une exposition entire et nous avons
donc pris le parti de nous en tenir cette facette trs particu-
lire de la transcription visuelle du son et de sa transmission
quest la notation.
Si les compositeurs ne se sont pas privs, en particulier partir
de lessor des notations graphiques depuis les annes cin-
quante, de jouer sur limpact visuel de leurs partitions, de nom-
breux plasticiens, notamment ceux qui pratiquent le collage
ont eux-mmes tir parti, leur manire, de cet espace codifi
de signes spcifiques (destin rester partiellement secret
pour les non-initis) que reprsente la partition. Entrecroisant
donnes symboliques et graphiques, la notation musicale pr-
sente un intrt trs particulier pour le peintre, dans la mesure
o il nest pas ncessairement familier avec son code de lecture.
Sans que lon puisse proprement parler dceler une fracture
entre les intersections pluri artistiques du dbut du sicle et
celles de ces dernires dcennies, il est manifeste que les pro-
blmatiques se posent de manire diffrente pour les artistes
qui ont assimil lexprience de luvre ouverte, dfrich les
territoires encore trs partiellement explors des mixed-media,
se sont confronts aux problmes des nouvelles formes de
notation et de communication. Si, au cours de la premire
partie du XXe sicle, les associations entre plusieurs disci-
plines sont souvent demeures gnralement ltat virtuel (
lexception bien sr des formes traditionnelles de confrontation
audiovisuelle que reprsentent lopra ou le ballet), limaginaire
contribuant tisser des liens suggrs de manire plus ou
moins indirecte, dans un certain nombre de cas plus rcents,
cest une coopration effective de diverses formes dexpres-
sion que nous sommes convis. La plupart du temps, lambition
dune uvre dart totale, selon les vux de Richard Wagner
deviendra par consquent hors de propos. Certains mouve-
ments artistiques, tels le futurisme et le dadasme reprsentent
les prmices de telles dmarches.
Cest ainsi que se profile un cinquime axe, prsent dans
les salles 4 et 5, qui tend se situer par-del les catgories
artistiques traditionnelles. Plusieurs artistes dcident en effet,
pour certains de leurs projets de cration, de changer dins-
trument, selon lexpression de Kandinsky, de sengager dans
des actions dont le statut devient ambigu, polyvalent (comme
celles des membres du mouvement Fluxus). D'autres prouvent
le besoin dune collaboration avec un artiste pratiquant une
autre discipline; ces interactions voient galement lavnement
de la sculpture sonore, plus rcemment encore, des installa-
tions, les dveloppements technologiques des multimedias
jouant un rle de catalyseur cet gard.
Auteur, titre, Anne
Entretien
ENTRE JEAN-YVES BOSSEUR ET RICHARD SCHOTTE,
RESPONSABLE DU DPARTEMENT ART ET MDIATION.

Vous avez dit quen tant que compositeur Le voyage, le nomadisme et lacceptation
vous vous considriez comme un voyageur et de se perdre comme autant de conditions
vous voquez galement le nomadisme. Pouvez- de cration nous interrogent sur une certaine ide
vous nous dire ce que cela signifie pour vous? de la carte, du territoire. Est-il possible de faire
carte et donc de marquer un parcours, de placer
Cela veut dire que, sans vouloir me disperser pour autant, je des repres, dinscrire un relief tout en consid-
souhaite rester lafft de tout ce qui peut me permettre de rant le dsir de la surprise, et dun parcours
mouvrir sur les territoires artistiques et culturels qui soffrent que lon voudrait perptuellement originel?
mon attention; le voyage implique pour moi la qute de la
dcouverte; mais cela ncessite aussi dadopter une manire de Il me semble que certaines stratgies permettent prcisment
discipline et de rigueur personnelle, afin de ne pas se contenter de concilier une part de prvisibilit et une autre susceptible
de papillonner superficiellement dune exprience une de laisser survenir toutes sortes de surprises, dpassant, voire
autre. transgressant ainsi tout ce que lon pouvait avoir pressenti
lorigine dun projet. Cest mme le sens profond que jaccorde-
rais au phnomne de luvre ouverte qui reprsente pour
Que diriez-vous de cet adage selon lequel pour moi un des apports majeurs du XXe sicle, et dont les cons-
dcouvrir une uvre, il faut ne pas matriser quences sont loin davoir t puises de nos jours.
mais accepter de se perdre? Ne diriez-vous pas
que le travail de composition peut se construire
sur un principe quivalent? Pouvez-vous nous en dire plus sur cette ide
duvre ouverte?
Tout fait. Se protger derrire des dogmes ou des systmes,
avec lambition ou la prtention de matriser le terrain que lon Cette notion a notamment t dveloppe, au dbut des
explore mest toujours apparu comme un risque majeur lorsque annes soixante, par Umberto Eco dans louvrage qui porte
lon choisit de se confronter la problmatique de la cration. prcisment ce titre. En fait, cest du dpassement de luvre
Selon moi, composer, cest ne pas cesser de questionner et, en tant quobjet fig, aux contours fixs une fois pour toutes,
ce propos, je rejoins totalement Woody Allen lorsquil la fois vis--vis de son crateur et de son rcepteur, dont il
proclame: Jai des questions toutes vos rponses. est question. Et ce phnomne ne concerne pas seulement
la musique mais galement la littrature, les arts visuels,
larchitecture. Cest ce qui ma dailleurs amen lui consacrer
rcemment un ouvrage, Luvre ouverte dun art lautre
(d. Minerve). Et cette thmatique se nourrit de rflexions sur
dautres notions qui jouent un rle crucial dans lesthtique
contemporaine tels lalatoire, lindtermination, la mobilit;
celles-ci ne sauraient tre confondues et suscitent, bien au
contraire, des dclinaisons tout fait spcifiques qui refltent
le statut que lartiste accorde lacte individuel de cration
et les rapports de complicit quil souhaite dvelopper avec
le spectateur.

