Lémann Augustin - Dieu A Fait La France Guérissable
Lémann Augustin - Dieu A Fait La France Guérissable
Lémann Augustin - Dieu A Fait La France Guérissable
par LABB
AUGUSTIN LMANN
CHANOINE HONORAIRE, DOCTEUR EN THOLOGIE, PROFESSEUR DCRITURE SAINTE AUX FACULTS CATHOLIQUES DE LYON
PARIS, LIBRAIRIE VICTOR LECOFFRE, 90, RUE BONAPARTE, 1884 Seigneur Dieu, faites misricorde, je vous prie. Qui rtablira Jacob, qui est si faible ? (Amos, VII, 2.) LA FRANCE Cest vous, ma Patrie, que jambitionne lhonneur de ddier cet ouvrage. Toujours vous avez mrit que tous vos enfants vous entourassent de respect, damour, de dvouement. Mais aujourdhui, qua lexemple de Nomi tombe dans le malheur et abandonne dune de ses filles, vous pouvez vous crier : Ne mappelez pas Nomi (cest--dire belle), mais appelez-moi Mara (cest--dire amre), parce que le ToutPuissant ma remplie de beaucoup damertume (Ruth, I, 20), ma France ! vous mtes devenue plus chre, et je mattache plus troitement vous. Cest donc du fond du cur et avec un redoublement de respect que, dposant vos pieds mon humble mais sincre hommage, la main dans votre main, je redis cette protestation, lune des plus anciennes, des plus compltes et des plus belles de la fidlit : Partout o vous irez, jirai, et l o vous demeurerez, je demeurerai pareillement. Votre peuple est mon peuple, et votre Dieu est mon Dieu (Ruth, I, 16). Le 15 Janvier 1884, en lOctave de lpiphanie. PRAMBULE DOUBLE TENDANCE, DOUBLE ERREUR ACTUELLE LERREUR DE LA DSESPRANGE ET CELLE DE LA PRSOMPTION Depuis treize ans que lexistence de la France se trouve mise en pril, on a vu se former peu peu, parmi les conservateurs chrtiens, deux courants dides, deux tendances, ou plutt deux erreurs diamtralement opposes. De ces deux erreurs, lune prtend que lorsque les nations sont descendues jusqu un certain degr dimpit, de dsorganisation et de dconsidration, elles ne sont plus gurissables ; mais que, par une pente logique et fatale, elles sen vont irrmdiablement la mort. Ainsi en serait-il de la nation de lEurope qui sappelle encore la France. Lautre erreur affirme, loppos de la premire, que le relvement de la France est, au contraire, chose absolument certaine ; assure que serait de son avenir la noble nation, en vertu de son titre et de sa mission de Fille ane de lEglise. De ces deux erreurs, la premire est celle de la dsesprance; la seconde, celle de la prsomption. Lerreur de la dsesprance, actuellement peut-tre la plus gnrale, probablement cause des pertes soudaines, irrparables, qui ont frapp le parti conservateur, se base scientifiquement sur une interprtation rigoureuse dun texte de la Bible, au livre de la Sagesse. er Il ny aurait point, parat-il, au livre de la Sagesse (chap. 1 , v. 14), ainsi quon aime se le dire et le redire : Dieu a cr gurissables les nations de la terre ; mais seulement, et cela daprs le texte grec, qui est loriginal : Dieu a cr toutes choses pour quelles subsistent, et sains dans leur origine taient les tres du monde. Vous le voyez, conclut lerreur de la dsesprance, il nest question ni de gurison, ni mme de nations ; il sagit seulement de lensemble des tres, sains leur origine. Et ainsi la France ne peut mme en appeler, pour relever son courage, un seul texte biblique qui lui permette dattendre, desprer sa gurison. Lexpression de ces sentiments a t publiquement formule, il y a environ un an, dans une lettre adresse au journal 1 lUnivers . Nous allons, quelques lignes prs, la reproduire intgralement ; AU RDACTEUR Monsieur, Joserai hasarder une observation qui est peut-tre ncessaire dans ltat doptimisme o sont en France queler ques esprits lgers. Il sagit de ce fameux verset du livre de la Sagesse, chap. 1 , que M... et bien dautres traduisent par ces mots : Dieu a fait les nations gurissables. Creavit enim ut essent omnia et sanabiles fecit nationes.
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LUnivers, 18 octobre 1882. En insrant cette lettre, lUnivers la fait prcder de cette note pleine dune sage rserve : Nous avons reu, sans pouvoir la publier plus tt, la lettre suivante, qui rectifie, propos dun de nos articles, la traduction gnralement adopte de ce texte : Sanabiles fecit nationes, en lui donnant un sens moins favorable aux nations qui, comme la France, ont besoin de se gurir. Le lecteur en jugera.
Daprs saint Jrme, le mot ratio ne veut pas dire nation, mais cration, toute chose qui prend naissance (nasci). Et le mot sanabiles ne signifie pas gurissables, mais saines. Dieu a fait toutes les choses pour la vie (ut essent), et les a cres saines. La pourriture ne vient pas de Lui, mais de lhomme. Ce sens est le sens littral, parce quil entre essentiellement dans le sens du chapitre entier, qui a en vue la cration, et non la gurison ou la restauration des choses. Lautre sens est simplement accommodatif et il na ni lautorit, ni la gnralit du sens littral. Ce que je dis est trs important tablir aux yeux de nos compatriotes, trop ports croire que la Providence a besoin de la France et quelle ne peut rien faire sans elle ; comme autrefois les Juifs, qui se croyaient une nation indestructible parce quelle possdait le Temple, templum Domini, templum Domini. Et, en effet, quelles sont donc ces nations pourries que Dieu a guries ? Est-ce celles quil dtruisit par le dluge ; ou celles quil dispersa par la confusion des langues ? Est-ce la nation romaine ? Aprs un sicle aussi brillant de lumires et de vertus que le quatrime sicle, il semble que Dieu, avec Sa toute-puissance, na pas pu gurir la nation romaine et lui a substitu des races nouvelles venues du Nord. Cette apparente impuissance de Dieu vient de Son respect pour la libert de lhomme. Ont-elles guri les glises si florissantes de Jrusalem, Antioche, Alexandrie, Constantinople ? Non, elles ont pri et pour toujours. Les Ninivites semblent faire exception. Oui, comme le bon larron vritablement repentant sur sa croix... Dailleurs, les Ninivites ntaient pas des apostats, tandis que les nations de lEurope le sont toutes. Il y a encore des chrtiens et de trs bons en Europe, mais il ny a plus de nations chrtiennes, toutes ont apostasi. On espre beaucoup de la conversion de lAngleterre. Oui, comme individus, les Anglais se convertissent, mais la nation nen prend pas le chemin, et son rapprochement de la papaut nest quun acte de politique, non un acte de foi. Malheureusement nous sommes forcs de nous en rapporter plutt la maldiction encourue par ceux qui pchent contre le Saint-Esprit ; et il ny a pas de pch contre le saint-Esprit plus grand que lapostasie. Cette maldiction crie bien plus haut la menace, que le verset 14 du premier chapitre de la Sagesse ne crierait lesprance, si on lentendait dans le sens que je combats. Il me semble convenable de rabattre un peu de cette infatuation franaise, qui croit que notre conversion arrivera toute seule et que nous reviendrons des temps meilleurs. Lhonorable signataire de cette lettre nest-il pas dans le vrai ? et ses accents de dsesprance ne se trouvent-ils pas, ce semble, pleinement justifis, lorsquon les rapproche de ces autres accents, ceux-l pleins desprance, tombs, il y a trente-quatre ans des lvres du Pre Lacordaire : Le respect nous manque envers nos propres uvres et nous navons plus de force que pour remuer nos ruines. Je me trompe, quelque chose est demeur grand et honor dans ce naufrage de toutes les institutions : cest le magistrat sous sa toge, le soldat sous ses drapeaux, le prtre dans son temple. Voil ce qui nous reste, et parce que cela 1 nous reste tout est encore sauv . Ainsi sexprimait le grand moine, et chacun alors desprer avec lui. Mais ce qui motivait lesprance du P. Lacordaire na t-il pas croul en partie ; et ne semble-t-il pas que nous soyons prcipits plusieurs sicles loin de ses paroles, tant la descente a t rapide ? A lencontre de lopinion qui vient dtre expose, il y a, selon que le remarque trs justement et nergiquement la lettre prcite, une opinion diamtralement oppose, et aux yeux de laquelle la Providence aurait besoin de la France. Le 2 mot est emprunt au comte de Maistre ; mais on la exagr, en lisolant du contexte . On exagre surtout le motif desprance. De mme quau temps de Jrmie, les Juifs, en entendant les annonces de malheur faites par le prophte, entreprenaient de se consoler en se disant mutuellement : le Temple du Seigneur ! le Temple du Seigneur ! cest--dire, quaurions-nous craindre ? le Temple du Seigneur nest-il pas au milieu de nous ? Ainsi, aveugls par une fausse confiance, beaucoup se persuadent aujourdhui que parce quelle est devenue, par son baptme, Fille ane de lEglise, la France doit participer et participera la perptuit promise sa Mre. Telles sont, par rapport lavenir de la France, les deux erreurs actuellement accrdites. La premire peut se rsumer dans ces deux mots bibliques : Gens perditorum (Sophonie, II, 5), .La France est une nation perdue. La seconde, dans ces autres paroles : Scio quia resurget (Jean, XI, 24) : Jai la certitude quelle se relvera. Nous croyons que la vrit est dans les deux assertions suivantes, qui seront dveloppes successivement : 1 La doctrine des nations gurissables est tholog iquement vraie ; et elle mrite de sappliquer spcialement la nation de lEurope qui sappelle la France ; 2 Toutefois, la gurison de la France nest, en so i, que simplement possible ; pour devenir moralement certaine, laccomplissement de plusieurs conditions est indispensable.
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Lacordaire, Confrences, anne 1849, t. IV, p. 23, 24. Paris, 1857. Voici le passage du comte de Maistre : Je crois quil na jamais t plus ncessaire denvironner de tous les rayons de lvidence une vrit du premier ordre (que le Christianisme repose entirement sur le Souverain Pontife), et je crois de plus que la vrit a besoin de la France. Jespre donc que la France me lira encore une fois avec bont. (Du Pape, p. 16).
I - LA DOCTRINE DES NATIONS GURISSABLES EST THEOLOGIQUEMENT VRAIE Il faut, tout dabord, en convenir sans ambages : loriginal du livre de la Sagesse, qui est le texte grec ne renferme pas : Dieu a fait gurissables les nations de la terre ; mais bien, selon la remarque exacte de lauteur de la lettre : Dieu a fait toutes choses pour quelles subsistent, et sains leur origine taient les tres du monde. Il y a plus. Non seulement le texte grec ne porte pas : Dieu a fait gurissables les nations de la terre ; mais elle-mme, la leon de la Vulgate, qui prsente cependant : Sanabiles fecit nationes orbis terrarum, demande tre traduite dune manire presque identique au texte grec ; cest--dire non point, ainsi quon le fait de nos jours, par : Dieu a fait gurissables les nations de la terre, mais : Dieu a fait saines leur origine les cratures du monde. On ne doit pas oublier, en ef2 fet, que notre traduction latine du livre de la Sagesse, renferme dans la Vulgate, date des premiers temps de lglise . Or, cette poque, le sens propre, ordinaire, du mot latin natio, nationes, ntait point celui de nations ou peuples ; mais, parce que ce mot drive de natus, participe du verbe nasci, natre, son sens propre tait celui de gnration ou nais3 sance ; et il dsignait la gnration des tres ou lensemble de leurs espces . - Quant au mot sanabiles, il a t employ par le traducteur (dont la latinit est parfois peu correcte, parce quelle tait celle de la dcadence), non dans le 4 sens passif de gurissable, mais dans le sens actif de sanas ou salutaris sain ou salutaire . Donc : Dieu a fait saines leur origine les cratures du monde ; ce qui veut dire que les choses, cres saines au commencement, ne renfermaient en elles-mmes aucun principe malfaisant, aucun principe de mort. On le voit, il nest nullement question de nations gurissables, pas plus dans la version latine de la Vulgate que dans loriginal grec. Et cependant, nonobstant cette absence, lglise na lev aucune rclamation chaque fois que, dans des traductions en langues vulgaires, et notamment en franais, on a fait signifier au fameux passage du livre de la Sagesse : Dieu a 5 cr gurissables les nations de la terre . Et le P. Lacordaire ntait que linterprte loquent de cette tolrance, lorsque, dans un mmoire rest clbre, il crivait : La nature humaine a cela dadmirable, quelle porte en elle-mme le remde avec la maladie. Laissons-la faire un peu et ne repoussons pas cette parole de lcriture : Dieu a cre gurissables les 6 nations de la terre . Oui, proclamons-le bien haut ! les nations prcipites jusqu un certain degr dimpit et de dsorganisation, ne sont point pour cela voues irrmdiablement la mort. Il nexiste pas de fatalisme pour les nations, pas plus quil ny en a pour les individus. Le corps social, lexemple du corps humain, reoit, lors de sa formation, la puissance de ragir, de
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Le livre de la Sagesse a t crit en grec, daprs lopinion universelle des critiques modernes Cest de lan 150 lan 130 avant J.-C. quil a t probablement compos. Toutes les tentatives pour connatre son auteur ont t infructueuses ; et si, dans les Bibles grecques, il porte le titre de Sagesse de Salomon, cest uniquement parce que celui qui la compos parle, par une sorte de fiction, comme sil tait ce roi. 2 La traduction ou version latine du livre de la Sagesse, renferme dans la Vulgate, nest pas de saint Jrme; elle est celle de lancienne italique et remonte par consquent aux premiers temps de lEglise. Cette version ne diffre de loriginal grec que dans un petit nombre de points sans importance. Voici le texte latin du verset 14 : Creavit enim ut essent omnia, et sanabiles fecit nationes orbis terrarum. 3 Voir Grand Dictionnaire de la langue latine par le Dr Guill. Freund, traduit en franais par Theil, Paris, Firm. Didot, 1862, au mot Natio. Les auteurs latins, pour exprimer le sens de notre mot franais nations emploient lexpression gens, gentis. Salluste dit: Jus gentium pour le droit des nations. Cicron scrie : Ubinam gentium sumus. 4 Cette manire dinterprter la leon de la Vulgate a t solidement tablie dans une remarquable tude de la Revue Catholique de Louvain (15 janvier 1883), sous ce titre : Est-il dit dans lcriture Sainte : Dieu a fait les Nations gurissables. Cette tude est due la plume de M. A. Carion. - Nous devons ajouter, lhonneur de Corneille La Pierre, que dj ce savant exgte lavait indique, sans pourtant la dvelopper. Voici ses paroles : Dicitur : Sancabiles, id est salutares et salubres, fecit nationes orbis terrarum ; nations, id est generationes, puta res genitas et creatas a Deo q. d. Deus fecit ut res a se genit et creat essent salutares, non lethales et mortifer... Natio enim alludit ad etymon nasci, (Comm. in Ecclesiastic., XVI, 26). 5 Cette traduction, si loigne du vrai sens de la Vulgate, ne date pas seulement de nos jours. Elle remonte dj bien haut. Nous lavons rencontre dans plusieurs Bibles franaises des XV et XVI sicles. Dieu cra si que toutes choses feussent et fist les nacis de la terre sanables (Bible gothiq. sur vlin imprime en franoys historie par Ant. Verard, Paris, 1495). Dieu cra si que toutes choses feussent et fist les nations de la terre senables (Bible en franais, par Pierre Bailly, Lyon, 1521). Veu quil a cr toutes choses pour estre, et les nations du monde sont capables de salut (La Sainte Bible, par Gabriel Cotier, Lyon, 1560). Mesmes il a cr toutes choses pour estre : et a fait les nations de tout le monde gurissables (La sainte Bible contenant le vieil et nouveau Testament traduit du latin en franais, par les Thologiens de lUniversit de Louvain, Lyon, 1585, par Symphorien Beraud et Estienne Michel). Quant aux traductions contemporaines renfermant la mme variante, nous nous bornerons mentionner, pour nous en tenir aux plus rcentes : la sainte Bible, par M. de Genoude ; la sainte Bible selon la Vulgate, par M. labb Glaire, ouvrage qui a mrit lapprobation dune grande partie de lpiscopat franais ; le livre de la Sagesse, par M. labb Lestre. 6 Lacordaire, Mmoire pour le rtablissement en France de lOrdre des Frres Prcheurs. uvres, t. I, p. 145, Paris, 1857
lutter contre la maladie, contre la mort. Et lorsque Dieu intervient avec Sa bont et Son secours, cette puissance native de gurison spanouit bientt en retour la sant. Voil ce que lglise permet de croire, du moment quelle a tolr, et cela depuis longtemps, dans certaines traductions de la Bible, la variante : Dieu a cr les nations gurissables. Tolrance, toutefois, nullement arbitraire de sa part, mais fonde sur la vrit, en ce que cette doctrine des nations gurissables, si elle ne se trouve point positivement inscrite dans loriginal grec du livre de la Sagesse, par contre : 1 Elle est formellement et quivalemment nonce d ans dautres passages de la sainte Ecriture ; 2 Elle est affirme par la tradition ; 3 Elle est justifie par lhistoire. 1 Formellement et quivalemment nonce dans daut res passages de la sainte Ecriture. - Plusieurs textes en font foi. Mais il en est un cependant qui mrite dtre prsent part, tant il est positif et lumineux. Cest Dieu qui parle par la bouche de Jrmie, et voici ce quil dit : Lorsque Jaurai prononc larrt contre une nation ou contre un royaume pour le draciner, le dtruire et le disperser; 1 si cette nation se repent du mal pour lequel Je lavais condamne, Je me repentirai , Moi aussi, du chtiment que Javais pens exercer contre elle. (Jrmie, XVIII, 8). Quoi de plus formel et en mme temps de plus consolant ! Il ne sagit point, quon veuille bien le remarquer, dun peuple accidentellement prvaricateur ; mais dun peuple plong dans liniquit, pourri, pour ainsi dire, jusqu la racine ; puisque le Seigneur a rsolu de le dtruire, den faire mme disparatre la trace... Eh bien ! quun pareil peuple se rfugie dans les pratiques de la pnitence, quil abandonne ses voies perverses ; et Dieu, lui aussi, reviendra sur Son dcret de mort : ce peuple gurira et vivra ! A la suite de ce premier texte, en voici dautres non moins concluants; mais, pour ne point fatiguer le lecteur, nous ne les accompagnerons daucun commentaire. Sonnez de la trompette en Sion, hurlez sur Ma montagne sainte, que tous les habitants du pays soient dans lpouvante, car le jour du Seigneur vient, il est proche : Jour de tnbres et dobscurit, jour de nuages et de tempte... Le Seigneur fait entendre Sa voix devant Son arme, car Ses troupes sont innombrables, elles sont fortes, et elles accomplissent Sa parole : car le jour du Seigneur est grand et terrible et qui pourra le supporter ? Maintenant donc, dit le Seigneur, convertissez-vous Moi de tout votre cur, dans le jene, dans les larmes, et dans les gmissements. Dchirez vos curs et non vos vtements, et convertissez-vous au Seigneur votre Dieu, parce quIl est bon et misricordieux, patient et riche en grces, et quIl peut se repentir propos de cette calamit. (Jol, II, 1. 2, 12-13.) Que Samarie prisse, parce quelle a pouss son Dieu lamertume ; quelle prisse par le glaive ; que ses petits enfants soient crass, et ses femmes enceintes ventres. Cependant convertis-toi, Isral, au Seigneur ton Dieu, puisque tu tombes cause de ton iniquit. Faites entendre des paroles de repentir et convertissez-vous au Seigneur ; dites-Lui : te toute notre iniquit... Nous ne dirons plus que les uvres de nos mains sont nos dieux... Je gurirai leurs blessures, Je les aimerai de bon cur, parce que Ma fureur se sera dtourne deux. Je serai comme une rose pour Isral ; il germera comme le lis, et sa racine stendra comme celle du Liban. (Ose, XIV, 1-6.) Quel Dieu est semblable toi, qui effaces liniquit, et qui oublies le pch du reste de ton hritage ? Il ne rpandra plus Sa fureur parce quIl se plat faire misricorde. Il aura de nouveau piti de nous, Il dtruira nos iniquits, et Il jettera tous nos pchs au fond de la mer. (Miche, VII, 18, 19.) Va, et crie ces discours vers laquilon, et dis : Reviens, rebelle Isral, dit le Seigneur, et Je ne me dtournerai pas de vous, parce que Je suis saint, dit le Seigneur, et que Ma colre ne durera pas ternellement. Mais reconnais ton iniquit, parce que tu as pch contre le Seigneur ton Dieu. (Jrmie, III, 12, 13.) Maison dIsral, Je jugerai chacun selon ses voies, dit le Seigneur Dieu. Convertissez-vous, et faites pnitence de toutes vos iniquits, et liniquit namnera pas votre ruine. Rejetez loin de vous toutes les prvarications que vous avez commises, et faites-vous un cur nouveau et un esprit nouveau. Pourquoi mourriez-vous, maison dIsral ? Car je ne veux pas la mort de celui qui meurt, dit le Seigneur Dieu, revenez moi, et vivez. (Ezchiel, XVIII, 30-32.)
