Philo Droit PDF
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AVANT PROPOS
Le projet d'crire une introduction la thorie et la philosophie du droit a t dtermin par le
besoin de mettre la disposition de mes tudiants une vue d'ensemble de ce domaine. Lorsque
j'ai commenc l'enseignement de cette matire en octobre 1987 l'Universit de Vincennes
Saint-Denis, je savais que j'allais devoir affronter deux difficults majeures. Tout d'abord, les
tudiants de licence et de matrise de droit n'ont aucune formation philosophique. Ensuite, il
n'existe en France aucune bibliographie adquate pour permettre une bonne entre en matire
(ce qui n'est pas le cas en Allemagne, en Italie ou en Espagne).
Ces difficults sont lies au fait que, dans la tradition de l'enseignement juridique en France, il y
a peu de place pour une rflexion dpassant les limites de la positivit du droit et de sa
dogmatique, malgr les efforts de Michel Villey, ou de Gurvitch, partir de la sociologie du
droit.
A ce manque d'une tradition solide dans la rflexion, cherchant dpasser les bornes de
l'ontologie juridique, s'est ajoute, dans la modernit, l'incidence du marxisme. Pour cette
thorie, comme on le sait, le droit appartient ces dterminations de la suprastructure qu'il
s'agit de dpasser. Or, le marxisme sous sa forme la plus dogmatique a jou un rle de tout
premier ordre dans l'Universit franaise.
C'est donc en constatant ce vide dans ]a rflexion axiologique que m'est venue l'ide d'crire
une prsentation de la philosophie du droit. Mais ce projet s'est trouv soudain intgr dans
une perspective beaucoup plus vaste. C'est l'automne 1988 que le projet actuel - dont cette
Introduction est la premire partie - a pris sa forme dfinitive.
La construction thorique dont il est question est compose de quatre Introductions la Thorie
et la Philosophie. La premire concerne le droit, la seconde l'conomie, la troisime la
politique et la quatrime la nature. Ces Introductions, l'instar des piliers d'une btisse, seront
chapeautes par un travail dont le titre sera : De l'Ontologie et de la Mtaphysique de l'Etre.
Ce projet de construction thorique est ainsi laboutissement d'une rflexion pour laquelle le
dpassement du dboussolement que nous connaissons dans les temps prsents ne peut venir
que de la restructuration totalisante de ce qui s'insinue dj comme essentiel dans la
philosophie premire : les cadres rfrentiels. Il s'agit plus prcisment de reconstruire le
devoir-tre du monde.
Il y a dans ce travail des reprises de certains thmes essentiels. Mais ces reprises ne doivent pas
tre considres comme de simples rptitions. Elles sont plutt l'incidence des grands
problmes des temps qui courent. Elles nous ont sembl ncessaires pour expliciter certaines
catgories, voire certains phnomnes essentiels pour la comprhension du rgne de la
normativit et de son objectivation.
A notre poque de crise, de misre gnralise et de droute intellectuelle, il nous a sembl
ncessaire de rappeler les principes de l'ordre social. Chaque fois que nous avons soulev le
voile qui enveloppe la ralit sociale, nous avons dcouvert, comme dit Kelsen, la tte de
Gorgone de l'Etat. Il s'est alors agit de dcouvrir les mcanismes qui conditionnent l'existence
de cet tre-voile que nous appelons la ralit. Nous avons ainsi constat - tout comme l'a fait la
grande pense qui a t source de conscience de la raison en elle-mme - que le discours du
monde est construit, pour l'essentiel, partir de l'illusion et du mensonge. C'est seulement par
del cette couche idologique que se manifeste l'infinit de la raison.
Nous sommes, plus que jamais, condamns penser, pour pouvoir surmonter l'entreprise de
destruction et d'avilissement d'une grande partie de l'humanit qui, de nos jours, est l'oeuvre
au nom des valeurs d'ordre universel. La lutte pour la vrit de la raison est en mme temps une
lutte pour la dignit et la justice.
Avant de mettre fin cet avant-propos, je tiens remercier Julie Athlan pour avoir, en tant que,
secrtaire du dpartement de droit, dfendu pendant des annes lexistence de mon cours de
philosophie du droit. Jadresse aussi mes remerciements Judith Rosowsky pour mener bien
la publication de ce texte.
Paris, le 23 dcembre 1990.
I. LE CONCEPT DE DROIT
1) Remarque prliminaire
Comme nous le verrons tout au long de ce travail, le droit se prsente tout d'abord comme un
ensemble de rgles dont le but immdiat est de rguler l'existence sociale. Nous avons affaire ici
une perception immdiate de ce phnomne normatif. En effet, lorsque nous approfondissons
un peu la fonction et le sens du droit, nous nous rendons compte que, dans sa positivit, l'ordre
juridique est l'expression d'un mode d'tre du social. De sorte que le droit positif rgule en
dernire instance un ordre effectif.
Mais le concept de droit ne s'puise pas dans sa fonction rgulatrice et de consolidation d'un
ordre donn. La philosophie du droit nous montre, en effet, que par del l'existence formelle de
l'ordre juridique se profile une dimension strictement axiologique. Ceci dvoile le principe et la
finalit du droit : la ralisation effective du juste dans l'existence sociale.
On peut, par consquent, soutenir que la perception totalisante du droit inclut cette autre
dimension du phnomne juridique : son devoir tre. C'est le rapport de la positivit cette
autre dimension qui est l'objet mme de la philosophie du droit.
Il ne s'agit pas ici d'un rapport arbitraire, mais d'une relation essentielle. Car, le devoir tre du
droit est en mme temps sa raison d'tre. Le rgne de la lgalit prsuppose celui de la
lgitimit.
En d'autres termes, dans l'univers des formes le devoir-tre est insparable de son tre. De sorte
que contrairement ce que pensait Kant l'tre et le devoir tre sont intimement lis dans le rgne
des formes signifiantes. Ce rapport est fait de telle manire dans l'univers du droit que sa
dimension axiologique est la substance mme de sa positivit.
Mais, avant de dterminer la logique de ce rapport, nous devrons exposer le droit dans sa
dimension strictement formelle. Celle-ci tant l'objet mme de cette partie.
2) Le mot droit
Le terme de droit, comme celui de right, recht, dritto, derecho, etc. vient du latin rectum. Ce mot
se rapporte, par consquent, ce qui est droit et s'oppose ce qui diverge de cette ligne.
Les romains dsignent le terme de droit par le mot jus. Ce qui renvoie aux termes de justus et de
justitia. Nous avons d'ailleurs le mme rapport en allemand, puisque recht (droit) renvoie
gerecht (juste) et gerechtigkeit (justice). De sorte que selon sa dfinition premire, le droit est ce
qui est juste. Il se manifeste en tant que tel comme l'expression et la reprsentation de la justice.
Certains thoriciens font driver le mot "droit" du latin directum, ce qui mne, par consquent,
au concept de diriger, donc ceux de regere (gouverner), regnum (le rgne) et rex (le roi). De
sorte que selon cette dfinition le droit est la normativit produite par le pouvoir.
Cette conception du droit n'est pas entirement fausse. En effet, selon sa pratique immdiate la
juridicit est produite par le pouvoir. Mais le pouvoir produit seulement la lgalit ou ce qui a
une validit. Donc, en dernire instance, ce qui tire son existence de la raison de la force.
De sorte que cette dfinition s'avre partielle ; car, la lgalit n'est pas en elle mme suffisante
sans la lgitimit. Par consquent, le droit renvoie une dimension autre que celle du simple
pouvoir. En d'autres termes, le pouvoir produit la lgalit, mais dans sa production normative
il a besoin de la lgitimit. Cela dit, cette catgorie n'est pas un facteur d'ordre empirique ; elle
est en rapport avec la dimension universalisante des valeurs.
manifestation de la loi des contraires. Donc, ce qui constitue le fondement mme de l'Etre en
tant que tel.
Les juristes romains taient conscients de l'importance de cette diffrence entre le droit public et
le droit priv. Pour eux le droit public se rapporte l'organisation de la chose publique (quod
ad statum rei romanae spectat) ; tandis que le droit priv concerne l'intrt des particuliers (ad
singulorum utilitatem).
4) Droit public
Le droit public se rapporte ainsi tout ce qui concerne l'organisation de l'Etat : son
fonctionnement et les services publics. A ce domaine appartiennent toutes les relations dans
lesquelles intervient l'Etat et ses dlgataires, comme les ministres, les dpartements, les
communes, etc.
C'est le droit public qui institue les organes de l'Etat et dtermine le droit et les devoirs des
fonctionnaires. Ceci, non seulement pour ce qui est de leurs attributions, mais aussi pour ce qui
est de leur statut. Par consquent, le droit public dtermine non seulement l'ordre du pouvoir,
mais aussi les attributions et les privilges de son personnel.
D'une manire gnrale le droit public arrte la situation des individus envers l'Etat. Ainsi, le
citoyen dans sa pratique politique est conditionn par le droit public. Il en est de mme pour ce
qui est du contribuable et du soldat.
Le droit dans sa totalit, en tant qu'ordonnancement juridique, est une pyramide normative et
implique une chane de validit. Au sommet de cette pyramide se trouve le droit public, lequel a
comme pice matresse le droit constitutionnel.
La constitution est le texte fondamental. Elle est, pour ainsi dire, le support immdiat de l'ordre
juridique. De sorte que le droit constitutionnel tablit la structure fondamentale de l'Etat : les
pouvoirs publics, les autorits qui les exercent et les principes qui conditionnent le
fonctionnement et l'existence de l'espace public. Le droit constitutionnel dtermine aussi le
rapport entre l'Etat et la socit civile et plus prcisment les sujets du pouvoir.
Au sens strict du terme, le droit constitutionnel dtermine l'ordre et le fonctionnement des
organes essentiels de l'Etat. Pour la thorie classique ces organes correspondent aux trois
fonctions principales de l'Etat, les trois pouvoirs : lgislatif, excutif et judiciaire.
De sorte que les fonctions premires de l'Etat sont celles de produire le droit, d'assurer son
existence et d'appliquer ses rgles. C'est le droit constitutionnel qui tablit cet ordre de la
production, de l'excution et de l'application du droit.
Gnralement parlant le droit public est compose de deux dimensions essentielles : le droit
constitutionnel et le droit administratif. Dans le droit constitutionnel il faut inclure non
seulement le texte fondamental dont nous venons de parler, mais aussi les lois organiques.
Donc, celles qui rgulent le fonctionnement des organes essentiels de l'Etat. Le droit
administratif est par contre celui qui rgule le fonctionnement des diffrents appareils de l'Etat
et des units sociales et conomiques considres par l'ordre juridique comme faisant partie de
l'espace public. Nous parlons dans ce cas de services publics.
Cela dit, les ramifications du droit administratif sont si vastes que certaines de ses branches
sont souvent considres comme des units plutt distinctes. C'est notamment le cas du droit
fiscal, du droit du travail et du droit disciplinaire. Le droit pnal est gnralement inclus dans
le droit public et fait partie, pour certains thoriciens, du droit administratif. Dans la pratique
c'est en effet l'Etat qui poursuit les criminels. C'est ainsi que le procureur (staats-anwalt, en
allemand) est considr comme le reprsentant de la socit et soutient l'accusation devant les
tribunaux. De plus, les enqutes sont faites par les juges d'instruction.
Cette rduction du droit pnal au droit administratif est toutefois particulirement
problmatique. En effet, il est vrai que certaines dterminations de la pratique pnale
concident, comme nous venons de le voir, avec le droit administratif, d'autres aspects lui
chappent, dans la mesure o la mission essentielle de l'Etat n'est pas seulement de garantir
l'ordre et la scurit, mais aussi de maintenir et de promouvoir la justice. C'est prcisment cette
dimension axiologique qui fait que le droit pnal ne peut pas tre rduit au droit administratif.
D'ailleurs, la raison d'tre du droit pnal, n'est pas la simple intimidation, ou bien
l'amendement du coupable, mais la ralisation de la justice. Ainsi lorsque la dimension thique
disparat des finalits d'un Etat, le droit pnal tend se rduire une fonction strictement
administrative. Seul alors compte le principe d'ordre au sein de la hirarchie sociale, le droit
pnal, partie du droit commun, se rapproche du droit pnal militaire. Donc de cette juridiction
o prime l'ordre hirarchique et la discipline au sein mme de cet ordre.
Pour ce qui est du droit pnal, il faut rappeler qu'il implique une procdure. Par consquent,
des rgles trs strictes qui constituent des garanties pour l'inculp. C'est ainsi que les dbats en
cour d'assises sont soumis un certain ordre et ne peuvent pas tre abandonns l'arbitre du
Prsident. La partie strictement administrative de la procdure, concerne l'instruction
criminelle.
5) Droit priv
Gnralement parlant le droit priv se divise en deux parties essentielles : le droit civil et le
droit commercial. Le droit civil est la branche du droit priv qui se situe au sein mme du nomos;
tandis que le droit commercial est la partie du droit priv qui correspond l'conomie mais qui
est rgl par le nomos.
Nous avons affaire ici un rapport particulirement significatif du droit et de l'conomie. Le
droit tant une dimension plus englobante, car il rgle l'conomie via le droit commercial et via
la monnaie. Car la monnaie (nomisma, de nomos loi) est un phnomne institu et donc un
produit du droit. Nous parlerons du rapport entre le droit et l'conomie (oikos et nomos) dans la
dernire partie de ce travail. Il s'agit ici seulement de relever le lien principal de l'imbrication de
ces deux manifestations de la moralit objective.
Cela dit, revenons la problmatique qui nous intresse ici : le fait 1) que le droit priv est cette
dimension du nomos qui correspond la socit civile, et 2) que le droit priv se divise en deux
parties essentielles : le droit civil et le droit commercial.
Le droit civil est la branche principale du droit priv. Il s'applique sans distinction tous les
membres de la communaut sociale. Le droit civil rgle : 1) les principaux faits et actes de la vie
humaine : naissance, majorit, mariage, dcs, etc.) ; 2) la situation juridique des sujets l'gard
de ses semblables (capacit civile, dettes et crances, etc.) ; 3) le rapport juridique des sujets
l'gard des choses (proprit, usufruit, etc.).
Par consquent, le droit civil se dcompose ainsi :
1) Le droit des personnes qui rgle les conditions de la personnalit (physique et morale) et de
la capacit juridique.
2) Le droit de la famille qui rglemente le mariage et le rapport entre les poux; ainsi que le
divorce et la sparation des corps. Il rgle aussi la situation des enfants soit lgitimes, soit
illgitimes, soit adoptifs, ainsi que leur rapport avec leurs parents et vice versa.
3) Les droits rels qui rglent les droits sur les choses : comme la proprit, l'usufruit, les
charges foncires, le gage etc. Ici se fait la distinction entre les biens immeubles (terrains,
btiments, fabriques) et les biens meubles, donc susceptibles de dplacement.
4) Le droit des obligations qui rglemente les rapports provenant d'une convention (contrat de
vente, de bail, d'assurance, etc.) ou d'un "acte illicite" ayant caus dommage autrui.
5) Le droit de succession qui rgle le sort des biens, des crances et des dettes de ceux qui
achvent leur parcours existentiel.
Comme nous l'avons signal plus haut, au droit civil - branche gnrale du droit priv s'oppose le droit commercial. Cette partie du droit priv tablit les rgles particulires aux
commerants et aux actes de commerce. Il rgle, par consquent, l'existence des socits
commerciales (socits anonymes, responsabilit limit, etc.) Le droit commercial rglemente
les effets de change (lettre et billets de change) et d'autres papier-valeurs, comme les chques,
les titres aux porteurs etc.
Les thoriciens du droit commercial en particulier, considrent comme droit civil, tout le droit
priv qui ne rentre dans le droit commercial. D'autres thoriciens du droit priv pensent qu'il y
a des branches qui n'appartiennent pas l'un ou l'autre domaine de cette division
fondamentale. C'est le cas notamment du droit maritime, du droit rural et du droit se rapportant
la proprit intellectuelle et industrielle.
Nous n'allons pas rentrer ici dans cette polmique. Il est toutefois vident que certaines
manifestations du droit priv tendent dpasser les dterminations de sa division
fondamentale, pour se projeter dans d'autres dimensions du droit. C'est ainsi qu'une partie du
droit maritime se rattache au droit commercial, lorsqu'il s'agit des pratiques marchandes non
concernes par le droit international priv. C'est le cas de l'affrtement, de l'engagement
d'quipage, etc. Une partie du droit maritime appartient cependant au droit administratif ; c'est
le cas de l'organisation des ports notamment.
Pour ce qui est de la procdure civile, certains thoriciens la rattachent, cause de la matire
qu'elle traite et des intrts qu'elle assure, au droit priv. D'autres thoriciens considrent par
contre - et avec raison nous semble-t-il que la procdure civile appartient au droit public. Ceci,
parce que la procdure civile dtermine les conditions auxquelles l'Etat subordonne la
protection accorde aux intrts juridiques. La procdure civile fait, par consquent, partie de ce
service public qu'est l'administration de la justice civile et commerciale.
Le droit priv, au sens strict du terme, concerne les relations des particuliers entre eux, lesquels
se trouvent sur un pied d'galit juridique, l'abri de toute ingrence de l'autorit publique.
Pour cette raison, nous disons que les droits civils sont ceux que reconnat et protge le droit
priv. C'est en vertu de ces droits qu'une personne est sujet de droits et d'obligations.
Les droits civils sont le fondement du principe d'individuation. Dans la tradition romaine seul
l'homme libre est sujet de ces droits. Comme nous le verrons plus loin, l'accomplissement de ce
principe se manifeste lorsque l'individualit est sujet des droits politiques. Par consquent,
sujet du pouvoir. Dans cette dimension toutes les individualits se situent sur un pied d'galit
par rapport au pouvoir. L'isonomia s'accomplit dans l'isocratia.
6) Le droit international
Le droit international s'appuie sur ces sujets de droit public que sont les Etats. La moralit
objective qui se concrtise dans ces institutions ne reste pas au niveau de ces particularits. Elle
se projette ncessairement au niveau international.
C'est prcisment cette dimension qui permet l'existence de la communaut internationale.
Donc d'une communaut rgle par des lois objectives, connue par chacun de ses membres,
lesquels sont conscients de la ncessit de ces rgles, car elles permettent d'assurer leur scurit,
tout en promouvant la justice au niveau international.
Il est important de tenir compte que les sujets du droit international sont les Etats civiliss.
Donc, ceux dont la ralit est conditionne essentiellement par l'existence de la civitas.
L'extension de ce phnomne, a pu, par consquent, permettre la ralisation d'une socit
internationale, conditionne par le droit. Plus prcisment, par une certaine force du droit et
non pas par le droit de la force.
La projection de la moralit objective au niveau international, s'est concrtise par la formation
d'institutions internationales. Tout d'abord par la Socit des Nations1 et prsent par
l'Organisation des Nations Unies, dont la Charte fut adopte San Francisco le 26 juin 1945.
L'existence de ces organisations implique dj un niveau de concrtisation trs lev du droit
l'chelle internationale. Ce droit est apparu tout d'abord sous la forme du jus gentium. Rome
reconnaissait un droit gnral propre au genre humain, diffrent du droit positif qui tait le jus
proprum de sa communaut sociale.
Au XVII Grotius considrait le droit international comme une morale rationnelle dcoulant de
la nature de l'tre humain et tant valable non seulement en temps de paix, mais aussi en temps
de guerre. Certains thoriciens considrent que le droit international est plus une simple morale
qu'un droit. Ceci cause du fait que, pour eux, le droit est l'ensemble de normes imposes et
soutenues par l'Etat. De sorte que seule l'existence d'un Etat international pourrait permettre,
dans cette dimension, la manifestation effective du droit.
1
Cre en 1919.
Cette interprtation est le rsultat du ftichisme de l'Etat, considr en lui-mme et par lui-mme
comme source de valeur. Le fait est qu' partir de cette position on ne peut pas expliquer
l'existence du droit international. Lequel est, notre poque historique, un phnomne
incontestable. Nous avons, en effet, actuellement une organisation internationale (O.N.U.)
comprenant toutes les nations indpendantes, ainsi qu'un Tribunal International de Justice.
Il est vrai que le droit international n'a pas la mme efficacit que les droits positifs internes.
Mais, il joue un rle qui ne saurait tre sous estim. Cela dit, le support fondamental du droit,
en tant que tel, est la conscience du fait que le droit doit tre la manifestation pratique de la
justice et que la lutte pour la justice passe ncessairement par la lutte pour le droit juste. Le
devoir-tre, comme nous le montrerons tout au long de cet crit, est consubstantiel l'ontologie
de ce savoir axiologique qu'est le droit. Le progrs dans la dimension axiologique du droit est la
condition mme du progrs social de l'humain.
Cela dit le droit international se divise, tout comme le droit interne, en public et priv. Le droit
international public rglemente les devoirs et les droits des Etats, l'gard les uns des autres ; il
dtermine aussi les limites de leur souverainet.
Le droit international public tablit aussi les statuts des organes par lesquels les Etats sont en
relations mutuelles, comme les reprsentations consulaires et diplomatiques. Ce droit envisage
aussi les conflits entre les Etats, soit pour prvenir la guerre en cherchant une solution arbitrale
ou l'amiable, soit en tablissant des rgles visant humaniser la guerre.
Le paralllisme qu'il y a entre le droit international public et le droit public interne se manifeste
aussi dans sa division. A prsent la plupart des thoriciens du droit international public
parlent volontiers de droit international constitutionnel et de droit international administratif.
La partie constitutionnelle correspond l'organisation rgionale et globale de la communaut
internationale. Le droit international administratif rglemente quant lui, le fonctionnement
interne des institutions internationales.
Ce paralllisme dont nous venons de parler entre le droit international et le droit interne se
manifeste aussi dans et par l'existence d'un droit pnal international. Il est vrai que ces
branches ne sont pas aussi dveloppes, au niveau du droit international, que dans la partie
strictement publique. Mais, il y a une lgislation significative concernant le droit pnal
international. Il y a, en effet, des accords entre les Etats, conclus pour rgler la rpression des
dlits qui se perptuent sur le terrain international. C'est notamment le cas de la piraterie et du
trafic de stupfiants.
L'extradition, c'est--dire la remise d'un dlinquant par le pays o il a t arrt, l'Etat
comptent pour le juger, fait partie de la procdure pnale. Quoi que les accords d'extradition,
ainsi que l'assistance mutuelle des polices, fassent partie du droit international public. Nous
nous trouvons ici encore avec une convergence du droit pnal et du droit public.
Pour ce qui est du droit international priv il concerne aussi, tout comme le droit priv interne,
le civil et le commercial. C'est ainsi que pour ce qui est de ce dernier, un commerant domicili
en France achte ses chaussures un fabricant espagnol. En cas de contestation, quel droit doit
prvaloir, le franais ou l'espagnol ? C'est au droit international priv qu'il incombe de donner
une rponse. Il en est de mme pour ce qui est du droit civil. En effet on peut se trouver devant le
cas suivant : un mexicain peut mourir en France aprs avoir test aux Etats Unis. Se pose ds
lors la question de savoir lequel des droits mexicain, amricain, ou franais doit s'appliquer
la validit de son testament et de son excution ?
Dans ce domaine il n'y a pas beaucoup de rgles. Il est toutefois reconnu comme principe
gnral, au niveau du droit international priv que les immeubles sont rgis par la loi du pays
o ils sont situs. Ainsi, l'existence de rgles gnrales, a permis le dveloppement d'une
jurisprudence significative dans ce domaine et, par consquent la convergence des pratiques
juridiques entre les nations. Comme on peut aisment le comprendre cette convergence est
d'autant plus importante que les rapports et la circulation entre les nations s'acclrent. C'est
notamment le cas pour la communaut europenne.
8) La loi
La loi est la norme impose directement par l'Etat. Au sens strict du terme, la loi est le droit crit,
le jus scriptum. Ainsi, la loi se manifeste comme la normativit produite par le pouvoir public
comptent.
Le droit constitutionnel de chaque Etat dtermine les formes auxquelles est subordonne la
validit de la loi : organe comptent et procdure adquate. Le principal organe de production
normative est le pouvoir lgislatif. Dans certaines conditions, le texte fondamental autorise la
dlgation de la comptence lgislative, par le pouvoir lgislatif au pouvoir excutif.
2
10
Dans la tradition du droit romain sont reconnus comme loi : les accords des assembles
populaires (leges et plebiscita), les dcisions du snat (senatus consulta) et les ordres manant des
empereurs (constitutiones principis). A l'poque actuelle le terme de loi englobe notamment la
constitution, les codes, les traits internationaux, les arrts, les ordonnances et les rglements.
Par consquent le terme de loi comprend toute rgle juridique formule par crit en vue de
l'avenir. La loi dpasse ainsi la porte d'un acte administratif.
Ceci veut dire que au sens strict du terme la loi est une rgle mise pour un nombre indfini de
cas futurs. Dans cette conception ne sont pas considres comme lois les dcisions prises par le
pouvoir lgislatif en vue d'un cas particulier, comme le vote d'un budget, l'octroi d'un crdit et
une nomination. Cela dit, certains thoriciens contestent cette conception traditionnelle. Pour
eux, en effet, toutes les dcisions prises par le pouvoir lgislatif sont en principe des lois.
D'un point de vue strictement juridique la loi doit tre dans sa positivit valide, lgitime et en
dernire instance efficace. La validit d'une loi est dtermine par le texte fondamental. Comme
nous venons de le signaler la validit dpend de l'organe comptent et de la procdure
adquate. La lgitimit est donne par la conformit l'esprit et a la lettre de la constitution. Le
contrle de la constitutionnalit des lois permet d'assurer l'harmonie logique de l'ensemble
lgislatif.
Cette preuve de lgitimit et, plus prcisment, sa possibilit pratique, est une dimension
indispensable de la norme juridique non seulement en vue de l'accomplissement de rgles,
mais aussi pour la cohrence de l'ordonnancement juridique. La constitution domine
l'ensemble du droit positif d'une nation. Elle est le sommet de la pyramide normative. Assurant
ainsi la chane de validit et de lgitimit. Cette charte fondamentale mane normalement d'un
pouvoir constituant diffrent du pouvoir lgislatif ordinaire.
L'efficacit de la loi, quant elle, dpend de la pratique. Lorsqu'une loi tombe en dsutude
nous disons qu'elle cesse d'tre efficace. Pour la sociologie du droit, l'efficacit est la dimension
essentielle. Car ce qui compte du point de vue social c'est le degr d'efficacit et de non-efficacit
d'une loi et plus forte raison de l'ensemble d'un ordonnancement juridique.
9) La coutume
L'ensemble des usages pratiqus par une communaut est ce que nous appelons la coutume.
Ces pratiques sont juridiquement valables lorsque la collectivit les considre comme
obligatoires. La coutume est ainsi le droit cr par les moeurs, le jus moribus constitutum.
L'ancien droit franais tait, comme on le sait, essentiellement coutumier. Ceci tait aussi vrai
pour les autres nations europennes pour toutes les socits connaissant un niveau significatif
d'individuation. Le droit coutumier reposait alors sur trois critres essentiels : premirement,
l'observation uniforme d'une rgle l'intrieur de la communaut sociale, o se trouvaient les
intresss ; deuximement, l'anciennet de cette pratique et, troisimement, la rgle devait tre
considre comme obligatoire dans le milieu concern.
La coutume est source de droit non seulement dans le droit priv, mais aussi dans le droit
public. C'est ainsi qu'en France les "dcrets-lois" ont vu le jour sous la troisime Rpublique
dans l'entre-deux guerres. La ncessit du moment a conditionn cette pratique non prvue par
les textes constitutionnels.
La coutume est aussi une source juridique trs importante dans le droit inter national public.
On peut mme dire qu'elle est la source dominante. C'est la raison pour laquelle l'tude de
l'histoire est si importante l'intrieur de cette discipline.
La seule branche du droit o la coutume n'est pas source de cration juridique c'est le droit
pnal, et ceci l'poque moderne. La raison de ce phnomne est le principe qui domine le droit
pnal. En effet, le principe nulla poena sine lege, donne le monopole la loi. De sorte qu'aucun
acte ne peut tre considr comme un dlit, s'il n'est pas condamn par une disposition lgale.
Toute peine est prononce en vertu d'une rgle lgalement tablie.
Ce principe permet ainsi de protger l'individu contre l'arbitraire. De sorte que le juge ne peut
invoquer aucune rgle traditionnelle qui ne soit pralablement intgre dans la lgislation.
11
Certains thoriciens, inspirs principalement par l'cole historique allemande, considrent que
la coutume est plus authentique et plus prs de l'idal de justice que la loi. La coutume est
perue comme le produit du Volksgeist, de l'esprit du peuple. Or, cette thse ne tient pas compte
du fait que le peuple n'est pas une ralit neutre, mais plutt un ensemble organis. De sorte
que ce qu'exprime son esprit, est la logique de son mode d'tre : de son ordre.
La tradition n'exprime pas uniquement des valeurs positives dans leur dimension
universalisante, comme le croit la belle me romantique. C'est bien plutt l'troitesse du
particulier qui s'y manifeste. Donc, la ngation de la dimension universalisante de tout tre
humain. La loi du lynch, appliqu essentiellement aux noirs, dans le pass des Etats Unis,
ainsi que l'excision, la mutilation du sexe fminin, pratique dans certains pays de l'Afrique,
sont des usages, parmi tant d'autres horreurs, qui nous montrent jusqu' quel point la coutume
peut vhiculer la perversion humaine.
Il ne s'agit pas, par consquent, d'hypostasier une source du droit par rapport aux autres. Par
consquent, il est important de comprendre qu'il n'y a pas, comme nous le souligne Gurvitch,
un foyer unique de cration du droit, mais plusieurs foyers. La substance thique de l'humain
tend s'objectiver essentiellement travers) l'Etat, les moeurs et la sagesse juridique transmise
depuis l'aube de la civilisation.
12
Cela dit, l'intuition axiologique n'est pas reconnue par certains ordonnancements juridiques
comme source de droit. C'est notamment le cas de l'ordre juridique franais. Nous savons, en
effet, que dans la tradition du droit napolonien le juge est cens tre le simple porte-parole du
droit crit. Ceci, au nom de la garantie juridique et pour viter toute forme d'arbitraire.
Nous nous trouvons ici devant un problme doctrinal de premier ordre. Mais, avant de poser
cette problmatique il est ncessaire de comprendre que ce phnomne est intimement li
l'historicit franaise. Il ne faut pas oublier, en effet, que dans l'Ancien Rgime le juge tait
propritaire de sa charge. Le systme des offices, de la vnalit des fonctions publiques, faisait,
par consquent, que pour le juge cette fonction tait son entreprise. De sorte qu'il avait tout
intrt en tirer le maximum de profit.
Cette perversion fut la consquence, de l'ordre institutionnel propre l'Ancien Rgime. Selon
cet ordre, comme nous venons de le signaler, la res-publica a t l'objet de l'appropriation prive.
Ce qui est contraire aux principes et la raison d'tre de cet espace. Aristote nous dit, ce
propos, qu'il s'agit d'organiser la fonction publique de telle sorte qu'elle ne soit pas source de
profit. Or, dans ce rgime nous avons affaire non seulement la vente aux enchres des charges
publiques, mais aussi au fait qu'elles sont l'objet de transmission par hritage.
Dans la pratique juridique cette perversion 4 ne pouvait que produire le rgne de l'arbitraire.
C'est par rapport cette immoralit objective qu'il faut comprendre la raction des
rvolutionnaires et de leurs hritiers. Plus prcisment la volont de crer un systme juridique
particulirement totalisant et ne laissant pas de place l'arbitraire.
La raction la perversion de l'Ancien Rgime a t elle mme pervertissante. Ceci dans la
mesure o d'un ct, elle va appauvrir la rflexion sur le droit et sur son rle social, et o de
l'autre elle va nier le rle axiologique du juge.
L'appauvrissement de la rflexion sur le droit, trouve sa plus haute expression dans l'cole de
l'exgse. Dans la tradition juridique franaise, en effet, il ne s'agit pas de rflchir par del la
positivit des textes. La seule approche possible est celle du commentaire de la lettre de ces
textes. Ce n'est donc pas un hasard si la philosophie du droit est pour ainsi dire inexistante
dans la production thorique franaise.
Cette troitesse dans la perception du droit, ne pouvait que conduire la ngation de l'intuition
axiologique du juge. Son rle tant limit l'application pure et simple de la loi. Donc, la
disparition de l'quit.
La sagesse vhicule par la doctrine nous dit, en effet, que l'application du droit le plus strict
est la plus grande injustice. De l l'adage latin : Summum jus summa injuria.
Mais par del cette perversion, se profile le rle instrumental du droit positif : faire rgner
l'ordre social, et donc des systmes d'extrme ingalit sociale, o les privilges sont
juridiquement protgs. Le droit se manifeste ainsi comme un simple ordonnancement
rglementaire ayant comme but le maintien et la protection de l'injustice sociale.
11) La doctrine
Le fondement doctrinal du droit a t le produit des juristes romains. Ces personnalits,
appels prudentes, commentrent le droit de leur poque et crivirent des traits et des
monographies, o ils dvelopprent la logique et les principes du droit.
Dans la tradition romaine cette oeuvre constitue la doctrine du droit, le jus prudentibus
constitutum. Le monument le plus important de cette doctrine c'est la compilation tire des
principaux crivains de la juridicit romaine : le Digeste de Justinien.
Le Digeste se redcouvre en occident en 1.070, aprs une priode d'effacement de cette
manifestation de la moralit objective. Cette renaissance du droit romain se fait plus
13
12) La jurisprudence
La jurisprudentia tait chez les romains synonyme de science de droit. Ceci pour plusieurs
raisons : premirement, parce que les jurisconsultes taient appels jurisprudentes, ou
simplement prudentes. Deuximement, parce que la pratique du juriste consiste essentiellement
14
15
La simple jurisprudence, par elle mme, ne permet pas de garantir la ralisation de la justice
concrte. La jurisprudence peut, comme nous le montre l'histoire des temps ngatifs, tre un
instrument de reproduction de l'injustice objective. La dimension axiologique est non
seulement un des fondements du droit, mais aussi son devoir-tre.
16
De sorte que le rapport de droit se prsente immdiatement comme une relation entre deux
sujets. L'un est, par consquent, en droit d'exiger de l'autre l'accomplissement de son devoir
juridique.
Nous pouvons, ds lors, parler de rapport entre sujets, dont l'un est actif et l'autre passif. Le
rapport de droit est, par consquent, en droit d'exiger de l'autre l'accomplissement de son
devoir juridique.
Nous pouvons, ainsi , parler de rapport entre sujets, dont l'un est actif et l'autre passif. Le
rapport de droit est, en effet, un rapport entre personnes. Par consquent, le sujet actif est le
titulaire d'un droit, tandis que le sujet passif est l'oblig.
C'est ainsi que dans le droit de proprit le sujet actif est le propritaire, tandis que les sujets
passifs sont toutes les autres personnes y compris les autorits de l'Etat. Le sujet passif doit,
dans ce cas, s'abstenir de porter atteinte au droit du sujet actif.
Nous venons de donner deux exemples diffrents ; lesquels nous dvoilent que les sujets
peuvent tre simples et multiples. Il peut, en effet, y avoir plusieurs sujets actifs et plusieurs
sujets passifs. De plus, les personnes, sujets du rapport de droit, peuvent tre physiques et (ou)
morales. Car on peut devoir de l'argent non seulement une personne, mais une banque, etc.
De mme que le sujet de la proprit peut tre, une individualit, une socit anonyme, une
ville, un ministre, etc.
17
obligations. Cette facult est aussi reconnue aux personnes morales ou juridiques. Ces
personnes sont des entits produites par l'objectivation du droit.
Les rapports de droit propres aux personnes juridiques sont ceux qui ont une partie
conomique et administrative. C'est ainsi qu'une socit anonyme ou une commune peuvent
tre propritaires, acheter, vendre et s'engager juridiquement. Il est vident que tous les droits
insparables de la personne physique, comme le droit de la famille et la possibilit de tester
sont trangers aux personnes juridiques. Par contre, la responsabilit pnale est reconnue ces
sujets. Quoi que la sanction ne puisse consister ici que dans une amende.
