Louise Labe SONNET

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Louise Labe SONNET

b
Le pome tudi est un sonnet lyrique en dcasyllabes. Il se compose de
deux
quatrains et de deux tercets. Les rimes des deux quatrains sont disposes
sur le modle
ABBA : il sagit donc de rimes embrasses. La disposition des rimes des
deux dernires
strophes - CCD EDE - indique quil sagit de ce que lon appelle un sonnet
franais.
En ce qui concerne la qualit des rimes, la majorit dentre elles sont des
rimes riches :
pandre entendre et mourir tarir sont isomtriques ; les couples
tendre
comprendre , chanter contenter et sjour jour contiennent un
nombre de syllabes diffrent et sont donc htromtriques. Les deux rimes
restantes, savoir regretter rsister et impuissante amante sont
suffisantes : lune est isomtrique, lautre htromtrique. Le pome ne
comporte pas de rimes pauvres.
Dans ce sonnet, la potesse sadresse lhomme quelle aime. Ce qui est
particulier,
cest quelle ne nous donne aucune description physique ou morale. Bien
que lamant ne soit
voqu qu trois reprises (v.2 avec toi , v.6 tes grces et v.8 toi
comprendre ), nous pouvons tout de mme percevoir limportance que
cet homme reprsente aux yeux de la potesse : il sagit dun amour
exclusif, mis en vidence notamment dans le vers 8 qui sous-entend que
ltre aim incarne lobjet de tous les dsirs de cette femme. Si les
occurrences de la deuxime personne restent plutt rares, le je lyrique
est, lui, omniprsent : il apparat soit en tant que sujet des verbes (v.9 Je
ne souhaite et v.10
je sentirai ), soit sous forme de possesseurs (v.1 et 10 mes yeux , v.4
et 11 ma voix ,
v.5 et 11 ma main , v.14 mon plus clair jour ). De plus, nous pouvons
relever lellipse
de ladjectif possessif de la premire personne au vers 3 ( aux sanglots et
soupirs rsister )
impose par la limite mtrique du dcasyllabe. Cette mme omission au
vers 7 ( tant que
lesprit ) indique en revanche que lesprit de la potesse se trouve
comme dtach de la
ralit prsente, car autrement elle aurait trs bien pu remplacer tant
que par un simple

que ( tant que tant dj utilis au vers 5, il nest pas forcment


ncessaire de le rpter en entier), ce qui aurait donn le dcasyllabe
suivant : que mon esprit se voudra contenter .
Par ailleurs, lanalyse de la structure syntaxique de lensemble du texte
rvle que
celui-ci est compos de deux phrases qui sparent le pome en deux
parties ou tapes bien
distinctes, mais qui ne correspondent pas tout fait la division en
strophes. En effet, la
premire phrase stale sur neuf vers et couvre ainsi les deux quatrains et
le premier vers du
premier tercet. Elle est constitue de quatre propositions subordonnes
circonstancielles de
temps introduites par la conjonction tant que (avec sa variante et
que au vers 3) et
dune proposition principale, trs courte, qui ne vient quau vers 9. Dans
cette premire partie,la potesse exprime son envie de vivre. Nanmoins
cette vie est conditionne par lamour de lautre. Grce lanaphore de
tant que renforce par le verbe pouvoir utilis trois reprises au
futur simple, Louise Lab met donc en place un certain dlai, elle impose
une sorte de limite au-del de laquelle cette vie ne vaudra plus la peine
dtre vcue.
Cette limite est explicite par lemploi de la conjonction mais au vers
10 introduisant une autre proposition subordonne circonstancielle de
temps avec quand , dveloppe par une participiale sens causal ( ne
pouvant plus ). La proposition principale qui clture le sonnet au dernier
vers apporte la rvlation : lorsque lamour ne sera plus l, la potesse
renoncera la vie, elle prfrera mourir.

II.2 Vers 1 9 : dsir de vivre

Nous lavons dj dit, Louise Lab dcrit lamour comme un besoin vital. Il
sagit
dun tat ambigu, mlange de sentiments contradictoires. Dun ct, il
apporte du plaisir et de la joie : lheur voqu au vers 2 (bien que ce
bonheur soit dj pass ) et qui est mis en valeur par sa position en
dbut du vers, puis les motifs musicaux aux vers 5 et 6 avec cordes
tendre du mignard luth grces chanter en sont la preuve. De lautre
ct, nous pouvons relever dans le premier quatrain la prsence dun
lexique se rapportant la douleur avec larmes pandre (v.1), A lheur
pass regretter (v.2), les sanglots et les
soupirs (v.3). Dailleurs, lemploi de la conjonction de coordination et
dans le deuxime hmistiche de ce dernier vers pour introduire les
soupirs permet de renforcer
lide que la souffrance fait partie intgrante de lamour. Le chiasme entre
le dbut du vers 1 et le dbut du vers 4 donne limpression que la
potesse est comme enferme dans sa douleur, comme si elle tait
prisonnire de cet amour.