Dieu parlant aux hommes emprunte ici le langage des hommes. Il est incapable de Se repentir, comme Il est incapable doublier ; mais Il parat oublier, lorsquIl cesse de donner des marques de Son souvenir ; et Il parait Se repentir, lorsquIl Sabstient de faire le mal dont Il avait menac. Dieu, comme le remarque saint Augustin, change Ses uvres, sans changer Ses desseins : Opera mutat, consilia non mutat ; et cest en changeant Ses uvres quIl parait changer Ses desseins.
Toi donc, fils de lhomme, dis la maison dIsral : Voici les discours que vous avez tenus : Nos iniquits et nos pchs sont sur nous, et par eux nous languissons, comment donc pourrons-nous vivre ? Dis-leur : Par Ma vie, dit le Seigneur Dieu, Je ne veux pas la mort de limpie, mais que limpie se dtourne de sa voie et quil vive. Dtournez-vous, dtournez-vous de vos voies corrompues ; et pourquoi mourriez-vous, maison dIsral. (Ezchiel, XXXIII, 10-11). Lensemble de ces textes ne prouve-t-il pas surabondamment quaucune fatalit ne pse sur les nations coupables, pas plus que sur les individus pcheurs ? Mais le mme Dieu qui a dit aux individus pcheurs : Par ma vie, Je ne veux pas la mort de limpie, mais que limpie se dtourne de sa voie et quil vive, est aussi Celui qui a ajout par rapport aux nations coupables : Dtournez-vous, dtournez-vous de vos voies corrompues, et pourquoi mourriez-vous, maison dIsral ? II. - tablie par lcriture, la doctrine des nations gurissables se trouve, en outre, affirme par la tradition. - On ne peut nier quun des organes les plus autoriss de la tradition soit saint Jrme. Lhonorable signataire de la lettre adresse au journal lUnivers invoque lui-mme son tmoignage, et bon droit. Saint Jrme, en effet, na pas seulement tudi fond les Livres Saints dans leurs trois langues originales, lhbreu, le grec et laramen ; il na pas seulement compuls les manuscrits et fix dfinitivement le texte de la Vulgate ; mais, par de nombreux et savants commentaires sur un grand nombre des livres de lcriture, il demeure encore, travers les sicles, comme lun des plus hauts sommets et lun des princes de la tradition. Or, voici en quels termes saint Jrme parle des nations. Cest propos de cette annonce du prophte Zacharie : En ce temps- l (dit le Seigneur), Je mefforcerai de rduire en poudre toutes les nations qui viendront contre Jrusalem (Zacharie, XII, 9). En ce jour, (ajoute saint Jrme), alors quIl protgera les habitants de Jrusalem, le Seigneur entreprendra de briser toutes les nations qui viendront contre Jrusalem. Mais, loin de les briser pour les perdre, Il les brisera pour les amender; en sorte que, cessant de combattre Jrusalem, elles commencent faire partie elles-mmes de Jrusalem. Car si Dieu a tir toutes choses du nant, ce na pas t pour perdre ce quIl avait cr ; mais afin que, par Sa misricorde, ce quIl a cr soit sauv. Aussi trouvons-nous au Livre de la Sagesse : Dieu a cr toutes choses pour quelles subsistent ; saines dans leur origine taient les espces du monde, et il ny avait point en elles de poison mortel (Sagesse, I). Car, de mme que le Seigneur est venu pour chercher ce qui avait pri et sauver le genre humain : ainsi 1 Il na dtruit dans les nations que ce qui en faisait des nations ennemies . Ne dirait-on pas que saint Jrme a eu pour objectif de dcrire notre socit contemporaine et ses tentatives contre lglise ? Mais non, le cadre de lminent docteur est plus vaste encore. Car ce nest point tel ou tel assaut, telle ou telle perscution, ce sont tous les assauts, toutes les perscutions que les nations souleves feront, travers les sicles, subir lglise, que saint Jrme dcouvre et dsigne. Or, quadviendra-t-il de ces nations ainsi souleves contre lglise, dsormais la vraie Jrusalem ? Dieu les brisera, annonce saint Jrme, toutefois non pour la mort, mais pour la vie, afin que cessant de combattre Jrusalem, elles commencent tre elles-mmes de Jrusalem. Oui, ce que Dieu travaille faire disparatre, dans la succession des ges chrtiens, ce nest point telle ou telle nation, mais seulement ce qui, dans telle ou telle nation, est en tat dhostilit contre lglise. Depuis le Nouveau Testament, Dieu frappe non pour la mort, mais pour la vie ; et, ce nest que contraint et comme la dernire extrmit, quIl se rsout dtruire une nation. Tout lavenir des peuples chrtiens sous la Loi de grce a t, ce semble, trac davance dans ce magnifique passage. Aussi aprs lavoir lu et relu avec une motion toujours croissante, tombant genoux, nous remercimes Dieu du plus profond de notre cur, et il y avait de quoi ; car devant cette assurance que, sous la Loi de grce, Dieu brise les nations moins pour dtruire que pour amender, le voile de lavenir stait comme dchir devant notre regard, et dans cet avenir la France vivait encore ! Mais voici un autre enseignement, disons mieux, une autre consolation, due encore la tradition. Dieu a si rellement cr les nations gurissables que, selon les Pres de lEglise, chacune delles ont t prposs des Anges, chargs de la guider, afin que, elle aussi, ne se heurte point, ne se blesse point contre la pierre. Cest loccasion dun verset du Deutronome, traduit ainsi quil suit par les Septante : Le Seigneur a dtermin les limites des peu2 ples, selon le nombre des Anges de Dieu , que les Pres de lglise se sont plu dvelopper cette belle et consolante doctrine. Quels sont ces Anges, se demandent les Pres ? Et beaucoup de rpondre : Ce sont les Esprits clestes, membres de la cour du Seigneur, que le Roi des cieux prpose la garde des nations ; si bien, que ce que nous savons, par la Bible, stre accompli en faveur des individus, se renouvelle en grand par rapport aux nations : les Anges les illuminent, les guident, les protgent, les prservent, les gurissent ! Ainsi parlent Origne, saint Basile, saint piphane, Isidore de Pluze, Thodoret, saint Denys, saint Chrysostome,
In die illo quand proteget Dominus habitatores Jerusalem quret Dominus conterere omnes gentes, qu veniunt contra Jerusalem,. Conteret autem non in perditionem, sed in emendationem, ut adversum Jerusalem militare desistant, et esse incipiant de Jerusalem. Si enim de nihilo creavit omnia, non idcirco fecit ut perderet qu creavit ; sed ut illius misericordia qu creata sunt salvarentur. Unde et in Sapientia, qu Salomonis inscribitur (ei cui tamen placet librum recipere), scriptum reperimus : Creavit ut essent ornnia, et saIutares generationes mundi : et non erat eis venenum mortiferum (Sapien. I). Sicut enim venit Dominus ut qureret quod perierat et salvavit humanum genus : sic et gentes in eo perdidit, qud gentes erant adversari. (S. Hierony., Comment. in Zachar., lib. III, cap. XII, v. 9). 2 La Vulgate ainsi que le texte hbreu portent : Dieu a fix les limites des peuples, selon le nombre des enfants dIsral.
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saint Hilaire, saint Jrme, Ruffin, saint Grgoire pape , etc. Consolante doctrine, nest-ce pas ? et que lglise a toujours favorise. Elle sest traduite, durant les ges de foi, dune manire touchante dans les usages des peuples chrtiens. Qui ne sait que lAnge protecteur de la France est saint Michel, lun des princes de la milice cleste, et que cest lui, 2 lheure des preuves nationales, que nos pres ont souvent recouru . nonce dans lEcriture et affirme par la tradition, la doctrine des nations gurissables se trouve enfin justifie par lhistoire. Il a paru dans le monde un peuple part, peuple non seulement monothiste, en ce quil a conserv intacte lide dun Dieu unique ; non seulement messianique, en ce quil a prpar les voies au Messie promis ; mais encore typique, en ce que, dans les grandes lignes de son histoire, ce qui conserve la vie ou occasionne la mort des nations sest trouv trac. Et afin que les enseignements, donns par ce peuple type, fussent bien aperus de tous, cest au centre mme de lan3 cien monde, dans ce point privilgi quun prophte appelle la terre ombilique , au sein de la Palestine, que Dieu le plaa. Or voici ce qui advint un jour chez ce peuple type. Ladoration du veau dor venait davoir lieu. Irrit dune si grande infidlit, le Seigneur avait rsolu lextermination de ce peuple. Dj Ses foudres vengeresses taient prtes, quand, tout coup, Mose, chef et lgislateur dIsral, apparat devant Dieu. - Ne toppose pas Mon dessein, lui dit le Seigneur, en le voyant ; ce peuple est indocile et rebelle. Je te rendrai le chef dune nation plus nombreuse et plus puissante. - Mais, ce fut alors que Mose, selon ladmirable expres4 sion de la Bible, monta lassaut de la colre de Dieu : Non, Seigneur, scria-t-il, non, Vous ne passerez pas ! Vous Vous laisserez flchir, Vous pardonnerez mon peuple; ou Vous meffacerez avec lui du livre de vie ! (Exode, XXXII, 9, 10, 12, 13, 31, 32). Et le peuple Juif fut sauv. Exemple jamais mmorable dune nation dgrade mais rhabilite, mourante mais gurie, condamne mais sauve ; et aussi de ce que peut esprer, dans danalogues circonstances, la prire suppliante et toute-puissante des saints. Le Seigneur, ce semble, se souvenait encore de cette journe, lorsque, dix sicles plus tard, la veille de dtruire de fond en comble Jrusalem, il disait Jrmie : Mais toi, ne Me prie pas en faveur de ce peuple et ne toppose pas Moi. (Jrmie, VIII, 15 ; XI, 14 ; XIV, 11). Il est donc constant de par lhistoire, non moins que de par la tradition et la Sainte criture que les nations sont gurissables. Mais si les nations sont gurissables, par contre, elles ne sont pas imprissables. Or, cest l prcisment la confusion dans laquelle on tombe, lorsque, objectant que telle nation na point guri, que telle Eglise ne sest pas releve, on tire ensuite cette conclusion : donc, les nations ne sont point gurissables. Cest de la sorte qua procd lhonorable signataire de la lettre lUnivers : Quelles sont donc, scrie-t-il, ces nations pourries que Dieu a guries ?... Est-ce la nation romaine ? Aprs un sicle aussi brillant de lumires et de vertus que le quatrime sicle, il semble que Dieu, avec Sa toute puissance, na pas pu gurir la nation romaine et lui a substitu des races nouvelles venues du Nord... Ont-elles guri les Eglises si florissantes de Jrusalem, Antioche, Alexandrie, Constantinople ? Non, elles ont pri et pour toujours. Oui, nous le reconnaissons avec vous, la nation que vous nommez, les Eglises que vous rappelez, ont, en effet, pri. Mais tes-vous sr quavant de disparatre, cette nation, ces glises naient pas t guries, non point une fois, mais deux fois, mais trois fois, peut-tre davantage ? Cependant, si multiples quaient pu tre ces gurisons successives, il ne sensuivait pas quelles dussent assurer la perptuit. Les Ninivites eux-mmes nont pas laiss que de prir, de disparatre, et cela dans un temps relativement voisin de leur conversion, puisque celle-ci a eu lieu vers lan 790, et que la destruction de Ninive sest effectue lan 608 ou 607. Et cependant, nonobstant cette disparition si rapproche, vous nhsitez pas reconnatre, et vous avez mille fois raison, que les Ninivites ont t guris comme nation. Mais pourquoi ajouter que les Ninivites semblent faire exception ? Cest l une opinion que nous ne saurions admettre. Car ce qui sest produit dans lAncien Testament, na-t-il pu se reproduire, et plus forte raison, sous le Nouveau Testament ? Celui ci ne se nomme-t-il pas la loi de grce ; et nest-ce pas sous son gide que, selon la belle remarque de saint Jrme, Dieu brise pour amender plutt que pour dtruire ? Si donc, il est arriv que danciennes glises, telOn trouvera les citations des Pres de lEglise dans les ouvrages suivants : Dogmata theologica Dyonisii Petavii, Tract. de Angelis, lib. II, c. VIII, ainsi intitul : Des Anges gardiens des cits et des royaumes. De quelle manire ils sacquittent de leurs fonctions lgard des peuples qui leur sont confis. Edit. Vives, t. 1, p. 37-44. - Dogmata theologica Thomassini, de Incarnat., lib. XI, c. IV : Angelorum sanctorum in homines Officia, dit. Vives, t. IV, p. 522-529. - Cornel. Lap., in Deuter., XXXII, 8. - La doctrine catholique, sur ce point, est encore fortifie par les traditions de la synagogue : La version des Septante est fonde sur une tradition hbraque daprs laquelle Dieu a assign, lors du partage de la terre, un ange chaque peuple et chaque contre. (Bible de Cahen, Deutr., p. 138). 2 Lorsque Charlemagne tait sur le point de livrer combat aux Saxons, il sagenouilla, dit une pieuse tradition, et implora le secours de saint Michel. Ce secours lui fut accord, car, il vit aussitt larchange, en tte de larme des Francs, mont sur un coursier blanc, et portant un tendard si resplendissant que les Saxons, qui lapercevaient aussi, saisis deffroi, prirent la fuite ou sentreturent. En reconnaissance, Charlemagne aurait fait peindre sur ses tendards limage de saint Michel avec cette devise : Voici Michel, le grand prince qui ma secouru. Maxim. de Ring, Hist. des Germains depuis les temps les plus reculs jusqu Charlemagne, Paris, 1530. Voragine, Lgende dore. 3 Habitator umbilici terr (Ezech., XXXVIII, 12). - Cest cette Jrusalem que Jai place au milieu des nations, et qui est entoure des autres pays (Ibid., v, 5). 4 Et dixit, ut disperderet ees : si non Moyses electus ejus stetisset in confractione in conspectu ejus (Ps. CV, 23).
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les que celles dAntioche, dAlexandrie ont pri, ne sommes-nous pas autoriss croire que Dieu, avant de les laisser p1 rir, avait, dans Sa bont, tout mis en uvre pour les conserver ; quil y a eu, de Sa part, tentative sur tentative ; et que ce nest qu la suite de plusieurs gurisons, mais toujours suivies de rechutes coupables, quont retenti enfin, sur ces glises dvoyes, ainsi quautrefois sur Jrusalem obstine, le battement des ailes mprises et lineffable sanglot de lamour qui sen va : Jrusalem, Jrusalem ! Combien de fois Jai essay de rassembler tes enfants, comme la poule rassemble ses petits sous son aile, et tu ne las pas voulu ! (Matth., XXIII, 37). Voil pour ce qui regarde les nations dans le pass. Quant lobjection, tire de la situation de certaines nations dans le prsent, par exemple, de lhrsie dj trois fois sculaire de lAngleterre et que lauteur de la lettre fait ressortir en ces termes : On espre beaucoup de la conversion de lAngleterre. Oui, comme individus, les Anglais se convertissent, mais la nation nen prend pas le chemin et son rapprochement de la papaut nest quun acte de politique, non un acte de foi. Qui vous a rvl, rpondrons-nous, que la nation anglaise et mme le peuple de Constantinople que vous nommez galement dans votre lettre, ne se convertiront pas un jour ? Ma main sest-elle donc raccourcie dit le Seigneur ? Et Celui qui permet quon sen aille la mort, aurait-il perdu la puissance de ramener la vie ? Non certes, il nen est point ainsi. Gurissables dans le pass, les nations le restent dans le prsent et le seront dans lavenir. Loin donc de dsesprer de peuples encore captifs dans les liens de lerreur, il nous est plus doux davoir confiance et de penser, avec le comte de Maistre, que peut-tre ce dix-neuvime sicle ne sachvera point sans que lIle des saints, brisant ses chanes, se soit reprise voguer vers la Chaire de Pierre, et sans que la messe ait t clbre de nouveau dans des murs qui sen souviennent encore, ceux de Sainte-Sophie de Constantinople ! Il - CETTE DOCTRINE MRITE DE SAPPLIQUER SPCIALEMENT A LA NATION DE LEUROPE QUI SAPPELLE LA FRANCE La doctrine des nations gurissables tant thologiquement tablie, il nous est doux darriver la seconde partie de la proposition nonce plus haut, savoir que cette doctrine mrite de sappliquer spcialement la nation de lEurope qui sappelle la France. Certes, nous ne le nierons point, ils sont nombreux les signes dabaissement et de dsorganisation dans celle qui fut longtemps, en ce monde, la grande Nation : si nombreux, et en mme temps si affligeants, quhier encore, un de ses plus nobles enfants traait ces lignes, dune main dcourage : Comment ne pas reconnatre que notre France est perdue, et se dissimuler que rien ne peut la sauver dsormais de la Rvolution ? (Journal lUnivers, 2 Octobre 1883, lettre de M. du Verne). Non, elle nest point perdue notre France ! Si multiples et si douloureux quapparaissent les signes de son affaissement, cependant le pass et le prsent mme de notre pays nous font un devoir desprer. Et, bien que le corps social soit en voie, selon lexpression dun prophte, de ne plus prsenter bientt, des pieds la tte, quune grande dfaillance (Isae, I, 6), nanmoins nous persistons croire quil est encore gurissable. Oui, le pass de la France permet, autorise mme cette esprance : Nest-ce pas la France, en effet, qui a t donne lglise comme fille ane, comme premier-n des peuples chrtiens ? Et, bien quil faille se garder dexagrer cette faveur, ainsi quon ltablira bientt ; nanmoins, ce quun pareil titre devait avoir de poids dans les destines du peuple qui en tait honor, on pouvait laugurer de deux faits considrables : dabord, de la haute satisfaction divine qui avait t celle de Jhova le jour o Il se glorifia, dans lAncien Testament, de possder Lui-mme un premier-n en Son peuple dIsral (Exode, IV, 22) ; ensuite, de ce que, dans le Nouveau Testa3 ment, parmi les titres divers qui rayonnent autour de la tte adorable du Christ, celui de premier-n fait partie du diadme. Nest-ce pas la France qui a commenc la grandeur temporelle du Saint-Sige par les donations territoriales de Charlemagne ? Et, le jour o elle accomplissait cette offrande, les anges et les hommes nentendirent-ils pas retentir de nouveau ces paroles de prophtique bndiction : Partout o sera prch lvangile, on racontera en lhonneur de celle-ci ce 4 quelle vient daccomplir ! Nest-ce pas la France qui a fourni, toutes les poques, pour la propagation de lvangile, le plus de missionnaires, peut-tre mme le plus de sang ? Et cause de ce sang vers pour lextension du royaume de Dieu, na-t-elle pas mrit
Une preuve irrcusable de ces tentatives divines se rencontre dans les sept lettres crites par laptre saint Jean, de la part du Seigneur, aux sept glises dEphse, de Smyrne, de Pergame, de Thyatre, de Sardes, de Philadelphie et de Laodice (Apocaly., II-III). 2 Le titre de fils an de lglise que portaient les rois de France, remonte au temps de Clovis, qui le reut aprs avoir embrass le christianisme. Ctait alors la constatation dun fait, car Clovis en sortant du baptme, se trouva le seul souverain catholique du monde chrtien. Les rois Bourguignons, Goths, Vandales, Lombards tablis dans les Gaules, lItalie, lEspagne, lAfrique, et vers la Pannonie, taient tous Ariens ; les autres barbares, idoltres ; et Anastase, qui gouvernait alors lOrient, suivait la secte Eutychenne. Tous les princes qui depuis abjurrent leurs erreurs, nayant t rellement que les fils puns de lEglise, le titre de Fils an demeura comme par privilge aux successeurs de Clovis. 3 Il est limage du Dieu invisible, le premier-n de toute crature. (Epit. aux Coloss., I, 15). - Lorsque Dieu introduit Son premier-n dans le monde, Il dit : Que tous les anges de Dieu Ladorent. (Rom., I, 6). 4 Math., XXIV, 13. Dieu, qui dispose tout avec poids, nombre et mesure, a permis que la femme de lEvangile qui rpandit son parfum sur les pieds du Sauveur, Marie-Madeleine, soit venue vivre, mourir et reposer chez le peuple qui devait, un jour, attribuer un territoire aux pieds du Vicaire de Jsus-Christ.
