Demain Le Libéralisme PDF
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Collection Pluriel
dirige par Georges Libert
HENRI LEPAGE
Demain
le libralisme
LE LIVRE DE POCHE
Sommaire
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Introduction
PREMlllRE PARTIE
LA NOUVELLE ECONOMIE :
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DEUXIllME PARTIE
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TROISIm PARTIE
POURQUOI
LE
PROFIT?
Sommaire
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CONCLUSION
ANNEXES
1.
2.
3.
4.
5.
6.
7.
8.
9.
10.
11.
INTRODUCTION
Prr.s~~ir le livre-enqute de Franois Fejto : La Social-Dmocratie quand mIme, Editions Robert Laffont, collection
Liberts 2000 .
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Introduction
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Les analyses du Public Choice (c'est--dire l'application de la dmarche conomique l'tude des processus
de choix politique) est incontestablement ce qui a le plus
marqu les lecteurs de Demain le capitalisme. Cependant,
ces analyses taient restes superficielles. D'o une
certaine incrdulit du public qui, tout en tant vivement
intress par les perspectives nouvelles ouvertes par ces
travaux, a du mal imaginer comment l'outil conomique
permet vraiment d'apprhender les phnomnes politiques.
Dans la troisime partie de cet ouvrage, intitule Les
Rouages de la socialisation , j'essaie de montrer comment
le raisonnement conomique en termes d'action dialectique des groupes de pression permet de mieux comprendre
les vritables mcanismes qui font que nous vivons dans
une socit o l'Etat ne peut que croUre, indpendamment
mme des prfrences relles des citoyens.
Ces chapitre recoupent le contenu de certains passages de Demain le capitalisme. Mais l'approche est
toute autre. Il s'agit ici de dmontrer de faon plus
prcise comment le raisonnement conomique permet de
modliser le comportement des diffrents agents intervenant aux niveaux successifs des processus de dcision
politique. Dmarche qui, mon avis, dbouche sur un
systme de reprsentation de la ralit du jeu politique
bien des gards plus concret et plus oprationnel que les
schmas implicites hrits de la pense politique traditionnelle. Simultanment, ma proccupation a t de
montrer qu'il s'agit d'un modle de reprsentation dont ta
valeur est beaucoup plus universelle qu'on le croit, mme
si la ralit de la vie politique n'est pas vcue de la mme
faon des deux cts de l'Atlantique; ceci pour rpondre
tous ceux qui, quoique intresss, n'en concluent pas
moins de faon restrictive qu'il s'agit de schmas plus
valables pour le monde anglo-saxon que pour l'univers
franais et latin.
L encore, il s'agit d'un travail relativement original
dans le contexte franais. D'abord, parce que, ma
connaissance, il n'existe pas encore de synthse franaise
dmontant les mcanismes de la production publique
partir d'une analyse mene en termes de jeu des groupes
de pression. Ensuite, parce qu'on trouvera dans cette
partie un essai d'application avec la recherche d'une explication positive de la croissance des transferts sociaux.
Introduction
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Introduction
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PREMIP.RE PARTIE
LA NOUVELLE ECONOMIE
OU
LE RETOUR
A L'ECONOMIE POLITIQUE
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L'conomique gnraUse
La premire caractristique de la nouvelle conomie est constitue par ce qu'il est convenu d'appeler
l'conomique gnralise. Les conomistes no-classiques appartenant ce courant scientifique ne se
contentent plus en effet d'tudier le fonctionnement
de l'conomie nationale, de la croissance, des changes internationaux, l'emploi, les prix ... d'une manire
gnrale comment se fait la production et la rpartition des richesses matrielles; ils se livrent galement des incursions croissantes dans des domaines
qui, jusqu' prsent, n'taient apparemment pas de
leur ressort, et o les outils de l'analyse et de la
recherche conomique entrent en concurrence avec
ceux des chercheurs des autres sciences sociales et
humaines.
Cette gnralisation est fonde sur l'ide que, si
comme l'affirme la thorie conomique, les agents
conomiques ont un comportement relativement
rationnel et poursuivent en rgle gnrale leur plus
grande prfrence lorsqu'il s'agit pour eux de produire, d'investir, de consommer, il n'y a pas de raison de penser qu'il en aille diffremment dans leurs
autres activits sociales : par exemple lorsqu'il s'agit
d'lire un dput, de choisir une formation professionnelle, puis un mtier, de prendre un conjoint, de
faire des enfants, de prvoir leur ducation ... Le
paradigme de l'Homo oeconomicus est ainsi utilis
non seulement pour expliquer des comportements
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compte de la logique iIidividuelle d'action de l'ensemble des divers acteurs intervenant un point ou
un autre de la construction thorique, et cela en
tenant compte de la spcificit des contramtes individuelles ou collectives qui psent sur chaque catgorie d'acteurs du jeu social.
Ce principe n'est pas normatif. Il s'agit d'un principe d'efficacit scientifique. Certes, il n'est pas niable
que cette hypothse mthodologique est a priori arbitraire. Mais il en va ainsi de tous les autres principes
mthodologiques, qu'ils soient conomiques ou non
conomiques, ou mme - comme le met en vidence
l'pistmologie moderne depuis les travaux pionniers
de Karl Popper - qu'ils appartienneIit au domaine
des sciences humaines et sociales ou celui des sciences (faussement) dites exactes . Par exemple, tout
aussi arbitraire est la dcision qui consiste considrer la collectivit nationale ou les classes sociales,
ou encore toute autre structure, comme les phnomnes de base dont doit procder toute tude de
la ralit sociale. Ce qui compte, c'est l'efficacit
a posteriori du principe mthodologique adopt c'est--dire sa capacit rendre compte du plus grand
nombre de rgUlarits observes sans ncessiter le
recours, chaque fois, un nouvel outil d'explication
ou d'observation ad hoc. A cet gard, l'argument
majeur des conomistes est de faire remarquer que,
par rapport l'Homo Sociologicus, l'avantage de
l'Homo Oeconomicus est de permettre la prise en
compte d'une. beaucoup plus grande diversit de
comportements et d'objectifs au sein d'un seul systme de reprsentation thorique d'une relative simplicit 18 .
13. Extrait du rapport scientifique de l'quipe "Economie
sociologique associe au C.N.R.S. (ERA, n 776), CREDOC,
1979. Signalons que dans son livre La Misre de l'historicisme
(Plon, 1956), Karl Popper ne cache pas qu' ses yeux le principe de l'individualisme mthodologique est celui qui, dans
les sciences sociales, t'rsente le plus de garanties scientifiq.ues
en raison de ses affinits avec le nominalisme mthodolOgique
aujourd'hui assez ~nralement accept comme principe de
la connaissance sClentifique dans les sciences de la nature.
Pour Karl Popper, l'opposition entre sciences exactes et sciences humaines provient moins, comme on le croit habituellement (" vulgairement ), de la nature des phnomnes tudis,
que de ce que les sciences humaines sont' restes fidles .
La NQuVeU& -conomie
La
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de l'Homo Oeconomicus
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La
Nouv~lle cono~e
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comportement, non pas parce que nous sommes conomistes, mais parce que l'conomicit rgle les comportements 15.
Dans cette perspective, l'largissement du champ de
l'analyse conomique nersuIte pas des seules ambitions imprialistes d'une poigne de chercheurs fiers
de l'efficacit de leur outil et dsireux d'tendre son
app~cation l'exploration d'autres champs sociaux,
indpendamment de la prise en considration comme le leur reproche Christian Schmidt 18 - des
proprits smantiques particulires de ceux-ci. Sa
justification ne rside pas seulement, comme l'ont
suggr certains, dans le verdict des tudes empiriques utilises pour en tester l'efficacit (ce qui relverait d'une approche positiviste trop courte vue).
Cette. gnralisation de l'analyse conomique n'est
pas seulement de nature analogique (un peu comme
les paraboles souvent 1,ltilises pour faire de la vulgarisation scientifique 17). Elle est la consquence logique de la reconnaissance du caractre gnral du
principe de raret. Elle tire sa lgitimit scientifique
non pas de ce que le. temps, c'est de l'argent ,
mais de ce que dans un monde complexit et productivit croissantes, toute dcision humaine, tout
choix individuel ou collectif .est ncessairement
consommateur de ressources matrielles et immatrielles qui imposent aux acteurs .ou aux dcideurs
un ensemble de coflts personnels.
.
Que cet. imprialisme de la nouvelle conomie
heurte bien des habitudes scientifiques, c'est normal
et humain. Mais; il nous faut sortir de l'attitude traditionnelle qui dfinit chaque science sociale par son
champ d'application. Nous devons cesser de raisonner comme si l'conomique s'identifiait exclusivement
avec les phnomnes marchands, la sociologie avec
les phnomnes collectifs de socit, la science politique avec les problmes de la chose publique . Ce
15. Louis-Lvy Garb0W!c Information et Formation des choix
des consommateurs, CR~DOC, septembre 1978.
16. Christian Schmidt". Quelle nouvelle conomie , dans
Le Monde du 23 mai b/8.
:
17. Cf. les apprciations du professeUr Maurice Duverger
dans son article L'illusion de -la scienc , dans Le Monde
du 25 juillet 1979.
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Les applfcations
Cette gnralisation de l'analyse conomique suscite parfois des travaux dont l'utilit scientifique est
plutt douteuse. Par exemple lorsqu'un conomiste
publie un article dont l'ambition est de mettre en
modle l'allocation du temps consacr aux relations
amoureuses extra-conjugales. Lorsqu'une revue des
plus importantes aux Etats-Unis publie un papier
traitant de l'conomie du. brossage de dents . Ou
encore lorsqu'un tudiant consacre sa thse laborer un modle destin simuler l'volution du temps
des mnages affect la pratique religieuse. Il s'agit
l d'allocations de temps dont on peut douter qu'elles
soient trs efficaces; - encore que le dernier exemple, comme le faisait remarquer rcemment un
patron franais membre d'une association catholique,
soit susceptible d'apporter un enseignement concret :
savoir que la frquentation des glises est probablement un trs mauvais indicateur de l'volution
relle de la foi dans la population, dans la mesure
o cette frquentation est affecte par des facteurs conomiques indpendants des facteurs spirituels 18.
Mais cet clatement du champ de l'analyse conomique ne constitue pas seulement un jeu de l'esprit
dont le seul objectif serait de satisfaire. l'amour propre ou la curiosit de ceux qui s'y livrent. Cette
reformulation de la thorie micro-conomique ouvre
en effet sur de nombreuses applications concrtes
des problmes contemporains.
Par exemple, elle apporte une nouvelle approche
des phnomnes de consommation suscepti~le de nous
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tains effets sociologiques imprvus de la croissance conomique et dmographique de l'aprs-guerre. Des phnomnes tels que l'largissement des changes marchands,
le dveloppement de la comptition sociale, de la difficult
des -choix, la monte des incertitudes... seraient analyss
avec leurs consquences et illustrs par des statistiques
d'volution choisies dans plusieurs pays. Ces analyses
rtrospectives sont un support indispensable toute prdiction de l'volution prochaine car le dilemme march/
autarcie est en partie rversible. Le ralentissement de la
croissance conomique et dmographique amorc depuis
quelques annes pourrait donc bien engendrer des effets
contraires ceux' qui s'taient produits dans le l?ass.
Encore fautil PQuvoir identifier et mesurer ces dernIers
partir d'indicateurs simples et gnraux, ce que nous
esprons pouvOir faire en utilisant les statistiques de
consommation, de dmographie et d'emploi dans le sens
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23. Sur ce sujet, voir la Charte fiscale des cc nouveaux conomistes publi~e dans le numro d'octobre 1979 de Vie et
Sciences conomiques. Voir galement les articles de Pascal
Salin dans Le Monde (juillet 1979) et dans L'Economie
(fvrier 1979), ainsi que la controverse C).ui l'opposa Pierre
Uri dans les colonnes de Commentaire (nO I 3 et 4, 78-79).
24. Cf. Bertrand Lemennicier et Louis-Lvy Garboua, L'Offre
de travail fminin et le dilemme autarci~march~ CREDOC,
dcembre 1979. Nabil Aboud et Philippe Cazenave, lA Division
du travail entre les conjoints et l'enyJloi du temps des mnaIl~&.. communication au colloque Economie de la famille,
C~DOC, Paris, 4 et 5 juin 1980.
25. En matire d'application des approches de la thorie
conomique moderne du capital humam et de la thorie de
la prospection aux problmes franais d'emploi et de chmage, nous commenons enfin disposer de travaux de
recherche empirique grce aux efforts du professeur JeanJacques Rosa et de son quille de la Fondation pour la nouvelle conomie (107, avenue Henri-Martin, 75016 Paris). Voir
notamment Jean-Jacques Rosa" Le Chmage des annes 1980 ,
document publi dans la srie des Cahiers de Recherche de
la F.N.E.P.
Pour une autre application du concept de prospection au
fonctionnement du march de l'emploi, voir l'tude de Philippe d'Arvisenet sur la mobilit gOgraphique dans la rgion
lilloise : cc Prospection sur le marcli du travail et mobilit
gographique , parue dans la revue Consommation (2, 1979).
A partir des donnes d'enqutes locales, PhiliK~:1 d'Arvisenet
y montre que la mobilit spatiale apparait
ement plus
largement motive par son intrt (acte volontaire) que par
le dcouragement ,
Sur les problmes d'amnagement du temps de travail, voir
la thse de Jean-Louis Michau, Amnaflement et rduction
du temps de travail, rpartition sur l'extstence, Universit de
Paris X.Nanterre. Ralis sous la direction du professeur
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II
La politico-conomique
. une nouvelle approche
de l'conomie mixte
La seconde grande caractristique de la nouvelle
conomie est lie l'ide que l'on ne peut pas dissocier l'analyse des mcanismes d'allocation de ressources dans une conomie de march, d'une
rflexion simultane sur la faon dont se crent et
voluent les rgles collectives qui encadrent l'action
des agents conomiques.
Si, en effet, la thorie conomique part du postulat
que les individus agissent en fonction de la recherche de leur plus grand avantage personnel, il ne faut
pas perdre de vue qu' tout moment la structure
relative des intrts individuels est troitement conditionne par l'ensemble des contraintes collectives
(institutions politiques, droit public ou priv, jurisprudence des tribunaux, murs et coutumes, tabous
sociaux ou religieux...) qui psent sur tous les comportement individuels. Cette structure des intrts
individuels ne dperid pas seulement des prfrences
intrinsques de chacun; mais aussi de la faon dont
les systmes de contraintes associs tout mode
d'organisation collective favorisent ou pnalisent certains types de choix, certaines prfrences ou certains comportements particuliers par rapport
d'autres; par exemple les comportements de type
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sentation thorique plus ralistes que totis les modles jusqu' prsent dvelopps tant par les conomistes, que par leurs collgues sociologues ou
spcialistes des sciences politiques.
Les conomistes, font en effet remarquer ceux qui
s'inscrivent dans ce courant de pense, ont consacr
depuis un quart de sicle beaucoup d'efforts et
d'nergie recenser toutes les imperfections et faillites (dysfonctionnements) qui empchent le march
d'assurer l'allocation optimale des ressources. Mais,
ajoutent-ils, ils le font en supposant implicitement
qu'il suffit de confier aux pouvoirs publics le soin de
corriger ces dfauts des mcanismes de l'conomie
de march pour que le problme de l'allocation des
ressources soit ncessairement rsolu dans des conditions plus efficaces que celles. qui auraient prvalu
si l'on avait laiss le march, mme imparfait, fonctionner librement. Or, qu'est-ce qui nous le garantit?
L'Etat, rappellent les fondateurs du mouvement du
Public Choice 29, n'est pas une construction dsincarne, dote du don d'ubiquit et d'infaillibilit, mais
une organisation humaine o les dcisions sont prises
par des tres hmnains, des hommes' politiques, des
fonct~onnaires, des experts, des conomistes, ni meilleurs ni pires que d'autres, eux aussi sensibles leurs
intrts particliliers (pcuniaires, professionnels,
thiques), eux aussi capables de se tromper. Comme
toute socit ou organisation, l'Etat n'est pas un
corps homogne, mais un microcosme au sein duquel
coexistent et s'affrontent une mliltiplicit de groupes
et d'intrts diffrents, concurrents, parfois divergents, qui constituent autant de sources de friction
et de dysfonctionnement susceptibles de modifier le
.cours de l'action publique indpendamment des finalits originelles de celle-ci.
De ce fait, concluent-ils, le problme des conomistes n'est pas seulement de rpertorier les sources
29. Cf. James Buchanan, The Public Seetor versus the Privat Seetor in a Market Eeonomy, communication au sminaire du Centro de Estudios y Comunicacion economica,
Madrid, 21 novembre 1978. James Buchanan, From Private
preferences to Public Philosophy : the Development of Public
Choice , dans. The EconomIes of PoUties, Institute of Economie Affairs, I.E.A. readings 18, Londres, 1978.
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conomie
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Le Myope et le Presbyte
Le' deuxime exemple concerne l'habitude que nous
avons prise de considrer que le march est ncessairement myope" en ce sens qu'il ne pense et n'agit qu'en
fonction d'intrts court terme, et donc qu'il convient
de confier l'Etat la prise en charge de la gestion du long
terme. Attitude rsume par cette rflexion d'un grand
patron qui, au lendemain de la publication de Demain le
capitalisme, me dclarait ,: En tant qu'industriel, je peux
vous affirmer que l'entreprise n'agit qu'en fonction d'horizons et de proccupations court terme: il faut donc bien
qu'il y ait un Etat pour s'occuper du long terme'84.
Une telle dclaration traduit une surprenante incomprhension des mcanismes fondamentaux d'une conomie
de march. Parler de l'efficacit essentiellement court
terme du march n'a aucun sens. Ce n'est pas parce que
le chef d'entreprise a le sentiment de ne faire que de la
gestion court terme que ses dcisions n'intgrent pas
une certaine vision de l'avenir. Car, dans un systme de
march, les prix et les col1ts intgrent le long terme en refltant l'opinion que les agents conomiques ont sur l'volution future des principales donnes de la vie conomi9ue
et sociale. L'entrepreneur est comme Monsieur Jourdain:
il n'a pas' besoin de faire consciemment dU: lo~ terme
pour intgrer celui-ci dans ses dcisions. C'est prCIsment
l l'une des vertus fondamentales des mcanismes de
march. Le march ne reflte pas seulement la structure
des besoins immdiats des consommateurs, mais aussi,
via les prix qui intgrent ncessairement (lorsqu'on n'est
pas en rgime de contrle administratif des, prix) les
anticipations individuelles de chaque agent conomique
en fonction des informations personnelles dont il dispose
sur son environnement, la structure prvisible des
donnes conomiques de' demain, pour autant qu'on en a
33. Pour une prsentation synthtique des modles _politic:oconomiques appliqus la ;J?rvislon conjoncturelle, voir
Jean-Dominique Lafa)', La Politico-Economie : Vers une nouvelle Economie politique , dans Analyses de la Sedeis, n 12,
novembre 1979. Ainsi que M. Schneider, W. Pommerehne et
J.-D. Lafay, Les Interactions entre conomie et politique:
synthse des analyses thoriques et empiriques, Institute for
empirical research in economics, Universit de Zurich, mai
1979.
'
, 34. Voir galement les dclarations de Raymond Barre
une interview de L'Expansion (sept. 78) o le Premier ministre
exprimait d.es ides absolw,nent Identiques.
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relative des solutions par le march ou par l'intervention de l'Etat, encore faut-il disposer d'outils permettant de reprsenter et d'analyser, en les confrontant avec les faits, les rouages de la production
publique. D'o l'essor depuis une dizaine d'annes de
toute une srie de modles conomiques du march
politique (modles de Downs, de Niskanen, de Bor.
cherding, d'Albert Breton, etc.)..
On trouvera plus loin la description d'un de ces
modles, le plus complet, celui d'Albert Breton.
Disons simplement, comme le rsume l'conomiste
anglais Charles Rowleydai1s une intervention lue lors
d'un colloque sur l'conomie du politique 48 , que
la plupart de ces modles ont pour caractristique de
partir de l'ide qu'il faut sortir des approches traditionnelles de l'Etat et de l'conomie publique, dont
le principal dfaut est de prendre comme postulat
implicite que la dmocratie parlementaire et reprsentative dbouche ncessairement sur une production publique qui est le fait d'une autorit omnisciente (en mesure de connatre toutes les donnes
objectives de la vie sociale) et impartiale (qui reflte
strictement les prfrences du corps social). Ils proposent d'analyser la production publique. comme le
rsultat d'une interaction entre vecteurs de demande
et vecters d'offre, mdiatispar les rgles collectives que constituent les institutions du march politique. Les individus sont vus comme ayant des prfrences bien dfinies sur plusieurs tats du monde
possibles, et comme essayant d'influencer le gouvernement pour que celui-ci satisfasse leurs prfrences
individuelles, en utilisant toutes les procdures que
leur doline la vie politique: votes, usage de groupes
de pression, manifestations, grves, migrations, rvolutions.~. Les partis politiques sont assimils des
coalitions au service des objectifs de leurs animateurs assimils des entrepreneurs politiques
(rlections, pouvoir, carrires, idologie;,,), sous la
contrainte qu'ils assurent la promotion des intrts
communs de ceux qui votent pour eux. De mme, le
gouvernement est apprhend comme une organisa46. Charles Rowl~, Market Failure and Government Fallure . dans The Bconomicsof PoZitics,I.B.A. readings 18,
Instituteof l;icOnomic Mairs, Londres, novembre 1978~
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l'conomiste yougoslave Branko Horvat conteste la validit de l'hypothse no-classique selon laquelle la firme
autogre devrait ncessairement faire preuve de moins
d'efficience conomique que la firme capItaliste.
Avec raison, Branko Horvat fait remarquer que l'hypothse du malthusianisme de la firme autogre est lie
la forme et au contenu de la oc fonction objectif utilise
par l'analyse no-classique. Si la firme autogre adopte
un comportement diffrent de la firme occidentale, c'est
parce que l'on suppose que si les oc entrepreneurs de la
firme autogre agIssent en dcideurs rationnels, ils vont
gouverner leur entreprise de manire maximiser non pas
son surplus J.lobal, mais le surplus moyen par travailleur.
Leur objectIf ne sera pas de chercher maximiser le
revenu global de l'entreprise, en tant qu'entit collective,
mais de chercher" assurer chacun des membres de cette
collectivit le revenu individuelle plus lev possible. Or,
comme le fait justement remarquer Branko Horvat, le
fait de substituer une politiq.ue de maximisation de
valeurs moyennes une politIque de maximisation de
valeurs absolues conduit, en matire de gestion, des
rsultats inverses : oc Mathmatiquement parlant, maximiser des valeurs absolues conduit des rsultats favorables l'efficience conomique, alors que maximiser des
valeurs moyennes nou:; loigne de l'efficacit .
Branko Horvat explique alors que les hypothses de
dpart de l'analyse no-classique sont totalement infir"mes par les tudes empiriques faites partir de l'exprience yougoslave. Les observations faites, remarque-t-il,
montrent que la gestion de la firme autogre yougoslave
ne diffre gure de celle de n'importe quelle fume capitaliste classique, la seule diffrence tant que oc le travail
n'y est plus trait comme une marchandise vendue un
employeur .
Il est possible qu'effectivement les entreprises yougoslaves se comportent dans leur ensemble selon un modle
de dcision Elus proche de celui que dcrit Horvat, que du
modle de l analyse no-classique. Mais cela ne suffit pas
" invalider l'hypothse de dpart de l'approche no-classique. Pour que les conclusions de Branko Horvat soient
scientifiquement tablies, encore faudrait-il qu'il nous
explique selon quelles procdures, ou sous quelles conditions une gestion collective - c'est--dire une gestion o,
en principe, chacun a son mot dire en fonction de ses
intrts propres qui ne sont pas ncessairement les mmes
que ceux de ses collgues - aboutirait, non pas dans le
court terme, mais dans le long terme, slectionner un
1979. Cet article est une critique de mon livre Autogestion et
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deux individus (deux patrons) mis dans deux situationstout fait identiques (toutes choses gales par
ailleurs) prennent deux dcisions diffrentes ne signifie pas que l'un est parfaitement rationnel et que
l'autre ne l'est pas. Bien que diffrentes, les deux
dcisions peuvent tre parfaitement rationnelles si
l'on tient compte de ce que les deux individus, n'ayant
pas les mmes connaissances, la mme exprience,
les mmes informations ou les mmes anticipations,
accordent tout simplement des coefficients diffrents
des lmnts qui, de l'extrieur, apparatront a
posteriori comme ayant une valeur comptable (donc
historique seulement) prcise.
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de reprsentation algbrique que nous avons pu progresser dans la connaissance des interd:pendances mutuelles
caractristiques des mcanismes et SituatiOns de march.
L'analyse conomtrique reste un instrument indispensable pour tester les thories ou pour les rfuter. Cela dit,
il est douteux que notre dsir forcen de quantification,
hrit d'une extrapolation abusive. des mthodes des
sciences physiques au monde des phnomnes sociaux, ait
jamais rellement contribu augmenter notre connaissance thorique des phnomnes conomiques et sociaux
- en dehors de la simple description de situatiQns historiques particulires.
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A la vision d'une socit dont l'volution est le pro64. A propos de l'application des outils conomiques
l'tude du march politiquer le professeur Henri Guitton
crit : J'ai l'impression qu'il s'agit ici davantage d'images,
d'analogies, de ressemblances, que d'applications vritables
des mmes outils d'analyse. Prcisment, en dmarquant les
termes d'offre et de demande du lan~age conomique o ils
ne sont du reste pas dpourvus d ambigut, au langage
politique, nos auteurs en altrent le sens prcis. Henri
Guitton, De l'Imperfection en conomie, Calmann-Lvy, 1979.
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Science ou Idologie?
Mthodologie, approche scientifique des phnomnes sociaux, disons-nous. A quoi, un Maurice Duverger
rpond : idologie camoufle sous des prtentions
SCientistes. Qui a raison?
Pour rpondre cette question, il est indispensable
de sortir de l'attitude simpliste et habituelle opposant
ce qui, d'un ct, ressortirait de la Science (avec un
grand S), et de l'autre.de l'Idologie (avec un grand
1). En ralit, la frontire entre les deux genres est
beaucoup plus tnue qu'on ne le croit habituellement.
L'un comme l'autre ne sont jamais que des syst66. Sur ces sujets, voir la trs remarquable confrence
d'Andr Danzint directeur de l'I.R.I.A. : Information, Bvolution et Bntropte, Berlin 17 septembre 1979. Voir aussi la
matmifique synthse d'IIya Prigogine et Isabelle SteIi.gers,
La Nouvelle conomie
83
mes de reprsentation du monde (tout comme d'ailleurs les religions ou mme la posie 87), systmes de
reprsentation de .l'univers qui mergent d'un mme
besoin: le fait qu'en raison de la faiblesse du rle de
ses instincts l'homme est un animal social particulier
qui ne peut pas vivre sans disposer d'un systme de
reprsentation le liant son environnement.
Si l'on accepte l'ide de base de l'pistmologie
popprienne selon laquelle toutes les propositions
gnrales de la science ne sont que de simples hypothses conjecturales 68 , ce sont non seulement les
frontires traditionnelles traces entre sciences physiques et sciences sociales qui s'estompent, mais galement les barrires places dans le langage commun
entre la science et les idologies qui se dplacent. Il
devient en effet raisonnable de penser qu'il n'y a pas
de thorie scientifique qui soit idologiquement neutre; de mme qu' l'inverse il n'y a pas d'idologie
qui n'ait pas de prtention avoir des soubassements
scientifiques (l' idologie marxiste par exemple).
Il n'y a que des thories dont le contenu idologique
est plus ou moins affirm selon que leurs auteurs se
soumettent plus ou moins rigoureusement aux
contraintes et disciplines de la mthode critique qui
est la base de la connaissance scientifique. Cependant qu' l'inverse il n'y a que des idologies dont
les prmisses thoriques sont plus ou moins corrobores par les rsultats de la critique scientifique.
A cet gard, le plus important dans l'ensemble des
travaux de la nouvelle conomie , c'est qu'ils constituent une sorte d'impressionnante entreprise de
vrification systmatique de la pertinence scientifique
des postulats de l'individualisme mthodologique en
tant que mthode d'analyse, et des conclusions auxquelles conduisent les modles d'interprtation des
processus sociaux fonds sur ces hypothses. Le fait
que ce concept - l'individualisme mthodologique
67. Pour un remarquable rapprochement entre l'activit du
crateur scientifique et l'imagInation du pote ou de l'artiste,
voir la confrence prononce au Festival de Salzburg par
Karl Popper en 1979 et reproduite sous le titre Creative
Self Criticisms in Science and in Art ", dans la revue britannique Encdunter.
68. Cf. Karl Popper, La Connaissance objective, ditions
Complexes, Bruxelles, 1978.
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Demain te libralisme
La Nouvelle conomie
8S
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Demain te libralisme
DEUXI~ME
PARTIE
de la politique conomique *
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Demain le libralisme
La thorie
des anticipations rationnelles
Pour le public franais, les thses montaristes
(associes au nom de Milton Friedman) sont une
vieille connaissance~ mme lorsqu'elles demeurent
largement incomprises. On sait moins que le courant
des conomistes montaristes constitue lui-mme un
monde en pleine volution marqu actuellement par
l'mergence d'une nouvelle gnration de chercheurs,
gnralement de moins de quarante ans, dont les
travaux rencontrent une audience croissante dans les
milieux universitaires internationaux.
Ce courant a un nom. On l'appelle l'cole des
anticipations rationnelles ; une expression un peu
barbare qui exprime simplement l'ide qu'au terme
de vingt annes de manipulations macro-conomiques
les agents ont accumul une exprience suffisante
pour frustrer les interventions de l'Etat d'une large
part de leur efficacit oprationnelle.
Plusieurs revues amricaines 1 ont rcemment
1. 'Voir Fortune, The New Down to Earth Economics D,
par Walter Guzzardi Jr dcembre 1978. Voir galement Time,
To set the Economy Rlght : The Rising Rebel Cry for Less
Government. More Incentive and Investment . numro du
27. ao6.t 1979. En France, Philippe Lefournier a voqu la
personnalit des principaux reprsentants du mouvement des
antici'pations rationnelles dans son reportage Adam Smith?
Mere" il va bien. paru dans L'Expansion, dcembre 1978.
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Demain le libralisme
publi des reportages prsentant les principaux personnages de ce nouveau courant de la pense conomique : Robert Barro (34 ans), Thomas Sargent
(35 ans), Robert Lucas (41 ans), Michael Boskin
(33 ans), Jack Gould (39 ans), Michael Durby (33 ans) ..
En France, dans un rcent numro de Vie et Sciences
conomiques, Christian Saint Etienne 2 a rsum, de
faon un peu plus acadmique, leurs principaux
apports l'analyse conomique.
Dans cet article, Christian Saint Etienne rappelle que le
concept d'anticipations rationnelles est n en 1961 dans
une contribution de l'conomiste amricain John Muth
qui, l'poque, passa presque inaperue, pour tre redcouverte la fin des annes 1960. L'intrt des conomistes
pour les phnomnes d'anticipation n'est pas nouveau. Le
modle keynsien est fond sur la prise en compte de
certains phnomnes d'anticipation de la part des entrepreneurs et investisseurs. Mais ces anticipations y sont
considres comme des phnomnes de nature purement
psychologique, c'est--dire totalement exogne au schma
explicatif propos. Progressivement, notamment avec le
dveloppement des travaux montaristes, puis plus rcemment avec les nouvelles gnrations de modles macroconomiques, les conomistes ont intgr la prise en
compte des anticipations dans la construction de leurs
modles. Mais cette intgration s'est faite partir d'une
conception adaptative et purement passive des coinportements, o l'anticipation d'une variable est seulement
fonction de ses valeurs passes .
L'innovation de John Muth, prcise Christian Saint
Etienne, a consist introduire l'ide qu'une large part
du fonctionnement des marchs est conditionne par
l'influence dterminante d'agents moteurs - pouvoirs
publics, syndicats, grandes entreprises, banques et services financiers, agents de change... - dont, dit-il, les
anticipations, en tant que prvisions rflchies d'vnements futurs, sont essentiellement les mmes prvisions
que celles donnes par la thorie conomique correspondant aux phnomnes tudis . Autrement dit, une large
2. Christian Saint Etienne, Les anticipations rationnelles:
signification et importance dans l'analyse conomique , 'Vie
et Sciences conomiques, octobre 1979. Voir galement l'ex
cellente sYD:thse (en trois pages) de Jean-Pierre Danthine,
RationalIt conomique et anticipations , 'publi dans
Skepsis (avril 1980), revue mensuelle de l'AGECOP, associa
tion fonde par les gradus en sciences conomiques, men
tion conomIe politiqueJ.ft de l'Universit de Lausanne, case
postale 2064, Lausanne lw2 (Suisse).
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2. Le fait que nos modles de prvision macroconomique ne tiennent pas compte de ces phnomnes d'apprentissage conduit ce que les interventions conjoncturelles ont aujourd'hui, sur les
conomies occidentales, des effets plus dstabilisants
que stabilisants.
Rappelons-nous en effet comment fonctionne la
mise au point d'une politique conomique. Tout commence par la fabrication de modles conomtriques
dont le rle est de quantifier les relations qui existent
entre les variables macro-conomiques dont dpend
la ralisation des grands quilibres (consommation,
investissement, commerce extrieur, emploi, taux
d'intrt...). Cette quantification se fait par la voie
de rgressions statistiques fondes sur l'observation
de comportements passs : taux d'pargne, taux d'encaisses montaires, taux d'lasticit des importations
par rapport l'accroissement de la production nationale, liaison entre le volume des investissements et
l'volution du loyer de l'argent, etc. Partant de l,
ces modles permettent de calculer quelle sera l'incidence sur la production ou l'emploi d'un dficit
budgtaire supplmentaire de 1 milliard de francs,
l'incidence d'une baisse d'un point des taux d'int-
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conduit les entreprises ragir avec plus de prudence qu'autrefois aux stimulants montaires et
budgtaires, mais certaines d'entre elles ont galement accumul une exprience suffisante qui leur
donne aujourd'hui les moyens de rgler leur gestion
partir d'lments qui se situent en amont des
dcisions gouvernementales, et qui les met donc en
mesure d'anticiper presque en mme temps que les
autorits gouvernementales les grandes variations'
conomiques qui dterminent la politique courante
des pouvoirs publics, voire leur politique venir.
La consquence de cette volution est trs simple.
Au fur et mesure que la concurrence conduit un
plus grand nomore d'agents conomiques perfectionner leurs appareils de saisie de l'information
conomique, et dans la mesure o les modles conomtriques qui servent de base aux prises de dcisions des autorits ne tiennent pas compte de ces
nouveaux comportements, un nombre croissant de
dcisions politiques sont prises dont la mission est
d'agir sur des perspectives de dsquilibres qu'un
certain nombre d'acteurs ont dj intgres dans leurs
systmes de dcision. Ce qui signifie que les pouvoirs
publics agissent de plus en plus au w d'informations
prvisionnelles qui ne se raliseront pas dans les
conditions prwes par les modles des experts gouvernementaux; le perfectionnement de l'information
des entreprises conduisant celles-ci ragir aux
dsquilibres anticips avant mme que les responsables de la gestion conomique aient eu le temps d'en
tenir compte pour moduler leurs dcisions budgtaires ou montaires. Autrement dit, de plus en plus
d'interventions rgulatrices de l'Etat sont dmodes avant mme qu'elles aient eu le temps d'agir,
voire avant mme qu'elles soient dcides.
