Arrêt à Ré
Par Philippe Garenne
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTEUR
Philippe Garenne, auteur prolifique, s’inspire des paysages du quotidien. Fort de son expérience dans un collège de l’île de Ré, il livre "Arrêt à Ré", un roman mêlant mystère et réalité, avec une écriture sensible qui dévoile les multiples facettes de la vie insulaire, à la fois familière et énigmatique.
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Aperçu du livre
Arrêt à Ré - Philippe Garenne
Avant-propos
Un beau jour, Jean-Pierre Laville avait décidé de s’appeler Pedro. Un caprice de star ? Non, simplement la lecture d’un titre de livre, La vie est un songe, de Pedro Calderón de la Barca. Où s’arrête l’illusion, où commence la réalité, l’existence n’est-elle qu’un rêve ? Le thème lui avait plu, le prénom de l’auteur aussi.
Il avait ramené d’un séjour à la Réunion, île française de l’océan Indien, l’amour de sa vie, Li, une jolie Chinoise, légère comme une chemise de lin, au caractère solide comme une corde de chanvre. La jeune femme était la mère d’une adorable enfant, Luan, et la fille de l’abrupte Yu, avec qui la coexistence n’avait rien de pacifique.
Avec quelques économies et l’héritage de ses parents, Pedro avait acheté un restaurant, Le dragon d’or, enseigne réputée de La Rochelle. Aidé d’Avotra, le commis malgache, il faisait fructifier le commerce et coulait des jours heureux à Périgny, ville de la banlieue rochelaise. Sauf que la vie n’est pas toujours aussi simple…
1
Le petit chat noir et blanc pénétra dans le jardin par un trou de souris du grillage. Le ventre à terre, il contourna prudemment l’épais feuillage de la haie et progressa à pas de loup sur la pelouse, méprisant les mauvaises herbes. Il se figea à la limite de la terrasse. De là, il ramena sa queue autour de son arrière-train et scruta les mouvements suspects.
Rassuré, il reprit sa marche en avant vers la main qui pendait d’une chaise longue. La main était rattachée à un primate humanoïde à la respiration lente et régulière. Un ronflement désagréable s’échappait de sa bouche entrouverte et troublait la sérénité des lieux.
Heureusement, si les meilleures choses ont une fin, les plus mauvaises aussi.
Pedro émergea de sa sieste.
Il vit l’animal.
Le chat l’observait de son air qu’ont tous les chats de juger leurs colocataires mammifères. À l’ombre de son parasol, Pedro tendit la main. Le félin s’approcha, renifla, se laissa caresser le haut du crâne, puis, jugeant les amabilités suffisantes, se recula d’un mètre et entreprit sa toilette. Il passa sa patte droite au-dessus de son oreille droite, sa patte gauche au-dessus de son oreille gauche, s’assit et promena sa langue rugueuse sur les poils de son ventre.
Il se jugea présentable.
En était-il de même pour le Sapiens affalé devant lui ? Il s’approcha de nouveau, se laissa caresser le dos. Il s’allongea de tout son long, offrant son flanc au grattage des doigts de son interlocuteur. Enfin, content de la prestation de son partenaire, il se roula en boule et entama un sommeil réparateur. Il avait trouvé un territoire et un bipède pour le servir. Plus tard, il aborderait la question des repas et du gîte pour la nuit, à l’intérieur de la maison de préférence. La négociation ne serait pas longue, tant il pensait avoir fait bonne impression. Seul obstacle potentiel, l’allergie des femelles aux poils de chat, mais dans ce cas, rien ne les empêcherait d’aller dormir ailleurs.
La tête posée sur ses pattes avant, le chat ouvrit un œil, dressa une oreille. Il jugea le bruit extérieur intempestif, mais pas dangereux pour autant. Cependant, il fallait être prudent. Il se leva, s’étira, bâilla et gagna le fauteuil de Pedro pour s’allonger dessous. Le poste d’observation lui convenait.
Luan était certainement la plus jolie fille de Périgny, elle était aussi la plus bruyante. Au son du talon martelé sur le parquet, Pedro entendit son repos se terminer.
— Papa, papa, j’ai perdu mon Marcel !
— Tu veux parler du débardeur miteux noir et jaune aux couleurs du Stade rochelais ?
Luan haussa les épaules et tapa du pied. Elle avait l’air sincèrement inquiète, l’œil plus noir que ses chromosomes le lui commandaient.
— Mais non, papa, Marcel, mon copain.
— Première nouvelle ! Il sort d’où, ce mec ?
— Tu le fais exprès ? Marcel, il est venu manger plusieurs fois… Il est beau, charmant, intelligent…
Pedro mit la main sur le menton et fit semblant de réfléchir.
— Tu dis, beau, charmant, intelligent, à part moi, je ne vois pas.
Il admit enfin qu’il avait horreur d’être réveillé pendant sa sieste et que le retour brutal au cauchemar de la triste réalité influait néfastement sur son caractère naturellement aimable. Il n’avait pas la main verte, pourtant, il cultivait la mauvaise foi.
