Corrigé Commentaire Mariage Figaro

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Commentaire Composé

Le Mariage de Figaro, V, 3 –Beaumarchais, 1784


Corrigé

Le XVIIIème siècle est marqué par les philosophes des Lumières, qui cherchent à se battre contre les inégalités
et donner un esprit critique et la connaissance au peuple. Cet esprit nouveau s’exprime aussi au théâtre au travers les
œuvres de Marivaux ou encore de Beaumarchais. Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais est un dramaturge, poète et
musicien français. Cet homme a eu une vie très prolifique puisque de formation il était horloger, mais il fut aussi homme
d’affaire, agent secret, vendeur d’armes et artiste. Il fut considéré comme annonciateur par ses écrits de la révolution
française. Sa vie sentimentale fut aussi compliquée, puisqu’il se maria trois fois. Beaumarchais s’inspira de sa vie
tumultueuse pour créer certains de ses personnages.
De 1775 à 1792, Beaumarchais publie une trilogie dramatique qui met en scène la famille Almaviva: Le Barbier de
Séville, La Folle journée ou le Mariage de Figaro et La Mère Coupable. Le Mariage de Figaro est donc la seconde
comédie de cette trilogie. C’est une comédie en 5 actes écrite en 1778 mais qui ne pourra être représentée qu’en 1784,
après des années de censure. L’extrait de cette pièce que nous allons étudier est tiré de la scène 3 de l’acte V, c’est donc
la fin de la pièce. Le mariage de Figaro et Suzanne a eu lieu à la fin de l’acte IV. Or, Figaro croit que Suzanne le trompe
avec son maître le comte Almaviva. Au début de l'acte V, il se rend alors sous les marronniers pour surprendre le comte
et Suzanne et, en attendant leur venue, prononce ce long monologue dans lequel il revient sur son parcours de vie tout
en exprimant sa déception et sa rancœur.
Comment l'expérience de vie de Figaro, présenté comme un personnage spécial lui permet-elle de prendre position sur la
société de son temps ?
Nous étudierons tout d’abord l’originalité du personnage de Figaro qui rompt avec l’image habituelle du valet, puis nous
montrerons que ce personnage est porteur des idéaux des Lumières.

