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Anouar el-Sadate: Chef de guerre devenu homme de paix ?
Anouar el-Sadate: Chef de guerre devenu homme de paix ?
Anouar el-Sadate: Chef de guerre devenu homme de paix ?
Livre électronique315 pages4 heures

Anouar el-Sadate: Chef de guerre devenu homme de paix ?

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À propos de ce livre électronique

Un ouvrage des plus intéressants sur la présidence de Anouar el-Sadate !

Anouar el-Sadate, président de l’Égypte dans les années 1970, a révolutionné les relations entre les États du Moyen-Orient. En recentrant la politique internationale et celle de son pays par des actions spectaculaires, il a gravé l’Histoire de son empreinte.

Aujourd’hui encore, son image est multiple : visionnaire à la personnalité complexe, leader audacieux, fin stratège, homme de paix, traitre de la cause arabe, chef de guerre, ou encore dictateur… Finalement, qui était cet homme d’État ? Comment a-t-il forgé son leadership ? Et quel héritage a-t-il laissé à son pays, à l’ordre régional et au monde actuel ?

En analysant le parcours personnel et politique de ce personnage emblématique, Gilles Vandal et Sami Aoun soulignent les forces et les paradoxes, les initiatives surprenantes et les stratégies géopolitiques marquantes d’un leader aux multiples facettes.

La biographie incontournable et saisissante d’un révolutionnaire devenu Prix Nobel.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

"Pour démêler le tout et arriver au plus près de la psychologie de sa personne voici que deux d nos compatriotes Sami Aoun et Gilles Vandal, tentent d'apporter une réponse dans cet essai en forme bibliographie politique." - Culture Hebdo

À PROPOS DES AUTEURS

Gilles Vandal est professeur émérite de l’Université de Sherbrooke, spécialisé en politique américaine et en leadership public. 

Sami Aoun est professeur émérite de l’Université de Sherbrooke et directeur de l’Observatoire du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord de l’UQAM. D’origine libanaise, spécialiste des questions du Moyen-Orient, il est un analyste très sollicité par les médias.
LangueFrançais
ÉditeurMardaga
Date de sortie17 févr. 2022
ISBN9782804720889
Anouar el-Sadate: Chef de guerre devenu homme de paix ?

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    Aperçu du livre

    Anouar el-Sadate - Gilles Vandal

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    Anouar el-Sadate

    Sami Aoun et Gilles Vandal

    Anouar el-Sadate

    Chef de guerre devenu homme de paix ?

    À nos collègues et nos étudiants de l’École de politique appliquée,

    À nos épouses Maguy et Diane et nos enfants et petits-enfants,

    Pour la paix, la liberté et la justice au Moyen-Orient.

    Avant-propos

    En Égypte tout particulièrement, un leader autoritaire peut apparaître narcissique et exploiteur populiste, comme il peut être bienveillant et paternaliste. En ce sens, un leader autoritaire n’est pas de facto un dictateur ou un despote, tel que perçu dans les régimes totalitaires, comme décrit par l’historien Karl August Wittfogel, dans son célèbre ouvrage Le despotisme oriental. Tout dépend des liens de confiance noués avec ses adjoints et ses assistants et de sa façon de gouverner – par la punition, la dissuasion, la terreur et le climat de peur qu’il suscite.

    Anouar el-Sadate, l’homme à l’œil rusé, était un homme politique et dirigeant bienveillant dans un système autoritaire. Ici, il ne s’agit pas d’excuser la répression qu’il exerça, mais de la replacer dans son contexte culturel égyptien et géopolitique en la comparant avec celles d’autres régimes dictatoriaux, à l’instar du stalinisme et du maoïsme. C’est pourquoi on pourrait définir Sadate comme une version moderne du despote éclairé ou, proche de ce concept courant et souvent évoqué dans la culture arabe et musulmane, « al-moustabed al-adil » (« le despote juste »). Sadate était clairement un leader autoritaire, dans sa vision de l’avenir de l’Égypte et sa stratégie pour l’appliquer. Il concoctait minutieusement ses objectifs et ses intentions sans les partager avec ses assistants les plus proches, endossant seul ses responsabilités. Cependant, une fois qu’il se décidait, il prenait soin de les communiquer amplement à ses subordonnés. Et ceux qui n’étaient pas d’accord ou peu convaincus n’avaient qu’à démissionner du cercle rapproché. Là est aussi la clef de sa gestion politique de main de fer. Dirigeant autoritaire, Sadate était confiant dans ses propres capacités de prendre des décisions sous la pression et en urgence, sans se sentir obligé de consulter quiconque. Cette confiance en lui-même reposait sur l’équilibre de sa compréhension des risques, une assurance entretenue par sa voix intérieure et son sens du discernement. Elle était renforcée par la pratique régulière de la méditation et ses fameuses séances de yoga. Pour prendre des décisions importantes, il se confinait afin de réfléchir sur les risques en mesurant les coûts et les avantages de ses orientations politiques et diplomatiques.