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Marcel Duchamp dit: Cest le regardeur Une des questions que pose lexposition Musique
qui fait luvre. Entre le regardeur et lauditeur, voir dont vous tes commissaire concerne
il semble y avoir des nergies diffrentes. la monstration. Comment montrer la musique?
Comment parleriez-vous de la dimension Cette question est prsente dans les uvres
participative et du rle du visiteur? mmes. Elle est prsente galement dans lide
Quels sont les enjeux de cette rencontre? dune exposition. Comment mettre la musique
en lumire?
Il existe dsormais une infinit de nuances en ce qui concerne
les relations entre le regardeur (parfois simultanment audi- Nombreux sont les peintres qui ont tent de concrtiser
teur) et luvre. Cela va de la facult d interprtation qui visuellement leur prdilection pour un compositeur, ou bien
lui est implicitement offerte jusqu lventualit dune action un modle structurel, comme la fugue; ainsi, tout au long du
effective, cest--dire en intervenant dans son fonctionnement XXe sicle, on ne compte plus les hommages Jean-Sbastien
mme; cest ce que lesthticien Frank Popper a qualifi de Bach, ainsi que les fugues labores par des artistes plasti-
participation du spectateur , une notion centrale de son ciens (citons seulement Kandinsky, Kupka, Klee, Albers, Henri
ouvrage Art, action et participation (d. Klincksieck). Lexposi- Nouveau, Ayme, Reigl). Par ailleurs, un lieu dchanges trs
tion devrait justement favoriser ces modalits dapproche trs vivifiant rside dans le phnomne de la notation musicale, qui
diversifies, avec dinpuisables rebondissements depuis a suscit une vive curiosit de la part des artistes visuels alors
le sonore jusquau visuel et vice versa. que, pour leur part, partir des annes cinquante, plusieurs
compositeurs, notamment John Cage, Earle Brown, Cornelius
Cardew, Sylvano Bussotti, Louis Roquin ont dlibrment
Vous avez toujours t passionn par le lien cherch mettre en relief les qualits graphiques de leurs
troit qui peut exister entre la musique et les arts partitions, inventant de nouveaux corpus de signes et visant
plastiques. Comment expliquer cela? La relation ainsi stimuler de faon indite limaginaire de leurs interprtes.
entre ces deux domaines de la cration rvle
une volont de favoriser la cration dun nouvel
espace qui serait le fruit de la rencontre entre Si nous revenons au processus de cration et
les deux premiers. Comment pourrions-nous cette libert que vous affirmez dans lexprience
le nommer? Le qualifier? ouverte et nourrie de linspiration, des influences,
des expriences, faut-il considrer que cette
Avez-vous le sentiment que la musique seule ne
dimension est apparue avec les avant-gardes
suffit pas, que les arts plastiques seuls ne suffisent
du XXe sicle ou en trouvons-nous des traces
pas? Sclairent-ils lun lautre? Se rvlent-ils
dans la cration plus ancienne?
lun lautre? Sadditionnent-ils?
On peut trs certainement trouver des prmices dune telle
Depuis de nombreuses dcennies, la division acadmique dimension dans les uvres du pass (je pense par exemple
opre par certains esthticiens entre les arts du temps, au Menuet aux ds attribu Mozart) dans la mesure o, dans
de lespace et du mouvement sest rvle de plus en plus le domaine de la musique notamment, jusqu la fin du XVIIIe
caduque. Cest dailleurs ce que tienne Souriau1 a parfaitement sicle, la notation, qui laissait alors de nombreuses initiatives
su dmontrer dans son ouvrage La correspondance des arts. aux interprtes, tait beaucoup plus flexible que ce quelle est
Les frontires entre les diffrentes disciplines sont devenues devenue partir de lpoque romantique. Toutefois, si lon envi-
des plus poreuses, mme sil savre ncessaire de reconnatre sage la ralit artistique plus globalement, cest tout de mme
la spcificit de chaque domaine. Du reste, Kandinsky lavait au cours des premires dcennies du XXe sicle, avec les avant-
parfaitement compris lorsquil crivit, il y a maintenant un peu gardes historiques (futurisme, dadasme, suprmatisme) que
plus dun sicle: Un art doit apprendre dun autre art lemploi lon assiste une remise en question, parfois des plus radicales,
de ses moyens, mme des plus particuliers et appliquer ensuite, de la notion duvre dart et de la place assigne son auteur.
selon ses propres principes, les moyens qui sont lui et lui Lavnement de luvre ouverte est trs certainement un
seul . En effet, la confrontation entre les arts ne prsente des avatars, des bouleversements quont provoqu de tels
aucun caractre dvidence, mais suppose de mettre en branle mouvements, branlant en profondeur les certitudes que
des formes de tension capables dviter les vagues mta- daucuns jugeaient acquises.
phores (pour reprendre une expression de Souriau) sur les-
quelles reposent trop souvent les tentatives pluridisciplinaires.
Le problme nest pas que chaque art ne se suffirait pas lui-
mme, mais quil existe un certain nombre de facteurs aptes
favoriser de fertiles rebondissements dun moyen dexpres-
sion un autre, tels le rythme, les proportions numriques, les
notions de variation, de srie Deux exemples parmi dautres:
la temporalit a t ressentie comme un lment dterminant
pour de nombreux peintres qui se sont engags dans la voie de
labstraction, tandis que la dimension de lespace a t prise en
Ma peinture, cest une peinture spontane
compte de manire trs active par les compositeurs, en parti- faite dimprovisations, de hasards contrls.
culier depuis la seconde partie du XXe sicle. Daniel Humair
Aujourdhui, nous ne sommes plus dans la logique Pouvez-vous nous parler plus en dtails
des avant-gardes voques prcdemment. de vos collaborations avec les artistes?
Les grands mouvements ont disparu au profit Jan Voss et Pierre Alechinsky, que vous citez,
de postures individuelles mais il faut constater sont prsents dans nos collections.
que la cration contemporaine affirme comme
Au moment de la conception dun disque qui devait tmoi-
un principe le croisement des disciplines et
gner de diffrentes interventions organises en Ardche, jai
des techniques. Quelle approche et quelle vision imagin que le peintre Pierre Alechinsky pourrait concevoir un
en avez-vous? contrepoint plastique en troite relation avec le projet. Jai alors
Il est vrai qu distance dun sicle, ces mouvements artistiques trouv un petit recueil contenant un ensemble de mlodies
destin tre fix sur la lyre des instruments vent. Je lai
peuvent nous paratre quelque peu lointains. Toutefois, ils nont
mon tour remis Pierre Alechinsky, vivement intress par les
pas cess de nous apporter de prcieux enseignements; aprs processus de dtournement, de palimpseste. Quinze des pages
tout, entre eux et nous, il y a eu le Bauhaus, Fluxus, mme sil ont servi de base un assemblage lithographique, redistribu
faut bien admettre que les exprimentations relvent dsormais en quinze images. Pierre Alechinsky a effectu, sur des papiers
plus dinitiatives individuelles que de dmarches de groupe. report, des recouvrements partiels, caviardages, enlumi-
Les croisements des disciplines sont devenus dautant plus nures..., superposs chacune des quinze pages de partition. Il
incontournables que les nouvelles technologies ont considra- ma laiss plusieurs espaces avec des portes musicales vierges
blement nourri les modalits dinteraction entre les arts. Encore pour intervenir en rponse au matriau musical dorigine, dj
convient-il bien sr de savoir les interroger et ne pas y voir mtamorphos. Cest donc une srie dchanges qui sest ainsi
par trop navement une forme de progrs. Les technologies opre entre nous.
offrent en effet des outils pour dvelopper de tels croisements partir de la lithographie, jai entrepris un dchiffrage de len-
mais, mon sens, ne constituent nullement une fin en soi. Et semble, me servant de ses ajouts et commentaires graphiques,
je persiste penser quil existe de multiples entres possibles de ses effets de masque, comme de clefs pour transformer le
pour aborder cette question, aussi bien par le biais du rapport matriau originel. Enfin, jai report certaines de ces variations
lcriture et la notation, certains modles formels gnra- dans les espaces laisss vides. Jai obtenu de la sorte une suite
teurs, que de celui de la conception et de la ralisation dobjets de squences destines un orchestre dharmonie, en raction
chacune des pages ainsi traites par Pierre Alechinsky. Le
et despaces tout la fois sonores et visuels.
livre-partition La Plume (d. Actes Sud) est devenu un des l-
ments de ce projet entrepris en Ardche partir de 1990.
Venons-en lexposition Musique voir. Jan Voss, qui a ralis plusieurs ouvrages en collaboration
Quel a t votre point de dpart? Comment avez- avec des crivains (Peter Handke, Jean-Christophe Bailly, Jean
vous procd pour dfinir les grandes orientations,
Frmon...), avait mis lide que nous concevions ensemble un
livre-partition dchiffrable par tout amateur disposant dun
les grandes questions qui structurent ce parcours
minimum de connaissances musicales... et dun piano. Nous
et nous propose votre point de vue?
avons imagin que ce livre puisse tre plac sur le pupitre de
Cette exposition est pour moi une manire de concrtiser une linstrument, et quil invite toutes sortes de trajectoires et de
rflexion que jai entreprise il y a plus dune vingtaine dannes vitesses de lecture pour le futur interprte; nous avons tout
dabord labor chacun un ensemble de petits fragments musi-
et qui sest traduite sous la forme de trois ouvrages, Musique,
caux et plastiques isols, indpendants, qui seraient ensuite
Passion dartistes (d. Skira), Le sonore et le visuel (Dis-Voir) agencs les uns en regard des autres. Cest ainsi que J. Voss a
et Musique et arts plastiques, interactions, ce dernier ouvrage distribu mes lments de partition par rapport lespace de
ayant donn lieu deux rimpressions augmentes. Sans chaque planche. Puis il a demand Jean-Christophe Bailly
compter les collaborations que jai eues, en tant que com- dintervenir sous la forme dun texte que jai mon tour utilis
positeur, avec plusieurs artistes tout au long de ces annes loccasion dune relecture de lensemble pour voix chante
(Jan Voss, Pierre Alechinsky, Claude Melin, Tom Phillips). et piano, Im Irrturm (d. Lelong, 1991).
lorigine, passionn conjointement par ces deux domaines et
constatant non sans quelque apprhension au dpart la pro-
lifration des changes entre les deux au XXe sicle, jai voulu
en quelque sorte canaliser ce trop-plein dinformations en pro-
posant quelques axes autour desquels pourraient sarticuler
les dmarches en question. Je navais nullement lintention
ni la prtention de dfinir des catgories figes, ce qui aurait
t contraire ce quil y a dambigu, voire de paradoxal en
elles, mais juste desquisser des points de repre relativement
fluides et susceptibles de sentrecroiser parfois. Plutt que des
catgories, ce sont donc de prfrence comme des ttes
de chapitre qui sont la base de ce parcours: quivalences
sensorielles et synesthsie, correspondances structurelles, le
rythme en tant que dnominateur commun aux diffrentes
disciplines artistiques, les connotations visuelles de la notation
musicale, les pratiques pluri artistiques.

10 | 11
Comment rendre compte, sans tre dmonstratif
ou didactique, de la relation entre ces deux
domaines que sont la musique et les arts visuels?
Les croisements entre les arts du temps et
de lespace nous plonge dans un dsir
dexpriences sensibles et sensorielles.
Lexposition le permettra-t-elle?

Dans les choix que jai oprs, il ne sagit nullement de dmon-


trer quoi que ce soit, mais davancer un certain nombre de
pistes susceptibles de titiller limaginaire du visiteur; dans de
nombreux cas de figure, le son ou la musique nest pas expli-
citement prsente, mais comme sous-entendue et il revient
celui qui regarde luvre de prolonger sa manire, intrieu-
rement, lcoute du peintre. Dans dautres uvres par contre,
le fait acoustique est bien l, concrtement pris en compte par
des artistes qui sinscrivent notamment dans le mouvement de
la sculpture sonore, de linstallation et de ce que lon appelle
plus gnralement l art sonore. De plus, loccasion de cette
exposition, nous avons tenu ce que les visiteurs aient la possi-
bilit de voir et dentendre toutes sortes denregistrements
et de films lis aux uvres.