Les personnes juridiques peuvent tre de deux sortes : les institutions de droit priv et les
institutions de droit public. Dans un cas comme dans l'autre, la personnalit est le rsultat de la
ralisation des conditions poses par le droit positif.
Par consquent, en droit priv tout groupe de personnes physiques ne constitue pas une
personne juridique. Pour une socit anonyme, par exemple, l'inscription au registre du
commerce est ncessaire. En tout tat de cause la personne juridique est un sujet diffrent des
membres qui la composent. Ces actes, par exemple, nengagent pas personnellement ses
membres. Son fonctionnement et son action dpendent d'un organe directeur compos d'un ou
plusieurs membres. De plus, c'est cet organe - Conseil d'administration, direction gnrale, etc. qui gre les affaires des socits.
Les institutions de droit public sont des entits juridiques comme les Etats et les communes. Ces
institutions ont des organes politiques et administratifs qui agissent en leur nom. La
comptence de ces organes est dtermine par le droit public. Au niveau international il y a des
institutions qui sont rgles par le droit international. C'est principalement le cas de
l'Organisation des Nations Unies.
Les institutions de droit priv comme de droit public sont des manifestations de l'objectivation
du droit. Par consquent, l'existence, le fonctionnement et les pouvoirs des personnes
juridiques sont dtermins par le droit positif. Plus prcisment, les sujets du droit - les
individualits, comme les personnes juridiques - sont la concrtisation de la moralit objective.
L'accomplissement de leur manifestation universalisante est le rsultat du degr d'objectivation
de cette moralit, ou de ce qui est la mme chose : la raison.
18
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droit positif lui-mme. La sociologie, de son ct, permet le rapport avec le problme de
l'application, de l'efficacit et de la valorisation de la juridicit elle-mme. La philosophie du
droit, quant elle, se manifeste comme la connaissance accomplissante du droit, car elle
prsuppose le rapport entre l'tre et le devoir-tre du droit et donc la relation des normes et des
valeurs dans le sens le plus totalisant.
De plus, pour la tendance anti-dogmatique il s'agit de lutter contre la limitation de la
connaissance du droit sa seule normativit immdiate. Par consquent de surmonter le
caractre born, parce que limit, de cette connaissance. Pour cette position thorique il s'agit de
comprendre qu'en de de la dimension formelle de l'ordre juridique il y a une historicit et un
support effectif qui s'appelle ordre institutionnel, et que par del cette formalit, il y a la
dimension axiologique du droit : la manifestation de son devoir tre.
Par consquent, pour cette cole le systme juridique n'est pas un simple instrument de contrle
social ; il est aussi un facteur de changement de l'ordre donn, en vue de la ralisation de la
justice sociale. Pour cette raison, la position anti-dogmatique ne peut que considrer comme
hautement problmatique la thse de J. Austin, selon laquelle la science juridique - ou la science
de la jurisprudence, comme disent les anglo-saxons - ne doit s'occuper que des lois positives,
sans se proccuper de savoir si elles sont bonnes ou mauvaises.6
A partir de ce qui vient d'tre dit, la raison pour laquelle la philosophie du droit se manifeste
comme critique de la dogmatique juridique apparat clairement. En effet, le but de la
connaissance effective est, pour la philosophie critique, le dvoilement de l'ordre du monde et
non pas sa sauvegarde, par la limitation du savoir.
Il faut tre conscient de plus, que cette limitation est tablie par rapport une ralit somme
toute relative. Car comme l'a signal Kirchmann, les juristes considrent comme absolue une
ralit qui est particulirement changeante. De sorte que la contingence de l'objet de ce savoir, le
rend lui-mme contingent. Parfois, souligne Kirchmann il suffit de la rectification de trois mots
par le lgislateur pour convertir des bibliothques entires en poubelles.7
Cela dit, il ne s'agit pas ici de chercher a invalider le rle de ce qu'il est convenu d'appeler la
science juridique. La connaissance de ce phnomne est essentiel. Le praticien du droit doit tre
toutefois conscient que l'instrument de sa pratique n'est pas neutre. Mais, pour qu'il puisse
arriver ce niveau de conscience, il est indispensable qu'il ait la possibilit de saisir la totalit
de ce phnomne. Pour cela, l'histoire, la sociologie et surtout la philosophie du droit
constituent les chemins indispensables pour parvenir une saisie totalisante de la juridicit.
La fermeture formaliste, propre la dogmatique juridique, tend, comme nous l'avons soulign,
supprimer ces chemins comme non-pertinents la connaissance scientifique. Pour la position
anti-dogmatique, par contre, il ne s'agit pas de nier l'importance de la normativit juridicopositive, il est tout simplement ncessaire d'largir son champ visuel : de surmonter la myopie
intellectuelle du dogmatique.
Par rapport cette problmatique, il est indispensable de signaler que la dogmatique juridique
joue un rle de conditionnement factuel de premier ordre. En effet, travers elle et cause d'elle,
l'tudiant de droit ne tient compte que de la normativit pose par l'ordre, en tant que positivit
existante. Ce conditionnement lui permet d'avoir la mme attitude par rapport tout autre
ordre juridique. Ceci explique que des tudiants originaires des socits o l'injustice sociale est
particulirement flagrante, soient capables de faire des tudes juridiques dans des socits plus
niveles et moins injustes et que ces tudes n'ont pas une incidence critique lorsqu'ils
retournent dans leur pays d'origine pour exercer. Le dogmatisme juridique tend conditionner
au respect de l'ordre institutionnel existant quel qu'il soit. Car par dessus toute diffrence dans
Rappelons que J. Austin est considr dans le monde anglo-saxon, comme un des plus
importants thoriciens des sciences juridiques. Ce jugement se trouve dans son travail The
province of jurisprudence determined, publi pour la premire fois en 1822.
7
Cette critique a t faite par Kirchmann dans une confrence prononce en 1848 et publie
sous le titre de Die Wertlosigkeit der Jurisprudenz als Wissenschaft : Le Manque de valeur de
la jurisprudence comme science.
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l'ordre de la positivit, seules comptent, pour cette cole, les normes en vigueur, formellement
valides et pour autant qu'elles ne cessent pas de l'tre.
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Ce n'est qu'une fois que le juriste a ralis cette analyse textuelle qu'il peut se poser la question
de l'intention du lgislateur. Comme on le sait "l'intention du lgislateur" est une fiction
juridique, car le lgislateur n'est pas une personne unique. C'est gnralement une assemble
compose de nombreuses ttes, avec des intentions souvent trs diffrentes. Ceci, lorsqu'il ne
s'agit pas d'un groupe de juristes et des technocrates appartenant un ministre donn. Cela
dit, la non existence d'un lgislateur unique n'exclut pas l'unicit et la cohrence de
l'ordonnancement juridique. Cette unit n'est pas un simple postulat logique comme le pensent
certains thoriciens, mais un fait sociologique de premier ordre.
De telle sorte que l'appel l'intention du lgislateur" est une fiction qui renvoie la logique
juridique de l'ordre dont il est question. Cet ordre, comme nous le verrons plus loin, d'une
manire plus prcis9 n'est pas seulement formel ; il est avant tout institutionnel. La logique
interne d'un ordonnancement positif donn est pour ainsi dire intrioris dans la conscience
du praticien. Ses tudes juridiques, ainsi que le rapport professionnel avec l'ordonnancement
positif du monde ou il est inscrit, lui permettent prcisment d'intuitionner la logique de l'ordre
dont il est question. C'est la raison pour laquelle la doctrine nous dit propos de cette fiction
que toute rgle de droit participe de l'unit logique du corpus auquel elle appartient. En
d'autres termes, c'est le postulat logique de l'unit de l'ordonnancement juridique. Si bien que
toute rgle de droit est claire par et fait corps avec toutes les autres rgles juridiques en
vigueur.
L'interprtation logique quant a elle, est celle qui renvoie a l'conomie gnrale de la loi, c'est-dire a son plan. La place qu'occupe un article dans un document lgislatif, peut permettre
d'claircir la logique du texte en question. Pour cette technique d'interprtation, les parties d'un
document lgislatif, comme le titre et le sous-titre sous lequel est rang un article donn,
peuvent tre importants, voire dterminants, pour l'apprciation de sa signification.
Par del l'interprtation formaliste du praticien se situe la lecture du thoricien, dont le but
comme nous l'avons vu, est la construction d'institutions et de concepts.
juridiques, ainsi que la systmatisation des diffrentes parties de l'ordonnancement juridique.
Ce travail thorique implique une laboration doctrinale et fait intervenir d'autres modes
d'interprtation. Il semble ncessaire de ranger, jusqu' un certain point, dans cette forme
d'hermneutique juridique, l'interprtation judiciaire qui est la base de la jurisprudence. En
effet, dans l'oeuvre de jurisprudence, les tribunaux ne se contentent pas d'une simple lecture
formaliste. Comme les thoriciens, les tribunaux qui font acte de jurisprudence, font intervenir
d'autres modes d'interprtation. Particulirement l'interprtation historique. L'interprtation
systmatique est, par contre, plus l'oeuvre des thoriciens eux mmes.
L'interprtation historique est le rsultat d'une recherche aux sources mmes de la production
du texte juridique dont il s'agit. Cette recherche met ainsi en rapport le texte avec le contexte qui
a conditionn sa naissance. Pour se faire, on exhume les projets qui ont prcd la naissance de
la loi en question. On compare ainsi ces projets au texte dfinitif, pour saisir dans quel sens le
pouvoir lgislatif entendait lgifrer. Les procs-verbaux et les rapports des commissions
d'experts sont aussi importants pour claircir le sens du texte. La connaissance des dbats
plniers qui ont prcd l'adoption de la loi, sont aussi trs importants pour atteindre ce but.
Au sens strict du terme, l'interprtation historique des textes de loi, rentre encore dans l'horizon
de la science juridique. Par contre, l'interprtation systmatique se situe, pour une grande
partie, en dehors. En d'autres termes, l'interprtation historique renvoie aux sources de la
production positive immdiate, tandis que l'interprtation systmatique fait appel des
domaines extrieurs aux sciences juridiques, comme la philologie et l'analyse du langage.
Cela dit, l'interprtation systmatique contient comme moment essentiel, l'interprtation
logique. Donc, celle qui renvoie la logique immdiate d'un ordre juridique donn, ou la
logique de la doctrine juridique. Plus prcisment, aux fondements de la logique juridique, ou
la sagesse juridique, telle qu'elle se trouve exprime par ses maximes et ses adages.
Au chapitre suivant
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5) L'application du droit
Lorsque nous parlons de l'application du droit, nous devons tenir compte qu' l'intrieur de ce
processus il y a deux organes qui interviennent. Premirement, les organes qui se chargent de
dterminer quelles sont les normes qui sont applicables des cas particuliers et d'ordonner les
excutions ; deuximement, l'organe charg de l'application physique des peines.
Nous avons, par consquent, en premier lieu les juges et les tribunaux et en deuxime instance
la police et les autorits pnitentiaires. De sorte que les juges doivent interprter la loi pour
l'appliquer. De ce point de vue, le pouvoir judiciaire est le moyen terme entre les organes de
production et les organes d'excution.
Par consquent, par del la dimension de l'interprtation, se pose le phnomne de
l'application du droit. Pour la dogmatique juridique ce processus ne prsente pas, pour ainsi
dire, de problme. Le juge doit se tenir la norme et l'appliquer selon la thorie de la
subsomption. En tout tat de cause le juge ne peut pas refuser le jugement. En effet, tous les
systmes juridiques modernes expriment ce qu'il est convenu d'appeler le principe de plnitude
de l'ordre juridique. Selon ce principe tous les juges et tribunaux ont le devoir inexcusable de
rsoudre tous les cas qui se prsentent eux. Pour se faire, ils doivent se rapporter aux
systmes de sources reconnus par chaque ordre juridique. De plus cette exigence est soutenue
pnalement, car le juge qui se refuse juger est condamn du dlit de prvarication.
Comme nous l'avons vu, les thories de l'interprtation permettent au juge de connatre le sens
de la loi. En tout tat de cause il ne lui est pas ncessaire d'tre trs vers dans les techniques de
l'hermneutique juridique. La simple lecture des textes correspondant au cas qui l'occupe lui
permet de se prononcer. En tout tat de cause, la pratique du commentaire des textes juridiques
lui donne accs au sens premier de la loi.
La dogmatique juridique lui a permis, en plus, de connatre la thorie de la subsomption. Selon
cette thorie, en effet, l'application du droit est le rsultat d'un syllogisme. La prmisse majeure
tant constitue par la norme juridique applicable au cas soumis au jugement ; la prmisse
mineure tant constitue par les faits du cas dont il s'agit. De sorte que la conclusion s'obtient
par la subsomption de la prmisse mineure la prmisse majeure : le fait concret la norme.
Pour mieux expliquer la thorie de la subsomption, nous allons supposer un cas d'homicide. Le
fait qu'A a tu B. La loi peut dire ce propos : celui qui tue un homme est condamn 10 ans de
rclusion (prmisse majeure). Ainsi, comme A a tu B (prmisse mineure, constitu par les faits
qui rsultent du cas concret), par consquent, A doit tre condamn a 10 ans de rclusion. Cette
conclusion est le rsultat de la subsomption de la prmisse mineure a la prmisse majeure.
Comme on peut aisment le comprendre, la dogmatique juridique traditionnelle introduit une
figure non ncessaire dans le processus d'application du droit. On dirait que cette figure permet
de dclencher les automatismes de l'application. Le juge tant considr par cette dogmatique
comme un simple instrument d'application du droit.
Pour Aristote, la diffrence entre la norme et le fait ne doit pas se rsoudre travers une
quelconque figure syllogistique qui mne, dans la pratique au nivellement des deux termes.
Aristote nous apprend, en effet, que la norme est une catgorie gnrale, tandis que le fait est un
25
phnomne particulier. De sorte que pour lui, le rle du juge est d'adapter le gnral au
particulier, au moyen de l'quit.
Le dogmatisme dans l'application du droit commence s'roder au dbut de notre sicle. Un
des mouvements le plus significatif est celui du Freirecht, du droit libre. Ce mouvement a t
dclench par Kantorowicz en 1906, avec son manifeste intitul : Der Kampf um die
Rechtswissenschaft, La Lutte pour la Science du Droit.
La caractristique fondamentale de ce mouvement, est la rvolte contre le ftichisme de la loi et
l'instrumentalisation du juge. Ainsi, contre le despotisme de la dogmatique juridique,
concrtis dans la thorie de la subsomption, ce mouvement se prononce pour la libre
dcouverte du droit et de la justice.
En d'autres termes, le mouvement du droit libre de tout dogmatisme prconise, dans
l'application du droit une apprciation, pour la part du juge, des intrts en prsence. La
jurisprudence des concepts devait ainsi laisser la place la jurisprudence fonde sur la pese
des intrts. Ce mouvement oppose la dogmatique tablie le vieil adage : Summum jus,
summa injuria. Donc, le principe selon lequel l'application pleine de la loi est une injustice
suprme.
Ce mouvement revendique ainsi, sans le mentionner, le principe aristotlicien de l'quit : son
rle dans l'application du droit. Sous la Rpublique de Weimar le mouvement du Freirecht, va
s'exprimer dans la revue Die Justiz et prconise l'intuition de la justice comme lment
fondamental du jugement.
Comme on le sait, ce mouvement a t dissout lors de l'avnement du national socialisme. Dans
ces circonstances il n'tait plus question de lutter pour la ralisation de la justice en tant que
dimension universelle, mais plutt de concevoir le droit et l'Etat comme des instruments du
Fuhrerprinzip.
Pour le national-socialisme, en effet, l'Etat et le droit du peuple allemand, sont des
manifestations de sa communaut raciale. Donc, de sa spcificit de race suprieure et de
peuple ayant une culture litiste. Cette substance communautaire est, toujours selon la doctrine
national-socialiste, le support du Fuhrerprinzip. De telle sorte que l'Etat et le droit sont des
instruments la disposition du Fuhrer pour lui permettre de dfendre la puret raciale et
culturelle de ce peuple et de raliser sa mission dominatrice dans le monde.
Dans ces conditions le juge n'tait plus considr comme l'incarnation d'un
- la Justice -, mais comme l'instrument de la communaut sociale : de son tre et de son projet.
De telle sorte que dans l'application des normes positives le juge devait tenir compte qu'au
niveau des personnes juridiques - singulires ou collectives - il y avait deux sortes de sujets :
ceux qui taient protgs par les principes de la communaut et ceux qui n'avaient pas droit
autre chose qu' la ngation du droit.
En mars 1939 s'est runi Vienne le congrs juridique germano-italien. Dans ce congrs il a t
question du problme du droit et du juge au sein des socits fascistes. Il en a t dduit que le
juge tait toujours li par la loi, mais exigeait que l'interprtation et l'application du droit soient
inspirs par la nouvelle philosophie et non par les principes de l'individualisme. En d'autres
termes, l'interprtation et l'application du droit ou des normes positives des communauts en
question, ne devaient plus tre conditionnes par ce principe d'ordre universel, selon lequel
toute singularit est une manifestation de cette universalit que nous appelons le genre
humain.
Le droit nazi, plus que le droit du fascisme italien, se prsente ainsi comme une ngation de la
moralit objective. Ce droit ne se veut pas l'objectivation des principes d'ordre universel, mais
l'extriorisation de la substance de la communaut allemande.
La source de valeurs n'est plus, dans ce cas, l'universalit, mais la particularit (d'une
communaut sociale). A vrai dire, ce mouvement n'est pas le rsultat d'une simple
radicalisation de la particularit prise comme universalit, mais plutt la ngation de cette
universalit elle-mme. De sorte que l'mergence de cette particularit conqurante, en tant que
source de ses propres valeurs, implique la ngation de la dimension axiologique des autres
communauts sociales : du reste de l'humanit en tant que telle. Cette ngation se manifestait
26
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est telle que chaque ordonnancement possde sa propre logique.10 - Laquelle bien videmment
est dpendante de la logique de la juridicit en tant que telle.
C'est ce rapport de cohrence de l'unit particulire en elle-mme qui nous permet de parler de
structure normative. De la mme manire que la relation de cette unit avec le dveloppement
de la juridicit en tant que telle, nous permet de parler d'histoire du droit.
Cela dit, la question est prsent de savoir dans quelle mesure cette totalit est un tre achev,
ou en voie d'accomplissement. Comme nous l'avons soulign, du point de vue de la
dogmatique juridique le droit positif est une totalit accomplie en elle-mme. Or, l'histoire nous
montre prcisment le contraire : le simple fait qu'une positivit donne peut tre invalide par
un mouvement social qui structure son ordre suivant une logique diffrente. Dans sa
dimension historique prcisment, le droit est une manifestation de l'tre social. Il suit, par
consquent, la logique de cet tre qui se trouve dans un processus de changement, plus ou
moins significatif, tout en restant identique lui mme. Ce principe de l'identit explique, par
exemple, que toutes les formes de juridicit ont une structure normative de base. De sorte que le
principe d'identit garanti la continuit de cet tre dans sa propre logique et empche que les
manifestations particulires puissent se perdre dans leur propre diffrence.
A l'intrieur de cette logique de l'identit, il apparat tout fait clairement que la volont de
rupture d'une particularit par rapport aux principes de son universalit est en soi et pour soi
une perversion. C'est ce que nous montre prcisment le droit du national-socialisme. Que le
devenir-autre fasse partie de l'ontologie de l'tre social, voil ce que nous montre l'histoire. Mais
ce devenir-autre ne veut pas dire disparition du principe de la continuit de cet tre en luimme. Ce principe de la continuit ne se manifeste pas uniquement comme identit dans le
changement, mais comme volont d'identit, en tant qu'inertie sociale, d'un tre particulier en
lui-mme. En effet, toute ralit tend se maintenir gale elle-mme. Tout tre-l du social tend
redouter son devenir-autre : sa propre disparition. Pour cette raison tout tre-l du social tend
se donner la dimension de l'ternit, se prsenter comme tre accompli en lui-mme.
L'histoire nous le montre : aucun ordre institutionnel n'a accept de bon gr son propre
anantissement. Mais, le principe du devenir inscrit dans l'tre social est fait de telle sorte que
cette totalit se manifeste non pas comme un tre achev en lui-mme, mais comme un
processus d'accomplissement. Donc, comme un tre inachev.
Par consquent, c'est cette volont d'identit, en lui-mme, d'un ordre donn qui nous explique
son discours de totalit acheve. Mais, le non-tre ou ce qui n'est pas encore, se loge toujours au
sein de l'tre-l. Ceci cause du fait que l'tre social est en mme temps, au sein de son tre,
identit et inquitude de changement. De plus le novum n'est jamais une dimension trangre
la raison, car tout novum est novum du mme : de l'exprience humaine.
Cette problmatique nous renvoie la question de savoir pourquoi la dogmatique juridique
rejette les apports pouvant venir de la sociologie et de la philosophie du droit. En effet, la
dogmatique juridique ne cherche que des rponses l'intrieur de sa propre logique ; car, au
sein de sa propre logique c'est son ordre institutionnel qui s'affirme en lui-mme. Par contre, la
sociologie du droit, comme on le verra plus loin, pose le problme de la nature de l'ordre
institutionnel dans lequel une juridicit donne s'objective. La philosophie du droit, de son
ct, se prsente comme le discours critique du systme de valeurs et de l'ordre institutionnel
dans lequel une positivit donne s'objective.
10
Nous parlons ici d'unit logique et non pas d'unit axiologique. Celle-ci est donne par l'ordre
institutionnel lui-mme. Tout systme de lgalit prsuppose un systme de lgitimit. Dans
les systmes juridiques modernes les Conseils constitutionnels jouent prcisment ce rle
d'uniformisation axiologique, car ils veillent sur la constitutionnalit des lois. Le texte
fondamental - la Constitution - donne en effet les cadres rfrentiels de la production normative.
De ce point de vue, la lutte pour la constitutionnalit des lois, est une activit tendant a
sauvegarder la cohrence d'un ordonnancement en lui-mme. Par consquent, cette activit
tend maintenir l'unit d'un ordre institutionnel : d'un ordre social dans ses dterminations
essentielles.
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Ce n'est donc pas un accident si le positivisme juridique dans ses diffrentes manifestations, a
toujours rejet l'intervention de la sociologie et surtout de la philosophie du droit. Ce n'est pas
non plus un hasard si la philosophie du droit tend tre marginalise dans les tudes
juridiques. L'idal de la dogmatique juridique, consiste dans le fait que le praticien du droit ne
puisse penser autre chose qu'au rgne de la positivit normative. Donc, en rponse toute
question du praticien du droit elle dit : la loi et rien d'autre que la loi !
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avoir une ide exacte des divers membres de l'homme ou des rouages d'une machine si l'on ne
sait d'avance ce qu'est l'homme ou cette machine."15
L'ordre juridique se prsente ainsi comme une unit vivante qui tire son sens et sa lgitimit du
texte fondamental. Il apparat ds lors que le texte fondamental, pos par un ordre social, lui
permet de se reproduire en toute lgitimit. En effet, lorsque un ordre social pose dans un texte
constitutif la logique de sa lgitimit, il exprime par l mme la logique de l'tre qui assure sa
continuit. Cette logique tend se reproduire ainsi dans son ordonnancement juridique et lui
assure son unit. "En ce sens, quand on parle, par exemple, du droit italien ou du droit franais,
il n'est pas vrai qu'on pense seulement une srie de rgles, ni que se prsente son esprit
l'image de ces ranges de volumes que forment les recueils officiels des lois et des dcrets. Ce
quoi pensent les juristes et, plus encore, les profanes, ignorants des dfinitions du droit dont
nous parlons, est quelque chose au contraire de plus vivant et de plus anim : c'est avant tout
l'organisation complexe et diversifie de l'Etat italien ou franais, les mcanismes et engrenages
multiples, les rapports d'autorit et de force qui crent, modifient, appliquent, font respecter les
normes juridiques sans s'identifier celles-ci. En d'autres termes, l'ordre juridique ainsi
largement entendu est une entit qui, dans une certaine mesure, se conduit selon les normes
mais conduit surtout, un peu comme des pions sur un chiquier, les normes elles-mmes.
Celles-ci reprsentent donc plutt l'objet et mme l'instrument de son action qu'un lment de
sa structure. Sous certains angles, on peut mme dire que les normes apparaissent comme des
reflets des traits essentiels d'un ordre juridique. Certaines d'entre elles au moins peuvent mme
varier sans que ces traits changent ; fort souvent, le remplacement de normes par d'autres est
l'effet plutt que la cause d'une modification dans la substance de l'ordre".16
Cette longue citation de Romano, permet prcisment de situer la problmatique fondamentale
de son travail qu'il expose d'une manire magistrale. Plus prcisment que le droit n'est pas un
ensemble de normes, dont le but est de rgler le comportement des individus. Il s'agit bien
plutt d'un ensemble normatif qui rgule l'ordre social et institutionnel. C'est ainsi que
lorsqu'on pense un ordre juridique donn, celui de l'Afrique du Sud, pour prendre un exemple
bien caractristique, nous n'avons pas affaire une srie de rgles rgulant le comportement
des sud-africains dans leur ensemble, mais bien plutt l'ordre institutionnel et social de ce
monde.
Dans la totalit de cet ordre se manifestent, par consquent, les lois d'exclusions sociales. Le
fait, par exemple, que les noirs ne sont pas des citoyens, des sujets du pouvoir17. De plus,
l'ordonnancement sud-africain contient l'ordre de ses institutions, avec leurs hirarchies de
pouvoir, de privilges et de sincures.
C'est pour cette raison que Romano considre l'ordre juridique comme une entit. L'unit
drivant de, et tant constitue par le texte fondamental. Il ne s'agit pas, ds lors, de penser
l'ordre juridique ni comme un ensemble de normes, ni comme une totalit duale, ayant d'un
ct le rgne de la moralit minimale, le droit priv, et de l'autre le domaine du pouvoir : le droit
public. L'unit de l'ordre juridique exclut prcisment cette dualit.
Ainsi, l'acceptation des lois d'un monde, implique l'acceptation d'un ordre social. Ce n'est, ds
lors, pas un hasard si chaque fois que se produit une rupture l'intrieur d'une socit, nous
constatons le rejet de la lgalit existante par ceux qui se rvoltent.
Ce qu'expose de nouveau Santi Romano, c'est prcisment la thse selon laquelle le droit est la
mme chose que la totalit sociale. Plus prcisment, le droit est, pour lui, l'esprit de l'ordre
social. Il nous dit ce propos : "le droit n'est pas, du moins n'est pas seulement, la norme pose,
mais bien l'entit qui la pose. Le processus d'objectivation d'o rsulte le phnomne juridique
ne commence pas au moment de la production d'une rgle, mais un stade antrieur : les
normes n'en sont qu'une manifestation, une de ses multiples manifestations, un moyen par
quoi s'affirme le pouvoir de ce moi social dont il est question. Il n'est aucune raison de regarder
15
Op. Cit., p. 7.
Op. Cit., p.10.
17
Ceci avant la suppression de lApartheid, le 21 dcembre 1993
16
32
ce moi social comme l'origine du droit. Il est le droit lui-mme, et la norme n'est que
l'expression. Une de ses expressions, une de ses faons d'oprer pour atteindre ses fins."18
La thse fondamentale est, par consquent, de soutenir que le droit n'est pas un simple systme
de normes comme le prtend le positivisme, mais plutt la substance mme du social. Les
normes n'tant que l'expression de l'tre social. Donc, une des formes travers laquelle cet tre
social se manifeste.
Il est important de comprendre la nouveaut contenue dans la position de Santi Romano. En
effet, avant lui le phnomne juridique se manifestait tout d'abord comme un ensemble de
rgles ayant comme but la rgulation des comportements, par la suite il s'agira plutt d'un
systme de normes, relles parce que lgales. Le positivisme va ainsi se substituer la vision
traditionaliste, pourrait-on dire.
En effet, le positivisme ne regarde pas le droit comme un moyen pour rguler les comportements
des individus, mais comme une structure normative tant en elle mme relle. Le ct privatiste
de la thorie bhavioriste du droit est remplac par la position formaliste du positivisme.
Pour la thorie positiviste il s'agit non seulement de diffrencier l'tre du devoir-tre,19 mais
aussi de penser le droit en dehors de tout jugement extra-juridique. En ce qui concerne la
distinction entre l'tre et le devoir-tre, les positivistes considraient qu'une chose est le droit tel
qu'il est et une autre les idalits concernant le droit. Pour la conscience dite scientifique, seule
compte la ralit ; donc, ce qui est et non pas ce qui n'est pas. L'attitude scientiste exige, par
consquent, qu'on ne s'attache qu' la ralit. Seul le rel est objet de la rflexion.
De ce point de vue, le droit qu'intresse les spcialistes des sciences juridiques, ne peut tre
autre que le droit positif : le droit lgal. De plus il ne s'agit pas de rflchir le droit a partir de
catgories extra-juridiques. Par consquent, le droit doit tre analys en dehors de tout jugement
de valeur thico-politique et de toute rfrence l'ordre social dans lequel il se manifeste. De
sorte que le droit positif se prsente comme un phnomne autonome, dont la connaissance est
l'objet de la science juridique : une activit diffrente de l'thique et des sciences sociales.
Cette position doctrinale est, comme on peut aisment le comprendre, trs proche de celle de
l'cole de l'exgse telle qu'elle s'est dveloppe en France pendant le 19me et le dbut du
20me sicle. La diffrence tant que la thorie positiviste est plus labore, car pour l'cole de
l'exgse, comme nous l'avons signal, il s'agit tout simplement de commenter la loi ; et ceci,
non pas selon son esprit, mais selon sa lettre.
Cette laboration de la thorie positiviste a incontestablement atteint son niveau le plus lev
dans l'oeuvre de Hans Kelsen. Pour Kelsen, en effet, le droit est en systme de normes, c'est-dire des noncs, de formes trs varies, dans lesquels se manifeste le droit travers notamment
les lois et les jugements des tribunaux.
Pour le thoricien de l'Ecole de Vienne, le droit doit tre pens en dehors de toute contamination
idologique. Cette tentative de "purification" du droit fut exprim pour la premire fois en 1911,
dans Problmes capitaux de la doctrine de l'Etat. La Thorie pure du droit, fut quant elle
publie en 1934.
On peut donc dire qu'aussi bien pour l'cole positiviste, que pour l'cole de l'exgse, la science
juridique ne doit s'occuper que de lois positives, sans se proccuper de savoir si elles sont justes
ou injustes. En d'autres termes, pour ces thories du droit, jus et justitia sont deux concepts
indiffrents voire antithtiques.
Si nous tenons compte de ces positions qui exprimaient la thorie du droit de l'poque,
l'importance de la contribution de Santi Romano apparat vidente. En effet, il est vrai que le
thoricien italien ne pose pas le problme de la dimension thique du droit, il nous permet, en
tout cas, de dpasser le dogmatisme normativiste, le ftichisme de la loi.
Pour Romano le droit est autre chose qu'ordre formel. " Tout compte fait ", nous dit-il, "on est
toujours ramen au mme point de dpart. Ce qu'on appelle l'objectivit de l'ordre juridique ne
peut pas se rduire aux seules normes juridiques. Elle n'est pas sans rapport avec celles-ci et s'y
18
33
reflte mme, mais part toujours d'un lment logiquement et matriellement antrieur aux
normes et aboutit souvent des phnomnes qui ne se trouvent pas tous compris dans l'action
de poser les normes elles-mmes. Ce qui quivaut dire que celles-ci sont ou peuvent tre une
partie de l'ordre juridique, mais restent bien loin de l'puiser ".20
Cette dimension concrte de l'ordre juridique, n'est autre que l'ordre social. Lequel se reproduit
dans et par la juridicit et est produit par elle. La thorisation de Romano nous permet ainsi
d'aller au-del du formalisme comme ralit effective du droit, pour atteindre la totalit de son
objectivation.
Cela dit, du point de vue strictement formel le droit est une pyramide normative appuye sur
son sommet. La juridicit donne ainsi l'ordre partir duquel se reproduit la totalit du social.
C'est donc, l'intrieur de cet ordre qu'il s'agit de penser la reproduction matrielle. En effet, la
reproduction matrielle se ralise l'intrieur d'un ordre constitu. Lequel donne non
seulement la dimension individualisante des sujets du social, mais aussi l'ordre institutionnel
au sein duquel se ralise la reproduction matrielle.
De ce point de vue, le droit et l'conomie se manifestent comme deux faisceaux de forces
inverss l'un par rapport l'autre. Le droit a comme centre nergtique le sommet de la
pyramide, tandis que la puissance effective de l'conomie se trouve sa base.
34
Op. Cit., p. 19
Ibidem.
35
l, il apparat que le droit objectif ne peut jamais raliser l'exigence de l'universalit, car il est en
mme temps sa ngation. Cette dimension tant le rsultat du fait que le droit objectif est le
produit d'un ordre social dtermin. Mais, cet ordre, comme on le sait, n'est pas immuable,
ternel. De sorte que la lutte pour la justice passe par la lutte pour un ordre social conforme aux
exigences de la justice concrte. Nous parlerons plus loin de cette problmatique. Elle est, en
tout cas, au centre mme de cette rflexion, car la philosophie du droit est non seulement
critique du droit positif, mais aussi de l'ordre social qui est son fondement.
Mais, avant de passer au sous chapitre suivant, il est ncessaire de signaler et d'claircir que
pour nous, le concept d'ordre social n'est pas un substitut celui du mode de production, ou de
formation sociale, tel que Marx voulu le signifier. Pour l'auteur du Capital, en effet, un mode
de production est une structure dtermine, par des rapports de production et donc de
proprit. Ce sont ces rapports qui conditionnent la structure sociale.
Le capitalisme est pour Marx un mode de production, de la mme manire que l'est le
fodalisme et l'esclavagisme classique. Pour nous ce n'est pas la structure conomique qui est le
dterminant essentiel, mais plutt l'ordre social ; lequel se manifeste concrtement comme ordre
institutionnel, donc comme droit objectif. De sorte que l'ordre social se reproduit dans et par le
droit objectif : l'ordre institutionnel et l'ordonnancement juridique.
L'conomie est, quant elle, le support matriel du social dont le principe nergtique est le
droit. Cela dit, la dterminante englobante est le besoin que nous avons les uns des autres et qui
maintient la vie sociale. Aristote nous dit ce propos : "car, sans besoins, et sans besoins
semblables, il n'y aurait pas d'changes, ou les changes seraient diffrents. La monnaie est
devenue, en vertu d'une convention, pour ainsi dire, un moyen d'change pour ce qui nous fait
dfaut. C'est pourquoi on lui a donn le nom de nomisma, parce qu'elle est d'institution, non pas
naturelle, mais lgale (nomos : loi), et qu'il est en notre pouvoir, soit de la changer, soit de
dcrter qu'elle ne servira plus."26
Il est, par consquent, clair que le droit joue un rle important dans l'conomie. A vrai dire nous
avons affaire deux dimensions essentielles du social ; lesquelles se manifestent par del le
rgne de la communaut. En d'autres termes, la production normative et axiologique consubstantielle l'tre humain -, se manifeste dans le rgne du social d'une manire objective
travers le droit, l'conomie et le politique.
Le rgne de l'change marchand donne naissance la monnaie - en tant que phnomne
institue, donc objectivation du droit -, laquelle est non seulement un instrument de mesure et de
circulation des biens, mais aussi un instrument de rserve et d'accumulation. Dans les
conditions d'une socit - qu'elle soit ou grecque, ou romaine -, o les sujets de droit prive et o
les sujets du politique, ne constituaient qu'une minorit, la possibilit de l'accumulation se
manifestait comme un phnomne ngatif. Aristote remarque ce propos : "comme nous
l'avons dit, l'art d'acqurir la richesse est de deux espces : l'une est sa forme mercantile, et
l'autre une dpendance de l'conomie domestique ; cette dernire forme est ncessaire et
louable, tandis que l'autre repose sur l'change et donne prise de justes critiques (car elle n'a
rien de naturel, elle est le rsultat d'changes rciproques) : dans ces conditions, ce qu'on
dteste avec le plus de raison, c'est la pratique du prt l'intrt, parce que le gain qu'on en
retire provient de la monnaie elle-mme et ne rpond plus la fin qui a prsid sa cration.