    Privé du charisme exceptionnel et inégalé de son prédécesseur Gamal Abdel Nasser¹, Sadate jouait sur ses capacités de séduction et offrait un leadership orienté vers l’action. Il s’employait à la réalisation des objectifs qu’il s’était fixés. Cette approche concentrée et déterminée se manifestait particulièrement dans des instructions claires et spécifiques transmises à ses adjoints et assistants. Il gardait toujours les yeux sur la balle, fixant la stratégie globale ou le plan d’action et réfléchissant sans cesse à différentes alternatives. C’est la raison pour laquelle il avait constamment un coup d’avance. Cela apparaissait dans l’organisation de ses journées, pour lesquelles on constate par ailleurs peu d’heures consacrées à la gestion du quotidien. Ce faisant, il développa un style rigoureux et compétitif comparable à celui d’un joueur d’échecs. L’esprit tourné vers l’avenir, il se plaçait toujours en position avantageuse pour battre ses adversaires, en prévoyant leurs coups. C’était sa façon de contrer les impasses dans la poursuite de ses objectifs et de la réalisation de sa vision stratégique globale. Si, dans la plupart des situations, les dirigeants autoritaires manquent de créativité, Sadate affichait quant à lui un leadership très innovant et surprenant. C’était son atout majeur, qui inspirait ses collaborateurs sans avoir besoin de les intimider. Par ailleurs, son expérience longue et inégalée dans les différentes fonctions de l’État aiguisa son sens de l’observation et le pourvut d’une solide compréhension de l’appareil administratif de son pays. Il savait d’instinct comment ses assistants allaient réagir. Ces derniers étaient aussi conscients de cette qualité de leur président.

    Le leadership unique de Sadate tient également à son audace pour réaliser sa propre vision patriotique de l’Égypte et sa persévérance pour mettre en œuvre ses objectifs. D’autant plus dans le contexte incertain et trouble des années 1970. Le pays était alors à la croisée des chemins. Un leader ordinaire n’aurait cherché qu’à se maintenir au pouvoir, alors que Sadate avait non seulement le courage de penser différemment, mais aussi celui de prendre des risques tout en étant patient et opiniâtre. Pour avoir de l’influence, un leader doit utiliser intelligemment l’audace et la ruse. Cette qualité repose sur un mélange, propre aux personnalités historiques, d’intuition, de rationalité, d’ambition téméraire, de courage raisonnable et d’une conviction profonde de marquer l’Histoire par son mandat. Une audace doit être fondée sur une vision de la gouvernance, sinon elle n’est rien de plus qu’un spectacle. Toute audace qui ne découle pas d’une bonne intuition n’est qu’un coup théâtral et publicitaire, si elle est dépourvue de persévérance elle n’est que le résultat d’un caprice. Or, le succès de Sadate venait de sa capacité d’allier son audace à une détermination sans faille.

    Un autre élément fondamental propre à son grand leadership était sa force mentale, nécessaire pour influencer ses collaborateurs et surmonter leurs réserves et leurs doutes, et pour faire face à l’adversité et vaincre les obstacles. Cette force solidifiait sa vision, renforçait la cohérence de son discours politique et plaçait ses objectifs en priorité. Elle lui permit de trouver des partenaires pour mettre en place sa vision grandiose et audacieuse de la paix et de renouveler incessamment sa vigueur pour dépasser les échecs temporaires et sortir de l’impasse. Engagé dans une remise en question du statu quo, Sadate concevait la complexité des enjeux. Non seulement il savait quel virage l’Égypte devait prendre, mais il maîtrisait aussi les différents facteurs composant la réalité du moment. Il comprenait les tenants et les aboutissants du projet de paix qu’il voulait valoriser. Ainsi, il était capable de développer une stratégie appropriée pour réaliser ses objectifs et concrétiser sa vision.