Lexposition posera-t-elle les enjeux


et les perspectives dune cration nouvelle?

Voil une vise bien ambitieuse; bien videmment, si cette


exposition suscite quelque vocation ou projet nouveau, ce
sera une grande satisfaction. Ce qui me parat important, cest
quelle amne sinterroger sur les transformations quont
connues les disciplines artistiques en ce qui concerne leur iden-
tit, ne pas rester simplement passif vis--vis des uvres pr-
sentes et quelle incite se laisser prendre dans cet entrelacs
dexpriences, tant sensorielles que conceptuelles, que nous
avons tent de runir et confronter ici.

Le crateur contemporain qui se place Auteur, titre, Anne


au croisement des arts visuels et sonores
et qui nous propose alors une certaine relation
au monde, peut-il faire lconomie dune pense Des foisonnements de sons o le rythme
2
qui croise le potique, (la potique ) et le poli- et les mlodies qui rgentent la musique habituelle
tique? Peut-il changer le mondeou du moins seraient remplacs par une profusion de bruits
la perception que nous en avons? (Une certaine
inversion des paradigmes noffre-t-elle pas la
internes et indistincts se mlangeant
possibilit de crer un autre monde ou la musique et se contrariant.
serait regarde et les arts visuels couts). Jean Dubuffet
John Cage a dit un jour quelque chose comme Nessayez
pas de rendre le monde meilleur, vous risqueriez de le rendre
encore pire. Je ne crois pas que lartiste doive adopter une
attitude par trop volontariste dans des domaines qui dbordent
ses champs de comptence. Dailleurs, lhistoire rcente four-
mille dengagements qui, cet gard, se sont vite rvls nafs
ou illusoires, voire pernicieux. Par contre, la production artis-
tique moderne et contemporaine rengorge dindices qui consti-
tuent autant de dfis aux normes acadmiques et deviennent,
en consquence, infiniment riches denseignements qui vont
bien au-del de leur milieu culturel dorigine. Et, en boulever-
sant les codes tablis, les croisements des arts, dans la mesure
o ceux-ci se sollicitent mutuellement, favorisent justement des
hypothses de cration et de perception indites; condition
cependant de ne pas se retrancher derrire de fausses vi-
dences et des critres de valeur prdigrs.
12 | 13
Michel Foucault parlait dhtrotopie Que diriez-vous au visiteur potentiel pour
(des espaces autres) comme une localisation lui donner envie de dcouvrir cette exposition
physique de lutopie. Pouvons-nous considrer quil pourrait craindre trop savante?
que la cration de nouveaux espaces ns du
croisement des arts nous mne vers la reprsenta-
Tout simplement quil sabandonne au plaisir des uvres sou-
tion de cette ralit idale?
mises son attention, sans chercher tout prix les mettre en
quation. Nous avons rassembl toutes ces uvres en nous
Je trouve la rfrence ces deux mots, htrotopie et utopie, efforant dagir avec la plus grande rigueur, afin que lensemble
trs judicieuse, mais je me permettrai de ne pas envisager les apparaisse la fois riche et cohrent, mais nous ne demandons
choses exactement de cette faon. Il est vrai que beaucoup certainement pas aux visiteurs de refaire le trajet intellectuel qui
dartistes, qui en brassant plusieurs moyens dexpression ont a t le ntre, de mme quun promeneur, dans un parc, na pas
pratiqu une sorte dhtrotopie, avaient une conception ncessairement prendre en compte les plans du paysagiste
utopique de leur dmarche. Recherchaient-ils pour autant qui la conu, ni tre capable didentifier et de nommer toutes
une localisation physique de cette utopie? Ny aurait-il pas les plantes qui sy trouvent.
l quelque contradiction, puisque sorienter dans le sens de
lutopie, cest, selon ltymologie mme de ce terme, chercher
se situer dlibrment par-del toute localisation dtermine.
Je verrais donc plutt, dans de nombreux cas prsents dans
lexposition, des va-et-vient entre htrotopie et utopie, mme 1 tienne Souriau La correspondance des arts - lments
si, inatteignable par dfinition, ce second terme est essentielle- desthtiques compares, ditions Flammarion, 1969
ment une vue de lesprit. 2 La potique a pour objet ltude des potentialits inscrites
dans une situation donne qui dbouche sur une cration nouvelle

Il y a une dimension que nous navons pas voque


et qui pour autant se situe au croisement
de la musique et de limage, cest le cinma.
Du muet au parlant, il existe autant de rencontres
entre musique et cinma quil existe de films.
La nature de la relation est-elle comparable
avec celle qui sera prsente dans lexposition?
Avez-vous travaill avec des cinastes?

Les interactions du visuel et du sonore au cinma ou dans lart


vido ncessiteraient une exposition elles seules. On dcou-
vrira dans lexposition un certain nombre de documents films
relatifs aux artistes prsents, ainsi que des crations de leur
part qui relvent de ce que lon pourrait appeler le cinma
exprimental. Les relations ne sont nullement trangres
celles qui existent dans les arts plastiques et, dans tous les cas,
tournent autour de trois polarits principales assez distinctes:
la qute dun paralllisme, dun fusionnement, lexploration de
toutes sortes de dcalages, dintervalles, voire doppositions
entre les moyens dexpression et le parti pris dune indpen-
dance entre les deux.
Personnellement, en 1969, jai eu lopportunit dexprimenter
les rapports de la musique avec limage cinmatographique,
dans le sens du collage, en concevant la bande-son de Viva la
muerte dArrabal. Nous avions choisi ensemble un ensemble de
squences musicales des origines les plus diverses (musiques
traditionnelles, bruits, sons instrumentaux non rfrentiels) et
les avons tires au sort avant de les disposer en relation avec
les plans du film. Cest donc vers une autonomie entre image
et son que nous nous tions orients.

Ci-contre: Auteur, titre, Anne


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Lexposition | PARCOURS CHOISI |

SOPHIE DZIERZYNSKI, ASSISTANTE DE LEXPOSITION

E n 2004, le premier cyborg est reconnu par un gouvernement. Il sappelle Neil Harbison,
et son eyeborg lui permet dentendre les couleurs grce une camra implante dans
son crne, qui transforme le spectre lumineux en frquences sonores. Atteint dune
forme de daltonisme aussi extrme que rare, ce dispositif technologique devait en premier lieu
lui permettre de distinguer les couleurs. Le phnomne est all beaucoup plus loin. En plus den-
tendre les couleurs, il rendait capable dassocier instinctivement les musiques aux couleurs pour
devenir un vritable prolongement de ses sens. Neil Harbison, alors le seul tre au monde atteint
de sonochromatisme, met son humanit augmente au service de lart et peint des portraits
sonores.
Avance technologique et sociologique, dans cinq, dix ou vingt ans peut-tre serons-nous tous
greffs, et regarderons-nous travers notre eyeborg le passage au cyborgisme comme nous
regardons aujourdhui larrive du Walkman. Alors, dans la perspective dun futur peupl de
sonochromathes, une exposition comme Musique voir est-elle en voie dextinction? La rponse
serait oui, sil ne sagissait que dassocier couleurs et sons. Heureusement pour nous, les relations
entre la musique, les sons et les arts visuels sont bien plus varies et complexes que a, et cest
exactement ce que Musique voir nous raconte. Parfois synesthtes, parfois non, musiciens,
plasticiens, tous les artistes prsents ici se sont appropri de manire unique les deux disciplines
et cela va souvent au-del de la transcription colore dun son. Certains artistes retiennent de
la musique une logique structurelle transposer sur un autre mdium. Dautres lenvisagent
comme une force expressive. Le rythme est-il simplement une pulsation rpte, plus ou moins
rgulirement? Comment lcriture musicale influe-t-elle sur les musiciens et la musique elle-
mme? Avez-vous dj entendu la mlodie des mathmatiques? La musique urbaine de Berlin?
Des oiseaux jouer des solos de guitare? Pensez-vous que la musique nexiste pas sans le son?
Musique voir met mal la conception commune de la musique, du musicien et de lauditeur.