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que la rponse de saint Remy aux dtracteurs de Clovis se prolonget, comme un voile, sur ses fautes : Il faut pardonner 1 beaucoup celui qui sest fait le propagateur de la foi et le sauveur des provinces . Nest-ce pas la France que lexpansion de la charit a toujours t aussi naturelle que lest au soleil la diffusion de sa lumire ? Et nest-ce pas chaque jour et toute heure que Jsus-Christ a pu dire, comme lpoque de saint Martin : Cest la France qui ma couvert de ce vtement ! 2 Enfin, nest-ce pas en France que le culte de Marie, depuis lhommage prophtique la Vierge qui devait enfanter , jusqu lrection nationale de Notre-Dame de France, est all toujours grandissant ? Et ny a-t-il pas un vu de Louis XIII consacrant Marie le royaume de France, afin que, par le secours de ce puissant patronage, la France soit toujours sauvegarde ? (Dclaration de Louis XIII). Tels sont, dans le pass et devant Dieu, quelques-uns des titres de la France. Aussi Celui qui tient compte aux nations, tout comme aux individus, mme dun verre deau donn en Son Nom, a-t-Il toujours maintenu, dans notre histoire nationale, une prsence toute particulire de Sa misricorde. Quelque grands quaient t nos carts, et il en faut faire laveu, ils ont t nombreux, toujours la main qui chtie, a t suivie de la main qui gurit ; Dieu nous ayant placs, ce semble, sous le couvert de cette parole, adresse autrefois Son peuple dIsral : Ne crains point, Jacob, dit le Seigneur, parce que Je suis avec toi. Je te chtierai avec justice, et ne te pardonnerai pas comme si tu tais innocent : mais Je ne te dtruirai pas (Jrmie, XLVI, 28) Les preuves en sont frappantes : Ainsi, quand pour avoir outrag la majest du Pontife Romain par une politique de violence exprime dans le soufflet de Nogaret, la France se voyait humilie, abaisse, son tour, dans les champs de Crcy ; et quensuite se levait soudain, tincelante dans son clair, lpe bretonne de Duguesclin : ctait, aprs le chtiment, la main de Dieu gurissant la France ! (annes 1303, 1346, 1376). Ainsi encore, quand, pour avoir mis en pril lunit de lglise par une participation si large au grand schisme dOccident, la France faisait piti voir (expression employe par Jeanne dArc), la plupart de ses provinces ayant t, leur tour, spares delle ; et quensuite se dployait tout coup, pour la victoire et lunit, la bannire fleurdelise de Jeanne dArc : ctait aprs le chtiment, la main de Dieu gurissant la France ! (annes 1378, 1416, 1429). Et dans des temps plus rapprochs, quand, pour avoir orgueilleusement attent aux droits de lglise, par la Dclaration obligatoire de 1682, la France dpouille de toutes ses conqutes, allait se voir force son tour, jusque dans ses frontires naturelles ; et qu ce moment, par un retour inespr de la fortune, le brave marchal de Villars sauvait et ces frontires et la monarchie : ctait, aprs le chtiment, la main de Dieu gurissant la France ! (annes 1688, 1704, 1709). Plus prs encore, quand, pour avoir outrag la morale comme on noutrage pas, et ri de Jsus-Christ avec Voltaire, la France tait place sous la Terreur avec Robespierre ; et quaprs dineffables angoisses, une main, charge des trophes de vingt victoires, rouvrait enfin les glises et signait le Concordat : ctait toujours, aprs le chtiment, la main de Dieu gurissant la France ! (annes 1730, 1793, 1801). Est-ce dire que les divers instruments employs ainsi par cette main divine et libratrice, furent sans tache et sans reproche ? Il serait puril dessayer mme de lavancer. Mais ce nest point de leur vie eux, cest de leur place dans les desseins de Dieu, par rapport la France, quil sagit ici ; nous rappelant, du reste, que tout ntait pas pur non plus, au 3 temps des Juges, parmi les librateurs dIsral ! Elle deviendra mme plus facile encore notre indulgence, si nous prenons la peine de considrer que ces hommes, instruments dans la main de Dieu, avaient reu la mission de relever surtout, dans la patrie tombe, ses ruines matrielles. Mais la divine Providence, attentive, avant tout, relever les ruines morales, avait soin de complter luvre de gurison, en faisant apparatre, ct des hommes dpe, dautres hommes plus puissants encore, par leurs vertus dabord, souvent aussi par leurs miracles. Dire tout ce quont accompli ces vrais rparateurs de lme de la France, aux diverses poques dont il vient dtre question, serait chose impossible dans le cadre restreint de ce rapide travail. Quil suffise donc, aprs avoir nomm les pes et les bannires, de mentionner entre beaucoup, en remerciant Dieu de les avoir donns la France, la vie pnitente dun Charles de Blois, le zle brlant dun Vincent Ferrier, lhumilit prodigieuse dun Franois de Paule, lobissance affectueuse dun Fnelon, le dvouement infatigable dun Jean de la Salle, les larmes silencieuses dune Marie Leczinska, et surtout, comme supplication suprme, le sang innocent de Louis XVI ! Il ny a donc pas lieu de dsesprer de lavenir de la France, si lon interroge, sur cet avenir, les enseignements du pass. Nous ajoutons que le prsent nest pas plus incompatible avec la possibilit dune gurison. Les conditions dexistence pour la France semblent, en effet, avoir t nettement fixes, nettement dtermines, quand, agenouill avec Clovis aux pieds de saint Remy, le peuple des fiers Sicambres se vit sacr avec son chef par 4 lhuile sainte et ces paroles : Je vous sacre pour tre les perptuels dfenseurs de lglise et des pauvres .
Montalembert, Moines dOccident, t. II, p. 269, Paris, 1862. Une statue prophtique fut leve la Mre de Dieu plusieurs sicles avant sa naissance, dans lemplacement mme o est aujourdhui la cathdrale de Chartres ; cest l que les druides, prtres des Gaulois, rendaient leurs hommages la Vierge qui devait enfanter : Virgini paritur. (Histoire du culte de la Sainte-Vierge en France, par M. Hamon, cur de Saint-Sulpice, Paris 1861, t. I, p. 185). 3 Jepht avait t un chef de bandes ; et lon connat les carts de Samson (Juges, XI, 1-4 ; XVI, 1-20). 4 Ces paroles, ainsi cites par Bossuet dans son fameux Sermon sur lUnit de lglise, rsument toute la partie du testament de saint Remy relative aux rois de France et leur peuple. Voici les paroles de Bossuet : Saint Remy vit en esprit quen engendrant en Jsus2 1
tre le dfenseur de lglise, tre le dfenseur des pauvres, la raison de lexistence de la France est tout entire dans ces deux mandats. Or, lheure o nous sommes, la France continue-t- elle tre le dfenseur des pauvres ? Oui, et dinnombrables preuves tmoignent de sa fidlit dans cette partie de sa mission. Le P. Lacordaire, que nous avons dj cit, sen enorgueillissait pour notre pays, et avec raison, le jour o y rapportant lhabit des Frres Prcheurs, il scriait dans la chaire de Notre-Dame : Comptez, sil vous est possible, les uvres saintes qui, depuis quarante ans, lvent dans la patrie leur tige florissante. Nos missionnaires sont partout, aux Echelles du Levant, en Armnie, en Perse, aux Indes, en Chine, sur les ctes dAfrique, dans les les de lOcanie ; partout leur voix et leur sang parlent Dieu du pays qui les verse sur le monde. Notre or court aussi dans tout lunivers, au service de Dieu Chaque ville, sous le nom de Confrence de Saint-Vincent-de-Paul, possde une fraction de cette jeune milice, qui a plac sa chastet sous la garde de sa charit, la plus belle des vertus sous la plus belle des gardes. Quelles bndictions nattirera pas sur la France cette chevalerie de la jeunesse, de la puret et de la fraternit en faveur du pauvre !... La France est toujours le pays des saintes femmes, des filles de Charit, des surs de la Providence et de lEsprance, des mres du Bon Pasteur, et quel nom pourrai-je crer, que leur vertu nait baptis dj ? (Lacordaire, uvres, t. VI, p. 293-296, Paris, 1858). Des deux conditions dexistence pour la France, lune continue donc tre exactement remplie ; puisque la France demeure le dfenseur des pauvres. En est-il ainsi de lautre ; et, peut- on dire que la France soit reste galement le dfenseur de lEglise ? Un fait va rpondre cette question: Ctait en 1873, deux ans et demi aprs nos revers. Quelques Franais, de passage Rome, se trouvaient runis, un 1 soir, chez S. E. le Cardinal Capalti. Ce prince de lEglise tait un homme de haute valeur intellectuelle . Il avait t lun des cinq prsidents au Concile cumnique du Vatican et il se distinguait, en outre, par un amour sincre de la France. La conversation avait t amene sur leffondrement de cette pauvre France, sur les revers successivement subis ; revers inous, imprvus, touchant presque au surnaturel. On les nommait ces revers, on dsignait aussi les champs de bataille, les villages, les villes, les jours qui les avait vus se produire. Tout coup, le Cardinal, qui avait fait silence et semblait se recueillir, levant la voix, mais avec un accent qui ntait plus celui de la conversation : Le vrai pril pour la France, scria-t-il, na t ni Reischoffen, ni Sedan, pas mme la capitulation de Paris ; le vrai pril pour la France e exist le jour o, venant exprs dAllemagne Versailles, Mgr Ledochowski, archevque de Posen, proposa au roi Guillaume devenu empereur, de prendre en main le sceptre de Charlemagne, tomb de celle de la France, depuis lheure o elle avait abandonn Rome. Si ce jour-l, prtant loreille une si soudaine et si sduisante proposition, ajouta avec motion et vivacit son Eminence, il avait t donn lEmpereur dAllemagne de la raliser, cen serait peut-tre fini de la noble nation de France. Pour votre patrie il ny aurait plus de raison dtre, sa mission ayant t transfre une autre. Mais, parce que la divine Providence a permis que, loin de protger lEglise, lEmpereur dAllemagne se soit fait perscu2 teur, la France peut avoir confiance ; sa mission divine ne lui est pas retire . Ces paroles de si consolante esprance, il a t donn celui qui crit ces pages de les entendre.
Christ les rois des Franais avec leur peuple, il donnait lglise dinvincibles protecteurs. Ce grand saint et ce nouveau Samuel, appel pour sacrer les rois, sacra ceux-ci, comme il dit lui-mme, pour tre les perptuels dfenseurs de lglise et des pauvres (Bossuet, Sermon sur lUnit de lglise, dit. Vives, t. XI, p. 611, Paris, 1843). Cfr : Flodoard, Testament. S. Remy, lib. I, cap. XVIII. Flodoard, abb de Saint-Remy.de-Reims, vque de Noyon et de Tournay, est n en 894, et est mort en 966. Il a laiss plusieurs ouvrages, entre autres une Histoire de lglise de Reims, compose daprs les meilleures sources. Ses uvres ont t rdites dans la Patrologie latine de Migne. La partie du testament de saint Remy relative aux rois de France se trouve au t. CXXXV, p. 66-68. 1 Le cardinal Annibal Capalti, n Rome le 21 janvier 1818, fit ses ludes au collge Romain et lApollinaire. Il devint bnficier de la Basilique de S. Maria in Transtevere ; professeur de Droit la Sapience ; chanoine S. Maria in Transtevere ; camrier secret surnumraire ; prfet des Etudes lApollinaire ; secrtaire de la Congrgation des Etudes. En 1841, Pie IX avant donn une constitution politique, A. Capalti fut lu membre de la Haute-Chambre ; puis nomm par le Pape conseiller dEtat ; chanoine de Saint-Jean-de-Latran ; protonotaire apostolique surnumraire ; secrtaire de la Congrgation des Rites ; adjoint au Cardinal Patrizzi pour aller assister au baptme du Prince imprial Paris ; secrtaire de la Propagande ; consulteur du S. Office et de la Congrgation des affaires ecclsiastiques extraordinaires Le 13 mars 1868, il fut cr Cardinal diacre du titre de Sancta Maria in Acquiro ; un des Prsidents du concile du Vatican ; abb commendataire perptuel des SS Vincent et Anastase, aux Trois-Fontaines ; visiteur apostolique des clercs ministres des Infirmes; prfet de la Congrgation des tudes. Il tait enfin membre des Congrgations de lInquisition, des Rites, des vques et Rguliers, de la Propagande, de la Discipline rgulire, visiteur du Collge anglais, protecteur de luvre de la Sainte-Enfance. Frapp dapoplexie, en 1875, il resta pendant deux ans rduit limpuissance, et mourut le 18 octobre 1877. 2 En relatant cette dmarche de Mgr Ledochowski, il est tout fait hors de nos intentions datteindre, par le moindre blme, la Personne de lminent Archevque. Nest-ce pas le cas de se rappeler que la religion, loin daffaiblir les sentiments patriotiques, les rchauffe et les dveloppe ? Mais si lArchevque de Posen a cru de son devoir dambitionner pour sa patrie la plus haute de toutes les missions terrestres, le ntre, nous Franais, ne doit-il pas tre de travailler de toutes nos forces a conserver la France cette dignit si enviable de soldat de lglise : Je vous sacre pour tre les perptuels dfenseurs de lglise ! Le fait de la dmarche de larchevque de Posen, dans le sens que nous venons dindiquer, se trouve confirm dans une brochure trs instructive publie rcemment Leipzig par M. Hahn, conseiller priv a la Cour dAllemagne, sous ce titre : Bismarck aprs la guerre. La haute position de M. Hahn ajoutant une grande valeur a son crit ; et, dautre part, la dmarche faite Versailles par lArchevque de Posen devant marquer dans lhistoire, a cause des consquences incalculables quelle pouvait avoir par rapport la France, nous nous rservons dapprcier plus fond et cette dmarche et cet crit, de faire sur lun et sur lautre un jour complet dans le chapitre supplmentaire plac la fin de notre opuscule et intitul : Sentiments et conduite de lglise Romaine lgard de la France malheureuse.
Oui, et il importe de le faire retentir bien haut, la raison dtre pour la France rside principalement dans la mission quelle a reue de protger et de dfendre lglise : Je vous sacre pour tre les perptuels dfenseurs de lEglise et des pauvres. Cest cette mission qui la distingue entre tous les peuples, et en a fait, durant dix sicles, la premire, la plus influente de toutes les nations. Mais, tandis que lminentissime Cardinal en faisait ainsi la remarque, Rome, dans une conversation particulire ; il arrivait quen France un fils mme de la pauvre prouve, de grande mmoire aussi, lvque de Poitiers, Mgr Pie, le proclamait galement dans un crit public qui fit sensation : Les Franais, y tait-il dit, eurent lhonneur unique, et dont ils nont pas cit beaucoup prs assez orgueilleux, celui davoir constitu humainement lEglise catholique, en donnant ou en faisant reconnatre son chef le rang indispensablement d ses fonctions divines. A partir de l, et comme rcompense de ce service, la France occupa sans contestation la premire place dans cet aropage des nations europennes qui sappela la chrtient : cest dire quelle fut universellement considre comme la plus grande nation du monde. Et malgr des fautes partielles, suivies de chtiments temporaires, on la vit toujours monter et grandir tant quelle na pas rpudi sa premire mission. Mais on ne ragit pas impunment contre soi-mme et contre sa vocation essentielle. Sachons reconnatre et confesser lnormit de notre faute... O France des anciens jours, ce que tu avais si heureusement fait par le bras de tes gants, nous lavons vu dtruire sous nos yeux par la main des pygmes politiques au caprice desquels les rvolu1 tions lont jete, quoniam qu perfecisti destruxerunt . Oui, confessons lnormit de notre faute ; et reconnaissons, tandis quil en est encore temps, que cette faute pouvait tre irrparable. Mais Dieu sest montr ineffablement misricordieux, en ne permettant pas quaucune nation, jusqu cette heure, ni lAutriche, ni lAllemagne, ni lEspagne, ni lAngleterre, nous aient remplacs dans la mission de dfenseurs de lglise. Cette mission ne nous ayant donc pas t retire, il est permis desprer, qu cause delle, la France conserve encore sa raison dtre, et quelle gurira afin de lexercer de nouveau. Et alors labandon naura t que transitoire, semblable celui dont fut tmoin, il y a des sicles, le jardin de Gethsmani, quand, dirige par un tratre, la horde sacrilge osa porter la main sur la personne de Jsus-Christ. A ce moment, rapporte lvangile, tous les Aptres se retirrent, ils senfuirent mme (Math. XXVI, 56). Abandon qui leur fut nanmoins pardonn ; car il avait sa dcharge toutes ces heures damour qui lavaient prcd, surtout cette protestation trois fois rpte quon resterait fidle jusqu la mort. Or, ainsi en sera-t-il de la France, mon Dieu, si Votre Christ, de nouveau abandonn dans Son Vicaire, daigne semblablement lui pardonner. Car cet abandon quelle a commis, plus coupable que celui de Gethsmani, puisquil a t prmdit, aura eu cependant sa dcharge davoir t prcd aussi de bien des heures damour, de plus dune protestation, de plus dun dvouement. Et nest-ce point le cas de rpter, comme une prire devant Dieu, ces paroles, expression fidle du pass et des vrais sentiments de la France : Ce sera, quoi quil arrive, limmortel honneur de notre pays davoir donn la Papaut en ces jours de crise, outre la garde de son 2 arme, le sang de Rossi, le bras de Lamoricire, et la parole de Thiers . Tout nest pas dsespr. Car, soit que lon interroge le pass, soit que lon considre le prsent, on dcouvre plus dun motif desprance. La France est donc encore gurissable.
I - TOUTEFOIS LA GURISON DE LA FRANCE NEST, EN SOI QUE SIMPLEMENT POSSIBLE Si la France est encore gurissable; cependant, en soi, elle nest simplement que gurissable. Quels que soient, en effet, les motifs desprance; si nombreux et si consolants quils apparaissent, nulle assurance positive, nulle certitude absolue ne garantissent toutefois la gurison. Nous voici amens logiquement, le lecteur laura dj constat, la seconde erreur signale au dbut de cet crit. Cette erreur, on sen souvient, diamtralement oppose la premire, estime que le relvement de la France est chose absolument certaine, fond quil serait sur ces trois motifs, plus spcialement invoqus : le titre de Fille ane, la mission de dfenseur de lglise, lintercession danctres aussi puissants devant Dieu que le sont Charlemagne et saint Louis. Raisons multiples qui paraissent si pressantes, si convaincantes, que non seulement on sen autorise pour prononcer avec assurance la certitude de la gurison, mais encore pour simpatienter et mme se scandaliser des retards : Nous attendions la paix, et elle ne vient pas, le temps de la gurison, et cest le trouble... La moisson est passe, lt est fini, et nous navons pas t sauvs. Par la plaie de la fille de mon peuple, je suis bris, constern, attrist. Ny a-t-il pas de
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Lvque de Poitiers, loge funbre des soldats franais glorieusement morts pour la patrie dans la journe du 2 dcembre 1870. uvres, t. VII, p. 320-321. 2 Paroles du comte Ch. de Montalembert lissue de la sance du Corps Lgislatif (avril 1865), dans laquelle Monsieur Thiers sleva contre la Convention du 15 septembre 1864.