    Néanmoins, la gouvernance de Sadate fut minée par des choix aux conséquences désastreuses, révélant les limites de ses capacités. Par exemple, dans sa volonté de contrer les nassériens et les groupes marxistes, il ouvrit la boîte de Pandore. Se présentant comme un président pieux, il légalisa les activités des groupes radicaux islamistes. Cette décision eut de lourdes conséquences sur la préservation du caractère sécularisé de la révolution du 23 juillet 1952 et la solidité des liens citoyens de l’Égypte. Ardent nationaliste et proto-fasciste, Sadate s’assagit avec les années. Devenant de plus en plus modéré, il accomplit des actes impensables vingt ou trente ans plus tôt. En analysant le style de son leadership, il est particulièrement intéressant de noter l’évolution de l’homme qui devint un artisan de la paix dans les années 1970. Une maturité qui signe la marque d’un grand leader.

    Aujourd’hui, plus personne ne doute qu’Anouar el-Sadate était un homme d’État intelligent et un brillant stratège², qui mérite sans réserve d’être classé dans la catégorie des smart leaders. Il releva son pays de la défaite humiliante de 1967, expulsa les Soviétiques pour amorcer un renversement extraordinaire des alliances avec l’Occident et particulièrement les États-Unis, concocta une brillante stratégie militaire en 1973, effectua une visite spectaculaire à Jérusalem, brisa le tabou concernant la reconnaissance d’Israël³, retira l’Égypte des spirales conflictuelles du Moyen-Orient, lança un processus de libéralisation politique et économique. En ce sens, tel un grand dirigeant visionnaire, il laissa un héritage indélébile.


    1. Gamal Abdel Nasser (1918-1970) fut le second président de la république d’Égypte, de 1956 à sa mort. Le 23 juillet 1952, il renversa la monarchie et accéda au pouvoir en 1956.

    2. Surpris que son vice-président Moubarak eût oublié la lettre d’invitation pour la visite en Israël (19 novembre 1977), le président Sadate brandit promptement une enveloppe vide devant la foule, confirmant que sa visite à Jérusalem était prévue (reportage de l’hebdomadaire égyptien Rose al-Youssef, 16 juillet 2016).

    3. Le sommet arabe de Khartoum au Soudan, du 29 août au 3 septembre 1967, proclama une résolution en trois « non » : non à la paix avec Israël, non à la reconnaissance d’Israël et non à toute négociation.

    INTRODUCTION

    Un leader emblématique de la paix

    Charmant et sans prétention, Anouar el-Sadate était néanmoins en mesure de surprendre les observateurs les plus aguerris. Il fut le type de leader et l’homme d’État difficilement remplaçable par un des officiers de la révolution du 23 juillet 1952. Pendant ses onze années de présidence, il montra comment un leader peut faire la différence. Il déclencha la seule guerre classique gagnée par les Arabes, ou en tout cas elle était suffisamment mitigée pour régler le conflit par des négociations. Sa performance, en tenant compte des difficultés rencontrées et de l’ampleur de ses objectifs, était hors norme dans l’Orient arabe. Sa quête de la paix dépassait de loin les démarches traditionnelles d’un chef d’État ordinaire : elle s’inscrivait dans une vision privilégiant le bien-être du peuple égyptien et les relations paisibles avec ses voisins.

    Son premier objectif était de récupérer le Sinaï, un territoire perdu, aux mains d’Israël, lors de la guerre de 1967, pour restaurer la dignité nationale de l’Égypte. Néanmoins, il savait aussi que la paix était incontournable pour assurer la prospérité de son pays. Son but était d’établir une coexistence pacifique avec son ennemi Israël marquée par des échanges culturels et économiques. Ses ambitions semblaient insensées en 1970. Toutefois, il s’acharna en peaufinant des stratégies peu communes pour transformer ses projections en réalité.