Ci-contre: Auteur, titre, Anne


De la synesthsie
la correspondance
structurelle

S i un arbre tombe dans une fort et que personne nest l


pour lentendre, est-ce quil fait du bruit? Si lon en croit la
dfinition du mot son, il nest quune sensation auditive engen-
Contrairement Jacques Hue, Auguste Herbin a une approche
mthodique de la musique et de sa transposition visuelle. Sa
recherche dun langage spirituel universel et commun tous les
dre par une onde acoustique. Autrement dit, le son nest que arts aboutit un dcryptage prcis des proprits structurelles
le symptme dun phnomne, le rsultat dune perception. de la musique, de la peinture et de la sculpture. Partant du
constat que la musique a son propre alphabet, il veut en faire
Wellenwanne, de Carsten Nicolai, prsente ce phnomne
de mme pour la peinture. Il tablit alors un code rigoureux,
travers un prisme perceptif diffrent de loreille, celui de leau.
liant les notes de musique aux formes, aux couleurs et aux
Leau remplace loreille, et on peut voir, sa surface, les ondes
lettres de lalphabet. Conscient des diffrences intrinsques
sonores se transcender en ondes aquatiques. Par cette instal-
entre les deux arts, il va chercher traduire les proprits
lation, nous sommes mme dapprhender le son par la vue
propres la musique avec les moyens que lui offre la peinture.
et de le regarder tel quil est. Cette dmonstration physique et
La musique est communment appele lart du temps et elle le
scientifique est produite par des appareils, tout comme lest la
compose au moyen de lorganisation des sons et des rythmes.
science de lacoustique. Il est une chose qui ne peut studier
La peinture, qui ne bnficie pas de cette temporalit, devra
selon des critres scientifiques et qui relve du domaine de
donc la faire ressentir de manire spirituelle, par lorganisation
lhumain: limpact motionnel de la musique. Les autres artistes
des formes et des couleurs dans lespace pictural. Ses uvres
de cette salle ont restitu leur propre perception du son,
R, si et Fa, sont laffirmation de ses recherches, et elles
de la mlodie ou de la musique, travers cette fois le prisme
combinent aussi bien son alphabet plastique que la musicalit
de leur ressenti.
des notes.
Jacques Hue a une approche tout fait sensorielle de la
musique. Ses uvres portent le nom des musiques auxquelles
elles correspondent, ou plutt avec lesquelles elles dialoguent.
Son travail nest pas structurel. En effet il ne soumet ses formes
et ses couleurs aucun code, et ne cherche pas non plus
traduire la structure de la musique, mais plutt son dyna-
misme, ses tensions, et surtout son impact motionnel. Il ne
faut pas non plus y voir une forme dexpressionnisme lyrique:
si la ncessit de simprgner et de se laisser envahir par la
musique est l, ses toiles demeurent construites. Comme il ne
senferme pas dans un code couleur, Jacques Hue ne limite pas
ses uvres un seul format. Pour un seul opus, il peut peindre
plusieurs toiles, de formats diffrents, chacune dtaillant un
aspect particulier de la musique ou refltant une perception
diffrente suite une nouvelle coute. On pourrait faire une
analogie entre sa peinture et les ondes sonores, dont nous
parlions plus haut. Une onde sonore seule nest pas la musique,
cest lorsquelle est accompagne dautres quelle devient une
mlodie. Il en est de mme pour la peinture de Jacques Hue,
faite dondes colores et de signes qui vibrent ensemble.
Ci-contre: Auteur, titre, Anne

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Rythme entre
temps & espace

P armis de nombreux termes musicaux ancrs dans les


expressions populaires, le rythme tient une bonne place.
Aller son rythme, avoir le rythme dans la peau Oserons-nous
Chez Yazid Oulab, le rythme revt un caractre plus brut et
mme plus violent. Avec frnsie, il martle une feuille de
papier de coups de crayon. Ce rythme effrn et incessant
dire que le rythme est au commencement de toute chose? Le noircit le papier, jusqu le dchirer, sans que cela ne larrte.
rythme est omniprsent dans nos vies. Selon certains psycha- Le geste rptitif de lartiste se mle un chant soufi tout aussi
nalystes, cest par le rythme que nous apprhendons pour rptitif. Ce rythme envahit lespace visuel, qui sassombrit de
la premire fois le monde, lorsque le seul sens dvelopp de plus en plus, comme il envahit lespace sonore par la scansion
lembryon est celui du toucher, et que nous distinguons notre du choc du crayon sur le papier. Les gestes hypnotiques de
corps de notre environnement par le rythme du contact et lartiste absorbent totalement le regardeur et certains y voient
du sans-contact. Puis, nest-ce pas le rythme des battements un rapport la transe. En tout cas, si nous natteignons pas cet
du cur de notre mre que nous entendions, alors dans son tat second, il est certain que cette uvre nous amne un
ventre? Notre corps est rythm, comme le sont nos relations tat autre. Yazid Oulab, en poussant le rythme gestuel, visuel
lAutre. Nous pouvons illustrer cela en imaginant un groupe de et sonore sa forme la plus extrme, dmontre quel point
personnes tapant des mains. Si la synchronisation est parfaite il occupe lespace physique comme mental et influe sur notre
et que tout le monde suit le mme rythme, alors se forme un perception.
groupe en symbiose. Par contre, si une ou plusieurs personnes
Fabienne Wyler est une musicienne. Dans ses uvres pictu-
ne suivent pas ce rythme, leur diffrence par rapport ce
rales, elle construit des structures visuelles en dclinant des
groupe se marque, et les rapports sont discordants.
modules gomtriques assez simples. Ces modules, elle les
Grard Schneider est le pionnier de labstraction lyrique. Il empile, les tord, les retourne pour les dynamiser. Ses figures
cherche dabord sexprimer, et susciter les mmes motions donnent le sentiment dun quilibre en tension, presque en
que celles que lon ressent en coutant de la musique: un porte--faux, et de mouvements. En effet, les modules de
sentiment fort, mais sans reprsentation formelle ou prcise. base, comme le carr, qui paraissaient si simples et si stables,
Aprs tout, la musique se ressent plus quelle ne se comprend, semblent comme slancer dans lespace, se dployer linfini.
et, lorsquelle nous touche, on ne cherche pas sen faire Les principes quelle dveloppe sont similaires ceux que lon
une image mentale dfinie. Ses grands gestes traduisent son peut trouver en musique, avec la dclinaison de thmes et de
ressenti immdiat, et tant lui-mme pianiste, il compare rythmes, la symtrie, la diminution... Le rythme est aussi prsent
volontiers cette transmission instantane aux improvisations dans les couleurs franches que Fabienne Wyler utilise. Elle les
musicales. Dailleurs, il prolonge lanalogie musicale jusque dans manie pour donner du volume, et aucunes couleurs similaires
les titres de ses uvres. Noublions pas que nous sommes dans ne se juxtaposent. Chacune de ses uvres possde son propre
la salle Rythme entre temps et espace. Chez Schneider, ce sont rythme gnral, dans lequel sentrecroisent et sentrechoquent
les vibrations des couleurs vives qui confrent ce dynamisme une multitude de rythmes.
la toile, et la matrialit de sa touche rapide tmoigne de
sa spontanit et de la rapidit de son geste. Il canalise ses
propres motions pour les jeter avec urgence sur la toile,
considrant que le vrai sujet de la peinture se trouve en lui,
en non dans la nature. Le rythme ici est celui du peintre et
de ses motions.

Ci-contre: Auteur, titre, Anne

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Signes & notations

K andinsky, dans Du spirituel dans lart et dans la peinture


en particulier, affirme que la musique n'a pas besoin
d'emprunter ailleurs des formes extrieures pour son langage.
peuvent tre interprts ni a posteriori, ni par quelquun dautre
que les jouets mcaniques. Ils tmoignent dune musique qui
na t joue quune seule et unique fois, et dont les traces ne
S'il voque plutt la musique compose de sons prenregistrs, relvent que de la reproduction par enregistrement ou de la
une telle affirmation applique l'criture de la musique est- preuve.
elle lgitime? L'criture musicale s'est mancipe des portes,
Des artistes, comme Claude Melin, sinspirent de cette notation
des notes et des mesures classiques. En dcoule une nouvelle
pour en extraire lessence graphique. Claude Melin n'est ni
expressivit. Le compositeur, affranchi du cadre strict de la
compositeur, ni musicien, et il ne lit pas le solfge. Pourtant,
partition, peut exprimenter. Ensuite, le musicien gagne une
ses calligraphies peuvent tre caractrises comme musicales.
plus grande marge d'interprtation. Puis enfin, l'objet partition
Non seulement leur graphie sinspire la fois de lalphabet
cesse d'tre seulement le vhicule d'un contenu, pour devenir
arabe et des signes musicaux, mais on retrouve galement les
un objet part entire, dont le fond importe autant que la
rythmes, les accents et les sonorits dune mlodie. Les uvres
forme. Il ne s'adresse plus seulement un public matrisant le
de Claude Melin saffranchissent alors de la nomenclature des
solfge mais aussi un public non initi.
partitions et saffranchissent mme dinterprtation musicale.
Ces exprimentations rendent la musique plus poreuse, car les Lobjectif de ses calligraphies n'est pas tant davoir une applica-
lments extrieurs la musique, appartenant dautres disci- tion concrte et dtre mises en musique, mais de susciter une
plines ou la vie quotidienne, viennent interfrer avec les tradi- mlodie imaginaire en chacun de nous. Ainsi, lartiste dpasse
tionnelles portes. Cest le cas de luvre de Paul Panhuysen. mme la simple calligraphie, car ici il ne sagit pas dcriture
Il applique la logique et les proprits mathmatiques du carr pour lcriture, mais bien dune graphie potique et puissam-
magique une composition musicale et une composition sculp- ment vocatrice.
turale, nous pouvons en faire lexprience visuelle et auditive.
Depuis lAntiquit, les mathmatiques sont considres par les
philosophes la fois comme langage divin et voie daccs
celui-ci. Logiques, dmontrables et intelligibles, elles semblent
rgir le monde par la symtrie (prsente dans le carr magique)
et les nombres parfaits ou sacrs (dans le carr magique il
sagit de la somme des chiffres aligns lhorizontale, la verti- Cabinet darts graphiques: Impressions
cale et en diagonale). Appliquant cette logique la musique
et lart visuel, Paul Panhuysen nous offre pourtant une exp- Pour creuser la question de la transcription visuelle,
rience loin dtre rationnelle ou dmontrable, mais motionnelle, une slection de partitions graphiques est prsente dans
que ne peuvent exprimer les mathmatiques. les vitrines du cabinet darts graphiques au 2e tage du muse.
Des compositions originales, qui peuvent toutes tre joues
Milan Grygar djoue lordre de la conception musicale. Dans ses
instrumentalement, pour peu que les interprtes puissent
Dessins acoustiques, la musique et lcriture sont simultanes.
les lire!
Ces empreintes noires que nous voyons sont les marques du
passage doiseaux mcaniques couverts dencre qui picorent
bruyamment la feuille. Lcriture musicale est alors la trace
dun mouvement, celui du musicien mcanique, et ce nest pas
lcriture qui cre la musique, mais la musique qui cre lcri-
ture. Contrairement aux partitions, les Dessins acoustiques ne
Ci-contre: Auteur, titre, Anne