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baume en Galaad? Ne sy trouve-t-il pas de mdecin ? (Jrmie, XIV, 19 ; VIII, 20-22). Certes ! ce nest pas nous qui entreprendrions daffaiblir la grande valeur de ces diffrents titres auprs de Dieu. Chacune des lignes qui prcdent nous serait un dmenti. Cependant, si considrable que puisse tre cette valeur, ne doiton pas se garder de lexagrer ? Tous ces titres nous ont certainement valu, de la part de Dieu, une longue et toute particulire prdilection ; ils inclinent encore, lheure quil est, Sa misricorde en notre faveur. Mais de l constituer une certitude, garantir une gurison, assurer lavenir, non ! eux tout seuls, cela ne leur est pas possible. Le titre de Fille ane de lglise ! Mais les Juifs se glorifiaient, eux aussi, et avec raison, dtre Fils dAbraham. Et un jour, ils entendirent le tonnerre de cette annonce : Ntes-vous pas devant Moi comme les fils des thiopiens, fils dIsral, dit le Seigneur ?... Les yeux du Seigneur Dieu sont ouverts sur tout royaume coupable. Je lexterminerai de la face de la terre. Je vais donner des ordres, et Je secouerai la maison dIsral parmi toutes les nations, comme on secoue le bl dans un crible. Tous les pcheurs de mon peuple mourront par le glaive, eux qui disent : le malheur napprochera pas et 1 ne tombera pas sur nous ! La mission de dfenseur de lEglise ! Mais elle a contre elle cette menace de lApocalypse : Jai vous reprocher que vous avez abandonn votre charit premire. Souvenez-vous donc do vous tes dchu ; faites pnitence et revenez 2 vos premires uvres, sinon Je viendrai Moi-mme vous et Jterai votre chandelier de sa place . Les mrites, les supplications de Charlemagne et de saint Louis ! Mais ils ne sauraient lemporter sur cette rgle de justice divine : Quand Je me serai dclar en faveur dune nation ou dun royaume pour ltablir et pour lenraciner; si ensuite cette nation ou ce royaume fait le mal Mes yeux et ncoute pas Ma voix, Je me repentirai du bien que Javais dcid de lui faire ! (Jrm., XVIII, 9, 10). Enfin ny a- t-il pas aussi cette formidable et irrmdiable parole prononce par les anges protecteurs dune nation 3 tombe et qui ne sest pas releve : Nous avons soign Babylone, et elle na point guri : abandonnons-la ! Non, rien dans les titres de la France, si influents soient-ils, qui puisse lui garantir lexistence ; rien dans les mrites de ses pres, ni mme dans les soins de ses anges protecteurs, qui puisse assurer sa gurison. Terrible incertitude, nest-ce pas ? Sy soumettre, en adorant limpntrable profondeur des conseils de Dieu, est tout dabord notre premier devoir ; car cette incertitude fait partie du plan divin. Lorsquon essaie, en effet, de se rendre compte, laide des donnes bibliques, de ce quest la conduite de Dieu par rapport aux socits, on constate quil est question, cet gard, dans les livres divins, de perptuit, de rsurrection et de gurison. La perptuit, elle a t promise ; et cest lglise catholique, apostolique et romaine : Tu es Pierre, et sur cette Pierre Je btirai Mon Eglise ; et les portes de lenfer ne prvaudront jamais contre elle (Math., XVI, 18). Et encore : Je suis avec vous jusqu la consommation des sicles (Matth., XXVIII, 20). - Il ne faisait donc que rappeler cette consolante promesse, le Pontife de grande et suave mmoire, langlique Pie IX, quand, peu de jours avant sa mort, il sexprimait de la sorte : Je men vais, mais le Pape reste toujours debout ! Mon hritage et ma dynastie sont immortels. Le temps scoulera aprs ma disparition; mais la place que joccupe, les peuples verront toujours un homme vtu de blanc comme moi, prpos au gouvernement du monde (Journal lObservatore romano, 8 fvrier 1879). Telle est la perptuit promise ; et, entre toutes les socits de ce monde, lglise Catholique seule en a reu lassurance. Aprs la perptuit, il est question, dans la Bible, de rsurrection ; et cest au peuple juif quelle est promise. Qui na lu la description de ce fameux champ des morts montr zchiel ? Il tait jonch au loin, ce champ, dossements secs et blanchis par le temps. Mais, un souffle du prophte, command par Dieu, voici que tous ces os se remuent, ils se rejoignent, se reconnaissent, sembotent ; des nerfs se forment, des chairs les environnent ; de la peau stend pardessus ; les morts, devenus vivants et anims, se dressent sur leurs pieds; et le Seigneur, sadressant au prophte, lui dit : Fils de lhomme, ces ossements sont Mon peuple. Ils disent : Nous sommes desschs, et il ny a plus desprance. Mais toi, dis-leur : Voici la parole de Dieu sur vous : Je vous enverrai mon esprit, et vous vivrez ! (Ezchiel, XXXVII) Magnifique annonce de lAncien Testament, elle a t encore prcise par saint Paul et complte par lui dans ce cri davenir : Est-ce que les Juifs se sont heurts pour tomber sans ressource ? A Dieu ne plaise ! mais leur chute est devenue une occasion de salut aux Gentils, afin que lexemple des Gentils provoqut leur mulation. Si leur chute est devenue la richesse du monde, et si le petit nombre auquel ils ont t rduits a t la richesse des Gentils, combien leur plnitude enrichira-t-elle le monde encore davantage ?... Et si leur rprobation est devenue la rconciliation du monde, que sera leur rappel, sinon un rappel de la mort la vie ?... Car je ne veux pas, mes frres, que vous ignoriez ce mystre, afin que
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Amos, IX, 7-10. Pour dtruire la dangereuse confiance que les Juifs plaaient uniquement dans leur descendance dAbraham, Dieu dclare quIl nen fait pas plus de cas que des Ethiopiens. La noirceur de la peau chez ces derniers tait regarde comme un symbole de la noirceur de lme. 2 Jterai votre chandelier de sa place. Voici ce que signifie cette menace : Si vous ne rallumez votre charit et votre zle,Jjterai votre Eglise reprsente par le chandelier, en permettant la perscution, la division, au schisme ou lhrsie, de la troubler, de la disperser, et mme de la faire disparatre. Parole terrible et bien capable dinspirer les plus srieuses rflexions quiconque tient de Dieu une mission. 3 Jrmie, LI, 9. - Bien que plusieurs commentateurs placent ces paroles sur les lvres des peuples allis ou mercenaires de Babylone, nanmoins un grand nombre danciens exgtes, par exemple, Origne, Raban Maur, Lyran, lattribuent aux anges gardiens de cette ville.
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vous ne soyez point sages vos propres yeux : qui est, quune partie des Juifs est tombe dans laveuglement, jusqu ce que la multitude des nations soit entre dans lglise ; et quainsi tout Isral soit sauv, selon quil est crit : Il sortira de Sion un librateur qui bannira limpit de Jacob (Ad Rom., XI, 11, 12, 15, 25, 26). Telle est la rsurrection promise ; 1 et, entre toutes les socits de ce monde, la nation juive seule en a reu lassurance . Aprs la rsurrection et aprs la perptuit, il est enfin question, dans la Bible, de gurison ; et cest toutes les nations quelle est offerte : Lorsque jaurai prononc larrt contre une nation ou contre un royaume pour le draciner, le dtruire et le disperser : si cette nation se repent du mal pour lequel Je lavais condamne, Je me repentirai Moi aussi du chtiment que Javais pens exercer contre elle (Jrmie, XVIII, 8). Quon y prenne garde : aucune rserve, aucune exception nest formule, nest adjointe. Cest toutes les nations, passes, prsentes et futures, sans distinction, que la gurison se trouve offerte. Mais, si la gurison est offerte toutes les nations, par contre, elle nest nominalement assure aucune. Toutes sont gurissables ; aucune nest spcifie comme devant certainement gurir. Lglise est spcifie comme devant durer jusqu la fin des sicles ; la nation juive est spcifie comme devant ressusciter un jour ; mais, encore une fois, aucune nation tombe nest marque comme devant certainement gurir. La France, quels que soient donc ses titres et ses services passs, na, sous ce rapport, t lobjet daucun privilge : Comme toute nation qui meurt, elle est gurissable; mais elle nest que gurissable. Toutefois, si aucune nation na t indique comme devant certainement gurir, Dieu, pour attnuer, ce semble, ce quil y a de terrible dans cette incertitude, a daign rvler et dterminer les conditions dont laccomplissement aurait pour rsultat de rendre, de simplement possible, la gurison dune nation, moralement certaine. Ce sont ces conditions quil importe maintenant de faire connatre ; et cest sur leur accomplissement que la seconde opinion que nous combattons, dfectueuse par excs de confiance, devra porter toute son attention.
II - POUR QUE LA GURISON DE LA FRANCE DEVIENNE MORALEMENT CERTAINE LACCOMPLISSEMENT DE PLUSIEURS CONDITIONS EST INDISPENSABLE
Tout dabord, on comprend quil ne peut tre question ici des conditions raliser dans lordre physique et matriel, et qui ressortent de la politique et de ses variations. Le titre mme de cet crit avertit que cest de conditions plus hautes quil sagit, cest--dire de celles qui, se rattachant lordre moral et suprieur, ont la puissance de flchir Dieu lgard dune nation coupable et den obtenir la gurison. De ces deux sortes de conditions, les premires, essentiellement particulires et variables, se diversifient daprs le temprament des peuples, leur pass, leurs traditions, le genre de maladie dont ils sont atteints, les circonstances du moment, le coup dil, lhabilet et lnergie de leurs hommes dtat. Les secondes, au contraire, stables et universelles, comme tout ce qui appartient la morale, sont de tous les temps et applicables tous les peuples. Le domaine de ces conditions se trouvant donc nettement dtermin, nous allons maintenant les prciser. Elles sont au nombre de trois. Deux dentre elles se trouvent plus particulirement indiques dans lAncien Testament ; la troisime se lit dans le Nouveau. Les deux premires ont t employes pour flchir Dieu, aprs quIl et manifest, par le prophte Jonas, Son dessein de dtruire Ninive. Cest dans une ordonnance royale que ces deux conditions furent prescrites par le souverain de 2 Ninive alors rgnant, probablement Binnirar, assist de tous ses ministres . Voici le texte authentique de cette ordonnance, prcieuse plus dun titre : Que les hommes, les chevaux, les bufs et les brebis ne gotent de rien, ne paissent pas et ne boivent pas deau. Que les hommes et les btes se couvrent de sacs, et quils crient au Seigneur avec force. Que chacun se convertisse, quil quitte sa mauvaise voie et liniquit qui est sur ses mains. Qui sait si Dieu ne Se retournera point vers nous pour nous pardonner, sIl napaisera pas Sa fureur et Sa colre, de sorte que nous ne prissions pas (Jo-
Cest en vue de cette rsurrection, que le peuple juif est si miraculeusement conserv. Non seulement ni le temps, ni lespace, ni les hommes nont pu dtruire ce peuple ; mais, chose singulire, il est aujourdhui numriquement le mme quau temps de David et de Salomon. Des recensements officiels, oprs sparment par les soins des gouvernements franais, allemand et autrichien, ont, en effet, tabli que les juifs disperss dans le monde, sont encore aujourdhui au nombre de prs de sept millions. Or, au temps de la plus grande splendeur de ltat juif, sous Salomon lui-mme, les hbreux nont pas dpass ce chiffre. Cette conservation, qui tient du prodige, en vue dun plus grand prodige, celui de leur rsurrection ou conversion, a, du reste, t aussi prdite eu ces termes : Je les rappellerai dans la terre que Jai promise avec serment Abraham... ; Je les multiplierai et ils ne diminueront point. Je ferai avec eux une autre alliance qui sera ternelle, afin que Je sois leur Dieu et quils soient Mon peuple (Baruch. II, 34, 35). Nous disons rsurrection ou conversion, parce que cest dans lordre spirituel ou de la grce, et non point dans lordre temporel ou de la puissance, que soprera le retour du peuple juif au sein de lEglise. Les rves des anciens, ou nouveaux millnaires doivent donc tre compltement carts ; car lEvangile, source du salut, sera toujours le mme, aussi bien pour les Juifs convertis que pour les chrtiens de tous les sicles ; or, lEvangile se rsume dans la croix, cest--dire dans lhumilit, la pauvret, la souffrance. - Quant lpoque de cette rsurrection ou conversion, elle nest point prcise. Tout ce que lon sait, cest quelle aura lieu aprs que lvangile aura fait le tour du monde ; et elle sera prcde dune apostasie presque gnrale. Voir II Epit. ad Thessal. II, 2-11. 2 Et clamavit et dlxit in Ninive ex ore regis, et principium ejus, dicens. (Jonas, III, 7). Nous ne savons pas srement quel roi rgnait Ninive, lorsque Jonas y arriva, porteur du terrible message. Daprs la chronologie de Sir H. Rawlinson, ctait Binnirar... Les listes des ponymes nous apprennent quil occupa le trne pendant vingt-neuf ans. (Vigouroux, La Bible et les Dcouvertes modernes, t. IV, p. 75, Paris, 1882).
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nas, III, 7-9). Il ressort de cette ordonnance que les deux premiers moyens employer pour obtenir la gurison dune nation aux prises avec la mort, sont la prire et la pnitence. Dabord, la prire : Quils crient au Seigneur de toutes leurs forces. Cest que Dieu seul, en effet, a le pouvoir de sauver, tant le matre de la vie et de la mort : Moi, Je suis Jhovah, et sans Moi pas de sauveur ! (Isae, XLIII, 11) Et le cri command aux Ninivites devait tre le signe dune prire ardente et pleine de foi, qui slverait vers Dieu du fond de leur cur. - Des prires ont t galement prescrites, il y a plusieurs annes dj, pour le salut de la France. On rapporte que lorsque le Pape Pie IX apprit, en 1871, la dcision de lAssemble Nationale, relative ces prires, il tomba genoux et levant avec attendrissement ses deux mains au ciel, il scria : Maintenant, mon Dieu, vous aurez piti de ma chre France ! Touchante exclamation, bien digne du cur de Pie IX, elle ntait pas seulement un lan de son amour, mais encore lexpression consolante dune exacte vrit : Na-t-on pas crit, en effet, et prouv dune manire irrfutable que 1 toute nation qui prie est exauce . Toutefois, depuis linvitation faite par lAssemble Nationale, en 1871, peut-on dire que la France ait persvr prier comme nation ; et oserait-on affirmer que gouvernants et gouverns, - car cest de ces deux lments que se compose une nation, - continuent de profrer ensemble le grand cri de lme et des lvres, vot et demand, il y a treize ans, comme suprme moyen de salut ? Ah! sil tait vrai que notre prire nationale se ft affaiblie et ne rpondit plus ce que le Ciel attendait pour se laisser flchir, efforons-nous individuellement de la parfaire, en supplant ce qui lui manque, par des prires particulires, plus frquentes et plus ferventes. Rappelons-nous quentre toutes les supplications, il en est une plus spcialement puissante, celle qui se fait en union avec le Sacr-Cur de Jsus. Cest sur la terre de France que la dvotion au Sacr-Cur sest panouie ; dans une de ses bourgades que sest fait entendre ladorable cri : Voil ce Cur qui a tant aim les hommes ! Qu ce cri damour rponde ce cri desprance : O Coeur qui avez tant aim, aimez donc, aimez toujours la France ! Mais, pour obtenir la gurison dune nation menace dans son existence, la prire ne suffit pas ; il faut encore la pnitence. Et quelle vraie pnitence que celle accomplie par les Ninivites : Que les hommes, les chevaux, les bufs et les brebis ne gotent de rien, ne paissent pas et ne boivent pas deau. Que les hommes et les btes se couvrent de sacs... (Jonas, III, 7, 8). Cest non seulement une abstinence, mais une privation absolue, durant un jour entier, de toute nourriture et de tout breuvage ; cest un renoncement complet toutes les frivolits du luxe pour se couvrir de sacs, cest--dire de ce quil y a de plus grossier et de plus informe. Et ce ne sont pas seulement les hommes qui se soumettront ces rudes pratiques de pnitence, mais les animaux eux-mmes y seront associs, afin que, aprs avoir servi si souvent comme instruments de pch, ils deviennent, lheure du pril national, des aides la rparation. Toutefois, si expiatoires que puissent nous paratre ces diverses pratiques de pnitence, le Roi paen et son Conseil les jugrent insuffisantes sauver la ville ; et cest pourquoi lordonnance royale ajoutait : Que chacun se convertisse, quil quitte sa mauvaise voie et liniquit qui est sur ses mains (Jonas, III, 8). La conversion du cur, la transformation de la vie, tels sont, en effet, les grands et indispensables moyens, les signes dune vraie pnitence, sans lesquels il est impossible de flchir Dieu. Eh bien, tout cela sest accompli Ninive et si srieusement accompli, que la pnitence sy est pour ainsi dire implante dans le sol. Car aujourdhui encore, et cela quarante-cinq sicles de distance, lorsque chaque anne ramne lanniversaire de la prdication de Jonas, les indignes du pays, lexemple des gnrations du Moyen Age, lexemple de la gnration contemporaine du Prophte, sabstiennent, ce jour-l, de nourriture et reprennent avec ferveur les livres de 2 la pnitence . La France, si malade, aura-t-elle le bonheur de voir se produire en sa faveur lexplosion de gnrosit qui sauva Ninive ? Et si, comme nation, elle na pu se dcider jusqu cette heure devenir pnitente, y a-t-il eu, du moins, au milieu delle, des foules, des familles, des individus expiant pour son salut ? Sur ces questions, cest chacun de se rpondre
Pour carter un mal, pour obtenir un bien national, il est bien juste, sans doute, que la nation prie. Or, quest-ce quune nation? et quelles conditions sont ncessaires pour quune nation prie ? Y a-t-il dans chaque pays des hommes qui aient droit de prier pour elle, et ce droit, le tiennent-ils de leurs dispositions intrieures, ou de leur rang au milieu de cette nation, ou des deux circonstances runies ? Nous connaissons bien peu les secrets du monde spirituel ; et comment les connatrions-nous, puisque personne ne sen soucie ? Sans vouloir menfoncer dans ces profondeurs, je marrte la proposition gnrale : Que jamais il ne sera possible de prouver quune nation a pri sans tre exauce ; et je me crois tout aussi sr de la proposition affirmative, cest--dire : que toute nation qui prie est exauce. (J. de Maistre, Soires de Saint-Ptersbourg, t. I, 361, 362). 2 Ce fait si remarquable se trouve attest dans une lettre trs importante, crite en 1853 par M. Victor Place, consul de France Ninive : Ce pays est plein des souvenirs les plus curieux, et en voici un qui vous surprendra sans doute. La semaine dernire, la ville de Mossoul a clbr trois jours de jene suivis dun jour de rjouissance en commmoration de la pnitence impose aux Ninivites par Jonas. Comme le fait saccomplit de temps immmorial dans ce pays, on le trouve fort naturel, et lanne dernire on ne men parla quassez longtemps aprs quil tait pass ; mais cette anne-ci jai tenu en tre tmoin par moi-mme et vous pouvez dire que vous tenez dun consul prsent sur les lieux quune ville entire consacre tous les ans un des faits les plus tranges et les plus anciens de la Bible. Ce quil y a de plus frappant, cest que les musulmans eux-mmes respectent cette tradition et font la fte le mme jour que les chrtiens. Il est vrai que le Koran renferme un chapitre entier (le 10 ) consacr Jonas, et quen face de Mossoul il y a, sur un monticule artificiel, une mosque trs vnre qui passe pour recouvrir le tombeau du prophte. (Lettre de M. Victor Place, consul de France Mossoul, M. labb Lvque, directeur de lInstitution de Notre-Dame Auteuil, dans les Annales de philosophie chrtienne de M. Bonnetty, VI srie, t. VII, p. 379-380. Voir aussi Vigouroux, Bible et Dc. mod. t: IV, p. 76, 77).