    Son règne fut marqué par des incertitudes et il dut contourner de nombreux obstacles. Malgré tout, il poursuivait ses objectifs, déterminé à décrocher un accord à sa convenance. À la suite de négociations longues et vigoureuses, Israël acquiesça à ses vues de la paix sur la base d’une récupération du Sinaï en échange d’une normalisation des relations entre les deux pays et à la condition de l’établissement d’un échéancier pour les négociations sur la question palestinienne.

    Des talents sous-estimés, une plus-value

    Pendant presque toute sa vie, les capacités d’Anouar el-Sadate furent sous-estimées. Loin d’en tirer un complexe d’infériorité, le futur président sut exploiter cette situation particulière. Même la célèbre Central Intelligence Agency (CIA) n’aurait pu anticiper qu’il deviendrait un homme d’État brillant, audacieux et visionnaire, qui allait bouleverser les relations internationales dans les années 1970. Le personnage ne laissait personne indifférent, pas même ses assassins, pour lesquels Sadate n’était qu’un bouffon qui se prenait pour un pharaon⁴, un fraudeur usurpateur qui avait trahi la cause arabe, un lâche qui se prosternait devant l’ennemi, un impie qui vendait son pays à l’Occident.

    Avant qu’il ne devienne président, Sadate apprit l’importance de la dissimulation de ses sentiments et de ses convictions. Fervent nationaliste, alors qu’il était jeune officier, il devint un conspirateur et un terroriste. Jouer des apparences devint son mode de survie pour déjouer les services de renseignement égyptiens royaux ou britanniques. De même, face à l’ascendance autoritaire de Nasser, il comprit rapidement l’importance de se faire valet, s’il voulait continuer à jouer un rôle dans la classe dirigeante ; c’est ainsi qu’il découvrit la nécessité de dissimuler ses véritables aspirations et intentions. En développant des capacités d’acteur tout en observant attentivement l’exercice du pouvoir, il acquit un flair particulier pour saisir les opportunités tout en dissimulant ses ambitions. Il acceptait même de se ridiculiser auprès de ses collègues. Un stratagème qui s’avéra payant, car personne, dans l’entourage de Nasser, ne le perçut jamais comme une menace. Devenu président, fort de cette maîtrise de soi, il embrassa d’abord le nassérisme pour s’en détacher petit à petit, après que son pouvoir fut consolidé, quitte à apparaître déloyal et sans principes, menteur, trompeur ou inconstant. Ces années d’apprentissage et d’initiation sous l’aile de Nasser l’amenèrent à concevoir l’exercice du pouvoir comme un jeu solitaire.

    Privé du charisme légendaire de son prédécesseur, Sadate n’exerça pas le pouvoir de la même manière que Nasser. Au lieu de privilégier la collégialité, en consultant notamment les hauts barons du régime, il prenait ses décisions seul. Le rôle du président comme figure centrale du régime s’en trouva transformé. Il n’avait plus besoin de partenaires, ni même de conseillers, mais d’assistants et de subordonnés. En ce sens, son règne était comme un spectacle joué par un acteur seul en scène. Les grands groupes de pression ne pouvaient guère l’influencer. L’on peut même parler d’une « méthode Sadate » de gouvernance : utilisant avec brio les annonces de ses politiques, il contrôlait le jeu en évitant de dévoiler ses vraies intentions ou en répétant si souvent des propositions que personne ne le prenait au sérieux. Ce qui lui assurait d’avoir toujours une longueur d’avance sur ses adversaires, contraints par la suite de le rattraper. Cette façon d’agir lui permettait d’annoncer brusquement des décisions d’importance, et comme il ne consultait personne, il n’y avait pas de fuite, engendrant dès lors un effet de surprise d’autant plus grand. Dans le processus, son approche révèle les défauts d’une personnalité capricieuse et aventurière et la force d’une figure paternelle bienveillante, toute-puissante, calculatrice et surtout confiante. Presque tout le système tournait autour de lui, l’appareil d’État fonctionnant comme un orchestre qui se contente d’accompagner le soliste. Sadate évitait d’intervenir dans la gestion quotidienne des affaires et laissait ses assistants gérer les problèmes administratifs. Son rôle consistait à donner des directives aux différents ministères et services. Cette gestion du pouvoir lui octroyait une suprématie incontestée au sein des institutions, qui lui reconnaissaient un statut particulier. Tout en prenant ses distances avec l’administration, il la contrôlait cependant rigoureusement. Et celle-ci, étonnamment, s’adapta rapidement à ce mode de gestion.