Certes, le nombre d'entreprises capables de telles
performances est encore trs rduit. Mais il suffit
que quelques-unes soient en mesure de bnficier de
telles informations, et que leur nombre augmente
peu peu, pour qu'un nombre croissant de dcisions
publiques soient p'rises partir d'informations prvisionnelles qui ont de plus en plus tendance surestimer les besoins rels de stimulation (ou de freinage) de l'conomie.
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Dans ces conditions, concluent les jeunes conomistes montaristes, il y a toutes chances pour que
ce qui a t conu dans le dessein d'aider la stabilisation des rytlunes de la vie conomique aboutisse
en ralit aggraver l'instabilit de nos conomies
modernes, plutt qu' la rduire.
Ma critique du modle ke,YIlsien, fait ainsi remarquer
le p'rofesseur Lucas, de l'Umversit de Chicago, cit p-ar
Philippe Lefournier dans son article de L'Expansion, n est
pas conservatrice, elle est scientifique, technique. Le fine
tuning dont on a rv dans les annes 60 est inoprant
parce qu'il nglige les anticipations du public; la mani~u
lation ne marcherait que si les _gens taient stupides.C est
ce qui rend l'inflation trs difficile extirper quand elle
est l. Du moins sans rcession. ..
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argument fond sur l'ide qu'il ne nous est plus possible de continuer jouer toujours des mmes instruments. Malheureusement, de cela, les compteurs qui
guident l'action de nos responsables ne tiennent
aucun compte. Nul surprise donc s'ils' se rvlent
l'exprience de moins. en moins efficaces. .
A cet gard, il convient de suivre de prs ce qui
se passe en Californie depuis le vote, en juin 1978,
de la fameuse Proposition 13 qui aboutit, par rfrendum, une rduction massive des taux de l'impt
foncier pay par les propritaires californiens. Il
semble en effet que les plus rcents dveloppements
de la situation conomique y apportent une preuve
empirique du bien-fond des thses d'Arthur Laffer
sur les effets bnfiques d'une baisse de la pression
fiscale.
Alors que les autorits officielles - ainsi que la plu.;.
part des mdias - annonaient la suppression de
450000 emplois comme consquence de la Proposition 13,
il n'y a eu en tout et pour tout, que 100000 postes supprims dans les administrations 'publiques, dont 17000 seUlement correspondent des lIcenciements rels, le reste
(83 000) concernant essentiellement des mises la retraite
anticipe ou des dparts volontaires. Paralllement, le
nombre d'emplois crs dans le. secteur priv a dpass
les... 550000. Ce qui a ramen le taux de chmage californien 6,2 %, soit seulement 0,5 % de plus. que la
moyenne amricaine, alors que, traditionnellement, la
Californie (en raison de l'importance des phnomnes
migratoires vers la cte Ouest) compte entre 1 et
2 % de plus de chmeurs que le reste des Etats-Unis.
Cette rduction de l'cart entre le taux de chmage
californien et le taux moyen national - l'cart le plus
. faible jamais enregistr depuis quinze ans - semble.
indiquer que le nombre lev de crations d'emplois est
li non seulement au climat gnral de la conjoncture
amricaine, mais aussi des facteurs proprement californiens. Dans cette optique, on est en droit de penser que,
contrairement tout ce qui avait t annonc l'origine,
loin d'avoir un impact dflationniste sur l'activit conomique de cette rgion, la Proposition 13 a eu, au contraire,
un effet stimulant.
Cette exprience est ~ rapprocher d'une autre exprience amricaine rcente: celle de l'ne de Porto Rico
la suite des rductions d'impts mises en place par
le nouveau gouverneur lu en 1977. La suppression
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communication trs rema~ue lors d'uri colloque organis Rome par la fondation librale Luii Einaudi
(novembre 1978 8 ) : Le problme, aujourd'hw, n'est pas
de multiplier encore le nombre d'instruments la disposition des pilotes qui assurent les commandes manuelles
de l'avion dans lequel nous sommes embarqus; il Y en a
dj trop pour tre certains que l'quipage domine rellement toutes les donnes du vol sans risque d'erreur ou
d'oubli; mais de dvelopper un ensemble de rgles constitutionnelles et institutionnelles qui jouent l'gard de
l'conomie le rle que jouent ensemble dans les avions
modernes le mcanisme de pilotage automatique et les
procdures lectroniques de guidage en vol. Un tel systme
ne supprime pas le pilote, mais celui-ci ne prend directement les. commandes que IQrsqu'intervient un vnement
imprvisible, ou poUr le traitement duquel le systme de
gwdage automatique ne pouvait pas tre programm.
La prise en compte des effets pervers des interventions publiques sur les motivations individuelles
des agents conomiques apporte un argument supplmentaire en faveur de la restructuration de notre
fiscalit et de notre systme de transferts sociaux
autour du principe de l'impt ngatif.
Ce que ces travaux mettent en effet en lumire,
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revenu gagn moins les sommes ainsi places. Cellesci ne seraient taxes que lorsque l'individu dcide de
dsinvestir pour utiliser son pargne passe dans des
activits de consommation. Ainsi serait galement
corrig le dfaut actuel qui fait que le coftt de
la consommation immdiate varie avec le niveau des
revenus (ce coftt tant d'autant plus faible que le
revenu est plus lev). De la mme faon que l'on a
supprim la distorsion que le rgime fiscal introduit
dans l'volution des prix relatifs entre temps de travail et temps de loisir, de la mme faon on ferait disparaitre les distorsions que la fiscalit contemporaine
introduit dans les prix relatifs de la consommation
et de l'pargne, - et qui sont, contrairement ce
que l'on croit, une incitation la consommation
ostentatoire et inutile pour les classes les plus riches;
notre systme actuel d'impt progressif aboutissant
paradoxalement, en mme temps qu'il rduit l'ingalit des revenus montaires, exacerber les ingalits
apparentes de consommation, celles qui sont en fait
les plus visibles, et qui donc aggravent la sensibilit
,
sociale aux ingalits 1 0 . -
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sir~
TROISIP.ME PARTIE
LES ROUAGES
DE LA SOCIALISATION
March politique
et groupes de pression
Dans un commentaire portant sur Demain le capitalisme, et publi dans la revue Permanences (n' 1050,1978),
Louis Salleron crit :
Ouel est le fort et le faible de ce no-libralisme amricain? Rien d'autre que le fort et le faible du libralisme
traditionnel. Le fort? Evidemment la criti9ue de l'tatisme
et de la bureaucratie. Tout le monde est d accord l-dessus.
L'individu touffe sous les complications, les contraintes et
la paperasserie des organismes et des institutions dont le
but avou est de lui rendre le maximum de services. Le
faible? le faible, c'est la pauvret ou l'inexistence de l'analyse des causes de la socialisation croissante, etl plus essen-o
tiellement, l'erreur radicale de la philosophie librale dans
sa conception de l'homme et de la socit.
Et plus loin, Louis Salleron conclut : Certes UIl chapitre
du livre s'intitule Pourquoi l'Etat croit-il? Mais ce chapitre est davantage consacr la critique de la croissance
de l'Etat et aux manires de l'enrayer qu' l'analyse de ses
causes et de son processus.
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L'conomiste
et le march politique
Comment peut-on appliquer la notion de march
au domaine des actions et dcisions politiques? Dans
son face face avec J&cques Attali, publi par
L'Express (9 juin 1979), Jean-Jacques Rosa explique
que le march politique n'est pas autre chose que
le lieu o s'changent des votes contre des promesses
d'interventions publiques . C'est une trs bonne dfinition. Mais il faut aller au-del, et montrer comment
le concept de march contribue offrir un nouveau
mode de reprsentation du fonctionnement concret
des institutions politiques et sociales. Nous nous
inspirerons d'lin modle dvelopp par le professeur
canadien Albert Breton, dans un livre publi en 1974
Economic Theory and Representative Government 2.
L'analyse conomique du march commence par
l'tude de l'offre et de la demande, puis se poursuit
par l'analyse de leurs interactions. C'est ce plan que
nous allons respecter.
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phones de fonction, des congs et des possibilits de formation plus favorables 'que n'en ont la majorit des
travailleurs, l'absence de hirarchie et de mesure des
rsultats, le prestige moral d'une vocation au service des
dshrits, la supriorit ou le confort psychologique dus
au fait d'tre professionnellement le fort qui assiste le
faible, etc., constituent autant de formes de profits au
pluriel, dont on ne voit pas en quoi ils seraient scientifiquement ou thoriquement plus purs que d'autres 5 .
La
Ainsi que le rsume Alain Wolfelsperger 6, nos conceptions traditionnelles de l'Etat et de la Dmocratie se
rsument l'image d' individus ayant en tant que
citoyens un comportement lectoral compltement dtermin soit par leurs origines socio-conomiques, soit par
un attachement permanent (mais inexpliqu) un parti
de prdilection, qui votent mcaniquement pour des partis
ayant, certes, des programmes diffrents mais qui sont (l
encore de faon inexplicable) contraints de jouer identiquement, une fois au pouvoir, leur rle prdtermin de
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contraignent le gouvernement effectuer des arbitrages entre les divers intrts bureaucratiques en prsence - de la mme faon que l'un des rles essentiels de la direction gnrale d'une grande entreprise
est d'arbitrer entre les demandes budgtaires souvent
incompatibles qui remontent des services 18.
Au niveau des personnels politiques, le problme
est simple : il s'agit de trouver l'assemblage de projets politiques et rglementaires qui, en apportant une
satisfaction supplmentaire aux catgories de citoyens
ou aux groupes de pression dont la valeur lectorale
marginale est juge la plus leve, augmente le stock
total de capital-pouvoir et accrot les probabilits
de rlection (ou tout au moins ne les rduit pas
au-del de ce qui est stratgiquement acceptable).
Pour le personnel de la fonction publique, le problme est plus complexe. Il se dcompose en deux.
D'une part, au sein de l'ensemble des projets politiques qui augmentent le stock de capital-pouvoir
de l'quipe politique en place (et donc simultanment
celui de son bras sculier, l'administration), chaque
groupe bureaucratique a naturellement une prfrence pour ceux o sa contribution en tant que producteur est la plus importante -les enseignants prfrent voir l'Etat accrotre ses crdits l'ducation
plutt qu'aux armes, l'inverse pour le corps militaire. D'autre part, au sein du panier de projets politiques et rglementaires qui correspondent davantage
une autoconsommation publique qu' un
objectif d'accroissement du stock de capital lectoral,
chaque groupe d'intrt bureaucratique a galement
naturellement. tendanc.e exprimer une prfrence
pour ceux qui le concernent le plus directement
(savoir qui seront les principaux bnficiaires des
Concorde de l'Etat).
..
Cette doubll;! quation signifie d'abord que chaque
groupe bureaucratique, parmi les programmes politiques en concurrence, exprimera sa prfrence pour
celui qui correspond le plus la prise en compte de
13. Pour illustrer ces mcanismes concurrentiels au. sein du
systme politicoadininistratif franais, voir les deux remarquables ouvrages du professeur californien Ezra. Suleiman,
Les Hauts Fonctionnatres et la Politique (Le Seuil, 1976) et
Les Elites en France (Le Seuil, 1979).
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ses intrts de producteur. L encore, on peut prendre l'exemple du comportement politique du corps
enseignant qui s'identifie davantage avec la gauche
qu'avec la majorit au pouvoir dans la mesure o la
premire dfend plus vigoureusement qUe la seconde
le monopole de l'enseignement public - en y trouvant d'ailleurs un moyen pour cultiver la clientle
enseignante. Mais cette double quation signifie aussi
que chaque groupe doit pratiquer une habile politique de balance entre le pouvoir politique en place
(pour ne pas se faire totalement exclure du partage
des dividendes du pouvoir, s'il est plus proche de
l'opposition que de la majorit), et le pouvoir politique oppos (pour ne pas se retrouver totalement
exclu du partage si la majorit change de camp).
De l, il rsulte que cette concurrence interne entre
intrts rivaux, mais galement complmentaires,
constitue un frein aux possibilits qu'ont les administrations d'abuser de leurs positions monopolistiques. Mais on a aussi une explication de l'image de
neutralit politique de l'administration (l'administration au service des citoyens). Dans leur intrt
propre, les fonctionnaires se doivent de cooprer tant
avec le personnel de l'opposition qu'avec celui qui
dtient le pouvoir. La seule chose qui est susceptible
d'voluer selon les circonstances est le degr de ralit de cette neutralit. Celle-ci sera d'autant plus
forte qu'on est dans un rgime politique o l'alternance des majorits est frquente et marque (cas
de la Grande-Bretagne). A l'inverse, elle sera moins
rigoureuse dans un rgime politique o la mme
majorit monopolise pendant longtemps le pouvoir
(cas de la Ve Rpublique marque par un engagement
politique de plus en plus net de la fonction publique,
que ce soit d'un ct ou de l'autre de l'chiquier
lectoral). Plus l'alternance politique est frquente,
ou plus est grande l'instabilit des majorits au pouvoir, plus levs sont en effet les risques que chaque
groupe d'intrt bureaucratique prend en profitant
des possibilits de lobbying que lui apportent ses
liens avec le parti au pouvoir. A l'inverse, plus le
rgime est stable ou assur d'une longue perspective
de dure, moins il en cote de rechercher la maximisation court terme de ses dividendes en s'appuyant
sur ses amitis et rseaux politiques.
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ni moins rationnels que les traditionnels agents conomiques de la thorie des processus marchands;
si l'on ne rcuse pas l'hypothse que, dans l'ensemble,
leur comportement lectoral et politique a toutes
chances d'tre troitement influenc par la faon dont
ils peroivent la distribution des cots et avantages
de la production publique; si, enfin, on ne juge pas
aberrant qu'il puisse exister une liaison entre le
niveau des ressources affectes par les uns et par les
autres, titre individuel ou collectif, l'action sur
le march, et la faon dont se distribuent les enjeux
du marchandage politique, on.a l une des sources
d'explication les plus fondamentales de la drive vers
un accroissement toujours plus grand des dpenses
publiques. Explication dont le mrite est d'tre simple, efficace et gnrale.
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sur-citoyens .
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conclut-il, pour que cette statistique revienne 14 639 crations nettes prvues pour 1980.
Aux Etats-Unis, l'volution est identique. Selon
Allan Meltzer, on y comptait 4 % d'emplois publics
en 1900; 6 % en 1929. Aujourd'hui le chiffre est de
15 % galement.
Si l'on continue aux rythmes du pass, crit-il, en
l'an 2000, 25 % de la population active travaillera pour
l'Etat. Et cent ans plus tard, la moiti de la population
amricaine sera directement employe par l'Etat 21.
Rsultat: la composition du corps lectoral s'en
trouve modifie; celui-ci contient une proportion
croissante de citoyens appartenant la catgorie
socio-conomique des agents de l'Etat.
Or, ces fonctionnaires sont des citoyens un peu
particuliers. Pour deux raisons :
.
D'abord, parce que du fait mme de leur appartenance aux corps de l'Etat, ils sont mieux informs
sur les rouages de la production publique, et mieux
en position de connatre la vritable dimension des
enjeux qui les concernent; donc, toutes choses gales
d'ailleurs, plus motivs pour agir sur le march politique et y consacrer davantage de ressources pour
arriver leurs fins ou dfendre leurs intrts. Ce
sont en quelque sorte des sur-citoyens.
Par ailleurs, ce sont des individus dont l'intrt
personnel est gnralement li l'accroissement des
dpenses publiques. Pour des raisons de carrire,
comme nous l'avons dj voqu (cration de nouveaux services qui multiplient le nombre des postes
et donc le nombre des promotions possibles). Mais
aussi parce que mme lorsqu'il dit dfendre l'intrt
gnral, il est naturel que le fonctionnaire ait tendance confondre l'ide qu'il se fait de l'intrt gnral avec la promotion du produit qu'il contribue
mettre la disposition du public. Ainsi que je l'ai
dj crit dans Demain le capitalisme (chapitre v) :
La logique de la fonction publique est de produire plus
de ce qu'elle produit par rapport ce qui correspondrait
la meilleure allocation sociale des ressources de la
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car ils en tirent une somme de satisfactions individuelles plus grandes; mais ils sont galement en
position de mieux faire prvaloir la promotion de
leurs intrts communs que les autres groupes socioconomiques (car mieux informs, et donc plus motivs a investir sur le march politique).
Il est vrai que les fonctionnaires sont eux aussi
des contribuables. On pourrait donc penser que leurs
intrts de contribuables (ou de consommateurs)
viennent quilibrer leurs intrts corporatifs de producteurs. Ce n'est pas le cas parce que, comme nous
l'avons dj vu, pour eux aussi, l'enjeu personnel
reprsent par l'adoption d'une mesure. dpensire
- dont on tire profit en tant que membre d'une catgorie socio-conomique et non en tant qu'individu tant par dfinition suprieur l'enjeu fiscal' correspondant, les individus sont logiquement conduits
privilgier leurs intrts corporatifs personnels
plutt que leurs intrts de contribuables.
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chez le contribuable une illusion fiscale dont les principaux bnficiaires sont tous ceux qui profite en
priorit l'accroissement des dpenses de l'Etat et du
nombre de ses agents.
On retrouve ici les ides exposes par les nouveaux conomistes dans leur Manifeste pour une
Charte fiscale, prsent la presse le 28 fvrier 1979.
Le principe fondamental de la dmocratie, expliquaient
les douze signataires de ce manifeste, le consentement de
l'impt, n'est pas respect. Le vote du budget par le Parlement ne suffit pas garantir que l'impt pay soit rellement et totalement compris et accept. Pour que l'impt
puisse vraiment tre consenti par les citoyens, il faut que
l'information soit disponible. Ce n'est pas le cas. Nous
nous trouvons aujourd'hui dans la situation tonnante o
les pouvoirs publics imposent l'affichage des prix aux
entreprises prives, alors qu'ils dissimulent le cot de
leurs services en ayant recours des impts nombreux,
complexes, souvent cachs, et dont les incidences par l
mme sont largement inconnues. Il y a donc illusion
fiscale et rgression de la dmocratie.
L'inflation ou divers impts en nature constituent des
exemples de fiscalit cache. Le service militaire ainsi que
toutes les obligations administratives qui psent sur les
entreprises et les mnages et qui forcent les individus
consacrer du temps au service de l'Etat, font partie des
impts en nature.
La fiscalit cache, c'est, par exemple, les droits de
douane et autres mesures de protection dont le cot effectif pour la collectivit est considrablement suprieur au
montant reu par l'Etat. Ce sont encore toutes ces rglementations qui empchent le citoyen d'obtenir le meilleur
service au moindre cot (limitatIOn du nombre de taxis,
monopoles ariens, limitation du nombre d'officiers ministriels, fonctionnarisation des professeurs d'universit,
etc.). Il est temps de s'apercevoir que les statistiques relatives la part de l'Etat dans l'conomie nationale sont
fausses : une grande part de ce qui est enregistr comme
activit prive est en fait une activit au service de l'Etat.
Cela conduit penser que l'impt n'est pas consenti,
concluent les nouveaux conomistes. Mais il y a plus grave
encore : les avantages apports par un service tatique
sont plus exactement perus par l'lecteur que les cots
correspondant ne le sont par les contribuables. Chacun a
l'impression que le service public est gratuit, que la rglementation est sans cot, alors qu'il n'en est rien et que la
collectivit doit supporter une charge parfois disproportionne au regard de l'avantage reu par les bnficiaires.
Tout citoyen, toute firme, tout groupe de pression a intrt
167
obtenir une faveur publique dont la charge sera supporte par tous et ne portera sur lui que de manire insensible. Les hommes politiques ont intrt leur donner
satisfaction pour obtenir des voix aux lections, les
bureaucrates pour tendre leurs pouvoirs. Au contraire, la
rentabilit individuelle pour le contribuable d'un effort
pour modifier par le march politique la pression fiscale
est faible. Ce qui explique le niveau lev et croissant de
la fiscalit actuelle. De ce fait, les gestionnaires de l'Etat
peuvent ajuster les recettes aux dpenses contrairement
aux mnages et aux responsables d'entreprises qui doivent
ajuster leurs dpenses leurs recettes.
168
Demain le libralisme
169
III
L'conomie politique
des transferts sociaux
Au sein de l'ensemble des dpenses publiques, les
dpenses de transfert social ont pris, depuis la dernire guerre, une part prpondrante : alors que les
dpenses des organismes de scurit sociale ne reprsentaient que 3,3 % de la P.I.B. en 1938, le rapport
tait de 28,9 % en 1971 (le budget de l'Etat, stricto
sensu, ne faisant, lui, que 27,4 % de la P.I.B.24). Et
comme depuis le dbut des annes 1970, l'effort social
de la nation a progress sensiblement plus vite que
la production - notamment et surtout depuis 1974,
en raison des incidences conomiques et sociales de
la crise -, il est probable qu' l'heure actuelle la
part des organismes de scurit sociale dans l'ensemble des dpenses publiques a encore sensiblement
augment. Selon Edouard Bonnefous, cette part serait
maintenant de plus de 30 % de la P.I.B.
Ce phnomne n'est pas proprement franais. On
retrouve des volutions identiques dans tous les
grands pays industrialiss; aussi bien chez nos voisins de la C.E.E. - o la part des dpenses sociales
24. Pour un tableau rtrospectif de l'volution des dpenses
de transfert social dans l'conomie franaise, voir Christine
Andr et Robert Delorme, Dterminants des dpenses :publiques et rle de l'Etat lO, dans Vie et Sciences conomIques,
aVril 1979.
171
25. Cf. Alain Wolfelsperger Croissance conomique, conflits sociaux et ~enses puibliques , dans Vie et Sciences
conomiques, n 77, avril 1978.
.
.
172
Demain le libralisme
173
Wolfe1sperger, les pr~frences individuelles et la croissance du revenu national suffisent peut-tre expliquer
que l'on consomme relativement plus d'ducation et de
sant aujourd'hui qu'il y a un sicle, mais pas que ces
biens soient fournis par l'Etat. Ce sont les raisons de cette
prfrence sociale pour un revenu (en nature ou en
es:pces) d'origine publique au lieu d'un revenu d'origine
pnve qu'il s'agit d'examiner~.
174
Demain le libralisme
donner beaucoup pour les plus dmunis, mais en ralit je suis peu motiv pour agir concrtement. A
moins que quelque chose ne m'apporte la garantie
que l'effort que je ferai personnellement sera galement consenti ou impos aux autres. Comment? Deux
solutions sont possibles. L'une, c'est la morale ,
l'existence d'un code thique partag par l'ensemble
de la socit, qui fait que chacun se sent individuellement contraint de donner : par exemple, une
morale religieuse. L'autre, c'est l'Etat; c'est--dire
l'utilisation de son monopole de la force et de la
contrainte au profit de dons forcs . Si je vis dans
une socit o les contraintes morales et religieuses
sont affaiblies, et si je suis dsireux de faire quelque chose pour les pauvres (car c'est mon propre
intrt), je suis logiquement conduit considrer
que mon action personnelle contre la pauvret passe
par l'intermdiaire de l'Etat, dans la mesure o il
reprsente la seule institution capable de me garantir
que ce que je ferai, les autres seront galement
contraints de le faire. Dans cette perspective, rduire
la pauvret est un bien collectif assimilable la
justice, la police ou la dfense nationale; un bien
dont je ne peux profiter que s'il est produit par
la puissance publique.
175
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Demain le libralisme
177
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Demain le libralisme
181
revenu des plus pauvres, et, pour cela, accepter volontairement d'lever les salaires les plus bas au-del de la productivit marginale (la diffrence reprsentant le prix que
chacun paie pour acheter la bienveUlance et le calme
de la population la plus dfavorise). Mais, danS un systme concurrentiel, l'entrepreneur n'a aucune garantie
que ce que lui accepte de faire volontairement, .les autres
accepteront de -le faJ.re galement. On se retrouve dans une
situation caractristique de dilemme du prisonnier ,
analogue celle que nous avons prcdemment voque
propos de la charit individuelle. Si je prends l'initiative
d'une telle action, les autres en tireront un bnfice
gratuit; mais si tout le monde n'agit pas de mme, je me
mets mon dsavantage par rapport mes concurrents.
Et si, l'inverse, les autres font ce que je ne fais pas, c'est
moi qui tirerais un profit gratuit de leur initiative,
tout en me mettant en position d'amliorer ma situation
concurrentielle. Consquence : personne ne bouge, tout le
monde attend que ce soit l'autre, ou les autres qui prennent l'initiative.
.
Dans de telles circonstances, il est naturel que tous ceux
qui souhaitent bnficier de ce bien collectif se tournent vers l'Etat de manire sortir de cette situation de
jeu o leur intrt commun est menac par la recherche
de leur intrt individuel. Seul l'Etat possde les moyens
de contrainte ncessaires pour intervenir avec l'ampleur
suffisante pour parvenir au rsultat recherch. L'augmentation des dpenses publiques en faveur des catgories les
moins favorises de la population apportera celles-ci le
supplment de bien-tre que le march ne peut pas leur
procurer sous forme de revenus plus levs, bien ~u'il soit
de l'intrt de chacun de chercher acheter aJ.Dsi leur
bienveillance.
L'analyse d'Alain Wolfelsperger peut paraitre relativement triviale, dans la mesure o elle ne fait que
formaliser une ide apparemment banale. Pourtant,
malgr son vidence, elle n'est pratiquement jamais
cite dans aucun manuel de finances publiques; que
ceux-ci soient no-classiques ou marxistes .
Ayant l'avantage d'tre largement indpendante des
caractristiques institutionnelles des pays concerns,
elle peut s'appliquer la croissance des dpenses
sociales aussi bien dans les socits de l'Est (exemple de l'U.R.S.S.) que dans les dmocraties occidentales; Elle permet de comprendre pourquoi c'est
surtout dans les priodes de crise conomique (les
annes 1930) ou sociale (l'Amrique de Johnson) .que
l'intervention sociale de l'Etat se dveloppe le plus
182
Demain le libralisme
rapidement. Enfin, elle explique pourquoi nos systmes de redistribution sont orients davantage vers
la mise en place de systmes complexes de transferts
en nature ncessitant le recours une bureaucratie
nombreuse, plutt que vers l'adoption de techniques
plus simples mais plus efficaces de' transferts directs
en espces (type impt ngatif ou revenu minimum garanti) : puisque l'on fait appel lui, il Y a
toutes chances que l'Etat arbitre de prfrence en
faveur des techniques d'intervention qui maximisent
l'intrt individuel de ses agents.
Cela dit, cette analyse a aussi un certain nombre
de limites. Tout d'abord, elle repose sur un postulat
discutable : -la prsomption que le libre fonctionnement de l'conomie de march aurait tendance, sinon
accrotre les ingalits, du moins accrotre les
conflits sociaux lis au problme des ingalits et
de leur perception. Il est vrai que la croissance
conomique est un facteur de dstabilisation sociale :
elle dtruit les valeurs de rsignation, le respect des
hirarchies indispensables pour faire accepter des
ingalits sans lgitimit apparente; elle fait clater
les cadres sociaux traditionnels, et dtruit certains
rseaux anciens de solidarit et de transfert (la
famille, le village, les solidarits religieuses ...), rendant ainsi certaines ingalits d'autant plus sensibles.
Mais pour expliquer l'acclration contemporaine
des politiques de transferts sociaux, il faudrait accepter l'ide que ces effets de dstabilisation soient
aujourd'hui plus accentus qu'autrefois : ce qui ne
parat pas vident. Il est vraisemblable que d'autres
facteurs jouent un rle plus immdiat : par exemple
l'rosion d'un certain nombre de rgles institutionnelles dont l'attnuation aboutit rendre plus facile
la runion de coalitions favorables ce type de politiques (attnuation du tabou de l'quilibre budgtaire, ou encore disparition des garde-fous montaires de l'talon-or).
Cependant, l'objection la plus importante vient de
ce que si ce type d'analyse permet d'expliquer la
tendance l'accroissement de .cette catgorie de
dpenses publiques, elle ne ~ermet pas de dire grandchose (en dehors du choix mvitable en faveur d'un
systme complexe de prestations en nature) sur -la
structure du ou des systmes de redistribution mis
183
en place. Or, la croissance d'un systme est indissociable de ses caractristiques structurelles. Pour
rellement comprendre la dynamique d'expansion
des rgimes sociaux contemporains, il faut que
l'explication avance permette aussi de rendre
compte de la gense de sa structure. Ce.qui conduit
voquer nouveau le rle des mcanismes lectoraux dans les dmocraties parlementaires fondes, en
rgle gnrale, sur le principe de la majorit simple.
184
Demain le libralisme
185
pourboire , qui sera toujours mieux pour les bnficiaires que de ne rien avoir.
Allons plus loin. Les vrais pauvres ne reprsentent que 10 20 % de la population. Ce sont eux qui
devraient tre les principaux bnficiaires de toute
politique de redistribution. Mais ils ne formentqu'une minorit au sein de la coalition des 51 % les
moins riches. Ils ne peuvent donc pas la dominer.
Ce qui signifie que s'il y a redistribution des 49 %
les plus riches aux 51 % les moins riches, et si l'on
dsire qu'au sein de cette population, les 10 ou 20 %
les plus pauvres reoivent en moyenne beaucoup plus
que les autres membres de la coalition, il faut que
ces derniers fassent preuve d'un sens altruiste plus
dvelopp que celui du reste de la population.
Comme il n'y a pas de raison qu'il en soit ainsi on ne voit pas pourquoi les classes _moyennes
auraient des qualits altruistes plus dveloppes que
les autres -, on est conduit penser que si une
telle coalition triomphe et est en mesure d'imposer
aux plus riches une relle redistribution, elle ne
pourra russir que si les moins pauvres de la coalition comme les plus pauvres reoivent au moins la
mme chose. Sinon, il suffirait de relativement peu
de chose pour que ces moins pauvres fassent dfection et passent de l'autre ct de la barrire pour
un plat de lentilles.
Autrement dit, mme dans le cas d'une victoire de
la coalition des moins riches, il .ne faut pas s'attendre ce qu'il en rsulte une redistribution massive
bnficiant prioritairement et massivement aux plus
dshrits. On a bien plus de chances de dboucher
sur un systme qui serve d'abord et avant tout les
intrts des classes moyennes, celles-ci bnficiant
des effets de surenchre que leur situation mdiane
autorise. Or, c'est bien ce que l'on constate 31.
186
Demain le libralisme
L'analyse thorique rejoint les conclusions auxquelles arrivait en 1976 le professeur belge de l'Universit d'Anvers, Hermann Deleeck 82 :
L'exprience politique empirique des vingt dernires
annes, crit-il, a cr une image .a posteriori de l'effet
redistributeur de la Scurit sociale totalement diffrente
de ce que l'on escomptait a priori : l'effet rdistributeur
de la Scurit sociale n'est pas sens unique; il est trs
incertain; une redistribution contresens n'est pas
exclure, elle est mme probable. La socit.de type Welfare
State est reste impuissante devant la persistance des
disparits et ingalits sociales. Les principaux bnficiaires de la politique sociale furent essentiellement les
classes moyennes, les groupes aiss acqurant une part
relativement plus grande des avantages distribus alors
que le Quart monde des vieillards, des malades, des
handicaps et des marginaux, en dpit de maintes dclarations politiques, est rest dfavoris. L'octroi massif de
petites allocations toute la population a prcisment eu
pour effet que la redistribution devient incertaine, et favorise de manire relative les catgories de revenus levs.
Qu'il en soit ainsi n'a rien d'tonnant ds lors que
l'on prend en compte le fonctionnement du march
politique 33.
annuelles de soins pharmaceutiques. Par ailleurs, Andr
Courtaigne rappelle les conclusions d'une enqute du CRE'
DOC qui montre l'existence de seuils de consommation varia
bles avec le revenu. Il reste vrifier, crit-il, si le rem
boursement des mdicaments opre une redistribution des
revenus les plus riches aux plus pauvres. Il y a a priori peu
de chances pour cela, car la maladie est aveugle et frappe
au hasard, le recours la mdecine est plutt plus frquent
dans les classes sociales aises et les cotisations sont voisines
pour tous puisque la base de leur calcul est plafonne. Cha
cun paie peu prs autant et les plus riches peroivent plus.
Il risque plutt d'y avoir. une contre-redistribution. Au total,
le systme actuel consiste percevoir des cotisations des
classes moyennes, prlever IS % de frais de gestion, et
les rendre aux cotisants pour leurs dpenses courantes ...
32. Cf. Hermann Deleeck Scurit sociale et Redistribution
des revenus lO, Problmes conomiques, 2 mars 1977.
33. A cet gard, l'exprience franaise de l'aprs-guerre est
:particulirement intressante. Si l'on a assist rcemment
(1979) une nouvelle agitation des milieux de cadres ..
la suite des mesures gouvernementales destines renflouer
la trsorerie de la Scurit sociale, c'est que la dgradation de la
situation conomique (avec ses retombes politiques et sociales)
amne le pouvoir entreprendre un nouvel effort de redistribution en faveur des couches de la population les plus
187
Paradoxalement, on est ainsi conduit la conclusion que, si l'on veut maximiser les transferts au profit des plus dshrits, peut-tre vaudrait-il mieux
que ceux-ci s'allient avec les plus riches de la socit
plutt que de rechercher l'appui des classes intermdiaires; - une politique de transferts directs des
plus riches aux plus pauvres tant probablement
moins coteuse pour les plus riches que le systme actuel de saupoudrage et de dilution des trans~
ferts qui est la caractristique de la plupart des
systmes redistributifs contemporains.
On s'explique aussi pourquoi le projet d' impt
ngatif prouve de nombreuses difficults percer
au niveau politique : sa simplicit en fait un systme
trop transparent 34. N'en seraient vritablement bnficiaires que les plus dfavoriss, ce qui rend impossible toute coalition viable intgrant les classes
moyennes. L'impt ngatif pnaliserait au sein de
la coalition ceux qui se rapprochent le plus de la
bande mdiane, empchant ainsi cette galisation
des prestations qui est la condition du ciment de la
coalition. L'adoption de l'impt ngatif ne peut, dans
ces circonstances, tre ralise que par une coalition
directe des plus riches et des plus pauvres, ou si les
classes moyennes prennent peu peu conscience des
effets pervers sur la collectivit (et donc sur la
progression de leur pouvoir d'achat) de l'hypercomplexit des systmes actuels de redistribution :
dfavorises, et que cet effort remet en cause, non pas les
privilges ou les avantages acquis des cadres", mais le
succs qu'ils ont obtenu pendant de nombreuses annes pour
limiter les incidences redistributives des ambitieux projets
sociaux de la Libration. On dit souvent que la Scurit
sociale franaise a t conue non pas comme un systme
de redistribution verticalel mais comme un systme de solidarit horizontale entre dlvers groupes sociaux, ou entre les
membres des diverses catgories socio-conomiques. On est
en droit de se demander si cet argument n'est pas en fait
une reconnaissance implicite de l'impossibilit politique, dans
une dmocratie comme la ntre, de runir une majorit qui
incluerait les classes moyennes et qui viserait obtenir une
vaste redistribution des revenus dont les classes moyennes
seraient en ralit les principales victimes.
34. Evoquer cette difficult n'est pas en contradiction avec
le fait que, nos yeux, de toutes les techniques possibles de
redistributlon, elle est celle qui nous paratrait la plus souhaitable.
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Demain le libralisme
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Demain le libralisme
1980.
191
IV
y a-ton une spcificit franaise ?