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soi-mme, dans son patriotisme; et, pntrant mme au plus profond de sa conscience, de se demander : depuis lanne terrible de 1871, avec laquelle a commenc pour la France le pril de mort, de quel plaisir me suis-je priv ; quelle pnitence ai-je accomplie ? O en suis-je de la rforme de ma vie ? Y a-t-il eu, de ma part, abdication gnreuse de mes ides, si elles taient funestes; rforme intgrale de mes murs, si elles taient mauvaises ? Dans le cas o, sur ces diverses questions, la conscience nous rpondrait en accusatrice, disons-nous bien que, selon lannonce faite par saint 1 Paul, de toute manire, une rmission nest point possible sans effusion de sang : Ou leffusion du sang qui coule dans les veines, ou cette autre effusion des larmes, que saint Augustin appelle le sang de lme ; lune ou lautre, cela est absolument ncessaire pour sauver une patrie coupable. Il est vrai que lorsque Dieu, dans Sa misricorde, a dcid daccorder le salut, voire mme quand on nen est presque plus digne ou quon ne le demande plus, Il a alors des moyens Lui pour briser les plus endurcis et les prcipiter dans les abmes de la pnitence ; et peut-tre, ce point de vue, sommes-nous destins voir se raliser cette prdiction dun tranger : L-bas, en France, vous marchez la Terre-Promise, mais en passant par la mer Rouge ! Prire et pnitence, cest dj beaucoup ; mais une troisime et dernire condition est encore ncessaire pour assurer la gurison de la France. Cette troisime condition ne figure point dans lhistoire de la conversion de Ninive; la raison en est que, sous un rapport, Ninive tait moins malade que nous ne sommes. Cest dans le Nouveau Testament que cette troisime condition se trouve particulirement nonce par la bouche de Jsus-Christ Lui-mme : Tout royaume divis contre lui-mme sera ruin, et toute ville ou maison divise contre ellemme ne subsistera pas. (Matth., XII, 25). Or, il ny a plus le cacher ni se le cacher : en France, nous sommes profondment diviss. Nous le savons comme le reste du monde ; le reste du monde le sait aussi bien que nous, et sarrange pour en profiter autant que nous y perdons. Non seulement il y a, de nouveau, des Pyrnes, et des Pyrnes menaantes, mais il sest encore form, autour de nous, un cercle redoutable de nations hostiles ; et ce quil y a de plus lamentable, cest que, lintrieur de ce cercle, des Alpes aux Pyrnes et de la Manche la Mditerrane, il ny a quantagonisme, on ne voit que division. Tandis que, par une politique patiente et respectueuse des droits de chacun, nos grands hommes dEtat des sicles passs taient parvenus faire, de provinces pourtant bien disparates, une France compacte, magnifique denthousiasme et dunit ; aujourdhui, par une succession de fautes vraiment incomprhensibles, il sest produit une telle dsagrgation des hommes et des choses, quon se demande si demain, cette France, autrefois reine du monde, ne sera pas devenue une ruine tourmente par le feu ou une poussire disperse par le vent. Ce quil y a de certain, cest que dj toute considration a disparu au dehors : on ose contre la France des paroles et mme des actes quon ne se permet dordinaire qu lgard de puissances de troisime ordre. Ce quil y a de certain encore, cest quau dedans la joie, cette joie calme et sereine, caractre dun peuple sain et sr de lui-mme, a compltement disparu. Car si, dune part, la France, dans une notable partie de ses enfants, ceux qui souffrent perscution, peut sapproprier ce sanglot : Mon me a t repousse de la paix, jai oubli le bonheur ! (Jrmie, Lamentations, III, 17) dautre part, avec ceux qui se sont faits perscuteurs, elle ne justifie que trop, travers ses blasphmes, ses libations et ses rires, le funbre propos du Chancelier allemand : Cest dans une agonie foltre que steint la France ! Si jamais lavertissement politique autant que prophtique de Jsus-Christ a d tre pris en srieuse considration, cest donc par nous : Tout royaume divis contre lui-mme sera ruin, et toute ville ou toute maison divise contre ellemme ne subsistera pas. Eh bien! retour lunit! mais retour gnral, dcisif, constant, si nous avons encore la patriotique ambition darrter la ruine de la France. Mais comment, de quelle manire, par quel moyen revenir cette unit ncessaire ? II nen existe pas deux, il ny en a quun : cest de revenir au principe qui, au cinquime sicle, a fait la France. Lorsque la fleur, dtache de sa tige, se dcolore et se fane, si elle pouvait tre ramene son principe, la tige qui la porte, la fleur fltrie renatrait. Lorsque le ruisseau dtourn baisse et se dessche, sil pouvait remonter et se runir sa source, le ruisseau amoindri reprendrait vigueur et vie. Lorsque le rayon intercept se brise et steint, sil pouvait tre ramen son foyer, le rayon languissant retrouverait force et lumire. Ainsi en est-il dun peuple prcipit hors de sa voie, arrach ses traditions et qui meurt ! Pour lui rendre du sang, de la vie, du patriotisme, de llan, il faut le ramener, le rattacher de nouveau son principe. Nest-ce point ce moyen de renouvellement que semblent conseiller les Saints-Livres, lorsque, dans un langage la 2 fois simple et profond, ils expriment par un mme mot les deux ides de rajeunir et de revenir son principe. Sil en est ainsi dans le domaine surnaturel o, pour se renouveler, il suffit de revenir, de se reporter son principe, qui est Dieu : O mon me, bnis le Seigneur, cest Lui qui te rajeunira et te donnera la vigueur de laigle (Ps., CII, 5) ; pourquoi donc, dans le domaine social, le principe gnrateur dun peuple ne serait-il pas aussi son principe rgnrateur ? Au principe gnrateur de la nation franaise, lequel fut la monarchie chrtienne, un autre principe a t tout coup
Sine sanguinis effusione non fit remissio (Ad Hebr. IX, 22). Cest la parole que rappelait dans sa prison, quelques jours avant de mourir, lun des martyrs de la Commune, le vnrable M. Deguerry, cur de la Madeleine. 2 Ce mot est (mot grec), revenir son principe, restaurer : Instaurare omnia in Christo, qu in clis et qu in terra sunt ; toutes choses ont t restaures (ramenes leur principe) dans le Christ, soit au ciel, soit sur la terre. (Ephs., I, 10).
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substitu. Lhomme sans contredit le plus capable de faire triompher ce nouveau principe, lhonorable M. Thiers, alors chef du Pouvoir excutif, en proposa lessai sous une image qui ne manquait pas de grandeur et de sduction. Il comparait la Rpublique, dont le nom seul tait un pouvantail pour beaucoup, ce redoutable cap des Temptes, au sud de lAfrique, si fameux par tant de naufrages, et duquel, pendant longtemps, les vaisseaux nosaient plus approcher. Mais un navigateur se rencontra, plus hardi et plus confiant que les autres. Imposant donc au terrible cap un nom de meilleur augure, celui de Bonne-Esprance, il osa tenter le passage : lessai fut couronn de succs et le cap des Temptes est rest le cap de Bonne-Esprance. Et lhabile autant que spirituel vieillard concluait de la sorte : Osons, Messieurs, tenter un nouvel et loyal essai de la Rpublique ; ce qui tait hier le cap des Temptes sera peut-tre galement demain le cap de 1 Bonne-Esprance ! Voil douze ans passs que lessai propos se poursuit. Ceux qui avaient intrt en surveiller, en diriger le fonctionnement, la marche, se sont trouvs non seulement matres, mais matres absolus de la France. Dieu de ce qui peut faire russir, ni la puissance, ni la richesse, ni le glaive, ni la parole, ni laudace, ni les acclamations, ni le dvouement, ni labngation dun grand nombre ne leur a fait dfaut. Eh bien ! aprs douze annes dessai complet, ininterrompu en pr2 sence dune France fractionne de partout, plus semblable, dans ses divisions, un navire dont les ais se dcollent et se dtachent qu un peuple de frres ; en contemplant avec stupfaction : la religion expulse de lcole ; la croix arrache des cimetires ; les secours spirituels refuss aux soldats et aux malades ; les religieux chasss et disperss ; les finances gaspilles ; larme dsorganise ; la magistrature rduite la servilit ; lindustrie insuffisamment protge ; lagriculture appauvrie et sans appui ; la propagande anarchique tolre ; les fonctionnaires chrtiens destitus ou disgracis ; en rsum, lintrieur, la France tyrannise par lesprit de faction ; lextrieur, la France impuissante et abaisse (G. de La Tour, journal lUnivers, 20 octob. 1883).; en prsence dun pareil spectacle, la main sur la conscience, peut-on dire que le cap des Temptes soit devenu le cap de 3 Bonne-Esprance ? Non, lesprance est ailleurs ! Elle est dans un retour national, ncessaire lantique principe qui, ayant fait la France, peut seul la refaire ; elle est sur lune de ces deux tombes indiques, il y a quelques semaines, par M. le Prsi4 dent du Conseil, celle sur laquelle a t ent, dans un embrassement suprme et rciproque, le rameau davenir ! Oui, cest l que sest rfugie lesprance ! Car o subsiste le principe gnrateur de lunit, l se trouve le renouvellement de la patrie franaise Rien nest fort, en effet, dans lhistoire dun peuple, comme le principe gnrateur qui en a t la source ; rien nest bni de Dieu comme la fidlit sy maintenir. La nation juive en a prsent un mmorable exemple. Chacun sait que, dans la succession illustre de ses rois, il sen trouva un qui, fils dgnr de David, eut cur, ce semble, de mriter le titre de honte et de bourreau de son peuple, tant il se montra la fois impie et cruel. 5 Ce fut Manass, le Nron du peuple hbreu . Or, il arriva que Dieu, prenant en piti les gmissements des victimes, intervint par un de ces coups de justice qui retentissent dans lhistoire. Il livra le mauvais roi Assurbanipal et ses Assyriens. Ceux-ci layant li de deux chanes lemmenrent captif Babylone (II Paralip., XXXIII, 11). Ntait-ce point le cas de mettre profit un vnement si opportun pour modifier le gouvernement hbraque, ou bien changer la dynastie, tout au moins pour remplacer le roi impie, devenu captif, en proclamant son fils ? Rien de tout cela ne se fit. Fidle au principe gnrateur de sa nationalit, le peuple hbreu ne se crut pas le droit den modifier lessence : il se borna tablir un gouvernement provisoire (Judith, IV, 5, 7) ; et lorsque, aprs les longs mois dune dure captivit passe dans les larmes et dans le repentir (II Paralip, XXXIII, 12), Manass, dlivr par la mme main divine qui lavait prcipit dans les fers, 6 reparut Jrusalem, son trne lattendait intact, la fidlit de son peuple navait point chang !
M. Thiers a dit encore : Tout gouvernement doit tre conservateur, et nulle socit ne pourrait vivre sous un gouvernement qui ne le serait pas. La Rpublique sera conservatrice ou elle ne sera pas. La France ne veut pas vivre dans de continuelles alarmes : elle veut pouvoir vivre en repos, afin de travailler pour se nourrir, pour faire face ses immenses charges ; et si on ne lui laisse pas le calme dont elle a indispensablement besoin, quel que soit le gouvernement qui lui refusera ce calme, elle ne le souffrira pas longtemps ! Quon ne se lasse pas dillusions! (Message de M. Thiers, prsident de la Rpublique lAssemble nationale, le 13 novembre 1872). 2 Lexpression, on le sait, est de M. Gambetta. 3 Ces autres paroles de M. Thiers ne se reprsentent-elles pas delles-mmes la mmoire : Si la monarchie doit se relever dans le pays, elle naura quune raison mon avis qui puisse faire taire le parti rpublicain, ce sera de pouvoir lui dire : La Rpublique a t respecte pendant quelle existait ; lessai en a t loyalement fait. Et si lessai ayant t loyalement fait et nayant pas russi, les rpublicains veulent vous demander encore la Rpublique, vous pourrez leur rpondre au nom de la raison, au nom de lexprience : Lpreuve est faite ; la Rpublique est impossible! (Discours sur labrogation des lois dexil et sur lrection du prince de Joinville et du duc dAumale, prononc le 8 juin 1871 lAssemble Nationale). 4 M. Jules Ferry, prsident du Conseil, ne le pense pas. Voici ses paroles alors quil indiquait les deux tombes : Le pril monarchique nexiste plus. Le pril monarchique est enterr sous deux tombes sur lesquelles ne refleurira jamais un rameau davenir (Discours prononc au Havre, le 15 octobre 1883). - En nous portant par principe vers la tombe surmonte du rameau davenir, nous ne pouvons nous dfendre de saluer avec motion et respect lautre tombe, celle o repose, dans la paix du Seigneur, le jeune Prince frapp au champ dhonneur, lge de vingt-trois ans, et aprs avoir, en tte de son testament, trac ces lignes : Ma dernire pense sera pour ma patrie. - Cest pour elle que jaurais voulu mourir. - Si je dois vivre, que ce soit au milieu des meilleurs. 5 Manass se rendit criminel aux yeux du Seigneur... II jeta dans lgarement les habitants de la Jude et de Jrusalem. Et il leur fit commettre plus de mal, que nen avaient fait les nations que le Seigneur avait extermines leur arrive dans le pays...Manass remplit de plus toute la ville de Jrusalem, dun bout lautre, de ruisseaux de sang quil rpandit contre toute justice. (IV Rois, XXI, 2, 3, 16). 6 II Paralip., XXXIII, 13. - Manass, arriv au trne lan 693 av. J.-C., rgna cinquante-cinq ans. Il fut emmen captif en 647, et mourut
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Mais Dieu qui, Lui non plus, ne change pas prit plaisir rcompenser magnifiquement une si admirable fidlit. Il le fit par deux vnements tout particulirement providentiels. Le premier fut lapparition de Judith, lune des hrones juives. Dj matres du roi, les Assyriens staient flatts de se rendre incontinent matres du royaume. Ce fut alors que Judith, 2 suscite de Dieu, leur barra le passage . - Le second fait, non moins providentiel, fut lavnement de Josias au trne de David. Petit-fils et second successeur de Manass, Josias a t sans contredit lun des meilleurs rois de Juda, une de ses gloires les plus pures, celui enfin dont lcriture a fait ce bel loge : La mmoire de Josias est comme un parfum de suave odeur ; son souvenir est doux comme le miel la bouche, et comme la musique durant un festin. Il fut destin de Dieu porter la nation la pnitence, et il fit disparatre les abominations de limpit. Il dirigea son cur vers le Seigneur, el, dans un temps de pch, il affermit sa pit. A lexception de David, dEzchias et de Josias, tous les autres rois de Juda ont commis le pch (Ecclesiastiq., XLIX, 1-5). Voil ce que peut, en faveur de lunit, et pour le bonheur dun peuple, la fidlit au principe gnrateur de son existence ! Persvrance dans la prire, Embrassement de la pnitence, Retour lunit, Telles sont, daprs la Bible et dans le domaine de lordre moral, les trois conditions indiques de Dieu pour la gurison des nations. Cest donc en les accomplissant et en les adjoignant ses titres, ses services des temps passs, titres et services toujours prsents devant Dieu, que la France arrivera flchir la justice vengeresse et rendre, de simplement possible, sa gurison moralement certaine. Et, si la gurison sopre, on verra reparatre, avec le retour aux croyances religieuses : le respect de tous les droits, lpanouissement de lhonneur, la pratique dune vraie libert, la noble ambition de la gloire, la protection des faibles, la scurit du commerce, llan de la prosprit, la recherche de notre alliance, en un mot tout ce qui a contribu faire de la France, durant des sicles envis cette heure, le plus beau royaume aprs celui du ciel! CONCLUSION LES CONDITIONS DONT DPEND LA GURISON DE LA FRANCE SERONT-ELLES ACCOMPLIES En sera-t-il ainsi? La France gurira-t-elle effectivement ? Aprs avoir pch comme Ninive, ses habitants mriteront-ils quil soit crit deux, ainsi quil le fut des Ninivites : Dieu considra leurs uvres, Il vit quils staient convertis en quittant leur voie mauvaise ; et la compassion quIl eut deux lempcha de leur envoyer les maux quIl avait rsolu de leur faire (Jonas, III, 10). Encore une fois, en sera-t-il ainsi des Franais ? Nous osons presque rpondre affirmativement, basant cette affirmation sur deux faits, lun pass et dj ancien, lautre en voie de se poursuivre depuis plus de vingt ans. Mais, avant de rapporter ces faits, il importe que, rappelant le but de cet crit, nous en rsumions les dveloppements: Cest loccasion dune double tendance, lune et lautre notre sens galement funestes, que ce travail a t entrepris. A la premire de ces tendances, celle qui estime que la France est perdue, les nations arrives un certain degr de labme tant juges impuissantes en sortir, nous avons rpondu que les nations, pas plus que les individus, ne sont fatalement voues la mort, et consquemment que la France reste gurissable. A la seconde tendance, diamtralement oppose la premire, puisquelle estime que la France na pas redouter de disparatre, ses titres et son pass lui assurant devant Dieu une gurison certaine, nous avons dmontr que des titres et un pass, si mritoires soient-ils, ne sauraient assurer lavenir dune manire absolue ; et que la gurison de la France, en soi simplement possible, ne pouvait devenir moralement certaine que par laccomplissement des conditions indiques de Dieu pour la gurison des nations. Eh bien! ces conditions laccomplissement desquelles se trouvent ramens, en dfinitive, sa gurison, son avenir, en un mot, son existence, la France les accomplira-t-elle ? La prire nationale deviendra--t-elle plus fervente ? La pnitence se gnralisera-t- elle ? Reviendrons-nous lunit ?
Jrusalem en 643. 1 Ego enim Dominus, et non mutor : Je suis le Seigneur et Je ne change pas! (Malach., III, 6). 2 On peut placer avec vraisemblance sous le rgne dAssurbanipal, pendant la captivit de Manass Babylone, lexpdition dHolopherne contre la Palestine et lhistoire de Judith. Cest la date quassigne ces vnements ltude compare du livre mme de Judith et des documents cuniformes... Lorsque le gnral assyrien envahit la Palestine, il ny a point de roi Jrusalem. Dans la priode (royale)..., le peuple de Dieu sest trouv un seul moment sans roi, cest pendant que Manass tait retenu prisonnier Babylone. Cest donc pendant la captivit de ce prince que Bthulie a d tre assige. (Vigouroux, Bible et dcouv. moder., t. IV, p. 254, 255). Voir aussi le mmoire lu, en 1375, lInstitut devant lAcadmie des Inscriptions et Belles-Lettres, et intitul : Deux questions de chronologie et dhistoire claircies par les Annales dAssurbanipal. Lauteur de ce remarquable mmoire est M. Robiou, professeur dhistoire la Facult de Rennes.
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Oui, avons-nous rpondu. Et voici maintenant les deux faits qui motivent notre esprance : Ctait en 1721. Le chevalier de Fougres, commandant le Triton, tait all prendre possession, au nom de la France, de cette le si belle de lAtlantique, quon a longtemps appele lle de France, et quil faut hlas ! maintenant appeler lle Maurice. Descendu sur la plage, le brave commandant dploya le drapeau national ; mais, en mme temps quil le plantait, il rigea ses cts et comme son ombre, une grande croix de bois ; puis, au bas de cette croix, il grava linscription suivante : Jubet hic Gallia stare crucem. 1 La France ordonne que la croix rgne ici . Le second fait est celui-ci : A la partie est de la France, presque ses confins, dans ce beau pays du Valromey connu et aim de saint Franois de Sales, vit encore un vieux prtre, cur dans la mme paroisse depuis plus de cinquante ans. En un lieu culminant de cette paroisse, do le regard ravi embrasse les forts noirtres de la Grande-Chartreuse et les cimes neigeuses des Alpes, a t leve par les soins du vieux prtre et avec le concours de tous, sous le touchant vocable de Notre-Dame-duPeuple, une statue de la Vierge. Dans lattitude de la supplication, cette statue, dune beaut remarquable, a les yeux levs au ciel ; une de ses mains indique la foule, lautre est place sur son cur ; et, au bas, se lit cette inscription, grave par le vieux prtre, confident des prires de la Vierge : Mon Fils, je Vous recommande le peuple ! Il y a vingt ans que la pierre qui la porte, prononce elle-mme cette prire. Les pauvres habitants du village sont fidles la redire ; et quand les ombres descendent sur leurs fatigues, deux lampes allumes, et lentretien desquelles tous contribuent, ont la mission de continuer pendant la nuit les supplications unies celles de la Vierge durant le jour. De ces deux faits, le premier, lacte du chevalier, ne rsume-t il pas tout le pass de la France ? Sur toutes les plages et durant quatorze sicles, la France na-t-elle pas, en effet, plant, fait respecter et dfendu la Croix ? Le second, lacte du vieux cur et de son pauvre village, nest-il pas aussi, dans la dfection prsente, lexpression de la France reste fidle Dieu et cause de cela perscute ? Tandis quon ne discontinuait pas de la reprsenter comme lennemie du peuple, comme oppose ses intrts, son dveloppement, ses lumires, son bien-tre; pieusement agenouille dans sa douleur et son patriotisme, cette partie de la France, depuis quatorze ans, na cess de prier Dieu en faveur des foyers et des autels. Mais sa prire naura pas t vaine ! Car cest l notre ferme esprance et la conclusion de cet crit : Oui le peuple, le cher peuple de France, clair enfin sur ses vritables amis et ses vrais intrts, se portera un jour, bientt peut-tre, avec lan, avec enthousiasme, laccomplissement des conditions qui gurissent et sauvent les nations ! Oui, le cher peuple de France poussera vers Dieu le cri mouvant dune grande prire, il se frappera la poitrine en signe de pnitence, il reviendra, pour ne sen plus sparer, lantique principe de son unit premire ! Le peuple de France fera tout cela et davantage encore. Parce que Celle que ses pres ont proclame Reine, la Vierge, Mre du Christ, aura, mieux que Mose, triomph de la justice de Dieu. Mon Fils, je Vous recommande le peuple ! Ce cri tout puissant de son amour aura ramen le peuple, aura dsarm Dieu ! Et lorsque le peuple, ainsi guri et sauv, sera rentr en possession de lui-mme, en possession de son pass et de son avenir, le premier de ses gestes, calqu sur ceux dautrefois, sera de relever chez lui et ailleurs, de relever la Croix de Jsus-Christ, la Croix une fois de plus triomphante ; et au pied de cette Croix, source de toutes les liberts, en mme temps que symbole de tous les devoirs, le vieux peuple de France, de la pointe de sa gnreuse pe, gravera de nouveau linscription du grand sicle : Jubet hic Gallia stare crucem. La France ordonne que la Croix rgne ici.