    La « méthode Sadate » révèle sa confiance en lui, sa fierté du fellah et un certain caractère narcissique. Selon lui, les grands hommes façonnent et changent le cours de l’Histoire en rejetant une certaine forme de déterminisme. Cette conception apparaît à chaque décision notoire de sa présidence.

    Un leader astucieux, opportuniste et rude

    À plusieurs niveaux, la vie d’Anouar el-Sadate est digne d’un récit épique. Mort assassiné à l’âge de 62 ans, il fut tour à tour jeune ardent nationaliste, soldat, conspirateur, révolutionnaire, haut fonctionnaire, ministre, vice-président, leader national et figure mondiale. Afin d’atteindre son grand objectif – l’honneur et l’indépendance de sa bien-aimée Égypte –, il y consacra sa passion et son dévouement, à l’image d’un leader à la fois avisé, opportuniste et aussi impitoyable. Recourant à un style hors norme de la culture de la classe politique, il ouvrit à l’Égypte de nouvelles voies par sa seule force de caractère.

    Sadate fut élevé dans une culture traditionnelle, mais son éducation fut largement autodidacte. Il se familiarisa avec les grands penseurs de l’ère moderne non dans les universités mais en achetant des livres dans les kiosques de rue. Son éducation intellectuelle fut inéluctablement influencée par les leçons qu’il tira de ses lectures. Autrement dit, il n’était pas le produit classique du Siècle des lumières français ou de la Nahda (« renaissance ») arabe. D’ailleurs, le célèbre journaliste égyptien Mohamed Hassanein Heikal déplora ces trous béants dans sa culture (proche collaborateur de Nasser, il critiquait Sadate mais il finit par lui rendre justice). Tout admirateur cherchant dans ce personnage un authentique promoteur de la démocratie et des droits humains ne peut être que déçu. Sa conception de la démocratie était simpliste et rudimentaire, voire enracinée dans une conception paternaliste orientale de l’exercice du pouvoir. Dans une société où la répression politique et religieuse était dominante, son attitude à ce sujet était pour le moins paradoxale, même contradictoire : d’une part, il lança une politique de libéralisation politique, incluant le multipartisme et la liberté de presse, mit fin officiellement aux écoutes électroniques et libéra les prisonniers politiques ; d’autre part, il n’hésita pas à réprimer massivement et régulièrement au nom de la sécurité nationale. Si un leader communiste avait imposé de tels actes de répression, le monde occidental serait monté aux barricades pour protester contre les violations des droits humains. D’ailleurs, lorsque des journalistes occidentaux interrogèrent Sadate sur les rafles de septembre 1981 et l’assignation à résidence du pape de l’Église copte⁵ Chenouda III (1923-2012), il s’en offusqua, affirmant que ses interlocuteurs ne comprenaient rien à la société égyptienne.

    En dépit de ces lacunes, Sadate continua d’être célébré comme un héros pour ses multiples initiatives. Aussi émergea-t-il, dans les années 1970, comme un visionnaire déterminé. Ses années de prison transformèrent sa personnalité, il acquit une meilleure compréhension de lui-même et une plus grande maîtrise de ses sentiments. Devenu un des hauts barons du nouveau régime, il en profita pour élargir sa compréhension des problèmes de l’État et la politique internationale. En perfectionnant son éducation sur le terrain tout en étant un observateur attentif et engagé, il s’offrit une visibilité mondiale en avance sur son temps.