Rductionnisme?
Une premire srie de remarques concerne gnralement l'aspect rductionniste de la dmarche. On
lui reproche notamment de faire de l'gosme la
caractristique psychologique fondamentale des individus dont on tudie la logique des choix. Cette technique d'analyse conduirait liminer du comportement humain tout ce qu'il y a de bon chez l'homme,
pour n'en retenir qu'une approche caricaturale et
grossiremen.t simpliste du systme de motivation
des principaux acteurs politiques. Elle reflterait un
prjug normatif et cynique du jeu des institutions
parlementaires ou administratives.
Que l'analyse conomique soit rductionniste,
aucun doute. Ainsi que le rappellent Ilya Prigogine
et Isabelle Stengers dans leur remarquable livre sur
l'histoire de la science, ou encore l'pistmologue
franais Paul Scheurer dans son rcent ouvrage sur
les mcanismes de la connaissance scientifique 41,
41. Cf. Ilya Prigogine et Isabelle Stengers, La Nouvelle
Alliance (Le Seuil, 1980). Paul Scheurer, Rvolution de la
Science et Permanence du Rel (P.U.F., 1979).
193
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Demain le libralisme
Dpenses publiques en
biens et services
(globales) ...........
Transferts aux mnages .................
Produit national brut
(nominal) ..........
NIVt:au gnral des
prIX
................
Type du modle
Politicoconomique
Economique
pur
1,80
8,34
1,41
4,04
2,62
4,55
1,80
3,66
195
viduelles. Ainsi que le fait remarquer Alain Wolfelsperger, l'approche par l'Homo oeconomicus est
d'ailleurs aujourd'hui concurremment utilise par
des hommes que tout spare sur le plan des options
politiques t idologiques 43. Par ailleurs, les travaux
de Michel Crozier (L'Acteur et le Systme) et de
Raymond Baudon (Les Effets pervers) montrent le
renouveau d'intrt de la sociologie franaise pour le
paradigme de l'individualisme mthodologique .
L'conomiste n'est plus seul se servir de cet outil,
mme si toutes ses hypothses ne se fondent pas compltement avec celles des nouveaux sociologues .
Analogies illgitimes?
Cette premire critique est gnralement accompagne d'une seconde qui concerne le caractre illgitime de l'extrapolation des schmas et concepts
conus dans le cadre de la thorie ~conomique des
choix marchands la sphre des dcisions non
marchandes, notamment et surtout la sphre poli~
tique.
C'est un problme que nous avons dj voqu
dans la premire partie de ce livre. Selon certains,
cette entreprise de gnralisation de la thorie conomique relverait plus de l'analogie ou de la parabole
que d'un travail caractre scientifique.
J'ai dj en partie rpondu cette question en voquant le fait que le problme disparaissait ds lors
que l'on revenait une concep'tion subjective de
la notion de coilt, et donc que l'on chappait aux
schmas mentaux que cinquante ans de pratique
imprudente des schmas et raisonnements macroconomiques nous ont inculqus.
J'ajouterai que ce problme n'est pas propre la
thorie conomique et la nouvelle conomie. C'est
un phnomne que l'on retrouve dans toutes les
sciences. Ilya Prigogine et Isabelle Stengers montrent
trs clairement comment pendant deux sicles toutes
les sciences se sont dveloppes partir d'un phno43. Cf. Alain Wolfelsperger, La Thorie conomique de"
l'Etat et les thories des conomistes sur l'Etat, colloque
du G.A.P.A.C., Maison des Sciences de l'Homme, janvier 1980.
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davantage des intrts rgionaux qu'il n'est l'expression de groupes conomiques et sociaux; ces derniers, pour agir sur la production publique, agissent.
bien plus directement sur l'administration que sur
le personnel politique. De ce fait, au niveau national,
l'lu politique (ou le parti politique) est bien plus
amen prendre des positions idologiques - qui
transcendent les catgories sociales et conomiques
- qu' se faire le porte-parole d'intrts particuliers.
Le lobbying politique, au sens amricain du terme,
se rfugie au niveau des ministres et administrations techniques (D.D.A., directions du ministre de
l'Equipement ou de l'Industrie), et s'effectue davantage dans le cadre de la comptition entre lobbies
bureaucratiques qu'au grand jour dans le cadre des
dbats parlementaires.
Une autre explication possible peut venir de la
structure particulire des groupes de pression dominants. Alors que dans les pays anglo-saxons, l'Angleterre par exemple, ceux-ci sont organiss sur une
base corporative trs affirme (la structure des Trade
Unions), en France l'action des groupes de pression
dominants (les syndicats) est moins affirme et moins
individualise; d'o le fait qu'ils s'adressent une
population -sensiblement plus diversifie, pour la
conqute de laquelle il faut trouver le plus grand
dnominateur commun, fdrateur d'intrts particuliers trop divers et parfois en conflit. On peut
penser que c'est l'idologie qui joue ce rle de plus
grand commun dnominlil.teur.
Que la rfrence explicite au jeu des groupes
d'intrt soit traditionnellement absente de la pense
et de l'analyse conomique ou politique franaise 46
ne signifie donc pas que ces phnomnes soient
ncessairement moins prsents chez nous que chez les
Anglo-saxons. J'aurais personnellement tendance
penser que cette absence est en ralit une preuve
implicite du pouvoir dominant qu'exerce en France
le lobby de la haute fonction publique (grandes
200
Demain le libralisme
coles et grands corps de l'Etat), au point que l'idologie dont celle-ci se sert pour lgitimer son action
est devenue le mode de pense politique quasi exclusif
des gnrations actuelles.
.
Le problme n'est d'ailleurs pas propre la France.
On trouve les mmes difficults dans un pays pourtant plus proche de la pense amricaine, la GrandeBretagne.
J'assistais un jour une runion laquelle participaient plusieurs dputs britanniques, raconte Gordon
Tullock dans son livre sur le march politique 46. L'un
d'entre eux, connu pour ses brillantes capacits et ses
antcdents universitaires, me semblait le mieux dsireux
pour rpondre des questions sur les institutions britanniques. Lorsque j'abordai la question, il dmentit nettement qu'il existe une pratique du log-rolling en GrandeBretagne; et aprs que j'eus tent de lui expliquer mon
hypothse sur la manire dont le log-rolling se droulait
dans son pays, il nia fermement que les choses se passaient ainsi. Trs peu de temps aprs, il fit une allocution
publique, au cours de laquelle il expliqua comment il
s'efforait d'entraner son parti soutenir une certaine
politique. Sa description tait 100 % du log-rolling. Il
dclara : J'assiste des runions de commission et vote
sur certains sujets dont je me moque perdument afin
de conduire les personnes qui sont rellement intresses
par ces sujets assister la runion de ma commission.
Et je leur tiens la main lorsque le moment du vote
arrive! Le dernier propos est, bien sr, exagr. Ce
dput avait tout simplement t form une explication
thorique de la marche de la politique; confront la
ralit, il en avait suivi le droulement pratique. Puisqu'il
n'y avait aucune raison pour qu'il rapproche ces deux
dmarches, il ne l'avait jamais fait. Lorsque moi, un visiteur spcialiste de l'conomie politique, je lui posai des
questions sur la procdure britannique, il rpondit tout
fait sincrement, en accord avec la thorie laquelle il
avait t form. Et lorsqu'il en vint expliquer ce qu'il
faisait personnellement dans la pratique, il le fit nouveau
avec sincrit, sans avoir conscience de la divergence existante. Ce ne fut pas avant la fin de son meeting, lorsque
je soulevai le problme, qu'il comprit enfin qu'il existait
une certaine contradiction entre sa thorie et sa pratique
de la politique conclut Gordon Tullock.
Cette anecdote est tout fait typique des probl46. Gordon Tullock, Le March politique, ouvrage dj cit.
201
Et la scurit?
Certains lecteurs s'tonneront sans doute que nous
n'ayons jamais voqu le problme du goilt croissant
des Franais pour la scurit . Ce besoin croissant
de scurit est trs souvent - pour ne pa.s dire
constamment -. invoqu pour expliquer la .croissance du Welfare State et de l'Etat moderne en gnral.
Si nous n'en avons pas parl, c'est parce que ce
type d'argumentation, qui parat pourtant aller de
soi, fait en ralit partie de ces explications dfinitives qui semblent tout rgler sans rien rgler. Car
ce qu'il faut expliquer c'est, d'une part, pourquoi
nous serions demandeurs de plus de scurit que
prcdemment, d'autre part, pourquoi ce phnomne est gnral tous les pays occidentaux puisque
la croissance des transferts sociaux n'est pas un
phnomne proprement franais. Pour expliquer la
croissance apparente de la demande de scurit, il
faut donc trouver des lments d'explication qui
s'appliquent aussi bien aux autres socits qu' la
socit franaise.
A cet gard, les thses dveloppes dans les chapitres prcdents, restent compatibles avec l'observation apparente d'une demande croissante de scurit
dans les pays occidentaux dvelopps. Expliquer la
croissance des transferts sociaux par la logique
interne de nos institutions parlementaires permet
en effet d'expliquer la croissance apparente des
besoins de scurit, sans qu'il soit ncessaire de
postuler que cela implique un changement fondamental d'attitude des citoyens et des agents conomiques vis--vis du risque et du non-risque . :La
seule chose qui change, ce sont les prix relatifs du risque et du non-risque.
Le dveloppement des vastes systmes de transfert, ainsi que la progression de la fiscalit qui les
finance, plus toutes les rglementations publiques
qui entravent la libert d'entreprendre, rduisent
considrablement les profits individuels que cha-
202
Demain le libralisme
Les Rouages
de
la socialisation
203
systmes politiques ou de telles politiques de redistribution' sociale. Mais tout simplement essayer
de faire en sorte que leur fonctionnement produise
des rsultats plus efficaces, c'est--dire plus conformes aux intentions d'origine, compte tenu des
moyens disposition et de la structure relle des
prfrences des citoyens.
Ainsi que le rsume Richard Wagner: Si nous
proposons d'introduire de nouvelles contraintes constitutionnelles, ce n'est pas pour rduire l'exercice
du pouvoir lgislatif, mais pour viter que celui-ci
ne conduise notre insu des rsultats que nous
ne dsirons pas 47.
Il ne s'agit pas de condamner, ni de dtruire, mais
d'amliorer afin prcisment d'viter les dconvenues
qui conduisent en dfinitive recommander l'Etat
d'intervenir toujours plus, et donc de faire appel
toujours plus de contraintes, au nom de dfaillances
ou d'insatisfactions dont on fait porter la responsabilit aux mcanismes de l'conomie de march, mais
qui, en ralit, sont le' fruit d'imperfections et de
frictions qui caractrisent le fonctionnement de nos
marchs politiques, et dont les modes de pense
traditionnels ne nous permettent pas de prendre
conscience.
Il s'agit tout simplement de contribuer ce que
nos dmocraties occidentales se rapprochent davantage de l'idal dmocratique qu'elles voudraient
incarner, tout en sachant qu'on ne pourra jamais
atteindre cette situation parfaite, mais en ayant conscience de ce qu'un systme imparfait est toujours
perfectible. Autement dit, pour mettre les choses
bien au clair, la question n'est pas de crier gratuitement Haro! sur l'Etat et les transferts sociaux;
mais de contribuer une recherche qui nous rapproche davantage de l'Etat optimal, ainsi que du systme de redistribution le plus efficient possible.
204
Demain le libralisme
Conservatisme?
. Le dernier point concerne la suggestion selon
laquelle les conclusions auxquelles conduisent ces analyses resteraient fondamentalement conservatrices.
C'est ainsi qu'un groupe de cadres. militants
C.F.D.T. crivaient dans un article consacr la nouvelle conomie :
. .Les rflexions qui suivent rsument le point de vue de
quelques cadres, militants syndicalistes, qui ont une certaine connaissance de la pratique quotidienne des entreprises, des choix conomiques et des conflits. Ils ont
parcouru la prose des nouveaux conomistes. Ils
seraient prts les approuver quand ils dnoncent la
carence de la rflexion conomique en France, et la ncessit d'en finir avec l'archasme capitaliste. Ils ne trouvent
pas mauvais que soient formules un certain nombre de
critiques sur l'autogestion, car il s'agit d'un projet difficile, et pas du tout euphorique. Ils reconnaissent volontiers ces nouveaux conomistes des qualits intellectuelles, dont le brillant. Mais ils leur dnient absolument
cette objectivit d'experts laquelle ils prtendent.
. Comme le disait un cadre aprs avoir suivi un stage anim
par un nouvel conomiste : leur discours thorique
est sduisant et peut faire rflchir. Mais pourquoi deviennent-ils si ractionnaires lorsqu'ils proposent des solutions
aux problmes concrets 48 ?
De son ct, Maryse Aulagnon, dans une note de
synthse sur la Thorie des choix collectifs aux EtatsUnis, note diffuse par les services du Conseiller
financier de l'Ambassade de France Washington,
conclut son tude 49 en crivant :
Les aspects de la thorie des choix publics impliquent
une position doctrinale: le schma institutionnel ("cons titutonal design") bien qu'encore trs thorique, comporte
des aspects pratiques que l'on pel,lt qualifier de conservateurs. Certes, la rflexion sur les modes d'laboration des
dcisions collectives en recherchant la satisfaction optimale de la contrainte dmocratique ne l'est pas en soi,
48. La nouvelle conomie, un laboratoire idologique c;lu
nouveau patronat , dans Cadres C.F.D.T., n 285, septembreoctobre 1978.
49. La thorie. des choix publics aux Etats-Unis, ambassade
de France Washington, 15 fvrier 1980.
20S
206
Demain le libralisme
prises jeunes, dynamiques, et pas encore trop grandes (celles des nouveaux entrepreneurs ). Je crois
que le moment est venu de reconnatre que faire
c'est aussi avoir le courage de dfaire . Les conclusions auxquelles nous arrivons n'ont donc. rien de
conservateur. Le conservatisme, c'est d'abord et avant
tout l'immobilisme, la prservation jalouse de ce qui
est et des rentes (conomiques ou politiques) lies
cette situation 60. Or, il me semble que tout ce qui
prcde ouvre sur une pense et des propositions
qui n'ont rien d'immobiliste ni de fixiste.
QUATRIME PARTIE
Aux E1!ats-Unis comme en France, les efforts de iibralisation conomique - politiques de drgulation s'accompagnent d'un regain de vigilance sur le plan des
politiques de la concurrence. Par exemple, il est de plus en
plus question d'introduire dans la lgislation antitrust
amricaine de nouvelles clauses soumettant les fusions et
concentrations d'entreprises, au-del d'une certaine taille,
autorisation pralable des :pouvoirs publics. Un projet de
loi allant dans ce sens a ainsI t dpos, en mars 1979, sur
le bureau du Snat de Washington par Edward Kennedy.
Entre les Etats-Unis et la France, il existe cependant une
diffrence importante: depuis une quinzaine d'annes, les
lois antitrust, dont l'efficacit fait si souvent l'admiration
de nos experts et de notre personnel politique 1, sont
l'objet d'une contestation croissante de la part d'conomistes qui remettent en cause nombre des convictions
thoriques et empiriques sur lesquelles la jurisprudence
amricaine est le plus souvent fonde.
Ces conomistes sont, pour la plupart, des universitaires
relevant de la mouvance de l'Ecole de Chicago et du courant de pense no-libral amricain. Leur point de ralliement est constitu par le Journal of Law and Economics
qui, jusqu' l'anne dernire, tait publi sous la direction
du professeur Ronald Coase.
A quelques exceptions prs, leurs noms sont peu connus
du public franais. Il s'agit de professeurs comme :
- George Stigler, 68 ans, professeur l'Universit de
Chicago depuis 1958, collgue et ami intime de Milton Friedman, ancien prsident de l'American Economic Association;
- Armen Alchian, 65 ans, professeur l'Universit de Californie (Los Angeles), auteur d'un des plus brillants manuels
amricains d'analyse microconomique (University Economies, crit en collaboration avec le professeur A. Allen, et
dont une nouvelle dition, modifie et enrichie, devrait prochainement paratre 2);
1. Cf. par exemple l'ouvrage de Christian Borrome, Solu-
Wadsworth).
210
Demain le libralisme
Ne tuons
pas
la concurrence...
211
212
Demain le libralisme
tent, c'est:
.
1) l'usage qui en est fait; les excs de zle enoourags
par un appareillage intellectuel qui conduit surestimer
l'importance des gaspillages conomiques lis libre
fonctionnement du march, cependnt qu' l'inverse on ne
tient pas compte des gaspillages introduits par les rglementations et interfrences publiques;
2) l'ide qu'une lgislation de la concurrence doive
ncessairement s'accompagner d'une gestion gouvernementale des situations de concurrence ;
enfin, 3) la pertinence d'une vision qui considre Q.,ue
l'histoire suffirait dmontrer l'incontestable nceSSIt
d'un engagement de plus en plus actif de l'Etat pour faire
respecter le libre jeu du march.
.
Les pages qui suivent ne constituent pas, a priori, un
rquisitoire indiscrimin contre toutes les formes de
lgislation de la concurrence. Mais, contrairement ce que
pensent tous ceux pour qui l'conomie de march s'appa.
rente un jeu collectif ou un sport dont le bon fonction
nement requiert la surveillance constante. d'arbitres
ilsintresss, le march n'a rien de commun avec la
pelouse du parc des Princes. Ce que montrent les travaux
les plus rcents de la science conomique est que le march
a beaucoup moins besoin de protecteurs que ne l'affir
ment en gnral ceux dont la profession est prcisment
d'exercer ce rle d'arbitres. Le march est un mcanisme
rglateur beaucoup plus efficient et beaucoup moins
imparfait qu'on ne le croit en rgle gnrale; notamment,
comme nous le verrons, en raison de sa capacit crer
ses propres rgles ncessaires la rglation de ses
propres imperfections (rgles contractuelles. qui requi,
rent davantage l'arbitrage du droit civil que la surveil
lance constante d'une lgislation d'exception). Le march
n'est pas parfait. Il ne l'ajamais t. Il ne le sera jamais.
Mais en volant le rendre plus parfait - ou moins
imparfait - nous devons prendre garde ne pas prendre
pour cible les antidotes que lui-mme a suscits pour
neutraliser les effets de ses propres imperfections.
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Demain le libralisme
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216
Demain te libralisme
les conditions d'exercice de la comptition industrielle s'cartent le moins possible des normes idales. D'o l'appel l'Etat. Conseill par ses conomistes, le rle de celui.ci n'est pas d'instaurer sur
terre les conditions de la concurrence pure et
parfaite (dont on reconnat que c'est irralisable),
mais, au moyen des lois sur la concurrence et le
rgime des prix, de corriger ce que les conomistes
appellent les imperfections du march; c'est-dire, comme l'a. rsum Mme Christiane Scrivener
lors de la prsentation des rformes de 1977, d'intervenir pour dcourager les pratiques qui s'loignent
le plus du modle thorique qu'il convient de garder
comme image de rfrence 3 .
Cette approche est celle qui sert de base toute
la pense conomique et politique contemporaine.
Elle est parfaitement logique. Elle s'appuie sUr
l'usage d'un appareil conceptueJ qui a permis la
science conomique de raliser un certain nombre
de progrs. Ceci dit, objectent Hayek et ses disciples,
elle conduit dvelopper et modeler nos politiques
d'intervention en .fonction d'une vision appauvrissante des processus conomiques dont l'une des
consquences est de nous empcher.d prendre co~
cience de la vritable fonction que remplissent le
march et le processus concurrentiel dans une socit
complexe comme la ntre.
217.
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Demain le libralisme
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220
Demain le libralisme
des consommateurs (ou des entreprises) est un processus .que l'on ne peut pas. dissocier de l'ensemble
des relations d'change qui forment la trame de fonctionnement du march: .
.
.. L'~vers dans' lequel nous vivons, observe ainsi
Hayek, est trs diffrent tant du monde atott1is de
la concurrence pure et parfaite que du schma de
reprsentation plus complexe mais encore trop simpliste que nous dcrivent les modles contemporains
issus de la thorie de l'quilibre gnral. La socit
n'est pas une juxtaposition d'agents autonomes dots
de comportements quasi mcaniques rductibles
un 'systme d'quations instantanes, et dont les prfrences ou les finalits seraient donnes une fois
pour toutes. Elle re~semble davantage une arne o
seraient rassembls. une multitude d'individus, d
groupes, d'associations dots' de projets autonomes
mais dont les objectifs; prfrences et choix voluent
en permanence. dans . le cadre d'un vaste systme
cyberntique d'interactions rciproques. Dans cet
univers, les dcisions de chaque agent conott1ique
sont fondes non sur des. donnes a priori, ayant une
existence parfaitement objective (c'est--dire indpendante de l'ide que les gens s'en font), mais sur des
reprsentations personnelles du monde qui refltent
ncessairement le caractre incomplet et limit de
la connaissance que chaque individu a de son environnement. Reprsentations qui, dans le monde rel,
voluent tout instant. en fonction des informations
nouvelles que transmet le rseau d'changes qui relie
la personne ses voisins, ses clients ou ses fournisseurs.
Dans cette optique, le march n'est pas seulement
un lieu anonyme et intemporel o s'changent des
biens et des services, mais un circuit, un processus
au cours duquel se crent, se diffusent, s'ajustent
des informations, des connaissances, des anticipations, des expriences parses et partielles. Un processus qui, progressivement, par des mcanismes de
rtroaction et d'apprentissage successifs, bien connus
des praticiens de l'analyse de systme, conduit les
agents rviser leurs projets, leurs dcisions, leurs
comportements, et les rendre peu peu davantage
compatibles entre eux. C'est ainsi, considrent les
Autrichiens , que s'ajustent progressivement les
221
222
Demain le libralisme
223
tal ll Il est le fruit d'une volution culturelle et institutionnelle, amorce bien avant qu'Adam Smith.
crive La Richess~ des Nations et soit le premier
formuler de faon satisfaisante le concept abstrait
d'conomie de march; une volution qui, travers
les sicles, s'est droule selon un processus de slection collective analogUe .celle que connaissent bien
les biolog~stes ou les spcialistes de l'anthropologie
sociale lorsqu'ils tudient les langages ou l'volution
.
des normes sociales et culturelles. .. . .
La question que les thoriciens du march6 et de
la concurrence ne devraient donc jamais perdre de
vue est: Pourquoi le march? Quelles sont les proprits spcifiques qui expliquent poUrquoi lessocits occidentales se sont progressivement struct.ures
autour de ce type d'institution?
.
_
La thorie . conomique conventionnelle ne rpond
pas ce genre d'interrogation. Ou, plutt, elle y
rpond d'une. faon profondment insatisfaisante
puisqu'elle aboutit poser implicitement que la
lgitimit de l'conpmie de march et de conCurrence
est lie aux rsultats que. permettrait d'obtenir une
conomie qui se conformerait strictement auxcaractristiques d'un modle de concurrence pure et parfaite. Ce qui, d'uil point de vue historique ou anthropologique, est .une absurdit -totale : si vraiment les
raisons d'tre de l'conomie de march taient lies
atix proprits d'une construction thorique qui part
de l'hypothse irraliste d'une socit o l'information ne compte pas, il est difficile d'imaginer par quel
processus une socit concrte aurait progressivement pu accoucher d'un tel systme d'organisation
sociale. Une telle innovation et t parfaitement
irrationnelle, et donc hautement improbable.
La rponse qu'apporte la- thorie haykienne du
march, elle, est au contraire beaucoup plus satis~
faisante.
Elle suggre que si le march est n et s'est dvelopp
au l?0I;1t de devenir le fondement essentiel des institutions
OCCIdentales, .c'est :parce que dans une socit o la
masse des informations ncessaires la coordination. des
projets et actions individuels est disperse entre des
.5; Voir -notre cha:pitre Comment est ne la proprit
dans Demain le cap&talisme.
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~conomic
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229
Longmans, Londres, 1969. Adoptant une attitude trs baykienne, Vera Lutz, explique que ce sont les frictions mme
du march qui font que, dans l'univers imparfait qui est le
ntre, l'conomie de march se rvle la forme la plus efficace d'organisation conomique. Supprimer ces frictions, si
c'tait en notre pouvoir, non seulement dc;lencherait le processus de monopolisation universelle voqu ci-dessus, mais
priverait l'conomie de march de toute utilit sociale. Ce
qui montre bien l'absurdit d'une approche qui consiste
iaentifier conomie de march et concurrence pure et parfaite.
230
Demain le libralisme
social est atteint lorsque tous les producteurs produisent juste la quantit qui correspond au point o
leur cot marginal est gal au prix impos par. le
march. Elle nous montre aussi que lorsque les
conditions de la concurrence pure et parfaite sont
ralises - lorsque le nombre de producteurs est
suffisamment grand pour qu'aucun d'entre eux
n'exerce d'influence significative sur la demande
venant des consommateurs -, ce point correspond
galement au volume de production qui maximise
le profit des entrepreneurs. Ce qui signifie que, dans
de telles circonstances, le libre jeu de la concurrence
suffit pour que les entreprises se fixent comme objectif de produire juste le volume qui correspond.
231
produire moins que ce qui est de l'intrt de la collectivit qu'il produise. La diffrence reprsente une
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20. Bien que nous ne faisions ainsi que l'eftleurer, le concept d'entrepreneur est tout fait central l'ide que le march concurrentiel, fond sur la libert de choix et d'action,
se justifie d'abord et avant tout en tant que procdure de
mobilisation et de diffusion de l'information dans une socit
comelexe. Si nous avons raisonn en termes d'individu, et
de libert individuelle et non en nous centrant sur l'entrepreneur et la libert d'entreprendre, c'tait pour ne pas alourdir l'expos et bien montrer que derrire ces notions tant
utiliseS, au point souvent de finir par tre uses, il y a un
problme beaucoup plus gnral : celui pos par l' conomique de la connaissance , auquel prcisment le march
constitue une forme de rponse, celle des socits complexes.
Le problme avec l'information et la connaissance est ~u'il
ne suffit pas que celles-ci existent pour tre socialement utiles.
Ce n'est pas parce que nous senons tous des ex:perts ayant
un niveau de connaIssance digne du polytechniCIen le plus
dou que le bien-tre de la socit en serait pour autant
plus lev. Le progrs vient d'abord et avant tout de l'exis. tence d'individus qui non seulement savent quelque chose,
mais aussi savent comment savoir, ou encore que faire .avec
ce qu'ils savent. Ainsi 'que le rsume Izrael KirZner dans son
livre Competition and Entrepreneurship : L'entrepreneur
n'en sait peut-tre pas autant que l'Xpert qui est son salari.
Mais, en un certain sens, l'entrepreneur est un agent cononiique qui possde une certaine forme de connaissance suprieure aux autres : il sait comment acqurir les connaissances
et informations qui lui font dfaut ou qui lui sont ncessaires pour assurer la ralisation de ses projets (il embauche
des experts); et il sait comment utiliser et appliquer ces
connaissances et informations pour maximiser les chances de ralisation de ses projets. La diffrence entre l'entrepreneur
et l'expert est que ce dernier s'il en sait plus, ne partage
pas cette aptitude et cette vigilance- tirer le meilleur. parti _
possible de l'information existante ou des possibilits offertes
par la mobilisation de connaissances autres que celles dont
il dispose. L'art d'entreprendre, le mtier d'entreprendre,
240
Demain le libralisme
II
Marchs et monopoles
des vrits pas si videntes
Nous vivons tous avec l'ide que l'intensit du
processus concurrentiel est troitement lie au degr
de concentration de l'industrie. Lorsqu'un secteur
industriel se caractrise par la prsence d'une ou
plusieurs firmes dominantes, ralisant elles seules
une proportion importante de la production, nous en
dduisons qu'il s'agit d'une situation o le fonctionnement de la concurrence a toutes chances d'tre
fauss par le pouvoir de domination que les entreprises les plus puissantes exercent par rapport
leurs rivales de moindre dimension, ou par rapport
leur clientle. Plus la concentration est forte, nous
dit-on, plus il y a de chances pour que les entreprises
du secteur concern (ou, tout au moins certaines
d'entre elles) aient, n matire de production,
d'investissement, de politique de prix ... , un comportement qui s'loigne de l'optimum conomique et leur
permet de prosprer au dtriment du consommateur,
en ralisant des super-profits indus dont elles ne
pourraient pas bnficier si la structure de l'industrie tait plus concurrentielle . Et cela pour deux
raisons. D'abord parce que, lorsque le nombre de
producteurs en concurrence est faible, il est plus
facile pour eux de s'entendre et de mettre au point des
pratiques d'action concerte (ententes, cartels ...);
ensuite parce que de telles situations d'oligopole,
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Demain le libralisme
formule de Market Concentration Doctrine n'aurait pas acquis l'influence qu'elle a aujourd'hui si,.
auparavant, la recherche empirique n'avait apport
les lments scientifiques confirmant le bien-fond
conomique du rflexe de mfiance de certaines catgories de l'opinion publique l'gard des consquences sociales des mouvements de concentration. De ce
point de vue, les tudes de Gardiner Means et de Joe
Bain ont incontestablement jou, et jouent encore,
un rle considrable dans la formation des ides et
des modes aujourd'hui dominantes en matire de
march, de structures industrielles, de concurrence
et de politique de la' concurrence.
.
247
minorer le nombre de changements de prix par rapport ce qui se passe rellement; et cela surtout
dans les secteurs o, selon Means, les prix taient
apparemment les plus rigides. Moyennant quoi,
concluent-ils, il n'est pas vident que le degr de
rigidit des prix est ncessairement plus important
dans ls secteurs industriels les plus concentrs 7.
La relation entre rigidit du systme de prix et taux
de concentration est beaucoup plus faible, pour ne
pas dire ngligeable, par rapport celle qui avait t
mise en' vidence avant la guerre. Et cela pour des
raisons de pure technique statistique.
Stigler et Kindahl ne nient pas l'existence du phnomne des prix administrs. Au contraire. Dans le
monde rel, constatent-ils, l'ajustement du prix des
transactions aux variations des conditions du march
se fait selon un processus qui diffre beaucoup du
schma simpliste et instantan de la thorie de l'offre
et de la demande. Celui-ci ne fonctionne rellement
que pour des catgories trs spcifiques de produits
trs standardiss, trs homognes, et faisant l'objet
de transactions portant sur des volumes levs impliquant un grand nombre d'acheteurs et de vendeurs
(produits agricoles, matires premires, marchs
financiers, marchs des changes ...). Mais, concluentils, le fait que les prix des produits industriels modernes soient relativement rigides ne suffit pas apporter la preuve d'un dclin du degr effectif de la
concurrence dans nos conomies contemporaines.
Ainsi que le rsume Harold Demsetz : Les rsultats de
Stigler et Kindahl ne permettent pas de dmontrer l'inverse; mais, tout le moins, ils montrent que toutes les
thories sur le pouvoir monopolistique des grandes entreprises reposent sur des fondations empiriques beaucoup
moins solides que le croient ceux qui s'en font les porteparole.
.
Les travaux de Stigler et Kindahl sont peu connus
du grand public parce qu'ils se situent un niveau
de dbat scientifique trs labor. Mais ils sont trs
importants, pour deux raisons: d'abord parce que
7. George Stigler et James Kindahl, The Behavior of Industrial Priees, National Bureau of Economic Research, New
248
Demain le libralisme
Inflation et concentration
Dans l'entre-deux-guerres, ce qui proccupait
Means et les conomistes amricains de l'poque,
c'tait l'inflexibilit la baisse des prix de certaines
industries, alors que partout ailleurs le niveau gnral des prix de gros ne cessait de s'effondrer. Aujourd'hui, le problme s'est compltement invers. La
proccupation numro un vient de l'inflation. A l'ide
que la rigidit des prix des secteurs industriels
modernes .tait responsable du chmage, a naturellement succd l'ide, propage par Galbraith et qui a
t dfendue par Gardiner Means en 1958 devant une
commission d'enqute du Snat 8, que cette rigidit,
spcifique aux grandes entreprises des secteurs
concentrs, pouvait tre responsable de l'inflation.
Par quel processus? L encore, tout simplement par
le fait que les grandes entreprises bnficiant d'un
effet de domination sur leur march, sont dans une
position qui leur permet de planifier leurs politiques
.de prix en fonction d'objectifs long terme de croissance et de puissance, sans trop tenir compte des
contraintes immdiates du contexte de la demande
qui, lui, pse beaucoup plus lourdement sur les
firmes moins puissantes.
Si Galbraith, comme le fait judicieusement remarquer Milton Friedman dans son petit pamphlet
Contre Galbraith D, ne s'est jamais donn la peine de
8. Hearings on Administered Prices before the Subcommittee
on Anti-trust and Monopoly of the Committee on the Judiciary. US Senate, 1958. Parts l, IX, X.
9. Milton Friedman, Contre Galbraith. Economica - Association pour l'Economie des Institutions, Paris, 1977'.
249
250
Demain le libralisme
251
des prix (par exemple le systme de contrle permanent que prconise Galbraith). Or, de ce point de vue,
la rponse n'est pas aussi vidente qu'on pourrait
tre tent de le croire.
D'une part, il n'est pas srieux d'tablir une distinction entre le prtendu comportement des secteurs
industriels domins par la prsence de quelques grandes entreprises et le comportement qui serait celui des
autres secteurs de l'conomie caractriss par des
structures plus atomises. II suffit de regarder autour
de soi pour constater que les firmes appartenant
des secteurs oligopolistiques ou monopolistiques ne
sont pas seules recourir des pratiques de prix
administrs, ne rpondant qu'avec dlai et souvent
beaucoup d'inertie aux modifications de la demande
et des conditions du march. Ce genre de pratique ne
concerne pas seulement les producteurs ou concessionnaires d'automobiles, ou encore les fabricants et
distributeurs de rfrigrateurs, mais tout aussi bien
des services ou des commerces comme les restaurants, les coiffeurs, les marchands de tabac, les cinmas, etc. 15 dont les prix sont loin de varier en fonction des fluctuations journalires de la frquentation
de la clientle. Dans la ralit, force est de constater
que le prix administr est plutt la rgle gnrale de
nos conomies contemporaines, et le prix de march
un concept intellectuel qui ne correspond qu' des
situations concrtes tout fait exceptionnelles
(Bourse, marchs des changes ...).
D'autre part, il n'est pas du tout vident que l'inertie des prix soit, en soi, une mauvaise chose, contraire
la recherche de l'efficacit sociale la plus grande
possible.
Si la plupart des prix prsentent aujourd'hui des
caractres vidents de rigidit et d'inertie, cela n'a
probablement rien voir avec le fait que les entrepreneurs seraient davantage que leurs prdcesseurs
en mesure de se soustraire aux contraintes du march. C'est tout simplement parce que, dans un monde
o la masse des produits en circulation est de plus
en plus grande, et o les entreprises diffusent des
15. Dans les pays o les prix de ces services ne sont pas
administrativement fixs en concertation avec les pouvoirs
publics.
252
Demain le libralisme
253
aussi parce qu'il s'agit d'un type d'arrangement commercial que, tout compte fait, le client moderne
prfre celui qui correspondrait au schma idal
de l'conomiste.
Nous retrouvons la grande erreur de la plupart des
conomistes modernes : ils se proccupent davantage
de ce qui devrait tre, que de comprendre pourquoi
ce qui est l'est. Et c'est sur cette approche qu'ils
fondent leurs recommandations politiques ...