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Interaction

L es salles ddies aux interactions mettent en avant les


artistes dont les crations sont hybrides, cheval entre
plusieurs disciplines artistiques, qui interagissent entre elles.
Peter Vogel nous intgre galement dans la musique de ses
sculptures, inactives jusqu notre interaction physique avec
elles. Lartiste les dcrit comme des partitions matrialises
Elles jouent aussi sur notre propre interaction avec la musique. incompltes, dont nous serions la partie manquante. On pour-
La musique se dfinit-elle toujours par le son? Na-t-elle pas rait aussi y voir un orchestre silencieux, attendant le signal,
dautres proprits? Ici, lappellation lart du temps, quon le mouvement de la main du maestro. Cest une mtaphore
lui prte souvent, est mise mal, tout comme lest le dualisme complexe quil nous rvle, celle de laspect relationnel indis-
simpliste musicien / audience. Il ny aurait donc pas seulement pensable de la musique: la partition a besoin dun interprte,
ceux qui jouent face ceux qui coutent? Si lon en revient linstrument dun musicien, lorchestre dun chef, car sans eux
notre arbre qui tombe dans la fort, la musique a besoin dtre ils restent incroyablement muets. Il y a quelque chose de
entendue pour exister. Mais que devient cet auditeur lorsque rassurant dans ces uvres. Elles sont composes dlments
cette musique se libre du son? Le visiteur est amen devenir technologiques avancs, qui font passer les instruments tradi-
une partie intgrante de luvre musicale, et plus seulement tionnels pour des vestiges dune simplicit dsute. Pourtant,
en tant quauditeur passif. mme les cellules photo-lectriques et les moteurs ont besoin
de lintervention humaine pour fonctionner. Lanalogie avec
George Brecht estime que la musique ne relve pas seulement
lvolution des techniques et styles musicaux est frappante:
de la mlodie, et peut mme se passer dinstruments. Avant
mme la musique lectronique, dcrie et dvalorise,
tout, la musique est une orchestration dvnements, ou
a besoin de lHomme.
devents, comme il les appelle. Water Yam est la compilation
de ses scripts - partitions qui dcrivent de manire plus ou La Symphonie Monoton Silence dYves Klein enchane 40
moins explicite les actions accomplir pour effectuer levent, minutes de musique et 40 minutes de silence. Cette cration
par exemple ouvrir une fentre alors que le tlphone sonne. Si reflte parfaitement ses recherches picturales abouties dans
cette uvre est minemment Fluxus, on peut y lire linfluence les fameux Monochrome bleu. Compos dun son unique, sans
de John Cage dans la place laisse au hasard et celle de Marcel aucun accent, cette composition dnude la musique de tous ses
Duchamp dans lutilisation des sons environnants comme des artifices pour atteindre son abstraction totale. La symphonie
Ready-Made. Les events de Water Yam possdent les mmes est rduite son essence, et sa constance sonore sempare de
caractristiques que la musique: temporalit et spatialit (rel- nous, envotante et vertigineuse. Comme ses toiles, elle na ni
lement exploite pour la premire fois par le compositeur dbut, ni fin, puisque Klein les a coupes. Sa longue dure est
Karlheinz Stockhausen). Nous sommes la fois chef dorchestre calcule afin que nous perdions toute notion de temporalit,
car cest nous dinterprter la partition, musicien car nous nous sommes face ce que Nomie Joly appelle un prsent
excutons ces presque consignes, et mme spectateur lorsquil tir, dilat. Puis, comme le calme aprs la tempte, le silence,
sagit dobserver son environnement. si rare et discret dhabitude, fait son irruption envahissante. Il
prend alors une dimension indite, il est palpable. Les musiciens
ne doivent pas bouger dun pouce. On pourrait tre tent de
comparer cette uvre avec le fameux 433 de silence de John
Cage. Mais contrairement aux ides reues, chaque silence est
diffrent. Quand Cage compose une pice toute faite de silence
et pendant une dure dtermine, Yves Klein compose le silence
daprs le son, en lextrayant du temps. Le silence de Cage est
relatif et tourn vers lextrieur, tandis que celui de Klein est
absolu et intrieur...
Ci-contre: Auteur, titre, Anne

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Il faut voir la peinture abstraite comme on coute la musique, sentir lintriorit motionnelle de luvre
sans lui chercher une identification avec une reprsentation figurative quelconque. Ce qui est important,
ce nest donc pas de voir labstrait, cest de le sentir. Si une musique me touche, mmeut, alors jai compris
quelque chose, jai reu quelque chose... Dans ce que je considre comme une volution naturelle,
jai surtout apprci la thorie surraliste de la libration du subconscient. Labstrait cest la libration
de tout conditionnement extrieur, cest laboutissement dun processus de cration individuelle,
de dveloppement personnel dont les formes nappartiennent qu moi-mme.
Grard Schneider

L e travail de Stphane Blanquet est protiforme. Il aborde


avec la mme simplicit apparente le dessin, le film
danimation, le roman graphique, le thtre, la tapisserie... Les
Dplacements de Bernard Pourrire est une vido-
performance faite dattentes. Lespace autour de lui, le plus
neutre possible, semble vide. Il est apparemment seul, dplace
sculptures sonores que nous prsentons sont extraites de son son instrument, et des nues dapplaudissements se font
installation Gourdon Pressage - Sillon Tympan du Studio 13/16 entendre jusqu ce quil sassoie. Mais il va frustrer les attentes
du Centre Georges Pompidou pour laquelle il a voulu une du public de cette entre dartiste sur scne, car, une fois
ouverture totale: un laboratoire des sens cr ant des liens entre les applaudissements tus, il se relve aussitt, pour rpter
art contemporain, disques vinyles, flyers, et sons de tous types; lopration. Le public est double: il est la fois matrialis par
une plonge dans des univers graphiques et sonores sauvages: la bande-son, et par langle de la camra, frontal et subjectif.
expriences auditives, recherches musicales, recherches Bernard Pourrire incarne ici la fois le musicien et lartiste.
dimages, images collages; une extension des champs des Le faux public de la salle de concert, et nous, public visiteur de
possibles.. Actionnez-les et elles prendront vie, leur bric lexposition, sommes tous dans lattente: lattente que le musi-
et broc sanimant sur fond de ramdam. cien commence jouer, lattente que lartiste passe laction.
Cest lespace scnique qui est au centre de cette vido-perfor-
Le film Les Oiseaux de Cleste dAriane Michel, capte les
mance. Certes, le public que lon entend est factice, et participe
moments de linstallation From here to ear de Cleste Boursier-
une mise en scne. Cependant, nen est-il pas de mme lors
Mougenot, o les spectateurs sont invits dambuler dans
dun concert? La salle de concert, la scne, la salle dexposition
une pice au milieu de guitares, basses lectriques amplifies
ne sont-elles pas des lieux ritualiss, avec des comportements
et de dizaines doiseaux mandarins. Les oiseaux jouent leurs
et des attentes bien prcis?
propres compositions au gr de leurs envols et de leur piail-
lement. Parfois douces, parfois agressives, leurs mlodies
alatoires nont comme seule contrainte laccordage dcid
par lartiste. Les alles et venues des visiteurs influent sur la
musique, les oiseaux senvolent leur passage. Lartiste, malgr
les cours au conservatoire tant enfant, affirme lui-mme ne
pas tre assez bon pour tre musicien. Il considre les manda-
rins comme ses doigts volants, dpassant ses propres capacits
et celles de lHomme en gnral. Guitares-perchoirs et tuis-
abreuvoirs, Cleste dtourne les objets des musiciens et mme
la notion de concert.