Par ailleurs, lhyperbole utilise au vers 8 ( De ne vouloir rien fors que toi
comprendre ),
ainsi que la ngation du vers 9 accompagne de ladverbe de temps ( Je
ne souhaite encore
point mourir ) permettent de dvoiler le caractre intense et exclusif des
sentiments. La
csure enjambante du monosyllabe rien laquelle Lab recourt au
vers 8 - tandis que dans les autres vers, la csure se trouve la quatrime
syllabe donne encore plus de poids au mot en question et vient ainsi
souligner lexclusivit de lhomme aim et de lamour que la potesse lui
porte. Cet amour se manifeste tout dabord travers le corps : les yeux
(v.1), la bouche (plus prcisment la voix au v.4) et la main (v.5).
Mais il est surtout chant , la voix tant accompagne au luth ,
symbole par excellence du lyrisme et de linspiration potique.
Limportance de la voix est dailleurs signale par une syntaxe quelque
peu diffrente de celle des trois autres subordonnes temporelles : le sujet
ma voix est non seulement invers, mais il est en plus rejet au vers 4
( Et quaux sanglots et soupirs rsister pourra ma voix ). En ce qui
concerne les mots qui figurent la rime, ils font tous partie dune mme
catgorie grammaticale. Ce sont des verbes linfinitif qui dcrivent les
actions du sujet lyrique et qui prouvent ainsi que la femme tient rester
active dans son couple. Nous pouvons galement remarquer que chacune
des quatre subordonnes temporelles contient deux infinitifs. Ceux-ci sont
le plus souvent dans une relation de
subordination : larmes pandre regretter (v.1-2), les cordes
tendre pour chanter (v.5-6) et lesprit secontenter de
comprendre (v.7-8). Le seul cas de coordination de ces infinitifs apparat
encore une fois aux vers 3 et 4 avec rsister et un peu se faire
entendre . Une autre particularit de ces deux derniers vers consiste
dans la position du verbe pouvoir : pourra ouvre ici le vers 4, il est
donc en tte du second vers, alors que ses autres occurrences, savoir
pourront au vers 1, pourra au vers 5, ainsi que la forme verbale
voudra au vers 8 se trouvent toutes au dbut du second hmistiche du
premier vers.
Tout ceci contribue mettre en vidence la place part qui est rserve
la voix .
Par ailleurs, les assonances en [a] ainsi que la frquence leve de
voyelles nasalises
( tant pourront larmes pandre pass avec toi pourra ma voix
entendre ma main
pourra tendre grces chanter voudra contenter vouloir rien toi
comprendre
encore point ) prtent au sonnet un caractre solennel tout en insistant
sur la gravit de la situation. Leffet de fatalit, de mlancolie et de
souffrance associe lamour est galement bien rendu par lallitration
en [r] : pourront larmes pandrelheurregretter soupirs
rsister pourra faire entendre pourra les cordes tendremignard
pour tes grces
esprit se voudra vouloir rien fors comprendreencore mourir .

Enfin, nous pouvons relever une rupture du rythme entre les subordonnes
temporelles
qui saccumulent et nous tiennent ainsi en haleine, et la proposition
principale au vers 9 qui de par sa brivet produit un effet quelque peu
brutal : elle prpare larrive de la deuxime
partie dans laquelle le sonnet change de ton. Il ne sera plus question de
pouvoir aimer et
donc rester en vie ; il sagira dinvoquer la mort.