Comme pour s’intéresser au débat, le chat fixa la nouvelle venue. Il en profita pour mettre un coup de langue sur ses pattes, les mordilla délicatement à la recherche d’une puce éventuelle.
— Mais papa, tu fais attention à rien, tu t’intéresses à rien, le matin, tu fais la grasse matinée, le soir, tu te couches tôt, l’après-midi, tu dors, c’est dur de te parler. Et quand on y arrive, tu te moques.
— À qui le dis-tu, renchérit Li, qui traînait par là à la recherche du temps perdu.
Li, la femme de Pedro et mère de Luan, par l’odeur du dialogue alléchée, s’invitait à la table de la conversation.
Misère ! pensa l’homme de la maison. Lui qui militait pour un dialogue court et concis, il allait devoir écouter les questions pertinentes, les remarques subtiles, les digressions indispensables, les analyses psychologiques appropriées. Apporteraient-elles cependant une réponse lumineuse à une interrogation oubliée ?
Marcel Martin, dit Bonbon Fondant, doux et suave à l’intérieur, craquant à l’extérieur, avait trouvé un emploi d’assistant d’éducation, anciennement appelé pion, au collège « Les Salières » de Saint-Martin-de-Ré. Il s’était présenté début juillet pour valider son embauche et devait prendre son service fin août, le 21 exactement, une semaine avant la rentrée.
Marcel habitait chez sa maman, Marcelle, au deuxième étage d’un immeuble ancien, rue du Collège à La Rochelle. Son père, Marcel Ier, descendant en ligne directe des rois fainéants, s’était fait la malle un soir de beuverie où il n’avait retrouvé ni l’étage, ni la rue, ni le quartier, et quand il n’y a pas de quartier, le Canada n’est pas loin.
Le petit Marcel était ravi de travailler dans l’île et de gagner assez d’argent pour s’installer dans un petit appartement où Luan pourrait le rejoindre.
Après un été humide et sans histoire, partagé entre la plage, les soirées arrosées et les boules de glace, il confia à sa mère qu’il ferait sa rentrée des classes prochainement.
Le dimanche soir, 20 août, il avait téléphoné à la fille de Pedro et ils s’étaient prodigué alternativement des mots d’amour et des paroles d’une mièvrerie convenue, tant à cet âge on pouvait manquer d’imagination. Le lundi 21, il avala un café préparé par la première femme chronologique de sa vie et traça vers le collège.
Un Martin à Saint-Martin, s’était-il dit en passant le pont et en riant intérieurement de sa vanne. Au niveau de l’humour, il avait encore du chemin à parcourir.
Arrivé à Saint-Martin, il avait tourné à gauche au niveau du supermarché, longé le stade. Le portail était ouvert, il gara sa voiture, ou plutôt celle de sa mère, dans le parking et partit à la rencontre de ses collègues.
Son immersion dans la faune éducative commençait. Cette première journée se passa plutôt bien. Les camarades de jeux étaient sympas, jeunes et sans avenir, le travail de prérentrée pas trop désagréable pour quelqu’un qui n’avait aucun repère dans les méandres administratifs. Affichage des listes d’élèves, comptage des manuels scolaires, le temps passait, le menant inexorablement vers l’heure de la sortie. À midi, entre deux bouchées de son sandwich, il appela Luan. Évidemment, elle était à la bourre dans le resto de son père, mais elle trouva le temps de lui susurrer des mots doux. Lui, à l’autre bout des ondes, déglutissait de plaisir. La longue progression du bol alimentaire dans son œsophage écourtait ses réponses, mais le cœur y était.
Vers dix-sept heures, il laissa ses nouveaux collègues rejoindre leurs pénates et s’attarda de longues minutes sur le parking de l’établissement scolaire, une cigarette au bec. Il faisait chaud en cette fin d’août. Les jours raccourcissaient tout en conservant une longueur respectable.
Un dernier coup de portable à Luan pour lui dire qu’il arrivait et qu’ils allaient fêter dignement son entrée dans le monde du travail.
— Et puis, plus rien, papa, plus rien, personne ne l’a revu. Je l’ai attendu toute la nuit. Il n’est pas allé taffer le reste de la semaine. Aujourd’hui, c’est la rentrée scolaire, il n’a pas embauché. Je lui ai laissé plein de messages sur son portable, il ne répond pas. Le collège l’a appelé, rien ! Sa mère, elle aussi, est sans nouvelles.
— Sa voiture ?
— Sa voiture est toujours sur le parking, à Saint-Martin.
— Le parking du collège ?
— Oui, le parking du collège ! s’emporta-t-elle, passablement agacée.
Elle serrait les poings et levait sa tête vers le ciel, espérant une intervention divine du nuage blanc qui montait sur l’horizon.
Un peu amusé par la mine déconfite de sa fille, Pedro posa des questions idiotes, les unes passablement déplacées du genre « il voit d’autres filles, ton mec ? » ou des affirmations inutilement désopilantes du genre « la chasse à la poule d’eau est ouverte sur l’île ! » Plus sérieux, il enchaîna :
— Tu as été à la police ?
— Sa mère est allée voir les keufs. Minables, ces mecs ! Ils lui ont dit qu’il était majeur et qu’il faisait ce qu’il