Ainsi que le confirment les tudes empiriques
cites prcdemment, la question des prix administrs, et des rigidits qui en dcoulent, est un problme qui n'a que peu voir avec la situation cdncurrentielle des secteurs industriels, et le pouvoir
d'oligopole ou de monopole des uns et des autres. Il
s'agit d'abord et avant tout d'une institution (au sens
de pratique sociale auto-slectionne par le fonctionnement du march) dont le rle, comme le fait remarquer Robert Clower, est de contribuer rduire le
degr naturel d'instabilit des conomies de march
contemporaines 18 - et non de l'accrotre comme
le suggrent. tous ceux qui, l'instar de Galbraith,
y voient surtout une preuve de pouvoir monopolistique s'exerant au dtriment des intrts de la collectivit.
Concentration et profits
Revenons maintenant au second pilier de la
croyance selon laquelle concentration et monopole,
c'est la mme chose! ; c'est--dire l'tude de Joe S.
18. De la mme faon que les amortisseurs permettent
d'amliorer la tenue de route d'une automobile qui, sans eux,
verserait dans le foss, crit Robert Clower, de la mme
faon les rigidits dans le mode de fixation et d'volution
des prix industriels contribuent en ralit rduire le degr
d'instabilit naturelle d'une conomie de plus en plus expose
aux chocs exognes. Lorsque l'volution conomique est
chaotique, des institutions spontanes mergent qui assurent
l'absorption des chocs, et permettent ainsi l'conomie de
march de survivre dans des circonstances o, de faon analogique, une voiture automobile sans amortisseurs partirait
tQut simplement en morceaux. Cf. Robert Clower, article
cit.
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Demain le libralisme
La concentration, un
bien ou un
mal?
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Demain le lib'ralisme
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262
Demain le libralisme
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IIi
Retour aux sources d'une lgende
la loi de la jungle
265
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268
Demain le libralisme
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de la concurrence?
cc Tous ceux qui se cramponnent cette ide, rplique
Armentano, n'ont qu'une bien pitre connaissance des
donnes conomiques de la priode. C'est exactement
270
Demain te libralisme
271
_Cette crise conomique n'est que l'une de ces crises d'ajustement priodique qui, depuis le dbut du
XIXe sicle, affectent rgulirement le capitalisme
occidental, et dont on nous dit qu'elles sont la ranon
du laisser-faire conomique des socits librales de
l'poque. Il est vrai que l'idologie politique d'alors
272
. Demain le libralisme
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274
Demain le libralisme
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276
Demain le libralisme
qui interdit les pratiques discriminatoires susceptibles de diminuer la concurrence, ou detendre crer
un monopole.
Ainsi que le rappelle Richard Posner, dans un remarquable petit livre publi par l'American Enterprise Institute 6, celui-ci a t explicitement conu pour protger les
petits commerants indpendants contre la nouvelle concurrence des grandes chanes de distribution amricaines,
dont l'essor date de l'entre-deux-guerres. Le fait qu'il ait
conduit des rsultats exactement inverses - en empchant les indpendants de se regrouper en coopratives,
et de profiter ainsi des conomies d'chelle ralises par
les grands groupes intgrs - ne change rien quant aux
vritables motivations politiques qui lui ont donn le jour.
La date mme du vote du Robinson-Patman Act est suffisamment significative: 1936. A cette poque, comme pour
le Sherman Act, les Etats-Unis sont en pleine crise conomique et sociale, et la pr.occupation numro un du gouvernement de Franklin Roosevelt, comme celle des milieux
d'affaires les plus influents, est moins de renforcer la concurrence, que d'en suspendre le libre jeu; notamment par
l'institution de cartels officiels, conus sous l'gide du
National Recovery Act, ultrieurement dclar inconstitutionnel par la Cour Suprme 7.
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Ententes et cartels, ou la
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telles questions peut paratre profondment impertinent. Pourtant, l aussi, les approches contestataires de la nouvelle conomie conduisent des
rsultats souvent surprenants au regard des thories
habituelles.
Mme si la majorit des conomistes no-libraUx, quelques exceptions prs 21, ne remettent
pas en cause le principe de l'illgalit juridique des
ententes, leur conviction est que les approches habituelles dtournent notre attention de l o se situent
les vrais problmes.
Ainsi que le rsume le professeur M. Bruce Johnson,
les ententes ou cartels qui rsultent du jeu spontan de
la libre concurrence nous cotent probablement moins
cher que ne nous cotent les agissements des groupes de
pression professionnels et corporatifs, qui utilisent le
march politique pour obtenir de l'Etat des interventions
protectionnistes ou malthusiennes dont les consquences,
en termes d'allocation des ressources, sont strictement
identiques celles qui rsultent des agissements des monopoles et cartels privs 22 .
Ce qui conduit les nouveaux conomistes amricains moins remettre en cause le niveau des budgets
publics allous la rgulation et la surveillance des
marchs, qu' contester les priorits qui orientent
actuellement leur usage.
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ns, se rencontrent pour qu'il en rsulte automatiquement que les objectifs de leur entente seront atteints.
Ainsi que l'a dcrit le professeur Mancur OIson, la
prsence d'un intrt commun n'est pas une condition suffisante pour que naisse et russisse une action
collective 24 .
Par ailleurs, nous ne devons jamais perdre de vue
que la finalit des activits antitrust n'est pas de donner du travail aux fonctionnaires des services de la
Direction des Prix et de la Concurrence. Rechercher,
identifier, puis condamner et punir les ententes est
un travail qui n'est pas gratuit pour le contribuable.
Les ressources affectes ces activits ne se justifient
que si elles permettent effectivement l!l socit de
faire l'conomie d'un prjudice rel et pas seulement
hypothtique. D'o la question, trop souvent laisse
de ct : quelle est, dans un march libre, l'importance relle du prjudice qui risque de rsulter de la
tendance naturelle des entreprises rechercher la
protection de l'entente au dtriment de la comptition?
Donner une rponse prcise cette question est
scientifiquement impossible. L'analyse conomique
des comportements individuels attire cependant
notre attention sur deux faits qui sont ngligs tant
par l'opinion que par les experts:
a) Mettre sur pied une entente ou un cartel, en
assurer le montage, l'excution, puis en faire respecter les clauses, n'est pas chose aise ni gratuite.
Si les motivations qui conduisent l'entrepreneur
chercher l'entente avec ses confrres ou concurrents
sont claires (vendre moins, mais plus cher, et raliser
ainsi des profits plus levs), il n'en reste pas moins
que, dans une conomie de libre march, les partenaires restent toujours des rivaux. Malgr ce qui les
rapproche, l'intrt de chacun est de dissimuler
ses voisins de table le plus grand nombre de ses
cartes personnelles, afin, comme dans toute ngociation, qu'elle soit conomique, politique ou diplomatique, d'en retirer le maximum d'avantages tout en
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genre de travail ngligent gnralement une conclusion qui devrait pourtant leur sauter aux yeux : vu
la liste impressionnante des conditions qu'il faut runir pour qu'une entente soit sre de son efficacit,
vu aussi qu'il y a plutt peu de chances pour qu'un
nombre significatif de marchs ralisent simultanment l'ensemble de ces conditions - surtout dans un
systme industriel de plus en plus complexe o les
produits sont de moins en moins homognes, o les
possibilits de substitution sont de plus en plus
grandes, notamment du fait de l'ouverture croissante
la concurrence mondiale -, il y a de fortes chances
pour que la menace que les ententes font courir la
socit soit beaucoup plus hypothtique que relle,
mme s'il est impossible d'en apporter la preuve formelle.
Entendons-nous bien. Il ne s'agit pas. de nier la
ralit des ententes. Ni de contester que celles-ci sont
susceptibles d'imposer la socit des cots importants en termes d'utilisation de ses ressources. Ce
qui est en cause est la capacit relle des entreprises,
dans une conomie de libre march, - pouvoir faire
fonctionner un degr de collusion tel qu'il impose
la collectivit un prjudice suffisamment lev pour
justifier notre volution vers une conomie de moins
en moins de libre entreprise, donnant l'Etat un
rle croissant en matire de rgulation ou d'intervention industrielle, et confiant ses fonctionnaires
ou ses juges des pouvoirs de plus en plus tendus
et discrtionnaires.
Il ne s'agit pas non plus de plaider pour la dpnalisation des ententes. Le1,1r interdiction juridique, de
par les risques pnaux qu'elle fait courir leurs
auteurs, du fait aussi qu'elle complique srieusement
les possibilits de mise sur pied de mcanismes efficaces pour assurer la police contractuelle des ententes (un mcanisme efficace est un mcanisme voyant,
qui risque donc d'attirer les foudres des autorits),
est un facteur qui contribue rduire leur efficacit,
et accentuer leur instabilit, et donc rduire les
cots qu'elles sont susceptibles d'imposer la collectivit par rapport ce qui se passerait si la loi ne
les dclarait pas illgales. Il s'agit simplement d'attirer l'attention sur le fait que les vrais problmes
viennent moins du libre fonctionnement des forces
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II. - Un examen attentif des grands cas de la jurisprudence amricaine confirme que, dans une conomie de libre march, le prjudice que les ententes
prives sont susceptibles de porter la collectivit
est moins vident que nous ne le croyons habituellement.
Pour l'conomiste, la logique ne suffit pas. Encore
faut-il vrifier que les conclusions auxquelles elle
conduit collent aux faits. L encore, la seule sourc~
utilisable pour tester les dductions de la rflexion
thorique est celle que constituent les archives de la
Justice.
De mme que John McGee s'est servi du procs
de la Standard Oil pour tester les hypothses de
Aaron Director, d'autres chercheurs ont essay de
vrifier la pertinence des arguments prcdents en
retournant aux sources de quelques procs antitrust.
C'est notamment le cas de D.T. Armentano qui, dans
son livre The Myths of Antitrust 25, ranalyse trois des
plus fameuses ententes de l'histoire amricaine :
l'Addyston Pipe Case de 1899, le Trenton Potteries
Case de 1927, et le Great Electrical Equipment Case
qui, dans les annes 60, impliqua d'aussi grandes firmes que General Electric, Westinghouse et Allis
Chalmer. Bien qu'il soit difficile de suivre le professeur Armentano jusqu'au bout de ses conclusions - '
il est pour la suppression de toute lgislation antitrust -, son travail constitue lui aussi une source
de rvlations souvent fort surprenantes.
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depuis lors, c'est sur ce type d'exemple que l'on forme, aux
Etats-Unis, des milliers d'tudiants en droit et de juristes,
dont un certain nombre seront leur tour appels
statuer sur des accusations du mme genre.
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tiques. Que l'on s'adresse General Electric, Westinghouse ou Allis Chalmer, les tarifs des catalogues sont
les mmes. Tout changement chez l'un se trouve immdiatement rpercut chez les autres. Mais, demande
ArmentanC!l cela suffit-il pour dmontrer qu'il y a effectivement cOllusion sur les prix, comme en fut convaincu le
snateur Kefauver qui prsida l'poque les travaux de la
commission d'enC),ute du Snat amricain? Pour rpondre cette question, il faut aller voir de plus prs comment cette industrie fonctionne.
L'industrie du gros matriel lectrique, rappelle
D.T. Armentano, offre un exemple typique de structure oligopolistique o ne sont en concurrence qu'un tout petit
nombre d'entreprises gnralement trs grosses. Mais,
ajoute-t-il, c'est aussi un secteur dont la particularit est
que chaque firme y fabrique des centaines de milliers
d'articles et d'quipements hautement standardiss, vendus sur catalogues, et fabriqus en continu pour assurer
un approvisionnement r~ier. C'est galement une industrie o le niveau des fralS fixes est trs lev du fait de
l'im:portance des investissements techniques mis en uvre,
ainsI qu'en raison des dpenses leves consacres en
permanence la recherche et l'innovation. Enfin, c'est
un secteur dont le march subit des fluctuations conjoncturelles trs prononces, troitement lies aux diffrentes
phases du cycle conomique (les commandes y sont trs
sensibles aux variations du coiit de l'argent). Ces caractristiques, conclut Armentano, suffisent faire qu'il s'agit
d'une industrie o, contrairement ce que suggrerait le
modle thorique de la concurrence, la comptition entre
les diffrents producteurs est extrmement vive - surtout
en priode de ralentissement des affaires, comme c'tait le
cas pour les annes incrimines.
Faut-il alors s'tonner de trouver des prix extrmement
voisins, pour ne pas dire identiques? Non, rpond Armentano. C'est bien au contraire la preuve de la virulence de
la concurrence qui y rgne. Le degr lev de banalisation
et de standardisation des produits fabriqus fait qu'aucun
producteur ne peut durablement maintenir des prix diffrents de ceux de ses concurrents. Par ailleurs, les caractristiques mmes du march - ventes sur catalofPles
des distributeurs professionnels ou des acheteurs lOdustriels - font que c'est un secteur o l'information circule
rapidement. Dans de telles circonstances, l'entreprise ne
peut russir dfendre sa part de march que si elle
s'aligne rapidement sur les initiatives de la concurrence.
Il est donc normal que les prix pratiqus y soient pratiquement partout les mmes. Qu'il y ait entente ou non,
l'uniformit des tarifs est quelque chose qui n'a rien
d'tonnant, et qui ne peut donc s'Llffire tayer une accusation de collusion.
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du phnomne tatique et aux .entraves que les pouvoirs publics multiplient l'encontre du droulement
normal des processus, concurrentiels, n'est pas nouvelle. C'tait un lment fondamental de la pense
d'hommes comme Hayek ou von Mises. Mais il lui
manquait l'appui de la recherche empirique. Aujourd'hui, grce aux travaux d'hommes comme John
McGee et aux recherches d'une poigne d'autres universitaires, cette lacune est en voie d'tre comble.
Et ceci n'est sans doute pas tranger au succs que
rencontrent actuellement les ides no-librales aux
Etats-Unis. L encore, on nous reprochera sans doute
de ne citer que des exemples amricains., On nous
fera remarquer que ce qui est peut-tre valable pour
les Etats-Unis ne l'est vraisemblablement pas pour
la France en raison des diffrences de structures et
de mentalits.
Tout dpend du problme que l'on traite, des questions que l'on pose. Il est vrai que l'emprise des
ententes industrielles et des comportements anticoncurrentiels, est pl'obablement beaucoup plus grande
sur l'conomie franaise qu'elle ne l'est de l'autre
ct de l'Atlantique; et donc que le prjudice port
la socit est plus grave chez nous. Mais il faut se
demander pourquoi.
Les Franais, nous dit-on, auraient, de par leur temprament national et leur histoire, un comportement'
moins spontanment concurrentiel que les Amricains.
C'est tout fait probable. Mais il faut s'interroger
sur les origines de cette diffrence d'attitude. L'observation de la ralit franaise ne suffit pas infirmer
les conclusions auxquelles nous ont conduits les
pages prcdentes. La vritable raison vient non de
ce que les Franais seraient faits diffremment des
Amricains, mais de ce que nous vivons dans un pays
o la tradition tatique et protectionniste est beaucoup plus ancienne, et plus solidement installe au
cur de nos institutions. Dans cette optique, mme
si des tudes empiriques existaient pour dmontrer
que, dans le cadre franais, l'instabilit et l'inefficacit
relative des pratiques cartellises sont beaucoup
moins nettes que nous ne l'affirmons au vu d'tudes
amricaines, cela n'aurait aucune valeur. Dans un
univers qui, pendant plus de trente ans, a t soumis
un contrle des prix plus ou moins permanent, o
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IV
Analyse conomique,
pratiques restrictives et concurrence
A la demande du ministre des Finances, les services de la Commission de la Concurrence ont men,
en 1979, une enqute sur les conditions de fonctionnement de la concurrence dans le secteur des produits lectromnagers et Radio-T.V. Cette enqute
a dbouch sur un avis entranant la condamnation
des firmes impliques. Elle faisait suite une campagne de presse orchestre pour dnoncer les abus,
voire les complots, de certains producteurs et distributeurs dominants l'encontre de la concurrence.
Sous le titre Le degr Zro de la concurrence , un
magazine d'associations de consommateurs avait
mme publi un dossier d'o il ressortait que le systme de production et de distribution de l'lectromnager serait assis sur une pyramide d'entraves
la concurrence 1 .
Les pratiques commerciales ainsi vises concernent :
1. L'introduction dans les contrats liant t>roducteurs et
distributeurs de clauses restrictives limItant la libert
de ~estion de ces derniers: contraintes d'exclusivits
terntoriales, limitations la libert de revente des matriels acquis, renoncement aux pratiques de prix d'appeh,
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apporter un niveau de satisfaction personnelle (<< utilit ) suprieure aux produits dont ils auraient fait
l'achat s'ils n'avaient pas t informs de l'existence
et des caractristiques de ce nouveau produit, les
ressources consacres la publicit,. au marketing,
la promotion commerciale, la formation de
rseaux de vendeurs et de techniciens qualifis, aux
relations publiques ... sont cratrices de valeur ajoute . Du point de vue de l'analyse conomique, il n'y
a pas de diffrence entre ces activits caractre
commercial et les activits productrices proprement dites de l'entreprise. C'est l un fait sur lequel
le public est gnralement insuffisamment inform.
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Il Y a dj longtemps que des conomistes clbres 8 ont constat que le fonctionnement naturel
du march ne permettait pas de garantir une allocation optimale des ressources investies par les entreprises dans la production d'informations. Le march,
font-ils remarquer, conduit un sous-investissement chronique en raison de ce que les AngloSaxons appellent le phnomne de free ride, que l'on
peut traduire en franais par problme du passager
clandestin .
L'entreprise n'a en effet intrt dvelopper son investissement que pour autant qu'elle a la garantie que
l'effort financier ainsi consenti lui rapportera un supplment probable de recettes suffisant pour assurer son
amortissement. Lorsque l'entreprise fabrique un produit
unique , pour lequel on ne connat ni concurrent ni
substitution possible, ou lorsque, intgre verticalement,
elle assure elle-mme l'intgralit de sa distribution, il n'y
a pas de problme : l'optimum d'investissement de la
firme est le mme que celui pour la coUectivit.
La situation est en revanche trs diffrente lorsqu'il
s'agit de produits qui ne diffrent de leurs concurrents
que par quelques caractristiques secondaires, lorsqu'il
existe des produits de substitution, ou lorsque ces produits sont distribus par le canal de rseaux complexes et
multiples. En rgle gnrale, toute publicit ou action de
promotion a en effet un aspect plus ou moins prononc de
bien coUectif du fait que tout effort d'information
engag par une entreprise a de fortes chances de profiter
simultanment d'autres entreprises fabriquant ou vendant soit les mmes produits, soit des produits voisins.
Lorsqu'une entreprise de voyage fait, par exemple, de la
publicit pour des sjours en Thalande ou au Sri Lanka,
eUe contribue augmenter la demande globale de voyages
exotiques; supplment de demande dont tireront galement profit certaines agences concurrentes offrant des
produits voisins. De la mme faon, lorsqu'un fabricant d'appareils de tlvision ou de machines laver la
vaisselle en~age une campagne nationale de publicit pour
faire connaltre sa marque aux consommateurs potentiels, le bnfice global de cet investissement sera en
fait partag entre l'entreprise et les nombreux distributeurs ou vendeurs qui auront, eux aussi, tir profit de cet
investissement bien que n'ayant pas particip son finan3. Cf. Kenneth Arrow, Economie Welfare and the Allocation
of Resources for Invention , dans The Rate and Direction of
Inventive Activity (Princeton University Press, 1962).
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toriale! en pratiquant une politique de prix cc dirigs, ou encore en exigeant un droit de contrle sur
les reventes d'autres dtaillants ou distributeurs,
les entreprises industrielles ne font pas autre chose
que de mettre en place des mcanismes conventionnels
dont. la fonction est de contribuer rduire autant
que faire se peut, aux diffrents niveaux de la chaine
de distribution, et dans l'intrt des diffrents maillons de cette chaine, les phnomnes de te free ride
et donc, d'accroUre l'efficience du march.
Comme le rsunie Wesley Liebeler 8, te parce qu'ils permettent au march de bnficier d'un niveau d'information
plus efficient, ces arrangements d'intgration verticale,
loin de nuire la collectivit et aux consommateurs, contribuent au contraire amliorer l'efficacit globale du
fonctionnement de l'conomie de march, et donc sa
valeur t'ar rapport d'autres systms d'organisation
conomIque supposs en thorie plus efficients en matire
de production et de diffusion de'l'information ;
Les effets pervers de la rglementation
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cc
efficient
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tentation naturelle des distributeurs de voyager gratuitement sur leur dos (free ride).
Parmi les mcanismes qui remplissent cette double
fonction figurent toutes les pratiques commerciales
gnralement dnonces comme constituant des
entraves la concurrence : contrats slectifs ou
d'exclusivit, politiques de prix conseills , refus
de vente, conditions de vente discriminatoires .
Il est vrai, comme nous l'avons dj not, que ces
techniques contribuent rduire le degr de concurrence par les prix au niveau de la distribution de
dtail. Mais, l encore, il faut galement tenir compte
des cOlts que comporterait pour la collectivit et le
consommateur leur interdiction systmatique et
indiscrimine.
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aux secteurs o les phnomnes d passagers clandestins sont les plus frquents et les plus impor"
tants.
Pratiques restrictives
et ententes horizontales
La raison d'tre de la plupart des pratiques dnonces gnralement comme contraires la concurrence et aux intrts des consommateurs est de
rduire le volume d'effets externes lis la multiplication du nombre de situations de passagers clandestins , ainsi que les consquences que cela
entrane pour l'efficience de la gestion des entreprises, ou l'efficience globale du march. Cependant, il
est vrai que les pratiques ainsi dnonces peuvent
galement tre utilises pour renforcer le fonctionnement d'ententes horizontales ayant pour objectif
de maintenir la production un niveau infrieur
celui qui serait atteint si la concurrence pouvait
jouer librement. Lorsque c'est le cas, de telles pratiques ontribuent effectivement porter prjudice
la collectivit et aux consommateurs, bien qu'elles
le fassent moins per se que pare que leurs effets se
combinent et renforcent ceux du dispositif restrictif
ainsi conu.
'
Il en va ainsi lorsque ces techniques d'intgration
partielle sont utilises par des groupes de producteurs fabriquant des produits similaires, diffusant
ces produits par des rseaux de distribution concurrents, et lis entre eux par un accord de cartel explicite ou tacite. Dans de telles situations, les techniques
de price maintenance ou d'exclusivit de distribution
de marque, peuvent servir aux membres du cartel
pour verrouiller dfinitivement leur association en
augmentant la difficult pour chacun de tricher avec
les accords conclus (par exemple en permettant
l'identification plus rapide de ceux qui accordent
des rabais secrets leurs distributeurs afin d'accrotre leur part de march par une baisse des prix au
dtail). De la mme faon, imposer aux distributeurs
des contrats limitant leur libert de passer d'un
fournisseur l'autre est un excellent instrument
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Mais, l'inverse, le fait que certaines de ces techniques puissent servir d'instrument de verrouillages
d'ententes restrictives horizontales ne signifie pas
qu'on doive en tirer la conclusion radicale que toutes
ces pratiques portent systmatiquement tort la
concurrence et aux consommateurs.
Il s'agit l d'un problme que l'on ne peut rsoudre
partir d'une 'analyse globale visant tablir le caractre positif ou ngatif de l'ensemble des pratiques concernes.
Tout jugement doit reposer sur une analyse ad hoc
et dtaille de la situation de chaque march. Seule
une analyse de terrain mene, non pas au niveau global de l'ensemble d'une industrie, mais au niveau
mme des marchs et sous-marchs de produits, peut
permettre d'identifier si les pratiques vises rpondent un souci fondamental d' internalisation d'externalits , ou s'il s'agit de pratiques s'intgrant dans
une stratgie plus globale d'accords de cartel.
A cet gard, la plupart des analyses concluant
l'existence d'entraves volontaires la concurrence
sont gnralement notoirement insuffisantes pour tablir un bilan cots/avantages convaincant et
l'abri de toute critique.
Partir de jugements fonds essentiellement sur l'application de normes juridiques (la conformit ou la
non-conformit des pratiques constates avec le contenu de la loi de 1945 sur le rgime des prix), et non
tays par une analyse approfondie des situations
relles de march au niveau de chaque catgorie ou
sous-catgorie de produit, risque en dfinitive de conduire des rsultats exactement contraires ceux
qui ont inspir le lgislateur.
L'conomiste amricain Wesley Liebeler, professeur
U.C.L.A" conclut ainsi la remarquable tude qu'il a consacre ces questions 11 : Il est paradoxal de voir tant
d'conomistes se proccuper des effets des phnomnes
d'intgration verticale sur la concurrence alors qu'euxmmes vivent dans un univers quotidien o les pratiques
implicites d'intgration verticale sont monnaie courante.
C'est probablement Ronald Coase qui a la bonne rponse
ce paradoxe lorsqu'il explique que, quand un conomiste
11. Cf, Wesley Liebeler, op, dj cit.
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rencontre, dans les affaires, une pratique dont il ne comprend pas la raison d'tre, cela dclenche chez lui un
rflexe automatique qui le conduit y voir quelque chose
de louche en terme de concurrence. Si les conomistes euxmmes, ds qu'ils voient quelque chose qu~ils ne comprennent pas, pensent immdiatement monopole , a fortiori
il ne faut pas s'tonner de voir ce rflexe solidement ancr
chez les gens en gnral.
Ma conviction, poursuitil, est q.ue les phnomnes
d'intgration verticale n'ont rien VOlravec les problmes
de mon0p-0le, ou de volont d'acqurir une position dominante. L explication la plus probable et la plus simple est
que l'intgration verticale est une technique qui permet de
faire ce que l'on fait plus efficacement. Et cela est vrai
aussi bien pour les grandes entreprises que pour les
petites, ou les actes quotidiens d'intgration verticale que
nous commettons tous notre niveau de consommateur
(quand nous achetons par exemple notre logement plutt
que le louer).
.
Partant de l, Wesley Liebeler conclut:
1. L'intgration verticale devrait toujours tre considre comme un facteur d'efficience conomique, et donc
quelque chose de dsirable, sauf lorsqu'il apparat qu'existent des ententes ou des monopoles horizontaux un des
niveaux de l'industrie implique dans ce mouvement
d'intgration;
2. Si l'on dcle la prsence de telles ententes ou monopoles, l'intgration verticale ne peut tre condamne
qu'aprs un examen attentif des conditions et pratiques
propres l'industrie concerne;
3. Mme dans de tels cas, d'une manire gnrale, il n'y
a aucune raison de penser que les phnomnes d'intgration verticale nuisent au consommateur. Si l'on veut
connatre ma conviction sur ce sujet, elle est que, mme
lorsqu'il y a collusion u monopole horizontal, l'effet des
phnomnes d'intgration verticale a toutes chances d'tre
plutt relativement bnin.
Notre objectif n'tait pas de trancher dfinitivement sur des problmes aussi complexes et dlicats,
mais d'attirer l'attention du public franais sur des
travaux, des recherches, des approches peu connues
en France, et qui conduisent remettre en cause la
plupart de nos ides reues en la matire.
v
Analyse conomique,
prix d'appel et refus de vente
Depuis deux ans, un certain nombre de propositions sont faites visant modifier, dans un sens
plus libral, la lgislation actuelle relative au refus
de vente 1. Le dveloppement des pratiques de prix
d'appel pose en effet une srie de problmes auxquels les milieux industriels franais sont juste
titre de plus en plus sensibles. L'objectif des pages
qui suivent n'est pas de prendre position sur des propositions prcises, mais d'exposer rapidement quels
clairages la thorie conomique moderne, fonde sur
une nouvelle approche des problmes de consommation ainsi que sur la prise en compte de l' information , permet d'ajouter au dossier.
.
Pour attirer la clientle, les grandes surfaces prennent l'habitude de brader des prix dfiant toute
concurrence un certain nombre de produits, dits
produits d'appel. D'une manire gnrale, ce sont
surtout les produits de l'lectromnager et les quipements radio-tlvision qui figurent le plus souvent
1. Cf. les propositions de rforme adoptes par la Commission de Politi9.ue .conomique gnrale du C.N.P.F. lors de sa
sance du 11 Juin 1979. Voir aussi l'avis de la commission de
la Concurrence en date du 10 janvier 1980 qui doit dboucher
prochainement sur la publication d'une circulaire Maunoury .
339
dans ces promotions. Pour une raison simple: l'exprience montre que ces produits sont ceux pour lesquels les acheteurs hsitent le moins faire le plus
grand nombre de kilomtres afin' de raliser des
conomies sur le prix d'achat. Ces oprations sont
souvent assimiles des piges visant attirer la
clientle par des prix allchants sur des produits
largement connus, pour lui faire acheter bien
d'autres choses qu'on lui vend un prix permettant
au magasin de rcuprer la marge sacrifie sur le
prix d'appel. Parce que le client sort du magasin
avec, dans une main, un produit moins cher, mais,
dans l'autre, des produits plus chers, la tentation est
grande de considrer que l'opration est finalement
nulle pour lui (lorsqu'elle n'est pas son dtriment);
et donc, que de telles pratiques servent davantage
les intrts des entreprises de distribution que ceux
du consommateur. L'opration peut tre ngative
pour certains acheteurs (de mme qu'elle peut tre
positive pour d'autres : ceux qui n'ont achet que le
produit brad). Mais, globalement, l'opration apporte
nanmoins plus aux consommateurs qu'elle ne leur
cote. L'approche conomique de l'information permet de comprendre pourquoi.
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Prix d'appel et
passagers clandestins
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des articles vendus avec des marges normales. Moyennant quoi, lorsqu'un article est utilis comme support de prix d'appel, l'intrt de l'entreprise est en
fait de rduire le montant des services qu'elle incorpore la vente de ce produit, par rapport aux services dont elle fait bnficier les autres articles. Ceuxci bnficieront d'une information plus importante,
au niveau de l'exposition, de la dmonstration, de la
possibilit d'exprimenter soi-mme le produit, etc.
On accuse souvent certains magasins de se livrer
une politique de dnigrement commercial l'gard
des articles qui font l'objet de politiques promotionnelles, les vendeurs orientant systmatiquement les
clients vers d'autres matriels qui, eux, sont vendus
des prix incorporant une marge plus leve. Il n'est
pas question de contester que de telles pratiques
existent. Toutefois, il n'est pas besoin qu'existe une
volont explicite de dnigrement pour que le phnomne de la drive apparaisse; il suffit que les matriels promotionns bnficient d'une moindre qualit
de service. Dans un magasin bien gr, il est normal
qu'il en soit ainsi.
On a alors ce rsultat paradoxal que le producteur
qui, par son budget publicitaire, a indirectement
financ l'effort de promotion que le magasin a entrepris son profit, est prcisment celui dont les articles bnficieront le moins des retombes de cet effort
proniotionnel. Le rsultat est que, en l'absence de
moyens de rtorsion ou de pression - lorsque la
lgislation rprime par exemple de faon quasi automatique le recours au refus de vente -, plus le
producteur investit dans la promotion de ses produits auprs du grand public, plus il sera victime
d'une drive importante, plus il lui en cotera en
investissement publicitaire pour obtenir la mme
augmentation marginale de chiffre d'affaires, et plus
il prouvera de difficults augmenter ses ventes
nationales. Il est difficile d'imaginer meilleur systme
de freinage la boulimie de dpenses publicitaires,
pourtant si frquemment dnonce.
En imaginant qu'au dpart l'entreprise industrielle
concerne investissait dans l'information juste le
montant optimal correspondant au meilleur usage
social de ses ressources, le fait que ses produits
servent ensuite de support des oprations de prix
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Demain le libralisme
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deviennent courantes, ce que le nombre de passagers clandestins augmente, et ce que les effets
pervers de ces situations soient plus sensibles.
Cependant, dans le .domaine de la distribution des
quipements lectromnagers, intervient un autre
facteur, spcifique au march franais : la prsence
d'un distributeur spcialis dont les tablissements
occupent une position dominante. Il s'agit de Darty.
Darty apporte sa clientle toutes les caractristiques des services des grandes surfaces, spcialises
ou non. Darty prsente cependant deux caractristiques supplmentaires : l'importance que ses animateurs ont toujours accorde la qualit du service
aprs-vente (dpannage rapide, formation polyvalente
des techniciens); l'introduction du contrat de
confiance qui garantit l'alignement systmati.que des
prix sur les prix les plus bas pratiqus dans la zone
d'achalandage rgionale. Le tout s'appuyant sur un systme de gestion informatise en temps rel particulirement .sophistiqu.
Le fait que Darty garantisse l'alignement sur les
prix les plus bas a t interprt comme la preuve
d'une entente, sinon d'un complot, entre Darty, ses
principaux fournisseurs, et un certain nombre de
puissants intrts politico-financiers. Si Darty, entendon dire, est en mesure d'offrir son contrat de confiance , c'est que par ailleurs Darty s'est dot des
moyens de s'assurer que la concurrence ne fera
jamais baisser les prix plus bas qu'il ne le souhaite.
Nos mentalits sont ainsi faites que ds qu'apparat
une russite sortant du commun, nous recherchons
immdiatement le complot , au lieu de commencer
par nous demander si des raisons plus objectives,
lies des critres de gestion, ne suffiraient pas tout
expliquer.
En l'occurrence, on peut se demander si le succs
de Darty, et le fait que l'entreprise est en mesure de
garantir l'alignement automatique sur les prix les
plus bas, ne rsultent pas tout simplement de ce que
Darty a une gestion beaucoup plus efficace que tous
ses concurrents; tellement plus efficace que Darty
peut pratiquer cet alignement sans pour autant affecter durablement son quilibre financier (en ramnageant instantanment ses politiques d'approvisionnement et de services en fonction des variations
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entreprises d'introduire dans leurs contrats commerciaux des clauses commerciales abusivement assimiles des entraves la concurrence. La solution
passe donc moins par une rforme le la lgislation
concernant la pratique du refus de vente , que par
une libralisation de la jurisprudence et des instructions administratives concernant le statut lgal de
certaines clauses commerciales contractuelles actuellement prohibes au nom de la concurrence. Il suffit
de rendre son caractre lgal au refus de vente sanctionnant les manquements des obligations con trac~elles librement ngocies ou acceptes, sans pour
autant largir cette libralit aux rapports entre
producteurs et distributeurs dont les contrats ne
comporteraient pas de clauses rglap.t le problme
spcifique des pratiques de prix d'appel .
La situation actuelle est totalement asymtrique :
elle permet la distribution de travailler impun. ment en passager clandestin de certains producteurs. Assimiler le prix d'appel un comportep1ent
de mauvaise foi renverserait l'asymtrie au profit des
fournisseurs. Une telle proposition va donc trop loin.
Le systme de la libert contractuelle permet d'obtenir une meilleure balance entre ces deux proccupations contradictoires, en laissant au march le soin
de dfinir progressivement l'quilibre optimal entre
l'intrt des uns et des autres.
.
Certains craindront, il est vrai, que le retour
une telle libert n'entrane une augmentation considrable du nombre d'entraves la concurrence, lies
la multiplication de clauses commerciales dites
restrictives .. Mais nous avons montr ailleUrs que
cette vision des choses est lie une philosophie de
la concurrence qui, en ne prenant pas en compte les
problmes d'information, conduit dnoncer comme
contraires la concurrence et aux intrts du consommateur des comportements qui en ralit servent
accrotre l'efficacit de fonctionnement .de l'conomie
de march, et donc le bien-tre du consommateur.
CINQUI~ME
PARTIE
POURQUOI LE PROFIT
L'entreprise, le march
et la thorie des droits de proprit
Le profit a mauvaise presse dans la socit franaise. La cause en est pour l'essentiel l'influence des
ides marxistes qui voient dans le profit d'abord et
avant tout le symbole de l'exploitation des travailleurs par la classe des capitalistes.