    Méprisé dans certains milieux, la surprise fut d’autant plus grande face à ses prestances remarquables. Il démontra, avant Ronald Reagan, une maîtrise des médias modernes en donnant des entrevues conviviales et chaleureuses et en manipulant la presse étrangère par la flatterie et les plaisanteries. Après avoir déjoué un coup d’État en mai 1971, il stupéfia les Égyptiens en exposant publiquement puis en brûlant une montagne d’enregistrements effectués par les barons de l’ancien régime, et il leur promit de mettre fin à l’État policier. Après avoir expulsé les conseillers soviétiques en 1972, il recourut à une thérapie de choc pour sortir de l’impasse les négociations avec Israël. Il lança une attaque surprise sur le canal de Suez en octobre 1973⁶, l’« opération Badr » ou « plan Badr », et devint le « héros de la traversée » (« Batal al-Oubour »). Après avoir fait accepter un retrait israélien de seize kilomètres dans le Sinaï, il fit un nouveau pari alors que les négociations piétinaient. En 1975, il prépara, avec Henry Kissinger, secrétaire d’État américain, la réouverture du canal de Suez. Un nouvel accord de retrait était signé portant le canal hors de portée de l’artillerie israélienne. En 1977, il sentit que le moment était venu pour une nouvelle thérapie de choc afin de faire avancer les négociations avec Israël. Pour éviter une nouvelle guerre, il lança une offensive de paix. Il fit alors probablement le pari le plus astucieux et le plus dangereux : se rendre dans la capitale ennemie pour parler de paix. Sa détermination mit fin à une guerre d’usure de trente ans entre Israël et les États arabes. Dans une perspective patriotique, il était convaincu que les intérêts nationaux égyptiens ne devaient être subordonnés ni à l’idéologie du panarabisme ni à la stratégie de l’Union soviétique. Pour ce faire, il était même prêt à aller jusqu’à signer une paix séparée avec Israël, admettant que les Arabes ne seraient jamais capables d’avoir une position unifiée. Depuis, même critiquée et bannie, l’Égypte bénéficie des dividendes de la paix.

    Héritant d’un pays prostré et en faillite à la suite de guerre de 1967 et de l’échec des programmes économiques de son prédécesseur, Sadate choisit de briser les chaînes qui liaient l’Égypte à l’Union soviétique. En plus de réorienter l’Égypte sur les États-Unis, qui, selon ses dires, détenaient 99,99 % de la solution, il enclencha une libéralisation politique et économique et visa l’obtention d’un accord de paix avec Israël.

    Un leader audacieux, courageux et visionnaire

    La différence entre un leader audacieux et courageux et un leader impulsif, instable et incompétent est souvent bien mince. On peut affirmer que Sadate appartenait à la première catégorie, parce que ses décisions reposaient sur des objectifs à long terme. Il avait une vision claire de ce qu’il voulait réaliser et une stratégie appropriée pour y parvenir.

    Sa première décision notable fut de lancer le Corrective Movement, le 15 mai 1971. À l’encontre des prédictions selon lesquelles son règne ne durerait pas plus de six mois, elle lui permit d’affirmer son emprise et de procéder à une « dénassérisation » pour ensuite abandonner l’idéologie socialiste arabe de son prédécesseur afin d’embrasser l’infitah (« l’ouverture »), soit le capitalisme occidental. Une deuxième décision remarquée fut l’annonce surprise de l’expulsion des conseillers soviétiques, en juillet 1972 – un prélude au plus grand renversement d’alliance de la guerre froide qui annonça un renversement d’ordre régional. Ce geste fut tellement déconcertant que les autorités américaines mirent un certain temps avant de le comprendre. Sa troisième décision mémorable fut l’attaque surprise du 6 octobre 1973 (guerre du Kippour ou guerre du ramadan). Il démontra une habileté stratégique remarquable qui prit de court à la fois Israël et les États-Unis. Il avait prévu l’ampleur psychologique causée par la prise des fortifications de la ligne Bar-Lev⁷, tant en Égypte et dans le monde arabe qu’en Israël et aux États-Unis. L’honneur et la dignité arabe et égyptienne avaient été restaurés. L’Égypte revenait en meilleure position pour entreprendre des négociations de paix. Sa quatrième grande décision audacieuse fut sa visite historique à Jérusalem le 19 novembre 1977. Une initiative à haut risque, politiquement et personnellement, qui lui permit de relancer les négociations de paix alors sans issue : le président Jimmy Carter convoqua un sommet au Camp David, qui aboutit, après d’intenses tractations, au traité de paix de 1979 entre Israël et l’Égypte. Toutefois, ses décisions téméraires n’étaient pas aussi impulsives qu’elles pouvaient apparaître au

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