Le Recours A L'avortement A Antananarivo
Le Recours A L'avortement A Antananarivo
Le Recours A L'avortement A Antananarivo
Rsum
A Madagascar, linterruption volontaire de grossesse est totalement interdite. Toutefois, de nombreuses femmes y ont
recours, tout particulirement dans la capitale, Antananarivo. Ces avortements clandestins sont pratiqus par des
matrones mais aussi par des mdecins libraux. Cet article prsente les rsultats dune enqute mene auprs de 193
femmes interroges en 2005 alors quelles viennent consulter un mdecin pour demander un avortement. Cette
premire enqute a t complte par des donnes qualitatives recueillies auprs dtudiantes ayant dj eu recours
lavortement. Lanalyse des donnes montrent que toutes les catgories de femmes semblent concernes par
lavortement mais plus particulirement les plus jeunes, clibataires et en cours de scolarisation. Ces dernires
cherchent reculer le moment de la premire naissance afin de terminer leurs tudes, de trouver un premier emploi et
de se marier. Or ces jeunes filles ont un accs trs limit la contraception et leurs choix contraceptifs dpendent
encore fortement de la volont de leur partenaire sexuel (Afr. J. Reprod. Health 2010; 14[3]: 223-232).
Abstract
Reproductive Health and Abortion in Antananarivo (Madagascar): Results of an Original Research. In
Madagascar, voluntary termination of pregnancy is totally forbidden. However, many women resort to it, most especially
in the capital, Antananarivo. These secret abortions are carried out not only by traditional birth attendants but also by
private medical practitioners. This article presents the results of a research conducted on 193 women interviewed in
2005 when they came to consult a doctor and seek abortion. This first survey was complemented by qualitative data
collected from students who had already had an abortion, but most especially the young ones, spinsters and those still in
school. The latter try to delay the time of first childbirth in order to complete their studies, to find a first job and to get
married. The young girls have a very limited access to contraception and their contraceptive choice yet depends on the
willingness of their sexual partners (Afr. J. Reprod. Health 2010; 14[3]: 223-232).
Key words: Madagascar, Reproductive Health, Abortion, Young People.
CONTEXTE
Lorganisation mondiale de la sant estime quen
2003, en Afrique, 5,6 millions davortements ont t
pratiqus, dont 5,5 millions sont des avortements
1
illgaux . Les avortements illgaux se droulent le
plus souvent dans un environnement peu ou non
mdicalis et les complications sont nombreuses.
Ainsi, en 2003, prs de 36 000 femmes africaines
seraient dcdes des suites dun avortement. Il y
aurait 650 dcs pour 100 000 avortements en Afrique contre 10 pour 100 000 dans les pays dvelopps o linterruption de grossesse est autorise
1
et donc mdicalis . Or dans la quasi totalit des
pays dAfrique, lavortement nest autoris que sous
conditions (pour sauver la vie, la sant physique et
/ou mentale de la mre et /ou de lenfant), et il est
trs difficilement accessible. Seuls trois pays lautorisent sans conditions : le Cap Vert, lAfrique du Sud
2
et la Tunisie . Toutefois, des changements notables
ont t observs ces dix dernires annes: 6 pays
3
dAfrique francophone ont assoupli leur lgislation .
Lavortement est maintenant lgal au Bnin, en Guine et au Togo en cas de danger pour la sant ou
la vie de la femme, quand la grossesse rsulte dun
viol ou dun inceste et quand le ftus est victime de
graves malformations. Au Tchad et au Niger, il a t
autoris pour sauver la sant de la femme (auparavant, il ne ltait que lorsque la vie de la femme
enceinte tait menace) et enfin au Mali, les femmes peuvent demander un avortement si leur vie
est en danger ou si elles ont t victimes dun viol
ou dun inceste.
African Journal of Reproductive Health Sept. 2010 (Regular Issue); 14(3): 223
Madagascar se distingue sur le continent africain par une loi particulirement restrictive et une
rsistance trs forte lassouplissement de cette loi.