Car la monnaie a t invente en vue de l'change, tandis que l'intrt multiplie la quantit de
monnaie elle-mme. C'est mme l l'origine du terme intrt ( tokos : enfant, petit (partus) ) : car
les tres engendrs ressemblent leurs parents, et l'intrt est une monnaie ne d'une monnaie.
Par consquent, cette dernire faon de gagner de l'argent est de toutes la plus contraire la
nature. "27
Comme nous le savons ce rejet du prt intrt va se manifester comme un interdit social
jusqu' la moiti du dix-septime sicle. C'est en effet en 1658 que l'Etat de Hollande va dclarer
ne plus tre concern par l'interdit du prt avec intrt.
26
27
36
28
37
Dans la formation des institutions nous avons, par consquent d'un ct, le fait que toute force
sociale tend s'organiser, se muer en institution, et de l'autre ct, le fait qu'elles sont le
produit de la nature sociale et non individuelle de l'humain. C'est ainsi que la puissance
tatique se prsente comme une ncessit structurelle du social, mais qu'elle n'est pas
entirement objective si sa manifestation est essentiellement conditionne par une subjectivit.
Nous pouvons dire, des lors, que l'Etat est une objectivation institutionnelle, mais il n'atteint la
plnitude de la logique de son tre que lorsqu'il est Etat de droit.
De sorte que l'institution est tout d'abord un simple tre ou corps social, et ne devient une
ralit en acte que lorsqu'elle est entirement conditionne par le droit. Pour cette raison nous
pouvons dire que si tout Etat est un produit du droit, tout Etat n'est pas Etat de droit.
Il nous semble ncessaire d'introduire cette diffrence entre la puissance et l'acte des
phnomnes juridiques. Malheureusement Santi Romano ne fait pas cette diffrence. C'est ainsi
que pour lui "l o il y a un Etat, il ne peut pas ne pas y avoir du mme coup un ordre juridique,
lequel reprsente prcisment le rgime tatique, de mme que, l o un tel rgime existe, il ne
peut pas ne pas y avoir d'Etat."31
De sorte que pour Santi Romano tout Etat comporte un ordonnancement juridique et
inversement tout ordonnancement juridique implique un Etat. De l que tout Etat ne peut tre
qu'un Etat de droit car tout Etat est la manifestation objective d'un systme juridique.
Comme on peut le comprendre aisment ce jugement se dvoile, tel quel, comme problmatique.
Car cela voudrait dire qu'un Etat contrl par un despote est tout aussi de droit que celui dont
l'excutif est soumis au contrle de lgislatif. A vrai dire Santi Romano va trop vite en besogne,
il a t dpass par sa thse principale, selon laquelle le droit n'est pas un ensemble de normes
destines rgler les rapports entre les sujets, comme l'exprimait la pense traditionnelle, mais
surtout et avant tout organisation.
Pour notre part, nous pensons que Santi Romano a raison de dire que le droit objectif est avant
tout ordre social. Par consquent, que l'institution est un ordre juridique, "la manifestation
premire, originaire et essentielle du droit. Celui-ci ne peut se rvler qu'en une institution et
l'institution existe comme telle en tant que le droit la cre et la maintient en vie."32
Le dveloppement du droit en tant que systme juridique nous montre, en effet, que le social
secrte du droit ; produit donc des valeurs qui s'objectivent dans les institutions. Mais, le social
ne surgit pas depuis le dbut dans sa plnitude totalisante. Le social est, en effet, le rsultat du
niveau d'individuation. Or, ce phnomne, comme nous le savons, est au dbut trs parcellaire.
On ne peut que constater, ce propos, qu'une catgorie aussi simple que celle de
l'individuation,33 a eu besoin de beaucoup de bouleversements et de pas mal de tragdies
historiques pour devenir, une possibilit concrte, dans seulement quelques parties du monde.
Cela dit, le caractre marginal du phnomne de l'individuation, ne peut pas permettre la
manifestation du droit en tant que puissance purement objective. Le rsidu de la communaut,
la religiosit, ne peut dans ces circonstances que continuer jouer un rle de premier ordre.
L'attitude patriarcale n'est, dans ces conditions pas seulement monnaie courante pour ce qui
est de la domination au sein de la socit civile, mais aussi comme position de ceux qui
gouvernaient.
Il a fallu atteindre un niveau d'individuation trs lev pour que l'attitude patriarcale, et plus
prcisment le rgne de l'arbitraire, puisse cesser de jouer un rle dans la direction des affaires
sociales. L'mergence du droit constitutionnel est la manifestation de cette objectivation du
droit au sein de cette institution des institutions : l'Etat.
Nous pouvons dire, par consquent, que le droit se manifeste tout d'abord sous sa forme prive.
Son plus haut niveau d'objectivation est atteint dans le droit constitutionnel. Donnant ainsi
naissance au droit en tant que pyramide normative concrtise dans un ordre institutionnel.
31
38
C'est donc au sein de cette objectivation que la plus haute institution, devient une ralit
purement juridique. Par consquent que l'Etat est une entit de droit, au sens le plus strict du
terme.
En d'autres termes, la plus haute objectivation du droit dans le sommet institutionnel, implique
prcisment que cette structure ne soit pas perturbe par l'arbitraire du Seigneur. Car comme le
fait remarquer Santi Romano, les institutions "profitent des hommes, sont administres et
diriges par des hommes, mais ne sont pas pour autant composes d'hommes."34 En effet,
toujours selon Romano "l'institution est une unit stable et permanente, qui ne perd donc pas
ncessairement son identit la suite de mutations intervenues dans tel ou tel de ses lments :
les personnes qui en font partie, son patrimoine, ses moyens, ses intrts, ses bnficiaires, ses
rgles, etc."35
Ceci est particulirement vrai pour l'Etat. En effet l'Etat ne change pas chaque fois qu'un
nouveau Prsident arrive au pouvoir, ou qu'il y a changement de moyens ou de quelques unes
des rgles qui conditionnent son fonctionnement. Cette identit dans le changement est
garantie et assure par la juridicit qui la conditionne. En effet, " l'Etat existe au moyen du droit
de l'ordre juridique qui le constitue ; et quand il le dfend - ce qui peut absorber une part
notable de l'activit tatique - c'est lui-mme, sa structure, sa propre vie qu'il dfend. En somme,
cela ne relve pas de sa mission ni de ses objectifs, quels qu'ils soient, mais en est le pralable,
la condition ncessaire pour que les fins de l'Etat puissent tre poursuivies."36
Il est donc clair que pour Santi Romano la juridicit est la substance des institutions. Pour ce
qui est de l'Etat cette juridicit se manifeste comme un ordonnancement juridique. Donc, comme
un ordre institutionnel. Pour cette raison lorsque l'Etat dfend son ordre juridique, il ne fait que
dfendre sa substance mme : ce qui fait qu'il est ce qu'il est : la manifestation d'un ordre social
donn. En d'autres termes, l'efficacit de son ordonnancement juridique.
Sociologiquement parlant, l'objectif de cette institution est le maintient de l'ordre social dont elle
est la manifestation concrte. Cette finalit est, comme on peut aisment le comprendre, une
exigence particulire ; car, la finalit universelle n'est autre que la cration et la sauvegarde de
la justice sociale.
Cela dit, le moyen que l'Etat se donne pour sauvegarder l'ordre social dont il est l'expression,
c'est de maintenir l'efficacit de son ordonnancement juridique. Le droit est ainsi, comme
l'observe Santi Romano : " le principe vital de toute institution, l'me qui tient unis les divers
lments dont elle est forme, et qui dtermine, fixe et maintient la structure des tres
immatriels. "37
De telle sorte que c'est en luttant pour son me - pour reprendre l'image employe par Romano que l'Etat maintien l'identit de l'ordre dont il est la manifestation premire. Ce n'est donc pas
un hasard si la tche principale de l'Etat est la production du droit. Cette production se faisant
essentiellement selon la logique de son ordre institutionnel et social. En tout tat de cause, il est
important de rappeler que - comme nous l'avons dj signal - du point de vue juridique le
sommet de la pyramide est la puissance nergtique du social. Le social repose ainsi, dans la
logique du systme normatif, sur son sommet.
La lutte pour l'identit d'un ordre en lui-mme, est la lutte pour le maintien de la lgalit. Donc,
pour la lgitimit et l'efficacit de cette lgalit. Ainsi, le fait social renvoie la norme et aux
valeurs. Car tout systme de normes prsuppose un fondement axiologique. Il fait appel des
valeurs qui sont censes tre les principes de la ralit, dont il est question. Par consquent, ce
partir de quoi l'action se fait et se lgitime.
34
39
40
Cela dit, le concept de droit naturel reste entach de pas mal d'inadquations conceptuelles,
ainsi que d'un arrire got de religiosit. Ce que le scientisme du dix-neuvime et d'au dbut du
vingtime s'empressera de faire remarquer. Il en effet pour ce mouvement de montrer
lirrationalit contenue dans le concept de droit naturel, pour dmontrer que seul ce qui est, est
rationnel !
Remarquons que c'est au nom de la science que le Hegel de la Philosophie du Droit, va faire
l'apologie de l'tant de son monde.38 C'est aussi au nom de la science que Marx va considrer le
droit comme une simple supra-structure et va faire disparatre toute dimension axiosophique
de son projet historique.39 C'est encore au nom de la science qu'A. Comte va dclarer que le droit
disparat dans l'tat positif, car la juridicit est une cration thologico-mtaphysique.
Pour ce qui est du droit naturel, il n'tait pas difficile de constater : premirement, que ce qu'on
entend par droit naturel, n'est pas du droit, mais plutt de la morale,40 et deuximement que le
droit n'est pas naturel, mais plutt un phnomne institu.
De plus, la tradition scolastique et particulirement celle qui se rclame de Thomas d'Aquin
avait fait du droit naturel une manifestation de la Lex divina. Plus prcisment, selon cette
vision du monde, c'est la loi mosaque - les dix commandements - qui est l'extriorisation la
plus immdiate de la loi divine.
Ainsi, l'acceptation du droit naturel implique celui d'une pyramide ayant son sommet la Lex
divina et sa base le droit positif. Comme on peut aisment le comprendre, une telle
reprsentation prsuppose la persistance d'une Transcendance lgitimant l'ordre positif. Or, la
sensibilit de l'poque n'avait plus besoin d'une telle lgitimation. La justification
transcendantale avait perdu son sens; elle fut emporte par la consolidation de la figure de
l'individualit et rode par les horreurs des dark gs.
Pour ces raisons, le positivisme apparat comme une rponse tout fait cohrente au problme
de la ncessit de conservation de l'ordre social. En effet, l'affirmation d'un ordre social en luimme passe par le maintien et l'efficacit de son ordonnancement juridique. Ds lors, en
affirmant que le seul droit digne d'tre objet de la raison, est le droit positif, cette vision du rel
supprime toute possibilit de devenir-autre.
On peut se poser la question de savoir quelle est cette ralit qu'il s'agit d'affirmer ? A vrai dire
du point de vue positiviste il n'y a pas une prfrence quelconque. Nous rencontrons cette
attitude aussi bien dans les ralits capitalistes dveloppes, comme celles du socialisme rel,
ainsi que dans celles des pays dits sous-dvelopps. En d'autres termes, cette attitude l'gard
du droit se profile non seulement dans des socits dmocratiques plus ou moins niveles,
comme dans celles qui sont le rsultat de l'organisation normative de l'immoralit.
Par consquent partir du moment o le droit positif est considr comme le seul vrai et le seul
rel, correspondant la substance d'une communaut, ds lors disparat la possibilit de tout
changement. Au positivisme en tant que vision gnrale rifiante s'est ajout)il est vrai, le
nationalisme implicite dans la Thorie de l'Ecole historique allemande. Pour Savigny, en effet,
le droit ne peut tre le rsultat de la raison pure, il est plus prcisment le produit de l'Esprit du
peuple, du Volksgeist.
Cela mne soutenir que chaque peuple produit son propre droit, partir de sa propre
tradition et de sa propre sensibilit. Par consquent, tout droit positif est celui qui correspond
la substance d'un peuple, car il est le rsultat organique de son historicit. Ds lors, la
dogmatique juridique est pleinement justifie. Ceci, mme lorsqu'il s'agit d'un systme o il faut
plutt parler d'objectivation de l'injustice et de l'immoralit.
Mais, comme nous essayons de le montrer, l'affirmation de la positivit du droit n'implique pas
la simple reconnaissance de la validit d'un systme juridique comme tel, mais l'acceptation de
l'ordre social qui est son objectivation.
38
41
La philosophie du droit nous a permis prcisment de comprendre que par del le droit dans
sa positivit existe l'ide du droit en tant que Grundgedanke (Stammler), en tant que pense
fondamentale. Ainsi, le but du droit positif, est de faire rgner l'ordre social, tandis que la
finalit de la philosophie du droit est d'introduire la dimension du droit juste (Stammler). Donc,
le maximum de justice possible dans le monde.
Le droit possde ainsi une dimension programmatique, pouvant permettre justement
d'introduire des changements dans le social, au niveau du priv, comme au niveau du public.
La lutte constante pour le droit dont parlait Ihering doit tre comprise comme lutte constante
pour la justice. Cette lutte n'implique, ni ne
prsuppose un projet totalisant, car l'injustice peut se manifester aussi bien dans les parties
qu'au niveau du tout.
Cela dit, il est important de comprendre que les changements produits par le droit sont un acte
de raison, tandis que les changements scrts par le social sont de l'ordre de la ncessit. Dans
ce rapport, nous nous trouvons trs souvent devant le fait que les changements juridiques
arrivent post festum. On dirait que la raison est incapable de produire ces changements de par
sa propre initiative. Ce blocage n'est pas, comme on le sait, le rsultat d'une incapacit
congnitale de la raison, mais il est d au fait que l'homo juridicus tend avoir une approche
ftichiste du droit positif. La lettre tend ainsi non seulement figer l'ordre des choses, mais
aussi la raison.
On dit, le droit n'est pas seulement un facteur d'immobilisme et de conservation de l'ordre
existant, il peut aussi tre un instrument de changement et de transformation sociale. Lors des
changements rvolutionnaires nous constatons que le droit se manifeste comme une puissance
de bouleversement radicale de l'ordre existant. Nous avons pu constater ce phnomne lors de
la Rvolution sovitique. Nous parlons ici du changement en tant que tel. Toutefois, cela ne
veut pas dire que tout changement social aille dans le sens de la dimension universalisante de
l'humain. Comme on peut aisment le comprendre, il y a des bouleversements sociaux qui sont
contraire cette dimension, mme si les sujets du processus n'en sont pas conscients. Le
changement positif, du point de vue de l'axiosophie, ne peut tre que celui qui va dans le sens
de cette dimension universalisante de l'humain. Le mouvement Nazi, par exemple, ne peut pas
tre peru comme un processus tendant l'accomplissement de la dimension universalisante
de l'tre humain, non seulement cause de son anti-individualisme, mais
aussi cause de son idologie raciste pour laquelle, en effet, seuls les membres de la
Deutschesgemeinschaft, de la communaut allemande, pouvaient tre considrs comme des
sujets porteurs de valeurs positives. Tous les autres groupes humains et particulirement les
juifs et les gens de couleur, ne mritaient, la rigueur, que d'tre les serviteurs des membres de
la race suprieure.
Le mouvement marxiste quant lui, va raliser un monde qui va se dvoiler comme le tombeau
de ses propres illusions. Ceci, cause non seulement de sa capacit destructrice de l'humain,
mais aussi cause de sa tendance la castification du social.41
Pour le moment, il est important de constater que le droit peut produire des changements dans
la ralit sociale, ou, en tout tat de cause les empcher, ou les freiner. Pour tre plus prcis, il
faudrait dire que le droit est l'instrument de ce changement ; car, toute modification dans le
systme de la lgalit ne peut que provoquer un changement dans le domaine de son
objectivation : l'ordre social.42
Gnralement, ces transformations sont le rsultat des changements au niveau du systme de la
lgitimit. Ce qui veut dire qu'un ordre des choses parcellaire ou gnral, a cess d'tre lgitime,
donc, jusqu' un certain point normal. Car toute conscience est produite et reproduite par son
monde. De sorte que la normalit pour la singularit est ce qui correspond la logique de la
41
Nous analysons cette problmatique dans le chapitre sur : "La ngation du droit et de la
moralit."
42
L'cole espagnole de la philosophie du droit a le mrite de signaler l'importance de cette
dimension du droit. Il faut ici mentionner Elias Diaz et son remarquable travail : Sociologia y
Filosofia del Derecho.
42
normativit dominante de son monde, en dernire instance la logique de l'ordre social dont
elle est le produit.
C'est la raison pour laquelle il est tellement difficile de proposer des modifications a partir de
l'intrieur d'un ordre social. Cette impossibilit n'est pas simplement produite par les intrts
qui peuvent lier - et qui lient, sans nul doute - chaque singularit son monde, mais par le fait
que la normativit dominante n'est perue que comme simple normalit.
Cette ccit est le rsultat non seulement du fait que, comme on dit, les arbres cachent la fort,43
mais aussi du fait que toute singularit est aussi une virtualit de son monde. Cela veut dire,
par consquent, que l'osmose entre la singularit et son monde est d'ordre substantielle.
Prcisment cette substantialit, ou cette normalit de la normativit dominante, qui empche
de percevoir la cruaut, voire l'injustice de certaines pratiques juridiques, comme de certaines
institutions. Cela va depuis la mutilation pour cause de vol, dans certaines ralits sjournant
dans la misre et la ncessit, jusqu' la discrimination et l'oppression brutale des femmes et
des races dites infrieures. Ou encore l'existence de privilges juridiquement protgs, jusqu'au
monopole de la res-publica par une clique de soi-disant spcialistes du bonheur social.
Hegel nous dit pour sa part qu' " En ce qui concerne l'individu, chacun est le fils de son temps
; de mme aussi la philosophie, elle rsume son temps dans la pense. Il est aussi fou de
s'imaginer qu'une philosophie quelconque dpassera le monde contemporain que de croire
qu'un individu sautera au-dessus de son temps. franchira le Rhodus ." Principes de la
Philosophie du droit.
"Prface". Hegel parle ici d'une individualit encore enferme dans les limites troites de sa
communaut sociale. A prsent nous avons affaire un monde infiniment plus ouvert et plus
individualis que n'tait le sien. De plus, l'universalit des rapports n'est pas prsent une
simple figure de rhtorique. Cela dit, l'universalit effective ne peut tre que le rsultat de
l'assomption des universaux, et par consquent, d'un non-compromis avec les forces de la
facticit.
43
sociologie juridique au simple rle d'tudier les effets produits par le droit dans la socit, donc
le niveau d'efficacit ou de non efficacit d'un systme juridique.
De sorte qu'en dernire instance, le rle de la sociologie juridique serait de constater le niveau
de puissance irradi par un Etat. Car, gnralement parlant, plus un Etat est puissant, plus
efficace.
Par consquent, il ne s'agit pas de nier que le domaine de la sociologie juridique soit celui de
l'tre du droit. Il s'agit de ne pas cantonner cette pratique dans un domaine trop restreint, et
dans une position trop instrumentalisante. Car, on peut bien imaginer un Etat despotique
cherchant connatre l'efficacit de sa juridicit pour mieux l'appliquer.
Cela dit, il est trs important de connatre le niveau d'efficacit d'une loi, ou d'un systme
juridique en gnral, de comprendre quelles sont les incidences d'une nouvelle lgislation,44
dans un ordre social donn. Mais du point de vue d'une perception englobante il est hautement
important de saisir la nature mme de l'tre produit par une juridicit donne. En d'autres
termes, de savoir comment une juridicit donne reproduit un ordre social dans sa spcificit.
Car, la perception de cette spcificit manque cruellement. On tend, en effet, noyer les
diffrences dans des gnralits. C'est ainsi que nous parlons de socits capitalistes, de
socits socialistes et de pays du tiers-monde. Or, le but pour la sociologie est de dire voila
l'ordre institutionnel de cette socit, l'ordre de ses privilges et de sa domination. Voil
comment se reproduisent les lites dans l'espace public et au sein de la socit civile. En
d'autres termes, il s'agit pour la sociologie juridique de montrer un ordre social dans sa
spcificit et comment cet ordre est model par sa propre juridicit.
Jadis, au temps de l'ancienne Grce on disait que le but de la connaissance individuelle tait le
"Connais-toi, toi mme !" A prsent nous savons que le soi est non-soi aussi. Et que ce non-soi
est essentiellement le monde, ralit sociale, de laquelle est produit un individu et dans laquelle
il est immerg. Pour cette raison, dans la modernit la connaissance est devenue
essentiellement connaissance du monde, dans sa dimension particulire et gnrale. Il est clair,
ds lors, que la connaissance, est de nos jours, plus problmatique qu'elle ne l'a t au temps o
l'exigence du " Connais toi, toi-mme ! " a t formule. Cette problmaticit est d'autant plus
importante que les idologies tendent obscurcir la ralit.
Ces idologies sont gnralement parlant de trois ordres : juridiques, politiques et conomiques.
Les idologies juridiques renvoient au systme de lgitimit. Elles sont, par consquent, du
domaine de la sociologie du droit, car tout systme de lgalit pose un systme de lgitimit.
Nous nous trouvons ici devant une interrelation trois niveaux : Tout ordre social se donne un
systme de lgitimit, et tout systme de lgitimit, pose un systme de lgalit. En d'autres
termes la lgalit passe par la lgitimit, car seulement ainsi la lgalit est lgitime. De sorte
qu'un ordre social donn, quel qu'il soit, se constitue partir du moment o le mouvement qui
le porte arrive cristalliser un systme de lgitimit. C'est cette cristallisation qui lui permet de
devenir ordre effectif : systme de lgalit objective en tant qu'ordre institutionnel. C'est cet
ensemble de la lgalit et de l'institutionnalit qui donne l'ordre social.
Par consquent, l'ordre social dpend du systme de lgitimit. Cette thse peut paratre a
certains idaliste dans la mesure o elle pose la dtermination de l'tre social par la conscience,
pour reprendre les clbres concepts de K. Marx. A vrai dire nous ne parlons pas ici de la
dualit me-corps telle qu'elle fut faite par une certaine philosophie imprgne de batitude
chrtienne. Pour nous, les valeurs ne sont pas des nuages planant dans un au-del
inaccessible. Nous appelons valeur, suivant Aristote, tout ce dont nous avons besoin. Or, l'tre
humain produit deux sortes de valeurs : les valeurs matrielles et les valeurs culturelles.
Pour ce qui est des valeurs culturelles, les rfrentiels en constituent la plus haute expression.
Car ce sont eux qui nous permettent de nous guider dans le monde. C'est ainsi que l'action pose
un but et que ce but est toujours une valeur. En d'autres termes, l'action sociale projette
ncessairement des positions axiologiques, par la rfrence, ou le renvoi, des valeurs.
Partout, dans la temporalit, c'est l'action qui pose les valeurs, ou le systme de lgitimation. Or,
nous disons que ce systme de lgitimation est non seulement le rsultat de la ngation du
44
44
Pour sa part Heidegger nous dit que toute valorisation est une subjectivisation.
45
Donc, il faut tre conscient du fait que, au sens strict du terme, la constatation et la valorisation
sont deux phnomnes diffrents. Quoi que le besoin de valorisation soit si important chez
l'tre humain qu'il y a des constatations qui sont en mme temps des valorisations.
On peut mme aller plus loin, comme le fait Dahrendorf,46 en disant que la slection, l'lection et
le dcoupage de l'objet sont en eux mmes des jugements de valeur. Lukcs ajouta plus tard,
ce propos, que toute citation est dj une interprtation. Donc, un jugement de valeur. La
conscience sociologique se trouve ainsi assige de tous les cts par les valeurs.
Cette conscience fait ainsi la triste exprience du fait qu'on ne peut pas exclure ce qui
appartient au fondement de l'humain, car cette dimension tend apparatre dans tout ce qui est
le rsultat de son extriorisation. Le fondement se retrouve toujours, ncessairement dans ses
manifestations. Ceci de la mme manire que la cause se retrouve dans son effet.
Le problme ne nous semble pas tre d'exclure les jugements de valeur en tant que tels, mais en
exclure certains pour en laisser d'autres. En effet, les jugements subjectifs ne peuvent pas tre
recevables, car ils ne sont que du domaine de la singularit. Leur intervention ne peut que
provoquer l'impossibilit de la communication et donc de la connaissance.
Comme nous l'avons signal plus haut, le soi contient en mme temps du non-soi, et ce non-soi
est ce que nous appelons monde.47 Mais, ce monde n'est pas une ralit chaotique, il s'agit
plutt d'un tre constitu. Avec l'mergence et la consolidation de l'individualit ce monde s'est
constitu suivant des tendances. De sorte que trs souvent, la conscience qui enqute est ellemme engage dans un de ces mouvements. Les valeurs qu'elle exprime, sont ainsi celles d'un
Parti, correspondant ds lors une vision parcellaire du rel o, de plus, s'expriment, sans
masque, des intrts acquis et conqurir.
L'intervention de ces jugements de valeur dans la rflexion du rel, ne peut avoir, comme on
peut aisment le comprendre, qu'une incidence pervertie et pervertissante.48 Du point de vue de
la connaissance effective, il s'agit prcisment non seulement de surmonter, de mettre entre
parenthses, le soi, en tant que subjectivit, comme l'exige la tradition sociologique, mais
d'effacer toute forme de compromis, d'engagement, avec les virtualits du rel. La partie la plus
difficile est prcisment celle-ci, car les virtualits du rel peuvent tre comprises dans deux
sens : 1) les partis politiques se manifestant dans une socit donne, 2) les nations et les
manifestations spcifiques des cultures.
Il s'agit, plus prcisment, par rapport aux virtualits du monde, de distancier les phnomnes
particuliers. En effet, il n'est pas du domaine du pouvoir-tre de l'existence de sortir de la vie
sociale, mais d'en distancier les incidences. Car, est aussi problmatique la pense qui rflchit
partir des valeurs qui lui sont propres, en tant que subjectivit, que celle qui discourt partir
de l'idologie de son parti politique, ou celle encore qui fait des discours partir d'une position
nationaliste.
A prsent on peut se poser la question : pourquoi la valorisation partir des
46
Ceci, lors de la discussion la veille de la premire guerre mondiale, avec des thoriciens
comme M. Weber et Schmoller, sur le problme de la Wertfreiheit, de la libration des jugements
de valeur.
47
Freud emploie le terme de sur-moi. D'autres, dont Heidegger utilisant le terme de Umwelt.
48
Comme on le sait, il y a peu de temps encore on considrait l'engagement politique comme la
plus haute manifestation de l'authenticit intellectuelle. C'est ainsi, pour parler de certains
parmi les plus clbres, que Heidegger s'est compromis avec Hitler, que Sartre et Lukcs ont
un moment donn fait l'apologie de Staline et que Gentile et Pareto ont fait de mme avec
Mussolini. De myriades d'autres intellectuels ont cri leurs louanges aux despotes des temps
modernes. Certains sont mme alls jusqu' crier en avant, en avant, l'oreille des despotes,
lorsque la machine dtruire l'humain fonctionnait plein rendement. Certains s'excusent
prsent, en argumentant qu'ils n'taient pas au courant de ce qui se passait. Devant de telles
excuses, il faut se poser la question de savoir si l'intellectuel est incapable de faire la diffrence
entre le juste et l'injuste, alors de qui attendre la lumire ?
Le fait est que par le compromis, avec les forces de la facticit, la philosophie s'est expose au
mpris et au discrdit.
46
idologies est-elle problmatique ? Eh bien ! Tout simplement parce que l'idologie d'un ct,
n'est pas une reprsentation rationnelle du monde, et de l'autre ct, parce qu'elle est un
instrument de lutte pour le pouvoir et non pas un instrument de la pense concrte. On peut se
poser la mme question pour ce qui est du nationalisme ou du chauvinisme culturel. Il est
vident que l'argument, "dans le vrai ou le faux mon pays a toujours raison !", n'est pas un
argument axiosophique. Car la position thique veut que si mon pays dcide d'exterminer une
communaut de son voisinage, je sois suffisamment libre d'attaches pour dnoncer une telle
entreprise.
Pour ce qui est du chauvinisme culturel, il est clair que si j'appartiens une culture qui
considre la domination brutale de la femme comme quelque chose de naturel et de ncessaire,
la position axiosophique veut que je rappelle que la dimension gnrique de l'humain n'est pas
propre au seul homme. Que la femme participe cette dimension au mme titre que l'homme.
Donc, que la lutte contre l'oppression est aussi ncessaire pour les hommes que pour les
femmes.
Tout ceci, pour souligner que les seules valeurs qui doivent intervenir dans le jugement, sont les
valeurs d'ordre universel. Dans ce sens, la lutte pour le droit ne peut pas tre, dans le sens
axiosophique du terme, la lutte pour la juridicit positive, mais la lutte pour sa dimension
universalisante : la justice.
47
48
Dans la relation entre l'Etat et la socit civile, nous devons tenir compte que nous avons affaire
deux ralits substantiellement diffrentes. L'Etat est le rgne de la hirarchie, tandis que la
socit civile est le domaine des ingalits. La hirarchie correspond la nature mme du
pouvoir, laquelle implique le principe de commandement. Mais ce principe hirarchique ne se
manifeste pas toujours selon la mme rigidit. Tout indique que cette rigidit est en rapport
direct l'importance de l'Etat et son manque d'thicit. Il est vident, ce propos, qu'un Etat a
tendance totalisante est plus obsd par le principe hirarchique que celui qui ne l'est pas. Il en
est de mme pour ce qui est du phnomne de l'thicit. En effet, un Etat dirig par une
kleptocratie49 ou par une criminocratie, est plus ponctuellement hirarchis que celui qui est
conditionn par un minimum de moralit.
Pour ce qui est de la socit civile, nous venons de signaler qu'il s'agit du domaine des
ingalits. Ceci, non seulement parce que dans la nature tout est diffrence, mais aussi parce
que les units de base, les familles, ne sont pas toutes identiques, en ce qui concerne l'avoir et le
pouvoir. Ce phnomne est d'autant plus vident que nous avons affaire une dtermination
sociologique qui ne peut tre saisie effectivement que dans son paisseur historique. Tout tre
arrivant au monde trouve non seulement une ralit sociale constitue, mais appartient un
ordre social prcis. Le rang social de toute singularit, est donn par sa famille. La pesanteur
sociologique, n'est rode que par la mobilit sociale. L'rosion de ces dterminations
prsuppose un niveau de mobilit trs lev. C'est pour cette raison que se pose dans le social le
problme thique de l'galit des chances. Dans l'univers individualis il y a, en effet, d'un ct,
ingalit relle, et de l'autre, principe d'galit. Ce principe tant pris dans le sens o chaque
singularit est juridiquement gale toute autre. Elle doit se trouver sur un pied d'galit par
rapport aux rgulateurs objectifs.
L'ingalit sociologique fait ainsi face a l'exigence d'galit, donc a une exigence d'ordre
juridique. Plus prcisment qui fait partie du devoir-tre du droit. Gnralement parlant, les
ingalits sociales ont une source familiale50. Ceci, soit comme rsultat de sa manifestation,
dans l'avoir et le pouvoir, soit dans son fondement, comme dans le rapport entre l'homme et la
femme.
Pour ce qui est de l'avoir et du pouvoir transmis par la famille, nous savons que l'hritage n'est
pas seulement matriel. Ce qu'il est convenu d'appeler le capital relationnel et culturel, joue,
comme on sait, un rle trs important. En ce qui concerne cette problmatique il convient de
signaler que le support familial est plus important dans les socits traditionnelles que dans
celles o le niveau d'individualisation est trs lev. C'est pour cette raison que nous disions,
que la mobilit sociale tend roder les liens organiques scrts par la logique familiale. Nous
analysons cette problmatique plus loin.
Nous avons constat que , en rgle gnrale, le social est compos de deux niveaux diffrents :
la socit civile et l'Etat. Ces deux couches possdent des logiques diffrentes, mais font partie
d'une mme totalit : l'tre social. Dans ce rapport, nous disons que la socit civile est la
substance et le fondement du social, tandis que l'Etat est sa puissance en acte. En d'autres
termes, la socit civile secrte l'Etat, comme le groupe secrte le pouvoir. Le pouvoir tant la
logique de l'ordre, dans lequel un ensemble se conforme et se concrtise. A ce niveau il faut
remarquer que dans la nature tout est ordre ; elle a, pour ainsi dire, peur du dsordre. Ceci, est
vrai non seulement au niveau de la structure fondamentale de la matire et des microorganismes, mais aussi pour ce qui est du rgne des toiles et des galaxies. De ce point de vue,
nous pouvons dire que le dsordre est un moment de l'ordre. Plus prcisment, la mdiation
d'un ordre a un autre.
Dire, par consquent, que la socit civile secrte l'Etat, en tant que puissance en acte, c'est
signaler que la base conditionne le sommet par sa production substantielle, et, dans ce rapport,
le sommet n'est pas une simple puissance, mais il est aussi puissance en acte, donc force
constituante. De sorte que dans ce rapport, la socit civile produit les valeurs qui
49
49
conditionnent l'existence de l'Etat, mais cette substance est configure, constitue, organise et
structure en fonction de la logique particulire de chaque pouvoir. C'est ainsi qu'en droit
constitutionnel, il est dit que le peuple est la source de la lgitimit, mais que c'est l'Etat qui
dtermine en dernire instance le sens de cette lgitimit. La base produit ainsi les valeurs
l'tat brut, lesquelles sont filtres par l'Etat. En d'autres termes, l'Etat codifie la production
signifiante du social.
Mais, la production sociale qui soutient l'Etat, n'est pas uniquement signifiante, elle est aussi
matrielle. En d'autres termes, le support matriel de l'Etat est produit par la socit civile. A.
Smith disait, ce propos, que l'Etat appartient au secteur improductif. Ce phnomne du
transfert, remarquons le, ne rentre pas dans la sphre proprement conomique. Il est plutt
conditionn par le droit. Car, c'est par convention qu'une socit dtermine non seulement
l'importance de ce transfert, mais aussi quel doit tre le rapport proportionnel entre l'Etat et la
socit civile.
Il ne s'agit pas ici de rflchir la possibilit d'un quelconque dpassement du rapport de
contraires l'intrieur du social, car une telle perspective est purement idaliste. Ceci, dans la
mesure o - comme nous l'avons soulign plus haut -, le fondement de l'Etre est le rapport des
contraires. Le franchissement de la dyade peut bien tre de l'ordre du rve, mais non pas de
l'effectivit.
Pour cette raison, nous ne pouvons pas parler de tout Etat, ou de socit civile sans Etat. Nous
ne pouvons, comme le pensait Aristote que nous poser le problme de la proportionnalit d'une
dimension par rapport l'autre. Il est toutefois problmatique de croire, comme c'est le cas a
notre poque de dboussolement et d'injustice universelle, que l'extension plus ou moins
totalisante de l'Etat est la seule garantie de la libert et de l'abondance dans le social. La
pratique du socialisme rel, ainsi que les cas des pays sous-dvelopps, nous montre la
problmaticit de cette croyance.
Il est, en effet, particulirement absurde de croire que la dimension conditionne par le principe
hirarchique peut garantir la libert. En effet, la libert, ou l'indpendance du soi, est tout--fait
contraire l'exigence de ponctualit dans l'ordre, tel que le prsuppose la pratique du principe
de hirarchie.
Kelsen, pour sa part, dfinit l'Etat comme l'appareil bureaucratique de fonctionnaires qui a la
tte le gouvernement. De sorte qu'il s'agit d'un organe qui a sa propre fonction et une logique
correspondant son tre. De telle sorte que, du point de vue sociologique, il ne peut pas devenir
socit totale. Son extension ne peut avoir qu'une dimension matrielle : l'extension plus ou
moins totalisante du rgne de la res-publica. Par consquent, la quasi disparition du rgne de la
proprit prive. Mais, comme nous l'explique Aristote, la proprit publique ou la proprit de
tous ne veut pas dire la proprit de tout un chacun, le tout tant le sujet collectif qui subsume
les singularits.
De sorte que la res-publica est , toujours d'aprs Aristote, l'ensemble des richesses, des honneurs
et des facilits de vie en communaut mis la disposition de ceux qui dtiennent le pouvoir.