Ci-contre: Auteur, titre, Anne


La cration sonore
contemporaine:
une double perspective
CARTE BLANCHE PASCALE CASSAGNAU

P ascale Cassagnau est docteur en histoire de lart


et critique dart, Inspectrice gnrale de la cra-
tion, responsable des collections audiovisuelles
et nouveaux mdias au Centre national des arts plastiques
(ministre de la Culture). Elle collabore Art Press depuis de
nombreuses annes. Ses recherches portent sur les nouvelles
pratiques cinmatographiques, dans leur dialogue crois
avec la cration contemporaine. Son essai Future Amnesia -
Enqutes sur un troisime cinma (d. Isthme) cartographie
ces nouvelles formes filmiques, entre fiction et documentaire.
Un pays supplmentaire (d. cole nationale des beaux- arts
de Paris) porte sur la place de la cration contemporaine dans
larchitecture des mdias. Intempestif, Indpendant, Fragile
Marguerite Duras et le Cinma dart contemporain, est paru
aux Presses du rel en 2012. Elle est aussi lauteur dun essai qui
cartographie le territoire de la cration sonore contemporaine,
Une ide du Nord, Excursions dans la cration sonore contem-
poraine, d. Les Beaux-arts de Paris, 2015.
Lavnement du son dans le champ des arts plastiques est li
laventure des avant-gardes du XXe sicle. La rencontre du
son et des arts plastiques rsulte dune double perspective.
Dune part, la reconnaissance que le son, le sonore acquiert
une valeur esthtique, plastique, dans le champ de lart. Auteur, titre, Anne
Reconnaissance et lgitimit du son renouveles avec lappari-
tion de la vido, les nouveaux mdias et la proximit du cinma.
Lintrusion du son, des bruits, de la voix, dote les uvres de
des expositions de musiques exprimentales. En matire
la possibilit dinventer de nouvelles formes. Par ailleurs, dans
de cration et de recherche musicale, le XXe sicle a vu lmer-
le champ musical lui-mme, les recherches des avant - gardes
gence des musiques concrtes, lectroniques, lectro-acous-
et les transformations technologiques ont conduit, tout au
tiques, exprimentales, dont lun des points communs consiste
long du XXe sicle, le son sautonomiser quant la musique,
mener les recherches sur le support technologique lui-mme,
entrant ainsi dans le langage de la cration. John Cage, Pierre
sans la mdiation dun instrument ni dune partition.
Schaeffer, la suite de Russolo, Beuys et Fluxus, notamment,
ont conduit ces transformations. La mise en exergue du son Une traverse en 15 films sur la musique, dans les collections
accompagne linvention dun art de lcoute, dont relve la Images de la culture / CNC, projets au LAAC en cho avec
cration radiophonique, et qui implique la conception dinstal- Musique voir. Le choix des films ci-aprs sur la cration sonore
lations sonores, et de mdias audiovisuels, pour la spatialisation contemporaine vise proposer un panorama des moments
du son. Dans les annes soixante, Pierre Schaeffer organisait musicaux du XXe sicle les plus singuliers et les plus radicaux.

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9 Evenings: 9 Evenings: 9 Evenings: 9 Evenings:
Theatre & Engineering Theatre & Engineering Theatre & Engineering Theatre & Engineering
David Tudor, Lucinda Childs, yvind Fahlstrm,
Fruit de la collaboration Bandoneon! Vehicle Kisses Sweeter than Wine
dartistes et dingnieurs,
9 Evenings est une srie de 2009, 39', couleur, documentaire 2010, 38', couleur, documentaire 1996, 71', couleur, documentaire
performances donnes en Les 14 et 18 octobre, David Prsente les 16 et 23 Prsente les 21 et
octobre 1966 l'Arsenal du Tudor, qui fait partie avec octobre, Vehicle est une 22 octobre, Kisses Sweeter
69e Rgiment de New York. John Cage et Gordon Mumma performance musicale et than Wine est une perfor-
Organises par Billy Klver du pool de compositeurs de chorgraphique de Lucinda mance thtrale dyvind
et Robert Rauschenberg, la compagnie de danse de Childs mettant en scne trois Fahlstrm qui propose
les neuf soires qua dur Merce Cunningham, trans- danseurs, un systme de une critique aussi radicale
lvnement furent lorigine forme la vote de lArsenal du mobiles et de projecteurs, quextravagante de lidologie
de vritables dcouvertes 69e Rgiment de New York en un metteur ultrasons et du bonheur dfendue par la
technologiques et scniques. immense caisse de rsonance. une cabine sur coussin dair. socit amricaine. La tech-
La preuve que la science a Une exprience lectroacous- Rminiscence des machines nologie des ingnieurs de Bell
bien sa place dans la cration tique haletante et chaotique, lumineuses du Bauhaus, est ici mise au service dune
artistique contemporaine. conduite par les soufflets dun ce dispositif repose sur la machine de scne explosive
Ralisation: bandonon connect un cration du son par le dont lartiste est le Monsieur
Barbro Schultz Lundestam rseau damplificateurs. mouvement. Loyal.
Production:
EAT, B. Schultz Lundestam,
Billy Klver & Julie Martin
Participation: 9 Evenings: 9 Evenings: 9 Evenings:
Daniel Langlois Foundation Theatre & Engineering Theatre & Engineering Theatre & Engineering
for Art, Science and Techno- Deborah Hay, Robert Rauschenberg, Robert Whitman,
logy, Robert Rauschenberg Solo Open Score Two Holes of Water-3
Foundation, ministre de la
Culture et de la Communica- 2012, 41', couleur, documentaire 1997, 32', couleur, documentaire 2013, 38', couleur, documentaire
tion (CNAP).
Solo de Deborah Hay, repr- Open Score est une perfor- Two Holes of Water-3 de
sent les 13 et 23 octobre, mance thtrale de Robert Robert Whitman fut prsent
nest pas proprement parler Rauschenberg qui fut donne les 18 et 19 octobre. Dans
un solo mais une pice chor- les 14 et 23 octobre. Elle cette variation sur le drive-in,
9 Evenings:
graphique pour 16 danseurs, souvre sur un match de sept voitures venues se garer
Theatre & Engineering 8 plates-formes tlguides tennis entre un homme et sur le plateau projettent diff-
Alex Hay, et leurs oprateurs. Chaque une femme, dont le bruit des rentes squences tout autour
Grass Field danseur semble toutefois balles heurtant les raquettes de la scne: documentaires
suivre une dambulation est amplifi. Peu peu le animaliers, programmes de
2008, 38', couleur, documentaire
solitaire qui ne rencontre couple plonge dans lobscu- tlvision, films raliss par
Grass Field fut prsente les qupisodiquement celle rit, laissant apparatre une lartiste ou tourns en direct
13 et 22 octobre. Cette perfor- des autres, quand il nest pas foule fantomatique projete depuis le balcon de la salle.
mance dAlex Hay relve isol sur une plate-forme. sur trois crans suspendus
la fois du dispositif scno- au-dessus du public.
graphique et de lexprience
scientifique. Couvert dlec-
trodes qui amplifient les sons
les plus intimes de son corps,
assis devant un grand cran
sur lequel apparat son visage,
lartiste repousse les limites
perceptibles de lindividu.
9 Evenings:
Theatre & Engineering
Steve Paxton,
Physical Things
2013, 29', couleur, documentaire
Les 13 et 19 octobre, Steve
Paxton investit la grande
salle de lArsenal du 69e
Rgiment de New York avec
une gigantesque structure
gonflable en polythylne: un
ensemble compos de longs
tunnels, dune salle et dune
tour, travers lesquels les
spectateurs sont invits se
dplacer. quip dune petite
radio de poche, chacun peut
saisir les ondes dune bande
sonore compose par Robert
Ashley.
Auteur, titre, Anne

9 Evenings:
Theatre & Engineering
Yvonne Rainer,
Carriage Discreteness
2008, 38', couleur, documentaire
Prsente les 15 et 21 octobre,
Carriage Discreteness est
une performance chorgra-
phique dYvonne Rainer, qui
juxtapose diffrents lments
livrs linterprtation du
public: le dplacement
dobjets et de personnes
au niveau du plateau, la gravi-
tation de mobiles dans les
hauteurs, une conversation
propos dun film et des
projections sur cran.