Le profit tant l'un des rouages fondamentaux
d'une conomie de march et de libre entreprise,
deux arguments sont employs pour essayer de le
rhabiliter aux yeux de l'opinion et des salaris de
l'entreprise. Le profit, nous dit-on, est la rmunration du risque de l'entrepreneur et des apporteurs
de capitaux. Ensuite le profit d'aujourd'hui est la
condition des investissements de demain ncessaires
pour maintenir la comptitivit de l'entreprise, crer
de nouveaux emplois, et autoriser l'amlioration des
salaires et rmunrations.
Ces deux arguments sont analytiquement exacts.
Ils sont cependant insuffisants pour lgitimer l'existence d'une organisation sociale fonde sur le profit.
Rmunrer le risque n'est en effet lgitime que si les
entrepreneurs sont motivs grer leur entreprise
de la faon la plus efficiente possible (produire les
biens ou services que demandent les consommateurs
aux cots les plus bas possibles). Toute entreprise
qui ne gre pas ses ressources de la faon la plus
efficace possible impose un cot la socit : produire des cots plus levs qu'il ne lui serait possible signifie que l'entreprise prlve sur le pool limit
des ressources de la collectivit un certain volume de
ressources productives qui auraient pu tre utilises
de faon plus efficiente ailleurs.
De mme, s'il est vrai qu'il n'y a pas d'investissement sans profits, l'inverse, l'investissement ne
suffit pas justifier le profit car il y a des investissements qui constituent pour la socit" des gaspillages.
L'objectif des pages qui suivent est d'attirer l'atten-
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Pourquoi le profit
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individuels plus cohrents avec les exigences de l'optimum social. (thorme dmontr par Ronald Coase .
dans son fameux article de 1960, Le Problme du coat
social 2) ;
-ensuite, que les institutions juridiques que nous
a lgues l'histoire ont une raison d'tre conomique
lie ce qu'on peut les interprter comme des instruments ayant pour vocation d'aider la socit circonvenir des cots de transaction trop levs 8.
Ce dernier . thorme conduit une attitude
scientifique q,ui pose, qu'avant de chercher modifier
le contexte mstitutionnel existant, il faut d'abord
essayer d'identifier quel r~le les institutions que l'on
examine sont susceptibles de jouer sur le plan de
l'conomie des cots de transaction. C'est cette technique que Ronald Coase utilisa en 1937 pour comprendre la raison d'tre de l'existence de la firme;
c'est cette technique que nous allons appliqUer
notre recherche sur le rle du profit. Moyennant quoi,
nous ferons galement apparattre la vritable raison
d'tre d'autres institutions fondamentales de l'conomie de march : la Bourse par exemple.
L'mRGENCEDU PROFIT EN TANT QUE MODE
DE MGULATION INTERNE DE L'ENTREPRISE
Imaginons un monde de petits artisans indpendants analogues au modle d'Adam Smith dans sa
Richesse des nations. La production de sabots y est
2. Traduit en franais dans le livre Economie de l'environnement publi sous la: direction de Robert et Nancy Dorfman,
Calmann-Lvy, 1975.
3. Ce n'est qu'en 1972 qu'est parue, dans le lournal of Economie Litterature, la premire revue des travaux relevant de la
thorie des droits de proprit. Bn mai 1977, la Revue 4conomique y a consacr un article de ~thse sign par Yves
Simon et Henri Tznas du Montcel. Dans leur livre Economie
des ressources humaines dans l'entreprise (Masson, 1978), ces
deux professeurs franais ~rsentent une bonne synthse des
ap~lications de la thorie des droits de proprit l'anaJyse de
la. firme. Mais l'ouvrage de rfrence reste le manuel d'Alchian
et Allen, University Economics (1972, Belmont, Wadsworth).
Pour l'application de la thorie des droits de pro~rit
l'analyse conomique du droit et des institutions cf. Richard
Posner, Economic Analysis of Law (Londres et Toronto, 1973,
deuxime dition 1977).
Demain le libralisme
354
assure par une multitude de petites choppes oh chacun travaille pour son propre compte la manire de
ce que l'on voit encore dans les souks d'Afrique du
Nord ou du Proche-Orient.
Survient une invention qui permet d'industrialiser
la fabrication des sabots. Une machine fait elle
seule le travail combin de plusieUrs artisans, mais
ncessite la prsence de plusieurs personnes ralisant chacune une opration spcifique. Plusieurs artisans s'associent pour acheter cette machine. Au travail individuel se substitue un travail en quipe. Cette
nouvelle forme d'organisation et de division du travail
apporte aux associs le moyen de produire collectivement plus qu'ils n'auraient pu au total produire individuellement. En s'associant, nos anciens artisans
ralisent une opration qui leur permet de se rpartir
un revenu collectif plus important que la somme
ancienne de leurs revenus individuels. Une entreprise
est ne.
Cependant, un problme apparat immdiatement.
Lorsque l'artisan individuel rduit son effort, la sanction est immdiate : son revenu est amput d'un
montant quivalent au travail non produit. Dans le
travail en quipe, il en va autr~ment. Il est possible,
l'intrieur d'une certaine marge, de rduire son
effort individuel sans que les autres s'en aperoivent.
Lorsque trois hommes transportent un piano queue,
il suffit que l'un d'eux baisse lgrement sa prise pour
rpercuter sur les deux autres une partie de la charge
qu'il devrait normalement assumer. L'intrt de
l'quipe est d'liminer autant que possible le nombre
de tels resquilleurs.
Se pose galement le problme du partage des
gains collectifs. Au dpart, la distribution se fait de
faon galitaire; mais, rapidement, les membres de
l'association s'aperoivent qu'un tel arrangement est
loin d'tre optimal. Si l'un triche en effet l'insu de
ses compagnons, en fournissant par exemple un
effort moindre que les autres, tout le monde en ptit:
le revenu global de l'quipe est infrieur, donc le
revenu individuel de chacun - et cela par la faute
d'un seul. Celui qui prfre travailler plus pour
gagner davantage est pnalis par le comportement
de celui qui prfre se la couler douce , mme au
prix d'line paie finale moins importante.
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entreprise, mme concurrentielle. La direction centrale envoie des instructions ses diffrents services
pour que ceux-ci lui indiquent les besoins budgtaires
ncessaires l'excution des tches qui leur sont
confies. Ces directives sont leur tour dconcentres au niveau des bureaux. Puis le tout remonte
vers le haut.
Comme dans l'entreprise, chaque prvision budgtaire se dduit du cot comptable des services
fournis dans le pass, modifi en fonction des exigences nouvelles. Comme dans l'entreprise, la tendance
naturelle des bureaux est toujours de se plaindre de
ce que les enveloppes qui leur sont alloues sont
insuffisantes. Rflexe parfaitement humain, la notion
de cot tant par dfinition toujours purement subjective : on n'a jamais assez d'effectifs pour faire le
travail demand; les salaires sont insuffisants pour
obtenir un personnel de qualit; les conditions de
travail ne sont pas la hauteur de l'effort demand
aux excutants, etc. Moyennant quoi, la remonte
des prvisions budgtaires s'accompagne chaque
chelon du processus de dcision d'une srie d'arbi- ,
trages successifs dont la fonction est de rendre
compatibles des demandes qui, globalement, ne le
sont pas. Tout cela jusqu' l'arbitrage final du gouvernement entre les demandes budgtaires manant
de ses diffrentes administrations.
Cependant, entre la firme bureaucratique et l'entreprise prive, il existe deux diffrences fondamentales.
Par dfinition, le rle de l'arbitrage, qu'il se situe
au sommet de la hirarchie ou au niveau des services,
est de contester les valuatioris implicites des services en ce qui concerne leurs cots de production.
Amputer une prvision budgtaire qui remonte d'un
service subalterne revient dire ses subordonns:
cc vous devez produire autant en nous cotant moins
cher . Dans la ngociation qtii s'engage, la connaissance, des cots de production possibles est dterminante. Mais comment un chef de service ou le
patron d'un ministre connait-il les cots de production cc possibles de ses services,? Sa seule source
d'information provient des services mmes dont il
est cens contrler les dpenses. De la mme faon,
comment le pouvoir politique ou parlementaire
peut-il savoir si les estimations budgtaires qui lui
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l'on a rmunr l'ensemble des facteurs de production au niveau de ce qu'ils apportent au rsultat final
de l'entreprise. C'est un rsidu qui se dfinit par la
diffrence entre le revenu de l'entreprise et ce que
sa production a cot produire. Si quelqu'un est
personnellement propritaire de ce rsidu, toute
situation o l'entreprise ne produit pas au plus bas
cot possible reprsente un cot personnel dont le
montant est gal aux conomies que permettrait de
raliser l'utilisation d'une technique de production
plus effiace.
De l dcoulent deux consquences. D'abord, que
le patron est directement motiv pour s'informer
lui-mme sur les diffrentes techniques. de production possibles et leurs cots relatifs; ensuite, qu'il
est galement directement motiv pour chercher
obtenir de ses collaborateurs l'effort maximal pour
arriver produire aux cots les plus bas.
Dans cette perspective, le profit n'est pas seulement la rmunration du capital ou du patron .
C'est un mcanisme dont l'une des fonctions est de
mobiliser les nergies de l'entreprise pour rechercher les cots de production les plus bas possibles.
Ainsi que l'a expliqu Hayek, la notion mme de
cot n'a aucun sens en dehors d'une conomie
de concurrence et de profit: c'est l'interaction de la
concurrence et de la recherche du profit qui, dans un
processus de ttonnement, permet un instant donn
de dgager les. techniques de production les moins
collteuses, tout en sachant que la notion mme de
collt de production est un concept relatif, phmre,
fuyant, toujours remis en question par le mouvement de la vie conomique et industrielle 5.
Entendons-nous bien. Il n'est pas question d'affirmer que la seule prsence du profit fait que l'entreprise sera ncessairement gre de la faon la plus
efficiente; mais, simplement, que la prsence du profit fait que c'est dans les entreprises de type capitaliste que la motivation faire l'effort le plus grand
possible pour arriver aux collts de production les
plus bas, a toutes chances d'tre la plus forte par
5. Cf. Hayek, Government Policy and the Market , dans
Law, Legislation and Liberty (tome 3 : The PoUtical Order of
a Free People).
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Il ne suffit pas que l'entreprise produise aux meilleurs cots possibles. Encore faut-il qu'elle produise
ce que demande le march. L aussi, le rgulateur
n'est autre que le profit.
Les ressources (naturelles, humaines, financires)
de la socit ne sont jamais illimites. Par dfinition,
elles sont toujours rares . L'intrt de la collectivit est que ces ressources soient affectes en priorit aux secteurs o le service rendu aux consommateurs finaux est le plus grand, compte tenu, d'une
part, de la structure relative des prfrences individuelles, d'autre part, de la structure relative des
cots de production. Comment rsoudre cette quation dont la nature n'est pas diffrente de celle
laquelle est confront le chef d'entreprise lorsqu'il
recherche la combinaison de production la meilleure
possible, compte tenu de ses dbouchs et de ses
cots ? Par le march.
Le march dont l'intrt n'est pas, comme le pose la
thorie conomique conventionnelle, qu'il conduit automatiquemnt l'optimum cher Wa:Iras, mais, comme
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La ralit contemporaine est de plus en plus diffrente du modle simple qui vient d'tre voqu.
Depuis prs d'un sicle, avec le dveloppement des
socits anonymes, on assiste une sparation de
plus en plus nette entre proprit et gestion. Le capital des grandes. entreprises est dispers entre les
mains d'une multitude d'actionnaires, dont souvent
le plus important n'a que quelques pour cents des
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riale : le co'Clt d'une telle dCision retombe conjointement sur un grand nombre d'individus. Si, par exemple, un mauvais calcul coil.te l'entreprise 100, et si
l'auteur de la dCision n'est propritaire que de 10 %
des actions de l'entreprise, la sanction individuelle de
cette erreur ne sera que de 10, alors que dans le cas
d'une firme individuelle elle aurait t de 100. Moyennant" quoi, on est en droit de penser que si la firme
avait t gre par un entrepreneur 100 %, au lieu
de l'tre par un capitali,ste 10 %, il y aurait eu
beaucoup moins de chances que cette erreur soit
commise.
Cela ne veut pas dire que le propritaire personnel
d'une entreprise sera ncessairement un meilleur
gestionnaire. Bien d'autres facteurs (de comptence
et de formation) entrent en jeu. Cela signifie simplement en termes conomiques qu'il en coilte beaucoup moins cher, 'personnellement, au manager salari d'organiser sa gestion autour d'objectifs en conflit
avec la recherche du profit maximum, et donc en
conflit avec les impratifs d'une gestion optimale ,
qu'il n'en coilte au patron propritaire 100 % de
son entreprise.
Toutes choses gales par ailleurs, se payer un
bureau plus somptueux, un sige soCial futuriste, fortifier ,son leadership soCial par des investissements
para-professionnels ou capter l'attention des mdias
par des prouesses technologiques pas toujours justifies conomiquement, constituent des dcisions qui
coiltent moins cher au gestionnaire de l'entreprise
managriale qu' celui de la firme entrepreneuriale.
Le prix payer pour jouir de satisfactions individuelles attaches des politiques dont l'effet est de
rduire les rsultats bnfiCiaires de l'entreprise est
moindre pour le premier que pour le second. Moyennant, quoi, en application de la loi conomique la
plus lmentaire qui veut que plus le prix est bas,
plus la demande est forte, il est logique d'en conclure
que la gestion de type managrial produira en
moyenne plus de dcisions s'cartant de l'optimum
conomique que n'en produirait, toutes choses gales,
une gestion de type entrepreneurial. La sparation
de la proprit et de la gestion conduit donc bien
un affaiblissement du rle rgulateur des mcanismes
du march et du profit au regard des objectifs
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treprise; d'autre part, le droit de transfrer librement ce droit quelqu'un d'autre en vendant ses
titres de proprit sur le march boursier.
Mme si, volontairement, l'actionnaire se garde
d'exercer directement ses droits de contrle et de
surveillance sur l'activit des gestionnaires rels de
l'entreprise, cette libert de transfert, dans une conomie o existe une Bourse active et dveloppe, est
tout fait fondamentale : c'est elle qui suffit lui
offrir la garantie la plus grande possible que les
managers seront contraints de respecter ses intrts;
autrement dit, qu'ils ne pourront pas, dans leur propre intrt personnel, trop s'loigner d'une gestion
contrainte par la recherche de la meilleure rentabilit.
Pourquoi ? La libert de transfert des actions n'est
pas autre chose qu'un systme de contrle et de
sanction indirecte de l'activit et' du comportement
des managers. Si ceux-ci ont la possibilit, comme
nous avons essay de le montrer, d'organiser la vie
de leur affaire davantage en fonction de leurs propres
objectifs que de ceux de leurs actionnaires, ces derniers, eux, conservent la libert de soustraire leur
richesse au contrle de ceux dont la politique met
leurs intrts en danger. S'ils sont des centaines ou
des milliers faire le mme raisonnement, les cours
des actions de l'entreprise concerne s'effondreront.
Arrivera un moment o la position des managers en
place, malgr l'apathie probable des assembles gnrales; sera directement menace, le bas prix des
actions les mettant directement sous la menace d'une
. offre publique d'achat (O.P.A.) qui, si elle russit, se
traduira par leur viction et leur remplacement par
une nouvelle quipe.
Dans un pays o la Bourse joue un rle marginal
et dclinant, o l'actionnariat reste un placement de
pre de famille ou une tradition rserve quelques
classes sociales privilgies; o le march financier
est une institution peu active touffe par l'importance des prlvements directs ou indirects du Trsor
sur les ressources finaricires du pays (cas de la
France), cette menace ne sera gure effective. Les
managers n'auront gure craindre, sauf exceptions,
la vindicte de leurs actionnaires et pourront continuer dormir sur leurs deux oreilles' tout en pour-
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pratiquerait l'entreprise prive soumise aux contraintes du profit. De mme, on peut considrer que le
rle d'institutions finances par de~ donations publiques ou prives (orchestres philharmoniques, certains thtres, muses, etc.) est de maximiser l' utilit - c'est--dire le niveau de satisfactions - des
amatfiurs de musique, d'art dramatique ou de
rtrospectives historiques.
Comme prcdemment, le problme est de dduire
de cette nouvelle structure du droit de proprit
quelles seront les caractristiques essentielles du
comportement des managers de ces institutions et
d'en dgager les consquences, d'une part, sur leur
fonctionnement, d'autre part sur l'efficience globale
des mcanismes collectifs d'allocation des ressources.
L'analyse analogue celle des pages prcdentes,
conduit deux conclusions :
- 1. Par rapport aux autres types d'organisations
commerciales, l'entreprise but non lucratif est une
institution au sein de laquelle les managers jouissent
d'une latitude beaucoup plus marque pour divertir
leurs propres fins les ressources de la collectivit;
- 2. Par rapport aux autres formes prives d'organisation productive, il y a toutes chances pour que
la firme but non lucratif fonctionne avec des cots
plus levs, et soit donc la source de gaspillage
sociaux (extemalits) plus importants.
Tout cela parce que l'absence de march o se
ngocieraient librement les titres de proprit du
rsidu de l'activit de la firme fait qu'il, n'y a plus de
contrepoids aux consquences de l'attnuation du
droit au profit.
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LE PROFIT EN TANT QUE MGULATEUR
DU MARCH~ DES CONDITIONS DE TRAVAIL.
L'optimum de contrle
Remplacer une technique collective de contrle par
une procdure de contrle capitaliste permet
d'obtenir un contrle plus efficient du travail de
chacun. Mais cela ne signifie pas que le contrle sera
efficient 100 %. Personne n'y a intrt, pas mme
celui qui on donne la proprit du profit rsiduel.
Contrler le travail des autres est en effet, comme
n'importe quelle autre tche, une activit coi!teuse . Il faut former les contrematres. Etre patron
n'est pas toujours une sincure: il faut avoir l'il
tout, ngocier, donner des ordres, tre toujours
prsent si l'on veut vraiment tre efficace 100 %.
Par ailleurs, il ya galement des cots humains: la
mfiance qui apparat chez les autres ds lors qu'on
n'est plus exactement sur le mme plan qu'eux; les
rvoltes que l'on risque de dclencher si l'on est
trop svre ou trop tatillon.
Celui qui est investi de la fonction de contrle doit
donc peser, d'un ct les gains que peuvent lui rapporter un contrle plus efficace, de l'autre, les ennuis
et les cots qui peuvent rsulter d'un contrle qui
dpasse le seuil de tolrance de ses quipiers. S'il est
rationnel, il dosera son effort de contrle en fonction
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multiplicit des situations individuelles face au travail et aux conditions de travail. On a ce rsultat
paradoxal que l'intervention rglementaire freine la
satisfaction des aspirations qui sont lies aux aspects
les plus alinants du travail. Elle retarde l'closion
de cette mutation sociale et organisationnelle dont
ceux qui s'attaquent au march se font prcisment
les porte-parole les plus farouches.
La conc~rrence reste la meilleure garantie de satisfaction du consommateur, mme s'il s'agit de ce
consommateur un peu spcial qu'est le travailleur.
Plus nous vivrons dans un milieu concurrentiel, plus
la concurrence accentuera la contrainte du profit,
moins l'Etat, par ses interventions intempestives,
interfrera avec les motivations conomiques cratrices de concurrence, plus les travailleurs auront de
chances de trouver dans l'entreprise ce qu'ils en
attendent. C'est sans doute l l'un des aspects les
plus paradoxaux de la loi du profit .
Reste une objection : Encore faut-il que la socit
industrielle soit en mesure d'offrir des systmes tech.nologiques permettant une organisation plus souple
du travail. N'y a-t-il pas l aussi une source de blocage?
L encore, nous vivons gnralement sur des ides
reues compltement fausses. La technologie n'est
pas, comme on nous le prsente trop souvent, un
phnomne exogne, qui aurait sa dynamique propre,
imprvisible, autonome par rapport la socit et
ses besoins. Elle aussi obit aux lois de l'offre et de
la demande, mme lorsqu'elles ne sont pas apparentes. Si effectivement de plus en plus de salaris
dsirent arbitrer en faveur d'une nouvelle structure
de leur emploi du temps, dans une socit de concurrence, les entreprises ne pourront pas ne pas en tenir
compte, en raison mme des contraintes de survie.
Car ne pas le faire signifie que l'on donne au concurrent la possibilit de devenir plus comptitif en lui
laissant l'avantage d~ faire ce que l'on n'a pas fait ...
Toujours la loi du profit.
Il est vrai que les conditions technologiques
actuelles n'ont pas encore permis d'aller trs loin
dans cette voie d'une structure d'emplois plus souples - bien que le nombre d'expriences en cours
se multiplie. Mais si l'on ne triche pas avec les lois
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SIXIME PARTIE
HAYEK
OU
L'ECONOMIE POLITIQUE
DE LA LIBERTE
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Demain le librali$me
des mattres penser de la nouvelle conomie politique dont ils diffusent le message 1.
Alors que l'on dboulonne Marx, alors qu'un Bernard Henry Lvy et d'autres apprennent les vertus du
droit naturel, et que le retour l'conomie librale
redevient un programme de gouvernement, il n'est
pas inutile de redcouvrir la personnalit de celui qui
fut, trente ans, le rival de Keynes, et qui est aujour.
d'hui le dernier grand penseur libral vivant.
Hayek vit actuellement Fribourg-en-Brisgau, une
petite ville la propret toute germanique, niche
au pied de la Fort Noire. A vrai dire, c'est l que,
bien que citoyen britannique depuis 1938, il rside
plus qu'il ne vit : malgr un cur qui s'essouffle, il
passe plus de temps en voyage que dans le fauteuil
de travail d'o le vieil alpiniste qu'il fut peut contempler les pentes boises des monts voisins.
Voyez-vous, explique-t-il de sa voix modeste, en tendant vers son interlocuteur la seule oreille valide qui lui
reste (la gauche, alors que Marx, remarque-t-il, tait sourd
de l'oreille droite !), arriv soixante-dix ans, j'ai voulu
dcrocher; mais cela n'a pas t bon pour ma sant '; alors
'
je continue 2...
1. Le renouveau d'intrt de la presse anglo-saxonrie pour le
personnage d'Hayek et ses ides est cet gard' significatif. Le
magazine amricain Forbes a mis Hayek en couverture de son
numro du la. octobre 1979, avec un long article intitul Wave
of the Past ? or Wave of the Future? Il. Sa plus rcente biogra
phie a t publie dans Across the Board (dcembre 1978), la
rewe du Conference Board amricain. Son dernier ouvrage
Law, Legislation and Liberty a t longuement analys dans le
magazine libertarien Reason (dcembre 1979). Newsweek a
publi une interview d'Hayek dans son numro du 5 novembre
1979, cependant que le New York Times lui consacrait un lonll
article mtitul New Vogue for Critique of Keynes Il (7 Dlal
1979). On trouve galement des articles sur Hayek dans le
Times (9 mai 1977 et 20 mai 1978). En 1974, le Wall Street Journal
lui avait consacr un long ditorial; sous le titre The
Unknown Nobel Prizewinner Il. En France, le seul article de
fond ~ui lui ait t rcemment consacr est celui de. JeanDomimque Lafaydans Les Analyses de la SEDEIS (janvier
1980). Dans son dernier livre, L'Unit montaire europenne, au
profit de qui?, Pascal Salin s'inspire d'une analyse trs hykienne de la monnaie. Enfin, l'initiative des professeurs
Garello, Aftalion et Galla1s Hamonno, les Presses Universitaires
de France s'apprtent publier une traduction du dernier
ouvrage d'Hayek (le premier tome paraissant l'automne 1980).
2. Un certain nombre de citations qui f!.gurent dans ce cha
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Une retraite particulirement active : des confrences dans le monde entier, plusieurs sjours par an
aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, une volumineuse rflexion sur les institutions sociales de l'Occident qui vient de s'achever par la publication du
troisime volume de son ouvrage Law, Legislation
and Liberty, un autre livre en cours rdig sous forme
de dfi lanc tous les aptres du socialisme et de
la social-dmocratie contemporaine. A le voir, malgr
un dos vot qui dissimule peine sa haute stature,
on ne peut s'empcher de penser que l'conomique
conserve.
Mais qui est donc le professeur Hayek? Ses adversaires diront de lui qu'il est le dernier avocat vivant
du libralisme pur et dur du XIxe sicle, un palolibral selon Pierre Rosenvallon. Un journaliste franais le dcrit comme une sorte de gourou ractionnaire, hros de tous les gouvernements conservateurs
du monde : Un trange individu 8 ! . Un ancien
ministre de l'extrme gauche travailliste anglaise,
Michael Foot, n'a pas hsit parler de lui comme
d'un fou (<< a mad Professor 4 ). En ralit, il y a
deux Hayek. - Celui d'avant la guerre : un jeune et
brillant conomiste autrichien, nomm vingt-huit
ans directeur de l'Institut de recherches conomiques
de Vienne. Emigr quatre ans plus tard la London
School of Economics, il formule avant Keynes la
premire explication globale de la crise qui frappe
alors les dmocraties occidentales; ce qui fait de lui
l'conomiste le plus connu de son poque, aprs
Keynes. - Celui d'aprs la guerre : une sorte de
Cassandre solitaire, boud par ses collgues, proccup moins d'conomie stricto sensu que d'expliquer ses contemporains que les philosophies dominantes de la socit conduisent la destruction mme
des valeurs de Libert et de Dmocratie qu'elles
entendent pourtant promouvoir.
pitre proviennent d'un IOIlg entretien que j'ai eu l'occasion
d'avoir avec le professeur Hayek en fvrier 1979. D'autres sont
tires de ses diffrentes interviews publies dans la presse
anglaise et amricaine, ou directement extraites de ses ouvrages, articles et contributions.
3. Le Point, n 374, 19 novembre 1979, page 87.
4. Daily Telegraph, 14 septembre 1978.
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Demain le libralisme
L'Ecole de Vienne
Rien ne prdestinait le jeune Hayek devenir l'un
des grands noms de l'conomie politique. Toute
ma famille, rappelle-t-il, tait plutt oriente vers les
sciences naturelles que vers les sciences sociales.
Son grand-pre tait un biologiste viennois connu,
spcialis dans la zoologie. Son pre fit une carrire
de professeur de botanique l'Universit de Vienne.
Ses deux frres, galement professeurs, enseignrent,
l'un l'anatomie la facult de mdecine, l'autre la
chimie l'Universit d'Innsbruck. Son seul lien avec
les sciences sociales est constitu par son grand-pre
maternel, professeur de droit, un temps prsident de
la commission centrale de 'statistiques de l'empire
autrichien.
En 1916, Friedrich Hayek part pour le front italien.
C'est l, raconte-t-iI, qu'est n mon dsir de comprendre comment fonctionne la socit, parce que ce que je
voyais me bouleversait. Il serait exagr de dire que je
nourrissais alors des ides vraiment socialistes; mais,
comme bien des jeunes de ma gnration, je revenais de
la guerre avec l'ambition de contribuer faire voluer la
socit vers un monde plus juste et meilleur.
Bless, rentr dans son foyer, il reprend ses tudes
et obtient l'Universit de Vienne ses diplmes de
droit (1921) et de science politique (1923), tout en
flirtant un peu avec la psychologie.
Vienne est alors une ville agite par les remous
politiques et conomiques de la dfaite et du dmantlement de l'empire austro-hongrois. L'Universit est
un fief domin par l'idologie prussienne qui marque
alors la pense conomique et sociologique allemande,
et contribue dj crer un terrain favorable
l'essor ultrieur des doctrines nationales socialistes.
Mais Vienne est aussi la ville qui abrite Carl Menger
(1840-1921), l'un des dcouvreurs des fondements de
la thorie conomique dite no-classique, fondateur,
avec ses deux disciples Eugen Bohm Bawerk (18511914) et Friedrich von Wieser (1851-1926) de l'Ecole
de Vienne d'conomie politique.
Lorsque Hayek termine ses tudes, Bohm Bawerk,
qui fut ministre des Finances de l'empereur Franois-
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New Liberty. .
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Pourquoi la libert?
Pour Hayek, les annes 30 s'achvent donc sur un
chec. Mme ses plus fidles compagnons cdent
leur tour au conformisme keynsien. Dlaissant alors
l'analyse conomique proprement dite, il largit ses
recherches des domaines aussi divers que l'anthro14. Propos reproduits dans les interviews de Newsweek et du
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pologie, la philosophie sociale, l'histoire des ides politiques, la thorie de la dcision ... Ami de Ludwig von
Bertalanffy - un autre Viennois d'origine, inventeur
de la Thorie gnrale des Systmes -, il publie
mme un trait de psychologie thorique, The Sensory
Order (University of Chicago Press, rdition 1963),
dans lequel on trouve tous les ingrdients de la cyberntique des processus cognitifs qui, depuis, a fait le
succs de savants comme Henri Piaget et Herbert
Simon, le prix Nobel d'conomie. Une nouvelle carrire commence, domine par une longue rflexion de
plus de trente annes sur les fondements scientifiques
et philosophiques de nos institutions sociales.
Alors que les dmocraties allies combattent les
hordes nazies, mais succombent elles-mmes aux tentations de l'conomie administre, une question
obsde en effet l'homme mr qu'est devenu Hayek :
Comment en est-on arriv l? Comment expliquer
qu'une civilisation fonde sur les ides de libert et de
dmocratie dbouche en plein xxe sicle sur la multiplication d'idologies et de systmes de pense si
contraires aux valeurs qui lui servent de socle.
Selon certaines nouvelles philosophies de la fin
des annes 70, de droite (Claude Pollin, Alain de
Benoist) eu de gauche (Pierre Rosanvallon, JeanPierre Dupuy, l'Illich franais), c'est dans la modernit et le rationalisme classique, nous dit-on, que se
trouveraient les sources du totalitarisme moderne.
Dans cette optique, l'utopie conomique librale du
sicle et l'utopie politique socialiste du xne, ne
seraient que les deux faces distinctes d'une mme reprsentation de la socit, et Karl Marx l'hritier direct
d'Adam Smith 15.
XVIIIe
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assurer la meilleure mobilisation possible de l'information et des connaissances disponibles, son tour,
dans une socit de plus en plus complexe, cette capacit de mobilisation dpend du degr de libert laiss
aux individus dans la recherche de l'accomplissement
de leurs desseins.
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La Route de la servitude
Presque plus marxienne que Marx, cette dmarche
est plutt droutante pour tous ceux qui voient dans
la dfense des ides librales avant tout un choix
thique et politique. Mais elle permet de mieux saisir
l'ide centrale qui, en 1944, inspire Hayek la rdaction de La Route de la servitude 19.
Ecrit pendant la guerre, La Route de la servitude
est un livre conu pour mettre le public britannique
en garde contre les risques d'uil grave malentendu.
L'ennemi des liberts, y explique Hayek, n'est pas
seulement le nazisme allemand ou le fascisme italien. Il
est l'Est, avec les divisions (alors allies) de Staline. Il
est aussi et surtout en nous-mmes : c'est l'illusion de
l'Homme promthen, nourrie par une. philosophie sociale
de type constructiviste qui conoit les socits humaines
plus comme des ptes modeler que comme des systmes
volutifs o la civilisation .est le rsultat d'une croissance
spontane et non d'une volont.
Que l'on parle du fascisme ou du socialisme, que
19. University of .Cbicago Press, Phoenix books, 1944. Traduction franaise 1945.
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celui-ci soit envisag sous sa forme extrme, le communisme, ou sous ses formes plus modres du WeIfare State et de l'Etat keynsien, avertit Hayek, le
danger final est le mme: mme dmocratique ,
mme avec les contrepoids de la dmocratie occidentale, mme lorsqu'il reste modr et rserv quelques
secteurs de la vie conomique ou sociale, le socialisme
ne peut que .conduire progressivement l'oppression
et la perte des liberts en raison de son incapacit
assurer la ralisation des objectifs pour lesquels il a
t conu.
.
A ceux qui voient dans le socialisme et la planification
l'avenir de l'humanit, explique Hayek, je dis ceci :
mfiez-vous! en ralit, c'est la destruction mme des
idaux qui sont les vtres que vous contribuez. C'est la
civilisation elle-mme que vous mettez en pril.
Trente ans avant que Soljenitsyn ne rvle aux
bonnes consciences de l'Occident l'tendue du Goulag
sovitique, Hayek ne dit pas autre chose que ce que
dcouvrent aujourd'hui nos nouveaux philosophes .
Bien que d'abord boud par les diteurs, le livre
connat rapidement un grand succs de librairie. Tir
en premier lieu deux mille exemplaires, les cinq
mille suivants sont puiss en quelques semaines.
L'ouvrage fait mme la premire page de la New York
Review of Books. Keynes ne cache pas qu'il est en
plein accord avec les ides qui y sont exprimes, et
que sa lecture l'a profondment remu . Hayek est
le premier surpris : L'ouvrage, raconte-t-il, s'est
vendu comme un pamphlet politique, alors que je
l'avais crit l'intention d'une poigne de spcialistes.
Grce La Route de la servitude, Hayek renoue avec
la clbrit. Encore aujourd'hui, pour bien des gens,
ce livre est la seule uvre connue de l'conomiste
autrichien. Depuis sa premire parution, il a t rimprim quatorze fois dans son dition amricaine. Les
droits de traduction en ont t vendus dans le monde
entier, japonais compris. Hayek n'en conserve pas
moins un certain sentiment d'amertume.
Sa philosophie tait si contraire aux ides dominantes,
qu'en ralit il me causa un tort considrable; notamment sur le plan professionnel, o il contribua sceller
dfinitivement mon isolement.
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Sur le plan politique aussi: sa spectaculaire rcupration par les milieux anglo-saxons les plus conservateurs, alors la recherche d'un porte-drapeau, est
l'origine .d'un formidable malentendu sur les fondements de la pense haykienne; encore aujourd'hui,
la diffusion des ides de Hayek souffre de l'image
ultra-ractionnaire qui fut alors accole son nom.
Il y des moments, soupire-t-il, o je me prends
penser que peut-tre il et mieux valu que je
n'crive jamais ce livre 20.
En fait, rares sont ceUX qui ont vritablement compris le message profond de La Route d.e la servitude.
Lorsque Hayek y dclare que toute forme de socialisme - ft-il social-dmocrate ou mme libral
avanc - conduit inluctablement au totalitarisme, il
ne dnonce pas seulement la lente logique de dgradation des liberts individuelles qui rsulte de l'incapacit des interventions directes de la puissance publique rgler efficacement les problmes pour lesquels
elles ont t conues, et de leurs effets pervers (toute
intervention publique en entranant une succession
d'autres pour corriger les consquences inattendues
des rglementations prcdentes). Ce qu'il nonce est
beaucoup plus fondamental. C'est l'ide que, si l'mergence des valeurs de libert est indissociable de l'histoire des autres institutions sur lesquelles est fonde
notre. civilisation occidentale, toute atteinte l'une
quelconque de celles-ci ne peut que conduire au dprissement de l'ide mme de libert.
Si la libert est fille de la contrainte du progrs,
comment pourrait-elle en effet conserver un sens dans
une socit qui tournerait le dos celui-ci, ou qui
adopterait des philosophies de type galitariste dont
la consquence serait de ruiner la dynamique du progrs? Si le march et le profit sont les mcanismes
qui donnent l'exercice de la libert individuelle sa
just'i,fication sociale, comment pourra-t-on encore justifier celle-ci si les contraintes du march et du profit
sont attnues au point de ne plus avoir de sens?