Les privilges de la nomenklatura - dans les pays socialistes, comme dans les conomies mixtes ne sont pas un hasard. En effet, l'Etat partir de lui mme, sans une dimension thique, est non
seulement une machine a reproduire le pouvoir et la force lgale, mais aussi une puissance
productrice de privilges et de sincures.
2) La justice distributive
Les rgulateurs de l'univers individualiste sont, en eux mmes, la manifestation du principe de
la justice. Ceci est vrai non seulement pour l'conomie - qui tend assurer l'change
proportionnel -, mais pour le droit priv. La dimension diklogique qui se dploie ici n'est autre
que la justice corrective. La justice distributive pour sa part se dvoile dans le droit public et,
plus prcisment, le droit constitutionnel.
La justice distributive, comme l'avait signal Aristote, se rapporte au problme de la
distribution de la chose publique. Comme nous venons de le voir la dimension se
50
Dans le langage conomique moderne, nous parlons de prlvements obligatoires et, plus
exactement, de prlvement public total. Ce qui est le rsultat : des taxes, des impts, des
cotisations et du dficit public. Dans le cas de la France, remarquons le, la totalit du
prlvement public est de l'ordre de 48 % du P.I.B.
52
Nous ne parlons pas ici de restitution d'un excdent. Ce qui se fait, d'ailleurs non pas du
point de vue galitaire, mais en proportion de l'apport de chacun au budget communautaire.
53
Ces dpenses ne sont pas trs significatives dans les socits modernes. Lesquelles, dans ce
domaine, tendent faire un effort trs important par rapport au pass. Dans le cas du budget de
la France, elles rentrent pour 8 % des dpenses.
54
Il faut signaler que cette dpense n'est pas aussi marginale qu'on tend le dire. En effet, la
caisse des allocations familiales dispose d'un budget qui est de l'ordre du double de celui de la
caisse des allocations chmage.
51
prive, comme ce fut le cas dans l'Ancien Rgime en France. En d'autres termes, est-ce que la
vnalit des charges publiques est conforme aux exigences de la justice ? La rponse ne peut
tre que ngative, dans la mesure o le rgne de la proprit commune ne doit pas tre, selon
son concept, l'objet de l'appropriation prive et ne doit donc pas rentrer dans la catgorie des
biens immeubles, objets de transmission par hritage.
Dans le mme sens, on peut se poser la question de savoir, si un rgime de titulaires 55 est
conforme aux principes de la justice ? Nous nous rfrons ici une structure, dans laquelle les
membres de la fonction publique tendent tre titulariss vie et deviennent par consquent,
quasi propritaires de leur poste. A la diffrence du systme de l'ancien rgime qui vendait les
charges publiques et permettait leur transmission par hritage, nous avons affaire ici une
structure qui tend fixer le personnel d'Etat l'espace du pouvoir.
Le principe de la titularisation, est la pratique juridique qui conditionne le phnomne du
nomenklaturisme. Donc, de cette pratique qui mne la ngation du principe de l'alternance
pure dans l'espace du pouvoir. De plus, du point de vue du rapport entre l'Etat et la socit
civile, cette dimension sociologique du pouvoir, tend a crer une structure duale. D'un ct,
ceux qui vivent dans la scurit de l'emploi, et de l'autre, ceux qui sont soumis l'inscurit de
l'offre et la demande.
Le nomenklaturisme ne correspond pas au principe thique et la logique de fonctionnement
d'une socit qui tend l'universalisation du phnomne individualiste, et cela pour plusieurs
raisons. Premirement, cause de l'ingalitarisme qui est contraire l'isocratia et l'isonomia.
Deuximement, parce que le nomenklaturisme empche la fluidit dans l'espace du pouvoir et
bloque la mobilit verticale, et troisimement, parce qu'il constitue une ngation du principe de
l'galit des chances.
En d'autres termes, le nomenklaturisme est contraire aux principes de la dmocratie et de la
justice sociale qui exprime la substance thique des socits individualises. Ces principes
furent formuls de diffrentes manires. C'est ainsi que selon Aristote les institutions doivent
tre ordonnes de telle faon que les fonctions publiques ne puissent jamais tre source de
profit. Il est vident que ce principe s'oppose non seulement l'Etat d'offices de l'Ancien
Rgime, mais l'Etat de titulaires tel que nous le connaissons actuellement dans beaucoup de
nations. Il va sans dire qu'un tel principe est en opposition la Kleptocracie, telle qu'elle se
manifeste dans beaucoup de socits du tiers-monde.
Aristote nous a aussi appris que dans la dmocratie les citoyens doivent ncessairement avoir
accs tour de rle aux fonctions de gouvernant et celles de gouverns. Nous analyserons
plus loin, d'une faon plus prcise cette problmatique.
Cela dit, ce n'est pas un hasard si le mouvement constitutionnaliste va exprimer depuis sa
naissance la ncessit du principe de l'alternance, et donc le refus d'appropriation de la respublica, par une caste de privilgis. Cette exigence fut exprim par l'Assemble Constituante en
1789 dans la Dclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen. Nous la retrouvons nouveau
dans la Constitution de 1793.56 Du point de vue axiologique, la Rvolution franaise nous
semble devoir tre perue comme la manifestation consciente des valeurs propres l'univers
individualiste. Une certaine philosophie de l'Histoire a interprt, il est vrai, ce phnomne
comme le dvoilement de la conscience dite bourgeoise et non pas comme ce qu'il tait dans son
effectivit : le soulvement contre les privilges et l'immoralit de l'Ancien Rgime.
Il est hautement significatif57 de constater que la clbre Constitution de la Rpublique de
Weimar (1919) traduit cette exigence de l'alternance pure et son contraire. C'est ainsi que dans
l'article 128 il est dit : "Tous les citoyens sans distinction seront admis aux emplois publics
55
52
conformment aux lois et selon leurs aptitudes et facults." Par contre, l'article suivant (le 129)
est ainsi formul : "Les fonctionnaires sont nomms a vie, sauf disposition contraire de la loi."
Nous nous trouvons ainsi devant l'affirmation et la ngation du principe de l'alternance de
l'lite administrative et donc, du fondement de l'lite du pouvoir. En d'autres termes, ce texte
marque, en quelque sorte, la naissance du phnomne nomenklaturiste dans l'histoire
moderne. Il s'agit, plus prcisment, du renversement du principe de l'alternance pure58 dans
l'espace du pouvoir, tel qu'il fut formul par le souffle rvolutionnaire de 1789.
53
63
De la le concept de civilisation.
1 Nous parlons ici de misanthropie fondamentale, car elle est autrement plus redoutable que
l'aversion qu'une me vivant la solitude sauvage, peut avoir pour le genre humain.
65
Faut-il par exemple, au nom de ces diffrences accepter les lois de la sgrgation raciale de
l'Afrique du Sud, ou l'excision des fillettes en Afrique Occidentale etc. ? Il n'y a pas que des lois
sclrates, il y a aussi des traditions abominables. Il est impossible des les mentionner toutes,
mais, il est certain qu'elles constituent la ngation pure et simple de l'axiologie fondamentale.
Cela dit, on peut aussi se poser la question de savoir au nom de quelles valeurs faudrait-il
oublier l'abomination et faire comme si elle n'existait pas ? Au nom de quelles valeurs faudraitil s'incliner devant le chemin de la servitude volontaire ? Il est vident que pour la perversion
de l'humain il n'y a pas de rfrentiel axiologique.
66
3 Confucius nous dit, ce propos, que lhomme de bien est impartial et vise l'universel ;
l'homme de peu, ignorant l'universel, s'enferme dans le sectaire." (Entretiens, II, 14)
67
Ce qui est convenu dappeler lascenseur social.
64
54
A proprement parler, le social, qui est le rsultat d'un rapport plus ou moins adquat68 entre
l'Etat et la socit civile, est compos de deux pyramides. La pyramide conomique et celle de
l'Etat. Au niveau de la pyramide conomique, et dans le cas des socits concurrentielles, la
mobilit verticale est rgule d'une manire objective. Dans les socits non-concurrentielles, o
le niveau d'individualisation n'est pas gnralis - cause de la castification ou de la
domination raciale69 nous pouvons constater des rsistances et des pesanteurs sociologiques et
juridiques qui accroissent les ingalits ; en d'autres termes, qui empchent une rgulation
strictement objective, comme le sont les mcanismes conditionns par la loi de la rentabilit.
Mais les rsistances et les pesanteurs se manifestent, essentiellement, au niveau de la pyramide
de l'Etat. L'entre et la sortie de l'espace du pouvoir sont rgules par la loi. Les lois de la
mobilit verticale, telles qu'elles se manifestent dans la dmocratie sont les rgulateurs qui
assurent le fonctionnement des structures tatiques. Ces forces peuvent, toutefois, tre modifies
par l'ordre juridique que se donne chaque communaut sociale.
Comme nous l'avons dj soulign, l'ordre juridique se cristallise en ordre social. Mais, l'Etat
qui possde le monopole de la lgalit peut se prononcer dans l'intrt de ceux qui gouvernent,
comme dans l'intrt des gouverns. Dans le premier cas, l'ordre juridique va exprimer la
ncessit de la permanence soit de l'lite du pouvoir dans sa totalit, soit de l'une de ces
dterminations : l'lite administrative, ou l'lite politique.
Dans le deuxime cas, lorsque le gouvernement maintient et sauvegarde les intrts des
gouverns, nous avons affaire un systme rgul par des mcanismes objectifs. Dans le
premier cas, nous parlons de pouvoir oligarchique dans le deuxime de pouvoir populaire. En
d'autres termes, le rapport du systme juridique, en relation aux mcanismes objectifs de la
mobilit verticale, nous donne les deux principales formes de gouvernement, tel qu'Aristote les
avait exposes. Donc, le gouvernement oligarchique et le gouvernement populaire. Nous
tudierons cette dernire forme dans le chapitre suivant, car elle renvoie aux lois de la
dmocratie. Ici, nous n'tudierons que les formes de pouvoir qui entravent les forces de la
mobilit verticale.
Par consquent, les entraves la rgulation objective de l'espace du pouvoir, ne peuvent tre
que d'ordre juridique. Et lorsque nous nous trouvons devant un tel phnomne, nous avons
affaire un droit public qui se prononce dans l'intrt de ceux qui occupent l'espace du
pouvoir. Ceci se produit quand le systme du droit public se prononce, comme nous venons de
le signaler, soit pour la permanence de la totalit de l'lite du pouvoir, soit pour celle d'une de
deux parties qui la composent.
Dans le premier cas (la permanence de la totalit de l'lite du pouvoir) nous avons affaire un
systme qui n'a pas besoin de la lgitimation dmocratique et donc d'lections. Il s'agit alors
d'un Etat qui n'est pas de droit, car le nomos ne joue aucun rle dans la rgulation du pouvoir.
Le pouvoir est plutt lgitim par l'idologie. Le systme fasciste est le modle le plus pur de cet
variante. Nous trouvons aussi cette variante dans les pays du tiers monde, quoiqu'avec une
dimension idologique moins importante. Il s'agit, gnralement, de simples dictatures. L'lite
du pouvoir tend, en effet, identifier sa continuit et sa scurit celle de son Chef. De l que
l'lite du pouvoir en assurant la permanence de son Chef, peut le nommer vie. Dans ces
ralits, il peut y avoir des lections - contrairement l'option fasciste -, mais elles sont un
simple rituel, la population tant gnralement compose de non-sujets, dans le sens que la
philosophie du droit donne ce terme.
Le deuxime cas est celui de la permanence de l'lite politique. Ce systme prsuppose, la
diffrence du prcdent, une certaine dimension dmocratique. Les lections donnent, en effet,
l'lite politique, la possibilit de pouvoir choisir le personnel indispensable au fonctionnement
des appareils d'Etat. Ce modle est particulirement marginal dans l'exprience historique. La
forme la plus conforme son exigence est le systme napolonien, aussi bien sous le Consulat
que sous l'Empire.
68
69
1 Ceci, dans le sens o la socit civile n'est pas engloutie dans la sphre de l'Etat.
Cas de l'Inde d'un ct, et de beaucoup de pays latino-amricains, de l'autre.
55
Le troisime cas est sans doute le plus significatif pour notre poque. Il s'agit d'un systme dans
lequel l'lite administrative est compose d'un corps de permanents tandis que l'lite politique
est soumise la loi, dmocratique, de l'alternance. Depuis l'apparition de la IV Rpublique,
nous avons en France le modle le plus pur de ce systme. Il faut remarquer, en ce qui concerne
cette structure, le fait que l'lite politique n'est pas indpendante de l'lite administrative. Celleci n'est pas un corps neutre comme certains spcialistes tendent le croire et le soutenir. En
fait, l'lite politique tend tre essentiellement issue de l'lite administrative. La ralit
franaise nous le montre clairement : la classe politique actuelle sort, pour la plupart, du rang
des narques.
Par consquent, l'lite administrative constitue la base, le tremplin, de l'lite politique. Ce qui
permet le roulement des lites politiques, tout en vitant le phnomne de la circulation des
lites du pouvoir et, par consquent, de ce qu'on appelle le spoil system, ou systme de la
spoliation. En fait, les membres de l'lite administrative qui se lancent dans la politique, ne
connaissent pas l'inscurit en cas d'chec ; car, en tant que titulaires, ils peuvent toujours
retrouver leur poste d'origine.
Ainsi, dans les conditions de ce systme, nous pouvons constater que l'lite politique est un
appendice de l'lite administrative, ce qui donne une stabilit remarquable l'lite du pouvoir,
lui permettant non seulement d'assurer sa permanence, mais aussi de s'auto-reproduire d'une
manire linaire. C'est pour cette raison, qu'il est question, dans ce systme, de nomenklatura,
ceci au sens non seulement de corps de permanents, mais de corps ayant la possibilit de
s'auto-reproduire en tant qu'lite du pouvoir. Il ne s'agit pas, bien videmment, de confondre la
nomenklatura de ce systme. avec celle du socialisme rel. Comme nous le verrons plus loin, la
logique hirarchique de ce dernier tend la castification du social.
4) Constitutionnalisme et dmocratie.
Le constitutionnalisme, comme nous venons de l'insinuer, n'implique pas la dmocratie au
sens strict et universel de ce terme. Le constitutionnalisme est la manifestation du nomos qui
rgule le rapport entre les lites de pouvoir. Dans une socit o les citoyens, les sujets du
pouvoir - pour employer la dfinition aristotlicienne -, ne constituent qu'une simple minorit,
il est vident que le nomos peut traduire l'exigence de l'existence d'un pouvoir dans l'intrt de
ceux qui gouvernent. C'est ce qui se produit, normalement, dans ces conditions.
En l'occurrence, le texte constitutionnel permet de rguler le rapport entre les diffrentes
tendances de la minorit dominante. Au sens strict du terme, le constitutionnalisme rvle
l'existence de tendances au niveau de l'lite du pouvoir, cet clatement du sommet tant la
manifestation du phnomne de l'individualisation qui se dveloppe au sein de la socit
civile. De l le fait que, dans les socits non individualises, la structure du pouvoir est monolitiste et n'a pas besoin du nomos pour rguler le pouvoir. Dans ce cas, la souverainet
appartient au souverain - comme l'avait exprim Bodin -, de mme que la lgitimit. Il faut
remarquer, en ce qui concerne la lgitimit que, dans ces conditions, elle est d'ordre familial.
Donc, nous avons affaire ici un pouvoir qui est encore enferm dans la moralit domestique.
C'est la lgitimation familiale - de la famille royale - qui donne la lgitimit publique et le
principe de la souverainet.
Mais, partir du moment o le principe de l'individualisation fait irruption dans l'espace du
pouvoir, nous assistons un changement de source de lgitimit : du souverain vers le peuple.
Ce processus peut tre le rsultat, soit d'une affirmation progressive de forces individualisantes
contenues dans le social - donc, de l'objectivation de la moralit -, soit de l'irruption violente de
ces principes. L'histoire anglaise du 17me est le modle de la premire forme de manifestation,
tandis que l'histoire franaise se dployant partir de 1789, est la traduction du deuxime
modle.
Il nous semble particulirement problmatique de soutenir que l'mergence du
constitutionnalisme est un produit de la bourgeoisie : de la nouvelle classe possdante. Le
nomos, se manifestant comme catgorie objective de la moralit, n'est pas un produit de l'histoire
moderne. Il commence se dvelopper, comme on le sait, au sein de l'univers grec. Ce qui va se
56
produire dans la modernit, c'est plutt l'universalisation de cette catgorie. Ceci parce que le
bourg est, par rapport a la polis et a la civitas, un univers dans lequel le niveau
d'individualisation est plus tendu et plus lev.
L'individualisation secrte ncessairement, comme nous l'avons soulign, l'universalisation
des catgories propres la moralit objective. Si nous regardons de prs l'histoire de la France,
par exemple, nous pouvons constater que la tendance au constitutionnalisme tait prsente
depuis le dbut de la formation de la civilisation bourgeoise. En effet, la cration d'une
monarchie constitutionnelle fait dj partie de la revendication des Etats Gnraux runis
Paris en 1355 sous la direction du Prvot Etienne Marcel. La pandmie de l'poque et le dbut
de la guerre de cent ans, vont relguer cette exigence aux oubliettes de cette priode de l'histoire.
Le constitutionnalisme, en tout tat de cause, est antrieur la naissance du capital. Lequel ne
se manifeste qu' partir de la fin du 17me sicle. Le Droit public des cits grecques et de la
Rpublique romaine70 est l'expression du phnomne constitutionnel.
Cela dit, le nomos en tant que puissance rgulatrice du pouvoir prsuppose la rpercussion des
divergences se dployant au sein du social. L'individualisation tend accentuer les
contradictions au sein du social, de sorte que, lorsque la socit civile devient source de
lgitimit, elle va rpercuter ces divergences au sommet du pouvoir, provoquant ainsi la
multiplication des lites : des candidats au pouvoir. Le mono-litisme fait, des lors, place au
poly-litisme ; au pluralisme.
En d'autres termes, la souverainet du peuple implique ncessairement un nomos capable de
rguler le rapport entre les lites qui aspirent au contrle du pouvoir. Ce nomos, n'est autre que
la Constitution. Autrement dit, le fondement juridique de l'Etat de droit. Ainsi l'Etat de droit
prsuppose non seulement le rgne du nomos, mais le principe de la souverainet populaire.
Donc, le fait que la lgitimit provienne du peuple.
L'Etat de droit va ainsi permettre le dveloppement de la dmocratie. Nous allons, prsent,
nous interroger prcisment sur ce qu'est la dmocratie, car ce concept, comme on le sait, est
extrmement quivoque, encore plus notre poque que dans les temps passs. Ceci cause de
la ncessit de lgitimation populaire scrte par l'objectivation du principe de la justice
sociale. De l que des structures socio-politiques aussi diffrentes que la Suisse, la France,
l'Algrie, l'Union Sovitique et l'Albanie se rclament de la dmocratie.
En d'autres termes, la notion de dmocratie, de par sa charge idologique, est devenue un
concept problmatique, o la dimension justifiante est plus importante que la logique de son
contenu. Pour cette raison, il est indispensable de dpouiller le mot de ces dterminations
idologiques, pour arriver comprendre la logique de son rle institutionnel.
Dans sa dfinition premire, la dmocratie veut dire le pouvoir du peuple. Mais cela ne veut
pas dire que le peuple dtient le pouvoir en tant que tel. La pyramide renverse est une figure de
l'esprit, mais non pas une structure sociologiquement viable. Il est, par consquent, vident que
ce concept ne peut pas renvoyer une non-ralit, une simple abstraction.
En ralit, l'ambigut de trouve dans le sens de Kratos. Nous savons que cette ambigut
apparat avec la gestation du droit et de la pense sociale. Le Kratos cesse alors de signifier tout
simplement la force brutale oppose au droit et la justice pour signifier pouvoir lgitime. C'est
dans la tragdie grecque, comme nous le montrent J.P. Vernant et P. Vidal-Naquet71 que se
manifeste, pour la premire fois, cette ambigut.
Par consquent, le Kratos l'intrieur de la pense sociale prend le sens d'autorit et de pouvoir
lgitime. C'est, en d'autres termes, le pouvoir souverain. Donc, la source de lgitimit du
pouvoir.
De sorte que dans la dmocratie, le peuple est la source de la lgitimit du pouvoir. Or, ce
peuple n'est pas compos, pour les Grecs, de la totalit des membres adultes de la socit civile 70
Les Chartes des villes italiennes et flamandes du 13me au 16me sont, bien videmment, une
manifestation de cette tendance l'objectivation et l'universalisation du nomos.
71
Voir ce propos leur tude Mythe et Tragdie en Grce ancienne, Fondations, Editions
Maspero.
57
comme c'est le cas actuellement -, mais par l'ensemble des citoyens: des sujets du pouvoir. Cela
veut dire, par consquent, que le peuple qui est le fondement de la dmocratie, ne peut tre
compos que de sujets du pouvoir. C'est d'ailleurs pour cette raison que la dmocratie implique
pour Aristote deux dimensions essentielles : l'isonomia, et l'isocratia.
L'isonomia tant, comme on le sait, l'galit des citoyens devant la loi. Cette forme d'galit est,
pour ainsi dire, la condition premire de la dmocratie.
De plus cette forme d'galit est celle qui permet la participation de tous aux affaires du
pouvoir. Ce qui implique la libert de parole, car le citoyen, en tant que sujet du pouvoir, est
celui qui peut et doit s'exprimer sur les affaires de la cit.
Enfin, la dmocratie prsuppose l'isocratia, c'est--dire l'identit des citoyens devant le pouvoir.
Cette galit implique, par consquent, que les citoyens participent tour de rle aux fonctions.
Au sens strict du terme, il s'agit ici du principe de l'alternance. Pour cette raison, Aristote nous
dit que dans la dmocratie les citoyens doivent ncessairement avoir accs tour de rle aux
fonctions de gouvernant et celles de gouverns. Dans le cas contraire, nous dit-il, lorsque
seule une partie de la communaut des sujets a accs aux fonctions publiques, nous nous
trouvons devant un gouvernement oligarchique.
Cela veut dire que toute structure sociale soumise l'empire du nomos peut se manifester de
deux manires diffrentes : soit sous la forme populaire, soit sous la forme oligarchique. La
forme populaire, tant celle qui se conforme aux exigences de la dmocratie.
Suivant ce raisonnement, il est clair que ce qu'Aristote appelle un gouvernement oligarchique,
n'est pas un pouvoir d'o le nomos est absent. Tout au contraire, nous avons affaire ici a un Etat
de droit. Ainsi, selon les principes, l'Etat de droit n'implique pas la dmocratie, quoique la
dmocratie prsuppose l'Etat de droit.
58
59
60
nouvelles fodalits 73, ne peut tre que la consquence du blocage sociologique qu'une telle
structure implique. Seul un d'tatisation grandissant peut empcher, dans ces conditions, la
manifestation du ngatif. Cela dit, le rgne de l'individualisme tend scrter les valeurs de la
moralit objective et exiger leur ralisation. De sorte que l'individualisme est, son tour, une
puissance qui freine la ngation de sa propre logique.
Concept qui souligne une certaine similitude entre l'Etat d'offices, de l'Ancien Rgime, et
l'Etat de titulaires : la tendance l'appropriation de la chose publique par une caste et
l'inclination son auto-reproduction gnrationnelle. On peut aussi exprimer cette
problmatique d'une autre manire en disant dans l'Etat d'offices les postes taient achets par
leur titulaire, tandis que dans l'Etat de titulaire les postes dans la fonction publique sont
obtenus jusqu' la retraite selon des principes de cooptation plus ou moins rigides.
74
Nous parlons ainsi de deux formes de l'Etat de droit : la rpublique et la monarchie
constitutionnelle. Dans la premire forme le monarque est temporaire, tandis que dans la
deuxime il est issu d'une royaut hrditaire. Cette personnalit incarne, en principe, la
continuit d'une communaut et la lgitimit de ses instructions. Normalement, cette
personnalit se situe au-dessus du gouvernement, dans une position autoritaire, comme dans
une position non-autoritaire. Le Prsident d'une rpublique est ainsi un monarque temporaire
se situant par dessus la gestion immdiate du social. A la diffrence du Prsident, le Chef du
gouvernement est celui qui s'occupe, prcisment, de cette gestion immdiate.
61
De sorte que l'Etat de droit implique d'un ct, soit un peuple arbitre, soit un peuple de
citoyens, et de l'autre, le fait que ce peuple puisse comprendre une partie ou la totalit de la
communaut sociale. Le concept de peuple arbitre, est, pour ainsi dire, la forme premire du
principe dmocratique, car le peuple y joue le simple rle de slectionneur. Il choisit l'lite qui
doit accder au pouvoir. Dans ces conditions, il n'y a pas - l'isocratia tant exclue -, de vritable
isonomia Dans une rpublique de titulaires, par exemple, il y a ceux qui ont droit un travail
vie et ceux qui ne possdent pas ce droit. Nous nous trouvons l, par consquent, avec une
ingalit devant le droit du travail. Pour ce qui est de l'isegoria, rappelons que dans beaucoup
de rpubliques du Tiers-monde, le peuple qui vote n'a pas, dans sa totalit, droit au chapitre,
pour ce qui est les affaires du pouvoir.
Par consquent, l'acte de voter n'est pas - comme on peut le constater dans les structures
oligarchiques -, une manifestation de la plnitude des droits du citoyen, en tant que sujet du
pouvoir. La participation aux lections est considre comme un droit, parce que c'est au nomos
de spcifier ceux qui doivent voter et ceux qui ne le peuvent. Exprim de cette sorte le droit se
prsente comme la source mme du phnomne instituant. Or, au sens strict du terme le droit,
comme nous l'avons soulign plus haut, est l'manation de la communaut de citoyens. Car, en
dernire instance, c'est l'tre humain qui est source de valeur. Par consquent, dans une
structure purement dmocratique, la participation 75 n'est pas un droit, mais une facult du
citoyen en tant que sujet du pouvoir.
L'Etat de droit, peut aussi comporter comme base une communaut de citoyens. Cela veut dire
qu'il y a participation de tous les citoyens aux fonctions et, par consquent, alternance pure.
Nous avons affaire ici un systme dmocratique au sens universalisant du terme. Car, la
dmocratie prsuppose non seulement l'Etat de droit, mais aussi la communaut de citoyens.
Donc, la ngation du monopole, plus ou moins totalisant, de la res-publica, par un corps de
permanents.
Mais l'Etat dmocratique n'implique pas l'Etat de justice. Par rapport au simple Etat de droit, il
est vident que l'Etat dmocratique traduit un plus haut niveau de justice. Ceci, dans la mesure
o les rgulateurs objectifs assurent, jusqu' un certain point, la ralisation de la justice
distributive.
Cela dit, le fonctionnement de la dmocratie, ou de la loi de l'alternance pure, n'implique pas la
ralisation universalisante du principe de la justice. En effet, la dmocratie au sens structurel
du terme, ne prsuppose pas la totalit de la communaut sociale, donc, de l'ensemble des
individualits en ge de raison. La dmocratie peut tre, en effet, btie sur une base trs
restreinte : ce qui s'est produit dans l'Athnes de Pricles, ou aux Etats-Unis d'Amrique aprs
leur accession l'indpendance, pour ne donner que quelques exemples. Dans le premier cas,
comme on le sait, seuls taient sujets du pouvoir les hommes libres. Etaient exclus les esclaves
et les femmes. Pour ce qui est de l'exemple des Etats Unis, rappelons que seul les membres
mles de la W.A.P.S.76 faisaient partie de la communaut des citoyens. Ce qui veut dire, par
consquent, qu'aussi bien les personnes de couleur des deux sexes que les hommes et les
femmes non protestants, ainsi que les femmes protestantes taient exclus de la communaut des
citoyens.
Par consquent, la dmocratie au sens structurel du terme ne prsuppose pas le rgne de la
justice, dans sa dimension universalisante. La dmocratie est une condition ncessaire de l'Etat
de justice, mais elle n'est pas la condition suffisante.
75
Dans certains pays la participation aux lections est une obligation. Les sujets qui
s'abstiennent doivent payer une amende. Le droit de lgitimer, est ainsi transform en
obligation de lgitimation. Ce qui, selon son concept, est contraire au principe de libert qui est
la base de cette pratique. Il ne s'agit pas toutefois ici d'une ngation de cette libert. Car, une
telle ngation impliquerait le fait que la possibilit de choisir soit enleve au sujet. Cela dit,
dans certaines formes d'Etat de droit, le vote est considr comme un droit, voire comme un
privilge. Ce qui dnote la distance entre les lites du pouvoir et la socit civile. Les seigneurs
condescendent accorder des droits politiques, telle ou telle partie du peuple.
76
White American Protestant Society
62
Se pose, ds lors, la question de savoir ce qu'est ce devoir tre de l'Etat de droit que nous
appelons l'Etat de justice ? Aristote nous fait comprendre, ce propos, que le but de la justice
est la cration d'un Etat qui soit une forme de communaut d'gaux en vue de mener une vie la
meilleure possible. Par consquent, la communaut d'gaux est le fondement mme de l'Etat de
justice.
Quoique cette communaut d'gaux doive tre comprise au sens universel du terme. Ce qui veut
dire que tout membre de la socit en ge de raison - quels que soient son origine ethnique ou
son sexe - doit faire partie de cette communaut. Cette exigence n'est pas un simple devoir-tre,
dans le sens attendu terme, mais possde une dimension concrte. En effet, toute singularit est
une virtualit de l'universel. De ce point de vue, toutes les singularits se trouvent au mme
niveau : elles sont au mme titre des manifestations de l'universel. Ceci de la mme manire que
les lments de base, le sont de la totalit de laquelle ils font partie. Bien videmment, il est
ncessaire que les singularits soient en ge de raison ou en pleine possession de cette facult.
Cette condition, comme nous l'avons signal, est ncessaire, car, selon les principes, la raison
est la capacit de discerner le juste de l'injuste. Or, tout tre humain adulte, normalement
constitu, est capable de faire cette distinction, car il est, par dfinition, un animal rationnel.77
Par consquent. la communaut des citoyens ne peut tre, d'un point de vue strictement
dikelogique, rduite une simple minorit. Dans ces conditions, la dmocratie rcupre la
dimension universalisante qui est la sienne. De ce point de vue, il est vident que le contrle de
la res-publica par un corps de permanents est aussi anti-diklogique que l'existence d'une
simple minorit comme sujet du pouvoir.
Mais l'Etat de justice, au sens concret du terme, n'implique pas simplement le principe de la
communaut largie des citoyens et celui de l'alternance pure, mais aussi une certaine forme de
rapport entre l'Etat et la socit civile. D'autres exigences font, en effet, partie de la logique de
cette forme. Ces conditions ne rentrent pas toutefois dans la dimension de la rgulation
objective, comme c'est le cas des manifestations de la dmocratie.
La rgulation rationnelle et consciente se traduisant dans l'ordre juridique, implique :
Premirement, que les fonctions publiques ne soient pas source de profit, et encore moins
occasion de dtournements des fonds publics.
Deuximement, que la redistribution sociale soit faite partir du critre des besoins. Il s'agit, en
effet, de subventionner ceux qui sont dans le besoin et non ceux qui ne le sont pas, et
Troisimement, que l'Etat n'accroisse, avec sa pratique, les ingalits sociales, en accordant des
privilges et des sincures. Il s'agit, plutt, de rduire ces ingalits, par une imposition
significative de l'hritage, en vue prcisment d'assurer l'galit des chances.
Pour ce qui est de ce dernier point, il s'agit de comprendre que l'largissement de la res-publica,
ne conduit pas l'enrichissement et au nivellement du social. Aristote pense quant lui qu'il y
a une proportion adquate entre un secteur et l'autre, mais il ne nous dit pas quelle a
proportionnalit. Adam Smith pour sa part considre que l'Etat est le secteur improductif. De l
qu'il s'agit d'viter que l'Etat crase avec sa surcharge, le secteur productif. C'est en analysant la
problmatique de ce rapport que Smith nous fait comprendre que la richesse d'une nation est en
rapport inverse au poids de son Etat. L'poque actuelle avec ses statistiques, plus ou moins
prcises, tend confirmer cette thse contenue d'une manire implicite dans sa Recherche sur
la nature et la cause de la richesse des nations.
Nous tudierons plus loin ce problme de l'largissement de l'Etat, ainsi que la tendance la
disparition de la socit civile. Ici, nous nous rfrons plutt l'Etat dans la dfinition donne
par Kelsen : appareil bureaucratique ayant la tte le Gouvernement. Pour ce qui est du cot de
cet appareil, il nous semble vident que d'un point de vue diklogique, les salaires trs levs de
la haute fonction publique - tel que nous le connaissons, par exemple, en France - ne
correspondent pas l'exigence d'un Etat de justice. L'essentiel des ressources communes doit
77
En tout tat de cause, tous les membres de cette communaut, sont en principe en condition
d'lire des reprsentants dous de raison : capables de faire la diffrence entre le juste et
l'injuste. Pour cela mme Aristote disait que nous ne donnons pas le pouvoir aux hommes,
mais la raison. Donc, la capacit de faire la diffrence entre le juste et l'injuste.
63
tre employ aider ceux qui sont dans le besoin et non pas surpayer le personnel de l'Etat.
L'Etat thique est, en effet, celui o l'engagement dans la fonction publique est plus un
dvouement envers la communaut, qu'un engagement en vue du profit.
De sorte que dans un Etat de justice, le prlvement public doit tre conditionn : 1) par des
dpenses de fonctionnement frugales, 2) par la juste redistribution sociale, et 3) par les
dpenses rationnelles en infrastructure et autres aides destines promouvoir la production
matrielle et culturelle.
64
65
tte. C'est cette puissance qui produit sa propre juridicit et accorde le statut de normes lgales
des normes non produites par lui.
A travers cette production normative l'Etat forme et maintient un ordre social. Pour cette raison,
on dit que l'Etat impose la loi et l'ordre. Ce qui veut dire, plus prcisment, qu' travers la loi et
son monopole de la force, l'Etat impose l'ordre, maintient la logique mme de l'ordre social,
dont il est le garant. De ce point de vue, le rle de l'Etat est de produire, imposer et excuter la
loi. Cette multiplicit de fonctions est possible, car l'Etat est la fois lgislateur, administrateur,
gendarme et juge.
La juridicit positive se manifeste ainsi comme l'manation de la puissance tatique. Donc,
comme le mcanisme qui garantit et impose un ordre social. Pour cette raison, la juridicit
positive s'intresse essentiellement aux conduites qui affectent cet ordre. Par del le simple
rapport entre l'Etat et l'ordre du social - qui se manifeste travers la production et la
reproduction de la positivit juridique apparat un des premiers degrs de la moralit qui
s'objectivise dans l'Etat, via le droit. Plus prcisment, les problmes de la limitation de cette
puissance.
Jellinek avait signal ce propos que le droit reprsente un minimum thique. Par consquent,
le droit ne doit pas tre un simple instrument de coercition sociale, ou une technique normative
destine imposer un ordre donn, ce qui est arriv dans le pass et arrive encore de nos jours.
Car, dans ce cas, le droit est synonyme de perversit et antonyme de justice.
En effet, la finalit du droit n'est pas simplement de maintenir par la coercition un ordre social
donn, mais de garantir un minimum de scurit et de justice. Nous regarderons ici le problme
de la scurit et nous tudierons la catgorie de la justice dans un chapitre diffrent.78
Selon sa dimension thique premire, la finalit du droit est la scurit. Ce niveau prsuppose,
comme nous venons de le voir, le rle instrumental du droit. Lequel est de maintenir l'ordre
pour l'ordre, sans que soit pose la question de la nature de cet ordre. La contestation et la
critique n'y sont pas encore acceptes. Par contre, ce niveau s'accomplit dans la dimension de
la justice qui est sa finalit essentielle, et qui fait que son concept se conforme son universalit.
A prsent, essayons de saisir la signification de cette finalit premire : la scurit. En effet, la
notion de scurit juridique a deux significations essentielles : la scurit face l'Etat et la
scurit dans la sphre prive. D'une manire gnrale, c'est cette dernire dimension qui est
considre comme tant synonyme du concept de la scurit juridique. Ceci cause du fait que
cette catgorie de la scurit dans la sphre prive ne pose pas de problme la nature de
l'ordre social. Tout Etat se doit de garantir la scurit dans l'existence sociale. Aussi bien en ce
qui concerne les tres, que leurs biens. Cette problmatique est vraie tant dans les socits
galitaires et niveles que dans celles qui ne le sont pas.