Tout d’abord, le personnage de Figaro qui prononce ce monologue est un personnage très original. En
effet, c’est un personnage aux multiples facettes, qui a un statut particulier et éprouve des émotions diverses.
Le personnage de Figaro est un personnage de théâtre original puisqu’il représente un mélange
étonnant de personnage romanesque et de personnage-type de la comédie. En effet, Figaro raconte sa vie
agitée proche de celle d’un héros de roman picaresque, comme le montre l’énumération de différents métiers
«J’apprends la chimie, la pharmacie, la chirurgie, ...»(l.10). Par ailleurs, la façon dont Figaro revient sur son
chemin de vie le rapproche du héros de roman comme l’indiquent les temps du récit avec le présent de
narration «Je m’en dégoûte » (l.9), « je broche » (l.13), « j’offense »(l.15), en alternance avec l’imparfait « je
voyais de loin »(l.19), « mes joues creusaient » (l.19) et le passé simple «je laissai »(l.23) . Le présent de
narration domine, ce qui montre la volonté de rendre le récit animé, vivant. Cependant, le personnage de
Figaro est tout de même un héros de théâtre, comme on peut le noter à la gestuelle du personnage indiquée
par les didascalies « il se lève » (l.23), « s’assied» (l.8) pour faire son récit de vie. On remarque également
l’alternance de l’intrigue théâtrale et du récit de vie. En outre, l’apostrophe «Non, Monsieur le comte» (l.1)
montre la présence de la fiction puisque Figaro imagine un faux dialogue puisque le comte n’est pas sur
scène. Enfin, les questions oratoires comme «Est-il rien de plus bizarre que ma destinée !»(l.8) associent ce
personnage à un personnage théâtral. Figaro est donc un personnage multiple car il concentre sur son
personnage différents registres théâtraux que la comédie classique interdisait de superposer : les registres
tragiques et comiques. Nous notons que ce monologue ressemble à une parenthèse tragique dans cette
comédie comme l’indique le champ lexical de l’obscurité (« la nuit est noire en diable » (l.7), « la foule
obscure » (l.4)) ou encore le registre tragique avec la notion de fatalité qui apparaît: «ma destinée» (l8). Le
personnage de Figaro ici ne semble pas maître de son destin. Cependant, le personnage a aussi une facette
comique puisqu’il manie l’ironie et l’humour. En effet, il montre le ridicule de la société et tourne en
dérision sa situation «Et voilà ma comédie flambée pour plaire aux prince Mahométan dont pas un seul je
crois ne sait lire» (l.17).
Ainsi, Figaro se présente dans ce monologue comme un personnage aux multiples facettes, qui va rompre
avec la figure traditionnelle du valet.
Figaro est un valet spécifique, tout d’abord parce qu’il a un statut social indéfini. En effet, il semble
appartenir au tiers état, mais il n’est pas réduit à la fonction de serviteur puisqu’il a déjà fait bien d’autres
métiers comme le suggère l’énumération de la l.10 dont nous avons parlé précédemment. Ainsi, il n’est pas
réduit au personnage type du valet tel que Molière l’a conçu en s’inspirant des valets des comédies antiques
et de la commedia dell’arte puisqu’il s’agit d’un personnage de valet qui éprouve des sentiments et des
émotions variés et subtils. En effet, il ressent successivement la colère comme le montrent les nombreuses
phrases exclamatives, juxtaposées à l’exemple de « Vous vous croyez un grand génie » (l.2) ou la
répétition des négations totales « Non, monsieur le comte vous ne l’aurez pas...» (l.1). On note qu’à cette
colère se mêle de la jalousie. Il est victime d’injustices sociales ce qui suscite sa virulence, son indignation
comme l’indique la question rhétorique de la l.3 « Qu’avez-vous fait pour tant de biens ? ».
Ainsi, ce mélange d’indignation, de revendication, de jalousie amoureuse, de moments de
découragement voire de désespoir associé aux facettes de personnage de roman et de théâtre font de Figaro
un personnage à la psychologie complexe, bien plus qu’il ne sied à un personnage de valet ordinaire. Ce
personnage devient effectivement plus qu’un valet, mais un porte-parole des idées révolutionnaires et
égalitaires des Lumières.