Xavier Marinier, de lAcadmie franaise : La France dans ses colonies (Discours lu la sance trimestrielle de lInstitut du 8 janvier 1873).
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SUPPLEMENT
I - SENTIMENTS ET CONDUITE DE LGLISE ROMAINE A LGARD DE LA FRANCE MALHEUREUSE Plusieurs faits relats dans les pages qui prcdent, auraient demand plus de dveloppements. Nous avons d les carter, afin de ne point embrouiller la trame des propositions quil sagissait dtablir. Les propositions tant tablies et prouves, nous allons maintenant donner ces claircissements. Le premier fait sur lequel il importe de faire la lumire, cest le danger auquel a chapp la France lors de la dmarche de larchevque de Posen, Mgr Ledochowski, auprs de lEmpereur dAllemagne, alors Versailles. On se rappelle notre rcit : Larchevque est seul en scne ; il arrive Versailles, porteur dun plan personnel qui est un danger pour la France, puisquil ne sagit de rien moins que de substituer lAllemagne la France dans la dfense de lglise et du Saint-Sige. 1 Or, voici quil a paru rcemment Leipzig une brochure dune importance capitale , en raison de la position exceptionnelle de son auteur. Elle va nous servir tablir combien clairvoyante et juste a t lapprciation du Cardinal Capalti sur le danger qui alors a menac la mission et, partant, lexistence de la France ; et combien, en ces circonstances, ont t dlicats, lgard de notre pays, les procds du Pape et de lglise romaine. Laissons parler lauteur : Le 8 novembre 1870, vers lheure du djeuner, se prsenta Versailles chez le prince de Bismarck, un personnage dj un peu g ; il portait un vtement de soie, une calotte rouge et une charpe de mme couleur. Ctait larchevque de Posen, Ledochowski. On prtendait quil sagissait dune offre dintervention de la part du Pape auprs du gouvernement franais, relativement lAllemagne... LArchevque sjourna environ trois heures ; et aprs quil se ft retir, le prince de Bismarck se rendit immdiatement chez le roi de Prusse. En ralit, il ne sagissait nullement dune dmarche auprs du gouvernement Franais. Car quaurait pu le SaintSige auprs de Jules Favre et de Rochefort ? Cest par une autre voie que le Saint-Sige a tent de rtablir la paix. Bismarck lui-mme la fait connatre en ces termes : Nous avons constat quen France lecclsiastique fait passer sa qualit de Franais avant celle decclsiastique. Il nous a t donn den avoir un exemple trs clatant durant les ngociations pour la paix, alors que S. S. le Pape recommanda expressment aux vques franais, par lorgane dun vque que je pourrais dsigner, dagir dans le sens de la paix. Si monarchique que soit prsentement lorganisation de lEglise, le Pape cependant ne fut pas cout. Le patriote franais lemporta sur lecclsiastique franais, jusque dans les personnes les plus identifies la religion. Mme phnomne se rencontre en Espagne et ailleurs ; mais il nen est pas ainsi en Allema2 gne . Daprs cela, il est douteux que larchevque de Posen soit venu Versailles en vue dune intervention papale en faveur de la paix. Voici ce qui parat beaucoup plus vraisemblable : Ledochowski, dj avant lanne 1870, tait personne trs en faveur la cour de Berlin, persona gratissima... Cest ce voyage de Ledochowski Versailles et sa supplique en faveur du rtablissement du Pouvoir temporel du Pape par les armes allemandes qui lui attirrent les bonnes grces de 3 Pie IX et lui valurent la dignit de Cardinal . Le Nonce du Pape, Chigi, arriva Versailles ; il eut galement un long entretien avec le prince de Bismarck ; aprs quoi il se rendit Tours. - On attendait mme, en dcembre, un personnage dun rang encore plus lev : Qu la fin Antonelli, lui-mme, se mette en route pour venir ici, cest ce qui paratra peu clair plus dun, disait le prince de Bismarck. Au Vatican, on a longtemps suppos chez le prince de Bismarck une propension accentue en faveur du Pouvoir temporel et, par contre, une profonde antipathie lgard de lItalie, ne de la Rvolution et gouverne dmocratiquement. Bismarck sest ouvert sur ce dernier point dans une occasion plus rcente : Il ne sest peut-tre pas prsent un moment plus favorable pour une entente avec le Sige Romain que celui de la fin de la guerre avec la France. On a avanc, ce sujet, des faussets qui rsultent dune ignorance complte des choses. Il est notoire quiconque sest trouv avec nous en France, que nos relations prcdemment bonnes avec lItalie ont t, pendant tout le temps de la guerre, sinon troubles, du moins sous linfluence dun dissentiment, lequel a persist jusqu la conclusion de la paix. a a t un phnomne surprenant, quen Italie la prdilection pour la France lait emport sur la considration des intrts du pays. Ces intrts demandaient quen salliant avec nous, lItalie conquit sur le champ de bataille son indpendance vis--vis de la France. A nous seuls
Bismarck nach dem Kriege, Bismarck aprs la guerre. Leipzig, 1883. Louvrage est en allemand et sans nom dauteur. Mais il est attribu M. Hahn, conseiller intime la Cour impriale. M. H. Hahn est particulirement apprci de lEmpereur dAllemagne. Il vient dditer un nouvel crit qui obtient grande vogue actuellement : lArme et la patrie. 2 Nous ne saurions accepter cet loge de M. de Bismarck. Chez lecclsiastique franais, lamour de la religion marche de pair avec celui de la patrie. Toutefois il est curieux de constater que tandis quen France, des Franais ennemis de la religion osaient dire : Le clricalisme, voil lennemi ! des Allemands, nos adversaires, taient contraints davouer que le sentiment de la patrie est tellement dvelopp dans lme dun clrical quil va jusqu lemporter sur celui de la religion. Cest ainsi que tt ou tard justice est faite des outrages. Lhomme calomnie, mais le temps venge. 3 La dignit cardinalice a t confre par Pie IX larchevque de Posen uniquement comme rcompense de ses luttes, de son nergie et de ses souffrances, occasionnes par le revirement de politique chez le prince de Bismarck.
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nous avons russi ; mais il est de fait que nous nous sommes trouvs en prsence de troupes italiennes commandes par Garibaldi, quon aurait pu retenir dans leurs foyers. Un dsaccord heureusement et compltement aplani se manifesta entre lAllemagne et lItalie. Nous tions fort loignes de faire quoi que ce ft pour lamour de lItalie (Bismarck aprs la guerre, p.12-14). Tel est, relativement la dmarche de larchevque de Posen, le rcit de M. Hahn. A travers des rticences et des contradictions que nous allons faire ressortir, un fait capital se dgage, cest la visite de Mgr Ledochowski, dans le sens indiqu par le Cardinal Capalti, cest--dire avec lintention formelle de substituer lAllemagne la France dans la mission de dfenseur du Saint-Sige. Seulement, cette fois, larchevque de Posen napparat plus seul. On sefforce de lui donner deux auxiliaires, lun, le Nonce du Pape, S. Ex. Mgr Chigi, qui survient Versailles; lautre, S. Em. le cardinal Antonelli, qui pourrait bien y arriver. Or, cest l un double outrage que lauteur de la brochure Bismarck aprs la guerre, se permet lgard de deux hauts personnages de lglise Romaine et quil importe de relever. Mgr Chigi tait alors Nonce Apostolique, accrdit auprs du Gouvernement Franais. Sil se rendit Versailles, dans le temps o larchevque de Posen y faisait sa dmarche, ce ne fut point cause de ce dernier et afin de lui prter main forte, comme le laisse supposer M. Hahn, mais uniquement pour dvelopper dans lme du vainqueur des sentiments de gnrosit dus aux malheurs dune nation telle que la France. Se comporter autrement et agir dans le sens de larchevque de Posen, cet t, de la part du Nonce du Pape, travailler labaissement, la dchance de la nation quil avait mission de maintenir dans ses antiques et troits rapports dunion avec le Saint-Sige. Or, cest une pareille faute que M. Hahn fait planer sur la vnrable personne de Mgr Chigi, en vitant de dfinir le but de son voyage Versailles. Loutrage nest pas moindre lgard du Cardinal Antonelli. En effet, on suppose, et cela gratuitement, sans aucune preuve, que Son minence pourrait bien venir Versailles : On attendait mme en dcembre un personnage dun rang encore plus lev ; et on se garde bien dajouter que ce personnage nest pas venu. Mais, par contre, pour bien mettre en saillie la prtendue indiffrence du prince de Bismarck, on a soin de lui prter ce langage : Qu la fin Antonelli luimme se mette en route, pour venir ici, cest ce qui paratra peu clair plus dun. Eh bien ! ceux qui ny voyaient pas clair, qui doutaient, sil y en a jamais eu, avaient raison. Antonelli a certainement commis plus dune faute ; mais lindlicatesse de profiter des malheurs de la France pour lui enlever, afin de la confier lAllemagne, la dfense du Saint-Sige, Antonelli ne la pas commise ! Voici la vrit : M. de Bismarck, loin de repousser la dmarche de larchevque de Posen, fut, au contraire, sduit par ce quelle lui dcouvrait davantageux. Il ny eut en lui, ce moment, pas plus quauparavant, ni sympathie pour la vrit catholique, ni dvouement pour le Saint-Sige ; mais, en homme dEtat profondment habile, il entrevit tout de suite deux immenses rsultats que lacte politique suggr par Mgr Ledochowski, allait lui permettre datteindre. Le premier rsultat devait tre un accroissement aussi subit qunorme de solidit, de lustre, de puissance chez le nouvel et jeune empire dAllemagne. Dun coup, il allait rallier en sa faveur toutes les sympathies perdues par la France, depuis labandon de Rome et du Saint-Sige, auprs des catholiques du monde entier. Le second rsultat, poursuivi encore cette heure dune manire mathmatique, tait labaissement dfinitif de la France. Effacer peu de chose prs la nation franaise de la carte dEurope, mais seulement aprs lavoir pralablement dconsidre et dgrade, telle est, il nest plus permis den douter, la mission que sest donne le Prince de fer. Cest pour y arriver que, plus matre quon ne le suppose communment dans le fonctionnement intrieur de nos institutions nationales, il manuvre de manire nous dconsidrer progressivement au dehors. Puis, quand il sera bien avr que la nation franaise est devenue un foyer incorrigible dides subversives et de passions mauvaises, quelle constitue une menace perptuelle pour le repos de lEurope et le dveloppement des peuples, alors, au nom de lintrt de tous, il proposera lamoindrissement, le dmembrement ; et lEurope lui passera un blanc-seing. Toutefois un obstacle pour ainsi dire insurmontable soppose, le Chancelier le sait bien, la dconsidration de la France ; cest son rle sculaire Rome et devant le monde de protectrice du Saint-Sige. Tant que ce rle ne sera pas effac, les noms de Chrtien et de Franais resteront synonymes dans beaucoup de pays. Entreprendre donc dabaisser adroitement la France, et y parvenir en se substituant politiquement elle dans une dfense provisoire du Saint-Sige, voil ce que M. de Bismarck entrevit avec son coup dil de grand homme de proie, dans la conversation quil changea avec larchevque de Posen. Nous en avons une preuve indirecte dans cet aveu qui lui est chapp plus tard : Il ne sest peut-tre pas prsent un moment plus favorable pour une entente avec le Sige romain que celui de la fin de la guerre avec la France. Quel est ce moment, la fin de la guerre avec la France ? Celui o lempereur Guillaume tait Versailles. - De quelle entente pouvait-il sagir alors avec le Saint-Sige ? Uniquement, du rtablissement du Pouvoir temporel, puisque la lutte du Kulturkampf nexistait pas encore, ntait pas mme prvue. Autre preuve, fournie galement par lcrit de M. Hahn : Deux mois aprs la dmarche de larchevque de Poser, en fvrier 1871, lEmpereur reut une adresse que les Chevaliers de Malte et beaucoup dautres nobles avaient envoye Sa Majest, Versailles, pour obtenir une intervention en faveur du Saint-Pre (Bismarck aprs la guerre, p. 14) On le voit, cest lide de larchevque de Posen qui a pris corps; cest sa dmarche, favorablement accueillie, qui sest agrandie.
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Or, que rpondit lEmpereur Guillaume ? LEmpereur reut avec beaucoup de grce le duc de Ratibor et le baron de Schorlemer ; ce dernier prsenta ladresse de la socit Rhnano-Westphalienne des chevaliers de Malte, et lEmpereur rpondit ces messieurs : Que ses sentiments pour le Pape, comme chef suprme de ses sujets catholiques, navaient pas chang; quil regardait loccupation de Rome par les Italiens, comme un acte de violence, et quil ne manquerait pas, une fois la guerre finie, de la prendre, de concert avec dautres princes, en considration (Bismarck aprs la guerre, p. 14) Il ny a pas en douter, le plan suggr par larchevque de Posen avait t accueilli avec une particulire faveur ; on avait compris quil entranerait labaissement dfinitif de la France, la grande puissance morale des fils de Clovis devant scrouler avec leur dpossession de dfenseurs du Saint-Sige. Qui donc mit obstacle la russite de ce plan, plus redoutable peut-tre que la stratgie pourtant si suprieure du marchal de Molkte ? Uniquement le refus plein de dignit de la part du Saint-Sige. Rome dclina avec politesse les avances et le concours de lAllemagne ; elle demeura fidle aux traditions de quatorze sicles et sa vieille prdilection pour la France. Les suppositions de M. Hahn lgard du cardinal Antonelli, ses rticences lgard de Mgr Chigi, les contradictions quil commet sans sen apercevoir, tout cela nest que ruses de guerre afin dembrouiller lhistoire et faire croire que les dmarches pour le rtablissement du Pouvoir temporel sous lgide de lAllemagne vinrent, non pas de lAllemagne ellemme, mais de Rome. Or, voici la conclusion : Lorsque le terrible Chancelier eut acquis la certitude que la Cour de Rome, guide par la dlicatesse, ntait pas dispose entrer dans les vues allemandes, et quelle ne consentirait point dpossder elle-mme la France de sa dignit sculaire de dfenseur de lglise et du Saint-Sige; alors, changeant de tactique, il fit deux choses : Dabord, aux demandes ritres du parti catholique allemand qui, mis en branle par les bonnes dispositions du gouvernement, le pressait de les raliser en rtablissant par voie diplomatique le Pouvoir temporel, Bismarck fit brusquement cette Dclaration de principes, expdie officieusement toutes les chancelleries de lEurope. Sous le rapport politique, lempire de 1871 est une cration compltement nouvelle. On tomberait dans une grave erreur si lon voulait regarder notre empire national du 18 janvier 1871, comme une continuation de lempire romain enterr le 6 aot 1806. Sous un double rapport, le nouvel empire doit se dire trs rsolument dgag de toutes les traditions de lancien : II na rien faire avec les tendances hirarchico-thocratiques, rien avec les tendances cosmopolites. Cest un Etat temporel et national. On peut rver peut-tre Rome que lancien office de dfenseur du Sige romain pourra revivre dans ce nouvel empire : le nouvel Empereur ne connat pas du tout de tels devoirs. Tout ce qui rappelle lempire romain, toute immixtion dans les affaires dItalie est cart jusqu la dernire trace, comme la plus malheureuse rminiscence de notre pass, du pur blason de notre nouvel empire. LAllemagne aux Allemands, lItalie aux Italiens, voil le mot de paix qui rconciliera pour toujours ces deux anciennes nations civilises. Pour les nouveaux Allemands, il ne peut y avoir, comme expdition romaine, que celle du chercheur et de lami de lart, lequel aspire se dsaltrer lternelle jeune source de la classique beaut des formes, aux immortels chefs-duvre de lart italien. LAllemand ainsi conqurant la faon de Goethe et de Vinkelmann, lItalie rajeunie lacceptera certainement toujours volontiers... (Bismarck aprs la guerre, p. 23). Telle fut la premire rponse du Chancelier aux sympathies franaises de la Cour de Rome. On en conviendra : rapproche des documents qui prcdent, cette fameuse Dclaration, avec son emphase teutonique, ntait, au fond, quun amoncellement calcul de brouillards de la Baltique, pour dissimuler la fois une dfaite et une mauvaise humeur. La seconde rponse devait tre plus cruelle; elle fut linvention et lapplication du kulturkampf. M. de Bismarck linaugura en personne par un article de la Gazette de la Croix, dont lpreuve, corrige de sa main, existe encore et est conserve, dit-on, comme un monument. Nous navons pas faire lhistoire de cette seconde rponse; elle est connue. Mais plus tard, dans la suite des ges, lorsquun interrogateur exprimera le dsir dentendre une dfinition exacte, complte, de ce mot trange de Kulturkampf (combat pour la civilisation), avec lequel a dbut la perscution religieuse contre les catholiques allemands, on devra rpondre : Le Kulturkampf; son origine, ce sont les reprsailles du prince de Bismarck qui, nayant pu amener le Pape et le Saint-Sige prter la main labaissement et leffacement de la France, sen est veng en perscutant outrance les catholiques allemands, dfaut du Pape et du Saint Sige quil ne pouvait atteindre. Voil, ce nous semble, la vrit sur la dmarche Versailles de Mgr Ledochowski, archevque de Posen, et sur les 1 consquences quelle entrana .