De sorte que cette dimension de la scurit dans la sphre prive concide plutt avec la notion
du maintien de l'ordre. Plus prcisment avec le rle instrumental du droit. Par contre, la
catgorie de la scurit juridique face l'Etat dpasse le rle instrumental du droit pour se
projeter dans une sphre diffrente : celle de l'objectivation de la moralit dans l'Etat.
De par sa propre juridicit l'Etat est une puissance rgule et rglemente. C'est la condition
mme de son fonctionnement. De sorte que l'Etat est, selon cette dimension, une structure
purement juridique. Sa puissance n'est pas encore rgule ni rglemente. Dans ces conditions,
l'arbitraire tend tre principe d'autorit.
Il s'agit, par consquent, de rguler et de rglementer l'usage de la force ; donc, d'aller au-del
de la simple rglementation et rgulation du fonctionnement de l'Etat. Cette ncessit se pose
parce que l'Etat dtient le monopole de la force lgitime et peut, ds lors, abuser de sa puissance
et introduire le rgne de l'arbitraire et de la malfaisance.
L'Etat non limit par le droit tend se manifester comme violence institue. A l'poque du
National socialisme on disait : Macht ist Recht!, que le pouvoir est le droit. Par l mme, ce
pouvoir imposa une interprtation extrmement troite du droit, comme la simple manation
normative du pouvoir, crant ainsi les conditions de l'organisation normative de l'immoralit et
du dchanement de l'Etat en tant que puissance dmoniaque.
78
66
Le principe de la scurit juridique, en tant que scurit face l'Etat, implique aussi bien le fait
que l'Etat reconnat et garantit la libert de l'individu, que la rglementation dans l'utilisation
de la force. En ce qui concerne la premire dimension, il faut rappeler qu'elle se manifeste
concrtement dans l'histoire avec l'Habeas Corpus (1679), en Angleterre. En effet, l'Habeas Corpus
permet et garantit la libert individuelle. Plus prcisment, l'Etat reconnat et garantit la scurit
juridique.
En ce qui concerne cette problmatique il faut signaler que c'est de l que dcoulent les
principes essentiels de l'Etat libral. Plus exactement : l'galit entre tous les citoyens et la
reconnaissance de leur libert. De plus, ct de cette reconnaissance il y a les manifestations
formelles de la scurit juridique comme, par exemple, le fait
que le droit doit tre connu par tous. La publication de la loi est une condition indispensable
sa validit.
Dans les manifestations formelles de la scurit juridique il faut aussi inclure le principe de la
non-rtroactivit de la loi. La rtroactivit n'tant admise que lorsqu'elle implique une
diminution des peines. Cela dit, l'lment essentiel de la scurit juridique se trouve dans la
protection normative des individus, donc dans l'exclusion de toute forme d'arbitraire venant de
la part de ceux qui contrlent le pouvoir.
C'est pour cela mme qu'il est ncessaire que l'utilisation de la force soit rglemente. Le droit
de rpression est le monopole absolu de l'Etat. Mais, il y a une diffrence entre le monopole de
facto et le monopole de jure. Dans la premire dimension, l'Etat exerce le monopole de sa force
sans aucune mesure tandis que dans la deuxime nous avons affaire une utilisation mesure
de sa force. Pour cette raison, on dit que l'Etat exerce le monopole de l'utilisation lgitime de la
force travers le droit.
Il faut comprendre que la lgitimit dont il est question ici est celle de l'Etat de droit. Donc, un
Etat dans lequel la juridicit positive rgle et rgule l'utilisation de sa force. Elle stipule, par
consquent, les procdures de l'exercice du monopole de la force, ainsi que les organes qui
l'excutent. Les limites de l'utilisation de la force sont ds lors clairement tablies. Nous avons,
par consquent, affaire dans ce cas un Etat limit juridiquement dans le monopole de sa force.
Le problme essentiel dans cette limitation c'est d'viter que le droit puisse se manifester comme
la loi du plus fort, comme la violence institue. C'est, en tout cas, ce que nous apprend l'histoire
du rapport entre l'Etat et la socit civile. A l'poque des vnements qui prcdent la premire
Rvolution anglaise, le Roi d'Angleterre. Charles Ier, considrait comme non ncessaire la
Ptition du droit79 1 faite par le Parlement. Pour lui The King can do no Wrong !. En d'autres
termes, le Roi, en tant que reprsentant de Dieu, ne pouvait pas faire du mal. De la, le caractre
non ncessaire d'une telle Ptition qui voulait que le Roi ne soit pas au dessus des lois et que le
gouvernement soit responsable devant le Parlement. Comme on le sait cette Ptition fut accepte
en 1688, lors de ce qu'il est convenu d'appeler la Glorious Revolution.
De sorte que c'est dans l'histoire de l'Angleterre de cette poque que va se manifester le principe
de la scurit juridique, donc de la scurit face l'Etat ; en d'autres termes de la consolidation
du phnomne de l'individu. Car l'individu, ou le sujet juridique, contient essentiellement la
capacit de droit. De ce point de vue le niveau d'individualit est en rapport inverse la
puissance non-rgle de l'Etat.
2) LEtat et la legitimite
Max Weber pensait, pour sa part, qu'il y a trois formes de lgitimit : 1) la lgitimit
traditionnelle, 2) la lgitimit charismatique et 3) la lgitimit rationnelle. Cette typologie est
reste depuis lors comme une division significative du phnomne de la lgitimit.
Pour ce qui est de la premire forme, rappelons que pour Weber la lgitimit traditionnelle est le
rsultat d'un pass culturel. Elle prsuppose, par consquent, une dimension religieuse. En
effet, les rois taient lgitimes par la Transcendance. On disait ainsi, par exemple, Roi de France
par la grce de Dieu. A l'intrieur de cette forme de lgitimit, il faut aussi tenir compte du fait
79
67
qu'elle tait trs souvent fonde sur l'hrdit de la couronne et parfois sur une forme prcise
d'hrdit comme dans le cas de la loi Salique80 pour la famille royale franaise. Selon cette loi,
les femmes sont exclues du droit de succession la couronne. Ce qui va provoquer, par
exemple, les guerres carliste en Espagne. Mouvement qui s'insurge prcisment contre l'arrive
sur le trne d'Espagne d'Isabelle II, nice de Ferdinand VII.
Par consquent, la logique de cette forme de lgitimit est une manifestation des temps
organiques. Plus prcisment, de la concrtisation d'un ordre patriarcal dans lequel le Pre
absolu lgitime le Pre d'une communaut donne et c'est ce Pre qui donne la lgitimit aux
Pres de famille. De l que le vrai croyant tait cens tre un bon sujet et un bon fils. Il faut ds
lors tre conscient, que du point de vue strictement traditionnel, l'intrieur de cette forme de
lgitimit, la souverainet appartient au souverain.
En ce qui concerne la lgitimit charismatique, elle est selon Max Weber, celle qui est dgage
par un chef. Dans ces conditions, l'effectivit du pouvoir repose sur une grande personnalit.
Cette thse nous semble particulirement problmatique, car la lgitimit renvoie par dfinition
une vision du monde soutenue par un ensemble de cadres rfrentiels. En effet, le vrai
pouvoir des individualits dites charismatiques comme Staline, Hitler, Mussolini, Mao, Castro
etc. pour ne parler que de quelques-uns parmi les plus significatifs des temps modernes, ne
nous semble pas tre leur personnalit mme, mais la croyance dans l'idologie qui les a ports
au pouvoir et qu'ils ont exprime d'une manire plus ou moins cohrente.
Mais, c'est la troisime forme de lgitimit dans la typologie de Max Weber qui va nous
intresser ici le plus. Il s'agit de ce qu'il appelle la lgitimit rationnelle. Pour Weber cette forme
de lgitimit repose sur un ensemble de rgles positives. Nous avons, par consquent, affaire au
problme de la lgitimit lgalise. Plus prcisment, de celle qui drive d'une norme
fondamentale. Weber opre ainsi une rduction problmatique, dans la mesure o il confond
lgalit et lgitimit. En effet, la norme fondamentale, au sens strict du terme, appartient au
domaine de la juridicit positive. Le pouvoir est plutt rgul par la Constitution, mais non pas
lgitim par elle. Par consquent, c'est la validit qui drive de la norme fondamentale et non
pas sa lgitimit. Cette validit correspond, bien videmment la lgalit et l'efficacit du
pouvoir.
Dans sa ralit, le pouvoir est un ordre institu qui est rgul dans son fonctionnement et dans
sa forme de reproduction normative par une norme fondamentale. Le droit positif est ainsi un
ordonnancement juridique qui possde, au sommet de sa structure pyramidale, une norme
fondamentale. Au sens strict du terme, la norme fondamentale fait partie de la lgalit institue.
Pour cette raison, il est problmatique de soutenir, comme le font Weber et Kelsen, que la norme
fondamentale est une instance de lgitimit. Cette position est celle du positivisme, pour lequel
le droit valide est en lui-mme juste : la valeur thique suprme.
Nous avons plutt essay de montrer ici qu'au-dessus de l'lment formel de la logique
juridique, il y a l'ide essentielle de justice et de moralit. En d'autres termes, tout systme de
lgalit se ralise travers un systme dtermin de lgitimit. Nous devons, par consquent,
nous poser la question de savoir quelles sont les instances suprieures la lgalit ? Comment
se manifestent concrtement ces instances ? Pour dterminer ces instances, nous devrons faire
tout d'abord la diffrence entre la lgitimit et la lgitimation, car, l'Etat n'est pas simplement
une puissance institue, il est aussi une force revtue par une forme quelconque de lgitimation
et de lgitimit.
La lgitimation est en rapport avec le domaine de la souverainet, tandis que la lgitimit
renvoie au systme de valeurs qui conditionne l'existence d'un pouvoir donn. Par consquent,
la lgitimation est d'ordre sociologique, tandis que la lgitimit est d'ordre axiologique.
Dans les socits traditionnelles, o la souverainet appartenait au Roi, la puissance de
lgitimation se trouvait prcisment entre ses mains, tandis que la lgitimit tait d'ordre
transcendantale. De sorte que, dans ces conditions, l'Eglise dtenait une partie de la puissance
lgitimante. Par contre, dans les socits individualises o la
80
68
La souverainet individuelle.
69
moment des chances lectorales que le peuple sanctionne ceux qui s'cartent trop d'un
systme de valeurs socialement reconnu.
L'cart par rapport ces principes provoquent la perte de confiance. La dlgitimation se
produit seulement au moment des lections. On dit alors qu'un pouvoir donn a t sanctionn
par le vote de la majorit. Il est, en tout cas, hautement problmatique de croire que la rgle
majoritaire produit la justice. Il ne faut pas oublier, ce propos, que Hitler est arriv au pouvoir
justement par la loi de la majorit.
Il est important de comprendre que le principe de la souverainet populaire, est un acquis de
premier ordre ; ceci, tout comme le sont les principes du libralisme et l'Etat de droit. Mais il
faut tre conscient que toutes ces catgories font partie d'une positivit qui n'est pas en ellemme encore accomplie pleinement, mme dans les pays les plus avancs, c'est--dire, l o la
conscience critique joue un rle rgulateur trs important.
C'est la raison pour laquelle nous disons que strictement parlant, la Constitution ne lgitime
pas le pouvoir, mais que ce sont plutt les principes accepts par ce texte fondamental qui
jouent ce rle. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si les Constitutions sont gnralement
prcdes par des dclarations de principes.
La lgitimit procde, par consquent, d'une instance suprieure la normativit elle-mme,
plus prcisment, de l'idologie et de l'axiologie. Nous avons ainsi d'un ct la lgitimit
idologique et de l'autre, la lgitimit axiologique. C'est par rapport ces instances que le droit
en vigueur et l'ordre institutionnel existant tendent se justifier comme lgitimes.
Avant de passer la dtermination de cette diffrence comprendre qu'il y a un rapport trs
troit entre un systme de lgalit et son systme de lgitimit. De telle sorte que tout systme de
lgalit est l'expression d'un systme donn de lgitimit. On peut exprimer ce rapport dans le
sens contraire, en disant que tout systme de lgitimit se manifeste dans un systme donn de
lgalit.
Il est aussi important de saisir que tout systme de lgitimit permet de justifier sa
manifestation effective. C'est pour ainsi dire le rle instrumental du systme de lgitimit. Ceci,
indpendamment du fait qu'il y a toujours une relation d'identit et de non-identit entre l'idal
et son tre-manifest. De telle sorte que tout systme de lgitimit peut avoir en mme temps un
rle critique par rapport la positivit dans laquelle il s'objective.
Cela dit, la lgitimit pour pouvoir justifier doit tre accepte. De l, la ncessit pour tout ordre
social de sauvegarder la lgitimit de ses cadres rfrentiels. Cette ncessit est d'autant plus
ncessaire que le systme de lgitimit s'loigne de la dimension rationnelle de l'axiologie. La
raison tant ici cette capacit de faire la diffrence entre le bien et le mal, entre le juste et l'injuste
et entre le vrai et le faux.
Il y a, par consquent, une diffrence fondamentale entre la lgitimit idologique et la lgitimit
axiologique. La lgitimit idologique est, plus prcisment, l'tre-dgrad de cette dernire. En
effet, l'idologie est une reprsentation de l'intrt gnral et permet, en tant que telle, la
ralisation d'un ordre dont le but est de sauvegarder les intrts de ceux qui gouvernent. De
plus, l'idologie fait rfrence des catgories axiologiques, tout en leur donnant un sens
diffrent. De l, la ncessit dans laquelle se trouve tout ordre idologis, de vouloir dmontrer
constamment que c'est lui qui dtient le vritable sens des valeurs d'ordre universel.
Mais tt ou tard la perversion contenue dans les idologies tend se manifester. Car les
principes ne sont pas uniquement cause de l'action, mais aussi finalit de sa manifestation. De
sorte qu'il arrive un moment o la perversion se dvoile en toute transparence dans la ralit. Il
se produit alors la dlgitimation d'une telle lgitimit et avec elle la dligitimation de l'ordre
institutionnel qu'elle avait conditionn.
Nous sommes en train de vivre actuellement cette exprience avec le marxisme. Cette idologie
a cess d'tre une puissance lgitimante partir du moment o l'horreur produite dans la
ralit et dans les esprits ne pouvait plus tre occulte par le mensonge et la mauvaise foi, des
maffiosi qui avaient tout intrt sauvegarder son rle de force rationnelle et axiologique. Avec
le devenir problmatique de cette idologie s'est produit, comme nous le constatons,
l'effondrement de son objectivation : l'ordre du socialisme dit rel.
70
L'exprience de cet vnement nous montre jusqu' quel point la puissance lgitimante est une
pice matresse dans l'ordre social. Que tout ordre fonctionne pour autant que sa lgitimit est
accepte. De sorte qu'une idologie est une puissance lgitimante, pour autant qu'une
communaut sociale vit dans l'clipse de la raison.
3) L'Etat et le constitutionnalisme
Certains thoriciens pensent que l'Etat de droit apparat avec le mouvement constitutionnaliste.
Ils font donc remonter le phnomne de l'Etat de droit l'indpendance des Etats Unis et la
Rvolution franaise. Cette thse est particulirement problmatique, non seulement du point
de vue historique, mais compte tenu de ce que nous observons dans les temps prsents de par le
monde. En effet, nous constatons que la presque totalit des Etats actuellement existants ont des
constitutions, et que cela n'empche nullement le rgne de l'arbitraire dans la plupart d'entre
eux. Il s'avre ds lors ncessaire de faire une diffrence entre l'Etat de droit et le phnomne
constitutionnel.
Dans son principe l'Etat de droit prsuppose d'un ct, le fait que le Prince n'est pas au-dessus
de la loi, et de l'autre, le fait que le gouvernement est responsable devant le Parlement : les
reprsentants du peuple. Pour cette raison il nous semble plus adquat de faire remonter l'Etat
de droit la Rvolution anglaise (1688-1689). C'est, en effet, cette poque que le nouveau Roi82
accepte le Bill of Rights qui avait t demand par le Parlement, ds 1628.
La norme fondamentale peut, quant elle, entriner ou non l'exigence d'un Etat de droit, ainsi
que ses drivs, et donc, non seulement la suprmatie du droit et de ses principes, mais aussi le
phnomne de la lgitimation populaire. En effet, l'Etat de droit prsuppose aussi la
responsabilit du gouvernement devant le Parlement. Par consquent la responsabilit de
l'excutif devant le lgislatif : les reprsentants de la volont populaire.
En d'autres termes, l'excutif est soumis au contrle de cette puissance nomothtique qu'est le
pouvoir lgislatif. Bien videmment, d'aprs les principes, cette puissance elle-mme est, selon
la logique de cet ordre, l'expression de la volont populaire. Mais, la souverainet populaire laquelle s'exprime selon la rgle de la majorit - prsuppose la libert de ceux qui la
dterminent.
L'existence d'une constitution ne garantit donc pas l'mergence d'un Etat de droit et d'un ordre
dmocratique. Il y a en effet des constitutions qui conditionnent l'existence des pouvoirs o la
lgitimation ne provient pas de la souverainet populaire et de la libert individuelle qui sont
son assise fondamentale, mais plutt de l'existence d'un Parti et de son idologie.
Au sens strict du terme la Constitution doit contenir en quelque sorte aussi bien les rgles qui
conditionnent le fonctionnement du pouvoir, que les conditions mme de sa lgitimit. Et plus
prcisment, de la lgitimit juridique, politique et axiologique. En ce qui concerne cette
problmatique, il faut tenir compte du fait que la lgitimit juridique renvoie la suprmatie du
nomos et celle des principes qui conditionnent l'existence d'un ordre social donn.
Nous avons dj signal le fait qu'il faut faire une diffrence entre la Constitution et ses
principes. Mais ceci n'implique pas qu'il soit ncessaire de faire une sparation totale. En effet,
la Constitution renvoie ses principes et les contient en quelque sorte. De plus, ces principes
peuvent ne pas tre contenus dans un texte trs prcis, car la dimension axiologique n'est pas
entirement saisissable. Elle se manifeste travers les grands principes et leur interprtation
reste en dernire instance lie la substance thique d'une communaut et au niveau de la
conscience morale de sa minorit pensante.
C'est ainsi qu'en France, par exemple, la Constitution de 1958 renvoie non seulement la
Dclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et au Prambule de la Constitution de
1946, mais aussi aux "principes reconnus par les lois de la Rpublique ", aux "principes
gnraux du droit", et "aux objectifs de valeur constitutionnelle".
Il faut remarquer, en ce qui concerne cette problmatique des principes, que l'ordre social de la
France est donn en quelque sorte par ces mmes principes. En effet, les principes gnraux
82
71
donnent une socit o la libert individuelle et l'indpendance juridique sont garanties ; mais
ils donnent aussi la dimension de l'conomie mixte (Prambule de la Constitution de 1946) et le
caractre permanent de son lite administrative. Ceci, par le principe de la continuit du service
public, admis par les "principes reconnus par les lois de la Rpublique".
La Constitution contient aussi, comme nous venons de le signaler, les principes de la lgitimit
politique ; plus prcisment de la lgitimation populaire. Les rgles de la ralisation de cette
lgitimation sont donnes par la Constitution. Les principes sur lesquels s'appuient ces rgles
sont ceux de la libert individuelle et de la souverainet populaire. De sorte que la loi de la
majorit se manifeste comme critre de lgitimation du droit et de l'Etat.
La lgitimit axiologique, quant elle, se trouve exprime dans les Constitutions soit par les
deux formes prcdentes, soit par la reconnaissance des principes d'ordre universel.
Gnralement, cette dimension se trouve mdiatise par les idologies. Plus prcisment par les
reprsentations de l'intrt gnral et qui sont, en ralit, les instruments de l'intrt de ceux qui
contrlent le pouvoir.
Cela dit, d'un point de vue immdiat, la norme fondamentale est la norme de production des
autres normes. En d'autres termes, la Constitution donne le mode de production des autres
normes, ainsi que les critres de rception et de dlgation. On peut aussi exprimer cette
problmatique en disant que la norme fondamentale autorise la production, la reconnaissance
et la dlgation des normes infrieures. Il est alors question de production directe et indirecte.
La production directe concerne les lois, les dispositions rglementaires 83 et les dcisions des
tribunaux. La production indirecte, par contre, renvoie aux normes reconnues et aux normes
produites par dlgation. Les normes reconnues sont celles issues, soit des Accords
internationaux, soit celles produites par la coutume. Les normes produites par dlgation sont
celles des puissances nomothtiques, cas notamment des Etats particuliers l'intrieur d'une
structure fdrale. La Constitution fdrale indique, ce niveau-l, la production adquate,
c'est--dire le domaine, l'organisme comptent et la procdure tablie.
De sorte que la validit de l'Etat et des normes juridiques dpend de la Constitution. On peut
exprimer cette problmatique d'une autre manire en disant que la validit de l'ordre
institutionnel dpend de la norme fondamentale. Mais, cette norme tire, son tour, sa validit
de l'efficacit de la puissance tatique.
Ceci veut dire, par consquent que - en ce qui concerne le rapport entre l'Etat et la norme
fondamentale - l'Etat tire sa validit de la Constitution et que cette norme est conditionne dans
sa validit par l'efficacit du pouvoir ultime. Ainsi, la source de la validit de l'ordonnancement
juridique, dpend de l'efficacit du pouvoir tatique.
C'est donc l'efficacit de l'Etat qui semble tre le fondement de la validit du droit. En tout cas
c'est l'opinion de ceux qui croient que le droit dpend de la force du pouvoir ultime. Ce qui est
une rduction hautement problmatique et qui quivaut soutenir que la raison du droit
dpend de la raison de la force. Ou, pour paraphraser le clbre jugement de Trasimaque : la loi
est l'expression des intrts de ceux qui gouvernent !
En d'autres termes, cette interprtation quivaut faire fi de toute la dimension de la lgitimit.
D'ailleurs, la logique concrte de ce rapport nous montre que l'efficacit du pouvoir dpend en
dernire instance de sa lgitimit. Par consquent, la norme fondamentale n'est pas le support
effectif du pouvoir ; ce support se trouve plutt dans l'instance de la lgitimit. La Constitution
est ainsi une pice matresse dans la manifestation de la moralit qui s'objective dans l'Etat,
mais elle n'est pas la pice fondamentale. C'est la raison pour laquelle l'existence d'une norme
fondamentale n'est pas une garantie d'une dimension universalisante au niveau du pouvoir.
Cela dit, la Constitution en est une dimension indispensable, mais non pas la condition
essentielle.
Le rle prcis de la norme fondamentale se dvoile dans les matires constitutionnelles,
lesquelles peuvent tre ramenes quatre points essentiels : 1) la structure de l'Etat, 2) les
83
Il faut remarquer toutefois qu'au sens strict du terme, par rapport la loi, les rglements du
pouvoir excutif sont des dispositions dlgues.
72
84
73
consquent en ordre nomenklaturiste. De sorte que l'intrt des permanents est place plus haut
que ceux du peuple et de l'ensemble du social.
La nomenklatura se transforme ainsi dans cette caste qui croit que la raison universelle est le
produit de sa rflexion. Le monde apparat ainsi, dans ses formes les plus radicales, comme
lobjet de sa manipulation. Mao disait, ce propos, que le peuple chinois tait une feuille
blanche... Comme on sait, cette prtention a eu linsigne honneur dlever lhorreur sa
suprme manifestation. Lhorreur quelle a produite, en tous cas, na dgal que celle qui fut le
rsultat, dans la pass historique, de lobscurantisme religieux.
Cette somme est dans le budget prvisionnel de 1990, en France, de 1.218 milliards de francs.
Actuellement ce budget est, en France, de lordre de 1.400 milliards de francs. Lensemble de
ces budgets constitue 48,8% du PIB de la nation.
86
74
Dbut 1990
75
En ce qui concerne le rle conomique de l'Etat, il est naf de croire que les entreprises du
secteur public contribuent au nivellement et la justice sociale. Socio-conomiquement parlant,
le rle de ce secteur est d'largir l'espace rserv la nomenklatura, ou tout simplement la
clientle des parties au pouvoir. Pour cette raison il apparat clairement que le but thique de
l'Etat ne prcise pas l'accroissement des dpenses de fonctionnement. Les dpenses sociales,
par contre rentrent pleinement dans ce but. En effet, la finalit axiologique de l'Etat se manifeste
deux niveaux : la production du droit juste et le nivellement social. C'est cette double
dimension que nous appelons la justice sociale.
Cela dit, revenons au problme de la rpartition des dpenses sociales. Comme nous lavons
soulign, cest en fonction de lingalit que cette redistribution se fait. Le critre fondamental
est celui des besoins. Il sagit, ds lors daccorder ces subventions ceux qui sont dans le
besoin et non pas ceux qui ny sont pas. Pour cette raison le critre de distribution des
allocations familiales en France, savre particulirement problmatique. En effet, ces
allocations sont donnes toutes les mres de famille en fonction du nombre denfants et quel
que soit le niveau des revenus. Par consquent, avec le mme nombre denfants, la femme
fortune reoit autant que la femme abandonne et au chmage. Comme on peut aisment le
comprendre, il sagit l, dune pratique absurde et injuste. De plus, elle met en jeu des sommes
considrables, puisque les allocations familiales sont presque deux fois plus importantes que
les allocation chmage.
En ce qui concerne ces budgets, il est vident, que selon la logique axiologique dont il est
question ici, ils doivent tre grs par des reprsentants du peuple. La fonction de la
redistribution ne peut pas tre confie, comme c'est le cas en France, des forces extrieures au
contrat social, comme sont les syndicats. Ceci est d'autant plus vrai que la redistribution des
richesses est une fonction essentielle de la dimension thique de l'Etat.
En effet, l'Etat atteint la finalit axiologique qui est la sienne, non seulement travers la
production et l'administration d'un droit juste, mais aussi dans et par la redistribution des
richesses. Le nivellement social est prcisment la condition essentielle de la formation de cette
communaut d'gaux dont parlait dj Aristote. Cette communaut d'gaux tant le but
pratique et le devenir ncessaire de l'Etat thique. De plus, une telle finalit ne peut pas tre
atteinte sans la ralisation concrte de la justice sociale.
Lexprience dmontre dailleurs que les socits dextrme ingalit, sont les socits o les
principes dordre universel nont pas cours. Ce sont, plus prcisment, des socits o les
principes de la justice sociale sont pervertis tantt par la ruse, tantt par la violence de la
domination. Dans ces conditions le but de lEtat nest pas le bien tre de la communaut sociale
dans sa totalit, mais le bien tre de ceux qui contrlent les pouvoirs rels.
Nous reprenons ici la diffrence tablie par le sociologue Ferdinand Toennies (1887), entre
communaut et socit.
76
77
De sorte que lexistence du suffrage universel, a pu faire croire aux thoriciens que ce
phnomne implique la dmocratie elle-mme. En dautres termes que la dmocratie
reprsentative est la seule dmocratie viable dans les structures sociales importantes et
complexes de notre poque. On croit ds lors que la dmocratie reprsentative est pour ainsi
dire la forme complexe de la dmocratie directe.
Pour ce qui est de la dmocratie reprsentative, Alain Touraine nous dit : la dmocratie nest
solide que quand elle est reprsentative, cest--dire quand les partis sont subordonnes aux
demandes sociales, quils traduisent dans lordre de la loi89. En dautre termes, la dmocratie
implique lexistence des partis politiques au service du peuple : traduisant en loi ses demandes.
Or, nous constatons que de par le monde il y a peu de partis politiques qui ne se rclament pas
dune telle pratique. En effet, partir du moment o il y a pluripartisme, partir de ce moment
le pouvoir est forcment reprsentatif. Mais, de l soutenir que tout pourvoir reprsentatif
dfend les intrts des gouverns, cest exprimer un jugement qui nous parat hautement
problmatique.
Il faut tre, en effet, conscient que le systme reprsentatif est un phnomne trs gnral dans le
monde moderne. Cela est d au fait que le niveau dindividuation est de plus en plus important
lpoque moderne. Mais, ce fait ne doit pas nous conduire en dduire que le systme
reprsentatif est la manifestation mme de la dmocratie. La gnralisation du systme
reprsentatif est la consquence mme du dveloppement de lindividualisme. De sorte que
dans ses formes les plus accomplies, lindividuation gnralise produit le suffrage universel,
ou ce qui peut tre considr comme sa virtualit essentielle : le systme reprsentatif.
Ainsi, le suffrage universel est l'assise fondamentale des systmes reprsentatifs tels que nous
les connaissons actuellement. Cela dit, le systme reprsentatif, dont il est question ici, implique
la libert de vote. Les systmes de pouvoir o ce droit n'existe pas, et o les lections font partie
du rituel bureaucratique, sont des ordres institus qui se situent par del l'horizon du droit et
de l'objectivation de la moralit. Dans ces structures sociales le pouvoir oblige le peuple le
lgitimer par le biais des lections. Pour cette raison nous ne pouvons pas parler, en
l'occurrence, de systme reprsentatif.
Il faut aussi exclure de la logique de ce systme, les pouvoirs qui sont issus d'un pacte
oligarchique, comme cela se passe dans certains pays latino-amricains. Les socits
hautement individualises de notre temps - donc, celles qui sont produites de la modernit sont des socits o le suffrage universel peut jouer un rle rgulateur. Le systme y est, par
consquent, d'ordre reprsentatif. Mais, cette logique n'exclut pas la dimension oligarchique
dans certains ordres institutionnaliss.
De sorte que la dimension oligarchique du pouvoir peut concider avec le systme reprsentatif
issu du suffrage libre et universel. Et donc que le systme reprsentatif peut tre soit
oligarchique, soit vraiment dmocratique. En d'autres termes, nous pouvons dire aussi que tout
systme reprsentatif n'est pas forcment dmocratique. Par consquent, la diffrence de
certains thoriciens - comme Alain Touraine, parmi tant d'autres -, nous ne saisissons pas la
dmocratie comme le rsultat d'une certaine volont de la part de llite politique, mais plutt
comme un phnomne objectif : un rgulateur sociologique.
Pour saisir concrtement cette diffrence, nous devons tenir compte du fait que le systme
reprsentatif implique le pluripartisme. Pour viter toute dispersion dans l'ordre de la
conceptualit du discours, nous allons laisser de ct le problme du niveau d'individuation et
du caractre mme du suffrage. Lequel, comme on sait, peut tre plus ou moins universel.
C'est avec le pluripartisme que le systme reprsentatif se concrtise. Le pluripartisme tant luimme la manifestation du polylitisme ; donc, de la ncessit d'une certaine alternance des
lites du pouvoir. Comme nous l'avons vu dans le chapitre "Droit et Pouvoir", la dmocratie ou
la loi de l'alternance est prcisment cette puissance de rgulation sociologique qui assure la
circulation des lites. Plus prcisment qui, dans sa forme accomplissante, empche toute forme
de monopole de la chose publique, par une clique quelconque.
89
Le Monde , 17-02-89
78
Nous allons, par la suite rflchir d'une manire plus prcise, sur le rle des partis politiques,
dans ce processus de rgulation. Ceci, tout en tenant compte que les partis politiques sont la
manifestation la plus concrte de la ncessit d'alternance. Suivant cette logique nous pouvons,
des lors, dire que les partis politiques sont la manifestation du polylitisme et, par consquent,
de la ncessit d'une certaine forme d'alternance dans l'espace du pouvoir.
Du point de vue immdiat, au niveau des individualits, ce mouvement de lalternance est m
par la volont de russite et de domination. En effet, toutes les lites du pouvoir veulent la
mme chose : accder au contrle de la chose publique, lespace de la domination. Cette volont
est surtout effectivit pure au niveau des grandes personnalits. Mais, ces personnalits ne
peuvent pas raliser le but de leur action toute seule. Elles ont besoin pour cela dtre secondes
par une clientle plus ou moins nombreuse.
C'est donc dans la forme d'alternance que se situe la diffrence entre les rgimes dmocratiques
proprement dits, et les rgimes oligarchiques. En effet, il est important de constater que
l'existence du suffrage universel n'exclut pas l'existence de la variante oligarchique. De sorte
que l'individuation gnralise secrte le suffrage universel. Mais, ce systme lectoral ne
produit pas ncessairement la dmocratie dans sa dimension universalisante.
Dans l'univers individualiste le peuple est la source de la lgitimit. Le suffrage universel est
prcisment la manifestation concrte de cette ncessit et de celle de l'alternance inhrente au
polylitisme. Se pose ds lors la question de savoir quelle est la couche sociologique o se
produit cette alternance. Or, comme nous le savons cette couche est prcisment l'lite du
pouvoir.
Par rapport cette problmatique il faut savoir : premirement, que l'lite du pouvoir est
compose de deux instances sociologiques bien prcises. D'un ct, l'lite politique, et de l'autre
l'lite administrative. Deuximement, que les sujets de l'alternance - les individualits
composant la communaut sociale - peuvent tre tantt gouvernants, tantt gouverns. Aristote
nous dit ce propos que dans un gouvernement populaire les citoyens doivent ncessairement
avoir accs tour de rle aux fonctions de gouvernants et celles de gouverns.
De sorte que le principe de lalternance pure implique le fait que le changement produit par les
lections, doit se raliser aux deux niveaux de lespace du pouvoir. Par consquent, lorsque
cette rgulation sociologique ne concerne quune seule de ces instances, nous avons affaire un
rgime oligarchique. Dans le cas contraire nous avons plutt affaire un systme populaire,
cest--dire un rgime purement dmocratique.
Dans leur rle sociologique les partis politiques ne font quexprimer la logique du systme dont
ils sont la manifestation. Cest ainsi que dans les systmes proprement dmocratiques, les
partis politiques fonctionnent essentiellement dans le but dassurer lalternance. Dans ces
conditions lobjectif essentiel de toute lite politique, dans la conqute du pouvoir, est dassurer
la satisfaction dune clientle plutt importante. De l lallure de fte politique, loccasion des
grands meetings lectoraux, quon peut constater dans les pays o existe ce principe de
lalternance effectives. La vie politique des Etats-Unis est, ce niveau l, un exemple
significatif.
Par contre, dans les rgimes oligarchiques les partis politiques sont linstrument de
reproduction de la nomenklatura. Comme nous lavons dj soulign, dans ces structures llite
administrative est compose de permanents. De sorte que cette lite tend se transformer, selon
ses tendances tour de rle, en lite politique. Pour cette raison il est problmatique de parler,
en loccurrence, dalternance. Il faut plutt parler de roulement de llite du pouvoir en ellemme. Nous constatons prcisment cette transformation de llite administrative en lite
politique, dans le cas de lordre institutionnel actuellement existant en France. Cest ainsi que
les cadres produits par lEcole Nationale de lAdministration, constituent, de nos jours, la
partie essentielle de llite politique nationale. Dans le cas de la France moderne, cette
transformation sest produite dans un temps relativement court. LEna fut fonde, en effet, en
1946. Depuis lors les narques ont non seulement accapar les hautes fonctions
administratives de lEtat, mais constituent le bloc le plus important de llite politique. Pour
cette raison il est question, dans la ralit franaise actuelle, dun Etat narchique.
79
Dans les rpubliques et les monarchies oligarchiques de notre temps, nous constatons ce
phnomne du monopole de la chose publique par une minorit de plus en plus ferme et
tendant lautoreproduction delle-mme. Cette trangrisation des seigneurs de la chose
publique par rapport au peuple, se manifeste non seulement dans la castification de llite du
pouvoir, mais aussi dans la dsaffection du politique de la part des membres de la socit
civile. La simple lgitimation implicite dans le suffrage populaire connat ses propres limites,
prcisment, dans cette dsaffection.
Nous trouvons actuellement une variante du systme oligarchique moderne, dans les socits
qui sortent du socialisme rel. Le retour au pluripartisme concide ici avec le maintien de
lordre nomenklaturiste, propre des socits despotiques. De sorte que lancienne
nomenklatura se maintient essentiellement en tant qulite administrative. Ce maintien de la
base du pouvoir rel, ne peut que lui permettre la reconqute du pouvoir politique. Car, comme
nous lavons vu, llite administrative compose de permanents, ne peut que scrter llite
politique.