Deuxièmement, Figaro devient porteur du message des Lumières, en étant tout d’abord un double de
l’auteur, mais aussi parce qu’il va énoncer des valeurs nouvelles.
Tout d’abord, Figaro est inspiré de la vie de l’auteur, comme le prouvent les différents métiers évoqués
par Figaro « métier » (l.7), « « bandits » (l.9), « carrière honnête »(l.9), « pharmacie /chirurgie/chimie » (l.10),
« vétérinaire » (l.11) »auteur » (l.13) qui évoquent par la même la vie tumultueuse de Beaumarchais qui n’était
pas seulement dramaturge. Figaro se présente aussi comme un auteur «je broche une comédie» (l.13). On
peut relever le champ lexical de l’écriture «théâtre», «comédie», «auteur», «vers», «plume», «j’écris» etc.
Par ailleurs, l’auteur utilise son personnage afin d’exprimer les difficultés que le peuple rencontre pour s’élever
socialement comme le montre l’hyperbole « il m’a fallu déployer plus de science et de calculs pour subsister
seulement, qu’on n’en a mis depuis cent ans à gouverner toutes les Espagnes » (l.5-6) ou encore la
métaphore qui montre péjorativement la situation du peuple l.4 « perdu dans la foule obscure ». Ainsi,
Beaumarchais utilise son personnage comme porte-parole afin de faire entendre sa propre voix pour dénoncer
le système politique et social de son temps.
Ainsi, Figaro va devenir porteur d’idées nouvelles. En effet, dans son monologue, Figaro dénonce les
privilèges présents dans la société du XVIIIè siècle : les droits et pouvoirs fondés sur la naissance et non sur
la valeur personnelle sont explicitement dénoncés «Qu’avez-vous fait pour tant de biens? Vous vous êtes
donné la peine de naître et rien de plus.» (l.33) à l’aide de la question rhétorique et de la négation partielle
« rien de plus ». Figaro dénonce l’imposture des «grands seigneurs»(l.2) qui se croient des «grands génies»
(l.2) à l’aide du parallélisme de construction et de la répétition ironique de l’adjectif « grands ».
L’expression comportant le modalisateur «vous vous croyez» ne laisse aucun doute : selon lui il n’y a pas de
lien entre la naissance et le mérite personnel. En outre, l’opposition comte/valet est marquée, soulignée par
l’opposition antithétique «vous»/« moi» «vous vous êtes donné...»/ «Tandis que moi...» (l.3-4). Figaro
dénonce donc l’absurdité de la société qui ne fonctionne pas au mérite. Enfin, Figaro va dénoncer la censure.
Pour cela, il évoque le statut difficile de l’auteur à l’aide de l’hyperbole métaphorique « mes joues se
creusaient, mon terme était échu » (l.19), renforcé par « n’ayant pas un sous » (l.21) pour montrer la difficulté
financière dans laquelle sont plongés les auteurs. Par ailleurs, Beaumarchais critique, à travers le monologue
de Figaro la censure de l’époque. Les excès de cette censure sont évoqués au travers notamment la censure
religieuse avec l’expression « se plaint que j’offense dans mes vers » (l.15) ainsi qu’avec l’accumulation
hyperbolique («La Sublime Porte, La Perse, [...] Maroc ») (l.15-16) qui montre que la censure est partout.
Les conséquences de la censure sont montrées par le participe passé « flambée » (l.16) qui évoque la
destruction systématique des œuvres ne suivant pas les idées des dirigeants, ainsi que les peines
d’emprisonnement avec la métaphore « baisser pour moi le pont d’un château-fort, à l’entrée duquel je laissai
l’espérance et la liberté »(l.23). En effet, le château fort représente la prison dans laquelle Figaro a été
envoyé, et la coordination des valeurs révolutionnaire « espoir » et « liberté » montre ce pour quoi se battent
les philopsophes des Lumières. Par ailleurs, les censeurs sont présentés comme incultes avec la négation
totale «dont pas un, je crois, ne sait lire». La phrase «il n’y a que les petits hommes qui redoutent les petits
écrits» peut même paraître comme une attaque ad hominem implicite contre Louis XVI qui s’est
personnellement prononcé contre la pièce. La sentence au présent de vérité générale renforce le propos en
le rendant très audible, remarquable, mais en même temps l’intemporalité en dilue la portée.
Ainsi, le personnage de Figaro, à travers ce monologue, devient le porte-parole des idées
révolutionnaires de l’auteur.

Pour conclure, cet extrait est un texte qui rompt avec les codes traditionnels du théâtre en mêlant
roman et théâtre, comédie et tragédie, amour et propos social. Figaro est présenté comme un personnage de
valet qui rompt avec la figure traditionnelle du personnage type que l’on trouve dans les comédies classiques
puisque ce personnage a un passé, une biographie, une psychologie, et des valeurs qui le rendent infiniment
plus complexe que ses prédécesseurs. Beaumarchais lui donne ici le premier rôle à ce personnage, en lui
donnant, dans ce monologue, un discours politique incisif, au service du peuple. C’est un personnage qui
porte sur scène des critiques, des revendications, qui exprime des valeurs qui n’ont jamais été formulées de
manière aussi explicite dans une œuvre publique et populaire.

La Révolution française débutera cinq ans plus tard à peine, ainsi, cette œuvre se présente aujourd’hui
comme annonciatrice de la révolution et elle connut un vif succès, preuve en est que Mozart transformera
cette pièce en opéra en 1786 où Le Nozze di Figaro verra le jour au Burgtheater de Vienne.

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