Une difficult peut se prsenter lesprit, celle-ci : Comment concilier que M. de Bismarck ait rellement admis les ides de larchevque de Posen, et soit ensuite devenu son plus ardent ennemi ? Rponse - De la mme manire quon concilie, chez le mme prince, son empressement accepter et exalter, durant la guerre de France, les services des catholiques allemands, quitte, au lendemain de la victoire, devenir leur perscuteur. Voici, ce sujet, une citation et quelques rflexions qui achveront dclairer le lecteur : Ce fut un tonnement, jallais dire une stupeur universelle, lorsque, au lendemain des victoires de la Prusse, on vit les catholiques qui,
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En mme temps quelle a mis en lumire la bont de Dieu, qui na point permis que le danger mdit contre la mission de la France saccomplit ; cette dmarche a, dautre part, fait ressortir dune manire touchante les tendresses et la reconnaissance de lEglise Romaine lgard de la Fille ane. Un mot de Pie IX, et lAllemagne eut, non par amour mais par politique, relev son trne temporel. Mais ce mot, la Papaut ne la point prononc; parce que son trne, le SaintSige le doit la France ; et que si, un jour, il doit tre relev, cest par le bras de la France, il faut lesprer, quil le sera ! Toutes ces choses sont peu connues. Elles ont chapp la plupart de nos contemporains, obscurcies quelles taient par la fume des batailles et la poussire de nos bouleversements. Il importait cependant de les dgager et de les fixer pour lhistoire. Ces sentiments et cette conduite de lEglise Romaine font trop dhonneur celle qui fut la France vaincue et malheureuse, pour que nos neveux et arrire-petits-neveux napprennent pas les connatre. Mais dcrire certains actes de sublime dlicatesse, le langage humain se sent impuissant. Nous reconnaissons humblement que tel a t le ntre. Aussi nous a-t-il sembl quune page biblique, dune tendresse part, retracerait et exprimerait mieux que nous ne lavons su faire, ces sentiments et cette conduite de lglise Romaine ; cest la page, belle entre toutes, o Jrusalem, figure de lEglise, console et soutient ses fils tombs dans le malheur, en partageant leurs peines et en leur annonant des jours meilleurs : Prends courage, peuple de Dieu, Isral toujours prsent Son esprit. Vous avez t vendus aux nations, mais non pour prir ; mais, parce que vous avez irrit contre vous la colre de Dieu, vous avez t livrs vos ennemis. Vous avez, en effet, provoqu Celui qui vous a crs, le Dieu ternel, en sacrifiant aux dmons et non Dieu. Vous avez oubli le Dieu qui vous a nourris, et vous avez afflig Jrusalem, votre nourricire. Elle a vu venir sur vous la colre de Dieu et elle a dit : Ecoutez, enfants de Sion, car Dieu ma envoy un grand deuil. Je vois la captivit de mon peuple, de mes fils et de mes filles, celle dont lEternel les a frapps. Je les avais nourris dans la joie et je les ai laisss partir dans les larmes et dans le deuil. Que nul ne se rjouisse de me voir ainsi veuve et dsole. Jai t abandonne cause des pchs de mes fils, parce quils se sont dtourns de la loi de Dieu. Ils nont pas connu Ses commandements. Ils nont pas march dans les voies des prceptes de Dieu, et ils ne sont pas entrs avec justice dans les sentiers de la vrit. Quils viennent, les voisins de Sion, et quils se souviennent de la captivit de mes fils et de mes filles, que lternel a amene sur eux. Car Il a amen contre eux une nation lointaine, une nation cruelle et dune langue inconnue. Ils navaient ni respect pour les vieillards, ni compassion pour les petits enfants ; ils ont emmen les bien-aims de la veuve ; et aprs lui avoir ravi ses enfants, ils lont laisse seule. Mais moi, en quoi puis-je vous secourir ? Car Celui qui a fait venir ces maux sur vous, cest Lui qui vous dlivrera des mains de vos ennemis. Marchez, mes fils, marchez ; pour moi, je demeure seule. Jai quitt la robe des jours heureux, je me suis revtue du cilice de la prire, et je crierai au Trs-Haut tous les jours de ma vie. Courage, mes fils, criez au Seigneur, et Il vous arrachera de la main des princes ennemis. Car jesprerai ternellement votre salut ; et la joie me vient du Dieu saint, la vue de la misricorde que notre ternel Sauveur vous enverra. Je vous ai laisss partir dans la dsolation et dans les pleurs ; mais le Seigneur vous ramnera moi avec joie et allgresse pour toujours. Car, comme les voisins de Sion ont vu la captivit que Dieu vous avait envoye, ainsi ils verront bientt le salut qui vous viendra de Dieu, qui vous comblera dun grand honneur et dune ternelle splendeur.
pendant la guerre, avaient march avec un si entier, joserais dire un si aveugle dvouement, derrire les drapeaux de Guillaume, tout dun coup dnoncs, menacs, puis frapps en moins de temps quil nen avait fallu aux de Moltke et aux de Roon pour venir bout des armes surprises de la France. Grand nombre dentre eux, prtres, religieux, religieuses, dcors, la veille mme, de croix, de rcompenses honorifiques pour lassistance hroque quils avaient prodigue pendant la guerre, indiffremment aux protestants et aux catholiques, un an aprs, avec ces mmes insignes de distinction, taient brutalement expulss des frontires de lempire. Pourquoi ces mauvais traitements ? Pourquoi cette ingratitude inoue ? Les catholiques avaient-ils complot secrtement, avaient-ils fait entendre mme une parole de dfiance contre les projets de la Prusse ?... (Le Correspondant, 25 novembre 1878) - Non, mais Rome lavait fait entendre ; et M. de Bismarck, comprenant quil ne pouvait se servir du Pape et du Saint-Sige pour abaisser la France, changeait brusquement de tactique, donnait la main lItalie et la Rvolution, et nhsitait pas se faire le perscuteur de ses concitoyens, des catholiques allemands, qui, au prix de leur sang, avaient contribu ses victoires. - Nul ne sacrifie les hommes avec plus daisance que le prince de Bismarck. Il est en politique et comme pilote de ltat allemand, loppos le plus tranch de ce qutaient les nautoniers chargs de sacrifier le prophte Jonas et de le prcipiter, daprs les indications formelles de Dieu, au plus profond de la mer. Seigneur, scriaient les nautoniers en hsitant et en se faisant violence, ne nous imputez pas la perte de cet homme ; si nous agissons ainsi, cest parce que vous le voulez. Le prince de Bismarck, lui, nest pas si scrupuleux, il nhsite pas. Cest sans dlai quil a jet la mer larchevque de Posen, ami de son Empereur, les religieux et les prtres, tous les catholiques allemands. Nous ne voudrions mme point parier quen ce moment il ne soit en train de reprendre les ides, le plan de larchevque de Posen. La visite que vient daccomplir auprs de Lon XIII le Prince imprial dAllemagne na certainement pas eu pour objectif un simple change de politesse. Si le souple Chancelier dcouvre quil y ait moyen de dpossder la France auprs du Saint-Sige, et de se substituer elle, en rabaissant ainsi dfinitivement, lItalie, demain, sera sacrifie ; et, comme lAutriche aprs la guerre du Sleswig-Holstein, comme les catholiques allemands aprs la guerre de France, sera, son tour, jete la mer:
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Mes fils, supportez patiemment la colre qui est tombe sur vous. Votre ennemi vous a perscuts ; mais bientt vous verrez sa ruine et vous foulerez sa tte aux pieds. Mes plus tendres enfants ont pass par dpres chemins ; ils ont t emmens comme un troupeau ravag par les ennemis. Courage, mes fils, criez au Seigneur ; car Celui qui vous a conduits se souviendra de vous. Comme vos penses vous ont fait errer loin de Dieu ; en revenant de nouveau lui, vous le chercherez avec dix fois plus dardeur. Car Celui qui a amen ces maux sur vous, vous accordera Lui-mme une ternelle joie en vous sauvant. Courage, Jrusalem, Celui-l mme tencourage qui ta donn ton nom ! (Barach, IV 5-20, La sainte Bible, Paris, Lethielleux, 1873). II - PRVISIONS DE PIE IX SUR LAVENIR DE LA FILLE ANE DE LGLISE Nous avons t amen, dans le cours de cet crit, rappeler la tendre parole de Pie IX, loccasion des prires ordonnes en 1871 par lAssemble Nationale : Maintenant, mon Dieu, Vous aurez piti de ma chre France ! Cette exclamation du doux et saint Pontife provoque certaines rflexions, qui ne seront peut-tre pas inutiles dans les circonstances prsentes. On a souvent prt Pie IX des annonces prophtiques quil na jamais mises. Ainsi, que ne lui a-t-on pas fait dire relativement au triomphe de lglise ? Il a annonc, affirmait-on, quil verrait ce triomphe de ses yeux, de ses propres yeux. Et on se htait de conclure : Donc ce triomphe est prochain, et mme trs prochain. Or, jamais Pie IX navait avanc semblable chose. Il nous a t donn dentendre ce sujet deux personnages, qui, en raison de leurs fonctions auprs de Pie IX, ont t successivement tmoins des audiences quil a donnes, et auditeurs des discours quil a prononcs, pendant la plus grande partie de son pontificat. Lun est S. E. le Cardinal Pacca, lautre, S. E. le Cardinal Ricci ; tous deux, prcdemment Matres des chambres et grands Majordomes au Vatican. Or, voici leur tmoignage : Jamais Pie IX na dit quil verrait de son vivant et de ses propres yeux le triomphe de lglise. Seulement, il a parfois parl de ce triomphe en termes si mus et si magnifiques, que certains auditeurs enthousiasms tiraient celle conclusion : donc il le verra de ses propres yeux. Cette conclusion, nullement profre par les lvres de Pie IX, tait errone. Loin de notre pense, assurment, de nier quil ait t peut-tre accord Pie IX dentrevoir, dans une lumire surnaturelle, les magnificences du futur triomphe de lglise. Pie IX a pu tre favoris de ces lumires et trouver, cause de cela, des termes mus qui ravissaient ses auditeurs. Mais, dautre part, il faut bien se garder doublier cette rgle essentielle dinterprtation relative aux prophties, savoir que celui qui est favoris de lumires prophtiques emploie souvent, dans son langage, des verbes au prsent, bien que les choses manifestes ne doivent saccomplir que dans un futur souvent loign. Il se sert de termes, de verbes, au prsent parce que les choses futures lui sont si clairement dcouvertes, si pleinement manifestes, quil les voit pour ainsi dire sous son regard, quil les touche de sa main, quil lui est mme possible de les analyser. Et cependant tout cela ne saccomplira que plus tard ! Il existe, dans la Bible, un exemple frappant, qui fera bien saisir la nature de ces vues prophtiques. Cest celui de Balaam, prophte de la Gentilit, mand par Balac, roi des Moabites, pour maudire Isral et lempcher dentrer dans la Terre-Promise. Sous le souffle de lEsprit-Saint qui sest empar de lui, Balaam, loin de maudire, est contraint de bnir ; et, apercevant en mme temps, dans une lumire du mme Esprit, les magnificences venir du Messie et de lglise, il scrie : Je le vois, mais pas encore; Je le vois, mais non pas proche : Une toile se lve sur Jacob, Un sceptre sort dIsral... (Nomb., XXIV, 17; traduction daprs le texte hbreu). Que tes pavillons sont beaux, o Jacob ! Que tes tentes sont belles, Isral ! (ibid. 5) Lorsque Balaam mettait cet oracle, dveloppait cette prophtie, le Messie quil annonait lui tait si rellement manifest, les pavillons quil dcrivait lui taient si clairement montrs, quil pouvait scrier en toute vrit : Je le vois... Je le vois ! Que les pavillons sont beaux ! Que tes tentes sont belles ! Et cependant, toutes ces choses ne devaient se raliser, saccomplir que quinze sicles plus tard ! Mais les impatients de cette poque, ny en a-t-il pas eu en tout temps ! ont d trs certainement se dire eux-mmes et ensuite raconter partout : Oh ! le Messie va arriver, car Balaam a dit quil Le verrait ; il a mme ajout quil Le voyait dj, quIl arrivait... Ainsi ont d parler alors les impatients dIsral, emports et tromps par leurs dsirs, et ngligeant mme de tenir compte de ces autres et cependant bien positives paroles, prononces galement par Balaam : mais pas encore,... mais non pas proche. Il importe donc, cet exemple le prouve, de se montrer trs rserv lendroit des prophties. Cependant, comme, dautre part, la parole des Papes est une parole part, ainsi que le disait avec raison lvque de Poitiers, Mgr Pie, il importe de recueillir soigneusement cette parole, de la garder, de ltudier, de la mditer. Cest donc pour accomplir ce conseil que nous rditons ici un discours important, mais peut-tre oubli, de Pie IX. Son authenticit est hors de conteste; on en retrouvera lancienne copie dans le journal lUnivers du 10 mai 1873. Puisse ce discours contribuer relever la confiance et multiplier les prires.
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La France ma toujours, et en toutes circonstances, donn des gages damour et men donne encore prsent, ce qui me prouve de plus en plus que certaines paroles sorties de la bouche infaillible de Jsus-Christ, et que lglise nous met en ces jours sous les yeux, peuvent fort bien sappliquer la France : MODICUM ET NON VIDEBITIS ME, VOUS NE ME VERREZ PAS PENDANT UN CERTAIN TEMPS ; MAIS JE ME MANIFESTERAI DE NOUVEAU, ITERUM MODICUM ET VIDEBITIS ME. JE ME MANIFESTERAI DE NOUVEAU A CETTE GRANDE ET CATHOLIQUE NATION. Son loignement temporaire tait peut tre ncessaire pour faire natre dans un grand nombre de curs le fervent dsir de Le revoir, et parce que tout le monde na pas fait son devoir en ces derniers temps. Des doctrines fausses, des hommes appartenant la secte infernale, des murs corrompues, des incrdules de toute sorte ont fait irruption sur tous les points de ce grand et noble pays. Un trs grand nombre dhommes ont suivi le courant, mais il en est aussi plusieurs qui ont recul dpouvante et qui, aprs stre recueillis en eux-mmes, ont recouru Dieu. Les Pasteurs ont parl et ont pri entre le vestibule et lautel; les chastes pouses de Jsus-Christ, prosternes ses pieds, ont vers des larmes et, faisant violence Son cur, elles ont demand que la lumire se fit pour ceux qui, par ignorance ou par malice, gisent dans les tnbres et les ombres de la mort, et quau milieu de lobscurit une tincelle de foi se montre eux tous, mais spcialement ceux auxquels on peut appliquer ces paroles : VIDEO MELIORA PROBOQUE, DETERIORA SEQUOR. A ces prires se sont jointes celles dun grand nombre de bons chrtiens, et de pieuses mres de famille, et surtout celles de cette phalange de jeunes gens dlite qui mettant sous les pieds tout respect humain, nont voulu rechercher que le bien et, le front lev, se sont courageusement dclars chrtiens. Eh bien ! les plerinages, les prires, la frquence des sacrements, la bonne volont qui se manifeste en France, sont un gage, une preuve que NOTRE-SEIGNEUR SE MANIFESTERA DE NOUVEAU A LA FRANCE : MODICUM ET VIDEBITIS ME. Oh ! puisse-t-Il, en Se manifestant ce pays de prdilection, lui apporter le salut quIl apporta aux aptres : PAX VOBIS ! QuIl nous donne tous cette paix qui accompagne les enfants de Dieu, mme au milieu des tribulations et des combats auxquels ils sont condamns ; cette paix qui, en nous conservant notre libert desprit, mme au milieu des circonstances les plus difficiles, nous porte agir avec fermet, quoique sans prcipitation, et marcher dans la voie qui conduit la vie. Puisque lglise clbre aujourdhui la mmoire dun saint qui a illustr par ses vertus cette Chaire Apostolique, prions-le de nous obtenir de Dieu, par lentremise de la Reine des anges, de cette Reine qui a cras la tte du serpent infernal, qui a vaincu les hrsies et qui a obtenu pour ce grand Pontife la victoire sur le peuple mahomtan, prions-le, dis-je, de nous obtenir la victoire sur les ennemis actuels de lEglise (ce ne sont pas des Turcs ; pour leur confusion, ils sont chrtiens), afin quun jour nous puissions leur appliquer ces paroles : VIDI IMPIUM SUPEREXALTATUM ; TRANSIVI, ET ECCE NON ERAT. Mais pour combattre, il faut du courage, pour vaincre, il faut de la constance, et pour triompher, il faut de la er modestie ; prions donc aussi Pie 1 , qui scella sa foi en mourant en holocauste pour la vrit, de nous obtenir le courage et la constance ncessaires pour COMBATTRE, afin que nous puissions obtenir le triomphe dsir, et passer des jours de paix dans la pratique des vertus chrtiennes. En attendant, je vous bnis, vous et vos familles, je bnis lpiscopat, le clerg et la France tout entire, mme cette partie de la France qui fait peu de cas de la Bndiction Apostolique. Oui, que cette Bndiction descende aussi sur cette partie non choisie de la France, et quelle soit la lumire qui lclaire et lexcite faire le bien, ou la flamme qui la dtruise : QUOD DEUS AVERTAT! (Que Dieu dtourne ce malheur !) Quant nous, demeurons inbranlables dans la confiance, et ne perdons pas courage, car Dieu est avec nous ; or, sIl est avec nous, QUIS CONTRA NOS ? III - LE GROS DIAMANT DANS LE DIADEME DES ROIS DE FRANCE Je vous sacre pour tre les perptuels dfenseurs de lEglise et des pauvres ! Telle fut la parole que saint Remy rpandit avec lhuile sainte sur la tte de Clovis et des rois de France, ses successeurs. Sils staient rappels cette annonce de sublime avenir, les membres de la Chambre des Dputs eussent peut-tre hsit dcrter la vente des diamants de la Couronne. Car, parer dignement un Pouvoir et un peuple honors dune pareille mission, tous les diamants de ce monde pourraient-ils jamais suffire ? Et cependant, la vente des diamants de la Couronne de France est, depuis plus dun an, un fait accompli. Cette vente a t dcrte, la Chambre des Dputs, le 20 juin 1882, par 248 voix contre 109. Tous les diamants doivent tre vendus, lexception de quelques-uns qui, cause de leur raret, figureront dsormais dans la vitrine dun muse. 1 Le Rgent est de ce nombre. Mais le Rgent lui-mme et-il t sacrifi, le dcret naurait point russi pour cela faire disparatre le gros diamant qui a orn si longtemps et si magnifiquement le diadme des rois de France. Il est, en effet, un diamant qui lemporte de beaucoup sur le Rgent. Cest un vieux parchemin tout poudreux, car il date de lan 755, et de plus, il porte la signature dun Pape.
Cette pierre unique au monde restera dans nos muses, ainsi quun des Mazarins couleur fleur de pcher, la pierre la plus merveilleuse que lon puisse voir. - De son ct, le Musum minralogique a rclam quelques spcimens utiles la science lapidaire, et il a t fait droit cette demande. Ces objets sont : 3 briolettes (diamant) ; 3 rubis ; 12 amthystes ; 20 opales ; 13 perles ; 1 lot de petites perles ; 2 lots de turquoises ; 1 lot dmeraudes ; 1 lot de topazes roses ; 1 lot de pierres vertes ; 1 diamant (portrait) ; 1 opale (spcimen) ; 1 lot de rubis, dmeraudes, de saphirs et de diamants (pour lcole des Mines). (Le Nouvelliste de Lyon, 26 juin 1882).
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En voici la copie : Pierre, aptre, appel par Jsus-Christ, Fils du Dieu vivant, et avec moi lglise catholique, apostolique, romaine, matresse de toutes les autres, et Etienne, vque de Rome, vous, hommes trs excellents, Ppin, Charles et Carloman, tous trois rois, aux vques, abbs, ducs, comtes ; toutes les armes et tout le peuple de France. - Moi, Pierre aptre, ordonn par la puissance divine pour clairer le monde, je vous ai choisis pour mes fils adoptifs, afin de dfendre contre leurs ennemis la cit de Rome, le peuple que Dieu ma confi et le lieu o je repose selon la chair. Je vous appelle donc dlivrer lEglise de Dieu qui me fut recommande den haut, et je vous presse, parce quelle souffre de grandes afflictions et des oppressions extrmes... Nhsitez point, mes bien-aims, mais croyez que je vous prie et vous conjure comme si jtais prsent devant vous : car, selon la promesse reue de Notre-Seigneur et Rdempteur, je distingue le peuple des Francs entre toutes les nations... Prtez aux Romains, prtez vos frres tout lappui de vos forces, afin que moi, Pierre, vous couvrant tour tour de mon patronage en ce monde et en lautre, je vous dresse des tentes dans le 1 royaume de Dieu . Nest-ce point dun si prcieux parchemin, confirmation solennelle par la Papaut elle-mme de la mission octroye aux rois de France depuis saint Remy, quon est fond dire, mieux encore que Berryer, dans un procs clbre : Toucher au nom des Montmorency, cest comme si on portait la main sur les diamants de la Couronne ! Et cependant, cest sans trembler quon a port la main sur les diamants de la Couronne. Mais le vieux parchemin, lui, demeure intact : cest quil se trouve plac sous la garde du temps, souvent plus respectueux que la main des hommes. Un diamant dune eau et de feux presque semblables se voyait galement dans le splendide diadme que portaient autrefois les rois de Juda. Ctait aussi un vieux parchemin. En voici le contenu : Tu diras ceci Mon serviteur David : Voici ce que dit le Seigneur des armes : Je tai pris au milieu des pturages o tu suivais les troupeaux, afin que tu fusses chef sur Mon peuple dIsral. Et Jai t avec toi dans tous les lieux o tu as march et Jai extermin tous les ennemis devant ta face, et Je tai fait un grand nom, semblable au nom des grands qui sont sur la terre... Mais le Seigneur te prdis encore quIl rserve ta famille de hautes destines. Quand tes jours seront accomplis, et que tu reposeras avec les pres, Je susciterai ton fils qui viendra aprs toi, qui sortira de toi, et Jaffermirai son rgne. Ce sera lui qui btira un Temple Mon Nom, et Jaffermirai le trne de son rgne jusqu lternit. Je lui serai PRE, et il Me sera FILS. Dans son tat de pch, Je le chtierai avec la verge des mortels, et par les plaies des fils dAdam. Mais Mon affection ne le quittera jamais, comme Je lai retire Sal que Jai rejet pour te mettre sa place. 2 Ta maison et ton rgne seront stables devant ta face jusqu lternit; ton trne sera affermi jusqu lternit . On le voit, le parchemin de la Maison de Juda et le parchemin de la Maison de France se ressemblaient beaucoup ; lun et lautre portant grav le Nom du Rdempteur, lun et lautre se rapportant au Christ. Il y avait pourtant une diffrence. Cette diffrence consistait dans le genre de mission annonce et confie chacune des deux Maisons : Par son parchemin, la Maison de Juda tait tablie pour prparer et fournir la nature humaine de la personne du Christ venir : Quand tes jours seront accomplis et que tu reposeras avec tes pres, Je susciterai ton fils qui viendra aprs toi, qui sortira de toi... Je lui serai PRE, et il Me sera FILS. Par le sien, la Maison de France a t suscite pour garder et dfendre lglise, uvre du Christ : Je vous ai choisis pour mes fils adoptifs, afin de dfendre contre leurs ennemis la cit de Rome, le peuple que Dieu ma confi, et le lieu o je repose selon la chair. A lune, de prparer lAvnement de la Personne. A lautre, de sauvegarder Son uvre et dassurer Son Rgne. Personne ou uvre, ctait bien toujours le Christ ! De plus, cest cause de cette similitude de mission que des grces presque semblables ont t accordes, travers les sicles, ici, la. Maison de Juda, l, la Maison de France. Quon en juge : Toutes deux sont, leur origine, sacres par un envoy de Dieu : la Maison de David, par Samuel ; la Maison de France, par saint Remy. Le don de la vaillance est fait chacune delles : la fiert du Sicambre et le rugissement du Lion de Juda ne sont-ils pas rests clbres ?