Auteur, titre, Anne

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Charlemagne Palestine, Eliane Radigue, Gense d'une uvre Tony Conrad:
the Golden Sound l'coute virtuose Quatuor IV DreaMinimalist
2011, 70', couleur, documentaire 2011, 65', couleur, documentaire
Pascal Dusapin, 2008, 27', couleur, documentaire
Ralisation: Anne Maregiano Ralisation: Anas Prosac discours sur la musique Ralisation et production: Marie Losier
Production: Atopic, Petite Pousse Production, Production: La Huit, Vosges Tlvision Images Plus 1998, 55', couleur, documentaire Participation: New York State Council of the Arts,
Normandie TV Participation: CNC, Sacem, Procirep, Angoa Conception: Georges Zeisel Experimental Television Center for Finishing
Participation: CNC, Sacem, Procirep, Angoa Ralisation: Michel Follin Funds, FIAF
Compagnon de route des
Dans les annes 1970, Nouveaux Ralistes, collabo- Production: Point du Jour Production, ProQuartet Tony Conrad par lui-mme.
Charlemagne Palestine, ratrice de Pierre Schaeffer et Production, MCM classique jazz-Muzzik. Devant la camra de Marie
carillonneur de lglise Saint- de Pierre Henry, la composi- Participation: CNC, ministre de la Culture et de Losier, le violoniste amricain,
Thomas sur la 5e Avenue trice Eliane Radigue sinitie la Communication (DMD), ministre des Affaires membre fondateur, avec La
New York, frquente lavant- la musique lectroacoustique trangres, Procirep, Sacem Monte Young et John Cale, du
garde artistique et dveloppe dans les annes 1950 pour se Pour le festival de musique Dream Syndicate, compagnon
sa propre expression musi- tourner ensuite vers le synth- de chambre Proquartet, le de route du minimalisme,
cale: le strumming. Chez tiseur. Aprs des annes compositeur Pascal Dusapin complice de Charlemagne
lui, entour de ses instru- dexprimentation solitaire, a travaill durant quatre jours Palestine, expose deux
ments (et de ses peluches), elle dlaisse aujourdhui les l'interprtation de sa dernire autres facettes de son talent:
images d'archives l'appui, machines pour exercer son art pice avec le quatuor Prazak. celles du performeur et du
portrait de cette personna- de la modulation avec divers En donnant aux musiciens cinaste exprimental. Dans
lit excentrique, chercheur instrumentistes. des indications sur chaque une suite de mises en scne
dor sonore, performeur et mesure, Dusapin tente de truculentes, il rejoue lhistoire
vidaste, devenu l'une des communiquer le sens profond de sa vie.
figures de l'underground de sa musique. Devant la
new-yorkais. John Cage, camra de Michel Follin, entre
I have nothing to say doutes et certitudes, il livre
and I am saying it ses rflexions sur la cration.
(Je n'ai rien dire
Confrence sur rien
et je le dis)
2002, 52', couleur, documentaire
1990, 54', couleur, documentaire
Ralisation et production: Jean-Jacques Palix
Conception: Vivian Perlis
En 1949, John Cage donne Ralisation: Allan Miller
une confrence lArtists Production: Music Project for Television Inc.,
Club de New York. Son texte, American Masters, WNET-New York, Lola Films
Lecture on nothing, adopte
John Cage (1912-1992) est
la structure de ses rcentes
l'un des hommes qui ont le
compositions musicales.
plus contribu remodeler
Cest la fois un manifeste
la pense esthtique de ce
artistique et une exprience
sicle. Plusieurs artistes,
dcoute proche de lhypnose.
crivains et critiques en
De la traduction et de linter-
tmoignent dans ce film
prtation dve Couturier,
consacr la vie et l'uvre
Jean-Jacques Palix a tir un
du compositeur. Des
film qui donne entendre ce
entretiens et des extraits
message toujours vibrant.
de concerts compltent
ce portrait d'un musicien,
philosophe, peintre, crivain,
qui n'a jamais cess d'tre au
cur de l'avant-garde.
Le son entre
COMMISSAIRES: KEREN DETTON & PASCALE CASSAGNAU
Exposition partir des uvres du Centre national
des arts plastiques et du Frac Nord-Pas de Calais,
au Frac Nord-Pas de Calais du 29 avril
au 31 dcembre 2017.

P ourquoi les artistes contemporains sintressent-ils au


son? Quelles rsonances multiples le son exerce-t-il
dans les uvres? Dterminant des environnements
exprimenter, quest-ce que le son produit comme situation
de confrences publiques. Dans une priode marque par les
soulvements contestataires, John Cage se dfiait dun enga-
gement en raction et pensait quil fallait exprimenter des
alternatives en partant du quotidien et en ouvrant sa pratique
sensible et comment cela affecte-t-il le visiteur? En prsen- linattendu.
tant des uvres lies lhistoire de la musique, lusage des
sa suite, de nombreux artistes ont questionn les liens entre
voix et de la parole, lexposition Le son entre mne lenqute
la musique et le collectif, en provoquant des associations
sur la manire dont le son nous relie une histoire commune
inoues de sens, dhistoires et de personnes. Orchestrant la
et partage, et agit sur nos corps et nos penses. Les uvres
rencontre impromptue entre deux mondes musicaux, celle dun
choisies adoptent des rythmes et des formes varies. Elles
Brass band et lAcid jazz dans sa vido Performance Faireys
nont pas besoin de studio de rptition, le son entre toujours
Band, Jeremy Deller en a librement dessin la cartographie
par effraction.
dans son schma History of the World, qui associe les rvoltes
Artistes: Sadane Afif, Dominique Blais & Kerwin Rolland, des mineurs et la musique industrielle. Travaillant avec des
George Brecht, Rodolphe Burger, John Cage, Philippe Cazal, musiciens amateurs, lartiste portugaise ngela Ferreira, photo-
Boris Charmatz, Claude Closky, Franois Curlet & Michel graphie les instruments et partitions dune harmonie municipale
Franois, Jeremy Deller, ngela Ferreira, Jean-Baptiste Ganne, du bassin minier du Nord. Cette archive est photographie dans
Joseph Grigely, Pierre Huyghe, Martin Le Chevallier, Rainier sa mise lcart tandis que les partitions sont rejoues par les
Lericolais, Jean-Charles Massera et Pascal Sangla, Ramuntcho habitants de Douchy-les-Mines. Plus intime mais galement
Matta, Jonas Mekas, Laurent Montaron, Melik Ohanian, Dennis lie au pass industriel de son pays, linstallation Tune Towers
Oppenheim, Anne de Sterk, Fred Wiseman de lamricain Denis Oppenheim reprend la forme des puits
de mines, au-dessus desquelles il a install de petites botes
Dans cette exposition, le Centre national des arts plastiques
musique. Les mlodies nostalgiques senclenchent simultan-
et le Fonds rgional dart contemporain Nord-Pas de Calais
ment, voquant pour lartiste les mcanismes de la pense.
mettent en avant des uvres de leurs collections qui, depuis
Pour dautres artistes, le son est linstrument qui permet dai-
les annes 1960, utilisent la dimension sonore pour explorer
guiser son regard. George Brecht, qui fut le disciple de John
lhistoire culturelle et ses rythmes. En 1968, John Cage publie
Cage la fin des annes 1950 et protagoniste du mouvement
un petit livret intitul Diary: How to improve the world (you
Fluxus, ralise Ten Event Glasses, des rectangles de verre sur
will only make matters worse) [Journal: comment amliorer le
lesquels est grav le mot Event. Les tailles des verres et
monde (vous ne pourrez quempirer les choses)]. Celui qui, au
la disposition dans lespace des dix pupitres qui les supportent
XXe sicle, rvolutionna lapproche musicale par lintroduction
ont t tirs au sort pour cadrer le paysage de manire ala-
de mthodes alatoires sapant lautorit du compositeur, appli-
toire. Ces partitions muettes sollicitent le regardeur pour
quait galement cette technique ses crits. Du commentaire
exprimenter le moment prsent.
social la confidence intime, lordre des phrases, les couleurs
et les typographies, taient jets au hasard puis rejous lors