Mais, les limites de ce systme se manifestent aussi bien dans la perversion des valeurs propres
la socit individualiste, comme dans la surcharge improductive quun tel ordre implique.
Cette drive ngative ne peut que provoquer, tt ou tard, la rvolte contre sa manifestation
objective. De sorte que par del lexistence de la moralit objective, se profile le devoir tre dune
forme suprieure de la politeia. Plus prcisment, dun ordre qui assure la plnitude de lEtat de
droit : la ralisation effective de lisonomia et de lisocratia.
Ce rgne de la communaut dgaux ne peut tre le rsultat de la simple existence du
pluralisme et du suffrage universel. Ces phnomnes sont consubstantiels la dmocratie
effective et lEtat de droit. Mais la lutte pour le droit, en vue de crer une telle communaut, est
la condition essentielle de ce devenir. Par rapport aux conditions des temps prsents il sagit
dans cette lutte de surmonter toute forme de monopole ou dappropriation de la chose
publique. La dmocratie dans sa dimension universalisante, est la condition du dpassement
de ce mal dans lequel sest perdu lhistoricit des temps moderne.
En effet, les temps prsents se sont perdus dans ce mal social qui sobjective dans le pouvoir
oligarchique et qui trouve sa forme la plus radicale dans le systme nomenklaturiste. Ce
processus a t, en grande partie, la consquence de cette croyance selon laquelle le bien tre du
social passe par laugmentation des richesses mises la disposition de ceux qui contrlent le
pouvoir. La relation dingalit par rapport la chose publique - donc, le sens mme de la
justice distributive -, a t pervertie par lesprit des temps modernes. Cela tel point que le bien
tre des seigneurs de la chose publique sest prsent pratiquement comme le but mme de
lexistence sociale. Cette perversion na pu tre possible qu cause de la subversion de la
raison : la dmagogie a pris la place du discours axiologique.
Il y a eu aussi la croyance selon laquelle llite du pouvoir est compos des spcialistes du bien
tre social ; ce quil est convenu de nommer la technocratie. De telle sorte que, devant une telle
chance , les institutions doivent tre organises de manire leur assurer et garantir la
permanence la tte de lespace public. Par consquent, cette technostructure, attentive aux
aspirations de la socit, doivent correspondre les emplois de souverainet, les privilges et les
honneurs dus leur omniscience.
La sdimentation idologique de cette perception du savoir social, a eu comme consquence le
fait que la conscience nave croit que les technocrates sont les seuls capables non seulement de
deviner les aspirations du peuple, mais aussi de connatre et indiquer la voie juste suivre.
Pour cette raison, dans les structures oligarchiques, la politique effective, le pouvoir, ne peuvent
tre que le domaine et la responsabilit des membres de cette lite.
Il faut remarquer que dans sa dimension purement idologique, cette connaissance est savoir
de la thorie qui conditionne la pratique. Cest ainsi que dans le marxisme pratique, la
connaissance du chemin suivre est le rsultat du savoir de sa thorie ; plus prcisment, de ce
que le marxisme considre comme le sens de lhistoire. Par contre, dans les structures
80
oligarchiques dites librales, la connaissance du logos de ltre social donn90 nest pas le
rsultat dun savoir thorique quelconque, on se rend compte que ce savoir est bien plutt un
savoir adjug, parce que non existant. Il sensuit que la technocratie est considr, dans ces
structures, comme tant la fois apolitique et llite la plus capable de faire du politique. Le
passage de lun lautre de ces moments est donn par les partis politiques.
En effet, en dehors des partis, le technocrate est apolitique. Mais, il devient son contraire
lorsquil chausse les bottes de sept lieues que lui procurent les partis. Cest dailleurs pour cette
raison que les partis sont considrs comme les rservoirs du savoir social. En dautres termes,
dans les structures oligarchiques les partis politiques nexpriment pas une sensibilit donne
du social, mais sont plutt des mouvements o ce qui est tenu pour un savoir social se
manifeste sous la forme dune militance. Pour cette raison ce qui compte nest pas tellement le
credo du parti, mais la fidlit au mouvement, ou son chef.
90
Nous ne pouvons pas parler en loccurrence, et pour cause, de logos de ltre social en tant
que tel.
81
croyances renvoient la substance des communauts particulires. De sorte que leur rencontre
au niveau universel ne peut produire une sorte dessence de leur diffrence, mais plutt
laffrontement mort des communauts des croyants entre elles. Chaque communaut
voudrait, en effet, faire valoir ses propres valeurs.
Cela dit, lexistence dune axiologie rationnelle sobjectivant au niveau international, implique
une codtermination diklogique des nation entre elles. En dautres termes, la substance
universelle contenue dans laxiologie rationnelle ne se manifeste pas uniquement du
particulier vers le gnral, mais connat aussi ncessairement lincidence inverse. De sorte que
la lutte des Etats pour la justice au niveau international implique en mme temps la
codtermination axiologique des nations entre elles. Par consquent, le principe de la
souverainet des communauts sociales nexclut pas le droit dintervention de la communaut
des nations. Ces interventions, remarquons-le, ne peuvent tre que le rsultat des accords au
niveau du gnral et non pas la consquence dune dcision particulire. De plus, ces
interventions, comme on peut le comprendre, ne peuvent tre motives que par la violation, au
niveau dune socit particulire, des droits lmentaires de ltre humain, comme sont le droit
la vie et la dignit. Ce phnomne se produit notamment en cas de crime gnralis et de
gnocide.
En ce qui concerne lchange matriel, nous pouvons constater que cet change se ralise, en
gnral, lintrieur dun cadre institutionnel. Les changes sont ncessairement rgls, par sa
forme et selon sa mesure. Au niveau international cet ordre institu nest autre que le systme
montaire international (S.M.I.).
Il savre, ds lors, clairement que la lutte pour la justice au niveau international se manifeste
aussi bien dans le domaine de la normativit que dans celui de lchange matriel. Cette lutte
implique, en ce qui concerne la normativit, la recherche dun ordre institutionnel sont sur un
pied dgalit. Ceci implique, ncessairement, lgalit de droits entre les Etats. Par consquent,
la suprmatie du principe : un Etat, un vote. Comme on le sait, cela nest pas le cas dans la
principale organisation internationale de notre temps : les Nations Unies. Certes, dun ct,
cette organisation fut le rsultat dun temps ncessiteux de lhistoire moderne, et lautre cot,
beaucoup de nations actuellement existantes sont le produit dun Etat de fait et non pas dun
Etat de droit. Nanmoins, il faut tre conscient que cet tat de choses est le rsultat de la nature
mme de lordre international. En effet, la perversion objective, au niveau institutionnel, tend
devenir en elle-mme son propre principe daction.
Cette perversion, dans les principes de l'axiologie rationnelle, se manifeste clairement au
niveau du S.M.I.. Rappelons que ce systme a t institu, par les Accords de Bretton Woods, en
1944. Cet ordre a remplac le systme de l'talon or, lequel s'tait effondr la suite de la crise
des annes trente. Plus prcisment, la suite de la strilisation d'une partie des excdents or
des Etats Unis.
Le fait est que les deux grandes guerres mondiales avaient permis aux Etats Unis de contrler
les deux tiers de l'or montaire circulant dans le monde91. De sorte qu'au lendemain de la
deuxime guerre mondiale, il tait impossible de revenir l'talon-or. Les Accords de 1944 vont,
pour cela mme, instituer un systme dans lequel le dollar des Etats Unis (U.S.D.) - monnaie
dominante tait garantie or, tandis que toutes les autres monnaies convertibles taient elles en
parit fixe au USD.
Par consquent, lordre institutionnel fond lpoque refltait cette suprmatie. Ceci non
seulement pour ce qui est de la place et du rle des Etats-Unis dans les Nations Unies, mais
aussi par son poids dans le FMI et la Banque mondiale. Mais, cette suprmatie va se
transformer en privilge, lorsque la garantie or du USD va tre supprime le 15 octobre 1971.
Depuis lors, en effet, les USA sont le seul pays pouvoir acheter les biens du monde avec du
simple papier. Donc, sans aucune contrepartie en valeur effective. Rappelons quen 1987 le
dficit de la balance commerciale92 tait de 172 milliards de USD.
91
82
Ce qui tait quivalent cette anne-l, a 7,3 % des changes sur le march international. Cet tat
d'asymtrie a provoqu la dstructuration des nations les plus faibles. Lesquelles se trouvent
actuellement en pleine dcomposition conomique et en voie de cesser d'tre des sujets du droit
international.
En effet, l'tat de banqueroute dans lequel se trouvent ces pays, fait que ces nations sont dans
l'incapacit de faire face leurs obligations : remboursement de crdits contracts, ce qui les
place en situation de discrdit. Or, comme on sait la crdibilit est une des conditions de
l'existence du sujet de droit, car le droit est bas sur le contrat. De sorte que l'incapacit
honorer les contrats est une cause d'incapacit juridique. Rappelons ce propos que la
personnalit est essentiellement un produit de la capacit juridique.
Par consquent, labsence dgalit proportionnelle entre les nations est prcisment cette
perversion qui produit, la hauteur de nos circonstances, non pas lexistence dune
communaut dgaux, mais plutt la restructuration de la domination au niveau international.
Nous assistons, en effet, a un processus de recolonisation. Quoi que cette fois ci ce rapport ne
soit pas le produit de la conqute et de la volont de destruction, mais plutt de la charit
internationale. De plus, ce sont les nations sjournant dans la misre ltat pure qui sont les
premires demander tre prises en charge.
De plus, il est important de comprendre que cet tat de chose n'est pas le rsultat de la logique
des mcanismes objectifs, comme le march et la formation des prix, mais bien plutt la
consquence de l'asymtrie produite par les ordres institus. Le juste et le droit nous dit Aristote
est ce qui s'accorde l'galit proportionnelle. Il s'agit, par consquent, d'ordonner les
institutions au niveau international de telle sorte qu'elles puissent garantir une telle
proportionnalit.
Or, comme on vient de le souligner, cette proportionnalit n'existe pas au niveau du SMI. Les
USA possdent, en effet, le droit d'mission de la monnaie internationale. De sorte que la
mesure de ce pays, se transforme en instrument de mesure universel. Cela dit, il est important
de constater que cet tat de choses n'est d ni la force de la raison, ni la raison de la force de
ce pays. Il est plutt le rsultat de l'incapacit de comprhension de ceux qui ont voix au
chapitre. Plus prcisment des responsables des sujets de l'ordre international.
La rgle de l'galit proportionnelle s'avre d'autant plus ncessaire dans le champ
conomique que nous vivons un monde dans lequel la concurrence est trs rude. De telle
manire qu'il s'agit de crer un ordre qui puisse garantir l'galit de chances entre les nations,
quelle que soit leur importance territoriale ou celle de leur poids dmographique. Car, comme
nous pouvons le constater le bien-tre des communauts sociales ne dpend pas d'une
quelconque de ces donnes, mais bien plutt du respect des rgles qui garantissent et
promeuvent la justice sociale.
Cela est vrai non seulement au niveau des socits particulires, mais aussi au niveau
international. C'est, en tout cas, ce que nous montre la misre et la disgrce dans laquelle
s'enfoncent la plupart des nations actuellement existantes. Pour cette raison, la lutte pour la
justice au niveau international, est le complment ncessaire et logique la lutte pour la justice
au niveau des communauts sociales particulires. Il est vident, en effet, que la misre scrte
par l'injustice au niveau international, ne peut que pervertir toute manifestation
universalisante de la moralit objective au niveau des nations. Mais, il faut tre conscient que
l'objectivation de l'axiologie rationnelle n'est pas le rsultat de la fortune, mais bien plutt du
niveau de conscience et de savoir des sujets de l'action. A ce niveau l, le rle de la philosophie
est de saisir la logique des institutions et de rappeler les valeurs d'ordre universel.
En effet, lengagement de la conscience philosophique ne peut qutre dordre universel, car ce
savoir est essentiellement axiosophique. Pour cette raison, il est hautement problmatique de
croire que la philosophie nest concrte que lorsquelle se compromet avec les mouvements
tendant la prise du pouvoir. Cest prcisment ce que pensait Sartre. Nous savons prsent
lhorreur que cette ide a produit dans les ttes et dans la ralit. Elle fut non pas linstrument
de la libration, mais plutt le moyen terme qui a compromis la philosophie avec lhorreur des
temps ngatifs.
83
Quoi que l'archtype de ce processus soit contenu dans l'aventure premire du Peuple Elu,
laquelle pour accder la Terre Promise, doit passer par la terrible exprience de l'esclavage et
du sjour dans le dsert.
84
sorte de Terre sans Mal, pour reprendre le terme des Tupi-Nambas,94 et plus prcisment, le
rgne du Bien en tant que tel.
Rappelons, ce propos, que pour Engels ce passage du monde de la proprit au monde de la
non-proprit implique le saut du rgne de la ncessit au rgne de la libert. Cela veut dire que
la libert ne se limite pas, dans une telle ralit, la simple indpendance du soi et la
reconnaissance de celle des autres,95 mais qu'elle atteint un degr trs important d'absence de
contraintes. Il est trs difficile de concevoir la nature d'un tel monde.
Cette difficult vient non pas tant du fait que les thoriciens du matrialisme dialectique ont
peu parl du mode d'tre de ce rgne de la libert sans ncessit, mais surtout du fait qu'il est
pour ainsi dire impossible de se reprsenter, dans sa plnitude, un monde en dehors du
rapport des contraires. Les croyants un rgne du Bien, se situant par del l'existence, ont
essay de s'imaginer bien des choses, mais tout se rduit cette abstraction qui est le rsultat de
l'effacement de toute forme de ngatif, comme peut tre la fin de la finitude, ou l'absence de
douleur, etc.
Pour Marx, le devenir-autre du monde est la ngation de la ngativit effective. Cette ngation
est, pour ainsi dire, la dernire, puisqu'elle met fin toute forme de ngativit. De sorte que ce
rgne du positif ne peut pas connatre le ngatif. Toute manifestation de la ngativit ne peut
tre, dans ces conditions, que le rsultat de l'action d'une conscience pervertie et pervertissante.
Laquelle ne peut que mriter sa propre destruction. Car, un tel monde ne peut accepter le
soupon d'une quelconque manifestation du ngatif. La plus haute lgitimation de cette
destruction est prcisment celle du caractre non-contradictoir du monde postrvolutionnaire.
En effet, le rgne de la positivit accomplie en elle-mme, ne peut pas produire la conscience
pervertie et pervertissante. Ce phnomne ne peut pas tre peru comme son rsultat, mais
plutt comme des rsidus. Donc, comme la manifestation rsiduelle de ce qui reprsente, pour
cette idologie, les temps ngatifs. L'homme nouveau ne peut tre, par consquent, que le
produit authentique du rgne de la non-contradiction. Mais, le nouveau monde porte son
dbut, ncessairement, les restes de la ralit dont il est produit.
Marx avait compris, suivant en cela la dmarche hglienne, qu'une nouvelle ralit ne peut
pas extrioriser, ds son apparition, le "novum" en tant que tel. Il y a ncessairement une
priode de transition, pendant laquelle les rsidus de l'ancienne forme continuent se
manifester. La phase de transition se prsente ainsi comme le moment o les rsidus ngatifs
sont limins.
Dans le rgne de la positivit, tendant son propre accomplissement, le ngatif ne se prsente
pas, par dfinition, comme une manifestation totalisante. Cela cause, prcisment, de la
disparition de la contradiction fondamentale. Ds lors, la ngativit ne peut tre produite que
par la singularit qui rsiste l'avnement du royaume de la positivit pure. Il sensuit que la
conscience pervertie et pervertissante, ne peut tre que celle qui oppose son Ego la nouvelle
ralit. L'individualisme s'avre ainsi tre la dtermination simple de cette ngativit rsiduelle.
Cela explique pourquoi l'extermination des opposants et des individualits dites gostes, va
tre considre comme une ncessit par la conscience qui incarne ce processus social.96 Mais,
par del les problmes que pose la priode de transition, il y a le fait que la production
idologique conditionnant ce mouvement, cre les instruments conceptuels de sa propre drive.
En effet, la cration de l'homme nouveau et du rgne de la libert, prsupposent la ngation des
rsidus du monde pr-rvolutionnaire et particulirement des manifestations de l'intrt priv.
Cette catgorie, rappelons-le, est un pur produit de l'individualisme gnralis et radicalis de
la socit capitaliste. Dans cet univers comme le signale Adam Smith l'intrt priv secrte
l'intrt gnral. De sorte que la ngation des catgories propres ce monde, ne peut que
conduire l'effacement de toute forme d'individualisme.
94
Des premiers habitants de ce qui est actuellement, "grosso modo", la moiti sud du Brsil.
Les Pres du socialisme dit scientifique disaient, ce propos, que la libert de chacun passe
par la libert des autres.
96
Pour elle il faut tout prix craser l'infme !
95
85
Certes, Marx projette la cration d'un univers d'entits autonomes. De sorte que
l'individualisme, la singularit qui est pour elle-mme, se prsentent comme le rsultat de ce
processus. Cette singularit est de plus une figure accomplie en elle-mme, car elle est capable
d'assumer son autonomie. Nous nous trouvons ainsi devant une contradiction fondamentale,
car d'un ct, il s'agit d'accomplir l'individualit et de l'autre, de la supprimer. N'oublions pas,
en effet, que l'individualit est un produit du dveloppement de l'change et de l'intrt priv.
Or, en supprimant l'univers de la marchandise, la rvolution dite proltarienne ne fait
qu'effacer les conditions d'existence de l'individualit qui est pour elle-mme. Cette ngation
apparat ainsi comme une ncessit, dans le processus de construction du nouveau monde.
Par rapport cette exigence, la singularit qui persiste dans individu, ne peut qu'apparatre
comme un tre perverti et pervertissant. Donc, comme un tre qui doit tre ni dans son tre
mme. Cette ngation peut se prsenter soit comme une transformation par l'ducation,97 soit
comme sa destruction effective : sa mise mort. Car, il faut tre conscient que la ngation de
l'tre perverti et pervertissant, n'est pas uniquement conditionne par la manifestation de son
intrt priv, au sein d'une communaut qui le considre comme un mal, mais aussi par le fait
que cette figure est cense empcher, par son action, l'mergence du rgne de la libert dans
l'abondance. Cet tre est, en effet, considr comme un saboteur.
Au sein de la ncessit ncessiteuse qui provoque cette drive dstructurant le systme des
besoins, la ngation effective de la conscience pervertie et pervertissante apparat comme une
exigence sociale. La radicalit dans cette drive, ne peut qu'amplifier la logique de cette
ngation.
C'est le vertige du ngatif qui se manifeste sous la forme de l'orgie meurtrire. Cette drive,
remarquons-le, est essentiellement conditionne par la ngation du systme des besoins et par
la ncessit d'effacer le phnomne de la perversion individualiste. Ce vertige du ngatif ne
connat pas, en tout cas, les freins thiques qui sont donns par une morale minimale.
Cette absence de freins dans la drive vers l'horreur est prcisment le rsultat du fait que pour
le marxisme le devenir-autre du monde n'est pas conditionn par un quelconque devoir-tre,
mais par le simple dveloppement des automatismes de l'histoire. De sorte que ce sont ces
automatismes qui permettent d'un ct, la marche vers l'abondance, et de l'autre la cration
d'un monde sans oppression ni exploitation. En d'autres termes, le dveloppement de l'Histoire
mne inluctablement au dpassement de la ncessit matrielle et la disparition du mal dans
le monde. La production d'un tel univers, il faut le souligner, n'est pas le rsultat de la
ralisation axiologique de l'humain, mais plutt la consquence de l'accomplissement de ce que
Marx percevait comme le sens de l'Histoire.
97
86
Il faut remarquer, ce propos, que pour A. Comte le droit doit disparatre dans l'Etat positif.
Pour lui le droit est une cration thologico-mtaphysique.
99
Trotsky est sans doute trs critique l'gard de Staline. Mais cette critique s'adresse
essentiellement au Staline modr, le partisan de la NEP. Cela dit, par ces thses sur la
collectivisation force de la terre, la militarisation de la classe ouvrire et l'aggravation de la lutte
87
Vichinsky, le thoricien du droit stalinien, soutient pour sa part que le droit socialiste est un
produit authentique de cette structure et non pas un driv du droit bourgeois. Il est
l'expression de la volont du pouvoir proltarien qui par sa production normative assure la
sauvegarde de son propre intrt. Ce droit, toujours selon Vichinsky ne peut pas s'embarrasser
des prjugs du droit bourgeois. Des concepts tels que l'quit et la prsomption d'innocence
sont ainsi jets aux oubliettes.
Kelsen, pour sa part, dans sa Thorie communiste du Droit et de l'Etat, soutient qu' ct de la
thse sur l'extinction du droit et de l'Etat il y en a, chez Marx, une autre qui va plutt vers la
continuit de la production juridique. Kelsen s'appuie, en effet, sur un passage de la clbre
"Introduction la critique de l'conomie politique" (1857). Dans ce texte il est, en effet, signal
que toute forme de production cre ses propres relations juridiques.
L'exprience historique du socialisme rel nous montre, en tout cas, que la production juridique
se maintient dans ce systme. Ce qui en disparat, ce n'est pas la juridicit en tant que telle, mais
l'Etat de droit et la dimension thique de la normativit elle-mme.
Cela dit, comme nous venons de le signaler, Marx prvoit cette continuit ; quoi que de faon
passagre. On peut discuter l'infini sur la dure de cette priode de transition. Les Pres du
socialisme dit scientifique ne se sont pas prononcs l-dessus d'une manire prcise. On peut
toutefois en dduire que cette priode ne peut pas tre trs longue. Le problme essentiel ne
nous semble pas tre celui du retard dans le changement d'une instance par rapport l'autre. Il
est vident qu'il est plus facile de supprimer le rgime de la proprit prive des biens
immeubles que de faire disparatre la couche signifiante qui informe, guide et conditionne les
singularits et les communauts sociales. A l'intrieur de cette couche signifiante se trouve
comme on sait, la production et la reproduction normative, ainsi que l'organe qui assure son
efficacit et sa vigueur, c'est--dire l'Etat.
Le problme est, des lors, de savoir si on peut concevoir une communaut sociale sans
production normative et axiologique. Plus prcisment, sans production de valeurs
communautaires. Car, il ne faut pas oublier que pour Marx la production normative ne sera
pas, dans la socit communiste, le fait du social, mais le fait des individus. De sorte que dans
un tel monde, non seulement la production de valeur d'change disparat, mais aussi la
production des valeurs sociales. Ce qui est hautement problmatique. En effet, on peut, la
rigueur, concevoir un monde sans production de valeur dchange, mais ce qui semble
impossible c'est se reprsenter l'existence d'une communaut sans production normative et
axiologique ayant une source essentiellement collective.
L'aberration d'une telle reprsentation, d'un univers de monades sans fentres, pour reprendre
le concept de Leibniz, est le rsultat du fait que Marx considrait la valeur d'change et la
production sociale de la normativit comme des manifestations de la perversion et de la
dgradation universelles. L'authenticit, selon cette vision du monde, ne peut tre que le
rsultat de l'activit de l'tre autonome. Cette figure produit ainsi d'un ct, ce dont elle a
besoin, matriellement parlant, et de l'autre, les rgles qui conditionnent et guident son
existence.
Ce rgne de l'autonomie pure est ainsi la ngation du social. De sorte que l'ironie dans
l'historicit de cette pense veut que ce qui se prsente comme la plus haute forme de
l'affirmation du social, soit plutt sa ngation effective. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si la
mise en pratique de cette idologie conduit inluctablement a l'autodestruction des
communauts sociales en elles-mmes.
De ce point de vue - qui est celui de la logique de ce mouvement de ralisation le rsultat de sa
pratique effective n'est pas la consquence d'une perversion de la thorie qui informe son
action, mais bien plutt la suite de sa propre cohrence. Bien videment, on ne peut pas
s'attendre a ce que la thorie devienne telle quelle ralit effective. Hegel nous a dj montr ce
propos que la ralisation d'une ide est en mme temps sa ngation. Mais, il est important de
des classes, en priode de transition, il peut tre considr comme un prcurseur thorique du
stalinisme des annes trente. Par consquent, du point de vue thorique on peut dire que
Staline se trotskise, lorsqu'il devient radical.
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comprendre que la ngation de la ngation n'est pas ici la cause de la perversion que nous
constatons dans la pratique. Cette perversion a sa source dans la thorie elle-mme.
En effet, on ne peut pas s'attendre, rationnellement, a ce que la ngation effective de la catgorie
de l'change puisse donner un monde d'abondance matrielle. Ceci mme si la parole
emblmatique dont il est question assure que son but est la cration du rgne de l'abondance.
Dans la pratique, la ngation de la catgorie de l'change, ne peut dboucher que sur une ralit
dans laquelle le degr de pnurie est en rapport direct la radicalit de cette action.
Il est de mme trs naf de croire que le surgonflement plus ou moins totalisant de l'Etat peut
tre la raison de sa propre disparition. En tout cas, de croire que le bien social ne peut venir que
de ce surgonflement, par consquent de la mise la disposition de ceux qui contrlent le
pouvoir, de l'essentiel des richesses sociales. Dans la pratique effective une telle politique ne
peut que conduire au parasitisme et l'immoralit de l'lite du pouvoir, tout en provoquant la
pnurie et la misre du peuple. L'exprience du socialisme dit rel, ne fait que confirmer la
logique de ce processus. Cela dit, il n'est pas ncessaire d'attendre la confirmation du rel pour
saisir la nature de ce mouvement. Son rsultat est tout fait prvisible. Seule l'clipse de la
raison a pu empcher de saisir la logique de ce discours.
100
89
d'ordre universel ne sont pas ici cause de l'action, ni condition de son rsultat. La moralit
philosophique s'vanouit, dans ce devenir, pour laisser la place la rationalit.
Dans cette perspective, la rationalit n'est pas la seule garantie de l'inexistence de toute forme
de perversion sociale, il faut aussi tenir compte du fait que le fondement de ce monde ne
contient plus de ngativit. La cause du mal dans le social se trouve, selon cette logique, dans la
ngativit de son fondement. En termes marxistes, cette ngativit est celle de la contradiction
entre les forces productives et un mode de production donn. Cette contradiction entre le
processus et son tre manifest, disparat prcisment avec l'avnement du communisme. Il se
produit ainsi une conciliation, au niveau du fondement, qui provoque pour ainsi dire
l'vaporation de toute forme de ngativit dans le monde.
A l'intrieur de ces circonstances, la singularit autonome ne peut agir que d'une faon noncontradictoire. Le mal ne peut pas tre sa vise, ni le rsultat de son action. Il est clair, d'aprs la
logique de Marx, que cette manifestation positive ne peut tre effective qu'une fois que
l'humanit aura surmont les rsidus du monde bourgeois : dans "la phase suprieure de la
socit communiste ".101
La croyance dans le dpassement de la contradiction fondamentale et l'avnement du rgne du
positif l'tat pur a t telle, une poque, chez les rvolutionnaires marxistes, qu'il a t
question, parmi d'autres choses, non seulement d'une nouvelle esthtique, mais aussi d'une
nouvelle biologie. On pensait, plus prcisment, que cette non-contradiction devait se reflter
aussi bien dans le monde de l'humain, que dans ceux de l'inorganique et du vivant.
Michourine et Lyssenko ne sont pas le produit - en tant que figures dominantes de la nouvelle
science dite proltarienne -, des fantasmes du Petit Pre de tous les peuples. Le fondement de
tout ce dlire se trouve contenu dans ce qu'on peut appeler l'ontologie marxiste.
Par rapport cette ide de la positivit d'un univers accompli en lui-mme, il s'agit de
comprendre non seulement la problmaticit de son pouvoir-tre dans le monde, mais aussi
son rle dans le vertige ngatif de l'effectivit qui est la sienne. En effet, pour ce qui est de la
premire problmatique, il est stupfiant de constater que mme des tres extrmement
intelligents ont pu croire que "les rapports de production bourgeois sont la dernire forme
contradictoire du processus de production bourgeois "102 En d'autres termes que l'humanit
s'acheminait ncessairement vers un univers non-contradictoire. Cela, car dans ce monde le
ngatif aurait disparu.
Nous disons qu'il est stupfiant de constater cette croyance, chez des tres ayant trs souvent
une culture solide, car depuis la nuit des temps la pense a tout d'abord intuitionn puis
compris que la loi des contraires est le fondement de l'Etre ; qu'il ne peut pas y avoir de positif
sans ngatif. A ct de la catgorie de l'Etre (tantt comme tant-l, tantt comme totalit
effective) se trouve toujours le Nant, ou ce qui est mal, vide, ou bien ce qui n'est-pas-encore. Les
pythagoriciens posaient ainsi la monade et la dyade comme point de dpart. Ceci de la mme
manire que Hegel pose comme point de dpart le rapport entre l'Etre et le Nant.
Franchir la dyade peut bien tre, comme le dit Ernst Bloch, le produit du rve du monde, mais il
faut bien se rendre compte qu'une telle dimension est problmatique mme au niveau de la
reprsentation. C'est ainsi que la conscience monothiste103 a plac le rgne du Bien en tant
que tel dans un au-del du monde, mais elle n'a pas pu s'empcher d'y placer aussi son
contraire : l'Enfer. Cela montre jusqu' quel point la reprsentation comme la pense abstraite
ne peuvent pas chapper la loi des contraires.
Mais le problme en ce qui concerne le pouvoir-tre de ce devenir-autre du monde ne se situe
pas uniquement au niveau d'un possible dpassement de la dyade, mais dans d'autres
domaines ; par exemple celui de la possibilit de l'existence d'une communaut sans rgles, ni
valeurs communes. Cette vision du monde oublie que l'activit humaine est essentiellement
nomothtique. En effet, la production de normes se manifeste non seulement au niveau de la
101
90
culture, mais aussi dans le domaine de la matrialit. De plus, l'activit nomothtique est
fondamentalement collective.
Il est galement important de tenir compte du fait que la dimension essentielle dans l'activit
nomothtique est la couche axiologique. Donc, cette dimension qui est en rapport aux
universaux. Pour cette raison nous disons que la philosophie est essentiellement axiosophie.
C'est cette production thique qui s'objective dans la puissance en acte du social : dans l'Etat.
Cela, soit sous sa forme axiologique, soit dans la ngation de celle-ci ; plus prcisment dans la
perversion de ces valeurs. Pour ce qui est de la problmatique marxiste de l'extinction de l'Etat,
il s'agit prsent de savoir si cette fin de l'objectivation thique est de l'ordre du concrtement
possible, s'il peut y avoir une socit104 sans Etat, ou, ce qui revient au mme, sans
objectivation de la moralit.
A ce propos, l'exprience historique nous montre que l'vanouissement de l'Etat dans une
socit tend provoquer sa dsagrgation ; plus prcisment l'mergence des structures
sociales de base qui se constituent, au sein de cet acratisme englobant, en tant que
communauts faites pour la guerre. Croce parlait, dans ce cas, d'mergence des fiefs. Constater
la ncessit de l'Etat et l'objectivation de la moralit en gnral n'est pas en dduire qu'en tant
que tel l'Etat est une puissance axiologique. Nous savons que l'Etat non limit et nonconditionn par des rgles d'ordre universel est une puissance satanique, par consquent
source de malheur et de disgrce sociale.
Le mal ne se situe pas, ds lors, dans l'existence de l'Etat en tant que tel, mais dans une
existence non conditionne par des valeurs d'ordre universel. Le projet d'une socit sans Etat
et sans moralit objective fait aussi partie de cette dimension ngative, dans la mesure o elle
conduit au vertige de la destruction pour la destruction. Ce projet comme nous le savons se
prsente sous deux formes : soit comme but immdiat, soit comme un but atteindre aprs une
priode de transition plus ou moins longue.
En effet, l'anarchisme se propose la destruction immdiate de l'Etat, tandis que pour le
marxisme il s'agit de crer les conditions de sa propre dissolution. Dans le premier cas, nous
avons plutt affaire au ngatif du dsespoir qui peut tre en lui-mme le mouvement de la
dstructuration d'un ordre immoral, pour donner naissance une nouvelle forme ayant une
substance thique plus consistante. Tandis que dans le cas du marxisme se prsente comme le
fait que le devoir-tre105 ne se pose pas comme but de ce processus. Donc le dpassement d'un
tre-l de l'Histoire - le capitalisme - se manifeste non pas comme l'accomplissement de la
substance thique de l'humain, mais comme le rsultat des automatismes de cette histoire.
Or, l'abandon de la moralit et des principes qui conditionnent l'existence sociale sont la
condition de la drive ngative que nous constatons dans la pratique de ce processus.
L'absence de freins d'ordre thique laisse ainsi non seulement la voie ouverte au rgne de
l'arbitraire, mais aussi la volont de destruction, au vertige thanatique. C'est prcisment
dans cette fonction que l'amoralit objective trouve sa raison d'tre. En effet, la disparition des
freins thiques dans le domaine de l'objectivit, comme de la subjectivit, permet la mise en
pratique de la volont de destruction et du vertige thanatique.
De ce point de vue, qui est celui de son effectivit, la logique de ce processus est la suivante : la
dissolution du systme des besoins - de l'conomie fonde sur l'change largi et
l'accroissement des richesses -, fait apparatre une surpopulation d'autant plus importante que
la destruction de cet ordre de la production est radicale. Dans ces conditions de la ncessit
ncessiteuse, la lutte pour l'existence ne peut que prendre une forme particulirement aigu,
laissant ainsi libre cours toute forme de dlation et de dnonciation que ce systme, concentr
dans la surveillance et la punition cherche rendre de plus en plus efficace. La ralisation de
cette besogne de la destruction, ne peut tre mene bien que par une conscience sans aucun
frein thique. En effet, son devoir n'est pas dtermin par la substance thique universelle, mais
par la ncessit qui conditionne ce processus.
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Il est important de tenir compte du fait que dans la Grce de l'poque la figure de la singularit
indpendante tait un phnomne marginal. Elle fut, plus prcisment, une dimension
consubstantielle la classe des seigneurs. Seul l'homme libre tait, en effet, sujet de droit priv
et public, pouvant tre par consquent sujet de contrat et sujet de la cit.
Par opposition l'homme libre et, plus exactement, au seigneur qui avait la plnitude du droit,
les femmes, les enfants et les esclaves n'avaient aucun droit. Ils taient simples sujets du foyer et
en tant que tels avaient autant de droit face au seigneur que les animaux domestiques.
L'arbitrage du seigneur ne connaissait que les seuls freins de la moralit familiale ; laquelle
voulait qu'il traitt les siens selon les principes de la justice et de la piti familiale.
L'mergence de la singularit indpendante se produit ainsi au sein d'un monde patriarcal et
religieux qui, comme le remarque Hegel, ne pouvait pas encore supporter la manifestation
concrte de la ngativit simple, de la singularit qui est en elle-mme et pour elle-mme. En
d'autres termes, ce monde "n'a pas supporter l'panouissement de la libert subjective".106
Cette problmaticit se manifeste concrtement dans et par la relativisation des valeurs. La
singularit sophiste prend conscience du fait que l'intuition immdiate des rfrentiels donns
par la moralit familiale ne pouvait pas rsister la critique de la conscience qui est pour ellemme. De sorte que cette activit critique va provoquer la relativisation des valeurs venant de la
nuit des temps. Cette corrosion des cadres rfrentiels va poser le problme de leur
reconstitution. La philosophie platonicienne est prcisment la manifestation de cette ncessit.
Mais Platon ne se propose pas uniquement la reconstitution de la logique des concepts et de la
raison des universaux, il se donne aussi comme but le dpassement de l'ordre qui provoque
l'rosion des cadres rfrentiels. En d'autres termes, Platon ne se pose pas seulement la
question de savoir quelle est l'origine des concepts gnraux et des universaux, il s'interroge
aussi sur les causes du mal dans son monde, plus prcisment, sur la puissance ngative qui
provoque l'rosion des valeurs.