Nous empruntons la traduction de cette lettre fameuse, o le Pape Etienne fait parler laptre saint Pierre, Frdric Ozanam. Le docte professeur la accompagne des rflexions suivantes : En citant la lettre crite par le pape tienne au nom de laptre saint Pierre (D. Bouquet, V, 495), je me suis born aux passages les plus dcisifs. La critique moderne ne permet plus de considrer cette lettre comme une supercherie religieuse, ni mme comme une vaine prosope. (Ozanam, tudes germaniques, t. II, pp. 250, 251, Paris, 1872). 2 Cest le prophte Nathan qui fut charg de faire connatre cette grande annonce David et sa Maison ; elle est reproduite ici daprs le texte hbreu (II Rois, VII, 4, 8-16).
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Lune et lautre, lheure du pril, se voient sauves par une hrone : la Maison de Juda, par Judith, la Maison de France, par Jeanne dArc. Mais aussi, lorsque ces deux Maisons se prennent dvier dans laccomplissement de leur mission, des chtiments presque pareils leur sont infligs, afin de ramener chacune delles dans sa voie : Lune et lautre ont connu de ces revers soudains, inexplicables, o mille de leurs soldats, dordinaire sans peur, 1 fuyaient perdus devant la face dun seul ennemi . Lune et lautre ont vu leurs spultures violes : sur le mont Sion, on brisa un jour coups de hache les tombeaux 2 3 des rois de Juda ; et, Saint-Denis, les petits enfants se sont jous avec les os profans de nos rois . Ce parallle providentiel quon suit aisment entre la Maison de David et la Maison de France, serait-il destin se poursuivre jusquau bout ? Un jour vint, jour de bien triste mmoire, o le gros diamant cessa de briller dans le diadme des rois de Juda. Il en avait t volontairement retir. Ce fut lorsque, infidles leur mission, les descendants de David ne se soucirent plus de garder pur dans leurs veines le sang destin former le corps terrestre du Christ venir ; mais se mirent le profaner par des unions coupa4 bles et rprouves de Dieu . Alors, aprs de multiples mais inutiles avertissements, clata du plus haut des cieux cette formidable sentence : Terre, terre, terre, coute ce que dit le Seigneur ! Voici ce que dit le Seigneur : cris que cet homme sera strile ; que, pendant ses jours, cet homme naura aucune prosprit ; et quil ne sortira point dhomme de sa race qui soit assis sur le trne de David, ni qui exerce lavenir la puissance souveraine dans Juda (Jrmie, XXII, 29, 30). 5 Cette manire surprenante dappeler ainsi trois fois la terre , pour la rendre attentive, tait lirrvocable arrt de la dchance des rois de Juda ! Dsormais le trne de Juda restera vide de tout descendant terrestre de David. Puisque la grandeur les rendait infidles leur mission, leurs fils vont avoir purifier, dans lobscurit et la pauvret, ce sang de leurs veines rserv au Messie. Nul dentre eux ne remontera donc sur le trne. Seul, aprs cinq cents ans de vacance, le Messie, Jsus-Christ, 6 loccupera de nouveau ; et, Fils cleste de David, Il rendra ternel, selon la promesse, le trne de son aeul . Il y a six mois, lorsque le dernier hritier direct de Louis XIV au trne de France, Henri V, sest teint Frohsdorf, comme au centre de lEurope et dans une solennit de la mort dont on reste encore saisi, plusieurs se sont demand si le terrible arrt port autrefois contre la Maison de David, ntait pas renouvel cet instant contre la Maison de France : Terre, terre, terre, coute ce que dit le Seigneur ! Voici ce que dit le Seigneur : cris que cet homme sera strile ; que pendant ses jours, cet homme naura aucune prosprit ; et quil ne sortira point dhomme de sa race qui soit assis sur le trne de David, ni qui exerce lavenir la puissance souveraine dans Juda.
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Comment a-t-il pu se faire quun seul ennemi en ait battu mille, et que deux en aient fait fuir dix mille ? Nest-ce pas cause que leur Dieu les a vendus et que le Seigneur les a livrs en proie ? (Deutron., XXXII, 30). 2 En ce temps-l, dit le Seigneur (lors de la prise de Jrusalem par les Chaldens), on jettera les os des rois de Juda et les os des princes... hors de leurs spulcres. Et on les talera au soleil, la lune et toute la milice du ciel quils ont aims, quils ont servis, quils ont suivis, quils ont recherchs et quils ont adors. On ne les ramassera pas et on ne les ensevelira pas, on les laissera sur la terre pour servir dengrais (Jrmie, VIII, 1, 2). 3 On voyait autrefois, prs de Paris, des spultures fameuses entre les spultures des hommes. Les trangers venaient en foule visiter les merveilles de Saint-Denis Cest l que venaient tour tour sengloutir les rois de la France. Un dentre eux, et toujours le dernier descendu dans ces abmes, restait sur les degrs du souterrain, comme pour inviter sa postrit descendre. Cependant Louis XIV a vainement attendu ses deux derniers filsChose digne de mditation ! Le premier monarque que les envoys de la justice divine rencontrrent fut ce Louis si fameux par lobissance que les nations lui portaient. Il tait encore tout entier dans son cercueil. En vain pour dfendre son trne il parut se lever avec la majest de son sicle et une arrire-garde de huit sicles de rois : en vain son geste menaant pouvanta les ennemis des morts Tout fut dtruit. Dieu, dans leffusion de sa colre, avait jur par Lui-mme de chtier la France : ne cherchons point sur la terre les causes de pareils vnements ; elles sont plus haut Elles ne sont plus, ces spultures ! Les petits enfants se sont jous avec les os des puissants monarques. (Chateaubriand, Gnie du Christianisme, 4 part., liv. II, chap. IX, Saint-Denis). 4 zchiel, XVI, 14-59, a dcrit les dsordres de Jrusalem, dsordres auxquels les derniers rois de Juda surtout ont pris une si large part.
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Note de LHR : Comment ne pas penser quil en ft de mme pour les Rois de France, infidles aux serments de leur sacre. Ils eurent chaque fois, trois descendants qui rgnrent sans descendants et la couronne passa sur leurs cousins.
Si les descendants de David taient rests fidles leur mission, en vitant lidoltrie et les unions coupables, voici ce qui serait arriv: Il y aurait eu une succession ininterrompue de rois de leur race sur le trne de Juda jusquau moment o le Messie se serait prsent pour loccuper. Dieu lavait annonc ; mais la promesse de Dieu tait conditionnelle : il fallait que les descendants de David fussent religieux et fidles, le Seigneur ne sengageant les maintenir sur le trne qu cette condition (Voir Psaum. LXXXVIII, 21-38 ; I Paralip., XXVIII, 5-7 ; III Rois, IX, 4, 5). Une fois prcipite du trne et jete dans lobscurcissement, la famille de David ne laisse pas de se conserver dans deux branches, o lon compte tous les descendants de mle en mle, dans lattente du Messie. (Math., I, 1-17 ; S. Luc, III, 23-38). Lors donc que Jrmie annonce que Jchonias sera strile, ce mot ne doit pas sentendre dune strilit absolue, puisque dans la gnalogie du Christ, Jchonias est mentionn comme pre de Salathiel (Math, I, 12), mais en ce sens que, aprs lui, aucun de sa postrit ne rgnera plus. Au reste le contexte lindique suffisamment. - Lorsque Jsus-Christ parait et quIl obtient des Juifs fidles, ainsi que de la Gentilit, comme autrefois David, de la tribu de Juda et de Benjamin, la foi, lesprance, lamour, alors, aprs cinq cents ans de vacance, le trne de David est de nouveau occup, et commence ce rgne spirituel qui naura jamais de fin : Je lai une fois jur dans Ma saintet, Je ne mentirai pas et David... Son trne sera comme le soleil en Ma prsence... Ta maison et ton rgne seront stables devant ta face jusqu lternit (Ps. LXXXVIII, 36-38 ; II Rois, VII, 16).
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Nous ne le pensons pas; en voici la raison : Lorsque la formidable sentence fut fulmine contre la maison de David, le roi qui la personnifiait alors sur le trne de Juda, Jchonias, tait un prince impie. Lcriture le fait connatre en ces termes : Jchonias avait dix-huit ans lorsquil commena rgner et il rgna trois mois et dix jours Jrusalem. Il se rendit coupable aux yeux du Seigneur (IV. Rois, XXIV, 8 ; II. Paralip., XXXVI, 9). De plus, Jchonias ne fit aucun cas de cet avis que Dieu lui avait fait donner par la bouche de Jrmie : Dites au Roi et la Reine : Humiliez- vous, asseyez-vous dans la poussire pour faire pnitence, parce 1 que la couronne de votre gloire va tomber de votre tte ! Cest le contraire qui sest manifest dans la personne et dans la vie dHenri de France. Henri V fut, par excellence, lhomme de la pit, de la droiture, de la dignit, de lhonneur. Depuis saint Louis, tous en conviennent, nul prince ne prsenta un aussi rare assemblage des plus belles vertus. Cest donc une parole de vie, capable de refouler mme un dcret de mort, quHenri V a mrite auprs de Dieu, en faveur de la Maison de France ! La couronne de cette noble Maison se reconstituera donc. Sans doute beaucoup danciens et merveilleux diamants ny figureront plus. Ils sont dj vendus. Cest un malheur, mais ce malheur est rparable. Lessentiel, cest que lantique parchemin, le gros diamant, y reparaisse. Les fils de Clovis lont mrit. Les Carlovingiens lont reu. 2 Les Captiens lont port . Si jamais, ce qu Dieu ne plaise! la Maison de France devait rejeter le gros diamant, en abdiquant sa mission sculaire de gardienne et de protectrice de lglise, il en serait bientt delle comme il en fut de la Maison de David ; une heure sonnerait o il lui faudrait dire aussi, et pour toujours : Ma couronne de gloire est tombe de ma tte ! IV - PRIERE A NOTRE-DAME-DU-PEUPLE Le recours Marie, invoque sous le titre de Notre-Dame-du-Peuple, nest pas une nouveaut dans lglise. Cette dvotion est, au contraire, trs ancienne, ainsi quil va ltre montr. Ce qui appartient en propre au pauvre village du Valromey dont il a t parl plus haut, et rend sa dvotion vraiment touchante, cest dabord lattitude si actuelle, si heureusement imagine de la statue de la Vierge, dont lune des mains est place sur son cur, tandis que lautre indique la foule; cest ensuite linscription grave au bas, pour apprendre ce quest prsentement au ciel la mdiation de Marie : Mon Fils, je Vous recommande le peuple ! Voil ce quil y a de particulier dans la dvotion du pauvre village en Valromey. Mais le culte de Marie, sous le vocable de Notre-Dame-du-Peuple, remonte lui-mme bien haut. Il date du treizime sicle. Voici ce qui en fut loccasion : Sur la pente dune des collines de Rome, le Pincius, se trouvait le tombeau des Domitius o fut enterr Nron. Les cruauts du tyran avaient t si atroces durant tout son rgne que, leur souvenir se perptuant dge en ge, avait laiss, mme aprs sa mort, dans lesprit du peuple romain, un effroi instinctif. On craignait de sapprocher du lieu de sa spulture ; on fuyait cet endroit de Rome comme maudit, tant on avait peur den voir ressusciter le monstre. En 1099, le pape Pascal II entreprit, pour rassurer le peuple, de sanctifier ce versant du Pincius en y rigeant une chapelle. En effet, peine y fut-elle leve, que les terreurs cessrent. Mais cette chapelle tant devenue trop troite pour la foule toujours croissante des pieux visiteurs, Grgoire IX, le pape contemporain et ami de saint Louis, rsolut, au treizime sicle, de la remplacer par une belle et vaste glise. Ayant donc fait appel la gnrosit du peuple romain, les aumnes arrivrent si empresses et si nombreuses, que Grgoire IX, pour perptuer la fois et le souvenir de la crainte bannie du milieu du peuple, et celui du concours de tous dans llan des offrandes, assigna la nouvelle glise le beau et sympathique vocable de Sainte-Marie-du-Peuple (S. Maria del Popolo). 3 Cette glise, ddie en 1227, subsiste toujours , et il semble que le mme motif qui y amena les foules au douzime et au treizime sicle, doive les y ramener aujourdhui. Nron, en effet, na-t il pas reparu ? Mais Nron sous une forme plus universelle et plus effrayante, la Rvolution et ses tyrannies ! Le peuple est foul par elle; et, comme au temps de Nron, il la sert par corruption ou par peur.
Dic regi, et dominatrici : Humiliamini, sedete : quoniam descendit de capite vestro corona glori vestr (Jrmie, XIII, 18). Grgoire IX crivait saint Louis, le plus illustre des Captiens : Il est manifeste que ce royaume bni de Dieu a t choisi par notre Rdempteur pour tre lexcuteur de Ses divines volonts. Jsus-Christ la pris en Sa possession, comme un carquois do il tire des flches choisies, quil lance avec la force irrsistible de Son bras, pour dfendre la foi et la libert de lEglise, chtier les impies et maintenir le rgne de la justice. Aussi tous nos saints prdcesseurs, dans leur dtresse, nont pas manqu de rclamer un secours que les rois de France ne leur ont jamais refus ! (Labbe, Concilia, t. II, part. I, p. 366). - Voir dans Bossuet ladmirable chapitre : Les rois de France ont une obligation particulire aimer lglise et sattacher au Saint-Sige (Bossuet, Politique tire de lcriture. liv. VII, art VI, propos. XIV). 3 Elle a t restaure et embellie par les Papes Sixte IV (1471), Jules Il (1508), et Alexandre VII (1658).
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Qui donc aura piti du pauvre peuple ? Qui lui rendra le Dieu de ses pres ? Qui lui rendra lantique protection de la Croix ? Qui lui rendra la dignit, la sincrit et la perptuit de ses unions conjugales ? Qui lui rendra la proprit de ses enfants ? Qui lui rendra lassurance du pain de chaque jour ? Qui lui rendra le repos et la joie de ses dimanches ? Qui lui rendra les soins charitables et respectueux de ses Htels-Dieu ? Qui lui rendra la libert sacre du dernier soupir ? Qui lui rendra la prsence et les bndictions de lglise ses funrailles ? Qui lui rendra, sur ses tombes, le signe du Dieu Rdempteur ? Qui lui rendra enfin le dsir et lesprance dune ternit bienheureuse ? Nest ce pas Celle qui, invoque autrefois en faveur du peuple, le dlivra du cauchemar de Nron ? Recourons donc sa protection ! La dvotion Notre-Dame-du-Peuple, emprunte Rome, ne mrite-t elle pas de franchir les limites du Valromey, et de trouver place, auprs des mes chrtiennes, parmi les pratiques de pit employes pour obtenir le salut ? Qui pourrait mieux les aider gurir, protger, sauver un peuple que Celle qui porte, depuis des sicles, le significatif et efficace nom de Notre-Dame-du-Peuple ? A Rome, il est une prire spciale quon rcite dans son glise et devant son image. 1 La voici, elle est luvre dun saint PRIRE A LA SAINTE VIERGE EN TEMPS DPREUVES ET EN DANGER DE MORT O trs sainte Mre de misricorde, Vierge excellente, Vierge magnifique, Vierge souveraine, Reine des cieux et de la terre, Mre de Dieu ! Suprme Dominatrice des anges et des hommes, Avocate rserve aux pcheurs, Refuge le plus certain et le plus assur aprs Dieu, Remde et Secours des malheureux, Fille du Pre, Mre du Fils, Epouse du SaintEsprit ! Marie, Vous qui, avec votre doux et suave nom, rendez lallgresse et la force qui Vous invoque, tournez vers nous, pauvres pcheurs, vos regards si doux, si compatissants, si bienveillants, si misricordieux !... Voyez avec quelle confiance nous crions vers Vous ! Venez donc, trs douce Vierge et notre Reine, et par votre sainte humilit, secoureznous en cette heure de suprme danger ! Voici le moment o nous avons le plus besoin de votre protection ; de grce ! ne nous abandonnez pas en une si extrme ncessit ! douce Assistante des malheureux, protgez-nous de votre divin secours que nous sollicitons de tout cur ! Aidez-nous, secourez-nous, ne nous laissez pas prir, nous Vous le demandons par lamour que Vous portez Votre divin Fils, Notre-Seigneur Jsus-Christ ! Amen. Notre-Dame-du-Peuple, exaucez-nous ! Notre-Dame-du-Peuple, protgez-nous ! Bienveillant lecteur, maintenant que vous avez lu cette prire, de vos yeux, ne consentirez-vous pas la prononcer galement des lvres et surtout du cur pour le salut du peuple, pour la gurison de la France ? Et Vous, Jsus-Christ, Vous le bon Matre et le bon Pasteur , Vous dont le Cur a laiss autrefois chapper cette 3 4 bonne parole : Jai compassion du peuple, Je mapitoie sur le peuple ; ah ! daignez aujourdhui Vous rendre favorable ce cri suppliant dun Cur qui est celui de Votre Mre : Mon Fils, je Vous recommande le peuple ! 5 Et le Seigneur, dit la Bible, fut touch de zle pour Sa terre, et Il pardonna Son peuple .
Magister bone (Math., XIX, 16). Ego sum Pastor bonus (Jean, X, 14). 3 Eructavit cor meum verbum bonum (Psal., XLIV, 2). 4 Misereor super turbam (Marc, VIII, 2). 5 Zelatus est Dominus terram suam, et pepercit populo suo (Jol, II,18).
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FIN
Cest saint Pascal Baylon, religieux de lordre de Saint-Franois. N en Espagne, lan 1540, le jour de Pques, il reut cause de cette circonstance le nom de Pascal. Employ dans son enfance la garde des troupeaux, cet enfant du peuple, dune pit qui ne se dmentit jamais, ne tarda pas entrer dans lordre de Saint-Franois, le plus populaire des ordres religieux. Aprs ses vux, on lui donna le soin des malades et cest leur service quil passa la plus grande partie de sa vie. Il les aimait tendrement, les soignait avec respect et souvent les gurissait par la vertu du signe de la croix quil faisait sur eux. Il avait une singulire dvotion pour la trs sainte Vierge. Cest aussi cause de cette grande dvotion Marie, que Dieu lui a accord le don de gurir, soit de son vivant, soit du haut du ciel, tant de personnes prcipites dans lpreuve ou en danger de mort. Il sendormit dans la paix du Seigneur en 1592 et fut canonis en 1680.
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TABLE DES MATIRES A la France PRAMBULE. - Double tendance, double erreur actuelle : lerreur de la Dsesprance et celle de la Prsomption RPONSE A LERREUR DE LA DSESPRANCE I. - La doctrine des nations gurissables est thologiquement vraie II. - Cette doctrine mrite de sappliquer spcialement la nation de lEurope, qui sappelle la France RPONSE A LERREUR DE LA PRSOMPTION I. - Toutefois, la gurison de la France nest, en soi, que simplement possible II. - Pour quelle devienne moralement certaine, laccomplissement de plusieurs conditions est indispensable CONCLUSION. - Les conditions dont dpend la gurison de la France seront-elles accomplies ? SUPPLMENT I. - Sentiments et conduite de lglise Romaine lgard de la France malheureuse II. - Prvisions de Pie IX sur lavenir de la fille ane de lEglise III. - Le gros Diamant dans le diadme des Rois de France IV. - Prire Notre-Dame-du-Peuple Imprimatur : PAGNON, v. G.
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