Tuez l'ide de progrs, avertit Hayek, et c'est le
concept mme de libert que vous assassinez. De la
mme faon, touchez au march et au profit, ce sont
20. Interview du New York Times.
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La Grande Synthse
La parution de La RQute de la servitude entrane la
cration de la Socit du Mont Plerin - du nom
d'un'village suisse o, au mois d'avril 1947, se trouvent
runis autour du professeur Hayek un~ quarantaine
d'intellectuels et conomistes libraux venus des deux
rives de l'Atlantique. A c~ colloque, qui dure une
dizaine de jours, participent des personnalits aussi
mondialement connues que Bertrand d Jouvenel (qui,
plus tard, dmissionnera de la Socit du Mont Plerin), Wilhelm Roepke (le pre de l'ordolibralisme
allemand), Karl Popper, Lionel Robbins, John Jewkes,
Michael Polanyi, Milton Friedman, Aaron Director,
George Stigler, Ludwig von Mises, Fritz Machlup,
Frank Knight, le journaliste libertarien Henry Hazlitt ... Si Jacques Rueff n'est pas l, c'est seulement
parce que des obligations le retiennent Paris.
L'ide d'une Internationale regroupant les intellectuels libraux du monde entier n'est pas nouvelle.
Plusieurs tentatives avaient t faites la veille de la
guerre. Notamment l'initiative du professeur Louis
Rougier. Mais le conflit mondial avait mis fin ces
efforts. La Route de la servitude offre une nouvelle
occasion pour regrouper les nergies de tous ceux qui,
dans le contexte intellectuel de l'poque; se sentent
isols devant le dferlement des philosophies socialistes ou socialisantes. Sous le patronage de Hayek, la
Socit du Mont Plerin, avec environ trois cents
membres rpartis dans le monde entier (dont moins
d'une trentaine de Franais), devient le dernier bastion
de la pense librale contemporaine.
Cependant, le climat politique n'est gure propice au
genre de message et d'avertissement que lance Hayek.
C'est l'poque o de hauts fonctionnaires franais,
pourtant peu suspects de militantisme socialiste, et
exerant aujourd'hui d'importantes fonctions dans
l'Etat libral giscardien, n'hsitent pas affirmer que
la planification socialiste a fait la preuve de sa supriorit . Pour Hayek, une fois les feux de la presse
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sairement compris de ceux qui les respectent. Rsultat : nous vivons dans une 'socit o nous sommes en
train de plus en plus de dtruire la dmocratie au nom
de la dmocratie.
Cette volution, conclut Hayek, n'est pas une consquence ncessaire de 'la dmocratie, mais seulement un
effet de cette forme particulire de gouvernement illimit
avec laquelle on a full par identifier la dmocratie, et que
beaucoup croient devoir dfendre parce qu'ils la considrent - tort - comme la seule forme possible de
dmocratie. Cependant, ajoute-t-il, tt ou tard, les gens
dcouvriront que ce systme de dmocratie illimite est
en train de crer une impasse dont nous ne pourrons
.
sortir que par des moyens dsesprs.
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deux concepts insparables: l'mergence du libralisme en tant que systme d'organisation politique et
conomique est un produit naturel de la monte
de la civilisation qui n'est elle-mme que le produit de
la monte d'un systme de valeurs culturelles fondes
sur l'mergence de la libert comme principe abstrait
et gnral de discipline collective.
La libert, n'implique pas l'absence de rgles. Ce
n'est pas. l'anarchie, bien au contraire .
. Ce qui fait la civilisation, explique-t-il, c'est le passage
d'un systme d'organisation tribale o les actions de
chacun sont guides par la perception immdiate d'ob~ets
concrets et dfinis, un systme de disciplines abstrmtes
o les actions de chacun envers les autres sont guides par
l'obissance non plus des fins connues, mais des rgles
gnrales et impersonnelles, qui n'ont pas t dlibi!rment tablies par l'homme, et dont le rle est de permettre la construction d'ordres plus complexes que nous ne
pouvons comprendre, en rprimant ceux de nos instincts
primaires incompatibles avec.la survie de tels ordres.
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physique - peut conduire l'apparition d'ordres dynamiques obi:ssant des mcanismes spontans de
rgulation homostatique .
'-L'incapacit de Marx comprendre comment c'est
seulement le passage un ensemble de rgles abstraites
de comportement individuel qui permit l'mergence de la
socit civilise dont il fut lui-mme le produit, est clairement illustre par sa rfrence permanente au chaos
de la production capitaliste.
Cependant, ce n'est pas seulement le marxisme qui
est en cause. Celui-ci partage avec tous les autres
grands systmes philosophiques de l'histoire (<< de
Mose saint Augustin en passant par Platon, et de
Rousseau Marx ou Freud , prcise Hayek), la mme
caractristique d'tre fond sur une critique radicale
des coutumes, pratiques et traditions prsentes, au
nom d'une croyance en une Vrit immuable et ternelle, trouvant sa source dans le trfonds de la nature
humaine et qui, par dfinition, ignore tout concept
d'volution spontane.
Toutes ces doctrines font partie du processus naturel d'volution culturelle. Mais, en raison de la nature
de leur mtaphysique, qui empche de tenir compte
de ce que toute morale sociale, comme toute institution, n'a de 'sens que par rapport au contexte volutionniste dont elle est le fruit, et qu'il ne nous est pas
donn de pouvoir modifier (sauf inflchir ce qui
existe), elles ont toujours, affirme Hayek, jou davantage un rle de frein qu'un rle moteur du processus
civilisateur. Et cela est probablement plus vrai
aujourd'hui que jamais avec la prolifration des programmes visant changer la socit ; programmes
dont le seul effet ne pourrait tre que de nous priver
de toute cette somme d'intelligence abstraite et impersonnelle qui a prcisment rendu possible l'essor des
socits civilises.
La socit ne peut changer que de l'intrieur, par un
processus incertain d'innovations ponctuelles dans le
cadre de la tradition tablie. Pour Hayek, changer
la socit n'est donc pas autre chose que la manifestation d'une attitude rgressive (<< ractionnaire)
dont le succs contemporain ne s'explique que par
l'influence de doctrines qui nous font perdre de vue le
rle fondamental jou par le passage des systmes
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permet au dviant d'obtenir son viatique d'innovateur. Par ailleurs, ajoute Hayek (qui dveloppe ici une
ide aujourd'hui couramment utilise par les mouvements cologiques au nom de la ncessit de prserver
une varit biologique suffisante pour sauvegarder des
possibilits ultrieures d'volution), ce vivier sera
d'autant plus actif et moteur que la socit ne se prsentera pas elle-mme comme un corps parfaitement
homogne et isotrope, mais respectera au contraire
l'existence d'une diversit suffisante de niches
culturelles (analogues aux niches cologiques),
supports possibles d'innovations et d'adaptations
futures des conditions actuellement imprvisibles.
Dans cette perspective, les idogies contemporaines prsentent trois graves inconvnients : a) par
leur dominante galitarienne, elles touchent au cur
mme du systme de motivation ncessaire pour inciter les non-conformistes prendre le risque de braver
l'opinion de ceux qui les entourent; b) par leur volont
homognisatrice, elles rduisent la diversit spontane du rservoir culturel, source de toute volution;
c) enfin, en dconnectant les droits des individus de
l'observation de toute discipline sociale, elles conduisent la destruction de tout systme de rfrence
thique sans lequel il ne peut y avoir de rgles gnrales et abstraites de comportement. Autrement dit,
l'galitarisme est une philosophie qui, indpendamment de ses mrites intrinsques, si on se place sur le
plan des jugements de valeur, touche au cur mme
des mcanismes qui permettent aux systmes sociaux
d'assurer leur auto-rgulation, et donc d'voluer.
Il est vrai, reconnat Hayek, qu'a priori toutes les
rgles morales se valent. Mais cela n'est pas vrai du
point. de vue de la dynamique sociale. Si l'histoire de
la 'socit occidentale est lie l'mergence d'un systme de normes culturelles fondes sur une conception abstraite de l'Egalit (l'galit devant la Loi, et
non l'galit dans la rpartition des richesses produites par la socit), ce n'est pas un hasard. C'est prcisment parce que c'est l'mergence de cette dfinition
abstraite et gnrale de la Justice qui, par un processus de slection spontane au profit des groupes pratiquant ce type de morale, a permis l'essor des socits
civilises et le dveloppement des richesses produites
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le remarque Jean-Dominique Lafay, dans son excellente note de lecture publie par les Analyses de la
SEDEIS, certains jugements de Hayek paraissent
parfois manquer de mesure (ce.qui ne veut pas dire de
rigueur), et perdent ainsi de leur pouvoir de conviction .
Law, Legislation and Liberty n'en apparat pas
moins comme l'un des grands monuments encore trop
peu connus de la pense contemporaine. Non seulement il constitue un extraordinaire instrument de
stimulation de la rflexion sur les problmes philosophiques et politiques les plus fondamentaux, mais, de
faon encore plus essentielle, il nous fait redcouvrir
la vritable identit des fondements de la dmocratie
librale, - cela une poque o prcisment le drame
de notre socit est qu'elle a largement perdu le sens
de ses origines, laissant ses adversaires le monopole
de la rflexion politique, idologique et philosophique.
A cet gard, on ne peut manquer d'tre frapp par
l'extraordinaire continuit intellectuelle et scientifique qui, d'un bout l'autre de la vie d'Hayek, relie
l'ensemble de son uvre, qu'il s'agisse de contributions conomiques, d'analyses politiques ou de
rflexions philosophiques. Qu'il dcrive les mcanismes des fluctuations conomiques, qu'il dnonce les
confusions du langage politique, ou encore celles du
langage scientifique traditionnel, qu'il analyse la dynamique de dveloppement des organisations sociales,
ou qu'il dessine ce que devrait tre ses yeux la
constitution d'une Grande Socit rellement ouverte,
c'est en fait le mme personnage qui parle, la mme
pense qui s'exprime, le mme fil qui se droule. Tout
Hayek se rsume un principe : la prise en compte
des processus d'information, de formation et de transfert de la connaissance comme instrument de dchiffrement des faits sociaux.
.
Ainsi qu'il le rsume lui-mme, nous ne devons jamais
perdre de vue que c'est le fait mme de notre irrmdiable
ignorance de la plupart des faits particuliers qui dterminent les processus sociaux, qui est la raison pour
laquelle la plupart de nos institutions sociales ont pris la
montaire, thse de doctorat, Universit d'Aix-Marseille III,
Facult d'conomie applique, juillet 1979.
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CONCLUSION
LA CRISE!
QUELLE CRISE?
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sciences conomiques et l'importance prioritaire donne dans leur programme de recherche tout ce qui
est macro-conomique, au dtriment de la logique
d'analyse micro-conomique.
Ce double dveloppement, troitement li l'histoire de la rvolution keynsienne, a entran une
consquence importante: le rejet aux oubliettes de la
thorie autrichienne des cycles dont l'originalit, au
dbut des annes 30, fut d'expliquer les crises rcurrentes des conomies capitalistes par les effets de
dislocation des prix relatifs qu'entrane la cration
montaire. Ainsi que l'a rsum Hayek, la crise n'est
jamais que la rsultante d'une pidmie gnrale de
dcisions de gestion errones, provoque par les
perturbations que l'inflation introduit dans le dlicat
mcanisme d'quilibre des prix relatifs.
Parce qu'elle reposait sur l'usage de concepts non
directement quantifiables, cette explication des cycles
et des crises a t impitoyablement chasse de notre
mmoire collective. Ce faisant, nous nous sommes
privs de la seule thorie scientifique rellement susceptible d'intgrer les vnements que nous vivons
dans le cadre d'une thorie gnrale des phnomnes
conomiques complexes.
Bien que conue pour l'univers des annes 1920-1930,
la thorie haykienne des crises est plus que jamais
d'actualit. Elle est parfaitement compatible avec
l'observation des mouvements longs (cycles de Kondratieff) qui reviennent la mode dans la littrature
contemporaine, et dont elle explicite les mcani~mes
de faon endogne. Elle reste cohrente avec l'ensemble des phnomnes et volutions conomiques intervenus depuis vingt ans.
.
En oubliant Hayek, nous nous sommes coups du
seul instrument qui nous permettait d'identifier la
cause relle des dsillusions actuelles. La vritable
origine de la crise ne se situe pas, comme on nous
l'explique de plus en plus frquemment, dans les abus
de la croissance productiviste des annes 60. Elle se
trouve bien en amont, et est de nature fondamentalement institutionnelle: c'est le monopole d'Etat de la
cration montaire qui permet aux pouvoirs publics
de grer la production de monnaie en fonction de
leurs intrts politiques court terme sans avoir
craindre les disciplines de la concurrence auxquelles
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aux Etats-Unis; introduction de contraintes restreignant la libert dont disposent actuellement les Etats
modernes en ce qui concerne l'usage de leur droit
rgalien de frappe de la monnaie ...
Cela suppose enfin, comme le suggrent un nombre
croissant d'conomistes et d'hommes politiques anglosaxons, que l'on complte notre systme de protection
des droits de l'Homme par la discussion d'une nouvelle Charte constitutionnelle visant ce que la dmocratie cense servir tous cesse de fonctionner au
profit des groupes sectoriels les mieux organiss parmi lesquels le lobby de la fonction publique ellemme.
Nous ne pouvons pas faire grand-chose pour viter
que la crise, fruit d'erreurs passes, continue de suivre
son cours. Mais nous pouvons viter que le monde
capitaliste s'enfonce dans l'alternance de priodes de
prosprit et de pressions de plus en plus brutales.
Comment? En cessant d'assimiler libert et dmocratie pouvoir parlementaire illimit, et en revenant
une plus saine conception de l'Etat lgislatif limit
par des rgles de droit.
ANNEXES
L'Express.
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Annexes
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des faits sociaux (sans pour autant abandonner la reprsentation de l'homme et de la socit qui est la base de
l'conomie du XVII:re sicle), c'est le socialisme naissant
qui rcupre tous les grands thmes philosophiques, sociologiques et politi9.ues qui, selon Rosanvallon, con!ltituent
le cur de ce qu'Il appelle fi l'utopie conomique librale
du XVII:re - par exemple, les ides d'harmonie des intrts, de fraternit universelle, ou encore de socit transparente. Moyennant quoi, conclut Rosanvallon, fi les vritables hritIers d'Adam Smith ne sont autres que Prou~
dhon, Fourier, Saint-Simon, Bakounine, et... Marx! .
A cet gard, deux passages de son livre sont significatifs.
fi Ce n'est ,p,as chez Ricardo, Sismondi, ou Walras, crit-il
page 223, qu il faut rechercher le vritable hritage d'Adam
Smith. Seule la rduction errone de Smith un thoricien de
l'conomie, au sens nouveau et restreint que prend cette discipline au XIXe sicle, peut donner cette illusion. Tous les conomistes du XIX se sont ainsi tromps dans leur lecture de
Smith. Abordant La Richesse des Nations avec leurs propres .
proccupations, ils l'ont rduit un trait scientifique sur la
thorie de la valeur et de l'change, alors qu'il s'agit d'une
uvre philosophique, sociologique et politique dont les grands
thmes se retrouvent la fois incorpors et transposs dans les
ides socialistes du xxxe sicle. ,.
Ce renversement des analyses traditionnelles est intressant et stimulant. Politiquement, il permet Rosanvallon de renvoyer dos dos thoriciens du libralisme et
idologues du marxisme. Personnellement, je suis prt
reconriaitre que les filiations intellectuelles qu'il dcrit
permettent de faire un progrs considrable dans la comprhension de la genSe des ides politiques modernes.
Cependant, en se posant plus en historien des idologies
qu'en historien des sciences sociales, et en prnant une
philosophie ~mpirique du politique qui le conduit implicitement nier la possibilit d'une approche scientifique
des phnomnes sociaux - on retrouve l une caractristique de la pense judo-chrtienne qui recule devant
tout ce qui pourrait conduire rduire le fi mystre de
l'homme -, Pierre Rosanvallon commet une erreur en
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Annexes
la thse qu'il dveloppe, Rosanvallon se trompe lorsqu'il traite sur le mme pied les constructions naturalistes des physiocrates, les thories technocratiques
des benthamiens, et le concept smithien de Main invisible . Parce que, comme je l'ai dj dit, il se place plus en
historien des idologies qu'en historien des sciences sociales, il ne saisit pas qu'il existe entre eux une diffrence
fondamentale d'ordre pistmologique, camoufle par un
langage commun et des convergences politiques . incontestables. Les premiers sont des utopistes purs, au sens
propre du terme: ils appliquent leur rationalit individuelle (au sens cartsien) ima~iner quelles devraient
tre les meilleures institutions SOCIales possibles permettant l'homme d'tre libre; alors que les seconds (les
classique anglais), loin de se ;{Iroccuper d'laborer un
modle utopique du capitalisme et de l'conomie de
march, sont d'abord et avant tout des gens aui Se situent
dans une perspective d' inpirisme scientifique , pour
lesQ.,uels la rationalit individuelle n'est qu'un instruttlent
(1' mdividualisme mthodologique) partir duquel il~
essaient de comprendre quelle peut bien tre pour utiliser un jargon moderne, la rationalit co ective (la
raison d'tre, la fonction sociale) des institutions qui
les entourent. S'il est vrai, comme le dit Rosanvallon, que
l'idologie conomique classique du XVIIIe n'est pas la
simple traduction de l'idologie bourgeois~ en pleine
ascension (critique des thses de Max Weber et des
reprsentations trop simplistes qui en sont issues), il n'en
reste pas moins que l'on ne peut pas dissocier les travaux
de l'Ecole anglaise et leurs constructions philosophiques
du fait qu'il s'agit d'abord et avant tout d'une recherche
empirique sur les origines de la socit marchande et
de la division croissante du travail qui taient alors en
train d'merger sous leurs yeux.
. .
Il ne s'agit pas l d'une querelle pistmologique secondaire. Mais bIen d'une opposition radicale. Et cela pour
deux raisons.
D'abord, parce que cela conduit, non pas opposer une
vision librale des phnomnes soci~ux une vision
socialiste , visions qui ne seraient que deux produits
d'une mme philosophIe sociale, et que l'on p'ourrait donc
rfuter ensemble - pour rechercher une philosophie politique nouvelle mettant tout le monde d'accord, et dont la
recherche constitue la proccupation fondamentale du
petit cercle d'intellectuels dont Rosanvallon est le_ porteparole avec Jacques Julliard et Roland Viveret. Mais
distinguer deux libralismes: l'un qui serait la traduction
politique d'une conception volutionniste du' monde et
des institutions sociales : la philosophie politique de
David Hume ou de Montesquieu concernant la thorie de
la sparation des pouvoirs, reprise par Tocqueville au.
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coftts que les individus sont prts supporter pour assurer la police ultrieure de la rgle ainsi adopte.
Mme dans cette perspective plus ~estrictive que la
prcdente, dfinir la socIt qui serait la plus juste par
rapport toutes les autres reste donc un jeu sans solution
dfinitive. Ce qui nous ramne au problme de l'analyse
compare des systmes institutionnels (les rgles du jeu).
Le concept de Justice et d'quit ne peut pas tre conu
abstraitement en dehors du cadre d'une socit pluraliste
o s'affrontent des dfinitions diffrentes de la justice,
mdiatises par le fonctionnement du systme politique et
institutionnel.- Tout ce que l'on peut faire est de considrer
que les socits sont plus ou moins justes selon que les
critres dominants de justice et les actions deredistribution qui mergent du jeu spontan du march conomique
et politique sont le fruit de systmes institutionnels qui
s'cartent plus ou moins de l'idal d'unanimit requis pour
dterminer, un moment donn, la norme optimale de
justice.
D'une rflexion sur le concept de justice, on est donc
ramen une discussion sur les mrites compars de
diffrentes technologies politiques et constitutionnelles.
Discussion qui, en analysant le rle des groupes de pression dans la dynamique de rvlation des choix' collectifs,
aboutit notaniment montrer comment nos techIiiques
institutionnelles actuelles nous loignent davantage
qu'elles ne nous rapprochent de ce qui pourrait tre une
socit plus juste (cependant qu'elle permet d'indiquer
aussi quelques voies qui contribueraient inverser le
mouvement).
On retrouve l ce qui est levritable fondement de la
philosophie librale de la justice : pour le libral, la
. socit juste n'est pas celle qui est faite par des
hommes justes , mais, tant donn la diversit des
conceptions individuelles de la justice, celle qui s'est dote
des institutions les moins injustes (unfair). A dfaut
de pouvoir dfinir un critre absolu, il faut se contenter
d'apprciations relatives 5.
Un conomiste virginien comme Buchanan ne nie
donc pas l'utilit d'une rflexion conomique normative,
mais il en dplace le point d'application : c'est d'abord et
avant tout au fonctionnement du march politique ,
responsable de la production des rgles collectives qui .
p.Dcadrent le droulement du processus du march, qu'il
faut appliquer celle-ci 6.
H. L., mai 1979.
5. James BuchanaDi Law and the Invisible Hand, Working
Paper C.E. 76-31, V.P..
, Blacksburg.
6.. Albert Breton Economics of Representative Government" dans The Economies of Politics, I.E.A. Readings 18,
Londres, 1978.
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Nouvelle conomie
et nouvelle droite*
Toute assimilation entre les nouveaux conomistes
et les ides de la nouvelle droite est quelque chose de
tout fait insoutenable, contraire la plus lmentaire
vrit et honntet intellectuelle.
Pour s'en convaincre, il n'est que de se reporter aux
textes publis par le G.R.E.e.E. dans le numro de
mars 1979 de sa rewe EZments. La nouvelle droite est
antiZibrale, et ne s'en cache pas. Elle prne le corporatisme (ce qu'elle appelle l'conomie organique , une
conception close de la socit aussi vieille que Platon, le
premier des philosophes totalitaires). Elle ne conoit
l'conomie de march que comme un instrument au service de la fonction de souverainet >exerce par l'Etat, et
non comme une limite au pouvoir de contrainte de celui-ci.
Enfin, elle est protectionniste et autarcique, l?uisque l'un
de ses objectifs est de revenir une situation d'changes extrieurs comparables celle des Etats-Unis entre
1900 et 1970, soit moins de 5 % du revenu national (Alain
de Benoist).
Dans tout cela, il n'y a pas grand-chose de commun
avec les ides librales que dfendent les nouveaux
conomistes. Si ceux-ci, comme la nouvelle droite, rcusent les ides galitaristes pour partir d'une conception de
l'humanit fonde sur la diversit, leur philosophie n'a
aucun point commun avec les doctrines litistes et aristocratiques d'un Alain de Benoist (qui, lui-mme, dnonce
violemment leur galitarisme foncier !). Pour le libral,
le :problme n'est pas de savoir qui doit exercer le pouvoir,
qw est le mieux mme que d'autres d'exercer la fonction
de souverainet dans le meilleur intrt de la socit.
S'opposant toutes les thories de la souverainet qui, au
nom d'une fausse conception de la dmocratie, conduisent
au pouvoir abusif de quelques-uns, son seul souci est de
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Scientistes et scientifiques *
La frontire entre science et idologie est beaucoup plus tnue qu'on ne le croit gnralement. L'une
comme l'autre ne sont jamais que des systmes de reprsentation du monde . Il n'y a pas de thorie scientifiQ.ue
qui soit idologiquement neutre; il n'y a que des thones
dont le contenu idologique est plus ou moins affirm
selon que leurs auteurs se soumettent plus ou moins
rigoureusement aux contraintes et disciplines de la
mthode critique qui est la base de la connaissance
scientifique. A l'inverse, il n'y a pas d'idologie qui n'ait
de prtention avoir des soubassements scientifiques; il
n'y a que des idologies dont les prmisses thoriques
sont plus ou moins corrobores par les rsultats de l'exprimentation scientifique.
Dans cette optique, ce qui caractrise la nouvelle
conomie, c'est moins son imprialisme l'gard des
autres sciences sociales, que le retour intransigeant aux
disciplines scientifiques de ce qui constitue le paradigme
fondamental - mais trop souvent oubli - de toute
analyse conomique: 1' individualisme mthodologique .
La rfrence l'individualisme n'est pas une valeur en soi,
de caractre thique ou normatif, mais simplement
l'adoption d'une discipline mthodologique qui impose au
chercheur une rgle selon laquelle une hypothse visant
expliquer des faits sociaux ne peut atteindre un statut
scientifique que si elle permet d'expliquer comment
s'effectue la transformation des comportements et prfrences individuels en comportements et prfrences
collectifs. Il est vrai que cette discipline mthodologique
repose sur un postulat de dpart qui, comme tout postulat, inclut des valeurs subjectives. Mais il en va ainsi de
tous les paradigmes rivaux. La vritable question est de
savoir lequel de ces paradigmes offre le plus de garanties
scientifiques.
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Peut-on planifier
une conomie de march*
Nous vivons dans un monde o l'information n'est jamais
parfaite. Et c'est bien l'imperfection de l'information qui donne
au capitalisme sa raison d~tre fondamentale; en tant que
systme d'organisation sociale. Si l'information tait parfaite, il
n'y aurait pas besoin de capitalistes; nous pourrions tous tre,
sans inconvnient, socialistes.
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cessus concurrentiels
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les visions de l'avenir vhicules par les anticipations individuelles faites par des oprateurs indpendants ne peuvent pas
s'aggrger en une vision globale unitaire.
Pour un Conomiste libral, cette dcentralisation de la
prvision conomique est le rouage fondamental de l'conomie
de march, et l'une des raisons essentielles de la supriorit
des systmes de march sur les systmes planification centralise. Supprimer cette pluralit, mme au nom d'une philoso-
phie poltttque qui ne remet pas en cause le caractre fondamentalement capitaliste de notre systme social, aboutit dtruire
l'conomie e march. Celle-ci ne peut exister que s'il y a une
pluralit des visions de l'avenir. Elle ne peut pas s'appuyer sur
ques aussi bien ~ue pratiques pour penser gu'il ne sera jamais
possible de.:rdutre quelques oprations l ensemble des comportements .de tous les oprateurs individuels. Si nous tions
convaincus du contraire, l'conomie de march aurait dj
cess d'exister depuis longtemps.,.
Libert de prvoir et libert d'entreprendre
Ces conclusions confirment la conception traditionnelle suivant laquelle toute ide de pilotage,. centralis (au sens de
d'une conomie de march, et qu'il est impossible de rconcilier la philosophie du libralisme avec la philosophie de l'conomie planifie.
.
En dernier lieu, nous avons montr que les efforts publics
500
Demain le libralisme
conformiste" est l'une des liberts conomiques les plus essentielles dfendues par la philosophie librale, et qui va de pair
e Une grande partie de ce livre a tent de dmontrer l'incohrence lo~que qui rsulte de la tentative de concilier planification ind.jcative (ou prvision ~tralise) et libn: entreprise (o~
cononne de march). Cette mcohrence s'expli~ue par le fmt
que seul un systme de prvision e pluraliste "i c est--dire non
Uniforme et dcentralis est capable de faire face l'incertitude
du futur. La concurrence implique l'incertitude: la prvision
centralise en dtruisant cette dernire supprime la premire.
Cependant, si les efforts de M. Mass.pour rconcilier conomie
de march et planification centralise se sont traduits J?ar un
chec (et mes yeux, il ne pouvait en tre autrement), ils ont
eu nanmoins le mrite d'attirer l'attention sur ce lien d'une
faon beaucoup plus explicite que tout ce qui avait jusqu'alors
t dit par les dfenseurs de l'conomie de march.
e Je considre que le besoin ressenti par les autorits franaises, au moment du Va Plan, de redonner une nouvelle base
thoriC),ue la notion de })lanification e indicative" est un aveu
impliCIte de son chec. cene-ci n'a pas jou le rle de coordination qui devait tre le sien, et _uque! - tort ~ on avait
tendance donner crdit des performances conomiques du.
pays."
..
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... un mythe
c La seconde grande ide de la planification c la franaise
est d'ordre mthodologique. Elle correspond au refus de la
coercition et de l'autoritarisme et l'adoption de techniques
de planification c souples , qui se traduisent dans les faits par
la mise en place de mthodes d'intervention de type contractuel
ou quasi contractuel. Leur fonction initiale, la ngociation
d'accords entre l'Etat et les firmes, a cependant t profondment rtrcie au cours des mmes 60, au point de se rduire
la mise en place d'une forme de corporatisme informel
comme mthode d'or~anisation conomique.
c Cette dviation s explique certes traditionnellement par
l'influence profonde de la religion catholique sur les mentalits, la notion de profit tant rejete en tant que critre de
dcision; l'association ou la concertation tant prfres la
concurrence.
Cette explication reste cependant incomplte si l'on ne prend
pas en compte d'autres phnomnes plus rcents. Par exemple:
1. l'ide 9.u'il tait ncessaire de compenser les insuffisances
concurrentIelles de l'conomie franaise (oligopoles, pouvoir
syndical) par une politique active et centralise des revenus et
de contrle des prix;
2. l'ambition de certains conomistes d'arriver grer l'conomie franaise grce au dveloppement de puissants modles
informatiques;
3. enfin, la croyance en une certaine convergence des conomies capitalistes et socialistes.
.
La plaifi.cation la franaise est souvent prsente comme
la troisime voie qui permet de sortir d l'impasse idologi~e
qui oppose rgimes de l'Est et socits de l'Ouest. On dit (l'elle.
que c'est une forme de planification que mme des libraux
peuvent accepter. Ce sont des ides fausses. La planification
la fraYlf.aise ne rsout pas le vieux dilemme caractre idologique. Irrecevable sur le plan de ses principes (la prvision
S02
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e Pluriel a,
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processus de fabrication, la recherche continue des conomies . d'chelle, l'irruption de l'informatique des premire et deuxime gnrations, ont contribu accentuer
la parcellisation des tches, dissocier les fonctions de
conception et d'excution, appauvrir le contenu du travail, et accentuer l'extrme les caractristiques tayloriennes de nos systmes d'organisation traditionnelle.
De ce divorce est ne une double frustration : d'abord
une frustration de type montaire : les diplmes
n'apportent pas les esprances de rmunration que les
jeunes anticipaient par rfrence l'univers qui tait
celui de leurs parents ou de leurs ains; ensuite une frustration psychologique et sociale: les jeunes se retrouvent rejets vers des emplois d'une catgorie infrieure
celle qu'ils espraient et contraints en consquence de se
satisfaire de conditions de travail auxquelles ils comptaient bien chapper par leur promotion scolaire ou
universitaire.
C'est ainsi que, par exemple, le professeur Rousselet,
dans son rapport sur les processus de marginalisation
professionnelle des jeunes , fait remarquer qu'un C.A.P.
ne donne plus que 60 % de chances d'tre ouvrier qualifi
contre 69 % en 1962, cependant qu'un diplme suprieur
n'offre que 30 % de chances de devenir cadre suprieur
contre 38 %.
Ce. dsquilibre et les frustrations qui en rsultent ont
fait l'objet de nombreuses tudes. Cependant, il me semble
qu'on n'a pas encore suffisamment mis en relief les consquences que la prise en compte de ces phnomnes
entrane au niveau de l'analyse et de l'interprtation des
donnes du march de l'emploi.
Un premier type de consquence est qu'un tel divorce
conduit une tendance naturelle l'au~entation de ce
que j'appellerai la demande de mobilit. Parce qu'ils
ne trouvent pas dans le travail qui leur est propos les
conditions de ralisation de leurs aspirations personnelles, et parce que prcisment l'lvation de leur niveau
d'ducation a eu pour effet de relever le contenu de leurs
exigences, on peut lgitimement. penser qu'un nombre
croissant de jeunes ont t conduits adopter un comportement en moyenne plus instable que leurs prdcesseurs.
Quand on n'a pas ce que l'on veut, ou lorsque ce que l'on
trouve s'loigne trop de ce que l'on recherche, la motivation aller voir ailleurs est plus forte. Bien sOr, ce n'est
jamais trs agrable. Changer d'emploi impose un certain
nombre de cots personnels. Il y a le cot financier et
psychologique de se retrouver, mme temporairement, au
chmage. Il y a les efforts de recherche et d'information
qu'il faut dployer. Il ya enfin le risque que l'on prend de
se retrouver sur le carreau plus longtemps qu'on ne le
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L'analyse conomique et la
dimension socioculturelle de l'emploi*
Jean-Jacques Rosa et Andr Fourans ont dmontr
que les relations entre emploi et chmage sont beaucoup
plus complexes que l'attitude habituelle qui consiste
considrer que tout chmeur en plus est la preuve de la
dfaillance de notre appareil industriel quant donner
chacun l'emploi qu'il est en droit d'attendre de la socit.
Je ferai quelques remarques complmentaires concernant,
d'une part, l'intrt de ce type d'approche pour une meilleure intgration des phnomnes socioculturels lis
l'emploi; d'autre part, quelques consquences que l'on
peut en tirer sur le plan des politiques conomiques.
. L'approche qu'ont dveloppe Jean-Jacques Rosa et
Andr Fourans se ramne l'ide que les chmeurs sont
des individus qui disposent d'une certaine latitude pour
rgler eux-mmes la dure de leur priode de passage
sur le march du travail.
Jean-Jacques Rosa et Andr Fourans ont montr que,
toutes choses gales par ailleurs, certaines catgories de
travailleurs (les femmes et les jeunes, par exemple) disposent de plus de latitude que d'autres pour allonger leur
priode de transit entre deux emplois;. et donc que plus
la part de ces groupes dans la population active estimportante, plus la dure du chmage aura tendance eri
moyenne s'allonger, et plus on aura un niveau statistique moyen de chmeurs lev, sans que cela. traduise
une dgradation relle de la situation de l'emploi.
Par ailleurs, Jean-Jacques Rosa et Andr Fourans ont
galement mis en lumire un certain nombre de facteurs
qui laissent penser qu'aujourd'hui chacun d'entre nous
dispose en fait de plus de latitude qu'il n'en disposait
il y a dix ans pour allonger volontairement son temps de
* Intervention au colloque sur l'Emploi organis par l'Institut de l'Entreprise, Jouy-en-Josas, le 17 juin 1978.
.
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ce
Annexes
sil
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saient exactement leurs perspectives relles d'amlioration de leurs revenus mon~aires, et plus de travail que
ne peut, en fait, leur. en donner l'conomie.
La seconde ide dcoule directement de ce qui prcde.
Nos politiques de plein-emploi sont dtermines en
fonction d'objectifs qui dcoulent des statistiques de
chmage observes. Or, nous venons de dire ni plus ni
moins que celles-ci refltent en ralit une demande
d'emploi manant des travailleurs, fortement gonfle par
rapport ce que serait leur arbitrage rel entre travail et
non-travail s'ils taient exactement informs des perspectives des cOlts relatifs rels entre travail et non-travail.
Le rsultat est que la poursuite du plein-emploi ,' dans
son acception actuelle, aboutit en ralit imposer la
socit ce que j'appellerai un plein-emploi forc que
j'opposerai au plein sous-emploi des socits socialistes. Poursuivre le plein-emploi aboutit inciter les
gens demander plus de travail qu'ils n'en demanderaient
rellement s'ils taient parfaitement informs sur la structure relle des cots relatifs de la socit dans laquelle
ils vivent.
La troisime ide concerne, elle, la production d'emplois,
c'est--dire l'offre et non plus la demande. Nous avons vu
que l'amlioration des aides financires au chma~e, jointe
l'alourdissement des impts pays par ceux qw travaillent, aboutissait rendre le travail moins attractif et, au
contraire, renforcer l'attrait du non-travail.