Le code pnal malgache condamne les femmes qui
mettraient fin volontairement leur grossesse et
toutes les personnes (du corps mdical ou non) qui
les auraient aides (article 317 du code pnal).
Aucune exception nest prvue. Certes le Code de
dontologie mdicale prvoit le droit lavortement
thrapeutique une femme dont la vie serait en
danger, mais il ne fait pas autorit sur le Code
pnal.
La question de la dpnalisation de lavortement a t souleve en fin danne 2007 Madagascar par les agences internationales des Nations
4
Unies . Les reprsentants de lglise catholique sy
sont formellement opposs, une position qui a t
soutenue par le Prsident de la Rpublique dalors,
Marc Ravalomanana. Il affirmait lors dun dplacement dans une province du Sud Ouest de la grande
le : Non l'avortement! Il nest pas question
dautoriser cette pratique. La vie est un don de Dieu
Je sais quil y a des gens qui essaient de faire
passer un projet de loi sur lavortement. Mais je ne
permettrai jamais sa dpnalisation (dcembre,
2007). La rpression vis--vis des mdecins semble
dailleurs stre durcie et plusieurs dentre eux ainsi
que des femmes ont t emprisonns en 2007.
Bien que lavortement soit illgal et rprim, de
nombreuses femmes y ont recours. Le Ministre de
la Sant estime que chaque anne 75 000 avortements sont pratiqus sur la grande le, il sagit dune
estimation, aucune statistique officielle nexiste. Si
ce chiffre est exact, on compterait Madagascar
environ un avortement pour 10 naissances vivantes.
Si on applique, le taux de mortalit par avortement
observ pour lAfrique de lEst (soit 770 dcs pour
100 000 interruptions de grossesse), on suppose
que plus de 575 femmes dcdent chaque anne
des complications dun avortement clandestin. Ces
dcs contribuent fortement la mortalit maternelle. La mortalit maternelle reste leve sur la
Grande le:en 1998-2003, on compte 469 dcs
6
pour 100 000 naissances vivantes . Dans la capitale, Antananarivo, elle est moins forte (195 pour
100 00000 en 2001-2002) et en diminution depuis
7
1989-1991 (470 dcs pour 100 000 cette date) .
Lanalyse des causes de dcs enregistrs Antananarivo durant la priode 1989-1991 a mis en
exergue le fait que plus de 60% des dcs maternels taient attribuables un avortement (spontan
8
ou provoqu) . La rduction de la mortalit observe aprs cette priode provient pour lessentiel du
9
recul des dcs lis un avortement (-79%) . La
baisse du nombre de dcs peut sexpliquer en
partie par une meilleure prise en charge des complications : la maternit du centre hospitalier dAntananarivo a t dote de moyens pour soigner les
10
suites davortements et du personnel a t form .
African Journal of Reproductive Health Sept. 2010 (Regular Issue); 14(3): 224
22
Population et Methodologie
Faire une enqute sur lavortement pose de nombreuses difficults dans un contexte o celuici est
illgal. Il nous tait impossible davoir des donnes
reprsentatives en population gnrale. Nous avons
alors choisi de contacter diffrents mdecins gnralistes dont nous savions quils pratiquaient dans
leur cabinet des avortements, pour certains cest
dailleurs leur unique activit mdicale. Quatre ont
rapidement accept. Les donnes prsentes dans
cet article proviennent dune enqute sur lAvortement Provoqu Illgal Antananarivo (APIA) ralise auprs de femmes rencontres dans ces quatre
cabinets mdicaux privs. Ils sont tous situs
Antananarivo mais dans des quartiers diffrents
(quartiers populaires et centre ville). Les mdecins
ont accept que nous menions une enqute auprs
de leurs patientes. Les femmes ont t recrutes
dans les salles dattente des mdecins et lobjet de
lenqute leur a t expliqu trs explicitement afin
dobtenir leur consentement avant de commencer le
questionnaire. Nous navons rencontr aucune difficult, trs rares sont les femmes qui ont refus de
rpondre. Entre mars et septembre 2005, 193 femmes ont ainsi t interroges en toute confidentialit
avec la seule prsence de lenqutrice.