Platon prend conscience, en effet, que cette puissance n'est autre que la singularit
indpendante. Car la singularit qui pense son monde partir d'elle-mme ne peut que
provoquer la relativisation des valeurs. Le monde, les choses ne sont plus, dans ces conditions,
perus partir d'une mesure caractre universel, mais partir du soi. La singularit devient
ainsi, comme le disait Protagoras, mesure de toutes les choses.
C'est pour cette raison que Platon va considrer l'ordre individualisant de son temps, comme
une dviation de ce qu'il croit tre le devoir-tre du monde. Hegel nous dit ce propos : "Platon
dans sa Rpublique, prsente la moralit substantielle dans sa beaut et dans sa vrit idales,
mais il n'arrive pas s'accommoder du principe de la particularit indpendante qui s'tait
introduit de son temps dans la moralit grecque. Il se contentait de lui opposer son Etat
seulement substantiel et l'excluait jusque dans son germe qui est la proprit prive et la famille
et a fortiori dans son dveloppement ultrieur : la libre disposition de soi et le choix d'une
profession."107
Il est important de constater que le philosophe qui inspire Marx se rend bien compte du fait que
l'individualisme est la source du mal pour Platon, de sorte qu'il s'agit pour lui de supprimer les
fondements de l'individualisme pour le surmonter. A la question de savoir quel est le
fondement de la singularit indpendante chez Platon, Hegel rpond : "la libert n'a d'tre-l
que pour autant qu'une proprit est dvolue la personne. De cette manire, nous voyons
Platon carter lui-mme, consciemment de son Etat la libert subjective."108
En ce qui concerne cette problmatique Hegel remarque : " En excluant ainsi la proprit, la vie
familiale, en supprimant le libre arbitre dans le choix d'un " tat ", en prenant toutes ces
dispositions qui concernent le principe de la libert subjective Platon croit avoir ferm la porte
toutes les passions, toute haine, tout antagonisme, etc."109
106
Hegel, Leons sur l'Histoire de la Philosophie, Tome 3, Librairie philosophique J. Vrin, page
490.
107
Principes de la Philosophie du Droit, Remarque au paragraphe 185.
108
Leons sur l'Histoire de la Philosophie, p. 493.
109
Ibidem, p. 495.
93
94
De plus, comme nous l'avons vu, cet largissement se ralise dans la ngation de la moralit en
tant que telle. Donc, dans la suppression des normes et des freins thiques qui rgulent l'tre-l
de cette puissance qui dtient le monopole de la force lgalise et lgitime.
C'est l que se trouve prcisment la grande diffrence entre la logique du devenir-autre du
social chez Marx et chez Platon. En effet, pour l'auteur de la Rpublique le changement social
est conditionn par un projet d'ordre thique. La caste des philosophes-rois est, pour ainsi dire,
en rapport constant avec les universaux. La ralisation du bien, de la vrit et de la justice est le
but de son action.
La philosophie de Platon est, comme l'a vu Hegel, encore enracine dans la moralit familiale.
Par consquent, son projet comporte une certaine cohrence, car il se propose de surmonter le
rgne de la moralit objective, dans le rgne de la moralit familiale. Or, selon la logique de l'tre
social, la moralit familiale est l'en-de et l'au-del de la moralit objective. Ce n'est, ds lors,
pas un hasard si la religiosit a eu tendance remplir le vide axiologique cr par la pratique
du marxisme.
En effet, ce vide thique au niveau du pouvoir fait rapparatre les catgories axiologiques
vhicules par la religiosit. Ceci est particulirement vrai lorsque la lgitimation idologique
tend perdre son sens. Cette dilution rend transparente la dimension ngative du pouvoir, la
volont de domination sans entraves d'une lite cynique. C'est alors que devant l'horreur du
vertige ngatif, surgit la ncessit d'une puissance capable d'assurer un minimum de justice
dans le rel. Cette puissance, comme on peut aisment le comprendre, est la substance mme de
la religiosit.
En d'autres termes, lorsque les principes de la moralit rationnelle s'effondrent, la conscience
malheureuse trouve rconfort dans les principes de la moralit subjective. Plus prcisment,
dans les principes qui sont donns immdiatement l'intuition et sont vhiculs dans leur
simplicit par la religiosit.
La perversion des mcanismes objectifs de la rgulation sociale tend aussi faire resurgir les
principes simples contenus dans la moralit religieuse. Il ne s'agit pas ici de l'effacement de ces
mcanismes, comme dans le cas du socialisme rel, mais de leur perversion. Nous trouvons ce
phnomne en particulier dans le cas des pays du tiers monde. Dans ce cas, la religiosit qui
donne ces cadres rfrentiels, n'est pas la religiosit positive, mais son idalit pure. En effet, la
religiosit positive est elle-mme une manifestation pervertie de la moralit. Ainsi le retour aux
fondements - le fondamentalisme, l'intgrisme -, est le rsultat de la perversion des rgles qui
conditionnent l'existence des socits vivant dans l'horizon des principes communautaires.
Par contre, la perspective de l'axiologie rationnelle ne peut se donner spontanment que dans
les socits o le niveau d'individuation est trs lev. L'alternative la perversion provoque
par ceux qui trouvent satisfaction de leur volont d'ostentation et de domination dans la ralit
effective de l'Etat, ne peut venir que de l'assainissement des mcanismes qui rgulent
objectivement l'existence sociale. En d'autres termes, la raison axiologique s'oppose la logique
technocratique de ceux qui en monopolisant la chose publique, crent un ordre dans lequel les
intrts de ceux qui gouvernent passent devant l'intrt de l'ensemble du social. De sorte qu'au
sein de ces socits se pose la question de savoir s'il est lgitime de placer les intrts des
permanents plus haut que ceux de la communaut sociale dans sa totalit.
95
La justice consiste dans la bienveillance mutuelle et non pas dans la loi du plus fort.
96
97
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98
Rappelons, toutefois, que la moralit fondamentale de ce pouvoir, s'est trs souvent rduite au
contrle des pulsions sexuelles. De sorte que l'tre moral est pour ainsi dire l'tre sans sexualit,
tandis que l'tre immoral est celui qui vit la spontanit de ses pulsions. Cela dit, la moralit
religieuse est plus d'ordre existentiel, dans la mesure o elle dicte aux singularits la nature de
ce qu'elle conoit comme un comportement conforme ses rgles. Les interdits essentiels ainsi
que les devoirs de la moralit monothiste, ont t donns par la loi mosaque.
A la diffrence de la moralit religieuse, la justice juridico-politique ne s'adresse pas
l'individualit, elle dresse plutt les limites de l'action et du comportement. Par consquent, la
diffrence de la loi religieuse qui en s'adressant la singularit lui dit qu'elle ne doit pas tuer
son semblable, la loi du droit ne s'adresse pas l'individualit. Elle signale simplement que
celui qui tue un autre, est passible d'une condamnation de X annes d'emprisonnement. Cette
mesure s'adresse plutt aux services judiciaires et administratifs, car ce sont ceux qui doivent
excuter et appliquer la mesure impose par la loi.
Dans le rgne du droit, la singularit est pour elle-mme. En ralit le droit et la philosophie ont
peu de choses dire l'individu. Celui-ci est cens tre suffisamment rationnel pour connatre
ses possibilits et les limites de son action. En effet, le droit prsuppose la libert, le principe du
chacun pour soi. Il implique l'tre responsable parce que libre. En effet, la libert implique,
comme disait Aristote, le droit de chacun de vivre sa guise.
A cet tre qui est plnitude en lui-mme, la philosophie n'a pas signaler les formes de son
comportement, car elle est le chemin de la rflexion. A la base de cette rflexion se trouve le fait
que l'individualit cherche connatre, en toute connaissance de cause, les possibilits et les
limites de son action. Donc, tout en se connaissant elle-mme, l'individualit prend conscience
des limites imposes par l'existence sociale.
Et pour ce qui est des possibilits de l'individualit dans sa dimension existentielle, la
philosophie avec Aristote lui rappelle que la vie heureuse est celle qui se ralise conformment
la vertu, et cela sans entraves ; la vertu est, en effet, une mdit. Cela implique par
consquent, toujours selon Aristote, que la vie se tient dans la juste moyenne que chaque
individu est en mesure d'atteindre, par lui-mme, est la meilleure. Il s'agit, par consquent, au
niveau existentiel pour l'individu, de savoir quelles sont ses capacits dans tel ou tel domaine,
pour tre conscient de ses limites. Donc de savoir le trop et le trop peu dans le manger, le boire,
l'exercice physique et ainsi de suite. Comme on peut aisment le comprendre, cette
connaissance implique une reconnaissance plus ou moins constante du soi. Car ce qui est
possible dans la jeunesse et dans la plnitude de la vie ne l'est plus tard. De plus, les capacits
ne sont pas toujours les mmes. C'est pour cette raison qu'au niveau de la nourriture, par
exemple, il est question dans le comportement vertueux de se sentir un rgime, lequel est en
quelque sorte une juste moyenne, dans les possibilits d'une individualit donne. Il est
remarquer que pour Aristote la vertu n'est pas la ngation des pulsions, comme le prtendent
les religiosits monothistes, ni encore moins une concidence avec les valeurs de la volont
gnrale comme l'a cru J.J. Rousseau.
Pour ce qui es des limites dans l'action, la pense philosophique nous apprend que la libert de
chacun trouve ses limites dans la libert des autres. Elles nous enseigne aussi que la libert des
autres, est une des conditions essentielles de la civilisation. Plus prcisment, du rgne des
individualits conditionnes et garanties par le droit.
Le droit se manifeste ainsi comme substance du social. Mais, comme nous l'avons soulign, le
droit dont il s'agit n'est pas normativit simple : il est, pour ainsi dire, essentiellement
matrialit institutionnelle. La philosophie du droit nous apprend prcisment connatre
quelle est la raison d'tre du droit. De mme qu'elle nous permet de comprendre quel droit il
s'agit d'objectiver, si nous voulons parvenir crer une communaut d'gaux en vue de bien
vivre, comme l'a dit Aristote.
Le fait est que la philosophie du droit, en nous permettant de nous poser les questions, dj
soulignes par Kant qu'est-ce que le droit ? et quel droit faut-il vouloir ? nous permet de
comprendre que justice juridique et justice axiologique ne sont pas une seule et mme chose. De
sorte que la validit d'un droit ou d'une norme juridique n'implique pas leur conformit
99
l'axiologie rationnelle. En effet, ce qui est valide, n'est pas toujours juste et ce qui juste n'est pas
toujours valide.
Validit (ou lgalit) et justice sont des lors deux catgories diffrentes. La validit implique, en
effet, la conformit d'une norme avec une autre de degr suprieur qui conditionne sa
production, tandis que la justice implique la conformit d'une norme ou d'un systme de
normes avec les exigences de l'axiologie rationnelle. De plus, la philosophie du droit nous
apprend que tout systme normatif est l'expression d'un systme dtermin de lgitimit, lequel
est peru comme tant la substance mme des valeurs d'ordre universel.
Mais, cette tentative d'identit de la lgalit la justice, est le rsultat de la volont apologtique,
car tout ordre cherche se maintenir gal lui-mme. En effet, la survie de tout systme de
lgalit dpend, en dernire instance, de la croyance113 sociale dans son systme de lgitimit.
Car la btisse du droit positif - l'ordonnancement juridique -, ne peut pas se maintenir tel un
automate, il a besoin de l'nergie provenant de son systme de lgitimation. Lequel dpend
son tour du logos des principes et de celui des valeurs d'ordre universel. La dimension
axiologique est ainsi le premier moteur de tout ordre normatif et par l mme, des ordres
sociaux. Ce n'est donc pas un hasard si tout ordre institutionnel cherche a montrer et faire
croire, par tous les moyens, qu'il est la manifestation pure des principes et des valeurs
axiologiques.
De sorte que la justice lgale dpend de la justice qui est axiologie rationnelle, cela tout comme
la justice domestique dpend de la justice divine. Si bien qu'au point de dpart il y a ce logos
dont parlaient les grecs. Rappelons que la proposition selon laquelle "au dbut est le logos", de
l'vangile de Saint Jean est traduit traditionnellement par au dbut est le verbe". Hegel pour sa
part prfre la traduction de "au dbut est la Raison", tandis que Goethe considre que la
traduction la plus pertinente c'est : "au dbut est l'Action".
Les deux premires versions nous semblent tre les plus conformes ce que le concept de logos
a vhicul depuis sa source grecque. La diffrence tant que dans la proposition traditionnelle,
le Verbe (ou Dieu) est la synthse nave et rifie des valeurs d'ordre universel, tandis que dans
la traduction hglienne les universaux apparaissent comme les produits et les objets de la
raison. La premire dimension est comme on le sait objet de croyance, par contre la deuxime
est objet de rflexion. Pour ce qui est de la proposition de Goethe qui a tant fascin les marxistes
de culture allemande, il faut dire qu'elle est hautement problmatique par rapport a ce dont il
s'agit. En effet, l'action sans principes ne peut tre qu'une opration dsordonne et aveugle.
Les principes sont le moteur de l'action et constituent sa finalit. C'est, en effet, au nom des
valeurs que nous agissons et en but de la ralisation de ces valeurs. Pour ce qui est surtout de
l'action englobante, la raison veut que les principes soient d'ordre rationnel, ainsi que la fin.
Cette rationalit comme nous l'avons soulign ne saurait tre d'ordre instrumental, mais doit
avoir une fonction axiologique. La diklogie est ainsi source et but de la normativit.
113
M. Weber disait, ce propos, que le fondement de la domination est toujours une croyance.
100
Donc, d'un Etat qui est une alliance destine garantir chaque citoyen contre l'injustice.
101
simple entre le particulier et l'universel. Il s'agit bien plutt d'un mouvement infini de recherche
de la concidence. Pour cette raison Ihering disait que la lutte pour la justice - et donc pour le
droit juste -, est un ternel devenir. Ulpien, le thoricien du droit romain, parlait dj, pour sa
part de volont constante et perptuelle pour accorder chacun ce qui lui correspond.
Ce n'est donc pas une particularit historique qui doit tre la puissance qui lgitime la
positivit, mais bien plutt l'universalit contenue dans l'axiologie rationnelle. D'ailleurs,
comme nous l'avons signal, la ncessit de ce rapport se manifeste clairement dans les
commentaires apologtiques de toute source particulire de lgitimation. L'effort essentiel dans
ce domaine se manifeste dans le fait que ces commentateurs cherchent, par tous les moyens,
montrer que la source particulire de lgitimation est prcisment la manifestation pure de
l'axiologie rationnelle. Par consquent, c'est cette forme de lgitimit qui apparat comme la
lgitimit en dernire instance.
L'axiologie rationnelle se prsente ds lors comme la puissance lgitimante en dernire
instance. De sorte que la soit sa lgitimit de cette dimension. Laquelle est suppose tre
contenue dans la norme fondamentale, ou dans ses sources de lgitimation historiques. C'est
ainsi que la Constitution franaise de 1959 est la norme fondamentale sur laquelle s'appuie son
ordonnancement juridique. Mais cette Constitution tire sa lgitimit de la "Dclaration des
droits de l'Homme et du Citoyen" de 1789, ainsi que du "Prambule" de la Constitution de 1946.
Or, selon la dogmatique constitutionnaliste franaise, ces textes fondamentaux sont
l'expression de l'axiologie rationnelle. Nous constatons le mme ordre d'arguments par rapport
d'autres systmes juridiques. En effet, chaque systme juridique cherche pour sa part
montrer, comme nous l'avons dj soulign, qu'il est la plus haute objectivation du devoir-tre
de la justice.
Or, dans la ralit les choses se passent autrement. Tout ordre institu, tout ordre social, se
donne ses propres principes dans un texte fondamental, lequel est cens tre la manifestation
d'une tradition axiologique. De plus, cet ensemble de manifestations de la juridicit
fondamentale est son tour considr comme l'exposition la plus fidle de l'axiologie
rationnelle. Parfois, il est vrai, la rationalit axiologique d'un ordre est cense tre la
manifestation d'une doctrine, perue comme substance de l'axiologie rationnelle elle-mme.
C'est le cas notamment du marxisme pratique.
Cela dit, ce qui se dvoile dans ce rapport entre la lgitimit et l'effectivit lgale d'un ordre, c'est
la volont de lgitimation apologtique. Le rle de la philosophie du droit en ce qui concerne
cette problmatique, c'est prcisment de se prsenter comme critique non seulement des
systmes de lgalit effectifs, mais aussi des systmes de lgitimit qui conditionnent et
informent l'existence d'un ordre social.
Kant pour sa part pensait qu'il est impossible)le de driver les valeurs de la ralit, cimenter le
devoir-tre sur ce qui est. En effet, si nous entendons par valeurs et devoir-tre, les valeurs
d'ordre universel, il est vident que Kant a raison. Ce n'est pas la ralit qui est le fondement de
ces valeurs, elle est plutt sa manifestation. Comme nous l'avons dj signale, ces valeurs ont
comme fondement la dimension rationnelle de l'humain. Elles sont, plus prcisment, la plus
haute exposition de sa substance thique. En d'autres termes, en posant les universaux comme
principe et finalit de son tre social, ]'humain extriorise sa substance thique comme le
moteur de son tre et de son devenir.
On ne peut donc pas dduire le devoir-tre de ce qui est. Ce qu'on peut plutt en dduire, c'est
la ngation de cette dimension. Bien videmment cette ngation se ralise toujours au nom de ce
devoir-tre lui-mme. De sorte que le discours apologtique n'est pas conditionn par une
position axiale, mais bien plutt par sa perversion. Cela dit, tout ordre positif, comme l'a
signal Stammler, doit contenir un minimum moral. Le discours apologtique ne peut pas, dans
un monde individualis, longtemps cacher la supercherie de sa parole. C'est la raison pour
laquelle la dlgitimation tend provoquer la dsagrgation des ordres les plus solidement
implants grce l'apologie mensongre, la dmagogie ou la terreur. L'effondrement des
structures du socialisme dit rel montre jusqu' quel point la dimension axiologique n'est pas
de la simple fume idaliste, comme certains idologues ont eu tendance le croire.
102
La thse contraire est exprime par Joseph de Maistre dans le passage suivant : "La
Constitution de 1795, tout comme ses anes, est faite pour l'homme. Or, il n'y a point
d'homme dans le monde. J'ai vu, dans ma vie, des Franais, des Italiens, des Russes, etc.; je
sais mme, grce Montesquieu, qu'on peut tre persan ; mais quant a l'homme, je dclare ne
l'avoir rencontr de ma vie ; s'il existe, c'est bien mon insu". Considrations sur la France,
Vrin, 1936, p. 81.
103
d'ordre universel. Dans sa vrit, cette concidence est non seulement prsuppose, mais
considre comme un fait. Le rle du savoir apologtique tant prcisment celui de prsenter
cette concidence comme un dogme, voir comme une vrit. De sorte que ce savoir est capable,
comme on peut le constater tout au long de l'histoire, de prsenter les plus hautes
manifestations de la perversion et de la malfaisance sociale, comme tant l'objectivation mme
de la justice.
La philosophie critique du droit, de par sa dimension axiosophique, cherche montrer que le
rle diklogique de la juridicit n'est pas de maintenir un ordre injuste, mais plutt de faire en
sorte que la normativit puisse tre conforme son devoir-tre, en dernire instance donc, sa
lgitimation.
Par rapport au rle social du droit, nous pouvons distinguer deux positions bien diffrentes.
Premirement, celle qui affirme que le but du droit positif est de faire rgner l'ordre social ; et
deuximement, celle qui considre que le but du droit est d'assurer le bien tre et la scurit
dans la justice.
La premire cole est surtout reprsente par la dogmatique juridique et par la thorie
positiviste du droit. Pour ces thories de la juridicit, le systme juridique est un ordre normatif
instituant des sanctions. Ce qui veut dire que l'ordonnancement normatif est peru partir du
droit pnal. Dans ces conditions le but du droit est de maintenir un ordre social quelle que soit
son inconformit avec les principes d'ordre axiologique. Par consquent pour cette cole, le
droit est rduit ce domaine de sa validit objective qui est le droit pnal. Ce rductionnisme
mne voir dans l'institution de sanctions le rle essentiel du droit. De sorte que la justice
positive est conue comme la manifestation pure de la justice axiologique.
Pour la deuxime cole par contre, le rle du droit est celui de raliser le devoir-tre de la justice.
De l que pour cette cole le but du droit est de raliser sa dimension d'ordre universel. Le droit
axiologique est ainsi le rsultat de l'objectivisation de la substance thique de l'humain. Ce qui
prsuppose un minimum thique dans la juridicit positive. Le problme est, ds lors, de savoir
quel peut bien tre le contenu de ce minimum ?
Il apparat clairement que cette question n'a de sens qu' l'intrieur d'une perspective
axiologique. Par consquent, d'une perspective qui considre la ralisation de la substance
thique comme le but mme du devenir de l'humain. Nous avons, ce propos, dj signal que
du point de vue de l'axiologie rationnelle, la ralisation de la substance thique de l'humain est
le fil conducteur a priori" de sa propre historicit. Ce processus pose comme but, au niveau des
communauts particulires, la ralisation d'une communaut d'gaux en vue de bien vivre, et
au niveau du gnral la ralisation d'une communaut internationale se ralisant dans
l'universalit des rapports.
Cela veut dire que l'isonomia et l'isocratia sont, pour notre moment historique, es conditions
indispensables de ce minimum thique, au niveau du fonctionnement des communauts
sociales. Cela implique, ds lors, aussi bien la non existence de privilges116 juridiquement
garantis, comme la non existence de situations de monopole de la chose publique.
A la hauteur de nos circonstances il s'agit, par consquent, d'aller au del de la simple garantie
des liberts individuelles et de la ralisation des conditions institutionnelles pour empcher
l'appropriation de la chose publique. A ce propos, comme on peut aisment le comprendre, il
serait particulirement inactuel de demander que le pouvoir soit donn aux lois et non pas un
roi, aussi sage ,soit-il. Notre moment historique se situe, en effet, par del le pouvoir arbitraire.
Nous posons l'Etat de droit comme un fait acquis. Ceci, bien videmment au niveau des
manifestations sociales dans lesquelles les prsupposes premires le la libert de tout un
chacun sont des conditions indispensables l'existence sociale. De sorte qu'au niveau des
communauts sociales, nous considrons l'Etat de droit comme un fait acquis. Il s'agit a prsent
d'assurer la ralisation pleine et entire de la dmocratie, donc de surmonter les structures
oligarchiques, c'est--dire celles ou la chose publique est encore objet de monopole de la part de
l'lite qui contrle le pouvoir effectif du social.
116
104
Au niveau international il s'agit, comme nous l'avons signal, de crer des mcanismes
objectifs, capables d'assurer la proportionnalit dans l'change et de surmonter les entraves qui
empchent l'universalit des rapports entre les diffrentes manifestations et dterminations de
l'humain. Le fait de dnier l'humanit certaines manifestations de l'humain, constitue sans
nul doute une des entraves essentielles, qui empchent la ralisation de ce but thique au
niveau gnral qui est la cration d'une communaut universelle. Il y a aussi des coutumes et
idologies particulires qui entravent le processus de convergence et de conciliation de
l'humanit avec elle-mme. Ces manifestations ngatives peuvent se rduire, se concrtiser
dans la simple exclusion, voire ngation de l'altrit en tant qu'altrit.
Cela dit, poser l'axiologie rationnelle en tant que perspective de l'action humaine, c'est poser la
thse d'un processus d'accomplissement. Quelle diffrence avec Marx ? est-on en droit de se
demander. Car Marx pose la communaut d'entits autonomes vivant dans l'abondance comme
but de l'Histoire, tout comme le fait Aristote et comme nous le faisons aussi. A ce niveau-l, il
est vident que le but est le mme. C'est celui de l'axiologie rationnelle. La diffrence
fondamentale par rapport Marx se trouve dans le fait que chez l'auteur du Capital le
processus d'accomplissement est le rsultat des automatismes de l'Histoire. Plus prcisment,
du matrialisme historique. Althusser a eu raison de signaler que le Marx mr ne pose pas la
substance de l'humain comme but de son accomplissement. Pour cette raison il soutenait que le
marxisme est un antihumanisme.
Certes, le jeune Marx pose l'essence de l'humain comme but de son accomplissement. Mais, la
ralisation de ce but se trouve mdiatise par la ngation de la moralit objective. Donc, de
l'conomie, du droit et de la politique. Or, comme nous essayons de le montrer dans le chapitre
prcdent et dans la Postface, c'est prcisment cette ngation de la moralit objective qui
produit ncessairement l'autodestruction des socits se reproduisant d'une manire largie.
En d'autres termes au-del de la moralit objective se profile non pas la communaut d'gaux
vivant dans l'abondance, mais bien plutt le rgne de la moralit familiale, c'est--dire de la
religiosit. La ngation de la moralit en tant que telle ne peut produire, elle, que le vertige
Thanatique. En effet, il ne peut pas y avoir de vie sociale sans change et sans rgles objectives
rgulant les rapports entre les sujets du social.
La philosophie est essentiellement axiosophie. En tout tat de cause, elle est la conscience du
fait que l'action conduit des positions axiologiques par la rfrence ou le renvoi des valeurs.
Pour cette raison, le but de toute action est toujours une valeur. C'est prcisment cette
conscience de la dimension axiologique de l'humain, qui nous mne poser l'accomplissement
des principes de la moralit objective, comme la condition de la ralisation de l'humain.
De plus, nous ne posons pas comme Marx un moment final ce processus d'accomplissement.
Il s'agit bien plutt d'une lutte ternelle pour la justice. Cela dit, les problmes poss par la
pratique du marxisme, nous montrent d'une manire
vidente que le but axiologique n'est pas une garantie suffisante pour sa ralisation. Les
moyens en vue d'arriver une fin, peuvent tre en opposition totale avec cette fin. C'est ainsi
que vouloir atteindre l'abondance matrielle, au niveau social, par le biais de la ngation de
l'change largi et des catgories qui lui sont consubstantielles, est aussi absurde que vouloir
atteindre la sant physique par la grve de la faim.
105
Nous appelons mtathiques ces thories, car elles considrent la diklogie en tant qu'objet de
la connaissance de ce qui est, axiosophiquement, le but de la connaissance. C'est pour cette
raison que nous parlons de thories mtathiques. Au sens strict du terme ces thories
n'impliquent pas une connaissance suprieure aux universaux eux mmes, mais bien, comme
nous venons de le souligner, de la connaissance du but mme de la connaissance axiologique.
Cela dit, chacune de ces tendances est subdivise en plusieurs coles. C'est ainsi que les
thories cognitivistes se divisent en doctrines naturalistes, rationalistes et intuitionnistes. Par
contre les thories non-cognitivistes sont soit volontaristes, soit motivistes.
Nous allons faire rfrence tout d'abord aux thories cognitivistes et plus prcisment, celles
qui considrent que les valeurs peuvent tre connues soit empiriquement, soit par le moyen de
la raison, soit enfin par le biais de l'intuition. D'une manire gnrale on inclut dans le courant
naturaliste le jusnaturalisme et l'utilitarisme ; cela cause du fait que les naturalistes
considrent que la justice est une qualit qui appartient aux normes et aux actions de la mme
manire que le phnomne appartient l'tre. De plus, comme nous venons de le signaler, ces
courants de la pense considrent que cette qualit peut tre prouve empiriquement.
Pour ce qui est du jusnaturalisme, il convient de distinguer entre l'cole classique et l'cole
moderne. L'cole classique du jusnaturalisme correspond ce mouvement de la thorie du droit
qui s'est dvelopp aux XVIIme et XVIIIme sicles en Hollande. Les principaux penseurs de
cette cole sont Grocio, Thomasius et Pufendorf.
C'est en 1625 que Grocio, le fondateur de cette cole, publie son oeuvre principale : Le Droit
dans la Guerre et dans la Paix. Pour Grocio il y a chez l'tre humain une tendance instinctive
la sociabilit (appetitus societatis). Cet instinct le pousse vivre dans une socit ordonne et
tranquille. C'est donc de par sa nature que l'tre humain est un tre sociable. Les droits
inhrents cette sociabilit lui sont propres de par la nature.
Nous pouvons trouver trace de cette thse dj chez Aristote. Pour lui en effet, l'humain n'est
pas seulement un animal familial, mais aussi un animal social. Ces dterminations constituent
un fondement. Le fait d'tre un animal politique constitue une puissance, car les tres humains
selon lui sont destins vivre dans la cit et a en tre le produit.
Les thoriciens du jusnaturalisme, la diffrence d'Aristote, pensent que l'tre social ne
s'accomplit pas dans le droit, mais que son accomplissement doit tre le rsultat du fait que le
droit positif se conforme aux exigences du droit naturel. Dans ce sens, le droit positif est juste
s'il concide avec le droit naturel. Le droit naturel apparat ainsi comme le fondement du droit
positif, comme son essence.
C'est cette perception du droit que fait rfrence l'article premier de la "Dclaration des Droits
de l'Homme et du Citoyen", de 1789, lorsqu'il dit que " les hommes naissent et demeurent libres
et gaux en droit". De sorte que la libert et l'galit (par rapport au droit et au pouvoir) sont des
phnomnes naturels qui doivent tre promus et garantis par le droit positif. Une variante de
cette vision du droit fut reprise aprs l'horreur de la deuxime guerre mondiale et la tragdie du
nazisme par un philosophe du droit comme Radbruch. Radbruch considrait en effet, que la
nature des choses (Natur dersache) est le conditionnement objectif de l'ordre juridique. Cette
nature des choses117 renvoie en dernire instance la nature de l'humain. De sorte que par
del la nature des faits se situe la nature de l'humain. Ce rapport tant lui-mme mdiatis par
la nature ou la logique de l'ordre institu. Or, on sait que cette dimension tend jouer un rle de
premier ordre, dans la mesure o pour la conscience acritique la normativit tend tre
synonyme de naturalit.
Quoi qu'il en soit du point de vue de la connaissance, le jusnaturalisme pose le juste comme
une dimension objective. C'est pour cette raison que sa thorie de la connaissance de la justice
fait partie de la thorie cognitiviste. Cette constatation gnosologique ne doit pas nous faire
oublier que la thorie du droit naturel est hautement problmatique, dans la mesure o le droit
n'est pas naturel, ni la nature d'ordre juridique.
117
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L'utilitarisme fait aussi partie des thories naturalistes, comme nous l'avons signal. Cette cole
s'est surtout dveloppe en Angleterre a partir de Jeremy Bentham. John Stuart Mill et Herbert
Spencer sont considrs comme les plus grands continuateurs classiques de cette cole. Pour
ces thoriciens la justice s'identifie l'utilit du plus grand nombre. C'est ainsi que si une
action produit plus de plaisir que de douleur, il faut en dduire qu'elle est conforme aux
exigences de la morale utilitariste. De sorte que par cette possibilit de manifestation empirique,
la justice cesse d'tre un concept vague pour devenir une dimension oprationnelle.
A partir de Bertrand Russel et de l'utilitarisme amricain, on fait la diffrence entre
l'utilitarisme de l'action (act-utilitarism) et l'utilitarisme de la rgle (rule-utilitarism).
L'utilitarisme de l'action est essentiellement classique. Il tient compte principalement de l'action
individuelle. Sa finalit tant de produire un maximum de flicit pour le nombre le plus grand
de personnes. Nous avons ainsi affaire a une pratique individuelle que nous appelons en
franais la bonne action. Par contre, l'utilitarisme de la rgle a une dimension plus sociale, plus
sociologique.
Pour l'utilitarisme de la rgle, en effet, il ne s'agit pas d'accorder une importance primordiale
aux consquences de l'action individuelle, mais plutt a celles qui dcoulent de l'adoption des
rgles gnrales. Pour cette cole, il s'agit d'accepter les rgles qui correspondent au principe de
l'utilit et plus particulirement qui permettent le plus grand dveloppement du bien-tre et la
satisfaction des besoins de l'humain.
C'est ainsi que l'utilitarisme classique est plutt un guide thique pour les individus, tandis
que l'utilitarisme moderne accorde une importance primordiale aux rsultats de la normativit
qui conditionne l'existence sociale. Au sens strict du terme, l'utilitarisme ne se propose dans la
connaissance de la justice en tant que telle, mais la reconnaissance de ses manifestations. C'est
ds lors, l'tre manifest de la justice qui est l'objet de la connaissance empirique. C'est pour
cette raison que l'utilitarisme, tout comme le jusnaturalisme, sont considrs comme
naturalistes.
La deuxime cole, le rationalisme, considre, pour sa part, que les universaux peuvent se
manifester dans la ralit ; Plus prcisment, que le but de l'humain est la ralisation de ces
catgories d'ordre universel. Les rationalistes concident avec les naturalistes, lorsqu'ils
pensent que l'thique est une dimension qui appartient aux normes et aux comportements.
Mais, ils se diffrencient d'eux par le fait qu'ils considrent que les valeurs d'ordre universel, ne
peuvent tre connues que par la raison et non pas d'une manire empirique. On peut expliquer
cette diffrence d'une autre manire, en rappelant que chez les naturalistes la raison est un
instrument de reconnaissance, tandis que chez les rationalistes, la raison est la source mme de
la connaissance. Ceci, cause du fait que la raison est pour eux la fois source de production
et de connaissance de la justice et par consquent des universaux en tant que tels.
L'cole rationaliste est gnralement perue comme drivant de la philosophie de Kant. En effet,
le philosophe de Koenisberg est le premier avoir fait une diffrence claire entre les concepts et
les universaux. Cette diffrence est contenue chez Aristote, mais c'est chez Kant et
Schopenhauer que la dtermination de cette diffrence prend une importance de premier ordre.
Pour ces philosophes, en effet, les concepts sont a posteriori, tandis que les universaux sont, a
priori, parce qu'ils sont les produits de la capacit synthtique de la raison : de sorte que pour
cette cole, le fondement du juste ne doit pas tre cherch dans un soi disant ordre naturel du
monde, mais dans la dimension rationnelle de l'tre humain.
Il faut rappeler aussi que chez Kant, le droit nat de la ncessit de la raison d'avoir concilier
la libert de chacun avec la libert de tous. En fait, pour lui la libert, dans la multiplicit,
disparatrait, s'il n'y avait pas une loi universelle capable de les faire coexister. Cette loi
universelle permet cette coexistence, car elle est capable de sacrifier, dans le strict ncessaire, la
libert de chacun pour permettre la libert de tous.
Ainsi, pour Kant l'ordre juste est celui qui permet cette coexistence, tout en limitant la libert de
chacun au strict minimum. De plus, la diffrence des thoriciens de l'absolutisme, comme
Bodin et Hobbes, l'individu n'abdique pas sa libert auprs de l'Etat et de son Roi. Il doit la
conserver de la faon la plus totalisante.
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Par consquent, chez Aristote la justice est une manifestation substantielle de l'humain, tandis
que chez Marx elle est l'expression des rapports pervertis et pervertissants. Le fait est que la
diffrence fondamentale entre les cognitivistes et les non-cognitivistes - ou comme disent
d'autres thoriciens, entre absolutistes et relativistes -, est prcisment que chez les premiers
l'axiologie fondamentale est une dimension essentielle de l'humain, tandis que pour les
deuximes elle est un non-existant, ou plutt un existant qui est simple positivit parce qu'elle
ne peut pas tre autrement.
Cela dit, la thorie volontariste, comme nous l'avons signal un peu plus haut, trouve aussi son
expression dans les thses dlgationistes et contractualistes. Selon les thses de Hobbes, par
exemple, l'ordre institutionnel est le rsultat de la dlgation de ceux qui ont le subir. Les
hommes, pour dpasser l'tat de nature - qui est la guerre de tous contre tous -, sont obligs,
pousss par la ncessit de vivre dans la scurit, de transfrer leurs droits naturels l'Etat. De
sorte que la souverainet de l'Etat, sur les membres de la socit est absolue. Cela d'autant plus
que le Roi incarne la puissance de l'Etat. Cette thse comme on le sait, se prsente comme la
culmination du mouvement absolutiste, lequel commence a tre formul par Jean Bodin, dans
sa Rpublique.
Quoi qu'il en soit, il est important de retenir, pour ce qui nous intresse ici particulirement, que
selon cette cole, l'ordre institutionnel dpend en dernire instance de l'arbitre de ceux qui
dlguent leur pouvoir, et en premire instance de l'arbitre de celui qui contrle le pouvoir. De
sorte que le droit et la justice qui en est la substance, ont comme source la volont, donc une
puissance arbitraire.
