Athénée de Naucratis Livre Xii
Athénée de Naucratis Livre Xii
Athénée de Naucratis Livre Xii
Traduction franaise
1. J'ai l'humble impression, mon cher Timocrate, que, s'il faut se fier
Alexis dans son Tyndare, tu es un authentique Cyrnen.
Qu'un hte convie un homme dner, et aussitt, surgissent,
de-ci, de-l, dix-huit autres pquins, dix chariots et quinze paires de
chevaux. En vrit, il et mieux valu offrir quelques miettes de
nourriture ces gens-l et n'inviter personne !
Et dans mon propre cas, aussi, il et mieux valu me taire, et ne point
me lancer dans une accumulation de nouveaux sujets, surtout aprs
ceux que nous avons dj traits ; mais devant ton insistance
obtenir de moi quelques mots sur ces quidams fameux pour leur got
du luxe - et pour leur vie de rve -, eh bien....
2. Le plaisir est en effet mettre en rapport avec le dsir, puis avec
son assouvissement. Le pote Sophocle, un adepte du luxe s'il en est,
se dfendant contre l'ide qu'il vieillissait, attribuait la sagesse ses
checs rpts dans le domaine sexuel, et dclarait qu'il tait
heureux d'tre enfin dlivr d'un matre aussi virulent.
Quant moi, j'affirme que le jugement de Paris, comme le confirment
d'ailleurs les potes anciens, symbolise lui seul le procs du plaisir
contre la vertu. Comme c'est Aphrodite qui fut choisie - n'incarne-telle point la volupt - la consquence invitable fut un dsordre sans
nom. Pour ce qui concerne l'histoire d'Hracls et de la Vertu,
Xnophon l'a invente pour le mme motif.
Selon Empdocle :
Chez eux, point de dieu de la Guerre, ni de la fureur de la
bataille, point de Zeus, point de Kronos, point de Posidon : leur
unique souveraine est Aphrodite. Le peuple se la concilie au moyen
de pieuses offrandes : animaux peints, onguents artificiels, dons de
myrrhe et d'encens parfum, dont on verse sur le sol les libations de
leur miel blond.
Mnandre, dans son Joueur de cithare, dit en parlant d'un homme qui
jouait d'un instrument de musique :
luxe trs tt et qu'ils s'pilent le corps. En fait, tous les Barbares des
contres occidentales s'arrachent les poils en utilisant de la poix ou
en se les rasant ; et chez les trusques, on trouve des choppes
d'artisans qui correspondent nos barbiers. Quand nos jolis garons
pntrent dans ces locaux, ils s'offrent alors sans rserves,
indiffrents au regard des voyeurs ou des simples passants. Cette
coutume est typique galement des Grecs habitant l'Italie, parce
qu'ils la tiennent des Samnites et des Messapiens. Voluptueux
jusqu'au bout des ongles, les trusques, comme le rapporte Alcimos,
ptrissent le pain, boxent et supplicient les condamns au son de la
flte.
15. Les tables des Siciliens sont fameuses pour leur somptuosit, ces
mmes Siciliens qui vantent la douceur maritime de leur rivages, si
bien qu'ils apprcient au plus haut point les nourritures qu'ils y
pchent ; c'est ce que nous confie Clarchos dans le livre V de ses
Vies. Venons-en maintenant aux Sybarites. Que dire leur propos ?
Eh bien, qu'ils sont les premiers en titre avoir conu des verseurs
d'eau dans les bains, et les premiers encore avoir crer la fonction
de garons de bains, des individus qu'on avait pour habitude de lier
les pieds afin de les empcher de marcher trop vite et de brler les
baigneurs en passant.
Les Sybarites furent galement les promoteurs d'une loi visant
bannir de la cit les artisans exerant un mtier trop bruyant, comme
les forgerons, les charpentiers, et autres travailleurs du mme acabit :
en effet, ils dsiraient que rien ne troublt le calme de leur sommeil,
et ce en toutes circonstances. Mme les coqs furent proscrits
l'intrieur de la ville.
Time nous raconte qu'un jour, un homme de Sybaris ayant aperu
des paysans creuser la terre dans une champ, il dit ses compagnons
que cette seule vue lui avait donn une hernie ; un autre citoyen de
notre cit, ayant entendu sa plainte, s'cria son tour : Moi, rien
qu' t'couter, je ressens dj un point de ct !
Crotone, un athlte travaillait aplanir le sol l'endroit o les jeux
allaient se drouler, lorsque soudain, des Sybarites, qui se tenaient
tout prs de l, montrrent leur stupfaction devant le fait qu'une cit
aussi prestigieuse n'avait sa disposition aucun esclave capable de
prparer la palestre. Un autre Sybarite se rendit Sparte o il fut
invit aux Phidities, c'est dire aux repas en commun. Alors qu'il
s'asseyait sur un banc de bois pour partager la pitance des Spartiates,
il fit la remarque suivante : J'tais poustoufl par les exploits
prodigieux des Spartiates, mais le spectacle que je vois m'oblige
penser qu'ils n'ont dcidment rien d'extraordinaires ! L'homme le
18. Une telle prosprit de leur part s'explique par la rgion mme o
ils habitent, car la plus grande partie de la cte environnante ne
signale aucun port ; ils ont pour eux la totalit des fruits que la terre
produit, et que seuls les indignes partagent avec eux. Il ne faut pas
oublier non plus la situation de leur ville. Il semblerait que l'oracle du
dieu les ait favoris dans leur penchant pour la volupt et leur
propension une vie djante : en effet, leur ville est btie dans une
cuvette ; de fait, en t, ils jouissent d'une grande fracheur le matin
et le soir, tandis qu' midi, ils subissent une chaleur touffante. Pour
ces raisons, ils considrent que boire abondamment est un gage de
bonne sant ; tant et si bien qu' Sybaris nul quidam ne souhaite
mourir sans avoir auparavant contempl le lever ou le coucher du
soleil.