Le questionnaire comprenait cinq volets. Le premier comprenait des questions sur la situation socioconomique et matrimoniale de la femme, le
deuxime sur la grossesse actuelle et lhistoire
gnsique de la femme. Cest dans ce volet quont
t poses les questions sur les ventuels avortements passs. La troisime partie du questionnaire
portait sur les pratiques contraceptives de la femme
enqute et le quatrime sur le contexte de lavortement en cours (qui accompagne la femme, qui a t
mis au courant de cette dmarche, cause du choix
de lavortement, etc.). Le dernier volet ne concernait
que les jeunes femmes de moins de 20 ans : il
sagissait de leur demander si leurs parents taient
au courant de la grossesse et de lavortement. Pour
en faciliter la passation, questionnaire comportait
majoritairement des questions fermes et le choix
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18,2
46,5
35,3
Age Minimum
Maximum
Mdiane
Statut matrimonial
Clibataire
Marie
Union Libre
Veuve ou divorce
Nombre denfants ns vivants
Aucun
Un
Deux
Trois
Quatre et plus
Activit principale
Etudiante
Sans activit
Commerante,
activits
de
service
Ouvrire /Employe zone franche
Ouvrire / Employe hors zone
franche
Enseignante / institutrice
Agricultrice
Cadre, profession librale
Prostitue
Sans rponse
14 ans
44 ans
24,3 ans
46,1
37,8
14,5
1,6
47,2
15,0
15,0
12,1
10,9
25,9
22,3
21,2
7,2
5,7
6,3
4,1
3,1
3,1
1,1
Resultats
a)
Caractristiques des femmes enqutes
dans lenqute quantitative
Les femmes rencontres dans les cabinets de
mdecins lors de lenqute APIA rsident dans la
capitale (seules 4 vivent ailleurs) et elles sont rela-
African Journal of Reproductive Health Sept. 2010 (Regular Issue); 14(3): 226
Tableau 2. Rpartition des femmes (%) selon le nombre de grossesses dclares (grossesse en cours incluse)
et le nombre davortements dclars (avortement en cours inclus) (N=193)
Nombre davortements (inclus celui du jour de lenqute)
Nombre de
grossesses
1
2
3
4
5
6
7
8
9
11
Total
Total
24,1
9,9
7,3
8,4
3,1
1,0
0,0
0,0
0,0
0,0
53,9
0,0
11,0
3,7
4,2
1,0
0,5
0,5
0,0
0,0
0,5
21,5
0,0
0,0
5,8
2,1
1,0
0,5
3,1
0,5
0,0
0,5
13,6
0,0
0,0
0,0
2,6
1,0
1,0
1,0
0,0
0,0
0,5
6,3
0,0
0,0
0,0
0,0
1,6
0,0
1,0
0,0
0,5
0,0
3,1
0,0
0,0
0,0
0,0
0,0
0,0
1,0
0,5
0,0
0,0
1,6
24,1
20,9
16,8
17,3
7,9
3,1
6,8
1,0
0,5
1,6
100,0
Tableau 3. Rpartition des femmes selon le motif de lavortement dclar par la femme (espacement ou
limitation des naissances) par parit au moment de lenqute pour 100 femmes (effectifs).