Il faut remarquer ici que le contractualisme ne dbouche pas toujours dans la volont arbitraire.
En effet, chez Rousseau et sourtout chez Kant le contrat qu'implique le passage de l'tat de
nature l'tat social, ne peut pas avoir un contenu quelconque. Son contenu doit tre conforme
a la raison, laquelle impose la sauvegarde de la libert des citoyens. De sorte qu'avec cette forme
de pense, le contrat perd son contenu arbitraire et ncessiteux pour se transformer en acte
conditionn par la raison. Chez Kant, par exemple, l'Etat est non seulement conditionn et
limit par le droit, mais aussi par la raison. Nous avons dj soulign le caractre rationaliste
de la thorie kantienne. En effet, selon la philosophie de Kant, la raison est la fois source de
production et instrument de connaissance du droit.
La thorie contractualiste et dlgationiste est aussi la base du positivisme juridique. En effet,
selon cette cole le droit est le produit du contrat direct ou de la dlgation. La puissance
lgislative tire sa capacit productive du peuple qu'elle reprsente. Ainsi l'Etat moderne tend
monopoliser la production normative via la puissance lgislative.
En tout tat de cause, pour le positivisme juridique, le droit qu'il s'agit de connatre, est le droit
effectivement existant. Pour cette cole, comme le dit Kelsen, la science du droit ne doit tendre ni
approuver ni dsapprouver son objet, mais uniquement le connatre et le dcrire.119 De
plus, Kelsen insiste trs souvent sur le fait qu'il ne s'agit pas de confondre l'tre avec le devoirtre du droit.
Mais, le positivisme juridique tend se transformer en formalisme juridique. De sorte que le
droit en vigueur tend tre identifi au droit juste. Ce glissement thorique implique, comme le
signale Bobbio, le rductionnisme de l'tre du droit son devoir-tre. La volont du lgislateur
devient ainsi source de justice. Ceci parce que le droit en vigueur ralise, de par son existence,
les valeurs propres du droit.
En d'autres termes, pour le formalisme juridique le droit positif est le pouvoir-tre du droit. Le
devoir-tre n'est qu'une dimension abstraite et par l mme sans aucun contenu concret
possible. Par consquent, la volont du lgislateur est la seule source de justice. Laquelle bien
videmment change, toujours selon cette vision, avec les circonstances historiques. Ainsi les
changements juridiques n'excluent pas le fait que le seul droit juste est le droit positif, ou le
droit issu de la volont du lgislateur.
Dans l'cole volontariste il convient d'inclure aussi le thologisme volontariste. Selon cette
thorie, comme nous l'avons signal plus haut, la justice n'est pas le produit de la raison de
119
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Dieu, mais de sa volont. Cette thse est dveloppe tout d'abord par Saint Augustin et puis par
la scolastique cossaise. Pour le volontarisme thologique, l'tre du monde dpend de la
volont de Dieu. Cette volont n'est pas forcment identique elle-mme ; elle est susceptible de
changement. De sorte que le ngatif peut devenir positif si Dieu le veut. Ds lors, la justice n'est
pas un concept absolu, mais relatif.
La primaut de la volont - et plus prcisment, de la raison de la volont -, chez l'humain,
comme chez Dieu, est une thse qui a t surtout dfendue par Duns Scotus, le fondateur de
l'cole cossaise. Pour ce thoricien du thologisme volontariste, la volont de Dieu est
absolument libre. Est bon ce que Dieu veut, parce qu'il le veut. De sorte que ce qu'il commande
est juste, parce que issu de sa volont. La proposition rationaliste, veut au contraire, que seul
soit command ce qui est juste.
L'motivisme est, enfin, l'autre cole non-cognitiviste. Pour les partisans de cette cole, la justice
est un simple jugement de valeur. En tant que telle, elle n'a qu'un simple contenu motif. C'est
ainsi, toujours selon cette cole, que nous disons qu'un acte est juste lorsque nous sommes
d'accord avec lui, et injuste dans le cas contraire.
Les partisans de la thorie motiviste se rclament du positivisme logique, dfendu par le "
Cercle de Vienne " ; plus prcisment, cette cole nopositiviste qui s'est dveloppe en Autriche
entre les deux guerres. C'est ainsi que pour Ludwig Wittgenstein, un des matres penser de
cette cole, le discours est gnralement compos de propositions et de pseudo-propositions.
Les propositions, quant elles, peuvent tre de trois ordres : tautologiques, contradictoires et
factiques. Les premires sont toujours vraies, tandis que les deuximes sont toujours fausses.
Les propositions factiques, sont par contre vraies ou fausses selon qu'elles correspondent ou
non la ralit laquelle elles se rfrent. En effet, si nous disons que "le droit est un systme
juridique", nous sommes en train d'exprimer un jugement vrai parce que tautologique. Dans le
sens contraire, si nous disons que "la croissance conomique peut tre quilibre", nous
exprimons un jugement faux, dans la mesure o croissance et quilibre sont, selon leur concept
et leur effectivit, deux notions contradictoires. Par contre, si nous disons :"il fait beau et le ciel
est bleu", cette proposition ne peut tre vraie que si au moment o nous l'exprimons, il fait en
effet beau et que le ciel est bleu. Dans le cas contraire, la proposition est fausse. Les noncs
factiques sont par consquent, les seuls susceptibles de vrification. Donc, d'tre vrais ou faux.
Pour ce qui est des pseudo-propositions, elles sont mtaphysiques ou valuatives. Wittgenstein
nous dit que les propositions mtaphysiques n'ont aucun sens, parce qu'elles ne sont pas
susceptibles d'tre vrifies. Les propositions valuatives et plus prcisment les jugements de
valeur rentrent dans le mme cas. C'est ainsi que lorsqu'il est dit que " telle ou telle loi est bonne
", on n'ajoute rien la connaissance des lois en question. Il s'agit, bien plutt, selon le
positivisme logique, d'un jugement purement motif. Ce jugement ne fait, la rigueur,
qu'exprimer notre attitude favorable l'gard de certaines prescriptions normatives.
Ainsi, le positivisme logique ne tient pas compte du fait que ce n'est pas tellement le jugement
qui est important mais le systme de valeurs qu'il exprime. La ngation du jugement de valeurs
produit au nom de la scientificit, est une attitude neutre l'gard de l'tre-l de la justice et de
l'univers des valeurs dans lequel sont immergs les singularits et les ensembles sociaux.
L'axiologie rationnelle nous montre, en ce qui concerne cette problmatique, que le jugement de
valeur peut exprimer un systme de valeurs propre une singularit donne, ou une ralit
sociale donne. Le but tant, du point de vue axiologique, de surmonter le singulier et le
particulier, pour accder l'universel. Le philosophe, en tout cas, ne doit pas se compromettre
avec le particulier qui peut s'appeler mouvement politique, ordre corporatif, social ou national,
et encore moins avec sa propre subjectivit ou celle d'un autre. En d'autres termes, la pense
axiosophique ne doit pas se compromettre, en exprimer ce qui est de l'ordre du relatif, donc de
l'illusion et du mensonge, mais seulement se rapporter l'absoluit contenue dans les valeurs
d'ordre universel.
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Nous nous rfrons ici au Marx postrieur LIdologie Allemande. Althusser est le premier
thoricien marxiste avoir soulign cette diffrence. Il parla ce propos de coupure
pistmologique.
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des Torquemada du monde moderne, mais a aussi encourag la destruction physique des
peuples sans dfense et de ceux que la terreur avait mis genoux.
Il est vident que cette horreur n'aurait jamais pu se raliser si l'idologie pure, exprime par le
savoir philosophique, n'avait pas russi prsenter ces ordres malfaisants aussi bien comme
ncessaires que comme la manifestation de la vrit et de la justice. Selon une telle position il
fallait craser l'infme, afin que le rgne de la raison et de la justice puisse enfin voir le jour.
116
l'axiologie rationnelle. Se pose ds lors la question de savoir quel est le contenu de l'axiologie
rationnelle. L'objectivation de la justice concrte passe, prcisment, par la ralisation de ce
contenu.
Pour le positivisme et pour la conscience lgaliste en gnral, la justice implique avant tout la
conformit du comportement humain avec la normativit qui le rgule. De sorte que la justice
s'identifie, pour cette perception, avec la juridicit produite par l'Etat. Nous avons vu la
caractre problmatique de cette perception. Ceci dans le mesure o la justice est une catgorie
universelle, commune tous les tres humains, tandis que le droit donn est diffrent dans
chaque formation sociale. Pour cette raison, pour la philosophie du droit il n'est pas suffisant
que l'action soit conforme la loi, il est ncessaire que la loi soit conforme la justice.
Cette perception positivo-lgaliste est une perception nave, dans la mesure o elle prend
l'existant pour la ralit en tant que telle. Pour elle tout ce qui est en dehors du rel, est pure et
simple abstraction. Le problme n'est pas de poser le devenir-autre comme tant de l'ordre du
possible rel, mais d'tre conscient du fait que les universaux sont des rfrentiels. Or, pour la
conscience positivo-lgaliste, il faut seulement valeurs publiquement reconnues. Cette position
extrmement nave va jusqu' croire que ceux qui gouvernent ne peuvent que connatre la vrit
de la justice et signaler le chemin de sa ralisation. Car, comme rappelait Hegels d'une manire
gnrale on tend croire que lorsque Dieu donne une fonction il donne aussi la comptence.
Ulpien pour sa part pense que la justice est la volont constante et perptuelle (constans et
perpetua voluntas) de donner chacun ce qui lui revient. Cette thse est reprise par Saint
Augustin. Selon lui, en effet, la justice est la vertu qui assigne chacun ce qui lui revient. Cette
position nous indique, par consquent, quand une action est juste, mais ne nous dit rien en ce
qui concerne la dimension juste de la loi et du droit.
Chez les stociens la justice apparat comme un phnomne cosmique. Les humains ne sont pas
les seuls participer cette dimension ; elle est commune toutes les cratures. Ulpien parle
ce propos de quod natura animalia docuit ("ce que la nature enseign aux animaux"). De sorte
que les hommes participent la justice pour autant qu'ils s'inscrivent dans l'ordre universel.
Cette thse, comme on peut le comprendre aisment, ne nous renseigne pas sur le contenu de la
justice. Elle ne nous explique pas, par exemple, pourquoi la pulsion de destruction et de mort
existe dans la nature. En tout cas, nous constatons que le comportement animal n'est pas
conforme l'ide que nous nous faisons de la justice. L'agressivit fait partie de l'tre animal
que la culture tend matriser, pour viter prcisment la guerre de chacun contre tous. Mais
cette matrise n'implique pas la disparition de l'insociable sociabilit (Kant) des tres humains.
Pour cette raison Kant nous dit dans sa quatrime proposition sur l'Ide d'une Histoire
universelle au point de vue cosmopolite : "Le moyen dont la nature se sert pour mener bien le
dveloppement de toutes ses dispositions est leur antagonisme au sein de la socit, pour
autant que celui-ci est cependant en fin de compte la cause d'une ordonnance rgulire de cette
socit." En fait ajoute Kant dans cette mme proposition : " sans ces qualits d'insociabilit,
peu sympathiques certes par elles-mmes, source de rsistance que chacun doit ncessairement
rencontrer ses prtentions gostes, tous les talents resteraient jamais enfouis en germes, au
milieu d'une existence de bergers d'Arcadie, dans une concorde, une satisfaction, et un amour
mutuels parfaits ; les hommes doux comme les agneaux qu'ils font patre, ne donneraient
l'existence gure plus de valeur que n'en a leur troupeau domestique."123
De sorte que la normativit tend rguler l'insociable sociabilit des tres humains. A la base il
y a, par consquent, l'univers contradictoire des intrts et des diffrentes perceptions du
monde, qu'il s'agit de rguler. Ces instances de rgulation sont, comme nous l'avons montr, le
rsultat de la production thique de l'humain.
Or, comme nous l'avons soulign, cette instance rgulatrice possde une dimension rfrentielle
qui est d'ordre diklogique. C'est, prcisment, la logique de ce contenu qu'Aristote essaie de
dfinir, dans ce qui nous est parvenu sous le titre gnral de l'Ethique et dans sa Politique.
Nous allons reprendre dans ce qui suit les thses de base d'Aristote. Par consquent, il ne s'agit
pas, proprement parler d'une tude sur la rflexion aristotlicienne.
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Aristote part, en effet, de la thse selon laquelle le juste est cette dimension qui permet de
garantir et promouvoir le bien-tre et la vie en socit. Il s'agit, par consquent, d'une catgorie
culturelle. Cette valeur se ralise dans et par le dveloppement de la moralit objective. C'est
donc, par la ralisation universalisante du droit, de l'conomie et du politique que la justice
s'accomplit.
D'une manire gnrale pour Aristote la justice est ce qui est contraire la proportion
raisonnable, par excs ou par dfaut. Il s'agit, dans la pratique sociale d'avoir en vue non
seulement le juste milieu, mais aussi le possible et le convenable. Dans le monde individualis,
en socit, la justice se manifeste sous la forme de la justice distributive et de la justice
corrective, ou commutative. Le principe gnral qui conditionne ces deux formes de la justice
est la proportionnalit. Dans la justice corrective la proportionnalit est d'ordre arithmtique,
tandis qu'avec la justice distributive la proportionnalit est d'ordre gomtrique. De sorte que
nous avons d'un ct, l'galit arithmtique, et de l'autre, proportionnalit gomtrique.
Commenons par la justice distributive, et retenons qu'elle conditionne les relations du droit
public. Cela parce que la justice distributive concerne le rapport la res-publica et plus
prcisment la constitution et la distribution des richesses sociales. Cette forme de justice
peut ds lors se diviser en deux moments essentiels. Le premier moment se rapporte la
constitution de l'avoir public et donc aux prlvements. Il s'agit de la justice fiscale.124 Le
deuxime moment est celui de la distribution de ces richesses mises la disposition de ceux qui
contrlent le pouvoir.
Nous avons alors affaire d'une part, la justice se rapportant la cration et la rmunration
des fonctions publiques, et de l'autre la justice sociale au sens strict du terme. Dans le
domaine de la justice distributive le rapport est d'ingalit et l'injustice est ce qui est contraire
la proportion raisonnable.
De sorte qu'en ce qui concerne la constitution de l'avoir public, plus prcisment de la justice
fiscale, le rapport est d'ingalit. Il ne s'agit pas de faire payer tous les membres de la socit
la mme quantit. En effet, il faut tenir compte que dans la socit civile il y a, dans les extrmes,
ceux qui ont beaucoup d'argent et ceux qui n'en ont pas. Pour cette raison la proportion
raisonnable veut que la charge tributaire soit tablie d'une manire progressive, en relation avec
les richesses de chacun. Dans ces conditions l'injustice implique un prlvement gal,
indpendamment du niveau de richesses. Pour cette raison, la fiscalit indirecte est une source
d'injustice, car tout le monde paye la mme chose. Certes, dans les socits modernes les plus
avances - du point de vue du respect des principes -, on tend taxer moins ou pas du tout les
biens de premire ncessit, tandis que les produits de luxe sont taxes plus fortement. C'est
prcisment la justice fiscale qui exige cette diffrence, car il est injuste que les pauvres payent
autant que les riches pour le mme bien. Comme on le sait, dans un budget de pauvre, les
dpenses de nourriture sont proportionnellement plus importantes par rapport aux riches.
Ce phnomne explique la raison pour laquelle les impts directs sont considrs comme plus
conformes aux principes de la justice fiscale que les impts indirects. Cela toutefois condition
que les impts directs soient prlevs selon une logique progressive, donc, en proportion aux
richesses de chacun. Suivant cette logique, la raison pour laquelle le systme d'imposition
locatif impos par le gouvernement de Madame Thatcher en Angleterre, la fin des annes
quatre-vingts, a pu provoquer tant d'moi et de rvolte, est facilement comprhensive. Selon la
logique de cette Polltax en effet, les personnes taient taxes individuellement et non pas selon
la surface et le confort de leur habitat. Ainsi un couple habitant une chambre de bonne payait
plus que la personne habitant seule un somptueux appartement, ou une immense proprit
rurale.
Pour ce qui est de la distribution des richesses communes - appeles aussi res-publica, ou
Commonwealth -, il faut remarquer qu'il y a pour Aristote deux critres essentiels qui sont
antrieurs la distribution proprement dite. Le premier tant qu'il s'agit d'organiser les
institutions de telle sorte que la chose publique ne soit pas une source de profit. Le deuxime
critre renvoie au fait que la chose publique, par dfinition, est la proprit commune et que, par
124
118
consquent, elle ne doit tre objet d'appropriation ou de monopole, d'une famille, d'une bande
de compagnons, ou d'une clique quelconque.
Le principe de l'alternance pure - de la totalit de l'lite du pouvoir -, est, comme nous l'avons
souligne, le seul mcanisme sociologique capable d'empcher le monopole de la chose
publique. Rappelons que le monopole de la chose publique tend placer l'intrt des
permanents au-dessus des intrts de la communaut sociale. En d'autres termes, la dmocratie
dans sa dimension universalisante est la seule puissance rgulatrice capable d'empcher toute
perversion oligarchique. Le niveau de moralit publique est de plus la seule force capable
d'empcher l'appropriation de la chose publique, ainsi que les sur-rmunrations au niveau de
la fonction publique. Il est clair que ce niveau de moralit, tend se manifester dans le droit
positif et dans les instances de lgitimation.
Cela dit, revenons au contenu de la justice distributive, dans ces deux virtualits. Nous avons
affaire alors, d'un ct, la justice se rapportant l'attribution des fonctions et de l'autre ct, a
la justice sociale proprement dite. Les dpenses de fonctionnement et les dpenses sociales
renvoient de nos jours, en France, aux deux grands budgets de la nation. D'une part, le budget
de l'Etat, et de l'autre, le budget de la scurit sociale. Se pose alors la question de savoir : quel
est le critre qui doit prsider ces dpenses ? Il est clair pour Aristote que ces dpenses ne
peuvent pas se raliser selon le principe de l'galit. Par exemple dans le cas des dpenses
sociales, il ne s'agit pas d'accorder les mmes subventions indpendamment du niveau de
revenu des bnficiers, comme c'est le cas actuellement en France pour les allocations
familiales.125 En effet, ces allocations sont accordes en fonction du nombre d'enfants et
indpendamment du niveau de vie des personnes concernes. Cela fait que pour un mme
nombre d'enfants, la femme abandonne et sans ressources touche autant que la femme riche
ayant un mari qui dispose de trs hauts revenus.
Comme on peut aisment le comprendre, nous avons affaire l a une perversion selon les
principes. Plus prcisment une pratique qui est contraire non seulement aux principes
d'ordre universel, mais qui est aussi contraire la proportion raisonnable. Pour Aristote le seul
critre est celui des besoins. Il sagit, plus prcisment, d'accorder des aides ceux qui sont
dans le besoin et non pas ceux qui ne le sont pas. Les subventions sociales doivent jouer un
rle de nivellement, permettant prcisment ceux qui n'ont pas de moyens de pouvoir vivre
dans la dignit.
Pour ce qui est des dpenses de fonctionnement, les principes veulent non seulement que les
citoyens soient tour de rle gouvernants et gouverns, mais qu'il n'y ait pas, comme nous
l'avons soulign tout au long de ce travail, de monopole ou quasi-appropriation de la chose
publique. Par consquent, les fonctions doivent tre temporaires et doivent tre accordes selon
les capacits des candidats. Les postes vie et les sincures politiques sont, ds lors, contraires
aux principes de l'axiologie rationnelle.
Cela dit, reprenons d'une manire synthtique la logique de la justice distributive : 1) par le
biais de la justice fiscale l'Etat prlve les ressources ncessaires son fonctionnement et sa
fonction sociale. 2) Les moyens sont, selon la logique dmocratique, mis la disposition de
ceux qui sont lgitims par la communaut de citoyens. 3) Les dpositaires de la lgitimit
populaire126 accordent ces moyens en fonction de la capacit et des besoins.
De sorte que la justice distributive se ralise selon le principe de l'ingalit et les ressources
publiques sont accordes de chacun selon ses capacits chacun selon ses besoins. Ce principe
de la distribution concerne, par consquent, la chose publique, et non pas l'univers de la chose
prive. Dans la socit civile, c'est plutt la justice corrective qui rgule les relations entre les
particuliers.
125
Nous avons dj parl de cette problmatique plus haut. Il sagit ici de rappeler les moments
essentiels.
126
Rappelons qu'en France le budget de la scurit sociale - qui est suprieur au budget de
l'Etat - est gr paritairement par le syndicat patronal et par les syndicats de travailleurs. Ce qui
n'est pas conforme la rgle, selon la logique des principes axiologiques.
119
Nous passons ainsi cette autre sphre de la socit qui est la socit civile. Pour Aristote, au
sein de cet espace c'est la justice corrective ou commutative qui rgule les rapports entre les
sujets. Dans cette dimension, nous dit le philosophe, l'injuste est ce qui est ingal, et le juste ce
qui s'accorde avec l'galit.
Cela dit, ce principe d'galit rgle les rapports aussi bien au sein de la socit civile - dans la
relation entre les sujets de droit -, que dans le rapport entre les individus et l'Etat en tant que
sphre politique. En effet, les individualits sont en isonomia et en isocratia. Elles sont, par
consquent, en galit de droit et en galit politique.
Il s'avre alors ncessaire, avant de dvelopper la dimension propre la justice corrective, de
faire remarquer, quitte nous rpter un peu, que les individualits sont en ingalit par
rapport la chose publique et en galit en ce qui concerne la sphre politique.127 Le citoyen,
nous dit le philosophe, est le sujet du pouvoir. De sorte que dans un univers pleinement
politique il ne peut pas y avoir d'un ct, des citoyens actifs, et de l'autre, des citoyens inactifs
comme le soutenait Sieys.
A ce propos, Aristote pensait en termes d'univers de citoyens et d'univers domestique. Pour
nous, il est ncessaire de penser l'universalisation de la sphre politique. Il s'agit par
consquent, d'aller au-del de Sieys et bien videmment des systmes duaux de notre poque,
tel que nous le constatons par exemple en France et dans les autres structures mixtes, o les
vrais sujets du pouvoir sont les membres de la nomenklatura. Le rle des autres tant
essentiellement, comme nous l'avons soulign, de permettre, par le biais des lections, le
roulement de l'lite du pouvoir en elle-mme. De sorte que le vote la fonction de lgitimation
est de permettre le dplacement de la puissance du pouvoir au sein de l'lite administrative et
politique.
Cela dit, pour Aristote, le but du processus d'accomplissement politique est la cration d'une
communaut d'gaux, en vue de bien vivre. Pour nous, il est vident que cette communaut
d'gaux doit tre totalisante, elle ne peut pas concerner une simple minorit - telle la caste
nomenklaturiste -, qui se partage les avantages de la vie en socit, ainsi que les privilges et les
sincures.
Le fait est que pour Aristote, le citoyen est non seulement le sujet du pouvoir, mais il est en
isocratia par rapport au pouvoir. Plus prcisment, comme le dit le philosophe lui-mme :
"chaque citoyen est une partie de l'Etat, et le soin de chaque partie est naturellement orient vers
le soin de tout. "128
La participation de tous aux affaires du pouvoir, l'isegoria, fait donc partie de la nature du
citoyen. Les affaires publiques ne peuvent pas tre le domaine rserv d'une simple minorit, de
soi-disant spcialistes du bonheur du peuple. Un tel tat de choses ne peut tre que le rsultat
de la perversion oligarchique. Dans la logique du systme purement dmocratique l'isonomia,
implique l'isocratia, et l'isocratia, l'isegoria. Il faut remarquer que la diffrence entre dmocratie
directe et indirecte est une affaire de niveaux. Il est vident que la dmocratie directe ne peut
pas exister l'chelle d'une nation, aussi petite soit-elle. Le concept de systme purement
dmocratique, prsuppose le fait que les lections permettent l'alternance totale de l'espace du
pouvoir. En d'autres termes, la dmocratie comme nous l'avons soulign, empche le monopole
de la chose publique par une simple minorit de citoyens de premire classe.
Cela dit, revenons au problme de la justice corrective. Pour Aristote les sujets du droit sont en
rapport d'galit au sein de la socit civile. Pour cette raison l'change entre ces sujets ne peut
qu'tre gal. Cette galit implique, par consquent, la proportionnalit dans l'change. De sorte
127
Nous ne rentrons pas dans cette tude dans la sphre domestique, o faut-il le rappeler les
personnes n'ont pas de droit par rapport au seigneur. Les relations ici sont rgles par les
principes de la moralit familiale, de la religiosit. Si nous n'accordons pas une place la
rflexion de cette sphre, c'est parce qu'elle s'est dilue avec le dveloppement de
l'individualisme. Ce qui nous intresse ds lors c'est la dimension politique et sociale. Plus
prcisment les lments de la rflexion aristotlicienne correspondant ces ralits.
128
La Politique, J. Vrin, Paris, p. 553.
120
que ces sujets changent des biens quivalents et lorsque cette quivalence n'existe pas, parce
qu'il y a fraude du ct d'une des parties, le droit intervient pour corriger le mal fait.
Ainsi, la justice corrective conditionne les relations entre particuliers dans les actes licites,
comme dans les actes illicites. Les actes licites sont ceux qui ne sont dfendus par aucune loi,
aucune autorit tablie. Font partie de ces actes, les changes dans le commerce entre les sujets
et les contrats. Par contre, les actes illicites sont ceux qui sont dfendus par la loi et par la
moralit gnralement reconnue.
Les actes licites sont rguls par l'conomie et par le droit priv. A la base de l'conomie se
trouve l'change, lequel, selon Aristote, est consubstantiel la vie sociale.129 La monnaie nomisma, de nomos loi - est en conomie l'instrument qui assure la proportionnalit dans
l'change. En d'autres termes, l'change quivalent est assur par cet instrument institu par la
loi et qui est dans son effectivit l'quivalent gnral. L'change est un acte volontaire, de mme
que le contrat. A la base de ce rapport, il y a une ngociation, une relation entre des sujets
responsables. De sorte qu'en principe chacun est conscient de son acte et de ses propres
intrts. En ce qui concerne la monnaie il est important de noter qu'elle est la manifestation de
la justice corrective. Ce jugement peut sembler hautement problmatique la sensibilit
dominante de notre temps, laquelle est conditionne par le christianisme et le marxisme. Il est
important de comprendre, en ce qui concerne cette problmatique, que de mme que tout droit
n'est pas l'objectivation du concept de juste qui en est son idalit, de mme toute monnaie n'est
pas un instrument de justice corrective. Cela parce qu'elle est institue par une puissance
pervertie et pervertissante. Cette perversion est gnralement le rsultat : soit de l'immoralit
objective dans l'ordre institutionnel qui produit la monnaie, soit parce que l'acte instituant la
monnaie n'est pas le rsultat de la raison, mais de sa ngation.
Cela dit, revenons la rgulation des actes illicites. L'instrument de la justice corrective est ici le
droit pnal. En effet, la justice pnale tablit la proportion entre la gravit du dlit et l'entit de
la peine. En d'autres termes, le droit pnal rtablit la proportionnalit viole par une des
parties. Le juge est ici l'instrument de la justice corrective et son rle est de rtablir la
proportionnalit issue du dsaccord entre les volonts, ou produit par l'acte criminel d'une des
volonts. De sorte qu' la diffrence des actes licites qui sont volontaires, nous avons affaire ici,
selon le philosophe, des actes involontaires, car le rsultat de l'action qui engage le procs est
le rsultat d'un non accord entre les volonts. Dans son action le juge fait appel la loi et
l'quit. L'quit, quant elle, est le complment de la norme objective. Elle implique, par
consquent, la correction de la loi, par le juge, la o elle est dfectueuse en raison de sa
gnralit.
Ainsi, du point de vue diklogique l'Etat est le produit d'une alliance entre gaux, destine
garantir chaque citoyen contre l'injustice et la ncessit. La garantie contre l'injustice se
manifeste au niveau de la justice corrective comme au niveau de la justice se rapportant la
cration d'emplois dans la fonction publique. La sauvegarde contre la ncessit qui est
adversit existentielle, dans la lutte pour l'existence, se concrtise par la fonction redistributrice
de l'Etat. Le but de la justice sociale, comme nous l'avons soulign plus haut, est celui de
sauvegarder la dignit de ceux qui sont dans le besoin, tout en contribuant au nivellement du
social. De ce point de vue-l, la justice sociale n'est pas une pratique charitable, mais un droit.
Dans cette perspective, il est clair que, comme l'a signal la scolastique inspire en partie par
Aristote, comme on le sait -, la justice s'identifie avec le bien commun. Toutefois, ce bien
commun ne peut pas tre le produit, comme nous l'avons soulign, d'une thocratie, ou d'un
despotisme clrical. Ce pouvoir dans sa vrit, et son exprience historique le montre, ne peut
que scrter le crpuscule de la raison et produire la nuit dans les temps historiques.
Le bien commun ne peut tre ralis que grce l'accomplissement de la moralit objective. Il
prsuppose, en tout cas la participation de tous aux affaires de la cit. Le contre-pouvoir
dmocratique tant indispensable la ralisation de la communaut d'gaux. En effet, l'usager
129
Rappelons, ce propos, que pour Marx la catgorie de l'change est un mal, car elle est la
manifestation de la vnalit et de la prostitution universelle.
121
est plus mme de juger que le constructeur de l'excellence de la maison ; de mme que le
convive est meilleur juge que le cuisinier de l'excellence du festin.
Cela dit, le bien tre de la communaut sociale ne dpend pas uniquement de la manifestation
concrte de la justice au sein de la communaut sociale, elle dpend aussi de la puissance
axiologique au niveau de la communaut internationale. Comme on le sait, les Etats sont les
sujets du droit international. Ils se doivent, par consquent, de lutter non seulement pour
l'isonomia, mais aussi pour qu'il y ait proportionnalit des changes. Nous avons trait
l'essentiel de cette problmatique dans la dernire partie du chapitre V.
Cela dit, le but de l'activit axiologique des Etats, au niveau international est prcisment de
crer une communaut d'gaux au niveau des nations, ainsi que de promouvoir l'universalit
des rapports entre les diffrentes manifestations du genre humain. Cette universalit des
rapports ne doit pas se situer uniquement au niveau de l'change marchand, mais doit tre
aussi d'ordre culturel et gnrique.
En ce qui concerne l'change marchand, il est hautement ncessaire, par les temps de crise que
nous connaissons, de rtablir la proportionnalit dans l'change, de sorte sortir du contexte
injuste dans lequel ces changes se ralisent prsent. Car, actuellement la nation la plus riche
du monde - les Etats-Unis d'Amrique - dtient l'immense privilge de pouvoir payer son dficit
extrieur avec du simple papier. Donc, sans aucune contrepartie relle. Tout ceci, parce que sa
monnaie est en mme temps la monnaie de rfrence internationale, ainsi que son principal
instrument de rserve.130
De tout ce qui vient d'tre expos sur l'objectivation de l'axiologie rationnelle, il est important de
retenir que la production des valeurs d'ordre universel est le rsultat de la raison gnrique. Le
salut de l'humanit, la marche vers un avenir plus humain, ne peut venir que de sa capacit de
rflexion. Il est hautement problmatique de croire que ce salut ne peut venir que d'un peuple
ayant par essence un rle axiologique. C'est ainsi que Saint Jean disait : le salut vient des
Juifs".131 Il est aussi particulirement problmatique de croire qu'il y a des peuples qui sont
rationnels et d'autres qui ne le sont pas. En effet, cela quivaut dire que certains peuples sont
humains et que d'autres ne le sont pas.
Heureusement nous assistons depuis un certain temps, la multiplication des rapports entre
les nations. Tout annonce la ncessit d'une convergence de l'humain, partir de ces
diffrentes manifestations. Cet animal rationnel, comme le disait le philosophe, a connu tout
d'abord l'aventure dans sa propre particularit. A prsent, il semble devoir dpasser les
circonstances de l'affirmation de ces particularits en elles-mmes, pour se lancer dans le
chemin de la raison qui est celui de l'universalit des rapports, au sein d'une communaut de
nations conditionne par l'axiologie rationnelle.
Certes, sur le chemin de cette aventure il y aura toujours le danger de ce que Hegel a appel,
malencontreusement, la ruse de la raison. Si tel est le cas, le danger de rgressions brutales
dans la barbarie du sang et du sol, ne sont pas carter. Devant les nuits des temps historiques,
restera toujours l'alternative de ce qui est rationnel parce que correspondant aux exigences du
devoir-tre de l'humain. Si l'oiseau de Minerve reprend son vol a la tombe de la nuit, c'est
parce que la raison universelle pose comme devenir la ralisation accomplissante de sa
substance thique.
130
Nous dvelopperons cette problmatique, d'une manire plus prcise, dans le travail qui fait
suite celui-ci: Introduction la Thorie et la Philosophie de l'Economie.
131
1 Jean, 4, 22-23.
122
AVANT PROPOS.............................................................................................................................................. 3
I. LE CONCEPT DE DROIT ................................................................................................................................ 4
1) Remarque prliminaire............................................................................................................................... 4
2) Le mot droit .................................................................................................................................................... 4
3) Droit public et droit priv........................................................................................................................... 4
4) Droit public .................................................................................................................................................... 5
5) Droit priv....................................................................................................................................................... 6
6) Le droit international .................................................................................................................................. 7
7) Les Sources du droit .................................................................................................................................... 9
8) La loi................................................................................................................................................................. 9
9) La coutume...................................................................................................................................................10
10) L'intuition axiologique...........................................................................................................................11
11) La doctrine.................................................................................................................................................12
12) La jurisprudence ......................................................................................................................................13
13) Rgle de droit et acte juridique.............................................................................................................15
14) Le rapport de droit...................................................................................................................................15
15) Le sujet de Droit........................................................................................................................................16
II. LA THEORIE DE LA SCIENCE JURIDIQUE..........................................................................................18
1) Science juridique et droit positif.............................................................................................................18
2) La science juridique et l'approche de la positivit normative.......................................................20
3) La science du droit comme hermneutique juridique......................................................................21
4) L'interprtation traditionnelle de la normativit juridique............................................................23
5) L'application du droit...............................................................................................................................24
6) La dogmatique juridique et le postulat de l'unit ferme du droit positif..................................26
7) Le droit compar et la thorie gnrale du droit................................................................................28
III. DROIT ET SOCIETE......................................................................................................................................30
1) Le droit comme ordre juridique..............................................................................................................30
2) Le droit comme institution.......................................................................................................................33
3) Les institutions et le social.......................................................................................................................36
4) Droit et ordre social....................................................................................................................................39
5) Le droit et la sociologie du droit.............................................................................................................42
IV. DROIT ET POUVOIR ...................................................................................................................................47
1) Etat et Socit civile....................................................................................................................................47
2) La justice distributive................................................................................................................................49
3) Mobilit sociale et pesanteur juridique................................................................................................52
4) Constitutionnalisme et dmocratie. ......................................................................................................55
5) Rgulation sociale de l'Etat et de ses organes ....................................................................................57
6) Etat de droit et Etat de justice..................................................................................................................60
V. LE DROIT ET LA THEORIE DE L'ETAT.................................................................................................64
1) L'Etat et la juridicite positive...................................................................................................................64
2) LEtat et la legitimite..................................................................................................................................66
3) L'Etat et le constitutionnalisme..............................................................................................................70
4) L'Etat, la "res-publica" et l'conomie.....................................................................................................73
5) L'Etat et les partis politiques ...................................................................................................................75
6) L'Etat et la lutte pour la justice au niveau international.................................................................80
VI. LA NEGATION DU DROIT ET DE LA MORALITE...........................................................................83
1) Le marxisme et le devenir-autre du monde.........................................................................................83
2) La ngation du droit dans le devenir autre du monde....................................................................85
3) Du regne de la justice sans moralite objective....................................................................................88
4) Le devenir-autre chez Platon et Marx...................................................................................................91
VII. LE DROIT ET LA THEORIE DE LA JUSTICE......................................................................................95
1) Le concept de justice..................................................................................................................................95
2) De l'tre et du devoir-tre de la justice..................................................................................................99