II.3 Vers 10 14 : dsir de mourir

Le vers 10 introduit une nouvelle subordonne temporelle avec quand


qui est luimme
appuy par la conjonction de coordination mais . Si le futur de lindicatif
montrait
dans la premire partie que la potesse envisageait bien un avenir, son
emploi dans la
deuxime partie renvoie la mort, cette limite ( quand ) au-del de
laquelle la vie naura
plus aucun sens car lamour sera parti. Nous pouvons relever une
premire antithse : alors que le verbe pouvoir est rpt trois fois
dans la premire phrase, cest lide dimpuissance qui lui succde dans
les tercets avec la participiale sens causal introduite par ne pouvant
plus (v.13) et ladjectif impuissante (v.11). Ce dernier est dailleurs
mis en valeur par sa position la rime. De plus, il forme une rime
suffisante avec amante (seul endroit du sonnet qui permet daffirmer
que cest bien une femme qui sexprime ici) ce qui permet de faire le
rapprochement entre impuissance et amour. Dun autre ct, si dans les
quatrains le privilge tait accord aux verbes, il faut noter que dans cette
deuxime phrase la potesse donne plus dimportance aux adjectifs avec
casse impuissante (v.11), mortel (v.12) et plus clair (v.14),
contre un seul adjectif mignard - dans les neuf premiers vers.
Lab reprend les quatre lments de la premire partie : il sagit donc de
ce que lon
appelle un sonnet rapport . Or, cette fois-ci, ses yeux secs, sa
voix casse et sa
main impuissante traduisent sa dchance physique, qui est suivie de
la dgradation un
niveau suprieur aux vers 12 et 13 o son esprit ne [peut] plus
montrer signe damante .
Le champ lexical de la dgradation va de pair avec la rapidit de
lenchanement des images
dans les tercets : tout ceci mne invitablement la formulation du dsir
de mourir. Il sagit
dailleurs ici dune autre antithse dans le sens o au vers 9, la potesse
refuse la mort ( Je ne souhaite encore point mourir ), alors qu la fin du
sonnet, elle linvoque ( Prierai la Mort noircir mon plus clair jour ). Nous
pouvons galement relever labsence du sujet dans ce dernier vers. Bien
que lemploi de celui-ci ne soit pas obligatoire au XVIe sicle, lvolution

entre les deux vers mentionns - de laffirmation la suppression du je


dmontre que
lauteure souhaite effectivement seffacer et renoncer la vie. Sa
dtermination mourir est
en outre souligne par le verbe prier employ au futur simple.
La mort, voque deux fois (v.12 et 14), semble donc reprsenter la seule
issue. Elle se
dgage galement des allitrations en [r] : sentirai tarir esprit en ce
mortel sjour
montrer prierai la Mort noircir mon plus clair jour . Il convient dailleurs
de signaler que
Louise Lab personnifie la Mort en lcrivant avec une majuscule. Dun
autre ct, il est
noter que dans les tercets, elle nutilise plus que les pronoms personnels
et adjectifs possessifs de la premire personne, elle ne sadresse plus
explicitement ltre aim. Cest comme si cette Mort venait donc
remplacer celui qui le message tait destin, le toi des deux
premires strophes, cet amour perdu. Enfin, les rimes qui associent les
verbes mourir et tarir , le jour avec mortel sjour , et surtout
la chute du pome qui contient une dernire antithse lhyperbole
noircir mon plus clair jour - mettent clairement en vidence le dsir de la
potesse de mourir lorsque lamour aura disparu.
Nanmoins, ce quil faut voir derrire ce sonnet, cest que ce nest pas
tellement
lamour qui fait vivre la potesse, mais plus exactement la possibilit de
lexprimer, de le
chanter et donc de sexprimer soi-mme. Lamour est important pour
Louise Lab dans le
sens o il reprsente pour elle une grande source dinspiration et que
mme les larmes et la
souffrance qui peuvent y tre associes lui permettent de composer des
vers. Si elle naime
plus, elle ne pourra plus crer, et ce moment-l elle prfrera mourir.

III. Conclusion
Comme nous lavons dj signal au dbut, le Sonnet XIV de Louise Lab
tire son
originalit du fait que cest la femme qui sexprime ici et qui dploie son
chant damour en se
servant de ltre aim comme dun prtexte. De plus, le style et le
vocabulaire que la potesse utilise contrastent, de par leur simplicit, avec
toutes les rfrences mythologiques, les mtaphores et autres figures de
style auxquelles recourent dautres potes de son poque. Le sonnet est
structur en deux phrases. Dun ct, nous avons relev un certain
paralllisme entre les quatrains et les tercets. Celui-ci repose sur la
composition des deux phrases qui accumulent des subordonnes
temporelles pour se terminer brutalement sur une proposition principale
qui noccupe quun seul vers dune part, et sur la rptition des quatre

lments de lautre. Mais la syntaxe et le lexique permettent galement


de crer une opposition entre les deux premires et les deux dernires
strophes : le dlai et donc lespoir longuement annoncs dans les
quatrains versus la rapidit de lenchanement des vers dans les tercets et
le dsespoir qui sen dgage ; puis le champ lexical de lamour auquel
succde celui de la mort. Grce des moyens simples et faciles
comprendre, Louise Lab rvle ce qui donne sens sa vie. Ce pome est
tout dabord une clbration de lamour, mais aussi celle du chant
amoureux. Tant que lamour est l, avec les bonheurs et les souffrances,
les joies et les peines quil procure, il est sa source dinspiration et lui
donne la force dcrire. Le jour o la passion se sera clipse, la potesse
ne pourra plus crer et sa vie naura donc plus aucun sens.

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