Ci-contre: Auteur, titre, Anne

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Cette temporalit vcue nous ramne au corps et la percep- radio des vents solaires correspondant au phnomne des
tion du temps qui passe. Comment le son et singulirement aurores borales. Cette matire sonore agit acoustiquement
la voix altrent-ils nos reprsentations de lautre et de nous- tant sur lespace que dans le corps mme des visiteurs.
mmes? Franois Curlet et Michel Franois rpondent avec
La dimension sonore est celle qui permet denvisager
humour par lexagration des formes et le dtournement dob-
nouveaux frais lespace entre les uvres. Loin du fantasme
jets dans Les Loquaces. Autre dtournement, Doro Bibloc de
de luvre dart autonome, les uvres de lexposition Le son
Martin Le Chevallier est un tlphone mural reli un serveur
entre saffirment comme des zones de contact poreuses aux
vocal qui tente de nous rconcilier avec notre condition de
interfrences tant physiques que mentales. En parallle des
consommateurs. Parce que le son possde un caractre din-
pices qui se dploient dans lespace, une slection duvres
dice ou de trace qui lui permet de convoquer simultanment
radiophoniques est propose pour une coute au casque.
le pass et le prsent, lenregistrement rend lcho du lointain
Certaines ont t produites pour les Ateliers de cration radio-
mais il affecte aussi les corps. Dans la vido Blanche-Neige de
phonique diffuss sur France Culture partir de 1969, dautres
Pierre Huyghe, cest le sentiment dalination de la chanteuse
sont des objets sonores ou narratifs dmatrialiss. Parmi eux,
Lucie Dolne qui sexprime travers son tmoignage. Cette
Le son des Dunes de Rainier Lericolais a t produit en 2013
interprte raconte son combat pour recouvrer ses droits sur
loccasion de la construction du btiment du Frac Nord-Pas
sa voix auprs de Disney. Entre un moi intime et un moi social,
de Calais. Cette exprience sonore, qui scoute chemin faisant
Somniloquie de Laurent Montaron enregistre des dormeurs en
dans le quartier du Grand Large, nous plonge dans lhistoire
train de murmurer du fond de leur inconscient. Linstallation
fragmente et recompose de Dunkerque, entre le FRAC
compose dune photographie et dun dispositif de diffusion
et le LAAC.
audio opre une triple capture: celles de deux personnages
alanguis, de lenregistrement sonore, et du visiteur invit
mettre en marche le disque dubplate programm pour
seffacer au fil des coutes.
Croisant diffrentes histoires, les uvres choisies dans lexposi-
tion Le son entre examinent galement la place de la musique,
de la voix et de la parole dans nos environnements quotidiens.
Joseph Grigely, devenu sourd lge de onze ans, reproduit
un coin de cuisine parsem des bouts de papiers qui lui ont
permis de communiquer avec autrui. Kitchen Conversation
est une nature morte qui sappuie autant sur des objets que
sur les paroles changes pour rappeler le temps qui passe.
Rvaluant limportance de nos environnements sonores, les
artistes rclament notre attention. Dans un geste de partage,
Sadane Afif utilise des enregistrements de bruits de fond,
auxquels il donne le premier rle dans un montage alatoire.
De son ct, Jean-Baptiste Ganne enferme une chanson popu-
laire, Esperanza, dans un bloc dacier qui fonctionne lnergie
solaire. Soulignant la dpendance du son son environnement
atmosphrique, il suscite par son choix musical lempathie de
lauditeur. Le son a cette facult pntrante qui agit physique-
ment sur nos corps et nos motions. Dominique Blais et Kerwin
Rolland sont intervenus lchelle du btiment du Frac; leur
uvre est compose partir denregistrements des frquences

Ci-contre: Auteur, titre, Anne


Remerciement s Lgendes &
Crdit s
Lexposition Musique voir et cette Bernard Pourrire
publication nauraient pu voir le jour Ccile le Talec
Couverture: legende
sans lengagement et lenthousiasme Charlotte Von Poehl
gnreux de Jean-Yves Bosseur, qui Daniel Humair P5: lgende
nous a enrichis de son exprience et Didier Vallens et lassociation des
P6: lgende
de son rudition. Elles nauraient pu ayants droit du peintre Henry Valensi
tre produites sans la confiance et la Dominique Thiolat P7: lgende
gnrosit des institutions publiques Jacques Hue P11: lgende
et prives, des artistes, de leurs Jacques Pourcher
hritiers ou leur fondation qui nous Jean-Yves Bosseur P12: lgende
ont facilit laccs aux uvres ou Laura Nillni P14: lgende
accord des prts exceptionnels: Louis Roquin
P17: lgende
Martine Ayme
49 NORD 6 EST Frac Lorraine
Martine Joste P19: lgende
Le Centre national des arts
Patrick Singelin
plastiques, Paris P21: lgende
Peter Vogel
Le Frac Champagne-Ardenne
Pierre Bastien P23: lgende
Le Frac Franche-Comt
Rotraut Klein-Moquay
Le Frac Picardie / Des mondes P24: lgende
Stphane Blanquet et les collection-
dessins
neurs privs qui ont souhait garder P26: lgende
Le MAC de Lyon
lanonymat. P28 (haut): lgende
Le Muse dpartemental Matisse,
le Cateau-Cambrsis Nous exprimons toute notre P28 (bas): lgende
Le Muse des Beaux-Arts de Calais reconnaissance au Conservatoire
Le Muse du dessin et de lestampe de Musique et dArt Dramatique, P31: lgende
originale, Gravelines Dunkerque pour leur engagement P32: lgende
Muse dart moderne de la ville nos cts dans ce projet.
P35: lgende
de Paris
Nous remercions Patrice Vergriete,
Museum Tinguely, Ble Lars Norgaard
maire de Dunkerque et Michel
Het Apollohuis Tomasek, adjoint dlgu la Charlotte von Poehl
La Cinmathque suisse, centre de Culture et au Patrimoine pour leur Harlequins,photo Marc Domage En
recherche et darchivage, Lausanne confiance ainsi que lensemble des srie, 2016
La Fondation Dubuffet services de la Ville qui ont fait en
Peter Vogel,RetardieteTonfolgen
La Fondation Vasarely sorte que cette exposition soit
(sons retards),2011,1 cellule photo-
La galerie Diane de Polignac rendue possible.
lectrique et 1 haut parleur,hauteur
La galerie Lahumire
Cette exposition a galement 92 cm
La galerie Lara Vincy
bnfici du soutien financier du
La galerie Le Minotaure Courtesy galerie Lara Vincy, Paris.
ministre de la Culture et de la
Pascal Broccolichi et le CIRVA Photo: DR
Communication / direction rgionale
de Marseille
des affaires culturelles, de la commu- Sound Wave input on Two TV Sets
naut urbaine de Dunkerque et du (vertical and horizontal), Nam June
Casino Groupe Tranchant. Paik, 1963/1995 Estate of Nam
June Paik
Enfin, nos remerciements vont
galement toute lquipe des Espace rsonn, Pascal Broccolichi -
muses qui sinvestit quotidien- 2013 - Centre dart contemporain La
nement pour mettre en uvre les Marchalerie - Coproduction CIRVA,
projets et faire vivre le LAAC. Marseille Aurelien Mole ADAGP,
Paris, 2017
Un merci particulier Sophie
Dzierzynski, assistante dexposition Mecanium gong, Pierre Bastien
pour la qualit de son travail et son P. 33: Yves Klein ralisant une
engagement. Anthropomtrie. 14, rue Campagne-
Premire, Paris, 1960. Action
artistique dYves Klein Yves Klein,
ADAGP, Paris, 2016. Photo: Harry
Shunk and Janos Kender
J.Paul Getty Trust. The Getty
Research Institute, Los Angeles.
(2014.R.20
Ci-contre: Auteur, titre, Anne

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PIERRE ALECHINSKY - KAREL APPEL - ALBERT AYME - PIERRE
BASTIEN - TIENNE BETHY - JEAN BERTHIER - STPHANE
BLANQUET - CHARLES BLANC-GATTI - ANDR BOUCOURECHLIEV
PIERRE BOULEZ - CLESTE BOURSIER-MOUGENOT - PASCAL
BROCCOLICHI - GEORGE BRECHT - PIERRE BURAGLIO- SYLVANO
B U SS OT T I - J O H N C AG E - JACQ U E S C A LO N N E - S E R G E
CHARCHOUNE - VONNICK CAROFF - BRIGITTE CORBISIER
OLIVIER DEBR - FLIX DEL MARLE - JEAN DUBUFFET - MORTON
FELDMAN- MILAN GRYGAR - KURTG GYRGY - ROMAN
HAUBENSTOCK-RAMATI - AUGUSTE HERBIN - JACQUES HUE
DANIEL HUMAIR- TOM JOHNSON - MAURICIO KAGEL - JIRI KOLAR
FRANTISEK KUPKA- YVES KLEIN - JEAN LEGROS - THIERRY
LE SAEC - CLAUDE LAGOUTTE - CCILE LE TALEC - CHARLES
MARTIN- CLAUDE MELIN - CARSTEN NICOLAI - LAURA & RICARDO
NILLNI- LADISLAV NOVAK - YAZID OULAB - NAME JUNE PAIK
PAUL PANHUYSEN - KRZYSZTOF PENDERECKI - GIUSEPPE PENONE
TOM PHILLIPS- GASTON PLANET - JROME PORET- JACQUES
POURCHER- BERNARD POURRIRE - HENRI POUSSEUR- JUDIT
REIGL- LOUIS ROQUIN - ERIK SATIE - GRARD SCHNEIDER
KARLHEINZ STOCKHAUSEN - FREDERICK SOMMER - TORU
TAKEMITSU - DOMINIQUE THIOLAT - JEAN TINGUELY - HENRY
VALENSI - VICTOR VASARELY - BERNAR VENET - AUGUST VON
BRIESEN - CHARLOTTE VON POEHL - PETER VOGEL - WOLF VOSTELL
CHRISTIAN WOLFF - FABIENNE WYLER - IVAN WYSCHNEGRADSKY

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