Nombre d'enfants
ns vivants
Pour limiter
Autres*
Total
97,5
(88)
1,1
(1)
3,3
(3)
100,0
(92)
55,2
(16)
24,1
(7)
13,8
(4)
100,0
(29)
40,0
(12)
43,3
(13)
16,7
(5)
100,0
(30)
40,0
(9)
45,5
(10)
13,6
(3)
100,0
(22)
4 et plus
5,0
(1)
90,0
(18)
5,0
(1)
100,0
(20)
suivante (Tableau 3). Elles dclarent vouloir attendre que lenfant prcdent soit relativement autonome. Lespacement idal avoisinerait les 3 ans
selon les femmes. Ceci est dautant plus vrifi
chez celles qui ont un emploi et qui doivent faire
garder leur enfant par une employe de maison ou
dans un jardin denfants. Pour les mres de deux
enfants ou plus, lavortement est envisag comme
un moyen darrt de la descendance (Tableau 3).
Les plus nombreuses sont les femmes sans
enfant qui ont recours lavortement, une ou plusieurs fois, pour retarder le moment de larrive de
25
leur premier enfant (47 femmes soit 24% ont
eu une grossesse, un avortement, 11% 2 grossesses, 2 avortements, Tableau 4). Elles sont pour la
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Proportion (%) de femmes utilisant une contraception au moment o elles sont devenues enceintes
Rpartition (%) selon la mthode utilise au moment de la grossesse
Pilule
Strilet
Mthode naturelle (mthode du calendrier)
Prservatif
Total
Proportion de femmes ayant dj au cours de leur vie utilise une mthode contraceptive
%
19,0
Effectifs
37
40,5
16,2
40,5
2,6
100,0
15
6
15
1
37
53,8
102
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African Journal of Reproductive Health Sept. 2010 (Regular Issue); 14(3): 229
terminer leurs tudes, dbuter une carrire professionnelle avant dentrer en union mais aussi viter
une naissance prnuptiale trs mal accepte socialement Antananarivo.
Discussion
Il convient tout dabord de rappeler que lenqute
APIA comporte des limites importantes: elle ne
porte que sur un petit chantillon de femmes et uniquement sur des femmes qui ont recours un
mdecin pour un avortement. Nous ne savons rien
de celles qui font appel des sages femmes ou des
matrones ou qui utilisent des mdicaments abortifs.
Certaines catgories sociales chappent certainement notre enqute : les femmes les plus pauvres
qui pour des raisons financires ou de proximit
sociale feront plus facilement appel des matrones
par exemple. Ces rserves mises, les rsultats de
lenqute permettent toutefois de documenter la
question de lavortement provoqu Antananarivo
et de donner quelques pistes de recherche exploratoires sur ce sujet qui est par ailleurs trs peu tudi
du fait notamment de son caractre illgal.
Un des rsultats importants de lenqute APIA
est que lavortement, tel que nous lavons observ
concerne des femmes des stades diffrents de
leur vie gnsique. Il est utilis pour reculer le moment de la naissance du premier enfant mais aussi
pour espacer des naissances ou pour mettre fin
une descendance. Par consquent une mme femme peut subir plusieurs avortements dans sa vie.
Environ la moiti des femmes enqutes avaient
dj eu recours au moins une fois une mthode
de contraception mais trs rares sont celles qui
lutilisaient au moment o elles sont devenues
enceintes. Les grossesses en cours ne sont pas
des accidents de contraception mais bien un
dfaut de contraception. Dautres tudes en Afrique,
dans des pays limitant laccs lavortement ont
galement montr le rapport fort complexe entre les
deux formes de limitation des naissances, lavortement peut se substituer la contraception ou en
30
tre le complment . A Madagascar, le fait que
lavortement soit illgal limite la possibilit pour le
personnel mdical de conseiller efficacement les
femmes sur la planification familiale. Aucun service
de post-abortum nexiste. Pourtant, plusieurs tudes
en Afrique ont permis de mettre en exergue le fait
que des services de planification familiale de bonne
qualit, adresse notamment aux femmes venant
de subir un avortement permet de limiter les avortements rpts et donc la morbidit et la mortalit
31
maternelles .
A Antananarivo, toutes les catgories de femmes semblent concernes par lavortement mais
plus particulirement les plus jeunes, clibataires et
en cours de scolarisation. Ces dernires cherchent
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Reference
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