De la mme faon, il faut considrer l'incidence de ces
mesures sur la production d'em:plois. Celle-ci est double.
Pour financer les transferts SOCIaux, il faut alourdir la
fiscalit directe et indirecte pesant sur les entreprises,
notamment les charges sociales. Celles-ci jouent le rle
d'un impt sur le travail. Plus elles sont leves, plus les
.entreprises sont incites remplacer du travail par du
capital. L'amlioration des transferts conduit en ralit
rduire la production quantitative d'emplois. D'un ct,
on incite donc les individus demander plus de travail,
mais en mme temps on pnalise les crations d'emplois
nouveaux.
Il ne faut toutefois pas s'arrter l, mais galement
observer l'incidence des facteurs institutionnels sur le
niveau qualitatif de la production d'emplois par les
entreprises. Je ne rentrerai pas dans le dtail. Mais il est
tout fait possible de dmontrer que toutes les rgles
institutionnelles actuellement dveloppes qui visent
protger le travailleur contre le chmage, contre les licenciements ou contre les salaires trop bas aboutissent en
ralit pnaliser la production de meilleurs emplois,
c'est--dire faire que le contenu qualitatif des emplois
crs ou offerts par les entreprises est infrieur ce qu'il
serait si la protection offerte aux salaris tait infrieure
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Le salaire minimum
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chmage des jeunes. Je pense l, par exemple, aux phnomnes d'instabilit et de mobilit accentue qui ont pour
consquence de faite progresser les mesures du taux de
chmage, sans que pour autant cette progression soit le
reflet d'une dgradation relle de la situation conomique
au niveau de la cration d'emplois nouveaux.
Je ne prtends pas qu'il faille rduire toute l'volution
caractrIstique du march de l'emploi des jeunes depuis
une dizaine d'annes ce seul facteur. Les proccupations
qui sont aujourd'hui les ntres sont incontestablement
lies des lments tels que le ralentissement de la croissance conomique, ou encore l'accentuation des mouvements de restructuration industrielle (dont sont en priorit victimes les travailleurs les moins anciens aans
l'entreprise). Mais .le crams que les mcanismes que je
viens d'voquer, mme si leur incidence demeure encore
marginale par rapport l'ampleur du problme actuel,
jouent nanmoins un rle de plus en plus important.
Je n'ignore pas que ce type d'approche peut provoquer
des ractions trs vigoureuses. Il faut cependant comprendre que ce n'est pas parce que j'essaie de mettre en
lumire certains des effets pervers de notre lgislation
sociale, CJ.ue je prconise rien moins que sa suppression
pure et sunple. L n'est pas du tout mon intention. Cette
lgislation existe; elle est lgitime. Mais peut-tre serait-il
temps de se demander comment on peut Camnager pour
prcisment rduire l'ampleur de ses consquences perverses.
Sur un plan gnral, si la collectivit considre qu'il est
de son devoir de garantir un minimum vital aux personnes qui sont les moins bien armes pour affronter la
concurrence du march du travail, je pense personnellement qu'il est d'autres moyens que la l~sIation sur le
salaire minimum ~our atteindre cet objeCtif. Ce Cl,ui est en
cause n'est pas lobjectif, mais le moyen choiSI. Mieux
vaudrait s'inspirer d'un systme d' impt ngatif fond
sur l'affectation d'allocatIons complmentaires de revenu
distribues directement ceux qui sont effectivement les
plus dfavoriss.
Sur le plan particulier des jeunes, en attendant d'voluer vers un tel systme de revenu minimum garanti
(lequ~l ne peut qu'tre trs long mettre en place, pour
des raisons que j'ai dveloppes ailleurs), un moyen de
limiter les effets pervers de la lgislation actuelle serait
de mettre en place des accommodements rendant l'application de la loi plus flexible pour l'embauche de jeunes
travailleurs.
Sans remettre en cause le principe d'une protection
minimale des jeunes travailleurs contre les abus qui pourraient rsulter d'un march totalement libre des rmun-
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L'approche no-classique
de la production soctaIe*
Je ne vous cacherai pas l'embarras que j'prouve
commenter l'intervention de Jacques Fournier et Nicole
Questiaux. Celle-ci se situe en effet dans le cadre d'un
paradigme totalement tranger au systme de pense et
de perception qui est le mien. Pour bien faire, c'est au
systme de reprsentation des faits sociaux qui est la
base de l'analyse poursuivie par Jacques Fournier et
Nicole Questiaux qu'il faudrait s'attaquer. Ce qui dpasse
bien videmment le temps qui m'est imparti. J'luderai
donc le problme en vous prsentant, trs sommairement,
une esquisse alternative d'analyse de la question pose;
laquelle, me semble-t-il, se rsume en quelque sorie comme
tant celle de la production des politiques sociales
dans une socit d'conomie mixte. Jacques Fournier et
Nicole Questiaux vous ont propos une rponse de type
marxiste. Je voudrais, pour ma part, vous montrer comment l'approche no-classique permet aussi d'apporter
des rponses ce type de problme qu'on lui reproche en
rgle gnrale de ne pas prendre en compte.
La question pose est celle de la production des politiques sociales , c'est--dire d'institutions, de rgles, de
normes publiques exerant sur la distribution des ressources qtJ.i rsulterait du libre fonctionnement du march
des effets de transfert, qui peuvent tre directs - ~lloca
tions de la Scurit SOCiale, par exemple -, ou indirects
- effets redistributifs des rglementations publiques.
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conomique (ou toute dcision politique) entranel'apparition d'externalits quelque part; celles-ci entranent de
la part des agents concerns un processus d'internalisation qui dbouche sur des adaptations institutionnelles;
mais ces adaptations crent leur tour d'autres externalits, auxquelles d'autres agents vont ragir par d'autres
processus d'internalisation qui peuvent se situer tant au
plan d'institutions conomiques, que d'institutions politiques ou sociales. On a l un processus fond sur une
dynamique de dsquilibre, dont les agents actifs sont les
groupes de pression ou lobbies qui se constituent et
voluent en fonction de l'volution de la matrice des
, externalits conomiques et sociales.
Pour terminer, je conclurai en voquant plus directement l'un des points fondamentaux de l'expos de Jacques
Fournier et de Nicole Questiaux. Je suis tout fait
d'accord avec l'ide que les politiques sociales constituent,
pour les groupes socio-conomiques qui bnficient le
plus de notre systme de capitalisme mixte, une faon
d'acheter en quelque sorte le consensus ou, tout le
moins, la neutralit passive de ceux qui en profitent le
moins et qui pourraient tre tents de remettre en cause
son existence mme. Cela dit, je ne crois pas que l'on
puisse rduire toute l'histoire de notre lgislation sociale
cette force.
Il me semble qu'il existe, de ce point de vue, quelque
chose de bien plus fondamental : c'est le fameux dsquilibre de la distribution des cots-avantages de l'action
politique, dans le cadre de nos dmocraties parlementaires loi majoritaire. Dsquilibre, qui du fait de la
concentration des bnfices entre un petit nombre de
bnficiaires, et de la diffusion des cotS entre un
grand nombre de contribuables, cre dans nos socits
une logique autonome et cumulative d'extension des activits et des interventions redistributives de la puissance
publique. Loin d'tre l'expression des soucis stratgiques
d'une catgorie sociale particulire ou de grands lobbies
socio-conomiques bien dfinis, l'tat actuel de nos politiques et lgislations sociales me parat bien ~lutt tre le
rsultat autonome d'une situation de jeu o l affrontement
de stratgies particulires caractre corporatif conduit
un rsultat global qui n'est en fait explicitement conu
par personne.
Ainsi, ce n'est pas un hasard si nos politiques de redistribution redistribuent si peu. Cela a moins voir avec les
intrts d'une classe capitaliste dominante qu'avec la
monte du pouvoir politique des classes moyennes : dans
une dmocratie, on ne peut pas durablement pratiquer
une politique de redistribution dont le cot essentiel est
support par la majorit des lecteurs.
526
Demain le libralisme
528
Demain le libralisme
.conomie politique n'a jamais t autre chose qu'une interrogation sur le pourquoi de~ contraintes que l'organisation
sociale impose aux hommes.
S'i! y a des oppositions, elles se situent ailleurs. A mes
yeux, la vritable opposition n'est pas celle de deux gnrations de libraux, mais celle de deux approches du
libralisme: une approche que je qualifierai d' thique
ou philosophique, et une autre approche de type scientifique .
Par approche thique , j'entends tout ce qui prend
comme point de dpart le libralisme en tant qu'expression d'une philosophie ou d'une morale sociale assocIe
l'ide que la libert est la condition de ralisation de la
condition humaine. Relvent de ce courant, d'une part,
les libertariens - qui font de la libert, conue comme le
droit inalinable la non-agression , la norme morale
absolue devant laquelle doivent plier toutes les autres
valeurs possibles; d'autre part, les libraux classiques,
depuis les libraux du sicle dernier jusqu'aux chrtiens
dmocrates, socio-dmocrates, et mme socialistes non
rvolutionnaires d'aujourd'hui qui, tout en faisant de la
libert individuelle une norme suprieure, n'en acceptent
pas moins, au nom du pragmatisme politique, toute une
srie de compromis avec les autres systmes de valeurs
concurrents (l'galitarisme, par exemple).
Par approche scientifique , j'entends une dmarche
diffrente qui part d'une interrogation sur {< Pourquoi la
libert? . Pour ceux qui se situent dans cette perspective
- et c'est l que je place des gens comme Hayek ou les
conomistes no-libraux amricains - l'ide de libert
n'est pas congnitale l'homme. C'est une invention relativement rcente de l'humanit dont il faut commencer
par rechercher la raison d'tre. Si les valeurs librales se
sont, une certaine poque, progressivement diffuses
dans le monde occidental, c'est qu'elles rpondaient
certaines contraintes objectives de la socit. Ce sont ces
contraintes qu'il faut identifier si on veut comprendre
l'essence du libralisme, et donc comprendre pourquoi il
est essentiel de dfendre les valeurs de libert, d'autonomie et de responsabilit qui y sont associes - et cela,
indpendamment de leur contenu thique ou philosophique.
Libralisme et complexit
Une seconde remarque concerne une phrase du document qui vous a t distribu. Cette phrase est la suivante:
Les opinions seraient autrement orientes, est-il crit,' si
Annexes
529
530
Demain le libralisme
Le diagnostic
La premire question concerne l'enjeu et la dimension
du problme qui nous est pos par l'explosion du' volume
des dpenses sociales. Le vrai problme n'est pas celui du
dficit financier de la Scurit. sociale .,-- celui-ci sera
toujours combl d'une faon ou d'une autre -, mais
celui que pose l'explosion apparemment immattrisable
des dpenses de transfert ou de solidarit sociale.
.
. Je ne sais pas si vous le savez mais, actuellement, chaque
fois qu'un Franais apporte, par son travail, 100 F la
production nationale, il n'en retire qu'un peu plus de 50 %
sous forme de revenu personnel. Si l'on' extrapole le
rythme de croissance des dernires annes, nous arriverons la fin du sicle une situation o les transferts
sociaux absorberont eux seuls prs des deux tiers de
l'effort productif de chaque Franais. Ajoutez-y les impts
requis pour financer les routes, les cOles, la justice, la
police, l'arme ... il ne restera plus grand-chose la disposition du libre choix de chaque citoyen. Quelles sont les
causes de cette situation?
Nul besoin, mes yeux, d'invoquer une prfrence
croissante de la collectivit pour plus de scurit, pour
expliquer le dveloppement de la part des transferts dans
notre socit. La croissance apparente du got pour la
scurit me parat un rsultat tout fait normal et peu
surprenant dans une socit o, du fait de la progression
des prlvements publics, on pnalise toujours plus le
risque par rapgort au non-risque. Dans une telle socit,
il ne faut pas s tonner de voir les individus opter toujours
plus pour le non-risque. Invoquer le got croissant des
Franais pour la scurit est, en fait, un alibi qui nous
empche de prendre conscience des vritables causes de
cette situation. En tant que nouvel conomiste., je
n'hsite pas dire que c'est dans nos institutions et dans
les mcanismes de. fonctionnement de nos marchs politiques, tels qu'ils se prsentent actuellement, que rside
la vritable source de la croissance exponentielle des
dpenses sociales. Nous n'arriverons jamais endiguer
celles-ci si nous ne lions pas l'tude du problme des
transferts sociaux l'analyse des mcanismes qui expliquent que nos socits occidentales sont prisonnires
d'une logique o l'Etat ne peut que crotre ., et o cette
croissance signifie un cloisonnement toujours plus grand
d'une socit de plus en plus corporatiste . - Le dvelopement de mentalits cr: corporatives. tant troitement
li aux mcanismes de croissance de l'Etat dont il est
la fois une cause et une consquence.
Annexes .
531
Les solutions?
Le docteur Lacronique nous a prsent un remarquable
expos sur les moyens ncessaires pour rintroduire des
mcanismes d'autorgulation dans le march de la sant.
Je suis tout fait d'accord pour dire que la rintroduction
de mcanismes rgulateurs dans un circuit aujourd'hui
dpourvu de toute rgulation est quelque chose de trs
important. Il est indispensable de dvelopper des techniques modernes d'audit hospitalier, ou de l?rofit mdical.
Le retour des mcanismes de mutualisatlon est un lment important pour rendre les consommateurs plus
sensibles aux effets induits de leurs dcisions individuelles. Cependa:tlt, je ne pense pas que cela puisse suffire; il
faut aller au-del. Outre la question fondamentale d'une
rflexion sur nos institutions politiques, que je viens
d'voquer brivement, il me semble que deux choses sont
tout fait essentielles.
. Tput d'abord, il me semble qu'il faut prendre conscience
de ce que les conditions conomiques des Franais ont
bien c1Umg depuis l'poque o nos systmes de protection
sociale ont t conus. Je crois qu'aujourd'hui, une majorit de Franais ont les moyens de supporter .les risques
courants de soins et maladie. Je.rappelle, cet gard, que,
selon des chiffres cits par monsieur Courtaigne, 10 %
l!Ieulement des dpenses pharmaceutiques sont faites dans
des maladies coiltant plus de 800 F par an. Ce qui me
conduit attirer l'attention sur le :projet que dvelo:ppe
aux EtatsUnis le professeur Feldstem. Ce projet consISte
instaurer une fnmchise annuelle calcule en pourcentage
du revenu des mnages: par exemple, IS %.Au-del de
cette franchise, les dpenses de soins seraient entirement
prises en charge par la collectivit. Je sais qu'un tel projet
n'est :peut-tre~:{'s trs facile mettre sur pied et
administrer. M
il me semble qu'il y Il l une ide
creuser, car eU est susceptible de rintroduire des .rgulations dans un univers qui en est aujourd'hui totalemeilt
dpourvu. De la mme faon, en matire de retraites, ~e
crois qu'il est invitable qu'on volue vers un systme ou,
en dehors d'une retraite vieillesse minimale garantie par
l'Etat, on liera davantage les prestations fournies au montant capitalis des cotisations.
.
Le second impratif, me semble-t-il, est de dissocier la
protection socitile de la politi9.ue des revenus. La confusion des deux fonctions condwten etfet une com:p'lexit .
qui empche de bien a~prcier les effets redistrtbutifs
rels des systmes de solidarit en place, et favorise ainsi
les entreprises des intrts catgoriels qui utilisent le
march politique pour obtenir que le systme leur
532
Demain le libralisme
li)
J'en arrive maintenant la conclusion, et voudrais profiter de celle-ci pour rtablir un lien entre les deux parties
de l'expos.
.
Ce lien est le suivant. Il est vrai que l'enjeu pos par la
matrise des rythmes de croissance de nos budgets sociaux
est de savoir si nous arriverons, ou si nous avons la
volont de freiner ou d'enrayer la logique de socialisation
de nos modes de vie individuels qui rsulte des volutions
spontanes actuelles. Mais je crois que le vritable enjeu
n'est pas seulement cela. Il est enco.re beaucoup plus
fondamental. C'est le problme de la survie mme de
notre socit qui est en cause.
. Si, en effet, comme je l'ai dit tout l'heure, la rgulation
d'une socit complexe dpend d'un surcroit d'autonomie
et de libert dans l'exercice des responsabilits incUviduelles et collectives, je suis tent d'en. conclure que tout
phnomne social allant dans la direction oppose signifie
que notre socit n'arrivera jamais matriser son supplment de complexit. Et donc qu'elle risque d'en prir. Et
avec elle les valeurs mme de libert et d'autonomie de la
personne qui en constituent le fondement.
Demain le capitalisme :
critiques et commentaires *
. * Nous avons rassembl dans les pages qui suivent les principaux extraits du dossier de presse trs abondant qu'a suscit
Demain' le capitalisme, en reprenant, largement, les titres
originaux des articles. (N.D.B.)
Battu en brche tous les jours au niveau idologique, le capitalisme est vigoureusement courtis au niveau pratique. Aussi
bien les pays socialistes (Chine comprise, dsormais) que ceux:
du tiers monde font appel aux: investissements, l'aide technologique, la capacit importatrice de la poigne de pays capitalistes dvelopps dont ils proclament, d'autre part, le systme
mortellement atteint.
Curieux: contraste. S'il n'est pas mis davantage en relief, la
cause en est-elle un retard de la :t>ense thorique sur la ralit
vcue, ou de la simple informatIon conomique sur la propagande politique? En appliquant aux: conomies socialistes, ou
simplement aux: interventions de l'Etat dans les conomies
librales, la mme svrit critique qu' l'apprciation des
rsultats de la libre entreprise et du march, lequel des deux:
systmes verrait-on le plus mal en point? Peut-tre pas le
second.
Telle est la question que traitent eeux: que l'on nomme depuis
peu les nouveaux: conomistes . A vrai dire, ils ne sont pas si
nouveaux: que cela, puisque se regroupent sous ce vocable trois
ou q.uatre coles de pense et une vingtaine d'auteurs dont
l'activit s'.chelonne, aux: Etats-Unis, entre la fin de la Seconde
Guerre mondiale et aujourd'hui. Depuis quatre ou cinq ans, un
groupe de jeunes conomistes franais a prolong ce courant,
tout en dveloppant une recherche originale.. L'objectif est le
suivant: faire la thorie du capitalisme tel qu'il est, et aussi tel
qu'il peut tre, en se tenant gale distance de l'optimisme de
la thorie librale classique et des critiques caricaturales de la
vulgate marxiste.
Aubaine rare dans les sciences conomiques, il vient de paraItre, en un volume ramass, un bilan et un panorama clair,
vivant, bien pens et bien crit, nourri d'exemples concrets et
de citations des textes fondamentaux:, de cette cole, aussi bien
dans sa gense et ses dveloppements amricains que dans ses
prolongements franais. Ce livre, Demain le capitalisme, est d~
un auteur de 36 ans Henri Lepage, diplm de l'Ecole des
sciences politiques de Paris et de la London School of Economies, familier des Etats-Unis, o il s'est livr un vritable
reportage - un reportage d'ides - sur ce que l'on peut appeler
maintenant le no-capitalisme libertaire ...
Combien est, en effet, frappant de voir .que les nouveaux:
conomistes, tout en ayant des racines scientifiques plus ancien-
536
Demain le libralisme
nes et plus solides, se sont trouvs en rsonante avec les contestataires amricains des annes 60 et rinterprtent avec plus de
rigueur qu'eux leur rvolution' culturelle. Comme eux, ils ont
dnonc, par exemple, le rle du c complexe militaro-industriel daris la guerre' du Vietnam, tayant leur protestation
morale d'une dmonstration conomique. Car le complexe
militaro-industriel - entre autres - est le type mme du
capitalisme tatis. ou de l'tato-capitalisme, qui ne peut qu'engendrer des choix frquemment dsastreux.
Pour les nouveaux conomistes, comme l'crit trs bien
Henri Lepage, les iniquits de la socit contemporaine sont
donc la consquence non pas du fonctionnement de l'conomie
de march, mais de son non-fonctionnement. c La socit souffre non pas de trop de march, mais de trop d'Etat. Pourquoi
l'Etat croit-il? Leur nouvelle thorie gnrale de la bureaucratie vise aussi bien, cela va de soi, la bureaucratisation intgrale
des socits socialistes que celle, partielle, mais touJours crois-,
sante, des socits capitalistes. Leur recherche tablit, avec une
foule d'analyses de cas prcis l'appui, comment; trop souvent,
la socit du bien-tre et des transferts sociaux administrativement grs se retourne contre les plus dfavoriss, qu'elle tait
cense servir.
Mais les conomistes de la nouvelle cole ne se livrent pas
une attaque simpliste de l'Etat. Ils montrent seulement oue
l'Etat n'est pas bon conomiste. Selon eux, les difficults des
socits occidentales rvlent moins la faillite de l'conomie de
march que la faillite de nos mcanismes politiques. Il nous
faut mettre an point une nouvelle technologie politique. une
dmocratie affine, par rapport nos procdures de choix,
inventes au xrxe sicle et trop brutales pour la complexit de
nos options. Qu'ils soient de cdroite ou de c g;auche , les
techno-bureaucrates d'Etat ont des mthodes semblables pour
esubstituer strilement aux vrais c dcideur~ .. : les individus,
les consommateurs. les entrepreneurs. On ne fait pas plus une
bonne socit avec les seuls fonctionnaires, si intelligents qu'ils
soient, ou'on ne fait de l'art uniquement avec des directeurs
de m1,lse et 'des critiques d'art, en ayant supprim tous les
peintres.
Bien sOr, tout en rtablissant la concurrence dans le secteur
public (ce que mme les conomistes tQtalitaires essaient priodiouement et sans succs de faire pour sortir de leur marasme),
il faut aussi limiter les inconvnients du march : en cherchant
le corril!:er non par des mesures dirigistes, qui l'empirent,
mais par des approches indites qui ont nom c mouvement des
droits de proprit , cole du capital humain , analyse
des Choix collectifs . Dans un prochain livre, Autogestion et
Capitalisme- (Masson), Henri Lepage' expose comment l'auto.
Ilestion n'est. en fait, ralisable que dans un capitalisme la
fois retrouv et rnov. Il s'agit de reprendre les valeurs du
socialisme sans ses moyens, qui partout ont t fatals ces
valeurs mmes.
J~-Franois REvEL, L'Express, 27 fvrier 1978.
Critiques et commentaires
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538 .
Demain le libralisme
Critiques et commentaires
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540
Demain le libralisme
l'Etat-Providence, sur les imperfections du march et la ncessit. de l'intervention publique, dirigiste ou planificatrice.
On ne pourra plus ignorer, grce Henri Lepage, les nouveaux conomistes amricains et leurs disciples franais. La
thorie, du capital humain, le mouvement des droit.s de proprit, l'cole du Public Choice .. constituent, avec la thOrie
montariste de Milton Friedman les principales composant~
de la nouvelle pense conomique_~ui a commenc merger
aux Etats-Unis dans les. annes 1970. Avec une grande clart,
Henri Lepage expose les rsultats de cette approche ultraraliste qui analyse sans relche le comportement des agents
conomiques.
Cette entreprise de dmystification remet en cause la plupart
des dogmes conomiques sur lesquels nous continuons vivre.
Voil donc une lecture qui n'est pas confortable. Mais, alors
que l'conomie mondiale est en mutation, sinon en crise, la
lecture de Demain le capitalisme est particulirement stimulante.
.
( ... ) Lisez Demain le capitalisme avant qu'il ne soit, trop tard,
c'est--dire avant que la mode ne s'en empare.
.
U.I.M.M. Actualits; n 1, 1978.
ft
Retour la ralit
Le professeur Galbraith est sans doute le plus connu en
Europe des conomistes amricains 1>, affirmait Le Monde du
7 fvrier dernier. Le doute est tout. de mme permis. Mais si
ce grand homme (il mesure plus de 2 mtres) dfraie. souvent
la chronique, de ce ct-l de I!AtIantique comme de l'autre,
c'est en partie parce que ses fantaisies, ses jugements
l'emporte-pice et son got pour le devant de la scne servent
incontestablement sa notorit. En outre, si l'on I?arle de lui
en France, c'est probablement en raison de ses opimons - Je
me dcrirais comme un social-dmocrate et mme un socialiste .., confiait-il notre confrre prcit -, opinions toutes en
faveur du dirigisme, de la politique galisatrice des revenus et
autres pratiques trs dveloppes dans notre pays comme dans
beaucoup d'autres.
Quelle erreur ce serait de voir en John Kenneth Galbraith un
reprsentant typique de la pense conomique des Etats-Unis 1
Cependant, G81braith reste dcidment la mode chez nous.
Il y a un an, Roger Priouret, parce que le Premier ministre
dCidait de bloquer momentanment les hauts saIaires, voyait
en lui un disciple du maitre de Harvard. Mieux. celui-ci VIent
de recevoir, Paris, le prix annuel de l'Association pour la
promotion de l'humour dans les affaires internationales .....
Cette distinction a d faire sourire un autre conomiste
amricain, plus clbre (c'est un prix Nobel),j)lus srieux aussi
malgr son air malicieux : le professeur Milton Friedman,
auteur dj d'une confrence intitule Contre Galbraith ..,
dans laquelle il dnonait les prj,ugs de cet aristocrate
radical .., si arrogant .., dsireux d imposer au public les vues
d'une troite mritocratie ... Ce texte a t traduit et publi
par une association que prside M.Jean-Jacques Rosa.
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Demain le libralisme
Critiques et commentaires
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Vive la jungle!
Pour les nouveaux conomistes ,., il ne s'agit pas seulement
de dfendre le caIJitalisme mais de lui rendre sa duret initiale.
Mme Raymond Barre est dpass...
Aprs les nouveaux philosophes 1 les c nouveaux conomistes,.. Rien ne les rapproche jusqu'Ici que le fait d'avoir t
utiliss par la maforit des fins lectorales, les premiers
grand fracas d'missions tlvises, les seconds de faon disCrte auprs du petit }?,ublic de la presse conomique.
Les nouveaux philosophes,. sont des marxistes qui ont
dcouvert que toute socit construite sur le modle de leur
matre conduisait inluctablement au gQulag,.. Les nouveaux conomistes,. sont un petit groupe d'enseignants qui se
sont runis autour, essentiellement, de Jean-Jacques Rosa et
Florin Aftalion : ils ont renouvel et russi la mme opration
que tant d'autres conomistes universitaires, celle qui consiste
exprimer en franais des ides puises dans l'immense vivier
des universits de langue anglaise.
En 1970, est apparue aux Etats-Unis, chez les conomistes, la
New LeftlO, la nouvelle gauche appele radicale .. qui contestait le systme occidental en utilisant Marx sans soci d'orthodoxie. Le courant de pense, un filet d'ailleurs assez mince
aujourd'hui, a trouv un cho dans le livre de Jacques Attali et
Marc Guillaume: L'Anticonomique 1.
Mais depuis plus de quinze ans, et toujours aux Etats-Unis,
se dveloppe un mouvement intellectuel aux multiples travaux
qui tend non seulement dfendre le capitalisme mais lui
rendre sa duret initiale qui serait la condition de sa pleine
efficacit. Un seul ouvrage, dense et ardu, a tent d'informer les
Franais sur cet vnement intellectuel: Demain le capitalisme,
d'Henri Lepage.
On est, avec les nouveaux conomistes, en prsence d'une
rvision totale non seulement du marxisme, non seulement de
la social-dmocratie, mais aussi de l'enseignement conventionnel du manuel signe de Raymond Barre.
1. Presses universitaires de France.
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Demain le libralisme
C16ture et imagination
Colbert
Gardons-nous de juger cette analyse historique trop sommairement rsume. On voit -bien, cependant, l'argument que l'on
peut en tirer en faveur de la proprit prive des moyens de
production et l'our le maintien de la " plus-value 1) sur le trava
dnonce par Karl Marx.
Mais la l'volution industrielle a exig aussi un Etat centralis
pour apporter les deux seuls services gu'l/.ux yeux des" nouveaux conomistes 1) la puissance publique doit assurer : la
scurit et la justice. L'une et l'autre taient autrefois garanties
par le seigneur fodal mais un co(lt lev. L'Etat centralis
les assure un prix moindre grce aux conomies d'chelle,
c'est--dire avec moins de personnel et plus de rapidit. Dsor-
Critiques et commentaires
545
mais, la voie est ouverte pour l'essor des affaires par la proprit libre, l'intitiative libre, le profit libre, le march libre, la
concurrence libre.
Malheureusement - et c'est le second aspect de ce corps de
doctrine -, l'Etat ne s'en tient pas cette double tche. Il
intervient au nom de l'intrt gnral. Mais qui dfinit cet
intrt gnral? Soit des hommes politiques qui ont le got
de la )?uissance et de la gloire, qui veulent tre rlus et qui,
pour l'etre, ont besoin de pactiser avec des groupes de pressIon
patronaux ou syndicaux. Soit des fonctionnaires qui cherchent
le pouvoir." la promotion, les honneurs, les faveurs des gouvernants. LeS hommes qui agissent au nom de l'Etat ne sont
ni meilleurs ni pires que les chefs d'entreprise. La seule diffrence entre les uns et les autres est que les premiers ne paient
pas leurs erreurs et que les seconds en supportent le cot.
Le rsultat est que l'Etat se trompe. Et les nouveaux conomistes " s'en donnent cur joie sur le recensement de ces
erreurs. Bien entendu, parce qu'ils travaillent sur les exemples
amricains et quelquefois anglais, leurs critiques ne touchent
que par ricochet la France, qu'ils n'ont pas tudie. Sauf sur
un point: son retard industriel sur la Grande-Bretagne. Ils ne
l'attribuent pas au fait que notre pays relevait du catholicisme
qui condamnait le profit alors que l'Angleterre pratiquait une
forme de protestantisme qui l'honorait. Cette thse du _grand
philosophe allemand Max Weber, popularise par Alain Peyrefitte dans Le Mal franais , n'est pas la leur. Pour les nouveaux conomistes , l'cart est d ce que Colbert a confi les
tches industrielles de grandes manufactures du type SaintGobain et brid les artisans par ses fameuses ordonnances qui
rglementaient leur production dans le dtail.
Pour les Etats-Unis, les nouveaux conomistes dmolissent d'abord le gigantesque effort de lutte contre la pauvret
lanc par John Kennedy et ralis sous le nom de Grande
Socit" par Lyndon Johnson. Le gaspillage a t indniable et
l'on cherche y remdier. Rsultat: six millions d'assists au
temps d'Eisenhower, quinze aujourd'hui. A New York, leur
nombre a sextupl et la ville en meurt.
Mais les critiques portent aussi sur des notions qui nous sont
familires. Le salaire minimum garanti? Il empche d'embaucher la personne dont la productivit est infrieure ce niveau
de rmunration; donc il accrot le nombre des sans-emplois
et multiplie le travail au noir. L'indemnit de chmage? Elle
pousse le chef d'entreprise licencier - puisque la victime aura
une compensation - plutt qu' rduire les horaires de travail.
L'aide l'agriculture par des prix levs la production? Le
poids est support par les familles ~auvres non paysannes,
dont l'alimentation constitue une part Importante du budget.
L'imrrot ngatif
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Demain le libralisme
Critiques et commentaires
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Demain le libralisme
Critiques et commentaires
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proprit - l'une des branches de la nouvelle,. conomie explique que la croissance conomique est fonction du systme
des droits de proprit. La proprit prive est dfinie comme
le systme de droits optimal, car elle est une condition sine
qua non du fonctionnement du march, lui-mme mcanisme
d'allocation optimale des ressources rares. Il faut donc tendre
tous les actifs la proprit prive.
Il faut donc privatiser la mer, l'air, etc. Cette privatisation
est le seul moyen pour internaliser les externalits , c'est-dire pour empcher le plus efficacement possible la pollution,
la dgradation du cadre de vie, etc.
Seconde consquence de la nouvelle conomie , il faut
imaginer une nouvelle technologie politique (Demain le
capitalisme, p. 40). Le systme lectoral majoritaire est en effet
condamn car il ne permet pas chacun d'exprimer ses prfrences. Certains nouveaux conomistes ont imagin un
systme dans lequel chacun exprimerait ses prfrences en
termes montaires! Car, en effet, pour les nouveaux conomistes D, les ides sont galement des marchandises, ngociables sur un march. C'est sur ce march en particulier que se
rvlent les limites de leur libralisme. En effet, alors que,
comme les nouveaux philosophes , ils ont dispos d'normes
moyens d'information pour faire connatre leur produit, l'un
d'entre eux, Pascal Salm, ose crire, propos du travail d'un
auteur marxiste : Il est absolument stupfiant qu'un diteur
accepte de publier un ouvrage o l'on trouve autant de contrevrits ... (L'Economique retrouve, p. 120). C'est bien la mme
ide du libralisme qui anime M. Barre, le meilleur conomiste de France et ses collgues appels, sur le march des
ides, les nouveaux conomistes .
Eric IZARD, France Nouvelle, 10 juillet 1978.-
Rafrachissant
( ... ) Henri Lepage, journaliste converti la nouvelle cononne D, a fait un manifeste de ce qui tait initialement un
reportage sur 1' cole de Chicago . Sa critique de l'idologie
colberto-socialisante dominante en France est, aprs tout,
rafraichissante. Aucun tabou ne lui rsiste, mme pas le Smic,
dont toutes les tudes montreraient qu'il est facteur de chmage. Cette conception imprialiste de la science conomiq,ue qui attire tout dans son champ (le social, le politique,
etc.) verse videmment son tour dans l'idologie. De ce fait,
le livre, fond essentiellement ~ur des travaux amricains,
550
Demain le libralisme
Critiques et commentaires
551
Important et provocant
Une rvolution dans la pense conomique s'est produite
aux Etats-Unis depuis <luinze ans. Cette rvolution a deux
caractristiques essentielles :
- elle rend l'conomie plus raliste et plus concrte, grce
une nouvelle approche des agents conomiques, et notamment
du consommateur, et grce un largissement de l'analyse
conomique au rle des institutions (comme l'Etat);
- .elle prend le contrepied des analyses traditionnelles qui
prtendaient que l'intervention croissante de l'Etat tait ncessaire pour corriger les imperfections de l'conomie de march.
Ces nouvelles analyses conomiques dmontrent au contraire
que l'intervention accrue de l'Etat conduit des gaspillages
et la stagflation, et que cette intervention explique les problmes actuels des conomies capitalistes. Les nouveaux conomistes justifient avec prcision et rigueur un effacement de
l'Etat et une extension du march et proposent des technologies politiques pouvant conduire cet effacement. Ils dmontrent ce que beaucoup sentaient. Ils dplacent le dbat de
l'alternative gauche ou droite vers l'alternative plus d'Etat ou
moins d'Etat et justifient scientifiquement la dcroissance du
rle de l'Etat.
Henri Lepage, dans son livre Demain le capitalisme, expose
clairement et compltement ces nouvelles thories. Il montre
que les entreprises servent mieux l'intrt gnral 'l.ue l'Etat,
que les gestionnaires vont plus dans le sens du servIce public
que les fonctionnaires. Pour lui, comme pour les conomistes
amricains et franais qu'il cite, le capitalisme retrouv, concurrentiel, dynamique, libre, est le systme conomi!Jue de
demain, et le march la meilleure structure pour servir l'mtrt
gnral. Son livre est provocant mais rafracbissant~ parfois un
:peu superficiel et lger ( voliloir trop prouver... ) mais touJOurs intressant et, la plupart du temps, solide. Les cadres
d'entreprise devraient le lire et le mditer, car il dmontre
qu~ils sont aussi importants, sinon plus, pour le bien-tre de
tous que les fonctionnaires, et que la vraie libert d'entreJ.:lrise
(celle qui s'accommode mal de pleurnicheries auprs de l'Etatprovidencei de deman4es de subventions, protections, passedroits) est a clef du dveloppement conomIque.
Du livre de Lepage, on sort un p-eu abasourdi. Cet iconoclaste
a os remettre en question, en s appuyant sur des bases scientifiques, un nombre impressionnant d'ides reues. Il va plus
loin que les plus libraux. Ne va-t-il pas jusqu' critiquer .. le
sacro-saint dogme de l'cole gratuite ?... On ne peut s'empcher
d'prouver une certaine incrdulit face un travail de dmo~
lition aussi systmatique et aussi rigoureux.
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Demain te libralisme
Critiques et commentaires
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Demain le libralisme
Dnationaliser
Henri Lepage est trop seneux pour s'amuser tenir des
paradoxes ou pour faire de la provocation. Il sous-tend son
propos par une "documentation prcise, et l'appuie de nombreux
exemples. Il ne s'agit pas de faire le procs du capitalisme et,
s'il y a un procs faire, il importe de dresser celui de l'Etat.
La logique intrinsque de ce dernier est d'tendre sans cesse
ses prrogatives. Il impose, quelle que soit son tiquette, une
bureaucratie tatillonne qui extermine d'une manire brutale ou
lnifiante la libert. Pour augmenter celle-ci, il est ncessaire de
dnationaliser : il faut supprimer les monopoles et avoir le
courage de dnoncer les escroqueries de l'Etat"providence.
Il s'avre vital de cesser de penser notre univers avec la
mentalit d'un contemporain de Zola ou de Dickens. Une fois
dbarrass de toute vision archaque, il faut.aussi reconnatre
que nous vhiculons souvent une mauvaise conscience, hrite
de falsificateurs de l'Histoire.
Ce livre est plus qu'une dmystification. Tour tour, moyen
d'information et de connaissance, il invite et suscite la rfleXIon.
Il faut le lire, mme si de prime abord le sujet semble un peu
rbarbatif. L'effort consacr - et celui-ci n'est pas dmesur engendrera vite de nombreuses plus-values. (Pluriel-Hachette.)
Jean-Claude LAURET, Minute, 26 avril 1978.
Essayez de comprendre
Comme introduction, disons qu'Henri Lepage a 36 ails, est
diplm de l'Institut d'Etudes Politiques de Paris. ~l a fait ses
Critiques et commentaires
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Demain le libralisme
Renouveau? Renaissance?
Renouveau? Renaissance? Aprs tant d'aventures, les ides
de libert conomique reprennent quelque vigueur en France,
en Allemagne et, plus encore, aux Etats-Unis, et cela de faon
parfois inattendue. Dans notre socit mouvante et tourmente,
il y aura toujours des hommes pour dnoncer l'abus des interventions et d'autres pour dplorer leur i,nsuffisance.
Le livre de Henri Lepage, prenant, clairant, novateur plus
d'un titre, vaut, avant tout, par la description des courants
d'ides aux Etats-Unis, de certains d'entre eux, du moins.
S'agit-il d'un simple retour au laisser-faire, au laissez-passer?
De bien davantage et plus encore.
Ds l'abord, et de nature tenter un dramaturge, Molire ou
Tennessee Williams, apparat la situation tragico-comigue du
libral, prix Nobell Friedman, dpass par son fils et disciple,
David, devenu lioertarien . Avant mme d'imaginer un dialogue savoureux entre ce jeune anarcho-capitalisme et un
super-Chevnement sur les voies du dprissement de l'Etat,
souhaitons la parution, en franais, de The machinery of
freedom, de David.
Aprs ces pages brillantes et rvlatrices, nous nous divertissons refaire un peu d'histoire; jeu qui pourrait suggrer un
travail intense, ne serait-ce que pour dtruire les clichs pharisiens sur le dix-neuxime sicle industriel.
Avons-nous, en France, l'quivalent du Public Choice?
Cet organisme ne se soucie pas de savoir ce qu'il convient de
faire, mais de comprendre pourquoi les citoyens (les Amricains en l'occurrence) se comportent comme ils le font, dans les
affaires prives et publiques.
'
Sautons avec regret des pages fertiles sur l'Etat-providence,
l'impt ngatif, les tlcommunications, la mort de Keyiles,
etc., pour nous pntrer des rvolutions de Gary Becker,
machines rflchir en tout cas, en terminant sur l'ide que les
Franais se font de l'Etat et les vues sur le capitalisme crer.
Flicitons aussi l'diteur de nous avoir prsent l'auteur, y
compris sa photographie. Information, communication, exemple suivre.
Alfred SAUVY, Le Monde, 11 avril 1978.
Critiques et commentaires
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558
Demain le libralisme
rgles du Jeu. Et pour D. North, trs proche ici de Tocqueville 1, ce ;n'est pas par hasard que l'volution des droits de
proprit s'est rvlee plus favorable l'efficacit conomi~ue
dans . les Etats pouvoir modr que dans les monarchies
absolues (voir pp. 153.165 pour la dmonstration).
Je serai plus bref sur le second volet, celui de la critique de
l'Etat-Protecteur (Welfare State), car le but recherch est
l'emble visible. Les nombreuses tudes que cite H. Lepage
ont t, en effet, ralises pour mettre en vidence les incidences relles des actions gouvernementales aux Etats-Unis,
incidences qui ne concident pas toujours aVec les objectifs
affichs. Je prendrai dessein l'tude de Sam Peltzman sur la
ceinture de scurit, car elle montre que l'analyse microconomique ne se limite pas aux comportements de type marchand . Le raisonnement de Peltzman est que l'obligation faite
aux automobilistes d'utiliser une ceinture de scurit a rduit
le cot individuel du risque d'une conduite tmraire, et accru
par consquent, toutes choses gales d'ailleurs, la demande
de risque. Le rsultat est que les accidents sont effectivement
moins dangereux pour les passagers; en revanche, les accidents affectant des non-automobilistes ont augment en nombre et en gravit. Le cot global des accidents de la route n'a
pas diminu, et en outre, il pse davantage sur une catgorie les non-automobilistes - dont on peut penser qu'elle est en
moyenne moins riche que celle des conducteurs, d'o un transfert de type rgressif .
Il faudrait encore mentionner les travaux de Gary Becker
sur les mnages considrs comme des agents. conomiqes
part entire, qui produisent de quoi satisfaire leurs dsirs
et besoins en utilisant trois sortes de ressources: leurs revenus
montaires, leur travail domestique et le temps de chaque
membre. On y voit notamment comment l'lvation des revenus
du travail aboutit renchrir le cot du temps, donc pousse
conomiser celui-ci l'aide d'quipements mnagers, cependant
que la diminution du prix relatif des quipements par rapport
la main-d'uvre, jointe la rduction de la dure du travail,
amne les mnages remplacer de plus en plus les services par
des biens, contrairement l'ide habituelle selon laquelle la
socit post-industrielle sera essentiellement consommatrice
de tertiaire .
Comme le rappelle juste titre le Fontana Dictionarr of
Modern Thought (article Economics ), les conomistes
marxistes n'accordent gure d'intrt la micro-conomie . On
ne peut vraiment pas leur en youloir car c'est une discipline
intelle.ctuelle singulirement peu gratifiante. Avec elle, l'histoire
conomique n'est plus une pope exaltante o les classes
dominantes, aprs avoir (momentanment) conquis le pouvoir,
se le voient arracher d'un coup par les classes opprimes.
L'Etat n'y a pas ce statut curieux et fascinant qui en fait la
fois l'instrument privilgi des monopoles et le sanctuaire
dfendre contre toute reprivatisation. Quant au consommateur,
il cesse d'tre l'ternel dupe de ses faux besoins attendant
qu'une planification rellement dmocratique satisfasse ses
1. Cf. l'analyse que fait Raymond Boudon des paradigines de
type tocquevillien. dans Effets pervers et ordre social (P.U.F.,
1977, pp.215 et swv.).
.
Critiques et commentaires
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Convergences
Cette leve de boucliers contre l'Etat rejoint curieusement un
certain nombre de thmes socialistes, favorables la dcentralisation, la dmocratisation de l'entreprise, au contrle par les
individus' de leur vie quotidienne, sur le plan local. Le dprissement de l'Etat,. se perd de plus en plus dans les lointains
-du communisme, alors que les no-libraux essaient de prouver
qu'onl'eut Yarnver rapIdement. Curieuses convergences 1 Elles
ne suffiraient pas pourtant expliquer l'attention qui est porte
sUr cet avatar actuel de la pense conomique.
En fait depuis la mort de Keynes, la grande poque de la
macr():conomie " semble _passe. Il etl.t fallu qu'un auteur de
son envergure publit une Thorie gnrale valable pour notre
temps o les concepts ne devraient plus seulement servir
irriguer l'action en faveur du plein-emploi, mais aussi contre'
l'inflation. Rien de substantiel n'est venu, si bien que le pluralisme de l'inspiration est de rgle aujourd'hui, avec un regain
d'intrt ~n le sait, pour l'cole de Chicago, dont le leader est
Milton .rriedman.
..
C'est surtout au regain de la micro-conomie,. que l'on
assiste aujourd'hui. ce qui s'explique non seulement p,ar un
retour du balancier doctrinal, mais notre avis par 1importance qu'a pris le phnomne de chmage dans un clImat
d'inflation. La stagflation a peut-tre encore plus desservi
la macro-conomie,. que les pIgones de Keynes. On sent bien
que la seule vraie faon de lutter contre le chmage, c'est de
crer des emplois et des emplois utiles, notamment dans
l'industrie et les services. De plus en plus les gouvernements
estiment qu'une politique conjoncturelle ne suffit plus, qu'il
convient de lancer une politique active de l'emploi, ce qui
revient aider des entreprises investir, prendre des mesures spcifiques, slectives, rgionales, de rapprocher par tous
moyens les offres et les demandes concrtes de travail.
Il y a donc encore de beaux jours pour les doctrines conomiques qui parlent plus de fumes que de P.N.B., des choix
libres des consommateurs que des investissements collectifs,
etc. Mais ce qui frappe aujourd'hui et qui montre bien la force
des ides lances par la 1~'!7~e franaise ou les radicaux
amricains, c'est l'extraor' . e dploiement de dialectique-de
ces nouveaux conomistes pour intgrer dans la science
conomique qu'ils veulent rajeunir, tous les problmes d
socit qu'on leur reprochait prcisment de ngliger : les
Crit.iques et commentaires
561
La
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Demain le libralisme
naitre un nouvel artisanat technologique, de modifier les rapports humains dans l'entreprise, de dcentraliser non plus
seulement l'information, mais galement les processus de
dcision eux-mmes.
Ainsi, sans rvolution, on parviendra aux effets les plus attendus de l'autogestion: ceux de l'clatement du faisceau de droits
qui fondent les pouvoirs aujourd'hui.
L'anarcho-capitalisme
Le processus parat sduisant, d'autant plus que M. Henri
Lepage - tout sa rancur contre les tendances tatiques
comme les autres na-libraux - se proclame anarchacapitaliste, c'est--dire partisan d'une socit o chacun aurait
la possibilit de vivre la vie qu'il dsire et serait en mesure
d'adhrer des groupes ou communauts socitales de son
choix, pratiquant soit le capitalisme, le socialisme, le communisme, etc.
C'est le principe de la souverainet du consommateur
tendu au choix de sa propre CI socit . M. H. Lepage souligne
qu'il est impossible d'arriver ce rsultat tant qu'il existe des
organisations tatiques, dotes de pouvoir de coercition hors du
droit commun, et permettant quelques-uns d'imposer aux
autres leur conceJ;?tion de la meilleure faon de vivre en socit.
Sans entrer sneusement dans un dbat o l'on voit, encore
une fois, la droite et la gauche se liguer contre l'abus du pouvoir tatique, faisons sim~lement remarquer M. Lepage que
le pOUVOIr capitaliste , 1 idologie dominante , comme l'on
dit aujourd'hui, impose, combien, sa conception de la meilleure faon de vivre en socit D. Quant aux succs conoriques
du no-libralisme, il a peut-tre son actif les rsultats de
l'Allemagne et des Etats-Unis, mais on ne l?ourra dire que les
Chicago boys de M. Milton Friedman aIent fait la preuve,
au Chili, de l'efficacit de leur mdecine. Et comment ne pas
voir que la spculation foncire - qui est le dvergondage de
la proprit du sol - a conduit la pollution de la nature par
le bton et une hausse telle des prix de la construction que
la plupart des travailleurs ne peuv.ent plus maintenant vivre
dcemment au cur des villes ?
Pierre DROUIN, Le Monde, 13 mai 1978.
Critiques et commentaires
Un
anti~programme
commun
563
La crise dont nous souffrons, ce n'est pas celle du capitalisme, mais de l'tato-capitalisme qui svit dans tous les rgimes, qu'ils soient libraux ou SOCIalistes. Il faut - nous dit
l'auteur - dnationaliser, supprimer les monopoles bureaucratiques, liquider toutes les entraves au fonctionnement des
mcanismes de march, dnoncer les abus de l'Etat-providence,
rinventer de nouveaux droits de proprit. Ce livre est antiprogramme commun. Mais il reste inventer un nouveau
caPItalisme avec les avantages de l'ancien, mais sans ses
dfauts. Et, par consquent, amliorer la bureaucratie et faire
disparatre la technocratie dont nous sommes en train de mourir! On peut lire galement Le Contre-Mal franais de TixierVignancourt (Albin Michel) qui rfute en partie un livre surfait
Le Mal franais d'Alain Peyrefitte, actuel Garde des Sceaux de
notre pays.
Les Routiers, organe officiel de la dfense des Routiers,
1er juin 1978.
Le retour libral
Alors, Barre, a doit vous plaire! Impossible de faire un
pas sans que jaillisse cette question. Et je suppose qu'il doit en
etre de mme pour la plupart de ceux (l.ui, comme moi, ont
accept l'tiquette de nouveaux conOmIstes .
Soyons donc franc et direct. Oui, bien sr. Barre, a me
plat! , comme il est toujours plaisant de trouver au gouvernement quelqu'un dont les actes et discours rejoignent ce que
vous pensez. Qu'il s'agisse de la politique de suppression du
contrle des prix, de la vrit des prix du secteur public, du
retour au libralisme contractuel en matire sociale, du
durcissement de l'attitude des pouvoirs publics l'gard des
entreprises moribondes et budgtivores, des rcentes dclarations du Premier ministre concernant le retour inluctable
des systmes de retraite fonds sur la capitalisation (et non la
rpartition ), ou encore les efforts pour faire clater le
monopole de la forteresse des Finances, nous avons enfin un
ensemble politique dont: la cohrence tranche avec l'oppoi:tuni~me interventionnil'te du libx:alisme traditionnel la fran,
.
aise 0 .
Il est. vrai que le pari est .risqu. Ceux qui annoncent un
564
Demain le libralisme
Critiques et commentaires
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Demain le libralisme
Le rgne de la quantit.
L'homme n'a pas seulement besoin de moyens de vivre ,
il lui faut aussi et d'abord des raisons de vivre . Tout
systme rducteur mutile la libert accorde l'homme
pour atteindre ses plus hautes finalits.
.
Nos lecteurs tireront profit de cet article pour dissiper a
fausse opposition entre capitalisme libral et sot;;a~~me.
( ....) Le moment est-il bien choisi pourparler du Capitalisme?
A travers les vicissitudes de. la politique, c'est toujours le
moment, car les structures soCiales n'voluent que lentement;
et mme quand quelque mutation profonde les affecte, il n'est
pas toujoursVldent que' celles qui les remplacent soient
substantiellement bien diffrentes.
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Demain le libralisme
s'intitule: Pourquoi l'Etat craU-il 7. Mais ce chapitre est davantage consacr la critique de la croissance de l'Etat et aux
manires de l'enrayer qu' l'analyse de ses causes et de son
processus.
.
Toutefois, dans cette critique mme, nous trouvons ce qui
constitue, nos yeux, l'erreur foncire du no-libralisme amricain.
Il rsule, en effet, de la critique de la croissance de l'Etat,
l'ide, vraisemblablement juste, que c'est la politique qui
est l'origine de la dgradation des liberts conomiques et
des liberts civiques. Disons, en termes simples, que les lecteurs ont toujours tendance voter pour ceux qui leur :prsentent des projets destins corriger les abus ou les injustIces
dont ils souffrent par le recours la protection de la puissance
publique. On y gagne court terme, par les satisfactions immdiates obtenues. A long terme, on y perd, par le poids et le
coCit des rglementations de l'Etat-Providence. Il s'agit donc
d'un mal politique , dont le remde ne peut tre que politique". Le postulat dmocratigue est que le vote de la
majorit exprime la volonte gnrale et que celle-ci est
identique 1' intrt gnral .
Double escalade dont les effets dmontrent le bien-fond. Ds
le XVIIIe sicle, Condorcet (dont on est heureux de voir le nom
rappel par H. Lepage) s'tait pench sur ce problme. Kenneth
Arrow s'y est attel son tour en 1950 et, avec lui, l'cole du
Public Choice . Mais leur conclusion est paradoxale. Si le
systme politique fonctionne mal, pensent-ilsl c'est parce qu'il
ignore l' homo oeconomicus . Le jour o 1 on rintgrera le
Politique dans l'Economique, parce qu'on aura compris que les
lois politiques ne sont pas d'une nature autre que les lois conomiques, la croissance de l'Etat s'arrtera; les citoyens seront
la fois plus riches et plus libres.
Il y a, dans cette assimilation du Politique l'Economique,
deux problme~ diffrents considrer. Celui de la bureaucratie et celui de la dsignation des dirigeants (systme lectoral). Pour ce qui est de la bureaucratie, il est tout fait excessif
d'en envisager le bon fonctionnement partir des ides de
concurrence et d'intrt personnel. Une administration n'est
pas une entreprise. Nanmoins, des a1J.alogies existent; et
surtout les rgles d'une bonne organisation du travail sont
pratiquement les mmes dans les deux cas. (A cet gard, la
France est trs en retard sur les Etats-Unis.) En ce qui concerne le rgime lectoral, on ne voit gure en quoi le calcul
conomique peut dterminer le meilleur systme. Les explications fournies par l'cole du Public Choice sont plutt
obscures.
Nous nous limiterons cet exemple, parce qu'il est caractristique. Mais c'est tout le no-libralisme amricain, dans la
diversit de ses coles, qui tmoigne de cet imprialisme idologique du capitalisme libral, par la double rduction de la
socit la socit conomique et de l'homme 1' homo
oeconomicus". Finalement, il s'agit d'une philosophie fondamentalement matrialiste dont les grands thmes sont ceux
du XVIIIe et du XIXe sicle : individualisme, utilitarisme, rationalisme, progressisme, scientisme, etc. Le communisme, cet
gard, n'est que le renversement dialectique de la mme philosophie. Il suffit de remplacer, individu par Etat, micro-conomIe, march par planification, etc., la vision d'un univers co-
Critiques et commentaires
569
Tout ce qui est excessif est insignifiant. Les excs du nolibralisme sont malheureusement trs signifiants . Ils signifient le progrs du Rgne de la quantit lO, comme l'appelait
Gunon. C'est d'autant plus regrettable que l'conomie de
march elle-mme risque d'en soUffrir. La confusion du Spirituel, du Politiqtle et de l'Economique nuit au Spirituel, au
Politique et l'Economique. Le dommage conomique est v.idemment le moins grave pour l'homme. Mais travers le totalitarisme, il a aussi son importance. La lecture conomique
de l'Evangile ne vaut pas mieux que sa lecture politique (ou
marxiste, ou structuraliste, ou psychanalytique, etc.). On tue
les vrits secondes et relatives des secteurs dtermins
quand on veut les riger en Vrit universelle, englobant
l'homme et le Cosmos.
Louis SALLERON, Permanences, mai .1978.
L'erreur du libralisme
La conception de l'homme comme animal/tre conomique (l'Homo oeconomicus d'Adam Smith et de son cole) est
le symbole, le signe mme, qui connote la fois le capitallsme
bourgeois et le socialisme marxiste. Libralisme et marxisme
sont ns comme les deux Fles opposs d'un mme systme de
valeurs conomiques. L un dfend 1' exploiteur lO, l'autre
dfend 1' exploit - mais, dans les deux cas, on ne sort pas
de l'alination conomique. Libraux (ou no-libraux) et
marxistes sont d'accord sur un point essentiel : pour eux, la
fonction dterminante d'une socit, c'est l'conomie. C'est elle
qui constitue l'infrastructure relle de tout groupe humain. Ce
sont ses lois qui permettent d'apprcier scientifiquement
l'activit de l'homme et d'en prvoir les comportements. Dans
l'activit conomique, les marxistes donnent le rle prdominant au mode de production; les libraux, eux, le donnent au
march. C'est le mode de production ou le mode de consommation (conomie de dpart ou conomie d'arrive ) qui
dterminent la structure sociale. Dans cette conception, le bientre matriel est le seul but que consent s'assigner la socit
civile. Et le moyen adapt ce but .est le libre exercice de
l'activit conomique.
Essentiellement dfinis comme des agents conomiques, les
hommes sont censs tre toujours capables d'agir selon leur
meilleur intrt (conomique). C'est--dire, chez les libraux : vers plus de bien-tre matriel. Et chez les marxistes :
selon leurs intrts de classe - la classe tant elle-mme dtermine, en dernire instance, par la position vis--vis de l'appareil de production. On est ici dans un systme fondamentalement optimiste : l'homme est naturellement bon et
rationnel; sa tendance naturelle le :porte discerner
constamment o est son intrt (conomique) et quels sont les
moyens d'y parvenir/. en sorte que, chaque fois qu'on lui en
donne la possibilit, 11 se prononce en faveur de la solution qui
lui rapporte le plus grand avantage . C'est aussi un systme
570
Demain le libralisme
rationaliste, tout entier bti autour du postulat (encore indmontr) de la rationalit naturelle des choix de l'individu
- et singulirement du consommateur ou de l'entrepreneur.
Quant 1' avantage et 1' intrt que l'individu est cens
rechercher, ils restent mal dfinis. De quel type d' intrt
s'agit-il? Par rapport quel systme de valeurs faut-il apprcier 1' avantage ? Devant ces questions, les auteurs libraux
tmoignent des mmes rticences que les auteurs marxistes
quand il s'agit de dfinir la socit sans classes . Ils postulent par contre, l'unanimit, que l'intrt individuel se
confond avec l'intrt gnral- lequel ne serait que l'addition
d'un certain nombre d'intrts individuels arbitrairement
'considrs comme non contradictoires.
Cette thorie gnrale est ~rsente comme la fois empirique et normative - sans qu on puisse d'ailleurs toujours bien
distinguer ce qui- ressort de la donne exprimentale et ce
qui ressort de la norme . En effet, non seulement on affirme
que l'homme recherche automatiquement son avantage
individuel ", mais on dclare, explicitement ou non, qu'un tel
comportement est naturel, et par consquent prfrable.
Le comportement motivations conomiques devient ainsi le
meilleur comportement possible.
L'mergence de la thorie de l'Homo oeconomicus est alle
de pair avec l'mergence de l'conomie comme science - une
science pourtant toujours mise en chec par de l'imprvu,
c'est--dire par un facteur humain non' rationnellement apprhensible, et que les tenants de l' conomisme s'efforcent de
rduire par un processus quivalant dpossder l'homme de
son propre (la conscience historique). Il ne peut en effet y avoir
de science conomique que si l'conomie constitue une
sphre autonome, c'est--dire une sphre ne dpendant d'aucune
loi que des siennes propres, et dont les impratifs ne peuvent
tre subordonns d'autres impratifs considrs comme
suprieurs. Au contraire, si l'conomie n'est qu'une sphre
subordonne, alors la science conomique n'est plus qu'une
technique ou une mthodologie gomtrie variable : en
tant que discipline, elle n'est que la description historique ou
la classification des moyens propres raliser telle ou telle
intention motivations non conomiques. Enfin, si l'conomie
est une science et que, par ailleurs, elle est la fonction dterminante de la structure sociale, alors l'homme n'est plus le
matre de son destin, mais l'objet de lois conomiques ,
dont la connaissance, toujours plus approfondie, permet d'lucider le sens de l'histoire. Le devenir historique est faonn par
des donnes conomiques " l'homme est agi par ces donnes;
le monde va ncessairement vers toujours plus de progrs
(ou vers la socit sans classes ).
L'conomisme apparat ainsi comme une premire lacisation de la thorie judo-chrtienne d'un sens de l'histoire.
D'o l'observation de M. Henri Lepage, selon qui la thorie
librale s'est appuye au dpart, paralllement l'apparition
du concept de proprit, sur la lente maturation de la philosophie du progrs vhicule par la tradition judo-chrtienne
et sa nouvelle vision vectonelle (= linaire) de l'histoire par opposition la vision circulaire" (=' cyclique) du monde
antique (Autogestion et capitalisme, Masson, 1978, p. 209).
Les facteurs proprement conomiques, ajoute M. Lepage,
n'auraient pas suffi enfanter une nouvelle civilisation en
Critiques et commentaires
571
profonde rupture avec la prcdente si, simultanment, la ditl'usion de l'univers mental judo-chrtien n'avait contribu
modeler un esprit nouveau,. (ibid.).
Le libralisme n'est toutefois pas que cela. Historiquement
parlant, il se ramne surtout, comme l'a remarqu M. Thierry
Maulnier, une revendication de libert pour les nouvelles
formes de puissance qui naissent en face de l'Etat et pour les
hommes qui les manient,. (La socit nationale et la lutte des
classes, in Les Cahiers de combat, 1937). Le libralisme, en
d'autres termes, est la doctrine par laquelle la fonction conomique s'est mancipe de la tutelle du politique - et a justifi
cette mancipation.
.
Vis--vis de l'Etat, le libralisme se maneste d'une double
faon. D'une part, il en fait une critique violente, en glosant
sur son inefficacit JO et en dnonant les dangers du pouvoir JO. D'autre part, et dans un second temps, il s'efforce de le
faire basculer dans la sphre conomique, de faon le dpolitiser et renverser l'ancienne hirarchie des fonctions. Au fur
et mesure qu'elle se dveloppe, la caste conomique attire
elle la substance de l'Etat, subordonnant peu peu la dcision
politique aux impratifs conomiques (et produisant, par
contrecoup. le transfert en d'autres lieux de l'instance du
politique). L'Etat, ds lors, doit faire le moins de politique
possible. Il ne doitpas non plus se substituer aux centres de
dcision conomiques. Sa sewe. tche est de maintenir l'ordre
et la scurit sans lesquels il n'y a pas de libert du commerce,
de dfendre la proprit (conomique), etc. En change, il doit
galement demander le moins pOSSible, protger les marchands
en leur laissant toute libert d'agir - bref, ne plus tre le
maUre, mais bien l'esclave de ceux qui mieux informs que
lui des lois de l'conomie (qui sont les lois dterminant!ls
au sein de la socit), sont'galement mieux placs pour organiser le monde selon leur meilleur intrt JO. Constant et JeanBaptiste Say dcrivent l'Etat comme un mal ncessaire, une
triste ncessit, un, a~ent maladroit dont on doit constamment
rduire les prrogatives (systme des contre-pouvoirs ) en
attendant le jour bni o l'on pourra s'en dbarrasser. Cette
ide n'a pas cess d'inspirer les thoriciens libraux ..;.. et il est
remarquable qu' son point d'aboutissement, elle recoupe la
thse du dprissement de l'Etat annonce par Karl Marx.
Paralllement, l'ide d'galit, arrache la sphre thologique, eSt son tour lacise et ramene sur terre au nom d'une
mtaphysique profane, centre sur une abstraction hypostasie
dont la thorie juridique du droit naturel fait ses dlices : la
nature humaine . Dans l'Encyclopdie, Franois de Jaucourt
(1704-1779) crit : L'galit naturelle ou morale est fonde
sur la constitution de la nature humaine commune tous les
hommes, qui naissent, croissent, subsistent et meurent de la.
mme manire. Puisque la nature humaine se trouve la mme
dans tous les hommes, il est clair que selon le droit naturel
chacun doit estimer et traiter les autres comme autant d'tres
qui lui sont naturellement ~aux. .
Ce postulat d'une galit naturelle,. est impliqu ds le
dpart dans la thorie. En effet, si les hommes n'taient pas
fondamentalement gaux, ils ne seraient pas tous capaoles
d'a~ir rationnellement selon leur meilleur intrt JO. Nanmoms - il vaut la p'eine de le souligner -, la mise en uvre
de cette thorie de 1 galit naturelle,. a essentiellement pour
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Demain le libralisme
Critiques et commentaires
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Demain le libralisme
Nouvelle Droite 1
, L'cole des nouVl'1aux conomistes est-elle une composante du
courant de la nouvelle droite et doit-elle ce titre trouver place
dans notre enqu~te ? Aucune des deux parties n'accepte ce lien
de fLarent, eth d'ailleurs, les nouveaux conomistes et le
G.R.E.e.E.2 n' sitent pas rompre l'occasion quelques
lances. Il n'emp~che que l'on trouve des similitudes entre les
deux familles.
Un organisateur de dbats souhaitait faire asseoir lam~e
table des re~rsentants du G.R.E.C.E., du Club de l'Horloge et
de l'cole dite des nouveaux conomistes . Il avait mme
trouv un titre pour cette libre discussion : Nouvelle droite
et nouveaux conomistes, paralllisme ou convergence? Les
invits consults ont rpondu oui. Mais condition que le mot
convergence ne figure plus sur l'invitation. On se mit donc
d'accord sur la formule paralllisme ou divergences . L'anecdote est rvlatrice. Le fait est que les deux groupes partent
d'analyses trs diffrentes. Mais leur rivalit n'en fait pas pour
autant, on va le voir., des adversaires politiques.
'
Bien que leur mouvement soit antrieur, les nouveaux conomistes n'ont pas encore atteint, en France, la notorit du
G.R.E.C.E. ou du Club de l'Horloge. Et cela malgr leurs livres,
leurs participations des COlloques, leurs universits d't. La
premire raison de ce dcaIage est evidemment que l'conomie
n'est qu'une technique du jeu social et ne saurait offrir par
elle-mme de projet . Les conomistes font volontiers figure
de mcimiciens, et l'on s'tonne toujours qu'ils pUissent avoir
des ides vendre . De plus, ces ides neleuvent jamais
tre grand public . compte tenu de l'aridit de la matire,
et il manque aux nouveaux conomistes un rseau de vente
comparable celui dont la nouvelle droite dispose avec ses
maisons d'dition et ses journaux et dont Guy Claisse rappelle
dans nos colonnes la pUIssance. Mais l'influence ne se mesure
pas qu' la notorit. On peut considrer que les nouveaux
conomistes ont pes j?lus lourd ces dernires annes que le
G.R.E.C.E. dans ce qu il est convenu, droite. d'appeler le
grand bouillonnement de 'la pense librale . Ce sont eux
notamment qUi ont prpar le terrain pour le changement de
cap de la politique conomique dcid par le gouvernement au
lendemain des lections lgislatives, changement qui s'est traNous donnons ces .prcisions pour faciliter la comprhension
de l'article sUivant. (N.D.I'E.).
1. Cet article faisait partie d'une srie consacre par Le Matin
de, Paris au phnomne de la nouvelle droite qUi fut - on l'a
peut-tre oubli. - le monstre du loch Ness de l't 1979. Titre
complet de l'article : Les nouveaux conomistes : malgr
leurs divergences avec le G.R.E;C.E. et le Club de l'Horloge, ils
sont, eux aussi, du ct des conserVateurs ... (N.D.lE.)
2. G.R.E.t.E. : Groupement de recherche 'et d'tudes' pour
une civilisation europenne.
Critiques et commentaires
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duit par un retour brutal " la libert des prix aprs un tiers de
sicle de contrle administratif.
Qui sont ces nouveaux conomistes? On dira pour simplifier
gu'il s'agit d'un petit cercle d'hommes rassembls autour de
Jean-Jacques Rosa, ,Professeur d'conomie Sciences Po et
Paris-Dauphine, anClen secrtaire gnral du Club Jean-Moulin,
et dont les membres les plus connus sont Henri Lepage, Florin
Aftalion; Pascal Salin," Andr Fourans et Georges GallaisHamonno ...
Ces hommes ont entrepris, Uy a trois ou quatre ans, de
traduire et de populariser en France les travaux des nolibraux .amricains de l'cole dite de Chicago lO, laquelle se
propose de rendre son efficacit au capitalisme en lm faisant
retrouver la saine duret de ses origines. Les nouveaux conomistes sont donc l'conomie ce que les animateurs du
G.R.E.C.E. sont la sociobiologie : des ~ossistes en importation d'ides, ce qui, soit dit en passant, n est pas forcment une
critique dans la mesure o cela tmoigne d'une grande vigilance devant l'volution des courants de pense dans le monde.
Les nouveaux conomistes ont perc en France quelques
semaines avant les lections lgislatives de 1978 avec la sortie
d'un livre d'Henri Lepage dont la campagne lectorale a fait
un succs de .librairie. Dans ce Livre de Poche intitul Demain
le capitalisme, Lepage exposait avec talent la thorie de base
de son cole, a savoir que le capitalisme n'avait encore jamais
t vraiment appliqu et que les effets sociaux ngatifs dont on
le rendait gnralement responsable rsultaient en fait non de
l'application des thories librales, mais, au contraire, de leur
insuffisante mise en uvre... La crise que nous vivons, crivait
Lepage, n'est pas celle du capitalisme, mais celle de l'tato-
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Demain le libralisme
ses citoyens, en fait' des assists et les affaiblit. Dans L'Economie, hebdomadaire qui a longtemps reflt les ides' de
Michel Poniatowski, le Club de l'Horloge signe un article collectif dans lequel il est crit : La crise conomique des
annes 1930 a entran la croissance de l'Etat. Il se peut que
la crise des annes 1970 amorce un mouvement contraire ... Les
nouveaux conomistes, de faon rigoureuse et convaincante,
redcouvrent la modernit du libralisme. Ils soulignent les
effets pervers de l'excroissance tatique.
Les nouveaux conomistes refusent tout aussi nergiquement
l'tiquette de droite tout court. A titre personnel, nous avons
des opinions politiques, explique Rosa. Mais nous ne les exprimons pas. Nous regardons les faits. Nous n'affirmons pas une
prfrence pour un certain ordre conomlque et social.
Scientifiques. Mais n'ont-ils pas donn un coup de main la
majorit pendant la campagne prcdant les lgislatives? Ah !
nuance ... Ce n'est pas parce que nous ne faisons pas de politique que nous n'avons pas d'influence politique 7... Lorsque
nous disons dans une campagne lectorale que l'un des camps
dit des contrevrits conomiques, il est sr que nous affaiblissons sa position 1... Ne sont-ils pas aussi contre la Scurit
sociale, machine fabriquer des assists? Contre l'augmentation du S.M.I.C. ? Oui, bien sr...
Mais cela ne signifie pas que nous soyons des adversaires de
l'galit et de la solidarit. Nous pensons simplement que toute
augmentation du S.M.I.C. aggrave le ch6mage dans la mesure
o elle est un frein l'embauche des travailleurs les moins
qualifis et des jeunes. Scientifique, le raisonnement. Apparemment neutre. Mais toujours, dans les moments difficiles,
du ct des conservateurs.
Franois-Henri DE VIRIEU, Le Matin de Paris, 31 juillet 1979.
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